Les « non, merci »Acte II, scène 8Campagnard : « hé, ardé ! C'est-y un nez ? Nanain !C'est queuqu'navet géant ou ben queuqu'melon nain ! »Militaire : « pointez contre cavalerie ! »Pratique : « voulez-vous le mettre en loterie ?Assurément, monsieur, ce sera le gros lot ! »Enfin parodiant Pyrame en un sanglot :« Le voilà donc ce nez qui des traits de son maîtreA détruit l'harmonie ! Il en rougit, le traître ! »—Voilà ce qu'à peu près, mon cher, vous m'auriez ditSi vous aviez un peu de lettres et d'esprit :Mais d'esprit, ô le plus lamentable des êtres,Vous n'en eûtes jamais un atome, et de lettresVous n'avez que les trois qui forment le mot : sot !Eussiez-vous eu, d'ailleurs, l'invention qu'il fautPour pouvoir là, devant ces nobles galeries,Me servir toutes ces folles plaisanteries,Que vous n'en eussiez pas articulé le quartDe la moitié du commencement d'une, carJe me les sers moi-même, avec assez de verve,Mais je ne permets pas qu'un autre me les serve.Voici la lettre adressée à Coquelin qui accompagnait la tirade des « Non, merci ! ». Cette lettre montreà quel point le dramaturge envisageait son œuvre à la manière du comédien. Coquelin reconnût luimême: « Il aurait pu jouer le rôle mieux que personne. » Cette lettre est citée et reproduite pour lapremière fois dans le numéro 56 (juin 1955) des Annales, revue mensuelle des Lettres Françaises,article « Cyrano de Bergerac », par Dussane.Mon cher Coquelin,Il est certain que vous devez rager. Mais il serait fou pour un ou deux jours de différence de vousenvoyer des morceaux qui ne vous satisferaient pas. Voici les non, merci, et ils sont à point. C'est unvrai morceau à apprendre. Je l'ai dit mille fois, en y changeant un mot à chaque fois. Tout y est. Vousverrez mieux que moi ce que l'on peut en faire, et que de Non, merci depuis celui qu'on dit en deuxfois, Non !... merci ! ? jusqu'à celui qui va d'un trait. Depuis le Non merci comique et léger jusqu'à celuiqui s'indigne. Il y a le non merci qui semble refuser un plat qu'on vous passe, simplement, et celui quirepousse les présents d'Artacarcès ! Je pense qu'il faut commencer tout doucement de sorte qu'oncroie le premier non merci tout seul et qu'on s'étonne d'en voir arriver un second. Puis à partir dumoment où ils se resserrent, Chez le bon éditeur de Sercy, etc., presser, presser, et que celadevienne une pluie, - jusqu'à 3 derniers dits d'un trait pour détacher sur un brusque changement devoix le : Mais chanter !... Et à partir de là, un lyrisme tout différent, un chant jusqu'à la fin, - et avec unreprise de bravoure sur le dernier vers et le : Tout seul ! … Mais tout cela, c'était inutile de vousl'écrire. Vous verrez tout. Nous nous entendons si bien. Et les gestes moqueurs que peuvent donner :D'une main flatter la chèvreCependant que de l'autre on arrose... etc.ANNEXE PÉDAGOGIQUE RÉALISÉE PAR JULIE FOUQUÉ –PROFESSEUR CONSEILLER-RELAIS DAACACADÉMIE DE RENNES26
Et j'y pense encore, le non merci de dégoût sur les soupirs de vieilles dames, etc.J'attends avec impatience de vous entendre.Cent fois il faut l'avoir dans la bouche pour aller, par moment, vertigineusement vite.Avant que vous n'ayez pu savoir cette torture, vous aurez la suite.A vousE.R.LE BRETSi tu laissais un peu ton âme mousquetaire,La fortune et la gloire...CYRANOEt que faudrait-il faire ?Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,Et comme un lierre obscur qui circonvient un troncEt s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce,Grimper par ruse au lieu de s'élever par force ?Non, merci ! Dédier, comme tous ils le font,Des vers aux financiers ? se changer en bouffonDans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre,Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?Non, merci ! Déjeuner, chaque jour, d'un crapaud ?Avoir un ventre usé par la marche ? une peauQui plus vite, à l'endroit des genoux, devient sale ?Exécuter des tours de souplesse dorsale ?...Non, merci ! D'une main flatter la chèvre au couCependant que, de l'autre, on arrose le chou,Et donneur de séné par désir de rhubarbe,Avoir son encensoir, toujours, dans quelque barbe ?Non, merci ! Se pousser de giron en giron,Devenir un petit grand homme dans un rond,Et naviguer, avec des madrigaux pour rames,Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ?Non, merci ! Chez le bon éditeur de SercyFaire éditer ses vers en payant ? Non, merci !S'aller faire nommer pape par les concilesQue dans des cabarets tiennent des imbéciles ?Non, merci ! Travailler à se construire un nomSur un sonnet, au lieu d'en faire d'autres ? Non,Merci ! Ne découvrir du talent qu'aux mazettes ?Être terrorisé par de vagues gazettes,Et se dire sans cesse : "Oh ! pourvu que je soisDans les petits papiers du Mercure François" ?...Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême,ANNEXE PÉDAGOGIQUE RÉALISÉE PAR JULIE FOUQUÉ –PROFESSEUR CONSEILLER-RELAIS DAACACADÉMIE DE RENNES27