HOMMAGEApports de <strong>Pierre</strong> GIVAUDON auCalcul de Combinaisons Optiques :témoignage de Claude Babolat, promo 71.<strong>Pierre</strong> <strong>Givaudon</strong> a œuvré avec Edgar Hughes et AndréMaréchal dans les années 60 et jusqu’au début desannées 70 à la mise au point des expressions mathématiquesnécessaires à l’écriture d’un logicield’optimisation automatique de combinaisons optiques ;ces travaux ont fourni d’une part la matière du cours decalcul de combinaisons optiques qu’assura <strong>Pierre</strong> <strong>Givaudon</strong>à l’École Supérieure d’Optique de 1964 à 1980 etd’autre part ont permis l’écriture des logiciels de lasociété CERCO exploités dans l’industrie jusque dans lesannées 90.Mes informations sur ces travaux proviennent de meséchanges avec Edgar Hugues durant la vingtained’années passées à ses côtés dans CERCO depuis 1974 ;je dispose notamment de quelques copies de manuscritsou d’imprimés d’époque dont l’encre s’efface peu àpeu ; malheureusement très peu de ces documents sontdatés, et l’auteur n’est presque jamais identifié clairement: il m’est donc impossible d’établir une chronologiefiable et d’identifier la part de chacun des trois protagonistesdans ces travaux théoriques ; considérons doncceux-ci comme l’œuvre collective d’un normalienphysicien théorique, d’un polytechnicien mathématicienet d’un universitaire ingénieur et industriel.Je suppose que tous trois avaient pressenti quel’informatique alors naissante pouvait apporter bienplus que l’automatisation des tâches fastidieuses deréfraction dioptre par dioptre qu’elle commençait àassurer ; cette idée évidente aujourd’hui, était quasiiconoclaste pour l’époque, si l’on en croit les dernièrespages de l’ouvrage de Jean BURCHER, Les Combinaisonsoptiques, encore publié jusqu’en 1967. Le challengeétait de faire tourner avec les ordinateurs (a) disponiblesau milieu des années 60, un programme complexedevant manier un grand nombre de données ; il fallaitpour ce faire une mathématique pertinente (et de faitélégante) dont les grandes lignes furent :• Analyse des performances basée sur les aberrationsd’onde (l’écart aberrant), contrairement à l’approchetraditionnelle par les aberrations transverses (taches dediffusion), voire les aberrations longitudinales(caustiques) ; l’aberration d’onde est par nature plussynthétique : elle contient l’information de phase et lesaberrations transversales s’en déduisent par dérivation.• Marche paraxiale « h, k, u, v » bien adaptée à lagénération des différentes grandeurs caractérisant unsystème optique• Expression exacte des dérivées de toutes cesgrandeurs (b) en fonction des paramètres de constructionde la combinaison optique (c) ; ce calcul de dérivéesne nécessitait qu’un temps de calcul du même ordreque celui de la réfraction des rayons dans le systèmeoptique, tandis que les logiciels concurrents, essentiellementle POSD d’IBM, grand frère d’ ACCOS V, utilisaientdes différences finies obtenues en réalisant autant deréfraction des rayons dans le système optique, d’où destemps de calcul 30 à 50 fois supérieures à celui de lamathématique mise au point par le trio Hugues-Maréchal-<strong>Givaudon</strong> ; de plus ces différences finies sontmoins précises que les dérivées locales, d’où uneconvergence moins efficace lors de l’optimisation pousséede systèmes optiques complexes: aujourd’hui un telgain est sans intérêt (quelques microsecondes au lieu dequelques millisecondes), mais jusque dans les années80, réaliser en quelques minutes ce qui demandait desheures de calcul à d’autres, était un avantage techniqueet économique décisif.Pour mémoire le logiciel d’optimisation de CERCO résultantde ces travaux et de la sueur de ses collaborateursa pu ainsi fonctionner dès la fin des années 60 avec destemps d’exécution supportables (quelques minutes parcycle d’optimisation d’un objectif d’une dizaine delentilles) sur un IBM 360-40 dont la mémoire atteignait(mazette !) 128 K.octets (mon PC à 699 Euros se contenteaujourd’hui de moins d’une millisecondes pour cemême travail).Ces formules sont notamment contenues dans lesderniers chapitres du polycopié de 29 pages (écrit jesuppose de la main de <strong>Pierre</strong> <strong>Givaudon</strong>) résumant soncours de façon, disons aride, lorsque l’on le relit près de40 ans plus tard. Cette concision ne doit pas faire oublierla difficulté de la tâche entreprise ; Edgar Hugues m’avaitraconté comment la formule de « l’équation du dépouillement» ainsi nommée par ses auteurs et exprimant ladérivée de l’écart aberrant, avait été laborieuse et devaitbeaucoup à <strong>Pierre</strong> <strong>Givaudon</strong> pour l’écriture du troisièmeterme (celui prenant en compte les effets du changementd’inclinaison du rayon principal), les deux autresétant comme chacun sait, la variation locale du cheminoptique pour le premier, et l’effet du changement desphère de référence (défocalisation) pour le second (d).a : il semble que le terme d’ordinateur n’était pas encore employé dans les années 60 : Hugues, Maréchal et <strong>Givaudon</strong>parlent de « machines automatiques »b : grandeurs paraxiales, encombrement, chromatiques, développement limité du 3ème ordre des aberrationsd’onde (sommes de Seidel), aberrations d’ondec : indices, courbures, épaisseurs (les autres paramètres tels que coefficients d’asphèrisation, ou les excentrementsfurent introduits plus tard)d : pour les passionnés du sujet, je dispose d’un document d’une soixantaine de pages de lecture plus facile6OPTO 170Mars-Avril2011
HOMMAGEVoici en résumé, comme me l’a demandé notre Associationd’anciens élèves, ce que je sais sur la contribution de <strong>Pierre</strong><strong>Givaudon</strong> à la théorie du calcul des combinaisons optiques.Mais pour beaucoup des plus anciens d’entre nous, sonapport au calcul optique a été son cours sur ce sujet àl’École Supérieure d’Optique : cours magistral, uniquementthéorique, discipline quasi militaire (c’était pourtant justeaprès Mai 68), mais avec bonhommie, émaillé d’expressionsd’artilleur, dont le « vu l’arbre en boule » est passé à lapostérité ; avec le recul, pour moi qui ait trempé longtempsdans l’instrumentation optique, le contenu était le justenécessaire, mais il y manquait un peu de passion pour le jeudu calcul optique, d’où peut-être l’origine du manque devocation des jeunes diplômés pour cet art ; ceci dit, il mesemble que <strong>Pierre</strong> <strong>Givaudon</strong> n’a jamais pratiqué parlui-même et n’a donc pu connaitre et faire partager les joiesde terrasser élégamment les aberrations les plus retors.Je rajouterai encore quelques éléments au-delà de cesdeux contributions marquantes, puisque les hasards de mavie d’opticien ont fait que j’ai côtoyé <strong>Pierre</strong> <strong>Givaudon</strong> àplusieurs reprises :• J’ai débuté ma carrière à l’APX (Ateliers de constructionde PuteauX, alors installés à Rueil-Malmaison), établissementde la DEFA (Direction des Études et Fabricationd’Armement, ancêtre de la DGA) en charge des instrumentsd’optique de l’arme blindée et de l’artillerie (vu l’arbre enboule ?) ;<strong>Pierre</strong> <strong>Givaudon</strong> y dirigeait alors le service optique quidéveloppait à cette époque les épiscopes, les viseurs etlunettes des tireurs et chef de char de blindés tels que lesAMX 30 et 10, et les premiers viseurs gyrostabilisés pourhélicoptère. L’APX s’est depuis fondue dans l’AMX,elle-même devenue GIAT et NEXTER aujourd’hui. EdgarHugues avait lui-même œuvré à l’APX et y avait gardé defructueux contacts, à l’origine, je suppose du rapprochementavec <strong>Pierre</strong> <strong>Givaudon</strong>.• Beaucoup d’années plus tard, <strong>Pierre</strong> <strong>Givaudon</strong> participaactivement au nom de Thomson CSF (Thales depuis lors)aux négociations en vue d’un achat éventuel de CERCO (quipassa finalement dans le giron de SODERN) ; ceci me donnal’occasion lorsque nous voyagions ensemble denombreuses discussions sur l’optique (évidemment), surl’actualité, mais aussi sur la littérature des auteurs classiquemodernes, notamment Marguerite Yourcenar, qu’il qualifiaitde « grande bonne-femme »Cette dernière expression me fait immanquablementpenser au jugement unanime que j’ai entendu sur <strong>Pierre</strong><strong>Givaudon</strong> par ceux qui l’ont approché : c’est un « grandbonhomme », un « grand monsieur ». Adieu donc àl’opticien humaniste !OPTO 170 7Mars-Avril2011