11.07.2015 Views

Algerie News 26-11-2012.pdf

Algerie News 26-11-2012.pdf

Algerie News 26-11-2012.pdf

SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Les lettres du mont KoukouLà-haut, chez Ben Boulaïd (1 ère partie)Par : Nadir BachaIl y a mille façons de se faire convier àune fête de mariage ; la plus classiqued’entre toutes est d’être invité par desgens qui vous connaissent, qui vousaiment ou qui vous respectent ; il y a celleoù on y va accompagnant quelqu’un assezproche de la famille noceuse ; et puis aussi,nous avons celle-là, fonctionnelle et légendaire,du «moulbâche» ou de son assistant.Et enfin, il existe la plus inattendue qui sepasse en versant de montagne enclavée àplus de cinq cents bornes de chez soi et dele cafétéria du journal où l’on peut, décontracté,bien blaguer avec les confrères, lebouclage allant bon train, se lâcher sur lespetits évènements professionnels qui fontadorer les coulisses du métier et les petitscoups bas aussi.Allez. Un chat affamé ne mettrait pasles pattes dehors, par un 42 à l’ombre,quand il y a l’ombre dehors sous le zénith,et l’air sec, mon frère, qui fait croire quel’atmosphère fait faillite et pourtant la destinéeveut que je me tape du mouron avecun pauvre diable de la quarantaine qui n’aplus une sacrée goutte d’eau dans sontacot. Ce qui reste d’une Peugeot 403bâchée – j’allais, avec le recul dans le patrimoinedes séries américaines, dire «pickup» pour faire snob – donnant l’air d’êtresorti sauvé d’un canardage à l’RPG 7. Etqu’on se mette d’accord, la benne contienttrois béliers, dont l’un à tête et bouts depattes noires, des billots de légumes frais etdu muscat et sur la banquette arrière, c’estplein de baguettes de pain, il y en a mêmequelques-unes chues sur le plancher parmide grosses pastèques torsadées. On ne peutpas dire que ce ne fût pas d’une extrêmedélicatesse, pour courir le risque de ne pass’arrêter. «El kbach msaken !», me ditMouh, noyé dans sa transpiration, déjàd’assez loin, regardant de travers l’enturbannéen panne. L’écho des bêlements neparvient pas à transcender les stridulationsde la cigale qui semblent sourdre de partoutcomme le signe d’un prélude à quelqueinvasion hitchcockienne. Pas unefeuille, ne serait-ce qu’une petite tige, unenervure, ne bouge et la clarté des Aurès -Nememcha, comme ramassée depuis tousles recoins rêches, à ciel ouvert, pouvantaccueillir la lumière du soleil, nous tombedessus au sortir de la Niva, à l’abordage del’homme en détresse.«Din rabbi !», suivi de deux souffleshennissant et d’un bruit de crépitement,c’est Mouh, derrière moi, qui trébuche surde la pierraille rugueuse et polie. Le bonhommeest debout devant le capot relevé,à l’approche duquel on se demande commentle moteur n’a pas fendu du momentqu’il n’a pas explosé et avec lui le conducteuret les mérinos. Mouh met un mouchoircontre son nez et avance sa tête versle bloc. «Elle était comme une jumentjusqu’à il y a un quart d’heure !», dit notrenouveau compagnon en collant son visagecontre la nuque de Mohamed. Celui-cirelève les épaules pour protéger son coucomme s’il se sentit soudain assailli par unardent simoun. Il se retourne pour répondreau bonhomme – c’était clair qu’il allaitlui reprocher le fait d’avoir continué derouler avec durant tout un quart d’heure,largement suffisant pour griller pour debon le moteur – et les deux visages se torpillent.Le montagnard se retire brusquementet de son coude droit, il détache labaguette de soutènement qui fait s’effondrerle capot sur lui. Il titube, ne tenant passur ses jambes, je le retiens pendant queMouh, retenant un fou-rire, remet la tige àsa place. Pour sa corpulence assezmoyenne, le gaillard était lourd et je le supporteavec beaucoup de peine, je n’avais leOn voit leserpentement de OuedLabiod, Ighzar Amelal,en chaoui, au loinTkout, puis Arris et sahaute plaine. C’est laterre de Mostefa BenBoulaïd.choix que de le traîner et l’étaler de toutson long sur le sol, côté accotement. Sespupilles se relèvent vers les sourcils bienfournis et ses lèvres, à peine perceptiblessous une moustache noire corbeau, laisséeà vau-l’eau, se mettent à frémir. Mouhobserve avant de me jeter exprès le regardde quelqu’un en train de supposer quenotre double victime récite la prière dutrépas.Pour l’été de cette année-là, un parent,venu nous rendre visite depuis le dix-septièmearrondissement parisien, avait laissétraîner à la maison, pour ne pas diresciemment abandonner, une glacière à cartouchesaccumulateurs que j’aie pris grandplaisir à transporter avec moi dans lereportage. Et heureusement, ce midi-là, il yavait dedans de l’eau assez fraîche enmême temps qu’un breuvage remontant.Nous essayons de lui faire boire tout doucement– de l’eau plate, au cas où vousauriez compris autre chose – mais ilrevient à sa conscience et arrache la bouteilledes mains de mon chauffeur pouravaler «drago» toute la moitié. Mais Mouhreprend le dessus pour lui enlever la bouteille.«Khali chouia ell’akbach !», dit-il ense redressant, le flacon derrière le dos. Et jereste bouche bée en le voyant aller vers labenne faire siroter un à un les trois bêtes,sur la paume de sa main. Au retour aucalme, tout aussi caniculaire et sec, le problèmefinalement, c’était une durit intérieurequi faisait «ravitailler de l’eau dansun mauvais circuit», explication que j’aiefait semblant de comprendre. Mais parmesure de précaution, nous avons préférérouler derrière lui jusqu’à sa destination,un village flanqué à quelques lieues degrimpée vers une crête d’où le regard toutautour vous oblige à oublier le rude climat,quoique on ressent déjà une petite briseramenant un semblant de fraîcheur. Onvoit le serpentement de Oued Labiod,Ighzar Amelal, en chaoui, au loin Tkout,puis Arris et sa haute plaine. C’est la terrede Mostefa Ben Boulaïd. Et vous vousdemandez dans le plus secret de votreconscience comment il a pu se faire qu’unjeune homme de la trentaine, parti de cessplendeurs sauvages, inconnues du mondecivilisé, arrive à Belcourt en plein quartiereuropéen afin de réussir à réunir autour delui une vingtaine de sacrés militants indépendantistesvenus de diverses régions dupays dans le but d’organiser une luttearmée contre l’une des plus grandes puissancesmilitaires de la planète.Nous sommes évidemment sortis de ladépartementale en décidant de ne pas lelaisser seul avec les trois moutons et lesdenrées et nous avons longé et pénétré destronçons de gorges dans les excavationsdesquelles nous nous sommes arrêtés pourboire et nous débarbouiller sur des pointsde sources d’eau limpide et fraîche. Et c’estdans l’une de ces espèces de cavernes àfleurs de l’immense paroi rocheuse quenous avons su, après qu’il ait terminé deprier le dohr, assez en retard à cause dudouble étourdissement dans la panne etsous le coup du capot, qu’il s’appelleZeghdoud, oui, et qu’il a été chargé parune notable famille «chaouïa horra»,s’apprêtant à ramener une épouse pourl’un de leurs jeunes gaillards, de lui faireparvenir la cargaison contenue dans labâche - lorsque Mohamed a entendu l’articulationdu prénom annoncé avec fierté, ilexhala un profond soupir, le regard braquévers le plus lointain possible des cimesauresiennes.C’était un mercredi et il fallait, selonnotre ami Zeghdoud, que les «ikers» soientpassés au henné avant le crépuscule. Nouscontinuons le serpentement sur djebelLazreg, d’où l’on voit de loin dominer lamajesté du djebel Chélia, et là, ce n’est pasce que l’on peut voir sur des photos deréclame touristique pour s’extasier, c’estun alunissage. La roche se confond avec lechêne et le pin qui semblent remplir uncontrat naturel de pétrification, dans lejaune maïs en s’étincelant. Aucun signe deprésence humaine pendant une dizaine deminutes de cahotement jusqu’à une espècede défilé tout en escarpements, sur lequelnous traversons des vestiges de viaduc, etpuis au sortir d’un long couloir de granit,une plaque indique «Tibhirine», écrit enarabe, mais sur un chemin vicinal qui descend.La 403 continue tout droit vers l’entréed’un hameau, annoncé par de virulentsjappements et un entrepôt de gazbutane dans le coin d’un vaste promontoireen terre battue. Nous garons derrièrenotre victime sous un auvent en tôle, pendantque les trois chiens se font déguerpirpar des jets de pierre. Un vieillard se tientsur le seuil de trois conteneurs alignés, unecigarette sans filtre à la main et des caillouxdans l’autre. Les deux hommes se serrent lamain, avec des salamalecs en chaoui, avantque Zeghdoud, qui a entre-temps enlevéson chèche pour exhiber une fulgurantecalvitie, nous présente comme ses «hbabrabbi», venus de la capitale.Le vieux – Lâayachi qu’il s’appelle -tient à nous embrasser et Mouh a la chairde poule quand il est enlacé avec unentrain fraternel contre une «qachabia» enpoils de chamelle. Je comprends unephrase sur deux quand ils discutent dumariage chez Si Slimane des «OuladDaoued», mais mon chauffeur a les yeuxrivés sur l’entre chien et loup de l’intérieurd’un conteneur. Il ne cesse depuis unedemi-heure de parler d’un bon café. Maispas de chance, la bouteille thermo sur latable qu’il lorgnait contenait du thé vert.Mais il s’y met tout comme moi, histoirede faire passer une cigarette bien méritée.Le préposé à l’entrepôt, qui, en vérité, travaillepour le compte d’un grand ravitailleurpossédant des points de vente danstoute la wilaya de Batna, nous raconte lavie de Mostefa Ben Boulaïd avec l’extraordinairepassion des vieux conteurs de jadis.Il narre le cheminement du grand héroslégendaire depuis son enfance jusqu’à samort au champ d’honneur à travers desdétails dignes des biographes les plus pointilleux.Au bout d’une vingtaine de minutes,Zeghdoud s’excuse pour aller chargerdeux butanes dans la bâche, qu’il ficelledans le coin de la benne, côté chauffeur.Nous nous séparons du vieux Lâayachipour aller accéder dans le hameau quis’ouvre sur un café avec une petite terrassegardée à l’ombre par une toiture enbaguettes de roseau faufilée par le feuillaged’une plante grimpante. Un quatuor estattablé jouant aux dominos, des tasses etsous-tasses sur la table. Mouh freine sec etfait marche arrière, «à Didouche-Mourad,tu n’as pas ce standing, fais ce qu’il te plaît,moi, je prends mon café !»Il est presque seize heures et il fallait,alors que je trace une feuille de route pourle retour. La chaleur se radoucit quandmême et le petit vent neutre est le dernierà ne pas se souhaiter, malgré l’odeur decaroube qu’il ramène avec lui – il doit yavoir un verger de caroubiers dans lesparages que la brise a dû traverser, me suisjedit in petto. Nous pénétrons le site, lasacrée Niva stationnée sous une sorte depeuplier, après un «salamoualikoum» tonitruantde la part de Mohamed, fouinantd’un regard alerte le maître des lieux ouquelque serveur. Mais c’est l’un des pétaradantsludiques qui se dresse pour nousaccueillir, une main de loin déjà avancéepour l’empoignade. «Mrahba bikoum fijbalnaou jbalkoum !» Il y a de l’émotiondans le visage de mon brave chauffeur seretournant vers les trois autres joueurs, quise lèvent aussi pour venir dans notre direction.Ça nous accompagne jusqu’à la tableque nous avons choisie, à l’entrée de la terrasse,à droite, pour être aux affaires de larue. Au loin, vers le terme du pâté, dans unespace clair entre deux bâtisses en rez-dechausséeseulement, des enfants s’agitentpour préparer un match, affolant les volatilesalentour.N. B.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!