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VOL. 66, NO. 5 - aafi-afics - UNOG

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L’autre jour j’avais besoin de chemises. Mon cou ainsi que mon torse avaient un peu forci. Connaissant matendance à paniquer dans les boutiques, j’avais demandé à ma femme de m’accompagner car, la plupart dutemps, elle est pleine de bon sens, bien que - chacun ses faiblesses - elle adore le shopping.Malheureusement, cette fois-là, elle n’était pas libre et je dus y aller seul ; tout seul et désarmé.Veuillez prendre les mesures de mon cou, demandais-je à un vendeur hautain. Mon cou a un peu forci, luiconfiais-je d’homme à homme. Il prit mes mesures, attrapa une chemise et m’assura que c’était ce qu’il mefallait.Rentré à la maison, ma femme me jeta un coup d’œil et me demanda : Aurais-tu été engagé par le CirqueKnie ? Ils adorent les clowns. Bon, d’accord, la chemise flottait en vagues comme celles un voilier- fantômesur une mer tourmentée. Comment cela se pouvait-il ? Après tout, pensais-je, elle devrait savoir qu’êtreclown est une affaire sérieuse : on ne peut en rire. Demandez donc à Shakespeare et à Molière.Il y avait quelque chose de pourri au Royaume de Danemark, comme le dit une pièce de théâtre du XVIèmesiècle. Vas la rendre, dit ma femme, tu ne peux absolument pas porter cela.La rendre ? Mais c’est impossible, m’exclamais-je, que va dire le vendeur ?Mais, comme Rumpole nous l’a enseigné, une épouse est Celle à qui on doit obéir. Alors j’ai rapporté lachemise. Il y avait un autre vendeur. Mais bien sûr, dit-il , cela peut arriver. Essayez celle-ci. Ce que je fis. Ilm’assura qu’elle m’allait et je rentrais précipitamment à la maison.Adorable ! s’écria ma femme, au comble d’une joie sarcastique. Superbe ! Mais il vaudrait mieux que tu ne laportes pas : tu ressembles à un acteur de deuxième zone dans un rôle de fantôme de troisième catégorie.Aussi la chemise demeura-t-elle non portée et importable. Il était hors de question que je la rapporte ànouveau, le ciel dût-il me tomber sur la tête.Il se trouva que quelques semaines plus tard, j’eus besoin d’un pantalon. Courageux et déterminé, je medirigeais vers un magasin plutôt élégant, tâchant de me convaincre que c’était moi le client et qu’aucunvendeur n’allait se moquer de moi.Dès mon entrée dans le magasin, un vendeur vint droit vers moi et me demanda ce que je désirais. J’avais àpeine commencé la phrase que j’avais préparée pour expliquer que j’avais besoin d’un nouveau pantaloncar mon tour de taille avait évolué, qu’il déclara péremptoirement, après m’avoir jaugé comme un cochonprêt pour l’abattoir : Quarante-quatre. Tenez, essayez ceci.Il me fourra un pantalon dans les mains et me poussa vers une cabine d’essayage. Bien ! OK, OK ! Je vaisl’essayer. Il semblait m’aller, OK. Mais je me souvins de ma décision de ne pas me laisser refiler le premierque j’essaierais. Vous pensez qu’il est OK ? demandais-je.Il leva les mains en signe de protestation. Ce n’est pas à moi de le dire ! s’écria-t-il. C’est vous qui allez leporter, pas moi !Je n’arrivais pas à trouver d’autres questions. Il me semble OK, dis-je, mais… J’étais prêt à discuter d’autresaspects tels que la qualité du tissu, sa capacité à se froisser ou non, à durer jusqu’à la fin de ma vie, quandsoudain le vendeur tomba à genoux devant moi.De temps à autre j’aime bien ce genre d’hommage féodal, mais là, je me demandais ce qu’il faisait. J’allaisle lui demander lorsque je m’aperçus qu’il enfonçait des épingles dans les revers. Sorcellerie ?Acuponcture ? me demandais-je. Très bien, dit-il avec autorité, il sera prêt vendredi. Et je me retrouvais dansla rue avant d’avoir pu prononcer un mot.Ah, ces vendeurs à sang froid ! pensais-je. Celui-là doit être suisse allemand : ces gens-là n’ont pas decœur. Ils ne pensent qu’à faire des affaires.Lorsque j’y retournais, le vendredi, je tombais sur mon Suisse allemand. Je lui tendis mon reçu. Ah, Ali ! ditil,Ali, Ali, Ali ... J’étais sur le point de lui dire que c’était mon nom et non un chœur dans une comédiemusicale, lorsqu’il ajouta : Je m’appelle Ali, moi aussi. Je suis du Maroc. Et vous ?24

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