En écho à Michel Péraldi, Merce<strong>de</strong>s Jiménez Alvarez, anthropologue qui s'intéresse aux « mineurscandidats à l'immigration », évoque le cas <strong>de</strong> « Sheitan » le diable et <strong>de</strong> tant d'autres qui ont choisi lavoie <strong>de</strong> la rébellion. Et donc <strong>de</strong> l'exil hors <strong>de</strong> <strong>Tanger</strong>, hors du Maroc.Autre portrait, celui <strong>de</strong> Mohcine, le « brillant faux gui<strong>de</strong> <strong>de</strong> la médina », confronté aux tribulationsd'une ascension exceptionnelle suivie d'une chute qui le conduit en prison. Réalisé par Julien Le Tellier —géographe « spécialisé dans les étu<strong>de</strong>s urbaines au Maroc » — et Catherine Mattei, doctorante en sociologieà l'Université Aix-Marseille I, ce portrait vise à étudier l'évolution <strong>de</strong>s relations entre les gens issus<strong>de</strong> la Casbah et l'intelligentsia argentée, nouvellement implantée dans le quartier du vieux <strong>Tanger</strong>.Comment se vit la cohabitation entre les habitants les moins nantis <strong>de</strong> la Casbah et la gentry souventexcentrique et provocatrice qui s'y enracine ?Lieux<strong>La</strong> calle <strong>de</strong>l Diablo — rue du Diable — doit peut-être son nom aux débri<strong>de</strong>ments nocturnes qui l'animentencore en dépit <strong>de</strong>s efforts <strong>de</strong> la police pour la rendre convenable. Mona Kezari, doctorante enanthropologie, regrette le temps où la rue grouillait <strong>de</strong> toute une population où se mêlaient « ouvriers,chauffeurs <strong>de</strong> taxis, petits commerçants, prolétaires <strong>de</strong> la drogue, étrangers, ouvrières travesties enamantes tarifées, prostituées professionnelles, accompagnatrices, petites amies, affairistes, artistes etflambeurs <strong>de</strong> nuit ». Aujourd'hui, la calle <strong>de</strong>l Diablo, prise en mains par les promoteurs immobiliers etles partisans <strong>de</strong> la purification, conduit sa résistance nocturne contre la briga<strong>de</strong> <strong>de</strong>s mœurs pour éviter <strong>de</strong>voir ses bars fermer l'un après l'autre. Les incontournables du <strong>Tanger</strong> by night <strong>de</strong>meurent. « LesAmbassa<strong>de</strong>urs » et le « Romero Bar », le « Morocco Palace » et « Le Monocle ». Un univers où l'argentest l'élément-clé <strong>de</strong> l'échange hommes-femmes.Pour l'ethnologue Ab<strong>de</strong>lmajid Arrif, <strong>Tanger</strong> se décline selon les rêves du jour et <strong>de</strong> la nuit. Tantôt «ligne brisée du désir <strong>de</strong> l'ailleurs », tantôt « ligne d'octroi » sur laquelle se fon<strong>de</strong>nt l'échange et la misère; tantôt « <strong>ville</strong>-seuil » peuplée <strong>de</strong> voyageurs et d'hommes en exil, « <strong>ville</strong> ouverte sur le large » pourles uns, « <strong>ville</strong> fermée » sur la misère et les compromissions pour les autres ; « <strong>ville</strong> du référentiel »où se croisent et se jaugent les <strong>de</strong>stins que tout oppose, <strong>Tanger</strong> est la « ligne <strong>de</strong> brisure <strong>de</strong>s phantasmes» que domine la figure sublime <strong>de</strong> la putain. « Ligne lumineuse », <strong>Tanger</strong> s'illumine <strong>de</strong> ses chimériqueslucioles. Un patchwork où se télescopent pour une nuit barbare, le muezzin et les filles. « Nadia,Houriyya, Zarha and co » qui « s'offrent en pâture au cercle d'une nuit ».Mais la photogénique <strong>Tanger</strong> est aussi <strong>ville</strong> légendaire du cinéma. Les noms <strong>de</strong>s salles obscuresrésonnent encore dans les mémoires <strong>de</strong> la « Perle du désert ». Alcazar, Capitol, Ciné-Americano, Dawliz,Flandria, Goya, Ciné Lux, Mabrouk, Mauritania, Paris, Rif, Roxy, Tarik et Vox. Quatorze salles en tout dontcinq d'entre elles continuent <strong>de</strong> se battre pour tenter <strong>de</strong> survivre.Écrivain et photographe américaine installée à <strong>Tanger</strong> <strong>de</strong>puis 2005, Simona Schnei<strong>de</strong>r retrace l'histoired'amour entre la <strong>ville</strong> et le cinéma. En même temps que l'histoire du cinéma tangérois. Avant d'évoquerle cinéma international <strong>de</strong> la Cinémathèque et les festivals du film <strong>de</strong> la <strong>Tanger</strong> d'aujourd'hui. <strong>La</strong> programmation,toujours plus exigeante et plus vaste, est la preuve indubitable que le cinéma tangérois agardé droit <strong>de</strong> cité et se bat pour l'avenir.Le dossier <strong>de</strong> « <strong>Tanger</strong>, <strong>ville</strong> frontière » se clôt sur l'évocation du Café Commercy, « lieu mythique» où se regroupent les fumeurs <strong>de</strong> shit. Parmi eux, un étrange personnage, marin <strong>de</strong> son état et lecteurd'un livre unique qui sent encore l'io<strong>de</strong> <strong>de</strong>s anciens voyages. Driss Ksikes, écrivain, passe <strong>de</strong> longsmoments en compagnie <strong>de</strong> Ba Allal. Il est seul à écouter encore les récits du vieux matelot amateur <strong>de</strong>périples intérieurs. Des récits d'autant plus vibrants que désormais, la « mer est morte », séparée <strong>de</strong>shommes par un mur <strong>de</strong> béton. Pour Ba Allal, <strong>Tanger</strong> n'est plus qu'une terrible équation : Un mur, <strong>de</strong>uxmers.Angèle PaoliVoir aussi :- (sur Terres <strong>de</strong> femmes) <strong>La</strong> Pensée <strong>de</strong> midi, n° 19/« Qui menace qui ? » ;- (sur Terres <strong>de</strong> femmes) <strong>La</strong> Pensée <strong>de</strong> midi, n° 20/« Beyrouth XXIe siècle » ;- (sur Terres <strong>de</strong> femmes) <strong>La</strong> Pensée <strong>de</strong> midi, n° 22/« Mythologies méditerranéennes » ;- (dans le Magazine <strong>de</strong> Zazieweb) Revue <strong>de</strong>s revues V : <strong>La</strong> pensée <strong>de</strong> midi. Penser le mon<strong>de</strong> méditerranéen,par Angèle Paoli.
Voisins Citoyens Méditerranée, Avril 2008<strong>Tanger</strong>, frontière et croisée <strong>de</strong>s chemins, un dossier réalisé par Mireille AmielSite internet : http://www.vcm.1901.org/