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Trouver les mots justes, aller au-delà du malaise - Regroupement.net

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D o s s i e rTROUVER LES MOTS JUSTES. ALLER AU-DELÀ DU MALAISE…par Francine DuquetL’é<strong>du</strong>cation à la sexualité à l’école alongtemps fait l’objet de doute, de<strong>malaise</strong>, voire de suspicion. Elle fut à la fois le« mal nécessaire », la « grande incomprise »,la « petite matière ». Il y a toujours eu desrésistances et le <strong>malaise</strong> des divers intervenantsimpliqués en faisait partie, mais il y atoujours eu également des a<strong>du</strong>ltes qui ontaccepté de dépasser ce <strong>malaise</strong> pour offrir<strong>au</strong>x jeunes une é<strong>du</strong>cation sexuelle de qualité.À l’exception de ces derniers, qui ont cru <strong>au</strong>bien-fondé d’une réelle démarche d’é<strong>du</strong>cationà la sexualité <strong>au</strong>près des jeunes, on esten droit de se demander jusqu’à quel pointl’é<strong>du</strong>cation sexuelle a été réellement prise<strong>au</strong> sérieux dans le monde scolaire. Y a-t-ilune commission scolaire <strong>au</strong> Québec quia appliqué dans son intégralité, <strong>au</strong> primaire,le programme de formation personnelle etsociale (FPS), incluant le volet « É<strong>du</strong>cation àla sexualité »? (Gouvernement <strong>du</strong> Québec,1984). Ce programme était obligatoire et onoffrait de plus tout le matériel pédagogique,lequel comprenait des activités d’apprentissagedétaillées, nuancées et respectueuses<strong>du</strong> développement psychosexuel des enfants.Au secondaire, d’<strong>au</strong>tre part, il existe uneréelle tradition d’é<strong>du</strong>cation sexuelle qui aeu ses moments de gloire, mais <strong>au</strong>ssi sesmoments d’essoufflement. Et bien que ceprogramme soit d’une grande richesse et trèspertinent, il n’a pas toujours bénéficié, hélas,des meilleures conditions d’implantation etn’a pas fait l’objet d’une réelle évaluation.Présentement, dans le contexte de la réformede l’é<strong>du</strong>cation, le cours de FPS a été retiré<strong>du</strong> programme d’études <strong>du</strong> primaire et <strong>les</strong>era prochainement de celui <strong>du</strong> secondaire.Pour ceux et cel<strong>les</strong> qui s’investissaient dansce programme et qui ont mené de bel<strong>les</strong>réflexions avec <strong>les</strong> élèves, ils <strong>au</strong>ront certesà en faire le deuil. Toutefois, il f<strong>au</strong>t bienadmettre que ces dernières années, l’applicationparfois boiteuse <strong>du</strong> programme d’é<strong>du</strong>cationsexuelle, et ce, <strong>au</strong> primaire comme <strong>au</strong>secondaire, a donné une f<strong>au</strong>sse assurance detravail accompli – comme si cette tâche nerevenait qu’<strong>au</strong> « prof de FPS ». En ce sens,la réforme actuelle de l’é<strong>du</strong>cation nousdonne une belle occasion pour penser etVie pédagogique n o 138 Février • Mars 2006faire <strong>au</strong>trement l’é<strong>du</strong>cationaffective et sexuelle, car ellene sera plus l’apanaged’une seule discipline. Eneffet, on inclura l’é<strong>du</strong>cationsexuelle dans le domainedes compétences transversa<strong>les</strong>,<strong>les</strong>quel<strong>les</strong> sontintégrées <strong>au</strong>x différentesmatières (Duquet 2004).Ainsi, <strong>les</strong> notions relativesà la sexualité pourront seretrouver dans des domainesd’apprentissage telsque le français, l’enseignementmoral, <strong>les</strong> sciences et la technologie ou<strong>les</strong> arts plastiques. Ce qui n’est pas sans créerd’inquiétudes… Qui s’en chargera réellementdès lors? Tous <strong>les</strong> enseignants seront-t-ils enmesure d’en parler? Et ce, dans toutes <strong>les</strong>matières? Certains s’en disent incapab<strong>les</strong>;d’<strong>au</strong>tres se désintéressent tout à fait dela question. En réalité, il n’est pas dit que tous<strong>les</strong> intervenants et enseignants, quels qu’ilssoient, doivent inévitablement et obligatoirementfaire de l’é<strong>du</strong>cation à la sexualité<strong>au</strong>près de leurs élèves. Il est vrai cependantqu’une collaboration entre <strong>les</strong> divers interlocuteurs(le personnel enseignant, <strong>les</strong> professionnelsde la santé et des servicessoci<strong>au</strong>x, le personnel de soutien, le conseild’établissement et la direction, la commissionscolaire et certains organismes commun<strong>au</strong>taires,etc.) est souhaitée et recommandée.Bien que tous <strong>les</strong> a<strong>du</strong>ltes qui gravitent <strong>au</strong>tourde l’enfant ou de l’ado<strong>les</strong>centsoient concernésd’une façon ou d’une<strong>au</strong>tre par un mandatd’é<strong>du</strong>cation sexuelle, tousne seront pas nécessairementdes agentsofficiellement désignés.D’<strong>au</strong>tres, cependant, seront <strong>les</strong> piliers de l’implantationde cette démarche.Cela dit, plusieurs situations d’é<strong>du</strong>cationsexuelle se gèrent de façon informelle.Prenons par exemple <strong>les</strong> surveillants dans lacour de l’école. À partir <strong>du</strong> moment où ilsinterviennent lorsqu’ils sont témoins d’insultes(plus précisément cel<strong>les</strong> à connotationCela dit, plusieurs situationsd’é<strong>du</strong>cation sexuelle segèrent de façon informelle.sexuelle) ou d’intimidation de la part d’élèves<strong>au</strong>près d’<strong>au</strong>tres personnes (par exemple,traiter quelqu’un de tapette ou de salope),ils gèrent une situation d’é<strong>du</strong>cation sexuelle,sans pour <strong>au</strong>tant que cela représente uncours sur la sexualité. Lorsque la directriced’une école rencontre une élève pour luiexpliquer <strong>les</strong> raisons d’un code vestimentaireet indiquer <strong>les</strong> limites concernant le port decamiso<strong>les</strong> suggestives, là encore il s’agitd’une situation d’é<strong>du</strong>cation sexuelle; onamène ainsi une réflexion qui va <strong>au</strong>-delà dela seule interdiction. Et que dire des peinesd’amour que l’on confie à l’enseignante dans lecouloir de l’école ou <strong>du</strong> vocabulaire vulgaireou de gestes sexuels déplacés de certainsjeunes, <strong>au</strong>xquels il importe de réagir? De telsexemp<strong>les</strong> sont nombreux. En fait, l’é<strong>du</strong>cationà la sexualité n’est pas la responsabilité d’uneseule et unique personne dans l’école, pasplus qu’il ne suffit d’uneseule intervention ponctuel<strong>les</strong>ur le thème de lasexualité en classe pouravoir l’impression <strong>du</strong>«travail accompli ».Bien que l’on s’entendepour dire que <strong>les</strong> parents sont <strong>les</strong> premiersé<strong>du</strong>cateurs de leurs enfants en matière desexualité, <strong>les</strong> intervenants <strong>du</strong> milieu scolairesont également des interlocuteurs significatifs<strong>au</strong>près des élèves. Plusieurs l’ont dit : l’écoleest un milieu de vie. Et en ce sens, tous <strong>les</strong>a<strong>du</strong>ltes qui interviennent <strong>au</strong>près des enfantset des ado<strong>les</strong>cents doivent se préoccuper deleur développement.33Photo : Denis Garon


D o s s i e rConcrètement, dans l’école,ça veut dire quoi?Précisons tout d’abord que dans certainsdomaines d’apprentissage (enseignementmoral ou enseignement religieux, science ettechnologie, etc.), des thématiques liées à lasexualité sont intégrées à l’enseignementformel de ces disciplines. Ainsi, <strong>au</strong> secondaire,l’enseignant de science et technologie<strong>au</strong>ra à informer <strong>les</strong> jeunes des diversesméthodes contraceptives; l’enseignant d’enseignementmoral, pour sa part, pourradiscuter avec <strong>les</strong> ados de la signification <strong>du</strong>sentiment amoureux et des enjeux et motivationsface <strong>au</strong>x premières relations sexuel<strong>les</strong>.Cela fait déjà partie <strong>du</strong> curriculum.Parallèlement à cela, en rapport avec ledomaine général de formation Santé et bienêtre,des thématiques précises seront égalementconsidérées en respectant le nive<strong>au</strong> dedéveloppement des enfants et des ado<strong>les</strong>cents(voir, à ce propos, le document É<strong>du</strong>cationà la sexualité dans le contexte de laréforme de l’é<strong>du</strong>cation, publié par le gouvernement<strong>du</strong> Québec en 2003; vous pouvezle télécharger sur le site Inter<strong>net</strong> <strong>du</strong> MELS).Donnons quelques exemp<strong>les</strong> concrets : <strong>au</strong>secondaire, l’enseignant d’histoire peut discuterdes perceptions différentes <strong>du</strong> conceptde be<strong>au</strong>té selon <strong>les</strong> époques et <strong>les</strong> cultures;l’enseignante d’enseignement moral ou religieux,en collaboration avec un ou unesexologue, peut débattre des enjeux mor<strong>au</strong>xet soci<strong>au</strong>x de la commercialisation in<strong>du</strong>e <strong>du</strong>corps dans <strong>les</strong> médias et de la sé<strong>du</strong>ctionstrictement sexuelle; la personne responsable<strong>du</strong> service d’animation spirituelle et d’engagementcommun<strong>au</strong>taire peut organiser undébat-midi sur <strong>les</strong> raisons pour <strong>les</strong>quel<strong>les</strong>nous sommes si fascinés par la be<strong>au</strong>té et parcette obsession <strong>du</strong> corps parfait, et discuterdes pièges dans <strong>les</strong>quels nous risquons detomber lorsque nous misons uniquement surl’apparence; <strong>au</strong> laboratoire d’informatique,en collaboration avec le professeur d’arts,<strong>les</strong> élèves peuvent créer un « corps idéal » àl’aide d’un logiciel et discuter de l’impact dela falsification des images médiatisées sur laperception de notre image corporelle (<strong>au</strong>tantchez <strong>les</strong> jeunes que chez <strong>les</strong> a<strong>du</strong>ltes); l’infirmièrepeut informer <strong>les</strong> jeunes <strong>au</strong> sujet desrisques des diètes excessives sur la croissanceet la santé et discuter de l’évaluation souventtrop sévère qu’ils font de leur propre imagecorporelle en transition; l’enseignant d’é<strong>du</strong>cationphysique peut établir des règ<strong>les</strong> visantà respecter la pudeur des garçons et des fil<strong>les</strong>dans <strong>les</strong> vestiaires et le gymnase ou à lapiscine. Ainsi, huit intervenants différentsanalysent une même problématique (l’imagecorporelle) à partir dela réalité des ado<strong>les</strong>centset y apportentun éclairage lié à leurexpertise. Les jeunes<strong>au</strong>ront donc une vued’ensemble et comprendrontmieux la diversité et la complexitéde la sexualité humaine. Développer lacapacité à faire des liens et à être critique estfondamental en é<strong>du</strong>cation.Le succès de cette formule repose en partiesur la coordination de la procé<strong>du</strong>re. Audépart, <strong>les</strong> directions d’école furent désignéespour le faire et el<strong>les</strong> devront œuvrer en collaboration,il va de soi, avec leurs équipesécole.De même, des projets pourronts’arrimer avec le cadre d’intervention proposépar le MEQ (Gouvernement <strong>du</strong> Québec2003), le projet École en santé (Gouvernement<strong>du</strong> Québec 2004) et <strong>les</strong> compétences etexpertises d’organismes et de professionnelsextérieurs.Dans <strong>les</strong> anciens cours de FPS, <strong>les</strong> élèves seretrouvaient souvent avec le même enseignantou la même enseignante pour toutel’année. Si cette personne était compétente,motivée, dynamique et habilitée à en parler,ils avaient ainsi la chance de pouvoir discuterintelligemment et adéquatement de sexualité.À l’inverse, si la personne était visiblementembêtée par cette tâche, limitait considérablement<strong>les</strong> échanges ou pire, disait desaberrations, c’en était fait pour l’année. J’enprends pour preuve cette situation où unenseignant a dit à des élèves <strong>du</strong> secondairequ’à la suite d’un « avortement », <strong>les</strong> fil<strong>les</strong>prenaient <strong>du</strong> poids… Une façon bien insidieuseet inopportune de faire passer unmessage orienté concernant l’interruptionvolontaire de grossesse. Une mère qui en avaitété informée par sa fille avait été choquée parce commentaire, mais n’est malheureusementpas intervenue <strong>au</strong>près des <strong>au</strong>torités scolairespour rectifier la situation. Ne devrions-nouspas tous être concernés par une é<strong>du</strong>cationà la sexualité de qualité? De même, <strong>les</strong>Ne devrions-nous pas tous êtreconcernés par une é<strong>du</strong>cationà la sexualité de qualité?démarches positives et adéquates de lapart d’<strong>au</strong>tres enseignants et intervenants nemériteraient-el<strong>les</strong> pas d’être soulignées etpartagées? En somme, la collaboration avecd’<strong>au</strong>tres partenaires motivés, volontaires etcompétents dans l’école et le travail enéquipe qui en découlerapermettront <strong>au</strong>x enfantset <strong>au</strong>x ados d’avoir unevision plus globale de lasexualité humaine. Ceséchanges amènerontégalement <strong>les</strong> intervenantsà partager un langage commun, avoir<strong>du</strong> soutien, développer des habiletés ettravailler de manière cohérente.Intéressant! Très bien sur papier, direz-vous?Mais y arriveront-ils? En fait, la questionincontournable est la suivante : comment sefait-il, qu’en 2006, il soit toujours si difficilepour une grande proportion d’a<strong>du</strong>ltes deparler d’amour et de sexualité <strong>au</strong>x enfantset <strong>au</strong>x ado<strong>les</strong>cents?1 re hypothèse :Une vision ré<strong>du</strong>ctrice de la sexualité a in<strong>du</strong>itdes craintes démesurées face <strong>au</strong> mandatd’é<strong>du</strong>cation à la sexualité. En effet, si la perceptionde ce qu’est la sexualité se limite à laseule génitalité ou <strong>au</strong>x relations sexuel<strong>les</strong>,faire de l’é<strong>du</strong>cation sexuelle, dès lors, nedevient-il pas de l’information anatomiqueou associée principalement à l’agir sexuel?La sexualité touche à diverses dimensions(biologique, sociale et culturelle, psychologiqueet affective, morale, éthique, religieuseet finalement, communicative) et va bien<strong>au</strong>-delà de l’é<strong>du</strong>cation pubertaire ou de laprévention des infections transmissib<strong>les</strong>sexuellement et par le sang (ITSS). Elle concernel’ensemble de la personnalité et constituela base de la connaissance de soi et dela relation à l’<strong>au</strong>tre. Élargir notre vision de lasexualité est une première étape importantepour éventuellement considérer une majoritéde ces dimensions dans nos interventions etdévelopper des habiletés certaines à gérernotamment <strong>les</strong> aspects affectifs.2 e hypothèse :Le fait de parler de sexualité à des enfantset à des ado<strong>les</strong>cents suscite une gêne,un <strong>malaise</strong> bien légitime. En effet, la difficultéde trouver <strong>les</strong> <strong>mots</strong> <strong>justes</strong>, de discuter de34Vie pédagogique n o 138 Février • Mars 2006


D o s s i e rPhoto : Denis Garonsujets considérés plus intimes, le manque réeld’habiletés pédagogiques ou l’ignoranceconcernant <strong>les</strong> façons de faire, la crainte dechoquer la sensibilité d’un enfant ou d’unado<strong>les</strong>cent, celle de faire de l’ingérence,notamment, dans la vie privée des ados, etc.,sont des facteurs qui expliquent le silence oula maladresse des a<strong>du</strong>ltes. Il est vrai que laplupart d’entre nous avons connu peud’a<strong>du</strong>ltes, lorsque nous étions enfants ouado<strong>les</strong>cents, qui nous ont parlé simplementet adéquatement de sexualité, ce qui peutexpliquer notre propre difficulté à le faire.Étonnamment, ce <strong>malaise</strong> semble persistermalgré le recul et malgré que nous ne soyonsplus sous le joug de principes moralisateursstricts. Sans compter que nous sommes bombardéspar de nombreux messages sexuelsmédiatiques qui font office d’é<strong>du</strong>cateurs à lasexualité; ce qui devrait d’ailleurs nous inciterà réagir et à assumer davantage notre rôle.« On veut attendre d’être à l’aise pour en parler,mais il f<strong>au</strong>t en parler pour devenir à l’aise »(St-Jean 1989). Et bien, qu’il existe une abondantelittérature pour nous aider, il nous f<strong>au</strong>t<strong>au</strong> départ avoir ce désir d’accompagner <strong>les</strong>jeunes dans leur quête de sens quant à ceque représente et signifie la sexualité dans lavie des jeunes.3 e hypothèse :Certains a<strong>du</strong>ltes hésitent à donner des limitesclaires en matière d’é<strong>du</strong>cation sexuelle depeur d’être perçus comme puritains oumoralisateurs. Les enseignants, par exemple,ont peur de passer pour « vieux jeu », voire« quétaines ». Les parents, quant à eux, neveulent pas, <strong>au</strong>x yeux de leurs enfants, êtreconsidérés comme étant <strong>les</strong> plus sévères,être ainsi « la pire des pires des mères »,comme disait une fillette de 12 ans à sa mèrequi refusait qu’elle aille <strong>au</strong> cinéma avec sespetites copines un soir <strong>du</strong>rant la semaine.S’ajoute à cela la préoccupation de savoir sises propres repères sont adéquats. Lorsqu’onest soi-même en quête de réponses, de cadresde référence, il peut être difficile de prendresa place d’a<strong>du</strong>lte. D’ailleurs, le problème actue<strong>les</strong>t que l’on considère <strong>les</strong> enfants commedes ado<strong>les</strong>cents et <strong>les</strong> ado<strong>les</strong>cents comme desa<strong>du</strong>ltes; de plus, certains a<strong>du</strong>ltes ne semblentpas eux-mêmes être sortis de leur « crise d’ado<strong>les</strong>cence»! Comme le dit si bien M me Pacom,sociologue : « Où est l’a<strong>du</strong>lte? » (Pacom 2005).Le commentaire d’un jeune garçon de 16 ansconfirme cette situation avec une étonnantelucidité : « Mes parents ne veulent pas êtremes parents, ils ne veulent pas vieillir! ».Être l’a<strong>du</strong>lte dans ce cas-ci, c’est être enmesure de proposer une réflexion et de nepas se limiter à un rôle d’observateur passif.4 e hypothèse :Nous assistons présentement à une explosionde messages, de con<strong>du</strong>ites et de modè<strong>les</strong> liésà la sexualité. Et on doit bien l’admettre, cesnouve<strong>au</strong>x phénomènes sexuels <strong>au</strong>xquels nousfaisons face (cyberpornographie, amitiéssexuel<strong>les</strong> (fuckfriends), clavardage sexuel,soirées entre jeunes où des pratiques sexuel<strong>les</strong>explicites se font en public, vêtements suggestifsdes fillettes, etc.) nous déstabilisent. D’<strong>au</strong>tantplus qu’ils vont à l’encontre des registreshabituels de ce que nous connaissions ouimaginions de la sexualité ado<strong>les</strong>cente, voiremême <strong>du</strong> développement psychosexueldes enfants. Ainsi, philosophes, sociologues,pédiatres et sexologues qualifient notresociété « d’hypersexualisée » (Schwartz 2000),« d’impudique et d’exhibitionniste » (Jacquet1997), de « société <strong>du</strong> sexe instantané »(Folscheid 2002), où nous sommes exposés àun incessant « tapage sexuel » (Robert 2005).Et c’est parce que cette surenchère et cettebanalisation de la sexualité nous déstabilisentqu’il f<strong>au</strong>t nous y attarder plus longuement ety réfléchir personnellement et collectivement.En fait, cela nous demande d’être davantageconcernés, voire impliqués, et de nous questionnersur nos perceptions, conceptions etvaleurs, d’<strong>aller</strong> <strong>au</strong>-delà de nos peurs et denos <strong>malaise</strong>s, de développer des habiletésréel<strong>les</strong> à en parler de façon explicite, d’exposernos convictions, de donner <strong>du</strong> sens etd’indiquer parfois des limites claires. Et surtoutd’être lucides devant ces réalités et de ne pasjouer à l’<strong>au</strong>truche. Car le silence c<strong>au</strong>tionne.En fait, de plus en plus d’enfants et d’ado<strong>les</strong>centsse butent à des a<strong>du</strong>ltes qui ne prennentplus position.Les habiletés qu’exige une réelleé<strong>du</strong>cation à la sexualitéPour intervenir adéquatement, nous devonsêtre en mesure d’analyser le plus objectivementpossible la situation, considérer l’âge del’enfant ou de l’ado<strong>les</strong>cent, son nive<strong>au</strong>de développement et de maturité, le contextedans lequel la situation s’est pro<strong>du</strong>ite ou lapréoccupation a été exposée, <strong>les</strong> valeurs enjeu, <strong>les</strong> questions à poser et finalement, <strong>les</strong>messages que nous voulons livrer. Notreintention é<strong>du</strong>cative doit être claire. Nous nepouvons plus nous limiter à transmettre desconnaissances. Il f<strong>au</strong>t <strong>au</strong>ssi travailler la questiondes repères et des limites.Voici deux exemp<strong>les</strong> concretspour illustrer nos propos :1. Tous <strong>les</strong> jours, une fillette de 8 ans seprésente à l’école maquillée (fond de teint,mascara, rouge à lèvres)et va même retoucherson maquillage <strong>du</strong>rant la récréation. Sa mèrene semble pas y voir là un problème particulier.Est-il normal qu’elle doive déjà, à sonjeune âge, miser sur l’apparence (<strong>au</strong> lieud’<strong>aller</strong> jouer avec <strong>les</strong> <strong>au</strong>tres enfants à larécréation)? De plus, il importe de fairela différence entre « jouer à la madame »en utilisant le maquillage de sa mère, sessouliers et ses bijoux, pour se déguiser, enquelque sorte, et le fait d’outrepasser l’aspectludique pour ainsi dire « devenir la madame ».Le côté imaginatif et projectif de ce jeu esttout à fait normal, mais permettre à cetteenfant de devenir « une a<strong>du</strong>lte » <strong>au</strong>-delà <strong>du</strong>jeu pose un réel problème. Soudainement,elle n’apparaît plus comme une fillette de8 ans. Y a-t-il ici un lien à faire avec lephénomène de l’érotisation de l’enfance?Dans un tel cas, il appartient à l’a<strong>du</strong>lte (leparent, l’enseignante ou l’enseignant ou ladirection d’école) d’établir <strong>les</strong> limites.Vie pédagogique n o 138 Février • Mars 200635


D o s s i e r2. Une ado<strong>les</strong>cente de 16 ans veut que soncopain vienne dormir à la maison avec elle.Ceci va nécessairement amener une discussionentre elle et ses parents. Encore là, il f<strong>au</strong>ttenir compte <strong>du</strong> contexte, de l’âge, desvaleurs familia<strong>les</strong>, de la présence d’<strong>au</strong>tresenfants plus jeunes, <strong>du</strong> fait d’accepter ou nonde partager une certaine intimité en famille(en effet, cela implique la présence d’un <strong>au</strong>trecouple, celui-ci ado<strong>les</strong>cent, à l’intérieur d’unedynamique familiale), etc. Devant une telledemande, par exemple, des parents avaientacquiescé parce qu’ils connaissaient bien legarçon en question, que ce dernier avaitle même âge que leur fille (16 ans), que <strong>les</strong>jeunes étaient amoureux depuis un certaintemps et, qu’à titre de parents, ils préféraientque leur fille soit dans sa propre chambre etqu’elle se sente en sécurité, tout en étant plusindépendante. Toutefois, ils n’avaient pasexpliqué tout cela à leur fille. Ils avaientaccepté que son petit ami vienne dormir à lamaison, mais sans lui donner <strong>les</strong> raisons quijustifiaient leur décision. Pourtant, c’est précisémentcette réflexion qui fait <strong>du</strong> sens, quirend la décision porteuse de valeurs. C’estensemble, comme parents, qu’ils ont réfléchi<strong>au</strong>x implications de cette décision, qu’ilsn’avaient pas prise à la légère. Ce n’était paspour paraître « cool » ou pour ne pas avoir àvivre des querel<strong>les</strong> inutilement épuisantesqu’ils avaient accepté. Dans ce cas-ci, il <strong>au</strong>raitété important d’indiquer à leur fille en quoileur réponse reflétait leurs convictions et <strong>les</strong>ouci qu’ils avaient de son bien-être.Une <strong>au</strong>tre mère m’explique qu’elle ne veutpas que le petit ami de sa fille (<strong>les</strong> deux sontégalement âgés de16 ans) vienne dormir à lamaison et elle m’expose ses raisons toutesfort légitimes. Mais, me dit-elle : « J’ai moimêmeun nouve<strong>au</strong> copain qui vient dormir àla maison; je vais donc devoir acquiescer à lademande de ma fille ». Je lui réponds quec’est elle, la mère, et qu’elle a un privilèged’a<strong>du</strong>lte. Bien qu’elle doive considérer lecontexte et l’approche à privilégier pour queson nouvel ami soit intégré dans sa vie etdans son quotidien tout en respectant lasensibilité de ses enfants, elle demeureessentiellement l’a<strong>du</strong>lte. Ici encore, il s’agitd’une question de repères et de limites. On levoit bien, <strong>les</strong> possibilités d’inculquer un sensdes valeurs relativement à la sexualité sontmultip<strong>les</strong>.En somme, l’é<strong>du</strong>cation à la sexualité estnécessaire, que ce soit dans le milieu familialou à l’école. D’abord pour répondre et accompagner<strong>les</strong> jeunes dans leur cheminement;<strong>les</strong> enfants et <strong>les</strong> ados demeureront toujoursdes jeunes, avec leurs univers propres et <strong>les</strong>questionnements spécifiques de leur âge.D’<strong>au</strong>tre part, il importe de développer leuresprit critique devant <strong>les</strong> messages et <strong>les</strong>modè<strong>les</strong> que notre société hypersexualiséeleur propose. En effet, la réalité sociale commandedes actions concertées pour éviter <strong>les</strong>pièges d’une é<strong>du</strong>cation sexuelle façonnée parcertains médias, davantage préoccupés par lacote d’écoute et la rentabilité qui y est associéeque par le développement harmonieuxdes enfants et des ado<strong>les</strong>cents.Cela dit, il apparaît trop facile de simplementaccuser le débordement des médias ou lemanque de jugement des jeunes. Il f<strong>au</strong>t nous<strong>au</strong>ssi nous demander si, comme a<strong>du</strong>ltes,nous prenons notre rôle à cœur afin d’encadrer<strong>les</strong> enfants et <strong>les</strong> ado<strong>les</strong>cents, <strong>les</strong>protéger <strong>au</strong> besoin, <strong>les</strong> faire réfléchir,<strong>les</strong> questionner sur leur compréhension <strong>du</strong>monde et leur faire part de nos valeurs,de nos principes et de notre conception del’amour et de la sexualité. Au-delà <strong>du</strong> sensationnalismemédiatique, la sexualité est <strong>au</strong>cœur de l’identité sexuelle, de la relation àl’<strong>au</strong>tre et de l’épanouissement et <strong>du</strong> bien-êtred’une personne.En conclusionPréoccupés par la qualité de vie des générationsqui nous suivent, nous devrons dépassercertains préjugés et certaines craintes démesuréesà l’égard de l’apprentissage de lasexualité et faire l’effort de nous investir dansnotre rôle d’é<strong>du</strong>cateur. D’<strong>au</strong>tres a<strong>du</strong>ltes l’ontfait avant nous, à une époque où <strong>les</strong> préjugéssoci<strong>au</strong>x et la rectitude morale représentaientdes barrières immenses à franchir pour oserparler simplement de sexualité. En 2006,l’é<strong>du</strong>cation sexuelle nous demande une certaineouverture d’esprit (qui n’est pas <strong>du</strong>laxisme) et une grande lucidité (qui ne signifiepas de tout banaliser ou de baisser <strong>les</strong>bras) pour répondre à la quête de sens desenfants et des ado<strong>les</strong>cents. Pour ce faire,il f<strong>au</strong>t nous-mêmes nous questionner surl’essentiel de cette démarche et non pas nousen décharger sur <strong>les</strong> <strong>au</strong>tres.Une é<strong>du</strong>cation affective et sexuelle basée,entre <strong>au</strong>tres, sur l’intelligence, le discernement,la sensibilité et la dignité ne peut êtrequ’un défi intéressant pour tout indivi<strong>du</strong> ainsique pour la collectivité.M me Francine Duquet est professeure <strong>au</strong>Département de sexologie de l’Université<strong>du</strong> Québec à Montréal. Elle est égalementla conceptrice <strong>du</strong> document d’é<strong>du</strong>cation àla sexualité dans le contexte de la réforme.Références bibliographiquesDUQUET, Francine. L’é<strong>du</strong>cation sexuelle à l’école : ce quenous propose la réforme, conférence et participation àun panel pour la Fédération <strong>du</strong> Québec pour le planningdes naissances, Actes <strong>du</strong> colloque ayant pour thème«Pour une é<strong>du</strong>cation à l’image de nos valeurs : regardsur <strong>les</strong> enjeux actuels », 21 mai 2004, p. 12-13.FOLSCHEID, Dominique. Sexe mécanique – La crisecontemporaine de la sexualité, Paris, Éditions La TableRonde, 2002.GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. Programme d’études etGuide d’activités, primaire. 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