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Ouvrir les portesd’une maison d’écrivain…Sylvie Marie Scipion *À travers quelques exemples de maisons depersonnages célèbres, l’auteur met en lumièreles contraintes posées par l’ouverture auxpublics de ces lieux d’intimité, montrant lesdifficultés du travail du muséographe qui doittrouver un juste milieu entre une approchepurement architecturale et une approcheglobalement muséographique ainsiqu’un équilibre entre l’interprétationet la conservation in situ, garanted’une certaine authenticité.« Il grimpe l’escalier de sa petite maison compliquée… »Jean EchenozLa chambre dans la Maison Maurice Ravel, le Belvédèreà Montfort l’Amaury (78)© Guy Vivien* Sylvie Marie Scipion est muséographeet fondatrice du cabinet In situtéléphone + 33 9 52 81 35 35in.situ.sms@wanadoo.frLieu unique : contempler pour visiterUne maison d’écrivain, de peintre ou de musicien n’estpas un musée mais tout simplement une maison.Après la disparition de l’homme célèbre, se pose laquestion du statut de sa maison. D’ailleurs, fait-ellepartie de l’œuvre ? Inventoriée et passée au crible duspécialiste, la résidence contribue-t-elle à percevoirl’uni vers de création de l’auteur ? L’affir matif justifie-tilson ouverture aux publics ou son maintien dans laconfidentialité ? La frontière pu blic/privé est-elle toujoursévidente à dessiner pour les ayants droit ? Pour -quoi vendre ou léguer à la collectivité et comment s’yprendre pour éviter de li mi ter ce passage à une fonctionfétichiste ? Comment dépasser le rôle de gardiendu temple pour celui qui gérera la maison ? Commentaccueillir les visiteurs curieux, passionnés, amusés oubéotiens ? Quels sont les enjeux finalement ?28 l a l e t t r e d e l ’ o c i mn°125, septembre-octobre 2009


Par nature, la maison n’est pas conçue pour accueillirdu public, bien au contraire, son propriétaire l’a souventaménagée à sa manière, en jouant avec lesrecoins ou les espaces obéissant plus aux règles intimesque publiques. Dans ce contexte, que montre-tonen réalité ? Un espace de vie, une succession depièces fonctionnelles, des objets encombrant étagèreset tiroirs ou bien un ensemble susceptible d’approcherl’univers mental du grand homme ? À l’instar desmusées où la notion de collection est prééminente,l’ensemble du corpus d’objets réuni ici, l’a été par lavolonté ou au hasard des rencontres de la vie d’unhomme et ne repose sur aucune démarche scientifiqueet raisonnée. Cet ensemble est une compositionunique dans un lieu unique. Se pose alors la questionde la conservation comme d’un « tout » puisque cen’est pas tant la valeur des objets qui prévaut maisleur intégrité d’ensemble. Choisi ici et là, par MauriceRavel ou Jean Cocteau, chaque objet est un indicematériel qui persiste avec le temps. Chaque objetdonne à voir, à ressentir ou à interroger l’environnementde l’homme célèbre. Chaque indice pris individuellementretisse des fils invisibles qui relient l’œu -vre à l’espace de vie (1) .Second life,une maison visitée pour elle-mêmeÀ l’heure des nouvelles technologies et de l’explorationdes univers de « mobiquité » où l’usager peut seconnecter n’importe où et à n’importe quel momentsur le réseau comme si l’humanité avait presquerésolu le don d’ubiquité, comme si l’univers des possiblesétait atteignable, comment concevoir un lieudu passé pour l’offrir à ces nouveaux usagers ? Unemaison d’écrivain peut-elle avoir une « seconde vie »– une vie pour elle-même – à l’image de Second Lifesimulant un univers sociétal virtuel lui permettantde revivre sous une autre forme tel un avatar dans unenvironnement persistant géré par les visiteurs depassage ? Comment passer du statut « d’espaceprivé » à un lieu ouvert au public ?La première question relève donc du juridique. Quelsrapports entretiennent les héritiers avec cet ensemblepatrimonial ? À la disparition de l’homme célèbre, lasociété se tourne formellement vers les ayants droit.Juridiquement, c’est à eux seuls qu’appartient ladécision de rendre publics ou non, la maison et lesobjets qui ont voisiné avec l’œuvre. Bien souvent, enrésonance de la personnalité ou en conformité avecses souhaits, cette décision reflète souvent lerapport qu’entretenait le défunt avec le monde. Maiselle est aussi très trivialement une question demoyens financiers au moment du transfert de pro -priété. On se souvient du comité de soutien organisépar Laurent Margantin qui s’était constitué aumoment de la décision des ayants droit d’André Bretonde vendre l’appartement mythique de la rue Fontaineà Paris ainsi que l’ensemble des objets, tableaux, sculptures,objets d’arts primitifs réunis par l’écrivain. Laréponse alternative de la fa mille avait alors consisté enla publi cation d’un livre de photographies documentantsur l’univers matériel de l’écrivain. L’associationdes amis d’André Breton avait acquis la très célèbrecuillère en bois de l’Amour fou troquée par l’écrivain surun marché aux puces avec son ami Giacometti.L’ouverture au public d’un lieu privé se fait donc d’uncommun accord avec ses héritiers. Ce qui signifiequ’un contrat moral s’engage entre ces derniers etl’opé rateur chargé de la mise en œuvre du projet. Dèscet accord, commence la nouvelle vie de la maison.Restitution ou avatar muséographique ?Une muséographie du « tout »La phase conservatoire, garante de la qualité de larestitution aux publics, n’est pas sans poser desquestions spécifiques. Le déménagement total del’ensemble des objets et du mobilier de décorationconstitue une étape qui peut occasionner des dégâtsirrémédiables. En effet, l’enveloppe architecturaledoit-elle être traitée comme un bâtiment « simplement» à restaurer ? De même, l’ensemble de ladécoration intérieure qui fait peau. Comment sauvegarderl’âme du lieu ?Tentures murales, peintures, boiseries, placards et élémentsde décors dessinés ici par l’écrivain ou le musicienappartiennent un peu à l’œuvre globale. Dissocierla maison en tant qu’élément architectural, de sesobjets peut conduire à des méthodologies qui s’interfèrentnégativement pour finalement s’annuler. Lerisque encouru consiste en deux approches au tistes.D’un côté l’architecte affirmant un discours con centrésur la structure bâtie sans tenir compte du contenumuséographique, de l’autre côté un discours scénographiquecherchant absolument à mettre en scène.Nier l’approche globale muséographique, c’est finalementse trouver devant une pluralité de con traintes,sans savoir comment hiérarchiser les priorités.En revanche, poussée à son extrême, cette approchequi peut aller jusqu’à dégager pièces et objets de toutescontraintes architecturales en déplaçant « l’ensembleintérieur » dans un autre bâtiment, peut aussiêtre étonnante. Provisoirement pour mettre à l’abri lesobjets ou définitivement lorsque le lieu n’existe plus.O u v r i r l e s p o r t e s d ’ u n e m a i s o n d ’ é c r i v a i n . . .l a l e t t r e d e l ’ o c i mn°125, septembre-octobre 200929


Aperçu de la salle de bains. Musée Henri Pollès-Bibliothèquedes Champs Libres (Rennes)© Richard VolanteUn travail de reconstitution a ainsi été mené pour réinstallerles pièces de vie de la maison de l’écrivainHenri Pollès dans un espace dédié au sein de la bi -blio thèque des Champs Libres à Rennes. Aucun visiteurn’imagine, un seul instant, pénétrer dans la maisonde l’écrivain. Grands parallélépipèdes ouverts etofferts à la manière de croquis en éclaté, ce choixaccompagne la volonté de l’écrivain-collectionneur decréer un musée des « livres et des lettres ». L’intérieurde l’écrivain préfigurait déjà le musée. Le muséePollès valorise l’idée de musée-maison.Un contrat moralL’approche globale muséographique scelle le contratmoral entre le lieu et le muséographe. Pourtant tousles cas de figure ne réunissent pas, à chaque fois,toutes les conditions idéales.Le cas de la Maison Maurice Ravel constitue l’approchela plus exemplaire puisque aucun objet n’ajamais été déplacé. Sa conservation dans son « jus »ne laisse place à aucun interstice d’interprétation.Du coup, le visiteur se sent véritablement accueillicomme un hôte privilégié. Les barrières du tempss’estompent pour laisser place à une relation d’uneexceptionnelle justesse. On pourrait croire que lemaître s’est absenté quelques heures et qu’il va rentrerd’un moment à l’autre. La preuve : une fenêtreest entrouverte et une plante dans son pot attendd’être arrosée. Plus qu’une simple opportunité, c’estla volonté initiale, avec la ligne clairement établiede « conserver le tout » dans le respect de l’œuvre,qui a prédominé. Pourtant, le choix ou quelque-foisl’obli gation de dépouiller l’intérieur pour y faire destra vaux d’assainissement ou d’aménagement doit s’accompagnerde précautions conservatoires. Garantir laprésence de chaque objet à sa place, du plus insignifiantau plus symbolique met en branle une méthodologied’inventaire. La conservation in situ ne peutnier le caractère éphémère ou précaire dû à l’extrêmefragilité de certains objets ou supports usés par leurvie d’objet ordinaire, tels les textiles des tentures mu -rales passées et brûlées par la lumière naturelle. L’en -jeu étant de conserver la singularité de la maison, ilapparaît difficile d’adopter des réponses classiques ettransposables pour tous les projets. Cependant, onpeut constater qu’à chaque fois qu’une ligne de con -duite exigeante, régie par un parti pris ferme en termemuséographique, a été retenue, le lieu semble êtreresté lui-même.Une minutieuse mécanique chorégraphiqueLa taille exiguë des différentes pièces de la MaisonMaurice Ravel, forcément inadaptées à l’accueil degroupes, constitue l’enjeu premier pour son ouver -ture aux publics. Le parti pris de limiter les dégradationspar l’accès à un petit nombre de visiteurs, soitsept personnes en simultané, seuil au-delà duquell’ensemble est en danger, oblige à penser une muséo -graphie spécifique. L’abondance du mobilier et desobjets de décoration qui y sont présentés accentueles problèmes liés à la sécurité des biens. Outre cesdeux aspects, certaines sensibilités spécifiques auxmatériaux doivent été prises en compte. Papierspeints et textiles (rideaux, voilages, garnitures de fauteuils,coussins, couvre-lit…) en raison de leur na -ture organique, présentent un risque de dégradationaccrue à la lumière. Tout comme les tableaux, lesestampes et les reliures en cuir des livres présentésdans la bibliothèque. Sans oublier les moquettes(salon de mu sique, chambre, bibliothèque) qui su -bissent, à cha que passage du petit groupe de visiteur,une usure.Pour limiter au maximum les dégradations au seinde la maison, le travail de restitution, d’accompagnementet d’accueil des visiteurs intègre toutes lesrègles simples d’usage des pièces de vie pour enassurer la bonne conservation. Aussi, c’est au traversde cette grille « de bon sens » que l’ensemble dudispositif évolue. Isolation des fenêtres et portes pardes joints autocollants en mousse, remplacementd’une chaudière vétuste par un système neuf avecthermostat, application de filtres anti UV aux vitresfont partie des outils qui permettront simplement aulieu de continuer d’accueillir du public.30 l a l e t t r e d e l ’ o c i mn°125, septembre-octobre 2009


La collection des boîtes de Maurice Ravel.Maison Maurice Ravel, le Belvédère à Montfort l’Amaury (78)© Guy VivienLa question de l’ouverture des fenêtres à la belle saisonqui s’impose pour des raisons d’aération et quientraîne à la longue des décolorations localiséesnotamment au niveau des papiers peints, a été elleaussi intégrée à la visite puisque c’est la médiatriceguidequi gère progressivement ces ouvertures selonun rythme précis tout en rabattant les volets. Ce gestesimple apporte à la visite un caractère vivant et intimetout en laissant entrevoir le jardin. La visite se fait aurythme d’une partition de gestes associant conservationet vie de la maison. Le parti pris muséographiqueprend ici le pli d’une minutieuse mécanique chorégraphique,avec sa grammaire et son vocabulaire propres.L’écriture du scénario de visite révèle uneconversation à huis clos, un tissage de « mots-gestesregards» accrochés aux indices et objets. Laissantplace à une marge d’improvisation, le scénario oscilleentre des temps encadrés et des moments d’échangeslibres, presque improvisés. La progression de pièce enpièce s’appuie sur une écriture serrée et doubléed’une pratique de mise en espace. Par le jeu de la su -perposition de la parole et du geste et l’intrusion dulieu comme espace scénique partagé par le petit groupe,la découverte investit le champ de l’immédiatetéet de la complicité.La maison est-elle une projection mentale de sesécrits ? Et comment le travail du muséographe interfère-t-ildans le process de restitution ?Étonnement et curiosité animent le visiteur quipénètre dans un cabinet de travail, un bureau antichambreou bien encore dans le petit salon de mu -sique de Maurice Ravel. Son premier regard se posesur la fonctionnalité des pièces. Où l’écrivain travaillait-il? Comment le musicien composait avecson environnement ? Apprend-t-on quelque chosede la face cachée de l’œuvre en pénétrant chez l’écri -vain, le peintre ou le musicien ?Pour toutes ces questions, le contrat moral engagéentre le muséographe et le lieu est aussi un contratavec le visiteur. Ce contrat est donc, en réalité, tripartite.Au-delà d’un simple accompagnement, lemuséographe s’engage à préserver l’attente d’équi -libre entre étrangeté et réponses à des questionssimples. Pour ce faire, l’élaboration de la visite, piècepar pièce, relève du muséographiquement « cousumain». Certaines pièces projettent plus que d’autresdans les univers de création, comme par exemple, lesalon de musique de Maurice Ravel.O u v r i r l e s p o r t e s d ’ u n e m a i s o n d ’ é c r i v a i n . . .Boîte et boîtes à imagesLa boîte-maisonPour autant, en découvrant la maison d’un écrivain,le visiteur est-il à même de rencontrer son œuvre ?Le salon de musique de la Maison Maurice Ravel© Guy Vivienl a l e t t r e d e l ’ o c i mn°125, septembre-octobre 200931


La visite inoubliable de la maison du Bailli…« La maison qui m’attendait. J’en habite le refuge, loindes sonnettes du Palais Royal. Elle me donne l’exemplede l’absurde entêtement magnifique des végétaux.J’y retrouve les souvenirs de campagnes anciennes oùje rêvais de Paris comme je rêvais plus tard, à Paris, deprendre la fuite. L’eau des douves et le soleil peignentsur les parois de ma chambre leurs faux marbres mo -biles. Le printemps jubile partout ».C’est une allée droite qui mène à l’ensemble féodalde Milly-la-Forêt. Il faut détacher ses yeux du châteauqui a tant habité l’œuvre de Jean Cocteau pourdécouvrir sa maison uniquement séparée de lamasse minérale par des douves humides et unensemble de canaux d’eau verte. On l’a toujours su.L’image, si tant est qu’on puisse ici la qualifierd’ima ge, reste l’accès privilégié et intime vers l’es -pace de création immensément ouvert de l’artiste.Les références ne manquent pas… le miroir, la« Tête de romaine » qui habite les décors de LaBelle et la Bête, le reflet de l’eau des douves sur leplafond de sa chambre qui offre une décorationmarbrée… La présence du château qui hante l’œuvrede Jean Cocteau renforce le caractère mystérieuxdu lieu. Mais voilà que nous y sommes, voilàque la visite peut commencer… que commencenotre voyage littéraire.Étonnez-moi ! disait-il …L’univers de Jean Cocteau se dévoile, la grandeporte ouvre sur les jardins domestiques… plus loinla porte et le porche de la maison. Ce n’est pas unlieu de mémoire, mais un lieu en perpétuelle créationoù le visiteur pourra découvrir les objets familiers,l’univers de travail et de repos mais aussi l’universchoisi par l’écrivain pour se retrouver et se retirerde la vie parisienne…La maison à Milly-la ForêtMilly est la maison où Jean Cocteau habite les 17dernières années de sa vie. Cette période correspondà une période de solitude après un succès acquis,une notoriété reconnue, une vie de mondanité à laLa chambre de la Maison Jean Cocteau,Le Bailli à Milly-la-Forêt (91)© Ballerinifois enviée et décriée. Pour Jean Cocteau, Milly estune sorte de refuge, un port d’attache. L’atta -chement à la beauté des maisons d’artiste, JeanCocteau y accordait déjà beaucoup d’importancelorsque lui-même allait découvrir d’autres lieux : « lamaison de Schubert est émouvante et bien délicieusesur une petite place du quartier des vignes, des bosquets». L’ouverture de cette maison aux publicsdevait alors se faire tout naturellement, l’ultimeétape de son œuvre signée « je reste avec vous ». Déjàles visiteurs se familiarisent avec l’univers de JeanCocteau que chacun a pu, au cours de sa vie, rencontrerau moins une fois. Au-delà d’une atmos -phère, au-delà de la rencontre avec l’intimité de l’artiste,la visite est un ensemble sensible à voir, toucher,sentir et appréhender qui touche à la force dela création artistique d’un homme. La recherched’une émotion provoquée par l’auteur qui mettait enscène l’espace et le temps y est donc forte. Suivez-leguide !32 l a l e t t r e d e l ’ o c i mn°125, septembre-octobre 2009


Passage du privé au publicPropriété de l’association des Amis du musée deJean Cocteau depuis le 7 novembre 2002, la maisonétait inoccupée depuis décembre 2000. Les espacesintimes de l’artiste ont été retrouvés intacts, laisséslà depuis 40 ans… L’ouverture de la Maison de JeanCocteau aux publics se devait donc de restituer cetesprit et de répondre à ses attentes : révéler plusqu’expliquer la poésie et la magie du lieu, retrouverle fil d’Ariane et enfin réinventer le fameux « Étonnez-moi! ».Une visite uniqueLa visite de la maison constitue un moment inoubliable: sitôt l’accueil franchi, la relation s’instaureavec l’artiste. Le poète, passeur de mots, invite,reçoit et accueille. Les visiteurs viendront cherchercette émotion que seul peut procurer l’effet de restitutiond’un lieu « habité ». Tel un invité, on entredans sa maison, il s’est absenté dans le jardin – onle sait là.La visite s’organise autour de la complicité entrel’extérieur et l’intérieur pour dire la poésie d’unensemble composé : l’intérieur de la maison montreet dévoile l’artiste en révélant son univers et toutesles facettes de sa création. L’extérieur exprime lapoésie de l’intime. Le parcours tient du subtil équilibreentre « le dehors » et « le dedans ». Autour decette dualité résonne, de cour en jardin, l’univers dupoète, le labyrinthe.La maison du Bailli, ouverte sur le mondeDans la maison, la visite des pièces intimes apporteémotion et étonnement : un bureau, des objets choisispour leur beauté ou simplement posés là oubliésquelques instants, objets souvenirs, des photographiespunaisées au mur, la phrase tracée à la craiesur une ardoise… Espace confiné, l’artiste aimaitsans doute y lire. La chambre décorée d’une grandefresque, le lit qui regarde la fenêtre, un manège enbois placé au détour d’une pièce… ces objets témoignent.Ils ne sont pas muets. Les autres pièces de lamaison ouvrent leurs portes sur les nombreuses formesartistiques explorées par Jean Cocteau. Chaqueséquence est en réalité une expression des nombreusesflèches à l’arc de l’artiste pluri… indisciplinaire…le cinématographe nous parle. Ses thèmesd’inspiration, les personnalités qui l’entouraient, lescourants artistiques qui le contraient…Une visite « papillon »dans le jardin poétique de Jean CocteauLa visite du jardin est une nouvelle expérience,l’uni vers de Jean Cocteau se rétrécit autour du personnage…on est face à l’invisible devenu visible parces lieux vivants… après chaque porte entrouverteau cours de la visite intérieure de la maison, les portesplus étroites de son jardin vont se dessiner. Lepaysage s’élargit : le jardin, le verger et la forêt s’imposent.L’environnement faunistique et floristiquerevêt une place importante dans l’imaginaire de l’auteur.L’œil du metteur en scène s’attache à reconstruireles rideaux successifs de haies, les branches ethautes tiges déversent leur feuillage comme leséclairages arrosent des cintres, le regard court depart et d’autre, chaque bosquet est un personnage,chaque plante joue son rôle, chaque fleur, iris etpivoine attend son tour…Le jardin, poème en trois dimensionsLa visite « papillon » rend compte du jardin commed’un poème en trois dimensions. L’émoi, le trouble,le caché, le perceptible, l’ailleurs et l’intemporelseront sans doute ici les registres dont il conviendrade retrouver les clefs de lecture ou de jouer commeavec les notes d’une partition. En associant lespoints de vue et la richesse des plantes qui habitentle jardin mais aussi en écoutant l’artiste parler de sesroses et de la place qu’occupe son jardin dans sonunivers d’inspiration, le visiteur glane des imagesindélébiles. La maison et le jardin sont un lieu privilégiéde la scénographie qui joue avec les sens : lavue avec ses points de vue et ses perspectives, l’odo -rat, l’ouie et le toucher sollicités s’ajoutent au plaisirde la découverte. On se laisse surprendre. En ressortant,la forêt est un dernier appel. L’émer -veillement et le merveilleux. La forêt de Milly est là.O u v r i r l e s p o r t e s d ’ u n e m a i s o n d ’ é c r i v a i n . . .l a l e t t r e d e l ’ o c i mn°125, septembre-octobre 200933


D’autres pièces dépouillées puis réaménagées peuventrendre compte de l’œuvre d’une autre manière,plus spectaculaire. La maison d’Erik Satie, dépouilléede tout objet personnel, renvoie pourtant bien à l’œuvremusicale et au personnage. Une succession detableaux met en scène autant de clés de lecture fantaisisteset humoristiques. La muséographie reposesur un jeu avant tout scénographique. Avec ses petitsespaces, devenus contraintes pour le scénographe,une initiation à l’univers musical de Satie s’engage.Plongée au cœur de l’œuvre. Le spectaculaire peutaussi prendre une autre forme. Notamment lorsquel’écrivain concevait sa maison comme une partie deson œuvre. Pierre Loti avait, lui-même, transformé samaison en un univers féérique et hors du commun.Chaque pièce est un décor exotique comme la mosquéesyrienne, le salon turc ou bien encore la chambrearabe conçue par l’écrivain sans aucun apport scénographiquecontemporain.L’impact de création est parfois moins exubérant.L’approche muséographique est alors plus complexe.La première question que se pose le muséographe estde savoir ce qu’un lieu dit d’une œuvre – son architecture,ses aménagements intérieurs et extérieurs –.Les boîtes à imagesCuriosité morbide ou curiosité uniquement ?Simplement montrer la boîte « maison » et toutes lesboîtes « pièces à vivre », elles-mêmes habitées demultiples « petites boîtes à surprise » acquises sur lemarché aux puces ou offertes. Pérégrination men -tale, chaque support et chaque détail a ici son im -portance. La table du meuble de salle de bain surlequel Maurice Ravel disposait ses instruments demanucure. Le jeu de l’éclairage apportera sa touchemuséographique. Le discours de la guide emboîte lepas des questions des visiteurs.Simplement accueillir le visiteur comme un hôte. Icila figure de proue, en forme de poisson à tête demulâtre transpercé de part et d’autre de son portantvertical, occupe toujours sa place dès l’entrée. Encompositeur d’images, Jean Cocteau avait fait fixerle manège pour l’éternité. Tel un gardien de la maison,la figure demeure et accueille le visiteur. Le jeud’ombre avait déjà été accentué par une lanterne devoiture à cheval. Chaque dessin, disposé en unegrande horizontale à mi-hauteur du mur d’entrée,aux côtés du portrait de sa mère, raconte une am -biance de souvenirs d’enfance et d’exotisme.Simplement surligner le décor où chaque objetprend place dans une composition littérale ; le visiteurs’y promène. Le repérage des jeux de lumière,des clins d’œil, des percées visuelles, des mises enperspective voulues par l’écrivain sera effectué par lemuséographe qui cherchera simplement à les met treen valeur.Mises en perspective :espaces, objets, idéesClair-obscurLa visite des pièces dites intimes – chambre, bureau,antichambre – constitue le cœur du processus dedécouverte. En y accédant, le visiteur prend toute lamesure d’être un invité pas « ordinaire ». Le rapportau temps se distend. Le travail muséographiqueconsiste alors à instaurer les conditions de visite susceptiblesd’isoler le visiteur ou de le faire accompagner.La disposition des pièces ne favorise pas toujoursle libre accès. Elle ne permet pas non plus toujoursd’y faire entrer un grand nombre. L’accès à cespièces nécessite, à chaque fois, une mise au point :modalités d’accès, durée de la visite, parcours et circuit,mise en lumière, conditions de fonctionnementet d’usage. Les reflets des douves miroitant sur le plafondde la chambre de Jean Cocteau installentsubrep ticement un rapport à l’ima ge cinématographique.Depuis la place du lit vi de, le regard du visiteurest dirigé vers ces images en mouvement.La table de travail de Jean Cocteau et le buste de Radiguetà la Maison Jean Cocteau, Le Bailli à Milly-la-Forêt (91)© Robert Randail34 l a l e t t r e d e l ’ o c i mn°125, septembre-octobre 2009


Inclassables, ces maisons-musées révèlent quelquefois,une réalité insuffisante pour évoquer au-delà ducaractère architectural. L’apport scénographique jouealors d’un équilibre entre le factuel et des formes scénographiéesmotivées, par exemple, par l’absenced’objet dans la maison de naissance de l’écrivain quin’y aura jamais vécu ni écrit. L’introduction de montagesaudio, de compilations d’images, d’interventionsnumériques permet de structurer le parcours, de partet d’autre, à des moments bien précis. Les outilsaudio-guides et visio-guides répondent à cette exi -gence de ne pas dénaturer les pièces. Cartels et définitionssont pris en charge à ce niveau. Calibrée dansla durée, la gestion de ces temps favorise aussi uneexploration poussée pour le curieux. Du coup, desespaces dédiés où la station du visiteur n’occasion neraaucune gêne seront privilégiés. Sortes d’espaces« entre-deux » dédiés à la connaissance de l’œuvre oudu personnage, ils instaurent un rythme à la partitionmuséographique. Au plan du contenu, ces mises enexergue détournent le regard sur le grand homme misen scène dans son propre environnement. Films,interviews, reportages photographiques sont des pa -renthèses attendues où la voix et l’image donnent enspectacle l’écrivain ou l’artiste chez lui. L’image captive,la voix résonne. Les aménagements scénographiquesavec des supports son-image dérogent à larègle d’une fidèle restitution muséographique qui luicon fère quelque-fois une dimension sanctuarisée enrenforçant le mythe du personnage. En localisant précisémentdes textes et des images dans le lieu de créationde l’œuvre, la muséographie souligne le caractèreatypique du lieu à la grande différence d’une expo -sition temporaire réalisée sur un auteur dans un es -pace de culture. Le mode d’accompagnement du visiteurse doit donc d’être forcément en décalage d’uneprésentation hors site. Le tryptique lieu-œuvre-maisonoffre les conditions uniques d’une présentation insitu. Pour cela, la scénographie se doit d’être, toutsimplement, respectueuse du lieu afin de préserverl’émotion et l’ensemble des éléments visuels, sensorielset spatiaux qui y concourent. Son rôle consiste enun exercice de la modération au service de la compréhensionet de l’univers sensible qu’exprime l’es -pace de création d’un écrivain ou d’un artiste.Questionner : dimensions spatiales et formesIntrigué, en entrant dans la salle de billard chez ÉmileZola, le visiteur tente de regarder au travers des vitrauxrigides et colorés pour y entrevoir l’extérieur, une visiontransfigurée du paysage. L’approche muséographiqueutilise aussi les lignes de fuite vi suelle vers les extérieurs.L’invitation à la découverte des jardins n’est pasLa Maison Émile Zola à Médan (78)© Sylvie Marie Scipionseulement un plus dans le parcours. L’environnementimmédiat de la maison raconte le rapport que l’écrivainentretenait avec le monde. L’édification d’une serre aumodèle anglais chez Zola, l’installation de pièces énigmatiquespar Jean Cocteau, montrent que le jardin faitpartie du « tout ». La conque géante, la sphynge assise,les animaux mythologiques ou le faune caché illustrentbien une composition théâtrale du jardin. L’en -semble questionne et renvoie à l’œuvre cinématographiqueentière de Jean Cocteau. Ici, le muséographes’interdit toute tentation d’interprétation ou toute compositionscénographique qui pourrait interférer avec lelieu et l’histoire du lieu avec l’écrivain. Il souligne seulementtous les indices qui recréent un lien avec l’universmental de l’écrivain. Il utilisera alors « les gestesdéambulatoires», il favorisera « les points de vue ».Une multitude d’images furtives à gérer.Émile Zola conçoit sa maison. Jean Cocteau dessineson jardin. Maurice Ravel dessine la décoration de sonpetit salon et imagine son jardin japonisant. Dans lejardin dessiné par Jean Cocteau, le parcours tiendracompte des percées, perspectives et des points de vueen suggérant que tel ou tel ensemble planté est bienun décor de théâtre avec ses cadres, ses rideaux, sascène et ses acteurs. La maison, com me le jardin, renvoieau travail artistique ou littéraire, à son universmental. Du coup, l’authenticité, au sens du respect del’état original, ne constitue plus le critère fondamentalpour la préservation de l’ensemble. Alors que l’effortd’intégrité (maison-jardin) sera main tenu pour évoquerson intention artistique, le travail de restitution nes’exercera plus au travers d’une sélection d’objets maisil cherchera à recréer les liens qui relient l’œuvre, l’auteuret les objets.36 l a l e t t r e d e l ’ o c i mn°125, septembre-octobre 2009


Au-delà de l’écritIci le lieu et l’histoire d’une vie sont intimemententremêlés. La maison fait corps avec l’œuvre. Lespages du calendrier se sont arrêtées au 16 juin 1970.Sanctuaire ou espace de création. La moulin d’ElsaTriolet choisi par Aragon est aussi le sanctuaire desdeux auteurs. La conduite de la visite est ici autre,puisque le visiteur sait d’emblée que les maîtres deslieux reposent dans le domaine. Du coup, le visiteurs’engage : il traverse le parc de long en large et deproche en loin. Lentement, les petits groupes seconstituent pour les visites guidées et commentéespour découvrir la maison où le temps s’est arrêté.Une nouvelle pratique du lieu s’instaure. Espacecontemporain de diffusion artistique, le regard doubléporté sur la maison et l’œuvre se nourrit d’un perpétuelva-et-vient entre la création contemporaine etla vie des deux écrivains.Note(1) Le cabinet de muséographie In situ a rédigé différents programmesmuséographiques et rapports d’études pour la Maison Jean Cocteau àMilly-la-Forêt (91), le Domaine Maison Émile Zola à Médan (78), laMaison Maurice Ravel à Montfort l’Amaury (78), la Maison-observatoirede Camille Flammarion (91), le Circuit Gaspard des Montagnes enLivradois Forez et travaille actuellement à la mise en espace de l’œuvre del’écrivain Jean Genêt à l’abbaye de Fontevraud.BibliographieAmouroux, C. Musées-souvenirs, musées reliques, La muséographie desmusées d’écrivains. Mémoire de l’École du Louvre, 1993-1994.Bourlet, A. Amis de musées, Musées et collections publiques de France,n°168, 1985.Bourlet, A. État d’alerte, Le Journal des Arts, octobre 1995.O u v r i r l e s p o r t e s d ’ u n e m a i s o n d ’ é c r i v a i n . . .Les modes d’appropriation :de la notion d’accueil à la médiationLa fonction « accueil » doit-elle être dissociée de lamaison ou aménagée dans un bâtiment annexe ?L’accueil scelle les premières impressions. L’objet estdouble : faire connaître la maison et donner une justereprésentation de l’univers de l’artiste. Dès son arrivée,le visiteur recherche une visite atypique. Il vientvisiter une maison et non un musée avec ses vitrineset ses cartels. Pourtant, il s’attend aussi à une formed’accueil assez codifiée avec billetterie et hôtessed’accueil… La dimension « accueil » jouera donc unrôle particulier dans le processus de visite. Imaginonsun instant, une longue file « d’attente » devant la maisonet l’intimité recherchée disparaît ou profit d’un« lieu insolite ». Ce n’est pas la même chose !L’intention muséographique portée par le circuit devisite, commence donc dès l’entrée, dès les premierspas dans le site pour aller se diffuser dans les éclai -rages et les différents supports de médiation.Le langage muséographique doit donc se soumettreà une logique stricte de restitution afin de préserverl’authenticité de la maison. À chaque projet muséographique,sa réponse. En gommant les signes extérieursde la visite marchande et en guidant les gestesdu visiteur, la visite doit demeurer inoubliable.L’auteur tient à remercier A. de Beistegui, présidentede l’association de la Maison Maurice Ravel (Montfortl’Amaury), Marion Aubin de la Malicorne, château deMédan-Maison Émile Zola (Médan) et Pierre Bergé,président de la Maison Jean Cocteau (Milly-la-Forêt).Bloch-Dano, É. Les maisons de Christian Pirot, Magazine littéraire,n°364, avril 1998.Collectif, Musées et fonds littéraires, Musées et collections publiques deFrance, n°218, mars 1998.Gribenski, J., Meyer, V. et Vernois, S. (dir.) La Maison de l’artiste, constructiond’un espace de représentations entre réalité et imaginaire (XVII e -XX e siècles).Rennes : Presses Universitaires de Rennes, mai 2007, 311 p.Joly, M.-H. Musées biographiques, maisons-musées, musées littéraires.Dossier documentaire pour le centre de documentation de l’École nationaledu Patrimoine, Paris, 1997.Nora, O. La Visite au grand écrivain, Les Lieux de mémoire, tome II, sousla direction de Pierre Nora, Paris : Éditions Gallimard, 1997.Poisson, G. Guide des maisons d’hommes célèbres. Paris : Éditions Horay,1982.Poisson, G. Les Maisons d’écrivains. Paris : Presses Universitaires deFrance, 1997, collection Que sais-je ?Saurier, D. Les Amis des maisons d’écrivains, la Lettre de l’<strong>OCIM</strong>, n°75,2001, pp. 51-56.Site de la Fédération des Maisons d’écrivains : www.litteraturelieux.com/federation/Site de l’abbaye d’Ardenne : www.imec-archives.coml a l e t t r e d e l ’ o c i mn°125, septembre-octobre 200937

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