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étoi<strong>le</strong>ments/huitseptembre 2009


éditoEn regardant la voix comme vecteur essentiel de l’espace du film,nous nous intéressons <strong>au</strong>x dynamiques de division, de conjonction,d’incarnation et d’absence qui sont <strong>au</strong>x fondements des modesd’énonciation cinématographiques, mais <strong>au</strong>ssi du geste poétique,plus largement.Anti-objet par excel<strong>le</strong>nce, qu’el<strong>le</strong> soit visualisée ou acousmatique,synchrone ou non dans <strong>le</strong>s bouches à l’image, la voix pose laquestion du lieu, du sujet et des limites du savoir (du pouvoir) àl’oeuvre dans l’expérience cinématographique. Fabrice L<strong>au</strong>terjungrevient ainsi dans ces pages sur un des films majeurs de l’histoiredu cinéma, Le testament du docteur Mabuse, à partir duquel ilinterroge <strong>le</strong>s effets de réel et <strong>le</strong>s mécanismes fictionnels propres<strong>au</strong> dispositif cinématographique. Explorer et transformer radica<strong>le</strong>ment<strong>le</strong> rapport de la voix, du son et du si<strong>le</strong>nce a été la tâchede cinéastes du Groupe Dziga Vertov dans <strong>le</strong>s années 1968-1972,<strong>au</strong>xquels Silvia Maglioni rend ici hommage. Dans une recherche décidéede musicalité, Raphaël Bassan réalise plus récemment Lucyen miroir, où il s’agit pour lui d’« orchestrer » <strong>le</strong>s voix deses personnages et la sienne, prises dans un maillage commun deprojections et de souvenirs. D’<strong>au</strong>tres films, qui ont fait entendre<strong>le</strong> pluriel de la voix, sa puissance <strong>au</strong>-delà de la maîtrise dudiscours ou de la langue, sont abordés dans ce numéro : Ne changerien de Pedro Costa, Un lac de Philippe Grandrieux et Nous ne sommespas <strong>au</strong> monde de Sothean Nhieim.étoi<strong>le</strong>ments a souhaité éga<strong>le</strong>ment donner à entendre des voix, ens’ouvrant à des textes poétiques, des chansons et des chants réunissur un même support sonore qui prolonge la revue. Ces objetssonores, fabriqués par <strong>le</strong>s rédactrices et rédacteurs de ce numéro,accompagnent, complètent ou désorientent <strong>le</strong>s textes <strong>au</strong>xquels ilssont étroitement liés.Vio<strong>le</strong>ta Salvatierra


Voix en miroir et en abymeLorsque j’ai réalisé, en 1969, mon opera prima, Le Départ d’Eurydice,je pratiquais be<strong>au</strong>coup l’écriture poétique. Grand cinéphi<strong>le</strong>,je suivais, à ce moment précis, <strong>le</strong>s rétrospectives consacrées<strong>au</strong>x sérials muets de Louis Feuillade (années 1910), mais,<strong>au</strong>ssi, à Philippe Garrel. Henri Langlois, dédie dès la réouverturede la Cinémathèque, à l’<strong>au</strong>tomne 1968, un hommage à Garrel, alorsâgé de vingt ans, et <strong>au</strong>teur de quatre ou cinq longs métrages déjà.Je me souviens d’une avant-première du Lit de la vierge, en copiede travail, d’une durée d’environ trois heures. Le travail promu,par ces cinéastes, sur la matérialité de l’argentique en noir etblanc m’envoûtait. Il me fascinait, toujours, en 2002, lorsquej’entrepris la conception de Lucy en miroir. Les images parlaientd’el<strong>le</strong>s-mêmes, musiques et paro<strong>le</strong>s (quand il y en avait, dans <strong>le</strong>sfilms récents) devaient être conçues sous forme contrapunctique.Dès que j’ai obtenu, en cette fin des années 1960, la pellicu<strong>le</strong>inversib<strong>le</strong>, légèrement périmée, provenant du stock d’un ciné-clubuniversitaire, j’ai su que ce film serait si<strong>le</strong>ncieux, mais avec unerythmique musica<strong>le</strong> dans l’orchestration des plans. J’ai écrit,comme une suite de stances de quatre à cinq lignes, un poème envers libres qui a servi d’armature <strong>au</strong> futur court métrage. Lepremier jour de tournage (sur <strong>le</strong> terrain vague) se situait <strong>le</strong><strong>le</strong>ndemain de la projection du Lit de la vierge que j’ai vu avecun de mes acteurs : <strong>le</strong> poète P<strong>au</strong>l Roland. C’était <strong>le</strong> cinéma qu’onvoulait faire.Je ne m’attarderai pas trop sur ce film qui sert, ici, de mise enbouche. Après une interminab<strong>le</strong> période de tournage (six mois environ,de novembre 1968 à mai 1969) due à la difficulté de réunir,ensemb<strong>le</strong>, une quinzaine de personnes (techniciens inclus), et <strong>le</strong>slongues phases de montage et remontage (en 1969, puis en 1976 pourun festival ; enfin l’ultime repolissage, il y a huit ans, parPip Chodorov) m’ont permis d’iso<strong>le</strong>r (et de formaliser) une sortede continuité qui n’est plus, cel<strong>le</strong>, poétique et métaphorique, dutexte écrit, mais une forme d’analogie visuel<strong>le</strong>.Du remontage des matéri<strong>au</strong>x est né, comme d’une chrysalide, <strong>le</strong> filmpara-initiatique qui existe <strong>au</strong>jourd’hui (1). Le temps (sculpteurdiscret mais efficace) lui a donné sa patine actuel<strong>le</strong> de témoignageartistique et sociologique sur cette époque. Comme dans mes poèmes(surtout, Beat Christos, 1967, ou Paro<strong>le</strong> obombrée, 1971)(2),<strong>le</strong> protagoniste principal, <strong>au</strong>x identités multip<strong>le</strong>s et fragmentées(personnage ou entité générée par <strong>le</strong>s mots, métaphore de l’actecréateur), devient un médium (<strong>au</strong> sens de passeur mais <strong>au</strong>ssi devoyant) qui synthétise, en lui, <strong>le</strong>s désirs de vivre (et de mourir)et de créer, dans <strong>le</strong>urs dimensions tant intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>s quelibidina<strong>le</strong>s.


Lorsque naît <strong>le</strong> projet de Lucy en miroir <strong>au</strong> printemps 2002 (aprèsun film inachevé, Prétextes, en 1971), je souhaite réaliser une œuvreplus longue qui serait chimérique sans son ni même sans voix.N’étant pas un technicien chevronné – et ayant <strong>au</strong>ssi d’<strong>au</strong>tres références,dans ma culture, que cel<strong>le</strong>s issues uniquement du cinémaexpérimental –, je sais que je ne pourrais accomplir un travailuniquement formel.Anne-Sophie Brabant et Élodie Imbe<strong>au</strong> dans Lucy en miroir, Raphaël Bassan (2003-2004) © Marcel MazéDu projet…Curieusement, bien que plus de trente ans se soient écoulés, j’envisagece nouve<strong>au</strong> film comme une suite de plans-séquences avec, enmémoire, ceux des cinéastes du Groupe Zanzibar. M’étant dédoublé,voire démultiplié tout <strong>au</strong> long de ma vie, je surfe, je me déplaced’une pratique à l’<strong>au</strong>tre, d’un genre ou d’une éco<strong>le</strong> à d’<strong>au</strong>tres.Je me suis replongé dans <strong>le</strong> nouve<strong>au</strong> milieu du cinéma expérimentalvers 1999. Le mouvement des laboratoires et <strong>le</strong>s cinéastes que jecroise, alors, pratiquent, pour la plupart, un cinéma du matéri<strong>au</strong>,abstrait ou à base de found footage. Bassan <strong>le</strong> critique apprécieces films, Bassan l’artisan-cinéaste sent que ce n’est pas savoie.Mon film ne serait pas une fiction ni une œuvre purement expérimenta<strong>le</strong>.J’ai tout de suite éliminé, <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> des images et de laconstruction filmique, toute volonté de créer une intrigue. J’aifait quelques dessins sur un cahier : esquisses de quatre plansséquences pris à partir du même endroit, avec deux femmes commemodè<strong>le</strong>s. Ce sont <strong>le</strong>s voix qui généreront toutes <strong>le</strong>s propositionsde fiction.


Pourquoi deux femmes ? C’était <strong>le</strong> minimum de personnages nécessairepour créer une dia<strong>le</strong>ctique visuel<strong>le</strong> et jouer sur l’effet derépétition et de reprise. Puis, j’aime bien filmer des femmes ; de<strong>le</strong>ur plasticité, du croisement de <strong>le</strong>urs silhouettes, devait naître- sans que je <strong>le</strong> sache encore à ce stade du projet - du sens.J’ai épuré à l’extrême mon univers. Dans Le Départ d’Eurydice, onvoit <strong>le</strong>s rues, l’atmosphère de l’époque : c’est quasiment un filmsociologique. Lucy en miroir se passe dans un monde sans temps etsans repères (un no man’s land), hors de tout. Il n’y a que l’essentiel: deux femmes. Deux femmes pour créer <strong>le</strong> monde : des plansde visages, de corps vêtus d’une certaine manière ; <strong>le</strong>s mimiqueset <strong>le</strong>s poses créent <strong>au</strong>ssi du sens. La plasticité des apparencesen somme !Pour articu<strong>le</strong>r et concrétiser mon projet, j’ai fait un rapide tourd’horizon, d’abord mental, de mon fonds cinéphilique. Chaque foisqu’un titre me venait à l’esprit, je <strong>le</strong> revoyais en VHS (j’ai unecol<strong>le</strong>ction phénoména<strong>le</strong> de cassettes chez moi). Rapidement, L’Annéedernière à Marienbad d’Alain Resnais, m’orienta vers la voix(<strong>le</strong>s voix) envisagée(s) en tant que ciment fédérateur entre <strong>le</strong>sdiverses données (encore éparses, mais proches du maelström departicu<strong>le</strong>s propre à toute « précréation poétique ») : la questionde la mémoire, <strong>au</strong>ssi, très forte chez Resnais, m’a interpellé. Maculture cinéphi<strong>le</strong> me donnerait référents et repères ; sans quel’ensemb<strong>le</strong> soit une manière de remake de quelque œuvre que cesoit.Il s’agit, pour moi, de trouver un positionnement des corps quipermette de développer une gestuel<strong>le</strong> dans laquel<strong>le</strong> s’encastreraientdes dialogues que <strong>le</strong> son direct ne peut restituer dans <strong>le</strong>urrichesse (Marti disait <strong>au</strong> sujet du Super 8 : «On ne peut fairede son direct, ce qui oblige <strong>le</strong> cinéaste à faire preuve d’invention»).Le fait, <strong>au</strong>ssi, que <strong>le</strong>s deux « actantes », Élodie Imbe<strong>au</strong>et Anne-Sophie Brabant ne soient pas des actrices professionnel<strong>le</strong>sa favorisé mon projet (3). La maladresse apparente des femmesillustre mieux ce monde fait d’hésitations et de mélange de souvenirs(culturels et personnels) qui est <strong>le</strong> mien.Visuel…Parti d’un magma indistinct de particu<strong>le</strong>s anarchiques, mon projeta pu s’organiser et se concevoir après l’accord des deux femmes,en septembre 2002, de participer <strong>au</strong> futur film. El<strong>le</strong>s représentaient,avec <strong>le</strong> lieu choisi – une zone précise du parc d’OthelloVilgard qui comprenait un banc –, <strong>le</strong>s premiers éléments concretsqui m’ont permis de donner corps, langage et substance <strong>au</strong>x élémentsdésordonnes, préconscients, qui trottaient jusque-là dansma tête.


J’avais diverses données distinctes sur ma tab<strong>le</strong> de travail :<strong>le</strong>s quatre plans-séquences, une vague trame fondée sur l’ordonnancementde souvenirs à discipliner et à mettre en forme et<strong>le</strong>s actrices. Othello, mon opérateur, me prévint, à un moment,qu’il ne disposerait pas d’un chargeur de 120 mètres et que <strong>le</strong>splans séquences ne pourraient être filmés dans la continuité. Celam’orienta vers un art du fragment.À partir de là, je me suis mis à écrire, sur deux cahiers différents,<strong>le</strong> texte qui serait lu et mis en espace sur <strong>le</strong>s images (surl’un) et la composition de ces dernières (sur l’<strong>au</strong>tre). L’axiomeque je devais gérer et actualiser consistait à créer <strong>le</strong> plus demini-événements à partir d’une forme et de moyens très épurés.Pas question de faire entrer <strong>le</strong> processus de la fiction <strong>au</strong> nive<strong>au</strong>de dialogues réels entre <strong>le</strong>s protagonistes : il <strong>au</strong>rait fallu desmoyens gigantesques et un ta<strong>le</strong>nt de directeur d’acteurs que jen’avais pas.L’analogie, l’inspiration, la voyance poétique m’on aidés et servis.Cléo de 5 à 7, d’Agnès Varda, m’a donné <strong>le</strong>s grandes lignes demon texte. Il est question, dans ce film, d’une jeune femme qui,après avoir subi un examen, sillonne la vil<strong>le</strong> durant deux heuresen attendant, inquiète, <strong>le</strong>s résultats des analyses (el<strong>le</strong> a peurd’avoir une maladie incurab<strong>le</strong>).Cet élément du texte (qui se trouve à la toute fin de Lucy en miroir)a été écrit en premier. Céline et Julie vont en bate<strong>au</strong>,un merveil<strong>le</strong>ux film de Jacques Rivette sur l’illustration, touteen nuances, d’un complicité féminine, me donna, d’abord, l’idéed’écrire uniquement un dialogue entre <strong>le</strong>s deux femmes ; conversationqui porterait sur <strong>le</strong>ur vie, <strong>le</strong>urs espoirs ou <strong>le</strong>urs désillusions.Mais tout fut remis en question lorsque je revis Le Méprisde Godard. En effet, tous <strong>le</strong>s axes de mon projet demeuraientinachevés, dans l’impasse. Comment lier, d’une manière ou d’une<strong>au</strong>tre, tous ces éléments ? La mémoire héritée de Resnais, une parabo<strong>le</strong>sur la culpabilité issue du Mépris : voilà qui commençaità organiser l’ensemb<strong>le</strong>. Quel<strong>le</strong> conclusion donner ? Seu<strong>le</strong> l’hypothèsed’une œuvre en devenir et d’une fin ouverte peut offrir unecohérence à un projet de ce type.À l’orchestration des voixIl n’y <strong>au</strong>rait plus qu’une seu<strong>le</strong> voix, mais quatre pour cimenterdes données <strong>au</strong>ssi dispersées. La mienne, cinéaste présentant, <strong>au</strong>fur et à mesure que défi<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s séquences, <strong>le</strong>s bribes de la fictioninterrompue par des considérations sur <strong>le</strong> film en train de sefaire.


Cel<strong>le</strong>s des deux protagonistes féminines (Lucy E et Lucy S), mais<strong>au</strong>ssi cel<strong>le</strong> de <strong>le</strong>ur ami-amant commun rencontré à des époques différentes,Jonathan, qu’on ne voit pas.Les voix introduisent l’espace, nous font voyager menta<strong>le</strong>ment(Jonathan disparaît dans un pays exotique) (4) ; el<strong>le</strong>s sérient,<strong>au</strong>ssi, plusieurs temporalités : <strong>le</strong> présent de la narration et diverséléments biographiques du passé entre Jonathan et chacune desdeux femmes, <strong>le</strong> tout décliné <strong>au</strong> présent.Je retourne à mes premières amours : <strong>le</strong> texte. Je me souviens quej’avais toujours un carnet sur moi, et dès qu’une idée me venait,dans la rue ou dans une sal<strong>le</strong> de cinéma, je la notais. Je ne reviendraipas sur <strong>le</strong>s tenants et aboutissants du film (voir note 3).Je dirai, simp<strong>le</strong>ment, qu’ une fois la structure polyphonique desvoix trouvée et adoptée, <strong>le</strong>s plans, ceux des quatre séquences centra<strong>le</strong>ssituées à des saisons différentes (<strong>le</strong> tournage s’est étalésur un an), comme <strong>le</strong>s plans de coupe (de chevil<strong>le</strong>s respiratoiresdevant durer une ou deux secondes, ils se sont transformé encondensés métaphoriques de ce qui est développé différemment par<strong>le</strong>s voix). On a l’exemp<strong>le</strong>, dans la « séquence des Buttes Ch<strong>au</strong>mont» (où Élodie et Anne-Sophie sont à la fois filmées par Dominik,photographiées par Marcel Mazé et dessinées par Garance),d’une métaphore claire de l’appropriation de l’apparence et de lapersonnalité des actantes-personnages par <strong>le</strong> cinéaste, et, pluslargement, par <strong>le</strong> film-vampire.Les voix enregistrées <strong>au</strong> préalab<strong>le</strong> ont, ensuite, servi de filconducteur <strong>au</strong> montage réalisé avec la complicité de FrédériqueDev<strong>au</strong>x. Afin de ne pas monter sur du film si<strong>le</strong>ncieux, nous avonsconçu une première bande-son avec des bruits (vents, cris d’anim<strong>au</strong>x)provenant de diverses sources. Je n‘avais pas encore lamusique. Ce n’est qu’en septembre 2003 que j’ai rencontré, chezPip Chodorov, trois jeunes musiciens, Jeremy Chinour, AnthonyLerat et Cyril Descans, qui ont composé (je <strong>le</strong>ur avais donné BernardParmegiani comme modè<strong>le</strong>) diverses propositions musica<strong>le</strong>s quenous montions, après sé<strong>le</strong>ction, dans la plus grande hâte : uneprojection du film étant déjà prévue <strong>le</strong> 18 novembre 2003 à la Cinémathèquefrançaise. C’est une copie de travail incomplète quifut présentée.La bande image était devenue comme une nouvel<strong>le</strong> matrice : oncollait, on mettait <strong>le</strong>s sons là où, selon moi, c’était <strong>le</strong> plusopérant. Les mots qui avaient suscité <strong>le</strong>s images se trouvaienteux-mêmes mis en jeu et en question par <strong>le</strong>s images ayant acquis<strong>le</strong>ur propre vie. Lors de la conception, moi, homme d’écriture,j’ai bâti mon projet avec des mots, des phrases. Durant <strong>le</strong> montage,<strong>le</strong>s images dictent <strong>le</strong>ur loi : des phrases sont dédoublées,hachées, reprises.


Ce traitement analogique, métaphorique, poétique d’un matéri<strong>au</strong>psychologique, existentiel, esthétique… ne pouvait être circonscritpar une intrigue conventionnel<strong>le</strong>, avec dialogues et scénariobien charpentés. J’ai opté pour un flux de paro<strong>le</strong>s mises en abyme,et qui brassent diverses périodes allant du passé <strong>au</strong> présent avecquelques avancées vers <strong>le</strong> futur.Raphaël BassanLe départ d’Eurydice, Raphaël Bassan (1968-69)Notes(1)(2)(3)(4)Suite <strong>au</strong> décès du musicien, Le Départ d’Eurydice a été longtempsmontré dans sa forme si<strong>le</strong>ncieuse. Il a été sonorisé, en 2001,pour la rétrospective <strong>Jeune</strong>, dure et pure de la Cinémathèque.Il fait partie des Col<strong>le</strong>ctions du MNAM de Be<strong>au</strong>bourg.Textes publiés dans <strong>le</strong> recueil Rites et rituels, poèmes 1966-1972, de Raphaël Bassan, Éditions Europe/Poésie (2001).Lire <strong>au</strong>ssi, sur ce film : http://www.etna-cinema.net/bassan.phphttp://www.cineastes.net/filmo/filmo-bassan.htmlLe passage <strong>au</strong>dio qui figure dans <strong>le</strong> CD accompagnant la revuese situe après la disparition de Jonathan (la dernière partiedu film) ; ce qui conduit <strong>le</strong> narrateur-cinéaste à mettre àplat <strong>le</strong>s questions de tous ordres suscitées par <strong>le</strong> film. Sanstrancher : la fin est ouverte.


DEUX VOIX QUI MENTENTSIMPLIFIERCONSTRUIREATTENDREREFLECHIRSIMPLIFIERPENSERATTENDRESIMPLIFIERPENSERPENSERFABRIQUERPENSERFABRIQUERREFLECHIRAPPRENDREREFLECHIRAPPRENDREREFLECHIRETRE EN AVANCEETRE EN RETARDPENSERFABRIQUERSIMPLIFIERCONSTRUIREATTENDRECONSTRUIREAPPRENDRE


DEUX VOIX QUI BEGAYENTAPPRENDRESAVOIR APPRENDRELIRECALCULEREXPERIMENTERCHIMIEMATHEMATIQUEELECTRICITELIRECALCULERAPPRENDRESAVOIR APPRENDRESAVOIR LUTTERCONSTRUIREATTENDREREFLECHIRSIMPLIFIERPENSERATTENDRESIMPLIFIERPENSERPENSERFABRIQUERPENSERFABRIQUERREFLECHIRAPPRENDREREFLECHIRAPPRENDRE


CONSEIL AU MILITANT PRUDENCECONSEIL AU MILITANT PRUDENCEMAIS ECOUTE QUAND MEMEJE VEUX LE DIREIL SE PASSE DES CHOSES VRAIMENT INCROYABLESIL Y A DEUX VOIX QUI MENTENTDEUX VOIX QUI BEGAYENTIL Y A DEUX VOIX QUI ONT CONTINUE A MENTIRDEUX VOIX QUI ONT CONTINUE A BEGAYERQUELLE EST LA NOTRE ?COMMENT LE SAVOIR ?QUE FAIRE ?


ON VA REPARTIR A ZERONON AVANT DE PARTIR IL FAUT Y ALLERON VA RETOURNER A ZEROREFLECHIRETRE EN AVANCEETRE EN RETARDPENSERFABRIQUERSIMPLIFIERCONSTRUIREATTENDREAPPRENDREAPPRENDREAPPRENDRESAVOIR APPRENDRELIRECALCULEREXPERIMENTERSAVOIR LUTTERCONSEIL AU MILITANT PRUDENCECONSEIL AU MILITANT PRUDENCEIL YA DEUX VOIX QUI MENTENTDEUX VOIX QUI BEGAYENTIL Y A DEUX VOIX QUI ONT CONTINUE A MEN-TIRDEUX VOIX QUI ONT CONTINUE A BEGAYERQUELLE EST LA NOTRE ?COMMENT LE SAVOIR ?


Marseil<strong>le</strong>, juil<strong>le</strong>t 2009. On revoit <strong>le</strong>s meccano-films du GROUPE DZIGA VERTOV,en présence de Jean-Pierre Gorin.JPG est magnifique, a la frontera, mais son corps west-coast s’impose, et reste toujoursen sal<strong>le</strong> quelques minutes pour par<strong>le</strong>r avec <strong>le</strong>s pellicu<strong>le</strong>s. Il regarde, il rigo<strong>le</strong>,il prend de la distance par rapport à la be<strong>au</strong>té, il démonte cette be<strong>au</strong>té simp<strong>le</strong> etlittéra<strong>le</strong> (chez GDV il suffit d’avoir deux personnages qui mangent des spaghettisur un pré pour avoir un spaghetti-western) mais en même temps on voit que labe<strong>au</strong>té des images l’étonne, bégaye, frictionne.Et presque décider de ne plus en bouger : mais fina<strong>le</strong>ment on rentre, chez N. SquareStalingrad. En plus c’est <strong>le</strong> 14 juil<strong>le</strong>t, malheureusement. On monte sur <strong>le</strong> toitet malgré <strong>le</strong>s feux on rêve de créer <strong>le</strong> HQ de notre cellu<strong>le</strong> là-h<strong>au</strong>t. OFF. Mais cetteVOIX se répète. s’efface. se répète. s’efface. machine-gun. machine à écrire. machine-gun.machine à écrire. On descend sur YOUTUBE. Le vent d’est en 10 parties.il fracture. il multiplie. Nous traçons un geste à partir de la matière redondante.des interval<strong>le</strong>s. des ritournel<strong>le</strong>s. des échos. des distances. machine-gun. machineà écrire. machine-gun. machine à écrire. and British Sounds.P.S. Le même jour on apprend que :a) JG a perdu un oeil suite à un tir de flashball des forces de l’ordre ;b) plusieurs amis à Turin, JL inclus, ont été arrêtés par la police à c<strong>au</strong>se d’uneoccupation contre <strong>le</strong> G8 de l’université.IL YA DEUX VOIX QUI MENTENT DEUX VOIX QUI BEGAYENTQUELLE EST LA NOTRE ? COMMENT LE SAVOIR ? QUE FAIRE ?silvia maglioni(<strong>le</strong> vent d’est 2009 - un projet inachevé de n. gerber s. maglioni g. thomson)


Le voi<strong>le</strong> de MabuseI.Il fait noir. Dans l’obscurité, un ride<strong>au</strong> se distingue. Il estsuffisamment opaque pour rendre indistinct <strong>le</strong>s détails cachésderrière, pas assez cependant pour qu’une silhouette en contrejourne soit visib<strong>le</strong>, sans que soit possib<strong>le</strong> d’affirmer si el<strong>le</strong>fait face où tourne <strong>le</strong> dos.Des hommes entrent. Ils allument la lumière. Le ride<strong>au</strong> estdésormais nettement visib<strong>le</strong>. La silhouette cachée derrière nel’est plus, mais une voix, comme un écho, en rappel<strong>le</strong> la présence.El<strong>le</strong> est cel<strong>le</strong> d’un homme qui, <strong>au</strong>toritaire, donne de précisesinstructions à ceux venus spécia<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s recevoir. C’est dans cemême lieu que l’un deux, tombé amoureux, met un terme <strong>au</strong> contratqui l’aliène à ce mystérieux commanditaire. Capturé avec safiancée, il se retrouve enfermé, face <strong>au</strong> ride<strong>au</strong> et à la voix de sonmaître. À l’annonce « Vous ne quitterez pas cette pièce vivants »,il sort son revolver et tire en direction de celui sensé avoirparlé. Quand il ouvre <strong>le</strong> ride<strong>au</strong>, il voit la découpe en bois d’unesilhouette masculine assise derrière une tab<strong>le</strong>. Il l’a criblée debal<strong>le</strong>s. La voix continue « Il ne vous reste plus que trois heureavant de mourir ». El<strong>le</strong> provient d’un h<strong>au</strong>t par<strong>le</strong>ur disposé sur latab<strong>le</strong>. Cette « profanation du ride<strong>au</strong> » serait une métaphore du filmqui la contient : « ce que découvre <strong>le</strong> coup<strong>le</strong> en transgressant <strong>le</strong>ride<strong>au</strong>, c’est ce que découvrirait <strong>le</strong> spectateur du film, à prendre<strong>au</strong> sérieux la fiction, à vouloir transgresser la barrière quiconditionne sa croyance à cette fiction, et à déchirer l’écran,ce ride<strong>au</strong> qui se cache lui-même, pour entrer dans l’espace de saf<strong>au</strong>sse profondeur »¹. C’était en 1933, 6 ans après Le chanteurde jazz, <strong>au</strong>thentifié comme <strong>le</strong> premier film parlant du cinéma. Letestament du Docteur Mabuse est <strong>le</strong> deuxième vo<strong>le</strong>t d’une trilogieà l’<strong>au</strong>ne de laquel<strong>le</strong> peut s’observer l’œuvre langienne. Mabuse,personnage créé par <strong>le</strong> romancier luxembourgeois Norbert Jacques,déjà mis en scène en 1922 dans Le joueur, s’il entre dans un filmparlant, onze ans plus tard, reste sans voix. C’est <strong>le</strong> professeurB<strong>au</strong>m, psychiatre émérite, qui la lui prête. Un prêt qui lui coûterasa raison. La chute du professeur est d’abord observée sous laféru<strong>le</strong> de la rationalité, avant que ne se dessinent <strong>le</strong>s contoursd’un pacte f<strong>au</strong>stien. Quand il donne son cours sur <strong>le</strong>s dérèg<strong>le</strong>mentscomportement<strong>au</strong>x que subissent certaines personnes suite à destr<strong>au</strong>matismes, il évoque <strong>le</strong> cas de Mabuse, dont il loue avec uneadmiration qu’il peine à dissimu<strong>le</strong>r l’exceptionnel<strong>le</strong> intelligence.Après avoir exposé l’histoire de ce patient hors du commun, et<strong>le</strong>s raisons de son internement, il décrit son état. Mabuse vitemmuré dans <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce, assis dans son lit sans mouvement. LorsqueB<strong>au</strong>m projette l’image du Docteur, tout l’<strong>au</strong>ditoire manifeste unmouvement de recul…


Puis, <strong>le</strong> professeur évoque une amélioration qui conduit Mabuseà mimer <strong>le</strong> geste d’écrire, puis à griffonner sur des papiersdes signes incompréhensib<strong>le</strong>s : « <strong>le</strong>s médecins constatèrent uneévolution de ses symptômes. Sa main droite (…) écrivait sans jamaiss’interrompre, dans l’air, sur <strong>le</strong> mur, sur sa couverture. Aprèsque lui furent donné crayons et papiers, qu’il couvrit d’abord degribouillis absurdes, se manifesta l’apparition de mots isolés,puis de phrases, d’abord insensées et confuses jusqu’à devenirconséquentes et logiques ». Illustrant ses paro<strong>le</strong>s, B<strong>au</strong>m projettedeux pages de proto-écriture mabusienne, puis deux nouvel<strong>le</strong>s oul’espace de la feuil<strong>le</strong> est exploitée en formes inspirées, courbeset lignes de mots. On est en quelque sorte passé d’Antonin Art<strong>au</strong>d<strong>au</strong>x surréalistes. Enfin, Mabuse écrit, norma<strong>le</strong>ment, de g<strong>au</strong>che àdroite et de h<strong>au</strong>t en bas. Il écrit sans interruption, comme unemachine qui écrirait toutes <strong>le</strong>s opérations criminel<strong>le</strong>s possib<strong>le</strong>s.Mabuse mourra sans raison sinon cel<strong>le</strong> d’avoir achevé son œuvre– écrite. Sa voix absente résonne en cel<strong>le</strong> de B<strong>au</strong>m, légatairetestamentaire et porte-paro<strong>le</strong>. En sa voix, la volonté de Mabuse aélu domici<strong>le</strong>. Le professeur, hypnotisé par <strong>le</strong> fantôme du récentdéfunt, ne sera bientôt, selon la formu<strong>le</strong> juridique consacrée,plus responsab<strong>le</strong>. Film sur l’écriture – de l’empreinte <strong>au</strong> livre,puis de l’écrit à la voix, Le testament du Docteur Mabuse, commeLes temps modernes trois ans plus tard, marque <strong>le</strong> passage du muet<strong>au</strong> parlant. Chaplin <strong>le</strong> montrait dans l’une des dernières scènesde son film, cel<strong>le</strong> du tour de chant. Engagé <strong>au</strong> rest<strong>au</strong>rant oùtravail<strong>le</strong> sa compagne, s’étant montré inapte pour <strong>le</strong> service ensal<strong>le</strong>, Charlot est recyclé en chanteur, là pour animer un temps lasoirée. Etant incapab<strong>le</strong> de se rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s de la chanson,il se <strong>le</strong>s fait écrire sur ses manchettes de chemise. À peine entrésur scène, un trop enthousiaste mouvement de bras <strong>le</strong>s lui faitperdre <strong>au</strong>ssitôt. Sans paro<strong>le</strong> écrite, Charlot doit improviser uncharabia qui provoque l’hilarité généra<strong>le</strong> et la satisfaction dupatron. Au-delà du brio et de la drô<strong>le</strong>rie que représente cettemise en scène, Chaplin, en laissant échapper <strong>le</strong>s manchettes sur<strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s figure son texte, ne se débarrasse-t-il pas en même tempsdes cartons-titres du cinéma muet ? Et ces paro<strong>le</strong>s absconses qu’ilprofère ensuite, ne disent-el<strong>le</strong>s pas son entrée, par la porte dugrotesque, dans <strong>le</strong> parlant ? Chez Fritz Lang, <strong>le</strong>s nombreux écritsde Mabuse, reprennent précisément la graphie des cartons-titresdu cinéma expressionniste muet. Ce sont désormais des feuil<strong>le</strong>svolantes que <strong>le</strong> professeur B<strong>au</strong>m récolte avec dévotion <strong>au</strong> pieddu lit de son patient préféré. B<strong>au</strong>m dont la voix est avant toutacousmatique, « l’homme derrière <strong>le</strong> ride<strong>au</strong> ».


II.Il fait noir. Dans l’obscurité, la silhouette ne parait pasentretenir quelconques ressemblances avec des physionomiesconnues. Ni Mabuse, ni B<strong>au</strong>m, ni personne. À notre grand dam, rien,cependant une silhouette cachée derrière un ride<strong>au</strong> qui à bien yregarder ressemb<strong>le</strong> davantage à un voi<strong>le</strong>.III.Dans l’Apologue Antique, quand Zeuxis et Parrhasios confrontent<strong>le</strong>ur ta<strong>le</strong>nt de peintre, <strong>le</strong>s raisins du premier, certes, surenttromper <strong>le</strong>s oise<strong>au</strong>x, mais c’est devant <strong>le</strong> voi<strong>le</strong> peint du second,que Zeuxis lui-même devait s’écrier : « Alors, et maintenant,montre-nous, toi, ce que tu as fait derrière ça ». Dans son SéminaireXI, <strong>le</strong>s quatre concepts fondament<strong>au</strong>x de la psychanalyse,Jacques Lacan fit remarquer que tromper l’œil d’un oise<strong>au</strong>, n’estpas tromper celui d’un homme². Il est donc probab<strong>le</strong> qu’à nos yeux,<strong>le</strong>s raisins de Zeuxis n’aient <strong>au</strong>cune va<strong>le</strong>ur mimétique et que sonta<strong>le</strong>nt d’imitateur, à part impressionner <strong>le</strong> système optique desaves, ne laisse <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres espèces de la création de marbre…IV.À la vision d’un film doublé, l’inadéquation existante entre articulationet émission phoniques, c’est-à-dire entre <strong>le</strong>s mouvementsdes lèvres d’un personnage et <strong>le</strong> rythme des paro<strong>le</strong>s prononcées, nese remarque pas si <strong>le</strong> doublage est fait dans notre propre langue.Plus précisément, bien que l’accord synchronique soit nié, nousacceptons de croire la voix ancrée <strong>au</strong> corps du personnage. Un pareildoublage apparaît, en revanche, choquant et maladroit quandun acteur est doublé dans une langue étrangère à cel<strong>le</strong> courammentparlée par <strong>le</strong> spectateur. La ventriloquie peine à convaincre,pire, el<strong>le</strong> dit la tromperie avant d’avoir su tromper. Si un trompe-l’œil<strong>le</strong> devient dès lors qu’il ne trompe plus, <strong>le</strong> ventriloquetrompe yeux et oreil<strong>le</strong>s continument. Le regard du spectateur opèreun va et vient permanant entre marionnette, dont la gestuel<strong>le</strong>accompagne <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s, et marionnettiste, dont <strong>le</strong>s mouvementsdes lèvres <strong>au</strong>tant que ceux du corps n’ont d’effets qu’asynchrones<strong>au</strong>x paro<strong>le</strong>s prêtées à la marionnette. Quand <strong>le</strong> doublage d’un filmest démasqué, <strong>le</strong>s bouches des acteurs se débattent dans <strong>le</strong> vide,<strong>le</strong>s voix qu’el<strong>le</strong>s sont sensées porter ne s’incarnent pas, el<strong>le</strong>sne peuvent se départir de ceux qui, hors de l’écran, ratent <strong>le</strong>urprestidigitation. Bien que… cinématographiquement, voix et imagesoient irrémédiab<strong>le</strong>ment séparées, comme <strong>le</strong> sont chaque photogrammeentre eux. Tout n’est qu’illusion.


V.Revenons à la silhouette derrière <strong>le</strong> ride<strong>au</strong> et <strong>au</strong> coup<strong>le</strong> se tenantdevant, juste avant que l’homme ne sorte son revolver. Essayonsde nous mettre à <strong>le</strong>ur place. Si <strong>le</strong> voi<strong>le</strong> de Parrhasios, par laperfection de son exécution – perfection cependant circonscriteà la puissance du <strong>le</strong>urre – pouvait être pris comme vrai, <strong>le</strong> porteurde cette voix qui s’adresse à ceux venus la recueillir, cachéderrière <strong>le</strong> ride<strong>au</strong>, sans visage encore, sans nom, dépourvu descontours de la certitude et réduit à l’imprécision d’une silhouette,mais doué de paro<strong>le</strong> <strong>au</strong> dire de notre ouïe, et que notre raisons’est hâtée à mode<strong>le</strong>r en une seu<strong>le</strong> et même personne, qui est-il ?Tout d’abord puisque je dis « il », sa voix l’attestant, c’est unhomme. Toutefois, l’emploi de cet adjectif possessif n’outrepasse-t-ilpas <strong>le</strong>s conditions d’écoute en présence desquel<strong>le</strong>s nousnous trouvons ? Ne repose-t-il pas sur un marchandage spéculatifqui serait du domaine de la foi ? Il nous f<strong>au</strong>t y croire pourqu’advienne l’incarnation dont <strong>le</strong>s effets, sans notre assentiment,resteraient cois. Entre sa voix et sa silhouette se joue en cetinstant ce que l’imparfaite traduction de la phrase « O utinam anostro secedere corpore possem » joue à celui qui piste l’énigmede Narcisse. À l’instant où celui-ci s’éprend de lui-même, cen’est pas son image qui <strong>le</strong> trompe, mais son corps qu’il croit partageravec el<strong>le</strong> : « Oh, que ne puis-je me séparer de notre corps »se lamente-t-il. Il dit bien notre corps et non pas mon corps <strong>au</strong>contraire de fréquentes traductions qui nous égarent plus qu’el<strong>le</strong>snous permettent de cerner <strong>le</strong> drame qui se cache en cette séparationincomprise³. L’homme derrière <strong>le</strong> ride<strong>au</strong>, entre sa voix etsa silhouette se partage <strong>au</strong>ssi un corps, que <strong>le</strong> ride<strong>au</strong> devant <strong>le</strong>quelnous sommes, dont je disais tout à l’heure qu’il ressemblaità un voi<strong>le</strong>, voi<strong>le</strong> justement <strong>le</strong> partage. Envisager quelqu’un plutôtqu’une silhouette, c’est ne voir en el<strong>le</strong> que <strong>le</strong> travestissement denotre vérité cachée derrière un ride<strong>au</strong>. C’est plier l’opacité duride<strong>au</strong> à notre bon vouloir et contourner sa fonction séparatrice.« La vérité est cachée là derrière » nous disons-nous. Notons toutefoisqu’en ce raisonnement, il nous a fallu accorder à l’imageet <strong>au</strong> son un pouvoir indiciaire que l’un et l’<strong>au</strong>tre, isolément, nepeuvent satisfaire. La voix et cette silhouette derrière <strong>le</strong> ride<strong>au</strong>ne partagent pas forcément <strong>le</strong> même corps.VI.Vous avez constaté <strong>le</strong> désagrément que peut occasionner l’écoutede sa propre voix, après qu’el<strong>le</strong> fut enregistrée, ou lorsqu’amplifiéeel<strong>le</strong> vous revient <strong>au</strong>x oreil<strong>le</strong>s comme la paro<strong>le</strong> d’un <strong>au</strong>tre.Ne vous êtes-vous jamais exprimé : « cette voix ne ressemb<strong>le</strong> pasà la mienne » ? Vous avez peut-être commis parfois la métonymiesuivante en vous exclamant : « cette voix ne me ressemb<strong>le</strong> pas ».


En quoi vous aviez raison : el<strong>le</strong> ne vous ressemb<strong>le</strong> pas, el<strong>le</strong> vousreprésente. Il est intéressant d’observer la réaction d’un acteurqui se découvre avec la voix d’un <strong>au</strong>tre. Il semb<strong>le</strong> faire la découverted’un intrus qui, en quelque sorte, lui <strong>au</strong>rait piqué soncorps <strong>le</strong> temps d’un film. À l’inverse, <strong>le</strong> doub<strong>le</strong>ur ne ressent passon intégrité physique menacée par <strong>le</strong> corps du personnage à quiil prête sa voix. C’est lui qui prête et pourtant, c’est l’<strong>au</strong>trequi se sent dépossédé.VII.Un homme d’une trentaine d’années m’expliquait avoir écouté devieil<strong>le</strong>s cassettes <strong>au</strong>dio – enregistrements de son enfance – sesparents ayant voulu sans doute immortaliser la voix de <strong>le</strong>ur filsou, plus pragmatiquement, l’archiver. Il entendait ce qu’il avaitdit vingt-cinq ans plus tôt. Il eut d’abord l’impression qu’iln’était pas cet enfant qui parlait. Les minutes d’écoute passant,il acceptait cette voix. Par résignation d’abord. Puis s’y habituant,el<strong>le</strong> finissait par lui devenir familière, comme cel<strong>le</strong> d’unproche, un ami de longue date, un parent. L’enfant qu’il écoutaitressemblait à celui dont par<strong>le</strong> Bernanos dans ses « grands cimetièressous la lune » : « Qu’importe ma vie ! Je veux seu<strong>le</strong>mentqu’el<strong>le</strong> reste jusqu’<strong>au</strong> bout fidè<strong>le</strong> à l’enfant que je fus (…), l’enfantque je fus et qui est à présent pour moi comme un aïeul ».C’était comme si, d’un instant de sa vie, il était dépossédé.Comme si cet instant pouvait exister indépendamment de lui, répétab<strong>le</strong>à souhait.Fabrice L<strong>au</strong>terjungÀ suivre…Notes(1) Michel Chion, La voix <strong>au</strong> cinéma, «Les si<strong>le</strong>nces de Mabuse», Ed.Cahiers du cinéma, p. 46.(2)Jacques Lacan, Séminaire XI, <strong>le</strong>s quatre concepts fondament<strong>au</strong>xde la psychanalyse, «Qu’est-ce qu’un tab<strong>le</strong><strong>au</strong> ?», Ed. du Seuil,p 127.(3)Voir Pierre Legendre, Dieu <strong>au</strong> miroir, L’instance de représentationpour <strong>le</strong> sujet, Ed. Fayard, p 41.


Anamorphosis of a voiceNe change rienIl s’agit du travail, fina<strong>le</strong>mentLe travail d’une voixon ne <strong>le</strong> voit pasPeines perduestu n’as rien vuGet your disappointment in firstwork is what must never show its faceor voicenot somethingyou would ordinarily listen to,more for stretching out upon, it invitesa lying downlaziness, indulgencepromises <strong>le</strong>ss than it deliversmore a vice than a voiceor just the ‘o’ when all else falls awaya paressence, the opposite of work, ton diab<strong>le</strong>


Image-oblomovementa voice whose e<strong>le</strong>ment would be ease,were it not for the tremor withinbarometer of time’spurer pressureBaby you’re torturing mea voice in bed, allongée,or satin-draped on a sofalike the maid in Monteiro’s Va e Vemwhi<strong>le</strong> he scrubbed the floorI said, ‘A line will take us hours maybe;Yet if it does not seem a moment’s thought,Our stitching and unstitching has been n<strong>au</strong>ght.Better go down upon your marrow-bonesAnd scrub a kitchen pavement, or break stonesLike an old p<strong>au</strong>per, in all kinds of weather;For to articulate sweet sounds togetherIs to work harder than all these, and yetBe thought an id<strong>le</strong>r by the noisy setOf bankers, schoolmasters, and c<strong>le</strong>rgymenThe martyrs call the world.’


And she and the band ho<strong>le</strong>d up somewherein the desperate hoursdans <strong>le</strong>s répétitionsplanning their getawaya voice on the runthey should cover « shadowplay »to the centre of the city where all roads meetwaiting for youjoy’s division


the voice put to work in the drag of timeor filling the interval,taking a drag of her voice between timesshe keeps losing her placein the time signatureit’s not her naturevoice in fuguefrom a face that reels in shadowshard workthe graveyard shiftghosts don’t come lightlyGT


MagmaEt la tête a cognéet <strong>le</strong> feu dans ses veines estpassélà-bas <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il tombeil tombe encore de l’<strong>au</strong>tre côtéEt la tête a cognéet <strong>le</strong> feu dans ses veines estpassélà-bas <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il tombeil tombe toujours de l’<strong>au</strong>trecôtébasses-fosses de la mémoirey avait rien à trouverni futur ni passéjuste une bel<strong>le</strong> fil<strong>le</strong>avec qui s’en al<strong>le</strong>ret la tête a rouléson corps de lianeses bouc<strong>le</strong>s nacrées<strong>au</strong> feu <strong>le</strong>s sorciersl’apprenti irradiéarrivé làd’où je sais d’où je suis<strong>le</strong>s plus grands des désastreséclaboussent la nuittout vient de là<strong>le</strong>s mouches<strong>le</strong>s herbes<strong>le</strong>s poings serréset tout <strong>le</strong> temps soifet prisonnierc’était ma f<strong>au</strong>tefallait pas jouercomme toi la fil<strong>le</strong>pas une poupéefallait pas jouerfallait pas jouerétreins l’espacedéjoue sans cesse <strong>le</strong> retour<strong>le</strong> retour éblouissantde l’instantcouvre ton corps de feude cendresenfouis tes yeux ton visageétreins l’espacedéjoue sans cesse <strong>le</strong> retour<strong>le</strong> retour éblouissantde l’instantvalérie b / verb**


Sur <strong>le</strong> désir de tes jeuxJ’ose promise en son sein j’ose due des promesses du sein des chosesde mon je, mon amour je cherche ce sein qui m’est dû ce sein sipromis à ma main si loin des prémisses de si loin j’ose promise,en ton sein rapprocher à pas doux la promesse des choses pour toide mon je patiente mon amour en tes seins, une promesse et ma mainpas si loin fina<strong>le</strong>ment sur <strong>le</strong>s désirs de tes jeux de mon je sur<strong>le</strong> désir de tes seins j’ose promettre ma main, et <strong>le</strong>s prémissesdes lointains épouser <strong>le</strong>s écarts de tes jambes promises à mon jeévitant <strong>le</strong>s écarts des à part pour approcher <strong>le</strong>s prémisses de nospromesses faites en <strong>le</strong>s seins du nousSerre moi de tes jambes pour perdre mon je <strong>au</strong>x désirs de tes jeuxplus si loin plié devant tes seins tendu par la promesse cerc<strong>le</strong>moi de tes jambes encerc<strong>le</strong> nous je nous mon je et du tout de nouspromis depuis <strong>le</strong>s prémisses d’un nousEndormie réveillée étirée réveillée bien plus éveillée par <strong>le</strong>sjeux de tes désirs imprévus à moitié t’oses mise en bouche du désiret tu joues tu joues de nous en tes jambes promises se joue<strong>le</strong> désir d’un nousJeux joie je nous dessous des jambes <strong>au</strong>-dessus des idées débridéessur <strong>le</strong> désir de tes jeux de jambes sur <strong>le</strong> plaisir du nousà Hélène…TEXTERaphaël SoattoLes voix :Caro<strong>le</strong> BROEKAERTFlorence NOAILLESFabrice GERARDL<strong>au</strong>re SOATTOStéphane SOATTOComposition :Stéphane SOATTOStudio des H<strong>au</strong>ts Cortins ; Sowat Productions


Dans une langue étrangèreUn lac de Philippe GrandrieuxUn lac, Philippe Grandrieux (2008)Poser la voix <strong>au</strong> cœur d’un film et <strong>le</strong> faire de manière cinématographiquene va pas de soi. C’est que la voix, en tant que phénomènesonore et aérien, peut semb<strong>le</strong>r être tota<strong>le</strong>ment indépendante decette visibilité qui est <strong>le</strong> lieu même du cinéma. Comment montrerune voix ? Une voix peut-el<strong>le</strong> donner <strong>au</strong>tre chose à voir que cequ’el<strong>le</strong> met en bran<strong>le</strong>, en mouvement ? Et si tel est <strong>le</strong> cas, est-ceencore la voix que nous voyons, ou ce avec quoi el<strong>le</strong> communique ?Ce sont là de vieil<strong>le</strong>s questions, qui ne concernent pas que lapratique cinématographique, tant s’en f<strong>au</strong>t. Les poètes, attentifs<strong>au</strong> chant du monde, lui prêtent <strong>le</strong>ur voix. Ce faisant, ilsindiquent ce qui par<strong>le</strong> en lui et que notre regard, pris dans <strong>le</strong>ssoucis quotidiens, méconnait constamment.Qu’un film puisse nous mettre des voix sous <strong>le</strong>s yeux, <strong>le</strong> cinéma dePhilippe Grandrieux n’a de cesse de nous <strong>le</strong> rappe<strong>le</strong>r. Dans Sombreet La vie nouvel<strong>le</strong> déjà. Mais sans doute est-ce avec Un lac quel’imbrication de la vocalité et de la visibilité est la plus manifeste,la plus comp<strong>le</strong>xe et la plus aboutie à la fois. Dans cefilm en effet, Philippe Grandrieux fait jouer des acteurs étrangersdans une langue qu’ils ne connaissent pas. Ce parti pris, be<strong>au</strong>et dangereux à la fois, donne à chaque énonciation une dimensionpuissante, et reconduit la voix à une profonde matérialité, sinonà une pure présence. Nous <strong>le</strong> savons tous pour avoir dû nousexprimer dans une langue étrangère, fut-el<strong>le</strong> <strong>au</strong>ssi répandue quel’anglais, l’accent nous place toujours dans une nudité diffici<strong>le</strong>et fragi<strong>le</strong>.


L’accent, en écorchant la langue, peut transformer notre voix enune pure adresse. Pour paradoxal que cela puisse paraître, <strong>le</strong>svoix dites « à accent » – c’est-à-dire <strong>le</strong>s voix qui par<strong>le</strong>nt véritab<strong>le</strong>ment– se donnent à nos oreil<strong>le</strong>s dans une transparencecomplète.Un lac, ouvert à une tradition biblique qui n’a de cesse de formu<strong>le</strong>rde tels paradoxes, s’est emparé de ces questions pour trouversa forme propre, et donner à l’inquiétude amoureuse qui traverse<strong>au</strong>ssi bien Sombre que La vie nouvel<strong>le</strong> une dimension que ces derniers,pour être éga<strong>le</strong>ment travaillés par une vio<strong>le</strong>nce tout à faitinouïe, ne peuvent toucher du doigt sans la perdre <strong>au</strong>ssitôt. Lestous premiers échanges entre <strong>le</strong> jeune A<strong>le</strong>xi et sa sœur Helge nouspermettent déjà de toucher <strong>le</strong> lien subtil et profond qui <strong>le</strong>s unit,et que l’arrivée d’un étranger dans la famil<strong>le</strong> va nécessairementaltérer. Ces paro<strong>le</strong>s, dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s s’exprime à demi mot l’épi<strong>le</strong>psiedu frère, ce jeune homme qui éprouve <strong>le</strong> monde et la naturesur un mode mystique et extatique, sont prononcées dans la pénombre,et appel<strong>le</strong>nt une affection qui excède alors l’écran où toutse joue. Que ces phrases peinent à être prononcées participentévidemment du tranchant avec <strong>le</strong>quel el<strong>le</strong>s nous gagnent et de l’effetque sur nous el<strong>le</strong>s produisent. Ce sont des voix qui viennent<strong>au</strong> contact de notre regard. La densité du plan et la températurede cou<strong>le</strong>ur semb<strong>le</strong>nt el<strong>le</strong>s <strong>au</strong>ssi <strong>le</strong>s entendre et <strong>le</strong>ur répondre.Quelque chose d’<strong>au</strong>tre dans l’image a pris voix.Un lac, Philippe Grandrieux (2008)Si la voix, reconduite à une matière sonore, peut échanger avec<strong>le</strong> visib<strong>le</strong>, c’est que ce dernier, à son tour, est habi<strong>le</strong> à par<strong>le</strong>r.L’accent <strong>le</strong> plus prononcé d’Un lac, ce n’est sans doute pascelui de ses interprètes venus de divers pays d’Europe, mais celuidu monde, de ce lac brumeux, tranquil<strong>le</strong> et inquiétant, quisourd entre <strong>le</strong>s montagnes. Avec <strong>le</strong> cinéma, c’est <strong>au</strong> monde que nousdevons donner la paro<strong>le</strong>, car c’est à son contact que nos lèvress’entrouvrent.


Un lac, Philippe Grandrieux (2008)Dans l’échange si<strong>le</strong>ncieux d’A<strong>le</strong>xi avec <strong>le</strong>s arbres et <strong>le</strong>s montagnes,nous sentons poindre un murmure que lui seul <strong>au</strong>ra commencépar entendre. Et c’est la manière même dont il se rapporteà l’espace qui l’entoure qui nous suggère d’être attentifs à cequi peut se dire <strong>au</strong> plus profond de la forêt. Quelque chose passesecrètement <strong>au</strong>x pieds des arbres qui ordonne la présence d’A<strong>le</strong>xi,et rend pour lui impossib<strong>le</strong> tout départ.Loin de traduire un enracinement et une immobilité, il y a quelquechose de vertigineux dans ce pacte passé avec la nature. Le regardde Philippe Grandrieux, attentif à la h<strong>au</strong>teur — des arbres, desmontagnes — montre ce qu’il peut y avoir de démesuré dans notrerapport <strong>au</strong> monde. L’immensité vient se loger dans chaque tremb<strong>le</strong>mentde la caméra, qui ne peut pas prendre tout ce qui se donneà el<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> est là, touche nos yeux et nos oreil<strong>le</strong>s. Le vertigeest filmé en creux. Tout ce qui est montré nous donne l’indice dece qui nous est inaccessib<strong>le</strong>. Si nous ne <strong>le</strong>s voyons pas, nous entendonsqu’<strong>au</strong>-delà des sommets — des arbres, des montagnes — il yen a de plus h<strong>au</strong>ts encore. A<strong>le</strong>xi ne peut pas partir car pour lui,ici même, tout est trop riche, trop grand.Pour <strong>au</strong>tant, quelque chose peut manquer à cette démesure et larendre suffocante. L’immensité, si el<strong>le</strong> ne parvient pas à nousdonner du souff<strong>le</strong>, peut rapidement nous paralyser. Au contact del’étranger, la sœur d’A<strong>le</strong>xi est emportée vers d’<strong>au</strong>tres terres. Ily a une langue que la nature ne connaît pas, et un amour qu’el<strong>le</strong>ne peut pas nous donner. Cet amour est suffisamment puissant pourouvrir <strong>le</strong>s e<strong>au</strong>x du lac et écarter <strong>le</strong>s montagnes. C’est parce que<strong>le</strong> monde s’est ouvert devant el<strong>le</strong>, et qu’il a cessé d’être enclavédans <strong>le</strong>s montagnes, que la sœur connaît une véritab<strong>le</strong> mue. Sa voixmontre, par sa trans<strong>format</strong>ion même, que quelque chose a bougé dans<strong>le</strong> paysage. Ce n’est pas que sa voix qui a changé, l’écho rendupar <strong>le</strong>s espaces si<strong>le</strong>ncieux est différent. Le chant porte plus loin,et fraie vers des régions encore inconnues. Le frère ne l’entendque trop bien. Ta voix. Ce n’est plus comme avant.Rodolphe Olcèse


Sans terre, sans voix...La voracité du capitalisme en voie de mondialisation est sans fin :ainsi apprend-t-on que tout récemment, certain des pays «nouve<strong>au</strong>xriches» (Chine, Corée…) achètent à des pays <strong>le</strong>s plus p<strong>au</strong>vres de laplanète (Cambodge , Madagascar…) des terres agrico<strong>le</strong>s, spoliant ainside nombreux paysans qui sont contraints de s’exi<strong>le</strong>r en vil<strong>le</strong>, victimesd’<strong>au</strong>torités peu regardantes sur la misère de <strong>le</strong>ur propre peup<strong>le</strong>. Pourl’enrichissement de quelques-uns, d’<strong>au</strong>tres, plus nombreux, plus fragi<strong>le</strong>s,plus démunis, subissent exil, misère, vio<strong>le</strong>nce ; ceux-là ontpeu de chance d’être entendus ou vus : <strong>le</strong>urs revendications sont in<strong>au</strong>dib<strong>le</strong>s,<strong>le</strong>urs révoltes invisib<strong>le</strong>s, etouffées par un pouvoir se targantcyniquement d’être «de g<strong>au</strong>che», socialiste ou communiste !Face à cet état des choses, que peut <strong>le</strong> cinéma ? Probab<strong>le</strong>mentpas grand-chose : montrer quelques images, faire entendre quelquesvoix …Dans Nous ne sommes pas <strong>au</strong> monde, j’ai choisi de faire entendrema voix, spoliant un peu plus <strong>le</strong>s p<strong>au</strong>vres paysans sans terre de <strong>le</strong>uridentité, de <strong>le</strong>ur existence, de <strong>le</strong>ur réalité ; mais cette voix-écranest une voix irréel<strong>le</strong>, décalée par rapport <strong>au</strong>x images qui montre uneréalité pragmatique et dure, el<strong>le</strong> sert de support à un chant, qui esten fait composé de l’hymne national khmer murmuré sans paro<strong>le</strong>, et dedeux extraits de poèmes chantés que nous apprenions <strong>au</strong> collège dans<strong>le</strong> Cambodge d’avant <strong>le</strong>s Khmers rouges. Le premier de ces poèmes relatela mort d’un propriétaire terrien qui donne <strong>le</strong>s dernières recommandationsà ses enfants pour que ses terres puissent continuer à produire<strong>le</strong>urs fruits dans <strong>le</strong>s meil<strong>le</strong>ures conditions dans l’avenir, rupture etcontinuité que contredit la situation décrite à l’image (un groupe depaysans sans terre campant devant l’Assemblée Nationa<strong>le</strong> khmère espérantvainement être entendu par <strong>le</strong>s <strong>au</strong>torités publiques) qui ne montrequ’une rupture sans réparation possib<strong>le</strong>. Le second poème relate<strong>le</strong>s dernières recommandations d’une mère à sa fil<strong>le</strong> qui va suivre sonépoux, et qui devra ainsi suivre toutes <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s de «bonne conduiteà l’adresse de la jeune femme (pour se conformer à son époux)», règ<strong>le</strong>sparfaitement obsolètes et inappliquab<strong>le</strong>s pour la très jeune mendiantequi apparaît à l’image, probab<strong>le</strong>ment promise à un avenir be<strong>au</strong>coup plusincertain et chaotique.Cette voix, ma voix donc, je l’ai voulue fluctuante, fragi<strong>le</strong>, dépendantde mon état de santé et de mes états d’âme <strong>au</strong> moment où <strong>le</strong> filmest projeté : el<strong>le</strong> pourra donc être grave, aigüe, à peine <strong>au</strong>dib<strong>le</strong>,parfaitement aléatoire ; c’est une voix ayant vécu (je suis à présentun homme mûr) qui va chercher à l’<strong>au</strong>be de l’ado<strong>le</strong>scence <strong>le</strong>s sourcesde son chant, offrande dérisoire mais sincère en hommage à la résistancede ces femmes, ces hommes, enfants et vieillard si dignes dans<strong>le</strong>ur misère …Sothean Nhieim


fotografía de lo inaccesib<strong>le</strong> lo demasiado cercanouna playa o una mano abiertaà l’abri sin retornovacío me pronunciadeux foiscontre <strong>le</strong> sensinfinitamente intouchéVoix, encore, qui se font jour par la p<strong>au</strong>me des yeuxAndré Du Bouchet


Voix en miroir et en abyme par Raphaël Bassan / Deux voix quimentent Deux voix qui bégayent par Silvia Maglioni / Le voi<strong>le</strong> deMabuse (1ère partie) par Fabrice L<strong>au</strong>terjung / Anamorphosis of avoice par Graeme Thomson / Magma par Verb** / Le désir de tes jeuxpar Raphaël Soatto / Dans une langue étrangère. Un lac de PhilippeGrandrieux par Rodolphe Olcèse / Sans terre, sans voix... parSothean Nhieim / Una playa o una mano abierta par Vio<strong>le</strong>ta Salvatierraétoi<strong>le</strong>ments est une publication émanée du Col<strong>le</strong>ctif <strong>Jeune</strong> Cinéma.El<strong>le</strong> se veut un espace permettant de développer la créativité del’écriture consacrée <strong>au</strong> cinéma expérimental et différent.Directeur de la publication : Pip ChodorovComité éditorial : Silvia Maglioni, Rodolphe Olcèse, Vio<strong>le</strong>taSalvatierra, Marie Sochor, Graeme ThomsonPrix : 3€ / abonnement simp<strong>le</strong> 10€ / abonnement de soutien 15€N° ISSN : 1961-5574ContactCol<strong>le</strong>ctif <strong>Jeune</strong> CinémaMains d’œuvres, atelier 111 rue Char<strong>le</strong>s Garnier93400 Saint Ouen01 40 11 84 47etoi<strong>le</strong>ments@gmail.com

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