ML E M O N D E D U L I V R EARTICLEBagosseet banjoDepuis quelques années déjà, les musiquesracines (blues, folk et country) de l’Amérique duNord connaissent un regain de popularité quise manifeste jusque sur les tablettes des librairies.Entraînant avec elles toute une quincaillerie demythes, elles sont propices à inspirer des histoires dumeilleur cru. À preuve, voici quelques publicationsparues dans le courant de la dernière année etqui s’avèrent aussi sautillantes et explosivesqu’un air de banjo bien envoyé.Par Christian Girard,de la librairie Pantoute (Québec)Il y a déjà quelques albums que le bédéiste Frantz Duchazeau explore avecbrio le terroir musical états-unien. Après le blues (Le rêve de Meteor Slim), lamusique country (Les jumeaux de Conoco Station) et les pérégrinationsquotidiennes des Lomax, père et fils, collecteurs de chansons et ethno -musicologues incontournables pour qui s’intéresse à la vieille musiqueaméricaine, le voilà maintenant suivant les sillages des minstrels et autresmedicine shows. Ces phénomènes ambulants d’un autre temps parcouraientles campagnes du sud des États-Unis en proposant à la criée des « remèdes »aux vertus miraculeuses infinies et des spectacles d’humour et de musique.Les minstrels étaient des performances douteuses où des blancs sepeinturluraient le visage en noir avec du cirage à chaussures et singeaient lesreprésentations cruellement caricaturales qu’on se faisait alors de lapopulation noire, grosso modo considérée comme étant composée d’êtresinférieurs à l’esprit simple.C’est dans cette ambiance que se déroule la misérable odyssée d’un pauvrehère à la jambe de bois dont le principal handicap est certainement d’êtreNoir dans ce Sud rural où sévissait une ségrégation sévère. Vivotant enexécutant des tours de danse acrobatique sur sa prothèse plus querudimentaire, il est repéré un jour par le producteur d’un de ces spectacles20 • LES LIBRAIRES • FÉVRIER-MARS 2014Gilles Tibo / Oussama MezherLes deux amoureuxL’amour... toujours plusfort que tout !Collection Ma petite vache a mal aux pattes56 p. / 8,95 $ / pour les 7 ans et plusSOULIÈRES ÉDITEURsoulieresediteur.comPARUTIONJANVIER 2014souledit lelibraire 1-4.indd 1 13-12-18 14:05
ambulants qui lui fait miroiter la possibilité degagner beaucoup d’argent. Engagé dans la troupe,où il fait la rencontre entre autres d’un Indientaciturne et d’une jeune blanche qui ne le laisseaucunement indifférent, il se découvre, un soir qu’ila bu une quantité considérable d’élixir miracle, untalent exceptionnel pour le banjo. Véritable clou duspectacle, celui qu’on surnomme désormaisBlackface Banjo abandonne tout ce mondelorsqu’il surprend deux de ces « collègues »caucasiens en train d’exécuter leur numéro deBlackface dans l’hilarité générale. Dans sa fuite,rejoint par l’Indien, il découvre même l’existenced’une société secrète nommée le Coon Coon Clan,en opposition au Ku Klux Klan, et qui s’attaque auxreprésentations dégradantes des minstrels.vols et du fugitif entraînera Gervais ainsi que toutecette étrange populace dans un tourbillon quisoulèvera beaucoup de poussière et de fantômesdans cette contrée étrangement magnifiée parMessier qui en est à son troisième livre.La langue de Messier injecte à son patelin uneambiance digne du sud des États-Unis. À titred’exemple, on assiste à une tonitruante processionfunéraire, teintée de réalisme magique, qui n’a rienà envier aux marches funèbres si colorées de laNouvelle-Orléans en matière d’exotisme. Cetteallure de vieille et bizarre Amérique se voitaccentuée par les huit remarquables illustrations deJulien Boisseau, rappelant un art populaire d’uneautre époque.Des livreset des librairesC’est une ascension cahoteuse qui est racontée iciet qui se termine par une gloire lourdementplombée de tristesse. Encore une fois, les dessinsde Duchazeau font mouche, en noir et blanc,sublimes, vibrants et menés sur les rails d’unenarration juste et au rythme efficace. On attenddéjà le prochain!Un roman de la frontièrePlus près, dans les Cantons-de-l’Est, un roman defrontière élaboré par un petit gars du coin, William S.Messier, Dixie. Avec une langue gorgée d’une oralitépittoresque, Messier nous plonge dans un récit ruralpeuplé de bums et de fantômes aux forts parfumsde moonshine (un alcool concocté avec les moyensdu bord, souvent nommé chez nous « bagosse »)dont la recette, décrite dans le détail à un momentde l’histoire, vaut amplement le détour. Ainsi, encette année 1993 et sur fond de vols de viande dansles congélateurs des habitants de la région, apparaîtun évadé de prison, véritable colosse, qui vient desÉtats-Unis. Ces événements sèmeront tout un émoidans la population du rang Dutch qui compte parmielle un énigmatique et cataplectique petit garçon,Gervais Huot. Ce dernier, cueillant littéra lement unvieux banjo surgi du sol, trouvera dans le maniementde cet instrument une armure sonore contre lescoyotes et autres peurs issues des ténèbrescampagnardes qui le font tomber dans les vapes.Une course effrénée à la résolution du mystère desBLACKFACE BANJOFrantz DuchazeauSarbacane144 p. | 39,95$DIXIEWilliam S. MessierMarchand de feuilles160 p. | 25,95$Le petit livre rouge de FaubertMichel Faubert, figure incontournable de la musiquefolklorique au Québec, tant en solo qu’avec lesCharbonniers de l’enfer, a livré cet automne unétonnant Petit lexique bête et méchant à l’usagedes néophytes intitulé Trad. Un petit livre rouge quine pèse par lourd (« les colis piégés non plus », pourparaphraser Serge Gainsbourg au sujet de sonpropre roman), mais dont le contenu est d’unedétonante teneur. En quelque 101 définitions et avecune verve pétrie d’une mauvaise foi jubilatoire,Faubert fait exploser les idées reçues sur la musiquetraditionnelle et l’univers des musiciens folkloriques.À titre d’exemple : « Puriste : sorte de schizophrèneresté accro aux innovations des années 1970 »,« Chanson à répondre : chanson pour enfantdestinée à des adultes en boisson », ou encore,« Pochette de disque trad : brainstorming réalisé parle groupe en l’absence du graphiste ». Il écorchemême au passage un certain Fred Parlurin dans sadéfinition de ce qu’est « parler en parlure ». Mais ilnous avait avertis du contenu bête et méchant deson propos! L’ensemble constitue une chargemoqueuse et grinçante qui dévoile au grand jour lesrapports biaisés, souvent flous, qu’on entretient,collectivement et dans cette société du spectacle,avec l’héritage musical qui a fait vibrer nos ancêtres.Un véritable bonbon acidulé concocté avecbeaucoup d’ironie par un folkloriste de granderéputation.TRAD. PETIT LEXIQUE BÊTEET MÉCHANT À L’USAGEDES NÉOPHYTESMichel FaubertPlanète rebelle56 p. | 14,95$Pour tout savoir, abonnez-vous à notreINFOLETTRE DES LIVRES ET DES LIBRAIRESlibrairiemonet.commonet.ruedeslibraires.comPour acheter en ligne vos livres en versions papieret numérique.airelibre.tvNotre webtélé consacrée à la littérature et aux arts.Galeries Normandie, 2752, rue de SalaberryMontréal (QC) H3M 1L3 - Tél. : 514-337-4083info@librairiemonet.com35ansLES LIBRAIRES • FÉVRIER-MARS 2014 • 21