RENCONTRE© La Boudeuse / J.BockPatrice Franceschi“EXPLORATEUR-HUMANISTEDE NOTRE TERRE”“Il a laissé, fin janvier, le pont de “sa”Boudeuse amarrée <strong>en</strong> Guyane.Un voyage éclair <strong>en</strong> France pour réglerles derniers détails de la missionTerre-Océan avant d’appareiller pourdeux ans. R<strong>en</strong>contre avec PatriceFranceschi, ce Côte-d’Ori<strong>en</strong>, véritable“explorateur-humaniste” à la pointedu combat du XXI e siècle :le développem<strong>en</strong>t durable !La silhouette sèche, le visage souriantmarqué par le soleil et la mer, lapoignée de main franche, PatriceFranceschi, homme charismatique auparcours riche et atypique, av<strong>en</strong>turierdes temps modernes est là, à l’écoute, maisvisiblem<strong>en</strong>t pressé. Pressé, il l’est effectivem<strong>en</strong>t,mais de vivre : “nous n’avons qu’uneseule vie, alors je veux la multiplier dans ladurée, m<strong>en</strong>er plusieurs vies <strong>en</strong> une seule !”lance-t-il. Ses yeux brill<strong>en</strong>t. Il a déjà réalisétous (ou presque) ses rêves de gosse.Métier : écrivain-av<strong>en</strong>turierEcrivain, navigateur, aviateur, présid<strong>en</strong>t honorairede la Société des Explorateurs Français,capitaine du trois-mâts La Boudeuse, av<strong>en</strong>turier,réalisateur, humanitaire… Comm<strong>en</strong>t définirPatrice Franceschi, ce Corse d’origine, Côted’Ori<strong>en</strong>depuis 1986, “ne voulant pas vivre àParis mais <strong>en</strong> être proche et résider dans une© La Boudeuse / J.BockLA BOUDEUSEType : trois-mâtsgoéletteAnnée de construction :1916 – HollandePavillon : FrançaisPort d’attache : FécampCapitaine :Patrice FranceschiEquipage : 26 personnesLongueur hors tout : 46 mLargeur : 7 mDéplacem<strong>en</strong>t : 250 tTirant d’eau : 2,70 mNombre de voiles : 13Surface de voilure : 700 m²Vitesse maximum :14 nœudsAutonomie à la mer :6 moisrégion calme et belle comme l’est la Bourgogne”? Il répond avec le s<strong>en</strong>s de la formulequi le caractérise : “Je suis un écrivain-av<strong>en</strong>turier,à l’anci<strong>en</strong>ne ! Je veux r<strong>en</strong>dre l’av<strong>en</strong>tureféconde. J’ai choisi pour cela la littérature et laphilosophie”.Les 400 coups !Patrice Franceschi a tout juste vingt anslorsqu’il monte sa première expédition,“Babinga Pongo” chez les Pygmées du Congo.En 1978, c’est le Nil, à la r<strong>en</strong>contre des tribusnilotiques, puis l’Asie pour vivre l’exode deréfugiés vietnami<strong>en</strong>s et, surtout, l’invasionsoviétique <strong>en</strong> Afghanistan qui le conduira àcréer l’association Solidarités Afghanistanet à s’<strong>en</strong>gager aux côtés des troupes ducommandant Amin Wardak.P<strong>en</strong>dant vingt ans, Patrice Franceschi mèneraune foultitude d’expéditions : le premier tourdu monde <strong>en</strong> ULM <strong>en</strong>tre 1984 et 1987, la fac<strong>en</strong>ord de l’Everest <strong>en</strong> 1988, un raid de 700 km, àpied et <strong>en</strong> canot, <strong>en</strong> pays papou <strong>en</strong> Nouvelle-Guinée <strong>en</strong> 1989… et nombre de missionshumanitaires, <strong>en</strong> Roumanie, <strong>en</strong> Bosnie, <strong>en</strong>Somalie, au Soudan, au Rwanda, au Kurdistan…En 1998, il lance un projet qui lui ti<strong>en</strong>t à cœur :“L’esprit de Bougainville”, une campagned’exploration, dans le sillage du célèbr<strong>en</strong>avigateur, et <strong>en</strong> mémoire de ce dernier,il arme une jonque chinoise rebaptisée26 Côte-d’Or magazine I N°100 I <strong>Mars</strong> <strong>2010</strong>
© La Boudeuse / J.Bock“La Boudeuse”. Dans l’esprit des voyages du siècle desLumières, il embarque à son bord aussi bi<strong>en</strong> desav<strong>en</strong>turiers que des sci<strong>en</strong>tifiques et parcourt les merspour des raisons “savantes”.Terres et océansL'Odyssée de La Boudeuse s’achèvera par un naufrageau large de l’île de Malte. Notre av<strong>en</strong>turier rachète untrois-mâts suédois, qu’il refond <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t et rebaptise…La Boudeuse.Aujourd’hui, à peine vi<strong>en</strong>t-il de boucler un voyage detrois ans à la découverte des “Peuples de l’eau” qu’ilrepart vers l’Amérique du sud et les îles du Pacifiquepour une “mission d’État”.Muni d'une lettre de mission de Jean-Louis Borloo,ministre de l’Ecologie et du développem<strong>en</strong>t durable, lecapitaine de La Boudeuse a hissé les voiles le 3 février,sous l'ét<strong>en</strong>dard du “Gr<strong>en</strong>elle de la mer”.La mission Terre-Océan se consacrera “aussi bi<strong>en</strong> auxproblématiques des océans qu’à celles de la terre et desfleuves”.Au-delà des études sci<strong>en</strong>tifiques, Terre-Océan participeà la s<strong>en</strong>sibilisation du public pour promouvoir unevéritable écologie humaniste. “Le mot de Descartes,“l’Homme doit se r<strong>en</strong>dre maître et possesseur de lanature”, reste valable. La nature ayant été un peubousculée, doit être protégée, mais toujours pour servirl’homme et non l’inverse. C’est ça la véritable écologie !”s’<strong>en</strong>flamme le navigateur.Terre-Océan durera deux ans : “On est dans le tempslong, à l’inverse de la mode actuelle, constate non sansplaisir le capitaine, mais il faut bi<strong>en</strong> ça pour accomplirtoutes les ambitions de cette mission : <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t,modifications climatiques, état des eaux et pollution,étude de la biosphère, observation des territoires,rapport <strong>en</strong>tre les hommes et leurs milieux…, et d’insister,tout <strong>en</strong> favorisant le dialogue des cultures avec lespeuples concernés !”© La Boudeuse / J.Bock© La Boudeuse / J.Bock © La Boudeuse / J.Bock“R<strong>en</strong>dre l’av<strong>en</strong>ture féconde”“Notre mission part à la découverte des territoiresinquiétés par la montée des eaux, les régions déforestées,les fleuves pollués par l'exploitation aurifère, leszones de pêche asséchées et toutes les problématiqueshumaines posées par ces changem<strong>en</strong>ts.”Son cap ? Les territoires des grands fleuves sud-américainsAmazone, Orénoque et Paraná, les canaux dePatagonie, puis des îles “isolées” de l'océan Pacifique.La Boudeuse va d’abord s'<strong>en</strong>gager dans l'Amazonepour étudier la déforestation et les effets de la pollutionpar le mercure des orpailleurs des deux grandsfleuves frontières de la Guyane. Les membres de lamission s’intéresseront aussi aux peuples indi<strong>en</strong>s decette zone dont les limites territoriales ancestralessont sans cesse repoussées. Patrice Franceschicontinuera sa route au sud du Brésil, où l'équipeétudiera les impacts de l'urbanisation sauvage.En octobre, La Boudeuse pénétrera pour trois bonsmois dans les canaux de Patagonie où la mission sep<strong>en</strong>chera notamm<strong>en</strong>t sur les problèmes posés par lapêche ext<strong>en</strong>sive et par la colonisation des terresvierges. En 2011, “pour étudier, sauver ce qui peutl'être et conserver une trace de ce qu'il sera impossiblede sauver”, la mission explorera trois îles emblématiquesde la problématique de la montée des eaux, <strong>en</strong>Polynésie, <strong>en</strong> Micronésie (à l’Est des Philippines) et <strong>en</strong>Mélanésie (Nouvelle-Guinée, Nouvelle-Calédonie,Fidji). L'étude de ces terres vouées à la disparitionpermettra d'analyser les conséqu<strong>en</strong>ces du réchauffem<strong>en</strong>tclimatique pour de nombreuses communautéshumaines.L’homme au cœur du voyageL’<strong>en</strong>semble de la mission, précise Patrice Franceschi, sedéroulera dans un esprit particulier : “celui du siècledes Lumières, quand il y avait cette foi dans la sci<strong>en</strong>ce,dans l'homme, dans le progrès. Il ne s'agira pas icid'avoir une vision qui diabolise l'homme et qui sacralisela nature “.Les résultats des études seront publiés pour lacommunauté sci<strong>en</strong>tifique et à destination du grandpublic. L’équipage rédigera son journal de bord surle site internet* de l’expédition. “Cette mission doitaussi faire rêver. Il y aura donc des films pour FranceTélévisions, des livres chez Gallimard et Plon et desgrands reportages pour l’Ag<strong>en</strong>ce France Presse”.Le retour de La Boudeuse est prévu pour début 2012…A moins que les découvertes sur le terrain n’exig<strong>en</strong>tune plus longue investigation ? * http://la-boudeuse.org/Côte-d’Or magazine I N°100 I <strong>Mars</strong> <strong>2010</strong>RENCONTRE27