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Intervention de Catherine Giraud, Psychologue à AgroParisTech

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1° La sélection <strong>de</strong>s parcours d’excellence : l’effet « remontée <strong>de</strong>s saumons »« Tenir coûte que coûte », chuter, se relever…lutte parfois terrifiante, toujourslaborieuse, pour « pondre à la source », éliminer les concurrents, trouver lasuprême énergie (le « coup <strong>de</strong> reins ») pour vaincre l’obstacle, c’est à dire« intégrer »…2 ans d’efforts en prépa, parfois trois, voire plus, car la sélection commence enamont <strong>de</strong> la prépa (pour entrer dans la « bonne prépa ») et exige un parcourssans faille dans le secondaire, un « parcours d’excellence »…Pour les jeunes qui viennent <strong>de</strong> l’université, il a fallu construire les « possibles »en se démarquant <strong>de</strong>s autres, par la régularité, et/ou l’exhibition <strong>de</strong> compétences« remarquables » (en tout cas remarquées par les enseignants).C’est cette alternance <strong>de</strong> rythme entre :- 1° d’une part la course effrénée, c'est-à-dire la gestion quotidienne d’unniveau <strong>de</strong> stress élevé,- 2° et d’autre part l’effondrement <strong>de</strong> la tension une fois le concours passé,qui peut être à l’origine d’un fléchissement anxio – dépressif.1° Stress et anxiété :2° l’effondrement <strong>de</strong> la tension une fois le concours passé1° Stress et anxiété :On peut interpréter les épreuves « pour intégrer » comme une confrontation « enaccéléré » à <strong>de</strong>s perturbations répétées :- <strong>de</strong>s perturbations cognitives : comprendre, mémoriser, assimiler, unegran<strong>de</strong> quantité d’informations dans un temps « contracté » (cas <strong>de</strong> laprépa)- <strong>de</strong>s perturbations émotionnelles : supporter narcissiquement lesévaluations, souvent vécues comme <strong>de</strong>s « dévaluations » <strong>de</strong> la personne,lorsque les bonnes notes ne sont pas au ren<strong>de</strong>z vous et qu’on a toujoursété jusque là un bon élève.Tout ceci entretient un niveau élevé <strong>de</strong> stress qu’il faut « contenir » jusqu’auxconcours :3


eh oui… l’univers <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> école est somme toute assez banal, on y retrouvela routine scolaire rythmée par les évaluations,la satisfaction intellectuelle, qu’on imaginait absolument garantie, n’est pastoujours au RV, si bien que le « jeu <strong>de</strong> miroir » entre élève et enseignant, qui apu soutenir la réussite au concours, prend l’allure d’un « miroir aux alouettes »,d’un leurre, qui donne le sentiment d’avoir été dupé…« Tout ça pour ça ? »,sous - entendu, « pour si peu », c’est ce que nous disent certains élèvesdémotivés, qu’il faut ai<strong>de</strong>r à faire le <strong>de</strong>uil d’une représentation trop idéalisée,trop loin du réel, et à reconstruire un projet personnel qui n’avait jamais été mûrijusque là.2) La sensation <strong>de</strong> « vi<strong>de</strong> intérieur » une fois franchi l’obstacle :Pour une minorité, la réussite laisse durablement un sentiment <strong>de</strong> néant :Le combat cesse une fois l’épreuve franchie, et avec lui cesse une raisond’exister.Sans compétition, comment affirmer sa différence ?Parole d’élève : « Moi madame, j’ai toujours visé le concours, après, je ne voisplus rien…A l’arrivée à l’école, c’est comme si on avait brutalement enlevé lacloche sous laquelle j’étais resté 3 ans, c’est comme sortir d’une couveuse, on afroid… »Le risque, c’est <strong>de</strong> se laisser reprendre par <strong>de</strong> nouveaux défis,La course aux bonnes notes,Ou la multiplication <strong>de</strong>s engagements associatifs,Ou <strong>de</strong> repousser les limites, jusqu’à la conduite pathogène, addictive : l’abusd’alcool, <strong>de</strong> cannabis, d’internet, ou <strong>de</strong> séries télé, pour combler le vi<strong>de</strong>…5


2° La fonction assignée à l’enfant, qui peut être différente selon la placedans la fratrie :1° Fonction « d’affiliation » : être « l’avenir d’un passé » (« les héritiers »)2° Fonction <strong>de</strong> « thérapeute » : soutenir le ou les parents déprimés, ouatteints <strong>de</strong> maladie, en se montrant « sur – adapté », bon élève, sans « étatsd’âmes » pour soi - même, prévenant, capable <strong>de</strong> prendre en charge les frèreset sœurs, parfois jusqu’à l’épuisement.3°Fonction d’excitation ou d’agitation, qui est le moyen inverse <strong>de</strong> luttercontre la dépression dans la famille.Contradictions :- Etre « chargé <strong>de</strong> mission » par la famille a parfois un prix…lerenoncement aux rêves personnels…Quand, <strong>de</strong> + dans le circuit prépa, le futur se limite à <strong>de</strong>main, le prochain<strong>de</strong>voir, la prochaine disserte, comment penser l’avenir ?De fait, pour bcp <strong>de</strong> ces jeunes, les projets, c’est pour un futur lointain,celui <strong>de</strong> l’après concours, ou la sortie <strong>de</strong> l’école, ce qui limite l’horizon etrassure…Ainsi, les échéances sont toujours repoussées à plus tard, mais lorsqu’ellesse présentent, rien n’a encore eu le temps <strong>de</strong> mûrir, c’est la panique…- Les séparations douloureuses : lorsque la réalisation du projet (la réussiteaux concours) conduit au « lâchage » du jeune par ses parents, pour qui lecontrat est désormais « rempli », alors qu’il s’agit pour lui non d’une finmais bien plutôt d’un début :• le début <strong>de</strong>s choix réels, et donc <strong>de</strong>s renoncements, avec les doutesqui les accompagnent…- Lorsque le vécu narcissique <strong>de</strong>s parents au travail invali<strong>de</strong> toute foidans l’avenir en entreprise :• Peu <strong>de</strong> reconnaissance dans leur quotidien professionnel, voire vécu<strong>de</strong> « maltraitance ».• Pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> désinsertion, déclassement, chômage, qui altèrent lesmodèles parentaux, le + souvent le modèle paternel intériorisélorsque le père a été très idéalisé.- Lorsque les valeurs familiales sont entamées, voire s’effondrent sousl’effet d’une séparation conflictuelle du couple parental :7


Le système <strong>de</strong> défense psychique privilégié <strong>de</strong>s bons élèves contre les pulsionsc’est la sublimation, qui soutient le narcissisme par les bonnes notes,peut fixer le développement psychique sur la phase <strong>de</strong> latence, et « geler » untemps le processus d’adolescence :Par la sublimation, l’investissement sur un objet érotique est déplacé sur unobjet non sexuel, la création artistique et/ou les apprentissages, permettant ainsiune satisfaction d’ordre non sexuelle.De fait l’enfant <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> latence, quand il va bien, est curieux, intéressépar tout ce qu’on lui propose, il a envie d’apprendre et <strong>de</strong> découvrir ;ce faisant, il nourrit son narcissisme <strong>de</strong>s satisfactions tirées <strong>de</strong> ses réalisations, et<strong>de</strong> la reconnaissance qu’il retire auprès <strong>de</strong>s adultes (parents et enseignants) <strong>de</strong> sacapacité à se conformer à leurs attentes, et matérialisées par les bonnes notes.Or, la construction d’un narcissisme tout entier basé sur la réussite scolaire a seslimites et ses effets pervers…Les apprentissages peuvent <strong>de</strong>venir le lieu quasi unique d’une séduction tournéevers les adultes, parents et enseignants, et <strong>de</strong> la satisfaction personnelle :ces enfants puis adolescents <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s experts dans le « métier d’élève »,méticuleux, conformes aux attentes <strong>de</strong> leurs maîtres, « sur – adaptés » auxexigences du système, sous peine <strong>de</strong> culpabilité, du sentiment insatiable <strong>de</strong>« n’en faire jamais assez…Mais à force <strong>de</strong> réussir, ils captent <strong>de</strong> moins en moins l’attention, puisque le faitqu’ils soient <strong>de</strong>s « enfants sages et conformes » rassure les adultes :Parole d’élèves : « cela fait longtemps qu’on en me félicite pas, qu’on nem’encourage plus, et je ne suis donc jamais vraiment rassuré sur ma valeur »Et une fois passée la barrière <strong>de</strong>s concours, lorsque les enjeux se déplacent surd’autres terrains,comme la créativité,l’initiative,le sens relationnelou l’affectivité (temps <strong>de</strong>s rencontres, parmi lesquelles la rencontre amoureuse)On voit un retour brutal du pulsionnel, avec les « débor<strong>de</strong>ments » queconnaissent toutes les g<strong>de</strong>s écoles, notamment alcooliques…Ou bien à l’inverse un blocage du psychisme, car l’estime <strong>de</strong> soi <strong>de</strong>vientincertaine, l’individu se sent « à côté », inadapté…9


« d’accord je suis un excellent élève », me dit un élève en consultation « mais jene sais rien être d’autre »…C’est la souffrance <strong>de</strong> ceux qui se mettent « en marge » <strong>de</strong> la vie collective, quise classent eux – même, non sans humour d’ailleurs, parmi les « never – seen »(à polytechnique), les « nob » (les « nobody » à Centrale) les « mutos » à l’AgroParistech…Ils se ressentent comme <strong>de</strong>s « obscurs » et les « sans nom »pas à la hauteur <strong>de</strong>s nouveaux enjeux d’extraversion dans les soirées surtout, etils se replient honteusement.En stage ou à l’arrivée en entreprise, c’est la première confrontation à l’universprofessionnel qui peut bouleverser les bases <strong>de</strong> la sécurité interne, lorsqu’il nes’agit plus d’être un « bon élève » mais un professionnel adaptable (« flottementi<strong>de</strong>ntitaire » qui constitue une épreuve pour l’estime <strong>de</strong> Soi.Les élèves dénoncent dans tous ces cas leur incompétence dans les « habiletéssociales », celles qu’on n’apprend pas en classe, qui donnent une contenancedans le groupe, renforcent la confiance en soi dans la relation à l’autre,notamment dans les premiers temps <strong>de</strong> l’approche amoureuse…Or la tentation est gran<strong>de</strong>, dans ces moments <strong>de</strong> flottement i<strong>de</strong>ntitaire, <strong>de</strong>recourir à l’alcool ou les psychotropes pour « se donner une contenance », aurisque <strong>de</strong> rater l’objectif, car les effets <strong>de</strong> ces substances sont catastrophiques surla contrôle <strong>de</strong> soi lorsqu’on n’y est pas habitué (« tu t’es vu quand t’as bu »), quienferme dans un sentiment <strong>de</strong> honte propice au cercle vicieux <strong>de</strong> la dépendance.ConclusionMoments particuliers <strong>de</strong> confrontation à <strong>de</strong>s choix particulièrement sensibles etpropices à l’émergence <strong>de</strong> l’angoisse : mais Jean Piaget parlait du« déséquilibre créateur » comme un support du développement <strong>de</strong> l’individu…Occasion <strong>de</strong> s’ouvrir aux questionnements intimes normaux, et nonpathologiques, à ces âges <strong>de</strong> transition :« En fait, j'aimerais éventuellement venir vous rencontrer...ça bouillonnelà <strong>de</strong>dans, le lait aura peut-être besoin <strong>de</strong> débor<strong>de</strong>r, mais la tambouilleest plus ou moins appétente … »Cette élève <strong>de</strong> Télécom – Paris résume avec finesse et humour dans son mail pourprendre RV à la rentrée, toute l’ambigüité <strong>de</strong> son âge : le bouillonnement <strong>de</strong>squestionnements intimes certes, et les dérangements qu’elle entrevoit (ledébor<strong>de</strong>ment éventuel) mais aussi les bénéfices qu’elle anticipe dans le mêmetemps : « la tambouille pourrait être appétente ».10

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