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Magazine SWISSLIFE Printemps 2011

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Reeto von Gunten // 57Mon premier état second fut violent et ne me quittaplus pendant très longtemps. Près de 40 ans se sontécoulés depuis lors. Mais je me souviens encore trèsprécisément de chaque moment.Enfin, presque, car je ne me souviens pas du plus important:comment en suis­arrivé là? Je pense doncaujourd’hui que l’ennui est à l’origine de cette ivresse,comme c’est souvent le cas pour ces états seconds quigénèrent une certaine créativité.Tout est parti d’une Ford «Custom»Mustang de 1967. A cetteépoque, l’objet de notre désir s’appelait«Hot Wheels». Il s’agissait demodèles réduits à l’échelle 1:64,sans moteur, mais avec des roues àfort quotient de propulsion. Lesvoitures virevoltaient sur des railsen plastique orange que nous pouvionsassembler de manière à formerle circuit et les loopings denotre choix. Ma Mustang fonçaitsans trop patiner et ne cahotait passur le circuit. Mais tout cela ne devaitbientôt plus suffire à comblerles attentes d’un passionné decourse automobile. Nous avons donc commencé à fairedes expériences avec ces petits cylindres qui comportentune mèche et qui dégagent des étincelles sans exploser.Pour obtenir l’effet escompté, nous devions plierles pétards en deux et les coincer sous le hayon ou lescoller sur le toit du véhicule. Ainsi équipées, les voituresdéjà très rapides devenaient de véritables bombes quisurvolaient la piste à défaut d’y adhérer.Nous avons alors connu un nouvel état second.L’excitation avant l’apothéose, la fascination de lavitesse débridée, l’envie d’aller toujours plus loin ouencore cette agitation fébrile nous procuraient unevéritable ivresse. Et ma Mustang que je ne cessai demodifier était ma drogue. Mais la sensation de l’ivressene durait heureusement jamais longtemps. Ainsi, nousmesurions nos performances tous les jours. Qui va leplus vite, qui est le plus fou, qui fait une course à toutcasser? J’ai vécu des moments debonheur incomparables à cetteépoque. A tel point que j’ai gardéma Mustang trafiquée jusqu’à cejour. Des traces de brûlé à l’arrièreet sur le toit témoignent des nombreuxtests, modifications et coursesendiablées, et me rappellent ces intensesmoments d’ivresse.Depuis, la fascination de la vitessem’a bel et bien quittée. Mesfilles et la musique suscitent nettementplus d’enthousiasme, maisont aussi laissé quelques traces.Je suis père de deux enfants etje souffre d’acouphènes. Voilà, jecommence à comprendre que maMustang est la source de mes maux en écrivant ce texte.Je vais l’offrir à un ami. Pas parce que je pensequ’elle le mettra dans un état second. Mais parce que jecrois qu’il saura apprécier l’objet et son histoire. Peutêtreaussi parce que je suis convaincu que les souvenirsofferts durent plus longtemps.Reeto von Gunten écrit dans <strong>SWISSLIFE</strong> sur des choses qui racontent unehistoire. Cet animateur radio (DRS3), écrivain et conteur est captivé par lespetites choses qui font l’énormité de la vie.<strong>SWISSLIFE</strong> <strong>Printemps</strong> <strong>2011</strong>

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