François Naultfaçon à la fois impuissante, épuisante <strong>et</strong> inépuisable» 6 ? Le motif del'épuisement refait surface <strong>et</strong> l'on se voit obligé de limiter, decirconscrire, d'invalider presque, un discours à peine entamé.D'entrée de jeu, on doit accepter que c<strong>et</strong> essai dissimule peut-êtredavantage qu'il ne révèle. C'est que le lieu vers lequel on avanceest rempli de miroirs <strong>et</strong> de masques: «tout esprit profond a besoind'un masque; je dirais plus: un masque se forme sans cesse autourde tout esprit profond, parce que chacune de ses manifestations estcontinuellement l'obj<strong>et</strong> d'une interprétation fausse, c'est-à-direplate. 7 »6 Jacques Derrida, «Comment ne pas parler. Dénégations», dansPsyché. Inventions de l'autre, Paris, Galilée, 1987, p. 546.7 Friedrich <strong>Ni<strong>et</strong>zsche</strong>, Par-delà le bien <strong>et</strong> le mal, trad. C. Heim, (Coll.«Folio-essais», 70), Paris, Gallimard, 1987, § 40.4
Le discours de la doublure: <strong>Ni<strong>et</strong>zsche</strong> <strong>et</strong> la théologie négativeIILa question de l'identité de la théologie négative apparaîtredoutable. Traditionnellement, aucune théologie n'a revendiquéce titre comme tel 8 . Et s'il y a bien une histoire «officielle» del'apophatisme, qui nous ramènerait à la Bible elle-même 9 enpassant par saint Thomas d'Aquin 10 , on peut se demander s'il n'yaurait pas une histoire «apocryphe» de la théologie négative dontles linéaments demeureraient encore flous. La question «qu'est-ceque la théologie négative?» se verrait ainsi rem<strong>et</strong>tre à plus tard,elle se trouverait différée, renvoyée à un lointain incertain. Ilfaudrait plutôt se demander s'il y a une théologie négative; sedemander s'il est possible, s'il nous est permis, de parler de lathéologie négative. Car, comme le suggère Derrida, «peut-être ya-t-il là, cachée, remuante, diverse, hétérogène en elle-même, unemultiplicité de possibles, auxquels, trop massive <strong>et</strong> trop floue,l'unique expression de “théologie négative” resterait encoreinadéquate. 11 »8 À propos de Denys l'Aréopagite, Jean-Luc Marion note: «À notreconnaissance, Denys n'emploie rien qui puisse se traduire par«théologie négative». S'il parle de «théologies négatives», au pluriel,il ne les sépare pas des «théologies affirmatives»...» L'idole <strong>et</strong> ladistance, (Coll. «Livre de poche/Biblio essais», 4073), Paris,Grass<strong>et</strong>, 1977, p. 236. Voir Denys l'Aréopagite, Théologie mystique,III, 1032.9 On r<strong>et</strong>rouve dans l'Ancien Testament une théologie du Dieu invisiblequi semble ressortir à l'apophatisme. Le juif appréhende Dieucomme le tout autre <strong>et</strong> considère les théophanies divines ellesmêmescomme les manifestations d'un Dieu qui ne se donne pas àvoir. L'interdiction de toute figuration de Dieu procède de c<strong>et</strong>telogique. Voir entre autres: Ex 20,4; 34, 17; Lv 19,4; 26,1; Dt 4, 15-20; 5,8; 27,15.10 Somme théologique, I, q. 13, a. 1.11 Jacques Derrida, «Comment ne pas parler. Dénégations», dans op.cit., p. 545. Voir aussi Mark C. Taylor, «nO nOt nO», dans Derridaand Negative Theology, Harold Coward <strong>et</strong> Toby Foshay (ed.),5