Pascal DumasLa Nouvelle-Calédonie souffre d’un déséquilibre spatial mettant en évi<strong>de</strong>nceune dichotomie importante entre Nouméa, <strong>la</strong> capitale monopolistique et <strong>la</strong><strong>«</strong> <strong>Brousse</strong> ». Il convient <strong>de</strong> définir cette notion, que l’on ne peut restreindre au senscourant qui désigne une région inculte, sauvage ou simplement non urbanisée dansles zones tropicales. En Nouvelle-Calédonie, le sens commun du mot <strong>«</strong> <strong>Brousse</strong> »signifie davantage l’espace géographique en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> Nouméa. Il seraitd’ailleurs aujourd’hui plus juste <strong>de</strong> prendre en compte l’ensemble du Grand Nouméacomposé <strong>de</strong>s communes périphériques <strong>de</strong> Dumbéa, Païta et du Mont-Dore. <strong>Le</strong>terme <strong>«</strong> <strong>Brousse</strong> » traduit aussi le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie <strong>de</strong>s non-nouméens, c’est-à-dire<strong>de</strong>s Kanak qui vivent en tribus, mais aussi <strong>de</strong>s agriculteurs et éleveurs calédonienssouvent <strong>de</strong>scendants du bagne 1 que l’on nomme les broussards. Dans le cadre <strong>de</strong>cette communication nous en retiendrons particulièrement <strong>la</strong> définition <strong>de</strong> J.-P.Doumenge (1982) : <strong>«</strong> un univers rural à dominante mé<strong>la</strong>nésienne ».Pour atténuer le poids démesuré <strong>de</strong> Nouméa, une politique volontariste <strong>de</strong><strong>développement</strong> <strong>de</strong>s Province Nord et Îles est mise en œuvre par le biais <strong>de</strong>saccords <strong>de</strong> Matignon, signés en 1988. Aujourd’hui, nous disposons d’une vingtained’année <strong>de</strong> recul pour appréhen<strong>de</strong>r les changements intervenus. Il convient donc <strong>de</strong>s’intéresser à <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s résultats au niveau socio-économique mais aussi spatial.Quel bi<strong>la</strong>n du rééquilibrage peut-on dresser ? Quelle grille <strong>de</strong> lecture convient t-ild’utiliser pour mesurer <strong>la</strong> pertinence <strong>de</strong>s changements ? Et quelle est <strong>la</strong> traductionspatiale du rééquilibrage ? Bien que ces questions soient très ambitieuses, noustenterons d’y répondre.Un état <strong>de</strong>s lieux en 1988 : <strong>de</strong>s déséquilibres majeursD’importants déséquilibres démographiquesEn 1989, <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion néo-calédonienne s’élevait à 164 173 habitants (tauxd’accroissement annuel moyen <strong>de</strong> 2 %). Avec une <strong>de</strong>nsité <strong>de</strong> popu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> près<strong>de</strong> 9 hab/km², on relève le sous peuplement <strong>de</strong> l’archipel calédonien. Mais au<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cette faible anthropisation, <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion est surtout marquée par soninégale répartition, se concentrant principalement dans le sud et l’ouest <strong>de</strong> <strong>la</strong>Gran<strong>de</strong>-Terre. Ainsi, l’on note au recensement <strong>de</strong> 1989, un fort contraste entreles trois provinces : <strong>la</strong> Province Sud rassemble 71 % <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion du pays(165 000 habitants), suivi <strong>de</strong> <strong>la</strong> Province Nord (19 % <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion) et <strong>de</strong> <strong>la</strong>Province <strong>de</strong>s Îles Loyauté (10 %). Mais bien plus encore, c’est l’agglomération1. De 1864 à 1924 sur l’île <strong>de</strong> Nou, toute proche <strong>de</strong> Nouméa, l’administration pénitentiaire a tenuun bagne où furent déportés <strong>de</strong> nombreux prisonniers français <strong>de</strong> métropole (environ 21 000).170
<strong>Le</strong> <strong>développement</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>«</strong> <strong>Brousse</strong> » néo-calédonienne : mythe ou réalité ?urbaine du Grand Nouméa qui marque le déséquilibre démographique (fig. 1).Cette <strong>de</strong>rnière constituée <strong>de</strong>s communes <strong>de</strong> Nouméa, du Mont-Dore, <strong>de</strong> Paitaet <strong>de</strong> Dumbéa compte près <strong>de</strong> 150 000 habitants. Ainsi presque 2 calédonienssur 3 vivent sur environ 9 % <strong>de</strong> <strong>la</strong> superficie du territoire. D’autre part, onnote aussi l’existence d’un déséquilibre prononcé au p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> <strong>la</strong> répartition <strong>de</strong>sdifférentes ethnies. En 1996, les Kanak occupent à 98 % <strong>la</strong> Province <strong>de</strong>s Îleset sont aussi les plus nombreux dans le Nord (80 %). Nouméa, où seulement25 % <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion Kanak y vit, est en majorité européenne. Elle regroupeaussi <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions immigrées (93 % <strong>de</strong>s Wallisiens etFutuniens, 92 % <strong>de</strong>s Tahitiens, et 81 % <strong>de</strong>s Indonésiens par exemple).Figure 1 : répartition <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion communale en 1989.D’importants déséquilibres sociaux et économiques<strong>Le</strong>s institutions politiques et juridiques les plus importantes du pays selocalisent dans <strong>la</strong> capitale : le congrès, le gouvernement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Nouvelle-Calédonie,le haut-commissariat, les tribunaux, le sénat coutumier et d’autres institutionsimportantes. Seule Nouméa participe au rayonnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Nouvelle-Calédonie171