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L’éducation, une responsabilité partagée ?Dominique GLASMAN, professeur émérite de sociologie Université de Savoie.Pourquoi est-il difficile d’envisager, · Pour les entreprises, il est aisé d’observerau travers d’exemples, pour n’ende fait, une responsabilité éducativeciter qu’un, prenons celui de l’éducationau goût dans les écoles, leur vo-partagée ?Parce que l’évolution sociale, structurellement,ne conduit pas d’emblée à un de marché » et de conquérir de futurslonté manifeste de prendre « des parts« partage », même si certains aspects clients.conduisent, en même temps, à rendre ceCes mutations participent pleinementpartage plus souhaitable.à la diversification de la société qui seDu côté de l’école, des collectivités, des traduit par la moindre homogénéité desassociations, des entreprises et des parents,quelles sont aujourd’hui les lo-hétérogénéité en ce qui concerne les va-systèmes normatifs et une plus grandegiques à l’œuvre ?leurs et la culture à transmettre.· La place de l’école et de la certification · Face à cela, la famille est elle aussiscolaire dans le placement social se traduit,dans la socialisation des jeunes devenue plus perméable à l’extérieurfortement impactée. Alors qu’elle estgénérations, par une hégémonie à la (regard des institutions comme l’école,fois de l’école et de la forme scolaire ; et droit des enfants et donc droit de regardde la justice…), elle est en mêmececi, qu’on le veuille ou non. Au pointd’ailleurs que, selon les « partenaires » temps dans ce que l’on pourrait appelerune privatisation. J’entends par là lede l’école, on ait parfois à faire face àun certain « impérialisme de l’école », fait que les parents entendent prendrequi défendrait son « pré carré ».eux-mêmes les décisions qui concernentleurs enfants, et ne pas laisser ceD’autant que l’on a assisté depuis trentesoin ni à l’école, ni à aucune institutionou quarante ans à un recul des autressurplombante (qui d’ailleurs ne l’estinstances éducatives qui étaient des relaisà l’éducation familiale choisis parplus), comme l’Église.Au regard de ce constat et comme leles familles (mouvements de jeunes, patronages,scoutisme, …). L’école est deve-souligne C. Lévi-Strauss, on assiste aupassage d’une socialisation « verticale »nue instance essentielle dans la socialisationdes enfants et des adolescents, au de plus en plus « horizontale » (les jeunes(d’adultes à enfants) à une socialisationsens où elle est devenue, pour un long expérimentant entre eux les valeurs auxquellesils choisissent d’adhérer) ; c’estmoment de leur vie un passage obligé etdéterminant pour leur identité sociale une évolution qui, si elle n’élimine pasfuture, et en même temps elle se trouve les adultes, pose la question de leur place.confrontée à des problèmes qui ne relèventpas tous de sa compétence et qu’elle Roussel, nous ne sommes plus dans uneD’autant plus que, s’il faut suivre Louisne peut pas résoudre seule.société d’institutions (dans laquelle lesOr, des légitimités concurrentes apparaissent,s’affirment, sont revendiquées, le Parti, etc. disent la norme, contrôlentinstitutions comme la famille, l’Église,voire reconnues, citons :et régulent les comportements), maisdans une « société de pactes » (on passe· Les villes, qui, outre leurs prérogatives« traditionnelles », ont été ardentescontrat, on s’accorde, et les normes, loindans la mise en place des dispositifsd’être imposées par une institution surplombante,sont d’autant plus négociéescomme les « Contrats éducatifs locaux »qu’elles sont diverses et mouvantes).(CEL), les Projets éducatifs locaux (PEL),ou dans la « démarche dite de «VeillePendant longtemps, on peut dire quel’éducation a été une responsabilitééducative » ou encore de « Réussite éducative».partagée, mais elle l’était de fait, sansque ce soit un thème de discussion ou· Des associations, dont certaines étaientde colloque. Aujourd’hui, si cette idéedites naguère « complémentaires » de est énoncée, proclamée, si un tel motl’école, proposent des activités qui sont d’ordre « éducation responsabilité partagée» est affirmé, c’est vraisemblable-volontiers présentées comme utilespour l’école, comme si c’était la légitimitésur laquelle elles devaient s’ap-soi. Les évolutions dont je viens de parmentparce que cela ne va plus du tout depuyer maintenant ; ces associations ler rendent à la fois l’éducation problématiquepour tous (ce qui peut conduireexpriment des ressentis qui évoquentbien davantage une idée de concurrenceavec l’école.bilités sur les autres) et rendentà renvoyer les difficultés et les responsa-difficile,improbable, et en tout cas pas si « naturel» que cela le partage.Propos de combat, avant d’être éventuellementun propos de consensusL’idée de l’éducation responsabilité partagéeest une revendication source d’untrès grand débat. L’éducation est disputéeavant d’être partagée. À travers ce «mot d’ordre » s’exprime une revendication,mais de qui contre qui ?Contre l’école de la part :· Des élus locaux et des associations,« l’éducation n’est pas le monopole del’école ». Il y a de la part de ces « acteurs» revendication d’une place etd’un rôle pour les acteurs locaux, d’uneparticipation à la conception de l’éducation,voire revendication d’une « partde marché ».· Des entreprises, justement parce qu’enraison de ses enjeux aujourd’hui l’éducationest devenue un marché. Pendantlongtemps, les entreprises ont cherché,par l’intermédiaire de leurs représentantsprofessionnels, à peser sur le systèmeéducatif, souhaitant que celui-civeille à l’ « adaptation » des formationsau marché du travail. Depuis quelquesannées, leurs ambitions sont plusamples, puisqu’elles entendent parfoisformer elles-mêmes, (faire l’école dansun pays comme les États-Unis), exercerun contrôle sur l’attribution des diplômes.· Des parents : « l’école doit mieux instruire(mieux faire réussir) nos enfants,et elle doit aussi les éduquer en leur apprenantles règles de la vie en société.Partagée, cela signifie aussi, - et paradoxalementaprès ce que je viens de dire -« c’est pas moi » : en cas d’échec, l’écoleincrimine volontiers les parents (qui seraient« démissionnaires »), les parentsincriminent volontiers l’école qui n’instruiraitpas correctement les enfants etne leur apprendrait plus les règles de lavie en société.De quoi les acteurs peuvent-ils se prévaloir,quand ils revendiquent un partagedes responsabilités en matière éducative? D’une part de ce qu’ils sont : citoyens,professionnels, porteurs d’unelégitimité (institutionnelle, élective, dereprésentation), créateurs de richesse,ou enfin parents. D’autre part, de ressourceset de compétences.2 Décembre 2010 2012 - N° 45 40
Que signifie « responsabilité » dansl’idée de responsabilité partagée ? Ceterme peut recouvrir diverses significations: avoir son mot à dire, droit et devoirde concevoir / organiser / conduirel’éducation, avoir à en répondre, allierce qui est commun à tous (si c’est envisageableet possible) et ce qui est propre àchacun des acteurs. Et cela conduit aussià se demander avec qui on est prêt à partagerles responsabilités éducatives. Cequi impose aussi de se demander avecqui on n’est pas prêt – et pour quellesraisons publiquement affichables – à lespartager ?Ne pas être seulEnfin, dire que malgré tout « l’éducationest une responsabilité partagée », c’estaussi affirmer l’intérêt qu’il y a à ne pasêtre seul à affronter les tâches éducativesqui apparaissent à tous de plus enplus complexes ; c’est tenir un proposqui relève à la fois, et de manière variableselon les acteurs et les moments,de la revendication, de la défausse et del’appel à l’aide.Mais dire que l’éducation est une responsabilitépartagée, c’est, qu’on le veuilleou non, proclamer, contre certainestendances déjà présentes, que l’éducationreste, de façon majeure, une affairepublique. Il y a lieu de se ressaisir, ensemble,de la question de l’éducation,s’il y a encore, au niveau local comme auniveau national, un projet de – commeon dit – « faire société ».Refaire l’école :« L’éducation relève-t-elle d’une compétence partagée ? »Yves FOURNEL, Adjoint au Maire de Lyon, délégué à l’éducation, à la petite enfance et à la place de l’enfant dans la ville de Lyon,Président du Réseau Français des Villes Éducatrices.En préambule, il faut souligner que depuisquatre ans, cette question est aucœur de l’Appel de Bobigny qui a regroupéparents, enseignants, associationscomplémentaires de l’école et de l’éducationpopulaire, élus et professionnelsdes collectivités territoriales, pour unemobilisation sans précédent autour del’éducation et la formation de la petiteenfance et tout au long de la vie.Depuis près de quinze ans, les Projetséducatifs locaux (PEL), ou Projets éducatifsde territoires, mis en place dansde nombreuses communes, adhérentespour la plupart au Réseau Français desVilles Éducatrices, sont la preuve tangibleet formalisée que l’éducation nerelève pas d’une compétence unique etunilatérale, mais bien d’une compétencepartagée ou, mieux encore, de compétencespartagées.L’éducation doit porter sur tous lestemps et tous les espaces de vie de l’enfant.Elle doit prendre en compte l’enfantet le jeune, au-delà de leur statut d’élève,et les liens avec sa famille en intégrantleurs diversités sociales et culturelles.Les PEL portent des valeurs partagéeset des ambitions collectives : la luttecontre les inégalités, l’accès du plusgrand nombre aux apprentissages et auxconnaissances, à la culture, aux sports,aux loisirs, l’accès à la citoyenneté… etprévoient la mobilisation des énergies etdes compétences, la mutualisation desressources humaines et matérielles autourde ces objectifs.Le rapport de la concertation nationalepour la refondation de l’école reconnaîtl’utilité des PEL. C’est la première foisqu’ils vont être inscrits officiellementdans la loi, que le rôle des collectivitésest reconnu. La porte est entrouverte, ànous d’en saisir tous les possibles pourdévelopper concrètement notre conceptionglobale de l’éducation avec et bienau-delà de l’école.L’éducation relève des compétencesmultiples des acteurs présents sur tousles territoires : associations d’éducationpopulaire, équipes pédagogiques, collectivités,parents et jeunes eux-mêmes.Il est nécessaire qu’existe une réellereconnaissance de ces acteurs, chacundans son rôle, avec ses compétences etresponsabilités propres mais aussi seslimites, d’où la nécessité de changementde représentations et de postures mutuelles.Cela suppose un engagement, une véritablecoopération éducative et un travailen équipe des coéducateurs sur les différentstemps de l’enfant, dans le respectdes responsabilités de chacun, des missions,statuts et obligations de servicesdes différents professionnels.Compétences partagées également entreles collectivités : le Projet éducatif local(porté par les communes ou les intercommunalités,qui sont aujourd’huinombreuses à être dotées de compétencesenfance et éducation) doit êtrearticulé avec les projets éducatifs des départementset des régions. Les pratiqueset expériences doivent être partagéesdans une recherche d’équité entre lesterritoires (urbain/rural ; agglomération/commune).Nous savons également que les rythmesscolaires vont être modifiés : cette réformeest bien entendu une réforme desrythmes de l’enfant, sur tous les temps.Elle oblige à réfléchir ensemble l’articulationet les contenus de ces temps et detoutes les actions éducatives scolaires,périscolaires et extrascolaires. C’estun levier et une chance pour s’inscrired’emblée dans un projet éducatif globalde territoire. La mise en œuvre de nouveauxrythmes ne peut aller sans la démarchede Projet éducatif local.Nous avons aujourd’hui l’ambition d’inciteret soutenir les autres communesou intercommunalités à mettre en placede véritables projets éducatifs de territoires,en partenariat avec la Ligue del’enseignement, les Francas, l’AssociationNationale des Directeurs Éducationdes Villes (Andev) et tous ceux qui voudraients’associer.Pour ce faire, nous devons entrer plusprécisément dans le chantier de la« gouvernance » et du fonctionnementdes PEL autour des notions de cocontractualisationdu projet éducatif, decontractualisation pérenne, de pratiquespartagées de diagnostic et de bilan, dereconnaissance du rôle de la communeou de l’intercommunalité.Les mois qui viennent vont nous demanderpartout un travail de réflexion et deconstruction commun. Aussi, nous mettonsactuellement en place des assiseslocales de l’éducation, dans 6 régions deFrance. Elles se tiendront au printemps2013 et permettront l’accompagnementet le développement des Projets éducatifsde territoires.Les débats de Solidaires supplément de la Revue du réseau national des PEP 5-7, rue Georges-Enesco 94026 Créteil Cedex Tél. : 01 41 78 92 60 E-mail : accueil@lespep.orgDirecteur de la publication : Jean-Pierre Villain Responsable de la rédaction : Patricia Palu Conception-réalisation : Agence Claude Huault (Paris 2 e ) Décembre 2012 - N° 45 3
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