DOROTHY NAPANGARDI ROBINSONPour apprécier <strong>le</strong>s peintures aborigènes, il faut accepter que notre façon habituel<strong>le</strong> de penser, de comprendre n’est pas unique. Mais il est aisé de constater que cespeintres sont de véritab<strong>le</strong>s artistes, et vont, bien au-delà d’une maîtrise et d’un jeu technique exceptionnels, pour déboucher sur un quelque chose qui nous touche.C’est <strong>le</strong> cas de cette artiste maintes fois primée.Dorothy a commencé à peindre en produisant des œuvres sur <strong>le</strong> thème du Rêve de Bananier Sauvage avec un rendu très réaliste, proche des œuvres d’EuniceNapangardi. Puis dans <strong>le</strong> milieu des années 1990, on constate un bascu<strong>le</strong>ment. Sa peinture prend un aspect très abstrait dont <strong>le</strong> rendu est particulièrement proched’œuvres d’artistes contemporains occidentaux.Sa <strong>le</strong>cture des motifs traditionnels est tout à fait personnel<strong>le</strong>, presque illisib<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s autres initiées. C’est que Dorothy est autiste (légère), el<strong>le</strong> est très intériorisée etde fait, produit une œuvre très à part dans l’art aborigène. El<strong>le</strong> a d’ail<strong>le</strong>urs quitté Yuendumu (mais y retourne souvent, nous l’y avons rencontré lors de notre derniervoyage) mais reste très proche d’autres initiées, surtout de Judy Watson Napangardi qui peint <strong>le</strong>s mêmes thèmes, associés au site de Mina Mina, aux cérémonies quis’y dérou<strong>le</strong>nt et au Rêve du Bâton à Fouir. Malgré ce repli sur el<strong>le</strong>-même, el<strong>le</strong> voyage. El<strong>le</strong> aime se rendre aux Fidji, î<strong>le</strong>s d’où est originaire son mari, et affectionne derester des heures à la plage, ce qui n’est pas commun pour une aborigène du désert.Dorothy est fina<strong>le</strong>ment une artiste dont la production est assez peu typée « aborigène ». C’est comme cela que l’on mesure la révolution qu’el<strong>le</strong> a introduite en changeantde sty<strong>le</strong>. C’est aussi probab<strong>le</strong>ment un des éléments qui a permis <strong>le</strong> succès de Dorothy, en élargissant son audience. El<strong>le</strong> séduit <strong>le</strong> regard par ses nuances, soncôté très technique et <strong>le</strong> succès est quasi immédiat et durab<strong>le</strong>. Les institutions, <strong>le</strong>s critiques, <strong>le</strong> marché, <strong>le</strong>s col<strong>le</strong>ctionneurs sont sous <strong>le</strong> charme et rapidement Dorothys’impose comme l’une des grandes artistes australiennes. Mais la réussite est aussi venue de sa médiatisation intervenue grâce à ses nombreuses récompenses etprix * et à sa monographie publiée par <strong>le</strong> Museum of Contemporary Art de Sydney lors d’une très bel<strong>le</strong> exposition que lui consacra <strong>le</strong> musée de décembre 2002 àmars 2003.Depuis <strong>le</strong>s expositions se sont multipliées à travers <strong>le</strong> monde et <strong>le</strong>s institutions ont acquis des œuvres de Dorothy. **C’est aujourd’hui l’une des artistes <strong>le</strong>s plus célèbres et <strong>le</strong>s plus cotées de ce mouvement artistique.El<strong>le</strong> fait partie de ceux qui, ouvrant la voie à d’autres et introduisant encore plus de liberté dans la peinture et la <strong>le</strong>cture personnel<strong>le</strong> que chaque initié donne à sonRêve, contribue à modifier l’image de l’art aborigène auprès du public occidental. Mixe entre connaissances traditionnel<strong>le</strong>s et vision personnel<strong>le</strong>, tel est l’art de DorothyNapangardi et celui des autres maîtres de la peinture aborigène.Les toi<strong>le</strong>s que nous présentons montrent comment avec une même technique simp<strong>le</strong>, la répétition de petits points réalisés à l’aide d’un bâtonnet et d’un nombre deteintes très limité (souvent juste du blanc sur un fond noir), on peut obtenir un résultat très diffèrent tout en gardant un sty<strong>le</strong> homogène, faci<strong>le</strong>ment identifiab<strong>le</strong>. Sescompositions très méticu<strong>le</strong>uses et <strong>le</strong>s mouvements rythmiques qui en décou<strong>le</strong>nt captent parfaitement l’atmosphère si particulière du désert.26 I30 mai 2010 - 18h IGAÏA I
Le très beau mouvement du lot 49 semb<strong>le</strong> reprendre <strong>le</strong> rythme des chants et des pas lourds et cadencés des danses cérémoniel<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong> a juste rehaussée <strong>le</strong>s motifsd’un peu de jaune et de b<strong>le</strong>u, ce qu’el<strong>le</strong> fait souvent pour cette série peu commune.Quant au lot 46, <strong>le</strong>s cerc<strong>le</strong>s concentriques si présents en général dans la peinture aborigène y sont remplacés par des corol<strong>le</strong>s de dentel<strong>le</strong>s de matières blanches sur<strong>le</strong> fond noir. Vision personnel<strong>le</strong> des motifs associés au site de Mina Mina dont Dorothy est l’une des gardiennes.Les lots 48 et 50 sont peints sur un fond ocre / rouge. C’est assez inhabituel car Dorothy, très superstitieuse n’aime guère peindre avec ces teintes (la grande majoritédes fonds sont noirs, rarement blanc, b<strong>le</strong>u, ou donc rouge). L’intérêt du lot 48 est aussi dans <strong>le</strong> vide du milieu. Dorothy peint de façon compulsive et <strong>le</strong> reprochequ’on pourrait lui faire, réside dans la difficulté qu’el<strong>le</strong> a parfois, quand el<strong>le</strong> se sent moins bien, à s’arrêter. Ici cependant, <strong>le</strong> motif est parfaitement équilibré, aéré.Nous ne sommes pas loin de ses séries où toute la toi<strong>le</strong> est emplie de lignes formant un quadrillage plus ou moins serré, où parfois <strong>le</strong>s mouvements provoquent unétrange effet visuel : on à l’impression d’une force souterraine (ses peintures sont comme une vue aérienne du site sacrée de Mina Mina) qui cherche à émerger commece fut <strong>le</strong> cas au Temps du Rêve (cette période qui marque <strong>le</strong> temps de la création du monde par <strong>le</strong>s Ancêtres issus du monde sacré du Rêve). Le rendu est alorsproche de la terre craquelée lors de la période sèche et des remontées de sel.Des œuvres donc d’une grande comp<strong>le</strong>xité malgré l’apparente simplicité technique. El<strong>le</strong>s ramènent à la sensibilité de Dorothy, à sa propre vision du site dont el<strong>le</strong> estla gardienne spirituel<strong>le</strong>, à l’histoire et à la géographie de cette partie du Désert Central et aussi et surtout à l’expression de sa puissance artistique.*(1991, lors du 8 e National Aboriginal and Torres Strait Islander Art Award, 1998, Premier prix, Northern Territory Art Award, 1999, Highly Rommended, 16 e NationalAboriginal and Torres Strait Islander Art Award, 2001, premier prix 18 e National Aboriginal and Torres Strait Islander Art Award).** Col<strong>le</strong>ctions : AGSA, FK, KLC, LM, MAGNT, MC, NGA, NGV, RKC,…46 - DOROTHY NAPANGARDI (ROBINSON)Salt on Mina MinaAcrylique sur toi<strong>le</strong> - 120 x 300 cm - 2008Ethnie Warlpiri - Désert Central20 000 / 25 000 €I GAÏA I 30 mai 2010 - 18h I 27