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Cahier spécial Mouvement - Centre culturel suisse

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Page arrachée / Martin R. Dean, la ballade de Billie et JoeMais Joe a une relation compliquée à la Suisse. Dans l’hôtel en forme de boîte, sur la haute falaise surplombant le lac,où ils sont descendus après avoir fui leur ville, Billie commençait déjà à rêver de cette Suisse miniature. De ce modèle réduitavec les reproductions des châteaux, des monuments et des curiosités de l’Helvétie. Avant d’avoir vraiment pris la fuite,elle voulait déjà rebrousser chemin pour venir ici. Il était debout à la fenêtre, les mains enfoncées dans les poches de sonpantalon et regardait de l’autre côté, vers l’Italie. Que veux-tu que je fasse, demande-t-il à Billie, dans cette maison de poupéenationale. Encore un hommage à ton enfance, pacre que tu ne peux vraiment dire adieu à rien ni à personne.Mais Joe ne sait pas quoi faire de ces maisons et de ces petits châteaux. Il travaille dans ce pays, il y habite, mange, dortet aime, mais pour lui ce pays n’a pas de véritable histoire. Bien sûr, il va de temps en temps voir un match de foot, il siffleet tape des pieds pour l’équipe locale. Pas comme Giorgio et Vanuzzi qui ne se mettent à transpirer que pour la Juventusde Turin ou l’Inter de Milan ou l’A.S. Rome. Mais dans le fond, tout ce qui est <strong>suisse</strong> le laisse froid, et même, depuis cesdeniers temps, lui déplaît. Il y a de plus en plus de Suisses déclarés parmi les gens du pays, et par conséquent de plus en plusde gens qui n’en font pas partie. Pour avancer, il n'a pas besoin de sentiment national, a-t-il dit à Billie, seulement de bonneschaussures. Même le tunnel du St-Gothard, qu’ils ont franchi ce matin, ne lui inspire aucune fierté. Le fait que sa constructiona coûté la vie à tant de ses compatriotes italiens ne le touche pas. La mafia en tue autant en une semaine, dit Joeen appuyant sur l’accélérateur.Mais elle se demande s’il se sent vraiment si étranger à ce pays où elle est chez elle. Peut-être est-elle une ferventedu terroir, une maniaque du pays natal. Pourtant elle ne supporte pas plus que lui toutes ces balivernes nationalistes.Si elle était suédoise ou finlandaise, est-ce qu’elle n’aimerait pas tout autant ce qu’elle a devant elle. Le pays et les arbreset les routes.Si Joe ce méfie de tout, c’est peut-être parce qu’il n’est chez lui nulle part. Un citoyen de deuxième classe. Sa grimacedès qu’il voit claquer un drapeau <strong>suisse</strong>. Sa fureur agressive quand retentissent des cloches de vache. Mais elle aussi.Pourquoi a-t-elle tant de mal à lui dire où s’arrête ce qui est autochtone et où commence ce qui appartient à tous. Ou bienn’est-il pas trop fier, tout simplement, pour reconnaître que lui aussi en fait partie. Son sentiment d’être étranger, n’est-cepas quelque chose qu’il transporte avec lui, où qu’il aille. Et où s’arrête ce sentiment : devant elle, Joe, ou encore ailleurs.Ou peut-être fait-il seulement semblant, pour en tirer un sentiment de supériorité.Texte extrait du roman LA BALLADE DE BILLIE ET JOE, de Martin R. Dean, traduit de l’allemand (<strong>suisse</strong>) par Sivylle Muller, éditions Circé, 2003 (© Carl Hanser Verlag, Munich, Vienne, 1997, pour le texte original).

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