20Mondomix.comPlusqu’indignésAprès huit années d’expériences individuelles, les Toulousains de Zebda sont de retouravec Second Tour. Artistes-citoyens défendant une société du vivre-ensemblequi assumerait sa diversité, Magyd Cherfi, Mouss et Hakim Amokranenous livrent leurs regards sur la France d’aujourd’hui.Propos recueillis par : Ludovic Tomas Photographie : D.R.« La notion d’intégrationest un gros motauquel on répond “intégrité” »HakimBande dessinéeMouss est plutôt L’écho des savanes,Fluide glacial et Persépolis de MarjaneSatrapi ; Hakim se régale avec Astérix etl’œuvre de Tardiavec, Magyd dévore LeCombat ordinaire de Manu Larcenetn On retrouve dans les textes de Second Tour les thématiquescitoyennes qui vous sont chères, avec le sentiment que rien n’achangé depuis vos débuts. Quel regard portez-vous sur la Francede 2012 ?Magyd : Ce sont en effet les mêmes thèmes, avec des axes différents. Noschansons d’il y a vingt ans feraient toujours sens aujourd’hui. Ce qui nousdonne une impression de pédalo, de statu quo social, et même d’aggravationdes choses. Notamment au niveau du regard porté sur l’immigration, avectoutes ces phrases balancées tous azimuts qu’on peut entendre ici et là.Quelque chose d’horrible flotte dans l’air du temps, comme si la « décomplexion» raciste constituait une forme de modernité.Mouss : On constate un prolongement, voire une institutionnalisation, de cequ’on dénonçait à l’époque. A commencer par l’ultralibéralisme. Le poidsdu pouvoir économique s’est considérablement accentué. Alors qu’on savaitles sociétés néolibérales dangereuses, susceptibles de déconstruire desacquis sociaux, elles n’ont fait que se renforcer, jusqu’à créer des sous-catégoriesde précaires et d’exclus. Des oppositions entre les populations de cepays ont été faites, dont les victimes sont souvent les personnes héritièresde l’immigration postcoloniale, stigmatisées comme jamais. Et l’abandon dumouvement associatif par la démission de l’Etat provoque des catastrophesdans les quartiers populaires.n Second Tour sort dans un contexte politique particulier. Allezvous,à votre manière, faire campagne ?Magyd : Le fait que nous soyons tous intéressés par la chose politique noussitue presque en permanence dans une sorte d’actualité. Pour ne parler quen°49 Jan/Fev 2012
Musiques21de la période récente, nous avons vécu très intensément lesrévolutions arabes, puisqu’issus de ces pays par nos parents.Ce n’est donc peut-être pas un hasard si on débarque au momentdes élections, avec le climat raciste et la désagrégationsociale qui vont avec. On ne détient pas la vérité absolue, onporte simplement notre parole, singulière. Nous sommes fondamentalementpolitisés tout en faisant gaffe à ne pas fairela confusion entre l’artiste engagé qui amène une énergie, unéclairage, et l’homme politique censé répondre à des problématiques.Hakim : On sera en tournée au moment des élections, on vaforcément prendre la parole. Il faut faire plus que s’indigner àce niveau-là. On a envie que le pouvoir en place tombe, maison ne donnera pas de chèque en blanc.Mouss : Dans le marasme actuel, on a besoin de choses quinous font du bien et la musique et l’art en font partie. L’actionpolitique également. Mais on n’a en aucun cas l’ambition etla prétention de dire qu’on va changer le monde. On voit bienles difficultés que connaissent les militants progressistes. Entant que citoyens, il nous arrive d’être désespérés. En tantqu’artistes, jamais ! Parce que nous possédons le privilège del’expression, que nous essayons de donner une bande originaleà nos vies, ainsi qu’à celles, peut-être, d’autres personnes.n En tirant les leçons de l’aventure du mouvementMotivés 1 , seriez-vous prêts à retenter une expérienceélectorale ?Magyd : Je ne crois pas, car ce genre d’expérience est unique.On a vécu quelque chose d’exceptionnel. Un apprentissagedémocratique de l’intérieur, avec toute la force et tout le dangerde l’utopie. L’échéance électorale a donné de la vigueur àla troupe, mais une fois la sentence tombée, tout s’est éteint.Lorsqu’on prétend améliorer le sort des plus fragiles, on seretrouve confrontés à toutes les vicissitudes.Hakim : On a voulu mettre un coup de projecteur sur ce mouvement,alors que les gens nous voyaient à la mairie. Mais ona profité de l’expérience pour s’initier à des causes commele féminisme ou la lutte contre l’homophobie. On a pénétré lachasse gardée électorale de notables toulousains. Alors cesderniers ont lâché les chiens parce que, normalement, le peuplen’y a pas droit d’accès.n Pensez-vous que les quartiers populaires peuventêtre le lieu de départ d’un mouvement de régénérationde la citoyenneté et de la politique ?Magyd : Pour avoir connu les mouvements Beurs, je suis trèsréservé. Le danger est de se retrouver entre gens issus d’unemême histoire géographique et culturelle. Comment peut-on proposerune alternative fondée sur des valeurs universelles quandon est, par exemple, une majorité originaire du Maghreb ?Hakim : Il existe un potentiel dans ces quartiers. Je ne crois pasque les jeunes se désintéressent de la politique. Mais de ceuxqui la font, sans doute. Du fait de la société néolibérale, la premièreidée qui circule est qu’on ne s’en sort que par l’argent.Une majorité de ces jeunes vont à l’école et ont leur petit traintrain.Mais leur code postal fait qu’ils sont discriminés.Mouss : La problématique des quartiers populaires est indissociablede l’histoire de l’immigration postcoloniale - ce sont lespopulations issues de ces pays qui y vivent. La discriminationest plus grave en France que dans certains pays au modèlesocial pire que le nôtre. Quand des jeunes partent travailler enAngleterre ou aux Etats-Unis, pays socialement catastrophiques,ils disent : « un poids m’a quitté ». Cette problématiquen’est pas considérée à sa juste mesure, y compris par la gauche,qui lui préfère la lutte des classes.n L’immigration et son héritage donnent lieu à desdébats parfois indignes de notre histoire, comme celuisur l’identité nationale. De quelle société du vivreensemblerêvez-vous ?Hakim : Le fait de vivre tous ensemble est inexorable. Pournous, qui sommes français et dont les parents sont installés icidepuis cinquante ans, la notion d’intégration est un gros motauquel on répond « intégrité ». Même le terme « diversité » estgalvaudé : ce n’est pas les Noirs, les Arabes, les Chinois d’uncôté et les Français et les Européens de l’autre. La diversité,c’est tous ensemble ! Mais la religion musulmane est stigmatisée.On a oublié 1905 et le principe de laïcité. Ce qui nousconduit parfois à défendre des choses qu’on ne défendrait passpontanément. Comme dans notre chanson Le Théorème duChâle : elle évoque la loi sur le port du voile qui, entre autresconséquences, empêche des mères d’accompagner leurs enfantsdans les sorties scolaires.Magyd : Sur cette question, j’étais plutôt pour une loi au nomde la laïcité, mais je sens bien que ces mesures sont islamophobeset arabophobes. Davantage que la diversité, nousdéfendons la complexité, qui est un peu le raffinement del’émancipation humaine. Est-ce qu’on peut être un bon Françaissans planter un drapeau bleu-blanc-rouge sur un balconou sans manger de porc ? On demande le droit d’être multiple,c’est-à-dire être Français sans en avoir les attributs millénairesoccidentaux. Quand on entend ce qui se dit sur le droit de votedes immigrés, on comprend mieux le message sous-jacent : lebon Français est blanc, masculin, catholique, notable, ventruet quinquagénaire. Comme à l’Assemblée nationale.1 Impulsée et soutenue par l’entourage de Zebda, la liste Motivés obtint 12,5% au premiertour des élections municipales de 2001 à Toulouse. Malgré une fusion entre les listesde gauche, la droite remporta les élections.n Zebda Le Second tour (Barclay)n concert Le 3 avril à L’Olympia à Parisn www.zebda.fr