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Jean Bond 002 Chapitre 3

Deux auteurs se disputent le même héros : un agent secret qui doit sauver le monde. L'un, écrivain plutôt traditionnel, met en scène d'un bout à l'autre l'histoire, décide du nombre de filles à baiser, de coups à recevoir et à donner, etc. L'autre auteur, quant à lui, donne carte blanche à son héros et lui délègue tout pouvoir en le laissant décider en son âme et conscience de ce qui est juste et bon. Qui l'emportera des deux auteurs ? Et le monde en définitive sera-t-il sauvé par cet agent double tiraillé entre ses deux maîtres et créateurs ?

Deux auteurs se disputent le même héros : un agent secret qui doit sauver le monde. L'un, écrivain plutôt traditionnel, met en scène d'un bout à l'autre l'histoire, décide du nombre de filles à baiser, de coups à recevoir et à donner, etc. L'autre auteur, quant à lui, donne carte blanche à son héros et lui délègue tout pouvoir en le laissant décider en son âme et conscience de ce qui est juste et bon. Qui l'emportera des deux auteurs ? Et le monde en définitive sera-t-il sauvé par cet agent double tiraillé entre ses deux maîtres et créateurs ?



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III.<br />

Son minable hôtel n’employant pas de groom, <strong>Jean</strong> <strong>Bond</strong> dut se mettre lui-même en quête<br />

d’un taxi. Fort heureusement, il en trouva un presque tout de suite, car le temps était couvert et la<br />

pluie menaçait de tomber. Une demi-heure plus tard, il se faisait déposer devant un vaste bâtiment<br />

tout d’acier et de verre dans la St James Street, là où l’attendait son chef suprême. Dehors, la pluie<br />

s’était déchaînée et il se retrouva tout trempé avant même d’avoir franchi le porche imposant du<br />

grand bâtiment.<br />

Comme à son habitude, miss Monkeypiggy, la sémillante secrétaire-standardiste-machine à café,<br />

l’accueillit avec son plus charmant sourire. <strong>Jean</strong> <strong>Bond</strong> n’eut pas à attendre longtemps après qu’elle<br />

l’eût annoncé et, sachant à quel point son maître et créateur était pressé de le voir, il s’engouffra<br />

plus qu’il n’entra dans le bureau.<br />

— <strong>002</strong>, vous avez encore manqué à vos obligations et omis de faire un brin de cour à ma secrétaire<br />

avant d’entrer ici. Combien de fois faudra-t-il vous répéter que je n’aime pas que l’on déroge aux<br />

usages de la maison. Je suis un homme de tradition moi.<br />

— Si vous trouvez patron que c’est marrant à une heure pareille et trempé comme je le suis de…<br />

— Je ne veux rien savoir. C’est dans votre contrat mon cher. Vous êtes tenu, ainsi que tout mon<br />

personnel, d’être disponible de jour comme de nuit. Quant à ma secrétaire, il fut un temps où vous<br />

aviez pour elle un tout autre regard.<br />

— Sans doute. Mais qui ne veut pas que je me marie ou qui fait mourir aussitôt celles à qui j'ai le<br />

malheur de passer la bague au doigt ?<br />

— Ça mon petit, ça ne regarde que moi et j’ai de bonnes raisons. Vous appartenez d'abord à mes<br />

lecteurs et lectrices. Et puis trêve de discussions oiseuses. Allez réparer votre oubli et dépêchezvous<br />

de revenir. Vous avez trois minutes comme d’habitude.<br />

Trois minutes plus tard, donc <strong>Jean</strong> <strong>Bond</strong> revint prendre les ordres de son supérieur après avoir<br />

dûment et réglementairement fait un brin de cour à la secrétaire.<br />

— Bien, parlons sérieusement maintenant <strong>002</strong>. L’affaire pour laquelle je vous ai convoqué est d’une<br />

extrême importance. Autant vous le dire, il s’agit d’un secret d’état.<br />

— Inutile de faire tant de simagrées avec moi, patron. Vous savez bien que le seul maître à bord,<br />

c’est vous et votre imagination et que vous divulguerez tout aux lecteurs dans quelques pages d’ici.<br />

— Silence quand je parle et un peu plus de respect je vous prie envers votre concepteur. Il faut<br />

toujours laisser croire au lecteur qu’il est le seul dans le secret des dieux. Ces confidences le<br />

valorisent et c’est tout bénéfice pour moi.<br />

Dites, à propos, qu’est-ce que c’est que ce trafic que vous avez combiné avec mon éditeur ? Je me<br />

suis laissé dire qu’il vous rémunérait pour que vous ne fumiez que des gauloises blondes tout au<br />

long de vos aventures. Mais c’est honteux ! Avez-vous oublié que vous êtes aux yeux du public un<br />

pur sujet de sa Majesté britannique censé fumer des Morland Special ? Vous trahissez les liens du<br />

sang mon cher. Des gauloises, non mais franchement c’est n’importe quoi ! Ça fait vraiment trop<br />

ringard. Pourquoi pas des cigarettes en chocolat aussi ! Vous allez me faire le plaisir d’arrêter ça<br />

illico. Je ne veux plus dorénavant que des anglaises de luxe. C'est pour ça qu'on me paye. Bien,<br />

revenons-en à notre affaire. Sachez mon ami que le sort du monde et l’avenir de nos enfants dépend<br />

du succès de ce bouquin…, euh, je voulais dire de cette nouvelle mission.


— Faites plus court patron. Tout ça c’est du réchauffé, du déjà vu. Et puis épargnez-moi l’histoire<br />

des enfants à sauver. Non seulement vous m’interdisez d’avoir des gosses mais vous voulez en plus<br />

que j’assure le devenir de ceux des autres. Si encore vous me laissiez avoir ma propre progéniture,<br />

ça pourrait mieux me motiver.<br />

— C’est hors de question mon ami. Créer oui mais procréer non. Je m’en tiens à ce principe. Vous<br />

êtes mon fils unique et nous passerons ensemble à la postérité mais sans la moindre postérité de<br />

votre part. Ça ruinerait votre carrière et mon économie personnelle. Je ne peux pas permettre un tel<br />

désastre. Considérez le sujet comme clos ! Je suis le seul qui ait droit au chapitre et ainsi en ai-je<br />

décidé. Compris ?<br />

— Bien, patron.<br />

— Bon alors reprenons. Vous n’ignorez certainement pas <strong>Jean</strong> que le monde est malade, et que<br />

comme d’habitude il traverse une crise sans précédent, dont il aura vraisemblablement du mal à se<br />

remette.<br />

— Je sais patron, c’est toujours comme ça dans vos œuvres. Pour faire bref, disons que le monde ne<br />

tourne plus rond, qu’il va se ramasser la gueule, que sa fin est proche et que c’est alors, que sans se<br />

presser, le grand double Zorro que je suis arrive pour le sauver.<br />

— Exact, <strong>002</strong>. Vous avez parfaitement résumé la situation. Mais puisque vous me pratiquez si bien,<br />

vous n’êtes pas sans savoir que mes œuvres s’inspirent directement de la réalité. Oui, quoique héros<br />

d’aventure, vous n’en êtes pas moins un personnage réaliste. Il faut que le lecteur puisse s’identifier<br />

à vous.<br />

Aussi, mon ami, gardez-moi toute votre attention car la situation aujourd’hui est plus préoccupante<br />

que jamais. Comme vous ne l’ignorez certainement pas, nous sommes, mis à part quelques pays<br />

émergents, un des pays qui progresse le plus rapidement et s’il n’est pas un des plus riches, il est<br />

cependant l’un des plus heureux.<br />

— Cela laisserait-il entendre qu’avec un peu plus de fric, tout irait pour le mieux dans le meilleur<br />

des mondes ?<br />

— En vérité, nous n’en sommes pas encore là et notre vénéré président, à qui nous devons ce<br />

bulletin d’optimisme, tremble aujourd’hui pour le bonheur de ses cons de citoyens. Vous n’ignorez<br />

pas que la paix dans le monde est depuis toujours ce qui préoccupe le plus nos gouvernants. Avec<br />

tout le succès que vous savez.<br />

Mais notre gouvernement qui, depuis que nous possédons la bombe atomique, figure parmi les<br />

plus grands et les plus capables, a délégué à d’autres nations ce problème pour se pencher plus<br />

particulièrement sur celui de l’avenir de nos enfants.<br />

Aussi a-t-il chargé une commission d’enquête, composée d’illustres hommes de science, de<br />

répondre à cette angoissante question : que laisserons-nous à nos chers petits dans la nouvelle<br />

société de demain ? Quel futur pour eux ?<br />

Imaginez <strong>002</strong> que je vous pose cette question. Vous seriez bien en mal d’y répondre, non ?<br />

— Et pour cause patron, je n’en ai pas moi d’enfants.<br />

— Ah suffit, vous n’allez pas recommencer avec ça. Il ne s’agit pas de vous ici, mais d’une<br />

question d’état.<br />

— Eh bien justement patron, puisque l’état ce n’est pas moi, laissez-le donc trouver tout seul une<br />

solution. Moi c’est pas ma tasse de thé que de cogiter sur le sort des générations futures.<br />

— Soyez tranquille <strong>Jean</strong> <strong>Bond</strong>. Le problème est déjà résolu. Désormais lorsque quelqu’un<br />

s’inquiétera devant vous du sort de nos enfants, vous pourrez vous sentir fier à juste titre<br />

d’appartenir au pays qui a su trouver le remède à tous les maux infantiles.<br />

— Ah oui ? Et quel est-il ?<br />

— Attendez un peu mon ami. Vous oubliez qu’un secret ne se lâche pas si vite. Il faut tenir<br />

l’haleine du lecteur le moins en fraîcheur possible. Et puis entre nous c’est maladroit de répondre<br />

directement à une question. On n’a pas le temps de soigner son style et il est bon de reprendre<br />

l’énoncé du problème dans sa réponse. C’est plus pédagogique et lorsqu’on me payait au mot,<br />

l’avantage était évident.<br />

— Ma parole vous cherchez à me faire mourir. Si vous ne voulez pas me le dire, gardez-le pour


vous votre secret et n’en parlons plus. Mais n’allez pas vous prendre pour Hitchcock. C’est pas<br />

votre registre et comme suspens on fait mieux.<br />

— Allons, pas tant d’impatience. Voici la suite. Ce que nous offrirons bientôt à nos enfants et que<br />

nous devons à ce grand pays qui est le nôtre, c’est le BONBOMBATOMIQUE !

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