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Les_enfants_de_l'aurore

Il n'était pas une fois, ni même autrefois, mais bien de nos jours, sur notre bonne terre, il y avait deux enfants qui vivaient librement, au coeur d'une forêt profonde, sans s'être jamais rencontrés.

Il n'était pas une fois, ni même autrefois, mais bien de nos jours, sur notre bonne terre, il y avait deux enfants qui vivaient librement, au coeur d'une forêt profonde, sans s'être jamais rencontrés.

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<strong>Les</strong> <strong>enfants</strong> <strong>de</strong> <strong>l'aurore</strong><br />

Philippe Ducourneau<br />

Oeuvre publiée sous licence<br />

En lecture libre sur Atramenta.net<br />

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<strong>Les</strong> <strong>enfants</strong> <strong>de</strong> <strong>l'aurore</strong><br />

Il n’était pas une fois, ni même autrefois, mais bien <strong>de</strong> nos jours,<br />

sur notre bonne terre, il y avait <strong>de</strong>ux <strong>enfants</strong> qui vivaient librement,<br />

au coeur d’une forêt profon<strong>de</strong>, sans s’être jamais rencontrés. Ces<br />

<strong>de</strong>ux <strong>enfants</strong>, éternellement solitaires, nés je crois <strong>de</strong>s amours d’une<br />

feuille et d’un vent qui passait, vagabondaient gaiement par la forêt<br />

sans même savoir ce qu’était la solitu<strong>de</strong>. Ils allaient <strong>de</strong>ci, <strong>de</strong>là,<br />

comme au gré d’un rêve, ignorant notre vie mo<strong>de</strong>rne et ce mon<strong>de</strong><br />

tout fier et acier, édifié à force <strong>de</strong> sueur et d’argent par <strong>de</strong>s hommes<br />

sans cesse affairés.<br />

Peut-être n’étaient-ils qu’un rêve d’ailleurs, car fort curieusement<br />

les <strong>de</strong>ux <strong>enfants</strong> disparaissaient sitôt qu’un être humain s’aventurait<br />

dans la forêt. Mais le plus étrange sans doute, c’est qu’ils n’existaient<br />

que le temps <strong>de</strong> l’aurore.<br />

Dès que celle-ci apparaissait pour remplacer une nuit tout<br />

engourdie <strong>de</strong> sommeil, les <strong>de</strong>ux <strong>enfants</strong> prenaient corps sur la terre et<br />

s’ébattaient dans l’immense forêt. Alors, sans se concerter, à <strong>de</strong>s<br />

miles et <strong>de</strong>s miles <strong>de</strong> distance, ils dédiaient à l’aurore un même<br />

sourire, aussi radieux que l’éclat d’un diamant. Et les feuilles au bout<br />

<strong>de</strong> leurs branches, toutes scintillantes du manteau glacé <strong>de</strong> la nuit,<br />

leur répondaient par mille feux <strong>de</strong> lumière.<br />

Après avoir salué <strong>de</strong> la sorte la nature, l’un <strong>de</strong>s <strong>enfants</strong> prenait un<br />

petit arrosoir, un arrosoir magique qui ne se vidait jamais, et il se<br />

mettait à déverser <strong>de</strong>s perles <strong>de</strong> rosée sur les feuilles et les herbes, et<br />

sur tout ce que la terre a créé <strong>de</strong> verdure au cœur vivant <strong>de</strong> la forêt.<br />

Qui lui avait confié cette tâche mystérieuse, et dans quel but ? Nul<br />

n’aurait pu le dire. Mais il l’accomplissait toujours avec le même<br />

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enthousiasme, la même ar<strong>de</strong>ur renouvelée. Son bonheur s’avivait <strong>de</strong><br />

voir un brin d’herbe, une plante, exhaler leur fraîche haleine, ou <strong>de</strong><br />

sentir chaque fibre <strong>de</strong> la forêt lui adresser au passage un vibrant<br />

merci. L’ivresse qu’il en ressentait était telle, que souvent <strong>de</strong>s larmes<br />

<strong>de</strong> joie frangeaient ses paupières. Comme <strong>de</strong>s perles superbes roulant<br />

sur ses joues roses, elles arrosaient les plantes alentours d’une chau<strong>de</strong><br />

ondée <strong>de</strong> bonheur, et surpassaient en magnificence l’éclat même <strong>de</strong> la<br />

rosée !<br />

Pendant ce temps, ailleurs dans la forêt, l’autre enfant, tenant en<br />

main une coupe, une coupe magique, elle aussi, qui ne débordait<br />

jamais, se livrait à une occupation non moins singulière.<br />

Il prenait soin d’abord <strong>de</strong> débarrasser la nature <strong>de</strong> toutes les<br />

gouttes impures s’épanchant <strong>de</strong>s blessures que l’homme sans cesse<br />

inflige à la vie et qui s’étaient déposées un peu partout comme un<br />

hi<strong>de</strong>ux manteau. Celles-là n’avaient pas l’apparence nacrée <strong>de</strong> la<br />

rosée, et il les reconnaissait toujours au premier coup d’oeil, sans se<br />

donner la peine <strong>de</strong> les chercher.<br />

Et ainsi rendait-il à la terre, sans même savoir d’où elles venaient,<br />

toutes ses eaux les plus viles, pluies aci<strong>de</strong>s ou sources polluées, et<br />

d’autres eaux bien plus mystérieuses encore, <strong>de</strong> l’eau <strong>de</strong> vie à l’eau<br />

<strong>de</strong> là ...<br />

Lorsqu’il avait fini d’épurer la nature et que seules les gouttes <strong>de</strong><br />

rosée jetaient leurs feux d’éclat, l’enfant ivre <strong>de</strong> plaisir les recueillait<br />

avec précaution dans sa coupe. Mais chaque fois, il était autant<br />

surpris que ravi <strong>de</strong> découvrir <strong>de</strong>s perles aussi belles que celles <strong>de</strong> la<br />

rosée, mais qui laissaient sur le bout <strong>de</strong> la langue un goût légèrement<br />

amer et salé...<br />

Ainsi vivaient éphémèrement les <strong>enfants</strong> <strong>de</strong> l’Aurore avant <strong>de</strong><br />

disparaître à l’approche du jour. Et sans doute seraient-ils restés sans<br />

jamais se connaître si les perles <strong>de</strong> rosée, dont ils prenaient tant <strong>de</strong><br />

soin, ne leur avaient glissé un jour au creux <strong>de</strong> l’oreille un conseil<br />

qui, venant <strong>de</strong> leur part, était bien naturel. Car c’est chose bien<br />

connue que <strong>de</strong> tout temps les perles <strong>de</strong> rosée ont été follement<br />

amoureuses <strong>de</strong>s roses. C’est dans leur cœur odorant qu’elles aiment à<br />

se nicher au petit matin, et nulle part ailleurs elles ne se savent mieux<br />

mises en valeur. Elles conseillèrent donc à chacun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux <strong>enfants</strong><br />

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d’aller faire un tour aux abords d’une gran<strong>de</strong> clairière, située à la<br />

lisière <strong>de</strong> la forêt.<br />

"Là-bas, vous trouverez les roses, leur avaient-elles dit et, sait-on<br />

jamais... peut-être découvrirez vous bien davantage encore. <strong>Les</strong> roses<br />

ont la réputation d’être <strong>de</strong> fines fleurs d’amour, à tel point que même<br />

les hommes, parfois, s’attendrissent et reconnaissent à leur vue,<br />

l’illusion <strong>de</strong> leur pouvoir et l’étendue <strong>de</strong> leur faiblesse".<br />

Il n’était besoin que <strong>de</strong> ce discours, pour que la curiosité si<br />

naturelle à l’enfance, conduisît les <strong>enfants</strong> <strong>de</strong> l’Aurore jusqu’à la<br />

clairière aux roses. Quels ne furent pas alors leur stupéfaction et leur<br />

ravissement à la vue <strong>de</strong> ces fleurs majestueuses qu’ils découvraient<br />

pour la première fois ! Jamais ils n’avaient rien contemplé <strong>de</strong> si beau.<br />

Des roses ! C’était donc si joli que ça les roses !<br />

Perdus dans leur ravissement, ils ne prirent même pas gar<strong>de</strong> l’un à<br />

l’autre. Mais aussi, mettez-vous à leur place. Eux qui n’avaient vu<br />

jusque là que <strong>de</strong> rares fleurs sauvages, comment n’auraient ils pas été<br />

éblouis par ces fleurs à la beauté somptueuse et au si capiteux<br />

parfum ?<br />

Si grand était leur émerveillement qu’ils <strong>de</strong>meurèrent longtemps<br />

comme enivrés sur place. Puis, le curieux besoin <strong>de</strong> partager avec<br />

autrui le bonheur dont leur âme était pleine les fit peu à peu sortir <strong>de</strong><br />

leur contemplation. C’est alors que <strong>de</strong> part et d’autre <strong>de</strong> la clairière,<br />

les <strong>de</strong>ux <strong>enfants</strong> s’aperçurent. Frappé <strong>de</strong> surprise, chacun <strong>de</strong>meurait<br />

immobile, dans une posture gauche et timi<strong>de</strong>, et le même air hébété<br />

transfigurait leur visage. Ils s’observaient, les yeux écarquillés, et à<br />

mesure qu’ils se dévisageaient une même incompréhension<br />

envahissait leur regard.<br />

Quel était donc cet être qui se tenait <strong>de</strong>vant lui ? Etait-ce un reflet<br />

renvoyé par une flaque d’eau ? Mais <strong>de</strong>puis quand les flaques d’eau<br />

se tenaient elles <strong>de</strong>bout ? Et puis, ça n’avait peut-être l’air <strong>de</strong> rien,<br />

mais il y avait aussi ces petites différences d’anatomie qui prouvaient<br />

bel et bien qu’un autre être se trouvait en face.<br />

Vivement intrigués, les <strong>enfants</strong> <strong>de</strong> l’Aurore firent quelques pas<br />

l’un vers l’autre. Quand ils ne furent plus séparés que par une courte<br />

distance, ils s’immobilisèrent <strong>de</strong> nouveau et continuèrent à se<br />

regar<strong>de</strong>r en silence. <strong>Les</strong> yeux ronds, la bouche gran<strong>de</strong> ouverte,<br />

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chacun contemplait dans le ravissement, cet autre enfant si semblable<br />

à lui même, qui le scrutait avec tant <strong>de</strong> curiosité.<br />

Enfin, s’enhardissant un peu, ils échangèrent un premier sourire,<br />

puis un autre, et, comme du cristal chutant en casca<strong>de</strong>, un rire jaillit<br />

soudain <strong>de</strong> leur poitrine, s’égrena en éclats sur leurs <strong>de</strong>nts et,<br />

emportés l’un vers l’autre, tous <strong>de</strong>ux roulèrent et boulèrent dans<br />

l’herbe verte, où ils batifolèrent tendrement.<br />

C’est ainsi que se connurent les <strong>enfants</strong> <strong>de</strong> l’Aurore, et nulle part<br />

ailleurs, même pas dans les contes, on ne vit plus merveilleuse<br />

rencontre. Car <strong>de</strong>puis lors, ils ne se sont jamais plus quittés et vivent<br />

un éternel bonheur au sein <strong>de</strong> la forêt.<br />

Et si par un hasard extraordinaire, il vous arrivait <strong>de</strong> les rencontrer<br />

un jour, à l’heure magique où ils s’occupent <strong>de</strong> la rosée, vous<br />

pourriez alors vous convaincre comme moi, qu’ils s’aiment<br />

passionnément, et que, sans jamais se marier, ils resteront toujours<br />

les plus beaux et les plus heureux <strong>de</strong>s <strong>enfants</strong> !<br />

6


FIN<br />

Merci pour votre lecture.<br />

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