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PHILIPPE_DUCOURNEAU Easy_writer.pdf

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<strong>Easy</strong> <strong>writer</strong><br />

Philippe Ducourneau<br />

Illustration de Francis Persu


<strong>Easy</strong> <strong>writer</strong><br />

Philippe Ducourneau<br />

Illustration de Francis Persu<br />

Œuvre publiée sous licence


Quelque part j’ai toujours associé la marque Harley<br />

Davidson au grand rêve américain, à cet immense<br />

désir de liberté, de tolérance, accordant à chacun<br />

le droit de vivre et de s’exprimer à sa guise. Mais<br />

je ne me suis jamais trop fait d’illusions quant à mes chances<br />

de posséder un jour l’un de ces bolides rutilants et<br />

superbes. Trop au- dessus de mes moyens, pensais-je. Eh<br />

bien, j’avais tort ! Grâce à la générosité d’un riche neveu<br />

d’Afrique qui se prenait pour le Père Noël, me voilà,<br />

depuis peu, l’heureux propriétaire de l’objet merveilleux si<br />

longtemps convoité : un stylo Harley Davidson à cartouche<br />

double injection incorporée. Et en version turbo, s’il vous<br />

plaît !<br />

Quand on connaît l’importance d’un stylo qui roule,<br />

pardon... d’un style qui coule comme une eau vive et<br />

limpide, on ne peut que s’enorgueillir d’une telle puissance<br />

de moyens. Rien que de tenir entre mes mains cette bête de<br />

race, je sens des frissons qui me glacent l’échine et les<br />

trépidations de ma machine qui frissonnent mes doigts.<br />

Tiens, on peut dire comme ça ?<br />

Avec mon Harley Davidson, je démarre au quart de tour,<br />

dans une pétarade de mots. Un léger coup de poignet, et<br />

c’est tout juste si je ne me retrouve pas projeté derrière mes<br />

idées. Le monstre vorace engouffre l’espace d’une page<br />

infinie, avec une telle frénésie, une telle célérité, qu’il<br />

grise jusqu’au vertige les cellules de mon esprit. Et je crie<br />

grâce. Grâce à Harley Davidson, c’est bien fini. Finies les<br />

hésitations, les non-dits : un vent de folie envahit<br />

ma tête, rafraîchissant sans cesse la source de mes écrits.


Voilà qui me change de mon vieux stylo à plume perclus,<br />

qui faisait des ratés, des pâtés à n’en plus finir et<br />

m’obligeait à puiser l’inspiration au fond d’une bouteille<br />

d’encre, à grands coups de piston poussif. Aujourd’hui, je<br />

ne crains plus rien ni personne avec mon Harley Davidson.<br />

Je fonce de pleins en déliés, rapp et dérape sur la page,<br />

mords d’un esprit frondeur les lignes du papier, faisant fi<br />

des limitations de vitesse, des sens interdits, des sens obligés<br />

ou giratoires et autres édits prohibitoires annihilant la vie.<br />

Avec mon Harley Davidson, je suis un chevalier<br />

moderne, un chevalier Bayard, paillard, bavard portant sa<br />

plume en panache, et embrochant, sans peur et sans<br />

reproche, tous les préjugés, les tabous, d’un trait<br />

rectificateur et féroce.<br />

Je copule toutes les règles de l’art, chevauche tous les<br />

interdits, toutes les lignes blanches, pour mieux laisser filer<br />

ma superbe monture.<br />

Trrrrrrit !!!!!<br />

Merde, un connard de motard, flic de ma conscience, me<br />

vrille les oreilles d’un sifflet vengeur et me prend en chasse<br />

avec son minable Parker. Je suis bon pour une contredanse,<br />

à moins de le semer, comme on fait des pensées, des<br />

soucis et des fleurs, d’un puissant coup d’accélérateur.<br />

J’arrête mon bolide en marge de la page, coupe le contact<br />

avec le papier et l’attend d’une plume décidée.<br />

Parvenu à ma hauteur qu’il voudrait surpasser, il me<br />

lance un regard furieux de nabab frustré et se penche sur<br />

mon papier. Apercevant quelques fautes d’orthographe, il se<br />

jette dessus comme un affamé, sort de sa poche son calepin<br />

verbalisateur, pourfendeur de verbe créateur, et se met aussi<br />

sec à me censurer, à recenser un à un mes excès :


"Excès de zèle et de vitesse, fautes d’orthographes et de<br />

goût, injure à la littérature, conduite hors des sentiers<br />

battus, conduite en état d’ivresse ou d’euphorie éthylique,<br />

hic ! A cet endroit de son<br />

réquisitoire, le malheureux est pris d’un formidable hoquet,<br />

face à mon outrecuidance, et manque de s’asphyxier. Une<br />

telle démesure le dépasse. Il me jette un regard hagard, le<br />

bouffon, le pendard, et me demande d’un ton dubitatif<br />

cahotant de hoquet :<br />

- Vous avez .votre perm... hic ! d’écrire ?<br />

- Non, lui réponds-je, mais j’ai un port d’arme en règle<br />

pour mon Harley. Il est dûment enregistré sous le numéro<br />

IBSN 1-875-474 à la Préfecture des polices de caractère.<br />

- Ça ne suffit pas, aboie-t-il, et je me vois dans<br />

l’obligation de vous confisquer votre engin. Désolé, c’est le<br />

règlement. Vous ne respectez pas l’écriture standard à la<br />

norme ISO et quelques mille. Vous êtes énorme, hors norme<br />

tout bonnement.<br />

Me confisquer mon stylo ! Comme il y va le bougre ! Je<br />

préfère mourir, ou même faire la peau à ce foireux de<br />

première qui ose me barrer la route et entraver ma libre<br />

expression.<br />

- Allons, veuillez obtempérer, insiste-t-il en constatant<br />

mon mutisme farouche.<br />

- Jamais sans ma plume ! Vous pouvez toujours courir.<br />

Et manière de le narguer je me mets à chantonner la<br />

chanson de Gainsbourg bêlée par BB : "je n’ai besoin de<br />

personne, hors Harley Davidson"


- Refus d’obtempérer. Outrage à agent littéraire dans<br />

l’exercice de ses fonctions. Ça va vous coûter cher mon<br />

Bayard.<br />

Et il se remet à écrire avec fureur dans son déblocnotes,<br />

son minable calepin à faire peur. Je le laisse faire<br />

tout en continuant à pousser la chansonnette. Parfois, il<br />

s’arrête d’écrire et lève la tête au ciel, en quête d’inspiration.<br />

Normal, il n’a qu’un pauvre Parker !<br />

Après un temps qui me semble horriblement long, il<br />

me tend d’un air goguenard son carnet et me demande d’un<br />

ton qui se voudrait supérieur mais qui manque pourtant<br />

d’assurance : "Alors, qu’est-ce que vous dites de ça ?" Et il<br />

me met sous les yeux le procès-verbal inspiré par sa muse :<br />

Vous êtes arrêté<br />

Pour conduite en état<br />

D’infériorité mentale.<br />

Défaut de clignotant,<br />

Vos cellules grises<br />

Se font la valise<br />

Et ne fonctionnent plus<br />

Qu’en mode intermittent.<br />

Dans l’intérêt public,<br />

Je me vois contraint<br />

De vous retirer du trafic<br />

Sur le champ. Hic !<br />

(Là, son accès de hoquet lui a fait manquer une rime<br />

en "ain").<br />

Mais sachez-le d’avance,<br />

Vous avez de la chance<br />

Car l’asile d’aliénés<br />

Qui va vous recueillir<br />

Est un asile d’avenir<br />

Appelé à recevoir<br />

Dans les proches années<br />

Le reste du territoire.


Remettez-moi je vous prie<br />

L’ensemble de vos papiers :<br />

Votre permis de vie<br />

Votre défense de penser<br />

Et le certificat d’amour<br />

Dûment enregistré<br />

A la date du jour<br />

De votre fiancée.<br />

Puis veuillez me suivre<br />

Sans faire de résistance<br />

Car vous savez je pense<br />

Qu’en tant que super flic<br />

De votre conscience<br />

Je dois pour le salut public<br />

Vous bâillonner l’esprit<br />

Vous réduire au silence."<br />

– Bof, rien qu’une poussive poussée de mots, rétorquaije.<br />

Un débordement de décibels mais beaucoup de bruit pour<br />

rien. Vous verbalisez, certes, mais votre verbe manque de<br />

superbe. Pauvre pisse-copie sans puissance, la cartouche de<br />

votre Parker manque de cœur ! La censure est son essence,<br />

elle étouffe le moteur. Vous n’irez pas loin comme ça. Et si<br />

vous croyez que je vais vous suivre pour des motifs qui ne<br />

tiennent pas la route, vous vous fourvoyez complètement.<br />

Vous ne m’aurez plus au tournant.<br />

Allez, moi je me casse. Je suis dans la vie pour tracer,<br />

pour laisser ma trace dans l’infini de l’espace créateur. Et ce<br />

n’est pas demain la veille que vous me briderez l’esprit à<br />

grands coups de décrets.<br />

Le mieux est que nous continuions chacun de notre côté à<br />

coucher des mots sur le papier, à faire des lits et ratures,<br />

vous le censeur au Parker et moi le chevalier à la Harley<br />

Davidson qui ne craint rien ni personne.


Et sans attendre de réponse, je le laissai médusé sur<br />

place d’un coup de kick moqueur. Qu’il essaie seulement<br />

de me suivre pour voir, ce perfide censeur !<br />

Et je repris ma route en toute assurance, avide<br />

d’explorer à ma guise toutes les nuances, les cadences de<br />

ma monture fantasque au moteur créateur, d’affronter mes<br />

peurs sans casque, à petits bouts de clips, à petits coups de<br />

rap, dans les pages et les pages à venir d’un trip de délire<br />

et de rire : <strong>Easy</strong> <strong>writer</strong> !<br />

FIN


Merci pour votre lecture.<br />

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