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Jean Bond 00 Dieu Chapitre 1

Deux auteurs se disputent le même héros : un agent secret qui doit sauver le monde. L'un, écrivain plutôt traditonnel, met en scène d'un bout à l'autre l'histoire, décide du nombre de filles à baiser, de coups à recevoir et à donner, etc. L'autre auteur, quant à lui, donne carte blanche à son héros et lui délègue tout pouvoir en le laissant décider en son âme et conscience de ce qui est juste et bon. Qui l'emportera des deux auteurs ? Et le monde en définitive sera-t-il sauvé par cet agent double tiraillé entre ses deux maîtres et cr

Deux auteurs se disputent le même héros : un agent secret qui doit sauver le monde. L'un, écrivain plutôt traditonnel, met en scène d'un bout à l'autre l'histoire, décide du nombre de filles à baiser, de coups à recevoir et à donner, etc. L'autre auteur, quant à lui, donne carte blanche à son héros et lui délègue tout pouvoir en le laissant décider en son âme et conscience de ce qui est juste et bon. Qui l'emportera des deux auteurs ? Et le monde en définitive sera-t-il sauvé par cet agent double tiraillé entre ses deux maîtres et cr

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<strong>Jean</strong> <strong>Bond</strong> <strong>00</strong> dieu ou les tribulations<br />

d'un agent double<br />

Philippe Ducourneau


I.<br />

L’agent <strong>Jean</strong> <strong>Bond</strong> <strong>00</strong>2 passa hâtivement la tête dans l’entrebâillement de la porte de<br />

sa chambre d’hôtel et, après avoir jeté un rapide coup d’œil des deux côtés du couloir,<br />

referma la porte derrière lui à double tour et se dirigea d’un pas pressé vers l’ascenseur,<br />

dont il pressa avec insistance le bouton d’appel. Une intense décharge électrique lui<br />

parcourut aussitôt tout le corps tandis qu’à l’un des étages inférieurs retentissait le timbre<br />

étouffé d’une sonnerie. Peu après, un jeune liftier apparut à l’étage, tout essoufflé encore<br />

d’avoir monté les escaliers avec précipitation.<br />

- Non mais en voilà un service, rugit l’agent secret, furieux. C’est comme ça que l’on<br />

traite la clientèle dans cet hôtel ? Mais où est donc ce foutu ascenseur ?<br />

- Que monsieur me pardonne, je suis vraiment con.. contrit, bredouilla l’employé en<br />

s’efforçant de récupérer son souffle. N’ayez crainte, l’appareil ne va pas tarder. Il faut<br />

l’excuser. C’est un modèle un peu vétuste qui n’obéit qu’à mon appel et selon un certain<br />

cérémonial. Rien ne l’agace tant que lorsqu’un étranger s’avise de titiller son petit bouton<br />

sans la moindre délicatesse.<br />

- Bon, ça suffit, pas tant de discours, je suis pressé, maugréa l’agent secret avec<br />

humeur.<br />

- Voilà, monsieur, je le fais venir tout de suite répondit l’employé, empressé, tout en<br />

appuyant à trois reprises sur le bouton d’appel.<br />

Au-dessus d’eux, un ronronnement feutré se fit entendre et quelques secondes plus<br />

tard l’ascenseur s’arrêtait à l’étage.<br />

Au moment de franchir la porte coulissante que lui tenait obligeamment le jeune<br />

liftier, <strong>Jean</strong> <strong>Bond</strong> ne put se défendre d’un sentiment de gêne.<br />

Au cours de ses nombreuses aventures, il avait été confronté aux gens et aux<br />

situations les plus étranges, mais, aussi loin qu’il se souvint, rien qui ne ressemblât à<br />

celle-ci. Derrière l’air candide et les manières affables et trop policées du liftier de<br />

l’hôtel, l’agent secret semblait percevoir une sourde menace. D’une pression discrète du<br />

bras, il s’assura que l’arme qui sommeillait habituellement au creux de son aisselle était<br />

bien en place. Rassuré par la présence familière de son Walther PPK 7,65 mm, il prit<br />

place dans la cabine. Pour constater aussitôt que celle-ci ne comportait aucun bouton qui<br />

en commandât la marche. Tout son être fut aussitôt en alerte, et quand il vit le jeune<br />

liftier, face à lui, prêt à glisser une main dans l’entrebâillement de sa veste, <strong>Jean</strong> <strong>Bond</strong> ne<br />

douta plus un instant d’être victime d’un traquenard.<br />

Tout au long de sa carrière, l’agent secret n’avait dû d’échapper au danger qu’à ses<br />

réflexes légendaires et à son instinct infaillible qui lui permettait d’anticiper les<br />

événements et les réactions de ses adversaires. Ce fut donc à la vitesse de la lumière,<br />

qu’il dégaina son arme et la déchargea jusqu’à la dernière balle dans la poitrine de<br />

l’homme qui lui faisait face.


L’impact des projectiles tout autant sans doute que la surprise firent sursauter le jeune<br />

liftier qui jeta un long regard incrédule à son agresseur avant de s’affaisser mollement<br />

au sol en glissant contre la paroi de la cabine dans une longue traînée de sang.<br />

-Ah, mon gaillard c’est comme ça que tu comptais me descendre, vociféra <strong>00</strong>2 en se<br />

penchant sur le corps de sa victime. Sans ascenseur mais avec beaucoup de plomb dans<br />

le coffre, ironisa-t-il en dégageant la main pâle que le petit liftier gardait à demi enfouie<br />

sous sa veste. Tu pensais utiliser une manière plus directe. Mais ce n’est pas un blanc<br />

bec de ton…<br />

La stupéfaction qui saisit <strong>Jean</strong> <strong>Bond</strong> à cet instant l’interrompit net dans ses propos.<br />

Au lieu de l’arme qu’il s’était attendu à trouver, l’agent secret venait de découvrir un<br />

objet tout à fait insolite, dont il s’expliquait mal la présence. C’était une petite figurine<br />

en cuivre doré représentant une danseuse, jambes en l’air, dans la position du poirier, et<br />

dont la robe retroussée formait une large corolle dessous laquelle, en place de la tête,<br />

pendait une tige mobile terminée par un battant en plomb. Une sonnette. La main du<br />

petit liftier, rendue blanche par la crispation, agrippait encore désespérément les jambes<br />

fluettes de la figurine, comme s’il voulait une dernière fois avant de mourir faire vibrer<br />

encore sa petite clochette. Son visage émacié par la douleur présentait toute la solennité<br />

d’un enfant de chœur au moment de l’élévation du saint sacrement. Sentant que ses<br />

forces l’abandonnaient, le mourant tendit l’objet à <strong>Jean</strong> <strong>Bond</strong> et lui dit en faisant une<br />

vague tentative pour se redresser : “Tenez, c’est à vous de prendre le relais. Qui que<br />

vous soyez, mon bon monsieur, merci de me débarrasser de mon enveloppe charnelle.<br />

Mais montrez-vous charitable une dernière fois je vous prie. Prenez cette sonnette et<br />

ayez soin un instant de mon âme. Assistez-la dans sa montée au ciel, c’est là ma<br />

dernière prière. Pour chaque coup que vous sonnerez, l’ascenseur montera d’un étage ;<br />

si.. sitôt que je serai mort, agitez la sept pffois…”. Sur ce mot hybride, à cheval entre<br />

“fois” et “pffuit”, le petit liftier se recroquevilla un peu plus sur lui-même et exhala son<br />

dernier souffle.<br />

Ou peut-être un dernier soupir ?<br />

<strong>Jean</strong> <strong>Bond</strong> regarda le cadavre d’un air perplexe et demeura un instant songeur. Dans<br />

quelle histoire venait-il encore d’être embarqué ? Décidément, il ne comprenait pas<br />

grand chose. Certes, il sentait bien que l’homme qu’il venait d’abattre ne ressemblait en<br />

rien aux méchants qu’il avait coutume de pourfendre. Mais même innocent, était-ce une<br />

raison pour finir d’une façon aussi théâtrale ? De faire tout un plat de sa mort et de<br />

profiter de son dernier souffle pour pomper aux vivants alentour un maximum<br />

d’oxygène ! Non mais quel sans-gêne !<br />

<strong>Jean</strong> <strong>Bond</strong> appréciait particulièrement les mourants qui savaient rendre leur âme sans<br />

en faire état. Dans son métier d’ailleurs, l’âme était le genre de détail dont on préférait<br />

ne pas s’encombrer. Et cette façon dont le petit liftier avait étalé la sienne avait quelque<br />

chose d’indécent.<br />

L’agent secret en était là de ses réflexions lorsqu’il aperçut distinctement une sorte<br />

de halo luminescent et vaporeux s’échapper du cadavre étendu à ses pieds.<br />

Quelque peu décontenancé par le phénomène, il regarda un instant évoluer la forme<br />

évanescente dans l’espace clos de l’ascenseur. Comme elle se rapprochait<br />

imperceptiblement de lui, il se ressaisit aussitôt et, en homme d’action aguerri à toutes<br />

les épreuves et adaptable à toutes les situations, il aspira avec force de l’air dans ses<br />

poumons dans l’intention de chasser la forme hors de la cabine d’un souffle puissant.<br />

Mais il s’arrêta là, bouche bée, dans son intention. A sa grande surprise, la forme<br />

vaporeuse et translucide qui semblait le chercher l’instant d’avant s’était subitement<br />

volatilisée comme si elle n’avait jamais existé.


Tant mieux se dit-il, je ne me voyais pas aider cette émanation ectoplasmique à faire<br />

la grimpette. Son orgasme cosmique jusqu’au septième ciel, ce n’est pas mon affaire.<br />

Moi, j’ai les pieds bien sur terre et je sais que si je ne me dépêche pas ça va chauffer<br />

pour mon matricule. Je suis déjà en retard et le vieux a horreur qu’on le fasse attendre.<br />

<strong>Jean</strong> <strong>Bond</strong> double zéro dieu consulta sa fidèle montre à processeur neuronal intégré<br />

et celle-ci après lui avoir nasillé l’heure de sa voix synthétique, ajouta que compte-tenu<br />

du faible nombre de marches jusqu’au rez-de-chaussée, de la vitesse de l’ascenseur<br />

poussif et des probabilités de fonctionnement de celui-ci, il aurait aussi vite fait de<br />

descendre par les escaliers.

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