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Q<br />

Écrivain et animateur d’émission<br />

de jazz à Espace musique,<br />

Stanley Péan a publié une<br />

vingtaine de livres destinés au<br />

lectorat adulte et jeunesse.<br />

LA CHRONIQUE DE STANLEY PÉAN<br />

Dans une entrevue accordée au magazine Woman’s Own en 1987, Margaret<br />

Thatcher lançait ce triste credo, qui semble avoir trouvé chez nous des échos<br />

dans les politiques de nos Harper, Charest, Couillard et cie : « Nous sommes<br />

arrivés à une époque où trop d’enfants et de gens […] rejettent leurs problèmes<br />

sur la société. Et qui est la société? Cela n’existe pas! Il n’y a que des individus,<br />

hommes et femmes, et des familles. » Encore heureux pour les idéalistes qu’il y<br />

ait une littérature dont le propos contredit cette position libertarienne et donne<br />

à lire en filigrane d’œuvres romanesques la nécessité d’une solidarité sociale<br />

qui n’est pas un frein à l’épanouissement individuel, au contraire, mais bien le<br />

tremplin de celui-ci.<br />

ICI COMME AILLEURS<br />

Ce nous qui nous lie<br />

doute, surtout à l’écoute de son idole Art T., le phénoménal pianiste s’impose<br />

néanmoins au sein d’un prestigieux orchestre blanc, à la radio nationale, aux<br />

côtés des stars américaines du jazz d’après-guerre, et… On connaît la suite, pour<br />

peu qu’on se soit intéressé à Oscar Peterson, première vedette internationale<br />

du jazz issue du Canada. Mais cette familiarité avec son histoire ne permet<br />

pas d’anticiper les péripéties d’Oscar, quatrième roman de Mauricio Segura. Car<br />

le romancier a choisi l’esprit plutôt que la lettre de cette mythique trajectoire.<br />

Faisant fi de la réalité historique, il signe ici une sorte d’improvisation sur la vie<br />

du compositeur d’« Hymn to Freedom », ponctuée de riffs spectaculaires dans<br />

une écriture flamboyante.<br />

l i t t é r a t u r e Q U É B É C O I S E<br />

Anton<br />

Dans Un petit livre de Sergio Kokis, Anton Antonich Setotchkine enseigne<br />

langue et littérature russes à l’Institut de formation des maîtres de Moscou, à<br />

l’ère des premières purges staliniennes. En rangeant les mémoires de fin d’année<br />

de ses étudiants, il trouve le cadeau de Grec que lui a laissé, sans malveillance<br />

aucune, la jeune Olga Komova : un petit livre, en l’occurrence, le roman Nous<br />

autres d’Ievgueni Ivanovitch Zamiatine (1884-1937), dont les œuvres hérétiques<br />

avaient attiré les foudres de la censure des gouvernements tsariste puis socialiste.<br />

Publié à l’étranger en 1924, interdit en URSS, Nous autres reste le plus célèbre<br />

opus de Zamiatine. Campé dans une société future dirigée par un État Unique,<br />

qui régit toute activité humaine, ce roman d’anticipation préfigure Le meilleur<br />

des mondes (1932) d’Huxley, 1984 (1949) d’Orwell, Un bonheur insoutenable<br />

(1970) de Levin et autres cauchemardesques contre-utopies. Paniqué à l’idée de<br />

se retrouver en possession du livre interdit, Anton cède néanmoins à la tentation<br />

de le lire. Peu enthousiasmé par le style ou les personnages, le professeur<br />

reconnaît la pertinence des réflexions de Zamiatine sur la nature du bonheur et<br />

le dilemme moral lié à celui-ci. À son grand malheur, la disparition mystérieuse<br />

de son étudiante le place dans la mire des autorités, qui ont mis la main sur<br />

l’exemplaire du sulfureux cadeau, ce qui vaut à notre héros de se retrouver dans<br />

les rouages d’un système répressif qui broie toute pensée ou parole dissidente.<br />

C’est mené avec érudition et souci du détail historique dans cette écriture<br />

élégante que l’on connaît. Si bien mené que le titre apparaît à la fin comme une<br />

boutade, un trompe-l’œil : ce nouvel ouvrage de Kokis n’est pas plus « un petit<br />

livre » que ne le fut Nous autres en son temps. Kokis n’écrit pas de « petits livres »<br />

et je doute même qu’il en connaisse la recette. Dans ce roman corrosif, il nous<br />

offre une critique de toutes les dictatures, y compris de ce totalitarisme doux et<br />

pseudo-démocratique du tout-à-la-consommation, doublé d’un vibrant éloge de<br />

la puissance subversive de la littérature.<br />

Oscar P.<br />

Dans la Petite Bourgogne des années de la dépression, Brad P., fils d’immigrants<br />

caribéens, possède le don d’arrêter la pluie, de retarder le coucher du soleil et<br />

de solliciter l’été en jouant ragtimes et boogie-woogies sur le piano familial.<br />

Son frère cadet Oscar, qui peine à maîtriser la trompette, lui envie ses pouvoirs<br />

fabuleux. Lorsque Brad est emporté par la tuberculose, Oscar, que la maladie<br />

a épargné, prend la place de son aîné au clavier et fait montre d’une virtuosité<br />

sans pareille qui lui confère un statut de héros dans son modeste faubourg, aux<br />

prises avec le racisme au quotidien.<br />

« Promets-moi d’être celui qui brille le plus dans le firmament du piano jazz »,<br />

lui dit son père Josué, comprenant qu’Oscar a choisi sa vocation. En proie au<br />

Ni biographie ni portrait romancé, Oscar est une fable aux accents de réalisme<br />

magique, dans les pages de laquelle l’on reconnaîtra des personnages réels<br />

qui ont croisé la route du vrai Peterson, en marge de laquelle Segura souligne<br />

l’apport indispensable de la communauté dans l’émergence d’un talent de la<br />

trempe d’Oscar P.<br />

Bluma et Joe<br />

Businessman prospère à la tête d’une entreprise de nettoyage de déchets<br />

industriels, Joe Krueger prend une sabbatique pour passer du temps auprès de<br />

sa mère, dont il a promis d’enregistrer et d’écrire le récit de vie. Fille d’un émigré<br />

ayant fui la Russie tsariste pour devenir bootlegger, Bluma Goldberg a grandi<br />

dans les rues du Chicago des années de la prohibition; avec sa cousine Bella,<br />

elle formait un duo de scène fictif, Les Débutantes, lié par un pacte de complicité<br />

éternelle dont ni l’une ni l’autre ne soupçonnait la portée.<br />

Dans La fille qui parlait à la lune, David Homel retrace autant les années de<br />

jeunesse de cette fille délurée et un brin fumiste par nécessité que l’éveil à la<br />

création de son fils néophyte en écriture. Résolu à tenir les rênes de son « livre »,<br />

l’apprenti écrivain devra faire des choix éditoriaux, combler les ellipses et lacunes<br />

dans les confessions de sa mère, en gommer les contradictions. Ici, l’invention<br />

se déploie dans la recherche de la vérité; à travers la création, Joe apprend non<br />

seulement à mieux aimer sa mère, mais aussi à se découvrir lui-même. Par le<br />

biais de ce double roman initiatique, Homel postule l’importance de la filiation,<br />

de la mémoire et de sa transmission dans la constitution individuelle et collective.<br />

De cette confrontation avec le passé de sa mère, Joe ressort évidemment grandi,<br />

tout comme le lecteur, comblé par la maestria du romancier.<br />

UN PETIT LIVRE<br />

Sergio Kokis<br />

Lévesque éditeur<br />

224 p. | 25$<br />

OSCAR<br />

Mauricio Segura<br />

Boréal<br />

240 p. | 22,95$<br />

LA FILLE QUI<br />

PARLAIT À LA LUNE<br />

David Homel<br />

Leméac<br />

382 p. | 34,95$<br />

LES LIBRAIRES • FÉVRIER-MARS 2016 • 19

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