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LA NORDICITÉ :<br />
CE NOUVEL EXOTISME<br />
« Le Nord n’est pas romantique. On ne peut pas le poétiser,<br />
l’écrire ou le filmer sans ses failles. »<br />
Marc Séguin, Nord Alice<br />
L’exotisme n’est maintenant plus niché sous le soleil des Caraïbes ou dans la corne d’Afrique : c’est au-delà du 55 e<br />
parallèle que les assoiffés de nouveautés consacrent dorénavant leur désir de découvertes. Et l’année 2015 a de<br />
quoi les sustenter, portée comme elle le fut par une brise littéraire glacée. Cap sur le Nord : nos auteurs québécois<br />
en ont beaucoup à dire sur les froides contrées et les peuples autochtones qui les habitent…<br />
Par Josée-Anne Paradis<br />
40 • LES LIBRAIRES • FÉVRIER-MARS 2016<br />
Si Yves Thériault a ouvert la voie à une littérature d’inspiration<br />
nordique avec Agaguk en 1958 – et a fortement influencé notre<br />
vision du Nord –, ce chemin est maintenant emprunté par de<br />
nombreux auteurs québécois – Geneviève Drolet (Panik), Juliana<br />
Léveillé-Trudel (Nirliit), Marc Séguin (Nord Alice) et Jean Désy<br />
(L’accoucheur en cuissardes) – qui y trouvent un lieu d’exploration<br />
hors du commun. Ce qui relie tous les ouvrages de cette faste<br />
production boréale? L’insondable contradiction qui réside entre<br />
l’éclat des paysages grandioses et l’adversité des conditions de vie.<br />
Beauté et cruauté, en constante opposition.<br />
Ces gens du Sud<br />
Les personnages principaux et les narrateurs des romans présentés<br />
ci-dessous sont tous des gens du Sud, des Québécois qui, une fois<br />
arrivés au Nord, confrontent leur vision de Blancs, leurs préjugés et<br />
leurs mœurs, à ceux des Inuits. Et le choc est grand. Si d’abord il y<br />
a cette morsure du froid, il y a ensuite cette morsure au cœur qui<br />
provient d’une brutalité cruelle.<br />
Découlant souvent de la consommation d’alcool – denrée pourtant<br />
difficile à obtenir –, cette violence, ainsi que ses ravages, prend<br />
diverses formes : des femmes meurent sous les coups de leur mari,<br />
des enfants se tatouent « Dead » sur le torse, des jeunes filles d’à peine<br />
10 ans mettent au monde des enfants déjà énormes, des accidents<br />
de motoneige ou de quatre roues qui brisent des côtes, brisent des<br />
vies. Les images racontées, que ce soit dans Panik, Nirliit, Nord Alice<br />
ou L’accoucheur en cuissardes, sont puissantes, souvent choquantes<br />
en raison des mœurs du Sud, et remuent chez le lecteur des zones<br />
rarement ébranlées. Se posant en anthropologues le temps d’un<br />
roman, en simples observateurs aucunement moralisateurs, ces<br />
auteurs font un état des lieux qui ramène l’humain à sa bestialité et<br />
prouvent que, oui, les vents du Nord peuvent être violents…<br />
Avec Panik, on découvre que dans ce monde, survivre est un combat<br />
de tous les jours et que la beauté des naissances et des paysages est<br />
indispensable pour continuer à avancer. Pour Dorothée, l’héroïne<br />
du roman, la confrontation est grande. Cette adolescente est envoyée<br />
par son beau-père dans le Nord chez un pur inconnu pour rafraîchir<br />
ses ardeurs : « L’avantage avec le froid, c’est que ça fait décompresser<br />
assez vite », dira-t-elle, une fois passé le choc de l’arrivée. Là-bas,<br />
elle cohabitera dans la modeste maison de celui qu’elle nomme le<br />
Yéti (un homme sauvage de peu de mots), apprendra tranquillement<br />
l’inuktitut, se liera d’amitié à coup de slushs achetées à 8$ – oui,<br />
quelques absurdités persistent –, et, surtout, elle sera fascinée par<br />
les enfants. Pour en parler avec autant d’émotions et pour mettre<br />
en lumière la complexité qui les habite, Geneviève Drolet devait les<br />
avoir côtoyés. Et c’est grâce à des ateliers de cirque qu’elle anime<br />
dans la ville d’Igloolik, théâtre de son roman, qu’elle a pu s’y rendre<br />
à plusieurs reprises et rencontrer ces enfants qui naissent avec « des<br />
pamplemousses à la place des joues », qui appartiennent un peu à<br />
tout le monde et dont les liens de sang avec leurs parents ne sont pas<br />
aussi importants que pour les gens du Sud.<br />
Depuis 2011, Juliana Léveillé-Trudel travaille également dans le Nord,<br />
mais dans le domaine de l’éducation au Nunavik. Pour elle aussi, cette<br />
région est devenue une source d’inspiration et un moteur de création.<br />
Si la vision du Nord décrite dans Panik en était une exprimée par une<br />
langue façonnée d’un point de vue d’adolescente déjà en pleine crise<br />
de contradictions, c’est plutôt dans une douceur et une profondeur<br />
d’émotions que Nirliit nous entraîne. « Le Nord est dur pour le cœur.<br />
Le Nord est un enfant ballotté d’une famille d’accueil à une autre,<br />
le Nord ne veut pas être rejeté de nouveau, le Nord te fait la vie<br />
impossible jusqu’à ce que ton cœur n’en puisse plus et que tu le<br />
quittes avant d’exploser, et il pourra te dire voilà : je le savais, tu<br />
m’abandonnes. Parce qu’on vous abandonne tout le temps, on a fait<br />
de vous des parenthèses à l’infini, des aventures que l’on vient vivre<br />
pour un temps avant de retrouver nos vies rangées du Sud ou repartir<br />
vers de nouvelles expériences qui nous semblent maintenant plus<br />
alléchantes que votre exotisme du Nord. »<br />
Dans une longue lettre adressée d’abord à une amie du Nord puis<br />
au frère de cette Inuite, écrite par une Blanche qui, comme les oies –<br />
nirliit, qui donnent leur nom au titre –, voyage du Sud jusqu’à Salluit,