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formes - v12 n2 - 2016<br />
26<br />
Détail de la façade de l'usine de<br />
traitement des eaux de Lévis.<br />
Photos: Alexandre Guérin<br />
(concours de photos Alumia)<br />
– Architecte: STGM<br />
l’aluminium au cours des dix prochaines années,<br />
annonce Jean-Luc Trahan. En ce moment, la valeur<br />
des livraisons de l’aluminium transformé se<br />
situe à 5,5 milliards de dollars et on veut arriver<br />
à 11 milliards de dollars. L’aluminium québécois<br />
transformé doit devenir un vecteur de création de<br />
richesse et de fierté. » Pour ce faire, AluQuébec<br />
veut faire connaître les qualités de l’aluminium,<br />
déboulonner les mythes et promouvoir son utilisation<br />
selon le principe du bon matériau au bon<br />
endroit.<br />
En juin 2015, AluQuébec recevait un formidable<br />
coup de pouce du gouvernement du Québec<br />
alors que le ministère de l’Économie, de la<br />
Science et de l’Innovation (MESI) dévoilait la<br />
SQDA. Ses 27 mesures, qui doivent mettre en<br />
place un environnement favorable à la transformation<br />
de l’aluminium, renforcer la filière québécoise<br />
et en assurer la compétitivité, s’alignent avec<br />
la mission que s’est donnée AluQuébec.<br />
AluQuébec, un levier de la SQDA<br />
Reconnaissant les démarches initiées par<br />
AluQuébec, la SQDA lui a confié six mesures.<br />
L’une d’elles consiste à accélérer les chantiers<br />
qu’AluQuébec s’est donnés au moment de son<br />
lancement. Certains de ces chantiers touchent<br />
l’approvisionnement, le rayonnement, les occasions<br />
d’affaires, le financement, l’innovation par<br />
la recherche et développement et la formation.<br />
Une autre mesure demande à AluQuébec d’ajouter<br />
un chantier sur les équipementiers et les fournisseurs<br />
spécialisés. La SQDA demande aussi à<br />
AluQuébec d’affiner la cartographie qu’elle a déjà<br />
entamée et qui recense 1 400 entreprises transformatrices<br />
d’aluminium. L’idée, explique Jean-Luc<br />
Trahan, est de « faire ressortir les champions de<br />
l’industrie, les entreprises ayant une masse critique<br />
et des produits utilisant intensivement l’aluminium,<br />
des entreprises bien positionnées pour<br />
innover et exporter. Ces entreprises sont les plus<br />
susceptibles de nous aider à doubler la transformation<br />
de l’aluminium ».<br />
Mais la cartographie devrait aussi révéler des<br />
maillons faibles. Par exemple, les Industries<br />
Panfab ne trouvent pas au Québec les feuilles<br />
d’aluminium prépeintes et l’alliage désiré pour<br />
fabriquer leurs panneaux architecturaux. Elles<br />
les importent d’Allemagne et d’Italie, relate Benoit<br />
Comeau, représentant technique auprès<br />
des architectes chez Industries Panfab. « On a<br />
un problème de masse critique, rétorque Jean<br />
Simard. Des transformateurs ont besoin de 1 000<br />
ou 100 000 tonnes par année d’un alliage spécifique.<br />
Personne ne va produire seulement 100 000<br />
tonnes par année. S’il n’y a pas assez de volume<br />
localement, on ne peut le produire avec tout ce<br />
que ça implique comme investissement. » Une<br />
autre mesure confiée à AluQuébec doit justement<br />
aborder cette question de l’accès au métal pour<br />
les transformateurs utilisant l’aluminium. « La<br />
démarche, reprend Jean Simard, est de faire un<br />
inventaire de tous ces besoins et de voir les possibilités<br />
de consolider les demandes similaires. Si<br />
20 entreprises ont besoin d’un même alliage, on<br />
peut avoir un potentiel de commande réaliste.<br />
Mais ça ne répondra pas à 100 % des problèmes<br />
d’approvisionnement. »<br />
Dans une autre direction, AluQuébec est aussi<br />
responsable de deux mesures concernant la formation<br />
universitaire et la diffusion de l’expertise<br />
sur l’aluminium. Comme l’indique Mario Fafard,<br />
professeur à l’Université Laval et directeur du<br />
Centre de recherche sur l’aluminium – REGAL,<br />
les universités forment les futurs ingénieurs à la<br />
métallurgie de l’aluminium, mais très peu à son<br />
utilisation en génie civil. Seule l’Université du<br />
Québec à Chicoutimi (UQAC) offre un cours, en<br />
option, sur les charpentes en aluminium. « Il est<br />
clair que du point de vue du calcul des structures<br />
et de la conception des structures avec l’aluminium,<br />
aucun programme en génie civil ne répond<br />
pleinement à la formation dans ce secteur hormis<br />
l’UQAC », précise-t-il. Une mesure de la SQDA<br />
charge AluQuébec et le ministère de l’Éducation<br />
et de l’Enseignement supérieur de combler<br />
cette lacune. Un poste de professeur en charpente<br />
d’aluminium est en cours de création à l’Université<br />
Laval. Comme le fait remarquer Mario<br />
Fafard, avec le professeur viennent la recherche<br />
et l’enseignement. Michel Guillot, qui donne des<br />
formations sur l’aluminium pour les ingénieurs<br />
en pratique, approuve cette mesure, mais observe<br />
que le manque de connaissances concerne plus<br />
les donneurs d’ordres que les ingénieurs. « Les ingénieurs<br />
vont aller chercher les connaissances et<br />
s’adapter », estime-t-il. Lui-même donne une formation<br />
continue pour les ingénieurs en pratique.<br />
« Il ne faut pas oublier les donneurs d’ordres,<br />
poursuit-il. Ils ne connaissent pas l’aluminium<br />
et, pour ne pas prendre de risques, ils emploient<br />
d’autres matériaux. »<br />
Quant à la diffusion de l’expertise, il s’agit pour<br />
AluQuébec de s’inspirer de Cecobois, le Centre<br />
d’expertise sur la construction commerciale en<br />
bois, pour créer un centre d’expertise dédié à l’utilisation<br />
de l’aluminium dans les édifices.<br />
La SQDA vise explicitement<br />
les infrastructures<br />
Également actrices de la SQDA, la Société<br />
d’habitation du Québec (SHQ) et la Société<br />
québécoise des infrastructures (SQI) ont reçu le<br />
mandat de réaliser des projets de démonstration<br />
des utilisations de l’aluminium dans le bâtiment.<br />
« La SQI, la SHQ, le ministère de l’Économie, de<br />
la Science et de l’Innovation (MESI) et AluQuébec<br />
seront partenaires dans la réalisation de projets<br />
de démonstration pour utiliser de nouveaux<br />
produits d’aluminium ou des produits qui seront<br />
utilisés de façon innovante. On va considérer<br />
l’aluminium dans une optique de démonstration<br />
», annonçait effectivement Jacques Tremblay,<br />
directeur à la Direction expertise de Québec<br />
de la SQI, lors de la table ronde qui clôturait la<br />
journée de conférences. Jean-Pierre D’Auteuil, le<br />
responsable des relations médias au MESI, ajoute<br />
qu’AluQuébec doit collaborer à la mesure en suggérant<br />
de nouveaux produits en aluminium – qui<br />
pourraient potentiellement être intégrés dans les<br />
projets de la SQI et de la SHQ – et qu’un incitatif<br />
financier favoriserait l’utilisation de ces nouveaux<br />
produits, s’ils avéraient plus coûteux. « Ce partenariat<br />
avec la SQI et la SHQ va permettre d’élaborer<br />
une vitrine technologique pour faire rayonner<br />
les produits de l’aluminium, reprend Jean-Luc<br />
Trahan. Et on a l’intention de démontrer que c’est<br />
rentable. »<br />
Cette démonstration de rentabilité viendra<br />
avec l’analyse de coût total de possession (CTP)<br />
qui prend en compte le coût de la construction<br />
ou d’acquisition d’une infrastructure, mais aussi<br />
son coût d’entretien et de démantèlement en fin<br />
de vie. Or, d’une part, l’aluminium s’entretient à<br />
moindres frais que les autres matériaux, mais surtout,<br />
en fin de vie, l’aluminium – qui se revend<br />
à un prix appréciable sur le marché des métaux<br />
recyclables –, devient une source de revenus. C’est<br />
pourquoi Jean Simard plaide pour que le CTP soit<br />
intégré au mécanisme d’appels d’offres. « Faisons<br />
des appels d’offres de performance qui disent ‘’J’ai<br />
besoin d’un ouvrage qui va durer le plus longtemps<br />
possible, avec la plus faible empreinte environnementale<br />
possible, et qui, en bout de ligne,<br />
quand je fais une analyse du coût total de possession,<br />
va me donner le meilleur rendement possible<br />
pour mon argent «, lance-t-il. Et à ce moment-là,<br />
l’aluminium sera un élément de solution. Chaque<br />
fois qu’il est utilisé, l’aluminium est gagnant. »<br />
Tenir compte du CTP est justement une mesure<br />
de la SQDA confiée au Conseil du trésor. Cette<br />
mesure découle de la Directive sur la gestion des<br />
projets majeurs d’infrastructure publique. « Le<br />
gestionnaire de projet doit déterminer et évaluer<br />
les options possibles pour répondre à long terme<br />
aux besoins exprimés à l’étape du démarrage d’un<br />
projet, et cette évaluation s’appuie notamment sur<br />
le CTP, explique Jean-Pierre D’Auteuil. Le CTP<br />
doit permettre de dresser un portrait prévisionnel<br />
des coûts globaux d’une infrastructure et guider<br />
un acheteur dans son choix de conception et de<br />
matériaux. Ensuite, un organisme public procédera<br />
au lancement de l’appel d’offres en vue de la<br />
réalisation de l’infrastructure sur la base d’un document<br />
d’appel d’offres complet et précis. » Toutefois,<br />
la Directive ne mentionne pas explicitement<br />
le CTP et reste floue sur les notions de « coût total<br />
du projet » et « meilleure option à long terme ».<br />
Les propos de Jean-Pierre D’Auteuil laissent aussi<br />
sous-entendre quelques latitudes quant à l’application<br />
du CTP : « Le CTP peut être utilisé dans<br />
le cadre de la planification de tout type de projet<br />
d’infrastructure ou d’acquisition de biens pour lequel<br />
la considération d’un ensemble de coûts sur<br />
une durée de vie utile s’avère appropriée. Il appartient<br />
ainsi aux organismes publics de déterminer<br />
dans quelles situations un tel concept devrait être<br />
utilisé. »<br />
De son côté, le ministère des Transports, de<br />
la Mobilité durable et de l’Électrification des<br />
transports (MTMDET) est responsable d’une<br />
autre mesure de la SQDA visant à utiliser l’aluminium<br />
dans les ponts. Un projet pilote sur le<br />
pont de Saint-Ambroise, près de Saguenay, est en<br />
cours pour valider la possibilité de remplacer les<br />
platelages détériorés en béton ou en bois de ponts<br />
existants par des platelages d’aluminium. La performance<br />
du pont de Saint-Ambroise doit aussi<br />
ultérieurement permettre de documenter le CTP<br />
sur de tels ponts, précise Jean-Pierre D’Auteuil.<br />
Mais pour le moment, l’aluminium continue de<br />
se chercher une place. Le 23 février 2016, donc<br />
huit mois après le lancement de la SQDA, le MT-<br />
MDET émettait un appel d’offres pour une passerelle<br />
à Repentigny en spécifiant d’emblée l’acier<br />
et le béton. « Je n’ai jamais vu un appel d’offres<br />
pour des passerelles d’aluminium de la part du<br />
ministère des Transports, mais souvent pour des<br />
passerelles d’acier. L’acier est prescrit, sans regard<br />
au CTP », remarque amèrement Alexandre de la<br />
Chevrotière, le président de MAADI Group. Son<br />
entreprise fabrique des passerelles en aluminium<br />
et a déjà réalisé, avec Deloitte et l’AAC, une analyse<br />
de CTP pour démontrer les avantages à long<br />
terme de l’aluminium dans les passerelles. MAA-<br />
DI Group exporte ses passerelles et peine à pénétrer<br />
le marché québécois. Alexandre de la Chevrotière<br />
reconnaît que la SQDA va dans la bonne<br />
direction, mais craint qu’elle ne soit en déphasage<br />
temporel avec la réalité des manufacturiers.<br />
« Pour le MESI, la Stratégie est nouvelle et on doit<br />
se donner le temps de documenter et d’analyser<br />
avec des comités, des études, des grappes, des<br />
consultations, etc., conçoit-il. Mais MAADI se<br />
bat déjà depuis dix ans pour faire ouvrir les devis<br />
au Québec (au MTQ, à la Ville de Montréal, etc.).<br />
Si les appels d’offres ne s’ouvrent que dans dix<br />
ans pour l’aluminium, aucun fonctionnaire ne va<br />
perdre son emploi. Ce qui n’est pas le cas pour les<br />
manufacturiers spécialisés tels que MAADI. Il en<br />
va de la survie et de la santé des industriels dans<br />
la transformation tertiaire. »<br />
Ensemble, la SQDA et AluQuébec devraient<br />
pourtant concourir à donner un essor à l’industrie<br />
de la transformation de l’aluminium au Québec.<br />
Une plus grande présence de l’aluminium<br />
dans les infrastructures devrait attiser les activités<br />
de transformation. C’est ce qu’il se passe aux<br />
États-Unis, où la demande croissante d’aluminium<br />
par l’industrie automobile a stimulé le développement<br />
d’entreprises de laminage, rapporte<br />
Michel Guillot. Jean-Luc Trahan se réjouit donc<br />
du lancement de la SQDA. « Elle donne à notre<br />
grappe une vision et le moyen de ses ambitions.<br />
Les mesures aideront la grappe de l’aluminium<br />
à passer d’un marché de commodités à celui de<br />
produits à valeur ajoutée, à développer chez nous<br />
une vraie culture de l’aluminium. Osons l’aluminium!<br />
» encourageait-il en conclusion de son allocution.<br />
formes - v12 n2 - 2016<br />
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