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SAHARA<br />
Entretien avec J. BOOLE<br />
Les détournements<br />
de l'aide humanitaire<br />
dénoncés devant l'ONU<br />
Me Stéphane Rodrigues, du cabinet bruxellois Lallemand&Legros, vient de<br />
dénoncer devant la 4 e commission de l’Assemblée générale de l’Onu, la poursuite<br />
des détournements de l’aide humanitaire internationale destinée aux réfugiés des<br />
camps de Tindouf. Avec des preuves à l’appui, l’avocat bruxellois a jeté également<br />
la lumière sur un détournement d’un genre nouveau, la soumission à la TVA des<br />
achats destinés aux dons, mise en place par les autorités algériennes. Ce qui, selon<br />
lui, impacte à la baisse le budget susceptible d’être engagé pour<br />
l’achat de marchandises destinées aux réfugiés de Tindouf et cela<br />
ne fait qu’aggraver la misère de ces réfugiés.<br />
Le Relais : peut-on encore aujourd’hui<br />
parler, en dehors du rapport<br />
de l’OLAF, publié, il y a 3 ans ;de détournement<br />
de l’aide humanitaire internationale<br />
destinée aux réfugiés des<br />
camps de Tindouf ?<br />
Me Stéphane Rodrigues : « Effectivement.<br />
C’est pour cette raison que je<br />
suis allé dénoncer devant la 4 e<br />
Commission de l’Assemblée générale<br />
de l’Onu la poursuite<br />
du détournement de<br />
l’aide humanitaire<br />
internationale destinée<br />
aux réfugiés de<br />
camp de Tindouf par les dirigeants du<br />
Polisario et leurs protecteurs en Algérie.<br />
Il y a quelques années, afin d’éradiquer<br />
ce détournement de fonds alloués<br />
par l’Union européenne à l’aide<br />
humanitaire aux réfugiés des camps<br />
de Tindouf, le Parlement européen a<br />
exigé des institutions européennes la<br />
mise en place des mesures de contrôle<br />
et de traçabilité de l’aide aux populations<br />
locales. Ces dispositifs, jusqu’à<br />
présent, n’ont manifestement pas empêché<br />
les fraudes et les<br />
trafics dont sont coupables<br />
les dirigeants du<br />
Polisario. »<br />
Le Relais : comment<br />
avez-vous été alerté par<br />
ce détournement dont<br />
on parle maintenant ?<br />
Me Stéphane Rodrigues « A l’origine,<br />
c’était grâce à la détermination<br />
de l’ONG Aide Fédération, accréditée<br />
auprès du Conseil économique et social<br />
de l’Onu, qu’a été rendu public le<br />
rapport de l’OLAF (Office de lutte an-<br />
ti-fraude de l’UE) sur le détournement<br />
de l’aide européenne destinée aux réfugiés<br />
de Tindouf. Il y a eu, d’abord, des<br />
fuites ici et là sur Internet à propos de<br />
l’existence d’une enquête de l’OLAF<br />
et d’un rapport final. Contactés par<br />
Aide Fédération, nous avons demandé<br />
à l’OLAF de publier son rapport et de<br />
nous en donner l’accès. Il y a de cela<br />
3 ans, nous avons lancé la procédure.<br />
Après un premier refus de l’OLAF, en<br />
appel, le rapport nous a été finalement<br />
transmis mais avec des noms et des<br />
passages floutés ou barrés. La lecture<br />
du rapport s’est révélée être édifiante :<br />
un détournement massif et organisé a<br />
été confirmé.<br />
En 2014, Aide Fédération a demandé à<br />
Me Pierre Legros de rendre ce rapport<br />
public pour la première fois. Après sa<br />
divulgation, nous avons été reçus par<br />
plusieurs responsables de l’organisation<br />
de l’aide aux réfugiés, en particulier<br />
à la DG-Echo, l’Office d’aide humanitaire<br />
de la Commission européenne<br />
et au Haut-Commissariat de l’Onu<br />
pour les réfugiés (HCR). Avec le PAM<br />
(Programme Alimentaire Mondial) des<br />
échanges ont été également encourageants.<br />
Que retenir de ces contacts ?<br />
Unanimes, tous les parties consultées<br />
ont insisté sur le<br />
fait que des mesures<br />
avaient été<br />
prises à la suite du<br />
rapport de l’OLAF,<br />
afin d’écarter les<br />
personnes non-autorisées<br />
et des protocoles<br />
signés avec<br />
des organismes intermédiaires<br />
pour sécuriser l’acheminement,<br />
à l’instar du Croissant rouge<br />
algérien. »<br />
Le Relais : Qu’est- ce qui vous a mis<br />
la puce à l’oreille afin que vous puissiez<br />
aller, encore devant la quatrième Commission<br />
de l’Onu ?<br />
Me Stéphane Rodrigues « Fin août<br />
2016, la presse mauritanienne a révélé<br />
que des cargaisons de produits qui auraient<br />
dû être destinés à la population<br />
des camps de Tindouf (notamment<br />
des médicaments et de la poudre de<br />
lait pour bébés) avaient fait l’objet de<br />
Le Parlement a<br />
exigé des institutions<br />
européennes la<br />
mise en place des<br />
mesures<br />
contrôles inopinés par la gendarmerie,<br />
dans la région de Zouerate, et s’étaient<br />
révélés être des marchandises détournées.<br />
Aussi Aide -Fédération, nous a–t-elle<br />
saisi de nouveau de l’affaire, étant<br />
convaincue, cette fois-ci encore, qu'un<br />
détournement à grande échelle de<br />
l’aide humanitaire internationale au<br />
bénéfice des réfugiés des camp de<br />
Tindouf se poursuivait. En réagissant<br />
à ces informations, cette association<br />
tenait à alerter<br />
l’opinion internationale,<br />
rejointe<br />
par deux autres<br />
associations : Protea<br />
Human Rights,<br />
en Italie, et le ForumCanario-Saharoui<br />
(FOCASA), en<br />
Espagne, qui nous<br />
ont contacté en suggérant des mesures<br />
concrètes pour mettre fin à ce<br />
trafic qui aggrave la misère à Tindouf.<br />
Parmi ces mesures, je cite l’acheminement<br />
direct des produits aux camps de<br />
Tindouf et la réduction du circuit de<br />
distribution pour éviter des intermédiaires<br />
qui détournent ces aides. »<br />
Le Relais : devant la quatrième commission<br />
de l’Onu, vous avez fait également<br />
état d’une autre anomalie, à savoir<br />
la TVA qui serait appliquée sur les<br />
produits destinés à l’aide. Qu’en est-il<br />
en réalité ?<br />
Me Rodrigues, avocat<br />
au barreau de Bruxelles<br />
- Maître de conférences<br />
à l’Ecole de droit de la<br />
Sorbonne (Université Paris<br />
1 Panthéon Sorbonne)<br />
Me Stéphane Rodrigues « Nous<br />
avons pris connaissance cet été, lors<br />
d’une réponse de la Commission européenne<br />
à la question d’un député européen,<br />
que les achats en vue des dons<br />
pour l’aide humanitaire aux camps de<br />
Tindouf avaient été soumis à la TVA, de<br />
2010 à 2015. On peut estimer qu’au<br />
moins 1 million d’euros, en 5 ans, ont<br />
été ainsi ponctionnés sur le budget<br />
destiné à financer l’achat de dons pour<br />
l’aide aux camps de Tindouf.<br />
Une telle ponction fiscale, on peut s’en<br />
douter, a un impact négatif sur la quantité<br />
des produits à envoyer aux camps.<br />
Et nous avons donc lancé un appel devant<br />
la 4 è commission de l’Onu pour<br />
que les autorités algériennes réinvestissent,<br />
d’une manière ou d’une autre,<br />
les sommes en question au bénéfice<br />
des populations de Tindouf. Jusque-là,<br />
aucune réaction. »<br />
Le Relais : Quel a été l’attitude de<br />
la 4 e Commission pendant votre intervention,<br />
en tant que pétitionnaire ?<br />
Me Stéphane Rodrigues « C’était<br />
correct. Je n’ai pas été interrompu,<br />
pendant les 3 minutes de mon intervention.<br />
Pas de contestation. Le silence<br />
est un indice sérieux de l’approbation.<br />
Aucun démenti sur les éléments d’informations<br />
que j’ai avancés sur la TVA<br />
imposée aux achats destinés à l’aide.<br />
Pas même sur la persistance du trafic<br />
des marchandises pratiqué par des<br />
responsables sahraouis et algériens. »<br />
Le Relais - N°12 - Décembre 2016 - P 15