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Thema n°13 | La personnalité

Êtes-vous agréable ? Extraverti ? Ouvert à l’expérience ? Consciencieux ? Anxieux ? La personnalité de chacun d’entre nous est une combinaison unique de ces cinq traits, si l’on en croit le modèle psychologique plébiscité du Big Five. Ces cinq dimensions de la personnalité reposent sur des fonctions cognitives identifiées, elles-mêmes associées à différentes régions cérébrales.

Êtes-vous agréable ? Extraverti ? Ouvert à l’expérience ? Consciencieux ? Anxieux ? La personnalité de chacun d’entre nous est une combinaison unique de ces cinq traits, si l’on en croit le modèle psychologique plébiscité du Big Five. Ces cinq dimensions de la personnalité reposent sur des fonctions cognitives identifiées, elles-mêmes associées à différentes régions cérébrales.

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Génétique<br />

À MI-CHEMIN ENTRE<br />

INNÉ ET ACQUIS<br />

Thérapie<br />

PEUT-ON CHANGER<br />

DE PERSONNALITÉ ?<br />

Psychologie<br />

RECONNAÎTRE ET GÉRER<br />

LES PERSONNALITÉS DIFFICILES<br />

LA PERSONNALITÉ<br />

Comment notre caractère se forge


ÉDITO<br />

QUI ÊTES-VOUS ?<br />

Philippe Ribeau<br />

Responsable éditorial web<br />

Êtes-vous agréable ? Extraverti ? Ouvert à l’expérience ?<br />

Consciencieux ? Anxieux ? <strong>La</strong> <strong>personnalité</strong> de chacun d’entre<br />

nous est une combinaison unique de ces cinq traits,<br />

si l’on en croit le modèle psychologique plébiscité du Big Five.<br />

Ces cinq dimensions de la <strong>personnalité</strong> reposent sur des fonctions<br />

cognitives identifiées, elles-mêmes associées à différentes<br />

régions cérébrales.<br />

Mais comment notre <strong>personnalité</strong> se forge-t-elle ?<br />

Les recherches montrent qu’elle évolue durant l’enfance<br />

et l’adolescence pour se stabiliser vers l’âge de 30 ans.<br />

Une évolution déterminée par nos expériences (attitude<br />

des parents, scolarisation, éventuels traumatismes, etc.) mais<br />

aussi par notre tempérament initial. <strong>La</strong> part d’héritage génétique<br />

dans les traits de <strong>personnalité</strong> serait comprise entre 40 et 60 %,<br />

même si les gènes impliqués restent difficiles à identifier. Ces traits<br />

dépendent aussi de la culture : les mentalités – liées à l’éducation,<br />

aux valeurs, etc. – diffèrent d’un groupe social à un autre.<br />

Quelle que soit son origine, notre <strong>personnalité</strong> a un impact<br />

déterminant sur notre réussite scolaire, notre carrière, nos<br />

relations sociales ou notre vie amoureuse : les relations sont plus<br />

stables quand les partenaires partagent certains traits de caractère.<br />

Dès lors, peut-on changer de <strong>personnalité</strong>, du moins<br />

en atténuer les aspects problématiques ? Si elle reste en moyenne<br />

relativement stable à l’âge adulte, la <strong>personnalité</strong> évolue tout<br />

de même à la marge au fil des expériences vécues, sans que nous<br />

en ayons conscience. Et des stratégies thérapeutiques parviennent<br />

à tempérer certains traits négatifs et renforcer les positifs.<br />

Au travail, dans son cercle de connaissances, voire en famille,<br />

connaître sa <strong>personnalité</strong> et celle des autres est en fin de compte<br />

indispensable. Ne serait-ce que pour savoir reconnaître et faire face<br />

aux <strong>personnalité</strong>s toxiques : paranoïaques, narcissiques,<br />

obsessionnels, etc., qui représentent entre 10 et 25 % des gens.<br />

Alors, quelle est votre <strong>personnalité</strong> ? Le test à la fin<br />

de ce <strong>Thema</strong> vous livrera peut-être des surprises !<br />

Pour la Science<br />

170 bis boulevard du Montparnasse - 75014 Paris<br />

Tél. : 01 55 42 84 00<br />

Directrice des rédactions : Cécile Lestienne<br />

Pour la Science<br />

Rédacteur en chef : Maurice Mashaal<br />

Rédactrice en chef adjointe : Marie-Neige Cordonnier<br />

Rédacteurs : François Savatier, Sean Bailly<br />

Conceptrice graphique : Pauline Bilbault<br />

Directrice artistique : Céline <strong>La</strong>pert<br />

Maquette : Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy<br />

Réviseuse : Anne-Rozenn Jouble<br />

Développement numérique : Philippe Ribeau-Gésippe<br />

Marketing & diffusion : Arthur Peys<br />

Chef de produit : Charline Buché<br />

Presse et communication : Susan Mackie<br />

susan.mackie@pourlascience.fr<br />

Tél. : 01 55 42 85 05<br />

Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot<br />

Publicité France<br />

Stéphanie Jullien<br />

stephanie.jullien@pourlascience.fr<br />

Tél. : 06 19 94 79 25<br />

© Pour la Science S.A.R.L.<br />

Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et de représentation<br />

réservés pour tous les pays. Certains articles de ce numéro sont publiés en<br />

accord avec la revue Spektrum der Wissenschaft (© Spektrum der Wissenschaft<br />

Verlagsgesellschaft, mbHD-69126, Heidelberg). En application de la loi du 11 mars<br />

1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente revue<br />

sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit<br />

de copie (20, rue des Grands-Augustins - 75006 Paris).<br />

© Couverture : Flashpop / Getty Images<br />

EAN : 9782490754021<br />

Dépôt légal : Juillet 2019<br />

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<strong>Thema</strong> / Personnalité 2


SOMMAIRE<br />

P/4<br />

P/35<br />

P/17 P/72<br />

4/QUI ÊTES-VOUS ?<br />

MARTINE BOUVARD<br />

9/LES 5 FACETTES<br />

DE LA PERSONNALITÉ<br />

JEAN-PIERRE ROLLAND<br />

16/ INFOGRAPHIE<br />

LES 5 DIMENSIONS DE LA PERSONNALITÉ<br />

OBSERVÉES DANS LE CERVEAU<br />

17/ENTRE GÈNES ET ENVIRONNEMENT<br />

AURÉLIE CHOPIN ET DIANE PURPER-OUAKIL<br />

26/CULTURES ET MENTALITÉS<br />

PASCAL DE SUTTER<br />

35/DÉCHIFFRER LE SOI,<br />

UN ENJEU DE SOCIÉTÉ<br />

FILIP DE FRUYT<br />

42/LES PERSONNALITÉS DIFFICILES<br />

JEAN-PIERRE ROLLAND<br />

55/COMMENT NOTRE ENFANCE<br />

NOUS FAÇONNE<br />

GRÉGORY MICHEL<br />

64/PEUT-ON CHANGER<br />

DE PERSONNALITÉ ?<br />

MICHEL HANSENNE<br />

72/LA PERSONNALITÉ<br />

FAIT-ELLE LE COUPLE ?<br />

BEATRICE RAMMSTEDT<br />

76/TEST : QUELLE EST VOTRE<br />

PERSONNALITÉ ?<br />

GRÉGORY MICHEL<br />

<strong>Thema</strong> / Personnalité<br />

3


Qui êtes-vous ?<br />

MARTINE BOUVARD<br />

© Malik Earnest / Unsplash


Chaque individu est une combinaison unique de traits<br />

de <strong>personnalité</strong>, normaux ou plus ou moins pathologiques.<br />

Grâce à des modèles et à divers tests, on définit<br />

les grandes caractéristiques de la <strong>personnalité</strong>.<br />

« Chacun de nous possède une musique d’accompagnement intérieure.<br />

Et si les autres l’entendent aussi, cela s’appelle la <strong>personnalité</strong>. »<br />

Gilbert Cesbron,<br />

Journal sans date : Bonheur de rien, 1979<br />

C’est ainsi que Gilbert Cesbron<br />

définissait la <strong>personnalité</strong>. Ce serait ce qui<br />

nous caractérise et ce que notre entourage<br />

perçoit. Si les différents modèles de <strong>personnalité</strong><br />

s’accordent sur son caractère<br />

constant, c’est-à-dire prévisible, et sur l’importance<br />

des interactions de l’individu et<br />

de l’environnement dans sa construction,<br />

parler de la <strong>personnalité</strong> d’un individu<br />

revient à décrire ses réactions, voire à prévoir<br />

son comportement dans telle ou telle<br />

situation. <strong>La</strong> <strong>personnalité</strong> aurait une composante<br />

génétique (le tempérament) et des<br />

traits acquis au cours de l’enfance (le caractère).<br />

Durant l’enfance, les traits de caractère<br />

seraient malléables, alors qu’à l’âge<br />

adulte, la <strong>personnalité</strong> serait stable – bien<br />

que certains traits puissent changer si des<br />

événements marquants surviennent.<br />

<strong>La</strong> <strong>personnalité</strong> est un concept complexe,<br />

car elle comprend plusieurs facettes.<br />

Les modèles la décrivant peuvent se résumer<br />

à deux grands courants. Ceux proposés<br />

par les psychologues s’appliquent à la<br />

<strong>personnalité</strong> dite normale. C’est le cas des<br />

modèles de Hans Eysenck, de Paul Costa<br />

et de Robert Mc Crae, qui ont étudié les<br />

dimensions de la <strong>personnalité</strong> et cherché<br />

à la décrire par le nombre le plus réduit<br />

possible de dimensions. Pour H. Eysenck,<br />

deux dimensions, l’extraversion (la tendance<br />

à l’extériorisation ou à l’action)<br />

et le névrosisme (l’instabilité émotionnelle),<br />

seraient suffisantes, mais il a aussi<br />

ajouté le psychoticisme (l’impulsivité et la<br />

recherche de sensations).<br />

De multiples facettes<br />

Aujourd’hui, le modèle le plus utilisé<br />

pour décrire la <strong>personnalité</strong> normale<br />

compte cinq dimensions – extraversion,<br />

agréabilité, conscience (implication au<br />

travail), névrosisme et ouverture aux<br />

<strong>Thema</strong> / Personnalité<br />

5


Les 5 facettes de la <strong>personnalité</strong><br />

JEAN-PIERRE ROLLAND<br />

© Sergeyyyyy / Shutterstock.com


NÉVROSISME<br />

▶ Anxiété<br />

▶ Colère - Hostilité<br />

▶ Dépression<br />

▶ Timidité sociale<br />

▶ Impulsivité<br />

▶ Vulnérabilité<br />

Comment décrire au mieux votre <strong>personnalité</strong> ?<br />

Cinq dimensions suffisent : le névrosisme, l’agréabilité,<br />

l’ouverture à l’expérience, l’extraversion et le caractère<br />

consciencieux. Quelle combinaison vous caractérise ?<br />

AGRÉABILITÉ<br />

▶ Confiance<br />

▶ Franchise<br />

▶ Altruisme<br />

▶ Conciliation<br />

▶ Modestie<br />

▶ Sensibilité<br />

EXTRAVERSION<br />

▶ Chaleur<br />

▶ Sociabilité<br />

▶ Assertivité<br />

▶ Activité<br />

▶ Recherche de sensations<br />

▶ Émotions positives<br />

CARACTÈRE<br />

CONSCIENCIEUX<br />

▶ Compétence<br />

▶ Ordre et méthode<br />

▶ Sens du devoir<br />

▶ Recherche de la réussite<br />

▶ Autodiscipline<br />

▶ Délibération<br />

OUVERTURE<br />

À L’EXPÉRIENCE<br />

Ouverture :<br />

▶ aux rêveries<br />

▶ à l’esthétique<br />

▶ aux sentiments<br />

▶ aux actions<br />

▶ aux idées<br />

▶ aux valeurs<br />

<strong>La</strong> <strong>personnalité</strong> correspond à<br />

l’ensemble des traits qui déterminent<br />

comment un individu s’adapte à son<br />

environnement et réagit dans une situation<br />

donnée. Les traits de <strong>personnalité</strong><br />

décrivent des différences individuelles<br />

dans nos façons de penser, de ressentir des<br />

émotions et d’agir. Les cinq dimensions<br />

qui résument correctement les traits sont<br />

le névrosisme, l’agréabilité, l’ouverture à<br />

l’expérience, l’extraversion et le caractère<br />

consciencieux : c’est le modèle dit à cinq<br />

facteurs. Chaque dimension est un continuum<br />

et la plupart des gens se situent à<br />

mi-chemin entre les extrémités.<br />

Ces cinq grands domaines permettent<br />

une description complète et économique<br />

de la <strong>personnalité</strong> de la plupart des personnes.<br />

Mais ils regroupent en réalité une<br />

multitude de traits spécifiques. Pour évaluer<br />

la <strong>personnalité</strong> d’un adulte, il existe<br />

plusieurs tests où chaque domaine est<br />

représenté par plusieurs traits de <strong>personnalité</strong>.<br />

Chacun est plus ou moins pertinent<br />

en fonction du contexte, En psychologie<br />

clinique, on utilise ainsi le questionnaire<br />

neo-pi-3, tandis que le questionnaire PFPI<br />

est conçu pour les ressources humaines.<br />

Connaître sa <strong>personnalité</strong> ou celle des<br />

autres est utile dans différents domaines,<br />

comme les ressources humaines, l’éducation<br />

ou la santé, la <strong>personnalité</strong> ayant un<br />

impact sur notre façon de nous adapter à<br />

l’environnement.<br />

<strong>Thema</strong> / Personnalité<br />

10


Entre gènes et environnement<br />

AURÉLIE CHOPIN ET DIANE PURPER-OUAKIL<br />

© Blake Barlow / Unsplash


Les traits de la <strong>personnalité</strong> sont autant innés qu’acquis.<br />

On ignore quels gènes sont impliqués, mais on sait<br />

que l’environnement modifie leur expression.<br />

<strong>La</strong> <strong>personnalité</strong> comprend un<br />

ensemble de caractéristiques individuelles<br />

complexes qui associent des composantes<br />

supposées stables, innées, et des composantes<br />

acquises. Les premières définissent<br />

de façon presque immuable comment nous<br />

réagissons à notre environnement – ce sont<br />

les traits de tempérament –, les secondes<br />

évoluent avec notre histoire – ce sont les<br />

traits de caractère. Notons que très souvent<br />

les termes tempérament et caractère sont<br />

utilisés sans distinctions, ce qui n’est pas<br />

le cas ici, car ce sont des composantes différentes<br />

de la <strong>personnalité</strong>. Les premières<br />

théories du fonctionnement humain faisaient<br />

référence aux déterminants innés de<br />

la <strong>personnalité</strong>, mais les conceptions plus<br />

récentes insistent sur le rôle de facteurs<br />

extérieurs dans son développement.<br />

Du tempérament au caractère<br />

<strong>La</strong> recherche d’indicateurs biologiques,<br />

notamment génétiques, des traits<br />

de <strong>personnalité</strong> a évolué récemment avec<br />

les progrès des techniques neuroscientifiques.<br />

Comment mettre en évidence les<br />

relations entre <strong>personnalité</strong> et processus<br />

neurobiologiques ?<br />

Aujourd’hui, les scientifiques<br />

cherchent à identifier des traits de tempérament<br />

« basiques », plutôt que de<br />

comprendre les traits de <strong>personnalité</strong><br />

complexes résultant de l’interaction avec<br />

le milieu. Ainsi, on étudie les mécanismes<br />

impliqués dans les variations individuelles<br />

de la <strong>personnalité</strong>.<br />

Un autre aspect de la recherche neurobiologique<br />

et génétique sur le comportement<br />

humain est l’étude des troubles<br />

de la <strong>personnalité</strong> : quels sont les facteurs<br />

biologiques mis en cause dans l’apparition<br />

et l’évolution des troubles de la<br />

<strong>personnalité</strong>, tels que la <strong>personnalité</strong> borderline<br />

ou antisociale ?<br />

Qu’elles s’intéressent aux traits ou aux<br />

troubles de la <strong>personnalité</strong>, les études génétiques<br />

donnent des résultats distincts selon<br />

les méthodes utilisées. Et ce parce qu’on<br />

ignore comment identifier les mécanismes<br />

biologiques sous-tendant les comportements<br />

complexes, tels que l’intelligence et<br />

la <strong>personnalité</strong>. En effet, les interactions des<br />

gènes avec l’environnement interviennent<br />

non seulement dans le développement individuel,<br />

mais aussi dans l’histoire de l’espèce.<br />

Nous allons retracer les principales étapes<br />

de la recherche en génétique de la <strong>personnalité</strong><br />

et en décrire les enjeux.<br />

Les études de jumeaux permettent<br />

aux scientifiques d’estimer l’importance<br />

des facteurs génétiques dans un trait de<br />

<strong>Thema</strong> / Personnalité<br />

18


Cultures et mentalités<br />

PASCAL DE SUTTER<br />

© file404 / Shutterstock.com


Les traits de la <strong>personnalité</strong> sont identiques dans tous<br />

les groupes humains. Mais ils sont plus ou moins marqués<br />

chez chaque individu et dépendent de la culture : la mentalité<br />

n’est pas la même partout !<br />

touchent moins, en moyenne, le bras ou<br />

l’épaule que les Français quand ils communiquent<br />

; et ils se serrent la main moins<br />

souvent et moins longtemps. Ces résultats<br />

confirment en quelque sorte l’impression<br />

de « distance » que ressentent les Français<br />

vis-à-vis des Britanniques. Dans ce cas, le<br />

préjugé serait partiellement fondé.<br />

Les Écossais sont avares, les Italiens<br />

bavards, les Polonais buveurs, les Belges<br />

benêts, les Anglais distants, les Espagnols<br />

fiers, les Allemands travailleurs, les Français<br />

râleurs, etc. Des caractéristiques, des modes<br />

de fonctionnement ou des traits de <strong>personnalité</strong><br />

sont souvent attribués aux différentes<br />

nationalités. Il est de bon ton aujourd’hui<br />

de qualifier ces jugements de « préjugés ».<br />

Cependant, si nous voyageons à l’étranger,<br />

nos préjugés peuvent disparaître ou être<br />

renforcés. Prenons l’exemple du préjugé :<br />

« les Anglais sont distants ». Si vous prenez<br />

une bière dans un pub londonien le soir<br />

d’une victoire du club de football d’Arsenal,<br />

vous trouverez au contraire les Anglais<br />

chaleureux, conviviaux, bavards, familiers<br />

– tout sauf distants. Et vos préjugés, notamment<br />

sur le flegme britannique et leur self<br />

control, seront modifiés au contact des supporters<br />

déchaînés.<br />

Alors existe-t-il des spécificités nationales<br />

dans le comportement et la <strong>personnalité</strong><br />

des individus ? Il semble que non.<br />

Pourtant, plusieurs études scientifiques<br />

montrent que les caractéristiques des<br />

populations changent d’un groupe culturel<br />

à l’autre. Par exemple, les Anglais se<br />

Les préjugés sur la « race »<br />

L’idée selon laquelle les traits de <strong>personnalité</strong><br />

changent avec la culture n’est<br />

pas récente. Durant l’Antiquité déjà, les<br />

Égyptiens attribuaient aux Hébreux plusieurs<br />

caractéristiques négatives : « C’est une<br />

abomination pour les Égyptiens de manger<br />

avec les Hébreux » (Livre de la Genèse).<br />

Longtemps, ces différences de fonctionnement<br />

(réelles ou imaginaires) ont été attribuées<br />

à la « race » plutôt qu’à la culture…<br />

Plus près de nous, disons quelques<br />

mots des délires du neurologue et psychiatre<br />

français Edgar Bérillon qui exprimait<br />

son opinion – qu’il qualifiait de<br />

scientifique – sur les Allemands, dans son<br />

livre <strong>La</strong> psychologie de la race allemande :<br />

« L’odeur de la race allemande a toujours<br />

<strong>Thema</strong> / Personnalité<br />

27


Déchiffrer le soi,<br />

un enjeu de société<br />

FILIP DE FRUYT<br />

© <strong>La</strong>urenz Kleinheider / Unsplash


Au travail, à l’école ou en thérapie, connaître<br />

sa <strong>personnalité</strong> et celle des autres est indispensable.<br />

Mais comment s’y prend-on concrètement ?<br />

Lorsque Philippe a envoyé sa<br />

candidature à un poste de chef de projet<br />

dans une agence publicitaire très renommée,<br />

il ne s’attendait pas à devoir passer<br />

un test de <strong>personnalité</strong>. Le poste était très<br />

demandé, et les candidats d’un niveau très<br />

relevé. Il fut donc surpris d’être retenu. Lors<br />

de l’entretien qui a suivi le test, le consultant<br />

en recrutement a échangé avec lui de<br />

manière assez approfondie sur deux traits<br />

de caractère qui apparaissaient comme très<br />

marqués dans son profil de <strong>personnalité</strong> :<br />

l’agréabilité et le caractère consciencieux.<br />

Ces deux dimensions de la <strong>personnalité</strong><br />

étaient des atouts pour le poste, nécessitant<br />

de déclencher des synergies dans<br />

un groupe et de respecter les deadlines, et<br />

donc, pour son futur manager, des qualités<br />

cruciales. Lors de l’entretien de débriefing,<br />

le consultant chargé du recrutement lui<br />

a fait savoir que – outre ses compétences<br />

et son curriculum vitae – ces deux critères<br />

avaient été déterminants dans la décision<br />

de le recruter.<br />

Mais qu’est-ce que l’analyse de <strong>personnalité</strong><br />

? Et que sont ces fameux domaines<br />

de la <strong>personnalité</strong> qu’évaluent les questionnaires<br />

? Dans cet article, nous verrons<br />

comment les recherches en psychologie<br />

de la <strong>personnalité</strong> ont posé les bases de<br />

ce décryptage du soi, puis quel usage (raisonné)<br />

en faire dans les contextes professionnel,<br />

éducatif et de santé.<br />

Les chercheurs sont arrivés à un<br />

consensus : il faut examiner – au moins –<br />

cinq dimensions (ou domaines), chacune<br />

comprenant différents traits, pour avoir<br />

une vision correcte de la <strong>personnalité</strong>. Pour<br />

le psychologue américain Gordon Allport,<br />

la <strong>personnalité</strong> est « l’organisation dynamique<br />

des traits qui détermine l’adaptation<br />

unique d’une personne à son environnement<br />

». <strong>La</strong> notion de trait est centrale. Un<br />

trait est une tendance relativement stable<br />

à avoir certaines pensées récurrentes – par<br />

exemple, l’extraverti a tendance à penser<br />

que la vie est belle –, à vivre certaines émotions<br />

– par exemple, une personne agréable<br />

a tendance à se montrer conciliante –, et à<br />

se comporter d’une manière particulière –<br />

une personne ouverte à l’expérience peut,<br />

par exemple, aimer voyager. Dès lors, les<br />

différences de <strong>personnalité</strong> entre individus<br />

correspondent à diverses combinaisons de<br />

ces cinq dimensions.<br />

<strong>Thema</strong> / Personnalité<br />

36


Les <strong>personnalité</strong>s difficiles<br />

JEAN-PIERRE ROLLAND<br />

© Charlotte Martin


On les trouve au travail, dans son cercle de connaissances,<br />

voire en famille. Antisociaux, paranoïaques, narcissiques,<br />

obsessionnels… Ils représentent parfois un problème<br />

pour eux-mêmes et leur entourage. Comment les repérer<br />

et y faire face ?<br />

méfiance permanente. Si, pour le sujet et<br />

son entourage, il en résulte une souffrance<br />

ou une altération du fonctionnement psychique,<br />

les psychologues et les psychiatres<br />

parlent de « troubles de la <strong>personnalité</strong> », de<br />

« <strong>personnalité</strong>s difficiles » ou de « styles ou<br />

de tendances dysfonctionnels ».<br />

Pierre est arrivé au bureau il y a trois<br />

semaines. Il est vraiment très compétent,<br />

mais nous avons tous assez vite remarqué<br />

qu’il semble se méfier de nous et qu’il ne<br />

fait confiance à personne. Il a de grandes<br />

difficultés à partager ses dossiers et a peur<br />

qu’on ne l’intègre pas dans tous les projets.<br />

Si on lui fait une remarque, même mineure,<br />

il se sent attaqué et réagit très vivement.<br />

Son comportement commence vraiment<br />

à poser des problèmes dans l’équipe. Ce<br />

genre de témoignage n’est pas si rare.<br />

Pierre est peut-être un peu « paranoïaque »<br />

une des <strong>personnalité</strong>s « difficiles » que l’on<br />

peut trouver dans la population. Ces styles<br />

de <strong>personnalité</strong> sont caractérisés par un<br />

ensemble de traits figés, parfois inadaptés<br />

au contexte, comme une peur ou une<br />

Dix troubles qui s’entremêlent<br />

Nous présentons ici ces <strong>personnalité</strong>s<br />

difficiles. Divers modèles décrivent<br />

ces troubles, mais nous abordons ici celui<br />

développé par l’Association américaine de<br />

psychiatrie (American psychiatry association<br />

ou APA), qui propose dix styles dysfonctionnels<br />

ayant fait l’objet de nombreuses<br />

recherches. L’objectif n’est pas de classer<br />

une personne dans une catégorie, mais<br />

de fournir un ensemble de repères pour<br />

comprendre la dynamique psychologique<br />

des personnes ayant des troubles de la <strong>personnalité</strong>.<br />

Les <strong>personnalité</strong>s difficiles (ou<br />

dysfonctionnelles) ne sont pas des entités<br />

distinctes. Par exemple, un individu peut<br />

être à la fois narcissique et paranoïaque, à<br />

des degrés divers (voir la suite page 54).<br />

<strong>Thema</strong> / Personnalité<br />

43


Comment notre enfance<br />

nous façonne<br />

GRÉGORY MICHEL<br />

© Shutterstock.com / Eakachai Leesin


Comment sommes-nous modelés par l’attitude<br />

de nos parents, l’entrée à l’école, les éventuelles expériences<br />

traumatiques ? En suivant des personnes sur des décennies,<br />

les psychologues ont vu se dessiner les premières réponses.<br />

Ils sont plus ou moins actifs, répondent à<br />

des stimulations d’intensité variable, ont<br />

tendance à rechercher ou à fuir la nouveauté<br />

et ont des cycles biologiques (faim, sommeil,<br />

excrétion) plus ou moins réguliers.<br />

Au départ, ces traits sont essentiellement<br />

d’origine génétique, mais très vite, l’environnement<br />

va les moduler. Plusieurs études<br />

dites longitudinales (où des personnes sont<br />

suivies à plusieurs années d’intervalle) ont<br />

mesuré la façon dont la <strong>personnalité</strong> évolue,<br />

parfois pendant une trentaine d’années.<br />

Vous décririez-vous comme une<br />

personne plutôt introvertie ? Rigoureuse<br />

et consciencieuse ? Faisant facilement<br />

confiance aux autres ? Encline à l’anxiété ?<br />

Tous ces comportements, pensées, sentiments<br />

et façons de réagir définissent en<br />

grande partie qui vous êtes. D’après le dictionnaire<br />

Le Littré, la <strong>personnalité</strong> est « ce<br />

qui appartient à une personne et ce qui<br />

fait qu’elle est elle et non une autre ». Mais<br />

qu’est-ce donc qui fait de nous des individus<br />

uniques ?<br />

Bien sûr, nos gènes sont en partie responsables<br />

: en influant sur des paramètres<br />

biologiques comme les concentrations<br />

hormonales, ils nous rendent par exemple<br />

plus ou moins émotifs. Mais les différents<br />

apprentissages, la culture, les règles sociales,<br />

les relations avec les autres vont aussi façonner<br />

ce que nous sommes. À ce titre, l’enfance<br />

et l’adolescence ont un poids particulier.<br />

Ce sont en effet des périodes marquées<br />

à la fois par une forte maturation du cerveau<br />

et par un grand nombre d’expériences<br />

structurantes.<br />

Dès l’âge d’environ 6 mois, les enfants<br />

présentent des différences de « <strong>personnalité</strong> »<br />

– à cet âge, on parle plutôt de tempérament.<br />

Les parents forgent l’estime de soi<br />

Un facteur déterminant dans la<br />

construction de notre <strong>personnalité</strong> est<br />

l’environnement familial. Il a une forte<br />

influence sur notre capacité à nous apprécier<br />

nous-mêmes, notre confiance en soi et<br />

notre estime de soi. Ce lien a été exploré<br />

dès les années 1970, notamment par une<br />

psychologue de l’université de Berkeley,<br />

Diana Baumrind. Selon ses études, notre<br />

estime de soi peut en partie s’expliquer<br />

par quatre types de comportements que<br />

nos parents ont eus à notre égard. Si ceux-ci<br />

nous procurent un encadrement attentif<br />

<strong>Thema</strong> / Personnalité<br />

56


Peut-on changer<br />

de <strong>personnalité</strong> ?<br />

MICHEL HANSENNE<br />

© Jacob Townsend / Unsplash


<strong>La</strong> <strong>personnalité</strong> se modifie tout au long de la vie et dépend<br />

des expériences vécues. Cette évolution se fait<br />

sans que nous en ayons conscience. Des stratégies<br />

thérapeutiques peuvent atténuer certains traits négatifs<br />

ou renforcer les positifs.<br />

mesurer afin de trouver la personne correspondant<br />

au profil souhaité par l’employeur.<br />

D’autres études ont aussi mis en évidence<br />

une relation assez forte entre les<br />

tempéraments des jeunes enfants et leur<br />

<strong>personnalité</strong> à l’âge adulte ; un enfant<br />

réservé et timoré sera sans doute anxieux et<br />

introverti à l’âge adulte ; un enfant curieux<br />

et souriant sera vraisemblablement extraverti<br />

à l’âge adulte. Dès lors : peut-on envisager<br />

de changer de <strong>personnalité</strong> ?<br />

<strong>La</strong> <strong>personnalité</strong> régit la façon dont<br />

nous nous comportons, mais aussi dont<br />

nous pensons, ainsi que nos représentations<br />

mentales des autres et du monde. Elle<br />

contribue à une intégrité individuelle qui<br />

nous rend unique. Bien que la <strong>personnalité</strong><br />

soit influencée par des facteurs génétiques<br />

sur lesquels nous n’avons pas d’emprise,<br />

elle est aussi façonnée par l’expérience et<br />

l’apprentissage qui, jusqu’au début de l’âge<br />

adulte, peaufinent ce que nous sommes.<br />

Un concept central en psychologie<br />

de la <strong>personnalité</strong> est celui de stabilité. En<br />

effet, de nombreuses études ont montré<br />

que les grandes dimensions de la <strong>personnalité</strong><br />

sont relativement stables dans le<br />

temps pour une même personne, ce qui<br />

permet d’ailleurs de prévoir de façon fiable<br />

comment un individu se comportera dans<br />

telle ou telle situation. Si la <strong>personnalité</strong><br />

n’était pas stable, il serait inutile, lors d’un<br />

entretien d’embauche par exemple, de la<br />

On peut tous changer<br />

Oui. Heureusement, la <strong>personnalité</strong><br />

peut évoluer. D’abord, naturellement<br />

avec l’âge. Ensuite, parce qu’elle change<br />

en fonction des différents événements<br />

que nous vivons. Enfin, parce qu’elle peut<br />

se transformer suite à des interventions<br />

thérapeutiques.<br />

Avant d’aborder ces trois points, il est<br />

important de comprendre que la <strong>personnalité</strong><br />

n’est pas dichotomique : ce n’est pas tout<br />

ou rien ; c’est un continuum. Autrement dit,<br />

il n’y a pas les personnes extraverties d’une<br />

part et les introverties d’autre part, mais au<br />

contraire chaque personne se situe sur un<br />

<strong>Thema</strong> / Personnalité<br />

65


<strong>La</strong> <strong>personnalité</strong><br />

fait-elle le couple ?<br />

BEATRICE RAMMSTEDT<br />

© Pablo Heimplatz / Unsplash


<strong>La</strong> psychologue Beatrice Rammstedt a suivi 7 000 couples,<br />

et montré que les relations sont plus stables quand les<br />

partenaires partagent certains traits de caractère, comme<br />

elle l’explique dans cet entretien.<br />

ouvert à la nouveauté – et donc prêt à tester<br />

un nouveau restaurant de temps en temps<br />

–, tandis que l’autre veut toujours retourner<br />

dans le même restaurant, la situation<br />

peut engendrer des tensions, l’un des deux<br />

étant toujours insatisfait.<br />

Peut-on prévoir, dès le mariage,<br />

si une relation durera ?<br />

Pour un couple en particulier, c’est<br />

hasardeux, car cela fait intervenir des facteurs<br />

à la fois trop nombreux et imprévisibles.<br />

Toutefois, quand on fait la moyenne<br />

sur un grand nombre de couples, on voit<br />

apparaître quelques constantes. Avec<br />

mes collègues, nous avons étudié chez<br />

7 000 couples environ si certains appariements<br />

de partenaires sont plus durables<br />

que d’autres. Nous avons constaté qu’en<br />

moyenne les relations sont plus stables<br />

lorsque les partenaires se ressemblent en<br />

termes de conscienciosité, d’agréabilité et<br />

d’ouverture à la nouveauté.<br />

Il s’agit de trois des cinq traits<br />

fondamentaux de <strong>personnalité</strong> que<br />

les psychologues nomment Big Five.<br />

Exactement. Appliqué à la vie de<br />

tous les jours, cela signifie, par exemple,<br />

qu’il vaut mieux que les deux partenaires<br />

laissent traîner leurs chaussettes dans<br />

l’appartement (ce qui correspond à un<br />

faible degré de conscienciosité). S’il n’y<br />

en a qu’un à le faire, la situation devient<br />

une source de conflits. De même si l’un est<br />

Que se passe-t-il quand les deux<br />

partenaires sont égocentriques<br />

ou non coopératifs ?<br />

Paradoxalement, deux partenaires<br />

désagréables peuvent vivre en bonne<br />

entente. Les conflits apparaissent plutôt<br />

si l’un des deux est très coopératif et<br />

éprouve un fort besoin d’harmonie, tandis<br />

que l’autre ne partage pas ces aspirations.<br />

Là encore, le mode relationnel est asymétrique<br />

et instable.<br />

<strong>La</strong> similarité des autres traits<br />

de <strong>personnalité</strong> est-elle<br />

moins importante ?<br />

Pour certains de ces traits, toutes<br />

les combinaisons semblent autorisées.<br />

Par exemple, deux personnes extraverties<br />

sont susceptibles de bien s’accorder,<br />

mais il est aussi possible qu’elles entrent<br />

<strong>Thema</strong> / Personnalité<br />

73


TEST : quelle est votre <strong>personnalité</strong> ?<br />

GRÉGORY MICHEL<br />

© Mario Purisic / Unsplash


Agréable, sociable, extraverti, anxieux, consciencieux ?<br />

Vous êtes probablement une combinaison de ces différents traits.<br />

Mais c’est justement cette combinaison qui vous rend unique.<br />

Découvrez-la en 10 minutes.<br />

Voici un questionnaire qui va vous<br />

permettre d’évaluer certains aspects de<br />

votre <strong>personnalité</strong>. Il est dérivé du modèle<br />

des big five et du test NEO-PI-3 de Paul Costa<br />

et de Robert McCrae, du NIH (Institut américain<br />

de la santé), aux États-Unis. Ce test<br />

mesure les cinq dimensions fondamentales<br />

de la <strong>personnalité</strong> : l’extraversion (la<br />

tendance à l’extériorisation et à l’action),<br />

l’agréabilité (la bienveillance et le besoin<br />

d’aider les autres), le névrosisme (l’instabilité<br />

émotionnelle et les émotions négatives),<br />

le caractère consciencieux (le besoin<br />

de réussite et l’implication au travail) et<br />

l’ouverture à l’expérience. Il s’applique aussi<br />

bien aux enfants (de plus de 6 ans) qu’aux<br />

adultes. Votre <strong>personnalité</strong>, c’est-à-dire les<br />

comportements et les attitudes qui vous<br />

caractérisent, se construit dès l’enfance et<br />

se forge tout au long de la vie. Elle est le fruit<br />

des interactions de facteurs biologiques (ce<br />

que vous avez hérité de vos parents) avec<br />

votre environnement social et culturel<br />

(votre éducation, vos amis, vos lectures…),<br />

et vos expériences personnelles. Ce test<br />

peut éclairer votre façon d’être et d’agir.<br />

<strong>Thema</strong> / Personnalité<br />

77

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