Haiti Liberte 2 Octobre 2019
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La Tribune de Catherine Charlemagne (83)<br />
Haïti, chronique de 15 jours de manifestation<br />
politique non stop ! (1e partie)<br />
Dans notre précédente Tribune, on<br />
avait écrit qu’il fallait être fou pour<br />
croire que le Président Jovenel Moïse<br />
aurait un Premier ministre légitime<br />
dans les jours ou semaines à venir.<br />
Précautionneux, on n’avait pas voulu<br />
spécifier qu’on entendait bien entendu<br />
parler de Fritz William Michel. Et pour<br />
cause. Deux jours plus tôt, on avait<br />
appris d’une source proche du Sénat<br />
que le Président Carl Murat Cantave<br />
s’apprêtait à inviter le PM nommé à<br />
une nouvelle tentative de séance pour<br />
la ratification de sa Déclaration de politique<br />
générale pour le dimanche 22 septembre<br />
<strong>2019</strong>. Il faut déjà dire que cette<br />
date du 22 septembre nous interpellait<br />
dans la mesure où elle comporte un<br />
symbolisme qui n’est pas prêt de passer<br />
inaperçu en Haïti. Cette date porte en<br />
elle le fruit et les germes de l’accession<br />
de la famille Duvalier au pouvoir et le<br />
début d’une dictature trentenaire dans<br />
ce pays.<br />
Les Plans A et B de Carl Murat<br />
Cantave mis en échec<br />
Finalement, après le Tweet du Président<br />
du Grand corps dans l’après-midi<br />
du dimanche 22 annonçant la séance<br />
pour le lundi 23, on avait compris que<br />
lui aussi s’était rendu compte que cette<br />
date était problématique et synonyme<br />
de polémiques dans un contexte de<br />
ratification de Premier ministre que<br />
pratiquement personne ne veut, un<br />
dossier du reste aussi sensible. Mais,<br />
avant même la publication du Tweet<br />
de Carl Murat Cantave, les sénateurs<br />
de l’opposition avaient eu vent que<br />
quelque chose se tramait dans l’entourage<br />
du pouvoir et au bureau du<br />
Sénat pour que Fritz William Michel,<br />
dit « Nèg Kabrit la », puisse être ratifié<br />
coûte que coûte avant le départ prévu<br />
du Président Jovenel Moïse pour New<br />
York le mardi 24 septembre <strong>2019</strong> afin<br />
de participer à la 74 e session ordinaire<br />
de l’Assemblée générale de l’Organisation<br />
des Nations Unies (ONU) où il était<br />
question pour lui de s’adresser à l’Assemblée<br />
le jeudi 26, selon son agenda.<br />
Donc, le voyage du chef de<br />
l’Etat était conditionné par cette ratification<br />
devenue capitale pour son avenir<br />
politique. Dès dimanche 22 à l’aube,<br />
les sénateurs de l’opposition, faisant<br />
confiance aux rumeurs selon lesquelles<br />
le pouvoir et les sénateurs pro-Jovenel<br />
chercheraient à organiser la séance<br />
sans eux, s’étaient donné rendez-vous<br />
au Bicentenaire, au Sénat, afin, comme<br />
des sentinelles, de veiller sur l’Auguste<br />
Assemblée et surtout sur les salles susceptibles<br />
d’accueillir la séance introuvable.<br />
Finalement, il s’agissait d’une<br />
fausse alerte, en tout cas, démentie par<br />
le Tweet du Président du Sénat confirmant<br />
l’invitation pour le lundi 23 septembre<br />
à 8 heures. C’est une séance<br />
sous haute surveillance non seulement<br />
policière mais de la quasi-totalité des<br />
autorités judiciaires que le sénateur<br />
de l’Artibonite, victime de dégâts considérables<br />
dans sa ville des Gonaïves<br />
lors des manifestations du 20 septembre<br />
<strong>2019</strong> où sa clinique et le siège de sa<br />
Fondation avaient été saccagés, avait<br />
prévue. Après la première tentative du<br />
11 septembre <strong>2019</strong>, le Président du<br />
Sénat ne voulait prendre aucun risque.<br />
Une semaine auparavant, il<br />
avait envoyé un courrier à diverses<br />
autorités responsables de la sécurité<br />
publique du pays. Ainsi, des correspondances<br />
avaient été expédiées au<br />
premier d’entre eux, Jean-Michel Lapin,<br />
Premier ministre démissionnaire et<br />
chef du CSPN (Conseil Supérieur de la<br />
Police Nationale) et aussi bien à son<br />
ministre de la Justice démissionnaire,<br />
Jean Roody Aly, l’un des plus honnis<br />
de l’ex-gouvernement de Jean Henry<br />
Céant ; sans oublier le Directeur général<br />
a.i de la police nationale, Normil Rameau,<br />
demandant à ce que des forces<br />
de l’ordre soient déployées de manière<br />
conséquente à l’intérieur même de<br />
l’enceinte du Parlement afin, dit-il, de<br />
sécuriser le Sénat. Dans sa correspondance<br />
au Premier ministre, Carl Murat<br />
Cantave a été on ne peut plus clair : «<br />
Le Bureau du Sénat vous demande,<br />
en vertu de l’article 140.2 du règlement<br />
intérieur du Sénat, de passer des<br />
instructions au Directeur général de<br />
la police nationale pour qu’il sécurise<br />
l’aire intérieure du Parlement à l’occasion<br />
de la séance de ratification du<br />
Premier ministre nommé Fritz William<br />
Un pays jonché de barricades enflammées<br />
Michel ».<br />
Même le propre service de sécurité<br />
du Parlement avait été mis de côté<br />
afin de donner toute latitude aux forces<br />
de police nationale d’agir de manière<br />
sans équivoque à sécuriser les sénateurs<br />
et le bâtiment du Corps législatif.<br />
Et quand on lit la suite de son courrier<br />
aux responsables du gouvernement<br />
démissionnaire, on comprend que pour<br />
le Président du Sénat il était hors de<br />
question qu’aucun perturbateur ne vienne<br />
perturber sa séance de ratification<br />
dont il mettait un point d’honneur à<br />
réussir même au prix du sang s’il le fallait.<br />
En effet, Cantave écrit : « qu’aucun<br />
agent de sécurité parlementaire ne sera<br />
en la circonstance habilité à travailler<br />
dans l’espace de la cour intérieure qui<br />
doit être exclusivement prise en charge<br />
par des agents de la police nationale. Il<br />
demeure entendu que chaque sénateur<br />
ne peut se faire accompagner à l’entrée<br />
du Parlement que de deux policiers en<br />
uniforme qui sont affectés à son service<br />
en plus de son chauffeur pour des<br />
raisons sécuritaires. Seul le portail du<br />
Ministère de la Défense servira de porte<br />
d’entrée aux sénateurs, les journalistes<br />
et le personnel ».<br />
Bref, à bien prendre le sens<br />
Des manifestations pour forcer le président Jovenel Moïse<br />
à démissionner<br />
de sa lettre, la séance devrait se tenir<br />
dans un Parlement transformé en fort<br />
assiégé et sécurisé contre tout intrus.<br />
Pour être sûr de son coup, le Dr Carl<br />
Murat Cantave avait pris la peine d’envoyer<br />
une seconde lettre à ces mêmes<br />
autorités du Pouvoir exécutif, à savoir<br />
le chef du gouvernement et le Ministre<br />
de la Justice et de la Sécurité Publique<br />
et cette fois il ne voulait aucune faille<br />
dans le dispositif policier. Il note ceci<br />
pour le Premier ministre : « Le Bureau<br />
du Sénat vous demande de passer des<br />
instructions au Directeur général de<br />
la police nationale afin de sécuriser le<br />
périmètre extérieur immédiat du Parlement<br />
à l’occasion de la séance de ratification<br />
du Premier ministre nommé<br />
Fritz William Michel. Le Bureau vous<br />
sera gré de bien vouloir transmettre à<br />
la direction générale de la PNH la liste<br />
en annexe des employés du Sénat et<br />
des journalistes qui seront habilités à<br />
avoir accès au Sénat ». Aucun doute,<br />
le Président du Sénat veut montrer son<br />
autorité et faire savoir à tout le monde<br />
qu’il a le pouvoir et les moyens légaux<br />
pour mettre en échec l’opposition.<br />
Il n’oublie point les autorités judiciaires<br />
dans ces différentes missives<br />
qu’il envoie. Il sollicite aussi l’aide du<br />
Garde des sceaux, puisqu’il est persuadé<br />
qu’il y aura des cas de flagrance :<br />
« Le Bureau du Sénat vous demande de<br />
passer des instructions au Parquet de<br />
Port-au-Prince afin de mobiliser à son<br />
service trois Substituts Commissaires et<br />
trois juges de Paix le lundi 23 septembre<br />
à partir de 8h A.M à l’occasion de la<br />
séance de ratification du Premier ministre<br />
nommé Fritz William Michel au<br />
cas où il y aurait flagrance, et ce pour<br />
éviter la répétition des actes de vandalisme<br />
sur les meubles et immeubles du<br />
Parlement, comme ce fut le cas le mercredi<br />
11 septembre dernier. Ils n’auront<br />
accès au Sénat que si le besoin se fait<br />
sentir », recommande-t-il. Bref, on a<br />
compris que Carl Murat Cantave veut<br />
utiliser tout l’appareil institutionnel que<br />
compte la République rien que pour satisfaire<br />
son autorité qui est mise à mal<br />
dans les dossiers des Premiers ministres<br />
nommés (Jean-Michel Lapin et<br />
Fritz William Michel) qu’il devait faire<br />
ratifier sans y parvenir. Alors que son<br />
autorité est largement écornée au Sénat<br />
pendant que son leadership est à son<br />
niveau le plus bas et où même les sénateurs<br />
du camp présidentiel commencent<br />
à réclamer sa démission pour incompétence<br />
et incapacité à remplir son rôle<br />
de leader du Grand Corps.<br />
La stratégie de l’opposition contre<br />
Fritz W. Michel et Jovenel Moïse<br />
Après toutes ces précautions prises<br />
au plus haut sommet des institutions,<br />
le Président du Sénat passe donc à la<br />
réalité des faits et du terrain. En accord<br />
avec le Président Jovenel Moïse<br />
qui voulait aller prendre la parole à la<br />
tribune des Nations Unies, il prend la<br />
décision d’inviter une nouvelle fois le<br />
Premier ministre nommé et son Cabinet<br />
ministériel pour venir faire sa Déclaration<br />
de politique générale dans un<br />
Sénat qu’il croit être à l’abri de toutes<br />
intrusions ou de toutes attaques venant<br />
de l’opposition, de l’intérieur comme<br />
de l’extérieur. Confiant, il écrit à « Nèg<br />
Kabrit la » de venir donner les vrais prix<br />
de chaque animal (Cabri) vendu à l’Etat<br />
quand il était chef de cabinet du ministre<br />
de la Planification alors qu’il était<br />
PDG des entreprises qui commercialisent<br />
ces animaux.<br />
Sauf que, pendant que le patron<br />
du Sénat lançait son invitation au PM<br />
homme d’affaires de venir faire son<br />
grand oral devant la représentation<br />
nationale, l’opposition en général et<br />
les sénateurs Antonio Chéramy, Nenel<br />
Cassy, Youri Latortue, Joseph Lambert,<br />
Sorel Yacinthe, Evalière Beauplan, Ricard<br />
Pierre, Francenet Dénius et les autres<br />
préparaient eux aussi en coulisse<br />
leur coup. Dans la plus grande discrétion,<br />
ils mettaient en place leur stratégie<br />
pour déjouer le piège et la chape de<br />
plomb que Cantave pensait instaurer<br />
autour d’eux et à l’intérieur du Sénat.<br />
Pour mettre en échec le plan, l’opposition<br />
estimait qu’il n’y avait pas d’autre<br />
moyen que la mobilisation des bases<br />
politiques, ces places fortes qui ne laissent<br />
aucune chance à quel que soit le<br />
plan établi : policier, politique ou institutionnel.<br />
Dès dimanche 22, les sénateurs<br />
avaient pris position à l’intérieur<br />
du Parlement, histoire de démontrer à<br />
leur Président qu’ils n’entendent rien<br />
négliger eux aussi et de là, ils organisent<br />
la résistance en mobilisant le plus<br />
de monde possible par téléphone et par<br />
les réseaux sociaux (Whatsapp) avant<br />
de quitter tard l’enceinte du Sénat, mais<br />
non sans avoir fait le nécessaire afin<br />
que personne ne puisse respirer l’air<br />
nauséabond qui se propageait dans les<br />
salles de séance et au salon diplomatique<br />
où, en général, s’installent le Premier<br />
ministre et son cabinet ministériel<br />
avant d’être conduits par deux sénateurs<br />
jouant le rôle d’huissiers dans la<br />
salle de séance. La première faille dans<br />
le dispositif de sécurité du sénateur<br />
Cantave, c’est le fait qu’il avait écarté<br />
les agents de sécurité du Sénat dans<br />
son plan. Ce fut une erreur grave.<br />
Le résultat de cette gravissime<br />
erreur est que l’ensemble du bâtiment<br />
s’est retrouvé sans personne pour le<br />
protéger dans la mesure où les policiers<br />
n’ont pas la maîtrise du site comme<br />
l’auraient eu les agents de sécurité<br />
dotés d’une parfaite connaissance des<br />
périmètres du Parlement. En plus, dès<br />
dimanche matin, les sénateurs de l’opposition<br />
avaient le loisir de faire tout<br />
ce qu’ils voulaient au Sénat avant de<br />
sortir tout en plaçant des informateurs<br />
ou des militants-guetteurs à l’extérieur<br />
du périmètre du Bicentenaire pour les<br />
informer des moindres mouvements<br />
suspects de Carl Murat Cantave et<br />
des sénateurs pro-Jovenel pour une<br />
éventuelle séance au creux de la nuit<br />
en faveur de Fritz William Michel. La<br />
seconde faille ou erreur du Président de<br />
l’Assemblée Nationale, selon notre information,<br />
à aucun moment il n’avait<br />
reçu une confirmation de la part du Directeur<br />
général de la police ni du Commissaire<br />
de police de Port-au-Prince le<br />
rassurant que ses demandes seraient<br />
prises en compte et que la police investirait<br />
tout le bâtiment du Sénat pour<br />
garantir la sécurité de l’ensemble.<br />
On en veut pour preuve la scène<br />
politique incroyable à laquelle on a assisté<br />
le lundi 23 septembre <strong>2019</strong> au<br />
Parlement. Compte tenu, en effet, des<br />
courriers envoyés un peu partout par le<br />
premier des sénateurs, tous les observateurs<br />
étaient surpris de constater que<br />
s’il y avait bien des forces de l’ordre,<br />
elles n’étaient pas plus nombreuses que<br />
d’ordinaire et surtout pour le contexte<br />
dans lequel cette séance devait avoir<br />
lieu. Par prudence ou peut être conseillé<br />
par des juristes et peut être aussi par les<br />
responsables du gouvernement démissionnaire,<br />
le Directeur a.i. de la police,<br />
Normil Rameau, n’avait pas vraiment<br />
donné suite aux correspondances de<br />
Carl Murat Cantave qui voulait remplir<br />
la cour et investir le Parlement de policiers<br />
anti-émeute et autres forces de<br />
police pour semer la répression au cœur<br />
même du Pouvoir législatif.<br />
Si à l’extérieur les policiers étaient<br />
effectivement assez conséquents en<br />
nombre pour contenir les manifestants<br />
(invités des sénateurs), on ne peut<br />
pas dire qu’ils faisaient zèle non plus<br />
pour les empêcher d’entrer au Parlement.<br />
Ainsi, dès 7 heures et 8 heures le<br />
lundi 23 septembre, la cour du Sénat<br />
était remplie de militants politiques<br />
totalement libres de leur mouvement.<br />
Encore plus libres que le 11 septembre<br />
lors de la première occupation du Sénat.<br />
Se sentant libres et libérés de la peur<br />
vu qu’il n’y avait personne pour les<br />
contrôler, les militants se comportaient<br />
comme s’ils étaient à l’extérieur en<br />
s’en prenant aux sénateurs proches du<br />
pouvoir qui les regardaient de travers.<br />
En fait, tout avait commencé très tôt le<br />
matin lorsque des sénateurs de l’opposition<br />
ont amené plusieurs dizaines de<br />
militants au Sénat où ils ont pu pénétrer<br />
sans aucune difficulté.<br />
Il faut aussi souligner que mis<br />
à part les invectives habituelles des<br />
suite à la page(16)<br />
Dr. Kesler Dalmacy<br />
1671 New York Ave.<br />
Brooklyn, New York 11226<br />
Tel: 718-434-5345<br />
Le docteur de la<br />
Communauté Haïtienne<br />
à New York<br />
8 <strong>Haiti</strong> Liberté/<strong>Haiti</strong>an Times<br />
Vol 13 # 13 • Du 2 au 8 <strong>Octobre</strong> <strong>2019</strong>