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Liège Museum n°11

Bulletin des musées de la Ville de Liège. A lire notamment : dix ans de médiation muséale, et plus encore à venir… ; le patrimoine mobilier de l’église Sainte-Croix vu du Grand Curtius ; une carabine américaine commémorative de la Libération ; des acquisitions enrichissantes pour la collection de verres...

Bulletin des musées de la Ville de Liège.
A lire notamment : dix ans de médiation muséale, et plus encore à venir… ; le patrimoine mobilier de l’église Sainte-Croix vu du Grand Curtius ; une carabine américaine commémorative de la Libération ; des acquisitions enrichissantes pour la collection de verres...

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<strong>Liège</strong>• museum<br />

bulletin des musées de la Ville de <strong>Liège</strong> n° 11 octobre 2019<br />

Admirations et investigations


Sommaire<br />

4. L’exposition de nos chefs-d’œuvre - Régine Rémon<br />

06. Dix ans de médiation muséale, et plus encore à venir… - Edith Schurgers<br />

08. Le médaillier liégeois du Grand Curtius inscrit dans un projet<br />

scientifique développé au sein de l’Université de <strong>Liège</strong> - Luc Engen<br />

10. Le patrimoine mobilier de l’église Sainte-Croix vu du Grand Curtius - Philippe Joris<br />

12. Une carabine américaine commémorative de la Libération - Claude Gaier<br />

14. De l’abbaye de Solières au Trésor de Huy<br />

en passant par le MARAM et le Grand Curtius - Marylène Laffineur-Crépin<br />

16. Un document retrouvé : la charte de la chapelle des Clercs à <strong>Liège</strong>, 1481 - Christine Maréchal<br />

18. La Compagnie des Wagons-Lits fait escale au Grand Curtius - Geoffrey Schoefs<br />

20. Patrick Corillon : du texte dans l’œuvre - Carmen Genten<br />

22. Un flacon Mercure au contenu mystérieux<br />

découvert dans une sépulture romaine à Omal en 1862 - Jean-Luc Schütz<br />

24. Des acquisitions enrichissantes pour la collection de verres - Jean-Paul Philippart<br />

26. Marthe Wéry, variations musicales et méthodiques sur le monochrome - Alain Delaunois<br />

28. Un ascenseur à l’hôtel d’Ansembourg ? - Maurice Lorenzi<br />

30. Rouges, les briques des façades de l’hôtel de Hayme de Bomal ? - Paul-C. Hautecler<br />

32. « Tampons de regard » : histoire d’égouts à <strong>Liège</strong> - Fanny Moens<br />

34. Bloc à mouvement vertical. Carabine « Fallblockstutzen » système Heeren - Adrien Marnat<br />

36. Les rampes de l'escalier d'honneur des musées d'Ansembourg et Curtius - Bernard Wodon<br />

38. Le troisième œil.<br />

À la découverte de certains détails dans les collections du BAL - Françoise Safin<br />

40. Fructueuse enquête sur un des joyaux de nos musées,<br />

le diptyque de Henricus ex Palude - Pierre Colman<br />

42. Suites et fins<br />

46. Inventaire des publications <strong>Liège</strong>.museum<br />

Vous tenez dans vos mains un nouveau numéro de la revue « <strong>Liège</strong>.<strong>Museum</strong> ».<br />

Rarement autant de contributeurs auront été sollicités pour vous offrir une sorte de<br />

panorama sélectif de ce qui fait la vie muséale liégeoise.<br />

Et le tableau n’est évidemment pas exhaustif.<br />

Au-delà de ce qui est ici évoqué, il importera sans doute de dessiner les chemins<br />

d’avenir, car le pôle muséal connaît de nombreux mouvements sur lesquels nous<br />

reviendrons en détail dans un prochain numéro.<br />

Enfin, je m’en voudrais de ne pas saluer le travail obstiné du rédacteur en chef Pierre<br />

Colman, professeur émérite en histoire de l’art de l’université de <strong>Liège</strong> pour la bonne fin<br />

de ce numéro.<br />

L'Échevin de la Culture<br />

<strong>Liège</strong> •<br />

museum<br />

Bulletin des musées de la Ville de <strong>Liège</strong>.<br />

92, rue Féronstrée, be-4000 <strong>Liège</strong>.<br />

museum@liege.be<br />

Imprimé à 2000 exemplaires sur papier recyclé, sans chlore,<br />

par l’Imprimerie de la Ville de <strong>Liège</strong>.<br />

Photos : sauf mention contraire, Ville de <strong>Liège</strong><br />

Mise en page : Maria Gallo<br />

<strong>Liège</strong>, octobre 2019, n° 11


Régine Rémon<br />

Première conservatrice du Musée des Beaux-Arts<br />

regine.remon@liege.be<br />

L’exposition de nos chefs-d’œuvre<br />

U ne fois n’est pas coutume :<br />

durant plusieurs mois, les cimaises de La<br />

Boverie ont été consacrées au meilleur<br />

des collections du Musée des Beaux-<br />

Arts. Plus de 250 œuvres offraient au visiteur<br />

une ballade à travers cinq siècles<br />

d’histoire de l’art, épinglant les incontournables<br />

dont La Famille Soler de Picasso,<br />

La Maison Bleue de Chagall ou Le Sorcier<br />

d’Iva Hoa de Gauguin, le trio le plus sollicité<br />

de nos collections, mais aussi son lot<br />

de découvertes et de nouveautés.<br />

Ballade en quatre temps …<br />

Dominique Ingres, Portrait de Napoléon<br />

Bonaparte, Premier Consul, 1804<br />

Emile Claus, Le vieux jardinier, vers 1886<br />

D’emblée, un duo insolite interpelle le visiteur<br />

autant qu’il ne le séduit. Napoléon<br />

premier consul, en habit protocolaire,<br />

symbolise le pouvoir mais rappelle aussi<br />

ses liens privilégiés avec la cité ardente,<br />

par l’évocation de la Cathédrale Saint-<br />

Lambert en arrière-fond. Ce portrait est<br />

aussi un des plus beaux réalisés par<br />

Ingres qui démontre l’excellence de sa<br />

maîtrise technique. Ȧ ses côtés, tout aussi<br />

imposant par sa carrure, le vieux jardinier<br />

aux géraniums, le visage buriné, est<br />

campé avec un réalisme et un rendu de la<br />

lumière surprenants. Entre célébrité et<br />

anonymat, la confrontation de deux<br />

mondes socialement opposés reflète des<br />

contrastes séculaires.<br />

Jean-Guillaume Carlier, Autoportrait,<br />

vers 1665<br />

Gérard de Lairesse, Orphée aux enfers,<br />

1622<br />

L'âge d'or de la peinture liégeoise constituait<br />

un autre moment fort du parcours.<br />

Voisin de l’autoportrait de Jean-Guillaume<br />

Carlier percutant d’authenticité humaine<br />

qui n’est pas sans évoquer Rembrandt,<br />

l’œuvre du Liégeois Gérard de Lairesse,<br />

Orphée aux enfers réalisée à l’âge de 22<br />

ans, est empreinte d’une telle fougue expressive<br />

qu’elle laisse présager la carrière<br />

internationale … qui se confirmera.<br />

Picasso, Delaunay, Malevitch ou comment<br />

le cubisme, l’orphisme et le suprématisme<br />

russe rejoignent les collections.<br />

Après l’épisode mythique de la vente de<br />

Lucerne en 1939 et la donation Graindorge<br />

en 1981, un tout nouveau dépôt de quatre<br />

toiles signées Picasso, Delaunay et<br />

Malevitch et datées de 1909 à 1915, vient<br />

combler quelques rares lacunes que<br />

comptaient nos collections. Deux têtes de<br />

Picasso (1909), est un double portrait<br />

cubiste de sa compagne Fernande Olivier,<br />

préparatoire à la version finale, le buste en<br />

bronze ; postérieure de quatre ans, la<br />

Machine à coudre de Malevitch (1913)<br />

prolonge les recherches cubistes et<br />

évoque la fragmentation extrême des surfaces<br />

homogènes pratiquées par Braque<br />

et Picasso ; Formes circulaires (1913) de<br />

Robert Delaunay illustre l’orphisme qui<br />

prône le contraste simultané des<br />

couleurs ; enfin Carré rouge sur fond<br />

blanc (1915) traduit la démarche ultime de<br />

Malevitch qui prône la suprématie de la<br />

couleur et de la forme, libérées de toute<br />

référence à un objet ou un sujet.<br />

Un futur pôle BD liégeois<br />

Perle méconnue des collections liégeoises,<br />

le fonds d’une centaine de<br />

planches originales illustrant l’âge d’or de<br />

la bande dessinée, regroupe les meilleurs<br />

dessinateurs et scénaristes Hergé,<br />

Franquin, Martin, Jacobs, Peyo, Morris,<br />

Graton, Comès… Ces planches ont été<br />

acquises dans les années 70 en vue de<br />

créer un musée de la bande dessinée à<br />

<strong>Liège</strong>, projet ambitieux qui pourrait bien<br />

voir le jour dans un avenir proche.<br />

Affiche de l'exposition.<br />

Rik Wouters, Après-midi à Amsterdam<br />

Gérard de Lairesse, Orphée aux enfers, 1662, (détail) © Musée des Beaux-Arts, Ville de <strong>Liège</strong><br />

octobre 2019<br />

4<br />

octobre 2019<br />

5


Edith Schurgers<br />

Service Animations des Musées<br />

edith.schurgers@liege.be<br />

Dix ans de médiation muséale,<br />

et plus encore à venir…<br />

En<br />

mars 2009, le Grand Curtius<br />

ouvrait ses portes et donnait naissance au<br />

service Animations des Musées. Pour la<br />

première fois, un service avait pour mission<br />

de développer une politique de médiation<br />

transversale aux différentes institutions<br />

muséales communales, à destination<br />

de tous les publics. Ce vaste projet a pour<br />

vocation de faire des musées des lieux de<br />

connaissances, de partages et de rencontres.<br />

Par la transposition cognitive des<br />

savoirs scientifiques et la valorisation des<br />

collections, il accompagne les visiteurs<br />

dans leur découverte du patrimoine muséal.<br />

Hybride dans le monde socio-culturel,<br />

ce service remplit la fonction éducationnelle<br />

du musée 1 mais rejoint aussi les<br />

prérogatives de l’éducation permanente 2<br />

en favorisant la participation à la vie sociale<br />

et culturelle. 3<br />

Ce service a, dans un premier temps,<br />

concentré sa démarche autour des publics<br />

scolaires. Le défi était d’inscrire les<br />

musées comme un outil complémentaire<br />

de l’enseignement. Une trentaine de parcours<br />

au sein des 5 musées communaux<br />

(Musée Curtius, Musée des Beaux-Arts,<br />

Mulum, Musée Grétry et Musée d'Ansembourg)<br />

ainsi que des dossiers pédagogiques,<br />

explorent les aspects esthétiques,<br />

artistiques et historiques d’une thématique.<br />

Tous créent des liens avec le programme<br />

de l’enseignement en Fédération<br />

Wallonie-Bruxelles et offrent à l’enseignant<br />

des pistes d’exploitation hors les murs du<br />

musée. Après dix ans d’activités, le service<br />

accueille près de 700 classes par an<br />

(de la première année d'accueil maternelle<br />

à l’enseignement supérieur) et est devenu<br />

un incontournable de la vie scolaire, avec<br />

un public d’enseignants fidélisés. L’objectif<br />

pour les dix prochaines années est certainement<br />

de rayonner vers la Flandre mais<br />

aussi d’orienter les prochaines réflexions<br />

en résonnance avec le « Pacte d’excellence<br />

» de l’enseignement qui envisage<br />

dans les sept grands domaines d’apprentissage<br />

de promouvoir les arts et la culture.<br />

Les musées sont aujourd’hui de nouveaux<br />

lieux de sociabilité. Le visiteur y vient en<br />

famille, en couple, entre amis. Leur fréquentation<br />

par le public familial est en<br />

constante progression. D’après Bourdieu<br />

et Darbel, le noyau familial peut être considéré<br />

comme l’organe de transmission de<br />

la pratique de visites. Mais, souvent, c’est<br />

l’accès à la parentalité qui motive la venue<br />

au musée chez des adultes pas forcément<br />

visiteurs auparavant 4 . Face à cette<br />

réalité de la pratique muséale en famille, le<br />

service a développé plusieurs activités<br />

mensuelles dédiées à ce public. En écho<br />

à leurs attentes, ces médiations suscitent<br />

le partage et la rencontre autour de l’expérimentation<br />

esthétique des collections. En<br />

collaborant avec le monde associatif local,<br />

ces propositions s’ouvrent à la mixité sociale<br />

et contribuent à la démocratisation<br />

de la culture. L’objectif est de devenir un<br />

acteur fondamental de la vie socio-culturelle<br />

; un miroir des évolutions sociales<br />

adapté à de nouvelles réalités. Si le musée<br />

est encore trop souvent perçu comme<br />

un espace codifié et contraignant, il est,<br />

par ses pratiques de médiations, un lieu<br />

fédérateur et convivial.<br />

Parmi ses missions, le service vise l’accessibilité<br />

des musées de manière non<br />

discriminatoire en inscrivant les visiteurs<br />

aux besoins spécifiques dans la pratique<br />

culturelle. Ainsi, l’accueil et la médiation<br />

des publics fragilisés est un des axes essentiels<br />

de notre réflexion. Le projet<br />

« Musée accessible à tous » cherche à<br />

accroître l’autonomie de ces usagers, en<br />

développant des outils adaptés aux différentes<br />

fragilités. Offrir un accès scientifique<br />

aux collections a été un facteur essentiel<br />

à l’ouverture des musées pour ces<br />

communautés de visiteurs. Le service a<br />

développé des supports créés en collaboration<br />

étroite avec les publics à qui<br />

ceux-ci étaient destinés. Pour l’avenir, ce<br />

processus est en réflexion au Grand<br />

Curtius et devrait s’étendre à d’autres<br />

chefs-d’œuvre de la collection à la<br />

Boverie.<br />

Les résultats d’une enquête réalisée en<br />

2012 montrent une augmentation générale<br />

de la fréquentation des musées. Cette<br />

étude constate aussi un rajeunissement<br />

du public ainsi que la coexistence de visiteurs<br />

fidèles, locaux et majoritairement aisés<br />

avec un public plus diversifié et de<br />

passage issu du tourisme. D’après cette<br />

enquête, plus de 60% d’entre eux sont<br />

dans l’attente d’aides à la visite (outils interactifs<br />

et médiation humaine) 5 . Le service<br />

offre des médiations qui prennent en<br />

considération l’hétérogénéité de cette catégorie<br />

d’usagers aux comportements et<br />

aux référents sociaux variables. L’objectif<br />

reste la volonté de partage et le plaisir<br />

commun face aux collections, l’enrichissement<br />

de connaissances nouvelles et<br />

l’éducation du regard à l’esthétique. Le<br />

service poursuit d’une part le développement<br />

de médiations numériques mais<br />

aussi favorise les rencontres et les<br />

synergies avec les acteurs du musée<br />

(équipes scientifiques). Dans ce panel de<br />

nouvelles possibilités, des médiations<br />

mettent en exergue les transdisciplinarités<br />

artistiques (notamment avec les arts vivants)<br />

et ouvrent la voie à une perception<br />

neuve des musées.<br />

Si en dix ans d’existence le Service<br />

Animations des Musées a su fidéliser les<br />

publics scolaires, les visiteurs intergénérationnels<br />

et le tissu local associatif, il reste<br />

toutefois de nombreuses pistes de développement<br />

de la médiation au sein des<br />

musées communaux. C’est de ces nouveaux<br />

défis constants que nait le dynamisme<br />

de ce jeune département muséal<br />

au service des usagers des musées.<br />

1<br />

Un musée est une institution permanente sans but lucratif au<br />

service de la société et de son développement ouverte au<br />

public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le<br />

patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son<br />

environnement à des fins d'études, d'éducation et de<br />

délectation. Définition des musées par l’ICOM (22 e<br />

assemblée générale – 24 août 2007).<br />

2<br />

Une organisation d’éducation permanente a pour objectif de<br />

favoriser et de développer :<br />

*une prise de conscience et une connaissance critique des<br />

réalités de la société ;<br />

*des capacités d’analyse, de choix, d’action et d’évaluation ;<br />

*des attitudes de responsabilité et de participation active à<br />

la vie sociale, économique, culturelle et politique. Définition<br />

d’une organisation d’éducation permanente (FWB – art.1<br />

décret du 17 juillet 2003).<br />

3<br />

Charte du médiateur de musée, novembre 2007.<br />

4<br />

Anne Jonchéry, Se rendre au musée en famille, in Lettre de<br />

l’OCIM, Musées, Patrimoine et culture scientifiques et<br />

techniques, <strong>n°11</strong>5, pp. 4-14, janvier-février 2008.<br />

5<br />

Jacqueline Eidelman, Comment sait-on ce qu’on sait<br />

aujourd’hui des publics de musées ? in L’ami de musée,<br />

Fédération Française des Sociétés d’Amis de musées,<br />

n°46, printemps 2014, pp 4-6.<br />

octobre 2019<br />

6<br />

octobre 2019<br />

7


Le médaillier liégeois du Grand Curtius<br />

inscrit dans un projet scientifique<br />

La<br />

parution en 2006 de trois<br />

forts volumes consacrés aux monnaies<br />

de la principauté de <strong>Liège</strong> qui en ont dressé,<br />

à cette date, un catalogue exhaustif a<br />

certes réjoui les amateurs qui attendaient<br />

depuis plus d’un siècle une mise à jour de<br />

la « bible » publiée en 1890 par le baron<br />

Jules de Chestret de Hanneffe. Les chercheurs<br />

exigeants, en revanche, pourront<br />

regretter que la belle énergie déployée par<br />

J.-L. Dengis et ses collaborateurs, qui ont<br />

œuvré sur le terrain, ne leur offre malheureusement<br />

pas les bases nécessaires à la<br />

poursuite d’indispensables nouvelles recherches.<br />

Ce n’est pas le lieu de dresser<br />

l’inventaire des problèmes que pose cet<br />

ouvrage, mais il convient cependant de<br />

regretter une illustration graphique et photographique<br />

assez lacunaire, non justifiée<br />

et rejetée, comme avant les progrès de<br />

l’édition, en fin de volume.<br />

C’est de ce constat de l’absence d’une<br />

base documentaire permettant de réelles<br />

analyses qu’a germé le projet que je porte<br />

au sein du service d’histoire de la<br />

principauté de <strong>Liège</strong> du professeur Bruno<br />

Demoulin. Il consiste à établir une base de<br />

données photographiques ouverte, la plus<br />

large possible, des monnaies liégeoises<br />

des Temps modernes.<br />

Si le Cabinet des médailles de la<br />

Bibliothèque royale de Belgique, que<br />

dirige Johan van Heesch, a montré<br />

l’exemple en mettant en ligne l’ensemble<br />

de ses collections liégeoises, une<br />

couverture photographique des<br />

collections du Grand Curtius s’imposait<br />

naturellement après le dépouillement de<br />

divers sites présents sur Internet et la<br />

réalisation de près de trois mille prises de<br />

vue dans des collections privées. Au<br />

moment où paraîtront ces lignes, le travail<br />

sera toujours en cours de réalisation ; il<br />

englobera d’autres collections publiques<br />

et privées, mais dès les premiers<br />

enregistrements, il a déjà été possible de<br />

mettre en évidence quelques détails<br />

inédits, particularités et pistes nouvelles<br />

dont quelques premiers exemples vont<br />

être illustrés ci-après.<br />

Un premier cas est particulièrement<br />

exemplatif. J.-L. Dengis a publié, sous le<br />

numéro 955, une monnaie inédite d’Ernest<br />

de Bavière décrite fort correctement mais<br />

non reproduite et dont - c’est une<br />

constante - l’auteur ne situe pas le lieu de<br />

conservation. C’est d’autant plus<br />

surprenant dans le cas d’une collection<br />

publique comme le Grand Curtius ! En<br />

effet, un esprit suspicieux pourrait douter<br />

de l’existence réelle d’un document<br />

jusque-là inédit publié de la sorte. Il<br />

s’agirait, selon son inventeur, d’un brûlé à<br />

la valeur faciale de 12 sous, daté 1581.<br />

Cette pièce (1) pèse 4,97 g soit un poids<br />

nettement supérieur aux autres monnaies<br />

du règne affichant la même valeur faciale,<br />

voire même celle de 16 sous !<br />

Son caractère, à ce jour unique, son poids<br />

anormalement élevé, ainsi qu’une parfaite<br />

réalisation technique inclinent à faire<br />

douter du fait qu’il s’agisse d’une monnaie<br />

destinée à la circulation courante. Son<br />

étude reste à faire, mais ce premier cas<br />

d’école justifie l’utilité de notre projet.<br />

L’étude de coins et de leurs liaisons<br />

appellerait une quantité de reproductions<br />

inadaptée aux impératifs éditoriaux de la<br />

Luc Engen<br />

Collaborateur U<strong>Liège</strong> et conservateur<br />

honoraire de l’Institut archéologique liégeois<br />

lucengen@msn.com<br />

présente publication : c’est la raison pour<br />

laquelle a été retenu un exemple<br />

n’impliquant, à ce jour, que quatre<br />

monnaies figurant en un seul exemplaire<br />

tant au Curtius (2) qu’à la Bibliothèque<br />

royale (3) et en deux autres dans une<br />

collection privée (4-5).<br />

Il s’agit de rares exemplaires datés 1750<br />

du type Dengis 1178 qui se caractérise<br />

par la présence de la valeur faciale (2 - L<br />

pour 2 liards) au droit et la forme ovale des<br />

armes de <strong>Liège</strong> (perron) au centre du<br />

revers. Outre le fait de révéler l’inattendue<br />

rareté d’une monnaie réputée assez<br />

commune, le petit montage reproduit cicontre<br />

permet de vérifier l’emploi d’une<br />

seule paire de coins, mais aussi de<br />

rechercher à l’avenir si ce coin de revers a<br />

pu être utilisé sur d’autres pièces de 2<br />

liards de 1750 (Dengis 1175 et 1177) et si<br />

celui du droit l’a été en 1751 sous la<br />

même référence de type.<br />

On pourrait multiplier les exemples de<br />

problèmes que la base de données va<br />

permettre de découvrir et d’étudier pour<br />

déboucher in fine sur la publication<br />

d’articles permettant d’améliorer la<br />

connaissance de notre monnayage et de<br />

le rendre un peu plus accessible à ceux<br />

qui voudront l’aborder sous un angle<br />

scientifique.<br />

1<br />

L’avenir montrera aussi que croiser les<br />

recherches en numismatique et en<br />

orfèvrerie ne peut qu’être profitable à ces<br />

deux disciplines. Voilà donc une bonne<br />

raison de dédier ces quelques pages de<br />

méthodologie à celui qui nous a inculqué<br />

la saine critique et la rigueur, notre maître<br />

le professeur Pierre Colman.<br />

Bibliographie succincte<br />

J. de Chestret de Hanneffe, Numismatique de la principauté de<br />

<strong>Liège</strong> et de ses dépendances, Bruxelles, 1890.<br />

P. Magain, Les monnaies de Jean-Théodore de Bavière princeévêque<br />

de <strong>Liège</strong> 1744-1763, Bruxelles, 1964.<br />

J.-L. Dengis, Les monnaies de la principauté de <strong>Liège</strong>, III. De<br />

Gérard de Groesbeeck au rattachement à la France (1564-<br />

1794), Wetteren, 2006.<br />

2 - 5<br />

Fig. 1 – Ernest de Bavière, pièce de 12(?) aidants d’Ernest de Bavière,<br />

diamètre 26 mm.<br />

Fig. 2 à 5– Monnaies de 2 liards (1750) de Jean-Théodore de Bavière,<br />

diamètre 27,5 mm.<br />

octobre 2019<br />

8<br />

octobre 2019<br />

9


Le patrimoine mobilier de l’église<br />

Sainte-Croix vu du Grand Curtius<br />

Après plusieurs décennies de<br />

ce qui ressemblait fort à un abandon 1 , la<br />

collégiale Sainte-Croix fait l’objet d’une<br />

restauration complète depuis l'automne<br />

2019. Ces travaux d’envergure nécessitent<br />

le déménagement provisoire du<br />

mobilier. Si les objets de moindre valeur<br />

ont pu être entreposés sur place, les<br />

œuvres précieuses ou de qualité sont<br />

mises en dépôt dans des institutions muséales<br />

reconnues jusqu’à la fin des travaux.<br />

Les orfèvreries comprennent des<br />

pièces allant du xiv e au XXe siècle : un ciboire<br />

limousin en cuivre doré et émaillé du<br />

xiv e siècle, une imposante croix de<br />

Mathieu Schoville (vers 1640), un calice<br />

des années 1670, un ciboire de F. Dupont<br />

(1726), un ostensoir-soleil de Charles de<br />

Hontoir (vers 1700) qui pourrait provenir<br />

de la chapelle Sainte-Ursule, une crosse<br />

cérémonielle de la confrérie de saint<br />

Hubert (1765), un seau à eau bénite et<br />

son goupillon de la période hollandaise.<br />

Le néogothique est très présent : on y relève<br />

les signatures de J. Dehin et de J.<br />

Martens de <strong>Liège</strong>, de A.Witte et M.<br />

Vogeno de Aix-la-Chapelle, ce dernier<br />

ayant laissé un nombre important<br />

d’œuvres de belle facture. Relevons aussi<br />

la présence d’une paire d’encensoirs en<br />

argent signés de l’orfèvre et fondeur d’origine<br />

anglaise John Philp (1854).<br />

Fort intéressante également est une maquette<br />

en terre cuite d’un autel de saint<br />

Hubert, œuvre de Jean-Joseph Halleux<br />

(1815-1876) datant de 1849, qui ne fut<br />

jamais réalisé. On verra aussi une sainte<br />

Anne trinitaire du début du xvi e siècle, à la<br />

polychromie néogothique et provenant de<br />

Notre-Dame-aux-Fonts, une sainte Apolline<br />

(ou Apollonie) signée de Antoine-Pierre<br />

Franck (xviii e s.), ainsi qu’un Christ en croix<br />

en buis attribué à Jean Del Cour 2 .<br />

Plusieurs peintures sont actuellement en<br />

cours de restauration, dont La Rencontre<br />

de Jésus et de sainte Véronique (suite des<br />

Francken, xvii e s.), le Mariage mystique de<br />

sainte Agnès de Rome (E. Fisen, 1725)<br />

qui a conservé sa structure et son cadre<br />

originaux. Le polyptique de la Nativité<br />

(Anvers ?, début xvi e siècle), incomplet et<br />

remonté dans un encadrement récent,<br />

devra un jour prendre le même chemin.<br />

Ces dépôts ne sont pas les premières<br />

œuvres à rejoindre les collections de<br />

l’ancien musée diocésain, à la suite des<br />

très mauvaises conditions de conservation<br />

régnant dans la collégiale. La plus<br />

fameuse est le triptyque-staurothèque,<br />

chef-d’œuvre de l’orfèvrerie mosane du<br />

xii e siècle (1), en cuivre doré sur âme de<br />

bois, à l’iconographie sous-tendue par<br />

l’idée de Rédemption et organisé autour<br />

de la relique initiale : une petite croix en or<br />

d’époque ottonienne renfermant des<br />

fragments de la Vraie Croix, à laquelle la<br />

collégiale doit sa prestigieuse titulature 3 .<br />

Tout aussi remarquables sont les deux<br />

antiphonaires des années 1333-1334.<br />

Deux chefs-d’œuvre du sculpteur<br />

Guillaume Evrard (17010-1793), le Christ<br />

à la colonne et la Vierge de douleurs<br />

(1759-1761 figurent aussi parmi les<br />

dépôts majeurs.<br />

Les textiles liturgiques ne sont pas<br />

absents : 221 pièces ont été déposées<br />

en 2014. La plupart des vêtements datent<br />

du xix e siècle, quelques-uns du xviii e ;<br />

l’ornement le plus important comporte une<br />

Philippe Joris<br />

Conservateur honoraire du Département<br />

d’Art religieux et d'Art mosan du Grand Curtius<br />

phjoris@gmail.com<br />

chasuble, deux dalmatiques, deux chapes<br />

avec des orfrois brodés de 1523,<br />

restaurés et montés sur un fonds<br />

renouvelé en 1887 (2).<br />

Provenant de Sainte-Croix sont également<br />

exposées au Grand Curtius : sept têtes en<br />

ronde-bosse (xiv e s.), ainsi que des fragments<br />

importants du Groupe de la<br />

Résurrection (vers 1330-1340) en grès<br />

sculpté, découverts lors des travaux de<br />

restauration en 1858-1859.<br />

Deux œuvres maîtresses du patrimoine de<br />

Sainte-Croix sont en dépôt à la Cathédrale<br />

de <strong>Liège</strong> : le tableau de l’ancien maîtreautel,<br />

L’Invention de la Sainte Croix, de<br />

Bertholet Flémal (vers 1674), ainsi que la<br />

célèbre Clé de saint Hubert (xii e -xiv e s. ?),<br />

exposée au Trésor. Comme le Triptyque<br />

de la Sainte Croix, ces œuvres font partie<br />

des Trésors classés de la Fédération<br />

Wallonie-Bruxelles.<br />

1<br />

Les derniers travaux importants remontent à la période 1979-<br />

1985. On a pu craindre la ruine de l’édifice, au point que ce<br />

patrimoine exceptionnel de la Région wallonne a figuré sur la<br />

liste des monuments en péril du World Monuments Watch<br />

en 2014.<br />

2<br />

Michel Lefftz, Jean Del Cour 1631-1707. Un émule du Bernin<br />

à <strong>Liège</strong>, Bruxelles, 2007, p. 86 et 143<br />

3<br />

Albert Lemeunier (†) et Marylène Laffineur-Crépin, Triptyque dit<br />

de Sainte-Croix, dans Trésors classés en Fédération<br />

Wallonie-Bruxelles, Bruxelles, 2015, p.84-85.<br />

Fig. 1 – Triptyque de la Sainte Croix (détail, échelle<br />

1/1), école mosane, vers 1160-1170. Or, cuivre<br />

doré, émaux, pierreries, cristal de roche, bois. <strong>Liège</strong>,<br />

Grand Curtius (GC.REL.10a.1981.34002).<br />

Fig. 2 – Sainte Barbe et sainte Catherine. Détail d’une<br />

chasuble : orfroi de 1523, restauré par Jean Van<br />

Severen-Ente et monté sur un fonds renouvelé en<br />

1887. © KIK-IRPA, Bruxelles.<br />

Bibliographie<br />

Armand Delhaes, L’église Sainte-Croix à <strong>Liège</strong>, <strong>Liège</strong>, 1976<br />

(Feuillet archéologique de la Société royale « Le Vieux<br />

<strong>Liège</strong> »)<br />

Richard Forgeur, L’église Sainte-Croix à <strong>Liège</strong>, Armand Delhaes,<br />

2 e édition, 1976 (Feuillet archéologique de la Société royale<br />

« Le Vieux-<strong>Liège</strong> »). Compléments, corrections et<br />

bibliographie, dans Bulletin de la Société royale « Le Vieux-<br />

<strong>Liège</strong> », t. 13, 1998, p. 771-774<br />

Mathieu Piavaux, La collégiale Sainte-Croix à <strong>Liège</strong>. Formes et<br />

modèles dans l’architecture du Saint-Empire xiii e -xv e siècles,<br />

Namur, Presses universitaires de Namur, 2013.<br />

2<br />

1<br />

octobre 2019<br />

10<br />

octobre 2019<br />

11


Une carabine américaine<br />

commémorative de la Libération<br />

C ontrairement à l'évacuation<br />

des troupes d'occupation de <strong>Liège</strong>, qui<br />

s'était faite sans incidents majeurs lors de<br />

l'Armistice du 11 novembre 1918, la<br />

Libération de la Cité Ardente s'opéra de<br />

haute lutte en septembre 1944. Car la<br />

guerre était alors loin d'être terminée et<br />

l'armée hitlérienne, contrainte au repli depuis<br />

le Débarquement de Normandie,<br />

résistait pied à pied, tant à l'Ouest qu'à<br />

l'Est, à l'étau inexorable qui se resserrait<br />

autour de l'Allemagne nazie.<br />

Ce sont des éléments de la 3 e Division<br />

Blindée de la 1 e Armée américaine, celleci<br />

sous les ordres du général Courtney<br />

Hodges, qui libérèrent la ville, d'abord la<br />

rive gauche, le 7 septembre 1944, et la<br />

rive droite le lendemain. Il y eut des combats<br />

acharnés, des morts et des déprédations<br />

par l'armée vaincue, mais la liesse<br />

populaire était immense. Illusoire intermède<br />

hélas, avant les bombardements<br />

intensifs par V1 et V2, dès septembre et<br />

jusqu'à février, et la grave menace d'un<br />

retour possible de l'occupant lors de la<br />

bataille des Ardennes, du 16 décembre<br />

au 18 janvier 1945.<br />

La Libération, un événement capital de<br />

l'histoire liégeoise, fut et est fréquemment<br />

commémorée ou évoquée. Pour en célébrer<br />

le jubilaire à sa façon, l'École d'Armurerie<br />

(Institut Léon Mignon) de <strong>Liège</strong> fit réaliser<br />

un objet symbolique, conservé au<br />

Musée d'Armes sous la cote :<br />

GC.ARM.12A.1995.45530 (ex 13447).<br />

Il s'agit ici d'une carabine américaine du<br />

modèle M1, qui armait notamment les<br />

équipages de chars. Sa crosse est<br />

incrustée d'un médaillon au diamètre de<br />

66 mm, gravé par Pierre Dome, maintenant<br />

et alors professeur de gravure-ciselure<br />

dans cet établissement réputé de la<br />

Ville. Au centre, figure un tank Sherman,<br />

rehaussé de dorure, du type de ceux débarqués<br />

en masse en Normandie et qui<br />

furent de tous les combats en Afrique du<br />

Nord et sur le front occidental. L'engin,<br />

sommé d'un drapeau américain, masque<br />

en partie deux personnages armés, l'un<br />

ouvertement et l'autre, on le devine, sous<br />

le manteau. Ceux-ci reproduisent le<br />

groupe dit « de la Résistance armée » qui<br />

orne le Monument National à la Résistance<br />

du parc d'Avroy, sculpté par Louis Dupont<br />

en 1955. Cette effigie rappelle le rôle de<br />

cette armée de l'ombre qui appuya fortement<br />

les troupes libératrices, comme elle<br />

l'avait fait anticipativement durant les années<br />

de l'occupation. Cette image centrale,<br />

hautement symbolique, est cerclée<br />

de deux inscriptions incrustées. Celle de<br />

l'intérieur mentionne : CINQUANTENAIRE<br />

DE LA LIBERATION DE LIEGE et la date :<br />

8 SEPTEMBRE 1944, flanquée de deux<br />

petits « perrons » liégeois. Sur le cercle<br />

extérieur courent des feuilles de palmier,<br />

antique symbole de la Victoire, encadrant<br />

le millésime : 1994.<br />

Si ce médaillon surajouté résume esthétiquement<br />

les événements qu'il commémore,<br />

son support n'en n'est pas moins<br />

emblématique. Il s'agit en effet d'une carabine,<br />

omniprésente durant une bonne<br />

partie de la seconde Guerre Mondiale (et<br />

après...) et qui mérite de ce fait un commentaire<br />

quelque peu détaillé. Conçue<br />

par David Marshall Williams (1901-1975),<br />

elle fut mise au point par la Winchester<br />

Claude Gaier<br />

Directeur honoraire du Département<br />

des Armes du Grand Curtius<br />

claude.gaier@skynet.be<br />

Repeating Arms Cy. Elle se voulait une<br />

arme d'épaule de moyenne portée, plus<br />

légère que les fusils réglementaires<br />

Springfield et Garand, sorte de compromis<br />

entre ceux-ci, le pistolet et le fusil-mitrailleur.<br />

À l'origine destinée aux unités de<br />

support et d'appui, son usage finit cependant<br />

par s'étendre à celles de première<br />

ligne, en raison de sa maniabilité et de son<br />

utilité dans les combats rapprochés. Elle<br />

fut même imposée comme arme d'ordonnance<br />

jusqu'aux grades d'officier, là où<br />

auparavant le pistolet était considéré<br />

comme suffisant.<br />

Sa fabrication de masse (plus de 6 millions<br />

d'exemplaires !), de 1941 à 1945,<br />

représente un véritable prodige d'ingénierie<br />

et de productivité que seuls les Etats-<br />

Unis, à l'époque véritable « arsenal des<br />

démocraties », étaient en mesure de réaliser.<br />

Le Gouvernement avait réparti la production<br />

entre 15 grosses entreprises<br />

américaines, dont tout naturellement l'armurier<br />

Winchester, mais surtout – remarquable<br />

exemple de reconversion industrielle<br />

de guerre – entre des firmes du<br />

secteur purement civil dès lors équipées<br />

pour la circonstance. Ces traitants principaux<br />

étaient tenus de fabriquer chacun un<br />

certain nombre de pièces séparées, mais<br />

aussi d'assembler un quota assigné et<br />

numéroté d'armes complètes au moyen<br />

de ces multiples composants, évidemment<br />

interchangeables, rassemblés de<br />

diverses sources. Ce réseau complexe<br />

était coordonné, depuis avril 1942, par un<br />

« Carbine Industry Integration Committee ».<br />

À leur tour, les 15 contractants principaux<br />

sous-traitaient certains travaux et l'on a pu<br />

dénombrer plus de 1.600 ateliers qui,<br />

d'une façon ou d'une autre, jusqu'à fournir<br />

les plus petits ressorts, participèrent au<br />

programme de la carabine M1.<br />

L'exemplaire du Musée d'Armes porte le<br />

numéro de série : 1.466.795 et la mention<br />

de son ensemblier : NPM (National Postal<br />

Meter), une société de Rochester, dans<br />

l'état de New York, qui, jusque là fabriquait<br />

des instruments de précision, notamment<br />

des pèse-lettres, pour les services postaux.<br />

Non seulement cette entreprise assembla,<br />

en tout, 413.017 carabines, mais<br />

elle fabriqua également plusieurs pièces<br />

du M1 ainsi que des millions de fusées de<br />

tête et de culot pour obus. La maind'oeuvre<br />

était, pour une large part, féminine.<br />

Comme d'autres firmes impliquées<br />

dans ce vaste projet, NPM sous-traita elle<br />

aussi certaines parties de ses tâches, par<br />

exemple - et de façon plutôt inattendue à<br />

nos yeux - les crosses et garde-main,<br />

confiés à un atelier local : la « Trimble<br />

Nursery and Furniture Company », spécialisée<br />

jusqu'alors dans les berceaux pour<br />

enfants! Le numéro de série frappé sur la<br />

présente carabine permet de dater sa sortie<br />

d'usine entre janvier et septembre<br />

1943 inclus. Le quota de carabines assigné<br />

à la NPM fut atteint en avril 1944.<br />

Passant ensuite par des repreneurs successifs,<br />

l'entreprise ferma ses portes en<br />

1976.<br />

Fiche technique de la carabine M1: L. 90,4 cm – L. canon 45,8 cm – Poids<br />

(chargée) 2,75 kg – Cal. 7,62x33 mm (. 30) – Mécanisme: semi-automatique,<br />

par emprunt de gaz – Magasin de 15 cartouches – Hausse à oeilleton,<br />

rabattable, pour tir à 100 (90 m) ou 300 (270 m) yards.<br />

Bibliographie sommaire<br />

J. Jour, La Libération de <strong>Liège</strong> (photos de L. Desarcy),<br />

Bruxelles, 1990; Larry L. Ruth, War Baby. The US caliber .30<br />

Carbine, t. I, Toronto, 1992 (Collector Grade Publications) ;<br />

voir également en ligne les nombreux sites consacrés à la<br />

carabine M1 et à National Postal Meter ; L. Grailet, <strong>Liège</strong><br />

sous les V1 et V2. Un rajustement de l'importance réelle du<br />

drame, Tongres, 1996.<br />

octobre 2019<br />

12<br />

octobre 2019<br />

13


Marylène Laffineur-Crépin<br />

Conservatrice du Trésor et de la collégiale de Huy<br />

marylène.laffineur@gmail.com<br />

De l’abbaye de Solières au Trésor de Huy<br />

en passant par le MARAM et le Grand Curtius<br />

D epuis plusieurs années, les<br />

membres de la fabrique d’église Notre-<br />

Dame à Solières souhaitaient déposer au<br />

Trésor de la collégiale Notre-Dame à Huy<br />

la croix-reliquaire dite de Solières (vers<br />

1160-1170) et une statuette représentant<br />

saint Joseph endormi (vers 1340-1350).<br />

Souvent annoncé, longtemps attendu, le<br />

retour de ces trésors a eu lieu en 2017. Ils<br />

sont aujourd’hui exposés dans la crypte<br />

où une vitrine leur a été réservée.<br />

Les raisons du premier dépôt<br />

Le 12 juillet 1974, en raison de vols perpétrés<br />

dans les édifices religieux de la région,<br />

la fabrique d’église de Solières décidait<br />

de déposer au Musée diocésain à<br />

<strong>Liège</strong>, bientôt dénommé Musée d’Art religieux<br />

et d’Art mosan (MARAM), une croixreliquaire<br />

et sept objets d’art conservés<br />

dans le coffre-fort du presbytère.<br />

Le 30 novembre 1977, pour les mêmes<br />

raisons, le curé de Solières déposait au<br />

même musée une statuette représentant<br />

saint Joseph, qui provenait d’une chapelle<br />

de Ben-Ahin.<br />

Ces mises à l’abri des trésors rescapés<br />

de l’abbaye cistercienne avaient été judicieusement<br />

conseillées par Albert<br />

Lemeunier, promu en 1977 conservateur<br />

du MARAM mais aussi, vingt ans plus<br />

tard, conservateur du Trésor de Huy.<br />

Partagé entre la perspective d’appauvrir le<br />

musée liégeois et le souhait de répondre<br />

aux desiderata de la fabrique d’église,<br />

Albert Lemeunier tergiversait, reportant ce<br />

retour à plusieurs reprises, tout en permettant<br />

à Huy la réalisation d’une vitrine spécialement<br />

conçue pour recevoir la précieuse<br />

croix-reliquaire.<br />

Le retour à Huy<br />

Depuis sa complète rénovation en 2012,<br />

le Trésor de Huy exposé dans la crypte de<br />

1066 est remarquablement mis en valeur<br />

et offre toutes les conditions de sécurité et<br />

de bonne conservation. Le conseil de fabrique<br />

de Solières décida le 3 septembre<br />

2014 de mettre fin aux contrats de 1974<br />

et de 1977, et de déposer les œuvres au<br />

Trésor de Huy.<br />

Les raisons de cette démarche sont non<br />

seulement humaines, sentimentales -ce<br />

patrimoine est à nouveau « à la maison »<br />

et c’est avec fierté qu’on le montre à la<br />

famille et aux amis en visite à Huy- mais<br />

elles sont aussi justifiées.<br />

La croix-reliquaire à double face<br />

(h. 40,8 cm), en cuivre et laiton dorés ornés<br />

de vernis brun et de cabochons en<br />

cristal de roche, date de 1160-1170 et se<br />

rattache à la production attribuée à l’atelier<br />

de Godefroid de Huy, auteur des châsses<br />

de saint Domitien et de saint Mengold<br />

conservées au Trésor. Après la sécularisation<br />

de l’abbaye de Solières en 1796, la<br />

croix fut confiée par les dernières moniales<br />

réfugiées à Huy à l’abbé Michel, curé de la<br />

paroisse Saint-Denis, qui la restitua à<br />

l’église succursale de Solières érigée en<br />

1859.<br />

Le saint Joseph, endormi et coiffé du bonnet<br />

juif, sculpté en marbre de Carrare vers<br />

1340-1350 (h. 37 cm), est sans doute le<br />

vestige d’une Nativité qui ornait un retable<br />

de l’abbaye. La sculpture en ronde-bosse<br />

témoigne d’une évidente parenté avec le<br />

saint Joseph du Bethléem. Elle fait partie<br />

d’un ensemble de marbres mosans réalisés<br />

par deux sculpteurs qui seraient aussi<br />

les auteurs du portail hutois.<br />

Le souvenir d’une grande abbaye<br />

Croix-reliquaire et statuette sont exposées<br />

aux côtés d’un calice et d’un ciboire,<br />

œuvres de deux orfèvres liégeois, en<br />

argent partiellement doré, portant sur le<br />

pied l’initiale S et les millésimes 1757 et<br />

1765. Très probablement réalisés au<br />

moyen d’un ancien calice, don de l’abbesse<br />

Agnès de Sélys (1663-1695), ces<br />

deux objets auront été offerts à la cure de<br />

Saint-Germain à Ben, dont les abbesses<br />

de Solières étaient collatrices et décimatrices.<br />

La fabrique d’église de Ben les a<br />

déposés au Trésor de la collégiale il y a<br />

plusieurs années.<br />

Comme la Paix-Dieu et le Val Notre-Dame,<br />

l’abbaye de Solières a abrité une communauté<br />

de moniales cisterciennes vouées à<br />

la prière, mais insérées aussi dans la vie<br />

économique, sociale et culturelle de la région.<br />

Le patrimoine immobilier et mobilier<br />

de cette abbaye supprimée à la Révolution<br />

française témoigne encore du brillant mécénat<br />

que cette communauté a exercé<br />

pendant plus de cinq siècles.<br />

Remerciements<br />

Nos remerciements s’adressent aux principaux<br />

acteurs de ce transfert : les<br />

membres de la fabrique d’église Notre-<br />

Dame à Solières, notre Évêque, Mgr<br />

Jean-Pierre Delville, et son vicaire épiscopal,<br />

le chanoine Éric de Beukelaer, le collège<br />

des bourgmestre et échevins de Huy,<br />

l'ancien ministre Robert Collignon et<br />

l’ancien échevin liégeois Hector Magotte.<br />

Ils vont aussi au directeur des Musées de<br />

<strong>Liège</strong>, Jean-Marc Gay, et à Philippe Joris,<br />

conservateur honoraire du MARAM et du<br />

Grand Curtius, qui ont accepté de se séparer,<br />

à titre exceptionnel, de chefs-d’œuvre<br />

octobre 2019<br />

14<br />

dont leur institution a assuré pendant plus<br />

de quarante ans la parfaite sécurité, la<br />

bonne santé et une très belle promotion.<br />

Non sans regret, certes, mais en comprenant<br />

bien les arguments invoqués.<br />

octobre 2019<br />

15<br />

© Phillipe Roussel


Christine Maréchal<br />

Conservatrice honoraire<br />

Bibliothèque Ulysse Capitaine<br />

Un document retrouvé : la charte de<br />

la chapelle des Clercs à <strong>Liège</strong>, 1481<br />

Le document sujet de notre<br />

enquête est un parchemin peint inscrit<br />

dans un lot de manuscrits concernant la<br />

chapelle des Clercs à <strong>Liège</strong> et conservés<br />

à la Bibliothèque Ulysse Capitaine sous la<br />

cote Manuscrit 609 avec la description<br />

suivante :<br />

44 documents manuscrits sur parchemin<br />

de la chapelle des Clercs de 1377 à<br />

1613, avec sceaux appendus, réunis<br />

dans 3 boîtes et dans un « emboîtagecadre<br />

» de conservation pour la charte<br />

peinte de 1481, charte sur parchemin<br />

avec peinture de la chapelle des Clercs,<br />

établie en 1481 à <strong>Liège</strong>, réglementant les<br />

mets qui devaient composer le banquet<br />

mensuel qui avait lieu tour à tour chez chacun<br />

des membres de la congrégation<br />

nommée « Compagnie et Confraternité de<br />

Notre-Dame de la Chapelle des Clercs ».<br />

Parchemin, 395 x 600 mm.<br />

Sa localisation<br />

Le premier à saisir l’intérêt tout particulier<br />

de ce document fut le chevalier Constantin<br />

Le Paige (1852-1929) 1 , Docteur en<br />

sciences physiques et mathématiques et<br />

Professeur à l’Université de <strong>Liège</strong>. Autorité<br />

en matière d’archéologie et d’héraldique,<br />

le savant bibliophile, honorable Président<br />

de la Société des Bibliophiles liégeois<br />

(1895-1896) publie dans le Bulletin 23 le<br />

résultat de son intéressante découverte.<br />

Pour mieux comprendre la « bonne<br />

fortune » de l’érudit, revenons aux origines<br />

de l’acte signé par le bibliophile Ulysse<br />

Capitaine en faveur de la Ville de <strong>Liège</strong>.<br />

Par son testament exécuté à sa mort le 31<br />

mars 1871, Ulysse Capitaine lègue à sa<br />

chère ville une remarquable collection de<br />

médailliers, gravures, cartes et plans, manuscrits,<br />

journaux et imprimés. Dès 1872<br />

et afin de répondre aux conditions du testament,<br />

la ville confie la rédaction du catalogue<br />

de ses collections à Henri Helbig et<br />

Michel Grandjean qui le publient en trois<br />

tomes 4 . Les quelque 12.000 documents<br />

et médaillers deviendront le point de départ<br />

des collections communales.<br />

En 1872, la Ville dispose bien d’une bibliothèque<br />

populaire et de quatre bibliothèques<br />

de quartiers. Déjà, le manque de<br />

place est évident et l’accroissement des<br />

collections, parmi lesquelles le legs<br />

Capitaine, impose la recherche de nouveaux<br />

locaux. Il faudra attendre 1907 pour<br />

voir inaugurer un imposant bâtiment rue<br />

des Chiroux. Entre 1872 et cette date<br />

inaugurale de 1907, la ville trouve un accord<br />

avec les autorités académiques de<br />

l’université et dépose temporairement une<br />

bonne partie de ses collections d’histoire<br />

locale dans les locaux de l’alma mater.<br />

Situation peu confortable dans une bibliothèque<br />

universitaire elle-même confrontée<br />

à l’exiguïté.<br />

Néanmoins, le Fonds Ulysse Capitaine a<br />

été classé et inventorié. Autant dire que<br />

chaque pièce est identifiée et décrite à<br />

son entrée, selon le vœu de son légataire.<br />

Et pourtant, lors d’un de ses multiples<br />

passages à la bibliothèque centrale de<br />

l’université, l’attention de Constantin le<br />

Paige est attirée par un document qui non<br />

seulement « avait échappé aux savants<br />

rédacteurs du catalogue Capitaine » 5 ,<br />

mais encore, précise-t-il, ne parait même<br />

pas avoir appelé l’attention d’Ulysse<br />

Capitaine. Une première énigme sur l’origine<br />

d’une pièce inédite qualifiée à haute<br />

valeur par le Paige.<br />

L’auteur parle d’une « charte inédite de la<br />

chapelle des Clercs » de 1481. Ce document<br />

est bien celui que nous venons de<br />

décrire concernant la chapelle située à<br />

proximité de l’église paroissiale Saint-<br />

Etienne à <strong>Liège</strong> 6 . Dans <strong>Liège</strong> à travers les<br />

âges 7 , Théodore Gobert par ailleurs ami<br />

de Constantin Le Paige, nous en livre un<br />

historique à lire avec toutes les conditions<br />

d’usage critique. La chapelle dédiée à la<br />

Vierge aurait été fondée en 1336 8 avec un<br />

collège de douze clercs administrateurs,<br />

selon l’archiviste qui a pris connaissance<br />

des 44 parchemins 9 . Nous sommes visiblement<br />

en présence d’une confrérie mariale.<br />

Son contenu<br />

La charte décrite par Le Paige est composée<br />

d’un texte manuscrit occupant une<br />

grande partie du parchemin et d’une composition<br />

picturale partiellement inachevée<br />

sur la partie gauche.<br />

Le document est original par son écriture<br />

à l’encre noire. Le texte en latin est<br />

conservé dans son intégralité. Son<br />

authenticité est encore à établir. La date<br />

de l’acte ne soulève aucune difficulté :<br />

Datum et actum restent les formules<br />

conformes à la pratique : anno a nativitate<br />

Domini millesimo quadringentesimo octuagesimo<br />

primo, mensis novembris die<br />

XIX, 19 novembre 1481, jour de fête de<br />

sainte Elisabeth, reine de Hongrie. Le lieu<br />

étant bien la chapelle des Clercs : in loco<br />

capitulari sepetacte capelle clericorum<br />

leodiensum. On observe toutefois qu’il n’y<br />

a pas de signature.<br />

octobre 2019<br />

16<br />

(Suite et fin page 42)<br />

1<br />

Fig. 1 – Julius Milheuser, Legia sive Leodium vulgo Liege, (détail)<br />

1649, gravure sur cuivre.<br />

(<strong>Liège</strong>, Bibliothèque Ulysse Capitaine, Fonds Dejardin)<br />

Fig. 2 – Charte de la Compagnie et Confraternité de Notre-Dame<br />

de la chapelle des Clercs, <strong>Liège</strong>, 1481<br />

(<strong>Liège</strong>, Bibliothèque Ulysse Capitaine, Ms 609)<br />

2<br />

octobre 2019<br />

17


Geoffrey Schoefs<br />

Chargé de projets - Expositions temporaires<br />

Musées de la Ville de <strong>Liège</strong><br />

geoffrey.schoefs@liege.be<br />

La Compagnie des Wagons-Lits<br />

fait escale au Grand Curtius<br />

2 1<br />

W<br />

agons-lits, Orient Express,<br />

Transsibérien, des noms qui résonnent<br />

encore comme l’âge d’or du voyage.<br />

Moins connu est cependant l’initiateur de<br />

ces trains de luxe, le Liégeois Georges<br />

Nagelmackers, entrepreneur ambitieux qui<br />

a su bouleverser les rapports au temps et<br />

aux distances. C’est cet univers, celui<br />

d’une époque où voyager était un art, qui<br />

sera prochainement mis à l’honneur dans<br />

une nouvelle section du Grand Curtius.<br />

La Compagnie internationale<br />

des Wagons-lits<br />

L’aventure de la Compagnie internationale<br />

des Wagons-lits (CIWL) est associée à un<br />

nom : Georges Nagelmackers. Issu d’une<br />

famille liégeoise qui a fait fortune dans le<br />

monde bancaire et industriel, Georges<br />

Nagelmackers se révèle naturellement<br />

doué pour les affaires. En 1867, parti pour<br />

les États-Unis afin d’oublier un chagrin<br />

d’amour, il a l’occasion de se déplacer à<br />

bord des sleeping cars inventés par<br />

George Pullman, qui a eu l’idée d’améliorer<br />

le confort des trains de nuit, en proposant<br />

d’installer des wagons-restaurants et<br />

de remplacer des banquettes par des<br />

couchettes.<br />

De retour en Europe, Georges<br />

Nagelmackers imagine le développement<br />

de ce concept sur le Vieux continent. En<br />

1870, il publie une brochure intitulée Projet<br />

d’installation de wagons-lits sur les chemins<br />

de fer du continent, dans laquelle il<br />

adapte le système de Pullman aux exigences<br />

européennes, tout en innovant<br />

par l’installation de couloirs latéraux dans<br />

les voitures. L’homme d’affaires est ambitieux,<br />

mais le défi reste de taille, car<br />

chaque pays possède sa réglementation<br />

et son matériel ferroviaire. Les transbordements<br />

et changements rendent les<br />

voyages continentaux interminables.<br />

Nagelmackers propose alors un matériel<br />

unifié, standardisé, capable de parcourir<br />

plusieurs pays, le tout dans un cadre<br />

luxueux. Le premier voyage, Paris-Vienne,<br />

a lieu en 1872, concrétisant la naissance<br />

de la Compagnie des wagons-lits, qui<br />

deviendra Compagnie internationale des<br />

wagons-lits en 1876.<br />

L’Orient Express<br />

À la fin du xix e siècle, l’orientalisme a le<br />

vent en poupe ; une ligne reliant Paris à<br />

Constantinople permettrait de multiplier<br />

les échanges économiques, commerciaux<br />

et culturels. Persévérant,<br />

Nagelmackers parvient à nouer des traités<br />

de coopération avec les compagnies ferroviaires.<br />

Le 17 mai 1883 est finalement officialisée<br />

la création du Train express d’Orient, qui<br />

prendra le nom d’Orient Express en 1891.<br />

Le 4 octobre 1883, les deux voitures-lits,<br />

une voiture-restaurant et deux fourgons à<br />

bagages qui composent le convoi quittent<br />

la gare de Strasbourg. Le voyage n’est<br />

pas direct, il s’arrête au bord de la mer<br />

Noire. Il faudra attendre le 1 er juin 1889<br />

pour que l’Orient Express circule de la<br />

Seine au Bosphore sans transbordement,<br />

ce qui réduira considérablement la durée<br />

du voyage. Il faut désormais 67 h 46 pour<br />

effectuer les 3 186 km 1 .<br />

À la fin du xix e siècle, sous l’impulsion de<br />

son directeur, la CIWL sillonne l’Europe<br />

avec son propre matériel roulant, tout en<br />

développant autour de ses trains de luxe<br />

quantité d’activités annexes : ateliers de<br />

construction ferroviaire, agences de<br />

voyages, publication de guides et périodiques,<br />

participation aux expositions universelles<br />

(Vienne, Paris, Berlin, <strong>Liège</strong>),<br />

mais aussi hôtels de luxe, dont le Pera<br />

Palace à Constantinople, l’Élysée Palace à<br />

Paris, le Royal Ardenne à Houyet en<br />

Belgique.<br />

Georges Nagelmackers s’éteint dans son<br />

château de Villepreux (Paris) le 10 juillet<br />

1905. Il sera inhumé dans le caveau familial<br />

du cimetière de la Diguette, à Angleur.<br />

Entre confort et technologie<br />

Dès sa création, la compagnie fait face à<br />

un défi de taille, celui de repenser le matériel<br />

roulant existant tout en créant une<br />

ambiance au goût des clients fortunés.<br />

L’une des innovations apportées par la<br />

CIWL est l’intercommunication des wagons,<br />

qui permet aux passagers de rejoindre<br />

la voiture restaurant et d’éviter ainsi<br />

les longs arrêts-buffet. La première voiture-restaurant<br />

est éprouvée en 1882, sur<br />

la ligne Marseille-Nice. La structure des<br />

premiers wagons est essentiellement en<br />

bois. À la fin des années 1880, le teck,<br />

bois réputé pour sa résistance, est utilisé<br />

pour l’habillage des voitures, tandis que<br />

l’électricité remplace progressivement le<br />

gaz. Les essieux ont laissé la place aux<br />

bogies, assurant un meilleur amortissement<br />

des chocs et une plus grande souplesse<br />

sur les courbes de la voie ferrée.<br />

3<br />

Fig. 1 – Modèle d’une voiture restaurant, livrée bleue<br />

Échelle 1/84<br />

Musée Grand Curtius<br />

Fig. 2 – Victor Segoffin (1867-1925)<br />

Buste de Georges Nagelmackers, début xx e siècle<br />

Marbre blanc<br />

Musée Grand Curtius<br />

Fig. 3 – Georges Nagelmackers (1845-1905)<br />

Projet d’installation de wagons-lits sur les chemins de fer du continent, <strong>Liège</strong>, H. Vaillant-Carmanne, 1870<br />

Bibliothèque Ulysse Capitaine<br />

Fig. 4 – Écusson original monogramme apposé sur les voitures n°3050 puis 4090<br />

Bronze<br />

Musée Grand Curtius<br />

En 1884, les armes de la CIWL et des grands express européens sont imposées sur les flancs de toutes les<br />

voitures de la compagnie ; elles resteront l’emblème du confort sur rail.<br />

Fig. 5 – René Lalique (1860-1945)<br />

Panneau décoratif bouquet de fleurs, 1928<br />

Musée Grand Curtius<br />

5<br />

4<br />

(Suite et fin page 42)<br />

octobre 2019<br />

18<br />

octobre 2019<br />

19


Carmen Genten<br />

Conservatrice au Musée des Beaux-Arts de <strong>Liège</strong><br />

carmen.genten@liege.be<br />

Patrick Corillon : du texte dans l’œuvre<br />

Une évocation des images intérieures de Patrick Corillon racontées à travers son installation Foijoy Sainte-Marie (1988)<br />

W Le<br />

monde de l’art a vu naître<br />

une grande diversité de procédés de<br />

création. Certains nécessitent réflexion,<br />

un geste posé, un processus mûrement<br />

réfléchi en suivant éventuellement les préceptes<br />

d’une théorie. Il y a des artistes qui<br />

peuvent s’enorgueillir d’une technique imitant<br />

à la perfection la réalité ou d’une habileté<br />

de composition qui ne laisse rien au<br />

hasard.<br />

D’autres mouvements préconisent plutôt<br />

la recherche des formes, des couleurs ou<br />

encore le désir d’exprimer immédiatement<br />

un état ressenti. Les œuvres expriment<br />

alors une grande liberté de langage plastique,<br />

une gestuelle spontanée guidée<br />

soit par le besoin urgent de se libérer<br />

d’une émotion individuelle, soit d’une volonté<br />

de se distancier complètement de la<br />

raison ou de la conscience.<br />

Ces différents courants ont en commun la<br />

primauté accordée à l’objet. Il focalise<br />

l’attention en tant qu’aboutissement final<br />

de la démarche artistique.<br />

Oublions un instant ces compréhensions<br />

traditionnelles de l’œuvre d’art qui n’ont<br />

plus à faire leurs preuves et entrons dans<br />

l’univers que s’est créé Patrick Corillon.<br />

Ses œuvres ne cherchent pas à refléter<br />

les occupations et les peurs de la société,<br />

à être le miroir de leur époque. Elles sont<br />

plutôt une forme d’échappatoire, une escapade<br />

loin de la réalité quotidienne, des<br />

bouleversements sociaux, politiques et<br />

technologiques dont nous sommes les<br />

témoins aujourd’hui. Au moyen de petites<br />

histoires qui accompagnent des objets,<br />

Corillon invite le public à projeter ses<br />

propres idées et perceptions dans ces<br />

installations. Son processus artistique<br />

tend vers une mise en retrait de l’objet, qui<br />

s’efface pour laisser champ libre à l’interprétation<br />

du spectateur. Au profit de ses<br />

créations, il va même jusqu’à taire toute<br />

référence à leur auteur : c’est en vain que<br />

l’on cherchera la signature de l’artiste. Ici,<br />

l’objet (et parfois son absence !) n’est<br />

donc plus aboutissement mais point de<br />

départ d’une incursion dans l’imaginaire.<br />

On retrouve Patrick Corillon aussi bien<br />

dans le monde de l’art plastique que de<br />

l’art du spectacle. Le fil rouge qui traverse<br />

ces deux univers est la présence primordiale<br />

du texte. La dualité de ses œuvres<br />

plastiques – objet et texte – est le résultat<br />

direct du travail pluridisciplinaire de l’artiste<br />

: les histoires doivent pouvoir s’incarner<br />

dans les installations correspondantes<br />

et l’inverse. Sans ce rapport étroit entre les<br />

deux composantes, l’œuvre n’existerait<br />

pas. Ainsi, les installations, au-delà de leur<br />

aspect a priori contemplatif, engagent surtout<br />

une participation active du spectateur,<br />

afin de créer des ponts imaginaires<br />

entre l’objet et le texte littéraire associé. Le<br />

spectateur devient donc acteur. C’est à<br />

travers cette complicité entre l’objet et le<br />

texte que Corillon cherche à faire naître<br />

des images dans l’esprit de son public ;<br />

des images synonymes d’émotions.<br />

Le thème de la fleur et du jardin traverse<br />

tout l’œuvre de Patrick Corillon. Foijoy<br />

Sainte-Marie est une création précoce de<br />

l’artiste, issue d’une dizaine d’histoires fictives,<br />

imaginées en 1988 pour l’une de<br />

ses premières expositions solo intitulée<br />

Germinations particulières, à la galerie<br />

Vega. La série est ensuite montrée au<br />

Jardin des Plantes à Nantes en 1990 et à<br />

la Tate Gallery de Londres en 1999.<br />

Corillon y exploite différents mécanismes<br />

du texte. Tout d’abord l’intégration de<br />

notes pseudo-scientifiques de botanique<br />

pour créer l’idée d’une fleur artificielle, par<br />

la forme des branches dymo et leur support<br />

de couleur verte. Ensuite, il y a le titre<br />

qui se compose, d’un côté du jeu de mots<br />

foi-joie (Foijoy) dont chacune des trois<br />

plantes dymo porte une variation grammaticale,<br />

et de l’autre côté de la particule<br />

Sainte-Marie dont le rôle est d’évoquer le<br />

côté sacré de la dénomination : dans la<br />

Bible, le premier chapitre de la Genèse<br />

raconte que Dieu nommait et la chose se<br />

créait. Ce serait donc à partir de la formulation<br />

par le langage que le monde s’est<br />

construit et c’est la connaissance du langage<br />

qui permettrait l’acte créateur.<br />

Confronté à l’œuvre, le spectateur est mis<br />

en situation d’attente de la croissance<br />

d’une graine. Mais la plante elle-même<br />

étant absente, ce sont les cartels et les<br />

histoires qui doivent exercer leur pouvoir<br />

évocateur pour aider le spectateur à créer<br />

une projection mentale de cette fleur à<br />

venir, celle que l’artiste nomme l’image inconsciente.<br />

Comme si l’attente de l’objet<br />

devenait l’œuvre à proprement parler.<br />

(Suite et fin page 43)<br />

Patrick Corillon (Knokke, 1959)<br />

Foijoy Sainte-Marie<br />

1988<br />

Installation comprenant du métal, plastique et plexiglas<br />

N° inv Sc 0696<br />

Achat par le Musée des Beaux-Arts en 2017<br />

octobre 2019<br />

20<br />

octobre 2019<br />

21


Jean-Luc Schütz<br />

Conservateur du Département d’Archéologie,<br />

Musée Grand Curtius<br />

jean-luc.schutz@liege.be<br />

Un flacon Mercure au contenu mystérieux<br />

découvert dans une sépulture romaine à Omal en 1862<br />

Ala fin du mois de juin 1862,<br />

des ouvriers qui extrayaient le sable d’une<br />

petite carrière exploitée à Omal (Geer,<br />

<strong>Liège</strong>) ont découvert fortuitement, à un ou<br />

deux mètres de profondeur, le mobilier<br />

funéraire d’une riche sépulture galloromaine<br />

située à proximité de l’antique<br />

voie romaine Bavay-Tongres. La tombe,<br />

implantée à une centaine de mètres au<br />

sud des quatre tombes alignées d’Omal<br />

(1), était approximativement orientée nordsud,<br />

comme ces dernières. Peut-être<br />

était-elle à l’origine recouverte d’un tertre<br />

comme l’incite à penser un certain<br />

renflement du sol.<br />

Les objets qui se trouvaient dans une<br />

fosse étaient rangés sur deux lignes assez<br />

espacées. D’un côté se trouvaient des<br />

poteries ; de l’autre figuraient les récipients<br />

en alliage cuivreux. Au fond de la tombe,<br />

un bassin de toilette en alliage cuivreux<br />

reposait sur une légère couche de<br />

cendres et de résidus de charbon. Il<br />

contenait des fragments de vases de couleur<br />

grise, en terre cuite fine. L’étude du<br />

mobilier funéraire place cette sépulture<br />

dans le courant du iii e siècle après J.-C.<br />

Parmi les objets exhumés se trouve un<br />

flacon Mercure à long goulot conique et à<br />

panse carrée allongée, en verre épais, qui<br />

porte sur le fond l’inscription GF / HI aux<br />

lettres disposées dans les angles (2). La<br />

signification de cette marque nous est<br />

inconnue. Elle pourrait désigner l’artisan<br />

verrier qui a soufflé ce verre ou le négociant<br />

du produit conservé dans le flacon.<br />

La marque encadre un personnage central<br />

en relief qui pourrait être Mercure, le<br />

dieu du commerce qui a donné son nom<br />

à ce type particulier de bouteille.<br />

Fait exceptionnellement rare, la bouteille<br />

contient encore une grande partie de son<br />

contenu d’origine, une matière grasse et<br />

collante de couleur brun orangé. L’analyse<br />

physico-chimique d’un prélèvement<br />

d’échantillons a permis de déterminer les<br />

diverses composantes de ce produit précieux<br />

: un huile particulière.<br />

2<br />

Fig. 1 – Les tumulus alignés d’Omal. Vue prise en 1902.<br />

1<br />

Fig. 2 – Fond du flacon Mercure orné d’un personnage en relief et de la marque GF/HI, collections de l'IAL,<br />

Grand Curtius.<br />

J.-L. Schütz, S. Saverwyns et L. Decq, Le tumulus n° 6 d'Omal ? (Province de <strong>Liège</strong>), dans BIAL, CXXIV (à paraître)<br />

octobre 2019<br />

22<br />

octobre 2019<br />

23


Des acquisitions enrichissantes<br />

pour la collection de verres<br />

Au cours des années 2017 et<br />

2018, nous avons eu la chance d’acquérir<br />

de nombreuses pièces de grande qualité<br />

et illustrant surtout la période Art nouveau<br />

des Cristalleries du Val Saint-Lambert,<br />

peu présentes dans notre collection. Il<br />

s’agit d’œuvres témoignant de la créativité<br />

sans borne des designers, de la maîtrise<br />

de techniques les plus diverses et de la<br />

nouvelle palette de couleurs mise au point<br />

à cette époque au Val.<br />

En guise de hors d’œuvre à l’ouverture<br />

d’une nouvelle section verrière au Grand<br />

Curtius consacrée au Val Saint-Lambert<br />

(de 1826 à nos jours), nous vous<br />

présentons ici trois modèles de vases -<br />

signés « Val St-Lambert » - seulement<br />

connus des collectionneurs ou des<br />

passionnés.<br />

Le vase en cristal vert d’eau fait partie<br />

d’une rare série de quelques modèles qui<br />

ont été conçus dans cette couleur - forme<br />

et décor - par Léon Ledru, le designer le<br />

plus connu du Val, directeur du service<br />

des créations de 1897 à 1926. Des<br />

motifs de fleurs sont gravés à l’acide sur<br />

un fond dépoli ou comme ici, sur un fond<br />

vermiculé (1).<br />

Autre pièce emblématique de l’Art<br />

nouveau, le vase Séville en cristal dépoli,<br />

doublé violet-évêque pour le décor<br />

d’orchidées, aux feuilles curvilignes « en<br />

coup de fouet » chères à Léon Ledru,<br />

créateur du modèle et des motifs (2).<br />

Le modèle de vase Viennois en cristal<br />

urane et rose est un bel exemple de la<br />

gamme de pièces dénommée « Fluoval »,<br />

alliant la taille à la fluogravure pour le décor.<br />

Réalisés durant la période Art déco, ils<br />

sont toujours bien ancrés dans l’Art<br />

nouveau par les motifs naturalistes<br />

représentés. Le décor en réserve gravé à<br />

l’acide représente sur la face principale le<br />

château de Chillon et à l’opposé, un voilier<br />

voguant sur le lac Léman dans un paysage<br />

montagneux (3). Lucien Petignot (1874-<br />

1936) a exécuté ce vase entre 1920 et<br />

1926 dans l’atelier dirigé par Modeste<br />

Denoël. Il a appris la technique de la<br />

fluogravure (association de l’émaillage à la<br />

gravure à l’acide) au contact des Frères<br />

Muller venus au Val réaliser quelques 500<br />

pièces entre 1905 et 1908.<br />

Nul doute que les 80 œuvres acquises<br />

(Art nouveau - Art déco - Années 70 à<br />

2000) feront de la collection du Grand<br />

Curtius le plus grand ensemble de l’art<br />

verrier consacré aux célèbres cristalleries<br />

du Val Saint-Lambert au niveau européen<br />

et international.<br />

Jean-Paul Philippart<br />

Conservateur du Département du Verre,<br />

Musée Grand Curtius<br />

jean-paul.philippart@liege.be<br />

Fig. 1 – Vase AA<br />

Léon Ledru (1855-1926), Val Saint-Lambert, 1897-1905<br />

H 33 cm<br />

GC.VER.08a.2017.014063<br />

Fig. 2 – Vase Viennois<br />

Éxécuté par Lucien Petignot (1874-1936), Val Saint-<br />

Lambert, 1922-1926<br />

H 25,3 - Ø max. panse 12 cm<br />

GC.VER.08a.2017.014065<br />

Fig. 3 – Vase Séville<br />

Léon Ledru (1855-1926), Val Saint-Lambert, 1897-1905<br />

H 21,3 - Ø max. panse 13,8 cm<br />

GC.VER.08a.2018.014831 (2018/1)<br />

1 2 3<br />

octobre 2019<br />

24<br />

octobre 2019<br />

25


Marthe Wéry, variations musicales<br />

et méthodiques sur le monochrome<br />

Au sein des collections du<br />

Musée des Beaux-Arts de <strong>Liège</strong>,<br />

l’abstraction en peinture, ses langages et<br />

ses figures majeures durant tout le xx e<br />

siècle, occupent une place significative.<br />

De Kasimir Malevitch à Jean Gorin, de<br />

Jean Arp à Victor Vasarely, de Robert et<br />

Sonia Delaunay à Bram Van Velde ou<br />

Olivier Debré, l’histoire de l’art abstrait s’y<br />

déploie dans ses multiples orientations.<br />

Les artistes belges n’en sont évidemment<br />

pas absents, Joseph Lacasse, Pol Bury,<br />

Jo Delahaut, Georges Collignon, Léon<br />

Wuidar, José Picon, ou encore Dan Van<br />

Severen.<br />

Marthe Wéry (Etterbeek, 1930 – Bruxelles,<br />

2005) est l’une des artistes essentielles<br />

dans cette histoire de l’abstraction en<br />

Belgique. La reconnaissance de Marthe<br />

Wéry s’est très rapidement marquée<br />

également sur la scène internationale, au<br />

cours des années 1970-80. Elle était<br />

présente à la Documenta VI de Cassel, en<br />

1977, puis occupa le Pavillon belge à la<br />

Biennale de Venise en 1982. Montréal<br />

1984, ensemble de sept peintures à<br />

l’acrylique sur toile, acquis directement<br />

par le Musée des Beaux-Arts de <strong>Liège</strong><br />

auprès de la famille de l’artiste en 2018, a<br />

été préalablement exposé au Musée d’Art<br />

contemporain de Montréal, en 1984, ainsi<br />

qu’à la Biennale de Sao Paulo, en 1985.<br />

Les recherches de couleurs, les<br />

agencements de formats, la question des<br />

supports dans la peinture, sont dès les<br />

années 1980 une préoccupation<br />

fondamentale du travail de Marthe Wéry,<br />

dont la formation fut marquée par<br />

l’abstraction hollandaise des années<br />

1920-30, et par le constructivisme russe.<br />

Montréal 84 est donc un polyptyque, qui<br />

constitue une variation relationnelle et<br />

quasi musicale sur le thème du<br />

monochrome. L’œuvre se compose de<br />

sept peintures juxtaposées et non<br />

encadrées, six de couleur bleue, aux<br />

nuances à chaque fois différentes, et une<br />

seule blanche. La largeur de chaque<br />

peinture est étroite (entre 15 et 30 cm), et<br />

les hauteurs, si elles ne sont pas<br />

identiques, répondent à un schéma<br />

presque arithmétique : deux de petit<br />

format (20 cm), quatre de moyen format<br />

(80 cm), et une dernière dont la hauteur<br />

atteint 200 cm, soit dix fois celle du petit<br />

format.<br />

Couleur, support, architecture<br />

Au départ d’un monochrome dont elle<br />

choisit la dominante (rouge, bleue, jaune,<br />

verte…) et qu’elle crée elle-même à base<br />

de pigments, Marthe Wéry superpose les<br />

couches de peinture les unes après les<br />

autres, dans un rapport très physique à<br />

l’œuvre en voie de concrétisation : elle<br />

brosse, racle, reprend… et réalise ainsi<br />

des œuvres picturales dans une<br />

perspective sérielle. Ce principe des<br />

séries, sur des variations et répétitions de<br />

couleurs, jamais identiques, ainsi que la<br />

disposition du travail réalisé en incluant sa<br />

dimension et sa perception spatiales, sont<br />

des constantes chez l’artiste. Elle inscrit<br />

son travail dans une réflexion sur le sens<br />

de l’œuvre d’art à son époque, en liaison<br />

avec l’histoire de l’art qui l’a précédée. Elle<br />

porte une attention permanente au<br />

support (papier, bois, toile, contreplaqué,<br />

MDF, feuille d’aluminium…), ainsi qu’à la<br />

mise en place de l’œuvre, dans un lieu<br />

architectural qu’elle a choisi ou qui lui est<br />

octobre 2019<br />

26<br />

Alain Delaunois<br />

Attaché scientifique – Musées de <strong>Liège</strong><br />

La Boverie – Beaux-Arts – Grand Curtius<br />

alain.delaunois@liege.be<br />

imposé, au gré des circonstances. Le<br />

hasard (du lieu, de la lumière, du sol, de la<br />

hauteur des murs…) contribue donc à<br />

façonner la manière de regarder l’œuvre<br />

ainsi soigneusement disposée, dans une<br />

pureté formelle qui laisse néanmoins une<br />

large place à l’imprévisible.<br />

Cette série d’œuvres dont fait partie<br />

Montréal 84, Marthe Wéry la désigne<br />

comme des « installations/compositions ».<br />

En questionnement sur la disposition de<br />

l’œuvre dans l’espace, l’artiste a en effet<br />

imaginé un schéma d’installation initial, qui<br />

prévoit cependant de pouvoir modifier la<br />

place de chacun des sept éléments, en<br />

fonction de l’architecture du lieu. Ce type<br />

d’accrochage variable, où intervient un<br />

autre acteur que l’artiste, démontre le<br />

souhait de Marthe Wéry de laisser vivre<br />

l’œuvre réalisée dans une forme d’altérité,<br />

et surtout, de ne jamais en figer la<br />

perception. Il n’y a pas chez Marthe Wéry<br />

la volonté d’un aboutissement de l’œuvre,<br />

définitivement clos. Jusqu’à son décès,<br />

elle restera fidèle à ce qu’elle déclarait déjà<br />

en 1972 : « Il n’y a pas à parfaire mais<br />

toujours à compléter et à poursuivre »<br />

(Marthe Wéry, Penser en peinture (1968-<br />

2000). Ed. Ludion/Cera Foundation,<br />

Gand, 2001, p.8). Sans s’y référer<br />

explicitement, elle nous renvoie à<br />

l’affirmation sensible (et pas seulement<br />

provocatrice) de Marcel Duchamp, selon<br />

laquelle « c’est le regardeur qui fait le<br />

tableau ».<br />

(Suite et fin page 43)<br />

Marthe Wéry, Montréal 84, installation-composition en sept panneaux, 1984<br />

BA.AMC.05b.2018.005328<br />

octobre 2019<br />

27<br />

détail


Maurice Lorenzi<br />

Président de la Chambre provinciale de la CRMSF<br />

mlorenzi@uliege.be<br />

Un ascenseur à l’hôtel d’Ansembourg ?<br />

Monument classé le 17<br />

des<br />

septembre 1941 ; inscrit sur la liste du<br />

Patrimoine exceptionnel de Wallonie en<br />

1993.<br />

Construit de 1738 à 1741 pour le<br />

marchand et banquier liégeois Michel<br />

Willems à l’emplacement d’une ancienne<br />

maison canoniale, l’hôtel est acheté par la<br />

Ville de <strong>Liège</strong> le 12 février 1903 afin de le<br />

reconvertir en Musée des Arts décoratifs 1 .<br />

Il a, depuis, vécu et vieilli, et réclame<br />

aujourd’hui des soins urgents.<br />

Des intentions naissent, des propositions<br />

graphiques apparaissent (1)<br />

La création d’un ascenseur<br />

est-elle opportune ?<br />

Après la restauration de ce bien que nous<br />

espérons tous avec impatience, le visiteur<br />

découvrira l’hôtel comme un invité le<br />

découvrait au xviii e siècle : entrée<br />

somptueuse, lumineuse, richement<br />

ornementée, faite pour impressionner et<br />

annoncer d’emblée le statut social de<br />

l’hôte ; vastes et opulents salons de<br />

réception, le tout au rez-de-chaussée.<br />

Aujourd’hui, cependant, le visiteur<br />

découvrira aussi la cuisine, ce qui n’était<br />

probablement pas le cas au xviii e siècle.<br />

Parmi ces espaces de réception, un petit<br />

salon adossé au pignon Est, garni d’une<br />

cheminée, facile à chauffer par ses<br />

dimensions réduites (2), rappelle que ces<br />

hôtels particuliers étaient des résidences<br />

d’hiver. Elles permettaient par ailleurs, en<br />

toute saison, d’être proche des affaires et<br />

de la vie politique et mondaine. De tels<br />

petits salons sont visibles, par exemple au<br />

rez-de-chaussée de l’hôtel de Grady, n° 5<br />

en Hors-Château (l’annexe de l’École<br />

d’hôtellerie).<br />

Le même petit espace, doté des mêmes<br />

caractéristiques, se retrouve au premier<br />

étage, au-dessus de celui dont il vient<br />

d’être question. On peut cependant<br />

supposer que le salon de l’étage était<br />

réservé aux maîtres de maison et à leurs<br />

intimes, puisque nous sommes ici plus<br />

avant dans le caractère privé des lieux.<br />

Il serait inimaginable que l’adjonction d’un<br />

ascenseur avec accès au monument par<br />

le pignon Est ait pour effet la destruction<br />

des cheminées de ces deux petits salons,<br />

et la transformation de leur fonction<br />

première en espaces de circulation ; cela<br />

serait en totale contradiction avec la<br />

distribution d’origine, et fausserait sa<br />

lecture par le visiteur d’aujourd’hui.<br />

Par ailleurs, cela aurait aussi comme<br />

conséquence une forme de discrimination<br />

à l’égard des personnes à mobilité réduite,<br />

puisque les utilisateurs éventuels de cet<br />

ascenseur seraient obligés de vivre la<br />

découverte de l’hôtel particulier en<br />

commençant pratiquement la visite à<br />

l’envers, en passant d’un petit salon intime<br />

au grand salon de réception, pour aboutir<br />

enfin au vaste vestibule, qui, en toute<br />

logique, est l’espace d’accueil des<br />

visiteurs, le tout premier volume que ces<br />

derniers sont supposés découvrir.<br />

Enfin, si ascenseur il y avait, pourquoi<br />

s’arrêterait-il au premier étage, pourquoi<br />

permettrait-il la déambulation dans les<br />

seuls espaces jadis fréquentés par l’élite<br />

de la maison et ses invités ? Quid alors<br />

étages supérieurs, notamment<br />

réservés au logement de la domesticité et<br />

des enfants des maîtres (du moins jusqu’à<br />

l’âge dit de raison) ? Tout ce peuple faisait<br />

partie de la maisonnée et en permettait le<br />

fonctionnement harmonieux. Devrait-on<br />

dès lors interpréter la circulation verticale<br />

telle qu’envisagée comme une autre<br />

forme de discrimination, cette fois sociale<br />

ou socio-historique ? Gardons en mémoire<br />

que les laquais ont parfois porté des gilets<br />

jaunes, … il est vrai souvent rayés de noir !<br />

Jusqu’où peut-on aller en matière<br />

d’intervention plus ou moins invasive, plus<br />

ou moins destructrice, plus ou moins<br />

intégrée, afin de ne pas dénaturer le bien<br />

et de ne pas hypothéquer la justification<br />

de sa protection comme monument<br />

historique, et, par voie de conséquence,<br />

la justification des aides financières<br />

découlant de son statut particulier ? Seuls<br />

le courage, la modestie, les compétences<br />

et la solidarité, orchestrés par le Comité<br />

d’accompagnement dans le cadre fixé par<br />

la procédure de certificat de patrimoine<br />

peuvent garantir une intervention qui<br />

respecte au mieux à la fois l’authenticité<br />

du bien et son adaptation à un programme<br />

destiné à assurer sa pérennité.<br />

Plus explicitement, seule la qualité du<br />

dialogue entre les différents intervenants,<br />

organisée très tôt en amont de la réflexion<br />

et de l’intervention, permet de réduire<br />

au mieux les malentendus, et<br />

conséquemment le risque de se tromper.<br />

(Suite et fin page 43)<br />

1<br />

Fig. 1 – Esquisse d’un projet avec un volume « technique » intégrant<br />

notamment un ascenseur / Cabinet d’architecture phd.<br />

Fig. 2 – Cheminée du salon de l'angle Nord-Est © Maurice Lorenzi<br />

2<br />

octobre 2019<br />

28<br />

octobre 2019<br />

29


Rouges, les briques des façades<br />

de l’hôtel de Hayme de Bomal ?<br />

L’hôtel de Hayme de Bomal<br />

(ancien musée d’armes), construit vers<br />

1775 pour Jean-Baptiste de Hayme de<br />

Bomal, attribué par Marc Bouchat à<br />

l’architecte Barthélemy Digneffe 1 (1724-<br />

1784) a la particularité d’être un unicum<br />

dans la typologie des hôtels de maître à<br />

<strong>Liège</strong>. Il est à la fois construit avec un bel<br />

étage, piano nobile, et sur le modèle des<br />

hôtels français entre cour et jardin (idée<br />

émise par Philippe Stiennon). Pour le plan<br />

et les ornements tant extérieurs<br />

qu’intérieurs, l’architecte trouve ses<br />

modèles chez Jean-François de<br />

Neufforge, dans son « Recueil élémentaire<br />

d’architecture… » (1757-1772) ainsi que<br />

chez Jacques-François Blondel ou Jean-<br />

Charles Delafosse.<br />

Ses façades sont de trois types. La<br />

façade à rue (Feronstrée), la plus sobre,<br />

présente un enduit épais, qui fait<br />

complètement disparaitre la brique. Cette<br />

simplification d’une façade renvoie déjà à<br />

Jean-Nicolas Durand. Les façades de la<br />

cour, plus travaillées avec des parties<br />

laissées vides d’ornements, et où la<br />

modernité est marquée par l’accentuation<br />

de la verticalité, sont également enduites<br />

et badigeonnées de blanc. La façade du<br />

quai, façade « côté jardin », très ornée<br />

avec un décor composé de pilastres sur<br />

toute la hauteur au-dessus du bossage<br />

du rez-de-chaussée, est un bel exemple<br />

d’ordre colossal. Les pilastres surmontés<br />

suivant certains modèles de Neufforge, de<br />

« chapiteaux » composés de triglyphes et<br />

d’une rosace sont caractéristiques de ce<br />

remplacement du vocabulaire des<br />

chapiteaux à l’antique par des éléments<br />

de décors agrandis et propres au « Goût à<br />

la grecque » 2 qui nait vers 1750. Le<br />

rejointoiement des rares briques de la<br />

façade avec des joints en creux semble<br />

être un travail du xix e siècle voire du xx e<br />

siècle.<br />

En 1778, Jean-Baptiste de Hayme se fait<br />

construire un château à Fraiture, encore<br />

plus caractéristique de ce goût à la<br />

grecque, qui était peint en blanc avant sa<br />

destruction.<br />

La couleur, les badigeons, voire les<br />

enduits appliqués sur les briques (du<br />

rouge aux blancs) ont non seulement une<br />

valeur esthétique mais un rôle de<br />

protection des briques. Le « porjetage »<br />

avec ses joints beurrés permettait<br />

« d’obtenir une surface relativement lisse<br />

et surtout de boucher en surface les trous<br />

et crevasses ». 3<br />

Rouge. Jusqu’au milieu du xviii e , la brique<br />

badigeonnée de rouge en alternance avec<br />

la pierre calcaire, donne sa couleur rouge<br />

ou orange aux bâtiments de la vallée<br />

mosane. Son chromatisme est donc<br />

utilisé dans la composition des façades.<br />

Philippe de Hurge de passage à <strong>Liège</strong> en<br />

1630 décrit ainsi le « Palais Curtius » : « le<br />

grand pavillon carré auquel le pagador<br />

tient son cartier …sa baze est de meme<br />

pierre et de briques avec quelques pierres<br />

blanches entremelées ». 4 En 1751, les<br />

rapports de la cité rapportent pour l’hôtel<br />

de ville de <strong>Liège</strong> « …qu’il soit fait épreuve<br />

de couleur sur quelque pan de muraille de<br />

l’hôtel de ville (1714-1719) en couleur<br />

rouge. »<br />

Paul-C. Hautecler<br />

Architecte, professeur à la faculté d’architecture<br />

de l’Université de <strong>Liège</strong> (U<strong>Liège</strong>)<br />

pc.hautecler@uliege.be<br />

Blanc ou jaune. Jean Puraye écrit dans<br />

son étude du château de Seraing, que en<br />

1772, à la mort de Jean-Théodore de<br />

Bavière, lors de l’état des lieux réalisé en<br />

présence de Barthélemy Digneffe et de<br />

Jacques Barthélemy Renooz, les murs<br />

sont constitués de briques rouges et les<br />

encadrements de fenêtre de pierre de<br />

taille. C’est dans un article publicitaire<br />

publié en 1785, qu’un marchand de<br />

couleurs de la place Saint-Barthélemy<br />

avertit sa clientèle que depuis que le<br />

château de Seraing a été peint en jaune, il<br />

ne peut plus fournir cette couleur tellement<br />

la demande est importante. En 1785<br />

donc, le château de Seraing est peint en<br />

jaune Nankin, couleur tirant vers le<br />

chamois. À en croire Pierre Colman, voilà<br />

la date de la fin du règne du rouge.<br />

Pourtant, des bâtiments présentant des<br />

colorations variant de l’ocre jaune, au<br />

jaune et au blanc semblent nombreux,<br />

avant cela à partir de 1760.<br />

Dans la seconde moitié du xviii e siècle, la<br />

couleur naturelle de la brique ou les<br />

badigeons rouges ne sont plus utilisés<br />

comme matériau de parement ou de<br />

finition. La question qui se pose est : à<br />

partir de quelle date ? En France et à<br />

Versailles en particulier, la polychromie<br />

brique et pierre est passée de mode dès<br />

le milieu du xvii e siècle et est remplacée<br />

par des badigeons ocre-jaune imitant le<br />

ton pierre. 5 En 1776, dans une réédition<br />

de son livre de 1773, sur « l’Art du peintre,<br />

doreur, vernisseur… » Wattin 6 écrit : Le<br />

badigeon est la couleur dont on se sert<br />

pour embellir les maisons au-dehors<br />

lorsqu’elles sont vieilles, ou les églises<br />

... (Suite et fin page 44)<br />

1<br />

Fig. 1 – Façade « côté jardin » de l’hôtel de Hayme de Bomal au quai de Maestricht à<br />

<strong>Liège</strong> prise le 17 février 2019.<br />

Fig. 2 – Détail d’un mur intérieur autrefois extérieur découvert lors du décapage des<br />

enduits intérieurs à l’Hôtel de Clercx (1767), rue Saint-Paul à <strong>Liège</strong>.<br />

2<br />

octobre 2019<br />

30<br />

octobre 2019<br />

31


« TAMPONS DE REGARD » :<br />

Histoire d’égouts à <strong>Liège</strong><br />

Lorsque Pierre Alechinsky<br />

rencontre Christian Dotremont, en 1949,<br />

ce dernier vient d’organiser la deuxième<br />

exposition du groupe CoBrA au Palais des<br />

Beaux-Arts de <strong>Liège</strong> 1 . L’adhésion au<br />

groupe CoBrA et cette rencontre marquent<br />

un tournant décisif pour l’artiste bruxellois<br />

Pierre Alechinsky. Contraire à tout carcan<br />

et au formalisme, l’œuvre d’Alechinsky se<br />

transforme alors considérablement.<br />

« CoBrA, c’est la spontanéité, une<br />

opposition totale aux calculs de<br />

l’abstraction froide, aux spéculations<br />

misérabilistiques ou "optimistiques" du<br />

réalisme », écrit-il (dans ses Souvenotes,<br />

ouvrage publié en 1977) 2 . En 1955,<br />

Alechinsky voyage à Tokyo et à Kyoto, à<br />

l’époque où il tourne un court-métrage<br />

d’une dizaine de minutes intitulé<br />

Calligraphie Japonaise.<br />

Bien souvent, la production de l’artiste est<br />

sommairement résumée à ses encres<br />

influencées par la calligraphie japonaise<br />

ou ses peintures entourées de prédelles.<br />

Mais Pierre Alechinsky, c’est avant tout<br />

l’invention d’un nouveau langage formel.<br />

À partir de motifs existants, il transforme et<br />

réutilise pour mieux créer… Curieux et<br />

avide de produire un langage de formes<br />

inédit, Alechinsky commence à<br />

s’intéresser à l’équipement urbain, invisible<br />

aux yeux de beaucoup : les taques et<br />

grilles d’égouts. Par le procédé de<br />

l’estampage, l’artiste transfère ces<br />

souvenirs de plusieurs villes de passage<br />

pour créer ceux qu’il qualifie de « tampons<br />

de regard » 3 .<br />

L’estampage, « ainsi font les chinois » 4<br />

Inspirée directement des techniques<br />

artistiques chinoises, l’estampage est un<br />

procédé rapide qu’Alechinsky exécute à<br />

même le sol, à partir de taques d’égouts<br />

mais aussi de fragments de ferronnerie,<br />

de bois flotté, de fragments de porcelaine,<br />

de cloches, etc. À l’aide d’une brosse<br />

dure plongée dans l’encre de Chine, il<br />

exécute des empreintes par frottis en<br />

déposant son grand papier sur le support.<br />

En brossant rapidement, la surface laisse<br />

alors apparaitre un décalquage en négatif.<br />

La première fois qu’il estampille, l’artiste se<br />

concentre sur un tour d’arbre : « J’ai voulu<br />

garder le souvenir d’un banc de la fin du<br />

siècle dernier, fait de huit cercles<br />

concentriques (…) qui trainait dans la cour<br />

d’une maison amie. (…) Progressivement<br />

au rythme du va-et-vient latéral de ma<br />

brosse imbibée, les huit cercles<br />

réapparurent, captés dans leur texture,<br />

avec d’insoupçonnables détails et<br />

aspérités. » 5 Son goût pour le relief,<br />

emmené par son ambition de « sauver le<br />

rien » 6 ainsi que sa recherche obnubilante<br />

de modèles circulaires l’amènent à<br />

prélever, dès 1983, ces modestes détails<br />

du paysage urbain que sont les plaques<br />

d’égouts (que l’Administration appelle<br />

« Pièces de mobilier urbain ».<br />

Pris dans des situations parfois cocasses,<br />

Alechinsky se dépêche d’estampiller<br />

avant que la ville ne se réveille... Égouts<br />

de New York, d’Arles, de Rome, de Pékin<br />

mais aussi de Bruxelles et de <strong>Liège</strong> sont<br />

autant de points de départ aux « tampons<br />

de regard ». Sur l’encre intitulée Égout (cicontre),<br />

conservée dans les collections du<br />

Fanny Moens<br />

Collaboratrice scientifique<br />

Musée des Beaux-Arts de <strong>Liège</strong><br />

fanny.moens@liege.be<br />

Musée des Beaux-Arts de <strong>Liège</strong>, les<br />

fragments de l’empreinte d’une taque<br />

liégeoise s’intègrent parfaitement au reste<br />

d’une composition figurative. Chaque fois,<br />

l’estampillage est intégré à la souplesse<br />

de son geste, dans une prolifération de<br />

formes nouvelles.<br />

Parfois, c’est la taque circulaire entière qui<br />

rythme la composition (appelée aussi<br />

« couvercles de trou d’homme » 7 ). Qu’elle<br />

soit empreinte des égouts ou dessinée à<br />

main levée, la forme circulaire régit les<br />

compositions d’Alechinsky. Cette<br />

omniprésence, fortement influencée de la<br />

culture orientale, peut être une référence<br />

au enso – invitation à la méditation dans la<br />

calligraphie japonaise, au mandala ou<br />

même aux astres 8 .<br />

Ces estampages sont tous régis par la<br />

même notion de « souvenir » que l’artiste<br />

choisit de figer sur le papier, alors que ces<br />

détails de notre quotidien urbain sont<br />

voués à disparaitre. En effet, lors de sa<br />

visite à la fonderie de Pont-à-Mousson<br />

(anciennement leader mondial de la<br />

sidérurgie et fabricant de taques d’égout<br />

pour toute la France), l’artiste, venu avec<br />

l’idée d’emprunter des tampons de regard,<br />

se rend compte que rien ne se perd, la<br />

fonte retourne toujours au feu…<br />

Ces estampages, fragments du souvenir<br />

d’une époque ou d’une escapade,<br />

prennent alors tout leur sens, devenant<br />

ainsi des témoins éternels du passé.<br />

(Suite et fin page 44-45)<br />

1 2<br />

Fig. 1 - Pierre Alechinsky, Égout, encre sur papier de Chine, 95 x 63,5 cm, 1984,<br />

Musée des Beaux-Arts de <strong>Liège</strong> © Ville de <strong>Liège</strong>.<br />

BA.AMC.23a.2000.000772<br />

Fig. 2 - Pierre Alechinsky, Fondeur, encre et acrylique sur papier marouflé sur toile,<br />

100 x 68 cm, 1984, collection de l’artiste © Fabrice Guibert.<br />

octobre 2019<br />

32<br />

octobre 2019<br />

33


La carabine de chasse Heeren<br />

Bloc à mouvement vertical<br />

L a popularité de cette carabine<br />

à bloc tombant, dont le système a été<br />

breveté par Christiano Arturo Juan Antonio<br />

Heeren y Massa en 1881 (brevet n°<br />

239.496 du 29 mars 1881), est due<br />

autant à son design compact qu’à sa<br />

capacité à supporter des munitions plus<br />

puissantes que les autres systèmes à<br />

culasse tombante de l’époque.<br />

Heeren est avant tout un ingénieur. Aussi,<br />

c’est le très réputé armurier prussien<br />

Nagel & Menz, fournisseur de la cour<br />

impériale austro-hongroise, installé à<br />

Baden-Baden ainsi qu’à Strasbourg, qui<br />

va fabriquer le premier « Pursch-bűschen<br />

blocksystem Graf Heeren », en 1881.<br />

De nombreuses commandes vont suivre.<br />

Une liste de clients prestigieux tels que le<br />

Kaiser Guillaume II, le Roi d’Espagne<br />

Alphonse XIII ou encore le Comte<br />

Zeppelin-Aschhausen vont acquérir cette<br />

arme si singulière aux caractéristiques<br />

mécaniques propres, spécifiques.<br />

Le catalogue de 1930 du Musée d’Armes<br />

de <strong>Liège</strong> décrit la carabine en ces termes :<br />

« Carabine syst. HEEREN, cal. 300 (7,62<br />

mm), 4 ray. concent. ; clé-pontet articulée<br />

portant le mécanisme à chien intérieur<br />

armé à l’ouverture ; canon avec platebande<br />

guilloché ; hausse à cran fixe et<br />

lamelle mobile ; petit lorgnon à charnière<br />

monté sur la queue de culasse ; monture<br />

long fût ; crosse pistolet à joue. Fab. all. et<br />

liég. 1880 ».<br />

Outre l’erratum qu’il y a lieu d’apporter au<br />

calibre de l’arme (le .303 British au lieu du<br />

.300), il convient de développer cette<br />

description technique afin de bien<br />

percevoir l’ingéniosité de l’inventeur.<br />

Le système Heeren est unique dans la<br />

mesure où sa platine, combinée au levier<br />

de commande, possède trois positions :<br />

sécurité, armement à départ direct et<br />

stecher. Autre particularité, l’abaissement<br />

du bloc-culasse est mû en faisant tomber<br />

par l’avant la clé-pontet articulée, ce qui<br />

est le contraire de la plupart des autres<br />

blocs à mouvement vertical, dont<br />

l’ouverture s’effectue par l’arrière du blocculasse.<br />

Le chien, armé pendant la course<br />

d’ouverture, peut cependant être désarmé<br />

et réarmé à volonté en retenant la queue<br />

de détente.<br />

Il en résulte une carabine compacte,<br />

étonnamment sûre et simple d’usage, qui<br />

fut toutefois améliorée plus tard par<br />

Wuthrich-Heeren, qui en renforça<br />

l’extraction.<br />

L’exemplaire présenté ici a, lui, bien été<br />

produit par Nagel & Menz, mais a<br />

cependant été fini par Jules Bury à <strong>Liège</strong>,<br />

tout en présentant curieusement une<br />

épreuve allemande.<br />

Le canon porte une bande de visée sortie<br />

hors masse, ainsi qu’une hausse à feuillet<br />

et un guidon engagé longitudinalement<br />

dans la rampe porte-guidon. Un œilleton<br />

encastré dans la queue de bascule vient<br />

compléter les aides à la visée.<br />

Le boîtier ainsi que toutes les garnitures<br />

sont dans une livrée très épurée, polie et<br />

jaspée. La crosse, réalisée dans un beau<br />

noyer blond, possède une calotte en<br />

corne de buffle noire. Finement quadrillée<br />

Adrien Marnat<br />

Conservateur du Musée d'Armes,<br />

Musée Grand Curtius<br />

adrien.marnat@liege.be<br />

et dotée d’une poignée pistolet avec un<br />

busc droit et une joue anglaise, elle se<br />

termine par un talon en acier fini en trempe<br />

jaspée.<br />

Le fût long est assuré par une clavette à<br />

tiroir, dont le quadrillage en épouse les<br />

contours, de même que par la vis<br />

transverse de l’étrier de grenadière. Il se<br />

termine par une capucine en corne de<br />

buffle noire.<br />

La moitié supérieure de la monture est<br />

dotée d’un plat, permettant un tir appuyé<br />

précis.<br />

La carabine à bloc tombant, et<br />

particulièrement le système Heeren,<br />

constitue la carabine pour la chasse à<br />

l’approche par excellence.<br />

Légère et peu encombrante,particulièrement<br />

maniable, elle conserve<br />

néanmoins, grâce à son boîtier très court,<br />

une longueur de canon suffisamment<br />

importante pour réaliser des tirs lointains<br />

d’une grande précision.<br />

Nombre de boîtiers Heeren ont été<br />

fabriqués dans des pays où la chasse à<br />

l’approche en montagne est très<br />

pratiquée.<br />

Ainsi, les productions de Furtschegger et<br />

Outschar, de Ferlach (Autriche), Hartmann<br />

& Weiss, de Hambourg (Allemagne),<br />

W. Glaser, de Zurich (Suisse) et<br />

W. Wuthrich, de Lützelflüh (Suisse), sont<br />

les plus courantes.<br />

Cette particularité géographique de<br />

production accentue encore la rareté de<br />

cette réalisation liégeoise par Jules Bury,<br />

dont on ne connaît, à ce jour, que cet<br />

exemplaire.<br />

Brevet n° 239.496 du 29 mars 1881.<br />

Carabine « Fallblockstutzen » système Heeren<br />

Armurier : Nagel & Menz, Baden-Baden (Allemagne) ; Jules Bury, <strong>Liège</strong> (Belgique)<br />

Fabrication : 1880<br />

Calibre : .303 British<br />

Longueur totale : 99 cm<br />

Longueur canon : 62 cm<br />

Historique : achat Jules Bury (1913)<br />

GC.ARM.12a.1913.38693<br />

octobre 2019<br />

34<br />

octobre 2019<br />

35


Bernard Wodon<br />

Maître de conférence U<strong>Liège</strong><br />

bernard.wodon@gmail.com<br />

Les rampes de l'escalier d'honneur<br />

des musées d'Ansembourg et Curtius<br />

L e Grand Curtius et l’hôtel<br />

d’Ansembourg s’enorgueillissent chacun<br />

d’une rampe d‘escalier en fer forgé de<br />

style rococo, la seconde renouant avec le<br />

style Louis XIV dans ses pilastres. Ces<br />

deux œuvres de qualité réalisées par des<br />

serruriers (le terme « ferronnier » englobant,<br />

à partir du xx e siècle, toutes les<br />

productions en fer) méritaient chacune<br />

une notice analytique.<br />

La rampe d’escalier d’honneur<br />

de l’hôtel d’Ansembourg<br />

Contemporain de la construction de cet<br />

ancien hôtel Willems (1735-1741),<br />

l’escalier d’honneur à volées droites se<br />

singularise par trois repos<br />

approximativement carrés, dont l’un,<br />

médian, légèrement saillant. Le départ en<br />

torsion de la rampe en fer forgé présente<br />

une console agrémentée d’acanthe<br />

ajourée et bordée d’anneaux décroissants<br />

ponctués de pommettes. Au milieu du<br />

panneau long doté d’un cadre discontinu,<br />

ponctué aux angles de S brisés, un<br />

cartouche violoné préside à la symétrie. Il<br />

outrepasse le cadre ainsi que le<br />

prolongement en contre-courbes de ses<br />

motifs latéraux en 6 involutés ; l’agrément<br />

des rosaces ponctuant les enroulements,<br />

celui des acanthes, l’inflexion inégale des<br />

roseaux et les petits C jouxtés dans<br />

l’intrados des enroulements animent ces<br />

deux panneaux longs identiques. L’accent<br />

vertical des pilastres de style Louis XIV<br />

contraste par leur motif en gaine traversé<br />

par un pistil à graines émergeant d’une<br />

fleur de nénuphar. Les quartiers tournants<br />

et leurs C latéraux, prolongés en contre-C,<br />

s’entrecroisent en se terminant dans le<br />

bas en forme de gamma grec.<br />

Les ornements se limitent à l’acanthe<br />

asymétrique, au pistil à graines et aux<br />

rosaces ajourées. Le panneau long de<br />

l’étage diffère par son cadre formé de<br />

crosses horizontales adossées dans l’axe,<br />

contrairement aux montants accolés au<br />

châssis par un renflement allongé, les<br />

motifs d’angle étant formés de C adossés<br />

fixant un dard oblique. Un motif violoné<br />

inscrit une menue palmette médiane. On y<br />

retrouve acanthes et redents en petits C<br />

jouxtés. Due à un atelier liégeois<br />

indéterminé, cette œuvre de style rococo<br />

s’apparente aux pilastres et aux ornements<br />

de son homologue contemporain : la<br />

rampe de l’escalier royal du Palais de<br />

justice de <strong>Liège</strong>, forgée entre 1739 et<br />

1743 sous le prince-évêque Georges-<br />

Louis de Berghes (1724-1743).<br />

Le premier tiers du xviii e siècle correspond<br />

au chantier de l'hôtel de ville de <strong>Liège</strong> et à<br />

celui du château d'Aigremont où le<br />

serrurier Jean Tilman (+ 1727?) forge<br />

entre 1721 et 1724 maintes grilles de<br />

style Louis XIV. Toutefois, l'édification de<br />

l'hôtel Willems les suit d'un peu plus d’une<br />

décennie. La facture de la rampe de style<br />

rococo n'y est nullement comparable à<br />

celles dues à Jean Tilman à l'hôtel de ville<br />

et à Aigremont, malgré des réminiscences<br />

du style Louis XIV dans certains panneaux.<br />

En outre, précisons que le graphisme de<br />

la rampe du Musée d’Ansembourg est<br />

identique et supérieur en qualité à celui de<br />

la rampe de l’escalier d’honneur du Val<br />

Notre-Dame à Antheit (Wanze près de<br />

Huy).<br />

La rampe d’escalier de l’ancienne<br />

Maison Curtius<br />

Cette demeure des années 1600 du<br />

« Crésus liégeois », Jean Curtius,<br />

munitionnaire patenté des armées de<br />

Farnèse et de Spinola, fit l’objet d’un<br />

procès-verbal de la visite des lieux en<br />

1733 et d’un autre procès-verbal de 1812<br />

mentionnant « l’escalier construit quelques<br />

années auparavant ». L’escalier et la<br />

rampe auraient-ils été construits en même<br />

temps que le pavillon d’encoignure de la<br />

conciergerie, millésimé 1762 ? Les volées<br />

droites identiques de la rampe d’escalier<br />

sont séparées par un repos, bordé d’un<br />

garde-corps de tribune de réemploi.<br />

Après un départ en légère torsion formé<br />

de deux consoles superposées, les<br />

pilastres affichent une nette asymétrie due<br />

à leur encadrement formé d’une crosse et<br />

d’une autre à doubles crosserons écrasant<br />

dans le bas un S ponctué d’une coupelle<br />

côtelée derrière laquelle émerge un roseau<br />

ondé. Les panneaux longs dissymétriques<br />

se caractérisent par un motif asymétrique<br />

médian groupant deux S sécants<br />

d’importance inégale, adossés et<br />

involutés, le plus important étant orné de<br />

redents en petits C jouxtés. Les motifs<br />

latéraux identiques formé d’un faisceau de<br />

double S, l’un greffé d’un 6 orné d’une<br />

feuille d’eau, l’autre huppé, adossé à un S<br />

étiré, reposent sur un S couché, noué au<br />

faisceau de S. Le panneau final du palier<br />

est centré par un cartouche évasé, huppé,<br />

noué à deux S encadrant un cartouche<br />

asymétrique inscrivant un roseau sinueux<br />

et courtaud. Les motifs latéraux en C et S<br />

noués semblent bercés par la courbe en<br />

double arbalète. Contemporain du prince-<br />

... (Suite et fin page 45)<br />

1 2<br />

3<br />

Fig. 1 : Rampe d'escalier en fer forgé de l'hôtel d'Ansembourg. Détail de la volée de départ. État en 1983 © B.W.<br />

Fig. 2 : Même rampe : vue de la volée terminale depuis le repos. État en 1983 © B.W.<br />

Fig. 3 : Garde-corps de réemploi du repos de l'escalier de la maison Curtius. Cliché ACL n°178653 B*, 1959 © IRPA-KIK<br />

octobre 2019<br />

36<br />

octobre 2019<br />

37


Françoise Safin<br />

Conservatrice honoraire du Musée d'Art moderne<br />

et d'Art contemporain de <strong>Liège</strong><br />

francoisesafin@hotmail.com<br />

Le troisième œil<br />

À la découverte de certains détails dans les collections du BAL<br />

R egarder un tableau dans un<br />

musée c'est bien souvent le survoler,<br />

comme lire un texte en diagonale ou<br />

écouter une musique en bruit de fond. On<br />

ne peut pas immédiatement rentrer dans<br />

son intimité.Pour ce faire il faut « le scruter,<br />

le brouter » (Paul Klee) et c'est à ce moment<br />

qu'apparaissent les détails.<br />

Entendons par détail un élément non essentiel<br />

d'un ensemble n'ayant apparemment<br />

pas d'importance ou pas de rapport<br />

avec le sujet. On le remarque à peine mais<br />

quand on l'a vu on ne peut l'oublier.<br />

Une prouesse technique<br />

Dans les grandes compositions classiques<br />

religieuses ou historiques destinées<br />

la plupart du temps à être vues de<br />

loin, on peut difficilement distinguer les<br />

détails, pourtant ils sont là, presque réservés<br />

à l'auteur. Au cours de leur formation<br />

les peintres devaient exécuter d'innombrables<br />

dessins de motifs antiques, de<br />

monnaies, de hiéroglyphes, d'animaux,<br />

de mouvements, le détail parfait même<br />

hors sujet ou superflu devant leur servir à<br />

démontrer leur savoir et leur culture.<br />

Dans les grands ateliers où l'on travaillait<br />

en équipe, certains artistes étaient spécialisés<br />

dans les détails et n'en étaient<br />

pourtant pas moins bien considérés.<br />

Par exemple, Lambert Lombard avec<br />

Saint Paul et saint Denis devant l'autel du<br />

dieu inconnu , vers 1530 et Gérard de<br />

Lairesse avec La grande Bachanale, non<br />

daté, eau-forte.<br />

Ce goût du détail parfait se retrouve également<br />

dans les portraits exécutés sur<br />

commande. Parfois mis en évidence de<br />

manière exagérée jusqu'à devenir le<br />

centre du tableau, bijoux vêtements,<br />

accessoires, draperies ont cependant un<br />

rapport direct avec le sujet. Il s'agit de renseigner<br />

sur le statut social du mandataire,<br />

sa fortune, son éducation ou de le<br />

montrer à la dernière mode.<br />

Par exemple Gérard Douffet Portrait<br />

d'homme et Portrait de femme, non daté.<br />

Antoine Wiertz Rosine à sa toilette, vers<br />

1840. Alfred Stevens La Parisienne japonaise,<br />

entre 1872 et 1874. Adrien de<br />

Witte Femme au corset rouge, 1880.<br />

Signature<br />

Un détail récurrent peut, chez certains<br />

artistes, faire office de signature ou de<br />

marque de fabrique, telle la chouette pour<br />

Henri Blès présente dans plusieurs de ses<br />

tableaux et qui lui valut chez les Italiens le<br />

surnom de « Il Civetta » ou pour Marc<br />

Chagall, le coq, souvenir de son enfance,<br />

représenté dans La Maison bleue,<br />

1922, comme une sorte de fantôme juché<br />

sur la cheminée. Ou encore pour<br />

Marcel Gromaire, dans Le Paysan au fagot<br />

, 1939, le petit village avec le clocher<br />

de l'église et son coq.<br />

Personnages et animaux<br />

Jusqu'au 17 e siècle le paysage est généralement<br />

considéré comme un genre mineur.<br />

Il faut un prétexte, une scène allégorique<br />

ou religieuse, même très discrète,<br />

pour justifier ce sujet.<br />

Peu à peu, d'abord en Hollande, le paysage<br />

se développe et prend ses galons.<br />

Pourtant bon nombre de paysagistes persistent<br />

à peindre de petits personnages<br />

ou de petites scènes de genre, mais pour<br />

une autre raison.<br />

Il s'agit d'éviter le côté figé du paysage,<br />

d'inciter à la promenade mais aussi de<br />

renforcer la grandiosité du site par la présence<br />

de l'homme si petit devant la<br />

nature.<br />

Ainsi Courtens, dans Soleil de<br />

septembre, 1892, représente des paysans<br />

au labeur dans une nature luxuriante<br />

qui les enveloppe véritablement .<br />

Daubigny dans Vue de Villerville en<br />

Calvados, vers 1864, souligne le chemin<br />

qui monte au village par la présence de<br />

personnages portant des paniers.<br />

Camille Pissarro, dans Le Louvre,<br />

1901, ébauche de petits personnages<br />

sur la berge et la vie sur la Seine remettant<br />

ainsi, par de petits détails, ce paysage<br />

majestueux dans son contexte humain et<br />

urbain.<br />

Dans les natures mortes, chiens ou chats<br />

sont souvent présents. Ils constituent un<br />

élément vivant qui contraste avec l'atmosphère<br />

silencieuse et figée du sujet par<br />

exemple : Jan Fyt Trophée de chasse,<br />

1642.<br />

Fantaisie ou élément pictural ?<br />

Parfois un élément coloré ou insolite, pas<br />

toujours visible au premier regard, peut<br />

attirer l'attention jusqu'à devenir obsédant.<br />

Tel le célèbre petit pan de mur jaune de<br />

Vermeer dans sa Vue de Delft que<br />

Bergotte n'avait pas vu dans ce tableau<br />

qu'il connaissait pourtant et dont la découverte<br />

lui parut merveilleuse (Marcel<br />

Proust À la recherche du temps perdu), le<br />

BAL possède un mur rose de Hyppolite<br />

Boulenger Le mur rose à Tervuren, 1869<br />

et une porte bleue d'Auguste Donnay La<br />

porte bleue, vers 1895.<br />

(Suite et fin page 45)<br />

James Ensor, La Mort et les masques (détail),<br />

BA.AMC.05b.1939.21328<br />

James Ensor, L'Hôtel de Ville de Bruxelles,<br />

BA.AMC.05b.1902.21316<br />

Olivier Debré, Violet du soir en Touraine,<br />

BA.AMC.05b.1979.21256<br />

octobre 2019<br />

38<br />

octobre 2019<br />

39


Pierre Colman<br />

Fructueuse enquête<br />

sur un des joyaux de nos musées,<br />

le diptyque de Henricus ex Palude<br />

Henricus ex Palude (Henri du<br />

Marais latinisé), chantre de la cathédrale<br />

Notre-Dame et Saint-Lambert, a fait<br />

peindre vers 1489-1492 un petit tableau<br />

de dévotion à deux volets, repliable<br />

comme un livre, qui est venu jusqu’à nous<br />

par une chance exceptionnelle. Il a fait<br />

incorporer son portrait à genoux dans une<br />

des quatre scènes représentées, le<br />

martyre de saint Lambert et de ses deux<br />

jeunes acolytes, Pierre et Audolet, alias<br />

Andolet. Il tient son bâton de chantre et il<br />

est flanqué de ses armoiries, ce qui a<br />

permis de l’identifier sans coup férir.<br />

L’autre scène majeure met en scène la<br />

Nativité, avec la Vierge en évidence, mais<br />

pas plus que saint Joseph ; à l’arrièreplan,<br />

l’annonce faite aux bergers et le<br />

cortège des rois mages. Les deux<br />

dernières, peintes en grisaille sur les<br />

revers, présentent deux sujets relatifs à la<br />

justice, le Jugement de Salomon, tiré de<br />

l’Ancien Testament, et le Christ et la femme<br />

adultère, tiré du Nouveau, allusions, croiton,<br />

mais on peut hésiter à le croire, à ses<br />

talents dans l’art d’apaiser les conflits (1).<br />

Paul Bruyère, chercheur liégeois très<br />

regretté qui a consacré de savantes<br />

recherches au donateur 1 , a renoncé à<br />

formuler une « proposition visant à identifier<br />

le peintre, ni même l’atelier qui aurait pu<br />

réaliser ce diptyque ». Didier Martens, un<br />

professeur de l’ULB, éminent spécialiste<br />

de la peinture flamande du xv e siècle qui<br />

centre son travail sur les maîtres de<br />

second rang dans leur contexte, a repris le<br />

flambeau 2 . Il rapproche le diptyque d’un<br />

grand tableau présentement exposé dans<br />

un local peu accessible de l’Oud Stadhuis<br />

de Maestricht : un panneau de justice (2)<br />

payé en 1475 qui est attribué avec de<br />

bons arguments à Jan van Bruessel, un<br />

artiste qui a fait fort belle carrière, puis a<br />

sombré dans l’oubli.<br />

Le rapprochement est nourri d’une foule<br />

d’observations dont beaucoup sont bien<br />

Professeur ordinaire émérite U<strong>Liège</strong><br />

Conservateur adjoint de l’Institut archéologique liégeois<br />

pcolman@uliege.be<br />

convaincantes. Pas assez cependant<br />

pour que l’auteur propose tout net<br />

d’attribuer le diptyque liégeois au peintre<br />

maastrichtois. Prudent, il va répétant « ou<br />

atelier ».<br />

La confrontation des visages n’est pas<br />

sans révéler un écart significatif : si d’un<br />

côté comme de l’autre la cavité oculaire<br />

vue de profil est de forme inhabituellement<br />

triangulaire, yeux, nez, bouches et plis de<br />

la peau sont notablement différents. Or,<br />

dans la représentation du martyre, les<br />

visages sont stéréotypés deux à deux.<br />

Chanoine noble de la cathédrale, porteur<br />

de la dignité de chantre, Henri ex Palude<br />

était-il homme à se contenter d’un ouvrage<br />

d’atelier ? Le diptyque ne serait-il pas<br />

plutôt de la main d’un disciple de Jan van<br />

Bruessel ? Les méthodes de laboratoire<br />

devraient venir à la rescousse.<br />

2<br />

1<br />

Fig. 1 – Les quatre faces du diptyque, huile sur bois,<br />

36.4x24.2 cm et 36.8x23.8 cm hors encadrement.<br />

Inv. GC.REL.05a.1881.34000 et 99998 (sic).<br />

© Grand Curtius.<br />

Fig. 2 – Le panneau de justice attribué à Jan<br />

van Bruessel, huile sur bois, 188x135 cm hors<br />

encadrement.<br />

© Gemeente Maastricht.<br />

1<br />

P. Bruyere, Le Martyre de saint Lambert du Diptyque de<br />

Palude et les cérémonies de 1489 à la cathédrale de <strong>Liège</strong>,<br />

dans Le Moyen Âge, n° 118/2, 2012, p. 329-368.<br />

2<br />

D. Martens, A la recherche de Jan van Bruessel : peut-on<br />

rapprocher le Diptyque ex Palude du panneau du conservé<br />

à l’hôtel de ville de Maastricht ?, dans Oud Holland, t. 130,<br />

2017, p. 83-110.<br />

octobre 2019<br />

40<br />

octobre 2019<br />

41


Suites et fins<br />

Christine Maréchal<br />

Un document retrouvé : la charte de<br />

la chapelle des Clercs à <strong>Liège</strong>, 1481 (p. 16-17)<br />

Que nous apprend le texte ? Les douze membres de<br />

la confrérie dont les noms sont cités décident de se<br />

réunir mensuellement lors d’un repas obligatoire dont<br />

le rituel est strictement décrit à l’enseigne de la solidarité<br />

et de l’assiduité. Chacun des membres, à tour de<br />

rôle et selon un ordre hiérarchique, invite ses confrères<br />

en sa demeure et offre le repas. La paix et le calme y<br />

sont observés. Tout étranger est interdit, toutefois, une<br />

treizième personne invitée est acceptée, en l’occurrence<br />

Jean de Heinsbergh, chanoine de la collégiale<br />

Saint-Paul. Le repas comprend deux services précédés<br />

d’un potage : le premier composé de viandes<br />

salées et le second de viande fraiche ou rôtie. Vient<br />

ensuite le fromage ou le dessert. Somme toute, un<br />

menu fort semblable à ce que nous connaissons actuellement<br />

et plutôt frugal en rapport avec ce que la<br />

littérature du xv e siècle propose. On est bien loin des<br />

festins et cuisine de la Renaissance. Le tout est arrosé<br />

de vin ou de bière? Le texte ne le dit pas. Avec ce<br />

menu pré-établi sans concession, la confrérie exclut<br />

toute démonstration de dépense somptuaire.<br />

Ecce quam bonum et jucundum<br />

habitare fratres in unum<br />

Le texte est exemplaire comme témoignage sur les<br />

pratiques confraternelles de sociabilité et leur rituel. Il<br />

semble bien que cette confrérie avec son projet religieux<br />

est aussi une institution privée avec initiatives<br />

collectives parfois festives. Les aspirations sont temporelles<br />

et intellectuelles, sacrées et profanes, dont<br />

certaines hors les murs de la chapelle. Reste encore à<br />

étudier le statut social des confrères dont la liste est<br />

consignée sur le manuscrit.<br />

L’enluminure est d’une composition très classique :<br />

sur la partie gauche en haut, le roi David est agenouillé<br />

et chante en s’accompagnant à la lyre, on s’oriente<br />

vers la fête. Pas de confrérie sans repas vu comme<br />

une communion sous l’image de la sainte patronne 10<br />

dominant David. Le groupe de douze confrères est figuré<br />

agenouillé en prière, chacun dans son costume.<br />

Dans le coin inférieur gauche, Heinsbergh apparait<br />

sous la protection de son saint patron Paul.<br />

Une éclipse d’un siècle<br />

Comment imaginer que ce document exemplaire ait<br />

disparu près d’un siècle ? Depuis sa localisation par<br />

Le Paige on perd en effet sa trace. L’alerte est finalement<br />

donnée en 1951 11 : le 1 er décembre, l’échevin<br />

de l’Instruction Publique et des Sports de l’époque interpelle<br />

par missive le conservateur de la Bibliothèque<br />

publique centrale : le secrétaire général de l’Exposition<br />

Internationale d’Art Mosan et Arts Anciens du Pays<br />

de <strong>Liège</strong> à Paris souhaitait emprunter le document en<br />

question. Introuvable ! La réponse circonstanciée du<br />

conservateur à l’échevin est claire 12 : il ne fait aucun<br />

doute que le document n’est jamais entré aux Chiroux,<br />

et n’aurait même pas quitté l’Université lors du<br />

déménagement des collections en 1907, rejetant par<br />

là toute responsabilité des conservateurs de la bibliothèque<br />

communale. Fort heureusement, il n’y aura pas<br />

de polémique entre les deux institutions, pas plus malheureusement<br />

que de charte exposée à Paris 13 .<br />

C’est seulement en 1999, que le conservateur de la<br />

Salle Ulysse Capitaine est alerté par un libraire liégeois.<br />

C’est sur preuve de la publication de Constantin<br />

Le Paige, et non du catalogue Capitaine qui ne l’a jamais<br />

répertorié, que ce beau parchemin réintègre les<br />

collections communales. Somme toute une histoire<br />

peu banale et force est de reconnaître qu’un déménagement<br />

n’est jamais sans risque. Aujourd’hui, la charte<br />

rafraîchie et mise en conservation peut être à nouveau<br />

exposée : ce sera bien le cas pour les Fêtes<br />

Septennales de Huy en 2019.<br />

1 Lucien Godeaux, dans Annuaire de l’Académie royale des<br />

Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique,<br />

1939, pp. 251-255.<br />

2-3 Bulletin de la Société des Bibliophiles liégeois, t. IV, 1888-<br />

1891, pp. 107-117.<br />

4 H. Helbig et M. Grandjean, Catalogue des collections léguées<br />

à la ville de <strong>Liège</strong> par Ulysse Capitaine, <strong>Liège</strong>, Vaillant-<br />

Carmanne, 1872, 3 t.<br />

5 C. le Paige, op.cit., p. 107.<br />

6 Actuellement à l’angle gauche des rues Souverain-Pont et<br />

Chapelle-des-Clercs.<br />

7 Th. Gobert, <strong>Liège</strong> à travers les âges. Les rues de <strong>Liège</strong>,<br />

Bruxelles : Culture et Civilisation, 1976, t. IV, pp. 92-100.<br />

8 La chapelle sera détruite en 1803.<br />

9 Rappelons toutefois que Gobert les attribue au fonds Ulysse<br />

Capitaine, alors que comme nous l’avons déjà précisé, ils<br />

ne figurent pas au catalogue des pièces léguées.<br />

10 Les sources mentionnent plusieurs centres de productions<br />

d’enluminures comme de commanditaires à <strong>Liège</strong> au xv e<br />

siècle. À ce sujet voir : Florilège du livre en principauté de<br />

liège du xi e au xviii e siècle, dir. Paul Bruyère et Alain<br />

Marchandise, <strong>Liège</strong>, Société des Bibliophiles liégeois,<br />

2009.<br />

11 Lettre manuscrite de l’échevin de l’Instruction publique et<br />

des Sports de la Ville de <strong>Liège</strong> au conservateur de la<br />

Bibliothèque publique centrale. 1 er décembre 1951.<br />

Bibliothèque Ulysse Capitaine. Farde Patrimoine.<br />

12 Lettre manuscrite du conservateur de la Bibliothèque<br />

publique centrale à l’échevin de l’Instruction Publique et des<br />

Sports de la Ville de <strong>Liège</strong>. 10 décembre 1951. BUC Farde<br />

Patrimoine.<br />

13 Art mosan et arts anciens du Pays de <strong>Liège</strong>, <strong>Liège</strong>, asbl Le<br />

Grand <strong>Liège</strong>, septembre-octobre 1951. Voir à ce sujet, le<br />

chapitre consacré aux manuscrits à miniatures de l’âge<br />

roman à la Renaissance, pp. 81-101.<br />

Geoffrey Schoeffs<br />

La Compagnie des Wagons-Lits fait escale au<br />

Grand Curtius (p.18-19)<br />

En quarante ans, la longueur des voitures passe de<br />

neuf à vingt mètres. En 1922, la CIWL inaugure un<br />

nouveau train, le Calais-Méditerranée express. Les<br />

nouvelles voitures métalliques, peintes en bleu nuit,<br />

rehaussées de filets jaune or sont à l’origine de son<br />

surnom, le Train bleu. La décoration intérieure est<br />

confiée à René Prou et se distingue par des marqueteries<br />

de bouquets de fleurs en paillettes d’argent et<br />

roses de pâte de verre Lalique 2 .<br />

Le confort et le luxe sont constitutifs de l’image de la<br />

CIWL. Les objets et les décors qui composent les voitures<br />

sont conçus par le bureau d’études de la<br />

Compagnie et sont fabriqués par des maisons prestigieuses.<br />

L’argenterie est confiée à Christofle et à<br />

Ercuis, la verrerie à Baccarat et à Saint-Louis, la porcelaine<br />

à Villeroy et Boch et à la maison Haviland 3 .<br />

Durant l’Entre-deux-guerres, les décors intérieurs vont<br />

atteindre un niveau inégalé. Les panneaux ne sont<br />

plus recouverts de tissu, mais de marqueteries, qui<br />

varient selon le lieu de fabrication. Celles posées dans<br />

les usines de Leeds, en Grande-Bretagne, sont dues<br />

à Morisson ; celles installées à Aytré, La Rochelle, en<br />

France, à René Prou.<br />

<strong>Liège</strong> fait honneur aux wagons-lits<br />

Fruit d’achats et de dépôts à long terme, la nouvelle<br />

section du Grand Curtius présentera des objets<br />

contemporains de Georges Nagelmackers, mais aussi<br />

de la fin des années 1920, l’âge d’or de la compagnie.<br />

Seront notamment exposés le seul exemplaire connu<br />

de la brochure réalisée par Georges Nagelmackers en<br />

1870, mais aussi le monogramme original en bronze<br />

de la compagnie, ayant été apposé sur les voitures<br />

n°3050 puis 4090.<br />

Plusieurs institutions ont particulièrement collaboré à la<br />

mise en scène : Train World (Schaerbeek), l’Association<br />

pour le patrimoine de la Compagnie internationale<br />

des Wagons-Lits et le Fonds de dotation Orient<br />

Express Heritage, dépendant de la SNCF. Ce partenariat<br />

s’est traduit par la mise en dépôt au Grand Curtius<br />

du bureau de Georges Nagelmackers ainsi que de<br />

plusieurs éléments constitutifs d’une voiture de la fin<br />

des années 1920 : une lampe et deux fauteuils<br />

Pullman recouverts de tissu original dessiné par<br />

Suzanne Lalique, deux panneaux motifs fleurs René<br />

Lalique, deux porte-bagages en laiton et de la vaisselle<br />

frappée du monogramme de la CIWL. Un living<br />

room qui ne sera pas sans rappeler les fastes de la<br />

Compagnie internationale des Wagons-Lits.<br />

1 Il était une fois l’Orient Express, Gand, Snoeck, 2014, p. 25.<br />

2 G. Picon, B. Chelly, Orient Express, de l’histoire à la légende,<br />

Paris, Albin Michel, 2017, p. 139.<br />

3 Idem, p. 62<br />

Bibliographie<br />

Il était une fois l’Orient Express, Gand, Snoeck, 2014<br />

J.-P. Caracalla, Le goût du voyage, Paris, Flammarion, 2001<br />

J.-P. Caracalla, Des Cars J., L’Orient Express, un siècle<br />

d’aventures ferroviaires, Paris, Denoël, 1984<br />

N. Caulier-Mathy, « Nagelmackers », dans Biographie nationale,<br />

t. xxxviii (1973), col. 623-626.<br />

B. El Gammal, L’Orient-Express. Du voyage extraordinaire aux<br />

illusions perdues, Paris, Les Belles Lettres, 2017.<br />

G. Picon, B. Chelly, Orient Express, de l’histoire à la légende,<br />

Paris, Albin Michel, 2017<br />

Carmen Genten<br />

Du texte dans l’œuvre (p. 20-21)<br />

À la manière d’un anthropologue, Corillon puise volontairement<br />

dans notre héritage culturel et les croyances<br />

collectives pour raconter ses histoires. Et finalement,<br />

de manière presque anecdotique, cette jolie histoire<br />

d’apparence légère évoquant la tradition des rosaires<br />

Foijoy au Portugal, abrite une charge symbolique terrible,<br />

incarnée par ces graines de rosaire d’une jeune<br />

mariée qui, malgré ses efforts, n’écloront jamais. Et<br />

renforce cette idée de stérilité à travers des pots de<br />

semis privés de terreau, disposés devant des pseudo-plantes<br />

dymo.<br />

Puisque l’artiste entame volontairement un processus<br />

de partage intellectuel à travers la transmission de ses<br />

histoires, chaque fois interprétées de manière subjective<br />

et individuelle, il ne peut pas rester maître de sa<br />

création. Dans le même ordre d’idées, la finition artisanale<br />

de son œuvre est tout à fait assumée, car il ne<br />

veut pas sacraliser l’objet. La volonté de Corillon n’est<br />

pas de cacher le geste créatif, dont l’aspect « fait<br />

main », les imperfections et ses repentirs (même si<br />

certains éléments ressemblent furieusement à du bricolage),<br />

ainsi que le côté peu pérenne de sa construction.<br />

« Si jamais le projet meurt de sa belle mort, qu’il<br />

en soit ainsi. Mais si les gens l’aiment vraiment, ils feront<br />

tout dans leur pouvoir pour en assurer la continuité.<br />

Il serait donc curieux de voir comment, dans<br />

l’avenir, l’œuvre sera soumise à des transformations,<br />

des malentendus et des ré-interprétations ». L’œuvre<br />

d’art de Patrick Corillon n’est donc pas réduite à son<br />

objet, car il faut tenir compte des émotions qu’elle<br />

déclenche chez le spectateur. Ainsi, la fragilité et l’entretien<br />

relativement difficile de l’ensemble engendreront<br />

peut-être dans le futur une nouvelle lecture de<br />

l’œuvre, de nouvelles images intérieures.<br />

Bibliographie<br />

http://www.corillon.net<br />

René Debanterlé, "P. Corillon, Sculpteur de deux espaces"<br />

in Arte Factum 26'88, Anvers, nov. - déc. 1988.<br />

Alain Delaunois<br />

Marthe Wéry, variations musicales et méthodiques<br />

sur le monochrome (p. 26-27)<br />

Peintures et travaux sur papier<br />

Les collections du Musée des Beaux-Arts conservent<br />

également une autre peinture en diptyque de Marthe<br />

Wéry, remontant au début de son parcours, et dans la<br />

continuité d’une abstraction géométrique rigoureuse :<br />

la Composition double de 1970 (dépôt de la<br />

Communauté française – Fédération Wallonie-<br />

Bruxelles), est constituée de deux panneaux carrés<br />

placés côte à côte et non encadrés, où la forme du<br />

losange est travaillée en répétition, dans des teintes<br />

qui vont du noir au gris clair. Initiée à la gravure, au<br />

milieu des années 1960, dans l’Atelier 17 de Stanley<br />

William Hayter à Paris, Marthe Wéry gardera également<br />

un vif intérêt pour le travail d’impression et les encres<br />

sur papier. Lors de ses premières expositions, qui se<br />

tiennent à la galerie d’avant-garde Saint-Laurent, à<br />

Bruxelles, elle présente simultanément gravures et<br />

peintures. Plus tard, lorsqu’elle s’impliquera davantage<br />

dans la peinture, elle continuera à expérimenter les<br />

papiers, à les noircir, à faire jouer des apparitionsdisparitions<br />

de formes sur ce support. Elle enseigna<br />

notamment la pratique de la gravure à l’Institut Saint-<br />

Luc à Bruxelles. L’un de ses derniers projets, amorcé<br />

avant son décès survenu inopinément en 2005, était,<br />

à <strong>Liège</strong>, l’exposition Texture-Temps, au Cabinet des<br />

estampes. Présentée dans le cadre de la 6 e Biennale<br />

de Gravure en 2007, on y découvrait impressions,<br />

papiers gaufrés, papiers brûlés, hommage à ces<br />

papiers qui représentaient, selon ses dires, « quelque<br />

chose de vivant, c’est-à-dire quelque chose qui se<br />

détruit. » On trouve des traces de ces travaux sur<br />

papier dans les collections du musée, avec un<br />

portfolio de cinq tirages, édité en 2000 à La Lettre<br />

volée, ainsi qu’une eau-forte et aquatinte de 1968,<br />

explorant la forme du losange.<br />

Marthe Wéry avait également noué des liens avec des<br />

artistes liégeois qui partageaient certaines de ses<br />

préoccupations. Ainsi expose-t-elle en 1981 à la<br />

Galerie L’A, animée notamment par Guy Vandeloise et<br />

Jean-Pierre Ransonnet. L’architecte liégeois Charles<br />

Vandenhove l’avait sollicitée, avec d’autres artistes tels<br />

Sol LeWitt, Claude Viallat, Olivier Debré, Jo Delahaut,<br />

Léon Wuidar ou Jacques Charlier, pour la réalisation<br />

de lambris destinés au Centre hospitalier universitaire<br />

(CHU) du Sart Tilman.<br />

Maurice Lorenzi<br />

Un ascenseur à l’hôtel d’Ansembourg ? (p. 28-29)<br />

Il est permis de se poser la question de l’investissement<br />

financier et de son efficacité : seule une petite<br />

partie du coût élevé d’un ascenseur, bien utilisée dans<br />

le recours à des technologies récentes, permettrait<br />

aux visiteurs confinés à l’usage du rez-de-chaussée<br />

de découvrir l’ensemble du bien,- en ce compris les<br />

caves, les étages, les combles, la charpente,- par la<br />

« magie » du virtuel, en y ajoutant, si la qualité s’y<br />

trouve, un attrait touristique.<br />

La comparaison avec la restauration/réhabilitation très<br />

récente du musée de Groesbeeck de Croix à Namur<br />

s’impose : cet hôtel particulier, dont l’aspect actuel<br />

date principalement de 1753, est devenu lui aussi un<br />

musée d’arts décoratifs, comme l’hôtel d’Ansembourg,<br />

et la question d’accès au personnes à mobilité<br />

réduite a été résolue franchement et simplement :<br />

point d’ascenseur ; seule une surface pavée côté jardin<br />

a été adaptée à l’accès par voiturette : pose et repose<br />

des pavés après adaptation de leur surface par<br />

étêtage.<br />

Voici donc posée sur un plateau de la balance ma<br />

conviction intime, fondée sur l’avenir à long, voire très<br />

long terme des monuments en général, et de l’hôtel<br />

d’Ansembourg en particulier.<br />

Mais quand, dans le cadre de la gestion du bien ici et<br />

maintenant, l’auteur de projet dépose sur l’autre plateau<br />

une proposition à vrai dire alléchante, une réflexion<br />

commune doit être lancée ou relancée, afin de<br />

dégager une solution équilibrée.<br />

Ainsi, quand on apprend que le volume ajouté contiendrait,<br />

outre un ascenseur, toutes les techniques qui<br />

encombrent actuellement les caves et les combles ;<br />

que le percement dans le pignon Est serait fermé par<br />

deux portes dérobées à peine perceptibles depuis les<br />

petits salons ; que cela permettrait d’assurer de biens<br />

meilleures conditions de conservation des décors et<br />

du mobilier ; que la visibilité rendue à tous les volumes,-<br />

des caves à la charpente du toit,- permettrait<br />

une visite à tout le moins virtuelle de l’ensemble de la<br />

construction et des espaces jadis fréquentés par<br />

l’ensemble de la maisonnée, des maîtres aux domestiques<br />

et vice-versa, il est permis de rêver. Le dialogue<br />

constructif entre représentants du patrimoine, maître<br />

d’ouvrage et auteur de projet peut alors commencer.<br />

En guise de point d’orgue (positif), réjouissons-nous<br />

que la première phase de la restauration du bien soit<br />

prête : la procédure préalable à la restauration de la<br />

toiture, des façades et des châssis est terminée ; que<br />

le chantier commence et soit suivi par la restauration<br />

des espaces intérieurs, vivement !<br />

1 Carole Carpeaux (coordination), Décors intérieurs en<br />

Wallonie, Commission royale des Monuments, Sites et<br />

Fouilles, 2004, tome II, pp. 84-133.<br />

octobre 2019<br />

42<br />

octobre 2019<br />

43


Paul-C. Hautecler<br />

Rouges, les briques des façades de l’hôtel de<br />

Hayme de Bomal ? (p. 30-31)<br />

... quand on veut les éclaircir ; il donne à ces édifices<br />

l’extérieur d’une nouvelle bâtisse, en leur donnant le<br />

ton de couleur d’une pierre fraîchement taillé. »<br />

À l’hôtel de Clercx (1767, attribué à Digneffe), rue<br />

Saint-Paul, les résultats des études stratigraphiques<br />

ont montré qu’on est en présence d’une brique<br />

rejointoyée avec un joint rosé, suivie d’un mince enduit<br />

beige (couche d’attente ?), d’une couche de blanc à la<br />

chaux (non salie) et d’une couche de jaune (soleil)<br />

sous une quantité d’autres couleurs. L’état brique nue<br />

a probablement « duré le temps du séchage avant le<br />

rejointoyage, un an au moins après la construction » 7 .<br />

Rien dans la stratigraphie (scientifique) ne permet<br />

d’affirmer qu’il ne fut jamais rouge. S’il l’a été un jour,<br />

toute trace n’aurait pas disparu. Lors des récents<br />

travaux de décapage des murs intérieurs, un mur<br />

(autrefois extérieur) appartenant à l’hôtel construit<br />

antérieurement (vers 1671), est apparu avec des joints<br />

« porjetés » et tracés à la dague, recouverts d’un<br />

badigeon rouge très vif et parfaitement conservé. Un<br />

exemple de ce rouge « authentique » des façades du<br />

xvii e est enfin visible !<br />

L’hôtel Vander Maesen (1766), rue Hors château, a<br />

conservé sa stratigraphie sur la façade côté jardin et<br />

présente une première couche d’enduit rouge avec<br />

des joints tracés dans l’enduit puis une couche<br />

blanche non salie sous une couche de jaune, suivie<br />

de nombreuses autres couleurs (18). La couleur jaune<br />

- troisième état - est posée très rapidement (dix-neuf<br />

ans après sa construction ?)<br />

À Theux, à l’hôtel de ville (1770-1771) également<br />

attribué à Digneffe, les études de l’ISSeP ont découvert<br />

une première couche de chaux « blanche », non<br />

exposée, suivie d’une couche de badigeon dont le<br />

pigment est un ocre jaune (oxyde de fer jaune). 8<br />

En 2009 les restaurateurs de l’hôtel de Hayme ont fait<br />

peindre les façades en blanc. Aucun élément de la<br />

stratigraphie ne laissait entrevoir la présence de rouge.<br />

La brique badigeonnée de rouge ou apparente<br />

semblait impensable au vu de la médiocre qualité des<br />

briques et surtout en présence d’un tel raffinement des<br />

décors architecturaux. Le choix, confirmé par les<br />

études préalables a fait pencher la balance vers le<br />

blanc plus que vers le rouge !<br />

Le xix e siècle avec son cortège de décapages, et<br />

cette idée (platonicienne ?) d’un retour à un état naturel<br />

premier (la brique apparente) débarrassé des imitations<br />

a fait beaucoup de dégâts sur l’architecture néoclassique<br />

qui n’aimait rien tant que le blanc ou le<br />

jaune.<br />

« La certitude est l’état d’esprit qui sait posséder la<br />

vérité, ne s’oppose pas à l’ignorance dont le contraire<br />

est la science, mais au doute. Le doute est l’état<br />

d’esprit qui ne se sent pas en possession de la<br />

vérité » . 9 Le choix de peindre les façades de l’hôtel de<br />

Hayme en blanc a fait l’objet de longues réflexions. Si<br />

le doute est le contraire de la certitude, les architectes<br />

et les personnes en responsabilité du patrimoine, qui<br />

se trouvaient confrontés à des choix de restauration<br />

ne pouvaient rester dans l’expectative.<br />

Il y a encore beaucoup à étudier et à écrire sur la<br />

coloration des briques et en particulier dans l’œuvre<br />

de l’architecte Barthélemy Digneffe.<br />

1 M. Bouchat, « Barthélemy Digneffe et la construction de<br />

l’hôtel de Hayme de Bomal à liège (1775-1778), Le Musée<br />

d’armes, n°34-36, 1982, p27-47<br />

2 D. Rabereau, Méthodologie du goût à la Grecque sous Louis<br />

XV, dans Repenser les limites : l’architecture à travers<br />

l’espace, le temps et les disciplines, Paris INHA, 2005<br />

3-7 P. Colman, Briques et Badigeons, L’art de « porjeter » et de<br />

« fortriquer » au Pays de <strong>Liège</strong>, B.I.A.L. t CXVII, p.149-165<br />

4 A. Dandoy, Le Palais Curtius – le témoignage de Philippe de<br />

Hurge, B.I.A.L. 1958<br />

5 J.-F. Cabestan, La conquête du plain-pied, Picard, Cahors,<br />

2004<br />

6 Wattin, L’Art du peintre, Doreur, Vernisseur, ouvrage utile…,<br />

Chez Durand à Paris, 1776<br />

8 D. Bossiroy, Etude stratigraphique - recherche de badigeons,<br />

hôtel de ville et maison Lebrun à Theux, ISSeP, octobre<br />

1999<br />

9 E. Durkheim, Cours de philosophie, 1884, Leçon XXXIX<br />

Fanny Moens<br />

« TAMPONS DE REGARD » :<br />

Histoire d’égouts à <strong>Liège</strong> (p. 32-33)<br />

1984 : ÉGOUTS DE LIÈGE<br />

Dès que la technique est adoptée, il semble que<br />

Pierre Alechinsky s’essaye dans les rues de <strong>Liège</strong> vers<br />

1984. En effet, plusieurs estampages de cette date<br />

mentionnent le nom de la ville, comme dans Égout. La<br />

composition de ce dernier s’organise en deux<br />

registres. De manière plutôt figurative, les zones<br />

estampillées se situent dans le registre supérieur de la<br />

composition. Traces d’un lieu ou d’une origine, « VILLE<br />

DE LIÈGE » répond au mot « ÉGOUT ». Le quadrillage<br />

de la plaque métallique de la ville se reflète tel un<br />

sceau sur la carapace d’un reptile. Celui-ci surplombe<br />

le registre inférieur, un monde sombre et obscur.<br />

MONSIEUR DURANT AU CIRQUE DIVERS<br />

Dans les années 1980, Pierre Alechinsky se rend<br />

plusieurs fois à <strong>Liège</strong> notamment pour la grande<br />

exposition Encre à deux pinceaux. Appel et Alechinsky<br />

qui s’est tenue en 1983, à la salle Saint-Georges, ainsi<br />

que pour deux autres expositions personnelles. Il est<br />

vraisemblable qu’il se soit promené dans nos rues et<br />

ait réalisé Égout, mais aussi Fondeur ou En formation,<br />

tous empreints du sceau de la Ville de <strong>Liège</strong>.<br />

Françoise Safin 9 , conservatrice honoraire des Musées<br />

de la Ville de <strong>Liège</strong>, raconte que lors d’une de ses<br />

venues à <strong>Liège</strong>, Alechinsky découvre l’ambiance<br />

fantasque du Cirque Divers en Roture. Ce lieu « hors<br />

du temps » où dérision et paradoxe riment avec ironie<br />

et parfois même provocation, enthousiasme l’artiste<br />

qui se lie rapidement d'amitié avec Michel Antaki,<br />

directeur artistique du Cirque 10 . Ensemble, Alechinsky<br />

et Antaki projettent d'organiser une exposition où les<br />

œuvres de l’artiste seraient exposées incognito, sans<br />

mentionner son véritable nom. Ce projet, prévu en<br />

1988, échoue finalement. 11<br />

Sous l’estampage, on lit : « À Antaki, avec amitié… en<br />

souvenir de Monsieur Durant, absent. 22-12-94 ». La<br />

mention témoigne dudit projet avec le Cirque Divers.<br />

Monsieur Durant n’est autre que le nom d’emprunt<br />

choisi par l’artiste, en référence au nom de famille de<br />

sa mère.<br />

Ce projet d’exposer les œuvres d’un artiste reconnu<br />

sous un autre nom, aborde indubitablement les<br />

thématiques de la place et la reconnaissance de<br />

l’artiste mais rencontre également parfaitement la<br />

philosophie surréaliste qu’entretenaient les membres<br />

du Cirque Divers. Offert en 1994 à Antaki, Égout est<br />

vraisemblablement exposé au MAMAC, en 1995,<br />

pour l’exposition anniversaire des 18 ans de la galerie<br />

du Cirque 12 . Lorsque, pour cause de liquidation, les<br />

organisateurs du Cirque Divers, sont contraints de<br />

vendre les œuvres qu’ils avaient acquises depuis plus<br />

de quinze ans, Égout rejoint les collections du Musée<br />

des Beaux-Arts (en 2000).<br />

Par le biais de cet estampage, le musée garde donc,<br />

dans ses collections, une trace immuable des<br />

quelques passages de Pierre Alechinsky dans les<br />

années 1980 à <strong>Liège</strong>, et de son lien étroit avec le<br />

Cirque Divers, lieu culturel illustre de la ville.<br />

1 Ce palais construit à l’occasion de l’Exposition universelle de<br />

<strong>Liège</strong> de 1905 est aujourd’hui le bâtiment de pierre de La<br />

Boverie.<br />

2 Cité par Julie Bawin, Pierre Alechinsky. Récit d'un itinéraire<br />

pictural (magazine en ligne Culture, U<strong>Liège</strong>, 30.01.17)<br />

3 Cité dans Pierre Alechinsky. Palimpsestes, catalogue<br />

d’exposition, Centre de l’Image imprimée de La Louvière,<br />

2017, p. 20.<br />

4-5 Pierre Alechinsky, Remarques marginales, Éditions<br />

Gallimard,1997, p.75.<br />

6 Catherine de Braekeleer, Pierre Alechinsky. Palimpsestes,<br />

2017.<br />

7 Selon le titre d’un ouvrage de Mimi Melnick, Manhole Covers,<br />

MIT Press, 1994.<br />

8 « Selon les ajouts au centre et aux alentours de son<br />

estampage, il [l’estampage] parlera d’astre, d’octave, de<br />

mandala… » (cité par Pierre Alechinsky, Remarques<br />

marginale, Éditions Gallimard, 1997, p. 76).<br />

9 Entretien avec Fanny Moens en avril 2016.<br />

10 Dès les années 1970, le Cirque Divers est un lieu<br />

incontournable de culture alternative liégeoise à <strong>Liège</strong>. À la<br />

fois café, galerie et théâtre, le Cirque sert de « trait d'union<br />

pour les personnes qui se retrouvent pour boire un verre,<br />

écouter un concert, voir une pièce, rencontrer un poète<br />

invité par Jacques Izoard, découvrir la nouvelle exposition<br />

géniale ou ringarde présentée à l'étage, ou simplement<br />

s'ennuyer en compagnie de l'un ou l'autre pilier de bar »,<br />

explique Carmelo Virone (dans : Le Jardin du Paradoxe,<br />

Regards sur le Cirque Divers, catalogue d’exposition,<br />

Musée de la Vie Wallonne, 2018, <strong>Liège</strong>).<br />

11 Expliqué par André Stas, dans : Le Grand Jardin du<br />

Paradoxe et du Mensonge universels. 18 ans de la Galerie<br />

du Cirque Divers, catalogue d’exposition, MAMAC, 1995,<br />

tome 1.<br />

12 Le Grand Jardin du Paradoxe et du Mensonge universels.<br />

18 ans de la Galerie du Cirque Divers, 1995.<br />

Bernard Wodon<br />

Les rampes de l'escalier d’honneur des musées<br />

d’Ansembourg et Curtius (p. 36-37)<br />

... évêque Jean-Théodore de Bavière (1744-1763), le<br />

graphisme rococo du fer forgé de cette rampe d’un<br />

atelier de serrurerie indéterminé renvoie à la facture de<br />

celui de la rampe de l’escalier d’honneur de l’exabbaye<br />

Saint-Laurent à <strong>Liège</strong> (actuel siège militaire du<br />

3 e Centre régional d’infrastructure dit « 3 C.R.I. »)<br />

forgée par un maître serrurier également anonyme lors<br />

des travaux d’embellissement commandés par les<br />

abbés bénédictins Grégoire Lembor (1718-1762) et<br />

Lambert Biquet (1760-1779). Par ailleurs, précisons<br />

que le graphisme de la rampe du Curtius est identique<br />

à celui de Schloss Thall à Kettenis, toutes deux de<br />

style rococo situées dans le deuxième tiers du xviii e<br />

siècle.<br />

Œuvre du milieu du xviii e siècle, le garde-corps de<br />

tribune de réemploi mérite également l’admiration.<br />

Dans le panneau long, une palmette stylisée se<br />

déploie largement entre deux crosses au-dessus et<br />

un socle en pi grec aux extrémités giratoires<br />

interrompues en contre-C. Elle s’accole de motifs<br />

giratoires sécants à redents séparés. Dans les<br />

pilastres, les crosses affrontées sont plantées dans<br />

deux 6 à redents séparés qui fixent l’émergence axiale<br />

d’un roseau rectiligne terminé en ressaut, puis replié<br />

en 6. Par ailleurs, la présence de cette œuvre de<br />

réemploi ne postulerait-elle pas également celui de<br />

cette rampe, récupérée pour être replacée dans le<br />

contexte de réaménagement en musée de la Maison<br />

Curtius ?<br />

Bibliographie<br />

Pierre Colman et Lhoist-Colman, Berthe, Le château<br />

d’Aigremont I. Construction, aménagement et<br />

remaniements, dans Bulletin de la Commission royale des<br />

Monuments et des Sites, t. V, 1975-1976, p. 144, 145 et<br />

149.<br />

Bernard Wodon, Escalier dit « royal » de l’ancien palais des<br />

princes-évêques et des États, dans, Carole Carpeaux (sous<br />

la coordination de), Décors intérieurs de Wallonie, t. II,<br />

Namur, Luc Pire/Commission royale des monuments, sites<br />

et fouilles, 2004, p. [26]-28.<br />

Idem, Escalier d’honneur de l’hôtel d’Ansembourg, dans op.<br />

cit., p. 87-88.<br />

Idem, Florilège du fer forgé liégeois au xviii e siècle, <strong>Liège</strong>,<br />

Éditions Pierre Mardaga, 1988, p. 72, 119, 158-161.<br />

Idem, L’Hôtel de ville de <strong>Liège</strong> (Carnet du Patrimoine, 149),<br />

Namur, Institut du Patrimoine wallon, 2017, p. [13].<br />

Idem, L’ancienne abbaye Saint-Laurent de <strong>Liège</strong> (Carnet du<br />

Patrimoine, 66), Namur, Institut du Patrimoine wallon, 2010,<br />

p. 28-29.<br />

Idem, Fers forgés dans l’architecture européenne du Moyen<br />

Âge au xx e siècle, Dijon, Éditions Faton, 2018, p. 234-245,<br />

où les parentés stylistiques entre les écoles lorraine et<br />

liégeoise sont valorisées.<br />

Françoise Safin<br />

Le troisième œil.<br />

À la découverte de certains détails dans les<br />

collections du BAL (p. 38-39)<br />

James Ensor surprend également dans L'Hôtel de<br />

Ville de Bruxelles avec ce qui semble être un panneau<br />

publicitaire à l'avant-plan, presqu'une œuvre abstraite<br />

avant la lettre, ou un élément pictural, tache de couleur<br />

dans cette ambiance de grisaille, ou peut-être simple<br />

fantaisie.<br />

Albert Marquet utilise aussi un panneau publicitaire<br />

dans le Quai du Havre, 1934 ce qui lui permet de<br />

placer une tache rouge qui, avec la tache jaune du<br />

tram circulant au centre, donne une profondeur au<br />

tableau et contraste avec les tons pastels de<br />

l'ensemble.<br />

Anecdote<br />

Parfois le détail peut être une anecdote, un élément<br />

personnel que l'artiste a désiré intégrer. Ainsi Maurice<br />

Utrillo dans Le Moulin de la Galette peint son enseigne<br />

personnelle : « chez Maurice Utrillo, fabrique de<br />

tableaux... » Il faut bien s'approcher pour la déchiffrer<br />

mais une fois vue elle attire le regard.<br />

James Ensor, dans La Mort et les masques profite de<br />

l'espace vide dans le ciel pour peindre un second<br />

sujet peu distinct au premier abord mais après examen<br />

plus approfondi on y aperçoit « Deux faucheuses<br />

volant à la poursuite d'une montgolfière dont le pilote<br />

jette du lest pour échapper à ses assaillants »<br />

(Françoise Dumont, catalogue des collections du Bal ,<br />

volume 1, p.225).<br />

Accident voulu<br />

Bon nombre d'artistes, dès la deuxième moitié du<br />

20 e siècle, suite au mouvement de liberté et de spontanéïté<br />

généré par l'abstraction lyrique, se sont permis<br />

de provoquer des accidents dans leurs œuvres.Si<br />

souvent ceux-ci sont très visibles, comme chez<br />

Jacques Monory Opéra glacé n°4, 1974, images brisées,<br />

irrégularités, gaucheries, taches et coulures, ils<br />

peuvent être presque invisibles jusqu'à prêter à confusion.<br />

C'est le cas de l'œuvre d'Olivier Debré Violet du<br />

soir en Touraine ou Brune soir d'été, 1975.<br />

Cette œuvre fait partie de ses paysages abstraits qu'il<br />

réalise dès les années 70 cherchant non à représenter<br />

le paysage mais à en transmettre l'émotion par de<br />

grands champs de couleur, presque monochromes<br />

qu'il fait vivre grâce à quelques taches colorées au<br />

bord de la toile.<br />

Un élément est cependant intrigant, un petit agglomérat<br />

de peinture au centre de la monochromie qu'on ne<br />

distingue guère de loin ou qu'on peut prendre pour un<br />

défoncement mais qui, en fait, est une sorte de note<br />

de musique déposée discrètement dans le silence de<br />

ce paysage paisible de Touraine.<br />

En guise de conclusion<br />

Comprendre un tableau, en jouir complètement, c'est<br />

donc le regarder attentivement, le voir et le revoir pour<br />

le découvrir petit à petit.<br />

octobre 2019<br />

44<br />

octobre 2019<br />

45


Inventaire des publications <strong>Liège</strong>.museum<br />

La sortie du premier « <strong>Liège</strong>.museum »<br />

remonte à février 2011.<br />

Il est imprimé à 3000 exemplaires.<br />

Il se donne pour mission de présenter<br />

des articles relatifs aux œuvres des<br />

collections publiques rédigés par des<br />

scientifiques, d’établir un agenda<br />

culturel des musées de la Ville de<br />

<strong>Liège</strong> et d’offrir un panorama de<br />

l’actualité au sein des musées (achats,<br />

dons, legs, restaurations, découvertes<br />

scientifiques, etc.).<br />

La fréquence de parution des « Liege.<br />

museum » se calque sur la vie active<br />

et diversifiée des musées. C’est<br />

pourquoi il en existe de deux types.<br />

D’une part, les numéros ordinaires qui<br />

répondent aux missions énumérées<br />

ci-dessus. D’autre part, les numéros<br />

hors-série qui rehaussent d’une<br />

publication une exposition en cours.<br />

Ces hors-séries jouent souvent le<br />

rôle de catalogue d’exposition offert<br />

à un prix modique, et sont réalisés en<br />

bonne collaboration avec les meneurs<br />

de projets (commissaires d’exposition,<br />

scientifiques, critiques, rédacteurs…).<br />

Cet enchaînement de périodiques<br />

hors-série et de numéros ordinaires<br />

a entraîné un grand nombre de<br />

publications : plus d’une septantaine<br />

de « <strong>Liège</strong>.museum » sont parus à ce<br />

jour. On en trouvera ici un inventaire.<br />

À partir de l’année 2020, il ne sera<br />

plus fait de distinction dans la<br />

numérotation entre les publications<br />

ordinaires et les hors-séries de<br />

« Liege.museum ».<br />

1. LIEGE.MUSEUM ordinaires<br />

(les premiers exemplaires sont sans titre)<br />

N°1 Février 2011<br />

N°2 Mai 2011<br />

N°3 Décembre 2011<br />

N°4 Juin 2012<br />

N°5 Décembre 2012<br />

N°6 Investigations Mars 2013<br />

N°7 Parures Août 2013<br />

N°8 Figure humaine Février 2014<br />

N°9 Célébrités / intimité Février 2015<br />

N°10 Orient Avril 2018<br />

N°11 Admirations et investigations Octobre 2019<br />

2. LIEGE.MUSEUM hors-séries<br />

(les premiers exemplaires sont sans numérotation)<br />

• <strong>Liège</strong> vue par les écrivains français du xix e siècle Mai 2011<br />

• Ernest de Bavière (1554-1612),<br />

prince-évêque de <strong>Liège</strong> dans l’Europe moderne Novembre 2011<br />

• Curtius Circus<br />

(en collaboration avec l’ESAVL–Académie des Beaux-Arts) Mars 2012<br />

• À l’ombre du silence. Rétrospective Comès Mai 2012<br />

• Judaïca Hebraïca Juin 2012<br />

• Du Musée des Beaux-Arts au Musée des Beaux-Arts.<br />

Actes du colloque Juin 2012<br />

• Jacques Clauzel – Jean Degottex, deux peintres du peu Août 2012<br />

• Luis Salazar Septembre 2012<br />

• Saint Jean Baptiste in disco Octobre 2012<br />

• <strong>Liège</strong>, cité docile ?<br />

Une ville face à la persécution des Juifs, 1940-1944 Décembre 2012<br />

• André-Modeste Grétry (1741-1813) Mars 2013<br />

• Sophie Langohr. New faces Avril 2013<br />

• Jean-Paul Laixhay Mai 2013<br />

• Dacos. « Moi, je me lève le matin, graveur » Juin 2013<br />

• Marcel Caron (1890-1961) Septembre 2013<br />

• Les brodeuses. Cinq artistes contemporaines Septembre 2013<br />

• Affiches communistes en Belgique.<br />

Regards militants sur le xx e siècle Octobre 2013<br />

• Europalia India. Water Art Walk : parcours d’art contemporain Octobre 2013<br />

• Programmation des expositions temporaires 2014 Décembre 2013<br />

• Maurice Frydman. Tensions – Torsions Janvier 2014<br />

• BAL masqué<br />

(en collaboration avec l’ESAVL–Académie des Beaux-Arts) Avril 2014<br />

• Les Champignomes Avril 2014<br />

N°21 Jupille. Sous nos pieds, 2000 ans d’histoire Mai 2014<br />

N°22 Jean-Paul Forest. Arborescences Juin 2014<br />

N°23 À la rencontre des Bululs Juin 2014<br />

N°24 RAVI. Résidences Ateliers Vivegnis International Septembre 2014<br />

N°25 Des racines Juin 2014<br />

N°26 Un siècle de peinture belge, rencontre de deux collections<br />

(BAL & Belfius) Septembre 2014<br />

N°27 La vente de Lucerne Octobre 2014<br />

N°28 Prix de la Création 2014 Décembre 2014<br />

N°29 1914-1918 Décembre 2014<br />

N°30 BAL masqué<br />

(en collaboration avec l’ESAVL–Académie des Beaux-Arts) Mai 2015<br />

N°31 BAL des galeries Juin 2015<br />

N°32 Jeux de miroir.<br />

Cent chefs-d’œuvre rassemblés de <strong>Liège</strong> et de Tournai Juin 2015<br />

N°33 Cuillère Couteau Fourchette.<br />

Design du couvert en inox, 1931-2015 Octobre 2015<br />

N°34 RAVI. Catalogue 2014-2015 Septembre 2015<br />

N°35 Luis Salazar. Œuvres récentes Septembre 2015<br />

N°36 Et si on osait la paix ? Novembre 2015<br />

N°37 <strong>Liège</strong> au Moyen Âge Octobre 2015<br />

N°38 (a) Glory and Gratitude to the United States.<br />

L’aide alimentaire de l’Amérique pour la Belgique,<br />

1914-1915. Lettres d’enfants belges aux Américains Décembre 2015<br />

N°38 (b) Olivier Pé Janvier 2016<br />

N°39 L’évolution du quartier de l’Île en 100 photos Février 2016<br />

N°40 Sophie Langohr. Something Precious Avril 2016<br />

N°41 « L’Océan », l’hôpital de la Reine. La Panne, 1914-1919 Avril 2016<br />

N°42 Curtius Circus III<br />

(en collaboration avec l’ESAVL–Académie des Beaux-Arts) Mai 2016<br />

N°43 En Piste ! Galeries et centres d’art s’exposent au musée Mai 2016<br />

N°44 ExtraBal. Galeries d’art Les Grignoux Octobre 2016<br />

N°45 (a) RAVI. Catalogue 2015-2016 Octobre 2016<br />

N°45 (b) Noirs dessins du communisme.<br />

Caricature et dessin politique dans la presse communiste du xx e siècle Février 2017<br />

N°46 La Paix de Fexhe Février 2017<br />

N°47 Une réforme, un livre. Luther et la Bible palatine Février 2017<br />

N°48 1975-1997 : Révolution bande dessinée /<br />

Métal Hurlant & (A Suivre) Mars 2017<br />

N°49 Rêveries<br />

(en collaboration avec l’ESAVL–Académie des Beaux-Arts) Juin 2017<br />

N°50 Galerie de femmes.<br />

Le Soroptimist de <strong>Liège</strong> rend hommage aux femmes belges Juin 2017<br />

N°51 RAVI. Catalogue 2016-2017 Juin 2017<br />

N°52 En piste ! Galeries et centres d’art s’exposent au musée Juin 2017<br />

N°53 Guérisseurs d’Afrique noire.<br />

Photographies de Clément Delaude (1962-1980) Novembre 2017<br />

N°54 Costa Lefkochir 1987-2017. Sources / Rencontres / Traces Mars 2018<br />

N°55 (a) Béatrice Libert Mars 2018<br />

N°55 (b) Fernand Flausch. Rétrospective Avril 2018<br />

N°56 En Piste ! Galeries et centres d’art s’exposent au musée Juin 2018<br />

N°57 Willy Gasquis (1926-2014) Juillet 2018<br />

N°58 RAVI. Catalogue 2017-2018 Août 2018<br />

N°59 Portrait du Comte Michel Walram de Borchgrave Septembre 2018<br />

N°60 Sodocalcique. Les métiers du verre<br />

(en collaboration avec l’ESA Saint-Luc) Octobre 2018<br />

N°61 Prix Dacos. 2 e édition Décembre 2018<br />

N°62 Cécile Vandresse.<br />

Les pierres du sentier. Dessins et peintures Mai 2019<br />

N°63 Prix de la Création 2018 Septembre 2019<br />

N° 64 En piste ! Galeries et centres d’art s’exposent au musée Septembre 2019<br />

N° 65 RAVI. Catalogue 2018-2019 Décembre 2019<br />

octobre 2019<br />

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octobre 2019<br />

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Liege• museum<br />

n° 11, septembre octobre 2019 2019<br />

<strong>Liège</strong>• museum<br />

bulletin des musées de la Ville de <strong>Liège</strong> n° 11 octobre 2019<br />

Admirations et investigations<br />

octobre 2019<br />

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Liege• museum<br />

n° 11, septembre 2019<br />

<strong>Liège</strong>• museum<br />

bulletin des musées de la Ville de <strong>Liège</strong> n° 11 octobre 2019<br />

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Admirations et investigations<br />

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Liege• museum<br />

n° 11, octobre 2019<br />

<strong>Liège</strong>• museum<br />

bulletin des musées de la Ville de <strong>Liège</strong> n° 11 octobre 2019<br />

Admirations et investigations<br />

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Liege• museum<br />

n° 11, septembre octobre 2019 2019<br />

<strong>Liège</strong>• museum<br />

bulletin des musées de la Ville de <strong>Liège</strong> n° 11 octobre 2019<br />

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Admirations et investigations

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