Liège Museum n°11
Bulletin des musées de la Ville de Liège. A lire notamment : dix ans de médiation muséale, et plus encore à venir… ; le patrimoine mobilier de l’église Sainte-Croix vu du Grand Curtius ; une carabine américaine commémorative de la Libération ; des acquisitions enrichissantes pour la collection de verres...
Bulletin des musées de la Ville de Liège.
A lire notamment : dix ans de médiation muséale, et plus encore à venir… ; le patrimoine mobilier de l’église Sainte-Croix vu du Grand Curtius ; une carabine américaine commémorative de la Libération ; des acquisitions enrichissantes pour la collection de verres...
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<strong>Liège</strong>• museum<br />
bulletin des musées de la Ville de <strong>Liège</strong> n° 11 octobre 2019<br />
Admirations et investigations
Sommaire<br />
4. L’exposition de nos chefs-d’œuvre - Régine Rémon<br />
06. Dix ans de médiation muséale, et plus encore à venir… - Edith Schurgers<br />
08. Le médaillier liégeois du Grand Curtius inscrit dans un projet<br />
scientifique développé au sein de l’Université de <strong>Liège</strong> - Luc Engen<br />
10. Le patrimoine mobilier de l’église Sainte-Croix vu du Grand Curtius - Philippe Joris<br />
12. Une carabine américaine commémorative de la Libération - Claude Gaier<br />
14. De l’abbaye de Solières au Trésor de Huy<br />
en passant par le MARAM et le Grand Curtius - Marylène Laffineur-Crépin<br />
16. Un document retrouvé : la charte de la chapelle des Clercs à <strong>Liège</strong>, 1481 - Christine Maréchal<br />
18. La Compagnie des Wagons-Lits fait escale au Grand Curtius - Geoffrey Schoefs<br />
20. Patrick Corillon : du texte dans l’œuvre - Carmen Genten<br />
22. Un flacon Mercure au contenu mystérieux<br />
découvert dans une sépulture romaine à Omal en 1862 - Jean-Luc Schütz<br />
24. Des acquisitions enrichissantes pour la collection de verres - Jean-Paul Philippart<br />
26. Marthe Wéry, variations musicales et méthodiques sur le monochrome - Alain Delaunois<br />
28. Un ascenseur à l’hôtel d’Ansembourg ? - Maurice Lorenzi<br />
30. Rouges, les briques des façades de l’hôtel de Hayme de Bomal ? - Paul-C. Hautecler<br />
32. « Tampons de regard » : histoire d’égouts à <strong>Liège</strong> - Fanny Moens<br />
34. Bloc à mouvement vertical. Carabine « Fallblockstutzen » système Heeren - Adrien Marnat<br />
36. Les rampes de l'escalier d'honneur des musées d'Ansembourg et Curtius - Bernard Wodon<br />
38. Le troisième œil.<br />
À la découverte de certains détails dans les collections du BAL - Françoise Safin<br />
40. Fructueuse enquête sur un des joyaux de nos musées,<br />
le diptyque de Henricus ex Palude - Pierre Colman<br />
42. Suites et fins<br />
46. Inventaire des publications <strong>Liège</strong>.museum<br />
Vous tenez dans vos mains un nouveau numéro de la revue « <strong>Liège</strong>.<strong>Museum</strong> ».<br />
Rarement autant de contributeurs auront été sollicités pour vous offrir une sorte de<br />
panorama sélectif de ce qui fait la vie muséale liégeoise.<br />
Et le tableau n’est évidemment pas exhaustif.<br />
Au-delà de ce qui est ici évoqué, il importera sans doute de dessiner les chemins<br />
d’avenir, car le pôle muséal connaît de nombreux mouvements sur lesquels nous<br />
reviendrons en détail dans un prochain numéro.<br />
Enfin, je m’en voudrais de ne pas saluer le travail obstiné du rédacteur en chef Pierre<br />
Colman, professeur émérite en histoire de l’art de l’université de <strong>Liège</strong> pour la bonne fin<br />
de ce numéro.<br />
L'Échevin de la Culture<br />
<strong>Liège</strong> •<br />
museum<br />
Bulletin des musées de la Ville de <strong>Liège</strong>.<br />
92, rue Féronstrée, be-4000 <strong>Liège</strong>.<br />
museum@liege.be<br />
Imprimé à 2000 exemplaires sur papier recyclé, sans chlore,<br />
par l’Imprimerie de la Ville de <strong>Liège</strong>.<br />
Photos : sauf mention contraire, Ville de <strong>Liège</strong><br />
Mise en page : Maria Gallo<br />
<strong>Liège</strong>, octobre 2019, n° 11
Régine Rémon<br />
Première conservatrice du Musée des Beaux-Arts<br />
regine.remon@liege.be<br />
L’exposition de nos chefs-d’œuvre<br />
U ne fois n’est pas coutume :<br />
durant plusieurs mois, les cimaises de La<br />
Boverie ont été consacrées au meilleur<br />
des collections du Musée des Beaux-<br />
Arts. Plus de 250 œuvres offraient au visiteur<br />
une ballade à travers cinq siècles<br />
d’histoire de l’art, épinglant les incontournables<br />
dont La Famille Soler de Picasso,<br />
La Maison Bleue de Chagall ou Le Sorcier<br />
d’Iva Hoa de Gauguin, le trio le plus sollicité<br />
de nos collections, mais aussi son lot<br />
de découvertes et de nouveautés.<br />
Ballade en quatre temps …<br />
Dominique Ingres, Portrait de Napoléon<br />
Bonaparte, Premier Consul, 1804<br />
Emile Claus, Le vieux jardinier, vers 1886<br />
D’emblée, un duo insolite interpelle le visiteur<br />
autant qu’il ne le séduit. Napoléon<br />
premier consul, en habit protocolaire,<br />
symbolise le pouvoir mais rappelle aussi<br />
ses liens privilégiés avec la cité ardente,<br />
par l’évocation de la Cathédrale Saint-<br />
Lambert en arrière-fond. Ce portrait est<br />
aussi un des plus beaux réalisés par<br />
Ingres qui démontre l’excellence de sa<br />
maîtrise technique. Ȧ ses côtés, tout aussi<br />
imposant par sa carrure, le vieux jardinier<br />
aux géraniums, le visage buriné, est<br />
campé avec un réalisme et un rendu de la<br />
lumière surprenants. Entre célébrité et<br />
anonymat, la confrontation de deux<br />
mondes socialement opposés reflète des<br />
contrastes séculaires.<br />
Jean-Guillaume Carlier, Autoportrait,<br />
vers 1665<br />
Gérard de Lairesse, Orphée aux enfers,<br />
1622<br />
L'âge d'or de la peinture liégeoise constituait<br />
un autre moment fort du parcours.<br />
Voisin de l’autoportrait de Jean-Guillaume<br />
Carlier percutant d’authenticité humaine<br />
qui n’est pas sans évoquer Rembrandt,<br />
l’œuvre du Liégeois Gérard de Lairesse,<br />
Orphée aux enfers réalisée à l’âge de 22<br />
ans, est empreinte d’une telle fougue expressive<br />
qu’elle laisse présager la carrière<br />
internationale … qui se confirmera.<br />
Picasso, Delaunay, Malevitch ou comment<br />
le cubisme, l’orphisme et le suprématisme<br />
russe rejoignent les collections.<br />
Après l’épisode mythique de la vente de<br />
Lucerne en 1939 et la donation Graindorge<br />
en 1981, un tout nouveau dépôt de quatre<br />
toiles signées Picasso, Delaunay et<br />
Malevitch et datées de 1909 à 1915, vient<br />
combler quelques rares lacunes que<br />
comptaient nos collections. Deux têtes de<br />
Picasso (1909), est un double portrait<br />
cubiste de sa compagne Fernande Olivier,<br />
préparatoire à la version finale, le buste en<br />
bronze ; postérieure de quatre ans, la<br />
Machine à coudre de Malevitch (1913)<br />
prolonge les recherches cubistes et<br />
évoque la fragmentation extrême des surfaces<br />
homogènes pratiquées par Braque<br />
et Picasso ; Formes circulaires (1913) de<br />
Robert Delaunay illustre l’orphisme qui<br />
prône le contraste simultané des<br />
couleurs ; enfin Carré rouge sur fond<br />
blanc (1915) traduit la démarche ultime de<br />
Malevitch qui prône la suprématie de la<br />
couleur et de la forme, libérées de toute<br />
référence à un objet ou un sujet.<br />
Un futur pôle BD liégeois<br />
Perle méconnue des collections liégeoises,<br />
le fonds d’une centaine de<br />
planches originales illustrant l’âge d’or de<br />
la bande dessinée, regroupe les meilleurs<br />
dessinateurs et scénaristes Hergé,<br />
Franquin, Martin, Jacobs, Peyo, Morris,<br />
Graton, Comès… Ces planches ont été<br />
acquises dans les années 70 en vue de<br />
créer un musée de la bande dessinée à<br />
<strong>Liège</strong>, projet ambitieux qui pourrait bien<br />
voir le jour dans un avenir proche.<br />
Affiche de l'exposition.<br />
Rik Wouters, Après-midi à Amsterdam<br />
Gérard de Lairesse, Orphée aux enfers, 1662, (détail) © Musée des Beaux-Arts, Ville de <strong>Liège</strong><br />
octobre 2019<br />
4<br />
octobre 2019<br />
5
Edith Schurgers<br />
Service Animations des Musées<br />
edith.schurgers@liege.be<br />
Dix ans de médiation muséale,<br />
et plus encore à venir…<br />
En<br />
mars 2009, le Grand Curtius<br />
ouvrait ses portes et donnait naissance au<br />
service Animations des Musées. Pour la<br />
première fois, un service avait pour mission<br />
de développer une politique de médiation<br />
transversale aux différentes institutions<br />
muséales communales, à destination<br />
de tous les publics. Ce vaste projet a pour<br />
vocation de faire des musées des lieux de<br />
connaissances, de partages et de rencontres.<br />
Par la transposition cognitive des<br />
savoirs scientifiques et la valorisation des<br />
collections, il accompagne les visiteurs<br />
dans leur découverte du patrimoine muséal.<br />
Hybride dans le monde socio-culturel,<br />
ce service remplit la fonction éducationnelle<br />
du musée 1 mais rejoint aussi les<br />
prérogatives de l’éducation permanente 2<br />
en favorisant la participation à la vie sociale<br />
et culturelle. 3<br />
Ce service a, dans un premier temps,<br />
concentré sa démarche autour des publics<br />
scolaires. Le défi était d’inscrire les<br />
musées comme un outil complémentaire<br />
de l’enseignement. Une trentaine de parcours<br />
au sein des 5 musées communaux<br />
(Musée Curtius, Musée des Beaux-Arts,<br />
Mulum, Musée Grétry et Musée d'Ansembourg)<br />
ainsi que des dossiers pédagogiques,<br />
explorent les aspects esthétiques,<br />
artistiques et historiques d’une thématique.<br />
Tous créent des liens avec le programme<br />
de l’enseignement en Fédération<br />
Wallonie-Bruxelles et offrent à l’enseignant<br />
des pistes d’exploitation hors les murs du<br />
musée. Après dix ans d’activités, le service<br />
accueille près de 700 classes par an<br />
(de la première année d'accueil maternelle<br />
à l’enseignement supérieur) et est devenu<br />
un incontournable de la vie scolaire, avec<br />
un public d’enseignants fidélisés. L’objectif<br />
pour les dix prochaines années est certainement<br />
de rayonner vers la Flandre mais<br />
aussi d’orienter les prochaines réflexions<br />
en résonnance avec le « Pacte d’excellence<br />
» de l’enseignement qui envisage<br />
dans les sept grands domaines d’apprentissage<br />
de promouvoir les arts et la culture.<br />
Les musées sont aujourd’hui de nouveaux<br />
lieux de sociabilité. Le visiteur y vient en<br />
famille, en couple, entre amis. Leur fréquentation<br />
par le public familial est en<br />
constante progression. D’après Bourdieu<br />
et Darbel, le noyau familial peut être considéré<br />
comme l’organe de transmission de<br />
la pratique de visites. Mais, souvent, c’est<br />
l’accès à la parentalité qui motive la venue<br />
au musée chez des adultes pas forcément<br />
visiteurs auparavant 4 . Face à cette<br />
réalité de la pratique muséale en famille, le<br />
service a développé plusieurs activités<br />
mensuelles dédiées à ce public. En écho<br />
à leurs attentes, ces médiations suscitent<br />
le partage et la rencontre autour de l’expérimentation<br />
esthétique des collections. En<br />
collaborant avec le monde associatif local,<br />
ces propositions s’ouvrent à la mixité sociale<br />
et contribuent à la démocratisation<br />
de la culture. L’objectif est de devenir un<br />
acteur fondamental de la vie socio-culturelle<br />
; un miroir des évolutions sociales<br />
adapté à de nouvelles réalités. Si le musée<br />
est encore trop souvent perçu comme<br />
un espace codifié et contraignant, il est,<br />
par ses pratiques de médiations, un lieu<br />
fédérateur et convivial.<br />
Parmi ses missions, le service vise l’accessibilité<br />
des musées de manière non<br />
discriminatoire en inscrivant les visiteurs<br />
aux besoins spécifiques dans la pratique<br />
culturelle. Ainsi, l’accueil et la médiation<br />
des publics fragilisés est un des axes essentiels<br />
de notre réflexion. Le projet<br />
« Musée accessible à tous » cherche à<br />
accroître l’autonomie de ces usagers, en<br />
développant des outils adaptés aux différentes<br />
fragilités. Offrir un accès scientifique<br />
aux collections a été un facteur essentiel<br />
à l’ouverture des musées pour ces<br />
communautés de visiteurs. Le service a<br />
développé des supports créés en collaboration<br />
étroite avec les publics à qui<br />
ceux-ci étaient destinés. Pour l’avenir, ce<br />
processus est en réflexion au Grand<br />
Curtius et devrait s’étendre à d’autres<br />
chefs-d’œuvre de la collection à la<br />
Boverie.<br />
Les résultats d’une enquête réalisée en<br />
2012 montrent une augmentation générale<br />
de la fréquentation des musées. Cette<br />
étude constate aussi un rajeunissement<br />
du public ainsi que la coexistence de visiteurs<br />
fidèles, locaux et majoritairement aisés<br />
avec un public plus diversifié et de<br />
passage issu du tourisme. D’après cette<br />
enquête, plus de 60% d’entre eux sont<br />
dans l’attente d’aides à la visite (outils interactifs<br />
et médiation humaine) 5 . Le service<br />
offre des médiations qui prennent en<br />
considération l’hétérogénéité de cette catégorie<br />
d’usagers aux comportements et<br />
aux référents sociaux variables. L’objectif<br />
reste la volonté de partage et le plaisir<br />
commun face aux collections, l’enrichissement<br />
de connaissances nouvelles et<br />
l’éducation du regard à l’esthétique. Le<br />
service poursuit d’une part le développement<br />
de médiations numériques mais<br />
aussi favorise les rencontres et les<br />
synergies avec les acteurs du musée<br />
(équipes scientifiques). Dans ce panel de<br />
nouvelles possibilités, des médiations<br />
mettent en exergue les transdisciplinarités<br />
artistiques (notamment avec les arts vivants)<br />
et ouvrent la voie à une perception<br />
neuve des musées.<br />
Si en dix ans d’existence le Service<br />
Animations des Musées a su fidéliser les<br />
publics scolaires, les visiteurs intergénérationnels<br />
et le tissu local associatif, il reste<br />
toutefois de nombreuses pistes de développement<br />
de la médiation au sein des<br />
musées communaux. C’est de ces nouveaux<br />
défis constants que nait le dynamisme<br />
de ce jeune département muséal<br />
au service des usagers des musées.<br />
1<br />
Un musée est une institution permanente sans but lucratif au<br />
service de la société et de son développement ouverte au<br />
public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le<br />
patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son<br />
environnement à des fins d'études, d'éducation et de<br />
délectation. Définition des musées par l’ICOM (22 e<br />
assemblée générale – 24 août 2007).<br />
2<br />
Une organisation d’éducation permanente a pour objectif de<br />
favoriser et de développer :<br />
*une prise de conscience et une connaissance critique des<br />
réalités de la société ;<br />
*des capacités d’analyse, de choix, d’action et d’évaluation ;<br />
*des attitudes de responsabilité et de participation active à<br />
la vie sociale, économique, culturelle et politique. Définition<br />
d’une organisation d’éducation permanente (FWB – art.1<br />
décret du 17 juillet 2003).<br />
3<br />
Charte du médiateur de musée, novembre 2007.<br />
4<br />
Anne Jonchéry, Se rendre au musée en famille, in Lettre de<br />
l’OCIM, Musées, Patrimoine et culture scientifiques et<br />
techniques, <strong>n°11</strong>5, pp. 4-14, janvier-février 2008.<br />
5<br />
Jacqueline Eidelman, Comment sait-on ce qu’on sait<br />
aujourd’hui des publics de musées ? in L’ami de musée,<br />
Fédération Française des Sociétés d’Amis de musées,<br />
n°46, printemps 2014, pp 4-6.<br />
octobre 2019<br />
6<br />
octobre 2019<br />
7
Le médaillier liégeois du Grand Curtius<br />
inscrit dans un projet scientifique<br />
La<br />
parution en 2006 de trois<br />
forts volumes consacrés aux monnaies<br />
de la principauté de <strong>Liège</strong> qui en ont dressé,<br />
à cette date, un catalogue exhaustif a<br />
certes réjoui les amateurs qui attendaient<br />
depuis plus d’un siècle une mise à jour de<br />
la « bible » publiée en 1890 par le baron<br />
Jules de Chestret de Hanneffe. Les chercheurs<br />
exigeants, en revanche, pourront<br />
regretter que la belle énergie déployée par<br />
J.-L. Dengis et ses collaborateurs, qui ont<br />
œuvré sur le terrain, ne leur offre malheureusement<br />
pas les bases nécessaires à la<br />
poursuite d’indispensables nouvelles recherches.<br />
Ce n’est pas le lieu de dresser<br />
l’inventaire des problèmes que pose cet<br />
ouvrage, mais il convient cependant de<br />
regretter une illustration graphique et photographique<br />
assez lacunaire, non justifiée<br />
et rejetée, comme avant les progrès de<br />
l’édition, en fin de volume.<br />
C’est de ce constat de l’absence d’une<br />
base documentaire permettant de réelles<br />
analyses qu’a germé le projet que je porte<br />
au sein du service d’histoire de la<br />
principauté de <strong>Liège</strong> du professeur Bruno<br />
Demoulin. Il consiste à établir une base de<br />
données photographiques ouverte, la plus<br />
large possible, des monnaies liégeoises<br />
des Temps modernes.<br />
Si le Cabinet des médailles de la<br />
Bibliothèque royale de Belgique, que<br />
dirige Johan van Heesch, a montré<br />
l’exemple en mettant en ligne l’ensemble<br />
de ses collections liégeoises, une<br />
couverture photographique des<br />
collections du Grand Curtius s’imposait<br />
naturellement après le dépouillement de<br />
divers sites présents sur Internet et la<br />
réalisation de près de trois mille prises de<br />
vue dans des collections privées. Au<br />
moment où paraîtront ces lignes, le travail<br />
sera toujours en cours de réalisation ; il<br />
englobera d’autres collections publiques<br />
et privées, mais dès les premiers<br />
enregistrements, il a déjà été possible de<br />
mettre en évidence quelques détails<br />
inédits, particularités et pistes nouvelles<br />
dont quelques premiers exemples vont<br />
être illustrés ci-après.<br />
Un premier cas est particulièrement<br />
exemplatif. J.-L. Dengis a publié, sous le<br />
numéro 955, une monnaie inédite d’Ernest<br />
de Bavière décrite fort correctement mais<br />
non reproduite et dont - c’est une<br />
constante - l’auteur ne situe pas le lieu de<br />
conservation. C’est d’autant plus<br />
surprenant dans le cas d’une collection<br />
publique comme le Grand Curtius ! En<br />
effet, un esprit suspicieux pourrait douter<br />
de l’existence réelle d’un document<br />
jusque-là inédit publié de la sorte. Il<br />
s’agirait, selon son inventeur, d’un brûlé à<br />
la valeur faciale de 12 sous, daté 1581.<br />
Cette pièce (1) pèse 4,97 g soit un poids<br />
nettement supérieur aux autres monnaies<br />
du règne affichant la même valeur faciale,<br />
voire même celle de 16 sous !<br />
Son caractère, à ce jour unique, son poids<br />
anormalement élevé, ainsi qu’une parfaite<br />
réalisation technique inclinent à faire<br />
douter du fait qu’il s’agisse d’une monnaie<br />
destinée à la circulation courante. Son<br />
étude reste à faire, mais ce premier cas<br />
d’école justifie l’utilité de notre projet.<br />
L’étude de coins et de leurs liaisons<br />
appellerait une quantité de reproductions<br />
inadaptée aux impératifs éditoriaux de la<br />
Luc Engen<br />
Collaborateur U<strong>Liège</strong> et conservateur<br />
honoraire de l’Institut archéologique liégeois<br />
lucengen@msn.com<br />
présente publication : c’est la raison pour<br />
laquelle a été retenu un exemple<br />
n’impliquant, à ce jour, que quatre<br />
monnaies figurant en un seul exemplaire<br />
tant au Curtius (2) qu’à la Bibliothèque<br />
royale (3) et en deux autres dans une<br />
collection privée (4-5).<br />
Il s’agit de rares exemplaires datés 1750<br />
du type Dengis 1178 qui se caractérise<br />
par la présence de la valeur faciale (2 - L<br />
pour 2 liards) au droit et la forme ovale des<br />
armes de <strong>Liège</strong> (perron) au centre du<br />
revers. Outre le fait de révéler l’inattendue<br />
rareté d’une monnaie réputée assez<br />
commune, le petit montage reproduit cicontre<br />
permet de vérifier l’emploi d’une<br />
seule paire de coins, mais aussi de<br />
rechercher à l’avenir si ce coin de revers a<br />
pu être utilisé sur d’autres pièces de 2<br />
liards de 1750 (Dengis 1175 et 1177) et si<br />
celui du droit l’a été en 1751 sous la<br />
même référence de type.<br />
On pourrait multiplier les exemples de<br />
problèmes que la base de données va<br />
permettre de découvrir et d’étudier pour<br />
déboucher in fine sur la publication<br />
d’articles permettant d’améliorer la<br />
connaissance de notre monnayage et de<br />
le rendre un peu plus accessible à ceux<br />
qui voudront l’aborder sous un angle<br />
scientifique.<br />
1<br />
L’avenir montrera aussi que croiser les<br />
recherches en numismatique et en<br />
orfèvrerie ne peut qu’être profitable à ces<br />
deux disciplines. Voilà donc une bonne<br />
raison de dédier ces quelques pages de<br />
méthodologie à celui qui nous a inculqué<br />
la saine critique et la rigueur, notre maître<br />
le professeur Pierre Colman.<br />
Bibliographie succincte<br />
J. de Chestret de Hanneffe, Numismatique de la principauté de<br />
<strong>Liège</strong> et de ses dépendances, Bruxelles, 1890.<br />
P. Magain, Les monnaies de Jean-Théodore de Bavière princeévêque<br />
de <strong>Liège</strong> 1744-1763, Bruxelles, 1964.<br />
J.-L. Dengis, Les monnaies de la principauté de <strong>Liège</strong>, III. De<br />
Gérard de Groesbeeck au rattachement à la France (1564-<br />
1794), Wetteren, 2006.<br />
2 - 5<br />
Fig. 1 – Ernest de Bavière, pièce de 12(?) aidants d’Ernest de Bavière,<br />
diamètre 26 mm.<br />
Fig. 2 à 5– Monnaies de 2 liards (1750) de Jean-Théodore de Bavière,<br />
diamètre 27,5 mm.<br />
octobre 2019<br />
8<br />
octobre 2019<br />
9
Le patrimoine mobilier de l’église<br />
Sainte-Croix vu du Grand Curtius<br />
Après plusieurs décennies de<br />
ce qui ressemblait fort à un abandon 1 , la<br />
collégiale Sainte-Croix fait l’objet d’une<br />
restauration complète depuis l'automne<br />
2019. Ces travaux d’envergure nécessitent<br />
le déménagement provisoire du<br />
mobilier. Si les objets de moindre valeur<br />
ont pu être entreposés sur place, les<br />
œuvres précieuses ou de qualité sont<br />
mises en dépôt dans des institutions muséales<br />
reconnues jusqu’à la fin des travaux.<br />
Les orfèvreries comprennent des<br />
pièces allant du xiv e au XXe siècle : un ciboire<br />
limousin en cuivre doré et émaillé du<br />
xiv e siècle, une imposante croix de<br />
Mathieu Schoville (vers 1640), un calice<br />
des années 1670, un ciboire de F. Dupont<br />
(1726), un ostensoir-soleil de Charles de<br />
Hontoir (vers 1700) qui pourrait provenir<br />
de la chapelle Sainte-Ursule, une crosse<br />
cérémonielle de la confrérie de saint<br />
Hubert (1765), un seau à eau bénite et<br />
son goupillon de la période hollandaise.<br />
Le néogothique est très présent : on y relève<br />
les signatures de J. Dehin et de J.<br />
Martens de <strong>Liège</strong>, de A.Witte et M.<br />
Vogeno de Aix-la-Chapelle, ce dernier<br />
ayant laissé un nombre important<br />
d’œuvres de belle facture. Relevons aussi<br />
la présence d’une paire d’encensoirs en<br />
argent signés de l’orfèvre et fondeur d’origine<br />
anglaise John Philp (1854).<br />
Fort intéressante également est une maquette<br />
en terre cuite d’un autel de saint<br />
Hubert, œuvre de Jean-Joseph Halleux<br />
(1815-1876) datant de 1849, qui ne fut<br />
jamais réalisé. On verra aussi une sainte<br />
Anne trinitaire du début du xvi e siècle, à la<br />
polychromie néogothique et provenant de<br />
Notre-Dame-aux-Fonts, une sainte Apolline<br />
(ou Apollonie) signée de Antoine-Pierre<br />
Franck (xviii e s.), ainsi qu’un Christ en croix<br />
en buis attribué à Jean Del Cour 2 .<br />
Plusieurs peintures sont actuellement en<br />
cours de restauration, dont La Rencontre<br />
de Jésus et de sainte Véronique (suite des<br />
Francken, xvii e s.), le Mariage mystique de<br />
sainte Agnès de Rome (E. Fisen, 1725)<br />
qui a conservé sa structure et son cadre<br />
originaux. Le polyptique de la Nativité<br />
(Anvers ?, début xvi e siècle), incomplet et<br />
remonté dans un encadrement récent,<br />
devra un jour prendre le même chemin.<br />
Ces dépôts ne sont pas les premières<br />
œuvres à rejoindre les collections de<br />
l’ancien musée diocésain, à la suite des<br />
très mauvaises conditions de conservation<br />
régnant dans la collégiale. La plus<br />
fameuse est le triptyque-staurothèque,<br />
chef-d’œuvre de l’orfèvrerie mosane du<br />
xii e siècle (1), en cuivre doré sur âme de<br />
bois, à l’iconographie sous-tendue par<br />
l’idée de Rédemption et organisé autour<br />
de la relique initiale : une petite croix en or<br />
d’époque ottonienne renfermant des<br />
fragments de la Vraie Croix, à laquelle la<br />
collégiale doit sa prestigieuse titulature 3 .<br />
Tout aussi remarquables sont les deux<br />
antiphonaires des années 1333-1334.<br />
Deux chefs-d’œuvre du sculpteur<br />
Guillaume Evrard (17010-1793), le Christ<br />
à la colonne et la Vierge de douleurs<br />
(1759-1761 figurent aussi parmi les<br />
dépôts majeurs.<br />
Les textiles liturgiques ne sont pas<br />
absents : 221 pièces ont été déposées<br />
en 2014. La plupart des vêtements datent<br />
du xix e siècle, quelques-uns du xviii e ;<br />
l’ornement le plus important comporte une<br />
Philippe Joris<br />
Conservateur honoraire du Département<br />
d’Art religieux et d'Art mosan du Grand Curtius<br />
phjoris@gmail.com<br />
chasuble, deux dalmatiques, deux chapes<br />
avec des orfrois brodés de 1523,<br />
restaurés et montés sur un fonds<br />
renouvelé en 1887 (2).<br />
Provenant de Sainte-Croix sont également<br />
exposées au Grand Curtius : sept têtes en<br />
ronde-bosse (xiv e s.), ainsi que des fragments<br />
importants du Groupe de la<br />
Résurrection (vers 1330-1340) en grès<br />
sculpté, découverts lors des travaux de<br />
restauration en 1858-1859.<br />
Deux œuvres maîtresses du patrimoine de<br />
Sainte-Croix sont en dépôt à la Cathédrale<br />
de <strong>Liège</strong> : le tableau de l’ancien maîtreautel,<br />
L’Invention de la Sainte Croix, de<br />
Bertholet Flémal (vers 1674), ainsi que la<br />
célèbre Clé de saint Hubert (xii e -xiv e s. ?),<br />
exposée au Trésor. Comme le Triptyque<br />
de la Sainte Croix, ces œuvres font partie<br />
des Trésors classés de la Fédération<br />
Wallonie-Bruxelles.<br />
1<br />
Les derniers travaux importants remontent à la période 1979-<br />
1985. On a pu craindre la ruine de l’édifice, au point que ce<br />
patrimoine exceptionnel de la Région wallonne a figuré sur la<br />
liste des monuments en péril du World Monuments Watch<br />
en 2014.<br />
2<br />
Michel Lefftz, Jean Del Cour 1631-1707. Un émule du Bernin<br />
à <strong>Liège</strong>, Bruxelles, 2007, p. 86 et 143<br />
3<br />
Albert Lemeunier (†) et Marylène Laffineur-Crépin, Triptyque dit<br />
de Sainte-Croix, dans Trésors classés en Fédération<br />
Wallonie-Bruxelles, Bruxelles, 2015, p.84-85.<br />
Fig. 1 – Triptyque de la Sainte Croix (détail, échelle<br />
1/1), école mosane, vers 1160-1170. Or, cuivre<br />
doré, émaux, pierreries, cristal de roche, bois. <strong>Liège</strong>,<br />
Grand Curtius (GC.REL.10a.1981.34002).<br />
Fig. 2 – Sainte Barbe et sainte Catherine. Détail d’une<br />
chasuble : orfroi de 1523, restauré par Jean Van<br />
Severen-Ente et monté sur un fonds renouvelé en<br />
1887. © KIK-IRPA, Bruxelles.<br />
Bibliographie<br />
Armand Delhaes, L’église Sainte-Croix à <strong>Liège</strong>, <strong>Liège</strong>, 1976<br />
(Feuillet archéologique de la Société royale « Le Vieux<br />
<strong>Liège</strong> »)<br />
Richard Forgeur, L’église Sainte-Croix à <strong>Liège</strong>, Armand Delhaes,<br />
2 e édition, 1976 (Feuillet archéologique de la Société royale<br />
« Le Vieux-<strong>Liège</strong> »). Compléments, corrections et<br />
bibliographie, dans Bulletin de la Société royale « Le Vieux-<br />
<strong>Liège</strong> », t. 13, 1998, p. 771-774<br />
Mathieu Piavaux, La collégiale Sainte-Croix à <strong>Liège</strong>. Formes et<br />
modèles dans l’architecture du Saint-Empire xiii e -xv e siècles,<br />
Namur, Presses universitaires de Namur, 2013.<br />
2<br />
1<br />
octobre 2019<br />
10<br />
octobre 2019<br />
11
Une carabine américaine<br />
commémorative de la Libération<br />
C ontrairement à l'évacuation<br />
des troupes d'occupation de <strong>Liège</strong>, qui<br />
s'était faite sans incidents majeurs lors de<br />
l'Armistice du 11 novembre 1918, la<br />
Libération de la Cité Ardente s'opéra de<br />
haute lutte en septembre 1944. Car la<br />
guerre était alors loin d'être terminée et<br />
l'armée hitlérienne, contrainte au repli depuis<br />
le Débarquement de Normandie,<br />
résistait pied à pied, tant à l'Ouest qu'à<br />
l'Est, à l'étau inexorable qui se resserrait<br />
autour de l'Allemagne nazie.<br />
Ce sont des éléments de la 3 e Division<br />
Blindée de la 1 e Armée américaine, celleci<br />
sous les ordres du général Courtney<br />
Hodges, qui libérèrent la ville, d'abord la<br />
rive gauche, le 7 septembre 1944, et la<br />
rive droite le lendemain. Il y eut des combats<br />
acharnés, des morts et des déprédations<br />
par l'armée vaincue, mais la liesse<br />
populaire était immense. Illusoire intermède<br />
hélas, avant les bombardements<br />
intensifs par V1 et V2, dès septembre et<br />
jusqu'à février, et la grave menace d'un<br />
retour possible de l'occupant lors de la<br />
bataille des Ardennes, du 16 décembre<br />
au 18 janvier 1945.<br />
La Libération, un événement capital de<br />
l'histoire liégeoise, fut et est fréquemment<br />
commémorée ou évoquée. Pour en célébrer<br />
le jubilaire à sa façon, l'École d'Armurerie<br />
(Institut Léon Mignon) de <strong>Liège</strong> fit réaliser<br />
un objet symbolique, conservé au<br />
Musée d'Armes sous la cote :<br />
GC.ARM.12A.1995.45530 (ex 13447).<br />
Il s'agit ici d'une carabine américaine du<br />
modèle M1, qui armait notamment les<br />
équipages de chars. Sa crosse est<br />
incrustée d'un médaillon au diamètre de<br />
66 mm, gravé par Pierre Dome, maintenant<br />
et alors professeur de gravure-ciselure<br />
dans cet établissement réputé de la<br />
Ville. Au centre, figure un tank Sherman,<br />
rehaussé de dorure, du type de ceux débarqués<br />
en masse en Normandie et qui<br />
furent de tous les combats en Afrique du<br />
Nord et sur le front occidental. L'engin,<br />
sommé d'un drapeau américain, masque<br />
en partie deux personnages armés, l'un<br />
ouvertement et l'autre, on le devine, sous<br />
le manteau. Ceux-ci reproduisent le<br />
groupe dit « de la Résistance armée » qui<br />
orne le Monument National à la Résistance<br />
du parc d'Avroy, sculpté par Louis Dupont<br />
en 1955. Cette effigie rappelle le rôle de<br />
cette armée de l'ombre qui appuya fortement<br />
les troupes libératrices, comme elle<br />
l'avait fait anticipativement durant les années<br />
de l'occupation. Cette image centrale,<br />
hautement symbolique, est cerclée<br />
de deux inscriptions incrustées. Celle de<br />
l'intérieur mentionne : CINQUANTENAIRE<br />
DE LA LIBERATION DE LIEGE et la date :<br />
8 SEPTEMBRE 1944, flanquée de deux<br />
petits « perrons » liégeois. Sur le cercle<br />
extérieur courent des feuilles de palmier,<br />
antique symbole de la Victoire, encadrant<br />
le millésime : 1994.<br />
Si ce médaillon surajouté résume esthétiquement<br />
les événements qu'il commémore,<br />
son support n'en n'est pas moins<br />
emblématique. Il s'agit en effet d'une carabine,<br />
omniprésente durant une bonne<br />
partie de la seconde Guerre Mondiale (et<br />
après...) et qui mérite de ce fait un commentaire<br />
quelque peu détaillé. Conçue<br />
par David Marshall Williams (1901-1975),<br />
elle fut mise au point par la Winchester<br />
Claude Gaier<br />
Directeur honoraire du Département<br />
des Armes du Grand Curtius<br />
claude.gaier@skynet.be<br />
Repeating Arms Cy. Elle se voulait une<br />
arme d'épaule de moyenne portée, plus<br />
légère que les fusils réglementaires<br />
Springfield et Garand, sorte de compromis<br />
entre ceux-ci, le pistolet et le fusil-mitrailleur.<br />
À l'origine destinée aux unités de<br />
support et d'appui, son usage finit cependant<br />
par s'étendre à celles de première<br />
ligne, en raison de sa maniabilité et de son<br />
utilité dans les combats rapprochés. Elle<br />
fut même imposée comme arme d'ordonnance<br />
jusqu'aux grades d'officier, là où<br />
auparavant le pistolet était considéré<br />
comme suffisant.<br />
Sa fabrication de masse (plus de 6 millions<br />
d'exemplaires !), de 1941 à 1945,<br />
représente un véritable prodige d'ingénierie<br />
et de productivité que seuls les Etats-<br />
Unis, à l'époque véritable « arsenal des<br />
démocraties », étaient en mesure de réaliser.<br />
Le Gouvernement avait réparti la production<br />
entre 15 grosses entreprises<br />
américaines, dont tout naturellement l'armurier<br />
Winchester, mais surtout – remarquable<br />
exemple de reconversion industrielle<br />
de guerre – entre des firmes du<br />
secteur purement civil dès lors équipées<br />
pour la circonstance. Ces traitants principaux<br />
étaient tenus de fabriquer chacun un<br />
certain nombre de pièces séparées, mais<br />
aussi d'assembler un quota assigné et<br />
numéroté d'armes complètes au moyen<br />
de ces multiples composants, évidemment<br />
interchangeables, rassemblés de<br />
diverses sources. Ce réseau complexe<br />
était coordonné, depuis avril 1942, par un<br />
« Carbine Industry Integration Committee ».<br />
À leur tour, les 15 contractants principaux<br />
sous-traitaient certains travaux et l'on a pu<br />
dénombrer plus de 1.600 ateliers qui,<br />
d'une façon ou d'une autre, jusqu'à fournir<br />
les plus petits ressorts, participèrent au<br />
programme de la carabine M1.<br />
L'exemplaire du Musée d'Armes porte le<br />
numéro de série : 1.466.795 et la mention<br />
de son ensemblier : NPM (National Postal<br />
Meter), une société de Rochester, dans<br />
l'état de New York, qui, jusque là fabriquait<br />
des instruments de précision, notamment<br />
des pèse-lettres, pour les services postaux.<br />
Non seulement cette entreprise assembla,<br />
en tout, 413.017 carabines, mais<br />
elle fabriqua également plusieurs pièces<br />
du M1 ainsi que des millions de fusées de<br />
tête et de culot pour obus. La maind'oeuvre<br />
était, pour une large part, féminine.<br />
Comme d'autres firmes impliquées<br />
dans ce vaste projet, NPM sous-traita elle<br />
aussi certaines parties de ses tâches, par<br />
exemple - et de façon plutôt inattendue à<br />
nos yeux - les crosses et garde-main,<br />
confiés à un atelier local : la « Trimble<br />
Nursery and Furniture Company », spécialisée<br />
jusqu'alors dans les berceaux pour<br />
enfants! Le numéro de série frappé sur la<br />
présente carabine permet de dater sa sortie<br />
d'usine entre janvier et septembre<br />
1943 inclus. Le quota de carabines assigné<br />
à la NPM fut atteint en avril 1944.<br />
Passant ensuite par des repreneurs successifs,<br />
l'entreprise ferma ses portes en<br />
1976.<br />
Fiche technique de la carabine M1: L. 90,4 cm – L. canon 45,8 cm – Poids<br />
(chargée) 2,75 kg – Cal. 7,62x33 mm (. 30) – Mécanisme: semi-automatique,<br />
par emprunt de gaz – Magasin de 15 cartouches – Hausse à oeilleton,<br />
rabattable, pour tir à 100 (90 m) ou 300 (270 m) yards.<br />
Bibliographie sommaire<br />
J. Jour, La Libération de <strong>Liège</strong> (photos de L. Desarcy),<br />
Bruxelles, 1990; Larry L. Ruth, War Baby. The US caliber .30<br />
Carbine, t. I, Toronto, 1992 (Collector Grade Publications) ;<br />
voir également en ligne les nombreux sites consacrés à la<br />
carabine M1 et à National Postal Meter ; L. Grailet, <strong>Liège</strong><br />
sous les V1 et V2. Un rajustement de l'importance réelle du<br />
drame, Tongres, 1996.<br />
octobre 2019<br />
12<br />
octobre 2019<br />
13
Marylène Laffineur-Crépin<br />
Conservatrice du Trésor et de la collégiale de Huy<br />
marylène.laffineur@gmail.com<br />
De l’abbaye de Solières au Trésor de Huy<br />
en passant par le MARAM et le Grand Curtius<br />
D epuis plusieurs années, les<br />
membres de la fabrique d’église Notre-<br />
Dame à Solières souhaitaient déposer au<br />
Trésor de la collégiale Notre-Dame à Huy<br />
la croix-reliquaire dite de Solières (vers<br />
1160-1170) et une statuette représentant<br />
saint Joseph endormi (vers 1340-1350).<br />
Souvent annoncé, longtemps attendu, le<br />
retour de ces trésors a eu lieu en 2017. Ils<br />
sont aujourd’hui exposés dans la crypte<br />
où une vitrine leur a été réservée.<br />
Les raisons du premier dépôt<br />
Le 12 juillet 1974, en raison de vols perpétrés<br />
dans les édifices religieux de la région,<br />
la fabrique d’église de Solières décidait<br />
de déposer au Musée diocésain à<br />
<strong>Liège</strong>, bientôt dénommé Musée d’Art religieux<br />
et d’Art mosan (MARAM), une croixreliquaire<br />
et sept objets d’art conservés<br />
dans le coffre-fort du presbytère.<br />
Le 30 novembre 1977, pour les mêmes<br />
raisons, le curé de Solières déposait au<br />
même musée une statuette représentant<br />
saint Joseph, qui provenait d’une chapelle<br />
de Ben-Ahin.<br />
Ces mises à l’abri des trésors rescapés<br />
de l’abbaye cistercienne avaient été judicieusement<br />
conseillées par Albert<br />
Lemeunier, promu en 1977 conservateur<br />
du MARAM mais aussi, vingt ans plus<br />
tard, conservateur du Trésor de Huy.<br />
Partagé entre la perspective d’appauvrir le<br />
musée liégeois et le souhait de répondre<br />
aux desiderata de la fabrique d’église,<br />
Albert Lemeunier tergiversait, reportant ce<br />
retour à plusieurs reprises, tout en permettant<br />
à Huy la réalisation d’une vitrine spécialement<br />
conçue pour recevoir la précieuse<br />
croix-reliquaire.<br />
Le retour à Huy<br />
Depuis sa complète rénovation en 2012,<br />
le Trésor de Huy exposé dans la crypte de<br />
1066 est remarquablement mis en valeur<br />
et offre toutes les conditions de sécurité et<br />
de bonne conservation. Le conseil de fabrique<br />
de Solières décida le 3 septembre<br />
2014 de mettre fin aux contrats de 1974<br />
et de 1977, et de déposer les œuvres au<br />
Trésor de Huy.<br />
Les raisons de cette démarche sont non<br />
seulement humaines, sentimentales -ce<br />
patrimoine est à nouveau « à la maison »<br />
et c’est avec fierté qu’on le montre à la<br />
famille et aux amis en visite à Huy- mais<br />
elles sont aussi justifiées.<br />
La croix-reliquaire à double face<br />
(h. 40,8 cm), en cuivre et laiton dorés ornés<br />
de vernis brun et de cabochons en<br />
cristal de roche, date de 1160-1170 et se<br />
rattache à la production attribuée à l’atelier<br />
de Godefroid de Huy, auteur des châsses<br />
de saint Domitien et de saint Mengold<br />
conservées au Trésor. Après la sécularisation<br />
de l’abbaye de Solières en 1796, la<br />
croix fut confiée par les dernières moniales<br />
réfugiées à Huy à l’abbé Michel, curé de la<br />
paroisse Saint-Denis, qui la restitua à<br />
l’église succursale de Solières érigée en<br />
1859.<br />
Le saint Joseph, endormi et coiffé du bonnet<br />
juif, sculpté en marbre de Carrare vers<br />
1340-1350 (h. 37 cm), est sans doute le<br />
vestige d’une Nativité qui ornait un retable<br />
de l’abbaye. La sculpture en ronde-bosse<br />
témoigne d’une évidente parenté avec le<br />
saint Joseph du Bethléem. Elle fait partie<br />
d’un ensemble de marbres mosans réalisés<br />
par deux sculpteurs qui seraient aussi<br />
les auteurs du portail hutois.<br />
Le souvenir d’une grande abbaye<br />
Croix-reliquaire et statuette sont exposées<br />
aux côtés d’un calice et d’un ciboire,<br />
œuvres de deux orfèvres liégeois, en<br />
argent partiellement doré, portant sur le<br />
pied l’initiale S et les millésimes 1757 et<br />
1765. Très probablement réalisés au<br />
moyen d’un ancien calice, don de l’abbesse<br />
Agnès de Sélys (1663-1695), ces<br />
deux objets auront été offerts à la cure de<br />
Saint-Germain à Ben, dont les abbesses<br />
de Solières étaient collatrices et décimatrices.<br />
La fabrique d’église de Ben les a<br />
déposés au Trésor de la collégiale il y a<br />
plusieurs années.<br />
Comme la Paix-Dieu et le Val Notre-Dame,<br />
l’abbaye de Solières a abrité une communauté<br />
de moniales cisterciennes vouées à<br />
la prière, mais insérées aussi dans la vie<br />
économique, sociale et culturelle de la région.<br />
Le patrimoine immobilier et mobilier<br />
de cette abbaye supprimée à la Révolution<br />
française témoigne encore du brillant mécénat<br />
que cette communauté a exercé<br />
pendant plus de cinq siècles.<br />
Remerciements<br />
Nos remerciements s’adressent aux principaux<br />
acteurs de ce transfert : les<br />
membres de la fabrique d’église Notre-<br />
Dame à Solières, notre Évêque, Mgr<br />
Jean-Pierre Delville, et son vicaire épiscopal,<br />
le chanoine Éric de Beukelaer, le collège<br />
des bourgmestre et échevins de Huy,<br />
l'ancien ministre Robert Collignon et<br />
l’ancien échevin liégeois Hector Magotte.<br />
Ils vont aussi au directeur des Musées de<br />
<strong>Liège</strong>, Jean-Marc Gay, et à Philippe Joris,<br />
conservateur honoraire du MARAM et du<br />
Grand Curtius, qui ont accepté de se séparer,<br />
à titre exceptionnel, de chefs-d’œuvre<br />
octobre 2019<br />
14<br />
dont leur institution a assuré pendant plus<br />
de quarante ans la parfaite sécurité, la<br />
bonne santé et une très belle promotion.<br />
Non sans regret, certes, mais en comprenant<br />
bien les arguments invoqués.<br />
octobre 2019<br />
15<br />
© Phillipe Roussel
Christine Maréchal<br />
Conservatrice honoraire<br />
Bibliothèque Ulysse Capitaine<br />
Un document retrouvé : la charte de<br />
la chapelle des Clercs à <strong>Liège</strong>, 1481<br />
Le document sujet de notre<br />
enquête est un parchemin peint inscrit<br />
dans un lot de manuscrits concernant la<br />
chapelle des Clercs à <strong>Liège</strong> et conservés<br />
à la Bibliothèque Ulysse Capitaine sous la<br />
cote Manuscrit 609 avec la description<br />
suivante :<br />
44 documents manuscrits sur parchemin<br />
de la chapelle des Clercs de 1377 à<br />
1613, avec sceaux appendus, réunis<br />
dans 3 boîtes et dans un « emboîtagecadre<br />
» de conservation pour la charte<br />
peinte de 1481, charte sur parchemin<br />
avec peinture de la chapelle des Clercs,<br />
établie en 1481 à <strong>Liège</strong>, réglementant les<br />
mets qui devaient composer le banquet<br />
mensuel qui avait lieu tour à tour chez chacun<br />
des membres de la congrégation<br />
nommée « Compagnie et Confraternité de<br />
Notre-Dame de la Chapelle des Clercs ».<br />
Parchemin, 395 x 600 mm.<br />
Sa localisation<br />
Le premier à saisir l’intérêt tout particulier<br />
de ce document fut le chevalier Constantin<br />
Le Paige (1852-1929) 1 , Docteur en<br />
sciences physiques et mathématiques et<br />
Professeur à l’Université de <strong>Liège</strong>. Autorité<br />
en matière d’archéologie et d’héraldique,<br />
le savant bibliophile, honorable Président<br />
de la Société des Bibliophiles liégeois<br />
(1895-1896) publie dans le Bulletin 23 le<br />
résultat de son intéressante découverte.<br />
Pour mieux comprendre la « bonne<br />
fortune » de l’érudit, revenons aux origines<br />
de l’acte signé par le bibliophile Ulysse<br />
Capitaine en faveur de la Ville de <strong>Liège</strong>.<br />
Par son testament exécuté à sa mort le 31<br />
mars 1871, Ulysse Capitaine lègue à sa<br />
chère ville une remarquable collection de<br />
médailliers, gravures, cartes et plans, manuscrits,<br />
journaux et imprimés. Dès 1872<br />
et afin de répondre aux conditions du testament,<br />
la ville confie la rédaction du catalogue<br />
de ses collections à Henri Helbig et<br />
Michel Grandjean qui le publient en trois<br />
tomes 4 . Les quelque 12.000 documents<br />
et médaillers deviendront le point de départ<br />
des collections communales.<br />
En 1872, la Ville dispose bien d’une bibliothèque<br />
populaire et de quatre bibliothèques<br />
de quartiers. Déjà, le manque de<br />
place est évident et l’accroissement des<br />
collections, parmi lesquelles le legs<br />
Capitaine, impose la recherche de nouveaux<br />
locaux. Il faudra attendre 1907 pour<br />
voir inaugurer un imposant bâtiment rue<br />
des Chiroux. Entre 1872 et cette date<br />
inaugurale de 1907, la ville trouve un accord<br />
avec les autorités académiques de<br />
l’université et dépose temporairement une<br />
bonne partie de ses collections d’histoire<br />
locale dans les locaux de l’alma mater.<br />
Situation peu confortable dans une bibliothèque<br />
universitaire elle-même confrontée<br />
à l’exiguïté.<br />
Néanmoins, le Fonds Ulysse Capitaine a<br />
été classé et inventorié. Autant dire que<br />
chaque pièce est identifiée et décrite à<br />
son entrée, selon le vœu de son légataire.<br />
Et pourtant, lors d’un de ses multiples<br />
passages à la bibliothèque centrale de<br />
l’université, l’attention de Constantin le<br />
Paige est attirée par un document qui non<br />
seulement « avait échappé aux savants<br />
rédacteurs du catalogue Capitaine » 5 ,<br />
mais encore, précise-t-il, ne parait même<br />
pas avoir appelé l’attention d’Ulysse<br />
Capitaine. Une première énigme sur l’origine<br />
d’une pièce inédite qualifiée à haute<br />
valeur par le Paige.<br />
L’auteur parle d’une « charte inédite de la<br />
chapelle des Clercs » de 1481. Ce document<br />
est bien celui que nous venons de<br />
décrire concernant la chapelle située à<br />
proximité de l’église paroissiale Saint-<br />
Etienne à <strong>Liège</strong> 6 . Dans <strong>Liège</strong> à travers les<br />
âges 7 , Théodore Gobert par ailleurs ami<br />
de Constantin Le Paige, nous en livre un<br />
historique à lire avec toutes les conditions<br />
d’usage critique. La chapelle dédiée à la<br />
Vierge aurait été fondée en 1336 8 avec un<br />
collège de douze clercs administrateurs,<br />
selon l’archiviste qui a pris connaissance<br />
des 44 parchemins 9 . Nous sommes visiblement<br />
en présence d’une confrérie mariale.<br />
Son contenu<br />
La charte décrite par Le Paige est composée<br />
d’un texte manuscrit occupant une<br />
grande partie du parchemin et d’une composition<br />
picturale partiellement inachevée<br />
sur la partie gauche.<br />
Le document est original par son écriture<br />
à l’encre noire. Le texte en latin est<br />
conservé dans son intégralité. Son<br />
authenticité est encore à établir. La date<br />
de l’acte ne soulève aucune difficulté :<br />
Datum et actum restent les formules<br />
conformes à la pratique : anno a nativitate<br />
Domini millesimo quadringentesimo octuagesimo<br />
primo, mensis novembris die<br />
XIX, 19 novembre 1481, jour de fête de<br />
sainte Elisabeth, reine de Hongrie. Le lieu<br />
étant bien la chapelle des Clercs : in loco<br />
capitulari sepetacte capelle clericorum<br />
leodiensum. On observe toutefois qu’il n’y<br />
a pas de signature.<br />
octobre 2019<br />
16<br />
(Suite et fin page 42)<br />
1<br />
Fig. 1 – Julius Milheuser, Legia sive Leodium vulgo Liege, (détail)<br />
1649, gravure sur cuivre.<br />
(<strong>Liège</strong>, Bibliothèque Ulysse Capitaine, Fonds Dejardin)<br />
Fig. 2 – Charte de la Compagnie et Confraternité de Notre-Dame<br />
de la chapelle des Clercs, <strong>Liège</strong>, 1481<br />
(<strong>Liège</strong>, Bibliothèque Ulysse Capitaine, Ms 609)<br />
2<br />
octobre 2019<br />
17
Geoffrey Schoefs<br />
Chargé de projets - Expositions temporaires<br />
Musées de la Ville de <strong>Liège</strong><br />
geoffrey.schoefs@liege.be<br />
La Compagnie des Wagons-Lits<br />
fait escale au Grand Curtius<br />
2 1<br />
W<br />
agons-lits, Orient Express,<br />
Transsibérien, des noms qui résonnent<br />
encore comme l’âge d’or du voyage.<br />
Moins connu est cependant l’initiateur de<br />
ces trains de luxe, le Liégeois Georges<br />
Nagelmackers, entrepreneur ambitieux qui<br />
a su bouleverser les rapports au temps et<br />
aux distances. C’est cet univers, celui<br />
d’une époque où voyager était un art, qui<br />
sera prochainement mis à l’honneur dans<br />
une nouvelle section du Grand Curtius.<br />
La Compagnie internationale<br />
des Wagons-lits<br />
L’aventure de la Compagnie internationale<br />
des Wagons-lits (CIWL) est associée à un<br />
nom : Georges Nagelmackers. Issu d’une<br />
famille liégeoise qui a fait fortune dans le<br />
monde bancaire et industriel, Georges<br />
Nagelmackers se révèle naturellement<br />
doué pour les affaires. En 1867, parti pour<br />
les États-Unis afin d’oublier un chagrin<br />
d’amour, il a l’occasion de se déplacer à<br />
bord des sleeping cars inventés par<br />
George Pullman, qui a eu l’idée d’améliorer<br />
le confort des trains de nuit, en proposant<br />
d’installer des wagons-restaurants et<br />
de remplacer des banquettes par des<br />
couchettes.<br />
De retour en Europe, Georges<br />
Nagelmackers imagine le développement<br />
de ce concept sur le Vieux continent. En<br />
1870, il publie une brochure intitulée Projet<br />
d’installation de wagons-lits sur les chemins<br />
de fer du continent, dans laquelle il<br />
adapte le système de Pullman aux exigences<br />
européennes, tout en innovant<br />
par l’installation de couloirs latéraux dans<br />
les voitures. L’homme d’affaires est ambitieux,<br />
mais le défi reste de taille, car<br />
chaque pays possède sa réglementation<br />
et son matériel ferroviaire. Les transbordements<br />
et changements rendent les<br />
voyages continentaux interminables.<br />
Nagelmackers propose alors un matériel<br />
unifié, standardisé, capable de parcourir<br />
plusieurs pays, le tout dans un cadre<br />
luxueux. Le premier voyage, Paris-Vienne,<br />
a lieu en 1872, concrétisant la naissance<br />
de la Compagnie des wagons-lits, qui<br />
deviendra Compagnie internationale des<br />
wagons-lits en 1876.<br />
L’Orient Express<br />
À la fin du xix e siècle, l’orientalisme a le<br />
vent en poupe ; une ligne reliant Paris à<br />
Constantinople permettrait de multiplier<br />
les échanges économiques, commerciaux<br />
et culturels. Persévérant,<br />
Nagelmackers parvient à nouer des traités<br />
de coopération avec les compagnies ferroviaires.<br />
Le 17 mai 1883 est finalement officialisée<br />
la création du Train express d’Orient, qui<br />
prendra le nom d’Orient Express en 1891.<br />
Le 4 octobre 1883, les deux voitures-lits,<br />
une voiture-restaurant et deux fourgons à<br />
bagages qui composent le convoi quittent<br />
la gare de Strasbourg. Le voyage n’est<br />
pas direct, il s’arrête au bord de la mer<br />
Noire. Il faudra attendre le 1 er juin 1889<br />
pour que l’Orient Express circule de la<br />
Seine au Bosphore sans transbordement,<br />
ce qui réduira considérablement la durée<br />
du voyage. Il faut désormais 67 h 46 pour<br />
effectuer les 3 186 km 1 .<br />
À la fin du xix e siècle, sous l’impulsion de<br />
son directeur, la CIWL sillonne l’Europe<br />
avec son propre matériel roulant, tout en<br />
développant autour de ses trains de luxe<br />
quantité d’activités annexes : ateliers de<br />
construction ferroviaire, agences de<br />
voyages, publication de guides et périodiques,<br />
participation aux expositions universelles<br />
(Vienne, Paris, Berlin, <strong>Liège</strong>),<br />
mais aussi hôtels de luxe, dont le Pera<br />
Palace à Constantinople, l’Élysée Palace à<br />
Paris, le Royal Ardenne à Houyet en<br />
Belgique.<br />
Georges Nagelmackers s’éteint dans son<br />
château de Villepreux (Paris) le 10 juillet<br />
1905. Il sera inhumé dans le caveau familial<br />
du cimetière de la Diguette, à Angleur.<br />
Entre confort et technologie<br />
Dès sa création, la compagnie fait face à<br />
un défi de taille, celui de repenser le matériel<br />
roulant existant tout en créant une<br />
ambiance au goût des clients fortunés.<br />
L’une des innovations apportées par la<br />
CIWL est l’intercommunication des wagons,<br />
qui permet aux passagers de rejoindre<br />
la voiture restaurant et d’éviter ainsi<br />
les longs arrêts-buffet. La première voiture-restaurant<br />
est éprouvée en 1882, sur<br />
la ligne Marseille-Nice. La structure des<br />
premiers wagons est essentiellement en<br />
bois. À la fin des années 1880, le teck,<br />
bois réputé pour sa résistance, est utilisé<br />
pour l’habillage des voitures, tandis que<br />
l’électricité remplace progressivement le<br />
gaz. Les essieux ont laissé la place aux<br />
bogies, assurant un meilleur amortissement<br />
des chocs et une plus grande souplesse<br />
sur les courbes de la voie ferrée.<br />
3<br />
Fig. 1 – Modèle d’une voiture restaurant, livrée bleue<br />
Échelle 1/84<br />
Musée Grand Curtius<br />
Fig. 2 – Victor Segoffin (1867-1925)<br />
Buste de Georges Nagelmackers, début xx e siècle<br />
Marbre blanc<br />
Musée Grand Curtius<br />
Fig. 3 – Georges Nagelmackers (1845-1905)<br />
Projet d’installation de wagons-lits sur les chemins de fer du continent, <strong>Liège</strong>, H. Vaillant-Carmanne, 1870<br />
Bibliothèque Ulysse Capitaine<br />
Fig. 4 – Écusson original monogramme apposé sur les voitures n°3050 puis 4090<br />
Bronze<br />
Musée Grand Curtius<br />
En 1884, les armes de la CIWL et des grands express européens sont imposées sur les flancs de toutes les<br />
voitures de la compagnie ; elles resteront l’emblème du confort sur rail.<br />
Fig. 5 – René Lalique (1860-1945)<br />
Panneau décoratif bouquet de fleurs, 1928<br />
Musée Grand Curtius<br />
5<br />
4<br />
(Suite et fin page 42)<br />
octobre 2019<br />
18<br />
octobre 2019<br />
19
Carmen Genten<br />
Conservatrice au Musée des Beaux-Arts de <strong>Liège</strong><br />
carmen.genten@liege.be<br />
Patrick Corillon : du texte dans l’œuvre<br />
Une évocation des images intérieures de Patrick Corillon racontées à travers son installation Foijoy Sainte-Marie (1988)<br />
W Le<br />
monde de l’art a vu naître<br />
une grande diversité de procédés de<br />
création. Certains nécessitent réflexion,<br />
un geste posé, un processus mûrement<br />
réfléchi en suivant éventuellement les préceptes<br />
d’une théorie. Il y a des artistes qui<br />
peuvent s’enorgueillir d’une technique imitant<br />
à la perfection la réalité ou d’une habileté<br />
de composition qui ne laisse rien au<br />
hasard.<br />
D’autres mouvements préconisent plutôt<br />
la recherche des formes, des couleurs ou<br />
encore le désir d’exprimer immédiatement<br />
un état ressenti. Les œuvres expriment<br />
alors une grande liberté de langage plastique,<br />
une gestuelle spontanée guidée<br />
soit par le besoin urgent de se libérer<br />
d’une émotion individuelle, soit d’une volonté<br />
de se distancier complètement de la<br />
raison ou de la conscience.<br />
Ces différents courants ont en commun la<br />
primauté accordée à l’objet. Il focalise<br />
l’attention en tant qu’aboutissement final<br />
de la démarche artistique.<br />
Oublions un instant ces compréhensions<br />
traditionnelles de l’œuvre d’art qui n’ont<br />
plus à faire leurs preuves et entrons dans<br />
l’univers que s’est créé Patrick Corillon.<br />
Ses œuvres ne cherchent pas à refléter<br />
les occupations et les peurs de la société,<br />
à être le miroir de leur époque. Elles sont<br />
plutôt une forme d’échappatoire, une escapade<br />
loin de la réalité quotidienne, des<br />
bouleversements sociaux, politiques et<br />
technologiques dont nous sommes les<br />
témoins aujourd’hui. Au moyen de petites<br />
histoires qui accompagnent des objets,<br />
Corillon invite le public à projeter ses<br />
propres idées et perceptions dans ces<br />
installations. Son processus artistique<br />
tend vers une mise en retrait de l’objet, qui<br />
s’efface pour laisser champ libre à l’interprétation<br />
du spectateur. Au profit de ses<br />
créations, il va même jusqu’à taire toute<br />
référence à leur auteur : c’est en vain que<br />
l’on cherchera la signature de l’artiste. Ici,<br />
l’objet (et parfois son absence !) n’est<br />
donc plus aboutissement mais point de<br />
départ d’une incursion dans l’imaginaire.<br />
On retrouve Patrick Corillon aussi bien<br />
dans le monde de l’art plastique que de<br />
l’art du spectacle. Le fil rouge qui traverse<br />
ces deux univers est la présence primordiale<br />
du texte. La dualité de ses œuvres<br />
plastiques – objet et texte – est le résultat<br />
direct du travail pluridisciplinaire de l’artiste<br />
: les histoires doivent pouvoir s’incarner<br />
dans les installations correspondantes<br />
et l’inverse. Sans ce rapport étroit entre les<br />
deux composantes, l’œuvre n’existerait<br />
pas. Ainsi, les installations, au-delà de leur<br />
aspect a priori contemplatif, engagent surtout<br />
une participation active du spectateur,<br />
afin de créer des ponts imaginaires<br />
entre l’objet et le texte littéraire associé. Le<br />
spectateur devient donc acteur. C’est à<br />
travers cette complicité entre l’objet et le<br />
texte que Corillon cherche à faire naître<br />
des images dans l’esprit de son public ;<br />
des images synonymes d’émotions.<br />
Le thème de la fleur et du jardin traverse<br />
tout l’œuvre de Patrick Corillon. Foijoy<br />
Sainte-Marie est une création précoce de<br />
l’artiste, issue d’une dizaine d’histoires fictives,<br />
imaginées en 1988 pour l’une de<br />
ses premières expositions solo intitulée<br />
Germinations particulières, à la galerie<br />
Vega. La série est ensuite montrée au<br />
Jardin des Plantes à Nantes en 1990 et à<br />
la Tate Gallery de Londres en 1999.<br />
Corillon y exploite différents mécanismes<br />
du texte. Tout d’abord l’intégration de<br />
notes pseudo-scientifiques de botanique<br />
pour créer l’idée d’une fleur artificielle, par<br />
la forme des branches dymo et leur support<br />
de couleur verte. Ensuite, il y a le titre<br />
qui se compose, d’un côté du jeu de mots<br />
foi-joie (Foijoy) dont chacune des trois<br />
plantes dymo porte une variation grammaticale,<br />
et de l’autre côté de la particule<br />
Sainte-Marie dont le rôle est d’évoquer le<br />
côté sacré de la dénomination : dans la<br />
Bible, le premier chapitre de la Genèse<br />
raconte que Dieu nommait et la chose se<br />
créait. Ce serait donc à partir de la formulation<br />
par le langage que le monde s’est<br />
construit et c’est la connaissance du langage<br />
qui permettrait l’acte créateur.<br />
Confronté à l’œuvre, le spectateur est mis<br />
en situation d’attente de la croissance<br />
d’une graine. Mais la plante elle-même<br />
étant absente, ce sont les cartels et les<br />
histoires qui doivent exercer leur pouvoir<br />
évocateur pour aider le spectateur à créer<br />
une projection mentale de cette fleur à<br />
venir, celle que l’artiste nomme l’image inconsciente.<br />
Comme si l’attente de l’objet<br />
devenait l’œuvre à proprement parler.<br />
(Suite et fin page 43)<br />
Patrick Corillon (Knokke, 1959)<br />
Foijoy Sainte-Marie<br />
1988<br />
Installation comprenant du métal, plastique et plexiglas<br />
N° inv Sc 0696<br />
Achat par le Musée des Beaux-Arts en 2017<br />
octobre 2019<br />
20<br />
octobre 2019<br />
21
Jean-Luc Schütz<br />
Conservateur du Département d’Archéologie,<br />
Musée Grand Curtius<br />
jean-luc.schutz@liege.be<br />
Un flacon Mercure au contenu mystérieux<br />
découvert dans une sépulture romaine à Omal en 1862<br />
Ala fin du mois de juin 1862,<br />
des ouvriers qui extrayaient le sable d’une<br />
petite carrière exploitée à Omal (Geer,<br />
<strong>Liège</strong>) ont découvert fortuitement, à un ou<br />
deux mètres de profondeur, le mobilier<br />
funéraire d’une riche sépulture galloromaine<br />
située à proximité de l’antique<br />
voie romaine Bavay-Tongres. La tombe,<br />
implantée à une centaine de mètres au<br />
sud des quatre tombes alignées d’Omal<br />
(1), était approximativement orientée nordsud,<br />
comme ces dernières. Peut-être<br />
était-elle à l’origine recouverte d’un tertre<br />
comme l’incite à penser un certain<br />
renflement du sol.<br />
Les objets qui se trouvaient dans une<br />
fosse étaient rangés sur deux lignes assez<br />
espacées. D’un côté se trouvaient des<br />
poteries ; de l’autre figuraient les récipients<br />
en alliage cuivreux. Au fond de la tombe,<br />
un bassin de toilette en alliage cuivreux<br />
reposait sur une légère couche de<br />
cendres et de résidus de charbon. Il<br />
contenait des fragments de vases de couleur<br />
grise, en terre cuite fine. L’étude du<br />
mobilier funéraire place cette sépulture<br />
dans le courant du iii e siècle après J.-C.<br />
Parmi les objets exhumés se trouve un<br />
flacon Mercure à long goulot conique et à<br />
panse carrée allongée, en verre épais, qui<br />
porte sur le fond l’inscription GF / HI aux<br />
lettres disposées dans les angles (2). La<br />
signification de cette marque nous est<br />
inconnue. Elle pourrait désigner l’artisan<br />
verrier qui a soufflé ce verre ou le négociant<br />
du produit conservé dans le flacon.<br />
La marque encadre un personnage central<br />
en relief qui pourrait être Mercure, le<br />
dieu du commerce qui a donné son nom<br />
à ce type particulier de bouteille.<br />
Fait exceptionnellement rare, la bouteille<br />
contient encore une grande partie de son<br />
contenu d’origine, une matière grasse et<br />
collante de couleur brun orangé. L’analyse<br />
physico-chimique d’un prélèvement<br />
d’échantillons a permis de déterminer les<br />
diverses composantes de ce produit précieux<br />
: un huile particulière.<br />
2<br />
Fig. 1 – Les tumulus alignés d’Omal. Vue prise en 1902.<br />
1<br />
Fig. 2 – Fond du flacon Mercure orné d’un personnage en relief et de la marque GF/HI, collections de l'IAL,<br />
Grand Curtius.<br />
J.-L. Schütz, S. Saverwyns et L. Decq, Le tumulus n° 6 d'Omal ? (Province de <strong>Liège</strong>), dans BIAL, CXXIV (à paraître)<br />
octobre 2019<br />
22<br />
octobre 2019<br />
23
Des acquisitions enrichissantes<br />
pour la collection de verres<br />
Au cours des années 2017 et<br />
2018, nous avons eu la chance d’acquérir<br />
de nombreuses pièces de grande qualité<br />
et illustrant surtout la période Art nouveau<br />
des Cristalleries du Val Saint-Lambert,<br />
peu présentes dans notre collection. Il<br />
s’agit d’œuvres témoignant de la créativité<br />
sans borne des designers, de la maîtrise<br />
de techniques les plus diverses et de la<br />
nouvelle palette de couleurs mise au point<br />
à cette époque au Val.<br />
En guise de hors d’œuvre à l’ouverture<br />
d’une nouvelle section verrière au Grand<br />
Curtius consacrée au Val Saint-Lambert<br />
(de 1826 à nos jours), nous vous<br />
présentons ici trois modèles de vases -<br />
signés « Val St-Lambert » - seulement<br />
connus des collectionneurs ou des<br />
passionnés.<br />
Le vase en cristal vert d’eau fait partie<br />
d’une rare série de quelques modèles qui<br />
ont été conçus dans cette couleur - forme<br />
et décor - par Léon Ledru, le designer le<br />
plus connu du Val, directeur du service<br />
des créations de 1897 à 1926. Des<br />
motifs de fleurs sont gravés à l’acide sur<br />
un fond dépoli ou comme ici, sur un fond<br />
vermiculé (1).<br />
Autre pièce emblématique de l’Art<br />
nouveau, le vase Séville en cristal dépoli,<br />
doublé violet-évêque pour le décor<br />
d’orchidées, aux feuilles curvilignes « en<br />
coup de fouet » chères à Léon Ledru,<br />
créateur du modèle et des motifs (2).<br />
Le modèle de vase Viennois en cristal<br />
urane et rose est un bel exemple de la<br />
gamme de pièces dénommée « Fluoval »,<br />
alliant la taille à la fluogravure pour le décor.<br />
Réalisés durant la période Art déco, ils<br />
sont toujours bien ancrés dans l’Art<br />
nouveau par les motifs naturalistes<br />
représentés. Le décor en réserve gravé à<br />
l’acide représente sur la face principale le<br />
château de Chillon et à l’opposé, un voilier<br />
voguant sur le lac Léman dans un paysage<br />
montagneux (3). Lucien Petignot (1874-<br />
1936) a exécuté ce vase entre 1920 et<br />
1926 dans l’atelier dirigé par Modeste<br />
Denoël. Il a appris la technique de la<br />
fluogravure (association de l’émaillage à la<br />
gravure à l’acide) au contact des Frères<br />
Muller venus au Val réaliser quelques 500<br />
pièces entre 1905 et 1908.<br />
Nul doute que les 80 œuvres acquises<br />
(Art nouveau - Art déco - Années 70 à<br />
2000) feront de la collection du Grand<br />
Curtius le plus grand ensemble de l’art<br />
verrier consacré aux célèbres cristalleries<br />
du Val Saint-Lambert au niveau européen<br />
et international.<br />
Jean-Paul Philippart<br />
Conservateur du Département du Verre,<br />
Musée Grand Curtius<br />
jean-paul.philippart@liege.be<br />
Fig. 1 – Vase AA<br />
Léon Ledru (1855-1926), Val Saint-Lambert, 1897-1905<br />
H 33 cm<br />
GC.VER.08a.2017.014063<br />
Fig. 2 – Vase Viennois<br />
Éxécuté par Lucien Petignot (1874-1936), Val Saint-<br />
Lambert, 1922-1926<br />
H 25,3 - Ø max. panse 12 cm<br />
GC.VER.08a.2017.014065<br />
Fig. 3 – Vase Séville<br />
Léon Ledru (1855-1926), Val Saint-Lambert, 1897-1905<br />
H 21,3 - Ø max. panse 13,8 cm<br />
GC.VER.08a.2018.014831 (2018/1)<br />
1 2 3<br />
octobre 2019<br />
24<br />
octobre 2019<br />
25
Marthe Wéry, variations musicales<br />
et méthodiques sur le monochrome<br />
Au sein des collections du<br />
Musée des Beaux-Arts de <strong>Liège</strong>,<br />
l’abstraction en peinture, ses langages et<br />
ses figures majeures durant tout le xx e<br />
siècle, occupent une place significative.<br />
De Kasimir Malevitch à Jean Gorin, de<br />
Jean Arp à Victor Vasarely, de Robert et<br />
Sonia Delaunay à Bram Van Velde ou<br />
Olivier Debré, l’histoire de l’art abstrait s’y<br />
déploie dans ses multiples orientations.<br />
Les artistes belges n’en sont évidemment<br />
pas absents, Joseph Lacasse, Pol Bury,<br />
Jo Delahaut, Georges Collignon, Léon<br />
Wuidar, José Picon, ou encore Dan Van<br />
Severen.<br />
Marthe Wéry (Etterbeek, 1930 – Bruxelles,<br />
2005) est l’une des artistes essentielles<br />
dans cette histoire de l’abstraction en<br />
Belgique. La reconnaissance de Marthe<br />
Wéry s’est très rapidement marquée<br />
également sur la scène internationale, au<br />
cours des années 1970-80. Elle était<br />
présente à la Documenta VI de Cassel, en<br />
1977, puis occupa le Pavillon belge à la<br />
Biennale de Venise en 1982. Montréal<br />
1984, ensemble de sept peintures à<br />
l’acrylique sur toile, acquis directement<br />
par le Musée des Beaux-Arts de <strong>Liège</strong><br />
auprès de la famille de l’artiste en 2018, a<br />
été préalablement exposé au Musée d’Art<br />
contemporain de Montréal, en 1984, ainsi<br />
qu’à la Biennale de Sao Paulo, en 1985.<br />
Les recherches de couleurs, les<br />
agencements de formats, la question des<br />
supports dans la peinture, sont dès les<br />
années 1980 une préoccupation<br />
fondamentale du travail de Marthe Wéry,<br />
dont la formation fut marquée par<br />
l’abstraction hollandaise des années<br />
1920-30, et par le constructivisme russe.<br />
Montréal 84 est donc un polyptyque, qui<br />
constitue une variation relationnelle et<br />
quasi musicale sur le thème du<br />
monochrome. L’œuvre se compose de<br />
sept peintures juxtaposées et non<br />
encadrées, six de couleur bleue, aux<br />
nuances à chaque fois différentes, et une<br />
seule blanche. La largeur de chaque<br />
peinture est étroite (entre 15 et 30 cm), et<br />
les hauteurs, si elles ne sont pas<br />
identiques, répondent à un schéma<br />
presque arithmétique : deux de petit<br />
format (20 cm), quatre de moyen format<br />
(80 cm), et une dernière dont la hauteur<br />
atteint 200 cm, soit dix fois celle du petit<br />
format.<br />
Couleur, support, architecture<br />
Au départ d’un monochrome dont elle<br />
choisit la dominante (rouge, bleue, jaune,<br />
verte…) et qu’elle crée elle-même à base<br />
de pigments, Marthe Wéry superpose les<br />
couches de peinture les unes après les<br />
autres, dans un rapport très physique à<br />
l’œuvre en voie de concrétisation : elle<br />
brosse, racle, reprend… et réalise ainsi<br />
des œuvres picturales dans une<br />
perspective sérielle. Ce principe des<br />
séries, sur des variations et répétitions de<br />
couleurs, jamais identiques, ainsi que la<br />
disposition du travail réalisé en incluant sa<br />
dimension et sa perception spatiales, sont<br />
des constantes chez l’artiste. Elle inscrit<br />
son travail dans une réflexion sur le sens<br />
de l’œuvre d’art à son époque, en liaison<br />
avec l’histoire de l’art qui l’a précédée. Elle<br />
porte une attention permanente au<br />
support (papier, bois, toile, contreplaqué,<br />
MDF, feuille d’aluminium…), ainsi qu’à la<br />
mise en place de l’œuvre, dans un lieu<br />
architectural qu’elle a choisi ou qui lui est<br />
octobre 2019<br />
26<br />
Alain Delaunois<br />
Attaché scientifique – Musées de <strong>Liège</strong><br />
La Boverie – Beaux-Arts – Grand Curtius<br />
alain.delaunois@liege.be<br />
imposé, au gré des circonstances. Le<br />
hasard (du lieu, de la lumière, du sol, de la<br />
hauteur des murs…) contribue donc à<br />
façonner la manière de regarder l’œuvre<br />
ainsi soigneusement disposée, dans une<br />
pureté formelle qui laisse néanmoins une<br />
large place à l’imprévisible.<br />
Cette série d’œuvres dont fait partie<br />
Montréal 84, Marthe Wéry la désigne<br />
comme des « installations/compositions ».<br />
En questionnement sur la disposition de<br />
l’œuvre dans l’espace, l’artiste a en effet<br />
imaginé un schéma d’installation initial, qui<br />
prévoit cependant de pouvoir modifier la<br />
place de chacun des sept éléments, en<br />
fonction de l’architecture du lieu. Ce type<br />
d’accrochage variable, où intervient un<br />
autre acteur que l’artiste, démontre le<br />
souhait de Marthe Wéry de laisser vivre<br />
l’œuvre réalisée dans une forme d’altérité,<br />
et surtout, de ne jamais en figer la<br />
perception. Il n’y a pas chez Marthe Wéry<br />
la volonté d’un aboutissement de l’œuvre,<br />
définitivement clos. Jusqu’à son décès,<br />
elle restera fidèle à ce qu’elle déclarait déjà<br />
en 1972 : « Il n’y a pas à parfaire mais<br />
toujours à compléter et à poursuivre »<br />
(Marthe Wéry, Penser en peinture (1968-<br />
2000). Ed. Ludion/Cera Foundation,<br />
Gand, 2001, p.8). Sans s’y référer<br />
explicitement, elle nous renvoie à<br />
l’affirmation sensible (et pas seulement<br />
provocatrice) de Marcel Duchamp, selon<br />
laquelle « c’est le regardeur qui fait le<br />
tableau ».<br />
(Suite et fin page 43)<br />
Marthe Wéry, Montréal 84, installation-composition en sept panneaux, 1984<br />
BA.AMC.05b.2018.005328<br />
octobre 2019<br />
27<br />
détail
Maurice Lorenzi<br />
Président de la Chambre provinciale de la CRMSF<br />
mlorenzi@uliege.be<br />
Un ascenseur à l’hôtel d’Ansembourg ?<br />
Monument classé le 17<br />
des<br />
septembre 1941 ; inscrit sur la liste du<br />
Patrimoine exceptionnel de Wallonie en<br />
1993.<br />
Construit de 1738 à 1741 pour le<br />
marchand et banquier liégeois Michel<br />
Willems à l’emplacement d’une ancienne<br />
maison canoniale, l’hôtel est acheté par la<br />
Ville de <strong>Liège</strong> le 12 février 1903 afin de le<br />
reconvertir en Musée des Arts décoratifs 1 .<br />
Il a, depuis, vécu et vieilli, et réclame<br />
aujourd’hui des soins urgents.<br />
Des intentions naissent, des propositions<br />
graphiques apparaissent (1)<br />
La création d’un ascenseur<br />
est-elle opportune ?<br />
Après la restauration de ce bien que nous<br />
espérons tous avec impatience, le visiteur<br />
découvrira l’hôtel comme un invité le<br />
découvrait au xviii e siècle : entrée<br />
somptueuse, lumineuse, richement<br />
ornementée, faite pour impressionner et<br />
annoncer d’emblée le statut social de<br />
l’hôte ; vastes et opulents salons de<br />
réception, le tout au rez-de-chaussée.<br />
Aujourd’hui, cependant, le visiteur<br />
découvrira aussi la cuisine, ce qui n’était<br />
probablement pas le cas au xviii e siècle.<br />
Parmi ces espaces de réception, un petit<br />
salon adossé au pignon Est, garni d’une<br />
cheminée, facile à chauffer par ses<br />
dimensions réduites (2), rappelle que ces<br />
hôtels particuliers étaient des résidences<br />
d’hiver. Elles permettaient par ailleurs, en<br />
toute saison, d’être proche des affaires et<br />
de la vie politique et mondaine. De tels<br />
petits salons sont visibles, par exemple au<br />
rez-de-chaussée de l’hôtel de Grady, n° 5<br />
en Hors-Château (l’annexe de l’École<br />
d’hôtellerie).<br />
Le même petit espace, doté des mêmes<br />
caractéristiques, se retrouve au premier<br />
étage, au-dessus de celui dont il vient<br />
d’être question. On peut cependant<br />
supposer que le salon de l’étage était<br />
réservé aux maîtres de maison et à leurs<br />
intimes, puisque nous sommes ici plus<br />
avant dans le caractère privé des lieux.<br />
Il serait inimaginable que l’adjonction d’un<br />
ascenseur avec accès au monument par<br />
le pignon Est ait pour effet la destruction<br />
des cheminées de ces deux petits salons,<br />
et la transformation de leur fonction<br />
première en espaces de circulation ; cela<br />
serait en totale contradiction avec la<br />
distribution d’origine, et fausserait sa<br />
lecture par le visiteur d’aujourd’hui.<br />
Par ailleurs, cela aurait aussi comme<br />
conséquence une forme de discrimination<br />
à l’égard des personnes à mobilité réduite,<br />
puisque les utilisateurs éventuels de cet<br />
ascenseur seraient obligés de vivre la<br />
découverte de l’hôtel particulier en<br />
commençant pratiquement la visite à<br />
l’envers, en passant d’un petit salon intime<br />
au grand salon de réception, pour aboutir<br />
enfin au vaste vestibule, qui, en toute<br />
logique, est l’espace d’accueil des<br />
visiteurs, le tout premier volume que ces<br />
derniers sont supposés découvrir.<br />
Enfin, si ascenseur il y avait, pourquoi<br />
s’arrêterait-il au premier étage, pourquoi<br />
permettrait-il la déambulation dans les<br />
seuls espaces jadis fréquentés par l’élite<br />
de la maison et ses invités ? Quid alors<br />
étages supérieurs, notamment<br />
réservés au logement de la domesticité et<br />
des enfants des maîtres (du moins jusqu’à<br />
l’âge dit de raison) ? Tout ce peuple faisait<br />
partie de la maisonnée et en permettait le<br />
fonctionnement harmonieux. Devrait-on<br />
dès lors interpréter la circulation verticale<br />
telle qu’envisagée comme une autre<br />
forme de discrimination, cette fois sociale<br />
ou socio-historique ? Gardons en mémoire<br />
que les laquais ont parfois porté des gilets<br />
jaunes, … il est vrai souvent rayés de noir !<br />
Jusqu’où peut-on aller en matière<br />
d’intervention plus ou moins invasive, plus<br />
ou moins destructrice, plus ou moins<br />
intégrée, afin de ne pas dénaturer le bien<br />
et de ne pas hypothéquer la justification<br />
de sa protection comme monument<br />
historique, et, par voie de conséquence,<br />
la justification des aides financières<br />
découlant de son statut particulier ? Seuls<br />
le courage, la modestie, les compétences<br />
et la solidarité, orchestrés par le Comité<br />
d’accompagnement dans le cadre fixé par<br />
la procédure de certificat de patrimoine<br />
peuvent garantir une intervention qui<br />
respecte au mieux à la fois l’authenticité<br />
du bien et son adaptation à un programme<br />
destiné à assurer sa pérennité.<br />
Plus explicitement, seule la qualité du<br />
dialogue entre les différents intervenants,<br />
organisée très tôt en amont de la réflexion<br />
et de l’intervention, permet de réduire<br />
au mieux les malentendus, et<br />
conséquemment le risque de se tromper.<br />
(Suite et fin page 43)<br />
1<br />
Fig. 1 – Esquisse d’un projet avec un volume « technique » intégrant<br />
notamment un ascenseur / Cabinet d’architecture phd.<br />
Fig. 2 – Cheminée du salon de l'angle Nord-Est © Maurice Lorenzi<br />
2<br />
octobre 2019<br />
28<br />
octobre 2019<br />
29
Rouges, les briques des façades<br />
de l’hôtel de Hayme de Bomal ?<br />
L’hôtel de Hayme de Bomal<br />
(ancien musée d’armes), construit vers<br />
1775 pour Jean-Baptiste de Hayme de<br />
Bomal, attribué par Marc Bouchat à<br />
l’architecte Barthélemy Digneffe 1 (1724-<br />
1784) a la particularité d’être un unicum<br />
dans la typologie des hôtels de maître à<br />
<strong>Liège</strong>. Il est à la fois construit avec un bel<br />
étage, piano nobile, et sur le modèle des<br />
hôtels français entre cour et jardin (idée<br />
émise par Philippe Stiennon). Pour le plan<br />
et les ornements tant extérieurs<br />
qu’intérieurs, l’architecte trouve ses<br />
modèles chez Jean-François de<br />
Neufforge, dans son « Recueil élémentaire<br />
d’architecture… » (1757-1772) ainsi que<br />
chez Jacques-François Blondel ou Jean-<br />
Charles Delafosse.<br />
Ses façades sont de trois types. La<br />
façade à rue (Feronstrée), la plus sobre,<br />
présente un enduit épais, qui fait<br />
complètement disparaitre la brique. Cette<br />
simplification d’une façade renvoie déjà à<br />
Jean-Nicolas Durand. Les façades de la<br />
cour, plus travaillées avec des parties<br />
laissées vides d’ornements, et où la<br />
modernité est marquée par l’accentuation<br />
de la verticalité, sont également enduites<br />
et badigeonnées de blanc. La façade du<br />
quai, façade « côté jardin », très ornée<br />
avec un décor composé de pilastres sur<br />
toute la hauteur au-dessus du bossage<br />
du rez-de-chaussée, est un bel exemple<br />
d’ordre colossal. Les pilastres surmontés<br />
suivant certains modèles de Neufforge, de<br />
« chapiteaux » composés de triglyphes et<br />
d’une rosace sont caractéristiques de ce<br />
remplacement du vocabulaire des<br />
chapiteaux à l’antique par des éléments<br />
de décors agrandis et propres au « Goût à<br />
la grecque » 2 qui nait vers 1750. Le<br />
rejointoiement des rares briques de la<br />
façade avec des joints en creux semble<br />
être un travail du xix e siècle voire du xx e<br />
siècle.<br />
En 1778, Jean-Baptiste de Hayme se fait<br />
construire un château à Fraiture, encore<br />
plus caractéristique de ce goût à la<br />
grecque, qui était peint en blanc avant sa<br />
destruction.<br />
La couleur, les badigeons, voire les<br />
enduits appliqués sur les briques (du<br />
rouge aux blancs) ont non seulement une<br />
valeur esthétique mais un rôle de<br />
protection des briques. Le « porjetage »<br />
avec ses joints beurrés permettait<br />
« d’obtenir une surface relativement lisse<br />
et surtout de boucher en surface les trous<br />
et crevasses ». 3<br />
Rouge. Jusqu’au milieu du xviii e , la brique<br />
badigeonnée de rouge en alternance avec<br />
la pierre calcaire, donne sa couleur rouge<br />
ou orange aux bâtiments de la vallée<br />
mosane. Son chromatisme est donc<br />
utilisé dans la composition des façades.<br />
Philippe de Hurge de passage à <strong>Liège</strong> en<br />
1630 décrit ainsi le « Palais Curtius » : « le<br />
grand pavillon carré auquel le pagador<br />
tient son cartier …sa baze est de meme<br />
pierre et de briques avec quelques pierres<br />
blanches entremelées ». 4 En 1751, les<br />
rapports de la cité rapportent pour l’hôtel<br />
de ville de <strong>Liège</strong> « …qu’il soit fait épreuve<br />
de couleur sur quelque pan de muraille de<br />
l’hôtel de ville (1714-1719) en couleur<br />
rouge. »<br />
Paul-C. Hautecler<br />
Architecte, professeur à la faculté d’architecture<br />
de l’Université de <strong>Liège</strong> (U<strong>Liège</strong>)<br />
pc.hautecler@uliege.be<br />
Blanc ou jaune. Jean Puraye écrit dans<br />
son étude du château de Seraing, que en<br />
1772, à la mort de Jean-Théodore de<br />
Bavière, lors de l’état des lieux réalisé en<br />
présence de Barthélemy Digneffe et de<br />
Jacques Barthélemy Renooz, les murs<br />
sont constitués de briques rouges et les<br />
encadrements de fenêtre de pierre de<br />
taille. C’est dans un article publicitaire<br />
publié en 1785, qu’un marchand de<br />
couleurs de la place Saint-Barthélemy<br />
avertit sa clientèle que depuis que le<br />
château de Seraing a été peint en jaune, il<br />
ne peut plus fournir cette couleur tellement<br />
la demande est importante. En 1785<br />
donc, le château de Seraing est peint en<br />
jaune Nankin, couleur tirant vers le<br />
chamois. À en croire Pierre Colman, voilà<br />
la date de la fin du règne du rouge.<br />
Pourtant, des bâtiments présentant des<br />
colorations variant de l’ocre jaune, au<br />
jaune et au blanc semblent nombreux,<br />
avant cela à partir de 1760.<br />
Dans la seconde moitié du xviii e siècle, la<br />
couleur naturelle de la brique ou les<br />
badigeons rouges ne sont plus utilisés<br />
comme matériau de parement ou de<br />
finition. La question qui se pose est : à<br />
partir de quelle date ? En France et à<br />
Versailles en particulier, la polychromie<br />
brique et pierre est passée de mode dès<br />
le milieu du xvii e siècle et est remplacée<br />
par des badigeons ocre-jaune imitant le<br />
ton pierre. 5 En 1776, dans une réédition<br />
de son livre de 1773, sur « l’Art du peintre,<br />
doreur, vernisseur… » Wattin 6 écrit : Le<br />
badigeon est la couleur dont on se sert<br />
pour embellir les maisons au-dehors<br />
lorsqu’elles sont vieilles, ou les églises<br />
... (Suite et fin page 44)<br />
1<br />
Fig. 1 – Façade « côté jardin » de l’hôtel de Hayme de Bomal au quai de Maestricht à<br />
<strong>Liège</strong> prise le 17 février 2019.<br />
Fig. 2 – Détail d’un mur intérieur autrefois extérieur découvert lors du décapage des<br />
enduits intérieurs à l’Hôtel de Clercx (1767), rue Saint-Paul à <strong>Liège</strong>.<br />
2<br />
octobre 2019<br />
30<br />
octobre 2019<br />
31
« TAMPONS DE REGARD » :<br />
Histoire d’égouts à <strong>Liège</strong><br />
Lorsque Pierre Alechinsky<br />
rencontre Christian Dotremont, en 1949,<br />
ce dernier vient d’organiser la deuxième<br />
exposition du groupe CoBrA au Palais des<br />
Beaux-Arts de <strong>Liège</strong> 1 . L’adhésion au<br />
groupe CoBrA et cette rencontre marquent<br />
un tournant décisif pour l’artiste bruxellois<br />
Pierre Alechinsky. Contraire à tout carcan<br />
et au formalisme, l’œuvre d’Alechinsky se<br />
transforme alors considérablement.<br />
« CoBrA, c’est la spontanéité, une<br />
opposition totale aux calculs de<br />
l’abstraction froide, aux spéculations<br />
misérabilistiques ou "optimistiques" du<br />
réalisme », écrit-il (dans ses Souvenotes,<br />
ouvrage publié en 1977) 2 . En 1955,<br />
Alechinsky voyage à Tokyo et à Kyoto, à<br />
l’époque où il tourne un court-métrage<br />
d’une dizaine de minutes intitulé<br />
Calligraphie Japonaise.<br />
Bien souvent, la production de l’artiste est<br />
sommairement résumée à ses encres<br />
influencées par la calligraphie japonaise<br />
ou ses peintures entourées de prédelles.<br />
Mais Pierre Alechinsky, c’est avant tout<br />
l’invention d’un nouveau langage formel.<br />
À partir de motifs existants, il transforme et<br />
réutilise pour mieux créer… Curieux et<br />
avide de produire un langage de formes<br />
inédit, Alechinsky commence à<br />
s’intéresser à l’équipement urbain, invisible<br />
aux yeux de beaucoup : les taques et<br />
grilles d’égouts. Par le procédé de<br />
l’estampage, l’artiste transfère ces<br />
souvenirs de plusieurs villes de passage<br />
pour créer ceux qu’il qualifie de « tampons<br />
de regard » 3 .<br />
L’estampage, « ainsi font les chinois » 4<br />
Inspirée directement des techniques<br />
artistiques chinoises, l’estampage est un<br />
procédé rapide qu’Alechinsky exécute à<br />
même le sol, à partir de taques d’égouts<br />
mais aussi de fragments de ferronnerie,<br />
de bois flotté, de fragments de porcelaine,<br />
de cloches, etc. À l’aide d’une brosse<br />
dure plongée dans l’encre de Chine, il<br />
exécute des empreintes par frottis en<br />
déposant son grand papier sur le support.<br />
En brossant rapidement, la surface laisse<br />
alors apparaitre un décalquage en négatif.<br />
La première fois qu’il estampille, l’artiste se<br />
concentre sur un tour d’arbre : « J’ai voulu<br />
garder le souvenir d’un banc de la fin du<br />
siècle dernier, fait de huit cercles<br />
concentriques (…) qui trainait dans la cour<br />
d’une maison amie. (…) Progressivement<br />
au rythme du va-et-vient latéral de ma<br />
brosse imbibée, les huit cercles<br />
réapparurent, captés dans leur texture,<br />
avec d’insoupçonnables détails et<br />
aspérités. » 5 Son goût pour le relief,<br />
emmené par son ambition de « sauver le<br />
rien » 6 ainsi que sa recherche obnubilante<br />
de modèles circulaires l’amènent à<br />
prélever, dès 1983, ces modestes détails<br />
du paysage urbain que sont les plaques<br />
d’égouts (que l’Administration appelle<br />
« Pièces de mobilier urbain ».<br />
Pris dans des situations parfois cocasses,<br />
Alechinsky se dépêche d’estampiller<br />
avant que la ville ne se réveille... Égouts<br />
de New York, d’Arles, de Rome, de Pékin<br />
mais aussi de Bruxelles et de <strong>Liège</strong> sont<br />
autant de points de départ aux « tampons<br />
de regard ». Sur l’encre intitulée Égout (cicontre),<br />
conservée dans les collections du<br />
Fanny Moens<br />
Collaboratrice scientifique<br />
Musée des Beaux-Arts de <strong>Liège</strong><br />
fanny.moens@liege.be<br />
Musée des Beaux-Arts de <strong>Liège</strong>, les<br />
fragments de l’empreinte d’une taque<br />
liégeoise s’intègrent parfaitement au reste<br />
d’une composition figurative. Chaque fois,<br />
l’estampillage est intégré à la souplesse<br />
de son geste, dans une prolifération de<br />
formes nouvelles.<br />
Parfois, c’est la taque circulaire entière qui<br />
rythme la composition (appelée aussi<br />
« couvercles de trou d’homme » 7 ). Qu’elle<br />
soit empreinte des égouts ou dessinée à<br />
main levée, la forme circulaire régit les<br />
compositions d’Alechinsky. Cette<br />
omniprésence, fortement influencée de la<br />
culture orientale, peut être une référence<br />
au enso – invitation à la méditation dans la<br />
calligraphie japonaise, au mandala ou<br />
même aux astres 8 .<br />
Ces estampages sont tous régis par la<br />
même notion de « souvenir » que l’artiste<br />
choisit de figer sur le papier, alors que ces<br />
détails de notre quotidien urbain sont<br />
voués à disparaitre. En effet, lors de sa<br />
visite à la fonderie de Pont-à-Mousson<br />
(anciennement leader mondial de la<br />
sidérurgie et fabricant de taques d’égout<br />
pour toute la France), l’artiste, venu avec<br />
l’idée d’emprunter des tampons de regard,<br />
se rend compte que rien ne se perd, la<br />
fonte retourne toujours au feu…<br />
Ces estampages, fragments du souvenir<br />
d’une époque ou d’une escapade,<br />
prennent alors tout leur sens, devenant<br />
ainsi des témoins éternels du passé.<br />
(Suite et fin page 44-45)<br />
1 2<br />
Fig. 1 - Pierre Alechinsky, Égout, encre sur papier de Chine, 95 x 63,5 cm, 1984,<br />
Musée des Beaux-Arts de <strong>Liège</strong> © Ville de <strong>Liège</strong>.<br />
BA.AMC.23a.2000.000772<br />
Fig. 2 - Pierre Alechinsky, Fondeur, encre et acrylique sur papier marouflé sur toile,<br />
100 x 68 cm, 1984, collection de l’artiste © Fabrice Guibert.<br />
octobre 2019<br />
32<br />
octobre 2019<br />
33
La carabine de chasse Heeren<br />
Bloc à mouvement vertical<br />
L a popularité de cette carabine<br />
à bloc tombant, dont le système a été<br />
breveté par Christiano Arturo Juan Antonio<br />
Heeren y Massa en 1881 (brevet n°<br />
239.496 du 29 mars 1881), est due<br />
autant à son design compact qu’à sa<br />
capacité à supporter des munitions plus<br />
puissantes que les autres systèmes à<br />
culasse tombante de l’époque.<br />
Heeren est avant tout un ingénieur. Aussi,<br />
c’est le très réputé armurier prussien<br />
Nagel & Menz, fournisseur de la cour<br />
impériale austro-hongroise, installé à<br />
Baden-Baden ainsi qu’à Strasbourg, qui<br />
va fabriquer le premier « Pursch-bűschen<br />
blocksystem Graf Heeren », en 1881.<br />
De nombreuses commandes vont suivre.<br />
Une liste de clients prestigieux tels que le<br />
Kaiser Guillaume II, le Roi d’Espagne<br />
Alphonse XIII ou encore le Comte<br />
Zeppelin-Aschhausen vont acquérir cette<br />
arme si singulière aux caractéristiques<br />
mécaniques propres, spécifiques.<br />
Le catalogue de 1930 du Musée d’Armes<br />
de <strong>Liège</strong> décrit la carabine en ces termes :<br />
« Carabine syst. HEEREN, cal. 300 (7,62<br />
mm), 4 ray. concent. ; clé-pontet articulée<br />
portant le mécanisme à chien intérieur<br />
armé à l’ouverture ; canon avec platebande<br />
guilloché ; hausse à cran fixe et<br />
lamelle mobile ; petit lorgnon à charnière<br />
monté sur la queue de culasse ; monture<br />
long fût ; crosse pistolet à joue. Fab. all. et<br />
liég. 1880 ».<br />
Outre l’erratum qu’il y a lieu d’apporter au<br />
calibre de l’arme (le .303 British au lieu du<br />
.300), il convient de développer cette<br />
description technique afin de bien<br />
percevoir l’ingéniosité de l’inventeur.<br />
Le système Heeren est unique dans la<br />
mesure où sa platine, combinée au levier<br />
de commande, possède trois positions :<br />
sécurité, armement à départ direct et<br />
stecher. Autre particularité, l’abaissement<br />
du bloc-culasse est mû en faisant tomber<br />
par l’avant la clé-pontet articulée, ce qui<br />
est le contraire de la plupart des autres<br />
blocs à mouvement vertical, dont<br />
l’ouverture s’effectue par l’arrière du blocculasse.<br />
Le chien, armé pendant la course<br />
d’ouverture, peut cependant être désarmé<br />
et réarmé à volonté en retenant la queue<br />
de détente.<br />
Il en résulte une carabine compacte,<br />
étonnamment sûre et simple d’usage, qui<br />
fut toutefois améliorée plus tard par<br />
Wuthrich-Heeren, qui en renforça<br />
l’extraction.<br />
L’exemplaire présenté ici a, lui, bien été<br />
produit par Nagel & Menz, mais a<br />
cependant été fini par Jules Bury à <strong>Liège</strong>,<br />
tout en présentant curieusement une<br />
épreuve allemande.<br />
Le canon porte une bande de visée sortie<br />
hors masse, ainsi qu’une hausse à feuillet<br />
et un guidon engagé longitudinalement<br />
dans la rampe porte-guidon. Un œilleton<br />
encastré dans la queue de bascule vient<br />
compléter les aides à la visée.<br />
Le boîtier ainsi que toutes les garnitures<br />
sont dans une livrée très épurée, polie et<br />
jaspée. La crosse, réalisée dans un beau<br />
noyer blond, possède une calotte en<br />
corne de buffle noire. Finement quadrillée<br />
Adrien Marnat<br />
Conservateur du Musée d'Armes,<br />
Musée Grand Curtius<br />
adrien.marnat@liege.be<br />
et dotée d’une poignée pistolet avec un<br />
busc droit et une joue anglaise, elle se<br />
termine par un talon en acier fini en trempe<br />
jaspée.<br />
Le fût long est assuré par une clavette à<br />
tiroir, dont le quadrillage en épouse les<br />
contours, de même que par la vis<br />
transverse de l’étrier de grenadière. Il se<br />
termine par une capucine en corne de<br />
buffle noire.<br />
La moitié supérieure de la monture est<br />
dotée d’un plat, permettant un tir appuyé<br />
précis.<br />
La carabine à bloc tombant, et<br />
particulièrement le système Heeren,<br />
constitue la carabine pour la chasse à<br />
l’approche par excellence.<br />
Légère et peu encombrante,particulièrement<br />
maniable, elle conserve<br />
néanmoins, grâce à son boîtier très court,<br />
une longueur de canon suffisamment<br />
importante pour réaliser des tirs lointains<br />
d’une grande précision.<br />
Nombre de boîtiers Heeren ont été<br />
fabriqués dans des pays où la chasse à<br />
l’approche en montagne est très<br />
pratiquée.<br />
Ainsi, les productions de Furtschegger et<br />
Outschar, de Ferlach (Autriche), Hartmann<br />
& Weiss, de Hambourg (Allemagne),<br />
W. Glaser, de Zurich (Suisse) et<br />
W. Wuthrich, de Lützelflüh (Suisse), sont<br />
les plus courantes.<br />
Cette particularité géographique de<br />
production accentue encore la rareté de<br />
cette réalisation liégeoise par Jules Bury,<br />
dont on ne connaît, à ce jour, que cet<br />
exemplaire.<br />
Brevet n° 239.496 du 29 mars 1881.<br />
Carabine « Fallblockstutzen » système Heeren<br />
Armurier : Nagel & Menz, Baden-Baden (Allemagne) ; Jules Bury, <strong>Liège</strong> (Belgique)<br />
Fabrication : 1880<br />
Calibre : .303 British<br />
Longueur totale : 99 cm<br />
Longueur canon : 62 cm<br />
Historique : achat Jules Bury (1913)<br />
GC.ARM.12a.1913.38693<br />
octobre 2019<br />
34<br />
octobre 2019<br />
35
Bernard Wodon<br />
Maître de conférence U<strong>Liège</strong><br />
bernard.wodon@gmail.com<br />
Les rampes de l'escalier d'honneur<br />
des musées d'Ansembourg et Curtius<br />
L e Grand Curtius et l’hôtel<br />
d’Ansembourg s’enorgueillissent chacun<br />
d’une rampe d‘escalier en fer forgé de<br />
style rococo, la seconde renouant avec le<br />
style Louis XIV dans ses pilastres. Ces<br />
deux œuvres de qualité réalisées par des<br />
serruriers (le terme « ferronnier » englobant,<br />
à partir du xx e siècle, toutes les<br />
productions en fer) méritaient chacune<br />
une notice analytique.<br />
La rampe d’escalier d’honneur<br />
de l’hôtel d’Ansembourg<br />
Contemporain de la construction de cet<br />
ancien hôtel Willems (1735-1741),<br />
l’escalier d’honneur à volées droites se<br />
singularise par trois repos<br />
approximativement carrés, dont l’un,<br />
médian, légèrement saillant. Le départ en<br />
torsion de la rampe en fer forgé présente<br />
une console agrémentée d’acanthe<br />
ajourée et bordée d’anneaux décroissants<br />
ponctués de pommettes. Au milieu du<br />
panneau long doté d’un cadre discontinu,<br />
ponctué aux angles de S brisés, un<br />
cartouche violoné préside à la symétrie. Il<br />
outrepasse le cadre ainsi que le<br />
prolongement en contre-courbes de ses<br />
motifs latéraux en 6 involutés ; l’agrément<br />
des rosaces ponctuant les enroulements,<br />
celui des acanthes, l’inflexion inégale des<br />
roseaux et les petits C jouxtés dans<br />
l’intrados des enroulements animent ces<br />
deux panneaux longs identiques. L’accent<br />
vertical des pilastres de style Louis XIV<br />
contraste par leur motif en gaine traversé<br />
par un pistil à graines émergeant d’une<br />
fleur de nénuphar. Les quartiers tournants<br />
et leurs C latéraux, prolongés en contre-C,<br />
s’entrecroisent en se terminant dans le<br />
bas en forme de gamma grec.<br />
Les ornements se limitent à l’acanthe<br />
asymétrique, au pistil à graines et aux<br />
rosaces ajourées. Le panneau long de<br />
l’étage diffère par son cadre formé de<br />
crosses horizontales adossées dans l’axe,<br />
contrairement aux montants accolés au<br />
châssis par un renflement allongé, les<br />
motifs d’angle étant formés de C adossés<br />
fixant un dard oblique. Un motif violoné<br />
inscrit une menue palmette médiane. On y<br />
retrouve acanthes et redents en petits C<br />
jouxtés. Due à un atelier liégeois<br />
indéterminé, cette œuvre de style rococo<br />
s’apparente aux pilastres et aux ornements<br />
de son homologue contemporain : la<br />
rampe de l’escalier royal du Palais de<br />
justice de <strong>Liège</strong>, forgée entre 1739 et<br />
1743 sous le prince-évêque Georges-<br />
Louis de Berghes (1724-1743).<br />
Le premier tiers du xviii e siècle correspond<br />
au chantier de l'hôtel de ville de <strong>Liège</strong> et à<br />
celui du château d'Aigremont où le<br />
serrurier Jean Tilman (+ 1727?) forge<br />
entre 1721 et 1724 maintes grilles de<br />
style Louis XIV. Toutefois, l'édification de<br />
l'hôtel Willems les suit d'un peu plus d’une<br />
décennie. La facture de la rampe de style<br />
rococo n'y est nullement comparable à<br />
celles dues à Jean Tilman à l'hôtel de ville<br />
et à Aigremont, malgré des réminiscences<br />
du style Louis XIV dans certains panneaux.<br />
En outre, précisons que le graphisme de<br />
la rampe du Musée d’Ansembourg est<br />
identique et supérieur en qualité à celui de<br />
la rampe de l’escalier d’honneur du Val<br />
Notre-Dame à Antheit (Wanze près de<br />
Huy).<br />
La rampe d’escalier de l’ancienne<br />
Maison Curtius<br />
Cette demeure des années 1600 du<br />
« Crésus liégeois », Jean Curtius,<br />
munitionnaire patenté des armées de<br />
Farnèse et de Spinola, fit l’objet d’un<br />
procès-verbal de la visite des lieux en<br />
1733 et d’un autre procès-verbal de 1812<br />
mentionnant « l’escalier construit quelques<br />
années auparavant ». L’escalier et la<br />
rampe auraient-ils été construits en même<br />
temps que le pavillon d’encoignure de la<br />
conciergerie, millésimé 1762 ? Les volées<br />
droites identiques de la rampe d’escalier<br />
sont séparées par un repos, bordé d’un<br />
garde-corps de tribune de réemploi.<br />
Après un départ en légère torsion formé<br />
de deux consoles superposées, les<br />
pilastres affichent une nette asymétrie due<br />
à leur encadrement formé d’une crosse et<br />
d’une autre à doubles crosserons écrasant<br />
dans le bas un S ponctué d’une coupelle<br />
côtelée derrière laquelle émerge un roseau<br />
ondé. Les panneaux longs dissymétriques<br />
se caractérisent par un motif asymétrique<br />
médian groupant deux S sécants<br />
d’importance inégale, adossés et<br />
involutés, le plus important étant orné de<br />
redents en petits C jouxtés. Les motifs<br />
latéraux identiques formé d’un faisceau de<br />
double S, l’un greffé d’un 6 orné d’une<br />
feuille d’eau, l’autre huppé, adossé à un S<br />
étiré, reposent sur un S couché, noué au<br />
faisceau de S. Le panneau final du palier<br />
est centré par un cartouche évasé, huppé,<br />
noué à deux S encadrant un cartouche<br />
asymétrique inscrivant un roseau sinueux<br />
et courtaud. Les motifs latéraux en C et S<br />
noués semblent bercés par la courbe en<br />
double arbalète. Contemporain du prince-<br />
... (Suite et fin page 45)<br />
1 2<br />
3<br />
Fig. 1 : Rampe d'escalier en fer forgé de l'hôtel d'Ansembourg. Détail de la volée de départ. État en 1983 © B.W.<br />
Fig. 2 : Même rampe : vue de la volée terminale depuis le repos. État en 1983 © B.W.<br />
Fig. 3 : Garde-corps de réemploi du repos de l'escalier de la maison Curtius. Cliché ACL n°178653 B*, 1959 © IRPA-KIK<br />
octobre 2019<br />
36<br />
octobre 2019<br />
37
Françoise Safin<br />
Conservatrice honoraire du Musée d'Art moderne<br />
et d'Art contemporain de <strong>Liège</strong><br />
francoisesafin@hotmail.com<br />
Le troisième œil<br />
À la découverte de certains détails dans les collections du BAL<br />
R egarder un tableau dans un<br />
musée c'est bien souvent le survoler,<br />
comme lire un texte en diagonale ou<br />
écouter une musique en bruit de fond. On<br />
ne peut pas immédiatement rentrer dans<br />
son intimité.Pour ce faire il faut « le scruter,<br />
le brouter » (Paul Klee) et c'est à ce moment<br />
qu'apparaissent les détails.<br />
Entendons par détail un élément non essentiel<br />
d'un ensemble n'ayant apparemment<br />
pas d'importance ou pas de rapport<br />
avec le sujet. On le remarque à peine mais<br />
quand on l'a vu on ne peut l'oublier.<br />
Une prouesse technique<br />
Dans les grandes compositions classiques<br />
religieuses ou historiques destinées<br />
la plupart du temps à être vues de<br />
loin, on peut difficilement distinguer les<br />
détails, pourtant ils sont là, presque réservés<br />
à l'auteur. Au cours de leur formation<br />
les peintres devaient exécuter d'innombrables<br />
dessins de motifs antiques, de<br />
monnaies, de hiéroglyphes, d'animaux,<br />
de mouvements, le détail parfait même<br />
hors sujet ou superflu devant leur servir à<br />
démontrer leur savoir et leur culture.<br />
Dans les grands ateliers où l'on travaillait<br />
en équipe, certains artistes étaient spécialisés<br />
dans les détails et n'en étaient<br />
pourtant pas moins bien considérés.<br />
Par exemple, Lambert Lombard avec<br />
Saint Paul et saint Denis devant l'autel du<br />
dieu inconnu , vers 1530 et Gérard de<br />
Lairesse avec La grande Bachanale, non<br />
daté, eau-forte.<br />
Ce goût du détail parfait se retrouve également<br />
dans les portraits exécutés sur<br />
commande. Parfois mis en évidence de<br />
manière exagérée jusqu'à devenir le<br />
centre du tableau, bijoux vêtements,<br />
accessoires, draperies ont cependant un<br />
rapport direct avec le sujet. Il s'agit de renseigner<br />
sur le statut social du mandataire,<br />
sa fortune, son éducation ou de le<br />
montrer à la dernière mode.<br />
Par exemple Gérard Douffet Portrait<br />
d'homme et Portrait de femme, non daté.<br />
Antoine Wiertz Rosine à sa toilette, vers<br />
1840. Alfred Stevens La Parisienne japonaise,<br />
entre 1872 et 1874. Adrien de<br />
Witte Femme au corset rouge, 1880.<br />
Signature<br />
Un détail récurrent peut, chez certains<br />
artistes, faire office de signature ou de<br />
marque de fabrique, telle la chouette pour<br />
Henri Blès présente dans plusieurs de ses<br />
tableaux et qui lui valut chez les Italiens le<br />
surnom de « Il Civetta » ou pour Marc<br />
Chagall, le coq, souvenir de son enfance,<br />
représenté dans La Maison bleue,<br />
1922, comme une sorte de fantôme juché<br />
sur la cheminée. Ou encore pour<br />
Marcel Gromaire, dans Le Paysan au fagot<br />
, 1939, le petit village avec le clocher<br />
de l'église et son coq.<br />
Personnages et animaux<br />
Jusqu'au 17 e siècle le paysage est généralement<br />
considéré comme un genre mineur.<br />
Il faut un prétexte, une scène allégorique<br />
ou religieuse, même très discrète,<br />
pour justifier ce sujet.<br />
Peu à peu, d'abord en Hollande, le paysage<br />
se développe et prend ses galons.<br />
Pourtant bon nombre de paysagistes persistent<br />
à peindre de petits personnages<br />
ou de petites scènes de genre, mais pour<br />
une autre raison.<br />
Il s'agit d'éviter le côté figé du paysage,<br />
d'inciter à la promenade mais aussi de<br />
renforcer la grandiosité du site par la présence<br />
de l'homme si petit devant la<br />
nature.<br />
Ainsi Courtens, dans Soleil de<br />
septembre, 1892, représente des paysans<br />
au labeur dans une nature luxuriante<br />
qui les enveloppe véritablement .<br />
Daubigny dans Vue de Villerville en<br />
Calvados, vers 1864, souligne le chemin<br />
qui monte au village par la présence de<br />
personnages portant des paniers.<br />
Camille Pissarro, dans Le Louvre,<br />
1901, ébauche de petits personnages<br />
sur la berge et la vie sur la Seine remettant<br />
ainsi, par de petits détails, ce paysage<br />
majestueux dans son contexte humain et<br />
urbain.<br />
Dans les natures mortes, chiens ou chats<br />
sont souvent présents. Ils constituent un<br />
élément vivant qui contraste avec l'atmosphère<br />
silencieuse et figée du sujet par<br />
exemple : Jan Fyt Trophée de chasse,<br />
1642.<br />
Fantaisie ou élément pictural ?<br />
Parfois un élément coloré ou insolite, pas<br />
toujours visible au premier regard, peut<br />
attirer l'attention jusqu'à devenir obsédant.<br />
Tel le célèbre petit pan de mur jaune de<br />
Vermeer dans sa Vue de Delft que<br />
Bergotte n'avait pas vu dans ce tableau<br />
qu'il connaissait pourtant et dont la découverte<br />
lui parut merveilleuse (Marcel<br />
Proust À la recherche du temps perdu), le<br />
BAL possède un mur rose de Hyppolite<br />
Boulenger Le mur rose à Tervuren, 1869<br />
et une porte bleue d'Auguste Donnay La<br />
porte bleue, vers 1895.<br />
(Suite et fin page 45)<br />
James Ensor, La Mort et les masques (détail),<br />
BA.AMC.05b.1939.21328<br />
James Ensor, L'Hôtel de Ville de Bruxelles,<br />
BA.AMC.05b.1902.21316<br />
Olivier Debré, Violet du soir en Touraine,<br />
BA.AMC.05b.1979.21256<br />
octobre 2019<br />
38<br />
octobre 2019<br />
39
Pierre Colman<br />
Fructueuse enquête<br />
sur un des joyaux de nos musées,<br />
le diptyque de Henricus ex Palude<br />
Henricus ex Palude (Henri du<br />
Marais latinisé), chantre de la cathédrale<br />
Notre-Dame et Saint-Lambert, a fait<br />
peindre vers 1489-1492 un petit tableau<br />
de dévotion à deux volets, repliable<br />
comme un livre, qui est venu jusqu’à nous<br />
par une chance exceptionnelle. Il a fait<br />
incorporer son portrait à genoux dans une<br />
des quatre scènes représentées, le<br />
martyre de saint Lambert et de ses deux<br />
jeunes acolytes, Pierre et Audolet, alias<br />
Andolet. Il tient son bâton de chantre et il<br />
est flanqué de ses armoiries, ce qui a<br />
permis de l’identifier sans coup férir.<br />
L’autre scène majeure met en scène la<br />
Nativité, avec la Vierge en évidence, mais<br />
pas plus que saint Joseph ; à l’arrièreplan,<br />
l’annonce faite aux bergers et le<br />
cortège des rois mages. Les deux<br />
dernières, peintes en grisaille sur les<br />
revers, présentent deux sujets relatifs à la<br />
justice, le Jugement de Salomon, tiré de<br />
l’Ancien Testament, et le Christ et la femme<br />
adultère, tiré du Nouveau, allusions, croiton,<br />
mais on peut hésiter à le croire, à ses<br />
talents dans l’art d’apaiser les conflits (1).<br />
Paul Bruyère, chercheur liégeois très<br />
regretté qui a consacré de savantes<br />
recherches au donateur 1 , a renoncé à<br />
formuler une « proposition visant à identifier<br />
le peintre, ni même l’atelier qui aurait pu<br />
réaliser ce diptyque ». Didier Martens, un<br />
professeur de l’ULB, éminent spécialiste<br />
de la peinture flamande du xv e siècle qui<br />
centre son travail sur les maîtres de<br />
second rang dans leur contexte, a repris le<br />
flambeau 2 . Il rapproche le diptyque d’un<br />
grand tableau présentement exposé dans<br />
un local peu accessible de l’Oud Stadhuis<br />
de Maestricht : un panneau de justice (2)<br />
payé en 1475 qui est attribué avec de<br />
bons arguments à Jan van Bruessel, un<br />
artiste qui a fait fort belle carrière, puis a<br />
sombré dans l’oubli.<br />
Le rapprochement est nourri d’une foule<br />
d’observations dont beaucoup sont bien<br />
Professeur ordinaire émérite U<strong>Liège</strong><br />
Conservateur adjoint de l’Institut archéologique liégeois<br />
pcolman@uliege.be<br />
convaincantes. Pas assez cependant<br />
pour que l’auteur propose tout net<br />
d’attribuer le diptyque liégeois au peintre<br />
maastrichtois. Prudent, il va répétant « ou<br />
atelier ».<br />
La confrontation des visages n’est pas<br />
sans révéler un écart significatif : si d’un<br />
côté comme de l’autre la cavité oculaire<br />
vue de profil est de forme inhabituellement<br />
triangulaire, yeux, nez, bouches et plis de<br />
la peau sont notablement différents. Or,<br />
dans la représentation du martyre, les<br />
visages sont stéréotypés deux à deux.<br />
Chanoine noble de la cathédrale, porteur<br />
de la dignité de chantre, Henri ex Palude<br />
était-il homme à se contenter d’un ouvrage<br />
d’atelier ? Le diptyque ne serait-il pas<br />
plutôt de la main d’un disciple de Jan van<br />
Bruessel ? Les méthodes de laboratoire<br />
devraient venir à la rescousse.<br />
2<br />
1<br />
Fig. 1 – Les quatre faces du diptyque, huile sur bois,<br />
36.4x24.2 cm et 36.8x23.8 cm hors encadrement.<br />
Inv. GC.REL.05a.1881.34000 et 99998 (sic).<br />
© Grand Curtius.<br />
Fig. 2 – Le panneau de justice attribué à Jan<br />
van Bruessel, huile sur bois, 188x135 cm hors<br />
encadrement.<br />
© Gemeente Maastricht.<br />
1<br />
P. Bruyere, Le Martyre de saint Lambert du Diptyque de<br />
Palude et les cérémonies de 1489 à la cathédrale de <strong>Liège</strong>,<br />
dans Le Moyen Âge, n° 118/2, 2012, p. 329-368.<br />
2<br />
D. Martens, A la recherche de Jan van Bruessel : peut-on<br />
rapprocher le Diptyque ex Palude du panneau du conservé<br />
à l’hôtel de ville de Maastricht ?, dans Oud Holland, t. 130,<br />
2017, p. 83-110.<br />
octobre 2019<br />
40<br />
octobre 2019<br />
41
Suites et fins<br />
Christine Maréchal<br />
Un document retrouvé : la charte de<br />
la chapelle des Clercs à <strong>Liège</strong>, 1481 (p. 16-17)<br />
Que nous apprend le texte ? Les douze membres de<br />
la confrérie dont les noms sont cités décident de se<br />
réunir mensuellement lors d’un repas obligatoire dont<br />
le rituel est strictement décrit à l’enseigne de la solidarité<br />
et de l’assiduité. Chacun des membres, à tour de<br />
rôle et selon un ordre hiérarchique, invite ses confrères<br />
en sa demeure et offre le repas. La paix et le calme y<br />
sont observés. Tout étranger est interdit, toutefois, une<br />
treizième personne invitée est acceptée, en l’occurrence<br />
Jean de Heinsbergh, chanoine de la collégiale<br />
Saint-Paul. Le repas comprend deux services précédés<br />
d’un potage : le premier composé de viandes<br />
salées et le second de viande fraiche ou rôtie. Vient<br />
ensuite le fromage ou le dessert. Somme toute, un<br />
menu fort semblable à ce que nous connaissons actuellement<br />
et plutôt frugal en rapport avec ce que la<br />
littérature du xv e siècle propose. On est bien loin des<br />
festins et cuisine de la Renaissance. Le tout est arrosé<br />
de vin ou de bière? Le texte ne le dit pas. Avec ce<br />
menu pré-établi sans concession, la confrérie exclut<br />
toute démonstration de dépense somptuaire.<br />
Ecce quam bonum et jucundum<br />
habitare fratres in unum<br />
Le texte est exemplaire comme témoignage sur les<br />
pratiques confraternelles de sociabilité et leur rituel. Il<br />
semble bien que cette confrérie avec son projet religieux<br />
est aussi une institution privée avec initiatives<br />
collectives parfois festives. Les aspirations sont temporelles<br />
et intellectuelles, sacrées et profanes, dont<br />
certaines hors les murs de la chapelle. Reste encore à<br />
étudier le statut social des confrères dont la liste est<br />
consignée sur le manuscrit.<br />
L’enluminure est d’une composition très classique :<br />
sur la partie gauche en haut, le roi David est agenouillé<br />
et chante en s’accompagnant à la lyre, on s’oriente<br />
vers la fête. Pas de confrérie sans repas vu comme<br />
une communion sous l’image de la sainte patronne 10<br />
dominant David. Le groupe de douze confrères est figuré<br />
agenouillé en prière, chacun dans son costume.<br />
Dans le coin inférieur gauche, Heinsbergh apparait<br />
sous la protection de son saint patron Paul.<br />
Une éclipse d’un siècle<br />
Comment imaginer que ce document exemplaire ait<br />
disparu près d’un siècle ? Depuis sa localisation par<br />
Le Paige on perd en effet sa trace. L’alerte est finalement<br />
donnée en 1951 11 : le 1 er décembre, l’échevin<br />
de l’Instruction Publique et des Sports de l’époque interpelle<br />
par missive le conservateur de la Bibliothèque<br />
publique centrale : le secrétaire général de l’Exposition<br />
Internationale d’Art Mosan et Arts Anciens du Pays<br />
de <strong>Liège</strong> à Paris souhaitait emprunter le document en<br />
question. Introuvable ! La réponse circonstanciée du<br />
conservateur à l’échevin est claire 12 : il ne fait aucun<br />
doute que le document n’est jamais entré aux Chiroux,<br />
et n’aurait même pas quitté l’Université lors du<br />
déménagement des collections en 1907, rejetant par<br />
là toute responsabilité des conservateurs de la bibliothèque<br />
communale. Fort heureusement, il n’y aura pas<br />
de polémique entre les deux institutions, pas plus malheureusement<br />
que de charte exposée à Paris 13 .<br />
C’est seulement en 1999, que le conservateur de la<br />
Salle Ulysse Capitaine est alerté par un libraire liégeois.<br />
C’est sur preuve de la publication de Constantin<br />
Le Paige, et non du catalogue Capitaine qui ne l’a jamais<br />
répertorié, que ce beau parchemin réintègre les<br />
collections communales. Somme toute une histoire<br />
peu banale et force est de reconnaître qu’un déménagement<br />
n’est jamais sans risque. Aujourd’hui, la charte<br />
rafraîchie et mise en conservation peut être à nouveau<br />
exposée : ce sera bien le cas pour les Fêtes<br />
Septennales de Huy en 2019.<br />
1 Lucien Godeaux, dans Annuaire de l’Académie royale des<br />
Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique,<br />
1939, pp. 251-255.<br />
2-3 Bulletin de la Société des Bibliophiles liégeois, t. IV, 1888-<br />
1891, pp. 107-117.<br />
4 H. Helbig et M. Grandjean, Catalogue des collections léguées<br />
à la ville de <strong>Liège</strong> par Ulysse Capitaine, <strong>Liège</strong>, Vaillant-<br />
Carmanne, 1872, 3 t.<br />
5 C. le Paige, op.cit., p. 107.<br />
6 Actuellement à l’angle gauche des rues Souverain-Pont et<br />
Chapelle-des-Clercs.<br />
7 Th. Gobert, <strong>Liège</strong> à travers les âges. Les rues de <strong>Liège</strong>,<br />
Bruxelles : Culture et Civilisation, 1976, t. IV, pp. 92-100.<br />
8 La chapelle sera détruite en 1803.<br />
9 Rappelons toutefois que Gobert les attribue au fonds Ulysse<br />
Capitaine, alors que comme nous l’avons déjà précisé, ils<br />
ne figurent pas au catalogue des pièces léguées.<br />
10 Les sources mentionnent plusieurs centres de productions<br />
d’enluminures comme de commanditaires à <strong>Liège</strong> au xv e<br />
siècle. À ce sujet voir : Florilège du livre en principauté de<br />
liège du xi e au xviii e siècle, dir. Paul Bruyère et Alain<br />
Marchandise, <strong>Liège</strong>, Société des Bibliophiles liégeois,<br />
2009.<br />
11 Lettre manuscrite de l’échevin de l’Instruction publique et<br />
des Sports de la Ville de <strong>Liège</strong> au conservateur de la<br />
Bibliothèque publique centrale. 1 er décembre 1951.<br />
Bibliothèque Ulysse Capitaine. Farde Patrimoine.<br />
12 Lettre manuscrite du conservateur de la Bibliothèque<br />
publique centrale à l’échevin de l’Instruction Publique et des<br />
Sports de la Ville de <strong>Liège</strong>. 10 décembre 1951. BUC Farde<br />
Patrimoine.<br />
13 Art mosan et arts anciens du Pays de <strong>Liège</strong>, <strong>Liège</strong>, asbl Le<br />
Grand <strong>Liège</strong>, septembre-octobre 1951. Voir à ce sujet, le<br />
chapitre consacré aux manuscrits à miniatures de l’âge<br />
roman à la Renaissance, pp. 81-101.<br />
Geoffrey Schoeffs<br />
La Compagnie des Wagons-Lits fait escale au<br />
Grand Curtius (p.18-19)<br />
En quarante ans, la longueur des voitures passe de<br />
neuf à vingt mètres. En 1922, la CIWL inaugure un<br />
nouveau train, le Calais-Méditerranée express. Les<br />
nouvelles voitures métalliques, peintes en bleu nuit,<br />
rehaussées de filets jaune or sont à l’origine de son<br />
surnom, le Train bleu. La décoration intérieure est<br />
confiée à René Prou et se distingue par des marqueteries<br />
de bouquets de fleurs en paillettes d’argent et<br />
roses de pâte de verre Lalique 2 .<br />
Le confort et le luxe sont constitutifs de l’image de la<br />
CIWL. Les objets et les décors qui composent les voitures<br />
sont conçus par le bureau d’études de la<br />
Compagnie et sont fabriqués par des maisons prestigieuses.<br />
L’argenterie est confiée à Christofle et à<br />
Ercuis, la verrerie à Baccarat et à Saint-Louis, la porcelaine<br />
à Villeroy et Boch et à la maison Haviland 3 .<br />
Durant l’Entre-deux-guerres, les décors intérieurs vont<br />
atteindre un niveau inégalé. Les panneaux ne sont<br />
plus recouverts de tissu, mais de marqueteries, qui<br />
varient selon le lieu de fabrication. Celles posées dans<br />
les usines de Leeds, en Grande-Bretagne, sont dues<br />
à Morisson ; celles installées à Aytré, La Rochelle, en<br />
France, à René Prou.<br />
<strong>Liège</strong> fait honneur aux wagons-lits<br />
Fruit d’achats et de dépôts à long terme, la nouvelle<br />
section du Grand Curtius présentera des objets<br />
contemporains de Georges Nagelmackers, mais aussi<br />
de la fin des années 1920, l’âge d’or de la compagnie.<br />
Seront notamment exposés le seul exemplaire connu<br />
de la brochure réalisée par Georges Nagelmackers en<br />
1870, mais aussi le monogramme original en bronze<br />
de la compagnie, ayant été apposé sur les voitures<br />
n°3050 puis 4090.<br />
Plusieurs institutions ont particulièrement collaboré à la<br />
mise en scène : Train World (Schaerbeek), l’Association<br />
pour le patrimoine de la Compagnie internationale<br />
des Wagons-Lits et le Fonds de dotation Orient<br />
Express Heritage, dépendant de la SNCF. Ce partenariat<br />
s’est traduit par la mise en dépôt au Grand Curtius<br />
du bureau de Georges Nagelmackers ainsi que de<br />
plusieurs éléments constitutifs d’une voiture de la fin<br />
des années 1920 : une lampe et deux fauteuils<br />
Pullman recouverts de tissu original dessiné par<br />
Suzanne Lalique, deux panneaux motifs fleurs René<br />
Lalique, deux porte-bagages en laiton et de la vaisselle<br />
frappée du monogramme de la CIWL. Un living<br />
room qui ne sera pas sans rappeler les fastes de la<br />
Compagnie internationale des Wagons-Lits.<br />
1 Il était une fois l’Orient Express, Gand, Snoeck, 2014, p. 25.<br />
2 G. Picon, B. Chelly, Orient Express, de l’histoire à la légende,<br />
Paris, Albin Michel, 2017, p. 139.<br />
3 Idem, p. 62<br />
Bibliographie<br />
Il était une fois l’Orient Express, Gand, Snoeck, 2014<br />
J.-P. Caracalla, Le goût du voyage, Paris, Flammarion, 2001<br />
J.-P. Caracalla, Des Cars J., L’Orient Express, un siècle<br />
d’aventures ferroviaires, Paris, Denoël, 1984<br />
N. Caulier-Mathy, « Nagelmackers », dans Biographie nationale,<br />
t. xxxviii (1973), col. 623-626.<br />
B. El Gammal, L’Orient-Express. Du voyage extraordinaire aux<br />
illusions perdues, Paris, Les Belles Lettres, 2017.<br />
G. Picon, B. Chelly, Orient Express, de l’histoire à la légende,<br />
Paris, Albin Michel, 2017<br />
Carmen Genten<br />
Du texte dans l’œuvre (p. 20-21)<br />
À la manière d’un anthropologue, Corillon puise volontairement<br />
dans notre héritage culturel et les croyances<br />
collectives pour raconter ses histoires. Et finalement,<br />
de manière presque anecdotique, cette jolie histoire<br />
d’apparence légère évoquant la tradition des rosaires<br />
Foijoy au Portugal, abrite une charge symbolique terrible,<br />
incarnée par ces graines de rosaire d’une jeune<br />
mariée qui, malgré ses efforts, n’écloront jamais. Et<br />
renforce cette idée de stérilité à travers des pots de<br />
semis privés de terreau, disposés devant des pseudo-plantes<br />
dymo.<br />
Puisque l’artiste entame volontairement un processus<br />
de partage intellectuel à travers la transmission de ses<br />
histoires, chaque fois interprétées de manière subjective<br />
et individuelle, il ne peut pas rester maître de sa<br />
création. Dans le même ordre d’idées, la finition artisanale<br />
de son œuvre est tout à fait assumée, car il ne<br />
veut pas sacraliser l’objet. La volonté de Corillon n’est<br />
pas de cacher le geste créatif, dont l’aspect « fait<br />
main », les imperfections et ses repentirs (même si<br />
certains éléments ressemblent furieusement à du bricolage),<br />
ainsi que le côté peu pérenne de sa construction.<br />
« Si jamais le projet meurt de sa belle mort, qu’il<br />
en soit ainsi. Mais si les gens l’aiment vraiment, ils feront<br />
tout dans leur pouvoir pour en assurer la continuité.<br />
Il serait donc curieux de voir comment, dans<br />
l’avenir, l’œuvre sera soumise à des transformations,<br />
des malentendus et des ré-interprétations ». L’œuvre<br />
d’art de Patrick Corillon n’est donc pas réduite à son<br />
objet, car il faut tenir compte des émotions qu’elle<br />
déclenche chez le spectateur. Ainsi, la fragilité et l’entretien<br />
relativement difficile de l’ensemble engendreront<br />
peut-être dans le futur une nouvelle lecture de<br />
l’œuvre, de nouvelles images intérieures.<br />
Bibliographie<br />
http://www.corillon.net<br />
René Debanterlé, "P. Corillon, Sculpteur de deux espaces"<br />
in Arte Factum 26'88, Anvers, nov. - déc. 1988.<br />
Alain Delaunois<br />
Marthe Wéry, variations musicales et méthodiques<br />
sur le monochrome (p. 26-27)<br />
Peintures et travaux sur papier<br />
Les collections du Musée des Beaux-Arts conservent<br />
également une autre peinture en diptyque de Marthe<br />
Wéry, remontant au début de son parcours, et dans la<br />
continuité d’une abstraction géométrique rigoureuse :<br />
la Composition double de 1970 (dépôt de la<br />
Communauté française – Fédération Wallonie-<br />
Bruxelles), est constituée de deux panneaux carrés<br />
placés côte à côte et non encadrés, où la forme du<br />
losange est travaillée en répétition, dans des teintes<br />
qui vont du noir au gris clair. Initiée à la gravure, au<br />
milieu des années 1960, dans l’Atelier 17 de Stanley<br />
William Hayter à Paris, Marthe Wéry gardera également<br />
un vif intérêt pour le travail d’impression et les encres<br />
sur papier. Lors de ses premières expositions, qui se<br />
tiennent à la galerie d’avant-garde Saint-Laurent, à<br />
Bruxelles, elle présente simultanément gravures et<br />
peintures. Plus tard, lorsqu’elle s’impliquera davantage<br />
dans la peinture, elle continuera à expérimenter les<br />
papiers, à les noircir, à faire jouer des apparitionsdisparitions<br />
de formes sur ce support. Elle enseigna<br />
notamment la pratique de la gravure à l’Institut Saint-<br />
Luc à Bruxelles. L’un de ses derniers projets, amorcé<br />
avant son décès survenu inopinément en 2005, était,<br />
à <strong>Liège</strong>, l’exposition Texture-Temps, au Cabinet des<br />
estampes. Présentée dans le cadre de la 6 e Biennale<br />
de Gravure en 2007, on y découvrait impressions,<br />
papiers gaufrés, papiers brûlés, hommage à ces<br />
papiers qui représentaient, selon ses dires, « quelque<br />
chose de vivant, c’est-à-dire quelque chose qui se<br />
détruit. » On trouve des traces de ces travaux sur<br />
papier dans les collections du musée, avec un<br />
portfolio de cinq tirages, édité en 2000 à La Lettre<br />
volée, ainsi qu’une eau-forte et aquatinte de 1968,<br />
explorant la forme du losange.<br />
Marthe Wéry avait également noué des liens avec des<br />
artistes liégeois qui partageaient certaines de ses<br />
préoccupations. Ainsi expose-t-elle en 1981 à la<br />
Galerie L’A, animée notamment par Guy Vandeloise et<br />
Jean-Pierre Ransonnet. L’architecte liégeois Charles<br />
Vandenhove l’avait sollicitée, avec d’autres artistes tels<br />
Sol LeWitt, Claude Viallat, Olivier Debré, Jo Delahaut,<br />
Léon Wuidar ou Jacques Charlier, pour la réalisation<br />
de lambris destinés au Centre hospitalier universitaire<br />
(CHU) du Sart Tilman.<br />
Maurice Lorenzi<br />
Un ascenseur à l’hôtel d’Ansembourg ? (p. 28-29)<br />
Il est permis de se poser la question de l’investissement<br />
financier et de son efficacité : seule une petite<br />
partie du coût élevé d’un ascenseur, bien utilisée dans<br />
le recours à des technologies récentes, permettrait<br />
aux visiteurs confinés à l’usage du rez-de-chaussée<br />
de découvrir l’ensemble du bien,- en ce compris les<br />
caves, les étages, les combles, la charpente,- par la<br />
« magie » du virtuel, en y ajoutant, si la qualité s’y<br />
trouve, un attrait touristique.<br />
La comparaison avec la restauration/réhabilitation très<br />
récente du musée de Groesbeeck de Croix à Namur<br />
s’impose : cet hôtel particulier, dont l’aspect actuel<br />
date principalement de 1753, est devenu lui aussi un<br />
musée d’arts décoratifs, comme l’hôtel d’Ansembourg,<br />
et la question d’accès au personnes à mobilité<br />
réduite a été résolue franchement et simplement :<br />
point d’ascenseur ; seule une surface pavée côté jardin<br />
a été adaptée à l’accès par voiturette : pose et repose<br />
des pavés après adaptation de leur surface par<br />
étêtage.<br />
Voici donc posée sur un plateau de la balance ma<br />
conviction intime, fondée sur l’avenir à long, voire très<br />
long terme des monuments en général, et de l’hôtel<br />
d’Ansembourg en particulier.<br />
Mais quand, dans le cadre de la gestion du bien ici et<br />
maintenant, l’auteur de projet dépose sur l’autre plateau<br />
une proposition à vrai dire alléchante, une réflexion<br />
commune doit être lancée ou relancée, afin de<br />
dégager une solution équilibrée.<br />
Ainsi, quand on apprend que le volume ajouté contiendrait,<br />
outre un ascenseur, toutes les techniques qui<br />
encombrent actuellement les caves et les combles ;<br />
que le percement dans le pignon Est serait fermé par<br />
deux portes dérobées à peine perceptibles depuis les<br />
petits salons ; que cela permettrait d’assurer de biens<br />
meilleures conditions de conservation des décors et<br />
du mobilier ; que la visibilité rendue à tous les volumes,-<br />
des caves à la charpente du toit,- permettrait<br />
une visite à tout le moins virtuelle de l’ensemble de la<br />
construction et des espaces jadis fréquentés par<br />
l’ensemble de la maisonnée, des maîtres aux domestiques<br />
et vice-versa, il est permis de rêver. Le dialogue<br />
constructif entre représentants du patrimoine, maître<br />
d’ouvrage et auteur de projet peut alors commencer.<br />
En guise de point d’orgue (positif), réjouissons-nous<br />
que la première phase de la restauration du bien soit<br />
prête : la procédure préalable à la restauration de la<br />
toiture, des façades et des châssis est terminée ; que<br />
le chantier commence et soit suivi par la restauration<br />
des espaces intérieurs, vivement !<br />
1 Carole Carpeaux (coordination), Décors intérieurs en<br />
Wallonie, Commission royale des Monuments, Sites et<br />
Fouilles, 2004, tome II, pp. 84-133.<br />
octobre 2019<br />
42<br />
octobre 2019<br />
43
Paul-C. Hautecler<br />
Rouges, les briques des façades de l’hôtel de<br />
Hayme de Bomal ? (p. 30-31)<br />
... quand on veut les éclaircir ; il donne à ces édifices<br />
l’extérieur d’une nouvelle bâtisse, en leur donnant le<br />
ton de couleur d’une pierre fraîchement taillé. »<br />
À l’hôtel de Clercx (1767, attribué à Digneffe), rue<br />
Saint-Paul, les résultats des études stratigraphiques<br />
ont montré qu’on est en présence d’une brique<br />
rejointoyée avec un joint rosé, suivie d’un mince enduit<br />
beige (couche d’attente ?), d’une couche de blanc à la<br />
chaux (non salie) et d’une couche de jaune (soleil)<br />
sous une quantité d’autres couleurs. L’état brique nue<br />
a probablement « duré le temps du séchage avant le<br />
rejointoyage, un an au moins après la construction » 7 .<br />
Rien dans la stratigraphie (scientifique) ne permet<br />
d’affirmer qu’il ne fut jamais rouge. S’il l’a été un jour,<br />
toute trace n’aurait pas disparu. Lors des récents<br />
travaux de décapage des murs intérieurs, un mur<br />
(autrefois extérieur) appartenant à l’hôtel construit<br />
antérieurement (vers 1671), est apparu avec des joints<br />
« porjetés » et tracés à la dague, recouverts d’un<br />
badigeon rouge très vif et parfaitement conservé. Un<br />
exemple de ce rouge « authentique » des façades du<br />
xvii e est enfin visible !<br />
L’hôtel Vander Maesen (1766), rue Hors château, a<br />
conservé sa stratigraphie sur la façade côté jardin et<br />
présente une première couche d’enduit rouge avec<br />
des joints tracés dans l’enduit puis une couche<br />
blanche non salie sous une couche de jaune, suivie<br />
de nombreuses autres couleurs (18). La couleur jaune<br />
- troisième état - est posée très rapidement (dix-neuf<br />
ans après sa construction ?)<br />
À Theux, à l’hôtel de ville (1770-1771) également<br />
attribué à Digneffe, les études de l’ISSeP ont découvert<br />
une première couche de chaux « blanche », non<br />
exposée, suivie d’une couche de badigeon dont le<br />
pigment est un ocre jaune (oxyde de fer jaune). 8<br />
En 2009 les restaurateurs de l’hôtel de Hayme ont fait<br />
peindre les façades en blanc. Aucun élément de la<br />
stratigraphie ne laissait entrevoir la présence de rouge.<br />
La brique badigeonnée de rouge ou apparente<br />
semblait impensable au vu de la médiocre qualité des<br />
briques et surtout en présence d’un tel raffinement des<br />
décors architecturaux. Le choix, confirmé par les<br />
études préalables a fait pencher la balance vers le<br />
blanc plus que vers le rouge !<br />
Le xix e siècle avec son cortège de décapages, et<br />
cette idée (platonicienne ?) d’un retour à un état naturel<br />
premier (la brique apparente) débarrassé des imitations<br />
a fait beaucoup de dégâts sur l’architecture néoclassique<br />
qui n’aimait rien tant que le blanc ou le<br />
jaune.<br />
« La certitude est l’état d’esprit qui sait posséder la<br />
vérité, ne s’oppose pas à l’ignorance dont le contraire<br />
est la science, mais au doute. Le doute est l’état<br />
d’esprit qui ne se sent pas en possession de la<br />
vérité » . 9 Le choix de peindre les façades de l’hôtel de<br />
Hayme en blanc a fait l’objet de longues réflexions. Si<br />
le doute est le contraire de la certitude, les architectes<br />
et les personnes en responsabilité du patrimoine, qui<br />
se trouvaient confrontés à des choix de restauration<br />
ne pouvaient rester dans l’expectative.<br />
Il y a encore beaucoup à étudier et à écrire sur la<br />
coloration des briques et en particulier dans l’œuvre<br />
de l’architecte Barthélemy Digneffe.<br />
1 M. Bouchat, « Barthélemy Digneffe et la construction de<br />
l’hôtel de Hayme de Bomal à liège (1775-1778), Le Musée<br />
d’armes, n°34-36, 1982, p27-47<br />
2 D. Rabereau, Méthodologie du goût à la Grecque sous Louis<br />
XV, dans Repenser les limites : l’architecture à travers<br />
l’espace, le temps et les disciplines, Paris INHA, 2005<br />
3-7 P. Colman, Briques et Badigeons, L’art de « porjeter » et de<br />
« fortriquer » au Pays de <strong>Liège</strong>, B.I.A.L. t CXVII, p.149-165<br />
4 A. Dandoy, Le Palais Curtius – le témoignage de Philippe de<br />
Hurge, B.I.A.L. 1958<br />
5 J.-F. Cabestan, La conquête du plain-pied, Picard, Cahors,<br />
2004<br />
6 Wattin, L’Art du peintre, Doreur, Vernisseur, ouvrage utile…,<br />
Chez Durand à Paris, 1776<br />
8 D. Bossiroy, Etude stratigraphique - recherche de badigeons,<br />
hôtel de ville et maison Lebrun à Theux, ISSeP, octobre<br />
1999<br />
9 E. Durkheim, Cours de philosophie, 1884, Leçon XXXIX<br />
Fanny Moens<br />
« TAMPONS DE REGARD » :<br />
Histoire d’égouts à <strong>Liège</strong> (p. 32-33)<br />
1984 : ÉGOUTS DE LIÈGE<br />
Dès que la technique est adoptée, il semble que<br />
Pierre Alechinsky s’essaye dans les rues de <strong>Liège</strong> vers<br />
1984. En effet, plusieurs estampages de cette date<br />
mentionnent le nom de la ville, comme dans Égout. La<br />
composition de ce dernier s’organise en deux<br />
registres. De manière plutôt figurative, les zones<br />
estampillées se situent dans le registre supérieur de la<br />
composition. Traces d’un lieu ou d’une origine, « VILLE<br />
DE LIÈGE » répond au mot « ÉGOUT ». Le quadrillage<br />
de la plaque métallique de la ville se reflète tel un<br />
sceau sur la carapace d’un reptile. Celui-ci surplombe<br />
le registre inférieur, un monde sombre et obscur.<br />
MONSIEUR DURANT AU CIRQUE DIVERS<br />
Dans les années 1980, Pierre Alechinsky se rend<br />
plusieurs fois à <strong>Liège</strong> notamment pour la grande<br />
exposition Encre à deux pinceaux. Appel et Alechinsky<br />
qui s’est tenue en 1983, à la salle Saint-Georges, ainsi<br />
que pour deux autres expositions personnelles. Il est<br />
vraisemblable qu’il se soit promené dans nos rues et<br />
ait réalisé Égout, mais aussi Fondeur ou En formation,<br />
tous empreints du sceau de la Ville de <strong>Liège</strong>.<br />
Françoise Safin 9 , conservatrice honoraire des Musées<br />
de la Ville de <strong>Liège</strong>, raconte que lors d’une de ses<br />
venues à <strong>Liège</strong>, Alechinsky découvre l’ambiance<br />
fantasque du Cirque Divers en Roture. Ce lieu « hors<br />
du temps » où dérision et paradoxe riment avec ironie<br />
et parfois même provocation, enthousiasme l’artiste<br />
qui se lie rapidement d'amitié avec Michel Antaki,<br />
directeur artistique du Cirque 10 . Ensemble, Alechinsky<br />
et Antaki projettent d'organiser une exposition où les<br />
œuvres de l’artiste seraient exposées incognito, sans<br />
mentionner son véritable nom. Ce projet, prévu en<br />
1988, échoue finalement. 11<br />
Sous l’estampage, on lit : « À Antaki, avec amitié… en<br />
souvenir de Monsieur Durant, absent. 22-12-94 ». La<br />
mention témoigne dudit projet avec le Cirque Divers.<br />
Monsieur Durant n’est autre que le nom d’emprunt<br />
choisi par l’artiste, en référence au nom de famille de<br />
sa mère.<br />
Ce projet d’exposer les œuvres d’un artiste reconnu<br />
sous un autre nom, aborde indubitablement les<br />
thématiques de la place et la reconnaissance de<br />
l’artiste mais rencontre également parfaitement la<br />
philosophie surréaliste qu’entretenaient les membres<br />
du Cirque Divers. Offert en 1994 à Antaki, Égout est<br />
vraisemblablement exposé au MAMAC, en 1995,<br />
pour l’exposition anniversaire des 18 ans de la galerie<br />
du Cirque 12 . Lorsque, pour cause de liquidation, les<br />
organisateurs du Cirque Divers, sont contraints de<br />
vendre les œuvres qu’ils avaient acquises depuis plus<br />
de quinze ans, Égout rejoint les collections du Musée<br />
des Beaux-Arts (en 2000).<br />
Par le biais de cet estampage, le musée garde donc,<br />
dans ses collections, une trace immuable des<br />
quelques passages de Pierre Alechinsky dans les<br />
années 1980 à <strong>Liège</strong>, et de son lien étroit avec le<br />
Cirque Divers, lieu culturel illustre de la ville.<br />
1 Ce palais construit à l’occasion de l’Exposition universelle de<br />
<strong>Liège</strong> de 1905 est aujourd’hui le bâtiment de pierre de La<br />
Boverie.<br />
2 Cité par Julie Bawin, Pierre Alechinsky. Récit d'un itinéraire<br />
pictural (magazine en ligne Culture, U<strong>Liège</strong>, 30.01.17)<br />
3 Cité dans Pierre Alechinsky. Palimpsestes, catalogue<br />
d’exposition, Centre de l’Image imprimée de La Louvière,<br />
2017, p. 20.<br />
4-5 Pierre Alechinsky, Remarques marginales, Éditions<br />
Gallimard,1997, p.75.<br />
6 Catherine de Braekeleer, Pierre Alechinsky. Palimpsestes,<br />
2017.<br />
7 Selon le titre d’un ouvrage de Mimi Melnick, Manhole Covers,<br />
MIT Press, 1994.<br />
8 « Selon les ajouts au centre et aux alentours de son<br />
estampage, il [l’estampage] parlera d’astre, d’octave, de<br />
mandala… » (cité par Pierre Alechinsky, Remarques<br />
marginale, Éditions Gallimard, 1997, p. 76).<br />
9 Entretien avec Fanny Moens en avril 2016.<br />
10 Dès les années 1970, le Cirque Divers est un lieu<br />
incontournable de culture alternative liégeoise à <strong>Liège</strong>. À la<br />
fois café, galerie et théâtre, le Cirque sert de « trait d'union<br />
pour les personnes qui se retrouvent pour boire un verre,<br />
écouter un concert, voir une pièce, rencontrer un poète<br />
invité par Jacques Izoard, découvrir la nouvelle exposition<br />
géniale ou ringarde présentée à l'étage, ou simplement<br />
s'ennuyer en compagnie de l'un ou l'autre pilier de bar »,<br />
explique Carmelo Virone (dans : Le Jardin du Paradoxe,<br />
Regards sur le Cirque Divers, catalogue d’exposition,<br />
Musée de la Vie Wallonne, 2018, <strong>Liège</strong>).<br />
11 Expliqué par André Stas, dans : Le Grand Jardin du<br />
Paradoxe et du Mensonge universels. 18 ans de la Galerie<br />
du Cirque Divers, catalogue d’exposition, MAMAC, 1995,<br />
tome 1.<br />
12 Le Grand Jardin du Paradoxe et du Mensonge universels.<br />
18 ans de la Galerie du Cirque Divers, 1995.<br />
Bernard Wodon<br />
Les rampes de l'escalier d’honneur des musées<br />
d’Ansembourg et Curtius (p. 36-37)<br />
... évêque Jean-Théodore de Bavière (1744-1763), le<br />
graphisme rococo du fer forgé de cette rampe d’un<br />
atelier de serrurerie indéterminé renvoie à la facture de<br />
celui de la rampe de l’escalier d’honneur de l’exabbaye<br />
Saint-Laurent à <strong>Liège</strong> (actuel siège militaire du<br />
3 e Centre régional d’infrastructure dit « 3 C.R.I. »)<br />
forgée par un maître serrurier également anonyme lors<br />
des travaux d’embellissement commandés par les<br />
abbés bénédictins Grégoire Lembor (1718-1762) et<br />
Lambert Biquet (1760-1779). Par ailleurs, précisons<br />
que le graphisme de la rampe du Curtius est identique<br />
à celui de Schloss Thall à Kettenis, toutes deux de<br />
style rococo situées dans le deuxième tiers du xviii e<br />
siècle.<br />
Œuvre du milieu du xviii e siècle, le garde-corps de<br />
tribune de réemploi mérite également l’admiration.<br />
Dans le panneau long, une palmette stylisée se<br />
déploie largement entre deux crosses au-dessus et<br />
un socle en pi grec aux extrémités giratoires<br />
interrompues en contre-C. Elle s’accole de motifs<br />
giratoires sécants à redents séparés. Dans les<br />
pilastres, les crosses affrontées sont plantées dans<br />
deux 6 à redents séparés qui fixent l’émergence axiale<br />
d’un roseau rectiligne terminé en ressaut, puis replié<br />
en 6. Par ailleurs, la présence de cette œuvre de<br />
réemploi ne postulerait-elle pas également celui de<br />
cette rampe, récupérée pour être replacée dans le<br />
contexte de réaménagement en musée de la Maison<br />
Curtius ?<br />
Bibliographie<br />
Pierre Colman et Lhoist-Colman, Berthe, Le château<br />
d’Aigremont I. Construction, aménagement et<br />
remaniements, dans Bulletin de la Commission royale des<br />
Monuments et des Sites, t. V, 1975-1976, p. 144, 145 et<br />
149.<br />
Bernard Wodon, Escalier dit « royal » de l’ancien palais des<br />
princes-évêques et des États, dans, Carole Carpeaux (sous<br />
la coordination de), Décors intérieurs de Wallonie, t. II,<br />
Namur, Luc Pire/Commission royale des monuments, sites<br />
et fouilles, 2004, p. [26]-28.<br />
Idem, Escalier d’honneur de l’hôtel d’Ansembourg, dans op.<br />
cit., p. 87-88.<br />
Idem, Florilège du fer forgé liégeois au xviii e siècle, <strong>Liège</strong>,<br />
Éditions Pierre Mardaga, 1988, p. 72, 119, 158-161.<br />
Idem, L’Hôtel de ville de <strong>Liège</strong> (Carnet du Patrimoine, 149),<br />
Namur, Institut du Patrimoine wallon, 2017, p. [13].<br />
Idem, L’ancienne abbaye Saint-Laurent de <strong>Liège</strong> (Carnet du<br />
Patrimoine, 66), Namur, Institut du Patrimoine wallon, 2010,<br />
p. 28-29.<br />
Idem, Fers forgés dans l’architecture européenne du Moyen<br />
Âge au xx e siècle, Dijon, Éditions Faton, 2018, p. 234-245,<br />
où les parentés stylistiques entre les écoles lorraine et<br />
liégeoise sont valorisées.<br />
Françoise Safin<br />
Le troisième œil.<br />
À la découverte de certains détails dans les<br />
collections du BAL (p. 38-39)<br />
James Ensor surprend également dans L'Hôtel de<br />
Ville de Bruxelles avec ce qui semble être un panneau<br />
publicitaire à l'avant-plan, presqu'une œuvre abstraite<br />
avant la lettre, ou un élément pictural, tache de couleur<br />
dans cette ambiance de grisaille, ou peut-être simple<br />
fantaisie.<br />
Albert Marquet utilise aussi un panneau publicitaire<br />
dans le Quai du Havre, 1934 ce qui lui permet de<br />
placer une tache rouge qui, avec la tache jaune du<br />
tram circulant au centre, donne une profondeur au<br />
tableau et contraste avec les tons pastels de<br />
l'ensemble.<br />
Anecdote<br />
Parfois le détail peut être une anecdote, un élément<br />
personnel que l'artiste a désiré intégrer. Ainsi Maurice<br />
Utrillo dans Le Moulin de la Galette peint son enseigne<br />
personnelle : « chez Maurice Utrillo, fabrique de<br />
tableaux... » Il faut bien s'approcher pour la déchiffrer<br />
mais une fois vue elle attire le regard.<br />
James Ensor, dans La Mort et les masques profite de<br />
l'espace vide dans le ciel pour peindre un second<br />
sujet peu distinct au premier abord mais après examen<br />
plus approfondi on y aperçoit « Deux faucheuses<br />
volant à la poursuite d'une montgolfière dont le pilote<br />
jette du lest pour échapper à ses assaillants »<br />
(Françoise Dumont, catalogue des collections du Bal ,<br />
volume 1, p.225).<br />
Accident voulu<br />
Bon nombre d'artistes, dès la deuxième moitié du<br />
20 e siècle, suite au mouvement de liberté et de spontanéïté<br />
généré par l'abstraction lyrique, se sont permis<br />
de provoquer des accidents dans leurs œuvres.Si<br />
souvent ceux-ci sont très visibles, comme chez<br />
Jacques Monory Opéra glacé n°4, 1974, images brisées,<br />
irrégularités, gaucheries, taches et coulures, ils<br />
peuvent être presque invisibles jusqu'à prêter à confusion.<br />
C'est le cas de l'œuvre d'Olivier Debré Violet du<br />
soir en Touraine ou Brune soir d'été, 1975.<br />
Cette œuvre fait partie de ses paysages abstraits qu'il<br />
réalise dès les années 70 cherchant non à représenter<br />
le paysage mais à en transmettre l'émotion par de<br />
grands champs de couleur, presque monochromes<br />
qu'il fait vivre grâce à quelques taches colorées au<br />
bord de la toile.<br />
Un élément est cependant intrigant, un petit agglomérat<br />
de peinture au centre de la monochromie qu'on ne<br />
distingue guère de loin ou qu'on peut prendre pour un<br />
défoncement mais qui, en fait, est une sorte de note<br />
de musique déposée discrètement dans le silence de<br />
ce paysage paisible de Touraine.<br />
En guise de conclusion<br />
Comprendre un tableau, en jouir complètement, c'est<br />
donc le regarder attentivement, le voir et le revoir pour<br />
le découvrir petit à petit.<br />
octobre 2019<br />
44<br />
octobre 2019<br />
45
Inventaire des publications <strong>Liège</strong>.museum<br />
La sortie du premier « <strong>Liège</strong>.museum »<br />
remonte à février 2011.<br />
Il est imprimé à 3000 exemplaires.<br />
Il se donne pour mission de présenter<br />
des articles relatifs aux œuvres des<br />
collections publiques rédigés par des<br />
scientifiques, d’établir un agenda<br />
culturel des musées de la Ville de<br />
<strong>Liège</strong> et d’offrir un panorama de<br />
l’actualité au sein des musées (achats,<br />
dons, legs, restaurations, découvertes<br />
scientifiques, etc.).<br />
La fréquence de parution des « Liege.<br />
museum » se calque sur la vie active<br />
et diversifiée des musées. C’est<br />
pourquoi il en existe de deux types.<br />
D’une part, les numéros ordinaires qui<br />
répondent aux missions énumérées<br />
ci-dessus. D’autre part, les numéros<br />
hors-série qui rehaussent d’une<br />
publication une exposition en cours.<br />
Ces hors-séries jouent souvent le<br />
rôle de catalogue d’exposition offert<br />
à un prix modique, et sont réalisés en<br />
bonne collaboration avec les meneurs<br />
de projets (commissaires d’exposition,<br />
scientifiques, critiques, rédacteurs…).<br />
Cet enchaînement de périodiques<br />
hors-série et de numéros ordinaires<br />
a entraîné un grand nombre de<br />
publications : plus d’une septantaine<br />
de « <strong>Liège</strong>.museum » sont parus à ce<br />
jour. On en trouvera ici un inventaire.<br />
À partir de l’année 2020, il ne sera<br />
plus fait de distinction dans la<br />
numérotation entre les publications<br />
ordinaires et les hors-séries de<br />
« Liege.museum ».<br />
1. LIEGE.MUSEUM ordinaires<br />
(les premiers exemplaires sont sans titre)<br />
N°1 Février 2011<br />
N°2 Mai 2011<br />
N°3 Décembre 2011<br />
N°4 Juin 2012<br />
N°5 Décembre 2012<br />
N°6 Investigations Mars 2013<br />
N°7 Parures Août 2013<br />
N°8 Figure humaine Février 2014<br />
N°9 Célébrités / intimité Février 2015<br />
N°10 Orient Avril 2018<br />
N°11 Admirations et investigations Octobre 2019<br />
2. LIEGE.MUSEUM hors-séries<br />
(les premiers exemplaires sont sans numérotation)<br />
• <strong>Liège</strong> vue par les écrivains français du xix e siècle Mai 2011<br />
• Ernest de Bavière (1554-1612),<br />
prince-évêque de <strong>Liège</strong> dans l’Europe moderne Novembre 2011<br />
• Curtius Circus<br />
(en collaboration avec l’ESAVL–Académie des Beaux-Arts) Mars 2012<br />
• À l’ombre du silence. Rétrospective Comès Mai 2012<br />
• Judaïca Hebraïca Juin 2012<br />
• Du Musée des Beaux-Arts au Musée des Beaux-Arts.<br />
Actes du colloque Juin 2012<br />
• Jacques Clauzel – Jean Degottex, deux peintres du peu Août 2012<br />
• Luis Salazar Septembre 2012<br />
• Saint Jean Baptiste in disco Octobre 2012<br />
• <strong>Liège</strong>, cité docile ?<br />
Une ville face à la persécution des Juifs, 1940-1944 Décembre 2012<br />
• André-Modeste Grétry (1741-1813) Mars 2013<br />
• Sophie Langohr. New faces Avril 2013<br />
• Jean-Paul Laixhay Mai 2013<br />
• Dacos. « Moi, je me lève le matin, graveur » Juin 2013<br />
• Marcel Caron (1890-1961) Septembre 2013<br />
• Les brodeuses. Cinq artistes contemporaines Septembre 2013<br />
• Affiches communistes en Belgique.<br />
Regards militants sur le xx e siècle Octobre 2013<br />
• Europalia India. Water Art Walk : parcours d’art contemporain Octobre 2013<br />
• Programmation des expositions temporaires 2014 Décembre 2013<br />
• Maurice Frydman. Tensions – Torsions Janvier 2014<br />
• BAL masqué<br />
(en collaboration avec l’ESAVL–Académie des Beaux-Arts) Avril 2014<br />
• Les Champignomes Avril 2014<br />
N°21 Jupille. Sous nos pieds, 2000 ans d’histoire Mai 2014<br />
N°22 Jean-Paul Forest. Arborescences Juin 2014<br />
N°23 À la rencontre des Bululs Juin 2014<br />
N°24 RAVI. Résidences Ateliers Vivegnis International Septembre 2014<br />
N°25 Des racines Juin 2014<br />
N°26 Un siècle de peinture belge, rencontre de deux collections<br />
(BAL & Belfius) Septembre 2014<br />
N°27 La vente de Lucerne Octobre 2014<br />
N°28 Prix de la Création 2014 Décembre 2014<br />
N°29 1914-1918 Décembre 2014<br />
N°30 BAL masqué<br />
(en collaboration avec l’ESAVL–Académie des Beaux-Arts) Mai 2015<br />
N°31 BAL des galeries Juin 2015<br />
N°32 Jeux de miroir.<br />
Cent chefs-d’œuvre rassemblés de <strong>Liège</strong> et de Tournai Juin 2015<br />
N°33 Cuillère Couteau Fourchette.<br />
Design du couvert en inox, 1931-2015 Octobre 2015<br />
N°34 RAVI. Catalogue 2014-2015 Septembre 2015<br />
N°35 Luis Salazar. Œuvres récentes Septembre 2015<br />
N°36 Et si on osait la paix ? Novembre 2015<br />
N°37 <strong>Liège</strong> au Moyen Âge Octobre 2015<br />
N°38 (a) Glory and Gratitude to the United States.<br />
L’aide alimentaire de l’Amérique pour la Belgique,<br />
1914-1915. Lettres d’enfants belges aux Américains Décembre 2015<br />
N°38 (b) Olivier Pé Janvier 2016<br />
N°39 L’évolution du quartier de l’Île en 100 photos Février 2016<br />
N°40 Sophie Langohr. Something Precious Avril 2016<br />
N°41 « L’Océan », l’hôpital de la Reine. La Panne, 1914-1919 Avril 2016<br />
N°42 Curtius Circus III<br />
(en collaboration avec l’ESAVL–Académie des Beaux-Arts) Mai 2016<br />
N°43 En Piste ! Galeries et centres d’art s’exposent au musée Mai 2016<br />
N°44 ExtraBal. Galeries d’art Les Grignoux Octobre 2016<br />
N°45 (a) RAVI. Catalogue 2015-2016 Octobre 2016<br />
N°45 (b) Noirs dessins du communisme.<br />
Caricature et dessin politique dans la presse communiste du xx e siècle Février 2017<br />
N°46 La Paix de Fexhe Février 2017<br />
N°47 Une réforme, un livre. Luther et la Bible palatine Février 2017<br />
N°48 1975-1997 : Révolution bande dessinée /<br />
Métal Hurlant & (A Suivre) Mars 2017<br />
N°49 Rêveries<br />
(en collaboration avec l’ESAVL–Académie des Beaux-Arts) Juin 2017<br />
N°50 Galerie de femmes.<br />
Le Soroptimist de <strong>Liège</strong> rend hommage aux femmes belges Juin 2017<br />
N°51 RAVI. Catalogue 2016-2017 Juin 2017<br />
N°52 En piste ! Galeries et centres d’art s’exposent au musée Juin 2017<br />
N°53 Guérisseurs d’Afrique noire.<br />
Photographies de Clément Delaude (1962-1980) Novembre 2017<br />
N°54 Costa Lefkochir 1987-2017. Sources / Rencontres / Traces Mars 2018<br />
N°55 (a) Béatrice Libert Mars 2018<br />
N°55 (b) Fernand Flausch. Rétrospective Avril 2018<br />
N°56 En Piste ! Galeries et centres d’art s’exposent au musée Juin 2018<br />
N°57 Willy Gasquis (1926-2014) Juillet 2018<br />
N°58 RAVI. Catalogue 2017-2018 Août 2018<br />
N°59 Portrait du Comte Michel Walram de Borchgrave Septembre 2018<br />
N°60 Sodocalcique. Les métiers du verre<br />
(en collaboration avec l’ESA Saint-Luc) Octobre 2018<br />
N°61 Prix Dacos. 2 e édition Décembre 2018<br />
N°62 Cécile Vandresse.<br />
Les pierres du sentier. Dessins et peintures Mai 2019<br />
N°63 Prix de la Création 2018 Septembre 2019<br />
N° 64 En piste ! Galeries et centres d’art s’exposent au musée Septembre 2019<br />
N° 65 RAVI. Catalogue 2018-2019 Décembre 2019<br />
octobre 2019<br />
46<br />
octobre 2019<br />
47
Liege• museum<br />
n° 11, septembre octobre 2019 2019<br />
<strong>Liège</strong>• museum<br />
bulletin des musées de la Ville de <strong>Liège</strong> n° 11 octobre 2019<br />
Admirations et investigations<br />
octobre 2019<br />
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Liege• museum<br />
n° 11, septembre 2019<br />
<strong>Liège</strong>• museum<br />
bulletin des musées de la Ville de <strong>Liège</strong> n° 11 octobre 2019<br />
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Admirations et investigations<br />
octobre 2019<br />
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Liege• museum<br />
n° 11, octobre 2019<br />
<strong>Liège</strong>• museum<br />
bulletin des musées de la Ville de <strong>Liège</strong> n° 11 octobre 2019<br />
Admirations et investigations<br />
octobre 2019<br />
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Liege• museum<br />
n° 11, septembre octobre 2019 2019<br />
<strong>Liège</strong>• museum<br />
bulletin des musées de la Ville de <strong>Liège</strong> n° 11 octobre 2019<br />
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Admirations et investigations