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Notre Mémoire se Souvient!<br />
La mémoire au service des luttes : Ataï<br />
Par FUIQP et Alain Saint-Victor<br />
Il y a 142 ans, le 1er septembre 1878,<br />
le chef kanak Ataï était tué au combat<br />
contre le colonisateur français. Rappelons<br />
que le pays des Kanaks fut renommé<br />
la Nouvelle Calédonie par l’explorateur<br />
britannique James Cook, une<br />
pratique courante dans l’implantation<br />
du colonialisme.<br />
Ataï fut le dirigeant de la plus<br />
grande insurrection kanak contre les<br />
colonisateurs.<br />
À partir de 1853, l’armée coloniale<br />
française commence la dépossession<br />
des terres, d’abord autour de la<br />
presqu’île de Noumea puis, à partir de<br />
1858, dans le reste du pays.<br />
Le vol des terres passe ainsi de<br />
27 000 ha en 1862 à 78 000 ha en<br />
1870 et à 150 000 ha en 1877. Outre<br />
ces spoliations foncières, le système<br />
oppressif de l’indigénat, la marginalisation<br />
sociale suscitent un profond mécontentement<br />
dans les tribus.<br />
C’est dans ce contexte qu’un des<br />
chefs kanaks, Ataï, rencontre le gouverneur<br />
français, Léopold de Pritzbuer,<br />
pour lui faire part des revendications<br />
kanakes.<br />
Lors de cette rencontre il déverse<br />
un sac de terre et déclare : « Voilà ce<br />
que nous avions ». Il déverse ensuite<br />
un sac de pierres et dit : « Voici ce que<br />
tu nous laisses. »<br />
Cette démarche pacifique n’ayant<br />
conduit à aucun résultat, Ataï décide<br />
d’organiser la lutte armée. L’objectif initial<br />
était l’attaque surprise de Nouméa<br />
préparée dans le plus grand secret. La<br />
date initialement choisie était le 24 septembre,<br />
soit la date de l’anniversaire<br />
de la prise de possession de l’île. Un<br />
événement imprévu va malheureusement<br />
précipiter les choses.<br />
Le 19 juin 1878, un colon est assassiné<br />
par des Kanaks. En représailles,<br />
10 chefs de tribu sont emprisonnés. La<br />
colère populaire se transforme alors en<br />
insurrection. Les propriétés des colons<br />
sont attaquées dans plusieurs régions<br />
et en particulier dans celle de la Foa,<br />
la plus importante région de la colonisation.<br />
Dès le 25 juin les combats<br />
touchent tout le centre-ouest de la<br />
Grande île.<br />
La contre-offensive française<br />
subit d’abord de nombreuses défaites<br />
face à la guérilla. Le 3 juillet le commandant<br />
des troupes françaises Gally<br />
est tué dans une embuscade. Son successeur<br />
met en place une politique de la<br />
« terre brûlée » en incendiant villages<br />
et récoltes.<br />
Les Français décident alors de diviser<br />
les clans kanaks en promettant à<br />
un des chefs, Gélina, de multiples concessions.<br />
Celui-ci trahit l’insurrection<br />
et aide les soldats français à combattre<br />
les insurgés. Sans la connaissance du<br />
terrain de ce traître, l’insurrection était<br />
à plus ou moins long terme victorieuse<br />
compte-tenu du temps nécessaire pour<br />
faire venir des renforts de Paris.<br />
Le premier septembre 1878, Ataï<br />
est surpris dans son campement par un<br />
détachement de l’armée coloniale accompagnée<br />
de guerriers des clans alliés<br />
au colonisateur. Ataï se bat courageusement<br />
mais est tué. Sa tête est coupée et<br />
envoyée en trophée à Paris. Malgré la<br />
mort du chef, l’insurrection continue<br />
mais est déstabilisée.<br />
En août 1878, des renforts arrivent<br />
d’Indochine et le rapport des<br />
forces se transforme. En décembre<br />
1878, les derniers combattants sont<br />
vaincus lors du combat de la forteresse<br />
kanak d’Adio.<br />
La répression est bien sûr féroce.<br />
Les estimations évaluent à 5% de la<br />
population le nombre de morts. Tous<br />
les chefs de clan insurgés sont exécutés<br />
sans jugement. On estime que 1000<br />
kanaks ont été tués sur une population<br />
totale de 24 000.<br />
Le vol des terres s’accéléra et des<br />
clans entiers de la population sont déplacés<br />
dans le Sud et à l'île des Pins.<br />
A la fin du XIXème siècle, la politique<br />
des réserves est enclenchée causant<br />
une crise démographique. Traumatisée<br />
par la colonisation, décimée par<br />
les guerres et le choc épidémiologique,<br />
la communauté kanake se réduit dangereusement.<br />
En 1921, elle ne compte<br />
plus qu’environ 27000 personnes. Elle<br />
aurait ainsi perdu la moitié, voire les<br />
2/3, de ses effectifs depuis la prise de<br />
possession.<br />
C’est cela la colonisation. Soutenons<br />
la lutte du peuple kanak pour son<br />
indépendance.<br />
Repose en paix Ataï. Ton combat<br />
n’a pas été vain.<br />
Texte : FUIQP (Modifications et<br />
ajouts ASV)<br />
Le génocide indonésien de 1965 : comment les USA ont<br />
utilisé le meurtre de masse pour vaincre le communisme<br />
Soldats indonésiens arrêtant des villageois lors de la purge des<br />
communistes en 1965-66 / Vannessa Hearman.<br />
Par Daniel Larison*<br />
Selon le récit dominant de la Guerre<br />
froide, si le communisme a été vaincu<br />
dans nombre de pays, c’était<br />
avant tout dû au modèle civilisationnel<br />
supérieur qu’offre le capitalisme,<br />
avec son accent sur les libertés<br />
individuelles et la responsabilité<br />
personnelle. Un regard sur l’histoire<br />
révèle une réalité beaucoup plus<br />
sombre et expéditive.<br />
La dénommée « Longue Paix »,<br />
après 1945, était couverte de<br />
sang d’innocents. Les Américains<br />
préfèrent généralement se souvenir<br />
de la Guerre froide comme d’un<br />
triomphe essentiellement pacifique<br />
ponctué d’une poignée de débâcles,<br />
mais pour beaucoup de personnes<br />
vivant dans des pays non alignés et<br />
nouvellement indépendants après la<br />
Seconde Guerre mondiale, l’expérience<br />
de la Guerre froide a été marquée<br />
par l’horreur et la dévastation.<br />
Les nations qui avaient le<br />
malheur d’être considérées comme<br />
importantes dans la lutte contre le<br />
communisme ont enduré les pires<br />
souffrances. Le fanatisme anticommuniste<br />
a fait des millions de victimes<br />
pendant la Guerre froide. Les<br />
atrocités commises contre ces peuples<br />
ont souvent été oubliées en Occident,<br />
quand elles étaient connues<br />
tout court. C’est surtout vrai aux<br />
États-Unis, puisque notre gouvernement<br />
a souvent encouragé et aidé<br />
des acteurs locaux dans leurs crimes<br />
contre leur propre peuple.<br />
Nous ignorons généralement<br />
cet aspect de la Guerre froide parce<br />
qu’il est laid et parce que notre gouvernement<br />
porte une responsabilité<br />
considérable dans ce qui est arrivé<br />
à ces pays. Il ne correspond pas<br />
à la fable de « l’ordre libéral » que<br />
nos dirigeants se racontent et nous<br />
racontent. Il ne correspond pas à<br />
nos évaluations flatteuses de notre<br />
rôle de bienfaiteurs dans le monde,<br />
mais c’est une partie importante de<br />
l’histoire de notre politique étrangère<br />
que nous ne pouvons pas nous<br />
permettre d’oublier. Lorsque des<br />
hommes politiques et des experts<br />
menacent allègrement aujourd’hui<br />
d’une nouvelle Guerre froide contre<br />
la Chine, nous devons comprendre<br />
les destructions que cela entraînerait<br />
pour des personnes innocentes dans<br />
de nombreux autres pays. Nous ne<br />
devons pas commettre de nouveau<br />
des erreurs aussi coûteuses en vies<br />
humaines.<br />
L’Indonésie était considérée<br />
comme un pays crucial dans les<br />
années 1960, car c’était l’un des<br />
principaux pays non alignés, avec<br />
le plus grand parti communiste en<br />
dehors de l’URSS et de la Chine. Les<br />
responsables américains y voyaient<br />
un « atout » bien plus précieux que<br />
le Sud-Vietnam, et en 1965-66, elle<br />
a été violemment annexée à l’orbite<br />
américaine à travers des massacres.<br />
L’armée indonésienne, sous la direction<br />
de Suharto et de ses auxiliaires,<br />
a perpétré des meurtres de masse<br />
contre des communistes et des personnes<br />
présumées communistes, et<br />
elle a assassiné jusqu’à un million<br />
d’innocents sans autre raison que<br />
leur affiliation politique présumée.<br />
Ces meurtres de masse et leurs<br />
conséquences pour le reste du monde<br />
font l’objet d’un ouvrage exceptionnel<br />
de Vincent Bevins, The Jakarta<br />
Method (La méthode Jakarta). Bevins<br />
est un correspondant international<br />
qui a travaillé d’abord au Brésil,<br />
puis en Indonésie. Pendant son séjour<br />
dans ce pays, il a commencé à<br />
enquêter sur l’histoire du massacre<br />
de 1965-66, qui est toujours officiellement<br />
nié par le gouvernement. En<br />
fouillant les histoires des survivants<br />
et en suivant les conséquences de<br />
l’« Operation Annihilation » (le nom<br />
interne de l’armée de la campagne<br />
d’extermination), il a trouvé des<br />
liens entre ce qui s’était passé en Indonésie<br />
au milieu des années 60 et<br />
les campagnes brutales menées en<br />
Amérique latine par les dictatures<br />
alignées sur les États-Unis dans les<br />
décennies qui ont suivi. Dans ces autres<br />
pays, « Jakarta » est devenu un<br />
mot-code pour désigner les massacres<br />
d’ennemis des fanatiques anticommunistes,<br />
et le meurtre de masse<br />
perpétré en Indonésie a été présenté<br />
comme un modèle à suivre.<br />
Non seulement le gouvernement<br />
américain était au courant<br />
du massacre en Indonésie, mais il<br />
l’avait activement encouragé et avait<br />
fourni aux tueurs des listes de noms.<br />
Bevins écrit :<br />
« Mais après sept ans d’étroite<br />
coopération avec Washington,<br />
l’armée était déjà bien équipée. Vous<br />
n’avez pas non plus besoin d’un<br />
armement avancé pour arrêter des<br />
civils qui n’opposent presque aucune<br />
résistance. Mais ce dont les responsables<br />
de l’ambassade des USA et de<br />
la CIA avaient décidé que l’armée<br />
avait vraiment besoin était d’informations.<br />
En collaboration avec les<br />
analystes de la CIA, le responsable<br />
politique de l’ambassade, Robert<br />
Martens préparait des listes avec les<br />
noms de milliers de communistes<br />
et de présumés communistes, et les<br />
remettaient à l’armée, afin que ces<br />
personnes puissent être assassinées<br />
et « radiées » de la liste. »<br />
Un autre million de personnes<br />
ont été rassemblées dans des camps<br />
de concentration, où elles ont été<br />
soumises à la famine, au travail<br />
forcé, à de la torture et à de la rééducation<br />
idéologique. Ce fut une «<br />
victoire » ignoble dont personne ne<br />
voulait se souvenir.<br />
Bevins raconte cette histoire de<br />
manière objective et dépassionnée,<br />
et il tisse soigneusement les histoires<br />
des survivants qu’il a rencontrés au<br />
cours de son enquête. Il nous emmène<br />
sur les sites des massacres de<br />
Bali, où se trouvent aujourd’hui des<br />
hôtels touristiques. Il nous présente<br />
des Indonésiens qui ont perdu leur<br />
famille et leurs amis dans ces massacres,<br />
et il montre comment les<br />
survivants sont toujours ostracisés<br />
et considérés avec suspicion, toutes<br />
ces décennies plus tard. L’une des<br />
survivantes qu’il a rencontrées, une<br />
femme âgée nommée Magdalena, vit<br />
aujourd’hui dans la pauvreté après sa<br />
libération de prison. Il raconte qu’elle<br />
a été « marquée à vie » à cause de<br />
son passé, et qu’elle n’a aucun lien<br />
avec sa famille, car tous ces liens<br />
ont été coupés après qu’elle ait été<br />
accusée d’être communiste. Comme<br />
le note Bevins, cette « situation est<br />
extrêmement fréquente chez les survivants<br />
de la violence et de la répression<br />
de 1965 ». En plus de ceux qui<br />
ont été tués dans les massacres, il y<br />
a des dizaines de millions de victimes<br />
et de parents de victimes encore en<br />
vie aujourd’hui.<br />
Il retrace également l’utilisation<br />
des tactiques employées contre<br />
des innocents Indonésiens au Brésil,<br />
au Chili, en Argentine et ailleurs en<br />
Amérique latine, et nous rappelle que<br />
les habitants de ces pays vivent toujours<br />
dans l’ombre des dictatures soutenues<br />
par les États-Unis qui étaient<br />
au pouvoir dans les années 1970 et<br />
1980. La dictature brésilienne qui<br />
s’était emparée du pouvoir avant la<br />
prise de pouvoir de Suharto a ensuite<br />
cherché à imiter ce qui s’était passé<br />
en Indonésie. Le gouvernement chilien<br />
de Pinochet l’a fait, bien qu’à plus<br />
petite échelle, et la « sale guerre » en<br />
Argentine a suivi. La piste se poursuit<br />
en Amérique centrale jusqu’à<br />
la fin de la Guerre froide. Beaucoup<br />
d’éléments individuels de l’histoire<br />
de Bevins sont peut-être connus,<br />
mais il a établi entre eux des liens<br />
que la plupart des Américains ne<br />
connaissent pas.<br />
Alors qu’il essaie de donner<br />
un sens aux horribles événements<br />
qu’il a décrits dans le livre, Bevins<br />
Prisonniers de l’armée indonésienne lors des massacres de 1965. Photo DR<br />
nous offre cette sinistre mais juste<br />
conclusion : « Si l’on considère les<br />
choses sous cet angle, les grands<br />
perdants du XXe siècle ont été ceux<br />
qui croyaient trop sincèrement en<br />
l’existence d’un ordre international<br />
libéral, ceux qui faisaient trop confiance<br />
à la démocratie, ou trop à ce<br />
que les États-Unis disaient soutenir,<br />
plutôt qu’à ce qu’ils soutenaient<br />
réellement – à ce que les pays riches<br />
disaient, plutôt qu’à ce qu’ils faisaient.<br />
Ce groupe a été anéanti. »<br />
Lorsqu’il a parlé à Winarso, le<br />
chef du Sekretariat Bersama ’65, l’organisation<br />
qui défend les intérêts des<br />
survivants du massacre, Bevins lui<br />
suite à la page(18)<br />
Vol 14 # 11 • Du <strong>16</strong> au 22 <strong>Septembre</strong> <strong>2020</strong><br />
<strong>Haiti</strong> Liberté/<strong>Haiti</strong>an Times<br />
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