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La Tribune de Catherine Charlemagne (133)<br />
Réforme constitutionnelle ou élections générales,<br />
le flou persiste !<br />
Le Président Jovenel Moïse en train de supplier pour qu’on le facilite à<br />
monter son Conseil Electoral Phtkiste<br />
(Dernière partie)<br />
Ces dernières semaines les choses<br />
semblent s’accélérer. Depuis l’assassinat<br />
sauvage de l’éminent juriste<br />
et Bâtonnier du Conseil de l’Ordre des<br />
avocats de Port-au-Prince, le plus<br />
ancien des Caraïbes, Me Monferrier<br />
Dorval, dans la soirée du vendredi<br />
28 août <strong>2020</strong>, le Président de la République,<br />
Jovenel Moïse, passe à une<br />
vitesse supérieure sur les deux dossiers.<br />
Ce meurtre qui a ébranlé tout<br />
le pays dont l’écho parvient dans le<br />
monde entier serait le catalyseur de la<br />
marche forcée du chef de l’Etat quand<br />
on observe en même temps une<br />
levée de bouclier de l’opposition et<br />
d’une partie de la Société civile contre<br />
le locataire du Palais national. Si<br />
des deux côtés les acteurs politiques<br />
font tout pour récupérer cyniquement<br />
cet odieux assassinat afin d’attirer<br />
les sympathies de la population et<br />
des futurs partisans dans leur camp,<br />
personne ne peut avoir la certitude<br />
laquelle des deux parties remporterait<br />
la manche. Dans la mesure où le feu<br />
professeur n’était l’homme d’aucun<br />
secteur particulier ni lié à aucune<br />
mouvance idéologique compte tenu<br />
de sa haute estime pour la « Res Publica<br />
» (les choses publiques) et son<br />
amour immodéré pour la démocratie<br />
en Haïti.<br />
D’où une campagne farouche<br />
de récupération du pouvoir et de<br />
l’opposition en général pour s’accaparer<br />
ou approprier le cadavre de l’illustre<br />
avocat en lui rendant les plus<br />
dignes hommages de la République.<br />
N’empêche que dans ce combat pour<br />
attirer les bénéfices politiques et sociaux<br />
sur le corps encore chaud de cette<br />
énième victime de cette transition<br />
politique qui perdure, ironiquement,<br />
chaque partie compte mobiliser sa<br />
troupe pour la bataille qui s’annonce<br />
inéluctable dans les mois suivants<br />
peut-être dans les semaines à venir<br />
selon certaines confidences en provenance<br />
du Palais national. D’une part,<br />
la quasi-totalité des leaders politiques<br />
de l’opposition multiforme annonce<br />
des mobilisations populaires contre le<br />
régime PHTK en profitant du choc et<br />
de l’émoi qu’a provoqué dans l’opinion<br />
la mort brutale de Me Monferrier<br />
Dorval qui suscite encore bien des<br />
interrogations même avec l’arrestation<br />
de quelques lampistes. D’autre<br />
part, c’est le Président Jovenel Moïse<br />
en personne qui monte en première<br />
ligne pour dénoncer et condamner cet<br />
horrible assassinat.<br />
Après avoir décrété trois jours<br />
de deuil national en mémoire du<br />
feu Bâtonnier de l’Ordre qui a été<br />
assassiné une seconde fois dans la<br />
mesure où sa résidence, le lieu du<br />
crime, mal protégée par les autorités<br />
judiciaires et policières a été vandalisée<br />
quelques jours après et où sa<br />
bibliothèque a été saccagée et que le<br />
fameux Bâton St Nicolas, symbole<br />
de la basoche, a lui aussi disparu, le<br />
Président relance d’une façon spectaculaire<br />
le dossier sur les deux sujets<br />
qui font plus que jamais l’actualité :<br />
la réforme constitutionnelle et le CEP<br />
(Conseil Electoral Provisoire). En effet,<br />
dans les multiples prises de positions<br />
et de condamnations de part et<br />
d’autre sur l’horrible crime dont pratiquement<br />
tout le monde est persuadé<br />
qu’il s’agit d’un assassinat commandité,<br />
la présidence de la République<br />
surprend tout le monde en annonçant<br />
pour les semaines prochaines deux<br />
grandes initiatives, en l’occurrence :<br />
la publication des noms des nouveaux<br />
membres du Conseil Electoral<br />
Provisoire et dans la foulée la constitution<br />
d’une Commission devant<br />
travailler sur la formation de la très<br />
contestée Assemblée Constituante.<br />
Le moins qu’on puisse dire est<br />
que ces deux annonces sont très attendues<br />
par tout le monde, mais pas<br />
pour les mêmes raisons. En fait, ce<br />
n’est même pas une attente, c’est de<br />
curiosité qu’il s’agit ; puisque ni l’une<br />
ni l’autre des deux décisions qui seraient<br />
prises n’aura la bénédiction ou<br />
le soutien, et ne sera pas acceptée par<br />
aucun Parti politique de l’opposition<br />
voire des acteurs de la Société civile.<br />
Curiosité, disons-nous, dans la mesure<br />
où aucun des Secteurs pourvoyeurs<br />
habituels des membres au CEP<br />
n’a accepté officiellement, en tout<br />
cas jusqu’à l’heure, de répondre positivement<br />
à la sollicitation ou à l’invitation<br />
de la présidence d’envoyer<br />
des représentants. Une situation qui<br />
agace énormément le chef de l’Etat et<br />
qui le désespère même.<br />
Puisque, selon des informations<br />
qui courent au sein de la « République<br />
de Port-au-Prince », le Président<br />
Jovenel Moïse a dû s’adresser à des<br />
Secteurs insignifiants peu crédibles et<br />
qui n’ont aucun impact ni influence<br />
sur la population pour monter son<br />
organisme électoral qui sera forcément<br />
contesté comme nous venons<br />
de l’écrire. On sait que la Fédération<br />
des Barreaux d’Haïti, présidé par Me<br />
Jacques Létang dont Me Monferrier<br />
Dorval était membre ayant été<br />
sollicité par le Palais national pour<br />
désigner un membre au CEP avait<br />
décidé de bouder l’appel du chef de<br />
l’Etat. « La Fédération des Barreaux<br />
d’Haïti avait décidé de ne donner<br />
aucune suite à cette correspondance<br />
de la présidence. Le contexte ne s’y<br />
prête pas. Les conditions ne sont pas<br />
réunies pour qu’il y ait des élections.<br />
La population a d’autres préoccupations<br />
» estime le Président de cet<br />
organisme de la Société civile.<br />
À voir ce prosélytisme du pouvoir<br />
auprès d’autres secteurs du pays,<br />
on savait déjà que le Président Jovenel<br />
Moïse chercherait à contourner<br />
l’obstacle et voudrait court-circuiter<br />
les organismes fréquemment sollicités<br />
par le Pouvoir Exécutif depuis<br />
la Constitution de 1987 pour former<br />
l’organisme électoral provisoire.<br />
Même s’il y a toujours eu des frictions<br />
entre le pouvoir et les responsables<br />
des partis politiques, bon gré mal gré,<br />
tous les Secteurs concernés ont toujours<br />
répondu à la sollicitation du Palais<br />
national. Aujourd’hui, la crise est si<br />
profonde, si clivant que plus rien ne<br />
semble possible donc pouvant pousser<br />
les secteurs sociaux à renouveler<br />
leurs représentants au CEP. Ainsi,<br />
les observateurs locaux et étrangers<br />
de la politique haïtienne s’impatientent<br />
donc de découvrir les visages<br />
et les têtes des nouveaux membres<br />
de ce CEP devant organiser les nouvelles<br />
élections générales souhaitées<br />
uniquement par la Communauté internationale.<br />
Il reste enfin la mise en<br />
place de cette Commission qui aura<br />
pour mission de faire des propositions<br />
et de constituer ou de nommer les<br />
membres qui devraient former la très<br />
attendue Assemblée constituante qui,<br />
si elle parvient à entrer en fonction<br />
sous l’Administration de Jovenel<br />
Moïse, serait un nouvel élément de<br />
conflit dans la discorde entre le pouvoir<br />
et l’opposition plurielle.<br />
Or, selon une source confidentielle<br />
au Palais national du quotidien<br />
Le Nouvelliste daté du 4 septembre<br />
<strong>2020</strong> qui a rapporté la nouvelle « La<br />
semaine prochaine, nous allons publier<br />
la composition du Conseil Electoral<br />
Provisoire et mettre sur pied<br />
une Commission qui aura à former<br />
l’Assemblée constituante » a indiqué<br />
l’anonyme du Palais. Là où l’affaire<br />
devient intéressante, on constate que<br />
si l’information s’est révélée juste<br />
c’est que le Président Jovenel Moïse a<br />
décidé de prendre les taureaux par les<br />
cornes tout en forçant la nature. Puisque,<br />
sachant que de toute manière ses<br />
deux initiatives vont être contestées<br />
par l’opposition, il a décidé de passer<br />
en force avec « yon sèl kout kle »<br />
comme l’aurait dit l’ancien Président<br />
du Sénat de la République, Dieuseul<br />
Simon Desras. Certes, pour temporiser<br />
un peu le mouvement de contestation<br />
qui ne tardera pas à se mettre<br />
en marche, le Président n’a pas osé<br />
nommer ou désigner coup sur coup<br />
les membres de la Constituante comme<br />
il va certainement le faire pour le<br />
CEP. D’ailleurs, à travers les sources<br />
de Le Nouvelliste, Jovenel Moïse s’en<br />
défend : « Ce n’est pas nous l’Exécutif<br />
qui allons former l’Assemblée constituante<br />
», a rajouté cette source qui<br />
serait proche du Président.<br />
Mais c’est tout comme puisque<br />
les membres de la Commission<br />
seront bien nommés par le chef de<br />
l’Etat. Et, pour accepter de faire partie<br />
de cette Commission, il faudrait<br />
au moins partager l’avis du Président<br />
sur ce dossier de la réforme<br />
constitutionnelle. Tout comme l’était<br />
le constitutionnaliste, Me Monferrier<br />
Dorval, convaincu que l’actuelle Constitution<br />
a vécu et qu’il faudra passer<br />
à quelque chose de mieux structurée<br />
capable de fédérer la Nation et sortir<br />
le pays du piège de la « Transition<br />
permanente » et de l’instabilité politique<br />
et institutionnelle. Alors, la curiosité<br />
et l’attente sont de mises. Tout<br />
corps social, chaque entité, chaque<br />
observateur, chaque leader politique<br />
et d’opinion guette, sans grand espoir<br />
de sortir de la crise, l’arrivée de<br />
ces femmes et hommes qui auront à<br />
désigner les membres de l’Assemblée<br />
constituante. Une chose est certaine,<br />
le Président Jovenel Moïse est un spécialiste<br />
des « Commissions » sans lendemain.<br />
Il en a déjà beaucoup à son<br />
palmarès depuis 2017.<br />
Très peu, sinon aucune n’a servi<br />
à quelque chose ou n’a apporté une<br />
réponse concrète à la problématique<br />
pour laquelle elle avait été formée ;<br />
sauf peut-être à faire oublier le sujet<br />
en question ou le dossier controversé<br />
comme ce sera encore le cas<br />
aujourd’hui. En tout cas, la mort<br />
téléguidée de Me Monferrier Dorval<br />
semble précipiter les choses. Le chef<br />
de l’Etat ne veut plus perdre de temps<br />
dans ces deux dossiers bien qu’il ne<br />
soit pas convaincu de la véracité des<br />
élections en temps de crise et de conflit<br />
aigu avec l’opposition. On l’a vu si<br />
le Président trouve maintes difficulté<br />
à constituer un organisme électoral<br />
composé de neuf membres depuis<br />
la démission collégiale de l’équipe<br />
du CEP de 20<strong>16</strong>, on voit bien qu’il<br />
cherche le soutien des Organisations<br />
Populaires (OP), d’autres organismes<br />
et acteurs sociaux qui recouvrent<br />
le pays pour son projet de nouvelle<br />
Constitution. Le jeudi 20 août <strong>2020</strong><br />
passé, c’est au Palais national que le<br />
chef de l’Etat a reçu avec « honneur »<br />
ces innombrables associations venues<br />
de différents endroits du pays afin<br />
de partager les réflexions que ces organisations<br />
ont eu avec le pays profond<br />
dans le cadre des débats ayant<br />
eu lieu sur la nouvelle Constitution.<br />
Selon un des responsables<br />
d’une des organisations qui ont pris<br />
part à cette audience au Palais national,<br />
il est même urgent que Haïti<br />
se dote d’une nouvelle Loi mère afin,<br />
dit Coraslin Josué, que le pays sorte<br />
de l’instabilité politique et institutionnelle.<br />
Ce Porte-parole croit que c’est le<br />
souhait de tous les Haïtiens : « C’est<br />
ce que veut la population. C’est ce<br />
qu’elle attend. Le changement passera<br />
par une nouvelle loi mère. Elle<br />
devra définir les droits et les devoirs<br />
de tous les Haïtiens. Cette nouvelle<br />
Constitution devra ouvrir la porte à<br />
tout le monde y compris aux femmes<br />
et à la diaspora dans les affaires<br />
du pays. Celle-ci devra garantir la<br />
démocratie dans le respect de la<br />
loi, renforcer la justice et mettre un<br />
terme à l’impunité » récite celui qui<br />
parle au nom de toutes les Organisations<br />
Populaires qui ont organisé<br />
plusieurs Forums publics sur le sujet<br />
et en ont fait un Rapport. Ce jeudi<br />
20 août, le Président Jovenel Moïse<br />
était aux anges parmi les membres<br />
de ces dizaines d’associations, organisations<br />
de base et autres structures<br />
favorables à son idée de doter le pays<br />
d’une nouvelle Constitution.<br />
Il a annoncé que plusieurs<br />
initiatives de ce genre sont en cours<br />
dans le pays pour accompagner son<br />
projet. Ainsi, le chef de l’Etat a laissé<br />
entendre qu’« Il y a eu plusieurs Forums<br />
réunissant des intellectuels,<br />
des journalistes, des écrivains, des<br />
hommes de loi. À Port-au-Prince<br />
comme dans les villes de province.<br />
Ils parlent tous d’un même sujet.<br />
Une nouvelle Constitution. J’ai demandé<br />
à mes conseillers de contacter<br />
tous ces intellectuels. J’ai reçu<br />
des invitations pour prendre part à<br />
l’ouverture ou à la fermeture de ces<br />
Forums. Je ne m’y suis pas rendu par<br />
contrainte de temps certes. Mais je<br />
pense que la nouvelle Constitution<br />
ce n’est pas l’affaire du Président<br />
de la République, ou de son équipe,<br />
mais du peuple haïtien, de la capitale,<br />
comme des villes de province<br />
ou de la diaspora. Tout ceci doit se<br />
faire dans la nouvelle Constitution<br />
qui doit être indépendante. » Toujours<br />
prêt à appuyer là où ça fait mal,<br />
Jovenel Moïse a profité de la présence<br />
de ces citoyens engagés qui militent<br />
en faveur d’une nouvelle Constitution<br />
et venus de partout pour lancer une<br />
nouvelle fois un pic à l’encontre de<br />
ce qu’il appelle un « Petit groupe qui<br />
prend le pays en otage » pour préciser<br />
Le président de la Fédération des Barreaux d’Haïti, Me Jacques Létang<br />
sa volonté de réformer le pays avant<br />
de quitter le pouvoir en 2022.<br />
Le chef de l’Etat appelle toute<br />
la population à soutenir son idée de<br />
remplacer la Constitution de 1987. Il<br />
a remercié par avance tous ceux de<br />
la Société civile ayant contribué et<br />
qui contribuent à alimenter le débat<br />
sur le sujet. Et ce n’est pas le Coordonnateur<br />
général du Rassemblement<br />
des Associations Visionnaires<br />
pour le Développement et le Progrès<br />
(RAVIDEP), Coraslin Josué, qui<br />
s’en plaindra. Puisque, avant même<br />
l’ouverture de la fameuse rencontre à<br />
la présidence de la République, il avait<br />
déclaré : « Nous avons pris l’initiative<br />
d’initier des réflexions avec tous<br />
les secteurs, de toutes les tendances<br />
politiques, sur la nouvelle Constitution<br />
réclamée par la majorité de la<br />
population. Nous avons écouté leurs<br />
revendications.<br />
Après les réflexions, nous<br />
avons organisé plusieurs conférences<br />
de presse afin de nous adresser<br />
directement à la population. Nous<br />
nous sommes rencontrés récemment<br />
à l’hôtel Karibe dans une grande<br />
conférence débat sur la question.<br />
Après la conférence, ces 10 organisations<br />
ont jugé nécessaire de<br />
signer une pétition que nous allons<br />
remettre au Président de la République<br />
». Tous ces mouvements prouvent<br />
que c’est le projet constitutionnel<br />
du chef de l’Etat qui demeure sa<br />
priorité même si l’éventail électoral<br />
est mis en avant pour camoufler le<br />
vrai objectif de l’homme qui veut être<br />
le dernier Président de la transition<br />
post-Duvalier.<br />
C.C<br />
8 <strong>Haiti</strong> Liberté/<strong>Haiti</strong>an Times<br />
Vol 14 # 11 • Du <strong>16</strong> au 22 <strong>Septembre</strong> <strong>2020</strong>