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Haiti Liberte 16 Septembre 2020

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Perspectives<br />

Manifestation étudiante<br />

L’exceptionnalisme Haïtien<br />

Des responsables d’établissements scolaires privés ont été contraints de<br />

relâcher prématurément leurs élèves en signe de solidarité avec la cause<br />

des écoliers du secteur public.<br />

Par Isabelle L. Papillon<br />

Dans plusieurs villes du pays<br />

telles que Jacmel, Jérémie, Gonaïves,<br />

Miragôane, Port-au Prince et<br />

Saint-Marc, des élèves ont marché<br />

dans les rues le lundi 14 septembre<br />

pour dénoncer la conjoncture dans<br />

laquelle ils vivent dans le pays.<br />

Les étudiants manifestants<br />

particulièrement des lycéens réclament<br />

de meilleures qualités d’enseignement<br />

et le retour des enseignants<br />

dans les salles de classe. Au cours<br />

de leur mobilisation, des propos<br />

hostiles ont été lancés à l’endroit<br />

du pouvoir et surtout du ministre de<br />

l’Éducation nationale et de la Formation<br />

professionnelle, Pierre Josué<br />

Agénor Cadet.<br />

Selon certains étudiants,<br />

le ministère doit cesser de persécuter<br />

les syndicats des professeurs. Ils<br />

font référence au dernier mandat<br />

d’arrestation du Commissaire du<br />

gouvernement à l’endroit des syndicalistes<br />

et militants politiques Josué<br />

Mérilien, Jeanty Manis, Georges Wilbert<br />

Franck, Magalie Georges et autres.<br />

À Jérémie et aux Gonaïves,<br />

les élèves en quête de solidarité se<br />

sont rendus dans d’autres lycées et<br />

institutions privées pour forcer d’autres<br />

élèves à les rejoindre dans leur<br />

mouvement de protestation. Des<br />

responsables d’établissements scolaires<br />

privés ont été contraints de<br />

relâcher prématurément leurs élèves<br />

en signe de solidarité avec la cause<br />

des écoliers du secteur public.<br />

À Jacmel, des enseignants se<br />

sont joints aux manifestants pour<br />

exiger des ajustements de salaire<br />

et des arriérés de paiement et de<br />

bonnes conditions de fonctionnement.<br />

À Miragôane, des enseignants<br />

Josué Mérilien<br />

ont organisé un sit-in en vue de demander<br />

au ministre de l’éducation<br />

nationale de se pencher sur leurs<br />

revendications.<br />

À Mirebalais, devant les locaux<br />

de l'école fondamentale d'application<br />

et centre d'appui pédagogique,<br />

des enseignants ont manifesté pour<br />

exiger de meilleures conditions de<br />

travail.<br />

À Port-au Prince, des casseurs<br />

ont, la semaine dernière, saccagé le<br />

local et brisé des matériels scolaires<br />

au Collège Canado haïtien, le lycée<br />

Fritz Pierre Louis, le collège Le Normalien<br />

et le collège Roger Anglade.<br />

À part les lycéens, des étudiants<br />

de la Faculté de Droit et des<br />

Sciences économiques et ceux de<br />

la Faculté d’Ethnologie ont, depuis<br />

l’assassinat du Bâtonnier de l’ordre<br />

des avocats de Port-au-Prince,<br />

Monferrier Dorval, maintenu une<br />

mobilisation permanente pour obtenir<br />

justice et réparation pour la famille<br />

Dorval. Ainsi, à la rue Oswald<br />

Durand, des barricades formées de<br />

pierres, de troncs d’arbres et de mobiliers<br />

scolaires entravent la circulation<br />

obligeant les agents de la Police<br />

Nationale de faire usage de gaz<br />

lacrymogènes, pour les disperser et<br />

les étudiants ont vite répliqué avec<br />

des jets de pierres.<br />

« Le régime du PHTK est<br />

paniqué », c’est dans ces termes<br />

que le coordonnateur de l’Union nationale<br />

des normaliennes et normaliens<br />

haïtiens (Unnoh), Josué Mérilien,<br />

a qualifié les actes de violences<br />

policières exercées sur les étudiantes<br />

et étudiants de l’UEH.<br />

Par ailleurs, le parquet près le<br />

tribunal civil de Port-au-Prince avait<br />

émis un mandat d’amener contre<br />

le professeur et syndicaliste, Josué<br />

Mérilien, et juste après, le ministre<br />

de l’éducation nationale et de la formation<br />

professionnelle lui a adressé<br />

Par Boaz Anglade<br />

Lorsqu’on qualifie Haïti de pays « exceptionnel<br />

», c’est rarement dans le<br />

sens positif du terme. Une Haïti exceptionnelle<br />

fait souvent référence à<br />

un endroit étrange et énigmatique où<br />

les théories et pratiques applicables à<br />

d’autres sociétés échouent de manière<br />

inexplicable.<br />

Dans les études littéraires haïtiennes,<br />

ce concept porte un nom<br />

: « l’exceptionnalisme haïtien », une<br />

expression popularisée par le professeur<br />

Michel-Rolph Trouillot dans<br />

son brillant essai intitulé « The Odd<br />

and the Ordinary ». Dans cet essai,<br />

datant de 1990, Trouillot souligne<br />

qu’Haïti est beaucoup trop souvent<br />

représentée comme un pays grotesquement<br />

unique, bizarre, erratique,<br />

et donc inexplicable. Dans ce même<br />

essai, Trouillot se révolte contre l’exceptionnalisme<br />

haïtien et encourage<br />

les adeptes des études haïtiennes à<br />

outrepasser cette idéologie qu’il a<br />

d’ailleurs qualifiée de « fiction » [1].<br />

Selon Trouillot, une telle idéologie non<br />

seulement occulte la place d’Haïti dans<br />

le monde, mais la propulse aussi audelà<br />

du domaine de l’analyse ou de<br />

la comparaison. Il voit également en<br />

cette idéologie un bouc émissaire qui<br />

atténue la responsabilité des puissances<br />

occidentales dans la condition<br />

d’Haïti, ce qui révèle une forme de<br />

musellement de l’histoire [2]. De plus,<br />

dans sa forme la plus répugnante,<br />

d’après Trouillot, cette idée impliquerait<br />

que le malheur d’Haïti serait dû à<br />

une maladie congénitale de l’esprit<br />

haïtien qui priverait, par exemple, les<br />

dilemmes politiques d’une explication<br />

rationnelle et, par défaut, de solutions<br />

pratiques.<br />

Considérant l’appel de Trouillot<br />

à outrepasser la fiction de l’exceptionnalisme<br />

haïtien tel que reconnu<br />

dans la littérature, cet essai vise à<br />

réinventer à se réapproprier le terme<br />

comme moyen d’affirmer la juste place<br />

d’Haïti dans l’histoire du monde.<br />

Par « exceptionnalisme haïtien »,<br />

nous entendons non pas l’idée qu’Haïti<br />

est exceptionnellement étrange, incompréhensible<br />

et énigmatique, mais<br />

plutôt qu’elle occupe une place particulière<br />

parmi les nations et est disposée<br />

à une « destinée manifeste »<br />

une lettre l’invitant à prendre part<br />

à une rencontre programmée pour<br />

le lundi 14 septembre au local de<br />

l’inspection Générale de l’Éducation.<br />

Rencontre qui n’a pas eu lieu.<br />

Jeudi 17 septembre prochain,<br />

FRANTZ DANIEL JEAN<br />

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qui consiste à s’engager aux côtés des<br />

plus vulnérables tout en défendant la<br />

liberté des peuples opprimés.<br />

Cette manifestation d’exceptionnalisme<br />

positif trouve son double dans<br />

l’exceptionnalisme américain, une<br />

doctrine qui soutient que les États-<br />

Unis incarnent la forme la plus pure de<br />

la liberté politique et de la démocratie<br />

et incite ainsi ceux-ci à s’octroyer<br />

la mission unique de transformer le<br />

monde. Notre idéologie d’une Haïti<br />

exceptionnelle ne reflète en aucun cas<br />

une telle éthique de supériorité sur<br />

les autres nations ; elle tire plutôt ses<br />

racines dans une vocation humaniste<br />

superlative. Cette vision d’une Haïti<br />

exceptionnelle n’est pas nouvelle. Elle<br />

a été partagée par des penseurs pionniers<br />

tels que le Baron de Vastey, chroniqueur<br />

et secrétaire du roi Christophe,<br />

qui a vu dans la lutte des esclaves africains<br />

une manifestation de la volonté<br />

de Dieu lui-même [3]. Dans son livre,<br />

Le Système Colonial Dévoilé, il écrit :<br />

« Grand Dieu ! Que tes œuvres sont<br />

grandes ! C’est du sein d’un troupeau<br />

d’esclaves que ta toute-puissance<br />

forma les éléments nécessaires pour<br />

venger tes divines lois [4]. »<br />

Une histoire aussi exceptionnelle<br />

implique nécessairement des<br />

responsabilités exceptionnelles. En effet,<br />

depuis son indépendance obtenue<br />

grâce à la première révolte d’esclaves<br />

réussie du monde moderne, Haïti a<br />

toujours assumé un rôle de défenseur<br />

de la liberté et servi de refuge pour les<br />

affligés du monde. Il était même inscrit<br />

dans la première constitution datant de<br />

1805 : « celui qui est esclave devient<br />

ipso facto libre en foulant le sol haïtien<br />

». D’ailleurs, en 1815, lorsque Simón<br />

Bolívar touche le fond dans sa lutte<br />

pour la libération de l’Amérique latine,<br />

c’est dans les bras de la jeune république<br />

haïtienne qu’il se réfugie ; et du<br />

président haïtien Alexandre Pétion,<br />

il reçoit alors le soutien nécessaire<br />

pour poursuivre son combat contre les<br />

troupes espagnoles. En retour, Pétion<br />

ne fait qu’une seule demande : l’abolition<br />

de l’esclavage partout où Bolívar<br />

commandera. En 1822, le président<br />

Boyer embrasse la lutte de libération<br />

du peuple grec en jugeant qu’Haïti ne<br />

devrait pas y rester indifférent. Il voit<br />

en Haïti et la Grèce une longue histoire<br />

d’oppression similaire et promet<br />

de faire tout ce qui est en son pouvoir<br />

pour aider la cause des Hellènes. Au<br />

les étudiants de la Faculté de Droit<br />

et des Sciences économiques vont<br />

essayer une seconde fois de marcher<br />

jusqu’à la maison du Bâtonnier à<br />

Pèlerin 5 pour lui rendre un hommage<br />

avec le dépôt d’une gerbe de<br />

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début du XXe siècle, face à la montée<br />

du nazisme, Haïti a non seulement renié<br />

le régime d’Adolf Hitler, mais elle a<br />

également ouvert ses portes aux Juifs<br />

d’Europe persécutés. Ainsi, même face<br />

à ses propres défis, Haïti a toujours assumé<br />

sa responsabilité morale en tant<br />

que défenseur de la justice et protecteur<br />

des opprimés, accomplissant ainsi<br />

son destin manifeste.<br />

Aujourd’hui, la discrimination<br />

raciale et les inégalités sociales dans<br />

le monde continuent de limiter les opportunités<br />

pour beaucoup. Aux États-<br />

Unis, plus de cinquante ans après la<br />

lutte pour les droits civiques, les Afro-Américains<br />

se retrouvent à devoir<br />

rappeler que « les vies noires comptent<br />

». Face à ces situations, Haïti ne peut<br />

rester indifférente. Elle doit continuer<br />

à tout prix à secouer le joug de la<br />

servitude et de l’oppression partout<br />

où elle le peut et à exprimer son soutien<br />

inconditionnel aux opprimés de<br />

ce monde. En conséquence, ce pays<br />

« exceptionnel » a besoin de plus<br />

d’hommes et de femmes courageux<br />

qui croient, en leur âme et conscience,<br />

à cette « grandeur haïtienne » et à la<br />

mission universelle de ce peuple élu.<br />

Le moment est enfin venu pour nous<br />

d’être à la hauteur de notre histoire et<br />

de revendiquer notre place parmi les<br />

nations. Il est de notre devoir d’accomplir<br />

notre destin manifeste, de<br />

continuer à inspirer les nations et de<br />

porter haut le flambeau de la liberté<br />

des peuples opprimés.<br />

Boaz Anglade<br />

Notes:<br />

[1] Trouillot, M. R. (1990). The<br />

Odd and the Ordinary : <strong>Haiti</strong>, the Caribbean,<br />

and the World. Cimarrón :<br />

New Perspectives on the Caribbean,<br />

2(3), 3.<br />

[2] Trouillot, M. R. (1995). Silencing<br />

the past : Power and the production<br />

of history. Beacon Press<br />

[3] Charles, A. (2002). <strong>Haiti</strong>an<br />

exceptionalism and Caribbean consciousness.<br />

Journal of Caribbean Literatures,<br />

3(2), 115-130.<br />

[4] Vastey, B. P. V. (1814). Le<br />

système colonial dévoilé. Cap-Henry :<br />

P. Roux Imprimerie du Roi. Print.<br />

LGS 11 <strong>Septembre</strong> <strong>2020</strong><br />

fleurs.<br />

Les autorités concernées<br />

finiront-elles par entendre la voix de<br />

ces manifestants en colère, la voix<br />

de cette jeunesse qui est l’avenir du<br />

pays ? C’est à se demander.<br />

Vol 14 # 11 • Du <strong>16</strong> au 22 <strong>Septembre</strong> <strong>2020</strong><br />

<strong>Haiti</strong> Liberté/<strong>Haiti</strong>an Times<br />

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