25.03.2021 Views

Royale (Soanne édition n°3)

Crédit Royal, Royal Building, Royal Jupiler, Bar "Le Petit prince"... Une déclaration d'amour à Bruxelles où pullulent les traces écrites de la royauté sur des murs pourtant bien miteux

Crédit Royal, Royal Building, Royal Jupiler, Bar "Le Petit prince"... Une déclaration d'amour à Bruxelles où pullulent les traces écrites de la royauté sur des murs pourtant bien miteux

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

<strong>Royale</strong><br />

<strong>Soanne</strong> <strong>édition</strong> <strong>n°3</strong>


Pour sûr, la Belgique est une monarchie, avec une famille royale, plusieurs<br />

palais royaux, ses décrets royaux, ses sociétés royales mais aussi<br />

son “judo royal crossing club” et son “œuvre royale du coin de terre”.<br />

Depuis que je me suis installée à Bruxelles, en 2011, dans des quartiers<br />

de la ville considérés comme un peu négligés, d’abord Saint-Josse, puis<br />

Schaerbeek, autour de la Cage aux ours… voir ces enseignes “royales”<br />

appliquées au moindre boui-boui me fait rire. Parfois, il y a de la fierté à<br />

tenir un commerce “royal”, parfois c’est juste le hasard de la toponymie<br />

qui pousse vers un tel nom.<br />

Car entre la rue <strong>Royale</strong>, la place <strong>Royale</strong>, l’arrêt de tram “<strong>Royale</strong>”, le parc<br />

royal, les galeries royales, il y a de quoi gagner facilement ses lettres de<br />

noblesse, par effet de proximité.<br />

Aller à la “bibliothèque royale” dérange mes sentiments républicains<br />

quasi innés, sans parler de la “paroisse royale”. La simple mention d’un<br />

“athénée royal”, nombreux dans mon quartier, me semble exotique,<br />

et les bars, restaurants, brasseries, hôtels “royaux”, pourtant fréquents<br />

en France aussi, paraissent ici se fondre dans le paysage comme des<br />

poissons dans l’eau.<br />

Ce que je préfère ? Les bâtiments décrépis, les entrées de boutique<br />

miteuses, le “crédit royal” à la plaque quasi arrachée, les “royal offices”<br />

et le “royal building”… Je les collectionnerais si je m’écoutais.


Le “gâteau royal”, le “parquet royal”, la “dorade royale” me font immanquablement<br />

pouffer à leur passage sur mon passage.<br />

Finalement, avec le temps, j’aime la simplicité de ce “royal” bruxellois<br />

omniprésent, le “royal bar”, le “royalton” ou le “royal Jupiler”.<br />

Je me délecte aussi des variations infinies sur le concept de “royal” : les<br />

formules comme “le roi du cigare” ou “le roi du pantalon”, les déclinaisons<br />

du roi, de la reine et du “petit prince”, mais aussi le plus exotique “calife”<br />

et le grisant “majestic”, qui a beaucoup de succès dans mon quartier…<br />

Je ne sais pas si c’est le lieu pour faire une déclaration d’amour à Bruxelles<br />

– une déclaration royale ! – , mais, de la même façon que les Belgian<br />

Solutions, ma collection de photos royales pourrait en être une. Compilée<br />

par David Helbich, cette série de photographies d’aménagements de<br />

voirie absurdes, de réparations urbaines de bout de ficelle, de solutions<br />

hasardeuses et provisoires n’est pas seulement hilarante, c’est aussi ce que<br />

beaucoup de gens aiment dans Bruxelles, son côté de bric et de broc,<br />

sa désinvolture et son je m’en foutisme. C’est exaspérant au quotidien,<br />

quand la piste cyclable s’arrête au milieu du carrefour, que le rond-point<br />

est en travaux depuis 5 ans, que les pavés non remplacés nous font faire<br />

un vol plané, mais c’est aussi pour ça que la ville, paradoxalement, séduit.<br />

Bruxelles est une ville qui ne fait pas d’effort pour plaire. Pas du genre à se<br />

faire belle, ni même présentable, pas de ravalement de façade en perspective<br />

– où alors les chantiers sont prévus sur des durées tellement longues<br />

qu’on est sûrs de ne jamais en voir la fin. J’ai une amie dont c’est le travail,


justement, le ravalement de façade : la structure pour laquelle elle travaille<br />

s’installe dans des quartiers particulièrement miteux et propose<br />

aux commerçants de nouvelles enseignes plus vendeuses à prix hyper<br />

compétitif. Mais ça ne prend pas, les commerçants, souvent, ne voient<br />

pas l’intérêt.<br />

Bruxelles est comme ses habitants, qui selon la légende ou le Petit futé,<br />

ne s’interdisent pas de sortir en peignoir ou en chaussons, bigoudis<br />

sur la tête le cas échéant, pour aller faire une course. L’inverse de Paris<br />

où l’on se sape pour aller chercher le pain. Ici, ni les gens ni même les<br />

immeubles ne cherchent les regards. Il y a beaucoup d’extravagance,<br />

certes, entre les immeubles de la Grand Place, les immeubles art nouveau<br />

comme la maison Saint Cyr ou les mochetés post-modernistes de<br />

la petite ceinture ou de la place de la Cathédrale. Mais l’excentricité ne<br />

se remarque à peine, elle est noyée dans une masse grise sur laquelle le<br />

regard ne s’arrête pas.<br />

Et finalement, c’est assez libérateur. À rire de mes enseignes royales<br />

qui n’ont rien de chic, de digne, ou de protocolaire, bref, dont absolument<br />

rien ne recoupe le champ lexical du “royal”, je me laisse peut-être<br />

séduire par quelque chose qui fait partie du paysage. Je ne suis peut-être<br />

pas assez bruxelloise.<br />

(Octobre 2019)

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!