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othello dans le temps - Odéon Théâtre de l'Europe

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<strong>de</strong> William Shakespeare<br />

mise en scène Éric Vigner<br />

Rencontre<br />

Au bord <strong>de</strong> plateau jeudi 13 novembre<br />

à l’issue <strong>de</strong> la représentation,<br />

en présence <strong>de</strong> l’équipe artistique.<br />

Entrée libre.<br />

Renseignements 01 44 85 40 90<br />

Spectac<strong>le</strong> du mardi au samedi à 20h, <strong>le</strong> dimanche à 15h, relâche <strong>le</strong> lundi<br />

Prix <strong>de</strong>s places : 30€ - 22€ - 12€ - 7,50€ (séries 1-2-3 et 4)<br />

Tarif groupes scolaires : 11€ - 6€ (séries 2 et 3)<br />

<strong>Odéon</strong>–<strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> l’Europe<br />

Place <strong>de</strong> l’<strong>Odéon</strong> Paris 6 e / Métro <strong>Odéon</strong> - RER B Luxembourg<br />

L’équipe <strong>de</strong>s relations avec <strong>le</strong> public : Scolaires et universitaires, associations d’étudiants<br />

Réservations et Actions pédagogiques<br />

Christophe Teillout 01 44 85 40 39 - christophe.teillout@theatre-o<strong>de</strong>on.fr<br />

Émilie Dauriac 01 44 85 40 33 - emilie.dauriac@theatre-o<strong>de</strong>on.fr<br />

Dossier éga<strong>le</strong>ment disponib<strong>le</strong> sur www.theatre-o<strong>de</strong>on.eu<br />

6 novembre - 7 décembre 2008<br />

<strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> l'<strong>Odéon</strong> 6 e<br />

décor et costumes Éric Vigner<br />

lumière Joël Hourbeigt<br />

son Othello Vilgard<br />

traduction et adaptation : Rémi <strong>de</strong> Vos et Éric Vigner<br />

avec<br />

Bénédicte Cerutti : Desdémone<br />

Michel Fau : Iago<br />

Samir Guesmi : Othello<br />

Nicolas Marchand : Ro<strong>de</strong>rigo<br />

Vincent Németh : Brabantio/Montano<br />

Aurélien Patouillard : Le Doge/Lodovico<br />

Thomas Scimeca : Cassio<br />

Catherine Travel<strong>le</strong>tti : Bianca/Un Gentilhomme<br />

Jutta Johanna Weiss : Emilia<br />

production CDDB –<strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> Lorient, Centre dramatique national ; CDN Orléans-<br />

Loiret-Centre ; Arts 276 – Festival d’Automne en Normandie ; Le Parvis, Scène<br />

nationa<strong>le</strong> - Tarbes Pyrénées<br />

créé <strong>le</strong> 6 octobre 2008 au CDDB - <strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> Lorient<br />

Certains éléments <strong>de</strong> ce dossier nous ont été communiqués par l’équipe du CDDB - <strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> Lorient.<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 1


EXTRAIT<br />

OTHELLO<br />

Voilà la cause, la voilà, mon âme.<br />

Dire son nom <strong>de</strong>vant vous, je ne peux pas, chastes étoi<strong>le</strong>s !<br />

La cause est là. Pourtant je ne veux pas verser son sang,<br />

ni déchirer sa peau plus blanche que la neige,<br />

plus douce que l'albâtre <strong>de</strong>s tombeaux.<br />

Mais el<strong>le</strong> doit mourir, el<strong>le</strong> trahirait encore sinon.<br />

Eteindre la lumière, et puis éteindre la lumière.<br />

Si je souff<strong>le</strong> sur toi, esprit du feu,<br />

je peux te rendre à la lumière<br />

si <strong>le</strong> regret me vient. Si je t'éteins toi,<br />

perfection achevée <strong>de</strong> la nature,<br />

où trouver <strong>le</strong> feu prométhéen<br />

qui te rendra à la lumière ? Une fois la rose cueillie,<br />

je ne peux lui rendre la vie,<br />

il faudra qu'el<strong>le</strong> se fane. Je veux la respirer sur la branche.<br />

Oh souff<strong>le</strong> embaumé, qui pourrait persua<strong>de</strong>r<br />

la justice <strong>de</strong> briser son épée ! Encore, encore une fois.<br />

Sois ainsi quand tu seras morte car je vais te tuer,<br />

et je t'aimerai encore. Encore une fois, la <strong>de</strong>rnière.<br />

Jamais douceur n'aura été plus fata<strong>le</strong>. Je p<strong>le</strong>ure.<br />

Mais ces larmes sont cruel<strong>le</strong>s. Mon chagrin est celui du Ciel,<br />

qui frappe ce qu'il aime. El<strong>le</strong> s'éveil<strong>le</strong>.<br />

Othello, Shakespeare, Acte V, Scène 2, traduit par Rémi DE VOS<br />

Le texte est publié aux Éditions Descartes et Cie - Octobre 2008<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 2


Entre 1599 et 1608, Shakespeare a produit sept sommets du répertoire tragique. Othello, qui date probab<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> 1603-4,<br />

est <strong>le</strong> troisième d’entre eux, succédant à Ham<strong>le</strong>t et précédant immédiatement Le Roi Lear. Et ce drame, d’une terrib<strong>le</strong><br />

noirceur, est peut-être <strong>de</strong> tous ceux <strong>de</strong> Shakespeare celui dont l’intrigue est la plus maîtrisée. Le voyage d’Othello vers son<br />

<strong>de</strong>stin, commencé à Venise et s’achevant à Chypre, paraît l’enfoncer peu à peu en enfer, tandis qu’autour <strong>de</strong> lui l’espace va<br />

se rétrécissant progressivement, jusqu’aux dimensions <strong>de</strong> la chambre où Desdémone est étouffée.<br />

Pour retracer <strong>le</strong>s étapes <strong>de</strong> cet engloutissement d'un homme <strong>dans</strong> son propre abîme, Eric Vigner a souhaité d'abord<br />

disposer d'un texte taillé à nouveaux frais pour <strong>de</strong>s acteurs tels que Michel Fau et Samir Guesmi. Car Vigner, qui a toujours<br />

aimé passer <strong>de</strong>s classiques aux mo<strong>de</strong>rnes et faire dialoguer <strong>le</strong>urs qualités respectives, se fait d’Othello une idée résolument<br />

contemporaine. Pour écrire avec lui cette nouvel<strong>le</strong> version, il a fait appel à Rémi <strong>de</strong> Vos. Leur amitié remonte à une bonne<br />

décennie. Vigner a déjà créé <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses oeuvres (dont Jusqu’à ce que la mort nous sépare, présenté à Paris en 2007) au<br />

<strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> Lorient, qu’il dirige <strong>de</strong>puis 1995 et où <strong>de</strong> Vos travail<strong>le</strong> à ses côtés <strong>de</strong>puis trois ans en qualité d’auteur associé.<br />

Leur nouvel<strong>le</strong> traduction a été achevée peu avant <strong>le</strong> départ <strong>de</strong> Vigner pour Atlanta, où il était attendu pour mettre en scène<br />

une pièce <strong>de</strong> cet autre traducteur <strong>de</strong> Shakespeare que fut Bernard-Marie Koltès. Et dès <strong>le</strong> début <strong>de</strong>s répétitions, alors qu’il<br />

abordait en langue anglaise celui qui est l’un <strong>de</strong> ses auteurs <strong>de</strong> prédi<strong>le</strong>ction, il mesura «combien <strong>le</strong>s pièces communiquent<br />

entre el<strong>le</strong>s». Koltès et Shakespeare lui paraissent se faire écho, s'éclairer, se commenter l'un l'autre. «Deux hommes qui se<br />

croisent», écrit Koltès, «n’ont pas d’autre choix que <strong>de</strong> se frapper, avec la vio<strong>le</strong>nce <strong>de</strong> l’ennemi ou la douceur <strong>de</strong> la<br />

fraternité» : en redécouvrant cette réplique <strong>de</strong> Dans la solitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s champs <strong>de</strong> coton, Vigner songe aussitôt à cette autre<br />

«histoire d’hommes» qu’est Othello, où s’affrontent <strong>le</strong> général maure et son enseigne, Iago <strong>le</strong> démoniaque. Koltès et<br />

Shakespeare ont tous <strong>de</strong>ux <strong>le</strong> sens <strong>de</strong>s conflits et <strong>de</strong>s guerres : Othello a pour toi<strong>le</strong> <strong>de</strong> fond une Méditerranée où Turcs et<br />

Vénitiens se disputent la suprématie, et <strong>dans</strong> l'ombre <strong>de</strong> la cité marine que sert Othello <strong>le</strong> Berbère, Koltès ai<strong>de</strong> Vigner à<br />

entrevoir d'autres Etats, nouant avec « <strong>le</strong>urs » étrangers <strong>de</strong>s liens tout aussi ambigus... «Othello», conclut Vigner, «est une<br />

pièce <strong>de</strong>s ténèbres, où la question du désir, <strong>de</strong> l'amour et <strong>de</strong> la mort circu<strong>le</strong> <strong>dans</strong> une atmosphère hypnotique, comme chez<br />

Koltès... L'étrange travail <strong>de</strong> mort qui s'opère <strong>dans</strong> cette pièce ne sera sublimé par rien. C'est un désert que l'on voit».<br />

© Alain Fontenay<br />

Daniel Loayza<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 3


NOTE D’INTENTION D’ÉRIC VIGNER<br />

There is no love, there is no love.<br />

Je vous écris d’Atlanta, du prin<strong>temps</strong> 2008, où je mets en scène In the solitu<strong>de</strong> of the cotton fields nouvel<strong>le</strong> traduction <strong>de</strong> la pièce<br />

<strong>de</strong> Bernard-Marie Koltès, avec un acteur noir américain et un acteur blanc américain. Atlanta <strong>de</strong> CNN et <strong>de</strong> Coca-cola, au<br />

cour du vieux sud noir et esclavagiste, où <strong>le</strong>s champs <strong>de</strong> coton bruissent encore, 40 ans après l’assassinat <strong>de</strong> Martin Luther<br />

King.<br />

Avant mon départ, avec mon ami Rémi De Vos, auteur dramatique, nous avons achevé l’adaptation d’Othello. Six mois <strong>de</strong><br />

travail acharné <strong>de</strong> l’anglais au français pour être au plus près <strong>de</strong> la langue <strong>de</strong> Shakespeare et écrire une version pour la scène,<br />

pour <strong>le</strong>s acteurs. De Koltès à Shakespeare, <strong>dans</strong> l’entrelacs <strong>de</strong>s langues, je lis Othello à la lumière <strong>de</strong> La solitu<strong>de</strong> :<br />

«Two men who meet don’t have any other choice but to fight, with the vio<strong>le</strong>nce of the ennemy or the gent<strong>le</strong>ness of fraternity. Deux hommes qui<br />

se croisent n’ont pas d’autre choix que <strong>de</strong> se frapper, avec la vio<strong>le</strong>nce <strong>de</strong> l’ennemi ou la douceur <strong>de</strong> la fraternité.» (BMK)<br />

Plus que jamais je mesure combien <strong>le</strong>s pièces communiquent entre el<strong>le</strong>s, et comme chaque mise en scène n’est que la<br />

variation d’une invisib<strong>le</strong> construction, d’une histoire faite <strong>de</strong> hasards, <strong>de</strong> choix et <strong>de</strong> liens assemblés. À travers <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s<br />

écritures se répon<strong>de</strong>nt, <strong>de</strong> 1604 à 2008, en réciprocité. Au très fameux “Voilà la cause. Mon chagrin est celui du Ciel, qui<br />

frappe ce qu’il aime”, j’entends revenir en écho <strong>le</strong> Client à la fin <strong>de</strong> La solitu<strong>de</strong> :<br />

«There is no love, there is no love.» (BMK)<br />

Car comme La solitu<strong>de</strong>, Othello est une histoire d’hommes, dont <strong>le</strong> coup<strong>le</strong> principal est bien Iago/Othello. C’est entre eux<br />

que se joue <strong>le</strong> combat : Othello est une pièce <strong>de</strong> guerre, guerre <strong>de</strong> Venise contre <strong>le</strong>s Turcs, guerre <strong>de</strong> conquête <strong>dans</strong> <strong>le</strong><br />

bassin méditerranéen, guerre <strong>de</strong> religion entre l’Orient et l’Occi<strong>de</strong>nt, guerre faite à soi-même et à l’autre, quand l’autre<br />

<strong>de</strong>vient l’étranger qu’il faut anéantir. Au-<strong>de</strong>là du projet inconscient et personnel <strong>de</strong> Iago qui commence par son cri, sa<br />

dou<strong>le</strong>ur quant à l’injustice qui lui est faite <strong>de</strong> ne pas avoir été choisi comme lieutenant par Othello.<br />

C’est une pièce sur la contamination et <strong>le</strong> doute. La certitu<strong>de</strong>, l’ordre <strong>de</strong>s choses, la logique, <strong>le</strong>s va<strong>le</strong>urs sur <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s se fon<strong>de</strong><br />

<strong>le</strong> bon dérou<strong>le</strong>ment d’une société, s’écrou<strong>le</strong>nt sous <strong>le</strong>s coups d’une guerre secrète, sa<strong>le</strong> et intime, d’un seul homme b<strong>le</strong>ssé et<br />

qui veut la mort du mon<strong>de</strong> qui lui a infligé cette dou<strong>le</strong>ur. Si j’étais <strong>le</strong> Maure, je ne voudrais pas être Iago. En <strong>le</strong> servant, je<br />

sers, mais c’est moi que je sers. Le ciel m’est témoin, ni amour ni <strong>de</strong>voir, mais un masque pour atteindre mon but ultime.<br />

Ah, <strong>le</strong> jour où mes actes dévoi<strong>le</strong>ront <strong>le</strong> noyau secret <strong>de</strong> mon être et mon coeur enfin mis à nu, je l’arracherai ce coeur pour<br />

<strong>le</strong> donner aux corbeaux. Je ne suis pas ce que je suis.<br />

Othello est une pièce <strong>de</strong>s ténèbres, où la question du désir, <strong>de</strong> l’amour et <strong>de</strong> la mort circu<strong>le</strong> <strong>dans</strong> une atmosphère<br />

hypnotique, comme chez Koltès. On assiste à une révolution, comme on dit du so<strong>le</strong>il, <strong>le</strong> passage <strong>de</strong> la lumière à l’obscurité.<br />

La lumière, ici, est lumière du jugement <strong>de</strong>rnier, une lumière noire, et Iago l’annonciateur d’une apocalypse. Pas <strong>de</strong> pardon,<br />

pas <strong>de</strong> survie. L’Enfer et la nuit porteront cette monstrueuse naissance à la lumière.<br />

Iago est un ange <strong>de</strong>s ténèbres sans forme et sans poids autres que ceux qu’on projette sur lui, un acteur, un «espace blanc»<br />

qui autorise toutes <strong>le</strong>s projections, et <strong>le</strong> théâtre qui révè<strong>le</strong>ra la conscience d’Othello et par ricochet la nôtre. Son projet<br />

acharné éclaire pour un instant la part noire et aveug<strong>le</strong> qu’Othello porte en lui. Car, que ne voit <strong>le</strong> sombre Othello en lui,<br />

qui <strong>le</strong> conduira à tuer ce qu’il aime et accomplir <strong>le</strong> projet initié par Iago ? Othello est attaqué à l’endroit même <strong>de</strong> sa vérité<br />

profon<strong>de</strong>. L’autre est la bête à tuer et l’autre en soi-même, celui que l’on tolère <strong>dans</strong> une paix relative, <strong>de</strong>vient l’ennemi à<br />

abattre quand s’immisce <strong>le</strong> doute, ce poison. Comme <strong>le</strong> désir que traque <strong>le</strong> Dea<strong>le</strong>r chez <strong>le</strong> Client <strong>de</strong> La solitu<strong>de</strong> :<br />

«Because of the weight of this glance upon me, the virginity in me feels sud<strong>de</strong>nly raped, innocence turned to guilt, and the straight line which was<br />

supposed to carry me from one point of light to another point of light, because of you has become crooked and labyrinth obscure in the obscure<br />

territory where I got lost. Du seul poids <strong>de</strong> ce regard sur moi, la virginité qui est en moi se sent soudain violée, l’innocence coupab<strong>le</strong>, et la ligne<br />

droite censée me mener d’un point lumineux à un autre point lumineux, à cause <strong>de</strong> vous <strong>de</strong>vient crochue et labyrinthe obscur <strong>dans</strong> l’obscur<br />

territoire où je me suis perdu.»(BMK)<br />

Il n’y a pas d’issue, ni d’espoir <strong>dans</strong> cette pièce noire. L’étranger mercenaire l’étalon berbère que la république emploie et<br />

tolère à <strong>de</strong>s fins politiques, jusqu’à accepter <strong>le</strong> rapt nocturne <strong>de</strong> la vierge Des<strong>de</strong>mone, retournera au chaos préfiguré par cet<br />

évanouissement mystérieux où l’homme chute, ravi par <strong>le</strong> poison distillé par Iago. Othello <strong>de</strong>meurera l’étranger et l’étrange<br />

travail <strong>de</strong> mort qui s’opère <strong>dans</strong> cette pièce ne sera sublimé par rien. C’est un désert que l’on voit.<br />

Éric VIGNER, Atlanta, avril 2008<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 4


SOMMAIRE<br />

Othello <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>temps</strong> p6<br />

Repères biographiques <strong>de</strong> Shakespeare p6<br />

Le théâtre élisabéthain p7<br />

Résumé p9<br />

Sources p11<br />

Shakespeare, un maître du montage p12<br />

Les adaptations p14<br />

Du texte à la scène p17<br />

Traduire Shakespeare p17<br />

Othello ou l’intime ravage, entretien avec Éric Vigner p18<br />

Notes <strong>de</strong> mise en scène sur <strong>le</strong>s personnages p22<br />

Notes <strong>de</strong> répétition p24<br />

Croquis <strong>de</strong> costumes p27<br />

Le décor p30<br />

Othello, tragédie <strong>de</strong> l’ombre p31<br />

Le coup<strong>le</strong> Othello-Iago p31<br />

Othello, entre étranger et “étrangeté” p33<br />

Poison et contagion : <strong>de</strong> l’amour au crime p36<br />

Repères biographiques : p44<br />

Equipe artistique p44<br />

Collaborateurs artistiques p47<br />

Bibliographie p49<br />

Pour al<strong>le</strong>r plus loin p50<br />

A voir éga<strong>le</strong>ment p50<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 5


OTHELLO DANS LE TEMPS<br />

REPÈRES BIOGRAPHIQUES DE SHAKESPEARE<br />

1564 26 avril<br />

Autour <strong>de</strong> 1572<br />

1582 28 novembre<br />

1583 23 mai<br />

1585 2 février<br />

1589-1601<br />

1592<br />

1593<br />

1594<br />

1595<br />

1596<br />

1599<br />

1601-1609<br />

1601<br />

1602<br />

1603<br />

1604<br />

1605<br />

1608<br />

1610<br />

1611<br />

1616 23 avril<br />

Baptême <strong>de</strong> William Shakespeare à Stratford-upon-Avon, fils du gantier John Shakespeare<br />

Scolarité (supposée) à la grammar school <strong>de</strong> Stratford<br />

Mariage avec Anne Hathaway<br />

Naissance <strong>de</strong> sa première fil<strong>le</strong> Suzanne<br />

Naissance <strong>de</strong>s jumeaux Judith et Hamnet (qui meurt quelques années plus tard, en 1596)<br />

<strong>le</strong> <strong>temps</strong> <strong>de</strong>s “histories” : Henri IV, Henri V, Henri VI, Richard III...<br />

Shakespeare vit à Londres, séparé <strong>de</strong> sa famil<strong>le</strong>. Il <strong>de</strong>vient acteur, écrivain et fina<strong>le</strong>ment membre<br />

éminent <strong>de</strong> la compagnie théâtra<strong>le</strong> “Lord Chamberlain’s Men”<br />

Première <strong>de</strong> Richard III<br />

Première <strong>de</strong> Titus Andronicus<br />

Première <strong>de</strong> La Mégère apprivoisée<br />

Première <strong>de</strong> Roméo et Juliette<br />

Première du Songe d’une nuit d’été<br />

Première du Marchand <strong>de</strong> Venise<br />

Ouverture du Globe, théâtre <strong>dans</strong> <strong>le</strong>quel la compagnie <strong>de</strong>viendra rési<strong>de</strong>nte<br />

Première <strong>de</strong> Ju<strong>le</strong>s César<br />

Le <strong>temps</strong> <strong>de</strong>s tragédies: Elisabeth se détourne <strong>de</strong> la bourgeoisie cupi<strong>de</strong> et renoue avec <strong>le</strong>s<br />

féodaux. Shakespeare, écoeuré sans doute, abandonne <strong>le</strong> drame civique pour la tragédie.<br />

Comme Sénèque, il va créer <strong>de</strong>s monstres: Lear, monstre <strong>de</strong> gâtisme, Macbeth, monstre d’ambition,<br />

Othello, monstre <strong>de</strong> jalousie.<br />

Première d’Ham<strong>le</strong>t<br />

Première <strong>de</strong> La Nuit <strong>de</strong>s rois<br />

Première <strong>de</strong> Troïlus et Cressida<br />

Après <strong>le</strong> décès d’Elisabeth Ière, Jacques Ier, nouvel<strong>le</strong>ment couronné, adopte la troupe qui porte<br />

désormais <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> “King’s Men”<br />

Première d’Othello<br />

Première du Roi Lear<br />

Première <strong>de</strong> Macbeth<br />

Shakespeare est l’un <strong>de</strong>s cofondateurs et principaux actionnaires du théâtre couvert <strong>de</strong>s<br />

Blackfriars<br />

Première du Conte d’Hiver<br />

Première <strong>de</strong> la Tempête<br />

Shakespeare se retire à Stratford<br />

Mort du dramaturge. Il est inhumé à Stratford-upon-Avon<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 6


LE THÉÂTRE ÉLISABÉTHAIN:<br />

Elisabeth Ière, la “Reine vierge”, règne <strong>de</strong> 1558 à 1603, soit : 45 ans.<br />

Cultivée (el<strong>le</strong> par<strong>le</strong>, outre <strong>le</strong> latin et <strong>le</strong> grec, quatre langues), el<strong>le</strong> protège <strong>le</strong><br />

théâtre contre <strong>le</strong>s attaques <strong>de</strong>s protestants “purs et durs”, <strong>le</strong>s Puritains, qui voient<br />

en lui une éco<strong>le</strong> <strong>de</strong> débauche, d’immoralité, <strong>de</strong> paresse.[...]<br />

[...] Après avoir utilisé un <strong>temps</strong> <strong>le</strong>s cours d’auberges en “intéressant” <strong>le</strong> patron à<br />

la recette, <strong>le</strong>s troupes ambulantes (chacune placée sous la protection nomina<strong>le</strong><br />

d’un grand seigneur pour se mettre à l’abri <strong>de</strong>s magistrats puritains) construisent<br />

<strong>de</strong>s théâtres fixes : <strong>le</strong> premier baptisé simp<strong>le</strong>ment “Le <strong>Théâtre</strong>”, est bâti en 1576<br />

par un comédien-chef <strong>de</strong> troupe James Burbage, muni d’un privilège <strong>de</strong> la reine,<br />

<strong>dans</strong> une banlieue <strong>de</strong> la Rive Nord. Shakespeare, qui fera partie <strong>de</strong> sa compagnie,<br />

aura ses premières pièces jouées là. Peu après poussent à côté: “Le Ri<strong>de</strong>au”, “La<br />

Fortune”, “Les Blackfriars”... En 1585, Rive Sud, près <strong>de</strong> la Tamise, s’ouvre “La<br />

Rose”. A cause <strong>de</strong> démêlés avec <strong>le</strong> propriétaire du terrain, “Le <strong>Théâtre</strong>” est<br />

démoli. Burbage récupère <strong>le</strong>s matériaux et <strong>le</strong>s utilise pour édifier “Le Globe”<br />

(1594), Rive Sud. Trente-cinq pièces <strong>de</strong> Shakespeare seront créées là. Jacques Ier<br />

accor<strong>de</strong> à l’équipe <strong>le</strong> privilège <strong>de</strong> porter <strong>le</strong> titre envié <strong>de</strong> “troupe du Roi”.[...]<br />

[...]Les représentations ont lieu l’après-midi. Il faut traverser la Tamise pour se rendre aux théâtres <strong>de</strong> la Rive Sud (<strong>le</strong>s plus<br />

prestigieux semb<strong>le</strong>-t-il...). Gaston Baty décrit l’expédition:<br />

“ On hè<strong>le</strong> <strong>le</strong>s bâteliers; on joue <strong>de</strong>s cou<strong>de</strong>s pour embarquer. Des injures sonnent. Les élégantes sont lacées <strong>de</strong> fil d’archal. Les galants, la barbe en<br />

triang<strong>le</strong>, arborent un gant <strong>de</strong> femme sur <strong>le</strong>ur feutre emplumé. Passent <strong>de</strong>s marchands <strong>de</strong> chansons. Des mendiants se glissent et <strong>de</strong>s maquerel<strong>le</strong>s.<br />

<strong>le</strong>s barques trop chargées s’éloignent sur l’eau grasse. Il est trois heures. Londres va au théâtre.”<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 7<br />

.../...


Sur ses 200 000 habitants, Londres compte 12000 “marginaux” vivant <strong>de</strong> trafics et <strong>de</strong> commerces illicites...et très friands <strong>de</strong><br />

spectac<strong>le</strong>s : combat d’animaux (chiens, coqs), matches <strong>de</strong> boxe, théâtre. Se rendre à “la maison du Diab<strong>le</strong>” (<strong>le</strong> théâtre selon<br />

<strong>le</strong>s Puritains), c’est quelque peu “s’encanail<strong>le</strong>r”...<br />

“ Les théâtres. On <strong>le</strong>s aperçoit sur l’autre rive, <strong>le</strong>urs faïtes dominent <strong>le</strong>s arbres. Ce sont <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s constructions ron<strong>de</strong>s ou polygona<strong>le</strong>s. [...] Le<br />

drapeau hissé annonce que l’heure approche. Aux fenêtres du pignon, <strong>le</strong>s trompettes appel<strong>le</strong>nt. Le programme est affiché à la porte “pour la<br />

commodité <strong>de</strong> ceux qui savent lire”. Le public afflue. Aux ga<strong>le</strong>ries, élégants, dames et riches bourgeois [...] dominent la cohue du parterre où<br />

grouil<strong>le</strong>nt “<strong>le</strong>s puants”. Les va<strong>le</strong>ts du théâtre crient <strong>le</strong> vin et la bière (que <strong>le</strong>s ivrognes iront évacuer <strong>dans</strong> ce baquet près <strong>de</strong> la porte), <strong>le</strong>s pommes<br />

et <strong>le</strong>s noix qui serviront tout à l’heure <strong>de</strong> projecti<strong>le</strong>s.”<br />

Le dispositif scénique fait l’admiration <strong>de</strong>s gens du théâtre mo<strong>de</strong>rne (en particulier <strong>de</strong> Jouvet). Il permet la simultanéité <strong>de</strong>s<br />

actions et une mise en scène <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s trois dimensions grâce à ses “aires <strong>de</strong> jeux” multip<strong>le</strong>s, notamment :<br />

A : L’avant-scène pour <strong>le</strong>s duels et batail<strong>le</strong>s, scènes champêtres, monologues...<br />

B : L’arrière-scène (alcôve fermée par une courtine) pour <strong>le</strong>s adultères et <strong>le</strong>s trépas. Polonius y espionne Ham<strong>le</strong>t. C’est là<br />

<strong>le</strong> tombeau <strong>de</strong> Juliette, la chambre à coucher <strong>de</strong> Desdémone... On tire <strong>le</strong> ri<strong>de</strong>au et <strong>le</strong> trône du roi apparaît. Le souff<strong>le</strong>ur peut<br />

s’y tenir.<br />

C : Le balcon (sous l’auvent) qui figure aussi bien <strong>le</strong> rempart d’un château-fort que <strong>le</strong> balcon <strong>de</strong> Juliette. On y pend <strong>de</strong>s<br />

oriflammes, <strong>de</strong>s tapisseries “d’Arras”.<br />

D : La scène proprement dite, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s pilliers.<br />

André DEGAINE, Histoire du théâtre <strong>de</strong>ssinée, Nizet, Paris, 1992<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 8


RÉSUMÉ :<br />

C'est <strong>dans</strong> la gran<strong>de</strong> et puissante Venise que s'ouvre <strong>le</strong> premier acte d'Othello. Ro<strong>de</strong>rigo, prétendant éconduit <strong>de</strong> la fil<strong>le</strong> du<br />

sénateur Brabantio, s'emporte contre Iago, soldat <strong>de</strong> l'armée vénitienne. Celui-ci connaissait en effet l'intention <strong>de</strong><br />

Desdémone <strong>de</strong> s'enfuir <strong>de</strong> chez el<strong>le</strong> pour épouser en secret <strong>le</strong> maure Othello, chef <strong>de</strong>s armées vénitiennes et cependant il<br />

n'en a pas prévenu Ro<strong>de</strong>rigo. Ro<strong>de</strong>rigo se plaint <strong>de</strong> cette omission et affirme ne pas comprendre <strong>le</strong> comportement <strong>de</strong> Iago<br />

qui lui avait pourtant déclaré détester <strong>le</strong> Maure. Iago réaffirme alors avec vigueur cette haine <strong>de</strong> son supérieur qui, malgré<br />

ses années <strong>de</strong> bons et loyaux services, ne lui a pas offert la promotion tant attendue et lui a préféré <strong>le</strong> jeune florentin Cassio,<br />

théoricien et stratège militaire.<br />

Iago, accompagné <strong>de</strong> Ro<strong>de</strong>rigo, réveil<strong>le</strong> <strong>le</strong> sénateur Brabantio et se fait un malin plaisir <strong>de</strong> lui révé<strong>le</strong>r la fuite <strong>de</strong> sa fil<strong>le</strong> et<br />

son mariage clan<strong>de</strong>stin. Puis, avant que <strong>le</strong> vieil homme ne <strong>de</strong>scen<strong>de</strong> <strong>de</strong> chez lui, il fuit, expliquant à Ro<strong>de</strong>rigo qu'il ne doit<br />

pas se trouver impliqué s'il veut gar<strong>de</strong>r la confiance du Maure.<br />

La scène suivante voit apparaître Othello, à qui Iago (tout en omettant <strong>de</strong> préciser son rô<strong>le</strong> <strong>dans</strong> cette affaire) raconte la<br />

réaction furieuse du sénateur Brabantio lorsqu'il a appris la nouvel<strong>le</strong> du mariage <strong>de</strong> sa fil<strong>le</strong>. Il conseil<strong>le</strong> à Othello <strong>de</strong> fuir la<br />

colère paternel<strong>le</strong> mais celui-ci refuse. Cassio entre alors, portant un message du Doge. Celui-ci requiert la présence d'Othello<br />

car il a reçu d'alarmantes nouvel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Chypre. Le sénateur Brabantio fait irruption avec ses hommes mais Othello refuse<br />

<strong>de</strong> se battre contre lui et propose <strong>de</strong> mener cette affaire <strong>de</strong>vant <strong>le</strong> Doge qui l'a réclamé. Lorsqu'ils parviennent au palais, il<br />

n'est plus aucun doute quant au caractère urgent <strong>de</strong> la situation : <strong>le</strong> Doge a besoin d'Othello pour mener ses troupes à<br />

Chypre. Cependant, Brabantio tient à faire entendre sa plainte et accuse <strong>le</strong> Maure <strong>de</strong> sorcel<strong>le</strong>rie: comment expliquer<br />

autrement que sa fil<strong>le</strong> ait choisi <strong>de</strong> l'épouser en secret? On donne alors à Othello l'occasion <strong>de</strong> se défendre et il <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

que soit éga<strong>le</strong>ment convoquée Desdémone afin qu'el<strong>le</strong> puisse appuyer ses dires. Après <strong>le</strong>s avoir tous entendu, <strong>le</strong> Doge tente<br />

d'apaiser <strong>le</strong>s esprits et propose une réconciliation que Brabantio refuse tout net. Il est alors décidé que Desdémone<br />

rejoindra son mari à Chypre, en compagnie <strong>de</strong> sa suivante Emilia et <strong>de</strong> son époux Iago, en qui Othello déclare avoir toute<br />

confiance. Les <strong>de</strong>ux époux partent profiter <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs <strong>de</strong>rnières heures ensemb<strong>le</strong>. Iago enjoint Ro<strong>de</strong>rigo à ne pas perdre espoir<br />

concernant Desdémone. Une fois seul, il révè<strong>le</strong> ses intentions: puisque Othello lui a préféré Cassio, c'est ce <strong>de</strong>rnier qui sera<br />

l'instrument <strong>de</strong> sa vengeance.<br />

L'acte II nous emmène à Chypre où l'on attend toujours l'arrivée d'Othello. Une tempête, qui a détruit la flotte turque, a<br />

retenu son vaisseau. Cassio constatant l'inquiétu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Desdémone pour son mari tente <strong>de</strong> détourner son attention par une<br />

conversation légère. Iago, assistant à cette scène complice, y voit la cristallisation <strong>de</strong> son plan. Après l'arrivée d'Othello, il<br />

pousse donc Ro<strong>de</strong>rigo à se battre contre Cassio, sous prétexte que ce serait fina<strong>le</strong>ment au jeune florentin que Desdémone<br />

accor<strong>de</strong>rait ses faveurs.<br />

Un héraut annonce une nuit <strong>de</strong> festivités donnée en l'honneur <strong>de</strong> la victoire d'Othello et <strong>de</strong> ses noces. Plus tard <strong>dans</strong> la nuit,<br />

Othello se retire avec Desdémone et laisse Cassio monter la gar<strong>de</strong>. Iago pousse Cassio à boire et <strong>le</strong> taquine jsuqu'à <strong>le</strong><br />

rendre irritab<strong>le</strong>. Ro<strong>de</strong>rigo entre alors et commence à se battre avec Cassio. Montano, gouverneur <strong>de</strong> l'î<strong>le</strong>, tente <strong>de</strong> faire<br />

cesser <strong>le</strong> combat et, <strong>dans</strong> sa tentative, se retrouve b<strong>le</strong>ssé par Cassio, ivre. Othello apparaît et lorsqu'on lui fait <strong>le</strong> récit <strong>de</strong> ce<br />

qui vient <strong>de</strong> se passer, il prive <strong>le</strong> jeune florentin <strong>de</strong> ses fonctions. Celui-ci retrouve en un instant ses esprits et se montre<br />

particulièrement honteux <strong>de</strong> son comportement. Iago lui conseil<strong>le</strong> alors <strong>de</strong> plai<strong>de</strong>r sa cause auprès <strong>de</strong> Desdémone.<br />

Au début <strong>de</strong> l'acte III, Iago organise une rencontre en privé entre Cassio et la jeune épouse qui promet naïvement<br />

d'intercé<strong>de</strong>r en sa faveur auprès <strong>de</strong> son mari. Lorsque Othello entre en scène, Cassio, honteux, part précipitamment et Iago<br />

en profite instantanément pour suggérer que Cassio semb<strong>le</strong> vouloir éviter <strong>le</strong> Maure. Desdémone vient immédiatement<br />

plai<strong>de</strong>r avec ferveur la cause du jeune florentin et affirme à son mari qu'el<strong>le</strong> ne cessera que lorsqu'il l'aura pardonné. Tandis<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 9<br />

.../...


qu'el<strong>le</strong> sort avec Emilia, Iago commence à insinuer <strong>le</strong> doute <strong>dans</strong> l'esprit d'Othello quant à l'honnêteté <strong>de</strong> Cassio et à la<br />

fidélité <strong>de</strong> Desdémone. Si bien que lorsque cel<strong>le</strong>-di revient, el<strong>le</strong> trouve son époux <strong>dans</strong> un état d'agitation extrême. El<strong>le</strong><br />

cherche à l'apaiser et à <strong>le</strong> soulager en passant son mouchoir sur son front, mais il la repousse et sort. Le mouchoir est tombé<br />

à terre.Emilia <strong>le</strong> trouve un moment après et cè<strong>de</strong> à son mari qui <strong>le</strong> lui réclame. C'est un mouchoir aisément reconnaib<strong>le</strong> aux<br />

fraises qui lui servent <strong>de</strong> motif, et qui a une va<strong>le</strong>ur sentimenta<strong>le</strong> pour sa maîtresse puisqu'il s'agit du tout premier présent<br />

que lui a fait Othello. Ce <strong>de</strong>rnier revient en scène et <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Iago <strong>de</strong> lui fournir la preuve irréfutab<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'infidélité <strong>de</strong> sa<br />

femme. Iago prétend avoir entendu Cassio par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> Desdémone <strong>dans</strong> son sommeil et qu'il l'a vu un peu plus tard s'essuyer<br />

<strong>le</strong> visage avec un mouchoir avec <strong>de</strong> petites fraises brodées. Othello, alors persuadé que sa femme et Cassio entretiennent<br />

une liaison, fait <strong>le</strong> serment <strong>de</strong> se venger. Il promeut ensuite Iago au rang <strong>de</strong> lieutenant. Lorsqu'il revoit Desdémone, il lui<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> où est <strong>le</strong> mouchoir qu'il lui a offert et entre <strong>dans</strong> une rage fol<strong>le</strong> lorsqu'el<strong>le</strong> lui dit ne pouvoir lui montrer. Iago<br />

s'arrange alors pour dépouser <strong>le</strong> mouchoir <strong>dans</strong> un lieu où cassio ne peut manquer <strong>de</strong> <strong>le</strong> trouver et pour que <strong>le</strong> Maure voit<br />

ce même mouchoir <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s mains <strong>de</strong> celui qu'il croit être l'amant <strong>de</strong> sa femme.<br />

A l'acte IV, Othello déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> tuer Desdémone, Iago se chargera <strong>de</strong> Cassio. A ce moment, Lodovico arrive <strong>de</strong> Venise avec<br />

pour ordre <strong>de</strong> ramener Othello avec lui et <strong>de</strong> laisser à Cassio la charge <strong>de</strong> gouverneur <strong>de</strong> l'î<strong>le</strong>. Othello accuse Desdémone<br />

d'infidélité et refuse <strong>de</strong> croire à ses protestations d'innocence. Il lui ordonne d'al<strong>le</strong>r se coucher. De son côté, Iago persua<strong>de</strong><br />

Ro<strong>de</strong>rigo <strong>de</strong> tuer Cassio. Mais <strong>le</strong>s évènements ne se dérou<strong>le</strong>nt pas tels qu'ils ont été prévus et c'est fina<strong>le</strong>ment Cassio qui<br />

b<strong>le</strong>sse Ro<strong>de</strong>rigo. Iago accourt alors et b<strong>le</strong>sse Cassio à la jambe. Othello, entendant <strong>le</strong>s cris <strong>de</strong> Cassio, croit que la moitié du<br />

plan est déjà exécutée et veut en terminer au plus vite. Iago, craignant que Ro<strong>de</strong>rigo ne <strong>le</strong> dénonce <strong>le</strong> tue puis il ordonne à<br />

Emilia d'al<strong>le</strong>r rapporter à Othello ce qui vient <strong>de</strong> se passer.<br />

Pendant ce <strong>temps</strong>, Othello, sourd aux supplications <strong>de</strong> Desdémone l'étouffe <strong>dans</strong> <strong>le</strong> lit nuptial. Emilia arrive mais Othello<br />

refuse <strong>de</strong> la laisser entrer tant qu'il n'est pas certain que son épouse est morte. Desdémone <strong>dans</strong> son <strong>de</strong>rnier souff<strong>le</strong> tente<br />

d'innocenter son mari auprès <strong>de</strong> sa suivante. Mais lorsqu'il la laisse fina<strong>le</strong>ment entrer, Othello avoue son geste. Horrifiée,<br />

cel<strong>le</strong>-ci lui apprend que <strong>le</strong>s insinuations <strong>de</strong> Iago n'étaient que mensonges et el<strong>le</strong> appel<strong>le</strong> au secours. Les autres entrent et<br />

Othello <strong>le</strong>ur explique pourquoi il a tué Desdémone. Emilia achève <strong>de</strong> <strong>le</strong> détromper en lui révélant que c'est el<strong>le</strong> qui a trouvé<br />

<strong>le</strong> mouchoir et l'a donné à son mari. Iago tue alors sa femme et Othello tente <strong>de</strong> tuer Iago mais ne parvient qu'à <strong>le</strong> b<strong>le</strong>sser.<br />

Effondré, il se poignar<strong>de</strong> et meurt sur <strong>le</strong> corps <strong>de</strong> sa femme.<br />

© Alain Fontenay<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 10


SOURCES :<br />

La source unanimement reconnue d’Othello est “L’Histoire <strong>de</strong> Dis<strong>de</strong>mona <strong>de</strong> Venise et du Capitaine Maure” <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s<br />

Ecatommiti <strong>de</strong> l’écrivain italien G. B. Giraldi Cintio (1504-1573). Ce recueil <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s publié à Venise en 1565 a été<br />

amp<strong>le</strong>ment mis à contribution par <strong>le</strong>s dramaturges élisabéthains en quête <strong>de</strong> sujets. On ne peut toutefois dire avec certitu<strong>de</strong><br />

si Shakespeare a utilisé l’original, une traduction anglaise (aucune traduction <strong>de</strong> l’époque ne nous est parvenue), ou la<br />

traduction française <strong>de</strong> Gabriel Chappuys (Cent Excel<strong>le</strong>ntes Nouvel<strong>le</strong>s, 1583-1584).<br />

Shakespeare suit <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s gran<strong>de</strong>s lignes l’intrigue <strong>de</strong> Giraldi, dont tous <strong>le</strong>s personnages, à part l’héroïne (Dis<strong>de</strong>mona) sont<br />

anonymes. Un capitaine maure s’éprend d’une nob<strong>le</strong> Vénitienne qui lui rend son amour, cédant non pas à “un désir propre<br />

aux femmes”, mais à “une juste appréciation <strong>de</strong> ses mérites”. Malgré l’opposition <strong>de</strong> la famil<strong>le</strong>, ils se marient et <strong>le</strong>s époux<br />

vivent quelque <strong>temps</strong> à Venise en parfaite harmonie. Quand <strong>le</strong> Maure part comman<strong>de</strong>r la garnison <strong>de</strong> Chypre, Dis<strong>de</strong>mona<br />

insiste pour <strong>le</strong> suivre. L’enseigne du Maure, “homme <strong>de</strong> bel<strong>le</strong> prestance mais nature dépravée”, est lui-même amoureux <strong>de</strong><br />

Dis<strong>de</strong>mona qui repousse ses avances. Dépité, il déci<strong>de</strong> sa perte. L’occasion se présente quand un capitaine, ami du Maure<br />

et familier <strong>de</strong> la maison, est cassé <strong>de</strong> son gra<strong>de</strong> pour s’être battu avec un soldat qui montait la gar<strong>de</strong>. Dis<strong>de</strong>mona intercè<strong>de</strong><br />

pour lui auprès <strong>de</strong> son mari et l’enseigne parvient à persua<strong>de</strong>r <strong>le</strong> Maure que cet intérêt est suspect. Quand <strong>le</strong> Maure <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s preuves, l’enseigne vo<strong>le</strong> un mouchoir <strong>de</strong> la jeune femme et <strong>le</strong> laisse <strong>dans</strong> la chambre du capitaine. Le Maure réclame <strong>le</strong><br />

mouchoir qu’on ne peut lui montrer, et <strong>le</strong> voit entre <strong>le</strong>s mains d’une servante du capitaine, occupée à copier <strong>le</strong> motif <strong>de</strong><br />

bro<strong>de</strong>rie. Puis, lorsque <strong>le</strong> capitaine est traîtreusement b<strong>le</strong>ssé et estropié (par l’enseigne) en revenant <strong>de</strong> chez une courtisane<br />

Dis<strong>de</strong>mona manifeste sa compassion, qui <strong>de</strong>vient pour <strong>le</strong> Maure une nouvel<strong>le</strong> preuve d’infidélité. Le Maure complote alors<br />

avec l’enseigne pour tuer sa femme sans éveil<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s soupçons. Une nuit, el<strong>le</strong> est attirée hors <strong>de</strong> sa chambre, assommée par<br />

l’enseigne, transportée <strong>dans</strong> son lit, puis écrasée sous <strong>le</strong>s décombres du plafond (délabré) que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux complices font<br />

tomber sur el<strong>le</strong>. Pris <strong>de</strong> regrets, car “il avait aimé la dame plus que sa propre vie”, <strong>le</strong> Maure se met à détester l’enseigne qui<br />

<strong>le</strong> dénonce alors comme assassin <strong>de</strong> sa femme et responsab<strong>le</strong> du guet-apens où <strong>le</strong> capitaine a pedu une jambe. Arrêté puis<br />

condamné à l’exil, <strong>le</strong> Maure est fina<strong>le</strong>ment assassiné par <strong>le</strong>s parents <strong>de</strong> Dis<strong>de</strong>mona. L’enseigne continue ses agissements<br />

scélérats, et, après <strong>de</strong> nouveaux démêlés avec la justice, il meurt sous la torture. Ainsi Dis<strong>de</strong>mona est vengée.<br />

Les changements <strong>le</strong>s plus notab<strong>le</strong>s apportés par Shakespeare au niveau <strong>de</strong> l’intrigue concernant la promotion <strong>de</strong> Cassio au<br />

détriment d’Iago, <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux personnages <strong>de</strong> Ro<strong>de</strong>rigo et <strong>de</strong> Brabantio (ajoutés) et celui d’Emilie. Chez Giraldi, la femme <strong>de</strong><br />

l’enseigne est l’amie et la confi<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> Dis<strong>de</strong>mona; sans participer auc omplot, el<strong>le</strong> est au courant <strong>de</strong>s intentions <strong>de</strong> son<br />

mari mais n’ose rien dire et el<strong>le</strong> se borne à conseil<strong>le</strong>r la pru<strong>de</strong>nce à Dis<strong>de</strong>mona. Autres modifications ponctuel<strong>le</strong>s : <strong>de</strong>s<br />

sentiments amoureux <strong>de</strong> l’enseigne ne subsiste qu’une remarque brève et ironique d’Iago (II, 1, 269-272) ; l’ivresse <strong>de</strong> Cassio<br />

est un ajout ; <strong>le</strong>s circonstances du meurtre sont différentes et aussi cel<strong>le</strong>s du vol du mouchoir qui n’a rien <strong>de</strong> magique (chez<br />

Giraldi, l’enseigne et sa femme ont une petite fil<strong>le</strong> ; l’enseigne prend adroitement <strong>le</strong> mouchoir sur Dis<strong>de</strong>mona, un jour où,<br />

en visite chez eux, el<strong>le</strong> tenait l’enfant <strong>dans</strong> ses bras) ; enfin chez Giraldi, la femme <strong>de</strong> l’enseigne, seu<strong>le</strong> survivante, est la<br />

mémoire qui permet <strong>de</strong> relater <strong>le</strong>s faits. Pour <strong>le</strong> reste, tout est transfiguré par l’alchimie du verbe shakespearien.<br />

La référence à la mer Pontique (III, 3, 456-459) vient vraisemblab<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> trois passages <strong>de</strong> l’Histoire naturel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Pline <strong>dans</strong><br />

la traduction <strong>de</strong> P. Holland (1601) et Shakespeare semb<strong>le</strong> s’être documenté sur Venise <strong>dans</strong> l’ouvrage du cardinal Contarini<br />

sur cette vil<strong>le</strong> ( traduction anglaise, 1599), et sur <strong>le</strong>s Turcs <strong>dans</strong> The General History of the Turks (1603), <strong>de</strong> Richard Knol<strong>le</strong>s.<br />

Léone TEYSSANDIER,“Introduction”, in SHAKESPEARE, Tragédies II, Robert Laffont, Paris, 1995<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 11


SHAKESPEARE, UN MAITRE DU MONTAGE<br />

notes rapi<strong>de</strong>s sur <strong>le</strong> <strong>temps</strong> et l’espace <strong>dans</strong> Othello<br />

Rappel : la plupart <strong>de</strong>s dramaturges élisabéthains, dont Shakespeare, ne composaient pas <strong>le</strong>urs intrigues en s’appuyant sur une<br />

division en actes (<strong>le</strong>s actes ont <strong>le</strong> plus souvent été définis a posteriori par <strong>le</strong>s éditeurs <strong>de</strong>s pièces). En revanche, la division en scènes est pertinente,<br />

incontestab<strong>le</strong>ment inscrite <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s textes et voulue par <strong>le</strong>s auteurs. Cependant, il ne faut jamais perdre <strong>de</strong> vue que <strong>le</strong>s principes constitutifs <strong>de</strong><br />

l’unité scénique élisabéthaine n’ont rien à voir avec ceux du théâtre classique français. Dans ce <strong>de</strong>rnier, la scène se délimite en fonction <strong>de</strong>s entrées<br />

<strong>de</strong>s personnages. La scène élisabéthaine, pour sa part, est la portion <strong>de</strong> texte qui est comprise entre <strong>de</strong>ux “plateaux nus”, c’est-à-dire entre <strong>de</strong>ux<br />

interval<strong>le</strong>s où aucun acteur ne se trouve en train <strong>de</strong> jouer <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s spectateurs. Une “scène” <strong>de</strong> Shakespeare se termine donc en principe avec la<br />

sortie <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s personnages présents (on néglige ici certains cas particuliers, comme <strong>le</strong>s scènes où un personnage endormi reste seul en scène, etc.)<br />

Par ail<strong>le</strong>urs, en ce qui concerne <strong>le</strong>s gran<strong>de</strong>s données <strong>de</strong> l’action dramatique, on sait que <strong>le</strong>s élisabéthains ne se sont jamais donné <strong>de</strong>s contraintes<br />

tel<strong>le</strong>s que la “règ<strong>le</strong> <strong>de</strong>s trois unités”. Conséquence immédiate : <strong>le</strong>ur construction du <strong>temps</strong> et <strong>de</strong> l’espace dramatiques diffère<br />

profondément <strong>de</strong> la pratique <strong>de</strong>s auteurs français du Grand Sièc<strong>le</strong>. Racine, par exemp<strong>le</strong>, doit bâtir son intrigue <strong>de</strong> façon à ce qu’el<strong>le</strong> tienne (ou<br />

paraisse tenir) en l’espace d’une journée. Shakespeare, lui, doit articu<strong>le</strong>r son <strong>temps</strong> dramatique <strong>de</strong> tel<strong>le</strong> sorte que son intrigue ne se dissolve pas,<br />

en quelque sorte, faute <strong>de</strong> repères temporels fixes.<br />

Othello offre l’un <strong>de</strong>s meil<strong>le</strong>urs exemp<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l’art shakespearien du montage. On observera à cet égard avec quel<strong>le</strong> soup<strong>le</strong>sse<br />

il joue <strong>de</strong>s données d’espace et <strong>de</strong> <strong>temps</strong>.<br />

Quelques remarques rapi<strong>de</strong>s sur l’organisation spatia<strong>le</strong> : un premier groupe <strong>de</strong> scènes situées à Venise constitue une sorte<br />

<strong>de</strong> prologue ; à Chypre, l’action progresse <strong>dans</strong> <strong>le</strong> sens d’un enfermement croissant (<strong>de</strong> l’î<strong>le</strong>, on passe à différents lieux au<br />

sein <strong>de</strong> la forteresse, pour finir <strong>dans</strong> l’espace <strong>le</strong> plus intime et <strong>le</strong> plus fermé : la chambre nuptia<strong>le</strong> où a lieu <strong>le</strong> crime, et où<br />

Othello, acculé, se suici<strong>de</strong>).<br />

Quant à l’organisation temporel<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> est trop comp<strong>le</strong>xe pour pouvoir être abordée en détail. Bornons-nous à indiquer que<br />

Shakespeare nous conduit d’une nuit (cel<strong>le</strong> du mariage) à une autre nuit (cel<strong>le</strong> du meurtre), et qu’une seu<strong>le</strong> scène <strong>de</strong> nuit <strong>le</strong>s<br />

sépare (cel<strong>le</strong> où Cassio cè<strong>de</strong> à l’ivresse – cette nuit-là étant par ail<strong>le</strong>urs la nuit <strong>de</strong> noces d’Othello et <strong>de</strong> Desdémone).<br />

Est-ce à dire que trois “nuits” suffisent à contenir l’ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong> l’action ? En combien <strong>de</strong> “jours” Othello<br />

<strong>de</strong>vient-il donc un criminel ? Rappelons en guise <strong>de</strong> réponse qu’Othello offre un exemp<strong>le</strong> frappant et artistiquement<br />

magnifique <strong>de</strong> ce que <strong>le</strong>s critiques appel<strong>le</strong>nt la “doub<strong>le</strong> temporalité” shakespearienne. Doub<strong>le</strong>, parce que <strong>le</strong> dramaturge joue<br />

constamment sur au moins <strong>de</strong>ux plans.<br />

Le premier, pour al<strong>le</strong>r vite, serait celui du ca<strong>le</strong>ndrier, celui que s’astreindrait à respecter un certain réalisme, ou que <strong>le</strong>s<br />

spectateurs seraient enclins à reconnaître comme tel. Si l’intrigue d’Othello est abordée <strong>de</strong> ce seul point <strong>de</strong> vue, el<strong>le</strong> ne résiste<br />

pas à l’examen. En effet, si l’on ne repère <strong>dans</strong> Othello que <strong>le</strong>s indices re<strong>le</strong>vant <strong>de</strong> cette première sorte <strong>de</strong> <strong>temps</strong>, il apparaît<br />

assez vite que <strong>le</strong>s différents éléments recueillis sont soit impossib<strong>le</strong>s à concilier (Cassio ne peut s’être abstenu <strong>de</strong> rendre visite<br />

à Bianca <strong>de</strong>puis une semaine s’il n’est arrivé à Chypre que la veil<strong>le</strong>) soit invraisemblab<strong>le</strong>s (Othello peut-il passer <strong>de</strong> la<br />

confiance absolue en Desdémone à la fureur homici<strong>de</strong> en quelques heures ?).<br />

Le second plan, qui n’a rien <strong>de</strong> nécessairement réaliste, peut être envisagé à différents points <strong>de</strong> vue. Il est avant tout <strong>le</strong> <strong>temps</strong><br />

qui s’écou<strong>le</strong> durant la représentation, <strong>le</strong> pur présent dramatique. Ce <strong>temps</strong> peut être ressenti comme<br />

correspondant à une durée plus ou moins longue ; cette durée, à son tour peut être interprétée <strong>de</strong> diverses façons (il peut<br />

s’agir d’une transformation intérieure d’ordre psychique ou spirituel, d’une temporalité symbolique, etc.)<br />

Tantôt Shakespeare escamote l’un <strong>de</strong> ces <strong>temps</strong> au profit <strong>de</strong> l’autre, tantôt il <strong>le</strong>s superpose. Pourquoi n’a-t-il pas préféré<br />

répartir <strong>le</strong>s éléments <strong>de</strong> son intrigue sur une durée “vraisemblab<strong>le</strong>”, aisément reconnaissab<strong>le</strong> et/ou soigneusement marquée?<br />

Sans doute parce qu’un tel souci <strong>de</strong> précision documentaire aurait inuti<strong>le</strong>ment entravé la marche du <strong>temps</strong><br />

dramatique, et détourné l’attention <strong>de</strong>s spectateurs du processus <strong>le</strong> plus important : la transformation d’Othello. Cf. la scène<br />

3 <strong>de</strong> l’acte III, qui est à cet égard <strong>le</strong> véritab<strong>le</strong> coeur <strong>de</strong> la pièce. A son début, Othello fait toute confiance à Desdémone ; à<br />

sa fin, il est déjà fou <strong>de</strong> jalousie. La priorité donnée au <strong>temps</strong> dramatique permet ici au spectateur d’assister, en “<strong>temps</strong> réel”<br />

(c’est-à-dire <strong>dans</strong> <strong>le</strong> présent <strong>de</strong> la représentation) à une action, <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> la métamorphose intérieure, qui est relativement<br />

.../...<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 12


<strong>le</strong>nte, car cette scène est <strong>de</strong> loin la plus longue <strong>de</strong> la tragédie. Et en même <strong>temps</strong> (si l’on peut dire !) ce “<strong>temps</strong> réel” imprime<br />

à cette métamorphose un rythme saisissant : <strong>de</strong>vant <strong>le</strong> résultat du processus, tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> (Desdémone, <strong>le</strong>s envoyés <strong>de</strong><br />

Venise, etc.) paraît saisi, surpris <strong>de</strong>vant <strong>le</strong> changement d’Othello, comme s’il s’était produit brusquement. Autrement dit, la<br />

savante confusion <strong>de</strong>s <strong>temps</strong> qu’entretient Shakespeare lui permet <strong>de</strong> créer <strong>de</strong>s effets apparemment antagonistes : tantôt la<br />

déchéance d’Othello apparaît comme <strong>le</strong> terme d’une longue maturation, tantôt el<strong>le</strong> semb<strong>le</strong> avoir éclaté avec soudaineté.<br />

Il serait trop long, comme on vient <strong>de</strong> <strong>le</strong> dire, d’analyser en détail comment Shakespeare passe d’un <strong>temps</strong> à<br />

l’autre. Notons sans plus que sa pa<strong>le</strong>tte est très large. Il peut par exemp<strong>le</strong> se servir d’une indication temporel<strong>le</strong> explicite à<br />

va<strong>le</strong>ur avant tout ponctuel<strong>le</strong> : c’est ainsi que Bianca reproche à Cassio <strong>de</strong> ne pas être venu la voir <strong>de</strong>puis une semaine. Le<br />

spectateur, en cet instant <strong>de</strong> la pièce, aura donc <strong>le</strong> sentiment que <strong>le</strong>s Vénitiens sont à Chypre <strong>de</strong>puis plusieurs jours, car en<br />

point-là <strong>de</strong> l’action, il importe que <strong>le</strong> début et la fin <strong>de</strong> la trajectoire d’Othello au cours <strong>de</strong> la scène – sa confiance initia<strong>le</strong>,<br />

sa jalousie fina<strong>le</strong> – soient tenus <strong>le</strong> plus possib<strong>le</strong> à l’écart l’un <strong>de</strong> l’autre.<br />

Autre procédé, moins perceptib<strong>le</strong> : la manipulation implicite du rythme et <strong>de</strong> la forme dramatiques. A titre<br />

d’exemp<strong>le</strong>, notons que <strong>le</strong>s monologues peuvent avoir une fonction temporel<strong>le</strong>. Les premiers monologues <strong>de</strong> Iago concluent<br />

et délimitent à chaque fois un groupe d’actions – ils ont ce qu’on appel<strong>le</strong> parfois une fonction démarcative, ou si l’on veut,<br />

ils fonctionnent comme <strong>de</strong>s sortes <strong>de</strong> vastes signes <strong>de</strong> ponctuation qui précisent l’articulation dramatique. C’est ainsi, à la<br />

fin <strong>de</strong> l’acte I, que la présence <strong>de</strong> Iago seul en scène signa<strong>le</strong> la fin du prologue vénitien et <strong>le</strong> passage à une nouvel<strong>le</strong> étape<br />

<strong>de</strong> l’action, temporel<strong>le</strong>ment distincte <strong>de</strong> la précé<strong>de</strong>nte. De même, à la fin <strong>de</strong> l’acte II, la présence seul en scène <strong>de</strong> Iago signa<strong>le</strong><br />

la fin <strong>de</strong> l’épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’ivresse <strong>de</strong> Cassio et prépare, comme à la fin <strong>de</strong> l’acte I, une certaine rupture <strong>de</strong> la continuité<br />

temporel<strong>le</strong>. Cela étant posé, et cette fonction <strong>de</strong>s monologues <strong>de</strong> Iago étant ressentie plus ou moins consciemment par <strong>le</strong><br />

spectateur, Shakespeare peut dès lors jouer <strong>de</strong>s monologues pour entretenir une certaine confusion : puisque <strong>le</strong>s<br />

monologues, en effet, ont toujours servi jusqu’ici <strong>de</strong> bornes-frontière entre zones temporel<strong>le</strong>s distinctes, un monologue peut<br />

désormais être ressenti plus ou moins obscurément comme séparant <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ces zones, même si ce n’est plus tout à fait <strong>le</strong><br />

cas… De fait, <strong>le</strong> troisième monologue <strong>de</strong> Iago peut être perçu par <strong>le</strong> spectateur comme l’indication qu’une fois encore<br />

s’achève en ce point un certain groupe d’actions, et que l’intrigue va donc passer à une nouvel<strong>le</strong> étape, temporel<strong>le</strong>ment<br />

indépendante. Or ce monologue intervient <strong>dans</strong> <strong>le</strong> courant <strong>de</strong> l’acte III, scène 3 – cette fois-ci, loin <strong>de</strong> terminer la scène, il<br />

ne fait que distinguer entre <strong>de</strong>ux moments “successifs” <strong>de</strong> l’ “empoisonnement” d’Othello (avant et après l’inci<strong>de</strong>nt du<br />

mouchoir). A noter que <strong>le</strong> procédé est employé d’autant plus subti<strong>le</strong>ment que ce monologue <strong>de</strong> Iago est précédé d’un autre<br />

monologue – d’Othello, celui-là – et qu’aucun personnage <strong>de</strong> cette longue scène n’est présent au plateau d’un bout à<br />

l’autre. A un certain point <strong>de</strong> vue, <strong>le</strong> début et la fin <strong>de</strong> l’”empoisonnement” sont donc temporel<strong>le</strong>ment contigus (du fait <strong>de</strong><br />

la continuité <strong>de</strong> la scène) ; à un autre point <strong>de</strong> vue, ils sont tenus séparés l’un <strong>de</strong> l’autre, comme si <strong>le</strong>s monologues tenaient<br />

lieu d’écart temporel implicite. Tout se passe donc comme si continuité et discontinuité se dissimulaient mutuel<strong>le</strong>ment, afin<br />

que Shakespeare, par ce tour <strong>de</strong> force, puisse bénéficier en même <strong>temps</strong> <strong>de</strong>s avantages <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux rythmes dramatiques qui<br />

paraissent inconciliab<strong>le</strong>s : <strong>le</strong> <strong>temps</strong> long <strong>de</strong> l’évolution insensib<strong>le</strong>, <strong>le</strong> <strong>temps</strong> court <strong>de</strong> la crise catastrophique.<br />

© Alain Fontenay<br />

Daniel Loayza<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 13


LES ADAPTATIONS<br />

La solitu<strong>de</strong> tragique : Orson Wel<strong>le</strong>s et Othello<br />

Le roman <strong>de</strong> Rushdie[ Le <strong>de</strong>rnier soupir du Maure] explore l’hybridité centra<strong>le</strong> au personnage d’Othello, son<br />

étrangeté aussi, et permet peut-être <strong>de</strong> tenter <strong>de</strong> saisir, au travers du roman, un sens profond <strong>de</strong> la figure tragique du Maure.<br />

Le film d’Orson Wel<strong>le</strong>s en propose une <strong>le</strong>cture autre, qui retourne à la fois à Shakespeare, et s’appuie sur <strong>le</strong>s pouvoirs <strong>de</strong><br />

l’image. Le film <strong>de</strong> Wel<strong>le</strong>s se livre à un examen <strong>de</strong> la solitu<strong>de</strong> tragique et irrémédiab<strong>le</strong> d’Othello. Il la <strong>de</strong>ssine visuel<strong>le</strong>ment,<br />

bien sûr, soulignant l’iso<strong>le</strong>ment physique du personnage. L’adaptation élimine en particulier toutes <strong>le</strong>s scènes <strong>de</strong> comédie.<br />

Pour Wel<strong>le</strong>s, on ne saurait transposer à l’écran une pièce <strong>de</strong> Shakespeare : ses films sont en ce sens <strong>de</strong>s variations autour <strong>de</strong><br />

Shakespeare, inspirées par <strong>le</strong> dramaturge anglais, mais ne cherchent en aucune façon à en livrer une production théâtra<strong>le</strong><br />

filmée. La mort plane sur <strong>le</strong> film tout entier, puisque la procession funéraire <strong>de</strong> la fin ouvre aussi l’oeuvre, avant <strong>le</strong><br />

générique : la mort <strong>de</strong>s amants, la fin <strong>de</strong> Iago, sont énoncées, et resteront <strong>dans</strong> la mémoire du spectateur, <strong>de</strong> même que <strong>le</strong>s<br />

premières phrases prononcées par Iago (« Je hais <strong>le</strong> Maure »). Wel<strong>le</strong>s souligne <strong>le</strong> pouvoir manipulateur <strong>de</strong> Iago, l’absence <strong>de</strong><br />

motivation <strong>de</strong> celui-ci, sinon la pureté du mal qu’il exerce. Iago est à bien <strong>de</strong>s égards <strong>le</strong> personnage principal du film, même<br />

s’il s’efface au fur et à mesure du développement <strong>de</strong> la tragédie. La confrontation entre Iago et Othello habite <strong>le</strong> film, <strong>dans</strong><br />

<strong>de</strong>s scènes où Wel<strong>le</strong>s s’appuie sur <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> la caméra pour renforcer la haine <strong>de</strong> Iago à l’égard du Maure : <strong>de</strong>s décors<br />

subti<strong>le</strong>ment construits permettent à Wel<strong>le</strong>s d’enfermer <strong>le</strong> personnage d’Othello <strong>de</strong>rrière <strong>de</strong>s gril<strong>le</strong>s comme <strong>dans</strong> sa jalousie<br />

; la longue scène <strong>de</strong> la plage renforce encore <strong>le</strong> pouvoir insidieux qu’exerce Iago sur Othello ; la <strong>de</strong>rnière scène entre <strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux personnages repose sur un regard par <strong>le</strong>quel Othello, détruit par la jalousie, comprend l’étendue <strong>de</strong> la haine que<br />

nourrit Iago à son égard. Face à cette haine implacab<strong>le</strong> <strong>de</strong> Iago, <strong>le</strong> personnage d’Othello se constitue <strong>dans</strong> une tension entre<br />

sa simplicité, que souligne Wel<strong>le</strong>s, et la jalousie qui l’habite et <strong>le</strong> consume. Ressortent du film <strong>de</strong> Wel<strong>le</strong>s, et <strong>de</strong><br />

l’interprétation par celui-ci du personnage principal, l’étrangeté d’Othello, aliéné au mon<strong>de</strong> qui l’entoure, isolé <strong>dans</strong> un<br />

univers qu’il ne contrô<strong>le</strong> pas et qui <strong>le</strong> fait chavirer : lorsque Cassio remplace Othello à la tête <strong>de</strong> Chypre, et qu’Othello<br />

comprend et annonce la fin, <strong>le</strong> vertige qui saisit <strong>le</strong> personnage est créé par un jeu subtil <strong>de</strong> caméra tournante, jusqu’à la<br />

<strong>de</strong>rnière tira<strong>de</strong>, où seul son visage apparaît, en plongée, par une cheminée <strong>dans</strong> <strong>le</strong> plafond. Puis Othello s’écrou<strong>le</strong>, <strong>le</strong><br />

cadavre <strong>de</strong> Des<strong>de</strong>mona <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s bras. Le vertige du personnage principal est <strong>de</strong>venu <strong>le</strong> vertige du mon<strong>de</strong>, habité par <strong>le</strong> chaos.<br />

Rossini et l’adaptation : la dénaturation d’une tragédie<br />

La première adaptation musica<strong>le</strong> est cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Rossini, dont l’Otello est donné pour la première fois en 1816, sur un livret <strong>de</strong><br />

Francesco Berio. Il est intéressant, bien sûr, qu’il y ait eu là l’un <strong>de</strong>s grands succès <strong>de</strong> Rossini, qui impose <strong>le</strong> sujet pour tout<br />

<strong>le</strong> sièc<strong>le</strong>. Peut-être est-ce <strong>le</strong> romantisme qui accueil<strong>le</strong> la tragédie shakespearienne avec passion ? Peut-être est-ce la<br />

composition musica<strong>le</strong>, l’apparition du grand opéra sur <strong>le</strong>s scènes européennes ? Peut-être enfin, est-ce <strong>le</strong> troisième acte <strong>de</strong><br />

la tragédie qui lui donne son aura ? Quel<strong>le</strong>s que soient <strong>le</strong>s raisons, el<strong>le</strong>s suffisent à occulter <strong>le</strong> fait que l’adaptation a<br />

soigneusement dénaturé <strong>le</strong> texte. On rappel<strong>le</strong>ra pour commencer que <strong>le</strong> mouchoir a été remplacé par une bouc<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

cheveux, que <strong>le</strong> librettiste a préféré faire <strong>de</strong> Iago un amant éconduit par Des<strong>de</strong>mona, ou encore que <strong>le</strong> père <strong>de</strong> Des<strong>de</strong>mona<br />

est un épouvantab<strong>le</strong> père possessif rempli <strong>de</strong> colère par <strong>le</strong> mariage d’Otello et <strong>de</strong> Des<strong>de</strong>mona. Sans par<strong>le</strong>r d’Otello et <strong>de</strong><br />

Rodrigo sortant s’affronter en duel vers la fin du <strong>de</strong>uxième acte. Trop <strong>de</strong> péripéties empêchent l’action <strong>de</strong> se développer<br />

.../...<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 14


selon la pureté <strong>de</strong>s lignes <strong>de</strong> la machination <strong>de</strong> Iago et <strong>de</strong> la jalousie d’Otello. C’est que <strong>le</strong> librettiste s’est manifestement<br />

tourné à la fois vers <strong>le</strong> texte <strong>de</strong> Shakespeare, et vers l’original <strong>de</strong> Cinthio, ce qui retire à l’opéra toute unité dramatique ; seu<strong>le</strong><br />

la fin <strong>de</strong> l’opéra retrouve la tragédie, <strong>dans</strong> l’air du gondolier justement célèbre au XIXe sièc<strong>le</strong>, et que Liszt par exemp<strong>le</strong> allait<br />

transcrire <strong>dans</strong> <strong>le</strong> second mouvement <strong>de</strong> Venise et Nap<strong>le</strong>s. On ne se risquera pas à donner une analyse du livret, alors qu’el<strong>le</strong><br />

a été si magnifiquement écrite par Stendhal, qui livre son adaptation personnel<strong>le</strong> <strong>de</strong>la tragédie shakespearienne. Pour<br />

Stendhal, la première erreur tient à l’affaiblissement considérab<strong>le</strong> du personnage d’Othello, et il fallait maintenir ce que<br />

Stendhal appel<strong>le</strong> <strong>dans</strong> sa Vie <strong>de</strong> Rossini :« cette gran<strong>de</strong> condition mora<strong>le</strong> <strong>de</strong> l’intérêt, la vue <strong>de</strong> la mort certaine d’Otello <strong>dans</strong> <strong>le</strong> lointain. Cet<br />

Otello n’est point assez tendre pour que je voie bien clairement que ce n’est pas la vanité qui lui met <strong>le</strong> poignard à la main. Dès lors ce sujet, <strong>le</strong><br />

plus fécond en pensées touchantes <strong>de</strong> tous ceux que peut donner l’histoire <strong>de</strong> l’amour, peut tomber rapi<strong>de</strong>ment jusqu’à ce point <strong>de</strong> trivialité, <strong>de</strong><br />

n’être plus qu’un conte <strong>de</strong> Barbe-B<strong>le</strong>ue ». [...] Stendhal montre que <strong>le</strong> bonheur d’Othello est la condition dramatique <strong>de</strong> la<br />

tragédie, ce qui permet son développement et que toute adaptation doit reposer sur sa peinture : « ce qui m’intéresse, c’est <strong>le</strong><br />

changement qui a lieu <strong>dans</strong> l’âme d’Othello, si heureux au moment où je <strong>le</strong> vois en<strong>le</strong>ver sa maîtresse, et digne d’être cité en exemp<strong>le</strong> <strong>de</strong>s misères<br />

humaines lorsqu’il la tue au <strong>de</strong>rnier acte. Mais, je <strong>le</strong> répète, pour que ce contraste sublime, parce qu’il est <strong>dans</strong> la nature <strong>de</strong>s choses et que tout<br />

amant passionné peut craindre un sort semblab<strong>le</strong>, se retrouve <strong>dans</strong> l’opéra, il faut qu’il commence par une peinture vive et fortement colorée du<br />

bonheur d’Othello, et <strong>de</strong> son amour tendre et dévoué ».<br />

[...]Cette analyse <strong>de</strong> Stendhal est passionnante à plusieurs titres : d’abord parce qu’el<strong>le</strong> révè<strong>le</strong> une perception tout à fait<br />

remarquab<strong>le</strong> <strong>de</strong> la construction <strong>de</strong> la tragédie <strong>de</strong> Shakespeare. Ensuite parce qu’el<strong>le</strong> s’appuie sur une intelligence <strong>de</strong> la nature<br />

<strong>de</strong> l’opéra comme genre, qui lui permet d’exercer son jugement. Enfin, parce que Boïto a lui aussi décidé <strong>de</strong> sacrifier <strong>le</strong><br />

premier acte <strong>de</strong> la pièce anglaise. Cette <strong>de</strong>struction à laquel<strong>le</strong> procè<strong>de</strong> l’opéra <strong>de</strong> Rossini, ou plus exactement son livret,<br />

nous enseigne enfin la comp<strong>le</strong>xité <strong>de</strong> ce que serait une adaptation réussie. Si l’incarnation du Maure <strong>de</strong> Venise, trouvée chez<br />

Cinthio, acquiert chez Shakespeare une tout autre dimension, on voit <strong>dans</strong> ce premier Otello avec quel<strong>le</strong> facilité cette<br />

dimension peut s’évanouir. Et Stendhal, non pas <strong>de</strong> conclure, mais <strong>de</strong> donner à chacun la clé d’une écoute raisonnée <strong>de</strong><br />

l’Otello <strong>de</strong> Rossini : « Dans Otello, é<strong>le</strong>ctrisés par <strong>de</strong>s chants magnifiques, transportés par la beauté incomparab<strong>le</strong> du sujet, nous faisons nousmêmes<br />

<strong>le</strong> libretto ». C’est là <strong>le</strong> paradoxe suprême <strong>de</strong>s opéras tirés <strong>de</strong> Shakespeare : <strong>le</strong> souvenir <strong>de</strong>s pièces plane sur <strong>le</strong>s<br />

adaptations <strong>de</strong> librettistes pas toujours très inspirés. Les mythes créés par Shakespeare s’imposent à la musique par <strong>de</strong>là <strong>le</strong>s<br />

reconstructions dramatiques <strong>de</strong> l’opéra : c’est vrai <strong>de</strong> l’Otello <strong>de</strong> Rossini, et aussi, par exemp<strong>le</strong>, <strong>de</strong>s Capu<strong>le</strong>t et <strong>de</strong>s Montaigu<br />

<strong>de</strong> Bellini, même si l’opéra n’est pas tiré <strong>de</strong> Shakespeare. La connaissance, même imparfaite, que l’on peut avoir <strong>de</strong>s oeuvres<br />

shakespeariennes vient influencer notre perception <strong>de</strong>s oeuvres, renforcer notre écoute, approfondir notre connaissance <strong>de</strong><br />

l’opéra : « Ce qui sauve l’Otello <strong>de</strong> Rossini, écrit encore Stendhal, c’est <strong>le</strong> souvenir <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Shakespeare ». Car la pièce <strong>de</strong> Shakespeare<br />

est el<strong>le</strong>-même empreinte <strong>de</strong> musique, est el<strong>le</strong>-même musique. A l’harmonie d’Othello et <strong>de</strong> Des<strong>de</strong>mona, Iago ne réagit-il<br />

pas en disant : « Oh ! vous voilà au diapason maintenant,/mais je fausserai <strong>le</strong>s clés qui font cette musique,/ Honnête comme je <strong>le</strong> suis » ?<br />

Boïto-Verdi, histoire d’une collaboration<br />

On connaît <strong>le</strong>s difficultés que Verdi a rencontrées <strong>dans</strong> la composition d’Otello. Depuis 1871, et la première d’Aida, Verdi<br />

semb<strong>le</strong> s’être retiré <strong>de</strong> la composition d’opéra, se contentant en particulier <strong>de</strong> diriger <strong>de</strong>s concerts <strong>de</strong> son Requiem. Le<br />

compositeur italien n’avait en outre que peu d’estime pour Boïto. Les circonstances firent que Verdi fut mis en présence <strong>de</strong><br />

Boïto, puis <strong>de</strong> l’adaptation <strong>de</strong> l’Othello <strong>de</strong> Shakespeare que ce <strong>de</strong>rnier commençait à composer. Nous<br />

sommes alors en 1879. Mais <strong>le</strong> processus est long : c’est en 1887 qu’a lieu la première représentation <strong>de</strong> l’opéra. L’idée<br />

continue donc <strong>de</strong> germer <strong>dans</strong> l’esprit <strong>de</strong> Verdi, dont la correspondance gar<strong>de</strong> <strong>le</strong>s traces d’un intérêt indéniab<strong>le</strong> pour<br />

l’oeuvre <strong>de</strong> Shakespeare, commentant ici <strong>le</strong> personnage <strong>de</strong> Iago (« Ce Iago, c’est Shakespeare, l’humanité, c’est-à-dire une part <strong>de</strong><br />

l’humanité »), revenant là sur l’ineptie du livret <strong>de</strong> l’Otello <strong>de</strong> Rossini qui avait dénaturé l’original. Le livret <strong>de</strong> Boïto prend<br />

forme progressivement, parfois sur <strong>le</strong>s indications <strong>de</strong> Verdi. Il est manifeste que <strong>le</strong> sujet se prête admirab<strong>le</strong>ment à l’opéra :<br />

une situation dramatique simp<strong>le</strong>, <strong>de</strong>s personnages clairement construits, une progression inexorab<strong>le</strong> vers la fin, et la mort,<br />

comme disait Stendhal, pour seul horizon. Peut-être trop, si l’on en croit George Bernard Shaw, que l’on sait par ail<strong>le</strong>urs<br />

grand amateur <strong>de</strong> musique : « la vérité c’est que ce n’est pas Otello qui est un opéra italien écrit <strong>dans</strong> <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> <strong>de</strong> Shakespeare, Othello est<br />

une pièce écrite par Shakespeare <strong>dans</strong> <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> <strong>de</strong> l’opéra italien… Les personnages sont <strong>de</strong>s monstres ; Des<strong>de</strong>mona est une prima donna avec<br />

mouchoir, confi<strong>de</strong>nte et grand air ; Iago n’est un homme que lorsqu’il se débarrasse <strong>de</strong> son rô<strong>le</strong> <strong>de</strong> méchant <strong>de</strong> tréteaux ; <strong>le</strong>s transports d’Othello<br />

sont exprimés par une musique absur<strong>de</strong> qui fait rage du Propontique à l’Hel<strong>le</strong>spont (3.3.456-61) ; et l’intrigue est une intrigue <strong>de</strong> farce portée<br />

par un procédé très faib<strong>le</strong> qui repose sur un mouchoir et qu’un seul mot peut faire échouer à tout moment ». En <strong>le</strong> construisant, Boïto fait<br />

prendre au livret une forme autre.<br />

Le premier point, essentiel, est la suppression du premier acte vénitien. Dans la tragédie <strong>de</strong> Shakespeare, cet acte<br />

d’exposition, dont on a vu avec quel ta<strong>le</strong>nt Stendhal l’analysait, permet <strong>de</strong> mettre en place <strong>de</strong>s éléments d’importance : la<br />

rage <strong>de</strong> Iago, <strong>le</strong>s premiers signes <strong>de</strong> la supériorité <strong>de</strong> celui-ci sur Othello, <strong>le</strong> magnifique discours d’Othello aux sénateurs. Le<br />

spectateur saisit éga<strong>le</strong>ment l’amour <strong>de</strong> Des<strong>de</strong>mona pour Othello, sa soumission à celui-ci : el<strong>le</strong> souhaite l’accompagner à<br />

.../...<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 15


Chypre (inci<strong>de</strong>mment, chez Rossini, pas <strong>de</strong> Chypre, tout se passe à Venise). Shakespeare y <strong>de</strong>ssine enfin <strong>le</strong> contraste entre<br />

Iago et Othello [...] L’une <strong>de</strong>s données fondamenta<strong>le</strong>s du premier acte tient à la vulnérabilité d’Othello. Déjà victime <strong>de</strong> Iago,<br />

il est l’objet d’attaques <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s grands <strong>de</strong> Venise, mais il répond à ces attaques avec la nob<strong>le</strong>sse nécessaire : il est <strong>le</strong><br />

paria superbe. La caractérisation d’Othello est en partie sacrifiée par Boïto : sa nob<strong>le</strong>sse cè<strong>de</strong> et craque sous la jalousie. C’est<br />

là que l’écho <strong>de</strong> Shakespeare, que la musique, que <strong>le</strong> jeu du chanteur peuvent permettre <strong>de</strong> retrouver cette gran<strong>de</strong>ur d’âme<br />

qui risque <strong>de</strong> ne faire d’Othello qu’un mari jaloux… C’est là aussi que se perçoit la puissante concentration provoquée par<br />

Boïto et Verdi, où <strong>le</strong> duo d’amour du premier acte <strong>de</strong> l’opéra reprend et rappel<strong>le</strong> plusieurs scènes analogues <strong>de</strong> la pièce.<br />

Boïto en énonce <strong>le</strong> sentiment à Verdi, alors que ce <strong>de</strong>rnier craignait que la fin du troisième acte ne dénature Shakespeare :<br />

« Une atmosphère, écrit Boïto, qui a été détruite, peut être recréée. Huit mesures suffisent à rescusciter un sentiment ; un rythme peut établir à<br />

nouveau un personnage ; la musique est <strong>le</strong> plus puissant <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s arts : c’est sa logique propre, plus libre et plus rapi<strong>de</strong> que la logique <strong>de</strong> la<br />

paro<strong>le</strong>, et bien plus éloquente ».<br />

Plus précisément, la fragilité du mon<strong>de</strong> shakespearien, l’inquiétu<strong>de</strong> <strong>de</strong> cette fin <strong>de</strong> Renaissance <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s qui<br />

s’ouvrent et ne sont pas toujours appréhendés avec la curiosité du Nouveau, ne correspond peut-être plus à la sensibilité<br />

d’un romantisme finissant. Il était logique, essentiel, que Boïto se concentrât sur la puissance dramatique <strong>de</strong> la tragédie, sur<br />

son noyau <strong>de</strong> tragédie <strong>de</strong> la jalousie. Il risquait, ce faisant, <strong>de</strong> l’affaiblir, mais <strong>le</strong> drame ne pouvait se jouer, pour <strong>le</strong> public <strong>de</strong><br />

la fin du XIXe sièc<strong>le</strong>, que <strong>dans</strong> la simplicité <strong>de</strong> l’amour écrasé. Un <strong>de</strong>uxième aspect <strong>de</strong> la tragédie shakespearienne, occulté<br />

par la suppression <strong>de</strong> l’acte vénitien, tient <strong>dans</strong> la dimension politique <strong>de</strong> la pièce : <strong>le</strong> premier acte, la mise en scène du<br />

rapport <strong>de</strong> pouvoir entre Othello et <strong>le</strong>s gouverneurs <strong>de</strong> la République <strong>de</strong> Venise confère au personnage d’Othello une<br />

dimension que sa victoire ne suffit pas à épuiser. Othello apparaît <strong>de</strong> fait comme <strong>le</strong> sauveur <strong>de</strong> l’Etat, celui à qui Venise doit<br />

ses victoires. La raison d’Etat fournit l’un <strong>de</strong>s moteurs <strong>de</strong> la tragédie : <strong>le</strong> statut externe, étranger, pour ne pas dire <strong>de</strong> paria,<br />

d’Othello se trouve renforcé par sa non-appartenance à l’Etat. Venise apparaît à la fois comme la cité qui accueil<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />

étrangers (Othello ou Shylock), et <strong>le</strong>s met au ban si nécessaire. L’ambiguïté <strong>de</strong> la position d’Othello trouve donc en partie<br />

sa force <strong>dans</strong> la dimension politique <strong>de</strong> la tragédie, et peut-être plus particulièrement <strong>dans</strong> ce premier acte. Son caractère<br />

étranger à la République, que lui-même rappel<strong>le</strong> au début, renforce sa fragilité, et s’il cè<strong>de</strong> à la torture <strong>de</strong> Iago, il faut y voir<br />

davantage qu’une simp<strong>le</strong> propension à la jalousie. [...] En supprimant <strong>le</strong> premier acte, <strong>le</strong> livret <strong>de</strong> Boïto retire alors toute<br />

référence à la politique, concentre l’action sur la tragédie domestique, mais ôte une partie <strong>de</strong> la perspective que <strong>le</strong><br />

spectateur <strong>de</strong> Shakespeare pouvait avoir sur l’univers politique. Le <strong>de</strong>rnier aspect que Boïto supprime <strong>de</strong> son livret, fait<br />

pourtant la force du ressort dramatique <strong>de</strong> la pièce : comme une particularité shakespearienne, qui n’était peut-être pas<br />

essentiel<strong>le</strong> à l’opéra. [...] Othello s’appuie sur un doub<strong>le</strong> schéma temporel, souvent noté par la critique, qui permet à<br />

Shakespeare <strong>de</strong> resserrer l’action, et <strong>de</strong> lui donner une profon<strong>de</strong>ur dramatique. La tragédie est inscrite <strong>dans</strong> une<br />

immédiateté incontournab<strong>le</strong>, soumise à la pression <strong>de</strong> l’instant, du dérou<strong>le</strong>ment inexorab<strong>le</strong> du piège <strong>de</strong> Iago : <strong>le</strong>s notations<br />

temporel<strong>le</strong>s soulignent une unité <strong>de</strong> <strong>temps</strong>, puisque <strong>le</strong>s époux partent pour Chypre <strong>le</strong> <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur mariage, et qu’en<br />

un peu plus d’une journée toute l’action est concentrée (à l’exception du voyage en mer qui sépare <strong>le</strong> premier acte du<br />

second). Mais à l’inverse un certain nombre <strong>de</strong> notations établissent une durée, et <strong>de</strong>s répétitions : Iago <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Emilia<br />

<strong>de</strong> vo<strong>le</strong>r <strong>le</strong> mouchoir une centaine <strong>de</strong> fois, Des<strong>de</strong>mona et Cassio l’ont trompé mil<strong>le</strong> fois, Cassio a abandonné Bianca<br />

pendant une semaine, etc. La pièce superpose <strong>de</strong>ux ordres, l’un qui situe l’action <strong>dans</strong> la durée, et offre au spectateur toute<br />

la profon<strong>de</strong>ur historique <strong>de</strong>s événements, l’autre qui impose à l’action une immédiateté et lui donne toute la dimension<br />

tragique <strong>de</strong> son efficacité. Shakespeare et Boïto construisent alors la tragédie et l’opéra selon <strong>de</strong>s principes dramatiques<br />

différents. [...]<br />

A<strong>le</strong>xis TADIE, “Relire Othello : un mythe noma<strong>de</strong>”<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 16


DU TEXTE A LA SCENE<br />

TRADUIRE SHAKESPEARE :<br />

“ S’il n’est pas d’auteur qui mérite plus d’être traduit que Shakespeare, il n’en est pas sans doute qui reste plus diffici<strong>le</strong> à traduire, ni qu’une<br />

traduction risque plus <strong>de</strong> défigurer”<br />

André Gi<strong>de</strong><br />

Je ne suis pas un spécialiste <strong>de</strong> SHAKESPEARE. En ce qui concerne <strong>le</strong>s étu<strong>de</strong>s, l’université m’attend encore…Mais quand<br />

ÉRIC m’a proposé <strong>de</strong> traduire OTHELLO avec lui, j’ai répondu oui sans hésiter. Pourquoi ? parce que, quitte à traduire,<br />

autant traduire SHAKESPEARE ?<br />

Sans doute. Mais il y a une autre raison.<br />

J’écris, moi aussi, du théâtre et ÉRIC crée mes pièces. Merveil<strong>le</strong>usement, je trouve. ÉRIC est, pour mon théâtre, <strong>le</strong> metteur<br />

en scène que j’attendais. Alors, certainement, j’ai dû penser ça : en créant OTHELLO <strong>dans</strong> cette nouvel<strong>le</strong> traduction, c’est<br />

encore avec mes mots qu’il allait travail<strong>le</strong>r.<br />

Car c’est bien <strong>de</strong> langue qu’il s’agit.<br />

Nous avons travaillé six mois. Presque tous <strong>le</strong>s jours. Parfois vingt ou trente lignes en une journée. Quand on écrit du<br />

théâtre, traduire SHAKESPEARE pousse à la mo<strong>de</strong>stie. Nous avons voulu rendre <strong>le</strong> sens précis <strong>de</strong> la phrase et aussi sa<br />

musique, son rythme propre. L’anglais peut dire en trois mots ce que <strong>le</strong> français va dire en cinq. Alors contourner ça.<br />

S’acharner. Éviter à tout prix la mol<strong>le</strong>sse et l’alambiqué. Refuser l’obscur. SHAKESPEARE ne l’est jamais, ou alors c’est,<br />

<strong>de</strong> sa part, délibéré. La trame même <strong>de</strong> la pièce est simp<strong>le</strong>. L’action suit son cours sans difficulté, <strong>le</strong>s dialogues sont avant<br />

tout directs. Que <strong>le</strong>s phrases en français soient alors simp<strong>le</strong>s et bel<strong>le</strong>s, concrètes. S’attacher à ça. Qu’el<strong>le</strong>s se répon<strong>de</strong>nt avec<br />

grâce, même<br />

lorsque <strong>le</strong> Maure OTHELLO sombre <strong>dans</strong> la fureur et la folie. Ne pas recu<strong>le</strong>r pour autant <strong>de</strong>vant la grossièreté rencontrée<br />

ici ou là, car el<strong>le</strong> répond au sublime partout présent <strong>dans</strong> la pièce. Les <strong>de</strong>ux cohabitent ensemb<strong>le</strong> et se renforcent. Atténuer<br />

l’une, c’est affaiblir l’autre. Ça aussi, <strong>le</strong> comprendre. La nob<strong>le</strong>sse <strong>de</strong>s sentiments, <strong>le</strong> bas comique, la trivialité, l’extrême<br />

délicatesse, tout cela coexiste <strong>dans</strong> OTHELLO.<br />

Écrire du théâtre, c’est écrire pour la bouche <strong>de</strong>s acteurs. Ne jamais l’oublier. C’est à cela que nous nous sommes <strong>le</strong> plus<br />

attachés, fina<strong>le</strong>ment. Chercher la langue pour <strong>le</strong>s acteurs. Une affaire d’oreil<strong>le</strong>. Et d’intuition. Mon travail <strong>de</strong>puis quinze ans.<br />

Depuis qu’ÉRIC m’a permis <strong>de</strong> monter ma première pièce et que je suis <strong>de</strong>venu auteur <strong>de</strong> théâtre. La chose la plus<br />

surprenante qui me soit arrivée.<br />

Devenir traducteur <strong>de</strong> SHAKESPEARE, ça, je ne l’aurais jamais imaginé. Mais ça aussi, c’est arrivé. Ce livre en est la preuve.<br />

© Alain Fontenay<br />

Rémi DE VOS<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 17


OTHELLO OU L'INTIME RAVAGE<br />

ENTRETIEN AVEC ÉRIC VIGNER<br />

D'après toi, Othello ne serait pas vraiment un drame <strong>de</strong> la jalousie...<br />

En tout cas, ce n'est pas ce qui m'a attiré d'abord. La jalousie, ce ne serait <strong>de</strong> toute façon qu'un <strong>de</strong>s aspects <strong>de</strong> l'amour<br />

entre Othello et Desdémone. Ou un <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong> la relation <strong>de</strong> Iago avec Othello, avec Cassio... Mais ce qui se<br />

passe finit par débor<strong>de</strong>r la jalousie - sans doute du côté <strong>de</strong> l'amour, <strong>de</strong> ce vertige que l'on appel<strong>le</strong> "mourir d'aimer".<br />

Même si, pour moi, <strong>le</strong> coup<strong>le</strong> principal, c'est celui que constituent Iago et Othello. Ils se posent avec la même force.<br />

Ils ont <strong>de</strong>s points communs : tous <strong>de</strong>ux ont fait carrière, tous <strong>de</strong>ux avaient <strong>de</strong>s espérances... Et puis <strong>le</strong>urs chemins<br />

divergent : Othello continue son ascension, cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Iago est bloquée - et à cause d'Othello. C'est en ce point que <strong>le</strong><br />

ri<strong>de</strong>au se lève. Iago, un bonhomme plutôt ordinaire jusque-là, un gaillard efficace qui avait mérité la confiance <strong>de</strong><br />

son général, se métamorphose en une fraction <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>. Cela paraît peut-être fou, mais je crois à cette sorte <strong>de</strong><br />

transformation instantanée. Il y a <strong>de</strong>s gens comme cela qui se tiennent par <strong>le</strong>urs actions <strong>dans</strong> une sorte <strong>de</strong> moyenne<br />

mora<strong>le</strong>, sans difficulté particulière, tout naturel<strong>le</strong>ment, sans se faire remarquer ni d'autrui ni d'eux-mêmes - et d'un<br />

seul coup, pour peu qu'on <strong>le</strong>s touche au point sensib<strong>le</strong>, tout se renverse. Ce n'est même pas qu'ils jettent <strong>le</strong> masque<br />

- il ne s'agit pas d'hypocrisie, et <strong>dans</strong> d'autres circonstances, <strong>de</strong> tels individus resteront toujours ignorants du monstre<br />

qu'ils auraient pu <strong>de</strong>venir. C'est aussi cela, la banalité du mal... Et au début, Iago est quelqu'un <strong>de</strong> banal qui se<br />

découvre une vocation. Othello, lui, est un être nob<strong>le</strong>, et Iago veut travail<strong>le</strong>r à ravager cette nob<strong>le</strong>sse. Iago est évi<strong>de</strong>mment<br />

<strong>le</strong> grand moteur dramaturgique, et la <strong>de</strong>struction d'Othello est son objectif avoué. Pourtant, d'un autre<br />

côté, Othello se sert <strong>de</strong> Iago, lui aussi - <strong>de</strong> façon très inconsciente et comme aveug<strong>le</strong>, c'est vrai, mais il s'en sert, en<br />

quelque sorte pour atteindre un point où jamais il n'était allé, un point <strong>de</strong> non-retour... C'est très intuitif, mais j'ai<br />

<strong>le</strong> sentiment qu'Othello et Iago ont pour ainsi dire besoin l'un <strong>de</strong> l'autre.<br />

De quel besoin s'agit-il ?<br />

Il est beaucoup question, <strong>dans</strong> Othello, <strong>de</strong> la vision - du désir <strong>de</strong> voir, qui est aussi bien impuissance, impossibilité <strong>de</strong><br />

voir. C'est une pièce très paradoxa<strong>le</strong>, tout <strong>le</strong> <strong>temps</strong>, à tous <strong>le</strong>s points <strong>de</strong> vue... Othello ne veut pas voir que Iago <strong>le</strong><br />

trompe. Il y a un point obscur en lui, comme cette tache aveug<strong>le</strong> que l'on a tous <strong>dans</strong> l'oeil. Il a besoin d'autrui pour<br />

être en quelque sorte révélé à quelque chose qui a à voir avec l'absolu <strong>de</strong> l'amour, et en même <strong>temps</strong> avec sa propre<br />

origine...<br />

Mais l'amour et <strong>le</strong> retour à l'origine, n'est-ce pas à Desdémone qu'il <strong>le</strong>s doit ?<br />

Je crois que c'est plus compliqué que cela... S'il y a une chose qui m'a d'emblée frappé chez Othello, c'est son statut<br />

d'étranger. Je viens <strong>de</strong> passer beaucoup <strong>de</strong> <strong>temps</strong> hors <strong>de</strong> France, en Corée, en Albanie, et <strong>de</strong>rnièrement aux<br />

Etats-Unis j'ai travaillé sur une pièce <strong>de</strong> Koltès, pour qui l'étranger est une catégorie essentiel<strong>le</strong>. Du coup, j'ai<br />

d'abord abordé Othello à travers ce prisme-là, tout en mettant en scène Dans la solitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s champs <strong>de</strong> coton... Othello<br />

est un héros qui vient <strong>de</strong> très loin, à tous <strong>le</strong>s sens du terme. Et ce lointain, au fond, il <strong>le</strong> transporte encore avec lui ;<br />

son étrangeté, son "ail<strong>le</strong>urs" sont lisib<strong>le</strong>s à même la cou<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> sa peau. Son ambition est peut-être d'autant plus<br />

énorme. Avec Desdémone, il va découvrir l'amour, mais c'est quand même avec une Vénitienne <strong>de</strong> la très haute<br />

société ! L'objet <strong>de</strong> sa passion s'inscrit exactement <strong>dans</strong> <strong>le</strong> droit fil <strong>de</strong> la vie qu'il a menée jusque-là : Desdémone est<br />

à la fois <strong>le</strong> signe et <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> son ascension socia<strong>le</strong>, <strong>de</strong> son intégration <strong>dans</strong> <strong>le</strong> grand mon<strong>de</strong> vénitien. C'est donc<br />

aussi un mariage très politique qu'il réussit. Et pourtant, c'est à la faveur <strong>de</strong> cet amour qu'Othello commence à se<br />

retourner sur son origine. Un peu comme si, après avoir voyagé à travers <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> jusqu'à ses confins, jusqu'aux<br />

frontières <strong>de</strong> l'univers connu, il <strong>de</strong>vait à présent explorer une autre dimension <strong>de</strong> l'existence, <strong>dans</strong> sa profon<strong>de</strong>ur<br />

intime, du Ciel jusqu'en Enfer, comme il <strong>le</strong> dit à Desdémone en débarquant à Chypre. C'est en racontant sa vie à<br />

sa future femme qu'il la séduit, et par ce récit, c'est aussi à lui-même qu'il se confronte. Ses voyages, du fait qu'il <strong>le</strong>s<br />

raconte et se <strong>le</strong>s raconte, se convertissent en intimité. C'est-à-dire, aussi bien, en étrangeté. Jusque-là, il a construit<br />

sa vie en allant <strong>de</strong> l'avant, appuyé sur <strong>de</strong>s certitu<strong>de</strong>s ; avec Desdémone, voilà qu'il revient sur ce parcours, sur la vie<br />

qu'il a traversée, sur cet autre mon<strong>de</strong> qu'il semb<strong>le</strong> avoir quitté. Un mon<strong>de</strong> lointain, fabu<strong>le</strong>ux, voire fantastique,<br />

auquel il ne reviendra pas - il n'y a pas <strong>de</strong> retour en arrière <strong>dans</strong> la tragédie. Un mon<strong>de</strong>, aussi, auquel il tient encore<br />

par <strong>de</strong>s attaches secrètes, et qu'il ne renie pas, malgré sa conversion au christianisme et sa volonté d'assimilation à la<br />

société vénitienne - c'est comme s'il lui était resté fidè<strong>le</strong> à son insu, plus fidè<strong>le</strong> qu'il ne s'en doutait lui-même.<br />

.../...<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 18


Le fameux mouchoir en est la preuve...<br />

Si ce mouchoir pèse d'un tel poids, c'est bien sûr parce qu'il en a fait présent à Desdémone, mais ce qui est intéressant,<br />

c'est qu'il ne lui a jamais dit pourquoi il y tenait tant : c'est <strong>de</strong> son lointain passé que ce mouchoir est imprégné...<br />

Cette part-là <strong>de</strong> lui-même, Othello n'en a jamais parlé auparavant. C'est comme un mensonge par omission<br />

dont il s'est rendu coupab<strong>le</strong> à l'égard <strong>de</strong> Desdémone, à moins qu'il n'y ait une autre explication : peut-être que luimême<br />

ne pouvait découvrir qu'après coup, après la perte, <strong>de</strong> quel<strong>le</strong> importance ce mouchoir est investi... La perte<br />

du mouchoir, c'est un peu <strong>le</strong> signe décisif qui confirme à ses yeux l'impossibilité <strong>de</strong> tenir ensemb<strong>le</strong> <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux bouts<br />

<strong>de</strong> sa trajectoire, <strong>de</strong> réconcilier la réussite présente avec une origine qui s'enracine <strong>dans</strong> l'étrangeté. Cette perte<br />

déchire sa vie, el<strong>le</strong> manifeste que l'origine est à la fois perdue à tout jamais et que pourtant on ne peut jamais tout à<br />

fait lui échapper. C'est un éblouissement, une révélation littéra<strong>le</strong>ment aveuglante...<br />

Et c'est ici que Iago intervient ?<br />

En fait, Iago est l'opérateur diabolique <strong>de</strong> la révélation... Mais <strong>de</strong>rrière cet aspect infernal <strong>de</strong> son action, il y a une<br />

autre dimension qui lui échappe. C'est un peu comme si Othello ne mesurait pas encore tout à fait l'absolu <strong>de</strong><br />

l'amour. Il <strong>le</strong> pressent, il <strong>de</strong>vine cette capacité <strong>de</strong> débor<strong>de</strong>ment infini, mais il ne la voit pas. Et il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> obscurément<br />

à voir.<br />

Et là, c'est un peu comme si tu passais <strong>de</strong> Koltès à Duras...<br />

Duras a été mon auteur <strong>de</strong> chevet pendant <strong>de</strong>s années, et el<strong>le</strong> était fascinée par <strong>le</strong>s crimes passionnels, par <strong>le</strong> vertige<br />

que certains d'entre eux ren<strong>de</strong>nt manifeste. J'ai eu l'impression qu'Othello était comme aspiré par une révélation <strong>de</strong><br />

cet ordre-là. Iago, <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue, répond parfaitement à son besoin. On n'a pas d'un côté une pauvre victime<br />

manipulée, un monstre machiavélique <strong>de</strong> l'autre. Iago empoisonne Othello, c'est vrai, il l'intoxique en lui inoculant<br />

<strong>le</strong> soupçon. Mais il choisit justement <strong>le</strong> poison auquel Othello sera sensib<strong>le</strong>, celui qui correspond à sa sa fail<strong>le</strong> intime.<br />

Il y a un moment, <strong>dans</strong> l'acte III, où cela est très net. C'est Othello qui est <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur, qui pousse Iago à par<strong>le</strong>r, à<br />

par<strong>le</strong>r encore, et qui lui répète : "Va plus loin... Va plus loin..." - comme s'il réclamait une dose toujours plus forte...<br />

Mais est-ce qu'Othello a vraiment <strong>le</strong> choix <strong>de</strong> ne pas al<strong>le</strong>r plus loin ?<br />

Est-ce qu'il est libre <strong>de</strong> ne pas s'engager là-<strong>de</strong><strong>dans</strong> ? Peut-être... En fait, c'est un peu comme la scène entre Iago et<br />

Cassio. Iago tend un piège à Cassio : il lui propose <strong>de</strong> boire. Cassio sait qu'il ferait mieux <strong>de</strong> s'abstenir, mais il se<br />

laisse tenter. Et une fois <strong>le</strong> poison absorbé, Iago et <strong>le</strong> spectateur savent que ce n'est plus qu'une question <strong>de</strong> <strong>temps</strong>...<br />

Alors, est-ce que Cassio était libre <strong>de</strong> refuser ? Quand il entre en scène, Shakespeare, qui laisse très peu <strong>de</strong> choses au<br />

hasard <strong>dans</strong> ce genre <strong>de</strong> pièces, lui fait dire qu'il a déjà bu un verre. Donc, il est déjà sous l'emprise quand Iago entreprend<br />

<strong>de</strong> l'enivrer... Comme si tout avait déjà commencé, ou comme si tout commencement visib<strong>le</strong> <strong>de</strong>vait être précédé<br />

d'un autre commencement invisib<strong>le</strong>... Alors, est-ce que Cassio est libre, est-ce qu'il est aliéné ?<br />

Comment passe-t-on du pô<strong>le</strong> <strong>de</strong> la vertu à ses antipo<strong>de</strong>s, <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> du vice ? Ou encore, comme se <strong>le</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> Cassio après<br />

coup, quelplaisir obscur peut-on prendre à <strong>de</strong>venir une bête ? L'alcool est sa "faib<strong>le</strong>sse", comme Shakespeare <strong>le</strong> lui fait dire;<br />

cel<strong>le</strong> d'Othello est certainement plus diffici<strong>le</strong> à nommer, mais el<strong>le</strong> est bien là. Simp<strong>le</strong>ment, cette "faib<strong>le</strong>sse" n'est pas<br />

à el<strong>le</strong> toute seu<strong>le</strong> une contrainte suffisante, qui aurait pour effet <strong>de</strong> nous jeter hors <strong>de</strong> nous-mêmes, <strong>dans</strong> l'aliénation.<br />

El<strong>le</strong> est plutôt, cette faib<strong>le</strong>sse, ce par quoi l'aliénation s'ouvre un chemin. Cela commence comme une petite fêlure,<br />

juste un petit verre ou un petit soupçon, trois fois rien, trois mots jetés au passage, et chemin faisant, <strong>le</strong> long <strong>de</strong> cette<br />

pente, on va jusqu'à l'ivresse ou jusqu'à l'obsession, puis jusqu'au meurtre. Personne ne peut prédire que ça ira toujours<br />

jusque-là. Mais une fois que c'est allé jusqu'au bout, rétrospectivement, on s'aperçoit que c'est pourtant bien<br />

par là que c'est passé, par ce chemin. Et il y a bien quelque part un moment où ça doit avoir basculé, où on ne peut<br />

plus se dégager : la drogue a fait son effet, <strong>le</strong>s mots ne se laissent plus oublier, on est passé <strong>de</strong> l'altération à l'aliénation...<br />

On est possédé. Il y a fatalité, mais c'est une fatalité qui est faite <strong>de</strong> "je-ne-sais-quoi" et <strong>de</strong> "presque-rien"...<br />

Quand il s'agit <strong>de</strong> décrire ou <strong>de</strong> rendre sensib<strong>le</strong>s ces transitions fines, Shakespeare est un maître.<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 19<br />

.../...


Et donc, quel<strong>le</strong> serait cette fail<strong>le</strong> ou cette faib<strong>le</strong>sse d'Othello ?<br />

Il doute <strong>de</strong> l'amour. Il ne peut pas y croire. Est-ce que c'est lié à son être d'étranger ? Après tout, pourquoi une<br />

Vénitienne <strong>de</strong> nob<strong>le</strong> famil<strong>le</strong> se laisserait-el<strong>le</strong> séduire par un homme comme lui, l'homme venu <strong>de</strong> loin ? Il y a sans<br />

doute <strong>dans</strong> cette pièce, <strong>de</strong> façon généra<strong>le</strong>, une gran<strong>de</strong> méfiance à l'égard du désir féminin - Iago n'est que <strong>le</strong> porteparo<strong>le</strong><br />

<strong>le</strong> plus franc et <strong>le</strong> plus cynique d'une position qui est assez fréquemment exprimée chez Shakespeare : l'amour<br />

se réduirait à un contact entre corps, toute sexualité serait pornographique, et <strong>le</strong> désir féminin serait pareil à un gouffre<br />

insatiab<strong>le</strong>... C'est quand même remarquab<strong>le</strong> que la <strong>de</strong>scente aux enfers d'Othello commence après la nuit <strong>de</strong><br />

noces, autrement dit, après que l'amour et <strong>le</strong> désir ont trouvé <strong>le</strong>ur expression physique. C'est à partir <strong>de</strong> ce moment-là<br />

que Iago va réussir à peup<strong>le</strong>r l'imagination d'Othello d'images obscènes... Mais cette méfiance ou cette angoisse<br />

généra<strong>le</strong>s à l'égard du féminin se compliquent ici d'autre chose - d'une incapacité à se croire aimé, à pouvoir s'accepter<br />

comme objet d'amour. Encore un point commun entre Iago et Othello, d'ail<strong>le</strong>urs. C'est comme Lear, ou Léontès<br />

<strong>dans</strong> Le Conte d'hiver : on ne peut pas se voir soi-même avec <strong>le</strong>s yeux <strong>de</strong> qui vous aime, on ne peut pas croire ce<br />

qu'on y lit... Le jaloux a <strong>le</strong> regard très perçant pour ce qui est <strong>de</strong> voir quelqu'un à cette place qui est la sienne, parce<br />

qu'à ses yeux cette place est incroyab<strong>le</strong>. Si on croit si fort être trompé, c'est qu'on ne peut pas se croire aimé. On ne<br />

peut pas se voir là. Il y a forcément mensonge, l'amour est trop beau pour être vrai... C'est une curieuse logique,<br />

qu'on pourrait résumer comme ceci. L'amour est cé<strong>le</strong>ste, on ne peut aimer que la perfection. Ce que j'aime en tel<strong>le</strong><br />

femme, c'est sa perfection. Et son amour à el<strong>le</strong> m'est dû, il est pour el<strong>le</strong> une obligation, car el<strong>le</strong> est ma femme, ou<br />

ma fil<strong>le</strong>. Mais moi qui suis imparfait, je ne puis être aimé d'el<strong>le</strong>. Ainsi, son amour à el<strong>le</strong> est à la fois obligatoire et<br />

impossib<strong>le</strong>. Il y a donc tromperie <strong>de</strong> sa part. Or si el<strong>le</strong> me trompe (comme il arrive à un époux : cas d'Othello et <strong>de</strong><br />

Léontès), ou plus généra<strong>le</strong>ment si el<strong>le</strong> ne répond pas à mon amour comme il convient (ce qui peut arriver à un père : cas<br />

<strong>de</strong> Lear), c'est qu'el<strong>le</strong> est imparfaite. Dès lors, mon amour porte sur un objet illusoire, il n'est que vanité et que folie, il ouvre<br />

sur l'enfer. Et pourtant, je ne puis l'extirper. D'où la rage <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction : Lear chasse sa fil<strong>le</strong> préférée,<br />

qui est justement la seu<strong>le</strong> à l'aimer vraiment, Léontès, fou <strong>de</strong> jalousie, saccage sa famil<strong>le</strong> tout entière, Othello étouffe<br />

Desdémone. C'est une logique fanatique, forcément auto<strong>de</strong>structrice, puisque c'est mon amour que je déchire. A<br />

noter au passage que la "tromperie” dont Desdémone se serait rendue coupab<strong>le</strong> envers son père n'est pas sans<br />

rapport avec la réponse <strong>de</strong> Cordélia à Lear : l'une et l'autre rappel<strong>le</strong>nt à <strong>le</strong>ur géniteur que <strong>le</strong> lien filial doit être borné par <strong>le</strong><br />

lien conjugal... Ce qu'il y a <strong>de</strong> terrib<strong>le</strong>, c'est que cette attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Desdémone, ce choix qu'el<strong>le</strong> a fait au nom <strong>de</strong> son amour,<br />

Othello finira par <strong>le</strong>s retenir à charge contre el<strong>le</strong> : si el<strong>le</strong> a "trompé" son père, el<strong>le</strong> peut bien tromper son mari...<br />

Une tel<strong>le</strong> logique est-el<strong>le</strong> une fatalité <strong>de</strong> l'amour ?<br />

El<strong>le</strong> en serait plutôt une possibilité intime. C'est <strong>le</strong> genre <strong>de</strong> vertige qui suit peut-être l'amour comme son ombre dès<br />

lors qu'il y a exigence d'absolu. Mais au-<strong>de</strong>là, il y a encore une autre dimension, qui libère <strong>de</strong> l'horizon où s'enferme<br />

cette soif <strong>de</strong> "perfection" implacab<strong>le</strong>. Une chose que j'ai ressentie chez Duras et que j'essaie <strong>de</strong> cerner ici, quelque<br />

chose que j'appel<strong>le</strong> pour moi-même la part féminine, non pas seu<strong>le</strong>ment à cause <strong>de</strong> Duras, bien sûr, mais simp<strong>le</strong>ment<br />

parce qu'ici el<strong>le</strong> est assumée par Desdémone. El<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> est impeccab<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> va jusqu'à mourir en essayant d'innocenter<br />

Othello. Et el<strong>le</strong> <strong>le</strong> fait moins à mon avis pour lui éviter un procès que pour laisser à son âme une chance d'échapper<br />

au désespoir absolu. Mais lui, tout ce qu'il entend <strong>dans</strong> ces paro<strong>le</strong>s, c'est d'abord un mensonge <strong>de</strong> plus... S'il avoue<br />

<strong>le</strong> crime, ce n'est pas tant pour en assumer nob<strong>le</strong>ment la responsabilité que pour dénoncer ce mensonge-là. Et en<br />

même <strong>temps</strong>, on sent qu'il est surpris, qu'un nouveau doute s'insinue : pourquoi donc a-t-el<strong>le</strong> proféré un tel mensonge,<br />

qui ne pouvait profiter qu'à lui, Othello, l'homme qui vient <strong>de</strong> la tuer <strong>de</strong> façon aussi affreuse ? Est-ce qu'el<strong>le</strong><br />

aurait vraiment pu pousser la dépravation jusqu'à une tel<strong>le</strong> extrémité, jusqu'à l'absur<strong>de</strong> ? C'est un instant tout à fait<br />

atroce, et poignant... A cet instant, il la croit sur <strong>le</strong> seuil <strong>de</strong> l'enfer, alors que c'est lui qui s'y tient.<br />

Quel<strong>le</strong>s étapes as-tu imaginées pour <strong>le</strong> voyage <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux faces <strong>de</strong> l'amour ?<br />

La pièce a un doub<strong>le</strong> commencement. Une sorte <strong>de</strong> long prologue à Venise, qui couvre tout <strong>le</strong> premier acte. Puis la<br />

scène change et nous transporte à Chypre. A Venise, Othello parvient à profiter d'une situation <strong>de</strong> crise pour obtenir<br />

la main <strong>de</strong> Desdémone, mais il lui reste à vaincre <strong>le</strong>s Turcs. Avant d'arriver à Chypre, il croit avoir perdu<br />

Desdémone en route, mais il sait que la flotte turque a été détruite par une tempête provi<strong>de</strong>ntiel<strong>le</strong>. Au début <strong>de</strong> l'acte<br />

II, nous <strong>le</strong> redécouvrons donc au moment où il atteint <strong>le</strong> sommet <strong>de</strong> sa vie, au croisement <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux trajectoires, l'une<br />

intime et l'autre socia<strong>le</strong> ou politique - il arrive victorieux, sans coup férir, nommé gouverneur <strong>de</strong> l'î<strong>le</strong>, et il y retrouve<br />

son épouse saine et sauve. Ce sont <strong>le</strong>s noces <strong>de</strong> Mars et Vénus, qui se nomme aussi Cypris, la déesse <strong>de</strong> Chypre...<br />

Apparemment, donc, une réussite absolue, où même la Fortune joue en la faveur d'Othello. Les <strong>de</strong>ux difficultés<br />

.../...<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 20


extérieures - <strong>le</strong> mariage, la guerre - sont tombées comme d'el<strong>le</strong>s-mêmes. Et c'est à partir <strong>de</strong> ce point culminant que<br />

<strong>le</strong>s processus <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction ou d'auto<strong>de</strong>struction commencent <strong>le</strong>ur oeuvre. Il y a donc une ascension, dont nous<br />

voyons <strong>le</strong>s toutes <strong>de</strong>rnières étapes, et puis une chute, qui constitue son revers. Une face claire, une face obscure. J'ai<br />

essayé d'inscrire ces <strong>de</strong>ux faces <strong>dans</strong> la scénographie, et <strong>de</strong> faire sentir qu'el<strong>le</strong>s sont solidaires, qu'el<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong> revers<br />

l'une <strong>de</strong> l'autre. Cela nous permet <strong>de</strong> voyager du blanc au noir, en quelque sorte, d'un excès à un défaut <strong>de</strong> clarté,<br />

entre <strong>de</strong>ux façons d'être aveug<strong>le</strong> ou aveuglé, jusqu'à ce point où on ne sait plus si c'est l'ombre ou la lumière qui<br />

voi<strong>le</strong> nos yeux. On a beaucoup travaillé cet aspect en réglant <strong>le</strong>s lumières. Il y a <strong>de</strong>s moments, autour <strong>de</strong> la découverte<br />

du mouchoir, par exemp<strong>le</strong>, où la blancheur toujours plus intense finit par dérober toute visibilité : on ne voit<br />

plus que l'image rémanente du mouchoir, une petite tache en négatif qui flotte <strong>dans</strong> <strong>le</strong> regard.<br />

Cette persistance rétinienne n'est pas sans rapport avec la <strong>le</strong>nte imprégnation par l'alcool ou par <strong>le</strong>s mots dont tu parlais tout à l'heure : el<strong>le</strong> est<br />

el<strong>le</strong> aussi un effet-retard...<br />

Oui... Et un effet où l'immatériel et <strong>le</strong>s corps se travail<strong>le</strong>nt mutuel<strong>le</strong>ment. Comme toujours au théâtre...<br />

Toujours <strong>le</strong> paradoxe...<br />

Oui, ou l'indécidab<strong>le</strong> : ces moments où on ne sait plus si on voit ou si on ne voit pas. Si on voit encore ou si on ne<br />

voit déjà plus... Ou si on voit quelque chose <strong>de</strong> réel. Ca oscil<strong>le</strong> d'un extrême à l'autre, ça cligne sans se fixer... Par<br />

exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> meurtre <strong>de</strong> Desdémone est abominab<strong>le</strong>, et en même <strong>temps</strong>, c'est une scène d'amour déchirante... Et je<br />

pense aussi à la fin d'Othello. Il se suici<strong>de</strong> en racontant à ses témoins vénitiens une autre histoire tirée <strong>de</strong> son passé,<br />

et qui était restée jusque-là inconnue. Il <strong>le</strong>ur révè<strong>le</strong> qu'un jour, à A<strong>le</strong>p, il a entendu un "incroyant", un Turc donc,<br />

qui s'en prenait à un <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs concitoyens en outrageant <strong>le</strong>ur République, et qu'il l'a frappé tout comme il se frappe<br />

alors sous <strong>le</strong>urs yeux. C'est un geste extraordinaire : Othello, pour mettre un terme à son existence, se place en <strong>de</strong>ux<br />

points à la fois, <strong>de</strong> part et d'autre <strong>de</strong> la frontière qui oppose Venise à ses ennemis. Et ce faisant, au moment même<br />

où il paraît prendre parti <strong>dans</strong> cet affrontement (<strong>dans</strong> la mesure où l'un frappe l'autre pour <strong>le</strong> châtier), en fait, bien<br />

loin <strong>de</strong> séparer <strong>le</strong>s adversaires, il <strong>le</strong>s réunit. Le geste même qui paraît distinguer <strong>le</strong> vainqueur du vaincu permet à<br />

Othello, en faisant cou<strong>le</strong>r un seul sang - <strong>le</strong> sien -, <strong>de</strong> s'i<strong>de</strong>ntifier à l'un comme à l'autre, donc à celui qu'il fut et que<br />

d'une certaine façon il n'aura jamais cessé d'être, puisqu'à son heure suprême, il choisit <strong>de</strong> <strong>le</strong> tirer <strong>de</strong> l'oubli et qu'il<br />

lui faut encore <strong>le</strong> tuer et <strong>le</strong> retuer en lui-même, encore et toujours, jusqu'au <strong>de</strong>rnier instant <strong>de</strong> sa vie.<br />

© Alain Fontenay<br />

Lorient, 9 septembre 2008<br />

(propos recueillis par Daniel Loayza)<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 21


NOTES DE MISE EN SCÈNE SUR LES PERSONNAGES<br />

(Notes prises par CYRIL BRODY, assistant à la mise en scène, pendant <strong>le</strong>s répétitions)<br />

Les personnages<br />

Ce sont <strong>de</strong>s gens qui affirment <strong>le</strong>ur existence <strong>dans</strong> ce qu’ils disent. Ils se détestent et se séduisent. Ils sont dangereux entre<br />

eux. Ils se savent tous dangereux. Un peu comme <strong>de</strong>s animaux sauvages qui s’entretuent, <strong>de</strong>s guerriers qui utilisent <strong>le</strong>s mots<br />

avant <strong>le</strong>s armes.<br />

Cette pièce est un moteur <strong>de</strong> guerre. Le combat ne se joue pas qu’entre Iago et Othello. Il se déplace. Les personnages sont<br />

<strong>dans</strong> la conquête, toutes <strong>le</strong>s conquêtes possib<strong>le</strong>s. Les solutions sont <strong>dans</strong> <strong>le</strong> texte : politiques, amoureuses, tactiques,<br />

psychologiques… Chacun <strong>de</strong>s personnages est un mon<strong>de</strong>, comme s’ils n’avaient pas réussi à organiser la société, comme si<br />

<strong>le</strong> langage n’était pas évi<strong>de</strong>nt, ne trouvait pas sa logique. Ils sont comme <strong>de</strong>s aphasiques : <strong>le</strong>s idées n’arrivent pas à<br />

rencontrer <strong>le</strong> sentiment. Il existe une navigation comp<strong>le</strong>xe entre <strong>le</strong> paraître et l’être : Iago introduit <strong>le</strong> doute sur toutes <strong>le</strong>s<br />

apparences.<br />

Cette pièce, c’est la fin <strong>de</strong>s certitu<strong>de</strong>s.<br />

Iago<br />

Dans la première scène, il y a une transformation (Iago) et par la suite, tout rou<strong>le</strong> très faci<strong>le</strong>ment avec une apparente<br />

légèreté. Auparavant, Iago était du côté <strong>de</strong>s humains et en quelques secon<strong>de</strong>s, nous assistons à sa transformation. D’une<br />

certaine manière, quelque chose s’est libéré en Iago : il a dépassé la dou<strong>le</strong>ur. « je ne suis pas ce que je suis » (act1, sc1) : on<br />

doit entendre autre chose. Il faut <strong>le</strong> jouer comme un triomphe, un plaisir. Comme Iago n’est pas ce qu’il est, il a choisi d’être<br />

tout. C’est un caméléon, un acteur. C’est une sorte <strong>de</strong> déclaration d’amour au théâtre. Quelque chose se fait <strong>dans</strong> la mise en<br />

scène entre Othello et Iago : c’est Othello qui nourrit l’imaginaire <strong>de</strong> Iago. Il a Othello <strong>dans</strong> son esprit tout <strong>le</strong> <strong>temps</strong>. Iago,<br />

c’est un vi<strong>de</strong> actif, présent, réactif, décomp<strong>le</strong>xé et déculpabilisant <strong>de</strong> tout. Tout ce qui serait <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> la préméditation<br />

serait un écueil pour la pièce. Il s’en fout <strong>de</strong> lui, il n’a pas d’orgueil. Une serpillière lui va. Quand il par<strong>le</strong> <strong>de</strong> volonté, ce n’est<br />

pas une volonté laborieuse. Il y a un amour du théâtre chez Iago : il ne sait pas s’il joue une comédie ou une tragédie. C’est<br />

<strong>le</strong> mélange d’un drame bourgeois et d’une tragédie antique. Il a toute l’éternité pour tuer Othello et rien à perdre. Iago n’a<br />

pas peur du vi<strong>de</strong>, contrairement à Ro<strong>de</strong>rigo, sa poupée.<br />

Othello<br />

Les personnages viennent tous à Othello. Il attend <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s et ce sera l’ultime révélation. Il <strong>le</strong>s aime en apparence,<br />

ces grands <strong>de</strong> Venise. « Je suis peu doué pour <strong>le</strong>s mots tendres <strong>de</strong> la paix» (act1, sc3) ; mains en l’air, en signe <strong>de</strong> paix, puis<br />

<strong>le</strong>s avant-bras musclés ouverts <strong>de</strong>vant lui. Il dit aussi : je suis un enfant soldat. On lui a mis un fusil entre <strong>le</strong>s mains. Il<br />

maîtrise complètement son discours. Et puis il <strong>le</strong>ur clame : c’est beaucoup plus simp<strong>le</strong> que ça : c’est l’amour . Il ajoute : c’est<br />

paraître ce que l’on est. En employant <strong>le</strong>s termes « anthropophages, canniba<strong>le</strong>s », Othello s’approche <strong>de</strong> la vérité <strong>de</strong>s<br />

personnages, il joue avec. Il dit à mots couverts ce qui constitue une vérité profon<strong>de</strong> qui n’apparaîtra que <strong>dans</strong> la <strong>de</strong>uxième<br />

partie avec <strong>le</strong> mouchoir. Othello <strong>de</strong>man<strong>de</strong> son intégration par tous <strong>le</strong>s autres. Il croit qu’il est accepté mais il n’est que toléré.<br />

A la première erreur, il tombe.<br />

Desdémone<br />

Brabantio l’affirme bel<strong>le</strong>, douce, heureuse mais quand on la découvre, on peut se dire : « non, el<strong>le</strong> n’est pas douce. » Son<br />

père l’appel<strong>le</strong> fil<strong>le</strong> mais c’est une femme qui entre. Reconnaître, ça se fait avec son propre corps. Desdémone est<br />

extrêmement droite et décidée. El<strong>le</strong> ne fait pas <strong>de</strong> sensib<strong>le</strong>rie. C’est une Jeanne d’Arc. Il faut la penser à une gran<strong>de</strong> hauteur.<br />

«Je réclame <strong>le</strong> droit d’appartenir» : el<strong>le</strong> revendique l’appartenance à l’étranger, Othello. Tout tourne autour <strong>de</strong> «l’étranger» :<br />

Ro<strong>de</strong>rigo <strong>le</strong> lâche en premier. Desdémone aussi <strong>le</strong> dit, mais el<strong>le</strong> prend parti pour lui : « j’ai vu <strong>le</strong> vrai visage d’Othello <strong>dans</strong><br />

son coeur ». El<strong>le</strong> embrasse Othello <strong>de</strong>vant tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>. En quelque sorte, Desdémone est engagée au côté <strong>de</strong> son mari.<br />

C’est un projet lumineux, qui relève <strong>de</strong> la même force que Iago, sauf que pour lui, il s’agit d’une force noire. El<strong>le</strong> voit <strong>dans</strong><br />

<strong>le</strong> maure <strong>le</strong> prochain Doge. Il la fait rêver : c’est son projet, son pays. Desdémone refuse d’al<strong>le</strong>r chez son père : c’est la<br />

première fois qu’une femme par<strong>le</strong> à cette hauteur-là. Othello n’a pas imaginé une secon<strong>de</strong> que Desdémone ne partirait pas<br />

avec lui. Ils vont gagner ensemb<strong>le</strong>. S’ils sont séparés, c’est la guerre qui en pâtira.<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 22<br />

.../...


Brabantio<br />

Brabantio est désespéré et il possè<strong>de</strong> une sorte <strong>de</strong> clarté visionnaire sur la fin du mon<strong>de</strong>, en plus <strong>de</strong> sa souffrance<br />

individuel<strong>le</strong>. « Le mal n’est que trop vrai » : <strong>le</strong> mal existe <strong>de</strong> façon métaphysique. « Et ce qui vient <strong>le</strong> <strong>temps</strong> <strong>de</strong> la honte ne<br />

sera plus qu’amertume. » : c’est une prophétie, un futur sans alternative… Brabantio souffre physiquement, on lui a arraché<br />

<strong>le</strong> coeur. Il ne faut pas <strong>le</strong> penser comme un père, mais comme un homme. Brabantio <strong>de</strong>vient pragmatique. Il en appel<strong>le</strong> aux<br />

autorités, à la loi. Il va rechercher une explication <strong>dans</strong> la science, un antidote au poison. Il met un couverc<strong>le</strong> sur sa dou<strong>le</strong>ur.<br />

« Je t’accuse » (act1, sc2) : Brabantio est un sénateur. Il prend la paro<strong>le</strong> pour tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>. Tout un art oratoire <strong>dans</strong> <strong>le</strong>quel<br />

il fait déjà <strong>le</strong> procès d’Othello. C’est un avocat général. Il attise la fou<strong>le</strong> par un vrai ta<strong>le</strong>nt oratoire et démagogique. « Si <strong>de</strong><br />

tels actes sont permis esclaves et païens... » (act1, sc2) : c’est une hypothèse, la prophétie fina<strong>le</strong>. Brabantio travail<strong>le</strong> avec<br />

l’ensemb<strong>le</strong> du lieu, <strong>de</strong>s gens, <strong>de</strong> l’Agora. Il connaît parfaitement Othello. C’est un rapport d’égal à égal. Il doit <strong>le</strong> regar<strong>de</strong>r<br />

comme un doub<strong>le</strong>. Il laisse venir toute la haine <strong>de</strong> l’Autre mise <strong>de</strong> côté tandis qu’Othello <strong>de</strong>venait son ami. El<strong>le</strong> ressort<br />

maintenant. Othello <strong>de</strong>vient responsab<strong>le</strong> du chaos, <strong>de</strong> la remise en cause <strong>de</strong> l’ordre du mon<strong>de</strong>. Pour Brabantio, Othello joue<br />

un jeu extrêmement dangereux. Trahison intime qui a <strong>de</strong>s répercussions sur l’ordre du mon<strong>de</strong>. Il ne peut même pas<br />

nommer Othello : « une chose tel<strong>le</strong> que toi » (act1, sc2).<br />

Ro<strong>de</strong>rigo<br />

Ro<strong>de</strong>rigo ne tient pas <strong>de</strong>bout. Quand il est sur <strong>le</strong> disque, il glisse, il ne tient pas droit. Ro<strong>de</strong>rigo, c’est une plaie ouverte, c’est<br />

un sentiment. Il est <strong>le</strong> seul qui exprime absolument sa souffrance amoureuse. Un « moi » qui se cherche. « Qu’est ce que je<br />

dois faire ? » <strong>de</strong>man<strong>de</strong> Ro<strong>de</strong>rigo comme l’acteur qui se <strong>le</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ; il se <strong>le</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> tout <strong>le</strong> <strong>temps</strong>. Le « Jamais » <strong>de</strong> Ro<strong>de</strong>rigo<br />

s’adresse à l’absolu, à l’humain. C’est un jeu <strong>de</strong> dia<strong>le</strong>ctique, on peut toujours l’accrocher à quelque chose ; au « Je ne suis pas<br />

ce que je suis » par exemp<strong>le</strong>. C’est une sorte <strong>de</strong> feu d’artifice, c’est venu <strong>de</strong> la nuit et ça retourne à la nuit, et nous n’avons<br />

rien compris. C’est parti et ça ne s’arrête plus. C’est trop tard, il ne fallait pas venir… La tragédie, ça a été inventé pour faire<br />

peur, pas pour émouvoir.<br />

Cassio<br />

Cassio arrive avec une torche.<br />

C’est la première véritab<strong>le</strong> entrée avec la lumière : c’est une sorte <strong>de</strong> Cavalier <strong>de</strong> l’Apocalypse.<br />

On doit se tromper sur Cassio : apparence <strong>de</strong> l’efféminé hyper hétérosexuel, gestuel<strong>le</strong> pas naturel<strong>le</strong>, hyperthéâtralité.<br />

© Alain Fontenay<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 23


NOTES DE RÉPÉTITION, ACTE II, SCÈNES 1 ET 2<br />

1.<br />

Lorient, mercredi 10 septembre 2008, 13 heures 30. Sans qu’aucun signe clair ne l’indique, la répétition semb<strong>le</strong> avoir déjà démarré. Le<br />

parterre reste éclairé ; au plateau, <strong>le</strong>s lumières n’ont pas varié. Assis à sa tab<strong>le</strong> <strong>de</strong> mixage, Othello – c’est bien <strong>le</strong> nom du régisseur son, qui est<br />

aussi cinéaste – continue à faire passer <strong>de</strong>s fragments musicaux en sal<strong>le</strong> pour apprécier <strong>le</strong>ur effet <strong>dans</strong> <strong>le</strong> volume réel du théâtre. La succession <strong>de</strong><br />

climats très différents, collage sonore té<strong>le</strong>scopant <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s lieux – une réalisation <strong>de</strong> basse continue au clavecin précè<strong>de</strong> aujourd’hui une<br />

mélodie mozarabe ou une fanfare d’Europe centra<strong>le</strong> – ne semb<strong>le</strong> pas déconcentrer Eric Vigner, qui est monté au plateau pour annoncer aux<br />

régisseurs qu’il souhaiterait commencer l’après-midi en travaillant <strong>dans</strong> <strong>le</strong> détail <strong>le</strong> début du <strong>de</strong>uxième acte. Sa stature, cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s comédiens, se<br />

détachent nettement <strong>dans</strong> ce décor dépouillé. Le sol noir, brillant, est comme un souvenir d’Extrême-Orient (Bénédicte, la soeur d’Eric, me<br />

confirmera que c’est la Corée qui lui a inspiré cet effet <strong>de</strong> laque). Au fond est tendu un grand cyclo rectangulaire, gris clair, barrant complètement<br />

la perspective. Reflétée sur ce cyclo, la marquetterie <strong>de</strong>s pièces du plancher <strong>de</strong>ssine une série concentrique d’ova<strong>le</strong>s aplatis traversés d’un réseau<br />

symétrique <strong>de</strong> rayons – on croirait voir, esquissée en légers traits <strong>de</strong> brume, une très discrète toi<strong>le</strong> d’araignée. Comme <strong>le</strong> sol réverbère <strong>le</strong>s éclairages,<br />

chaque présence en scène est dotée d’une ombre qui se dédoub<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> cyclo. Effet <strong>de</strong> dédoub<strong>le</strong>ment qui est d’ail<strong>le</strong>urs moins faci<strong>le</strong> à décrire qu’à<br />

apprécier. L’une <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux ombres est en effet cel<strong>le</strong> du corps, tel<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> est projetée directement par <strong>le</strong> faisceau lumineux <strong>de</strong>s projecteurs ; l’autre<br />

est due à la réfraction <strong>de</strong> ce même faisceau par <strong>le</strong> plancher laqué. En conséquence, loin d’être i<strong>de</strong>ntiques, <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux ombres, qui se rejoignent par<br />

<strong>le</strong>s pieds, forment un ang<strong>le</strong> entre el<strong>le</strong>s et ne semb<strong>le</strong>nt pas même cohabiter <strong>dans</strong> <strong>le</strong> même plan : l’une est <strong>de</strong>bout, l’autre est prosternée <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>,<br />

pareil<strong>le</strong> à l’ombre <strong>de</strong> cette ombre. Tandis que Desdémone et Othello tournent l’un autour <strong>de</strong> l’autre, <strong>le</strong>urs ombres doub<strong>le</strong>s reproduisent, gris sur<br />

gris, <strong>le</strong>ur doub<strong>le</strong> mouvement spiral puis se fon<strong>de</strong>nt l’une <strong>dans</strong> l’autre lorsque <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux époux se rejoignent au centre <strong>de</strong> la scène pour s’enlacer. Eric<br />

se lève alors, rejoint <strong>le</strong> plateau, reprend et précise un point <strong>de</strong> la trajectoire. Ce qu’il indique à Samir, bras d’abord <strong>le</strong>vés puis baissés vers <strong>le</strong> sol,<br />

va apparaître immédiatement, dès que <strong>le</strong>s comédiens reprennent <strong>le</strong>ur jeu. Mais pour en comprendre la portée, il faut d’abord en rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong> contexte.<br />

Othello et Desdémone n’ont pas embarqué pour Chypre sur <strong>le</strong> même vaisseau. Au cours <strong>de</strong> la traversée, une<br />

tempête a dispersé la flotte vénitienne, et chacun ignore ce qu’il est advenu <strong>de</strong> l’autre. Aussi <strong>le</strong>s retrouvail<strong>le</strong>s du général et<br />

<strong>de</strong> sa jeune épouse sont-el<strong>le</strong>s d’abord, aux yeux <strong>de</strong> Vigner, un instant d’éblouissement et <strong>de</strong> vertige. Instant d’autant plus<br />

intense que c’est aussi pour eux la première fois que <strong>le</strong>ur passion peut se découvrir au grand jour. Or, à ce sta<strong>de</strong> du travail,<br />

Samir Guesmi et Bénédicte Cerutti sont seuls au plateau. Eric me précisera tout à l’heure qu’il tient à iso<strong>le</strong>r Othello et<br />

Desdémone, ainsi captivés l’un par l’autre ; s’il doit y avoir là <strong>de</strong>s soldats et d’autres témoins, ainsi que l’a stipulé Shakespeare,<br />

ils se tiendront sans doute à l’écart, <strong>dans</strong> une présence suspendue et comme neutralisée, à l’orée du cerc<strong>le</strong> enchanté que<br />

tracent <strong>le</strong>s amants. Toute la difficulté <strong>de</strong> la scène tient donc à ce qu’il faut doser avec une extrême délicatesse <strong>de</strong>ux versants<br />

opposés <strong>de</strong> l’action : un général rejoint ses troupes – c’est la face viri<strong>le</strong> et publique <strong>de</strong> cet instant ; un coup<strong>le</strong> amoureux se<br />

reforme – c’en est la face intime et passionnel<strong>le</strong> – un transport en <strong>de</strong>çà ou au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> toute politique, <strong>de</strong> toute histoire. Chez<br />

Stanislavski, apparemment, il importait <strong>de</strong> bien distinguer ces <strong>de</strong>ux plans : c’est d’abord <strong>le</strong> guerrier, <strong>le</strong> meneur d’hommes<br />

qui faisait son entrée ; chez lui, en effet, Othello s’adresse d’abord aux Chypriotes, à ses troupes, à Montano ; Desdémone,<br />

qui est sortie à sa rencontre, ne rentre en scène qu’une fois achevées ces démonstrations quasi officiel<strong>le</strong>s. Mais cette <strong>le</strong>cture<br />

ne peut s’opérer qu’au prix d’un réaménagement du texte original. C’est à ce prix, <strong>dans</strong> la vision du grand metteur en scène<br />

russe, qu’une certaine intimité peut être concédée au Maure et à son épouse lorsqu’ils se rejoignent enfin : “Emilia s’est<br />

quelque peu écartée. Othello et Desdémone par<strong>le</strong>nt tout bas. N. B. A l’entrée <strong>de</strong> Desdémone tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> s’est retiré par<br />

discrétion” (Mise en scène d’Othello, tr. Nina Gourfinkel, Paris, Seuil, coll. Points, 1973, p. 125). Il est cependant très<br />

significatif que <strong>le</strong>s premiers mots d’Othello débarquant à Chypre soient réservés non à ses hommes, mais à son épouse, et<br />

Ion Omesco <strong>le</strong> souligne avec raison : “Les exclamations, <strong>le</strong>s vivats saluent <strong>le</strong> général en chef. Mais à sa place c’est <strong>le</strong> mari<br />

qui entre, en bousculant <strong>le</strong> protoco<strong>le</strong>. Aucun mot à ses compagnons retrouvés, à l’ancien gouverneur ; il est tout à sa femme”<br />

(Othello, chef-d’oeuvre en sursis, Paris, PUF, 1990, p. 52). Sur ce point, contrairement à Stanislavski, Vigner s’en est donc tenu à<br />

l’ordre <strong>de</strong>s actions dicté par Shakespeare. Privilégie-t-il pour autant l’aspect intime <strong>de</strong> ce moment, afin <strong>de</strong> marquer, comme<br />

l’estime Omesco, que “l’amoureux a pris <strong>le</strong> pas sur <strong>le</strong> professionnel” ?<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 24<br />

.../...


Une autre difficulté surgit alors : cet “amoureux”-là va aussitôt s’exprimer avec une étonnante emphase. Voici ce qu’il en<br />

vient à dire à Desdémone, <strong>dans</strong> la traduction <strong>de</strong> Vigner et De Vos :<br />

Oh, joie <strong>de</strong> mon âme,<br />

si après chaque tempête vient un tel calme,<br />

que <strong>le</strong>s vents souff<strong>le</strong>nt à réveil<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s morts,<br />

que <strong>le</strong>s barques en détresse grimpent <strong>de</strong>s montagnes d’eau<br />

aussi hautes que l’Olympe pour replonger du haut du ciel<br />

jusqu’au fond <strong>de</strong>s Enfers. Si je <strong>de</strong>vais mourir maintenant,<br />

ce serait <strong>dans</strong> un bonheur suprême, car je crains<br />

que mon âme, <strong>dans</strong> son absolue plénitu<strong>de</strong>,<br />

ne puisse revivre un instant pareil à celui-ci.<br />

A quoi Desdémone répond :<br />

Que <strong>le</strong> Ciel veuil<strong>le</strong><br />

que nos joies et nos amours grandissent<br />

avec <strong>le</strong> nombre <strong>de</strong> nos jours.<br />

Omesco pense pouvoir discerner ici chez Othello “une grandiloquence conventionnel<strong>le</strong>” – soit qu’il fail<strong>le</strong> y voir “<strong>de</strong> toute<br />

évi<strong>de</strong>nce <strong>le</strong> symptôme d’une personnalité fortement centrée sur el<strong>le</strong>-même, habituée à faire vio<strong>le</strong>nce au réel”, soit encore<br />

que la somptuosité rhétorique soit un co<strong>de</strong> imposé par la situation, une manière <strong>de</strong> jouer <strong>de</strong>vant ses troupes une scène <strong>de</strong><br />

retrouvail<strong>le</strong>s en public. Dans ce <strong>de</strong>rnier cas, <strong>le</strong> langage d’Othello trahirait que <strong>le</strong> moment ne relève justement pas <strong>de</strong><br />

l’intimité amoureuse et que <strong>le</strong> Maure, passé son éblouissement initial, tiendrait compte <strong>de</strong> la présence d’un auditoire. Le<br />

secret <strong>de</strong>s amants se serait donc éventé en se divulguant.<br />

Or ce n’est pas la ligne que Vigner a choisi <strong>de</strong> suivre en répétitions. Samir, reprenant la scène selon ses indications, entame<br />

sa manoeuvre d’approche vers sa partenaire – mais lorsqu’il en vient à é<strong>le</strong>ver <strong>le</strong> ton jusqu’au point d’emphase que je viens<br />

<strong>de</strong> citer, tout son corps paraît se déployer, s’agrandir encore, puis se casser brusquement tandis qu’il tombe à genoux <strong>de</strong>vant<br />

sa bien-aimée, comme s’il lui fallait épouser <strong>le</strong> mouvement qui transporte sa langue “du haut du ciel / jusqu’au fond <strong>de</strong>s<br />

enfers”. Aussi, lorsque Desdémone, s’inclinant <strong>de</strong>vant cet homme agenouillé, l’enlace pour <strong>le</strong> re<strong>le</strong>ver, c’est à une “âme”<br />

qu’el<strong>le</strong> paraît alors tendre la main pour la rappe<strong>le</strong>r au sens d’une existence moins sublime, moins absolue, mais où l’amour<br />

peut être nommé en paix et espérer grandir jour après jour. Et c’est comme si cet instant, par-<strong>de</strong>là la simp<strong>le</strong> opposition entre<br />

ses versants intime et public (versants qui relèvent tous <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> notre mon<strong>de</strong>, ici-bas), préfigurait aussi, par une sorte <strong>de</strong><br />

nostalgie à rebours, si l’on peut dire, l’image d’une possib<strong>le</strong> ré<strong>de</strong>mption – image d’autant plus bou<strong>le</strong>versante que <strong>le</strong> pardon<br />

précè<strong>de</strong> ici <strong>le</strong> crime comme son écho surnaturel et fugitif.<br />

© Photo <strong>de</strong> répétition<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 25<br />

.../...


2.<br />

CASSIO<br />

Je me souviens d’un tas <strong>de</strong> choses, mais <strong>de</strong> rien distinctement. Une querel<strong>le</strong>, mais je ne sais pas d’où el<strong>le</strong> est partie. Oh Dieu, <strong>le</strong>s hommes<br />

introduisent un ennemi <strong>dans</strong> <strong>le</strong>ur bouche pour qu’il <strong>le</strong>ur vo<strong>le</strong> la cervel<strong>le</strong>. Dire que nous trouvons <strong>de</strong> la joie, du plaisir, <strong>de</strong> la satisfaction à nus<br />

transformer en bêtes!<br />

Il n’est pas encore 14 heures. Sans s’attar<strong>de</strong>r à rég<strong>le</strong>r pour l’instant un important changement <strong>de</strong> décor, Eric fait disposer<br />

<strong>le</strong>s éléments indispensab<strong>le</strong>s à la séquence suivante. C’est maintenant au tour <strong>de</strong> Iago d’entrer en jeu, et je suis<br />

évi<strong>de</strong>mment très curieux d’entrevoir pour la première fois <strong>le</strong>s traits que Michel Fau va lui prêter.<br />

Une symétrie rigoureuse se <strong>de</strong>ssine au plateau. En son centre, une tab<strong>le</strong> ; à cour et à jardin, <strong>de</strong>ux portes. Cassio sort <strong>de</strong> l’une<br />

d’entre el<strong>le</strong>s, à cour, appelant Iago à <strong>le</strong> rejoindre pour prendre son tour <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>. Iago arrive à son tour, <strong>de</strong> l’autre côté. Mais<br />

il se gar<strong>de</strong> bien <strong>de</strong> rejoindre son supérieur. Le <strong>temps</strong> <strong>de</strong> quelques répliques, <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux hommes se font face <strong>de</strong> part et<br />

d’autre <strong>de</strong> la scène. Puis Iago gagne la tab<strong>le</strong>, verse un verre <strong>de</strong> vin qu’il tend à Cassio, brisant ainsi la disposition<br />

symétrique. Cel<strong>le</strong>-ci se rétablit aussitôt : c’est à présent <strong>le</strong> lieutenant qui rejoint l’enseigne pour accepter <strong>le</strong> verre tendu. Ce<br />

n’est donc pas Iago qui répond à l’appel <strong>de</strong> Cassio, mais <strong>le</strong> contraire. Premier signe d’un renversement du rapport <strong>de</strong><br />

forces.<br />

Iago, jusqu’ici, est calme, neutre, effacé. D’une banalité inscrutab<strong>le</strong>. Soudain il chante, l’air <strong>de</strong> rien, une chanson à boire. On<br />

pressent qu’une machine inferna<strong>le</strong> vient <strong>de</strong> se déc<strong>le</strong>ncher, un crescendo dont Iago va contrô<strong>le</strong>r à sa guise <strong>le</strong>s<br />

étapes. Depuis que Cassio a absorbé son verre d’alcool, <strong>le</strong> compte à rebours a commencé : <strong>le</strong> toxique est en lui, il suffit<br />

maintenant d’attendre qu’il lui monte à la tête. L’empoisonnement – figure <strong>de</strong> l’inéluctab<strong>le</strong>. Le Maure, lui aussi, sera<br />

empoisonné, mais d’abord par <strong>de</strong>s mots.<br />

Entre Montano, qui tient lui aussi à trinquer à la santé <strong>de</strong>s nouveaux mariés, Othello et Desdémone, dont c’est la nuit <strong>de</strong><br />

noces. L’équilibre du plateau ne paraît pas compromis par cette nouvel<strong>le</strong> présence. Iago se tient entre <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

hommes, eux-mêmes <strong>de</strong> part et d’autre <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong>. Le vin cou<strong>le</strong>, l’échanson infernal monte sur la tab<strong>le</strong> pour chanter encore.<br />

Tiens, Iago est moins discret ! Il a ses raisons, évi<strong>de</strong>mment. Michel Fau aussi. Comme toujours, Iago fait tourner l’inattendu<br />

à son profit – son idée étant ici que pour pousser Cassio à bout, il faut l’humilier, en tirant parti <strong>de</strong> la présence <strong>de</strong> ce témoin<br />

qu’est Montano, ancien gouverneur <strong>de</strong> l’î<strong>le</strong>… Cette idée du personnage, l’acteur va lui donner chair à sa façon. Debout sur<br />

la tab<strong>le</strong>, ce Iago-là est comme <strong>le</strong> fléau du plateau, balance géante que l’on sent déjà frémissante. Il chante à p<strong>le</strong>ins poumons,<br />

vulgaire à souhait : magnifique provocateur, accélérateur <strong>de</strong> bourrasque, paratonnerre narguant l’ivresse <strong>de</strong> Cassio, teintée<br />

<strong>de</strong> honte, <strong>de</strong> colère, d’impuissance et <strong>de</strong> mépris <strong>de</strong> caste. La symétrie du plateau, resserrée autour <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong>, est maintenant<br />

comme un ressort qui s’est comprimé…<br />

Cassio quitte la place, <strong>dans</strong> un suprême effort pour s’arracher à l’influence démoniaque <strong>de</strong> l’enseigne. Mais <strong>le</strong>s jeux sont<br />

faits. Sur scène, <strong>le</strong> calme apparent est <strong>de</strong> ceux qui précè<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s tempêtes. Même absent, <strong>le</strong> lieutenant ivre pèse <strong>de</strong> tout son<br />

poids sur <strong>le</strong> plateau, tirant l’oeil du spectateur du côté cour. D’autant plus que Iago a envoyé Rodrigo, son comparse et sa<br />

dupe, rejoindre Cassio <strong>dans</strong> la coulisse… Soudain <strong>de</strong>s cris, une course <strong>de</strong> cour à jardin – et la bagarre fata<strong>le</strong> éclate. Le<br />

ressort du piège s’est détendu : cette fois-ci, l’équilibre est bien rompu. Dans quelques secon<strong>de</strong>s <strong>le</strong> scanda<strong>le</strong> sera comp<strong>le</strong>t,<br />

Othello sera contraint <strong>de</strong> renvoyer son lieutenant. L’état initial était symétrique ; une fois l’état final atteint, la symétrie ne<br />

reviendra plus – la chute <strong>de</strong> Cassio est accomplie, l’objectif <strong>de</strong> Iago est atteint. Extraordinaire mouvement <strong>de</strong> scène où<br />

l’implacab<strong>le</strong> se cache sous <strong>le</strong> masque <strong>de</strong> l’improvisation, et que <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssin même <strong>de</strong> l’espace exprime avec une bel<strong>le</strong><br />

économie <strong>de</strong> moyens.<br />

Il n’est pas encore 19 heures. La séquence est achevée. Iago peut à présent re<strong>le</strong>ver Cassio : il lui faut remonter ce ressort-là<br />

– pour un autre piège.<br />

Daniel Loayza<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 26


CROQUIS DE COSTUMES :<br />

Dans cette mise en scène d’Othello vous ne trouverez pas <strong>de</strong> costumes d’époque. Voici quelques images qui ont inspiré<br />

Sophie Hoarau et son équipe, accompagnées <strong>de</strong>s croquis <strong>de</strong>s costumes. Différentes tenues ont été prévues pour chaque<br />

personnage selon <strong>le</strong> lieu et <strong>le</strong> moment <strong>de</strong> la pièce.<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 27


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LE DÉCOR :<br />

© Alain Fontenay<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 30


OTHELLO, TRAGÉDIE DE L’OMBRE<br />

LE COUPLE OTHELLO-IAGO :<br />

“Deux hommes qui se croisent n’ont pas d’autre choix que <strong>de</strong> se frapper, avec la vio<strong>le</strong>nce <strong>de</strong> l’ennemi ou la douceur <strong>de</strong> la fraternité.”<br />

Bernard-Marie Koltès<br />

Le tragique étouffement <strong>de</strong> la lumière<br />

Maintenant qu’est-ce qu’Othello ? C’est la nuit. Immense figure fata<strong>le</strong>. La nuit est amoureuse du jour. La noirceur aime<br />

l’aurore. L’Africain adore la Blanche. Othello a pour clarté et pour folie Des<strong>de</strong>mona. Aussi comme la jalousie lui est faci<strong>le</strong>!<br />

Il est grand, il est auguste, il est majestueux, il est au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s têtes, il a pour cortège la bravoure, la batail<strong>le</strong>, la<br />

fanfare, la bannière, la renommée, la gloire, il a <strong>le</strong> rayonnement <strong>de</strong> vingt victoires, il est p<strong>le</strong>in d’astres, cet Othello, mais il est<br />

noir. Aussi comme, jaloux, <strong>le</strong> héros est vite monstre ! <strong>le</strong> noir <strong>de</strong>vient nègre. Comme la nuit a vite fait signe à la mort !<br />

A côté d’Othello, qui est la nuit, il y a Iago, qui est <strong>le</strong> mal. Le mal, l’autre forme <strong>de</strong> l’ombre. La nuit n’est que la nuit du<br />

mon<strong>de</strong> ; <strong>le</strong> mal est la nuit <strong>de</strong> l’âme. Quel<strong>le</strong> obscurité que la perfidie et <strong>le</strong> mensonge ! avoir <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s veines <strong>de</strong> l’encre ou la<br />

trahison, c’est la même chose. Quiconque a coudoyé l’imposture et <strong>le</strong> parjure, <strong>le</strong> sait ; on est à tâtons <strong>dans</strong> un fourbe. Versez<br />

l’hypocrisie sur <strong>le</strong> point du jour, vous éteindrez <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il. C’est là, grâce aux fausses religions, ce qui arrive à Dieu.<br />

Iago près d’Othello, c’est <strong>le</strong> précipice près du glissement. Par ici ! dit-il tout bas. Le piège conseil<strong>le</strong> la cécité. Le ténébreux<br />

gui<strong>de</strong> <strong>le</strong> noir. La tromperie se charge <strong>de</strong> l’éclaircissement qu’il faut à la nuit. La jalousie a <strong>le</strong> mensonge pour chien<br />

d’aveug<strong>le</strong>. Contre la blancheur et la can<strong>de</strong>ur, Othello <strong>le</strong> nègre, Iago <strong>le</strong> traître, quoi <strong>de</strong> plus terrib<strong>le</strong> ! ces férocités <strong>de</strong> l’ombre<br />

s’enten<strong>de</strong>nt. Ces <strong>de</strong>ux incarnations <strong>de</strong> l’éclipse conspirent, l’une en rugissant, l’autre en ricanant, <strong>le</strong> tragique étouffement <strong>de</strong><br />

la lumière.<br />

Son<strong>de</strong>z cette chose profon<strong>de</strong>. Othello est la nuit. Et étant la nuit, et voulant tuer, qu’est-ce qu’il prend pour tuer ? Le<br />

poison ? la massue ? la hache ? <strong>le</strong> couteau ? Non, l’oreil<strong>le</strong>r. Tuer, c’est endormir. Shakespeare lui-même ne s’est peut-être<br />

pas rendu compte <strong>de</strong> ceci. Le créateur, quelquefois presque à son insu, obéit à son type, tant ce type est une puissance. Et<br />

c’est ainsi que Des<strong>de</strong>mona, épouse <strong>de</strong> l’homme Nuit, meurt étouffée par l’oreil<strong>le</strong>r, qui a eu <strong>le</strong> premier baiser et qui a <strong>le</strong><br />

<strong>de</strong>rnier souff<strong>le</strong>.<br />

Victor HUGO, William Shakespeare, 1864<br />

Othello et l’enjeu <strong>de</strong> l’autre<br />

Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> simp<strong>le</strong>ment qu'on ne sacrifie pas à la convention tout à fait irrecevab<strong>le</strong> selon laquel<strong>le</strong> nous connaîtrions<br />

Desdémone mieux qu'Othello lui-même, faisant <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier une sorte <strong>de</strong> crétin magnifiquement exotique et superstitieux,<br />

ce qui est l'idée d'Iago. Même si, <strong>dans</strong> une certaine mesure, Othello mérite ces qualificatifs, même s'il fait confiance à Iago,<br />

il est impossib<strong>le</strong> qu'il accepte pour argent comptant <strong>le</strong>s informations que celui-ci lui transmet. Quelque part, il sait aussi<br />

qu'el<strong>le</strong>s sont fausses. On <strong>le</strong> voit à la rapidité avec laquel<strong>le</strong> Othello prend conscience <strong>de</strong> la vérité ; il n'a besoin pour cela<br />

d'aucune autre preuve qu'un simp<strong>le</strong> contre-témoignage (au sujet du mouchoir) qui suffit à faire éclater, ou à faire surgir <strong>dans</strong><br />

son esprit, la vérité. Est-ce à dire qu'Othello reconnaît la vérité trop tard? Le fait est qu'il la reconnaît quand il est prêt, ce<br />

qui est <strong>le</strong> cas <strong>de</strong> tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>; et il y est prêt quand cel<strong>le</strong> qui représentait <strong>le</strong> far<strong>de</strong>au <strong>de</strong> la vérité n'est plus. Je ne prétends<br />

pas qu'Othello s'efforce <strong>de</strong> ne pas croire ou refuse <strong>de</strong> croire aux histoires d'Iago. (Applicab<strong>le</strong> à quiconque souhaite gar<strong>de</strong>r<br />

une bonne opinion <strong>de</strong> son épouse, cette <strong>de</strong>scription ne convient pas à Othello qui a véritab<strong>le</strong>ment misé sa vie sur cel<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

Desdémone. ) Ce que je prétends , au contraire, c'est qu'il faut voir en Othello quelqu'un qui veut croire Iago et qui, contre<br />

ce qu'il sait, s'efforce <strong>de</strong> <strong>le</strong> croire. Son empressement à souligner l'honnêteté d'Iago et à étancher sa soif <strong>de</strong> connaissance<br />

grâce à ce poison ne prouve pas la stupidité du personnage face au poison mais <strong>le</strong> besoin dévorant qu'il en a. Sans al<strong>le</strong>r<br />

jusqu'à dire qu'Othello n'aurait pas été si prompt à accepter et à ressentir <strong>le</strong>s calomnies contre Desdémone, s'il n'avait été,<br />

préalab<strong>le</strong>ment, convaincu <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur justesse, je maintiens qu'Othello préfère croire à ces calomnies plutôt qu'à une chose plus<br />

terrib<strong>le</strong> encore et, mora<strong>le</strong>ment, plus insupportab<strong>le</strong> ; il est plus commo<strong>de</strong> pour lui <strong>de</strong> voir en Desdémone une femme<br />

adultère et une putain plutôt qu'une épouse chaste. Quoi <strong>de</strong> plus terrib<strong>le</strong> que l'infidélité <strong>de</strong> Desdémone sinon, <strong>de</strong> toute<br />

évi<strong>de</strong>nce, sa fidélité ? Mais pourquoi ?<br />

Stan<strong>le</strong>y CAVELL, Le déni <strong>de</strong> savoir, traduit par Jean-Pierre Maquerlot, Seuil, Paris, 1993<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 31


Iago dramaturge<br />

IAGO<br />

Deux choses doivent être faites.<br />

Ma femme doit plai<strong>de</strong>r pour Cassio auprès <strong>de</strong> sa maîtresse,<br />

je vais l’en convaincre.<br />

Et moi, pendant ce <strong>temps</strong>, je conduirai <strong>le</strong> Maure<br />

à l’endroit même où Cassio sollicitera sa femme.<br />

C’est ça ! Hâtons-nous,<br />

qu’aucun délai ne perturbe mon plan.<br />

Othello, Shakespeare, Acte II, scène 2, traduit par Rémi DE VOS, Éditions Descartes et Cie - Oct 08<br />

Quant à lago, il est l'image théâtra<strong>le</strong> (en grec, comédien se dit hypocrites) du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la communication : « Je ne suis pas ce<br />

que je suis ». Il ne s'agit pas tant d'une question ontologique. Othello n'est pas Ham<strong>le</strong>t, et Iago n'est pas Ham<strong>le</strong>t. Il ne s'agit<br />

pas non plus <strong>de</strong> « nier l'être » comme l'a proposé Michael Edwards à la suite d'Yves Bonnefoy . La question n'est donc pas<br />

« d'être ou <strong>de</strong> ne pas être » : la question est « <strong>de</strong> ne pas être ce que l'on est ».<br />

Au moment <strong>de</strong> l'histoire du mon<strong>de</strong> où meurt en Gran<strong>de</strong>-Bretagne la reine Elisabeth tandis que lui succè<strong>de</strong> son cousin<br />

Jacques VI d'Écosse <strong>de</strong>venant Jacques Ier d'Ang<strong>le</strong>terre, et où s’éveil<strong>le</strong> en philosophie la subjectivité face au déclin <strong>de</strong> la<br />

cosmologie traditionnel<strong>le</strong>, <strong>dans</strong> <strong>le</strong> sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong> Descartes qui n’est alors qu’un enfant, Shakespeare exprime par <strong>le</strong> verbe <strong>de</strong> Iago<br />

la fragilité <strong>de</strong> l’individu - et <strong>de</strong> celui-là même qui qui veut la puissance-, la lucidité d’un personnage quant à son masque. La<br />

question est cel<strong>le</strong>, théâtra<strong>le</strong> par excel<strong>le</strong>nce, du paraître et <strong>de</strong> la prétention du paraître à passer pour être.<br />

Iago est l'image <strong>de</strong> la volonté <strong>de</strong> puissance qui tente <strong>de</strong> pallier l'impuissance sexuel<strong>le</strong>, sinon la précocité et célérité <strong>de</strong> la<br />

jouissance. Et cette volonté <strong>de</strong> puissance du <strong>de</strong>spote il<strong>le</strong>ttré – à peine quatre <strong>le</strong>ttres – fait d'un mouchoir une arme. lago est<br />

volonté <strong>de</strong> volonté . Il est la délation, la corruption. Il a la ruse du rat, mais il est dit : chien , affreuse vermine, atroce,<br />

ignob<strong>le</strong> vermine , et se dit lui-même : araignée . Il est l'art <strong>de</strong> la séparation et <strong>de</strong> la division : sectaire et diabolique. Il entend<br />

rompre la symbolique apparemment opérée par Desdémone et Othello .<br />

lago ignore que l'homme ne vit pas que <strong>de</strong> pain, mais qu'il vit aussi <strong>de</strong> loi. Et s'il aperçoit la loi divine d'harmonie entre <strong>le</strong>s<br />

sexes et <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s, il s'agit pour lui <strong>de</strong> rompre <strong>le</strong>s coeurs. Tel<strong>le</strong> est l'entreprise <strong>de</strong> Iago : l'efficacité en lieu et place <strong>de</strong> la<br />

moralité. Iago est l'Empire, l'imperium qui délire <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> à ses genoux, et <strong>le</strong> mépris d'un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>ttres et d'harmonie.<br />

Il étend son emprise sur Othello qui n'en <strong>de</strong>vient pas seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> complice en <strong>le</strong> nommant – après avoir <strong>de</strong>stitué Cassio –<br />

lieutenant, mais – comme l'indique Bonnefoy – « l'esclave » . lago, « <strong>le</strong> va<strong>le</strong>t qui a réussi à faire <strong>de</strong> son maître son esclave» ,<br />

est la véritab<strong>le</strong> obscurité <strong>de</strong> la pièce, la pièce noire <strong>de</strong> l'échiquier shakespearien, un Richard III <strong>de</strong> pacotil<strong>le</strong> à l'ambition<br />

décomp<strong>le</strong>xée. « C'est un arriviste contemporain » . Il est <strong>le</strong> fascisme à nos portes : brutal, cynique, incisif, il mène cet étrange<br />

dialogue du bour-reau avec sa proie, où <strong>le</strong>s voix se répon<strong>de</strong>nt comme à travers un brouillard <strong>de</strong> sang et <strong>de</strong> larmes, avec l'accent<br />

assuré d'un homme sûr <strong>de</strong> ses effets » .<br />

Tandis qu'Othello est défiguré par <strong>le</strong> meurtre <strong>de</strong> son épouse, la traîtrise <strong>de</strong> son nouveau lieutenant, la vio<strong>le</strong>nce <strong>de</strong> sa méprise,<br />

et fina<strong>le</strong>ment par sa propre condamnation-suici<strong>de</strong>, Iago reste <strong>le</strong> danger que rien ne sauve, si ce n'est, en <strong>de</strong>ux mots et en<br />

shakespearien : l'art <strong>de</strong> la Comédie et l'art <strong>de</strong> la Tragédie. De là, la gran<strong>de</strong>ur d' Othello qui brouil<strong>le</strong> <strong>le</strong>s ordres, <strong>le</strong>s cou<strong>le</strong>urs<br />

et <strong>le</strong>s territoires, et – par-<strong>de</strong>là la psychologie <strong>de</strong>s personnages – explore l'âge du mon<strong>de</strong>, l'âme du mon<strong>de</strong>.<br />

Stéphane Patrice, “Othello aujourd’hui”, in Othello, traduit par Rémi De Vos, Descartes & Cie, 2008, p191-192<br />

© Alain Fontenay<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 32


OTHELLO, ENTRE ÉTRANGER ET ”ÉTRANGETÉ”<br />

OTHELLO.<br />

Son père m’aimait, il m’invitait souvent.<br />

Il voulait entendre l’histoire <strong>de</strong> ma vie<br />

jour après jour - <strong>le</strong>s batail<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s sièges,<br />

<strong>le</strong>s hauts, <strong>le</strong>s bas par où j’étais passé.<br />

Et je revivais tout, <strong>de</strong>puis mes premiers jours d’enfance<br />

jusqu’au moment où il m’engageait à lui raconter.<br />

Je contais donc mes revers <strong>de</strong> fortunes,<br />

<strong>le</strong>s bou<strong>le</strong>versements, sur terre, sur mer,<br />

la mort qui me frô<strong>le</strong> d’un cheveu sur la brèche,<br />

ma capture par d’arrogants ennemis<br />

qui me vendirent comme esclave, mon rachat,<br />

<strong>le</strong> récit <strong>de</strong> mes voyages : cavernes profon<strong>de</strong>s,<br />

déserts sans fin, carrières chaotiques, roches,<br />

montagnes au pic touchant <strong>le</strong> ciel - tels furent mes mots.<br />

Avec <strong>le</strong>s canniba<strong>le</strong>s qui se mangent <strong>le</strong>s uns <strong>le</strong>s autres,<br />

<strong>le</strong>s anthropophages, et puis aussi ces espèces d’hommes<br />

dont la tête pousse au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong>s épau<strong>le</strong>s. À écouter cela,<br />

Des<strong>de</strong>mone aimait s’abandonner.<br />

Souvent <strong>le</strong>s affaires domestiques l’éloignaient du récit, expédiant ses<br />

travaux el<strong>le</strong> revenait au plus vite et d’une oreil<strong>le</strong> avi<strong>de</strong>,<br />

dévorait mes paro<strong>le</strong>s. Ayant observé cela et profitant<br />

un jour d’un moment favorab<strong>le</strong><br />

j’ai patienté jusqu’à ce qu’el<strong>le</strong> me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, d’un coeur sincère,<br />

<strong>de</strong> lui raconter l’histoire <strong>de</strong> ma vie,<br />

qu’el<strong>le</strong> n’avait entendue que par bribes,<br />

mais non pas entièrement. J’y consentis.<br />

Souvent el<strong>le</strong> versa <strong>de</strong>s larmes<br />

quand je parlais <strong>de</strong>s coups du sort<br />

dont souffrit ma jeunesse. Mon histoire terminée,<br />

el<strong>le</strong> offrit ses soupirs pour mes peines<br />

et jura que c’était étrange, vraiment étrange,<br />

que c’était déchirant, affreusement déchirant,<br />

el<strong>le</strong> disait qu’el<strong>le</strong> aurait préféré n’avoir rien entendu, el<strong>le</strong> disait<br />

que si <strong>le</strong> Ciel l’avait fait naître homme, el<strong>le</strong> aurait voulu être cet homme-là.<br />

El<strong>le</strong> me dit merci et me dit que si j’avais un ami qui fut amoureux d’el<strong>le</strong>,<br />

il me suffirait <strong>de</strong> lui apprendre à raconter mon histoire<br />

pour la conquérir. À cette invite, je me suis déclaré.<br />

El<strong>le</strong> m’aima pour <strong>le</strong>s dangers que j’avais traversés,<br />

moi, je l’aimais pour la compassion qu’ils firent naître en el<strong>le</strong>.<br />

Voilà toute la sorcel<strong>le</strong>rie dont j’ai usé.<br />

Mais el<strong>le</strong> vient, qu’el<strong>le</strong> en témoigne.<br />

Othello, Shakespeare, Acte I , scène 3, traduit par Rémi DE VOS, Éditions Descartes et Cie - Oct 08<br />

“ Alboury : On dit que mes cheveux sont entortillés et noirs parce que l’ancêtre <strong>de</strong>s nègres, abandonné par Dieu puis par tous <strong>le</strong>s hommes se<br />

retrouva seul avec <strong>le</strong> diab<strong>le</strong>, abandonné lui aussi <strong>de</strong> tous, qui alors lui caressa la tête en signe d’amitié ; et c’est comme cela que mes cheveux ont brûlé.<br />

Léone : J’adore <strong>le</strong>s histoires avec <strong>le</strong> diab<strong>le</strong>, j’adore comme tu <strong>le</strong>s racontes. Tu as <strong>de</strong>s lèvres super ; d’ail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong> noir, c’est ma cou<strong>le</strong>ur.<br />

Alboury : C’est une bonne cou<strong>le</strong>ur pour se cacher.”<br />

Bernard-Marie KOLTES, Combat <strong>de</strong> nègre et <strong>de</strong> chiens<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 33


Le concept d’ ”étranger” pour <strong>le</strong>s élisabéthains :<br />

Dès ce premier acte, Othello va donc <strong>de</strong>venir un « être <strong>de</strong> discours » potentiel<strong>le</strong>ment substituab<strong>le</strong> à l'être <strong>de</strong> réalité. La haine<br />

<strong>de</strong> Iago n'y suffirait pas : el<strong>le</strong> doit rencontrer une opinion ou une image latente <strong>de</strong> l'étranger et du Noir que <strong>le</strong> mariage<br />

subreptice fait surgir — dont Iago, comme il dit, se fait <strong>le</strong> concepteur :<br />

j'y suis, c'est conçu ; l'enfer et la nuit<br />

Porteront ce foetus monstrueux à la lumière du mon<strong>de</strong>.<br />

(I,v401-402)<br />

Le thème essentiel du discours est la bestialité d'Othello, qui décou<strong>le</strong> <strong>de</strong> ses affinités avec la Barbarie — et cel<strong>le</strong>-ci <strong>le</strong> fiance<br />

au démon. L'extériorité d'Othello sera donc naturel<strong>le</strong>, culturel<strong>le</strong> et théologique. Le protagoniste, jusqu'au vers 48 <strong>de</strong> la scène,<br />

n'est pas nommé : il est « <strong>le</strong> More », <strong>le</strong> « lippu », « sa mauresque seigneurie ». Le premier sénateur l'appel<strong>le</strong> « <strong>le</strong> vaillant More<br />

» (I,v 47) avant que <strong>le</strong> Duc, s'adressant à lui, lui dise « Vaillant Othello » (I, 48). Mais, pour Brabantio, qui jamais ne dira son nom,<br />

il est « cet homme, ce More » (I,v71). La désignation renvoie à une appartenance ethnique. Et cette<br />

appartenance n'était pas neutre. Un More, selon la littérature <strong>de</strong> l'époque, pouvait être une créature prodigieuse et<br />

maléfique.<br />

Un édit royal <strong>de</strong> 1601 ordonnait l'expulsion d'Ang<strong>le</strong>terre <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s Noirs (Negroes and Blackamoors) et prévoyait <strong>de</strong>s<br />

pressions sur <strong>le</strong>s propriétaires qui refuseraient <strong>de</strong> s'en défaire, <strong>le</strong> motif invoqué étant que ces Noirs recevaient une assistance<br />

(relief) convoitée par <strong>le</strong>s loyaux sujets <strong>de</strong> la reine, et surtout qu'ils étaient « <strong>de</strong>s infidè<strong>le</strong>s n'ayant aucune compréhension du<br />

Christ et <strong>de</strong> son Évangi<strong>le</strong> ». [...]<br />

L'allusion aux sortilèges dénote <strong>le</strong> caractère incroyab<strong>le</strong> du mariage qui vient d'être contracté et <strong>le</strong> besoin absolu du père que<br />

la volonté <strong>de</strong> Desdémone, c'est-à-dire <strong>de</strong> son sang à lui, n'y soit pour rien. Damn'd as thou art : possédé du démon et lui<br />

obéissant. L'enchantement décou<strong>le</strong> <strong>de</strong> cette « possession » que <strong>le</strong> consentement <strong>de</strong> Desdémone à son enlèvement permet<br />

<strong>de</strong> déce<strong>le</strong>r. Iago n'est pas <strong>le</strong> seul à chercher <strong>de</strong>s mobi<strong>le</strong>s à sa haine. Brabantio découvre la seu<strong>le</strong> cause possib<strong>le</strong> d'un<br />

attachement dénaturé. Il faut donc une condamnation immédiate :<br />

Car si <strong>de</strong> tels actes ont libre cours,<br />

Les esclaves et <strong>le</strong>s païens seront bientôt nos gouvernants.<br />

(I,v 98-99)<br />

C'est là une image du mon<strong>de</strong> à l'envers, c'est-à-dire du chaos.<br />

Devant <strong>le</strong> Sénat, Brabantio va donc plai<strong>de</strong>r que <strong>le</strong> More a ensorcelé sa fil<strong>le</strong>, qu'il l'a corrompue par sorcel<strong>le</strong>rie,<br />

enchantements et drogues. Desdémone admettra avec orgueil qu'el<strong>le</strong> a fait la moitié du chemin, ce qui disculpe Othello du<br />

crime d'envoûtement, mais ne modifie pas sa nature nouvel<strong>le</strong> que Venise tout entière connaît maintenant, une nature si<br />

repoussante qu'on ne saurait l'approcher, et dont <strong>le</strong> plaidoyer <strong>de</strong> Brabantio vient parfaire l'image :<br />

Une fil<strong>le</strong> à l'esprit si retenu,<br />

Si chaste et paisib<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong> rougissait<br />

A ses propres mouvements.<br />

Et c'est el<strong>le</strong><br />

Malgré sa nature, son âge, son pays, sa renommée,<br />

Qui se serait éprise <strong>de</strong> ce qu'el<strong>le</strong> avait peur <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r ?<br />

Il faut jugement estropié et vicieux pour dire<br />

Que la perfection peut ainsi se dévoyer<br />

Malgré toutes <strong>le</strong>s lois <strong>de</strong> la nature.<br />

Pour expliquer cela, on doit conclure<br />

A l'emploi d'astuces et <strong>de</strong> maléfices infernaux.<br />

J'atteste donc à nouveau que c'est avec l'ai<strong>de</strong><br />

De fortes mixtures agissant sur <strong>le</strong> sang<br />

Ou d'un philtre par conjuration préparé à cet effet<br />

Qu'il l'a travaillée.<br />

(I,v 94-106)<br />

L'image est maintenant complète [...]: l'étranger n'a pas d'attaches, il a <strong>le</strong>s droits <strong>de</strong>s esclaves et <strong>de</strong>s païens — c'est-à-dire<br />

aucun. Il est lié à l'animalité, mais ce trait ne permet pas <strong>de</strong> <strong>le</strong> classer parmi <strong>le</strong>s animaux <strong>dans</strong> l'échel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s êtres, puisqu'il a<br />

forme humaine. C'est donc un monstre. L'attirance que peut éprouver pour lui une Vénitienne est dévoyée, el<strong>le</strong> est contraire<br />

à toutes <strong>le</strong>s lois <strong>de</strong> la nature. Comme la conjonction s'est faite malgré tout, el<strong>le</strong> ne peut être que l'oeuvre du démon.<br />

L'union <strong>de</strong> Desdémone avec l'être lointain qui s'est introduit <strong>dans</strong> la communauté charnel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Venise a provoqué <strong>de</strong>s<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 34<br />

.../...


éactions bruta<strong>le</strong>s. La pièce ne dit pas si <strong>le</strong> Sénat rend à Othello un jugement favorab<strong>le</strong> parce qu'il applique simp<strong>le</strong>ment la<br />

justice, ou parce que la cité a besoin <strong>de</strong> lui à ce moment pour défendre Chypre. Mais <strong>le</strong>s consolations offertes par <strong>le</strong> Duc à<br />

Brabantio laissent entendre qu'il pourrait bien partager son opinion sur <strong>le</strong> More : si ce <strong>de</strong>rnier était en effet un homme<br />

comme <strong>le</strong>s autres, l'union n'aurait pas ce caractère irrémédiab<strong>le</strong>. Le scanda<strong>le</strong> s'est produit, amplifié et dramatisé par Iago :<br />

l'union d'Othello et <strong>de</strong> Desdémone est bien une union illicite pour la coutume et l'opinion. Dès ce premier acte, malgré<br />

l'affirmation véhémente par <strong>le</strong>s conjoints <strong>de</strong> la légitimité <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur union, légitimité fondée sur <strong>le</strong>s va<strong>le</strong>urs qu'ils incarnent et<br />

cette sorte <strong>de</strong> perfection féerique qu'ils possè<strong>de</strong>nt chacun <strong>dans</strong> son ordre et qu'exalte, pour <strong>le</strong> public, l'amour qu'ils<br />

manifestent l'un pour l'autre, <strong>de</strong> grands bou<strong>le</strong>versements sont décelab<strong>le</strong>s <strong>dans</strong> la vie <strong>de</strong> la cité.<br />

L’immigré ou la construction d’une i<strong>de</strong>ntité<br />

Richard MARIENTRAS, Le proche et <strong>le</strong> lointain, sur Shakespeare, Minuit, Paris, 1981<br />

Ce que lago met ainsi en oeuvre, c'est un processus <strong>de</strong> désintégration <strong>de</strong>s i<strong>de</strong>ntités. Or l'i<strong>de</strong>ntité d'Othello est liée à l'amour<br />

<strong>de</strong> Desdémone. lui-même indissociab<strong>le</strong> <strong>de</strong> la relation du Maure à Venise. Dès l'acte 1 on voit s'affronter <strong>de</strong>ux images<br />

antithétiques du Maure. Cel<strong>le</strong> que tente d'imposer Brabantio, encouragé en cela par Iago : la bête, l'étalon, <strong>le</strong> bélier noir, qui<br />

par sorcel<strong>le</strong>rie, a ravalé Desdémone à son niveau d'animalité (la bête à <strong>de</strong>ux dos) : et l'image qu'Othello offre <strong>de</strong> lui-même<br />

et s'offre à lui-même. Devant <strong>le</strong>s sénateurs, à la cita<strong>de</strong>l<strong>le</strong> <strong>le</strong> soir <strong>de</strong> la rixe, Othello sculpte sa statue, cel<strong>le</strong> du «nob<strong>le</strong> Maure»<br />

dont la nob<strong>le</strong>sse s'exprime d'abord au niveau du langage par la majesté d'un sty<strong>le</strong> métaphorique et rhétorique, manipulant<br />

<strong>le</strong>s concepts <strong>de</strong> fortitu<strong>de</strong>, <strong>de</strong> modération et <strong>de</strong> mesure. Ce que traduisent ses discours aux sénateurs. c'est une mora<strong>le</strong> exigeante<br />

et sublime, imprégnée <strong>de</strong> stoïcisme antique et <strong>de</strong> va<strong>le</strong>urs chrétiennes : la fermeté d'âme qui permet <strong>de</strong> vaincre<br />

l'adversité (il a traversé ainsi d'innombrab<strong>le</strong>s épreuves) : la volonté <strong>de</strong> subordonner <strong>le</strong>s satisfactions <strong>de</strong>s sens à<br />

l'accomplissement du <strong>de</strong>voir (il partira <strong>le</strong> soir même : il ne laissera pas la présence <strong>de</strong> Desdémone <strong>le</strong> détourner <strong>de</strong> sa tâche):<br />

bref, la maîtrise <strong>de</strong>s passions, la primauté <strong>de</strong> l'intel<strong>le</strong>ct et <strong>de</strong> la volonté. En d'autres termes, Othello, l'exilé, <strong>le</strong> noma<strong>de</strong><br />

barbaresque, cherche à tuer <strong>le</strong> barbare en lui, à s'intégrer à Venise, c'est-à-dire à la civilisation chrétienne dont il a adopté la<br />

religion. II y a donc, au départ, entre <strong>le</strong> mercenaire et Venise, un rapport d'autorité librement acceptée (« mes très nob<strong>le</strong>s<br />

maîtres ». 1,3,77), doublé d'une relation d'amour concrètement représentée par <strong>le</strong> mariage avec la Vénitienne. Dans<br />

l'imaginaire d'Othello, Desdémone, Venise, et la civilisation qu'el<strong>le</strong>s représentent ne font qu'un et constituent l'i<strong>de</strong>ntité que<br />

s'est choisie <strong>le</strong> Maure.<br />

Léone TEYSSANDIER,“Introduction”, in SHAKESPEARE, Tragédies II, Robert Laffont, Paris, 1995<br />

© Alain Fontenay<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 35


POISON ET CONTAGION : DE L’AMOUR AU CRIME<br />

Le poison ou la distillation du soupçon :<br />

LE SPECTRE<br />

[...] Je dois être bref. Je dormais en mon verger,<br />

C’était ma coutume tous <strong>le</strong>s après-midi,<br />

Et c’est l’instant <strong>de</strong> paix que ton onc<strong>le</strong> surprit,<br />

Portant <strong>le</strong> suc <strong>de</strong> l’hébénon maudit <strong>dans</strong> une fio<strong>le</strong>,<br />

Et par <strong>le</strong>s porches <strong>de</strong> mes oreil<strong>le</strong>s il versa<br />

Cette distillation lépreuse dont l’effet<br />

Est, tel<strong>le</strong>ment hosti<strong>le</strong> au sang <strong>de</strong> l’homme<br />

Qu’aussi prompte que vif-argent el<strong>le</strong> court <strong>le</strong> long<br />

Des portes et <strong>de</strong>s voies naturel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> tout <strong>le</strong> corps<br />

Et avec une soudaine vigueur el<strong>le</strong> fige<br />

Et cail<strong>le</strong>, comme d’aigres gouttes <strong>dans</strong> du lait,<br />

Le sang flui<strong>de</strong> et sain. Ainsi du mien,<br />

Et <strong>dans</strong> l’instant une dartre fit une écorce -<br />

On eût dit Lazare - d’une vi<strong>le</strong> et repoussante croûte,<br />

Sur la peau soup<strong>le</strong> <strong>de</strong> mon corps.<br />

C’est ainsi que je fus, en dormant, par la main d’un frère,<br />

Privé d’un coup <strong>de</strong> vie, <strong>de</strong> couronne et <strong>de</strong> reine,<br />

Fauché <strong>dans</strong> la p<strong>le</strong>ine f<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> mes péchés,<br />

Sans sacrement, sans confession, sans onction,<br />

Sans m’être mis en règ<strong>le</strong>, envoyé à mon juge<br />

Avec toutes mes imperfections sur la tête.<br />

Oh! Horrib<strong>le</strong> ! Oh! Horrib<strong>le</strong> ! Trop horrib<strong>le</strong> ! [...]<br />

Ham<strong>le</strong>t, Shakespeare, Acte I, scène 5, Traduit par François Maguin<br />

Et, contre l'irrémédiab<strong>le</strong> du mariage, on appliquera un remè<strong>de</strong> qui est un poison : ce sera <strong>le</strong> discours <strong>de</strong> la calomnie et <strong>de</strong><br />

la diffamation, <strong>le</strong> venin du mensonge diffamatoire. La physiologie <strong>de</strong> l'époque tenait que <strong>le</strong>s venins et <strong>le</strong>s discours venimeux<br />

peuvent agir à distance, <strong>de</strong> manière quasiment physique et humora<strong>le</strong>. Ainsi Ambroise Paré écrit :<br />

Les venins ne tuent pas seu<strong>le</strong>ment pris par la bouche, mais aussi appliqués extérieurement. Semblab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s bestes ne tuent pas seu<strong>le</strong>ment par<br />

<strong>le</strong>urs morsures ou piqueures ou esgratigneures : mais aussi par <strong>le</strong>ur bave, regard, ou par <strong>le</strong> seul attouchement, ou par <strong>le</strong>ur ha<strong>le</strong>ine, ou par<br />

manger et boire <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur sang, ou par <strong>le</strong>ur cry et siff<strong>le</strong>ment, ou par <strong>le</strong>urs excremens.<br />

La comparaison entre <strong>le</strong>s effets <strong>de</strong> la médisance, <strong>de</strong> la diffamation, <strong>de</strong> la calomnie (slan<strong>de</strong>r, backbiting) et ceux <strong>de</strong>s poisons est<br />

un lieu commun <strong>de</strong> l'époque et trouve son origine <strong>dans</strong> une riche littérature homilétique. L'influence <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s et <strong>de</strong>s discours<br />

sur la société et sur <strong>le</strong>s individus semblait si redoutab<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s lois sur la trahison incluaient la répression <strong>de</strong>s<br />

paro<strong>le</strong>s traîtresses (treason by words), bien que <strong>le</strong>s lois élisabéthaines tendissent à limiter sur ce point la portée <strong>de</strong> la<br />

législation antérieure. Le pouvoir du verbe sur l'imagination et <strong>de</strong> l'imagination sur <strong>le</strong>s êtres ne faisait aucun doute. Dans<br />

l'empoisonnement" d'Othello par Iago, <strong>le</strong>s étapes sont clairement marquées, et <strong>le</strong> cheminement du poison n'a rien <strong>de</strong><br />

métaphorique. Iago est d'abord désigné comme « calomniateur » par Desdémone, en manière <strong>de</strong> plaisanterie, lors <strong>de</strong> son<br />

arrivée à Chypre (II, v. 113). En fait, décidé à la calomnier, il se promet <strong>de</strong> « verser cette pesti<strong>le</strong>nce » <strong>dans</strong> l'oreil<strong>le</strong> d'Othello<br />

(II, v .347). Au milieu <strong>de</strong> la « scène <strong>de</strong> la tentation », il monologue ainsi :<br />

Le More change déjà sous l'effet <strong>de</strong> mon poison :<br />

Les concepts malfaisants ont la nature <strong>de</strong>s poisons...<br />

(III,v.330-31)<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 36<br />

.../...


Et, lorsque Othello tombe inanimé sous l'effet <strong>de</strong> la passion, il commente :<br />

Travail<strong>le</strong>, ma mé<strong>de</strong>cine,<br />

Travail<strong>le</strong>...<br />

(IV, v 44-45)<br />

Dans <strong>le</strong> contexte élisabéthain, <strong>le</strong> travail du concept n'est pas une métaphore, mais une réalité médica<strong>le</strong>. Ce qui n'empêche<br />

que <strong>le</strong> concept entretienne avec ses connotations <strong>de</strong>s rapports quasiment magiques. Le « dire » et <strong>le</strong> faire » sont, certes, déjà<br />

séparés, mais <strong>de</strong> peu. C'est pourquoi la première scène d'Othello, où presque tous <strong>le</strong>s mots désignant <strong>le</strong> protagoniste visent<br />

la négation ou la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> ses éminentes qualités, a un aspect cérémoniel, magique, social et personnel : <strong>le</strong>s « longs<br />

couteaux » du verbe et ses incantations sont brandis et l'on assiste à la préparation <strong>de</strong> diverses prophéties dont l'énonciation<br />

même comman<strong>de</strong> l'accomplissement — ce que <strong>le</strong>s sociologues américains appel<strong>le</strong>nt self-fulfilling prophecies. Car il faut que<br />

l'acte accomplisse la « forme », selon la doctrine scholastique, que la forme s'accomplisse et s'épanouisse entièrement <strong>dans</strong><br />

l'acte et <strong>le</strong> mouvement. Etre bestial, Othello doit « s'accomplir » <strong>dans</strong> la bestialité. Créature « dénaturée » ayant suivi un être<br />

« bestial », Desdémone doit s'accomplir <strong>dans</strong> la fourberie et l'adultère, selon la « prophétie » <strong>de</strong> Brabantio, qui lance à Othello<br />

à la fin <strong>de</strong> l'acte I :<br />

Observe-la, More, et que ton oeil soit vif :<br />

Cel<strong>le</strong> qui trompe son père peut te tromper aussi.<br />

(I, v. 292-3)<br />

Le jeu entre l'accomplissement réel <strong>de</strong>s actes présupposés et <strong>le</strong>ur accomplissement imaginaire sera l'un <strong>de</strong>s mécanismes<br />

déterminants <strong>de</strong> l'intrigue et constituera une gradation qui, du discours meurtrier ou mensonger à son empire sur l'esprit, et<br />

<strong>de</strong> cet empire fantasmatique à son irruption <strong>dans</strong> la réalité, créera l'illusion <strong>de</strong> la vraisemblance et formera <strong>le</strong>s étapes d'un<br />

dérou<strong>le</strong>ment inexorab<strong>le</strong>. [...]<br />

Selon F. R. Leavis, ce qu'il y a <strong>de</strong> remarquab<strong>le</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> succès <strong>de</strong> Iago, c'est moins l'intelligence diabolique qui lui permet <strong>de</strong><br />

l'emporter que la promptitu<strong>de</strong> avec laquel<strong>le</strong> Othello suit ses sollicitations. En fait, <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> Iago <strong>dans</strong> la scène <strong>de</strong> la<br />

tentation consiste en ce qu'il représente quelque chose qui est en Othello lui-même — en Othello mari <strong>de</strong> Desdémone : <strong>le</strong><br />

traître principal est à l'intérieur <strong>de</strong>s murs.<br />

L'idée étant que, si un personnage change, c'est qu'il <strong>de</strong>vait être <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> début ce qu'il est <strong>de</strong>venu ou qu'il y a toujours, chez<br />

chacun, un petit être à l'intérieur du grand — <strong>le</strong> petit étant en fait <strong>le</strong> véritab<strong>le</strong>, et <strong>le</strong> grand, un masque, aussi long<strong>temps</strong> que<br />

<strong>le</strong> petit n'a pas grandi. Il est douteux qu'une tel<strong>le</strong> idée soit très shakespearienne : <strong>le</strong>s conventions <strong>de</strong> son théâtre voulaient<br />

plutôt qu'un être qui se dissimu<strong>le</strong> à autrui se présente sous son vrai jour au public au cours d'un monologue.<br />

La modification que subit Othello est causée, el<strong>le</strong>, par <strong>le</strong> discours, mais ses effets sont à la fois physiques et moraux : <strong>le</strong><br />

désespoir, l'épi<strong>le</strong>psie, la folie meurtrière. La calomnie a l'effet d'un poison, d'autant plus vio<strong>le</strong>nt qu'on utilise <strong>le</strong>s termes<br />

employés par <strong>le</strong> calomniateur ou par l'ennemi. Le danger d'user <strong>de</strong> mots employés par <strong>de</strong>s êtres maléfiques est signalé <strong>dans</strong><br />

certains traités <strong>de</strong> l'époque. Ainsi Léonard Vair écrit :<br />

“Et je pense qu'il faut principa<strong>le</strong>ment se donner gar<strong>de</strong> d'user <strong>de</strong>s mots qui viennent <strong>de</strong>s Mores, Turcs & tous autres infi<strong>de</strong>l<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>squels pour ce<br />

qu'ils sont posse<strong>de</strong>z <strong>de</strong>s diab<strong>le</strong>s il faut estimer aussi que tels mots sont pacts & conventions qu'ils ont avec eux, tel<strong>le</strong>ment que si nous en servons<br />

nous sommes contraints <strong>de</strong> nous accor<strong>de</strong>r avec <strong>le</strong>s Daemons".<br />

Shakespeare inverse ici <strong>le</strong>s idées traditionnel<strong>le</strong>s : ce n'est pas <strong>le</strong> More qui empoisonne <strong>le</strong> Vénitien, mais <strong>le</strong> Vénitien <strong>le</strong> More.<br />

En Ang<strong>le</strong>terre, <strong>le</strong> droit commun du Royaume prévoit divers recours juridiques contre la calomnie. Edward Coke en<br />

énumère un certain nombre. La règ<strong>le</strong> semb<strong>le</strong> être que la diffamation «spirituel<strong>le</strong>» (insultes tel<strong>le</strong>s que «putain», «hérétique»,<br />

etc.) ne sont pas susceptib<strong>le</strong>s <strong>de</strong> recours. En revanche, si la calomnie ou l'insulte a <strong>de</strong>s conséquences pratiques (une<br />

fiancée dont on prétend qu'el<strong>le</strong> est enceinte et qui, <strong>de</strong> ce fait, doit renoncer à son mariage), el<strong>le</strong> est réprimée par la loi.<br />

L'importance attribuée au poison <strong>de</strong> la calomnie à l'époque est tel<strong>le</strong> qu'il ne semb<strong>le</strong> pas nécessaire, pour expliquer la<br />

métamorphose d'Othello, <strong>de</strong> postu<strong>le</strong>r qu'il soit mala<strong>de</strong> avant d'avoir contracté la maladie.<br />

Richard MARIENTRAS, Le proche et <strong>le</strong> lointain, sur Shakespeare, Minuit, Paris, 1981<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 37


De l’amour au crime<br />

OTHELLO.<br />

C’est une faute. Ce mouchoir,<br />

une Égyptienne <strong>le</strong> donna à ma mère,<br />

el<strong>le</strong> était magicienne et pouvait presque lire<br />

<strong>le</strong>s pensées <strong>de</strong>s gens. El<strong>le</strong> lui dit que tant qu’el<strong>le</strong> <strong>le</strong> gar<strong>de</strong>rait,<br />

il la rendrait désirab<strong>le</strong> et soumettrait entièrement mon père<br />

à son amour, mais, si el<strong>le</strong> venait à <strong>le</strong> perdre<br />

ou en faisait ca<strong>de</strong>au, mon père<br />

la prendrait en horreur, et son esprit <strong>le</strong> pousserait<br />

vers d’autres conquêtes. En mourant, ma mère me <strong>le</strong> donna<br />

et me pria, quand <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin me trouverait une femme,<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong> lui donner. Et c’est ce que j’ai fait. Prenez-en soin,<br />

qu’il soit pour vous aussi cher que la prunel<strong>le</strong> <strong>de</strong> vos yeux.<br />

Le perdre ou <strong>le</strong> donner serait un malheur<br />

que rien ne pourrait surpasser.<br />

DESDEMONE.<br />

Est-ce possib<strong>le</strong> ?<br />

OTHELLO.<br />

C’est la vérité, il y a <strong>de</strong> la magie <strong>dans</strong> sa toi<strong>le</strong>.<br />

Une Sibyl<strong>le</strong>, qui avait compté <strong>de</strong>ux cent fois<br />

<strong>le</strong> so<strong>le</strong>il faire sa révolution,<br />

en a brodé <strong>le</strong>s motifs <strong>dans</strong> sa furie prophétique.<br />

Des vers sacrés en ont filé la soie.<br />

El<strong>le</strong> fut colorée d’une liqueur extraite avec art<br />

<strong>de</strong> coeurs momifiés <strong>de</strong> jeunes vierges.<br />

© Alain Fontenay<br />

Othello, Shakespeare, Acte III, scène 3, traduit par Rémi DE VOS,<br />

Éditions Descartes et Cie - Oct 08<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 38


La jalousie :<br />

Si l'amoureux, dit Pascal, n'aime jamais que <strong>de</strong>s «qualités empruntées», <strong>le</strong> jaloux ne déteste jamais que <strong>de</strong>s vices<br />

imaginaires.<br />

Car <strong>de</strong> quoi est-il jaloux ? De rien. Du passé, d'abord, ce fantôme en chef. De l'autre qu'el<strong>le</strong> aimait, <strong>de</strong>s joies qui <strong>le</strong><br />

précè<strong>de</strong>nt et <strong>de</strong> l'ombre tenace qu'el<strong>le</strong>s jettent sur l'histoire qu'il aimerait vierge (l'amour a <strong>le</strong> goût <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s possib<strong>le</strong>s, la<br />

jalousie est fascinée par <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> d'hier)… Mais il est aussi jaloux <strong>de</strong> l'amant sans visage, du nouveau venu avec qui,<br />

sûrement, el<strong>le</strong> aimerait partir, <strong>de</strong> l'homme aux yeux <strong>de</strong> qui l'épouse ordinaire est une reine, <strong>de</strong> l'inconnu qu'il imagine<br />

enlacer la femme qui <strong>le</strong> regar<strong>de</strong> moins, et dont <strong>le</strong> désir imaginé ranime <strong>le</strong> sien.<br />

D'une part, <strong>le</strong> jaloux ressemb<strong>le</strong> à l'impuissant qui jouit <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r sa femme coucher avec un autre (<strong>le</strong>ur désir est accru du<br />

désir qu'el<strong>le</strong> inspire). D'autre part, <strong>le</strong> jaloux – qui déteste sa femme –, prenant son cas pour une généralité, voudrait que cette<br />

<strong>de</strong>rnière ne soit aimée <strong>de</strong> personne. Le contraire <strong>de</strong> la jalousie ? Henry Mil<strong>le</strong>r, l'amoureux véritab<strong>le</strong>, selon qui «une femme, si<br />

el<strong>le</strong> est capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> susciter l'amour chez un homme, doit pouvoir l'inspirer à d'autres. Aimer ou être aimé n'est pas un crime. Ce qui est vraiment<br />

criminel, c'est d'amener un être à croire qu'il est <strong>le</strong> seul qu'on puisse jamais aimer…»<br />

Le jaloux a la passion <strong>de</strong> l'irréel (<strong>de</strong> ce qui n'est plus, <strong>de</strong> ce qui sera, voire <strong>de</strong> ce qui peut être) : il pollue l'ici et <strong>le</strong> maintenant<br />

par l'ail<strong>le</strong>urs et l'autrefois, et il accomplit, ce faisant, <strong>le</strong> doub<strong>le</strong> tour <strong>de</strong> force <strong>de</strong> rendre haïssab<strong>le</strong> la personne qu'il aime, et<br />

douloureux <strong>le</strong>s plaisirs qu'el<strong>le</strong> lui procure. La jalousie, dit Spinoza, «sera plus gran<strong>de</strong> en raison <strong>de</strong> la joie que procurait au jaloux<br />

l'amour réciproque <strong>de</strong> l'objet aimé». En d'autres termes, la jalousie convertit l'amour en souffrance, à l'image <strong>de</strong> Swann qui,<br />

raconte Proust, «en arrivait à regretter chaque plaisir qu'il goûtait près d'O<strong>de</strong>tte, chaque caresse inventée et dont il avait eu l'impru<strong>de</strong>nce <strong>de</strong><br />

lui signa<strong>le</strong>r la douceur, chaque grâce qu'il découvrait, car il savait qu'un instant après, el<strong>le</strong>s allaient enrichir d'instruments nouveaux son<br />

supplice».<br />

En dépit <strong>de</strong>s apparences, <strong>le</strong> jaloux ne veut pas <strong>de</strong> preuves, <strong>le</strong> jaloux ne veut pas savoir, sa fureur suppose <strong>le</strong> mystère.<br />

Peu importent au jaloux la culpabilité d'O<strong>de</strong>tte et l'innocence <strong>de</strong> Desdémone, puisqu'el<strong>le</strong>s sont, l'une et l'autre, coupab<strong>le</strong>s<br />

par définition. La jalousie n'exige pas plus l'infidélité réel<strong>le</strong>, que l'hypocondrie n'a besoin <strong>de</strong> la maladie. Tel <strong>le</strong> fermier <strong>de</strong> la<br />

fab<strong>le</strong>, à qui une fée promet d'accor<strong>de</strong>r tout ce qu'il souhaite sous réserve que son voisin obtienne <strong>le</strong> doub<strong>le</strong> et qui, passée<br />

une nuit <strong>de</strong> réf<strong>le</strong>xion, exige fina<strong>le</strong>ment, pour toute requête, qu'on lui crève un oeil, <strong>le</strong> jaloux cherche moins à possé<strong>de</strong>r sa<br />

victime qu'à la priver <strong>de</strong> ce qu'el<strong>le</strong> possè<strong>de</strong>. Ce qui existe étant nécessairement moins douloureux que ce qu'il imagine, la<br />

preuve qu'il est cocu ne saurait avoir, aux yeux du jaloux, la saveur <strong>de</strong> la suspicion. De même que l'ufologue brouil<strong>le</strong><br />

délibérément <strong>le</strong>s photos d'ovnis pour <strong>le</strong>ur donner <strong>le</strong> grain <strong>de</strong> l'amateurisme, « l'effet <strong>de</strong> réel » induit par une image floue et<br />

mal cadrée, <strong>le</strong> jaloux est convaincu <strong>de</strong> l'infidélité <strong>de</strong> sa femme, à la condition qu'on ne la lui prouve pas ; <strong>le</strong> jaloux a beau se<br />

déguiser en inquisiteur, il s'arrête au pied <strong>de</strong>s évi<strong>de</strong>nces, juste avant <strong>de</strong> savoir et d'être soit détrompé, soit humilié. Plus <strong>le</strong><br />

motif est mince, plus <strong>le</strong>s preuves sont ténues, plus la jalousie est vio<strong>le</strong>nte, alors qu'à l'inverse, <strong>le</strong> jaloux pardonne plus<br />

volontiers l'adultère (qui lui donne raison), que l'innocence (où il voit une preuve irréfragab<strong>le</strong> <strong>de</strong> la duplicité). Ainsi, à mesure<br />

que Swann découvre <strong>le</strong>s trahisons d'O<strong>de</strong>tte, il cesse d'en souffrir : «Son tourment, écrit Proust, avait perdu <strong>de</strong> son acuité en<br />

perdant <strong>de</strong> son vague.» La représentation claire et distincte <strong>de</strong> l'infidélité est moins douloureuse que l'imagination débridée du<br />

jaloux qui, faute <strong>de</strong> certitu<strong>de</strong>, hallucine, pour son plus grand plaisir, <strong>de</strong>s voluptés insoutenab<strong>le</strong>s : «Ne pouvant épuiser l'infinité<br />

<strong>de</strong>s possib<strong>le</strong>s qu'el<strong>le</strong> invente, dit Nicolas Grimaldi, c'est comme inépuisab<strong>le</strong> que la jalousie se représente la sensualité <strong>de</strong> la femme entièrement<br />

recréée.» Tel<strong>le</strong> une présomption <strong>de</strong> culpabilité qui refuse d'être démentie mais redoute d'être avérée, la jalousie condamne au<br />

détriment du doute. Son but n'est pas <strong>de</strong> savoir, mais <strong>de</strong> soupçonner, <strong>de</strong> dévorer, <strong>de</strong> réduire l'autre à néant. Sa fonction n'est<br />

pas <strong>de</strong> sauvegar<strong>de</strong>r l'amour, mais <strong>de</strong> <strong>le</strong> détruire. L'essentiel est <strong>de</strong> souffrir et, entre <strong>de</strong>ux maux, <strong>de</strong> choisir <strong>le</strong> pire : c'est <strong>le</strong><br />

délice du malheureux.<br />

De là, <strong>le</strong> décalage entre l'insignifiance <strong>de</strong> la personne aimée et l'immensité du drame qu'el<strong>le</strong> suscite : plus <strong>le</strong> jaloux perd la<br />

tête, moins l'autre conserve son visage. Qu'il s'agisse d'O<strong>de</strong>tte, la cocotte que Swann pourchasse sans pourtant qu'el<strong>le</strong> s'en<br />

ail<strong>le</strong>, ou d'Albertine, la jeune fil<strong>le</strong> en f<strong>le</strong>ur que <strong>le</strong> narrateur séquestre tout en gardant ses distances, <strong>le</strong>s femmes <strong>de</strong> Proust<br />

sont <strong>de</strong>s « néants », <strong>de</strong>s « êtres <strong>de</strong> fuite » dont la présence ennuie, que <strong>le</strong>ur absence désespère et dont la liberté ravage <strong>le</strong><br />

tyran qui <strong>le</strong>s désire. Il dépérit quand el<strong>le</strong>s sont là, mais ne vit plus quand el<strong>le</strong>s s'en vont, et s'il fait <strong>de</strong> longues phrases en<br />

quittant une femme, c'est pour retar<strong>de</strong>r <strong>le</strong> moment <strong>de</strong> la voir s'en al<strong>le</strong>r… De même que Platon démontre, après Pythagore,<br />

que la philosophie n'est pas la sagesse, mais une quête indéfinie qui s'échoue, <strong>dans</strong> <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur <strong>de</strong>s cas, au seuil même <strong>de</strong> la<br />

connaissance, <strong>de</strong> même Proust, l'écrivain métaphysique par excel<strong>le</strong>nce, déclare qu'«on n'aime que ce en quoi on poursuit quelque<br />

chose d'inaccessib<strong>le</strong>». Si l'homme ne connaît son bonheur que rétrospectivement, quand <strong>le</strong> bonheur défunt se<br />

rappel<strong>le</strong> à la mémoire comme ce qu'on a connu <strong>de</strong> meil<strong>le</strong>ur, alors la <strong>le</strong>çon <strong>de</strong> l'amour et <strong>de</strong> son cancer jaloux est que<br />

l'autre, parce qu'il « accè<strong>de</strong> à l'infini » (Proust), témoigne, par son altérité, <strong>de</strong> ma propre impuissance et qu'enfin la vie, ce<br />

drame, ne se répare que <strong>dans</strong> l'écriture où, à défaut <strong>de</strong> savoir quoi que ce soit, on a quand même <strong>le</strong> fin mot <strong>de</strong> l'histoire.<br />

Raphaël ENTHOVEN, “Sens et vie : tourment d’amour”, Philosophie magazine n°14<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 39


La femme, victime sacrificiel<strong>le</strong><br />

Figures <strong>de</strong> l'altérité, vouées a l'inexistence <strong>dans</strong> <strong>le</strong>ur vie socia<strong>le</strong> comme <strong>dans</strong> l'amour, <strong>le</strong>s femmes sont ici <strong>le</strong> prétexte et <strong>le</strong> lieu<br />

du tragique. Dans l'univers typiquement masculin <strong>de</strong> la politique (représenté par <strong>le</strong> doge et <strong>le</strong>s sénateurs assemblés en<br />

Conseil), et <strong>de</strong> la guerre (la garnison <strong>de</strong> Chypre), <strong>le</strong>ur i<strong>de</strong>ntité est tracée, fixée en images codifiées, qui,<br />

circulant <strong>de</strong> la comédie à la tragédie, sont <strong>de</strong>s types conventionnels sur la scène <strong>de</strong> l'époque : la jeune fil<strong>le</strong> cloîtrée chez son<br />

père, l'épouse dont la place est définie par <strong>le</strong> statut social <strong>de</strong> son mari, et la courtisane Desdémone, Emilie, Bianca, et, <strong>dans</strong><br />

<strong>le</strong> hors-scène, la servante Barbara, dont <strong>le</strong> mélancolique souvenir revient hanter <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rnières heures <strong>de</strong> Desdémone.<br />

Iago dresse lui-même la liste <strong>de</strong>s seuls rô<strong>le</strong>s dévolus aux femmes : la péronnel<strong>le</strong>, l'indo<strong>le</strong>nte, la niaise, toutes éga<strong>le</strong>ment<br />

dévergondées, y ajoutant un éloge ambigu pour cel<strong>le</strong> qui possè<strong>de</strong> sagesse et beauté, et reste sottement chez el<strong>le</strong> à tenir son<br />

ménage (A.II, sc.1, v.112-162). Inspiré, il est vrai, par une misogynie <strong>de</strong> soudard, son discours charrie sur <strong>le</strong> sujet tous <strong>le</strong>s<br />

clichés dont l'origine remonte au Moyen Age et au-<strong>de</strong>là. Comme <strong>le</strong> fait remarquer Desdémone, ce sont là plaisanteries <strong>de</strong><br />

taverne, mais qui prennent <strong>dans</strong> <strong>le</strong> contexte une va<strong>le</strong>ur significative. Tandis que lago “écrit” sur <strong>le</strong>s femmes ses<br />

épigrammes assassines, Cassio fait <strong>de</strong> Desdémone l'objet d'un discours précieux, selon <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s consacrées par <strong>le</strong>s<br />

blasonneurs du corps féminin:<br />

...Cel<strong>le</strong> qu'il a conquise<br />

Passe toute <strong>de</strong>scription, <strong>le</strong>s plus fol<strong>le</strong>s louanges,<br />

Défie <strong>le</strong>s subtilités <strong>de</strong> trait du blasonneur...<br />

(AII, sc1, v62-64)<br />

Le rô<strong>le</strong> <strong>de</strong> la femme est écrit par <strong>le</strong>s hommes sur la page blanche qu'el<strong>le</strong> est entre <strong>le</strong>urs mains : « Ce riche papier. ce livre<br />

incomparab<strong>le</strong>. fallait-il / Qu'on y écrivit "putain"? » (A. IV, sc.2, v.73-74)<br />

Pour Othello, Des<strong>de</strong>mone est sa chose, <strong>le</strong> réceptac<strong>le</strong> <strong>de</strong> son coeur, bruta<strong>le</strong>ment transformé en cloaque (A. IV, sc.2, v.59-63),<br />

l'oiseau qu'il siff<strong>le</strong> et qu'il chasse (A.III, sc.3, v. 264-266),un enfant doci<strong>le</strong> que l'on envoie se coucher ( “Couchez-vous sans<br />

attendre. Je reviens à l'instant” A.IV,sc.3). Le rapport amnourcux est exclusivement un rapport <strong>de</strong> possession :<br />

Ô malédiction du mariage :<br />

Pouvoir déclarer nôtres ces êtres graci<strong>le</strong>s<br />

Et non <strong>le</strong>urs appétits! ( A.III, sc.3,v. 272-274)<br />

Toute la tragédie se joue sur ce terme d’'« appétit ». C'est bien cette impossibilité <strong>de</strong> possé<strong>de</strong>r tota<strong>le</strong>ment ce qu'il considère<br />

comme son bien qui provoque chez Othello l'angoisse mortel<strong>le</strong> exploitée par Iago. Etre <strong>de</strong> clarté, Desdémone est aussi<br />

traversée <strong>de</strong> fulgurances noires : la passion, la force <strong>de</strong> défi qui pousse la Vénitienne timi<strong>de</strong> à braver son père et <strong>le</strong>s<br />

conventions du mon<strong>de</strong>, l'aveug<strong>le</strong>ment suicidaire avec <strong>le</strong>quel el<strong>le</strong> plai<strong>de</strong> pour Cassio. Dans cette zone d'ombre qui lui<br />

échappe, Othello voit, comme Iago, <strong>le</strong>s signes d'une lubricité sans bornes, justifiant contraintes et asservissement :<br />

...Cette main est moite, madame[...]<br />

Chau<strong>de</strong>, chau<strong>de</strong> et moite - cette main-là requiert<br />

Privation <strong>de</strong> liberté, abstinence et prière,<br />

Force macérations, exercices dévots,<br />

Car voici une jeune diab<strong>le</strong>sse échauffée... (A.III, sc.4, v. 33-36)<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 40<br />

.../...


Dans cette perspective masculine, <strong>le</strong>s femmes représentent l'opacité absolue <strong>de</strong> la noirceur démoniaque : « Ô démon ! »<br />

répète obsessionnel<strong>le</strong>ment Othello à l’adresse <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> dont <strong>le</strong> nom est d'une redoutab<strong>le</strong> ambiguïté. Dans l'imaginaire du<br />

Maure, la déesse radieuse, froi<strong>de</strong> et chaste (AV, sc2, v283-284), cel<strong>le</strong> que Cassio appelait « La divine Desdémone » <strong>de</strong>vient<br />

la diab<strong>le</strong>sse blanche qui jadis ensorcela Brabantio et prend <strong>le</strong>s hommes à ses sortilèges. D'ou la nécessité <strong>de</strong> nier et <strong>de</strong><br />

détruire pour exorciser : « il faut qu'el<strong>le</strong> meure : sinon el<strong>le</strong> en trahira d'autres ». Le mouchoir magique est l'objet métaphore qui<br />

rassemb<strong>le</strong> sur la scène toutes <strong>le</strong>s significations tragiques. Tissé par une antique sibyl<strong>le</strong>, teint <strong>dans</strong> un flui<strong>de</strong> extrait du coeur<br />

<strong>de</strong> jeunes fil<strong>le</strong>s mortes, donné par une magicienne à la mère d'Othello qui l'a donné a son fils, <strong>le</strong> talisman est une oeuvre <strong>de</strong><br />

femmes et dit <strong>le</strong>ur pouvoir qui s'exerce sur toutes <strong>le</strong>s créatures terrestres <strong>de</strong> la chaîne <strong>de</strong>s êtres : “El<strong>le</strong> pourrait partager <strong>le</strong> lit<br />

d'un empereur et <strong>le</strong> mettre à ses ordres » ;“son chant attendrirait la férocité <strong>de</strong> l'ours “ (AIV, sc1,v170-174). Curieusement, la<br />

malédiction commence au moment où <strong>le</strong> mouchoir passe <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s mains d'homme : cel<strong>le</strong>s d'Othello, puis d'Iago, et enfin<br />

<strong>de</strong> Cassio ; détourné <strong>de</strong> son sens, <strong>le</strong> gage <strong>de</strong> fidélité introduit la rupture et la mort <strong>dans</strong> l'univers dramatique, et <strong>le</strong> mouchoir,<br />

où la bro<strong>de</strong>rie met <strong>de</strong>s gouttes <strong>de</strong> sang, lie indissolub<strong>le</strong>ment l'amour et <strong>le</strong> meurtre : “ Je te tuerai, et puis je t'aimerai “. Il fait <strong>de</strong><br />

la femme la victime sacrificiel<strong>le</strong> dont <strong>le</strong> pouvoir, perverti par l'esprit <strong>de</strong> négation propagé par Iago se retourne contre el<strong>le</strong>.<br />

Ce n'est pas un hasard si <strong>le</strong> même terme (web) désigne la trame du mouchoir et la toi<strong>le</strong> d'araignée avec <strong>le</strong>quel lago ligote ses<br />

proies.<br />

Ironiquement, c'est au moment <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur mort que <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong>s femmes <strong>le</strong>ur est rendu, avec la paro<strong>le</strong> qui jusque-là <strong>le</strong>ur<br />

était <strong>de</strong>niée. Car il faut que <strong>le</strong>s femmes se taisent. Le premier reproche qu'Iago adresse a Emilie, c'est <strong>de</strong> <strong>le</strong> fatiguer par ses<br />

bavardages. « Hélas !» intervient Desdémone. « el<strong>le</strong> ne par<strong>le</strong> guère » A.II,sc.1, v. 106). Othello aussi, avant même <strong>de</strong> tomber au<br />

pouvoir d'Iago, voudrait bien que Desdémone se taise et cesse <strong>de</strong> lui par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> Cassio :<br />

Je t’en prie, assez !<br />

Qu'il vienne quand il voudra [...]<br />

Sur ce, je t'en prie, accor<strong>de</strong>-moi la grâce<br />

De me laisser seul un petit instant. (A.III, sc.3, v. 76,85-86)<br />

Le discours féminin a pour fonction première <strong>de</strong> donner la réplique à un protagoniste masculin (héros, admirateur,<br />

suppliant ou détracteur, peu importe). Sinon. il n'a d'autre existence que passagère et instab<strong>le</strong> : ainsi <strong>le</strong>s revendications<br />

d'Emilie qui malgré sa véhémence ne remet pas véritab<strong>le</strong>ment en cause l'ordre patriarcal ; ou la chanson du sau<strong>le</strong>, relayée<br />

par trois voix <strong>de</strong> femmes qui vont mourir, interrompue par <strong>le</strong> vent et <strong>le</strong>s intermittences <strong>de</strong> la mémoire, et que Desdémone<br />

reconstitue par bribes, emmêlant <strong>le</strong>s refrains : “Non, ce n'est pas <strong>le</strong> suite” (A.IV, sc.3, v. 51). Le discours féminin est à l'image<br />

<strong>de</strong> cette complainte, texte fugitif écrit par <strong>de</strong>s larmes sur l'eau, disant la perte et <strong>le</strong> <strong>de</strong>uil.<br />

Léone TEYSSANDIER,“Introduction”, in SHAKESPEARE, Tragédies II, Robert Laffont, Paris, 1995<br />

© Alain Fontenay<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 41


Le crime passionnel<br />

La fou<strong>le</strong> obstruait <strong>le</strong> café <strong>de</strong> part et d'autre <strong>de</strong> l'entrée, el<strong>le</strong> se grossissait encore, mais plus faib<strong>le</strong>ment, <strong>de</strong>s apports <strong>de</strong>s rues<br />

voisines, el<strong>le</strong> était beaucoup plus importante qu'on n'eût pu <strong>le</strong> prévoir. La vil<strong>le</strong> s'était multipliée. Les gens s'écartèrent, un<br />

courant se creusa au milieu d'eux pour laisser <strong>le</strong> passage à un fourgon noir. Trois hommes en <strong>de</strong>scendirent et pénétrèrent<br />

<strong>dans</strong> <strong>le</strong> café.<br />

- La police, dit quelqu'un.<br />

Anne Desbares<strong>de</strong>s se renseigna.<br />

- Quelqu'un qui a été tué. Une femme.<br />

El<strong>le</strong> laissa son enfant <strong>de</strong>vant <strong>le</strong> porche <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong> Giraud, rejoignit <strong>le</strong> gros <strong>de</strong> la fou<strong>le</strong> <strong>de</strong>vant <strong>le</strong> café, s'y faufila et<br />

atteignit <strong>le</strong> <strong>de</strong>rnier rang <strong>de</strong>s gens qui, <strong>le</strong> long <strong>de</strong>s vitres ouvertes, immobilisés par <strong>le</strong> spectac<strong>le</strong>, voyaient. Au fond du café,<br />

<strong>dans</strong> la pénombre <strong>de</strong> l'arrière-sal<strong>le</strong>, une femme était étendue par terre, inerte. Un homme, couché sur el<strong>le</strong>, agrippé à ses<br />

épau<strong>le</strong>s, l'appelait calmement.<br />

- Mon amour. Mon amour.<br />

Il se tourna vers la fou<strong>le</strong>, la regarda, et on vit ses yeux. Toute expression en avait disparu, exceptée cel<strong>le</strong>, foudroyée,<br />

indélébi<strong>le</strong>, inversée du mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> son désir. La police entra. La patronne, dignement dressée près <strong>de</strong> son comptoir,<br />

l'attendait.<br />

- Trois fois que j'essaye <strong>de</strong> vous appe<strong>le</strong>r.<br />

- Pauvre femme, dit quelqu'un.<br />

- Pourquoi ? <strong>de</strong>manda Anne Desbares<strong>de</strong>s.<br />

- On ne sait pas.<br />

L'homme, <strong>dans</strong> son délire, se vautrait sur <strong>le</strong> corps étendu <strong>de</strong> la femme. Un inspecteur <strong>le</strong> prit par <strong>le</strong> bras et <strong>le</strong> re<strong>le</strong>va. Il se<br />

laissa faire. Apparemment, toute dignité l'avait quitté à jamais. Il scruta l'inspecteur d'un regard toujours absent du reste du<br />

mon<strong>de</strong>. L'inspecteur <strong>le</strong> lâcha, sortit un carnet <strong>de</strong> sa poche, un crayon, lui <strong>de</strong>manda <strong>de</strong> décliner son i<strong>de</strong>ntité, attendit.<br />

- Ce n'est pas la peine, je ne répondrai pas maintenant, dit l'homme.<br />

L'inspecteur n'insista pas et alla rejoindre ses collègues qui questionnaient la patronne, assis à la <strong>de</strong>rnière tab<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

l'arrière-sal<strong>le</strong>.<br />

L'homme s'assit près <strong>de</strong> la femme morte, lui caressa <strong>le</strong>s cheveux et lui sourit. Un jeune homme arriva en courant à la porte<br />

du café, un appareil-photo en bandoulière et <strong>le</strong> photographia ainsi, assis et souriant. Dans la lueur du magnésium, on put<br />

voir que la femme était jeune encore et qu'il y avait du sang qui coulait <strong>de</strong> sa bouche en minces fi<strong>le</strong>ts épars et qu'il y en avait<br />

aussi sur <strong>le</strong> visage <strong>de</strong> l'homme qui l'avait embrassée. Dans la fou<strong>le</strong>, quelqu'un dit :<br />

- C'est dégoûtant, et s'en alla.<br />

L'homme se recoucha <strong>de</strong> nouveau <strong>le</strong> long du corps <strong>de</strong> sa femme, mais un <strong>temps</strong> très court. Puis, comme si cela l'eût lassé,<br />

il se re<strong>le</strong>va encore.<br />

- Empêchez-<strong>le</strong> <strong>de</strong> partir, cria la patronne.<br />

Mais l'homme ne s'était re<strong>le</strong>vé que pour mieux s'allonger encore, <strong>de</strong> plus près, <strong>le</strong> long du corps. Il resta là, <strong>dans</strong> une résolution<br />

apparemment tranquil<strong>le</strong>, aggripé <strong>de</strong> nouveau à el<strong>le</strong> <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux bras, <strong>le</strong> visage collé au sien, <strong>dans</strong> <strong>le</strong> sang <strong>de</strong> sa bouche.<br />

Mais <strong>le</strong>s inspecteurs en eurent fini d'écrire sous la dictée <strong>de</strong> la patronne et, à pas <strong>le</strong>nts, tous trois marchant <strong>de</strong> front, un air<br />

i<strong>de</strong>ntique d'intense ennui sur <strong>le</strong>ur visage, ils arrivèrent <strong>de</strong>vant lui.<br />

L'enfant, sagement assis sous <strong>le</strong> porche <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong> Giraud, avait un peu oublié. Il fredonnait la sonatine <strong>de</strong> Diabelli.<br />

- Ce n'était rien, dit Anne Desbares<strong>de</strong>s, maintenant il faut rentrer.<br />

L'enfant la suivit. Des renforts <strong>de</strong> police arrivèrent — trop tard, sans raison. Comme ils passaient <strong>de</strong>vant <strong>le</strong> café, l'homme<br />

en sortit, encadré par <strong>le</strong>s inspecteurs. Sur son passage, <strong>le</strong>s gens s'écartèrent en si<strong>le</strong>nce.<br />

.../...<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 42


- Ce n'est pas lui qui a crié, dit l'enfant. Lui, il n'a pas crié.<br />

- Ce n'est pas lui. Ne regar<strong>de</strong> pas.<br />

- Dis-moi pourquoi.<br />

- Je ne sais pas.<br />

L'homme marcha doci<strong>le</strong>ment jusqu'au fourgon. Mais, une fois là, il se débattit en si<strong>le</strong>nce, échappa aux inspecteurs et<br />

courut en sens inverse, <strong>de</strong> toutes ses forces, vers <strong>le</strong> café. Mais, comme il allait l'atteindre, <strong>le</strong> café s'éteignit. Alors il s'arrêta,<br />

en p<strong>le</strong>ine course, il suivit <strong>de</strong> nouveau <strong>le</strong>s inspecteurs jusqu'au fourgon et il y monta. Peut-être alors p<strong>le</strong>ura-t-il, mais <strong>le</strong><br />

crépuscu<strong>le</strong> trop avancé déjà ne permit d'apercevoir que la grimace ensanglantée et tremblante <strong>de</strong> son visage et non plus <strong>de</strong><br />

voir si <strong>de</strong>s larmes s'y coulaient.<br />

- Quand même, dit Anne Desbares<strong>de</strong>s en arrivant bou<strong>le</strong>vard <strong>de</strong> la Mer, tu pourrais t'en souvenir une fois pour toutes.<br />

Mo<strong>de</strong>rato, ça veut dire modéré, et cantabi<strong>le</strong>, ça veut dire chantant, c'est faci<strong>le</strong>.<br />

© Alain Fontenay<br />

Marguerite DURAS, Mo<strong>de</strong>rato Cantabi<strong>le</strong>, Editions <strong>de</strong> minuit, Paris ,1958<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 43


REPERES BIOGRAPHIQUES :<br />

ÉQUIPE ARTISTIQUE<br />

ÉRIC VIGNER<br />

Après <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s supérieures d'arts plastiques, Éric Vigner étudie l'art dramatique à l'Eco<strong>le</strong> <strong>de</strong> la Rue Blanche, puis au<br />

Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique <strong>de</strong> Paris <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s classes <strong>de</strong> Denise Bonal, Michel Bouquet, Gérard<br />

Desarthe, Daniel Mesguich.<br />

Acteur, il joue sous la direction <strong>de</strong> Jean-Pierre Miquel, Christian Colin, Brigitte Jaques avec laquel<strong>le</strong> il partagera l'aventure<br />

d'Elvire Jouvet 40. Au cinéma, il tourne avec Philippe <strong>de</strong> Broca, Benoît Jacquot, Maria <strong>de</strong> Me<strong>de</strong>iros. En 1990, Éric Vigner<br />

fon<strong>de</strong> la Compagnie Suzanne M. et concrétise son désir <strong>de</strong> pratiquer un théâtre d'art. Il signe sa première mise en scène en<br />

1991 : La Maison d'Os <strong>de</strong> Roland Dubillard, <strong>dans</strong> une usine désaffectée d'Issy-<strong>le</strong>s-Moulineaux. Ce spectac<strong>le</strong> "manifeste" sera<br />

repris <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cadre du Festival d'Automne à Paris <strong>dans</strong> <strong>le</strong> soc<strong>le</strong> <strong>de</strong> la Gran<strong>de</strong> Arche <strong>de</strong> la Défense. Son travail est toujours<br />

lié à la "réalité" <strong>de</strong>s lieux qu'il investit : usine, cinéma, cloître, tribunal, musée, théâtre à l'italienne... <strong>dans</strong> un rapport<br />

dia<strong>le</strong>ctique à l'écriture - contemporaine ou classique, dramatique ou poétique.<br />

Sa singularité tient <strong>dans</strong> <strong>le</strong> choix <strong>de</strong>s écritures qu'il veut faire entendre - toutes inscrites <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s recherches stylistiques<br />

puissantes. Cette spécificité s'exprime <strong>dans</strong> son travail sur l'oeuvre <strong>de</strong> Marguerite Duras, qu'Éric Vigner rencontre en 1993<br />

lorsqu'il crée au théâtre son livre La Pluie d'été. Suivront l'entrée <strong>de</strong> l'auteur au répertoire <strong>de</strong> la Comédie-Française avec sa<br />

mise en scène <strong>de</strong> Savannah Bay en 2002, puis La Bête <strong>dans</strong> la Jung<strong>le</strong> d'après Henry James au Kennedy Center à Washington en<br />

2004. Au 60ème Festival d'Avignon en 2006, il crée pour <strong>le</strong> Cloître <strong>de</strong>s Carmes Pluie d'été à Hiroshima. Dès 1996, il<br />

rencontre l'auteur dramatique Rémi De Vos. En 2006, il met en scène Jusqu'à ce que la mort nous sépare à Lorient puis au<br />

<strong>Théâtre</strong> du Rond-Point et en 2007, Débrayage, première pièce <strong>de</strong> l'auteur. Il traduit et adapte avec lui Othello <strong>de</strong> Shakespeare,<br />

dont la création a lieu à Lorient <strong>le</strong> 6 octobre 2008, puis à l'<strong>Odéon</strong>-<strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> <strong>l'Europe</strong> en novembre et décembre 2008.<br />

Nommé à la direction du CDDB-<strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> Lorient, Centre Dramatique National, en 1996, Éric Vigner met en place un<br />

projet artistique consacré à la découverte, à la production et à l'accompagnement d'une nouvel<strong>le</strong> génération d'auteurs et <strong>de</strong><br />

metteurs en scène : Arthur Nauzyciel, Daniel Jeanneteau, Rémi De Vos, Ludovic Lagar<strong>de</strong>, Olivier Cadiot...<br />

S'inscrivant <strong>dans</strong> l'histoire <strong>de</strong> son port d'attache, Lorient, vil<strong>le</strong> fondée en 1664 par l'implantation <strong>de</strong> la Compagnie <strong>de</strong>s In<strong>de</strong>s<br />

orienta<strong>le</strong>s, il développe <strong>de</strong>s liens d'accueil et <strong>de</strong> production avec l'international : l'In<strong>de</strong>, <strong>le</strong> bassin méditerranéen, <strong>le</strong>s<br />

États-Unis, puis l'Extrême-Orient : la Corée du Sud et <strong>le</strong> Japon. Il crée à Séoul pour l'ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong>s troupes du <strong>Théâtre</strong><br />

National <strong>de</strong> Corée une adaptation du Bourgeois Gentilhomme (Prix France/Corée 2004), reprise à l'Opéra Comique à Paris en<br />

2006. En 2007, il met en scène Le Barbier <strong>de</strong> Sévil<strong>le</strong> en albanais pour <strong>le</strong>s comédiens du <strong>Théâtre</strong> National <strong>de</strong> Tirana. En avril<br />

2008, il crée en anglais Dans la solitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s champs <strong>de</strong> coton <strong>de</strong> Bernard-Marie Koltès au 7 Stages à Atlanta.<br />

Metteur en scène d'opéra, Éric Vigner travail<strong>le</strong> avec <strong>le</strong> chef d'orchestre Christophe Rousset et ses Ta<strong>le</strong>ns Lyriques sur <strong>de</strong>s<br />

oeuvres du répertoire baroque : La Didone <strong>de</strong> Cavalli (Opéra <strong>de</strong> Lausanne, 2000), L'Empio Punito <strong>de</strong> Melani (Bach Festival<br />

Leipzig, 2003) et Antigona <strong>de</strong> Traetta (<strong>Théâtre</strong> du Châte<strong>le</strong>t, Paris, 2004). Parallè<strong>le</strong>ment à son activité <strong>de</strong><br />

décorateur et <strong>de</strong> metteur en scène, Éric Vigner dirige régulièrement <strong>de</strong>s ateliers <strong>de</strong> recherche <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s d'art<br />

dramatique en France et à l'étranger : Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique <strong>de</strong> Paris, Éco<strong>le</strong> du <strong>Théâtre</strong><br />

National <strong>de</strong> Strasbourg, Éco<strong>le</strong> du <strong>Théâtre</strong> National <strong>de</strong> Bretagne, Éco<strong>le</strong> <strong>de</strong> la Comédie <strong>de</strong> Saint-Étienne, CIFAS (Bruxel<strong>le</strong>s),<br />

La Manufacture - Haute éco<strong>le</strong> <strong>de</strong> théâtre <strong>de</strong> Suisse roman<strong>de</strong> (Lausanne), Universités <strong>de</strong> Montréal et d'Atlanta.<br />

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RÉMI DE VOS<br />

Rémi De Vos est né à Dunkerque <strong>le</strong> 17 mars 1963. Il monte à Paris son bac en poche et suit <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong> théâtre, tout en<br />

vivant <strong>de</strong> petits boulots. Il a exercé toutes sortes <strong>de</strong> métiers : gardien, magasinier, réceptionniste d'hôtel, ouvreur <strong>de</strong> théâtre,<br />

serveur, surveillant d'internat, ouvrier <strong>dans</strong> la métallurgie, maçon, assistant-photographe, ambulancier, peintre en bâtiment,<br />

employé <strong>de</strong> banque, ven<strong>de</strong>ur au porte-à-porte, garçon <strong>de</strong> bureau, déménageur... Malgré ces pério<strong>de</strong>s fastes, il lui arrivait <strong>de</strong><br />

ne rien faire du tout. S'est mis alors à écrire. Depuis 1995, il a écrit 15 pièces <strong>de</strong> théâtre qui lui permettent, jusqu'à<br />

aujourd'hui, <strong>de</strong> vivre <strong>de</strong> l'écriture. Ses pièces sont traduites en 10 langues. Rémi De Vos est auteur associé au CDDB.<br />

Bibliographie: Débrayage (bourse <strong>de</strong> la Fondation Beaumarchais), P<strong>le</strong>ine Lune, André Le Magnifique (écrite avec <strong>le</strong>s<br />

acteurs - Molière du meil<strong>le</strong>ur auteur, meil<strong>le</strong>ur spectac<strong>le</strong> <strong>de</strong> création, meil<strong>le</strong>ure pièce comique, révélation masculine et<br />

féminine), Le Brognet, Projection Privée, Conviction Intime, La Camouf<strong>le</strong>, Alpenstock, Jusqu'à ce que la mort nous sépare (bourse <strong>de</strong> la<br />

Fondation Beaumarchais et prix <strong>de</strong> la Fondation Diane & Lucien Barrière pour <strong>le</strong> théâtre, "De l'écrit, à l'écran et à la mise<br />

en scène"), Laisse-moi te dire une chose, En Difficulté, Occi<strong>de</strong>nt, Ma petite jeune fil<strong>le</strong>, Intendance, Le Ravissement d'Adè<strong>le</strong>, Beyrouth Hotel.<br />

La majorité <strong>de</strong> ses pièces sont éditées aux Éditions Actes Sud - Papiers.<br />

Le CDDB présente (créations en rési<strong>de</strong>nce) : Débrayage <strong>dans</strong> une mise en scène <strong>de</strong> l'auteur en 1996, Jusqu'à ce que la mort nous<br />

sépare en 2006 et Débrayage en 2007 <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s mises en scène d'Éric Vigner. En 2008, Rémi De Vos et Éric Vigner traduisent<br />

et adaptent Othello, créé au CDDB <strong>le</strong> 6 octobre.<br />

MICHEL FAU, Iago<br />

Après une formation au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique <strong>de</strong> Paris, il travail<strong>le</strong> avec Michel Bouquet,<br />

Jacques Weber, Gabriel Garran, Gilberte Tsaï.<br />

Il joue sous la direction <strong>de</strong> Laurent Gutmann <strong>dans</strong> Le nouveau Menoza <strong>de</strong> Lenz, Jean-Luc Lagarce <strong>dans</strong> La Cagnotte d'Eugène<br />

Labiche, Jean-Clau<strong>de</strong> Penchenat <strong>dans</strong> Peines d'Amour perdues <strong>de</strong> Shakespeare, Pierre Guillois <strong>dans</strong> Pélléas et Mélisan<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

Maeterlinck, Stéphane Braunschweig <strong>dans</strong> Le Marchand <strong>de</strong> Venise <strong>de</strong> Shakespeare, Jean Gillbert <strong>dans</strong> Athalie <strong>de</strong> Racine. Il crée<br />

<strong>le</strong> monologue Hyènes <strong>de</strong> Christian Siméon, mis en scène par Jean Macqueron et travail<strong>le</strong> régulièrement avec Jean-Michel<br />

Rabeux : <strong>dans</strong> Le ventre, Meurtres hors-champ d'Eugène Durif et L'homosexuel ou la difficulté <strong>de</strong> s'exprimer <strong>de</strong> Copi, Feu l'amour, trois<br />

pièces <strong>de</strong> Georges Fey<strong>de</strong>au. En 2005, il a joué <strong>dans</strong> Les Brigands <strong>de</strong> Schil<strong>le</strong>r mis en scène par Paul Desvaux et Le balcon <strong>de</strong><br />

Genet mis en scène par Sébastien Rajon, et en 2007 <strong>dans</strong> L'Ignorant et <strong>le</strong> fou <strong>de</strong> Thomas Bernhard mis en scène par Emmanuel<br />

Daumas.<br />

Comédien <strong>de</strong> longue date pour Olivier Py, il collabore à la plupart <strong>de</strong> ses mises en scène : Les aventures <strong>de</strong> Paco Golliard, La<br />

servante, Le visage d'Orphée, L'Apocalypse joyeuse, Le soulier <strong>de</strong> satin <strong>de</strong> Paul Clau<strong>de</strong>l, Illusions comiques et LOrestie d'Eschy<strong>le</strong>.<br />

Il a mis en scène Thérèse Raquin d'après Zola, Créanciers <strong>de</strong> Strindberg, La Désillusion <strong>de</strong> Frédéric Constant, American Buffalo<br />

<strong>de</strong> David Mamet.<br />

Pour l'opéra, il collabore avec Le Duo Dijon et <strong>le</strong> Festival <strong>de</strong> Saint-Céré : il met en scène Le Condamné à mort d'après Jean<br />

Genet, mis en musique par Philippe Cap<strong>de</strong>nat, Cosi Fan Tutte <strong>de</strong> Mozart, Tosca <strong>de</strong> Puccini, Rigo<strong>le</strong>tto <strong>de</strong> Verdi, Eugène Onéguine<br />

<strong>de</strong> Tchaïkovski, Bastien et Bastienne <strong>de</strong> Mozart et Madame Butterfly <strong>de</strong> Puccini. On a pu <strong>le</strong> voir au cinéma <strong>dans</strong> Harry, un ami<br />

qui vous veut du bien <strong>de</strong> Dominik Moll, Le Créateur d'Albert Dupontel et Les Yeux fermés d'Olivier Py.<br />

Il enseigne à l'éco<strong>le</strong> Florent et <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s conservatoires <strong>de</strong> région.<br />

SAMIR GUESMI, Othello<br />

Formé à l'Eco<strong>le</strong> Tania Balachova, Samir Guesmi a joué, au théâtre, sous la direction <strong>de</strong> Maya Poesh et Bernard Bloch,<br />

Georges Lavaudant, Clau<strong>de</strong> Alice Peyrotte, Stéphane Müh, Frédéric Bélier-Garcia, Mohamed Rouabhi... Au cinéma, il a<br />

tourné sous la direction <strong>de</strong> Manuel Bousinhac (Un pur moment <strong>de</strong> Rock'n’ Roll et La Menta<strong>le</strong>), Alain Gomis (L'Afrance et<br />

Andalucia), Clau<strong>de</strong> Mil<strong>le</strong>r (Betty Fisher et autres histoires), Jacques Maillot (Nos vies heureuses)... Récemment, La disparue <strong>de</strong> Deauvil<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> Sophie Marceau , Anna M <strong>de</strong> Michel Spinosa, Ne <strong>le</strong> dis à personne <strong>de</strong> Guillaume Canet, Selon Charlie <strong>de</strong> Nicola Garcia, Mon<br />

Colonel <strong>de</strong> Laurent Herbeit, Leur Mora<strong>le</strong>... et la nôtre <strong>de</strong> Florence Quentin avec André Dussolier et Victoria Abril.<br />

En 2007, il a reçu <strong>le</strong> Bayard d'or du meil<strong>le</strong>ur comédien lors du Festival international du film francophone <strong>de</strong> Namur pour<br />

son rô<strong>le</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> film Andalucia d'Alain Gomis.<br />

Son premier court-métrage, C'est Dimanche ! a reçu <strong>le</strong> Prix du public lors du Festival <strong>de</strong> C<strong>le</strong>rmont-Ferrand 2008.<br />

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BÉNÉDICTE CERUTTI, Desdémone<br />

Issue <strong>de</strong> l'Éco<strong>le</strong> Supérieure d'Art Dramatique du TNS-<strong>Théâtre</strong> National <strong>de</strong> Strasbourg, el<strong>le</strong> a participé à <strong>de</strong>s ateliers et<br />

travaux dirigés par Stéphane Braunshweig, Aurélia Guil<strong>le</strong>t, Gildas Milin, Hubert Colas, Clau<strong>de</strong> Duparfait.<br />

Au théâtre, el<strong>le</strong> a joué sous la direction <strong>de</strong> Thomas Adam-Garnung (Nowhere ici/ail<strong>le</strong>urs), Clau<strong>de</strong> Duparfait (Titanica <strong>de</strong><br />

Sébastien Harisson), Stéphane Braunschweig (Brand <strong>de</strong> Henrik Ibsen, Les trois soeurs <strong>de</strong> Tchekhov) et Olivier Py (L'Orestie<br />

d'Eschy<strong>le</strong>). Au cinéma, el<strong>le</strong> a joué <strong>dans</strong> Les acteurs anonymes <strong>de</strong> Benoît Cohen, sorti en 2001.<br />

En 2006, el<strong>le</strong> interprète <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jeanne <strong>dans</strong> Pluie d'été à Hiroshima d'après Marguerite Duras, mis en scène par Éric Vigner.<br />

JUTTA JOHANNA WEISS, Emilia<br />

El<strong>le</strong> est née à Vienne en 1969. El<strong>le</strong> fait ses premiers pas au théâtre <strong>dans</strong> Intermezzo <strong>de</strong> Jean Giraudoux, mis en scène par<br />

Otomar Krejca au Theater an Der Joseftadt <strong>de</strong> Vienne en 1986. En 1989, el<strong>le</strong> quitte sa vil<strong>le</strong> nata<strong>le</strong> pour étudier avec Sanford<br />

Meisner au Neighborhood Playhouse School of Theater à New York. Puis el<strong>le</strong> intègre la masterclass <strong>de</strong> Robert Lewis,<br />

parallè<strong>le</strong>ment à une formation <strong>de</strong> <strong>dans</strong>e au Broadway Dance Center/Bal<strong>le</strong>ts Arts. El<strong>le</strong> joue en anglais <strong>dans</strong> The gol<strong>de</strong>n calf<br />

d'Alan Glass à New York, The Magic storybook d'Edward Pinner au Festival d'Edimbourgh et Litt<strong>le</strong> Eyolf d'Henrik Ibsen à Los<br />

Ange<strong>le</strong>s.<br />

À partir <strong>de</strong> 1993, el<strong>le</strong> retrouve l'al<strong>le</strong>mand, sa langue maternel<strong>le</strong>, <strong>dans</strong> Don Perlimplin <strong>de</strong> Fe<strong>de</strong>rico Garcia Lorca pour <strong>le</strong><br />

festival <strong>de</strong> Hellbrunn à Salzbourg. Puis el<strong>le</strong> rejoint la compagnie autrichienne Arbos pour jouer <strong>dans</strong> Das Ehepaar <strong>de</strong><br />

Francisco Tanzer, <strong>dans</strong> Seeing place <strong>de</strong> Rico Peterson et <strong>dans</strong> Die Reise d'Herbert Thomas Mandl. El<strong>le</strong> est invitée par<br />

l'Académie Expérimenta<strong>le</strong> <strong>de</strong>s <strong>Théâtre</strong>s à se joindre à un groupe d'acteurs français pour un travail <strong>de</strong> recherche avec Andreï<br />

Serban à Avignon et au CNSAD à Paris. En 1995, el<strong>le</strong> étudie avec Anatoli Vassiliev <strong>dans</strong> son Éco<strong>le</strong> d'Art Dramatique à<br />

Moscou.<br />

Son premier rô<strong>le</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> théâtre français est Marion <strong>de</strong> Lorme <strong>dans</strong> la pièce <strong>de</strong> Victor Hugo mis en scène par Éric Vigner<br />

en 1998. Depuis, el<strong>le</strong> poursuit sa collaboration artistique avec Éric Vigner et joue <strong>dans</strong> Rhinocéros d'Eugène Ionesco en 2000,<br />

La bête <strong>dans</strong> la jung<strong>le</strong>, adaptation française <strong>de</strong> Marguerite Duras d'après la nouvel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Henry James en 2001, «....Où boivent <strong>le</strong>s<br />

vaches... » <strong>de</strong> Roland Dubillard en 2003 et Pluie d'été à Hiroshima d'après Marguerite Duras en 2006.<br />

THOMAS SCIMECA, Cassio<br />

Il a suivi <strong>le</strong>s cours <strong>de</strong> Dominique Valadié, Philippe Adrien et Jacques Lasal<strong>le</strong> au Conservatoire National Supérieur d'Art<br />

Dramatique <strong>de</strong> Paris.<br />

Il a travaillé avec Gabriel Garran, Robert Cantarella, Olivier Py, Stéphane Braunschweig... Comme interprète, il travail<strong>le</strong> aussi<br />

<strong>dans</strong> <strong>le</strong>s projets artistiques atypiques <strong>de</strong> Yves-Noël Genod : Les St-Augustin, Z'avatars, Dior n'est pas Dieu, St Augustin on ice.<br />

En 2001, il réalise, <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cadre d'une carte blanche au CDDB - <strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> Lorient, la mise en scène <strong>de</strong> L'Homosexuel ou la<br />

difficulté <strong>de</strong> s'exprimer <strong>de</strong> Copi. Il a mis en scène Haute Surveillance <strong>de</strong> Jean Genet, Les quatre jumel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Copi, L'Oiseau aveug<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

François Bourgeat, L'encre noire <strong>de</strong> Léopold Sedar Senghor.<br />

En 2006 il interprète <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> du père <strong>dans</strong> Pluie d'été à Hiroshima d'après Marguerite Duras mis en scène par Éric Vigner.<br />

NICOLAS MARCHAND, Ro<strong>de</strong>rigo<br />

Il a été formé à l'éco<strong>le</strong> du Schauspielhaus Salzburg, dont il intègre la troupe en 1999. Auteur dramatique, il a écrit quatre<br />

pièces en langue al<strong>le</strong>man<strong>de</strong> : Die Nacht in <strong>de</strong>r die Stil<strong>le</strong> aus dunk<strong>le</strong>m Raum vertriben wur<strong>de</strong> und zurückkehrte, Geschichten in <strong>de</strong>r Nacht,<br />

Gefangene Nächte et Zwischen Riesen. Trois d'entre el<strong>le</strong>s ont été créées <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s mises en scène <strong>de</strong> Christian Kuchenbuch. Il a<br />

aussi écrit un livret pour un opéra Das En<strong>de</strong> <strong>de</strong>r Isolation créé au Festival d'Opéras <strong>de</strong> poche à Salzburg. Asssistant à la mise<br />

en scène et dramaturge, il a travaillé pour Thierry Brühl sur L'homme sans qualité <strong>de</strong> Musil et Nathan Le Sage <strong>de</strong> Gotthold<br />

Ephraïm Lessing. En février 2005, il participe au stage dirigé par Éric Vigner sur Hiroshima mon amour <strong>de</strong> Marguerite Duras<br />

(CIFAS, Bruxel<strong>le</strong>s). En 2006 il interprète <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> d'Ernesto <strong>dans</strong> Pluie d'été à Hiroshima d'après Marguerite Duras, mis en scène<br />

par Éric Vigner.<br />

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VINCENT NÉMETH, Brabantio / Montano<br />

Après un stage à l'Herbert Berghof Studio <strong>de</strong> New York et à la Bottega Teatra<strong>le</strong> <strong>de</strong> Florence (auprès <strong>de</strong> Vittorio Gassman),<br />

Vincent Németh a suivi <strong>le</strong>s classes <strong>de</strong> Denise Bonal, Clau<strong>de</strong> Régy, Daniel Mesguich, Gérard Desarthe au Conservatoire<br />

National Supérieur d'Art Dramatique <strong>de</strong> Paris.<br />

Au théâtre, il joue sous la direction <strong>de</strong> Dominique Quéhec, Pierre Santini, Bernard Sobel, Grégoire Ingold, Alain Barsacq,<br />

Laurent Hata, Tatiana Stepantchenko...<br />

Au cinéma, il joue <strong>dans</strong> Cyrano et Bon voyage <strong>de</strong> Jean-Paul Rappeneau, Comment je me suis diputé... d'Arnaud Desp<strong>le</strong>chin, Si je<br />

t'aime prends gar<strong>de</strong> à toi et Ca ira mieux <strong>de</strong>main <strong>de</strong> Jeanne Labrune, J'ai faim <strong>de</strong> Florence Quentin, Combien tu<br />

m'aimes <strong>de</strong> Bertrand Blier...<br />

AURÉLIEN PATOUILLARD, Le Doge / Lodovico<br />

Formé à l'éco<strong>le</strong> <strong>de</strong> la Manufacture à Lausanne (HETSR), Aurélien Patouillard a joué sous la direction <strong>de</strong> Jean-Louis Benoît<br />

<strong>dans</strong> La Mère <strong>de</strong> Brecht en 2005, <strong>de</strong> Claire Lasne-Darcueil <strong>dans</strong> La Mouette <strong>de</strong> Tchekov en 2006 et d'ÉricVigner <strong>dans</strong><br />

Débrayage <strong>de</strong> Rémi <strong>de</strong> Vos en 2007, suite à un atelier <strong>de</strong> fin d'étu<strong>de</strong>s.<br />

Avec la compagnie L'Heautontimoroumenos, il participe au projet Gabegie, série <strong>de</strong> performances théâtra<strong>le</strong>s inspirées<br />

<strong>de</strong> l'actualité.<br />

CATHERINE TRAVELLETTI, Bianca / Un Gentilhomme<br />

Formée à l'éco<strong>le</strong> <strong>de</strong> la Manufacture à Lausanne (HETSR), Catherine Travel<strong>le</strong>tti a joué sous la direction <strong>de</strong> Jean-Louis Benoît<br />

<strong>dans</strong> La Mère <strong>de</strong> Brecht en 2005, <strong>de</strong> Claire Lasne-Darcueil <strong>dans</strong> La Mouette <strong>de</strong> Tchekov en 2006 et d'ÉricVigner <strong>dans</strong><br />

Débrayage <strong>de</strong> Rémi <strong>de</strong> Vos en 2007, suite à un atelier <strong>de</strong> fin d'étu<strong>de</strong>s.<br />

En 2007 el<strong>le</strong> participe au projet Shadow Houses mis en scène par Mathieu Bertho<strong>le</strong>t au <strong>Théâtre</strong> du Grütli à Genève.<br />

COLLABORATEURS ARTISTIQUES<br />

OTHELLO VILGARD, création son<br />

Cinéaste et photographe, Othello Vilgard enseigne <strong>le</strong> cinéma expérimental et ses techniques à l’université <strong>de</strong> Paris X-<br />

Nanterre. Il est éga<strong>le</strong>ment membre fondateur d’une structure <strong>de</strong> cinéma expérimental, l’Etna, et participe à <strong>de</strong><br />

nombreuses manifestations (colloques, conférences, festivals…) autour <strong>de</strong> ce sujet. Sa filmographie s’articu<strong>le</strong> autour du<br />

cinéma expérimental, avec <strong>de</strong>s films comme High, Lighting, Terrae, compositions rythmiques réalisées à partir d’éléments<br />

visuels réduits. Il travail<strong>le</strong> aussi pour <strong>le</strong> théâtre et réalise <strong>le</strong>s films Savannah Bay et Pluie d’été à Hiroshima d’après Marguerite<br />

Duras ou encore “…Où boivent <strong>le</strong>s vaches...” <strong>de</strong> Roland Dubillard, d’après <strong>le</strong>s mises en scène d’Éric Vigner. Il a créé <strong>le</strong> son <strong>de</strong><br />

Jusqu’à ce que la mort nous sépare et <strong>de</strong> Débrayage mis en scène par Éric Vigner. Il est artiste associé au CDDB – <strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong><br />

Lorient <strong>de</strong>puis 2006.<br />

JOËL HOURBEIGT, création lumière<br />

Après avoir fait ses débuts comme éclairagiste pour <strong>le</strong> <strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> l’Aquarium en 1979, Joël Hourbeigt est éclairagiste<br />

indépendant <strong>de</strong>puis 1982. Il travail<strong>le</strong> avec <strong>de</strong> nombreux metteurs en scène : Philippe Adrien, Sophie<br />

Loucachevsky, Alain Françon, Valère Novarina, Jean-Michel Ribes, Clau<strong>de</strong> Yersin, Antoine Vitez, Catherine Anne, Marcel<br />

Bozonnet, François Berreur, Jean-Louis Benoît, David Lescot, Clau<strong>de</strong> Régy… et avec <strong>le</strong> chorégraphe Paco Dècina. Pour<br />

Éric Vigner, il a créé la lumière <strong>de</strong> Pluie d’été à Hiroshima d’après Marguerite Duras et <strong>de</strong> Jusqu’à ce que la mort nous sépare <strong>de</strong><br />

Rémi De Vos. Il réalise plusieurs créations pour l’Opéra <strong>de</strong> Paris : Otello <strong>de</strong> Verdi avec Andrei Serban et James Conlon,<br />

L’amour <strong>de</strong>s trois oranges <strong>de</strong> Prokofiev avec Gilbert Deflo et Sylvain Cambreling. Il travail<strong>le</strong> éga<strong>le</strong>ment à plusieurs reprises avec<br />

<strong>le</strong> metteur en scène Pierre Strosser : Doktor Faust <strong>de</strong> Busoni à l’Opéra <strong>de</strong> Lyon avec Kent Nagano, Der Ring <strong>de</strong>s Nibelungen<br />

<strong>de</strong> Wagner à Adélaï<strong>de</strong> avec Jeffrey Tate, Ariodante <strong>de</strong> Haen<strong>de</strong>l au Grand <strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> Genève avec Kenneth Montgomery.<br />

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SOIZIC SIDOIT, création maquillage et coiffure<br />

Soizic Sidoit fait sa première création en tant que chef maquil<strong>le</strong>use coiffeuse, en novembre 1994, avec Lorenzaccio d’Alfred<br />

<strong>de</strong> Musset mis en scène par Françoise Maimone. C’est en 2000 pour la pièce Rhinocéros d’Eugène Ioneco que commence sa<br />

collaboration avec Éric Vigner. Depuis, el<strong>le</strong> a ainsi réalisé <strong>le</strong>s maquillages et coiffures <strong>de</strong> Savannah Bay, “…Où boivent <strong>le</strong>s<br />

vaches...”, Pluie d’été à Hiroshima, Jusqu’à ce que la mort nous sépare et Débrayage. El<strong>le</strong> travail<strong>le</strong> autant pour <strong>le</strong> théâtre que pour<br />

l’opéra, <strong>le</strong> cinéma, la photographie. Depuis 2005, el<strong>le</strong> est responsab<strong>le</strong> du service maquillage, coiffure et perruques <strong>de</strong> l’Opéra<br />

National <strong>de</strong> Montpellier.<br />

CYRIL BRODY, assistant à la mise en scène<br />

Cyril Brody partage son <strong>temps</strong> entre réalisation et écriture <strong>de</strong> scénario. En 2001, il réalise Le souci, court-métrage <strong>de</strong> fiction<br />

présenté au festival <strong>de</strong> Grenob<strong>le</strong>. En 2001 et 2002, il est scénariste <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux courts-métrages d’Olivier Peyon, À tes amours et<br />

Claquage après étirements, qui seront sé<strong>le</strong>ctionnés et primés <strong>dans</strong> <strong>de</strong> nombreux festivals. Il est éga<strong>le</strong>ment co-scénariste du<br />

premier long-métrage du réalisateur, Les petites vacances, sorti en 2007. Le documentaire En service qu’il réalise en 2006 est<br />

sé<strong>le</strong>ctionné par <strong>le</strong> festival « Hors-Piste » au Centre Pompidou à Paris et par <strong>le</strong>s festivals <strong>de</strong> Bruxel<strong>le</strong>s, La Rochel<strong>le</strong>, Montreuil.<br />

Il a éga<strong>le</strong>ment reçu <strong>le</strong> Prix spécial du Jury et <strong>le</strong> Prix du Public aux 4èmes Rencontres du Moyen Métrage <strong>de</strong> Brive. Cyril<br />

Brody a été l’assistant à la mise en scène d’Éric Vigner sur Débrayage en 2007 et In the solitu<strong>de</strong> of cotton fields en 2008. Il écrit<br />

actuel<strong>le</strong>ment son premier long-métrage en tant que réalisateur.<br />

KARINE CHAHIN, assistante au décor<br />

Karine Chahin est architecte, diplômée <strong>de</strong> l’Éco<strong>le</strong> Nationa<strong>le</strong> Supérieure d’Architecture <strong>de</strong> Paris-Val-<strong>de</strong>- Seine. Depuis 2002,<br />

el<strong>le</strong> collabore sur divers projets avec <strong>de</strong>s agences d’architecture à Barcelone et Paris. El<strong>le</strong> a éga<strong>le</strong>ment travaillé auprès <strong>de</strong><br />

l’équipe d’aménagement <strong>de</strong>s espaces du Musée du Quai Branly en 2007. El<strong>le</strong> a collaboré avec Éric Vigner à la scénographie<br />

<strong>de</strong> Jusqu’à ce que la mort nous sépare en 2006, et sur cel<strong>le</strong> du Barbier <strong>de</strong> Sévil<strong>le</strong> ou la précaution inuti<strong>le</strong> créé au <strong>Théâtre</strong> National <strong>de</strong><br />

Tirana en 2007.<br />

SOPHIE HOARAU, atelier costumes<br />

Formée à l’Éco<strong>le</strong> <strong>de</strong> la rue Blanche (ENSATT – section costumier du spectac<strong>le</strong>), Sophie Hoarau crée et réalise <strong>le</strong>s<br />

costumes pour <strong>de</strong> nombreuses compagnies en région Bretagne.<br />

Au CDDB-<strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> Lorient, el<strong>le</strong> a participé à l’atelier costumes du Bourgeois Gentilhomme en 2004 et <strong>de</strong> Pluie d’été à<br />

Hiroshima en 2006.<br />

© Alain Fontenay<br />

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BIBLIOGRAPHIE<br />

SUR OTHELLO<br />

ABIRACHED Robert, “Préface” in J. Vauthier, L’Othello <strong>de</strong> Shakespeare, Gallimard, Paris 1980<br />

BARTON Anne, “Préface” in Shakespeare, Tragédies I, Gallimard, “Pléia<strong>de</strong>”, Paris 2002<br />

BONNEFOY Yves, “Préface” in Shakespeare, Othello, Gallimard, “Folio/<strong>Théâtre</strong>”, Paris, 2007<br />

FLUCHERE Henri, “Introduction généra<strong>le</strong>” in Shakespeare, Oeuvres complètes, Gallimard, “Pléia<strong>de</strong>”,<br />

Paris, 1984<br />

GIDE André, “Avant-propos” in Shakespeare, Oeuvres complètes, Gallimard, “Pléia<strong>de</strong>”, Paris, 1984<br />

IOMESCO Ian, Othello, chef-d’oeuvre en sursis, Paris, PUF, 1990<br />

JONES-DAVIES Margaret, “Préface” in Shakespeare, Othello, Les Solitaires intempestifs, Besançon,<br />

2007<br />

MORTIER Danièl, “Préface” in Shakespeare, Ham<strong>le</strong>t-Othello, Pocket, Paris, 1998<br />

VENET Gisè<strong>le</strong>, “Notice” in Shakespeare, Tragédies I, Gallimard, “Pléia<strong>de</strong>”, Paris, 2002<br />

OUVRAGES CONSACRÉS À SHAKESPEARE<br />

ACKROYD Peter, Shakespeare, la biographie, Editions Philippe Rey, Paris, 2006<br />

DI LAMPEDUSA Giuseppe, Shakespeare, Allia, Paris, 2000<br />

EDWARDS Michael, Shakespeare et l’oeuvre <strong>de</strong> la tragédie, Belin, Paris, 2005<br />

FLUCHERE Henri, Shakespeare, dramaturge élisabéthain, Gallimard, “Tel”, Paris, 1987<br />

GOY-BLANQUET Dominique, Shakespeare ou l’invention historique, Le Cri Edition, Bruxel<strong>le</strong>s, 2004<br />

GREEN André, Un Oeil en trop, Minuit, Paris, 1969<br />

HUGO Victor, William Shakespeare, Flammarion, “GF”, Paris, 2003<br />

JUSSERAND Jean-Jacques, Shakespeare en France sous l’Ancien Régime, Armand Colin & Cie, Paris, 1898<br />

KOTT Jan, Shakespeare, notre contemporain, Payot, “Petite Bibliothèque Payot”, Paris, 1978<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 49


MAGUIN Jean-Marie et Angela, William Shakespeare, Fayard, Paris, 1996<br />

MARIENTRAS Richard, Le Proche et <strong>le</strong> lointain, sur Shakespeare, Minuit, Paris, 1981<br />

MOURTHE Clau<strong>de</strong>, Shakespeare, Gallimard, “Folio/Biographies”, Paris, 2006<br />

PARIS Jean, Shakespeare, Seuil, “Ecrivains <strong>de</strong> toujours”, Paris, 1981<br />

SIBONY Daniel, Avec Shakespeare, Seuil, “Points/essais”, Paris, 2003<br />

SICHERE Bernard, Le Nom <strong>de</strong> Shakespeare, Gallimard, Paris, 1987<br />

SUNHAMY Henri, Shakespeare, Le Livre <strong>de</strong> Poche, Paris , 1996<br />

VAN EYNDE Laurent, Shakespeare, <strong>le</strong>s puissances du théâtre, Kimé, Paris, 2005<br />

ET AUSSI...<br />

SHAKESPEARE William, Othello, adapté par Denis DEPREZ, Casterman, 2004 (BD)<br />

WELLES Orson et BOGDANOVICH Peter, Moi, Orson Wel<strong>le</strong>s, Points Seuil, Paris, 1997<br />

POUR ALLER PLUS LOIN ...<br />

Le Songe d’une nuit d’été<br />

<strong>de</strong> William SHAKESPEARE/ mise en scène Yann-Joël COLLIN<br />

aux Ateliers Berthier, 17e, du 12 novembre au 18 décembre<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 50


À VOIR ÉGALEMENT ...<br />

Au théâtre<br />

A la Comédie-Française :<br />

La Mégère apprivoisée<br />

<strong>de</strong> William SHAKESPEARE / mise en scène Oskaras KORSUNOVAS<br />

du 13 octobre au 31 décembre<br />

A la MC93 :<br />

Mesure pour mesure<br />

<strong>de</strong> William SHAKESPEARE / mise en scène Jean-Yves RUF<br />

du7 novembre au 2 décembre<br />

Romeo & Juliette<br />

<strong>de</strong> William SHAKESPEARE / mise en scène NATURE THEATER OF OKLAHOMA<br />

du 30 janvier au 1er février 2009<br />

Le Songe d’une nuit d’été<br />

<strong>de</strong> William SHAKESPEARE / Maja KLECZEWSKA<br />

<strong>le</strong>s 7 et 8 février 2009<br />

A l’Opéra <strong>de</strong> Paris :<br />

Macbeth<br />

<strong>de</strong> Giuseppe VERDI / mise en scène Dmitri TCHERNIAKOV<br />

du 4 avril au 8 mai 2009<br />

En CD ou en DVD<br />

The Tragedy of Othello : the Moor of Venice, réalisé par Orson WELLES<br />

Othello, <strong>de</strong> et avec Laurence OLIVIER<br />

Othello, réalisé par Oliver PARKER, avec Kenneth BRANAGH<br />

Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 51


17 septembre - 25 octobre 2008<br />

<strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> l'<strong>Odéon</strong> 6 e<br />

23 septembre - 19 octobre 2008<br />

Ateliers Berthier 17 e<br />

6 novembre - 7 décembre 2008<br />

<strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> l'<strong>Odéon</strong> 6 e<br />

12 novembre - 18 décembre 2008<br />

Ateliers Berthier 17 e<br />

23 décembre 2008 - 18 janvier 2009<br />

Ateliers Berthier 17 e<br />

8 janvier - 8 février 2009<br />

<strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> l'<strong>Odéon</strong> 6 e<br />

4 - 20 février 2009<br />

Ateliers Berthier 17 e<br />

7 - 29 mars 2009<br />

<strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> l'<strong>Odéon</strong> 6 e<br />

12 - 25 mars 2009<br />

Ateliers Berthier 17 e<br />

26 mars - 11 avril 2009<br />

Ateliers Berthier 17 e<br />

2 - 11 avril 2009<br />

<strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> l'<strong>Odéon</strong> 6 e<br />

7 - 17 mai 2009<br />

Ateliers Berthier 17 e<br />

<strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> l'<strong>Odéon</strong> 6 e<br />

20 mai - 25 juin 2009<br />

<strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> l'<strong>Odéon</strong> 6 e<br />

27 mai - 6 juin 2009<br />

Ateliers Berthier 17 e<br />

11 - 21 juin 2009<br />

Ateliers Berthier 17 e<br />

Tartuffe<br />

<strong>de</strong> Molière<br />

mise en scène Stéphane Braunschweig<br />

Ricercar<br />

<strong>Théâtre</strong> du Ra<strong>de</strong>au<br />

mise en scène François Tanguy<br />

Othello<br />

<strong>de</strong> William Shakespeare<br />

mise en scène Éric Vigner<br />

Le Songe d'une nuit d'été<br />

<strong>de</strong> William Shakespeare<br />

mise en scène Yann-Joël Collin, La Nuit Surprise par <strong>le</strong> Jour<br />

Trois contes <strong>de</strong> Grimm<br />

(La Jeune Fil<strong>le</strong>, <strong>le</strong> diab<strong>le</strong> et <strong>le</strong> moulin, L'Eau <strong>de</strong> la vie, La Vraie Fiancée)<br />

d'après Les Frères Grimm<br />

mise en scène Olivier Py<br />

spectac<strong>le</strong>s pour tous, à partir <strong>de</strong> 7 ans<br />

Gertru<strong>de</strong> (Le Cri)<br />

<strong>de</strong> Howard Barker<br />

mise en scène Giorgio Barberio Corsetti<br />

Le Cas Blanche-Neige<br />

(Comment <strong>le</strong> savoir vient aux jeunes fil<strong>le</strong>s)<br />

<strong>de</strong> Howard Barker<br />

mise en scène Frédéric Maragnani<br />

Le Soulier <strong>de</strong> satin<br />

<strong>de</strong> Paul Clau<strong>de</strong>l<br />

mise en scène Olivier Py<br />

Les Européens<br />

(Combats pour l'amour)<br />

<strong>de</strong> Howard Barker<br />

mise en scène Christian Esnay<br />

Tab<strong>le</strong>au d'une exécution<br />

<strong>de</strong> Howard Barker<br />

mise en scène Christian Esnay<br />

John Gabriel Borkman en al<strong>le</strong>mand surtitré<br />

<strong>de</strong> Henrik Ibsen<br />

mise en scène Thomas Ostermeier<br />

Turbu<strong>le</strong>nces<br />

festival <strong>de</strong> jeunes compagnies<br />

La Dame <strong>de</strong> chez Maxim<br />

<strong>de</strong> Georges Fey<strong>de</strong>au<br />

mise en scène Jean-François Sivadier<br />

Faust en lituanien surtitré<br />

d'après Johann Wolfgang von Goethe<br />

mise en scène Eimuntas Nekrosius<br />

Saison 2008 - 2009<br />

Petites Histoires <strong>de</strong> la folie ordinaire en roumain surtitré<br />

<strong>de</strong> Petr Ze<strong>le</strong>nka<br />

mise en scène Radu Afrim<br />

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