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Evèque Ricci (1830, Louis de Potter)

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MÉMOIRES i

DE

SCIPION DE RICCI

1

ÉVÊQUE DE PISTOIE ET PRATO

Sous le règne de Léopold d'Autriche, grand -duc de Toscane.

PAR DE POTTER .

TROISIÈME ÉDITION BELGE , ENTIÈREMENT RECONDUE

SUR UN NOUVEAU PLAN .

Tout pouvoir qui n'est pas basé sur

la raison , qui est sans frein el sans

contrôle , aboutit nécessairement à

des monstruosités . *

DE POTTER , le Système catholique.

( Sous presse .)

JERSEIENS

ROOMS ẠLOHEN

SA

BRUXELLES ,

A. LABROUE ET COMPAGNIE , IMPRIMEURS ,

RUE DE LA FOURCHE , ' 36 .

S.ut

1857


PRÉFACE .

Le candide et pieux évêque dont nous retraçons la vie ,

avait assemblé beaucoup de matériaux , et des matériaux

pour la plupart d'un grand intérêt et uniques dans leur

genre ; il avait formé le projet de publier lui -même ses

Mémoires . Mais , détourné de ce soin par d'incessants tra

vaux , par une carrière agitée , et finalement par des per

sécutions sans nombre et de longs chagrins, il ne laissa

que quelques pages de sa propre rédaction , et tout ce

qu'il fallait pour faire du reste , en le coordonnant , une

histoire complète des réformes religieuses tentées en Tos

cane par le grand - duc Léopold .

La bibliothèque entière et les riches archives de la

famille Ricci ayant été mises à notre disposition pendant

MÉMOIRES DE RICCI . 1


6

l'année 1823 , nous y puisâmes , sous les yeux des deux

neveux du prélat , et de leur commensal , l'ami constant

et éclairé de la maison , les documents authentiques qui

ont servi à composer ce livre . Il est superflu de dire que

MM . Ricci savaient ce que nous avions l'intention de faire

de ce travail . Mais il peut être bon de ne pas laisser

ignorer que l'ami de la maison , qui n'était autre que le

comte Fossombroni , alors premier ministre du fils de

Léopold , le grand-duc Ferdinand III , nous approuvait

fort , et nous encourageait sans cesse à poursuivre une

entreprise dont personne en Toscane n'aurait pu s'occu

>

2

per sans péril .

La vie de Scipion de Ricci fut publiée à Bruxelles pour

la première fois en 1825 ( 3 vol . grand in -8° ) , et pour

la seconde , l'année suivante , édition revue et augmentée

( 3 vol . in -18 ) . Ces deux éditions , les seules que l'auteur

avoue, épuisées depuis longtemps , ne sont plus dans le

commerce de la librairie .

Avant de faire paraître la Vie de Ricci en Belgique ,

pour laquelle , semblait- il à l'auteur , elle offrait peu

d'utilité à une époque où l'on y avait bien plus à redouter

le despotisme gouvernemental que les intrigues des jé

suites , le manuscrit fut présenté aux éditeurs parisiens

dont pas un seul n'osa l'accepter. Il est vrai qu'alors en

France les jésuites étaient plus menaçants que le pou

voir .

Néanmoins , à peine l'ouvrage fut- il sorti des presses


7

belges , qu'on le réimprima à Paris , en contrefaçon . Cette

édition française, que la peur avait fait tronquer dans ses

parties principales et ses passages les plus saillants , fut

cependant étendue en quatre volumes . La vie de Ricci

obtint en outre les honneurs de la traduction : elle fut

publiée en allemand ( Stuttgard , 1826 , 4 volumes ) et en

anglais ( Londres , Colburn , 2 volumes ) .

Comme de raison , les dévots ne pouvant crier à la ca

lomnie , crièrent au scandale; nous leur répondimes avec

l'évêque toscan dont nous ne faisions d'ailleurs qu'exé

cuter le dessein : « J'ai pensé que l'amour de la justice et

de la vérité rendait indispensable la rédaction de ces Mé

moires. J'étais le seul qui pût raconter certains faits

importants, et mettre au jour quelques pièces qui , jus

qu'alors, avaient été complètement ignorées , ou sur les

quelles on avait le plus grand intérêt à garder le silence .

Le public cependant avait droit à la révélation de ces

faits , que je rapporterai en les appuyant , non sur des

bruits vagues et peu sûrs , mais exclusivement sur des

documents vrais et irrefragables. Peut- être que cette

franchise hardie déplaira à ceux qui voudraient qu'on les

épargnât aux dépens des autres ; mais je ne puis ni ne

veux commettre une injustice manifeste , en supprimant

les vérités les plus nécessaires que l'on sache , afin que

la postérité bien informée traite chacun comme il le

mérite . »

Et pour ce qui est du honteux éclat ,

nous ajouterons,


- 8

avec le pape saint Grégoire le Grand, que , lorsqu'il s'agit

de rendre témoignage à la vérité , il faut compter pour rien

le scandale qui en peut naître . Le blâme qu'emportent

des actes coupables, retombe de tout son poids sur ceux

qui les ont commis , et ne saurait atteindre l'historien

qui signale le mal afin qu'on ne le commette plus à

l'avenir .

D'ailleurs, il n'y aura de scandalisés que ceux qui au

ront voulu l'être. Nous ne prenons personne au dépourvu :

de même que , dans la préface du Résumé de l'Histoire du

christianisme, nous avertissons que le livre peut être mis

aux mains de tous , sans distinction d'âge ni de sexe , de

même nous nous faisons un devoir de déclarer ici que les

Mémoires de l'évêque de Pistoie et Prato ont été spéciale

ment écrits pour les hommes sérieux , aux yeux desquels

il est bon de mettre à nu les plus dégoûtantes plaies de

la société afin de les convaincre qu'il faut y appliquer

fer et le feu . En effet, en abrégeant notre grande Histoire

du christianisme, nous en avons retranché les passages

qui n'intéressaient que les érudits , curieux de tout savoir ;

il nous a été impossible de faire de même en refondant

la vie de Scipion de Ricci . Les documents qu'il eût fallu

éliminer sont précisément ceux qui , comme nous venons

de le dire , donnent à l'ouvrage la seule valeur dont il

soit susceptible . Nous répétons donc et avec intention :

Que celui qui a les oreilles plus chastes que l'évêque Ricci

s'abstienne de nous lire , et si , après nous avoir lu , il


9

croit avoir à se plaindre,

nous .

que du moins ce ne soit pas de

Un mot maintenant sur cette troisième édition belge

des Mémoires de Ricci . Elle contient exactement les

mêmes faits que les deux éditions précédentes, et tous les

faits consignés dans ces éditions ; mais la matière y est

disposée dans un autre ordre , et le récit, débarrassé de

toutes les considérations étrangères au sujet, en est de

venu plus rapide et, par conséquent , plus précis , plus

concis . Les pièces à l'appui , qui avaient été rejetées dans

les notes , sont ramenées au texte même, et font corps

avec l'ouvrage . Les expressions qui eussent été choquantes

pour des oreilles françaises, ont été supprimées et rempla

cées par les mots équivalents italiens ou latins , empruntés

à l'original et qu'aurait employés le religieux et crédule

évêque . Nous n'avons pas cru devoir pousser le scrupule

plus loin .

Enfin , lorsqu'il arrive que nous croyions devoir appré

cier les événements que , communément, nous ne faisons

qu'exposer , les jugements que nous en portons aujour

d'hui different essentiellement, nous devons en prévenir ,

de ceux que nous émettions il y a trente ans . Il n'y a là

rien d'étonnant. L'auteur a subi , dans cet intervalle de

temps , si riche en enseignements de toute espèce , une

transformation complète : du xvil siècle , il est passé au

xix® , où le besoin d'un nouvel ordre social , fondé sur la

raison , est plus vivement senti qu'on ne sentait cin

>

1 .


10 -

quante ans plus tôt , le besoin de déblayer le terrain des

contradictions que le temps avait signalées dans l'an

cienne organisation de la société . L'auteur a , pendant

toute sa vie , combattu la foi qui , depuis qu'il n'est plus

possible de comprimer la discussion et d'empêcher le

doute , est devenue incapable de maintenir l'ordre parmi

les hommes réunis . D'abord il l'a fait de sentiment ;

maintenant il se rend compte des motifs qui le portent à

persévérer dans cette guerre aux doctrines non démon

trées , et par conséquent il en est d'autant plus animé à la

poursuivre .

Seulement , distinguant les époques , il rend sincère

ment hommage aux bienfaits que la foi, pendant des siè

cles , a répandus sur le monde ignorant et docile ; il re

connaît que la soumission sincère à une autorité révélée ,

que la résignation consciencieuse à l'ordre établi, quelles

que fussent les souffrances dont cet ordre était cause ,

pouvaient alors , exclusivement à tout autre principe de

stabilité , sauver le monde de l'anarchie et de la décom

position .

Et il respecte les hommes qui , en dépit de l'évidence

rationnelle , se flattent encore de ramener cette autorité

avec l'ordre dont elle est la base , en restaurant les

croyances déchues . L'amour de la conservation les aveu

gle ; l'incertitude toujours croissante des esprits et la

désorganisation sociale en progrès accéléré ne leur des

silleront les yeux que trop tôt .


- 11

Quant à ceux qui prétendent conjurer le désordre par

la confusion même , qui se flattent de faire contribuer les

passions individuelles au bien commun , en les affranchis

sant de plus en plus de toute règle commune , nous n'a

vons rien à leur dire : l'anarchie seule pourra faire

tomber les cataractes qui leur cachent la vérité.



MÉMOIRES

DE

SCIPION DE RICCI

ÉVÊQUE DE PISTOIE ET PRATO .

CHAPITRE PREMIER .

Naissance de Ricci . Sa famille .

Jésus . Crédulité de Ricci .

l'église et de l'état .

Les Médicis . La compagnie de

Ricci , janseniste .

Séparation de

Scipion de Ricci naquit à Florence le 9 janvier 1741 .

Il était le troisième fils du sénateur président Pierre -Fran

çois de Ricci , ct de Marie -Louise, fille de Bettino Ricasoli ,

baron de la Trappola et Rocca Guicciarda , et capitaine de

la garde suisse du souverain de la Toscane ,

La famille des Ricci était fort ancienne . Robert de Ricci

s'était rendu fameux par ses débordements et ses crimes

dans la seconde moitié du xviº siècle , sous la protection

du grand-duc François de Médicis , amant d'abord , puis

mari de la courtisane vénitienne Bianca Capello . La cor


- 14

ruption , l'assassinat, l'empoisonnement régnaient en Tos

canc avec l'opulente maison des négociants florentins, qui

avaient acheté le droit d'exploiter leurs concitoyens en les

dominant . Alexandre de Médicis , le premier duc , bâtard

du duc d'Urbin ou du pape Clément VII , bâtard lui -même ;

Alexandre , disons-nous , soutenu par Charles- Quint, dont

il avait épousé une fille naturelle , ouvrit celte ère gouver

nementale de débauche et de forfaits : son successeur Côme ,

créé grand-duc , fut le Tibère de la Toscane . Après avoir

tué Sforza Almeni , son favori, qui avait trahi le secret de

ses vices , Côme de Médicis laissa après lui un recueil de

recettes pour composer des poisons . Il était fort lié avec le

pape saint Pie V , auquel il sacrifia Pierre Carnesecchi ,

suspect d'opinions hétérodoxes . Ce fut pour le grand -duc

François , fils de Côme , que Robert de Ricci assassina Pierre

Bonaventuri , le mari de Bianca Capello , qui n'était encore

alors que la maîtresse du prince .

Jean-Gaston , le dernier des Médicis , ne pouvant léguer

la Toscane aux sicns , résolut de lui rendre la liberté . Mais

les moeurs publiques n'étaient plus à la hauteur des insti

tutions républicaines . Aussi les souverains d'Europe eurent

ils peu de peine à imposer de nouveaux maîtres à la Tos

cane . Nous voyons ici reparaître les Ricci . Ils étaient en

défaveur auprès de la famille régnante de Lorraine , contre

laquelle ils avaient pris parti en combattant pour la cause

des Bourbons d'Espagne . Les oncles du jeune Scipion n'a

vaient donc rien à espérer pour lui de la cour d'Autriche :

ils envoyèrent leur neveu , dès l'âge de quinze ans , à Rome ,

étudier sous les jésuites .

à

1


15

La compagnie de Jésus , qui a fait tant de bruit dans le

monde et qui l'effraie encore par le préjugé de son an

cienne réputation , était alors au plus haut point de sa puis

sance , mais aussi au bord du précipice où elle allait s'en

gloutir. La mère de Scipion n'aimait pas les jésuites , et le

prêtre qui jusqu'à ce moment lui avait servi de précepteur ,

leur était positivement contraire . La nécessité de le placer

avantageusement, comme on s'exprime , et d'une manière

honorable l'emporta néanmoins sur toute autre consi

dération , et Ricci devint le disciple de la compagnie de

Jésus .

Mais , soit que des idées préconçues l'eussent mal disposé

à l'égard des jésuites , soit que réellement il découvrit chez

eux des doctrines et des maximes de conduite qu'il ne pou

vait approuver , toujours est- il qu'il finit par se lier , à Rome

même , avec les antagonistes les plus déclarés de la com

pagnic , et que lui -même nc tarda pas à augmenter leur

nombre .

Scipion de Ricci était loin cependant d'être imbu des

principes philosophiques qui commençaient à percer à

son époque . Il était profondément convaincu de la vérité

des croyances dans lesquelles il avait été élevé , ce qui , joint

à une tendance marquée à la crédulité , le prédisposait sin

gulièrement aux aberrations superstitieuses . Il nous ra

conte naïvement qu'étant encore chez les jésuites , il lui

vint au genou une tumeur qu'aucun remède ne parvenait

à guérir . Déjà les médecins allaient faire procéder à l'am

putation de la cuisse , lorsque le malade s'avisa d'appliquer

sur le mal une image représentant le vénérable Hippolyte


1

-

16

Galantini , un des frères de la doctrine chrétienne, connus

sous le nom de Bachettoni . Sa confiance était sans bornes ,

sa foi robuste , et le mal probablement moins grave que les

médecins ne l'avaient supposé . Ricci fut bientôt guéri , et

guéri , il en demeura persuadé , miraculeusement .

Il avait été soigné chez le chanoine Bottari , regardé par

les jésuites comme le chef des jansenistes à Rome . Sa con

version à la triste et sévère doctrine de Jansenius y fut

rendue irrévocable . Elle avait été préparée par le dégoût

que lui inspiraient le molinisme, le congruisme, la science

moyenne , à l'aide de laquelle Dieu voit les futurs contin

gents , et autres notions creuses qui servaient aux jésuites

pour réſuter les raisonnements tout aussi vides de sens des

disciples de l'évêquc flamand . Il ne s'en montra pas moins

juste envers les pères Boscowich , Lazzeri et Benvenuti , ses

professeurs d'histoire et de sciences exacles , auxquels

il ne cessa jamais de témoigner sa reconnaissance et son

estime ,

Nous ne passerons pas sous silence un autre trait de la

simplicité et de la piété du jeune Scipion , qui suffirait seul

pour faire connaître le fond de son caractère . Il avait vu dans

une prophétic de saint François Borgia la promesse faite à

tous les membres de la compagnie de Jésus , savoir celle du

salut éternel , qui leur était assuré du moment et pour cela

seul qu'ils se faisaient jésuites. Comme il était encore plus

désireux de gagner le paradis qu'il n'avait d'aversion pour

contradiction étrange pour un esprit

aussi logique - y menait avec certitude , il se décida à se

faire affilier à la compagnie célèbre . Dès qu'ils eurent con

le jésuitisme qui -


- 17

naissance de ce projet, ses parents , probablement moins

confiants que lui dans saint François Borgia , le rappelèrent

en Toscane .

Entré à l'université de Pise (1788 ) , Ricci , après avoir

terminé ses études profanes, alla faire son cours de théo

logie à Florence , sous les moines bénédictins du Mont-Cas

sin , où le père Buonamici était lecteur . Il y embrassa

définitivement la doctrine augustinienne, - c'était le jan

sénisme déguisé sous une terminologie orthodoxe , --- qui

se composait de deux parties distinctes : l'une spéculative

concernant la grâce , ou la prédestination , ou le fatalisme ,

qui, ergoterie à part , sont une seule et même chose ; l'autre

pratique , qui faisait refuser à l'église , non -seulement toute

autorité , mais encore toute intervention dans les affaires du

monde , et borner strictement son pouvoir et son influence

aux intérêts de la conscience et aux choses de la religion .

Cette dernière idée , faisons -le remarquer en passant, était

dépourvue de tout sens rationnel, et n'avait pu être inspirée

que par l'incompatibilité de l'examen qui s'imposait , avec

la foi qui s'évanouissait ; de l'instruction qui échappait à

toute direction , avec l'éducation que l'instruction absorbait

de plus en plus ; du besoin en un mot de démolir pour

réformer , avec la nécessité de conserver pour vivre .

La doctrine embrassée par Ricci n'en était pas moins ir

réprochable pour les hommes de son époque, qui la récla

maient avec instance , avec passion . Car il était désormais

impossible de maintenir l'unité sociale chrétienne dont le

catholicisme romain avait été la loi des lois pour la famille

des peuples de l'Occident . Mais on n'avait garde encore d'en


18

tirer la conséquence que c'était en même temps reconnaître

la mort du christianisme, pour la société du moins, puis

que cette religion y serait bornée à l'avenir au rôle très

secondaire d'une opinion pieuse, accidentellement professée

par tel ou tel peuple isolé , le plus souvent par une fraction

de ce peuple , et même par quelques individus , et qu'elle

demeurerait sans force pour soutenir et maintenir unies

les nations qui ne s'appuyaient plus sur elle .

On n'avait garde surtout de se demander comment on dis

tinguerait l'église de l'étal ; comment, en d'autres termes ,

on tracerait clairement et nettement la limite infranchis

sable entre les intérêts de la conscience , les choses de la

religion , comme on dit , et les choses de ce monde , les in

térêts de la vie . Y a - t- il une seule de nos actions qui ne

soit pas souverainement déterminée par nos sentiments ,

nos croyances , notre raisonnement , nos idées , en un mot

par notre conscience ? Et vouloir que l'état , auquel le moin

dre de nos actes importe au plus haut degré , abandonne à

l'église , dont il se sépare, le soin de régler nos pensées , de

diriger notre conscience dont ces actes procèdent ; puis dé

fendre à cette église , dont par conséquent l'éducation , l'in

struction , les moeurs , les habitudes, c'est- à-dire la conduite

tout entière de la vie , dépendent étroitement, lui défendre

de se mêler des choses de ce monde , des intérêts de la

société , n'est-ce pas poser une flagrante contradiction ,

n'est-ce pas demander l'impossible , vouloir l'absurde ?

Cependant c'est là notre état social actuel , et cet état , vu

les connaissances acquises à la société dans les intérêts de

la vie, et l'ignorance complète où elles nous laissent sur

)

7

1


19

les choses de la religion, ne saurait être que ce qu'il est :

aussi nous mène-t-il nécessairement, ou mieux logiquement,

là où mène tout défaut de raisonnement , toute absurdité ; il

nous mène par la confusion à l'anarchie .

à



CHAPITRE II .

Ricci , prétre . – Sa parenté avec le père Laurent Ricci , dernier général deg

jésuites . – Clément XIV , empoisonné .

Bientôt Scipion de Ricci fut ordonné prêtre (1766) et

presque immédiatement nommé chanoine et auditeur à la

nonciature de Toscane . Il s'y lia avec le chanoine Martini ,

qui , dit- il , le débarrassa de beaucoup de préjugés dont son

éducation , basée sur la théologie des décrétales , l'avait

imbu . En 1772 , il hérita des biens d'un parent de son père ,

nommé Corso de Ricci , chanoine pénitencier de la cathédrale

de Florence, et propre frère du dernier général des jésuites .

Corso de Ricci , quoique élevé par les jésuites comme l'avait

été Scipion , ne les aimait guère et avait beaucoup contribué

à leur aliéner son héritier futur . Il était surtout scandalisé

de leur morale , et ne pouvait leur pardonner la calomnie

du projet de Bourgfontaine : on appelait ainsi une préten

2 .


22

due conspiration de jansenistes pour renverser le christia

nisme (1621 ) ; cette conspiration dont les jésuites s'étaient

bien gardés de jamais nommer aucun des auteurs ou des

complices , avait été , disaient- ils , révélée au jésuite Filleau

par un ecclésiastique de mérite , sans autre désignation .

Ricci se trouva de cette manière en relation avec le gé

néral des jésuites dont la compagnie venait d'être supprimée

par le pape Clément XIV . Ce fut aussi au jeune chanoine

que le père Laurent s'adressa pour demander un asile dans

son hôtel à Florence. Ricci en référa au grand-duc , qui ne

s'opposa pas à ce que le général déchu vînt habiter ses

états et même sa capitale . Toutefois, Léopold , qui savait à

quoi s'en tenir , ajouta en souriant : « Je ne crois pas qu'on

lui permette de quitter Rome . » En effet, Laurent Ricci,

gardé à vue au collége anglais , ſut bientôt transféré au

château Saint-Ange , où il mourut. Le pape Ganganelli l'a

vait précédé un an auparavant .

« La relation de sa maladie ( de Clément XIV ) et de sa

mort , dit Ricci , envoyée à la cour de Madrid par le ministre

d'Espagne auprès du saint-siége , contient la preuve non

équivoque que le pape avait été empoisonné . Néanmoins ,

ni les cardinaux , ni le nouveau pontife ne firent faire au

cune enquête sur cet événement .

L'accusation est aussi positive que grave . Rapportons en

quelques lignes les preuves sur lesquelles le futur évêque

de Pistoie se fondait .

Elles sont contenues dans un écrit conservé aux archives

Ricci, et qui fut publié à Florence en italien et en latin ( 1778) ,

sous le titre suivant : Histoire de la vie, des actions et des

1 )

2


23

vertus de Clément XIV . Avant la relation de la maladie et

de la mort de Ganganelli , communiquée à la cour d'Espagne ,

l'écrit en question présente une espèce d'énumération des

plus grands crimes attribués aux jésuites , en Angleterre ,

en Portugal , en France , en Hollande , à la Chine , au

Japon , etc. , et nommément une tentative d'empoisonnement

sur l'empereur Léopold jor , l'empoisonnement d'Inno

cent XIII , etc. , etc .; puis viennent les bruits répandus sur

la mort prochaine du pape , les trames ourdjes contre lui ,,

les menaces qu'il entendait sans cesse répéter de toutes

parts , son affaissement moral, la prostration de ses forces,

les symptômes de son mal , sa mort , le procès -verbal de

son autopsie , et les signes d'intoxication apparus sur son

cadavre . Nous indiquons les pièces du procès ; c'est à la

postérité à prononcer la sentence .



-

CHAPITRE III .

Pie VI . --- Appréciation de la cour de Rome par Ricci . L'abbé Serao ,

plus tard évêque de Potenza . Relations entre Ricci et l'ex -général

Laurent , —- Frédéric le Grand et la grande Catherine accueillent et pro

tégent les jésuites supprimés .

Le cardinal Ange Braschi, créature des jésuites et un

moment soupçonné d'avoir été l'instrument de leur ven

geance , succéda à Clément XIV , sous le nom de Pie VI .

« Il est à supposer , dit Ricci , que les princes de la maison

છે

de Bourbon , avant de dissoudre le conclave , l'obligèrent à

promettre de ne jamais rétablir la compagnie de Jésus , et

de tenir le général en prison . » En effet, c'est la logique

des passions : la lutte entre la force du pouvoir civil et

l'autorité de la puissance religieuse avait été longue et sur

tout vive et acharnée ; les rois s'étaient vus plus d'une fois

vaincus et humiliés . Devenus les maîtres , ils humiliaient et

frappaient à leur tour .

9


26

Le chanoine Ricci alla à Rome pour assister aux cérémo

nies de l'exaltation du nouveau pontiſe . Parent du dernier

général des jésuites,protégé par le cardinal toscan Torrigiani ,

qui était dévoué à la compagnie éteinte , et estimé pour son

équitable modération au milieu des deux partis qui divi

saient l'église , rien ne fut négligé pour attacher Scipion de

Ricci à la cour romaine ; mais il repoussa les offres les plus

brillantes parce que — c'est lui qui parle “ je sentais

que , dans aucun lieu du monde , le projet de faire ce qu'on

appelle fortune n'est aussi incompatible que là avec la pos

sibilité de demeurer honnête homme ... Je résolus de ne

pas même y songer , tant je conçus d'horreur pour les ma

néges dont je fus témoin , quand je vis clairement que la

dissimulation la plus profonde régnait parmi les prélats :

je n'eus pas la force de cacher mon aversion et mon indi

gnation à ceux de mes amis qui s'avilissaient par ces bas

scsses et par ces adulations de courtisan . »

A la lecture de ces paroles, l'imagination se reporte in

volontairement , pour ainsi parler , aux malédictions lancées

par Jésus contre les scribes et les pharisiens .

De Rome , Ricci se rendit à Naples où il se lia avec l'abbé

François Serao, régaliste comme lui , qui devint évêque de

Potenza , et que les hordes du cardinal Ruffo égorgèrent en

1799 comme républicain , parce qu'il avait soutenu les pré

tentions du roi des Deux - Siciles dans ses querelles avec le

saint - siége . Nous reviendrons plus tard sur les atrocités du

lerrorisme monarchique à cette déplorable époque .

A son retour de Naples , le chanoine Ricci , en passant par

Rome , alla voir le pape , qui saisit l'occasion de sa visite


27

pour blåmer amèrement les réformes opérées par la maison

d'Autriche en Allemagne et en Toscane . Il se calma aussitôt

que Ricci lui eut demandé de pouvoir communiquer avec

l'ex-général des jésuites . Pie VI aurait volontiers accordé

la permission voulue, mais il ne l'osa point : il renvoya

Ricci au cardinal Giraud , son auditeur, lequel , pressé de

répondre catégoriquement , articula un reſus formel. Le

cardinal Torrigiani se flattait encore que finalement le gé

néral Ricci serait rendu à la liberté . Ce fut le janseniste

Ricci qui lui fit comprendre que les amis des jésuites , c'est

à-dire le pape et toute sa cour , « se moquaient de lui . »

Le jeune prêtre florentin n'en trouva pas moins toutes

les facilités possibles pour correspondre avec son parent

détenu , dont la mise au secret n'était rigoureuse qu'aux

yeux des souverains qui l'avaient exigée . Il recut de cette

manière une copie des interrogatoires que le général avait

subis au château Saint-Ange, ainsi que de la protestation

de son innocence , écrite et signée de sa main . Ces pièces

originales reposent aux archives Ricci.

Elles confirment de tous points ce que nous avons dit

plus haut, savoir que la suppression des jésuites et la

punition de leur général sont du nombre des actes qu’on

nomme politiques pour ne pas convenir qu'ils sont immo

raux . Quoi qu'il en pût être des jésuites passés , les religieux

présents n'en étaient pas comptables, et l'aveu que le juge

instructeur ne put se dispenser de faire à l'ex-général , en

lui disant qu'il n'était détenu pour aucun délit, démontre

surabondamment que Laurent Ricci mourut prisonnier d'état

sans pour cela être criminel .

7


28

Nous terminerons ce chapitre en faisant remarquer que

l'oraison funèbre du général Ricci fut prononcée solennel

lement à Breslau , dans l'église des jésuites , qui portèrent

aux nues celui qu'ils appelaient la gloire de leur siècle , le

prince philosophe , l'égal de Marc-Aurèle et d'Antonin ,

d'Auguste et de César , l'hérétique et , ce qui était pis , phi

losophe roi de Prusse , en un mot , Frédéric le Grand. Quel

ques années plus tard , des jésuites se trouvaient établis

comme tels , avec un provincial de leur ordre , sous la ju

ridiction de l'évêque de Mohilew et la protection d'une

souveraine également hérétique , philosophe et grande, sa

voir l'impératrice Catherine . En 1783 , Pie VI accorda le

pallium d'archevêque de Mohilew à l'évèque de Mallo , qui

avait commis l'indiscrétion de publier que le pape permet

tait aux jésuites de vivre en Russie selon les règles de leur

institut , comme s'ils n'avaient pas été supprimés .


CHAPITRE IV .

Incontri , archevêque de Florence . — Projet d'une académie ecclésiastique .

- Le catéchisme janseniste substitué au catéchisme ain .

De retour dans sa ville natale , Ricci fut nommé vicaire

général et vicaire ad causas de l'archevêque Incontri ,

Ce prélat avait pendant quelque temps coopéré avec le

grand -duc aux réformes que le gouvernement introduisait

dans la discipline extérieure de l'église , et les jésuites

l'avaient poursuivi de leurs insinuations malveillantes . Mais

finalement, le voyant ému de leurs malheurs, ils exploité

rent adroitement ce sentiment d'humanité , et réussirent à

l'attirer dans leur parti qu'ils eurent soin , comme de cou

tume, de confondre avec les intérêts de la cour de Rome ,

confondus eux -mêmesavec les intérêts de la religion . Fa

vorisés par le prélat , les moines supprimés s'emparèrent des

chaires et des confessionnaux, au point que le gouvernement

crut devoir résister au torrent envahisseur en érigeant en

3 -


- 30

loi de l'état la circulaire de Clément XIV , qui avait interdit

aux anciens pères la confession et la prédication . C'était

l'effet d'une réaction aussi illogique de la part du pouvoir

temporel , que l'avait été l'action de l'autorité spirituelle

lorsqu'elle avait persisté à se croire la seule autorité sociale

après même qu'elle avait cessé d'être quelque chose dans la

société .

A peine revêtu de son emploi , Ricci fut chargé par le

grand -duc de dresser le plan d'une académie ecclésiastique,

destinée à régulariser les études du clergé. Pour atteindre

son but , il s'adressa , en leur demandant des lumières, aux

« amis de Paris et d'Utrecht, » c'est- à-dire aux coryphées

du jansenisme. L'académie ecclésiastique ne fut pas

formée

pour le moment, mais les matériaux recueillis par le vicaire

général ſurent utilisés par lui lors de sa nomination comme

évêque de Pistoie et Prato .

Après cette commission gouvernementale , Ricci reçut

celle de faire accepter dans toute la Toscane le catéchisme

français de l'évêque appelant Colbert , traduit en italien par

le chanoine Burelli , ou plutôt , s'il y avait moyen , celui du

janseniste reconnu Mézenguy , tous deux du reste diamé

tralement opposés aux prétentions curialistes du saint -siége .

L'archevêque avait peur d'irriter le pape qui soutenait opi

niâtrément l'ancien catéchisme de Bellarmin ; il lui sacrifia

:

Mézenguy mais il avait une peur plus grande encore de

déplaire à Léopold ; il fit adopter le catéchisme de Colbert ,

છે.

approuvé dans le temps ( 1717 ) par l'archevêque de Flo

rence La Gherardesca, mais aussitôt après mis à l'index par

le saint- office pontifical.


CHAPITRE V.

Introduction en Toscane des écrits jansenisles . - Publication par Ricci

des wuvres de Machiavel . Le droit d'examen et de discussion se conso

lide . Le chanoinc Martini .

N'ayant pas réussi à faire rejeter le catéchisme de Col

bert , Rome s'attacha à troubler la publication de l'Histoire

ecclésiastique de l'abbé janseniste Bonaventure Racine, qui

venait d'être traduite par plusieurs jeunes prêtres sous

les auspices du gouvernement . Elle essaya aussi d'entraver

la réimpression des æuvres de Machiavel , dont Ricci faisait

lui-même préparer une édition nouvelle par les abbés Tan

zini et Follini , ce dernier son secrétaire , sur les manuscrits

de l'illustre historien florentin , qu'il possédait en sa qua

lité de descendant par les femmes du dernier rejeton de

la famille Machiavelli. Le nonce Crivelli échoua dans ses

efforts . Il avait d'abord réussi à alarmer la conscience de

l'archevêque ; mais bientôt , celui -ci n'osant pas s'opposer


directement à la publication de l'écrivain si redouté par le

saint-siége , se borna à demander à l'abbé Tanzini s'il était

autorisé à lire les ouvrages d'un auteur condamné par

l'église, au premier chef. Tanzini , ne sachant trop que ré

pondre , cut recours à Ricci qui , pour la somme insignifiante

de quelques francs, fit immédiatement venir de Rome la

permission la plus ample , pour ses deux éditeurs , de lire

tous les livres défendus en général , et en particulier les

écrits de Machiavel .

Nous ferons observer à ce propos qu’une des consé

quences les plus infaillibles des querelles entre les jansé

nistes et les molinistes fut l'application de plus en plus

large et plus formelle , par les individus , de la faculté intime

d'examen , par la société , du droit public de libre discus

sion . La chose est toute simple : pour décider les questions

soulevées , il fallait comparer les raisons apportées des deux

parts , à la demande surtout de ceux qui avaient le moins

d'autorité pour faire prévaloir les leurs. C'étaient , dans le

cas présent , les jansénistes, qui , de cette manière, devinrent

les plus chauds partisans de la liberté de la presse , laquelle

finit par faire justice d'eux aussi bien que de leurs adver

saires . Car au fond le raisonnement des uns ne valait guère

mieux que celui des autres . La société en savait tout juste

assez pour le voir au premier coup d'ail ; mais cela ne

l'avançait guère , puisqu'elle ignorait absolument , comme

elle ignore encore , quel est le seul bon raisonnement . Les

jansénistes et les jésuites auront puissamment contribué à

rapprocher l'époque où la nécessité , délerminée par une

anarchie générale , forcera à le découvrir .

1


A l'époque dont nous parlons , la publication bruyante ,

par des prêtres , que soutenait un prince catholique , des

@uvres de l'historien que les papes détestent le plus cor

dialement , publication réalisée au mépris de la censure

ecclésiastique , ce palladium de la puissance pontificale, cette

publication fut un véritable événement .

Sur les entrefaites, Ricci avait perdu son ancien collègue

à la nonciature , le chanoine Martini , chef de la nouvelle

école théologique en Toscane . Martini avait habité Rome

sous le pontificat de Benoît XIII , et il s'y était lié avec les

estimables parlementaires, comme Ricci les appelle , que la

bulle Unigenitus avait forcés de sortir de France . En sa

qualité d'auditeur à la nonciature de Toscane , Martini ser

vit les papes Corsini , Lambertini , Rezzonico et Ganganelli ;

celui -ci l'invita à se rendre à Rome pour l'éclairer sur les

différends qui venaient de surgir entre la Toscane et le

saint-siége relativement au tribunal de l'inquisition . Mar

tini, après avoir établi l'augustinianisme au sein du jeune

clergé de son pays , mourut— c'est Ricci qui nous l'apprend

- en bon janseniste.

9

3 .



CHAPITRE VI .

Ricci , évêque . Le diocèse de Pistoie et Prato . L'évèque Ippoliti .

Abus des serments. Ricci et le pape. – Examen canonique de Ricci .

Son sacre . - Il voudrait relever le diocèse de Pralo .

Nous allons voir Ricci figurer sur un plus vaste théâtre

en montant sur le siége épiscopal de Pistoie et Prato .

Ce diocèse , sous le pontificat d'Alamanni , prédécesseur

d'Ippoliti , auquel Ricci succéda , avait été divisé en deux

partis ou factions, le parti des jésuites que le prélat avait

renvoyés de ses écoles , et le parti du père Concina, domini

cain , qu'il avait préposé aux études ecclésiastiques. Le gou

verneur O'Kelly protégcait les jésuites ; l'évêque était à la

tête des concinistes, et finalement le gouvernement dut

s'interposer pour maintenir l'ordre en défendant les dis

putes .

Le vieux Ippoliti, mené par les gens de sa maison , qui ,

sous son nom , administraient tout le diocèse , n'eut garde


36

de réveiller ces ridicules querelles . Il avait cependant une

opinion arrêtée à leur égard , et lorsqu'il se fut lié avec

Ricci au point de lui confier sa pensée intime , il ne dissi

mula pas le plaisir qu'il prenait à la lecture des écrits sortis

de Port-Royal , et des Nouvelles ecclésiastiques, ce pamphlet

religieux qui ne disparut que devant les diatribes démago

giques du père Duchêne .

Quand Ippoliti mourut ( 1779 ) , Ricci fut nommé évêque

pour lui succéder.

Il se rendit à Rome où il devait subir l'examen de rigueur

et recevoir l'institution canonique . Il y fut bien accueilli ,

sur la recommandation de l'archevêque Incontri qui l'avait

comblé des éloges les plus flatteurs. Il venait cependant

tout récemment encore d'être accusé par le nonce Crivelli ,

d'avoir soutenu la cour de Toscane contre le saint-siége dans

l'affaire des serments , laquelle tenait tant à cour au pape .

Voici de quoi il s'agissait : l'usage s'était établi de déférer

le scrment devant les tribunaux pour les causes les plus ſu

tiles . Il en était résulté qu'on se parjurait aussi facilement

qu'on jurait , et que par conséquent le serment ne faisait

qu'aggraver, aux yeux des fidèles, le mal que commettaient

ceux qui parlaient contre la vérité . De Vecchj, vicaire géné

ral du diocèse de Sienne , crut de son devoir de demander

au grand-duc que du moins il mit des bornes à un pareil

scandale, s'il n'était pas encore possible de le faire cesser

entièrement . Le nonce protesta contre ce qu'il qualifiait de

« renouvellement de la cent et unième proposition condam

née par la bulle Unigenitus. » Il lui importait peu , dit

Ricci , qu'on violát les serments , pourvu qu'on en prétat


37

beaucoup , et qu'ainsi on donnât toujours occasion à la puis

sance ecclésiastique d'intervenir.

Nous avons dit que Ricci fut reçu à Rome avec faveur .

Le pape se borna à se plaindre à lui des réformes que le

grand-duc introduisait dans l'église , et qui auraient , préten

dait - il , fini par produire le plus grand mal . Ricci disculpa

son souverain . Mais le pape insista , en ajoutant : « Vous

êtes jeune ; vous le verrez , » et il le congédia .

L'évêque de Pistoie et Prato fut examiné devant Pie VI .

Il nous apprend à cette occasion qu'au fond ce n'était là

qu’une vaine formalité, puisque les examinateurs , qui crai

gnaient encore plus d'être mis dans l'embarras par l'ordi

nand , que celui - ci n'avait peur de ne pas les satisfaire, lui

communiquaient d'avance les questions qu'ils poseraient ,

et lui indiquaient les auteurs où il devait puiser ses répon

ses ; mais c'était , par les accessoires de la cérémonie , une

chose fort sérieuse , car l'examen avait pour but d'humilier

le plus possible le futur prélat , afin de le mieux disposer à

l'obéissance aveugle et passive qu’on exigerait de lui dans

la suite . Ricci fut obligé de se conformer à la coutume con

sacrée , celle de demeurer à genoux , au milieu d’une assem

blée nombreuse , pendant tout le temps que les prêtres exa

minateurs l'interrogèrent .

Ricci fut sacré évêque le 24 juin 1780 .

Son diocèse avait , avant lui , passé par diverses transfor

mations , auxquelles il chercha à mettre un terme définitif.

Au xviiº siècle , le gouvernement toscan avait séparé l'évê

ché de Prato de celui de Pistoie , parce que le prévôt de

Prato , ordinairement choisi dans la famille du prince

>


38

régnant , étant beaucoup plus riche et partant plus puissant

que son évêque , refusait la plupart du temps de lui obéir .

Ce ne fut néanmoins qu'en 1653 , que l'église de Prato

fut érigée en cathédrale , et malgré cela elle demeura sous

l'administration spirituelle de l'évêque de Pistoie , ce qui ,

loin de faire disparaître les difficultés, ne fit que les accroî

tre jusqu'au XVII ° siècle . Ricci tenta , mais en vain , de don

ner à l'érection de l'évêché de Prato la réalité qu'il suppo

sait avoir été dans les intentions du gouvernement et du

saint-siége . Il offrit même la moitié du revenu de sa mense

épiscopale pour en former une à l'évêque de Prato . La mort

de Léopold fit avorter ce projet.

à

>


CHAPITRE VII .

Luttesde Ricci . — L'église de Toscane , sous les Médicis ; sous les Espa

gnols ; sous la maison de Lorraine . Le grand -duc Léopold . - Con

séquences de l'incompressibilité sociale de l'examen . -- Indépendance de

l'église et de l'état . Réformes successives .

Nous entrons dans les détails des luttes que l'évêque

Ricci eut à soutenir dans son diocèse , comme sectaire contro

les jésuites, comme honnête homme contre les turpitudes

de la vie du cloître , dont la piété éteintc faisait une arène

où les passions en délire se livraient à toute espèce d'aber

rations . Nous rendrons compte aussi de ses travaux pour

l'exécution des réformes ecclésiastiques de Léopold , si odicu

ses à Pie VI , et que le grand-duc voulait imposer à son peu

ple , tandis que celui -ci , n'en sentant nullement le besoin ,

était loin d'en saisir le vrai sens , et les repoussait parce qu'il

ne les comprenait pas.

Mais avant de porter nos regards sur les scènes d'intri


40

-

gues et de dévergondage que nous aurons à cette occasion

à dérouler sous les yeux du lecteur , scènes que la cour de

Rome dérobait avec le plus grand soin aux investigations

des fidèles, nous croyons devoir nous permettre une courte

digression sur les vicissitudes par lesquelles l'église de Tos

cane avait passé jusqu'alors.

Les Médicis , mêlés à toutes les cabales des conclaves ,

disposaient en quelque sorte de la nomination des souve

rains pontifes. Pour conserver leur influence auprès du

saint-siége , ils laissèrent celui - ci disposer arbitrairement

des affaires religieuses dans le grand-duché .

Le gouvernement espagnol ne s'inquiéta en aucune ma

nière des intérêts ecclésiastiques , et les choses demeurèrent

sur le même pied .

Sous l'empereur Charles VI de Lorraine , la Toscane fut

administrée par le prince de Craon , qui n'avait d'autre

mission que d'envoyer à Vienne le plus d'argent qu'il pou

vait (1745 ).

A l'avénement de l'empereur François , tout changea de

face. Il chargea le comte de Richecourt de gouverner le

grand -duché en son nom , et Richecourt, despote éclairé si

l'on veut , mais absolu , mais arbitraire , vivement soutenu

par le sénateur toscan Rucellai , commença cette guerre

entre le pouvoir temporel de l'état et l'autorité spirituelle

de l'église , qui ne se termina que lorsque la révolution fran

çaise eut rapproché le trône et l'autel en les culbutant l'un

sur l'autre .

De ce que , socialement parlant , Rome n'était plus rien , le

pouvoir civil chez chaque peuple avait conclu qu'il allait

9


41

être tout . Il fut , comme nous le verrons dans la suite , ru

dement puni de son erreur . Cependant, , sur les entrefaites,

les divers gouvernements s'étaient hâtés de mettre à profit

ec qui leur paraissait le bon moment pour mater le sacer

doce en s'emparant successivement des moyens de domina

tion qui échappaient les uns après les autres aux mains dé

biles des souverains pontiſes. Ce qui généralement les tentait

le plus , c'étaient les grandes richesses du clergé dont ils

cherchèrent à se rendre maîtres d'une manièrc de plus en

plus directe . La première mesure fut celle de défendre aux

gens de mainmorte d'acquérir et de posséder des propriétés.

Le comte de Richecourt, que nous avons nommé plus haut,

fit passer cette défense dans les lois de la Toscane ( 1751 ) .

Puis il revendiqua pour le pouvoir ce qu'il appelait le

droit de censure sur les écrits à publier , après avoir con

damné ce même droit comme un abus intolérable chez les

prêtres . Puis encore , il accusa l'inquisition de la foi de ne

plus servir qu'à épouvanter les fidèles pour les prostituer

aux caprices des inquisiteurs , et il fit fermer les prisons du

saint -office . Enfin , il diminua le nombre des églises curiales

à Florence , chassa l'évêque de Sienne parce qu'il refusait les

sacrements aux sujets qui obéissaient au gouvernement

plutôt qu'aux agents de Rome , et voulut abolir les asiles où

l'église soustrayait les coupables à l'action de la justice .

Léopold , en montant sur le trône grand -ducal , maniſesta

l'intention de séparer nettement le temporel du spirituel .

Il ne songea même pas que , dans l'état donné des esprits , il

n'avait aucun critérium qui pût lui faire juger rationnelle

ment le problème que cependant il se proposait de résoudre .

MÉMOIRES DE RICCI .


42

Avec les meilleures intentions , il ne lui était possible de

déterminer sa part de pouvoir que par un simple acte de

sa volonté , précisément comme les papes contre lesquels

il s'insurgeait , sans cependant qu'il eût le droit d'inculper

leurs intentions , avaient jadis déterminé la leur . C'était

donc toujours et sous toutes ses différentes formes , une

scule et même question , que l'intelligence devait éclaircir

et pour la solution de laquelle elle ne possédait pas les

éléments nécessaires , que la force s'obstinait à décider et

qu'elle ne pouvait jamais trancher définitivement. La raison

demeurait impuissante ; les passions étaient écoutées avec

faveur , et au nom des deux plus impérieuses, l'ambition et

la cupidité, chacun voulait être tout , afin de pouvoir tout

prendre et demeurer ainsi scul maitre de tout .

Précisons franchement la situation .

Ce que désirait le grand-duc Léopold était devenu une

nécessité logique depuis que la société était entrée dans

l'ère nouvelle de l'incompressibilité du libre développement

des intelligences . Dès l'instant que les hommes s'étaient

avoué la contestabilité sociale de toutes les idées ac

quises, les croyances comme les doctrines , les consciences

comme les esprits se trouvaient par le fait même émanci

pés de tout contrôle, puisqu'ils l'étaient de toute règle , et

les lois cessaient de dépendre du droit , de la morale ; la

morale , de la religion : la religion cessait d'être la base de

la société qui n'avait plus aucun rapport avec elle . Il ne

restait pour tout lien social que des lois arbitraires , expri

mant conventionnellement une ou plusieurs volontés , lois

essentiellement changcantes avec les circonstances, les in


45

térêts , l'opinion , et n'ayant pour toute raison d'être que

leur seule existence, pour toute action que celle de punir

comme mauvais les actes qu'elles avaient qualifiés ainsi ,

sans pouvoir cependant empêcher qu'on ne préconisât ces

mèmes actes comme légitimes , comme saints .

Nous n'approuvons pas cet ordre ou plutôt ce désordre

des choses ; loin de là : l'état social que nous venons d’es

quisser , et qui est le nôtre, est à nos ycux , nous ne saurions

le répéter trop souvent , le comble de la déraison ; il ne

peut amener que la désorganisation progressive et des

bouleversements de plus en plus rapprochés. Nous consta

tons cet état , afin que l'on comprenne, non -seulement les

réformes de Léopold et de Ricci , mais encore la marche

actuelle des événements . Vu l'ignorance sociale toujours

existante , et la foi sociale qui n'existe plus , cet état est

forcé , et les conséquences que nous en déduisons , comme

les faits qui en découlent, sont inévitables .

Le seul tort des réformateurs du dernier siècle , et entre

autres de Léopold et de Ricci, qui acceptaient la séparation

de l'église et de l'état comme un fait accompli , fut, tout en

reconnaissant que l'état était désormais indépendant de

l'église , d'avoir cru que l'église pouvait demcurer dépen

dante de l'état . De là sont nées les fautes et les injustices

commises par les souverains de la maison d'Autriche et de

celle des Bourbons, de la république française et de leurs

imitateurs . Tant qu'il n'y a point eu séparation , l'église

a dû dominer l'état ; et elle l'a dominé en effet : la sépara

tion une fois réalisée , l'indépendance de l'état a été abso

lue , mais celle de l'église aurait dû l'être aussi . Avant la

>


- 44

séparation , l'ordre régnait dans la société , mais un ordre

illusoire qui devait finir : depuis, il n'y a plus eu d'ordre ;

on a progressé continuellement vers l'anarchie, d'où sur

gira , en dernière analyse , l'ordre vrai et stable . Passons au

règne de Léopold .

L'église , il faut bien en faire l'aveu , avait étrangement

abusé de son pouvoir sans bornes , depuis surtout que la foi

avait cessé d'être un frein suffisant aux passions de ses mi

nistres . Nous ajouterons qu'il n'en pouvait être autrement.

Toute force qui n'est pas soumise à une règle détermi

née , ſondée sur la croyance ou sur la raison , ne recule que

devant une force plus grande , et c'était au tour des rois à

faire plier sous leur sceptre de despote , les papes qui, si

longtemps, les avaient tenus courbés sous leur houlette de

pasteur . Le sénateur Rucellai dévoila une foule de séduc

tions opérées au moyen de la confession , ct d'escroqueries

commises au lit des agonisants . Il fit connaître les vio

lences qu'on faisait subir aux juifs , ct la légèreté des

évêques qui excommuniaient pour un banc de plus ou do

moins dans leurs cathédrales . Le gouvernement s'ingéra

dans l'administration des biens des couvents , où régnait le

plus grand désordrc , et l'affaire de la suppression des asiles

appelés sacrés fut poussée avec vigucur .

Les années 1765 ct 1766 se passèrent à remédier au

scandale occasionné par la multiplicité de prêtres , véri

tables mendiants en soutane , et par conséquent bas et

serviles . Le gouvernement s'occupa aussi de limiter le

nombre des couvents et d'obliger les congrégations reli

gieuses à laisser tomber quelques miettes de leurs somptueux

1

i


45

banquets aux mains amaigries des pauvres , décimés chaque

jour par la faim .

On avait , sans recourir pour cela à l'autorité ecclésias

tique , exilé des prêtres notoirement assassins , débauchés

et perturbateurs du repos public , et on continua pendant

toute l'année 1767 ces actes de rigueur, aussi nécessaires

qu'insolites jusqu'à cette époque . L'année suivante , Rucellai

proposa au grand -duc l'abolition radicale des immunités ec

clésiastiques, incompatibles avec les droits du gouvernement,

et subsidiairement , si on n'osait pas franchir d'emblée ce

pas décisiſ, la conclusion d'un concordat avec le saint-siége .

A ce propos , le sénateur faisait observer que , si l'on se ré

solvait à traiter, il ne faudrait jamais perdre de vue qu'on

avait affaire à la plus rusée des cours, qui du moins jusque -là

avait toujours réussi à se tirer avec avantage de ces sortes

de conventions .

En 1769 , la question des asiles fut tranchée par le pou-•

voir qui les supprima. Après cela , tout l'intérêt se porta

sur la bulle In coena Domini, résumé des priviléges que les

papes ont attribués aux prêtres des divers états catholiques,

sans la coopération ni même l'assentiment du gouvernement

de ces états , afin de réduire les nations à n'être que

simples provinces de la catholicité , de laquelle eux ,

papes , disposaient d'une manière absolue . Pour faire jus

tice de la bulle en question sans cependant l'attaquer direc

tement , on décida que dorénavant aucun décret de la cour

de Rome n'aurait d'autorité en Toscane à moins d'avoir été

rcvêtu de l'exequatur du gouvernement , et cet exequatur

fut refusé à la bulle In coena .

4.

de


46

L'année d'après et la suivante mirent fin à l'abus des

prisons claustrales , et amenèrent de nouvelles mesures

pour empêcher la trop grande multiplication des maisons

religieuses . Il y eut d'autres règlements sur les taxes de

l'officialité, sur le divorce et les dispenses de faire maigre

aux joursprescrits, etc. , etc. Enfin , on commença à entendre

articuler quelques plaintes concernant les désordres qui

avaient lieu dans les couvents de femmes . On mit aussi en

avant le projet de salarier les ministres du culte après qu'on

aurait déclaré les biens du clergé propriété nationale .


CHAPITRE VIII .

Révolte el obstination des religieuses dominicaines de Pistoie , sous les

évêques Alamanni et Ippoliti . – Ricci parvient à les calmer . – Le sacré

ceur de Jésus . - Petites intrigues. – Ricci altaque la dévotion au sacré

caur.

« Arrivé à Pistoie , ce sont les propres paroles de l'é

vêque Ricci , nion premier soin fut de ne négliger aucun

des moyens à ma disposition pour remettre dans la bonne

voie les religieuses dominicaines du couvent de Sainte -Lucie . »

Dès l'an 1764 , son prédécesseur Alamanni s'était vu

obligé de demander à Rome les pouvoirs nécessaires pour

prendre lui-même la direction spirituelle des religieuses de

ce couvent et de celui de Sainte -Catherine. Il éloigna d'elles

les moines dominicains , qui jusqu'alors avaient été leurs

conseillers et leurs guides . Ce coup leur ſut si sensible que ,

même sous l'évêque Ippoliti , rien ne put les en consoler ,

et qu'elles se maintinrent en révolte ouverte contre leur

pasteur , refusant les sacrements qu'il avait chargé d'au


- 48

tres prêtres séculiers ou réguliers de leur administrer.

Ricci avait fait part au pape de cet état de choses, pen

dant qu'il était retenu à Rome à l'occasion de son examen ,

et il lui avait communiqué ses soupçons relativement aux

dominicains qu'il croyait être les auteurs et les fomenta

teurs de ces troubles . Pourriez -vous en douler ? lui répon

dit Pie VI qui , aussitôt , « fit une sortie virulente contre le

général des dominicains qu'il appela un homme inquiet et

opiniâtre . »

Muni des instructions pontificales, Ricci parvint à calmer

un peu l'esprit des religieuses : elles acceptèrent un conſes

seur de son choix ; et une novice qui s'était obstinée jus

qu'alors à ne vouloir prononcer ses væux qu'entre les mains

des dominicains , consentit à faire profession devant le nou

vel évêque . Malgré cela , sa confiance en elles ne fut jamais

entière, à cause de la mauvaise doctrine qu'elles avaient

puisée dans les leçons de mauvais maitres, et des attentats

que les dominicains ne cessaient de préparer par leurs

sourdes machinations nous citons textuellement les Mé

moires manuscrits de l'évêque de Pistoie et Prato .

Nous venons d'entendre parler le prêtre de mours pures ;

voyons maintenant agir l'homme de secte et de parti .

Les jésuites , quoique frappés dans leur existence comme

corps religieux , n'en faisaient pas moins cause commune

dans toutes les petites affaires où ils pouvaient encore user

de leur influence . Ils avaient converti une dévotion récem

ment inventée , celle au sacré coeur de Jésus, en une espèce

de signe de ralliement et de mot d'ordre , autour duquel se

groupaient leurs adhérents . Au fond, cette dévotion n'était

1


-

49

pas plus singulière que tant d'autres : on avait déjà le sacré

côté, les saintes plaies, le saint sang et même le saint pré

puce ; rien ne semblait rationnellement s'opposer à ce qu'on

eût aussi le sacré cour . Mais Ricci ne l'entendait pas ainsi :

il ne voulait à aucun prix d'une dévotion d'origine loyo

liste , comme il disait , et , prétendait- il , sentant le nesto

rianisme.

A peine Ricci fut- il en possession de son évêché , que les

jésuites , connaissant son aversion prononcée pour ce qu'il

flétrissait de l'épithète de cardiolátrie, lui tendirent un piége

puéril , en essayant de lui faire baptiser du nom de Jésus,

une cloche sur laquelle ils avaient caché, sous une pro

fusion de guirlandes et de couronnes de fleurs, un sacré

coeur de Jésus et une inscription pour le glorifier. Ricci ,

saisi d'une colère aussi ridicule que l'était l'offense, dénonça

cet attentat à Léopold ; et ce recours au pouvoir mit le

comble aux murmures contre un prélat qui méconnaissait

l'autorité spirituelle du saint -siége au point de se soumettre

solennellement à l'arbitrage du chef de l'état, dans une

question de croyance et de culte .

Le jésuite Salvi , qui avait mené cette affaire et qui était

connu en Toscanc pour y être l'apòtre du sacré cæur , fut

appelé à Florence par le sénateur Bartolini , secrétaire des

droits de la juridiction , -on dirait de nos jours ministre du

cullc, - pour être réprimandé sur sa conduite tortueuse ,

et sur son manque de respect envers son évêque . Léopold

lui -même le tança vertement , ct le força à aller présenter

ses excuses à Ricci , qui profita de sa visite pour essayer de

2

le gagner, mais sans pouvoir y réussir .

2


50

L'évêque se décida alors à attaquer publiquement la nou

છે

velle dévotion qu'il taxa de fétichisme. Seratti , un des se

crétaires de Léopold , à qui il envoya son instruction pasto

rale sur ce sujet , lui fit délicatement comprendre qu'il était

imprudent de compromettre dans des discussions oiseuses

le succès des réformes plus importantes , mais moins impo

pulaires , tentées par le grand-duc . Ricci chercha à sc jus

tifier en alléguant l'argument banal qu'il vaut mieux obéir

à Dieu qu'aux hommes , comme si cet argument n'aurait

pas également servi d'excuse au père Salvi qui , lui aussi , pou

vait dire qu'il avait fait céder les considérations humaines à

cclles de son devoir envers Dieu .

La maxime que nous venons de citer est la traduction

théologique de celle qui impose l'insurrection comme le plus

saint des devoirs . L'une et l'autre sont au service de l'op

position qui se croit assez forte pour résister au pouvoir .

L'une et l'autre , en temps d'ignorance sociale et sous l'em

pire de la force, est rationnelle ... si elle est couronnée par

le succès .

>


CHAPITRE IX .

Les jésuites et les dominicains . - Désordres des religieuses dominicaines

au xviie siècle . — Révélations faites par les religieuses mêmes . -- Décou

verte des mêmes désordres chez les religieuses de Saint-François .

Mesures que prend le grand-duc . – Pie VI et sa cour protégent les reli

gieuses .

L'évêque Ricci avait affaire à forte partie , et il ne ména

geait personne . Les jésuites et les dominicains qu'il attaquait

de front disposaient de toute la population de Prato : les

premiers avaient pour élèves les jeunes gens des familles

les plus considérables ; les seconds gouvernaient les couvents

de femmes , presque entièrement peuplés de filles de grande

maison . Lorsque les jésuites curent été supprimés, les do

minicains prirent leur place , ct , comme auparavant, l'évêque

continua à ne compter pour rien .

Ricci n'était pas d'humeur à tolérer un pareil état de

choses. Il surveilla sévèrement les dominicains , et déjoua

toutes leurs intrigues pour s'introduire de nouveau auprès

des religieuses , leurs anciennes pénitentes.


52

A ce propos , le zélé prélat nous fait connaître que les

désordres des dominicaines à Pistoie dataient de loin . Déjà,

en 1642 , la commune s'était plainte au gouvernement, et

avait demandé le renvoi du prieur des dominicains et

d'un autre religieux , pour des motifs , était-il dit , quc la

décence faisait un devoir de ne pas dévoiler . Les fabriciens

des couvents de Sainte -Catherine et de Sainte-Lucie avaient

joint leurs doléances à celles des magistrats . Enfin le gon

falonier avait envoyé à Florence des personnes discrètes ,

chargées de révéler de bouche les faits qu'il ne croyait pas

pouvoir confier au papier , les désordres dont il s'agissait

étant de nature à déshonorer les religieuses du sang le plus

distingué de la ville . Ferdinand II , qui régnait alors , ne prit

aucune mesure pour remédier au mal, probablement, dit

Ricci , par un effet de la même faiblesse qui le porta à sa

criſier à la cour de Rome le sublime génie de Galilée .

Quelques religieuses de Sainte -Catherine --- ceci se passait

sous le règne de Léopold , mais bien avant la promotion

de Ricci , – dénoncèrent enfin elles -mêmes au pouvoir ce

qui se passait dans l'enceinte de leur couvent .

Les moines dominicains , disaient- elles , leur enseignaient

toute espèce de turpitudes , par leurs discours et par leurs

attouchements ; entre autres actions honteuses , ils passaient

le loro vergogne à travers la grille qui se trouvait entre la

sacristie et la clôture, et dont les barreaux étaient suffisam

ment espacés . Ils franchissaient la clôture sous le moindre

prétexte , et demeuraient seul à seul avec les religicuses ,

dans les cellules de celles-ci ; ils couchaient même la nuit

dans le couvent . Ils félicitaient les religieuses de l'avantage


7

»

53

dont elles jouissaient dans leur position , celui par exemple

de pouvoir satisfaire leurs désirs sans avoir à redouter le

désagrément de mettre au monde et d'élever des enfants.

Ils leur certifiaient qu'après la mort tout est fini. Ils abu

saient des paroles saintes , notamment de celles de saint

Paul , au passage où se trouve « qu'il travaillait de ses

mains , » et ils exhortaient sans cesse les religicuses à céder

à leurs passions .

Ils facilitaient les liaisons dangereuses, au point qu'ils

laissaient des hommes s'introduire dans le couvent , et y

coucher avec les sæurs . Jamais ils n'insistaient sur le de

voir de fréquenter les sacrements ; ils ne prêchaient que

l'obligation pour chacun de se procurer ici -bas tout le plaisir

possible . Les moines favorisaient dans tous leurs caprices les

religieuses qui se conformaient à leurs instructions , et per

sécutaient celles qui ne se laissaient pas aller au torrent .

Cette pièce curieuse , la première d'un procès unique dans

son genre , est signée : Sæur Anne- Thérèse Merlini, mere

conseillère ; sour Rose Peraccini, mère conseillère ; seur

Gaëtane Poggiali ; sæur Candide - Joconde Botti, et sæur

Marie - Clotilde Bambi .

A ce que nous venons d'entendre , la sæur Flavie Perac

cini, prieure de Sainte - Catherine, ajouta, dans une lettre

qu'elle écrivit au docteur Comparini, recteur du séminaire

épiscopal , que les noms des moines coupables étaient : le père

docteur Bellendi , les pères Donati , Pacini , Buzzaccherini ,

Calvi , Zoratti, Biglani , Guidi , Migliatti , Verde , Bianchi,

Ducci , Serafini, Bella , Nardi , Neri de Lucques , Quaretti ,

tous ceux en un mot qu'elle avait connus depuis vingt

5

ܪ


- 54

qualre ans , hors trois ou quatre . Ils ont pour principe,

poursuivait la sæur Flavie , que Dieu défend la haine , non

l'amour, et que la femme est faite pour l'homme , comme

l'homme pour la femme. Les prêtres deviennent les maris

des religieuses , les frères lais ceux des converses . Ce ne

sont que festins, jeux , danses , comédies , surtout lors de la

maladie et de la mort d'une religieuse : c'est là l'occasion

d'un véritable carnaval pour tout le couvent.

On n'entend parler que de religieux et de religieuses qui

se sont épousés , de tel moine qui a soufflé sa maîtresse à

tel autre , de celui - ci qui s'était vengé de son infidèle, de

celui-là qui jurait de ne jamais pardonner à la sienne ,

même au lit de la mort .... Et les mêmes choses, continuait

la sæur Flavie , ont lieu à Sainte - Lucie , et à Prato, ct à

Pise , et à Pérouse : il y a partout le même débordement ,

partout les mêmes orgies.

Le père Buzzaccherini avait la seur Odaldi de Sainte

Lucie , qui le comblait de présents , et néanmoins il était

amoureux de la fille du commissionnaire de Sainte -Cathe

rine, dont toutes les soeurs étaient jalouses . Il leur envoyait

son linge à blanchir . Il avait ruiné la pauvre Cancellieri ,

en l'obligeant à préparer pour lui des plats de douceur

qu'elle payait de son argent .

Les religieuses de Saint-Vincent s'étaient prises , il y a

quelques années , d'une passion si extraordinaire , les unes

pour le père Lupi , les autres pour le père Borghigiani,

qu'on les désigna par les noms de ces moines. Celui qui a

fait le plus de bruit à Sainte -Lucie est le père Donati , qui

est parti pour Rome . Le père Brandi , prieur à San Germi


.

2

55

gnano , a aussi été à la mode . Les pères Natta et Sdradico

c'est toujours la seur Flavie qui écrit sont de bien

mauvais sujets .

Après avoir rapporté , avec les religieuses dénonciatrices ,

que les moines couchaient dans le couvent , Ricci fait remar

quer que les dominicains n'étaient pas les seuls à se con

duire de la sorte . Pendant qu'il était vicaire de l'arche

vêque de Florence , il apprit que le confesseur de l'ordre

des mineurs conventuels et son frère lai avaient leurs

lits dressés dans le dortoir commun des franciscaines de la

capitale . Il menaça le père Bargellini , lecteur, théologien ,

examinateur, etc. , de la colère du grand -duc , déjà fort

irrité de ce qui se passait chez les dominicaines , et les lits

disparurent .

Léopold voulut entendre la déposition des fabriciens de

Sainte -Catherine en personne , il les appcla auprès de lui , et

;

ils confirmerent de tout point la vérité des faits que les reli

gieuses avaient déclarés . Puis il ordonna à son lieutenant de

police d'interroger les religieuses elles -mêmes . Ce ne fut

donc qu'après avoir usé de toutes les mesures de précau

tion , essentielles dans une affaire de cette nature , que

Léopold fit enjoindre par le sénateur Rucellai à l'évêque

Alamanni de se charger lui -même de la direction des reli

gieuses , et défendre aux moines de leur ordre d'approcher

du couvent ( 1774) . L'officier civil Bracciolini , qui commu

niqua ces décisions aux parties intéressées , rendit compte

au prince du désespoir des religieuses . Elles refusèrent,

comme nous avons vu , de se soumettre à l'évêque, contre

lequel les moines , le général des dominicains et jusqu'au


56

cardinal protecteur de l'ordre ne cessaient de les soutenir .

A Sainte-Lucie , les religieuses repoussaient les sacre

ments , à la participation desquels les invitait celui que l'évê

que avait revêtu de ses pouvoirs ; à Sainte-Catherine , elles

traitaient l'évêque de vaurien , de malotru et de fanfaron,

et les confesseurs qu'il leur désignait , de vilains maudits

prêtres , et elles menaçaient journellement d'étrangler ou

d'empoisonner les plaignantes , qui ne voyaient d'autre moyen

d'échapper à leur vengeance qu'en cherchant à prendre la

fuite. Les faits que nous venons de rapporter sont certifiés

par la signature des religieuses que nous avons déjà noin

mées , et en outre par celle des sæurs Marie-Catherine Rossi

et Anne - Louise Saccardi .

L'évêque Alamanni , qui avait réussi à se faire écouter par

les cardinaux assemblés pour l'élection du successeur de

Clément XIV , continua à réclamer auprès de la congréga

tion des évèques et réguliers , auprès du cardinal Torri

giani et de Pie Vi lui -même ; mais il n'obtint plus de

réponse . Le pape , loin de vouloir venir au secours d’Ala

manni, témoigna son mécontentement de ce qui avait été

fait par l'autorité civile , dans les deux couvents en question ,

et fit clairement entendre qu'il regardait les bruits répan

dus sur les religieuses comme des calomnies , qui n'avaient

d'autre but que d'enlever à tous les réguliers la direction

des couvents de femmes .

Ippoliti venait de remplacer Alamanni (1776 ) . Il fut,

comme lui , abandonné à ses propres ressources pour vain

cre un mal que Rome protégeait ostensiblement par cela

seul qu'elle persistait dans son refus d'aider l'évêque à


57

l'extirper . Ippoliti fut même durement réprimandé par le

pape , pour avoir osé rappeler à la mémoire des scandales

que le saint-siége voulait ensevelir dans l'oubli , et surtout

pour avoir fourni de cette manière au grand -duc de nou

veaux motifs pour réaliser ses projets de réformes. Tout ce

qu'il put obtenir , ce fut la permission de transférer les reli

gieuses dissidentes du couvent de Sainte - Catherine de Pis

toie à celui de Saint-Clément , dans la même ville , couvent

dont les dominicains avaient conservé la direction et où ,

naturellement , les religieuses réfractaires furent reçues en

triomphe. Mais il n'y avait que cela à faire pour prévenir

les événements tragiques dont le couvent de Sainte -Cathe

rine serait probablement devenu le théâtre.

5 .


1

1


CHAPITRE X.

Erreurs en matière de foi de deux dominicaines, à Prato . — Ricci découvre

leur impiélé et leur inconduite . — Le grand-duc est instruit de tout . –

Intrigues des moines .

L'évêque Ricci ne faisait encore que soupçonner jusqu'à

quel excès pouvaient s'étendre les désordres des couvents

de Pistoie , lorsqu'il fut appelé à en sonder toute la profon

deur , par la découverte qu'il fit , savoir , que deux reli

gieuses dominicaines du couvent de Sainte -Catherine à Prato

“ professaient des erreurs graves en matière de foi.

« Depuis plusieurs années , - nous continuons à citer le

prélat , - vivaient plongées dans le plus infâme déborde

ment de mours deux religieuses dominicaines de Sainte

Catherine : l'une , nommée sæur Catherine -Irène Bonamici ,

était une demoiselle noble de Prato , âgée de cinquante ans ;

l'autre , sour Clodésinde Spighi, était également d'une famille

noble de la même ville , et âgée de trente-huit ans . » Les

dominicains étaient instruits de tout , mais ils l'étaient seuls ,

2

>>


60

car il n'y avait qu'eux qui eussent l'entrée au couvent , et

qui communiquassent avec les religieuses ; moines, confes

seurs , provinciaux , l'ordre entier en un mot , avaient tou

jours été d'accord pour que rien ne transpirât au dehors , et

par conséquent pour qu'aucun remède ne fût appliqué au mal .

Une circonstance imprévue le fit connaître . Peu après

l'arrivée de Ricci dans son diocèse , le père Vincent Majocchi

fut nommé confesseur de Sainte-Catherine . Contrairement

à l'usage de ses prédécesseurs , ce moine se soumit sponta

nément aux restrictions imposées par l'ordinaire ; puis , aux

fêtes de la Pentecôte , il refusa l'absolution aux deux reli

gieuses que nous avons nommées. La chose fit du bruit et

parvint aux oreilles de Ricci , qui demanda à Laurent Palli ,

son vicaire à Prato , de le seconder dans ses efforts pour

découvrir la vérité . Le vicaire ne tarda pas à lui répondre

(17 juin 1781 ) :

« Les erreurs des religieuses ne concernent rien moins

que tout ce qui est de ſoi dans la religion catholique . Elles

ne croient ni à l'éternité d'une autre vie , ni à l'efficacité des

sacrements de l'église ; tous les péchés, et surtout ceux de la

chair, sont regardés par elles comme des actions indiffé

2

rentes. »

Le lendemain , Palli envoya le chanoine Buti à Pistoie

pour déclarer à Ricci que les religieuses dont il s'agit

étaient , « ou foncièrement hérétiques , ou complétement

folles . » Le jour suivant , il fit connaître à son évêque que

les mêmes religieuses avaient reproché en plein parloir à

leur supérieure l'ignorance dans laquelle elle les avait lais

sées croupir, pendant tant d'années qu'elles avaient vécu ,

>


7

61

-

professant de bonne foi les sentiments de la religion . Une

seur Marie-Ancille Guasti , converse de la seur Spighi,

confirma ces faits dans une lettre qu'elle adressa à Marie

Aurélie Buti , religieuse à Saint- Michel à Pistoie , dont

l'oncle , le chanoine pénitencier Buti , avait été chargé par

Ricci de visiter le couvent de Prato ,

Le père Majocchi alla de son côté à Pistoie faire rapport

à l'évêque de ce qui se passait . Ricci lui demanda sa coo

pération pour ce qu'il y avait à entreprendre en cette cir

constance , et l'assura de la protection spéciale du grand - duc

contre quiconque chercherait à lui nuire . « Mais , ajoute

Ricci , le moine , plus au fait que moi des extrémités aux

quelles peuvent porter la cabale monastique et le prétendu

honneur de corps , » ne consentit pas à rester . Il ne crut

pouvoir échapper aux dangers qui l'entouraient , qu'on s'é

loignant le plus possible , et au plus tôt .

Avant de désespérer de tout l'ordre , Ricci crut devoir

essayer de s'adresser encore une fois directement aux do

minicains , non impliqués dans cette sale affaire, et de leur

demander qu'ils l'aidassent à les sauver eux-mêmes des

suites de la conduite coupable de quelques - uns d'entre

eux ; mais ses avances furent reçues avec hauteur et mé

pris . La discussion à ce sujet entre l'évêque et le prieur des

dominicains de Prato fut fort vive . Ricci n'ayant rien ob

tenu , ni par promesses , ni par menaces , partit pour Flo

rence où il dénonça toute l'affaire au grand -duc . Ce fut

cette démarche qui mit à nu ce que Ricci appelle cette gan

grène pestilentielle ; aussi considéra - t- il toujours comme

une circonstance des plus heureuses , l'aveuglement des


62 .

.

7

moines qui l'avaient forcé en quelque sorteà y avoir recours ,

et « à rendre le scandale public par la révélation des plus

infâmes iniquités, autorisées pendant si longtemps par les

confesseurs des religicuses et par l'ordre entier des domi

nicains . »

Léopold prit la chose vivement à ceur , et résolut d'en

finir d'un seul coup . Afin de connaître le mal dans tous ses

détails et dans toute son étendue , afin aussi de remonter

jusqu'à sa source , il fit soigneusement rassembler les pièces

qui démontraient l'évidente complicité des dominicains

lors de la première découverte des turpitudes commises

chez les dominicaines de Pistoie (1774) , et celles qui con

cernaient les mesures prises après cette époque pour mettre

un terme aux désordres : les moines eurent peur alors ; ils

essayèrent , pour détourner le coup dont ils étaient menacés ,

d'effrayer le grand -duc , et ainsi de l'empêcher de poursui

vre . A cet effet, ils engagèrent une des religieuses, leurs

pénitentes , à feindre des convulsions et des extases devant

la châsse de Sainte -Catherine de Sienne , au couvent de

Saint-Vincent à Pistoie , et ils répandirent parmi le peuple

que ce signe céleste présageait à la ville quelque terrible

fléau . En un instant , l'église des Récollets fut remplie de

femmes qui , dans l'attente de la fin du monde , demandè

rent à grands cris à se confesser et à recevoir les derniers

sacrements . On cut beaucoup de peine à les faire sortir du

temple , après leur avoir donné à comprendre que , si un

malheur quelconque arrivait , ce serait , non pas à tous les

habitants de Pistoie , mais seulement aux coupables , les

enfants de saint Dominique .


-

CHAPITRE XI .

Tout est mis en @uvre à Prato pour empêcher Ricci de parvenir à ses fins .

Le père Calvi . Ricci rend compte au pape de ce qui se passe . — Le

grand -duc confirme ces révélations . Nouvelles découvertes. . Les

deux seurs sont transférées à Florence .

Ricci acquit finalement la preuve que ce qui se passait

à Pralo était la suite de ce qui avait eu lieu à Pistoie . Les

religieuses de Sainte-Lucie , dans cette dernière ville , avaient

fini par se soumettre de guerre lasse , et parce qu'elles n'é

taient plus soutenues par celles de Sainte -Catherine, d'où

les réfractaires avaient été expulsées . Il n'en fut pas de

même à Prato : tout y fut mis en æuvre par les dominicains

pour entraver et paralyser les mesures au moyen desquelles

Ricci tendait vers son but , > celui de leur arracher à tout

jamais la direction des filles qu'ils ne travaillaient qu'à per

vertir . L'évêque fut fort surpris de voir arriver à l'impro

viste auprès de lui , pour l'aider dans son entreprise , un

1


64

père Calvi , dominicain , que le ministre Seralti lui avait

fait adjoindre par le prince , probablement pour modérer

son zèle dans une affaire délicate , qui pouvait amener des

troubles au sein d'une population que son ignorance mettait

à la merci de moines intrigants et audacieux . Calvi se pré

tendait muni de pleins pouvoirs pour tout terminer , avec

ou sans l'évêque , son vicaire à Prato et le lieutenant de po

lice . Il fallut recourir aux voies de rigueur pour empêcher

le moine imposteur de pénétrer dans le couvent . Sur ces

entrefaites, Ricci dévoila aux yeux du prince la mauvaise

réputation et l'inconduite reconnue du père Calvi .

Il lui apprit que , lorsqu'une des religieuses de Sainte

Catherine de Pistoie avait demandé au père prieur Guidi ce

même Calvi pour confesseur, le prieur avait répondu : « Im

possible ! Le père Calvi , au vu et au su de tout le monde ,

fréquente les maisons publiques de débauche et les filles

perdues ; j'en serais blåmé par le provincial . » On disait que

ce moine avait une intrigue à Sainte -Catherine de Prato ;

peut-être était -ce avec la sæur Clodésinde Spighi .

Il va sans dire que le grand -duc débarrassa Ricci du père

Calvi en le rappelant .

L'évêque de Pistoie avait chargé le père Baldi , servite ,

d'interroger les religieuses et les pensionnaires de Sainte

Catherine. Là-dessus , tout l'ordre des dominicains , et ses

nombreux adhérents, et la cour de Rome qui le soutenait

ouvertement , ſurent en émoi . On voulait d'abord faire

passer les deux religieuses pour folles, mais il fallut presque

aussitôt renoncer à ce moyen ; elles montraient clairement,

ct dans toutes les occasions où elles pouvaient se manifes

9

)

2


1

65 -

ter sans déguisement , qu'elles n'étaient point folles du

tout . D'ailleurs , la seur Bonamici avait été prieure dix ou

douze ans auparavant , et pendant les années 1775 et 1776 ,

elle avait , conjointement avec la sæur Spighi, été préposée

à l'enseignement des novices. En outre , l'une et l'autre de

ces religieuses avaient constamment été admises par les

moines à la participation des sacrements . Tout ſut mis en

@uvre pour les soustraire à l'examen de l'évêque : on essaya

de les enlever , ou du moins de faire disparaître les papiers

compromettants et les livres ; et rien de cela ne réussissant,

;

on entoura le prélat de menées ténébreuses et on lui fit

faire des menaces de toute espèce .

Pendant ce temps -là , le nonce , le plus remuant des dé

fenseurs des dominicaines , ne cessait de favoriser de sa

présence les plaisirs appelés honnêtes des religieuses : il

assistait régulièrement à leurs comédies et à leurs bals

masqués .

Les interrogatoires terminés , Ricci rendit un compte

exact au pape : outre , écrivit- il à Rome (25 juin 1782 ) ,

qu'elles ſont profession ouverte de quiétisme , les deux reli

gieuses traitent d'inventions humaines les mystères de la

sainte Trinité et de l'incarnation du Verbe , les sacrements

de l'église et le dogme de l'éternité d'une autre vie . Malgré

cela , leurs directeurs spirituels ne leur ont point refusé les

sacrements dont elles se moquaient . Il y avait eu jusqu'à

six religieuses à la fois qui pensaient et agissaient comme

les seurs Bonamici et Spighi . Beaucoup de livres avaient

été renvoyés aux moines , et beaucoup de papicrs brûlés par

leur ordre, afin de rendre la découverte de la vérité, sinon

6


-

66

impossible , du moins plus difficile et toujours incomplète .

L'évêque s'adressa aussi au cardinal Corsini : les provin

ciaux des dominicains et les prieurs , lui dit- il , au lieu

d'arrêter les désordres dont les confesseurs étaient cause ,

se sont plongés dans les mêmes iniquités . C'est ce que dé

posent les demoiselles élevées dans les couvents et les reli

gieuses dirigées par les moines . Elles ne parlent que de la

femme du provincial , de la maîtresse du confesseur , etc.

Le grand-duc , de son côté , envoya à Rome un courrier

extraordinaire , qui avait pour instruction de ne revenir

qu'après avoir obtenu une réponse . Dans l'intervalle , la

marche du procès relativement au couvent de Saint -Clé

ment demeura suspendue , quoiqu'on eût acquis la convic

tion que , au moins depuis la translation des religieuses de

Pistoie , les mêmes désordres y régnaient qu'à Sainte-Cathe

rine .

Cela n'empêchait pourtant pas l'évêque de Pistoie de

recueillir les renseignements qui lui venaient de toutes

parts . Il apprit , entre autres , par une lettre de la seur Flavie

Peraccini , qu’un moine qui était devenu provincial lui avait

écrit des choses si abominables qu'elle avait cru devoir les

conimuniquer à un prêtre . Celui -ci avoua que , bien qu'il

entendit la confession depuis nombre d'années , il n'avait

aucune idée d'un pareil raffinement de corruption. La seur

Flavie rapporta les paroles du prêtre au provincial des do

minicains , et celui - ci répondit : « Vous êtes une sotte .

Faites ce que je vous dis ; essayez de suivre mes conseils ,

et vous me remercierez de mes leçons . »

A la grille , disait la même seur , les moines ne tiennent


7

67

jamais que des discours orduriers ; ils racontent ce qui est

arrivé au saint-office à Pérouse ; ils révèlent les confessions

qui leur ont été faites.

La sæur Merlini avait confié à la seur Peraccini qu'un

moine distribuait une drogue pour faire avorter , disant

qu'il valait mieux passer par là que de perdre un homme

de réputation . La même seur avait entendu proférer par

les moines , au sujet de la messe , des blasphèmes qu'elle

n'avait pas osé répéter .

Sur ces entrefaites , toute la ville de Prato s'occupait de

ce qui se passait dans les couvents de religieuses . Les sæurs

converses colportaient de maison en maison les anecdotes

les plus scandaleuses dont leur couvent avait été le théâtre .

Les anciennes pensionnaires racontaient publiquement avec

quelle inconvenance les moines assistaient aux récréations

des religieuses , à leurs entretiens privés, aux spectacles

qu'elles donnaient ; lorsque la représentation de la comédie

était à sa fin , on ſaisait , au profit du confesscur, une quête

d'une manière si indécente que Ricci se refuse à la faire

connaître . On a peine après cela à se la figurer , quand on

songe que ce prélat n'a pas hésité à exprimer des choses

qui , d'ordinaire , ne se disent pas en termes clairs et précis .

Cette circonstance , jointe aux tentatives des seurs Bona

mici et Spighi pour corrompre les converses qu’on avait

chargées de les servir , fit prendre la résolution de les éloi

gner de Prato . Le grand- duc ordonna leur translation à

Florence .

Avant la mise à exécution de cette mesure , Ricci fit pro

céder à un dernier examen des religieuses par le lieute


- 68

nant de police , le vicaire épiscopal Palli , le père docteur

Baldi , et le notaire du tribunal civil . « Ce qui excita sur

tout l'étonnement , dit l'évêque , ce fut d'entendre la seur

Bonamici revenir sur ses réponses précédentes , non pour

atténuer ses aveux , mais bien au contraire pour en ampli

fier le sens , et pour développer son système d'impiété ,

principalement sur le point le plus important , savoir , que

nous faisons tous partie de la Divinité , qui est l'ensemble

des choses, la nature . »

Nous ne partageons pas l'étonnement de Ricci : les reli

gieuses , perverties par les directeurs de leurs consciences,

croyaient posséder la vérité , et se faisaient gloire , se fai

saient même un devoir de la confesser hautement , de la

soutenir et de la répandre . Ce sentiment seul peut expli

quer le dévergondage avec lequel elles firent parade d'un

système que , sans cela , personne n'aurait osé soupçonner ,

et dévoilèrent des turpitudes secrètes que rien ne les obli

geait à mettre au grand jour : confession inutile qui suffi

sait pour perdre une infinité de personnes dont la réputa

tion , jusqu'alors intacte , devait leur importer à elles surtout

qui se vantaient d'être leurs disciples . Dans les temps de

foi, elles seraient montées sur le bûcher sans sourciller ;

pourquoi , au siècle de doute , ne se seraient -elles pas expo

sées au blåme de gens qu'elles méprisaient comme moins

éclairés qu'elles ?

Au reste , arrivées à Florence, les deux sæurs furent en

fermées à l'hospice de Saint -Jean-Baptiste ou de Bonifazio,

asile ordinaire des insensés .

:

>


CHAPITRE XII ,

Réflexions sur ce qui va suivre . — Audition générale de toutes les personnes

habitant le couvent de Sainte -Catherine à Pralo .

Nous consacrons ce chapitre et les deux suivants aux

interrogatoires que subirent, d'abord toutes les religieuses

du couvent de Prato , puis , presque immédiatement avant

leur départ pour Florence , les deux religieuses prévenues

d'avoir causé le mal : ce dernier interrogatoire est à la fois

le plus régulier et le plus complet que contiennent les ar

chives Ricci ; nous le reproduisons textuellement.

Qu'on nous permette quelques réflexions avant de com

mencer .

:

Au xviiie siècle , où l'on déclamait sur le devoir d'accroître

la population , comme aujourd'hui l'on cherche à faire

comprendre qu'il faudrait la diminuer , on n'a pas manqué

de se récrier contre la vie du cloitre , qui exige des vertus

contraires à la nature, et par conséquent mène naturel

6 .


70

lement aux vices les plus monstrueux . Nous sommes plus

positifs : la nature , à nos yeux , lorsqu'il s'agit de l'ordre

moral , est un mot dénué de tout sens rationnel , aussi bien

dans la bouche des philosophes actuels que dans celle des

religieuses d'il y a soixante-quinze ans . La nature , c'est la

matière , aveugle et passive ; et quiconque l'invoque en

raisonnant est matérialiste , que d'ailleurs il se le dissimule

à lui-même ou qu'il se l'avoue . L'homme , comme corpsvi

vant, a des penchants organiques qu'il domine , comme sen

sibilité, au moyen de ses tendances intellectuelles , quand il

le veut, c'est-à- dire quand , pour le vouloir , il a des motifs

de raison ou de foi qui l'y contraignent moralement .

Tant que la foi chrétienne a été robuste et vive , la vie ,

non-seulement cenobitique , mais encore isolée ou stricte

ment monacale , la vie érémitique au sein des déserts, avec

la continence absolue , les mortifications et les macérations,

les abstinences et les pénitences de toute espèce jusqu'au

quasi-suicide , a été possible , et de nombreuses générations

l'ont réalisée . Avec la déchéance de cette foi, l'organisme ,

qui n'avait pas la raison pour le diriger en toutes circon

stances , et pour le combattre dans plusieurs , a reconquis son

empire . Les conseils évangéliques de Jésus étant pris pour

point de départ du raisonnement , les pères de la Thébaïde et

leurs imitateurs étaient seuls logiques jusqu'au bout . Depuis

que ce point de départ a été remplacé par celui qui , de nos

jours , prime tout raisonnement, savoir , que rien n'est cer

tain si ce n'est ce que chacun éprouve au moyen de ses

sens , pendant le seul temps qu'il soit donné aux organes de

leur faire éprouver quelque chose , les religieuses dc Pis

a

1

1

1


- 71

toie et de Prato étaient beaucoup plus logiques que leurs

examinateurs . Maintenant entrons en matière . Nous donne

rons le précis de toutes les pièces , et rapporterons le texte

même de celles qui nous auront paru les plus saillantes .

La première pièce est l'audition générale , dy 25 au

30 juin ( 1781 ) , de toutes les personnes habitant le couvent

de Sainte -Catherine, composé de quinze dames chorales ,

treize converses et cinq pensionnaires , audition de laquelle

il est résulté : que , depuis les dernières fêtes de la Pente

côte , les seurs Bonamici et Spighi ont soutenu et répandu

dans le monastère , « que Jésus-Christ n'est

pas réellement

présent dans l'hostie consacrée ; qu'il n'y a point de Saint

Esprit ; qu'il n'y a point eu d'incarnation du Verbe ; que la

très - sainte Marie n'est pas demeurée vierge ; que l'âme est

mortelle et finit avec le corps ; que le baptême et les au

tres sacrements sont inutiles au salut ; qu'il n'y a point de

péché ; qu'il n'y a ni enfer ni purgatoire ; qu'elles voulaient

attirer toute la communauté à leur parti ; qu'elles seules

étaient sauvées , et que toutes les autres seraient damnées

pour avoir rejeté leur doctrine , »

Les deux religieuses prénommées avaient troublé le cou

vent en maltraitant les autres religieuses qui leur résis

taient , et elles avaient attenté à la pudeur de leurs compa

gnes .

Elles se sont néanmoins présentées à la communion , d'où

le confesseur non dominicain les repoussait .

Elles ont entretenu des liaisons suspectes , la scur Bona

mici avec son propre frère, le père Jean -Baptiste Bona

mici , religieux augustin et prêtre ; la seur Spighi avec le


72

prêtre Jean Bottello , ex - jésuite portugais . Une sæur ajoute

que ce moine s'était parfois présenté à la grille , accompagné

d'une femme qu'on avait entendu jurer, per le piattole di

Gesù Cristo .

Les deux prévenues avaient abjuré plusieurs fois leurs

erreurs, mais jamais sincèrement ; elles n'avaient eu pour

but que de jouir de plus de liberté .

Elles avaient attiré à elles la mère Anne-Diomire Baroni ,

dame chorale , et les converses Anne Grazzini et Marie -Ur

sule Passi , encore novice .

La mère Baroni avait été séduite par les maximes que

nous avons déjà exposées et par celles qui vont suivre et

qui n'en sont que des variantes : « Jésus-Christ n'a été

qu’un simple prophète , envoyé sur la terre pour prêcher

d'exemple ; l'âme mourant avec le corps , il n'y a plus après

cette vie ni peine ni plaisir . » Les spurs Bonamici et

Spighi avaient commis sur elle des actions déshonnêtes , et

l'avaient sollicitée à en faire autant . C'était là , disaient- elles,

la véritable oraison ; et il était inutile d'en parler au con

fesseur puisque la pratique en était générale . Pour la con

vaincre , les deux sæurs lui avaient lu les écrits de saint

Jean - de-la-Croix , qu'elles interprétaient dans leur sens .

Anne-Rose Grazzini avait été tentée d'une manière ana

logue par la seur Bonamici , qui lui avait conseillé de se

confesser, mais sans se repentir , et afin seulement de pou

voir continuer à agir de même et de ne jamais se trahir .

Elle consulta la seur Spighi qui confirma ce qu'avait dit la

seur Bonamici , avec cette différence qu'elle avait donné la

préférence sur l'oraison de la Bonamici aux actes charnels


-

-

73

qui se pratiquent entre personnes de sexe différent. La

sæur Spighi ajouta que cette doctrine était puisée dans la

théologie mystique .

Sæur Grazzini révéla toutes ces choses à son confesseur ,

le père Orlandi , qui lui ordonna de dénoncer au saint - office

la scur Bonamici , scs oraisons impures et les maximes dont

elle les appuyait ; ce qu'elle fit. Il n'en résulta pas autre

chose , si ce n'est que la sour Bonamici lui demanda pardon

et oubli pour le passé : il y avait de cela cinq ans .

y

Sæur Ursule Passi dépose que , étant âgée de seize ans et

sous la direction des maitresses des novices, les seurs

Bonamici et Spighi, la première lui avait enseigné la voie de

la perfection, afin de la faire parvenir à l'union avec Dieu .

C'était toujours au moyen de l'oraison telle que l'enten

daient ces seurs , et pratiquée soit à elle scule , soit avec

d'autres, femmes ou hommes .

La seur Bonamici expliquait dans ce sens les exhortations

des confesseurs, qui lui disaient : Faites loraison ; tâchez

de demeurer unie avec Dieu .

Afin de joindre l'action à la parole , les deux maîtresses

des novices et des pensionnaires commettaient entre elles

l'oraison en sa présence , et cela presque tous les jours .

Après cela , tantôt l'une , tantôt l'autre l'obligeaient à la

commettre avec elles , ce qu'elle faisait à cause de la grande

autorité dont ces seurs jouissaient sur elle . Elle les voyait

aussi coucher ensemble , et s'abandonner aux actes de

l'obscénité la plus excessive .

Lorsque la déposante leur objectait la loi de Dieu et les

préceptes de Jésus -Christ , la seur Bonamici répondait :


- 74

.

« Certes , il a bien fallu imposer une loi quelconque pour

empêcher que tout ne dégénérât en confusion et en trou

bles . »

Les deux maîtresses lui proposaient comme exemples à

suivre la mère Baroni et la sour Grazzini , qu'elles avaient

déjà séduites , et elles lui recommandaient fortement de

faire à son tour de la propagande , afin d'éclairer peu à peu

toute la communauté sur les moyens propres à atteindre la

perfection.

Sour Ursule allait

à la sainte table avec les autres reli

gieuses , parfois sans s'être confessée , d'autres fois après

une confession qui ne se composait que de quelques aveux

insignifiants, mais sans jamais faire mention des impudi

cités auxquelles elle se livrait .

Le moment de prononcer des væux étant venu , la seur

Bonamici l'exhorta à multiplier ses oraisons ; clle ne le fit

néanmoins qu'avec les deux mailresses qui l'en pressaient

continuellement . La seur Bonamici ne cessait de lui répéter

qu'elle ne devait s'engager , en émettant le veu de chasteté ,

qu'avec l'intention bien arrêtée de l'observer en pratiquant

l'oraison , seule , ou avec d'autres femmes , ou avec des

hommes .

Ne pouvant finalement résister aux reproches de sa

conscience , seur Ursule se confia à la mère Salvi , syndique ,

qui fit son rapport au confesseur Orlandi . Celui -ci ordonna

de mettre par écrit la déposition de la jeune religieuse.

Comme elle était restée au noviciat , les deux maitresses

ne lui laissaient pas un instant de repos . Elle s'en plaignit

à la mère Jésualde Serrati , alors prieure . Celle-ci , d'accord


75

avec le confesseur, ôta leur emploi aux deux maîtresses, et

les obligea à abjurer leurs erreurs entre les mains du père

Ulivi et à faire une confession générale.

Les dépositions des mères Annc-Diomire Baroni , Jé

sualde Serrati, Emmanuelle Dragoni et autres , ainsi que

celles de la converse Passi et de la pensionnaire Charlotte

B ****, établissent que , sept ans auparavant, la seur Bona

mici avait enseigné à cette dernière , âgée seulement de

sept à huit ans , toutes sortes d'impudicités qu'elle qualifiait

d'oraison ,

Les mères Baroni et Dragoni, et en outre les mères Salvi

et Catherine Apolloni , déposent que les sæurs Bonamici et

Spighi avaient coutume de tourner en ridicule la parole de

Dieu et les avis des confesseurs, qu'elles appelaient des

chimères , des épouvantails , bons tout au plus à faire peur

aux niais .

Les mêmes mères , et de plus la mère Filiadei Novellucci

et la converse Passi , révèlent que les seurs Bonamici et

Spighi allaient communier sans être à jeun , qu'elles fai

saient gras le vendredi et le samedi , et qu'elles conseillaient

à leurs compagnes d'en faire autant .

Elles déposent que les deux sæurs en question abusaient

de la sainte hostie, qu'elles s'ôtaient de la bouche après

la communion , pour l'appliquer alle parti pudende . Elles

l'avaient aussi jetée dans la fosse d'aisance .

La mère prieure Cécile - Antoinette Salvi dit que , cinq ans

auparavant, la seur Bonamici avait cherché à la corrompre

à trois reprises différentes : « Elle prétendait qu'elle avait

eu un commerce charnel avec Jésus- Christ comme homme;


:

-

76

qu'elle avait bu le lait de la sainte Vierge ; qu'elle avait joui

d'un plaisir de paradis . » La mère Salvi en parla au confes

seur , et la sœur Bonamici fut forcée d'abjurer.

La sæur Bonamici s'était depuis peu adressée à la supé

rieure , pour lui demander avec instances de pouvoir de

meurer seule avec son frère , le père Jean -Baptiste Bona

mici . La supérieure refusa et rendit compte au conſesseur.

La Bonamici fut obligée à lui présenter ses excuses ; elle

s'était oubliée , disait - elle , étant prise de vin .

Le jeudi avant les dernières fêtes de la Pentecôte , la scur

Bonamici pria la mère prieure , déposante , d'écouter la

sæur Spighi . Elle y consentit pourvu que ce fût en pré

sence de la mère syndique , seur Emmanuelle Dragoni . La

Spighi vint et s'écria : « Est-ce là la charité dont on use

envers nous ? » et , tant elle que la Bonamici levèrent leurs

jupons, etc. La déposante se rua sur elles et les battit ; puis

elle les chassa . Ayant instruit le confesscur et le prieur de

ce qui s'était passé , les deux rcligieuses furent grondées et

privées des sacrements , et la Spighi fut destituée de son em

ploi de sacristine . Le confesseur menaça de les dénoncer

l'une et l'autre , mais elles se moquèrent de lui .

La mère Anne-Marie Domini dépose que la seur Bona

mici lui avait offert de la mettre dans une route nouvelle .

Elle en fit part au père Pacini , confesseur , qui lui demanda

le nom de la tentatrice , et lui défendit de la fréquenter

davantage .

La mère Emmanuelle Dragoni , étant prieure , avait été

sollicitée par la sæur Bonamici , qui l'avait invitée à la

mettre à même de s'unir avec Dieu, lui déclarant que cette


77

union devait s'opérer au moyen du commerce charnel entre

elle -même et un prêtrc , et désignant à cet effet le père

Gamberani, à cette époque confesseur de la communauté .

La déposante refusa d'y consentir ; mais , la Spighi s'étant

jointe à la Bonamici , les deux religieuses revinrent à la

charge en présence du père pricur Fortunati , qui les répri

manda et les tint pendant plusieurs semaines éloignées des

sacrements .

Il résulte de la déposition de la mère Rose -Marie del Feo

que la mère prieure Serrati reçut en sa présence une lettre

qu'elle lut à l'écart , conjointement avec le père Quaretti ,

prieur . La déposante parvint à découvrir que le père San

toro l'avait écrite pour se plaindre de la Bonamici , qui

s'obstinait à soutenir qu'elle pouvait se sauver sans la foi, en

niant le purgatoire et la présence réelle de Jésus - Christ au

saint sacrement. Le père Santoro , comme s'il eût su que la

sæur Bonamici se vantait de l'avoir eu pour maître , insis

tait pour qu'elle déterminât quand et comment il lui avait

enseigné ces choses.

Lorsque le père Deserio était confesseur , un jour qu'on

avait tardé plus que de coutume à ouvrir la grille par où se

donne la communion aux religieuses , la seur Spighi, sacris

tine , dit devant la déposante , sacristine également : « qu'on

attendait bien longtemps avant d'ouvrir le trou au pain ;

qu'au reste , quant à elle , peu lui importait, lors même qu'on

ne l'ouvrirait plus du tout . »

Marie-Madeleine Ceroti , converse , déclare que la saur

Bonamici lui avait recommandé de prendre à rebours les

conseils que lui donneraient ses directeurs spirituels , et par

MÉMOIRES DE RICCI .

7


78

exemple d'aller à la communion quand ils lui défendraient

de communier .

Au chapitre suivant , nous donnerons les examens des

deux accusées devant la mère Cécile- Antoinette Salvi ,

prieure , et la seur Emmanuelle Dragoni, syndique , rap

portés en entier et dans tous leurs détails , avec justesse et

précision , tels qu'ils se trouvent dans l'original , aux archives

de la famille Ricci .


CHAPITRE XIII .

Interrogatoire , lextuellement rapporté , de la sæur Catherine -Irène Bonamici.

Savez - vous pourquoi vous êtes renfermée ici ? Parce

que je suis chrétienne .

Quelle est l'essence d'une chrétienne ? — De croire qu'il

y a un premier principe , qui est Dieu .

Quel est ce Dieu ? La vérité des choses .

La vérité des choses doit- elle s'entendre du Dicu qui a

formé le ciel et la terre ? Je ne puis le nicr .

Est-ce ce Dieu qui a envoyé son fils au monde pour nous

racheter du péché ? — Certainement , c'est un assemblage

de toutes les choses, et même de tout le genre humain .

Vous ne croyez donc pas que celui qui est né de la vierge

Marie soit le fils de Dieu ? Non : c'était un homme

comme les autres .

Croyez - vous qu'il soit mort sur la croix pour nous


-

80

sauver ? – Je crois qu'il est mort parce qu'on l'a fait

mourir .

Oui ,

mais après qu'elle avait eu charnellement commerce avec

saint Joseph .

Croyez -vous qu'il soit né de la vierge Marie ?

Croyez -vous que Jésus -Christ soit l'instituteur des sacre

ments ? Non : il ne me reste quelques doutes que relati

yement à la dernière cène .

Jésus-Christ est- il présent dans l'hostie consacrée ? Je

ne le crois pas .

Avez-vous abusé de l'hostie consacrée ? Par dédain

pour elle , et parce que je ne croyais pas ce qu'on m'en

disait , je l'ai jetée aux commodités . (Elle ajoute :) il у

environ huit ans , je la retirai de ma bouche et la mis dans

une petite boite , où ensuite je la pris et me l'appliquai alle

partipudende.

Pourquoi cela ? - Parce qu'alors je n'avais pas encore

renoncé à l'erreur de croire que Jésus- Christ est présent

dans l'hostie .

Faisiez -vous cela par mépris pour Jésus - Christ ? Au

contraire , je le faisais par amour pour lui ; je voulais farlo

venir meco in quelle parti.

Cela est-il arrivé souvent ? Deux ou trois fois .

Éprouviez -vous en le faisant quelque horreur, de la ré

pugnance ? ---

Pas le moins du monde .

Jésus -Christ est-il l'auteur du baptême , qui est nécessaire

à l'homme pour se sauver ? - Le baptême est nécessaire

pour être catholique ; mais Jésus- Christ n'en est pas

l'auteur .

a


81

Qui a institué le baptême ? Je n'en sais rien ; peut

être saint Paul, ou les apôtres d'un commun accord .

Croyez-vous à la confirmation , à l'extrême-onction , etc. ?

Seulement pour autant qu'ils se réfèrent à la foi.

La foi nous apprend que le baptême a été institué pour

effacer le péché originel. -- Le péché originel est une figure,

non une réalité .

Si Dieu est voie , vérité et vie , n'est - il pas éternel , infini ,

tout-puissant ? - Sans doute .

Ne donne - t- il pas aux bons le paradis pour récompense

éternelle, et aux méchants l'enfer pour éternel châtiment ?

Oui , dans ce monde.

Ne donnera - t - il pas , après leur mort , le paradis aux

bons et l'enſer aux méchants ? Il leur a réservé le même

sort .

S'il donne le paradis ou l'enſer sans distinction aux bons

comme aux méchants , il faudra l'appeler injuste. — Il n'y a

ni paradis ni enfer . Le seul paradis est celui qu'on se fait

en ce monde. ( Elle ajoute :) La vie éternelle est la trans

substantiation qui s'opère quand l'homme s'unit à la

femme .

L'âme est - elle spirituelle , immortelle ? - Elle est mor

telle : l'âme consiste dans la mémoire , l'intelligence et la

volonté ; lors de la mort du corps , l'âme meurt avec lui .

Dieu a créé l'âme ; Dieu est éternel : donc l'âme est éter.

nelle aussi. Pur esprit, elle ne peut se détruire d'elle -même.

Elle se détruit d'elle -même.

Où avez -vous puisé cette doctrine ? Je ne la tiens de

personne .

7 .


-

82

Cependant, sans livres , sans maître , il est impossible

d'apprendre ce que vous venez de dire .

maître universel , qui est Dieu ou la nature .

Il existe un

Avez-vous enseigné cette doctrine à d'autres ? Oui ,

monsieur.

A qui ? - A deux religieuses chorales , Anne -Diomire

Baroni et Marie-Clodésinde Spighi , et à deux converses ,

Marie- Ursule Passi et Anne-Rose Grazzini .

Ces quatre religicuses ont -elles pratiqué votre enseigne

ment ? - Sæur Marie-Clodésinde la pratique ; je suppose

que les autres le font également .

Qu'avez - vous enseigné aux quatre religieuses déjà nom

mées ? Que l'on peut se sauver dans toutes les religions ;

que ce qu'on appelle des impuretés est la pureté véritable ;

que c'est là ce que Dieu nous a commandé de pratiquer ;

que c'est le seul moyen d'arriver à la connaissance de Dieu ,

qui est la vérité .

Où Dieu a-t-il commandé cela ? -

Je l'ai tiré de l'incli

nation de la nature .

Ne l'auriez -vous pas puisé dans ce que vous ont dit des

prêtres , des moines ou des séculiers ? - J'aireçu des lumières

qui m'ont aidé à acquérir ces connaissances ; ces lumières

m'ont été enlevées.

Nommez les personnes qui vous ont communiqué ces

lumières . - Mes confesseurs, les pères Gamberani , Orlandi,

Deserio .

De quelle manière ? est-ce par écrit ou au moyen de

livres ? Je n'ai pas eu de livres . Le père Santoro qui m'a

dirigée pendant dix-huit ans , lorsque j'étais encore scrupu


83

leuse, m'a beaucoup aidée par ses lettres . Quand mon es

prit eut été pleinement illuminé, il a continué à m'instruire ,

pendant environ un an et demi .

Avez -vous ces lettres ? Non , hormis une seule . Je

disais que j'étais abandonnée sur la croix et résignée à de

meurer ainsi ; il me répondit que je faisais fort bien .

Quelles lumières avez - vous reçues des pères Deserio , Or

landi , etc. ? - Je n'en sais plus rien : ils me défendaient de

communier , et je comprenais par là que je devais commu

nier ; je prenais tout à rebours .

Vous donnaient- ils la communion après vous l'avoir in

terdite ? Sans aucun doute .

Toujours ? Le dernier confesseur me l'a refusée . Au

commencement , cependant , il me la donnait, quoiqu'il

m'eût défendu , en présence de toutes les religicuses , d'y

participer . Puis , comme je continuais à me présenter , il

me la refusa .

Avez -vous fréquenté , aux grilles et à la porte , des per

sonnes professant les mêmes doctrines que vous ? – Non ,

mon père : je n'ai parlé qu'aux pères spirituels et à l'oncle

de Marie-Clodésinde , le chanoine Buti , et à un francis

cain , le père Scarpante , il y a sept ou huit jours .

Avez-vous causé avec le père docteur Ulivi , franciscain ?

Souvent. Une fois, je lui rendis compte de mes opinions

en matière de foi, mais hors de confession . Il feignit de

prendre cette confidence pour une confession sacramentelle ,

et me donna l'absolution , quoiqu'il sût fort bien que ma

confession était fausse .

Quelle pénitence vous imposa - t-il ?- Cinq Pater et cinq


84

Ave en l'honneur des saintes plaies, à réciter tous les jours .

Je n'en fis rien .

Vous étiez-vous confessée au père Ulivi avant cette épo

que ? Certainement : je lui avais même fait une confes

sion générale quand j'étais scrupuleuse ; mais je n'eus pas

la force de la terminer . Pour me tranquilliser , il fallut que

le père Pacini confirmât les obligations que m'avait imposées

le père Santoro , et qui convenaient à mes scrupules .

Quelles sont ces obligations ? -- Celle de réciter l'office

sans attention ni intention : je ne parvins pas à y réussir,

et je priai le père Pacini de permettre que je ne le récitasse

plus du tout . Ce père m'avait aussi prescrit une méthode

particulière pour les confessions ; je l'ai souvent négligée .

Avez -vous encore cette méthode ? Je n'ai plus rien .

Les dominicains me donnèrent l'ordre de tout brûler , il y

aura de cela douze ans au mois de septembre ,

Avez-vous enseigné votre doctrine à d'autres personnes

qu'aux quatre religieuses que vous avez nommées ? .- Seu

lement à une séculière , âgée d'à peu près sept ans . Je lui fis

pratiquer le voeu de chasteté en lui montrant à se toucher

le vergogne, ici (elle indique le parti pudende), et à dire :

Saint -Esprit , amour , venez dans mon cæur . »

16

Qu'enseignâtes - vous aux autres religieuses pour les

amener à vos opinions ?-A considérer ce que nous venons

de dire comme des actions vertueuses, qu'elles étaient obli

gées de faire pour observer le væu de chasteté.

Que devaient -elles faire dans ce but ? Se toucher les

parties naturelles , s'unir charnellement aux hommes et

surtout aux ministres de l'église , ct s'unir de la même ma

-

છે

}


85

nière les unes aux autres , pour qu'il y eût charité frater

nelle .

Avez-vous commis des impuretés avec des prêtres ? -

Non , monsieur.

Avec des religieuses ? — Oui .

Quelles impuretés ? Des attouchements réciproques ,

soit avec les mains, soit avec toute la personne .

Est-ce avec les religieuses que vous avez nommées ?

Avec trois seulement : avec la sæur Baroni , deux ou trois

fois; avec Marie -Clodésinde , très - fréquemment. Néan

moins, je lui enseignais à se toucher plutôt elle -même; car ,

de mon côté , je me sentais plus portée à le faire seule . Avec

la sæur Ursule Passi , je l'ai fait, mais rarement : elle ne

suivit mes conseils que pendant quatre ou cinq mois ; puis

on lui ordonna de m'éviter .

Pourquoi dul - elle vous éviter ? — Parce que la route que je

suis, quoique bonne par elle-même , était difficile pour elle .

Avez -vous sollicité d'autres religieuses par des actes ou

des discours ? Il me paraît que non ; il est possible tou

tefois que j'aie hasardé de temps en temps quelque mot .

Nous passons à l'interrogatoire de la seur Spighi.

-



CHAPITRE XIV .

Interrogatoire textuel de la sæur Marie -Clodésinde Spighi . — Déposition

d'une pensionnaire . - Nouvelles réflexions sur ce qu'on vient de lire .

Savez-vous pour quel motif vous êtes détenue ici ?

le sais : c'est parce qu'on prétend que je me conduis mal , et

que mes idées sont erronées .

En quoi ? - On dit que je suis hors de la voie tracée par

:

?

la loi de Dieu ; que j'ai falsifié cette loi ; et que je ne l'ob

serve pas .

Cette loi consiste dans les dix commandements de Dieu .

- J'observe ces commandements ; car la loi de Dieu est

comprise tout entière dans le précepte d'aimer Dieu et le

prochain .

Aimez - vous Dieu ? Le croyez -vous un être infini, tout

puissant, qui a créé le ciel et la terre ? - Assurément.

Croyez - vous qu'il soit le rémunérateur des bons qu'il

reçoit dans son paradis, et le punisseur des méchants qu'il

Je


88

condamne à l'enfer ? Je crois qu'il est le distributeur de

la justice, mais seulement en cette vie : après la mort , il

n'y a ni paradis ni enſer .

Que devient , après la mort , l'âme que Dieu a créée spi

a

rituelle et immortelle ? Elle finit d'exister avec le corps .

Si elle est spirituelle , elle ne peut ni se détruire , ni étre

détruite . C'est un esprit , mais qui se dissout comme un

brouillard .

Dieu a infusé l'âme dans l'homme pour qu'elle l'aimat

et le servit en cette vie , et pour qu'elle fût éternellement

récompensée au paradis dans l'autre . — Il n'y a de paradis

qu'en ce monde : c'est la fruition ( la jouissance ) de Dieu .

Comment parvient - on à cette fruition ? - Par le moyen

de l'acte qui fait qu'on s'unit à Dieu ; par l'opération de

l'homme, dans lequel je reconnais Dieu lui-même .

Cette union avec Dieu , moyennant l'intermédiaire de

l'homme, comment se fait - elle ? Je vais vous en donner

une idée . (La sæur Spighi , dit l'interrogateur , s'est levée et

a troussé ses jupons devant les mères syndique et prieure ;

je l'ai grondée , et elle s'est rassise .) Voilà l'oeuvre selon la loi

de Dieu .

Où avez-vous appris cette doctrine et ces cuvres ? - Dans

le livre de la vérité .

Quel est ce livre ? - Dieu lui-même est la vérité ; j'ai ap

pris ces æuvres de lui .

Dieu est parfait et saint ; il défend ces choses . — Oui ,

;

matériellement , selon la lettre de la loi ; selon l'esprit , il

ne les déſend pas .

Le sixième commandement : Tu ne commettras pas adul


1

-

!

.

89

tère , doit s'entendre au sens spirituel comme au sens lit

téral . – J'entends précisément par là qu'il faut faire ces

choses .

En quoi consiste l'oraison , par laquelle nous recourons à

Dieu dans nos besoins ? A faire du bien , de la manière

que l'église l'ordonne .

Faites-vous ce bien ? Sans doute .

Comment ? Je me conforme à ce que ſont les autres .

Croyez -vous que Dieu a envoyé du ciel son fils unique

pour nous racheter de nos péchés ?- Non , monsieur : Jésus

est un homme comme les autres .

Est- il mort pour sauver nos âmes ? Oh ! pour cela , je

n'en crois rien . Nous autres , chrétiens , nous le considé

rons comme notre chef , comme le fondateur de notre loi .

Quelle loi a fondée Jésus- Christ ? - Il a établi un grand

nombre de préceptes ; il a institué les sacrements .

Lesquels ? — Le baptême , la confirmation , l'eucharistie,

-

et quatre autres encore puisqu'il y en a sept .

Le baptême nous lave- t-il du péché originel ? -- On le

dit , mais je n'en crois rien : nous venons au monde avec

une espèce de sympathie , avec l'instinct d'aimer .

Croyez-vous aux autres sacrements ? A tous comme à

celui du baptême.

Avez-vous abusé des sacrements ?

insolite , mais non pour en abuser .

9

J'en ai fait un usage

Quel usage ? J'ai jeté le sacrement de l'eucharistie .

Où ? - Dans les lieux .

Combien de fois ? Une seule .

N'avez-vous pas fait

autre chose ? -

Je l'ai appliqué ici

8


-

a

90

( montrant le parti pudende ) , par amour pour ce sacre

ment.

Combien de fois ? Une fois, il y a de cela six ans.

Avez-vous enseigné à d'autres à faire la même chose ?

Non, monsieur

Savez-vous si d'autres vous ont imitée ?- Je ne le pense

pas . J'en fis part à la sæur Catherine - Irène Bonamici ;

j'ignore si elle a suivi mon exemple .

Qui vous avait enseigné cette abomination ? – Personne .

Quand je jetai l'hostie aux commodités , ce fut par incrédu

lité complète ; quand je me l'appliquai:aux parti pudende,

je le fis parce que je n'étais pas encore entièrement dégagée

des liens de la foi.

Avez-vous cherché à insinuer ces idées à d'autres per

sonnes ? - Outre la seur Bonamici , il

y

avait encore les

seurs Baroni et Passi qui pensaient comme moi ; cependant

elles n'ont jamais tout su .

Que leur enseignâtes-vous ?

A se toucher réciproque

ment : je ne me rappelle pas qu'il se passât autre chose avec

la seur Baroni . Quant à la seur Passi, il y eut aussi des

embrassements lasciſs .

Combien de temps cela dura-t-il ? – Nous nous bornions

à tenir des discours obscènes à la scur Baroni , et cela dura

plus longtemps qu'avec la sour Passi . Celle-ci pratiqua les

attouchements réciproques pendant un an à peu près.

Combien de temps y a - t - il de cela ? - Je pratique, moi ,

ces choses depuis sept ans . La seur Bonamici et moi les

cnseignámes presque aussitôt à nos compagnes.

Fut-ce à d'autres encore que celles que vous avez nom

2


-

- 91

mées ? Oui , à une pensionnaire , qui est Charlotte B ****,

છે

Que lui enseignâtes-vous ? A se faire des attouche

ments , disant que ce n'était pas péché ; rien de plus .

Lui fites- vous des attouchements , vous -même ? - Huit

ou dix fois, et seulement avec les mains .

Savez-vous où elle se trouve maintenant ? Dans le

couvent , à moins qu'elle ne soit partie depuis que je

suis ici .

A -t-elle continué à se faire des attouchements ?

Je n'en

sais rien ; je ne lui ai plus parlé depuis des années.

Avez-vous enseigné pareille chose à d'autres ? - Non ,

monsieur .

Sæur Catherine-Irène l'a -t-elle fait ?

Je ne le crois pas :

elle a enseigné ces choses à sa converse , soeur Anne-Rose

Grazzini , seulement . Nous en parlions souvent , seur Ca

therine-Irène , Anne -Rose Grazzini et moi.

Commîtes -vous des actions déshonnêtes avec Anne-Rose

Grazzini ? —-

Moi , jamais ; je ne sais pas ce qu'a fait la seur

Bonamici .

Quels discours teniez -vous ensemble ? — Nous parlions

de notre incrédulité . Il ne nous fallait que peu d'efforts pour

persuader la scur Grazzini .

Et avec seur Ursule Passi , fites-vous des altouchements

et tîntes - vous des discours ? Je vous l'ai déjà dit .

Pourquoi ces deux swurs s'éloignèrent-elles de vous ? -

Je pense qu'on les força de s'éloigner : je ne les ai , pour

ma part, ni renvoyées , ni rappelées .

Quel emploi desserviez-vous alors ? - J'étais employée

au noviciat où je montrais à lire à Charlotte .

>


-

-

-

92

Dans quel but cherchiez-vous à attirer à votre parti les

religieuses et les pensionnaires ? - Pour les instruire dans

les bonnes choses .

Où avez -vous puisé cette doctrine ? On n'y arrive pas

sans livres ou sans maître . Sur ce point , vous n'écrirez

rien ; car je n'ai pas puisé dans des livres .

Vous avez donc eu des maîtres ? Sour Catherine me

persuada et me gagna , en me disant que tout cela est per

mis , l'homme étant né libre , et personne ne pouvant en

chaîner son esprit .

Avez -vous eu d'autres maîtres de cette abominable doc

trine , qui sont venus à la porte du couvent ou aux grilles ?

- Non , monsieur .

Du moins, vous avez parlé de vos actions licencieuses à

des prêtres , des séculiers ou des moines . — Assurément.

A qui ? -- A un prêtre , Jean Bottello .

Outre les discours lascifs, ce Bottello a -t- il fait des ac

tions déshonnêtes ? Sans doute . J'ai moi -même touché

le sue parli vergognose .

Combien de temps cela a-t-il duré ? Cela est arrivé

quatre ou cinq fois en autant de mois .

Où cela avait-il lieu ? - Aux grilles .

Étiez -vous seule avec lui .? - Oui , quand il s'agissait des

attouchements ; mais pour les simples conversations , scur

Irène m'accompagnait quelquefois.

Bottello vous a- t-il jamais écrit ? — En partant , il m'a

écrit deux lignes . (Elle dépose qu'elle a parlé une fois à

Bottello de son incrédulité ; il a répondu qu'elle méritait

d'être brûlée . )


93

Avez-vous eu d'autres liaisons ?

9

Dans l'intérieur du

couvent , j'eus quelque pelite intrigue .

De quelle espèce ? - Je fis des attouchements avec un

homme, appelé Joseph Marini , qui était au service de la

communauté .

Quels attouchements ? - Réciproquement, alle vergogne,

alle parti disoneste.

Combien de fois , et combien de temps cela dura- t-il ? -

Trois fois en deux mois .

Qui est votre converse ? . Sæur Marie-Ancille Guasti ,

Lui avez - vous tenu des discours fait des actions

déshonnêtes ? — Non .

Les religieuses de la communauté ont- elles découvert ce

que vous disiez et ce que vous pensiez ? - Elles doivent

l'avoir su . Je ne me suis cependant jamais trahie moi-même.

Que vous disaient les confesseurs à qui vous découvriez

ces choses ? — Je ne m'en confessai qu'une fois, en disant

ce qui s'était passé avec Marini .

Vous conſessiez - vous des autres impudicités ? — Au com

mencement , oui ; mais seulement pour donner aux confes

seurs quelque idée de ma façon de penser et d'agir .

Que disaient les confesseurs ? - Ils me défendaient de con

tinuer à vivre ainsi , en disant que cela n'était pas convenable .

Comment faisiez -vous pour participer aux sacrements?

J'y participais de mon propre mouvement . Les confesseurs

ne me le permettaient pas ; mais lorsque je me présentais ,

ils ne me repoussaient pas non plus . ( Elle dépose :) Au com

mencement , le confesseur à qui j'avais tout dit , et sincère

ment, m'avait refusé la bénédiction . Plus tard , il me la

8 .

.


.

JA

94

donna, sans confession préalable. Lorsqu'une autre fois il

me la refusa de nouveau , je lui fis remarquer cette contra

diction , et il répondit : « Je supposais que vous vous étiez con

fessée. C'était le père Orlandi. Il me renvoyait continuel.

lement à un autre confesseur. Ennuyée de cela , je fis appeler

le père Ulivi , vicaire du saint-office. Je lui dis tout : je lui

expliquai longuement ce que j'étais et ce que je n'étais pas .

Il me dit : « Voudriez -vous , par hasard , tirer les marrons

du feu avec les pattes des autres ? » Depuis lors, je partici

pai aux sacrements , sans en avoir obtenu le consentement

des confesseurs .

7

46

Pourquoi y participiez -vous ? - Parce qu'il me semblait

que les confesseurs auraient pu me le permettre s'ils

avaient voulu .

Avez-vous tenu des propos indécents ou commis des ac

tions impudiques avec les confesseurs ? Certainement .

Avec qui ? — Avec deux de nos confesseurs, le père Or

landi et le père Gamberani .

Sont- ce eux qui tinrent les propos et firent les indécen

ces ? Non , ce fut moi .

Quels étaient ces propos et ces actions ? Je me trous

sais comme j'ai fait tantôt, et je leur demandais de satisfaire

mes désirs.

Où cela se passait- il ? - A la grille de la sacristie.

Combien de fois cela eut- il lieu ? -Je levai mes jupons

deux fois devant le père Orlandi , et une fois devant l'autre

père ; je renouvelai plusieurs fois, auprès de tous deux , la

prière de condescendre à ce que je voulais d'eux .

Se rendirent- ils à vos sollicitations ? - Non , monsieur .

7


95

-

Ils me grondaient et me défendaient l'approche des sacre

ments . J'interprétais leurs paroles en sens inverse . (Elle

dépose :) Je fis une fois une confession générale au père

Gamberani, niant les actions que j'avais commises sous ses

yeux et les opinions que j'avais avancées devant lui . Je lui

dis tout , excepté ce qu'il savait comme moi , soutenant fer

mement que cela n'était pas . Mon intention était d'en avoir

le cæur net , comme on dit , en me montrant à lui telle que

j'étais , afin de savoir si , en effet, lorsque les confesseurs

disaient : Ne faites pas ceci, je ne devais pas comprendre :

Faites -le ; si N'allez pas à la communion , ne signifiait pas :

Allez -y. Le père Gamberani me traina en longueur pendant

près de deux mois ; puis il me donna la sainte absolution ,

en m'assurant que le Seigneur m'avait pardonné, que je de

vais ne plus en parler à personne, et tout mettre en oubli .

Avant de vous absoudre , vous fit - il abjurer vos erreurs ?

Non ; j'avais fait une abjuration précédemment, et avant

celle-là une autre entre les mains du père Orlandi.

Comment cela eut- il lieu ? Le père Orlandi m'avait

remis un papier qui contenait mes opinions en matière de

foi, et je l'avais signé. Lorsque le père Gamberani jugea

nécessaire que j'abjurasse , il me dit : « Comment ferons

nous ? » Je répondis que j'avais encore la minute du père

Orlandi, et je la lui montrai. Là -dessus , il prit ses mesures :

j’abjurai de nouveau ; il me donna l'absolution , et tout fut

terminé .

Quelle pénitence vous imposa - t- il ? - Aucune .

Les confesseurs ne vous imposaient-ils jamais de péni

tence après les abjurations ?- Il me semble que non .


- 96

-

Et quand ils vous donnaient l'absolution ? Alors , oui .

Quelle pénitence était - ce ? - Je l'ai oublié . Probable

ment des prières , les sept psaumes de la pénitence ou le ro

saire . L'un d'eux , me paraît-il , m'enjoignit un jour dejeûner.

Vous conformâtes -vous à cette pénitence ? - Je n'en fis

rien du tout . ( Elle dépose :) Après cela , je demeurai tran

quille , ne me confessant que rarement , et seulement pour

ne pas trop me faire remarquer par mes compagnes .

Priez-vous Dieu quelquefois ? - Je fais l'oraison , selon

ma méthode .

Quelle est cette méthode ? - C'est l'acte par lequel je

m'unis à Dieu intérieurement , et extérieurement autant

qu'il est en moi .

Par quelles actions croyez- vous vous unir à Dieu ? - Par

celles que vous appelez actions impudiques .

Les faites - vous souvent ? Plusieurs fois le jour .

A vous-même , ou avec d'autres ?- Actuellement à moi

même , parce que je ne puis plus les faire avec d'autres .

Par le passé, avec qui les faisiez -vous ? — Avec la reli

gieuse , soeur Catherine - Irène.

Cet interrogatoire est clos et signé en due forme, comme

celui de la Bonamici .

Nous y ajouterons l'audition de noble demoiselle Rose

M***** , née à Prato , et qui avait été pensionnaire au couvent

de Sainte-Catherine, du 1er avril à la fin de septembre 1774 ,

sous la direction des maîtresses Bonamici et Spighi. Elle

dépose que la seur Bonamici , avertie qu'une des pension

naires prenait avec une autre des privautés illicites , au

lieu de la corriger, dit qu'il ne fallait pas ainsi supposer de


-

97

la malice en toutes choses. Puis elle se mit à rire avec

la sæur Spighi . Elle faisait de même quand la déposante

témoignait quelque embarras pour se confesser , traitant

ses scrupules de bagatelles , et s'en moquant .

Lors des exercices qui précédèrent la prise d'habit par la

sæur Ursule Passi , les deux maîtresses retenaient celle -ci

longtemps et secrètement dans leurs cellules , avant la con

fession et surtout après , et on les entendait folâtrer.

En été , seur Bonamici se tenait devant les pensionnaires ,

le sein découvert, disant que pour des jeunes filles il ne

fallait pas se gêner .

Les seurs Bonamici et Spighi se rendaient à la dérobée

dans la cellule l'une de l'autre , et s'y enfermaient. La dépo

sante les a vues , l'une dans le lit , l'autre dessus . On suppo

sait qu'elles couchaient ensemble , car on les voyait sortir

le matin de la même cellule .

Elles chuchotaient et riaient entre elles , avant et après

les confessions ; ce qui faisait croire qu'elles tournaient les

confesseurs en ridicule .

Mais en voilà assez , si ce n'est même trop , sur un pareil

sujet, qui finirait par dégénérer en un dégoûtant rabå

chage . Nous ne doutons cependant pas que le lecteur sé

rieux ne nous pardonne de nous y être arrêté si longtemps ;

pour quiconque réfléchit, il n'est pas indifférent de se faire

une juste idée des excès auxquels peut mener une intelli

gence vagabonde , une fois que la passion , par le défaut de

raison et la perte de la foi, est demeurée sans règle et sans

frein .

Ce qui saute aux yeux dans ce que nous venons de rap


98

porter , c'est, avant tout , le manque de sens réel de la plu

part des propositions émises par les religieuses prévenues,

qui ne cessent pas de se contredire , et , quand elles ne se

réfutent pas elles -mêmes, ne réussissent du moins jamais

lier entre elles, et en une espèce de système, les folies dont

elles font parade. Du reste , les examinateurs ne sont guère

plus forts en raisonnement que les examinées . S'il y avait

eu une croyance commune, l'accord eût été possible. Si

l'une des deux parties avait raisonné juste , l'autre aurait

bientôt été réduite à l'absurde . Mais, entre la foi qui in

terroge et le doute qui répond , surtout les mots employés

demeurant toujours dans le vague et susceptibles des inter

prétations les plus diverses , la discussion ne pouvait être

qu’un travail des Danaïdes , sans résultat et sans terme .

Pour ce qui est des aberrations dans la conduite des deux

religieuses , elles s'expliquent facilement, La Bonamici et la

Spighi ne voulaient , pendant cette vie présente,- la seule

existence qu'elles reconnussent, - qu'une chose exclusive

ment , savoir, du plaisir à tout prix, n'importe sous quelle

forme. Cela se conçoit : quand on est dans son bon sens , on ne

désire pas la peine sans compensation . Si la Bonamici et la

Spighi avaient vécu , comme on dit , dans le monde, elles se

raient demeurées dans les voies de la corruption commune ,

qui ne déshonore pas aux yeux de ce monde , et dont même

ce monde se fait gloire . Retenues dans l'enceinte d'un cloître ,

entravées à chaque pas par une discipline rigoureuse , elles

eurent recours à tous les excès qu'enfante une imagination

en délire : c'était la mênie perversité , mais une perversité

moins ordinaire dans ses manifestations, parce que , génée


-

99

dans son cours et longtemps comprimée, elle avait été ré

duite à se modifier singulièrement pour se frayer une issue .

Le monde la condamnait , mais pour cela seulement . Et ce

pendant cette perversité procédait du même principe erroné

auquel le monde s'abandonne sans frayeur et sans remords;

car, lui aussi , sans toutefois le proclamer aussi franchement

que le faisaient les deux dominicaines , n'a encore acquis

aucune certitude morale , et repousse celle que, pendant si

longtemps , il avait acceptée de confiance, en acceptant l'au

torité qui la lui imposait .

,



-

CHAPITRE XV .

Impertinence des deux religieuses envers l'archevêque de Florence . - Elles

abjurent le protestantisme . – Disparition de leurs papiers . La Bona

mici embarrasse ses examinaleurs. Son mysticisme. Sollicitations

ad turpia , au confessionnal. - Ce que fait le grand-duc .

Nous reprenons le récit des faits que Ricci a exposés .

Au départ des religieuses pour Florence , l'évêque de Pis

toie et Prato les recommanda avec chaleur au nouvel arche

vêque de la capitale , ainsi qu'aux deux prêtres Longinelli et

Fondelli .

L'archevêque Martini , jaloux de l'influence dont Ricci

jouissait auprès de Léopold , avait manifesté des doutes sur

la vérité des accusations formulées contre les deux domi

nicaines. Afin de changer ses soupçons en certitude , il se

présenta à l'hospice Bonifazio d'un air doucereux , propre ,

pensait- il , à gagner la confiance des détenues et à leur faire

infirmer les aveux faits à Prato . « Me voici , leur dit-il , et je

9


2

7

9

102 –

vous apporte le petit Jésus . » Les religieuses , ennuyées de

lcur séquestration , et redoutant de nouvelles cxhortations

catéchistiques, repoussèrent vivement le prélat , et afin de

s'en débarrasser plus vite , la Bonamici , se troussant jusqu'à

la ceinture , répondit : « Si vous nous apportez le petit

Jésus , nous vous montrerons notre sainte Vierge.

Elles demanderent , nous ignorons dans quel but , à ab

jurer entre les mains du père franciscain Bitossi , vicairc

de l'inquisition à Florence , comme elles avaient déjà abjuré

trois fois avant de quitter Prato : au moment de répéter cet

acte , elles changèrent probablement d'avis ; car , en présence

du père Bitossi , elles soutinrent plus énergiquement que

jamais les opinions qu’on tenait à leur faire rétracter . L'in

quisition de Florence était donc depuis lors instruite de

tout , si elle ne l'avait même été auparavant par le père

Ulivi , vicaire du saint- office à Prato , qui avait présidé à

deux abjurations, dont il ne pouvait mettre l'hypocrisie en

doute , au point que la seur Bonamici fondait principalement

sa confiance en son système sur ce que le père Ulivi , ayant

tout appris d'elle en confession , à deux reprises différentes ,

ne lui avait même pas prescrit la pénitence la plus légère .

Malgré ces antécédents , l'archevêque Martini prit le parti

d'ordonner une nouvelle abjuration . « Je sais à n'en pou

voir douter , dit Ricci , que (pour faire condescendre les

deux religieuses à cette rétractation ) on alla jusqu'à les faire

cruellement déchirer à coups de nerf de bæuf , par un des

domestiques de l'hospice , ct que même celui- ci se refusa à

servir plus longtemps d'instrument à cet acte de barbarie . »

- « Je fus fort surpris dans la suite , ajoute le prélat, d'ap

))


.

103 -

prendre qu'on leur avait fait abjurer les erreurs de la reli

gion prétendue réformée . » C'était , en effet, se tromper gros

sièrement , ou vouloir impudemment en imposer au public ,

que de confondre ces filles corrompues avec les disciples de

Calvin et de Luther .

L'archevêque de Florence , non content de cet escamotage

clérical , fit plus encore : on obligea la Bonamici à déclarer

qu'elle croyait que « la sainte église , catholique , apostolique

et romaine est la mère et la maîtresse de toutes les églises.

De manière que , de plein saut , la matérialiste , sensualiste

et panthéiste dominicaine était devenue plus orthodoxe aux

yeux du pape que Ricci lui -même , catholique fervent et

évêque sincèrement pieux .

Cet évèque , qui n'était aucunement la dupe d'une pareille

jonglerie , trouvait, lui , que les principes professés par ses

diocésaines étaient bien plus impies et plus dangereux que

ceux des protestants . Il nous apprend que la seur Bona

mici , qui avait de l'esprit et de l'instruction , devait avoir lu

les écrits de Voltaire , de Rousseau et d'autres philosophes

de cette époque. Il aurait pu s'en assurer , nous avoue-t- il ,

s'il ne s'était pas laissé surprendre par les dominicains , dont

l'un d'eux , le père Potentini , s'était chargé de saisir les pa

piers et les livres des religieuses. Le rusé moine les saisit

en effet, mais uniquement pour les soustraire à la connais

sance du prélat , auquel il dit qu'il avait tout brûlé .

Ricci pense que la seur Bonamici, enfoncée dans les er

reurs et les impuretés des gnostiques, - ce sont ses pa

roles , et qui était parvenue , au moyen des maximes du

quiétisme , à séduire ses compagnes , ne permit pas toujours

2


-

104

que les examinateurs vissent clair jusqu'au fond de la doc

trine qu'elle s'était formée . La seur Spighi , quoiqu'elle eût

pénétré le plus avant dans ses idées intimes , lui était cepen

dant de beaucoup inférieure en intelligence : aussi ne sut

elle pas , comme son initiatrice , éluder les questions qui lui

furent posées . Les autres religieuses séduites par la Bona

mici ne la comprenaient pas du tout .

« Aidée de ses subtilités et de quelque connaissance des

divines écritures , dont elle tourmentait et altérait le sens

avec une grande finesse et une remarquable facilité , seur

Bonamici — c'est son évêque qui le rapporte — mit plu

sieurs fois à la torture le docteur Longinelli : il m'a avoué

que , s'il avait réussi à réfuter ses sophismes , et à donner,

dans la plupart des cas, une réponse satisfaisante aux fortes

objections que la religieuse lui faisait , ce n'a été que par

une assistance toute particulière qu'il recevait évidemment

d'en haut . » Ce dernier correctif n'infirme en rien nos pré

cédentes réflexions. La Bonamici , qui ne croyait pas ,-nous

parlons dans le sens des catholiques , – embarrassait , et de

vait nécessairement embarrasser quiconque ne faisait que

croire , c'est-à-dire qui ne savait pas plus qu'elle , et qui par

conséquent était incapable de lui démontrer quoi que ce fût.

Quand les dominicains virent la tournure que prenait

cette affaire et les conséquences qui allaient infailliblement

en résulter pour eux , ils cherchèrent à faire passer les deux

religieuses inculpées pour folles. La cour de Rome les ap

puya de tous ses moyens , et le pape lui -même n'eut pas

honte d'y compromettre son autorité suprême en adres

sant à ce sujet un bref spécial à l'évêque de Pistoie . Les re


105

ligieuses de leur côté , comme pour déjouer cette intrigue ,

eurent soin , dans leurs relations avec les personnes qui les

approchaient , de prouver qu'elles jouissaient de toute leur

faculté de raisonner ; car cette faculté implique la possibilité

de mal raisonner , laquelle n'est autre chose que raisonner

plus ou moins juste après ètre parti d'un principe faux .

Sæur Bonamici , toujours au rapport de son évêque ,

s'était fort adroitement composé des théories mystiques sur

les voies illuminatives, purgatives et unitives, pour les tour

ner au profit de son quiétisme charnel . Voici ce que nous

avons trouvé aux archives Ricci à ce propos .

Le père Santoro avait répondu par lettre à une demande

de la sæur Bonamici , comme suit : « Une excellente chose

pour s'acheminer vers la perfection est la méditation du

livre intitulé : Exercice quotidien du père Navarra, de l'ora

toire de saint Philippe Néri . » Interprétation par la Bona

mici : « Navarra veut dire une agitation , un trémousse

ment , que sais -je , moi ? ... Oratoire, c'est nous . »

Elle abusait également des euvres du bienheureux Jean

de-la-Croix , afin de corrompre les religieuses qui , une fois

la tête égarée , perdaient bientôt toute retenue et se pro

istituaient à son libertinage .

L'évêque de Pistoie et Prato s'était figuré que le dérégle

ment des sens avait mené les recluses à l'incrédulité . Il eut

dans la suite tout licu de se convaincre , sans peut-être sc

rendre un compte bien net de l'impossibilité que la chose

fût autrement , que les dominicains avaient organisé un

vaste système de matérialisme et de spinosisme, qu'ils pro

pageaient dans les couvents soumis à leur direction . Quand

»

2

9 .


-

106

leurs pénitentes avaient adopté leurs maximes , elles se

trouvaient livrées , pieds et poings liés , à la fougue des pas

sions de leurs guides spirituels . Ricci ne tarda pas à ap

prendre que , parmi les gens du monde , plusieurs personnes

étaient mortes dans son diocèse en donnant les preuves

d'irréligion les moins équivoques : c'était le fruit de l'édu

cation reçue par les jeunes filles chez les dominicains ,

et propagée ensuite par les mères de famille dans la so

ciété .

Du reste , cela n'empêchait pas , d'autre part , l'usage des

petits moyens de séduction vulgaire , consistant en insi

nuations , tantôt tendres , tantôt licencicuses . Il n'est pas

inutile de donner ici un échantillon de la manière dont les

dominicains s'y prenaient , dans ce sens , pour mener peu à

à leurs fins les religieuses, les novices et les pension

naires qu'ils endoctrinaient. Cela se passait ordinairement

au confessionnal. Et n'oublions pas que , d'après la curieuse

statistique établie par Don Llorente , de laquelle il ressort

que le nombre des subornations au moyen de la confession

auriculaire est généralement proportionné à la difficulté

qu'éprouvent les confesseurs à se procurer des femmes d'une

autre manière ; n'oublions pas , disons-nous , que les domi

nicains ne viennent qu'après les carmes et les augustins ,

déchaussés et chaussés , les capucins, etc. , etc.

peu

Rose M**** , pensionnaire au couvent de Sainte - Catherine

à Prato , déclara que , pendant l'acte même de la confession ,

ayant demandé au père Gamberani , confesseur' ordinaire ,

comment naissent les enfants , il répondit : « On écarte les

genoux , et l'enfant sort. »


107 -

L'ayant une autre fois interrogé sur la question de savoir

ce que signific fornicare, il répondit : « Avez -vous vu en

fourner le pain ? On ôte et on remet sans cesse . Eh bien ,

c'est cela . »

Le même père demanda plusicurs fois à la déposante

comment elle se trouvait sous le rapport des incommodités

mensuelles des femmes, et lui fournit des drogues pour les

provoquer .

Elle était communément chargée de compliments pour le

confesseur de la part des religieuses ou des pensionnaires ;

et elle en recevait de la part des confesseurs par

l'intermé

diaire des autres pénitentes . Cela se passait en confession

même . Hors de là , le père Gamberani pressait la main à la

déposante , et lui tenait des propos qu'alors elle ne compre

nait pas , mais qu'elle supposait être déshonnêtes .

Sæur Pauline -Thérèse , converse au couvent de Saint - Vin .

cent à Prato , déposa que , pendant l'acte de la confession ,

ayant demandé au père Quaretti , prieur, la permission de

se mortifier en se donnant la discipline , il le lui défendit, et

se moqua d'elle en faisant allusion à ses parties obscènes .

Après la confession , lui ayant demandé s'il se portait bien ,

il répondit qu'il avait dormi tout nu et découvert .

Elle ajouta qu'il lui avait tenu des discours et commis sur

elle des actes contraires à la pudeur .

Déposition de Thérèse - Fidèle, religieuse au même cou

vent : Au confessionnal, quoiqu'il ne fût aucunement ques

tion de se confesser, le père Quaretti lui parla des mouve

ments des parties honteuses ; il lui répéta les mêmes choses

hors de confession .


:

108

Le père Viretti , conſesseur ordinaire , lui tint des propos

tendres , qu'elle n'interpréta dans un mauvais sens que

lorsqu'elle lui eut entendu émettre des discours décidé

ment impurs .

Déposition de Catherine- Alexandrine Canteni, également

religieuse à Saint-Vincent : Le père André -Thomas Potentini

lui avait adressé au confessionnal, mais hors de confession ,

des propos galants , immédiatement suivis d'attouchements

avec les mains .

Le grand -duc se montra décidé à extirper ces abus dans

leur racine : il commença par éloigner plusieurs individus

de Prato , et par exiler quelques moines de la Toscane . Les

renseignements et les dénonciations arrivèrent alors en

foule à l'évêque Ricci , et lui servirent à sonder la plaie plus

profondément. Il avoue cependant que le mal , qui remon

tait à une époque fort éloignée , n'en continua pas moins à

s'étendre en secret .

:


CHAPITRE XVI .

Les jésuites et les dominicains font agir le pape contre Ricci . Preuves de

la complicité de lout l'ordre de saint Dominique et du saint-siége .

A chaque découverte importante , Ricci n'avait jamais

manqué d'écrire à Rome et d'y rendre un compte clair ,

positif et détaillé de ce qui se passait . On n'y avait pas for

mellement repoussé ses communications, tant que le cardinal

Pallavicini était demeuré au limon des affaires. Mais lors

qu'il eut été remplacé par le cardinal Rezzonico , les choses

changèrent entièrement de face. Le cardinal Corsini avait

été chargé par Léopold de demander la prompte expédition

de pleins pouvoirs pour rétablir la paix avec l'ordre au cou

vent de Sainte-Catherine et dans les autres retraites peuplées

par les dominicaines. Le nouveau secrétaire d'état répondit

par une sortie virulente contre l'évêque de Pistoie et contre

son mandement sur la dévotion au sacré cour . Rezzonico

était dévoué au parti des jésuites , que des dangers communs


1

---

110

portèrent alors à s'unir aux dominicains, si longtemps leurs

antagonistes et leurs rivaux . L'affaire de la réconciliation des

deux ordres monastiques fut conclue entre le dominicain

Mamachi, maître du sacré palais , et le jésuite Zaccaria ,

lesquels, d'accord depuis ce moment , firent, dit Ricci , mou

voir le pape comme un mannequin , au gré de leurs désirs,

c'est-à-dire dans l'intérêt de leurs respectives congrégations.

Toutes les batteries furent donc dressées contre Ricci par

les nouveaux alliés : ils firent passer l'évêque de Pistoie aux

yeux du pape pour un jeune imprudent, dont le zèle incon

sidéré allumait un vaste incendie au sein de l'église , « Je

pense comme lui sur le sacré cæur , dit le pape

sonne qui lui parlait de cette dévotion ; mais ce n'était pas

le moment d'agiter cette question-là . » Corsini fit part de

toutes ces choses à Ricci , et le prépara à la double répri

mande qu'il allait subir , et qui avait été imposée au saint

siége pour venger les jésuites offensés et pour détourner

les regards de l'infamie dévoilée des dominicains.

à une per

Afin d'avoir du moins un prétexte pour refuser d'inter

venir dans ces débats de la manière que Ricci l'aurait voulu ,

la cour de Rome feignit de croire qu'elle était instruite

pour la première fois des détails qu'on lui communiquait ,

détails , disait- elle , qu'elle avait le droit , jusqu'à preuve du

contraire, de regarder comme suspects , puisqu'ils lui ve

naient , non de ceux qui auraient dû s'adresser directement

à elle , mais d'un prélat qui tenait avant tout à se rendre

important auprès de son prince en favorisant les projets de

réforme que celui -ci tenait suspendus sur l'église . Ricci

sentit toute la force de cette accusation . Aussi ne négligea

3


111

t - il rien pour montrer à l'évidence que les religieuses do

minicaines non perverties avaient eu plusieurs fois recours,

mais toujours en vain , au saint-siége et aux chefs de leur

ordre , nommément à Pie VI lui -même et au général

Boxadors , à qui elles avaient tout révélé , leur faisant con

naître l'urgence de leurs besoins , et les suppliant de venir

à leur aide ; que leurs lettres , qui ne leur avaient jamais

valu un mot de consolation , ni même de réponse , avaient

cependant été remises en mains propres, par l'intermédiaire

de personnes religieuses et laïques , entre autres , par le

ministre de l'électeur de Saxe .

On comprend facilement combien la chose , considérée

sous cet aspect , acquérait de gravité , et combien par consé

qucnt la publication des preuves à l'appui devaitblesser au vif

ceux qui étaient intéressés à soutenir le contraire . Ricci fai

sait éclater à tous les yeux que les prétendues vierges ,

épouses de Jésus -Christ , n'étaient que des femmes déver

gondées , cherchant le plaisir avec fureur , de concert avec

des prêtres sensuels et débauchés; que le tribunal de péni

tence était une agence de séduction et de libertinage ; que les

religieuses , les moines , leurs supérieurs jusqu'au chef de

l'ordre , toute la cour de Rome et le pape lui-même , non

seulement toléraient ces désordres , mais les favorisaient

depuis environ cent cinquante ans , par le reſus constaté

d'intervenir pour y mettre un terme . L'idée seule de la

complicité du général des dominicains et du souverain pon

tiſe dans une affaire d'hérésie , de profanation , de sacrilége,

d'impiété , d’immoralité et de corruption brutale , devait

faire frémir tout croyant sincère .


112

Eh bien ! Pie VI écrivit à Ricci , que lui-même n'aurait

jamais osé concevoir le moindre soupçon contre le très -saint

ordre des dominicains . Et pourquoi alors, s'écrie l'évêque

de Pistoie , le saint-siége avait- il soustrait cinq couvents de

religieuses à la direction de ces mêmes dominicains , à Sienne ,

à Pistoie et à Pise ( 1774)? Des soupçons ! il n'était plus ques

tion de si peu ; le pape pouvait , quand il le voulait , acquérir

une certitude pleine et entière , en faisant vérifier aux ar

chives même de Pistoie , par son nonce à Florence , les accu

sations sur lesquelles le moindre doute était devenu une

preuve de connivence .

Il y a plus : avant même que Ricci se doutât de ce qui se

passait au couvent de Sainte-Catherine à Prato , une confes

sion faite à Pie VI par une religieuse de cette maison avait

été remise au cardinal secrétaire d'état . Une seur Thérèse

de -Jésus , religieuse à Borgo San Sepolcro , avait fait faire

par la sour Spighi une confession semblable au général des

dominicains , et elle-même s'était adressée à ce général pour

lui dévoiler tout ce qu'elle était parvenue à savoir . Pie VI

n'en posa pas moins en fait que , à la secrétairerie du

généralat , il ne se trouvait rien qui concernât les désordres

signalés par l'évêque de Pistoie . » Cependant , il est avéré

que , dès l'année 1775 , le général des dominicains était in

struit de tout et dans tous les détails . Six ans plus tard , l'or

gueilleux Quinones c'est ainsi que ce chef de l'ordre de

saint Dominique est qualifié dans les pièces à l'appui qui se

trouvent aux archives Ricci, -assistait toutes les semaines,

dit notre évêque , au sein de la capitale du catholicisme , à

un diner familier d'hommes sans mæurs et sans foi.

7


113

Qu'on ajoute à cela ce que les archives Ricci mettent éga

lement au -dessus de toute contestation , savoir que , non -seu

lement les dominicains , les augustins , mais encore d'autres

ordres religieux travaillaient sourdement à propager le liber

tinage ; que dans un monastère qui n'est pas nommé , un

jésuite ordonnait aux religieuses de lever leurs jupons devant

lui , action qu'il appelait très - méritoire , parce que , disait- il ,

il fallait vaincre une forte répugnance pour s'y prêter ;

qu'enfin , dans Rome même , où tous les ordres réguliers en

voient des élèves , il y avait un college dont l'enseignement

ex professo n'avait d'autre but qu'une incrédulité sans

bornes , et l'on conviendra que , au point de vue surtout de

l'évêque de Pistoie et Prato , il fallait se ruer résolûment

et sans aucun retard au -devant du mal , pour le prendre

corps à corps et le terrasser de manière qu'il ne se relevât

plus .

9

MÉMOIRES DE RICCI .

10



-

CHAPITRE XVII .

Bref injurieux du pape contre Ricci . - L'inquisition . – L'archevêque Mar

tini . – Le grand -duc force le pape à céder . – Ricci chargé de la direction

des dominicaines.— Fanatisme de cet évêque . --- La cardiolâtrie convertie

en emblème de libertinage . – Fin des deux dominicaines perverties.- Les

dévols conspirent contre Ricci . Martini entrave les réformes de Léo

pold .

Ce fut en cette conjoncture que le pape lança contro

Ricci le bref rédigé par Zaccaria et Mamachi, bref que ces

deux moines , pour le faire plus facilement adopter par

Pie VI , avaient hérissé de toutes les vieilles prétentions de

la cour romaine à l'omnipotence universelle .

Ricci fait remarquer qu'outre l'éloge , si déplacé en pa

reille circonstance , de l'ordre des dominicains , le pape

y exaltait aussi le tribunal de l'inquisition , « qui ( ainsi

s'exprime l'évêque de Pistoie ) déshonore notre sainte re

ligion . » La vérité nous oblige à rectifier ce jugement :

certes , le recours au bûcher déshonore une religion qui n'a

6


-

116

plus son point d'appui dans l'opinion sociale ; mais sans une

inquisition , exprimant cette opinion , jamais il n'y aurait ,

ou du moins il n'y aurait pas pendant longtemps, de sainte

religion révélée , sous aucune forme. Une révélation , accep

tée comme principe d'ordre dans la société , a pour corré

latif obligé la sanction pénale frappant du dernier supplice

quiconque tente d'ébranler la foi générale en sa certitude .

La nécessité d'une inquisition est la preuve de la fausseté

en thèse absolue de toute révélation , de toute affirmation

dont la vérité n'est pas démontrée ; mais aussi longtemps

que cette vérité demeure dans le vague , le maintien d'une

inquisition est une condition sine qua non de la conserva

tion de l'ordre relatif à l'époque d'ignorance sociale . Et

l'ordre est la vie de la société .

Les louanges de l'inquisition dans la bouche de Pie VI

ne déshonoraient donc en aucune manière la religion chré

tienne , qui lui avait dû sa longue durée , et qui , pendant

toute son existence sociale , avait servi de base à l'ordre

dans la société soumise à son influence ; mais elles ren

daient ridicule le pape qui méconnaissait à ce point l'esprit

de son siècle , où l'inquisition était devenue impossible , et

où l'ordre ne redeviendrait désormais possible que par

l'application de la vérité librement acceptée de tous .

Quoi qu'il en soit , l'évêque porta le bref de Pie VI au

grand-duc qui voulut y répondre lui-même . Cela n'empêcha

pas le prélat outragé d'écrire de son côté . Il avait à repous

ser les épithètes d'homme de mauvaise foi, dc fanatique, de

menteur, de calomniateur , de séditieux , d'usurpateur des

droits d'autrui , etc. , avant de passer aux faits qui lui don


- 117

naient évidemment raison contre le saint-siége . Néanmoins,

il ne fit partir sa lettre qu'après qu'elle eut été approuvée

par le prince , par son ministre Seratti , et par le nouvel

archevêque de Florence , Martini , créature de Seratti , qui

lui -même était le favori de Léopold .

Martini se trouvait à Rome pendant que Ricci y sollici

tait les pouvoirs nécessaires pour réduire les dominicaines

rebelles , et il avait appuyé sa demande , afin de pouvoir

agir de son côté si le mal s'était étendu jusque dans le

diocèse dont il allait prendre la direction . Il ne se trompait

pas . Des abus graves nous citons furent découverts

dans un couvent de dominicaines , à Florence, au point qu '

y eut lieu à faire, non -seulement éloigner , mais même exi

ler le conſesseur.

A peine Martini avait- il pris possession de son siége ar

chiepiscopal , qu'il se mit à la tête des opposants qui accu

saient Ricci d'entraîner le grand-duc dans des embarras

dont les suites pourraient devenir funestes à son gouver

nement . Martini partageait les idées de l'évêque de Pistoie

sur les matières controversées , mais il était jaloux du nom

que, supposait - il, Ricci se préparait dans l'histoire en se

condant les vues d'un prince réformateur. Lui , le traduc

teur de la bible , s'engagea à Rome à entraver la publication

de l'histoire ecclésiastique de Racine et des écrits de Ma .

chiavel. Puis , d'accord avec Seratti , il se couvrit du man

teau du bien public pour conseiller au gouvernement de

laisser tomber dans l'oubli la querelle entre l'évêque de

Pistoie et lc saint -siége . Le grand -duc repoussa celte lå

cheté, et menaça la cour de Rome de pourvoir lui -même

2

10 .


118

aux besoins des couvents de femmes dans ses états, si le

pape ne se hâtait de les soumettre tous également aux évê

ques ordinaires . Il exigea de plus qu'il serait fait des excu

ses à Ricci pour les injures qui lui avaient été adressées , et

comme il parlait sérieusement et avec l'intention de passer

outre s'il n'obtenait ce qu'il avait demandé, le pape s'em

pressa de tout lui accorder . Ne sachant plus alors à qui s'en

prendre de tant de déboires , Pie VI réprimanda vivement

le général des dominicains qui , en le trompant , lui avait

fait une position aussi humiliante . Léopold , de son côté ,

reprocha avec force à ceux qu'il avait employés jusqu'alors

dans cette négociation , leur faiblesse et leur tiédeur .

Rieci mit immédiatement à profit les pouvoirs dont il

venait d'être revêtu . Il chercha cependant à adoucir le plus

possible - ce que les nouvelles mesures présentaient de trop

rigoureux aux yeux des dominicaines : à l'exception des

moines de leur ordre , il leur laissa choisir librement leurs

confesseurs sur une liste de prêtres réguliers et séculiers ,

qu'il avait dressée lui-même avec le plus grand soin .

Si le zélé prélat s'était borné à de pareils actes , il est

probable qu'il serait parvenu à ses fins ou plutôt à celles de

Léopold ; mais il était sectaire, et il l'était de bonne foi. Il

1

agissait dans le sens de ses convictions , avec toute l'ardeur

de quelqu'un qui veut faire son salut . C'était là ce que le

pape appelait du fanatisme, et il avait raison ; or , comme ce

fanatisme contrariait celui de la cour de Rome , le pape le

condamnait. On ne saurait l'en blåmer , bien entendu si à

la cour de Rome on était sincère aussi . Mais il est plus que

permis de le mettre en doute , et de croire que le fanatisme


119

romain n'était que le masque qui couyrait l'ambition du

saint-siége et sa cupidité. Ricci tonnait contre les loyolistes

parce qu'il les croyait dangereux pour la religion ; il ne

laissait échapper aucune occasion d'attaquer la dévotion au

sacré coeur qu'il faisait descendre en droite ligne des opi

nions d'Arius et de Nestorius , renouvelées par le jésuite

Berruyer , dont à coup sûr ses diocésains entendaient parler

pour la première fois. Le pape et ses courtisans tonnaient

contre Ricci et Léopold , qu'ils redoutaient comme dange

reux pour leurs jouissances et leur pouvoir .

Au reste , que les cordicoles , comme Ricci les appelle ,

fussent ou non les descendants plus ou moins directs des

anciens hérétiques que nous venons de nommer , toujours

est- il que l'évêque de Pistoie avait tout lieu de croire que le

nouveau culle avait une relation intime avec le libertinage

dont les dominicaines et les dominicains venaient de donner

des preuves si scandaleuses . L'examinateur Longinelli écri

vit à Ricci , que la sour Bonamici témoignait le plus grand

respect et beaucoup de vénération pour une image du Sau

veur, la poitrine ouverte et le cæur dans la main , telle

qu’on la doit au pinceau de Pompée Battoni , image qu'elle

avait reçue d'un jésuite . La religieuse la portait constamment

sur elle , et elle y attachait des idées d’un amour si abomi

nable , que le bon prêtre ne crut pas pouvoir les dévoiler ,

même au prélat .

Pour ne plus avoir à revenir sur les deux malheureuses

filles qui nous ont occupé si longtemps , disons ici que les pièces

contenant leurs derniers interrogatoires à Florence , pièces

bien plus positives , parait- il, et plus complètes que celles


120

des examens de Prato , furent remises directement au grand

duc qui probablement les emporta à Vienne lorsqu'il devint

empereur . M. le conseiller 'Tielemans, pendant son séjour

dans la capitale de l'Autriche (1828 ) , voulut bien faire à ce

sujet les recherches que nous lui avions demandées ; elles

demeurèrent infructueuses . Il en serait de même aujour

d'hui pour les papiers dont ces Mémoires ne sont que la

compilation , et auxquels , depuis la première publication

que nous en avons faite, les archives grand -ducales ont

également servi de sépulture . De Bonifazio, la Bonamici

fut transférée à Saintc-Lucie où elle mourut au commen

cement du siècle , presque en odeur de sainteté . La Spighi

demeura à Saint- Clément jusqu'à la suppression de ce cou

vent après l'invasion française ; elle passa de là avec ses

compagnes de clôture à Saint-Martin , et , lorsque cette mai

son aussi eut été fermée , dans un couvent abandonné par

les franciscains. Les maisons religieuses ayant été restau

rées avec le reste après la chute du grand empire, la scur

Spighi entra à San Girolamo delle Poverine, où , plus qu’oc

togénaire , elle vivait encore en 1823. Revenons à Ricci .

Comme il est facile de se le figurer , cet évêque se faisait

des ennemis acharnés de tous les dévots que les moines

ameutaient sans relâche contre lui et contre le gouverne

ment de Léopold . Ainsi se préparaient de loin les troubles

que nous verrons éclater à la première occasion favorable,

ct quc le pasteur imprudent aurait pu empêcher s'il avait

été plus adroit , c'est - à - dire s'il avait été janséniste aussi peu

sincère que ses ennemis étaient sincèrement dévoués au seul

intérêt de leur position , de leur fortune et de leurs loisirs .

à


121

Le grand -duc voulut bientôt que Ricci réalisât son plan

d'académie pour les études ecclésiastiques , à Florence , à

Sienne et à Pise . L'archevêque Martini réussit à faire avorter

ce projet : c'était , disait - il , trop vaste , et cela entraînerait

à des dépenses trop considérables. Afin cependant d'amuser

le prince par un semblant de condescendance , il présenta

un nouveau plan , mais pour Florence seulement , et ne

demanda pour le mettre à exécution qu'un simple local. Le

grand-duc s'empressa de mettre à sa disposition l'abbaye

(la Badia ) de Fiesole . L'archevêque s'en fit une maison de

campagne pour l'été , et ne songea plus à l'académie ecclé

siastique .

9



5

CHAPITRE XVIII .

La montagne de Pistoie . - Jansenisme de Ricci . – Permission de faire

gras les jours maigres . - Ricci accorde des dispenses de son autorité

privée . Les prédicateurs de carêmes . — Antagonisme entre Martini et

Ricci .

Nous avons déjà dit que Ricci prenait ses devoirs d'évê

que au sérieux . Ce n'était pas pour vivre dans l'indolence et

la mollesse qu'il avait accepté ces hautes fonctions sacerdo

tales , mais pour veiller au troupeau confié à sa garde et à

ses soins : et ce troupeau ne se composait pas seulement des

riches et des puissants dont il pouvait attendre des égards et

de la considération ; c'étaient surtout les petits et les pauvres

auxquels il croyait devoir son affection et ses secours .

Afin de connaitre les besoins de ses ouailles , il fit la

visite du diocèse de Pistoie et Prato , principalement dans

ses paroisses les plus écartées et qui attiraient le moins

l'attention . Il parcourut la montagne de Pistoie , ordinaire

ment appelée la Montagne, sans plus . C'est une partie des


2

124

Apennins , sauvage et stérile avant le règne de Léopold , et

que ce prince avait conquise à la civilisation et au bien

être .

Autrefois, les montagnards descendaient chaque année

dans les Maremmes ( les bords marécageux de la Méditer

ranée ) , où ils gagnaient de quoi vivre pour eux et pour leurs

familles, restées à la maison sous la garde du curé du vil

lage . Mais pendant l'absence du chef, les enfants étaient

négligés , les femmes et les filles devenaient une proie facile

pour la séduction , et le plus souvent n'avaient d'autre res

source que la fuite, au retour d'un mari jaloux et d'un père

irrité . Léopold traça ct fit exécuter un chemin sur Modène

à travers la Montagne , et accorda des avantages à quicon

que båtirait sur son parcours. De cette manière la Montagne

s'était peuplée el enrichie ; les habitants en étaient devenus

sédentaires ; les mœurs s'étaient réforınées. Les maremmans

d'autre part , privés de tout secours étranger , et obligés par

conséquent à se charger eux-mêmes des travaux dont ils

avaient besoin , en devenant industrieux et diligents , avaient

acquis de l'énergie et conservé leurs épargnes. Ricci estima

qu'il serait utile de créer une nouvelle paroisse , celle de

Boscolungo , et aussitôt le grand-duc , en dépit de son mi

nistre , fit mettre la main à l’quvre pour la construction

d'une églisc , dont il supporta personnellement une partic

des frais .

Il n'y aurait eu rien à dire , si le jansénisme n'était venu

mal à propos apposer son cachet à cette cuvre de bonne et

loyale administration . Sous prétexte que les saints modernes

valaient moins que les anciens, Ricci dédia les églises qu'il


125

ſut appelé à consacrer , à saint Augustin , à sainte Thècle , છે

saint Polycarpe , à saint Jean -Chrysostome , à saint Cyrille ,

au pape saint Grégoire , à saint Basile , à saint Ignace le mar

tyr , à sainte Prudence , à saint Remi , à saint Germain , à

saint Loup , etc. , dont la plupart des noms frappaient pour

la première fois les oreilles italiennes .

Ce fut encore le jansenisme de Ricci qui lui inspira ses

doléances sur la trop grande facilité avec laquelle , selon

lui , la cour de Rome accordait la permission de faire gras ,

les jours voués par l'église au régime du maigre . Cette

affectation de rigorisme , parfaitement en harmonie avec la

doctrine janséniennc , aurait , à l'époque de relâchement où

l'on était parvenu , cu besoin d'être appuyée par les lois

civiles ; mais cela était tout à fait opposé aux principes pro

fessés par les jansénistes , qui refusaient à l'église tout re

cours aux moyens temporels de coercition . Le saint-siége

aussi avait été sévère dans le temps sur l'observance des

moindres pratiques du culte , tant qu'il avait pu se faire

prêter main - forte pour que ses peines canoniques fussent

appliquées aux infracteurs . Mais du moment que l'opinion

générale s'était montrée indifférente à cet égard , et que par

conséquent le pouvoir s'était vu forcé de se tenir dans la

plus stricte neutralité , les papes s'étaient crus trop heu

reux, lorsque la grâce leur en était demandée comme une

faveur, d'avoir à permettre de violer les lois de l'église ,

qu'aucune autre loi n'avait plus la force de faire respecter :

c'était encore , après tout , se soumettre à l'églisc que de

reconnaître , n'importe pour quel motif, l'autorité du pape

qui en est le chef. Mais les jansenistes, inflexiblement atla

11

1


126

chés à des maximes qui n'avaient plus de sens , ne l'enten

daient pas ainsi : aussi furent- ils toujours en petit nombre ,

et ne surent-ils jamais , nous ne dirons pas seulement rien

fonder , mais même rien conserver .

Ricci se refusa à demander les pouvoirs ordinaires pour

dispenser de faire maigre pendant le carême ; il permit à

ses diocésains , de son autorité privée , de se nourrir d'eufs

et de laitage. Par là , il demeurait fidèle à l'ancienne disci

pline , et narguait tant soit peu le pape : il croyait remporter

une double victoire . Lui -même fait remarquer que la pre

mière dispense du maigre , sous Clément XIII (1767 ) , fit

élever un cri général de réprobation , et que la sévé

rité avec laquelle il prescrivit lui-même le maigre le fit

passer pour un rigoriste ridicule . En outre , les dévots,

romanoldtres avant tout , l'accusèrent de ne pas croire au

pape .

Comme si des dispositions aussi opposées à l'esprit de son

siècle ne lui suscitaient pas encore assez d'eunuis , l'évêque

de Pistoie et Prato s'attaqua ensuite aux prédicateurs de

carêmes. Ces missionnaires périodiques parcouraient les

villes et les campagnes comme de vrais histrions nomades,

- c'est Ricci qui les flétrit de celte épithète , - briguant les

églises les plus fréquentécs , les plus brillantes , et par consé

quent les plus lucratives , et les plus favorables pour se

mettre en réputation . La plupart , vendus à la cour de Rome ,

blâmaient hautement la marche du gouvernement toscan ,

et en général celle de la maison d'Autriche, pour leur in

tervention dans les affaires de l'église . Ricci se prononça

vigoureusement contre ces instigateurs de mécontentement

:


127

parmi les populations , et demanda avec instance l'appui du

pouvoir pour les réduire au silence .

L'archevêque Martini, qui ne cherchait qu'à contrecarrer

son collègue quand il pouvait colorer ses actes d'opposition

de quelque motif plus ou moins spécieux d'utilité , ordonna

à tous les réguliers de son diocèse de faire le catéchisme

aux fidèles, chaque dimanche. Ricci , au contraire, argu

mentant de l'abus que, tout récemment encore , les réguliers

avaient fait, en Autriche et en Toscane , du droit d'ensei

gner , de prêcher et de confesser, pour exciter les peuples

contre leurs princes et leurs pasteurs légitimes , défendit

aux réguliers de monter en chaire sans en avoir préalable

ment obtenu la permission du curé de la paroisse . Les

moines refusèrent tout service , et les dévots murmurèrent

plus haut que jamais . L'évêque passa outre et , continuant

ses travaux , 'publia un catéchisme qu'il cut soin cette fois

de choisir parmi ceux qui avaient été approuvés par l'in

quisition elle-même . Il reconnaissait qu'il en existait de

meilleurs (ceux nommément des jansenistes avoués ); mais ,

disait- il , il lui fallait éviter autant que possible , non - seule

ment la mauvaise doctrine , mais aussi le soupçon , même

mal fondé, de professer une doctrine passant pour mau

vaise .

S'il avait toujours raisonné dans ce sens , il se serait

épargné bien des chagrins .

1

<



1

1

CHAPITRE XIX

Abolition des taxes payées au saint-siége . – L'inquisition privée de loute

force coercitive . Elle est abolie par Léopold. — Les images miracu

leuses . – Via crucis . – Les olivétains. – L'académie ecclésiastique .

Rome avait impatiemment rongé son frein lorsque le

grand-duc s'était décidé à supprimer toutes les taxes qu'a

vant lui la Toscane payait au saint -siége . Elle éclata , à

l'abolition définitive du tribunal de l'inquisition .

Le saint -office en Toscane était desservi par les mineurs

conventuels . Sous les Médicis , son autorité avait été grande

et terrible , surtout lorsque le prince régnant avait lui

même quelque intérêt à le faire agir avec sévérité . L'inqui

sition ne fut mise hors de tout état de vexer les citoyens que

sous le gouvernement des princes lorrains . Voici à quelle

occasion eut licu cette réforme importante :

Le docteur Thomas Crudeli , de Poppi , était un poële fort

11 .


.

130

inoffensif, mais qui passait dans le public pour professer sur

la religion de son pays les idées , non pas encore de tout le

monde , mais du moins de ceux qui se piquaient d'avoir des

idées justes . Enfermé dans les cachots de l'inquisition , il y

serait mort des suites de sa longue détention et des mauvais

traitements auxquels il avait été en butte, s'il n'eût trouvé

le moyen d'avertir ses amis . Le comte de Richecourt,

instruit de la chose , fit sortir Crudeli de prison , et obtint

de Benoît XIV que désormais le saint -office demeurerait

privé de toute force coercitive. Le pape savait bien , disait

il , que c'était anéantir cette juridiction elle-même , mais

jugeant , en homme avisé , que le saint-siége n'avait plus

d'autre rôle à jouer que d'accorder avec empressement aux

puissances ce qu'elles voulaient bien encore condescendre

à solliciter auprès de lui, il n'hésita pas un seul instant .

Pie VI se montra moins facile lorsque Léopold , non con

tent de l'abolition de fait du saint -office, exigea jusqu'à la

suppression du nom même d'un tribunal dont l'existence ,

n'étant plus motivée socialement, était absurde et devenait

impossible . Le pape , espérant détourner par là l'attention

du grand -duc et la porter sur des intérêts plus graves ,

favorisa sous main la publication , dans ses états , d'écrits

injurieux et même séditieux contre les réformes, en partie

janséniennes, en partie philosophiques de Joseph II , sur

tout aux Pays-Bas autrichiens, et contre celles purement

janséniennes ou canonistes de Léopold lui -même . Sa colère

eut principalement Ricci pour objet. Heureusement pour le

prélat toscan , le pape ne trouva , du moins alors , d'autre

moyen de décharger sa bile qu'en défendant à monsignor


131

Amaduzzi, un des admirateurs de l'évêque , de lui dédier

unc publication qu'il projetait.

Au printemps de l'année 1782 , des pluies incessantes

menaçaient de compromettre la prochaine récolte . Les ex

ploiteurs des églises et des chapelles s'empressèrent de

mettre celle occasion à profit pour exposer des images ,

« improprement nommées miraculeuses, » - ainsi s'ex

prime Ricci, - afin de faire de l'argent . C'était au tour

d'une Madonna dell ' Umiltà , dont il s'agissait avant tout

de faire sonner bien haut le pouvoir , et les bonnes dispo

sitions à en user en faveur des fidèles qui y auraient droit.

A cet effet, les entrepreneurs de dévotions présentèrent à

l'évêque de Pistoic une annonce pompeuse à siguer,

à

pour

qu'elle pût être affichée dans le diocèse . Mais loin de les satis

faire , Ricci prit à tâche de rectifier les idées de ses ouailles

sur l'intervention des saints qu'il appelait nos frères, et sur

le culte des images qu'il fallait bien se garder , disait- il ,

d'exagérer par la superstition . C'était singulièrement choisir

son temps pour une pareille instruction pastorale. Aussi le

vulgaire taxa - t- il l'évêque d'ignorance et d'hérésie .

Ce fut bien pis quand il tâcha de régulariser , avec le

père Pujati , bénédictin , la dévotion de la Via crucis ou des

stations . La nombreuse famille des enfants de saint Fran

çois , en possession de disposer de cette dévotion à son gré

et selon ses intérêts , se dressa contre Ricci comme un seul

homme . L'évèque prétendait qu'il n'est pas permis d'em

bellir ou plutôt de dénaturer l'histoire évangélique de la

passion , en y ajoutant des circonstances inventées après

coup , telles que les trois chutes de Jésus sur le calvaire , sa

3

1


-

-

132

rencontre avec sainte Véronique , etc. , etc. Ricci fut ac

cusé de phantasiasme, c'est -à - dire de professer l'erreur des

anciens docètes , qui refusaient un corps réel à Jésus-Christ,

et partout des espèces d'émeutes furent organisées pour le

perdre .

Nous rapportons ces puérilités afin de montrer que , s'il

importe à une religion encore puissante de se contenir le

plus possible dans les bornes de la raison compatible avec

son existence , la société où cette religion déjà déchue vé

gète encore n'a plus rien à craindre de ses extravagances ;

elle n'a plus qu'à la laisser succomber sous les efforts in

considérés par lesquels on cherche à prolonger son agonie

et qui ne font que déshonorer sa chute .

Nous avons vu comment le plan d'une académie ecclé

siastique pour toute la Toscane avait échoué, Ricci n'en

persévéra pas moins à vouloir le réaliser pour autant qu'il

dépendrait de lui , et il obtint à cet effet du grand-duc le

couvent des olivétains de Pistoie , qui allaient être suppri

més . Afin de ne laisser aucun doute sur les motifs qui né

cessitaient cette dernière mesure , l'évêque la fit mettre à

exécution à l'improviste el sans en avoir fait prévenir . Sur

pris au moment même de leur repas , les moines virent sai

sir leurs maisons de ville et de campagne , et apposer les

scellés sur leurs papiers après qu’un inventaire eut été dressé

>

de leurs meubles et de leurs effets . Il fut constaté

par là

que les olivetains possédaient une quantité énorme de cartes

à jouer , et une bibliothèque où les saintes écritures ne se

trouvaient pas même au complet et que le grand -duc es

tima à cinq ou six francs. L'aristocratie se plaignit amère


133

ment de la suppression que nous venons de rapporter : les

nobles de Pistoie avaient l'habitude de placer chez les oli

vétains les enfants dont ils voulaient se débarrasser , et eux

mêmes allaient perdre auprès de ces pères leurs heures

d'oisiveté et d'ennui.

Dès qu'il put disposer des propriétés confisquées, Ricci

demanda un lecteur en théologie au célèbre Tamburini,

chef de l'école anti-curialiste de Pavie , qui lui envoya le

docteur Jean -Baptiste Zanzi dont il était sûr . L'évêque fit

suivre ce choix de dispositions qu'il prit pour l'avantage de

son nouvel établissement et pour le succès des études qui

allaient s'y faire , toujours d'après les conseils de ses amis

les jansénistes de France et de Hollande . Ses regrets , lorsque

son départ forcé entraîna la ruine de son institution , furent

des plus poignants.

Pour donner quelque idée des intrigues et de la mau

vaise foi qui furent mises en @uvre pour faire avorter les

projets de Ricci , nous consignerons ici l'anecdote suivante .

Le général des olivétains se prétendit créancier des moines

de son ordre en Toscane pour une somme qui aurait ab

sorbé tout leur avoir , et il parvint , soit en trompant les

ministres de Léopold , soit en les rendant complices de sa

fraude , à leur faire reconnaître la validité de ses préten

tions. Mais Ricci découvrit qu'il ne s'agissait que d'une de

ces vieilles taxes imposées par la cour de Rome et que le

grand -duc avait abolies . Ce n'est pas tout : le pape Benoît XIV

ayant , avant cette abolition , prévu de longue main que les

dites taxes finiraient par ne plus pouvoir être perçues , ni

en Toscane , ni ailleurs , les avait capitalisées , et pour ne pas

2

>


1

134

tout perdre , s'était fait rembourser. Les olivétains toscans

ayant facilement trouvé de l'argent à un taux moins élevé

que ne comportaient les taxes romaines , avaient d'abord

éteint celles- ci, puis s'étaient peu à peu libérés de leur nou

velle dette . Le général espérait , tout en épuisant les res

sources de l'académie ecclésiastique de Pistoie , avoir en

outre le bénéfice d'être payé deux fois. La fourbe décou

verte , il en fut pour la honte d'y avoir eu recours.


CHAPITRE XX .

Les études théologiques dans les couvents . Ignorance des moines .

Publications de Ricci .

Ricci exigeait que des conférences morales se tinssent ré

gulièrement dans son diocèse , mais non plus pour la forme

seulement. Il obligea les réguliers , dépendants désormais

des évêques , à y assister . Chargé de surveiller les études

ecclésiastiques dans les couvents , il commença ses visites

par se rendre au couvent des mineurs observantins , à Giac

cherino , où il savait qu'il y avait une bibliothèque choisie .

Malheureusement , elle n'était d'aucune utilité pour les

élèves, et elle était à peine connue par les moines . A Giac

cherino, comme dans toutes les maisons religieuses, les livres

étaient relégués dans quelque réduit immonde , dont sou

vent la clef était introuvable. Aux paoletti de Pistoie , un

moine répondit franchement à l'évêque : Demandez -moi

des meubles, un vase par exemple, servant à l'utilité ou aux


136

agréments de la vie , je vous l'indiquerai à l'instant ; mais

en fait de livres , nous ne connaissons ici que le calendrier

de la sacristie et l'almanach de la cuisine.

Aussi , ajoute Ricci à qui nous devons ces curieux dé

tails , les moines étaient- ils d'une ignorance crasse, livrés à

l'indolence et aux dissipations de toute espèce . Les supé

rieurs, afin de perpétuer cet état de choses si commode pour

leur propre nullité, allaient jusqu'à défendre à leurs subor

donnés d'acheter des livres pour leur usage et à leurs frais.

Désirant vivement savoir ce que les professcurs ensei

gnaient, Ricci interrogea quelques élèves . La plupart , dit-il ,

étaient dépourvus de toute instruction ; quelques-uns en

avaient reçu une mauvaise . Leur théologie se bornait au

dogme de l'infaillibilité du pape , maître absolu de l'église et

des états . Ce qui naturellement intéressait le plus l'évéque

janseniste , c'était la doctrine de la grâce et de la prédestina

tion ; il trouva que les moines professaient le molinisme de

manière à scandaliser Molina lui -même . Il n'y avait pas

7

de quoi faire des théologiens même médiocres . En bien ! de

pour encore que leur intelligence ne s'émancipât au delà

des limites de rigueur , on avait soin de faire continuelle

7

ment passer les élèves d'un couvent à un autre , de sorte

que toujours le cours qu'il était en train de suivre , ou

bien il ne l'avait jamais commencé , ou bien il ne pouvait

jamais le finir.

Les religieux de saint François— nous continuons à citer

Ricci— n'avaient , la plupart du temps , aucune notion de la

langue latine . Il leur fallait un dictionnaire pour arriver à

comprendre les décisions du concile de Trente et le caté


.

137

chisme romain : c'étaient là ceux qu'on nommait docteurs

et professeurs, pour qu'ils se crussent obligés d'apprendre au

moins quelque chose de ce qu'ils allaient devoir enseigner .

Les plus obtus devenaient confesseurs et prédicateurs, et ils

étaient fort recherchés dans les campagnes . Tout ce que

Ricci put faire pour réſormer les moines dans l'intérêt de la

religion dont ils se disaient les enfants les plus dévoués , ne

scrvit à rien . La cour de Rome y mettait obstacle ; et les

provinciaux , dont elle disposait à son gré, la secondaient

activement , au moyen du renvoi incessant des religieux et

des élèves , d'une maison ou l'évèquc avait cru les atteindre,

à une autre maison sur laquelle il était sans autorité , dé

jouant ainsi ses projets et paralysant ses cfforts .

Il ne s'en était pas moins fait des ennemis irréconciliables

dans le clergé régulier , qui , par la soumission des couvents

aux évêques , perdait , avec toute influence, chacun dans son

ordre , les énormes profits qui en étaient la conséquence.

Ricci nous apprend, entre autres choses, que le provincial

des franciscains de Toscane , qui avait été une seule fois

chargé de faire la visite des couvents placés sous sa direc

tion , était riche pour sa vie entière . Le couvent d'Ognissanti

à Florence , si renommé pour son commerce en draps , lui

rapportait en cette occasion près de vingt-cinq millc francs.

A l'affaire des couvents succéda celle des livres . Ricci en

fit publier un grand nombre à ses frais, en ayant soin de

choisir ceux qui lui paraissaient les plus instructifs, en même

temps qu'ils étaient le plus à la portée des intelligences or

dinaires . Son recueil des Opuscules intéressant la religion

( 1783 ) fut porté jusqu'au 17 € volume, et ne fut interrompu

12


138

que par sa retraite forcée ; il avait l'intention d'y reproduire

les traités des saints pères , traduits en italien .

Malheureusement les préoccupations de l'éditeur don

naient toujours à ces entreprises une couleur de secte qui

en gâtait l'effet. Nous ne pouvons assez répéter que nous ne

blâmons aucunement l'évêque de Pistoie d'avoir professé et

cherché à propager les doctrines janséniennes , plus chré

tiennes peut-être que celles des jésuites , professées à Rome .

C'était là une affaire de conscience privée , à une époque où

la confusion des opinions ne permettait plus qu'il y eût une

conscience publique . Mais il y avait contradiction manifeste

chez lui à vouloir être catholique malgré et contre le chef

du catholicisme . Ricci usait de son droit de chercher à

servir sa religion comme il croyait qu'elle devait être ser

vie ; mais il se trompait dans le choix des moyens , car cette

religion ne pouvait se conserver pour quelque temps en

core que telle qu'elle était , et vouloir la réformer était

infailliblement travailler à la détruire . Il y avait de la part

de Ricci erreur de raisonnement , non crime : il subit les

conséquences de sa faute ; on le crut puni de ses mauvaises

intentions .

Quoi qu'il en soit , la cour de Rome ne sut plus dissi

muler sa fureur à l'ouïe du nouvel attentat du prélat

toscan à l'omnipotence pontificale : on l'accusa , à l'occa

sion de ses publications,de zwinglianisme ct de calvinisme;

mais il eut peu de peine à confondre ses calomniateurs qui ,

pour le perdre , avaient supposé que , par la présence spi

rituelle de Jésus -Christ dans l'eucharistie , Ricci avait en

tendu une présence simplement ſigurée. Spirituel et réel,


139

dit - il à ce propos et avec beaucoup de raison , ne se contre

disent aucunement . Il aurait pu aller plus loin , et dire qu'il

n'y a de réel que ce qui est spirituel ou plutôt immatériel ;

mais il lui restait à démontrer qu'il y a quelque chose

d'immatériel dans du pain , et cela est absurde . Cependant

ses adversaires croyaient à cette absurdité aussi bien que

Ricci lui -même . Pourquoi alors se combattaient-ils ? Pour

quoi ? par ambition , par vanité , par amour de la faveur et

du pouvoir , par ignorance de la vérité , par envie de se

distinguer en faisant triompher l'opinion dont on s'était fait

l'apôtre , en un mot , par une des passions quelconques qui ,

inévitablement , dirigent les hommes, quand elles ne sont

pas soumises à la raison , et qui ne peuvent être soumises à

la raison que lorsque celle - ci est incontestablement déter

minée .



0

CHAPITRE XXI .

Abolition des congrégations de prêtres . Défense aux bénéficiers de se

faire remplacer. —- Les jours de Ricci sont menacés . – Madone miracu

leuse . — Fautes de Léopold . — Intrigues des dominicains. — Suppression

des autels , hors un seul , dans chaque église . — Les abandonnées.

Léopold chargea l'évêque de Pistoie de prendre la surin

tendance des trois congrégations de prêtres qui se trouvaient

dans son diocèse . Le grand -duc avait été averti par un

membre de l'une d'elles , qu'elle possédait pour près de trois

millions de francs de revenus , ct qu'elle jouissait d'une

grande influence par les secours qu'elle donnait à beaucoup

de prêtres oisifs et inutiles , et par les dots dont elle grati

fiait quelques filles du peuple . C'est ainsi que la chose est

présentée par les réformateurs mêmes de l'époque , et elle ne

saurait mieux l'être pour prouver à l'évidence qu'au fond

il n'était question que d'une seule chose , savoir : enlever au

clergé , avec ses richesses , le pouvoir qu'il avait acquis, à

12 .


-

142

tort ou à raison, il ne s'agit point de cela , -- et s'emparer

de ce pouvoir et de ces richesses pour disposer dorénavant

de l'église , comme l'église jusqu'alors avait disposé de

l'état .

Les gouvernements qui recouraier à ces mesures de con

fiscation croyaient - ils ne pas violer le droit de propriété ?

Nul ne saurait le dire . Ce qui est certain , c'est qu'ils ne

négligeaient rien pour le faire croire par les autres . Leurs

actes de spoliation avaient toujours pour motifs avoués ,

soit l'illégitimité de la possession des biens , soit le mauvais

usage qui en était fait, soit enfin le danger qui résultait de

leur possession pour l'ordre social . Ces prétextes, qui ne

manquent jamais aux puissants pour exproprier les faibles,

n'ont aucune valeur devant la justice et ne sont quelque

chose que par la force qui les appuie. En principe de

raison absolue , ou il n'y a point de droit de propriété , ce

qui est absurde , ou toute confiscation en est la négation di

recte . Ces réflexions faites une fois pour toutes , revenons à

notre évêque.

On peut dire que la commission dont Ricci venait d'être

honoré par la confiance du prince rendait sa position

dans son diocèse , de très-compromise qu'elle était depuis

quelque temps, définitivement désespérée et presque sans

ressource . A Pistoie , un emploi dans une des congrégations

dont nous parlons était l'objet des brigues les plus ar

dentes, puisque les avantages qu'on en retirait équivalaient

à ceux de la dignité de cardinal . La congrégation de

Sainte -Marie di Piazza , la moins riche des trois , - son

revenu ne s'élevait que de cinq à six cent mille francs,

>


143

était mieux administrée que les autres . Les biens-fonds et

les rentes des congrégations de la Trinité et du Saint-Esprit

étaient dans le plus grand désordre . Il fallut avoir recours

à la force pour obtenir des comptes un peu en règle . Après

quoi , le patrimoine des trois congrégations fut appliqué à

l'entretien des curés, qui ne furent plus, dit Ricci , à dater

de cette augmentation de salaire , dans la nécessité de tra

fiquer des choses saintes pour vivre , ce qu'ils avaient fait

jusqu'alors.

L'évêque de Pistoie obtint peu après du prince une loi qui

obligeait les bénéficiers de sa cathédrale à faire eux - inèmes

le service pour lequel ils étaient si richement rétribués , au

lieu de payer chichement, ainsi que c'était la coutume , des

prêtres ignorants et pauvres pour les remplacer . Comme de

raison , tous ceux qui vivaient de ces abus ou qui y trou

vaient des moyens de se rendre la vie plus commode, de

vinrent , quand ils s'en virent privés , les ennemis les plus

irréconciliables du scrupuleux prélat.

Malgré cela , Ricci ne reculait et même ne s'arrêtait pas

dans la voie qu'il avait cru devoir se tracer , et qu'il suivait

sans jamais regarder derrière lui , pour remplir ce qu'il

considérait comme son devoir envers les hommes et envers

Dieu . Son malheur fut, il en convient lui -même , que sa po

sition le mit dans l'indispensable nécessité « de heurter å

chaque pas les moines et la cour de Rome , » Comme il pré

tait sans cesse le flanc sous le rapport des doctrines qu'il

affichait quelquefois, disons -le sans hésiter , avec une espèce

d'étourderie , on continua à essayer de le faire passer pour

hérétique. Il lui était , pour ainsi parler , impossible de se


144

laver de cette accusation , et il devait tôt ou tard succomber

sous la gravité qu'on lui attribuait encore généralement

parmi ses concitoyens . Le jour de la fête des Rois , une

affiche se trouva collée sur les portes de sa propre église ,

portant en gros caractères : « Priez pour notre évêque hété

rodoxe . » L'hérésie qu'on lui attribuait se bornait d'abord

au jansenisme ; puis , lorsqu'on se fut suffisamment fami

liarisé avec cette idée , on l'accusa de vouloir détruire la

religion chrétienne tout entière .

Après cela , vinrent les lettres anonymes , les menaces

d'assassinat et d’empoisonnement . On chercha à pénétrer

dans ses bureaux et dans son cabinet particulier , et un

homme mal famé s'offrit à le tuer pour cinq cents francs .

Nous venons de reprocher à Ricci l'inconsidération de

quelques -uns de ses actes . En voici un exemple : dans une

chapelle du diocèse de Fiesole , dont l'évêque de Pistoic

avait le patronage , se trouvait une madone réputée mira

culeuse, que , à l'occasion d'une réparation qui avait été

faite , quelque temps auparavant, au mur auquel elle était

adossée , un maçon avait barbouillée de couleurs d'une façon

ridicule . Ricci , en faisant procéder à une nouvelle restaura

tion dont la chapelle avait un urgent besoin , fit placer une

image toute neuve de la Vierge sur le maître - autel , et une

autre de sainte Catherine de Ricci à l'endroit même où était

la madone miraculeuse , qu'il avait fait disparaitre sous

une couche de badigeon . Un moine , curé à Passignano ,

paroisse voisine de la chapelle en question, feignant d'igno

rer ce qui avait cu licu , se porta processionnellement, à la

tête de ses fidèles, pour visiter l'image effacée. Arrivé de


145

vant le mur blanchi, il joua l'étonnement , puis le scandale ,

et réussit ainsi à scandaliser réellement les dévots ingénus

et crédules . Cette affaire brouilla Ricci avec Mancini , évê

que de Fiesole, jusqu'alors son ami ,

Des imprudences de Ricci , passons à celles de Léopold :

ce prince voulait débarrasser le culte extérieur du catholi

cisme des pratiques grossières et superstitieuses que l'igno

rance du peuple et l'avidité du clergé y avaient introduites ,

afin , dit l'évêque , de ramener à la religion les personnes

raisonnables qui s'en étaient éloignées , et de prévenir l'in

crédulité des hommes instruits , suite nécessaire de la maté

rialité des cérémonies religieuses .

Il y avait là , en effet, quelque chose de louable , du moins

dans l'intention ; mais de quelle autorité Léopold assumait

il une mission qui ne lui appartenait pas plus qu'à tout

autre fidèle ? Ou il était catholique sincère , et il devait se

soumettre à ce que décideraient et feraient les supérieurs

du catholicisme ; ou il ne l'était pas , et il n'avait rien à dire ,

il n'avait même aucun intérêt à dire quelque chose concer

nant les catholiques et leur religion , qu'il lui importait au

contraire de voir succomber le plus tôt possible sous le

poids de ses inepties . Il n'avait , en tout état de cause , aucun

droit d'appeler ignorance ce que les dévots appelaient foi,

ni de taxer de superstition ce que les fidèles considéraient

comme piété. En sa qualité de chef de l'état , il devait la jus

tice et la même justice à tous , sans acception d'opinions

religieuses ou autres , voilà tout.

Que fit - il au lieu de cela ? Il appliqua à la Toscane un

mandement de l'archevêque de Salzbourg , qu'il envoya à

y


146

tous ses évèques , et que Ricci s'empressa de transmettre

aux curés de son diocèse , afin que Dieu ne fût plus adoré

qu'en esprit et en vérité. Il en résulta immédiatement que ,

les fonctions paroissiales se trouvant bornées à l'explication

de l'évangile , à l'enseignement du catéchisme et à une

simple bénédiction pendant laquelle il était défendu d'al

lumer plus de quatorze cierges, tandis que les églises des

couvents , jadis si pompeuses ct si fréquentées, devaient

rester fermées au public ; il en résulta , disons -nous , que

le peuple , privé de ses fêtes , du luxe de ses cérémonies et

des expositions brillantes du saint sacrement , cria plus

haut que jamais . C'était acheter trop cher la réputation que

le grand Frédéric fit à l'empereur Joseph II , celle d'être

un sacristain modèle .

Comme tout marchait au gré de ses désirs dans le dio

cèse de Pistoie et Prato , Léopold ne se lassait pas de com

bler l'évêque de faveurs et de biens . Il venait de supprimer

le couvent des dominicains de Prato ; — nous dironspour

quoi ; - il y plaça les récollets dont il donna la maison à

Ricci pour son séminaire .

Les dominicains , malgré ce qui s'était passé au vu et au

su de tous , avaient continué à entretenir une correspon

dance suivie avec les religieuses des trois couvents de leur

ordre . Ils avaient même réussi , en dépit de la vigilance

de la police , à s'y introduire de nuit . Dans les conférences

secrètes avec leurs pénitentes , plusieurs choses avaient été

réglées, et entre autres celle - ci : à défaut de tout autre

moyen de communication , tel par exemple que les lettres

en chiffres dont les moines s'étaient servis autrefois, il fut

>


147

convenu , pour ne pas laisser se rompre tout à fait le fil de

leurs relations avec les religieuses , qu'à une heure dite ,

celles-ci s'agenouilleraient , et qu'au son de leur cloche les

moines les absoudraient de tous leurs péchés.

Le grand -duc gratifia également le séminaire de Pistoie

du couvent supprimé de Sainte-Claire .

Celui des dominicains fut donné aux dominicaines sou

mises , qui avaient manifesté le désir de se vouer à l'éduca

tion des jeunes filles. Mais l'église était trop grande pour

elles . Afin de l'adapter à sa nouvelle destination , Ricci y

réalisa une de ses plus chères idées de réforme : il n'y laissa

subsister qu'un seul autel , comme , dit - il , au temps de l'église

primitive ; comme , ajouterons-nous , chez les chrétiensgrecs

et les jansenistes de l'église d'Utrecht. Il eût certainement

mieux valu , religieusement parlant , que la chose fût ainsi ;

car il est plus qu'étrange d'avoir dans un même temple

plusieurs autels , où , tout à la fois, par l'opération de dif

férents prêtres , le même Dieu va descendre corporellement

sur la terre , y est déjà descendu et en disparaît par l'effet

de la communion . Mais l'usage de la pluralité des autels

avait prévalu depuis si longtemps , qu'il n'était plus guère

possible de le changer sans choquer l'opinion générale . Au

reste , lorsque Léopold vit par lui -même la réforme que

Ricci avait introduite dans l'église des dominicains, il fut

dans l'enchantement, et s'empressa d'ordonner que , partout

dans ses états, la simplification jansénienne fût adoptée

pour les temples catholiques. Mais Rome , que cette mc

sure menaçait dans le plus clair de ses profits habituels ,

convoqua le ban ct l'arrière -ban de sa milice , ct le grand


148

duc crut prudent de suspendre l'exécution de son projet.

Les translations de religieux et religieuses d'un couvent

à l'autre s'arrêtèrent pas à ceux dont nous avons parlé :

nie

un hospice de filles, les abandonnées (le abbandonate ) , ob

tint la maison des dominicaines . Ricci saisit avec empresse

ment cette circonstance pour rendre à l'institution que nous

venons de nommer sa première destination avec la simpli

cité qui en était la conséquence. L'hospice dont il s'agit était

dans l'origine un lieu de refuge exclusivement ; ses direc

teurs l'avaient peu à peu transformé en un véritable cloître .

છે

L'évêque de Pistoie rétablit les choses sur l'ancien pied , de

manière que les pauvres filles qui avaient été recueillies dans

cet asile , en sortaient quand elles trouvaient à se placer

avantageusement dans le monde ou à se marier . La congré

gation des nobles qui administrait l'hospice des abandon

nées manifesta hautement son improbation ; elle-même , à

la vérité , avait provoqué en partic les mesures dont elle

se plaignait , mais elle finit par les trouver beaucoup trop

radicales pour qu'elle n'eût pas préféré en revenir au vieil

ordre de choses avec tous ses abus.


CHAPITRE XXII .

Réflexions sur les réformes. — Léopold s'arrête devant le mécontentement

général . – Abolition des confréries pieuses . — Le patrimoine ecclésias

tique .

Le lecteur aura remarqué plus d'une fois que la plupart

des réformes si malheureusement expérimentées par Léopold

et par Ricci , sont précisément celles que firent prévaloir un

peu plus tard l'assemblée constituante et le clergé constitu

tionnel de France . Elles étaient depuis quelque temps déjà

préconisées en Allemagne , surtout par l'aristocratie cléri

cale , par les prélats , qui ne tendaient qu'à s'affranchir de

la dépendance de Rome . En France , en Espagne et en Italie ,

elles furent soutenues par la démocratie du sacerdoce , par ce

qu'on a appelé le bas clergé, qui demandait , lui , à se sous

traire à ses supérieurs immédiats . Nous le répétons , pour

l'église comme pour la société civile , c'était partout la même

question : chacun voulait monter d'un cran dans la hiérar

MÉMOIRES DE RICCI .

13


150

chie exploitante , parce que personne ne croyait plus à une

disposition providentielle qui l'aurait condamné à demeurer

dans la catégorie exploitée . Le résultat inévitable de cet état

général des esprits devait nécessairement être une révolu

tion plus ou moins générale dans l'état des choses . Cette

révolution était plus prochaine qu'on ne se l'imaginait ; elle

éclata , six ans plus tard , comme une tempête , et cette tem

pête gronde encore .

Plus l'évêque de Pistoie était entravé dans ses réformes

par les membres du gouvernement qui én redoutaient les

suites, plus le grand- duc l'entourait d'une confiance illimitée,

en l'investissant de pleins pouvoirs pour exécuter ses plans

sans dépendre d'aucune des branches de l'administration .

Les agents de l'autorité lui étaient donc aussi contraires que

les opposants les plus déterminés ; en d'autres mots , il avait

tout le monde contre lui .

Ses ennemis profitèrent adroitement de la suppression

des trois congrégations dont nous avons fait mention , sup

pression qui allait être suivie de l'extinction définitive de

toutes les confréries appelécs pieuses. Les prêtres de la

Sainte-Trinité et ceux du Saint-Esprit donnèrent le signal

de la résistance , en refusant les premiers d'obéir au gou

>

vernement . Léopold , d'une faiblesse caractéristique dans ses

relations avec ses ministres , qui parvenaient toujours à lui

faire craindre ce qu'ils feignaient de craindre eux-mêmes ,

et ce qu'au besoin leur connivence avec les adversaires des

réformes aurait facilement réalisé , Léopold céda : les décrets

furent suspendus .

Ricci ne reculait pas aussi facilement, et , voyant bien que

છે


151

ses projets pour une meilleure distribution des revenus ec

clésiastiques ne seraient jamaisexécutés dans toute la Toscane ,

il insista du moins pour qu'ils le fussent à Pistoie et Prato ,

et à travers mille difficultés et des déboires de toute espèce ,

il arriva à ses fins. Rome ne se possédait plus : elle sentait bien

que , réussissant dans le diocèse de Ricci , les mesures de cet

évêque , que l'opinion réclamait partout , et dont tous les gou

vernements comprendraient sans peine l'utilité pour eux

mêmes , s'étendraient promptement à la Toscane entière , et

ne tarderaient pas à envahir toute la catholicité. Aussi les

presses pontificales de Ferrare , de Foligno , d’Assise et jus

qu'à celles de Rome ne cessèrent- elles de répandre en tous

lieux des libelles diffamatoires contre le grand -duc , dont on

fit un autre Henri VIII , et contre Joseph II qui ne manquait

jamais d'imiter ce dont son frère avait fait un essai plus ou

moins heureux dans ses états . Ricci , véritable bouc émissaire

dans ces tristes débats , devint aux yeux du peuple plus

hérétique que jamais : les choses allèrent au point que les

fidèles refusaient de chanter les litanies de Jésus dont il avait

été l'introducteur , et que les livres de dévotion , répandus

par ses ordres parmi ses ouailles , étaient publiquement dé

chirés et jetés au vent dans les rues . Comme les autorités

locales ne mettaient aucun obstacle à ces manifestations per

turbatrices , le grand -duc , pour empêcher que les malveil

lants ne passassent à la fin à des voies de fait contre le

pasteur même , envoya à Pistoie un commissaire spécial ,

uniquement chargé de veiller à la sûreté personnelle de

Ricci .

Ce qu'il avait fait était cependant fort simple ct se fait au


152

jourd'hui, en partie du moins , et sans soulever des plaintes ,

partout où des lois fondamentales ont réglé les rapports

entre l'église et l'état . Le nombre des paroisses était réduit ,

mais les desservanls étaient mieux rétribués ; le patrimoine

ccclésiastique fit à chaque prêtre supprimé une pension

équivalente à son revenu légal antérieur , et il remboursa

intégralement tous les créanciers laïques des congrégations

éteintes ; les dots furent déterminées exactement et désor

mais décernées avec décence et sans abus. Ce qui resta en

caisse après ces opérations , savoir , environ dix-sept mille

francs, fut destiné au maintien des filles pauvres . Et , toutes

ces charges prélevées , huit millions et demi furent remis

en circulation au profit du commerce et de l'industrie . Il

fut strictement défendu aux curés , dont le salaire fut porté

à mille sept cents francs, et aux chapelains, qui en reçurent

la moitié , de rien exiger des fidèles pour officier et pour

baptiser , pour marier et enterrer . Les cérémonies étaient

tarifées, et le nombre des cierges à allumer , fixé irrévo

cablement .

Le grand-duc fit don au patrimoine ecclésiastique de Pis

toie et Prato des biens des couvents supprimés . Il y ajouta

ceux des couvents de religieuses , disséminées en petit nom

bre dans plusieurs maisons , et qui furent toutes réunies au

couvent de Saint-Jean .

à


CHAPITRE XXIII .

Projet de constitution pour la Toscane .

Réflexions du sénateur Gianni

à ce sujet . Dispositions préparatoires. Principaux articles de la

constitution .

Ricci nous fait observer que l'établissement du système

municipal dans toute la Toscane avait fait une énorme brèche

à l'ancienne prépondérance de la noblesse , et que le nou

veau règlement en matière religieuse allait la détruire com

plétement, en portant le coup de mort à l'aristocratie de

l'église , toujours prête à s'entendre avec celle des priviléges

politiques pour faire plus durement peser sur le peuple l'ex

ploitation sociale . Notre évêque ne se doulait pas le moins

du monde que l'exploitation du peuple avait été jusqu'alors

le seul moyen de maintenir l'ordre dans la société , et qu

tous les efforts de son prince ne pouvaient encore aboutir

qu'à fonder le règne de la bourgeoisie , bien plus rapace et à

coup sûr moins généreuse envers le peuple que l'ancienne

13 .


154

noblesse et que le clergé . Le temps n'était pas venu ,

>

et il

ne l'est pas plus aujourd'hui que sous Léopold

connaissant

, où le peuple

la limite

,

de ses droits, saurait, en ne les dépas

sant jamais , les faire valoir pour ne plus les perdre.

n'en

Nous

donnerons pas moins dans ce chapitre une idée des

formes

auxquelles Léopold attacha son nom , en rendant

compte du projet de constitution par la réalisation duquel

il se proposait de couronner son æuvre . Cette pièce

tient ,

appar

il est vrai , plus directement à l'histoire du grand

mais

-duc

les

,

idées en sont communes au prince et à l'évêque,

qui fut, en toute circonstance et en toute chose , l'instru

ment docile et dévoué de son maître .

Nous avons copié le document dont il s'agit sur unma

nuscrit signé par le sénateur François -Marie Gianni , qui l'a

rédigé à Gênes (1805 ) , où il vivait alors dans une retraite

volontaire , après avoir fidèlement servi la Toscane sous Léo

pold , et sous le gouvernement démocratique que la peur des

armes françaises avait permis d'y substituer à celui de Fer

dinand III , successeur du prince constituant .

Gianni partageait les erreurs de son époque . Il avoue

qu'une loi fondamentale ne doit pas être une œuvre arbi

traire ; mais il oublie de déterminer les principes ou plutôt

le principe d'où elle doit émaner . Il veut qu'elle convienne

aux qualités physiques et naturelles du peuple pour lequel

elle est formulée : c'est là du matérialisme pur, si ce n'est

7

:

pas du non-sens .

Il trouve que la loi de Jésus-Christ est la scule constitu

tion qui s'adapte à tous les pays , à tous les hommes ; mais il

nc démontre pas plus cette affirmation, que Jésus lui -même


155

n'a démontré l'obligation de se soumettre à sa loi , en la

sanctionnant d'une manière incontestable pour toute intel

ligence dans son état normal .

Il critique avec raison les constitutions exclusivement ré

publicaines ; mais il ne dit pas que leur défaut capital, dans

l'état actuel des connaissances acquises à la société , est de

laisser celle - ci à découvert contre les agressions de l'anar

chie , nécessairement en progròs accéléré. Il n'est pas plus

favorable au gouvernement absolu , seul remède dans les

mêmes circonstances contre l'anarchie que cependant elle

ne tarde guère à ramener plus menaçante et plus forte ;

mais il néglige de faire ressortir que c'est parce que l'emploi

prolongé de la force devient impossiblc une fois que l'exa

men libre s'est constitué en droit social .

Le candide sénateur ne voit de refuge que dans la monar

chie tempérée par une loi constitutive . Mais il ne s'objecte

pas que , dans l'absence de tout critérium généralement

accepté , une constitution est un chiffon de papier qu'in

terprètent à leur guise , le roi s'il est le plus fort, et la re

présentation nationale si elle est plus forte que le monarque,

et que le peuple déchire et foule aux pieds , chaque fois qu'il

se rappelle qu'il est à lui seul plus fort que tout le reste , et

qu'il se flatte , après s'être débarrassé de ce reste , d'être

moins malheureux qu'auparavant .

La constitution de Léopold date de l'année 1779 .

Pour préparer de longue main les Toscans à s'intéresser

aux affaires publiques et à y prendre part , le prince com

mença par organiser dans ses états le régime municipal. Il

institua les communes , et chargea les magistrats qu'il pré


156

posait à leur administration , de la décision et de l'exécution

de tout ce qui était réellement d'intérêt local . Il destinait

ces magistrats à devenir plus tard le noyau des assemblées

primaires.

Le sénateur Gianni nous apprend que trois personnes ,

tout au plus , dans toute la Toscane , comprirent que cc

n'était là qu'une pierre d'attente pour l'érection prochaine

d'un édifice plus vaste .

Les communcs étant établies , Léopold affranchit l'in

dustrie et le travail de toute entrave réglementaire , et ren

dit la disposition des propriétés privées entièrement libre .

Les corporations d'arts et de métiers ſurent abolies , avec

lcurs juridictions et leurs tribunaux , leurs statuts et , en un

mot , toute restriction quelconque mise à l'activité de l'in

telligence dans son application aux choses non défendues

expressément par les lois.

Il assura l'égalité devant la loi , en supprimant les privi

léges des cours judiciaires , les cxemptions et les préroga

tives attachées à certaines classes et à certains individus . Les

droits féodaux disparurent complétement , ne laissant der

rière eux que des noms creux et de vains titres . Les fidéi

commis et les substitutions par disposition testamentaire ,

furent abolis sans retour .

Le droit qui s'acquérait par le seul fait de la naissance à

l'obtention de certaines magistratures , fut déclaré déchu :

ces emplois , d'abord conférés par le grand -duc , furent

bientôt dévolus à la nomination d'un jury spécial , sur les

preuves de doctorat , de notariat , de pratique dans l'un ou

l'autre tribunal, et du mérite personnel,


157

Toute acquisition et toute aliénation d'une propriété par

des gens de mainmorte furent soumises , pour être légales ,

au consentement formel du souverain .

Les immunités du clergé en fait d'impôt public furent

abolics .

L'ordre de Saint-Étienne, réservé aux nobles , devait être

supprimé, et son riche patrimoine affecté au payement des

troupes ; on n'aurait conservé que la croix d'honneur pour

servir de récompense aux officiers et aux soldats .

Plus d'emprisonnement pour dette . - Ferdinand III

rendit aux créanciers leur ancien droit de faire incarcérer

leurs débiteurs .

Organisation du pouvoir judiciaire et des tribunaux , de

manière qu'ils pussent fonctionner librement dans la suite

sous l'empire de la constitution .

Abolition de tous les priviléges tendant à affermer les

revenus de l'état . Le corps des financiers fut supprimé par

le remboursement de l'indemnité stipulée en sa faveur pour

le cas de rescision des contrats passés entre l'état et ces

hauts fermiers.

Organisation d'une troupe civique.

Le payement de la dette publique fut dégagé de toute

cntravc gouvernementale . Il en résulta une grande simplifi

cation par la mise en rapport immédiat des vrais créanciers

de l'état et de ses débiteurs réels , la suppression de frais

incalculables et d'un nombre infini d'employés , créatures

et satellites des ministres , et enfin la facilité pour chacun

de se libérer du payement des intérêts en remboursant le

capital .


-

158

Léopold avait voulu couper court à tous les abus que le

pouvoir et ses agents peuvent faire de la dette publique au

moyen des ténébreuses intrigues de l'agiotage , au grand

préjudice des intérêts du peuple . Il avait préludé par là à

l'article constitutionnel qui aurait déſendu rigoureusement

de créer à l'avenir aucune dette publique . — Ferdinand III

arrêta également cette opération de l'amortissement de la

delte .

Réforme radicale du code pénal , et principalement de

celui de procédure . -- Cette réforme fut profondément dé

naturée par l'avidité des suppôts de la chicane, sous Léopold

même , et bien plus encore à l'avénement de son fils.

Institution d'une administration des travaux de défense

contre les inondations, afin d'empêcher l'égoïsme de quel

ques-uns de nuire aux intérêts de tous ; administration

composée des intéressés seulement , et soustraite à toute

influence du pouvoir .

Nouveau tarif des droits de douanes , simple , clair et sur

tout bref, pour les marchandises imposées toutes également

à poids brut , sans obligation de déclarer par qualité et

quantité . Suppression des droits de sortie . Abolition des

droits communaux . L'armée des employés de haut et

bas étage que cette mesure mit à la retraite , devint un mo

tif d'opposition acharnée au gouvernement de Léopold .

Ferdinand III rendit à la boutique du ministère des finances

toutes les vieilles erreurs à faire valoir , tous les vieux abus

à exploiter .

Institution du domaine de la couronne , composé des biens

des Médicis et des acquisitions subséquentes , sous une


159

administration dépendant exclusivement du prince régnant .

Le domaine de la couronne , soumis à toutes les charges

publiques , ne jouissait d'aucune prérogative particulière .

Cette disposition , si odieuse au ministère des finances, était

déclarée article constitutionnel .

Ordre de plaider publiquement les causes civiles devant

les tribunaux , afin d'habituer les Toscans à raisonner leurs

intérêts , à les discuter et à les défendre, et de métamorpho

ser des sujets timides et serviles devant le despotisme gou

vernemental, en citoyens n'obéissant qu'à la loi librement

élaborée et consentie par eux .

Ces actes préparatoires étaient destinés à rendre la consti

tution nécessaire en la rendant possible . Voici maintenant

quelles auraient été les principales dispositions de cette loi

fondamentale .

La législation était l'auvre commune du souverain et de

la nation .

Au souverain appartenait le pouvoir exécutif. Il était

investi de l'autorité indispensable pour se faire obéir et du

commandement de la force .

La nation était représentée par les assemblées commu

nales , provinciales et par l'assemblée générale .

L'agrégation de plusicurs communes formait l'arrondis

sement , au chef - lieu duquel se tenaient les assemblées pro

vinciales , composées des députés des communes .

Les provinces étaient circonscrites , non suivant leur gran

deur ou leur population , mais suivant l'analogie des meurs

et des habitudes .

Tout citoyen , âgé de vingt-cinq ans , jouissait du droit


160

de pétition à exercer devant les assemblées de sa commune

pour des objets simplement locaux , devant les assemblées

provinciales pour les objets concernant l'arrondissement .

Les pétitions parvenaient ainsi au pouvoir exécutif , déjà

discutécs , éclaircies , mûries .

Les assemblées provinciales envoyaient chaque année , à

époque fixe , leurs députés à l'assemblée générale , qui devait

se tenir , d'abord à Pise , puis à Sienne, ensuite à Pistoic ,

enfin à Florence .

La constitution mettait au nombre des lois fondamentales

celle de maintenir une neutralité absolue , même envers les

puissances barbaresques . Le gouvernement ne pouvait con

tracter aucune alliance , offensive ou défensive, n'accepter

la protection ou l'assistance d'aucun état étranger.

Une armée civique , et point d'autre . Pas de nouvelles

forteresses ; les anciennes devaient être dégarnies de toute

artillerie .

Liberté entière du commerce, avec défense d'y porter

jamais la moindre atteinte .

Plus de dette , ni publique, ni provinciale , ni communale .

Les dettes communales étaient payées par les communes

d'après un règlement déterminé .

Le domaine de la couronne ne pouvait être ni aliéné , ni

divisé , ni engagé hypothécairement. Et comme son revenu

était insuffisant, une liste civile , à charge du trésor , y sup

pléait . Et il était strictement défendu de jamais la majorer,

sous prétexte de dotation , d'apanage , de frais d'entretien

,

ou d'établissement des princes ou princesses .

Le territoire toscan était déclaré ne pouvoir être ni


161

agrandi ni amoindri , ni échangé en partie contre un autre .

Les princes de la famille régnante et les princes étran

gers étaient frappés d'incapacité pour jouir des bénéfices

ecclésiastiques à la nomination du souverain , et pour occu

per quelque emploi civil ou militaire que ce fût .

Le grand -duc avait le droit de faire grâce , bien entendu

pour la commutation des peines afflictives ou infamantes

exclusivement . Aucun recours en suspension , grâce ou abo

lition , n'était admis en matière civile . « Si la loi n'est pas

bonne, disait Léopold , il faut la réformer ; si elle n'est pas

claire , il faut l'expliquer ; si elle n'est pas suffisante, il faut

la compléter . Mais jamais par d'autres moyens que par la

volonté générale, expression de l'opinion publique. Tant

que la loi existe , elle doit être appliquée , sans acception ni

exception . »

Les sentiments exprimés par ces nobles paroles sont

dignes d'admiration , surtout pour l'époque où ils ont été

manifestés spontanément par un prince absolu de fait et de

droit, et que rien ne forçait à se dessaisir de sa puissance.

Mais depuis plus d'un demi - siècle que nous voyons fonc .

tionner les machines constitutionnelles , qui elles -mêmes ne

font rien autre chose que dissimuler le despotisme de la

majorité parlementaire , synonyme du principe de la force ,

plus ou moins brutale , on se demande, sans trouver de ré

ponse , ce qu'on y a gagné . Poursuivons .

La prérogative souveraine comprenait tout ce qui n'était

pas réglé par la loi .

Les assemblées générales proposaient des lois , qui de

vaient recevoir la sanction du grand -duc . Celui - ci également

14


162

présentait des projets de loi que la législature acceptait ou

rejetait.

Le compte des recettes et des dépenses était rendu publi

quement , et sévèrement contrôlé . Toute augmentation d'ap

pointements , pensions ou gratifications avait besoin d'être

accordée par le prince et l'assemblée générale ,

de commune

volonté .

Le grand -duc avait la nomination aux emplois , mais les

employés pouvaient être destitués par l'assemblée générale ,

unanime dans sa déclaration d'indignité .

La succession au trône avait lieu dans la ligne masculine

seulement , et le prince , à son avénement , devait accepter

la constitution et s'engager à l'observer scrupuleusement .

Entre autres dispositions réglementaires pour la tenue

des assemblées d'élection et de représentation , se trouvait

celle d'incompatibilité de la qualité d'employé ou de pen

sionnaire de l'état et de la nomination à la dignité de

député .

La commune de Livourne , offrant des différences de

sition et d'intérêts avec le reste du grand-duché , demeurait

exclue des assemblées provinciales. Les pétitions de ses

citoyens étaient transmises et défendues à l'assemblée géné

rale par un député qui n'y avait point voix délibérative ,

La marine de guerre était supprimée ; il ne restait que

les postes de terre , et quelques barques servant au cordon

sanitaire et au transport des dépêches. Tout cela était fixé

et invariablement arrêté .

po


CHAPITRE XXIV .

Contradictions dans le caractère du grand-duc Léopold . Madone qui

pleure . – Dispenses de mariage . — Les communes frontières de Toscane ,

soustraites à la juridiction des évêques étrangers . — Décision relative au

sort des religieuses supprimées . -- Statistique des couvents de filles en

Toscane .

Ce que nous venons de rapporter suffitpour montrer que

Léopold avait des intentions aussi bonnes et aussi désinté

ressées

que Ricci . Avant de continuer le récit de ce que va

lurent à ce dernier celles qu'il parvint à mettre à exécution ,

disons un mot encore du grand -duc .

Léopold d'Autriche était un singulier mélange de dévotion

routinière et de liberté de penser , de justice et de raison en

théorie et de despotisme en pratique , d'unc apparente rigi

dité de meurs et d'un relâchement réel dans sa conduite ,

d'une fermeté de volonté qui allait jusqu'à l'entêtement et

d'une incertitude dans l'action qui dégénérait en versatilité

et en faiblesse. Donnons-en quelques exemples .


164

Nous venons de le voir favoriser par tous les moyens en

son pouvoir le développement progressif chez ses sujets de

la liberté de penser et d'agir ; montrons - le maintenant fai

sant peser sur eux le joug avilissant du plus lourd et du

plus incessant espionnage , et punissant avec la pédanterie

d'un surveillant de collége , tantôt une intrigue de ruelle ,

tantôt une querelle de ménage, et jusqu'aux commérages

les plus insignifiants . Nous avons dit qu'il abolit l'inquisi

tion de la foi ; ajoutons qu'il y substitua l'inquisition d'une

police tracassière, qui signalait à l'indignation publique

ceux qui , entre autres méſaits, négligeaient d'entendre la

messe le dimanche ou de communier à Pâques . Les curés

et leurs vicaires étaient tenus de faire au prince des rapports

secrets sur tout ce qui parvenait à leur connaissance , princi

palement des mystères de la vie intime . Les choses en étaient

venues au point que les Toscans qui , en dépit de ce qui se

passait sous leurs yeux , croyaient encore devoir confier

leurs secrets à un prêtre, se trouvaient forcés d'aller cher

cher à l'étranger un confesseur non cnrôlé parmi les espions

du gouvernement. Nous avons fait ressortir le zèle avec le

quel Léopold s’attacha à mettre la chasteté des épouses du

Seigneur à l'abri des atteintes du libertinage des moines .

Opposons à cela sa propre vie privée : marié et père

d'une nombreuse famille, le grand -duc avait cependant des

maîtresses, et une entre autres , nommée la Livia, qu'il

garda jusqu'à sa mort. Il avait supprimé la peine de mort

dans son code criminel ; il n'en toléra pas moins, ce qui

était le favoriser indirectement , le rapt de la fille naturelle

de la grande Élisabeth , fille elle-même de Pierre le Grand .


165

Elle habitait Livourne ; les Orloff la séduisirent, l'enleverent ,

et l'immortelle Catherine la fit étrangler. En outre , d'ac

cord avec l'empereur Joseph II , son frère, ct ses deux

seurs , les reines Marie -Antoinette de France et Caroline de

Naples, Léopold fit renvoyer par le roi Ferdinand le minis

tre Tannucci, dont l'intrigant Acton , le favori de Caroline ,

prit la place , ce qui amena dans la suite l'horrible domina

tion de l'Autrichienne, secondée dans ses sanguinaires ca

prices par une courtisane anglaise , devenue la femme de

l'ambassadeur de la Grande -Bretagne et la maîtresse de

l'amiral Nelson . Nous donnerons plus loin quelques détails

sur ces scènes dégoûtantes .

Veut-on notre jugement sur les contradictions que nous

exposons ? Le voici. Léopold d'Autriche, comme tous ses

contemporains , comme les nôtres, ne savait pas sur quel

principe il devait régler sa conduite ; il n'avait plus la foi

requise pour soumettre sa conduite à la morale qu'impose

la religion ; il obéissait tantôt à un sentiment d'habitude,

tantôt à ses passions qui l'entraînaient , au hasard des cir

constances , aujourd'hui vers le bien , demain vers le mal,

sans garantie aucunc pour l'avenir comme sans contrôle

pour le présent . C'est l'histoire de tous les hommes, tant

que dure l'ignorance sociale . Mais il est temps de ne plus

nous occuper que de l'évêque Ricci .

En étendant au diocèse de Prato les réformes déjà réali

sées au diocèse de Pistoie , Ricci fit retirer de sa cachette et

remettre à neuf une image en plâtre de la Vierge , à l'occa

sion de laquelle il raconte ce qu'on va lire . Cette image ,

sous l'épiscopat d’Alamanni, un jour qu'il faisait un brouil

14 .


- 166

lard ſort épais , s'était , chez le plâtrier où elle se trouvait

encore , recouverte de vapeur comme tout ce qui l'envi

ronnait . Mais bientôt les gouttes s'étaient ramassées , et en

découlant tout le long de la figure enluminée d'une épaisse

couche de vermillon , y avaient laissé des sillons blancs que

des paysans attroupés devant la boutique prirent pour des

larmes . Aux cris de miracle ! le vicaire épiscopal s'était

rendu sur les lieux , avait par prudence fait enlever l'image,

et avait donné ordre qu'on la transportât à l'église de la

Vierge du Lis, où elle fut enchâssée dans le mur de sépara

tion entre le temple et la sacristie , et ne tarda guère à être

oubliée . Ce fut là l'image que Ricci fit restaurer et surtout

repeindre , afin qu'il ne restât pas la moindre trace de

son prétendu miracle ; après quoi il permit qu'elle fût re

placée dans son cadre .

« Que n'a-t-on traité de la même manière , quelques an

nées plus tard (1799 ) , s'écrie Ricci à ce propos , la trop fa

meuse madone d'Arezzo , qui servit de prétexte aux pillages ,

aux massacres et aux impiétés , qu'elle semblait prendre

sous sa protection , et qu'on rendit ainsi complice des horri

bles scènes qui ensanglantèrent , dévastèrent et déshonorè

rent le sol de la Toscane ? » Nous parlerons dans son temps

de l'insurrection d'Arezzo .

Ricci eut bientôt de nouvelles disputes avec le saint-siége .

Ce fut cette fois relativement aux dispenses des empêche

ments au mariage . L'évêque de Pistoie ne voulait pas être le

premier å brusquer la cour de Rome sur ce point délicat .

C'est pourquoi , un de ses diocésains se trouvant dans le cas

d'avoir besoin d'une dispense , il s'était contenté de la solli

2


167

-

citer auprès du saint-siége au nom de l'impétrant . Mais

celui -ci était pauvre , et l'infâme boutique, nous citons

Ricci même , — dont les livres imprimés et autorisés sous

le titre de : Pratique ( Praxis ), par Ventriglia , Pirro Cor

rado , etc. , dévoilent les honteuses ressources , n'accorde ses

faveurs qu'à ceux qui se présentent les mains pleines d'ar

gent (dummodo gravis ære sit manus) . Ricci n'obtint pas

même de réponse .

Il se tourna alors vers le grand -duc, qui s'empressa de

lui conſérer tous les pouvoirs du chef de l'état en pareille

matière . Muni de cette autorité, le prélat n'hésita plus , et

dans l'espace de cinq ans , il accorda de son propre chef,

« pour motifs légitimes et sans aucuns frais, » comme l'avait

ordonné le concile de Trente , trois cent dix-sept dispenses ,

contre lesquelles la cour de Rome ne réclama point , du

moins expressément.

Les principes de Ricci sur ce qui concerne le mariage

étaient ceux des canonistes de son époque , et ces principes

ont fini par être généralement adoptés , hormis par les par

tisans exclusifs des anciennes prétentions de la cour de

Rome . Le mariage , disait notre évêque , est un contrat dont

la loi seule règlc les conditions ; Jésus , sans changer sa

nature , l'a élevé à la dignité de sacrement : la bénédiction

nuptiale , cérémonie religieuse dont l'église a voulu qu'il

fût suivi , peut , et pour les catholiques doit être reçue après

l'acte civil .

Ricci , avons-nous dit , accordait ses dispenses gratis, mais

seulement lorsqu'il y avait en réalité des motifs valables

pour les demander . Il refusa donc celles que sollicitaient

»


168

les Piccioli , riche famille de négociants , qui ne s'appuyaient

dans leur requête que sur de simples raisons de commerce

et d'intérêt pécuniaire. Les Piccioli , en désespoir de cause ,

s'adressèrent à Rome, où, pour une forte somme d'argent ,

on ne fit aucune difficulté de les satisfaire. Mais Ricci tint

bon , et la future , quoique enceinte , fut obligée d'aller se

marier à Rome avant ses couches . Le grand -duc exila les

époux , qui, ruinés et au repentir, se soumirent finalement

à leur évêque . Ricci n'en voulait pas davantage ; il obtint

leur grâce de Léopold , leur accorda les dispenses néces

saires et seules légales , les maria , comme s'il n'avait jusque

là été question de rien , et légitima l'enfant qu'ils avaient eu ,

entre la bénédiction subreptice et obreptice , - c'est ainsi

qu'il la qualifie , --- qui leur avait irrégulièrement été donnée

à Rome, et celle que lui -même leur donnait canoniquement .

Léopold avait soustrait à la juridiction des évêques étran

gers les communes de Toscane qui faisaient partie de dio

cèses dont le siége se trouvait hors du grand -duché. Cette

mesure ne donna lieu qu'à un avertissement adressé par

cardinal Gioannetti , archevêque de Bologne , à celles de ses

ouailles qui allaient passer sous la houlette de Ricci , afin

de les mettre en garde contre les mauvais livres répandus

au diocèse de Pistoie . Ricci se plaignit avec douceur de ce

procédé d'un ancien ami , abonné lui -même à la publication

des mauvais livres contre lesquels il protestait .

Une autre affaire était moins facile à régler . Depuis la

suppression de plusieurs couvents , des religieux , des reli

gieuses surtout, rendus au monde, trouvaient fort durs à

observer les veux qui les en séparaient . L'évêque de Pis

le


- 169

-

toie , consulté par le grand -duc , fut d'avis que le prince

no27 -seulement pouvait , mais encore devait les séculariser .

Il aurait voulu même qu'une loi réglát pour l'avenir la con .

duite à suivre à l'égard de ceux dont la volonté avait évi

demment été surprise , pour leur faire prendre des engage

ments dont ils ne connaissaient pas la portée . Mais cette

décision fut ajournée . Léopold se borna å ordonner que

désormais aucune fille ne serait reçue à prononcer des veux

avant l'âge de vingt-deux ans , ct il défendit aux couvents

d'accepter des dots , et à qui que ce fût d'en offrir . Mais, de

peur que les familles ne fussent disposées plus encore qu'au

paravant , par cette diminution des frais ordinaires , à forcer

leurs enfants d'entrer en religion , il détermina une aumône

à verser par chacune d'elles, à chaque vêture , dans la caisse

de l'hospice de l'endroit , proportionnellement à ses moyens

de fortune . Il est vrai qu'il avait aboli l'abus qui faisait

exiger par les évêques un droit de voile , appelé même droit

du sacrement de religieuse, lequel s'élevait parfois jusqu'à

près de deux mille francs.

Il fallut cependant en venir , en dernière analyse , à dé

terminer le mode futur d'existence des religieuses dont les

couvents avaient été affectés à d'autres usages . On leur

permit de choisir entre la vie commune et cloîtrée et celle

des conservatoires : déjà les conservatoires avaient préa

lablement subi une réforme, c'est-à-dire qu'on les avait

rendus à leur première destination , celle d'être des licux

d'asile , tenant le milieu entre la clôture et la vie ordi

naire ; les seurs qui les habitaient n'avaient point d'autre

devoir à remplir, si ce n'est de donner aux jeunes filles,


---

170

sans distinction de fortune , les premières notions de la

doctrine chrétienne et de quelque ouvrage manuel .

Les détails que Ricci nous fournit à ce propos sur les

couvents de femmes en Toscane , contiennent des faits cu

rieux que nous reproduisons. Le seul diocèse de Florence

comptait cinquante de ces couvents , et leur revenu annuel

était d'environ douze cent mille francs. Les autres diocèses

ensemble en avaient cent cinquante et un , qui recevaient

annuellement au delà de la somme susditc . Presque tout

cet argent passait aux mains des prêtres , des moines et

même des évêques ; les confesseurs en titre en prélevaient

la plus grosse part . A Florence seulement , il y avait mille

neuf cent seize religieuses , et la Toscane entière , la pro

vince de Sienne non comprise , cinq mille neuſ cent

soixante et dix . Florence , dont la population était alors d'un

peu plus de la moitié de celle de Rome , comptait plus de

couvents dans son enceinte que la capitale même du catho

licisme .

Un seul couvent , celui de Saint-Marcel , dans la monta

gne de Pistoie , se conforma entièrement aux intentions de

Léopold : aussi fut - il en butte aux persécutions de toute

espèce sous le règne de son successeur . Ricci compare les

religieuses de Saint-Marcel aux saintes vierges de Port

Royal en France . L'évêque Toli , un des successeurs de

Ricci sur le siège de Pistoie et Prato , lança contre elles , en

1808 , l'accusation publique d'être orgueilleuses comme

Luciſer . Leur ancien évêque espère bien , dit- il , « que le

grand Napoléon fera cesser ce scandale , et de son bras

puissant purgera l'église des deux grandes plaies qui l'af


171

-

fligent dans ses principaux membres , l'ambition et la cu

pidité . »

Cette invocation , faite de bonne foi alors , doit sembler

fort étrange , aujourd'hui que le bras puissant de Napoléon ,

qui n'avait pas relevé le catholicisme , déjà debout en France

avant le concordat , et qui ne parvint pas à le soumettre à

son despotisme , a fléchi sous d'autres bras plus puissants

que le sien , et qui , à leur tour , n'ont pas tardé à éprouver

le peu de force réelle de leur apparente puissance . L'ambi

tion et l'avidité des prêtres , comme de tous , et la force

faisant de l'ordre prétendu au jour le jour , ne céderont

que devant la vérité , lorsque l'anarchie aura imposé aux

hommes la nécessité de déterminer incontestablement la

justice et la raison .



-

CHAPITRE XXV .

Les confréries de charité . Indulgences . Ricci combat toute action

temporelle de l'église sur l'état . Les omcialités . Salaire du haut

clergé . – Quêteurs des campagnes . Obstacles . - Faiblesse de Ricci .

- Son puritanisme . — Le serment des évêques . Cas de conscience .

Nous avons rapporté plus haut que les innombrables

confréries pieuses de la Toscane avaient été remplacées par

les confréries dites de charité. Cette réforme religieuse de

Léopold est la seule qui ait été complètement abolie par son

successeur . Aussi les confréries ou Trous (buche) , dénomi

nation empruntée aux chapelles souterraines où elles se

réunissent, continuent- elles à offrir un spectacle fort bizarre

aux étrangers qui visitent la Toscane .

Cela ne serait peut-être pas arrivé si le plan d'organisa

tion proposé par Ricci avait été adopté. Mais le ministère le

modifia de telle sorte que Rieci lui-mêmedemanda qu'il ne

fût point étendu à son diocèse . Il avoue , et c'est beaucoup

15


174

pour un sectaire , que ses adversaires avaient pu trouver un

prétexte d'opposition dans l'apparence de bażanisme qu’of

frait son instruction pastorale pour la mise en pratique des

constitutions nouvelles . Le lecteur sait que le bażanisme est

la doctrine d'un docteur wallon , nommé Dubay , sur la

quelle celle de Jansénius fut entée .

Ricci se consola de son échec par la propagation de ce

qu'il nommait les bons livres , c'est - à -dire les livres jansé

nistes . Il le faisait surtout pour éclairer ses diocésains

contre les fausses maximes répandues alors même à Pistoie

et à Prato , par les colporteurs d'indulgences . Et à cette oc

à

casion , il cite une inscription placée à Pistoie , au couvent

supprimé des servites , portant , au nom de Grégoire XIII

( 1580 ) , une indulgence plénière , applicable , par le prêtre

qui célébrerait la messe à l'autel de l'Assomption , à l'âme

d'un chrétien , mort en état de grâce , mais devant encore

expier dans le purgatoire : le bénéfice de cette application

coûtait deux francs et demi.

>

:

L'auteur des présents Mémoires a copié une inscription à

peu près semblable , à Florence, dans l'église de la Santis

sima Nunziata , en faveur de ceux qui diraient la messe å

l'autel du Crucifix (1576 ) .

Ricci avait pour but d'ôter à l'église toute action tempo

relle , ce qui était la séparer de l'état et même de la vie

active et pratique . Selon lui , c'était là l'esprit du chris

tianisme. Quoi qu'il en soit , il est certain que , si les choses

avaient toujours été considérées sous ce point de vue , jamais

il n'y aurait eu de société chrétienne . Pour nous , le prin

cipe chrétien , après avoir , pendant plusieurs siècles , servi de


175

base à la société politique , a , comme tout principe ne rc

posant que sur une hypothèse , sur la foi, cessé d'exister

socialement. Sous le règne de Léopold , ce principe était déjà

assez fortement ébranlé pour qu'il fût devenu indispensable

de le suppléer par des mesures que le grand -duc tâcha d'in

troduire et que la révolution française , plus forte que les

obstacles contre lesquels la volonté de Léopold s'était brisée ,

pouvait seule consacrer . Oui , il fallait que l'église se pliat

aux idées nouvelles et aux nouveaux intérêts de la société ,

mais dans son intérêt à elle exclusivement . Les gouverne

ments pouvaient bien éclairer l'église à cet égard , mais ils

devaient borner là leur sollicitude : après cela , ou le catho

licisme aurait cédé pour continuer encore quelque peu à

vivre , ou il se serait roidi contre la nécessité et ses partisans

auraient disparu de l'arène sociale pour faire place à de plus

flexibles et par là même de plus habiles lulteurs.

Les officialités ( tribunaux ecclésiastiques) , entièrement

soustraites à l'action civile , étaient encore en vigueur . Ricci

en demanda l'abolition sans réserve ni restriction . Les in

trigues de la cour de Rome et la complicité du ministère

toscan firent avorter ce projet , qui ne reçut d'exécution qu'à

Pistoie et Prato . Dans les autres diocèses , on remédia à

quelques abus par trop criants , mais la source d'où ils re

naitraient à la première occasion favorable demeura ou

verte comme auparavant.

Ricci ne réussit pas davantage à faire salarier le haut

clergé , ainsi que les curés et les vicaires . Les évêques pous

sèrent unanimement un cri d’alarme à la première propo

sition qui en fut faite . A les en croire , ils allaient perdre


176

toute leur indépendance : Ricci leur répondit qu'ils ne per

draient que le soin qu'ils avaient été forcés de prendre jus

qu'alors de leurs revenus , ce qui nécessairement les avait

détournés du soin qu'il était de leur devoir de prendre des

intérêts spirituels de leur troupeau . Les évêques cependant

avaient raison : l'église salariée par l'état tombait sous la

domination de l'état . Mais Ricci aussi avait raison , en ce

sens du moins que , l'église étant devenue moins forte que

l'état, il était naturel que , sous le règne de la force , l'état

s'emparât du patrimoine de l'église pour ne lui laisser que

sa portion congrue , bien entendu encore quand elle péri

tait de la recevoir pour les services qu'elle rendait au

maître , monarque, noblesse , bourgeoisie ou peuple .

L'évêque réformateur exposa au grand-duc que l'impor

tante amélioration qu'il avait réalisée en formant un patri

moine ecclésiastique ne serait complète que lorsque les

menses épiscopales en feraient partie , et que chaque évêque

recevrait une pension convenable . Mais l'opposition com

mençait à se manifester trop vivement pour que le gouver

à

nement se hasardât à passer outre . Ce fut tout au plus si

Ricci obtint d'aliéner une partie de la mense de Pistoie,

pour laquelle il toucha une rente équivalente au revenu

qu'il en retirait auparavant . Il se félicita d'avoir du moins

par là donné un exemple utile qui serait suivi plus tard .

Pendant que cela se passait , les dominicains renouve

laient leurs intrigues pour ne pas se laisser entièrement

oublier dans un diocèse où ils avaient été en quelque sorte

les maîtres absolus . Ricci dénonça au grand -duc leurs

Avis aux dévots à l'occasion des fèles du Rosaire et de celles


177

des douleurs de Marie , Ce fut le motif qui porta le gouver

nement à défendre pour l'avenir toute publication d'in

dulgences au moyen desquelles de fortes sommes d'argent

étaient soustraites aux ignorants et aux simples , par les

fourrageurs des campagnes , les quêtes des chercheurs ,

envoyés par les ordres mendiants , et les loteries de dots .

Les dots , comme nous l'avons déjà dit , à charge désormais

du patrimoine ecclésiastique , étaient distribuées avec dis

cernement , convenance et utilité .

Sur les entrefaites, Seratti , secrétaire du grand-duc , était

devenu ministre d'état. Rome s'en réjouit fort ; elle comp

tait bien mettre à profit l'ascendant qu'elle exerçait sur

l'esprit de cet homme , ennemi naturel des réformes qu'il

n'avait pas inspirées , qui lui imposaient des travaux extraor

dinaires , et qui augmentaient l'influence d'un prélat dont

il était jaloux . L'archevêque Martini était toujours prêt à

seconder Seratti dans ses efforts de résistance , mais uni

quement par envie du premier rôle que Ricci était naturel

lement appelé à y jouer ; car nul plus que lui n'était

contraire à la politique romaine .

On comprend sans peine , qu’ainsi entouré d'ennemis

secrels , Ricci , qui aurait eu besoin d'une collaboration

active et zélée , ne rencontrait jamais que de la tiédeur et

des obstacles . C'est ainsi que , lorsque le secrétaire des

droits de la juridiction s'enquit du chiffre du revenu

nécessaire aux caisses ecclésiastiques , afin de suppléer aux

dépens du trésor là où les revenus étaient insuffisants, il

ne reçut de réponse que de Ricci seul . Les autres évêques

se bornèrent à se dire pauvres et incapables de se maintenir

15 .


178

par eux-mêmes , comme faisait leur collègue de Pistoie et

Prato . Ricci les convainquit facilement d'imposture et de

mauvais vouloir .

Il en était de même sur toutes les questions . Ricci s'était

créé deux monstres pour les combattre : l’un , le pélagiu

nisme, cette consolante doctrine des jésuites , qui permet à

l'homme de se croire au moins pour quelque chose dans ce

qu'il pense , veut et fait ; l'autre , l'hildebrandişme, ce sys

tème despotique , il est vrai , mais unitaire , de Grégoire VII ,

sans lequel il n'y aurait jamais eu de christianisme comme

principe social , qui , en un mot , avait été le levier de notre

moderne civilisation , mais dont il ne restait plus que

quelques vaines formules, dépouillées de tout sens positif

pour la société , et un grand souvenir historique. L'évêque

réformateur voyait ces monstres partout , et pour les mieux

exterminer il ne cessait d'éplucher les livres qui servaient

à l'instruction des jeunes clercs , et où il lui semblait en

apercevoir l'ombre. Aucun de ses collègues , cela se com

prend de reste , ne l’imita dans ce puritanisme de sectaire ,

et le grand -duc fut assez sage cette fois pour ne pas venir

à son aide au moyen d'une mesure législative . Ricci ſut

réduit à renforcer la dose de ses antidotes aux mauvaises

doctrines , dans le recueil qu'il publiait .

Il lui parut alors avoir découvert le véritable motif de

l'opposition obstinée des prélats à la volonté du prince :

c'était , selon lui , leur attachement scrupuleux aux devoirs

que leur imposait le serment prêté entre les mains du pape ,

dont le principal était de résister au gouvernement chaque

fois que le gouvernement se montrait hostile aux préten


179

tions de la cour pontificale. La prétendue découverte de

Ricci n’amena aucun résultat . Nous disons découverte

prétendue, parce qu'en effet les évêques ne tenaient au pape

et à ses prétentions que pour autant que c'était dans leur

intérêt propre, et uniquement parce que c'était dans leur

intérêt , et qu'ils n'observaient leur serment avec scrupule

que dans le seul but de protéger cet intérêt qui s'y trouvait

formulé . Elle n'eut aucun résultat , parce qu'il était impos

sible d'empêcher les évêques de jurer obéissance au pape ;

il l'était exclusivement de punir les évèques qui n'obéis

saient pas aux lois .

Du serment prêté par les évêques , Ricci passa aux cas

de conscience que les évêques s'étaient réservés , pour les

absoudre à l'exclusion de tous autres confesseurs . Il fait

rcmarquer à ce propos que , les papes ayant ravalé les

évêques au rang de leurs agents secondaires , les évêques

à leur tour s'étaient en quelque sorte indemnisés en usur

pant de même sur les droits des prêtres et des curés . Cela

était vrai . Mais tous les efforts imaginables ne pouvaient plus

faire remonter les choses vers la source dont elles étaient

issues. Le temps seul , c'est-à- dire le changement opéré dans

les esprits, aurait rendu ce travail inutile , en circonscri

vant rigoureusement dans un cercle fort étroit l'action du

pape , des évêques et des prêtres .

Les cas réservés continuèrent à demeurer en vigueur , et

par exemple l'archevêque de Pise put seul , comme aupa

ravant , relever des péchés de bestialité , de sodomie , de

viol , de séduction , d'homicide volontaire et de faux témoi

gnage , péchés placés sur la même ligne que ceux de faire


180

gras pendant les jours maigres, de cohabiter avec les juifs,

de blasphémer , et , ce qui est bien plus fort, de couper du

bois dans les forêts appartenant à l'illustrissime et révé

rendissime monseigneur.

Les cas réservés variaient avec les diocèses . La sodomie ,

qui n'était à Florence qu'un cas ordinaire , était spécialement

réservée aux portes mêmes de Florence , à Fiesole . Rappe

lons à ce propos que son altesse royale et éminentissime,

lc cardinal Henri , duc d'York , vice -chancelier de l'église

romaine , évêque de Tusculum (Frascati ) , et le dernier des

Stuarts , avait , aidé du promoteur de son synode diocésain

(un jésuite) , inventé une nouvelle distinction entre les di

verses espèces de ces péchés exorbitants dont il se réservait

l'absolution ; c'était la sodomie avec des poissons mâles.

Nous avons cru que la mémoire de cette singulière aberra .

tion de l'imagination des casuistes, bien qu'étrangère à

notre sujet, était digne d'être conservée . Elle rattache

d'une manière bizarre les dernières extravagances de la

théocratie sacerdotale à l'un des derniers représentants des

extravagances de la légitimité monarchique .


CHAPITRE XXVI .

Chicanes tendantes à ruiner le patrimoine ecclésiastique.— Intrigues con

servatrices . – Rachat des charges de messes et de prières .

Les ennemis de Ricci sentaient fort bien que toute sa

force dépendait du maintien de son patrimoine ecclésiasti

que : cette institution manquant , toutes ses réformes étaient

compromises. Ils avaient d'abord essayé de faire croire que

l'évêque lui-même en hâtait la ruine en l'épuisant par ses

nombreuses bâtisses ; puis ils lui demandèrent d'en distraire

cnviron soixante-huit mille francs pour suppléer à ce qui

manquait au diocèse de Pise . Ricci fit ressortir auprès du

grand-duc la contradiction qu'il y avait entre ces deux

moyens de le perdre, et il en prit occasion pour dévoiler

les ressources de l'archevêque de Pise , dont la mense était

beaucoup plus considérable que la sienne . Il attribue ,

comme de raison , toutes ces persécutions aux intrigues


182

diaboliques lc mot y est de la cour de Rome , dont

les émissaires et les satellites excitaient précisément alors à

la rébellion les sujets de l'Autriche en Belgique , en Alle

magne et en Italie , contre Joseph II et contre son frère

Léopold .

On ne se fait que difficilement une idée de l'interversion

des rôles que produisit souvent cette guerre , tantôt ou .

verte et brutale , tantôt pateline et ténébreuse. En voici un

exemple : Talenti , mauvais médecin de Pistoie , mais intri

gant audacieux , avait insulté publiquement le curé Bartolo

qui, prétendait - il , avait administré trop tôt l'extrême

onction à un malade. Talenti , ancien amant de la Corilla

(Corinne), l'improvisatrice récemment couronnéc au Capi

tole , était aux gages de la cour de Rome, qui le soutint en

cette circonstance contre son évêque , pendant que le grand

duc , à la demande de celui- ci , forçait le docteur à faire

agréer ses excuses par le curé .

Ricci avait à cæur de soulager la conscience de ses dio

césains des scrupules qui les obsédaient , à cause des charges

de messes et autres offices religieux qui grevaient la plu

part de leurs propriétés . A cet effet, il leur permit de se

libérer moyennant une rétribution en argent destiné à

la réédification de l'église de Saint-Marcel dans la Mon

tagne, dont les chapelains et les plébans auraient le devoir

de prier pour tous les bienfaiteurs du patrimoine ecclésias

tique . Cela s'appelait composer, et était tout à fait dans les

habitudes de la cour de Rome , mais n'avait jusque-là eu

lieu qu'avec cette cour seule et exclusivement à son profit.

Qu'on juge des clameurs qu'y excita la mesure introduite

à


183

par Ricci , composant de sa propre autorité et disposant de

la taxe composée .

Cette mesure en inspira une autre à Léopold . Il essaya

d'abolir les bénéfices simples , patrimoines des clercs igno

rants , scandaleux et sans vocation . Des enfants pauvres ,

élevés pour être prêtres et forcés plus tard de se faire pré

tres , parce qu'on ne leur avait enseigné que ce métier , trou

vaient dans les bénéfices simples de quoi suſfire à leur

misérable entretien , aussi longtemps qu'ils étaient capa

bles d'officier. Mais , réduits à l'impuissance , soit par l'âge ,

soit par les infirmités, ils mouraient de faim , comme l'ou

vrier hors d'état de travailler pour se nourrir . Tous les

efforts du grand -duc pour faire disparaitre cet abus furent

infructueux .



-

CHAPITRE XXVII .

Synodes diocésains . - Un mandement d'évêque , supprimé . – Réflexions.

Articles de réforme, soumis aux évêques . — Léopold , théologien . – 11

est accusé de toute part . – Visites diocésaines . - Neuvaines nocturnes .

Garde-robe du patrimoine ecclésiastique .

Afin de mettre , autant que possible , de l'ensemble dans

l'impulsion réformatrice qu'il voulait donner à l'église de

Toscane , Léopold fit inviter tous ses évêques à tenir au

moins un synode diocésain tous les deux ans , afin de signa

ler les abus et d'y chercher un remède .

Mancini , évêque de Fiesole , fut le premier à obéir ; mais

il le fit si maladroitement ou si malignement , que Ricci ,

consulté par le grand-duc , démontra l'impossibilité de

laisser paraître , tel qu'il était rédigé , le mandement de

convocation du prélat . Mancini corrigea cette pièce , et le

ministère approuva sans réserve cette seconde édition du

>

mandement épiscopal . Mais Ricci ne le jugea pas aussi favo

MÉMOIRES DE RICCI .

16


186

rablement ; l'ayant déclaré , malgré ses amendements, plus

dangereux encore qu’utile , l'évêque de Pistoie réussit à le

faire supprimer tout à fait par le grand-duc . C'était pour

Ricci un ennemi de plus en plus acharné .

Mancini avait évidemment été mis en avant , à son insu

peut- être, par les adversaires de toute espèce de change

ment , nécessaire ou non , bon ou mauvais . Son mandement

signalait comme modèle pour tous les synodes à célébrer ,

celui tenu dans le temps par l'évêque Strozzi, lorsque les

maximes de la cour romaine avaient encore quelque valeur .

Excommunications latæ sententiæ , c'est - à - dire sans moni

tion préalable , peines pécuniaires prononcées par l'autorité

religieuse contre des laïques , bulles In coena Domini,

Super dominicam gregem , Unigenitus et autres , soutenant

les prétentions du saint-siége devenues les plus insoutena

bles , en étaient les principes fondamentaux. Le grand -duc

ne pouvait pas admettre ce manifeste rétrograde ; il fut

accusé , en le rejetant, de ne vouloir de synodes que ceux

qui se conformeraient en tout à ses opinions et à ses désirs ;

en d'autres termes , de ne pas vouloir de synodes du tout , du

moins de synodes libres et par conséquent dignes de ce nom .

Cela était vrai et devait nécessairement l'être . Une fois la

discussion des opinions et des croyances affranchie de toute

compression , les églises nationales ou plutôt gouvernemen

tales devenaient aussi absurdes qu’une église universelle .

Car la discussion met bientôt au -dessus de tout doute

rationnel, que le pouvoir civil peut se tromper comme le

pape ; que ce que veulent les princes et les majorités, c'est

uniquement leur plus grand avantage , ainsi que le pape

>


187

voulait le sien , ce qui ne constitue jamais que des inté

rêts soutenus par la force, et non des vérités imposées par

la raison . La raison seule , démontrant incontestablement

quel est l'avantage de tous , a désormais le droit de s'im

poser elle-même comme devant confondre l'état avec l'église

en organisant la société .

On était en 1786 , c'est-à- dire à la veille des révolutions

qui , comme une trombe, allaient parcourir la Belgique , la

France, l'Italie, l'Allemagne . Le grand -duc proposa par une

circulaire à ses évêques plusieurs points de réforme, sur

lesquels il appelait leur attention , leur donnant six mois

pour réfléchir avant de répondre ; ces points seraient , après

cela , débattus au concile national . Les évêques répondi

rent à Léopold , mais sous la dictée du pape . C'était une

petite guerre de théologien à théologien, entre le prince

réformateur et le prêtre couronné . Ricci exalte beaucoup

l'érudition ecclésiastique de son maitre , qui forçait la cour

de Rome à lui disputer pouce à pouce le terrain qu'enva

hissaient la discussion et le doute universel . Nous pensons

au contraire que sa théologomanie aurait fini par donner

gain de cause à la cour de Rome qui se défendait chez elle

et avec ses armes accoutumées , si l'heure ne fût venue pour

elle de faire place à d'autres idées et aux intérêts dont elles

étaient le

germe .

Léopold n'avait qu'un seul moyen de vaincre le pape dans

ces débats en le réduisant au silence ; c'était de lui dire :

« Lorsque les peuples chrétiens reconnaissaient tenir de

vous seul l'ordre avec l'unité , parce que vous seul étiez censé

posséder et pouvoir interpréter infailliblement la vérité ,

à

1


488

vous étiez tout-puissant et deviez l'être ; devenu exclusive

ment le chef d'une secte chrétienne , sans prépondérance ra

tionnelle là même où elle dispose de la force, de la majorité,

vous n'êtes quelque chose aujourd'hui que pour ceux qui ,

partageant vos doctrines

> , se soumettent volontairement à

vos lois : les peuples se font chacun leur unité et l'organi

sent comme il leur plaît . Ne troublez pas celle de la Toscane.

A cette condition , je vous laisse une autorité pleine et en

tière sur ceux qui croient en vous ; ce ne sont pas mes affaires .

Je veillerai seulement à ce qu'ils ne cessent point de re

connaître mon autorité ; cela nous regarde , eux et moi . »

Il aurait , dans ce cas , laissé les jansenistes injurier les jé

suites , et Rome se défendre contre Ricci ; le temps , entrai

nant les uns et les autres , aurait fait oublier ces oiseuses

querelles . Il avait assez à faire pour résister au despotisme

révolutionnaire dont la force brutale menaçait la force hy

pocrite de son despotisme conservateur . L'anarchie pro

gressive n'avait nullement besoin que lui aussi joignit ses

efforts à ceux de tous pour bouleverser le monde un peu

plus profondément et un peu plus tôt . Continuons à enre

gistrer les faits.

Le grand-duc avait été accusé d'irréligion lorsqu'il avait

diminué le nombre des prêtres , trop considérable selon lui ;

on le blâma comme impolitique lorsqu'il augmenta le nombre

des paroisses en plaçant un curé partout où il crut qu'il

pouvait faire du bien . A cette occasion , Ricci visita de

nouveau la Montagne, où le besoin de cures se faisait sentir

le plus vivement . On tenta de l'y faire périr dans un guet

apens . Ce fut après cette tournée dans la Montagne que le


189

grand-duc , enthousiasme de ce que l'évêque de Pistoie

avait fait pour le seconder dans ses réformes , le présenta à

sa sæur , Caroline d'Autriche, reine de Naples , et à Ferdi

nand , son mari . Celui -ci interrogea Ricci sur ce qu'il avait

à faire chez lui pour imiter son beau -frère , le docteur,

c'est ainsi qu'il qualifiait Léopold : – l'évêque fut heureux

de pouvoir le lui indiquer , et en outre de pouvoir lui nom

mer les principaux d'entre les Napolitains , hommes d'in

telligence et de caractère , qui l'auraient puissamment aidé

de leurs lumières et de leur patriotisme . Ces hommes fu

rent précisément les premières victimes que les royaux

époux firent immoler lors de l'atroce et stupide terrorisme

monarchique de 1799 .

En attendant , Ricci allait toujours droit devant lui , sans

regarder en arrière , et renversant tous les obstacles que

ses adversaires dressaient sous ses pas . Il avait un avantage

inappréciable sur ses ennemis , c'était l'amitié et la protec

tion du prince ; en outre , il était indépendant par lui-même

sous le rapport de la fortune . Il en profitait pour faire ses

visites diocésaines avec simplicité , à la vérité , mais aussi à

ses frais, tandis que ses collègues ruinaient les curés chez

lesquels ils allaient s'établir avec leur fastueux équipage et

une suite nombreuse que le pauvre prêtre devait régaler et

combler de présents . Les visites de Ricci ne lui coûtaient

par an que la somme que ses collègues faisaient dépenser à

chaque curé pour un seul repas .

Poursuivant la réforme des abus , l'évêque de Pistoie

abolit les neuvaines de nuit, qui étaient devenues une

source de désordres .

16 .

9


190

Puis il annexa au patrimoine ecclésiastique de son diocèse

une garde-robe où il fit déposer les ornements qui avaient

appartenu aux couvents supprimés , afin que toutes les

églises de Pistoie et Prato pussent s'y fournir selon leurs

besoins . Le grand-duc étendit aussitôt cette institution à

toute la Toscane . Mais les intrigues habituelles firent bien

vite avorter les bonnes intentions du prince et du pasteur :

c'était toujours au patrimoine ecclésiastique que les ennemis

des réformes en voulaient le plus , parce qu'il soustrayait

les évêques à la dépendance de la cour de Rome , et qu'il les

soumettait aux lois de leur pays . Ils réussirent dans tous

les diocèses , celui de Pistoie et Prato excepté , à empêcher

le bien que cette institution aurait produit en Toscane; ils

entravèrent dans ce dernier diocèse la marche régulière

des choses , mais sans cependant parvenir à l'arrêter entiè

rement .

!


CHAPITRE XXVIII .

Nécessité de démontrer désormais à la société ce que la société a cessé de

croire . — Ricci combat le jésuitisme . — Le bréviaire . Machinations.

Synode de Pistoie . Opposition . – Duplicité de la cour de Rome .

Réponse des évêques au grand -duc. — Assemblée préparatoire au concile

national.

Nous avons déjà vu que la réforme du culte n'était pas

ce qui importait le plus à l'évêque de Pistoie et Prato ; il

à

s'attachait plus spécialement encore à ce qu'il appelait le

redressement des idées erronées sur le dogme .

On aurait pu lui objecter que , conservant un dogme quel

conque , c'est - à -dire une opinion dont la vérité n'est pas

démontrée incontestablement , son prétendu redressement

n'avait pas plus de valeur aux yeux de la raison que l'er

reur prétendue du pape et de ses adhérents n'en manquait.

La seule erreur capitale à redresser était celle professée

jusqu'alors, et qui consistait à accepter comme vrai ce qui


192

ne pouvait être néanmoins affirmé que comme hypothé

tique . Les catholiques , les chrétiens de toutes les sectes ,

les révélationnistes de toutes les écoles , n'avaient garde de

s'élever à cette hauteur .

Ce fut à la pénitence et aux indulgences , corrompues par

les maîtres d'une fausse doctrine (les jésuites aux yeux de

Ricci) , que l'évêque s'en prit cette fois . Les disciples de

saint Augustin et de saint Thomas s'étaient opposés au mal ,

nous dit - il, et ses prédécesseurs , Alamanni et Ippoliti ,

avaient fait beaucoup d'efforts pour le déraciner . Mais il

restait encore à faire après eux , et Ricci l'entreprit sans

tarder , avec l'aide du canoniste Palmieri qu'il fit venir

de Gênes tout exprès , et qu'il attacha à son église cathé

drale .

Puis il expurgea le bréviaire , en faisant disparaître des

leçons ce qui le choquait le plus . Ses amis , les jansénistes

de France , auraient voulu davantage . Mais il sacrifia à la

prudence , en cette occasion , et réserva ce qu'il ne jugea pas

opportun pour le moment , à la célébration de son synode

diocésain .

Rome trouva alors un nouveau moyen de le vexer : elle

se fit adresser des prêtres censés appartenir au diocèse de

Pistoie et Prato , et qui se plaignaient des dilapidations de

leur pasteur , de la profanation des reliques et des images ,

des erreurs qu'il faisait répandre , du dénûment dans le

quel il les laissait , parce qu'ils refusaient de se faire ses

complices. Le pape , se donnant l'air de les repousser , les

renvoyait au saint- office , pour faire plus de bruit . Le

grand -duc, à qui on fit part de cette machination, ordonna

EN


193

-

à son ministre à Rome de poursuivre les imposteurs .

La division allait croissant en Toscane entre les catho

liques anciens et les modernes jansénistes . Déjà on entendait

parler de refus de sacrements , comme en France . L'arche

vêque de Florence se prêtait volontiers à ces menées

de sacristie ; il les excitait même , notamment à Prato , sa

ville natale , où des chanoines et des prêtres , séduits par

son influence , professèrent ouvertement des principes

opposés à ceux que leur évêque voulait faire prévaloir . Le

but principal de cette levée de boucliers était le désir d'em

pêcher la réunion de l'assemblée diocésaine que le saint

siége redoutait au -dessus de toute chose , et dont rien ne

put détourner le zélé pasteur.

Le synode de Pistoie s'ouvrit le 18 septembre 1786 .

Comme c'était l'acte le plus éminent de son pontificat, ct celui

qui devait sanctionner tous les autres , Ricci s'était entouré

des lumières des hommes les plus renommés dans la secte

à laquelle il appartenait . Le professeur Tamburini , janse

niste et régaliste célèbre de l'école de Pavie , était le pro

moteur de l'assemblée ; le chanoine Palmieri disposait les

matières à traiter ; Fabius de Vecchj , de Sienne , et l'abbé

Tanzini , de Florence , en étaient les colonnes . Le concile

comptait deux cent trente - quatre membres , dont cent

soixante et onze curés , quatorze chapelains, autant de cha

noines , et trente - trois prêtres séculiers et réguliers . Rome

n'osa pas élever la voix , elle se borna à pousser avec plus

de vigueur que jamais la guerre ténébreuse qu'elle ne

cessait de faire à tous ceux qui travaillaient à la combattre ,

en mettant au grand jour l'inapplicabilité de ses anciennes

9

>

9

2


.

194

maximes et l'anachronisme de ses prétentions d'autrefois ,

renouvelées de nos jours .

Après la récitation du symbole de Pie IV , on mit immé

diatement sur le tapis la matière si controversée de la grâce

et de la prédestination , ainsi que celle des fondements de

la morale chrétienne. Quoiqu'il y eût liberté entière de

discussion , cependant les opposants refusèrent constam

ment , non-seulement de signer les résolutions prises par le

synode , mais encore de donner le moindre éclaircissement

sur le motif qui les portait à se séparer du corps de l'as

semblée délibérante .

>

La sixième session fut consacrée au mariage , dont Léo

pold fut prié de régler souverainement toutes les conditions

comme contrat civil , matière du sacrement dont la consé

cration religieuse , sous la forme de bénédiction nuptiale ,

était la seule cérémonie qui fût du ressort de l'église . Le

concile chargea également le prince de porter remède aux

abus qui naissaient de la trop grande fréquence des scr

ments et du nombre excessif des fêtes, et à ceux qui tien

nent à l'organisation des ordres réguliers.

Le grand -duc était journellement instruit de ce qui se

passait au synode et l'approuvait au plus haut degré ; Rome

l'était également , et elle ne négligeait rien pour semer la

zizanie et faire naître des troubles dans l'assemblée . Elle

avait pour cela plusieurs brouillons gagés à ses ordres , et

entre autres l'abbé Marchetti, d'Empoli , qui , plus tard , cer

tifia authentiquement le clignotement d'yeux des madones

italiennes , hostiles à la première invasion du général Bona

parte ; qui fut ensuite nommé gouverneur du fils de la


195

reine d'Etrurie , et enfin prêcha les missions dans Rome

après la retraite définitive des Français . Léopold le fit

chasser de Pistoie .

Ce qu'il y a de plus remarquable , c'est que Ricci , ayant

rendu compte à Rome , dans son rapport triennal, de la te

nue du synode de Pistoie, ne subit aucun blâme de la part

du saint-siége , qui cependant , sur la dénonciation et à la

demande de la noblesse de Pistoie , faisait diffamer ce synode

de toutes les manières et partout .

Peu après , Ricci adopta pour l'instruction religieuse des

enfants de son diocèse le catéchisme de Montauzet , et son

exemple fut suivi par Sciarelli , évêque de Colle , par Pan

nilini , évêque de Chiusi et Pienza , et par Alessandri ,

évêque de Cortone . Cette circonstance permit au grand -duc

de se flatter, avec quelque apparence de raison , que peu à

peu son haut clergé finirait par marcher d'accord dans la

voie qu'il lui traçait .

Mais il ne tarda guère à être désabusé . Les réponses qu'il

reçut aux cinquante -sept points qu'il avait soumis aux

évêques , étaient en général contradictoires entre elles ,

pleines de réticences , de tergiversations et de doutes , et ne

se rattachaient les unes aux autres que dans un sens , celui

précisément qui témoignait d’un dévouement unanime au

saint-siége , quelles que fussent sa doctrine et ses préten

tions . Léopold n'en persista que plus résolûment dans son

projet de concile national , dont la réalisation , pensait- il ,

aurait forcément mis un terme aux intrigues pontificales.

Ricci y voyait plus clair que lui en cette rencontre : il fit

part au prince de ses craintes relativement au résultat d'une

:


196

.

assemblée , composée d'évêques qui n'avaient de commun

que la haine de ses réformes , et réunie à Florence même ,

dont l'archevêque était secondé par tous les agents du pou

voir dans son opposition systématique à toute espèce d'in

novation ,

Sur ces entrefaites , la menace de créer une congrégation

de cardinaux pour examiner les actes du synode de Pistoie

aussitôt qu'ils auraient paru , en faisait retarder la publica

tion ; ce dont Rome profitait adroitement pour faire ré

pandre le bruit que Léopold lui -même désapprouvait ce

synode , et refusait en conséquence son exequatur, indis

pensable à l'impression demandée . Le prince fut réduit à

écrire à son évêque favori que , s'il croyait devoir différer la

publication des actes du synode de Pistoie , c'était exclusi

vement pour des motifs de circonstance , qui ne pouvaient

impliquer aucune désapprobation de sa part ni le moindre

blâme . Et pour le prouver , le grand-duc ne tarissait pas dans

sa leltre en témoignages d'estime et de satisfaction qu'il

autorisait le prélat à communiquer à qui bon lui sem

blerait .

L'assemblée des évêques dont la mission était de prépa

rer le travail à soumettre au concile national , fut convoquée

pour le 23 avril 1787 , par une lettre qui en indiquait le

but , savoir : « L'avantage de la religion , la réforme des

abus dans la discipline , la détermination de principes purs

pour servir de base à l'instruction du peuple , l'institution

d'études raisonnables pour la formation d'un clergé utile ,

l'unité de doctrine , et enfin la concorde entre les fidèles

avec la paix .

»

2


mun

eme,

ou

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ion

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ans

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em

pa

ée

t le

des

rs

ion

ile ,

les

197

Tout cela est ſort sonore comme phrase , aussi longtemps

qu'on ne cherche pas le sens précis et rationnel de chaque

expression , afin de n'en faire éclore que des propositions

irréprochables ; mais tout cela s'évanouit comme une ombre

devant la considération qu'il n'y avait alors, comme il n'y a

encore aujourd'hui , - nous l'avons dit plus d'une fois , et

nous ne croyons pouvoir assez le répéter , que des opi

nions , chacune dépourvue des preuves indispensables pour

écarter toutes les autres ; que par conséquent l'opinion du

grand -duc , d'accord avec celle de Ricci , quand bien même

elle eût eu pour appui l'opinion du clergé el du peuple

toscan réunis , n'avait pas plus de droit à se prétendre con

forme à la raison démontrée , que ne l'avait la doctrine pro

fessée par le pape , par sa cour , et par tous les catholiques

qui lui étaient demeurés aveuglément soumis . La confusion

des esprits et des consciences, c'est - à - dire la théorie de l'a

narchie , avait seule quelque chose à gagner dans une lutte

à ciel ouvert , où la vérité , inconnue à tous , n'était réelle

ment invoquée par personne .

Les évêques, pour ne pas trop offenser le grand - duc , s'é

taient , dans leurs réponses écrites , donné l'apparence de

vouloir tout concilier . C'est ce qui avait trompé Léopold .

D'autre part 2, ils étaient eux -mêmes trompés sur les inten

tions de Léopold ; car on les avait induits à se figurer qu'ils

avaient été appelés pour juger , en d'autres termes pour

condamner Ricci , et pour abolir les réformes en discus

sion . Martini dirigeait cette cabale , fondée sur l'ignorance

et fomentée par la mauvaise foi. Tous les évêques , hormis

ceux de Colle et de Chiusi , les seuls qui n'évitassent pas

17


- 198

leur collègue de Pistoie , se groupaient autour de l'arche

vêque de Florence.

>

Dès l'ouverture de l'assemblée , les évêques témoignèrent

publiquement de leur mauvais vouloir , en imposant le si

lence aux théologiens du gouvernement , auxquels ils di

rent : « Nous sommes les maîtres ici ; vous n'êtes que les

disciples . »

Le recueil des actes de l'assemblée de Florence forme

sept volumes in -quarto . Nous en donnerons une légère idée

au chapitre suivant .


CHAPITRE XXIX .

Statistique ecclésiastique de la Toscane.- Marche rétrograde de l'assemblée

des évêques . - Quelques-unes de leurs réponses au gouvernement.

L'abbé Réginald Tanzini , qui fut chargé de publier tout

ce qui concernait l'assemblée ecclésiastique de Florence ,

entre en matière par un triste tableau de l'ignorance et du

bigotisme sous lesquels le clergé toscan se trouvait , pour

ainsi dire , abruti avant le règne de Léopold . Et ce clergé

formait une partie notable de la nation , quand surtout on

considère la domination qu'il exerçait sur tout le reste : or ,

en 1784 , on comptait en Toscane, entre séculiers, réguliers ,

religieux et religieuses , le nombre effrayant de vingt -deux

mille deux cent soixante -huit individus , uniquement cons

crés à faire tourner le culte à leur profit d'abord , puis au

maintien de l'omnipotence romaine .

Les archevêques La Gherardesca, Incontri et même Mar


200

tini , avaient amélioré autant qu'il dépendait d'eux ce triste

état de choses à Florence ; Alamanni , Ippoliti et surtout

Ricci firent de même, et firent plus , à Pistoie et Prato : les

évêques de Colle et de Chiusi s'efforçaient de marcher sur

leurs traces .

Il va sans dire que les améliorations opérées furent, selon

l'abbé Tanzini , exclusivement dues à la propagation des

écrits jansenistes de France .

Le grand -duc avait ordonné que , à l'assemblée ecclé

siastique , les décisions fussent prises à l'unanimité . L'assem

blée , dont les cinq sixièmes se rangèrent , dès la première

session , sous le drapeau de l'opposition , décréta qu'elle

déciderait à la majorité des voix . Elle décréta également

contre l'opinion du prince , ainsi que contre la pratique

des apôtres et de toute l'église primitive , que les prêtres

n'auraient de voix que consultativement . Puis l'usage de

la langue vulgaire pour l'administration des sacrements

demeura suspendu jusqu'à ce que les fidèles y eussent été

préparés . Finalement, les évêques décidèrent qu'ils deman

deraient au pape de pouvoir rentrer dans leur droit d'accor

der toute espèce de dispenses .

L'unité de doctrine et d'enseignement souleva une tem

pête . Le grand -duc et ses trois évèques fidèles voulaient

que saint Augustin fût pris pour régle ; l'opposition n'y

consentit qu'à condition que saint Thomas en serait l'inter

prète obligé . Or saint Thomas avait lui -même été interprété

dans le sens des jésuites , surtout depuis que ceux -ci faisaient

cause commune avec les dominicains . Dans cette discussion ,

saint Augustin fut traité de déclamateur et de tête chaude ,


201

et saint Thomas accusé d'avoir obscurci saint Augustin ,

de manière à donner lieu à toutes les disputes qui suivirent

son enseignement .

Les évêques convinrent qu'il ne fallait ordonner que des

prêtres instruits et pas plus que de nécessité ; mais l'oppo

sition voulut demeurer maîtresse absolue de juger la

capacité des ordinands et de limiter leur nombre . Il ne fut

pas même possible de diminuer celui du clergé eugénien ,

chargé du service de la cathédrale de Florence , et qui , de

trente- trois clercs qui le composaient jadis , était monté à

cent cinquante , ni de débarrasser ce clergé des enfants de

cheur , « cette pépinière de petits vauriens, » disait le

prêtre Longinelli qui avait été leur directeur .

Léopold désirait qu'on abolit le prix des messes ; l'oppo

sition décréta que chaque évêque réglerait ce point d'après

les besoins de son clergé , c'est- à-dire selon son bon plaisir .

Il désirait aussi la suppression des oratoires et chapelles

privées , dont le privilége était accordé à la richesse , qui

n'est pas un mérite aux yeux de Dieu : les opposants con

sentirent seulement à ce que , pour y officier les dimanches

et jours de fête, il faudrait dorénavant l'autorisation de

l'ordinaire ,

Nous ne rappelons que pour mémoire la puérile discus

sion sur les petits rideaux ou manteaux (mantellini), dont

on couvrait les images. L'opposition ne permit pas sans

peine qu'on dévoilât les moinsvénérées .

On parla du trop grand nombre de messes anniversaires

et de messes en général . Une fois l'aumône

:

pour

la messe

admise , rien naturellement n'avait été négligé par les

17 .


202

prêtres pour multiplier à l'infini les messes à dire , et les

moines , en offrant aux fidèles, tantôt un saint particulier ,

tantôt une nouvelle relique , tantôt une image miraculeuse

ou quelque autre objet propre à stimuler la dévotion , les

accaparèrent presque toutes. Il en résulta que bientôt les

religieux furent hors d'état de dire toutes les messes qu'on

leur confiait, qu'ils acceptaient et dont ils touchaient le

prix stipulé . Qu'arrivait-il ? que, pour en finir, les moines

composaient avec le saint-siége , auquel ils donnaient une

part de ce qu'ils avaient reçu pour officier, et qui les

dispensait de tenir leurs engagements. En 1743 , il avait

été découvert dans deux couvents de Venise un arriéré de

trente mille messes !

On parla également à l'assemblée des évêques de l'indé

cence qu'il y avait à célébrer plusieurs messes à la fois

dans une même église ; des querelles que soulevaient dans

les sacristies les concurrents qui se présentaient pour les

dire ; de l'application de la messe dite , à tel ou tel fidèle,

vivant ou mort ; des priviléges attachés à des autels , à des

prêtres, à des jours déterminés, etc. , etc. Mais on ne

parvint pas à rien décider , car on ne s'entendit sur rien .

L'auteur du recueil fait remarquer à ce propos que le

nombre de messes privilégiées , célébrées journellement ,

étant bien plus considérable que celui des décès de chaque

jour , non-seulement , d'après la doctrine romainc , le pur

gatoire était toujours vide, mais qu'il restait encore un

immense crédit pour les délivrances futures .

L'évêque de Chiusi et Pienza avait , dans le temps , publié

une instruction où se trouvait l'affirmation jansénienne

9


203

;

concernant les vérités du christianisme qui avaient fini par

s'obscurcir , affirmation déjà condamnée par le saint- siége.

Le pape l'avait condamnée de nouveau , et en avait pris

texte pour injurier le prélat , tout le clergé réformateur et

le gouvernement de la Toscane . Le grand -duc demanda

leur avis aux évêques sur cette pièce scandaleuse . Tous

blåmèrent le pape . Un seul docteur taxa d'hérésie l'évêque

de Chjusi .

Vint la question des livres que le grand-duc et Ricci

proposaient pour faire partic de la bibliothèque des curés ,

et parmi lesquels , dit l'abbé Tanzini , se trouvaient par

hasard quelques-uns de ceux qui étaient à l'index du

saint-office de Rome , entre autres Quesnel , Lelourneux ,

Nicole , l'auteur des Provinciales, Godeau , Duguet, etc. ,

tous coryphées du parti janseniste et canoniste . Les oppo

sants les rayèrent sans exception de la liste gouvernemen

tale , mais sculement parce que les livres mis aux mains

des prêtres doivent être au -dessus même du soupçon de

renfermer l'erreur .

9

L'opposition maintint le privilége de la quête , dont le

grand -duc voulait dépouiller les ordres mendiants, ainsi

que les serments inutiles . Elle n'osa pas défendre le serment

de vasselage prêté par les évêques au pape , et que le

grand -duc proposait de remplacer par une simple promesse

d'obéissance canonique .

Elle rejeta aussi les demandes faites par Ricci au prince ,

savoir, celle de remettre toutes les fêtes au dimanche sui

vant , et celle de réduire tous les ordres religieux à un seul ,

sous la règle de saint Benoît , ainsi que tous les couvents à

2

7


204

un seul pour chaque ville , mais placé au milieu des champs .

Dans les différentes réponses des évêques aux questions

posées par le grand-duc , il y a quelques particularités

bonnes à conserver . Par exemple : l'évêque opposant de

Fiesole , Mancini , convint que le véritable motif de son refus

d'en revenir à l'ancienne discipline était que , dans l'église

primitive , les diocèses n'avaient pas de circonscription dis

tincte et déterminée ; que les prêtres n'étaient pas astreints

au célibat , et qu'ils vivaient au jour le jour des offrandes

des fidèles; que la communion se donnait aux laïques

9

comme aux clercs , sous les deux espèces , etc. , etc. Ricci

repoussa toute dépendance réelle des évêques envers le

pape , et des prêtres envers les évêques . Franceschi , arche

vêque de Pise , demanda le contraire absolument de ce que

désirait son collègue de Pistoie : il voulait un clergé riche

et puissant , et des fidèles superstitieux . Borghesi ne croyait

qu'en la bulle Unigenitus, et n'avait peur que de Quesnel

qu'elle a condamné . Santi , évêque de Soana , tout à la fois

augustinien (janseniste) et politique (canoniste) , ne voyait

de salut que dans une église nationale : comme Ricci , il

proposa pour modèle de tous les synodes possibles celui

qu'avaient tenu les jansénistes d'Utrecht ( 1763 ) . Franzesi ,

évêque de Montepulciano , estimait que les tentatives faites

pour réformer l'église de Toscane étaient des efforts pour

introniser dans le grand -duché le grossier déisme de Hol

lande , d’Angleterre et de presque toute l'Allemagne . Il

regardait la doctrine de saint Augustin comme des plus

dangereuses , puisqu'elle a donné lieu aux hérésies de

Luther , de Calvin et de Jansenius .


4

205

Le même Franzesi avait publié une condamnation bru

tale des jansénistes : l'auteur du recueil des actes , en rap

portant cette circonstance , en prend occasion pour porter

les jansenistes aux nues , et nommément Neercassel de Hol

lande et le fameux diacre Paris ; puis il nie , contre la

vérité la plus évidente , que le livre de Jansenius renferme

les cinq propositions condamnées par le pape.

L'évêque de Montepulciano avait fait remarquer que le

grand -duc , qui aurait voulu que chaque église n'eût

qu'un autel , faisait néanmoins construire lui -même des

temples où il y en avait plusieurs. Ricci demanda si le

prélat avait prétendu conclure de là que le souverain avait

changé d'opinion ou bien qu'il s'était contredit ? Et il ajouta :

« Ce serait un sacrilége que d'en oser seulement concevoir

la pensée . > --- On le voit , le jansenisme substituait l'in

faillibilité du prince dominant l'église nationale , à l'infail

libilité du pape régnant sur l'église universelle . C'est de la

foi rétrécie .

Monsignor de Vecchj rapporta qu'étant vicaire général à

Sienne, il avait supputé le nombre des messes à célébrer

annuellement dans le diocèse , pour satisfaire aux legs

pieux : ce nombre s'élevait à quatre-vingt- dix -neuf mille .

Pannilini, évêque de Chiusi et Pienza , déclara que le

jansénisme était un fantôme d'hérésie . Ricci cxalta outre

mesure les miracles opérés par les jansénistes , depuis ceux

du diacre Pâris jusqu'à celui qu'avait approuvé le cardinal

de Noailles , en 1725 , et dont le jubilé centenaire a été

célébré pompeusement à Paris , il n'y a guère que trente

ans ,



CHAPITRE XXX .

Tactique des ennemis des réfo nes . Menées cléricales . Émeute à

Pralo . - L'assemblée ecclésiastique est dissoute . — Réflexions.

Les choses avaient tourné tout autrement que le grand

duc n'avait - espéré en réunissant ses évêques ; il fallait

maintenant empêcher le plus possible que le résultat n'en

fût aussi funeste qu'on avait raison de le craindre . C'est à

quoi Léopold et Ricci s'appliquèrent, chacun dans la sphère

où il lui était donné d'agir .

Mais les ennemis des réformes étaient bien décidés de

leur côté à ne pas demeurer en aussi beau chemin . Ils se

voyaient à la veille de remporter la victoire ; il ne fallait

plus qu'un peu d'audace , et leurs intrigues aboutissaient .

Voici comment ils s'y prirent.

Ils firent répandre à Pistoie et à Prato que l'assemblée

des évêques avait condamné les innovations de Ricci.


208

Aussitôt l'alarme adroitement colportée dans tout le diocèse

y causa un trouble général. Les curés et les prêtres cou

rurent à Florence demander pardon de ce qu'ils s'étaient

soumis aux réformes du gouvernement, et ils en sollici

tèrent l'abolition immédiate .

Ce n'est pas tout : l'assemblée de Florence traitait préci

sément les questions du culte des images , des reliques et

des indulgences . On annonça , sous main , aux diocésains

de Ricci que l'évêque avait été convaincu d'hérésie sur ces

points de la doctrine chrétienne . L'évêque de Volterra et le

secrétaire du nonce pontifical se portèrent à Prato et orga

nisèrent le parti des mécontents qui dès lors devinrent des

turbulents . Ricci , dirent ces éminents personnages à qui

voulait l'entendre , était à la veille de faire abattre l'autel

où se conserve la cintola ou ceinture de la sainte Vierge , et

d'opérer encore nombre de changements que le peuple

redoutait comme des calamités . Ces calomnies étaient

secondées , à Florence même , par les évêques réunis , qui

ne cessaient de conseiller le retour pur et simple à l'an

cien ordre de choses , sous prétexte qu'il est de l'intérêt du

prince que le peuple soit crédule et ignorant , et que trou

bler la conscience publique par l'examen au moins intem

pestif , si ce n'est encore inutile , des questions qui ne le

regardent en rien , est toujours dangereux pour la tran

quillité de l'état . Léopold cependant ne cédait point . Les

émeutes furent décidées .

>

Le 20 mai , le peuple de Prato se rendit , armé de

bâtons et de haches , à l'église principale pour empêcher

la démolition d'un autel auquel personne ne songeait . Le

7


209

tocsin fut sonné , les livres qu'on trouva dans la sacristie

furent lacérés , on fit illuminer l'église et la sainte cintola

fut exposée à la vénération des fidèles . Cet exploit terminé ,

la foule alla prendre les images des anciennes confréries

religieuses et les porta au temple . Le domicile des prêtres

connus pour partager les sentiments de l'évêque fut violé ,

et ces prêtres se virent forcés de se rendre, moitié nus ,

aux églises pour replacer les petits rideaux (mantellini)

devant les images qui en avaient été dépouillées.

Le lendemain , ce fut le tour des paysans qui vinrent

adorer , derrière les rideaux dont on les avait de nouveau

couvertes , les images qui, à leurs yeux , y avaient retrouvé

leur première valeur . Déjà tout le diocèse prenait feu ,

lorsque Léopold en appela à la force. Des soldats furent

envoyés sur les lieux ; il se fit de nombreuses arrestations ,

et toutes les choses furent remises sur le pied où elles se

trouvaient avant le tumulte .

Ricci était navré de ces événements. Lorsqu'il se pré

senta le lendemain au sein de l'assemblée ecclésiastique ,

ses partisans l'accueillirent avec intérêt , les opposants avec

un insultant mépris . A Prato , le repentir succéda bientôt

à l'effervescence : les habitants implorèrent la clémence du

grand -duc, surtout quand ils eurent été témoins d'un pré

tendu miracle par lequel il leur paraissait que Dieu lui

même rendait hommage à l'orthodoxie de leur pasteur . Un

Pratois , qui avait mangé des légumes cuits au feu , fait avec

lcs débris de la chaire pontificale de Ricci , mourut aussitôt

après son repas , et cela sans confession . Le biographc de

Ricci rapporte ce fait et l'apprécie dans son sens , avec une

18


.

210

bonne foi assurément fort rare à la fin du dernier siècle .

Le grand -duc accueillit avec bonté les députés de Prato .

Jl leur dit qu'il savait fort bien d'où était parti le coup ; que

l'affaire avait été machinée à Rome ; que , d'après le mot

d'ordre donné à Florence , l'émeute aurait dû éclater , à un

moment convenu , dans toute la Toscane , et que dans la pré

vision de sa réussite , le saint- siége avait retardé la signature

de son concordat avec le royaume des Deux - Siciles , dont ,

après un événement aussi favorable aux desseins du souve

rain pontife, il aurait indubitablement obtenu de bien meil

leures conditions .

Pour le moment , tout rentra dans l'ordre .

Ricci intervint alors auprès du prince en faveur des mal

heureux qui avaient été égarés , et il obtint une commuta

tion de peines pour quelques -uns , la grâce pleine et entière

de tous les autres . Il vint lui-même au secours des ouvriers

que l'emprisonnement avait réduits à un état de gêne .

Finalement il s'appliqua à calmer les esprits en éclairant

ses diocésains sur leurs intérêts et leurs devoirs .

Puis il forma le projet d'abdiquer . Se considérant comme

une pierre d'achoppement à la réalisation du plan du

grand - duc , il adressa à celui - ci la prière de lui permeltre

de se retirer, ne demandant pour récompense de ses ser

vices que de pouvoir se laver des calomnies répandues sur

son compte , principalement en publiant sans retard les actes

de son synode diocésain . Il pria en outre Léopold d'accorder

aux Pratois , et surtout aux plus pauvres , un pardon sans

restriction ni réserve pour ce qui venait de se passer . Le

prince répondit , mais uniquement pour consoler l'évêque


- 211

dans ses peines et pour approuver sa conduite en toutes

choses ; il n'accepta pas sa démission . Léopold se montra

sévère envers les évéques , qui avaient été les premiers me

neurs des troubles et qui n'en devinrent pas plus dociles .

Ne pouvant rien obtenir d'eux , il rompit leur assemblée

(5 juin 1787 ) , et les congédia sèchement .

Il songea sérieusement alors à tout faire par lui-même et

à faire seul , et il chargea Ricci de dresser un plan général .

L'évêque de Pistoie se mit immédiatement à l'auvre ; mais

le fruit de son travail demeura à l'état de simple projet. Les

révolutions qui grondaient sourdement de toute part met

taient à l'ordre du jour des questions autrement graves que

celles du jarsénisme et des jésuites , des cabinets et des sa

cristies , des églises nationales même et de la cour de Rome .

Certes , il y avait beaucoup à faire ; mais tout se résumait

à réaliser dans la pratique les idées généralement acquises à

la société , et rien en dehors de ces idées, rien au delà . Le

pouvoir avait à faire des lois pour les prêtres comme pour

tous les citoyens , sans distinction d'opinion et de culte , et

là où l'intervention de la loi n'était pas indispensable , à ne

rien faire du tout , laissant chaque opinion et chaque culte

se produire et s'agiter librement, se développer ou déchoir.

Les tentatives aussi imprudentes qu'inconsidérées de Jo

seph II , de Léopold , de l'assemblée constituante de France et

de Napoléon pour tout déterminer , limiter et réglementer ,

ont passé sans laisser de traces . La séparation absolue , clai

rement et nettement tracée , de l'église et de l'état , est de

meurée en principe du moins , et ne saurait plus éprouver

de changement ; l'indépendance absolue de l'église comme


-

212

de l'état , en est la conséquence logique, mais cette consé

quence n'a point encore été appliquée avec la franchise et la

loyauté qui anraient dû en ètre inséparables .

Ajoutons tout de suite qu'elle ne saurait être appliquée

d'une manière complète ; car il est impossible que l'église ne

dirige pas l'état , à moins que l'état n’asservisse l'église . Et là

précisément cst l'absurdité : ce qui devrait être ne saurait

être actuellement sous aucune condition ni en aucun état de

cause ; la société — notre société établie se trouve dans

l'impuissance la plus absolue de réaliser ce dont néanmoins

la réalisation est , toujours actuellement, devenue pour elle

une condition d'existence .

Cet ordre de choses , anomal , contradictoire , absurde ,

mais inévitable avec les connaissances acquises et dans les

circonstances données , durera jusqu'à ce qu'il ait été dé

montré qu'état et église , société et religion , ne sont qu'une

seule et même chose , dérivant d'un principe unique , repo

sant exclusivement sur ce principe , et ayant ce même

principe pour unique soutien .

Nous sommes loin de préconiser le dualisme ou plutôt

l'antagonisme de l'idée et de la force, du droit et du fait,

comme le dernier mot de l'intelligence ; mais nous consta

tons cette dualité comme étant le dernier mot que l'intelli

gence ait prononcé , comme résumant l'état des esprits et

des choses actuellement. Nous constatons en outre qu'il y

a plusieurs églises , différentes nations , des opinions par

tout , et rien que des opinions, sur ce qui est juste et vrai ;

mais nous savons que l'idée du droit absolu , devant laquelle

s'évanouiront nations et églises , doit se réaliser et rendre

>

)


213

-

toutes les opinions vaines . Nous constatons enfin que le

droit absolu , encore indéterminé , subordonné au fait d'un

droit relatif , droit indéterminable en principe , et accepté

ici dans un sens , là dans un autre sens , aujourd'hui sous

telle forme , demain sous telle autre , n'offre rien de stable ,

rien de réel , et dépend toujours de la force , qui seule peut

être déterminée aussi longtemps que la réalité du droit ne

l'est pas .

Et nous en concluons qu'il est nécessaire que provisoi

rement l'esprit demeure indépendant dans sa sphère, tandis

que la force fait plier tout le reste sous sa verge d'airain , ...

jusqu'à ce que l'esprit, rationnellement , incontestablement

et surtout socialement déterminé , ait soumis la force à la

vérité , substitué la justice à la force .

2

18 .



CHAPITRE XXXI .

L'opposition devient menaçante . Le peuple abolit les réformes.

Apologie de Ricci . Sa fermeté . Publication des actes du synode de

Pistoie et de l'assemblée de Florence . - Commissions papales pour juger

Ricci .

L'opposition flagrante des évêques au gouvernement

devait entraîner après elle celle du clergé et par suite de

tout le peuple toscan . De Pistoie et Prato , on ne cessait

d'adresser des pétitions au ministre de la police (presidente

del buon governo) pour demander le renversement complet

de ce que Ricci avait établi dans son diocèse . Léopold sou

tint le prélat . Il avait acquis la conviction qu'on voulait

soulever contre lui tout le grand-duché comme on avait

réussi à faire révolter les Pays-Bas contre son frère, comme

on cherchait à semer le trouble dans le royaume de Naples

et en Lombardie . Un prêtre du diocèse de Pistoie lui avait

révélé le complot , en exposant les machinations et les


216

vexations auxquelles il avait été en butte de la part de ses

supérieurs , qui ne faisaient, cux , qu'exécuter les instruc

tions que Rome leur communiquait par l'intermédiaire de

ses nonces . C'est ce qui fit généralement songer à la néces

sité de supprimer les nonciatures, seul moyen de se débar

rasser des intrigues que dirigeaient les agents en titre de

la cour pontificale.

En outre , les lettres que Ricci recevait coup sur coup ,

de France , de Belgique et même de Rome , lui démontraient

à l'évidence que tout ce qui se tramait alors dans un sens

opposé à l'esprit du siècle émanait du saint-siége . « La

résistance du Brabant ferait un grand plaisir au pape, si

elle pouvait faire changer le système de la cour de Vienne

par rapport à l'enseignement de la doctrine, écrivait le

cardinal de Bernis à sa cour (23 mai 1787) . Le nonce

Zondadari, réfugié à Liége (1790), promettait à la gouver

nante des Pays -Bas , pour le cas où elle parviendrait à faire

que l'électeur de Cologne , son frère , se déclarât contre le

congrès d’Ems , que le pape , de son côté , ferait rentrer les

Belges sous la domination impériale. Nous reparlerons de

ce nonce , à propos de la bénédiction pastorale qu'il donna ,

quelques années après , aux Arétins qui venaient d'égorger

et de brûler des juifs.

Quoi qu'il en soit , les pétitions au gouvernement se mul

tiplièrent : elles avaient surtout pour but la suppression

des litanies en langue vulgaire . Le gouvernement ne voulut

pas avoir l'air de céder devant ces démonstrations ; il fit

ordonner aux pétitionnaires d'obéir à leur pasteur , et il

exhorta l'évêque à se montrer facile sur ce qu'on lui de

n


217

mandait . Ce mezzo termine n'eut , comme de coutume ,

aucun résultat positif. Le peuple, las d'attendre , se mit

finalement à son tour à régler les cérémonies religieuses

selon son caprice , fit exposer le saint-sacrement , doubla le

nombre légal des cierges , exigea des processions solen

nelles , fit replacer partout où ils manquaient encore les

mantellini si puérilement controversés , imposa le silence

aux curés qui ne pensaient pas entièrement comme lui ,

força tous les prêtres à ne lire le canon de la messe qu'à

voix basse et d'une manière inintelligible, etc. , etc.

Ricci vit bien que le mouvement rétrograde ne s'arrête

rait plus : il voulut du moins poser un dernier acte qui le

réhabilitât aux yeux de quiconque comprenait ce qu'il

lisait , et il publia son apologic (5 octobre 1787 ) . Cette pièce

éloquente fut traduite en latin , en français et en allemand ,

et réimprimée partout. Le succès qu'elle obtint aigrit con

sidérablement la cour de Rome , qui , dans l'état incertain

des choses et surtout des esprits , aurait volontiers jeté un

voile sur le passé pourvu que la victoire lui demeurât pour

l'avenir . Elle craignait d'ailleurs la publication annoncée

des actes du synode de Pistoie et de ceux de l'assemblée

ecclésiastique de Florence . Pour l'empêcher, s'il était encore

possible, ou du moins pour paralyser d'avance l'effet que

cette double publication allait produire , elle fit de son côté

paraitre les Annotazioni pacifiche (Annotations pacifiques)

de l'abbé Marchetti , véritable libelle incendiaire pour cette

époque d'effervescence et d'agitation . Le grand -duc prohiba

le pamphlet de Marchetti, exila ce prêtre fougueux, et se

plaignit au pape qui ne put se dispenser de blâmer Mar


218

chetti et d'imposer silence aux journaux des états romains .

Léopold somma aussi l'évêque de Pistoie de répondre à

ses agresseurs . Ricci le fit aussitôt : il démontra à sa ma

nière , c'est-à -dire en affirmant, comme tous les opinionistes ,

qu'il n'avait fait que suivre la voix de sa conscience, qu'o

béir , selon l'expression reçue , à Dieu plutôt qu'aux hommes ;

qu'il avait agi justement ; que toutes ses réformes, qu'il

énumérait une à une , étaient nécessaires , utiles , et qu'elles

devaient être réalisées sans retard si elles ne l'étaient pas

encore . Cette persistante fermeté ne fit qu'irriter ses

ennemis dont il s'obstinait à mettre les torts au grand jour ,

en prétendant et en prouvant autant qu'il était en lui que

lui-même avait raison . Il n'en fit pas moins ce que voulait

le grand -duc qui , après avoir pris toutes les précautions

nécessaires, lui ordonna de se rendre à Prato . L'évêque y

administra avec pompe le sacrement de la confirmation au

mois de juillet ( 1788 ) , et son apparition inopinée , malgré

tant de menaces contre sa vie , imposa même aux plus vio

lents : tout demeura tranquille .

Vers la fin de l'année , parurent les actes de l'assemblée

de Florence et ceux du synode de Pistoie . Ces derniers sur

tout produisirent le plus grand effet dans toute la catholi

cilé ; ils étaient en quelque sorte l'expression des besoins

de tous les gouvernements qui voulaient continuer à mar

cher avec , sans ou malgré les catholiques , dont ils étaient

appelés à administrer les intérêts , conjointement avec les

intérêts de ceux qui ne reconnaissaient plus à l'église le

droit de disposer de la société . Les actes du synode de Pis

toie furent traduits partout , comme l'avait été la dernière

>

:


219

pastorale de l'évêque , et Ricci reçut de France , d'Allemagne ,

d'Espagne et de Portugal, les lettres les plus flatteuses et

les plus sincères compliments . Rome était atterrée , d'autant

plus que le grand-duc saisit ce moment pour supprimer la

nonciature , soustraire tous les ordres religieux à leurs

supérieurs hors de Toscane , et renvoyer les moines étran

gers . Le pape n'osa rien entreprendre contrc Léopold ; il

s'attacha à perdre Ricci .

La congrégation , dont la menace était depuis si longtemps

suspendue sur sa tête , s'assembla enfin à Rome , et le diocèse

de Pistoie et Prato retentit du bruit de la condamnation pro

chaine de son pasteur . Pour conjurer autant que possible la

nouvelle tempête qu'il prévoyait , le grand-duc exigea du pape

la promesse de lui communiquer , avant toute publication ,

la sentence de censure ou de condamnation qui émanerait

de la commission pontificale, afin que Ricci eût le temps de

songer à sa défense et de préparer sa justification . Il mena

çait , en cas de refus du saint-siége, de rappeler son ambas

sadeur . Pie VI donna sa parole , et les poursuites conti

nuèrent .

La congrégation , après un mûr et minutieux examen , ne

trouva ricn à blâmer .

Une seconde commission fut convoquée alors , et reçut

ordre de se montrer plus sévère que la première . Mais

celle - ci encore ne s'arrêta qu'à des scrupules , à des doutes

sur la signification des mots et sur les intentions non

avouées des membres du synode inculpé . Le pape n'osa pas

faire part de ce résultat à Léopold . Il se borna à faire ré

pandre en Toscane que Ricci serait cité à comparaître à Rome .


220

-

Une troisième congrégation succéda bientôt aux deux

autres . Mais celle-ci parut n'avoir reçu pour instructions

que de paraître s'occuper des questions en litige , dans le

but d'entretenir l'inquiétude dans les esprits et de fomenter

les troubles du diocèse de Pistoie et Prato , par l'attente de

l'imminente condamnation de son évêque et même de l'ex

tradition de celui - ci pour être détenu à vie comme héré

tique , au château Saint- Ange.

L'archevêque Martini se prêtait merveilleusement à ces

basses intrigues . Il les secondait de tous ses moyens , en

accueillant avec faveur la rétractation des prêtres de Pistoie

et Prato , de manière que les fidèles en vinrent jusqu'à se

figurer que les sacrements qui avaient été conférés par Ricci

et par ses partisans étaient de nulle valeur et devaient être

conférés de nouveau : cela amena un véritable schisme. Mar

tini faisait baptiser et confirmer les enfants qu'on lui cn

voyait du diocèse de son collègue , et il ordonnait prêtres

les jeunes clercs du même diocèse en dépit des plaintes

de l'ordinaire , et malgré l'avis charitable que celui - ci lui

avait fait parvenir , savoir que , par le seul fait de ces irré

gularités , l'archevêque encourait les censures ecclésiasti

ques déterminées

par

les canons .

Rien de tout cela n'ébranla la fermeté de Ricci . Il per

sista dans son système d'opposition aux prétentions du saint

siége jusque dans les moindres circonstances. Par exemple ,

il défiait, pour ainsi dire , journellement le pape en s'inti

tulant évêque par la grâce de Dieu et non par la gráce du

saint-siége, parce que , disait- il, ses droits épiscopaux étaient

égaux à ceux du pape , de même que les droits sacerdotaux

,


221

des curés qu'il nommait ses frères , étaient égaux aux siens .

Pour les mêmes motifs , il repoussait la qualification humi

liante de sujets que les curés avaient l'habitude de prendre

lorsqu'ils s'adressaient à leur pasteur .

MÉMOIRES DE RICCI .

19


4

1

1

1

1


CHAPITRE XXXII .

Mort de Joseph II . – Espérances de la cour de Rome . — Illusions de Ricci ,

- Réflexions. — Léopold quitte la Toscane . Insurrection du diocèse

de Pistoie et Pralo . – Florence suit cet exemple . La démission de

Ricci est acceptée par le grand -duc Ferdinand III . - Petites vexations .

Les choses en étaient là quand la mort de Joseph II , qui

avait suivi de près une amputation rendue nécessaire par

les effrayants progrès d'une maladie honteuse, – c'est un

des correspondants de Ricci qui lui apprend ce fait , -- appela

Léopold sur un plus vaste théâtre . Rome avait vu avec joie

s'approcher un événement qui allait la faire triompher en

Toscane . Afin d'en tirer tout le parti possible , elle s'était ,

en attendant , refusée à instituer les évêques nommés par le

roi de Naples ; elle espérait des conditions de plus en plus

favorables de ce prince , > une fois qu'il la verrait débarrassée

des entreprises de Léopold , d'autant plus que , de son côté ,

la cour des Deux-Siciles , alarmée des progrès de la ré


224 -

volution française , était de plus en plus pressée d'en finir

avec le pape .

De même que les changements opérés en Toscane ne s'y

étaient maintenus jusqu'alors que par la présence de Léo

pold , de même ce qui s'était fait sur un plan analogue en

Allemagne , en Lombardie et aux Pays-Bas autrichiens,

tenait essentiellement à l'action personnelle de Joseph II .

L'une et l'autre allaient manquer à la fois , et la cour de

Rome, qui ne voyait que les faits , qui ne songeait pas àછે

l'influence des opinions et à leur force irrésistible, se crut

un moment à la veille de ressaisir toute sa puissance .

On remarquait déjà que , avec la superstition du peuple ,

le déréglement du haut clergé se remontrait dans toute

son ancienne effronterie . L'évèque de Foligno , particuliè

rement protégé par le cardinal Buoncompagni , était pu

bliquement accusé à Rome d'escroquerie et de débauche;

le cardinal de la Busca se vantait tout haut d'être un des

amants favorisés de la princesse Santa - Croce , auparavant

maîtresse du cardinal de Bernis : c'étaient là les nouvelles

que les amis de l'évèque Ricci lui mandaient de la capitale

du monde catholique. Aussi celui - ci ne mettait-il pas en

si une réforme sage et équitable avait été opérée

en temps utile , on aurait par cela scul empêché bien des

violences et évité beaucoup de malheurs. Pas plus que

tant d'autres , il n'avait l'idée qu'au -dessus de la question

de quelques petits scandales, inséparables de l'exercice d'un

pouvoir créé par l'ignorance et soutenu par l'argent , pla

nait celle de l'émancipation de l'intelligence, dont les pre

miers actes devaient nécessairement être de dévoiler tous

doute que ,

:


225

les scandales , sans pouvoir— l'ignorance n'étant pas en

core détruite -- y substituer l'ordre avec la régularité.

Du reste , l'aveuglement et les illusions de Ricci étaient

partagés par tous ses co -sectaires . Dans sa volumineuse cor

respondance, se voit l'espoir qui, généralement en France ,

était placé dans les bonnes intentions du roi et la convoca

tion des états généraux . On louait le peuple français d'avoir

osé extirper jusqu'à la racine du mal , en enlevant ses

richesses au clergé, en supprimant les ordres religieux, en

faisant passer dans la loi le protestantisme catholique gal

lican . Partout le jansenisme était dans le ravissement , parce

que Rome était dans les angoisses .

Comme si le sort du christianisme et de ses ministres

ne dépendait pas désormais du catholicisme tel que l'avait

constitué la nécessité de maintenir l'ordre social au sein

de l'ignorance ; comme si le protestantisme de l'église gal

licane n'avait pas fait plus de mal au catholicisme dont il

dévorait les entrailles , que les protestantismes antérieurs,

luthérien , calviniste et même philosophique , qui s'étaient

bornés à lui retrancher quelques membres ; comme si la

domination de l'église par l'état n'était pas la ruine de l'église ,

et l'église faisant défaut, comme si l'état lui-même, privé de

toute sanction , ne s'affaisserait pas sous son propre poids ;

comme si la confiscation des biens du clergé n'était pas une

spoliation qui attaquait le principe même de la propriété,

dernier refuge , avec celui de la famille, du sentiment so

cial que la foi abandonnait et que le raisonnement n'était

pas encore parvenu à fonder sur la raison ; comme si enfin

la convocation des états généraux n'était pas précisément

19 .


226

le recours au nombre , à la force , sous lesquels devait infail

liblement succomber la royauté, dernière expression de

la vieille autorité sociale .

La royauté était évidemment coupable , soit ; le roi , cou

pable ou non , ne pouvait pas ne point subir les consé

quences de ce qu'il représentait la royauté , soit encore :

mais l'autorité , déjà effacée en principe par la déchéance de

l'église qui jusqu'alors en avait été scule dépositaire, ne

perdrait-elle pas même son nom à la chute de l'homme en

qui elle se disait incarnée ? Et en attendant que la réalité

du droit eût été démontrée par la véritable science , que

mettrait - on à la place du droit hypothétique qui avait péri

avec la foi ?

Nous revenons souvent , et nous croyons ne pouvoir trop

souvent revenir sur cette contradiction , qui , se résumant

en une impossibilité , dans l'absurde par conséquent , doit

immanquablement mener la société à l'anarchie .

Quoi qu'il en soit , dès qu'on eut acquis en Toscane la

certitude du départ prochain du grand -duc Léopold , rien

ne put arrêter la fougue réactionnaire des ennemis des

réformes. Rome faisait exciter le clergé , le clergé fanatisait

le peuple , le peuple à son tour forçait les prêtres à lui ren

dre toutes ses idoles , Ricci réclamait , le prince punissait, ct

l'exasperation atteignait ses dernières limites . Il ne man

quait plus , pour qu'on se révoltât ouvertement, que de s'as

surer d'avance que la résistance violente au pouvoir serait

le meilleur moyen pour le faire céder ; on le vit clairement

dans la proclamation de l'empereur Léopold aux Belges ,

par laquelle le nouveau souverain , fléchissant devant l'in

9

1


227

surrection , abrogeait tous les actes de son prédécesseur ,

l'empereur Joseph II , son frère. Voici à quelle occasion le

feu qui couvait sous la cendre éclata en un vaste incendie .

Le premier magistrat de Pistoie , Fabroni , fit imprudem .

ment , et peut- être méchamment, démolir pendant la nuit

un des autels que le peuple avait fait relever . Ce fut le signal

des désordres : Ricci fut menacé et poursuivi pour un motif

dont il n'avait pas même connaissance , ct on le força à

prendre la fuite . Pendant que cela se passait , on répandait

à Prato le bruit que l'évêque allait y faire démolir l'autel

de la Cintola . Puis on changea de batterie : c'était à Pistoie

qu'il ferait reblanchir l'image de la Vierge de l'humilité

( la madonna dell ' Umiltà ) , ct aussitôt cette image se mit à

cligner des yeux , à pleurer , à suer . Ricci avait beau pro

tester qu'il ignorait même les faits qu'on lui attribuait ;

rien n'y fit , et le 24 avril 1790 , la révolution cléricale du

diocèse de Pistoie et Prato fut complète .

A peine l'évêque s'était- il retiré à Florence , que tout ce

qu'il avait fait pendant son pontificat disparut devant ce

qu'on appelait la volonté du peuple, aux grands applaudis

sements des ennemis de Ricci , qui ne se doutaient pas en

core qu'ils disparaîtraient bientôt eux-mêmes à leur tour et

devant la même volonté . Les scipionistes, hérétiques de

nouvelle création , furent obligés de quitter le diocèse boule

versé , pour faire place à la dévotion au sacré-cour, à la

célébration des messes à prix d'argent , et à la restauration

des limbes dont les jésuites, constamment combattus cn cela

par les augustiniens, avaient gratifié les enfants morts sans

baptême .

9


228

Ce qui s'était passé au diocèse de Ricci n'était que le pré

lude de ce qui allait nécessairement avoir lieu dans toute

la Toscane . L'insurrection de Pistoie et de Prato se renou

vela à Florence , le 8 juin , ct y eut les mêmes résultats .

Ricci se réfugia dans sa villa de Rignana , province du

Chianti , dans le diocèse de Fiesole , où l'évêque, les prêtres

et le peuple fuirent à l'envi sa présence , de peur de la

contagion de l'hérésie , ou plutôt pour éviter que même

une simple rencontre ne les compromît auprès du parti

triomphant.

Sur les entrefaites, le nouveau grand -duc , Ferdinand III ,

fils de Léopold , était arrivé en Toscane , accompagné de

l'empereur . Celui -ci aurait voulu que Ricci rentrât dans son

diocèse ; mais l'évêque refusa d'aller y affronter inutilement

des dangers certains : car les magistrats qui avaient sou

tenu le peuple dans ses actes de rébellion , ne voulaient pas

se mettre en contradiction avec eux-mêmes , en forçant les

diocésains de Ricci à se conformer aux vues de ce prélat ,

eux qui avaient hautement proclamé le droit du peuple à

choisir l'enseignement qui lui convient , et qui avaient con

damné comme janseniste quiconque osait soutenir le con

traire. Les choses demeurèrent par conséquent dans l'état

où les avaient mises les révoltés , les ennemis des réformes

et la cour de Rome .

On était en 1791. Léopold protestait toujours de sa

constante résolution à maintenir les actes de son règne ;

mais à cela se bornaient ses efforts. Les troubles des états

héréditaires de la maison d'Autriche, la révolution française

où la famille royale et surtout la reine , sa sæur , étaient

}


229

menacées jusque dans leur existence , l'avaient frappé au

cour . Toute force moralc était éteinte en lui , et on pré

voyait déjà que ses forces physiques ne tarderaient guère à

l'abandonner également. Cet état d'affaissement peut seul

expliquer la manifestation , si contraire aux principes qui

l'avaient guidé jusqu'alors , à laquelle Léopold se prêta

dans ses déclarations de Mantoue et de Pilnitz .

Ricci savait que le nouveau gouvernement comptait sur sa

démission . Aussi , à la première demande officielle qui lui

fut adressée relativement à ses intentions, s'empressa - t-il

d'en faire l'offre pure et simple . Cette offre fut agréée avec

le même empressement, et l'évêquc signa sa renonciation

sans condition aucune . Le grand -duc , à qui il envoya

la pièce, crut devoir lui assigner une pension viagère ; le

pape, auquel Ricci en fit part, répondit de sa propre main par

une lettre fort obligeante. L'évêque démissionnaire désirait

en outre de pouvoir, dans une lettre d'adieu , prendre

solennellement congé de ses anciens diocésains ; mais le

gouvernement ne le permit point : il craignait que le public

ne finit par prendre intérêt à Ricci dans lequel il aurait vu

une victime, et par accuser le prince ou du moins ses agents

d'être descendus au rôle de persécuteurs.

On avait eu raison de l'évèque; on voulut maintenant

mater l'individu . Un procès interminable fut intenté à

Ricci dans le but de pouvoir lui refuser le payement de sa

pension . Il y mit fin par un seul mot : il déclara qu'il

renoncerait à toute pension plutôt que de plaider. Ricci

apprit à la campagne , où il vivait dans la solitude la plus

entière , l'impulsion décidément réactionnaire que son suc

>


230

cesseur avait imprimée au diocèse de Pistoie et Prato , où

ses moindres partisans étaient congédiés , l'un avant , l'autre

après , en haine de lui . Le prince lui avait fait promettre

des honneurs et des titres , qui du moins auraient servi à

démontrer que le fils ne punissait pas le zèle et la fidélité

avec lesquels le prélat avait servi son père , aux dépens de

son propre repos et au péril de sa vie . Mais ces promesses

furent bientôt oubliées . Léopold seul continua à rendre

justice à son ancien collaborateur en réformes, jusqu'à ce

qu'il mourût (1792) .


CHAPITRE XXXIII .

Conduite odieuse de l'évèque Falchi, successeur de Ricci . — Le pape prêche

le massacre des Français. – Ceux qu'il n'avait pu faire tuer , il les déclare

ses meilleurs amis . – Ricci , en rapport avec le clergé révolutionnaire de

France . Condamnation du synode de Pistoie . - La bulle Auctorem

passe inaperçue . — Réflexions .

Dès qu'il n'eut plus l'empereur à craindre , le nouvel

évêque de Pistoie et Prato , Falchi , ne garda aucune retenue .

Voulant frapper son prédécesseur dans sa réputation et sa

personne , il l'accusa , dans un procès-verbal qu'il fit dresser

exprès, d'entretenir une correspondance secrète avec quel

ques - uns de ses diocésains, afin de parvenir par leur moyen

à le faire empoisonner .

Rome non plus n'avait dorénavant plus rien à ménager .

C'est pourquoi , se mettant ouvertement à la tête des adver

saires de l'ancien évêque, clle fit recommencer les pour

suites contre les actes du synode de Pistoie , qui soulevaient

d'autant plus son indignation qu'ils venaient en quelque


232

sorte de servir de modèle à la constitution civile du clergé

de France . Le pape avait hâte de les condamner , afin de

condamner indirectement du moins , par la même sentence ,

le clergé français contre lequel il hésitait encore à sévir

d'une manière plus franche . Mais bientôt les événements

déjouèrent sa prudence ; il ne crut pas pouvoir se dispenser

de lancer un monitoire direct , qui devait avoir pour suite

l'excommunication des évêques constitutionnels , et , sur la

demande formelle qui lui en fut faite par le comte de

Provence (Louis XVIII ) , il nomma cardinal l'abbé Maury ,

qui avait refusé de prêter serment à la constitution .

Cependant le progrès des armes françaises en Allemagne

et dans la haute Italie fit ajourner par Pie VI ses projets

de vengeance contre Ricci : il avait à donner tous ses soins

à la guerre qu'il méditait pour combattre des ennemis qui

menaçaient à la fois sa souveraineté temporelle sur les

états de l'église et sa domination spirituelle sur toute la

catholicité . Ricci , toujours soucieux du bonheur de ses

semblables , souffrit cruellenient lorsqu'il vit la cour de

Rome prêcher une croisade religicuse contre les Français

en enflammant le peuple par des missions bruyantes et

scandaleuses . Le cri de mort à tous les Français ! vociféré

contre ceux qui habitaient Rome , l'assaut donné à l'aca

démie des beaux - arts de France, le pillage de l'hôtel du

banquier français Mout, l'assassinat de Basseville , secrétaire

de la légation française à Naples, qui y Jogeait , et la tenta

tive de saccager le Ghetto et de massacrer tous les juifs, au

nom de Marie , des saints apôtres et du pape , en furent les

déplorables suites ( 1795 ) .


233

Pie VI chercha à se disculper de l'odieux qui retombait

sur son gouvernement et sur lui -même après ces excès

coupables : il ne pouvait , dit-il , permettre qu'on étalật

dans sa capitale les armes de la nouvelle république qui

n'avait pas empêché qu'on brûlåt son effigie en pleine place

publique ; il avait le droit de montrer son ressentiment de

l'occupation par les Français de ses états d'Avignon et du

comtat Venaissin , et rien ne pouvait le forcer , lui gardien

des biens de l'église et du dépôt inviolable de la foi , à

reconnaître un gouvernement qui le repoussait lui-même

comme souverain et comme pasteur . Cela était irrépro

chable en principe . Mais , nous le répéterons à satiété :

tous les principes devenus contestables socialement devant

le libre examen , étaient en effet contestés par l'ignorance

sociale encore entière , et la force brutale seule mettait fin

aux débats en tranchant violemment les questions. Au

reste , Pie VI ne tarda pas à réfuter lui-même le raisonne

ment qu'il avait hasardé : trois ans plus tard , battu par les

Français qui n'avaient changé à son égard ni de maximes ,

ni de conduite , il ne mit plus aucun obstacle à ce que les

armes de la même république , désormais sa meilleure amie,

brillassent au sein de la capitale de ses étals , dont lui ,

gardien du dépôt inviolable de la foi et des biens de l'église ,

avait livré aux vainqueurs les chefs - d'œuvre des arts , les

millions , et , outre Avignon et son territoire , les légations

de Bologne et de Ferrare.

La connexité des opinions janséniennes , de celles de Ricci ,

des actes du synode de Pistoie et de la constitution civile

du clergé de France était flagrante. Voici encore ce qui vint

à

20


234

-

surabondamment l'établir : quelques jansenistes timides de

Paris consultèrent l'ancien évêque toscan sur l'orthodoxie de

la constitution civile du clergé , sur le serment imposé aux

prêtres , et sur l'obéissance due à ceux-ci par les fidèles.

Ricci opina hardiment dans le sens des réformateurs fran

çais . La constitution , répondit - il , ne réglait que la disci

pline , qui dépend du pouvoir et n'a rien de commun avec

la religion ; les biens de l'église sont spirituels exclusi

vement ; elle a le droit de défendre ceux-ci et n'a aucun

droit aux biens temporels ; quant au pasteur de fait, on

doit , jusqu'à ce que l'église universelle ait jugé la question,

lui demeurer soumis , sans faire schisme sous aucun pré

texte quelconque . La réponse de Ricci fut partout colportée

et publiée en France . En Italie , elle fit accuser le prélat

' d'hérésie , d'esprit révolutionnaire et même de jacobinisme.

Rome la fit réfuter dans une brochure de l'abbé Spedalieri

contre les droits de l'homme, écrit véritablement révolu

tionnaire dans un sens opposé , car au lieu de faire menacer

l'église par les peuples , on y faisait menacer les états par

l'église . Terrible nécessité d'une époque qui dure encore ,

où , sous la double pression de l'ignorance et de la liberté ,

conservateurs et démolisseurs , progressistes et réaction

naires , tous doivent fatalement contribuer à détruire ce qui

est , afin de rendre possible ce qui doit être , et ce qui ne

pourra être que lorsque ce qui est ne sera plus !

En attendant , les événements les plus étranges et les plus

imprévus se succédaient rapidement et se poussaient à tel

point qu'ils déroutaient tous les esprits . Chacun les jugeait

d'après ses préjugés et ses passions . Les partisans de la cour


235

de Rome accusaient les jansenistes des maux qui , de plus

en plus , accablaient l'église et les peuples ; les jansenistes

voyaient dans les impiétés et les crimes qui déshonoraient

la révolution française , la punition des crimes des jésuites.

Le pape déplorait la chute de Robespierre, parce que ce

tribun ne voulait pas la guerre qu'il croyait contraire aux

intérêts de la liberté , et que Rome désirait le maintien à

tout prix de la paix , favorable à ses intérêts à elle , ceux de

la conservation des états de l'église . Tous attendaient les

événements , pour en profiter s'ils leur étaient propices ,

pour chercher à en esquiver les conséquences s'ils ne l'é

taient pas . Comme à l'approche d’un naufrage, la plus lâche

છે

inertie et l'égoïsme le plus étroit étaient le seul mobile des

partis et des sectes . La peur paralysait tous les sentiments

généreux , et , ce qui en d'autres temps eût paru une bas

sesse ou une atrocité , n'était plus pour chacun que l'amour

légitime de sa propre conservation .

Pendant que les armées de la république menaçaient la

domination temporelle du pape , le ministère espagnol atta

quait son omnipotence spirituelle par des mesures analogues

à celles qui avaient avorté en Toscane lors du départ de

Léopold et de la retraite de Ricci . Pour déjouer ces velléités

de réforme, auxquelles la traduction annoncée des actes du

synode de Pistoie allait donner un commencement d'exécu

tion , on résolut à Rome de ne pas tarder davantage à fou

droyer ces mêmes actes , qui , toujours et partout , se dres

saient devant la papauté comme un épouvantail .

Au mois d'avril 1794 , Ricci reçut une citation pour com

paraître à Rome . Le grand -duc , auquel il communiqua la


236

pièce , défendit au prélat d'obéir à la sommation et même

d'y répondre . Il fallut qu'au lieu d'exposer ses raisons

comme il eût convenu et de justifier sa conduite, ce qui ne

lui eût guère été difficile, en reprochant au pape la viola

tion des promesses qu'il avait faites à l'empereur défunt ,

Ricci se contentât de prétexter le mauvais état de sa santé .

.

Il fallut plus même : il lui fut formellement ordonné , cn

protestant de son dévouement au saint- siége , d'insinuer

que, vu les circonstances exceptionnelles où l'on se trou

vait , il serait prudent de laisser le synode de Pistoie qui

avait déjà huit ans de date , dans l'oubli où le reléguaient

les actes diametralement opposés de l'évêque actuel.

La cour de Rome se serait peut-être arrêtée à ce dernier

parti , si les affaires d'Espagne n'avaient stimulé son zèle .

Le bruit de la condamnation prochaine du synode de Pis

toie empêcha la publication espagnole des actes de cette

assemblée , comme la crainte de cette publication allait

faire procéder à leur condamnation . La peur , nous l'avons

dit un peu plus haut , et toujours la peur , et rien qu'elle !

La fameuse bulle Auctorem fidei parut enfin (28 août 1794) .

Ricci n'en eut connaissance que comme tout le monde , par

la publicité ; il l'envoya à Ferdinand en lui faisant part de

l'intention où il était de ne pas répondre à ce qu'il était

censé ignorer . Le grand - duc l'approuva , et fit défendre la

réimpression et la vente en Toscane de la bulle pontificale.

Ce qu'il y eut de remarquable pour ceux qui n'allaient pas

au fond des choses, ce fut le peu d'effet que produisit la

sentence du saint-siége : des intérêts trop importants en

réalité étaient en jeu pour qu'on attachât la moindre im

.

1


237

portance à une querelle de prêtres , à des débats de sacris

tie . On sentit cependant que ce nouveau brandon de dis

corde ne pouvait qu'augmenter le désordre qui se montrait

de toute part et sous toutes les formes, et la bulle Auctorem

fut supprimée à Naples , à Turin , à Venise , à Milan , en Es

pagne , en Allemagne et en France . A Rome même , elle

n'excita ni intérêt , ni curiosité , et le pape fut forcé , pour la

soustraire au mépris par le silence , de faire défendre à ses

journalistes et à ses pamphlétaires de s'en occuper , soit en

bien , soit en mal .

La bulle n'en avait pas moins été envoyée à tous les

évêques de Toscane par le nonce pontifical . Falchi en exi

gea l'acceptation formelle par le clergé de son diocèse ,

dont il accueillit les rétractations et les abjurations , et

auquel il accorda l'absolution des censures , comme s'il se

fût agi d'une hérésie manifeste, aux temps où l'hérésie

était encore un crime social . Cet éclat , et c'était probable

ment ce qu'on avait voulu par là , devait inévitablement

retomber sur Ricci : en effet, lorsque , à la campagne où il

vivait dans la retraite la plus absolue , il se rendait à l'é

glise , le peuple s'écartait de lui comme d'un pestiféré ; ce qui

l'obligea à ne plus dire la messe que dans sa chapelle privée .

Il y eut plus : son confesseur ordinaire lui ayant refusé

l'absolution , il se vit réduit à en chercher un autre , ou

moins ignorant , ou plus facile .

Ricci consacra ses loisirs à l'examen de la bulle dont il

était l'objet : il constata facilement qu'aucune proposition

n'était censurée positivement ; il n'y avait de condamné que

le sens dans lequel les propositions avaient été prises ,

20 .


238

et Ricci repoussait ce sens aussi bien que le pape lui -même .

Cette justification est demeurée manuscrite dans les ar

chives de la famille , et rien ne détruisit dans l'opinion pu

blique l'idée que l'ancien évêque , tel qu'un autre Nestorius,

c'était la phraséologie consacrée , - était un hérétique

des plus dangereux . Et il l'était aux yeux des partisans de

la cour de Rome , qui regardaient le jansenisme comme la

cause du constitutionalisme français , au lieu de ne voir

dans l'un et dans l'autre que des effets du changement

des idées relativement aux relations sociales entre l'état et

l'église .

Hors de Toscane , il parut quelques réfutations de la

bulle Auctorem fidei, notamment à Bruxelles et à Lugano .

Il y eut en cette circonstance ceci de particulier : les

auteurs et coopérateurs du synode de Pistoie reconnurent

l'orthodoxie des propositions avancées par le pape , mais

nièrent la justesse de l'application de ces propositions pour

démontrer l'hétérodoxie de leur doctrine , que le pape , pré

tendaient-ils , n'avait pas comprise , et que par conséquent il

n'avait pu anathématiser . Les étrangers , au contraire , taxè

rent hautement le pape d'hérésie : c'était , disaient ceux- ci ,

le loyolisme ct le relâchement ( lassismo) des Bolgeni , des

Cuccagni , des Marchetti et des Zaccaria ; c'était une nou

velle preuve évidente , bien que superflue, de la faillibilité

du pontiſe romain .

Mais le changement dans les événements amena néces

sairement un changement dans les circonstances et dans les

choses . Le synode de Pistoie , foudroyé à Rome , triomphait

avec la constitution du clergé en France, et Ferdinand III

1


-

239

qui venait , au profond chagrin de la cour pontificale , de

conclure un traité de neutralité avec la grande nation,

les républicains français étaient généralement désignés sous

cette épithète , - ne put plus , comme auparavant , permettre

qu'on traînât dans la boue chez lui ce qui était élevé sur le

pavois par ceux qu'il devait bien se donner de garde d'ir

riter , pour ne pas compromettre son existence comme

souverain . Ricci revint habiter la capitale .

2



CHAPITRE XXXIV .

Proclamations sanguinaires et incendiaires du pape . Miracles à Ancône.

Paix de Tolentino . Rome devient république . – Elle se fait réſor

matrice . La Toscane est envahie .

Par un inexplicable « esprit de vertige et d'erreur , )

Rome croyait pouvoir résister à la république française .

Elle rêvait une guerre de religion qui , à l'époque où l'on

était parvenu , ne pouvait plus être autre chose qu'une

échauffourée de quelques fanatiques , ni avoir pour résultat

définitif, au lieu du succès qu'on s'en promeltait, que la

ruine et la mort de plusieurs milliers de dupes .

(

Tandis que l'archevêque de Milan , les évêques et les

prêtres de la haute Italie , occupée par les Français , van

taient l'humanité et la piété des ci - devant cannibales, leurs

vainqueurs , le saint- siége faisait passer les Français qu'il

comptait vaincre , pour des impies et des barbares , décla

rait dans ses proclamations qu'ils épousaient plusieurs


242

femmes et adoraient plusieurs dieux , entre autres , l'arbre

de la liberté, les accusait de violer les femmes et les filles

partout où ils pénétraient, et de manger les enfants. Ces

manifestes , stupidement incendiaires , furent bientôt suivis

des prétendus miracles de la madone d'Ancône (juin 1796) .

On avait eu soin , pour leur faire produire tout leur effet,

de les faire coïncider avec les bruits généralement répandus

de défaites que les armées républicaines auraient récem

ment subies en Italie et en Allemagne . Aussitôt tous les

habitants d'Ancône et de la banlieue , le cardinal-arche

vêque Ranuzzi à leur tête , coururent voir l'image de la

Vierge ouvrir et fermer les yeux , comme , disait-on , Jésus

Christ le lui avait ordonné . Après des enquêtes minutieuses ,

authentiquement constatées, plus de quatre -vingt mille

témoins oculaires certifièrent le prodige dont , plus tard ,

le saint-siége fit perpétuer la mémoire par une inscription

monumentale , et auquel riches et pauvres , simples et

savants , incrédules et dévots , catholiques et réformés, ma

hométans , juiſs , tout le monde , en un mot , le général en

chef Bonaparte nominativement compris , avaient , s'il faut

en croire le professeur abbé Albertini , rendu un hom

mage public et solennel .

Quoi qu'il en soit , à peine les prodiges d'Ancône eurent

> >

à

9

ils obtenu un succès aussi brillant , que Civita-Vecchia ,

Macerata , Ascoli et Rome elle-même voulurent avoir leurs

madones miraculeuses . Pendant ce temps , les envoyés

pontificaux à Paris , ayant essayé de ruser avec les membres

du Directoire français qui les pressaient de conclure ou de

rompre , reçurent leurs passe -ports , et la guerre fut déci


243

dée . En fin de compte , les miracles avaient échoué : la

paix qui mit un terme à cette guerre dont la madone

avait été la principale instigatrice, coûta au saint - siége ,

comme nous l'avons dit , deux provinces , trente-trois mil

lions , les chefs - d'oeuvre de l'art ancien , beaucoup de per

fidies inutiles , et une humiliation sans bornes .

Cette paix qui venait d'être conclue à Tolentino était

aussi peu sincère que la lutte avait été peu sérieuse ; elle

cut pour résultat la singularité que nous allons rapporter .

Le clergé anticonstitutionnel de France attaqua vivement le

pape qui avait traité avec la république française ; le clergé

constitutionnel reprocha à Bonaparte de ne pas avoir saisi

cette occasion unique pour mettre fin au schisme de l'église

gallicane : la suite prouva qu'en agissant ainsi ce dernier

s'était réservé , avec ou sans intention déterminée , les moyens

tout à la fois de sacrifier l'église de France pour gagner le

pape , et de faire peur au pape, non de l'église constitu

tionnelle de la république , mais de l'église gallicane de

Louis XIV .

Tout le monde aujourd'hui s'étonne de la facilité avec

laquelle le général en chef de l'armée d'Italie , contre l'avis

de tous ses officiers, accorda la paix au prêtre couronné qui ,

l'empereur Napoléon l'a avoué à Sainte -Hélènc, avait fait

assassiner soixante-quinze mille Français. Une ambition

sans bornes , aussi prévoyante qu'opiniâtre , peut seule ex

pliquer cette circonstance . Le monarque futur faisait déjà

bon marché de ses soldats d'alors .

Rome n'en subit pas moins , peu de temps après , le sort

qu'elle s'était préparé . Après le meurtre du général Du


- 244

phot , au milieu d'un tumulte populaire , l'orgueilleuse

cité pontificale fut envahie par les Français , et déclarée

république démocratique , aux chants du Te Deum entonné

par les cardinaux devant le grand autel de Saint-Pierre

(1798 ) , sans que les émeutes , excitées par quelques moines

au nom de Marie , de la religion , du pape , pussent l'empê

cher .

La république romaine , à peine organisée, se hâta d'ap

pliquer chez elle la plupart des réformes ecclésiastiques que

le pape avait condamnées après que Ricci les eut exécutées

au diocèse de Pistoie .

C'était fort naturel : Rome , sous le gouvernement des

prêtres, avait combattu à outrance pour les abus qui fai

saient vivre les prêtres et dont elle -même vivait en partie ;

débarrassée d'eux , Rome sapait vigoureusement ces mêmes

abus dont les prêtres seuls continuaient à profiter, tandis

qu'elle en faisait en partie les frais. Les réformes dont nous

parlons rencontrèrent donc , de la part du clergé catholique

dans l'ancienne capitale du catholicisme , la même résistance

contre laquelle elles s'étaient toujours heurtées et souvent

brisées ailleurs ; le serment civique fut attaqué par les uns ,

défendu par d'autres ; défendu — il faut le dire pour

l'étrangeté du fait, même parmi tant de faits étranges en

tous les genres - par l'ex - jésuite Bolgeni , conseiller in

time de Pie VI , qui , outre cela , prit également sur lui de

décider que la vente des biens du clergé par le gouverne

ment , bien que condamnée par le saint-siége , n'en était

pas moins valable et juste .

Un autre défenseur du serment civique fut l'abbé


a

- 245

Mastrofini qui , dans la suite , prouva mathématiquement,

selon lui , l'unité réelle et la triplicité de Dieu ; qui en 1822 ,

fut jugé digne d'aller ramer pour toute sa vie aux galères, et

qui enfin est mort cardinal . La confusion régnait jusqu'au

sein du sanctuaire.

Rappelons à cette occasion que le rédacteur de ces Mé

moires a eu l'honneur d'avoir pour critique officiel de l'His

toire du Christianisme, alors Esprit de l'église, l'éminen

tissime apologiste de la formule : Haine à la royauté et à

l'anarchie, fidélité et attachement à la république .

Le pape et le docteur Marchetti condamnèrent le ser

ment .

Pie VI s'était réfugié en Toscane où , par une circulaire , le

grand -duc fit défendre à tous ses évêques d'aller le voir .

Ricci , qui voulait éviter jusqu'aux moindres occasions de se

compromettre ou plutôt d'être coinpromis, se retira de nou

veau à sa villa du Chianti . Pendant qu'il s'y trouvait , les

Français chassèrent de Rome les Napolitains qui les y

avaient surpris , et refoulèrent leurs imprudents ennemis

jusqu'à leur propre capitale , d'où le roi Ferdinand de Bour

bon passa en Sicile . Le 25 mai 1799 , ils prirent possession

de la Toscane .

21



CHAPITRE XXXV .

Défaites des Français en Italie . – Miracles anti- français en Toscanc .

Arétins à Florence . Ricci est arrêté . Atrocités . Motifs de l'em

prisonnement de Ricci . — Martini abuse de la faiblesse du prélat détenu .

Les

Ricci se trouvait accidentellement à Florence lorsque les

Français y entrèrent , et il y fut retenu comme tout le

monde par les lois contre l'émigration . C'était fåcheux pour

lui , car on pressentait déjà que cette occupation armée de

l'Italie centrale et méridionale ne durerait guère . Les

troupes de la république essuyaient revers sur revers dans

la haute Italie et en Allemagne , ce qui , joint aux troubles

de Paris sous un gouvernement faible et corrompu , devait

ne pas tarder à forcer les républicains à la retraite . La

réaction alors serait d'autant plus dure que l'action avait été

vive , et l'ancien évêque de Pistoie , depuis si longtemps en

butte aux calomnies et à la persécution, en deviendrait na

turellement la première victime.


248

Lorsque éclata la trop fameuse insurrection d’Arezzo ,

tout était prêt à Florence pour prendre une part active aux

excès qui allaient souiller la cause du catholicisme et des

monarchies . Pendant qu'avaient lieu les miracles des états

romains , la capitale de la Toscane avait aussi ses prodiges .

Des lis placés devant une image de la Vierge dans une des

rues de Florence , quoique déjà desséchés en apparence ,

venaient de fleurir : l'archevêque crut le moment favorable

à l'opinion à laquelle il appartenait , et il alla processionnel

lement prendre l'image pour la déposer à la cathédrale .

Depuis cette époque , Martini , bien qu'il n'y crût pas le

moins du monde , se vit , pour ainsi dire , forcé d'appuyer

tous les miracles qui se présentèrent , soit avant l'arrivée des

Français , soit après leur départ ; car , pendant le temps de

leur séjour , il ne s'opérait ordinairement aucun prodige. Ce

fut ainsi qu'en 1800 , il favorisa ouvertement l'enthousiasme

du peuple qui se portait en foule— dix mille personnes à la

fois aux collines de Rosano , pour voir une bergère qui

assurait qu'elle voyait une åme ; ce fut ainsi encore que ,

six ans après , il confirma la multiplication surnaturelle de

l'huile servant à alimenter les lampes d'un couvent de do

minicaines , ct que la dévotion des fidèles qui venaient s’y

oindre épuisait à chaque instant .

Quoi qu'il en soit , les Arétins placèrent leur madone , en

possession depuis trois ans de faire des miracles continuels ,

à la tête de l'armée insurgée des catholiques, chargée de

poursuivre les traînards républicains, en pleine retraite

depuis la déroute de la Trebbia , de les dépouiller et de les

égorger partout où ils les rencontreraient. Les Français

!


249

s'étaient repliés sur Gênes . Les Arétins entrèrent à Florence

(7 juillet 1799 ) , comme nous l'avons dit plus haut, sous la

protection spéciale de l'image miraculeuse de la Vierge qui ,

alliée de l'Autriche et des Turcs, devenus les champions

avoués de la foi orthodoxe , des Russes se constituant les

défenseurs de la papauté, et des Anglais protégeant les états

de l'église romaine et le despotisme des gouvernements

absolus , couvrait de sa bannière le ministre Windham et

sa maîtresse , la Mari , en habit d'homme, tous deux décorés

de l'ordre de Marie , et un capucin chargé de crucifix et de

pistolets . Les amis de Ricci le pressaient de quitter la

Toscane : il s'y refusa, pour ne pas exposer sa famille ,

comptant d'ailleurs sur l'évidente neutralité dans laquelle

il s'était tenu pendant tout le temps qu'avait duré l'occupa

tion française .

Les choses se seraient en effet passées pour lui comme il

se le figurait , si les Arétins n'avaient obéiqu'à leurs propres

impulsions. Leur levée de boucliers n'avait eu pour but

ostensible que la délivrance de leur patrie et le rétablisse

ment de l'ancien ordre de choses ; ils n'en voulaient qu'aux

Français et aux républicains italiens qui les avaient ouverte

ment favorisés. Mais ce n'étaient pas là les projets des

ennemis de Léopold et de ses réformes. Les grands , les

moines , les prêtres , la cour de Rome , auraient cru n'avoir

rien fait , s'ils n'avaient profité des circonstances pour

écraser l'ancien ami et coopérateur du dernier grand-duc ,

et la perte de Ricci fut jurée . Accusé du crime de léopol

disme, on le traqua partout , et finalement il fut arrêté à Flo

rence (11 juillet ) sur un ordre signé par le commandant

21 .


250

Mari , le mari de la maitresse de l'Anglais Windham , con

duit à pied entre deux sbires , à travers la ville , pendant une

soirée d'illumination générale , et traité en prison de la

manière qu'on estima la plus ignominieuse et la plus pé

nible pour lui .

Ricci , qui nous a laissé de précieux quoique déplorables

détails sur cette époque honteuse pour son pays , ne se

plaint , quant à lui personnellement , que de l'impossibilité

où sa détention le mettait de se soustraire aux scènes de

cruauté , d'impiété , de débauche, dont les Arétins vain

queurs se rendaient coupables sous ses yeux , au cri de vive

la madone ! Le meurtre des jacobins - on appelait ainsi

ceux dont on voulait se défaire était hautement prêché

comme une action héroïque. Le professeur pisan , César Ma

lanima , le tendre défenseur des enfants morts sans baptême ,

alla même jusqu'à publier une apologie raisonnée de ces

horreurs , et il l'appuya sur l'ordre donné aux Juifs par le

Dieu de ce peuple choisi, d'égorger tous les idolâtres qui,

dit le prêtre érudit , étaient les jacobins de leur époque . Des

malheureux auxquels les Arétins n'auraient jamais songe ,

étaient signalés à leur vengeance par leurs fanatiques con

citoyens , par des prêtres surtout , qui ne se faisaient pas

faute , pour acquérir le mérite d'une action aussi louable ,

de violer le secret que la confession leur avait fait connaîlre .

Une fois Ricci en prison , les Arétins , qui n'avaient aucun

grief contre lui , qui même , pour la plupart , n'en avaient

jamais entendu parler , ne s'en occupèrent plus . L'évêque fit

alors un appel à la générosité de l'évêque de Fiesole et de

l'archevêque Martini , en laquelle il avait l'ingénuité de

>

1


251

croire , comme il avait la bonhomie de se figurer qu'il

était , ainsi que tant d'autres , victime des passions politiques

du moment. L'archevêque , tout-puissant auprès du gouver

nement provisoire sénatorial , alla trouver son ancien col

lègue et le traita avec dureté et mépris . Ricci apprit de lui

qu'il était détenu , non comme partisan des Français , mais

comme instigateur des réformes léopoldines , et que , s'il ne

se hâtait d'accepter , avec le monde catholique, la bulle Auc

torem qui l'avait condamné, s'il ne condamnait son propre

synode de Pistoie , s'il ne rétractait l'approbation qu'il avait

donnée au serment de fidélité à la constitution civile du

clergé de France , s'il n'abjurait enfin ses relations avec

l'église hérétique et schismatique d'Utrecht et tous les pre

tres novaleurs de ce temps , le peuple se porterait contre lui

aux dernières extrémités . Ricci eut peur . Martini s'en

aperçut et , d'accord avec les meneurs de son parti , résolut

d'exploiter la situation aussi largement que possible . L'ar

chevêque retourna auprès du prisonnier , mais cette fois

avec une affectation pateline de sensibilité et de dou

ceur que l'ancien évêque paya de la plus entière confiance .

Il écouta Ricci avec toutes les apparences d'un intérêt sin

cère , et lui donna presque toujours raison dans la conduite

qu'il avait tenue envers ou plutôt contre la cour de Rome ;

mais il n'en conseilla pas moins au prélat de céder aux cir

constances , en réprouvant lui -même tous les actes de sa vie

passée et les maximes qui en avaient été la règle constante ,

seul moyen , affirmait le prêtre cautelcux , d'échapper à la

vindicte publique et de recouvrer sa liberté . Ricci finit par

se soumettre .

>

>


252 -

Mais la lettre qu'il écrivit à Martini dans le sens convenu

et pour être rendue publique , ne parut pas assez catégori

que . L'archevêque revint à la charge, et l'ancien évêque de

Pistoie , qu'un premier acte de faiblesse avait rendu plus fa

cile à persuader pour qu'il en commit un second , s'en remit

au prélat même , son ennemi, pour les corrections à faire à

sa missive . Cette pièce importante fut donc rédigée de nou

veau et cette fois par l'archevêque de Florence même :

malgré cela , elle fut déclarée insuffisante par les chefs du

parti papalin . Il fallut que , pour sortir de peine , l'évêque

démissionné acceptât purement et simplement la bulle

Auctorem fidei. Ricci céda encore . Dans une lettre adressée

au pape , et qu'il corrobora par une autre lettre à Martini

que celui-ci était autorisé à publier , le malheureux évêque

renouvela ses tristes déclarations .

C'était assez pour les projets rétrogrades des ennemis de

Léopold ; ce ne l'était pas pour les ennemis de Ricci , Ils

reprochèrent à l'archevêque , leur instrument , de s'être

mêlé , sans autorisation spéciale , d'une affaire qui regardait

directement le pape , et que le nonce seul pouvait terminer

régulièrement , d'après les instructions et sur l'ordre du

saint-siége. L'archevêque avait obtenu ce qu'il voulait , l'hu

miliation de son rival ; il l'abandonna volontiers à ceux qui

voulaient en outre prolonger leur vengeance . Il avait ré

pandu partout les lettres que Ricci lui avait confiées ; il

n'envoya pas au pape celle qui lui était destinée , et l'ancien

évêque de Pistoie demeura en prison .

>


CHAPITRE XXXVI .

Malheurs de l'Italic . Les Bourbons de Naples . -- Cruelles persécutions .

-Guerre contre les Français . — République parthénopéenne . — Terro

risme monarchique, — Emma Hamilton . – Caroline d'Autriche.

On s'étonnera peut-être de la facilité, disons mieux , de la

faiblesse avec laquelle l'ancien évêque de Pistoie avait cédé

aux perfides suggestions et aux menaces odieuses de l'ar .

chevêque Martini . Cet étonnement cessera en grande partie

si l'on réfléchit aux malheurs de cette terrible époque , et si

l'on se rappelle les atroces vengeances qui ensanglantèrent

alors l'Italie , livrée aux colères de la royauté et du sacer

doce triomphants après avoir été si cruellement humiliés .

Ce qui se passait dans la patrie même de Ricci et , pour

ainsi dire , sous ses yeux, nous voulons parler de l'auto

da - fé de Sienne , où , de seize juifs immolés par les Arétins,

trois avaient été brûlés vifs avec l'arbre de la liberté , scène

affreuse que bénit l'archicvèque Zondadari , ancien nonce

>


254

pontifical en Belgique , - ce qui se passait sous ses yeux

n'était que trop fait pour ébranler la fermeté du prélat dé

tenu . Les événements de Naples , où ses amis étaient sacrifiés

en masse à l'idolâtrie monarchique et pontificale, étaient de

nature à briser une tout autre énergie que la sienne .

Qu'on nous permette d'interrompre notre récit : une

courte digression sur le terrorisme légitimiste de la basse

Italie nous ramènera tout naturellement aux procès réac

tionnaires de l'Italie du centre . L'histoire n'a point de pri

viléges , et il ne serait pas juste de charger la seule démo

cratie du monopole des violences , de l'horreur et du

dégoût .

L'Autrichienne Caroline régnait de droit sur les Deux

Siciles : par stipulation matrimoniale , Ferdinand de Bour

bon n'avait de rôle à jouer que comme son mari . Fille de

Marie -Thérèse , la Pieuse, seur du philosophe Joseph II et

du réformateur Léopold , Caroline avait montré , elle aussi ,

des velléités de redresser les abus ; les hommes éminents

du royaume de Naples s'étaient empressés de seconder ses

désirs . Elle les avait connus de cette manière , et quand

le caprice lui eut inspiré une fantaisie opposée , quand la

peur lui cut fait augmenter et renforcer les abus anciens

pour ne pas se voir exposée à être balayée elle-même avec

les abus qu'elle avait cherché à renverser , il lui fut facile de

témoigner sa haute reconnaissance à ceux dont elle s'était

servie , en faisant tomber sur eux ses premiers coups .

On avait , à Naples comme en France , préludé à des idées

plus graves par la vogue de l'anglomanie . On ne sentait

cncore généralement qu'une chose, c'est qu'il fallait qu'on


255

fût autrement qu'on n'était : tout le monde en Europe

éprouvait une espèce de gêne , de malaise , qui portait jus

qu'à ceux qui avaient le moins à se plaindre de l'ordre

existant , à vouloir le changer afin d'en jouir plus commo

dément . Et ceux qui souffraient de cet ordre , les aidaient

de leur mieux . Comme le despotisme se montrait partout ,

c'était partout à la liberté qu'on aspirait plus ou moins

ouvertement. On ne comprenait pas encore que la liberté

est un fléau quand elle n'a pas la vérité pour guide . Là

même où l'on ne s'avouait pas qu'on voulait être libre , on

s'efforçait à singer , du moins dans leurs ridicules , ceux qui

passaient pour jouir de la liberté . C'est ce qui avait lieu à

Naples . Mais bientôt la cour craignit que la jeunesse ne

prit la chose au sérieux , et les anglomanes furent convertis

en conspirateurs , les prisons se remplirent, le sang teignit

les échafauds .

La police , c'est -à-dire l'espionnage et la délation , incri

minant les gestes , les intentions , la pensée , le silence même ,

répandant partout le soupçon et la défiance, rompant tous

les liens moraux pour mettre à la place l'esprit de cupidité ,

de vengeance , de vanité , d'ambition , d'égoïsme en un mot ,

était regardée comme le seul moyen de gouvernement qui

pût sauver l'état , tandis qu'il l'entraînait rapidement vers sa

ruine . Les lois secondaient cette inquisition politique , dont

on se fera quelque idée par les peines appliquées à certains

délits : par exemple , l'habitude de monter à cheval ren

dait véhémentement suspect de tendances révolutionnaires ;

la lecture des écrits de Voltaire était punie de trois ans

de travaux forcés, et celle de la gazette de Florence , à

7


256

C

cause des réformes de Léopold , de six mois de prison .

Acton , médecin ſranc -comtois, que la haine pour sa patrie

où il avait échoué, et la honte de sa profession avaient

changé en Hecton , noble anglais , né pour les postes les

plus élevés dans la marine , était la cheville ouvrière

de ce triste rebroussement : ministre du roi , favori de la

reine qu'il dominait par le plaisir et par la peur , il fit des

conjurés de tous les hommes d'intelligence et de dévoue

ment qu'il redoutait , parce que , sans talents lui-même,

sans vertu et sans pudeur , il n'avait ni dévouement ni

mérite . Il ne savait qu'une seule chose : ramper sous le

pouvoir pour parvenir à le dominer, puis écraser tous ceux

qu'il avait laissés sur la route . Le marquis Vanni , le Fou

quier -Tinville de cette déplorable époque , et son complice

le prince de Castelcicala furent, conjointement avec la

junte d’état, les instruments serviles et actifs du ministre

Acton .

Rome , on devait s'y attendre , profita de circonstances

aussi favorables à ses vues : lorsque le roi de Naples , à son

retour de Vienne , avait traversé la capitale des états

pontificaux , il s'était facilement laissé insinuer par le pape

qu'il n'y avait que des ennemis secrets du trône qui eussent

pu se proposer d'ébranler l'autel, d'où il avait naturellement

conclu que les défenseurs des droits de la royauté contre les

prétentions du saint-siége étaient en réalité d'ardents et

dangereux démagogues . Serao , évêque de Potenza , écrivit

à ce propos à Ricci , son ami ( 1797 ) , une lettre dans laquelle

il lui fit part de l'arrestation de Jérôme Vecchietti, official

au département des affaires ecclésiastiques , qui s'était laissé


257

mourir de faim pour échapper aux rigueurs et aux ennuis

de la détention ; de Forges Davanzati , évêque de Canosa ;

de Conforti, théologien du roi ; du savant Marius Pagano,

juge de l'amirauté et professeur de droit criminel ; de Joseph

Cestari , archiviste de la cour ; du père Monticelli; d'Ignace

Gioja; de Louis Rossi , et de tant d'autres serviteurs de la

monarchic , tous amis éclairés et zélés du roi , et tous pour

suivis pour opinions antimonarchiques.

Ricci voyait déjà là ce qu'il avait à attendre du touchant

accord qui , dans ces temps d'agitation et de trouble , régnait

en Toscane entre ses ennemis du dedans et ceux qu'il avait

à la cour pontificale .

Mais ce n'était rien encore en comparaison des actes féroces

qui ensanglantèrent le même théâtre deux ans après ce que

nous avons rapporté . Le roi de Naples , burlesque cham

pion de ce qu'on appelait les idées de religion et d'ordre ,

voyant l'Italie échapper aux Français, attaqués à la fois

par l'Autriche, la Russie , l'Angleterre et jusque par la Tur

quie , s'était porté sur Rome , à la tête d'une armée qui

semblait formidable, mais en avait bientôt été refoulé par

une poignée de républicains; ceux - ci, à la poursuite des

fuyards , allèrent, sans s'arrêter , organiser la république par

thénopéenne à Naples même , et Ferdinand , emportant tout

l'or, les joyaux et les choses précieuses qui étaient sous sa

main , et faisant brûler ce qu'il devait laisser derrière lui ,

se retira comme un voleur , sous la protection de sa femme,

de lady Hamilton et de Nelson , dans ses élats de Sicile. La

nouvelle république , comme celle de Rome, comme la dé

mocratie toscane , n'avait d'avenir que par la présence des

MÉMOIRES DE RICCI . 22

2


258

troupes françaises, et ces troupes , mal soutenues par un

gouvernement sans force et sans pudeur , n'avaient plus de

chance de salut qu'en une prompte retraite . Bientôt une

capitulation , honorable pour les vainqueurs comme pour

les vaincus , si elle avait été respectée , rendit à Ferdinand

la capitale de son royaume. Ses auxiliaires les plus actifs

avaient été les insurgés des Calabres , qui , enflammés et

fanatisés par le cardinal Ruffo, venaient d'assassiner dans

son lit le même évêque de Potenza dont nous venons de

citer la lettre à Ricci .

Fabrice Ruffo , vicaire du roi et du pape , — c'est ainsi

qu'il se faisait nommer , - excommunié par le cardinal

Zurlo , archevêque de Naples , qu'il avait excommunié à

son tour , était , hátons -nous de le dire , le seul au milieu

de cette écume et de cette lie de notre civilisation cor

rompue , qui eût conservé quelques sentiments généreux ;

comme chef de guerre , comme chef de partisans , il ne

permettait que les excès et les turpitudes qu'il ne pouvait

empêcher et qui sont inséparables de toute insurrection

violente . Quand il donnait sa parole , c'était loyalement , et

avec la ferme intention de la tenir . Le seul reproche qu'on

pût lui faire dans la terrible mission qu'il s'était donnée ,

était d'être prêtre . Du reste , il se battait pour son pays

contre les étrangers , pour ses opinions contre ceux qui en

avaient d'opposées , mais nullement pour Ferdinand qu'il

méprisait pour le moins autant que le méprisaient les ré

publicains eux-mêmes . Voyons maintenant comment cette

brute couronnée usa de son triomphe.

Nous répétons que , par lui -même , Ferdinand n'était pas

7


259

plus capable de mal que de bien ; mais la reine Caroline ,

impérieuse et faible , superstitieuse et incrédule , livrée à

toutes ses passions qui la ballottaient sans fin ni cesse entre

les excès les plus contraires , ne pouvait faire que le mal .

Obsédée par Acton , elle disposait de lady Hamilton , femme

de l'ambassadeur anglais à Naples , qui disposait elle -même

de l'amiral Nelson , et Nelson n'hésita pas à sacrifier, en cette

circonstance si horriblement mémorable , son propre hon

neur avec celui de son gouvernement. La capitulation faite

par les patriotes napolitains , capitulation signée par le car

dinal Ruffo et le commandant Micheroux pour le roi des

Deux- Siciles , par les Anglais , les Russes et les Turcs , fut

froidement violée par Nelson , exécutant un décret de Fer

dinand , obtenu par la reine et imposé par l'ambassadrice

anglaise à son amant l'amiral anglais ; les patriotes napo

litains furent vendus à prix d'or par les républicains fran

çais aux égorgeurs de Naples , et lâchement abandonnés ,

signalés même au milieu des rangs français, par le chef

des républicains, Méjean ; une commission de jugeurs fut

nommée , et la coupe réglée des meilleurs citoyens , roya

listes et démocrates , évèques , prêtres , moincs et laïques ,

commença .

Les noms des membres de la junte appelée pour condam

ner et non pour examiner les prévenus , véritable tribunal

de sang , ou plutôt abattoir humain , méritent d'être con

servés : ce sont Ange Fiore , Joseph Guidobaldi , Antoine la

Rossa , Damiani , Sambuti , et le plus monstrueux de tous ,

le Sicilien Speciale .

On arrêta sous les yeux du roi plus de trente mille indi


- 260

vidus , parmi lesquels se trouvaient des aliénés , échappés de

l'hospice des fous .

On mit en prison des enfants de cinq ans ; on en exila de

douze ans ; on en mit à mort qui avaient à peine atteint

leur majorité.

Non content de frapper les citoyens du glaive de la loi,

loi faite pour la circonstance et après coup , on les massacrait

dans les rues : on en jeta jusqu'à cinq à la fois, vivants , dans

les flammes, et leurs membres rôtis furent dévorés par les

cannibales du royalisme ! ...

Tout ce que Naples possédait de noble par la naissance ,

de plus noble encore par l'intelligence et le caractère , des

hommes dont le nom était connu et honoré dans l'Europe

entière, des femmes illustres à plus d'un titre , des familles

coupables seulement de posséder des richesses que le pou

voir ou ses agents convoitaient, périrent ainsi de la manière

la plus atroce , par la volonté d'un imbécile que la peur

avait fait tyran .

Dans les provinces , les autorités réactionnaires faisaient

de leur mieux pour atteindre à cet idéal de cruauté . Le

meunier Caïelan Mammone , nommé par Ruffo comman

dant de l'insurrection de Sora , fit, dans l'espace de trois

mois, fusiller trois cent cinquante personnes , tandis que

ses satellites en massacraient le double . Il buvait le sang

de ses victimes , -ceci est à la lettre , --et, à défaut, buvait

le sien propre lorsqu'on le saignait . Sa coupe ordinaire était

un crâne fraîchement préparé . Ferdinand, encore en Sicile ,

lui écrivait

)

: « Mon général et mon ami ! »

Les traits de l'inhumanité la plus froide et la plus raffinée


261

distinguent cette époque de terrorisme monarchique ; l'his

toire contemporaine en a conservé l'horrible souvenir .

Le roi assistait paisiblement à la tuerie , du haut d'un bâti

ment mouillé dans le port , et entouré d'autres bâtiments où

mouraient sous de barbares traitements des centaines de pri

sonniers . Lorsqu'on lui en présentait un plus particulière

ment , il ordonnait, avec sa stupide bonhomie ordinaire ,

de le bien traiter, ce que ses gens exécutaient aussitôt en le

menant au supplice. Ce fut là que Ferdinand vit à ses côtés

le cadavre de son ancien ami , l'amiral prince Caracciolo

que Nelson , jaloux de son mérite, avait fait condamner à

mort par la junte napolitaine ; à qui il avait refusé la grâce

d'être fusillé, et qui maintenant , la corde encore autour

du cou , venait , poussé par les vagues , reprocher en quelque

sorte à son royal bourreau son infamie et sa lâcheté .

Ces détails fort incomplets d'ailleurs n'expliquent -ils pas

suffisamment, nous dirons même ne justifient- ils pas jusqu'à

un certain point la peur de tous les Italiens qui avaient

quelques bonnes idées à se reprocher , dont la conscience

était chargée de quelque action méritoire, et surtout celle

du malheureux évêque de Pistoie ?

Avant de clore ce triste chapitre, et pour ne plus avoir

à revenir sur les deux femmes perdues qui y jouent un rôle

si honteux , disons -en encore quelques mots .

Emma , fille de Henri Lyon ou Lyons et d'une femme Ca

dogan (1764 ) , prit , outre le nom de son père , celui de Harte ;

on ignore à quel titre et pourquoi. D'abord servante de ca

baret , s'abandonnant au premier venu , puis prêtant ses char

mes aux spéculations d'un charlatan qui l'exposait, pis que

22 .


-

262

nue , aux regards de ses adeptes , après cela faisant le mé

tier de modèle pour les peintres qui la représentèrent sous

toutes les formes , enfin livrée à la prostitution publique ,

Emma était passée , des mains de Charles Greville , neveu de

lord Hamilton et dont elle avait trois enfants, à celles de

l'ambassadeur lui-même qui l'acheta au prix du payement

des dettes de son amant , en fit sa propre maîtresse , finit

par l'épouser (1791 ) , et la partagea pacifiquement avec la

reine Caroline et lord Nelson dont elle eut une fille, double

ment adultérine . Car , remarquablement belle , lady Hamilton

ne se refusait pas plus à aucune espèce de libertinage , qu'elle

ne reculait devant aucun crime . En traçant ces lignes , nous

avons sous les yeux une lettre originale de Nelson , duc de

Bronte , écrite par lui peu avant la bataille de Trafalgar, et

dont une page est de la main d'Emma Hamilton , qu'il avait

introduite au sein de sa famille , où elle avait été accueillie .

Nous trouvons ce trait plus extraordinaire que celui de

la bassesse des souverains coalisés contre la France , et qui

acquittaient en adulations envers la courtisane anglaise ,

la dette qu'ils avaient contractée envers le marin anglais.

Après la mort de son mari et de son dernier amant , qui

avait sollicité pour elle une pension du gouvernement bri

tannique, Emma se retira riche, mais méprisée , en Hollande,

et , ayant repris , avec la vie de sa jeunesse , ses habitudes

de prodigalité et de désordre , elle alla mourir en France

dans une auberge près de Calais (1815) : elle était retombée

dans la misère et l'avilissement de ses premières années .

Caroline d'Autriche a vait débuté par vouloir faire assas

siner à Bâle , où il s'était réfugié pour échapper au glaive

2


-

263

de la terreur démocratique de France , l'historien Gorani

qui , dans ses Mémoires critiques des cours , des gouverne

ments et des moeurs des principaux états d'Italie , avait

vigoureusement flétri la cour de Naples .

Un de ses agents révolutionnaires , le trop fameux Fra Dia

volo , venait d'être pris et pendu, lorsqu'elle envoya ( 1807 ) ,

du fond de la Sicile à Naples , Antoine Mosca pour, cette fois

sans ambages ni circonlocutions , tuer le roi Joseph Bona

parte . Mosca fut arrêté les armes à la main , une tresse des

cheveux de la reine au bras , et dans sa poche le billet auto

graphe par lequel l'auguste conspiratrice lui ordonnait « de

faire pour le bon service du roi ce qu'il avait promis , » et

elle « l'assurait de sa protection (28 février ). » Une lettre

de la marquise de Villa Tranfo , confidente de Caroline,

complétait la missive royale , en disant que ce que la reine

lui avait ordonné au mois de février était de délivrer sa

patrie de l'usurpateur, et qu'on exécution de ses promesses ,

elle le ferait colonel et le comblerait de biens (30 avril ) .

Mosca fut jugé militairement et fusillé (juillet) , mais les

pièces principales du procès demeurèrent inconnues au pu

blic , le Corse , autocrate du continent , jugeant avec raison

que , pour ne pas faire évanouir le peu de respect qui s'atta

chait encore à la royauté , il fallait cacher avec soin les forfaits

de ceux qui , amis ou ennemis , portaient une couronne .

Quelque temps après, Caroline , qui voyait la plus brillante

des couronnes s'affermir de plus en plus sur la tête de

Napoléon , essaya de capter sa bienveillance en lui faisant

proposer de la soutenir par les armes après qu'elle aurait ,

pour lui rendre service , fait massacrer tous les Anglais qui


264

se trouvaient en Sicile . Ceite proposition infernale demeura

ensevelie dans une prison d'état avec l'agent qui en avait été

l'intermédiaire, jusqu'à la chute de l'empereur des Français ,

et pour les mêmes motifs.

Ces motifs ne peuvent rien sur nous : nous n'écrivons ni

pour un homme, ni pour une caste ou une classe d'hommes ,

ni pour une institution quelconque , ni pour quelque opinion

que ce soit ; notre but est exclusivement de rendre justice

aux hommes et aux choses du passé , ainsi qu'à préparer la

voie au triomphe social de la raison pour l'avenir , et de ce

point de vue nous pouvons dire avec le comte de Maistre

que , quand on possède une vérité, fût - elle de nature à cho

quer tout le genre humain , il faut se hâter de la lui jeter à

la face.

Toutes les pièces du procès d'Antoine Mosca , et entre

autres le billet de Caroline , la lettre de la marquise 'Tranfo ,

le sauf-conduit particulier de Mosca , signé W. Sidney

Smith, et le passc-port sicilien de l'assassin , apostillé par le

même Sidney Smith , qui déclare que Mosca est employé au

service public , sont entre nos mains .

Caroline , devenue à charge aux Anglais lorsqu'ils jugèrent

qu'elle ne pouvait plus leur être utile , fut envoyée par lord

Bentinck à Vienne , où elle mourut ( 1814 ) .

Et maintenant que nous avons bien mis au jour quel

était le véritable état des esprits et des choses en Italie ,

nous revenons à l'histoire de Ricci .


CHAPITRE XXXVII .

Les Arétins sont renvoyés par les Allemands. --- Ricci en liberté . — Gouver

nement sénatorial . – Ricci est arrêté de nouveau . Le père Bardani .

Vexations monacales.- Jérôme Savonarole . - Ignorance d'un professeur.

Les excès et turbulence des Arétins, et surtout leurs

insoutenables prétentions de mettre au pillage le quartier

des juifs en compensation de la ſaveur qu'ils avaient , di

saient- ils, faite à la ville de Florence en ne la saccageant

pas lors de leur entréc , lassèrent jusqu'aux Allemands

même , au profit desquels l'insurrection arétine avait éclaté .

Le général Klenau ordonna aux soldats de la madone de

vider la capitale de la Toscane .

Ils se soumirent, mais de mauvaise grâce et en murmu

rant tout haut. Ricci fait remarquer que rien n'eût été plus

facile en ce moment que de déterminer les Arétins à se jeter

entre les bras des Français pour chasser , de concert avec

eux , les Allemands de l'Italie , C'eût été un spectacle , sinon

édifiant , du moins fort instructif.

>


266

Avant de quitter la place , le commandant du fort où Ricci

était détenu lui annonça qu'il n'y avait rien à sa charge et

le fit mettre en liberté .

Mais les souffrances du prêtre persécuté ne devaient pas

encore avoir un terme . Après le départ des Arétins, le pou

voir arbitraire tomba aux mains d'un comité , composé des

sénateurs Améric Antinori , Roland del Benino et Marc Co

voni , assistés de l'auditeur Pierallini , 7 du secrétaire Giunti

et de l'avocat Cremani . Pour donner une idée de ce qu'était

cette junte gouvernementale , il suffira de dire que les

deux derniers que nous avons nommés finirent leur car

rière par se faire condamner pour banqueroute fraudu

leuse et pour faux . Giunti , afin de mériter la confiance du

triumvirat sénatorial , avait fait dresser un acte authentique

pour constater que , pendant l'occupation française, il avait

joué , au profit de la restauration future des Autrichiens, le

rôle d'agent provocateur , d'espion et de traître . Ces tyran

neaux au petit pied se constituèrent en chambre noire, et

organisèrent une véritable proscription contre tous ceux

qui ne partageaient pas leur fanatisme rétrograde : rapines ,

cruautés , emprisonnements , expositions infamantes , est- il

dit dans une brochure du temps , rien ne fut épargné pour

tirer une éclatante vengeance des citoyens qui , sous le

règne précédent , avaient travaillé à l'extirpation des abus .

C'était exactement comme à Naples , pour autant toutefois

que le permettaient les moeurs du peuple toscan , sinon

meilleures au fond , du moins infiniment plus douces dans

la forme que celles des lazzaroni .

Peu après sa sortie de la forteresse, Ricci tomba malade .

-


267

A peine rétabli, il se rendit chez l'archevêque qui se vanta

complaisammant devant lui de l'autorité sans bornes dont

il avait été investi par le nouveau gouvernement sur les

prêtres et les fidèles soupçonnés d'immoralité et arrêtés en

conséquence depuis la retraite des Français . Il en usa bientôt

contre Ricci lui -même. L'ayant fait appeler chez lui , Martini

signifia à son collègue que le sénat , se conformant à la volonté

du peuple, -on voit que , sous la pression de l'ignorance , la

parole sert au despotisme autocratique comme au despotisme

populaire pour déguiser la pensée , - lui ordonnait de se

retirer dans un des couvents de la capitale . C'était le livrer

à ses plus mortels ennemis . Aussi Ricci , qui avait peine à y

croire , demanda - t- il à voir le décret des sénateurs . Mais ce

décret n'existait probablement pas, et le prélat n'en fut pas

moins obligé de plier sous la force . Il ne lui restait que le

choix de sa prison : il demanda à se rendre chez les pères

de la mission qui eurent la lâcheté de refuser de le recevoir .

Il se décida finalement pour les dominicains , et se retira au

couvent de Saint- Marc .

:

Il y eut pour geôlier le père Bardani qui devint dans la suite

secrétaire de la congrégation de l’Index , et qui prouva dès

lors sa vocation pour un emploi quelconque au saint- office,

en traitant son prisonnier comme appartenant déjà à l'in

quisition . Le père Bardani était un dévot entêté , dur et peu

éclairé . Il vit donc de mauvais æil les nouvelles démarches

de l'archevêque qui cherchait sincèrement ou se donnait

l'air de chercher à faire aboutir la première négociation

entre l'évêque emprisonné et le pape . Voici comment , cette

fois, les choses avaient été disposées .

1


268

Un ex -jésuite espagnol , fort insinuant , pour ne pas dire in

trigant , nommé Emmanuel Ariete , de la famille de la Puebla ,

qui avait eu l'art de se faire nommer professeur à Vienne par

Joseph II ; qui après cela était devenu précepteur des jeunes

princes Ypsilanti , à Constantinople ; qui avait suivi le général

Bonaparte dans le cours de ses victoires en Italie et l'avait

mis en rapport avec le cardinal Mattei , le médiateur entre

le conquérant républicain et le souverain pontife lors du

traité de Tolentino ; qui enfin se vantait d'être le confesseur

du général Gaultier , commandant en chef des troupes

françaises en Toscane — chose au moins douteuse , à une

époque où les confesseurs n'étaient guère de bon ton aux

armées de la grande nation ; - un ex- jésuite , disons- nous ,

se chargea de remettre à Pie VI , à Valence, les lettres de

Ricci , auxquelles jusqu'alors l'archevêque n'avait pas donné

cours .

Mais ce n'était pas là ce que voulait l'atrabilaire domi

nicain . L'espèce d'accord qui semblait régner entre un

moine d'un ordre jadis rival de celui de saint Dominique ,

l'archevêque aussi janséniste , disait- il , et aussi peu ami du

pape que Ricci lui-même, et cet ancien évêque , dont il ne

pouvait croire la rétractation sincère , le tourmentait fort.

Il chercha à le rompre , et y réussit facilement, en réveil

lant les craintes de Martini relativement à l'improbation

avec laquelle le saint- siége ne manquerait pas d'accueillir

son intervention inconsidérée . Ce point obtenu , il ne s'agis

sait plus que d'empêcher les lettres de Ricci de parvenir à

leur adresse : à cet effet, le père Bardani attira l'attention

des Autrichiens sur les allures suspectes du père Ariete , qui

:


269

fut arrêté à Bologne comme espion , et dont les papiers fu

rent saisis .

Pie VI était mort sur les entrefaites . Martini à qui on ne

saurait refuser quelque velléité , du moins en apparence,

de meltre in terme aux souffrances de son collègue , lui

conseilla d'écrire au pape futur par l'entremise du doyen

du sacré collége . Bardani l'apprit, et il engagca le nonce

pontifical à intervenir sans délai à son tour , afin , espérait - il ,

d'empêcher les bons effets de cette démarche. Ricci s'ex

cusa auprès du nonce sur ce qu'étant déjà engagé envers

l'archevêque, il se trouvait dans l'impossibilité d'accepter

ses bons offices, et le nonce se retira irrité . Martini, qui

avait appris que le nonce s'était offert, refusa de son côté

de s'occuper davantage d'une affaire que l'agent du saint

siége avait voulu prendre sur lui , et le père Bardani

triompha .

Cependant la santé de son prisonnier déclinait à vue

d'ail . Les amis de Ricci s'adressèrent à l'archevêque pour

obtenir sa mise en liberté ; l'archevêque répondit que le

sénat seul avait cette autorité : ils se tournèrent vers les

sénateurs , et ceux-ci s'excusèrent sur ce qu'ils avaient

chargél'archevêque de régler souverainement et sans appel

les affaires ecclésiastiques , et de décider de la même ma

nière du sort des évêques , des prêtres et des moines qui

avaient été incarcérés . Ce qu'il y eut de clair dans tout

cela , c'est que Ricci demeura séquestré à Saint-Marc.

Ce qui le chagrinait le plus , c'est que les moines , avec

la permission de Martini, l'empêchaient de dire la messe

dans leur église , et qu'il était même question de lui défendre

:

23


-

)

270

entièrement de la dire . En attendant , il la célébrait dans

la chapelle du « vénérable Savonarole , saint martyr , dit

Ricci , dont les malheurs avaient eu beaucoup d'analogie

avec les miens. » Et à cette occasion l'ancien évêque de Pis

toie nous apprend que ce moine réformateur, visionnaire

sans aucun doute , zélé républicain , condamné par l'inqui

sition comme hérétique, et brûlé par ordre du plus infâme

des papes qui ont déshonoré ce qu'on appelle la chaire de

saint Pierre. , uniquement parce qu'il avait dévoilé ses tur

pitudes et sa perversité , avait été invoqué par sainte Cathe

rine de Ricci , et tacitement canonisé par Benoît XIV . Nous

venons de voir que Ricci l'honorait comme un saint ; les

dominicains , ses geôliers , au couvent desquels néanmoins

les cellules de Savonarole portent encore aujourd'hui l'in

scription d'homme vénérable et apostolique, le vilipendaient

comme un fanatique et un brouillon .

Ricci utilisait ses loisirs à la bibliothèque du couvent , en

méditant les écrits des anciens pères de l'église . Un de ses

biographes nous a conservé à ce propos l'anecdote sui

vante : le père dominicain Arizzarca, professeur à l'univer

sité de Pise et qui s'est fait un nom par sa naïve ignorance ,

se plaignait souvent au cuisinier de Ricci , - le père Ariz

zarca passait la plus grande partie de son temps aux cui

sines ,

de l'aveuglement de l'évêque, qui s'obstinait

dans ses crreurs , et s'y enfonçait de plus en plus , en lisant

continuellement les écrits de saint Augustin , auteur de plu

sieurs hérésies qu'il avait été forcé de rétracter .


CHAPITRE XXXVIII.

Persécutions de famille. – Duplicité des ennemis de Ricci . On l'envoie

malade à sa villa . – Tracasseries . – Procès de l'ancien évêque .

Il ne manquait au prélat proscrit que de se voir en butte

à la haine de sa propre famille . Son frère, le sénateur Frédé

ric de Ricci , lui fit éprouver cette douleur . Il se remua tel

lement auprès de ses collègues , qu'il réussit à faire sus

pendre , jusqu'à la fin du procès intenté à l'évêquc , procès

qui n'était pas même commencé, le payement de la pension

que le grand-duc Ferdinand lui avait assignée lors de sa

retraite .

Tant de preuves d'acharnement, coup sur coup , alté

rèrent finalement d'une manière grave la santé du prison

nier . Les médecins se crurent obligés alors de demander sa

translation à la campagne Le sénat , interpellé cette fois

d'une manière catégorique et directe , répondit sans hésiter


272

que Ricci n'avait point été arrêté par son ordre, et que le

gouvernement n'était pour rien dans la prolongation de son

incarcération . Les médecins s'adressèrent à l'archevêque, et

celui-ci allégua, pour se dispenser d'agir et même de se pro

noncer , qu'il n'avait personnellement aucune autorité sur

un prévenu détenu pour délits révolutionnaires. C'était la

première fois que cette accusation était articulée . Jusqu'a

lors l'archevêque lui-même avait certifié à Ricci quc la po

litique n'avait que faire avec ce qui lui arrivait ; que ses

opinions religieuses seules étaient cause de la haine du

peuple contre lui , et que sa réconciliation avec Rome lève

rait toutes les difficultés mises à son élargissement .

Outre ce conflit d'inhumanité, d'où l'on ne parvint à

sortir qu'en mettant à profit le premier moment d'absence

forcée de l'archevêque, il y avait encore à vaincre l'obstina

tion , entachée de fanatisme , qui animait le sénateur Frédé.

ric : ce persécuteur intime du prélat malade voulait qu'on

ne relâchât son frère qu'après avoir terminé tous les procès

établis contre les prétendus révolutionnaires , afin de s'as

surer que Ricci ne s'y trouvait pas impliqué d'une manière

quelconque. Or , on peut juger du nombre de ces affaires en

songeant qu'il y eut vingt mille familles poursuivies du chef

de jacobinisme , et trente-deux mille condamnations . La

chambre noire, fort heureusement pour Ricci , voulut bien

reconnaître l'urgence et passer outre ; l'évèque reçut l'auto

risation de se rendre à sa villa de Rignana , aux conditions

:

suivantes de partir du couvent, pendant la nuit ; de ne

s'arrêter que peu d'heures à Florence et seulement dans sa

propre maison ; de ne correspondre avec personne , et de


273

se reconstituer prisonnier à la première sommation . Ne

dirait -on pas du plus dangereux des conspirateurs ?

Revenu à la santé , Ricci écrivit à l'archevêque. Celui - ci

lui demanda une nouvelle rétractation . L'évêque de Pistoie

se déclara prêt à signer tout ce que Martini trouverait con

à

venalle d'ajouter à ce qu'il lui avait fait écrire précé

demment, pour prouver aux plus incrédules la sincérité

de sa soumission . L'archevêque lui répondit qu'il n'avait

pas le temps de lire ses longues lettres , mais qu'il insistait

pour qu'il s'adressât au nouveau pape . Ricci répliqua qu'il

le ferait aussitôt que le souverain pontife serait nommé . Ces

quelques détails suffisent pour faire apprécier l'opposition

essentielle qu'il y avait entre le caractère de ces deux

prélats .

Voici de nouvelles preuves de l'esprit rancunier des

ennemis de Ricci . Pendant son séjour à Rignana , le prélat

recevait de temps en temps un prêtre qui entendait sa con

fession ; ce prêtre , aigrement réprimandé par le vicaire

archiepiscopal de Florence , cessa ses visites . Lui - même se

rendait quelquefois au couvent de Passignano , où les moines

l'accueillaient avec les égards dus au malheur ; l'évêque de

Fiesole les en blåma avec dureté , et ils durent prier le

prélat de ne plus revenir . Cependant Martini pensait exac

tement comme Ricci qu'il persécutait à cause de ses opi

nions, et Mancini était l'ami de Ricci avant que celui-ci

tombåt dans la disgrace .

Le moment allait venir où le public désintéressé dans la

querelle demanderait compte aux vainqueurs du jour de

leur longue cruauté . Ils le sentirent , et pour avoir du moins

23 .


.

274

des prétextes à alléguer , ils firent instruire le procès de

à

l'ancien évêque . Martini , éprouvant quelque embarras à en

faire un hérétique , le céda aux sénateurs pour qu'ils en

fissent un républicain , quitte à le reprendre en sous-euvre,

si , comme on le supposait , il échappait à cette poursuite

politique , et à le livrer , en désespoir de cause , à ses ennemis

naturels de la cour de Rome . Les choses se passèrent exac

tement comme on l'avait prévu ; malgré les enquêtes les

plus insidieuses , malgré la séduction et la subornation de

plusieurs témoins auxquels on ne demandait que d'attester

que Ricci était coupable d'avoir aimé les Français , la

chambre criminelle fut forcée de conclure à la mise en li

berté du prélat , attendu , était - il dit , qu'il n'y avait rien à

lui reprocher et que ses longues souffrances l'avaient assez

puni .

2

Ce raisonnement puissant fut suivi d'une sentence

analogue. Puisqu'il avait assez souffert pour ne pas être

coupable , il fut condamné à souffrir encore , en attendant

que l'élection d'un nouveau pape permît d'espérer qu'on

l'envelopperait dans les rets de la persécution religieuse ,

où il souffrirait jusqu'à ce qu'il mourût .


CHAPITRE XXXIX .

Ricci écrit à Pie VII . Le crime de réformation des abus . - Consalvi ,

cardinal secrétaire d'état . - Les quatre chefs d'accusation contre Ricci .

- Il est acquitté par le retour des Français en Toscane .

Le nouveau pape fut Pie VII . Ricei qui savait que , comme

cardinal et évêque d’Imola , le citoyen Chiaramonti avait

donné de nombreuses preuves d'un esprit sans préjugés,

espéra de lui la fin de ses misères et lui écrivit (29 mars 1800)

de la manière la plus humble, témoignant à la fois de son

obéissance et de son orthodoxie . Le premier secrétaire

d'état Consalvi accusa réception de la lettre , mais sans y

répondre : il fallut six mois encore avant que Ricci sût à

quoi s'en tenir . Dans cet intervalle on avait fait jouer tous

les ressorts à Florence , afin de faire du prélat , aux yeux

du souverain pontife , le chef du moderne parti des réfor

mateurs des abus , issus en ligne droite de la grande

réformation de l'église , préparée par les conciles de


2

276

Constance et de Bâle , consommée par les protestants alle

mands et étendue par les jansénistes, les partisans de

l'église gallicane, et par le clergé constitutionnel de France .

Tout cela était vrai, mais plus rien de cela ne pouvait être

imputé à crime, à une époque où c'était exclusivement le

résultat d'une opinion valant toute autre opinion , pouvant

être professée aussi bien que l'opinion contraire, puisque

la liberté des opinions était déjà dans les maurs , et qu'elle

était à la veille d'être inscrite dans la loi que les catholiques

les plus papistes allaient eux -mêmes aider à faire , et qu'ils

maintiendraient dans l'intérêt de leur opinion à eux .

La réponse de Consalvi arriva enfin et fut remise à Ricci

par le secrétaire du nonce qui en demanda un reçu , après

avoir annoncé au prélat que le gouvernement toscan con

naissait le contenu de la lettre , et qu'il était décidé à livrer

Ricci au nonce pour être transféré au château Saint-Ange

où il demeurerait confiné le reste de ses jours , s'il ne se

rétractait dans les termes imposés . L'écrit était dur pour la

forme, arrogant même, plein de fiel et d'aigreur : sa teneur

n'était explicable que par l'idée fixe que l'invasion des

Français dans l'Italie centrale avait été un acte de vengeance

de la part de la république dont Pie VI avait si crûment

condamné la doctrine et ses applications ; ce qui devait

porter Pie VII , rentré dans la plénitude des droits de la

papauté , à écraser à jamais les fauteurs du système

français, en frappant dans sa conduite publique l'évêque

de Pistoie qui , à tort ou à raison , était signalé , en Italie

du moins , comme le coryphée du parti . Cette manière de

raisonner et d'agir est inhérente à l'existence des souverains

>


- 277

pontiſes et de leur cour ; elle est imposée par tous les anté

cédents de la papauté depuis Grégoire VII . Ils en dévient

quelquefois, - le cardinal Consalvi et Pie VII en ont dévié

eux -mêmes sous Napoléon et ses successeurs , mais

toujours pour y revenir à la première occasion favorable,

comme s'ils ne s'en étaient jamais écartés .

Le personnel du gouvernement sénatorial de Toscane

avait changé en partie , mais les tendances étaient les

mêmes . Seulement l'adjonction de l'avocat Frullani, que

les trois sénateurs avaient soin d'éloigner chaque fois qu'il

s'agissait de commettre une injustice par trop criante , faisait

espérer, dans un avenir plus ou moins prochain , des jours

meilleurs . Le sénat réactionnaire et Ricci, qui voyait enfin

qu'il ne gagnait rien à céder , étaient de plus en plus loin

de s'entendre . Jamais , nous dit- il, il ne se serait prostitué

au point de se condamner lui-même comme hérétique, pour

avoir enseigné des propositions auxquelles il n'avait pas

même songé , et de condamner le règne entier d'un prince ,

son protecteur et le bienfaiteur de la Toscane . Il commu

niqua cette résolution aux sénateurs qui , n'osant pas pren

dre sur eux de lui ordonner de passer outre, répondirent

qu'ils auraient consulté le grand -duc et qu'ils lui ſeraient

connaître l'expression de la volonté souveraine . Cette ex

pression n'arriva jamais , du moins jusqu'à l'évêque, et

pendant qu'on semblait l'attendre , les intrigues allèrent

leur train accoutumé . Elles auraient finalement abouti à

l'extradition de Ricci et à sa reclusion à perpétuité à Rome ,

si les Français , de nouveau vainqueurs, ne fussent venus

l'arracher à ce péril imminent.


:

278

Peu de jours avant l'arrivée des troupes françaises, les

quatre chefs d'accusation contre Ricci lui furent communi

qués . C'était :

D'avoir agité un mouchoir blanc lors de la plantation de

l'arbre de la liberté . -- L'évêque le nie . Il avait assisté à la

cérémonie républicaine pour ne pas trop irriter les conqué

rants , qui déjà lui reprochaient son attachement servile

ils l'appelaient ainsi — au dernier grand-duc , et auxquels

il n'avait pas jugé convenable d'aller faire sa cour , comme

s'étaient empressés de faire l'archevêque de Florence et l'é

vêque de Fiesole , ses détracteurs.

D'avoir fait don au club florentin du buste de Machiavel .

Ricci s'explique . Une société littéraire française lui

avait fait demander un moule pris sur le buste en marbre

de l'illustre historien toscan . Craignant qu'on ne le gâtât

dans l'opération requise , l'évêque préféra donner son plå

tre de rebut , jeté dans un ancien moule . Ce plâtre, sans son

consentement et même à son insu , avait été placé dans la

salle des séances de la société démocratique .

D'avoir tramé le changement de gouvernement de sa

patric avec le commissaire français , Saliceti , plusieurs mois

avant l'invasion étrangère . - Ricci proteste avec indigna

tion et dégoût .

Finalement d'avoir cultivé l'amitié de Reinhard , d'abord

ministre de France en Toscane , puis chargé par le Direc

toire d'organiser la nouvelle conquête ; d'avoir entretenu

une correspondance suivie avec les Français , et d'être jan

séniste . -- L'évêque accusé n'avait fait à Reinhard , mi

nistre, que quelques rares visites de civilité , pour le remer


279

cier des livres , des journaux et des lettres qu'il avait bien

voulu lui faire parvenir . L'invasion accomplie , il ne vit plus

le nouveau commissaire, et ne reçut rien de France , si ce

n'est par la voie ouverte à tout le monde. Il avait corres

pondu avec ses amis de tous les pays , pour se tenir au cou

rant des nouvelles littéraires , et avec ceux de France en

particulier , afin d'être exactement instruit des vicissitudes

de l'église gallicane, l'objet constant de sa plus vive sollici

tude . Quant au jansenisme, il en repousse l'accusation en

démontrant qu'il avait toujours condamné , de bonne foi, les

cinq propositions anathématisées par l'église .

L'entrée des Français à Florence (15 octobre 1800) avait

fait fuir tous les instigateurs du pouvoir déchu, et entre

autres celui qui leur servait de chef , le nonee pontifical. La

politique de la cour de Rome avait complétement changé

avec les circonstances. Bientôt l'ancien évêque de Pistoie

reçut une lettre de cet agent romain , lettre cette fois fort

douce et fort polie , où le nonce se bornait à lui demander

une réponse à celle que lui avait écrite le cardinal Consalvi ,

et la simple assurance de sa soumission et de son obéis

sance au pape . Ricci ne tarda pas un instant à le satisfaire,

et il ajouta à ce qu'on désirait de lui de nouvelles assurances

de sa parfaite conformité, en matière de ſoi, avec l'église

romaine .

Le peu de protection dont l'ancien évêque de Pistoie

avait joui dans les derniers temps , protection toutefois qui

ne s'était traduite que d'une manière négative , c'est-à - dire

par quelque modération dans la persécution , était due en

grande partie à ses amis de France , et surtout à l'évêque


280

Grégoire , qui ne l'abandonnèrent jamais . Il écrivit de son

côté à Grégoire pour le remercier , et déclarer qu'il ne de

mandait au pape que l'indifférence et l'oubli ; car , ajoutait

il , « si la haine de Rome tue le corps , son amitié perd

l'âme . »

Lorsque les quatre gouvernants autrichiens eurent été

remplacés par trois amis des Français , anciens partisans des

réformes léopoldines, on retrouva les procès fabriqués sous

le gouvernement sénatorial et qui avaient été cachés ; pour

calmer les inquiétudes que faisait naître cette découverte ,

et afin de prévenir les vengeances ultérieures , ces pièces

furent condamnées aux flammes. Toutes cependant ne furent

pas brûlées . Les principaux procès , ceux surtout qui con

cernaient des personnes dont on n'avait rien à craindre ,

lcur furent même communiqués officieusement. Ricci ac

quit par l'inspection des papiers qui le concernaient , la

preuve matérielle qu'il n'avait été confiné et retenu à

Saint-Marc qu'à la réquisition de l'archevêque.

Le gouvernement des Trois fit faire à Ricci d'amples et

honorables protestations de regret pour ce qui avait eu lieu

à son égard , ainsi que de vénération et d'estime pour son

noble caractère . L'évêque demanda qu'on lui remît en

outre une attestation en due forme de l'invalidité des accu

sations qui avaient été dirigées contre lui ; le secrétaire

des droits de la couronne s'empressa de le satisfaire . Ce ne

fut qu'alors qu'il se crut vraiment libre . Transporté malade

à Florence , il y attendit l'arrivée du roi que la libre répu

blique française venait d'imposer si despotiquement à l'in

dépendante Étrurie .

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1

CHAPITRE XL .

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Le roi d'Etrurie . - Abolition de toutes les réformes . La reine Marie

Louise . Le père Paccanari. Intervention du cardinal Spina en

faveur de Ricci . – Rétractation de celui - ci . – Jugement sur cet acte .

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Louis de Bourbon , prince de Parme, avait été élevé par

un capucin , frère Adéodat , philosophc éclairé , dit Ricci ,

mais qui abjura la philosophic et les lumières qu'il y avait

puisées, pour devenir évêque de Parme. Le roi arriva å

Florence le 12 août 1801 , et bientôt les murmures écla

tèrent de toute part contre lui et ses deux favoris en titre,

les comtes parmesans Salvatico et Ventura . Ricci sollicita

une audience , et le roi demanda si c'était l'hérétique ; les

deux comtes ne permirent pas qu'il vît le prince.

Non -seulement le nouveau gouvernement voulait abolir

ce que Léopold avait fait pour la Toscane , mais encore il

manifestait le projet de reconstituer ce qui , dans les temps

bien antérieurs au règne de ce grand-duc , lui semblait

24


282

propre à étouffer, une fois pour toutes , jusqu'au moindre

désir de revenir un jour à l'application des idées qui doré

navant allaient dominer la société en Europe . Le noncc

c'était alors Morozzo avait déjà renouvelé ses anciennes

prétentions depuis qu'il avait repris son ancienne influence ;

c'était dans l'ordre : il recommença à exiger comme aupa

ravant la rétractation de Ricci ; on devait s'y attendre. Les

coreligionnaires de l'évêque de Pistoie à Paris , l'évêque

Grégoire entre autres , et ses amis de Gênes , réfugiés à

Paris , l'invitèrent à venir s'y soustraire aux vexations dont

il était de nouveau menacé, et s'en consoler avec eux dans

les pieuses visites qu'ils faisaient ensemble aux ruines de

Port-Royal et aux jansenistes du diocèse d'Utrecht.

Sur les entrefaites, le gouvernement étrusque conçut un

plan de rétablissement pour l'inquisition de la foi, « sur le

pied de la féroce inquisition d'Espagne , » est - il dit dans les

notes à ce sujet , qui font partie des archives Ricci. Heureu

sement pour la Toscane que le ministre français s'opposa à

cet excès de fureur restauratrice .

Le 15 avril 1802 , furent formellement abolies toutes les

mesures de redressement des abus , prises depuis l'empe

reur Francois [ er ; et elles le furent de la manière la plus

injurieuse possible pour ceux dont elles émanaient . Le

clergé et ses biens furent soustraits à la juridiction civile ;

les évêques , dont l'autorité spirituelle demeura dévolue au

pape , ſurent investis de l'autorité temporelle sur les laïques ,

laquelle appartient au souverain ; la Toscane fut replacée

sous le double joug du sacerdotalisme ct de la cour romaine.

En compensation , le roi se fit fort d'obtenir pour les fidèles


283

de l'ex - grand -duché l'absolution dont ils avaient besoin

depuis l'illégale introduction chez eux des réformes héré

tiques de leur ancien souverain .

Le général Clarke , ministre de France en Étrurie , et le

ministre d'Espagne réclamèrent d'un commun accord contre

ces ineptes mesures , et cela d'autant plus impérieusement,

que le nouveau concordat conclu entre Rome et la France ,

et plus encore les articles par lesquels le premier consul

en avait organisé l'exécution , étaient diamétralement op

posés à des actes devenus impossibles . Mais que faire ? La

loi était promulguée. La révoquer cût été délivrer au roi

un brevet d'incapacité notoire . On la laissa exister , mais

privée de toute force d'application , et elle tomba d'elle

même dans l'oubli ; les règlements du dernier règne en

matière ecclésiastique demeurèrent seuls cn vigueur et

furent exécutés comme du temps de Léopold .

Ce fut alors que moururent les deux principaux soutiens

du fanatisme réactionnaire en Italie , savoir , le duc de

Parme et le capucin -évêque Turchi. Le roi d'Étruric les

suivit de près (27 mars 1803 ).

Marie-Louise de Bourbon fut déclarée régente pendant

la minorité de son fils. C'était une femme dont la légèreté

et la nullité complètes n'étaient égalées que par son bigo

tisme routinier et étroit . Celui qui rédige ces pages possède

douze lettres écrites de sa main et adressées à ses minis

tres , lettres que désavouerait en rougissant la femme la plus

vulgaire. Le défaut d'orthographe l'y dispute au défaut de

sens et de dignité . Le seul sentiment qui y domine est celui

de sa ferme volonté royale de toujours demeurer dans la


284

dépendance de l'Espagne, ce que, selon la reine , l'empereur

(Napoléon ) ne saurait désapprouver. Et à l'appui , elle rap

porte un billet qu'elle prétend lui avoir été adressé par ce

souverain , et qui est aussi niais que ceux qu'elle écrivait

elle-même . Elle n'eut rien de plus pressé que d'établir,

d'accord avec le nonce , une académie catholique , dont le

but était le maintien de la pureté de la foi, ce qui signifiait

la restauration de tous les abus dont Léopold avait délivré

le grand -duché. La France et l’Espagne furent de nouveau

forcées à intervenir ; l'académie catholique fut dissoute, et

la reine sérieusement invitée à modérer un zèle inopportun

et malentendu .

Ricci échappait par là aux persécutions qu’on préparait

déjà contre lui . Il attribua cette grâce à l'intercession de sa

parente , sainte Catherine de Ricci , et institua, à l'église de

Rignana , plusieurs cérémonies religieuses en son honneur.

Marie -Louise l'apprit , décida que le salut de l'ancien prélat

n'était pas entièrement désespéré, puisqu'il croyait encore,

et entreprit de le réconcilier avec l'église . A cet effet, elle

ordonna des prières dans plusieurs couvents de religieuses

pour demander à Dieu le ramollissement du coeur de l'é

vêque hérétique, et obtint du pape qu'il traverserait Flo

rence lorsqu'il se rendrait à Paris pour le couronnement de

l'empereur Napoléon .

Ce qui mit le comble au ridicule de cette intervention fé

minine dans une affaire de conscience privée , ce fut la con

fidence que fit Pie VII de la demande de la reine d'Étrurie

à l'archiduchesse Marianne, fille de l'empereur Léopold ,

avec laquelle le souverain pontiſe avait contracté une liaison


285

familière et intime. Cette princesse habitait. alors Rome

où elle avait fondé un conservatoire quasi -jésuitique de

jeunes filles , sous le nom des Bien -aimées ou des sæurs

de Jésus ( le dilette , le sorelle di Gesù ), qu'elle avait confié

à la direction spirituelle du père Paccanari, « ex - jésuite, dit

Ricci , que Pie Vil lui -même finit

par faire enfermer pour le

reste de ses jours, à cause du système de quiétisme et de li

bertinage au moyen duquel il était parvenu à abuser de ses

pénitentes . »

L'archiduchesse voulut participer à l'ouvre pie de

Marie-Louise : elle écrivit à Ricci une lettre qui eût pu pa

raitre insultante, plus encore pour son père Léopold que

pour l'ancien évêque de Pistoie , si elle n'avait été d'une

pauvreté d'esprit telle , qu'elle excluait toute espèce d'idée

quelconque ; la princesse finissait par le conseil qu'elle don

nait sérieusement au prélat de se jeter aux pieds du pape ,

son épître à la main . Ricci lui répondit avec gravité ct res

pect , mais seulement pour disculper le grand -duc des in

tentions mauvaises qu'on lui prêtait plus ou moins mali

gnement ; quant છે à lui -même , il ne fit que renouveler ses

promesses d'une soumission entière et sans arrière -pensée

à l'église et à son chef, promesses qu'il confirmerait au pape

en personne , ajouta - t - il , lors du prochain passage de celui- ci

par Florence .

Un mot ici , avant d'aller plus loin , sur le père Pac

canari , relativement auquel nous sommes à même de

pouvoir rectifier les légères inexactitudes de Ricci : nous

croyons devoir ces détails aux lecteurs des Mémoires de

l'ancien évêque de Pistoie , dont ils confirment en partie

24.


286

la manière de voir sur les jésuites de son temps , ainsi

que sur leurs congrégations , notamment celle du sacré

coeur .

Nicolas Paccanari , né dans le Tyrol , était , à la fin du

dernier siècle , soldat au service de l'église , et faisait partie

de la garnison du château Saint-Ange ; il se distinguait

parmi ses camarades par sa force physique et la dépravation

de ses meurs . Paccanari ſut atteint d'une maladie grave .

Tirant parti de cette circonstance , l'abbé Delmonte , recteur

de l'oratoire jésuitique appelé du Caravita à Rome , parvint

non -seulement à le convertir , comme on s'exprimait, mais

encore à lui faire revêtir l'habit ecclésiastique avec mission

de travailler à la restauration de l'ancienne compagnie de

Jésus; le principal argument qu'il avait fait valoir pour

opérer ce prodige avait été celui de la ressemblance que

Paccanari offrait avec le fondateur des jésuites, par ses dé

portements antérieurs et le repentir qui les avait suivis.

En effet, Paccanari ne tarda pas à instituer la société de la

foi à Jésus, autrement des pères de la foi, des fédistes, qui ,

dans la suite , prirent le nom de paccanaristes, sous lequel

ils sont plus particulièrement connus . La société de la foi

à Jésus cut des rapports profonds avec celle du coeur de

Jésus ou du sacré cour, qui, elle aussi , se proposait pour

but le rétablissement de la compagnie fondée par saint

Ignace , auquel elle préparait les voies . Paccanari , bien

qu'il se fût mis en rapport direct avec le général des jésuites

de Russie , était plutôt désireux de demeurer chef d'ordre .

Aussi ne favorisa - t - il jamais qu'en apparence les efforts

que firent les jésuites et leurs partisans pour rendre à la


>

287

compagnie , plus canoniquement qu'ils n'avaient réussi à

le faire jusqu'alors , sa puissance et sa splendeur.

La société de la foi, ouvertement tolérée ou plutôt favo

risée par le saint -siége , et tacitement approuvée par Pie VII ,

procéda à son cuvre en faisant jouer dans l'église du

Caravita des scènes publiques , passablement grotesques ,

entre un ignorant que le père Paccanari, nous ont assuré

des témoins auriculaires , représentait au naturel , et un

docteur qui l'instruisait dans les vérités de la foi chrétienne.

Ce fut dans cet intervalle que l'archiduchesse Marianne mit

le nouveau missionnaire à la tête de son conservatoire , ce

qui le brouilla avec les jésuites dont la règle défend aux

membres de la compagnie de se charger , sous aucun pré

textc , de la direction des couvents de filles. Paccanari cessa ,

à cette occasion , de correspondre avec les chefs de la com

pagnie de Jésus. Au reste , l'ancien soldat , chez qui la sou

tane n'avait pas étouffé les habitudes de caserne , ne tarda

guère à se faire , au sein du troupeau de la princesse alle

mande , une espèce de sérail qu'il recrutait sans cesse en

choisissant les jeunes filles qui lui convenaient parmi celles

qui assistaient aux conférences du Caravita , et qu'il faisait

admettre au conservatoire. Déjà les paccanaristes s'étaient

répandus avec leurs Bien -aimées , en Italie , en France , en

Allemagne et jusqu'en Angleterre . Hors de l'Italie , et sur

tout en France , ces nouvelles religieuses prirent le nom de

Dames du sacré cæur qu'elles portent encore aujourd'hui,

sans probablement se douter le moins du monde de la source

impure à laquelle elles ont puisé leur qualification et leur

origine. Quoi qu'il en soit , des aveux faits en confession


288

par une des protégées de la princesse Marianne dévoilèrent

ce qui se passait au conservatoire et firent dissoudre la con

grégation des pères de la foi : Paccanari , convaincu d'avoir

abusé de son ministère , fut enfermé au saint- office.

L'invasion française ayant eu pour suite la suppression

de l'inquisition , le général Miollis , gouverneur des anciens

états romains, fit mettre les détenus en liberté ; le père Pac

canari était du nombre . Il trouva un asile auprès de son

ancienne protectrice , dans un pavillon (casino) situé der

rière le palais Salviati que l'archiduchesse autrichienne oc

cupait, entre le jardin botanique et le couvent de Sant

Onofrio . Paccanari y vécut en prêtre séculier comme il

avait vécu lorsqu'il était soumis à la règle monastique. La

preuve en est que , pendant l'occupation française, il fut

traduit devant le tribunal correctionnel pour attentat à la

pudeur sur la personne de son domestique. Peu après cette

scandaleuse affaire, le pavillon habité par le père Paccanari

fut , un matin , trouvé dévalisé et vide , et on n'entendit plus

parler de ce prêtre . Seulement la découverte d'un cadavre

rejeté par le Tibre , et qui à certains signes fut reconnu pour

être celui de Paccanari , quoique la tête cût été séparée du

tronc , fit supposer que , surpris dans quelque sale aventure ,

il avait péri de mort violente , victime d'une vengeance

privée .

Après la mort de leur étrange fondateur , les ex -pacca

naristes demandèrent au père Angelini, agent à Rome des

jésuites rétablis à Naples, la faveur d'être reçus en corps

dans la compagnie de Jésus . Le père Angelini ne consentit

à les recevoir qu'individuellement et après un examen par


289

ticulier . La fusion du paccanarisme avec le jésuitisme eut

lieu lors de la restauration définitivement et ostensiblement

canonique de la fameuse compagnie par Pie VII , ct sous

l'influence de son général , le père Panizzoni ( 1824 ) . Cette

mesure fut loin d'être généralement approuvée par les jé

suites ; le mécontentement éclata surtout à l'occasion de

l'élection d'un nouveau chef , et menaça l'ordre renaissant

d'un schisme qui eût été sa perte . Les jésuites radicaux

ou purs ne voulaient ni des paccanaristes ni de leurs parti

sans . Les paccanaristes l'emportèrent, ct plusieurs ultra

jésuites furent expulsés de la compagnic , nommément les

pères Pancaldi , Rezzi , etc. , etc. Nous reprenons mainte

nant le récit des négociations pour la réconciliation entre le

pape et Ricci .

Le cardinal Spina s'était engagé à les faire aboutir , en dé

pit du cardinal Consalvi qui , disait - il , y mettait obstacle , et

prenait à tâche de maltraiter l'ancien évêque à l'insu du

pape quoique en son nom ; exactement comme l'évêque

Grégoire nous montre que , à l'époque de la conclusion du

concordat avec la France , le même Spina , alors simple

prélat , avait empêché la réconciliation du pape et des évê

ques constitutionnels qu'il insultait au nom de Pie VII , bien

que celui -ci eùt enjoint de les traiter avec douceur et avec

égard . Une complication de circonstances malheurcuses se

joignit à ces intrigues pour faire que le pape traversåt Flo

rence sans voir Ricci . Le cardinal Fesch conseilla alors à

l'ancien évêque de Pistoie d'écrire au souverain pontiſe à

Paris . Ricci le fit, toujours en confirmant ses protestations

accoutumées .


290

Pie VII , sans répondre directement à la lettre de Ricci , fit

avertir le prélat toscan qu'il se réservait de terminer cette

affaire personnellement et de vive voix , lors de son retour de

France . La reine en fit témoigner sa joie à l'évêque qui , de son

côté , s'empressa d'aller la remercier . Les choses semblaient

ainsi se disposer de la manière la plus favorable pour amener

finalement le résultat désiré . Ricci s'en flattait d'autant plus

que le pape , qui avait exigé d'abord des évêques constitu

tionnels de France une rétractation contraire à leurs prin

cipes et aux maximes de l'église gallicane , s'était contenté en

dernière analyse d'une déclaration d'orthodoxie et de sou

mission à l'église ct au pontiſe souverain . Il espérait pour lui

la même faveur. Mais les circonstances étaient bien diffé

rentes . Le gouvernement français était redoutable ; le pape ,

forcé de lui céder , en devint d'autant plus exigeant avec ceux

qui , loin d'être soutenus par un pouvoir énergique , étaient

au contraire harcelés et tourmentés de toutes parts pour

qu'ils se prostituassent aux volontés et aux caprices de la

cour de Rome .

Le pape arriva à Florence au commencement de mai 1805 .

Son rôle avait été tracé d'avance : aussi ne fut-ce qu'après

trois jours , c'est- à -dire la veille même de son départ pour

ses états , qu'il envoya le vice- gérent prévenir Ricci qu'il

désirait le voir et l'embrasser ,

mais que leur entrevue no

pouvait avoir lieu qu'après que l'ancien évêque aurait signé

une formule dont le vice-gérent était porteur . Cette for

mule contenait « l'acceptation pure et simple de toutes les

bulles et constitutions contre Baïus , Jansenius et Quesnel ,

depuis saint Pie V jusqu'alors ; celle de la bullc Auctorem

ne


291

fidei, condamnant quatre- vingt-cinq propositions , extraites

du synode de Pistoie , propositions que Ricci condamnait

dans le même sens et sous les mêmes qualifications expri

mées dans la bulle ; enfin la demande de la publication de

cette pièce en réparation du scandale . »

Nous avons déjà accusé Ricci de faiblesse : ce qui atténuc

singulièrement ce défaut pour lui , c'est qu'il ne s'y aban

donnait par aucun motif d'intérêt personnel . Lorsqu'il cédait

plus que lui -même ne croyait devoir céder , il le faisait par

amour pour la paix , par esprit de conciliation , sous la pres

sion des événements malheureux dont il subissait et s'atten

dait à subir longtemps encore le poids devenu trop lourd

pour lui . Quoi qu'il en soit , le guet -apens c'est le mot

propre qui était dressé en cette circonstance solennelle

avec une effronterie sans égale , le bouleversa à tel point

qu'il se trouva hors d'état de se décider par lui -même . Le

vice-gérent refusant de lui accorder un peu de temps pour

délibérer , ne répondant à aucune de ses demandes d'expli

cations , n'accueillant d'interprétations d'aucune sorte , ré

pétant à chaque instant que c'était , comme on dit vulgairc

ment , à prendre ou à laisser , l'infortuné prélat en référa

à

à ses amis , le chanoine Palmieri et l'abbé Fontani , qui

étaient présents : finalement, incapable de soutenir plus

longtemps cette torture morale , il se rendit aux conseils

des deux prêtres , et signa .

Il signa, lui -même nous l'apprend dans des réflexions

qu'il rédigea huit jours après , il signa qu'il avait changé d'o

pinions et de sentiments , quoique ses sentiments et ses opi

nions fussent toujours les mêmes .

>

>


292

Il ne gagna rien par cet acte qui lui avait tant coûté . Il

perdit une large part dans la considération des hommes qu'il

estimait le plus : il avait agi contre sa conscience éclairée

qui lui défendait de fléchir ; il avait obéi à sa conscience de

croyant, de chrétien , qui lui commandait de donner une

preuve éclatante d'humilité et d'abnégation en sacrifiant sa

raison à la déraison publique , afin que la concorde fût réta

blic . Les deux amis de Ricci , en l'exhortant à signer , avaient

surlout été mus par la crainte de voir l'évêque emmené à

Rome et livré à la vengeance des cardinaux , ses implacables

ennemis .

La honteuse conclusion de cette affaire refroidit beaucoup ,

à l'égard du prélat réconcilié , les partisans que Ricci avait

en France ; en se condamnant, il les avait condamnés tous,

et il avait condamné la constitution civile du clergé , le véri

table code du canonisme, issu en droite ligne de l'opposition

appelante ou parlementaire, du protestantisme gallican et

du puritanisme janseniste. L'évêque Grégoire fut le dernier

qui soutint son collègue de Pistoie , à qui Rome, la fourbe,

avait fait accepter une véritable rétractation de tout son

passé , comme si ce n'avait été qu'une déclaration de bonne

foi pour ce passé et de soumission pour l'avenir.

La signature obtenue, le pape accueillit Ricci avec bonté .

La reine vint se mêler à leur entretien ; elle était accom

pagnée de monsignor Menocchio , confesseur de Pie VII , qui

commit l'inconvenance de complimenter Ricci sur ce qu'il

avait répudié le synode de Pistoie , « cause unique de tous

les maux qui, depuis près de vingt ans , affligeaient l'Eu

rope . »


- -

293

L'ancien évêque se vit bientôt entouré de gens dont la

plupart le félicitaient de son retour à la vraie foi. Pour

échapper à un empressement qui lui devenait de plus en

plus pénible , il se retira à la campagne ; là il apprit le

jugement qu'on prononçait sur le pas important auquel

il venait de se résoudre , et qui était interprété, tantôt

comme une abjuration de ses erreurs , tantôt comme une

déshonorante transaction pour acheter quelques années

de repos . Les deux jugements étaient également faux :

Ricci s'était rétracté , mais sans en avoir eu l'intention claire

et précise ; il avait sacrifié son propre repos à la paix de

l'église .

En cette occasion , comme dans toutes les circonstances de

sa vie agitée, l'évêque avait agi loyalement et avec fran

chise ; il le proliva surabondamment, en écrivant au pape

pour ratifier sa déclaration . Pie VIl obtint de son entou

rage de pouvoir en témoigner sa joie au sectaire rentré en

grâce , mais à condition de mêler à ses expressions de ten

dresse quelques mots durs et choquants. Ce fut pis encore

quand il rendit compte au consistoire des cardinaux de ce

qui s'était passé . Après avoir parlé des affaires de France , et

7

venant à celles de Toscane , il rapporta textuellement les

termes de l'écrit signé par Ricci . Puis il ajouta que , dans leur

première entrevue , l'évêque l'avait assuré que , même au mi

lieu de ses erreurs, il était toujours demeuré attaché à la foi

orthodoxe . Et il termina en disant que Ricci lui avait écrit

pour confirmer spontanément sa rétractation . Le prélat

attribue ces sourdes persécutions aux conseillers de Pie VII ,

qui le dominaient , et surtout au cardinal Consalvi , person

MÉMOIRES DE RICCI.

25

sometimes


294 -

nellement irrité contre l'évêque de Pistoie de ce que sa paix

avec le pape avait été conclue sans que lui , Consalvi , en eût

été le principal négociateur . Consalvi , nous dit Ricci , faisait

plus que dominer le pape ; il le tyrannisait .


CHAPITRE XLI .

Ricci s'occupe de miracles et d'indulgences. – Sainte Catherine . — Maladie

de Ricci . - Sa mort . Honneurs qui lui sont rendus. – Conclusion .

Un esprit aussi actif que celui de Ricci ne pouvait de

meurer longtemps sans entreprendre quelque chose . Aussi

n'y a - t- il d'étonnant au parti auquel il se détermina , que

de le voir se lancer précisément dans la voie qu'il avait

passé sa vie entière à trouver mauvaise , et faire lui -même

ce qu'il avait constamment condamné chez les autres . L'ad

versaire ardent des miracles ridicules se fit le propagateur

de ceux que nous allons rapporter , et celui qui avait dé

claré abusives les indulgences exagérées et multipliées de

manda au pape des indulgences plénières pour de nouvelles

fêtes qu'il s'ingéniait à instituer .

Il s'agissait de sainte Catherine de Ricci (sainte Catherine

de Sienne) , dont nous trouvons aux archives de la famille

>

...


296

l'histoire composée de faits tous plus merveilleux les uns

que les autres : nous ne citerons que le récit pour le moins

singulier du mariage de la sainte avec Jésus - Christ , célébré

le 9 avril 1542 , au point du jour , en présence de Marie ,

de sainte Madeleine , de saint Thomas d'Aquin et de plu

sieurs autres morts célèbres, glorifiés par l'église . Lorsque

la vision dont nous parlons s'était manifestée à Catherine, la

sainle , par ordre exprès de son confesseur , avait craché à

la figure de chacun des personnages célestes qui l'honoraient

de leur visite , afin de vérifier si ce n'était pas une illusion

de l'esprit malin . La cérémonie étant achevée par le don

d'une bague magnifique que Jésus passa au doigt de sa nou

velle épouse , il la baisa sur la bouche .

9

Environ quarante ans après , nous ne faisons que co

pier le document qui appartient aux archives Ricci, -sainte

Catherine fut transportée au paradis . Là Jésus fit l'extraction

du cœur de Catherine et remplaça ce viscère par le cour

de Marie . Depuis cette époque , sainte Catherine , à chaque

ravissement dont elle était gratifiée , allait directement

trouver Jésus-Christ et la très -sainte Vierge dans leur pro

pre demeure ; ce qui ne lui était pas arrivé auparavant .

Ces miracles et d'autres encore , par exemple celui qui

nous montre la Vierge posant l'enfant Jésus sur les genoux

de Catherine pour qu'elle le caressât , et celui où Jésus -Christ

s'arrachait de la croix devant laquelle la sainte dominicaine

priait , afin de se jeter dans ses bras , sont rapportés au bré

viaire , d'après la bulle de canonisation publiée par le

pape

Benoît XIV , Ricci ne négligea rien pour les faire valoir : il

donna à la fête de sa sainte parente toute la pompe imagina

.


297

ble , composa des oraisons pour l'invoquer , fit frapper desmé

dailles et graver des images entourées de légendes pieuses ,

pour être distribuées aux fidèles . Enfin , il obtint de Rome

les indulgences qu'il avait désirées ( février 1806 ) .

A dater de ce moment jusqu'à la fin de sa vie , Ricci ne

s'occupa plus que d'auvres de dévotion . Nous ne lui en

ferons ni un mérite , ni un crime . Nous constatons le fait,

pour justifier ce que nous avons dit de l'évêque de Pistoie

dès le début de ces Mémoires , savoir , que sa foi était aussi

vive que sincère , et qu'il était profondément religieux et

d'une piété rare à cette époque , surtout parmi ceux qui

l'avaient tant persécuté comme hérétique et mécréant .

La Toscane venait à peine d'être réunie à l'empire fran

çais (1806 ) , que l'ancien évêque sentit peu à peu ses forces

diminuer , et qu'il ne songea plus qu'à mettre ordre à ses

affaires . Il revint se fixer à Florence . Dans les derniers

temps de sa vie , il semblait n'être animé que de la crainte

de ne pas donner assez de preuves de son ardente dévotion :

il fondait en larmes aux pieds de son confesseur , demandant

à Dieu de lui pardonner ce qu'il avait pu mêler de motifs

humains aux intentions orthodoxes et vraiment religieuses

qu'il avait eues en réalisant ses réformes . Et quand il lui

était encore possible de dire la messe , ce qui n'arrivait plus

que fort rarement, il demeurait comme en extase , l'hostie

en main , après la consécration . Les calomnies dont on l'avait

abreuvé pendant sa vie se trouvaient réfutées par là , et

réfutées sans réplique .

Ricci expira le 27 janvier 1810 , après avoir reçu les se

cours ordinaires et extraordinaires de la religion .

à

25 .


298

Il lui arriva ce qui arrive communément aux hommes de

sa trempe : ceux-là mêmes qui l'avaient tourmenté et per

sécuté vivant , le comblèrent, une fois mort , d'honneurs et

de regrets. Le pape écrivit à sa famille ; le clergé toscan lui

prodigua toutes les pompes des services funèbres les plus

solennels ; le peuple en aurait presque fait un saint. Les

préjugés qu'il avait attaqués , peut-être trop tôt , et que le

grand -duc voulait à coup sûr trop brusquement et trop

brutalement faire disparaître , n'existaient déjà plus , du

moins pour la plupart , et ce qui en était demeuré , cédait

un peu chaque jour devant les améliorations qu'il avait si

vainement cherché à faire prévaloir . Ceux qu'elles avaient

le plus scandalisés alors , auraient maintenant été bien au

trement scandalisés si qui que ce fût s'était opposé à leur

exécution .

9

Les efforts de l'évêque Ricci et ceux du grand -duc , son

maître , pour réaliser despotiquement quelques réformes

malgré le peuple qui les repoussait , avaient eu les mêmes

résultats en Toscane qu'eurent presque immédiatement après

en France et ailleurs , les efforts de la bourgeoisie qui rua

avec violence le peuple sur le pouvoir s'opposant légalement

à ce que ces réformes fussent réalisées . Ces résultats , ce

furent d'abord la perturbation de l'ordre existant , et le

désillusionnement complet sur l'ordre meilleur qui devait

suivre ; ensuite , ce fut la découverte, de plus en plus sai

sissante , que le mal contre lequel la société se débat ne

cédera devant aucun des remèdes qu'on y applique, et dont

l'inefficacité, désormais mise hors de tout doute , le fait de

jour en jour plus vivement sentir et supporter plus impa


.

299

tiemment . La force ne peut rien contre ni même sur les

idées , et il n'y a jamais de véritable changement dans la

marche des choses qu'après que les esprits ont changé. Or ,

malgré la liberté qui sans cesse la bat en brèche, la force,

sous les dehors d'une opinion quelconque , règne encore

sans rivale et même sans contre- poids, ici au nom de

l'ordre établi , là au nom de l'ordre à établir , aujourd'hui

conservatrice , demain révolutionnaire , toujours relâchant

quelque peu le lien social , et préparant, et håtant ainsi le

moment où l'anarchie sera générale . Un seul remède mettra

un terme à ce cruel ballottement entre tant de maux

divers : ce sera l'acceptation et l'application de la vérité ,

imposée à tous les hommes par la nécessité de vivre en

société , et par l'impossibilité de s'entendre sur les questions

d'intérêt qui les divisent s'ils n'embrassent d'un commun

accord le principe dont l'incontestabilité doit n'être un

mystère pour personne .

>



CHAPITRE XLII .

Comparaison tre fin du dernier siècle et celui où nous vivons .

Les choses ont bien changé , depuis les événements que

nous avons rapportés dans les précédents chapitres .

On va vite maintenant : c'est une course folle qui se pré

cipite de plus en plus .

Nul n'est satisfait de son lot parce que personne ne croit

plus qu'il lui est imposé d'accepter ce lot comme un devoir

à remplir . Chacun en désire un autre et tous visent au plus

gros .

C'est un tourbillonnement de révoltes privées , de révo

lutions politiques, de bouleversements sociaux , qui se rap

prochent et se pressent de plus en plus , et qui rapportent de

moins en moins, si ce n'est une augmentation d'incertitude et

de trouble, un accroissement de misères et de douleurs .

Et la situation est forcée ; elle est fatale : il faut que les


302

nations prospèrent , que les individus s'enrichissent , sous

peine de périr , dussent les éléments dont se compose la

société , les principes sur lesquels elle se fonde, en demeurer

anéantis !

La prospérité de chaque individu coûte la vie à plusieurs

autres ; chaque nation qui s'enrichit appauvrit l'immense

majorité des membres dont elle se compose , et elle met les

autres nations sur la voie de leur ruine . Cela est incontes

table : mais l'individu qui ne gagne pas , meurt ; mais la

nation qui ne vit pas aux dépens du peuple , succombe avec

ce peuple . Ne faut - il pas que la civilisation se développe , et

notre civilisation peut- elle se développer autrement qu'en

favorisant le progrès du mal ?

Il n'y a qu’un peu plus d'un demi -siècle que les entreprises

de Léopold et de Ricci tenaient l'Europe attentive ; pendant

vingt-cinq ans elles troublèrent le repos de la Toscane . Au

jourd'hui , même en Toscane , elles seraient à peine remar

quées , et feraient hausser les épaules à ceux qui daigneraient

y avoir quelque égard . Les désordres des couvents de filles,

s'ils pouvaient encore se reproduire , exciteraient tout au plus

la curiosité des oisifs. La société offre des turpitudes bien plus

graves sous le rapport de la rupture de tout lien de famille ,

de la dépravation de tout sentiment constituant l'humanité .

Et le côté sérieux de la question , savoir ce qui est cause

de ces désordres , échappe à tout le monde . Car nul ne s'in

quiète de scruter cette question , nul d'ailleurs n'en a le

temps : la principale affaire de la vie , la seule affaire même ,

est d'amasser de l'argent afin de jouir de la vie .

Et les démolisseurs de la société , quand ils sont les plus


7

303

faibles , sont condamnés par des démolisseurs plus forts,

dans l'intérêt , disent ceux-ci , de l'ordre , de la morale et de

la religion ; ce qui fait rire tout le monde . Pendant ce

temps - là , la démolition ne s'arrête point .

Et les corrompus , mais qui n'ont pas de quoi dissimuler

lcur perversité , sontjugés et punis par des corrompus comme

eux , par de plus corrompus qu'eux, mais qui possèdent ,

ceux-ci , l'art d'enjoliver leurs vices , qui ont les moyens de

dorer leurs méfaits . La corruption ainsi gagne toujours .

L'église , depuis qu'on lui reconnaît le droit de faire des

sottises , dont elle seule , en définitive, porte la peine , a com

pris que la prudence lui ordonnait de ne sortir qu'à bon

escient des bornes entre lesquelles les idées du temps l'ont

restreinte . Aussi ne se montre- t -elle plus impérieuse qu'avec

les siens . Et encore est-elle obligée de se plier plus ou moins

aux exigences des siens mêmes , selon les lieux , les circon

stances , et surtout selon ceux sur lesquels il lui importe de

conserver son pouvoir .

Quant aux autres , qui vivent à côté d'elle comme s'ils

ignoraient qu'elle y fût, l'église est complétement dépourvue

de tout moyen d'agir . Elle peut les damner , ce qui ne les

effraye plus pour l'autre monde , et les flatte pour celui-ci ;

mais elle ne peut plus leur nuire , si ce n'est en quelques

détails de ménage , qu'on nous passe l'expression , petites

tracasseries qui dégradent le persécuteur plus encore

qu'elles ne vexent sa victime .

Si ce n'était de quelques aboyeurs qui sont à la piste de

ses moindres fautes pour les lui reprocher comme s'il était

de leur intérêt qu'elle n'en commit point, l'église agoniserait


304

sans bruit au milieu de son troupeau de fidèles, que le zèle

inconsidéré des dévots travaille chaque jour à décimer . Le

catholicisme restera ébranlé , mais debout , aussi longtemps

qu'une opposition quelconque le forcera à se roidir dans un

sens contraire aux efforts qu'on fait pour le renverser . La

liberté , mais une liberté entière , large , loyale , sans restric

tion déguisée , sans réglementation hypocrite d'aucune sorte ,

serait son arrêt de mort .

Les positions sociales sont nettement tranchées aujour

d'hui , et l'église n'en occupe ancunc à elle seule ; elle est

partout avec tout le monde , mais comme tout le monde

uniquement . La société a gardé les formes de sa vieille civi

lisation , mais rien que les formes extérieures : le fond est

beaucoup, est même radicalement simplifié . Plus de foi,

nous parlons de foi réelle , de foi vive , qui détermine non

seulement les actions , mais encore les intentions , les désirs ,

les pensées , et devant laquelle les passions fléchissent,

plus de foi, ni par conséquent de bonne foi ; car la bonne

foi, la droiture, doit reposer sur quelque chose, avoir une

sanction quelconque : or l'obligation de se dévouer pour le

bien des autres n'est pas encore démontrée , et générale

ment on a cessé de croire à cette obligation , qui naturelle

ment se trouve ainsi remplacée par celle de sacrifier les

autres à soi .

Plus d'autorité, de véritable autorité , bien entendu , qui

ne dérive pas de la force, et à laquelle la force ne fait jamais

défaut : car personne n'a mission pour faire prévaloir ses

idées par la parole qui les exposc , ses principes par le rai

sonnement qui les établit , sa règle de conduite par la sanc

2

2


305

tion sur laquelle il la fonde ; personne n'a d'autorité dans le

vrai sens du mot .

Et la raison ! Qu'est-ce que la raison ? Rien de précis , rien

de défini, de positif. C'est pour chacun ce qu'il préfère,

comme la vérité est ce qu'il pensc , le droit ce qu'il con

voite . Faites assister à ce pandémonium un Dieu quelconque,

soit pour qu'il veuille que les choses se passent ainsi , soit

pour qu'elles se passent ainsi sans qu'il l'ait voulu , mais

rien que ce Dieu , car le reste serait génant , et vous avez la

société actuelle trait pour trait.

La spéculation y entretient la vie , et les gendarmes y re

présentent la morale .

Deux camps bien distincts composent notre société : celui

des forts et celui des faibles . Les premiers imposent l'ordre ,

à leur convenance , aux autres qui ne l'acceptent point , mais

qui le subissent . Ces deux camps sont toujours les mêmes ,

quoique le personnel y change continuellement. Il y a de

part et d'autre un échange constant de ruse et de tromperie,

tantôt pour déguiser la violence , tantôt pour cacher la fai

blesse ; il y a des marches et des contre-marches sans fin ,

dont le but apparent est toujours l'opposé du but réel .

Mais , somme toute , la force l'emporte .

La force se inesure à la richesse acquise . Il en sera ainsi ,

tant que les pauvres ne s'apercevront pas qu'étant le grand

nombre , la force est à eux , et que par cette force ils peu

vent , quand ils veulent, prendre cette richesse où elle se

trouve , afin de conserver le pouvoir ... jusqu'à ce que

de nouveaux pauvres plus nombreux encore le leur enlè

vent .

:

26

9


306

C'est l'anarchie dans toute l'étendue de la signification

de ce mot .

La guerre est permanente entre ceux qui détiennent la

richesse et ceux qui la leur envient : cela est pour les peuples

comme pour les individus . Il n'y a suspension d'hostilités

que lorsque , pour le moment , on reconnaît un plus fort.

Aussitôt que sa force est contestable , elle est contestée , et

la lutte reprend . Les traités entre puissances , comme les

contrats entre particuliers , ne sont observés qu'aussi

longtemps qu'ils sont sanctionnés , soit par le danger qu'il

у aurait à les violer , soit par l'intérêt qu'il y a à les main

tenir .

C'est un cercle , nous ne dirons pas vicieux , mais infer

nal , dans lequel, sans en pouvoir sortir , il est irrésistible

ment imposé aux uns de vivre aux dépens des autres , à

ceux- ci de se prostituer aux premiers qui se les assimilent

pour ne pas en être dévorés .

Il n'y a plus là de place pour le jansenisme et le jésui

tisme , pour l'église et l'état , pour la religion , la morale, la

philosophie , la société .

Il y a ce qu'il y a ; et cela durera tant que cela pourra

durer .

7

:

2

FIN .


TABLE DES MATIÈRES .

Pages .

PRÉFACE 5

CHAPITRE PREMIER .

Naissance de Ricci

Sa famille .

Les Médicis.

La compagnie de Jésus

Crédulité de Ricci

Ricci , janseniste .

Séparation de l'église et de l'état .

.

13

ib .

14

15

ib .

16

17

CHAPITRE II .

Ricci , prêtre . .

Sa parenté avec le père Laurent Ricci , dernier général des jésuites .

Clément XIV , empoisonné .

21

ib .

22

CHAPITRE III .

Pie VI .

Appréciation de la cour de Rome par Ricci .

L'abbé Serao , plus tard évêque de Potenza .

Relations entre Ricci et l'ex-général Laurent

25

26

ib .

27


.

308

Frédéric le Grand et la grande Catherine accueillent et protégent

les jésuites supprimés .

Pages .

28

CHAPITRE IV .

Incontri , archevêque de Florence

Projet d'une académie ecclésiastique .

Le catéchisme janseniste substitué au catéchisme romain .

CHAPITRE V.

Introduction en Toscane des écrits jansenistes .

Publication par Ricci des æuvres de Machiavel .

Le droit d'examen et de discussion se consolide .

Le chanoinc Martini .

Ricci , évêque

Le diocèse de Pistoie et Prato .

L'évêque Ippoliti .

Abus des serments

Ricci et le pape.

Examen canonique de Ricci .

Son sacre .

CHAPITRE VI .

Il voudrait relever le diocèse de Prato .

Luttes de Ricci .

L'église de Toscane , sous les Médicis .

Sous les Espagnols

CHAPITRE VII .

Sous la maison de Lorraine .

Le grand -duc Léopold .

Conséquences de l'incompressibilité sociale de l'examen .

Indépendance de l'église et de l'état.

Réformes successives .

CHAPITRE VIII .

Révolte et obstination des religieuses dominicaines de Pistoie, sous

les évèques Alamanni et Ippoliti

29

30

ib .

31

ib .

32

33

35

ib .

ib .

36

37

ib .

ib .

38

39

40

ib .

ib .

41

42

43

44

47


309

Ricci

.

parvient à les calmer .

Le sacré ceur de Jésus .

Petites intrigues .

Ricci allaque la dévotion au sacré cour

Pages .

48

ib .

49

50

CHAPITRE IX .

Les jésuiles et les dominicains .

Désordres des religieuses dominicaines au xvile siècle .

Révélations faites par les religieuses mêmes . .

Découverte des mêmes désordres chez les religieuses de saint

François .

Mesures que prend le grand-duc .

Pie VI et sa cour protégent les religieuses .

51

52

ib .

55

ib .

56

CHAPITRE X.

Erreurs en matière de foi de deux dominicaines , à Pralo .

Ricci découvre leur impiété et leur inconduite .

Le grand -duc est instruit de tout

Intrigues des moines .

.

59

60

61

62

CHAPITRE XI .

Tout est mis en æuvre à Prato pour empêcher Ricci de parvenir à

ses fins.

Le père Calvi

Ricci rend compte au pape de ce qui se

Le

passe .

grand-duc confirme ces révélations .

Nouvelles découvertes .

Les deux sœurs sont transférées à Florence .

.

63

64

65

66

ib .

67

CHAPITRE XII .

Réflexions sur ce qui va suivre .

Audition générale de toutes les personnes habitant le couvent de

Sainte -Catherine à Pralo . 71

.

26 .

69


310

CHAPITRE XIII .

Pages .

Interrogatoire , textuellement rapporté , de la sæur Catherine-Irène

Bonamici . 79

.

CHAPITRE XIV .

Interrogatoire textuel de la seur Marie -Clodésinde Spighi.

Déposition d'une pensionnaire .

Nouvelles réflexions sur ce qu'on vient de lire .

87

96

97

CHAPITRE XV .

Impertinence des deux religieuses envers l'archevêque de Florence .

Elles abjurent le protestantisme .

Disparition de leurs papiers

La Bonamici embarrasse ses examinateurs.

Son mysticisme.

Sollicitations ad turpia , au confessionnal.

Ce que fait le grand -duc .

O

101

102

103

104

105

106

108

CHAPITRE XVI .

Les jésuites et les dominicains font agir le pape contre Ricci . 109

Preuves de la complicité de tout l'ordre de saint Dominique et du

saint- siége 110

.

CHAPITRE XVII .

Bref injurieux contre Ricei .

L'inquisition .

L'archevêque Martini .

Le grand -duc force le pape à céder .

Ricci chargé de la direction des dominicaines .

Fanalisme de cet évêque .

La cardiolâtrie convertie en emblème de libertinage .

Fin des deux dominicaines perverties .

Les dévots conspirent contre Ricci .

Martini entrave les réformes de Léopold .

.

115

ib .

117

118

ib .

ib .

119

120

ib .

121


- 311

Pages.

CHAPITRE XVIII .

La Montagne de Pistoie

Jansénisme de Rioci.

Permission de faire gras les jours maigres .

Ricci accorde des dispenses de son autorité privée .

Les prédicateurs de carêmes

Antagonisme entre Martini et Ricci .

123

124

125

126

ib .

127

CIIAPITRE XIX ,

Abolition des taxes payées au saint- siége.

L'inquisition privée de toute force coercitive .

Elle est abolie par Léopold .

Les images miraculeuses .

Via crucis.

Les olivétains

L'académie ecclésiastique.

129

130

ib .

131

ib .

132

133

CHAPITRE XX .

Les éludes théologiques dans les couvents .

Ignorance des moines .

Publications de Ricci .

155

136

137

CHAPITRE XXI .

Abolition des congregations de prêtres

Défense aux bénéficiers de se faire remplacer .

Les jours de Ricci sont menacés .

Madone miraculeuse .

Fautes de Léopold

Intrigues des dominicains.

Suppression des autels , hors un seul , dans chaque église .

Les abandonnées.

141

143

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ib .

145

146

147

148

CHAPITRE XXII .

Réflexions sur les réformes .

Léopold s'arrête devant le mécontentement général.

149

150


.

312

Abolition des confréries pieuses .

Le patrimoine ecclésiastique .

Pages.

150

151

CHAPITRE XXIII .

Projet de constitution pour la Toscane .

Réflexions du sénateur Gianni à ce sujet.

Dispositions préparatoires .

Principaux articles de la constitution .

CHAPITRE XXIV .

Contradictions dans le caractère du grand-duc Léopold .

Madone qui pleure

Dispenses de mariage .

Les communes frontières de Toscane soustraites à la juridiction

des évêques étrangers

Décision relative au sort des religieuses supprimées .

Statistique des couvents de filles en Toscane

CHAPITRE XXV .

Les confréries de charité .

Indulgences .

Ricci combat toute action temporelle de l'église sur l'état .

Les officialités .

Salaire du haut clergé .

Quêteurs des campagnes .

Obstacles .

Faiblesse de Ricci .

Son puritanisme .

Le serment des évêques

Cas de conscience .

CHAPITRE XXVI .

Chicanes tendant à ruiner le patrimoine ecclésiastique

Intrigues conservatrices .

Rachat des charges de messes et de prières.

.

154

ib .

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ib .

175

ib .

177

ib .

178

ib .

ib .

179

181

182

ib


.

313

CHAPITRE XXVII .

Synodes diocésains .

Un mandement d'évêque , supprimé .

Réflexions.

Articles de reforme , soumis aux évêques.

Léopold , théologien .

Il est accusé de toutes parts .

Visites diocésaines

Neuvaines nocturnes.

Garde-robe du patrimoine ecclésiastique.

. .

.

Pages .

185

186

ib .

187

ib .

188

189

ib .

190

CHAPITRE XXVIII .

Nécessité de démontrer désormais à la société ce que la société a

cessé de croire.

Ricci combat : le jésuitisme .

Le bréviaire .

Machinations

Synode de Pistoie

Opposition .

Duplicité de la cour de Rome .

Réponse des évèques au grand- duc .

Assemblée préparatoire au concile national .

.

.

191

192

ib .

ib .

193

194

195

ib .

196

CHAPITRE XXIX .

Statistique ecclésiastique de la Toscane

Marche rétrograde de l'assemblée des évèques .

Quelques-unes de leurs réponses au gouvernement.

199

200

204

CHAPITRE XXX .

Tactique des ennemis des réformes.

Menées cléricales .

Émeute à Pralo .

L'assemblée ecclésiastique est dissoute

Réflexions .

207

208

ib .

211

ib .


- 314

CHAPITRE XXXI .

Pages .

L'opposition devient menaçante .

Le peuple abolit les réformes .

Apologie de Ricci .

Sa fermeté .

Publication des actes du synode de Pistoie et de l'assemblée de

Florence .

Commissions papales pour juger Ricci .

215

217

ib .

218

ib .

219

CHAPITRE XXXII .

Mort de Joseph II .

Espérances de la cour de Rome .

Illusions de Ricci .

.

Réflexions.

Léopold quitte la Toscane .

Insurrection du diocèse de Pistoie et Prato .

Florence suit cet exemple .

La démission de Ricci est acceptée par le grand -duc Ferdinand III .

Petites vexations .

223

224

ib .

225

226

227

228

229

ib .

CHAPITRE XXXIII .

Conduite odieuse de l'évêque Falchi , successeur de Ricci .

Le pape prêche le massacre des Français .

Ceux qu'il n'avait pu faire tuer , il les déclare ses meilleurs amis.

Ricci , en rapport avec le clergé révolutionnaire de France .

Condamnation du synode de Pistoie .

La bulle Auctorem passe inaperçue .

Réflexions.

.

231

232

233

234

236

ib .

238

CHAPITRE XXXIV .

Proclamations sanguinaires et incendiaires du pape .

Miracles à Ancône

Paix de Tolentino

Rome devient république .

241

242

243

ib .


315 -

Pages .

Elle se fait réformatrice .

La Toscane envahie .

244

245

CHAPITRE XXXV .

Défaites des Français en Italie .

Miracles anti - français en Toscane

Les Arétins à Florence .

Ricci est arrêté .

Atrocités .

Motifs de l'emprisonnement de Ricci .

Martini abuse de la faiblesse du prélat délenu .

247

248

249

ib .

250

251

ib .

CHAPITRE XXXVI .

Malheurs de l'Italie .

Les Bourbons de Naples

Cruelles persécutions .

Guerre contre les Français .

République parthénopéenne.

Terrorisme monarchique .

Emma Hamilton .

Caroline d'Autriche .

253

254

255

257

ib .

259

261

262

CHAPITRE XXXVII .

Les Arétins sont renvoyés par les Allemands

Ricci en liberté .

Gouvernement sénatorial .

Ricci est arrêté de nouveau .

Le père Bardani .

Vexations monacales .

Jérôme Savonarole .

Ignorance d'un professeur.

265

266

ib .

267

ib .

268

270

ib .

CHAPITRE XXXVIII .

Persécutions de famille

Duplicité des ennemis de Ricci .

271

ib .


316

On l'envoie malade à sa villa

Tracasseries.

Procès de l'ancien évêque .

Pages.

272

273

274

CHAPITRE XXXIX .

Rieci écrit à Pie VII .

Le crime de réformation des abus .

Consalvi , cardinal secrétaire d'état .

Les quatre chefs d'accusation contre Ricci .

Il est acquitté par le relour des Français en Toscane .

Le roi d'Étrurie.

.

CHAPITRE XL .

Abolition de toutes les réformes .

La reine Marie-Louise .

Le père Paccanari

Intervention du cardinal Spina en faveur de Rieci.

Rétractation de celui-ci

Jugement sur cet acte.

.

275

ib .

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283

289

290

291

CHAPITRE XLI .

Ricci s'occupe de miracles et d'indulgences.

Sainte Catherine .

Maladie de Ricci .

Sa mort

Honneurs qui lui sont rendus .

Conclusion .

295

ib .

297

ib .

298

ib .

CHAPITRE XLII .

Comparaison entre la fin du dernier siècle et celui où nous vivons. 301

FIN DE LA TABLE .



Bruxelles .

A. LABROUE ET C ° , imprimeurs ,

36 , rue de la Fourche.

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