Evèque Ricci (1830, Louis de Potter)
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MÉMOIRES i
DE
SCIPION DE RICCI
1
ÉVÊQUE DE PISTOIE ET PRATO
Sous le règne de Léopold d'Autriche, grand -duc de Toscane.
PAR DE POTTER .
TROISIÈME ÉDITION BELGE , ENTIÈREMENT RECONDUE
SUR UN NOUVEAU PLAN .
Tout pouvoir qui n'est pas basé sur
la raison , qui est sans frein el sans
contrôle , aboutit nécessairement à
des monstruosités . *
DE POTTER , le Système catholique.
( Sous presse .)
JERSEIENS
ROOMS ẠLOHEN
SA
BRUXELLES ,
A. LABROUE ET COMPAGNIE , IMPRIMEURS ,
RUE DE LA FOURCHE , ' 36 .
S.ut
1857
PRÉFACE .
Le candide et pieux évêque dont nous retraçons la vie ,
avait assemblé beaucoup de matériaux , et des matériaux
pour la plupart d'un grand intérêt et uniques dans leur
genre ; il avait formé le projet de publier lui -même ses
Mémoires . Mais , détourné de ce soin par d'incessants tra
vaux , par une carrière agitée , et finalement par des per
sécutions sans nombre et de longs chagrins, il ne laissa
que quelques pages de sa propre rédaction , et tout ce
qu'il fallait pour faire du reste , en le coordonnant , une
histoire complète des réformes religieuses tentées en Tos
cane par le grand - duc Léopold .
La bibliothèque entière et les riches archives de la
famille Ricci ayant été mises à notre disposition pendant
MÉMOIRES DE RICCI . 1
6
l'année 1823 , nous y puisâmes , sous les yeux des deux
neveux du prélat , et de leur commensal , l'ami constant
et éclairé de la maison , les documents authentiques qui
ont servi à composer ce livre . Il est superflu de dire que
MM . Ricci savaient ce que nous avions l'intention de faire
de ce travail . Mais il peut être bon de ne pas laisser
ignorer que l'ami de la maison , qui n'était autre que le
comte Fossombroni , alors premier ministre du fils de
Léopold , le grand-duc Ferdinand III , nous approuvait
fort , et nous encourageait sans cesse à poursuivre une
entreprise dont personne en Toscane n'aurait pu s'occu
>
2
per sans péril .
La vie de Scipion de Ricci fut publiée à Bruxelles pour
la première fois en 1825 ( 3 vol . grand in -8° ) , et pour
la seconde , l'année suivante , édition revue et augmentée
( 3 vol . in -18 ) . Ces deux éditions , les seules que l'auteur
avoue, épuisées depuis longtemps , ne sont plus dans le
commerce de la librairie .
Avant de faire paraître la Vie de Ricci en Belgique ,
pour laquelle , semblait- il à l'auteur , elle offrait peu
d'utilité à une époque où l'on y avait bien plus à redouter
le despotisme gouvernemental que les intrigues des jé
suites , le manuscrit fut présenté aux éditeurs parisiens
dont pas un seul n'osa l'accepter. Il est vrai qu'alors en
France les jésuites étaient plus menaçants que le pou
voir .
Néanmoins , à peine l'ouvrage fut- il sorti des presses
7
belges , qu'on le réimprima à Paris , en contrefaçon . Cette
édition française, que la peur avait fait tronquer dans ses
parties principales et ses passages les plus saillants , fut
cependant étendue en quatre volumes . La vie de Ricci
obtint en outre les honneurs de la traduction : elle fut
publiée en allemand ( Stuttgard , 1826 , 4 volumes ) et en
anglais ( Londres , Colburn , 2 volumes ) .
Comme de raison , les dévots ne pouvant crier à la ca
lomnie , crièrent au scandale; nous leur répondimes avec
l'évêque toscan dont nous ne faisions d'ailleurs qu'exé
cuter le dessein : « J'ai pensé que l'amour de la justice et
de la vérité rendait indispensable la rédaction de ces Mé
moires. J'étais le seul qui pût raconter certains faits
importants, et mettre au jour quelques pièces qui , jus
qu'alors, avaient été complètement ignorées , ou sur les
quelles on avait le plus grand intérêt à garder le silence .
Le public cependant avait droit à la révélation de ces
faits , que je rapporterai en les appuyant , non sur des
bruits vagues et peu sûrs , mais exclusivement sur des
documents vrais et irrefragables. Peut- être que cette
franchise hardie déplaira à ceux qui voudraient qu'on les
épargnât aux dépens des autres ; mais je ne puis ni ne
veux commettre une injustice manifeste , en supprimant
les vérités les plus nécessaires que l'on sache , afin que
la postérité bien informée traite chacun comme il le
mérite . »
Et pour ce qui est du honteux éclat ,
nous ajouterons,
- 8
avec le pape saint Grégoire le Grand, que , lorsqu'il s'agit
de rendre témoignage à la vérité , il faut compter pour rien
le scandale qui en peut naître . Le blâme qu'emportent
des actes coupables, retombe de tout son poids sur ceux
qui les ont commis , et ne saurait atteindre l'historien
qui signale le mal afin qu'on ne le commette plus à
l'avenir .
D'ailleurs, il n'y aura de scandalisés que ceux qui au
ront voulu l'être. Nous ne prenons personne au dépourvu :
de même que , dans la préface du Résumé de l'Histoire du
christianisme, nous avertissons que le livre peut être mis
aux mains de tous , sans distinction d'âge ni de sexe , de
même nous nous faisons un devoir de déclarer ici que les
Mémoires de l'évêque de Pistoie et Prato ont été spéciale
ment écrits pour les hommes sérieux , aux yeux desquels
il est bon de mettre à nu les plus dégoûtantes plaies de
la société afin de les convaincre qu'il faut y appliquer
fer et le feu . En effet, en abrégeant notre grande Histoire
du christianisme, nous en avons retranché les passages
qui n'intéressaient que les érudits , curieux de tout savoir ;
il nous a été impossible de faire de même en refondant
la vie de Scipion de Ricci . Les documents qu'il eût fallu
éliminer sont précisément ceux qui , comme nous venons
de le dire , donnent à l'ouvrage la seule valeur dont il
soit susceptible . Nous répétons donc et avec intention :
Que celui qui a les oreilles plus chastes que l'évêque Ricci
s'abstienne de nous lire , et si , après nous avoir lu , il
9
croit avoir à se plaindre,
nous .
que du moins ce ne soit pas de
Un mot maintenant sur cette troisième édition belge
des Mémoires de Ricci . Elle contient exactement les
mêmes faits que les deux éditions précédentes, et tous les
faits consignés dans ces éditions ; mais la matière y est
disposée dans un autre ordre , et le récit, débarrassé de
toutes les considérations étrangères au sujet, en est de
venu plus rapide et, par conséquent , plus précis , plus
concis . Les pièces à l'appui , qui avaient été rejetées dans
les notes , sont ramenées au texte même, et font corps
avec l'ouvrage . Les expressions qui eussent été choquantes
pour des oreilles françaises, ont été supprimées et rempla
cées par les mots équivalents italiens ou latins , empruntés
à l'original et qu'aurait employés le religieux et crédule
évêque . Nous n'avons pas cru devoir pousser le scrupule
plus loin .
Enfin , lorsqu'il arrive que nous croyions devoir appré
cier les événements que , communément, nous ne faisons
qu'exposer , les jugements que nous en portons aujour
d'hui different essentiellement, nous devons en prévenir ,
de ceux que nous émettions il y a trente ans . Il n'y a là
rien d'étonnant. L'auteur a subi , dans cet intervalle de
temps , si riche en enseignements de toute espèce , une
transformation complète : du xvil siècle , il est passé au
xix® , où le besoin d'un nouvel ordre social , fondé sur la
raison , est plus vivement senti qu'on ne sentait cin
>
1 .
10 -
quante ans plus tôt , le besoin de déblayer le terrain des
contradictions que le temps avait signalées dans l'an
cienne organisation de la société . L'auteur a , pendant
toute sa vie , combattu la foi qui , depuis qu'il n'est plus
possible de comprimer la discussion et d'empêcher le
doute , est devenue incapable de maintenir l'ordre parmi
les hommes réunis . D'abord il l'a fait de sentiment ;
maintenant il se rend compte des motifs qui le portent à
persévérer dans cette guerre aux doctrines non démon
trées , et par conséquent il en est d'autant plus animé à la
poursuivre .
Seulement , distinguant les époques , il rend sincère
ment hommage aux bienfaits que la foi, pendant des siè
cles , a répandus sur le monde ignorant et docile ; il re
connaît que la soumission sincère à une autorité révélée ,
que la résignation consciencieuse à l'ordre établi, quelles
que fussent les souffrances dont cet ordre était cause ,
pouvaient alors , exclusivement à tout autre principe de
stabilité , sauver le monde de l'anarchie et de la décom
position .
Et il respecte les hommes qui , en dépit de l'évidence
rationnelle , se flattent encore de ramener cette autorité
avec l'ordre dont elle est la base , en restaurant les
croyances déchues . L'amour de la conservation les aveu
gle ; l'incertitude toujours croissante des esprits et la
désorganisation sociale en progrès accéléré ne leur des
silleront les yeux que trop tôt .
- 11
Quant à ceux qui prétendent conjurer le désordre par
la confusion même , qui se flattent de faire contribuer les
passions individuelles au bien commun , en les affranchis
sant de plus en plus de toute règle commune , nous n'a
vons rien à leur dire : l'anarchie seule pourra faire
tomber les cataractes qui leur cachent la vérité.
MÉMOIRES
DE
SCIPION DE RICCI
ÉVÊQUE DE PISTOIE ET PRATO .
CHAPITRE PREMIER .
Naissance de Ricci . Sa famille .
Jésus . Crédulité de Ricci .
l'église et de l'état .
Les Médicis . La compagnie de
Ricci , janseniste .
Séparation de
Scipion de Ricci naquit à Florence le 9 janvier 1741 .
Il était le troisième fils du sénateur président Pierre -Fran
çois de Ricci , ct de Marie -Louise, fille de Bettino Ricasoli ,
baron de la Trappola et Rocca Guicciarda , et capitaine de
la garde suisse du souverain de la Toscane ,
La famille des Ricci était fort ancienne . Robert de Ricci
s'était rendu fameux par ses débordements et ses crimes
dans la seconde moitié du xviº siècle , sous la protection
du grand-duc François de Médicis , amant d'abord , puis
mari de la courtisane vénitienne Bianca Capello . La cor
- 14
ruption , l'assassinat, l'empoisonnement régnaient en Tos
canc avec l'opulente maison des négociants florentins, qui
avaient acheté le droit d'exploiter leurs concitoyens en les
dominant . Alexandre de Médicis , le premier duc , bâtard
du duc d'Urbin ou du pape Clément VII , bâtard lui -même ;
Alexandre , disons-nous , soutenu par Charles- Quint, dont
il avait épousé une fille naturelle , ouvrit celte ère gouver
nementale de débauche et de forfaits : son successeur Côme ,
créé grand-duc , fut le Tibère de la Toscane . Après avoir
tué Sforza Almeni , son favori, qui avait trahi le secret de
ses vices , Côme de Médicis laissa après lui un recueil de
recettes pour composer des poisons . Il était fort lié avec le
pape saint Pie V , auquel il sacrifia Pierre Carnesecchi ,
suspect d'opinions hétérodoxes . Ce fut pour le grand -duc
François , fils de Côme , que Robert de Ricci assassina Pierre
Bonaventuri , le mari de Bianca Capello , qui n'était encore
alors que la maîtresse du prince .
Jean-Gaston , le dernier des Médicis , ne pouvant léguer
la Toscane aux sicns , résolut de lui rendre la liberté . Mais
les moeurs publiques n'étaient plus à la hauteur des insti
tutions républicaines . Aussi les souverains d'Europe eurent
ils peu de peine à imposer de nouveaux maîtres à la Tos
cane . Nous voyons ici reparaître les Ricci . Ils étaient en
défaveur auprès de la famille régnante de Lorraine , contre
laquelle ils avaient pris parti en combattant pour la cause
des Bourbons d'Espagne . Les oncles du jeune Scipion n'a
vaient donc rien à espérer pour lui de la cour d'Autriche :
ils envoyèrent leur neveu , dès l'âge de quinze ans , à Rome ,
étudier sous les jésuites .
à
1
15
La compagnie de Jésus , qui a fait tant de bruit dans le
monde et qui l'effraie encore par le préjugé de son an
cienne réputation , était alors au plus haut point de sa puis
sance , mais aussi au bord du précipice où elle allait s'en
gloutir. La mère de Scipion n'aimait pas les jésuites , et le
prêtre qui jusqu'à ce moment lui avait servi de précepteur ,
leur était positivement contraire . La nécessité de le placer
avantageusement, comme on s'exprime , et d'une manière
honorable l'emporta néanmoins sur toute autre consi
dération , et Ricci devint le disciple de la compagnie de
Jésus .
Mais , soit que des idées préconçues l'eussent mal disposé
à l'égard des jésuites , soit que réellement il découvrit chez
eux des doctrines et des maximes de conduite qu'il ne pou
vait approuver , toujours est- il qu'il finit par se lier , à Rome
même , avec les antagonistes les plus déclarés de la com
pagnic , et que lui -même nc tarda pas à augmenter leur
nombre .
Scipion de Ricci était loin cependant d'être imbu des
principes philosophiques qui commençaient à percer à
son époque . Il était profondément convaincu de la vérité
des croyances dans lesquelles il avait été élevé , ce qui , joint
à une tendance marquée à la crédulité , le prédisposait sin
gulièrement aux aberrations superstitieuses . Il nous ra
conte naïvement qu'étant encore chez les jésuites , il lui
vint au genou une tumeur qu'aucun remède ne parvenait
à guérir . Déjà les médecins allaient faire procéder à l'am
putation de la cuisse , lorsque le malade s'avisa d'appliquer
sur le mal une image représentant le vénérable Hippolyte
1
-
16
Galantini , un des frères de la doctrine chrétienne, connus
sous le nom de Bachettoni . Sa confiance était sans bornes ,
sa foi robuste , et le mal probablement moins grave que les
médecins ne l'avaient supposé . Ricci fut bientôt guéri , et
guéri , il en demeura persuadé , miraculeusement .
Il avait été soigné chez le chanoine Bottari , regardé par
les jésuites comme le chef des jansenistes à Rome . Sa con
version à la triste et sévère doctrine de Jansenius y fut
rendue irrévocable . Elle avait été préparée par le dégoût
que lui inspiraient le molinisme, le congruisme, la science
moyenne , à l'aide de laquelle Dieu voit les futurs contin
gents , et autres notions creuses qui servaient aux jésuites
pour réſuter les raisonnements tout aussi vides de sens des
disciples de l'évêquc flamand . Il ne s'en montra pas moins
juste envers les pères Boscowich , Lazzeri et Benvenuti , ses
professeurs d'histoire et de sciences exacles , auxquels
il ne cessa jamais de témoigner sa reconnaissance et son
estime ,
Nous ne passerons pas sous silence un autre trait de la
simplicité et de la piété du jeune Scipion , qui suffirait seul
pour faire connaître le fond de son caractère . Il avait vu dans
une prophétic de saint François Borgia la promesse faite à
tous les membres de la compagnie de Jésus , savoir celle du
salut éternel , qui leur était assuré du moment et pour cela
seul qu'ils se faisaient jésuites. Comme il était encore plus
désireux de gagner le paradis qu'il n'avait d'aversion pour
contradiction étrange pour un esprit
aussi logique - y menait avec certitude , il se décida à se
faire affilier à la compagnie célèbre . Dès qu'ils eurent con
le jésuitisme qui -
- 17
naissance de ce projet, ses parents , probablement moins
confiants que lui dans saint François Borgia , le rappelèrent
en Toscane .
Entré à l'université de Pise (1788 ) , Ricci , après avoir
terminé ses études profanes, alla faire son cours de théo
logie à Florence , sous les moines bénédictins du Mont-Cas
sin , où le père Buonamici était lecteur . Il y embrassa
définitivement la doctrine augustinienne, - c'était le jan
sénisme déguisé sous une terminologie orthodoxe , --- qui
se composait de deux parties distinctes : l'une spéculative
concernant la grâce , ou la prédestination , ou le fatalisme ,
qui, ergoterie à part , sont une seule et même chose ; l'autre
pratique , qui faisait refuser à l'église , non -seulement toute
autorité , mais encore toute intervention dans les affaires du
monde , et borner strictement son pouvoir et son influence
aux intérêts de la conscience et aux choses de la religion .
Cette dernière idée , faisons -le remarquer en passant, était
dépourvue de tout sens rationnel, et n'avait pu être inspirée
que par l'incompatibilité de l'examen qui s'imposait , avec
la foi qui s'évanouissait ; de l'instruction qui échappait à
toute direction , avec l'éducation que l'instruction absorbait
de plus en plus ; du besoin en un mot de démolir pour
réformer , avec la nécessité de conserver pour vivre .
La doctrine embrassée par Ricci n'en était pas moins ir
réprochable pour les hommes de son époque, qui la récla
maient avec instance , avec passion . Car il était désormais
impossible de maintenir l'unité sociale chrétienne dont le
catholicisme romain avait été la loi des lois pour la famille
des peuples de l'Occident . Mais on n'avait garde encore d'en
18
tirer la conséquence que c'était en même temps reconnaître
la mort du christianisme, pour la société du moins, puis
que cette religion y serait bornée à l'avenir au rôle très
secondaire d'une opinion pieuse, accidentellement professée
par tel ou tel peuple isolé , le plus souvent par une fraction
de ce peuple , et même par quelques individus , et qu'elle
demeurerait sans force pour soutenir et maintenir unies
les nations qui ne s'appuyaient plus sur elle .
On n'avait garde surtout de se demander comment on dis
tinguerait l'église de l'étal ; comment, en d'autres termes ,
on tracerait clairement et nettement la limite infranchis
sable entre les intérêts de la conscience , les choses de la
religion , comme on dit , et les choses de ce monde , les in
térêts de la vie . Y a - t- il une seule de nos actions qui ne
soit pas souverainement déterminée par nos sentiments ,
nos croyances , notre raisonnement , nos idées , en un mot
par notre conscience ? Et vouloir que l'état , auquel le moin
dre de nos actes importe au plus haut degré , abandonne à
l'église , dont il se sépare, le soin de régler nos pensées , de
diriger notre conscience dont ces actes procèdent ; puis dé
fendre à cette église , dont par conséquent l'éducation , l'in
struction , les moeurs , les habitudes, c'est- à-dire la conduite
tout entière de la vie , dépendent étroitement, lui défendre
de se mêler des choses de ce monde , des intérêts de la
société , n'est-ce pas poser une flagrante contradiction ,
n'est-ce pas demander l'impossible , vouloir l'absurde ?
Cependant c'est là notre état social actuel , et cet état , vu
les connaissances acquises à la société dans les intérêts de
la vie, et l'ignorance complète où elles nous laissent sur
)
7
1
19
les choses de la religion, ne saurait être que ce qu'il est :
aussi nous mène-t-il nécessairement, ou mieux logiquement,
là où mène tout défaut de raisonnement , toute absurdité ; il
nous mène par la confusion à l'anarchie .
à
CHAPITRE II .
Ricci , prétre . – Sa parenté avec le père Laurent Ricci , dernier général deg
jésuites . – Clément XIV , empoisonné .
Bientôt Scipion de Ricci fut ordonné prêtre (1766) et
presque immédiatement nommé chanoine et auditeur à la
nonciature de Toscane . Il s'y lia avec le chanoine Martini ,
qui , dit- il , le débarrassa de beaucoup de préjugés dont son
éducation , basée sur la théologie des décrétales , l'avait
imbu . En 1772 , il hérita des biens d'un parent de son père ,
nommé Corso de Ricci , chanoine pénitencier de la cathédrale
de Florence, et propre frère du dernier général des jésuites .
Corso de Ricci , quoique élevé par les jésuites comme l'avait
été Scipion , ne les aimait guère et avait beaucoup contribué
à leur aliéner son héritier futur . Il était surtout scandalisé
de leur morale , et ne pouvait leur pardonner la calomnie
du projet de Bourgfontaine : on appelait ainsi une préten
2 .
22
due conspiration de jansenistes pour renverser le christia
nisme (1621 ) ; cette conspiration dont les jésuites s'étaient
bien gardés de jamais nommer aucun des auteurs ou des
complices , avait été , disaient- ils , révélée au jésuite Filleau
par un ecclésiastique de mérite , sans autre désignation .
Ricci se trouva de cette manière en relation avec le gé
néral des jésuites dont la compagnie venait d'être supprimée
par le pape Clément XIV . Ce fut aussi au jeune chanoine
que le père Laurent s'adressa pour demander un asile dans
son hôtel à Florence. Ricci en référa au grand-duc , qui ne
s'opposa pas à ce que le général déchu vînt habiter ses
états et même sa capitale . Toutefois, Léopold , qui savait à
quoi s'en tenir , ajouta en souriant : « Je ne crois pas qu'on
lui permette de quitter Rome . » En effet, Laurent Ricci,
gardé à vue au collége anglais , ſut bientôt transféré au
château Saint-Ange , où il mourut. Le pape Ganganelli l'a
vait précédé un an auparavant .
« La relation de sa maladie ( de Clément XIV ) et de sa
mort , dit Ricci , envoyée à la cour de Madrid par le ministre
d'Espagne auprès du saint-siége , contient la preuve non
équivoque que le pape avait été empoisonné . Néanmoins ,
ni les cardinaux , ni le nouveau pontife ne firent faire au
cune enquête sur cet événement .
L'accusation est aussi positive que grave . Rapportons en
quelques lignes les preuves sur lesquelles le futur évêque
de Pistoie se fondait .
Elles sont contenues dans un écrit conservé aux archives
Ricci, et qui fut publié à Florence en italien et en latin ( 1778) ,
sous le titre suivant : Histoire de la vie, des actions et des
1 )
2
23
vertus de Clément XIV . Avant la relation de la maladie et
de la mort de Ganganelli , communiquée à la cour d'Espagne ,
l'écrit en question présente une espèce d'énumération des
plus grands crimes attribués aux jésuites , en Angleterre ,
en Portugal , en France , en Hollande , à la Chine , au
Japon , etc. , et nommément une tentative d'empoisonnement
sur l'empereur Léopold jor , l'empoisonnement d'Inno
cent XIII , etc. , etc .; puis viennent les bruits répandus sur
la mort prochaine du pape , les trames ourdjes contre lui ,,
les menaces qu'il entendait sans cesse répéter de toutes
parts , son affaissement moral, la prostration de ses forces,
les symptômes de son mal , sa mort , le procès -verbal de
son autopsie , et les signes d'intoxication apparus sur son
cadavre . Nous indiquons les pièces du procès ; c'est à la
postérité à prononcer la sentence .
-
CHAPITRE III .
Pie VI . --- Appréciation de la cour de Rome par Ricci . L'abbé Serao ,
plus tard évêque de Potenza . Relations entre Ricci et l'ex -général
Laurent , —- Frédéric le Grand et la grande Catherine accueillent et pro
tégent les jésuites supprimés .
Le cardinal Ange Braschi, créature des jésuites et un
moment soupçonné d'avoir été l'instrument de leur ven
geance , succéda à Clément XIV , sous le nom de Pie VI .
« Il est à supposer , dit Ricci , que les princes de la maison
છે
de Bourbon , avant de dissoudre le conclave , l'obligèrent à
promettre de ne jamais rétablir la compagnie de Jésus , et
de tenir le général en prison . » En effet, c'est la logique
des passions : la lutte entre la force du pouvoir civil et
l'autorité de la puissance religieuse avait été longue et sur
tout vive et acharnée ; les rois s'étaient vus plus d'une fois
vaincus et humiliés . Devenus les maîtres , ils humiliaient et
frappaient à leur tour .
9
26
Le chanoine Ricci alla à Rome pour assister aux cérémo
nies de l'exaltation du nouveau pontiſe . Parent du dernier
général des jésuites,protégé par le cardinal toscan Torrigiani ,
qui était dévoué à la compagnie éteinte , et estimé pour son
équitable modération au milieu des deux partis qui divi
saient l'église , rien ne fut négligé pour attacher Scipion de
Ricci à la cour romaine ; mais il repoussa les offres les plus
brillantes parce que — c'est lui qui parle “ je sentais
que , dans aucun lieu du monde , le projet de faire ce qu'on
appelle fortune n'est aussi incompatible que là avec la pos
sibilité de demeurer honnête homme ... Je résolus de ne
pas même y songer , tant je conçus d'horreur pour les ma
néges dont je fus témoin , quand je vis clairement que la
dissimulation la plus profonde régnait parmi les prélats :
je n'eus pas la force de cacher mon aversion et mon indi
gnation à ceux de mes amis qui s'avilissaient par ces bas
scsses et par ces adulations de courtisan . »
A la lecture de ces paroles, l'imagination se reporte in
volontairement , pour ainsi parler , aux malédictions lancées
par Jésus contre les scribes et les pharisiens .
De Rome , Ricci se rendit à Naples où il se lia avec l'abbé
François Serao, régaliste comme lui , qui devint évêque de
Potenza , et que les hordes du cardinal Ruffo égorgèrent en
1799 comme républicain , parce qu'il avait soutenu les pré
tentions du roi des Deux - Siciles dans ses querelles avec le
saint - siége . Nous reviendrons plus tard sur les atrocités du
lerrorisme monarchique à cette déplorable époque .
A son retour de Naples , le chanoine Ricci , en passant par
Rome , alla voir le pape , qui saisit l'occasion de sa visite
27
pour blåmer amèrement les réformes opérées par la maison
d'Autriche en Allemagne et en Toscane . Il se calma aussitôt
que Ricci lui eut demandé de pouvoir communiquer avec
l'ex-général des jésuites . Pie VI aurait volontiers accordé
la permission voulue, mais il ne l'osa point : il renvoya
Ricci au cardinal Giraud , son auditeur, lequel , pressé de
répondre catégoriquement , articula un reſus formel. Le
cardinal Torrigiani se flattait encore que finalement le gé
néral Ricci serait rendu à la liberté . Ce fut le janseniste
Ricci qui lui fit comprendre que les amis des jésuites , c'est
à-dire le pape et toute sa cour , « se moquaient de lui . »
Le jeune prêtre florentin n'en trouva pas moins toutes
les facilités possibles pour correspondre avec son parent
détenu , dont la mise au secret n'était rigoureuse qu'aux
yeux des souverains qui l'avaient exigée . Il recut de cette
manière une copie des interrogatoires que le général avait
subis au château Saint-Ange, ainsi que de la protestation
de son innocence , écrite et signée de sa main . Ces pièces
originales reposent aux archives Ricci.
Elles confirment de tous points ce que nous avons dit
plus haut, savoir que la suppression des jésuites et la
punition de leur général sont du nombre des actes qu’on
nomme politiques pour ne pas convenir qu'ils sont immo
raux . Quoi qu'il en pût être des jésuites passés , les religieux
présents n'en étaient pas comptables, et l'aveu que le juge
instructeur ne put se dispenser de faire à l'ex-général , en
lui disant qu'il n'était détenu pour aucun délit, démontre
surabondamment que Laurent Ricci mourut prisonnier d'état
sans pour cela être criminel .
7
28
Nous terminerons ce chapitre en faisant remarquer que
l'oraison funèbre du général Ricci fut prononcée solennel
lement à Breslau , dans l'église des jésuites , qui portèrent
aux nues celui qu'ils appelaient la gloire de leur siècle , le
prince philosophe , l'égal de Marc-Aurèle et d'Antonin ,
d'Auguste et de César , l'hérétique et , ce qui était pis , phi
losophe roi de Prusse , en un mot , Frédéric le Grand. Quel
ques années plus tard , des jésuites se trouvaient établis
comme tels , avec un provincial de leur ordre , sous la ju
ridiction de l'évêque de Mohilew et la protection d'une
souveraine également hérétique , philosophe et grande, sa
voir l'impératrice Catherine . En 1783 , Pie VI accorda le
pallium d'archevêque de Mohilew à l'évèque de Mallo , qui
avait commis l'indiscrétion de publier que le pape permet
tait aux jésuites de vivre en Russie selon les règles de leur
institut , comme s'ils n'avaient pas été supprimés .
CHAPITRE IV .
Incontri , archevêque de Florence . — Projet d'une académie ecclésiastique .
- Le catéchisme janseniste substitué au catéchisme ain .
De retour dans sa ville natale , Ricci fut nommé vicaire
général et vicaire ad causas de l'archevêque Incontri ,
Ce prélat avait pendant quelque temps coopéré avec le
grand -duc aux réformes que le gouvernement introduisait
dans la discipline extérieure de l'église , et les jésuites
l'avaient poursuivi de leurs insinuations malveillantes . Mais
finalement, le voyant ému de leurs malheurs, ils exploité
rent adroitement ce sentiment d'humanité , et réussirent à
l'attirer dans leur parti qu'ils eurent soin , comme de cou
tume, de confondre avec les intérêts de la cour de Rome ,
confondus eux -mêmesavec les intérêts de la religion . Fa
vorisés par le prélat , les moines supprimés s'emparèrent des
chaires et des confessionnaux, au point que le gouvernement
crut devoir résister au torrent envahisseur en érigeant en
3 -
- 30
loi de l'état la circulaire de Clément XIV , qui avait interdit
aux anciens pères la confession et la prédication . C'était
l'effet d'une réaction aussi illogique de la part du pouvoir
temporel , que l'avait été l'action de l'autorité spirituelle
lorsqu'elle avait persisté à se croire la seule autorité sociale
après même qu'elle avait cessé d'être quelque chose dans la
société .
A peine revêtu de son emploi , Ricci fut chargé par le
grand -duc de dresser le plan d'une académie ecclésiastique,
destinée à régulariser les études du clergé. Pour atteindre
son but , il s'adressa , en leur demandant des lumières, aux
« amis de Paris et d'Utrecht, » c'est- à-dire aux coryphées
du jansenisme. L'académie ecclésiastique ne fut pas
formée
pour le moment, mais les matériaux recueillis par le vicaire
général ſurent utilisés par lui lors de sa nomination comme
évêque de Pistoie et Prato .
Après cette commission gouvernementale , Ricci reçut
celle de faire accepter dans toute la Toscane le catéchisme
français de l'évêque appelant Colbert , traduit en italien par
le chanoine Burelli , ou plutôt , s'il y avait moyen , celui du
janseniste reconnu Mézenguy , tous deux du reste diamé
tralement opposés aux prétentions curialistes du saint -siége .
L'archevêque avait peur d'irriter le pape qui soutenait opi
niâtrément l'ancien catéchisme de Bellarmin ; il lui sacrifia
:
Mézenguy mais il avait une peur plus grande encore de
déplaire à Léopold ; il fit adopter le catéchisme de Colbert ,
છે.
approuvé dans le temps ( 1717 ) par l'archevêque de Flo
rence La Gherardesca, mais aussitôt après mis à l'index par
le saint- office pontifical.
CHAPITRE V.
Introduction en Toscane des écrits jansenisles . - Publication par Ricci
des wuvres de Machiavel . Le droit d'examen et de discussion se conso
lide . Le chanoinc Martini .
N'ayant pas réussi à faire rejeter le catéchisme de Col
bert , Rome s'attacha à troubler la publication de l'Histoire
ecclésiastique de l'abbé janseniste Bonaventure Racine, qui
venait d'être traduite par plusieurs jeunes prêtres sous
les auspices du gouvernement . Elle essaya aussi d'entraver
la réimpression des æuvres de Machiavel , dont Ricci faisait
lui-même préparer une édition nouvelle par les abbés Tan
zini et Follini , ce dernier son secrétaire , sur les manuscrits
de l'illustre historien florentin , qu'il possédait en sa qua
lité de descendant par les femmes du dernier rejeton de
la famille Machiavelli. Le nonce Crivelli échoua dans ses
efforts . Il avait d'abord réussi à alarmer la conscience de
l'archevêque ; mais bientôt , celui -ci n'osant pas s'opposer
directement à la publication de l'écrivain si redouté par le
saint-siége , se borna à demander à l'abbé Tanzini s'il était
autorisé à lire les ouvrages d'un auteur condamné par
l'église, au premier chef. Tanzini , ne sachant trop que ré
pondre , cut recours à Ricci qui , pour la somme insignifiante
de quelques francs, fit immédiatement venir de Rome la
permission la plus ample , pour ses deux éditeurs , de lire
tous les livres défendus en général , et en particulier les
écrits de Machiavel .
Nous ferons observer à ce propos qu’une des consé
quences les plus infaillibles des querelles entre les jansé
nistes et les molinistes fut l'application de plus en plus
large et plus formelle , par les individus , de la faculté intime
d'examen , par la société , du droit public de libre discus
sion . La chose est toute simple : pour décider les questions
soulevées , il fallait comparer les raisons apportées des deux
parts , à la demande surtout de ceux qui avaient le moins
d'autorité pour faire prévaloir les leurs. C'étaient , dans le
cas présent , les jansénistes, qui , de cette manière, devinrent
les plus chauds partisans de la liberté de la presse , laquelle
finit par faire justice d'eux aussi bien que de leurs adver
saires . Car au fond le raisonnement des uns ne valait guère
mieux que celui des autres . La société en savait tout juste
assez pour le voir au premier coup d'ail ; mais cela ne
l'avançait guère , puisqu'elle ignorait absolument , comme
elle ignore encore , quel est le seul bon raisonnement . Les
jansénistes et les jésuites auront puissamment contribué à
rapprocher l'époque où la nécessité , délerminée par une
anarchie générale , forcera à le découvrir .
1
A l'époque dont nous parlons , la publication bruyante ,
par des prêtres , que soutenait un prince catholique , des
@uvres de l'historien que les papes détestent le plus cor
dialement , publication réalisée au mépris de la censure
ecclésiastique , ce palladium de la puissance pontificale, cette
publication fut un véritable événement .
Sur les entrefaites, Ricci avait perdu son ancien collègue
à la nonciature , le chanoine Martini , chef de la nouvelle
école théologique en Toscane . Martini avait habité Rome
sous le pontificat de Benoît XIII , et il s'y était lié avec les
estimables parlementaires, comme Ricci les appelle , que la
bulle Unigenitus avait forcés de sortir de France . En sa
qualité d'auditeur à la nonciature de Toscane , Martini ser
vit les papes Corsini , Lambertini , Rezzonico et Ganganelli ;
celui -ci l'invita à se rendre à Rome pour l'éclairer sur les
différends qui venaient de surgir entre la Toscane et le
saint-siége relativement au tribunal de l'inquisition . Mar
tini, après avoir établi l'augustinianisme au sein du jeune
clergé de son pays , mourut— c'est Ricci qui nous l'apprend
- en bon janseniste.
9
3 .
CHAPITRE VI .
Ricci , évêque . Le diocèse de Pistoie et Prato . L'évèque Ippoliti .
Abus des serments. Ricci et le pape. – Examen canonique de Ricci .
Son sacre . - Il voudrait relever le diocèse de Pralo .
Nous allons voir Ricci figurer sur un plus vaste théâtre
en montant sur le siége épiscopal de Pistoie et Prato .
Ce diocèse , sous le pontificat d'Alamanni , prédécesseur
d'Ippoliti , auquel Ricci succéda , avait été divisé en deux
partis ou factions, le parti des jésuites que le prélat avait
renvoyés de ses écoles , et le parti du père Concina, domini
cain , qu'il avait préposé aux études ecclésiastiques. Le gou
verneur O'Kelly protégcait les jésuites ; l'évêque était à la
tête des concinistes, et finalement le gouvernement dut
s'interposer pour maintenir l'ordre en défendant les dis
putes .
Le vieux Ippoliti, mené par les gens de sa maison , qui ,
sous son nom , administraient tout le diocèse , n'eut garde
36
de réveiller ces ridicules querelles . Il avait cependant une
opinion arrêtée à leur égard , et lorsqu'il se fut lié avec
Ricci au point de lui confier sa pensée intime , il ne dissi
mula pas le plaisir qu'il prenait à la lecture des écrits sortis
de Port-Royal , et des Nouvelles ecclésiastiques, ce pamphlet
religieux qui ne disparut que devant les diatribes démago
giques du père Duchêne .
Quand Ippoliti mourut ( 1779 ) , Ricci fut nommé évêque
pour lui succéder.
Il se rendit à Rome où il devait subir l'examen de rigueur
et recevoir l'institution canonique . Il y fut bien accueilli ,
sur la recommandation de l'archevêque Incontri qui l'avait
comblé des éloges les plus flatteurs. Il venait cependant
tout récemment encore d'être accusé par le nonce Crivelli ,
d'avoir soutenu la cour de Toscane contre le saint-siége dans
l'affaire des serments , laquelle tenait tant à cour au pape .
Voici de quoi il s'agissait : l'usage s'était établi de déférer
le scrment devant les tribunaux pour les causes les plus ſu
tiles . Il en était résulté qu'on se parjurait aussi facilement
qu'on jurait , et que par conséquent le serment ne faisait
qu'aggraver, aux yeux des fidèles, le mal que commettaient
ceux qui parlaient contre la vérité . De Vecchj, vicaire géné
ral du diocèse de Sienne , crut de son devoir de demander
au grand-duc que du moins il mit des bornes à un pareil
scandale, s'il n'était pas encore possible de le faire cesser
entièrement . Le nonce protesta contre ce qu'il qualifiait de
« renouvellement de la cent et unième proposition condam
née par la bulle Unigenitus. » Il lui importait peu , dit
Ricci , qu'on violát les serments , pourvu qu'on en prétat
37
beaucoup , et qu'ainsi on donnât toujours occasion à la puis
sance ecclésiastique d'intervenir.
Nous avons dit que Ricci fut reçu à Rome avec faveur .
Le pape se borna à se plaindre à lui des réformes que le
grand-duc introduisait dans l'église , et qui auraient , préten
dait - il , fini par produire le plus grand mal . Ricci disculpa
son souverain . Mais le pape insista , en ajoutant : « Vous
êtes jeune ; vous le verrez , » et il le congédia .
L'évêque de Pistoie et Prato fut examiné devant Pie VI .
Il nous apprend à cette occasion qu'au fond ce n'était là
qu’une vaine formalité, puisque les examinateurs , qui crai
gnaient encore plus d'être mis dans l'embarras par l'ordi
nand , que celui - ci n'avait peur de ne pas les satisfaire, lui
communiquaient d'avance les questions qu'ils poseraient ,
et lui indiquaient les auteurs où il devait puiser ses répon
ses ; mais c'était , par les accessoires de la cérémonie , une
chose fort sérieuse , car l'examen avait pour but d'humilier
le plus possible le futur prélat , afin de le mieux disposer à
l'obéissance aveugle et passive qu’on exigerait de lui dans
la suite . Ricci fut obligé de se conformer à la coutume con
sacrée , celle de demeurer à genoux , au milieu d’une assem
blée nombreuse , pendant tout le temps que les prêtres exa
minateurs l'interrogèrent .
Ricci fut sacré évêque le 24 juin 1780 .
Son diocèse avait , avant lui , passé par diverses transfor
mations , auxquelles il chercha à mettre un terme définitif.
Au xviiº siècle , le gouvernement toscan avait séparé l'évê
ché de Prato de celui de Pistoie , parce que le prévôt de
Prato , ordinairement choisi dans la famille du prince
>
38
régnant , étant beaucoup plus riche et partant plus puissant
que son évêque , refusait la plupart du temps de lui obéir .
Ce ne fut néanmoins qu'en 1653 , que l'église de Prato
fut érigée en cathédrale , et malgré cela elle demeura sous
l'administration spirituelle de l'évêque de Pistoie , ce qui ,
loin de faire disparaître les difficultés, ne fit que les accroî
tre jusqu'au XVII ° siècle . Ricci tenta , mais en vain , de don
ner à l'érection de l'évêché de Prato la réalité qu'il suppo
sait avoir été dans les intentions du gouvernement et du
saint-siége . Il offrit même la moitié du revenu de sa mense
épiscopale pour en former une à l'évêque de Prato . La mort
de Léopold fit avorter ce projet.
à
>
CHAPITRE VII .
Luttesde Ricci . — L'église de Toscane , sous les Médicis ; sous les Espa
gnols ; sous la maison de Lorraine . Le grand -duc Léopold . - Con
séquences de l'incompressibilité sociale de l'examen . -- Indépendance de
l'église et de l'état . Réformes successives .
Nous entrons dans les détails des luttes que l'évêque
Ricci eut à soutenir dans son diocèse , comme sectaire contro
les jésuites, comme honnête homme contre les turpitudes
de la vie du cloître , dont la piété éteintc faisait une arène
où les passions en délire se livraient à toute espèce d'aber
rations . Nous rendrons compte aussi de ses travaux pour
l'exécution des réformes ecclésiastiques de Léopold , si odicu
ses à Pie VI , et que le grand-duc voulait imposer à son peu
ple , tandis que celui -ci , n'en sentant nullement le besoin ,
était loin d'en saisir le vrai sens , et les repoussait parce qu'il
ne les comprenait pas.
Mais avant de porter nos regards sur les scènes d'intri
40
-
gues et de dévergondage que nous aurons à cette occasion
à dérouler sous les yeux du lecteur , scènes que la cour de
Rome dérobait avec le plus grand soin aux investigations
des fidèles, nous croyons devoir nous permettre une courte
digression sur les vicissitudes par lesquelles l'église de Tos
cane avait passé jusqu'alors.
Les Médicis , mêlés à toutes les cabales des conclaves ,
disposaient en quelque sorte de la nomination des souve
rains pontifes. Pour conserver leur influence auprès du
saint-siége , ils laissèrent celui - ci disposer arbitrairement
des affaires religieuses dans le grand-duché .
Le gouvernement espagnol ne s'inquiéta en aucune ma
nière des intérêts ecclésiastiques , et les choses demeurèrent
sur le même pied .
Sous l'empereur Charles VI de Lorraine , la Toscane fut
administrée par le prince de Craon , qui n'avait d'autre
mission que d'envoyer à Vienne le plus d'argent qu'il pou
vait (1745 ).
A l'avénement de l'empereur François , tout changea de
face. Il chargea le comte de Richecourt de gouverner le
grand -duché en son nom , et Richecourt, despote éclairé si
l'on veut , mais absolu , mais arbitraire , vivement soutenu
par le sénateur toscan Rucellai , commença cette guerre
entre le pouvoir temporel de l'état et l'autorité spirituelle
de l'église , qui ne se termina que lorsque la révolution fran
çaise eut rapproché le trône et l'autel en les culbutant l'un
sur l'autre .
De ce que , socialement parlant , Rome n'était plus rien , le
pouvoir civil chez chaque peuple avait conclu qu'il allait
9
41
être tout . Il fut , comme nous le verrons dans la suite , ru
dement puni de son erreur . Cependant, , sur les entrefaites,
les divers gouvernements s'étaient hâtés de mettre à profit
ec qui leur paraissait le bon moment pour mater le sacer
doce en s'emparant successivement des moyens de domina
tion qui échappaient les uns après les autres aux mains dé
biles des souverains pontiſes. Ce qui généralement les tentait
le plus , c'étaient les grandes richesses du clergé dont ils
cherchèrent à se rendre maîtres d'une manièrc de plus en
plus directe . La première mesure fut celle de défendre aux
gens de mainmorte d'acquérir et de posséder des propriétés.
Le comte de Richecourt, que nous avons nommé plus haut,
fit passer cette défense dans les lois de la Toscane ( 1751 ) .
Puis il revendiqua pour le pouvoir ce qu'il appelait le
droit de censure sur les écrits à publier , après avoir con
damné ce même droit comme un abus intolérable chez les
prêtres . Puis encore , il accusa l'inquisition de la foi de ne
plus servir qu'à épouvanter les fidèles pour les prostituer
aux caprices des inquisiteurs , et il fit fermer les prisons du
saint -office . Enfin , il diminua le nombre des églises curiales
à Florence , chassa l'évêque de Sienne parce qu'il refusait les
sacrements aux sujets qui obéissaient au gouvernement
plutôt qu'aux agents de Rome , et voulut abolir les asiles où
l'église soustrayait les coupables à l'action de la justice .
Léopold , en montant sur le trône grand -ducal , maniſesta
l'intention de séparer nettement le temporel du spirituel .
Il ne songea même pas que , dans l'état donné des esprits , il
n'avait aucun critérium qui pût lui faire juger rationnelle
ment le problème que cependant il se proposait de résoudre .
MÉMOIRES DE RICCI .
42
Avec les meilleures intentions , il ne lui était possible de
déterminer sa part de pouvoir que par un simple acte de
sa volonté , précisément comme les papes contre lesquels
il s'insurgeait , sans cependant qu'il eût le droit d'inculper
leurs intentions , avaient jadis déterminé la leur . C'était
donc toujours et sous toutes ses différentes formes , une
scule et même question , que l'intelligence devait éclaircir
et pour la solution de laquelle elle ne possédait pas les
éléments nécessaires , que la force s'obstinait à décider et
qu'elle ne pouvait jamais trancher définitivement. La raison
demeurait impuissante ; les passions étaient écoutées avec
faveur , et au nom des deux plus impérieuses, l'ambition et
la cupidité, chacun voulait être tout , afin de pouvoir tout
prendre et demeurer ainsi scul maitre de tout .
Précisons franchement la situation .
Ce que désirait le grand-duc Léopold était devenu une
nécessité logique depuis que la société était entrée dans
l'ère nouvelle de l'incompressibilité du libre développement
des intelligences . Dès l'instant que les hommes s'étaient
avoué la contestabilité sociale de toutes les idées ac
quises, les croyances comme les doctrines , les consciences
comme les esprits se trouvaient par le fait même émanci
pés de tout contrôle, puisqu'ils l'étaient de toute règle , et
les lois cessaient de dépendre du droit , de la morale ; la
morale , de la religion : la religion cessait d'être la base de
la société qui n'avait plus aucun rapport avec elle . Il ne
restait pour tout lien social que des lois arbitraires , expri
mant conventionnellement une ou plusieurs volontés , lois
essentiellement changcantes avec les circonstances, les in
45
térêts , l'opinion , et n'ayant pour toute raison d'être que
leur seule existence, pour toute action que celle de punir
comme mauvais les actes qu'elles avaient qualifiés ainsi ,
sans pouvoir cependant empêcher qu'on ne préconisât ces
mèmes actes comme légitimes , comme saints .
Nous n'approuvons pas cet ordre ou plutôt ce désordre
des choses ; loin de là : l'état social que nous venons d’es
quisser , et qui est le nôtre, est à nos ycux , nous ne saurions
le répéter trop souvent , le comble de la déraison ; il ne
peut amener que la désorganisation progressive et des
bouleversements de plus en plus rapprochés. Nous consta
tons cet état , afin que l'on comprenne, non -seulement les
réformes de Léopold et de Ricci , mais encore la marche
actuelle des événements . Vu l'ignorance sociale toujours
existante , et la foi sociale qui n'existe plus , cet état est
forcé , et les conséquences que nous en déduisons , comme
les faits qui en découlent, sont inévitables .
Le seul tort des réformateurs du dernier siècle , et entre
autres de Léopold et de Ricci, qui acceptaient la séparation
de l'église et de l'état comme un fait accompli , fut, tout en
reconnaissant que l'état était désormais indépendant de
l'église , d'avoir cru que l'église pouvait demcurer dépen
dante de l'état . De là sont nées les fautes et les injustices
commises par les souverains de la maison d'Autriche et de
celle des Bourbons, de la république française et de leurs
imitateurs . Tant qu'il n'y a point eu séparation , l'église
a dû dominer l'état ; et elle l'a dominé en effet : la sépara
tion une fois réalisée , l'indépendance de l'état a été abso
lue , mais celle de l'église aurait dû l'être aussi . Avant la
>
- 44
séparation , l'ordre régnait dans la société , mais un ordre
illusoire qui devait finir : depuis, il n'y a plus eu d'ordre ;
on a progressé continuellement vers l'anarchie, d'où sur
gira , en dernière analyse , l'ordre vrai et stable . Passons au
règne de Léopold .
L'église , il faut bien en faire l'aveu , avait étrangement
abusé de son pouvoir sans bornes , depuis surtout que la foi
avait cessé d'être un frein suffisant aux passions de ses mi
nistres . Nous ajouterons qu'il n'en pouvait être autrement.
Toute force qui n'est pas soumise à une règle détermi
née , ſondée sur la croyance ou sur la raison , ne recule que
devant une force plus grande , et c'était au tour des rois à
faire plier sous leur sceptre de despote , les papes qui, si
longtemps, les avaient tenus courbés sous leur houlette de
pasteur . Le sénateur Rucellai dévoila une foule de séduc
tions opérées au moyen de la confession , ct d'escroqueries
commises au lit des agonisants . Il fit connaître les vio
lences qu'on faisait subir aux juifs , ct la légèreté des
évêques qui excommuniaient pour un banc de plus ou do
moins dans leurs cathédrales . Le gouvernement s'ingéra
dans l'administration des biens des couvents , où régnait le
plus grand désordrc , et l'affaire de la suppression des asiles
appelés sacrés fut poussée avec vigucur .
Les années 1765 ct 1766 se passèrent à remédier au
scandale occasionné par la multiplicité de prêtres , véri
tables mendiants en soutane , et par conséquent bas et
serviles . Le gouvernement s'occupa aussi de limiter le
nombre des couvents et d'obliger les congrégations reli
gieuses à laisser tomber quelques miettes de leurs somptueux
1
i
45
banquets aux mains amaigries des pauvres , décimés chaque
jour par la faim .
On avait , sans recourir pour cela à l'autorité ecclésias
tique , exilé des prêtres notoirement assassins , débauchés
et perturbateurs du repos public , et on continua pendant
toute l'année 1767 ces actes de rigueur, aussi nécessaires
qu'insolites jusqu'à cette époque . L'année suivante , Rucellai
proposa au grand -duc l'abolition radicale des immunités ec
clésiastiques, incompatibles avec les droits du gouvernement,
et subsidiairement , si on n'osait pas franchir d'emblée ce
pas décisiſ, la conclusion d'un concordat avec le saint-siége .
A ce propos , le sénateur faisait observer que , si l'on se ré
solvait à traiter, il ne faudrait jamais perdre de vue qu'on
avait affaire à la plus rusée des cours, qui du moins jusque -là
avait toujours réussi à se tirer avec avantage de ces sortes
de conventions .
En 1769 , la question des asiles fut tranchée par le pou-•
voir qui les supprima. Après cela , tout l'intérêt se porta
sur la bulle In coena Domini, résumé des priviléges que les
papes ont attribués aux prêtres des divers états catholiques,
sans la coopération ni même l'assentiment du gouvernement
de ces états , afin de réduire les nations à n'être que
simples provinces de la catholicité , de laquelle eux ,
papes , disposaient d'une manière absolue . Pour faire jus
tice de la bulle en question sans cependant l'attaquer direc
tement , on décida que dorénavant aucun décret de la cour
de Rome n'aurait d'autorité en Toscane à moins d'avoir été
rcvêtu de l'exequatur du gouvernement , et cet exequatur
fut refusé à la bulle In coena .
4.
de
46
L'année d'après et la suivante mirent fin à l'abus des
prisons claustrales , et amenèrent de nouvelles mesures
pour empêcher la trop grande multiplication des maisons
religieuses . Il y eut d'autres règlements sur les taxes de
l'officialité, sur le divorce et les dispenses de faire maigre
aux joursprescrits, etc. , etc. Enfin , on commença à entendre
articuler quelques plaintes concernant les désordres qui
avaient lieu dans les couvents de femmes . On mit aussi en
avant le projet de salarier les ministres du culte après qu'on
aurait déclaré les biens du clergé propriété nationale .
CHAPITRE VIII .
Révolte el obstination des religieuses dominicaines de Pistoie , sous les
évêques Alamanni et Ippoliti . – Ricci parvient à les calmer . – Le sacré
ceur de Jésus . - Petites intrigues. – Ricci altaque la dévotion au sacré
caur.
« Arrivé à Pistoie , ce sont les propres paroles de l'é
vêque Ricci , nion premier soin fut de ne négliger aucun
des moyens à ma disposition pour remettre dans la bonne
voie les religieuses dominicaines du couvent de Sainte -Lucie . »
Dès l'an 1764 , son prédécesseur Alamanni s'était vu
obligé de demander à Rome les pouvoirs nécessaires pour
prendre lui-même la direction spirituelle des religieuses de
ce couvent et de celui de Sainte -Catherine. Il éloigna d'elles
les moines dominicains , qui jusqu'alors avaient été leurs
conseillers et leurs guides . Ce coup leur ſut si sensible que ,
même sous l'évêque Ippoliti , rien ne put les en consoler ,
et qu'elles se maintinrent en révolte ouverte contre leur
pasteur , refusant les sacrements qu'il avait chargé d'au
- 48
tres prêtres séculiers ou réguliers de leur administrer.
Ricci avait fait part au pape de cet état de choses, pen
dant qu'il était retenu à Rome à l'occasion de son examen ,
et il lui avait communiqué ses soupçons relativement aux
dominicains qu'il croyait être les auteurs et les fomenta
teurs de ces troubles . Pourriez -vous en douler ? lui répon
dit Pie VI qui , aussitôt , « fit une sortie virulente contre le
général des dominicains qu'il appela un homme inquiet et
opiniâtre . »
Muni des instructions pontificales, Ricci parvint à calmer
un peu l'esprit des religieuses : elles acceptèrent un conſes
seur de son choix ; et une novice qui s'était obstinée jus
qu'alors à ne vouloir prononcer ses væux qu'entre les mains
des dominicains , consentit à faire profession devant le nou
vel évêque . Malgré cela , sa confiance en elles ne fut jamais
entière, à cause de la mauvaise doctrine qu'elles avaient
puisée dans les leçons de mauvais maitres, et des attentats
que les dominicains ne cessaient de préparer par leurs
sourdes machinations nous citons textuellement les Mé
moires manuscrits de l'évêque de Pistoie et Prato .
Nous venons d'entendre parler le prêtre de mours pures ;
voyons maintenant agir l'homme de secte et de parti .
Les jésuites , quoique frappés dans leur existence comme
corps religieux , n'en faisaient pas moins cause commune
dans toutes les petites affaires où ils pouvaient encore user
de leur influence . Ils avaient converti une dévotion récem
ment inventée , celle au sacré coeur de Jésus, en une espèce
de signe de ralliement et de mot d'ordre , autour duquel se
groupaient leurs adhérents . Au fond, cette dévotion n'était
1
-
49
pas plus singulière que tant d'autres : on avait déjà le sacré
côté, les saintes plaies, le saint sang et même le saint pré
puce ; rien ne semblait rationnellement s'opposer à ce qu'on
eût aussi le sacré cour . Mais Ricci ne l'entendait pas ainsi :
il ne voulait à aucun prix d'une dévotion d'origine loyo
liste , comme il disait , et , prétendait- il , sentant le nesto
rianisme.
A peine Ricci fut- il en possession de son évêché , que les
jésuites , connaissant son aversion prononcée pour ce qu'il
flétrissait de l'épithète de cardiolátrie, lui tendirent un piége
puéril , en essayant de lui faire baptiser du nom de Jésus,
une cloche sur laquelle ils avaient caché, sous une pro
fusion de guirlandes et de couronnes de fleurs, un sacré
coeur de Jésus et une inscription pour le glorifier. Ricci ,
saisi d'une colère aussi ridicule que l'était l'offense, dénonça
cet attentat à Léopold ; et ce recours au pouvoir mit le
comble aux murmures contre un prélat qui méconnaissait
l'autorité spirituelle du saint -siége au point de se soumettre
solennellement à l'arbitrage du chef de l'état, dans une
question de croyance et de culte .
Le jésuite Salvi , qui avait mené cette affaire et qui était
connu en Toscanc pour y être l'apòtre du sacré cæur , fut
appelé à Florence par le sénateur Bartolini , secrétaire des
droits de la juridiction , -on dirait de nos jours ministre du
cullc, - pour être réprimandé sur sa conduite tortueuse ,
et sur son manque de respect envers son évêque . Léopold
lui -même le tança vertement , ct le força à aller présenter
ses excuses à Ricci , qui profita de sa visite pour essayer de
2
le gagner, mais sans pouvoir y réussir .
2
50
L'évêque se décida alors à attaquer publiquement la nou
છે
velle dévotion qu'il taxa de fétichisme. Seratti , un des se
crétaires de Léopold , à qui il envoya son instruction pasto
rale sur ce sujet , lui fit délicatement comprendre qu'il était
imprudent de compromettre dans des discussions oiseuses
le succès des réformes plus importantes , mais moins impo
pulaires , tentées par le grand-duc . Ricci chercha à sc jus
tifier en alléguant l'argument banal qu'il vaut mieux obéir
à Dieu qu'aux hommes , comme si cet argument n'aurait
pas également servi d'excuse au père Salvi qui , lui aussi , pou
vait dire qu'il avait fait céder les considérations humaines à
cclles de son devoir envers Dieu .
La maxime que nous venons de citer est la traduction
théologique de celle qui impose l'insurrection comme le plus
saint des devoirs . L'une et l'autre sont au service de l'op
position qui se croit assez forte pour résister au pouvoir .
L'une et l'autre , en temps d'ignorance sociale et sous l'em
pire de la force, est rationnelle ... si elle est couronnée par
le succès .
>
CHAPITRE IX .
Les jésuites et les dominicains . - Désordres des religieuses dominicaines
au xviie siècle . — Révélations faites par les religieuses mêmes . -- Décou
verte des mêmes désordres chez les religieuses de Saint-François .
Mesures que prend le grand-duc . – Pie VI et sa cour protégent les reli
gieuses .
L'évêque Ricci avait affaire à forte partie , et il ne ména
geait personne . Les jésuites et les dominicains qu'il attaquait
de front disposaient de toute la population de Prato : les
premiers avaient pour élèves les jeunes gens des familles
les plus considérables ; les seconds gouvernaient les couvents
de femmes , presque entièrement peuplés de filles de grande
maison . Lorsque les jésuites curent été supprimés, les do
minicains prirent leur place , ct , comme auparavant, l'évêque
continua à ne compter pour rien .
Ricci n'était pas d'humeur à tolérer un pareil état de
choses. Il surveilla sévèrement les dominicains , et déjoua
toutes leurs intrigues pour s'introduire de nouveau auprès
des religieuses , leurs anciennes pénitentes.
52
A ce propos , le zélé prélat nous fait connaître que les
désordres des dominicaines à Pistoie dataient de loin . Déjà,
en 1642 , la commune s'était plainte au gouvernement, et
avait demandé le renvoi du prieur des dominicains et
d'un autre religieux , pour des motifs , était-il dit , quc la
décence faisait un devoir de ne pas dévoiler . Les fabriciens
des couvents de Sainte -Catherine et de Sainte-Lucie avaient
joint leurs doléances à celles des magistrats . Enfin le gon
falonier avait envoyé à Florence des personnes discrètes ,
chargées de révéler de bouche les faits qu'il ne croyait pas
pouvoir confier au papier , les désordres dont il s'agissait
étant de nature à déshonorer les religieuses du sang le plus
distingué de la ville . Ferdinand II , qui régnait alors , ne prit
aucune mesure pour remédier au mal, probablement, dit
Ricci , par un effet de la même faiblesse qui le porta à sa
criſier à la cour de Rome le sublime génie de Galilée .
Quelques religieuses de Sainte -Catherine --- ceci se passait
sous le règne de Léopold , mais bien avant la promotion
de Ricci , – dénoncèrent enfin elles -mêmes au pouvoir ce
qui se passait dans l'enceinte de leur couvent .
Les moines dominicains , disaient- elles , leur enseignaient
toute espèce de turpitudes , par leurs discours et par leurs
attouchements ; entre autres actions honteuses , ils passaient
le loro vergogne à travers la grille qui se trouvait entre la
sacristie et la clôture, et dont les barreaux étaient suffisam
ment espacés . Ils franchissaient la clôture sous le moindre
prétexte , et demeuraient seul à seul avec les religicuses ,
dans les cellules de celles-ci ; ils couchaient même la nuit
dans le couvent . Ils félicitaient les religieuses de l'avantage
7
»
53
dont elles jouissaient dans leur position , celui par exemple
de pouvoir satisfaire leurs désirs sans avoir à redouter le
désagrément de mettre au monde et d'élever des enfants.
Ils leur certifiaient qu'après la mort tout est fini. Ils abu
saient des paroles saintes , notamment de celles de saint
Paul , au passage où se trouve « qu'il travaillait de ses
mains , » et ils exhortaient sans cesse les religicuses à céder
à leurs passions .
Ils facilitaient les liaisons dangereuses, au point qu'ils
laissaient des hommes s'introduire dans le couvent , et y
coucher avec les sæurs . Jamais ils n'insistaient sur le de
voir de fréquenter les sacrements ; ils ne prêchaient que
l'obligation pour chacun de se procurer ici -bas tout le plaisir
possible . Les moines favorisaient dans tous leurs caprices les
religieuses qui se conformaient à leurs instructions , et per
sécutaient celles qui ne se laissaient pas aller au torrent .
Cette pièce curieuse , la première d'un procès unique dans
son genre , est signée : Sæur Anne- Thérèse Merlini, mere
conseillère ; sour Rose Peraccini, mère conseillère ; seur
Gaëtane Poggiali ; sæur Candide - Joconde Botti, et sæur
Marie - Clotilde Bambi .
A ce que nous venons d'entendre , la sæur Flavie Perac
cini, prieure de Sainte - Catherine, ajouta, dans une lettre
qu'elle écrivit au docteur Comparini, recteur du séminaire
épiscopal , que les noms des moines coupables étaient : le père
docteur Bellendi , les pères Donati , Pacini , Buzzaccherini ,
Calvi , Zoratti, Biglani , Guidi , Migliatti , Verde , Bianchi,
Ducci , Serafini, Bella , Nardi , Neri de Lucques , Quaretti ,
tous ceux en un mot qu'elle avait connus depuis vingt
5
ܪ
- 54
qualre ans , hors trois ou quatre . Ils ont pour principe,
poursuivait la sæur Flavie , que Dieu défend la haine , non
l'amour, et que la femme est faite pour l'homme , comme
l'homme pour la femme. Les prêtres deviennent les maris
des religieuses , les frères lais ceux des converses . Ce ne
sont que festins, jeux , danses , comédies , surtout lors de la
maladie et de la mort d'une religieuse : c'est là l'occasion
d'un véritable carnaval pour tout le couvent.
On n'entend parler que de religieux et de religieuses qui
se sont épousés , de tel moine qui a soufflé sa maîtresse à
tel autre , de celui - ci qui s'était vengé de son infidèle, de
celui-là qui jurait de ne jamais pardonner à la sienne ,
même au lit de la mort .... Et les mêmes choses, continuait
la sæur Flavie , ont lieu à Sainte - Lucie , et à Prato, ct à
Pise , et à Pérouse : il y a partout le même débordement ,
partout les mêmes orgies.
Le père Buzzaccherini avait la seur Odaldi de Sainte
Lucie , qui le comblait de présents , et néanmoins il était
amoureux de la fille du commissionnaire de Sainte -Cathe
rine, dont toutes les soeurs étaient jalouses . Il leur envoyait
son linge à blanchir . Il avait ruiné la pauvre Cancellieri ,
en l'obligeant à préparer pour lui des plats de douceur
qu'elle payait de son argent .
Les religieuses de Saint-Vincent s'étaient prises , il y a
quelques années , d'une passion si extraordinaire , les unes
pour le père Lupi , les autres pour le père Borghigiani,
qu'on les désigna par les noms de ces moines. Celui qui a
fait le plus de bruit à Sainte -Lucie est le père Donati , qui
est parti pour Rome . Le père Brandi , prieur à San Germi
.
2
55
gnano , a aussi été à la mode . Les pères Natta et Sdradico
c'est toujours la seur Flavie qui écrit sont de bien
mauvais sujets .
Après avoir rapporté , avec les religieuses dénonciatrices ,
que les moines couchaient dans le couvent , Ricci fait remar
quer que les dominicains n'étaient pas les seuls à se con
duire de la sorte . Pendant qu'il était vicaire de l'arche
vêque de Florence , il apprit que le confesseur de l'ordre
des mineurs conventuels et son frère lai avaient leurs
lits dressés dans le dortoir commun des franciscaines de la
capitale . Il menaça le père Bargellini , lecteur, théologien ,
examinateur, etc. , de la colère du grand -duc , déjà fort
irrité de ce qui se passait chez les dominicaines , et les lits
disparurent .
Léopold voulut entendre la déposition des fabriciens de
Sainte -Catherine en personne , il les appcla auprès de lui , et
;
ils confirmerent de tout point la vérité des faits que les reli
gieuses avaient déclarés . Puis il ordonna à son lieutenant de
police d'interroger les religieuses elles -mêmes . Ce ne fut
donc qu'après avoir usé de toutes les mesures de précau
tion , essentielles dans une affaire de cette nature , que
Léopold fit enjoindre par le sénateur Rucellai à l'évêque
Alamanni de se charger lui -même de la direction des reli
gieuses , et défendre aux moines de leur ordre d'approcher
du couvent ( 1774) . L'officier civil Bracciolini , qui commu
niqua ces décisions aux parties intéressées , rendit compte
au prince du désespoir des religieuses . Elles refusèrent,
comme nous avons vu , de se soumettre à l'évêque, contre
lequel les moines , le général des dominicains et jusqu'au
56
cardinal protecteur de l'ordre ne cessaient de les soutenir .
A Sainte-Lucie , les religieuses repoussaient les sacre
ments , à la participation desquels les invitait celui que l'évê
que avait revêtu de ses pouvoirs ; à Sainte-Catherine , elles
traitaient l'évêque de vaurien , de malotru et de fanfaron,
et les confesseurs qu'il leur désignait , de vilains maudits
prêtres , et elles menaçaient journellement d'étrangler ou
d'empoisonner les plaignantes , qui ne voyaient d'autre moyen
d'échapper à leur vengeance qu'en cherchant à prendre la
fuite. Les faits que nous venons de rapporter sont certifiés
par la signature des religieuses que nous avons déjà noin
mées , et en outre par celle des sæurs Marie-Catherine Rossi
et Anne - Louise Saccardi .
L'évêque Alamanni , qui avait réussi à se faire écouter par
les cardinaux assemblés pour l'élection du successeur de
Clément XIV , continua à réclamer auprès de la congréga
tion des évèques et réguliers , auprès du cardinal Torri
giani et de Pie Vi lui -même ; mais il n'obtint plus de
réponse . Le pape , loin de vouloir venir au secours d’Ala
manni, témoigna son mécontentement de ce qui avait été
fait par l'autorité civile , dans les deux couvents en question ,
et fit clairement entendre qu'il regardait les bruits répan
dus sur les religieuses comme des calomnies , qui n'avaient
d'autre but que d'enlever à tous les réguliers la direction
des couvents de femmes .
Ippoliti venait de remplacer Alamanni (1776 ) . Il fut,
comme lui , abandonné à ses propres ressources pour vain
cre un mal que Rome protégeait ostensiblement par cela
seul qu'elle persistait dans son refus d'aider l'évêque à
57
l'extirper . Ippoliti fut même durement réprimandé par le
pape , pour avoir osé rappeler à la mémoire des scandales
que le saint-siége voulait ensevelir dans l'oubli , et surtout
pour avoir fourni de cette manière au grand -duc de nou
veaux motifs pour réaliser ses projets de réformes. Tout ce
qu'il put obtenir , ce fut la permission de transférer les reli
gieuses dissidentes du couvent de Sainte - Catherine de Pis
toie à celui de Saint-Clément , dans la même ville , couvent
dont les dominicains avaient conservé la direction et où ,
naturellement , les religieuses réfractaires furent reçues en
triomphe. Mais il n'y avait que cela à faire pour prévenir
les événements tragiques dont le couvent de Sainte -Cathe
rine serait probablement devenu le théâtre.
5 .
1
1
CHAPITRE X.
Erreurs en matière de foi de deux dominicaines, à Prato . — Ricci découvre
leur impiélé et leur inconduite . — Le grand-duc est instruit de tout . –
Intrigues des moines .
L'évêque Ricci ne faisait encore que soupçonner jusqu'à
quel excès pouvaient s'étendre les désordres des couvents
de Pistoie , lorsqu'il fut appelé à en sonder toute la profon
deur , par la découverte qu'il fit , savoir , que deux reli
gieuses dominicaines du couvent de Sainte -Catherine à Prato
“ professaient des erreurs graves en matière de foi.
« Depuis plusieurs années , - nous continuons à citer le
prélat , - vivaient plongées dans le plus infâme déborde
ment de mours deux religieuses dominicaines de Sainte
Catherine : l'une , nommée sæur Catherine -Irène Bonamici ,
était une demoiselle noble de Prato , âgée de cinquante ans ;
l'autre , sour Clodésinde Spighi, était également d'une famille
noble de la même ville , et âgée de trente-huit ans . » Les
dominicains étaient instruits de tout , mais ils l'étaient seuls ,
2
>>
60
car il n'y avait qu'eux qui eussent l'entrée au couvent , et
qui communiquassent avec les religieuses ; moines, confes
seurs , provinciaux , l'ordre entier en un mot , avaient tou
jours été d'accord pour que rien ne transpirât au dehors , et
par conséquent pour qu'aucun remède ne fût appliqué au mal .
Une circonstance imprévue le fit connaître . Peu après
l'arrivée de Ricci dans son diocèse , le père Vincent Majocchi
fut nommé confesseur de Sainte-Catherine . Contrairement
à l'usage de ses prédécesseurs , ce moine se soumit sponta
nément aux restrictions imposées par l'ordinaire ; puis , aux
fêtes de la Pentecôte , il refusa l'absolution aux deux reli
gieuses que nous avons nommées. La chose fit du bruit et
parvint aux oreilles de Ricci , qui demanda à Laurent Palli ,
son vicaire à Prato , de le seconder dans ses efforts pour
découvrir la vérité . Le vicaire ne tarda pas à lui répondre
(17 juin 1781 ) :
« Les erreurs des religieuses ne concernent rien moins
que tout ce qui est de ſoi dans la religion catholique . Elles
ne croient ni à l'éternité d'une autre vie , ni à l'efficacité des
sacrements de l'église ; tous les péchés, et surtout ceux de la
chair, sont regardés par elles comme des actions indiffé
2
rentes. »
Le lendemain , Palli envoya le chanoine Buti à Pistoie
pour déclarer à Ricci que les religieuses dont il s'agit
étaient , « ou foncièrement hérétiques , ou complétement
folles . » Le jour suivant , il fit connaître à son évêque que
les mêmes religieuses avaient reproché en plein parloir à
leur supérieure l'ignorance dans laquelle elle les avait lais
sées croupir, pendant tant d'années qu'elles avaient vécu ,
>
7
61
-
professant de bonne foi les sentiments de la religion . Une
seur Marie-Ancille Guasti , converse de la seur Spighi,
confirma ces faits dans une lettre qu'elle adressa à Marie
Aurélie Buti , religieuse à Saint- Michel à Pistoie , dont
l'oncle , le chanoine pénitencier Buti , avait été chargé par
Ricci de visiter le couvent de Prato ,
Le père Majocchi alla de son côté à Pistoie faire rapport
à l'évêque de ce qui se passait . Ricci lui demanda sa coo
pération pour ce qu'il y avait à entreprendre en cette cir
constance , et l'assura de la protection spéciale du grand - duc
contre quiconque chercherait à lui nuire . « Mais , ajoute
Ricci , le moine , plus au fait que moi des extrémités aux
quelles peuvent porter la cabale monastique et le prétendu
honneur de corps , » ne consentit pas à rester . Il ne crut
pouvoir échapper aux dangers qui l'entouraient , qu'on s'é
loignant le plus possible , et au plus tôt .
Avant de désespérer de tout l'ordre , Ricci crut devoir
essayer de s'adresser encore une fois directement aux do
minicains , non impliqués dans cette sale affaire, et de leur
demander qu'ils l'aidassent à les sauver eux-mêmes des
suites de la conduite coupable de quelques - uns d'entre
eux ; mais ses avances furent reçues avec hauteur et mé
pris . La discussion à ce sujet entre l'évêque et le prieur des
dominicains de Prato fut fort vive . Ricci n'ayant rien ob
tenu , ni par promesses , ni par menaces , partit pour Flo
rence où il dénonça toute l'affaire au grand -duc . Ce fut
cette démarche qui mit à nu ce que Ricci appelle cette gan
grène pestilentielle ; aussi considéra - t- il toujours comme
une circonstance des plus heureuses , l'aveuglement des
62 .
.
7
moines qui l'avaient forcé en quelque sorteà y avoir recours ,
et « à rendre le scandale public par la révélation des plus
infâmes iniquités, autorisées pendant si longtemps par les
confesseurs des religicuses et par l'ordre entier des domi
nicains . »
Léopold prit la chose vivement à ceur , et résolut d'en
finir d'un seul coup . Afin de connaître le mal dans tous ses
détails et dans toute son étendue , afin aussi de remonter
jusqu'à sa source , il fit soigneusement rassembler les pièces
qui démontraient l'évidente complicité des dominicains
lors de la première découverte des turpitudes commises
chez les dominicaines de Pistoie (1774) , et celles qui con
cernaient les mesures prises après cette époque pour mettre
un terme aux désordres : les moines eurent peur alors ; ils
essayèrent , pour détourner le coup dont ils étaient menacés ,
d'effrayer le grand -duc , et ainsi de l'empêcher de poursui
vre . A cet effet, ils engagèrent une des religieuses, leurs
pénitentes , à feindre des convulsions et des extases devant
la châsse de Sainte -Catherine de Sienne , au couvent de
Saint-Vincent à Pistoie , et ils répandirent parmi le peuple
que ce signe céleste présageait à la ville quelque terrible
fléau . En un instant , l'église des Récollets fut remplie de
femmes qui , dans l'attente de la fin du monde , demandè
rent à grands cris à se confesser et à recevoir les derniers
sacrements . On cut beaucoup de peine à les faire sortir du
temple , après leur avoir donné à comprendre que , si un
malheur quelconque arrivait , ce serait , non pas à tous les
habitants de Pistoie , mais seulement aux coupables , les
enfants de saint Dominique .
។
-
CHAPITRE XI .
Tout est mis en @uvre à Prato pour empêcher Ricci de parvenir à ses fins .
Le père Calvi . Ricci rend compte au pape de ce qui se passe . — Le
grand -duc confirme ces révélations . Nouvelles découvertes. . Les
deux seurs sont transférées à Florence .
Ricci acquit finalement la preuve que ce qui se passait
à Pralo était la suite de ce qui avait eu lieu à Pistoie . Les
religieuses de Sainte-Lucie , dans cette dernière ville , avaient
fini par se soumettre de guerre lasse , et parce qu'elles n'é
taient plus soutenues par celles de Sainte -Catherine, d'où
les réfractaires avaient été expulsées . Il n'en fut pas de
même à Prato : tout y fut mis en æuvre par les dominicains
pour entraver et paralyser les mesures au moyen desquelles
Ricci tendait vers son but , > celui de leur arracher à tout
jamais la direction des filles qu'ils ne travaillaient qu'à per
vertir . L'évêque fut fort surpris de voir arriver à l'impro
viste auprès de lui , pour l'aider dans son entreprise , un
1
64
père Calvi , dominicain , que le ministre Seralti lui avait
fait adjoindre par le prince , probablement pour modérer
son zèle dans une affaire délicate , qui pouvait amener des
troubles au sein d'une population que son ignorance mettait
à la merci de moines intrigants et audacieux . Calvi se pré
tendait muni de pleins pouvoirs pour tout terminer , avec
ou sans l'évêque , son vicaire à Prato et le lieutenant de po
lice . Il fallut recourir aux voies de rigueur pour empêcher
le moine imposteur de pénétrer dans le couvent . Sur ces
entrefaites, Ricci dévoila aux yeux du prince la mauvaise
réputation et l'inconduite reconnue du père Calvi .
Il lui apprit que , lorsqu'une des religieuses de Sainte
Catherine de Pistoie avait demandé au père prieur Guidi ce
même Calvi pour confesseur, le prieur avait répondu : « Im
possible ! Le père Calvi , au vu et au su de tout le monde ,
fréquente les maisons publiques de débauche et les filles
perdues ; j'en serais blåmé par le provincial . » On disait que
ce moine avait une intrigue à Sainte -Catherine de Prato ;
peut-être était -ce avec la sæur Clodésinde Spighi .
Il va sans dire que le grand -duc débarrassa Ricci du père
Calvi en le rappelant .
L'évêque de Pistoie avait chargé le père Baldi , servite ,
d'interroger les religieuses et les pensionnaires de Sainte
Catherine. Là-dessus , tout l'ordre des dominicains , et ses
nombreux adhérents, et la cour de Rome qui le soutenait
ouvertement , ſurent en émoi . On voulait d'abord faire
passer les deux religieuses pour folles, mais il fallut presque
aussitôt renoncer à ce moyen ; elles montraient clairement,
ct dans toutes les occasions où elles pouvaient se manifes
9
)
2
1
65 -
ter sans déguisement , qu'elles n'étaient point folles du
tout . D'ailleurs , la seur Bonamici avait été prieure dix ou
douze ans auparavant , et pendant les années 1775 et 1776 ,
elle avait , conjointement avec la sæur Spighi, été préposée
à l'enseignement des novices. En outre , l'une et l'autre de
ces religieuses avaient constamment été admises par les
moines à la participation des sacrements . Tout ſut mis en
@uvre pour les soustraire à l'examen de l'évêque : on essaya
de les enlever , ou du moins de faire disparaître les papiers
compromettants et les livres ; et rien de cela ne réussissant,
;
on entoura le prélat de menées ténébreuses et on lui fit
faire des menaces de toute espèce .
Pendant ce temps -là , le nonce , le plus remuant des dé
fenseurs des dominicaines , ne cessait de favoriser de sa
présence les plaisirs appelés honnêtes des religieuses : il
assistait régulièrement à leurs comédies et à leurs bals
masqués .
Les interrogatoires terminés , Ricci rendit un compte
exact au pape : outre , écrivit- il à Rome (25 juin 1782 ) ,
qu'elles ſont profession ouverte de quiétisme , les deux reli
gieuses traitent d'inventions humaines les mystères de la
sainte Trinité et de l'incarnation du Verbe , les sacrements
de l'église et le dogme de l'éternité d'une autre vie . Malgré
cela , leurs directeurs spirituels ne leur ont point refusé les
sacrements dont elles se moquaient . Il y avait eu jusqu'à
six religieuses à la fois qui pensaient et agissaient comme
les seurs Bonamici et Spighi . Beaucoup de livres avaient
été renvoyés aux moines , et beaucoup de papicrs brûlés par
leur ordre, afin de rendre la découverte de la vérité, sinon
6
-
66
impossible , du moins plus difficile et toujours incomplète .
L'évêque s'adressa aussi au cardinal Corsini : les provin
ciaux des dominicains et les prieurs , lui dit- il , au lieu
d'arrêter les désordres dont les confesseurs étaient cause ,
se sont plongés dans les mêmes iniquités . C'est ce que dé
posent les demoiselles élevées dans les couvents et les reli
gieuses dirigées par les moines . Elles ne parlent que de la
femme du provincial , de la maîtresse du confesseur , etc.
Le grand-duc , de son côté , envoya à Rome un courrier
extraordinaire , qui avait pour instruction de ne revenir
qu'après avoir obtenu une réponse . Dans l'intervalle , la
marche du procès relativement au couvent de Saint -Clé
ment demeura suspendue , quoiqu'on eût acquis la convic
tion que , au moins depuis la translation des religieuses de
Pistoie , les mêmes désordres y régnaient qu'à Sainte-Cathe
rine .
Cela n'empêchait pourtant pas l'évêque de Pistoie de
recueillir les renseignements qui lui venaient de toutes
parts . Il apprit , entre autres , par une lettre de la seur Flavie
Peraccini , qu’un moine qui était devenu provincial lui avait
écrit des choses si abominables qu'elle avait cru devoir les
conimuniquer à un prêtre . Celui -ci avoua que , bien qu'il
entendit la confession depuis nombre d'années , il n'avait
aucune idée d'un pareil raffinement de corruption. La seur
Flavie rapporta les paroles du prêtre au provincial des do
minicains , et celui - ci répondit : « Vous êtes une sotte .
Faites ce que je vous dis ; essayez de suivre mes conseils ,
et vous me remercierez de mes leçons . »
A la grille , disait la même seur , les moines ne tiennent
7
67
jamais que des discours orduriers ; ils racontent ce qui est
arrivé au saint-office à Pérouse ; ils révèlent les confessions
qui leur ont été faites.
La sæur Merlini avait confié à la seur Peraccini qu'un
moine distribuait une drogue pour faire avorter , disant
qu'il valait mieux passer par là que de perdre un homme
de réputation . La même seur avait entendu proférer par
les moines , au sujet de la messe , des blasphèmes qu'elle
n'avait pas osé répéter .
Sur ces entrefaites , toute la ville de Prato s'occupait de
ce qui se passait dans les couvents de religieuses . Les sæurs
converses colportaient de maison en maison les anecdotes
les plus scandaleuses dont leur couvent avait été le théâtre .
Les anciennes pensionnaires racontaient publiquement avec
quelle inconvenance les moines assistaient aux récréations
des religieuses , à leurs entretiens privés, aux spectacles
qu'elles donnaient ; lorsque la représentation de la comédie
était à sa fin , on ſaisait , au profit du confesscur, une quête
d'une manière si indécente que Ricci se refuse à la faire
connaître . On a peine après cela à se la figurer , quand on
songe que ce prélat n'a pas hésité à exprimer des choses
qui , d'ordinaire , ne se disent pas en termes clairs et précis .
Cette circonstance , jointe aux tentatives des seurs Bona
mici et Spighi pour corrompre les converses qu’on avait
chargées de les servir , fit prendre la résolution de les éloi
gner de Prato . Le grand- duc ordonna leur translation à
Florence .
Avant la mise à exécution de cette mesure , Ricci fit pro
céder à un dernier examen des religieuses par le lieute
- 68
nant de police , le vicaire épiscopal Palli , le père docteur
Baldi , et le notaire du tribunal civil . « Ce qui excita sur
tout l'étonnement , dit l'évêque , ce fut d'entendre la seur
Bonamici revenir sur ses réponses précédentes , non pour
atténuer ses aveux , mais bien au contraire pour en ampli
fier le sens , et pour développer son système d'impiété ,
principalement sur le point le plus important , savoir , que
nous faisons tous partie de la Divinité , qui est l'ensemble
des choses, la nature . »
Nous ne partageons pas l'étonnement de Ricci : les reli
gieuses , perverties par les directeurs de leurs consciences,
croyaient posséder la vérité , et se faisaient gloire , se fai
saient même un devoir de la confesser hautement , de la
soutenir et de la répandre . Ce sentiment seul peut expli
quer le dévergondage avec lequel elles firent parade d'un
système que , sans cela , personne n'aurait osé soupçonner ,
et dévoilèrent des turpitudes secrètes que rien ne les obli
geait à mettre au grand jour : confession inutile qui suffi
sait pour perdre une infinité de personnes dont la réputa
tion , jusqu'alors intacte , devait leur importer à elles surtout
qui se vantaient d'être leurs disciples . Dans les temps de
foi, elles seraient montées sur le bûcher sans sourciller ;
pourquoi , au siècle de doute , ne se seraient -elles pas expo
sées au blåme de gens qu'elles méprisaient comme moins
éclairés qu'elles ?
Au reste , arrivées à Florence, les deux sæurs furent en
fermées à l'hospice de Saint -Jean-Baptiste ou de Bonifazio,
asile ordinaire des insensés .
:
>
CHAPITRE XII ,
Réflexions sur ce qui va suivre . — Audition générale de toutes les personnes
habitant le couvent de Sainte -Catherine à Pralo .
Nous consacrons ce chapitre et les deux suivants aux
interrogatoires que subirent, d'abord toutes les religieuses
du couvent de Prato , puis , presque immédiatement avant
leur départ pour Florence , les deux religieuses prévenues
d'avoir causé le mal : ce dernier interrogatoire est à la fois
le plus régulier et le plus complet que contiennent les ar
chives Ricci ; nous le reproduisons textuellement.
Qu'on nous permette quelques réflexions avant de com
mencer .
:
Au xviiie siècle , où l'on déclamait sur le devoir d'accroître
la population , comme aujourd'hui l'on cherche à faire
comprendre qu'il faudrait la diminuer , on n'a pas manqué
de se récrier contre la vie du cloitre , qui exige des vertus
contraires à la nature, et par conséquent mène naturel
6 .
70
lement aux vices les plus monstrueux . Nous sommes plus
positifs : la nature , à nos yeux , lorsqu'il s'agit de l'ordre
moral , est un mot dénué de tout sens rationnel , aussi bien
dans la bouche des philosophes actuels que dans celle des
religieuses d'il y a soixante-quinze ans . La nature , c'est la
matière , aveugle et passive ; et quiconque l'invoque en
raisonnant est matérialiste , que d'ailleurs il se le dissimule
à lui-même ou qu'il se l'avoue . L'homme , comme corpsvi
vant, a des penchants organiques qu'il domine , comme sen
sibilité, au moyen de ses tendances intellectuelles , quand il
le veut, c'est-à- dire quand , pour le vouloir , il a des motifs
de raison ou de foi qui l'y contraignent moralement .
Tant que la foi chrétienne a été robuste et vive , la vie ,
non-seulement cenobitique , mais encore isolée ou stricte
ment monacale , la vie érémitique au sein des déserts, avec
la continence absolue , les mortifications et les macérations,
les abstinences et les pénitences de toute espèce jusqu'au
quasi-suicide , a été possible , et de nombreuses générations
l'ont réalisée . Avec la déchéance de cette foi, l'organisme ,
qui n'avait pas la raison pour le diriger en toutes circon
stances , et pour le combattre dans plusieurs , a reconquis son
empire . Les conseils évangéliques de Jésus étant pris pour
point de départ du raisonnement , les pères de la Thébaïde et
leurs imitateurs étaient seuls logiques jusqu'au bout . Depuis
que ce point de départ a été remplacé par celui qui , de nos
jours , prime tout raisonnement, savoir , que rien n'est cer
tain si ce n'est ce que chacun éprouve au moyen de ses
sens , pendant le seul temps qu'il soit donné aux organes de
leur faire éprouver quelque chose , les religieuses dc Pis
a
1
1
1
- 71
toie et de Prato étaient beaucoup plus logiques que leurs
examinateurs . Maintenant entrons en matière . Nous donne
rons le précis de toutes les pièces , et rapporterons le texte
même de celles qui nous auront paru les plus saillantes .
La première pièce est l'audition générale , dy 25 au
30 juin ( 1781 ) , de toutes les personnes habitant le couvent
de Sainte -Catherine, composé de quinze dames chorales ,
treize converses et cinq pensionnaires , audition de laquelle
il est résulté : que , depuis les dernières fêtes de la Pente
côte , les seurs Bonamici et Spighi ont soutenu et répandu
dans le monastère , « que Jésus-Christ n'est
pas réellement
présent dans l'hostie consacrée ; qu'il n'y a point de Saint
Esprit ; qu'il n'y a point eu d'incarnation du Verbe ; que la
très - sainte Marie n'est pas demeurée vierge ; que l'âme est
mortelle et finit avec le corps ; que le baptême et les au
tres sacrements sont inutiles au salut ; qu'il n'y a point de
péché ; qu'il n'y a ni enfer ni purgatoire ; qu'elles voulaient
attirer toute la communauté à leur parti ; qu'elles seules
étaient sauvées , et que toutes les autres seraient damnées
pour avoir rejeté leur doctrine , »
Les deux religieuses prénommées avaient troublé le cou
vent en maltraitant les autres religieuses qui leur résis
taient , et elles avaient attenté à la pudeur de leurs compa
gnes .
Elles se sont néanmoins présentées à la communion , d'où
le confesseur non dominicain les repoussait .
Elles ont entretenu des liaisons suspectes , la scur Bona
mici avec son propre frère, le père Jean -Baptiste Bona
mici , religieux augustin et prêtre ; la seur Spighi avec le
72
prêtre Jean Bottello , ex - jésuite portugais . Une sæur ajoute
que ce moine s'était parfois présenté à la grille , accompagné
d'une femme qu'on avait entendu jurer, per le piattole di
Gesù Cristo .
Les deux prévenues avaient abjuré plusieurs fois leurs
erreurs, mais jamais sincèrement ; elles n'avaient eu pour
but que de jouir de plus de liberté .
Elles avaient attiré à elles la mère Anne-Diomire Baroni ,
dame chorale , et les converses Anne Grazzini et Marie -Ur
sule Passi , encore novice .
La mère Baroni avait été séduite par les maximes que
nous avons déjà exposées et par celles qui vont suivre et
qui n'en sont que des variantes : « Jésus-Christ n'a été
qu’un simple prophète , envoyé sur la terre pour prêcher
d'exemple ; l'âme mourant avec le corps , il n'y a plus après
cette vie ni peine ni plaisir . » Les spurs Bonamici et
Spighi avaient commis sur elle des actions déshonnêtes , et
l'avaient sollicitée à en faire autant . C'était là , disaient- elles,
la véritable oraison ; et il était inutile d'en parler au con
fesseur puisque la pratique en était générale . Pour la con
vaincre , les deux sæurs lui avaient lu les écrits de saint
Jean - de-la-Croix , qu'elles interprétaient dans leur sens .
Anne-Rose Grazzini avait été tentée d'une manière ana
logue par la seur Bonamici , qui lui avait conseillé de se
confesser, mais sans se repentir , et afin seulement de pou
voir continuer à agir de même et de ne jamais se trahir .
Elle consulta la seur Spighi qui confirma ce qu'avait dit la
seur Bonamici , avec cette différence qu'elle avait donné la
préférence sur l'oraison de la Bonamici aux actes charnels
-
-
73
qui se pratiquent entre personnes de sexe différent. La
sæur Spighi ajouta que cette doctrine était puisée dans la
théologie mystique .
Sæur Grazzini révéla toutes ces choses à son confesseur ,
le père Orlandi , qui lui ordonna de dénoncer au saint - office
la scur Bonamici , scs oraisons impures et les maximes dont
elle les appuyait ; ce qu'elle fit. Il n'en résulta pas autre
chose , si ce n'est que la sour Bonamici lui demanda pardon
et oubli pour le passé : il y avait de cela cinq ans .
y
Sæur Ursule Passi dépose que , étant âgée de seize ans et
sous la direction des maitresses des novices, les seurs
Bonamici et Spighi, la première lui avait enseigné la voie de
la perfection, afin de la faire parvenir à l'union avec Dieu .
C'était toujours au moyen de l'oraison telle que l'enten
daient ces seurs , et pratiquée soit à elle scule , soit avec
d'autres, femmes ou hommes .
La seur Bonamici expliquait dans ce sens les exhortations
des confesseurs, qui lui disaient : Faites loraison ; tâchez
de demeurer unie avec Dieu .
Afin de joindre l'action à la parole , les deux maîtresses
des novices et des pensionnaires commettaient entre elles
l'oraison en sa présence , et cela presque tous les jours .
Après cela , tantôt l'une , tantôt l'autre l'obligeaient à la
commettre avec elles , ce qu'elle faisait à cause de la grande
autorité dont ces seurs jouissaient sur elle . Elle les voyait
aussi coucher ensemble , et s'abandonner aux actes de
l'obscénité la plus excessive .
Lorsque la déposante leur objectait la loi de Dieu et les
préceptes de Jésus -Christ , la seur Bonamici répondait :
- 74
.
« Certes , il a bien fallu imposer une loi quelconque pour
empêcher que tout ne dégénérât en confusion et en trou
bles . »
Les deux maîtresses lui proposaient comme exemples à
suivre la mère Baroni et la sour Grazzini , qu'elles avaient
déjà séduites , et elles lui recommandaient fortement de
faire à son tour de la propagande , afin d'éclairer peu à peu
toute la communauté sur les moyens propres à atteindre la
perfection.
Sour Ursule allait
à la sainte table avec les autres reli
gieuses , parfois sans s'être confessée , d'autres fois après
une confession qui ne se composait que de quelques aveux
insignifiants, mais sans jamais faire mention des impudi
cités auxquelles elle se livrait .
Le moment de prononcer des væux étant venu , la seur
Bonamici l'exhorta à multiplier ses oraisons ; clle ne le fit
néanmoins qu'avec les deux mailresses qui l'en pressaient
continuellement . La seur Bonamici ne cessait de lui répéter
qu'elle ne devait s'engager , en émettant le veu de chasteté ,
qu'avec l'intention bien arrêtée de l'observer en pratiquant
l'oraison , seule , ou avec d'autres femmes , ou avec des
hommes .
Ne pouvant finalement résister aux reproches de sa
conscience , seur Ursule se confia à la mère Salvi , syndique ,
qui fit son rapport au confesseur Orlandi . Celui -ci ordonna
de mettre par écrit la déposition de la jeune religieuse.
Comme elle était restée au noviciat , les deux maitresses
ne lui laissaient pas un instant de repos . Elle s'en plaignit
à la mère Jésualde Serrati , alors prieure . Celle-ci , d'accord
75
avec le confesseur, ôta leur emploi aux deux maîtresses, et
les obligea à abjurer leurs erreurs entre les mains du père
Ulivi et à faire une confession générale.
Les dépositions des mères Annc-Diomire Baroni , Jé
sualde Serrati, Emmanuelle Dragoni et autres , ainsi que
celles de la converse Passi et de la pensionnaire Charlotte
B ****, établissent que , sept ans auparavant, la seur Bona
mici avait enseigné à cette dernière , âgée seulement de
sept à huit ans , toutes sortes d'impudicités qu'elle qualifiait
d'oraison ,
Les mères Baroni et Dragoni, et en outre les mères Salvi
et Catherine Apolloni , déposent que les sæurs Bonamici et
Spighi avaient coutume de tourner en ridicule la parole de
Dieu et les avis des confesseurs, qu'elles appelaient des
chimères , des épouvantails , bons tout au plus à faire peur
aux niais .
Les mêmes mères , et de plus la mère Filiadei Novellucci
et la converse Passi , révèlent que les seurs Bonamici et
Spighi allaient communier sans être à jeun , qu'elles fai
saient gras le vendredi et le samedi , et qu'elles conseillaient
à leurs compagnes d'en faire autant .
Elles déposent que les deux sæurs en question abusaient
de la sainte hostie, qu'elles s'ôtaient de la bouche après
la communion , pour l'appliquer alle parti pudende . Elles
l'avaient aussi jetée dans la fosse d'aisance .
La mère prieure Cécile - Antoinette Salvi dit que , cinq ans
auparavant, la seur Bonamici avait cherché à la corrompre
à trois reprises différentes : « Elle prétendait qu'elle avait
eu un commerce charnel avec Jésus- Christ comme homme;
:
-
76
qu'elle avait bu le lait de la sainte Vierge ; qu'elle avait joui
d'un plaisir de paradis . » La mère Salvi en parla au confes
seur , et la sœur Bonamici fut forcée d'abjurer.
La sæur Bonamici s'était depuis peu adressée à la supé
rieure , pour lui demander avec instances de pouvoir de
meurer seule avec son frère , le père Jean -Baptiste Bona
mici . La supérieure refusa et rendit compte au conſesseur.
La Bonamici fut obligée à lui présenter ses excuses ; elle
s'était oubliée , disait - elle , étant prise de vin .
Le jeudi avant les dernières fêtes de la Pentecôte , la scur
Bonamici pria la mère prieure , déposante , d'écouter la
sæur Spighi . Elle y consentit pourvu que ce fût en pré
sence de la mère syndique , seur Emmanuelle Dragoni . La
Spighi vint et s'écria : « Est-ce là la charité dont on use
envers nous ? » et , tant elle que la Bonamici levèrent leurs
jupons, etc. La déposante se rua sur elles et les battit ; puis
elle les chassa . Ayant instruit le confesscur et le prieur de
ce qui s'était passé , les deux rcligieuses furent grondées et
privées des sacrements , et la Spighi fut destituée de son em
ploi de sacristine . Le confesseur menaça de les dénoncer
l'une et l'autre , mais elles se moquèrent de lui .
La mère Anne-Marie Domini dépose que la seur Bona
mici lui avait offert de la mettre dans une route nouvelle .
Elle en fit part au père Pacini , confesseur , qui lui demanda
le nom de la tentatrice , et lui défendit de la fréquenter
davantage .
La mère Emmanuelle Dragoni , étant prieure , avait été
sollicitée par la sæur Bonamici , qui l'avait invitée à la
mettre à même de s'unir avec Dieu, lui déclarant que cette
77
union devait s'opérer au moyen du commerce charnel entre
elle -même et un prêtrc , et désignant à cet effet le père
Gamberani, à cette époque confesseur de la communauté .
La déposante refusa d'y consentir ; mais , la Spighi s'étant
jointe à la Bonamici , les deux religieuses revinrent à la
charge en présence du père pricur Fortunati , qui les répri
manda et les tint pendant plusieurs semaines éloignées des
sacrements .
Il résulte de la déposition de la mère Rose -Marie del Feo
que la mère prieure Serrati reçut en sa présence une lettre
qu'elle lut à l'écart , conjointement avec le père Quaretti ,
prieur . La déposante parvint à découvrir que le père San
toro l'avait écrite pour se plaindre de la Bonamici , qui
s'obstinait à soutenir qu'elle pouvait se sauver sans la foi, en
niant le purgatoire et la présence réelle de Jésus - Christ au
saint sacrement. Le père Santoro , comme s'il eût su que la
sæur Bonamici se vantait de l'avoir eu pour maître , insis
tait pour qu'elle déterminât quand et comment il lui avait
enseigné ces choses.
Lorsque le père Deserio était confesseur , un jour qu'on
avait tardé plus que de coutume à ouvrir la grille par où se
donne la communion aux religieuses , la seur Spighi, sacris
tine , dit devant la déposante , sacristine également : « qu'on
attendait bien longtemps avant d'ouvrir le trou au pain ;
qu'au reste , quant à elle , peu lui importait, lors même qu'on
ne l'ouvrirait plus du tout . »
Marie-Madeleine Ceroti , converse , déclare que la saur
Bonamici lui avait recommandé de prendre à rebours les
conseils que lui donneraient ses directeurs spirituels , et par
MÉMOIRES DE RICCI .
7
78
exemple d'aller à la communion quand ils lui défendraient
de communier .
Au chapitre suivant , nous donnerons les examens des
deux accusées devant la mère Cécile- Antoinette Salvi ,
prieure , et la seur Emmanuelle Dragoni, syndique , rap
portés en entier et dans tous leurs détails , avec justesse et
précision , tels qu'ils se trouvent dans l'original , aux archives
de la famille Ricci .
CHAPITRE XIII .
Interrogatoire , lextuellement rapporté , de la sæur Catherine -Irène Bonamici.
Savez - vous pourquoi vous êtes renfermée ici ? Parce
que je suis chrétienne .
Quelle est l'essence d'une chrétienne ? — De croire qu'il
y a un premier principe , qui est Dieu .
Quel est ce Dieu ? La vérité des choses .
La vérité des choses doit- elle s'entendre du Dicu qui a
formé le ciel et la terre ? Je ne puis le nicr .
Est-ce ce Dieu qui a envoyé son fils au monde pour nous
racheter du péché ? — Certainement , c'est un assemblage
de toutes les choses, et même de tout le genre humain .
Vous ne croyez donc pas que celui qui est né de la vierge
Marie soit le fils de Dieu ? Non : c'était un homme
comme les autres .
Croyez - vous qu'il soit mort sur la croix pour nous
-
80
sauver ? – Je crois qu'il est mort parce qu'on l'a fait
mourir .
Oui ,
mais après qu'elle avait eu charnellement commerce avec
saint Joseph .
Croyez -vous qu'il soit né de la vierge Marie ?
Croyez -vous que Jésus -Christ soit l'instituteur des sacre
ments ? Non : il ne me reste quelques doutes que relati
yement à la dernière cène .
Jésus-Christ est- il présent dans l'hostie consacrée ? Je
ne le crois pas .
Avez-vous abusé de l'hostie consacrée ? Par dédain
pour elle , et parce que je ne croyais pas ce qu'on m'en
disait , je l'ai jetée aux commodités . (Elle ajoute :) il у
environ huit ans , je la retirai de ma bouche et la mis dans
une petite boite , où ensuite je la pris et me l'appliquai alle
partipudende.
Pourquoi cela ? - Parce qu'alors je n'avais pas encore
renoncé à l'erreur de croire que Jésus- Christ est présent
dans l'hostie .
Faisiez -vous cela par mépris pour Jésus - Christ ? Au
contraire , je le faisais par amour pour lui ; je voulais farlo
venir meco in quelle parti.
Cela est-il arrivé souvent ? Deux ou trois fois .
Éprouviez -vous en le faisant quelque horreur, de la ré
pugnance ? ---
Pas le moins du monde .
Jésus -Christ est-il l'auteur du baptême , qui est nécessaire
à l'homme pour se sauver ? - Le baptême est nécessaire
pour être catholique ; mais Jésus- Christ n'en est pas
l'auteur .
a
81
Qui a institué le baptême ? Je n'en sais rien ; peut
être saint Paul, ou les apôtres d'un commun accord .
Croyez-vous à la confirmation , à l'extrême-onction , etc. ?
Seulement pour autant qu'ils se réfèrent à la foi.
La foi nous apprend que le baptême a été institué pour
effacer le péché originel. -- Le péché originel est une figure,
non une réalité .
Si Dieu est voie , vérité et vie , n'est - il pas éternel , infini ,
tout-puissant ? - Sans doute .
Ne donne - t- il pas aux bons le paradis pour récompense
éternelle, et aux méchants l'enfer pour éternel châtiment ?
Oui , dans ce monde.
Ne donnera - t - il pas , après leur mort , le paradis aux
bons et l'enſer aux méchants ? Il leur a réservé le même
sort .
S'il donne le paradis ou l'enſer sans distinction aux bons
comme aux méchants , il faudra l'appeler injuste. — Il n'y a
ni paradis ni enfer . Le seul paradis est celui qu'on se fait
en ce monde. ( Elle ajoute :) La vie éternelle est la trans
substantiation qui s'opère quand l'homme s'unit à la
femme .
L'âme est - elle spirituelle , immortelle ? - Elle est mor
telle : l'âme consiste dans la mémoire , l'intelligence et la
volonté ; lors de la mort du corps , l'âme meurt avec lui .
Dieu a créé l'âme ; Dieu est éternel : donc l'âme est éter.
nelle aussi. Pur esprit, elle ne peut se détruire d'elle -même.
Elle se détruit d'elle -même.
Où avez -vous puisé cette doctrine ? Je ne la tiens de
personne .
7 .
-
82
Cependant, sans livres , sans maître , il est impossible
d'apprendre ce que vous venez de dire .
maître universel , qui est Dieu ou la nature .
Il existe un
Avez-vous enseigné cette doctrine à d'autres ? Oui ,
monsieur.
A qui ? - A deux religieuses chorales , Anne -Diomire
Baroni et Marie-Clodésinde Spighi , et à deux converses ,
Marie- Ursule Passi et Anne-Rose Grazzini .
Ces quatre religicuses ont -elles pratiqué votre enseigne
ment ? - Sæur Marie-Clodésinde la pratique ; je suppose
que les autres le font également .
Qu'avez - vous enseigné aux quatre religieuses déjà nom
mées ? Que l'on peut se sauver dans toutes les religions ;
que ce qu'on appelle des impuretés est la pureté véritable ;
que c'est là ce que Dieu nous a commandé de pratiquer ;
que c'est le seul moyen d'arriver à la connaissance de Dieu ,
qui est la vérité .
Où Dieu a-t-il commandé cela ? -
Je l'ai tiré de l'incli
nation de la nature .
Ne l'auriez -vous pas puisé dans ce que vous ont dit des
prêtres , des moines ou des séculiers ? - J'aireçu des lumières
qui m'ont aidé à acquérir ces connaissances ; ces lumières
m'ont été enlevées.
Nommez les personnes qui vous ont communiqué ces
lumières . - Mes confesseurs, les pères Gamberani , Orlandi,
Deserio .
De quelle manière ? est-ce par écrit ou au moyen de
livres ? Je n'ai pas eu de livres . Le père Santoro qui m'a
dirigée pendant dix-huit ans , lorsque j'étais encore scrupu
83
leuse, m'a beaucoup aidée par ses lettres . Quand mon es
prit eut été pleinement illuminé, il a continué à m'instruire ,
pendant environ un an et demi .
Avez -vous ces lettres ? Non , hormis une seule . Je
disais que j'étais abandonnée sur la croix et résignée à de
meurer ainsi ; il me répondit que je faisais fort bien .
Quelles lumières avez - vous reçues des pères Deserio , Or
landi , etc. ? - Je n'en sais plus rien : ils me défendaient de
communier , et je comprenais par là que je devais commu
nier ; je prenais tout à rebours .
Vous donnaient- ils la communion après vous l'avoir in
terdite ? Sans aucun doute .
Toujours ? Le dernier confesseur me l'a refusée . Au
commencement , cependant , il me la donnait, quoiqu'il
m'eût défendu , en présence de toutes les religicuses , d'y
participer . Puis , comme je continuais à me présenter , il
me la refusa .
Avez -vous fréquenté , aux grilles et à la porte , des per
sonnes professant les mêmes doctrines que vous ? – Non ,
mon père : je n'ai parlé qu'aux pères spirituels et à l'oncle
de Marie-Clodésinde , le chanoine Buti , et à un francis
cain , le père Scarpante , il y a sept ou huit jours .
Avez-vous causé avec le père docteur Ulivi , franciscain ?
Souvent. Une fois, je lui rendis compte de mes opinions
en matière de foi, mais hors de confession . Il feignit de
prendre cette confidence pour une confession sacramentelle ,
et me donna l'absolution , quoiqu'il sût fort bien que ma
confession était fausse .
។
Quelle pénitence vous imposa - t-il ?- Cinq Pater et cinq
84
Ave en l'honneur des saintes plaies, à réciter tous les jours .
Je n'en fis rien .
Vous étiez-vous confessée au père Ulivi avant cette épo
que ? Certainement : je lui avais même fait une confes
sion générale quand j'étais scrupuleuse ; mais je n'eus pas
la force de la terminer . Pour me tranquilliser , il fallut que
le père Pacini confirmât les obligations que m'avait imposées
le père Santoro , et qui convenaient à mes scrupules .
Quelles sont ces obligations ? -- Celle de réciter l'office
sans attention ni intention : je ne parvins pas à y réussir,
et je priai le père Pacini de permettre que je ne le récitasse
plus du tout . Ce père m'avait aussi prescrit une méthode
particulière pour les confessions ; je l'ai souvent négligée .
Avez -vous encore cette méthode ? Je n'ai plus rien .
Les dominicains me donnèrent l'ordre de tout brûler , il y
aura de cela douze ans au mois de septembre ,
Avez-vous enseigné votre doctrine à d'autres personnes
qu'aux quatre religieuses que vous avez nommées ? .- Seu
lement à une séculière , âgée d'à peu près sept ans . Je lui fis
pratiquer le voeu de chasteté en lui montrant à se toucher
le vergogne, ici (elle indique le parti pudende), et à dire :
Saint -Esprit , amour , venez dans mon cæur . »
16
Qu'enseignâtes - vous aux autres religieuses pour les
amener à vos opinions ?-A considérer ce que nous venons
de dire comme des actions vertueuses, qu'elles étaient obli
gées de faire pour observer le væu de chasteté.
Que devaient -elles faire dans ce but ? Se toucher les
parties naturelles , s'unir charnellement aux hommes et
surtout aux ministres de l'église , ct s'unir de la même ma
-
છે
}
85
nière les unes aux autres , pour qu'il y eût charité frater
nelle .
Avez-vous commis des impuretés avec des prêtres ? -
Non , monsieur.
Avec des religieuses ? — Oui .
Quelles impuretés ? Des attouchements réciproques ,
soit avec les mains, soit avec toute la personne .
Est-ce avec les religieuses que vous avez nommées ?
Avec trois seulement : avec la sæur Baroni , deux ou trois
fois; avec Marie -Clodésinde , très - fréquemment. Néan
moins, je lui enseignais à se toucher plutôt elle -même; car ,
de mon côté , je me sentais plus portée à le faire seule . Avec
la sæur Ursule Passi , je l'ai fait, mais rarement : elle ne
suivit mes conseils que pendant quatre ou cinq mois ; puis
on lui ordonna de m'éviter .
Pourquoi dul - elle vous éviter ? — Parce que la route que je
suis, quoique bonne par elle-même , était difficile pour elle .
Avez -vous sollicité d'autres religieuses par des actes ou
des discours ? Il me paraît que non ; il est possible tou
tefois que j'aie hasardé de temps en temps quelque mot .
Nous passons à l'interrogatoire de la seur Spighi.
-
CHAPITRE XIV .
Interrogatoire textuel de la sæur Marie -Clodésinde Spighi . — Déposition
d'une pensionnaire . - Nouvelles réflexions sur ce qu'on vient de lire .
Savez-vous pour quel motif vous êtes détenue ici ?
le sais : c'est parce qu'on prétend que je me conduis mal , et
que mes idées sont erronées .
En quoi ? - On dit que je suis hors de la voie tracée par
:
?
la loi de Dieu ; que j'ai falsifié cette loi ; et que je ne l'ob
serve pas .
Cette loi consiste dans les dix commandements de Dieu .
- J'observe ces commandements ; car la loi de Dieu est
comprise tout entière dans le précepte d'aimer Dieu et le
prochain .
Aimez - vous Dieu ? Le croyez -vous un être infini, tout
puissant, qui a créé le ciel et la terre ? - Assurément.
Croyez - vous qu'il soit le rémunérateur des bons qu'il
reçoit dans son paradis, et le punisseur des méchants qu'il
Je
88
condamne à l'enfer ? Je crois qu'il est le distributeur de
la justice, mais seulement en cette vie : après la mort , il
n'y a ni paradis ni enſer .
Que devient , après la mort , l'âme que Dieu a créée spi
a
rituelle et immortelle ? Elle finit d'exister avec le corps .
Si elle est spirituelle , elle ne peut ni se détruire , ni étre
détruite . C'est un esprit , mais qui se dissout comme un
brouillard .
Dieu a infusé l'âme dans l'homme pour qu'elle l'aimat
et le servit en cette vie , et pour qu'elle fût éternellement
récompensée au paradis dans l'autre . — Il n'y a de paradis
qu'en ce monde : c'est la fruition ( la jouissance ) de Dieu .
Comment parvient - on à cette fruition ? - Par le moyen
de l'acte qui fait qu'on s'unit à Dieu ; par l'opération de
l'homme, dans lequel je reconnais Dieu lui-même .
Cette union avec Dieu , moyennant l'intermédiaire de
l'homme, comment se fait - elle ? Je vais vous en donner
une idée . (La sæur Spighi , dit l'interrogateur , s'est levée et
a troussé ses jupons devant les mères syndique et prieure ;
je l'ai grondée , et elle s'est rassise .) Voilà l'oeuvre selon la loi
de Dieu .
Où avez-vous appris cette doctrine et ces cuvres ? - Dans
le livre de la vérité .
Quel est ce livre ? - Dieu lui-même est la vérité ; j'ai ap
pris ces æuvres de lui .
Dieu est parfait et saint ; il défend ces choses . — Oui ,
;
matériellement , selon la lettre de la loi ; selon l'esprit , il
ne les déſend pas .
Le sixième commandement : Tu ne commettras pas adul
1
-
!
.
89
tère , doit s'entendre au sens spirituel comme au sens lit
téral . – J'entends précisément par là qu'il faut faire ces
choses .
En quoi consiste l'oraison , par laquelle nous recourons à
Dieu dans nos besoins ? A faire du bien , de la manière
que l'église l'ordonne .
Faites-vous ce bien ? Sans doute .
Comment ? Je me conforme à ce que ſont les autres .
Croyez -vous que Dieu a envoyé du ciel son fils unique
pour nous racheter de nos péchés ?- Non , monsieur : Jésus
est un homme comme les autres .
Est- il mort pour sauver nos âmes ? Oh ! pour cela , je
n'en crois rien . Nous autres , chrétiens , nous le considé
rons comme notre chef , comme le fondateur de notre loi .
Quelle loi a fondée Jésus- Christ ? - Il a établi un grand
nombre de préceptes ; il a institué les sacrements .
Lesquels ? — Le baptême , la confirmation , l'eucharistie,
-
et quatre autres encore puisqu'il y en a sept .
Le baptême nous lave- t-il du péché originel ? -- On le
dit , mais je n'en crois rien : nous venons au monde avec
une espèce de sympathie , avec l'instinct d'aimer .
Croyez-vous aux autres sacrements ? A tous comme à
celui du baptême.
Avez-vous abusé des sacrements ?
insolite , mais non pour en abuser .
9
J'en ai fait un usage
Quel usage ? J'ai jeté le sacrement de l'eucharistie .
Où ? - Dans les lieux .
Combien de fois ? Une seule .
N'avez-vous pas fait
autre chose ? -
Je l'ai appliqué ici
8
-
a
90
( montrant le parti pudende ) , par amour pour ce sacre
ment.
Combien de fois ? Une fois, il y a de cela six ans.
Avez-vous enseigné à d'autres à faire la même chose ?
Non, monsieur
Savez-vous si d'autres vous ont imitée ?- Je ne le pense
pas . J'en fis part à la sæur Catherine - Irène Bonamici ;
j'ignore si elle a suivi mon exemple .
Qui vous avait enseigné cette abomination ? – Personne .
Quand je jetai l'hostie aux commodités , ce fut par incrédu
lité complète ; quand je me l'appliquai:aux parti pudende,
je le fis parce que je n'étais pas encore entièrement dégagée
des liens de la foi.
Avez-vous cherché à insinuer ces idées à d'autres per
sonnes ? - Outre la seur Bonamici , il
y
avait encore les
seurs Baroni et Passi qui pensaient comme moi ; cependant
elles n'ont jamais tout su .
Que leur enseignâtes-vous ?
A se toucher réciproque
ment : je ne me rappelle pas qu'il se passât autre chose avec
la seur Baroni . Quant à la seur Passi, il y eut aussi des
embrassements lasciſs .
Combien de temps cela dura-t-il ? – Nous nous bornions
à tenir des discours obscènes à la scur Baroni , et cela dura
plus longtemps qu'avec la sour Passi . Celle-ci pratiqua les
attouchements réciproques pendant un an à peu près.
Combien de temps y a - t - il de cela ? - Je pratique, moi ,
ces choses depuis sept ans . La seur Bonamici et moi les
cnseignámes presque aussitôt à nos compagnes.
Fut-ce à d'autres encore que celles que vous avez nom
2
-
- 91
mées ? Oui , à une pensionnaire , qui est Charlotte B ****,
છે
Que lui enseignâtes-vous ? A se faire des attouche
ments , disant que ce n'était pas péché ; rien de plus .
Lui fites- vous des attouchements , vous -même ? - Huit
ou dix fois, et seulement avec les mains .
Savez-vous où elle se trouve maintenant ? Dans le
couvent , à moins qu'elle ne soit partie depuis que je
suis ici .
A -t-elle continué à se faire des attouchements ?
Je n'en
sais rien ; je ne lui ai plus parlé depuis des années.
Avez-vous enseigné pareille chose à d'autres ? - Non ,
monsieur .
Sæur Catherine-Irène l'a -t-elle fait ?
Je ne le crois pas :
elle a enseigné ces choses à sa converse , soeur Anne-Rose
Grazzini , seulement . Nous en parlions souvent , seur Ca
therine-Irène , Anne -Rose Grazzini et moi.
Commîtes -vous des actions déshonnêtes avec Anne-Rose
Grazzini ? —-
Moi , jamais ; je ne sais pas ce qu'a fait la seur
Bonamici .
Quels discours teniez -vous ensemble ? — Nous parlions
de notre incrédulité . Il ne nous fallait que peu d'efforts pour
persuader la scur Grazzini .
Et avec seur Ursule Passi , fites-vous des altouchements
et tîntes - vous des discours ? Je vous l'ai déjà dit .
Pourquoi ces deux swurs s'éloignèrent-elles de vous ? -
Je pense qu'on les força de s'éloigner : je ne les ai , pour
ma part, ni renvoyées , ni rappelées .
Quel emploi desserviez-vous alors ? - J'étais employée
–
au noviciat où je montrais à lire à Charlotte .
>
-
-
-
92
Dans quel but cherchiez-vous à attirer à votre parti les
religieuses et les pensionnaires ? - Pour les instruire dans
les bonnes choses .
Où avez -vous puisé cette doctrine ? On n'y arrive pas
sans livres ou sans maître . Sur ce point , vous n'écrirez
rien ; car je n'ai pas puisé dans des livres .
Vous avez donc eu des maîtres ? Sour Catherine me
persuada et me gagna , en me disant que tout cela est per
mis , l'homme étant né libre , et personne ne pouvant en
chaîner son esprit .
Avez -vous eu d'autres maîtres de cette abominable doc
trine , qui sont venus à la porte du couvent ou aux grilles ?
- Non , monsieur .
Du moins, vous avez parlé de vos actions licencieuses à
des prêtres , des séculiers ou des moines . — Assurément.
A qui ? -- A un prêtre , Jean Bottello .
Outre les discours lascifs, ce Bottello a -t- il fait des ac
tions déshonnêtes ? Sans doute . J'ai moi -même touché
le sue parli vergognose .
Combien de temps cela a-t-il duré ? Cela est arrivé
quatre ou cinq fois en autant de mois .
Où cela avait-il lieu ? - Aux grilles .
Étiez -vous seule avec lui .? - Oui , quand il s'agissait des
attouchements ; mais pour les simples conversations , scur
Irène m'accompagnait quelquefois.
Bottello vous a- t-il jamais écrit ? — En partant , il m'a
écrit deux lignes . (Elle dépose qu'elle a parlé une fois à
Bottello de son incrédulité ; il a répondu qu'elle méritait
d'être brûlée . )
93
Avez-vous eu d'autres liaisons ?
9
Dans l'intérieur du
couvent , j'eus quelque pelite intrigue .
De quelle espèce ? - Je fis des attouchements avec un
homme, appelé Joseph Marini , qui était au service de la
communauté .
Quels attouchements ? - Réciproquement, alle vergogne,
alle parti disoneste.
Combien de fois , et combien de temps cela dura- t-il ? -
Trois fois en deux mois .
Qui est votre converse ? . Sæur Marie-Ancille Guasti ,
Lui avez - vous tenu des discours fait des actions
déshonnêtes ? — Non .
Les religieuses de la communauté ont- elles découvert ce
que vous disiez et ce que vous pensiez ? - Elles doivent
l'avoir su . Je ne me suis cependant jamais trahie moi-même.
Que vous disaient les confesseurs à qui vous découvriez
ces choses ? — Je ne m'en confessai qu'une fois, en disant
ce qui s'était passé avec Marini .
Vous conſessiez - vous des autres impudicités ? — Au com
mencement , oui ; mais seulement pour donner aux confes
seurs quelque idée de ma façon de penser et d'agir .
Que disaient les confesseurs ? - Ils me défendaient de con
tinuer à vivre ainsi , en disant que cela n'était pas convenable .
Comment faisiez -vous pour participer aux sacrements?
J'y participais de mon propre mouvement . Les confesseurs
ne me le permettaient pas ; mais lorsque je me présentais ,
ils ne me repoussaient pas non plus . ( Elle dépose :) Au com
mencement , le confesseur à qui j'avais tout dit , et sincère
ment, m'avait refusé la bénédiction . Plus tard , il me la
8 .
.
.
JA
94
donna, sans confession préalable. Lorsqu'une autre fois il
me la refusa de nouveau , je lui fis remarquer cette contra
diction , et il répondit : « Je supposais que vous vous étiez con
fessée. C'était le père Orlandi. Il me renvoyait continuel.
lement à un autre confesseur. Ennuyée de cela , je fis appeler
le père Ulivi , vicaire du saint-office. Je lui dis tout : je lui
expliquai longuement ce que j'étais et ce que je n'étais pas .
Il me dit : « Voudriez -vous , par hasard , tirer les marrons
du feu avec les pattes des autres ? » Depuis lors, je partici
pai aux sacrements , sans en avoir obtenu le consentement
des confesseurs .
7
46
Pourquoi y participiez -vous ? - Parce qu'il me semblait
que les confesseurs auraient pu me le permettre s'ils
avaient voulu .
Avez-vous tenu des propos indécents ou commis des ac
tions impudiques avec les confesseurs ? Certainement .
Avec qui ? — Avec deux de nos confesseurs, le père Or
landi et le père Gamberani .
Sont- ce eux qui tinrent les propos et firent les indécen
ces ? Non , ce fut moi .
Quels étaient ces propos et ces actions ? Je me trous
sais comme j'ai fait tantôt, et je leur demandais de satisfaire
mes désirs.
Où cela se passait- il ? - A la grille de la sacristie.
Combien de fois cela eut- il lieu ? -Je levai mes jupons
deux fois devant le père Orlandi , et une fois devant l'autre
père ; je renouvelai plusieurs fois, auprès de tous deux , la
prière de condescendre à ce que je voulais d'eux .
Se rendirent- ils à vos sollicitations ? - Non , monsieur .
7
95
-
Ils me grondaient et me défendaient l'approche des sacre
ments . J'interprétais leurs paroles en sens inverse . (Elle
dépose :) Je fis une fois une confession générale au père
Gamberani, niant les actions que j'avais commises sous ses
yeux et les opinions que j'avais avancées devant lui . Je lui
dis tout , excepté ce qu'il savait comme moi , soutenant fer
mement que cela n'était pas . Mon intention était d'en avoir
le cæur net , comme on dit , en me montrant à lui telle que
j'étais , afin de savoir si , en effet, lorsque les confesseurs
disaient : Ne faites pas ceci, je ne devais pas comprendre :
Faites -le ; si N'allez pas à la communion , ne signifiait pas :
Allez -y. Le père Gamberani me traina en longueur pendant
près de deux mois ; puis il me donna la sainte absolution ,
en m'assurant que le Seigneur m'avait pardonné, que je de
vais ne plus en parler à personne, et tout mettre en oubli .
Avant de vous absoudre , vous fit - il abjurer vos erreurs ?
Non ; j'avais fait une abjuration précédemment, et avant
celle-là une autre entre les mains du père Orlandi.
Comment cela eut- il lieu ? Le père Orlandi m'avait
remis un papier qui contenait mes opinions en matière de
foi, et je l'avais signé. Lorsque le père Gamberani jugea
nécessaire que j'abjurasse , il me dit : « Comment ferons
nous ? » Je répondis que j'avais encore la minute du père
Orlandi, et je la lui montrai. Là -dessus , il prit ses mesures :
j’abjurai de nouveau ; il me donna l'absolution , et tout fut
terminé .
Quelle pénitence vous imposa - t- il ? - Aucune .
Les confesseurs ne vous imposaient-ils jamais de péni
tence après les abjurations ?- Il me semble que non .
- 96
-
Et quand ils vous donnaient l'absolution ? Alors , oui .
Quelle pénitence était - ce ? - Je l'ai oublié . Probable
ment des prières , les sept psaumes de la pénitence ou le ro
saire . L'un d'eux , me paraît-il , m'enjoignit un jour dejeûner.
Vous conformâtes -vous à cette pénitence ? - Je n'en fis
rien du tout . ( Elle dépose :) Après cela , je demeurai tran
quille , ne me confessant que rarement , et seulement pour
ne pas trop me faire remarquer par mes compagnes .
Priez-vous Dieu quelquefois ? - Je fais l'oraison , selon
ma méthode .
Quelle est cette méthode ? - C'est l'acte par lequel je
m'unis à Dieu intérieurement , et extérieurement autant
qu'il est en moi .
Par quelles actions croyez- vous vous unir à Dieu ? - Par
celles que vous appelez actions impudiques .
Les faites - vous souvent ? Plusieurs fois le jour .
A vous-même , ou avec d'autres ?- Actuellement à moi
même , parce que je ne puis plus les faire avec d'autres .
Par le passé, avec qui les faisiez -vous ? — Avec la reli
gieuse , soeur Catherine - Irène.
Cet interrogatoire est clos et signé en due forme, comme
celui de la Bonamici .
Nous y ajouterons l'audition de noble demoiselle Rose
M***** , née à Prato , et qui avait été pensionnaire au couvent
de Sainte-Catherine, du 1er avril à la fin de septembre 1774 ,
sous la direction des maîtresses Bonamici et Spighi. Elle
dépose que la seur Bonamici , avertie qu'une des pension
naires prenait avec une autre des privautés illicites , au
lieu de la corriger, dit qu'il ne fallait pas ainsi supposer de
-
97
la malice en toutes choses. Puis elle se mit à rire avec
la sæur Spighi . Elle faisait de même quand la déposante
témoignait quelque embarras pour se confesser , traitant
ses scrupules de bagatelles , et s'en moquant .
Lors des exercices qui précédèrent la prise d'habit par la
sæur Ursule Passi , les deux maîtresses retenaient celle -ci
longtemps et secrètement dans leurs cellules , avant la con
fession et surtout après , et on les entendait folâtrer.
En été , seur Bonamici se tenait devant les pensionnaires ,
le sein découvert, disant que pour des jeunes filles il ne
fallait pas se gêner .
Les seurs Bonamici et Spighi se rendaient à la dérobée
dans la cellule l'une de l'autre , et s'y enfermaient. La dépo
sante les a vues , l'une dans le lit , l'autre dessus . On suppo
sait qu'elles couchaient ensemble , car on les voyait sortir
le matin de la même cellule .
Elles chuchotaient et riaient entre elles , avant et après
les confessions ; ce qui faisait croire qu'elles tournaient les
confesseurs en ridicule .
Mais en voilà assez , si ce n'est même trop , sur un pareil
sujet, qui finirait par dégénérer en un dégoûtant rabå
chage . Nous ne doutons cependant pas que le lecteur sé
rieux ne nous pardonne de nous y être arrêté si longtemps ;
pour quiconque réfléchit, il n'est pas indifférent de se faire
une juste idée des excès auxquels peut mener une intelli
gence vagabonde , une fois que la passion , par le défaut de
raison et la perte de la foi, est demeurée sans règle et sans
frein .
Ce qui saute aux yeux dans ce que nous venons de rap
98
porter , c'est, avant tout , le manque de sens réel de la plu
part des propositions émises par les religieuses prévenues,
qui ne cessent pas de se contredire , et , quand elles ne se
réfutent pas elles -mêmes, ne réussissent du moins jamais
lier entre elles, et en une espèce de système, les folies dont
elles font parade. Du reste , les examinateurs ne sont guère
plus forts en raisonnement que les examinées . S'il y avait
eu une croyance commune, l'accord eût été possible. Si
l'une des deux parties avait raisonné juste , l'autre aurait
bientôt été réduite à l'absurde . Mais, entre la foi qui in
terroge et le doute qui répond , surtout les mots employés
demeurant toujours dans le vague et susceptibles des inter
prétations les plus diverses , la discussion ne pouvait être
qu’un travail des Danaïdes , sans résultat et sans terme .
Pour ce qui est des aberrations dans la conduite des deux
religieuses , elles s'expliquent facilement, La Bonamici et la
Spighi ne voulaient , pendant cette vie présente,- la seule
existence qu'elles reconnussent, - qu'une chose exclusive
ment , savoir, du plaisir à tout prix, n'importe sous quelle
forme. Cela se conçoit : quand on est dans son bon sens , on ne
désire pas la peine sans compensation . Si la Bonamici et la
Spighi avaient vécu , comme on dit , dans le monde, elles se
raient demeurées dans les voies de la corruption commune ,
qui ne déshonore pas aux yeux de ce monde , et dont même
ce monde se fait gloire . Retenues dans l'enceinte d'un cloître ,
entravées à chaque pas par une discipline rigoureuse , elles
eurent recours à tous les excès qu'enfante une imagination
en délire : c'était la mênie perversité , mais une perversité
moins ordinaire dans ses manifestations, parce que , génée
-
99
dans son cours et longtemps comprimée, elle avait été ré
duite à se modifier singulièrement pour se frayer une issue .
Le monde la condamnait , mais pour cela seulement . Et ce
pendant cette perversité procédait du même principe erroné
auquel le monde s'abandonne sans frayeur et sans remords;
car, lui aussi , sans toutefois le proclamer aussi franchement
que le faisaient les deux dominicaines , n'a encore acquis
aucune certitude morale , et repousse celle que, pendant si
longtemps , il avait acceptée de confiance, en acceptant l'au
torité qui la lui imposait .
,
-
CHAPITRE XV .
Impertinence des deux religieuses envers l'archevêque de Florence . - Elles
abjurent le protestantisme . – Disparition de leurs papiers . La Bona
mici embarrasse ses examinaleurs. Son mysticisme. Sollicitations
ad turpia , au confessionnal. - Ce que fait le grand-duc .
Nous reprenons le récit des faits que Ricci a exposés .
Au départ des religieuses pour Florence , l'évêque de Pis
toie et Prato les recommanda avec chaleur au nouvel arche
vêque de la capitale , ainsi qu'aux deux prêtres Longinelli et
Fondelli .
L'archevêque Martini , jaloux de l'influence dont Ricci
jouissait auprès de Léopold , avait manifesté des doutes sur
la vérité des accusations formulées contre les deux domi
nicaines. Afin de changer ses soupçons en certitude , il se
présenta à l'hospice Bonifazio d'un air doucereux , propre ,
pensait- il , à gagner la confiance des détenues et à leur faire
infirmer les aveux faits à Prato . « Me voici , leur dit-il , et je
9
2
7
9
102 –
vous apporte le petit Jésus . » Les religieuses , ennuyées de
lcur séquestration , et redoutant de nouvelles cxhortations
catéchistiques, repoussèrent vivement le prélat , et afin de
s'en débarrasser plus vite , la Bonamici , se troussant jusqu'à
la ceinture , répondit : « Si vous nous apportez le petit
Jésus , nous vous montrerons notre sainte Vierge.
Elles demanderent , nous ignorons dans quel but , à ab
jurer entre les mains du père franciscain Bitossi , vicairc
de l'inquisition à Florence , comme elles avaient déjà abjuré
trois fois avant de quitter Prato : au moment de répéter cet
acte , elles changèrent probablement d'avis ; car , en présence
du père Bitossi , elles soutinrent plus énergiquement que
jamais les opinions qu’on tenait à leur faire rétracter . L'in
quisition de Florence était donc depuis lors instruite de
tout , si elle ne l'avait même été auparavant par le père
Ulivi , vicaire du saint- office à Prato , qui avait présidé à
deux abjurations, dont il ne pouvait mettre l'hypocrisie en
doute , au point que la seur Bonamici fondait principalement
sa confiance en son système sur ce que le père Ulivi , ayant
tout appris d'elle en confession , à deux reprises différentes ,
ne lui avait même pas prescrit la pénitence la plus légère .
Malgré ces antécédents , l'archevêque Martini prit le parti
d'ordonner une nouvelle abjuration . « Je sais à n'en pou
voir douter , dit Ricci , que (pour faire condescendre les
deux religieuses à cette rétractation ) on alla jusqu'à les faire
cruellement déchirer à coups de nerf de bæuf , par un des
domestiques de l'hospice , ct que même celui- ci se refusa à
servir plus longtemps d'instrument à cet acte de barbarie . »
- « Je fus fort surpris dans la suite , ajoute le prélat, d'ap
))
.
103 -
prendre qu'on leur avait fait abjurer les erreurs de la reli
gion prétendue réformée . » C'était , en effet, se tromper gros
sièrement , ou vouloir impudemment en imposer au public ,
que de confondre ces filles corrompues avec les disciples de
Calvin et de Luther .
L'archevêque de Florence , non content de cet escamotage
clérical , fit plus encore : on obligea la Bonamici à déclarer
qu'elle croyait que « la sainte église , catholique , apostolique
et romaine est la mère et la maîtresse de toutes les églises.
De manière que , de plein saut , la matérialiste , sensualiste
et panthéiste dominicaine était devenue plus orthodoxe aux
yeux du pape que Ricci lui -même , catholique fervent et
évêque sincèrement pieux .
Cet évèque , qui n'était aucunement la dupe d'une pareille
jonglerie , trouvait, lui , que les principes professés par ses
diocésaines étaient bien plus impies et plus dangereux que
ceux des protestants . Il nous apprend que la seur Bona
mici , qui avait de l'esprit et de l'instruction , devait avoir lu
les écrits de Voltaire , de Rousseau et d'autres philosophes
de cette époque. Il aurait pu s'en assurer , nous avoue-t- il ,
s'il ne s'était pas laissé surprendre par les dominicains , dont
l'un d'eux , le père Potentini , s'était chargé de saisir les pa
piers et les livres des religieuses. Le rusé moine les saisit
en effet, mais uniquement pour les soustraire à la connais
sance du prélat , auquel il dit qu'il avait tout brûlé .
Ricci pense que la seur Bonamici, enfoncée dans les er
reurs et les impuretés des gnostiques, - ce sont ses pa
roles , et qui était parvenue , au moyen des maximes du
quiétisme , à séduire ses compagnes , ne permit pas toujours
2
-
104
que les examinateurs vissent clair jusqu'au fond de la doc
trine qu'elle s'était formée . La seur Spighi , quoiqu'elle eût
pénétré le plus avant dans ses idées intimes , lui était cepen
dant de beaucoup inférieure en intelligence : aussi ne sut
elle pas , comme son initiatrice , éluder les questions qui lui
furent posées . Les autres religieuses séduites par la Bona
mici ne la comprenaient pas du tout .
« Aidée de ses subtilités et de quelque connaissance des
divines écritures , dont elle tourmentait et altérait le sens
avec une grande finesse et une remarquable facilité , seur
Bonamici — c'est son évêque qui le rapporte — mit plu
sieurs fois à la torture le docteur Longinelli : il m'a avoué
que , s'il avait réussi à réfuter ses sophismes , et à donner,
dans la plupart des cas, une réponse satisfaisante aux fortes
objections que la religieuse lui faisait , ce n'a été que par
une assistance toute particulière qu'il recevait évidemment
d'en haut . » Ce dernier correctif n'infirme en rien nos pré
cédentes réflexions. La Bonamici , qui ne croyait pas ,-nous
parlons dans le sens des catholiques , – embarrassait , et de
vait nécessairement embarrasser quiconque ne faisait que
croire , c'est-à-dire qui ne savait pas plus qu'elle , et qui par
conséquent était incapable de lui démontrer quoi que ce fût.
Quand les dominicains virent la tournure que prenait
cette affaire et les conséquences qui allaient infailliblement
en résulter pour eux , ils cherchèrent à faire passer les deux
religieuses inculpées pour folles. La cour de Rome les ap
puya de tous ses moyens , et le pape lui -même n'eut pas
honte d'y compromettre son autorité suprême en adres
sant à ce sujet un bref spécial à l'évêque de Pistoie . Les re
105
ligieuses de leur côté , comme pour déjouer cette intrigue ,
eurent soin , dans leurs relations avec les personnes qui les
approchaient , de prouver qu'elles jouissaient de toute leur
faculté de raisonner ; car cette faculté implique la possibilité
de mal raisonner , laquelle n'est autre chose que raisonner
plus ou moins juste après ètre parti d'un principe faux .
Sæur Bonamici , toujours au rapport de son évêque ,
s'était fort adroitement composé des théories mystiques sur
les voies illuminatives, purgatives et unitives, pour les tour
ner au profit de son quiétisme charnel . Voici ce que nous
avons trouvé aux archives Ricci à ce propos .
Le père Santoro avait répondu par lettre à une demande
de la sæur Bonamici , comme suit : « Une excellente chose
pour s'acheminer vers la perfection est la méditation du
livre intitulé : Exercice quotidien du père Navarra, de l'ora
toire de saint Philippe Néri . » Interprétation par la Bona
mici : « Navarra veut dire une agitation , un trémousse
ment , que sais -je , moi ? ... Oratoire, c'est nous . »
Elle abusait également des euvres du bienheureux Jean
de-la-Croix , afin de corrompre les religieuses qui , une fois
la tête égarée , perdaient bientôt toute retenue et se pro
istituaient à son libertinage .
L'évêque de Pistoie et Prato s'était figuré que le dérégle
ment des sens avait mené les recluses à l'incrédulité . Il eut
dans la suite tout licu de se convaincre , sans peut-être sc
rendre un compte bien net de l'impossibilité que la chose
fût autrement , que les dominicains avaient organisé un
vaste système de matérialisme et de spinosisme, qu'ils pro
pageaient dans les couvents soumis à leur direction . Quand
»
2
9 .
-
106
leurs pénitentes avaient adopté leurs maximes , elles se
trouvaient livrées , pieds et poings liés , à la fougue des pas
sions de leurs guides spirituels . Ricci ne tarda pas à ap
prendre que , parmi les gens du monde , plusieurs personnes
étaient mortes dans son diocèse en donnant les preuves
d'irréligion les moins équivoques : c'était le fruit de l'édu
cation reçue par les jeunes filles chez les dominicains ,
et propagée ensuite par les mères de famille dans la so
ciété .
Du reste , cela n'empêchait pas , d'autre part , l'usage des
petits moyens de séduction vulgaire , consistant en insi
nuations , tantôt tendres , tantôt licencicuses . Il n'est pas
inutile de donner ici un échantillon de la manière dont les
dominicains s'y prenaient , dans ce sens , pour mener peu à
à leurs fins les religieuses, les novices et les pension
naires qu'ils endoctrinaient. Cela se passait ordinairement
au confessionnal. Et n'oublions pas que , d'après la curieuse
statistique établie par Don Llorente , de laquelle il ressort
que le nombre des subornations au moyen de la confession
auriculaire est généralement proportionné à la difficulté
qu'éprouvent les confesseurs à se procurer des femmes d'une
autre manière ; n'oublions pas , disons-nous , que les domi
nicains ne viennent qu'après les carmes et les augustins ,
déchaussés et chaussés , les capucins, etc. , etc.
peu
Rose M**** , pensionnaire au couvent de Sainte - Catherine
à Prato , déclara que , pendant l'acte même de la confession ,
ayant demandé au père Gamberani , confesseur' ordinaire ,
comment naissent les enfants , il répondit : « On écarte les
genoux , et l'enfant sort. »
107 -
L'ayant une autre fois interrogé sur la question de savoir
ce que signific fornicare, il répondit : « Avez -vous vu en
fourner le pain ? On ôte et on remet sans cesse . Eh bien ,
c'est cela . »
Le même père demanda plusicurs fois à la déposante
comment elle se trouvait sous le rapport des incommodités
mensuelles des femmes, et lui fournit des drogues pour les
provoquer .
Elle était communément chargée de compliments pour le
confesseur de la part des religieuses ou des pensionnaires ;
et elle en recevait de la part des confesseurs par
l'intermé
diaire des autres pénitentes . Cela se passait en confession
même . Hors de là , le père Gamberani pressait la main à la
déposante , et lui tenait des propos qu'alors elle ne compre
nait pas , mais qu'elle supposait être déshonnêtes .
Sæur Pauline -Thérèse , converse au couvent de Saint - Vin .
cent à Prato , déposa que , pendant l'acte de la confession ,
ayant demandé au père Quaretti , prieur, la permission de
se mortifier en se donnant la discipline , il le lui défendit, et
se moqua d'elle en faisant allusion à ses parties obscènes .
Après la confession , lui ayant demandé s'il se portait bien ,
il répondit qu'il avait dormi tout nu et découvert .
Elle ajouta qu'il lui avait tenu des discours et commis sur
elle des actes contraires à la pudeur .
Déposition de Thérèse - Fidèle, religieuse au même cou
vent : Au confessionnal, quoiqu'il ne fût aucunement ques
tion de se confesser, le père Quaretti lui parla des mouve
ments des parties honteuses ; il lui répéta les mêmes choses
hors de confession .
:
108
Le père Viretti , conſesseur ordinaire , lui tint des propos
tendres , qu'elle n'interpréta dans un mauvais sens que
lorsqu'elle lui eut entendu émettre des discours décidé
ment impurs .
Déposition de Catherine- Alexandrine Canteni, également
religieuse à Saint-Vincent : Le père André -Thomas Potentini
lui avait adressé au confessionnal, mais hors de confession ,
des propos galants , immédiatement suivis d'attouchements
avec les mains .
Le grand -duc se montra décidé à extirper ces abus dans
leur racine : il commença par éloigner plusieurs individus
de Prato , et par exiler quelques moines de la Toscane . Les
renseignements et les dénonciations arrivèrent alors en
foule à l'évêque Ricci , et lui servirent à sonder la plaie plus
profondément. Il avoue cependant que le mal , qui remon
tait à une époque fort éloignée , n'en continua pas moins à
s'étendre en secret .
:
CHAPITRE XVI .
Les jésuites et les dominicains font agir le pape contre Ricci . Preuves de
la complicité de lout l'ordre de saint Dominique et du saint-siége .
A chaque découverte importante , Ricci n'avait jamais
manqué d'écrire à Rome et d'y rendre un compte clair ,
positif et détaillé de ce qui se passait . On n'y avait pas for
mellement repoussé ses communications, tant que le cardinal
Pallavicini était demeuré au limon des affaires. Mais lors
qu'il eut été remplacé par le cardinal Rezzonico , les choses
changèrent entièrement de face. Le cardinal Corsini avait
été chargé par Léopold de demander la prompte expédition
de pleins pouvoirs pour rétablir la paix avec l'ordre au cou
vent de Sainte-Catherine et dans les autres retraites peuplées
par les dominicaines. Le nouveau secrétaire d'état répondit
par une sortie virulente contre l'évêque de Pistoie et contre
son mandement sur la dévotion au sacré cour . Rezzonico
était dévoué au parti des jésuites , que des dangers communs
1
---
110
portèrent alors à s'unir aux dominicains, si longtemps leurs
antagonistes et leurs rivaux . L'affaire de la réconciliation des
deux ordres monastiques fut conclue entre le dominicain
Mamachi, maître du sacré palais , et le jésuite Zaccaria ,
lesquels, d'accord depuis ce moment , firent, dit Ricci , mou
voir le pape comme un mannequin , au gré de leurs désirs,
c'est-à-dire dans l'intérêt de leurs respectives congrégations.
Toutes les batteries furent donc dressées contre Ricci par
les nouveaux alliés : ils firent passer l'évêque de Pistoie aux
yeux du pape pour un jeune imprudent, dont le zèle incon
sidéré allumait un vaste incendie au sein de l'église , « Je
pense comme lui sur le sacré cæur , dit le pape
sonne qui lui parlait de cette dévotion ; mais ce n'était pas
le moment d'agiter cette question-là . » Corsini fit part de
toutes ces choses à Ricci , et le prépara à la double répri
mande qu'il allait subir , et qui avait été imposée au saint
siége pour venger les jésuites offensés et pour détourner
les regards de l'infamie dévoilée des dominicains.
à une per
Afin d'avoir du moins un prétexte pour refuser d'inter
venir dans ces débats de la manière que Ricci l'aurait voulu ,
la cour de Rome feignit de croire qu'elle était instruite
pour la première fois des détails qu'on lui communiquait ,
détails , disait- elle , qu'elle avait le droit , jusqu'à preuve du
contraire, de regarder comme suspects , puisqu'ils lui ve
naient , non de ceux qui auraient dû s'adresser directement
à elle , mais d'un prélat qui tenait avant tout à se rendre
important auprès de son prince en favorisant les projets de
réforme que celui -ci tenait suspendus sur l'église . Ricci
sentit toute la force de cette accusation . Aussi ne négligea
3
111
t - il rien pour montrer à l'évidence que les religieuses do
minicaines non perverties avaient eu plusieurs fois recours,
mais toujours en vain , au saint-siége et aux chefs de leur
ordre , nommément à Pie VI lui -même et au général
Boxadors , à qui elles avaient tout révélé , leur faisant con
naître l'urgence de leurs besoins , et les suppliant de venir
à leur aide ; que leurs lettres , qui ne leur avaient jamais
valu un mot de consolation , ni même de réponse , avaient
cependant été remises en mains propres, par l'intermédiaire
de personnes religieuses et laïques , entre autres , par le
ministre de l'électeur de Saxe .
On comprend facilement combien la chose , considérée
sous cet aspect , acquérait de gravité , et combien par consé
qucnt la publication des preuves à l'appui devaitblesser au vif
ceux qui étaient intéressés à soutenir le contraire . Ricci fai
sait éclater à tous les yeux que les prétendues vierges ,
épouses de Jésus -Christ , n'étaient que des femmes déver
gondées , cherchant le plaisir avec fureur , de concert avec
des prêtres sensuels et débauchés; que le tribunal de péni
tence était une agence de séduction et de libertinage ; que les
religieuses , les moines , leurs supérieurs jusqu'au chef de
l'ordre , toute la cour de Rome et le pape lui-même , non
seulement toléraient ces désordres , mais les favorisaient
depuis environ cent cinquante ans , par le reſus constaté
d'intervenir pour y mettre un terme . L'idée seule de la
complicité du général des dominicains et du souverain pon
tiſe dans une affaire d'hérésie , de profanation , de sacrilége,
d'impiété , d’immoralité et de corruption brutale , devait
faire frémir tout croyant sincère .
112
Eh bien ! Pie VI écrivit à Ricci , que lui-même n'aurait
jamais osé concevoir le moindre soupçon contre le très -saint
ordre des dominicains . Et pourquoi alors, s'écrie l'évêque
de Pistoie , le saint-siége avait- il soustrait cinq couvents de
religieuses à la direction de ces mêmes dominicains , à Sienne ,
à Pistoie et à Pise ( 1774)? Des soupçons ! il n'était plus ques
tion de si peu ; le pape pouvait , quand il le voulait , acquérir
une certitude pleine et entière , en faisant vérifier aux ar
chives même de Pistoie , par son nonce à Florence , les accu
sations sur lesquelles le moindre doute était devenu une
preuve de connivence .
Il y a plus : avant même que Ricci se doutât de ce qui se
passait au couvent de Sainte-Catherine à Prato , une confes
sion faite à Pie VI par une religieuse de cette maison avait
été remise au cardinal secrétaire d'état . Une seur Thérèse
de -Jésus , religieuse à Borgo San Sepolcro , avait fait faire
par la sour Spighi une confession semblable au général des
dominicains , et elle-même s'était adressée à ce général pour
lui dévoiler tout ce qu'elle était parvenue à savoir . Pie VI
n'en posa pas moins en fait que , à la secrétairerie du
généralat , il ne se trouvait rien qui concernât les désordres
signalés par l'évêque de Pistoie . » Cependant , il est avéré
que , dès l'année 1775 , le général des dominicains était in
struit de tout et dans tous les détails . Six ans plus tard , l'or
gueilleux Quinones c'est ainsi que ce chef de l'ordre de
saint Dominique est qualifié dans les pièces à l'appui qui se
trouvent aux archives Ricci, -assistait toutes les semaines,
dit notre évêque , au sein de la capitale du catholicisme , à
un diner familier d'hommes sans mæurs et sans foi.
7
113
Qu'on ajoute à cela ce que les archives Ricci mettent éga
lement au -dessus de toute contestation , savoir que , non -seu
lement les dominicains , les augustins , mais encore d'autres
ordres religieux travaillaient sourdement à propager le liber
tinage ; que dans un monastère qui n'est pas nommé , un
jésuite ordonnait aux religieuses de lever leurs jupons devant
lui , action qu'il appelait très - méritoire , parce que , disait- il ,
il fallait vaincre une forte répugnance pour s'y prêter ;
qu'enfin , dans Rome même , où tous les ordres réguliers en
voient des élèves , il y avait un college dont l'enseignement
ex professo n'avait d'autre but qu'une incrédulité sans
bornes , et l'on conviendra que , au point de vue surtout de
l'évêque de Pistoie et Prato , il fallait se ruer résolûment
et sans aucun retard au -devant du mal , pour le prendre
corps à corps et le terrasser de manière qu'il ne se relevât
plus .
9
MÉMOIRES DE RICCI .
10
-
CHAPITRE XVII .
Bref injurieux du pape contre Ricci . - L'inquisition . – L'archevêque Mar
tini . – Le grand -duc force le pape à céder . – Ricci chargé de la direction
des dominicaines.— Fanatisme de cet évêque . --- La cardiolâtrie convertie
en emblème de libertinage . – Fin des deux dominicaines perverties.- Les
dévols conspirent contre Ricci . Martini entrave les réformes de Léo
pold .
Ce fut en cette conjoncture que le pape lança contro
Ricci le bref rédigé par Zaccaria et Mamachi, bref que ces
deux moines , pour le faire plus facilement adopter par
Pie VI , avaient hérissé de toutes les vieilles prétentions de
la cour romaine à l'omnipotence universelle .
Ricci fait remarquer qu'outre l'éloge , si déplacé en pa
reille circonstance , de l'ordre des dominicains , le pape
y exaltait aussi le tribunal de l'inquisition , « qui ( ainsi
s'exprime l'évêque de Pistoie ) déshonore notre sainte re
ligion . » La vérité nous oblige à rectifier ce jugement :
certes , le recours au bûcher déshonore une religion qui n'a
6
-
116
plus son point d'appui dans l'opinion sociale ; mais sans une
inquisition , exprimant cette opinion , jamais il n'y aurait ,
ou du moins il n'y aurait pas pendant longtemps, de sainte
religion révélée , sous aucune forme. Une révélation , accep
tée comme principe d'ordre dans la société , a pour corré
latif obligé la sanction pénale frappant du dernier supplice
quiconque tente d'ébranler la foi générale en sa certitude .
La nécessité d'une inquisition est la preuve de la fausseté
en thèse absolue de toute révélation , de toute affirmation
dont la vérité n'est pas démontrée ; mais aussi longtemps
que cette vérité demeure dans le vague , le maintien d'une
inquisition est une condition sine qua non de la conserva
tion de l'ordre relatif à l'époque d'ignorance sociale . Et
l'ordre est la vie de la société .
Les louanges de l'inquisition dans la bouche de Pie VI
ne déshonoraient donc en aucune manière la religion chré
tienne , qui lui avait dû sa longue durée , et qui , pendant
toute son existence sociale , avait servi de base à l'ordre
dans la société soumise à son influence ; mais elles ren
daient ridicule le pape qui méconnaissait à ce point l'esprit
de son siècle , où l'inquisition était devenue impossible , et
où l'ordre ne redeviendrait désormais possible que par
l'application de la vérité librement acceptée de tous .
Quoi qu'il en soit , l'évêque porta le bref de Pie VI au
grand-duc qui voulut y répondre lui-même . Cela n'empêcha
pas le prélat outragé d'écrire de son côté . Il avait à repous
ser les épithètes d'homme de mauvaise foi, dc fanatique, de
menteur, de calomniateur , de séditieux , d'usurpateur des
droits d'autrui , etc. , avant de passer aux faits qui lui don
- 117
naient évidemment raison contre le saint-siége . Néanmoins,
il ne fit partir sa lettre qu'après qu'elle eut été approuvée
par le prince , par son ministre Seratti , et par le nouvel
archevêque de Florence , Martini , créature de Seratti , qui
lui -même était le favori de Léopold .
Martini se trouvait à Rome pendant que Ricci y sollici
tait les pouvoirs nécessaires pour réduire les dominicaines
rebelles , et il avait appuyé sa demande , afin de pouvoir
agir de son côté si le mal s'était étendu jusque dans le
diocèse dont il allait prendre la direction . Il ne se trompait
pas . Des abus graves nous citons furent découverts
dans un couvent de dominicaines , à Florence, au point qu '
y eut lieu à faire, non -seulement éloigner , mais même exi
ler le conſesseur.
A peine Martini avait- il pris possession de son siége ar
chiepiscopal , qu'il se mit à la tête des opposants qui accu
saient Ricci d'entraîner le grand-duc dans des embarras
dont les suites pourraient devenir funestes à son gouver
nement . Martini partageait les idées de l'évêque de Pistoie
sur les matières controversées , mais il était jaloux du nom
que, supposait - il, Ricci se préparait dans l'histoire en se
condant les vues d'un prince réformateur. Lui , le traduc
teur de la bible , s'engagea à Rome à entraver la publication
de l'histoire ecclésiastique de Racine et des écrits de Ma .
chiavel. Puis , d'accord avec Seratti , il se couvrit du man
teau du bien public pour conseiller au gouvernement de
laisser tomber dans l'oubli la querelle entre l'évêque de
Pistoie et lc saint -siége . Le grand -duc repoussa celte lå
cheté, et menaça la cour de Rome de pourvoir lui -même
2
10 .
118
aux besoins des couvents de femmes dans ses états, si le
pape ne se hâtait de les soumettre tous également aux évê
ques ordinaires . Il exigea de plus qu'il serait fait des excu
ses à Ricci pour les injures qui lui avaient été adressées , et
comme il parlait sérieusement et avec l'intention de passer
outre s'il n'obtenait ce qu'il avait demandé, le pape s'em
pressa de tout lui accorder . Ne sachant plus alors à qui s'en
prendre de tant de déboires , Pie VI réprimanda vivement
le général des dominicains qui , en le trompant , lui avait
fait une position aussi humiliante . Léopold , de son côté ,
reprocha avec force à ceux qu'il avait employés jusqu'alors
dans cette négociation , leur faiblesse et leur tiédeur .
Rieci mit immédiatement à profit les pouvoirs dont il
venait d'être revêtu . Il chercha cependant à adoucir le plus
possible - ce que les nouvelles mesures présentaient de trop
rigoureux aux yeux des dominicaines : à l'exception des
moines de leur ordre , il leur laissa choisir librement leurs
confesseurs sur une liste de prêtres réguliers et séculiers ,
qu'il avait dressée lui-même avec le plus grand soin .
Si le zélé prélat s'était borné à de pareils actes , il est
probable qu'il serait parvenu à ses fins ou plutôt à celles de
Léopold ; mais il était sectaire, et il l'était de bonne foi. Il
1
agissait dans le sens de ses convictions , avec toute l'ardeur
de quelqu'un qui veut faire son salut . C'était là ce que le
pape appelait du fanatisme, et il avait raison ; or , comme ce
fanatisme contrariait celui de la cour de Rome , le pape le
condamnait. On ne saurait l'en blåmer , bien entendu si à
la cour de Rome on était sincère aussi . Mais il est plus que
permis de le mettre en doute , et de croire que le fanatisme
119
romain n'était que le masque qui couyrait l'ambition du
saint-siége et sa cupidité. Ricci tonnait contre les loyolistes
parce qu'il les croyait dangereux pour la religion ; il ne
laissait échapper aucune occasion d'attaquer la dévotion au
sacré coeur qu'il faisait descendre en droite ligne des opi
nions d'Arius et de Nestorius , renouvelées par le jésuite
Berruyer , dont à coup sûr ses diocésains entendaient parler
pour la première fois. Le pape et ses courtisans tonnaient
contre Ricci et Léopold , qu'ils redoutaient comme dange
reux pour leurs jouissances et leur pouvoir .
Au reste , que les cordicoles , comme Ricci les appelle ,
fussent ou non les descendants plus ou moins directs des
anciens hérétiques que nous venons de nommer , toujours
est- il que l'évêque de Pistoie avait tout lieu de croire que le
nouveau culle avait une relation intime avec le libertinage
dont les dominicaines et les dominicains venaient de donner
des preuves si scandaleuses . L'examinateur Longinelli écri
vit à Ricci , que la sour Bonamici témoignait le plus grand
respect et beaucoup de vénération pour une image du Sau
veur, la poitrine ouverte et le cæur dans la main , telle
qu’on la doit au pinceau de Pompée Battoni , image qu'elle
avait reçue d'un jésuite . La religieuse la portait constamment
sur elle , et elle y attachait des idées d’un amour si abomi
nable , que le bon prêtre ne crut pas pouvoir les dévoiler ,
même au prélat .
Pour ne plus avoir à revenir sur les deux malheureuses
filles qui nous ont occupé si longtemps , disons ici que les pièces
contenant leurs derniers interrogatoires à Florence , pièces
bien plus positives , parait- il, et plus complètes que celles
120
des examens de Prato , furent remises directement au grand
duc qui probablement les emporta à Vienne lorsqu'il devint
empereur . M. le conseiller 'Tielemans, pendant son séjour
dans la capitale de l'Autriche (1828 ) , voulut bien faire à ce
sujet les recherches que nous lui avions demandées ; elles
demeurèrent infructueuses . Il en serait de même aujour
d'hui pour les papiers dont ces Mémoires ne sont que la
compilation , et auxquels , depuis la première publication
que nous en avons faite, les archives grand -ducales ont
également servi de sépulture . De Bonifazio, la Bonamici
fut transférée à Saintc-Lucie où elle mourut au commen
cement du siècle , presque en odeur de sainteté . La Spighi
demeura à Saint- Clément jusqu'à la suppression de ce cou
vent après l'invasion française ; elle passa de là avec ses
compagnes de clôture à Saint-Martin , et , lorsque cette mai
son aussi eut été fermée , dans un couvent abandonné par
les franciscains. Les maisons religieuses ayant été restau
rées avec le reste après la chute du grand empire, la scur
Spighi entra à San Girolamo delle Poverine, où , plus qu’oc
togénaire , elle vivait encore en 1823. Revenons à Ricci .
Comme il est facile de se le figurer , cet évêque se faisait
des ennemis acharnés de tous les dévots que les moines
ameutaient sans relâche contre lui et contre le gouverne
ment de Léopold . Ainsi se préparaient de loin les troubles
que nous verrons éclater à la première occasion favorable,
ct quc le pasteur imprudent aurait pu empêcher s'il avait
été plus adroit , c'est - à - dire s'il avait été janséniste aussi peu
sincère que ses ennemis étaient sincèrement dévoués au seul
intérêt de leur position , de leur fortune et de leurs loisirs .
à
121
Le grand -duc voulut bientôt que Ricci réalisât son plan
d'académie pour les études ecclésiastiques , à Florence , à
Sienne et à Pise . L'archevêque Martini réussit à faire avorter
ce projet : c'était , disait - il , trop vaste , et cela entraînerait
à des dépenses trop considérables. Afin cependant d'amuser
le prince par un semblant de condescendance , il présenta
un nouveau plan , mais pour Florence seulement , et ne
demanda pour le mettre à exécution qu'un simple local. Le
grand-duc s'empressa de mettre à sa disposition l'abbaye
(la Badia ) de Fiesole . L'archevêque s'en fit une maison de
campagne pour l'été , et ne songea plus à l'académie ecclé
siastique .
9
5
CHAPITRE XVIII .
La montagne de Pistoie . - Jansenisme de Ricci . – Permission de faire
gras les jours maigres . - Ricci accorde des dispenses de son autorité
privée . Les prédicateurs de carêmes . — Antagonisme entre Martini et
Ricci .
Nous avons déjà dit que Ricci prenait ses devoirs d'évê
que au sérieux . Ce n'était pas pour vivre dans l'indolence et
la mollesse qu'il avait accepté ces hautes fonctions sacerdo
tales , mais pour veiller au troupeau confié à sa garde et à
ses soins : et ce troupeau ne se composait pas seulement des
riches et des puissants dont il pouvait attendre des égards et
de la considération ; c'étaient surtout les petits et les pauvres
auxquels il croyait devoir son affection et ses secours .
Afin de connaitre les besoins de ses ouailles , il fit la
visite du diocèse de Pistoie et Prato , principalement dans
ses paroisses les plus écartées et qui attiraient le moins
l'attention . Il parcourut la montagne de Pistoie , ordinaire
ment appelée la Montagne, sans plus . C'est une partie des
2
124
Apennins , sauvage et stérile avant le règne de Léopold , et
que ce prince avait conquise à la civilisation et au bien
être .
Autrefois, les montagnards descendaient chaque année
dans les Maremmes ( les bords marécageux de la Méditer
ranée ) , où ils gagnaient de quoi vivre pour eux et pour leurs
familles, restées à la maison sous la garde du curé du vil
lage . Mais pendant l'absence du chef, les enfants étaient
négligés , les femmes et les filles devenaient une proie facile
pour la séduction , et le plus souvent n'avaient d'autre res
source que la fuite, au retour d'un mari jaloux et d'un père
irrité . Léopold traça ct fit exécuter un chemin sur Modène
à travers la Montagne , et accorda des avantages à quicon
que båtirait sur son parcours. De cette manière la Montagne
s'était peuplée el enrichie ; les habitants en étaient devenus
sédentaires ; les mœurs s'étaient réforınées. Les maremmans
d'autre part , privés de tout secours étranger , et obligés par
conséquent à se charger eux-mêmes des travaux dont ils
avaient besoin , en devenant industrieux et diligents , avaient
acquis de l'énergie et conservé leurs épargnes. Ricci estima
qu'il serait utile de créer une nouvelle paroisse , celle de
Boscolungo , et aussitôt le grand-duc , en dépit de son mi
nistre , fit mettre la main à l’quvre pour la construction
d'une églisc , dont il supporta personnellement une partic
des frais .
Il n'y aurait eu rien à dire , si le jansénisme n'était venu
mal à propos apposer son cachet à cette cuvre de bonne et
loyale administration . Sous prétexte que les saints modernes
valaient moins que les anciens, Ricci dédia les églises qu'il
125
ſut appelé à consacrer , à saint Augustin , à sainte Thècle , છે
saint Polycarpe , à saint Jean -Chrysostome , à saint Cyrille ,
au pape saint Grégoire , à saint Basile , à saint Ignace le mar
tyr , à sainte Prudence , à saint Remi , à saint Germain , à
saint Loup , etc. , dont la plupart des noms frappaient pour
la première fois les oreilles italiennes .
Ce fut encore le jansenisme de Ricci qui lui inspira ses
doléances sur la trop grande facilité avec laquelle , selon
lui , la cour de Rome accordait la permission de faire gras ,
les jours voués par l'église au régime du maigre . Cette
affectation de rigorisme , parfaitement en harmonie avec la
doctrine janséniennc , aurait , à l'époque de relâchement où
l'on était parvenu , cu besoin d'être appuyée par les lois
civiles ; mais cela était tout à fait opposé aux principes pro
fessés par les jansénistes , qui refusaient à l'église tout re
cours aux moyens temporels de coercition . Le saint-siége
aussi avait été sévère dans le temps sur l'observance des
moindres pratiques du culte , tant qu'il avait pu se faire
prêter main - forte pour que ses peines canoniques fussent
appliquées aux infracteurs . Mais du moment que l'opinion
générale s'était montrée indifférente à cet égard , et que par
conséquent le pouvoir s'était vu forcé de se tenir dans la
plus stricte neutralité , les papes s'étaient crus trop heu
reux, lorsque la grâce leur en était demandée comme une
faveur, d'avoir à permettre de violer les lois de l'église ,
qu'aucune autre loi n'avait plus la force de faire respecter :
c'était encore , après tout , se soumettre à l'églisc que de
reconnaître , n'importe pour quel motif, l'autorité du pape
qui en est le chef. Mais les jansenistes, inflexiblement atla
11
1
126
chés à des maximes qui n'avaient plus de sens , ne l'enten
daient pas ainsi : aussi furent- ils toujours en petit nombre ,
et ne surent-ils jamais , nous ne dirons pas seulement rien
fonder , mais même rien conserver .
Ricci se refusa à demander les pouvoirs ordinaires pour
dispenser de faire maigre pendant le carême ; il permit à
ses diocésains , de son autorité privée , de se nourrir d'eufs
et de laitage. Par là , il demeurait fidèle à l'ancienne disci
pline , et narguait tant soit peu le pape : il croyait remporter
une double victoire . Lui -même fait remarquer que la pre
mière dispense du maigre , sous Clément XIII (1767 ) , fit
élever un cri général de réprobation , et que la sévé
rité avec laquelle il prescrivit lui-même le maigre le fit
passer pour un rigoriste ridicule . En outre , les dévots,
romanoldtres avant tout , l'accusèrent de ne pas croire au
pape .
Comme si des dispositions aussi opposées à l'esprit de son
siècle ne lui suscitaient pas encore assez d'eunuis , l'évêque
de Pistoie et Prato s'attaqua ensuite aux prédicateurs de
carêmes. Ces missionnaires périodiques parcouraient les
villes et les campagnes comme de vrais histrions nomades,
- c'est Ricci qui les flétrit de celte épithète , - briguant les
églises les plus fréquentécs , les plus brillantes , et par consé
quent les plus lucratives , et les plus favorables pour se
mettre en réputation . La plupart , vendus à la cour de Rome ,
blâmaient hautement la marche du gouvernement toscan ,
et en général celle de la maison d'Autriche, pour leur in
tervention dans les affaires de l'église . Ricci se prononça
vigoureusement contre ces instigateurs de mécontentement
:
127
parmi les populations , et demanda avec instance l'appui du
pouvoir pour les réduire au silence .
L'archevêque Martini, qui ne cherchait qu'à contrecarrer
son collègue quand il pouvait colorer ses actes d'opposition
de quelque motif plus ou moins spécieux d'utilité , ordonna
à tous les réguliers de son diocèse de faire le catéchisme
aux fidèles, chaque dimanche. Ricci , au contraire, argu
mentant de l'abus que, tout récemment encore , les réguliers
avaient fait, en Autriche et en Toscane , du droit d'ensei
gner , de prêcher et de confesser, pour exciter les peuples
contre leurs princes et leurs pasteurs légitimes , défendit
aux réguliers de monter en chaire sans en avoir préalable
ment obtenu la permission du curé de la paroisse . Les
moines refusèrent tout service , et les dévots murmurèrent
plus haut que jamais . L'évêque passa outre et , continuant
ses travaux , 'publia un catéchisme qu'il cut soin cette fois
de choisir parmi ceux qui avaient été approuvés par l'in
quisition elle-même . Il reconnaissait qu'il en existait de
meilleurs (ceux nommément des jansenistes avoués ); mais ,
disait- il , il lui fallait éviter autant que possible , non - seule
ment la mauvaise doctrine , mais aussi le soupçon , même
mal fondé, de professer une doctrine passant pour mau
vaise .
S'il avait toujours raisonné dans ce sens , il se serait
épargné bien des chagrins .
1
<
1
1
CHAPITRE XIX
Abolition des taxes payées au saint-siége . – L'inquisition privée de loute
force coercitive . Elle est abolie par Léopold. — Les images miracu
leuses . – Via crucis . – Les olivétains. – L'académie ecclésiastique .
Rome avait impatiemment rongé son frein lorsque le
grand-duc s'était décidé à supprimer toutes les taxes qu'a
vant lui la Toscane payait au saint -siége . Elle éclata , à
l'abolition définitive du tribunal de l'inquisition .
Le saint -office en Toscane était desservi par les mineurs
conventuels . Sous les Médicis , son autorité avait été grande
et terrible , surtout lorsque le prince régnant avait lui
même quelque intérêt à le faire agir avec sévérité . L'inqui
sition ne fut mise hors de tout état de vexer les citoyens que
sous le gouvernement des princes lorrains . Voici à quelle
occasion eut licu cette réforme importante :
Le docteur Thomas Crudeli , de Poppi , était un poële fort
11 .
.
130
inoffensif, mais qui passait dans le public pour professer sur
la religion de son pays les idées , non pas encore de tout le
monde , mais du moins de ceux qui se piquaient d'avoir des
idées justes . Enfermé dans les cachots de l'inquisition , il y
serait mort des suites de sa longue détention et des mauvais
traitements auxquels il avait été en butte, s'il n'eût trouvé
le moyen d'avertir ses amis . Le comte de Richecourt,
instruit de la chose , fit sortir Crudeli de prison , et obtint
de Benoît XIV que désormais le saint -office demeurerait
privé de toute force coercitive. Le pape savait bien , disait
il , que c'était anéantir cette juridiction elle-même , mais
jugeant , en homme avisé , que le saint-siége n'avait plus
d'autre rôle à jouer que d'accorder avec empressement aux
puissances ce qu'elles voulaient bien encore condescendre
à solliciter auprès de lui, il n'hésita pas un seul instant .
Pie VI se montra moins facile lorsque Léopold , non con
tent de l'abolition de fait du saint -office, exigea jusqu'à la
suppression du nom même d'un tribunal dont l'existence ,
n'étant plus motivée socialement, était absurde et devenait
impossible . Le pape , espérant détourner par là l'attention
du grand -duc et la porter sur des intérêts plus graves ,
favorisa sous main la publication , dans ses états , d'écrits
injurieux et même séditieux contre les réformes, en partie
janséniennes, en partie philosophiques de Joseph II , sur
tout aux Pays-Bas autrichiens, et contre celles purement
janséniennes ou canonistes de Léopold lui -même . Sa colère
eut principalement Ricci pour objet. Heureusement pour le
prélat toscan , le pape ne trouva , du moins alors , d'autre
moyen de décharger sa bile qu'en défendant à monsignor
131
Amaduzzi, un des admirateurs de l'évêque , de lui dédier
unc publication qu'il projetait.
Au printemps de l'année 1782 , des pluies incessantes
menaçaient de compromettre la prochaine récolte . Les ex
ploiteurs des églises et des chapelles s'empressèrent de
mettre celle occasion à profit pour exposer des images ,
« improprement nommées miraculeuses, » - ainsi s'ex
prime Ricci, - afin de faire de l'argent . C'était au tour
d'une Madonna dell ' Umiltà , dont il s'agissait avant tout
de faire sonner bien haut le pouvoir , et les bonnes dispo
sitions à en user en faveur des fidèles qui y auraient droit.
A cet effet, les entrepreneurs de dévotions présentèrent à
l'évêque de Pistoic une annonce pompeuse à siguer,
à
pour
qu'elle pût être affichée dans le diocèse . Mais loin de les satis
faire , Ricci prit à tâche de rectifier les idées de ses ouailles
sur l'intervention des saints qu'il appelait nos frères, et sur
le culte des images qu'il fallait bien se garder , disait- il ,
d'exagérer par la superstition . C'était singulièrement choisir
son temps pour une pareille instruction pastorale. Aussi le
vulgaire taxa - t- il l'évêque d'ignorance et d'hérésie .
Ce fut bien pis quand il tâcha de régulariser , avec le
père Pujati , bénédictin , la dévotion de la Via crucis ou des
stations . La nombreuse famille des enfants de saint Fran
çois , en possession de disposer de cette dévotion à son gré
et selon ses intérêts , se dressa contre Ricci comme un seul
homme . L'évèque prétendait qu'il n'est pas permis d'em
bellir ou plutôt de dénaturer l'histoire évangélique de la
passion , en y ajoutant des circonstances inventées après
coup , telles que les trois chutes de Jésus sur le calvaire , sa
3
1
-
-
132
rencontre avec sainte Véronique , etc. , etc. Ricci fut ac
cusé de phantasiasme, c'est -à - dire de professer l'erreur des
anciens docètes , qui refusaient un corps réel à Jésus-Christ,
et partout des espèces d'émeutes furent organisées pour le
perdre .
Nous rapportons ces puérilités afin de montrer que , s'il
importe à une religion encore puissante de se contenir le
plus possible dans les bornes de la raison compatible avec
son existence , la société où cette religion déjà déchue vé
gète encore n'a plus rien à craindre de ses extravagances ;
elle n'a plus qu'à la laisser succomber sous les efforts in
considérés par lesquels on cherche à prolonger son agonie
et qui ne font que déshonorer sa chute .
Nous avons vu comment le plan d'une académie ecclé
siastique pour toute la Toscane avait échoué, Ricci n'en
persévéra pas moins à vouloir le réaliser pour autant qu'il
dépendrait de lui , et il obtint à cet effet du grand-duc le
couvent des olivétains de Pistoie , qui allaient être suppri
més . Afin de ne laisser aucun doute sur les motifs qui né
cessitaient cette dernière mesure , l'évêque la fit mettre à
exécution à l'improviste el sans en avoir fait prévenir . Sur
pris au moment même de leur repas , les moines virent sai
sir leurs maisons de ville et de campagne , et apposer les
scellés sur leurs papiers après qu’un inventaire eut été dressé
>
de leurs meubles et de leurs effets . Il fut constaté
par là
que les olivetains possédaient une quantité énorme de cartes
à jouer , et une bibliothèque où les saintes écritures ne se
trouvaient pas même au complet et que le grand -duc es
tima à cinq ou six francs. L'aristocratie se plaignit amère
133
ment de la suppression que nous venons de rapporter : les
nobles de Pistoie avaient l'habitude de placer chez les oli
vétains les enfants dont ils voulaient se débarrasser , et eux
mêmes allaient perdre auprès de ces pères leurs heures
d'oisiveté et d'ennui.
Dès qu'il put disposer des propriétés confisquées, Ricci
demanda un lecteur en théologie au célèbre Tamburini,
chef de l'école anti-curialiste de Pavie , qui lui envoya le
docteur Jean -Baptiste Zanzi dont il était sûr . L'évêque fit
suivre ce choix de dispositions qu'il prit pour l'avantage de
son nouvel établissement et pour le succès des études qui
allaient s'y faire , toujours d'après les conseils de ses amis
les jansénistes de France et de Hollande . Ses regrets , lorsque
son départ forcé entraîna la ruine de son institution , furent
des plus poignants.
Pour donner quelque idée des intrigues et de la mau
vaise foi qui furent mises en @uvre pour faire avorter les
projets de Ricci , nous consignerons ici l'anecdote suivante .
Le général des olivétains se prétendit créancier des moines
de son ordre en Toscane pour une somme qui aurait ab
sorbé tout leur avoir , et il parvint , soit en trompant les
ministres de Léopold , soit en les rendant complices de sa
fraude , à leur faire reconnaître la validité de ses préten
tions. Mais Ricci découvrit qu'il ne s'agissait que d'une de
ces vieilles taxes imposées par la cour de Rome et que le
grand -duc avait abolies . Ce n'est pas tout : le pape Benoît XIV
ayant , avant cette abolition , prévu de longue main que les
dites taxes finiraient par ne plus pouvoir être perçues , ni
en Toscane , ni ailleurs , les avait capitalisées , et pour ne pas
2
>
1
134
tout perdre , s'était fait rembourser. Les olivétains toscans
ayant facilement trouvé de l'argent à un taux moins élevé
que ne comportaient les taxes romaines , avaient d'abord
éteint celles- ci, puis s'étaient peu à peu libérés de leur nou
velle dette . Le général espérait , tout en épuisant les res
sources de l'académie ecclésiastique de Pistoie , avoir en
outre le bénéfice d'être payé deux fois. La fourbe décou
verte , il en fut pour la honte d'y avoir eu recours.
CHAPITRE XX .
Les études théologiques dans les couvents . Ignorance des moines .
Publications de Ricci .
Ricci exigeait que des conférences morales se tinssent ré
gulièrement dans son diocèse , mais non plus pour la forme
seulement. Il obligea les réguliers , dépendants désormais
des évêques , à y assister . Chargé de surveiller les études
ecclésiastiques dans les couvents , il commença ses visites
par se rendre au couvent des mineurs observantins , à Giac
cherino , où il savait qu'il y avait une bibliothèque choisie .
Malheureusement , elle n'était d'aucune utilité pour les
élèves, et elle était à peine connue par les moines . A Giac
cherino, comme dans toutes les maisons religieuses, les livres
étaient relégués dans quelque réduit immonde , dont sou
vent la clef était introuvable. Aux paoletti de Pistoie , un
moine répondit franchement à l'évêque : Demandez -moi
des meubles, un vase par exemple, servant à l'utilité ou aux
136
agréments de la vie , je vous l'indiquerai à l'instant ; mais
en fait de livres , nous ne connaissons ici que le calendrier
de la sacristie et l'almanach de la cuisine.
Aussi , ajoute Ricci à qui nous devons ces curieux dé
tails , les moines étaient- ils d'une ignorance crasse, livrés à
l'indolence et aux dissipations de toute espèce . Les supé
rieurs, afin de perpétuer cet état de choses si commode pour
leur propre nullité, allaient jusqu'à défendre à leurs subor
donnés d'acheter des livres pour leur usage et à leurs frais.
Désirant vivement savoir ce que les professcurs ensei
gnaient, Ricci interrogea quelques élèves . La plupart , dit-il ,
étaient dépourvus de toute instruction ; quelques-uns en
avaient reçu une mauvaise . Leur théologie se bornait au
dogme de l'infaillibilité du pape , maître absolu de l'église et
des états . Ce qui naturellement intéressait le plus l'évéque
janseniste , c'était la doctrine de la grâce et de la prédestina
tion ; il trouva que les moines professaient le molinisme de
manière à scandaliser Molina lui -même . Il n'y avait pas
7
de quoi faire des théologiens même médiocres . En bien ! de
pour encore que leur intelligence ne s'émancipât au delà
des limites de rigueur , on avait soin de faire continuelle
7
ment passer les élèves d'un couvent à un autre , de sorte
que toujours le cours qu'il était en train de suivre , ou
bien il ne l'avait jamais commencé , ou bien il ne pouvait
jamais le finir.
Les religieux de saint François— nous continuons à citer
Ricci— n'avaient , la plupart du temps , aucune notion de la
langue latine . Il leur fallait un dictionnaire pour arriver à
comprendre les décisions du concile de Trente et le caté
là
.
137
chisme romain : c'étaient là ceux qu'on nommait docteurs
et professeurs, pour qu'ils se crussent obligés d'apprendre au
moins quelque chose de ce qu'ils allaient devoir enseigner .
Les plus obtus devenaient confesseurs et prédicateurs, et ils
étaient fort recherchés dans les campagnes . Tout ce que
Ricci put faire pour réſormer les moines dans l'intérêt de la
religion dont ils se disaient les enfants les plus dévoués , ne
scrvit à rien . La cour de Rome y mettait obstacle ; et les
provinciaux , dont elle disposait à son gré, la secondaient
activement , au moyen du renvoi incessant des religieux et
des élèves , d'une maison ou l'évèquc avait cru les atteindre,
à une autre maison sur laquelle il était sans autorité , dé
jouant ainsi ses projets et paralysant ses cfforts .
Il ne s'en était pas moins fait des ennemis irréconciliables
dans le clergé régulier , qui , par la soumission des couvents
aux évêques , perdait , avec toute influence, chacun dans son
ordre , les énormes profits qui en étaient la conséquence.
Ricci nous apprend, entre autres choses, que le provincial
des franciscains de Toscane , qui avait été une seule fois
chargé de faire la visite des couvents placés sous sa direc
tion , était riche pour sa vie entière . Le couvent d'Ognissanti
à Florence , si renommé pour son commerce en draps , lui
rapportait en cette occasion près de vingt-cinq millc francs.
A l'affaire des couvents succéda celle des livres . Ricci en
fit publier un grand nombre à ses frais, en ayant soin de
choisir ceux qui lui paraissaient les plus instructifs, en même
temps qu'ils étaient le plus à la portée des intelligences or
dinaires . Son recueil des Opuscules intéressant la religion
( 1783 ) fut porté jusqu'au 17 € volume, et ne fut interrompu
12
138
que par sa retraite forcée ; il avait l'intention d'y reproduire
les traités des saints pères , traduits en italien .
Malheureusement les préoccupations de l'éditeur don
naient toujours à ces entreprises une couleur de secte qui
en gâtait l'effet. Nous ne pouvons assez répéter que nous ne
blâmons aucunement l'évêque de Pistoie d'avoir professé et
cherché à propager les doctrines janséniennes , plus chré
tiennes peut-être que celles des jésuites , professées à Rome .
C'était là une affaire de conscience privée , à une époque où
la confusion des opinions ne permettait plus qu'il y eût une
conscience publique . Mais il y avait contradiction manifeste
chez lui à vouloir être catholique malgré et contre le chef
du catholicisme . Ricci usait de son droit de chercher à
servir sa religion comme il croyait qu'elle devait être ser
vie ; mais il se trompait dans le choix des moyens , car cette
religion ne pouvait se conserver pour quelque temps en
core que telle qu'elle était , et vouloir la réformer était
infailliblement travailler à la détruire . Il y avait de la part
de Ricci erreur de raisonnement , non crime : il subit les
conséquences de sa faute ; on le crut puni de ses mauvaises
intentions .
Quoi qu'il en soit , la cour de Rome ne sut plus dissi
muler sa fureur à l'ouïe du nouvel attentat du prélat
toscan à l'omnipotence pontificale : on l'accusa , à l'occa
sion de ses publications,de zwinglianisme ct de calvinisme;
mais il eut peu de peine à confondre ses calomniateurs qui ,
pour le perdre , avaient supposé que , par la présence spi
rituelle de Jésus -Christ dans l'eucharistie , Ricci avait en
tendu une présence simplement ſigurée. Spirituel et réel,
139
dit - il à ce propos et avec beaucoup de raison , ne se contre
disent aucunement . Il aurait pu aller plus loin , et dire qu'il
n'y a de réel que ce qui est spirituel ou plutôt immatériel ;
mais il lui restait à démontrer qu'il y a quelque chose
d'immatériel dans du pain , et cela est absurde . Cependant
ses adversaires croyaient à cette absurdité aussi bien que
Ricci lui -même . Pourquoi alors se combattaient-ils ? Pour
quoi ? par ambition , par vanité , par amour de la faveur et
du pouvoir , par ignorance de la vérité , par envie de se
distinguer en faisant triompher l'opinion dont on s'était fait
l'apôtre , en un mot , par une des passions quelconques qui ,
inévitablement , dirigent les hommes, quand elles ne sont
pas soumises à la raison , et qui ne peuvent être soumises à
la raison que lorsque celle - ci est incontestablement déter
minée .
0
CHAPITRE XXI .
Abolition des congrégations de prêtres . Défense aux bénéficiers de se
faire remplacer. —- Les jours de Ricci sont menacés . – Madone miracu
leuse . — Fautes de Léopold . — Intrigues des dominicains. — Suppression
des autels , hors un seul , dans chaque église . — Les abandonnées.
Léopold chargea l'évêque de Pistoie de prendre la surin
tendance des trois congrégations de prêtres qui se trouvaient
dans son diocèse . Le grand -duc avait été averti par un
membre de l'une d'elles , qu'elle possédait pour près de trois
millions de francs de revenus , ct qu'elle jouissait d'une
grande influence par les secours qu'elle donnait à beaucoup
de prêtres oisifs et inutiles , et par les dots dont elle grati
fiait quelques filles du peuple . C'est ainsi que la chose est
présentée par les réformateurs mêmes de l'époque , et elle ne
saurait mieux l'être pour prouver à l'évidence qu'au fond
il n'était question que d'une seule chose , savoir : enlever au
clergé , avec ses richesses , le pouvoir qu'il avait acquis, à
12 .
-
142
tort ou à raison, il ne s'agit point de cela , -- et s'emparer
de ce pouvoir et de ces richesses pour disposer dorénavant
de l'église , comme l'église jusqu'alors avait disposé de
l'état .
Les gouvernements qui recouraier à ces mesures de con
fiscation croyaient - ils ne pas violer le droit de propriété ?
Nul ne saurait le dire . Ce qui est certain , c'est qu'ils ne
négligeaient rien pour le faire croire par les autres . Leurs
actes de spoliation avaient toujours pour motifs avoués ,
soit l'illégitimité de la possession des biens , soit le mauvais
usage qui en était fait, soit enfin le danger qui résultait de
leur possession pour l'ordre social . Ces prétextes, qui ne
manquent jamais aux puissants pour exproprier les faibles,
n'ont aucune valeur devant la justice et ne sont quelque
chose que par la force qui les appuie. En principe de
raison absolue , ou il n'y a point de droit de propriété , ce
qui est absurde , ou toute confiscation en est la négation di
recte . Ces réflexions faites une fois pour toutes , revenons à
notre évêque.
On peut dire que la commission dont Ricci venait d'être
honoré par la confiance du prince rendait sa position
dans son diocèse , de très-compromise qu'elle était depuis
quelque temps, définitivement désespérée et presque sans
ressource . A Pistoie , un emploi dans une des congrégations
dont nous parlons était l'objet des brigues les plus ar
dentes, puisque les avantages qu'on en retirait équivalaient
à ceux de la dignité de cardinal . La congrégation de
Sainte -Marie di Piazza , la moins riche des trois , - son
revenu ne s'élevait que de cinq à six cent mille francs,
>
143
était mieux administrée que les autres . Les biens-fonds et
les rentes des congrégations de la Trinité et du Saint-Esprit
étaient dans le plus grand désordre . Il fallut avoir recours
à la force pour obtenir des comptes un peu en règle . Après
quoi , le patrimoine des trois congrégations fut appliqué à
l'entretien des curés, qui ne furent plus, dit Ricci , à dater
de cette augmentation de salaire , dans la nécessité de tra
fiquer des choses saintes pour vivre , ce qu'ils avaient fait
jusqu'alors.
L'évêque de Pistoie obtint peu après du prince une loi qui
obligeait les bénéficiers de sa cathédrale à faire eux - inèmes
le service pour lequel ils étaient si richement rétribués , au
lieu de payer chichement, ainsi que c'était la coutume , des
prêtres ignorants et pauvres pour les remplacer . Comme de
raison , tous ceux qui vivaient de ces abus ou qui y trou
vaient des moyens de se rendre la vie plus commode, de
vinrent , quand ils s'en virent privés , les ennemis les plus
irréconciliables du scrupuleux prélat.
Malgré cela , Ricci ne reculait et même ne s'arrêtait pas
dans la voie qu'il avait cru devoir se tracer , et qu'il suivait
sans jamais regarder derrière lui , pour remplir ce qu'il
considérait comme son devoir envers les hommes et envers
Dieu . Son malheur fut, il en convient lui -même , que sa po
sition le mit dans l'indispensable nécessité « de heurter å
chaque pas les moines et la cour de Rome , » Comme il pré
tait sans cesse le flanc sous le rapport des doctrines qu'il
affichait quelquefois, disons -le sans hésiter , avec une espèce
d'étourderie , on continua à essayer de le faire passer pour
hérétique. Il lui était , pour ainsi parler , impossible de se
144
laver de cette accusation , et il devait tôt ou tard succomber
sous la gravité qu'on lui attribuait encore généralement
parmi ses concitoyens . Le jour de la fête des Rois , une
affiche se trouva collée sur les portes de sa propre église ,
portant en gros caractères : « Priez pour notre évêque hété
rodoxe . » L'hérésie qu'on lui attribuait se bornait d'abord
au jansenisme ; puis , lorsqu'on se fut suffisamment fami
liarisé avec cette idée , on l'accusa de vouloir détruire la
religion chrétienne tout entière .
Après cela , vinrent les lettres anonymes , les menaces
d'assassinat et d’empoisonnement . On chercha à pénétrer
dans ses bureaux et dans son cabinet particulier , et un
homme mal famé s'offrit à le tuer pour cinq cents francs .
Nous venons de reprocher à Ricci l'inconsidération de
quelques -uns de ses actes . En voici un exemple : dans une
chapelle du diocèse de Fiesole , dont l'évêque de Pistoic
avait le patronage , se trouvait une madone réputée mira
culeuse, que , à l'occasion d'une réparation qui avait été
faite , quelque temps auparavant, au mur auquel elle était
adossée , un maçon avait barbouillée de couleurs d'une façon
ridicule . Ricci , en faisant procéder à une nouvelle restaura
tion dont la chapelle avait un urgent besoin , fit placer une
image toute neuve de la Vierge sur le maître - autel , et une
autre de sainte Catherine de Ricci à l'endroit même où était
la madone miraculeuse , qu'il avait fait disparaitre sous
une couche de badigeon . Un moine , curé à Passignano ,
paroisse voisine de la chapelle en question, feignant d'igno
rer ce qui avait cu licu , se porta processionnellement, à la
tête de ses fidèles, pour visiter l'image effacée. Arrivé de
145
vant le mur blanchi, il joua l'étonnement , puis le scandale ,
et réussit ainsi à scandaliser réellement les dévots ingénus
et crédules . Cette affaire brouilla Ricci avec Mancini , évê
que de Fiesole, jusqu'alors son ami ,
Des imprudences de Ricci , passons à celles de Léopold :
ce prince voulait débarrasser le culte extérieur du catholi
cisme des pratiques grossières et superstitieuses que l'igno
rance du peuple et l'avidité du clergé y avaient introduites ,
afin , dit l'évêque , de ramener à la religion les personnes
raisonnables qui s'en étaient éloignées , et de prévenir l'in
crédulité des hommes instruits , suite nécessaire de la maté
rialité des cérémonies religieuses .
Il y avait là , en effet, quelque chose de louable , du moins
dans l'intention ; mais de quelle autorité Léopold assumait
il une mission qui ne lui appartenait pas plus qu'à tout
autre fidèle ? Ou il était catholique sincère , et il devait se
soumettre à ce que décideraient et feraient les supérieurs
du catholicisme ; ou il ne l'était pas , et il n'avait rien à dire ,
il n'avait même aucun intérêt à dire quelque chose concer
nant les catholiques et leur religion , qu'il lui importait au
contraire de voir succomber le plus tôt possible sous le
poids de ses inepties . Il n'avait , en tout état de cause , aucun
droit d'appeler ignorance ce que les dévots appelaient foi,
ni de taxer de superstition ce que les fidèles considéraient
comme piété. En sa qualité de chef de l'état , il devait la jus
tice et la même justice à tous , sans acception d'opinions
religieuses ou autres , voilà tout.
Que fit - il au lieu de cela ? Il appliqua à la Toscane un
mandement de l'archevêque de Salzbourg , qu'il envoya à
y
146
tous ses évèques , et que Ricci s'empressa de transmettre
aux curés de son diocèse , afin que Dieu ne fût plus adoré
qu'en esprit et en vérité. Il en résulta immédiatement que ,
les fonctions paroissiales se trouvant bornées à l'explication
de l'évangile , à l'enseignement du catéchisme et à une
simple bénédiction pendant laquelle il était défendu d'al
lumer plus de quatorze cierges, tandis que les églises des
couvents , jadis si pompeuses ct si fréquentées, devaient
rester fermées au public ; il en résulta , disons -nous , que
le peuple , privé de ses fêtes , du luxe de ses cérémonies et
des expositions brillantes du saint sacrement , cria plus
haut que jamais . C'était acheter trop cher la réputation que
le grand Frédéric fit à l'empereur Joseph II , celle d'être
un sacristain modèle .
Comme tout marchait au gré de ses désirs dans le dio
cèse de Pistoie et Prato , Léopold ne se lassait pas de com
bler l'évêque de faveurs et de biens . Il venait de supprimer
le couvent des dominicains de Prato ; — nous dironspour
quoi ; - il y plaça les récollets dont il donna la maison à
Ricci pour son séminaire .
Les dominicains , malgré ce qui s'était passé au vu et au
su de tous , avaient continué à entretenir une correspon
dance suivie avec les religieuses des trois couvents de leur
ordre . Ils avaient même réussi , en dépit de la vigilance
de la police , à s'y introduire de nuit . Dans les conférences
secrètes avec leurs pénitentes , plusieurs choses avaient été
réglées, et entre autres celle - ci : à défaut de tout autre
moyen de communication , tel par exemple que les lettres
en chiffres dont les moines s'étaient servis autrefois, il fut
>
147
convenu , pour ne pas laisser se rompre tout à fait le fil de
leurs relations avec les religieuses , qu'à une heure dite ,
celles-ci s'agenouilleraient , et qu'au son de leur cloche les
moines les absoudraient de tous leurs péchés.
Le grand -duc gratifia également le séminaire de Pistoie
du couvent supprimé de Sainte-Claire .
Celui des dominicains fut donné aux dominicaines sou
mises , qui avaient manifesté le désir de se vouer à l'éduca
tion des jeunes filles. Mais l'église était trop grande pour
elles . Afin de l'adapter à sa nouvelle destination , Ricci y
réalisa une de ses plus chères idées de réforme : il n'y laissa
subsister qu'un seul autel , comme , dit - il , au temps de l'église
primitive ; comme , ajouterons-nous , chez les chrétiensgrecs
et les jansenistes de l'église d'Utrecht. Il eût certainement
mieux valu , religieusement parlant , que la chose fût ainsi ;
car il est plus qu'étrange d'avoir dans un même temple
plusieurs autels , où , tout à la fois, par l'opération de dif
férents prêtres , le même Dieu va descendre corporellement
sur la terre , y est déjà descendu et en disparaît par l'effet
de la communion . Mais l'usage de la pluralité des autels
avait prévalu depuis si longtemps , qu'il n'était plus guère
possible de le changer sans choquer l'opinion générale . Au
reste , lorsque Léopold vit par lui -même la réforme que
Ricci avait introduite dans l'église des dominicains, il fut
dans l'enchantement, et s'empressa d'ordonner que , partout
dans ses états, la simplification jansénienne fût adoptée
pour les temples catholiques. Mais Rome , que cette mc
sure menaçait dans le plus clair de ses profits habituels ,
convoqua le ban ct l'arrière -ban de sa milice , ct le grand
148
duc crut prudent de suspendre l'exécution de son projet.
Les translations de religieux et religieuses d'un couvent
à l'autre s'arrêtèrent pas à ceux dont nous avons parlé :
nie
un hospice de filles, les abandonnées (le abbandonate ) , ob
tint la maison des dominicaines . Ricci saisit avec empresse
ment cette circonstance pour rendre à l'institution que nous
venons de nommer sa première destination avec la simpli
cité qui en était la conséquence. L'hospice dont il s'agit était
dans l'origine un lieu de refuge exclusivement ; ses direc
teurs l'avaient peu à peu transformé en un véritable cloître .
છે
L'évêque de Pistoie rétablit les choses sur l'ancien pied , de
manière que les pauvres filles qui avaient été recueillies dans
cet asile , en sortaient quand elles trouvaient à se placer
avantageusement dans le monde ou à se marier . La congré
gation des nobles qui administrait l'hospice des abandon
nées manifesta hautement son improbation ; elle-même , à
la vérité , avait provoqué en partic les mesures dont elle
se plaignait , mais elle finit par les trouver beaucoup trop
radicales pour qu'elle n'eût pas préféré en revenir au vieil
ordre de choses avec tous ses abus.
CHAPITRE XXII .
Réflexions sur les réformes. — Léopold s'arrête devant le mécontentement
général . – Abolition des confréries pieuses . — Le patrimoine ecclésias
tique .
Le lecteur aura remarqué plus d'une fois que la plupart
des réformes si malheureusement expérimentées par Léopold
et par Ricci , sont précisément celles que firent prévaloir un
peu plus tard l'assemblée constituante et le clergé constitu
tionnel de France . Elles étaient depuis quelque temps déjà
préconisées en Allemagne , surtout par l'aristocratie cléri
cale , par les prélats , qui ne tendaient qu'à s'affranchir de
la dépendance de Rome . En France , en Espagne et en Italie ,
elles furent soutenues par la démocratie du sacerdoce , par ce
qu'on a appelé le bas clergé, qui demandait , lui , à se sous
traire à ses supérieurs immédiats . Nous le répétons , pour
l'église comme pour la société civile , c'était partout la même
question : chacun voulait monter d'un cran dans la hiérar
MÉMOIRES DE RICCI .
13
150
chie exploitante , parce que personne ne croyait plus à une
disposition providentielle qui l'aurait condamné à demeurer
dans la catégorie exploitée . Le résultat inévitable de cet état
général des esprits devait nécessairement être une révolu
tion plus ou moins générale dans l'état des choses . Cette
révolution était plus prochaine qu'on ne se l'imaginait ; elle
éclata , six ans plus tard , comme une tempête , et cette tem
pête gronde encore .
Plus l'évêque de Pistoie était entravé dans ses réformes
par les membres du gouvernement qui én redoutaient les
suites, plus le grand- duc l'entourait d'une confiance illimitée,
en l'investissant de pleins pouvoirs pour exécuter ses plans
sans dépendre d'aucune des branches de l'administration .
Les agents de l'autorité lui étaient donc aussi contraires que
les opposants les plus déterminés ; en d'autres mots , il avait
tout le monde contre lui .
Ses ennemis profitèrent adroitement de la suppression
des trois congrégations dont nous avons fait mention , sup
pression qui allait être suivie de l'extinction définitive de
toutes les confréries appelécs pieuses. Les prêtres de la
Sainte-Trinité et ceux du Saint-Esprit donnèrent le signal
de la résistance , en refusant les premiers d'obéir au gou
>
vernement . Léopold , d'une faiblesse caractéristique dans ses
relations avec ses ministres , qui parvenaient toujours à lui
faire craindre ce qu'ils feignaient de craindre eux-mêmes ,
et ce qu'au besoin leur connivence avec les adversaires des
réformes aurait facilement réalisé , Léopold céda : les décrets
furent suspendus .
Ricci ne reculait pas aussi facilement, et , voyant bien que
છે
151
ses projets pour une meilleure distribution des revenus ec
clésiastiques ne seraient jamaisexécutés dans toute la Toscane ,
il insista du moins pour qu'ils le fussent à Pistoie et Prato ,
et à travers mille difficultés et des déboires de toute espèce ,
il arriva à ses fins. Rome ne se possédait plus : elle sentait bien
que , réussissant dans le diocèse de Ricci , les mesures de cet
évêque , que l'opinion réclamait partout , et dont tous les gou
vernements comprendraient sans peine l'utilité pour eux
mêmes , s'étendraient promptement à la Toscane entière , et
ne tarderaient pas à envahir toute la catholicité. Aussi les
presses pontificales de Ferrare , de Foligno , d’Assise et jus
qu'à celles de Rome ne cessèrent- elles de répandre en tous
lieux des libelles diffamatoires contre le grand -duc , dont on
fit un autre Henri VIII , et contre Joseph II qui ne manquait
jamais d'imiter ce dont son frère avait fait un essai plus ou
moins heureux dans ses états . Ricci , véritable bouc émissaire
dans ces tristes débats , devint aux yeux du peuple plus
hérétique que jamais : les choses allèrent au point que les
fidèles refusaient de chanter les litanies de Jésus dont il avait
été l'introducteur , et que les livres de dévotion , répandus
par ses ordres parmi ses ouailles , étaient publiquement dé
chirés et jetés au vent dans les rues . Comme les autorités
locales ne mettaient aucun obstacle à ces manifestations per
turbatrices , le grand -duc , pour empêcher que les malveil
lants ne passassent à la fin à des voies de fait contre le
pasteur même , envoya à Pistoie un commissaire spécial ,
uniquement chargé de veiller à la sûreté personnelle de
Ricci .
Ce qu'il avait fait était cependant fort simple ct se fait au
152
jourd'hui, en partie du moins , et sans soulever des plaintes ,
partout où des lois fondamentales ont réglé les rapports
entre l'église et l'état . Le nombre des paroisses était réduit ,
mais les desservanls étaient mieux rétribués ; le patrimoine
ccclésiastique fit à chaque prêtre supprimé une pension
équivalente à son revenu légal antérieur , et il remboursa
intégralement tous les créanciers laïques des congrégations
éteintes ; les dots furent déterminées exactement et désor
mais décernées avec décence et sans abus. Ce qui resta en
caisse après ces opérations , savoir , environ dix-sept mille
francs, fut destiné au maintien des filles pauvres . Et , toutes
ces charges prélevées , huit millions et demi furent remis
en circulation au profit du commerce et de l'industrie . Il
fut strictement défendu aux curés , dont le salaire fut porté
à mille sept cents francs, et aux chapelains, qui en reçurent
la moitié , de rien exiger des fidèles pour officier et pour
baptiser , pour marier et enterrer . Les cérémonies étaient
tarifées, et le nombre des cierges à allumer , fixé irrévo
cablement .
Le grand-duc fit don au patrimoine ecclésiastique de Pis
toie et Prato des biens des couvents supprimés . Il y ajouta
ceux des couvents de religieuses , disséminées en petit nom
bre dans plusieurs maisons , et qui furent toutes réunies au
couvent de Saint-Jean .
à
CHAPITRE XXIII .
Projet de constitution pour la Toscane .
Réflexions du sénateur Gianni
à ce sujet . Dispositions préparatoires. Principaux articles de la
constitution .
Ricci nous fait observer que l'établissement du système
municipal dans toute la Toscane avait fait une énorme brèche
à l'ancienne prépondérance de la noblesse , et que le nou
veau règlement en matière religieuse allait la détruire com
plétement, en portant le coup de mort à l'aristocratie de
l'église , toujours prête à s'entendre avec celle des priviléges
politiques pour faire plus durement peser sur le peuple l'ex
ploitation sociale . Notre évêque ne se doulait pas le moins
du monde que l'exploitation du peuple avait été jusqu'alors
le seul moyen de maintenir l'ordre dans la société , et qu
tous les efforts de son prince ne pouvaient encore aboutir
qu'à fonder le règne de la bourgeoisie , bien plus rapace et à
coup sûr moins généreuse envers le peuple que l'ancienne
13 .
154
noblesse et que le clergé . Le temps n'était pas venu ,
>
et il
ne l'est pas plus aujourd'hui que sous Léopold
connaissant
, où le peuple
la limite
,
de ses droits, saurait, en ne les dépas
sant jamais , les faire valoir pour ne plus les perdre.
n'en
Nous
donnerons pas moins dans ce chapitre une idée des
formes
ré
auxquelles Léopold attacha son nom , en rendant
compte du projet de constitution par la réalisation duquel
il se proposait de couronner son æuvre . Cette pièce
tient ,
appar
il est vrai , plus directement à l'histoire du grand
mais
-duc
les
,
idées en sont communes au prince et à l'évêque,
qui fut, en toute circonstance et en toute chose , l'instru
ment docile et dévoué de son maître .
Nous avons copié le document dont il s'agit sur unma
nuscrit signé par le sénateur François -Marie Gianni , qui l'a
rédigé à Gênes (1805 ) , où il vivait alors dans une retraite
volontaire , après avoir fidèlement servi la Toscane sous Léo
pold , et sous le gouvernement démocratique que la peur des
armes françaises avait permis d'y substituer à celui de Fer
dinand III , successeur du prince constituant .
Gianni partageait les erreurs de son époque . Il avoue
qu'une loi fondamentale ne doit pas être une œuvre arbi
traire ; mais il oublie de déterminer les principes ou plutôt
le principe d'où elle doit émaner . Il veut qu'elle convienne
aux qualités physiques et naturelles du peuple pour lequel
elle est formulée : c'est là du matérialisme pur, si ce n'est
7
:
pas du non-sens .
Il trouve que la loi de Jésus-Christ est la scule constitu
tion qui s'adapte à tous les pays , à tous les hommes ; mais il
nc démontre pas plus cette affirmation, que Jésus lui -même
155
n'a démontré l'obligation de se soumettre à sa loi , en la
sanctionnant d'une manière incontestable pour toute intel
ligence dans son état normal .
Il critique avec raison les constitutions exclusivement ré
publicaines ; mais il ne dit pas que leur défaut capital, dans
l'état actuel des connaissances acquises à la société , est de
laisser celle - ci à découvert contre les agressions de l'anar
chie , nécessairement en progròs accéléré. Il n'est pas plus
favorable au gouvernement absolu , seul remède dans les
mêmes circonstances contre l'anarchie que cependant elle
ne tarde guère à ramener plus menaçante et plus forte ;
mais il néglige de faire ressortir que c'est parce que l'emploi
prolongé de la force devient impossiblc une fois que l'exa
men libre s'est constitué en droit social .
Le candide sénateur ne voit de refuge que dans la monar
chie tempérée par une loi constitutive . Mais il ne s'objecte
pas que , dans l'absence de tout critérium généralement
accepté , une constitution est un chiffon de papier qu'in
terprètent à leur guise , le roi s'il est le plus fort, et la re
présentation nationale si elle est plus forte que le monarque,
et que le peuple déchire et foule aux pieds , chaque fois qu'il
se rappelle qu'il est à lui seul plus fort que tout le reste , et
qu'il se flatte , après s'être débarrassé de ce reste , d'être
moins malheureux qu'auparavant .
La constitution de Léopold date de l'année 1779 .
Pour préparer de longue main les Toscans à s'intéresser
aux affaires publiques et à y prendre part , le prince com
mença par organiser dans ses états le régime municipal. Il
institua les communes , et chargea les magistrats qu'il pré
156
posait à leur administration , de la décision et de l'exécution
de tout ce qui était réellement d'intérêt local . Il destinait
ces magistrats à devenir plus tard le noyau des assemblées
primaires.
Le sénateur Gianni nous apprend que trois personnes ,
tout au plus , dans toute la Toscane , comprirent que cc
n'était là qu'une pierre d'attente pour l'érection prochaine
d'un édifice plus vaste .
Les communcs étant établies , Léopold affranchit l'in
dustrie et le travail de toute entrave réglementaire , et ren
dit la disposition des propriétés privées entièrement libre .
Les corporations d'arts et de métiers ſurent abolies , avec
lcurs juridictions et leurs tribunaux , leurs statuts et , en un
mot , toute restriction quelconque mise à l'activité de l'in
telligence dans son application aux choses non défendues
expressément par les lois.
Il assura l'égalité devant la loi , en supprimant les privi
léges des cours judiciaires , les cxemptions et les préroga
tives attachées à certaines classes et à certains individus . Les
droits féodaux disparurent complétement , ne laissant der
rière eux que des noms creux et de vains titres . Les fidéi
commis et les substitutions par disposition testamentaire ,
furent abolis sans retour .
Le droit qui s'acquérait par le seul fait de la naissance à
l'obtention de certaines magistratures , fut déclaré déchu :
ces emplois , d'abord conférés par le grand -duc , furent
bientôt dévolus à la nomination d'un jury spécial , sur les
preuves de doctorat , de notariat , de pratique dans l'un ou
l'autre tribunal, et du mérite personnel,
157
Toute acquisition et toute aliénation d'une propriété par
des gens de mainmorte furent soumises , pour être légales ,
au consentement formel du souverain .
Les immunités du clergé en fait d'impôt public furent
abolics .
L'ordre de Saint-Étienne, réservé aux nobles , devait être
supprimé, et son riche patrimoine affecté au payement des
troupes ; on n'aurait conservé que la croix d'honneur pour
servir de récompense aux officiers et aux soldats .
Plus d'emprisonnement pour dette . - Ferdinand III
rendit aux créanciers leur ancien droit de faire incarcérer
leurs débiteurs .
Organisation du pouvoir judiciaire et des tribunaux , de
manière qu'ils pussent fonctionner librement dans la suite
sous l'empire de la constitution .
Abolition de tous les priviléges tendant à affermer les
revenus de l'état . Le corps des financiers fut supprimé par
le remboursement de l'indemnité stipulée en sa faveur pour
le cas de rescision des contrats passés entre l'état et ces
hauts fermiers.
Organisation d'une troupe civique.
Le payement de la dette publique fut dégagé de toute
cntravc gouvernementale . Il en résulta une grande simplifi
cation par la mise en rapport immédiat des vrais créanciers
de l'état et de ses débiteurs réels , la suppression de frais
incalculables et d'un nombre infini d'employés , créatures
et satellites des ministres , et enfin la facilité pour chacun
de se libérer du payement des intérêts en remboursant le
capital .
-
158
Léopold avait voulu couper court à tous les abus que le
pouvoir et ses agents peuvent faire de la dette publique au
moyen des ténébreuses intrigues de l'agiotage , au grand
préjudice des intérêts du peuple . Il avait préludé par là à
l'article constitutionnel qui aurait déſendu rigoureusement
de créer à l'avenir aucune dette publique . — Ferdinand III
arrêta également cette opération de l'amortissement de la
delte .
Réforme radicale du code pénal , et principalement de
celui de procédure . -- Cette réforme fut profondément dé
naturée par l'avidité des suppôts de la chicane, sous Léopold
même , et bien plus encore à l'avénement de son fils.
Institution d'une administration des travaux de défense
contre les inondations, afin d'empêcher l'égoïsme de quel
ques-uns de nuire aux intérêts de tous ; administration
composée des intéressés seulement , et soustraite à toute
influence du pouvoir .
Nouveau tarif des droits de douanes , simple , clair et sur
tout bref, pour les marchandises imposées toutes également
à poids brut , sans obligation de déclarer par qualité et
quantité . Suppression des droits de sortie . Abolition des
droits communaux . L'armée des employés de haut et
bas étage que cette mesure mit à la retraite , devint un mo
tif d'opposition acharnée au gouvernement de Léopold .
Ferdinand III rendit à la boutique du ministère des finances
toutes les vieilles erreurs à faire valoir , tous les vieux abus
à exploiter .
Institution du domaine de la couronne , composé des biens
des Médicis et des acquisitions subséquentes , sous une
159
administration dépendant exclusivement du prince régnant .
Le domaine de la couronne , soumis à toutes les charges
publiques , ne jouissait d'aucune prérogative particulière .
Cette disposition , si odieuse au ministère des finances, était
déclarée article constitutionnel .
Ordre de plaider publiquement les causes civiles devant
les tribunaux , afin d'habituer les Toscans à raisonner leurs
intérêts , à les discuter et à les défendre, et de métamorpho
ser des sujets timides et serviles devant le despotisme gou
vernemental, en citoyens n'obéissant qu'à la loi librement
élaborée et consentie par eux .
Ces actes préparatoires étaient destinés à rendre la consti
tution nécessaire en la rendant possible . Voici maintenant
quelles auraient été les principales dispositions de cette loi
fondamentale .
La législation était l'auvre commune du souverain et de
la nation .
Au souverain appartenait le pouvoir exécutif. Il était
investi de l'autorité indispensable pour se faire obéir et du
commandement de la force .
La nation était représentée par les assemblées commu
nales , provinciales et par l'assemblée générale .
L'agrégation de plusicurs communes formait l'arrondis
sement , au chef - lieu duquel se tenaient les assemblées pro
vinciales , composées des députés des communes .
Les provinces étaient circonscrites , non suivant leur gran
deur ou leur population , mais suivant l'analogie des meurs
et des habitudes .
Tout citoyen , âgé de vingt-cinq ans , jouissait du droit
160
de pétition à exercer devant les assemblées de sa commune
pour des objets simplement locaux , devant les assemblées
provinciales pour les objets concernant l'arrondissement .
Les pétitions parvenaient ainsi au pouvoir exécutif , déjà
discutécs , éclaircies , mûries .
Les assemblées provinciales envoyaient chaque année , à
époque fixe , leurs députés à l'assemblée générale , qui devait
se tenir , d'abord à Pise , puis à Sienne, ensuite à Pistoic ,
enfin à Florence .
La constitution mettait au nombre des lois fondamentales
celle de maintenir une neutralité absolue , même envers les
puissances barbaresques . Le gouvernement ne pouvait con
tracter aucune alliance , offensive ou défensive, n'accepter
la protection ou l'assistance d'aucun état étranger.
Une armée civique , et point d'autre . Pas de nouvelles
forteresses ; les anciennes devaient être dégarnies de toute
artillerie .
Liberté entière du commerce, avec défense d'y porter
jamais la moindre atteinte .
Plus de dette , ni publique, ni provinciale , ni communale .
Les dettes communales étaient payées par les communes
d'après un règlement déterminé .
Le domaine de la couronne ne pouvait être ni aliéné , ni
divisé , ni engagé hypothécairement. Et comme son revenu
était insuffisant, une liste civile , à charge du trésor , y sup
pléait . Et il était strictement défendu de jamais la majorer,
sous prétexte de dotation , d'apanage , de frais d'entretien
,
ou d'établissement des princes ou princesses .
Le territoire toscan était déclaré ne pouvoir être ni
161
agrandi ni amoindri , ni échangé en partie contre un autre .
Les princes de la famille régnante et les princes étran
gers étaient frappés d'incapacité pour jouir des bénéfices
ecclésiastiques à la nomination du souverain , et pour occu
per quelque emploi civil ou militaire que ce fût .
Le grand -duc avait le droit de faire grâce , bien entendu
pour la commutation des peines afflictives ou infamantes
exclusivement . Aucun recours en suspension , grâce ou abo
lition , n'était admis en matière civile . « Si la loi n'est pas
bonne, disait Léopold , il faut la réformer ; si elle n'est pas
claire , il faut l'expliquer ; si elle n'est pas suffisante, il faut
la compléter . Mais jamais par d'autres moyens que par la
volonté générale, expression de l'opinion publique. Tant
que la loi existe , elle doit être appliquée , sans acception ni
exception . »
Les sentiments exprimés par ces nobles paroles sont
dignes d'admiration , surtout pour l'époque où ils ont été
manifestés spontanément par un prince absolu de fait et de
droit, et que rien ne forçait à se dessaisir de sa puissance.
Mais depuis plus d'un demi - siècle que nous voyons fonc .
tionner les machines constitutionnelles , qui elles -mêmes ne
font rien autre chose que dissimuler le despotisme de la
majorité parlementaire , synonyme du principe de la force ,
plus ou moins brutale , on se demande, sans trouver de ré
ponse , ce qu'on y a gagné . Poursuivons .
La prérogative souveraine comprenait tout ce qui n'était
pas réglé par la loi .
Les assemblées générales proposaient des lois , qui de
vaient recevoir la sanction du grand -duc . Celui - ci également
14
162
présentait des projets de loi que la législature acceptait ou
rejetait.
Le compte des recettes et des dépenses était rendu publi
quement , et sévèrement contrôlé . Toute augmentation d'ap
pointements , pensions ou gratifications avait besoin d'être
accordée par le prince et l'assemblée générale ,
de commune
volonté .
Le grand -duc avait la nomination aux emplois , mais les
employés pouvaient être destitués par l'assemblée générale ,
unanime dans sa déclaration d'indignité .
La succession au trône avait lieu dans la ligne masculine
seulement , et le prince , à son avénement , devait accepter
la constitution et s'engager à l'observer scrupuleusement .
Entre autres dispositions réglementaires pour la tenue
des assemblées d'élection et de représentation , se trouvait
celle d'incompatibilité de la qualité d'employé ou de pen
sionnaire de l'état et de la nomination à la dignité de
député .
La commune de Livourne , offrant des différences de
sition et d'intérêts avec le reste du grand-duché , demeurait
exclue des assemblées provinciales. Les pétitions de ses
citoyens étaient transmises et défendues à l'assemblée géné
rale par un député qui n'y avait point voix délibérative ,
La marine de guerre était supprimée ; il ne restait que
les postes de terre , et quelques barques servant au cordon
sanitaire et au transport des dépêches. Tout cela était fixé
et invariablement arrêté .
po
CHAPITRE XXIV .
Contradictions dans le caractère du grand-duc Léopold . Madone qui
pleure . – Dispenses de mariage . — Les communes frontières de Toscane ,
soustraites à la juridiction des évêques étrangers . — Décision relative au
sort des religieuses supprimées . -- Statistique des couvents de filles en
Toscane .
Ce que nous venons de rapporter suffitpour montrer que
Léopold avait des intentions aussi bonnes et aussi désinté
ressées
que Ricci . Avant de continuer le récit de ce que va
lurent à ce dernier celles qu'il parvint à mettre à exécution ,
disons un mot encore du grand -duc .
Léopold d'Autriche était un singulier mélange de dévotion
routinière et de liberté de penser , de justice et de raison en
théorie et de despotisme en pratique , d'unc apparente rigi
dité de meurs et d'un relâchement réel dans sa conduite ,
d'une fermeté de volonté qui allait jusqu'à l'entêtement et
d'une incertitude dans l'action qui dégénérait en versatilité
et en faiblesse. Donnons-en quelques exemples .
164
Nous venons de le voir favoriser par tous les moyens en
son pouvoir le développement progressif chez ses sujets de
la liberté de penser et d'agir ; montrons - le maintenant fai
sant peser sur eux le joug avilissant du plus lourd et du
plus incessant espionnage , et punissant avec la pédanterie
d'un surveillant de collége , tantôt une intrigue de ruelle ,
tantôt une querelle de ménage, et jusqu'aux commérages
les plus insignifiants . Nous avons dit qu'il abolit l'inquisi
tion de la foi ; ajoutons qu'il y substitua l'inquisition d'une
police tracassière, qui signalait à l'indignation publique
ceux qui , entre autres méſaits, négligeaient d'entendre la
messe le dimanche ou de communier à Pâques . Les curés
et leurs vicaires étaient tenus de faire au prince des rapports
secrets sur tout ce qui parvenait à leur connaissance , princi
palement des mystères de la vie intime . Les choses en étaient
venues au point que les Toscans qui , en dépit de ce qui se
passait sous leurs yeux , croyaient encore devoir confier
leurs secrets à un prêtre, se trouvaient forcés d'aller cher
cher à l'étranger un confesseur non cnrôlé parmi les espions
du gouvernement. Nous avons fait ressortir le zèle avec le
quel Léopold s’attacha à mettre la chasteté des épouses du
Seigneur à l'abri des atteintes du libertinage des moines .
Opposons à cela sa propre vie privée : marié et père
d'une nombreuse famille, le grand -duc avait cependant des
maîtresses, et une entre autres , nommée la Livia, qu'il
garda jusqu'à sa mort. Il avait supprimé la peine de mort
dans son code criminel ; il n'en toléra pas moins, ce qui
était le favoriser indirectement , le rapt de la fille naturelle
de la grande Élisabeth , fille elle-même de Pierre le Grand .
165
Elle habitait Livourne ; les Orloff la séduisirent, l'enleverent ,
et l'immortelle Catherine la fit étrangler. En outre , d'ac
cord avec l'empereur Joseph II , son frère, ct ses deux
seurs , les reines Marie -Antoinette de France et Caroline de
Naples, Léopold fit renvoyer par le roi Ferdinand le minis
tre Tannucci, dont l'intrigant Acton , le favori de Caroline ,
prit la place , ce qui amena dans la suite l'horrible domina
tion de l'Autrichienne, secondée dans ses sanguinaires ca
prices par une courtisane anglaise , devenue la femme de
l'ambassadeur de la Grande -Bretagne et la maîtresse de
l'amiral Nelson . Nous donnerons plus loin quelques détails
sur ces scènes dégoûtantes .
Veut-on notre jugement sur les contradictions que nous
exposons ? Le voici. Léopold d'Autriche, comme tous ses
contemporains , comme les nôtres, ne savait pas sur quel
principe il devait régler sa conduite ; il n'avait plus la foi
requise pour soumettre sa conduite à la morale qu'impose
la religion ; il obéissait tantôt à un sentiment d'habitude,
tantôt à ses passions qui l'entraînaient , au hasard des cir
constances , aujourd'hui vers le bien , demain vers le mal,
sans garantie aucunc pour l'avenir comme sans contrôle
pour le présent . C'est l'histoire de tous les hommes, tant
que dure l'ignorance sociale . Mais il est temps de ne plus
nous occuper que de l'évêque Ricci .
En étendant au diocèse de Prato les réformes déjà réali
sées au diocèse de Pistoie , Ricci fit retirer de sa cachette et
remettre à neuf une image en plâtre de la Vierge , à l'occa
sion de laquelle il raconte ce qu'on va lire . Cette image ,
sous l'épiscopat d’Alamanni, un jour qu'il faisait un brouil
14 .
- 166
lard ſort épais , s'était , chez le plâtrier où elle se trouvait
encore , recouverte de vapeur comme tout ce qui l'envi
ronnait . Mais bientôt les gouttes s'étaient ramassées , et en
découlant tout le long de la figure enluminée d'une épaisse
couche de vermillon , y avaient laissé des sillons blancs que
des paysans attroupés devant la boutique prirent pour des
larmes . Aux cris de miracle ! le vicaire épiscopal s'était
rendu sur les lieux , avait par prudence fait enlever l'image,
et avait donné ordre qu'on la transportât à l'église de la
Vierge du Lis, où elle fut enchâssée dans le mur de sépara
tion entre le temple et la sacristie , et ne tarda guère à être
oubliée . Ce fut là l'image que Ricci fit restaurer et surtout
repeindre , afin qu'il ne restât pas la moindre trace de
son prétendu miracle ; après quoi il permit qu'elle fût re
placée dans son cadre .
« Que n'a-t-on traité de la même manière , quelques an
nées plus tard (1799 ) , s'écrie Ricci à ce propos , la trop fa
meuse madone d'Arezzo , qui servit de prétexte aux pillages ,
aux massacres et aux impiétés , qu'elle semblait prendre
sous sa protection , et qu'on rendit ainsi complice des horri
bles scènes qui ensanglantèrent , dévastèrent et déshonorè
rent le sol de la Toscane ? » Nous parlerons dans son temps
de l'insurrection d'Arezzo .
Ricci eut bientôt de nouvelles disputes avec le saint-siége .
Ce fut cette fois relativement aux dispenses des empêche
ments au mariage . L'évêque de Pistoie ne voulait pas être le
premier å brusquer la cour de Rome sur ce point délicat .
C'est pourquoi , un de ses diocésains se trouvant dans le cas
d'avoir besoin d'une dispense , il s'était contenté de la solli
2
167
-
citer auprès du saint-siége au nom de l'impétrant . Mais
celui -ci était pauvre , et l'infâme boutique, nous citons
Ricci même , — dont les livres imprimés et autorisés sous
le titre de : Pratique ( Praxis ), par Ventriglia , Pirro Cor
rado , etc. , dévoilent les honteuses ressources , n'accorde ses
faveurs qu'à ceux qui se présentent les mains pleines d'ar
gent (dummodo gravis ære sit manus) . Ricci n'obtint pas
même de réponse .
Il se tourna alors vers le grand -duc, qui s'empressa de
lui conſérer tous les pouvoirs du chef de l'état en pareille
matière . Muni de cette autorité, le prélat n'hésita plus , et
dans l'espace de cinq ans , il accorda de son propre chef,
« pour motifs légitimes et sans aucuns frais, » comme l'avait
ordonné le concile de Trente , trois cent dix-sept dispenses ,
contre lesquelles la cour de Rome ne réclama point , du
moins expressément.
Les principes de Ricci sur ce qui concerne le mariage
étaient ceux des canonistes de son époque , et ces principes
ont fini par être généralement adoptés , hormis par les par
tisans exclusifs des anciennes prétentions de la cour de
Rome . Le mariage , disait notre évêque , est un contrat dont
la loi seule règlc les conditions ; Jésus , sans changer sa
nature , l'a élevé à la dignité de sacrement : la bénédiction
nuptiale , cérémonie religieuse dont l'église a voulu qu'il
fût suivi , peut , et pour les catholiques doit être reçue après
l'acte civil .
Ricci , avons-nous dit , accordait ses dispenses gratis, mais
seulement lorsqu'il y avait en réalité des motifs valables
pour les demander . Il refusa donc celles que sollicitaient
»
168
les Piccioli , riche famille de négociants , qui ne s'appuyaient
dans leur requête que sur de simples raisons de commerce
et d'intérêt pécuniaire. Les Piccioli , en désespoir de cause ,
s'adressèrent à Rome, où, pour une forte somme d'argent ,
on ne fit aucune difficulté de les satisfaire. Mais Ricci tint
bon , et la future , quoique enceinte , fut obligée d'aller se
marier à Rome avant ses couches . Le grand -duc exila les
époux , qui, ruinés et au repentir, se soumirent finalement
à leur évêque . Ricci n'en voulait pas davantage ; il obtint
leur grâce de Léopold , leur accorda les dispenses néces
saires et seules légales , les maria , comme s'il n'avait jusque
là été question de rien , et légitima l'enfant qu'ils avaient eu ,
entre la bénédiction subreptice et obreptice , - c'est ainsi
qu'il la qualifie , --- qui leur avait irrégulièrement été donnée
à Rome, et celle que lui -même leur donnait canoniquement .
Léopold avait soustrait à la juridiction des évêques étran
gers les communes de Toscane qui faisaient partie de dio
cèses dont le siége se trouvait hors du grand -duché. Cette
mesure ne donna lieu qu'à un avertissement adressé par
cardinal Gioannetti , archevêque de Bologne , à celles de ses
ouailles qui allaient passer sous la houlette de Ricci , afin
de les mettre en garde contre les mauvais livres répandus
au diocèse de Pistoie . Ricci se plaignit avec douceur de ce
procédé d'un ancien ami , abonné lui -même à la publication
des mauvais livres contre lesquels il protestait .
Une autre affaire était moins facile à régler . Depuis la
suppression de plusieurs couvents , des religieux , des reli
gieuses surtout, rendus au monde, trouvaient fort durs à
observer les veux qui les en séparaient . L'évêque de Pis
le
- 169
-
toie , consulté par le grand -duc , fut d'avis que le prince
no27 -seulement pouvait , mais encore devait les séculariser .
Il aurait voulu même qu'une loi réglát pour l'avenir la con .
duite à suivre à l'égard de ceux dont la volonté avait évi
demment été surprise , pour leur faire prendre des engage
ments dont ils ne connaissaient pas la portée . Mais cette
décision fut ajournée . Léopold se borna å ordonner que
désormais aucune fille ne serait reçue à prononcer des veux
avant l'âge de vingt-deux ans , ct il défendit aux couvents
d'accepter des dots , et à qui que ce fût d'en offrir . Mais, de
peur que les familles ne fussent disposées plus encore qu'au
paravant , par cette diminution des frais ordinaires , à forcer
leurs enfants d'entrer en religion , il détermina une aumône
à verser par chacune d'elles, à chaque vêture , dans la caisse
de l'hospice de l'endroit , proportionnellement à ses moyens
de fortune . Il est vrai qu'il avait aboli l'abus qui faisait
exiger par les évêques un droit de voile , appelé même droit
du sacrement de religieuse, lequel s'élevait parfois jusqu'à
près de deux mille francs.
Il fallut cependant en venir , en dernière analyse , à dé
terminer le mode futur d'existence des religieuses dont les
couvents avaient été affectés à d'autres usages . On leur
permit de choisir entre la vie commune et cloîtrée et celle
des conservatoires : déjà les conservatoires avaient préa
lablement subi une réforme, c'est-à-dire qu'on les avait
rendus à leur première destination , celle d'être des licux
d'asile , tenant le milieu entre la clôture et la vie ordi
naire ; les seurs qui les habitaient n'avaient point d'autre
devoir à remplir, si ce n'est de donner aux jeunes filles,
---
170
sans distinction de fortune , les premières notions de la
doctrine chrétienne et de quelque ouvrage manuel .
Les détails que Ricci nous fournit à ce propos sur les
couvents de femmes en Toscane , contiennent des faits cu
rieux que nous reproduisons. Le seul diocèse de Florence
comptait cinquante de ces couvents , et leur revenu annuel
était d'environ douze cent mille francs. Les autres diocèses
ensemble en avaient cent cinquante et un , qui recevaient
annuellement au delà de la somme susditc . Presque tout
cet argent passait aux mains des prêtres , des moines et
même des évêques ; les confesseurs en titre en prélevaient
la plus grosse part . A Florence seulement , il y avait mille
neuf cent seize religieuses , et la Toscane entière , la pro
vince de Sienne non comprise , cinq mille neuſ cent
soixante et dix . Florence , dont la population était alors d'un
peu plus de la moitié de celle de Rome , comptait plus de
couvents dans son enceinte que la capitale même du catho
licisme .
Un seul couvent , celui de Saint-Marcel , dans la monta
gne de Pistoie , se conforma entièrement aux intentions de
Léopold : aussi fut - il en butte aux persécutions de toute
espèce sous le règne de son successeur . Ricci compare les
religieuses de Saint-Marcel aux saintes vierges de Port
Royal en France . L'évêque Toli , un des successeurs de
Ricci sur le siège de Pistoie et Prato , lança contre elles , en
1808 , l'accusation publique d'être orgueilleuses comme
Luciſer . Leur ancien évêque espère bien , dit- il , « que le
grand Napoléon fera cesser ce scandale , et de son bras
puissant purgera l'église des deux grandes plaies qui l'af
171
-
fligent dans ses principaux membres , l'ambition et la cu
pidité . »
Cette invocation , faite de bonne foi alors , doit sembler
fort étrange , aujourd'hui que le bras puissant de Napoléon ,
qui n'avait pas relevé le catholicisme , déjà debout en France
avant le concordat , et qui ne parvint pas à le soumettre à
son despotisme , a fléchi sous d'autres bras plus puissants
que le sien , et qui , à leur tour , n'ont pas tardé à éprouver
le peu de force réelle de leur apparente puissance . L'ambi
tion et l'avidité des prêtres , comme de tous , et la force
faisant de l'ordre prétendu au jour le jour , ne céderont
que devant la vérité , lorsque l'anarchie aura imposé aux
hommes la nécessité de déterminer incontestablement la
justice et la raison .
-
CHAPITRE XXV .
Les confréries de charité . Indulgences . Ricci combat toute action
temporelle de l'église sur l'état . Les omcialités . Salaire du haut
clergé . – Quêteurs des campagnes . Obstacles . - Faiblesse de Ricci .
- Son puritanisme . — Le serment des évêques . Cas de conscience .
Nous avons rapporté plus haut que les innombrables
confréries pieuses de la Toscane avaient été remplacées par
les confréries dites de charité. Cette réforme religieuse de
Léopold est la seule qui ait été complètement abolie par son
successeur . Aussi les confréries ou Trous (buche) , dénomi
nation empruntée aux chapelles souterraines où elles se
réunissent, continuent- elles à offrir un spectacle fort bizarre
aux étrangers qui visitent la Toscane .
Cela ne serait peut-être pas arrivé si le plan d'organisa
tion proposé par Ricci avait été adopté. Mais le ministère le
modifia de telle sorte que Rieci lui-mêmedemanda qu'il ne
fût point étendu à son diocèse . Il avoue , et c'est beaucoup
15
174
pour un sectaire , que ses adversaires avaient pu trouver un
prétexte d'opposition dans l'apparence de bażanisme qu’of
frait son instruction pastorale pour la mise en pratique des
constitutions nouvelles . Le lecteur sait que le bażanisme est
la doctrine d'un docteur wallon , nommé Dubay , sur la
quelle celle de Jansénius fut entée .
Ricci se consola de son échec par la propagation de ce
qu'il nommait les bons livres , c'est - à -dire les livres jansé
nistes . Il le faisait surtout pour éclairer ses diocésains
contre les fausses maximes répandues alors même à Pistoie
et à Prato , par les colporteurs d'indulgences . Et à cette oc
à
casion , il cite une inscription placée à Pistoie , au couvent
supprimé des servites , portant , au nom de Grégoire XIII
( 1580 ) , une indulgence plénière , applicable , par le prêtre
qui célébrerait la messe à l'autel de l'Assomption , à l'âme
d'un chrétien , mort en état de grâce , mais devant encore
expier dans le purgatoire : le bénéfice de cette application
coûtait deux francs et demi.
>
:
L'auteur des présents Mémoires a copié une inscription à
peu près semblable , à Florence, dans l'église de la Santis
sima Nunziata , en faveur de ceux qui diraient la messe å
l'autel du Crucifix (1576 ) .
Ricci avait pour but d'ôter à l'église toute action tempo
relle , ce qui était la séparer de l'état et même de la vie
active et pratique . Selon lui , c'était là l'esprit du chris
tianisme. Quoi qu'il en soit , il est certain que , si les choses
avaient toujours été considérées sous ce point de vue , jamais
il n'y aurait eu de société chrétienne . Pour nous , le prin
cipe chrétien , après avoir , pendant plusieurs siècles , servi de
175
base à la société politique , a , comme tout principe ne rc
posant que sur une hypothèse , sur la foi, cessé d'exister
socialement. Sous le règne de Léopold , ce principe était déjà
assez fortement ébranlé pour qu'il fût devenu indispensable
de le suppléer par des mesures que le grand -duc tâcha d'in
troduire et que la révolution française , plus forte que les
obstacles contre lesquels la volonté de Léopold s'était brisée ,
pouvait seule consacrer . Oui , il fallait que l'église se pliat
aux idées nouvelles et aux nouveaux intérêts de la société ,
mais dans son intérêt à elle exclusivement . Les gouverne
ments pouvaient bien éclairer l'église à cet égard , mais ils
devaient borner là leur sollicitude : après cela , ou le catho
licisme aurait cédé pour continuer encore quelque peu à
vivre , ou il se serait roidi contre la nécessité et ses partisans
auraient disparu de l'arène sociale pour faire place à de plus
flexibles et par là même de plus habiles lulteurs.
Les officialités ( tribunaux ecclésiastiques) , entièrement
soustraites à l'action civile , étaient encore en vigueur . Ricci
en demanda l'abolition sans réserve ni restriction . Les in
trigues de la cour de Rome et la complicité du ministère
toscan firent avorter ce projet , qui ne reçut d'exécution qu'à
Pistoie et Prato . Dans les autres diocèses , on remédia à
quelques abus par trop criants , mais la source d'où ils re
naitraient à la première occasion favorable demeura ou
verte comme auparavant.
Ricci ne réussit pas davantage à faire salarier le haut
clergé , ainsi que les curés et les vicaires . Les évêques pous
sèrent unanimement un cri d’alarme à la première propo
sition qui en fut faite . A les en croire , ils allaient perdre
176
toute leur indépendance : Ricci leur répondit qu'ils ne per
draient que le soin qu'ils avaient été forcés de prendre jus
qu'alors de leurs revenus , ce qui nécessairement les avait
détournés du soin qu'il était de leur devoir de prendre des
intérêts spirituels de leur troupeau . Les évêques cependant
avaient raison : l'église salariée par l'état tombait sous la
domination de l'état . Mais Ricci aussi avait raison , en ce
sens du moins que , l'église étant devenue moins forte que
l'état, il était naturel que , sous le règne de la force , l'état
s'emparât du patrimoine de l'église pour ne lui laisser que
sa portion congrue , bien entendu encore quand elle péri
tait de la recevoir pour les services qu'elle rendait au
maître , monarque, noblesse , bourgeoisie ou peuple .
L'évêque réformateur exposa au grand-duc que l'impor
tante amélioration qu'il avait réalisée en formant un patri
moine ecclésiastique ne serait complète que lorsque les
menses épiscopales en feraient partie , et que chaque évêque
recevrait une pension convenable . Mais l'opposition com
mençait à se manifester trop vivement pour que le gouver
à
nement se hasardât à passer outre . Ce fut tout au plus si
Ricci obtint d'aliéner une partie de la mense de Pistoie,
pour laquelle il toucha une rente équivalente au revenu
qu'il en retirait auparavant . Il se félicita d'avoir du moins
par là donné un exemple utile qui serait suivi plus tard .
Pendant que cela se passait , les dominicains renouve
laient leurs intrigues pour ne pas se laisser entièrement
oublier dans un diocèse où ils avaient été en quelque sorte
les maîtres absolus . Ricci dénonça au grand -duc leurs
Avis aux dévots à l'occasion des fèles du Rosaire et de celles
177
des douleurs de Marie , Ce fut le motif qui porta le gouver
nement à défendre pour l'avenir toute publication d'in
dulgences au moyen desquelles de fortes sommes d'argent
étaient soustraites aux ignorants et aux simples , par les
fourrageurs des campagnes , les quêtes des chercheurs ,
envoyés par les ordres mendiants , et les loteries de dots .
Les dots , comme nous l'avons déjà dit , à charge désormais
du patrimoine ecclésiastique , étaient distribuées avec dis
cernement , convenance et utilité .
Sur les entrefaites, Seratti , secrétaire du grand-duc , était
devenu ministre d'état. Rome s'en réjouit fort ; elle comp
tait bien mettre à profit l'ascendant qu'elle exerçait sur
l'esprit de cet homme , ennemi naturel des réformes qu'il
n'avait pas inspirées , qui lui imposaient des travaux extraor
dinaires , et qui augmentaient l'influence d'un prélat dont
il était jaloux . L'archevêque Martini était toujours prêt à
seconder Seratti dans ses efforts de résistance , mais uni
quement par envie du premier rôle que Ricci était naturel
lement appelé à y jouer ; car nul plus que lui n'était
contraire à la politique romaine .
On comprend sans peine , qu’ainsi entouré d'ennemis
secrels , Ricci , qui aurait eu besoin d'une collaboration
active et zélée , ne rencontrait jamais que de la tiédeur et
des obstacles . C'est ainsi que , lorsque le secrétaire des
droits de la juridiction s'enquit du chiffre du revenu
nécessaire aux caisses ecclésiastiques , afin de suppléer aux
dépens du trésor là où les revenus étaient insuffisants, il
ne reçut de réponse que de Ricci seul . Les autres évêques
se bornèrent à se dire pauvres et incapables de se maintenir
15 .
178
par eux-mêmes , comme faisait leur collègue de Pistoie et
Prato . Ricci les convainquit facilement d'imposture et de
mauvais vouloir .
Il en était de même sur toutes les questions . Ricci s'était
créé deux monstres pour les combattre : l’un , le pélagiu
nisme, cette consolante doctrine des jésuites , qui permet à
l'homme de se croire au moins pour quelque chose dans ce
qu'il pense , veut et fait ; l'autre , l'hildebrandişme, ce sys
tème despotique , il est vrai , mais unitaire , de Grégoire VII ,
sans lequel il n'y aurait jamais eu de christianisme comme
principe social , qui , en un mot , avait été le levier de notre
moderne civilisation , mais dont il ne restait plus que
quelques vaines formules, dépouillées de tout sens positif
pour la société , et un grand souvenir historique. L'évêque
réformateur voyait ces monstres partout , et pour les mieux
exterminer il ne cessait d'éplucher les livres qui servaient
à l'instruction des jeunes clercs , et où il lui semblait en
apercevoir l'ombre. Aucun de ses collègues , cela se com
prend de reste , ne l’imita dans ce puritanisme de sectaire ,
et le grand -duc fut assez sage cette fois pour ne pas venir
à son aide au moyen d'une mesure législative . Ricci ſut
réduit à renforcer la dose de ses antidotes aux mauvaises
doctrines , dans le recueil qu'il publiait .
Il lui parut alors avoir découvert le véritable motif de
l'opposition obstinée des prélats à la volonté du prince :
c'était , selon lui , leur attachement scrupuleux aux devoirs
que leur imposait le serment prêté entre les mains du pape ,
dont le principal était de résister au gouvernement chaque
fois que le gouvernement se montrait hostile aux préten
179
tions de la cour pontificale. La prétendue découverte de
Ricci n’amena aucun résultat . Nous disons découverte
prétendue, parce qu'en effet les évêques ne tenaient au pape
et à ses prétentions que pour autant que c'était dans leur
intérêt propre, et uniquement parce que c'était dans leur
intérêt , et qu'ils n'observaient leur serment avec scrupule
que dans le seul but de protéger cet intérêt qui s'y trouvait
formulé . Elle n'eut aucun résultat , parce qu'il était impos
sible d'empêcher les évêques de jurer obéissance au pape ;
il l'était exclusivement de punir les évèques qui n'obéis
saient pas aux lois .
Du serment prêté par les évêques , Ricci passa aux cas
de conscience que les évêques s'étaient réservés , pour les
absoudre à l'exclusion de tous autres confesseurs . Il fait
rcmarquer à ce propos que , les papes ayant ravalé les
évêques au rang de leurs agents secondaires , les évêques
à leur tour s'étaient en quelque sorte indemnisés en usur
pant de même sur les droits des prêtres et des curés . Cela
était vrai . Mais tous les efforts imaginables ne pouvaient plus
faire remonter les choses vers la source dont elles étaient
issues. Le temps seul , c'est-à- dire le changement opéré dans
les esprits, aurait rendu ce travail inutile , en circonscri
vant rigoureusement dans un cercle fort étroit l'action du
pape , des évêques et des prêtres .
Les cas réservés continuèrent à demeurer en vigueur , et
par exemple l'archevêque de Pise put seul , comme aupa
ravant , relever des péchés de bestialité , de sodomie , de
viol , de séduction , d'homicide volontaire et de faux témoi
gnage , péchés placés sur la même ligne que ceux de faire
180
gras pendant les jours maigres, de cohabiter avec les juifs,
de blasphémer , et , ce qui est bien plus fort, de couper du
bois dans les forêts appartenant à l'illustrissime et révé
rendissime monseigneur.
Les cas réservés variaient avec les diocèses . La sodomie ,
qui n'était à Florence qu'un cas ordinaire , était spécialement
réservée aux portes mêmes de Florence , à Fiesole . Rappe
lons à ce propos que son altesse royale et éminentissime,
lc cardinal Henri , duc d'York , vice -chancelier de l'église
romaine , évêque de Tusculum (Frascati ) , et le dernier des
Stuarts , avait , aidé du promoteur de son synode diocésain
(un jésuite) , inventé une nouvelle distinction entre les di
verses espèces de ces péchés exorbitants dont il se réservait
l'absolution ; c'était la sodomie avec des poissons mâles.
Nous avons cru que la mémoire de cette singulière aberra .
tion de l'imagination des casuistes, bien qu'étrangère à
notre sujet, était digne d'être conservée . Elle rattache
d'une manière bizarre les dernières extravagances de la
théocratie sacerdotale à l'un des derniers représentants des
extravagances de la légitimité monarchique .
CHAPITRE XXVI .
Chicanes tendantes à ruiner le patrimoine ecclésiastique.— Intrigues con
servatrices . – Rachat des charges de messes et de prières .
Les ennemis de Ricci sentaient fort bien que toute sa
force dépendait du maintien de son patrimoine ecclésiasti
que : cette institution manquant , toutes ses réformes étaient
compromises. Ils avaient d'abord essayé de faire croire que
l'évêque lui-même en hâtait la ruine en l'épuisant par ses
nombreuses bâtisses ; puis ils lui demandèrent d'en distraire
cnviron soixante-huit mille francs pour suppléer à ce qui
manquait au diocèse de Pise . Ricci fit ressortir auprès du
grand-duc la contradiction qu'il y avait entre ces deux
moyens de le perdre, et il en prit occasion pour dévoiler
les ressources de l'archevêque de Pise , dont la mense était
beaucoup plus considérable que la sienne . Il attribue ,
comme de raison , toutes ces persécutions aux intrigues
182
diaboliques lc mot y est de la cour de Rome , dont
les émissaires et les satellites excitaient précisément alors à
la rébellion les sujets de l'Autriche en Belgique , en Alle
magne et en Italie , contre Joseph II et contre son frère
Léopold .
On ne se fait que difficilement une idée de l'interversion
des rôles que produisit souvent cette guerre , tantôt ou .
verte et brutale , tantôt pateline et ténébreuse. En voici un
exemple : Talenti , mauvais médecin de Pistoie , mais intri
gant audacieux , avait insulté publiquement le curé Bartolo
qui, prétendait - il , avait administré trop tôt l'extrême
onction à un malade. Talenti , ancien amant de la Corilla
(Corinne), l'improvisatrice récemment couronnéc au Capi
tole , était aux gages de la cour de Rome, qui le soutint en
cette circonstance contre son évêque , pendant que le grand
duc , à la demande de celui- ci , forçait le docteur à faire
agréer ses excuses par le curé .
Ricci avait à cæur de soulager la conscience de ses dio
césains des scrupules qui les obsédaient , à cause des charges
de messes et autres offices religieux qui grevaient la plu
part de leurs propriétés . A cet effet, il leur permit de se
libérer moyennant une rétribution en argent destiné à
la réédification de l'église de Saint-Marcel dans la Mon
tagne, dont les chapelains et les plébans auraient le devoir
de prier pour tous les bienfaiteurs du patrimoine ecclésias
tique . Cela s'appelait composer, et était tout à fait dans les
habitudes de la cour de Rome , mais n'avait jusque-là eu
lieu qu'avec cette cour seule et exclusivement à son profit.
Qu'on juge des clameurs qu'y excita la mesure introduite
à
183
par Ricci , composant de sa propre autorité et disposant de
la taxe composée .
Cette mesure en inspira une autre à Léopold . Il essaya
d'abolir les bénéfices simples , patrimoines des clercs igno
rants , scandaleux et sans vocation . Des enfants pauvres ,
élevés pour être prêtres et forcés plus tard de se faire pré
tres , parce qu'on ne leur avait enseigné que ce métier , trou
vaient dans les bénéfices simples de quoi suſfire à leur
misérable entretien , aussi longtemps qu'ils étaient capa
bles d'officier. Mais , réduits à l'impuissance , soit par l'âge ,
soit par les infirmités, ils mouraient de faim , comme l'ou
vrier hors d'état de travailler pour se nourrir . Tous les
efforts du grand -duc pour faire disparaitre cet abus furent
infructueux .
-
CHAPITRE XXVII .
Synodes diocésains . - Un mandement d'évêque , supprimé . – Réflexions.
Articles de réforme, soumis aux évêques . — Léopold , théologien . – 11
est accusé de toute part . – Visites diocésaines . - Neuvaines nocturnes .
Garde-robe du patrimoine ecclésiastique .
Afin de mettre , autant que possible , de l'ensemble dans
l'impulsion réformatrice qu'il voulait donner à l'église de
Toscane , Léopold fit inviter tous ses évêques à tenir au
moins un synode diocésain tous les deux ans , afin de signa
ler les abus et d'y chercher un remède .
Mancini , évêque de Fiesole , fut le premier à obéir ; mais
il le fit si maladroitement ou si malignement , que Ricci ,
consulté par le grand-duc , démontra l'impossibilité de
laisser paraître , tel qu'il était rédigé , le mandement de
convocation du prélat . Mancini corrigea cette pièce , et le
ministère approuva sans réserve cette seconde édition du
>
mandement épiscopal . Mais Ricci ne le jugea pas aussi favo
MÉMOIRES DE RICCI .
16
186
rablement ; l'ayant déclaré , malgré ses amendements, plus
dangereux encore qu’utile , l'évêque de Pistoie réussit à le
faire supprimer tout à fait par le grand-duc . C'était pour
Ricci un ennemi de plus en plus acharné .
Mancini avait évidemment été mis en avant , à son insu
peut- être, par les adversaires de toute espèce de change
ment , nécessaire ou non , bon ou mauvais . Son mandement
signalait comme modèle pour tous les synodes à célébrer ,
celui tenu dans le temps par l'évêque Strozzi, lorsque les
maximes de la cour romaine avaient encore quelque valeur .
Excommunications latæ sententiæ , c'est - à - dire sans moni
tion préalable , peines pécuniaires prononcées par l'autorité
religieuse contre des laïques , bulles In coena Domini,
Super dominicam gregem , Unigenitus et autres , soutenant
les prétentions du saint-siége devenues les plus insoutena
bles , en étaient les principes fondamentaux. Le grand -duc
ne pouvait pas admettre ce manifeste rétrograde ; il fut
accusé , en le rejetant, de ne vouloir de synodes que ceux
qui se conformeraient en tout à ses opinions et à ses désirs ;
en d'autres termes , de ne pas vouloir de synodes du tout , du
moins de synodes libres et par conséquent dignes de ce nom .
Cela était vrai et devait nécessairement l'être . Une fois la
discussion des opinions et des croyances affranchie de toute
compression , les églises nationales ou plutôt gouvernemen
tales devenaient aussi absurdes qu’une église universelle .
Car la discussion met bientôt au -dessus de tout doute
rationnel, que le pouvoir civil peut se tromper comme le
pape ; que ce que veulent les princes et les majorités, c'est
uniquement leur plus grand avantage , ainsi que le pape
>
187
voulait le sien , ce qui ne constitue jamais que des inté
rêts soutenus par la force, et non des vérités imposées par
la raison . La raison seule , démontrant incontestablement
quel est l'avantage de tous , a désormais le droit de s'im
poser elle-même comme devant confondre l'état avec l'église
en organisant la société .
On était en 1786 , c'est-à- dire à la veille des révolutions
qui , comme une trombe, allaient parcourir la Belgique , la
France, l'Italie, l'Allemagne . Le grand -duc proposa par une
circulaire à ses évêques plusieurs points de réforme, sur
lesquels il appelait leur attention , leur donnant six mois
pour réfléchir avant de répondre ; ces points seraient , après
cela , débattus au concile national . Les évêques répondi
rent à Léopold , mais sous la dictée du pape . C'était une
petite guerre de théologien à théologien, entre le prince
réformateur et le prêtre couronné . Ricci exalte beaucoup
l'érudition ecclésiastique de son maitre , qui forçait la cour
de Rome à lui disputer pouce à pouce le terrain qu'enva
hissaient la discussion et le doute universel . Nous pensons
au contraire que sa théologomanie aurait fini par donner
gain de cause à la cour de Rome qui se défendait chez elle
et avec ses armes accoutumées , si l'heure ne fût venue pour
elle de faire place à d'autres idées et aux intérêts dont elles
étaient le
germe .
Léopold n'avait qu'un seul moyen de vaincre le pape dans
ces débats en le réduisant au silence ; c'était de lui dire :
« Lorsque les peuples chrétiens reconnaissaient tenir de
vous seul l'ordre avec l'unité , parce que vous seul étiez censé
posséder et pouvoir interpréter infailliblement la vérité ,
à
1
488
vous étiez tout-puissant et deviez l'être ; devenu exclusive
ment le chef d'une secte chrétienne , sans prépondérance ra
tionnelle là même où elle dispose de la force, de la majorité,
vous n'êtes quelque chose aujourd'hui que pour ceux qui ,
partageant vos doctrines
> , se soumettent volontairement à
vos lois : les peuples se font chacun leur unité et l'organi
sent comme il leur plaît . Ne troublez pas celle de la Toscane.
A cette condition , je vous laisse une autorité pleine et en
tière sur ceux qui croient en vous ; ce ne sont pas mes affaires .
Je veillerai seulement à ce qu'ils ne cessent point de re
connaître mon autorité ; cela nous regarde , eux et moi . »
Il aurait , dans ce cas , laissé les jansenistes injurier les jé
suites , et Rome se défendre contre Ricci ; le temps , entrai
nant les uns et les autres , aurait fait oublier ces oiseuses
querelles . Il avait assez à faire pour résister au despotisme
révolutionnaire dont la force brutale menaçait la force hy
pocrite de son despotisme conservateur . L'anarchie pro
gressive n'avait nullement besoin que lui aussi joignit ses
efforts à ceux de tous pour bouleverser le monde un peu
plus profondément et un peu plus tôt . Continuons à enre
gistrer les faits.
Le grand-duc avait été accusé d'irréligion lorsqu'il avait
diminué le nombre des prêtres , trop considérable selon lui ;
on le blâma comme impolitique lorsqu'il augmenta le nombre
des paroisses en plaçant un curé partout où il crut qu'il
pouvait faire du bien . A cette occasion , Ricci visita de
nouveau la Montagne, où le besoin de cures se faisait sentir
le plus vivement . On tenta de l'y faire périr dans un guet
apens . Ce fut après cette tournée dans la Montagne que le
189
grand-duc , enthousiasme de ce que l'évêque de Pistoie
avait fait pour le seconder dans ses réformes , le présenta à
sa sæur , Caroline d'Autriche, reine de Naples , et à Ferdi
nand , son mari . Celui -ci interrogea Ricci sur ce qu'il avait
à faire chez lui pour imiter son beau -frère , le docteur,
c'est ainsi qu'il qualifiait Léopold : – l'évêque fut heureux
de pouvoir le lui indiquer , et en outre de pouvoir lui nom
mer les principaux d'entre les Napolitains , hommes d'in
telligence et de caractère , qui l'auraient puissamment aidé
de leurs lumières et de leur patriotisme . Ces hommes fu
rent précisément les premières victimes que les royaux
époux firent immoler lors de l'atroce et stupide terrorisme
monarchique de 1799 .
En attendant , Ricci allait toujours droit devant lui , sans
regarder en arrière , et renversant tous les obstacles que
ses adversaires dressaient sous ses pas . Il avait un avantage
inappréciable sur ses ennemis , c'était l'amitié et la protec
tion du prince ; en outre , il était indépendant par lui-même
sous le rapport de la fortune . Il en profitait pour faire ses
visites diocésaines avec simplicité , à la vérité , mais aussi à
ses frais, tandis que ses collègues ruinaient les curés chez
lesquels ils allaient s'établir avec leur fastueux équipage et
une suite nombreuse que le pauvre prêtre devait régaler et
combler de présents . Les visites de Ricci ne lui coûtaient
par an que la somme que ses collègues faisaient dépenser à
chaque curé pour un seul repas .
Poursuivant la réforme des abus , l'évêque de Pistoie
abolit les neuvaines de nuit, qui étaient devenues une
source de désordres .
16 .
9
190
Puis il annexa au patrimoine ecclésiastique de son diocèse
une garde-robe où il fit déposer les ornements qui avaient
appartenu aux couvents supprimés , afin que toutes les
églises de Pistoie et Prato pussent s'y fournir selon leurs
besoins . Le grand-duc étendit aussitôt cette institution à
toute la Toscane . Mais les intrigues habituelles firent bien
vite avorter les bonnes intentions du prince et du pasteur :
c'était toujours au patrimoine ecclésiastique que les ennemis
des réformes en voulaient le plus , parce qu'il soustrayait
les évêques à la dépendance de la cour de Rome , et qu'il les
soumettait aux lois de leur pays . Ils réussirent dans tous
les diocèses , celui de Pistoie et Prato excepté , à empêcher
le bien que cette institution aurait produit en Toscane; ils
entravèrent dans ce dernier diocèse la marche régulière
des choses , mais sans cependant parvenir à l'arrêter entiè
rement .
!
CHAPITRE XXVIII .
Nécessité de démontrer désormais à la société ce que la société a cessé de
croire . — Ricci combat le jésuitisme . — Le bréviaire . Machinations.
Synode de Pistoie . Opposition . – Duplicité de la cour de Rome .
Réponse des évêques au grand -duc. — Assemblée préparatoire au concile
national.
Nous avons déjà vu que la réforme du culte n'était pas
ce qui importait le plus à l'évêque de Pistoie et Prato ; il
à
s'attachait plus spécialement encore à ce qu'il appelait le
redressement des idées erronées sur le dogme .
On aurait pu lui objecter que , conservant un dogme quel
conque , c'est - à -dire une opinion dont la vérité n'est pas
démontrée incontestablement , son prétendu redressement
n'avait pas plus de valeur aux yeux de la raison que l'er
reur prétendue du pape et de ses adhérents n'en manquait.
La seule erreur capitale à redresser était celle professée
jusqu'alors, et qui consistait à accepter comme vrai ce qui
192
ne pouvait être néanmoins affirmé que comme hypothé
tique . Les catholiques , les chrétiens de toutes les sectes ,
les révélationnistes de toutes les écoles , n'avaient garde de
s'élever à cette hauteur .
Ce fut à la pénitence et aux indulgences , corrompues par
les maîtres d'une fausse doctrine (les jésuites aux yeux de
Ricci) , que l'évêque s'en prit cette fois . Les disciples de
saint Augustin et de saint Thomas s'étaient opposés au mal ,
nous dit - il, et ses prédécesseurs , Alamanni et Ippoliti ,
avaient fait beaucoup d'efforts pour le déraciner . Mais il
restait encore à faire après eux , et Ricci l'entreprit sans
tarder , avec l'aide du canoniste Palmieri qu'il fit venir
de Gênes tout exprès , et qu'il attacha à son église cathé
drale .
Puis il expurgea le bréviaire , en faisant disparaître des
leçons ce qui le choquait le plus . Ses amis , les jansénistes
de France , auraient voulu davantage . Mais il sacrifia à la
prudence , en cette occasion , et réserva ce qu'il ne jugea pas
opportun pour le moment , à la célébration de son synode
diocésain .
Rome trouva alors un nouveau moyen de le vexer : elle
se fit adresser des prêtres censés appartenir au diocèse de
Pistoie et Prato , et qui se plaignaient des dilapidations de
leur pasteur , de la profanation des reliques et des images ,
des erreurs qu'il faisait répandre , du dénûment dans le
quel il les laissait , parce qu'ils refusaient de se faire ses
complices. Le pape , se donnant l'air de les repousser , les
renvoyait au saint- office , pour faire plus de bruit . Le
grand -duc, à qui on fit part de cette machination, ordonna
EN
193
-
à son ministre à Rome de poursuivre les imposteurs .
La division allait croissant en Toscane entre les catho
liques anciens et les modernes jansénistes . Déjà on entendait
parler de refus de sacrements , comme en France . L'arche
vêque de Florence se prêtait volontiers à ces menées
de sacristie ; il les excitait même , notamment à Prato , sa
ville natale , où des chanoines et des prêtres , séduits par
son influence , professèrent ouvertement des principes
opposés à ceux que leur évêque voulait faire prévaloir . Le
but principal de cette levée de boucliers était le désir d'em
pêcher la réunion de l'assemblée diocésaine que le saint
siége redoutait au -dessus de toute chose , et dont rien ne
put détourner le zélé pasteur.
Le synode de Pistoie s'ouvrit le 18 septembre 1786 .
Comme c'était l'acte le plus éminent de son pontificat, ct celui
qui devait sanctionner tous les autres , Ricci s'était entouré
des lumières des hommes les plus renommés dans la secte
à laquelle il appartenait . Le professeur Tamburini , janse
niste et régaliste célèbre de l'école de Pavie , était le pro
moteur de l'assemblée ; le chanoine Palmieri disposait les
matières à traiter ; Fabius de Vecchj , de Sienne , et l'abbé
Tanzini , de Florence , en étaient les colonnes . Le concile
comptait deux cent trente - quatre membres , dont cent
soixante et onze curés , quatorze chapelains, autant de cha
noines , et trente - trois prêtres séculiers et réguliers . Rome
n'osa pas élever la voix , elle se borna à pousser avec plus
de vigueur que jamais la guerre ténébreuse qu'elle ne
cessait de faire à tous ceux qui travaillaient à la combattre ,
en mettant au grand jour l'inapplicabilité de ses anciennes
9
>
9
2
.
194
maximes et l'anachronisme de ses prétentions d'autrefois ,
renouvelées de nos jours .
Après la récitation du symbole de Pie IV , on mit immé
diatement sur le tapis la matière si controversée de la grâce
et de la prédestination , ainsi que celle des fondements de
la morale chrétienne. Quoiqu'il y eût liberté entière de
discussion , cependant les opposants refusèrent constam
ment , non-seulement de signer les résolutions prises par le
synode , mais encore de donner le moindre éclaircissement
sur le motif qui les portait à se séparer du corps de l'as
semblée délibérante .
>
La sixième session fut consacrée au mariage , dont Léo
pold fut prié de régler souverainement toutes les conditions
comme contrat civil , matière du sacrement dont la consé
cration religieuse , sous la forme de bénédiction nuptiale ,
était la seule cérémonie qui fût du ressort de l'église . Le
concile chargea également le prince de porter remède aux
abus qui naissaient de la trop grande fréquence des scr
ments et du nombre excessif des fêtes, et à ceux qui tien
nent à l'organisation des ordres réguliers.
Le grand -duc était journellement instruit de ce qui se
passait au synode et l'approuvait au plus haut degré ; Rome
l'était également , et elle ne négligeait rien pour semer la
zizanie et faire naître des troubles dans l'assemblée . Elle
avait pour cela plusieurs brouillons gagés à ses ordres , et
entre autres l'abbé Marchetti, d'Empoli , qui , plus tard , cer
tifia authentiquement le clignotement d'yeux des madones
italiennes , hostiles à la première invasion du général Bona
parte ; qui fut ensuite nommé gouverneur du fils de la
195
reine d'Etrurie , et enfin prêcha les missions dans Rome
après la retraite définitive des Français . Léopold le fit
chasser de Pistoie .
Ce qu'il y a de plus remarquable , c'est que Ricci , ayant
rendu compte à Rome , dans son rapport triennal, de la te
nue du synode de Pistoie, ne subit aucun blâme de la part
du saint-siége , qui cependant , sur la dénonciation et à la
demande de la noblesse de Pistoie , faisait diffamer ce synode
de toutes les manières et partout .
Peu après , Ricci adopta pour l'instruction religieuse des
enfants de son diocèse le catéchisme de Montauzet , et son
exemple fut suivi par Sciarelli , évêque de Colle , par Pan
nilini , évêque de Chiusi et Pienza , et par Alessandri ,
évêque de Cortone . Cette circonstance permit au grand -duc
de se flatter, avec quelque apparence de raison , que peu à
peu son haut clergé finirait par marcher d'accord dans la
voie qu'il lui traçait .
Mais il ne tarda guère à être désabusé . Les réponses qu'il
reçut aux cinquante -sept points qu'il avait soumis aux
évêques , étaient en général contradictoires entre elles ,
pleines de réticences , de tergiversations et de doutes , et ne
se rattachaient les unes aux autres que dans un sens , celui
précisément qui témoignait d’un dévouement unanime au
saint-siége , quelles que fussent sa doctrine et ses préten
tions . Léopold n'en persista que plus résolûment dans son
projet de concile national , dont la réalisation , pensait- il ,
aurait forcément mis un terme aux intrigues pontificales.
Ricci y voyait plus clair que lui en cette rencontre : il fit
part au prince de ses craintes relativement au résultat d'une
:
196
.
assemblée , composée d'évêques qui n'avaient de commun
que la haine de ses réformes , et réunie à Florence même ,
dont l'archevêque était secondé par tous les agents du pou
voir dans son opposition systématique à toute espèce d'in
novation ,
Sur ces entrefaites , la menace de créer une congrégation
de cardinaux pour examiner les actes du synode de Pistoie
aussitôt qu'ils auraient paru , en faisait retarder la publica
tion ; ce dont Rome profitait adroitement pour faire ré
pandre le bruit que Léopold lui -même désapprouvait ce
synode , et refusait en conséquence son exequatur, indis
pensable à l'impression demandée . Le prince fut réduit à
écrire à son évêque favori que , s'il croyait devoir différer la
publication des actes du synode de Pistoie , c'était exclusi
vement pour des motifs de circonstance , qui ne pouvaient
impliquer aucune désapprobation de sa part ni le moindre
blâme . Et pour le prouver , le grand-duc ne tarissait pas dans
sa leltre en témoignages d'estime et de satisfaction qu'il
autorisait le prélat à communiquer à qui bon lui sem
blerait .
L'assemblée des évêques dont la mission était de prépa
rer le travail à soumettre au concile national , fut convoquée
pour le 23 avril 1787 , par une lettre qui en indiquait le
but , savoir : « L'avantage de la religion , la réforme des
abus dans la discipline , la détermination de principes purs
pour servir de base à l'instruction du peuple , l'institution
d'études raisonnables pour la formation d'un clergé utile ,
l'unité de doctrine , et enfin la concorde entre les fidèles
avec la paix .
»
2
mun
eme,
ou
'in
ion
bie
a
ré.
се
is
it
r la
usi
ient
dre
ans
u'il
em
pa
ée
t le
des
rs
ion
ile ,
les
197
Tout cela est ſort sonore comme phrase , aussi longtemps
qu'on ne cherche pas le sens précis et rationnel de chaque
expression , afin de n'en faire éclore que des propositions
irréprochables ; mais tout cela s'évanouit comme une ombre
devant la considération qu'il n'y avait alors, comme il n'y a
encore aujourd'hui , - nous l'avons dit plus d'une fois , et
nous ne croyons pouvoir assez le répéter , que des opi
nions , chacune dépourvue des preuves indispensables pour
écarter toutes les autres ; que par conséquent l'opinion du
grand -duc , d'accord avec celle de Ricci , quand bien même
elle eût eu pour appui l'opinion du clergé el du peuple
toscan réunis , n'avait pas plus de droit à se prétendre con
forme à la raison démontrée , que ne l'avait la doctrine pro
fessée par le pape , par sa cour , et par tous les catholiques
qui lui étaient demeurés aveuglément soumis . La confusion
des esprits et des consciences, c'est - à - dire la théorie de l'a
narchie , avait seule quelque chose à gagner dans une lutte
à ciel ouvert , où la vérité , inconnue à tous , n'était réelle
ment invoquée par personne .
Les évêques, pour ne pas trop offenser le grand - duc , s'é
taient , dans leurs réponses écrites , donné l'apparence de
vouloir tout concilier . C'est ce qui avait trompé Léopold .
D'autre part 2, ils étaient eux -mêmes trompés sur les inten
tions de Léopold ; car on les avait induits à se figurer qu'ils
avaient été appelés pour juger , en d'autres termes pour
condamner Ricci , et pour abolir les réformes en discus
sion . Martini dirigeait cette cabale , fondée sur l'ignorance
et fomentée par la mauvaise foi. Tous les évêques , hormis
ceux de Colle et de Chiusi , les seuls qui n'évitassent pas
17
- 198
leur collègue de Pistoie , se groupaient autour de l'arche
vêque de Florence.
>
Dès l'ouverture de l'assemblée , les évêques témoignèrent
publiquement de leur mauvais vouloir , en imposant le si
lence aux théologiens du gouvernement , auxquels ils di
rent : « Nous sommes les maîtres ici ; vous n'êtes que les
disciples . »
Le recueil des actes de l'assemblée de Florence forme
sept volumes in -quarto . Nous en donnerons une légère idée
au chapitre suivant .
CHAPITRE XXIX .
Statistique ecclésiastique de la Toscane.- Marche rétrograde de l'assemblée
des évêques . - Quelques-unes de leurs réponses au gouvernement.
L'abbé Réginald Tanzini , qui fut chargé de publier tout
ce qui concernait l'assemblée ecclésiastique de Florence ,
entre en matière par un triste tableau de l'ignorance et du
bigotisme sous lesquels le clergé toscan se trouvait , pour
ainsi dire , abruti avant le règne de Léopold . Et ce clergé
formait une partie notable de la nation , quand surtout on
considère la domination qu'il exerçait sur tout le reste : or ,
en 1784 , on comptait en Toscane, entre séculiers, réguliers ,
religieux et religieuses , le nombre effrayant de vingt -deux
mille deux cent soixante -huit individus , uniquement cons
crés à faire tourner le culte à leur profit d'abord , puis au
maintien de l'omnipotence romaine .
Les archevêques La Gherardesca, Incontri et même Mar
200
tini , avaient amélioré autant qu'il dépendait d'eux ce triste
état de choses à Florence ; Alamanni , Ippoliti et surtout
Ricci firent de même, et firent plus , à Pistoie et Prato : les
évêques de Colle et de Chiusi s'efforçaient de marcher sur
leurs traces .
Il va sans dire que les améliorations opérées furent, selon
l'abbé Tanzini , exclusivement dues à la propagation des
écrits jansenistes de France .
Le grand -duc avait ordonné que , à l'assemblée ecclé
siastique , les décisions fussent prises à l'unanimité . L'assem
blée , dont les cinq sixièmes se rangèrent , dès la première
session , sous le drapeau de l'opposition , décréta qu'elle
déciderait à la majorité des voix . Elle décréta également
contre l'opinion du prince , ainsi que contre la pratique
des apôtres et de toute l'église primitive , que les prêtres
n'auraient de voix que consultativement . Puis l'usage de
la langue vulgaire pour l'administration des sacrements
demeura suspendu jusqu'à ce que les fidèles y eussent été
préparés . Finalement, les évêques décidèrent qu'ils deman
deraient au pape de pouvoir rentrer dans leur droit d'accor
der toute espèce de dispenses .
L'unité de doctrine et d'enseignement souleva une tem
pête . Le grand -duc et ses trois évèques fidèles voulaient
que saint Augustin fût pris pour régle ; l'opposition n'y
consentit qu'à condition que saint Thomas en serait l'inter
prète obligé . Or saint Thomas avait lui -même été interprété
dans le sens des jésuites , surtout depuis que ceux -ci faisaient
cause commune avec les dominicains . Dans cette discussion ,
saint Augustin fut traité de déclamateur et de tête chaude ,
201
et saint Thomas accusé d'avoir obscurci saint Augustin ,
de manière à donner lieu à toutes les disputes qui suivirent
son enseignement .
Les évêques convinrent qu'il ne fallait ordonner que des
prêtres instruits et pas plus que de nécessité ; mais l'oppo
sition voulut demeurer maîtresse absolue de juger la
capacité des ordinands et de limiter leur nombre . Il ne fut
pas même possible de diminuer celui du clergé eugénien ,
chargé du service de la cathédrale de Florence , et qui , de
trente- trois clercs qui le composaient jadis , était monté à
cent cinquante , ni de débarrasser ce clergé des enfants de
cheur , « cette pépinière de petits vauriens, » disait le
prêtre Longinelli qui avait été leur directeur .
Léopold désirait qu'on abolit le prix des messes ; l'oppo
sition décréta que chaque évêque réglerait ce point d'après
les besoins de son clergé , c'est- à-dire selon son bon plaisir .
Il désirait aussi la suppression des oratoires et chapelles
privées , dont le privilége était accordé à la richesse , qui
n'est pas un mérite aux yeux de Dieu : les opposants con
sentirent seulement à ce que , pour y officier les dimanches
et jours de fête, il faudrait dorénavant l'autorisation de
l'ordinaire ,
Nous ne rappelons que pour mémoire la puérile discus
sion sur les petits rideaux ou manteaux (mantellini), dont
on couvrait les images. L'opposition ne permit pas sans
peine qu'on dévoilât les moinsvénérées .
On parla du trop grand nombre de messes anniversaires
et de messes en général . Une fois l'aumône
:
pour
la messe
admise , rien naturellement n'avait été négligé par les
17 .
202
prêtres pour multiplier à l'infini les messes à dire , et les
moines , en offrant aux fidèles, tantôt un saint particulier ,
tantôt une nouvelle relique , tantôt une image miraculeuse
ou quelque autre objet propre à stimuler la dévotion , les
accaparèrent presque toutes. Il en résulta que bientôt les
religieux furent hors d'état de dire toutes les messes qu'on
leur confiait, qu'ils acceptaient et dont ils touchaient le
prix stipulé . Qu'arrivait-il ? que, pour en finir, les moines
composaient avec le saint-siége , auquel ils donnaient une
part de ce qu'ils avaient reçu pour officier, et qui les
dispensait de tenir leurs engagements. En 1743 , il avait
été découvert dans deux couvents de Venise un arriéré de
trente mille messes !
On parla également à l'assemblée des évêques de l'indé
cence qu'il y avait à célébrer plusieurs messes à la fois
dans une même église ; des querelles que soulevaient dans
les sacristies les concurrents qui se présentaient pour les
dire ; de l'application de la messe dite , à tel ou tel fidèle,
vivant ou mort ; des priviléges attachés à des autels , à des
prêtres, à des jours déterminés, etc. , etc. Mais on ne
parvint pas à rien décider , car on ne s'entendit sur rien .
L'auteur du recueil fait remarquer à ce propos que le
nombre de messes privilégiées , célébrées journellement ,
étant bien plus considérable que celui des décès de chaque
jour , non-seulement , d'après la doctrine romainc , le pur
gatoire était toujours vide, mais qu'il restait encore un
immense crédit pour les délivrances futures .
L'évêque de Chiusi et Pienza avait , dans le temps , publié
une instruction où se trouvait l'affirmation jansénienne
9
203
;
concernant les vérités du christianisme qui avaient fini par
s'obscurcir , affirmation déjà condamnée par le saint- siége.
Le pape l'avait condamnée de nouveau , et en avait pris
texte pour injurier le prélat , tout le clergé réformateur et
le gouvernement de la Toscane . Le grand -duc demanda
leur avis aux évêques sur cette pièce scandaleuse . Tous
blåmèrent le pape . Un seul docteur taxa d'hérésie l'évêque
de Chjusi .
Vint la question des livres que le grand-duc et Ricci
proposaient pour faire partic de la bibliothèque des curés ,
et parmi lesquels , dit l'abbé Tanzini , se trouvaient par
hasard quelques-uns de ceux qui étaient à l'index du
saint-office de Rome , entre autres Quesnel , Lelourneux ,
Nicole , l'auteur des Provinciales, Godeau , Duguet, etc. ,
tous coryphées du parti janseniste et canoniste . Les oppo
sants les rayèrent sans exception de la liste gouvernemen
tale , mais sculement parce que les livres mis aux mains
des prêtres doivent être au -dessus même du soupçon de
renfermer l'erreur .
9
L'opposition maintint le privilége de la quête , dont le
grand -duc voulait dépouiller les ordres mendiants, ainsi
que les serments inutiles . Elle n'osa pas défendre le serment
de vasselage prêté par les évêques au pape , et que le
grand -duc proposait de remplacer par une simple promesse
d'obéissance canonique .
Elle rejeta aussi les demandes faites par Ricci au prince ,
savoir, celle de remettre toutes les fêtes au dimanche sui
vant , et celle de réduire tous les ordres religieux à un seul ,
sous la règle de saint Benoît , ainsi que tous les couvents à
2
7
204
un seul pour chaque ville , mais placé au milieu des champs .
Dans les différentes réponses des évêques aux questions
posées par le grand-duc , il y a quelques particularités
bonnes à conserver . Par exemple : l'évêque opposant de
Fiesole , Mancini , convint que le véritable motif de son refus
d'en revenir à l'ancienne discipline était que , dans l'église
primitive , les diocèses n'avaient pas de circonscription dis
tincte et déterminée ; que les prêtres n'étaient pas astreints
au célibat , et qu'ils vivaient au jour le jour des offrandes
des fidèles; que la communion se donnait aux laïques
9
comme aux clercs , sous les deux espèces , etc. , etc. Ricci
repoussa toute dépendance réelle des évêques envers le
pape , et des prêtres envers les évêques . Franceschi , arche
vêque de Pise , demanda le contraire absolument de ce que
désirait son collègue de Pistoie : il voulait un clergé riche
et puissant , et des fidèles superstitieux . Borghesi ne croyait
qu'en la bulle Unigenitus, et n'avait peur que de Quesnel
qu'elle a condamné . Santi , évêque de Soana , tout à la fois
augustinien (janseniste) et politique (canoniste) , ne voyait
de salut que dans une église nationale : comme Ricci , il
proposa pour modèle de tous les synodes possibles celui
qu'avaient tenu les jansénistes d'Utrecht ( 1763 ) . Franzesi ,
évêque de Montepulciano , estimait que les tentatives faites
pour réformer l'église de Toscane étaient des efforts pour
introniser dans le grand -duché le grossier déisme de Hol
lande , d’Angleterre et de presque toute l'Allemagne . Il
regardait la doctrine de saint Augustin comme des plus
dangereuses , puisqu'elle a donné lieu aux hérésies de
Luther , de Calvin et de Jansenius .
4
205
Le même Franzesi avait publié une condamnation bru
tale des jansénistes : l'auteur du recueil des actes , en rap
portant cette circonstance , en prend occasion pour porter
les jansenistes aux nues , et nommément Neercassel de Hol
lande et le fameux diacre Paris ; puis il nie , contre la
vérité la plus évidente , que le livre de Jansenius renferme
les cinq propositions condamnées par le pape.
L'évêque de Montepulciano avait fait remarquer que le
grand -duc , qui aurait voulu que chaque église n'eût
qu'un autel , faisait néanmoins construire lui -même des
temples où il y en avait plusieurs. Ricci demanda si le
prélat avait prétendu conclure de là que le souverain avait
changé d'opinion ou bien qu'il s'était contredit ? Et il ajouta :
« Ce serait un sacrilége que d'en oser seulement concevoir
la pensée . > --- On le voit , le jansenisme substituait l'in
faillibilité du prince dominant l'église nationale , à l'infail
libilité du pape régnant sur l'église universelle . C'est de la
foi rétrécie .
Monsignor de Vecchj rapporta qu'étant vicaire général à
Sienne, il avait supputé le nombre des messes à célébrer
annuellement dans le diocèse , pour satisfaire aux legs
pieux : ce nombre s'élevait à quatre-vingt- dix -neuf mille .
Pannilini, évêque de Chiusi et Pienza , déclara que le
jansénisme était un fantôme d'hérésie . Ricci cxalta outre
mesure les miracles opérés par les jansénistes , depuis ceux
du diacre Pâris jusqu'à celui qu'avait approuvé le cardinal
de Noailles , en 1725 , et dont le jubilé centenaire a été
célébré pompeusement à Paris , il n'y a guère que trente
ans ,
CHAPITRE XXX .
Tactique des ennemis des réfo nes . Menées cléricales . Émeute à
Pralo . - L'assemblée ecclésiastique est dissoute . — Réflexions.
Les choses avaient tourné tout autrement que le grand
duc n'avait - espéré en réunissant ses évêques ; il fallait
maintenant empêcher le plus possible que le résultat n'en
fût aussi funeste qu'on avait raison de le craindre . C'est à
quoi Léopold et Ricci s'appliquèrent, chacun dans la sphère
où il lui était donné d'agir .
Mais les ennemis des réformes étaient bien décidés de
leur côté à ne pas demeurer en aussi beau chemin . Ils se
voyaient à la veille de remporter la victoire ; il ne fallait
plus qu'un peu d'audace , et leurs intrigues aboutissaient .
Voici comment ils s'y prirent.
Ils firent répandre à Pistoie et à Prato que l'assemblée
des évêques avait condamné les innovations de Ricci.
208
Aussitôt l'alarme adroitement colportée dans tout le diocèse
y causa un trouble général. Les curés et les prêtres cou
rurent à Florence demander pardon de ce qu'ils s'étaient
soumis aux réformes du gouvernement, et ils en sollici
tèrent l'abolition immédiate .
Ce n'est pas tout : l'assemblée de Florence traitait préci
sément les questions du culte des images , des reliques et
des indulgences . On annonça , sous main , aux diocésains
de Ricci que l'évêque avait été convaincu d'hérésie sur ces
points de la doctrine chrétienne . L'évêque de Volterra et le
secrétaire du nonce pontifical se portèrent à Prato et orga
nisèrent le parti des mécontents qui dès lors devinrent des
turbulents . Ricci , dirent ces éminents personnages à qui
voulait l'entendre , était à la veille de faire abattre l'autel
où se conserve la cintola ou ceinture de la sainte Vierge , et
d'opérer encore nombre de changements que le peuple
redoutait comme des calamités . Ces calomnies étaient
secondées , à Florence même , par les évêques réunis , qui
ne cessaient de conseiller le retour pur et simple à l'an
cien ordre de choses , sous prétexte qu'il est de l'intérêt du
prince que le peuple soit crédule et ignorant , et que trou
bler la conscience publique par l'examen au moins intem
pestif , si ce n'est encore inutile , des questions qui ne le
regardent en rien , est toujours dangereux pour la tran
quillité de l'état . Léopold cependant ne cédait point . Les
émeutes furent décidées .
>
Le 20 mai , le peuple de Prato se rendit , armé de
bâtons et de haches , à l'église principale pour empêcher
la démolition d'un autel auquel personne ne songeait . Le
7
209
tocsin fut sonné , les livres qu'on trouva dans la sacristie
furent lacérés , on fit illuminer l'église et la sainte cintola
fut exposée à la vénération des fidèles . Cet exploit terminé ,
la foule alla prendre les images des anciennes confréries
religieuses et les porta au temple . Le domicile des prêtres
connus pour partager les sentiments de l'évêque fut violé ,
et ces prêtres se virent forcés de se rendre, moitié nus ,
aux églises pour replacer les petits rideaux (mantellini)
devant les images qui en avaient été dépouillées.
Le lendemain , ce fut le tour des paysans qui vinrent
adorer , derrière les rideaux dont on les avait de nouveau
couvertes , les images qui, à leurs yeux , y avaient retrouvé
leur première valeur . Déjà tout le diocèse prenait feu ,
lorsque Léopold en appela à la force. Des soldats furent
envoyés sur les lieux ; il se fit de nombreuses arrestations ,
et toutes les choses furent remises sur le pied où elles se
trouvaient avant le tumulte .
Ricci était navré de ces événements. Lorsqu'il se pré
senta le lendemain au sein de l'assemblée ecclésiastique ,
ses partisans l'accueillirent avec intérêt , les opposants avec
un insultant mépris . A Prato , le repentir succéda bientôt
à l'effervescence : les habitants implorèrent la clémence du
grand -duc, surtout quand ils eurent été témoins d'un pré
tendu miracle par lequel il leur paraissait que Dieu lui
même rendait hommage à l'orthodoxie de leur pasteur . Un
Pratois , qui avait mangé des légumes cuits au feu , fait avec
lcs débris de la chaire pontificale de Ricci , mourut aussitôt
après son repas , et cela sans confession . Le biographc de
Ricci rapporte ce fait et l'apprécie dans son sens , avec une
18
.
210
bonne foi assurément fort rare à la fin du dernier siècle .
Le grand -duc accueillit avec bonté les députés de Prato .
Jl leur dit qu'il savait fort bien d'où était parti le coup ; que
l'affaire avait été machinée à Rome ; que , d'après le mot
d'ordre donné à Florence , l'émeute aurait dû éclater , à un
moment convenu , dans toute la Toscane , et que dans la pré
vision de sa réussite , le saint- siége avait retardé la signature
de son concordat avec le royaume des Deux - Siciles , dont ,
après un événement aussi favorable aux desseins du souve
rain pontife, il aurait indubitablement obtenu de bien meil
leures conditions .
Pour le moment , tout rentra dans l'ordre .
Ricci intervint alors auprès du prince en faveur des mal
heureux qui avaient été égarés , et il obtint une commuta
tion de peines pour quelques -uns , la grâce pleine et entière
de tous les autres . Il vint lui-même au secours des ouvriers
que l'emprisonnement avait réduits à un état de gêne .
Finalement il s'appliqua à calmer les esprits en éclairant
ses diocésains sur leurs intérêts et leurs devoirs .
Puis il forma le projet d'abdiquer . Se considérant comme
une pierre d'achoppement à la réalisation du plan du
grand - duc , il adressa à celui - ci la prière de lui permeltre
de se retirer, ne demandant pour récompense de ses ser
vices que de pouvoir se laver des calomnies répandues sur
son compte , principalement en publiant sans retard les actes
de son synode diocésain . Il pria en outre Léopold d'accorder
aux Pratois , et surtout aux plus pauvres , un pardon sans
restriction ni réserve pour ce qui venait de se passer . Le
prince répondit , mais uniquement pour consoler l'évêque
- 211
dans ses peines et pour approuver sa conduite en toutes
choses ; il n'accepta pas sa démission . Léopold se montra
sévère envers les évéques , qui avaient été les premiers me
neurs des troubles et qui n'en devinrent pas plus dociles .
Ne pouvant rien obtenir d'eux , il rompit leur assemblée
(5 juin 1787 ) , et les congédia sèchement .
Il songea sérieusement alors à tout faire par lui-même et
à faire seul , et il chargea Ricci de dresser un plan général .
L'évêque de Pistoie se mit immédiatement à l'auvre ; mais
le fruit de son travail demeura à l'état de simple projet. Les
révolutions qui grondaient sourdement de toute part met
taient à l'ordre du jour des questions autrement graves que
celles du jarsénisme et des jésuites , des cabinets et des sa
cristies , des églises nationales même et de la cour de Rome .
Certes , il y avait beaucoup à faire ; mais tout se résumait
à réaliser dans la pratique les idées généralement acquises à
la société , et rien en dehors de ces idées, rien au delà . Le
pouvoir avait à faire des lois pour les prêtres comme pour
tous les citoyens , sans distinction d'opinion et de culte , et
là où l'intervention de la loi n'était pas indispensable , à ne
rien faire du tout , laissant chaque opinion et chaque culte
se produire et s'agiter librement, se développer ou déchoir.
Les tentatives aussi imprudentes qu'inconsidérées de Jo
seph II , de Léopold , de l'assemblée constituante de France et
de Napoléon pour tout déterminer , limiter et réglementer ,
ont passé sans laisser de traces . La séparation absolue , clai
rement et nettement tracée , de l'église et de l'état , est de
meurée en principe du moins , et ne saurait plus éprouver
de changement ; l'indépendance absolue de l'église comme
-
212
de l'état , en est la conséquence logique, mais cette consé
quence n'a point encore été appliquée avec la franchise et la
loyauté qui anraient dû en ètre inséparables .
Ajoutons tout de suite qu'elle ne saurait être appliquée
d'une manière complète ; car il est impossible que l'église ne
dirige pas l'état , à moins que l'état n’asservisse l'église . Et là
précisément cst l'absurdité : ce qui devrait être ne saurait
être actuellement sous aucune condition ni en aucun état de
cause ; la société — notre société établie se trouve dans
l'impuissance la plus absolue de réaliser ce dont néanmoins
la réalisation est , toujours actuellement, devenue pour elle
une condition d'existence .
Cet ordre de choses , anomal , contradictoire , absurde ,
mais inévitable avec les connaissances acquises et dans les
circonstances données , durera jusqu'à ce qu'il ait été dé
montré qu'état et église , société et religion , ne sont qu'une
seule et même chose , dérivant d'un principe unique , repo
sant exclusivement sur ce principe , et ayant ce même
principe pour unique soutien .
Nous sommes loin de préconiser le dualisme ou plutôt
l'antagonisme de l'idée et de la force, du droit et du fait,
comme le dernier mot de l'intelligence ; mais nous consta
tons cette dualité comme étant le dernier mot que l'intelli
gence ait prononcé , comme résumant l'état des esprits et
des choses actuellement. Nous constatons en outre qu'il y
a plusieurs églises , différentes nations , des opinions par
tout , et rien que des opinions, sur ce qui est juste et vrai ;
mais nous savons que l'idée du droit absolu , devant laquelle
s'évanouiront nations et églises , doit se réaliser et rendre
>
)
213
-
toutes les opinions vaines . Nous constatons enfin que le
droit absolu , encore indéterminé , subordonné au fait d'un
droit relatif , droit indéterminable en principe , et accepté
ici dans un sens , là dans un autre sens , aujourd'hui sous
telle forme , demain sous telle autre , n'offre rien de stable ,
rien de réel , et dépend toujours de la force , qui seule peut
être déterminée aussi longtemps que la réalité du droit ne
l'est pas .
Et nous en concluons qu'il est nécessaire que provisoi
rement l'esprit demeure indépendant dans sa sphère, tandis
que la force fait plier tout le reste sous sa verge d'airain , ...
jusqu'à ce que l'esprit, rationnellement , incontestablement
et surtout socialement déterminé , ait soumis la force à la
vérité , substitué la justice à la force .
2
18 .
CHAPITRE XXXI .
L'opposition devient menaçante . Le peuple abolit les réformes.
Apologie de Ricci . Sa fermeté . Publication des actes du synode de
Pistoie et de l'assemblée de Florence . - Commissions papales pour juger
Ricci .
L'opposition flagrante des évêques au gouvernement
devait entraîner après elle celle du clergé et par suite de
tout le peuple toscan . De Pistoie et Prato , on ne cessait
d'adresser des pétitions au ministre de la police (presidente
del buon governo) pour demander le renversement complet
de ce que Ricci avait établi dans son diocèse . Léopold sou
tint le prélat . Il avait acquis la conviction qu'on voulait
soulever contre lui tout le grand-duché comme on avait
réussi à faire révolter les Pays-Bas contre son frère, comme
on cherchait à semer le trouble dans le royaume de Naples
et en Lombardie . Un prêtre du diocèse de Pistoie lui avait
révélé le complot , en exposant les machinations et les
216
vexations auxquelles il avait été en butte de la part de ses
supérieurs , qui ne faisaient, cux , qu'exécuter les instruc
tions que Rome leur communiquait par l'intermédiaire de
ses nonces . C'est ce qui fit généralement songer à la néces
sité de supprimer les nonciatures, seul moyen de se débar
rasser des intrigues que dirigeaient les agents en titre de
la cour pontificale.
En outre , les lettres que Ricci recevait coup sur coup ,
de France , de Belgique et même de Rome , lui démontraient
à l'évidence que tout ce qui se tramait alors dans un sens
opposé à l'esprit du siècle émanait du saint-siége . « La
résistance du Brabant ferait un grand plaisir au pape, si
elle pouvait faire changer le système de la cour de Vienne
par rapport à l'enseignement de la doctrine, écrivait le
cardinal de Bernis à sa cour (23 mai 1787) . Le nonce
Zondadari, réfugié à Liége (1790), promettait à la gouver
nante des Pays -Bas , pour le cas où elle parviendrait à faire
que l'électeur de Cologne , son frère , se déclarât contre le
congrès d’Ems , que le pape , de son côté , ferait rentrer les
Belges sous la domination impériale. Nous reparlerons de
ce nonce , à propos de la bénédiction pastorale qu'il donna ,
quelques années après , aux Arétins qui venaient d'égorger
et de brûler des juifs.
Quoi qu'il en soit , les pétitions au gouvernement se mul
tiplièrent : elles avaient surtout pour but la suppression
des litanies en langue vulgaire . Le gouvernement ne voulut
pas avoir l'air de céder devant ces démonstrations ; il fit
ordonner aux pétitionnaires d'obéir à leur pasteur , et il
exhorta l'évêque à se montrer facile sur ce qu'on lui de
n
217
mandait . Ce mezzo termine n'eut , comme de coutume ,
aucun résultat positif. Le peuple, las d'attendre , se mit
finalement à son tour à régler les cérémonies religieuses
selon son caprice , fit exposer le saint-sacrement , doubla le
nombre légal des cierges , exigea des processions solen
nelles , fit replacer partout où ils manquaient encore les
mantellini si puérilement controversés , imposa le silence
aux curés qui ne pensaient pas entièrement comme lui ,
força tous les prêtres à ne lire le canon de la messe qu'à
voix basse et d'une manière inintelligible, etc. , etc.
Ricci vit bien que le mouvement rétrograde ne s'arrête
rait plus : il voulut du moins poser un dernier acte qui le
réhabilitât aux yeux de quiconque comprenait ce qu'il
lisait , et il publia son apologic (5 octobre 1787 ) . Cette pièce
éloquente fut traduite en latin , en français et en allemand ,
et réimprimée partout. Le succès qu'elle obtint aigrit con
sidérablement la cour de Rome , qui , dans l'état incertain
des choses et surtout des esprits , aurait volontiers jeté un
voile sur le passé pourvu que la victoire lui demeurât pour
l'avenir . Elle craignait d'ailleurs la publication annoncée
des actes du synode de Pistoie et de ceux de l'assemblée
ecclésiastique de Florence . Pour l'empêcher, s'il était encore
possible, ou du moins pour paralyser d'avance l'effet que
cette double publication allait produire , elle fit de son côté
paraitre les Annotazioni pacifiche (Annotations pacifiques)
de l'abbé Marchetti , véritable libelle incendiaire pour cette
époque d'effervescence et d'agitation . Le grand -duc prohiba
le pamphlet de Marchetti, exila ce prêtre fougueux, et se
plaignit au pape qui ne put se dispenser de blâmer Mar
218
chetti et d'imposer silence aux journaux des états romains .
Léopold somma aussi l'évêque de Pistoie de répondre à
ses agresseurs . Ricci le fit aussitôt : il démontra à sa ma
nière , c'est-à -dire en affirmant, comme tous les opinionistes ,
qu'il n'avait fait que suivre la voix de sa conscience, qu'o
béir , selon l'expression reçue , à Dieu plutôt qu'aux hommes ;
qu'il avait agi justement ; que toutes ses réformes, qu'il
énumérait une à une , étaient nécessaires , utiles , et qu'elles
devaient être réalisées sans retard si elles ne l'étaient pas
encore . Cette persistante fermeté ne fit qu'irriter ses
ennemis dont il s'obstinait à mettre les torts au grand jour ,
en prétendant et en prouvant autant qu'il était en lui que
lui-même avait raison . Il n'en fit pas moins ce que voulait
le grand -duc qui , après avoir pris toutes les précautions
nécessaires, lui ordonna de se rendre à Prato . L'évêque y
administra avec pompe le sacrement de la confirmation au
mois de juillet ( 1788 ) , et son apparition inopinée , malgré
tant de menaces contre sa vie , imposa même aux plus vio
lents : tout demeura tranquille .
Vers la fin de l'année , parurent les actes de l'assemblée
de Florence et ceux du synode de Pistoie . Ces derniers sur
tout produisirent le plus grand effet dans toute la catholi
cilé ; ils étaient en quelque sorte l'expression des besoins
de tous les gouvernements qui voulaient continuer à mar
cher avec , sans ou malgré les catholiques , dont ils étaient
appelés à administrer les intérêts , conjointement avec les
intérêts de ceux qui ne reconnaissaient plus à l'église le
droit de disposer de la société . Les actes du synode de Pis
toie furent traduits partout , comme l'avait été la dernière
>
:
219
pastorale de l'évêque , et Ricci reçut de France , d'Allemagne ,
d'Espagne et de Portugal, les lettres les plus flatteuses et
les plus sincères compliments . Rome était atterrée , d'autant
plus que le grand-duc saisit ce moment pour supprimer la
nonciature , soustraire tous les ordres religieux à leurs
supérieurs hors de Toscane , et renvoyer les moines étran
gers . Le pape n'osa rien entreprendre contrc Léopold ; il
s'attacha à perdre Ricci .
La congrégation , dont la menace était depuis si longtemps
suspendue sur sa tête , s'assembla enfin à Rome , et le diocèse
de Pistoie et Prato retentit du bruit de la condamnation pro
chaine de son pasteur . Pour conjurer autant que possible la
nouvelle tempête qu'il prévoyait , le grand-duc exigea du pape
la promesse de lui communiquer , avant toute publication ,
la sentence de censure ou de condamnation qui émanerait
de la commission pontificale, afin que Ricci eût le temps de
songer à sa défense et de préparer sa justification . Il mena
çait , en cas de refus du saint-siége, de rappeler son ambas
sadeur . Pie VI donna sa parole , et les poursuites conti
nuèrent .
La congrégation , après un mûr et minutieux examen , ne
trouva ricn à blâmer .
Une seconde commission fut convoquée alors , et reçut
ordre de se montrer plus sévère que la première . Mais
celle - ci encore ne s'arrêta qu'à des scrupules , à des doutes
sur la signification des mots et sur les intentions non
avouées des membres du synode inculpé . Le pape n'osa pas
faire part de ce résultat à Léopold . Il se borna à faire ré
pandre en Toscane que Ricci serait cité à comparaître à Rome .
220
-
Une troisième congrégation succéda bientôt aux deux
autres . Mais celle-ci parut n'avoir reçu pour instructions
que de paraître s'occuper des questions en litige , dans le
but d'entretenir l'inquiétude dans les esprits et de fomenter
les troubles du diocèse de Pistoie et Prato , par l'attente de
l'imminente condamnation de son évêque et même de l'ex
tradition de celui - ci pour être détenu à vie comme héré
tique , au château Saint- Ange.
L'archevêque Martini se prêtait merveilleusement à ces
basses intrigues . Il les secondait de tous ses moyens , en
accueillant avec faveur la rétractation des prêtres de Pistoie
et Prato , de manière que les fidèles en vinrent jusqu'à se
figurer que les sacrements qui avaient été conférés par Ricci
et par ses partisans étaient de nulle valeur et devaient être
conférés de nouveau : cela amena un véritable schisme. Mar
tini faisait baptiser et confirmer les enfants qu'on lui cn
voyait du diocèse de son collègue , et il ordonnait prêtres
les jeunes clercs du même diocèse en dépit des plaintes
de l'ordinaire , et malgré l'avis charitable que celui - ci lui
avait fait parvenir , savoir que , par le seul fait de ces irré
gularités , l'archevêque encourait les censures ecclésiasti
ques déterminées
par
les canons .
Rien de tout cela n'ébranla la fermeté de Ricci . Il per
sista dans son système d'opposition aux prétentions du saint
siége jusque dans les moindres circonstances. Par exemple ,
il défiait, pour ainsi dire , journellement le pape en s'inti
tulant évêque par la grâce de Dieu et non par la gráce du
saint-siége, parce que , disait- il, ses droits épiscopaux étaient
égaux à ceux du pape , de même que les droits sacerdotaux
,
221
des curés qu'il nommait ses frères , étaient égaux aux siens .
Pour les mêmes motifs , il repoussait la qualification humi
liante de sujets que les curés avaient l'habitude de prendre
lorsqu'ils s'adressaient à leur pasteur .
MÉMOIRES DE RICCI .
19
4
1
1
1
1
CHAPITRE XXXII .
Mort de Joseph II . – Espérances de la cour de Rome . — Illusions de Ricci ,
- Réflexions. — Léopold quitte la Toscane . Insurrection du diocèse
de Pistoie et Pralo . – Florence suit cet exemple . La démission de
Ricci est acceptée par le grand -duc Ferdinand III . - Petites vexations .
Les choses en étaient là quand la mort de Joseph II , qui
avait suivi de près une amputation rendue nécessaire par
les effrayants progrès d'une maladie honteuse, – c'est un
des correspondants de Ricci qui lui apprend ce fait , -- appela
Léopold sur un plus vaste théâtre . Rome avait vu avec joie
s'approcher un événement qui allait la faire triompher en
Toscane . Afin d'en tirer tout le parti possible , elle s'était ,
en attendant , refusée à instituer les évêques nommés par le
roi de Naples ; elle espérait des conditions de plus en plus
favorables de ce prince , > une fois qu'il la verrait débarrassée
des entreprises de Léopold , d'autant plus que , de son côté ,
la cour des Deux-Siciles , alarmée des progrès de la ré
224 -
volution française , était de plus en plus pressée d'en finir
avec le pape .
De même que les changements opérés en Toscane ne s'y
étaient maintenus jusqu'alors que par la présence de Léo
pold , de même ce qui s'était fait sur un plan analogue en
Allemagne , en Lombardie et aux Pays-Bas autrichiens,
tenait essentiellement à l'action personnelle de Joseph II .
L'une et l'autre allaient manquer à la fois , et la cour de
Rome, qui ne voyait que les faits , qui ne songeait pas àછે
l'influence des opinions et à leur force irrésistible, se crut
un moment à la veille de ressaisir toute sa puissance .
On remarquait déjà que , avec la superstition du peuple ,
le déréglement du haut clergé se remontrait dans toute
son ancienne effronterie . L'évèque de Foligno , particuliè
rement protégé par le cardinal Buoncompagni , était pu
bliquement accusé à Rome d'escroquerie et de débauche;
le cardinal de la Busca se vantait tout haut d'être un des
amants favorisés de la princesse Santa - Croce , auparavant
maîtresse du cardinal de Bernis : c'étaient là les nouvelles
que les amis de l'évèque Ricci lui mandaient de la capitale
du monde catholique. Aussi celui - ci ne mettait-il pas en
si une réforme sage et équitable avait été opérée
en temps utile , on aurait par cela scul empêché bien des
violences et évité beaucoup de malheurs. Pas plus que
tant d'autres , il n'avait l'idée qu'au -dessus de la question
de quelques petits scandales, inséparables de l'exercice d'un
pouvoir créé par l'ignorance et soutenu par l'argent , pla
nait celle de l'émancipation de l'intelligence, dont les pre
miers actes devaient nécessairement être de dévoiler tous
doute que ,
:
225
les scandales , sans pouvoir— l'ignorance n'étant pas en
core détruite -- y substituer l'ordre avec la régularité.
Du reste , l'aveuglement et les illusions de Ricci étaient
partagés par tous ses co -sectaires . Dans sa volumineuse cor
respondance, se voit l'espoir qui, généralement en France ,
était placé dans les bonnes intentions du roi et la convoca
tion des états généraux . On louait le peuple français d'avoir
osé extirper jusqu'à la racine du mal , en enlevant ses
richesses au clergé, en supprimant les ordres religieux, en
faisant passer dans la loi le protestantisme catholique gal
lican . Partout le jansenisme était dans le ravissement , parce
que Rome était dans les angoisses .
Comme si le sort du christianisme et de ses ministres
ne dépendait pas désormais du catholicisme tel que l'avait
constitué la nécessité de maintenir l'ordre social au sein
de l'ignorance ; comme si le protestantisme de l'église gal
licane n'avait pas fait plus de mal au catholicisme dont il
dévorait les entrailles , que les protestantismes antérieurs,
luthérien , calviniste et même philosophique , qui s'étaient
bornés à lui retrancher quelques membres ; comme si la
domination de l'église par l'état n'était pas la ruine de l'église ,
et l'église faisant défaut, comme si l'état lui-même, privé de
toute sanction , ne s'affaisserait pas sous son propre poids ;
comme si la confiscation des biens du clergé n'était pas une
spoliation qui attaquait le principe même de la propriété,
dernier refuge , avec celui de la famille, du sentiment so
cial que la foi abandonnait et que le raisonnement n'était
pas encore parvenu à fonder sur la raison ; comme si enfin
la convocation des états généraux n'était pas précisément
19 .
226
le recours au nombre , à la force , sous lesquels devait infail
liblement succomber la royauté, dernière expression de
la vieille autorité sociale .
La royauté était évidemment coupable , soit ; le roi , cou
pable ou non , ne pouvait pas ne point subir les consé
quences de ce qu'il représentait la royauté , soit encore :
mais l'autorité , déjà effacée en principe par la déchéance de
l'église qui jusqu'alors en avait été scule dépositaire, ne
perdrait-elle pas même son nom à la chute de l'homme en
qui elle se disait incarnée ? Et en attendant que la réalité
du droit eût été démontrée par la véritable science , que
mettrait - on à la place du droit hypothétique qui avait péri
avec la foi ?
Nous revenons souvent , et nous croyons ne pouvoir trop
souvent revenir sur cette contradiction , qui , se résumant
en une impossibilité , dans l'absurde par conséquent , doit
immanquablement mener la société à l'anarchie .
Quoi qu'il en soit , dès qu'on eut acquis en Toscane la
certitude du départ prochain du grand -duc Léopold , rien
ne put arrêter la fougue réactionnaire des ennemis des
réformes. Rome faisait exciter le clergé , le clergé fanatisait
le peuple , le peuple à son tour forçait les prêtres à lui ren
dre toutes ses idoles , Ricci réclamait , le prince punissait, ct
l'exasperation atteignait ses dernières limites . Il ne man
quait plus , pour qu'on se révoltât ouvertement, que de s'as
surer d'avance que la résistance violente au pouvoir serait
le meilleur moyen pour le faire céder ; on le vit clairement
dans la proclamation de l'empereur Léopold aux Belges ,
par laquelle le nouveau souverain , fléchissant devant l'in
9
1
227
surrection , abrogeait tous les actes de son prédécesseur ,
l'empereur Joseph II , son frère. Voici à quelle occasion le
feu qui couvait sous la cendre éclata en un vaste incendie .
Le premier magistrat de Pistoie , Fabroni , fit imprudem .
ment , et peut- être méchamment, démolir pendant la nuit
un des autels que le peuple avait fait relever . Ce fut le signal
des désordres : Ricci fut menacé et poursuivi pour un motif
dont il n'avait pas même connaissance , ct on le força à
prendre la fuite . Pendant que cela se passait , on répandait
à Prato le bruit que l'évêque allait y faire démolir l'autel
de la Cintola . Puis on changea de batterie : c'était à Pistoie
qu'il ferait reblanchir l'image de la Vierge de l'humilité
( la madonna dell ' Umiltà ) , ct aussitôt cette image se mit à
cligner des yeux , à pleurer , à suer . Ricci avait beau pro
tester qu'il ignorait même les faits qu'on lui attribuait ;
rien n'y fit , et le 24 avril 1790 , la révolution cléricale du
diocèse de Pistoie et Prato fut complète .
A peine l'évêque s'était- il retiré à Florence , que tout ce
qu'il avait fait pendant son pontificat disparut devant ce
qu'on appelait la volonté du peuple, aux grands applaudis
sements des ennemis de Ricci , qui ne se doutaient pas en
core qu'ils disparaîtraient bientôt eux-mêmes à leur tour et
devant la même volonté . Les scipionistes, hérétiques de
nouvelle création , furent obligés de quitter le diocèse boule
versé , pour faire place à la dévotion au sacré-cour, à la
célébration des messes à prix d'argent , et à la restauration
des limbes dont les jésuites, constamment combattus cn cela
par les augustiniens, avaient gratifié les enfants morts sans
baptême .
9
228
Ce qui s'était passé au diocèse de Ricci n'était que le pré
lude de ce qui allait nécessairement avoir lieu dans toute
la Toscane . L'insurrection de Pistoie et de Prato se renou
vela à Florence , le 8 juin , ct y eut les mêmes résultats .
Ricci se réfugia dans sa villa de Rignana , province du
Chianti , dans le diocèse de Fiesole , où l'évêque, les prêtres
et le peuple fuirent à l'envi sa présence , de peur de la
contagion de l'hérésie , ou plutôt pour éviter que même
une simple rencontre ne les compromît auprès du parti
triomphant.
Sur les entrefaites, le nouveau grand -duc , Ferdinand III ,
fils de Léopold , était arrivé en Toscane , accompagné de
l'empereur . Celui -ci aurait voulu que Ricci rentrât dans son
diocèse ; mais l'évêque refusa d'aller y affronter inutilement
des dangers certains : car les magistrats qui avaient sou
tenu le peuple dans ses actes de rébellion , ne voulaient pas
se mettre en contradiction avec eux-mêmes , en forçant les
diocésains de Ricci à se conformer aux vues de ce prélat ,
eux qui avaient hautement proclamé le droit du peuple à
choisir l'enseignement qui lui convient , et qui avaient con
damné comme janseniste quiconque osait soutenir le con
traire. Les choses demeurèrent par conséquent dans l'état
où les avaient mises les révoltés , les ennemis des réformes
et la cour de Rome .
On était en 1791. Léopold protestait toujours de sa
constante résolution à maintenir les actes de son règne ;
mais à cela se bornaient ses efforts. Les troubles des états
héréditaires de la maison d'Autriche, la révolution française
où la famille royale et surtout la reine , sa sæur , étaient
}
229
menacées jusque dans leur existence , l'avaient frappé au
cour . Toute force moralc était éteinte en lui , et on pré
voyait déjà que ses forces physiques ne tarderaient guère à
l'abandonner également. Cet état d'affaissement peut seul
expliquer la manifestation , si contraire aux principes qui
l'avaient guidé jusqu'alors , à laquelle Léopold se prêta
dans ses déclarations de Mantoue et de Pilnitz .
Ricci savait que le nouveau gouvernement comptait sur sa
démission . Aussi , à la première demande officielle qui lui
fut adressée relativement à ses intentions, s'empressa - t-il
d'en faire l'offre pure et simple . Cette offre fut agréée avec
le même empressement, et l'évêquc signa sa renonciation
sans condition aucune . Le grand -duc , à qui il envoya
la pièce, crut devoir lui assigner une pension viagère ; le
pape, auquel Ricci en fit part, répondit de sa propre main par
une lettre fort obligeante. L'évêque démissionnaire désirait
en outre de pouvoir, dans une lettre d'adieu , prendre
solennellement congé de ses anciens diocésains ; mais le
gouvernement ne le permit point : il craignait que le public
ne finit par prendre intérêt à Ricci dans lequel il aurait vu
une victime, et par accuser le prince ou du moins ses agents
d'être descendus au rôle de persécuteurs.
On avait eu raison de l'évèque; on voulut maintenant
mater l'individu . Un procès interminable fut intenté à
Ricci dans le but de pouvoir lui refuser le payement de sa
pension . Il y mit fin par un seul mot : il déclara qu'il
renoncerait à toute pension plutôt que de plaider. Ricci
apprit à la campagne , où il vivait dans la solitude la plus
entière , l'impulsion décidément réactionnaire que son suc
>
230
cesseur avait imprimée au diocèse de Pistoie et Prato , où
ses moindres partisans étaient congédiés , l'un avant , l'autre
après , en haine de lui . Le prince lui avait fait promettre
des honneurs et des titres , qui du moins auraient servi à
démontrer que le fils ne punissait pas le zèle et la fidélité
avec lesquels le prélat avait servi son père , aux dépens de
son propre repos et au péril de sa vie . Mais ces promesses
furent bientôt oubliées . Léopold seul continua à rendre
justice à son ancien collaborateur en réformes, jusqu'à ce
qu'il mourût (1792) .
CHAPITRE XXXIII .
Conduite odieuse de l'évèque Falchi, successeur de Ricci . — Le pape prêche
le massacre des Français. – Ceux qu'il n'avait pu faire tuer , il les déclare
ses meilleurs amis . – Ricci , en rapport avec le clergé révolutionnaire de
France . Condamnation du synode de Pistoie . - La bulle Auctorem
passe inaperçue . — Réflexions .
Dès qu'il n'eut plus l'empereur à craindre , le nouvel
évêque de Pistoie et Prato , Falchi , ne garda aucune retenue .
Voulant frapper son prédécesseur dans sa réputation et sa
personne , il l'accusa , dans un procès-verbal qu'il fit dresser
exprès, d'entretenir une correspondance secrète avec quel
ques - uns de ses diocésains, afin de parvenir par leur moyen
à le faire empoisonner .
Rome non plus n'avait dorénavant plus rien à ménager .
C'est pourquoi , se mettant ouvertement à la tête des adver
saires de l'ancien évêque, clle fit recommencer les pour
suites contre les actes du synode de Pistoie , qui soulevaient
d'autant plus son indignation qu'ils venaient en quelque
232
sorte de servir de modèle à la constitution civile du clergé
de France . Le pape avait hâte de les condamner , afin de
condamner indirectement du moins , par la même sentence ,
le clergé français contre lequel il hésitait encore à sévir
d'une manière plus franche . Mais bientôt les événements
déjouèrent sa prudence ; il ne crut pas pouvoir se dispenser
de lancer un monitoire direct , qui devait avoir pour suite
l'excommunication des évêques constitutionnels , et , sur la
demande formelle qui lui en fut faite par le comte de
Provence (Louis XVIII ) , il nomma cardinal l'abbé Maury ,
qui avait refusé de prêter serment à la constitution .
Cependant le progrès des armes françaises en Allemagne
et dans la haute Italie fit ajourner par Pie VI ses projets
de vengeance contre Ricci : il avait à donner tous ses soins
à la guerre qu'il méditait pour combattre des ennemis qui
menaçaient à la fois sa souveraineté temporelle sur les
états de l'église et sa domination spirituelle sur toute la
catholicité . Ricci , toujours soucieux du bonheur de ses
semblables , souffrit cruellenient lorsqu'il vit la cour de
Rome prêcher une croisade religicuse contre les Français
en enflammant le peuple par des missions bruyantes et
scandaleuses . Le cri de mort à tous les Français ! vociféré
contre ceux qui habitaient Rome , l'assaut donné à l'aca
démie des beaux - arts de France, le pillage de l'hôtel du
banquier français Mout, l'assassinat de Basseville , secrétaire
de la légation française à Naples, qui y Jogeait , et la tenta
tive de saccager le Ghetto et de massacrer tous les juifs, au
nom de Marie , des saints apôtres et du pape , en furent les
déplorables suites ( 1795 ) .
233
Pie VI chercha à se disculper de l'odieux qui retombait
sur son gouvernement et sur lui -même après ces excès
coupables : il ne pouvait , dit-il , permettre qu'on étalật
dans sa capitale les armes de la nouvelle république qui
n'avait pas empêché qu'on brûlåt son effigie en pleine place
publique ; il avait le droit de montrer son ressentiment de
l'occupation par les Français de ses états d'Avignon et du
comtat Venaissin , et rien ne pouvait le forcer , lui gardien
des biens de l'église et du dépôt inviolable de la foi , à
reconnaître un gouvernement qui le repoussait lui-même
comme souverain et comme pasteur . Cela était irrépro
chable en principe . Mais , nous le répéterons à satiété :
tous les principes devenus contestables socialement devant
le libre examen , étaient en effet contestés par l'ignorance
sociale encore entière , et la force brutale seule mettait fin
aux débats en tranchant violemment les questions. Au
reste , Pie VI ne tarda pas à réfuter lui-même le raisonne
ment qu'il avait hasardé : trois ans plus tard , battu par les
Français qui n'avaient changé à son égard ni de maximes ,
ni de conduite , il ne mit plus aucun obstacle à ce que les
armes de la même république , désormais sa meilleure amie,
brillassent au sein de la capitale de ses étals , dont lui ,
gardien du dépôt inviolable de la foi et des biens de l'église ,
avait livré aux vainqueurs les chefs - d'œuvre des arts , les
millions , et , outre Avignon et son territoire , les légations
de Bologne et de Ferrare.
La connexité des opinions janséniennes , de celles de Ricci ,
des actes du synode de Pistoie et de la constitution civile
du clergé de France était flagrante. Voici encore ce qui vint
à
20
234
-
surabondamment l'établir : quelques jansenistes timides de
Paris consultèrent l'ancien évêque toscan sur l'orthodoxie de
la constitution civile du clergé , sur le serment imposé aux
prêtres , et sur l'obéissance due à ceux-ci par les fidèles.
Ricci opina hardiment dans le sens des réformateurs fran
çais . La constitution , répondit - il , ne réglait que la disci
pline , qui dépend du pouvoir et n'a rien de commun avec
la religion ; les biens de l'église sont spirituels exclusi
vement ; elle a le droit de défendre ceux-ci et n'a aucun
droit aux biens temporels ; quant au pasteur de fait, on
doit , jusqu'à ce que l'église universelle ait jugé la question,
lui demeurer soumis , sans faire schisme sous aucun pré
texte quelconque . La réponse de Ricci fut partout colportée
et publiée en France . En Italie , elle fit accuser le prélat
' d'hérésie , d'esprit révolutionnaire et même de jacobinisme.
Rome la fit réfuter dans une brochure de l'abbé Spedalieri
contre les droits de l'homme, écrit véritablement révolu
tionnaire dans un sens opposé , car au lieu de faire menacer
l'église par les peuples , on y faisait menacer les états par
l'église . Terrible nécessité d'une époque qui dure encore ,
où , sous la double pression de l'ignorance et de la liberté ,
conservateurs et démolisseurs , progressistes et réaction
naires , tous doivent fatalement contribuer à détruire ce qui
est , afin de rendre possible ce qui doit être , et ce qui ne
pourra être que lorsque ce qui est ne sera plus !
En attendant , les événements les plus étranges et les plus
imprévus se succédaient rapidement et se poussaient à tel
point qu'ils déroutaient tous les esprits . Chacun les jugeait
d'après ses préjugés et ses passions . Les partisans de la cour
235
de Rome accusaient les jansenistes des maux qui , de plus
en plus , accablaient l'église et les peuples ; les jansenistes
voyaient dans les impiétés et les crimes qui déshonoraient
la révolution française , la punition des crimes des jésuites.
Le pape déplorait la chute de Robespierre, parce que ce
tribun ne voulait pas la guerre qu'il croyait contraire aux
intérêts de la liberté , et que Rome désirait le maintien à
tout prix de la paix , favorable à ses intérêts à elle , ceux de
la conservation des états de l'église . Tous attendaient les
événements , pour en profiter s'ils leur étaient propices ,
pour chercher à en esquiver les conséquences s'ils ne l'é
taient pas . Comme à l'approche d’un naufrage, la plus lâche
છે
inertie et l'égoïsme le plus étroit étaient le seul mobile des
partis et des sectes . La peur paralysait tous les sentiments
généreux , et , ce qui en d'autres temps eût paru une bas
sesse ou une atrocité , n'était plus pour chacun que l'amour
légitime de sa propre conservation .
Pendant que les armées de la république menaçaient la
domination temporelle du pape , le ministère espagnol atta
quait son omnipotence spirituelle par des mesures analogues
à celles qui avaient avorté en Toscane lors du départ de
Léopold et de la retraite de Ricci . Pour déjouer ces velléités
de réforme, auxquelles la traduction annoncée des actes du
synode de Pistoie allait donner un commencement d'exécu
tion , on résolut à Rome de ne pas tarder davantage à fou
droyer ces mêmes actes , qui , toujours et partout , se dres
saient devant la papauté comme un épouvantail .
Au mois d'avril 1794 , Ricci reçut une citation pour com
paraître à Rome . Le grand -duc , auquel il communiqua la
236
pièce , défendit au prélat d'obéir à la sommation et même
d'y répondre . Il fallut qu'au lieu d'exposer ses raisons
comme il eût convenu et de justifier sa conduite, ce qui ne
lui eût guère été difficile, en reprochant au pape la viola
tion des promesses qu'il avait faites à l'empereur défunt ,
Ricci se contentât de prétexter le mauvais état de sa santé .
.
Il fallut plus même : il lui fut formellement ordonné , cn
protestant de son dévouement au saint- siége , d'insinuer
que, vu les circonstances exceptionnelles où l'on se trou
vait , il serait prudent de laisser le synode de Pistoie qui
avait déjà huit ans de date , dans l'oubli où le reléguaient
les actes diametralement opposés de l'évêque actuel.
La cour de Rome se serait peut-être arrêtée à ce dernier
parti , si les affaires d'Espagne n'avaient stimulé son zèle .
Le bruit de la condamnation prochaine du synode de Pis
toie empêcha la publication espagnole des actes de cette
assemblée , comme la crainte de cette publication allait
faire procéder à leur condamnation . La peur , nous l'avons
dit un peu plus haut , et toujours la peur , et rien qu'elle !
La fameuse bulle Auctorem fidei parut enfin (28 août 1794) .
Ricci n'en eut connaissance que comme tout le monde , par
la publicité ; il l'envoya à Ferdinand en lui faisant part de
l'intention où il était de ne pas répondre à ce qu'il était
censé ignorer . Le grand - duc l'approuva , et fit défendre la
réimpression et la vente en Toscane de la bulle pontificale.
Ce qu'il y eut de remarquable pour ceux qui n'allaient pas
au fond des choses, ce fut le peu d'effet que produisit la
sentence du saint-siége : des intérêts trop importants en
réalité étaient en jeu pour qu'on attachât la moindre im
.
1
237
portance à une querelle de prêtres , à des débats de sacris
tie . On sentit cependant que ce nouveau brandon de dis
corde ne pouvait qu'augmenter le désordre qui se montrait
de toute part et sous toutes les formes, et la bulle Auctorem
fut supprimée à Naples , à Turin , à Venise , à Milan , en Es
pagne , en Allemagne et en France . A Rome même , elle
n'excita ni intérêt , ni curiosité , et le pape fut forcé , pour la
soustraire au mépris par le silence , de faire défendre à ses
journalistes et à ses pamphlétaires de s'en occuper , soit en
bien , soit en mal .
La bulle n'en avait pas moins été envoyée à tous les
évêques de Toscane par le nonce pontifical . Falchi en exi
gea l'acceptation formelle par le clergé de son diocèse ,
dont il accueillit les rétractations et les abjurations , et
auquel il accorda l'absolution des censures , comme s'il se
fût agi d'une hérésie manifeste, aux temps où l'hérésie
était encore un crime social . Cet éclat , et c'était probable
ment ce qu'on avait voulu par là , devait inévitablement
retomber sur Ricci : en effet, lorsque , à la campagne où il
vivait dans la retraite la plus absolue , il se rendait à l'é
glise , le peuple s'écartait de lui comme d'un pestiféré ; ce qui
l'obligea à ne plus dire la messe que dans sa chapelle privée .
Il y eut plus : son confesseur ordinaire lui ayant refusé
l'absolution , il se vit réduit à en chercher un autre , ou
moins ignorant , ou plus facile .
Ricci consacra ses loisirs à l'examen de la bulle dont il
était l'objet : il constata facilement qu'aucune proposition
n'était censurée positivement ; il n'y avait de condamné que
le sens dans lequel les propositions avaient été prises ,
20 .
238
et Ricci repoussait ce sens aussi bien que le pape lui -même .
Cette justification est demeurée manuscrite dans les ar
chives de la famille , et rien ne détruisit dans l'opinion pu
blique l'idée que l'ancien évêque , tel qu'un autre Nestorius,
c'était la phraséologie consacrée , - était un hérétique
des plus dangereux . Et il l'était aux yeux des partisans de
la cour de Rome , qui regardaient le jansenisme comme la
cause du constitutionalisme français , au lieu de ne voir
dans l'un et dans l'autre que des effets du changement
des idées relativement aux relations sociales entre l'état et
l'église .
Hors de Toscane , il parut quelques réfutations de la
bulle Auctorem fidei, notamment à Bruxelles et à Lugano .
Il y eut en cette circonstance ceci de particulier : les
auteurs et coopérateurs du synode de Pistoie reconnurent
l'orthodoxie des propositions avancées par le pape , mais
nièrent la justesse de l'application de ces propositions pour
démontrer l'hétérodoxie de leur doctrine , que le pape , pré
tendaient-ils , n'avait pas comprise , et que par conséquent il
n'avait pu anathématiser . Les étrangers , au contraire , taxè
rent hautement le pape d'hérésie : c'était , disaient ceux- ci ,
le loyolisme ct le relâchement ( lassismo) des Bolgeni , des
Cuccagni , des Marchetti et des Zaccaria ; c'était une nou
velle preuve évidente , bien que superflue, de la faillibilité
du pontiſe romain .
Mais le changement dans les événements amena néces
sairement un changement dans les circonstances et dans les
choses . Le synode de Pistoie , foudroyé à Rome , triomphait
avec la constitution du clergé en France, et Ferdinand III
1
-
239
qui venait , au profond chagrin de la cour pontificale , de
conclure un traité de neutralité avec la grande nation,
les républicains français étaient généralement désignés sous
cette épithète , - ne put plus , comme auparavant , permettre
qu'on traînât dans la boue chez lui ce qui était élevé sur le
pavois par ceux qu'il devait bien se donner de garde d'ir
riter , pour ne pas compromettre son existence comme
souverain . Ricci revint habiter la capitale .
2
CHAPITRE XXXIV .
Proclamations sanguinaires et incendiaires du pape . Miracles à Ancône.
Paix de Tolentino . Rome devient république . – Elle se fait réſor
matrice . La Toscane est envahie .
Par un inexplicable « esprit de vertige et d'erreur , )
Rome croyait pouvoir résister à la république française .
Elle rêvait une guerre de religion qui , à l'époque où l'on
était parvenu , ne pouvait plus être autre chose qu'une
échauffourée de quelques fanatiques , ni avoir pour résultat
définitif, au lieu du succès qu'on s'en promeltait, que la
ruine et la mort de plusieurs milliers de dupes .
(
Tandis que l'archevêque de Milan , les évêques et les
prêtres de la haute Italie , occupée par les Français , van
taient l'humanité et la piété des ci - devant cannibales, leurs
vainqueurs , le saint- siége faisait passer les Français qu'il
comptait vaincre , pour des impies et des barbares , décla
rait dans ses proclamations qu'ils épousaient plusieurs
242
femmes et adoraient plusieurs dieux , entre autres , l'arbre
de la liberté, les accusait de violer les femmes et les filles
partout où ils pénétraient, et de manger les enfants. Ces
manifestes , stupidement incendiaires , furent bientôt suivis
des prétendus miracles de la madone d'Ancône (juin 1796) .
On avait eu soin , pour leur faire produire tout leur effet,
de les faire coïncider avec les bruits généralement répandus
de défaites que les armées républicaines auraient récem
ment subies en Italie et en Allemagne . Aussitôt tous les
habitants d'Ancône et de la banlieue , le cardinal-arche
vêque Ranuzzi à leur tête , coururent voir l'image de la
Vierge ouvrir et fermer les yeux , comme , disait-on , Jésus
Christ le lui avait ordonné . Après des enquêtes minutieuses ,
authentiquement constatées, plus de quatre -vingt mille
témoins oculaires certifièrent le prodige dont , plus tard ,
le saint-siége fit perpétuer la mémoire par une inscription
monumentale , et auquel riches et pauvres , simples et
savants , incrédules et dévots , catholiques et réformés, ma
hométans , juiſs , tout le monde , en un mot , le général en
chef Bonaparte nominativement compris , avaient , s'il faut
en croire le professeur abbé Albertini , rendu un hom
mage public et solennel .
Quoi qu'il en soit , à peine les prodiges d'Ancône eurent
> >
à
9
ils obtenu un succès aussi brillant , que Civita-Vecchia ,
Macerata , Ascoli et Rome elle-même voulurent avoir leurs
madones miraculeuses . Pendant ce temps , les envoyés
pontificaux à Paris , ayant essayé de ruser avec les membres
du Directoire français qui les pressaient de conclure ou de
rompre , reçurent leurs passe -ports , et la guerre fut déci
243
dée . En fin de compte , les miracles avaient échoué : la
paix qui mit un terme à cette guerre dont la madone
avait été la principale instigatrice, coûta au saint - siége ,
comme nous l'avons dit , deux provinces , trente-trois mil
lions , les chefs - d'oeuvre de l'art ancien , beaucoup de per
fidies inutiles , et une humiliation sans bornes .
Cette paix qui venait d'être conclue à Tolentino était
aussi peu sincère que la lutte avait été peu sérieuse ; elle
cut pour résultat la singularité que nous allons rapporter .
Le clergé anticonstitutionnel de France attaqua vivement le
pape qui avait traité avec la république française ; le clergé
constitutionnel reprocha à Bonaparte de ne pas avoir saisi
cette occasion unique pour mettre fin au schisme de l'église
gallicane : la suite prouva qu'en agissant ainsi ce dernier
s'était réservé , avec ou sans intention déterminée , les moyens
tout à la fois de sacrifier l'église de France pour gagner le
pape , et de faire peur au pape, non de l'église constitu
tionnelle de la république , mais de l'église gallicane de
Louis XIV .
Tout le monde aujourd'hui s'étonne de la facilité avec
laquelle le général en chef de l'armée d'Italie , contre l'avis
de tous ses officiers, accorda la paix au prêtre couronné qui ,
l'empereur Napoléon l'a avoué à Sainte -Hélènc, avait fait
assassiner soixante-quinze mille Français. Une ambition
sans bornes , aussi prévoyante qu'opiniâtre , peut seule ex
pliquer cette circonstance . Le monarque futur faisait déjà
bon marché de ses soldats d'alors .
Rome n'en subit pas moins , peu de temps après , le sort
qu'elle s'était préparé . Après le meurtre du général Du
- 244
phot , au milieu d'un tumulte populaire , l'orgueilleuse
cité pontificale fut envahie par les Français , et déclarée
république démocratique , aux chants du Te Deum entonné
par les cardinaux devant le grand autel de Saint-Pierre
(1798 ) , sans que les émeutes , excitées par quelques moines
au nom de Marie , de la religion , du pape , pussent l'empê
cher .
La république romaine , à peine organisée, se hâta d'ap
pliquer chez elle la plupart des réformes ecclésiastiques que
le pape avait condamnées après que Ricci les eut exécutées
au diocèse de Pistoie .
C'était fort naturel : Rome , sous le gouvernement des
prêtres, avait combattu à outrance pour les abus qui fai
saient vivre les prêtres et dont elle -même vivait en partie ;
débarrassée d'eux , Rome sapait vigoureusement ces mêmes
abus dont les prêtres seuls continuaient à profiter, tandis
qu'elle en faisait en partie les frais. Les réformes dont nous
parlons rencontrèrent donc , de la part du clergé catholique
dans l'ancienne capitale du catholicisme , la même résistance
contre laquelle elles s'étaient toujours heurtées et souvent
brisées ailleurs ; le serment civique fut attaqué par les uns ,
défendu par d'autres ; défendu — il faut le dire pour
l'étrangeté du fait, même parmi tant de faits étranges en
tous les genres - par l'ex - jésuite Bolgeni , conseiller in
time de Pie VI , qui , outre cela , prit également sur lui de
décider que la vente des biens du clergé par le gouverne
ment , bien que condamnée par le saint-siége , n'en était
pas moins valable et juste .
Un autre défenseur du serment civique fut l'abbé
a
- 245
Mastrofini qui , dans la suite , prouva mathématiquement,
selon lui , l'unité réelle et la triplicité de Dieu ; qui en 1822 ,
fut jugé digne d'aller ramer pour toute sa vie aux galères, et
qui enfin est mort cardinal . La confusion régnait jusqu'au
sein du sanctuaire.
Rappelons à cette occasion que le rédacteur de ces Mé
moires a eu l'honneur d'avoir pour critique officiel de l'His
toire du Christianisme, alors Esprit de l'église, l'éminen
tissime apologiste de la formule : Haine à la royauté et à
l'anarchie, fidélité et attachement à la république .
Le pape et le docteur Marchetti condamnèrent le ser
ment .
Pie VI s'était réfugié en Toscane où , par une circulaire , le
grand -duc fit défendre à tous ses évêques d'aller le voir .
Ricci , qui voulait éviter jusqu'aux moindres occasions de se
compromettre ou plutôt d'être coinpromis, se retira de nou
veau à sa villa du Chianti . Pendant qu'il s'y trouvait , les
Français chassèrent de Rome les Napolitains qui les y
avaient surpris , et refoulèrent leurs imprudents ennemis
jusqu'à leur propre capitale , d'où le roi Ferdinand de Bour
bon passa en Sicile . Le 25 mai 1799 , ils prirent possession
de la Toscane .
21
CHAPITRE XXXV .
Défaites des Français en Italie . – Miracles anti- français en Toscanc .
Arétins à Florence . Ricci est arrêté . Atrocités . Motifs de l'em
prisonnement de Ricci . — Martini abuse de la faiblesse du prélat détenu .
Les
Ricci se trouvait accidentellement à Florence lorsque les
Français y entrèrent , et il y fut retenu comme tout le
monde par les lois contre l'émigration . C'était fåcheux pour
lui , car on pressentait déjà que cette occupation armée de
l'Italie centrale et méridionale ne durerait guère . Les
troupes de la république essuyaient revers sur revers dans
la haute Italie et en Allemagne , ce qui , joint aux troubles
de Paris sous un gouvernement faible et corrompu , devait
ne pas tarder à forcer les républicains à la retraite . La
réaction alors serait d'autant plus dure que l'action avait été
vive , et l'ancien évêque de Pistoie , depuis si longtemps en
butte aux calomnies et à la persécution, en deviendrait na
turellement la première victime.
248
Lorsque éclata la trop fameuse insurrection d’Arezzo ,
tout était prêt à Florence pour prendre une part active aux
excès qui allaient souiller la cause du catholicisme et des
monarchies . Pendant qu'avaient lieu les miracles des états
romains , la capitale de la Toscane avait aussi ses prodiges .
Des lis placés devant une image de la Vierge dans une des
rues de Florence , quoique déjà desséchés en apparence ,
venaient de fleurir : l'archevêque crut le moment favorable
à l'opinion à laquelle il appartenait , et il alla processionnel
lement prendre l'image pour la déposer à la cathédrale .
Depuis cette époque , Martini , bien qu'il n'y crût pas le
moins du monde , se vit , pour ainsi dire , forcé d'appuyer
tous les miracles qui se présentèrent , soit avant l'arrivée des
Français , soit après leur départ ; car , pendant le temps de
leur séjour , il ne s'opérait ordinairement aucun prodige. Ce
fut ainsi qu'en 1800 , il favorisa ouvertement l'enthousiasme
du peuple qui se portait en foule— dix mille personnes à la
fois aux collines de Rosano , pour voir une bergère qui
assurait qu'elle voyait une åme ; ce fut ainsi encore que ,
six ans après , il confirma la multiplication surnaturelle de
l'huile servant à alimenter les lampes d'un couvent de do
minicaines , ct que la dévotion des fidèles qui venaient s’y
oindre épuisait à chaque instant .
Quoi qu'il en soit , les Arétins placèrent leur madone , en
possession depuis trois ans de faire des miracles continuels ,
à la tête de l'armée insurgée des catholiques, chargée de
poursuivre les traînards républicains, en pleine retraite
depuis la déroute de la Trebbia , de les dépouiller et de les
égorger partout où ils les rencontreraient. Les Français
!
249
s'étaient repliés sur Gênes . Les Arétins entrèrent à Florence
(7 juillet 1799 ) , comme nous l'avons dit plus haut, sous la
protection spéciale de l'image miraculeuse de la Vierge qui ,
alliée de l'Autriche et des Turcs, devenus les champions
avoués de la foi orthodoxe , des Russes se constituant les
défenseurs de la papauté, et des Anglais protégeant les états
de l'église romaine et le despotisme des gouvernements
absolus , couvrait de sa bannière le ministre Windham et
sa maîtresse , la Mari , en habit d'homme, tous deux décorés
de l'ordre de Marie , et un capucin chargé de crucifix et de
pistolets . Les amis de Ricci le pressaient de quitter la
Toscane : il s'y refusa, pour ne pas exposer sa famille ,
comptant d'ailleurs sur l'évidente neutralité dans laquelle
il s'était tenu pendant tout le temps qu'avait duré l'occupa
tion française .
Les choses se seraient en effet passées pour lui comme il
se le figurait , si les Arétins n'avaient obéiqu'à leurs propres
impulsions. Leur levée de boucliers n'avait eu pour but
ostensible que la délivrance de leur patrie et le rétablisse
ment de l'ancien ordre de choses ; ils n'en voulaient qu'aux
Français et aux républicains italiens qui les avaient ouverte
ment favorisés. Mais ce n'étaient pas là les projets des
ennemis de Léopold et de ses réformes. Les grands , les
moines , les prêtres , la cour de Rome , auraient cru n'avoir
rien fait , s'ils n'avaient profité des circonstances pour
écraser l'ancien ami et coopérateur du dernier grand-duc ,
et la perte de Ricci fut jurée . Accusé du crime de léopol
disme, on le traqua partout , et finalement il fut arrêté à Flo
rence (11 juillet ) sur un ordre signé par le commandant
21 .
250
Mari , le mari de la maitresse de l'Anglais Windham , con
duit à pied entre deux sbires , à travers la ville , pendant une
soirée d'illumination générale , et traité en prison de la
manière qu'on estima la plus ignominieuse et la plus pé
nible pour lui .
Ricci , qui nous a laissé de précieux quoique déplorables
détails sur cette époque honteuse pour son pays , ne se
plaint , quant à lui personnellement , que de l'impossibilité
où sa détention le mettait de se soustraire aux scènes de
cruauté , d'impiété , de débauche, dont les Arétins vain
queurs se rendaient coupables sous ses yeux , au cri de vive
la madone ! Le meurtre des jacobins - on appelait ainsi
ceux dont on voulait se défaire était hautement prêché
comme une action héroïque. Le professeur pisan , César Ma
lanima , le tendre défenseur des enfants morts sans baptême ,
alla même jusqu'à publier une apologie raisonnée de ces
horreurs , et il l'appuya sur l'ordre donné aux Juifs par le
Dieu de ce peuple choisi, d'égorger tous les idolâtres qui,
dit le prêtre érudit , étaient les jacobins de leur époque . Des
malheureux auxquels les Arétins n'auraient jamais songe ,
étaient signalés à leur vengeance par leurs fanatiques con
citoyens , par des prêtres surtout , qui ne se faisaient pas
faute , pour acquérir le mérite d'une action aussi louable ,
de violer le secret que la confession leur avait fait connaîlre .
Une fois Ricci en prison , les Arétins , qui n'avaient aucun
grief contre lui , qui même , pour la plupart , n'en avaient
jamais entendu parler , ne s'en occupèrent plus . L'évêque fit
alors un appel à la générosité de l'évêque de Fiesole et de
l'archevêque Martini , en laquelle il avait l'ingénuité de
>
1
251
croire , comme il avait la bonhomie de se figurer qu'il
était , ainsi que tant d'autres , victime des passions politiques
du moment. L'archevêque , tout-puissant auprès du gouver
nement provisoire sénatorial , alla trouver son ancien col
lègue et le traita avec dureté et mépris . Ricci apprit de lui
qu'il était détenu , non comme partisan des Français , mais
comme instigateur des réformes léopoldines , et que , s'il ne
se hâtait d'accepter , avec le monde catholique, la bulle Auc
torem qui l'avait condamné, s'il ne condamnait son propre
synode de Pistoie , s'il ne rétractait l'approbation qu'il avait
donnée au serment de fidélité à la constitution civile du
clergé de France , s'il n'abjurait enfin ses relations avec
l'église hérétique et schismatique d'Utrecht et tous les pre
tres novaleurs de ce temps , le peuple se porterait contre lui
aux dernières extrémités . Ricci eut peur . Martini s'en
aperçut et , d'accord avec les meneurs de son parti , résolut
d'exploiter la situation aussi largement que possible . L'ar
chevêque retourna auprès du prisonnier , mais cette fois
avec une affectation pateline de sensibilité et de dou
ceur que l'ancien évêque paya de la plus entière confiance .
Il écouta Ricci avec toutes les apparences d'un intérêt sin
cère , et lui donna presque toujours raison dans la conduite
qu'il avait tenue envers ou plutôt contre la cour de Rome ;
mais il n'en conseilla pas moins au prélat de céder aux cir
constances , en réprouvant lui -même tous les actes de sa vie
passée et les maximes qui en avaient été la règle constante ,
seul moyen , affirmait le prêtre cautelcux , d'échapper à la
vindicte publique et de recouvrer sa liberté . Ricci finit par
se soumettre .
>
>
252 -
Mais la lettre qu'il écrivit à Martini dans le sens convenu
et pour être rendue publique , ne parut pas assez catégori
que . L'archevêque revint à la charge, et l'ancien évêque de
Pistoie , qu'un premier acte de faiblesse avait rendu plus fa
cile à persuader pour qu'il en commit un second , s'en remit
au prélat même , son ennemi, pour les corrections à faire à
sa missive . Cette pièce importante fut donc rédigée de nou
veau et cette fois par l'archevêque de Florence même :
malgré cela , elle fut déclarée insuffisante par les chefs du
parti papalin . Il fallut que , pour sortir de peine , l'évêque
démissionné acceptât purement et simplement la bulle
Auctorem fidei. Ricci céda encore . Dans une lettre adressée
au pape , et qu'il corrobora par une autre lettre à Martini
que celui-ci était autorisé à publier , le malheureux évêque
renouvela ses tristes déclarations .
C'était assez pour les projets rétrogrades des ennemis de
Léopold ; ce ne l'était pas pour les ennemis de Ricci , Ils
reprochèrent à l'archevêque , leur instrument , de s'être
mêlé , sans autorisation spéciale , d'une affaire qui regardait
directement le pape , et que le nonce seul pouvait terminer
régulièrement , d'après les instructions et sur l'ordre du
saint-siége. L'archevêque avait obtenu ce qu'il voulait , l'hu
miliation de son rival ; il l'abandonna volontiers à ceux qui
voulaient en outre prolonger leur vengeance . Il avait ré
pandu partout les lettres que Ricci lui avait confiées ; il
n'envoya pas au pape celle qui lui était destinée , et l'ancien
évêque de Pistoie demeura en prison .
>
CHAPITRE XXXVI .
Malheurs de l'Italic . Les Bourbons de Naples . -- Cruelles persécutions .
-Guerre contre les Français . — République parthénopéenne . — Terro
risme monarchique, — Emma Hamilton . – Caroline d'Autriche.
On s'étonnera peut-être de la facilité, disons mieux , de la
faiblesse avec laquelle l'ancien évêque de Pistoie avait cédé
aux perfides suggestions et aux menaces odieuses de l'ar .
chevêque Martini . Cet étonnement cessera en grande partie
si l'on réfléchit aux malheurs de cette terrible époque , et si
l'on se rappelle les atroces vengeances qui ensanglantèrent
alors l'Italie , livrée aux colères de la royauté et du sacer
doce triomphants après avoir été si cruellement humiliés .
Ce qui se passait dans la patrie même de Ricci et , pour
ainsi dire , sous ses yeux, nous voulons parler de l'auto
da - fé de Sienne , où , de seize juifs immolés par les Arétins,
trois avaient été brûlés vifs avec l'arbre de la liberté , scène
affreuse que bénit l'archicvèque Zondadari , ancien nonce
>
254
pontifical en Belgique , - ce qui se passait sous ses yeux
n'était que trop fait pour ébranler la fermeté du prélat dé
tenu . Les événements de Naples , où ses amis étaient sacrifiés
en masse à l'idolâtrie monarchique et pontificale, étaient de
nature à briser une tout autre énergie que la sienne .
Qu'on nous permette d'interrompre notre récit : une
courte digression sur le terrorisme légitimiste de la basse
Italie nous ramènera tout naturellement aux procès réac
tionnaires de l'Italie du centre . L'histoire n'a point de pri
viléges , et il ne serait pas juste de charger la seule démo
cratie du monopole des violences , de l'horreur et du
dégoût .
L'Autrichienne Caroline régnait de droit sur les Deux
Siciles : par stipulation matrimoniale , Ferdinand de Bour
bon n'avait de rôle à jouer que comme son mari . Fille de
Marie -Thérèse , la Pieuse, seur du philosophe Joseph II et
du réformateur Léopold , Caroline avait montré , elle aussi ,
des velléités de redresser les abus ; les hommes éminents
du royaume de Naples s'étaient empressés de seconder ses
désirs . Elle les avait connus de cette manière , et quand
le caprice lui eut inspiré une fantaisie opposée , quand la
peur lui cut fait augmenter et renforcer les abus anciens
pour ne pas se voir exposée à être balayée elle-même avec
les abus qu'elle avait cherché à renverser , il lui fut facile de
témoigner sa haute reconnaissance à ceux dont elle s'était
servie , en faisant tomber sur eux ses premiers coups .
On avait , à Naples comme en France , préludé à des idées
plus graves par la vogue de l'anglomanie . On ne sentait
cncore généralement qu'une chose, c'est qu'il fallait qu'on
255
fût autrement qu'on n'était : tout le monde en Europe
éprouvait une espèce de gêne , de malaise , qui portait jus
qu'à ceux qui avaient le moins à se plaindre de l'ordre
existant , à vouloir le changer afin d'en jouir plus commo
dément . Et ceux qui souffraient de cet ordre , les aidaient
de leur mieux . Comme le despotisme se montrait partout ,
c'était partout à la liberté qu'on aspirait plus ou moins
ouvertement. On ne comprenait pas encore que la liberté
est un fléau quand elle n'a pas la vérité pour guide . Là
même où l'on ne s'avouait pas qu'on voulait être libre , on
s'efforçait à singer , du moins dans leurs ridicules , ceux qui
passaient pour jouir de la liberté . C'est ce qui avait lieu à
Naples . Mais bientôt la cour craignit que la jeunesse ne
prit la chose au sérieux , et les anglomanes furent convertis
en conspirateurs , les prisons se remplirent, le sang teignit
les échafauds .
La police , c'est -à-dire l'espionnage et la délation , incri
minant les gestes , les intentions , la pensée , le silence même ,
répandant partout le soupçon et la défiance, rompant tous
les liens moraux pour mettre à la place l'esprit de cupidité ,
de vengeance , de vanité , d'ambition , d'égoïsme en un mot ,
était regardée comme le seul moyen de gouvernement qui
pût sauver l'état , tandis qu'il l'entraînait rapidement vers sa
ruine . Les lois secondaient cette inquisition politique , dont
on se fera quelque idée par les peines appliquées à certains
délits : par exemple , l'habitude de monter à cheval ren
dait véhémentement suspect de tendances révolutionnaires ;
la lecture des écrits de Voltaire était punie de trois ans
de travaux forcés, et celle de la gazette de Florence , à
7
256
C
cause des réformes de Léopold , de six mois de prison .
Acton , médecin ſranc -comtois, que la haine pour sa patrie
où il avait échoué, et la honte de sa profession avaient
changé en Hecton , noble anglais , né pour les postes les
plus élevés dans la marine , était la cheville ouvrière
de ce triste rebroussement : ministre du roi , favori de la
reine qu'il dominait par le plaisir et par la peur , il fit des
conjurés de tous les hommes d'intelligence et de dévoue
ment qu'il redoutait , parce que , sans talents lui-même,
sans vertu et sans pudeur , il n'avait ni dévouement ni
mérite . Il ne savait qu'une seule chose : ramper sous le
pouvoir pour parvenir à le dominer, puis écraser tous ceux
qu'il avait laissés sur la route . Le marquis Vanni , le Fou
quier -Tinville de cette déplorable époque , et son complice
le prince de Castelcicala furent, conjointement avec la
junte d’état, les instruments serviles et actifs du ministre
Acton .
Rome , on devait s'y attendre , profita de circonstances
aussi favorables à ses vues : lorsque le roi de Naples , à son
retour de Vienne , avait traversé la capitale des états
pontificaux , il s'était facilement laissé insinuer par le pape
qu'il n'y avait que des ennemis secrets du trône qui eussent
pu se proposer d'ébranler l'autel, d'où il avait naturellement
conclu que les défenseurs des droits de la royauté contre les
prétentions du saint-siége étaient en réalité d'ardents et
dangereux démagogues . Serao , évêque de Potenza , écrivit
à ce propos à Ricci , son ami ( 1797 ) , une lettre dans laquelle
il lui fit part de l'arrestation de Jérôme Vecchietti, official
au département des affaires ecclésiastiques , qui s'était laissé
257
mourir de faim pour échapper aux rigueurs et aux ennuis
de la détention ; de Forges Davanzati , évêque de Canosa ;
de Conforti, théologien du roi ; du savant Marius Pagano,
juge de l'amirauté et professeur de droit criminel ; de Joseph
Cestari , archiviste de la cour ; du père Monticelli; d'Ignace
Gioja; de Louis Rossi , et de tant d'autres serviteurs de la
monarchic , tous amis éclairés et zélés du roi , et tous pour
suivis pour opinions antimonarchiques.
Ricci voyait déjà là ce qu'il avait à attendre du touchant
accord qui , dans ces temps d'agitation et de trouble , régnait
en Toscane entre ses ennemis du dedans et ceux qu'il avait
à la cour pontificale .
Mais ce n'était rien encore en comparaison des actes féroces
qui ensanglantèrent le même théâtre deux ans après ce que
nous avons rapporté . Le roi de Naples , burlesque cham
pion de ce qu'on appelait les idées de religion et d'ordre ,
voyant l'Italie échapper aux Français, attaqués à la fois
par l'Autriche, la Russie , l'Angleterre et jusque par la Tur
quie , s'était porté sur Rome , à la tête d'une armée qui
semblait formidable, mais en avait bientôt été refoulé par
une poignée de républicains; ceux - ci, à la poursuite des
fuyards , allèrent, sans s'arrêter , organiser la république par
thénopéenne à Naples même , et Ferdinand , emportant tout
l'or, les joyaux et les choses précieuses qui étaient sous sa
main , et faisant brûler ce qu'il devait laisser derrière lui ,
se retira comme un voleur , sous la protection de sa femme,
de lady Hamilton et de Nelson , dans ses élats de Sicile. La
nouvelle république , comme celle de Rome, comme la dé
mocratie toscane , n'avait d'avenir que par la présence des
MÉMOIRES DE RICCI . 22
2
258
troupes françaises, et ces troupes , mal soutenues par un
gouvernement sans force et sans pudeur , n'avaient plus de
chance de salut qu'en une prompte retraite . Bientôt une
capitulation , honorable pour les vainqueurs comme pour
les vaincus , si elle avait été respectée , rendit à Ferdinand
la capitale de son royaume. Ses auxiliaires les plus actifs
avaient été les insurgés des Calabres , qui , enflammés et
fanatisés par le cardinal Ruffo, venaient d'assassiner dans
son lit le même évêque de Potenza dont nous venons de
citer la lettre à Ricci .
Fabrice Ruffo , vicaire du roi et du pape , — c'est ainsi
qu'il se faisait nommer , - excommunié par le cardinal
Zurlo , archevêque de Naples , qu'il avait excommunié à
son tour , était , hátons -nous de le dire , le seul au milieu
de cette écume et de cette lie de notre civilisation cor
rompue , qui eût conservé quelques sentiments généreux ;
comme chef de guerre , comme chef de partisans , il ne
permettait que les excès et les turpitudes qu'il ne pouvait
empêcher et qui sont inséparables de toute insurrection
violente . Quand il donnait sa parole , c'était loyalement , et
avec la ferme intention de la tenir . Le seul reproche qu'on
pût lui faire dans la terrible mission qu'il s'était donnée ,
était d'être prêtre . Du reste , il se battait pour son pays
contre les étrangers , pour ses opinions contre ceux qui en
avaient d'opposées , mais nullement pour Ferdinand qu'il
méprisait pour le moins autant que le méprisaient les ré
publicains eux-mêmes . Voyons maintenant comment cette
brute couronnée usa de son triomphe.
Nous répétons que , par lui -même , Ferdinand n'était pas
7
259
plus capable de mal que de bien ; mais la reine Caroline ,
impérieuse et faible , superstitieuse et incrédule , livrée à
toutes ses passions qui la ballottaient sans fin ni cesse entre
les excès les plus contraires , ne pouvait faire que le mal .
Obsédée par Acton , elle disposait de lady Hamilton , femme
de l'ambassadeur anglais à Naples , qui disposait elle -même
de l'amiral Nelson , et Nelson n'hésita pas à sacrifier, en cette
circonstance si horriblement mémorable , son propre hon
neur avec celui de son gouvernement. La capitulation faite
par les patriotes napolitains , capitulation signée par le car
dinal Ruffo et le commandant Micheroux pour le roi des
Deux- Siciles , par les Anglais , les Russes et les Turcs , fut
froidement violée par Nelson , exécutant un décret de Fer
dinand , obtenu par la reine et imposé par l'ambassadrice
anglaise à son amant l'amiral anglais ; les patriotes napo
litains furent vendus à prix d'or par les républicains fran
çais aux égorgeurs de Naples , et lâchement abandonnés ,
signalés même au milieu des rangs français, par le chef
des républicains, Méjean ; une commission de jugeurs fut
nommée , et la coupe réglée des meilleurs citoyens , roya
listes et démocrates , évèques , prêtres , moincs et laïques ,
commença .
Les noms des membres de la junte appelée pour condam
ner et non pour examiner les prévenus , véritable tribunal
de sang , ou plutôt abattoir humain , méritent d'être con
servés : ce sont Ange Fiore , Joseph Guidobaldi , Antoine la
Rossa , Damiani , Sambuti , et le plus monstrueux de tous ,
le Sicilien Speciale .
On arrêta sous les yeux du roi plus de trente mille indi
- 260
vidus , parmi lesquels se trouvaient des aliénés , échappés de
l'hospice des fous .
On mit en prison des enfants de cinq ans ; on en exila de
douze ans ; on en mit à mort qui avaient à peine atteint
leur majorité.
Non content de frapper les citoyens du glaive de la loi,
loi faite pour la circonstance et après coup , on les massacrait
dans les rues : on en jeta jusqu'à cinq à la fois, vivants , dans
les flammes, et leurs membres rôtis furent dévorés par les
cannibales du royalisme ! ...
Tout ce que Naples possédait de noble par la naissance ,
de plus noble encore par l'intelligence et le caractère , des
hommes dont le nom était connu et honoré dans l'Europe
entière, des femmes illustres à plus d'un titre , des familles
coupables seulement de posséder des richesses que le pou
voir ou ses agents convoitaient, périrent ainsi de la manière
la plus atroce , par la volonté d'un imbécile que la peur
avait fait tyran .
Dans les provinces , les autorités réactionnaires faisaient
de leur mieux pour atteindre à cet idéal de cruauté . Le
meunier Caïelan Mammone , nommé par Ruffo comman
dant de l'insurrection de Sora , fit, dans l'espace de trois
mois, fusiller trois cent cinquante personnes , tandis que
ses satellites en massacraient le double . Il buvait le sang
de ses victimes , -ceci est à la lettre , --et, à défaut, buvait
le sien propre lorsqu'on le saignait . Sa coupe ordinaire était
un crâne fraîchement préparé . Ferdinand, encore en Sicile ,
lui écrivait
)
: « Mon général et mon ami ! »
Les traits de l'inhumanité la plus froide et la plus raffinée
261
distinguent cette époque de terrorisme monarchique ; l'his
toire contemporaine en a conservé l'horrible souvenir .
Le roi assistait paisiblement à la tuerie , du haut d'un bâti
ment mouillé dans le port , et entouré d'autres bâtiments où
mouraient sous de barbares traitements des centaines de pri
sonniers . Lorsqu'on lui en présentait un plus particulière
ment , il ordonnait, avec sa stupide bonhomie ordinaire ,
de le bien traiter, ce que ses gens exécutaient aussitôt en le
menant au supplice. Ce fut là que Ferdinand vit à ses côtés
le cadavre de son ancien ami , l'amiral prince Caracciolo
que Nelson , jaloux de son mérite, avait fait condamner à
mort par la junte napolitaine ; à qui il avait refusé la grâce
d'être fusillé, et qui maintenant , la corde encore autour
du cou , venait , poussé par les vagues , reprocher en quelque
sorte à son royal bourreau son infamie et sa lâcheté .
Ces détails fort incomplets d'ailleurs n'expliquent -ils pas
suffisamment, nous dirons même ne justifient- ils pas jusqu'à
un certain point la peur de tous les Italiens qui avaient
quelques bonnes idées à se reprocher , dont la conscience
était chargée de quelque action méritoire, et surtout celle
du malheureux évêque de Pistoie ?
Avant de clore ce triste chapitre, et pour ne plus avoir
à revenir sur les deux femmes perdues qui y jouent un rôle
si honteux , disons -en encore quelques mots .
Emma , fille de Henri Lyon ou Lyons et d'une femme Ca
dogan (1764 ) , prit , outre le nom de son père , celui de Harte ;
on ignore à quel titre et pourquoi. D'abord servante de ca
baret , s'abandonnant au premier venu , puis prêtant ses char
mes aux spéculations d'un charlatan qui l'exposait, pis que
22 .
-
262
nue , aux regards de ses adeptes , après cela faisant le mé
tier de modèle pour les peintres qui la représentèrent sous
toutes les formes , enfin livrée à la prostitution publique ,
Emma était passée , des mains de Charles Greville , neveu de
lord Hamilton et dont elle avait trois enfants, à celles de
l'ambassadeur lui-même qui l'acheta au prix du payement
des dettes de son amant , en fit sa propre maîtresse , finit
par l'épouser (1791 ) , et la partagea pacifiquement avec la
reine Caroline et lord Nelson dont elle eut une fille, double
ment adultérine . Car , remarquablement belle , lady Hamilton
ne se refusait pas plus à aucune espèce de libertinage , qu'elle
ne reculait devant aucun crime . En traçant ces lignes , nous
avons sous les yeux une lettre originale de Nelson , duc de
Bronte , écrite par lui peu avant la bataille de Trafalgar, et
dont une page est de la main d'Emma Hamilton , qu'il avait
introduite au sein de sa famille , où elle avait été accueillie .
Nous trouvons ce trait plus extraordinaire que celui de
la bassesse des souverains coalisés contre la France , et qui
acquittaient en adulations envers la courtisane anglaise ,
la dette qu'ils avaient contractée envers le marin anglais.
Après la mort de son mari et de son dernier amant , qui
avait sollicité pour elle une pension du gouvernement bri
tannique, Emma se retira riche, mais méprisée , en Hollande,
et , ayant repris , avec la vie de sa jeunesse , ses habitudes
de prodigalité et de désordre , elle alla mourir en France
dans une auberge près de Calais (1815) : elle était retombée
dans la misère et l'avilissement de ses premières années .
Caroline d'Autriche a vait débuté par vouloir faire assas
siner à Bâle , où il s'était réfugié pour échapper au glaive
2
-
263
de la terreur démocratique de France , l'historien Gorani
qui , dans ses Mémoires critiques des cours , des gouverne
ments et des moeurs des principaux états d'Italie , avait
vigoureusement flétri la cour de Naples .
Un de ses agents révolutionnaires , le trop fameux Fra Dia
volo , venait d'être pris et pendu, lorsqu'elle envoya ( 1807 ) ,
du fond de la Sicile à Naples , Antoine Mosca pour, cette fois
sans ambages ni circonlocutions , tuer le roi Joseph Bona
parte . Mosca fut arrêté les armes à la main , une tresse des
cheveux de la reine au bras , et dans sa poche le billet auto
graphe par lequel l'auguste conspiratrice lui ordonnait « de
faire pour le bon service du roi ce qu'il avait promis , » et
elle « l'assurait de sa protection (28 février ). » Une lettre
de la marquise de Villa Tranfo , confidente de Caroline,
complétait la missive royale , en disant que ce que la reine
lui avait ordonné au mois de février était de délivrer sa
patrie de l'usurpateur, et qu'on exécution de ses promesses ,
elle le ferait colonel et le comblerait de biens (30 avril ) .
Mosca fut jugé militairement et fusillé (juillet) , mais les
pièces principales du procès demeurèrent inconnues au pu
blic , le Corse , autocrate du continent , jugeant avec raison
que , pour ne pas faire évanouir le peu de respect qui s'atta
chait encore à la royauté , il fallait cacher avec soin les forfaits
de ceux qui , amis ou ennemis , portaient une couronne .
Quelque temps après, Caroline , qui voyait la plus brillante
des couronnes s'affermir de plus en plus sur la tête de
Napoléon , essaya de capter sa bienveillance en lui faisant
proposer de la soutenir par les armes après qu'elle aurait ,
pour lui rendre service , fait massacrer tous les Anglais qui
264
se trouvaient en Sicile . Ceite proposition infernale demeura
ensevelie dans une prison d'état avec l'agent qui en avait été
l'intermédiaire, jusqu'à la chute de l'empereur des Français ,
et pour les mêmes motifs.
Ces motifs ne peuvent rien sur nous : nous n'écrivons ni
pour un homme, ni pour une caste ou une classe d'hommes ,
ni pour une institution quelconque , ni pour quelque opinion
que ce soit ; notre but est exclusivement de rendre justice
aux hommes et aux choses du passé , ainsi qu'à préparer la
voie au triomphe social de la raison pour l'avenir , et de ce
point de vue nous pouvons dire avec le comte de Maistre
que , quand on possède une vérité, fût - elle de nature à cho
quer tout le genre humain , il faut se hâter de la lui jeter à
la face.
Toutes les pièces du procès d'Antoine Mosca , et entre
autres le billet de Caroline , la lettre de la marquise 'Tranfo ,
le sauf-conduit particulier de Mosca , signé W. Sidney
Smith, et le passc-port sicilien de l'assassin , apostillé par le
même Sidney Smith , qui déclare que Mosca est employé au
service public , sont entre nos mains .
Caroline , devenue à charge aux Anglais lorsqu'ils jugèrent
qu'elle ne pouvait plus leur être utile , fut envoyée par lord
Bentinck à Vienne , où elle mourut ( 1814 ) .
Et maintenant que nous avons bien mis au jour quel
était le véritable état des esprits et des choses en Italie ,
nous revenons à l'histoire de Ricci .
CHAPITRE XXXVII .
Les Arétins sont renvoyés par les Allemands. --- Ricci en liberté . — Gouver
nement sénatorial . – Ricci est arrêté de nouveau . Le père Bardani .
Vexations monacales.- Jérôme Savonarole . - Ignorance d'un professeur.
Les excès et turbulence des Arétins, et surtout leurs
insoutenables prétentions de mettre au pillage le quartier
des juifs en compensation de la ſaveur qu'ils avaient , di
saient- ils, faite à la ville de Florence en ne la saccageant
pas lors de leur entréc , lassèrent jusqu'aux Allemands
même , au profit desquels l'insurrection arétine avait éclaté .
Le général Klenau ordonna aux soldats de la madone de
vider la capitale de la Toscane .
Ils se soumirent, mais de mauvaise grâce et en murmu
rant tout haut. Ricci fait remarquer que rien n'eût été plus
facile en ce moment que de déterminer les Arétins à se jeter
entre les bras des Français pour chasser , de concert avec
eux , les Allemands de l'Italie , C'eût été un spectacle , sinon
édifiant , du moins fort instructif.
>
266
Avant de quitter la place , le commandant du fort où Ricci
était détenu lui annonça qu'il n'y avait rien à sa charge et
le fit mettre en liberté .
Mais les souffrances du prêtre persécuté ne devaient pas
encore avoir un terme . Après le départ des Arétins, le pou
voir arbitraire tomba aux mains d'un comité , composé des
sénateurs Améric Antinori , Roland del Benino et Marc Co
voni , assistés de l'auditeur Pierallini , 7 du secrétaire Giunti
et de l'avocat Cremani . Pour donner une idée de ce qu'était
cette junte gouvernementale , il suffira de dire que les
deux derniers que nous avons nommés finirent leur car
rière par se faire condamner pour banqueroute fraudu
leuse et pour faux . Giunti , afin de mériter la confiance du
triumvirat sénatorial , avait fait dresser un acte authentique
pour constater que , pendant l'occupation française, il avait
joué , au profit de la restauration future des Autrichiens, le
rôle d'agent provocateur , d'espion et de traître . Ces tyran
neaux au petit pied se constituèrent en chambre noire, et
organisèrent une véritable proscription contre tous ceux
qui ne partageaient pas leur fanatisme rétrograde : rapines ,
cruautés , emprisonnements , expositions infamantes , est- il
dit dans une brochure du temps , rien ne fut épargné pour
tirer une éclatante vengeance des citoyens qui , sous le
règne précédent , avaient travaillé à l'extirpation des abus .
C'était exactement comme à Naples , pour autant toutefois
que le permettaient les moeurs du peuple toscan , sinon
meilleures au fond , du moins infiniment plus douces dans
la forme que celles des lazzaroni .
Peu après sa sortie de la forteresse, Ricci tomba malade .
-
267
A peine rétabli, il se rendit chez l'archevêque qui se vanta
complaisammant devant lui de l'autorité sans bornes dont
il avait été investi par le nouveau gouvernement sur les
prêtres et les fidèles soupçonnés d'immoralité et arrêtés en
conséquence depuis la retraite des Français . Il en usa bientôt
contre Ricci lui -même. L'ayant fait appeler chez lui , Martini
signifia à son collègue que le sénat , se conformant à la volonté
du peuple, -on voit que , sous la pression de l'ignorance , la
parole sert au despotisme autocratique comme au despotisme
populaire pour déguiser la pensée , - lui ordonnait de se
retirer dans un des couvents de la capitale . C'était le livrer
à ses plus mortels ennemis . Aussi Ricci , qui avait peine à y
croire , demanda - t- il à voir le décret des sénateurs . Mais ce
décret n'existait probablement pas, et le prélat n'en fut pas
moins obligé de plier sous la force . Il ne lui restait que le
choix de sa prison : il demanda à se rendre chez les pères
de la mission qui eurent la lâcheté de refuser de le recevoir .
Il se décida finalement pour les dominicains , et se retira au
couvent de Saint- Marc .
:
Il y eut pour geôlier le père Bardani qui devint dans la suite
secrétaire de la congrégation de l’Index , et qui prouva dès
lors sa vocation pour un emploi quelconque au saint- office,
en traitant son prisonnier comme appartenant déjà à l'in
quisition . Le père Bardani était un dévot entêté , dur et peu
éclairé . Il vit donc de mauvais æil les nouvelles démarches
de l'archevêque qui cherchait sincèrement ou se donnait
l'air de chercher à faire aboutir la première négociation
entre l'évêque emprisonné et le pape . Voici comment , cette
fois, les choses avaient été disposées .
1
268
Un ex -jésuite espagnol , fort insinuant , pour ne pas dire in
trigant , nommé Emmanuel Ariete , de la famille de la Puebla ,
qui avait eu l'art de se faire nommer professeur à Vienne par
Joseph II ; qui après cela était devenu précepteur des jeunes
princes Ypsilanti , à Constantinople ; qui avait suivi le général
Bonaparte dans le cours de ses victoires en Italie et l'avait
mis en rapport avec le cardinal Mattei , le médiateur entre
le conquérant républicain et le souverain pontife lors du
traité de Tolentino ; qui enfin se vantait d'être le confesseur
du général Gaultier , commandant en chef des troupes
françaises en Toscane — chose au moins douteuse , à une
époque où les confesseurs n'étaient guère de bon ton aux
armées de la grande nation ; - un ex- jésuite , disons- nous ,
se chargea de remettre à Pie VI , à Valence, les lettres de
Ricci , auxquelles jusqu'alors l'archevêque n'avait pas donné
cours .
Mais ce n'était pas là ce que voulait l'atrabilaire domi
nicain . L'espèce d'accord qui semblait régner entre un
moine d'un ordre jadis rival de celui de saint Dominique ,
l'archevêque aussi janséniste , disait- il , et aussi peu ami du
pape que Ricci lui-même, et cet ancien évêque , dont il ne
pouvait croire la rétractation sincère , le tourmentait fort.
Il chercha à le rompre , et y réussit facilement, en réveil
lant les craintes de Martini relativement à l'improbation
avec laquelle le saint- siége ne manquerait pas d'accueillir
son intervention inconsidérée . Ce point obtenu , il ne s'agis
sait plus que d'empêcher les lettres de Ricci de parvenir à
leur adresse : à cet effet, le père Bardani attira l'attention
des Autrichiens sur les allures suspectes du père Ariete , qui
:
269
fut arrêté à Bologne comme espion , et dont les papiers fu
rent saisis .
Pie VI était mort sur les entrefaites . Martini à qui on ne
saurait refuser quelque velléité , du moins en apparence,
de meltre in terme aux souffrances de son collègue , lui
conseilla d'écrire au pape futur par l'entremise du doyen
du sacré collége . Bardani l'apprit, et il engagca le nonce
pontifical à intervenir sans délai à son tour , afin , espérait - il ,
d'empêcher les bons effets de cette démarche. Ricci s'ex
cusa auprès du nonce sur ce qu'étant déjà engagé envers
l'archevêque, il se trouvait dans l'impossibilité d'accepter
ses bons offices, et le nonce se retira irrité . Martini, qui
avait appris que le nonce s'était offert, refusa de son côté
de s'occuper davantage d'une affaire que l'agent du saint
siége avait voulu prendre sur lui , et le père Bardani
triompha .
Cependant la santé de son prisonnier déclinait à vue
d'ail . Les amis de Ricci s'adressèrent à l'archevêque pour
obtenir sa mise en liberté ; l'archevêque répondit que le
sénat seul avait cette autorité : ils se tournèrent vers les
sénateurs , et ceux-ci s'excusèrent sur ce qu'ils avaient
chargél'archevêque de régler souverainement et sans appel
les affaires ecclésiastiques , et de décider de la même ma
nière du sort des évêques , des prêtres et des moines qui
avaient été incarcérés . Ce qu'il y eut de clair dans tout
cela , c'est que Ricci demeura séquestré à Saint-Marc.
Ce qui le chagrinait le plus , c'est que les moines , avec
la permission de Martini, l'empêchaient de dire la messe
dans leur église , et qu'il était même question de lui défendre
:
23
-
)
270
entièrement de la dire . En attendant , il la célébrait dans
la chapelle du « vénérable Savonarole , saint martyr , dit
Ricci , dont les malheurs avaient eu beaucoup d'analogie
avec les miens. » Et à cette occasion l'ancien évêque de Pis
toie nous apprend que ce moine réformateur, visionnaire
sans aucun doute , zélé républicain , condamné par l'inqui
sition comme hérétique, et brûlé par ordre du plus infâme
des papes qui ont déshonoré ce qu'on appelle la chaire de
saint Pierre. , uniquement parce qu'il avait dévoilé ses tur
pitudes et sa perversité , avait été invoqué par sainte Cathe
rine de Ricci , et tacitement canonisé par Benoît XIV . Nous
venons de voir que Ricci l'honorait comme un saint ; les
dominicains , ses geôliers , au couvent desquels néanmoins
les cellules de Savonarole portent encore aujourd'hui l'in
scription d'homme vénérable et apostolique, le vilipendaient
comme un fanatique et un brouillon .
Ricci utilisait ses loisirs à la bibliothèque du couvent , en
méditant les écrits des anciens pères de l'église . Un de ses
biographes nous a conservé à ce propos l'anecdote sui
vante : le père dominicain Arizzarca, professeur à l'univer
sité de Pise et qui s'est fait un nom par sa naïve ignorance ,
se plaignait souvent au cuisinier de Ricci , - le père Ariz
zarca passait la plus grande partie de son temps aux cui
sines ,
de l'aveuglement de l'évêque, qui s'obstinait
dans ses crreurs , et s'y enfonçait de plus en plus , en lisant
continuellement les écrits de saint Augustin , auteur de plu
sieurs hérésies qu'il avait été forcé de rétracter .
CHAPITRE XXXVIII.
Persécutions de famille. – Duplicité des ennemis de Ricci . On l'envoie
malade à sa villa . – Tracasseries . – Procès de l'ancien évêque .
Il ne manquait au prélat proscrit que de se voir en butte
à la haine de sa propre famille . Son frère, le sénateur Frédé
ric de Ricci , lui fit éprouver cette douleur . Il se remua tel
lement auprès de ses collègues , qu'il réussit à faire sus
pendre , jusqu'à la fin du procès intenté à l'évêquc , procès
qui n'était pas même commencé, le payement de la pension
que le grand-duc Ferdinand lui avait assignée lors de sa
retraite .
Tant de preuves d'acharnement, coup sur coup , alté
rèrent finalement d'une manière grave la santé du prison
nier . Les médecins se crurent obligés alors de demander sa
translation à la campagne Le sénat , interpellé cette fois
d'une manière catégorique et directe , répondit sans hésiter
272
que Ricci n'avait point été arrêté par son ordre, et que le
gouvernement n'était pour rien dans la prolongation de son
incarcération . Les médecins s'adressèrent à l'archevêque, et
celui-ci allégua, pour se dispenser d'agir et même de se pro
noncer , qu'il n'avait personnellement aucune autorité sur
un prévenu détenu pour délits révolutionnaires. C'était la
première fois que cette accusation était articulée . Jusqu'a
lors l'archevêque lui-même avait certifié à Ricci quc la po
litique n'avait que faire avec ce qui lui arrivait ; que ses
opinions religieuses seules étaient cause de la haine du
peuple contre lui , et que sa réconciliation avec Rome lève
rait toutes les difficultés mises à son élargissement .
Outre ce conflit d'inhumanité, d'où l'on ne parvint à
sortir qu'en mettant à profit le premier moment d'absence
forcée de l'archevêque, il y avait encore à vaincre l'obstina
tion , entachée de fanatisme , qui animait le sénateur Frédé.
ric : ce persécuteur intime du prélat malade voulait qu'on
ne relâchât son frère qu'après avoir terminé tous les procès
établis contre les prétendus révolutionnaires , afin de s'as
surer que Ricci ne s'y trouvait pas impliqué d'une manière
quelconque. Or , on peut juger du nombre de ces affaires en
songeant qu'il y eut vingt mille familles poursuivies du chef
de jacobinisme , et trente-deux mille condamnations . La
chambre noire, fort heureusement pour Ricci , voulut bien
reconnaître l'urgence et passer outre ; l'évèque reçut l'auto
risation de se rendre à sa villa de Rignana , aux conditions
:
suivantes de partir du couvent, pendant la nuit ; de ne
s'arrêter que peu d'heures à Florence et seulement dans sa
propre maison ; de ne correspondre avec personne , et de
273
se reconstituer prisonnier à la première sommation . Ne
dirait -on pas du plus dangereux des conspirateurs ?
Revenu à la santé , Ricci écrivit à l'archevêque. Celui - ci
lui demanda une nouvelle rétractation . L'évêque de Pistoie
se déclara prêt à signer tout ce que Martini trouverait con
à
venalle d'ajouter à ce qu'il lui avait fait écrire précé
demment, pour prouver aux plus incrédules la sincérité
de sa soumission . L'archevêque lui répondit qu'il n'avait
pas le temps de lire ses longues lettres , mais qu'il insistait
pour qu'il s'adressât au nouveau pape . Ricci répliqua qu'il
le ferait aussitôt que le souverain pontife serait nommé . Ces
quelques détails suffisent pour faire apprécier l'opposition
essentielle qu'il y avait entre le caractère de ces deux
prélats .
Voici de nouvelles preuves de l'esprit rancunier des
ennemis de Ricci . Pendant son séjour à Rignana , le prélat
recevait de temps en temps un prêtre qui entendait sa con
fession ; ce prêtre , aigrement réprimandé par le vicaire
archiepiscopal de Florence , cessa ses visites . Lui - même se
rendait quelquefois au couvent de Passignano , où les moines
l'accueillaient avec les égards dus au malheur ; l'évêque de
Fiesole les en blåma avec dureté , et ils durent prier le
prélat de ne plus revenir . Cependant Martini pensait exac
tement comme Ricci qu'il persécutait à cause de ses opi
nions, et Mancini était l'ami de Ricci avant que celui-ci
tombåt dans la disgrace .
Le moment allait venir où le public désintéressé dans la
querelle demanderait compte aux vainqueurs du jour de
leur longue cruauté . Ils le sentirent , et pour avoir du moins
23 .
.
274
des prétextes à alléguer , ils firent instruire le procès de
à
l'ancien évêque . Martini , éprouvant quelque embarras à en
faire un hérétique , le céda aux sénateurs pour qu'ils en
fissent un républicain , quitte à le reprendre en sous-euvre,
si , comme on le supposait , il échappait à cette poursuite
politique , et à le livrer , en désespoir de cause , à ses ennemis
naturels de la cour de Rome . Les choses se passèrent exac
tement comme on l'avait prévu ; malgré les enquêtes les
plus insidieuses , malgré la séduction et la subornation de
plusieurs témoins auxquels on ne demandait que d'attester
que Ricci était coupable d'avoir aimé les Français , la
chambre criminelle fut forcée de conclure à la mise en li
berté du prélat , attendu , était - il dit , qu'il n'y avait rien à
lui reprocher et que ses longues souffrances l'avaient assez
puni .
2
Ce raisonnement puissant fut suivi d'une sentence
analogue. Puisqu'il avait assez souffert pour ne pas être
coupable , il fut condamné à souffrir encore , en attendant
que l'élection d'un nouveau pape permît d'espérer qu'on
l'envelopperait dans les rets de la persécution religieuse ,
où il souffrirait jusqu'à ce qu'il mourût .
CHAPITRE XXXIX .
Ricci écrit à Pie VII . Le crime de réformation des abus . - Consalvi ,
cardinal secrétaire d'état . - Les quatre chefs d'accusation contre Ricci .
- Il est acquitté par le retour des Français en Toscane .
Le nouveau pape fut Pie VII . Ricei qui savait que , comme
cardinal et évêque d’Imola , le citoyen Chiaramonti avait
donné de nombreuses preuves d'un esprit sans préjugés,
espéra de lui la fin de ses misères et lui écrivit (29 mars 1800)
de la manière la plus humble, témoignant à la fois de son
obéissance et de son orthodoxie . Le premier secrétaire
d'état Consalvi accusa réception de la lettre , mais sans y
répondre : il fallut six mois encore avant que Ricci sût à
quoi s'en tenir . Dans cet intervalle on avait fait jouer tous
les ressorts à Florence , afin de faire du prélat , aux yeux
du souverain pontife , le chef du moderne parti des réfor
mateurs des abus , issus en ligne droite de la grande
réformation de l'église , préparée par les conciles de
2
276
Constance et de Bâle , consommée par les protestants alle
mands et étendue par les jansénistes, les partisans de
l'église gallicane, et par le clergé constitutionnel de France .
Tout cela était vrai, mais plus rien de cela ne pouvait être
imputé à crime, à une époque où c'était exclusivement le
résultat d'une opinion valant toute autre opinion , pouvant
être professée aussi bien que l'opinion contraire, puisque
la liberté des opinions était déjà dans les maurs , et qu'elle
était à la veille d'être inscrite dans la loi que les catholiques
les plus papistes allaient eux -mêmes aider à faire , et qu'ils
maintiendraient dans l'intérêt de leur opinion à eux .
La réponse de Consalvi arriva enfin et fut remise à Ricci
par le secrétaire du nonce qui en demanda un reçu , après
avoir annoncé au prélat que le gouvernement toscan con
naissait le contenu de la lettre , et qu'il était décidé à livrer
Ricci au nonce pour être transféré au château Saint-Ange
où il demeurerait confiné le reste de ses jours , s'il ne se
rétractait dans les termes imposés . L'écrit était dur pour la
forme, arrogant même, plein de fiel et d'aigreur : sa teneur
n'était explicable que par l'idée fixe que l'invasion des
Français dans l'Italie centrale avait été un acte de vengeance
de la part de la république dont Pie VI avait si crûment
condamné la doctrine et ses applications ; ce qui devait
porter Pie VII , rentré dans la plénitude des droits de la
papauté , à écraser à jamais les fauteurs du système
français, en frappant dans sa conduite publique l'évêque
de Pistoie qui , à tort ou à raison , était signalé , en Italie
du moins , comme le coryphée du parti . Cette manière de
raisonner et d'agir est inhérente à l'existence des souverains
>
- 277
pontiſes et de leur cour ; elle est imposée par tous les anté
cédents de la papauté depuis Grégoire VII . Ils en dévient
quelquefois, - le cardinal Consalvi et Pie VII en ont dévié
eux -mêmes sous Napoléon et ses successeurs , mais
toujours pour y revenir à la première occasion favorable,
comme s'ils ne s'en étaient jamais écartés .
Le personnel du gouvernement sénatorial de Toscane
avait changé en partie , mais les tendances étaient les
mêmes . Seulement l'adjonction de l'avocat Frullani, que
les trois sénateurs avaient soin d'éloigner chaque fois qu'il
s'agissait de commettre une injustice par trop criante , faisait
espérer, dans un avenir plus ou moins prochain , des jours
meilleurs . Le sénat réactionnaire et Ricci, qui voyait enfin
qu'il ne gagnait rien à céder , étaient de plus en plus loin
de s'entendre . Jamais , nous dit- il, il ne se serait prostitué
au point de se condamner lui-même comme hérétique, pour
avoir enseigné des propositions auxquelles il n'avait pas
même songé , et de condamner le règne entier d'un prince ,
son protecteur et le bienfaiteur de la Toscane . Il commu
niqua cette résolution aux sénateurs qui , n'osant pas pren
dre sur eux de lui ordonner de passer outre, répondirent
qu'ils auraient consulté le grand -duc et qu'ils lui ſeraient
connaître l'expression de la volonté souveraine . Cette ex
pression n'arriva jamais , du moins jusqu'à l'évêque, et
pendant qu'on semblait l'attendre , les intrigues allèrent
leur train accoutumé . Elles auraient finalement abouti à
l'extradition de Ricci et à sa reclusion à perpétuité à Rome ,
si les Français , de nouveau vainqueurs, ne fussent venus
l'arracher à ce péril imminent.
:
278
Peu de jours avant l'arrivée des troupes françaises, les
quatre chefs d'accusation contre Ricci lui furent communi
qués . C'était :
D'avoir agité un mouchoir blanc lors de la plantation de
l'arbre de la liberté . -- L'évêque le nie . Il avait assisté à la
cérémonie républicaine pour ne pas trop irriter les conqué
rants , qui déjà lui reprochaient son attachement servile
ils l'appelaient ainsi — au dernier grand-duc , et auxquels
il n'avait pas jugé convenable d'aller faire sa cour , comme
s'étaient empressés de faire l'archevêque de Florence et l'é
vêque de Fiesole , ses détracteurs.
D'avoir fait don au club florentin du buste de Machiavel .
Ricci s'explique . Une société littéraire française lui
avait fait demander un moule pris sur le buste en marbre
de l'illustre historien toscan . Craignant qu'on ne le gâtât
dans l'opération requise , l'évêque préféra donner son plå
tre de rebut , jeté dans un ancien moule . Ce plâtre, sans son
consentement et même à son insu , avait été placé dans la
salle des séances de la société démocratique .
D'avoir tramé le changement de gouvernement de sa
patric avec le commissaire français , Saliceti , plusieurs mois
avant l'invasion étrangère . - Ricci proteste avec indigna
tion et dégoût .
Finalement d'avoir cultivé l'amitié de Reinhard , d'abord
ministre de France en Toscane , puis chargé par le Direc
toire d'organiser la nouvelle conquête ; d'avoir entretenu
une correspondance suivie avec les Français , et d'être jan
séniste . -- L'évêque accusé n'avait fait à Reinhard , mi
nistre, que quelques rares visites de civilité , pour le remer
279
cier des livres , des journaux et des lettres qu'il avait bien
voulu lui faire parvenir . L'invasion accomplie , il ne vit plus
le nouveau commissaire, et ne reçut rien de France , si ce
n'est par la voie ouverte à tout le monde. Il avait corres
pondu avec ses amis de tous les pays , pour se tenir au cou
rant des nouvelles littéraires , et avec ceux de France en
particulier , afin d'être exactement instruit des vicissitudes
de l'église gallicane, l'objet constant de sa plus vive sollici
tude . Quant au jansenisme, il en repousse l'accusation en
démontrant qu'il avait toujours condamné , de bonne foi, les
cinq propositions anathématisées par l'église .
L'entrée des Français à Florence (15 octobre 1800) avait
fait fuir tous les instigateurs du pouvoir déchu, et entre
autres celui qui leur servait de chef , le nonee pontifical. La
politique de la cour de Rome avait complétement changé
avec les circonstances. Bientôt l'ancien évêque de Pistoie
reçut une lettre de cet agent romain , lettre cette fois fort
douce et fort polie , où le nonce se bornait à lui demander
une réponse à celle que lui avait écrite le cardinal Consalvi ,
et la simple assurance de sa soumission et de son obéis
sance au pape . Ricci ne tarda pas un instant à le satisfaire,
et il ajouta à ce qu'on désirait de lui de nouvelles assurances
de sa parfaite conformité, en matière de ſoi, avec l'église
romaine .
Le peu de protection dont l'ancien évêque de Pistoie
avait joui dans les derniers temps , protection toutefois qui
ne s'était traduite que d'une manière négative , c'est-à - dire
par quelque modération dans la persécution , était due en
grande partie à ses amis de France , et surtout à l'évêque
280
Grégoire , qui ne l'abandonnèrent jamais . Il écrivit de son
côté à Grégoire pour le remercier , et déclarer qu'il ne de
mandait au pape que l'indifférence et l'oubli ; car , ajoutait
il , « si la haine de Rome tue le corps , son amitié perd
l'âme . »
Lorsque les quatre gouvernants autrichiens eurent été
remplacés par trois amis des Français , anciens partisans des
réformes léopoldines, on retrouva les procès fabriqués sous
le gouvernement sénatorial et qui avaient été cachés ; pour
calmer les inquiétudes que faisait naître cette découverte ,
et afin de prévenir les vengeances ultérieures , ces pièces
furent condamnées aux flammes. Toutes cependant ne furent
pas brûlées . Les principaux procès , ceux surtout qui con
cernaient des personnes dont on n'avait rien à craindre ,
lcur furent même communiqués officieusement. Ricci ac
quit par l'inspection des papiers qui le concernaient , la
preuve matérielle qu'il n'avait été confiné et retenu à
Saint-Marc qu'à la réquisition de l'archevêque.
Le gouvernement des Trois fit faire à Ricci d'amples et
honorables protestations de regret pour ce qui avait eu lieu
à son égard , ainsi que de vénération et d'estime pour son
noble caractère . L'évêque demanda qu'on lui remît en
outre une attestation en due forme de l'invalidité des accu
sations qui avaient été dirigées contre lui ; le secrétaire
des droits de la couronne s'empressa de le satisfaire . Ce ne
fut qu'alors qu'il se crut vraiment libre . Transporté malade
à Florence , il y attendit l'arrivée du roi que la libre répu
blique française venait d'imposer si despotiquement à l'in
dépendante Étrurie .
Le
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2ܕ2
1
CHAPITRE XL .
t
Le roi d'Etrurie . - Abolition de toutes les réformes . La reine Marie
Louise . Le père Paccanari. Intervention du cardinal Spina en
faveur de Ricci . – Rétractation de celui - ci . – Jugement sur cet acte .
a
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et
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ire
ne
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Louis de Bourbon , prince de Parme, avait été élevé par
un capucin , frère Adéodat , philosophc éclairé , dit Ricci ,
mais qui abjura la philosophic et les lumières qu'il y avait
puisées, pour devenir évêque de Parme. Le roi arriva å
Florence le 12 août 1801 , et bientôt les murmures écla
tèrent de toute part contre lui et ses deux favoris en titre,
les comtes parmesans Salvatico et Ventura . Ricci sollicita
une audience , et le roi demanda si c'était l'hérétique ; les
deux comtes ne permirent pas qu'il vît le prince.
Non -seulement le nouveau gouvernement voulait abolir
ce que Léopold avait fait pour la Toscane , mais encore il
manifestait le projet de reconstituer ce qui , dans les temps
bien antérieurs au règne de ce grand-duc , lui semblait
24
282
propre à étouffer, une fois pour toutes , jusqu'au moindre
désir de revenir un jour à l'application des idées qui doré
navant allaient dominer la société en Europe . Le noncc
c'était alors Morozzo avait déjà renouvelé ses anciennes
prétentions depuis qu'il avait repris son ancienne influence ;
c'était dans l'ordre : il recommença à exiger comme aupa
ravant la rétractation de Ricci ; on devait s'y attendre. Les
coreligionnaires de l'évêque de Pistoie à Paris , l'évêque
Grégoire entre autres , et ses amis de Gênes , réfugiés à
Paris , l'invitèrent à venir s'y soustraire aux vexations dont
il était de nouveau menacé, et s'en consoler avec eux dans
les pieuses visites qu'ils faisaient ensemble aux ruines de
Port-Royal et aux jansenistes du diocèse d'Utrecht.
Sur les entrefaites, le gouvernement étrusque conçut un
plan de rétablissement pour l'inquisition de la foi, « sur le
pied de la féroce inquisition d'Espagne , » est - il dit dans les
notes à ce sujet , qui font partie des archives Ricci. Heureu
sement pour la Toscane que le ministre français s'opposa à
cet excès de fureur restauratrice .
Le 15 avril 1802 , furent formellement abolies toutes les
mesures de redressement des abus , prises depuis l'empe
reur Francois [ er ; et elles le furent de la manière la plus
injurieuse possible pour ceux dont elles émanaient . Le
clergé et ses biens furent soustraits à la juridiction civile ;
les évêques , dont l'autorité spirituelle demeura dévolue au
pape , ſurent investis de l'autorité temporelle sur les laïques ,
laquelle appartient au souverain ; la Toscane fut replacée
sous le double joug du sacerdotalisme ct de la cour romaine.
En compensation , le roi se fit fort d'obtenir pour les fidèles
283
de l'ex - grand -duché l'absolution dont ils avaient besoin
depuis l'illégale introduction chez eux des réformes héré
tiques de leur ancien souverain .
Le général Clarke , ministre de France en Étrurie , et le
ministre d'Espagne réclamèrent d'un commun accord contre
ces ineptes mesures , et cela d'autant plus impérieusement,
que le nouveau concordat conclu entre Rome et la France ,
et plus encore les articles par lesquels le premier consul
en avait organisé l'exécution , étaient diamétralement op
posés à des actes devenus impossibles . Mais que faire ? La
loi était promulguée. La révoquer cût été délivrer au roi
un brevet d'incapacité notoire . On la laissa exister , mais
privée de toute force d'application , et elle tomba d'elle
même dans l'oubli ; les règlements du dernier règne en
matière ecclésiastique demeurèrent seuls cn vigueur et
furent exécutés comme du temps de Léopold .
Ce fut alors que moururent les deux principaux soutiens
du fanatisme réactionnaire en Italie , savoir , le duc de
Parme et le capucin -évêque Turchi. Le roi d'Étruric les
suivit de près (27 mars 1803 ).
Marie-Louise de Bourbon fut déclarée régente pendant
la minorité de son fils. C'était une femme dont la légèreté
et la nullité complètes n'étaient égalées que par son bigo
tisme routinier et étroit . Celui qui rédige ces pages possède
douze lettres écrites de sa main et adressées à ses minis
tres , lettres que désavouerait en rougissant la femme la plus
vulgaire. Le défaut d'orthographe l'y dispute au défaut de
sens et de dignité . Le seul sentiment qui y domine est celui
de sa ferme volonté royale de toujours demeurer dans la
284
dépendance de l'Espagne, ce que, selon la reine , l'empereur
(Napoléon ) ne saurait désapprouver. Et à l'appui , elle rap
porte un billet qu'elle prétend lui avoir été adressé par ce
souverain , et qui est aussi niais que ceux qu'elle écrivait
elle-même . Elle n'eut rien de plus pressé que d'établir,
d'accord avec le nonce , une académie catholique , dont le
but était le maintien de la pureté de la foi, ce qui signifiait
la restauration de tous les abus dont Léopold avait délivré
le grand -duché. La France et l’Espagne furent de nouveau
forcées à intervenir ; l'académie catholique fut dissoute, et
la reine sérieusement invitée à modérer un zèle inopportun
et malentendu .
Ricci échappait par là aux persécutions qu’on préparait
déjà contre lui . Il attribua cette grâce à l'intercession de sa
parente , sainte Catherine de Ricci , et institua, à l'église de
Rignana , plusieurs cérémonies religieuses en son honneur.
Marie -Louise l'apprit , décida que le salut de l'ancien prélat
n'était pas entièrement désespéré, puisqu'il croyait encore,
et entreprit de le réconcilier avec l'église . A cet effet, elle
ordonna des prières dans plusieurs couvents de religieuses
pour demander à Dieu le ramollissement du coeur de l'é
vêque hérétique, et obtint du pape qu'il traverserait Flo
rence lorsqu'il se rendrait à Paris pour le couronnement de
l'empereur Napoléon .
Ce qui mit le comble au ridicule de cette intervention fé
minine dans une affaire de conscience privée , ce fut la con
fidence que fit Pie VII de la demande de la reine d'Étrurie
à l'archiduchesse Marianne, fille de l'empereur Léopold ,
avec laquelle le souverain pontiſe avait contracté une liaison
285
familière et intime. Cette princesse habitait. alors Rome
où elle avait fondé un conservatoire quasi -jésuitique de
jeunes filles , sous le nom des Bien -aimées ou des sæurs
de Jésus ( le dilette , le sorelle di Gesù ), qu'elle avait confié
à la direction spirituelle du père Paccanari, « ex - jésuite, dit
Ricci , que Pie Vil lui -même finit
par faire enfermer pour le
reste de ses jours, à cause du système de quiétisme et de li
bertinage au moyen duquel il était parvenu à abuser de ses
pénitentes . »
L'archiduchesse voulut participer à l'ouvre pie de
Marie-Louise : elle écrivit à Ricci une lettre qui eût pu pa
raitre insultante, plus encore pour son père Léopold que
pour l'ancien évêque de Pistoie , si elle n'avait été d'une
pauvreté d'esprit telle , qu'elle excluait toute espèce d'idée
quelconque ; la princesse finissait par le conseil qu'elle don
nait sérieusement au prélat de se jeter aux pieds du pape ,
son épître à la main . Ricci lui répondit avec gravité ct res
pect , mais seulement pour disculper le grand -duc des in
tentions mauvaises qu'on lui prêtait plus ou moins mali
gnement ; quant છે à lui -même , il ne fit que renouveler ses
promesses d'une soumission entière et sans arrière -pensée
à l'église et à son chef, promesses qu'il confirmerait au pape
en personne , ajouta - t - il , lors du prochain passage de celui- ci
par Florence .
Un mot ici , avant d'aller plus loin , sur le père Pac
canari , relativement auquel nous sommes à même de
pouvoir rectifier les légères inexactitudes de Ricci : nous
croyons devoir ces détails aux lecteurs des Mémoires de
l'ancien évêque de Pistoie , dont ils confirment en partie
24.
286
la manière de voir sur les jésuites de son temps , ainsi
que sur leurs congrégations , notamment celle du sacré
coeur .
Nicolas Paccanari , né dans le Tyrol , était , à la fin du
dernier siècle , soldat au service de l'église , et faisait partie
de la garnison du château Saint-Ange ; il se distinguait
parmi ses camarades par sa force physique et la dépravation
de ses meurs . Paccanari ſut atteint d'une maladie grave .
Tirant parti de cette circonstance , l'abbé Delmonte , recteur
de l'oratoire jésuitique appelé du Caravita à Rome , parvint
non -seulement à le convertir , comme on s'exprimait, mais
encore à lui faire revêtir l'habit ecclésiastique avec mission
de travailler à la restauration de l'ancienne compagnie de
Jésus; le principal argument qu'il avait fait valoir pour
opérer ce prodige avait été celui de la ressemblance que
Paccanari offrait avec le fondateur des jésuites, par ses dé
portements antérieurs et le repentir qui les avait suivis.
En effet, Paccanari ne tarda pas à instituer la société de la
foi à Jésus, autrement des pères de la foi, des fédistes, qui ,
dans la suite , prirent le nom de paccanaristes, sous lequel
ils sont plus particulièrement connus . La société de la foi
à Jésus cut des rapports profonds avec celle du coeur de
Jésus ou du sacré cour, qui, elle aussi , se proposait pour
but le rétablissement de la compagnie fondée par saint
Ignace , auquel elle préparait les voies . Paccanari , bien
qu'il se fût mis en rapport direct avec le général des jésuites
de Russie , était plutôt désireux de demeurer chef d'ordre .
Aussi ne favorisa - t - il jamais qu'en apparence les efforts
que firent les jésuites et leurs partisans pour rendre à la
>
287
compagnie , plus canoniquement qu'ils n'avaient réussi à
le faire jusqu'alors , sa puissance et sa splendeur.
La société de la foi, ouvertement tolérée ou plutôt favo
risée par le saint -siége , et tacitement approuvée par Pie VII ,
procéda à son cuvre en faisant jouer dans l'église du
Caravita des scènes publiques , passablement grotesques ,
entre un ignorant que le père Paccanari, nous ont assuré
des témoins auriculaires , représentait au naturel , et un
docteur qui l'instruisait dans les vérités de la foi chrétienne.
Ce fut dans cet intervalle que l'archiduchesse Marianne mit
le nouveau missionnaire à la tête de son conservatoire , ce
qui le brouilla avec les jésuites dont la règle défend aux
membres de la compagnie de se charger , sous aucun pré
textc , de la direction des couvents de filles. Paccanari cessa ,
à cette occasion , de correspondre avec les chefs de la com
pagnie de Jésus. Au reste , l'ancien soldat , chez qui la sou
tane n'avait pas étouffé les habitudes de caserne , ne tarda
guère à se faire , au sein du troupeau de la princesse alle
mande , une espèce de sérail qu'il recrutait sans cesse en
choisissant les jeunes filles qui lui convenaient parmi celles
qui assistaient aux conférences du Caravita , et qu'il faisait
admettre au conservatoire. Déjà les paccanaristes s'étaient
répandus avec leurs Bien -aimées , en Italie , en France , en
Allemagne et jusqu'en Angleterre . Hors de l'Italie , et sur
tout en France , ces nouvelles religieuses prirent le nom de
Dames du sacré cæur qu'elles portent encore aujourd'hui,
sans probablement se douter le moins du monde de la source
impure à laquelle elles ont puisé leur qualification et leur
origine. Quoi qu'il en soit , des aveux faits en confession
288
par une des protégées de la princesse Marianne dévoilèrent
ce qui se passait au conservatoire et firent dissoudre la con
grégation des pères de la foi : Paccanari , convaincu d'avoir
abusé de son ministère , fut enfermé au saint- office.
L'invasion française ayant eu pour suite la suppression
de l'inquisition , le général Miollis , gouverneur des anciens
états romains, fit mettre les détenus en liberté ; le père Pac
canari était du nombre . Il trouva un asile auprès de son
ancienne protectrice , dans un pavillon (casino) situé der
rière le palais Salviati que l'archiduchesse autrichienne oc
cupait, entre le jardin botanique et le couvent de Sant
Onofrio . Paccanari y vécut en prêtre séculier comme il
avait vécu lorsqu'il était soumis à la règle monastique. La
preuve en est que , pendant l'occupation française, il fut
traduit devant le tribunal correctionnel pour attentat à la
pudeur sur la personne de son domestique. Peu après cette
scandaleuse affaire, le pavillon habité par le père Paccanari
fut , un matin , trouvé dévalisé et vide , et on n'entendit plus
parler de ce prêtre . Seulement la découverte d'un cadavre
rejeté par le Tibre , et qui à certains signes fut reconnu pour
être celui de Paccanari , quoique la tête cût été séparée du
tronc , fit supposer que , surpris dans quelque sale aventure ,
il avait péri de mort violente , victime d'une vengeance
privée .
Après la mort de leur étrange fondateur , les ex -pacca
naristes demandèrent au père Angelini, agent à Rome des
jésuites rétablis à Naples, la faveur d'être reçus en corps
dans la compagnie de Jésus . Le père Angelini ne consentit
à les recevoir qu'individuellement et après un examen par
289
ticulier . La fusion du paccanarisme avec le jésuitisme eut
lieu lors de la restauration définitivement et ostensiblement
canonique de la fameuse compagnie par Pie VII , ct sous
l'influence de son général , le père Panizzoni ( 1824 ) . Cette
mesure fut loin d'être généralement approuvée par les jé
suites ; le mécontentement éclata surtout à l'occasion de
l'élection d'un nouveau chef , et menaça l'ordre renaissant
d'un schisme qui eût été sa perte . Les jésuites radicaux
ou purs ne voulaient ni des paccanaristes ni de leurs parti
sans . Les paccanaristes l'emportèrent, ct plusieurs ultra
jésuites furent expulsés de la compagnic , nommément les
pères Pancaldi , Rezzi , etc. , etc. Nous reprenons mainte
nant le récit des négociations pour la réconciliation entre le
pape et Ricci .
Le cardinal Spina s'était engagé à les faire aboutir , en dé
pit du cardinal Consalvi qui , disait - il , y mettait obstacle , et
prenait à tâche de maltraiter l'ancien évêque à l'insu du
pape quoique en son nom ; exactement comme l'évêque
Grégoire nous montre que , à l'époque de la conclusion du
concordat avec la France , le même Spina , alors simple
prélat , avait empêché la réconciliation du pape et des évê
ques constitutionnels qu'il insultait au nom de Pie VII , bien
que celui -ci eùt enjoint de les traiter avec douceur et avec
égard . Une complication de circonstances malheurcuses se
joignit à ces intrigues pour faire que le pape traversåt Flo
rence sans voir Ricci . Le cardinal Fesch conseilla alors à
l'ancien évêque de Pistoie d'écrire au souverain pontiſe à
Paris . Ricci le fit, toujours en confirmant ses protestations
accoutumées .
290
Pie VII , sans répondre directement à la lettre de Ricci , fit
avertir le prélat toscan qu'il se réservait de terminer cette
affaire personnellement et de vive voix , lors de son retour de
France . La reine en fit témoigner sa joie à l'évêque qui , de son
côté , s'empressa d'aller la remercier . Les choses semblaient
ainsi se disposer de la manière la plus favorable pour amener
finalement le résultat désiré . Ricci s'en flattait d'autant plus
que le pape , qui avait exigé d'abord des évêques constitu
tionnels de France une rétractation contraire à leurs prin
cipes et aux maximes de l'église gallicane , s'était contenté en
dernière analyse d'une déclaration d'orthodoxie et de sou
mission à l'église ct au pontiſe souverain . Il espérait pour lui
la même faveur. Mais les circonstances étaient bien diffé
rentes . Le gouvernement français était redoutable ; le pape ,
forcé de lui céder , en devint d'autant plus exigeant avec ceux
qui , loin d'être soutenus par un pouvoir énergique , étaient
au contraire harcelés et tourmentés de toutes parts pour
qu'ils se prostituassent aux volontés et aux caprices de la
cour de Rome .
Le pape arriva à Florence au commencement de mai 1805 .
Son rôle avait été tracé d'avance : aussi ne fut-ce qu'après
trois jours , c'est- à -dire la veille même de son départ pour
ses états , qu'il envoya le vice- gérent prévenir Ricci qu'il
désirait le voir et l'embrasser ,
mais que leur entrevue no
pouvait avoir lieu qu'après que l'ancien évêque aurait signé
une formule dont le vice-gérent était porteur . Cette for
mule contenait « l'acceptation pure et simple de toutes les
bulles et constitutions contre Baïus , Jansenius et Quesnel ,
depuis saint Pie V jusqu'alors ; celle de la bullc Auctorem
ne
291
fidei, condamnant quatre- vingt-cinq propositions , extraites
du synode de Pistoie , propositions que Ricci condamnait
dans le même sens et sous les mêmes qualifications expri
mées dans la bulle ; enfin la demande de la publication de
cette pièce en réparation du scandale . »
Nous avons déjà accusé Ricci de faiblesse : ce qui atténuc
singulièrement ce défaut pour lui , c'est qu'il ne s'y aban
donnait par aucun motif d'intérêt personnel . Lorsqu'il cédait
plus que lui -même ne croyait devoir céder , il le faisait par
amour pour la paix , par esprit de conciliation , sous la pres
sion des événements malheureux dont il subissait et s'atten
dait à subir longtemps encore le poids devenu trop lourd
pour lui . Quoi qu'il en soit , le guet -apens c'est le mot
propre qui était dressé en cette circonstance solennelle
avec une effronterie sans égale , le bouleversa à tel point
qu'il se trouva hors d'état de se décider par lui -même . Le
vice-gérent refusant de lui accorder un peu de temps pour
délibérer , ne répondant à aucune de ses demandes d'expli
cations , n'accueillant d'interprétations d'aucune sorte , ré
pétant à chaque instant que c'était , comme on dit vulgairc
ment , à prendre ou à laisser , l'infortuné prélat en référa
à
à ses amis , le chanoine Palmieri et l'abbé Fontani , qui
étaient présents : finalement, incapable de soutenir plus
longtemps cette torture morale , il se rendit aux conseils
des deux prêtres , et signa .
Il signa, lui -même nous l'apprend dans des réflexions
qu'il rédigea huit jours après , il signa qu'il avait changé d'o
pinions et de sentiments , quoique ses sentiments et ses opi
nions fussent toujours les mêmes .
>
>
292
Il ne gagna rien par cet acte qui lui avait tant coûté . Il
perdit une large part dans la considération des hommes qu'il
estimait le plus : il avait agi contre sa conscience éclairée
qui lui défendait de fléchir ; il avait obéi à sa conscience de
croyant, de chrétien , qui lui commandait de donner une
preuve éclatante d'humilité et d'abnégation en sacrifiant sa
raison à la déraison publique , afin que la concorde fût réta
blic . Les deux amis de Ricci , en l'exhortant à signer , avaient
surlout été mus par la crainte de voir l'évêque emmené à
Rome et livré à la vengeance des cardinaux , ses implacables
ennemis .
La honteuse conclusion de cette affaire refroidit beaucoup ,
à l'égard du prélat réconcilié , les partisans que Ricci avait
en France ; en se condamnant, il les avait condamnés tous,
et il avait condamné la constitution civile du clergé , le véri
table code du canonisme, issu en droite ligne de l'opposition
appelante ou parlementaire, du protestantisme gallican et
du puritanisme janseniste. L'évêque Grégoire fut le dernier
qui soutint son collègue de Pistoie , à qui Rome, la fourbe,
avait fait accepter une véritable rétractation de tout son
passé , comme si ce n'avait été qu'une déclaration de bonne
foi pour ce passé et de soumission pour l'avenir.
La signature obtenue, le pape accueillit Ricci avec bonté .
La reine vint se mêler à leur entretien ; elle était accom
pagnée de monsignor Menocchio , confesseur de Pie VII , qui
commit l'inconvenance de complimenter Ricci sur ce qu'il
avait répudié le synode de Pistoie , « cause unique de tous
les maux qui, depuis près de vingt ans , affligeaient l'Eu
rope . »
- -
293
L'ancien évêque se vit bientôt entouré de gens dont la
plupart le félicitaient de son retour à la vraie foi. Pour
échapper à un empressement qui lui devenait de plus en
plus pénible , il se retira à la campagne ; là il apprit le
jugement qu'on prononçait sur le pas important auquel
il venait de se résoudre , et qui était interprété, tantôt
comme une abjuration de ses erreurs , tantôt comme une
déshonorante transaction pour acheter quelques années
de repos . Les deux jugements étaient également faux :
Ricci s'était rétracté , mais sans en avoir eu l'intention claire
et précise ; il avait sacrifié son propre repos à la paix de
l'église .
En cette occasion , comme dans toutes les circonstances de
sa vie agitée, l'évêque avait agi loyalement et avec fran
chise ; il le proliva surabondamment, en écrivant au pape
pour ratifier sa déclaration . Pie VIl obtint de son entou
rage de pouvoir en témoigner sa joie au sectaire rentré en
grâce , mais à condition de mêler à ses expressions de ten
dresse quelques mots durs et choquants. Ce fut pis encore
quand il rendit compte au consistoire des cardinaux de ce
qui s'était passé . Après avoir parlé des affaires de France , et
7
venant à celles de Toscane , il rapporta textuellement les
termes de l'écrit signé par Ricci . Puis il ajouta que , dans leur
première entrevue , l'évêque l'avait assuré que , même au mi
lieu de ses erreurs, il était toujours demeuré attaché à la foi
orthodoxe . Et il termina en disant que Ricci lui avait écrit
pour confirmer spontanément sa rétractation . Le prélat
attribue ces sourdes persécutions aux conseillers de Pie VII ,
qui le dominaient , et surtout au cardinal Consalvi , person
MÉMOIRES DE RICCI.
25
sometimes
294 -
nellement irrité contre l'évêque de Pistoie de ce que sa paix
avec le pape avait été conclue sans que lui , Consalvi , en eût
été le principal négociateur . Consalvi , nous dit Ricci , faisait
plus que dominer le pape ; il le tyrannisait .
CHAPITRE XLI .
Ricci s'occupe de miracles et d'indulgences. – Sainte Catherine . — Maladie
de Ricci . - Sa mort . Honneurs qui lui sont rendus. – Conclusion .
Un esprit aussi actif que celui de Ricci ne pouvait de
meurer longtemps sans entreprendre quelque chose . Aussi
n'y a - t- il d'étonnant au parti auquel il se détermina , que
de le voir se lancer précisément dans la voie qu'il avait
passé sa vie entière à trouver mauvaise , et faire lui -même
ce qu'il avait constamment condamné chez les autres . L'ad
versaire ardent des miracles ridicules se fit le propagateur
de ceux que nous allons rapporter , et celui qui avait dé
claré abusives les indulgences exagérées et multipliées de
manda au pape des indulgences plénières pour de nouvelles
fêtes qu'il s'ingéniait à instituer .
Il s'agissait de sainte Catherine de Ricci (sainte Catherine
de Sienne) , dont nous trouvons aux archives de la famille
>
...
296
l'histoire composée de faits tous plus merveilleux les uns
que les autres : nous ne citerons que le récit pour le moins
singulier du mariage de la sainte avec Jésus - Christ , célébré
le 9 avril 1542 , au point du jour , en présence de Marie ,
de sainte Madeleine , de saint Thomas d'Aquin et de plu
sieurs autres morts célèbres, glorifiés par l'église . Lorsque
la vision dont nous parlons s'était manifestée à Catherine, la
sainle , par ordre exprès de son confesseur , avait craché à
la figure de chacun des personnages célestes qui l'honoraient
de leur visite , afin de vérifier si ce n'était pas une illusion
de l'esprit malin . La cérémonie étant achevée par le don
d'une bague magnifique que Jésus passa au doigt de sa nou
velle épouse , il la baisa sur la bouche .
9
Environ quarante ans après , nous ne faisons que co
pier le document qui appartient aux archives Ricci, -sainte
Catherine fut transportée au paradis . Là Jésus fit l'extraction
du cœur de Catherine et remplaça ce viscère par le cour
de Marie . Depuis cette époque , sainte Catherine , à chaque
ravissement dont elle était gratifiée , allait directement
trouver Jésus-Christ et la très -sainte Vierge dans leur pro
pre demeure ; ce qui ne lui était pas arrivé auparavant .
Ces miracles et d'autres encore , par exemple celui qui
nous montre la Vierge posant l'enfant Jésus sur les genoux
de Catherine pour qu'elle le caressât , et celui où Jésus -Christ
s'arrachait de la croix devant laquelle la sainte dominicaine
priait , afin de se jeter dans ses bras , sont rapportés au bré
viaire , d'après la bulle de canonisation publiée par le
pape
Benoît XIV , Ricci ne négligea rien pour les faire valoir : il
donna à la fête de sa sainte parente toute la pompe imagina
.
297
ble , composa des oraisons pour l'invoquer , fit frapper desmé
dailles et graver des images entourées de légendes pieuses ,
pour être distribuées aux fidèles . Enfin , il obtint de Rome
les indulgences qu'il avait désirées ( février 1806 ) .
A dater de ce moment jusqu'à la fin de sa vie , Ricci ne
s'occupa plus que d'auvres de dévotion . Nous ne lui en
ferons ni un mérite , ni un crime . Nous constatons le fait,
pour justifier ce que nous avons dit de l'évêque de Pistoie
dès le début de ces Mémoires , savoir , que sa foi était aussi
vive que sincère , et qu'il était profondément religieux et
d'une piété rare à cette époque , surtout parmi ceux qui
l'avaient tant persécuté comme hérétique et mécréant .
La Toscane venait à peine d'être réunie à l'empire fran
çais (1806 ) , que l'ancien évêque sentit peu à peu ses forces
diminuer , et qu'il ne songea plus qu'à mettre ordre à ses
affaires . Il revint se fixer à Florence . Dans les derniers
temps de sa vie , il semblait n'être animé que de la crainte
de ne pas donner assez de preuves de son ardente dévotion :
il fondait en larmes aux pieds de son confesseur , demandant
à Dieu de lui pardonner ce qu'il avait pu mêler de motifs
humains aux intentions orthodoxes et vraiment religieuses
qu'il avait eues en réalisant ses réformes . Et quand il lui
était encore possible de dire la messe , ce qui n'arrivait plus
que fort rarement, il demeurait comme en extase , l'hostie
en main , après la consécration . Les calomnies dont on l'avait
abreuvé pendant sa vie se trouvaient réfutées par là , et
réfutées sans réplique .
Ricci expira le 27 janvier 1810 , après avoir reçu les se
cours ordinaires et extraordinaires de la religion .
à
25 .
298
Il lui arriva ce qui arrive communément aux hommes de
sa trempe : ceux-là mêmes qui l'avaient tourmenté et per
sécuté vivant , le comblèrent, une fois mort , d'honneurs et
de regrets. Le pape écrivit à sa famille ; le clergé toscan lui
prodigua toutes les pompes des services funèbres les plus
solennels ; le peuple en aurait presque fait un saint. Les
préjugés qu'il avait attaqués , peut-être trop tôt , et que le
grand -duc voulait à coup sûr trop brusquement et trop
brutalement faire disparaître , n'existaient déjà plus , du
moins pour la plupart , et ce qui en était demeuré , cédait
un peu chaque jour devant les améliorations qu'il avait si
vainement cherché à faire prévaloir . Ceux qu'elles avaient
le plus scandalisés alors , auraient maintenant été bien au
trement scandalisés si qui que ce fût s'était opposé à leur
exécution .
9
Les efforts de l'évêque Ricci et ceux du grand -duc , son
maître , pour réaliser despotiquement quelques réformes
malgré le peuple qui les repoussait , avaient eu les mêmes
résultats en Toscane qu'eurent presque immédiatement après
en France et ailleurs , les efforts de la bourgeoisie qui rua
avec violence le peuple sur le pouvoir s'opposant légalement
à ce que ces réformes fussent réalisées . Ces résultats , ce
furent d'abord la perturbation de l'ordre existant , et le
désillusionnement complet sur l'ordre meilleur qui devait
suivre ; ensuite , ce fut la découverte, de plus en plus sai
sissante , que le mal contre lequel la société se débat ne
cédera devant aucun des remèdes qu'on y applique, et dont
l'inefficacité, désormais mise hors de tout doute , le fait de
jour en jour plus vivement sentir et supporter plus impa
.
299
tiemment . La force ne peut rien contre ni même sur les
idées , et il n'y a jamais de véritable changement dans la
marche des choses qu'après que les esprits ont changé. Or ,
malgré la liberté qui sans cesse la bat en brèche, la force,
sous les dehors d'une opinion quelconque , règne encore
sans rivale et même sans contre- poids, ici au nom de
l'ordre établi , là au nom de l'ordre à établir , aujourd'hui
conservatrice , demain révolutionnaire , toujours relâchant
quelque peu le lien social , et préparant, et håtant ainsi le
moment où l'anarchie sera générale . Un seul remède mettra
un terme à ce cruel ballottement entre tant de maux
divers : ce sera l'acceptation et l'application de la vérité ,
imposée à tous les hommes par la nécessité de vivre en
société , et par l'impossibilité de s'entendre sur les questions
d'intérêt qui les divisent s'ils n'embrassent d'un commun
accord le principe dont l'incontestabilité doit n'être un
mystère pour personne .
>
CHAPITRE XLII .
Comparaison tre fin du dernier siècle et celui où nous vivons .
Les choses ont bien changé , depuis les événements que
nous avons rapportés dans les précédents chapitres .
On va vite maintenant : c'est une course folle qui se pré
cipite de plus en plus .
Nul n'est satisfait de son lot parce que personne ne croit
plus qu'il lui est imposé d'accepter ce lot comme un devoir
à remplir . Chacun en désire un autre et tous visent au plus
gros .
C'est un tourbillonnement de révoltes privées , de révo
lutions politiques, de bouleversements sociaux , qui se rap
prochent et se pressent de plus en plus , et qui rapportent de
moins en moins, si ce n'est une augmentation d'incertitude et
de trouble, un accroissement de misères et de douleurs .
Et la situation est forcée ; elle est fatale : il faut que les
302
nations prospèrent , que les individus s'enrichissent , sous
peine de périr , dussent les éléments dont se compose la
société , les principes sur lesquels elle se fonde, en demeurer
anéantis !
La prospérité de chaque individu coûte la vie à plusieurs
autres ; chaque nation qui s'enrichit appauvrit l'immense
majorité des membres dont elle se compose , et elle met les
autres nations sur la voie de leur ruine . Cela est incontes
table : mais l'individu qui ne gagne pas , meurt ; mais la
nation qui ne vit pas aux dépens du peuple , succombe avec
ce peuple . Ne faut - il pas que la civilisation se développe , et
notre civilisation peut- elle se développer autrement qu'en
favorisant le progrès du mal ?
Il n'y a qu’un peu plus d'un demi -siècle que les entreprises
de Léopold et de Ricci tenaient l'Europe attentive ; pendant
vingt-cinq ans elles troublèrent le repos de la Toscane . Au
jourd'hui , même en Toscane , elles seraient à peine remar
quées , et feraient hausser les épaules à ceux qui daigneraient
y avoir quelque égard . Les désordres des couvents de filles,
s'ils pouvaient encore se reproduire , exciteraient tout au plus
la curiosité des oisifs. La société offre des turpitudes bien plus
graves sous le rapport de la rupture de tout lien de famille ,
de la dépravation de tout sentiment constituant l'humanité .
Et le côté sérieux de la question , savoir ce qui est cause
de ces désordres , échappe à tout le monde . Car nul ne s'in
quiète de scruter cette question , nul d'ailleurs n'en a le
temps : la principale affaire de la vie , la seule affaire même ,
est d'amasser de l'argent afin de jouir de la vie .
Et les démolisseurs de la société , quand ils sont les plus
7
303
faibles , sont condamnés par des démolisseurs plus forts,
dans l'intérêt , disent ceux-ci , de l'ordre , de la morale et de
la religion ; ce qui fait rire tout le monde . Pendant ce
temps - là , la démolition ne s'arrête point .
Et les corrompus , mais qui n'ont pas de quoi dissimuler
lcur perversité , sontjugés et punis par des corrompus comme
eux , par de plus corrompus qu'eux, mais qui possèdent ,
ceux-ci , l'art d'enjoliver leurs vices , qui ont les moyens de
dorer leurs méfaits . La corruption ainsi gagne toujours .
L'église , depuis qu'on lui reconnaît le droit de faire des
sottises , dont elle seule , en définitive, porte la peine , a com
pris que la prudence lui ordonnait de ne sortir qu'à bon
escient des bornes entre lesquelles les idées du temps l'ont
restreinte . Aussi ne se montre- t -elle plus impérieuse qu'avec
les siens . Et encore est-elle obligée de se plier plus ou moins
aux exigences des siens mêmes , selon les lieux , les circon
stances , et surtout selon ceux sur lesquels il lui importe de
conserver son pouvoir .
Quant aux autres , qui vivent à côté d'elle comme s'ils
ignoraient qu'elle y fût, l'église est complétement dépourvue
de tout moyen d'agir . Elle peut les damner , ce qui ne les
effraye plus pour l'autre monde , et les flatte pour celui-ci ;
mais elle ne peut plus leur nuire , si ce n'est en quelques
détails de ménage , qu'on nous passe l'expression , petites
tracasseries qui dégradent le persécuteur plus encore
qu'elles ne vexent sa victime .
Si ce n'était de quelques aboyeurs qui sont à la piste de
ses moindres fautes pour les lui reprocher comme s'il était
de leur intérêt qu'elle n'en commit point, l'église agoniserait
304
sans bruit au milieu de son troupeau de fidèles, que le zèle
inconsidéré des dévots travaille chaque jour à décimer . Le
catholicisme restera ébranlé , mais debout , aussi longtemps
qu'une opposition quelconque le forcera à se roidir dans un
sens contraire aux efforts qu'on fait pour le renverser . La
liberté , mais une liberté entière , large , loyale , sans restric
tion déguisée , sans réglementation hypocrite d'aucune sorte ,
serait son arrêt de mort .
Les positions sociales sont nettement tranchées aujour
d'hui , et l'église n'en occupe ancunc à elle seule ; elle est
partout avec tout le monde , mais comme tout le monde
uniquement . La société a gardé les formes de sa vieille civi
lisation , mais rien que les formes extérieures : le fond est
beaucoup, est même radicalement simplifié . Plus de foi,
nous parlons de foi réelle , de foi vive , qui détermine non
seulement les actions , mais encore les intentions , les désirs ,
les pensées , et devant laquelle les passions fléchissent,
plus de foi, ni par conséquent de bonne foi ; car la bonne
foi, la droiture, doit reposer sur quelque chose, avoir une
sanction quelconque : or l'obligation de se dévouer pour le
bien des autres n'est pas encore démontrée , et générale
ment on a cessé de croire à cette obligation , qui naturelle
ment se trouve ainsi remplacée par celle de sacrifier les
autres à soi .
Plus d'autorité, de véritable autorité , bien entendu , qui
ne dérive pas de la force, et à laquelle la force ne fait jamais
défaut : car personne n'a mission pour faire prévaloir ses
idées par la parole qui les exposc , ses principes par le rai
sonnement qui les établit , sa règle de conduite par la sanc
2
2
305
tion sur laquelle il la fonde ; personne n'a d'autorité dans le
vrai sens du mot .
Et la raison ! Qu'est-ce que la raison ? Rien de précis , rien
de défini, de positif. C'est pour chacun ce qu'il préfère,
comme la vérité est ce qu'il pensc , le droit ce qu'il con
voite . Faites assister à ce pandémonium un Dieu quelconque,
soit pour qu'il veuille que les choses se passent ainsi , soit
pour qu'elles se passent ainsi sans qu'il l'ait voulu , mais
rien que ce Dieu , car le reste serait génant , et vous avez la
société actuelle trait pour trait.
La spéculation y entretient la vie , et les gendarmes y re
présentent la morale .
Deux camps bien distincts composent notre société : celui
des forts et celui des faibles . Les premiers imposent l'ordre ,
à leur convenance , aux autres qui ne l'acceptent point , mais
qui le subissent . Ces deux camps sont toujours les mêmes ,
quoique le personnel y change continuellement. Il y a de
part et d'autre un échange constant de ruse et de tromperie,
tantôt pour déguiser la violence , tantôt pour cacher la fai
blesse ; il y a des marches et des contre-marches sans fin ,
dont le but apparent est toujours l'opposé du but réel .
Mais , somme toute , la force l'emporte .
La force se inesure à la richesse acquise . Il en sera ainsi ,
tant que les pauvres ne s'apercevront pas qu'étant le grand
nombre , la force est à eux , et que par cette force ils peu
vent , quand ils veulent, prendre cette richesse où elle se
trouve , afin de conserver le pouvoir ... jusqu'à ce que
de nouveaux pauvres plus nombreux encore le leur enlè
vent .
។
:
26
9
306
C'est l'anarchie dans toute l'étendue de la signification
de ce mot .
La guerre est permanente entre ceux qui détiennent la
richesse et ceux qui la leur envient : cela est pour les peuples
comme pour les individus . Il n'y a suspension d'hostilités
que lorsque , pour le moment , on reconnaît un plus fort.
Aussitôt que sa force est contestable , elle est contestée , et
la lutte reprend . Les traités entre puissances , comme les
contrats entre particuliers , ne sont observés qu'aussi
longtemps qu'ils sont sanctionnés , soit par le danger qu'il
у aurait à les violer , soit par l'intérêt qu'il y a à les main
tenir .
C'est un cercle , nous ne dirons pas vicieux , mais infer
nal , dans lequel, sans en pouvoir sortir , il est irrésistible
ment imposé aux uns de vivre aux dépens des autres , à
ceux- ci de se prostituer aux premiers qui se les assimilent
pour ne pas en être dévorés .
Il n'y a plus là de place pour le jansenisme et le jésui
tisme , pour l'église et l'état , pour la religion , la morale, la
philosophie , la société .
Il y a ce qu'il y a ; et cela durera tant que cela pourra
durer .
7
:
2
FIN .
TABLE DES MATIÈRES .
Pages .
PRÉFACE 5
CHAPITRE PREMIER .
Naissance de Ricci
Sa famille .
Les Médicis.
La compagnie de Jésus
Crédulité de Ricci
Ricci , janseniste .
Séparation de l'église et de l'état .
.
13
ib .
14
15
ib .
16
17
CHAPITRE II .
Ricci , prêtre . .
Sa parenté avec le père Laurent Ricci , dernier général des jésuites .
Clément XIV , empoisonné .
21
ib .
22
CHAPITRE III .
Pie VI .
Appréciation de la cour de Rome par Ricci .
L'abbé Serao , plus tard évêque de Potenza .
Relations entre Ricci et l'ex-général Laurent
25
26
ib .
27
.
308
Frédéric le Grand et la grande Catherine accueillent et protégent
les jésuites supprimés .
Pages .
28
CHAPITRE IV .
Incontri , archevêque de Florence
Projet d'une académie ecclésiastique .
Le catéchisme janseniste substitué au catéchisme romain .
CHAPITRE V.
Introduction en Toscane des écrits jansenistes .
Publication par Ricci des æuvres de Machiavel .
Le droit d'examen et de discussion se consolide .
Le chanoinc Martini .
Ricci , évêque
Le diocèse de Pistoie et Prato .
L'évêque Ippoliti .
Abus des serments
Ricci et le pape.
Examen canonique de Ricci .
Son sacre .
CHAPITRE VI .
Il voudrait relever le diocèse de Prato .
Luttes de Ricci .
L'église de Toscane , sous les Médicis .
Sous les Espagnols
CHAPITRE VII .
Sous la maison de Lorraine .
Le grand -duc Léopold .
Conséquences de l'incompressibilité sociale de l'examen .
Indépendance de l'église et de l'état.
Réformes successives .
CHAPITRE VIII .
Révolte et obstination des religieuses dominicaines de Pistoie, sous
les évèques Alamanni et Ippoliti
29
30
ib .
31
ib .
32
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ib .
ib .
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37
ib .
ib .
38
39
40
ib .
ib .
41
42
43
44
47
309
Ricci
.
parvient à les calmer .
Le sacré ceur de Jésus .
Petites intrigues .
Ricci allaque la dévotion au sacré cour
Pages .
48
ib .
49
50
CHAPITRE IX .
Les jésuiles et les dominicains .
Désordres des religieuses dominicaines au xvile siècle .
Révélations faites par les religieuses mêmes . .
Découverte des mêmes désordres chez les religieuses de saint
François .
Mesures que prend le grand-duc .
Pie VI et sa cour protégent les religieuses .
51
52
ib .
55
ib .
56
CHAPITRE X.
Erreurs en matière de foi de deux dominicaines , à Pralo .
Ricci découvre leur impiété et leur inconduite .
Le grand -duc est instruit de tout
Intrigues des moines .
.
59
60
61
62
CHAPITRE XI .
Tout est mis en æuvre à Prato pour empêcher Ricci de parvenir à
ses fins.
Le père Calvi
Ricci rend compte au pape de ce qui se
Le
passe .
grand-duc confirme ces révélations .
Nouvelles découvertes .
Les deux sœurs sont transférées à Florence .
.
63
64
65
66
ib .
67
CHAPITRE XII .
Réflexions sur ce qui va suivre .
Audition générale de toutes les personnes habitant le couvent de
Sainte -Catherine à Pralo . 71
.
26 .
69
310
CHAPITRE XIII .
Pages .
Interrogatoire , textuellement rapporté , de la sæur Catherine-Irène
Bonamici . 79
.
CHAPITRE XIV .
Interrogatoire textuel de la seur Marie -Clodésinde Spighi.
Déposition d'une pensionnaire .
Nouvelles réflexions sur ce qu'on vient de lire .
87
96
97
CHAPITRE XV .
Impertinence des deux religieuses envers l'archevêque de Florence .
Elles abjurent le protestantisme .
Disparition de leurs papiers
La Bonamici embarrasse ses examinateurs.
Son mysticisme.
Sollicitations ad turpia , au confessionnal.
Ce que fait le grand -duc .
O
101
102
103
104
105
106
108
CHAPITRE XVI .
Les jésuites et les dominicains font agir le pape contre Ricci . 109
Preuves de la complicité de tout l'ordre de saint Dominique et du
saint- siége 110
.
CHAPITRE XVII .
Bref injurieux contre Ricei .
L'inquisition .
L'archevêque Martini .
Le grand -duc force le pape à céder .
Ricci chargé de la direction des dominicaines .
Fanalisme de cet évêque .
La cardiolâtrie convertie en emblème de libertinage .
Fin des deux dominicaines perverties .
Les dévots conspirent contre Ricci .
Martini entrave les réformes de Léopold .
.
115
ib .
117
118
ib .
ib .
119
120
ib .
121
- 311
Pages.
CHAPITRE XVIII .
La Montagne de Pistoie
Jansénisme de Rioci.
Permission de faire gras les jours maigres .
Ricci accorde des dispenses de son autorité privée .
Les prédicateurs de carêmes
Antagonisme entre Martini et Ricci .
123
124
125
126
ib .
127
CIIAPITRE XIX ,
Abolition des taxes payées au saint- siége.
L'inquisition privée de toute force coercitive .
Elle est abolie par Léopold .
Les images miraculeuses .
Via crucis.
Les olivétains
L'académie ecclésiastique.
129
130
ib .
131
ib .
132
133
CHAPITRE XX .
Les éludes théologiques dans les couvents .
Ignorance des moines .
Publications de Ricci .
155
136
137
CHAPITRE XXI .
Abolition des congregations de prêtres
Défense aux bénéficiers de se faire remplacer .
Les jours de Ricci sont menacés .
Madone miraculeuse .
Fautes de Léopold
Intrigues des dominicains.
Suppression des autels , hors un seul , dans chaque église .
Les abandonnées.
141
143
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ib .
145
146
147
148
CHAPITRE XXII .
Réflexions sur les réformes .
Léopold s'arrête devant le mécontentement général.
149
150
.
312
Abolition des confréries pieuses .
Le patrimoine ecclésiastique .
Pages.
150
151
CHAPITRE XXIII .
Projet de constitution pour la Toscane .
Réflexions du sénateur Gianni à ce sujet.
Dispositions préparatoires .
Principaux articles de la constitution .
CHAPITRE XXIV .
Contradictions dans le caractère du grand-duc Léopold .
Madone qui pleure
Dispenses de mariage .
Les communes frontières de Toscane soustraites à la juridiction
des évêques étrangers
Décision relative au sort des religieuses supprimées .
Statistique des couvents de filles en Toscane
CHAPITRE XXV .
Les confréries de charité .
Indulgences .
Ricci combat toute action temporelle de l'église sur l'état .
Les officialités .
Salaire du haut clergé .
Quêteurs des campagnes .
Obstacles .
Faiblesse de Ricci .
Son puritanisme .
Le serment des évêques
Cas de conscience .
CHAPITRE XXVI .
Chicanes tendant à ruiner le patrimoine ecclésiastique
Intrigues conservatrices .
Rachat des charges de messes et de prières.
.
154
ib .
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ib .
175
ib .
177
ib .
178
ib .
ib .
179
181
182
ib
.
313
CHAPITRE XXVII .
Synodes diocésains .
Un mandement d'évêque , supprimé .
Réflexions.
Articles de reforme , soumis aux évêques.
Léopold , théologien .
Il est accusé de toutes parts .
Visites diocésaines
Neuvaines nocturnes.
Garde-robe du patrimoine ecclésiastique.
. .
.
Pages .
185
186
ib .
187
ib .
188
189
ib .
190
CHAPITRE XXVIII .
Nécessité de démontrer désormais à la société ce que la société a
cessé de croire.
Ricci combat : le jésuitisme .
Le bréviaire .
Machinations
Synode de Pistoie
Opposition .
Duplicité de la cour de Rome .
Réponse des évèques au grand- duc .
Assemblée préparatoire au concile national .
.
.
191
192
ib .
ib .
193
194
195
ib .
196
CHAPITRE XXIX .
Statistique ecclésiastique de la Toscane
Marche rétrograde de l'assemblée des évèques .
Quelques-unes de leurs réponses au gouvernement.
199
200
204
CHAPITRE XXX .
Tactique des ennemis des réformes.
Menées cléricales .
Émeute à Pralo .
L'assemblée ecclésiastique est dissoute
Réflexions .
207
208
ib .
211
ib .
- 314
CHAPITRE XXXI .
Pages .
L'opposition devient menaçante .
Le peuple abolit les réformes .
Apologie de Ricci .
Sa fermeté .
Publication des actes du synode de Pistoie et de l'assemblée de
Florence .
Commissions papales pour juger Ricci .
215
217
ib .
218
ib .
219
CHAPITRE XXXII .
Mort de Joseph II .
Espérances de la cour de Rome .
Illusions de Ricci .
.
•
Réflexions.
Léopold quitte la Toscane .
Insurrection du diocèse de Pistoie et Prato .
Florence suit cet exemple .
La démission de Ricci est acceptée par le grand -duc Ferdinand III .
Petites vexations .
223
224
ib .
225
226
227
228
229
ib .
CHAPITRE XXXIII .
Conduite odieuse de l'évêque Falchi , successeur de Ricci .
Le pape prêche le massacre des Français .
Ceux qu'il n'avait pu faire tuer , il les déclare ses meilleurs amis.
Ricci , en rapport avec le clergé révolutionnaire de France .
Condamnation du synode de Pistoie .
La bulle Auctorem passe inaperçue .
Réflexions.
.
231
232
233
234
236
ib .
238
CHAPITRE XXXIV .
Proclamations sanguinaires et incendiaires du pape .
Miracles à Ancône
Paix de Tolentino
Rome devient république .
241
242
243
ib .
315 -
Pages .
Elle se fait réformatrice .
La Toscane envahie .
244
245
CHAPITRE XXXV .
Défaites des Français en Italie .
Miracles anti - français en Toscane
Les Arétins à Florence .
Ricci est arrêté .
Atrocités .
Motifs de l'emprisonnement de Ricci .
Martini abuse de la faiblesse du prélat délenu .
247
248
249
ib .
250
251
ib .
CHAPITRE XXXVI .
Malheurs de l'Italie .
Les Bourbons de Naples
Cruelles persécutions .
Guerre contre les Français .
République parthénopéenne.
Terrorisme monarchique .
Emma Hamilton .
Caroline d'Autriche .
253
254
255
257
ib .
259
261
262
CHAPITRE XXXVII .
Les Arétins sont renvoyés par les Allemands
Ricci en liberté .
Gouvernement sénatorial .
Ricci est arrêté de nouveau .
Le père Bardani .
Vexations monacales .
Jérôme Savonarole .
Ignorance d'un professeur.
265
266
ib .
267
ib .
268
270
ib .
CHAPITRE XXXVIII .
Persécutions de famille
Duplicité des ennemis de Ricci .
271
ib .
316
On l'envoie malade à sa villa
Tracasseries.
Procès de l'ancien évêque .
Pages.
272
273
274
CHAPITRE XXXIX .
Rieci écrit à Pie VII .
Le crime de réformation des abus .
Consalvi , cardinal secrétaire d'état .
Les quatre chefs d'accusation contre Ricci .
Il est acquitté par le relour des Français en Toscane .
Le roi d'Étrurie.
.
CHAPITRE XL .
Abolition de toutes les réformes .
La reine Marie-Louise .
Le père Paccanari
Intervention du cardinal Spina en faveur de Rieci.
Rétractation de celui-ci
Jugement sur cet acte.
.
275
ib .
276
278
279
281
282
283
283
289
290
291
CHAPITRE XLI .
Ricci s'occupe de miracles et d'indulgences.
Sainte Catherine .
Maladie de Ricci .
Sa mort
Honneurs qui lui sont rendus .
Conclusion .
295
ib .
297
ib .
298
ib .
CHAPITRE XLII .
Comparaison entre la fin du dernier siècle et celui où nous vivons. 301
FIN DE LA TABLE .
Bruxelles .
A. LABROUE ET C ° , imprimeurs ,
36 , rue de la Fourche.