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Maître(s) de Morata, Ascension

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<strong>Maître</strong>(s) <strong>de</strong> <strong>Morata</strong>, secon<strong>de</strong> moitié du XV e siècle<br />

<strong>Ascension</strong><br />

Tempera sur bois, H. 81 ; L. 66cm<br />

Paris, collections diocésaines<br />

Sur un fond d’or, le Christ ressuscité, entouré d’une mandorle rayonnante et <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux anges<br />

tenant <strong>de</strong>s phylactères, s’élève vers les cieux. Dans la moitié inférieure du panneau, la Vierge et les<br />

apôtres sont figurés dans un paysage résumé à l'essentiel ; ils entourent un monticule rocheux qui<br />

symbolise le Mont <strong>de</strong>s Oliviers. Parmi eux nous reconnaissons en particulier, <strong>de</strong>rrière Marie, saint<br />

Jean juvénile, face à eux, saint Pierre avec le front dégarni, portant une longue barbe blanche et vêtu<br />

d'un manteau rouge, et <strong>de</strong>rrière lui, saint Jacques le Majeur, i<strong>de</strong>ntifiable à la coquille fixée sur son<br />

chapeau.<br />

Chacun <strong>de</strong>s personnages est représenté avec une auréole en relief, réalisée en stuc doré,<br />

procédé visant à imiter l’orfèvrerie, largement répandu au XV e siècle dans le royaume d’Aragon et en<br />

Catalogne et qui perdure au début du XVI e . Pour le Christ et les anges, elles sont simplement<br />

constituées <strong>de</strong> cercles concentriques alors que celles <strong>de</strong>s apôtres et <strong>de</strong> la Vierge Marie sont<br />

agrémentées <strong>de</strong> contre-poinçons, marquant ainsi la différence entre les êtres célestes et terrestres<br />

(Fig.1).<br />

Le peintre, qui montre <strong>de</strong> manière évi<strong>de</strong>nte un intérêt pour la manière flaman<strong>de</strong>, retranscrit<br />

la scène avec un certain réalisme qui se note dans l'attention portée aux personnages, aux traits <strong>de</strong>s<br />

visages et à leur expression, à la retranscription <strong>de</strong>s différentes étoffes <strong>de</strong>s vêtements, comme celles<br />

<strong>de</strong>s manteaux d’orfroi et <strong>de</strong>s phylactères <strong>de</strong>s anges enrichis <strong>de</strong> simulacres d’écritures saintes.<br />

L’influence septentrionale reste toutefois timi<strong>de</strong>, fortement contrebalancée par la tradition locale<br />

comme en atteste le choix <strong>de</strong>s commanditaires en optant pour un ciel d’or à l’arrière-plan et non<br />

pour un paysage avec une perspective atmosphérique.<br />

Ce panneau figurant l’<strong>Ascension</strong> du Christ est un ancien élément <strong>de</strong> retable, probablement<br />

dédié aux sept joies <strong>de</strong> la Vierge, un culte fortement répandu dans la péninsule Ibérique à la fin du<br />

Moyen Âge. L’agencement <strong>de</strong>s retables laisse peu <strong>de</strong> place à la fantaisie, il est en conséquence<br />

raisonnable <strong>de</strong> supposer qu’il s’agit d’un élément latéral droit (la lecture se faisant <strong>de</strong> haut en bas et<br />

<strong>de</strong> gauche à droite). En effet, le corps <strong>de</strong>s retables espagnols s’organise le plus souvent autour d’une<br />

figure tutélaire, centrale, encadrée <strong>de</strong> scènes <strong>de</strong> sa vie et surmontée d’une crucifixion 1 . L’ensemble<br />

formé est complété par une pré<strong>de</strong>lle où sont généralement représentés différents saints entourant<br />

un Christ <strong>de</strong> pitié ou <strong>de</strong>s scènes <strong>de</strong> la Passion.<br />

1<br />

L’un <strong>de</strong>s rares exemples ne correspondant pas à cet agencement est celui du Retable du connétable Pierre <strong>de</strong><br />

Portugal réalisé par Jaume Huguet en 1464-1466, et dédié aux sept joies <strong>de</strong> la Vierge. En effet, au centre du<br />

retable pas <strong>de</strong> saint personnage en majesté ou en pied mais une représentation <strong>de</strong> l’Épiphanie.


Inédite, cette œuvre peut être rattachée à la production du <strong>Maître</strong> <strong>de</strong> <strong>Morata</strong>, ou plus<br />

exactement au « groupe <strong>de</strong> <strong>Morata</strong> » 2 . La confrontation avec la Pré<strong>de</strong>lle <strong>de</strong> la Passion du<br />

Metropolitan Museum (Fig.2) est particulièrement éloquente 3 . Les mêmes physionomies aux<br />

mo<strong>de</strong>lés précis se retrouvent. Les yeux sont pareillement grands ouverts et soulignés d’un trait noir,<br />

les nez allongés, les narines également ourlées <strong>de</strong> noir, les lèvres sont <strong>de</strong>ssinées avec une certaine<br />

nervosité, l'ensemble donne une tonalité intense, bien qu'assez figée (Fig.3). Quant à la conception<br />

<strong>de</strong> l’espace, compartimentée en étages, elle reste, elle aussi, similaire avec un positionnement <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux ensembles <strong>de</strong> personnages faisant fi <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> la perspective (Fig.4).<br />

Cette i<strong>de</strong>ntité artistique est, comme pour d’autres anonymes, définie pour la première fois<br />

par l’historien américain Chandler R. Post 4 . Il prend en référence le Retable <strong>de</strong> la <strong>de</strong>scente <strong>de</strong> Croix <strong>de</strong><br />

la paroisse <strong>de</strong> <strong>Morata</strong> <strong>de</strong> Jiloca (Saragosse) ; une œuvre qu’il associe à un corpus déjà vaste mais<br />

hétérogène, basé sur l’excentricité et l’expressionnisme marqué <strong>de</strong>s personnages. Toutefois, la<br />

dissemblance, notamment dans les physionomies, a conduit Guadaira Macias Prieto à souligner que<br />

le <strong>Maître</strong> <strong>de</strong> <strong>Morata</strong> ne serait pas, en réalité, un seul artiste mais plusieurs, partageant <strong>de</strong>s<br />

caractéristiques stylistiques communes 5 . Cette hypothèse se confirme notamment avec le Saint<br />

Blaise <strong>de</strong> l’ancienne collection Muntadas, initialement attribué au <strong>Maître</strong> <strong>de</strong> <strong>Morata</strong>, aujourd’hui<br />

conservé au Museu Nacional d’Art <strong>de</strong> Catalunya (Barcelone) et réattribué à Tomás Giner 6 . Ce <strong>de</strong>rnier<br />

était actif à Saragosse dans les années 1450 à 1480 et peintre <strong>de</strong> cour <strong>de</strong> Ferdinand II d’Aragon, il<br />

apparait dès lors probable qu’il ait marqué la peinture <strong>de</strong> son époque et celle <strong>de</strong> « nos» anonymes. Il<br />

n’est toutefois pas la seule référence, les <strong>Maître</strong>s <strong>de</strong> <strong>Morata</strong> s’inscrivent, en effet, dans le courant<br />

<strong>de</strong>s grands noms contemporains tels que Martín <strong>de</strong> Soria et le <strong>Maître</strong> <strong>de</strong> Saint Georges et <strong>de</strong> la<br />

Princesse, et ils sont en dialogue direct avec la production picturale catalane contemporaine et plus<br />

particulièrement celle <strong>de</strong> Jaume Huguet. Classés parmi les artistes secondaires, le groupe <strong>de</strong> <strong>Morata</strong><br />

n’en est pas moins « original et compose habilement les scènes en prenant en compte le renouveau<br />

<strong>de</strong> la peinture flaman<strong>de</strong> sans pour autant abandonner la tradition locale » 7 .<br />

Les églises <strong>de</strong> France, à l’exception <strong>de</strong>s nombreuses copies <strong>de</strong> Murillo réalisée au XIXe siècle,<br />

abritent peu d’œuvres ibériques, constat particulièrement vrai pour la production du XV e siècle. Les<br />

rares à avoir été i<strong>de</strong>ntifiées ont, presque toujours, pour origine <strong>de</strong>s dons <strong>de</strong> paroissiens anonymes,<br />

comme c’est le cas pour la Dormition <strong>de</strong> la Vierge <strong>de</strong> Joan <strong>de</strong> Rua <strong>de</strong> l’église Saint-Joseph <strong>de</strong>s Nations<br />

2<br />

Nous souhaitons ici remercier Guadaira Macias Prieto, consultée au moment <strong>de</strong> la redécouverte <strong>de</strong> cette<br />

œuvre en mars 2022, qui nous a permis <strong>de</strong> préciser cette attribution. Pour un approfondissement <strong>de</strong> la<br />

question du <strong>Maître</strong> <strong>de</strong> <strong>Morata</strong> et du Groupe <strong>de</strong> <strong>Morata</strong> et la bibliographie complète relative à la question voir<br />

Guadaira Macias Prieto, La pintura aragonesa <strong>de</strong> la segona meitat <strong>de</strong>l segle XV relacionada amb l’escola<br />

catalana : dues vies creatives a examen, thèse <strong>de</strong> doctorat sous la direction <strong>de</strong> Rosa ALCOY, Universitat <strong>de</strong><br />

Barcelona, 2014, vol. 1, pp. 383-435.<br />

3<br />

<strong>Maître</strong>(s) <strong>de</strong> <strong>Morata</strong>, Scènes <strong>de</strong> la Passion, secon<strong>de</strong> moitié du XVe siècle. New York, Metropolitan Museum of<br />

Art, 10.12a,b.<br />

4<br />

Chandler R. POST, A history of Spanish Painting. The aragonese school in the late Middle Ages, vol. VIII, t. 2,<br />

Havard University Press, 1941, p. 388.<br />

5<br />

Guadaira Macias Prieto, La pintura aragonesa <strong>de</strong> la segona meitat <strong>de</strong>l segle XV…, 2014, vol. 1, p. 383 – 392.<br />

6<br />

Tomás Giner, Saint Blaise, secon<strong>de</strong> moitié du XVe siècle. Barcelone, Museu Nacional d’Art <strong>de</strong> Catalunya,<br />

064051.<br />

7<br />

Maria <strong>de</strong>l Carmen Lacarra Ducay & C. Morte Garcia, « Retablo <strong>de</strong>l <strong>de</strong>scendimiento », dans Recuperacion <strong>de</strong> un<br />

patrimonio. Restauraciones en la provincia, Saragosse, 1987 p. 237-238


(Paris 11 e ) 8 , mise en lumière en 2022 à l’occasion du programme <strong>de</strong> Recensement <strong>de</strong>s tableaux<br />

ibériques dans les collections publiques françaises (RETIB) 9 .<br />

La redécouverte <strong>de</strong> cette <strong>Ascension</strong> est l'occasion <strong>de</strong> mieux prendre conscience du<br />

phénomène, certes mo<strong>de</strong>ste, <strong>de</strong> ces dons, qui interroge également sur l'arrivée en France <strong>de</strong> telles<br />

pièces et invite à tenter <strong>de</strong> retrouver – parmi les collections publiques, privés, ou religieuses, ainsi<br />

que sur le marché <strong>de</strong> l’art – les autres éléments <strong>de</strong>s retables originels permettant ainsi d'enrichir<br />

notre connaissance <strong>de</strong> ces œuvres et <strong>de</strong> leur réalisation.<br />

Elsa Espin<br />

Figure 1 : <strong>Maître</strong>(s) <strong>de</strong> <strong>Morata</strong>, <strong>Ascension</strong> (détail), secon<strong>de</strong> moitié du XVe siècle, Paris, collections<br />

diocésaines<br />

8<br />

Parmi les quelques exceptions, la collection du chanoine Marcadé qui a légué sa collection personnelle<br />

d'œuvres dont au moins <strong>de</strong>ux panneaux valenciens du XVe siècle à la cathédrale <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux. La collection est<br />

aujourd’hui présentée au public dans <strong>de</strong>ux salles dédiées attenantes à la cathédrale.<br />

9<br />

Ce programme <strong>de</strong> recherche a pour objet d’i<strong>de</strong>ntifier, d’étudier et <strong>de</strong> faire connaître les peintures espagnoles<br />

et portugaises conservées dans les collections publiques françaises. Il a été initié en 2021 par le musée du<br />

Louvre, sous la direction <strong>de</strong> Charlotte Chastel-Rousseau, en partenariat avec l’Institut National d’Histoire <strong>de</strong><br />

l’Art.


Figure 2 : <strong>Maître</strong>(s) <strong>de</strong> <strong>Morata</strong>, Scènes <strong>de</strong> la Passion, secon<strong>de</strong> moitié du XVe siècle. New York,<br />

Metropolitan Museum of Art, 10.12a,b.<br />

Figure 3 : <strong>Maître</strong>(s) <strong>de</strong> <strong>Morata</strong>, Scènes <strong>de</strong> la Passion (détail), secon<strong>de</strong> moitié du XVe siècle. New York,<br />

Metropolitan Museum of Art, 10.12a,b.


Figure 3 : <strong>Maître</strong>(s) <strong>de</strong> <strong>Morata</strong>, Scènes <strong>de</strong> la Passion (détail), secon<strong>de</strong> moitié du XVe siècle. New York,<br />

Metropolitan Museum of Art, 10.12a,b.

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