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Jean-Gabriel DOMERGUE, Pietà

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<strong>Jean</strong>-<strong>Gabriel</strong> <strong>DOMERGUE</strong> (Bordeaux, 1889 - Paris, 1962)<br />

<strong>Pietà</strong><br />

1914<br />

Huile sur toile, H. 165 ; L. 133cm<br />

Paris, église Saint-Martin-des-Champs<br />

HISTORIQUE<br />

Donné par l’artiste à la paroisse Saint-Martin-des-Champs après 1914<br />

« Monsieur le Curé,<br />

C’est en effet un tableau que j’ai fait dans ma jeunesse que vous possédez dans<br />

l’église où j’ai fait ma première communion le 9 mai 1901. C’est un concours pour<br />

le Prix de Rome. Je l’ai donné pendant ou après la guerre de 14, dans votre église<br />

qui avait vu les moments touchants de la sainte communion que j’y avait faite… Je<br />

tiens à vous dire, Monsieur le Curé, combien j’ai été touché de votre lettre, ce sont<br />

des souvenirs que je garde précieusement que vous avez réveillés en moi et je vous<br />

prie de recevoir mes plus sincères remerciements et l’expression de mes sentiments<br />

émus.<br />

<strong>Jean</strong>-<strong>Gabriel</strong> Domergue, membre de l’Institut » 1 .<br />

Cette lettre accompagne une <strong>Pietà</strong> très différente du corpus habituel de l’artiste, célèbre pour<br />

ses représentations féminines. <strong>Jean</strong>-<strong>Gabriel</strong> Domergue, peintre, dessinateur, graveur et costumier,<br />

petit cousin d’Henri de Toulouse-Lautrec, marque son époque comme portraitiste.<br />

Élève boursier aux Beaux-Arts, il fréquente les ateliers de Jules Lefebvre, Tony Robert-Fleury,<br />

Jules Adler, Ferdinand Humbert et François Flameng de 1906 à 1910. L’année suivante il prépare le Prix<br />

de Rome qu’il remporte en 1913 avec un Rhapsode chantant la gloire d’un héros aux abords d’un village<br />

antique 2 . Il est ensuite mobilisé comme brancardier pendant la Grande Guerre et sa production s’en<br />

ressent.<br />

Comme il l’écrit dans sa lettre, il réalise la <strong>Pietà</strong> lors du conflit : le tableau est en effet daté<br />

« 1914 » en partie gauche, sous la signature. Le corps mutilé du Christ est placé en pleine lumière, dans<br />

les bras de sa mère qui l’embrasse. Marie-Madeleine, le corps quasi décharné et à moitié dévêtu, se<br />

plie de douleur devant la scène tandis qu’au loin un homme, peut-être Joseph d’Arimathie, se distingue<br />

à peine. Les personnages prennent place dans un paysage rocheux, la croix en arrière-plan : la touche<br />

est rapide et la palette sombre et sourde. Domergue livre ici une vision à la fois sobre et crue de la<br />

Passion du Christ, marqué sans nul doute par le début de la guerre. La douleur du Christ, mise en valeur<br />

1<br />

Lettre conservée avec le tableau à Saint-Martin-des-Champs<br />

2<br />

Conservé aujourd’hui à la Mairie d’Auguillon (Lot-et-Garonne).


par les veines saillantes des bras et les plaies apparentes, s’apparente aux corps mutilés que Domergue,<br />

en tant que brancardier, prend en charge quotidiennement.<br />

Il s’agirait du seul sujet religieux de l’artiste, s’inscrivant dans son corpus d’œuvres liées à la<br />

Grande Guerre. Dès 1914, ses dessins pris sur le vif sont diffusés : vente de lithographies, et<br />

publications dans la presse. Le Rêve, (Fig. 1) conservé au Musée des Beaux-Arts de Reims, nous montre<br />

un soldat agonisant, embrassé par une paysanne en plein champ de bataille, véritable pendant laïque<br />

de la <strong>Pietà</strong>. Quelques années plus tard, il documente les « atrocités allemandes », publiées en recueil<br />

en 1916 3 . Cet ouvrage met en images les faits constatés par « la commission instituée en vue de<br />

constater les actes commis par l’ennemi », publiés en 1915-1916 4 .<br />

« C’est le sang des blessés agonisant dans les ambulances bombardées par les<br />

batteries allemandes qui monte à travers la splendeur des soirs comme une hostie<br />

expiatoire érigée au-dessus du rouge autel crépusculaire par des mains<br />

transpercées de clous » 5 .<br />

Après la guerre, il se consacre à des sujets plus légers et ses figures de parisiennes lui attirent<br />

les faveurs d’une clientèle régulière. Il est sollicité comme modéliste pour le couturier Paul Poiret et<br />

réalise de nombreuses affiches publicitaires. En 1950, il est élu membre de l’Institut de France puis cinq<br />

ans plus tard nommé conservateur du musée Jacquemart André dont il assura le succès grâce à<br />

d’ambitieuses expositions 6 . C’est à cette époque qu’il répond au curé de la paroisse Saint-Martin-des-<br />

Champs entre 1950, date de sa nomination à l’Académie des Beaux-Arts, et son décès en 1962.<br />

Caroline Morizot<br />

Geneviève Ravaux<br />

3<br />

Paul Escudier, <strong>Jean</strong>-<strong>Gabriel</strong> Domergue, <strong>Jean</strong> Richepin, Charles Léandre, Le livre rouge des atrocités allemandes<br />

d’après les rapports officiels des gouvernements français, anglais et belge, Paris, 1916<br />

4<br />

G. Payelle, Rapports et procès-verbaux d'enquête de la commission instituée en vue de la commission instituée<br />

en vue de constater les actes commis par l'ennemi en violation du droit des gens (décret du 23 septembre 1914),<br />

Paris, 1915-1916.<br />

5<br />

Paul Escudier, op. cit.<br />

6<br />

André François-Poncet, Funérailles de M. <strong>Jean</strong>-<strong>Gabriel</strong> Domergue. Discours du Chancelier de l’Institut.<br />

https://www.academie-francaise.fr/funerailles-de-m-jean-gabriel-domergue-discours-du-chancelier-de-linstitut


Figure 1 : Le Rêve, <strong>Jean</strong>-<strong>Gabriel</strong> Domergue, lithographie, Reims, Musée des Beaux-Arts

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