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la harpe. cours de littérature - Notes du mont Royal

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<strong>Notes</strong> <strong>du</strong> <strong>mont</strong> <strong>Royal</strong><br />

www.notes<strong>du</strong><strong>mont</strong>royal.com<br />

Ceci est une œuvre tombée<br />

dans le domaine public, et<br />

hébergée sur « <strong>Notes</strong> <strong>du</strong> <strong>mont</strong><br />

<strong>Royal</strong> » dans le cadre d’un exposé<br />

gratuit sur <strong>la</strong> <strong>littérature</strong>.<br />

Source <strong>de</strong>s images<br />

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COURS<br />

DE LITTÉRATURE


tàiis, —»TYrocnAMiK PK wmmm DIDOT rntacs, ni'F. MCOR, 5A.


LA HARPE.<br />

COURS DE LITTÉRATURE<br />

ANCIENNE ET MODERNE,<br />

SUIVI DU TABLEAU DE LA LITTÉRATURE AU XIX* SIÈCLE,<br />

PAR CHÉJYIER,<br />

ET DU TABLEAU DE LA LITTÉRATURE AU XVI' SIÈCLE,<br />

PAR M. SAINT-MARC GIRARDIN<br />

ET H. PHILARÈTE CHASLES.<br />

/<br />

?»<br />

\<br />

TOME PREMIER.<br />

'V*<br />

PAMIS,<br />

CHEZ F1RM1N Dinar FRÈRES, LIBRAIRES,<br />

IMPRIMEU11S DE t'iNSTiTIÏT DE FRANCE,<br />

RUE JACOB, H° 56.<br />

M DCCC XLVII.


NOTICE<br />

BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE<br />

SUR LA HARPE.<br />

La Harpe (Jean-François), célèbre critique français,<br />

né à Paris le 30 novembre 1739, était ils<br />

d'un capitaine d'artillerie, qui le <strong>la</strong>issa orphelin et<br />

dénué <strong>de</strong> toutes ressources avait Page <strong>de</strong> neuf ans*<br />

Recueilli par les sueurs <strong>de</strong> charité <strong>de</strong> <strong>la</strong> paroisse<br />

Suint- André <strong>de</strong>s Arcs, qui, <strong>de</strong> son propre aveu 9 le<br />

nourrirent pédant l'espace <strong>de</strong> six mois, il obtint<br />

ensuite <strong>la</strong> protection <strong>de</strong> M. Asselin, principal <strong>du</strong><br />

collège d'Hareourt,et fat admis comme boursier<br />

dans cet établissement. L'incertitu<strong>de</strong> que ces premières<br />

circonstances <strong>de</strong> sa vie jetèrent sur son origine<br />

lui fat souvent reprochée dans <strong>la</strong> suite : on<br />

prétendit qu'il tirait son nom <strong>de</strong> <strong>la</strong> rue <strong>de</strong> <strong>la</strong> Harpe,<br />

où, soi-disant, il avait été trouvé9 et on rappe<strong>la</strong><br />

ïmfmni dm kàsard, comme si cette qualification<br />

eût pu lui Ôter quelque chose <strong>du</strong> mérite que Ton<br />

était forcé <strong>de</strong> lui reconnaître comme écrivain. La<br />

Harpe pouvait se dispenser <strong>de</strong> répondre 'à <strong>de</strong> semb<strong>la</strong>bles<br />

attaques : il le it une fois cependant; mais<br />

les raisons qu'il donna pour appuyer <strong>la</strong> légitimité<br />

<strong>de</strong> sa naissance ne prévalurent pas sur l'opinion que<br />

<strong>la</strong> haine avait pris soin d'accréditer-.-<br />

Un reproche beaucoup plus grate qu'elle lui<br />

adressa, fut d'avoir composé une satire contre<br />

l'homme respectable auquel il <strong>de</strong>vait le bienfait <strong>de</strong><br />

l'é<strong>du</strong>cation. Ce fat <strong>du</strong>rant son séjour au eollége<br />

qu'il subit cette humiliation amère; et son ingratitu<strong>de</strong><br />

supposée parut si odieuse* que, sans lui<br />

donner le temp d'établir sa justification, on eut<br />

re<strong>cours</strong> à M. <strong>de</strong> Sart<strong>la</strong>e , lieutenant-général <strong>de</strong> police,<br />

qui le It d'abord con<strong>du</strong>ire à Bicitre, puis,<br />

par grâce, au For-l'Évêque, ou sa détention <strong>du</strong>ra<br />

phjsieiirs mois.<br />

La Harpe avoue, dans un avertissement mis en<br />

tlte <strong>de</strong> sa tragédie <strong>de</strong> TiwmMm, « qu'il est bien<br />

•ni qu'à l'âge <strong>de</strong> dix-neuf ans il ût impru<strong>de</strong>mment<br />

quelques couplets contre <strong>de</strong>s {Mirticuliers <strong>du</strong> collège<br />

dftbraKiit , et que quelques-uns <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s<br />

les recueillirent et y en ajoutèrent d'autres; mais<br />

il affirme que dans ces couplets, il n'est nullement<br />

question <strong>de</strong> personnes envers qui il eût le moindre<br />

<strong>de</strong>voir à remplir, » et i invoque à ce sujet le témoignage<br />

<strong>de</strong> son bienfaiteur lui-mime 9 et celui <strong>de</strong> tous<br />

les maîtres , dont il avait conservé f amitié ; ce qui<br />

Là HAUTE. — mus 1.<br />

assurément est une preuve irrécusable <strong>de</strong> son innocence.<br />

Vainement «toutefois, il confondit sej calomniateurs<br />

: leurs traits envenimés eontinairent<br />

à le poursuivre ; et cet acharnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> haine ne<br />

<strong>du</strong>t pas être sans quelque iniuence sur <strong>la</strong> direction<br />

que prit ensuite son talent.<br />

Les bril<strong>la</strong>nts succès'qu'il avait obtenus dans les<br />

hautes c<strong>la</strong>sses, particulièrement en rhétorique, où<br />

il remporta <strong>de</strong>ui années <strong>de</strong> suite le prix d'honneur \<br />

le it pencher vers <strong>la</strong> carrière <strong>de</strong>s lettres , envahie<br />

alors, comme celle <strong>de</strong>s sciences, par <strong>la</strong> philosophie<br />

mo<strong>de</strong>rne 9 dont il adopta les principes. Deux héroïdés,<br />

qu'il publia en 1759, parurent sous le patronage<br />

<strong>de</strong> Yoltaire, qui, dès longtemps, faisait et<br />

défaisait toutes les réputations littéraires. Gesleux<br />

pièces eurent un grand succès ; mais le jeune auteur<br />

les ayant fait précé<strong>de</strong>r cfun Esmi sur l'Hèrtl<strong>de</strong>,<br />

où il soumet Ovi<strong>de</strong> et Fontanelle à <strong>la</strong> rigueur <strong>de</strong> sa<br />

critique f fut attaqué par frères, qui se récria sur<br />

<strong>la</strong> hardiesse d'un écolier qui, d'une main encore<br />

soumise à <strong>la</strong> férule, osait déjà peser le mérite d'un<br />

poète tel qu'Ofi<strong>de</strong>. Conseil<strong>la</strong>nt au jeune Aristarque<br />

<strong>de</strong> relire les anciens au lieu <strong>de</strong> les juger, il lui prédit<br />

qu'avec <strong>du</strong> tarai il parviendrait à possé<strong>de</strong>r<br />

toutes les- qualités qu'un écrivain peut acquérir à<br />

défaut <strong>de</strong> génie. Telle fut <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> l'aniinosité<br />

qui exista <strong>de</strong>puis entre <strong>la</strong> Harpe et le rédacteur <strong>de</strong><br />

l'Jnnéê Mérmre : on sait que ce <strong>de</strong>rnier donnait<br />

à son adrersalre le nom <strong>du</strong> Bébé <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>littérature</strong>,<br />

par allusion au nais <strong>du</strong> roi <strong>de</strong> Pologne, Stanis<strong>la</strong>s,<br />

qui s'appe<strong>la</strong>it ainsi.<br />

Encouragé cependant par le succès qu'avaient<br />

obtenu ses .premiers essais, <strong>la</strong> Harpe s'exerça<br />

bientôt dans le genre dramatique, qu'il paraissait<br />

affectionner <strong>de</strong> prédilection, et <strong>du</strong>t une célébrité<br />

précoce à sa tragédie <strong>de</strong> Wmtwîek, Cette pièce,<br />

jouée à <strong>la</strong> cour en 1763, eut un grand nombre <strong>de</strong><br />

représentations successives, et valut à l'auteur<br />

l'honneur d'être présenté à Louis X¥ ; mais les<br />

jouissances d'amour-propre que lui fit éprouver le<br />

succès <strong>de</strong> ce premier, ouvrage furent un peu tem-<br />

• Get avantage s'a <strong>de</strong>puis été fartage que 'par M. Noël et<br />

par M. Se Clerc, anjosnTiitit professeur 4*éi«peece <strong>la</strong>tin©,<br />

et doyen <strong>de</strong> <strong>la</strong> Faculté êm lettrée.


NOTICE SUE LA HARPE.<br />

pérées par les nombreuses critiques qui es parurent,<br />

et auxquelles il répondit avec ce ton-<strong>de</strong> supériorité<br />

dédaigneuse foi dès lors lui attira tant d'ennemis.<br />

Résolu d'imposer silence à ses détracteurs f il pour-<br />

'suittt <strong>la</strong> carrière do théâtre, où il ne voyait désormais<br />

que <strong>de</strong>s <strong>la</strong>uriers faciles à cueillir, et lit jouer<br />

TimoMon le 1 er août 1764; mais cette secon<strong>de</strong><br />

composition, loin d'être, accueillie comme l'avait<br />

été <strong>la</strong> première , disparut dès <strong>la</strong> quatrième représentation;<br />

et PkaramôMÉ, qu'il donna l'année suivante<br />

, eut encore moins <strong>de</strong> succès. En vain <strong>la</strong><br />

Jlerpe espéra se relever <strong>de</strong> cette double chute eu<br />

refaisant le Gmîam fFasa <strong>de</strong>Piron; il ne recueillit<br />

<strong>de</strong> sa nonvelîe pièce, jouée le 3 mars 1766, que<br />

les murmures <strong>du</strong> parterre et les caustiques épigrammes<br />

<strong>de</strong> -son rival.<br />

Ces revers multipliés mettaient le comble à <strong>la</strong><br />

détresse <strong>du</strong> jeune auteur, qui 9 s'ayant d'autre ressource<br />

que son talent t -.s'était marié presque à son<br />

début dans <strong>la</strong> carrière <strong>de</strong>s lettres. 11 al<strong>la</strong> puiser <strong>de</strong>s<br />

conso<strong>la</strong>tions auprès <strong>de</strong> Yo!taire, avec lequel il entretenait<br />

<strong>de</strong>puis longtemps une correspondance<br />

suivie, et <strong>de</strong>meura environ nn an à Femey, avec<br />

sa femme, qui, douée d'un très-bel organe et d'un<br />

extérieur agréable, y jouait, ainsi que lui, <strong>la</strong> comédie.<br />

Chabanoe, l'un <strong>de</strong>s -acteurs, raconte que<br />

<strong>la</strong> Harpe, dominé par son penchant irrésistible<br />

pour <strong>la</strong> critique f se permettait souvent <strong>de</strong>s changements<br />

dans les rêies dont il était chargé, et que<br />

lorsque l'on s'étonnait <strong>de</strong> <strong>la</strong> patience que l'irascible<br />

vieil<strong>la</strong>rd opposait aux critiques d'un jeune homme<br />

opiniâtre, il répondait : « 11 aime ma personne et<br />

nes«uvniges. »<br />

Toujours en butte à l'inimitié <strong>de</strong>s hommes dont<br />

i avait irrité <strong>la</strong> censure par ses orgueilleux dédains,<br />

ta Harpe était à peine <strong>de</strong> retour à Paris, lorsque<br />

<strong>la</strong> Gazette d'Utrecki annonça qu'il avait soustrait<br />

plusieurs manuscrits <strong>du</strong> cabinet <strong>de</strong> Voltaire f et que<br />

cet abus <strong>de</strong> ooniance l'avait fait bannir <strong>de</strong> Ferney.<br />

Voltaire donna au gasetier un démenti formel ; et<br />

si quelques-unes <strong>de</strong> ses lettres semblent annoncer<br />

qu'il ne croyait pas à l'innocence <strong>de</strong> l'accusé, os<br />

ne peut attribuer son <strong>la</strong>ngage qu'aui rapports calomnieux<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> malveil<strong>la</strong>nce, qu'il ne prit pas <strong>la</strong><br />

peine <strong>de</strong> vérifier.<br />

Malgré le peu d'encouragements donné à ses<br />

<strong>de</strong>rnières compositions dramatiques, <strong>la</strong> Harpe<br />

n'avait pas renoncé à <strong>la</strong> carrière <strong>du</strong> théâtre, et y<br />

rentra en 1716, par<strong>la</strong> tragédie <strong>de</strong> Memteoff, qui<br />

.fut jouée à <strong>la</strong> cour, et lui valut une pension <strong>de</strong><br />

douze cents livres ,*4ont avait joui <strong>de</strong>Belloy. Il it<br />

ensuite représenter successivement les BarmécMes<br />

(1718), les Mmmes et lemmm <strong>de</strong> Napks (1783),<br />

puis Corio<strong>la</strong>n (1184), Piratée (1186), etenin,<br />

en (1787), PkMmtète, heureuse imitation <strong>de</strong> Sophocle,<br />

qui* ainsi que W^mrwkktt CorMan, est<br />

restée au théâtre» On lui'doit encore tes Muses ri-<br />

à ki Nouvelle salle, ou les Audiences <strong>de</strong> Hmtte<br />

(1782), et le drame <strong>de</strong> Méimmie, ou les Fmœ prêts<br />

9 qui s'a été joué qu'en 1793, et qu'il retira <strong>du</strong><br />

théâtre un an avant sa mort, après y avoir <strong>la</strong>it <strong>de</strong>s<br />

corrections.<br />

Dans l'intervalle que lui <strong>la</strong>issaient ses compositions<br />

dramatiques, <strong>la</strong> Harpe s*exerçait dans le genre <strong>de</strong><br />

l'éloquence, et, avant d'entrer à l'Académie, où ii<br />

fut reçu en 1776, il en avait obtenu huit fois les<br />

palmes annuelles. H y remporta aussi <strong>de</strong>s prix <strong>de</strong><br />

vers. En général, le plus grand mérite <strong>de</strong> ses poésies,<br />

c'est <strong>la</strong> correction <strong>du</strong> style et <strong>la</strong> pureté <strong>du</strong><br />

goût ; il manque presque toujours <strong>de</strong> feu, d'invention],<br />

et <strong>de</strong> coloris. Nous se parlons ici que pour<br />

mémoire <strong>de</strong> son abrégé <strong>de</strong> f Histoire générale <strong>de</strong>s<br />

Foymges <strong>de</strong> l'abbé Prévost : ce travail ne fut guère<br />

<strong>de</strong> sa part qu'une spécu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> librairie, qui s'ajoute<br />

ries à sa réputation eomme littérateur. La<br />

tournure d'esprit <strong>de</strong> <strong>la</strong> Harpe le portant à disserter,<br />

un attrait <strong>de</strong> prédilection le ramenait sans cesse<br />

vers l'épiseuse profession <strong>de</strong> journaliste. Pendant<br />

quarante ans il enrichit diverses feuilles périodiques,<br />

et particulièrement le Mercure <strong>de</strong> Framœ,<br />

d'articles où régnent les principes conservateurs <strong>du</strong><br />

bon goût, loraqu'aucun motif <strong>de</strong> partialité ne régare,<br />

et qu'il croit <strong>de</strong>voir adoucir l'humeur dénigrante<br />

qui semble lui être naturelle. Il traitait si<br />

ru<strong>de</strong>ment <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s écrivais» soumis à sa cessure,<br />

que d'Alembert lui appliqua un jour p<strong>la</strong>isamment<br />

ce vers burlesque :<br />

Gtlie a eele <strong>de</strong> bon, f osai U frappe, U assomme.<br />

Au moyen <strong>de</strong> ses pensions et <strong>du</strong> pro<strong>du</strong>it <strong>de</strong> ses<br />

ouvrages, <strong>la</strong> Harpe, qui avait obtenu en 1786 <strong>la</strong><br />

chaire <strong>de</strong> <strong>littérature</strong> au Lycée, se trouvait dans<br />

une sorte d'opulence pour us homme <strong>de</strong> lettres,<br />

lorsque <strong>la</strong> révolution française éc<strong>la</strong>ta. Partisan <strong>de</strong>s<br />

nouvelles réformes, dont il se prévoyait pas les<br />

suites déplorables, il consigna ses sentiments dans<br />

<strong>la</strong> partie littéraire <strong>du</strong> Mercure, qui, à raison <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

couleur que Mallet-Dupan prêtait à <strong>la</strong> partie politique<br />

et <strong>du</strong> talent trèp-remarquable <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux rédacteurs<br />

, présentait sous <strong>la</strong> même couverture us centrasse<br />

estrêmenicnt piquant, et répondait ainsi aux<br />

<strong>de</strong>ux opinions les plus diamétralement opposées qui<br />

partageaient alors <strong>la</strong> France. Ce lut surtout dans<br />

ses leçons <strong>de</strong> <strong>littérature</strong> au Lycée que <strong>la</strong> Harpe déposa<br />

les preuves irrécusables <strong>de</strong> sou entt»nsiasnie<br />

pour <strong>la</strong> révolution. Tant <strong>de</strong> sacriiecs faîte à <strong>de</strong>s<br />

opiuious que plus tard il <strong>de</strong>vait attaquer si vivement<br />

se purent le sauver <strong>de</strong> <strong>la</strong> proscription'; il fut<br />

emprisonné, menacé <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, et ce fat alors qu'il<br />

se réfugia dans le sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> religion, asile le plus<br />

sûr <strong>de</strong> l'infortune.<br />

Ren<strong>du</strong> à <strong>la</strong> liberté au 18 brumaire, il ne craignit<br />

point d'avouer publiquement sa conversion, et reparut<br />

avec un nouvel éc<strong>la</strong>t dans <strong>la</strong> chaire <strong>du</strong> Ly­<br />

JMUS , on t Apothéose<strong>de</strong> FoUaire (1779), MûMêre cée, , où sa première leçon fut une espèce d'aman<strong>de</strong>


NOTICE SUE LA HARPE.<br />

honorable. 11 pouvait terminer paisiblement sa cartératwre, dit M. Duvïquet, <strong>la</strong> curiosité vive et sourière;<br />

mais accoutumé à vivre dans une lotte contenue qu'il excite, le piquant <strong>de</strong> <strong>la</strong> critique, le p<strong>la</strong>itinuelle,<br />

il porta loi-même atteinte à son repos et à sir <strong>de</strong> comparer ses propres jugements à ceux d'un<br />

<strong>la</strong> considération dont il jouissait en divulguant <strong>la</strong> censeur aussi exercé que <strong>la</strong> Harpe, enfin l'immen­<br />

Correspondance MMérawe que, <strong>de</strong>puis 1774 jussité<br />

<strong>de</strong>s connaissances en tout genre dont cet ouqu'en<br />

1791, il a?ail entretenue avec le grand doc <strong>de</strong> vrage est Tunique et précieux dépôt, toutes ces<br />

Russie. L'apparition <strong>de</strong> ce livre, où il jsge presque causes ou séparées ou réunies ont élevé le Cours <strong>de</strong><br />

tous les écrivains avec <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière rigueur, et où lÀttérature à une telle hauteur, qu'avec bien <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

ses décisions sont dictées trop souvent par l'amour- peine les autres pro<strong>du</strong>ctions <strong>de</strong> <strong>la</strong> Harpe peuvent<br />

propre et par <strong>de</strong>s préventions haineuses, réveil<strong>la</strong> éviter <strong>de</strong> se perdre dans f ombre d'un monument<br />

toutes les anïmosités qu'il avait <strong>de</strong>puis longtemps aussi colossal.<br />

soulevées contre lui ; aussitôt il en parut un autre « Ce que Louis XI? disait à Boileau :« Je vous<br />

ajant pour titre ; Correspondance turque, pour crois, vous vous y connaisses mieux que moi, » <strong>la</strong><br />

servir <strong>de</strong> supplément à <strong>la</strong> Correspondance russe plupart <strong>de</strong>s lecteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Harpe peuvent le lui dire<br />

(1801). On y donne <strong>de</strong>s anecdotes lâcheuses arrivées sans excès d'humilité ; c'est un gui<strong>de</strong> habituellement<br />

à <strong>la</strong> Harpe, les épigrammes sang<strong>la</strong>ntes dont il a sûr, auquel on doit s'abandonner avec confiance<br />

été l'objet; on y passe en revue ses diverses pro­ toutes les fois que Ton n'a pas à craindre que ses<br />

<strong>du</strong>ctions auxquelles on refuse à peu près toute es­ passions, en l'écartant <strong>de</strong> <strong>la</strong> routet ne nous égarent<br />

pèce <strong>de</strong> mérite ; en un mot 9 on paraît ne vouloir lui avec lui.<br />

<strong>la</strong>isser d'autre titre que le Cours <strong>de</strong> Littérature, « 11 est donc bien essentiel <strong>de</strong> signaler, surtout<br />

pi a mis le sceau à sa réputation et lui a mérité le aux jeunes gens, les caractères principaux auxquels<br />

nom <strong>de</strong> QmintlMen français.<br />

ils peuvent reconnaître que le juge n'est pas <strong>mont</strong>é<br />

Ses écrits et ses dis<strong>cours</strong> contre le parti philoso­ à jeun sur son tribunal, et que quelque fumée ou<br />

phique lut attirèrent bientôt un ordre qui f eiï<strong>la</strong>lt à d'amour-propre ou d'intérêt personnel lui a porté à<br />

vingt-cinq lieues <strong>de</strong> Paris; il obtint ensuite, cepen­ <strong>la</strong> tête; je ré<strong>du</strong>is ces caractères à <strong>de</strong>ux. Je'pense<br />

dant, <strong>de</strong> regagner à Corbeil <strong>la</strong> retraite où déjà il qu'il faut marcher avec précaution sur les pas <strong>de</strong><br />

avait échappé ans marais infects <strong>de</strong> Sinnamary : <strong>la</strong> Harpe, toutes les fois qu'il parle <strong>de</strong>s auteurs<br />

mais le dépérissement <strong>de</strong> sa santé lui it accor<strong>de</strong>r anciens, et surtout <strong>de</strong>s auteurs grecs; et qu'il faut<br />

<strong>de</strong> revenir à Paris 9 où il mourut le 11 février 1808 9 également s'en défier lorsqu'il cite à sa barre les<br />

dans sa soixante-quatrième année.<br />

écrivains avec lesquels il a eu <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions spécia­<br />

M. <strong>de</strong> Fontanes, au nom <strong>de</strong> l'Institut, répandit les ou d'opposition ou d'amitié. Je suis convaincu<br />

sur sa tombe les fleurs <strong>de</strong> f amitié. M. Chazet pro­ que, plus d'une fois, il s'est hasardé à juger supernonça,<br />

en 1805, son éloge à l'ouverture <strong>de</strong>s <strong>cours</strong> ficiellement, sur <strong>la</strong> foi d'autrai, sur <strong>de</strong>s tra<strong>du</strong>ctions<br />

<strong>de</strong> rAthénée; mais M. Lacreteile aîné, successeur infidèles, ou sur <strong>de</strong>s commentaires inexacts, et<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Harpe à l'Académie française, le jugea, dans qu'en ce<strong>la</strong> il cédait à l'ambition <strong>de</strong> ne pas paraître<br />

son dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> réception, avec une sévérité qui reculer <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> tâche immense qu'il s'était témé­<br />

fut trouvée eicessive.<br />

rairement imposée; d'un autre côté, je soupçonne<br />

On a publié les Œuvres <strong>de</strong> ta Harpe, accom­ qu'étant sensible et extrêmement irritable, if a ûû<br />

pagnées cf «te notice sur m vie et sur ses ouvra­ se <strong>la</strong>isser prévenir souvent par <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong><br />

ges, pr M. <strong>de</strong> Saint-Surin, Paris, 1831-1822,10 gratitu<strong>de</strong> ou <strong>de</strong> vengeance qui ont rompu Féfuili-<br />

vol. in-tP. Cette collection renferme le théâtre, bre <strong>de</strong> son impartialité naturelle.<br />

2 vol.; les Poésies, 1 vol.; tes Êbges, Dis<strong>cours</strong> « Si Ton se rappelle les travaux continuels aux­<br />

et Mé<strong>la</strong>nges, 2 vol.; ks Douze Césars, <strong>de</strong> Suétone, quels <strong>la</strong> Harpe n'a cessé <strong>de</strong> se livrer <strong>de</strong>puis sa sor­<br />

2 vol.; <strong>la</strong> Lmia<strong>de</strong>, les huit premiers chants <strong>de</strong> <strong>la</strong> tie <strong>du</strong> collège, travaux presque tous étrangers à <strong>la</strong><br />

Jérusalem délivrée, et fragments <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pharsak, <strong>littérature</strong> grecque, <strong>la</strong> quantité <strong>de</strong>s pièces qu'il a<br />

1 vol.; le PsamUer, 1 vol.; Correspondance, 4 vol.; données au théâtre, et dont une seule (Phiiocêéte)<br />

tMtératme et Critique, PhUmophie <strong>du</strong> dix-hui­ est moins une tra<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> Sophocle qu'une imitième<br />

sM<strong>de</strong>, 2 vol.; fragments <strong>de</strong> V Apologie <strong>de</strong> <strong>la</strong> tation <strong>de</strong> Fénelon, son Abrégé <strong>de</strong> l'Histoire <strong>de</strong>s<br />

ReBgkm. Pour avoir les mutées complètes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Foyages, ses tra<strong>du</strong>ctions <strong>de</strong> Suétone et <strong>du</strong> Ca-<br />

Harpe dans le même format, il faut ajouter aux moëns, les trois journaux dont <strong>la</strong> rédaction prin­<br />

16 volumes précé<strong>de</strong>nts, Y Abrégé <strong>de</strong> l'Histoire <strong>de</strong>s cipale lui fut confiée, son séjour <strong>de</strong> dix-huit mois<br />

Fogages, Paris 91820-1821, 24 vol.; ses Commen­ à Ferney, ses habitu<strong>de</strong>s dans une foule <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s<br />

taires sur Racine et sur le théâtre <strong>de</strong> Voltaire; maisons, son assi<strong>du</strong>ité aux séances académiques; si<br />

enfin son Lycée on Cours <strong>de</strong> Littérature, publié l'on réfléchît qu'il n'avait que quarante ans lorsqu'il<br />

jusqu'à ce jour en 16 volumes, et dont les douze commença son <strong>cours</strong> |u Lycée par l'analyse raison-<br />

premiers seulement parurent <strong>du</strong> vivant <strong>de</strong> l'aunée <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, d'Anstote et <strong>de</strong>s trois tragiques<br />

teur.<br />

grecs, on ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra point d'autres preuves non-<br />

« Le grand intérêt qui s'attache au Cours <strong>de</strong> Htseulement qu'il avait p©û,é|udïé9 mais même qu'il


NOTICE SUR LA HAMPE.<br />

avait peu lu dans leur <strong>la</strong>ngue originale <strong>de</strong>s auteurs<br />

dont un seul, Arïstote ou* P<strong>la</strong>ton f par exemple ,<br />

occuperait facilement pendant une année les veilles<br />

<strong>la</strong>borieuses d'un sa?ant helléniste qui les loi aurait<br />

exclusivement consacrées.<br />

« Que si comparant ensuite, le'livre à <strong>la</strong> main,<br />

l'éten<strong>du</strong>e donnée à l'analyse <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux in-folio <strong>de</strong><br />

P<strong>la</strong>ton avec l'espace si comp<strong>la</strong>isant et si remarquable<br />

accordé à l'analyse d'une tragédie <strong>de</strong> Voltaire, on<br />

se <strong>de</strong>mandait compte <strong>de</strong>s motifs d'une disproportion<br />

<strong>de</strong> travail aussi peu en rapport avec les auteurs<br />

qui en font l'objet, ne serait-on pas forcé <strong>de</strong> se répondre<br />

à soi-même que <strong>la</strong> Harpe , pressé d'expédier<br />

sur mémoire communiqué une cause dont il<br />

n'avait pas pris connaissance, s'en dédommageait,<br />

'et en dédommageait généreusement ses auditeurs,<br />

lorsqu'il arrivait à <strong>de</strong>s objets mieux appropriés à ses<br />

étu<strong>de</strong>s et à ses goûts, et sur lesquels il était certain<br />

d'attirer bien plus sûrement l'attention et l'intérêt<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> plus belle moitié <strong>de</strong> son assemblée? C'est là<br />

sans doute une excuse va<strong>la</strong>ble pour l'orateur qui<br />

parle en public ; mais l'excuse s'évanouit pour le<br />

lecteur, qui veut une instruction soli<strong>de</strong>, et qui malheureusement<br />

se trouvé que <strong>de</strong>s aperçus là où il<br />

s'attendait à <strong>de</strong>s résultats positifs et satisfaisants.<br />

« La Harpe est déjà rep<strong>la</strong>cé sur son terrain quand<br />

il se rencontre avec les premiers c<strong>la</strong>ssiques <strong>la</strong>tins ;<br />

on s'en aperçoit à <strong>la</strong> facilité avec <strong>la</strong>quelle il les parcourt<br />

et les juge : Virgile, Ovi<strong>de</strong> f Lucâin, les principaux<br />

dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> Cïeéron, les traités les plus<br />

marquants <strong>de</strong> Sénèque, jusque-là tout va à merveille;<br />

rembarras <strong>de</strong>vient sensible lorsque <strong>de</strong>s dis<strong>cours</strong><br />

<strong>de</strong> l'orateur romain il passe à ceux <strong>de</strong>s traités<br />

philosophiques qu'une pru<strong>de</strong>nce très-louable arrête<br />

sur le seuil <strong>de</strong>s collèges; et quand il arrive aux<br />

poètes «ou aux sophistes <strong>du</strong> troisième et <strong>du</strong> quatrième<br />

siècle <strong>de</strong> l'empire $ alors <strong>la</strong> lumière qui le con<strong>du</strong>it<br />

s'affaiblit par <strong>de</strong>grés, et il ne recommence à<br />

marcher d'un pas sûr et intrépi<strong>de</strong> qu'à <strong>la</strong> lueur <strong>de</strong>s<br />

f<strong>la</strong>mbeaux rallumés au génie <strong>de</strong> Léon X et <strong>de</strong> François<br />

J* r *<br />

« II avance alors à pus <strong>de</strong> géant jusqu'au grand<br />

siècle <strong>de</strong> Louis XIV, et il traverse également avec<br />

fermeté les premières années <strong>du</strong> siècle qui l'a vu<br />

na2tre; quand il est arrivé à l'époque où les chefs<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> <strong>de</strong>vinrent ou ses protecteurs ou ses<br />

rivaux 9 <strong>de</strong>s obstacles d'un autre genre Tiennent<br />

arrêter <strong>la</strong> sûreté, <strong>la</strong> régu<strong>la</strong>rité <strong>de</strong> sa marche : <strong>la</strong><br />

censure ou k louange se ressent <strong>de</strong> l'exagération <strong>de</strong><br />

son caractère. Voltaire est exalté d'abord sans<br />

mesure,Gilbert dénigré sans ménagement. Depuis,<br />

il a rectifié ses jugements sur Voltaire ; mais le malheureux<br />

satirique n'a reçu aucune espèce <strong>de</strong> conso<strong>la</strong>tion;<br />

peut-être <strong>la</strong> Harpe pensait-il <strong>de</strong> bonne<br />

foi que les meilleurs vers <strong>de</strong>venaient détestables<br />

quand ils étaient dirigés contre lui. Ainsi $ pour apprécier<br />

les jugements <strong>de</strong> <strong>la</strong> Harpe sur ses contemporains<br />

, il serait bon <strong>de</strong> se pourvoir d'une espèce<br />

<strong>de</strong> thermomètre physico-littéraire où Ton aurait<br />

marqué d'avance , à côté <strong>du</strong> tube où serait renfermée<br />

<strong>la</strong> bile <strong>du</strong> critique, le <strong>de</strong>gré habituel <strong>de</strong> fermentation<br />

que tel auteur excitait. Fréron, Clément, Gilbert,<br />

occuperaient le haut <strong>de</strong> l'échelle; Linguet, Dorât,<br />

Mercier, <strong>de</strong>scendraient quelques <strong>de</strong>grés plus bas;<br />

Débile, Mar<strong>mont</strong>el, Thomas, correspondraient à<br />

peu près au point <strong>de</strong> départ, au zéro <strong>de</strong> <strong>la</strong> température<br />

bilieuse ; et enfin <strong>la</strong> liqueur sinistre coulerait<br />

entièrement et jusqu'à nouvel ordre aux pieds <strong>de</strong><br />

Voltaire; nous avons vu le temps où le nom <strong>du</strong><br />

grand homme <strong>la</strong> faisait bouillonner plus vivement<br />

même que celui <strong>de</strong> Fréron.<br />

« Le Cours <strong>de</strong> <strong>littérature</strong>, pris, repris et quitté à<br />

trois époques bien différentes <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> <strong>la</strong> Harpe,<br />

présentait <strong>de</strong>s disparates choquantes qu'une révision<br />

sévère a fait totalement disparaître ; ses doctrines<br />

y ont reçu <strong>de</strong>s mains <strong>de</strong> Fauteur l'homogénéité<br />

, qui seule peut leur donner <strong>de</strong> <strong>la</strong> consistance,<br />

La religion et <strong>la</strong> morale ont app<strong>la</strong>udi à cette heureuse<br />

réformatïoe, et le goût y a gagné.<br />

« Je résume en peu <strong>de</strong> mots mes observations,<br />

continue le même critique, sur les différents ouvrages<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Harpe. Warwiek et Philoctéte resteront<br />

au théâtre; Tangu et Féline, l'Ombre <strong>de</strong><br />

Duclos, <strong>la</strong> Réponse d'Horace à Fotimre, orneront<br />

un recueil bien choisi <strong>de</strong> poésies erotiques, satiriques<br />

et légères; Y Éloge <strong>de</strong> Bmcime3 <strong>de</strong> CaMmat,<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine, <strong>de</strong> Fémefam, assurent à <strong>la</strong> Harpe,<br />

très-près <strong>de</strong> Thomas, une p<strong>la</strong>ce distinguée dans le<br />

second rang <strong>de</strong>-nos orateurs; Y apologie, le Triomphe<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Religion, sont <strong>de</strong>ux ouvrages à part 9 qui<br />

attestent un talent élevé au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> lui-même par<br />

l'inspiration religieuse 9 mais qu'il est impossible <strong>de</strong><br />

c<strong>la</strong>sser, parce qu'ils ne sont achevés ni l'un ni l'autre<br />

: mais si jamais le buste <strong>de</strong> <strong>la</strong> Harpe était p<strong>la</strong>cé<br />

dans l'enceinte d'une société littéraire, on n'écrirait<br />

point sur le socle ces mots : Upoète ou iormteur;<br />

on y écrirait : k QmmSUkmfmm^ms, »<br />

W.


PRÉFACE.<br />

Qw cet outrage soit le fruit <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> ma<br />

vie entière, 0 est pourtant frai qu'il fat composé<br />

par «cosfea, et accommodé à <strong>de</strong>s circonstances în-<br />

tlépendnta <strong>de</strong> Fauteur. Jamais peut-être n'y aurais» '<br />

je pensé sans set établissement eoemi sous le nom<br />

ê» £ycee, qui prit naissance au commencement <strong>de</strong><br />

f 786, et qui doit sa première origine au Musée <strong>de</strong><br />

eut infortuné PKIâtre <strong>de</strong> Rosier, que sous avons TU<br />

<strong>de</strong>puis périr itfts une <strong>de</strong> ses expériences aérostatiques,<br />

victime <strong>de</strong> sou zèle pour les sciences. Déjà<br />

m fêle s'avait pas été aussi heureux qu'il méritait<br />

<strong>de</strong> l'être, dans <strong>la</strong> formation <strong>de</strong> sou Musée. Ou avait<br />

été obligé if y renoncer et <strong>de</strong> fendre le cabinet <strong>de</strong><br />

physique et <strong>la</strong> bibliothèque. Quelques amateurs #e#<br />

lettres, et à leur tête MM. <strong>de</strong> Montmorin et <strong>de</strong><br />

Motttesqtioii , dont le premier a péri <strong>de</strong>puis si mal-<br />

Immsementiet à uue époque si affreuse, associés<br />

alofs avee d'autres actionnaires, firent les fonds <strong>du</strong><br />

acifsel établissement, dont le p<strong>la</strong>n fut éten<strong>du</strong> et<br />

amélioré, et qui prit le nom <strong>de</strong> Lycée, On sait quel<br />

prodigieux succès il eut jusqu'en 1789 : ce fot aussi<br />

use affaire <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>, comme il arrivait alors à toute<br />

espèce <strong>de</strong> succès, mérité ou non; mais on peut<br />

ilire que cette fois elle s'y mê<strong>la</strong> sans y rie» gâter.<br />

L'esprit rmoiitiicmfmlre, qui fut aussi d'abord une<br />

espèce <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>, mais absolument nouvelle, et qui<br />

se ressemb<strong>la</strong>it à aucune autre, porta seul au Lycée<br />

une atteinte sensible, commune en général à tout<br />

ce qui tenait aux lettres, aux sciences, à tout genre<br />

d'instruction et <strong>de</strong> morale. On se rappellera longtemps<br />

à quel excès le Lycée fot défiguré et souillé;<br />

et c'était un <strong>de</strong>voir pour moi <strong>de</strong> consigner dans ce<br />

- Caert les souvenirs <strong>de</strong> cette ignominie. Les espérances<br />

que It renaîtra une époque salutaire à <strong>la</strong><br />

France, celle qui mit un terme au règne <strong>de</strong> <strong>la</strong> terrmrt<br />

«aimèrent un moment le Lycée, et lui rendirent<br />

<strong>du</strong> moins ce <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> liberté qui, sans écarter<br />

le danger <strong>de</strong> parler, ne rend pas cependant le silence<br />

indispensable, et permet que le courage <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité<br />

puisse s'être pas inutile. Mais os conçoit aisément<br />

qu'as milieu <strong>de</strong>s secousses politiques, inévitables<br />

et multipliées, jamais le Lycée n'ait pu reprendre<br />

si première sples<strong>de</strong>ur; et l'on n'es doit que plus<br />

d'éloges aux efforts infatigables <strong>de</strong> l'administra*<br />

tion, qui <strong>de</strong>puis quelques années lutte contre les<br />

obstacles <strong>de</strong> tout genre, et tâche au moins <strong>de</strong> préserver<br />

cet établissement eftiiie ruine totale.<br />

Cependant, par une suite naturelle <strong>de</strong> cette vogue<br />

étonnante et <strong>de</strong> cet éc<strong>la</strong>t imprévu qui marquèrent<br />

les beaux jours <strong>du</strong> Lycée, je me vis entraîné rapi<strong>de</strong>ment,<br />

et presque sans y penser, bien au <strong>de</strong>là <strong>de</strong><br />

mes premières vues; et <strong>de</strong>s encouragements toujours<br />

nouveaux me donnant sans cesse <strong>de</strong> nouvelles<br />

forces pour us travail toujours renaissant, je vis<br />

s'ouvrir <strong>de</strong>vant moi use vaste carrière que je n'aurais<br />

janmis osé entreprendre, s'il m f eêt été donné<br />

d'en mesurer toute l'éten<strong>du</strong>e, mais qui, s'agrandissantpar<br />

une progression insensible, me con<strong>du</strong>isit<br />

eals vers un terme où je s'a! pu parvenir<br />

que parce que tout concourait à m'en dérober FéloigneneeL<br />

En effet, le premier aveu que je dois faire, c'est<br />

qu'une telle entreprise était certainement au~<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> mes forces, s'il fel<strong>la</strong>it qu'elle fût également remplie<br />

dans tontes les parties qu'elle embrasse, et que<br />

je n'ai pu également approfondir. J'ose dire même<br />

que l'on peut douter qu'un seul homme pût en venir<br />

à bout : il faudrait réunir trop <strong>de</strong> divers talents et<br />

<strong>de</strong> diverses connaissances dont je suis fort éloigné.<br />

Mous avons, il est vrai, une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> livres<br />

didactiques ou <strong>de</strong> recueils bibliographiques dont je<br />

contesterai d'autant moins le mérite, que plusieurs<br />

ne m'ont pas été inutiles; mais tous traitent d'objets<br />

particuliers, ou ne sont, dans les choses générales,<br />

que <strong>de</strong>s nomenc<strong>la</strong>tures et <strong>de</strong>s dictionnaires.<br />

Mais c'est ici, je crois, <strong>la</strong> première fois, soit en<br />

France, soit même en Europe, qu'os offre as public<br />

une histoire raisonnée <strong>de</strong> tous les arts <strong>de</strong> l'esprit<br />

et <strong>de</strong> l'imagination, <strong>de</strong>puis Homère jusqu'à nos<br />

jours, qui n'êsclut que les sciences exactes et les<br />

sciences physiques. Je ne puis trop répéter combien<br />

je me sens au-<strong>de</strong>ssous d'un si grand sujet, et si l'on<br />

me croyait ici moins mo<strong>de</strong>ste que je ne le veux<br />

paraître, c'est qu'on me croirait aussi plus ignorant<br />

que je ne suis; car il suffît d'avoir étudié, comme<br />

je l'ai fait, quelques-uns <strong>de</strong>s objets <strong>de</strong> ce Cours,<br />

pour sentir, comme moi, qu'un seul peut-être <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rait<br />

toute <strong>la</strong> vie d'uir artiste, et d'us bon<br />

artiste, pour avoir toute son intégrité et toute sa<br />

perfection. Mais on a vu comment j'ai été amené à


PRÉFACE.<br />

ce p<strong>la</strong>n. On verra aussi quels efforts j'ai faits <strong>de</strong>puis<br />

douze ans pour le remplir, au moins selon mes<br />

moyens; et sans douta eeui qui sauront le mieux<br />

lotit ce qui <strong>de</strong>vait s'y trouver, seront aussi ceux qui<br />

excuseront le plus volontiers tout ce qui doit encore<br />

y manquer.<br />

Ceux-là aussi comprendront qu'il m'en a coûté<br />

beaucoup plus pour me resserrer, qu'il ne m'en eût<br />

coûté pour m'étendre; et ce n'a pas été une <strong>de</strong>s<br />

moindres difficultés <strong>de</strong> mon travail, <strong>de</strong> le renfermer<br />

en douze volumes 1 . S'il y a encore quelque<br />

superflu, quelque répétition inévitable dans un si<br />

long ouvrage, c'est un léger Inconvénient; mais<br />

c'en serait un grand s'il y manquait quelque chose<br />

d'essentiel; et c'est là-<strong>de</strong>ssus particulièrement que<br />

je prie les hommes instruits <strong>de</strong> vouloir bien m'avertir.<br />

Ce n'est ici ni un livre élémentaire pour les jeunes<br />

étudiants, ni un livre d'érudition pour les savants.<br />

Cest, autant que je l'ai pu, <strong>la</strong> fleur, le sue, <strong>la</strong> substance<br />

<strong>de</strong> tous les objets d'instruction, qui sont ceux<br />

<strong>de</strong> mon ouvrage : c'est le complément <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s<br />

pour ceux qui peuvent pousser plus loin celles qu'ils<br />

ont faites : e'en est le supplément pour les gens <strong>du</strong><br />

1 Sais y Compter ia Philosophie eu âix+huiMèm gièete,<br />

qui formera sente no grand cèjef, traité à part, 'fa mm extrême<br />

importance. (Voyei è <strong>la</strong> In <strong>de</strong> cette édition,)<br />

mon<strong>de</strong> qui n'ont pas le temps d'en faire d'autres.<br />

Mais j'ai désiré, je l'avoue, que ce pût en être une<br />

particulière pour les orateurs et les poëtes. Si le<br />

livre est utile pour eux, ce sera toujours quelque<br />

chose, quand même il ne serait pas pour les autres<br />

aussi agréable que je l'aurais voulu. '<br />

Ge serait ma faute s'il ae l'était point <strong>du</strong> tout;<br />

car une <strong>de</strong>s principales sources d'agrément est sans<br />

doute <strong>la</strong> variété; et ici le grand nombre d'objets<br />

divers <strong>la</strong> présentait d'elle-même, au point <strong>de</strong> ne<br />

pouvoir plus être un mérite. Il pouvait y en avèir<br />

davantage à varier les formes <strong>de</strong> <strong>la</strong> critique continuellement<br />

appliquées; maïs aussi jamais les circonstances<br />

locales et les accessoires donnés n'ont<br />

fourni plus <strong>de</strong> ressources. On doit voir que, par <strong>la</strong><br />

nature même <strong>de</strong> l'enseignement dans nos séances,<br />

j'ai pu prendre à mon gré tous les tons proportion- '<br />

nellement à <strong>la</strong> matière, et tour à tour m'élever jusqu'au<br />

style oratoire, ou <strong>de</strong>scendre à <strong>la</strong> familiarité<br />

décente <strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation <strong>de</strong>s honnêtes gens.<br />

. Cet ouvrage a passé à travers les jours mummîs :<br />

il a été composé en partie pendant lé <strong>cours</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

révolution, dont les différentes époques doivent<br />

naturellement s'y faire reconnaître, sans influer<br />

d'ailleurs sur l'esprit général y qui est et <strong>de</strong>vait être<br />

partout le même dans un livre qui, par sa nature, est<br />

fait pour tous les temps et pour toutes les nations.


Mettaitfteénte sur l'ait fféertw, mi <strong>la</strong> réalité et là néontié<br />

<strong>de</strong> cet art, ser <strong>la</strong> miter* <strong>de</strong>s préceptes, sur ral-<br />

UajK» <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie et <strong>de</strong>s arts <strong>de</strong> S'ImâgSnaîioa, sur<br />

l'accepta» <strong>de</strong> mots <strong>de</strong> GOST ci <strong>de</strong> GéHIB.<br />

INTRODUCTION.<br />

Les modèles es tout genre ©et <strong>de</strong>vancé les préceptes.<br />

Le génie a considéré <strong>la</strong> nature, et Ta embellie<br />

en limitant. Iles esprits observateurs ont considéré<br />

le génie, et ont dévoilé par l'analyse le secret <strong>de</strong> '<br />

ses merveilles. En voyant ce qu'on avait fait, ils<br />

ont dît aux astres hommes : Voilà ce qu'il faut faire.<br />

Ainsi <strong>la</strong> poésie et réloqaenee ont précédé <strong>la</strong> poétique<br />

et <strong>la</strong> rhétorique : Euripi<strong>de</strong> et Sophocle avaient<br />

feit leurs cfaeM'cwivrc, ét4a Grèce comptait près<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux cents écrivains dramatiques , ' lorsque Aristote<br />

traçait les règles <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie; et Homère<br />

avait aé'ftnblime, bien <strong>de</strong>s siècles avant que Longin<br />

essayât <strong>de</strong> déinir le sublime.<br />

Quand l'imagination créatrice eut élevé ses premiers<br />

monuments, qti'est-il arrivé? Le sentiment<br />

général fat d'abord sans doute celui <strong>de</strong> l'admiration.<br />

Les-hommes rassemblés <strong>du</strong>rent concevoir une<br />

gran<strong>de</strong> Idée <strong>de</strong> celui qui leur faisait connaître <strong>de</strong><br />

nouveaux p<strong>la</strong>isirs. Dès lors pourtant <strong>du</strong>t commencer<br />

à se manifester <strong>la</strong> diversité naturelle- <strong>de</strong>s impressions<br />

et <strong>de</strong>s jugements. Si le premier jour fut celui<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> reconnaissance, le second <strong>du</strong>t être celui <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

critique. Les différentes parties d'un même ouvrage,<br />

différemnient goâtées, donnèrent lien aux eompammmm,<br />

aux préférences, aux exclusions. Alors<br />

s'établit pour <strong>la</strong> première fois <strong>la</strong> distinction <strong>du</strong> bon<br />

et ia mauvais, c'est-à-dire, <strong>de</strong> ce qui p<strong>la</strong>isait ©u<br />

dép<strong>la</strong>isait plus- on moins-; car <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong>, que<br />

rhomme <strong>de</strong> génie voit à une si gran<strong>de</strong> distance,<br />

s'en approche cependant par l'inévitable puissance<br />

qu'elle exerce sur lui. Telle est <strong>la</strong> baissée qui subsiste<br />

éternellement entre l'un et l'autre : il pro<strong>du</strong>it,<br />

elle- juge; elle lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>isirs, il lui<br />

**tpap** <strong>de</strong>s-suffrages; c'est lui qui brigue <strong>la</strong> gloire y<br />

t'est elle qui <strong>la</strong> dispense. Mais si cette même multitu<strong>de</strong>,<br />

en n'écoutant que son instinct, es exprimant<br />

sea sensations, a pu déjà, au moment dont<br />

nous parlons, éc<strong>la</strong>irer le talent, l'avertir <strong>de</strong> ce sjsll a<br />

déplus heureux, et l'inquiéter sur ce qui lui manque,<br />

combien ont dû faire davantage ces esprits justes<br />

et lumineux qui voulurent se rendre compte <strong>de</strong> leurs<br />

jouissances, et Hier leurs idées sur ce qu'ils pouvaient<br />

attendre <strong>de</strong>s artistes ! Car bientôt ils parurent<br />

en foule : les premiers inventeurs trouvèrent <strong>de</strong>s<br />

imitateurs sans nombre et quelques rivaux. Déjà les<br />

idées s'éten<strong>de</strong>nt et se propagent, on découvre <strong>de</strong><br />

nouveaux moyens; ©n tente <strong>de</strong> nouveaux f recédés;<br />

on développe toutes ses ressources pour se varier<br />

et se repro<strong>du</strong>ire : c'est le moment, où l'esprit philosophique<br />

peut faire <strong>de</strong> l'art un tout régulier, l'assujettir<br />

à une métho<strong>de</strong>, distribuer ses parties, c<strong>la</strong>sser<br />

ses genres, s'appuyer sur l'expérience <strong>de</strong>s faits<br />

pour établir.<strong>la</strong> certitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s principes, et porter<br />

jusqu'à l'évi<strong>de</strong>nce l'opinion <strong>de</strong>s vrais connaisseurs,<br />

qui confirme les impressions <strong>de</strong> <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> quand<br />

elle n'écoute que celles <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, les résilie<br />

quand elle s'est égarée par précipitation, ignorance<br />

ou sé<strong>du</strong>ction 9 et forme à <strong>la</strong> longue ces cent voix<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> renommée qui retentissent dans tous les siècles.<br />

Il y a donc un art d'écrire? — Oui, sans doute.<br />

Cet art ne peut exister sans talent ; mais il peut manquer<br />

au talent : ce qui le prouve » c'est qu'on peut ci -<br />

ter <strong>de</strong>s auteurs nés avec <strong>de</strong>'très-heureuses disposions<br />

pour <strong>la</strong> poésie, et qui pourtant n'ont jamais<br />

connu Fart d'écrire en vers. Tels étaient sans contredit<br />

Brébeuf et. le Moine 9 l'un tra<strong>du</strong>cteur <strong>de</strong> Lueain,<br />

l'autre auteur <strong>du</strong> poème <strong>de</strong> Saine Louis. C'est<br />

<strong>de</strong> l'un que Voltaire a dit, en citant un morceau <strong>de</strong><br />

lui. R-y a tmjjours quelques vers heureux dans<br />

•Brtlm&f; c'est <strong>de</strong> l'autre qu'il a vanté l'imagination<br />

en déplorant son mauvais goût. Tous <strong>de</strong>ux avaient<br />

beaucoup <strong>de</strong> ce qu'on appelle esprit poétique ;. tous<br />

<strong>de</strong>ux ont <strong>de</strong>s passages d'une beauté remarquable;<br />

et tous <strong>de</strong>ux ont éprouvé <strong>de</strong>puis cent ans <strong>la</strong> réprobation<br />

<strong>la</strong> plus complète, celle <strong>de</strong> n'avoir point <strong>de</strong> lecteurs.<br />

Combien cet exemple doit frapper ceux qui<br />

se persua<strong>de</strong>nt qu'avec quelques vers bien tournés 9<br />

quelques morceaux frappants, mais per<strong>du</strong>s dans<br />

<strong>de</strong> très-mauvais et <strong>de</strong> très-ennuyeux ouvrages, ils<br />

doivent attirer les regards <strong>de</strong> leur siècle et <strong>de</strong> <strong>la</strong> postérité<br />

! Ils ne doivent attendre tout au plus que <strong>la</strong><br />

p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> Brébeuf et <strong>de</strong> le Moine, c'est-à-dire, d'auteurs<br />

dont on sait les noms, mais qu'on ne lit pas :<br />

je dis tout au plus ; car, pour ne pas faire beaucoup<br />

mieux qu'eux aujourd'hui, il faut être fort au-<strong>de</strong>ssous<br />

d'eux.


INTRODUCTION.<br />

— Mais cet art, qui Fa révélé aux premiers hommes<br />

qui ont écrit ? — Je réponds qu'ils ne l'ont pas<br />

eofifiii» Les premiers essais en tout genre ont dû<br />

être et ont été très-imparfaite. Cet art, comme tous<br />

les autres , s'est formé par <strong>la</strong> succession et <strong>la</strong> comparaison<br />

<strong>de</strong>s idées, par l'expérience, par l'imitation,<br />

par l'ému<strong>la</strong>tion. Combien <strong>de</strong> poètes que nous ne<br />

connaissons pas a?aient écrit avant qu'Homère fit<br />

une IUa<strong>de</strong>! Combien d'orateurs et <strong>de</strong> rhéteurs, avant<br />

qu'on eût un Démosthène, un Périclès ! Et les Grecs<br />

n'ont-ils pas tout appris aux Romains? et les uns et<br />

les autres ne nous ont-ils pas tout enseigné ? Voilà<br />

les faits : c'est <strong>la</strong> meilleure réponse à ceux qui s'imaginent<br />

honorer le génie en niant l'existence <strong>de</strong> fart,<br />

et qui font voir seulement qu'ils ne connaissent ni<br />

l'un ni l'autre.<br />

' Il n'y a point <strong>de</strong> sophismes que Ton n'ait accumulés<br />

<strong>de</strong> nos jours à l'appui <strong>de</strong> ce paradoxe insensé.<br />

On a cite <strong>de</strong>s écrivains qui ont réussi, dit-on t sans<br />

connaître ou sans observer les règles <strong>de</strong> fart, tels<br />

que le Dante, Shakspeare, Mjlton, et autres. C'est<br />

s'exprimer d'une manière très-fausse. Le Dante et<br />

Milton connaissaient les anciens, et s'ils se sont fait<br />

un nom avec <strong>de</strong>s ouvrages monstrueux, c'est parce<br />

qnll y a dans ces monstres quelques belles parties<br />

exécutées selon les principes. Ils ont manqué <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

conception d'un ensemble ; mais leur génie leur a<br />

fourni <strong>de</strong>s détails où règne le sentiment <strong>du</strong> beau :<br />

et les règles ne sont autre chose que ce sentiment<br />

ré<strong>du</strong>it en métho<strong>de</strong>. Ils ont donc connu et observé <strong>de</strong>s<br />

règles, soit par instinct, soit par réflexion, dans les<br />

parties <strong>de</strong> leurs ouvrages où ils ont pro<strong>du</strong>it <strong>de</strong> l'effet.<br />

Shakespeare lui-même, tout grossier qu'il était,<br />

n'était pas sans lecture et sans connaissances : ses<br />

oeuvres en fournissent <strong>la</strong> preuve. On allègue encoref<br />

. dans <strong>de</strong> grands écrivains, <strong>la</strong> vio<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> certaines<br />

règles qu'ils ne pouvaient pas ignorer, et les beautés<br />

qu'ils ont tirées <strong>de</strong> cette vio<strong>la</strong>tion même; et l'on ne<br />

voit pas qu'ils n'ont négligé quelques-unes <strong>de</strong> ces<br />

règles que pour suivre <strong>la</strong> première <strong>de</strong> toutes* celle <strong>de</strong><br />

sacrifier le moins pour obtenir le plus. Quand il y a<br />

tel ordre <strong>de</strong> beautés où Ton ne peut atteindre qu'en<br />

commettant telle faute, quel est alors le calcul <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> raison et <strong>du</strong> goût? C'est <strong>de</strong> voir si les beautés<br />

sont <strong>de</strong> nature à faire oublier <strong>la</strong> faute; et dans ce cas<br />

il n'y a pas à ba<strong>la</strong>ncer. Ce<strong>la</strong> est si peu contraire aux<br />

principes, que les légis<strong>la</strong>teurs les plus sévères font<br />

prévu et prescrit. C'est le sens <strong>de</strong> ces vers <strong>de</strong> Despréaux<br />

:<br />

Quelquefois dans sa <strong>cours</strong>e un esprit vigoureux,<br />

Trop resserré par fart sort <strong>de</strong>s règles prescrites,<br />

Et <strong>de</strong> far t même apprend à franchir leurs limites.<br />

11 en est <strong>de</strong> même dans tous les genres. Combien<br />

<strong>de</strong> fois un grand général n'a-t-il pas manqué seïemtiîeiîl<br />

à quelqu'un <strong>de</strong>s principes refus, quand il a<br />

cru voir un moyen <strong>de</strong>suecèsdansuncas d'exception!<br />

Dira-t-on pour ce<strong>la</strong> qu'il n'y a point d'art militaire f<br />

et qu'il ne faut pas l'étudier?<br />

Une autre erreur, qui est <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> celle-là, c'est<br />

<strong>de</strong> prétendre justifier ses fautes en alléguant celles<br />

<strong>de</strong>s meilleurs écrivains : on a même été plus loin, et<br />

Ton a dit qu'il était <strong>de</strong> l'essence <strong>du</strong> génie <strong>de</strong> faire îles<br />

fautes. Ce<strong>la</strong> n'est vrai que dans le sens <strong>de</strong> Quintilien<br />

9 quand il dit : Ils sont grands , mate pourtant<br />

ils sont hommes z ; et dans le sens d'Horace , quand<br />

il dit qu'Homère , tout Homère qu'il est y sommeille<br />

quelquefois. Maïs ce qui caractérise véritablement<br />

le génie, c'est d'avoir assez <strong>de</strong> beautés pour faire<br />

pardonner les fautes» Et <strong>de</strong> pies, l'in<strong>du</strong>lgence se<br />

mesure encore s» le temp où l'on a écrit, et sur<br />

le plus ou moins <strong>de</strong> modèles que I'OB avait. Quand<br />

une fois ils sont en grand nombre , les fautes ne sont<br />

plus racbetables qju'à force <strong>de</strong> beautés. C'est donc<br />

ià-dassas qu'il faut s'examiner sérieusement, et se<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si l'ona'estpintdawlecag<strong>de</strong>iMreeoiiiiiiê<br />

Bïppolyte, quand il se compare à Thésée :<br />

Amusa monstres par mol domptés f asqn'anjourdlitil<br />

Ne m'ont acquis le droit <strong>de</strong> ftdlllr somme Sut.<br />

Les ennemis <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> l'art , ne sachant à qui<br />

s'en prendre , en ont fait un crime à <strong>la</strong> philosophie;<br />

et parce que les meilleurs critiques ont été <strong>de</strong> bons<br />

philosophes, on leur a reproche d'afoir mêlé <strong>la</strong><br />

sécheresse <strong>de</strong> leurs procédés aux mouvements libres<br />

<strong>de</strong> l'imagination. Pour tout dire en un mot, on a<br />

préten<strong>du</strong> <strong>de</strong> nos jours


<strong>de</strong> <strong>la</strong> morale, a gravé pour rinniortalité ht règles<br />

essentielles 4e <strong>la</strong> poétique et ie h rhétorique; et<br />

ton ©awage après tant <strong>de</strong> siècles révotus, est encore<br />

celui qui contient les meilleurs éléments <strong>de</strong><br />

ces <strong>de</strong>ux arts. Cieéros fat à <strong>la</strong> fois h ph» grand<br />

orateur et le metteur philosophe dont ras€ieine<br />

Moine ae glorifie; et il est à remarquer que ses livres<br />

didactiques sur l'éloquence sont tout, ainsi<br />

que ctu in sage ihStagyw, fondés sur <strong>de</strong>s idées<br />

pbïlbsopMques, quoique traités avec plw dfagrémcut<br />

et une dialectique moins sévère.<br />

QyintilhB, regardé encore aujowrdlittï comme<br />

le précepteur <strong>du</strong> goit, a consacré on chapitre <strong>de</strong><br />

sea AufMWioiit wmàÊrm à prouve* nécessaire<br />

ée h phiosopttte et <strong>de</strong> l'éloquence; et Mutarque<br />

et Tacite sont distingués par le titre d'écrv<br />

vains philosophes, M est appelé h <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> raison, et <strong>la</strong> philosophie


10 INTRODUCTION.<br />

l'habitu<strong>de</strong>. Ainsi «"établit le règne <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie<br />

après celui <strong>de</strong>s lettres et <strong>du</strong> génie : m sont <strong>de</strong>ux<br />

puissances qui se succè<strong>de</strong>nt , mais dont Fane n'a ni<br />

combattu ni détrêné l'autre.<br />

Laissons donc ceux qui se trompent ou qui veulent<br />

tromper, confondre sans cesse l'usage et l'abus, et<br />

m voir dans les meilleures choses que l'excès qui<br />

les dénature. Le moyen <strong>de</strong> se défendre <strong>de</strong> leurs erreurs,<br />

c'est d'en bien démêler le principe. On le<br />

retrouve très-bien exprimé dans un vers d'Horace*,<br />

tra<strong>du</strong>it par Boileau :<br />

/* wtiiwm imeii ml$mp$§a«<br />

C'est <strong>la</strong> crainte d'un mal tpl con<strong>du</strong>it dans os pire.<br />

Dans le siècle <strong>de</strong>rnier, <strong>de</strong>s pédants, qui ne savaient<br />

que <strong>de</strong>s mots, injuriaient Corneille et Racine au<br />

nom d'Aristote, qui assurément n'y était pour rien ;<br />

censuraient <strong>de</strong>s beautés qu'ils n'étaient pas capables<br />

<strong>de</strong> sentir, en citant <strong>de</strong>s règles qu'ils n'étaieat pas à<br />

portée <strong>de</strong> bien'appliquer; prenaient en main les intérêts<br />

<strong>du</strong> goût, qui ne les aurait pas avoués pour<br />

- ses apôtres. C'était un travers sans doute : <strong>de</strong> nos<br />

Jours, on s'en est servi pour accréditer un travers<br />

tout opposé. On a rejeté toutes les règles comme<br />

les tyrans <strong>du</strong> génie, quoiqu'elles ne soient en effet<br />

que ses gui<strong>de</strong>s; on a prêché le néologisme, en soutenant<br />

que chacun avait droit <strong>de</strong> se faire une <strong>la</strong>ngue<br />

pour ses pensées, quoique avec ce système on cou­<br />

rût risque, au bout <strong>de</strong> quelque temps, <strong>de</strong> ne pies<br />

s'entendre <strong>du</strong> tout. On a décrié le goût comme timi<strong>de</strong><br />

et pusil<strong>la</strong>nime, quoique ce soit lui seul qui enseigne<br />

à oser heureusement. Ces nouvelles doctrines<br />

ont germé'pendant quelque temps dans une foule<br />

<strong>de</strong> têtes, surtout dans celles <strong>de</strong>s jeunes gens. 11 sera-<br />

Malt que le talent et le goût ne pussent désormais<br />

se rencontrer ensemble : on vantait avec une sorte<br />

<strong>de</strong> fanatisme ceux qui avaient, imï%-m^dédaigné<br />

é'&mir eJÉ goM«. Wm est-ce pas assez pour que <strong>de</strong><br />

Jeunes têtes, faciles à exalter, aient aussitôt <strong>la</strong> prétention<br />

d'être <strong>de</strong> moitié dans ce noble orgueil et<br />

dans ce dédain sublime, et se persua<strong>de</strong>nt que, dès<br />

que l'on manque <strong>de</strong> goût, on a infailliblement <strong>du</strong><br />

génie? H 9 est-on pas trop heureux <strong>de</strong> pouvoir leur<br />

citer les Sophocle, les Bémosthène, les Cicéron, les<br />

Yirgile, les Horace, les Fénelon, les Racine, les<br />

Despréaux, les Voltaire, qui ont bien voulu s'abaisser<br />

jusqu'à avoir <strong>du</strong> goût, et qui n'ont pas cru se<br />

compromettre?<br />

• m Jrte pœika, y. SI. — Meta a dit dans M» Art<br />

p&êM§m9 chant 11<br />

8«mat te peur âlm snl mm eoaiolt iau'u phe.<br />

1 EipeietaiMrf^^<br />

àsfptm<br />

Au reste, dans ce moment eà mon but est surtout<br />

d'établir quelques notions préliminaires, et <strong>de</strong><br />

combattre quelques erreurs plus ou moins générales,<br />

je m'arrête sur une remarque essentielle, et<br />

dont l'application pourra souvent avoir liée dans le<br />

<strong>cours</strong> <strong>de</strong> .nos séances. Elle porte sur l'inconvénient<br />

attaché à ces mots <strong>de</strong> féale et <strong>de</strong> goûi, aujourd'hui<br />

si souvent et si mal à propos répétés. Ce sont, ainsi<br />

que quelques autres termes particuliers à notre<br />

<strong>la</strong>ngue, <strong>de</strong>s expressions abstraites en elles-mêmes,<br />

vagues et indéinies dans leur acception, susceptibles<br />

d'équivoque et d'arbitraire, <strong>de</strong> manière que<br />

celui qui les emploie leur donne à peu près <strong>la</strong> valeur<br />

qui lui p<strong>la</strong>ît. Cessarles <strong>de</strong> mots, et beaucoup d'autres<br />

<strong>du</strong> même genre, qui se sont établis <strong>de</strong>puis qu'on a<br />

porté jusqu'à l'excès l'envie <strong>de</strong> généraliser ses idées,<br />

semblent donner aux formes <strong>du</strong> style une tournure<br />

philosophique et une apparence <strong>de</strong> précision; maïs,<br />

dans le fait;elles y répan<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s nuages, si elles<br />

ne sont pas employées avec beaucoup <strong>de</strong> réserve et<br />

<strong>de</strong> justesse. Aussi l'accumu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s termes abstraits,<br />

qui couvrent souvent le défaut <strong>de</strong> pensées<br />

et favorisent l'erreur et le sophisme, est un <strong>de</strong>s<br />

vices dominants dans les écrivains <strong>de</strong> nos jours,<br />

même dans plusieurs <strong>de</strong> ceux qui ont d'ailleurs un<br />

mérite réel. Ce vice est particulièrement <strong>de</strong> notre.<br />

siècle; et <strong>de</strong> là vient l'habitu<strong>de</strong> d'écrire et <strong>de</strong> parler<br />

sans s'entendre. Des exemples rendront cette observation<br />

sensible. Il n'y a rien <strong>de</strong> si commun aujourd'hui<br />

que <strong>de</strong> disputer sur le génie, <strong>de</strong> voir <strong>de</strong>s<br />

hommes instruits mettre en question si tel ou tel<br />

auteur (et il s'agit <strong>de</strong>s plus célèbres) en avait ou<br />

non : on entend <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r encore tous les jours si<br />

Racine, si Yoltaire étaient <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> génie;<br />

et remarquez que ceux qui élèvent ce singulier doute<br />

conviennent qu'ils ont fait <strong>de</strong> très-beaux ouvrages,<br />

<strong>de</strong>s ouvrages qui peuvent servir <strong>de</strong> modèles; mais,<br />

au mot <strong>de</strong> génie9 <strong>la</strong> dispute s'élève, et l'on ne put<br />

plus s'accor<strong>de</strong>r. îf est-il pas très-probable qu'une pareille<br />

discussion ne peut venir que <strong>de</strong> <strong>la</strong> différence<br />

<strong>de</strong>s significations qu'on attache à ce mot, et même<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> difficulté qu'on éprouve à le iéfinlr c<strong>la</strong>irement ;<br />

car <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong> ceux qui s'en servent sont très-<br />

©mbarrasséa quand il faut l'expliquer, et c'est encore<br />

un nouveau sujet <strong>de</strong> controverse. A <strong>la</strong> fi?car <strong>de</strong> cet<br />

abus <strong>de</strong> mots, on trouve le moyen <strong>de</strong> refuser le<br />

génie aux plus grands écrivains, et <strong>de</strong> raccor<strong>de</strong>r<br />

aux plus mauvais; et Ton conçoit qu'il y a bien <strong>de</strong>s<br />

gens qui s'accommo<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> cet arrangement. Mais<br />

que l'on s'arrête à <strong>de</strong>s idées nettes et précises, qu'on<br />

examine, par exemple, quand il est question d'un<br />

poète tragique, si les sujets sont bien choisis, les


1NT10DUCTI0N.<br />

p<strong>la</strong>t bien concis t les situations intéressantes'et<br />

vraisemb<strong>la</strong>bles, les caractères «informes à <strong>la</strong> nature ;<br />

si le dialogue est raisonnable; si le style est l'expression<br />

juste <strong>de</strong>s*sentiments et <strong>de</strong>s passions; s'il<br />

est toujours en proportion a?ec le sujet et les .personnages;<br />

si <strong>la</strong> diction est pure et harmonieuse, si<br />

les scènes sont liées les unes au autres, si tont est<br />

c<strong>la</strong>ir et motivé : tout ce<strong>la</strong> peut se ré<strong>du</strong>ire en démonstration.<br />

Je suppose que, cet examen fait, Fou <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

encore si ca<strong>la</strong>i f al a rempli toutes ces conditions<br />

a <strong>du</strong> génie (et Racine et Voltaire les ont<br />

remplies toutes), je croîs qu'alors <strong>la</strong> question pourra<br />

paraître un peu étrange, aussi, pour se sauter <strong>de</strong> l'évi<strong>de</strong>nce,<br />

on se esche encore dans les ténèbresd Y un mot<br />

abstrait. Tout ce que TOUS sciiez <strong>de</strong> détailler, dit-on,<br />

c'est f affaira <strong>du</strong> goût : le goût est le sentiment <strong>de</strong>s<br />

contenances, et c'est lui qui enseigne tout ce que<br />

•oui venez <strong>de</strong> dire. Oui., j'avoue que le goût est le<br />

sentiment <strong>de</strong>s convenances ; mais si son prtage est<br />

si beau et si éten<strong>du</strong>, qu'il contienne tout ce que je<br />

viens d ? eiposer, je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce qui restera au génie.<br />

On répond que le génie c'est <strong>la</strong> créûikm, et nous<br />

voilà retombés encore dans un <strong>de</strong> ces termes abstraits<br />

qu'il faut définir. Qu'est-ce que créer? Ce ne<br />

peut être ici faire quelque chose <strong>de</strong> rien; car ce<strong>la</strong><br />

n'est donné qu'à Bien : encore faut-il avouer que<br />

cette création est pour nous aussi incompréhensible<br />

qu'évi<strong>de</strong>nte. C'est donc simplement pro<strong>du</strong>ire. —<br />

Oui, dit-on encore; mais le génie seul pro<strong>du</strong>it <strong>de</strong>s<br />

choses neuves; en un mot, il invente, et l'invention<br />

est son caractère distinctif . — Expliquons - nous<br />

encore. Qu'est-ce qu'on entend par invention ? Est-ce<br />

celle d'un art? le premier qui en ait eu f liée est-il<br />

le seul inventeur? L'arrêt serait <strong>du</strong>r; car enfin,<br />

Raphaël n'a pas inventé <strong>la</strong> peinture, ni Sophocle <strong>la</strong><br />

tragédie, ni Homère lui-mime l'épopée, ni Molière<br />

<strong>la</strong> comédie; et il me* semble qu'on ne leur conteste<br />

pas le génie»<br />

Il Jact donc en revenir à n'exiger d'autre inven*<br />

tien que celle <strong>de</strong>s ouvrages; et toute <strong>la</strong> difficulté<br />

sera ^assigner le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> génie, selon qu'ils seront<br />

plus on moins heureusement inventés. Mous 'sommes<br />

donc parvenus, <strong>de</strong> définition en définition, à nous<br />

rapprocher <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité; car, indépendamment <strong>de</strong>s<br />

ouvrages oà Racine et Yoltaire ont été imitateurs,<br />

on ne îssut nier qu'il n'y en ait qui leur appartiennent<br />

en tonte propriété; et les voilà, non pas sans<br />

quelque peine, rentrés dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse <strong>de</strong>s hommes<br />

et génie, <strong>de</strong>puis qu'on est convenu <strong>de</strong> s'entendre<br />

'sur ce mot.<br />

En ftilsamt les ouvrages <strong>de</strong> Boileau, j'y reaesfrtfs<br />

iesa cassages dont le <strong>de</strong>rnier surtout est<br />

tii^remarquable, et qui tous <strong>de</strong>ux achèvent <strong>de</strong><br />

11<br />

prouver que ce met <strong>de</strong> §êikf qui dans l'usage universel<br />

désigne aujourd'hui <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> supériorité<br />

en fiât d'esprit et <strong>de</strong> talent, et qui est <strong>de</strong>venu<br />

le titre qu'on prend le plus exclusivement pour sol<br />

et qu'on dispte le plus aux autres, ne vou<strong>la</strong>it dire,<br />

dans tous les écrivains <strong>du</strong> siècle <strong>de</strong> Louis XI?, que<br />

<strong>la</strong> disposition à telle ou telle chose.<br />

On a ¥s le vin et le basant<br />

Inspirer quelquefois une muse graâgfère.<br />

Et fournir mm génie mm eosptet à IJMèm<br />

Génie, est là bien évi<strong>de</strong>mment pour aptitu<strong>de</strong> naturelle,<br />

pour ee que nous appelons êmkmi, dans le<br />

sens même le plus restreint. Iî n'exprime aucune<br />

idée <strong>de</strong> prééminence; au lieu que, lorsque nous disons<br />

: C'-est un homme <strong>de</strong> génie, il y a <strong>du</strong> génie dans<br />

cet ouvrage : nous croyons dire ee qu'il y a <strong>de</strong> plus<br />

tort. Écoutons maintenant Boileau dans une <strong>de</strong> ses<br />

fréfaces.<br />

« le me contenterai d'avertir d'une chose dont il<br />

est bon qu'on soit instruit; c'est qu'en attaquant<br />

dans mes satires les défauts <strong>de</strong> quantité d'écrivains<br />

<strong>de</strong> notre siècle, je n'ai pas préten<strong>du</strong> pour ce<strong>la</strong><br />

ater à ces écrivains le mérite et les bonnes qualités<br />

qu'ils peuvent avoir d'ailleurs. le n'ai ps<br />

préten<strong>du</strong>, dis-je, que Chape<strong>la</strong>in, par exemple,<br />

quoique assez méchant poète, n'ait pas fait autrefois,<br />

je ne sais comment, une assez belle o<strong>de</strong>,<br />

et qu'il n'y eût point d'esprft ni d'agrément dans<br />

les ouvrages <strong>de</strong> M. Quinault, quoique si éloignés<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> perfection <strong>de</strong> Virgile. J'ajouterai même sur<br />

ce <strong>de</strong>rnier, que, dans le temps où j'écrivis contre<br />

lui, nous étions tous <strong>de</strong>ux fort jeunes, et qu'il<br />

n'a?ait pas fait alors beaucoup d'ouvrages qui lui •<br />

ont dans <strong>la</strong> suite acquis une juste réputation. Je<br />

veui bien aussi avouer qu'il y a <strong>du</strong> §émle dans les<br />

écrits <strong>de</strong> Saint-Amand, <strong>de</strong> Brébeuf, <strong>de</strong> Scudéry,<br />

<strong>de</strong> Celle» et <strong>de</strong> plusieurs autres que j'ai critiqués. »<br />

Ainsi donc, <strong>de</strong> l'aveu <strong>de</strong> Boileau, voilà Scudéry,<br />

Saint-Amand, Brébeuf et Câlin qui ont <strong>du</strong> génie.<br />

J'ai peur qu'il n'y ait là <strong>de</strong> quoi dégoûter un peu<br />

ceux qui ont tant d'envie d'en avoir ; car il est c<strong>la</strong>ir<br />

qu'avec-<strong>du</strong> génie on peut se trouver, an moins chez<br />

Despréaux, en asseï mauvaise compagnie. Avouons<br />

que, pour les philosophes qui se sont amusés à observer<br />

les différentes valeurs <strong>de</strong>s termes en différents<br />

temps, ce n'est pas une chose peu curieuse que <strong>de</strong><br />

voir Despréaux accor<strong>de</strong>r à Cct<strong>la</strong> ce qu'aujourd'hui<br />

bien <strong>de</strong>s gens refusent à Yoltaire,<br />

Je suis loin <strong>de</strong> conclure qu'il faille condamner<br />

l'usage où fou est d'employer ces termes dans un<br />

sens absolu : cet usage est universel, et Ton doit<br />

parler <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong>. J'ai voulu faire


n<br />

1NT10BIJCTI0N.<br />

¥®lr Muleaie&t ipfil ne'frlWt s'en sertir qrtn j<br />

attachant une idée c<strong>la</strong>ire et déterminée. Commeiiçoiis<br />

donc pat les ammâéw&t m gmtmwnem; car<br />

M grammaire est le fon<strong>de</strong>ment ite toutes nos eonmmmm&mf<br />

puisqu'elle mmà compte êm mots qm<br />

soit les signes mèmmkm <strong>de</strong>s idées, toile f»t<br />

d'un mot <strong>la</strong>tin, gmim, qui signifie, dans les lettons<br />

<strong>de</strong> Fancienne mythologie, l'être imaginaire que Ton<br />

supposait prési<strong>de</strong>r à <strong>la</strong> naissance <strong>de</strong> chaque homme,<br />

influer sur sa <strong>de</strong>stinée et sur son caractère, et faire<br />

son bonheur ou son malheur, sa force ou sa faiblesse.<br />

De là tiennent, chei les anciens, ces idées <strong>de</strong> bon<br />

ci <strong>de</strong> maiwaig génie, qui sous différents noms ont<br />

fait le tour <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>. C'est dans ce sens que <strong>la</strong>tine<br />

f qui» savait si bien adapter le style aux mœurs<br />

ut aux personnages, feit dire à Héron, en par<strong>la</strong>nt<br />

d'Agrippise :<br />

Mon geste étoile frétante <strong>de</strong>vant te sfea.<br />

Les Latins rappliquèrent par extension au caractère<br />

et à l'humeur. Ils aeaient même une manière <strong>de</strong><br />

par<strong>la</strong> qui nous paraîtrait biemsingulièreen français ;<br />

m Mwer à mm génie (gmio indmlgete) mmMt dire<br />

chez «m 9 se réjonlrf s'abandonner à tous-ses goûts.<br />

En empruntant d'en ce mot <strong>de</strong> génie, on fa d'àboni<br />

employé comme eux, pour bon et mauvais<br />

géaîet et pour synonyme <strong>de</strong> caractère, partie pêne,<br />

farouche génie : ensuite on l'a éten<strong>du</strong> à <strong>la</strong> disposition<br />

naturels aux sciences et aux arts <strong>de</strong> l'esprit<br />

et <strong>de</strong> l'imagination ; et alors on


INTRODUCTION.<br />

moins, comme on a plusou moins <strong>de</strong> facilitéf <strong>de</strong><br />

fécondité, d'énergie s <strong>de</strong> sensibilité,<strong>de</strong>grâee,d'harmonie.<br />

Croit-on $ par eiempte, que Corneille s'ait<br />

pas <strong>mont</strong>ré quelquefois un excellent goût dans ses<br />

beau ouvrages? Et sans «<strong>la</strong> comment aurait-il<br />

purgé le théâtre <strong>de</strong> tous les vices qui l'infectaient<br />

avant lui? comment aurait-il fait tes premiers tara<br />

vraiment beaus, vraiment tragiques qu'on ait enten<strong>du</strong>s<br />

sur <strong>la</strong> scène? Il eut sans doute moins <strong>de</strong> goût<br />

que Racine et Voltaire $ et infiniment moins ; mais<br />

il succédait <strong>de</strong> bien près à <strong>la</strong> barbarie y et Vest ee<br />

qu'oublient.sans cesse ou ee qu'affectent d'oublier<br />

catii qui veulent s'autoriser <strong>de</strong> son exemple pour<br />

justifier leurs fautes. Ils ne songent pas que ces<br />

foutes ne sont p<strong>la</strong>s excusables quand Fart et <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue<br />

sont formés et perfectionnés. Ce n'est pas qu'ils<br />

ne sentent cette vérité , mais ils voudraient y échapper.<br />

Cmt pour ce<strong>la</strong> qu'ils appellent défaut <strong>de</strong> goût<br />

ce qui est défaut <strong>de</strong> talent ; qu'ils s'efforcent <strong>de</strong> persua<strong>de</strong>r<br />

que les préceptes <strong>du</strong> bon sens et <strong>du</strong> goût<br />

intimi<strong>de</strong>nt, énervent, rétrécissent le génie. Pour<br />

<strong>la</strong>ar répondre, on est obligé <strong>de</strong> révéler leur secret :<br />

c'est celui <strong>de</strong> l'amonr-propre et <strong>de</strong> l'impuissance.<br />

Es effet, quand on leur a dé<strong>mont</strong>ré toutes les fautes<br />

qu'ils ont commises, quelle ressource leur restet-iî<br />

f si ce n'est d'affecter un mépris aussi faux que<br />

ridicule pour tous ces principes sur lesquels on les<br />

juge? Maïs <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière réponse à leur faire (et cette<br />

réponse est péremptoire), c'est que tout ce qu'il y a<br />

en <strong>de</strong> grands hommes f <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> naissance <strong>de</strong>s arts<br />

jusqu'à nos jours, a suivi ces règles qu'ils dédaignent,<br />

et qu'en les suivant on s'est élevé aux plus<br />

gran<strong>de</strong>s beautés, et on a su éviter les fautes. Alors<br />

comment disconvenir qu'il n'y ait plus <strong>de</strong> faiblesse<br />

que <strong>de</strong> force à ne pas faire <strong>de</strong> même? Et si parmi<br />

ceux qui ont eu <strong>du</strong> génie, on cite quelqu'un dont les<br />

ouvrages offrent pourtant beaucoup <strong>de</strong> très-grands<br />

défauts, tel qu'a été parmi nous Crébillon, tout ce<br />

qu'on peut en conclure^ c'est qu'il avait un génie<br />

moins heureux et moins parfait, et qu'en conséquence<br />

il ne peut être mis au premier rang, ni p<strong>la</strong>cé<br />

dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse <strong>de</strong>s maîtres et <strong>de</strong>s modèles.<br />

Tai dit que ces <strong>de</strong>ux mots, le génie et le goût,<br />

pris ainsi dans un sens absolu, étaient particuliers<br />

à notre <strong>la</strong>ngue, et ce<strong>la</strong> me con<strong>du</strong>it à une <strong>de</strong>rnière<br />

remarque sur ces abstractions, qui ont été aussi<br />

nuisibles en <strong>littérature</strong> qu'es métaphysique, parce<br />

qu'elles ont donné lieu à une foule <strong>de</strong> mauvais raisonnements.<br />

Ces <strong>de</strong>ux mots, employés abstraitement,<br />

n'ont point <strong>de</strong> synonyme exact, point d'équivalent<br />

dans les <strong>la</strong>ngues anciennes*. En grec et<br />

es <strong>la</strong>tin, le goût ne pourrait guère se tra<strong>du</strong>ire que<br />

par jugement 9 et ce n'est pas à beaucoup près toute<br />

l'éten<strong>du</strong>e que nous donnons à ce ferma» Quant à<br />

ca<strong>la</strong>i <strong>de</strong> génie, le mot grée ou <strong>la</strong>tin s qui pourrait<br />

mieux y répondra, n'exprime que l'esprit, l'intelligence<br />

dans tous ses sens, et, comme on voit, ne<br />

rendrait pas notre idée. Ils n'auraient pas pu exprimer<br />

en un seul mot <strong>la</strong> différence que nous mettons<br />

entre l'esprit et le génie ; il faudrait <strong>de</strong>s épthètes<br />

et <strong>de</strong>s périphrases. Ces <strong>de</strong>ux vers <strong>de</strong> ¥altairaf par<br />

exemple,<br />

fin sont roc©» aa rasg <strong>de</strong>s beanx-aprlig t<br />

Mai* etcf» ûu mng <strong>de</strong>s géaiat»<br />

seraient impossibles à tra<strong>du</strong>ire en grec ou en <strong>la</strong>tin ,<br />

autrement qu'en spécifiant les différences que les<br />

anciens spécifiaient toujours ; qu'en disant : ils sont<br />

encore au rang <strong>de</strong>s esprits agréables, mais exclus<br />

<strong>du</strong> rang <strong>de</strong>s esprits sublimes. Quant à <strong>la</strong> question<br />

proposée ci-<strong>de</strong>ssus 9 si un homme qui a fait <strong>de</strong> beaux<br />

ouvrages a <strong>du</strong> génie, comme, dans les termes correspondants<br />

<strong>de</strong> leur <strong>la</strong>ngue, ou aurait Fair <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

si cet homme a <strong>la</strong> qualité sans <strong>la</strong>quelle il<br />

n'a pu faire ce qu'il a fait, il faudrait, je crois y bien<br />

<strong>du</strong> temps et <strong>de</strong>s phrases pour <strong>la</strong> leur faire entendre;<br />

et, quand ils l'auraient comprise, ils pourraient<br />

bien n'y trouver aucun sens.<br />

Les <strong>de</strong>ux vers <strong>de</strong> Voltaire, que je viens <strong>de</strong> citer,<br />

nous rappellent encore un autre changement assez<br />

remarquable'arrivédans notre <strong>la</strong>ngue, re<strong>la</strong>tivement<br />

à <strong>la</strong> signification <strong>de</strong> ce mot <strong>de</strong> bel-esprit. Il ne se prenait<br />

autrefois que dans us sens très-favorable : c'était<br />

le titre le plus honorifique <strong>de</strong> ceux qui cultivaient<br />

les lettres. Boiieau lui-même, au commencement <strong>de</strong><br />

son JrtpoéMqtm, s'exprime ainsi :<br />

O vont doue qui, brû<strong>la</strong>nt d'une mémt périlcaaaf<br />

Cciîirs ûu bel-esprit <strong>la</strong> carrière épIneuM....<br />

On dirait alourdirai <strong>la</strong> ctrrièie <strong>du</strong> talent t <strong>la</strong> carrière<br />

<strong>du</strong> génie, parce que le mot <strong>de</strong> bel-esprit ne<br />

nous présente plus que ndéed^niné^ieeoâdam.<br />

Ce changement a dû s'opérer quand le nomtoi <strong>de</strong>s<br />

écrivains qui pouvaient mériter d'être qualifiés <strong>de</strong><br />

beaui-esprits est venu à se multiplier davantage.<br />

Alors ce qui appartenait à tant <strong>de</strong> gensn'a plus pan<br />

une distinction asseï honorable, et l'on a cherché<br />

d'autres termes pour «prime? <strong>la</strong> supériorité.<br />

En vous arrêtant, messieurs, sur Fanalyie que<br />

je viens <strong>de</strong>, détailler, mon <strong>de</strong>ssein a été <strong>de</strong> litre sentir<br />

combien il était important, surtout dais les matières<br />

délicates que noua aurons à traiter, <strong>de</strong> AHSHter<br />

t aveebplusgran<strong>de</strong> piéeiiion poesiMe*<strong>du</strong>tt|§fi®rt<br />

<strong>de</strong>s mots avec les idées; et j v «I cm que ee <strong>de</strong>vait<br />

êtra l'oljct do n»D pwmier tamB. Avant <strong>de</strong> psaer<br />

1 NoOc, ingmimm.<br />

11


14<br />

INTEOBDCHON.<br />

en reine les siècles mémorables que Ton a nommés<br />

par excellence les siècles <strong>du</strong> génie et <strong>du</strong> goût, il fal<strong>la</strong>it<br />

commencer par bien entendre ces <strong>de</strong>ux mots,<br />

objets <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> vénératios, et sujets <strong>de</strong> tant <strong>de</strong><br />

méprises. J'ai prié <strong>de</strong> <strong>la</strong> connexion qui existe nécessairement<br />

entre <strong>la</strong> philosophie et les beaux-arts,<br />

parce que nous aurons souvent occasion d'en observer<br />

les effets, les avantages et les abus, et qu'use<br />

poétique faite par un philosophe sera le premier ouvrage<br />

qui nous occupera. Les Imiiimimm omêoirês<br />

<strong>de</strong> Quintilien, les Diakgueê <strong>de</strong> Cicéron sur l'éloquence,<br />

précé<strong>de</strong>ront <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong>s orateurs; et, en<br />

étudiant ces éléments <strong>de</strong>s arts, ces lois do bon goût,<br />

en les appliquant ensuite à Fexamen <strong>de</strong>s modèles,<br />

?ous reconnaîtrez avec p<strong>la</strong>isir que le beau est le<br />

même dans tons les temps, parce que <strong>la</strong> nature et<br />

<strong>la</strong> raison ne sauraient changer. Des ennemis <strong>de</strong> tout<br />

bien ont voulu tirer avantage <strong>de</strong> cette vérité pour<br />

taxer d Y inutilité les discussions littéraires. A les entendre,<br />

tout a été dit. Et remarquez que ces gens à<br />

qui on ne peut rien apprendre ne sont pas ceux qui<br />

savent le plus. Je n'ignore pas que <strong>la</strong> raison qui est<br />

très-mo<strong>de</strong>rne en philosophie, est très-ancienne en<br />

fait <strong>de</strong> goût ; mais, d'un autre côté 9 ce goût se compose<br />

<strong>de</strong> tant dictées mixtes, Fart est si éten<strong>du</strong> et si<br />

varié, le beau a tant <strong>de</strong> nuances délicates et fugitives,<br />

qu'on peut encore, ce me semble, ajouter aux<br />

principes généraux une foule d'observations neuves,<br />

aussi utiles qu 9 agréables, sur l'application <strong>de</strong> ces mêmes<br />

principes; et ce genre <strong>de</strong> travail {si Ton peut<br />

donner ce nom à l'exercice le plus piquant pour f esprit,<br />

le plus intéressant pour rame) ne peut avoir<br />

lieu que dans <strong>la</strong> lecture et l'analyse <strong>de</strong>s écrivains <strong>de</strong><br />

tous les rangs. Les cinq siècles qui ont marqué dans<br />

l'histoire <strong>de</strong> l'esprit humain passeront successivement<br />

sous nos yeux. On peut les caractériser sans<br />

doute par <strong>de</strong>s traits généraux ; mais, dans ces aperçus<br />

rapi<strong>de</strong>s, il y a plus d'éc<strong>la</strong>t que d'utilité. Ce qui<br />

est vraiment instructif, c'est fexamen raisonné <strong>de</strong><br />

chaque auteur, c'est l'exact résumé <strong>de</strong>s beautés et<br />

<strong>de</strong>s définis, c'est cet emploi continuel <strong>du</strong> jugement<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> sensibilité. Et ne craignons pas <strong>de</strong> revenir<br />

sur dès auteurs trop connus. Que <strong>de</strong> choses à connaître<br />

encore dans ce que sous croyons savoir le<br />

mieux 1 Qui <strong>de</strong> nous, en relisant sos c<strong>la</strong>ssiques,<br />

n'est pas souvent étonné d'y voir ce qu'il n'avait pss<br />

encore vu? Et combien nous verrions davantage,<br />

s'il se pouvait qu'un Racine, un Voltaire, nous révélât<br />

lui-même les secrets <strong>de</strong> son génie! Malheureusement<br />

c'est une sorte <strong>de</strong> coni<strong>de</strong>nce que lo génie ne<br />

<strong>la</strong>it pas. Tâchons au moins <strong>de</strong> <strong>la</strong> lui dérober, autant<br />

qu'il est possible, par une étu<strong>de</strong> attentive, et surprenons<br />

<strong>de</strong>s secrets où nous n'étions pas initiés.<br />

Hé<strong>la</strong>s! le'malheur <strong>de</strong>s grands artistes, celui qui<br />

s'est connu que d'eux seuls, et dont Us ne se p<strong>la</strong>ignent<br />

qu'entre eux, c'est <strong>de</strong> n'être pas assez sentis.<br />

Il y a, je l'avoue, un effet total qui constate le succès,<br />

et qui suffit à leur gloire; mais ces détails <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> perfection, mais cette foule <strong>de</strong> traits précieux,<br />

09 par tout ce qu'ils ont coûté, ou même parce<br />

qu'ils n'ont rien coûté <strong>du</strong> tout, voilà ce dont quelques<br />

connaisseurs jouissent seuls et dans le secret,<br />

ce que les app<strong>la</strong>udissements publics ne disent pas»<br />

ce que l'envie dissimule toujours, ce que l'ignorance<br />

ne peut jamais entendre, et ce qui, s'il était bien<br />

conso, serait <strong>la</strong> première récompense <strong>de</strong>s vrais talents.<br />

Eh bien ! imaginons-nous (car ce n'est pas dans<br />

ce temple <strong>de</strong>s arts qu'on nous défendra les Illusions<br />

heureuses <strong>de</strong> l'imagination), imaginons-nous que<br />

les ombres <strong>de</strong> ces grands hommes sont présentes à<br />

sos assemblées, et tâchons <strong>de</strong> leur rendre, an'<br />

moins après leur mort, <strong>la</strong> seule jouissance peut-être<br />

qui leur ait manqué pendant leur vie; et que le génie<br />

consolé puisse se dire, pendant nos séances : Ils<br />

m'ont enten<strong>du</strong>.<br />

Mais s'ils veulent avoir en nous <strong>de</strong>s admirateurs y<br />

il faut qu'ils nous permettent d'oser être leurs juges;<br />

et c'est en ce moment qu'il 'convient <strong>de</strong> justifier<br />

par avance ce qu'il peut y avoir <strong>de</strong> témérité<br />

apparente à relever <strong>de</strong>s fautes dans <strong>de</strong>s auteurs consacrés<br />

par une longue renommée et par l'admiration<br />

générale. Ces! pourtant cette admiration même qui<br />

autorise en nous cette liberté, parce que c'est cette'<br />

même liberté qui fon<strong>de</strong> l'admiration. Il en résulte<br />

que celle-ci n'est ni aveugle ni superstitieuse, et que<br />

l'autre n'est ni injurieuse ni maligne. D'ailleurs, ce<br />

qu'il faut voir ici, ce n'est ps seulement un homme<br />

<strong>de</strong> lettres par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s maîtres <strong>de</strong> Fart, c'ettun siècle<br />

entier d'observations et d'expérience, dont les lumières<br />

, se réfléchissant sur tout ce qui l'a précédé,<br />

en éc<strong>la</strong>irent également les beautés et les défauts.<br />

Qu'il soit donc, une fois pour toutes, bien statué,<br />

bien reconnu, quelque sujet que nous traitions, quelque<br />

auteur dont nous parlions,que sous n'avons ni<br />

se pouvons avoir d'autre <strong>de</strong>ssein, d'autre objet que<br />

le désir très-innocent et très-raisonnable <strong>de</strong> nous<br />

instruire en sous amusant; je dis nous, messieurs,<br />

car vous me permettrez t sans doute, <strong>de</strong> vous mettre<br />

tous en commua dans ces discussions littéraires, où<br />

je me f<strong>la</strong>tte <strong>de</strong> n'être le plus souvent que votre interprète,<br />

et que, sans cette confiance, je n'aurais jamais<br />

eu le courage d'entreprendre, ni <strong>la</strong> force <strong>de</strong><br />

poursuivre.<br />

Évoquons sans crainte ces ombres illustres : quel'éc<strong>la</strong>t<br />

qui les environne offusque et importune Fi-


gnorance et l'en?ie ; mais sons, qui se eherebins qm<br />

rinstruction, rassemblons, s'il est possible, tous<br />

les raj©ns <strong>de</strong> leur gloire pour eu former ie jour <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

vérité, et faisons <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> c<strong>la</strong>rtés réunies un foyer<br />

<strong>de</strong> lumière qui repousse les ténèbres dont <strong>la</strong> barbarie<br />

menace <strong>de</strong> nous envelopper.<br />

Es vous invitant à ee lycée, on a voulu y réunir<br />

tous les genres d'Instruction et d'amusement. Eu<br />

est-il un plus noble 9 plus intéressant que celui


COURS DE LITTERATURE<br />

ANCIENNE ET MODERNE.<br />

PREMIÈRE PARTIE.— ANCIENS.<br />

Là UMMVtL — io« i.<br />

MldlBMH<br />

LIVRE PREMIER. - POÉSIE,<br />

CHAPITRE I". — Jna$g$e <strong>de</strong> fapoétêqm <strong>la</strong> nature ait organisées. 11 embrassa tout ce qui es!<br />

d'Jrtstote.<br />

<strong>du</strong> ressort <strong>de</strong> l'esprit humain, si Ton excepte les<br />

talents <strong>de</strong>rimagination; encore, §11 ne lut ni ors*<br />

Il 110 fal<strong>la</strong>it rien moins que tout le pédantisrae et teur ni poète *9 il dicta <strong>du</strong> moins d'excellents pré*<br />

tout le fanatisme èes siècles qui ont précédé <strong>la</strong> re­ captes I l'éloquence et à <strong>la</strong> poésie. Son ouvrage le<br />

naissance <strong>de</strong>s lettres, pour exposer à use sorte <strong>de</strong> plus étonnant est sans contredit sa Logique. 11 fut<br />

ridicule us nom tel que celui tf Aristote. Ou l'a pres^- le créateur <strong>de</strong> cetterscience, qui est le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong><br />

que ren<strong>du</strong> responsable <strong>de</strong> l'extravagance <strong>de</strong> ses en­ toutes les autres; et, pour peu qu'on y réfléchisse ,<br />

thousiastes. Mais celui qui disait, en par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> son on ne peut mk qu'avec admiration ce qu'il a fallu<br />

maître, Je suis ami <strong>de</strong> Ptaêm, mais encore plus <strong>de</strong> sagacité et dp travail pour ré<strong>du</strong>ire tous les rai­<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité, datait pas enseigné aui hommes à sonnements possibles à un petit nombre <strong>de</strong> formes<br />

préférer l'autorité à l'évi<strong>de</strong>nce; et celui qui leur précises, avec lesquelles ils sont nécessairement<br />

avait appris le premier à soumettre toutes leurs conséquents, et hors <strong>de</strong>squelles ils ne peuvent jamais<br />

idées aux formes <strong>du</strong> raisonnement n'aurait pas l'être. Il paraît erelr senti quel honneur cet ouvrage<br />

avoué pour disciples <strong>de</strong>s hommes qui croyaient ré­ pouvait lui faire; car, à <strong>la</strong> un <strong>de</strong> ses Analytiques,<br />

pondre à tout par ce seul mot : ht maître l'a dii. où ce chef-d'œuvre <strong>de</strong> métho<strong>de</strong> est contenu, il a<br />

Sa dialectique, étant <strong>de</strong>venue le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> <strong>la</strong> soin d'avertir que les autres sujets qu'il a traités lui<br />

théologie, rendit sa doctrine pour ainsi dire sacrée, sont communs avec beaucoup d'auteurs, mais que<br />

en <strong>la</strong> liant à celle <strong>de</strong> l'Église : <strong>de</strong> là ces arrêts <strong>de</strong>s cette manière est toute neuve, et que tout ce qu'il<br />

tribunaux, qui, jusque dans le siècle <strong>de</strong>rnier, défen­ en a dit n'avait jamais été dit avant lui. Il m'en m<br />

daient d'enseigner dans les écoles une autre philo­ coûté, ajoute-t-il, bien <strong>du</strong> temps et bien <strong>de</strong> ta<br />

sophie que <strong>la</strong> sienne. Le sage paisible qui conter- peine. On me doit donc <strong>de</strong> l'in<strong>du</strong>lgence pour ce qèe<br />

<strong>la</strong>it dans le lycée d'Athènes sur les éléments <strong>de</strong> <strong>la</strong> j'ai pu omettre 9 et <strong>de</strong>là reconnaissance pour ce<br />

logique ne pouvait pas prévoir qu'un jour <strong>la</strong> fâge <strong>de</strong> que j'ai su découvrît.<br />

l'argumentation, se joignant à <strong>la</strong> frénésie <strong>de</strong> l'esprit Un <strong>de</strong> ses plus grands monuments est son ffk-<br />

<strong>de</strong> secte, pro<strong>du</strong>irait <strong>de</strong>s meurtres et <strong>de</strong>s crimes, et toire <strong>de</strong>s Jnimûux; et c'est aussi un <strong>de</strong>s plus<br />

qu'on s'égorgerait au nom d*Aristote. Mais ce nom, beaux <strong>de</strong> l'antiquité. Four composer cet ouvrage,<br />

quoiqu'on en ait fait un si funeste abus, n'en est son disciple Alexandre lui fournit huit cents taiests,<br />

pas moins respectable. Aujourd'hui même que les environ cinq millions d'aujourd'hui, et donna <strong>de</strong>s<br />

progrès <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison ont comme anéanti une partie ordres pour faire chercher les animaux les plus rares<br />

<strong>de</strong> ses ou?rages, ce qui lui reste suffit encore pour , dans toutes les parties <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre. Un pareil pré*<br />

m faire un homme prodigieux. Ce fut certainement<br />

une <strong>de</strong>s têtes les plus fortes et les plus pensantes que • Aristote fut poète; peut-être fut-il orateur.


C0U1S DE UTTÉRATURE.<br />

18<br />

sent et <strong>de</strong> pareils ordres ne pouvaient être donnés<br />

que par Alexandre. C'étaient <strong>de</strong> grands se<strong>cours</strong>,<br />

il est vrai; mais ce qu* Aristote tira <strong>de</strong> son génie<br />

est eUdre au-<strong>de</strong>ssus, si l'on s'en rapporte à unjuge*<br />

dont personne ne niera <strong>la</strong> compétence en ces matières,<br />

à Buffon. Voici comme il en parle dans le<br />

premier <strong>de</strong>s dis<strong>cours</strong> qui précè<strong>de</strong>nt son Histoire<br />

naturelle; et j'ai cru qu'on entendrait avec quelque<br />

p<strong>la</strong>isir Buffon par<strong>la</strong>nt d'Aristote.<br />

m Son msMrê <strong>de</strong>s Animaux9 dit-il, est peut-être escure<br />

aujourd'hui ce que nous avons <strong>de</strong> mieux fait et ce<br />

genre... H Ses connut pentetre miens et sous <strong>de</strong>s vues<br />

pins générales qu'on ne les connaît aujourd'hui.... Il accumule<br />

les faits, et n'écrit pas un mot qui soit inutile. Aussi<br />

i-t-11 compris dans un petit volume un nombre infini <strong>de</strong><br />

diflëreaji faits ; et je ne crois pas qu'il soit possible <strong>de</strong> ré<strong>du</strong>ire<br />

& <strong>de</strong> moindres termes tout ce qui! avait à dire sur<br />

cette matière ; qui punît si peu susceptible <strong>de</strong> précision<br />

qu'il disait un génie comme le sien pour y conserver es<br />

même temps <strong>de</strong> Tordre et <strong>de</strong> là netteté. Cet ouvrage d'Aristote<br />

s'est présenté à mes yen* comme une table <strong>de</strong>s<br />

matières qu'os sursit extraite avec Se "plus grand soin <strong>de</strong><br />

plusieurs miniers <strong>de</strong> ¥olumes remplis <strong>de</strong> <strong>de</strong>scriptions et<br />

d'observations <strong>de</strong> toute espèce ; c'est l'abrège' le pins savant<br />

qui ait jamais été feit » si <strong>la</strong> science est en effet l'histoire<br />

<strong>de</strong>s faits : et quand même on supposerait qu'Artstote aurait<br />

tiré <strong>de</strong> tous les livres <strong>de</strong> son temps ce qu'il a mis dans<br />

le sien, le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> l'ouvrage, sa distribution, le choii <strong>de</strong>s<br />

exemples 9 <strong>la</strong> justesse <strong>de</strong>s comparaisons , une certaine tournure<br />

dans les Idées, que j'appellerais volontiers le caractère<br />

philosophique, ne <strong>la</strong>issent pas douter qu'il ne fit lui-même<br />

beaucoup plus riche que ceux dont il aurait emprunté. »<br />

Voilà quel a été cet Aristote que Ton a presque<br />

voulu envelopper dans le mépris que, <strong>de</strong>puis DescartêS|<br />

on a "conçu pour <strong>la</strong> sco<strong>la</strong>stiqoe. Cette préten<strong>du</strong>e<br />

science n'est en effet qu'un tissu d'abstractions<br />

chimériques et <strong>de</strong> généralités illusoires, sur<br />

lesquelles on peut disputer à l'infini sans rien apprendre<br />

et sans rien comprendre; et il faut convenir<br />

qu'elle est fondée tout entière sur <strong>la</strong> métaphysique<br />

d'Aristote 9 qui no faut pas mieux. C'est pourtant<br />

à lut qu 9 on est re<strong>de</strong>vable <strong>de</strong> cet axiome célèbre<br />

dans l'ancienne philosophie, et adopté dans <strong>la</strong> nôtre,<br />

queles idées qui sont les représentations <strong>de</strong>s objets,<br />

arrivent à nos esprits par l'organe <strong>de</strong>s sens. C'est le<br />

principe fondamental <strong>de</strong> ta métaphysique <strong>de</strong> Locke<br />

et <strong>de</strong> Condîl<strong>la</strong>e ; c'était peut-être <strong>la</strong> seule vérité essentielle<br />

qu'il y eût dans celle d'Aristote, et c'est<br />

<strong>la</strong> seule qu'on ait rejetée dans les écoles, parce qu'elle<br />

était contraire aui idées innées , regardées longtemps<br />

comme une croyance religieuse , et abandonnées<br />

généralement <strong>de</strong>puis les gran<strong>de</strong>s découverte»<br />

<strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>rnes, qui sont les vrais fondateurs <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

saine métaphysique. Au reste, s'il s'est égaré dans<br />

cette carrière à l'époque où <strong>la</strong> philosophie venait <strong>de</strong><br />

rouvrir, if semble que ses erreurs excusables tïea-__<br />

lient à <strong>la</strong> nature mime <strong>de</strong> l'esprit humain. En effet 9<br />

il doit arriver dans les sciences naturelles et spécu<strong>la</strong>tives<br />

Je contraire <strong>de</strong> ce qu'on a toujours observé<br />

dans les arts et dans les lettres. Ici le progrès est<br />

toujours rapi<strong>de</strong>, <strong>la</strong> perfection prompte; on vole au<br />

but dès qu'il est indiqué, parce que ce but est certain,<br />

et que <strong>la</strong> route est bientôt connue : aussi <strong>la</strong><br />

belle poésie et <strong>la</strong> vraie éloquence re<strong>mont</strong>ent aux<br />

époques les plus reculées. Mais les <strong>de</strong>ux choses qui<br />

contribuent le plus èavancer les succès en ce genre?<br />

c'est-à-dire <strong>la</strong> promptitu<strong>de</strong> à saisir les objets et <strong>la</strong><br />

disposition à imiter, sont précisément ce qui retar<strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> marche <strong>de</strong> l'homme dans <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité.<br />

Celle-ci ne se <strong>la</strong>isse pas approcher aisément : on<br />

s'arrive jusqu'à elle que par le chemin <strong>de</strong> l'expérience<br />

, qui est long et pénible. L'esprit humain est<br />

impatient, et l'expérience est tardive : <strong>de</strong> là vient<br />

qu'il s'attache à ces fantômes sé<strong>du</strong>isants qu'on appelle<br />

systèmes, qui le f<strong>la</strong>ttent d'ailleurs pr ce qu'il<br />

y a chez loi <strong>de</strong> plus aisé à sé<strong>du</strong>ire, l'imagination et<br />

l'amour-propre. Il y a plus : c'est que les plus grands<br />

esprits sont les plus susceptibles <strong>de</strong> l'illusion <strong>de</strong>s<br />

systèmes. Leur vaste intelligence ne peut souffrir<br />

ce qui l'arrête ; le doute est pour eux un état violent ;<br />

et c'est ainsi fiftio Descartes, un Leibnitz, eu<br />

cherchant les premiers principes <strong>de</strong>s choses, ren­<br />

contrent, l'un <strong>de</strong>s tourbillons, l'autre <strong>de</strong>s mona<strong>de</strong>s.<br />

Quand <strong>de</strong>pareils gui<strong>de</strong>s ont marché en avant, le reste<br />

<strong>de</strong>s hommes, naturellement imitateur, suit comme<br />

un troupeau ; et Ton emploie à étudier les erreurs 9<br />

le temps qu'on aurait pu mettre à chercher <strong>la</strong> vérité.<br />

Les bornes <strong>de</strong> l'esprit d'Aristote ont été en philosophie,<br />

pendant vingt siècles, les bornes <strong>de</strong> l'esprit<br />

humain. Ce n'est qu'au temps <strong>de</strong>s Galilée, <strong>de</strong>s Copernic,<br />

<strong>de</strong>s Bâcoe, qu'enfin l'on a compris qu'il va<strong>la</strong>it<br />

mieux observer notre inon<strong>de</strong> que d'en faire un »<br />

et qu'une bonne expérience qui apprenait un fait<br />

va<strong>la</strong>it mieux que le plus ingénieux système qui ne<br />

prouve rien. Alors est tombée <strong>la</strong> philosophie d'Aristote,<br />

mais non pas sa gloire avec elle, puisque cette<br />

gloire est fondée, comme nous l'avons vu, sur <strong>de</strong>s<br />

titres que le temps a consacrés.<br />

Ce s'est pas que, dans ses meilleurs ouvrages,<br />

sa manière d'écrire n'ait <strong>de</strong>s défauts très-marqués.<br />

Il pousse jusqu'à l'excès l'austérité <strong>du</strong> style philosophique<br />

et l'affectation <strong>de</strong> <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> : <strong>de</strong> là naissent<br />

k sécheresse et <strong>la</strong> diffusion. Il semble qu'il ait voulu<br />

être en tout l'opposé <strong>de</strong> son maître P<strong>la</strong>ton, et que*<br />

non content d'enseigner une autre doctrine, il ait<br />

voulu aussi se faire un-autre style. On reprochait à<br />

P<strong>la</strong>ton trop d'ornements : Aristote n'en a point <strong>du</strong><br />

1 tout. Pour se résoudre à le lire, il fait être déter-


miné à s'instruire. Il tombe aussi <strong>de</strong> temps en temps<br />

dam l'obscurité; <strong>de</strong> sorte qu'après. a?oir para,<br />

i<strong>la</strong>ns ses longueurs et ses répétitions , se déier trop<br />

<strong>de</strong> l'intelligence <strong>de</strong> ses lecteurs $ il semble ensuite<br />

y compter beaucoup trop. On a su <strong>de</strong> nos jours<br />

ré<strong>du</strong>ire à en petit espace toute <strong>la</strong> substance <strong>de</strong> sa Logiqm,<br />

qui est très-éten<strong>du</strong>e. Sa Poétique, dont nous<br />

n'avons qu'une partie, qui fait beaucoup regretter le<br />

reste, a embarrassé en plus d'un endroit et difisé<br />

les plus habiles interprètes. Sa Mkétorique, dont<br />

Quintilien a emprunté toutes ses idées principales ,<br />

ses divisions, ses déinitions, est abstraite et prolixe<br />

dans les premières parties; mais pour le fond<br />

<strong>de</strong>s choses, c'est un modèle d'analyse. Os <strong>de</strong>ux<br />

écrits sont, mm ses traités <strong>de</strong> Politique, ce qu'il<br />

a pro<strong>du</strong>it <strong>de</strong> plus parfait. On se soutient avec p<strong>la</strong>isir<br />

qu'Aristote les a composés pour Aleiandre, et<br />

ces <strong>de</strong>ux noms forment, après tant <strong>de</strong> siècles, une<br />

belle association <strong>de</strong> gloire. C'est une ezception <strong>de</strong><br />

plus (car il y en a encore quelques autres) à ce principe<br />

si énergiquement établi par Thomas, sur le peu<br />

d'accord qui se trente ordinairement entre les rois<br />

et les philosophes. Leur'gran<strong>de</strong>ur, dit-il, se choque<br />

et se repousse. Ce n'était pas là ce que pensait Philippe<br />

y roi <strong>de</strong> Macédoine, lorsqu'il écrivit à Âristote<br />

cette lettre fameuse, si souvent citée» et qui ne<br />

saurait trop l'être : Je vous apprends qu'il m'esê<br />

né tmfils. Je remercie les dieux, mm pas êant <strong>de</strong><br />

me <strong>la</strong>voir doimé, que <strong>de</strong> tamir/aU naître <strong>du</strong> temps<br />

dfJristote. 1M précepteur d'Aleiandre ne se sépara<br />

<strong>de</strong> lui qu'au moment où ce prince partit pour <strong>la</strong> conquête<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Perse. Il obtint <strong>du</strong> père <strong>de</strong> son élève les<br />

plus grands privilèges pour <strong>la</strong> fille <strong>de</strong> Stagyre, sa<br />

patrie, et pour Athènes, qui était déjà celle <strong>de</strong>s arts.<br />

C'est aussi à Athènes qu'il se retira 9 pour philosopher<br />

dans une république après avoir élevé un roi._<br />

Les Athéniens lui donnèrent le Lycée pour y ouvrir<br />

son école 9 et ce nom seul vous avertit que ce<br />

peu <strong>de</strong> mots que je viens <strong>de</strong> dire à sa louange n'était<br />

pas dép<strong>la</strong>cé dans cette assemblée : ce sera peut-être<br />

un fait assez remarquable dans l'histoire <strong>de</strong> l'esprit<br />

humais, que, plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mille ans après qu'Aristote<br />

eut ouvert le Lycée d'Athènes f son éloge et<br />

ses ouvrages aient été lus à l'ouverture <strong>du</strong> Lycée<br />

français.<br />

Passons à l'analyse <strong>de</strong> sa Poétique.<br />

Quand nous lisons un poème ou que nous assistons<br />

à <strong>la</strong> représentation d'un drame, nous sommes<br />

tous portés à nous rendre compte <strong>de</strong> ce qui nous a<br />

plus ou moins affectés soit dans l'ensemble, soit<br />

dans les détails <strong>de</strong> l'ouvrage : c'est là l'espèce <strong>de</strong> critique<br />

qui semble appartenir à tout le mon<strong>de</strong> 9 et qui<br />

est aussi <strong>la</strong> plus amusante. Mais quand il s'agît <strong>de</strong><br />

ANCIENS. *— POÉSIE. 19<br />

re<strong>mont</strong>er aui premiers principes <strong>de</strong>s arts, et <strong>de</strong> suivre<br />

dans cette recherché un philosophe légis<strong>la</strong>teur,<br />

il faut une attention plus particulière et plus soutenue.<br />

Cest pour ce<strong>la</strong>, qu'on ne fait lire à <strong>la</strong> première<br />

jeunesse aucun ouvrage <strong>de</strong> ce genre; on croit cette<br />

étu<strong>de</strong> trop forte pour cet âge : mais elle estattachante<br />

pour un âge plus mûr, et l'on voit alors avec p<strong>la</strong>isir<br />

toute <strong>la</strong> justesse et toute l'éten<strong>du</strong>e <strong>de</strong> ces vues générales<br />

et <strong>de</strong> ces idées primitives, dont l'application<br />

se trouve <strong>la</strong> même dans tous les temps. Ainsi donc,<br />

ayant à parler <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie, le plus ancien <strong>de</strong> tous<br />

les arts <strong>de</strong> l'esprit chez tous les peuples connus, et<br />

qui parait le plus naturel à l'homme, cherchons d'abord,<br />

avec le gui<strong>de</strong> que nous avons choisi / pourquoi<br />

cet art a été cultivé le premier, et sur quoi est<br />

fondé le p<strong>la</strong>isir qu'il nous procure. Aristote en<br />

donne <strong>de</strong>ui raisons.<br />

« La poésie semble <strong>de</strong>voir sa naissance à <strong>de</strong>ux choses<br />

que h sature a mises m mm. Nous avons tous pour l'imitation<br />

un penchant qui se manifeste dès noire enfance.<br />

L'homme est le plus imitatif <strong>de</strong>s animaux : c'est même une<br />

<strong>de</strong>s propriétés qui nous distinguent d'eux. C'est par l'imitation<br />

que nom prenons nos premières leçons ; enfin tout<br />

ce qui est imité nous p<strong>la</strong>ît Des objets que nous ne verrions<br />

qu'avec peine s'ils étaient réels s dès bâtes hi<strong>de</strong>uses, <strong>de</strong>s<br />

cadavres, nous les voyons avec pMslr dans un tableau<br />

(chap. iv). »<br />

Tontes ces idées vous paraissent sans doute justes<br />

et incontestables; et vous avez dû reconnaître dans<br />

<strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière phrase <strong>la</strong> source où Despréaux a puisé<br />

ce morceau <strong>de</strong> son Art poétique (ehap. ni) :<br />

Il n'est point <strong>de</strong> serpent ni âe <strong>mont</strong>e odtoux<br />

Qui, par fart Imité 9 ne pukse p<strong>la</strong>ire in jeux, ete.<br />

Mais , en reconnaissant <strong>la</strong> vérité <strong>du</strong> principe, remarquons<br />

qu'il est susceptible <strong>de</strong> quelque restriction,<br />

et qu'il en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong> presque tous cent<br />

que nous avons à établir. Le même bon sens qui les<br />

a dictés enseigne à ne pas les prendre dans une gé* ^<br />

néralité rigoureuse, qui n f est faite que pour les axiomes<br />

mathématiques. Ainsi 9 quoique l'imitation soit<br />

une source <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir, il ne faut pas croire que tout^<br />

soit également imitable. Dans <strong>la</strong> peinture même, *<br />

dont le principal objet est limitation matérielle,'<br />

il y a un choix à faire, et bien <strong>de</strong>s choses ne seraient<br />

pas bonnes à peindre; à plus forte raison dans 1%<br />

poésie, qui doit surtout imiter avec choixy et embellir<br />

en imitant. Ce précepte parait bien simple<br />

Horace et Despréaux ont tous <strong>de</strong>ui fait une loi <strong>de</strong><br />

cette restriction judicieuse qu'Aristote lui-même a *<br />

mise en principe général , comme nous le verrons<br />

tout à l'heure en suivant <strong>la</strong> marche qu'il a tenue. -<br />

Cependant rien n f est si commun que <strong>de</strong> l'oublier,<br />

même <strong>de</strong>puis que Fart est perfectionné; et si epelque<br />

chose peut faire voir combien fesnjpt humain<br />

2.


30<br />

est sujet à s'égarer, c'est que, dès le premier pas<br />

que nous faisons , venant à peine <strong>de</strong> poser une vérïté<br />

fondamentale, nous rencontrons aussitôt l'abus<br />

qu'on en a fait. Je ne parle pas seulement <strong>de</strong>s An­<br />

CÛUIIS DE L1TTÉ1ATUEE.<br />

lorsque... Je <strong>la</strong>isse à chacun <strong>de</strong> vous à Unir une<br />

phrase qui, en vérité, n'est embarrassante que pour<br />

moi.<br />

Las réflexions sur <strong>la</strong> première proposition d'Ag<strong>la</strong>is<br />

, à qui fauteur do Tempk <strong>du</strong> G&ûê a dit avec ristote nous ont menés un peu loin. Revenons à<br />

tant <strong>de</strong> raison :<br />

cette espèce <strong>de</strong> charme que l'imitation a pour tous<br />

les hommes, et dont ensuite Aristote veut assigner<br />

Sur Totre théâtre infecté<br />

D'horreurs, <strong>de</strong> gibets, <strong>de</strong> carnages,<br />

<strong>la</strong> cause.<br />

Mette! doue plus <strong>de</strong> vérité,<br />

Avec <strong>de</strong> plus nobles Images»<br />

« C'est, dit-il* que ncn^saaleiseit les sages f mais tous<br />

les hommes es général , ont <strong>du</strong> p<strong>la</strong>isir à appreadw, et que<br />

Mais nous-mêmes 9 à qui l'exemple <strong>de</strong> Corneille pour apprendre il n'est point <strong>de</strong> voie plus courte que li­<br />

€%ie Racine apprit dans le siècle <strong>de</strong>rnier à être plus mage (rr).»<br />

délicats, nous commençons à revenir, <strong>de</strong>puis quelques<br />

années, aux horreurs résultantes ou dégoûtantes<br />

qui appartiennent à fenfance <strong>de</strong> Part. Les<br />

Cette idée est aussi juste que profon<strong>de</strong>, mais il me<br />

semble qu'on pourrait lui donner plus d'éten<strong>du</strong>e,<br />

en faisant entrer notre imagination pour beaucoup<br />

exemples en sont si nombreux et si connus, qu'il dans ce que l'auteur attribue ici à <strong>la</strong> seule raison.<br />

serait inutile <strong>de</strong> les citer ici ; nous aurons assez sou­ Toute imitation, en effet, exerce agréablement notre<br />

vent l'occasion d'en parler ailleurs.<br />

imagination, qui n'est que <strong>la</strong> faculté <strong>de</strong> nous repré­<br />

Quand Voltaire donna Tanarê<strong>de</strong>, le bruit se résenter les objets comme s'ils étaient présents ; et c'est<br />

pandit que l'on Terrait sur <strong>la</strong> scène Péehafaud où <strong>de</strong>­ toujours un p<strong>la</strong>isir pour nous <strong>de</strong> comparer les imavait<br />

périr Aménaï<strong>de</strong>. Rien n'était plus faux ; et jages que fart nous présente, avec celles que nous<br />

mais l'auteur n'y avait pensé. Quelqu'un lui écrivit avons déjà dans l'esprit.<br />

à ce sujet : Gurdê^mm bien <strong>de</strong> donner œi exem­ La secon<strong>de</strong> cause originelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie est, suipte;<br />

car si k génie êHm m échafmwi swr <strong>la</strong> scène, vant Aristote, le goût que nous avons pour le<br />

ks imMaêewrs y attacheront le roué. rhythme et le chant, goût qui ne nous est pas moins<br />

Au reste, il est également dans l'ordre <strong>de</strong>s cho­ naturel que celui <strong>de</strong> l'imitation. Pour sentir comses<br />

que <strong>la</strong> médiocrité pro<strong>du</strong>ise ces sortes <strong>de</strong> monsbien cette observation est juste, il faut se souvenir<br />

tres à l'époque où l'on se tourmente pour trouver le que les premiers vers ont été chantés, et <strong>de</strong> plus y<br />

mieux t faute <strong>de</strong> connaître <strong>la</strong> imite <strong>du</strong> bien ; que l'a­ que, dans toutes les <strong>la</strong>ngues connues, on ne chante<br />

mour <strong>de</strong> <strong>la</strong> nouveauté les fasse app<strong>la</strong>udir, et que <strong>la</strong> père que <strong>de</strong>s paroles mesurées ; ce qui prouve l'af­<br />

raison s'en moque. Mais ce qui n'est pas juste, c'est finité <strong>du</strong> chant et <strong>du</strong> rhythme. Comme ce <strong>de</strong>rnier<br />

<strong>de</strong> prétendre aux honneurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> sensibilité, quand mot, tiré <strong>du</strong> grec, est <strong>de</strong>venu en français d'un usage<br />

on a besoin <strong>de</strong> pareilles émotions; car <strong>la</strong> sensibilité très-commun ; il est à propos d'en donner une expli­<br />

est encore un <strong>de</strong> -ces mots parasites qui composent cation précise; car lorsque les mots techniques <strong>de</strong>­<br />

le dictionnaire <strong>du</strong> jour. On en abuse nvec une si riviennent usuels, il arrive souvent aux gens peu<br />

dicule profusion, qu'il faut aujourd'hui qu'une per­ instruits <strong>de</strong> les appliquer mal à propos quand ils<br />

sonne sensée prenne bien gar<strong>de</strong> où elle p<strong>la</strong>ce ce mot, s'en servent, ou <strong>de</strong> les entendre mal quand ils les<br />

si elle ne veut pas tomber dans le ridicule à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>. lisent. On définit lé rhythme un espace déterminé,<br />

Cest l'expression favorite <strong>de</strong>s gens b<strong>la</strong>sés, qui, ne fait pour symétriser avec un autre <strong>du</strong> même genre».<br />

pouvant plus être émus <strong>de</strong> rien, veulent pourtant Cette définition générale est nécessairement un peu,<br />

qu'on parvienne à les émouvoir, et se p<strong>la</strong>ignent tou­ abstraite : elle va <strong>de</strong>venir beaucoup plus c<strong>la</strong>ire en<br />

jours d'un manque <strong>de</strong> sensibilité, qui, dans le fait, l'appliquant aux trois choses qui sont principalement<br />

n'est que chez eux. Cest pour eux qu'il faut <strong>de</strong>s susceptibles <strong>du</strong> rhythme, au dis<strong>cours</strong>, au chant, et<br />

spectacles atroces, comme il faut <strong>de</strong>s exécutions à à <strong>la</strong> danse. Dans le dis<strong>cours</strong>, le rhythme est une suite<br />

<strong>la</strong> popu<strong>la</strong>ce; c'est pour eux que les auteurs ont le déterminée <strong>de</strong> syl<strong>la</strong>bes ou <strong>de</strong> mots qui symétrîse<br />

transport au cerveau, et que les acteurs ont <strong>de</strong>s avec une autre suite pareille, comme, par exemple,<br />

convulsions; en un mot, c'est <strong>la</strong> manie <strong>de</strong>s extrê­ le rhythme <strong>de</strong> notre vers alexandrin est composé <strong>de</strong><br />

mes, si fatale à toute espèce <strong>de</strong> jouissance; c'est là douze syl<strong>la</strong>bes qui donnent à tous les vers <strong>du</strong> même<br />

ce qu'on appelle aujourd'hui <strong>la</strong> sensibilité. Quel est genre um égale <strong>du</strong>rée par leurs intervalles et par<br />

pourtant celui qui en a? C'est l'homme qui <strong>la</strong>isse leurs combinaisons. Bans <strong>la</strong> danse, le rhythme est<br />

échapper une <strong>la</strong>rme quand par hasard il entend au une suite <strong>de</strong> mouvements qui gymétrisent entre eux<br />

théâtre quelques vers <strong>de</strong> Racine prononcés avec<br />

raccent <strong>de</strong>là vérité, et non pas celui qui crie bravo « Batte», les qmtre PoiUqwti.


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

par leur forme, par leur sombre, par leur <strong>du</strong>rée. H<br />

est recousu que ries s'est si naturel à l'homme que<br />

k rhythrne : les forgerons frappent le fer es ca<strong>de</strong>nce,<br />

comme Virgile Fa remarqué <strong>de</strong>s Gyelopes ; et même<br />

<strong>la</strong> plupart <strong>de</strong> nos mouvements sont à peu près rhy thmiques,<br />

c'est-à-dire ont une sorte <strong>de</strong> régu<strong>la</strong>rité.<br />

Cette disposition au rfaytbme a con<strong>du</strong>it à mesurer<br />

les paroles, ce qui a donné le fers; et à mesurer les<br />

sons, ce qui a pro<strong>du</strong>it <strong>la</strong> musique» Os fit d'abord,<br />

dît Aristote, <strong>de</strong>s essais spontanés, <strong>de</strong>s impromptus ;<br />

car le mot dont il se sert emporte cette idée. Ces<br />

essais, es se développant peu à peu, donnèrent nais*<br />

sanee à <strong>la</strong> poésie, qui se partagea d'abord en <strong>de</strong>ux<br />

genres, suivant le caractère <strong>de</strong>s auteurs : l'héroïque,<br />

qui était coasacréà <strong>la</strong> louange <strong>de</strong>sdietu et <strong>de</strong>s héros;<br />

le satirique, qui peignait les hommes méchants et<br />

vieeux. Bans <strong>la</strong> suite, l'épopée, menant <strong>du</strong> récit à<br />

l'action, pro<strong>du</strong>isit <strong>la</strong> tragédie; et <strong>la</strong> satire, par le<br />

même moyen, fit naître <strong>la</strong> comédie. Aristote ajoute :<br />

« La tragédie et k comédie s'étant une fois <strong>mont</strong>rées,<br />

11<br />

<strong>de</strong> forme il joint celle <strong>de</strong> l'éten<strong>du</strong>e, qui est indéter<br />

minée dans l'épopée, au lieu que <strong>la</strong> tragédie tâche<br />

<strong>de</strong> se renfermer (ce soet les termes <strong>de</strong> J'auteur}<br />

dans us tour <strong>de</strong> soleil, ou s'étend peu au <strong>de</strong>là. Os<br />

toit qs'Aristote est ici fort éloigné <strong>de</strong> ce rigorisme<br />

pédantesque que l'on a voulu reprocher à ses principes,<br />

Il <strong>la</strong>isse à ce que nous appelons <strong>la</strong> règle <strong>de</strong>s<br />

vingt-quatre heures cette <strong>la</strong>titu<strong>de</strong> raisonnable sans<br />

<strong>la</strong>quelle il faudrait se priver <strong>de</strong> plusieurs sujets intéressants,<br />

et il ne donne pas au calcul <strong>de</strong> quelques<br />

heures <strong>de</strong> plus ou <strong>de</strong> moiss plus d'importance qu'il<br />

n'en fait Quant à l'épopée comparée à <strong>la</strong> tragédie 9<br />

il dit très-judicieusement :<br />

« Tout ce qui est dans l'épopée est aussi dans k tragédie;<br />

mais tout ce qui est dans k tragédie s'est pas dans<br />

l'épopée. »<br />

Il regar<strong>de</strong> celle-ci comme susceptible indifféremment<br />

<strong>de</strong> recevoir <strong>la</strong> prose ou les ?ers, opinios qui<br />

s'est pas celle <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>rnes : quelques-uns se sont<br />

efforcés <strong>de</strong> k soutesir ; mais elle est en général re­<br />

tons €eu que leur génie portait à Fus os à Feutre <strong>de</strong> ces<br />

gardée comme us paradoie; et le TiMwmqwB, tout<br />

don genres préférèrent, les mis <strong>de</strong>s eomédks as liée <strong>de</strong><br />

admirable qu'il est, cfa pu obtenir parmi nous le<br />

satires, Ses autres <strong>de</strong>s tragédies an Mes <strong>de</strong> poèmes hémh<br />

qnes, parce que ces semelles cempesltlûtis eesleaî ffas<br />

titre <strong>de</strong> poème,- que Fauteur lui-même s'avait ja­<br />

«éc<strong>la</strong>t, etésoiaieat au pièces plus <strong>de</strong> célébrité (ITJ. »<br />

mais songé à lui donser. SI l'os cherche <strong>la</strong> raison<br />

<strong>de</strong> cette différenee-d'avis entre les anciens et nous,<br />

Cette remarque prouve que chez les Grecs, comme je crois qu'elle peut tenir à <strong>la</strong> haute idée que sous<br />

parmi nous, <strong>la</strong> poésie dramatique fat toujours mise attachons avec justice au mérite si rare d'écrire bien<br />

as premier rang. L'on peut observer aussi que, en ?ers dans une <strong>la</strong>ngue où <strong>la</strong> versification est si<br />

parmi les différents genres <strong>de</strong> poésie grecque, dont prodigieusemest difficile. Mous s'a?oss pas voulu<br />

Aristote promet <strong>de</strong> parler c<strong>la</strong>ns cette partie <strong>de</strong> son séparer ce mérite d'un aussi grand ouvrage que' le<br />

traité qui a été per<strong>du</strong>e, il y en a dont il ne nous poème épique, et en tout il rfeatre guère dass nos<br />

reste aucun monument, le dithyrasabe, le nome, idées <strong>de</strong> séparer <strong>la</strong> poésie <strong>de</strong> <strong>la</strong> versification. Je crois<br />

<strong>la</strong> satire, et les mimes. Les mimes étaient., à ce qu'on qu'esce<strong>la</strong> sous avons très-gran<strong>de</strong> raison. Latàifficulté<br />

croit, d'après quelques passages <strong>de</strong>s anciens, une à vaincre, non-seulement ajoute aux beaux-arts un<br />

sorte <strong>de</strong> poésie très-licen<strong>de</strong>nse. Le some était un charme <strong>de</strong> plus quand elle est vaincue •, mais elle ou­<br />

poème religieux fait pour les solennités. Le dithyvre une source abondante <strong>de</strong> nouvelles -beautés. 1 ne<br />

rambe était <strong>de</strong>stiné originairement I célébrer les faut pas prostituer les honneurs d'un aussi bel art<br />

eifieate <strong>de</strong> Baechus, et par <strong>la</strong> suite s'étendit à <strong>de</strong>s que ta poésie. Si l'on pouvait être poète en prose,<br />

sujets analogues, c'est-à-dire à réloge <strong>de</strong>s hommes trop <strong>de</strong> gens voudraient l'être; et l'on conviendra<br />

fameux. Il ne reste rien <strong>de</strong> tout ce<strong>la</strong> que le nom. On qu'il y en a déjà bien assez. Au reste il ne paraît pas<br />

saitqu'Archiloque, Hlpponai, et beaucoup d'autres, que les Latins aient pensé là-<strong>de</strong>ssus autrement que<br />

ont M% <strong>de</strong>s satires personnelles; mais les Grecs ap­ nous, si qu'ils aient eu l'idée d'un poëme-qui ne fût<br />

pe<strong>la</strong>ient aussi <strong>du</strong> nom <strong>de</strong> satire <strong>de</strong>s drames d'une pas en vers. On peut croire queches <strong>la</strong>sllreas mêmes<br />

licence et d'usé gaieté burlesque. Le Cyeiope d'Eu­ l'opinion, générale avait prévalu sur celle d'Aristote,<br />

ripi<strong>de</strong> eut le seul drame <strong>de</strong> cette espèce qui soit par­ puisqu'on se connaît aucun passage <strong>de</strong>s anciens<br />

iées jusqu'à nous : 1 ne fait pas regretter beaucoup d'où Ton puisse inférer qu'un prosateur ait été re­<br />

les astres.<br />

gardé comme un poète. Je crois pouvoir rappeler à<br />

Aristote dit peu <strong>de</strong> choses <strong>de</strong> <strong>la</strong> comédie et <strong>de</strong> cette occasion une eiprtssion p<strong>la</strong>isante <strong>de</strong>-Voltaire,<br />

reposée, parce qu'il se réservait d'en parler dass <strong>la</strong> que sans doute il se faut pas presdre plus sérieuse*<br />

suite <strong>de</strong> son traité. Selon lui, l'épopée est, comme ment qu'il ne l'entendait lui-même*, mais qui peist<br />

b tragédie, une imitation <strong>du</strong> beau par le dis<strong>cours</strong> : assez bien l'enthousiasme qull vou<strong>la</strong>it qu'un poète<br />

elle en diffère en ce qu'elle imite par le sécit, au eût pour son art. Un <strong>de</strong> ses amis, entrant dise lui<br />

lies que fautre imite pr faction. A cette aïfféreaee comme il travail<strong>la</strong>it, ttulut se retirer <strong>de</strong> peur <strong>de</strong>


21<br />

COU1S DE LITTÉ1A1UEE.<br />

le déranger. Entrez, mirez, lui dît gaiement Vol­ mon dmwmmais pris dans toison éten<strong>du</strong>e, mais<br />

taire, je ne fais que <strong>de</strong> <strong>la</strong> vite prose, Qmné on <strong>de</strong>eeluiqui€mise<strong>la</strong>kmieetpro<strong>du</strong>Ukrîdi€Mk(Y).<br />

étage au mérite <strong>de</strong> <strong>la</strong> «<strong>la</strong>ine, on conçoit aisément C'estavoir, cerne semble, très-bien saisi l'objet prin­<br />

quelle valeur il faut donner à cette p<strong>la</strong>isanterie. cipal et le caractère distinctif <strong>de</strong> <strong>la</strong> comédie. L'ex­<br />

A l'égard <strong>de</strong> <strong>la</strong> comédie 9 voici le peu qu'en dit<br />

Aristote :<br />

périence a justiié Je légis<strong>la</strong>teur toutes les fois qu'on<br />

a YOUIU attaquer dans <strong>la</strong> comédie <strong>de</strong>s vices odieux,<br />

» On sait par quels <strong>de</strong>grés et par quels auteurs <strong>la</strong> tra­ plutôt que <strong>de</strong>s travers et <strong>de</strong>s ridicules. L'auteur <strong>du</strong><br />

gédie s'est perfectionnée. H n'en est pas <strong>de</strong> même <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gtorteux a échoué dans l'Ingrat. Ce n'est pas que<br />

comédie 9 parce que celle-ci n'attira pas dans ses commen­ Tartufe m le soit % et d'une manière horrible ; mais<br />

cements Sa même attention : ce fut même asseï tard que les grimaces <strong>de</strong> son hypocrisie et ses expressions<br />

les archontes en donnèrent le divertissement an peuple. dévotes, mêlées à ses entreprises amoureuses, don­<br />

On y rayait figurer <strong>de</strong>s acteurs votontaires qui n'étaient ni nent à son râle une tournure comique, qui en tem­<br />

au* gages ni aai ai lires <strong>du</strong> gouvernement Mais quand une père Fatrodté'et <strong>la</strong> bassesse ; et c'est le chef-d'œu­<br />

fois elle eut pris une certaine forme y elle eut aussi ses auvre<br />

<strong>de</strong> l'art <strong>de</strong> l'avoir ren<strong>du</strong> théâtral.<br />

teurs qui sont resommés. Ou sait que ce fut Éplcharme et<br />

Plierais qui commencèrent à y mettre une action. Tons Après ces ?ues générales, Aristote commence à<br />

<strong>de</strong>ux étaient Siciliens : ainsi <strong>la</strong> comédie est originaire <strong>de</strong> considérer <strong>la</strong> tragédie, qu'il paraît avoir regardée<br />

Sicile. Chez Ses Athéniens, Cfratès fut le premier qui abur comme l'effort le plus grand et le plus difficile <strong>de</strong><br />

donna l'espèce <strong>de</strong> comédie nommée personnelle parce tous les arts <strong>de</strong> l'imagination. 11 <strong>la</strong> dé<strong>la</strong>i!<br />

qu'elle nommait les personnes et représentait <strong>de</strong>s actions « L'imitation d'une action grave, entière*, d'une certaine<br />

réelles. Ce genre d'ouvrage ayant été défen<strong>du</strong> par les ma­ éten<strong>du</strong>e ; imitation qui se fait par le dis<strong>cours</strong> dont les ornegistrats,<br />

Cralèa fut le premier qui prit pour sujets <strong>de</strong> ses ments concourent à l'objet <strong>du</strong> poème, qui doit, par <strong>la</strong> ter­<br />

pièces <strong>de</strong>s noms in?entés et <strong>de</strong>s actions imaginaires (Y). » reur et <strong>la</strong> pitié, corriger en nous les mêmes passions (f ). »<br />

Tout ce ajaa Ton peut observer ici! c'est l'usage<br />

Je m'arrêterai d'abord sur le <strong>de</strong>rnier article <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s anciens, <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s représentations théâtrales<br />

cette définition, parce qu'il a été mai interprété, et<br />

une solennité publique. Parmi les archontes, pre­<br />

qu'en effet il était susceptible <strong>de</strong> l'être. U n'y a<br />

miers magistrats d'Athènes, il y en a?ait un chargé<br />

personne qui ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d'abord ce que f eat dire<br />

spécialement <strong>de</strong> <strong>la</strong> direction <strong>de</strong>s spectacles. Il ache­<br />

corriger, purger (car c'est le mot <strong>du</strong>. texte grec) <strong>la</strong><br />

tait les pièces <strong>de</strong>s auteurs, et les faisait jouer aux<br />

terreur et <strong>la</strong> pitié en les inspirant. Dans le siècle<br />

dépens <strong>de</strong> l'État. Cet établissement <strong>du</strong>t pro<strong>du</strong>ire<br />

<strong>de</strong>rnier, où tous les critiques s'étaient accordés à<br />

<strong>de</strong>ux effets : il empêcha que Fart ne fit perfectionné<br />

vouloir qu'il fût <strong>de</strong> l'essence <strong>de</strong> tous les ouvrages<br />

dans toutes ses parties f comme il Fa été parmi nous,<br />

d'imagination d'avoir avant tout un but moral, on<br />

où l'habitu<strong>de</strong> d'un spectacle journalier a exercé<br />

crut retrouver cette préten<strong>du</strong>e règle dans le passage<br />

davantage l'esprit <strong>de</strong>s juges, et les a ren<strong>du</strong>s plus<br />

dont il s'agit. Toutes les explications se firent en con­<br />

difficiles; mais, d'un autre côté, cet établissement<br />

séquence. Voici celle <strong>de</strong> Corneille, qui est <strong>la</strong> plus<br />

prévint <strong>la</strong> satiété, et s'opposa plus longtemps à <strong>la</strong><br />

p<strong>la</strong>usible dans ce sens, et <strong>la</strong> mieux énoncée :<br />

corruption <strong>de</strong> Fart : <strong>du</strong> moins ne ? oyons-nous pas<br />

que les Grecs, après Euripi<strong>de</strong> et Sophocle, soient « La pitié d'un malheur où nous voyons tomber nos<br />

tombés i comme nous, dans Foubli total <strong>de</strong> toutes<br />

semb<strong>la</strong>bles nous porte à <strong>la</strong> crainte d'un pareil pour nous 9<br />

cette crainte au désir <strong>de</strong> l'éviter, et ce désir, à purger 9 mo­<br />

les règles <strong>du</strong> bon sens. C'est au .temps <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux<br />

dérer, rectifier et même déraciner en nous <strong>la</strong> passion qui<br />

grands hommes, et surtout par leurs ouvrages, plonge, à nos yeux 9 dans ce malheur les personnes que<br />

que <strong>la</strong> tragédie fut portée à son plus baut point 4e nous p<strong>la</strong>ignons ; par cette raison commune, mais naturelle<br />

splen<strong>de</strong>ur.<br />

et in<strong>du</strong>bitable, que pourôter l'effet, il faut retrancher <strong>la</strong><br />

« Après divers changements , dit Aristote , elle s'est fixée cause. » (Premier dis<strong>cours</strong> sur kpùëwe âmwmUqwe* )<br />

à b forme qu'elle a maintenant, et qui -est si véritable Cette logique est fort bonne; mais si c'était là ce<br />

forme; mais d'examiner si elle a atteint os non toute M qu*Aristote vou<strong>la</strong>it dire, il se serait fort mal expliqué<br />

perfection, soit re<strong>la</strong>tivement au théâtre , soit considérée en dans <strong>la</strong> chose <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> <strong>la</strong> plus simple; car alors il<br />

elle-même, c'est une autre question (iv). »<br />

n'y avait qu'à dire que <strong>la</strong> tragédie corrige en nous,<br />

11 ne juge point à propos d'entrer dans cette ques­ par <strong>la</strong> terreur et <strong>la</strong> pitié, les passions qui causent les<br />

tion, que peut-être il traitait dans ce que nous malheurs dont <strong>la</strong> représentation poursuit cette ter­<br />

avons per<strong>du</strong>. Au reste, cette réserve à prononcer reur et cette pitié. Mais ce n'est point <strong>du</strong> tout ce<br />

* marque un esprit très-sage, qui ne peut poser ni qu'il dit : il dit en propres termes, purger, tempérer,<br />

les bornes <strong>de</strong> Fart ni celles <strong>du</strong> génie.<br />

modifiai (car le mot grec présente ces idées analo­<br />

11 définit <strong>la</strong> comédie unéHmitation <strong>du</strong> marnais; gues) <strong>la</strong> terreur et <strong>la</strong> pitié; et c'est précisément pour


n'a?oir pas voulu le suivre mot à mot qu'on s'est<br />

écarté lie son idée. Il veut dire, comme cm fa trèsbien<br />

dé<strong>mont</strong>ré <strong>de</strong> nos jours 9 que l'objet <strong>de</strong> toute<br />

imitation théâtrale f as moment même où elle excite<br />

h pitié et <strong>la</strong> terreur en sons <strong>mont</strong>rant <strong>de</strong>s actions<br />

feintes, est d'adoucir, <strong>de</strong> modérer en nous ce qm<br />

cette pitié et cette terreur auraient <strong>de</strong> trop pénible<br />

si les actions que Fou nous représente étaient réelles.<br />

L'idée d'Aristote 9 ainsi enten<strong>du</strong>e , est aussi juste<br />

qu'elle est c<strong>la</strong>ire; car qui pourrait supporter, par<br />

' eiemple, <strong>la</strong> YUC <strong>de</strong>s malheurs cf Œdipe 9 ou d'Andromaque<br />

, ou d'Mécube , si ces malheurs existaient<br />

sous nos yeux eu réalité? Ce spectacle, loin <strong>de</strong> nous<br />

être agréable, sous ferait mal; et voilà le charme,<br />

le prodige <strong>de</strong> rimitation9 qui sait vous faire un<br />

p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> ce qui partout ailleurs vous ferait une<br />

peine féritable. Voilà le secret <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature et <strong>de</strong><br />

fart eombmés ensemble, et qu'un philosophe tel<br />

qu 9 Aristote était digne <strong>de</strong> <strong>de</strong>viner.<br />

Je me crois obligé <strong>de</strong> déc<strong>la</strong>rer ici qu'entraîné par<br />

l'autorité <strong>de</strong> tons les interprètes les plus habiles f<br />

j'ai moi-même, dans un Essai mtrks Tragiques<br />

grecs, adopté l'an<strong>de</strong>sne explication que je viens <strong>de</strong><br />

combattre 9 quoique en <strong>la</strong> restreignant beaucoup,<br />

et rejetant tontes les conséquences qu'on en vou<strong>la</strong>it<br />

tirer, et qui m'ont para très-feusses. C'est dans <strong>la</strong><br />

tra<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> <strong>la</strong> PoéUqm d'Jrktote, par l'abbé<br />

fiatteux, que j'ai trouvé l'explication nouvelle que<br />

je crois <strong>de</strong>voir préférer. Il s'étend fort au long sur<br />

les raisons qui Font déterminé : il serait hors <strong>de</strong><br />

propos <strong>de</strong> les rappeler ici; mais elles m'ont paru<br />

décisives, et je me suis rends, à l'évi<strong>de</strong>nce.<br />

L'Ignorance a voulu quelquefois tirer avantage<br />

<strong>de</strong> ces contradictions que Fon trouve entre ceux<br />

qui s'occupent <strong>de</strong> réIn<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'antiquité. Quelle foi<br />

peut-on avoir en cux9 a-t-elle dit, puisque eux-mêmes<br />

ne sont pas toujours d'accord ? On peut en appeler<br />

IMesstis au témoignage <strong>de</strong> quiconque a étudié une<br />

autre <strong>la</strong>ngue que <strong>la</strong> sienne, même une <strong>la</strong>ngue vivante.<br />

C'en est assez pour savoir qu'il n'en est aucune dont<br />

les écrivains n'offrent quelques passages susceptibles<br />

<strong>de</strong> discussion pour un étranger qui les lit. A<br />

fttss forte raison doit-on s'attendre aux mêmes difficultés<br />

dans les <strong>la</strong>ngues mortes, dont les monuments<br />

très-anciens ont pu et ont dû même être fort altérés ;<br />

ce qui n'empêche pas que, sur <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> psrtie<br />

<strong>de</strong> ces mêmes écrits, il ne soit comme impossible<br />

<strong>de</strong> se pas s 9 accor<strong>de</strong>r, parce que le plus souvent il<br />

n'y a pas le moindre nuage, à moins qu'on ne veuille<br />

en chercher*<br />

Méprenons les autres parties <strong>de</strong> <strong>la</strong> définition, <strong>la</strong><br />

tragédie est limitation d'une action grave. Oui9<br />

sans doute. Il n'y a que les mo<strong>de</strong>rnes qui se soient<br />

ANCIENS. — POÉSIE.<br />

n<br />

' écartés <strong>de</strong> ce principe. C'est ce mé<strong>la</strong>nge <strong>du</strong> sérieux et<br />

<strong>du</strong> bouffon, <strong>du</strong> grave et <strong>du</strong> burlesque, qui défigure<br />

si grossièrement les pièces ang<strong>la</strong>ises et espagnoles ;<br />

et c'est un reste <strong>de</strong> barbarie. Aristote ajoute que<br />

cette action doit être entière et d'une certaine<br />

éten<strong>du</strong>e (vu). Il s'explique :<br />

« J'appelle entier, dit-il, ce qui s un commencement» us<br />

milieu et mie lin »<br />

Quant à l'éten<strong>du</strong>e, voici ses idées, qui sont d'un<br />

grand sens :<br />

« Test composé, pour mériter le nom <strong>de</strong> beau ; soit animal<br />

9 soit artificiel, doit être ordonné dans tes parties, et<br />

avoir nie éten<strong>du</strong>e convenable à leur proportion § car Sa<br />

beauté réunit les idées <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur et d'ordre. Ou animal<br />

très-petit ne peut être beau, pareequ'il faut Se voir <strong>de</strong> près,<br />

et que Ses parties trop réunies se confon<strong>de</strong>nt. D'en antre<br />

coté, nn objet trop vaste, an animal qui serait , je suppose,<br />

<strong>de</strong> mille sta<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Soigneur, se pourrait être vu que<br />

par parties : on ne nourrait en saisir <strong>la</strong> proportion si l'ensemble<br />

: il ne serait donc pas beau. De même donc que,<br />

dans les animai»et dans te autres corps naturels, os<br />

vent une certaine gran<strong>de</strong>ur qui puisse être saisie d'un coup<br />

eTenl , <strong>de</strong> même dans Faction d'un poème m veut une certaine<br />

éten<strong>du</strong>e qui puisse être embrassée tout à <strong>la</strong> fois » et<br />

faire un tableau dans f esprit Mais quelle sera <strong>la</strong> mesure<br />

<strong>de</strong> cette éten<strong>du</strong>e ? c'est ce que fart ne saurait déterminer<br />

rigowetisemeiiL H suffit qu'il j ait l'éten<strong>du</strong>e nécessaire<br />

pour que les inci<strong>de</strong>nts naissent les uns <strong>de</strong>s autres vraisemb<strong>la</strong>blement<br />

, amènent <strong>la</strong> révolution <strong>du</strong> bonheur au malheur<br />

ou <strong>du</strong> malheur au bonheur. (lèid.) »<br />

Plus on réfléchira sur ces principes, plus on sentira<br />

combien ils sont fondés sur <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> nature. Qui peut douter, par eiemple, que les<br />

pièces <strong>de</strong> Lopez <strong>de</strong> Yega et <strong>de</strong> Shakspeare, qui contiennent<br />

tant d'événements que <strong>la</strong> meilleure mémoire<br />

pourrait à peine s'en rendre compte après <strong>la</strong> représentation;<br />

qui peut douter que <strong>de</strong> pareilles pièces<br />

ne soient horsik <strong>la</strong> mesure convenable, et qu'en vio<strong>la</strong>nt<br />

le précepte d'Aristote on n f ait blessé le bon<br />

sens? Car enln nous ne sommes susceptibles que<br />

d'un certain <strong>de</strong>gré d'attention, d'une certaine <strong>du</strong>rée<br />

d'amusement, d'instruction, <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir Le gnil<br />

consiste donc à saisir cette mesure juste et nécessaire<br />

, et là-<strong>de</strong>ssus le légis<strong>la</strong>teur s'en rapporte au<br />

poètes. Combien f d'ailleurs, cequ'il dit sur l'essence<br />

<strong>du</strong> beau, sur <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> n'offrir à l'esprit que<br />

ce qu'il peut embrasser quand on vent inspirer l'intérêt<br />

et l'admiration, est profond et lumineui!<br />

Avouons-le : éblouir un moment <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> par<br />

<strong>de</strong>s pensées hardies, qui ne paraissent nouvelles que<br />

parce qu'elles sont hasardées et paradoxales, c'est<br />

ce qui est donné à beaucoup d'hommes ; mais instruire<br />

<strong>la</strong> postérité par <strong>de</strong>s vues sûres et universelles,<br />

trouvées toujours plus vraies à mesure qu'elles sont


%4<br />

GQUB& DE -LITTÉMT11E.<br />

plus souvent appliquées; <strong>de</strong>vancer par le jugement<br />

l'expérience <strong>de</strong>s siècles 9 c'est ce fui s'est donné<br />

qu'aux hommes supérieurs.<br />

Poursuivons. Aristote fait entrer encore dans sa<br />

définition les ornements do dis<strong>cours</strong> , qui doivent<br />

concourir à l'effet <strong>du</strong> poème. Ces ornements se ré<strong>du</strong>isent<br />

pour nous à ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> versification et <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> déc<strong>la</strong>mation : pour les anciens, c'était, <strong>de</strong> plus,<br />

<strong>la</strong> mélopée ou le récit noté, et <strong>la</strong> musique <strong>de</strong>s chœurs<br />

et les mouvements rhythmiques qu'ils eiécutaient.<br />

« Il y a donc, conclut-il» six choses dans eue tragédie :<br />

Il fente ou l'action, les mœurs ou les caractères (ici ces<br />

«pressions soit SJTIôQjoies) f les proies ou lo diction, les<br />

pensées ; le spectacle ,. et le chant ( vi). »<br />

Substituez au chant <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>mation 9 et tout ce<strong>la</strong><br />

confient également à <strong>la</strong> tragédie <strong>de</strong>s anciens et à <strong>la</strong><br />

nôtre. Mais écoutons ce qui suit, et nous jugerons<br />

si Aristote avait connu <strong>la</strong> tragédie.<br />

* De toutes set parties 9 <strong>la</strong> plus importante est <strong>la</strong> comfsosilîoo<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> fable ; ai Faction. C'est <strong>la</strong> un <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie 9<br />

et <strong>la</strong> in est es tout ce qu'il y a <strong>de</strong> plus csseatlel Sans<br />

action 9 point <strong>de</strong> tragédie. On peut coudre eusemble <strong>de</strong> belles<br />

maximes, <strong>de</strong>s pensées on <strong>de</strong>s expressions bril<strong>la</strong>ntes9<br />

•ans pro<strong>du</strong>ire f effet <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie ; et on Je pro<strong>du</strong>ira, si ,<br />

sans ries <strong>de</strong> tout celé ; sans peindre <strong>de</strong>s mœurs, sans tracer<br />

<strong>de</strong>s caractères f on • une fable bien composée. Aussi<br />

ceux, qui commencent réossisseot-is bien mieux <strong>du</strong>s 11<br />

diction et dans tes mœurs que dans <strong>la</strong> composition <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

fibfe (IWA) »<br />

Tout ce<strong>la</strong> est aussi vrai aujourd'hui que <strong>du</strong> temps<br />

où fauteur écrivait. Que le mérite <strong>de</strong> Faction ou <strong>de</strong><br />

l'intérêt soit le premier et le plus essentiel au théâtre,<br />

c'est ce qui est prouvé parun assez grand nombre<br />

<strong>de</strong> pièces que l'on voit jouer avec p<strong>la</strong>isir, et qu'on<br />

ne s'avise guère <strong>de</strong> lire. Mais il faut observer ici une<br />

différence entre les Grecs et nous : c'est qu'il paraît<br />

que chez eui le mérite le plus rare <strong>de</strong> tous (à en<br />

juger par ce que vient <strong>de</strong> dire Aristote ), c'était ©e-<br />

M<strong>du</strong> sujet et <strong>du</strong> p<strong>la</strong>n : parmi sous, au contrat!®,<br />

c'est celui <strong>du</strong> style.<br />

Nous avons vingt auteurs dont il est resté <strong>de</strong>s<br />

ouvrages au théâtre, et même <strong>de</strong>s ouvrages d'un<br />

grand effet ; et nous n'es avons encore que <strong>de</strong>ux (je se<br />

parle que <strong>de</strong>s morts; <strong>la</strong> postérité jugera <strong>la</strong> généraration<br />

présente) f nous n'en avons que <strong>de</strong>ux qui aient<br />

été continuellement éloquents es vers, et qui aient<br />

atteint <strong>la</strong> perfection <strong>du</strong> style tragique f Racine et<br />

Voltaire, Le grand Corneille est hors <strong>de</strong> comparaison,<br />

parce qu'étant venu le premier, il n $ a pas pu<br />

tout faire : aussi, quoiqu'il ait donné <strong>de</strong>s modèles<br />

presque danstousles genres <strong>de</strong> beautés dramatiques,<br />

il ne peut pas être mis pour le style au rang <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>ssiques.<br />

D'où vient cette différence entre les Grecs<br />

f | nous ? Elle tient, je crois 9 à <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue<br />

«et <strong>de</strong> leur tragédie. Lldiouiegrae, le plus harmonieux<br />

<strong>de</strong> tous ceux que Fos connaisse $ donnait beaueoup<br />

<strong>de</strong> facilité à <strong>la</strong> versification, et <strong>la</strong> musique y<br />

joignaltencore oo charma <strong>de</strong> plus. On nepeut douter<br />

que cette réunion ne f<strong>la</strong>ttât beaucoup les Grecs-,<br />

puisque Aristote dit es propres termes : La mélopée<br />

est ce qui fait le plus <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir ému oo tragédie.<br />

Nous en pouvons juger par nos opéras, où les Impressions<br />

les plus fortes que nous éprouvons sont<br />

<strong>du</strong>es principalement à <strong>la</strong> musique. L'autre raison<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> différence que sous eiaminons, c'est <strong>la</strong> nature<br />

même <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie chez les Grecs, toujours renfermée<br />

dans leur propre histoire, et même, comme<br />

le dit expressément Aristote, dans un petit nombre<br />

<strong>de</strong> familles. Parmi nous-, le génie <strong>du</strong> théâtre peut<br />

chercher <strong>de</strong>s sujets dans toutes les parties <strong>du</strong> mon<strong>de</strong><br />

connu. U existe même pour lui un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> plus t<br />

que les anciens ne connaissaient pas; et pour CôIîSprendre<br />

tout ce qu'os es a pu tirer, il suffit <strong>de</strong> se<br />

rappeler Mzîre,<br />

Il n $ est donc pas étosnant qu'il soit plus commun<br />

parmi nous <strong>de</strong> rencontrer <strong>de</strong>s sujets convenables au<br />

théâtre que décrire <strong>la</strong> tragédie es vrai poète. Ma»<br />

un trait remarquable et beureui dans sotre histoire<br />

littéraire, c'est que ceux <strong>de</strong> sosauteurs dramatiques<br />

qui ont lemieui écrit sont aussi ceux qui ont le plus<br />

intéressé ; c'est que nos pièces les mieux faites sont<br />

aussi les plus éloquentes; et c'est l'ensemble <strong>de</strong> tout<br />

les genres <strong>de</strong> perfection qui a mis notre théâtre au<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> tous les théâtres <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>.<br />

Aristote continue à tracer les règles <strong>de</strong> <strong>la</strong> trar<br />

gédie :<br />

« La fable sera nue, non par l'unité <strong>de</strong> héros, mais par<br />

fmmîîé <strong>de</strong> fait; car ce n'est pas limitation <strong>de</strong> Sa vie d'os<br />

homme ; mais d'une seule action <strong>de</strong> cet homme.... Que les<br />

parties soient tellement liées entre elles, qu'une seule transposée<br />

ou iatrancfaé>, ce oo sait plus oo tout ou le même<br />

tout ; car ce qui peut être dans, un tout, ou nft être pas<br />

sans qu'il y paraisse, o*est point partie <strong>de</strong> ce tout (vm). »<br />

- Voilà ridée <strong>la</strong> plus complète et <strong>la</strong> plus juste qu'on<br />

puisse se former <strong>de</strong> <strong>la</strong> contexte» d'un drame; voilà<br />

<strong>la</strong>, condamnation <strong>de</strong> tou&ce&épiso<strong>de</strong>s étrangers, <strong>de</strong><br />

ces morceaux <strong>de</strong> rapport dont il est si commun <strong>de</strong><br />

remplir les pièces quand on n'en sait pas assez pour<br />

tirer tout <strong>de</strong> son sujet. Aristote reprend :<br />

« L'objet <strong>du</strong> poète n'est pas <strong>de</strong> traiter 1® vrai comme il<br />

est arrf?é $ mais comme II a dû arriver, et <strong>de</strong> traiter le possible<br />

suivant <strong>la</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce ( ix ). »<br />

De là le vers <strong>de</strong> Boïîeao :<br />

Le vrai peut quelquefois s'être pas vraisemb<strong>la</strong>ble<br />

« La différence essentielle <strong>du</strong> poète et <strong>de</strong> riilstorico s'est<br />

pas en ce que f oo parle en vers et Fautre en prose ; car les<br />

écrits d'Hérodote mis en vers ne seraient encore qu'une*


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

birtMM : îtediffèrêiit es €S que l'un dit «fi<strong>la</strong> été Ml;<br />

tmîttf ce qui a pu ©a dû être fait C'est pour ce<strong>la</strong> que <strong>la</strong><br />

poésie est plus philosophique et plus instructive que l'histoire<br />

: celle-ci se pelât que les iadlfiiiM, l'autre peint<br />

fîmmm, (ibid.) »<br />

Peut-être cette disparité n'est-elle pas absolument<br />

exacte, car i est difficile <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire bien tes personnages<br />

<strong>de</strong> rbistoire sans qu'il en résulte quelque<br />

connaissance <strong>de</strong> l'homme en général. Mais ee passage<br />

sert à faire voir que les anciens considéraient<br />

<strong>la</strong> poésie sous un point <strong>de</strong> îme plus sérieux et plus<br />

imposant que nous ne faisons aujourd'hui ; et cependant<br />

Mmkëfmi et M Menrêa<strong>de</strong> ont pu nous apprendre<br />

ee que <strong>la</strong> poésie pou?ait faire en morale.<br />

Aristote distingue <strong>la</strong> tragédie fondée sur l'histoire,<br />

et celle qui est <strong>de</strong> pure intention, et il approuve<br />

l'une et l'autre : mais il ne nous reste point <strong>de</strong> tragédies<br />

grecques <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier genre. Celui qu'il<br />

triante formellement, c'est le pure épisodique.<br />

« J'entends* dit-il, par pièces épfsodiquês, celles dont<br />

tes parties ne sont liées entre elles 9 ni. nécessairement , ni<br />

tnisemUaMemott ; ce qui arrive aux poètes médiocres par<br />

leur faute y et 101 bons par celle <strong>de</strong>s comédiens. Pour faire<br />

àceu*d <strong>de</strong>s râles qui leur p<strong>la</strong>isent ; m étend une fable<br />

M <strong>de</strong>là <strong>de</strong> M ptirtée; les liaisons se rompent, et<strong>la</strong>contiinité<br />

a f j est pies. (JMrf.) »<br />

On ? oit que ee n'est pas d'aujourd'hui que Ton<br />

• , e$t p<strong>la</strong>int <strong>de</strong> l'inévitable tyrannie qu'exercent sur<br />

un artiste CCHï qui sont les instruments uniques et<br />

nécessaires <strong>de</strong> son art.<br />

A fegard <strong>de</strong> <strong>la</strong> suite et <strong>de</strong> <strong>la</strong> chaîne <strong>de</strong>s événements<br />

qui doivent naître les uns <strong>de</strong>s autres % il en<br />

donne une eieellente raison.<br />

« €f cet y dit-Il s que toit.ee qui parait avoir un <strong>de</strong>ssein<br />

pro<strong>du</strong>it plus d'effet que ce qui semble l'effet <strong>du</strong> hasard.<br />

Lorsque 9 dans Argos , <strong>la</strong> statue <strong>de</strong> Mytls tomba sur celui<br />

qui avait tué ce. même Mftis f et f écrasa su moment qu'il<br />

b cccsMétaft 9 ce<strong>la</strong> It une gran<strong>de</strong> impression , parce que<br />

ceb iemli<strong>la</strong>M renfermer un <strong>de</strong>ssein. (Jftirf.) »<br />

Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si Fon peut choisir un exemple d'une<br />

manière plus ingénieuse et plus frappante.<br />

11 distingue les pee.es simples et les pièces linf<br />

<strong>la</strong>ies (x). Il faut entendre par les premières celles<br />

où tous les personnages sont connus tes uns <strong>de</strong>s<br />

autres; par les secon<strong>de</strong>s, celles où il y a reconnaissance.<br />

Il y met une autre différence : Ceiks, dit-il,<br />

dont tmciimt est continue, et celles où il y a péripétie<br />

. Ce mot signifie ré?©lotion, changement <strong>de</strong><br />

situation dans les principaux personnages. Mais<br />

comme je ne conçois pas qu'une pièce <strong>de</strong> théâtre<br />

puisse se passer d'une péripétie quelconque, il<br />

p'est impossible d'admettre cette distinction. '<br />

| indique avec raison les reconnaissances et les<br />

péripéties i comme <strong>de</strong>ux grandi moyens pur exciter<br />

<strong>la</strong> pitié ou <strong>la</strong> terreur (x, xiii, xv). Il cite,<br />

comme <strong>de</strong>s modèles en ce genre, <strong>la</strong> situation d'Iphigénie<br />

reconnaissant son frère au moment où elle<br />

va le sacrifier, et celle <strong>de</strong> Mérope prête à tuer son<br />

propre ils en croyant le venger. De ces rleni sujets ,<br />

Yoltaire a rejeté l'un, parce qu'il croyait le dénoAment<br />

impossible, et Guimond <strong>de</strong> <strong>la</strong> Touche, moins<br />

frappé <strong>de</strong> <strong>la</strong> difficulté que <strong>du</strong> pathétique <strong>de</strong> ce sujet,<br />

l'a traité d'une manière si intéressante, qu'on lui a<br />

pardonné le défaut inévitable <strong>du</strong> dénoûment. Quant<br />

à Mérope, on sait quel parti Yoltaire a tiré <strong>de</strong> celle<br />

<strong>de</strong> Maffei ; combien il l'a surpassé dans l'ensemble,<br />

en lui empruntant ses traits les plus heureux ; enfin,<br />

comme il est parvenu à en faire <strong>la</strong> plus irréprochable,<br />

<strong>la</strong> plus c<strong>la</strong>ssique <strong>de</strong> ses pièces, celle qui peut<br />

le mieux soutenir le parallèle avec <strong>la</strong> perfection <strong>de</strong><br />

Racine.<br />

A ces <strong>de</strong>ux moyens d'intérêt t tirés <strong>du</strong> fond <strong>de</strong><br />

Faction même, Aristote en ajoute un troisième, le<br />

spectacle, c'est-à-dire tout ce qui frappe les yeux<br />

comme les meurtres * tes poignards, les combats,<br />

Fappareit <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène. Mais il remarque très-judicieusement<br />

que ce moyen est inférieur aux iem<br />

autres, et <strong>de</strong>man<strong>de</strong> moins <strong>de</strong> talent poétique.<br />

• €ar$ dit-il, il faut que <strong>la</strong> fable soit tellement cempesee,<br />

qu'à n'en juger que par l'oreille ; on soit ému 9 comme on<br />

l'est dans l'Œdipe <strong>de</strong> Sophocle. Mais ceux qui nous offrent<br />

l'horrible et le révoltant f mu Heu <strong>du</strong> terrible et <strong>du</strong> touchant<br />

ne sont plus dans le genre ; car <strong>la</strong> tragédie ne doit pas donner<br />

toutes sortes d'émotions, mais celles-là seulement qui<br />

lui sont propres (nu). »<br />

flous le trou?ons donc ici Y ce grand principe qui<br />

nous occupait tout à l'heure, et pur lequel Aristote<br />

a répon<strong>du</strong> d'avance, il y a <strong>de</strong>ux mille ans, à ceux<br />

qui croient avoir tout dit par ce seul mot, Ce<strong>la</strong> esi<br />

dam Im mmimee; comme si toute nature était bonne<br />

à <strong>mont</strong>rer aux hommes rassemblés, comme si les<br />

spectacles et les beaux-arts étaient l'imitation <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

nature commune, et non pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature choisie.<br />

Au reste, nous aurons occasion <strong>de</strong> revenir à ce sujet,<br />

quand nous réfuterons spécialement quelques-unes<br />

<strong>de</strong>s principales erreurs contenues dans les poétiques<br />

mo<strong>de</strong>rnes. •<br />

Nous voilà déjà bien avancés dans celle d'Aristote,<br />

dont je ne vous ai présenté que les idées sommaires,<br />

en écartant tout ce qui est particulier aux<br />

accessoires <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie grecque-, et m'arrêtant<br />

à tout ce qui peut s'appliquer à <strong>la</strong> nôtre. J'ose même<br />

quelquefois s'être pas tout à fait <strong>de</strong> son avis, ce qui<br />

pourtant est infiniment rare. Il dit, par exemple :<br />

35<br />

* Ne présentes point <strong>de</strong> personnages vertueux qui; d*heu


36<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

wi» <strong>de</strong>viendraient maHunreoi ; €«r ce<strong>la</strong> m serait ta tonebant<br />

ni terrible 9 ouïs odieux (ui). »<br />

Je crois que cette règle est démentie par beaucoup<br />

d'exemples. Hippolyte est vertueux, et cependant<br />

sa mort eieite <strong>la</strong> pitié et ne ré?olte point. Britanmims<br />

est dans te même cas". On m pourrait citer<br />

plusieurs autres. Maia.ee qui suit ne saurait se eontester<br />

:<br />

« Des personnages méchants qui <strong>de</strong>viennent heureux<br />

sont ce qu'il y a <strong>de</strong> moins tragique, (ièid. ) »<br />

C'est us <strong>de</strong>s grands défauts à'Jtrée, Où ce monstre,<br />

à <strong>la</strong> lin <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, insulte, avec une joie barbare,<br />

à l'horrible situation où il a mis le malheureux<br />

Thyeste, et luit par ce vers :<br />

Et Je Jouis enfin <strong>du</strong> fruit <strong>de</strong> mes forfaits.<br />

Jamais les îiommes n'aimeront à remporter d'un<br />

spectacle une pareille impression. 11 est vrai que<br />

dans Mahomet le crime triomphe; mais <strong>du</strong> moins<br />

ce scélérat est-il puni en perdant ce qu'il aime; il a<br />

<strong>de</strong>s regrets et <strong>de</strong>s remords : et cependant, malgré<br />

tout Fart <strong>de</strong> Fauteur, on sent le vice <strong>de</strong> ce dénuement,<br />

et c'est <strong>la</strong> seule tache <strong>de</strong> ce grand ouvrage.<br />

« Si us homme très-méchant, d'heureux défient malheureux<br />

f il peut y avoir un exemple f mais il n'y a ni pitié<br />

ni terreur ; car <strong>la</strong> pitié naît <strong>du</strong> malheur qui n'est pas mérité,<br />

et <strong>la</strong> terreur <strong>du</strong> malheur voisin <strong>de</strong> nous ; et tel n f est pas<br />

pour sous celui <strong>du</strong> méchant. (Ièid.) »<br />

Cette remarque très-juste n'empêche pas qu'il ne<br />

soit très-bon <strong>de</strong> punir le méchant dans un drame;<br />

mais Arlstote veut dire seulement que ce n'est pas là<br />

ce qui pro<strong>du</strong>it <strong>la</strong> terreur et <strong>la</strong> pitié, et qu'il faut les<br />

tirer d'ailleurs. 11 a raison; car lorsque le méchant,<br />

l'oppresseur, le tyran, sont punis sur <strong>la</strong> scène, ce<br />

s'est pas leur châtiment qui pro<strong>du</strong>it <strong>la</strong> teneur ou <strong>la</strong><br />

pitié : l'une et l'autre sont te résultat <strong>du</strong> danger ou<br />

iu malheur où sont les personnages à qui l'on s'intéresse;<br />

et comme <strong>la</strong> punition <strong>du</strong> méchant les tire<br />

<strong>de</strong> ce malheur ou <strong>de</strong> ce danger, c'est là ce qui pro<strong>du</strong>it<br />

l'effet dramatique. Ainsi, dans cette Ipâigénie<br />

dont uous parlions tout à Fheur®, que Thoas soit<br />

égorgé par Py<strong>la</strong><strong>de</strong>, qui vient on ne sait d'où, m<br />

n'est pas ce qui rend le déooûmeut tragique; mais<br />

cette mort délivre Oreste et Ipftûgénie, qui étaient<br />

les objets <strong>de</strong> l'intérêt, et le speetateur est content.<br />

Ainsi dans Rmêogwœ} le moment <strong>de</strong> <strong>la</strong> terreur et<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pitié n ? est point celui où Cléopâtre boit ellemême<br />

le poison qu'elle a préparé pour son fils, c'est<br />

le moment où ce ils, dans <strong>la</strong> situation <strong>la</strong> plus affreuse<br />

où un homme puisse se trouver, entre une mère et<br />

une amante qu'il peut soupçonner également, porte<br />

à ses lèvres <strong>la</strong> coupe empoisonnée; c'est cet instant<br />

qui fatt frémir, qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> et obtient grâce pour<br />

toutes les invraisemb<strong>la</strong>nces qui précè<strong>de</strong>nt.<br />

« n y a un rollea à prendre ; c'est que Se personnage ne<br />

§®lt ni absolument bon ni absolument méchant, et qu'il<br />

tombe dans le malheur, non par un crime ou une méchanceté<br />

noire , mais par quelque faste eu erreur humaine qui<br />

le précipite <strong>du</strong> faite <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>urs et <strong>de</strong> <strong>la</strong> prospérité.<br />

11 faut toujours se soutenir qu'Aristote ne par<strong>la</strong>it<br />

que <strong>de</strong>s personnages qui doivent pro<strong>du</strong>ire l'intérêt;<br />

et ce qu'il dit ici <strong>de</strong> cette sorte <strong>de</strong> caractères que<br />

Corneille, dans ses dissertations, appelle wdxim,<br />

a para à ce grand homme un trait <strong>de</strong> lumière qui<br />

jette un grand jour sur <strong>la</strong> connaissance <strong>du</strong> théâtre,<br />

et en général <strong>de</strong> toute gran<strong>de</strong> poésie îmitatire. En<br />

effet, on a observé que rien n'était plus intéressant<br />

que ce mé<strong>la</strong>nge, si naturel- au coeur humain. C'est<br />

sous ce point <strong>de</strong> vue que le caractère d'Achille paraît<br />

si dramatique dans i'Ma<strong>de</strong> , et que Phèdre ne l'est<br />

pas moins au théâtre par ses passions et pr ses<br />

remords. Rien ne fait mieux voir combien se trompent<br />

et combien sont injustes tous ceui qui se sont<br />

fait, pour ainsi dire, un point <strong>de</strong> morale <strong>de</strong> ne s'intéresser<br />

au théâtre qu'à <strong>de</strong>s personnages irréprochables<br />

, et qui jugent use tragédie sur les principes<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> société. Qu'un personnage passionné fasse une<br />

belle action par <strong>de</strong>s motifs qui tiennent à sa passion<br />

même, ce<strong>la</strong> serait plus beau, disent-ils, si Faction<br />

était faite par <strong>de</strong>s motifs purs. C'est une gran<strong>de</strong><br />

erreur; ce<strong>la</strong> serait plus beau en morale, mais fort<br />

mauvais au théâtre. Vois n'éprouveriez qu'une admiration<br />

froi<strong>de</strong>, au lieu que le personnage mû par<br />

<strong>la</strong> passion, même dans ce qu'il fait <strong>de</strong> louable, vous<br />

émeut et vous entraîne.<br />

A toutes ces sources <strong>du</strong> pathétique il en faut joindre<br />

une, <strong>la</strong> plus abondante <strong>de</strong> toutes, et dont Arlstote<br />

ne parle pas, parce que les Grecs n'y ont puisé<br />

qu'une fois; c'est l'amour malheureux; c'est cette<br />

passion dont les mo<strong>de</strong>rnes ont tiré un si grand<br />

parti, et dont les anciens n'ont point fait usage dans<br />

<strong>la</strong> tragédie, si l'on excepte le rêie <strong>de</strong> Phèdre, dont<br />

l'aventure était célèbre dans <strong>la</strong> Grèce, et qui, même<br />

dans Euripi<strong>de</strong>, n'est pas, à beaucoup près, aussi<br />

intéressante que dans Racine. Cette seule différence<br />

entre le théâtre <strong>de</strong>s Grecs et le nêtre, dont Fun a<br />

employé l'amour comme ressort tragique, et dont<br />

l'autre Fa négligé, suffirait pour rendre Fart beaucoup<br />

plus riche et plus éten<strong>du</strong> pour nous qu'il ne<br />

pouvait l'être chez eux. Quel trésor pour le théâtre,<br />

qu'une passion à qui nous <strong>de</strong>vons Zaïre, Tanerè<strong>de</strong>,<br />

Inès, Ariane, et quelques autres encore consacrées<br />

par ce mérite particulier qui en supplée tant d'autres,<br />

et fait pardonner tant <strong>de</strong> fautes, le mérite <strong>de</strong><br />

faire répandre <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes!<br />

Pour ce qui est <strong>du</strong> dénouaient, Aristote préfère<br />

les pièces dont fo péripétie, dit-il, se fait <strong>du</strong> ton*


kem an mnHenr. Voici comme il s'exprime sur<br />

Euripi<strong>de</strong> à ce sujet :<br />

• C'est à tort


28<br />

et déci<strong>de</strong> en faveur <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie. Il se me conviendrait<br />

pas d'être d'un a?Is différent <strong>du</strong> sien.<br />

CHAPITRE IL — Analyse eu TRAITé DU<br />

SoiLiMi <strong>de</strong> Longin.<br />

SI quelque chose semble se refuser à toute analyse,<br />

et même à toute définition, c f est sans doute<br />

le sublime. En effet, comment définir ce qui ne peut<br />

jamais être préparé par le poète ou l'orateur, ni<br />

prêta par ceoi qui lisent ou qui écoutent; ce qu'où<br />

ne pro<strong>du</strong>it que par une espèce <strong>de</strong> transport; ce<br />

qu'on ne sent qu'arec enthousiasme; esta ce qui<br />

met également hors d'eux-mêmes, et f artiste qui<br />

compose, et <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> qui admire? Gomment<br />

rendre compte d'une immense impression qui est<br />

à <strong>la</strong> fois <strong>la</strong> plus rire et <strong>la</strong> plus rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> toutes? et<br />

quelle explication s'est pas aussi froi<strong>de</strong> qu!issufisaste,<br />

lorsqu'il s'agit <strong>de</strong> développer aux hommes<br />

ce qui a si fortement ébranlé toutes les puissances<br />

<strong>du</strong> leur âme? Qui se sait que dans tous les sentiments<br />

extrêmes il y a quelque chose au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong><br />

toute expression, et que, quand notre âme est émue<br />

à un certain <strong>de</strong>gré, cfest pour elle une espèce <strong>de</strong><br />

tourment <strong>de</strong> ne plus trouver <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage? S'il est<br />

reconnu que <strong>la</strong> faculté <strong>de</strong> sentir 6'étesd fort loin<br />

au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> celle d'eiprimer, cette vérité est surtout<br />

applicable au sublime, qui émeut en nous tout ce<br />

qu'il est possible d'émouvoir» et nous donne le plus<br />

grand p<strong>la</strong>isir que nous puissions éprouver, c'est-àdire<br />

<strong>la</strong> jouissance intime <strong>de</strong> tout ce que <strong>la</strong> nature a<br />

mis en nous <strong>de</strong> sensibilité.<br />

Lorsque nous venons d'entendre une belle scène,<br />

un beau dis<strong>cours</strong>, un beau morceau <strong>de</strong> poésie, si<br />

quelqu'un venait nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pourquoi ee<strong>la</strong> nous<br />

a fait p<strong>la</strong>isir, pourquoi nous avons app<strong>la</strong>udi, chacun<br />

<strong>de</strong> nous, suivant ses connaissances, pourrait<br />

rendre compte <strong>de</strong> son jugement, et louer plus ou<br />

moins dans l'ouvrage l'ensemble ou. les détails, les<br />

pensées, <strong>la</strong> diction, l'harmonie, enln tout ce que<br />

Fart enseigne à bien connaître, et le goAt à bien<br />

apprécier. Mais lorsque le vieil Horace a prononcé<br />

le fameux qu'il mourût, lorsqu'à ce mot les spectateurs<br />

ont jeté tous ensemble le même cri d'admiration,<br />

si quelqu'un venait leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pourquoi<br />

ils trouvent ce<strong>la</strong> si beau, qui est-ce qui voudrait<br />

répondre à cette étrange question? et que pourrait-on<br />

répondre, si ce n'est : Ce<strong>la</strong> est beau, parce<br />

que nous sommes transportés ; ce<strong>la</strong> est beau, parce<br />

que nous sommes hors <strong>de</strong> sous-mêmes ? Quand le<br />

COU1S DE L1TTÉEATU1E.<br />

grand Scipion, aêcusé par les tribuns, parut dans 1<br />

l'assemblée <strong>du</strong> peuple f et que, pour toute défense, '<br />

il dit : Romains, Mpa vingt ans qm*à pareiljour<br />

je vainquis Annibal, eê soumis Carthaqe ; rnëums<br />

au CapUok en rendre yrâces aux dieux; un cri<br />

général s'éleva, et tout le mon<strong>de</strong> le suivit. C'est que<br />

Scipion avait été sublime, et qu'il a été donné au<br />

sublime <strong>de</strong> subjuguer tous les hommes.<br />

Le sublime dont je parle ici est nécessairement<br />

rare et instantané; car rien <strong>de</strong> ce qui est extrême<br />

ne peut être commun ni <strong>du</strong>rable. C'est un mot, un<br />

trait, «ta mouvement, un geste, et son effet'est<br />

celui <strong>de</strong> l'éc<strong>la</strong>ir ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> foudre. Il est tellement indépendant<br />

<strong>de</strong> l'art qu'il peut se rencontrer dans <strong>de</strong>s<br />

personnes qui n'ont aucune idée <strong>de</strong> l'art. Quiconque<br />

est fortement passionné, quiconque a lime<br />

élevée, peut trouver un mot sublime. On en cannait<br />

<strong>de</strong>s -exemples. C'est use femme d'une condition<br />

commune qui répondit à un prêtre, à propos <strong>du</strong><br />

sacrifice dlsaac, ordonné à son père Abraham :<br />

Bien n'aurait jamais ordonné m sacr^œ à me<br />

tnêre.<br />

Ce mot est le sublime <strong>du</strong> sentiment maternel. Il<br />

y a plus : le sublime peut se rencontrer même dans<br />

le silence. Ce fameux ligueur, Btusy-Le<strong>de</strong>ic, m<br />

présente au parlement, suivi <strong>de</strong> ses satellites. 11<br />

ordonne aux magistrats <strong>de</strong> rendre un arrêt centre<br />

les droits <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison <strong>de</strong> Bourbon, ou <strong>de</strong> le suivra<br />

à <strong>la</strong> Bastille. Personne ne lui répond, et tous se<br />

lèvent pour le suivre. Yoilà le sublime <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu.<br />

Pourquoi ? c'est que nulle réponse ne pouvait en<br />

dire autant que ce silence ; car sans prétendre définir<br />

exactement le sublime (ce que je crois impossible),<br />

s'il y a un caractère distioctif auquel on puisse 1e<br />

reconnaître, c'est que le sublime, soit <strong>de</strong> pensée,<br />

soit <strong>de</strong> sentiment, soit d'image, est tel en lui-même,<br />

que l'imagination, l'esprit, l'âme, se conçoivent<br />

rien au <strong>de</strong>là» Appliquez ce principe! tous les exemples<br />

, et il se trouvera vrai. Ce qui est beau, ce qui<br />

est grand, ce qui est fort, admet le plus ou le moins.<br />

Il n'y en a pas dans le sublime. Essayez d'imaginer<br />

quelque chose que Scipion 'eût pu dire au lieu <strong>de</strong><br />

ce qu'il a dit; substituez quelque dis<strong>cours</strong> que ce<br />

soit au silence <strong>de</strong>s magistrats, et toujours vous resterez<br />

au-<strong>de</strong>ssous, alerter-tons dani <strong>la</strong> situation <strong>du</strong><br />

vieil Horace, et cherchez ce que peut imaginer le<br />

sentiment le plus exalté <strong>du</strong> patriotisme et <strong>de</strong> l'honneur,<br />

et vous ne concevrez rien aur<strong>de</strong>ssus au qu'il<br />

mourût* Rappelez-vous uae autre situation, celle<br />

d'Ajax, qui, dans le moment où tes Grecs plient<br />

<strong>de</strong>vant les Troyess, que Jupiter protège, se trouve<br />

enveloppé d'une obscurité affreuse qui ne lui per­<br />

met pas même <strong>de</strong> combattre; et cherchez ce que<br />

l'audace orgueilleuse d'us guerrier au désespoir<br />

peut, lui suggérer <strong>de</strong> plus fort : l'imagination même,


qui est si faste, se tous fournira ries au-<strong>de</strong>ssus [<br />

<strong>de</strong> ce f ers si smwmî cité :<br />

Grand Bit» 9 renèa-iioes le Jour et combats mmtm nous K<br />

Observons, en passant, que c'est <strong>la</strong> Mothe qui<br />

a resserré ainsi en un seul vers les trois vers <strong>de</strong><br />

l'Ilim<strong>de</strong>, que Boileau a tra<strong>du</strong>its plus littéralement<br />

par ces <strong>de</strong>ux-ci :<br />

Grand Dieu ! thmm <strong>la</strong> nuit qui noos couvre les yeux,<br />

Et combats contre nous à <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté <strong>de</strong>s êteux»<br />

J*ai parlé <strong>de</strong> ces mouvements pro<strong>du</strong>its par un<br />

instinct sublime. En ?©ici un exemple singulier, arrifé<br />

dans le <strong>de</strong>rnier siècle. Un lion s'était échappé<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> ménagerie do grand-<strong>du</strong>c <strong>de</strong> Florence et courait<br />

dans les rues <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville, L'épouvante se répand <strong>de</strong><br />

tous côtés, tout fuit <strong>de</strong>vant lui. Une femme qui<br />

emportait son enfant dans ses bras le <strong>la</strong>isse tomber<br />

es courant. Le Mou le prend dans sa gueule. La<br />

mère, éper<strong>du</strong>e, se jette à genoux <strong>de</strong>vant l'animal<br />

terrible, et lui re<strong>de</strong>man<strong>de</strong> son enfant avec <strong>de</strong>s cris<br />

déchirants. 11 n'y a personne qui ne sente que cette<br />

action extraordinaire, qui est le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>gré <strong>de</strong><br />

l'égarement et <strong>du</strong> désespoir; cet oubli <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison,<br />

si supérieur à <strong>la</strong> raison même; cet instinct d'une<br />

gran<strong>de</strong> douleur qui ne se persua<strong>de</strong> pas que rien<br />

puisse être inflexible , est véritablement ce que nous<br />

appelons ici le sublime. Mais ce qui suit est susceptible<br />

<strong>de</strong> plus d'une explication. Le lbn s'arrête, <strong>la</strong><br />

regar<strong>de</strong> ixement, remet l'enfant à terre sans lui<br />

avoir fait aucun mal, et s'éloigne. Le malheur et<br />

le désespoir ont-ils donc une expression qui se fait<br />

entendre même aux t>!tes farouches ? On les connaît<br />

capables <strong>de</strong>s sentiments qui tiennent à l'habitu<strong>de</strong>,<br />

et Ton cite beaucoup <strong>de</strong> traits <strong>de</strong> leur attachement<br />

et <strong>de</strong> leur reconnaissance. Mais ici cette mère, pour<br />

arrêter <strong>la</strong> <strong>de</strong>nt <strong>de</strong> ranimai féroce, n'avait qu'un<br />

moment et qu'en cri. Il fal<strong>la</strong>it qu'il entendît ce qu'elle<br />

<strong>de</strong>mandait, et qu'il fût touché <strong>de</strong> sa prière; et il<br />

l'entendit, et il en fut touché. Comment? (Test ce<br />

qui peut fournir plusieurs réflexions sur <strong>la</strong> correspondance<br />

naturelle entre tous les êtres animés, mais<br />

qui se sont pas <strong>de</strong> mon sujet. Je reviens.<br />

Sur tout ce que j'ai dit <strong>du</strong> sublime, <strong>la</strong> première<br />

question qui se présente est celle-ci : Puisqu'il ne<br />

peut être si défini ni analysé, qu'est-ce donc qu'a<br />

fait Longin dans son Traité êuStêlimê? C'est qu'il<br />

n'a pas voulu traiter <strong>de</strong> celui-là, mais <strong>de</strong> ce que les<br />

rhéteurs appellent le style sublime, par opposition<br />

au style simple, et au style tempéré, qui tient le<br />

milieu entre les <strong>de</strong>ux; le style qui convient aux<br />

grands sujets, aux sujets élevés, à <strong>la</strong> poésie épique,<br />

dramatique, lyrique; à l'éloquence judiciaire, déli-<br />

ANCIENS. — POESIE. 19<br />

bératife ou démonstrative, quand le sojet est susceptible<br />

<strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur, d'élévation, <strong>de</strong> force, <strong>de</strong> pa­<br />

thétique. C'est ce que l'examen même <strong>du</strong> Traité <strong>de</strong><br />

Longin peut prouver avec évi<strong>de</strong>nce. Ce n'est pourtant<br />

pas l'opinion <strong>de</strong> Boileau ; mais il a été refuté<br />

sur cet article par <strong>de</strong> savants philologues, entre autres,<br />

par Gibert, dans le Journal <strong>de</strong>s Savants, Ce<br />

qui a pu l'in<strong>du</strong>ire en erreur, c'est qu'en effet il y a<br />

quelques endroits <strong>de</strong>Longinqui peuvent s'appliquer<br />

à l'espèce <strong>de</strong> sublime dont je viens <strong>de</strong> parler, et<br />

quelques exemples qui s'y rapportent; mais <strong>la</strong> suite<br />

et l'ensemble <strong>du</strong> Traité font voir que ces exemples ne<br />

sont cités que comme appartenants au style sublime,<br />

dans lequel'ils entrent naturellement. On pourra<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r encore comment l'objet <strong>de</strong> ce Traité peut<br />

donner matière au doute et à <strong>la</strong> discussion, puisqu'il<br />

semble que fauteur a iû commencer par déterminer<br />

d'une manière précise ce dont il al<strong>la</strong>it prier. Le<br />

commencement<strong>de</strong>Fouvragevarépondreàcetteque»tion.<br />

11 suffit d'avertir auparavant qu'il existait <strong>du</strong><br />

temps <strong>de</strong> Longin un Traité <strong>du</strong> Sublime, d'un autre<br />

rhéteur sommé Cecillus, Traité qui a été entièrement<br />

per<strong>du</strong>, et qui" ne nous est connu que par ce<br />

qu'en dit Longin. Yoici comme s'exprime celui-ci<br />

dans l'exor<strong>de</strong> <strong>de</strong> son ouvage, qu'il adresse au jeune<br />

Terentianus, son disciple et son ami :<br />

m Tous gaves, moi cher Tarealtaus, qu'en eiaailiMtat<br />

ensemble le livre <strong>de</strong> Cecillus sir te sublime, sons avons<br />

trouvé que son style était au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> son sujet f qu'il<br />

n'en touchait pas les points principaux , qu'enfin il s'atteignait<br />

pas le but que doit avoir tout ouvrage t celui d'être<br />

utile à ses lecteurs. Dans tout traité sur fart, il y a <strong>de</strong>mi<br />

objete à m proposer : <strong>de</strong> faire connaître d'abord <strong>la</strong> chose<br />

dont on parle ; c'est Se premier article : le second pour for*<br />

dr@9 mais4e premier pour l'importance, c'est <strong>de</strong> faire voir<br />

les moyens <strong>de</strong> réussir dans <strong>la</strong> chose dont on traite. CecUius<br />

s f êst éten<strong>du</strong> fort au long sur le premier, comme s'il eût été<br />

Inconnu avant lui, et n'a rien dit <strong>du</strong> second. Il a expliqué<br />

ea que c'était que le sublime ; et a négligé <strong>de</strong> nous apprendre<br />

comment aa peut y parvenir. »<br />

Longin part <strong>de</strong> là pour s'autoriser à passer trèslégèrement<br />

sur <strong>la</strong> nature <strong>du</strong> sublime; et par<strong>la</strong>nt à<br />

Terentianus comme à un jeune homme très-instruit<br />

:<br />


30<br />

COU1S DE LITTÉMTOiP.<br />

Mais âfâsîcîe le mwmiam le eours <strong>de</strong> son ou?ragef '<br />

il convient <strong>de</strong> dire un mot <strong>de</strong> fauteur.<br />

Longin était se à Athènes , et Hérissait fers <strong>la</strong> fis<br />

<strong>du</strong> troisième siècle <strong>de</strong> notre ère. C'était l'homme le<br />

plus célèbre <strong>de</strong> son temps pour le goût et l'éloquence,<br />

et <strong>la</strong> lecture <strong>du</strong> seul Traité qui nous reste<br />

<strong>de</strong> lui suffit pour justifier cette reptation* Il y règne<br />

a a jugement sain, un style animé, et un ton<br />

d'éloquence convenable au sujet. La fameuse Zénobie,<br />

reine <strong>de</strong> Palmyre, qui lutta si malheureusement<br />

contre <strong>la</strong> fortune d'Aurélien, avait fait venir<br />

Longin à sa cour9 pour prendre <strong>de</strong> lui <strong>de</strong>s leçons<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong>ngue grecque et <strong>de</strong> philosophie. Découvrant<br />

dans 6on maître <strong>de</strong>s talents supérieurs, elle en avait<br />

avait fait son principal ministre. Lorsque, après <strong>la</strong><br />

perte d'une gran<strong>de</strong> bataille qu'elle livra aui Romains,<br />

elle fut obligée <strong>de</strong> se renfermer dans sa capitale,<br />

et reçut d'Aurélien une lettre qui l'invitait à<br />

se rendre, ce fut Longïn qui l'encouragea à se défendre<br />

jusqu'à l'eitrémité , et qui lui dicta <strong>la</strong> réponse<br />

noble et fière que l'historien Yopiscus nous a<br />

conservée. Cette réponse coûta <strong>la</strong> fie à Longin. Auré-<br />

ISen, vainqueur, maître <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> Palmyre et <strong>de</strong><br />

Zénobie, réserva cette reine pour son triomphe, et<br />

envoya Longin au supplice. Il y pria le même cou- <<br />

rage qu'il avait su inspirer à sa reine, et sa mort it<br />

autant d'hooneur à sa philosophie que <strong>de</strong> honte à<br />

<strong>la</strong> cruauté d'Aurélien. Il avait fait quantité d'ouvrages<br />

dont nous n'avons plus que les titres. Ils<br />

rou<strong>la</strong>ient tous sar <strong>de</strong>s objets <strong>de</strong> critique et <strong>de</strong>-goût.<br />

La tra<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> son TmUé êm Sublime par Boiîeaa<br />

n'est pas digne <strong>de</strong> cet illustre auteur : elle manque<br />

d'exactitu<strong>de</strong>, <strong>de</strong> précision et d'élégance, et je<br />

n'ai pu en faire que peu d'usage. Ce n'est pas qu'il<br />

ne sût bien le grec; mais s'étant mépris sur le but<br />

principal <strong>de</strong> l'ouvrage, il est obligé souvent <strong>de</strong> faire<br />

violence au texte <strong>de</strong> fauteur pour le ramener à son<br />

sens : on sait d'ailleurs que sa prose est es général<br />

fort an-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> ses vers; elle est lâche, négligée<br />

et incorrecte, quoique dans plusieurs préfaces, et<br />

dans les reflétions qui suivent sa tra<strong>du</strong>ction, il y<br />

ait encore <strong>de</strong>s endroits où l'on retrouve le sel <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

satire, et ce sens droit qui le caractérisait partout.<br />

Ce que nous avons vu <strong>de</strong> l'exor<strong>de</strong> <strong>de</strong> Longin, fait<br />

apercevoir déjà qu'il ne^s'agit point <strong>de</strong> ce sublime<br />

proprement dit, dont j'ai parlé jusqu'ici. Comment<br />

pourrait-il dire, en ce sens, qu'il y a un art <strong>du</strong> sublime?<br />

Ce<strong>la</strong> se saurait se supposer d'un homme<br />

aussi judicieux qu'il le paraît dans tout le reste. On<br />

peut, avec <strong>du</strong> talent, apprendre à bien écrire; mais<br />

certes, on n'apprend point à être sublime. Le titre<br />

littéral <strong>de</strong> son ouvrage est, <strong>de</strong> M Stêimîîê ; ce qui<br />

doit s'entendre naturellement <strong>de</strong> <strong>la</strong> perfection <strong>du</strong><br />

genre sublime. ¥oki les cinq choses principales qui,<br />

selon lui f peuvent y con<strong>du</strong>ire : une audace heureuse<br />

dans les pensées, l'enthousiasme <strong>de</strong> <strong>la</strong> passion,<br />

l'usage <strong>de</strong>s figures, le choii <strong>de</strong>s mots ou l'-étoeution,<br />

et ce que les anciens appe<strong>la</strong>ient k composition,<br />

c'est-àndire l'arrangement <strong>de</strong>s paroles, re<strong>la</strong>tivement<br />

au nombre et à l'harmonie. Qui ne voit que<br />

ce sont là les cinq choses qui forment <strong>la</strong> perfection<br />

d'un ouvrage, mais,qu'elles peuveat s'y réunir<br />

toutes sans qu'il y ait un trait <strong>de</strong> ce sublime qui<br />

transporte tous les hommes avec un seul mot, tandis<br />

qu'au contraire ce seul mot peut se trouver dans un<br />

ouvrage qui n'aura d'ailleurs aucun mérite? citons<br />

<strong>de</strong>s exemples. BrMamdcws est assuré ment un <strong>de</strong>s<br />

plus heaui monuments <strong>de</strong> notre <strong>la</strong>ngue. 11-y a <strong>de</strong>s<br />

morceaux d'un style sublime, entre autres, le dis<strong>cours</strong><br />

<strong>de</strong> Burrhus à Néron. Il n'y a rien cependant<br />

qui pro<strong>du</strong>ise le même effet d'admiration que cet endroit<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Médée <strong>de</strong> Corneille ( pièce très-mauvaise<br />

<strong>de</strong> tout point), que Ton a toujours cité parmi les<br />

traits sublimes <strong>de</strong> ce grand homme :<br />

POUF voir m quel état le tort votn a teMatte !<br />

Votre pays vous hall, ¥©tre époux est tans foi.<br />

Bans en il grand re?ers, que TOOJ reste-UÎ Moi<br />

Mol fdls-Jet et ffeft assez.<br />

Des gens difficiles ont préten<strong>du</strong> que ce <strong>de</strong>rnier<br />

hémistiche affaiblissait 1a beauté <strong>du</strong> wmL Cest se<br />

tromper étrangement : bien loin <strong>de</strong> diminuer le sublime<br />

, il l'achève; car le premier mtâ pouvait n'être<br />

qu'un é<strong>la</strong>n d'audace désespérée, mais le second est<br />

<strong>de</strong> réflexion; elle y a pensé, et elle insiste ; ateaf,<br />

éi$-je, et c'est m$e%« Le premier étonne, le second<br />

fait trembler quand on songe que c'est Médée qui le<br />

prononce.<br />

Et dans Nieomé<strong>de</strong>, tragédie d'ailleurs si défectueuse<br />

et si souvent au-<strong>de</strong>ssous<strong>du</strong> tragique *, quand<br />

le timi<strong>de</strong> Prasias dit à son fils,<br />

Je veui mettre d'aeoord rameur et <strong>la</strong> nature,<br />

Être père et mari dans cette eoijoacta»,<br />

Micomè<strong>de</strong> lui répond,<br />

Seigneur, voulea-Tous Mes vont m 1er à mol?<br />

le §eyei Vm ml Feutre,<br />

PBDSIAS.<br />

Et que âeis-Je être?<br />

mCOHÉBS.<br />

Roi.<br />

Ce mot mmlie roi, dans <strong>la</strong> situation, dit tout ce<br />

qu'il est possible <strong>de</strong> dire. On ne peut rien concevoir<br />

au <strong>de</strong>là : c'est le sublime <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée. Celui<br />

<strong>de</strong> l'expression s'offre encore dans une <strong>de</strong> ces pro~<br />

• II y aurait beaucoup à dire sur le fJérJafn <strong>de</strong> <strong>la</strong> Harpe et<br />

<strong>de</strong> Voltaire pour un ouvrage que <strong>de</strong>s beautés d'us ordre supérieur<br />

ont maintenu eu possession <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène, et qui n'y<br />

manque Jamais aon effet Voyez le Méperimrg <strong>de</strong> <strong>la</strong> MMémfure<br />

ee<strong>de</strong>eee ei mo<strong>de</strong>rne, XII, p. lia.)


luttions eu grand Corneille, où il n'est gFani|que<br />

dais un seul endroit : je veux dire OikmM est<br />

question <strong>de</strong> trois ministres pervers qui se disputaient<br />

les dépouilles <strong>de</strong> l'empire romain sous le règne<br />

passager <strong>du</strong> vieux Galba.<br />

Os les voyait tous trois s'empresser sous un mtitra<br />

Qui , chargé d'un long âge, m peu <strong>de</strong> temps à F être ;<br />

Et tous trois à fenvl l'empresser ar<strong>de</strong>mment<br />

4 qui déroferalt ce règne d'un moment<br />

Dévorer un règne ! quelle effrayante énergie d*expressioii!<br />

et cependant elle est c<strong>la</strong>ire, juste, et naturelle<br />

: c'est le sublime.<br />

Longin ne prend guère ses exemples que dans<br />

les meilleurs écrivains, dans Homère, dans Sophocle<br />

, dans Euripi<strong>de</strong>, dans Déraosthèoes, parce qu'il<br />

cherche <strong>de</strong>s modèles <strong>de</strong> style. S'il eût voulu ne citer<br />

que ces traits sublimes qui se présentent quelquefois,<br />

même dans les auteurs <strong>du</strong> second rang, il en<br />

eût trouvé plus d'un dans les tragédies <strong>de</strong> Sénèque;<br />

par exemple, ce vers <strong>de</strong> son Tkgesêe, fers tra<strong>du</strong>it<br />

littéralement par Crébiilos. Atrée, au moment où<br />

Thyeste tient <strong>la</strong> coupe remplie <strong>du</strong> sang <strong>de</strong> son ils,<br />

lui dit a?ec une joie féroce :<br />

ifioMlMts-ta m sang?<br />

le reconnais mon frète,<br />

répond ce père infortuné ; et il ne peut rien dire <strong>de</strong><br />

plus fort» Bans ses autres ouvrages 9 ce même Sénèque,<br />

si rempli d'esprit et <strong>de</strong> mauvais goût, et qu'il<br />

est si juste d'admirer quelquefois et si difficile <strong>de</strong><br />

lire <strong>de</strong> suite, n'a-t-il pas <strong>de</strong> temps en temps <strong>de</strong>s traits<br />

frappants, et plujfré^einmentqtteCieéron? Celui-ci<br />

a <strong>de</strong>s morceaux sublimes, c'est-à-dire , d'une élévation<br />

et d'une force soutenues : Sénèque a <strong>de</strong>s traits<br />

<strong>de</strong> ce sublime qui brille comme l'éc<strong>la</strong>ir. Et je préfère<br />

<strong>de</strong> beaucoup, quoi qu'on en ait voulu dire, Cicéron<br />

à Sénèque, parce que l'éc<strong>la</strong>ir le plus bril<strong>la</strong>nt me<br />

p<strong>la</strong>tt beaucoup moins qu'ue beau jour, et parce que<br />

j'aime les p<strong>la</strong>isirs qui <strong>du</strong>rent.<br />

Me cherchons donc point à sopmettre à aucun<br />

art, à aucune recberclie, ce qui ne peut être qu'une<br />

rencontre heureuse et, pour ainsi dire, une bonne<br />

fortune <strong>du</strong> génie, <strong>la</strong>quelle même arrive quelquefois<br />

à d'autres qu'à lui. Cependant plusieurs écrivains<br />

ont cherché à le déinir. Je vais rassembler plusieurs<br />

<strong>de</strong> ces déinitions : on jugera.<br />

Voici d'abord celle <strong>de</strong> Bespréaux, dans ses iélexkms<br />

sur Longio ; car il était juste que dans son<br />

sjstème il cherchât à suppléer Longin, qui n'a point<br />

défiai, atten<strong>du</strong> que, vou<strong>la</strong>nt parler <strong>du</strong> style sublime,<br />

<strong>de</strong> ce qu'il y a, comme il vient <strong>de</strong> nous le dire, <strong>de</strong><br />

plus élevé, <strong>de</strong> plus grand dans le dis<strong>cours</strong>, "il trouvait<br />

inutile <strong>de</strong> répéter ce que tous les rhéteurs<br />

âialeiif dit avant lui.<br />

« Le sublime est «ne certaine force <strong>du</strong> dis<strong>cours</strong> propre<br />

ANCIENS. — FOÉSHL<br />

à élever et à ravir Famé, et qui provint, on <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée, on <strong>de</strong> <strong>la</strong> magnificence <strong>de</strong>s paroles , ou (<strong>la</strong><br />

tour harmonieux, vif et animé <strong>de</strong> l'expression, c'est-à-dire<br />

. d'une <strong>de</strong> ces choses regardées séparément, ©a, ce qui fait<br />

le parfait sublime, <strong>de</strong> ces trois choses jointes ensemble, s<br />

Cette définition , quoique assez longue pour s'appeler<br />

une <strong>de</strong>scription, ne m'en parait pas meilleure.<br />

Je ne saurais me représenter le sublime comme mm<br />

certaine faree en dheowrs, ni comme tut tour harmonieux,<br />

vif et animé. Il y a tant <strong>de</strong> choses où<br />

tout ce<strong>la</strong> se trouve, sans qu'on y trouve le sublime !<br />

Ce que je vois <strong>de</strong> plus c<strong>la</strong>ir ici, c'est <strong>la</strong> distinction<br />

<strong>de</strong>s trois genres <strong>de</strong> sublime, empruntée <strong>de</strong>s trois<br />

premiers articles <strong>de</strong> <strong>la</strong> division <strong>de</strong> Longin, celui <strong>de</strong><br />

pensée, celui <strong>de</strong> sentiment ou <strong>de</strong> passion, celui <strong>de</strong>s<br />

igures ou images : mais une division n'est pas une<br />

définition.<br />

En voici une autre <strong>de</strong> <strong>la</strong> Mothe, dans son Dis<strong>cours</strong><br />

sur l'O<strong>de</strong> :<br />

« Le sublime n'est autre chose que le vrai et le nouveau<br />

réunis dans une gran<strong>de</strong> idée , exprimée a?ec élégance et<br />

précision. »<br />

Ce qui convient à tout ne distingue rien. Le vrai<br />

doit se trouver partout; le nouveau peut très-souvent<br />

n'être point sublime, et l'élégance n'entre point<br />

nécessairement dans ridée <strong>du</strong> sublime. Le moi <strong>de</strong><br />

Médée et le qu'il mourût <strong>du</strong> vieil Horace s'ont rien<br />

d'élégant, non plus que ce trait <strong>de</strong> <strong>la</strong> Genèse, cité<br />

par Longin à propos <strong>du</strong> sublime <strong>de</strong> passée : Dieu<br />

dit, Que <strong>la</strong> kmiêre ioH, et <strong>la</strong> lumière fia. Huet a<br />

fait une longue dissertation pour prouver que ces<br />

paroles n'étaient point sublimes ; mais comme il est<br />

impossible <strong>de</strong> donner une plus gran<strong>de</strong> idée <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

puissance créatrice, il faut queHuet nous permette<br />

d'être <strong>de</strong> l'avis <strong>de</strong> Longin.<br />

Troisième définition ou <strong>de</strong>scription : celle-ci est<br />

<strong>de</strong> Silvain ,-qui a fait un Traité ém SiéUrne, adressé<br />

au tra<strong>du</strong>cteur <strong>de</strong> Longin, et dans lequel il y a beaucoup<br />

plus <strong>de</strong> mots que d'idées.<br />

« Le sublime est an dis<strong>cours</strong> d'en tour extraordinaire.<br />

»<br />

( On serait tenté <strong>de</strong> s'arrêter là ; car, <strong>de</strong> tout ce que<br />

nous avons cité jusqu'ici <strong>de</strong> sublime, il n'y a rien<br />

qui soit d'un tour extraordinaire, et qui ne soit<br />

même d'un tour extrêmement simple, si ce n'est<br />

l'expression <strong>de</strong> dévorer un règne : mais poursuivons<br />

: )<br />

« qui, par les plus nobles images et les plus grands sentiments<br />

f dont il <strong>la</strong>it sentir toute <strong>la</strong> noblesse par ce tour<br />

même d'expression, élève l'âme au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> ses idées ordinaires<br />

<strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur, et qui, ta partant tout à coup à ce<br />

qu'il y a <strong>de</strong> plus élevé dans <strong>la</strong> nature y <strong>la</strong> ravit et iui donna<br />

une haute idée d'elle-même. »<br />

31


•a<br />

Il s'y a <strong>de</strong> bon dans tout ce<strong>la</strong> que les <strong>de</strong>rniers<br />

osots exactement copiés <strong>de</strong> Longin 9 qui marque avec<br />

raison comme un <strong>de</strong>s effets <strong>du</strong> sublime 9 <strong>de</strong> donner<br />

à ceux qui l'enten<strong>de</strong>nt une pies gran<strong>de</strong> idée d'euxmêmes.<br />

Cette pensée, aussi juste qu'heureuse, semble<br />

dép<strong>la</strong>cée dans le long verbiage <strong>de</strong> Silvaie.<br />

Quatrième définition : elle est <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Saint-<br />

Marc, homme <strong>de</strong> lettres fort instruit, qui a commenté<br />

utilement Boîleau et Longin, mais dont le<br />

goût n'est pas toujours sûr.<br />

CODES DE OTTE1ATUEE.<br />

« Le sublime, dit-il, est l'expression mûrie et vive <strong>de</strong><br />

tout ce qui! y a dans «ne âme <strong>de</strong> plus grand 9 <strong>de</strong> plus maguiique<br />

; et <strong>de</strong> plus superbe- »<br />

Cette déinition, plus courte et plus c<strong>la</strong>ire que les<br />

autres, se <strong>la</strong>isse pas d'avoir <strong>du</strong> vague et <strong>de</strong>s inutilités;<br />

car après avoir dit ce qu'il y m<strong>de</strong>pim grand<br />

dans une âme, ajouter ce qu'il y a <strong>de</strong> pim magmi-<br />

Jqm, n'est-ce pas dire <strong>de</strong>ux fois <strong>la</strong> même chose f<br />

puisque mmgm{fiqwe, es cet esdroit,ne peut signifier<br />

que grand? Au reste, il a mieux saisi que les autres<br />

fidée <strong>du</strong> sublime, en ce qu'il le présente comme le<br />

plus haut <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur; mais il commet <strong>la</strong><br />

même faute que <strong>la</strong> Mothe, qui, dans sa déinition,<br />

ne compte pour rien le pathétique, genre <strong>de</strong> sublime<br />

qui en vaut bien un autre.<br />

Deux écrivains également célèbres, quoique dans<br />

<strong>de</strong>s genres Mes différents, Rollin et <strong>la</strong> Bruyère,<br />

ont aussi parlé <strong>du</strong> sublime, et ni l'un ni l'autre n'a<br />

cherché aiedélnir. Le premier, dans son Tmiié <strong>de</strong>*<br />

Étu<strong>de</strong>s, composé principalemest pour les jeunes<br />

gess, mais dont je conseillerais <strong>la</strong> lecture à tout le<br />

mon<strong>de</strong>, est cos<strong>du</strong>it, par son sujet, à parler <strong>de</strong> cette<br />

di?ision <strong>de</strong>s trois genres d'éloquence que j'ai déjà<br />

indiqués ci-<strong>de</strong>ssus, le simple, le tempéré, le sublime.<br />

Quand il en est à celui-ci, il se contente d'extraire<br />

<strong>de</strong> Longin ce qu f il y a <strong>de</strong> plus pr%prr à marquer les<br />

différents caractères <strong>du</strong> sublime. Quant à l'objet<br />

particulier <strong>du</strong> Traité <strong>de</strong> Losgis, il s'abstient <strong>de</strong> prononcer,<br />

mais <strong>de</strong> manière à faire entendre qu'il n'est<br />

pas <strong>de</strong> l'avis <strong>de</strong> Despréaux. Pour lui, regardant ces<br />

distinctions délicates comme peu essentielles à son<br />

objet, il prend un parti fort sage.<br />

« Sans entrer, dit -il, dans su examen qui souffre plusieurs<br />

difficultés, je' me contente d'avertir qse par te<br />

snbâime j'entends ici éptement celui qui a plus d'éten<strong>du</strong>e<br />

et se trouve dans <strong>la</strong> suite <strong>du</strong> dis<strong>cours</strong> y et celui qui est plus<br />

court et consiste dans <strong>de</strong>s traits vifs et frappants, parce<br />

que dans feue et l'autre espèce je trouve également née<br />

manière <strong>de</strong> penser et <strong>de</strong> s'exprimer avec noblesse et<br />

gran<strong>de</strong>ur, qui fait proprement le sublime.... Il j a dans<br />

Déraosthèaes, dans Cicéron, beaucoup d'endroits fort éten<strong>du</strong>s,<br />

fort amplifiés, et qui sont pourtant très-sublimes,<br />

quoique <strong>la</strong> brièveté se s f y rencontre point. »<br />

dp peut conclura <strong>de</strong> ce pssage que le judicieux<br />

Rollin, sass vouloir contredire ouvertemest Des*<br />

préaux, s'est pourtant rapproché <strong>de</strong> Longin, en<br />

ne ?oyast dans le sublime que ce qu'il y a <strong>de</strong> plus<br />

relevé et <strong>de</strong> plus grand dans <strong>la</strong> poésie et dans Pé—<br />

loquenee.<br />

Écoutons maintenant <strong>la</strong> Bruyère, mais souvenons-nous<br />

que <strong>la</strong> concision abstraite <strong>de</strong> son style<br />

nous éc<strong>la</strong>irera moins qu'elle ne nous fera penser.<br />

« Qu'est-ce que le sublime? Il ne paraît pas qs'en Fait<br />

défini. Est-ce une ligure ? Natt-Il <strong>de</strong>s figures 9 ou <strong>du</strong> moins<br />

<strong>de</strong> quelques figures ? Tout genre d'écrire reçoit-il le sublime,<br />

ou s'il n'y a que les grands sujets qui en soient capables * ?<br />

Peut-il briller autre chose dans léglegee' par eiemple9<br />

qu'un beau naturel, et dans les lettres familières, comme<br />

dans les conversations, qu'use gran<strong>de</strong> délicatesse; ou plutôt<br />

le naturel et le délicat ne séants pas le sublime <strong>de</strong>s osvrages<br />

dont ils sont <strong>la</strong> perfection? »<br />

Si j'osais prendre sur moi <strong>de</strong> répondre aux questions<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Bruyère, Je dirais : Le sublime n'est<br />

point use igure, et n'a sul besoin <strong>de</strong> igeres : cent<br />

exemples le prouvent.-A l'égard <strong>de</strong>s genres d f écrire<br />

qui peuvent le recevoir* c'est au bon sens à déci<strong>de</strong>r,<br />

en suivant <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> règle <strong>de</strong>s convenances. Il serait<br />

facile <strong>de</strong> dire quels sont les genres où il entre le plus<br />

naturellement, mais pas si aisé <strong>de</strong> dire ceux qui<br />

l'excluent absolument. Os se peut pas prévoir toutes<br />

les exceptions. Qui empêche que dans <strong>la</strong> conversation<br />

ou dans une lettre on ne p<strong>la</strong>ce un mot sublime ? Ce<strong>la</strong><br />

dépend <strong>du</strong> sujet <strong>de</strong> <strong>la</strong> lettre et <strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation»<br />

Mais je se crois pas, pour répondre à <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière<br />

question, que <strong>la</strong> perfectios <strong>de</strong>s petites choses puisse<br />

jamais s'appeler le sublime. 1 continue :<br />

« Le sublime se peint que <strong>la</strong> vérité, mais en un sujet<br />

noble; Il Sa peint tout entière dans sa cause ou dans son<br />

effet ; 1 est l'expression ou l'image <strong>la</strong> plus digne <strong>de</strong> cette<br />

vérité.... Il n'y a même entre les grands génies que les nias<br />

élevés qui soient capables <strong>du</strong> sublime. »<br />

Oui 9 <strong>du</strong> sublime soutenu, <strong>de</strong> ce que nous appelons<br />

style sublime, tel que celui è'AîhmUe et <strong>de</strong> BmÉm;<br />

mais pour te sublime <strong>de</strong> trait, je croîs avoir dé<strong>mont</strong>ré<br />

le contraire *.<br />

Après avoir fait cette excursion ehes les mo<strong>de</strong>rnes<br />

qui ont parlé <strong>du</strong> sublime, il est temps 4e<br />

retourner à Losgis, qui, sans avoir voulu le éteinte<br />

précisément, en expose aieel beaucoup <strong>de</strong> justesse<br />

les différents caractères , et en trace vivement<br />

les effets.<br />

f Mot Impropre. Il fal<strong>la</strong>it dire, qui en soient mwepiièleê.<br />

€m§Mbte lignifie qui «I m état <strong>de</strong> fiire, et M dit <strong>de</strong>s permîmes;<br />

$u§eeptèMe signifie qui peut recevolv, et te dit <strong>de</strong>s<br />

choses.<br />

• Toutes ces définitions <strong>du</strong> sublime sont un peu vagues;<br />

on a ails <strong>de</strong>puis dans cette recherche plus <strong>de</strong> métho<strong>de</strong> philosophique.<br />

Voyez B<strong>la</strong>im, Inrcàe, Kant, etc.


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

sm. Agréable, à <strong>la</strong>quelle nous usas <strong>la</strong>issons aller votontai<br />

remest : mais le sublime exerce sur sous une puissance<br />

Irrésistible : il nous comman<strong>de</strong> comme un maître; il sous<br />

terrasse comme <strong>la</strong> foudre.<br />

* Naturellement notre âme s'élève quand elle entend le<br />

sublime. Elle est comme transportée au-<strong>de</strong>ssus d'elle-même,<br />

et m remplit d'une espèce <strong>de</strong> joie orgueilleuse, comme si<br />

elle avait pro<strong>du</strong>it ce qu'elle fient d'entendre. »<br />

Voilà sans doute parler dignement <strong>du</strong> sublime.<br />

U ajoute :<br />

* Ce<strong>la</strong> est grand, qui <strong>la</strong>isse à l'esprit beaucoup à penser,<br />

qui fait sur nous une impression que nous ne pouvons<br />

pas repousser, et dont sous gardons im soutenir profond<br />

etinet&câble. »<br />

Remarquons que fauteur se sert indifféremment<br />

<strong>de</strong>s mots.<strong>de</strong> grand , <strong>de</strong> sublime, et <strong>de</strong> plusieurs autres<br />

analogues, pour exprimer <strong>la</strong> même idée : nouvelle<br />

preuve <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité <strong>du</strong> sens que nous lui donnons<br />

ici. Une plus forte encore, c'est qu'à l'endroit<br />

où if distingue les principales sources <strong>du</strong> sublime,<br />

* Je suppose, dit-il, pour fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> tout, le talent<br />

<strong>de</strong> l'éloquence, sans lequel U n'y a rien. »<br />

U en résulte que ce dont il traite ici n'est que <strong>la</strong><br />

perfection <strong>de</strong> ce talent, dont <strong>la</strong> nécessité lui parait<br />

indispensable.<br />

Pour ce qui regar<strong>de</strong> les <strong>de</strong>ux premières sources <strong>du</strong><br />

sublime, l'élévation <strong>de</strong>s pensées et l'énergie <strong>de</strong>s sentiments<br />

et <strong>de</strong>s passions, il avoue très-judicieusement<br />

que ce sont plutôt <strong>de</strong>s dons <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature que <strong>de</strong>s acquisitions<br />

<strong>de</strong> fart. Il reprend avec raison Gecilius <strong>de</strong><br />

n'avoir pas fait entrer le pathétique*dans les différentes<br />

espèces <strong>de</strong> sublime. - .<br />

« U s'est bien trompé, dit-il, s'il a cru que, l'un était<br />

étranger à l'autre. J'oserais affirmer avec conàanoe qu'il<br />

l'y a rien <strong>de</strong> si grand dans l'éloquence qu'une passion fortement<br />

exprimée et maniée à propos ; c'est alors que le dis<strong>cours</strong><br />

<strong>mont</strong>e jesqn'à l'enthousiasme, et ressemble à Fins»<br />

piratant.»<br />

Il revient sur ce qu'il a dit <strong>de</strong> cette disposition au<br />

grand qu'il faut tenir <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature.<br />

« Os peut cependant <strong>la</strong> fortifier et <strong>la</strong> nourrir par l'habitu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> se remplir son ftme que <strong>de</strong> sentiments honnêtes<br />

et nobles. H s'est pas possible qu'un esprit toujours rabaissé<br />

vers <strong>de</strong> petits objets pro<strong>du</strong>ise quelque chose qui soit<br />

digne


34<br />

guÉeordioalMiiieiit/qiiilui donnent <strong>la</strong> véritable<br />

élégance poétique. Mais daes le second vers s 9 Peur<br />

ton sort <strong>de</strong> $m trône s'est-il pas bien faible es comparaison<br />

<strong>du</strong> mot grec, qui est le mot propre, il s'é<strong>la</strong>nce?<br />

C<strong>du</strong>M peint le iïioii¥eiïieat brusque <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

terreur; l'autre m peint rien : ©'est tout que cette<br />

différence. Et si Fou ajouta que dans le grec ces<br />

mots, il s'êknœ êe son trône et jette un cri, coupent<br />

le ¥8FS par le milieu f et forment une suspension<br />

imitetife, au lieu <strong>de</strong> cet bémistiehe uniforme<br />

il pâUt, M s'écrie » ne pardonnera-t-on pas oeux à<br />

qui peuvent jouir <strong>de</strong> ces beautés originales,«Fêtre un<br />

païM elles surf es tra<strong>du</strong>ctions qui les affaiblissent?<br />

Au reste, le poète français se relève bien dans les<br />

<strong>de</strong>ux vers suivants :<br />

n a pur que ce dieu, dans cet affresi séjour,<br />

D'un coup <strong>de</strong> son tri<strong>de</strong>nt m îmm entrer le Jour. '<br />

Ce <strong>de</strong>rnier vers est admirable. 11 n'est ps dans<br />

Homère ; il est imité <strong>de</strong> Virgile a ; et c'est là ee que<br />

Boileau appe<strong>la</strong>it, avec raison, jouter contre son<br />

auteur. C'est dommage que dans ce qui suit il ne se<br />

soutienne pas au même niveau.<br />

Et, jMr U eemfir» mwerî <strong>de</strong> <strong>la</strong> tan ébranlée,<br />

est un remplissage <strong>de</strong> mots : rien n'est plus contraire<br />

au style sublime. -<br />

Me/mm mr <strong>de</strong> Styi <strong>la</strong> rive désolée.<br />

Ne fasse voir, ne fasse entrer, en trois vers, c'est<br />

une négligence dans un morceau important. Mais t<br />

faire voir <strong>du</strong> Styx ta rive désolée forme-t-il une<br />

image aussi forte que briser ta terre en <strong>la</strong> frap*<br />

pûmt-t Et cet hémistiche nombreux, <strong>la</strong> rive désolée,<br />

rend-il à l'imagination ces régions hi<strong>de</strong>uses, infectes<br />

f C'est là que le redoublement <strong>de</strong>s épithètes pittoresques<br />

est d'un effet sûr, et Homère et Virgile<br />

en sont pleins. Les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers vers sont beaui<br />

et harmonieux; mais en total il me semble que le<br />

tableau d'Homère ne se retrouve pas tout entier dans<br />

le tra<strong>du</strong>cteur.<br />

« Voyei-voiis (dit Longbi , à propos <strong>de</strong> cette magnifique<br />

peinture ) f voyez-vous <strong>la</strong> terre ébranlée dans ses fon<strong>de</strong>ments<br />

; le Tartare à découvert, <strong>la</strong> machine <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> bouleversée<br />

, et les cieoi 9 tes enfers y tes mortels et les immortel»<br />

feus ensemble dans Se combat et dans le danger ? »<br />

Ce grand admirateur <strong>de</strong> f Ilia<strong>de</strong> ne l'est pas, à<br />

beaucoup près, autant <strong>de</strong> l'Odyssée; bien différent<br />

en ce<strong>la</strong> <strong>de</strong> plusieurs mo<strong>de</strong>rnes, qui <strong>la</strong> mettent à<br />

côté ou même au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> f Ilia<strong>de</strong>. Ce n'est pas<br />

ici le lieu <strong>de</strong> comparer ces <strong>de</strong>ux poèmes, ni efexpa-<br />

GOCBS BE LITTÉIATCEE.<br />

1 Cutis cftUfae est empruntée ⧠Rôltts, TmUê it$ Et»ài»itté<br />

LBCTBEI D'HOMèRE, article n9 mxt s. (JVoJe,<br />

isftl.)<br />

* FwpÉftftffw totitiiiio immifm Mmmm.<br />

(Mima, VUI , m)<br />

ser pourquoi mon opinion est entièrement celte <strong>de</strong><br />

Laigia ; mais ce qu'il dit à ce sujet est un morceau<br />

trop remarquable pour ne pas être cité.<br />

« L'Odyssée est le déclin d'un beau génie qui, en vieillissant,<br />

commence à aimer les contes. L'Ilia<strong>de</strong>, ouvrage<br />

<strong>de</strong> sa jeunesse ; est toute pleine <strong>de</strong> vigueur et d'action.<br />

V'Odyssée est presque tout entière en récils ; ce qui est le<br />

goût <strong>de</strong> <strong>la</strong> vieillesse. Homère, dans ce <strong>de</strong>rnier ouvrage,<br />

est comparable au soleil couchant f qui est encore grand<br />

sas yeux 9 mais qui ne fait plus sentir sa chaleur. Ce n'est<br />

plus ce feu qui anime toute Y Ilia<strong>de</strong> f cette hauteur <strong>de</strong> génie<br />

qui ne s'abaisse jamais} cette activité qui se se repose<br />

point f os torrent <strong>de</strong> pissions qui vous entraîne , cette foule<br />

<strong>de</strong> fictions heureuses et vraies. Mais comme l'Océan, mêaie<br />

au moment <strong>du</strong> rein , et lorsqu'il abandonne ses rivages,<br />

est encore l'Océan 9 cette vieillesse dont je parle est encore<br />

<strong>la</strong> vieillesse d'Homère. »<br />

Longin 9 vou<strong>la</strong>nt donner un autre exemple <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

vivacité <strong>de</strong>s images, quoique fort inférieur, <strong>de</strong>json<br />

aveu, à tout ce qui! a cité d'Homère, le choisit dans<br />

une tragédie d'Euripi<strong>de</strong>, Pkaéêon% que nous avons<br />

per<strong>du</strong>e f ainsi que tant d'autres. 11 avoue qu'Euripi<strong>de</strong><br />

9 qui a excellé daes le pathétique, mais que tous<br />

les critiques anciens, à commencer par Arïstote t<br />

ont mis f pour le style, fort au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> Sophocle »<br />

ne peut pas soutenir <strong>la</strong> comparaison avec Homère.<br />

« Mais pourtant, ajonte>t-il, son génie, sans être porté<br />

an grand ; ne <strong>la</strong>isse pas <strong>de</strong> s'animer dans certaines occasions<br />

, et <strong>de</strong> lui founiir <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> pinceau assez hardis. *<br />

Le morceau qui suit a été tra<strong>du</strong>it en vers par<br />

Boïleau et Ton s'aperçoit bien que ce n'est plus contre<br />

Homère qu'il lutte : autant il était au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong><br />

celui-ci, autant il est au-<strong>de</strong>ssus d'Euripi<strong>de</strong>. C'est le<br />

_ soleil qui parle à son ils :<br />

« f rends garée qu'une ar<strong>de</strong>ur trop funeste à ta vie<br />

« ff e f emporte an-<strong>de</strong>ssin <strong>de</strong> l'ari<strong>de</strong> Libye :<br />

« Là Jamais «faneuse eau le siUoû arrosé<br />

m Ne rafraîchit mon char dans sa <strong>cours</strong>e embrasé. »<br />

Et un peu après :<br />

« Aussitôt <strong>de</strong>vant toi s'offriront sept étoiles :<br />

« Dresse par là ta <strong>cours</strong>e t et suis te droit chemin. •<br />

Phaéton, à ces mots, prend les renés en main :<br />

De ses chevaux ailés M bat les Hases agiles ;<br />

Les <strong>cours</strong>iers <strong>du</strong> Soleil à sa.voii sont dociles.<br />

-lis vont : le char s'éloigne, et, plus prompt qu'ils éc<strong>la</strong>ir,<br />

Pénètre en ao moment les vastes champs <strong>de</strong> f<strong>la</strong>ir.<br />

Le père cependant, plein d'un trouble fouette,<br />

Le volt rouler <strong>de</strong> loin sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine céleste,<br />

Lui <strong>mont</strong>re essor sa route, et, <strong>du</strong> plus haut <strong>de</strong>s cleai f<br />

Le suit, autant qu'il peut, <strong>de</strong> <strong>la</strong> voli et <strong>de</strong>s yeux.<br />

« Ta par là, lui dlt-U; reviens, détonne, arrête, eta<br />

« Me diriez-Tons pas9 coatîrtïie Longin, que §'ftm@ <strong>du</strong><br />

poète <strong>mont</strong>é sur te ebar avec Phaéton, qu'elle partage tons<br />

ses périls, et vote dans tes tirs avec tes chevaux? »<br />

A cette peinture si vive, il en oppose une autre<br />

d'an caractère diffères! : c'est celle <strong>de</strong>s sept ciiefg<br />

défaut Thèbes, tirée d'Eschyle, et très-bien ren<strong>du</strong>e<br />

par Boileau :


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

Sur tu iM»dftf notr, sept elssii topttoyaMes<br />

£§»«?aaleat les dieux <strong>de</strong> serments effroyables :<br />

très d'us taureau mourant qu'ils Tiennent d'égorger,<br />

Tiras s lt main dans te sang , jurent <strong>de</strong> se Yeoger.<br />

§§ m Jutait <strong>la</strong> Peur, te dieu Man» et Bellone.<br />

OD a dit a?ec raison qu'il se fal<strong>la</strong>it pas rimer fréquemment<br />

par <strong>de</strong>s-épitbètes, d'abord pour éviter<br />

l'uniformité, et ensuite parce que cette ressource est<br />

trop facile. Là-<strong>de</strong>ssus, ceux qui veulent toujours<br />

enchérir sur <strong>la</strong> raison et <strong>la</strong> vérité ost pris le parti<br />

<strong>de</strong> trouver mauvais tous les vers qui finissent par<br />

<strong>de</strong>s épithète^; erreur d'autant plus ridicule, que<br />

souvent elles peuvent faire un très-bel effet quand<br />

elles sont harmonieuses, énergiques, et adaptées<br />

aux circonstances. Ici elles sont très-bien p<strong>la</strong>cées;<br />

mais ce qu'il y a <strong>de</strong> plus beau dans ces vers, c'est<br />

cet hémistiche pittoresque, t&m, <strong>la</strong> main dam k<br />

mmg, Le tra<strong>du</strong>cteur remporte sur l'original, qui a<br />

mis un vers entier pour ce tableau, que <strong>la</strong> suspension<br />

<strong>de</strong> fhémistiehe rend plus frappant en français,<br />

parce qu'elle force <strong>de</strong> s 9 y arrêter : c'est un <strong>de</strong>s secrets<br />

<strong>de</strong> notre versification.<br />

J'observerai encore que les <strong>de</strong>mi morceaux qu'on<br />

vient d'entendre 9 l'un d'Euripi<strong>de</strong> f l'autre d'Eschyle t<br />

n'ont rien qui soit proprement «blâme; mais que<br />

l'un est remarquable par <strong>la</strong> vi?acité, et l'autre par<br />

<strong>la</strong> force <strong>de</strong>s images; et tous <strong>de</strong>ux, par conséquent,<br />

appartiennent à ce style élevé qui est l'objet dont il<br />

tfagit.<br />

A l'article <strong>de</strong>s figures oratoires, il cite <strong>de</strong>us endroits<br />

fameux <strong>de</strong> Démosthènes : je remets à en parler<br />

quand nous lirons cet orateur. Mais, à propos<br />

<strong>de</strong>s figures, il donne un précepte bien sage, et qui<br />

peut servir à les bien employer et à les bien juger.<br />

« Il est naturel »i hommes , dfMl, <strong>de</strong> se défier <strong>de</strong> tente<br />

espèce d'artifice, et connue tes figures en sont un 9 <strong>la</strong> meflfeàie<br />

<strong>de</strong> tontes est celle qui est si bien cachée qu'on m<br />

l'aperçoit pas. Il fetif donc que <strong>la</strong> force <strong>de</strong> Sa pensée ou èm<br />

semtimast soit tele qu'elle couvre <strong>la</strong> figure, et ne permette<br />

pas sTy songer. *<br />

Ce<strong>la</strong> est d'un grand sens ; et ce qui a tant décrié<br />

ces sortes d'ornements qu'on appelle figures <strong>de</strong> rhétorique,<br />

ce n'est pas qu'ils ne soient fort bons en<br />

eux-mêmes, if est le malheureux abus qu'on m a<br />

fait. H fal<strong>la</strong>it se souvenir que les figures doivent<br />

toujours être es proportion avee les sentiments ou<br />

les idées, sans quoi elles ne peuvent ressembler à <strong>la</strong><br />

sature, puisqu'il s'est nullement naturel qu'un<br />

homme qui n'est pas vivement animé se serve <strong>de</strong><br />

figures vives dont il n'a nul besoin. Il est reconnu<br />

que «'est <strong>la</strong> passion, <strong>la</strong> sensibilité, qui a inventé<br />

toutes les figures <strong>du</strong> dis<strong>cours</strong> pour s'exprimer avec<br />

plus <strong>de</strong> force. Aussi, quand cet accord existe, f effet<br />

en est sir, parée qu'alors, comme dit Longin y <strong>la</strong><br />

. S6<br />

figure est a si naturelle qu'on ne songe pas même<br />

qu'il y en a une. Prenons pur exemple cette<br />

apostrophe d'Ajax à Jupiter, dont nous parlions<br />

tout à l'heure. Le mouvement est. si < vrai f ridée est «<br />

si gran<strong>de</strong>, elle naît si nécessairement <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation<br />

et <strong>du</strong> caractère, que c'est tout ce qu'on voit, et que<br />

personne ne s'avise d'y remarquer une figure <strong>de</strong><br />

rhétorique que l'on appelle apostrophe. Mais supposons<br />

que, dans'une situation tranquille 9 on s'adresse<br />

à Jupiter sans avoir rien à lui dire que <strong>de</strong> fort commun<br />

, alors tout le mon<strong>de</strong> verra le rhéteur, et sera<br />

tenté <strong>de</strong> lui dire : A quoi bon cette apostrophe?<br />

Celle d'Ajax se cache, suif set l'eipression <strong>de</strong> Longin,<br />

dans le sublime <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée. Sophocle peut nous<br />

en offrir une autre, qui est le suhlime do sentiment.<br />

Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, tout intérêt <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>cteur mis à part,<br />

qu'il me soit permis <strong>de</strong> <strong>la</strong> prendre dans sa tragédie<br />

<strong>de</strong> PhMoctêiê. Jeae connais point d'exemple qui ren<strong>de</strong><br />

l'idée <strong>de</strong> Longin plus sensible. Il se trouve dans <strong>la</strong><br />

scène où Pbiloetète, instruit enfin qu'on veut le<br />

mener au siège <strong>de</strong> Troie, conjure Pjrrfius <strong>de</strong> lui<br />

rendre ses lèches :<br />

Rends, mon fils, rends ces traits crae^e f ai contés.<br />

Te ne peu les gar<strong>de</strong>r; c'est mon Mes, c'est ma v!e; %<br />

Et ma cré<strong>du</strong>lité doit-elle être punie?<br />

Rougis S'en abuser.... An nom <strong>de</strong> tons lesMUaux....<br />

Tu ne me réponds rien ! Tu. détournes les jeux,<br />

1® m puis te fléchir !... O roebart ! è rivages!<br />

Vous} mes seuls compagnons, Ô vous monstres sestifâges<br />

(Car je n'ai plus que ions à qui ma TO!X , bê<strong>la</strong>s !<br />

Puisse adresser <strong>de</strong>s cris qm l'on n'écoute pas),<br />

Témoins accoutumés <strong>de</strong> «a p<strong>la</strong>inte inutile t •<br />

Voyez ce que m'a fuit te Ils <strong>du</strong> grand Achille.<br />

Yoilà <strong>de</strong> toutes les figures <strong>la</strong> plus hardie, l'apostrophe<br />

aui êtres qui n'enten<strong>de</strong>nt pas. Mais qui pe%sera<br />

jamais à voir une figure dans ce mouvement •<br />

que <strong>la</strong> situation <strong>de</strong> PMiectête rend si naturel? Qui '<br />

ne sait que <strong>la</strong> douleur extrême se prend où elle put?' m<br />

Et puisque Pyrrhus ne l'écoute pas, à qui le tnalfaeS- •<br />

reux s'adressera-t-il, si ce n'est aux rochers, aux "'<br />

rivages, aux bêtes farouches, enfin aux seuls.êtres,<br />

qui ont coutume d'entendre sa p<strong>la</strong>inte ? Mais «liez<br />

parler aux rochers quand vous n'en aurez nul besoin,<br />

et l'on dira : Yoilà un écolier à qui l'on a appris<br />

que l'apostrophe était une belle figure <strong>de</strong>_ rhétorique»<br />

Qu'y a-t-il <strong>de</strong> plus commun dans le -dlsbours<br />

que l'interrogation ? C'est pourtant aussi tis^Jtgyre, 9<br />

lorsqu'on prie aux hommes rassemblés;,car l'interrogation<br />

en elle-même suppose le dialogue.<br />

« Mais pourquoi, dit très-finement Longiii, cet|e figure<br />

est-elle très-oratoire , et pro<strong>du</strong>ite!!® aouvept beaucoup d'effet?<br />

C'est qu'il elt naturel , lorsqu'on est interrojé, <strong>de</strong> sa<br />

presser <strong>de</strong> répondre, et que l'orateur, faisant Jbi^fiandê<br />

et <strong>la</strong> réponse 9 fait une sorte d'Illusion aux aaHIteurs, à qui<br />

cette réponse qu'il a rééditée parait Foupage<strong>du</strong> moment »<br />

En voilà assez sur les figures, dont je n'ai dt par-<br />

• ** - •<br />

* « • * e


3i<br />

'COURS DE LITTÉIÀIUEE.<br />

1er, ainsi que Longin , que re<strong>la</strong>tivement k leur usage<br />

dans le style sublime. Elles peuvent être d'ailleurs<br />

<strong>la</strong> matière d'une infinité d'observations qui, dans <strong>la</strong><br />

suite, trouveront leur p<strong>la</strong>ce. Ce qu'il dit <strong>de</strong> choix<br />

<strong>de</strong>s mots, et <strong>de</strong> l'arrangement et <strong>du</strong> nombre, n'est<br />

guère susceptible d'être analysé pour nous, si ce<br />

n'est dans le précepte général et commun aux écrivains<br />

<strong>de</strong> toutes les <strong>la</strong>ngues, <strong>de</strong> ne jamais blesser<br />

l'oreille, et d'éviter également les expressions recherchées<br />

et les termes bas.<br />

Me présentes jamais <strong>de</strong> basses circonstances ,<br />

a dit Boileau-, et Longin reproche à Hésio<strong>de</strong> d'avoir<br />

dit, en par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> déesse <strong>de</strong>s ténèbres :<br />

Une puante humeur loi cou<strong>la</strong>it <strong>de</strong>s narines.<br />

Ce<strong>la</strong> fait voir qu'il y a <strong>de</strong>s choses également basses<br />

dans toutes les <strong>la</strong>ngues, quoique l'usage apprenne<br />

qu'il y a beaucoup <strong>de</strong> mots ignoblesdansue idiome,<br />

qui ne le sont pas dans un autre.<br />

L'auteur <strong>du</strong> Traité reproche aussi à P<strong>la</strong>ton trop<br />

<strong>de</strong>luxedansson style, et Fâffectatlon <strong>de</strong>s ornements ;<br />

il cite cet endroit où le philosophe dit, eu par<strong>la</strong>nt<br />

<strong>du</strong> vin,<br />

• qu'il est bouil<strong>la</strong>nt et far feux, mais qu'il entre en société<br />

avec use divinité sobre qui le châtie 9 et le rend doux<br />

et IM® à boire. »<br />

Appeler l'eau nm divinité soèrê, est aussi ridicule<br />

en français qu'en grec, et <strong>la</strong> critique <strong>de</strong> Longin est<br />

p<strong>la</strong>usible pour tout le mon<strong>de</strong>». Admirateur éc<strong>la</strong>iré<br />

<strong>de</strong>s grands écrivains, il ne s'aveugle point sur leurs<br />

défauts. On a vu ce qu'il pensait <strong>de</strong> l'Odyssée, et<br />

ce*qu'il trouve <strong>de</strong> répréhensible dans P<strong>la</strong>ton, dont<br />

il nonore d'ailleurs et exalte le beau génie. Il est encore<br />

plus épris <strong>de</strong> Démosthènes, qu'il élève au <strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> tous les orateurs, et cependant il ne dissimule<br />

aucun <strong>de</strong> ses défauts.<br />

* « Démosthènes ne réussit point dans les mouvements<br />

Vûtulrn^ : il a «le <strong>la</strong> <strong>du</strong>reté ; il manque <strong>de</strong> flexibilité et d'éjM<br />

; il ne s,.lit pas manier k p<strong>la</strong>isanterie. Hypéri<strong>de</strong> au eon-<br />

Taire imUv orateur grec très-célèbre, contemporain et<br />

* fji i t-,;:t rtî <strong>la</strong> phrase entière, et surtout en <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>isant<br />

•iu>u\, «m livitife l'expression v%evr©ç trtpou leoù, aussi<br />

iiitijfflli- «invitante. ( Voyei <strong>de</strong> hegibm, lil». vi, p. 869, <strong>de</strong><br />

>


thèses» et Tins *enw qm*éàm m font qu'une très-petite<br />

partie <strong>de</strong> tairs ouwages. »<br />

C'est dire assez c<strong>la</strong>irement qu'il n'cioise les fautes<br />

que là où les beautés prédominent. C'est ce qu'Horace<br />

avait déjà dit, et ce qui s'a pu recevoir une interprétation<br />

si fausse que <strong>de</strong> ceux qui âialeat înté-fêî<br />

à <strong>la</strong> faire passer.<br />

Un antre chapitre <strong>de</strong> Longîa est consacré à développer<br />

le pouvoir <strong>de</strong> cette harmonie qui naît <strong>de</strong> farrangement<br />

<strong>de</strong>s mots, et qui <strong>de</strong>vait faire une partie<br />

si essentielle <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie et <strong>de</strong> l'éloquence, que 9<br />

chez un peuple que l^habitu<strong>de</strong>d'ue idiome, pour ainsi<br />

dire, musical, rendait, en ce genre, si délicate et<br />

si sensible. Le jugement <strong>de</strong> i'oretik est le plus superèe<br />

<strong>de</strong> i&us, avait déjà dit Quintilien. Mais,'quoique<br />

notre <strong>la</strong>ngue ne soit pas composée d'éléments<br />

aussi harmonieux que celle <strong>de</strong>s Grecs ni même <strong>de</strong>s<br />

Latins, l'harmonie artlicleîîe qui résulte <strong>de</strong> l'arrangement<br />

<strong>de</strong>s mots n'en est pas moins sensible pour<br />

nous, et même ce qui manque à <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue ne fait<br />

que rendre ce travail plus nécessaire et en augmenter<br />

le mérite. Et qui n'a pas éprouvé qu'un son désagréable,<br />

une construction <strong>du</strong>re, peut gâter ce qu'il<br />

y a <strong>de</strong> plus beau? Notre auteur avait donc bien raison<br />

<strong>de</strong> traiter cette partie comme une <strong>de</strong>s plus essentielles<br />

au sublime, et l'on sait jusqu'où les anciens<br />

poussaient à cet égard <strong>la</strong> délicatesse.<br />

« L'harmonie <strong>du</strong> dis<strong>cours</strong> f dit-0 f ne frappe pas seelemeatroreiilef<br />

mais l'esprit; die y réveille une foule d'idées,<br />

<strong>de</strong> sentiments 9 d'Images y et parle <strong>de</strong> près à notre âme par<br />

le rapport <strong>de</strong>s sons a?ee les pensées.... C'est l'assemb<strong>la</strong>ge<br />

et <strong>la</strong> proportion <strong>de</strong>s membres qui fait <strong>la</strong> beauté <strong>du</strong> corps :<br />

sépara-lés, et cette beauté n'existe plus. 1S en est <strong>de</strong> même<br />

<strong>de</strong>s parties <strong>de</strong> <strong>la</strong> phrase harmonique : détruisei-es l'arran-'<br />

fanent 9 rampes ces liens qui les unissent, et tout l'effet<br />

est détruit. »<br />

Cette comparaison est parfaitement juste.<br />

Longin recomman<strong>de</strong> également <strong>de</strong> ne pas trop<br />

allonger ses phrases et <strong>de</strong> ne point trop les resserrer.<br />

Ce <strong>de</strong>rnier défaut surtout est directement contraire<br />

au style sublime, non pas au sublime d'un mot,<br />

mais au caractère <strong>de</strong> majesté qui convient aux grands<br />

sujets. Homère est nombreux 9 périodique ; il procè<strong>de</strong><br />

volontiers par une suite <strong>de</strong> liaisons et <strong>de</strong> mou?<br />

vemeiits. Le tra<strong>du</strong>ire en style coupé comme on l'a<br />

fait et nos jours, parce que ce<strong>la</strong> était plus aisé que<br />

île Êiire sentir dans <strong>la</strong> version quelque chose <strong>de</strong> l'harmonie<br />

<strong>de</strong> l'original, c'est lui êter un <strong>de</strong> ses principaux<br />

caractères. Cependant ce principe sur l'espèce<br />

«Tbarmonk nécessaire au style sublime souffire quelques<br />

exceptions; mais il est généralement bon. Cicéron,<br />

Démostliènes, Bossuet, en prouvent <strong>la</strong> vérité.<br />

ANCIENS. — POÉSIE. 37<br />

Dès lecommencement <strong>de</strong> son Traité, Longin parle<br />

<strong>de</strong>s vices <strong>de</strong> style les plus opposés au sublime, et<br />

j'ai cru, dans cette analyse, <strong>de</strong>voir suivre une marche<br />

toute contraire, parce qu'il me semble qu'en tout<br />

genre il faut d'abord établir ce qu'on doit faite, ayant<br />

<strong>de</strong> dire ce qu'il faut éviter. Il en marque trois principaux<br />

: l'enflure, les ornements recherchés, qu'il<br />

appelle le style froid et puéril, et <strong>la</strong> fausse chaleur.<br />

Ce sont précisément les trois vices dominants <strong>de</strong><br />

ce siècle. Et combien d'écrivains qui ont <strong>la</strong> prétention<br />

d'être grands, d'être chauds, se trouveraient<br />

froids et petits au tribunal <strong>de</strong> Longin; c'est-à-dire<br />

à celui <strong>du</strong> bon sens, qui n'a pas changé <strong>de</strong>puis lui ?<br />

« L'enflure» dit-il, est ce qu'A y a <strong>de</strong> plus difficile à<br />

éviter : on y tombe sans s'en apercevoir» en cherchant le<br />

sublime et en vou<strong>la</strong>nt éviter <strong>la</strong> faibles» et <strong>la</strong> sécheresse.<br />

On se fon<strong>de</strong> sur cet apophtnegrae dangereux 9<br />

« Dans ma noble projet on tombe noblement;<br />

mais on §*îè!ise L'enflure n'est pas moins vicieuse dans<br />

le dis<strong>cours</strong> que dans le corps ; die a <strong>de</strong> l'apparence, mais<br />

elle est creuse en <strong>de</strong>dans, et t comme os dît » i! n'y a ries<br />

<strong>de</strong> si see qn 9 im bydreptqae. »<br />

Cette comparaison est empruntée <strong>de</strong> Quintilien.<br />

« Le style froid et puéril .est l'abus <strong>de</strong>s figures qu'on<br />

apprend dans les écoles : c 9 est le défaut <strong>de</strong> ceux qui veulent<br />

toujours dira quelque chose d'eitraordlnaire et <strong>de</strong><br />

brUSant , qui veulent surtout être agréables 9 gracieux 9 et<br />

qsi9 à force <strong>de</strong> s'éloigner <strong>du</strong> naturel, tombent dans eue<br />

ridicule affectation. La fausse chaleury qu'an rhéteur»<br />

nommé Théodore» appe<strong>la</strong>it fort Men <strong>la</strong> fureur hors <strong>de</strong> .saison<br />

, consiste à s'emporter hors <strong>de</strong> propos t à s'échauffer<br />

par projet» quand U faudrait être fort tranquille. De tels<br />

écrivains ressemblent à <strong>de</strong>s gens ifres 9 ils cherchent à exprimer<br />

<strong>de</strong>s passions qu'ils n'éprouTent point 9 et il n'y a<br />

rien <strong>de</strong> plus froid, <strong>de</strong> plus ridicule que d'être ému tout<br />

seul quand on n'émeut personne. »<br />

Cet eieellent critique init son en?rage par déplorer<br />

<strong>la</strong> perte <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> éloquence , <strong>de</strong> celle qui Hérissait<br />

dans les heaui jours d'Athènes et <strong>de</strong> Route.<br />

Il attribue cette perte à celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté.<br />

«• II est impossible ; dit-il 9 qu'un esc<strong>la</strong>ve soit un orateur<br />

sublime. Mous ne sommes plus guère que <strong>de</strong> magnuiquat<br />

f<strong>la</strong>tteurs. »<br />

Quand nous eu serons à ta déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> lettres chez<br />

les Grecs et les Romains, nous ferrons que Longin<br />

avait raison, et que <strong>la</strong> même corruptf ou <strong>de</strong>s mœurs?<br />

qui avait entraînera chute <strong>de</strong> l'ancien gouvernement,<br />

défait aussi entraîner celle <strong>de</strong>s beaux-arts.<br />

CHAPITRE III.— De <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue française<br />

comparée aux <strong>la</strong>ngues anciennes.<br />

Bu sublime à <strong>la</strong> grammaire il y a beaucoup à <strong>de</strong>s-cendre<br />

; mais , pour tes bous esprits, tout ce qui est


CODES DE UTTiRATUHE.<br />

as ^ .<br />

utile à l'instruction est toujours asseï intéressant.<br />

Bans le p<strong>la</strong>n que je me suis proposé <strong>de</strong> suivre, une<br />

partie considérable <strong>de</strong> ce Cours étant <strong>de</strong>stinée à faire<br />

connaître, à faire sentir les Anciens, autant qui! est<br />

possible, même à ceux qui ne peu?ent pas les lire dans<br />

Foriginal y il m'îtaporte d'avertir <strong>de</strong>s difficultés iné-<br />

Yitables que je dois rencontrer, et <strong>de</strong>s bornes étroites<br />

et gênantes que m'impose <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> ne ja-<br />

' mais <strong>mont</strong>rer ces auteurs dans leur propre <strong>la</strong>ngue,<br />

par égard pour les personnes qui ne <strong>la</strong> connaissent<br />

point; et puisqu'ils ne peuvent parler ici que <strong>la</strong> nôtre<br />

y il est également juste et nécessaire d'établir d'abord<br />

ce que doit leur faire perdre <strong>la</strong> différence <strong>du</strong><br />

<strong>la</strong>ngage, même en supposant ce qu'il y a <strong>de</strong> plus<br />

rare, c'est-à-dire <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction aussi bonne qu'elle<br />

peut l'être. La gran<strong>de</strong> réputation <strong>de</strong> ces écrivains<br />

est ici un danger pour eux et un écueil pour moi ;<br />

car, bien que leur mérite soit <strong>de</strong> nature à être encore<br />

aperçu dans une autre <strong>la</strong>ngue que <strong>la</strong> leur, il est<br />

difficile qu'ils n'en per<strong>de</strong>nt pas quelque chose, surtout<br />

en poésie : et si, d'après cette disproportion, on<br />

les jugeait au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> l'idée qu'on en avait, on<br />

s'exposerait à être injuste en?ers eui, et c'est cette<br />

injustice que je me crois obligé <strong>de</strong> prévenir. Cest<br />

donc une occasion toute naturelle <strong>de</strong> mettre en<br />

aient quelques notions, quelques principes sur les<br />

différences les plus essentielles qui se trouvent entre<br />

les idiomes anciens et le nôtre f <strong>de</strong> discuter ce<br />

qui a été dit sur ce sujet, et d'établir <strong>de</strong>s Tentés<br />

qu'on a souvent obscurcies comme à <strong>de</strong>ssein, faute<br />

<strong>de</strong> lumières ou <strong>de</strong> bonne foi. Ce détail sera quelquefois<br />

purement grammatical : il faut bien t'y<br />

résoudre, et d'autant plus que <strong>la</strong> grammaire doit<br />

entrer aussi dans ce p<strong>la</strong>n d'instruction. D'ailleurs,<br />

elle a ce<strong>la</strong> <strong>de</strong> commun avec <strong>la</strong> géométrie, qu'elle racheté<br />

<strong>la</strong> sécheresse <strong>du</strong> sujet par <strong>la</strong> netteté <strong>de</strong>s conceptions.<br />

U n'est pas inutile d'observer que, dans l'antiquité,<br />

le mot grammaMœ, qui avait passé <strong>de</strong>s Grecs aux<br />

Latins, et dont nous avons fait celui <strong>de</strong> grammaire 9<br />

avait une acception beaucoup plus éten<strong>du</strong>e que<br />

parmi nous. On mettait les jeunes gens entre les<br />

mains <strong>du</strong> grammairien avant <strong>de</strong> les cooierau rhéteur<br />

et au philosophe; et Quintîlien, qui nous a tracé<br />

un p<strong>la</strong>n très-complet <strong>de</strong> l'ancienne é<strong>du</strong>cation, nous<br />

apprend que les connaissances et les <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong>s<br />

grammairiens s'étendaient à <strong>de</strong>s objets qui paraissent<br />

aujourd'hui ne pas appartenir à leur profession.<br />

Non-seulement un grammairien <strong>de</strong>vait apprendre<br />

à ses élèves à écrire et à parler correctement, et à<br />

connaître les règles <strong>de</strong> <strong>la</strong> versiication, ce qui est<br />

à peu près <strong>la</strong> seule chose qui soit aujourd'hui <strong>du</strong><br />

ressort <strong>de</strong> <strong>la</strong> grammaire ; mais il <strong>de</strong>vait être encore<br />

ce qu'on appelle proprement parmi les geng <strong>de</strong> ht*<br />

très un critique, ce qui ne slgeliall pas, femme <strong>de</strong><br />

nos jours, un homme qui, dans une feuille ou dans<br />

une affiche, s'établit juge <strong>de</strong> tous les ouvrages nouveaux,<br />

sans être obligé <strong>de</strong> savoir un mot <strong>de</strong> ce qu'il<br />

dit, ni même <strong>de</strong> savoir sa <strong>la</strong>ngue. Un critique, un<br />

grammairien, un philologue ( ces trois mots sont à<br />

peu près synonymes), était un homme particulièrement<br />

occupé <strong>de</strong> l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngues et <strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture<br />

<strong>de</strong>s poètes, <strong>de</strong> <strong>la</strong> connaissance exacte <strong>de</strong>s manuscrits,<br />

qui, avant l'imprimerie, étaient les seuls livres; il<br />

<strong>de</strong>vait en offrir aux jeunes gens le texte épuré, les<br />

initier dans tous les secrets <strong>de</strong> ta versiication et <strong>de</strong><br />

l'harmonie. Et comme alors <strong>la</strong> poésie lyrique était<br />

toujours accompagnée d'instruments, et <strong>la</strong> poésie<br />

dramatique toujours mêlée au chant, il ne pouvait<br />

enseigner le rhythme', si essentiel à <strong>la</strong> poésie, sans<br />

savoir ce qu'on savait alors <strong>de</strong> musique. U <strong>de</strong>vait apprendre<br />

à ses disciples à réciter <strong>de</strong>s vers, sans jamais<br />

blesser ni <strong>la</strong> quantité ni le nombre. U eût été honteux<br />

atout homme bien élevé <strong>de</strong> prononcer d'une manière<br />

vicieuse un vers grec ou <strong>la</strong>tin : c'eût été une preuve<br />

d'une mauvaise é<strong>du</strong>cation. Et comme cette étu<strong>de</strong><br />

est infiniment plus aisée pour nous, chez qui tes<br />

règles <strong>de</strong> <strong>la</strong> versiication sont très-bornées et trèsfaciles<br />

, rien n'est plus propre à nous faire sentir<br />

combien il est indécent que <strong>de</strong>s personnes bien nées<br />

estropient <strong>de</strong>s vers dans leur propre <strong>la</strong>ngue, en ignorent<br />

<strong>la</strong> mesure et <strong>la</strong> ca<strong>de</strong>nce, et que ceux qui, par<br />

état, doivent lesWcîter en public, mutilent si souvent<br />

et si grossièrement ce qu'ils répètent tous les jours.<br />

Telle est l'idée que nous donne Quintîlien <strong>de</strong>s<br />

grammairiens <strong>de</strong> Rome et d'Athènes, et qui nous<br />

rappelle l'importance qu'avait nécessairement dans<br />

les anciennes républiques tout ee qui tenait à Fart<br />

<strong>de</strong> bien parler. Cettedélicatessed'oreilte avait edntribué<br />

à perfectionner l'harmonie <strong>de</strong> leur <strong>la</strong>ngue, et<br />

l'habitu<strong>de</strong> entretenait à son tour cette délicatesse.<br />

Mais, au moment d'exposer si sommairement une<br />

partie <strong>de</strong>s avantages <strong>du</strong> grec et <strong>du</strong> <strong>la</strong>tin ( ear cet<br />

examen approfondi serait une dissertation qui ne<br />

pourrait s'adresser qu'aux "savants ), je crois entendre<br />

déjà les reproches inconsidérés <strong>de</strong> ceux qui saisissant<br />

mal l'état <strong>de</strong> <strong>la</strong> question, s'imaginent qu'on<br />

veut déprécier et calomnier <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue française. 1<br />

serait assurément bien ma<strong>la</strong>droit et bien ridicule <strong>de</strong><br />

vouloir rabaisser une <strong>la</strong>ngue dans <strong>la</strong>quelle os a<br />

toute sa vie pensé, parlé et écrit : c'est ce qu'on<br />

ne peut supposer que <strong>de</strong> pédants-qui n'auraient jamais<br />

fait autre chose que commenter les Grecs et<br />

les Latins. La métho<strong>de</strong> facile <strong>de</strong> mettre les injures<br />

à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s raisons a fait dire aux aveugles apologistes<br />

<strong>de</strong> notre <strong>la</strong>ngue, que ceux qui <strong>la</strong> trouvaient


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

iaférietire au <strong>la</strong>ngues anciennes étaient <strong>de</strong>s ignorants<br />

qui Savaient pas su s'en servit ; et9 ce qu'il y<br />

a <strong>de</strong> plus étonnant , c'est que <strong>de</strong>s gens d'esprit et <strong>de</strong><br />

mérite ont employé cette invective très-gratuite,<br />

persuadés apparemment qu'en exaltant leur <strong>la</strong>ngue,<br />

ils donneraient une plus gran<strong>de</strong> idée <strong>de</strong> leurs ouvrages.<br />

Je s'en citerai qu'un, que, selon ma coutume,<br />

je choisirai parmi les morts, pour avoir moins à démêler<br />

avec les vivants : c'est <strong>de</strong> Belloy, dans ses<br />

race.a fait vivra les siens. Je crois qu'il a tort d'en<br />

douter ; mais ce n'est pas là <strong>la</strong> question. Il ajoute :<br />

Nmm avons l'agrément , <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté, <strong>la</strong> JastoiM ;<br />

Maât égaterasa-mme lltalte «t 1* Gtèm?<br />

On sent bien qu'il s'agit <strong>de</strong> l'Italie antique.<br />

Est-ce asseï en effet d'une heureuse c<strong>la</strong>rté? °<br />

Et m pèchent-nom pas par l'uniformité?<br />

Nous verrons tout à l'heure que ce<strong>la</strong> n'est que<br />

trop vrai. Mats comment se refuser à une observa­<br />

Oè$ermtiwu msr <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngm H <strong>la</strong> poésie\française$.<br />

tion que les expressions injurieuses dont se sert <strong>de</strong><br />

Le eut <strong>de</strong>cet ouvrage, que fauteur n'eut pas le temp<br />

Belloy autorisent assez, et ren<strong>de</strong>nt encore plus frap­<br />

d'achever, est <strong>de</strong> faire voir que non-seulement nopante?<br />

Je suis fort loin <strong>de</strong> vouloir rien ôter à un<br />

tre <strong>la</strong>ngue n'est pas inférieure aux <strong>la</strong>ngues ancien­<br />

homme dont les succès au théâtre prouvent un tanes<br />

et étrangères, mais qu'elle a <strong>de</strong> l'a?antage sur<br />

lent estimable à plusieurs égards; mais il est bien<br />

toutes. Vauteur, qui avait voué sa plume à l'a<strong>du</strong><strong>la</strong>­<br />

reconnu qoe ce n'est pas le style qui est <strong>la</strong> partie <strong>la</strong><br />

tion, a cm peut-être f<strong>la</strong>tter aussi <strong>la</strong> nation sous ce<br />

plus bril<strong>la</strong>nte <strong>de</strong> ses ouvrages : c'est pourtant Fau­<br />

rapport. Mais on peut être très-bon Français sans<br />

teur <strong>du</strong> Siège <strong>de</strong> Ca<strong>la</strong>is qui ne peut souffrir qu'on<br />

regar<strong>de</strong>r sa <strong>la</strong>ngue comme <strong>la</strong> première <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>.<br />

trouve rien <strong>de</strong> plus beau que sa <strong>la</strong>ngue ; et c'est fau­<br />

Elle a sûrement-sur toutes les autres <strong>de</strong> l'Europe<br />

teur <strong>de</strong> Métope et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Henria<strong>de</strong> qui avoue l'infé­<br />

l'avantage d*étre<strong>de</strong>venue<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue universelle ;maisf riorité <strong>de</strong> <strong>la</strong> sienne. Que résulte-Mf <strong>de</strong> ce contraste<br />

sans vouloir examiner ici toutes les causes <strong>de</strong> cette<br />

et <strong>de</strong>s autorités imposantes que fai citées ? C'est que,<br />

universalité, <strong>la</strong> principale est incontestablement <strong>la</strong><br />

pour bien juger <strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngues, il faut savoir ce qu'il<br />

gran<strong>de</strong> quantité d'excellents ouvrages qu'elle a pro­<br />

est possible efeo faire, être né pour écrire, et sur<strong>du</strong>its<br />

dans tous les genres, et surtout <strong>la</strong> supériorité<br />

tout avoir l'oreille sensible. Be Belloy et beaucoup<br />

<strong>de</strong> notre théâtre. La question se ré<strong>du</strong>it donc, pour<br />

d'autres accumulent citations sur citations pour<br />

le moment, au <strong>la</strong>tin et au grec comparés au français.<br />

prouver que nos bonséerivralns ont su tirer <strong>de</strong> leur<br />

De Belloy commence par s'élever contre <strong>de</strong>s Pari-<br />

tangue <strong>de</strong>s beautés que l'on peut opposer à celles<br />

siens fîif écriwmi mal, contre <strong>de</strong>s criailleries tfe<br />

<strong>de</strong>s anciens. Eh ! qui en doute ? Qui doute que le gé­<br />

mmmmu m<strong>de</strong>urs, qui voudraient persua<strong>de</strong>r au punie<br />

ne sache se servir le plus heureusement qu'il est<br />

blie que <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong> Racine et <strong>de</strong> Bossuet ne vaut<br />

possible <strong>de</strong> l'instrument qu'on lui coule? La ques­<br />

pas celle <strong>de</strong> Virgile et <strong>de</strong> Déeiosthènes. Il y a dans<br />

tion est <strong>de</strong> savoir s'il n'y en a pas <strong>de</strong> plus tieureui.<br />

ce début beaucoup d'humeur et <strong>de</strong> mauvaise foi. Ces<br />

Tous nos jugements en fait <strong>de</strong> goût 9 on Fa déjà dit 9<br />

Parisiem, ces mauvais amieurs, sont Fénelon dans<br />

ne sont et ne peuvent être que <strong>de</strong>s comparaisons.<br />

•es Dialogue* sur l'Éloquence; Raciseet Despréaux,<br />

L'homme <strong>du</strong> meilleur esprit, qaï ne sait que sa <strong>la</strong>n­<br />

qui, après avoir eu le projet <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ire ¥ Ilia<strong>de</strong>, y<br />

gue f et qui lit nos bons auteurs, ne peut rien ima­<br />

ont renoncé, comme tout le mon<strong>de</strong> sait, parce qu'ils<br />

giner <strong>de</strong> mieux, parce quils ont tiré <strong>de</strong>là tout<br />

désespéraient <strong>de</strong> trouver dans leur <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong> quoi<br />

ce qu'on en pouvait tirer. Ils sont donc en ce<strong>la</strong><br />

lutter contre celle d'Homère; le lyrique Rousseau,<br />

pour le moins égaui aui anciens : je dis pour le<br />

qui ne se servait pas mal <strong>de</strong> <strong>la</strong> sienne; enfin, Vol­<br />

moins; car plus ils avaient <strong>de</strong> difficultés à vaincre,<br />

taire, qui n'était pas un superstitieux idolâtre <strong>de</strong>s<br />

et plus leur mérite est grand. Mais, à f égard <strong>de</strong><br />

anciens, ni un homme à préjugés pédantesques.<br />

l'idiome qu'ils avaient à manier, ce n'est point par<br />

Cest ce <strong>de</strong>rnier qui s'est p<strong>la</strong>int k plus souvent <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s traits détachés qu'on en peut juger, c'est par<br />

ce qui manquait à notre <strong>la</strong>ngue et à notre versifi­<br />

<strong>la</strong> marche habituelle. 11 faudrait, entre gens inscation<br />

: on pourrait le citer là-<strong>de</strong>ssus en cent entruits<br />

et'faits pour déci<strong>de</strong>r <strong>la</strong> question, prendre<br />

droits : je me borne à ces vers <strong>de</strong> son ÉpUre à Mo-<br />

cent vers d'Homère et <strong>de</strong> Virgile; les opposer à<br />

mœ :<br />

cent vers <strong>de</strong> Racine et <strong>de</strong> Yoltaire; comparer, vers<br />

Ifat» lingots na peu §ècf» et saut inventes*. par vers, ee que <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue a donné aui uns et aux<br />

Fait-elle fatyugner les autres nations?<br />

, autres ; et f <strong>de</strong> plus, statuer quel est l'effet total sur<br />

On peut répondre Oui, puisque ce<strong>la</strong> est déjà fait ; : les oreilles délicates et exercées. Que l'on <strong>la</strong>sse<br />

et nous avons vu pourquoi. Mais 9 dans cet endroit cet examen 9 et l'on verra que <strong>de</strong> Belloy, dans son<br />

<strong>de</strong> son ÉpUre, Fauteur vient <strong>de</strong> dire qu'il ne se système, est aussi loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité qu'il Test <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

fhtte pas que <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue dans <strong>la</strong>quelle il a écrit fasse question. Au reste* il y a longtemps qu'elle est jugée,<br />

vivre ses ouvrages aussi longtemps que celle d'Ho- et il ne s'agit aujourd'hui que d'en faire soupçonner<br />

39


40<br />

G0U1S DE LITTÉ1ATUEE.<br />

<strong>de</strong> moins les raisons à ceux même qui n'enten<strong>de</strong>nt<br />

que le français.<br />

Dans cet examen comparatif <strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngées , il faut<br />

<strong>de</strong> toute nécessité revenir aui premiers éléments f<br />

il faut parler <strong>de</strong>s noms , <strong>de</strong>s verbes , <strong>de</strong>s articles ,<br />

<strong>de</strong>s prépositions , <strong>de</strong>s particules ; car c'est <strong>de</strong> tout<br />

ce<strong>la</strong> que se composent <strong>la</strong> construction, l'expression<br />

et l'harmonie, c'est-à-dire les trois choses principales<br />

qui constituent <strong>la</strong> diction. Ne rougissons point<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre à ce détail 9 qui ne peut paraître petit<br />

que parce qu'on en parle très-inutilement aux enfants<br />

qui ne peuvent pas l'entendre; mais quand le<br />

philosophe pense à tout le chemin qu'il a fallu faire<br />

pour parvenir à un <strong>la</strong>ngage régulier et raisonnable?,<br />

malgré ses imperfections, <strong>la</strong> formation <strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngues<br />

paraît une <strong>de</strong>s merveilles <strong>de</strong> l'esprit humain, que<br />

<strong>de</strong>ui choses seules ren<strong>de</strong>nt concevable s le temps<br />

et <strong>la</strong> nécessité.<br />

Une <strong>de</strong>s premières qualités d'une <strong>la</strong>ngue, est <strong>de</strong><br />

présenter à l'esprit, le plus tôt et le plus c<strong>la</strong>irement<br />

qu'il est possible, les rapports que les mots ont les<br />

uns avec les autres dans <strong>la</strong> composition d'une phrase.<br />

Ainsi 9 par exemple, les rapports <strong>de</strong>s noms entre eus<br />

ou avec les verbes sont déterminés par les cas. Le rudiment<br />

nous dit qu'il y en a six; mais ce<strong>la</strong> est bon<br />

à dire à <strong>de</strong>s enfants : ces cas appartiennent aux<br />

Grées et aux Latins ; quant à nous y nous n'en avons<br />

pas. Les cas sont distingués par différentes terminaisons<br />

<strong>du</strong> même mot, qui avertissent dans quel rapport<br />

il est avec ce qui précè<strong>de</strong> ou ce qui suit. Mous<br />

disons dans tous, les cas $ homme, him f Uvre, et<br />

nous sommes obligés <strong>de</strong> les différencier par un article<br />

ou par une particule; l'komine, <strong>de</strong> l'homme, à<br />

l'homme, par l'homme. Les femmes savantes <strong>de</strong><br />

Molière diraient ; Votià qui se décline. Point <strong>du</strong><br />

tout : voilà ce qu'on fait quand on ne peut pas décliner<br />

; car un mot qui ne change point <strong>de</strong> terminaison<br />

est ce qu'on appelle indéclinable. Décliner,<br />

c'est dire comme les Latins, homo, homMs, homini,<br />

hominem$ homàtw, et comme les Grecs,<br />

Mpciirac, Mpuirou, èêçmis®, ééfmmv, etc. Pourquoi?<br />

C'est que le mot, dès qu'il est prononcé,,<br />

m'avertit dans quelle re<strong>la</strong>tion il est avec les autres.<br />

On sera peut-être tenté <strong>de</strong> croire que ce défaut <strong>de</strong><br />

déclinaisons, auquel nous suppléons par <strong>de</strong>s articles<br />

et <strong>de</strong>s particules ; n'est pas une chose bien importante;<br />

mais c'est qu'on n'en voïtpas d'abord <strong>la</strong>eonséquence;<br />

et ce premier exemple <strong>de</strong> ce qui nous manque<br />

va faire voir combien tout se tient dans les <strong>la</strong>ngues.<br />

Cette privation <strong>de</strong> cas proprement dits est une<br />

<strong>de</strong>s causes capitales qui font que l'inversion n'est<br />

point naturelle à notre <strong>la</strong>ngue, et qui sous privent pr<br />

conséquent d'jun <strong>de</strong>s plus précieux avantages' <strong>de</strong>s<br />

<strong>la</strong>ngues anciennes. Pourquoi sera-t-on toujours<br />

choqué d'entendre dire, La vie conser&er je voudrais.?<br />

C'est que ce mot fa vie ne présente à l'esprit<br />

aucun rapport quelconque où l'on puisse s'arrêter.<br />

Vous ne savez, quand vous l'enten<strong>de</strong>z, s'il<br />

est nominatif ou régime, c'est-à-dire s'il doit amener<br />

un verbe ou le suivre. Ce n'est que lorsque <strong>la</strong><br />

phrase est finie que vous comprenez que le mot &<br />

vie est régi par le verbe conserver. Or, il y a dans<br />

toutes les têtes une logique secrète qui fait que<br />

vous désirez d'attacher une re<strong>la</strong>tion quelconque à<br />

chaque mot que vous enten<strong>de</strong>z ; et 9 pour suivre le<br />

fil naturel <strong>de</strong> ces re<strong>la</strong>tions, il faut absolument dire<br />

dans notre <strong>la</strong>ngue, Je voudrais conserver <strong>la</strong> vie,<br />

ce qui n'offre aucun nuage à <strong>la</strong> pensée. Mais si je<br />

commence ma phrase en <strong>la</strong>tin par te mot vUam,<br />

me voilà d'abord averti, par <strong>la</strong> désinence qui frappe<br />

mon oreille, que j'entends un accusatif; c'est-àdire<br />

un régime qui me promet un verbe. Je sais<br />

d'où je pars et où je vas ; et ce qui est pour un Français<br />

une inversion forcée qui le trouble, est pour<br />

moi, Latin, un ordre naturel d'idées. Mais, dira-ton<br />

peut-être, y a-t-il beaucoup d'avantages à pouvoir<br />

dire, La vie corner ver je voudrais, plutôt que<br />

Je voudrais conserver <strong>la</strong> vie? Non, il y en a fort<br />

peu pour cette phrase et pour telle autre que je<br />

choisirais dans le <strong>la</strong>ngage ordinaire. Mais <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z<br />

aux poètes, aux historiens, aux orateurs, si<br />

c'est pour eux <strong>la</strong> même chose d'être obligés <strong>de</strong> mettre<br />

toujours les mots à <strong>la</strong> même p<strong>la</strong>ce, ou <strong>de</strong> les<br />

p<strong>la</strong>cer où l'on veut, et leur réponse développée fera<br />

voir qu'à ce même principe, qui fait que l'une <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux phrases est impossible pour nous et naturelle<br />

aux anciens, tient d'un côté une multitu<strong>de</strong> d'inconvénients<br />

9 et <strong>de</strong> l'autre une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> beautés.<br />

J'y reviendrai quand il s'agira <strong>de</strong> l'inversion. Nous<br />

n'aurions pas cru les déclinaisons si importantes ;<br />

et il me semble que ce<strong>la</strong> jette déjà quelque intérêt<br />

sur les reproches que nous avons à faire aux parti­<br />

cules, aux articles, aux pronoms, long et embarrassant<br />

cortège sans lequel nous ne saurions faire un<br />

pas. Af <strong>de</strong>9 <strong>de</strong>s, <strong>du</strong>9je9 moi, U, vous, nous, elle,<br />

le, <strong>la</strong>, les, et ce gué éternel 9 que malheureusement<br />

on ne peut appeler que retranché que dans les<br />

grammaires <strong>la</strong>tines : voilà ce qui remplit continuellement<br />

nos phrases. Sans doute accoutumés à notre<br />

<strong>la</strong>ngue, et n'en connaissant point d'autres, nous<br />

n'y prenons pas gar<strong>de</strong>. Mais croit-on qu'un Grec ou<br />

un Latin ne fût pas étrangement fatigué <strong>de</strong> nous voir<br />

traîner sans cesse cet attirail <strong>de</strong> monosyl<strong>la</strong>bes, dont<br />

aucun n'était nécessaire aux anciens, et dont ils ne<br />

se servaient qu'à leur choix? Voilà, entre autres<br />

choses, ce qui rend pour nous leur poésie si difficile


à tra<strong>du</strong>ire. Notre vers , musique le leur, n'a que<br />

ai pieds ; M n'y a presque point <strong>de</strong> phrase qui 9 es<br />

passant île leur <strong>la</strong>ngue dans <strong>la</strong> nôtre 9 se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>,<br />

pour être exactement ren<strong>du</strong>e f un bien plus grand<br />

sombre <strong>de</strong> mots, parée que les procédés <strong>de</strong> leur<br />

construction sont très-simples, et que ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

litre soor très-composés. Prenons pour exemple<br />

k premier fers <strong>de</strong> F Enéi<strong>de</strong>; car il faut rendre cette<br />

démonstration sensible pour tout le mon<strong>de</strong>, et je<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>la</strong>-permission <strong>de</strong> citer un vers <strong>la</strong>tin, sans<br />

conséquence :-<br />

Jmm pirmmpM mm, Tmjm qui primm mb mis.,.<br />

Adoptons pour no moment <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>du</strong><br />

Marsais, <strong>la</strong> versos interiinéaire qui p<strong>la</strong>ce lia mot<br />

français sons un mot Jatin. Il y en a neuf dans le<br />

•ers <strong>de</strong> Yïrgile, qui sont ceux-ci,<br />

Gsmtati et Mrc* diante, Troie qui premier <strong>de</strong>s bords.<br />

Cest pour nous un galimatias. Ces mêmes mots<br />

en <strong>la</strong>tin sont c<strong>la</strong>irs comme le jour, parce que le sens<br />

<strong>de</strong> tous est distinctement marqué par ces loties<br />

dont fai parlé; en sorte que l'élève <strong>de</strong> <strong>du</strong> Marsais<br />

procé<strong>de</strong>rait ainsi : Les <strong>la</strong>tins n'ont point d'articles ;<br />

arma est nécessairement un nominatif ou un accusatif;<br />

c'est le <strong>de</strong>rnier ici, puisque voilà le verbe<br />

qui le régit. Vlrum est aussi un accusatif. Ainsi<br />

mettons ks mméais et le héros. Cmo est <strong>la</strong> première<br />

personne <strong>du</strong> présent <strong>de</strong> l'indicatif, car <strong>la</strong><br />

terminaison seule renferme tout ce<strong>la</strong> ije chante.<br />

Et toilà le premier membre <strong>de</strong> <strong>la</strong> phrase dans le<br />

ANCIENS. — POÉSIE. 41<br />

Jfc diaste lis eombati et eet feomste pfcux<br />

Qui, <strong>de</strong>s tiords dllfton, eôadalt dans l'Ameute,<br />

Le premier aborda les champ <strong>de</strong> Lavinle.<br />

Encore a-t-il omis une circonstance fort essentielle,<br />

les <strong>de</strong>ux mots hûnsfatoprofugusi fugitif par l'ordre<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>stins ), mots nécessaires dans le <strong>de</strong>ssein<br />

<strong>du</strong> poète.<br />

Je puis citer oa exemple plus voisin <strong>de</strong> nous, et<br />

plus propre que tout autre à faire voir, non pas seulement<br />

<strong>la</strong> difficulté, mais même quelquefois l'impossibilité<br />

<strong>de</strong> rendre un vers par un vers, lorsque<br />

cette précision est le plus nécessaire, comme dans<br />

une inscription. On connaît celle qu'avait, faite Turgot<br />

pour le portrait <strong>de</strong> Franklin : c'était un vers<br />

<strong>la</strong>tin fort beau, qui, rappe<strong>la</strong>nt à <strong>la</strong> fois <strong>la</strong> révolution<br />

préparée par Franklin en Amérique, et ses découvertes<br />

sur l'électricité, disait :<br />

Bripitft cmUfmifmm mepimmqme i^mmmm,<br />

li ravit <strong>la</strong> foudre aux <strong>de</strong>ux, et le sceptre aux<br />

tyrans. Otes le pronom il, et vous avez un fort beau<br />

vers français pour rendre le vers <strong>la</strong>tin ; mais malheureusement<br />

ce pronom est indispensable f et <strong>la</strong><br />

difficulté est invincible.<br />

Ce<strong>la</strong> nous con<strong>du</strong>it aux conjugaisons, qui se<br />

passent <strong>du</strong> pronom personnel en <strong>la</strong>tin et en grec,<br />

et qui cher nous ne marchent pas sans lui : je, tu,<br />

U9 nous, vous, ik. Nous ne pouvons pas conjuguer<br />

autrement. Mais ce n'est pas tout, et c'est ici<br />

une <strong>de</strong> nos plus gran<strong>de</strong>s misères : nos verbes ne se<br />

français qui n'a point d'inversion : je chante les conjuguent que dans un certain nombre <strong>de</strong> temps ;<br />

tombais et ks héros. — Il y a déjà sept mots, les verbes <strong>la</strong>tins et les grecs dans tous. Ils se conju­<br />

tous indispensables, pour en rendre quatre; et en guent à l'actif, ou au passif, et chez nous à l'actif<br />

achevant le vers <strong>de</strong> <strong>la</strong> même manière, il trouvera ' seulement ; encore au prétérit indéfini et au plus-<br />

qui k premier <strong>de</strong>s bords <strong>de</strong> Troie, sept autres que-parfait <strong>de</strong> chaque mo<strong>de</strong>, et au futur <strong>du</strong> sub­<br />

mots pour en rendre cinq. : en sorte qu'en voilà jonctif, sommes-nous obligés d'avoir re<strong>cours</strong> au<br />

quatorze contre neuf, sans qu'il y ait une syl<strong>la</strong>be verbe auxiliaire avoir, et <strong>de</strong> dire ij'at aimé, j'avais<br />

qui ne soit nécessaire, et sans qu'on ait ajouté <strong>la</strong> aimé, j'aurais aimé, que j'eusse aimé, que j'aie<br />

moindre idée. Et comment le <strong>la</strong>tin a-t-il mis dans aimé, etc. Pour ce qui est <strong>du</strong> passif, nous n'en<br />

os seul fers ce qui nous parait si long par rapport avons pas : nous prenons tout uniment le verbe<br />

aax nôtres} Je chante ks combats et k héros qui, substantif je suis, et nous y joignons le participe<br />

h premier, <strong>de</strong>s bords <strong>de</strong> Troie t Pourquoi cette dans tous les mo<strong>de</strong>s et dans tous les temps, et à<br />

disproportion entre <strong>de</strong>ui phrases, dont l'une dit toutes les personnes. Ce sont bien là les livrées <strong>de</strong><br />

exactement <strong>la</strong> même chose que l'autre? Voiei l'ex­ l'indigence; et un Grec qui t en ouvrant une <strong>de</strong> nos<br />

cédant en français y et ce sont ces articles et ces grammaires, verrait le même mot répété quatre<br />

particules dont je par<strong>la</strong>is, Je, ks, k, <strong>de</strong>, k9 dont pages <strong>de</strong> suite, servant à conjuguer tout un verbe,<br />

k <strong>la</strong>tïo n'a que faire. En prose <strong>du</strong> moins 9 on a toute ne pourrait s'empêcher <strong>de</strong> nous regar<strong>de</strong>r en pitié.<br />

<strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> s'étendre ; mais dans les fers y ou le ter­ Je dis un Grec, parce qu'en ce genre les Latins,<br />

rain est mesuré y quels efforts ne faut-il pas pour ba­ qui sont riches en comparaison <strong>de</strong> nous, sont pau<strong>la</strong>ncer<br />

cette inégalité! et comment y parvient-on, vres en comparaison <strong>de</strong>s Grecs. Les premiers ont<br />

si ce n'est le plus souvent par quelques saeriiees ? aussi unbèsoin.absolu<strong>du</strong> verbe auxiliaire, au moins<br />

Aussi BoUeau, qui, dans F Art poétique, a tra<strong>du</strong>it dans plusieurs temps <strong>du</strong> passif. Les Grecs ne l'ad­<br />

le commencement <strong>de</strong> F Enéi<strong>de</strong>, a mis trois vers pur mettent presque jamais, et leur verbe moyen est en­<br />

<strong>de</strong>ux :<br />

core une richesse <strong>de</strong> plus. Nos mo<strong>de</strong>s sont pauvres;


43<br />

ceux dos Latins sont incomplets; cetu <strong>de</strong>s Grecs<br />

tout jusqu'à <strong>la</strong> surabondance, lia seul mot leur<br />

suffit pour exprimer quelque temps que ce soit 9 et<br />

il nous en faut sou?est quatre, c'est-à-dire le verbe,<br />

rauxiliaire avoir, le substastif être, et le pronom :<br />

ittméêê aimé, ils mi été aimés. Les Grecs disent<br />

ce<strong>la</strong> dans un seul mot; et ils ont quatre manières<br />

<strong>de</strong> te dire. Nous n'avons que <strong>de</strong>ux participes f ceux<br />

<strong>du</strong> présent, aiwwntfaàmê : les <strong>de</strong>ux <strong>du</strong> passé et<br />

<strong>du</strong> futur à Pactif ayant aimé, <strong>de</strong>vant aimer9 et les<br />

<strong>de</strong>ux <strong>du</strong> passif, ayant été aimé, <strong>de</strong>vant être aimé,<br />

nous ne les formons, comme oe voit, qu'a?ec<br />

rauxiliaireavoir et le substantif etreXes Latins manquent<br />

<strong>de</strong> ceux <strong>du</strong> passé f et ont ceux <strong>du</strong> futur ; les<br />

Grecs les ont tous, et les ont triples; c'est-à-dire<br />

chacun d'eux a? ee trois terminaisons différentes. —<br />

Mais à quoi bon ce superflu ? s'il n'y a que six participes<br />

<strong>de</strong> nécessaires, pourquoi en avoir dix-huit *?—<br />

Yoilà, diraient les Grecs, une question <strong>de</strong> barbares.<br />

Est-ceqtfïl petit y avoir trop <strong>de</strong> variété dans les sons,<br />

quand on veut f<strong>la</strong>tter l'oreille ? et les poètes ..et les<br />

orateurs sont-ils fâchés d'a?oir à choisir? — Mais<br />

que <strong>de</strong> temps il fal<strong>la</strong>it pour se mettre dans <strong>la</strong> tête<br />

cette incroyable quantité <strong>de</strong> finales d'un même<br />

mot! — Ce<strong>la</strong> ne paraît pas aisé en effet. Cependant<br />

à Rome tout homme bien élevé par<strong>la</strong>it le grec aussi<br />

aisément que le <strong>la</strong>tin, les femmes même le savaient<br />

communément. C'est que Rome était remplie <strong>de</strong><br />

Grecs, et qu'on apprend toujours aisément une <strong>la</strong>ngue<br />

qu'on parle. Mais quand une <strong>la</strong>ngue aussi riche<br />

que, celle-là <strong>de</strong>vient ce qu'on appelle une <strong>la</strong>ngue<br />

savante, une <strong>la</strong>ngue morte, il y a <strong>de</strong> quoi étudier<br />

toute sa vie.<br />

Maintenant, qui ne comprend pas combien cette<br />

nécessité d'attacher à tous les temp» d'un verbe un<br />

ou <strong>de</strong>ux autres verbes surchargés d'un pronom, doit<br />

mettre <strong>de</strong> monotonie, <strong>de</strong> lenteur et d'emharas dans<br />

<strong>la</strong> construction? et c'est encore une <strong>de</strong>s raisons qui<br />

nous ren<strong>de</strong>nt l'inversion impossible. La c<strong>la</strong>rté <strong>de</strong><br />

notre marche méthodique dont nous nous vantons',<br />

quoique assurément elle ne soit pas plus c<strong>la</strong>ire que<br />

<strong>la</strong> marche libre, rapi<strong>de</strong> et variée <strong>de</strong>s anciens y n'est<br />

qu'une suite indispensable <strong>de</strong>s entraves <strong>de</strong> notre<br />

idiome : force est bien à celui qui porte <strong>de</strong>s chaînés<br />

<strong>de</strong> mesurer ses pas ; et nous avons fait, comme<br />

on dit 9 <strong>de</strong> nécessité vertu. Mais quelle foule d'avantages<br />

inappréciables résultait <strong>de</strong> cet heureux<br />

privilège <strong>de</strong> l'inversion ! Quelle prodigieuse variété<br />

d'effets et <strong>de</strong> combinaison§;naissait<strong>de</strong>cettelibre disposition<br />

<strong>de</strong>s mots arrangés <strong>de</strong> manière à faire valoir<br />

* Les Graes n'ont fti© neuf participa èMIaois, ce fat est<br />

noiflé motos que ne te prétend ia Harpe.<br />

COU1S DE-LITTÉRATURE.<br />

toutes les parties <strong>de</strong> <strong>la</strong> phrape* à les couper, à les surprendre,<br />

à les opposer, à les rassembler, à attacher<br />

toujours l'oreille et l'imagination, sans que toute<br />

cette composition artificielle <strong>la</strong>issât le moindre nuage<br />

dans l'esprit! Pour le sentir, il faut absolument lin<br />

les anciens dans leur <strong>la</strong>ngue : c'est une connaissance<br />

que rien ne peut suppléer. Je voudrais pourtant<br />

donner une idée, quoique très-imparfaite, <strong>du</strong> prix<br />

que peut avoir cet arrangement <strong>de</strong>s mots, et je ne<br />

<strong>la</strong> prendrai pas dans un grand sujet d'éloquence<br />

ou <strong>de</strong> poésief mais dans une fable tirée d'une <strong>de</strong>*<br />

épUres * d'Horace, et imitée par <strong>la</strong> Fontaine. Par<br />

malheur, elle est <strong>du</strong> très-petit nombre <strong>de</strong> celles qui<br />

ne sont pas dignes <strong>de</strong> lui. C'est <strong>la</strong> fable <strong>du</strong> Rat <strong>de</strong><br />

viUe et <strong>du</strong> Rat dm champs, qui, dans Horace, est<br />

un chef-d'œuvre <strong>de</strong> grâce et d'expression. Yoiei <strong>la</strong><br />

tra<strong>du</strong>ction exacte <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux premiers vers z . On<br />

racornie que k rat <strong>de</strong>s champs reçut k rat <strong>de</strong> vUk<br />

dans son trou indigent : c'était m vieil hôte d'um<br />

vieil amL Les <strong>de</strong>ux vers <strong>la</strong>tins sont charmants.<br />

Pourquoi ? C'est que, indépendamment <strong>de</strong> l'harmonie,<br />

les mots sont disposés <strong>de</strong> sorte, que champ est<br />

opposé à viUe, rat et rai, vkux à vieux , Mte à «uni.<br />

Ainsi, dans les quatre combinaisons que renferment<br />

ces <strong>de</strong>ux vers, tout est contraste ou rapprochement.<br />

11 est c<strong>la</strong>ir qu'un pareil artifice <strong>de</strong> style (et il y en a<br />

une infinité <strong>de</strong> cette espèce) est absolument étranger<br />

à une <strong>la</strong>ngue qui n'a point d'inversions.<br />

Quinte-Curce, historien éloquent, commence ainsi<br />

son quatrième livre (je conserverai d'abord l'arrangement<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> phrase <strong>la</strong>tine, afin <strong>de</strong> mieux faire<br />

comprendre le <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> Fauteur dans le mot qui <strong>la</strong><br />

finit : le moment <strong>de</strong> son récit est après <strong>la</strong> bataille<br />

d'Issus) :<br />

« Darius, im peu auparavant maître d'osé paissante<br />

armée, et qui s'était avancé §u combat 9 élevé sur ne char,<br />

dans l'appareil d'an triomphateur plutôt que «f aa général »<br />

alors au travers <strong>de</strong>s campagnes qu'il avait remplies <strong>de</strong> ses<br />

innombrables bataillons , et qui n'offraient plus qu'une<br />

•astesolitu<strong>de</strong>, fuyait »<br />

Cette construction est très-mauvaise en français,<br />

et ce mût fityait, ainsi isolé, finit très-mal <strong>la</strong> phrase»<br />

et forme une chute sèche et désagréable : il <strong>la</strong> termine<br />

admirablement dans le <strong>la</strong>tin. 11 est facile d'apercevoir<br />

Fart <strong>de</strong> fauteur, mime sans entendre sa<br />

<strong>la</strong>ngue. A <strong>la</strong> vérité , Ton ne peut pas <strong>de</strong>viner que le<br />

mot fmgiebat, composé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux brèreset <strong>de</strong>afï longues<br />

; complète très-bien 1a pério<strong>de</strong> harmonique f<br />

au lieu qm fuyait est un mot sourd et sec ; mais on<br />

Yoit c<strong>la</strong>irement que <strong>la</strong> phrase est construite <strong>de</strong> ma-<br />

• Citation Fana», lirai, d'mm eu mtèrm : c'ait <strong>la</strong> sixième<br />

dn second livre.<br />

* Mmîîcm urbmtmm wmrmm mut poupin futur<br />

Jeeepim emm. wfanm mtm hm^m amêmm.


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

Bière à iaire attendre jusqu'à <strong>la</strong> in ce mtàjkgiebat;<br />

que c'est là le grand coup que l'historien veut<br />

frapper; qu'il présente d'abord à l'esprit ce magnifique<br />

tableau <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> puissance <strong>de</strong> Darius» pour<br />

offrir ensuite dans ce seul mot ,fw§îeèmif HfùyaU,<br />

le contraste <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>urs et les réfutations<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> fortune; eu sorte que <strong>la</strong> phrase est essentiellement<br />

divisée en <strong>de</strong>ux parties, dont <strong>la</strong> première<br />

étale tout ce qu'était le grand roi ayant <strong>la</strong> journée<br />

crissas ; et <strong>la</strong> secon<strong>de</strong>, composée d'un seul mot, représente<br />

ce qu'il est après cette funeste journée.<br />

L'arrangement pittoresque <strong>de</strong>s phrases grecques et<br />

<strong>la</strong>tines n'est pas toujours aussi frappant que dans<br />

cet endroit : mais un seul exemple semb<strong>la</strong>ble suffit<br />

pour faire <strong>de</strong>viser tout ce que peut pro<strong>du</strong>ire un si<br />

heureux mécanisme, et avec quel p<strong>la</strong>isir on lit <strong>de</strong>s<br />

ouvrages écrits <strong>de</strong> ce style.<br />

A présent ; s'il s'agissait <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ire cette phrase<br />

comme elle doit être tra<strong>du</strong>ite suitant le génie <strong>de</strong><br />

notre <strong>la</strong>ngue, il est dé<strong>mont</strong>ré d l abordqu'il faut renoncer<br />

à conserver <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>du</strong> mot fiigUbat, quelque<br />

avantageuse qu'elle soit en elle-même et disposer<br />

ainsi <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> française :<br />

« Darius» a»peu auparavant mitra d'une si passaals<br />

année, et qui t'était avaaeé ta combat, élevé sas in <strong>du</strong>r,<br />

dans l'appareil d'un triomphateur plutôt que d'un fasses al 9<br />

isjait alors au travers <strong>de</strong> ces mêmes campagnes qu'il avait<br />

remplies <strong>de</strong> ses innombrables saîtillsas f et qui n ? 43<br />

spondées, d'ïambes, <strong>de</strong> trochées, d'anapestes; ce<br />

qui, pour parler un <strong>la</strong>ngage qu'on entendra mieux,<br />

équivaut à différentes mesures musicales, formées<br />

<strong>de</strong> ron<strong>de</strong>s, <strong>de</strong> b<strong>la</strong>nches, <strong>de</strong> -noires et <strong>de</strong> croches.<br />

L'oreille était donc chez eui un juge délicat et sévère<br />

qu'ilfal<strong>la</strong>it gagner le premier. Tous leurs roots ayant<br />

un accent décidé, cette diversité <strong>de</strong> sons faisait <strong>de</strong><br />

leur poésie une sorte <strong>de</strong> musique, et ce n'était pas<br />

sans raison que leurs poètes disaient, Je chante. La<br />

facilité <strong>de</strong> créer tel ordre <strong>de</strong> mots qu'il leur p<strong>la</strong>isait<br />

leur permettaitune foule<strong>de</strong>constructions particulières<br />

à <strong>la</strong> poésie, dont résultait un <strong>la</strong>ngage si différent<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> prose, qu'en décomposant <strong>de</strong>s vers <strong>de</strong> Virgile<br />

et d'Homère on y trouverait encore, suivant l'expression<br />

d'Horace, kt memèrm ^mn poète mit m pièces,<br />

au lieu qu'en général le plus grand éloge <strong>de</strong>s<br />

vers parmi nous est <strong>de</strong> se trouver bons en prose.<br />

L'essai que it <strong>la</strong> Motte sur <strong>la</strong> première scène <strong>de</strong> MU<br />

tkrîdate en est une preuve évi<strong>de</strong>nte; les vers <strong>de</strong> Racine<br />

n'y sont plus que <strong>de</strong> <strong>la</strong> prose très-bien faite :<br />

c'est qu'un <strong>de</strong>s grands mérites <strong>de</strong> nos vers est tfé- '<br />

chappec à <strong>la</strong> contrainte <strong>de</strong>s règles, et <strong>de</strong> paraître<br />

libres sous les entrâtes <strong>de</strong> <strong>la</strong> mesure et <strong>de</strong> <strong>la</strong> rime.<br />

0te2 cette rime, et il <strong>de</strong>viendra impossible <strong>de</strong> marquer<br />

<strong>de</strong>s limites certaines entre <strong>la</strong> prose et les vers, parce<br />

que <strong>la</strong> prose éloquente tient beaucoup <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie,<br />

et que <strong>la</strong> poésie déeonstreite ressemble à <strong>de</strong> l'excel­<br />

@ffraient lente prose.<br />

plus qu'une triste et vaste solitu<strong>de</strong>.<br />

C'est donc surtout en vers que nous sommes ac­<br />

Cet art <strong>de</strong> taira attendre jusqu'à <strong>la</strong> in Ame pécablés <strong>de</strong> <strong>la</strong> supériorité êm anciens. 'Enfants favorio<strong>de</strong><br />

aa mot décisif, qui achetait le sens en comrisés <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, ils ont <strong>de</strong>s ailes, et nous nous<br />

plétant l'harmonie, était un <strong>de</strong>s grands moyens traînons avec <strong>de</strong>s fers. Leur harmonie, variée à l'in­<br />

qu'employaient les orateurs <strong>de</strong> Roms et d'Athènes ; fini , est un accompagnement délicieux qui soutient<br />

et quand Oaéraa et Qaktlliea ne nous en eîtarakat leurs pensées quand elles sont faibles, qui anime<br />

pas <strong>de</strong>s exemples ptrtlcal<strong>la</strong>ra, <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong>s anciens <strong>de</strong>s détails indifférents par eux-mêmes, qui amuse<br />

nous l'indiquerait atout moment. Ils savaient com­ encore l'oreille quand le cœur et f esprit se reposent.<br />

bles les hommes rassemblés sont susceptibles d'être Mous autres mo<strong>de</strong>rnes, si <strong>la</strong> pensée ou le sentiment<br />

menés par le p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> l'oreille, et l'harmonie est nous abandonne, sous avons peu <strong>de</strong> ressources pour<br />

certainement un <strong>de</strong>s avantages que nous pouvons nous faire écouter : mais l'homme dont f oreille est<br />

le moins leur contester. Outre cette faculté <strong>de</strong>s in­ sensible est tenté <strong>de</strong> dire à Virgile, à Homère : Chanversions<br />

f qui les <strong>la</strong>isse maîtres <strong>de</strong> p<strong>la</strong>cer où ils veutez toujours, chantez, <strong>du</strong>ssiez-vous ne rien dire;<br />

lent le mot qui est image et le mot qui est pensée, votre voix me charme quand vos dis<strong>cours</strong> ne m'oc­<br />

il ont une harmonie élémentaire qui tient surtout cupent pas.<br />

à <strong>de</strong>ux choses, à <strong>de</strong>s syl<strong>la</strong>bes presque toujours so­ Aussi parmi nous ceux qui, ne songeant qu'au<br />

nores v et à une prosodie très-distincte. Les plus ar­ besoin <strong>de</strong> penser, et craignant <strong>de</strong> paraître quel<strong>de</strong>nts<br />

apologistes <strong>de</strong> notre <strong>la</strong>ngue ne peuvent disquefois vi<strong>de</strong>s, ont voulu que tous leurs vers marconvenir<br />

qu'elle n'ait un nombre prodigieux <strong>de</strong> quassent, ou que toutes leurs phrases fussent frap­<br />

syl<strong>la</strong>bes sour<strong>de</strong>s et sèches, ou même <strong>du</strong>res, et que pantes, sont ten<strong>du</strong>s etrai<strong>de</strong>s..Au contraire, Racine,<br />

sa prosodie se soit très-faiblement marquée. La plu* Voltaire, Fénelon, Massillon, et ceux qui, comme<br />

part <strong>de</strong> nos syl<strong>la</strong>bes n'ont qu'une quantité douteuse t eux, ont goûté cette moMeoe heureuse <strong>de</strong>s anciens,<br />

une valeur indéterminée ; celles <strong>de</strong>s anciens, presque qui, comme le dit si bien Voltaire, sert à relever<br />

toutes décidément longues ou brèves, forment leur le sublime, Font <strong>la</strong>issée entrer dans leurs composi­<br />

prosodie d*un mé<strong>la</strong>nge continuel <strong>de</strong> dactyles et <strong>de</strong> tions; et <strong>de</strong>s gens sans goût Font appelée faiblesse*


44<br />

COtJMS DE LITTÉRATURB.<br />

Il s'en fout bien que <strong>la</strong> conséquence <strong>de</strong> toutes ces<br />

vérités soit désavantageuse à <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> nos bons<br />

auteurs : au contraire,.ce qui s'offrit aux anciens,<br />

nous sommes obligés <strong>de</strong> le chercher. Notre barmoaie<br />

n'est pas ne don <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue; elle est l'ouvrage<br />

<strong>du</strong> talent : elle ne petit naître que d'usé gran<strong>de</strong> habileté<br />

dans le choix et l'arrangement d'un certain<br />

nombre <strong>de</strong> mots, et dans l'exclusion judicieuse donnée<br />

au plus grand nombre. Nous aYons beaucoup<br />

moins <strong>de</strong> matériaux pour élever l'édifice, et ils sont<br />

bien moins heureux-: l'honneur es est plus grand<br />

pour l'architecte. Nom bâtissons en brique, a dit<br />

Voltaire, et tes anciens construisaient en marbre.<br />

Les Grecs surtout , aussi supérieurs aux Latins que<br />

ceux-ci le sont aux mo<strong>de</strong>rnes, les Grecs avaient<br />

une <strong>la</strong>ngue toute poétique. La plupart <strong>de</strong> leurs mots<br />

peignent à l'oreille et à l'imagination, et le son exprime<br />

l'idée. Ils peuvent combiner plusieurs mots<br />

dans un seul, et renfermer plusieurs images et plusieurs<br />

pensées dans une seule expression. Ils peignent<br />

d'un seul mot un casque qui jette <strong>de</strong>s râpons <strong>de</strong> lnmiére<br />

<strong>de</strong> tous ks côtés, un guerrier couvert d f bas, etc. ; au lieu que le mot <strong>la</strong>tin aspicere, modifié<br />

par une préposition, marque à lui seul toutes<br />

les nuances possibles : regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> loin, prospieere;<br />

regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong>dans, inspicere; regar<strong>de</strong>r à travers,<br />

perspkere; regar<strong>de</strong>r au fond, introspieere;<br />

regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong>rrière soi, respicere; regar<strong>de</strong>r en haut,<br />

suspicere; regar<strong>de</strong>r en bas, <strong>de</strong>spicere; regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong><br />

manière à distinguer un objet parmi plusieurs autres<br />

( voilà une idée très-complexe : un seul mot <strong>la</strong> rend ),<br />

dispkere; regar<strong>de</strong>r autour <strong>de</strong> soi, circumspicere.<br />

Tous voyez que le <strong>la</strong>tin peint tout d'un coup à l'esprit<br />

ce que le français ne lui apprend que successivement<br />

: c'est le contraste <strong>de</strong> <strong>la</strong> rapidité et <strong>de</strong> <strong>la</strong> lenteur<br />

; et pour peu qu'on réfléchisse sur le caractère <strong>de</strong><br />

l'imagination, l'on sentira qu'on ne peut jamais lui<br />

parler trop vite, et qu'une <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s prérogatives<br />

d'une <strong>la</strong>ngue est d'attacher une image à un mot<br />

Veut-on d'ailleurs s'assurer, par <strong>de</strong>s exemples, <strong>de</strong><br />

l'avantage que l'on trouve à possé<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s termes <strong>de</strong><br />

ce genre, et <strong>de</strong> l'inconvénient d'en manquer? En<br />

voici <strong>de</strong> frappants. On rencontre souvent dans les<br />

m historiens <strong>la</strong>tins, au moment où une armée com­<br />

panache <strong>de</strong> diverses conteurs, et mille autres obmence à s'ébranler, et paraît sur le point d'être mise<br />

jets qu'il serait trop long <strong>de</strong> détailler. Aussi nos en déroute, ces <strong>de</strong>ux mots, fagmm ciremmspicie-<br />

mots scientifiques qui expriment ic$ idées complexes bantf qui ne peuvent être ren<strong>du</strong>s exactement que<br />

sont tous empruntés <strong>du</strong> grec, géographie, astrono­ <strong>de</strong> cette manière : Ils regardaient autour d'eux <strong>de</strong><br />

mie, mythologie, et autres <strong>du</strong> même genre. Ils sa­ <strong>de</strong> quei côté ik fieraient. Yoilà bien <strong>de</strong>s mots. J'atcrifiaient<br />

tellement à l'euphonie ( c'est encore là teste tous ceux qui ont ici quelque connaissance dil<br />

un <strong>de</strong> leurs mots composés, et il signifie <strong>la</strong> douceur <strong>la</strong>tin 9 que ce qui parait si long en français est com­<br />

<strong>de</strong>s sons), qu'ils se permettaient, surtout en vers, plètement exprimé par ces <strong>de</strong>ux mots seuls ifugam<br />

d'ajouter ou <strong>de</strong> retrancher une ou plusieurs lettres ctrcmmspieieimnt. Quel avantage <strong>de</strong> pouvoir offrir<br />

dans un même mot, selon le besoin qu'ils en avaient à l'imagination un tableau entier avec <strong>de</strong>ux mots!<br />

pour <strong>la</strong> mesure et pour l'oreille. Ajoutes que les Un autre exemple dé<strong>mont</strong>rera l'impossibilité qu'é­<br />

différentes nations <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce, affectionnant <strong>de</strong>s prouvent les meilleurs tra<strong>du</strong>cteurs <strong>de</strong>s anciens à<br />

-anales différentes, amenaient dans les noms et dans soutenir toujours <strong>la</strong> comparaison avec eux, parce<br />

les verbes ces variations que Ton a nommées dia­<br />

qu'enfin l'on ne peut pas trouver dans une <strong>la</strong>ngue<br />

lectes; et qu'un poète pouvait les employer toutes.<br />

ce qui n'y est pas; et quand, un écrivain tel que<br />

Est-ce donc à tort qu'on s'est accordé à reconnaî­<br />

notre Delille n'a pu y parvenir, on peut croire <strong>la</strong><br />

tre chez eux <strong>la</strong> plus belle <strong>de</strong> toutes les <strong>la</strong>ngues et <strong>la</strong><br />

difficulté insur<strong>mont</strong>able. Il s'agit <strong>de</strong> ce fameux épi­<br />

plus harmonieuse poésie?<br />

so<strong>de</strong> d'Orphée, et <strong>du</strong> moment où, en se retournant<br />

Nous avons, il est vrai, comme les anciens, ce pour regar<strong>de</strong>r Eurydice, il <strong>la</strong> perd sans retour.<br />

qu'on appelle <strong>de</strong>s simples et <strong>de</strong>s composés, c'est-à- C'est bien là que Ton va sentir <strong>la</strong> nécessité d'exdire<br />

<strong>de</strong> termes radicaux modifiés par une préposiprimer en un seul mot l'action <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong>rrière<br />

tion. Le verbe mettre, par exemple, est use racine soi ; car c'est à un seul mouvement <strong>de</strong> tête que tient<br />

dont les dérivés sont admettre, soumettre, démet­ tout le <strong>de</strong>stin <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux amants, et tout l'intérêt <strong>de</strong><br />

tre, etc. ; mais en ce genre il nous en masque beau­ <strong>la</strong> situation. Virgile n'y était pas embarrassé : il<br />

coup d'essentiels 9 et cette sorte <strong>de</strong> composition <strong>de</strong>s avait le mot respicere; il ne s'agissait que <strong>de</strong> le p<strong>la</strong>­<br />

mots est chez nous plus bornée et moins significacer heureusement, et l'on peut s'en rapporter à lui.<br />

tive que chez les anciens. Leurs prépositions Ter- Il coupe par le milieu <strong>la</strong> cinquième mesure, et susbaies<br />

ont plus <strong>de</strong> puissance et plus d'éten<strong>du</strong>e. Prepend l'oreille et l'imagination sur le mot terrible,<br />

nons le mot regar<strong>de</strong>r. Si nous voulons exprimer respexiL Ce mot, qui dit tout, le tra<strong>du</strong>cteur n§<br />

les différentes manières <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r, il fout avoir l'avait pas. Os ne peut pas faire entrer dans un mm<br />

re<strong>cours</strong> aux phrases adverbiales, m haut, en il regar<strong>de</strong> <strong>de</strong>rrière lui.


Mite a mis :<br />

ANCIENS. — POÉSIE.<br />

Pretqseain porta* <strong>du</strong> jour s troublé» hors <strong>de</strong> lui-même 9<br />

1 s'arrête, U m tourne.... M remit ce qu'il aime :<br />

Cm est <strong>la</strong>it, etc.<br />

11 est trop évi<strong>de</strong>nt que U se tourne ne peint pas<br />

exactement à l'esprit te mouvement fatal; et quand<br />

le poète aurait mis U se reùmrne, ce<strong>la</strong> ne rendrai!<br />

pas mieux l'idée essentielle, ce regard d'Orphée9 le<br />

<strong>de</strong>rnier qu'il jette sur son épouse : c'est là que Vir­<br />

gile s'arrête! et il reprend tout <strong>de</strong> suite x y et t&uâ<br />

œqmU*mfmi estperêu» La contrainte <strong>de</strong> <strong>la</strong> rime<br />

a forcé le tra<strong>du</strong>cteur <strong>de</strong> mettre U remit m qu'M<br />

aime. Virgilet au contraire, présente pour première<br />

idée ( et il a bien raison ) qu'Orphée ne <strong>la</strong><br />

Yôit plus. Toutes ces, différences tiennent unique*<br />

ment à un mot donné par une <strong>la</strong>ngue, et refusé par<br />

l'autre; et e ? est tout ce qui peut résulter <strong>de</strong> cette<br />

observation que je mt suis permise sur <strong>la</strong> meilleure<br />

<strong>de</strong> toutes mm tra<strong>du</strong>ctions y sur celle que <strong>la</strong> beauté<br />

continue <strong>de</strong> versification et <strong>la</strong> pureté <strong>du</strong> goût ont<br />

mise au rang <strong>de</strong>s ouvrages c<strong>la</strong>ssiques.<br />

On a iiil une objection qui a paru spécieuse;<br />

c'est que nous ne sommes pas <strong>de</strong>s juges compétents<br />

<strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngues mortes. Ce<strong>la</strong> n'est vrai, comme bien<br />

d'astres choses ; qu'avec beaucoup <strong>de</strong> restrictions.<br />

Sans <strong>de</strong>nt® îi y a, bien <strong>de</strong>s Inesses dans le <strong>la</strong>ngage,<br />

bien <strong>de</strong>s agréments dans <strong>la</strong> prononciation, et en<br />

eenséqueiice il y a aussi <strong>de</strong>s défauts contraires, qui<br />

n'ont pu être saisis que par les nationaux. Mais il<br />

n'es est pas moins avéré que les mo<strong>de</strong>rnes ont recueilli<br />

sTIge eu âge un assez grand nombre <strong>de</strong> connaissances<br />

certaines sur les <strong>la</strong>egues anciennes, pour<br />

sentir te mérite <strong>de</strong>s auteurs grecs et <strong>la</strong>tins, non*<br />

seulement aiaas les idées et tes sentiments qui appartiennent<br />

à tous les peuples, mais même, jusqu'à<br />

un certain point, dans <strong>la</strong> diction et dans l'harmonie.<br />

Toutes les fois qu'on a beaucoup d'objets <strong>de</strong> comparaison<br />

dans une même chose, on a beaucoup <strong>de</strong><br />

moyens <strong>de</strong> <strong>la</strong> connaître. Philosophes, orateurs, poètes,<br />

historiens f critiques, tout ce qui nouf reste <strong>de</strong><br />

l'antiquité acootribué àétendre nos idées et à former<br />

notre jugement. Les époques <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>la</strong>tine sont<br />

sensibles pour nous ; et quel est l'homme instruit qui<br />

se distingue pas le <strong>la</strong>ngage rJEaaiiis et <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ute,<br />

<strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Virgile et <strong>de</strong> Térence? Les nombreuses<br />

inscriptions <strong>de</strong>s an<strong>de</strong>ns monuments suffiraient pour<br />

nousapprendre les variations et les progrès <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue<br />

<strong>de</strong>s Romains. Il faudrait manquer absolument<br />

d'oreille pour n'être pas aussi charmé <strong>de</strong> l'harmonie<br />

Mtiptmt ; ibi §mmiê<br />

mfm§ ïsb&r.<br />

(Gwf. iv, if 14<br />

45<br />

d'Horace et <strong>de</strong> Virgile que rebuté <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>du</strong>re enflure<br />

<strong>de</strong> Laca<strong>la</strong> et <strong>de</strong> <strong>la</strong> monotone emphase <strong>de</strong> C<strong>la</strong>udien.<br />

Le style <strong>de</strong> Ute-Live et celui <strong>de</strong> Tacite, le style <strong>de</strong><br />

Xénophon et celui <strong>de</strong> Thucydi<strong>de</strong>, le style <strong>de</strong> Démosthènes<br />

et celui d'Isocrate, sont aussi différents pour<br />

sous que Bossuet et Fléchier, Voltaire et Montesquieu,<br />

Footenelle et Buffcn. Nous pouvons donc, ce<br />

me semble, nous livrer à notre admiration pour les<br />

grands écrivains <strong>de</strong> l'antiquité, sans craindre qu'elle<br />

soit aveugle : et cette objection <strong>de</strong> <strong>la</strong> Mothe, qu'on<br />

a souvent répétée <strong>de</strong>puis lui, est une <strong>de</strong> celles que<br />

madame Dacier a le plus soli<strong>de</strong>ment réfutées; c'est<br />

un <strong>de</strong>s endroits où elle a te plus raison contre lui ;<br />

raison pour te fond <strong>de</strong>s choses, s'entend, car pour<br />

<strong>la</strong> forme elle a toujours tort.<br />

Ou peut actuellement prononcer en connaissance<br />

<strong>de</strong> cause sur <strong>la</strong> question que j'ai posée en commençant.<br />

11 est dé<strong>mont</strong>ré que nous n'avons point <strong>de</strong> déelinaisioes<br />

; que nos conjugaisons sont très-incomplètes<br />

et très-défectueuses ; que notre constraction<br />

est surchargée d'auxiliaires 9 <strong>de</strong> particules, d'articles<br />

et <strong>de</strong> pronoms; que nous avons peu <strong>de</strong> prosodie et<br />

peu <strong>de</strong> rhythme; que nous ne pouvons faire qu'un<br />

usage très-borné <strong>de</strong> l'inversion; que nous n'avons<br />

point <strong>de</strong> mots combinés, et pas assez <strong>de</strong> composés ;<br />

qu'enfin notre versification n'est essentiellement<br />

caractérisée que par <strong>la</strong> rime. 11 n'est pas moins dé<strong>mont</strong>ré<br />

que tes anciens ont plus ou moins tout ce<br />

qui nous manque. Voilà les faits : quel en est le<br />

résultat? Louange et gloire aux grands hommes<br />

qui nous ont ren<strong>du</strong>, par leur génie, <strong>la</strong> concurrence<br />

que notre <strong>la</strong>ngue nous refusait, qui ont couvert notre<br />

indigence <strong>de</strong> leur richesse; qui, dans <strong>la</strong> lice où les<br />

anciens triomphaient <strong>de</strong>puis tant <strong>de</strong> siècles, se sont<br />

présentés avèc<strong>de</strong>s armes inégales, ont <strong>la</strong>issé <strong>la</strong> victore<br />

douteuse et <strong>la</strong> postérité incertaine ; enfin, qui, semb<strong>la</strong>bles<br />

aux héros d'Homère, ont combattu contre<br />

les dieux, et n'ont pas été vaincus !<br />

Je n'énoncerai pas à beaucoup près une opinion<br />

aussi décidée sur te parallèle souvent établi entre les<br />

<strong>la</strong>ngues étrangères et te nôtre. D'abord, us semb<strong>la</strong>ble<br />

parallèle ne peut être bien fait que pr un<br />

homme qui saurait parler l'allemand, l'espagnol,<br />

l'italien et l'ang<strong>la</strong>is aussi parfaitement que sa propre<br />

<strong>la</strong>ngue. On <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra pourquoi j 9 exige ici <strong>de</strong>s connaissances<br />

plus éten<strong>du</strong>es que lorsqu'il s'agit <strong>de</strong>s anciens.<br />

La raison en est sensible. Il n'est pas nécessaire<br />

que nous sachions le grec et te <strong>la</strong>tin aussi bien<br />

que Démosthènes et Cicéron, pour apercevoir dans -<br />

leur <strong>la</strong>ngue une supériorité qui se fait sentir encore,<br />

même <strong>de</strong>puis qu'on ne <strong>la</strong> parte plus (car je n'appelle<br />

pas <strong>la</strong>tin celui qu'on prie dans quelques prties


411<br />

<strong>de</strong> l'Allemagne, el le grée <strong>de</strong>s «datai <strong>de</strong> <strong>la</strong> Porte<br />

n'est pas celui <strong>de</strong>s vainqueurs <strong>de</strong> Marathon ). D'ailleurs,<br />

nos idiomes mo<strong>de</strong>rnes, l'espagnol, l'italien,<br />

l'ang<strong>la</strong>is, le français, sont tous <strong>de</strong> même race; ils<br />

<strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt tous <strong>du</strong> <strong>la</strong>tin; et nous sommes asseï<br />

naturellement portés à respecter notre mère commune.<br />

Mais quand il s'agit <strong>de</strong> sa?oir à qui appartient<br />

<strong>la</strong> meilleure partie <strong>de</strong> l'héritage, il y a matière à<br />

procès, et les parties ©entendantes sont également<br />

suspectes. Il faudrait donc que celui qui oserait se<br />

Élire avocat général dans cette cause, non-seulement<br />

connût bien toutes les pièces <strong>du</strong> procès, mais aussi<br />

fût bien sûr <strong>de</strong> son entière impartialité. Or, pour<br />

nous garantir <strong>de</strong> <strong>la</strong> prédilection si naturelle que nous<br />

avons pour notre propre <strong>la</strong>ngue, dont nous sentons à<br />

tous moments toutes les inesses et toutes les beautés<br />

, je ne connais qu'un moyen ; c'est l'habitu<strong>de</strong> d ? en<br />

parler d'autres avec facilité. Ce que j'ai pu aequérir<br />

<strong>de</strong> connaissaiices dans l'ang<strong>la</strong>is et dans l'italien se ré<strong>du</strong>it<br />

à pouvoir lire les autours; et, pour prononcer<br />

décidément sur une <strong>la</strong>ngue vivante, il faut savoir <strong>la</strong><br />

prier. Ce que j'en dirai se bornera donc à quelques<br />

obsenrafioiis générales, à quelques faits à peu près<br />

convenus. Je <strong>la</strong>isse à <strong>de</strong> plus habiles que moi à s'enfoncer<br />

plus a?ant dans cette épineuse discussion.<br />

L'italien, plus rapproché que nous <strong>du</strong> <strong>la</strong>tin, en a<br />

pris une partie <strong>de</strong> ses conjugaisons. Il en a emprunté<br />

Fin?ersios, quoiqu'il n'en fasse guère usage que<br />

dans les vers, et avec infiniment moins <strong>de</strong> liberté<br />

et <strong>de</strong> variété que les anciens. Il est fécond, mélodieux<br />

et flexible, et se recomman<strong>de</strong> surtout par un caractère<br />

<strong>de</strong> douceur très-marqué. Il a une prosodie décidée<br />

et très-musicale. On lui reproche <strong>de</strong> <strong>la</strong> monotonie<br />

dans ses désinences, presque toujours vocales ;<br />

et <strong>la</strong> facilité qu'ont les Italiens <strong>de</strong> retrancher souvent<br />

<strong>la</strong> finale <strong>de</strong> leurs mots, et d'appuyer dans d'autres<br />

sur <strong>la</strong> pénultième syl<strong>la</strong>be, <strong>de</strong> façon que <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière<br />

ressemble à nos e muets, ne me paraît pas suffisante<br />

pour détruire cette monotonie que mon oreille a cru<br />

reconnaître en les entendant eux-mêmes prononcer<br />

leurs vers. On a dit aussi que leur douceur dégénérait<br />

eu mignardise, et leur abondance en diffusion. Sans<br />

prononcer su? ces reproches, sans examiner si <strong>la</strong><br />

verbosité et l'afféterie appartiennent aux auteurs ou<br />

à <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue J'observerai seulement que je ne connais<br />

pas parmi les mo<strong>de</strong>rnes un écrivais plus précis que<br />

Métastase, ni un poète plus ènergiqueque l'Arioste.<br />

Une <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> tempête dans tOr<strong>la</strong>ndofurioso,<br />

et l'attaque <strong>de</strong>s portes <strong>de</strong> Paris par le roi d'Alger,<br />

m 9 COU1S DE LITTÉEATU1E.<br />

L'ang<strong>la</strong>is, qui serait presque à moitié français, §î<br />

son inconcevable prononciation ne le'séparait <strong>de</strong> toutes<br />

les <strong>la</strong>ngues <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> t et ne rendait applicable à<br />

son <strong>la</strong>ngage le vers que Yirgile (Égiog. i, 67), appliquait<br />

autrefois à sa position géographique,<br />

Mtpmitùê totô iimsm orbe Èntmnnm ,<br />

Les Bretons séparés un reste <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre;<br />

l'ang<strong>la</strong>is est encore plus chargé que nous d'auxiliaires,<br />

<strong>de</strong> particules, d'articles et <strong>de</strong> pronoms. 1!<br />

conjugue encore bien moins que nous. Ses modn<br />

sont ininiment bornés. Il n'a point <strong>de</strong> temps mm<br />

ditionnd. 11 ne saurait dîre^ jeferais, j'irais, efc.<br />

Il faut alors qu'il mette au-<strong>de</strong>vant <strong>du</strong> verbe un signe<br />

qui répond à l'un <strong>de</strong> ces quatre mots ; jet?@«imÊf,<br />

je<strong>de</strong>vrafe, je powrate3 m fournis à. On ne peut nier<br />

que ces signes répétés sans cesse ? et sujets même<br />

à l'équivoque, ne soient d'une pauvreté déplorable!<br />

et ne ressemblent à <strong>la</strong> barbarie. Mats ce qui, pur<br />

tout autre que les Ang<strong>la</strong>is, porte bien évi<strong>de</strong>mment et<br />

caractère, c'est le vice capital <strong>de</strong> leur prononciation,<br />

qui semble heurter les principes <strong>de</strong> l'articu<strong>la</strong>tion<br />

humaine. Celle-ci doit toujours tendre à déci<strong>de</strong>r, à<br />

ixer <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s sons ; et c'est l'objet et l'intention<br />

<strong>de</strong>s voyelles, qui ne sauraient jamais frapper trop<br />

distinctement l'oreille. Mais que àïm d'une <strong>la</strong>npe<br />

chez qui les voyelles mânes, qui sont les éléments<br />

<strong>de</strong> toute prononciation, sont si souvent Indéterminées<br />

; chez qui tant <strong>de</strong> syl<strong>la</strong>bes sont à moitié briséet<br />

entre les <strong>de</strong>nts, ou viennent mourir en siff<strong>la</strong>nt sir<br />

le bord <strong>de</strong>s lèvres? L'Ang<strong>la</strong>is, dit Voltaire, gagne<br />

<strong>de</strong>ux heures par j@mr sur nma, enwmn@mn$to<br />

mmUîé <strong>de</strong>s wuds. Je ne crois pas que les Ang<strong>la</strong>is<br />

fassent grand cas <strong>de</strong> ces reproches, parce qu'une<br />

<strong>la</strong>ngue est toujours assez bonne pour ceux qui <strong>la</strong> parlent<br />

<strong>de</strong>puis leur enfonce- : mais aussi vous trouvères<br />

mille Ang<strong>la</strong>is qui parlent passablement français, sur<br />

un Français en état <strong>de</strong> prier bien ang<strong>la</strong>is ; et cette<br />

disproportion entre <strong>de</strong>ux peuples liés aujourd'hui<br />

par un commerce si continu et si rapproché a certainement<br />

pour cause prieeiple l'étrange bizarrerie <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> prononciation.<br />

Au reste, malgré l'indécision <strong>de</strong> leurs voyelles et<br />

l'entassement <strong>de</strong> leurs consonnes, ils préten<strong>de</strong>nt<br />

bien avoir leur harmonie, tout comme d'autres;<br />

et il faut les en croire, pourvu qu'ils nous accor<strong>de</strong>nt,<br />

à leur tour, que cette harmonie n'existe que pour<br />

eux. Ils ont d'ailleurs <strong>de</strong>s avantages qu'on ne peut ?<br />

ce me semble, leur contester. L'inversion est per­<br />

ont para les <strong>de</strong>ux tableaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie mo<strong>de</strong>rne<br />

mise à leur poésie, à peu près au même <strong>de</strong>gré qu'à<br />

celle <strong>de</strong>s Italiens, c'est-à-dire beaucoup moins qu'am<br />

les plus faits pour être comparés à ceux d'Homère, Latins et aux G m». Leurs constructions et leurs<br />

et c'est le plus grand éloge possible.<br />

formes poétiques sont plus hardies et plus maniables


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

que les nêtres. Ils peuvent employer <strong>la</strong> rime ou s v eu<br />

passer, et hasar<strong>de</strong>r beaucoup plus que nous dans<br />

<strong>la</strong> création <strong>de</strong>s termes nouveaux. Pope est celui qui<br />

a donné à leurs vers le plus <strong>de</strong> précision 9 et Miltou<br />

le plus d'énergie.<br />

Ces réflexions sur <strong>la</strong> diversité <strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngues con<strong>du</strong>isent<br />

à parler <strong>de</strong> <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction 9 qui est entre elles un<br />

moyen <strong>de</strong> correspondance et un objet <strong>de</strong> rivalité.<br />

On a beaucoup disputé sur ce sujet, les uns exigeant<br />

une idéiité scrupuleuse, les autres réc<strong>la</strong>mant une<br />

trop gran<strong>de</strong> liberté; car <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s hommes<br />

semblent ne voir dans tous les arts que telle ou telle<br />

partie, pour <strong>la</strong>quelle ils se passionnent au point <strong>de</strong><br />

lui subordonner tout le reste. La raison, ao contraire,<br />

Teat qu'on les proportionne toutes les unes aux autres<br />

sans en sacrïler aucune, et pose pour premier principe<br />

<strong>de</strong> les diriger toutes Yers un seul but, qui est <strong>de</strong><br />

p<strong>la</strong>ire. Mous avons vu, quand il s'agissait <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ire<br />

les anciens, <strong>de</strong>s critiques superstitieux ne pas vouloir<br />

qu'il y eût un seul mot <strong>de</strong> l'original per<strong>du</strong> dans <strong>la</strong><br />

tra<strong>du</strong>ction , ni que les constructions fussent jamais<br />

interverties , ni que les métaphores fussent ren<strong>du</strong>es<br />

par <strong>de</strong>s équivalents 9 ni qu'une phrase fût plus courte<br />

on plus longue dans <strong>la</strong> version que dans le texte. A<br />

41<br />

ses anciens professeurs f qui vou<strong>la</strong>it toujours que Ton<br />

rendit l'idée <strong>de</strong> chaque mot, et qui, en expliquant une<br />

phrase <strong>de</strong> Cicéron * dont le sens était, La république<br />

avait contracté une sorte d'insensibilité et cPen<strong>du</strong>rcissement,<br />

se récria beaucoup sur <strong>la</strong> difficulté <strong>de</strong><br />

bien rendre toute l'énergie <strong>du</strong> texte, et, après a?oir<br />

déié tous les tra<strong>du</strong>cteurs passés, présents et futurs,<br />

finit par prononcer a?ee emphase : La république<br />

s'était en<strong>du</strong>rcie, et avait contracté un <strong>du</strong>rttkn. Il<br />

est bien ?rai que, dans l'expression <strong>la</strong>tine, prise au<br />

propre, ce mot <strong>du</strong>riUon est renfermé étyraologiquement<br />

: mais qui ne voit que cette idée ignoble<br />

ne peut entrer dans <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue d'un orateur F Cependant<br />

je ne serais pas surpris qu'aujourd'hui même<br />

il y eût encore <strong>de</strong>s gens qui regrettassent le <strong>du</strong>tiMm.<br />

Cette anecdote <strong>de</strong> Boileau me rappelle une<br />

étrange assertion avancée il y a quelques années y et<br />

qui n'estt comme tant d'autres erreurs, qu'une extension<br />

déraisonnable donnée à une vérité reconnue.<br />

Un anonyme a imprimé qu'il n'y a point <strong>de</strong> mot dans<br />

notre <strong>la</strong>ngue qu'un poète ne puisse faire entrer dans<br />

le style noble, quand il saura le p<strong>la</strong>cer. Assurément<br />

rien n'est plus faux. Le talent exécute ee qui est dif­<br />

ficile , mais il ne songe pas même à tenter l'impossi­<br />

ce système , digne <strong>de</strong>s successeurs <strong>de</strong> Mamurra et <strong>de</strong> ble. Je propose par exemple, à celui qui a tant <strong>de</strong><br />

Bobioet, d'autres ont opposé une licence sans bor­ confiance, <strong>de</strong> faire entrer le <strong>du</strong>rillon dans un poème<br />

nes, et se sont cru permis <strong>de</strong> paraphraser les auteurs épique. Il suffit d'ouYrir un dictionnaire <strong>de</strong> rimes<br />

plutôt que <strong>de</strong> les tra<strong>du</strong>ire. La réponse à ces <strong>de</strong>ux pour voir quelle quantité <strong>de</strong> mots nous est à jamais<br />

extrêmes 9 c'est le conseil que dans <strong>la</strong> Fable le dieu <strong>du</strong> interdite dans le style soutenu. Il citait pour exem­<br />

jour donne trop inutilement àPhaéton : Interutrumple le mot ventre qui se trouve dans k Lutrin, et<br />

que terne (Ovid. Mêtom. lib. il, fab. 8), Gar<strong>de</strong> Mm k même très-heureusement :<br />

mIMm. Je ne connais que <strong>de</strong>ux règles indispensables La cruclie an <strong>la</strong>rge veutn est vi<strong>de</strong> en on luttant<br />

dans tonte tra<strong>du</strong>ction ; <strong>de</strong> bien rendre le sens <strong>de</strong> fau­ Mais comment ne s'est-il pas aperçu que l'exemteur,<br />

et <strong>de</strong> lui conserver son caractère. 11 ne faut pas ple est hors <strong>de</strong> <strong>la</strong> question ; que k Lutrin, poëme<br />

tra<strong>du</strong>ire Cicéron dans le style-<strong>de</strong> Sénèque, si Séné* héroï-comique f admettait le familier, et que c'est<br />

que dans le style <strong>de</strong> Cieéron. Tout le reste dépend ab­ même ce mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong>s styles, manié avec adresse, qui<br />

solument <strong>du</strong> talent et <strong>du</strong> goût <strong>de</strong> celui qui tra<strong>du</strong>it, est un désagréments <strong>de</strong> l'ouvrage ? Comment n'a-t-il<br />

et les applications sont trop nombreuses et trop pas vu que le mot cruche, dont il se dit ries, ame­<br />

arbitraires pour les embrasser dans <strong>la</strong> généralité nait celui <strong>de</strong> wenêret Mais ce que Despréaui a cm<br />

<strong>de</strong>s préceptes. Si Fou ?eut faire attention à <strong>la</strong> dif­ très-bien p<strong>la</strong>cé dans un repas <strong>de</strong> chanoines, Paurait»<br />

férence <strong>de</strong>s idiomes 9 on ferra qu'il doit être permis, il mis dans les festins <strong>de</strong>s dieux d'Homère? U Cil<strong>la</strong>it<br />

suivant les circonstances, <strong>de</strong> supprimer une figure donc, pour que <strong>la</strong> citation eût quelque sens, sous<br />

qui s'éloigne trop <strong>du</strong> génie <strong>de</strong> noire <strong>la</strong>ngue', et <strong>de</strong> <strong>mont</strong>rer les mots <strong>de</strong> cruche et <strong>de</strong> ventre, et efati-<br />

<strong>la</strong> remp<strong>la</strong>cer par une autre qui s'en rapproche datres semb<strong>la</strong>bles, dans un sujet noble; et Ton peut,<br />

vantage ; <strong>de</strong> resserrer ce qui pour nous serait trop je crois, douter qu'on les y trouve jamais.<br />

lâche 9 et d'étendre ce qui nous paraîtrait trop serré ; Mais quelle est l'intention secrète <strong>de</strong> tous ces<br />

<strong>de</strong> mettre à <strong>la</strong> in d'une phrase ce qui est au com­ axiomes erronés? C'est toujours <strong>de</strong> justifier ce qui<br />

mencement d'une pério<strong>de</strong> <strong>la</strong>tine ou grecque, si le est mauvais. Des connaisseurs auront référé dans<br />

nombre et rharmonie peuvent y gagner sans que <strong>de</strong>s vers <strong>de</strong>s expressions indignes <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie ; on<br />

l'analogie en souffre. Le judicieux Rollin, qui a n'essaye pas <strong>de</strong> les défendre ; ce<strong>la</strong> pourrait être diffi­<br />

fon<strong>du</strong> tant d'auteurs anciens dans ses outrages, a cile. Mais que ûdt-on ? Ton pose en principe que tous<br />

toujours procédé selon 1e principe que je viens d'ex­ • Sri aescfô furmeia Jtia ara oMaraont et pmalkMHt<br />

poser. BoUeau se moque très-agréablement d'un <strong>de</strong> oMUtti fattndlMlls iMttaitl^ {Pm Miism$ XIFUL)


48<br />

les mots petites! entrer dam tous les sujets f et Fou<br />

taie <strong>de</strong> timidité pusil<strong>la</strong>nime ceux qui n'osent pas<br />

être insensés; et comme ces systèmes sont fort commo<strong>de</strong>s<br />

f atten<strong>du</strong> qu'ils tranchent toutes les difficultés!<br />

en petit imaginer combles <strong>de</strong> gens sent intéressés<br />

à les adopter. Au reste, ce scrupule sur le choix<br />

<strong>de</strong>s mots propres à tel ou tel genre d'écrire n'est pas<br />

ine superstition <strong>de</strong> notre <strong>la</strong>ngue; c'était une religion<br />

<strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngues anciennes, quoiqu'elles fussent bien<br />

plus hardies que <strong>la</strong> nôtre : tous les critiques sont<br />

d'accord là-<strong>de</strong>ssus. Longin en cite beaucoup d'exemples;<br />

il va jusqu'à reprocher à Hérodote <strong>de</strong>s expressions<br />

qu'il trouve au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> <strong>la</strong> dignité <strong>de</strong> l'histoire<br />

: qu'on juge s'il <strong>de</strong>vait être moins sévère en<br />

poésie.<br />

Si chaque <strong>la</strong>ngue a <strong>de</strong>s termes bas , si ce qui s'appelle<br />

ainsi dans l'une ne l'est pas dans l'autre, il en<br />

résulte une <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s difficultés que le tra<strong>du</strong>cteur<br />

ait à vaincre, et en <strong>de</strong>s plus grands mérites<br />

qu'il puisse avoir quand il Fa sur<strong>mont</strong>ée. On sait<br />

que le talent y parvient en sachant relever et ennoblir<br />

ces sortes <strong>de</strong> mots par le voisinage dont il les<br />

entoure; mais cet art a ses bornes comme tout autre<br />

, et c'est môme parce qu'il en a que c'est un art :<br />

si ce<strong>la</strong> se pouvait toujours 9 il n'y aurait plus <strong>de</strong><br />

mérite à y réussir quelquefois. C'est une réflexion<br />

qu'on n'a pas faite. 11 y en a une autre non moins<br />

importante s c'est que, dans tous les exemples qu'on<br />

peut citer, on trouvera toujours que <strong>la</strong> première<br />

excuse <strong>du</strong> mot qu'on a su ennoblir vient d'un rapport<br />

réel avec les idées primitives <strong>du</strong> sujet, et avec<br />

tout ce qui a précédé. On a félicité Racine d'avoir<br />

<strong>la</strong>it entrer le mot <strong>de</strong> chiens dans une tragédie.<br />

LM ekmm à qui son bras a livré Jézabd.<br />

Mais où se trouve ce mot ? Dans une pièce tirée<br />

<strong>de</strong>s livres saints, dans une pièce où nous sommes<br />

accoutumés dès les premiers vers au <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> FÉcritère,<br />

où tout nous rappelle les premières choses<br />

que nous avons apprises dans notre enfance ; et dès<br />

lors l'histoire dé Jézabcl dévorée par <strong>de</strong>s chiens est<br />

présente à notre esprit, et relevée par l'idée reli-<br />

' gieuse d'une vengeance céleste. Ainsi l'imagination<br />

a préparé l'oreille à ce mot et prévenu <strong>la</strong> disparate.<br />

De même dans ces vers que j'ai marqués ailleurs 9<br />

Quelquefolâ à l'autel<br />

Je présente an grand prêtre et l'encens et te tel*<br />

non-seulement le mot à'encens, qui offre l'idée<br />

d'une cérémonie sacrée, amène et fait passer avec<br />

lui le mot <strong>de</strong> sel; mais <strong>la</strong> scène est dans le temple<br />

<strong>de</strong>s Juifs, et l'on est accoutumé d'avance au <strong>la</strong>ngage<br />

<strong>de</strong>s Lévites. Cest cette analogie secrète qui con<strong>du</strong>it<br />

toujours te grand écrivain ; en sorte que ce qui nous<br />

COURS DE LETTtBATUBE.<br />

paraît une hardiesse <strong>de</strong> son génie n'est que le coup<br />

d'oeil <strong>de</strong> sa raison.<br />

Je croirais avoir omis une <strong>de</strong>s parties les plus importantes<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> matière que je traite, ni je ne Unissais<br />

par examiner cette autre question souvent<br />

agitée, s'il convient <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ire les poètes en vers.<br />

J'a¥©ue que j'ai tenu jusqu'ici pour l'affirmative; et<br />

les raisons qu'on y a opposées ne m'ont pas fait changer<br />

d'avis. Je persiste à penser qu'on fait <strong>de</strong>scendre<br />

un poète <strong>de</strong> toute sa hauteur en l'abaissant au <strong>la</strong>ngage<br />

vulgaire. La meilleure prose ne peut le dédommager<br />

<strong>de</strong> cette perte <strong>la</strong> plus douloureuse pour loi,<br />

<strong>la</strong> plus inappréciable, celle <strong>de</strong> l'harmonie. Si vous<br />

vous connaissez en vers, ne sentez-vous pas qu'ils<br />

sont faits pour parlée à vos organes ? Ne sentez-vous<br />

pas quel inexprimable charme résulte <strong>de</strong> cet heureux<br />

arrangement <strong>de</strong> mots, <strong>de</strong> ce con<strong>cours</strong> <strong>de</strong> sons<br />

mesurés, tour à tour lents ou rapi<strong>de</strong>s, prolongés<br />

avec mollesse ou brisés avec éc<strong>la</strong>t; <strong>de</strong> ces pério<strong>de</strong>s<br />

harmonieuses qui s'arrondissent dans l'oreille ; <strong>de</strong><br />

cette combinaison savante <strong>du</strong> mouvement et <strong>du</strong><br />

rhythme avec le sentiment et <strong>la</strong> pensée? Et n'éprouvez-vous<br />

pas que cet accord continuel, qui, malgré<br />

les difficultés <strong>de</strong> l'art, ne trompe jamais ni votre<br />

oreille ni votre âmet est précisément <strong>la</strong> cause <strong>du</strong><br />

p<strong>la</strong>isir que vous procurent <strong>de</strong> beaux vers? C'est là<br />

vraiment <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>du</strong> poëte. Elle s'applique à <strong>de</strong>s.<br />

objets plus ou moins grands ; il y joint plus ou<br />

moins d'idées; il conçoit un sujet plus ou moins fortement<br />

, et ses choix sont plus ou moins heureux :<br />

c'est ainsi que s'établissent les rangs et <strong>la</strong> prééminence.<br />

Mais il faut avant tout qu'il sache manier<br />

son instrument t car le vers en est un. Quelque chose<br />

que dise son vers, si l'auteur y parait contraint et<br />

gêné, si <strong>la</strong> mesure qui est faite pour ajouter à <strong>la</strong> pensée<br />

lui ère quelque chose, si te rhythme blesse l'oreille<br />

qu'il doit enchanter, ce n'est plus un poète :<br />

qu'il parle, et qu'il ne chante pas ; qu'il <strong>la</strong>isse là son<br />

instrument qui le gêne et lui pèse : il souffre en<br />

s'efforçaiit <strong>de</strong> le manier; et je souffre <strong>de</strong> l'en voir<br />

accablé comme un homme ordinaire le serait <strong>de</strong> l'armure<br />

d'un géant.<br />

11 est donc évi<strong>de</strong>nt qu'une tra<strong>du</strong>ction en prose<br />

commence par anéantir l'art <strong>du</strong> poète, et lui dter<br />

sa <strong>la</strong>ngue naturelle. Vous n'enten<strong>de</strong>z plus le chant<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> sirène; vous lisez les pensées d'un écrivain. On<br />

vous <strong>mont</strong>re son esprit, et non pas son talent. Vous<br />

ne pouvez pas savoir pourquoi il charmait ses contemporains<br />

, et souvent, vous le trouvez médiocre<br />

là où on le trouvait admirable, et peut-être f admirez-vous<br />

quelquefois là où on le trouvait médiocre.<br />

Combien d'autres désavantages n'a-t-il pas encore<br />

à essuyer dans les mains <strong>du</strong> prosateur qui le dépouille


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

•ksi ie ses vêtements poétiques! Telle idée avait»<br />

iafinîment <strong>de</strong> grâce en se Hast à telle image que <strong>la</strong><br />

prose s'a pu lui <strong>la</strong>isser. Telle phrase était belle<br />

dans, sa précision métrique; l'effet es est per<strong>du</strong>,<br />

pree qu'il faudra un ou <strong>de</strong>ui mots <strong>de</strong> plus pour le<br />

rendre : et qui ne sait ce que fait us mot <strong>de</strong> plus<br />

cm <strong>de</strong> moins? Tel hémistiche, telle césure était d'un<br />

effet terrible, et cet effet tenait absolument au<br />

rhjthine, et le rhythme a disparu. En fers, <strong>du</strong><br />

moins, <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction rend poésie pour poésie; et si<br />

le talent <strong>du</strong> tra<strong>du</strong>cteur est égal à celui <strong>de</strong> l'original,<br />

ridée qu'il en donnera à ses lecteurs pourra ne les pas<br />

tromper, parce qu'il remp<strong>la</strong>cera l'harmonie par<br />

l'harmonie, les Égares par les igures, les grâces<br />

poétiques par d'autres grâces poétiques, l'audacieuse<br />

énergie <strong>de</strong>s expressions par d'autres hardiesses analogues<br />

as caractère <strong>de</strong> sa <strong>la</strong>ngue : c'est <strong>la</strong> même<br />

musique jouée sur un autre instrument; et l'on<br />

pourra juger$ par le p<strong>la</strong>isir que donne celui qui <strong>la</strong><br />

répète, <strong>du</strong> p<strong>la</strong>isir que faisait autrefois celui qui fa<br />

chantée ie premier.<br />

Mais, dit-on (et c'est <strong>la</strong> seule objection spécieuse<br />

qu'on ait faite) y <strong>la</strong> version en prose, libre <strong>de</strong> toute<br />

contrainte, sera plusldèle. Quoi! vous appelez fidèle<br />

une copie qui ôte nécessairement à l'original <strong>la</strong><br />

moitié <strong>de</strong> son mérite et <strong>de</strong> son effet ! Êtes-rocs bien<br />

sûr que œ que vous nommez fidélité ne soit pas une<br />

perfidie? Ce c'est pas que je préten<strong>de</strong> ni que j'aie<br />

prétends jamais diminuer le mérite et l'utilité <strong>de</strong>s<br />

bonnes tra<strong>du</strong>ctions en prose : elles suppléent, <strong>du</strong><br />

moins autant qu'il est possible, à celles qui nous<br />

manquent es vers ; elles font connaître, quoique imparfaitement<br />

f les bons outrages <strong>de</strong>s poètes anciens ;<br />

et c'est rendre us serr lec réel à cens qui ne sauraient<br />

les lire autrement. D'ailleurs, <strong>la</strong> difficulté <strong>de</strong> faire<br />

lire ne long ouvrage en fers dans notre <strong>la</strong>ngue est<br />

telle, qeH sera toujours très-rare d'y réussir. Tel<br />

ancien calme t en mérite si dépendant <strong>de</strong> son idiome,<br />

si particulier au genre qu'il traitait, si re<strong>la</strong>tif à <strong>de</strong>s<br />

mœurs différentes <strong>de</strong>s nôtres, qu'on ne peut en essayer<br />

avec succès qse<strong>de</strong>s fragments, et que le tout ne<br />

pourrait nous p<strong>la</strong>ire. Tel est, par exemple, Pindare 9<br />

que <strong>la</strong> ressemb<strong>la</strong>nce continuelle <strong>de</strong> ses sujets, et ses<br />

fréquents écarts v qui ne pouvaient p<strong>la</strong>ire qu'à sa nation,<br />

ren<strong>de</strong>nt intra<strong>du</strong>isible pour nous. II faut donc<br />

encourager le travail utile et estimable <strong>de</strong>s bons<br />

tra<strong>du</strong>cteurs es prose; mais si l'on rent qu'enfin <strong>la</strong><br />

poésie française se glorifie un jour <strong>de</strong> s'être approprié<br />

les grands monuments <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie antique,<br />

on ne peut trop exciter les grands talents à <strong>la</strong> soble<br />

ambition <strong>de</strong> cueillir cette palme nationale; il faut<br />

rejeter bien lois ces distinctions jalouses et frlrclcs<br />

qui n'accor<strong>de</strong>st les honneurs <strong>du</strong> génie qu'à îlnrec-<br />

Là OâKPB. — TOMS 1.<br />

49<br />

tios, comme s'il n'était pas dé<strong>mont</strong>ré qu'une belle<br />

tra<strong>du</strong>ction en rers est, en quelque sorte, une secon<strong>de</strong><br />

création; comme si, dans ce cas, le second rang,<br />

ou Virgile après un homme tel qu'Homère, n'était<br />

pas un rang émisent; enic, comme si Ton non?ait<br />

sous rendre es rers le génie d'un grand écrivain,<br />

sans ciclr soi-même <strong>du</strong> génie.<br />

Mais prétendre qu'un poêle qui en tra<strong>du</strong>it un<br />

autre en sers doit s'asservir à rendre tous les mots,<br />

à renfermer dans le même espace les mêmes idées<br />

dans us même ordre, c'est le ridicule préjugé d'un<br />

pédant à eerrclle étroite, qui malheureusement sait<br />

assez <strong>de</strong> <strong>la</strong>tin pour juger très-mal le français, et qui<br />

a beaucoup plus <strong>de</strong> raisons pour envier les mo<strong>de</strong>rnes,<br />

que <strong>de</strong> titres pour admirer les anciens. Tout<br />

homme qui tra<strong>du</strong>it es vers prend <strong>la</strong> p<strong>la</strong>cé <strong>de</strong> son<br />

modèle, et doit songer crant tout à p<strong>la</strong>ire dans sa<br />

<strong>la</strong>ngue, comme l'auteur original p<strong>la</strong>isait dans <strong>la</strong><br />

sienne. Cest le plus grand serriee qu'il puisse lui<br />

rendre, puisque <strong>de</strong> l'effet que fera sa version 9 dépend<br />

l'opinion qu'auront <strong>de</strong> l'original eeai qui ne<br />

peuvent le connaître autrement. Cest donc à l'effet<br />

total <strong>de</strong> l'ensemble qu'il doit d'abord s'appliquer.<br />

S'il est idèle et ensnyeui, n'anra-t-U pas fait un<br />

beau chef-d'œuvre ! 11 faut que sa composition, pour<br />

être animée, soit libre; qu'il se pénètre quelque<br />

temps <strong>du</strong> morceau qu'il ta tra<strong>du</strong>ire, et qu'il se rapproche,<br />

'autant qu'il est possible, <strong>du</strong> <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> chaleur<br />

et <strong>de</strong> verve où il serait s'il travail<strong>la</strong>it d'après luimême.<br />

Alors, qu'il se mette à lutter contre l'auteur<br />

qu'il ra faire parler; qu'il se compte pas les mots ,<br />

mais les beautés v et qu'il fasse en sorte que le calcul<br />

ne soit pas trop à son désavantage : il aura fait<br />

beaucoup, et son lecteur, s'il est juste, sera content.<br />

C'est ainsi que Bcspréanx et Voltaire ont tra<strong>du</strong>it<br />

<strong>de</strong>s-fragments <strong>de</strong>s anciens. Sans doute <strong>la</strong> mérite <strong>du</strong><br />

tra<strong>du</strong>cteur sera d'autant plus grand, qu'il aura<br />

conservé plus <strong>de</strong> traits particuliers et distinctifs <strong>de</strong><br />

l'ouvrage original, et qu'il es sera <strong>de</strong>meuré plus<br />

près, sans avoir l'air trop contraint et trop enchaîné.<br />

Mais il faut un goût bien sûr pour pouvoir déci<strong>de</strong>r<br />

en quels endroits le tra<strong>du</strong>cteur a eu tort <strong>de</strong><br />

s'écarter <strong>de</strong> son pi<strong>de</strong>. 11 faut démostrer alors <strong>la</strong><br />

possibilité <strong>de</strong> faire autrement ; il faut calculer ce que<br />

le vers précé<strong>de</strong>nt, ce que <strong>la</strong> phrase entière pouvait<br />

perdre. 11 n'y a guère qu'un homme <strong>de</strong> fart qui<br />

puisse faire cet examen avec connaissance <strong>de</strong> cause ;<br />

et quand on a statué d'abord que <strong>la</strong> version est par<br />

elle-même un bon ouvrage, si Ton veut prouver<br />

ensuite qu'elle <strong>de</strong>vait être plus idèle, il n'y a guère<br />

qu'us moyen, c'est d'en faire une meilleure.<br />

II faut s'entendre, et ceui qui ont eiigé une fidélité<br />

si scrupuleuse ont, je crois, confon<strong>du</strong> <strong>de</strong>ux


COU1S DE LITTÉIATUEE.<br />

sa<br />

choses très-différentes par leur nature et par leur<br />

objet, l'explication et <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction. L'explication<br />

est faite pour donner l'entière intelligent» <strong>de</strong> chaque<br />

mot à l'écolier qui étudie une <strong>la</strong>ngue. Quant<br />

à <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction 9 si nous voulons savoir bien précisément<br />

ce que c'est 9 re<strong>mont</strong>ons an sens étymologique<br />

<strong>de</strong> mot <strong>la</strong>tin tra<strong>du</strong>cere, dont nous avons fait<br />

tra<strong>du</strong>ire : c'est proprement faire passer d'un endroit<br />

dans un autre ; témoin cette expression commune,<br />

tra<strong>du</strong>ire quelqu'un <strong>de</strong>vant ht irêmmux. Tra<strong>du</strong>ire,<br />

quand il s'agît d'un auteur, c'est donc le faire passer<br />

<strong>de</strong> sa <strong>la</strong>ngue dans <strong>la</strong> nôtre; et alors ce qu'il y a<br />

<strong>de</strong> mieux à faire est certainement <strong>de</strong> le transporter<br />

parmi nous tel qu'il était, c'est-à-dire avec tout<br />

son talent. Terminons par <strong>de</strong>s exemples. En voici<br />

un que plusieurs circonstances ren<strong>de</strong>nt asses remarquable.<br />

C'est une comparaison qui appartient<br />

originairement à Homère, et dont il y a eu <strong>de</strong>ux<br />

imitations en <strong>la</strong>tin, Pune <strong>de</strong> Virgile dans f Enéi<strong>de</strong><br />

C xi9 T50 ) ; l'autre <strong>de</strong> Cîcéron, dans son poème <strong>de</strong><br />

proportion; ear m serait alori paraphraser plotét<br />

que <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ire. Mais dans un fragment si court,<br />

Voltaire n'a vu qu'un tableau manié par trois célèbres<br />

anciens , et paraît avoir mis une sorte d'ambition<br />

poétique a y ajouter <strong>de</strong> nouveaux coups <strong>de</strong><br />

pinceau. L'ennemi tortueux... le mmg t&mbe dm<br />

airs...<br />

M txhsM m p&wMê 1er rejlet <strong>de</strong> m me,..<br />

tous ces traits, et le <strong>de</strong>rnier surtout, qui est bril<strong>la</strong>nt<br />

appartiennent à l'imitateur français. C'est une espèce<br />

<strong>de</strong> combat avec l'original ; mais, pour l'entreprendre,<br />

il faut être bien sûr <strong>de</strong> <strong>la</strong> trempe <strong>de</strong> ses<br />

armes.<br />

CHAPITRE IV. — De <strong>la</strong> poésie épique chem ks<br />

anciens.<br />

•iCTioi ««terni.» — De l'épopée pecqne.<br />

Jfurltii. Cîcéron n'a jamais eu <strong>la</strong> réputation ni Plus il y a dans un art <strong>de</strong> monuments divers re­<br />

même <strong>la</strong> prétention d'être poète; mais il avait culgardés comme <strong>de</strong>s modèles 9 et d'auteurs différents<br />

tivé <strong>la</strong> poésie ? qui a toujours eu <strong>de</strong>s droits sur tous mis au rang <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>ssiques 9 plus il ouvre un faste<br />

les hommes à qui <strong>la</strong> nature a donné <strong>de</strong> l'imagi­ champ ans obserf atîons <strong>de</strong> <strong>la</strong> critique. Tel a été<br />

nation. 11 nous est resté <strong>de</strong> lui <strong>de</strong>s fragments <strong>de</strong> ce Fart <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie : il a pris 9 chez tous les peuples<br />

poëme intitulé Marins, où il a imité en assez qui Font cultivé 9 différentes formes et divers <strong>de</strong>grés<br />

beaux vers cette comparaison dont je par<strong>la</strong>is tout à <strong>de</strong> perfection. Il n'en est pas <strong>de</strong> même <strong>de</strong> l'épopée.<br />

l'heure, empruntée <strong>de</strong> l'Ilia<strong>de</strong>. En voici d'abord Les anciens ne nous ont transmis en ee genre que<br />

l'explication :<br />

trois ouvrages qui aient obtenu les suffrages <strong>de</strong> fa<br />

« Ainsi l'on volt le satellite ailé <strong>de</strong> Jupiter qui lonoe do postérité, quoiqu'elle n'ait pas <strong>la</strong>issé d'y remar­<br />

haut <strong>de</strong>s clem, f algie blessé <strong>de</strong> Sa morsure d'us serpent quer beaucoup d'imperfections ; et ces trois poèmes,<br />

qui <strong>du</strong> troue d'un arbre s'est é<strong>la</strong>ncé sur In! : il s'en em­ i'Ilia<strong>de</strong>, l'Odyssée et t Enéi<strong>de</strong>, ont été plus ou moins<br />

pare avec ses serres cruelles, et perce le reptile, qui suc­ imités par les mo<strong>de</strong>rnes. Aussi 9 quoi qu'on ait beaucombe<br />

en menaçant enccre par les mouvements <strong>de</strong> sa têts coup ; écrit sur cette matière, elle n'offre pourtant,<br />

l'aigle le déchira tandis qu'il se refile, i feasa*g<strong>la</strong>ate à quand on <strong>la</strong> ré<strong>du</strong>it à ce qui est essentiel et dé<strong>mont</strong>ré,<br />

ceifg <strong>de</strong> becf et, assouvi enfin et satisfait d'avoir vengé qu'un petit nombre <strong>de</strong> principes certains ; et tout<br />

§cn cuisantes douleurs , il le rejette expirant , en disperse<br />

le reste est à <strong>la</strong> disposition <strong>du</strong> génie. Ce n'est pas<br />

'tes tronçons dans les eaui ds fleuve 9 et s'envole vers le<br />

soleil »<br />

qu'on n'ait voulu <strong>la</strong> soumettre aussi à un grand<br />

nombre <strong>de</strong> règles; mais elles ne sont pas toutes,<br />

Voilà comme <strong>la</strong> prose explique. Yoiei comme le<br />

comme celles <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie, confirmées par l'ex­<br />

poète tra<strong>du</strong>it ou imite :<br />

périence et adoptées par le consentement général<br />

Comme on volt est oiseau qui porte le tonnerre,<br />

Blessé par un serpent é<strong>la</strong>ncé <strong>de</strong> <strong>la</strong> terra :<br />

Il s'envole f 11 emporte an séjour aiuré<br />

L'ennemi tortueux dont II est entouré.<br />

lit sang tombe <strong>de</strong>s tirs ; il déchire f il déron<br />

Le reptile acharné qui le eombat encore.<br />

Il le presse, il Se tient sons ses ongles vainqueur!;<br />

<strong>de</strong> tous les hommes éc<strong>la</strong>irés. Il est donc permis <strong>de</strong><br />

les discuter en total et <strong>de</strong> les rejeter en partie. C'est<br />

ce qu'on a déjà fait, et ce que je crois aussi pouvoir<br />

faire.<br />

Ce sujet 9 sous plus d'un rapport, est digne d'at­<br />

par cent coups redouMés 11 wage §es douleurs.<br />

Le monilre, es expirant, ae débat, se replie;<br />

Il exhale en po<strong>la</strong>aas les relies <strong>de</strong> sa vie ;<br />

Et f aigle tout sang<strong>la</strong>nt, 1er et victorieux,<br />

tention. La poésie, comme on Fa observé, est Fart<br />

que tous les peuples polis ont cultivé le premier, et<br />

Fépopée a été le premier genre <strong>de</strong> poésie qu'on ait<br />

Le rejette en foreur, et p<strong>la</strong>ne au haut îles <strong>de</strong>ux. traité. Après nos livres sacrés et ceci da philoso­<br />

Remarquons d'abord que fauteur, qui emploie<br />

douze vers pour en rendre huit, sfaoïeït pas établi<br />

dans le <strong>cours</strong> d'un ouvrage entier une pareille disphes<br />

indiens et chinois 9 les plus anciens qui nous<br />

soient parvenus sont les poèmes d f Homère ; car il ne<br />

nous reste que quelques fragments d s Orphé@, qui


ANCIENS. — POÉSIE. 61<br />

Fa précédé. Les hymnes <strong>de</strong> Fwi et les poèmes <strong>de</strong><br />

l'autre prouvent <strong>la</strong> vérité <strong>de</strong> ce que nous a dit Anatole,<br />

que <strong>la</strong> poésie fut originairement consacrée à<br />

chanter les dieux et les héros; et ce<strong>la</strong> sous donne<br />

d'abord <strong>de</strong>ux caractères essentiels à l'antique épopée<br />

: al<strong>la</strong> était héroïque et religieuse. Mais comme<br />

les dieux <strong>de</strong>s anciens ne sont plus les nôtres, elle<br />

n'a dû conserver pour nous qu'un <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux caractères.<br />

Je <strong>la</strong> crois donc essentiellement héroïque;<br />

mais je ne pense pas qu'on soit encore obligé d'y<br />

faire entrer <strong>la</strong> religion. Ce n'est pas non plus que<br />

je préten<strong>de</strong> l'exclure ; j'ose en ce<strong>la</strong> m'écarter <strong>de</strong> l'avis<br />

<strong>de</strong> Despréaux, et l'exemple <strong>du</strong> Tasse, confirmé par<br />

le succès, me parait l'emporter sur l'avis <strong>du</strong> critique.<br />

Je dé<strong>la</strong>is donc l'épopée le récit en vers d'une action<br />

¥raisemb<strong>la</strong>blef héroïque, et intéressante. Je dis<br />

•faisemh<strong>la</strong>Jble , parce que le-poète épique n'est point<br />

obligé <strong>de</strong> se conformer à <strong>la</strong> ?érité historique , mais<br />

seulement à <strong>la</strong> ?raisëmb<strong>la</strong>nce morale; et qu'il est<br />

le maître d'ajouter ou <strong>de</strong> retrancher, et <strong>de</strong> se tenir,<br />

suivant l'expression d'Aristote, dans le possible.<br />

Je dis héroïque 9 parce que l'épopée a été consacrée<br />

originairement aux grands sujets ; que cette <strong>de</strong>stination<br />

lui a imposé un caractère qui <strong>la</strong> distingue ; et<br />

qu'il n'y a jamais rien à gagner, quoi qu'on en dise,<br />

à confondre et à rabaisser les genres, puisque le<br />

talent est le maître <strong>de</strong> les traiter tous en les <strong>la</strong>issant<br />

chacun à sa p<strong>la</strong>ce. Je dis intéressante 9 parce que<br />

reposée, comme <strong>la</strong> tragédie, doit attacher l'âme<br />

et fimagination, et qu'il y a tel sujet qui peut être<br />

. grand sans intéresser, comme t par exemple ; <strong>la</strong> conquête<br />

<strong>du</strong> Pérou par Pizarrc. Les difficultés <strong>de</strong> cette<br />

navigation lointaine et inconnue ont un caractère<br />

<strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur ; mais les conquérants furent <strong>de</strong>s meurtriers<br />

barbares, et les Péruviens, <strong>de</strong>s victimes qui<br />

se <strong>la</strong>issaient égorger sans défense : il n'y a là aucun<br />

intérêt. Au contraire, il peut y en avoir dans <strong>la</strong> conquête<br />

<strong>du</strong> Mexique par Certes, parce qu'il eut affaire<br />

à <strong>de</strong>s peuples beHiqueux, qu'il fut exposé aux plus<br />

affreux dangers, qu'il ne s y <strong>de</strong> Thésée. L'objet <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie n'est pas <strong>de</strong> versifier<br />

une histoire. L'art <strong>du</strong> poète suppose toujours une<br />

création quelconque, comme l'indique c<strong>la</strong>irement<br />

l'origine <strong>du</strong> mot poésie, qui signiie en grec pro<strong>du</strong>ction<br />

9 formation, venant <strong>du</strong> verbe/aire. Il faut donc<br />

qu'il fasse un tout, qu'il construise une machine.<br />

C'est là ce qui constitue l'artiste, et le vers n'est<br />

que l'instrument <strong>de</strong> son art. H en fait une application<br />

mal enten<strong>du</strong>e quand il met une histoire en vers :-ce<br />

n'est pas là ce qu'on attend <strong>de</strong> lui, car personne m<br />

désire que l'histoire soit écrite en vers; mais tout<br />

le mon<strong>de</strong> est fort aise <strong>de</strong> lire un beau poème sur.<br />

tel ou tel sujet tiré-<strong>de</strong> l'histoire, et <strong>de</strong> voir ce qu'en<br />

a fait l'imagination <strong>du</strong> poète. Quelques mo<strong>de</strong>rnes<br />

ont nié cette vérité; mais ce<strong>la</strong> prouve seulement<br />

qu'il n'y a rien <strong>de</strong> si simple et <strong>de</strong> si p<strong>la</strong>usible que<br />

quelques esprits bizarres n'aient pris p<strong>la</strong>isir à nier.<br />

La Mothe, dans son Dis<strong>cours</strong> sur Homère, après<br />

avoir lui-même reconnu ce principe <strong>de</strong> l'unité cfobjet9<br />

s'avise tout à coup d'un singulier scrupule.<br />

« Je ne sais ; dit-M f pourquoi j'ai restreint le poème au,<br />

récit d'une action. Peut-être que <strong>la</strong> vie entière d'un bénis t<br />

maniée avec art et ornée <strong>de</strong> beautés poétiques, es fepSt<br />

une matière raisonnable. A quel titre coatouieiait-oQ su<br />

ouvrage qui serait le modèle <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> vie, <strong>la</strong> morale <strong>de</strong><br />

tous tes âges et <strong>de</strong> toutes les fortunes? »<br />

Il y a ici un petit artifice oratoire qu'il est bon <strong>de</strong> *<br />

remarquer, parce qu'il est fort commun dans <strong>la</strong> dis- .<br />

pute, et apparemment bien difficile à éviter, puisque<br />

nous y prenons <strong>la</strong> Mothe lui-même, qui, tout en se<br />

trompant sur le fond <strong>de</strong>s choses, a coutume <strong>de</strong> discuter<br />

avec métho<strong>de</strong> et bonne foi. Bans les règles<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> logique, il ne faut jamais s'écarter <strong>du</strong> point*<br />

précis <strong>de</strong> <strong>la</strong> question, ni changer les termes principaux<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> proposition. Or, <strong>de</strong> quoi s'agit-il ? s'il faut ,€<br />

donner le nom <strong>de</strong> poème épique à <strong>la</strong> vie d'un hero*<br />

mise en vers. Au lieu <strong>de</strong> s'en tenir à cette question,<br />

qui est <strong>de</strong> critique et <strong>de</strong> goût, il en propose une é%,<br />

morale. . " #<br />

« A quel titre condâmnerait-on un ouvrage qui serait le<br />

en tira que par <strong>de</strong>s prodi­ modèle <strong>de</strong> toute te Yw f etc. » •<br />

ges <strong>de</strong> valeur, <strong>de</strong> constance et <strong>de</strong> sagesse, et qu'il ne Et voilà le lecteur, pour peu qu'il ne soit pas très-<br />

fui cruel qu'une fois.<br />

attentif, tout prêt à donner raison à Fauteur, qui a -<br />

Il te présente plusieurs questions sur l'épopée, l'adresse <strong>de</strong> lui présenter ce qui semble répugner<br />

f • L'unité d'action y est-elle nécessaire? Oui f et ce d'abord, <strong>la</strong> condamnation d'un ouvrage qui est le *<br />

précepte est fondé sur <strong>la</strong> nature et le bon sens, modèle <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, etc. Mais ramenons <strong>la</strong> quegion<br />

i tons les arts dont l'objet est-<strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire et d'in- à ses termes, et nous verrons que <strong>la</strong> phrase <strong>de</strong> <strong>la</strong>.<br />

rf il est naturel à l'homme <strong>de</strong> vouloir qifnn Mothe n'y a aucun rapport. Ho«s lui dirons : Non 9<br />

l'occupe d'un objet déterminé, et qu'on le mène à monsieur, nous ne condamnerons pas ce qui eâ^fe<br />

tp but proposé : c'est le moyen <strong>de</strong> nous attacher. modèle <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie et <strong>la</strong> morale <strong>de</strong> tous les âges. Hn»<br />

Anatole a eu raison <strong>de</strong> refuser le nom <strong>de</strong> poèmes comme il y a vingt sortes d'ouvrage! dont vous<br />

épiques à <strong>de</strong>s ouvrages tels que <strong>la</strong> Tkéséiée et f'M- pourriez dire <strong>la</strong> même chose, il faudrait, pourvue<br />

rmeëi<strong>de</strong>, f«I contenaient toute <strong>la</strong> fie d'Hercule et votre proposition fut conséquente, que tou%ces


COUES DE LITTÉBATUli.<br />

ouvrages tussent nécessairement <strong>de</strong>s poèmes éptsible d'appeler <strong>du</strong>; même nom celui qui a construit<br />

ques. Vous êtes fort loin <strong>de</strong> le prétendre, n'est-ce <strong>la</strong> fable <strong>de</strong> ri&a<strong>de</strong>, qui n'est qu'à lui ; et que je ne<br />

pas ? Tous n'avez donc rien dit qui allât à <strong>la</strong> question. puis trouver ailleurs, et celui qui a IBIS en vers<br />

Ainsi, sans condamner ee que TOUS appelez le mo­ toute l'histoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre civile entre César el<br />

dèle <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, nous dirons que ee n'est point un Pompée, que je trouverai partout.<br />

poëme épique.<br />

2* Quelle doit être <strong>la</strong> <strong>du</strong>rée <strong>de</strong> Faction épique?<br />

Si l'on pouvait trouver un moyen <strong>de</strong> forcer les On sent qu'il ne peut y avoir là-<strong>de</strong>ssus d'autre règle<br />

hommes à ne jamais s'écarter <strong>de</strong> <strong>la</strong> question, les que celle que prescrit sagement Aristote, <strong>de</strong> ne<br />

tcoîs quarts <strong>de</strong>s disputes Uniraient bientôt. Mais il point offrir à l'esprit plus qu'il ne peut embrasser.<br />

semble qu'on ait juré <strong>de</strong> ne jamais s'entendre f pour Dès qu'on a statué que l'action <strong>de</strong>vait être une, elle<br />

avoir le p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> disputer toujours.<br />

doit nécessairement avoir <strong>de</strong>s limites. Celle <strong>de</strong> 17-<br />

La Moitié ne se rend pas plus difficile sut le catta<strong>de</strong> et <strong>de</strong> l'Odyssée <strong>du</strong>re moins <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mois $ celle<br />

ractère propre à l'épopée que sur l'unité d'action f <strong>de</strong> rÊnéi<strong>de</strong> à peu près un an, ainsi que celle <strong>de</strong> fa<br />

et n'est pas plus conséquent sur l'un <strong>de</strong> ces points Jêrmmkm* On peut aller au <strong>de</strong>là ou rester en <strong>de</strong>çà t<br />

que sur l'autre. Tous les sujets lui semblent égale­ selon les besoins et les convenances. Ce qu'il y a <strong>de</strong><br />

ment bons pour l'épopée. IM Pàarsak et le lutrin plus essentiel à observer, c'est <strong>de</strong> ne mettre entre le<br />

sont à ses yeux <strong>de</strong>s poèmes épiques tout aussi bien point d'où Ton part et le terme où Ton va qu'un<br />

que i'Ilimk; et cette assertion lui paraît n'avoir espace distribué <strong>de</strong> manière à ne pas faire <strong>la</strong>nguir<br />

besoin d'aucune preuve, car il se contente d'ajouter : Faction ni refroidir le lecteur.<br />

S® Le poëme épique doit-il être écrit en vers?<br />

« Toutes choses d'ailteu» égalés dans ces ouvrages, m<br />

aura droit <strong>de</strong> se p<strong>la</strong>ire à l'im plus qu'à f autre. »<br />

C'est une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qd, ce me semble, ne peut<br />

guère intéresser que ceux qui n'en savent pas faire.<br />

Voilà encore <strong>de</strong> ces choses qui ne slgiilleat rien. 11 est bien vrai qu'Aristote a dit que llltaêe mise<br />

Assurément tout le mon<strong>de</strong> a Je droii <strong>de</strong> sepkmre en prose serait encore un poëme, parce qu'il y re­<br />

pîas ou moins à tels ou tels ouvrages. S'ensuit-il connaît, indépendamment <strong>de</strong> <strong>la</strong> versification, cette<br />

çpe ces ouvrages soient <strong>du</strong> même genre? Quelle invention d'une fiible qui est Fessent» <strong>de</strong> Fépopée;<br />

étrange manière <strong>de</strong> raisonner! Je ne serais point mais il semble que parmi les mo<strong>de</strong>rnes on ne peut<br />

<strong>du</strong> tout surpris qu'on se plût à <strong>la</strong> lecture <strong>du</strong> lutrin guère séparer <strong>la</strong> versification <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie; et quoi­<br />

plus qu'à celle <strong>de</strong> im Pharmle; car l'un <strong>de</strong> ces poèque <strong>la</strong> France eût MMmaqm, nous ne nous vantions<br />

mes est aussi parfait dans son genre que l'autre est pas, avant <strong>la</strong> Benria<strong>de</strong>, d'avoir un poëme épique à<br />

défectueux dans le sien. Ce<strong>la</strong> prouve-t-sl que le opposer au Tasse, au Camoëns, et à Hilton. Sans<br />

, combat <strong>de</strong>s chantres et <strong>de</strong>s chanoines chez Barbin vouloir prononcer rigoureusement sur cette f nés- •<br />

f<br />

soit absolument <strong>la</strong> même chose pour l'épopée que tion, Fon peut au moins assurer que celui qui trai­<br />

<strong>la</strong> bataille entre César et Pompée dans les p<strong>la</strong>ines terait Fépopée en prose avec imagination et intérêt,<br />

m <strong>de</strong> Pharsale ? Tavoue que je n'en crois pas un mot. <strong>la</strong>isserait encore à désirer une partie essentielle à<br />

Qu'aurait dit <strong>la</strong> Motbe si on lui avait soutenu, d'a- notre poésie 9 <strong>la</strong> beauté <strong>de</strong> ia versification, et aurait<br />

'* près soft principe, qm\4§né§ <strong>de</strong> ChaUloi était aussi par conséquent un mérite <strong>de</strong> moins. Qu'est-ce donc<br />

* jsien une tragédie que son Inès <strong>de</strong> €mtr&3 et que qu'on peut gagner à dispenser un poëte épique <strong>de</strong><br />

» -c'étaient seulement! pour me servir <strong>de</strong> ses termes, parler en vers? H est plus important qu'on ne pense<br />

"<strong>de</strong>ux espèces Averses d'm même genre f 11, n'eût <strong>de</strong> ne pas enlever les barrières qui défen<strong>de</strong>nt le sanc­<br />

pas manqué <strong>de</strong> répondre que Tune n'était que <strong>la</strong> patuaire <strong>de</strong>s arts. La difficulté qu'il faut vaincre a un<br />

f cfdie <strong>de</strong> l'autre. Eh bien ! Je Lutrin est-il autre chose double avantage; elle élève le génie et repousse <strong>la</strong><br />

que <strong>la</strong> parodie <strong>de</strong> l'héroïque? Quel entêtement <strong>de</strong> médiocrité. Et quel bien noua a fait l'invention <strong>du</strong><br />

ni pas vouloir reconnaître dans les ouvrages d'imi* drame en prose, si fastueusement annoncé, il y a<br />

tation <strong>la</strong> même différence qui est entre les choses trente ans, comme une carrière nouvelle ouverte au<br />

Imitées ! Ce ne sont pas là <strong>de</strong>s distinctions arbitraires talent? Elle a pro<strong>du</strong>it <strong>de</strong>ui ou trois ouvrages <strong>de</strong><br />

établies par le caprice; ce sont <strong>de</strong>s limites posées mérite, très-inférieurs en tout à nos bonnes pièces<br />

par <strong>la</strong> nature et <strong>la</strong> raison, et tous les Sophismes <strong>du</strong> en vers, et une foule <strong>de</strong> drames insipi<strong>de</strong>s, oubliés<br />

fi^ti<strong>de</strong>iieiîie persua<strong>de</strong>ront jamais qu'il faille mettre en naissant.<br />

tuj ta même ligne <strong>la</strong>jienria<strong>de</strong> et Fert^mrL 4<br />

€t cjiie j|p dit ci-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>; l'unité d'objet prouve<br />

suffisamment que le rapprochement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pkarssk<br />

el le l'Mia<strong>de</strong> n'est pas plus fondé ; et il m'est impos­<br />

9 Le merveilleux doit-il entrer nécessairement<br />

dans Fépopée? Oui, à moins que le sujet n'en soit<br />

pas susceptible; car il serait absur<strong>de</strong> d'eiîger dans<br />

un sujet mo<strong>de</strong>rne l'intervention <strong>de</strong>s dieu <strong>de</strong> F&nti-


quité. Le Tasse et Mlllon y ont subtitué les agents<br />

ietermédiaires admis dans potre religion. Mous ferrons<br />

ailleurs l'Inconvénient qu'ils ont dans le poëme<br />

<strong>de</strong> Mîtes* Quant à celui <strong>du</strong> Tasse, j'avoue que le<br />

reproche qu'on lui a fait d 9 â¥oir employé <strong>la</strong> magie<br />

ne m'a jamais para fondé. luire croyance religieuse<br />

ne <strong>la</strong> rejette pas9 et dans quel sujet pouvait-elle entrer<br />

plus convenablement ? Les chrétiens portent <strong>la</strong><br />

guerre chez les nations mahométanes : n'est-ce pas là<br />

le cas <strong>de</strong> représenter l'enfer armant toutes les puissances<br />

contre eeux qui suivent les enseignes do<br />

Christ? Les Sarrasins <strong>de</strong> <strong>la</strong> Palestine n'étaient-ils<br />

pas regardés comme vivant sous le joug <strong>de</strong>s démons ?<br />

Les démons font donc leur office en défendant leurs<br />

sujets qu'on veut leur ôter. Il y a plus : toute cette<br />

magie d'Arnii<strong>de</strong> est-elle sans intérêt? J'aime beaucoup<br />

mieux sans doute <strong>la</strong> Bidon <strong>de</strong> Virgile ; car que<br />

peut-on comparer à Bidon? Mais ne pouvant pas<br />

refaire ce qui avait été si supérieurement fait, il<br />

nous a donné Arml<strong>de</strong>, et peut-on lui en savoir mai»<br />

Tais gré? l'j a-t-il pas beaucoup d'art à nous avoir<br />

<strong>mont</strong>ré cette magicienne livrée par sa passion à <strong>la</strong><br />

merci <strong>de</strong> celui qu'elle aime, dans l'instant même<br />

qu'un pouvoir surnaturel <strong>la</strong> rend maîtresse absolue<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> Renaud? N'est-ce pas là parler à <strong>la</strong> fois à<br />

l<strong>la</strong>iagiaaflori et au coeur? Et cette forêt enchantée<br />

qu'on a tant critiquée 9 osera-t-on prétendre qu'elle<br />

se pro<strong>du</strong>ise pas un grand effet, et qu'elle ne soit<br />

pas use source <strong>de</strong> beautés? Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rais aui critiques<br />

mêmes s'ils n'ont pas été émus au moment<br />

m l'intrépi<strong>de</strong> Tancrè<strong>de</strong> entre dans cette forêt 9 au<br />

moment où il en sort à pas lents f en homme supérieur<br />

à <strong>la</strong> crainte , mais qui reconnaît une puissance<br />

au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> sa force et <strong>de</strong> son courage. Quand <strong>la</strong><br />

•ali gémissante <strong>de</strong> Çlorin<strong>de</strong>, sortant <strong>de</strong> ces troncs<br />

sensiblesf frappe les oreilles <strong>de</strong> Tancrè<strong>de</strong>, est-on<br />

moins attendri que dans cet endroit <strong>de</strong> i'Enéi<strong>de</strong> ©à<br />

Énée, You<strong>la</strong>nt arracher <strong>de</strong>s branches d'un myrte,<br />

«n voit couler <strong>de</strong>s gouttes <strong>de</strong> sang9 et entend une<br />

voix p<strong>la</strong>intife qui lui reproche sa cruauté? Cette<br />

•oix, ce sang, ces rameaux, ce myrte qui couvrent<br />

<strong>la</strong> tombe <strong>du</strong> jeune PoIydore9 et qui sont originairement,<br />

comme il le dit à Énéef les traits dont fa<br />

fait aacaMer Polymnestor9 et sous lesquels il est enseveli<br />

t sont-ils une iction plus fondée que les arbres<br />

cachantes <strong>du</strong> Tasse ? Tout ce<strong>la</strong> ne tient-il pas également<br />

à <strong>de</strong>s hypothèses traditionnelles f reôaes dans<br />

tous les systèmes religieux 9 et que par conséquent<br />

un poète peut employer sans être taxé d'absurdité<br />

et d'inconséquence? Ces hypothèses peuvent être<br />

combattees par une philosophie qui rejette toute<br />

espèce <strong>de</strong> miracles; mais cette philosophie doit-elle<br />

être celle <strong>de</strong>s poètes? Qu'elle réfute tant qu'elle vou-<br />

ANCIENS. —• POÉSIE. 63<br />

dru les fables <strong>de</strong> tous les peuples anciens 9 c'est son<br />

emploi; celui <strong>de</strong>s poètes, c'est d'en profiter. Eh!<br />

souvent les philosophes eux-mêmes ne sont pas fâchés<br />

qu'on leur fesse 9 au moins un moment , cette<br />

espèce d'illusion. Quel homme y est absolument<br />

étranger ? Quel est celui à qui <strong>la</strong> vérité peut suffire f<br />

cette vérité qui nous apprend si peu <strong>de</strong> choses et<br />

qui nous en refuse tant?<br />

Ne soyons pas si prompts à médire <strong>du</strong> merveilleux<br />

: nous l'aimons tant, et nous en avons tant<br />

besoin ! Condamnés à ignorer, faut-il nous ôter encore<br />

<strong>la</strong> ressource d'imaginer? Ohl qu'en ce sens les<br />

poètes ont connu l'homme bien mieux que n'ont<br />

fait les philosophes 111 y a dans nous un fonds immense<br />

et intarissable <strong>de</strong> sensibilité qui ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

qu'à se répandre; qui, ne pouvant se contenter <strong>de</strong><br />

ce qui est, cherche à se prendre à tout ce qui pourrait<br />

être, veut tout interroger, tout animer, veut<br />

s'adresser à tout % et que tout lui répon<strong>de</strong> ; qui ne<br />

peut souffrir que <strong>la</strong> pierre d'une tombe soit muette,<br />

ni qu'un monument soit insensible; qui attache à<br />

tous les objets <strong>de</strong>s souvenirs, <strong>de</strong>s regrets, <strong>de</strong>s espérances.<br />

Be là cet irrésistible instinct qui promène<br />

nos pensées dans un ordre <strong>de</strong> choses, sans pouvoir<br />

nous révéler ce qu'il est; <strong>de</strong> là cette foule <strong>de</strong> sentiments<br />

confus, mais tendres, qui sont <strong>de</strong>s rêves <strong>de</strong><br />

l'imagination passionnée ai natre flme aime à se<br />

reposer, même en se trompant, comme nos sens<br />

se reposent pendant les songes <strong>du</strong> sommeil.<br />

Voilà f n'en doutons point, ce qui f aux yeui <strong>de</strong>s<br />

hommes sensibles, a donné tant <strong>de</strong> prix aux ietîaas<br />

<strong>de</strong> l'ancienne mythologie 9 qui prêtait à tout rime et<br />

<strong>la</strong> vie, faisait communiquer Thomme avec tous les<br />

êtres existants et possibles, et le faisait vivre dans le<br />

passé et dans l'avenir. Nous disions 9 il n 9 y a pas longtemps,<br />

que <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong>s anciens était toute poétique ;<br />

leur religion ne Fêtait pas moins : <strong>la</strong> nôtre, aussi sublime<br />

que vraie, peut élever le génie beaucoup plus<br />

haut, mais ne lui permet pas <strong>la</strong> même variété <strong>de</strong> lettons.<br />

Que <strong>la</strong> Mothe, avec sa froi<strong>de</strong> et contentieux<br />

raison, était loin <strong>de</strong> sentir ce mérite <strong>de</strong>s anciens! Il<br />

avoue lui-même, ce que Fénelon lui avait fait observer<br />

dans une <strong>de</strong> ses lettres, qu'il n'était pas juste <strong>de</strong><br />

reprocher à Homère d'avoir suivi les idées <strong>de</strong> son<br />

siècle, et d'avoir peintsesdieux tels qu'on les croyait.<br />

Hneksa pmfmiis, dit très-bien Fénelon; û p<br />

faiiu qu'M ks prU tek qu'U k$ trwnaÊt* Et qui<br />

doute que <strong>la</strong> mythologie ancienne ne soit remplie<br />

d'inconséquences? Mais qui peut nier aussi qu'elle<br />

ne soit pleine <strong>de</strong> tableaux faits pour être coloriés<br />

par un poète, et pour frapper l'imagination <strong>de</strong> tous<br />

les hommes? Laissons donc les inconséquences plus<br />

ou moins mêlées dans toutes les religions qui'ont *


64 COUES BE L1TTÉ1ATUME.<br />

été l'ouvrage" <strong>de</strong>s hommes, et jouissons <strong>de</strong>s pein­ <strong>de</strong> Mars blessé par Biomè<strong>de</strong>. Sans doute <strong>la</strong> raison<br />

tures <strong>de</strong> tout genre que <strong>la</strong> religion <strong>de</strong>s Grecs a four- ne permet ps qu'un dieu soit blessé par un mortel.<br />

nies à Homère.<br />

Mais combien n'est-on pas content <strong>du</strong> poëte, quand<br />

La Mothe ne saurait se faire à ces dieux-là. Yoici le dieu <strong>de</strong>s combats va porter sa p<strong>la</strong>inte à Jupiter,<br />

comme il imprime dans son courrai» philosophi­ et que le maître <strong>de</strong>s dieux et <strong>de</strong>s hommes repousse<br />

que :<br />

d'un coup d'œîl terrible cette divinité sanguinaire<br />

« H Malt que les Grées Cassent «être dans l'imbécillité qui cause tant <strong>de</strong> maux aux humains, et, loin <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> l'enfance pour s'être contentés <strong>de</strong>s dieux d'Hemère; s'intéresser à son malheur, lui reproche <strong>de</strong> l'avoir<br />

car, quoi fa aa aa âisef i n'en a intro<strong>du</strong>it que <strong>de</strong> mépri­ trop mérité! Quel tableau et quelle leçon! On peut<br />

sables. Qu'est-ce que <strong>de</strong>s dieux qui s'ont point fait l'homme, en prendre une idée dans l'o<strong>de</strong> <strong>de</strong> Rousseau mr <strong>la</strong><br />

ses comme lui dans Sa succession <strong>de</strong>s siècles , et multipliés Paix, où il a assez heureusement imité ce beau<br />

par les mariages, à <strong>la</strong> manière <strong>de</strong>s races humaines? <strong>de</strong>s<br />

morceau <strong>de</strong> tlikt<strong>de</strong>.<br />

dieux sujets aux infirmités et à <strong>la</strong> douleur, qui, blessés<br />

quelquefois par <strong>de</strong>s hommes mêmes, jettent <strong>de</strong>s cris s ver * 5® L'épopée doit-elle avoir un but moral ? €f est<br />

sent <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes, tombent dans <strong>de</strong>s défail<strong>la</strong>nces, et qni; une question qu'on n<br />

pour dire encore plus, ont <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins? <strong>de</strong>s Mmm qsi<br />

ont tous IMM vices f nos iaiblesses? etc. •<br />

Je dirai à <strong>la</strong> Mothe : Certesf ce se sont pas là<br />

<strong>de</strong>s dieux bien philosophiques, mais, si je ne me<br />

trompe, ce sont <strong>de</strong>s dieux très-poétiques. Cicéron<br />

avait déjà obserfé avant fous qu'il semb<strong>la</strong>it qu'Homère<br />

eût pris p<strong>la</strong>isir à élever ses héros jusqu'aux<br />

dieux, et à faire <strong>de</strong>scendre les dieux jusqu'à l'homme.<br />

Mais qu'en est-il résulté eu géaérai ? C'est que,<br />

malgré quelques défauts <strong>de</strong> convenance -et <strong>de</strong> dignité<br />

que fou avoue, et que madame Baeier seule<br />

peut nier, il a le plus souvent f<strong>la</strong>tté notre orgueil<br />

en donnant à ses héros cette gran<strong>de</strong>ur extraordinaire<br />

que nous aimons à croire possible; et qu'il a<br />

ren<strong>du</strong> ses dieux susceptibles <strong>du</strong> même intérêt dramatique<br />

que ses héros, en leur donnant les mêmes<br />

passions. Citons <strong>de</strong>s exemples. Que Jupiter se querelle<br />

avec Junon, <strong>la</strong> maltraite, <strong>la</strong> menace, ce<strong>la</strong> ressemble<br />

trop, comme on a dit, à une querelle <strong>de</strong><br />

ménage, et ne peut nous intéresser. Mais que Janoa<br />

aille emprunter <strong>la</strong> ceinture <strong>de</strong> Vénus pour réveiller<br />

<strong>la</strong> tendresse <strong>de</strong> son époux, qu'elle cherche à l'en*<br />

dormir dans ses bras pour donner àNeptune le temps<br />

<strong>de</strong> secourir les Grecs pendant le sommeil <strong>de</strong> Jupiter,<br />

n'est-ce pas là une action charmante, même <strong>de</strong> votre<br />

aveu? Eh bien! soumettez-<strong>la</strong> comme tout le<br />

reste à vos idées philosophiques, et vous verrez que,<br />

si le poète ne donne pas à ses dieux toutes les faiblesses<br />

humâmes, cette ictios va disparaître comme<br />

toutes les autres; car, en raisonnant rigoureusement,<br />

un dieu ne doit pas avoir besoin <strong>de</strong> dormir<br />

et ne doit pas être trompé pendant son sommeil,<br />

ne doit pas ignorer que sa femme veut le tromper,<br />

ne doit pas <strong>la</strong> trouver plus belle un jour que l'autre;<br />

ainsi <strong>du</strong> reste. H faut donc <strong>la</strong>isser à Homère<br />

ses dieux tels qu'ils étaient, suivant l'esprit <strong>de</strong> 6on<br />

siècle, et ne le juger que par l'usage qu'il en a fait.<br />

Or, cet usage a été le plus souvent très heureux.<br />

• Ajoutons ea preuve encore un autre exemple, celui<br />

v a pas dû faire; car l'épopée<br />

étant ce qu'on appelle en poésie une fable, elle renferme<br />

nécessairement une leçon morale. Mais c'est<br />

ici que les critiques mo<strong>de</strong>rnes se sont le plus égarés<br />

en vou<strong>la</strong>nt trouver dans les anciens ce qui n'y était<br />

pas, et en leur prêtant <strong>de</strong>s intentions que probablement<br />

ils n'ont point eues. Le père le Bossu emploie<br />

une partie d'un fort long traité sur le poëme épique<br />

à prouver qu'il est essentiellement allégorique, qu'il<br />

faut d'abord que le poëte établisse une vérité morale f<br />

et imagine une action qui en soit <strong>la</strong> preuve et le développement,<br />

et qu'ensuite il adapte un fait historique<br />

et <strong>de</strong>s personnages connus. 11 est très-permis<br />

<strong>de</strong>douterquejamais les poètes aient procédé <strong>de</strong> cette<br />

manière. 11 est bien vrai que les événements <strong>de</strong> 17limk<br />

font voir tous les dangers <strong>de</strong> <strong>la</strong> discor<strong>de</strong> entre<br />

les stiafs <strong>de</strong>s nations; mais est-il sûr que ce fût le<br />

premier <strong>de</strong>ssein d'Homère, et qu'il n'ait fait F Mo<strong>de</strong><br />

que pour développer cette leçon, et i'Odysëéê que<br />

pour <strong>mont</strong>rer qu'il ne fal<strong>la</strong>it pas qu'un roi fût absent<br />

<strong>de</strong> ses états? Si ce<strong>la</strong> était, le sujet d'un <strong>de</strong> ces poèmes<br />

serait <strong>la</strong> condamnation <strong>de</strong> l'autre; car i"Mimée<br />

représente une foule <strong>de</strong> princes qui ont quitté leurs<br />

états pour venir assiéger Troie; et Homère ne sous<br />

fait entendre nulle part que ces princes eussent tort<br />

<strong>de</strong> s'être réunis pour venger <strong>la</strong> querelle <strong>de</strong> Mésétas f<br />

l'hospitalité violée, et l'injure faite à <strong>la</strong> Grèce. Cette<br />

guerre est aussi juste qu'use guerre peut l'être; et<br />

certainement Homère n'a pas voulu <strong>la</strong> condamner.<br />

Il peut donc y avoir <strong>de</strong> bonnes raisons pour qu'un<br />

roi s'absente <strong>de</strong> ses États ;. et sans aller bien loin pour<br />

le prouver, le csar Pierre a-l-îl eu tort <strong>de</strong> quitter les<br />

siens? Et dans us poème consacré à sa gloire, tel<br />

que celui qu'avait entrepris Thomas, ses voyages ne<br />

feraient-ils pas une partie <strong>de</strong> cette gloire? J'aime<br />

mieux ici en croire Horace que le père le Bossu.<br />

Homère, dit Horace dans use <strong>de</strong> ses épitres, nous<br />

a fait voir dans Ulysse ce que peut le courage uni à<br />

<strong>la</strong> sagesse; et en effet, à son arrivée dass Ithaque,<br />

il eut besoin <strong>de</strong> l'un et <strong>de</strong> l'autre pour échapper aux


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

dangers qui Fattendalest, et pour tromper aeul tous sivement ce qui me resta à dira <strong>de</strong> l'ancienne épopée.<br />

les prétendants qui obsédaient sa femme et son pa­ HoMim.1 HT L'ILIADB. — Il n'y a point d'écrivain<br />

<strong>la</strong>is. Quant au premier <strong>de</strong>ssein <strong>du</strong> poète épique, il dont les ouvrages aient tant occupé <strong>la</strong> postérité; I<br />

est naturel <strong>de</strong> penser que ce qui le détermine à n'y en a point dont <strong>la</strong> personne soit moins connue.<br />

écrira 9 c'est d'abord <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur et l'intérêt <strong>du</strong> sujet<br />

qui s'offre à lui. Ce qui échauffe et met m mouve­<br />

Un adorateur d'Homère pourrait dire que ce poète<br />

ressemble à <strong>la</strong> Divinité, que l'on ne connaît qut<br />

ment rimagination poétique, ce n'est pas <strong>la</strong> con­ par ses couvres. On ne sait où il est né f ni même<br />

temp<strong>la</strong>tion d'une vérité à développer, c'est un grand bien précisément quand il a vécu. On conjecture t<br />

caractère 9 une gran<strong>de</strong> action. La Grèce et l'Asie avec assez <strong>de</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce f que l'époque <strong>de</strong> sa<br />

Mineure étaient remplies <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong> ce fameux naissance re<strong>mont</strong>e à près <strong>de</strong> mille ans avant Jésussiège<br />

<strong>de</strong>ltoie,rune<strong>de</strong>s premières époques<strong>de</strong>s temps Christ, et trois cents ans après <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> Troie.<br />

falmleui. Les etéaements qui suivirent ce siège fu­ Ce qu'on a dit <strong>de</strong> sa pauvreté, qui fa ré<strong>du</strong>isait à<br />

rent «i longtemps célèbres^ que <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s poètes <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r l'aumône s n'est fondé que sur <strong>de</strong>s tradi­<br />

tragiques en empruntèrent les sujets <strong>de</strong> leurs pièces. tions incertaines, et peut-être sur l'hospitalité qu'il<br />

ti'est-il pis très-probable qu'Homère recueillit toutes recevait dans les différents endroits où il récitait<br />

ces traditions pour en composer son Ilia<strong>de</strong> et son ses vers. Suidas fait <strong>mont</strong>er à quatre-vingt-dix le<br />

Odyssée, et qu'il trouva <strong>de</strong> l'avantage à chanter <strong>de</strong>­ nombre <strong>de</strong>s villes qui se disputaient l'honneur d'être<br />

vant les Grecs |ea faits et <strong>de</strong>s héros également mé­ <strong>la</strong> patrie d'Homère. L'empereur Adrien consulta<br />

morables, et dont le souvenir leur était cher? En<br />

tout temps les poètes ont cherché plus ou moins à<br />

ks oracles pour sa?oir à qui ce titre appartenait y<br />

et ils répondirent qu'Homère était né dans îlle<br />

f<strong>la</strong>tter <strong>la</strong> vanité nationale, et ont accommodé leurs d'Ithaque. Mais comme les oracles étaient déjà fort<br />

conceptions aoi idées les plus familières à leurs décrédités, leur autorité ne décida pas <strong>la</strong> question.<br />

contemporains : c'est une suite <strong>de</strong> leur principal La ville <strong>de</strong> Srayrne et fi<strong>la</strong> <strong>de</strong> Chio sont les <strong>de</strong>ux<br />

objet, qui est <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire. Ce n'est pas que j'oublie que, contrées qui ont pro<strong>du</strong>it le plus <strong>de</strong> titres en leur<br />

dans les temps grossiers qu'on nomme héroïques , faveur. Des savants ont écrit là-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> gros vo­<br />

où récriture était à peine connue (où Fou en faisait lumes qui ne nous ont rien appris. Et qu'importe,<br />

<strong>du</strong> moins très-peu d'usage), les poètes étaient re­ après tout, quel pays puisse se vanter d'avoir progardés<br />

comme <strong>de</strong>s précepteurs <strong>de</strong> morale, parce <strong>du</strong>it Homère ? il suffit que l'humanité s'honore <strong>de</strong><br />

qu'ils célébraient <strong>de</strong>s hommes qui avaient été favo­ son génie, et que ses écrits appartiennent au monda<br />

risés <strong>du</strong> ciel 9 et qu'ils prêchaient toujours dans leurs<br />

vers le respect que Ton <strong>de</strong>vait aux dieu. La poésie<br />

entier. Ce qu'on a écrit sur son origine et sur sa vit<br />

est aussi fabuleux que ses poèmes. Le commenta­<br />

alors avait quelque chose <strong>de</strong> sacré 9 parce qu'elle était teur Eustathe, qui le fait naître en Egypte, assure<br />

dans son origine mêlée à toutes les cérémonies re­ qu'il fut nourri par une prétresse d'Isis, dont le sein<br />

ligieuses. Homère lui-même nous raconte dans fO- distil<strong>la</strong>it <strong>du</strong> miel au lieu <strong>de</strong> <strong>la</strong>it; qu'une nuit on endystée<br />

qu'Agamemno® avait <strong>la</strong>issé auprès <strong>de</strong> <strong>la</strong> reine tendit fenfant jeter <strong>de</strong>s cris qui ressemb<strong>la</strong>ient au<br />

Clytemnestre un <strong>de</strong> ces chantres divins chargé <strong>de</strong> chant <strong>de</strong> neuf différants oiseaux, et que le len<strong>de</strong>main<br />

lui rappeler tous les jours 9 dans ses poésies, les préceptes<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu et les dangers <strong>du</strong> vice $ et qu'Égisthe<br />

ne parvint à <strong>la</strong> corrompre que quand il l'eut<br />

on trouva dans son berceau neuf tourterelles qui<br />

jouaient avec lui Héliodore prétend qu'il était ils <strong>de</strong><br />

Mercure. Oiodore <strong>de</strong> Sicile nous apprend qu'Homère<br />

déterminée à éloigner d'elle ce censeur qu'il crai­ avait trouvé le manuscrit d'une certaine Baptisé y<br />

gnait v et à railler dans une tle déserte. Mais il faut prêtresse <strong>du</strong> temple <strong>de</strong> Delphes f qui avait un talent<br />

avouer aussi que dans ces temps reculés les idées <strong>de</strong> admirable pour rendre en beaux vers les oracles <strong>de</strong>s<br />

morale n'étaient pas si relevées qu'elles l'ont été dieux, et que c'est <strong>de</strong> là qu'Homère les a transpor­<br />

<strong>de</strong>puis, et se sentaient <strong>de</strong> <strong>la</strong> grossièreté <strong>de</strong>s mœurs. tés dans ses poèmes. D'astres le font <strong>de</strong>scendre en<br />

Cest ce qui fait qu'il y a tant <strong>de</strong> choses dans Homère<br />

qui blessent 9 comme on le verra ci-après 9 les<br />

idées que nous avons <strong>de</strong> l'héroïsme, <strong>de</strong>puis que<br />

droite ligne d'Apollon, <strong>de</strong> Linus et d'Orphée; etv<br />

suivant les idées que ces noms réveillent en nous,<br />

on m peut nier que celui d'Homère, mis à celé<br />

les progrès <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison et <strong>de</strong> <strong>la</strong> société nous ont<br />

appris à le mieux connaître. Il est temps d'en ?e»<br />

eîr à ce qui regar<strong>de</strong> <strong>la</strong> personne et les ouvrages.<br />

d'eux, n'ait au moins un air <strong>de</strong> famille. Enfin 9 il y<br />

en a qui préten<strong>de</strong>nt que, longtemps avant lui f une<br />

femme <strong>de</strong> Memphis, nommée Pkanêask, avait<br />

dHomère; et l'examen <strong>de</strong> ses beautés, -<strong>de</strong> ses dé­ composé un poemosur <strong>la</strong> guerre ; et vous observera<br />

buts, et <strong>de</strong>s critiques bonnes ou mauvaises qu'on<br />

es a <strong>la</strong>ites, me donnera lieu <strong>de</strong> développer succet-<br />

qu'en grec, f araoCa, dont nous avons Mtfantaisie9<br />

veut dire imagination. L'allégorie n'est pas difficile


C0U1S DE LITTÉ1ATU1E.<br />

66<br />

à pénétrer ; et toutes ces traditions fabuleuses prouvent<br />

seulement le goût constant et décidé <strong>de</strong>s Grecs<br />

pour les contes allégoriques, goût qui ne les abandonna<br />

pas même dans le moyen âge, puisque <strong>la</strong><br />

fable <strong>du</strong> miel et <strong>de</strong>s tourterelles $ dans Eustathe,<br />

désigne évi<strong>de</strong>mment <strong>la</strong> douceur <strong>de</strong>s fers d'Homère 9<br />

et que celle d'Héliodore, qui lui donne Mercure<br />

pour père, fait allusion à l'invention <strong>de</strong>s arts, attribuée<br />

à Mercure. Quant aux vers <strong>de</strong> Ja sibylle<br />

Daphné, <strong>la</strong> vérité est que ceui cFHoraère étant trèsrépan<strong>du</strong>s,<br />

les oracles s'en servaient souvent pour<br />

rendre leurs réponses.<br />

11 faudrait compiler <strong>de</strong>s volumes sans nombre<br />

pour rassembler tous les divers jugements qu'on<br />

a portés <strong>de</strong> lui ; car il était <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>stinée d'être un<br />

sujet <strong>de</strong> discor<strong>de</strong> dans tous les siècles. Horace a<br />

p<strong>la</strong>cé Homère, pour <strong>la</strong> morale, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> Chrysîppe<br />

et <strong>de</strong> Creator, <strong>de</strong>ui chefs <strong>de</strong> recelé, l'un <strong>du</strong><br />

Portique, rentre <strong>de</strong> l'Académie. Porphyre f dans<br />

<strong>de</strong>s temps postérieurs $ a fait un traité sur <strong>la</strong> philosophie<br />

d'Homère. Mais, d'un autre côté, Pythagore,<br />

qui ordonnait h ses disciples cinq ans <strong>de</strong> silence,<br />

et qui apparemment ne faisait pas grand cas<br />

<strong>du</strong> talent <strong>de</strong> bien parler, a mis Homère dans le Tartare<br />

pour avoir donné <strong>de</strong> fausses- idées <strong>de</strong> <strong>la</strong> Divinité.<br />

L'on sait communément que P<strong>la</strong>ton vou<strong>la</strong>it<br />

le bannir <strong>de</strong> sa MépwèUque; mais il c'est pas aussi<br />

commun <strong>de</strong> savoir comment ni pourquoi. On va<br />

reconnaître <strong>de</strong>s idées abstraites et élevées, mais<br />

aussi <strong>de</strong>s conséquences forcées et sophistiques dans<br />

les motifs <strong>de</strong> l'exil auquel il condamne les poètes;<br />

et en même temps Fon trouvera sa belle imagination<br />

dans <strong>la</strong> manière dont il veut que cet exil s'exécute. Il<br />

faut d'abord savoir que P<strong>la</strong>ton n'admet dans <strong>la</strong> nature<br />

que <strong>de</strong>ui choses : l'idée originelle, et i ? étre qui<br />

est <strong>la</strong> ressemb<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> F Idée, ou <strong>la</strong> copie <strong>du</strong> modèle.<br />

Par f idée originelle, il entend Dieu ou <strong>la</strong> pensée divine<br />

; et par les autres êtres, toutes les formes que<br />

Dieu avait créées conformément à sa pensée. 11 n'y<br />

a rien jusque-là que <strong>de</strong> grand et <strong>de</strong> philosophique;<br />

mais il ajoute :<br />

« Tous les objets n'étant que <strong>de</strong>s copiés <strong>de</strong> ce premier<br />

modèle» les arts qui les imitent m font que copier <strong>de</strong>s<br />

copies : à quel ce<strong>la</strong> esMl bon? •<br />

Ici, le philosophe n'est plus qu'un sophiste ; mais<br />

ce qui suit fait voir que, si sa métaphysique était<br />

quelquefois forcée, son imagination était douce et<br />

riante.<br />

' « Donc, ditU, s'il se présente parmi eees (c'est-à-dire<br />

parmi les citoyens <strong>de</strong> cette république qsin'a jamais existé<br />

que dans les livres <strong>de</strong> Pklee ) 9 us poète qui sache prendre<br />

toutes sortes <strong>de</strong> formes et tout imiter , et qu'il vienne nous<br />

présenter ses poèmes y nous lui témoignerons notre véné­<br />

ration comme à us homme sacré qu'il faut admirer et chérir<br />

; mais nous lui dirons : Nous n'avons parmi nous personne<br />

qui vous ressemble; et Bans notre constitution<br />

politique il ne nous est pis permis d'en avoir; et ensuite<br />

nous 1© renverrons dans une autre vi£le9 après avoir répan<strong>du</strong><br />

sur lui <strong>de</strong>s parfums et couronné sa tête <strong>de</strong> leur», »<br />

(MépmèUqwe, liv. m.)<br />

Avouons qu'on ne pet pas donner à un arrêt <strong>de</strong><br />

bannissement une tournure plus aimable, et que,<br />

si <strong>la</strong> république <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton existait, un poète serait<br />

tenté d'y aller, ne fût-ce que pour en être renvoyé.<br />

'An reste, quand il en vient à Homère loi-même f<br />

il témoigne <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> admiration pour son génie;<br />

il avoue qu'il <strong>la</strong>i faut <strong>du</strong> courage pour le condamner,<br />

que le respect et l'amour qu'il a <strong>de</strong>puis son<br />

enfance pour les écrits d'Homère <strong>de</strong>vraient enchaîner<br />

sa <strong>la</strong>ngue ; qu'il le regar<strong>de</strong> comme le créateur<br />

<strong>de</strong> tous les poètes qui font suivi , et particulièrement<br />

<strong>de</strong>s poètes dramatiques; mais qu^nûn <strong>la</strong> vérité<br />

remporte sur tout. Alors il lui fait <strong>de</strong>s reproches<br />

un peu plus c<strong>la</strong>irement motivés que l'espèce <strong>de</strong> groscription<br />

politique prononcée ci-<strong>de</strong>ssus, et prouvefort<br />

au long que les dieux <strong>de</strong> tMimée sont faits pour<br />

donner une idée aussi fausse qu'indigne <strong>de</strong> <strong>la</strong> Divinité;<br />

ce qui certainement n'était pas difficile à<br />

dé<strong>mont</strong>rer en philosophie.<br />

Pour jsstller ces dieux d*Homère, les anciens<br />

et les mo<strong>de</strong>rnes ont eu re<strong>cours</strong> à l'allégorie, et dans<br />

ce système ils ont mêlé, comme dans tout le rate,<br />

<strong>la</strong> vérité à l'erreur. Il est hors <strong>de</strong>- doute que les<br />

allégories et les emblèmes sont <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus haute antiquité.<br />

Ce fut partout <strong>la</strong> première philosophie et <strong>la</strong><br />

première religion. C'était particulièrement l'esprit<br />

<strong>de</strong>s Orientaux et <strong>la</strong> science <strong>de</strong>s Égyptiens. Homère<br />

avait longtemps voyagé chez eux, et, soit qu'il fût<br />

né dans <strong>la</strong> Grèce même, ou dans une <strong>de</strong>s colonies<br />

grecques qui couvraient les cêtee d'ionie, il <strong>du</strong>t<br />

être imbu f dès son enfance 9 <strong>de</strong>s notions les plus<br />

familières aux peuples <strong>de</strong> ces contrées. Les mystères<br />

d'Eleusis n'étaient autre chose que <strong>de</strong>s emblèmes<br />

<strong>de</strong> morale : il est prouié que le sixième livre <strong>de</strong><br />

l f Enéi<strong>de</strong> est une <strong>de</strong>scription exacte <strong>de</strong> ces mystères<br />

et un résumé <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie <strong>de</strong> Pythagore. Plusieurs<br />

<strong>de</strong>s actions d'Homère ont un sens allégorique<br />

si évi<strong>de</strong>nt, qu'on ne peut s'y refuser. On sait<br />

aussi que longtemps après lui c'était un usage général<br />

parmi les poètes <strong>de</strong> désigner l'air par Jupiter,<br />

le feu par Vulcain, <strong>la</strong> terre par Cybèle, <strong>la</strong> mer par<br />

Neptune, etc. Tout ce<strong>la</strong> est incontestable. Mats ne<br />

voir dans toute l'Ilia<strong>de</strong> que <strong>de</strong>s êtres moraux per­<br />

sonnifiés est une idée aussi fausse en spécu<strong>la</strong>tion<br />

qu'elle serait froi<strong>de</strong> en poésie ; et ce qu'il y a <strong>de</strong><br />

pis f c'est que cette explication forcée et chimérique<br />

ne sauve riea, et qu'en prenant Jupiter pour <strong>la</strong>


ANCIENS. — POÉSIE,<br />

puissance <strong>de</strong> Dieu , le Destin pour sa volonté, Junon<br />

poiiF sa justice, Vénus pour sa miséricor<strong>de</strong>, et Minerve<br />

pour sa sagesse, il y a encore plus d'inconséquences<br />

à dévorer qu'en les prenant pour ce qu'ils<br />

sont dans F'Ilia<strong>de</strong>, c'est-à-dire pour <strong>de</strong>s divinités<br />

con<strong>du</strong>ites par toutes les passions <strong>de</strong>s nommées. Me<br />

?aut-il pas mieux <strong>la</strong>isser les choses comme elles sont,<br />

et avouer qu'Homère a peint les dieux précisément<br />

tels que <strong>la</strong> croyance vulgaire les représentait? C'est<br />

pour sous un défaut, sans doute; et ce qui prouve<br />

qu'on fa senti longtemps avant nous, c'est que<br />

¥îrgîie, qui a fait usage <strong>de</strong>s mêmes divinités, les<br />

fait agir d'une manière plus raisonnable et plus<br />

décente, f ares que son siècle .était plus éc<strong>la</strong>iré; ce<br />

qui n'empêche pas que dans F Enéi<strong>de</strong> même ou ne<br />

trooteàlei <strong>de</strong>s choses aussi étrangères à nos mœurs<br />

généralement répan<strong>du</strong> dans Fllfaée, c'est que tout<br />

vient <strong>de</strong>s dieux, <strong>la</strong> force, le succès, <strong>la</strong> sagesse. Lorsque<br />

Agamemnoe ceci se justifier d'avoir outragé<br />

Achille, il dit que'quelque dieu avait troublé sa<br />

raison. Cest <strong>la</strong> protection d® tel ou tel dieu qui fait<br />

triompher tour à tour les héros grecs et troyensy<br />

aujourd'hui Hector, <strong>de</strong>main Btomè<strong>de</strong>. Ce sont les<br />

dieux qui répan<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> consternation dans les armées<br />

, ou qui les animent au combat. Et il ne faut<br />

pas croire que cette intervention <strong>de</strong>s dieux diminue<br />

<strong>la</strong> gloire <strong>de</strong>s guerriers, parce que l'on voit c<strong>la</strong>irement<br />

que, dans leurs idées, ce qu'il'y a <strong>de</strong> plus<br />

glorieux pour un mortel, ce qui le relève le plus<br />

aux yeux <strong>de</strong>s autres hommes, c'est d'être favorisé<br />

<strong>du</strong> ciel. Achille dit à Patrocle :<br />

« Gardê-M ^attaquer ffœtw, il a Untfowrs près <strong>de</strong><br />

et à nos idées, que dans l'Ilia<strong>de</strong> et l'Odyssée. Ren­ lui quelque Mm qui kprêtége. »<br />

fermons-nous dose dans cette seule apologie, si Aussi n'y a-t-il pas un seul <strong>de</strong>s héros <strong>de</strong> FMia<strong>de</strong>,<br />

simple et si p<strong>la</strong>usible, que les <strong>de</strong>voirs d'un poète Achille excepté, à qui il n'arrive <strong>de</strong> se retirer dé­<br />

et d'us philosophe sont très-différents ; que, si l'on faut un autre : ce qui distingue les plus braves, tels<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Fun <strong>de</strong> s'élever au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s idées vul­ que Ajax et Diomè<strong>de</strong>, c'est <strong>de</strong> se retirer en comgaires<br />

qu'il doit rectifier, on ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> au poète battant ; et l'on peut observer à <strong>la</strong> gloire <strong>du</strong> poète,<br />

que <strong>de</strong> bien peindre ce qui est. Il est l'historien <strong>de</strong> que, malgré cette puissance <strong>de</strong>s dieux qui semble­<br />

<strong>la</strong> nature, et n'en est pas le réformateur; et l'on rait <strong>de</strong>voir tout confondre, il conserve à tous ses per­<br />

peut dire à ceux qui ne sont pas contents <strong>de</strong>s dieux sonnages <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur qui leur est propre et le carac­<br />

et <strong>de</strong>s héros d'Homère : Que vouliez-vous donc qu'il tère qu'il leur a donné. C'est un <strong>de</strong> ses plus grands<br />

fit? Pouvait-il faire une religion autre que celle <strong>de</strong> mérites aux yeux <strong>de</strong> tous les bons juges, que cet<br />

son pays, et peindre d'autres mœurs que celles qu'il art <strong>de</strong> soutenir et <strong>de</strong> varier un grand nombre <strong>de</strong><br />

connaissait?<br />

caractères, et <strong>de</strong> donner à tous ses personnages une<br />

On n'a pas épargné ses héros plus que ses dieux, physionomie particulière. La Mothe lui a contesté<br />

et ils sont.tout aussi aisés à justifier par le même ce mérite, et c'est une <strong>de</strong> ses injustices. Agamemnon<br />

principe. Il est incontestable que <strong>de</strong> son temps <strong>la</strong> est le seul, si j'ose le dire, qui me paraisse jouer un<br />

force <strong>du</strong> corps faisait tout; que les guerriers étant rôle peu noble et peu digne <strong>de</strong> son rang. Je ne lui<br />

couverts <strong>de</strong> fer et d'airain, celui qui pouvait soute­ reproche pas sa querelle avec Achille, puisqu'elle<br />

nir facilement l'armure <strong>la</strong> plus forte et <strong>la</strong> plus pe­ est le fon<strong>de</strong>ment <strong>du</strong> poëme, et que d'ailleurs elfe est<br />

sante, porter le coup le plus vigoureux, percer avec suffisamment motivée par le caractère altier que le<br />

le plus <strong>de</strong> force les cuirasses et les boucliers, était poëte lui donne; mais d'ailleurs il ne fait rien qui<br />

ou homme formidable, était un héros. Cette supé­ excuse ses torts envers Achille, et qui justifie <strong>la</strong> préériorité,<br />

une fois reconnue, rég<strong>la</strong>it son rang; et minence qu'il a parmi tous ces rois. Il n'assemble<br />

<strong>de</strong> là Tient que dans F Ilia<strong>de</strong> il est si commun <strong>de</strong> voir <strong>de</strong>ux fois les chefs <strong>de</strong> l'armée que pour les exhorter<br />

ira guerrier très-brave avouer qu'un autre lui est su­ à <strong>la</strong> fuite; et quelques subtilités qu'on ait imaginées<br />

périeur, et se retirer <strong>de</strong>vant lui. Aujourd'hui que <strong>de</strong>s pour pallier cette con<strong>du</strong>ite, elle n'en est pas moins<br />

armes également faciles à manier pour tout le mon<strong>de</strong>, inexcusable. Le vrai modèle d'un général, c'est le<br />

et le principe <strong>de</strong> l'honneur qui défend à un homme Go<strong>de</strong>froi <strong>du</strong> Tasse,- et c'est aussi le Tasse qui seul<br />

<strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r à un autre homme, ont mis sur <strong>la</strong> même peut le disputer à Homère dans cette partie <strong>de</strong> l'épo­<br />

ligne tous ceux qui peuvent combattre, on serait pée qui consiste dans <strong>la</strong> beauté soutenue et l'atta­<br />

blessé avec raison <strong>de</strong> voir un guerrier fuir <strong>de</strong>vant chante variété <strong>de</strong>s caractères.<br />

us autre et s'avouer son inférieur. Mais dans Ho­ Achille est en ce genre le chef-d'œuvre <strong>de</strong> l'épomère<br />

, Énée dit sans honte à Achille : Je sais Men pée, et <strong>la</strong> Mothe lui-même, ce grand détracteur d'Ho­<br />

que lu es plus vailkmê que moi; ce qui signifie mère, en est convenu. On a dit très-légèrement que<br />

seulement, je sais que tu es plus fort. Il est vrai qu'il sa valeur n'avait rien qui excitât l'admiration, parce<br />

ajouté : Mais pourtant si quelque dieu mepr&tégê, qu'il était invulnérable. Ceux qui se sont arrêtés à<br />

fepourrai te mânere* Et voilà le principe le plus cette fable <strong>du</strong> talon d'Achille, répan<strong>du</strong>e<strong>de</strong>puis Ho-<br />

67


mère, n'ont pas songé qu'il n'en est pas dit un mot<br />

dans fMa<strong>de</strong>; et s'ils l'avaient lue, ils auraient TU<br />

que, bien loin d'être invulnérable, il est blessé une<br />

fois à 1a main, et voit couler son sasg. Mais une<br />

adresseadmlrable<strong>du</strong> poète, c f est$ comme fa très-bien<br />

remarqué <strong>la</strong> Mothe, d'avoir donné à ce jeune hérosîa<br />

certitu<strong>de</strong> qu'il périra <strong>de</strong>vant les murs <strong>de</strong> Troie. Il ne<br />

fal<strong>la</strong>it rien moins pour ba<strong>la</strong>ncer cette supériorité reconnue<br />

qu'il a sur tous les autres guerriers. 11 a beau<br />

porter k mort <strong>de</strong> tous côtés, il peut <strong>la</strong> trouver à chaque<br />

pas; et quoiqu'il ne puisse rencontrer un vainqueur,<br />

il est sûr <strong>de</strong> marcher à <strong>la</strong> mort. Sa jeunesse v sa<br />

beauté, unedéesse pour mère, tous ces avantages qu'il<br />

a sacrifiés à <strong>la</strong> gloire quand il a accepté volontairement<br />

une fin prématurée et inévitable, tout sert à répandre<br />

d 9 abord sur lui cet éc<strong>la</strong>t et cet intérêt qui s'attachent<br />

aux hommes extraordinaires» Dès lors on n'est plus<br />

étonné que le ciel s'intéresse à ce point dans sa querelle,<br />

que Jupiter promette à Thétis <strong>de</strong> le venger et<br />

<strong>de</strong> donner <strong>la</strong> victoire aux Troyens, jusqu'à ce que<br />

les Grecs humfliésexpientsonînjiireetimplorentson<br />

appui. Et quellehautê et sublime idée que d'avoir fait<br />

<strong>du</strong> repos d'un guerrier faction d'un poème! Cette<br />

seule conception suffirait pour caractériser un<br />

homme <strong>de</strong> génie. Tous les événements sont disposés<br />

dans riRa<strong>de</strong> pour agrandir le héros; et tout ce qui<br />

est grand autour <strong>de</strong> lui le relève encore. Quand les<br />

Grecs fuient <strong>de</strong>vant Hector, l'attention se porte aussitôt<br />

sur Achille, qui, tranquille dans sa tente, p<strong>la</strong>int<br />

tant <strong>de</strong> braves gens immolés à l'orgueil


fourni que quelques détails bril<strong>la</strong>nts qu'à peise on<br />

a remarqués. La Motbe ne posait s'aœouttiiiiêr à<br />

voir Achille préparer lui-même le repas qu'il douée<br />

aux députés d'Agamemncp ; mais qu'os lise cet endroit<br />

dans f Ilia<strong>de</strong>; que i'oo enten<strong>de</strong> le héros dire à<br />

son ami <strong>de</strong> remplir un grand ?ase <strong>du</strong> fin le plus pur,<br />

et <strong>de</strong> distribuer <strong>de</strong>s coupes, parce qu'il reçoit f dit-il,<br />

sous sa tente les hommes qu'il chérit le plus; qu'on<br />

le voie ensuite 9 mm f Utroele et Automédont se partager<br />

les soins <strong>du</strong> repas, mettre sur le feu les vises<br />

d'airain, p<strong>la</strong>cer sur les charbons ar<strong>de</strong>nts <strong>la</strong> chair<br />

«Fun agneau et d'un chevreau, préparer et distribuer<br />

les vian<strong>de</strong>s ; etqu'on se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s! l'on aimerait mieux<br />

qu' Achille ilt à son maftre-dliôtd d'ordonner à son<br />

cuisinier un grand repas. Qui est-ce qui ne sentira<br />

pas combien Je tableau d'Homère est vivant et animé?<br />

combien cette hospitalité simple et franche, ces<br />

soins, ces empressements <strong>de</strong> <strong>la</strong> part d'un héros tel<br />

qu'Achille rece<strong>la</strong>nt Ajax et Ulysse f bien loin <strong>de</strong> rabaisser<br />

à nos yeux une gran<strong>de</strong>ur réelle, <strong>la</strong> ren<strong>de</strong>nt<br />

plus aimable et plus intéressante f eu <strong>la</strong> rapprochant<br />

<strong>de</strong> sous dans ce qui est commun à tous les hommes ?<br />

Un poète qui aurait à traiter cet endroit <strong>de</strong> l'histoire<br />

où Curies reçoit les députés <strong>de</strong> Pyrrhus, qui viennent<br />

pour le corrompre par <strong>de</strong>s présents, s'aviserait-il<br />

dé retrancher les légumes que Curius apprête<br />

lui-même, et qu'il sert aux députés en leur disant :<br />

Fous voyez que celui qmmi <strong>de</strong> celte sorte n'a besoin<br />

<strong>de</strong> rien. Les Romains ne se soudmtpoint d'avoir <strong>de</strong><br />

for; ils veulent comman<strong>de</strong>r à ceux qui en ©ml»<br />

Avouons que le p<strong>la</strong>t <strong>de</strong> légumes ne gâte rien à cette<br />

réponse. Des gens qui se croient délicats ont été<br />

blessés <strong>de</strong> voir Nausicaa, <strong>la</strong> ille d'Alcinoûs, roi <strong>de</strong>s<br />

Phéaciens, aller elle-même avec ses femmes <strong>la</strong>ver ses<br />

robes et celles <strong>de</strong> ses frères. C'est un <strong>de</strong>s endroits <strong>de</strong><br />

l'Odyssée que Fénelon aimait le mieux, et avec raison.<br />

11 n'y en a point où Homère ait mis plus <strong>de</strong><br />

grâce et <strong>de</strong> vérité. On est charmé <strong>de</strong> <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>stie y <strong>de</strong><br />

l'ingénuité, <strong>de</strong> <strong>la</strong> retenoe et <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonté noble et compatissante<br />

<strong>de</strong> cette jeune princesse f lorsque Ulysse,<br />

échappé <strong>du</strong> naufrage, se présente <strong>de</strong>vant elle, et<br />

implore sa protection et ses se<strong>cours</strong>. Avec quel p<strong>la</strong>isir<br />

os voit <strong>la</strong> compassion si naturelle à son sexe sur<strong>mont</strong>er<br />

<strong>la</strong> frayeur que doit lui inspirer <strong>la</strong> vue d'un<br />

homme à moitié couvert <strong>de</strong> feuil<strong>la</strong>ge, enfin dans<br />

l'état déplorable d'un malheureux sauvé <strong>de</strong>s flots!<br />

Elle écoute <strong>la</strong> prière <strong>du</strong> suppliant ; elle arrête ses compagnes<br />

qui s'enfuyaient avec <strong>de</strong> grands cris, lui fait<br />

donner <strong>de</strong>s habits, loi promet son assistance et celle<br />

<strong>de</strong> ses parents ; et re<strong>mont</strong>ant sur son char pour reprendre<br />

le chemin <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville f elle a soin <strong>de</strong> ralentir <strong>la</strong><br />

<strong>cours</strong>e <strong>de</strong> set] chevaux, afin qu'Ulysse fatigué ait<br />

moins <strong>de</strong> peine à <strong>la</strong> suivre. C'est en sachant <strong>de</strong>scendre<br />

ANCIENS. — POÉSIE. 59<br />

à propos à cette férit! if détails que l'on saisit <strong>la</strong><br />

nature et qu'on <strong>la</strong> fait sentir. C'est un mérite qui<br />

masque trop souvent aux mo<strong>de</strong>rnes. Fénelon nous a<br />

reproché là-<strong>de</strong>ssus une délicatesse dédaigneuse, qui<br />

tenait également à nos mœurs et à notre <strong>la</strong>ngue.<br />

« Os a, iît-fl, tant <strong>de</strong> peur d'être bas, qs'eti est d'ordinaire<br />

ses et vague dans les eapresafoi». Mous avens là<strong>de</strong>ssus<br />

ne fiasse politesse semb<strong>la</strong>ble à celle <strong>de</strong> certains<br />

provinciaux qui se piquent <strong>de</strong> bel esprit, et qui croiraient<br />

's'abaisser en nommant les choses par leur nom. »<br />

Cette remarque <strong>de</strong> Fénelon n'est que trop juste. Aussi<br />

les vrais connaisseurs savent-ils un gré infini à ceux<br />

<strong>de</strong> nos écrivans qui se sont heureusement efforcés<br />

<strong>de</strong> corriger et <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue et le style <strong>de</strong> cette délicatesse<br />

mat enten<strong>du</strong>e i et qui ont su employer avec intérêt<br />

toutes les circonstances que le sujet pouvait<br />

leur fournir \<br />

* La Fontaine est » <strong>de</strong> cens en qui m mérite est le plus<br />

remarquable, et c'est aae mita <strong>de</strong> es naturel heureux qui<br />

est le caractère <strong>de</strong> mm talent Voyei comme il peint PMlémiMi<br />

et Banda recevant dans leur cabane f spiter et Mères» déguisés<br />

en voyageurs, et qui n'ont trouvé suite part l'hospitalité<br />

qu'Us <strong>de</strong>mandaient.<br />

Près enfin ie quitter sa séjour il profane,<br />

lit Tirent à l'écart ma étroite esteras,<br />

Semeurs hospitalière, humble et essaie mattes.<br />

Mercure frappe : en entre. Aussitôt Niémen<br />

Pteat as-errant fies dieux, et leur tient ce tangage :<br />

« Vous me semble* tous <strong>de</strong>ux fatigués au ?©yage ;<br />

« Bepeaafmis. Ctes «in feu «as omis avons ;<br />

« L'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s filent a fait que nées ie conserroos;<br />

m Utet-en. Se<strong>la</strong>ee ces pénates d'argile :<br />

m imsmÈê le ciel se fut au tnunajas si facile<br />

« Que qnsafi Jupiter mes.e était <strong>de</strong> simple fiels;<br />

« Depuis eneen t s fait d'or, il est soarfi i ans sols,<br />

« Sancb, se tar<strong>de</strong>s point, faitea tiédir cette eafis ;<br />

« Bscer eae le pouvoir an désir ne répon<strong>de</strong>,<br />

m Mm bêtes agréèrent les seins fui leur tout An. »<br />

Quelques restes <strong>de</strong> feu sens <strong>la</strong> cendre èpsafins»<br />

Iran soefie hektael par Banels s'allumèrent :<br />

Ues firsnefies <strong>de</strong> sais sec aussitôt e'en<strong>la</strong>inméMat.<br />

L'on<strong>de</strong> tiè<strong>de</strong>, os <strong>la</strong>?a les pieds <strong>de</strong>s voyageurs,<br />

tfijfieanaa lesprte d'excuser ces Inngnears ;<br />

Et, pour tromper l'essai fi'nae atteste importsjaf,<br />

Il entretint les dieux, non point snr <strong>la</strong> fortune,<br />

Sur ses Jeux t sur <strong>la</strong> pompe et <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur fies refis,<br />

Mais eae ee que les champs, les vergers et les bols<br />

Ont <strong>de</strong> plus innocent, <strong>de</strong> plus fines, <strong>de</strong> pins rare.<br />

Cependant par Banels le festin se prépare.<br />

La taille en l'os servit le champêtre repas<br />

Fut ê'mli son façonnés à l'ai<strong>de</strong> fia compas ;<br />

Encore assnre4


•0<br />

CUBES DE UTTtHATUB&<br />

Un <strong>de</strong>s reproches les plus fondés que Fou'ait <strong>de</strong>puis le quatrième ebauf jusqu'à <strong>la</strong> tu <strong>du</strong> huitième,<br />

faits à fauteur <strong>de</strong> FlUa<strong>de</strong>» c'est <strong>la</strong> continuité <strong>de</strong>s me <strong>mont</strong>rait toujours les Troyeus combattant con­<br />

combats f qui en remplissent à peu près <strong>la</strong> moitié. tre les Grecs. Le neuvième chaut me prut rempor­<br />

C'est trop sans doute, et quatre ou cinq chants <strong>de</strong> ter sur" tout ce qut avait précédé; c'est ce chaut si<br />

suite, qui ne contiennent que <strong>de</strong>s batailles, ont né- dramatique, où Homère, aussi grand orateur que<br />

aessairement un ton trop uniforme, et sont un dé­ grand poète, a donné <strong>de</strong>s modèles <strong>de</strong> tous les genres<br />

faut réel que Virgile et le Tasse ont su éviter. Mais 9 d'éloquence, dans les dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> Phénix, d'Ulysse,<br />

en convenant <strong>de</strong> ce défaut, qui tient à <strong>la</strong> fois à <strong>la</strong> d'Ajax, qui tour à tour s'efforcent <strong>de</strong> fléchir l'inexo­<br />

simplicité <strong>du</strong> p<strong>la</strong>n et à reten<strong>du</strong>e <strong>du</strong> poème, j'oserais rable Achille f et dans#cette belle réponse <strong>du</strong> héros<br />

dire qu'il n'y a?ail qu'Homère qui fût capable <strong>de</strong> ra­ où il déploie son âme tout entière. Après cette scène<br />

cheter cette faute, et même <strong>de</strong> s'en faire, sous un si attachante, je trouve faible l'épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> Biomè<strong>de</strong><br />

autre point <strong>de</strong> vue, un mérite réel 9 par l'étonnante et d'Ulysse, qui vont <strong>la</strong> nuit enlever les chef aux <strong>de</strong><br />

richesse d'imagination qu'il a prodiguée dans ces Rhésus, épiso<strong>de</strong> que Virgile, en l'imitant, a passé<br />

combats. Ce n'est point ici le <strong>la</strong>ngage d'une admi­ <strong>de</strong> si loin dans celui <strong>de</strong> Nisus et Euryale. Je voyais<br />

ration outrée pour l'antiquité. Je rends un compte avec regret, je l'avoue, que les combats al<strong>la</strong>ient re­<br />

exact <strong>de</strong> l'impression que J'ai tout récemment éproucommencer après l'ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Grecs, et je me<br />

vée. U y avait bien <strong>de</strong>s années qu'il ne m'était ar­ disais qu'il était bien difficile que le poète ftt autre<br />

rivé <strong>de</strong> lire <strong>de</strong> suite plus d'un chant ou <strong>de</strong>ui <strong>de</strong> 17- chose que <strong>de</strong> se ressembler en travail<strong>la</strong>nt toujours<br />

tta<strong>de</strong>. On ne peut guère en lire davantage quand on sur un même fonds. Mais quand je le vis tout à coup<br />

se livre au p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong>détailler les beautés d'un style te 1 <strong>de</strong>venir supérieur à lui-même dap le onzième chant<br />

que celui d'Homère, et d'une <strong>la</strong>ngue que Ton goûte et dans les suivants, s'élever d'un essor rapi<strong>de</strong> à<br />

davantage a mesure qu'on l'étudié. Mais, en <strong>de</strong>rnier une hauteur qui semb<strong>la</strong>it s'accroître sans cesse,<br />

lieu, vou<strong>la</strong>nt prendre une idée juste <strong>de</strong> l'effef total donner à son action une face nouvelle, substituer à<br />

<strong>du</strong> poème Je lus <strong>de</strong> suite les ioiiia premiersjchants. quelques combats particuliers le choc épouvanta­<br />

Je fus frappé <strong>de</strong> <strong>la</strong> marche simple et noble <strong>de</strong> l'ouble <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s masses précipitées l'une contre<br />

vrage, <strong>de</strong> l'intérêt <strong>de</strong> l'exposition, <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière dont l'autre par les héros qui les comman<strong>de</strong>nt et les dieux<br />

les premiers mouvements <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux armées commen­ qui les animent,!ba<strong>la</strong>ncer longtemps avec un art<br />

cent , par un combat singulier entre Méné<strong>la</strong>s et Pa­ inconcevable une victoire que les décrets <strong>de</strong> Jupiris,<br />

les <strong>de</strong>ui principales causes <strong>de</strong> <strong>la</strong> querelle, et <strong>de</strong> ter ont promise à <strong>la</strong> valeur d'Hector; alors <strong>la</strong> verve<br />

fart que <strong>mont</strong>re le poète en faisant intervenir les <strong>du</strong> poète me parut embrasée <strong>de</strong> tout le feu <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

dieux pour interrompre un combat dont l'issue <strong>de</strong>vait armées; ce que j'avais lu jusque-là, et ce que je<br />

terminer <strong>la</strong> guerre. Je remarquai cet endroit oà lisais, me rappe<strong>la</strong>it l'idée d'un incendie qui, après<br />

Hélène passe <strong>de</strong>vant les vieil<strong>la</strong>rds troyens, qui <strong>la</strong> avoir consumé quelques édiiees, aurait pu s'étein­<br />

regar<strong>de</strong>nt avec admiration, et ne s'étonnent plus, dre faute d'aliments, et qui, ranimé par un vent<br />

en <strong>la</strong> voyant, que l'Europe et l'Asie se soient ar­ terrible, aurait mis en un moment toute une ville en<br />

mées pour elle; et cette conversation avec PFiam, f<strong>la</strong>mme. Je suivais, sans pouvoir respirer, le poëte<br />

à qui elle fait connaître les principaux chefs <strong>de</strong> <strong>la</strong> qui m'entraînait avec lui ; j'étais sur le champ <strong>de</strong> ba­<br />

Grèce, que le vieux roi, assis sur un trône élevé, voit taille, je voyais les Grecs pressés entre les retran­<br />

combattre sous les murs. Je fus attendri <strong>de</strong> cette scène chements qu'ils avaient contruits et les vaisseaux qui<br />

tournante <strong>de</strong>s adieux d'Hector et d'Andromaque; étaient leur <strong>de</strong>rnier asile; les Troyens se précipitant<br />

quand ce héros, qui a quitté le champ <strong>de</strong> bataille pour en foule pour forcer cette barrière, Sarpédon arra­<br />

vepir ordonner un sacrifice, retourne au combat, et chant un <strong>de</strong>s créneaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> muraille, Hector <strong>la</strong>nçant<br />

sort <strong>de</strong> Troie pour n'y plus rentrer. Cependant, plus un rocher énorme contre les portes qui <strong>la</strong> fermaient,<br />

ces morceaux me faisaient <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir, plus je regrettais les faisant voler en éc<strong>la</strong>ts, et <strong>de</strong>mandant à grands<br />

qu'il n'y eût pas un plus grand nombre <strong>de</strong>ces épiso<strong>de</strong>s écris une torche pour embraser les vaisseaux; pres­<br />

pour varier f uniformité <strong>de</strong> Faction principale, qui y que tous les chefs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce, Agamemnon, Ulysse,<br />

Biomè<strong>de</strong>, Eurypyle, Machaon, blessés et hors <strong>de</strong><br />

Smicts es éga<strong>la</strong> 1M tf pull chance<strong>la</strong>nte<br />

Sa iêtsrts d'an vieux vase, astre injure ûm ans. i<br />

combat; le seul Ajax, le <strong>de</strong>rnier rempart <strong>de</strong>s Grecs,<br />

les couvrant <strong>de</strong> sa valeur et <strong>de</strong> son bouclier, acca­<br />

Comme ce <strong>de</strong>rnier hémistiche., qui semble vieillir à <strong>la</strong> fols blé <strong>de</strong> fatigue, trempé <strong>de</strong> sueur, poussé jusque sur<br />

tout m qui eut autour <strong>de</strong> PMlémon et <strong>de</strong> Bauctâ, mhèm le<br />

tableau es fixant l'imagination sur celte in$wre dc$ &m à qui son vaisseau, et repoussant toujours l'ennemi vain­<br />

rlea se peut échapper ! Voilà ce qu'on appelle proprement queur ;enfln, <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme s<br />

i<strong>la</strong>Cértl <strong>du</strong> style dans ion plu haut <strong>de</strong>gré, et c'est Se secret<br />

<strong>de</strong>s grandi écrit MB*.<br />

s élevant <strong>de</strong> <strong>la</strong> flotte embrasée,<br />

et dans ce moment cette gran<strong>de</strong> et imposante


ANCIENS, — POÉSIE.<br />

igore # Achille <strong>mont</strong>é sur <strong>la</strong> poupe <strong>de</strong> son navire,<br />

et regardant avec une joie tranquille et eruelle ce<br />

signal que Jupiter avait promis, et qu'attendait sa<br />

wengeanee. Je m'arrêtai 9 cornue malgré moi , pour<br />

me livrer à <strong>la</strong> contemp<strong>la</strong>tion <strong>du</strong> vaste génie qui avait<br />

«isîraii cette machine 9 et qui, dans l'instant où je<br />

le crojais épuisé, avait pu ainsi s'agrandir à mes<br />

yeux; j'éprouvais une sorte <strong>de</strong> ravissement ineiprimable;<br />

je crus avoir connu, pour <strong>la</strong> première fois,<br />

tout ce qu'était Homère ; j'avais un p<strong>la</strong>isir secret et<br />

indicible à sentir que mon admiration était égaie à<br />

son génie et à sa renommée', que ce n'était pas en<br />

vain que trente siècles avaient consacré son nom ; et<br />

c'était pour mot une double jouissance <strong>de</strong> trouver<br />

un homme si grand t et tout les autres si justes.<br />

Mais lorsque ensuite je passai <strong>de</strong> cette espèce<br />

d'eitase au désir si naturel <strong>de</strong> communiquer l'impression<br />

que fatals reçue i ceux qui <strong>de</strong>vaient m'ente«tref<br />

et qui ne pouvaient entendre Homère'f je<br />

songeai avec douleur qu'aucune <strong>de</strong>s tra<strong>du</strong>ctions que<br />

nous avons, quel qu'en soit le mérite * que* je suis<br />

loin <strong>de</strong> vouloir diminuer, ne pouvait justifier à vos<br />

yeui ni faire passer en vous ce que j'avais ressenti,<br />

et je souhaitai f <strong>du</strong> fond <strong>du</strong> coeur, qu'il s'élevât quelque<br />

jour us poète capable <strong>de</strong> vous <strong>mont</strong>rer Homère<br />

comme on vous a <strong>mont</strong>ré Virgile.<br />

Un autre sentiment que je ne dissimulerai pas,<br />

et qui paraîtra bien naturel à ceux qui aiment véritablement<br />

tes arts, c'est que, dans le transport<br />

<strong>de</strong> ma reconnaissance (car on peut en avoir pour<br />

ceux qui nous font passer <strong>de</strong>s- moments si délicieux)<br />

, je me reprochais, avec une sorte <strong>de</strong> honte,<br />

d'avoir en le courage d'observer jusque-là quelques<br />

fautes et quelques faiblesses : tant avait disparu<br />

<strong>de</strong>vant cet amas <strong>de</strong> beautés. J'eus besoin, pour me<br />

pardonner à moi-même, <strong>de</strong> me rappeler que les<br />

amateurs les plus éc<strong>la</strong>irés et les plus sensibles, tels<br />

que Eollïe lui-même, avaient rencontré dans 17iia<strong>de</strong><br />

(et je me sers ici <strong>de</strong>s termes <strong>de</strong> ce judicieux<br />

critique), s<br />

«<strong>de</strong>s endroits Maies, défectueux, ttataaits; <strong>de</strong>s ht-<br />

«agiles trop longues ou dép<strong>la</strong>cé», <strong>de</strong>s <strong>de</strong>scriptions trop<br />

éétailées , ées répétitions désagréables t <strong>de</strong>s comparaisons<br />

m<br />

en a d'autres, les plus puissantes pour faire vivre<br />

un ouvrage dans <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong>s hommes, parce<br />

qu'elles contribuent plus que tout le reste à le faire<br />

relire; ce sont celles <strong>du</strong> style : elles sont per<strong>du</strong>es<br />

pour nous en partie ? quant à ce qui regar<strong>de</strong> <strong>la</strong> diction,<br />

que les Grecs seuls pouvaient bien apprécier ;<br />

mais elles sont sensibles, même pour nous, dans<br />

ce qui regar<strong>de</strong> les idées, les Images, l'harmonie, et<br />

le mouvement. Apprenez le grec, <strong>la</strong> Mothe! Lisez<br />

Homère dans sa <strong>la</strong>ngue; et si vous n'admires pas<br />

assez ses beautés pour eicuser ses défauts, gar<strong>de</strong>zvous<br />

<strong>de</strong> le juger, car vous serez seul contre trois<br />

mille ans <strong>de</strong> renommée et contre toutes les nations<br />

éc<strong>la</strong>irées ; et surtout gar<strong>de</strong>z-vous <strong>de</strong> le tra<strong>du</strong>ire, car<br />

c'est le seul mal que vous puissiez lui faire.<br />

La Mothe, l'un* <strong>de</strong>s esprits les plus anti-poétiques<br />

qui aient jamais existé, anéantit Homère dans<br />

sa version abrégée. Il détruit tout ce qu'il touche.<br />

Phénix dit à son élève Achille (dans l'original,<br />

JBtafcjix, 498): *<br />

Fllks <strong>de</strong> Jupiter, k§ mo<strong>de</strong>stes Prieras f<br />

P<strong>la</strong>intives et baissant leurs humi<strong>de</strong>s paupières, .<br />

Le front couvert <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil, marchent en ehaoeeîaat :<br />

Elles suivent <strong>de</strong> loin, d'un pied faible et tremb<strong>la</strong>nt t<br />

L'Injure mu front superbe, à <strong>la</strong> marche rapi<strong>de</strong>.<br />

L'use frappe et détrait , dans sa <strong>cours</strong>e homici<strong>de</strong> ; -<br />

Les antres 9 à leur suite amenant ta bienfaits,<br />

Arrivent pour guérir tons les main qu'elle a faits.<br />

Heureux qui les accueille ! heureux qui les honore !<br />

U en est écouté quand sa ¥olx les Implore.<br />

Si f Orgueil les rebuts, ans pieds <strong>du</strong> roi dis dieux<br />

Elles voat accuser les mépris odieux,<br />

Et <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> lui que 1*1 a jure Inlexibte<br />

S'attache sur les pas <strong>du</strong> mortel Insensibie.<br />

Qu'est-ce que <strong>la</strong> Mothe substitue à cette charaaaîita<br />

allégorie, si conforme ans idées religieuses<br />

<strong>de</strong>s Grecs 9 et si bien p<strong>la</strong>cée dans <strong>la</strong> bouche af an<br />

vieil<strong>la</strong>rd suppliant ? Rien que ces <strong>de</strong>ui vers :<br />

Os offense les dieux; mais, par <strong>de</strong>s saoUtees,<br />

De ces dieux irrités ou fait <strong>de</strong>s dieux propices.<br />

Qmlmmiàmrmxdmfm FespHt, s'écrie Voltaire<br />

, s'il a empêché im Moikê <strong>de</strong> $mtir <strong>de</strong>'poreiiles<br />

bernées!<br />

11 en fait aussi ne bien malheureux usage quasi il<br />

s'épuise en frivoles sophismes pur nous persua<strong>de</strong>r<br />

tnp nsHbnues» trop accumulées, ©e dénuées <strong>de</strong> justesse. » que <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> réputation d'Homère n'est qu'un pré­<br />

Cest sur ces détails que <strong>la</strong> Motbe a eu raison. On jugé qui a passé <strong>de</strong>s anciens jusqu'à sous. On lui<br />

lui atout nié, et Ton a eu tort. 11 fal<strong>la</strong>it avouer tout, objecte l'opinion d'Aristote, qui n'a nulle partie<br />

et se tsars» à cette réponse : La meilleure critique ton <strong>de</strong> l'enthousiasme, et quia toujours celui <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

ne détruit pas le mérite d'un ouvrage en <strong>mont</strong>rant raison tranquille; qui, dans vingt endroits <strong>de</strong> ses<br />

•es défauts : il n'y a <strong>de</strong> critique vraiment redou­ ouvrages, cite toujours Homère comme le meilleur<br />

table que celle qui <strong>mont</strong>re l'absence <strong>de</strong>s beautés. modèle à suivre, et le met sans aucune comparaison<br />

Celles d'Homère sont d*abord dans son p<strong>la</strong>n et dans au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tous les poètes. La réponse <strong>de</strong> <strong>la</strong> Mothe<br />

sua ordonnance générale : on ne les peut nier sans est curieuse. D'abord il imagine que le philosophe a<br />

injustice; et on les dé<strong>mont</strong>rerait sans peine. 11 j fort bien pu n'admirer Homère que pour faire sa


CODES DE LITTÉ1ATU1E.<br />

cour à soa élève AJeiândre, qui était adorateur était donc cette perfection qu'il croyait pufoir<br />

passionné <strong>du</strong> poëte. Mais n'est-il ps ou pu plus opposer à <strong>la</strong> médiocrité d'Homère? TJe n'est pas<br />

vraisemb<strong>la</strong>ble que c'est le précepteur qui sut inspirer même Virgile; car s'il est supérieur au poëte grec<br />

à sou disciple cette gran<strong>de</strong> vénération pur Homère ? pr le ini <strong>de</strong>s détails, par <strong>la</strong> sagesse <strong>de</strong>s idées, par<br />

Il ajoute :<br />

le tact <strong>de</strong>s convenances f tÉnéMe, <strong>de</strong> l'aveu <strong>de</strong> toit<br />

« Je o®is <strong>du</strong> mon» que, saa esprit <strong>de</strong> système lui ayant le mon<strong>de</strong> 9 est très-inférieure à i'IMmte par le p<strong>la</strong>n,<br />

<strong>la</strong>it mtmwm an arl dans le poème d'Homère, il est <strong>de</strong>- l'ordonnance, <strong>la</strong> nature <strong>du</strong> sujet, le caractère <strong>du</strong><br />

Tenu auMMiseia <strong>de</strong> sa déeonverto, et qu'U a employé pur héros; enfin, par l'effet total. Ces! une vérité re­<br />

<strong>la</strong> justifier cette siîtiiiité obscure qui <strong>la</strong>i était si aatarcie. » connue. On sait qu'il a fon<strong>du</strong> dans un poème <strong>de</strong>douze<br />

Il est difficile d'entasser dans une phrase <strong>de</strong>s idées chants les <strong>de</strong>ui poèmes d'Homère v qui en ont cha­<br />

plus évi<strong>de</strong>mment fansses. 11 ne fal<strong>la</strong>it assurément cun vingt-quatre; ce qui prouve qu'il avait judicieu­<br />

atte<strong>la</strong> esprit* <strong>de</strong> système pur entrevoir m art dans sement senti, ainsi que nous, que le poëte grec<br />

i'Iêta<strong>de</strong> et l'Odyssée. Le bon sens le plus commutt était trop long et trop diffus. U a imité continuel­<br />

suffit pur reconnaître un art dans tout ce qui prélement fOdyssée dans ses su premiers livres, et<br />

sente un <strong>de</strong>ssein f us p<strong>la</strong>n, nos distribution <strong>de</strong> pr- l<br />

tles arrangées pour former un tout, un but fers<br />

lequel tout marche et tout arrive. 11 n' y a p<strong>la</strong>t <strong>de</strong><br />

découverte à faire sur te que tout le mon<strong>de</strong> aprcoït<br />

<strong>du</strong> premier coup d'oeil. A regard <strong>de</strong> <strong>la</strong> swètMité<br />

natureUe à Aristote, ou peut eu trou?er <strong>la</strong>as sa<br />

philosophie ; mais un esprit qui n'aurait été que<br />

subtil n'aurait pas transmis à <strong>la</strong> postérité le meilleur -<br />

ouvrage élémentaire qui esîste sur les arts <strong>de</strong> l'imagination,<br />

le plus lumineux, le plus fécond en principes<br />

Trais et essentiels. Ici <strong>la</strong> Motte n'est pas meilleur<br />

juge d* Aristote que d'Homère. 11 dément tous<br />

les faits f confond toutes les notions reçues pur<br />

soutenir sa thèse erronée. Il veut absolument que<br />

l'estime qu'on eut pur Homère soit un effet <strong>de</strong> l'ignorance<br />

<strong>de</strong>s Grecs , qtd ne connaissaient rien dams<br />

kmêmegenre, et qui m M noyaient point <strong>de</strong> concurrent;<br />

et il oublie que Fabricius compte soixante<br />

'et dis poètes qui a?aient écrit avant Homère dans<br />

le genre héroïque. Leur existence est attestée par<br />

les témoignages les plus anciens; et Ton cite les titres<br />

<strong>de</strong> leurs enrages, quoiqu'ils ne soient pas ve-<br />

'nus jusqu'à nous. 11 oublie que, quand Aristote<br />

écrivit sa Poétique, Euripi<strong>de</strong> et Sophocle avaient<br />

prfectionné <strong>la</strong> tragédie, Bémosthènes l'éloquence,<br />

et que tous les arts étaient cultivés avec éc<strong>la</strong>t dans<br />

Athènes. N'y avait-il pas alors assez <strong>de</strong> lumières et<br />

<strong>de</strong> goût pur juger les poèmes CHomère? Ce n'estj<br />

dit-il 9 que <strong>la</strong> connaustmce <strong>du</strong> par/mit qui nom dé-»<br />

goûte <strong>du</strong> médiocre. Yoilà une expression étrangementp<strong>la</strong>céeà<br />

propos d'Homère. Qui croirait qoefauteur<br />

<strong>de</strong> l'iMa<strong>de</strong> fût un homme médiocre F La Mothe<br />

puvait-il ignorer que Ton n'appelle médiocre que ce<br />

qui ne s'élève pint aux gran<strong>de</strong>s beautés! et qu'un<br />

ouvrage qui en est rempli put être très-imparfait,<br />

s'il est mêlé <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> défauts, mais ne put<br />

jamais être médiocre? Assurément il y a beaucoup<br />

<strong>de</strong> fautes dans Cîmmm : est-ce une pro<strong>du</strong>ction mèdàocref<br />

De plus, je <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rais i <strong>la</strong> Mothe où<br />

f J&Mfe dans ses six <strong>de</strong>rniers. L'on convient que,<br />

s'il a prodigieusement surpassé l'une, il est resté<br />

fort au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> l'autre s et que ia secon<strong>de</strong> moitié<br />

<strong>de</strong> son poëme est absolument sans intérêt : c'est<br />

même, à ce qu'on croit, par cette raison qu'il vou<strong>la</strong>it<br />

, en mourant, brûler son ouvrage. 11 a donc <strong>la</strong>it<br />

en ce sens un double honneur à Homère. Quel<br />

homme, que celui qui a servi <strong>de</strong> modèle et <strong>de</strong> guidé<br />

à un poëte tel que Virgile; qui, malgré i Enéi<strong>de</strong>, t<br />

conservé le premier rang! La Mothe ne prie ni <strong>du</strong><br />

Camoëns ni <strong>de</strong> Miltos, qui alors n'étaient pas connus<br />

en France. 11 ne dit qu'un mot <strong>du</strong> Tasse ; ce qui<br />

est d'autant plus étonnant y que c'était le seul dont<br />

il pût se servir avec avantage, puisque lé Tasse est<br />

le seul que l'on ait mis au-<strong>de</strong>ssus d'Homère lui-même,<br />

pour l'ensemble et l'intérêt <strong>de</strong> l'ouvrage, en avouant<br />

qu'il n'en approche pas pur le style. Apparemment<br />

que <strong>la</strong> Mothe ne savait pas l'italien y ou qu'il était<br />

subjugué par l'autorité <strong>de</strong> Boileae. Mais quels sont<br />

enfin les modèles <strong>de</strong> cette perfection qu'il ne trouve<br />

ps dans riMa<strong>de</strong>f Ce sont (ou ne s'y attendrait pas)<br />

le Omis <strong>de</strong> Desmarets, et le Smiwt~LmIf <strong>du</strong> père<br />

le Moine.<br />

« Ils m'ont para, dit-il, <strong>de</strong> beaucoup asellears que<br />

t Mimée'P par <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté <strong>du</strong> <strong>de</strong>ssein, par fuite d'action,<br />

par <strong>de</strong>s idées plus sain» <strong>de</strong> <strong>la</strong> Divinité, par un discernement<br />

plus juste <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu et ia fiée» par <strong>de</strong>s caractères<br />

p<strong>la</strong>s beau et mieux soutenus f parles épiso<strong>de</strong>s plus intéressants,<br />

par <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nts raàetix préparés et moins<br />

prêtas y par <strong>de</strong>s dis<strong>cours</strong> plus grands, mien choisis et<br />

mieux arrangés dans Tordre <strong>de</strong> <strong>la</strong> passion, et enfin, par<br />

<strong>de</strong>s caaipsrslsans p<strong>la</strong>s justes et raieas assorties. »<br />

En voilà beaucoup; et si tout ce<strong>la</strong> était vrai t os ne<br />

se consolerait psque tant d'avantages aient été pr<strong>du</strong>s<br />

dans <strong>de</strong>s poèmes que, <strong>de</strong> l'aveu même do panégyriste<br />

f il est iropssible <strong>de</strong> lire ; car c'est par <strong>la</strong><br />

qu'il finit ; et c'est le cas d'appliquer à ees illisibles<br />

modèles d'irrégu<strong>la</strong>rité le mot <strong>du</strong> grand Coudé 9 à<br />

propi <strong>de</strong> <strong>la</strong> Zémobk <strong>de</strong> l'abbé d 9 Aubïgoac, qui


âNCIENS. — POÉSIE.<br />

itiit dit bâiller tout Paris 9 et qui était, disait-on,<br />

aarfMteiaaait conforme aux règles : Je pardonne<br />

weémëerg à taèèê d'JuMgnœ d'orner mâm ks règks<br />

; mmUje m pmrdmme pas mm régies d'mmir<br />

faU faire à i'aiéé d'Juèigmc urne si mauvaise<br />

pëœ* Rassurons-nous pourtant : il ne faut pas pins<br />

es croire <strong>la</strong> Mothe sur toutes les qualités qu'il âc«<br />

caria à Desmarets et au père le Morne que sor celles<br />

pli refuse à Homère. 11 y a ira étincelles <strong>de</strong> génie<br />

dans le MinÉ^Lmâs, et Fauteur avait <strong>de</strong> <strong>la</strong> verve;<br />

mais, en général, ce poème et le C<strong>la</strong>ris ne sont<br />

guère meilleurs pour le fond que pour le style; et<br />

feu trouve <strong>la</strong>preevedans'<strong>la</strong> Mothe lui-mânie, qui$<br />

après tout « grand éloge, cherche pourquoi ces<br />

<strong>de</strong>m poèmes, ks meUkmrs, dit-il, <strong>de</strong> ta tamgme<br />

française, s'ont point <strong>de</strong> leeteurs f et avoue ingémunait,<br />

sans s 9 63<br />

tait point divisé son poème par livres ; et <strong>de</strong> là vient<br />

qu'on les appe<strong>la</strong> rapsodies quand on les eut rassemblés,<br />

et qu'ils portent encore ce titre dans toutes<br />

les éditions. On ne croirait pas que ce mot, aujourd'hui<br />

expression -<strong>de</strong> mépris qui désigne un recueil<br />

informe <strong>de</strong> choses <strong>de</strong> toute espèce et <strong>de</strong> peu <strong>de</strong> valeur,<br />

fut originairement <strong>la</strong> dénomination <strong>de</strong>s oui rages<br />

<strong>du</strong> prince <strong>de</strong> poètes, tant les mots changent<br />

d'acception avec le temps! On ne sait pas si le nom<br />

<strong>de</strong> rapso<strong>de</strong>s n'était pas donné, avant Homère, aux<br />

poètes qui chantaient leurs propres ouvrages. Mais<br />

apparemment qu'après lui on ne voulut plus en en- *<br />

tendra d'autres; car ce nom resta particulièrement<br />

à ceux qui, pour <strong>de</strong> l'argent, chantaient t'iës<strong>de</strong> et<br />

l'Odyssée sur les théâtres et dans les p<strong>la</strong>ces publiques.<br />

Ce fat'Ljeargne qui, dans son voyaged'Ionie,<br />

@mbarraser si ca<strong>la</strong> s'accor<strong>de</strong> avec lesrecuëllitle premier, et lesapprtaàLacédémone v<br />

ce qu'il vient <strong>de</strong> dire f que non-seulement leur style d'oè ils se répandirent dans <strong>la</strong> Grèce. Ensuite, <strong>du</strong> .<br />

ne tant ries , mais que kmr mwrveUkmx est rtdkûk, temps <strong>de</strong> Solon et <strong>de</strong> Pisistrate, Hipparque, ils <strong>de</strong><br />

qnï& m soni égarés dam ta tMuUipiwîié <strong>de</strong>s épi* ce <strong>de</strong>rnier, en It à Athènes une nouvelle copie par<br />

mâm, qu'Us cuti imaginé <strong>de</strong>s aventures singulières ordre <strong>de</strong> son père, et ce fut celle qui eut <strong>cours</strong> <strong>de</strong>­<br />

qm Mtwtrmmt <strong>de</strong> l'action principale (remarques puis ce temps jusqu'au règne d'Alexandre. Ce prince<br />

pli vient <strong>de</strong> les louer sur l'unité d'action et sur le chargea Gallisthèaa et Anaxarpe <strong>de</strong> revoir soi­<br />

eaaîi <strong>de</strong>s épiso<strong>de</strong>s), qu'Us ont fait un assemb<strong>la</strong>ge gneusement les poèmes d'Homère, qui <strong>de</strong>vaient<br />

fatigant <strong>de</strong> choses rares, dont peut-être aucune me avoir été altérés en passant par tant <strong>de</strong> bouches, et<br />

mrê aêsokmeni <strong>de</strong> <strong>la</strong> wraUembkmœ, mais qui courant <strong>de</strong> pays en pys. Aristote fut aussi consulté<br />

îmdm emewéêeparaUsemÈabsur<strong>de</strong>s èf&ree <strong>de</strong> sim* sur cette édition, qui s'appe<strong>la</strong> l'édiHm <strong>de</strong> <strong>la</strong> cm-<br />

mmiariié. Voilà d'étranges modèles <strong>de</strong> perfection; et seMe, pareeque Alexandreenreiifernia un exemp<strong>la</strong>ire<br />

pour moi, je confesse que j'aimerais beaucoup dans un petit coffre d'un prix inestimable, pris à<br />

mieux être critiqué pr <strong>la</strong> Mothe * comme fa été <strong>la</strong> journée d'Arbelles parmi les dépouilles <strong>de</strong> Darius.<br />

Homère 9 que d'en être loué comme le Moine et Alexandre avait toujours ce coffre à son chevet.<br />

Desmarets. Dieu nous gar<strong>de</strong> d'être vantés par un<br />

« Il est Juste, disait-il y que <strong>la</strong> cassette <strong>la</strong> plus pré<strong>de</strong>sse<br />

homme qui conclut <strong>de</strong> ses louanges qu'on aai riii- ia man<strong>de</strong> entier renferme le plut bel oewage é» Pesprit<br />

eole, illisible, ennuyeux et absurbe!<br />

tramais. »<br />

Et e*est lui qui reproche à Aristote <strong>la</strong> subtilité<br />

sophistique ! Mais quel autre nom donnerons-nous<br />

C'est là-<strong>de</strong>ssus que <strong>la</strong> Mothe a dit : le récusera-<br />

aux inconséquences d'un homme d'esprit qui s'embord<br />

Alexandre, qui ne s'y ewmaUsaM pas. La<br />

barrasse ainsi dans une cause insoutenable? Pour<br />

récusation * est brusque et tranchante; mais <strong>la</strong> re­<br />

achever <strong>de</strong> le confondre, en faisant f air que <strong>la</strong> ré*<br />

marque <strong>de</strong> madame Bacier est curieuse : Que Darius<br />

pntation d'Homère chez les anciens n'a pu être fon­<br />

aurait été heureux s'il amit su, comme M. <strong>de</strong> ta<br />

dée que sur le mérite supérieur <strong>de</strong> ses poèmes, et<br />

Mothe, écarter Jkxandre I Voilà une exc<strong>la</strong>mation<br />

sur le p<strong>la</strong>isir qu'ils faisaient, il suffit <strong>de</strong> rappeler<br />

qui va bien au sujet<br />

les faits, et d'exposer en peu <strong>de</strong> mots comment ses<br />

Après <strong>la</strong> mort d'Alexandre, Zénodote d'Éphèse<br />

écrits sont parvenus jusqu'à nous. Ils furent d'abord<br />

revit encore cette édition sous te règne <strong>du</strong> premier<br />

répan<strong>du</strong>s dans llonie; ce qui prouve que, soit qu'il<br />

<strong>de</strong>s Ptolémées. Enfin, sous Ptolémée PMIométor,<br />

famé dans <strong>la</strong> Grèce d'Europe, ou dans les colonies<br />

cent cinquante ans avant Jésus-Christ, Aristarque f<br />

grecques d'Asie f c'est dans ces <strong>de</strong>rnières qu'il a<br />

si célèbre par son goût et par ses lumières, it une<br />

vécu et «imposé. Les rapso<strong>de</strong>s gagnaient leur vie à<br />

<strong>de</strong>rnière révision <strong>de</strong>s poèmes d'Homère, et en donna<br />

ebanter ses van. Ce mot grec signiûe reemtsewrs » Elle est fondée mr an pesage d'Horace, d'où fou peut<br />

<strong>de</strong>vers, parce que, suivant ce qu'on leur <strong>de</strong>man­ conclure en effet qm m prise© ®*mm pas Maté <strong>la</strong> féputedait,<br />

il chantaient un endroit ou un autre, comme tfoa d'tm amateur éc<strong>la</strong>iré <strong>de</strong>s lettre* et <strong>de</strong>s arfi. « Dès qu'H<br />

« s'agissait d'en Juger, dit Horace (SpisL «s f, 244), c'était<br />

<strong>la</strong> querelle d'Achille -et d'Agamemaon, <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> « mm •rat Béotien. »<br />

Palro<strong>de</strong> y fesadienx d'Hector, etc. ; car Homère n'a-<br />

Smtûm imermmsjmrmrm mm eafnte»


64<br />

iïie édition qui liftât bientôt faillisse et it oublier<br />

toutes les autres. C'est celle-là qui nous a été transmise,<br />

et qui paraît en effet très-correcte et très-soignée,<br />

puisqu'il y a peu d'auteurs anciens dont le<br />

teite soit aussi c<strong>la</strong>ir, aussi suivi, et offre aussi peu<br />

d'endroits qui aient l'air d'avoir souffert <strong>de</strong>s altérations<br />

essentielles.<br />

Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à présent s'il est probable que tant<br />

d'hommes éminents par leur rang ou leurs connaissances<br />

se soient occupés à ce point, et à <strong>de</strong>s époques<br />

si éloignées 9 <strong>de</strong>s ouvrages d'un poète qui n'aurait eu<br />

qu'une renommée <strong>de</strong> convention; si c'est tant <strong>de</strong><br />

siècles après <strong>la</strong> mort d'un auteur, chez <strong>de</strong>s peuples<br />

qui parlent sa <strong>la</strong>ngue, que son mérite peut n'avoir<br />

été qu'un préjugé. Rien ne me pratt plus contraire<br />

à <strong>la</strong> raison et à l'expérience. Un succès <strong>de</strong> préjugé<br />

peut exister <strong>du</strong> vivant d'un auteur, et tenir à une<br />

<strong>la</strong>ngue qui n'est pas encore formée, à use époque<br />

où le goût n'est pas bien épuré, à <strong>de</strong>s circonstances<br />

personnelles, à <strong>la</strong> faveur <strong>de</strong>s princes et <strong>de</strong>s grands 9.<br />

à l'esprit <strong>de</strong> parti, entn à toutes les catftes passagères<br />

qui peuvent égarer l'opinion publique. Telle a<br />

été parmi nous <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> célébrité <strong>de</strong> Ronsard, <strong>de</strong><br />

Desportes f <strong>de</strong> Toiture. Mais elle ne leur a pas survécu;<br />

après eux, elle est tombée d'elle-même, et<br />

sans que personne s'en mêlât. Au contraire, Homère<br />

a été attaqué dans tous les temps, <strong>de</strong>puis Zoîle et<br />

Galigu<strong>la</strong> jusqu'à Perrault et <strong>la</strong> Mothe : et il a eu<br />

pour adversaires <strong>de</strong>s hommes puissants, ce qui<br />

prouve que l'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> son nom pouvait irriter l'orgueil;<br />

et <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> beaucoup d'esprit, ce qui<br />

prouve qu'il pouvait prêter à <strong>la</strong> critique ; et ni l'une<br />

ni l'autre espèce d'ennemis n'a pu entamer sa réputation<br />

, ce qui prouve en même teiip que son mérite<br />

était réel et <strong>de</strong> force à soutenir toutes les épreuves<br />

: c'est là, ce me semble, le résultat <strong>de</strong> l'équité.<br />

De tout temps il eut aussi ses enthousiastes, et<br />

l'on sait que l'enthousiasme va toujours trop loin.<br />

On en vit un exemple terrible, s'il en faut croire<br />

Yitruve. Selon lui, ce Zoîle, qui s'était ren<strong>de</strong> le<br />

mépris et l'horreur <strong>de</strong> son siècle-en attaquant Homère<br />

avec une fureur outrageante, fut brûlé vif<br />

par les habitants <strong>de</strong> Smyrne, qui se crurent intéressés<br />

plus qued'autres à venger <strong>la</strong> mémoire <strong>du</strong> grand<br />

poète qu'ils réc<strong>la</strong>maient comme leur concitoyen.<br />

Vîtrave ajoute que Zolfcavait bienmériêésmi sort,<br />

et madame Dacier ne s'éloigne pas <strong>de</strong> cet avis. Ainsi<br />

le fanatisme <strong>de</strong>s opinions littéraires peut donc <strong>de</strong>venir<br />

atroce, comme toute autre espèce <strong>de</strong> fanatisme.<br />

Cet assassinat <strong>de</strong> Zoîle en l'honneur d'Homère, et<br />

celui <strong>de</strong> Ramus en l'honneur d'Aristote, font voir<br />

<strong>de</strong> quels eicèsf esprit humainn'est que tropcapable.<br />

0 mmtrm kmmimmm mmtm I êpect&m cam f<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

Madame Dacier eâî mieux fait d'observer seulement,<br />

comme un trait particulier à fauteur <strong>de</strong> 17-<br />

Ma<strong>de</strong>, que le nom <strong>de</strong> son détracteur, Zoîle, est <strong>de</strong>venu<br />

une injure, et celui <strong>de</strong> son éditeur, Aristarque,<br />

un éloge.<br />

11 ne nous est rien resté <strong>de</strong>s Invectives que Zoîle<br />

vomissait contre Homère; mais elles ne pouvaient<br />

guère être plus grossières que celles dont madame<br />

Dacier accable <strong>la</strong> Mothe. On est d'autant plus révolté<br />

qu'une femme écrive d'un ton si peu décent,<br />

que celui <strong>de</strong> son adversaire est un exemple <strong>de</strong> modération<br />

et <strong>de</strong> politesse. On est également flciié <strong>de</strong><br />

voir l'un dégra<strong>de</strong>r ste esprit par <strong>de</strong> mauvais paradoxes,<br />

et l'autre déshonorer son sexe et <strong>la</strong> science<br />

par une amertume qui semble étrangère à tous les<br />

<strong>de</strong>ux. Elle traite avec un mépris très-ridicule un<br />

homme d'un mérite très-supérieur au sien, et qui<br />

n'avait d'autre tort que <strong>de</strong> se tromper. La gros litre<br />

qu'elle a écrit contre lui n'est guère qu'un amas d'injures<br />

pesamment accumulées, et <strong>de</strong> mauvaises raisons<br />

débitées orgueilleusement. A <strong>de</strong>ux ou trois endroits<br />

près, elle réfute très-mal <strong>la</strong> Mothe, qui le<br />

plus souvent a raison sur les détails, et â qui l'on<br />

ne <strong>de</strong>vait guère contester, que ses principes et ses<br />

conséquences. Son ouvrage y malgré ses erreurs f est<br />

d'une élégance et d'un agrément qui le font lire a?ec<br />

quelque p<strong>la</strong>isir. Celui <strong>de</strong> son antagoniste, intitulé<br />

De <strong>la</strong> Cmrfuptim <strong>du</strong> goéi, n'est en effet qu'un objet<br />

<strong>de</strong> dégoût. Elle trouve dans Homère tant <strong>de</strong><br />

sortes <strong>de</strong> mérites qui n'y sont pas, qu'il est même<br />

douteux qu'elle ait bien senti <strong>la</strong> supériorité <strong>de</strong> ses<br />

beautés réelles. A propos d'une sentence fort commune<br />

en elle-même, et, <strong>de</strong> plus, mal p<strong>la</strong>cée, die<br />

s'écrie pédantesqnement : Sentence grmse <strong>de</strong> sens,<br />

et qu'on mM Um qw Minerm m inspirée. Soit intérêt<br />

d'amour-propre en faveur <strong>de</strong>s tra<strong>du</strong>cteurs en<br />

prose 9 soit désir d'envelopper dans une proscription<br />

générale ilMa<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Mothe, qui est en vers, elle<br />

ne craint pas d'affirmer ce qui, comme principe,<br />

est précisément le contraire <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité : Que tes<br />

poètes tra<strong>du</strong>its en vers cmseni d'être pûiêes » qu'ils<br />

êmiemMmtpkts, rampâmes, d4fi§urés, etc. Le<br />

fait a été souvent trop vrai; mais tout ce qu'on m<br />

peut conclure, c'est qu'alors le poète n'est pas tra<strong>du</strong>it<br />

par un poète, et <strong>la</strong> remarque <strong>de</strong> madame Dacier<br />

m subsiste pas.<br />

La Mothe attaque Homère fort mal à propos sur<br />

<strong>la</strong> morale. Ce reproche est grave, et c'est un <strong>de</strong><br />

ceux sur lesquels ce poète peut et doit être justiié.<br />

Le critique prétend qu'Homère n'énonce pas son opinion<br />

comme il le <strong>de</strong>vrait, sur ce qu'il y a <strong>de</strong> vicieux<br />

dans le caractère et les actions <strong>de</strong> ses personnages.<br />

Il censure en particulier celui d'Achille, ma<strong>la</strong><strong>de</strong>


ANG1ENS. - POÉSIE.<br />

manier© à faire, sans s'en apercevoir, ïétoge <strong>de</strong><br />

l'auteur qu'il reprend.<br />

« Homère donne à certftlss viees un éc<strong>la</strong>t qui décèle asses<br />

r@pmnii fevorable qu'il en avait. On sent partout tp I<br />

admire Acàille : il ne semble f oîr dans son injustice et sa<br />

eraasté que di courage ef <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur d'Ame; et 1311aasea<br />

<strong>de</strong> poète passe soavest jusqu'au lecteur, s<br />

Ici, <strong>la</strong> Motte donnait beau jeu à madame Daeier,<br />

si elle a?ait su es profiter. Mais , toujours occupée<br />

<strong>de</strong> lui opposer <strong>de</strong>s autorités à <strong>la</strong> manière <strong>de</strong>s commentateurs,<br />

elle néglige les raisons. Il s'en offre <strong>de</strong><br />

péremptoires, et Homère hii-méme les^ fournissait<br />

à son apologiste. D'abord, comment <strong>la</strong> Motte n'at-il<br />

pas songé que le poète a?ait fait ce qu'il y a?ait<br />

<strong>de</strong> mieux I faire , en doooaiit <strong>du</strong> moins cet éc<strong>la</strong>t*et<br />

cette noblesse à ce qu'il y a <strong>de</strong> moralement vicieux<br />

dans le caractère <strong>de</strong> son héros? N'est-ce pas <strong>de</strong>viner<br />

Fart et le créer, que <strong>de</strong> sentir, es établissant un personnage<br />

poétique sur qui doit se porter l'intérêt,<br />

que ce f ail y a <strong>de</strong> défectueux en morale doit être<br />

couvert et racheté par cette énergie <strong>de</strong> piston et<br />

eet air <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur qui est l'espèce d'illusion momentanée<br />

qu'il est obligé <strong>de</strong> pro<strong>du</strong>ire? C'est à quoi<br />

Homère a réussi parfaitement 9 <strong>de</strong> l'aveu même <strong>du</strong><br />

critique. Mais comment prévenir le mauvais effet<br />

que peut avoir en morale cette espèce d'admiration<br />

involontaire et irréfléchie pour ce qui est condamnable<br />

en soi ? En faisant ce qu f malheureux effets <strong>de</strong> ces passions aveugles et violentes,<br />

que celui-là même qui tient <strong>de</strong> s'y livrer à<br />

nos yeui avec tous les motifs qui peuvent les excuser<br />

et toute <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur qui semble les ennoblir?<br />

Dans ces moments où <strong>la</strong> raison se fait entendre<br />

par <strong>la</strong> talx d'Achille $ ce n'est pas seulement ses<br />

propres erreurs qu<br />

a fait Homère ; en<br />

mettant dans <strong>la</strong> bouche <strong>du</strong> héros lui-même quand<br />

il est <strong>de</strong> sang-froid, <strong>la</strong> condamnation <strong>de</strong>s fautes que<br />

<strong>la</strong> passion fait commettre et excuser ; en faisant Miser<br />

ces failles par les dieux mêmes qui s'intéressent<br />

au héros. Écoutons Achille après ia mort <strong>de</strong><br />

Patro<strong>de</strong>; écoutons ces vers que j'ai hasardé <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ire<br />

f ainsi que quelques autres :<br />

Ah! périsse à jamais <strong>la</strong> Discor<strong>de</strong> barbare!<br />

Qu'à Jamais replongée aux cachots <strong>du</strong> Tartare<br />

EUe n'Infecte plus <strong>de</strong> sus notifia odieux<br />

Le séjour <strong>de</strong>s mortels et les pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong>a dieux!<br />

Périsse <strong>la</strong> colère et se» erreurs affrètes*» !<br />

Refisse <strong>la</strong> Vengeance et ses douera» trompeuses !<br />

Sets miel eeapoleeeiieeir anouplt <strong>la</strong> telssc* :<br />

li ayas p<strong>la</strong>ît; mal» Meelôl k Yapear<strong>du</strong> poison<br />

Msote-et noircit le eeeur d'une épaisse fumée,<br />

•h ! fou hait <strong>la</strong> Vengeance aptes ravoir aimée.<br />

Tm mU <strong>la</strong> preuve, àé<strong>la</strong>» ! Où m'a précipité<br />

De met emportements Sa bouil<strong>la</strong>nte testé !<br />

Qui! m'es coûte aujourd'hui ! eraeUe expérience.<br />

Injuste Apiiigimon ! f ai vengé sues effeeee :<br />

Ea Mfe-je asaa puni?<br />

(Jl/oit, ctest ivni, v. 107.)<br />

£b bien! le poète pouvait-il mieux nous faire<br />

«imprewlre ce qu'il pense et ce qu'il fait penser<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> colère, «le l'orgueil, <strong>de</strong> <strong>la</strong> vengeance? Auraiton<br />

mieux aimé eptl prit <strong>la</strong> parole pour moraliser<br />

lui-même? Et qui peut mieui nous éc<strong>la</strong>irer sur .les<br />

ta itère. — teste i.<br />

9 il condamne , c'est aussi notre<br />

illusion qu'il nous fait sentir ; et c'est en ce<strong>la</strong> que<br />

les leçons <strong>du</strong> philosophe sont moins frappantes que<br />

celles <strong>du</strong> poëte. Celui-ci a d'autant plus d'avantage,<br />

qu'il nous est impossible <strong>de</strong> nous en défier ni <strong>de</strong><br />

songer à le combattre; qu'il nous prend pour ainsi<br />

dire sur le fait, et ne nous éc<strong>la</strong>ire qu'après nous<br />

avoir émus; qu'il nous force <strong>de</strong> reconnaître <strong>de</strong>s fautes<br />

qu'il nous a fait partager, et qu'il nous rend<br />

juges <strong>du</strong> coupable après nous avoir ren<strong>du</strong>s ses<br />

complices.<br />

Lorsque Achille, plongé dans sa douleur muette<br />

et farouche f traîne le cadavre d'Hector autour <strong>du</strong><br />

lit où est éten<strong>du</strong> Patrocle, et refuse obstinément<br />

<strong>la</strong> sépulture à ces restes inanimés, <strong>de</strong>rniers aliments<br />

<strong>de</strong> sa rage, l'amitié en <strong>de</strong>uil et <strong>la</strong> force terrible <strong>de</strong><br />

son caractère mêlent une sorte d'excuse à cet égarement<br />

<strong>du</strong> désespoir. Mais cependant que pensent<br />

les dieux f témoins <strong>de</strong> ce spectacle, ces mêmes dieux<br />

qui ont favorisé <strong>la</strong> vengeance d'Achille? Jupiter<br />

appelle f hétls :<br />

IMtea à votfe Ils que ses aveugle rage<br />

à blessé tous les dieu, en prodiguant l'outrage<br />

au cadavre d'Hector dam <strong>la</strong> feep traîné :<br />

Tout IXHympe en murmure, et feu suis Indigné.<br />

Allei : fait ren<strong>de</strong> leclof à son malheureux père<br />

SU se veut s'exposer aux traits <strong>de</strong> ma colère<br />

(JHarie, dseet être, •. 112.)<br />

Ainsi les dieux et les hommes se réunissent ici<br />

pour condamner ce qui est vicieux. L'auteur, qui<br />

nous avait sé<strong>du</strong>its comme poète, nous corrige<br />

comme moraliste; il arrête le regard tranquille et<br />

sûr <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison sur ces mêmes objets qu'il ne nous<br />

avait <strong>mont</strong>rés que sous les couleurs <strong>du</strong> prisme poétique<br />

; il fait servir à nous instruire ce qui avait<br />

d'abord servi à nous émouvoir. N'est-ce pas remplir<br />

tous ses <strong>de</strong>voirs à <strong>la</strong> fois? et pouvait-il faire davantage?<br />

L'ODYSSéE.— Je dirai peu <strong>de</strong> chose<strong>de</strong> l'Odyssée.<br />

Elle a beaucoup moins occupé les critiques, et c'est<br />

déjà peut-être un signe d'infériorité. Tout le fort<br />

<strong>du</strong> combat est tombé sur Vflto<strong>de</strong> ; c'était là comme<br />

le centre <strong>de</strong> <strong>la</strong> gloire d'Homère, et l'on attaquait<br />

Pennemi dans sa capitale. L'admiration appelle <strong>la</strong><br />

critique; et l'une et l'autre s'étant épuisées sur<br />

tMimée, j'ai dû les discuter toutes les <strong>de</strong>ux. Quant<br />

h l'Odyssée, je me suis conÉrmé, en <strong>la</strong> relisant,<br />

dans eet avis f qui est celui <strong>de</strong> Longin et <strong>de</strong> <strong>la</strong> plu-<br />

«5 f


COUES DE LITTÉRATURE.<br />

66<br />

part <strong>de</strong>s critiques, que, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux poèmes if Homère,<br />

celui-ci est fort inférieur à l'autre. Je ne fois dans<br />

l'Odyssée ol ces grands tableaux 9 ni ces grands<br />

caractères, ni ces scènes dramatiques, ni ces <strong>de</strong>scriptions<br />

remplies <strong>de</strong> feu, ni cette éloquence <strong>de</strong> sentiment,<br />

ni cette force <strong>de</strong> passion, qui font <strong>de</strong>/7-<br />

Ma<strong>de</strong> un tout plein d'âme et <strong>de</strong> vie.<br />

Homère avait beaucoup voyagé; il savait beaucoup.<br />

11 avait parcouru une partie <strong>de</strong> l'Afrique et<br />

<strong>de</strong> rAsie Mineure. Ses connaissances géographiques<br />

étalent si exactes, que <strong>de</strong>s savants ang<strong>la</strong>is, qui <strong>de</strong><br />

nos jours ont voyagé dans ces mêmes contrées, ses<br />

.ouvrages à <strong>la</strong> main, ont vérifié souvent par leurs<br />

recherches ce qu'il dit <strong>de</strong> <strong>la</strong> position <strong>de</strong>s lieux, <strong>de</strong><br />

leurs aspects, <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature <strong>du</strong> sol, et quelquefois<br />

même <strong>de</strong>s coutumes, quand le temps ne les a pas<br />

changées. U parait qu'Homère, dans sa vieillesse,<br />

s'est plu à composer un poème où il pût rassembler<br />

les observations qu'il avait faites, et les traditions<br />

qu'il avait recueillies. Il est très-fidèle dans les observations,<br />

et très-fabuleux dans les traditions.<br />

C'est un genre <strong>de</strong> merveilleux qui rappelle à tout<br />

fuyards. J'y vois <strong>de</strong> plus fart <strong>du</strong> poète, qui, après<br />

avoir signalé plus ou moins tous ses héros dans<br />

Iqs batailles, met Achille aux prises avec un fleuve<br />

irrité qui se débor<strong>de</strong> dans sa foreur. Mais Ulysse<br />

et ses compagnons enfonçant os arbre dans l'œil<br />

<strong>du</strong> Cyclope endormi après qu'il a mangé <strong>de</strong>ux hommes<br />

tout crus ne m'offrent rien que <strong>de</strong> puéril. Les<br />

fables <strong>de</strong> l'Arioste amusent, parce qu'il en rit le premier;<br />

ce qui rend sa manière <strong>de</strong> conter si piquante<br />

et si originale : mais Homère raconte sérieusement<br />

ces extravagances, qui d'ailleurs sont en elles-mémes<br />

beaucoup moins agréables que celles <strong>du</strong> poète<br />

<strong>de</strong> Ferrare.<br />

La marche <strong>de</strong> l'Odyssée est <strong>la</strong>nguissante. Le<br />

poème se traîne d'aventores en aventures, sans former<br />

un nœud qui attache l'attention, et sans exciter<br />

assez d'intérêt. La situation <strong>de</strong> Pénélope et <strong>de</strong><br />

Télémaque est <strong>la</strong> même pendant vingt vingt-quatre<br />

chants. Ce sont, <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong>s poursuivants <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

reine, toujours les mêmes outrages, dans le pa<strong>la</strong>is<br />

toujours les mêmes festins ; et <strong>la</strong> mère et le ils<br />

forment toujours les mêmes p<strong>la</strong>intes. ïéîéiïiaque<br />

moment celui <strong>de</strong>s Contes arabes. L'histoire <strong>de</strong> Po- s'embarque pour chercher son père, et son voyage<br />

lyptième et celle <strong>de</strong>s Lestrigons, que Virgile, en ne pro<strong>du</strong>it rien que <strong>de</strong>s visites et <strong>de</strong>s conversations<br />

les abrégeant beaucoup, n'a pas dédaigné d'imiter, inutiles chez lester et Méné<strong>la</strong>s. Ce n'est pas ainsi<br />

parce qu'elles lui fournissaient <strong>de</strong> beaux vers, sont que Fénelon Fa fait voyager. 11 y a beaucoup plus<br />

absolument dans le goût <strong>de</strong>s Mille et une Nuits. d'art dans l'Imitation que dans l'original. Ulysse<br />

On peut en dire autant <strong>de</strong>s métamorphoses opérées est dans Ithaque dès le douzième chant <strong>de</strong> l'Odys­<br />

par <strong>la</strong> baguette <strong>de</strong> Cireé, <strong>de</strong> ces transmutations sée, et Jusqu'au moment où il se fait reconnaître.<br />

d'hommes en toutes sortes d'animaux : on les re­ il ne se passe rien qui répon<strong>de</strong> à l'attente <strong>du</strong> lectrouve<br />

dans toutes les fables orientales. Lorsque le teur. Le héros est chez Eumée $ déguisé en men­<br />

poète parle <strong>de</strong> cette poudre merveilleuse qu'Hélène diant; il y reste longtemps sans rien faire et sans<br />

jette dans <strong>la</strong> coupe <strong>de</strong> chaque convive à <strong>la</strong> table <strong>de</strong> que faction avance d'un pas. L'auteur, il est vrai y<br />

Méné<strong>la</strong>s, et qui avait <strong>la</strong> vertu <strong>de</strong> faire oublier tous a eu l'adresse d'ennoblir ce déguisement en faisant<br />

les maux, au peint que celui qui en avait pris dire par un <strong>de</strong>s poursuivants que souvent les dieux,<br />

dans sa boisson n'aurait pas versé une <strong>la</strong>rme <strong>de</strong> qui se revêtent à leur gré <strong>de</strong> toutes sortes <strong>de</strong> for­<br />

toute <strong>la</strong> journée, quand wiéme U aurait vu mourir mes , prennent <strong>la</strong> figure d'étrangers dans les pays<br />

son père et sa mére3 ou tuer son frère et son fils qu'ils veulent visiter pour y être témoins <strong>de</strong> <strong>la</strong> jus­<br />

unique; ne reconnaissons-nous pas, dans les effets tice qu'on y observe ou <strong>de</strong>s violences qu'on y com­<br />

<strong>de</strong> cette poudre dont <strong>la</strong> reine d'Egypte avait fait met. Ce<strong>la</strong> prépare le déooûment 9 mais s'empêche<br />

présent à Hélène, l'opium dont fusage et même pas que ce déguisement ignoble ne donne lieu à <strong>de</strong>s<br />

l'abus fut <strong>de</strong> tout temps familier aux peuples d'O­ scènes plus faites pour un conte que pour un poème.<br />

rient, et qui pro<strong>du</strong>it l'ivresse <strong>la</strong> plus complète et On n'aime point à voir Ulysse couvert d'une besace<br />

l'oubli le plus absolu <strong>de</strong> toute raison ?<br />

aux portes <strong>de</strong> <strong>la</strong> salle à manger, dévorant avec avi­<br />

L'Ilia<strong>de</strong> et l'Odyssée sont également remplies <strong>de</strong> dité les restes qu'on lui envoie; un valet qui lui<br />

fables'; mais les unes élèvent et attachent l'imagi­ donne un-coup d® pied et le charge <strong>de</strong>s plus grosnation,<br />

les autres <strong>la</strong> dégoûtent et <strong>la</strong> révoltent; les sières Injures; un <strong>de</strong>s poursuivants qui lui jette à <strong>la</strong><br />

unes semblent faites pour <strong>de</strong>s hommes, les autres tête un pied <strong>de</strong> bœuf, un autre qui le frappe d'une<br />

pour <strong>de</strong>s enfants. Qmmi Homère me <strong>mont</strong>re le escabelleà l'épaule; un gueux, sommé Irus, qui<br />

Scamandre combattant avec tous ses flots contre vient lui disputer <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce qu'il occupe, et le grand<br />

Achille, je jois dans cette action un fonds <strong>de</strong> vérité, Ulysse jetant son manteau et se battant à coups <strong>de</strong><br />

le péril d'un guerrier téméraire prêt à être englouti poing avec ce misérable. Je ne sais si je me trompe,<br />

dans les eaux d'un fleuve où fl a poursuivi <strong>de</strong>s malt il me semble qu'en cette occasion Homère a


sotie l'effet <strong>de</strong>s 'contrastes et passé toute mesure,<br />

lî fal<strong>la</strong>it sans doute que le héros fil dans rabaissement,<br />

mais son pas dans l'abjection; qu'il fût nié*<br />

connu, outragé, pour se <strong>mont</strong>rer ensuite avec plus<br />

d'éc<strong>la</strong>t et se venger avec plus <strong>de</strong> justice ; mais il<br />

fal<strong>la</strong>it aussi le p<strong>la</strong>eer dans <strong>de</strong>s situations qui ne fussent<br />

pas indignes <strong>de</strong> Fépopée. Ce n'est pas ainsi<br />

qu'il faut <strong>de</strong>scendre ; et Raphaël ne prenait pas les<br />

sujets <strong>de</strong> Gallot. Le massacre <strong>de</strong>s poursui?asts est<br />

plus épique, mais <strong>la</strong> protection trop Immédiate <strong>de</strong><br />

Minerve et <strong>la</strong> présence <strong>de</strong> l'égi<strong>de</strong> affaiblissent le seul<br />

intérêt qu'il peut y a?nir 9 en diminuant trop le danger<br />

réel eu héros. Enfin <strong>la</strong> reconnaissance <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ui<br />

époux, atten<strong>du</strong>e <strong>de</strong>puis si longtemps, est froi<strong>de</strong> *,<br />

et ne pro<strong>du</strong>it pas les émotions dont elle était susceptible.<br />

Pénélope , qui n'a pas voulu reconnaître<br />

Ulysse à sa victoire sur ses ennemis, toute merveilleuse<br />

qu'elle est, le reconnaît à ce qu'il lui dit <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

structure <strong>du</strong> lit nuptial, qui n'est connue que <strong>de</strong> lui<br />

seul. Est-ce là un ressort bien épique? Ce qu'il y a<br />

<strong>de</strong> pis dans le dénoûment, c'est que, contre <strong>la</strong><br />

règle <strong>du</strong> bon sens, qui prescrit <strong>de</strong> mettre à <strong>la</strong> in <strong>du</strong><br />

poème tous les personnages dans une situation décidée,<br />

Ulysse vient à peine <strong>de</strong> revoir Pénélope qu'il<br />

loi apprend que le <strong>de</strong>stin le condamne encore à courir<br />

le mon<strong>de</strong> avec une rame sur l'épaule, jusqu'à ce<br />

qu'il rencontre un homme qui prenne cette rame<br />

pour un van à vanner. Je le répète, ce ne sont pas<br />

là les fêtions <strong>de</strong> l'Ilia<strong>de</strong>.<br />

Son séjour dans l'île <strong>de</strong> Calypso et dans l'île <strong>de</strong><br />

Ckcé n'offre rien d'intéressant; et s'il est vrai que<br />

Calypso soit l'original <strong>de</strong> Didoa, c'est <strong>la</strong> goutte d'eau<br />

qui est <strong>de</strong>venue perle. Qu'on en juge par <strong>la</strong> manière<br />

dont Circé débute avec Ulysse : c'est lui-même qui<br />

raconte cette première entrevue.<br />

m Elle me présente dans sue coupe d'or cette netssnn<br />

siïtàinnée, en elle avait mêlé ses poisons qui <strong>de</strong>vaient<br />

pro<strong>du</strong>ire sue si crael<strong>la</strong> métamorphose. Je pris Sa coupe <strong>de</strong><br />

les matas f et je bus, mais elle n'est pas l'effet qu'elle en<br />

attendait. Elle me donna en coup <strong>de</strong> sa verge', et en me<br />

frappant elle dit : ¥t dans Fétable trouver tes compagnons,<br />

et être comme eux. En même tempe, je tire mon épée, et<br />

me jette sur elle comme pour <strong>la</strong> lier, Elle me dit f le visage<br />

easvert <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes : Qui étes-vous? d'oit venez-vous? Je<br />

SB» dans na étanaemeat iseiprimabte, <strong>de</strong> voir qu'après<br />

avoir bu mes poisons vous n'êtes point changé. Jamais<br />

aacaa aatre mortel n'a pu résister à ces dr&gmm, noe-<br />

«ealemeat après en avoir bu 9 mais même après avoir approché<br />

<strong>la</strong> coupe <strong>de</strong> ses lèvres. Il faut que vous ayez un esprit<br />

supérieur à tous les cBchantenients ; ou que vous soyes<br />

te pru<strong>de</strong>nt tJIjsse; car Mercure m'a toujours dit qu'il vien-<br />

* Cette recoaaalssaece, que <strong>la</strong> Harpe trouve froi<strong>de</strong>, partit<br />

à M. <strong>de</strong> CfimteealifiafKi Fin <strong>de</strong>s plus beaux morceaux <strong>du</strong><br />

génie astique. (Voyez le Gëmie dm CkriêîmnmwM.)<br />

ANCIENS. — POESIE. m<br />

drait Ici au retour <strong>de</strong> Troie. Mais remette! votre épée dans<br />

le fourreau, et m pensons qu'à l'amour. Donnons-nous <strong>de</strong>s<br />

gages d'une passion réciproque f pour établir <strong>la</strong> confiance<br />

qui doit régner entre nous. » ( Tra<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> madmwm<br />

Macier.) •<br />

La déc<strong>la</strong>ration est un peu précipitée, surtout<br />

après <strong>la</strong> coupe <strong>de</strong> poison. Quelque privilège f niaient<br />

les déesses en amour, encore faut-il que les ff anees<br />

soient an peu mains dép<strong>la</strong>cées et un peu mieux<br />

ménagées ; car enfin les déesses sont <strong>de</strong>g femmes*<br />

Il y a loin <strong>de</strong> là aui amours <strong>de</strong> Didon.<br />

La <strong>de</strong>scente d'Ulysse aux enfers est aussi mau-<br />

? aise que celle afÉnée est admirable, et l'on, peut<br />

dire ici : Gloire à l'imitateur qui a <strong>mont</strong>ré ce qu'il<br />

fal<strong>la</strong>it faire ! Ulysse s'entretient avec une foule d'ombres<br />

qui lui sost absolument étrangères. Tyro,<br />

Aotiope, Àlemène, Épteaste, Cloris, Léda9 Iphimédée,<br />

Phèdre, Procris, Ariane, Ériphile$ lui<br />

racontent, on ne sait pourquoi, leurs aventures,<br />

dont le lecteur ne se soucie pas plus qji'USy^e.<br />

Virgile, sans parler ici <strong>de</strong> tant d'autres avantages,<br />

a <strong>mont</strong>ré bien plus <strong>de</strong> jugement en ne mettant en<br />

scène avec Énêe que <strong>de</strong>s personnages qui doivent*<br />

l'intéresser, Il n'y a, dans <strong>la</strong> multiplicité <strong>de</strong>s féafe"<br />

d'Homère, ni choix, ni <strong>de</strong>ssein. Mais il avait appris<br />

ces histoires dans les différents pays qu'il ayajf<br />

visités, et il vou<strong>la</strong>it conter tout ce qu'il savait.<br />

Le seul endroit remarquable, c'est le silence d'Ajax<br />

quand Ulysse lui adresse <strong>la</strong> parole : il s'éloigne<br />

<strong>de</strong> lui en détournant les yeux, sans lui répondre.'<br />

Didon en fait autant dans VÉnéi<strong>de</strong>, quand ÉHe<br />

<strong>la</strong> rencontre aux Enfers, et <strong>la</strong> situation est encore *<br />

plus dramatique. Mais ce que Virgile n'a eu garefn<br />

d'imiter, c'est <strong>la</strong> mauvaise p<strong>la</strong>isanterie fie fait*<br />

Ulysse à un <strong>de</strong> ses compagnons, Elpénor, *qt§<br />

s'était tué en tombant <strong>du</strong> haut do pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> CireJ :<br />

« Elpénor, comment êtes-vous parvenu dans ce ténébreux<br />

séjour? Quoique vous fussiez à piédt vous m'avez<br />

<strong>de</strong>vancé > moi qui suis venu sur un vaisseau porté njr Jet / J<br />

veats? »<br />

•<br />

Il faut être madame Dacier pour trouver t®|<br />

grand mus dans cette raillerie froi<strong>de</strong> et cruelle*<br />

Ulysse, pendant son séjour chez Eumée,'s'oflcfi ne<br />

<strong>la</strong> nuit <strong>de</strong>s moyens qu'il emploiera pour se défaire, r<br />

<strong>de</strong> ses ennemis : cette juste inquiétu<strong>de</strong> ne lur^r*<br />

met pas <strong>de</strong> se livrer au sommeil. Mais le poètej<br />

comme s'il craignait que le lecteur ne <strong>la</strong> partageât f#<br />

se hâte, pour le rassurer, <strong>de</strong> faire îea^niti<br />

Minerve, qui reproche aigrement au héros nia»ne<br />

point reposer quand il le faudrait; et lui rép^e .<br />

que, quand il aurait affaire à cinquante bataillons,<br />

il doit être sûr qu'avec le secou/9 <strong>de</strong> Minerve Tl<br />

en viendrait facilement à bçjjt. Uljisst itconoato


68 COUES DE L1YTÉBATU1E.<br />

aa âta te , obéit 9 et s'endort. Était-ce <strong>la</strong> peine <strong>de</strong> faire<br />

venir <strong>du</strong> eiel une déesse pour ordonner à un héros<br />

<strong>de</strong> dormir! C'est encore ua <strong>de</strong>s passages où madame<br />

Daeier fait remarquer fart <strong>du</strong> poète.<br />

9 Avouons-le : c'est ainsi' que, dans le siècle <strong>de</strong>rnier,<br />

les tra<strong>du</strong>cteurs et les commentateurs <strong>de</strong>s anciens<br />

leur avaient mil réellement dans l'opinion publispe,<br />

en leur vouant une admiration aveugle et<br />

eiclusive, qui convertissait les défauts mêmes en<br />

beautés. Cet eicès révolta <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> beaucoup<br />

d'esprit, que <strong>la</strong> contradiction jeta, comme il arrive<br />

d'ordinaire,-dans un excès tout opposé; et il y eut<br />

<strong>de</strong>s sacrilèges, parce qu'il y avait eu <strong>de</strong>s fanatiques ;<br />

ce qui pourrait se dire avec autant <strong>de</strong> vérité dans<br />

un ordre ie choses plus important. De meilleurs<br />

esprits, <strong>de</strong>s hommes plus mesurés et plus sûrs dans<br />

leurs jugements, ont réparé le mal, et ramené<br />

l'opinion à son vrai point, en ne dissimu<strong>la</strong>nt pas<br />

lej défauts <strong>de</strong>s anciens, mais en s'oecupant à<br />

démêler et à faire bien sentir leurs véritables beautés.<br />

#ussl est-ce <strong>de</strong> nos jours que les grands.<br />

écrivains <strong>de</strong> l'antiquité, généralement mieux appré-<br />

* «iés et mieux tra<strong>du</strong>its ; ont paru reprendre leur<br />

influence sur <strong>la</strong> bonne <strong>littérature</strong>, ont excité plus<br />

<strong>de</strong> curiosité et d'intérêt, et ont heureusement<br />

teivi <strong>de</strong> <strong>de</strong>rnier rempart contre l'invasion <strong>du</strong> mauvais<br />

goût. On ne m'accusera pas d'être leur détracteur,<br />

je crois-avoir fait mes preuves en ce<br />

genre : mais en consacrant a leur génie un culte<br />

léntime, il faut encore <strong>la</strong>isser à <strong>la</strong> raison le droit<br />

<strong>de</strong> juger les divinités qu'on s'est faites dans son<br />

enthousiasme. D'ailleurs Y <strong>la</strong> même sensibilité qui<br />

nous pssîeeae pour ce qu'ils ont d'admirable repousse<br />

ce qu'ils ont <strong>de</strong> répréhensible ; et si l'on confond<br />

l'un avec l'autre, on paraît entraîné par Fautorifé<br />

plus que par ses propres impressions, et c'est<br />

ipirmer soi-mlme son jugement.<br />

Celui que j'ai porté sur rodyuée n'est pas un<br />

atfeitat à <strong>la</strong> gloire d'Homère, mais une preuve <strong>de</strong><br />

• mon entière impartialité. Ma franchise sévère,<br />

quand je relève ses défauts, prouve au moins combien<br />

je suis sincère quand je proc<strong>la</strong>me ses beautés.<br />

M.Vkluis point insensible à celles <strong>de</strong> l'Odyssée,<br />

• tant en les mettant fort au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> celles <strong>de</strong> 17ffirf;<br />

je conviendrai que, dans ce poème, nonseulement<br />

Homère intéresse notre curiosité * eom-<br />

» me pffnjre <strong>de</strong> ces siècles reculés, dont il ne reste '<br />

pointée monuments plus authentiques, plus préciehx,<br />

plus instructifs que les sienst mais aussi par<br />

Fittrait que souvent il .a su répandre sur ces peintres<br />

<strong>de</strong>s mœurs antiques, <strong>de</strong> <strong>la</strong> simplicité et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

bonté ipspiufPri, <strong>du</strong> respect <strong>de</strong>s jeunes gens pour<br />

If Matasse, si bien «présenté dans <strong>la</strong> réserve et<br />

<strong>la</strong> mo<strong>de</strong>stie <strong>de</strong> Télémaque étiez lester et chei<br />

Méné<strong>la</strong>s. *LM caractère <strong>de</strong> ce jeune homme est précisément<br />

celui qui convient à son âge et à sa situation<br />

: il a <strong>du</strong> courage, <strong>de</strong> <strong>la</strong> can<strong>de</strong>ur, <strong>de</strong> <strong>la</strong> noblesse;<br />

et, en général, il tient à sa mère et aux poursuivants<br />

le <strong>la</strong>ngage qu'il doit tenir. On en peut dire<br />

autant <strong>de</strong> Pénélope, dont le caractère est nécessairement<br />

un peu passif ifans tout le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l'ouvrage,<br />

comme l'exigeaient les mœurs <strong>de</strong> ce temps-là,<br />

mais qui, à <strong>la</strong> reconnaissance près, un peu froi<strong>de</strong>,<br />

à ce qu'il m'a paru, ne dit et ne fait que ce qu'elle<br />

doit dire et faire. Ulysse, quoique trop dégradé<br />

sous son déguisement, et trop longtemps dans risaction,<br />

ne <strong>la</strong>isse pas <strong>de</strong> pro<strong>du</strong>ire une susceptibilité<br />

et une attente <strong>du</strong> dénoûment qu'il eût été à<br />

souhaiter que Fauteur rendit plus forte et plus vive.<br />

Le carnage <strong>de</strong>s poursuivants est tracé avec <strong>de</strong>s<br />

couleurs qui rappellent le peintre <strong>de</strong> f limée* Mais<br />

celle-ci sera toujours <strong>la</strong> couronne d*Homère :<br />

c'est elle qui assure à son auteur le titre <strong>du</strong> plus<br />

beau génie poétique dont l'antiquité puisse se glorifier.<br />

SECTION n. — B@ l'épopée Mise.<br />

Les ouvrages <strong>de</strong> Virgile sont à <strong>la</strong> portée d'un<br />

plus grand nonibre <strong>de</strong> lecteurs que ceux d'Homère,<br />

parce qu'il est beaucoup plus commun <strong>de</strong> savoir<br />

le <strong>la</strong>tin que le grec. Virgile, en original, a été <strong>de</strong><br />

bonne heure entre les mains <strong>de</strong> quiconque a fait<br />

<strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s. 11 y a longtemps que Foo est également<br />

d'accord sur son mérite et sur ses défauts.<br />

Je me 'réserve à parler <strong>de</strong> ses Êgkmues quand il<br />

sera question <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie pastorale. Ses Céôrgiqms<br />

sont <strong>de</strong>venues un ouvrage français, et ce poëme,<br />

le plus parfait qui nous ait été transmis par les<br />

anciens, est aussi on <strong>de</strong>s plus beaux morceaux <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> poésie mo<strong>de</strong>rne. Il serait superflu <strong>de</strong> parler <strong>de</strong><br />

ce qui est connu : je me bornerai donc à quelques<br />

observations sur i'Émiée* L'imperfection <strong>de</strong> ce<br />

poème et <strong>la</strong> perfection <strong>de</strong>s Géorgtques sont un®<br />

preuve <strong>de</strong> <strong>la</strong> distance prodigieuse qui reste encore<br />

entre le meilleur poème didactique et cette gran<strong>de</strong><br />

création <strong>de</strong> l'épopée. Ce qui frappe le plus, en passant<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture d 9 Homère à celle <strong>de</strong> Virgile,<br />

c'est Fesfèce <strong>de</strong> culte que le poète <strong>la</strong>tin a voué au<br />

grec. Quand on ne nous aurait pas appris que Virgile<br />

était adorateur d'Homère, au point qu'on f appe<strong>la</strong>it<br />

nwmêriqœ, il suffirait <strong>de</strong> le lire pour es être convaincu<br />

: il le suit pas à pas. Mais on sait que faire<br />

passer ainsi dans sa <strong>la</strong>ngue les beautés d'eue <strong>la</strong>ngue<br />

étrangère, a toujours été regardé comme une <strong>de</strong>s<br />

conquêtes <strong>du</strong> génie ; et f pour juger si cette conquête<br />

est aisée, il s'y a qu'à se rappeler ce que disait


flrfile : qu'il était moins difficile <strong>de</strong> prendre à Hercule<br />

sa massée que <strong>de</strong> dérober un fers à Homère.<br />

Il es a pris cependant une quantité considérable;<br />

et, quasi il le tra<strong>du</strong>it, s'il ne l'égale pas toujours,<br />

quelquefois il le surpasse 1 .<br />

Le premier défait que l'on ait remarqué dans VÊnH<strong>de</strong>9<br />

c'est le caractère <strong>du</strong>' héros; et c'est ici que<br />

l'on peut voir combien <strong>la</strong> Motte et consorts se trompaient<br />

quand ils reprochaient à Homère les imperfectlôi»<br />

morales <strong>de</strong> son héros, et combien Aristote<br />

m savait davantage quand il a marqué ces mimes<br />

caractères, imparfaits en moraleY comme les meil-<br />

i se reproeètfa à Yirgle à%mk Imité Homère<br />

; il fa fait; mais <strong>de</strong>s critiques <strong>la</strong>tins loi ont rtproehé<br />

aiec fias ife raison d'avoir été le p<strong>la</strong>giaire <strong>de</strong> ses compatriote;<br />

et Pou s 9 en peut douter en voyant les iiombreiiMS<br />

cïMmm êe mm qu'il a empruntés t non-teiilemoat d'Eaalïii,<br />

<strong>de</strong> Passiriiis, i'àcciiis, <strong>de</strong> Suevlos, mais môme <strong>de</strong> ses cou»<br />

fm^emim les pins illiutret, tel» que Lucrèce s Catulle, Tarins,<br />

Fartas, flous n'avons point les poésies <strong>de</strong> cet <strong>de</strong>ux<br />

<strong>de</strong>niers; mais ¥ arias nous est connu par l'éloge qu'en <strong>la</strong>it<br />

Hanse, qui le regar<strong>de</strong> comme un <strong>de</strong>s génies les plus propres<br />

a tfaterfépopée.<br />

Fmrîê epm mer,<br />

Utmesw, Varlut émit<br />

Virgile se pouvait doue pas dire comme Molière, quand<br />

II s'appropriait qgdque eaaee <strong>de</strong> Ma, pria «TUE mau¥âfs<br />

éeritaiii : « le repreod» moii Mes où Je le trouve. » La ptaeerf<br />

<strong>de</strong> cm <strong>la</strong>rdas <strong>de</strong> Virgile sont <strong>de</strong>s hémlsilches on <strong>de</strong>s vers<br />

eetiers eTaae teauté remarquable, même ceox qull dérobe<br />

asz vieux poètes <strong>du</strong> temps <strong>de</strong>s guerres paniquer, et parties-<br />

Ilèreaieat à Enntns : mais aassl Ton sait que Tlrgile ne s'en<br />

eeeaalt pas , pafaqal! se vantait <strong>de</strong> tirer <strong>de</strong> Par <strong>du</strong> fumier<br />

^Êmmim, Fmmier soit : Ton peut croire, par les fragments<br />

qui aoas restent <strong>de</strong> lui, qu'il y avait Mea <strong>du</strong> mauvais geat<br />

dans son style, et d'estant plus que <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue n'était pas<br />

eaeaee épurée; mais <strong>la</strong> quantité d'expressions heureuses et<br />

vraiment poétiques «pli a fournies à Ylrgiie, prouve que cet<br />

Eoa<strong>la</strong>s avait un véritable talent et surtout le sentiment <strong>de</strong><br />

iliarmoaie Inttattve, et Justifie i'espèee <strong>de</strong> vénération qn'armif<br />

aaate lui le «mai Sclpioa, coaaal&seoir trop éc<strong>la</strong>iré pou?<br />

se pûtor dans Saslos que le chantre <strong>de</strong> ses exploits.<br />

^Ifple ne dissimu<strong>la</strong>it par non plus qu*il avait suivi Tfeéoeeie<br />

dans ses Églogues, et Hésio<strong>de</strong> dans ses Géorglques : 11<br />

rend <strong>la</strong>i-asisae cet hommage à ses modèles, dans ces mêmes<br />

ouvrais ou il les a <strong>la</strong>issés, surtout Hésio<strong>de</strong>, Mes loin <strong>de</strong>rrière<br />

<strong>la</strong>i. Mais, ce qu'on ne sait pas communément, c'est<br />

ajae ce second livre <strong>de</strong> FÉnéMe, si uoivenellemeot admiré,<br />

ce grand taMeaa <strong>du</strong> sac <strong>de</strong> Troie, est copié, presque mot à<br />

mot, prnè mé mrèum (m sont les eipresslons <strong>de</strong> Macrobe),<br />

efae parle grec, nommé Ksaodre, qui avait écrit en vers<br />

a» espèce <strong>de</strong> recaell d'histoires mythologiques. Macrobe<br />

parle <strong>de</strong> ce nouvel emprunt comme d'un fait connu <strong>de</strong> tout<br />

te Bon<strong>de</strong>, et même <strong>de</strong>s enfants, et <strong>de</strong> ce Pisandre comme<br />

«Fan paite ëm premier ordre parmi les Grecs. 11 y a tout lieu<br />

île le penser, si l'original <strong>de</strong> Sa prise <strong>de</strong> Troie i ui appartient ;<br />

et il est difficile <strong>de</strong> douter <strong>du</strong> fait, d'après faliraiailoa <strong>de</strong><br />

MacnÉie. <strong>la</strong> ce cas, <strong>la</strong> perte <strong>de</strong>s ouvrages <strong>de</strong> Pisaodre doit<br />

«sa comptée parmi tant d'autres qui excitent d'Inutiles re-<br />

Sesets.<br />

H est à remarquer que <strong>de</strong>ux poètes tels que Vtrgite et Voltaire,<br />

se soieat également permis <strong>de</strong> s'enrichir d'un assex<br />

grand nombre <strong>de</strong> beaux vers connus ; c'est parce que tous<br />

don étaient très-riebes <strong>de</strong> leur propre fonds, qu'on leur a<br />

{«•damé <strong>de</strong> êêçmmu astral.<br />

Le Parnasse est eoaaae le moa<strong>de</strong> :<br />

Oe s'y permet qu'aux rtcaes ie seler.<br />

ANCIENS. — POÉSIE. 69<br />

leurs es poésie. Assurément II s'y a pas te plus petit<br />

reproche à faire an pieux Éoée; il est d'un bout <strong>du</strong><br />

poëme à l'autre absolument irrépréhensible : mait<br />

aussi, n'étant jamais passionné, il n'échauffe jamais,<br />

et <strong>la</strong> froi<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> sou caractère se réparti sur tout le<br />

poëme. II est presque toujours en <strong>la</strong>rmes et en prières.<br />

Il se <strong>la</strong>isse très-tranquillement aimer par Di<strong>de</strong>n, et<br />

<strong>la</strong> quitte tout aussi tranquillement dès que lesdieui<br />

Font ordonné. Ce<strong>la</strong> est fort religieux , mais point <strong>du</strong><br />

tout dramatiqoe; et ce même Aristote nous a fait<br />

entendre que l'épopée défait lire aairaée'les mêmes<br />

passions que <strong>la</strong> tragédie, quand il a dit que <strong>la</strong> plupart<br />

<strong>de</strong>s règles prescrites pour celle-ci étaient aussi<br />

essentielles à l'autre. Concluons donc que le grand<br />

principe d 9 Aristote a été pleinement confirmé par<br />

l'expérience , puisque tes <strong>de</strong>ux hères <strong>de</strong> l'Épopée qui<br />

aient paru les mieux choisis et les mieux conçus chez<br />

les anciens et chez les mo<strong>de</strong>rnes, sont <strong>de</strong>ux caractères<br />

passionnés et tragiques, l'Achille <strong>de</strong> l'Ilia<strong>de</strong> et<br />

le Renaud <strong>de</strong> <strong>la</strong> Jérustîkm* Ce <strong>de</strong>rnier même est te<br />

partie mo<strong>de</strong>lé sur l'antre; il est aussi bril<strong>la</strong>nt, aussi<br />

fier, aussi impétueux. Voilà les hommes qu'il nous<br />

faut en poésie : aussi ont-ils réussi partout; et le<br />

caractère d'Énée n'a pas eu plus <strong>de</strong> succès au théâtre<br />

que dans l'épopée.<br />

On convient assez que <strong>la</strong> marche <strong>de</strong>s six premiers<br />

chants <strong>de</strong> l'Enéi<strong>de</strong> est à peu près ce qu'elle pouvait<br />

être, si ee n'est qu'après le grand effet <strong>du</strong> quatrième<br />

livre, qui contient les amours <strong>de</strong> Bidon, <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription<br />

<strong>de</strong>s jeux, qui remplit le cinquième, quelque<br />

belle qu'elle soit en elle-même, est peut-être p<strong>la</strong>cée<br />

<strong>de</strong> manière à refroidir un peu le lecteur, qui, après<br />

tout, en est bien dédommagé dans te livre suivant,<br />

où se trouve <strong>la</strong> <strong>de</strong>scente d'Énée aux enfers. Mais ce<br />

qu'on à généralement condamné, c'est te p<strong>la</strong>n <strong>de</strong>s<br />

six <strong>de</strong>rniers livres : c'est là qu'on attend les plus<br />

grands effets, an conséquence <strong>de</strong> ce principe, que<br />

tout doit aller en croissant, comme Homère Ta si<br />

bien pratiqué dans fll<strong>la</strong><strong>de</strong>; et c'est là malheureusement<br />

que Yîrgile <strong>de</strong>vient inférieur à lui-même et à<br />

son modèle. La fondation d'un état qui doit être te<br />

berceau <strong>de</strong> Rome ; une jeune princesse qu'un étranger,<br />

annoncé par les oracles, vient disputer au<br />

prince qui doit l'épouser; les différents peuples <strong>de</strong><br />

l'Italie partagés entre les <strong>de</strong>ux rivaux : tout semb<strong>la</strong>it<br />

promettre <strong>de</strong> Faction, <strong>du</strong> mouvement, <strong>de</strong>s situations,<br />

et <strong>de</strong> l'intérêt. Au lieu <strong>de</strong> tout ce qu'on a<br />

droit d'espérer d'un pareil sujet, que trouve-t-on?<br />

Un roi LaUnus, qui n'est pas te maître chez lui, et<br />

ne sait pas même avoir une volonté; qui, après avoir<br />

très-bien reçu les Troyens, <strong>la</strong>isse <strong>la</strong> reine Amate et<br />

Twrnw leur faire <strong>la</strong> guerre, et prend te parti <strong>de</strong> se<br />

renfermer dans son pa<strong>la</strong>is pour ne se mêler <strong>de</strong> rien ;


7®<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

une iMmmîe dont il est à peine question 9 personnage<br />

nul et muet 9 quoique ce soit pour elle que l'on combatte;<br />

cette reine Amate, qui, après <strong>la</strong> défaite <strong>de</strong>s<br />

"Latins, se pend à une poutre <strong>de</strong> son pa<strong>la</strong>is; eatiii<br />

Tomes tué par Ënée, sans qu'il soit possible <strong>de</strong><br />

prendre intérêt ni à <strong>la</strong> victoire <strong>de</strong> Fus, ni à <strong>la</strong> mort<br />

<strong>de</strong> l'autre. Voilà le fond <strong>de</strong>s six <strong>de</strong>rniers chants <strong>de</strong> VÉnéi<strong>de</strong>;<br />

et il en résulte que, pour l'invention, les caractères<br />

et le p<strong>la</strong>n, l'imitateur d'Homère est resté<br />

bien loin <strong>de</strong> lui.<br />

A Fégard <strong>de</strong> ses batailles ; il n'a guère fait qu'abréger<br />

et resserrer celles d'Homère, qu'il tra<strong>du</strong>it presque<br />

partout. Il a moins <strong>de</strong> diffusion, mais il a aussi<br />

moins <strong>de</strong> feu. Il a d'ailleurs un désavantage marqué,<br />

qui tient à <strong>la</strong> nature <strong>du</strong> sujet. La guerre <strong>de</strong> Troie<br />

était un si grand événement dans l'histoi re <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>,<br />

dont elle fait encore une <strong>de</strong>s principales époques,<br />

que tous ceux qui s'y étaient distingués occupaient<br />

une p<strong>la</strong>ce dans <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong>s hommes : c'étaient<br />

<strong>de</strong>? noms que <strong>la</strong> renommée avaient consacrés, qui<br />

étalent dans <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong>, et pour<br />

ainsi dire familiers à l'imagination. Rien n'est si faforable<br />

à un poète que ces noms qui portent leur<br />

intérêt avec eux ; et une partie <strong>de</strong> cet intérêt se répand<br />

sur les six premiers livres <strong>de</strong> VEnéi<strong>de</strong> % où se retrouvent<br />

<strong>de</strong>s faits et <strong>de</strong>s noms déjà immortalisés par Homère.<br />

Mais dès le septième livre, Virgile nous mène<br />

dans un mon<strong>de</strong> tout nouveau, et nous <strong>mont</strong>re <strong>de</strong>s<br />

personnages absolument ignorés, et avec qui même<br />

il n'a pu, dans le p<strong>la</strong>n qu'il a suivi t mettre le lecteur<br />

à portée <strong>de</strong> faire connaissance ; et l'on s'aperçoit.alors<br />

qu'il estbien différent d'à voir à mettre en scène Ajax,<br />

Hector, Ulysse et Diomè<strong>de</strong>, ou Messape, Ufens,<br />

Tarction et Mézeuce. On sait bien que Virgile a voulu<br />

f<strong>la</strong>tter à <strong>la</strong> fois les Romains et Auguste, les uns par<br />

<strong>la</strong> fable <strong>de</strong> leur origine, l'autre par le double rapport<br />

qu'il établit entre Auguste et Énée, tous <strong>de</strong>ux fondateurs<br />

et légis<strong>la</strong>teurs. Mais 11 n'en est pas moins<br />

vrai qu'Homère, en chantant le siège <strong>de</strong> Troie, avait<br />

pris pour son sujet ce qu'il y avait alors <strong>de</strong> plus fameux<br />

dans le mon<strong>de</strong>, et que Virgile, en vou<strong>la</strong>nt célébrer<br />

l'origine <strong>de</strong> Rome, comme il l'annonce dès<br />

, les premiers vers, s'est obligé à s'enfoncer dans les<br />

antiquités <strong>de</strong> l'Italie f aussi obscures que celles <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Grèce étaient célèbres. On sent tout ce que ce contraste<br />

doit lui faire perdre. Aussi les héros d'Homère<br />

sont ceux <strong>de</strong> toutes les nations, <strong>de</strong> tous les théâtres<br />

; nous sommes aceoutumés à les voir en scène<br />

avec les dieux, et Ils ne nous semblent pas au-<strong>de</strong>ssous<br />

<strong>de</strong> ce commerce. Les combats <strong>de</strong> l'Ilia<strong>de</strong> nous offrent<br />

les plus grands spectacles ; nous croyons voir<br />

aux mains l'Europe et l'Asie : mais ceux <strong>de</strong> l'Enéi<strong>de</strong><br />

ne nous paraissent, en comparaison,.que <strong>de</strong>s esear-<br />

mouches entra quelques peup<strong>la</strong><strong>de</strong>s ignorées. Virgile<br />

a tâché <strong>du</strong> moins <strong>de</strong> répandre quelque intérêt sur le<br />

jeune Pâlies f fils d'Évandre ; sur Lausus f ûls <strong>de</strong> Mézence;<br />

sur Camille, reine <strong>de</strong>s Volsques : mais cet intérêt<br />

passager et rapi<strong>de</strong>ment épisodique, jeté sur <strong>de</strong>s<br />

personnages qu'on ne voit qu'un moment 9 ne saurait<br />

remp<strong>la</strong>cer cet intérêt général qui doit animer et mouvoir<br />

toute <strong>la</strong> machine <strong>de</strong> l'épopée.<br />

Tel est le jugement que <strong>la</strong> postérité, sévèrement<br />

équitable, paraît avoir porté sur ee qui manque à<br />

l'Enéi<strong>de</strong> ; mais, malgré tous ses défauts, ce qui reste<br />

<strong>de</strong> mérite à Virgile suffit pour justiler le titre ée<br />

prince <strong>de</strong>s poètes <strong>la</strong>tins qu'il reçut <strong>de</strong> son siècle, et<br />

l'admiration qu'il a obtenue <strong>de</strong> tous les autres. Le<br />

second, le quatrième et le sixième livre sont trois<br />

grands morceaux, regardés universellement comme<br />

les plus finis, les plus complètement beaux que l'épopée<br />

ait pro<strong>du</strong>its chez aucune nation. Celui <strong>de</strong> Bidon<br />

en partlenlîer appartient entièrement à Fauteur :<br />

il n'y en avait point <strong>de</strong> modèle, et c'est en ce genre<br />

un morceau unique dans toute l'antiquité. Ces trois<br />

admirables livres,' l'épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> Nisus et Enryale, celui<br />

<strong>de</strong> Cacug, celui <strong>de</strong>s funérailles <strong>de</strong> Pal<strong>la</strong>s, celui<br />

<strong>du</strong> bouclier d'Énée, sont les chefs-d'œuvre <strong>de</strong> l'art<br />

<strong>de</strong> peindre et d'intéresser en vers. Et ce qui fait en<br />

total le caractère <strong>de</strong> Virgile, c'est <strong>la</strong> perfection continue<br />

<strong>du</strong> style, qui est telle chez lui, qu'il ne semble<br />

pas donné à l'homme d'aller plus loin. 11 est à <strong>la</strong> fois<br />

le charme et le désespoir <strong>de</strong> tous ceux qui aiment et<br />

cultivent <strong>la</strong> poésie. Ainsi donc, si! n'a pas égalé Homère<br />

pour l'invention, <strong>la</strong> richesse et l'ensemble, il<br />

Fa surpassé par <strong>la</strong> singulière beauté <strong>de</strong> quelques parties<br />

et par son excellent goût dans tous les détails ».<br />

* L'abbé Trahie! a fait an parallèle <strong>de</strong> YlfgUe et


Ne nous p<strong>la</strong>ignons pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, qui jamais se<br />

dosée tout à lis seul : admirons-<strong>la</strong> plutôt dans l'étonnante<br />

variété <strong>de</strong> ses dons, dans cette Inépuisable<br />

fécondité qui promet toujours au génie <strong>de</strong> nouveaux<br />

aliments, à <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> nouveaux titres, aux hommes<br />

<strong>de</strong> nouvelles jouissances.<br />

Silos Italiens, qui fut consul Tannée <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort<br />

<strong>de</strong> Néron, et qui mourut sous Trajan, a imité Yirgite,<br />

comme Bûché et <strong>la</strong> Fosse ont imité Racine.<br />

Nous avons <strong>de</strong> lui un poème, son pas épique, mais<br />

historique, en dix-sept livres , dont le sujet est <strong>la</strong> secon<strong>de</strong><br />

guerre punique. Il y suit scrupuleusement Tordre<br />

et te détail <strong>de</strong>s faits <strong>de</strong>puis le siège <strong>de</strong> Sâgonte<br />

jusqu'à <strong>la</strong> défaite d'Annibal et <strong>la</strong> soumission <strong>de</strong> Carti<strong>la</strong>ge,<br />

Il n'y a d'ailleurs aucune espèce d'invention<br />

ni <strong>de</strong> fable, si ce n'est qu'il fait quelquefois intervenir<br />

très-gratuitement Junon avec sa vieille haine<br />

contre les <strong>de</strong>scendants d f Énéey et son ancien amour<br />

pour Carthage. Mais comme tout ce<strong>la</strong> ne pro<strong>du</strong>it que<br />

quelques dis<strong>cours</strong> inutiles, <strong>la</strong> présence <strong>de</strong> Junos<br />

n'empêche pas que feutrage se soit une gazette en<br />

vers. La diction passe pour être assez pure, mais<br />

elle est faible et habituellement médiocre. Les amateurs<br />

n'y ont remarqué qu*ua petit nombre <strong>de</strong> vers<br />

dignes d'être retenus; encore les plus beaux sont-ils<br />

empruntés <strong>de</strong> <strong>la</strong> prose <strong>de</strong> Tite-Live. Silius possédait<br />

une <strong>de</strong>s maisons <strong>de</strong> campagne <strong>de</strong> Cicéron, et une<br />

autre près <strong>de</strong> Naples f où était le tombeau <strong>de</strong> Yirgile;<br />

ce qui était plus aisé que <strong>de</strong> ressembler à l'un ou à<br />

Tautre.<br />

La Tkibaï<strong>de</strong> <strong>de</strong> Stace, poëme en douze chants,<br />

dont le sujet est <strong>la</strong> querelle d'Étéo<strong>de</strong> et <strong>de</strong> Polynice,<br />

terminée par <strong>la</strong> mort <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux frères, annonce<br />

par son titre seul un choix malheureux. Quel intérêt<br />

peuvent inspirer <strong>de</strong>ux scélérats maudits par<br />

leur père, et accomplissant, par leurs forfaits et<br />

par h meurtre fui <strong>de</strong> Tautre, cette malédiction<br />

qu'ils ont méritée? Stace, à force <strong>de</strong> bouffissure,<br />

dt monotonie et <strong>de</strong> mauvais goût, est beaucoup plus<br />

ennuyeux et plus pénible à lire que Silius italiens,<br />

quoiqu'il ait plus <strong>de</strong> verve que lui, et qu'au milieu<br />

<strong>de</strong> son fatras il y ait quelques étincelles. Le raeilleur<br />

endroit <strong>de</strong> son poème est le combat <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

frères, et ce qui précè<strong>de</strong> et ce qui suit ce combat,<br />

qui mit le sujet <strong>du</strong> oniième livre. Ce n'est pas que<br />

Fauteur y quitte le ton <strong>de</strong> déc<strong>la</strong>mation ampoulée qui<br />

lui est naturel, mais il y mêle quelques traits <strong>de</strong><br />

force et <strong>de</strong> pathétique, Au reste, Stace a joui pendant<br />

sa vie d'une gran<strong>de</strong> réputation. Martial nous<br />

apprend que toute <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> Rome était en mouvement<br />

pour aller l'entendre quand il <strong>de</strong>vait réciter<br />

se§ vers en public, suivant Tusage <strong>de</strong> ces tempslà,<br />

et que <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong> <strong>la</strong> Tèéèal<strong>de</strong> était une fête<br />

ANCIENS. — POÉSIE. 71<br />

pour les Romains. Ce<strong>la</strong> suffirait pur prouver combien<br />

le goût était corrompu à cette époque. Il vivait<br />

sous Domitien. Il adresse, en finissant, <strong>la</strong> parole<br />

à sa muse, et Tavertit <strong>de</strong> se prétendre à aucune<br />

concurrence avec im dwine Enéi<strong>de</strong>, mais <strong>de</strong>, <strong>la</strong><br />

suivre <strong>de</strong> foi» et d'adorer ses traces. Sa muse lui<br />

a ponctuellement obéi. Il se <strong>la</strong>isse pas <strong>de</strong> se promettre<br />

l'immortalité, et <strong>de</strong> compter sur les honneurs<br />

que <strong>la</strong> postérité lui rendra. Mais il aurait<br />

mieux fait <strong>de</strong> s'en tenir aux app<strong>la</strong>udissements <strong>de</strong><br />

son siècle que d'en appeler au nôtre. Son poëme<br />

est parvenu jusqu'à nous, il est vrai, et le temps,<br />

qui a dévoré tant d'écrits <strong>de</strong> Tite-Live, <strong>de</strong> Tacite,<br />

<strong>de</strong> Sophocle, d'Euripi<strong>de</strong>, a respecté ta TMbaï<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

Stace. Ainsi, pendant le long <strong>cours</strong> <strong>de</strong>s siècles d'ignorance,<br />

le hasard a tiré <strong>de</strong> mauvais ouvrages <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> poussière qui couvre encore et couvrira peutêtre<br />

éternellement une foule <strong>de</strong> chefs-d'œuvre. Ce<br />

s'est pas là sans doute le genre d'immortalité que<br />

promettent les Muses; et qu'importe que Ton sache<br />

dans tous les siècles que Stace a été un mauvais<br />

poète? Ses écrits ne sont connus que <strong>du</strong> trèspetit<br />

nombre <strong>de</strong> gens <strong>de</strong> lettres qui veulent avoir<br />

une idée juste <strong>de</strong> tout ce que les anciens nous ont<br />

<strong>la</strong>issé.<br />

I) en faut dire autant <strong>du</strong> dédamateur C<strong>la</strong>udieo,<br />

qui vivait sous les enfants <strong>de</strong> Théodose, et qui a<br />

fait quelques poèmes satiriques ou héroïques, dont<br />

l'harmonie ressemble parfaitement au son d'une<br />

cloche qui tinte toujours le même carillon. On<br />

cite pourtant quelques-uns <strong>de</strong> ses vers, entre autres<br />

le commencement <strong>de</strong> son poëme contre Ruis.<br />

Mail es général c'est encore un <strong>de</strong> ces versificateurs<br />

ampoulés qui, en se servant toujours <strong>de</strong> beaux<br />

mots, ont le malheur d'ennuyer. On peut juger <strong>de</strong><br />

son style par ce début <strong>de</strong> son poème <strong>de</strong> l'Entêrn*<br />

m§mê <strong>de</strong> Proserpêne :<br />

Inferni mpàm* agrafât, etc..<br />

<strong>la</strong>cère puis-je affirmer que <strong>la</strong> version française,<br />

quoique âdèlc, ne rend pas toute f eaiure <strong>de</strong> l'original.<br />

Men esprit surchargé wi&rdmme <strong>de</strong> <strong>mont</strong>er<br />

dam wm chants m^m<strong>de</strong>ux ks ehemmx%<strong>du</strong> ravisseur<br />

imfetmmif fasire dmj&wr $mlUé par Je càmr<br />

<strong>de</strong> Piut&n, et h Ut ténébreux <strong>de</strong> ta 'iuwm souterraine,<br />

e$e« Tout le reste est <strong>de</strong> ce style. Mais sur un<br />

pareil exor<strong>de</strong> U faut avoir <strong>du</strong> courage pour aller<br />

plus loin.<br />

LccÂiff. — Il ne serait pas juste <strong>de</strong> confondre<br />

Lucain avec ces auteurs à peu près oubliés. U a<br />

beaucoup <strong>de</strong> leurs défauts, mais ils n'ont aucune<br />

<strong>de</strong> ses beautés. <strong>la</strong> Pkarsak n'est pas non plus un<br />

poëme épique : c'est use hiitoire en iers» mm


72 COUES DE LITTÉEATURÈ.<br />

avec un talent porté à l'élévation* l'auteur a semé<br />

son ouvrage <strong>de</strong> traits <strong>de</strong> forée et <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur qui<br />

font sauvé <strong>de</strong> l'oubli.<br />

Bans le <strong>de</strong>rnier siècle, us esprit encore plus<br />

boursouié que le sien fa paraphrasé en vers français.<br />

Si <strong>la</strong> version <strong>de</strong> Brébeuf donna d'abord quelque<br />

vogue à Lucain malgré Boileau, c'est qu'alors<br />

on aimait autant les vers qu'on en est aujourd'hui<br />

rassasié, et que, le bon goût ne faisant que <strong>de</strong><br />

naître, <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>mation espagnole était encore à <strong>la</strong><br />

mo<strong>de</strong>. Mais bientôt les progrès <strong>de</strong>s lettres et l'ascendant<br />

<strong>de</strong>s bons modèles firent tomber <strong>la</strong> Pharsak<br />

aux provinces si chère, comme a dit Despréaux;<br />

et malgré <strong>la</strong> prédilection <strong>de</strong> Corneille et<br />

quelques vers heureui <strong>de</strong> Brébeuf, Lucain fat relégué<br />

dans <strong>la</strong> bibliothèque <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> lettres. De<br />

nos jours, <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction élégante et abrégée qu'en<br />

a donnée M. Mar<strong>mont</strong>el Ta fait connaître un peu<br />

davantage, mais n'a pu le faire goûter, tandis que<br />

tout le mon<strong>de</strong> lit le Tasse dans les versions en prose<br />

les plus médiocres. Quelle en pourrait être <strong>la</strong> raison,<br />

si ce n'est que le Tasse attache et intéresse,<br />

et que Lucain fatigue et ennuie? Bans l'original,<br />

il n 9 est guère lu que <strong>de</strong>s littérateurs, pour qui<br />

même il est très-pénible à lire.<br />

Cependant il a traité un grand sujet : <strong>de</strong> temps<br />

en temps il étincelle <strong>de</strong> beautés fortes et originales ;<br />

il s'est même élevé jusqu'au sublime. Pourquoi<br />

donc, tandis qu'on relit sans cesse Virgile, les plus<br />

<strong>la</strong>borieux <strong>la</strong>tinistes ne peuvent-ils, sans beaucoup<br />

d'efforts et <strong>de</strong> fatigue, lira <strong>de</strong> suite un chant <strong>de</strong> Lucain?<br />

Quel sujet <strong>de</strong> réieiions pour les jeunes écrivains,<br />

toujours si facilement <strong>du</strong>pes <strong>de</strong> tout ce qui<br />

a un air <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur, et qui s'imaginent avoir tout<br />

fait avec un peu d'effervescence dans <strong>la</strong> tête et quelques<br />

morceaux bril<strong>la</strong>nts! Quel exemple peut mieux<br />

leur dé<strong>mont</strong>rer qu'avec beaucoup d'esprit, et même<br />

<strong>de</strong> talent, on peut manquer <strong>de</strong> cet art d'écrire, qui<br />

est le fruit d'un goût naturel ; perfectionné par le<br />

travail et par le temps, et qui est indispensablement<br />

nécessaire pour être lu? En effet, pourquoi<br />

Lucain J'est-il si peu, malgré le mérite qu'on lui<br />

reconnnalt en quelques parties ? C'est que son imagination,<br />

qui cherche toujours le grand, se méprend<br />

souvent dans le choix, et n'a point d'ailleurs<br />

cette flexibilité qui varie les formes <strong>du</strong> style, le ton<br />

et les mouvements <strong>de</strong> <strong>la</strong> phrase, et <strong>la</strong> couleur <strong>de</strong>s<br />

objets; c'est qu'il manque <strong>de</strong> ce jugement sain qui<br />

écarte l'exagération dans les peintures, l'enflure<br />

dans les idées, <strong>la</strong> fausseté dans tes rapports, le mauvais<br />

choix, <strong>la</strong> longueur et <strong>la</strong> superiuité dans les détails;<br />

c'est que, jetant .tous ses vers dans le même<br />

fnoule, et tes faisant tous ronfler sur le .même ton.<br />

il est également monotone pour l'esprit et pour<br />

l'oreille. 11 en résulte que <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong> ses beautés<br />

sont comme étouffées parmi tant <strong>de</strong> défauts, et<br />

que souvent le lecteur impatienté se refuse à <strong>la</strong><br />

peine <strong>de</strong> les chercher et à l'ennui <strong>de</strong> les attendre.<br />

Tâchons <strong>de</strong> rendre cette, vérité sensible : voyons<br />

dans un morceau fidèlement ren<strong>du</strong>, comment Lucain<br />

décrit et raconte. On sent bien que je vais<br />

tra<strong>du</strong>ire en prose : je ne pourrais autrement remplir<br />

mon <strong>de</strong>ssein ; car il n'y a que Brébeuf qui puisse<br />

prendre sur lui <strong>de</strong> versifier tant <strong>de</strong> fatras, et même<br />

souvent <strong>de</strong> charger l'enflure et d'allonger les longueurs<br />

<strong>de</strong> Lucain. Mais on verra aisément, dans<br />

cette tra<strong>du</strong>ction exacte, ce qu'il faudrait retrancher<br />

ou conserver en tra<strong>du</strong>isant en vers.<br />

Je choisis le moment où César, vou<strong>la</strong>nt passer<br />

d'Épire en Italie'sur une barque, est assailli pr<br />

une tempête, et prononce ce mot fameux adressé<br />

au pilote qui tremb<strong>la</strong>it : Que craim-iu? Tu portes<br />

César et sa fortune. Voyons comment le poète<br />

a traité ce trait d'histoire assez frappant, et quel<br />

parti il m a tiré.<br />

« Là mît avait suspends les a<strong>la</strong>rmes <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre, et<br />

amené les instants <strong>de</strong> repos pour ces malheureux soldats,<br />

qui <strong>du</strong> motus, dans leur humble fortune , ont os sommeil<br />

profond. Tout le camp élut trawpilte, et <strong>la</strong> sentinelle venait<br />

d'être relevée à Is troisième saille. César s'avance d'un<br />

pas inquiet dans le vaste sieace <strong>de</strong> <strong>la</strong> aaîi : plein <strong>de</strong> ses<br />

projets téméraires v dignes à peine <strong>du</strong> <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong> ses soldats,<br />

Il marche sans suite : sa fortune seule est avec lui. U franchit<br />

les tentes <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s endormies t et tout bas II se p<strong>la</strong>int<br />

<strong>de</strong> leur échapper si aisément II parcourt Se rivage, et<br />

trouve mie barque attachée par un câble à un rocher miné<br />

par le temps. Il aperçoit <strong>la</strong> <strong>de</strong>meure tranquille <strong>du</strong> pilote,<br />

qui n'était pas éloignée : c'était une cabane formée d'un<br />

tissu <strong>de</strong> joncs et <strong>de</strong> roseaux f et que <strong>la</strong> barque renversée<br />

défendait <strong>du</strong> côté <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer. César frappe à coups redoublés<br />

, et ébranle <strong>la</strong> cabane. Aœ jetas se lève <strong>de</strong> son lit, qui<br />

n'était qu'en amas d'herbes. Quel est le malheureux t ditil,<br />

que le naufrage a jeté près <strong>de</strong> ma <strong>de</strong>meure? Quel est<br />

celui que <strong>la</strong> fortune oblige d'y chercher <strong>du</strong> se<strong>cours</strong>? £n<br />

disant ces mots, il se hâte <strong>de</strong> rallumer quelques étincelles<br />

<strong>de</strong> feu, et se prépare à ouvrir sans rien craindre. 11 sait<br />

que les cabanes ne sont pas <strong>la</strong> proie <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre. O précieux<br />

avantage d'une pauvreté paisible! 0 toit simple et<br />

champêtre ! ê présent <strong>de</strong>s dieux Jusqu'Ici méconnu ! Quels<br />

murs, quels temples n'auraient pas tremblé, frappés par ta<br />

mais <strong>de</strong> César? La porte- s'ouvre. Attends-toi, dit-il, à<br />

<strong>de</strong>s récompenses que tu n'oserais espérer. Ta peux prétendre<br />

à tout, si tu veux m'obéir et me transporter en Italie.<br />

Tu se seras pas obligé <strong>de</strong> nourrir ta vieillesse <strong>du</strong> pro<strong>du</strong>it<br />

<strong>de</strong> ta barque et <strong>du</strong> travail <strong>de</strong> tes mains, aie te refuse<br />

pas aux dieux qui veulent te prodiguer les richesses. Ainsi<br />

par<strong>la</strong>it César : couvert <strong>de</strong> l'habit d'un soldat, il ne pouvait<br />

perdre le ton d'un mattre. Amyc<strong>la</strong>s lui répond : Beaucoup<br />

<strong>de</strong> raisons m'empéeheraieiit <strong>de</strong> me ceaiar cette nuit à <strong>la</strong>


mer. La MMI m m couchant était environné <strong>de</strong><br />

ses rayons pirtugétt semb<strong>la</strong>ient appeler d'un côté le vent<br />

<strong>de</strong> midis et <strong>de</strong> l'autre le vent <strong>du</strong> nord; et même an milieu<br />

<strong>de</strong> sa <strong>cours</strong>e sa lumière était faible, et pouvait et» regardée<br />

d'un œil §xe. La lune n'a point jeté une c<strong>la</strong>rté bril<strong>la</strong>nte;<br />

son croissant n'était point net et serein t sa rougeur<br />

présageait un vent violent ; et, <strong>de</strong>venue pâle, elle se cachait<br />

tristement dans les nuages. Le gémissement <strong>de</strong>s forêts<br />

; te brait <strong>de</strong>s flots qui battent le rivage, Ses dauphins<br />

qui s'en approchent, ne m'annoncent rien d'heureux. J'ai<br />

Kmanpé avec inquiétu<strong>de</strong> que le plongeon cherche le sable,<br />

que ie héros n'nse élever dans l'air ses ailes mouillées, et<br />

que <strong>la</strong> corneille , se plongeant quelquefois dans l'eau comme<br />

si elle se préparait à <strong>la</strong> pluie, rase les riftges d'un vol incertain.<br />

Mais si <strong>de</strong> grands intérêts l'exigent, foserai me<br />

mettre en mer, j'abor<strong>de</strong>rai où vous me l'ordonnes, ou bien<br />

les vents .et les luis s'y opposeront. 11 dit, et déliant sa barque,<br />

il déploie Si voile. A peine fut-dte agitée, que nonsesleoMiit<br />

les étoiles errantes parurent se disperser et tracer<br />

dirert «nions, mais même celles qui sont immobiles<br />

semblèrent s'ébranler. Une affreuse obscurité couvrait <strong>la</strong><br />

aarfeee <strong>de</strong>s mers : on entendait bouillonner les vagues<br />

amoncelées et menaçantes, déjà maîtrisées par les vents9<br />

sans savoir encore auquel elles al<strong>la</strong>ient obéir. Le pilote<br />

tremb<strong>la</strong>nt dit à César : Tous voyes ce qu'annoncent les<br />

menaces <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer. Je ne sais si elle est agitée par le vent<br />

d'orient ou d'occi<strong>de</strong>nt , mais ma barque est battue <strong>de</strong> tons<br />

les cotés ; te ciel et les nuages semblent en proie aux vents<br />

ds midi; si feu crois te brait <strong>de</strong>s Ilots, ils sont poussés<br />

par le vent <strong>du</strong> nord. Nous n'avons aucun espoir d'abor<strong>de</strong>r<br />

aojosnllim en Italie, ni même d'y être poussés parle<br />

naufrage. Le seul moyen <strong>de</strong> salut qui nous reste, c'est <strong>de</strong><br />

• à notre <strong>de</strong>ssein et <strong>de</strong> retourner sur nos pas. lei<br />

le rivage, <strong>de</strong> peur que bientôt il ne soit trop lois<br />

<strong>de</strong> nous.<br />

« César, se croyant au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tous les périls comme<br />

1 était au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> toutes les craintes, répond au nautomer<br />

: Ne crains point le courroux <strong>de</strong>s lots, abandonne<br />

ta voile an vent furieux. Si les astres te défen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> voguer<br />

vers ntatte, vogue sons mes auspices. Tu n'aurais<br />

aucun effroi si lu connaissais celui que tu portes. Sache<br />

que les dieux ne m'abandonnent jamais, et que <strong>la</strong> fortune<br />

me sert mal lorsqu'elle ne va pas an-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong> mes vœux.<br />

Avance an travers <strong>de</strong>s tempêtes t et ne crains rien sous ma<br />

sauvefat<strong>de</strong>. Cette tourmente qui menace les <strong>de</strong>ux et les<br />

mers ne menace point <strong>la</strong> barque ou je suis : elle porte César,<br />

et César <strong>la</strong> garantit <strong>de</strong> tous les périls. La fureur <strong>de</strong>s<br />

vents se tar<strong>de</strong>ra pas à se ralentir. Ce na?ire rendra le calme<br />

à Sa mer. Ne te détourne point <strong>de</strong> ton chemin; élite les<br />

cotes les pras prochaines ; et sache que tu arriveras au<br />

port <strong>de</strong> Briâ<strong>de</strong>s lorsqu'il n'y aura plus pour nous d'autre<br />

espoir <strong>de</strong> salut que d'y arriver. Tu ignores ce qu'apprête<br />

tout ce grand brait : si <strong>la</strong> fortune ébranle le ciel et les mers,<br />

c'est qu'eue cherche à me servir. Comme il par<strong>la</strong>it encore,<br />

«a coup <strong>de</strong> vent vint frapper ie navire, brisa les cordages et<br />

iî wate les voiles au-<strong>de</strong>ssus <strong>du</strong> mât ébranlé. La barque retentit<br />

<strong>de</strong> cette violente secousse, et bientôt tous les orages<br />

renaît viennent fondre sur elle <strong>de</strong>s bouts <strong>de</strong> l'univers. Le<br />

ieut ds couchant lève le premier sa tète <strong>de</strong> l'Océan at<strong>la</strong>n­<br />

ANCIENS. — POESIE. 1%<br />

tique , et entasse tes flots tes uns sur tes autres mmwm un<br />

amas <strong>de</strong> rochers. Le froid Borée court à sa rencontre, et<br />

repousse <strong>la</strong> mer, qui, longtemps suspen<strong>du</strong>e, ne sait <strong>de</strong><br />

quel côté retomber. Mais <strong>la</strong> fureur <strong>de</strong> l'aquilon l'emporta :<br />

il It tournoyer les flots, et les sables découverts parurent<br />

former <strong>de</strong>s gués. Borée ne pousse point les flots contre les<br />

rochers ; il tes brise contre ceux qu'entraîne son rival, et<br />

<strong>la</strong> mer soulevée pourrait combattre contre elle-même sans<br />

le se<strong>cours</strong> <strong>de</strong>s vents. Celui d'orient ne <strong>de</strong>meure pas oisif,<br />

et eeliii <strong>du</strong> midi, surchargé <strong>de</strong> nuages, ne reste pas dans<br />

Ses antres «TÉote : chacun d'eux souff<strong>la</strong>nt avec violence <strong>du</strong><br />

côté qu'il défendait, <strong>la</strong> mer se contint dans ses limites, au<br />

lieu que les tempêtes mêlent le plus souvent les flots <strong>de</strong><br />

différentes mers, tels que ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer Egée et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

mer <strong>de</strong> Toscane, ceux <strong>de</strong> Sa mer Ionienne et <strong>du</strong> golfe Adriatique.<br />

Combien <strong>de</strong> fols ce jour vit les <strong>mont</strong>agnes couvertes<br />

<strong>de</strong> flots! Combien <strong>de</strong> hauteurs parurent s'abtmer dans te<br />

mer ! Toutes tes eaux <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> abandonnent leurs rivages.<br />

L'Océan lui-même, si rempli <strong>de</strong> monstres, et qui entoure<br />

ce globe, semb<strong>la</strong>it se confondre dans une seule mer.<br />

Ainsi jadis le roi <strong>de</strong> l'Olympe seconda <strong>du</strong> tri<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> son<br />

frère ses foudres ftUgaés, et <strong>la</strong> terre parut réunie au partage<br />

<strong>de</strong> Neptune lorsqu'il l'inonda <strong>de</strong> ses eaux, et qu'il<br />

ne voulut d'autres rivages que <strong>la</strong> hauteur <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux. De<br />

même en ce jour <strong>la</strong> mer se serait élevée jusqu'aux astres,<br />

si Jupiter ne l'eût accablée <strong>du</strong> poids <strong>de</strong>s nuages. Ce n'était<br />

point une nuit ordinaire qui se répandit sur le mon<strong>de</strong> : les<br />

ténèbres livi<strong>de</strong>s et affreuses couvraient profondément les<br />

eaux et le ciel ; l'air était affaissé sous les eaux, et les flots<br />

al<strong>la</strong>ient m grossir dans tes airs; <strong>la</strong> lueur effrayante <strong>de</strong>s<br />

éc<strong>la</strong>irs s'éteignait dans cette nuit, et ne jetait qu'un sillon<br />

olpcur. La <strong>de</strong>meure àm dieux est ébranlée, Taxe <strong>du</strong><br />

mon<strong>de</strong> retentit, les pôles chancellent, et <strong>la</strong> nature craignit<br />

le chaos. Les éléments semblent avoir rompu les liens qui<br />

tes unissaient, et tout prêts à ramener <strong>la</strong> nuit éternelle<br />

qui confond les-<strong>de</strong>ux et les enfers. S'il reste aux humami<br />

quelque espoir <strong>de</strong> salut, c'est parce qu'ils voient que 1®<br />

mon<strong>de</strong> n'est pas encore brisé par ces secousses terribles.<br />

Les nochers tremb<strong>la</strong>nts, élevés sur <strong>la</strong> dme <strong>de</strong>s vagues,<br />

regar<strong>de</strong>nt les abîmes <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer d'aussi haut qu'on <strong>la</strong> découvre<br />

<strong>de</strong>s sommets <strong>de</strong> Leucate ; et lorsque tes flots viennent<br />

à se rouvrir, à peine ie mât <strong>du</strong> navire paralt-il au<strong>de</strong>ssus<br />

d'eux : tantôt ses voiles touchent aux nues, tantôt<br />

sa quille touche à <strong>la</strong> terre. La mer est d'un côté abaissée<br />

jusqu'aux sables, <strong>de</strong> l'autre elle est amoncelée, et parait<br />

tout entière dans les vagues. La crainte confond toutou les<br />

ressources <strong>de</strong> l'art, et le pilote ne sait à quels Ilots il doit<br />

eééer et quels il doit repousser. L'opposition <strong>de</strong>s vents te<br />

sauva : les vagues, luttant avec une force égale 9 soutinrent<br />

le navire, et, repoussé toujours <strong>du</strong> côté où il tombait, I<br />

est ba<strong>la</strong>ncé sous l'effort <strong>de</strong>s vents. Le nautonier ne craignait<br />

pas d'être jeté vers l'Ile <strong>de</strong> Sasou, entourée <strong>de</strong> gués; ni<br />

sur les côtes <strong>de</strong> Thessalie, hérissées <strong>de</strong> rochers; ni dans<br />

le détroit redouté d"Ambra<strong>de</strong> : il ne craignait que d'aller<br />

heurter Ses <strong>mont</strong>s Céroniens.<br />

* César crut avoir trouvé <strong>de</strong>s périls dignes <strong>de</strong> son <strong>de</strong>stin.<br />

C'est donc, se dit-il à lui-même, un grand effort pour les<br />

dieux <strong>de</strong> détruire César, puisque, assis dans une frète nacelle<br />

9 ils m'attaquent ataac <strong>la</strong> mer et tes -tempêtes f Si b


74<br />

gloire <strong>de</strong> ma perte est réservée à Neptune, s'A m'est refusé<br />

<strong>de</strong> mourir sur un eàeriip <strong>de</strong> bataille, ê «Meus ! je recevrai<br />

sans eraiiite le trépas que vous ven<strong>du</strong>» me donner.<br />

Quoique k Parque, en précipitant ma <strong>de</strong>rnière heurey<br />

m'enlève aux plus grands exploits, j'ai cependant aster<br />

vécu pour ma gloire. J'ai dompté les nations <strong>du</strong> Nord;<br />

fil vaincu Rome par le seul effroi <strong>de</strong> mon nom. Rome a<br />

tu Pompée aa<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> moi ; ses citoyens obéissants m'ont<br />

donné les faisceaux qu'ils m'avaient refusés pendant que<br />

je combattais pour <strong>la</strong> patrie : tons les titres <strong>de</strong> <strong>la</strong> puissance<br />

romaine m'ont été prodigués. Que tous Ses humains<br />

ignorent, hors toi seule, ê Fortune9 confi<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> tous<br />

mes vœux ; que César » quoique consul et dictateur, meurt<br />

trop tôt, puisqu'il n'est pas encore maitre <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>. Je<br />

n'ai pas besoin <strong>de</strong> funérailles. O dieux ! <strong>la</strong>issez dans les Bots<br />

mon cadavre défiguré. Je ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ni tombeau m* bâcher,<br />

pourvu que <strong>de</strong> tous les cotés <strong>de</strong> Funivers on atten<strong>de</strong><br />

César en tremb<strong>la</strong>nt. A peine avait-il dit ces mots,<br />

qu'une vague énorme enleva <strong>la</strong> barque sans <strong>la</strong> renverser,<br />

et <strong>la</strong> porta sur un rivage où il n'y avait ni écueils ni rochers.<br />

Tant <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>urs» tant <strong>de</strong> royaumes, sa fortune enîln,<br />

tout lui fut ren<strong>du</strong> en touchant k terre. »<br />

Il n'y a personne qui, dans un morceau <strong>de</strong> cette<br />

éten<strong>du</strong>e, ne puisse reconnaître tous les défauts do<br />

style <strong>de</strong> Lucain ; personne qui n'ait été blessé <strong>de</strong><br />

tant d'hyperboles portées jusqu'à l'extravagance, <strong>de</strong><br />

tant <strong>de</strong> prolixité dans les détails, poussée jusqu'au<br />

jiitis intolérable excès ; <strong>de</strong> ee ridicule combat <strong>de</strong>s<br />

vents, personnifiés si froi<strong>de</strong>ment et si mal à propos;<br />

<strong>de</strong> cette enflure gigantesque, qui est l'opposé<br />

<strong>de</strong> toute raison et <strong>de</strong> toute vérité. Quoi <strong>de</strong> plus dép<strong>la</strong>cé<br />

que cette verbeuse fanfaronna<strong>de</strong> <strong>de</strong> César,<br />

substituée au mot sublime que l'histoire lui fait<br />

prononcer? Combien le pilote doit trouver ce <strong>la</strong>ngage<br />

ridicule, jusqu'au moment où César se nomme !<br />

Et même quand il s'est nommé, il ne doit pas fy<br />

reconnaître. Celui qui dit, Je eomman<strong>de</strong> à ki/iwtwœ,<br />

doit passer 'pour fou; mais celui qui au milieu<br />

<strong>du</strong> péril peut dire, en faisant connaître à <strong>la</strong> fois son<br />

nom et son caractère, Que erams-êuîje tms Cémr,<br />

m impose à tout mortel qui connaît ce nom, et lui<br />

<strong>la</strong>it oublier le danger. Le goût n'est pas moins blessé<br />

<strong>de</strong> cette longue énumération <strong>de</strong> tous les présages<br />

<strong>du</strong> mauvais temps, et surtout il ne faut pas détailler<br />

tant <strong>de</strong> raisons <strong>de</strong> rester au port, quand on finit<br />

par s'embarquer. Quatre mots <strong>de</strong>vaient suffire; et,<br />

dans <strong>de</strong>s circonstances si pressantes, l'impatience<br />

<strong>de</strong> César ne doit pas lui permettre d'en entendre<br />

davantage. Je ne dis rien <strong>de</strong> <strong>la</strong> tempête. Ébranler<br />

<strong>la</strong> terre et le ciel, soulever toutes les mers <strong>du</strong> globe,<br />

faire craindre à <strong>la</strong> sature <strong>de</strong> retomber dans le chaosy<br />

et tout ce<strong>la</strong> pour décrire le péril d'une nacelle battue<br />

d'un orage dans <strong>la</strong> petite mer d'Épire, est d'àbord<br />

une <strong>de</strong>scription absolument fausse en physique;<br />

c'est le plut étrange abus <strong>de</strong>s figures, et déplus,<br />

CÛU1S DE LITTÉBATDRB.<br />

c'est masquer 1e but principal. Cette <strong>de</strong>scription si<br />

longue et si ampoulée fait trop oublier César, et c'est<br />

<strong>de</strong> César surtout qu'il fal<strong>la</strong>it nous occuper. Quand<br />

<strong>la</strong> flotte d'Énée est assaillie par<strong>la</strong> tempête, douze<br />

vers suffisent à Virgile pour faire un tableau <strong>de</strong><br />

l'expression <strong>la</strong> plus vive et <strong>la</strong> plus frappante. Un<br />

orage, décrit avec <strong>la</strong> même vérité et <strong>la</strong> même fbree f<br />

eût suffi pour nous faire trembler sur le sort d'un<br />

grand homme prêt à voir un moment d'impra<strong>de</strong>sce<br />

anéantir <strong>de</strong> si gran<strong>de</strong>s <strong>de</strong>stinées. Et combien le tableau<br />

aurait été encore plus frappant, si, dans cet<br />

endroit <strong>de</strong> son poëme, comme dans beaucoup d'au­<br />

tres, Lucain eût employé <strong>la</strong> Action dont il a été<br />

partout trop avare ! s'il nous eût représenté l'Olympe<br />

attentif et partagé, les dieux observant avec curiosité<br />

si l'âme <strong>de</strong> César éprouvait un moment <strong>de</strong><br />

trouble et <strong>de</strong> frayeur, incertains eux-mêmes si les<br />

flots n'engloutiraient point le maître qui menaçait<br />

le mon<strong>de</strong>, et si Neptune n'effacerait pas <strong>du</strong> livre<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>stins le jour <strong>de</strong> Pharsale et l'esc<strong>la</strong>vage lie<br />

Rome!<br />

Quoique le vice' essentiel <strong>de</strong> Lucain soit ordinairement<br />

<strong>de</strong> passer <strong>la</strong> mesure en tout, il ne faut pas<br />

croire pourtant qu'il là passe toujours au même<br />

<strong>de</strong>gré. H a <strong>de</strong>s morceaux où les beautés remportent<br />

<strong>de</strong> beaucoup sur les défauts, surtout dans <strong>la</strong> peinture<br />

<strong>de</strong>s caractères. Tel est, par exemple, l'éloge<br />

funèbre <strong>de</strong> Pompée, prononcé par Caton ; tel est le<br />

portrait <strong>de</strong> Caton lui-même, et le tableau <strong>de</strong> ses noces<br />

avec Marrie ; sa marche dans les sables d'Afrique,<br />

et sa belle réponse au beau dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> Labïénus<br />

sur l'oracle <strong>de</strong> Jupiter Ammon; tels sont principalement<br />

les portraits <strong>de</strong> César et <strong>de</strong> Pompée, mis en<br />

opposition daps le premier livre 9 et qui sont, à mon<br />

gré, ee que Lucain a <strong>de</strong> mieux écrit. Ce sont ces<br />

beautés d'un caractère mâle et neuf qui font ren<strong>du</strong><br />

digne <strong>de</strong>s regards <strong>de</strong> <strong>la</strong> postérité, et qu'il est juste<br />

<strong>de</strong> vous faire connaître, au moins autant qu'il m'est<br />

possible» dans une Imitation très-libre, telle que<br />

doit être celle d'un écrivain qui n'est pas un modèle.<br />

Pompée avec chagrin volt ses travaux passés<br />

Par <strong>de</strong> plus grands exploits tout près d'être effacés.<br />

Par dix ans <strong>de</strong> combats <strong>la</strong> Gaule assujettie,<br />

Semble faire oublier 1e vainqueur <strong>de</strong> l'Asie;<br />

Et <strong>de</strong>s braves Gaulois le bardi conquérant<br />

Pour <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce est désormais trop grand-<br />

Dé leur» prétentions <strong>la</strong> guerre enfin va saitr© :<br />

L'un se veut point d'égal , et l'autre point <strong>de</strong> maître.<br />

Le fer doit déci<strong>de</strong>r, et ces rivaux fameux<br />

D'un suffrage imposant s'autorisent tous <strong>de</strong>ux :<br />

Les dieux soot pour César, mais Catoo suit Pompée.<br />

L'un contre l'autre enfin prêts à tirer l'épée,<br />

Dans le champ <strong>de</strong>s combats Us n'entraient pas égaux.<br />

Pompée oublia trop <strong>la</strong> guerre et les travaux :<br />

La voix <strong>de</strong> ses Oatteurs endormit sa vieillesse;<br />

De <strong>la</strong> faveur publique il savoura l'Ivresse;


Et Uni tout entier au Talus amusements,<br />

Aux Jeux <strong>de</strong> MB théâtre, aux app<strong>la</strong>udissements,<br />

Il n'a plus les é<strong>la</strong>ns <strong>de</strong> cette ar<strong>de</strong>ur guerrière,<br />

Ce besoin d'ajouter i sa gloire première ;<br />

Et 1er <strong>de</strong> son pouvoir, sans crainte et sans soupçon,<br />

11 vieillit en repos, à l*ombre d'un grand nom.<br />

TV! as vieux chêne, orné <strong>de</strong> dons et <strong>de</strong> guir<strong>la</strong>n<strong>de</strong>s,<br />

Et <strong>du</strong> peuple et <strong>de</strong>s chefs, éta<strong>la</strong>nt les offran<strong>de</strong>s t<br />

Miné dans sa racine et par les ans flétri,<br />

Tient «cor par sa masse au sol qui fa nourri.<br />

Ses longs nmerax noircis s'éten<strong>de</strong>nt suis feuil<strong>la</strong>ge :<br />

Mais son tronc dépouif ié répand un vaste ombrage.<br />

D'une forêt pompeuse il s'élève entouré;<br />

Mais seul, près <strong>de</strong> sa chute, 11 est eecur sacré.<br />

César a plus qu'ira nom, plus que sa renommée :<br />

11 n'est point <strong>de</strong> repos pour cette âme en f<strong>la</strong>mmée,<br />

attaquer et combattre, et vaincre et se venger,<br />

Oser tout, ne rien craindre et se rien ménager,<br />

Tel est César. Ar<strong>de</strong>nt, terrible, infatigable,<br />

De gloire et <strong>de</strong> succès toujours insatiable,<br />

mien se remplit ses VœUX , ne borne son essor;<br />

Plus II obtient <strong>de</strong>s dieux, plus U <strong>de</strong>man<strong>de</strong> encor.<br />

JL'obstacîe et le danger p<strong>la</strong>isent à son courage,<br />

Et c'est par <strong>de</strong>s débris qu'il marque son passage.<br />

Tel, échappé <strong>du</strong> sein d'un nuage brû<strong>la</strong>nt,<br />

S'é<strong>la</strong>nce avec l'éc<strong>la</strong>ir us foudre éttnce<strong>la</strong>nt. -<br />

De m c<strong>la</strong>rté rapi<strong>de</strong> il éblouit <strong>la</strong> vue ;<br />

H Wt <strong>de</strong>s vastes <strong>de</strong>ux retentir l'éten<strong>du</strong>e;<br />

Frappe le voyageur par l'effroi renversé,<br />

Embrase les autels <strong>du</strong> dieu qui Fa <strong>la</strong>ncé,<br />

Be <strong>la</strong> <strong>de</strong>struction <strong>la</strong>isse partout <strong>la</strong> trace,<br />

Et, rassemb<strong>la</strong>nt tes feux, re<strong>mont</strong>e dans l'espace.<br />

ANCIENS. — POÉSIE.<br />

Voyons-le dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription <strong>de</strong>s prodiges qui<br />

annonçaient <strong>la</strong> guerre civile. Oa s'attead bien qu'an<br />

morceau <strong>de</strong> cette nature doit être beaucoup trop<br />

long elles lui; mais, resserré <strong>de</strong> moitié et ré<strong>du</strong>it<br />

aux traite les plus frappants, il peut pro<strong>du</strong>ire <strong>de</strong><br />

l'effet.<br />

La «Hem mêmes ,les dieux, qui, pour orient ms part*<br />

Souvent à nos frayeurs déeouvreni l'avenir,<br />

De prodiges sans nombre avalent rempli <strong>la</strong> terre :<br />

Le désordre <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> annonçait leur colère.<br />

Des astres Inconnus éc<strong>la</strong>irèrent <strong>la</strong> nuit,<br />

Et dans un ciel serein <strong>la</strong> foudre retentit.<br />

Le soleil, se cachant sous <strong>de</strong>s vapeurs funèbres,<br />

Fit craindre aux nations d'éternelles ténèbres.<br />

L'étoile aux longs ©neveux, slgsal <strong>de</strong>s grands revers,<br />

En sillons enf<strong>la</strong>mmés courut au haut <strong>de</strong>s airs.<br />

Pfaobé pâlît soudain, et, perdant sa lumière,<br />

Couvrit son front d'argent <strong>de</strong> Nombre <strong>de</strong> Sa Terre.<br />

Vakato, frappant l'Etna <strong>de</strong> ses pesants marteaux t<br />

Eévellia le Cyclope au fond <strong>de</strong> tes cachots :<br />

L'Etna s'ouvre et mugit ; <strong>de</strong> sa cime béante<br />

BmssM à flots épais une <strong>la</strong>ve brû<strong>la</strong>nte.<br />

L'Apennia rejeta <strong>de</strong> ses sommets tremb<strong>la</strong>nts<br />

Les g<strong>la</strong>çons sur sa tête amassés par les ans.<br />

L'aboyante Seyî<strong>la</strong> v qui hurle sous les on<strong>de</strong>s,<br />

tenta <strong>de</strong>s flots <strong>de</strong> sang dans ses grottes profon<strong>de</strong>s.<br />

La sature a changé sous le courroux <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux,<br />

El <strong>la</strong> mère frémit <strong>de</strong> son fruit monstrueux.<br />

Os entendait gémir <strong>de</strong>s urnes sépulcrales.<br />

Secouant dans ses mains <strong>de</strong>ux torches Infernales f<br />

Le front ceint <strong>de</strong> serpents et l'œil armé d'éc<strong>la</strong>irs,<br />

De son haJeise impure empoisonnant les airs,<br />

Courait autour <strong>de</strong>s mure une affreuse Euméni<strong>de</strong> :<br />

La terre s'ébran<strong>la</strong>it sous sa <strong>cours</strong>e rapi<strong>de</strong>.<br />

Le Tibre sur ses bords voyait <strong>de</strong> nos héros<br />

ffaglfef à grand bruit les antiques tombeaux.<br />

Jusque dan» nos remparts <strong>de</strong>s ombres s'avancèrent; .<br />

Les mânes <strong>de</strong> Syl<strong>la</strong> dans les champs s'élevèrent,<br />

D'une voix* <strong>la</strong>mentable «monêant le matheur.<br />

Du soc <strong>de</strong> sa charrue f on dit qu'un <strong>la</strong>boureur<br />

Entr'ouvrit une tombe, et, saisi d'épouvante,<br />

lit Mariés lever sa tète menaçante,<br />

Et, les chefeux épars, le Iront cicatrisé,<br />

S'asseoir, pile et sang<strong>la</strong>nt s sur son tombeau brisé.<br />

Rien n'est plus connu que le mot <strong>de</strong> Quiotiïien,<br />

qui range Luca<strong>la</strong> parmi les orateurs plutôt que<br />

parmi les poètes : Oratoribus magis quam poêtis<br />

amwumerandm. Cest faire l'éloge <strong>de</strong> ses dis<strong>cours</strong> :<br />

et en effet il est supérieur dans cette partie, non<br />

qu'en faisant parier ses personnages il soit exempt<br />

<strong>de</strong> cette déc<strong>la</strong>mation qui gâte son style quand il les<br />

fait agir; mais en général ses dis<strong>cours</strong> ont <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

gran<strong>de</strong>ur, <strong>de</strong> l'énergie, et <strong>du</strong> mouvement.<br />

On lui a reproché a?ec raison <strong>de</strong> manquer <strong>de</strong><br />

sensibilité, d'avoir trop peu <strong>de</strong> ces émotions dramatiques<br />

qui nous charment dans Homère et Virgile.<br />

Il s'offrait pourtant dans son sujet dés morceaux<br />

susceptibles <strong>de</strong> pathétique; mais <strong>la</strong> rai<strong>de</strong>ur<br />

<strong>de</strong> son style s'y refuse le plus souvent ? et dans ce<br />

genre il indique plus qu'il n'achète. La séparation<br />

<strong>de</strong> Pompée et <strong>de</strong> Cornélïe, quand il renvoie dans<br />

l'île <strong>de</strong> Lesbos, et les dis<strong>cours</strong> qui accompagnent<br />

leurs adieux, sont à peu près le seul endroit où le<br />

poète rapproche un moment l'épopée <strong>de</strong> l'Intérêt<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie; encore <strong>la</strong>isse-tàl beaucoup à désirer.<br />

Autant on lui sait gré d'avoir supérieurement<br />

colorié le portrait <strong>de</strong> César au commencement <strong>de</strong><br />

son ouvrage, autant on est choqué <strong>de</strong> voir à quel<br />

point il défigure dans toute <strong>la</strong> suite <strong>du</strong> poëoie ce<br />

caractère d'abord si bien tracé. C'est <strong>la</strong> seule exception<br />

que Ton doive faire aux éloges qu'il a généralement<br />

mérités dans cette partie; mais ce reproche<br />

est grave, et ne peut même être excusé par<br />

<strong>la</strong> haine, d'ailleurs louable, qu'il témoigne partout<br />

contre l'oppresseur <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté. Je trouve tout<br />

simple qu'un républicain ne puisse pardonner à<br />

César <strong>la</strong> fondation d'un empire dont avait hérité<br />

Néron. Mais il pouvait se borner sagement à dé*<br />

plorer le malheureux usage <strong>de</strong>s talents extraordinaires<br />

et <strong>de</strong>s rares qualités que César tourna contre<br />

son pays, après s'en être servi pour le défendre<br />

et l'illustrer. Il faut être juste envers tout le mon<strong>de</strong>,<br />

et considérer combien <strong>de</strong> circonstances peuvent,<br />

son pas justifier, mais <strong>du</strong> moins excuser sa con*<br />

<strong>du</strong>ite. Il est certain qu'il était per<strong>du</strong> s'il eût renvoyé<br />

son armée avaat <strong>de</strong> passer le Rablcoa. La haine <strong>de</strong><br />

ses ennemis servit <strong>la</strong> fortune qui le con<strong>du</strong>isait. L'aveugle<br />

partialité <strong>du</strong> sénat en faveur <strong>de</strong> Pompée, <strong>la</strong><br />

faiblesse <strong>de</strong> Cïcéron pour cette .ancienne idole qu'il<br />

avait décorée, <strong>la</strong> vieille haine <strong>de</strong> l'austère Caton<br />

contre le voluptueux César, poussèrent hors <strong>de</strong> toute<br />

mesure ce premier corps <strong>de</strong> <strong>la</strong> république, dont<br />

75


TC<br />

toutes les démarches furent alors autant <strong>de</strong> fastes.<br />

Ce sénat consentait à f<strong>la</strong>tter l'orgueil <strong>de</strong> Pompée,<br />

qui vou<strong>la</strong>it être le premier <strong>de</strong> l'État, et condamnait<br />

en même temps <strong>la</strong> fierté <strong>de</strong> César, qui refusait<br />

d'être le second. La situation entre ces <strong>de</strong>ux hommes<br />

puissants était sans doute délicate; maïs s'il y avait<br />

un parti sage, c'était, ce me semble, <strong>de</strong> tenir <strong>la</strong><br />

ba<strong>la</strong>nce entre eus, afin <strong>de</strong> les contenir l'un par l'autre<br />

: <strong>la</strong> faire pencher absolument d'un côté, c'était<br />

rendre <strong>la</strong> rupture inévitable, et nécessiter une guerre<br />

qui <strong>de</strong>vait finir, comme Cicéron lui-même l'avoue<br />

dans ses lettres, par donner un maître à Rome.<br />

Quand on considère les motifs <strong>de</strong> <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong>s<br />

sénateurs, on n'y trouve pas plus <strong>de</strong> justice que <strong>de</strong><br />

pru<strong>de</strong>nce. La préférence qu'ils donnaient à Pompée<br />

n'avait pour fon<strong>de</strong>ment que leur aversion patricienne<br />

pour un chef <strong>du</strong> parti <strong>du</strong> peuple; et l'animosité <strong>de</strong>s<br />

anciennes querelles <strong>de</strong> Marins et <strong>de</strong> Syl<strong>la</strong> subsistait<br />

dans ce corps qui, après <strong>de</strong> si terribles exemples,<br />

aurait dû ne chérir que <strong>la</strong> liberté et ne haïr que <strong>la</strong><br />

tyrannie. Au contraire, ils abandonnaient à Pompée<br />

un pouvoir illégal et excessif, parce qu'il était le<br />

chef <strong>du</strong> parti <strong>de</strong>s grands, et prince <strong>du</strong> sénat. César,<br />

t qui croyait valoir au moins Pompée, ne vou<strong>la</strong>it pas<br />

souffrir qu'il y eût dans Rome un citoyen assez<br />

puissant pour opprimer Rome et César. Toutes les<br />

propositions qu'il fit étant encore à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> ses<br />

légiqns, et avant <strong>de</strong> passer le Rubicon, avaient un<br />

motif très-p<strong>la</strong>usible : c'était d'établir l'égalité, et<br />

<strong>de</strong> le mettre en sûreté contre ses ennemis. Je crois<br />

Men qu'il ne faisait ces propositions qu'avec <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong><br />

d'être refusé, et qu'au fond il vou<strong>la</strong>it régner.<br />

Mais ses ^ennemis firent tout ce qu'il fal<strong>la</strong>it pour<br />

lui fournir le prétexte toujours imposant <strong>de</strong> <strong>la</strong> défense<br />

naturelle. Il offrait <strong>de</strong> poser les armes, pourvu<br />

qu'on lui accordât le consu<strong>la</strong>t et le triomphe. Il<br />

avait mérité tous les <strong>de</strong>ux, et avait besoin <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

puissance consu<strong>la</strong>ire pour faire tête à ceux qui vou<strong>la</strong>ient<br />

le perdre. Pompée, accoutumé <strong>de</strong>puis dix<br />

ans à régner paisiblement dans Rome, pendant<br />

que César conquérait les Gaules, ne put soutenir<br />

l'idée d'y voir rentrer César triomphant, revêtu<br />

<strong>de</strong> tout l'éc<strong>la</strong>t et armé <strong>de</strong> tout le crédit que dé<strong>la</strong>ient<br />

lui donner dix années <strong>de</strong> victoires,tses talents<br />

et sa renommée. Le sénat accoutumé à <strong>la</strong> domination<br />

tranquille <strong>de</strong> Pompée, qu'il regardait comme<br />

<strong>la</strong> sienne, ne vit l'approche <strong>de</strong> César qu'avec effroi.<br />

On lui refusa tout ce qu'il <strong>de</strong>mandait légalement,"<br />

en même temps qu'on mettait entre les mains <strong>de</strong><br />

Pompée <strong>de</strong>s comman<strong>de</strong>ments et <strong>de</strong>s forces extraordinaires.<br />

Il semb<strong>la</strong>it qu'on rie voulût tout prodiguer<br />

à l'un que pour accabler l'autre, et, ce qui paraîtrait<br />

inconcevable si l'on ne voyait <strong>de</strong> pareilles ineon-<br />

C0URS DE LITTÉRATURE.<br />

séquences dans l'histoire <strong>de</strong> tous les gouvernements<br />

on poussait à bout un homme dont on croyait avoir<br />

tout à craindre, sans prendre aucune mesure pour<br />

le repousser et le combattre. César, qui se sentait<br />

en état <strong>de</strong> se faire justice, n'eut pas, il est vrai, <strong>la</strong><br />

dangereuse magnanimité <strong>de</strong> se remettre entre les<br />

mains <strong>de</strong> ses ennemis. Il osa tout ce qu'il pouvait<br />

et l'on sait quelle en fet <strong>la</strong> suite. Il parait que <strong>la</strong><br />

supériorité constante qu'il porta dans toute cette<br />

guerre jusqu'à <strong>la</strong> journée <strong>de</strong> Pharsaie fut surtout<br />

celle <strong>de</strong> son caractère : c'est par là qu'il l'emportait<br />

sur Pompée, encore plus peut-être que par les<br />

talents militaires; car, <strong>de</strong> ce côté, il se peut bien<br />

qu'en ne jugeant que par l'événement, on ait trop<br />

rabaissé le vaincu <strong>de</strong>vant le vainqueur. Sa fuite<br />

précipitée <strong>de</strong> l'Italie en Épire <strong>mont</strong>re en effet qu'il<br />

n'avait rien préparé pour soutenir <strong>la</strong> guerre en Italie;<br />

mais en <strong>la</strong> transportant es Grèce, il fit voir<br />

bientôt qu'il avait pris le seul parti convenable, et<br />

qu'il connaissait toutes ses resources. Il s'en procura<br />

d'immenses, une puissante armée, une flotte<br />

nombreuse, <strong>de</strong>s vivres en abondance, tout le pays à<br />

ses ordres; et le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> campagite qu'il adopta en<br />

conséquence <strong>de</strong> ces avantages lui a fait honneur<br />

auprès <strong>de</strong>s juges <strong>de</strong> l'art. 11 sentit <strong>la</strong> supériorité<br />

que <strong>de</strong>vaient avoir en p<strong>la</strong>ine les vieilles'ban<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

César, qui, après les dix années <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong>a<br />

Gaules, <strong>de</strong>vaient nécessairement l'emporter par les<br />

manœuvres, l'expérience, et <strong>la</strong> fermeté dans Tactlon.<br />

Il résolut donc d'éviter les batailles, <strong>de</strong> fatiguer<br />

et d'affamer son ennemi. César ne commît<br />

qu'une faute (eh ! qui n'en commet pas?); II étendit<br />

trop Mes lignes à Durazzo; Pompée sut en profiter;<br />

il força ces lignes, et l'attaqua avec tant d'avantage,<br />

que <strong>la</strong> tête tourna entièrement à ces fameux<br />

vétérans <strong>de</strong> César (tant .<strong>la</strong> position fait tout!), et<br />

que, pour <strong>la</strong> première fois, ils prirent <strong>la</strong> fuite avec<br />

<strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière épouvante. Tous les historiens conviennent,<br />

et César lui-même, suivant le récit d'Asinius<br />

Pollion, avoua qu'il était per<strong>du</strong> si Pompée avait<br />

poussé sa victoire ce jour-là, et attaqué sur-lechamp<br />

le reste <strong>de</strong> l'armée retirée dans ses retranchements.<br />

Mais 1'aetivité et l'audace ne sont pas<br />

ordinairement les qualités d'un vieux général. Pompée<br />

ne fit pas tout ce qu'il pouvait faire ; et, ce qui<br />

est bien remarquable., ce fut précisément cette victoire<br />

<strong>de</strong> Duras» qui le-fit battre à Pbareale. Elle<br />

inspira une confiance follement présomptueuse à<br />

tous les chefs <strong>de</strong> l'armée et <strong>du</strong> conseil <strong>de</strong> Pompée.<br />

Us se regardèrent dès lors comme triomphants. Las<br />

d'une guerre qui les éloignait trop longtemps <strong>de</strong>s<br />

délices <strong>de</strong> Rome, ils accusèrent le général <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

prolonger pour ses propres Intérêts. Il n'eut pas <strong>la</strong>


force <strong>de</strong> légiste? à leurs reproches! et <strong>de</strong> suivre le<br />

p<strong>la</strong>n qui loi avait si Mes réussi; et au moment où<br />

César était très-embarrassé <strong>de</strong> sa situation , il vit<br />

tont d'an coup , avec autant <strong>de</strong> surprise que <strong>de</strong> joie,<br />

Pompée quitter les hauteurs et <strong>de</strong>scendre en p<strong>la</strong>ine<br />

pour livrer bataille. Ce fut là une faute capitale.<br />

Un moment <strong>de</strong> faiblesse lui ût perdre le fruit d'une<br />

très-belle campagne et <strong>de</strong> quarante ans <strong>de</strong> gloire.<br />

Voilà ce que pro<strong>du</strong>it le défaut <strong>de</strong> caractère, et ce<br />

que César n'eût jamais fait. Dès ce moment Pompée<br />

ne ait plus lui-même; et en consentant à k<br />

bataille, et en <strong>la</strong> donnant, il ne il plus rien qui fi.lt<br />

digne ni d'un général ni d'un grand homme. On<br />

combattait encore lorsqu'il se retira dans sa tente<br />

comme un homme qui a per<strong>du</strong> <strong>la</strong> tête. Sa fuite fot<br />

honteuse et désespérée, comme celle d'un homme<br />

qui f toujours heureux jusque-là, ne se trente point<br />

<strong>de</strong> force contre un premier revers. II lui restait <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong>s ressources; il n'en saisit aucune. Il pouvait<br />

se jeter sur sa flotte qui était formidable, prolonger<br />

<strong>la</strong> guerre sur mer contre un ennemi qui<br />

avait peu <strong>de</strong> vaisseaux, et remettre en ba<strong>la</strong>nce ce<br />

qui semb<strong>la</strong>it avoir été décidé à Pharsale. Ses lieutenants<br />

firent encore <strong>la</strong> guerre longtemps après lui 9<br />

tandis qu'il al<strong>la</strong>it comme une aventurier se mettre<br />

à <strong>la</strong> merci d'un roi enfant con<strong>du</strong>it par <strong>de</strong>s ministres<br />

barbares. Il trouva <strong>la</strong> mort en Egypte pendant que<br />

Césaf <strong>la</strong>issait 1a vie à tous ceux qui tombaient entre<br />

ses mains. On sait jusqu'où il porta <strong>la</strong> clémence.<br />

On sait qu'à Pharsale même, au fort <strong>de</strong> Faction,<br />

il donna Tordre <strong>de</strong> faire quartier à tout citoyen romain<br />

qui se rendrait! et <strong>de</strong> ne faire main-basse que<br />

sur les troupes étrangères. Après ce<strong>la</strong>, comment<br />

n'être pas révolté lorsque Lueain se p<strong>la</strong>ît à le représenter<br />

partout comme un tyran féroce et un<br />

vainqueur sanguinaire; lorsqu'il le-peint se rassasiant<br />

<strong>de</strong> carnage, observant ceux <strong>de</strong>s siens dont<br />

les épées sont plus ou moins teintes <strong>de</strong> sang, et ne<br />

respirant que <strong>la</strong> <strong>de</strong>struction! La poésie n'a point<br />

le droit <strong>de</strong> dénaturer ainsi un-caractère connu ; et<br />

<strong>de</strong> contredire <strong>de</strong>s faits prouvés : c'est un mensonge,<br />

cl non pas une ietion. 11 n'est permis <strong>de</strong> calomnier<br />

un grand homme ni en prose ni en vers.<br />

Encore use observation sur cette différence <strong>de</strong> caractère<br />

entre Pompée, trop longtemps accoutumé<br />

à être prévenu par <strong>la</strong> fortune, et César, accoutumé<br />

à <strong>la</strong> maîtriser et à <strong>la</strong> dompter. L'un jette son manteau<br />

<strong>de</strong> pourpre pour s'enfuir <strong>du</strong> champ <strong>de</strong> bataille<br />

oà l'on se bat encore pour lui, et l'autre, à <strong>la</strong> journée<br />

fie Manda, voyant ses vétérans s'ébranler après<br />

six heures <strong>de</strong> combat, prend le parti <strong>de</strong> se jeter seul<br />

au milieu <strong>de</strong>s ennemis, ramène ainsi ses troupes à<br />

<strong>la</strong> charge, et retrouve <strong>la</strong> victoire en exposant sa vie.<br />

ANCIENS. — POÉSIE. 77<br />

On conçoit, par ce contraste, lequel <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux<br />

hommes <strong>de</strong>vait l'emporter sur f antre.<br />

11 n'y a guère <strong>de</strong> sujet plus grand 9 plus riche, plus<br />

capable d'élever finie, que celui qu'avait choisi Lueain.<br />

Les personnages et les événements imposent<br />

à l'imagination, et <strong>de</strong>vaient émouvoir <strong>la</strong> sienne;<br />

mais il avait plus <strong>de</strong> hauteur dans les idées que <strong>de</strong><br />

talent pour peindre et pour imaginer. On a <strong>de</strong>mandé<br />

souvent si son sujet lui permettait <strong>la</strong> Action* On<br />

peut répondre d'abord que Lueain lui-même n'en<br />

doutait pas, puisqu'il Ta employée une fois, quoique<br />

d'ailleurs il n'ait fait que <strong>de</strong> mettre l'histoire<br />

en vers. 11 est vrai que les fables <strong>de</strong> l'Odyssée figureraient<br />

mal à eêté d'un entretien <strong>de</strong> Caton et <strong>de</strong><br />

Brutus; mais c'eût été l'ouvrage <strong>du</strong> génie et <strong>du</strong><br />

goût <strong>de</strong> choisir le genre <strong>de</strong> merveilleux convenable<br />

au sujet. Les dieux et les Romains ne pouvaient-ils<br />

pas agir ensemble sur une même scène, et'être dignes<br />

les uns <strong>de</strong>s autres? Le <strong>de</strong>stin ne pouvait-il pas<br />

être pour quelque chose dans ces grands démêlés où<br />

était intéressé le sort <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>? Enfin, le fantôme<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie en pleurs qui apparaît à César au bord<br />

<strong>du</strong> Rubieon, cette belle fiction f malheureusement <strong>la</strong><br />

seule que Ton trouve dans <strong>la</strong> Pkarsmk, prouve assez<br />

quel parti Lueain aurait pu tirer <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fable sans<br />

nuire à l'intérêt ni à <strong>la</strong> dignité <strong>de</strong> l'histoire.<br />

Il est mort à vingt-sept ans, et ce<strong>la</strong> seul <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

grâce pour les fautes <strong>de</strong> détail, qu'une révision<br />

plus mûre pouvait effacer ou diminuer, mais ne<br />

saurait l'obtenir pour <strong>la</strong> nature <strong>du</strong> p<strong>la</strong>n, dont <strong>la</strong><br />

conception n'est pas épique, ni pour le ton général<br />

<strong>de</strong> l'ouvrage, qui annonce un défaut <strong>de</strong> goût trop<br />

marqué pour que Ton puisse croire que Fauteur eût<br />

jamais pu s'en corriger entièrement.<br />

SBCTIôH m. — ' Appendice sur Hésio<strong>de</strong>, Ovi<strong>de</strong>,<br />

Lucrèce, et Ifanilhis.<br />

Pour compléter ce qui regar<strong>de</strong> les différents genres<br />

<strong>de</strong> poèmes anciens, il faut dire un mot <strong>de</strong>s poèmes<br />

mythologiques, didactiques et philosophiques<br />

d'Hésio<strong>de</strong>, d'Ovi<strong>de</strong>, <strong>de</strong> Lucrèce, et <strong>de</strong> Manilius.<br />

On ne s'accor<strong>de</strong> pas sur le temps où vivait Hésio<strong>de</strong>;<br />

les uns le font contemporain d'Homère, les<br />

autres le p<strong>la</strong>cent cent ans après : ce qui est certain,<br />

c'est qu'il a connu <strong>du</strong> moins les ouvrages d'Homère,<br />

car il a <strong>de</strong>s vers entiers qui en sont empruntés.<br />

Tous <strong>de</strong>ux doivent être regardés comme les pères<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> mythologie ; ce qui suffirait pour en faire l'objet<br />

<strong>de</strong> cette curiosité naturelle qui nous porte à interroger<br />

l'antiquité. Elle ne nous a transmis oue<br />

<strong>de</strong>ux poèmes d'Hésio<strong>de</strong>, tous <strong>de</strong>ux assez courts :<br />

l'un mtïtulïté k$ Travaux et les Jours; l'autre, (a


78<br />

COU1S DE LITTÉMTU1E.<br />

Tkéogmit mà<strong>la</strong>ifalsmmœ<strong>de</strong>sDkmx \ Lepremier Après ce début mythologique, Hésio<strong>de</strong> com­<br />

contient <strong>de</strong>s préceptes sur l'agriculture, et a donné mence un <strong>cours</strong> <strong>de</strong> morale qu'il adresse, ainsi que<br />

k Virgile f idée <strong>de</strong> ses Géorgiques. On pourrait rap­ le reste <strong>de</strong> l'ouvrage, a son frère Persée, avec qui<br />

procher fa Théogonie èm Métamorphoses d'Ovi<strong>de</strong>, il avait eu un procès pour <strong>la</strong> succession paternelle :<br />

si l'ouvrage <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier n'était pas si supérieur cette moraje n'est pas toujours <strong>la</strong> meilleure possi­<br />

à celui d'Hésio<strong>de</strong>.<br />

ble. Elle est suivie <strong>de</strong> préceptes <strong>de</strong> culture, entre­<br />

Ce n'est pas qu'à le considérer seulement comme mêlés encore <strong>de</strong> leçons <strong>de</strong> sagesse; car on en ren­<br />

poète, il c'ait, même pur sous, nn mérite réel contra partout dans cet auteur. 11 était grand<br />

qui justifie <strong>la</strong> réputation dont il a joui <strong>de</strong> son temps. prêtre d<br />

Il ba<strong>la</strong>nça un moment celle d'Homèrev qui, dans<br />

<strong>la</strong> suite, l'effaça <strong>de</strong> plus en plus, à mesure que le<br />

goût fit <strong>de</strong>s progrès ; mais c'est encore beaucoup<br />

pour <strong>la</strong> gloire d'Hésio<strong>de</strong>, que cette concurrence passagère.<br />

Il n'est pas vrai , comme quelques-uns Font<br />

écrit, qu'il ait vaincu Homère dans une joute poétique<br />

aux funérailles d'Amphidamas : il y remporta<br />

en effet une couronne; mais s'il l'avait obtenue sur<br />

un concurrent tel qu'Homère, il y a?ait assez <strong>de</strong> quoi<br />

s'en gloriier pour qu'Hésio<strong>de</strong>, qui rappelle dans<br />

un <strong>de</strong> ses poèmes cette couronne qu'on lui a?ait décernée,<br />

nommât le rival qu'il avait vaincu, et il ne<br />

le nomme pas; c'est donc évi<strong>de</strong>mment un conte qui<br />

ne fut imaginé que par les détracteurs d'Homère.<br />

Le poème <strong>de</strong>s Travaux et <strong>de</strong>s J&ws semble divisé<br />

en trois parties, l'une mythologique, l'autre<br />

morale, <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière didactique. Hésio<strong>de</strong> commence<br />

par raconter <strong>la</strong> fable <strong>de</strong> Pandore; et, s'il en lest<br />

l'inventeur, elle fait honneur à son imagination :<br />

c'est <strong>du</strong> moins chez lui qu'elle se trouve le plus anciennement,<br />

ainsi que k naissance <strong>de</strong> Vénus et<br />

celle <strong>de</strong>s Muses, filles <strong>de</strong> Mnémosyne et <strong>de</strong> Jupiter.<br />

Après l'allégorie <strong>de</strong> Pandore vient une <strong>de</strong>scription<br />

<strong>de</strong>s différents âges <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, qu'Ovi<strong>de</strong> a imitée<br />

dans ses Métamorphoses ; mais Fauteur grec en<br />

compte cinq au lieu <strong>de</strong> quatre, comme on les compte<br />

d'ordinaire : Fâge d'or, l'âge d'argent, l'âge d'airain,<br />

celui <strong>de</strong>s <strong>de</strong>mi-dieux et <strong>de</strong>s héros, qui revient<br />

à ce que nous nommons les temps héroïques,<br />

et le siècle <strong>de</strong> fer, qui est, selon le poète, le siècle<br />

où il écrit : en ce cas, il y a longtemps qu'il <strong>du</strong>re.<br />

Les écrivains, <strong>de</strong> tous les temps, ont regardé leur<br />

siècle comme le pire <strong>de</strong> tous. 11 n'y a que Voltaire<br />

qui ait dit <strong>du</strong> sien :<br />

Ah ! te bon temps que ce siècle <strong>de</strong> fer !<br />

Encore était-ce dans un accès <strong>de</strong> gaieté; car ailleurs<br />

il appelle le dk-huitième siècle Végout<strong>de</strong>s siècles.<br />

C'est un <strong>de</strong> ces sujets sur lesquels on dit ce<br />

qu'on veut, selon qu'il p<strong>la</strong>ît d'envisager tel ou tel<br />

côté <strong>de</strong>s objets.<br />

c'est k S&mUer^Btfmk, naraltos épique <strong>de</strong> prêt <strong>de</strong>ipilre<br />

ceel misante vert.<br />

9 un temple<strong>de</strong>s Muses sur le <strong>mont</strong> Hélicon, et<br />

renseignement a toujours été une <strong>de</strong>s fonctions <strong>du</strong><br />

sacerdoce. Mais ce que les Muses ne lui avaient pas<br />

dicté, c'est le"morceau qui termine son poème,<br />

dans lequel il spéciie <strong>la</strong> distinction <strong>de</strong>s différents<br />

jours <strong>du</strong> mois, dans un goût qui fait voir que<br />

celui <strong>de</strong> YAlmanach <strong>de</strong> Liège n'est pas mo<strong>de</strong>rne.<br />

C'est là qu'Hésio<strong>de</strong> nous apprend qu'il faut se marier<br />

le 4 <strong>du</strong> mois; qu'on peut tondre ses moutons<br />

le f 1 et le 12, mais que le it est infiniment préférable;<br />

que le dixième jour est favorable à <strong>la</strong> génération<br />

<strong>de</strong>s mâles, et le quatorzième à celle" <strong>de</strong>s femelles,<br />

et beaucoup d'autres choses <strong>de</strong> cette force,<br />

ou même d'une sorte <strong>de</strong> ridicule qu'on ne saurait<br />

citer. C'étaient sans doute les rêveries <strong>de</strong> son temps<br />

comme <strong>du</strong> nôtre; mais Homère n'en a pas fait<br />

La première moitié <strong>de</strong> fa Théogonie n'est presque<br />

qu'une nomenc<strong>la</strong>ture continuelle <strong>de</strong> dieux et<br />

<strong>de</strong> déesses <strong>de</strong> tout rang et <strong>de</strong> toute espèce. On a<br />

voulu débrouiller ce chaos à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> fallégorie :<br />

on peut l'y trouver tant qu'on voudra, mais tout<br />

aussi mêlée d'inconséquences que <strong>la</strong> Fable même.<br />

Le poète, dont <strong>la</strong> diction est en général douce et<br />

harmonieuse, prend tout à coup, vers <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> son<br />

ouvrage, un ton infiniment plus élevé pour chanter<br />

<strong>la</strong> guerre <strong>de</strong>s dieux contre les géants, tradition<br />

fabuleuse dont II est le plus ancien auteur. Cette<br />

<strong>de</strong>scription et celle <strong>de</strong> l'hiver dans ks Travaux et<br />

les Jours sont, dans leur genre, à comparer aux<br />

plus beaux endroits d'Homère. La peinture <strong>du</strong> Tartare,<br />

où les Titans sont précipités par <strong>la</strong> foudre <strong>de</strong><br />

Jupiter, offre <strong>de</strong>s traits <strong>de</strong> ressemb<strong>la</strong>nce avec l'enfer<br />

<strong>de</strong> Milton, si frappants, qu'il est difficile <strong>de</strong><br />

douter que l'un n'ait servi <strong>de</strong> modèle à l'autre; et<br />

c'est une chose assez singulière que* <strong>la</strong> conformité<br />

<strong>de</strong>s idées dans un fond que <strong>la</strong> diversité <strong>de</strong>s religions<br />

<strong>de</strong>vait rendre si différent.<br />

Ovi<strong>de</strong>, que je ne considère encore ici que comme<br />

auteur <strong>de</strong>s Métamorphoses s parce que ses autres<br />

écrits appartiennent à d'autres genres dont je parlerai<br />

à leur p<strong>la</strong>ce, Ovi<strong>de</strong> a été un <strong>de</strong>s génies le plus<br />

heureusement nés pour <strong>la</strong> poésie, et son poème<br />

<strong>de</strong>s Métamorphoses est un <strong>de</strong>s plus beaux présents<br />

que nous ait faits l'antiquité. C'est dans en


ANCIENS.<br />

seul outrage* Il est vrai, qnH s'est élevé fort au<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> toutes ses autres pro<strong>du</strong>ctions; mais aussi<br />

quelle espèce <strong>de</strong> mérite se remarque-t-on pas dans<br />

les Métamorphosée! Et d'abord, quel art prodigieux<br />

dans <strong>la</strong> texture <strong>de</strong> poème! Cornaient Ovi<strong>de</strong><br />

a-t-îl pu <strong>de</strong> taiil d'histoires différentes, le plus souvent<br />

étrangères les unes aux autres, former un<br />

tout si bien suivi, si bien lié? tenir toujours dans<br />

sa mais le fil imperceptible qui , sans se rompre<br />

jamais, TOUS gui<strong>de</strong> dans ce dédale d'aventures raerveilleuses?<br />

arranger si bien cette foule d'événements,<br />

qu'ils naissent tous les uns <strong>de</strong>s autres?<br />

intro<strong>du</strong>ire tant <strong>de</strong> personnages, les uns pour agir,<br />

les antres pour raconter, <strong>de</strong> manière que tout marche<br />

et se défêloppe saas interruption, sans embarras,<br />

sans désordre, <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> séparation <strong>de</strong>s<br />

éléments, qui remp<strong>la</strong>ce le chaos, jusqu'à l'apothéose<br />

d'Auguste? Ensuite, quelle flexibilité d'imagination<br />

et <strong>de</strong> style pour prendre successivement<br />

tous les tons, suivant <strong>la</strong> nature <strong>du</strong> sujet, et pour<br />

diversifier par l'expression tant <strong>de</strong> dénoûments<br />

dont te fond est toujours le même, c'est-à-dire un<br />

changement <strong>de</strong> formel C'est là surtout le plus<br />

grand charme <strong>de</strong> cette lecture; c'est l'étonnante<br />

tariétéias conteurs toujours adaptées à <strong>de</strong>s tableaux<br />

toujours divers, tantôt nobles, et imposants jusqu'à<br />

<strong>la</strong> sublimité, tantôt simples jusqu'à <strong>la</strong> familiarité/<br />

les uns horribles, les autres tendres, ceux-ci effrayants,<br />

ceux-là gais, riants et doux. -<br />

Toutes ces peintures sont riches, et aucune ne<br />

paraît lui coûter. Tour à tour il vous élève, vous<br />

attendrit f vous effraye, soit qu'il ouvre le pa<strong>la</strong>is<br />

<strong>du</strong> Soleil, soit qu'il chante les p<strong>la</strong>intes <strong>de</strong> l'amour,<br />

soit qu'il peigne les fureurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> jalousie et les<br />

horreurs <strong>du</strong> crime. 11 décrit aussi facilement les<br />

combats que les voluptés, les héros que les bergers,<br />

l'Olympe qu'un bocage, <strong>la</strong> caverne <strong>de</strong> l'Envie<br />

que <strong>la</strong> cabane <strong>de</strong> Philémon. Nous ne savons pas au<br />

juste ce que <strong>la</strong> mythologie lui avait fourni, et ce<br />

qu'il t pu y ajouter; mais combien d'histoires charmantes!<br />

Que nVt-on pas pris dans cette source<br />

qui n'est pas encore épuisée! Tous les théâtres ont<br />

mis Ovi<strong>de</strong> à contribution. Je sais qu'on lui reproche,<br />

et mm raison, le luxe dans son style, c'està-dire<br />

trop d'abondance et <strong>de</strong> parure» mais cette<br />

abondance n'est pas celle <strong>de</strong>s mots qui cache le<br />

vi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s idées; c'est le superflu d'une richesse<br />

réelle. Ses ornements, même quand il y en a trop,<br />

ne <strong>la</strong>issent aolr ni le travail ni l'effort. Enfin, l'esprit,<br />

<strong>la</strong> grâce et <strong>la</strong> facilité, trois choses qui ne l'abandonnent<br />

jamais, couvrent ses négligences, ses<br />

petiten recherches; et Ton peut dire <strong>de</strong> lui, bien<br />

pins véritablement que <strong>de</strong> Sénèque, qu'il p<strong>la</strong>U<br />

- POÉSIE. 7§<br />

même dam ses ê^fmdM. Quelqu'un a dit <strong>de</strong> nos<br />

jours :<br />

Tétais pour Ovi<strong>de</strong> à vingt ans ;<br />

le suis pour Horace à quarante.<br />

S'il a-voulu dire qu'Horace a le goût plus sûr<br />

qu'Ovi<strong>de</strong>, ce<strong>la</strong> est incontestable; mais je crois qu'à<br />

tout âge on peut aimer, et beaucoup, l'auteur <strong>de</strong>s<br />

Métamorphoses* Voltaire avait une gran<strong>de</strong> admi­<br />

ration pour cet ouvrage, et Ton sait qu'il se prodi­<br />

guait pas <strong>la</strong> sienne. Sans doute on ne peut comparer<br />

le style d'Ovi<strong>de</strong> à celui <strong>de</strong> Virgile; mais peut-être<br />

fal<strong>la</strong>it-il que Virgile existât pour que l'on sentit bien<br />

ce qui manque à Ovi<strong>de</strong>.<br />

Le sujet qu'a traité Lucrèce est aussi austère que<br />

celui <strong>de</strong>s Métamorphoses est agréable. On sait que<br />

le poème sur ia Nature <strong>de</strong>s choses n 9 est que <strong>la</strong> philosophie<br />

d'Épieure mise en vers, si l'on peut donner<br />

ce nom <strong>de</strong> philosophie aux rêveries <strong>de</strong> l'atoniisme<br />

et <strong>de</strong> l'athéisme réunies ensemble. La poésie, d'ailleurs,<br />

ne se prête volontiers, dans aucun idiome,<br />

au <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> <strong>la</strong> physique ni aux raisonnements <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> métaphysique : aussi Lucrèce n'est-il guère poète<br />

que dans lesdigressions ; mais alors il Test beaucoup.<br />

L'énergie et <strong>la</strong> chaleur caractérisent son style, mais<br />

en y joignant <strong>la</strong> <strong>du</strong>reté et l'incorrection. Il y a <strong>de</strong>s<br />

gens qui, à cause <strong>de</strong> cette <strong>du</strong>reté même, lui ont<br />

trouvé plus <strong>de</strong> force qu'à Virgile, par une suite <strong>de</strong><br />

ce préjugé ridicule, que <strong>la</strong> <strong>du</strong>reté tient à <strong>la</strong> vigueur,<br />

et que l'élégance est près <strong>de</strong> <strong>la</strong> faiblesse. Mais comme<br />

je ne connais point <strong>de</strong> vers <strong>la</strong>tins plus forts que ceux<br />

<strong>de</strong> Virgile d'ans l'épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> Cacus, ni <strong>de</strong> vers français<br />

plus forts que ceux <strong>du</strong> rôle <strong>de</strong> Phèdre, je croirai<br />

toujours que <strong>la</strong> force n'exclut ni l'élégance ni<br />

l'harmonie, et que <strong>la</strong> <strong>du</strong>reté ne suppose pas <strong>la</strong><br />

force.<br />

La <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> <strong>la</strong> peste et celle <strong>de</strong>s jouissances<br />

physiques <strong>de</strong> l'amour sont les <strong>de</strong>ux morceaux<br />

les plus remarquables <strong>du</strong> poème <strong>de</strong> Lucrèce; ainsi<br />

personne n'a mieux peint que lui ce qu'il y a dans <strong>la</strong><br />

nature et <strong>de</strong> plus affreux et <strong>de</strong> plus doux.<br />

Le commencement <strong>de</strong> son ouvrage a été tra<strong>du</strong>it<br />

en vers, dans le siècle <strong>de</strong>rnier, par le poète Hainaut*<br />

11 y en a <strong>de</strong> bien faits ; mais on sent qu f il serait ira*<br />

possible <strong>de</strong> faire passer l'ouvrage entier dans une<br />

tra<strong>du</strong>ction en vers : on Fa tenté <strong>de</strong> nos jours et sans,<br />

succès. Le sujet s'y refuse, et c'est là le cas <strong>de</strong> iraf<strong>la</strong>ire<br />

en prose; car <strong>la</strong> prose est le <strong>la</strong>ngage <strong>du</strong> raisonnement.<br />

C'est ce qu'a fait avec beaucoup <strong>de</strong> succès<br />

feu Lagrange : sa tra<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> Lucrèce est ia meil*<br />

ieure que nous ayons dans notre <strong>la</strong>ngue.<br />

11 nous reste cinq chants <strong>du</strong> poème <strong>de</strong> YAstrù»<br />

momie <strong>de</strong> Maniiius, qui, écrivant sous Tibère, pa«<br />

ratt déjà loin <strong>du</strong> siècle d'Auguste. La physique en


80<br />

est fort mauTaisef et <strong>la</strong> diction souvent <strong>du</strong>re, quoiqu'il<br />

ne manque point <strong>de</strong> force poétique.<br />

P. 5. C'est à l'article <strong>de</strong> l'épopée que j'aurais dû<br />

faire mention d'Apollonius <strong>de</strong> Rho<strong>de</strong>s , auteur d'un<br />

poème en quatre chants, sur l'ExpédMon-<strong>de</strong>s Argonautes<br />

; et cette omission doit être réprée ici f<br />

parce que cet ouvrage ne mérite pas d'être oublié.<br />

Ce n'est pas que <strong>la</strong> conception en soit bonne et<br />

vraiment épique : il y a peu d'art dans le p<strong>la</strong>n , qui<br />

est à <strong>la</strong> fois trop historique dans Tordre <strong>de</strong>s faits,<br />

et trop chargé d'épiso<strong>de</strong>s sans effet et sans choii;<br />

mais Feiécutîon n'est pas sans mérite eu quelques<br />

parties. L'amour <strong>de</strong> Médée pour Jason est peint avec<br />

une vérité qui <strong>la</strong>isse souvent désirer plus <strong>de</strong> force,<br />

mais qui ne parait pas avoir été inutile à Virgile.<br />

On voit que le chantre <strong>de</strong> Bidon n'a pas dédaigné<br />

d'emprunter quelques idées d'Apollonius; mais il<br />

faut avouer aussi qu'il leur prête une force d'expression<br />

passionnée dont le poëte grec est bien loin :<br />

les emprunts sont peu <strong>de</strong> chose, et <strong>la</strong> supériorité<br />

est immense.<br />

Apollonius vivait sons Ptolémée Phi<strong>la</strong>dèfphe.<br />

Valérsus F<strong>la</strong>ccus, poëte romain <strong>du</strong> temps <strong>de</strong> Yespasien,<br />

traita le même sujet dé <strong>la</strong> Conquête <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> Toison'd'ors m huit livres, qui ne sont pas les<br />

chants d'un poème; car il n'y a <strong>de</strong> poésie d'aucune<br />

espèce : il est aussi loin d'Apollonius, que celui-ci<br />

<strong>de</strong> Virgile.<br />

CHAPITRE V. — ne <strong>la</strong> tragédie ancienne.<br />

«CMOS rasmÈEB. —Idées générales sur te théâtre<br />

Rien n'est si commun en tout genre que les avis<br />

extrêmes, et c'est par cette raison que rien n'est si<br />

rare que <strong>la</strong> vérité; car elle est, comme <strong>la</strong> vertu,<br />

p<strong>la</strong>cée entre <strong>de</strong>ux excès. On trouve encore bien <strong>de</strong>s<br />

personnes instruites qui croient le théâtre grec fort<br />

supérieur au nôtre, et qui soutiennent qu'Eschyle,<br />

Sophocle et Euripi<strong>de</strong> n'ont pas été surpassés, ni<br />

même égalés. 11 y aura toujours parmi les érudits<br />

une c<strong>la</strong>sse d'hommes qui n'admirent que les anciens,<br />

parce qu'ils chérissent exclusif ement l'objet <strong>de</strong> leurs<br />

étu<strong>de</strong>s, et qu'ils ne peuvent ni tra<strong>du</strong>ire ni commenter<br />

les mo<strong>de</strong>rnes. D'un autre côté, <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> beaucoup<br />

d'esprit, mais qui ont peu étudié l'antiquité,<br />

ou qui ne peuvent s'accoutumer à <strong>de</strong>s moeurs trop<br />

différentes <strong>de</strong>s nôtres, regar<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> tragédie grecque<br />

comme une déc<strong>la</strong>mation dramatique, et s'y<br />

voient que l'enfance d'un art que nous avons porté à<br />

sa perfection, le crois ces <strong>de</strong>ux opinions également<br />

injustes. Brumoy, littérateur asseï instruit, mais<br />

COU1S DE LITTÉRATURE.<br />

qui avait plus <strong>de</strong> connaissances que <strong>de</strong> goût, tout en<br />

condamnant ces <strong>de</strong>ux avis entrerais, ne se <strong>mont</strong>re<br />

pas lui-même exempt <strong>de</strong> toute prévention, et, en<br />

avouant que nous avons perfectionné le théâtre, il<br />

justifie beaucoup <strong>de</strong> fautes <strong>de</strong>s anciens, et veut trop<br />

souvent excuser, par <strong>la</strong> différence <strong>de</strong>s temps, ce qui<br />

partout est mauvais en soi. 11 proscrit les pièces d'invention,<br />

et croit trouver dans <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> bonnes<br />

raisons pour qu'on ne puisse s'intéresser à ces sortes<br />

<strong>de</strong> pièces. Zaïre, Alzire, et plu sieurs autres ouvrages<br />

d'un grand effet, l'ont suffisamment réfuté. Mais<br />

Brumoy s'entendait-il bien lui-même, lorsqu'au recherchant<br />

le principe et l'objet <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie, il<br />

s'exprime ainsi :<br />

« <strong>la</strong> crainte st <strong>la</strong> pitié sont tes passions les plus iaagareuses,<br />

comme elles sont les plus «mmmiss ; car si Fuse,<br />

et par conséquent l'autre, à casse <strong>de</strong> leur Maison, §iace<br />

éierneilemenê les hommes, il n'y a plus lien à <strong>la</strong> fermeté<br />

d'âme nécessaire pour supporter les malheurs inévitables<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie ; et pour serf ivre à leur Impression trop souvent<br />

réitérée. La tragédie corrige <strong>la</strong> crainte par <strong>la</strong> crainte , et <strong>la</strong><br />

pitié par <strong>la</strong> pitié ; chose d'autant plus agréable que le cœur<br />

humais aime ses sentiments et ses faiblesses : i s'imagine<br />

donc qu'on veut le f<strong>la</strong>tter» et il se trouve InfMffîMaMitt<br />

guéri par le p<strong>la</strong>isir même qu'il a pris à se sé<strong>du</strong>ire. »<br />

J'avoue que je n'ai jamais rien vu <strong>de</strong> lotit ce<strong>la</strong><br />

dans <strong>la</strong> tragédie. Les paroles <strong>de</strong> Brumoy ne sont<br />

qu'un commentaire subtil et erroné <strong>du</strong> passage d'Aristote<br />

où il est dit que <strong>la</strong> tragédie, par ta terreur<br />

et <strong>la</strong> pitié, sait eortiger tes'<strong>de</strong>ux qffictiom <strong>de</strong><br />

rame; ce qui signifie simplement que l'illusion dramatique,<br />

en nous les faisant ressentir, leur été ce<br />

qu'elles ont <strong>de</strong> pénible et d'amer. Cette explication<br />

est aussi c<strong>la</strong>ire que p<strong>la</strong>usible. Mais ce qui peut excuser<br />

ceux qui ont adopté celle <strong>de</strong> Brumoy, c'est<br />

cette fatalité invincible qui, accab<strong>la</strong>nt les humains<br />

<strong>de</strong>s 4 malheurs inévitables , faisait le fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie<br />

chez les Grecs, comme elle faisait h base <strong>de</strong><br />

leur système religieux. D'après ce principe Y le spectacle<br />

<strong>de</strong>s malheurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> condition humaine , étalé<br />

sur <strong>la</strong> scène, a pu paraître une leçon qui avertissait<br />

<strong>de</strong> s'armer <strong>de</strong> courage et <strong>de</strong> patience , et-<strong>de</strong> repousser<br />

également et <strong>la</strong> crainte qui g<strong>la</strong>ce f âme et cette faiblesse<br />

p<strong>la</strong>intive qui l'amollit. Mais, quoique en effet<br />

toutes les pièces grecques puissent donner cette leçon<br />

, on ne voit point qu'âristote en fasse nulle part<br />

l'objet principal <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie et le premier but <strong>de</strong><br />

Fart dramatique. Les mo<strong>de</strong>rnes se sont égarés en<br />

donnant une trop gran<strong>de</strong> extension au passage <strong>du</strong><br />

maître; et Brumoy, en particulier, s'efforce <strong>de</strong><br />

prouver fort au long que, si Eschyle et Sophocle<br />

n'ont pas eu précisément cette idée, ils ont dû concevoir<br />

quelque chose d'approchant, el qu'if est fin-


ANCIENS. — POÉSIE,<br />

pméMê §ta? œ$ §rmiéê hommes oieni îrmaMIi<br />

Mitf éesmim; comme si ce n'était pas tiroir un <strong>de</strong>ssein<br />

que d'assembler ses eomptriotes à ne magnifique<br />

spectacle pour les amuser, les intéresser et les<br />

instruire, émouvoir leurs cœurs eu f<strong>la</strong>ttant leurs<br />

oràlles, et obtenir <strong>de</strong>s couronnes en donnant <strong>de</strong>s<br />

p<strong>la</strong>isirs»<br />

Que veut dire Irwnoy quand il prétend que ta<br />

pmémiwmpm$imdkn@ermm9 qu'elfe gêaœ éfcrmdkmmi<br />

k$ kmmwmt La plupart <strong>de</strong>s Ysrtus morales,<br />

eelles surtout qui doivent être les plus précieuses<br />

à <strong>la</strong> société f parce quelles sont les plus<br />

nécessaires ? tiennent au sentiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> pitié. C'est<br />

ce même sentiment que <strong>la</strong> tragédie développe en<br />

MNistiès-lieiireisenienttbienloin<strong>de</strong>nousin guérir;<br />

qui, lois <strong>de</strong> §hœr le cœur, f outre à toutes les impresrions<br />

qui nous portent à aimer, à p<strong>la</strong>indre, à<br />

secourir nos semb<strong>la</strong>bles. Brumoy a commis <strong>la</strong> même<br />

faute que ceux qu'il accuse <strong>de</strong> ne pas essai distinguer<br />

<strong>la</strong> différence <strong>de</strong>s temps, <strong>de</strong>s nations et <strong>de</strong>s moeurs,<br />

<strong>la</strong> oublié qu'il l'y avait plus aujourd'hui , ni <strong>de</strong> dieux<br />

oppresseurs, ni d'oracles funestes , ni <strong>de</strong> crimes nécessaires<br />

ordonnés par le ciel ; qu $ ainsi <strong>la</strong> tragédie,<br />

bien lois <strong>de</strong> nous en<strong>du</strong>rcir contre les infortunes<br />

iFantrui, nous attendrit sans danger, porte dans<br />

notre iiiie toutes les émotions qui exercent et augmentent<br />

notre sensiblité, nous touche <strong>de</strong> compsslen<br />

pour le malheur, nous soulève d'indignation contre<br />

femme, noua transporte d*admiration pour<strong>la</strong> vertu,<br />

et grave en nous <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s et utiles férités avec<br />

le burin <strong>de</strong> <strong>la</strong> poéfic. Voilà l'objet <strong>de</strong> Fart dramatique,<br />

art beaneoiip plus éten<strong>du</strong> qu'il ne l'était <strong>du</strong><br />

temp d'Anatole, et qu'il n'a pu lui-même eoneetek<br />

tout entier, parce que le plus excellent esprit ne<br />

peut pas <strong>de</strong>rincr en tout l'expérience <strong>de</strong>s siècles et les<br />

pas <strong>du</strong> génie.<br />

Un principe d'erreur qu'on retrouve dans presque<br />

tout ee qui a été écrit sur <strong>la</strong> tragédie, c'est <strong>de</strong><br />

vouloir juger en tout sur les mêmes règles le théâtre<br />

<strong>de</strong>s anciens et le nôtre, qui, se rapprochant<br />

par les premiers principes <strong>de</strong> fart, et par <strong>de</strong>s beautés<br />

qui sont communes à l'un et à l'autre, s'éloignent<br />

par <strong>de</strong>s différences essentielles dans les accessoires<br />

et les moyens. Nous portons au spectacle un esprit<br />

tout différent <strong>de</strong> celui qu'y portaient les Grecs; et<br />

ce qu'ils exigeaient <strong>de</strong> leurs auteurs dramatiques ne<br />

suffirait pas, à beaucoup près ,*pour faire réussir les<br />

nètrea. Use scène ou <strong>de</strong>ux par acte, et <strong>de</strong>s chœurs<br />

i qui ne quittaient pas <strong>la</strong> scène et se mê<strong>la</strong>ient au dia-<br />

1 lègue dans les situations les plus intéressantes, voilà<br />

j tout m que Ton <strong>de</strong>mandait au poète. Tous les sujets<br />

tirés <strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong>s Grecs les attachaient sans<br />

peine 9 maigre leur extrême simplicité, sans qu'il fil<br />

ta nytfc. — sent i.<br />

81<br />

besoin que faction, gra<strong>du</strong>ée sans cesse par <strong>de</strong>s alternatives<br />

<strong>de</strong> crainte et d'espérance, ne s'arrétawt<br />

et ne se ralentissant jamais, offrit à tout moment<br />

un nouveau <strong>de</strong>gré d'intérêt, un nouvel aliment à<br />

<strong>la</strong> curiosité, <strong>du</strong>rant le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> cinq actes, et ne<br />

<strong>la</strong> satisfît entièrement qu'à <strong>la</strong> in <strong>du</strong> drame. Pourquoi?<br />

C'est que parmi nous le spectacle est pour*<br />

une assemblée choisie; chez eux le spectacle était<br />

pour un peuple. Une tragédie chez les Grecs était<br />

une fête donnée par les magistrats dans certains<br />

temps <strong>de</strong> Tannée, aux dépens <strong>de</strong> <strong>la</strong> république, dont<br />

on y prodiguait les richesses. On rassemb<strong>la</strong>it dans<br />

un amphithéâtre immense une foule innombrable <strong>de</strong><br />

peuple, et l'on représentait <strong>de</strong>vant lui <strong>de</strong>s événe- ..<br />

ments célèbres dont les héros étaient les siens, dont<br />

l'époque était présente à sa mémoire, et dont les<br />

détails étaient sus par cœur, même <strong>de</strong>s enfants* Une<br />

architecture imposante, <strong>de</strong>s décorations magnifiques<br />

, attachaient d'abord les yeux f et auraient suffi<br />

pour faire un spectacle. La déc<strong>la</strong>mation <strong>de</strong>s acteurs ;<br />

assujettie à un rfaythme régulier et au mouvement<br />

donné par f orchestre ; un choeur nombreux, dont les<br />

chants s'élevaient sur un mo<strong>de</strong> plus hardi et plus<br />

musical f et <strong>de</strong>venaient plus retentissants par tous<br />

les moyens qui peuvent ajouter à <strong>la</strong> voix, quand ils<br />

sont suggérés par <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> se faire entendre<br />

au loin dans un espace couvert <strong>de</strong> simples toiles;<br />

l'accord soutenu entre <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>mation notée, les<br />

gestes mesurés et l'accompagnement, accord qui<br />

, fiiîsait un <strong>de</strong>s plus grands p<strong>la</strong>isirs d'un peuple sensiWe<br />

à l'harmonie au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce que nous pouvons<br />

imaginer; enln tout ce que nous savons, quoique<br />

très-imparfaitement, <strong>de</strong>s spectacles anciens ; les masques<br />

faits pour enfler les voix,les vases d'airain<br />

disposés pour <strong>la</strong> multiplier; tout nous fait voir qu'ils<br />

accordaient aux sens infiniment plus que nous ; que<br />

<strong>la</strong> nature, vue <strong>de</strong> plus loin sur le théâtre, était<br />

nécessairement agrandie; qu'exagérés dans leurs<br />

moyens et dans leurs procédés, ils s'occupaient plus<br />

<strong>de</strong> réunir plusieurs sortes <strong>de</strong> jouissances que <strong>de</strong> se<br />

rapprocher d'une vraisemb<strong>la</strong>nce exacte, et cherchaient<br />

plus à p<strong>la</strong>ire aux yeux et aux oreilles qu'à<br />

faire illusion à l'esprit.<br />

Que l'on réfléchisse maintenant sur toutes les différences<br />

qui se présentent entre ce système théâtral<br />

et le nôtre. Nous sommes renfermés dans <strong>de</strong>s bornes<br />

locales très-étroites, et les objets d'illusion, vus <strong>de</strong><br />

plus près, doivent être ménagés avec une vraisem-.<br />

b<strong>la</strong>nce beaucoup plus rigoureuse. Nous parlons à<br />

une c<strong>la</strong>sse d'hommes choisis, dont le goût, exercé<br />

par l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> juger tous les jours, est nécessairement<br />

plus sévère, et dont l'âme, accoutumée aux<br />

émotions, n'en est que plus difficile à émouvoir.


COU1S DE LITFÉEâTIJlE.<br />

sa<br />

Sans aucun objet qui puisse les distraira et f<strong>la</strong>tter<br />

leurs sens, ils peuvent s'armer <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> rigueur<br />

<strong>de</strong> leur raison, et sont encore plus disposés à juger<br />

qu'à sentir È s'y a là aucune distraction favorable<br />

au poète; lui seul est chargé <strong>de</strong> tout, et on ne lui<br />

fait grâce <strong>de</strong> rien. Point <strong>de</strong> musique qui enchante<br />

l'oreille, point <strong>de</strong> chœur qui se charge <strong>de</strong> remp<strong>la</strong>cer<br />

Faction par le chant. On ne lui permettrait pas <strong>de</strong><br />

faire un acte a?ec une o<strong>de</strong> et un récit 9 comme il irrite<br />

si souvent aui poètes grecs, i faut qu'il aille<br />

toujours an fait, quoiqu'il n'en ait qu'un seul à traiter<br />

pendant cinq actes ; qu ? il soutienne <strong>la</strong> curiosité}<br />

quoiqu'il s'ait à l'occuper que d'un seul événement ;<br />

que le drame fasse un pas à chaque scène f et tourmente<br />

sans cesse le spectateur, qui ne veut pas<br />

qu'on k <strong>la</strong>isse respirer un moment. A tant <strong>de</strong> difficultés<br />

que doit vaincre tout auteur dramatique qui<br />

veut être joué avec un succès <strong>du</strong>rable, joignez <strong>la</strong> difficulté<br />

bien plus gran<strong>de</strong> encore, et bien plus rarement<br />

vaincue, que doit sur<strong>mont</strong>er Fhomoie <strong>de</strong> génie<br />

qui veut être lu par sm contemporains et par <strong>la</strong> posté»<br />

rite ; <strong>la</strong> difficulté d'être poëtê dans une <strong>la</strong>ngue moins<br />

poétique que celle <strong>de</strong>s Grecs, et dans un genre où il<br />

faut cacher <strong>la</strong> poésie aussi soigneusement qu'ils <strong>la</strong><br />

<strong>mont</strong>raient; et vous verrez que les Racine et les<br />

Voltaire sont <strong>de</strong>s hommes encore f Sus rares que les<br />

Euripi<strong>de</strong> et les Sophocle.<br />

Les chœurs établis chez les Grecs permettaient<br />

à Fauteur dramatique <strong>de</strong> s'élever à <strong>la</strong> plus haute<br />

poésie, et c'était sur <strong>la</strong> lyre <strong>de</strong> Pilidare que Melpomène<br />

alors faisait entendre ses p<strong>la</strong>intes. D'un autre<br />

côté, <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> leur idiome permettait une foule<br />

d'eipresslons simples et naïves, qui, dans le nôtre,<br />

seraient basses et popu<strong>la</strong>ires. Le poëte pouvait donc<br />

tour à tour être très-naturel sans craindre <strong>de</strong> paraître<br />

bas, et très-sublime sans craindre <strong>de</strong> paraître<br />

enflé. Ainsi ce double avantage, tiré <strong>du</strong> <strong>la</strong>ngage et<br />

' <strong>de</strong>s mœurs, l'éloîgnait aisément <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux écueiisdont<br />

nous sommes toujours voisins.<br />

Les mo<strong>de</strong>rnes en général approfondissent davan*<br />

tage les sentiments et les passions, s'enfoncent plus<br />

«vaut dans une situation théâtrale, remuent le cœur<br />

plus puissamment, et savent mieux varier et multiplier<br />

les émotions. C'est un progrès que Fart a dû<br />

faire. Mais s'il a pu acquérir <strong>de</strong> l'énergie dans nos<br />

grands tragiques, ils n'ont pu surpasser les anciens<br />

pour <strong>la</strong> vérité; et dans cette partie les Grecs ne<br />

sauraient être trop étudiés ni trop admirés. De cette<br />

qualité qui les distingue, natt l'extrême difficulté <strong>de</strong><br />

les bien tra<strong>du</strong>ire, surtout en vers. La différence ia<br />

<strong>la</strong>ngage en a mis une gran<strong>de</strong> entre leur dialogue et<br />

te nôtre. Chez ew les détails <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie commune et<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation familière n'étaient point exclus<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> bogue poétique ; presque aucun mot n'était par<br />

liM-mêrae bas et trivial, ce qui fanait en partie à <strong>la</strong><br />

constitution républicaine, au grand réle que jouait<br />

le peuple dans le gouvernement, et à son commerce<br />

continuel avec ses orateurs. Un mot n'était pas réputé<br />

popu<strong>la</strong>ire pou? exprimer un usage journalier,<br />

et le terme le plus commun pouvait entrer dans le<br />

vers le plus pompeux et dans <strong>la</strong> fgara <strong>la</strong> plus hardie.<br />

Parmi nous, au contraire, le poète ne jouit pas 4'un<br />

tiers <strong>de</strong> l'idiome national : le rasas lui est interdit<br />

comme indigne <strong>de</strong> lui. Il n'y a guère pour lui qu'un<br />

certain nombre <strong>de</strong> mots convenui; et le génie <strong>du</strong><br />

style consiste à en varier les combinaisons, et à<br />

offrir gans cesse à l'esprit et à l'imagination <strong>de</strong>s rapports<br />

nouveaux sans être Msarra, et ingénieux<br />

sans être recherchés. Ce secret n'est connu que <strong>de</strong><br />

trois ou quatre hommes dans un siècle : le reste est<br />

déc<strong>la</strong>mateur en vou<strong>la</strong>nt être poëte, ou p<strong>la</strong>t en<br />

croyant être naturel. C'est qu'il est Bien difficile <strong>de</strong><br />

soutenir un <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> convention dont il n'exista<br />

aucun modèle dans <strong>la</strong> société* et d'intro<strong>du</strong>ire <strong>de</strong>s<br />

personnages qui conversant en te iéfaaéaiit une<br />

gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s termes <strong>de</strong> <strong>la</strong> aaa?araatiaa, 11 faut<br />

<strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> justesse d'esprit et une singulière<br />

flexibilité d'élooution pour démêler et saisir ces<br />

nuances délicates qui forment ae qu'on appelle le<br />

bon goât. Le goût est nécessairement uti maître<br />

<strong>de</strong>spotique dans une <strong>la</strong>ngue qui fut barbare dans<br />

son origine, et qui n'a dû sa perfection qu $ à <strong>la</strong> politesse<br />

d'un siècle raffiné ; au liea qu'on peut dire <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue grecque que le génie a présidé à sa naissance,<br />

et que <strong>de</strong>puis il en resta toujours le maître»<br />

ncnoRii.— D'Eschyle*<br />

Eschyle est le véritable fondateur <strong>du</strong> théâtre grec,<br />

car les tréteaux ambu<strong>la</strong>nts <strong>de</strong> Thespîs ne méritaient<br />

pas ce nom. Eschyle était né dans FAttique, d'une 1<br />

fatnHle ancienne et illustre. Il se partagea <strong>de</strong> bonne<br />

heure entre <strong>la</strong> philosophie $ <strong>la</strong> guerre et le théâtre.<br />

Il étudia les dogmes <strong>de</strong> Pytliagore, se trouva à <strong>la</strong><br />

journée <strong>de</strong> Sa<strong>la</strong>mine, fut blessé à celle <strong>de</strong> Marathou,<br />

et mit sur <strong>la</strong> scène, dans sa tragédie <strong>de</strong>s Perses,<br />

ces triomphes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce dont il avait été témoin.<br />

Son génie militaire éc<strong>la</strong>tait dans ses ouvrages, et<br />

l'on appe<strong>la</strong>it sa pièce <strong>de</strong>s Sepi Chefs éemni TMbes,<br />

l'aœ&uekement <strong>de</strong> Mars. Sa <strong>de</strong>rnière campagne fat<br />

celle <strong>de</strong> P<strong>la</strong>tée, non moins glorieuse aux Cirées que<br />

les précé<strong>de</strong>ntes. 11 se livra dès lors tout entier au<br />

théâtre, et donna, sous l'archonte Ménon, quatre<br />

tragédies qui furent couronnées, Phinéêf Gtaucus *,<br />

tes Perses, et Pmmêtkee; nous avons les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>r-<br />

•OneroltaiM ; géaémieiaisfit


ANCIENS. - POÉSIE.<br />

SS.<br />

wÊms* Lêê traditions historiques varient sur le nom­ d'autres que ceux d<br />

bre ils ses pèses. La nomenc<strong>la</strong>ture <strong>de</strong> Fabriett» es<br />

compta pfès <strong>de</strong> cent. Euripi<strong>de</strong> cl Sophocle en eomposèrent<br />

encore davantage; ce qui prouve ce que<br />

j'ai dit ti-<strong>de</strong>ssos9 que Part do théâtre et celui <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

poésie étaient beancoup moins difficiles pour les<br />

Grecs que pour nous. Nos auteurs les pins féconds<br />

sont bien loin aujourd'hui <strong>de</strong> m calcul arithmétique,<br />

qui n'est encore rien, il est vrai, si Ton re<strong>mont</strong>e<br />

jusqu'à notre Hardy, qui tftil fait sii cents pièces.<br />

Mais Hardy est aussi loin d'égaler Eschyle, qu'Eschyle<br />

lui-mime est loin <strong>de</strong> .Corneille.<br />

Annote et QuiotiMen font regardé comme le<br />

véritable «tentât» <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie. Chu rie et Phrynieus*,<br />

cités par Suidas, n'étaient que <strong>de</strong>s chanson*<br />

mmm vagabonda, imitateurs <strong>de</strong> TÎespis. C'est'Eschyle,<br />

dit Aristote, qui a le premier intro<strong>du</strong>it émx<br />

màmf$ mr im $eimef m i'm m'en voyaii qu'un seul<br />

aaf»mt?itss#. Qu'était-ce que <strong>de</strong>s drames où il n'y<br />

avait qu'un personnage? Quiatiliea s'explique plus<br />

nettement : Eêekyk e$î k premkr, dit-il, gui aU<br />

fmi êm tmgééiês, Benys d'Haliearaasse parle <strong>de</strong><br />

même. Aucun <strong>de</strong> ces auteurs n'attribue l'Invention<br />

<strong>du</strong> poëme tragique à Thespis. Horace est le seul<br />

qui ait YOUIU re<strong>mont</strong>er jusqu'à lui, peut-être par<br />

nue suite <strong>de</strong> cette disposition naturelle à chercher <strong>la</strong><br />

plus petite origine à ce qu'il y a <strong>de</strong> plus grand.<br />

Eschyle joignait au génie poétique un esprit inventeur<br />

dans tout ce qui regar<strong>de</strong> <strong>la</strong> mécanique et <strong>la</strong> décoration<br />

théâtrales. 11 forma le célèbre Agatharque,<br />

qui écrivit un traité sur l'architecture scénique. 11<br />

imagina pour ses acteurs ces robes traînantes et majestueuses<br />

que les ministres <strong>de</strong>s autels empruntèrent<br />

pour les cérémonies <strong>de</strong> <strong>la</strong> religion. Par ses soins, le<br />

théâtre, orné <strong>de</strong> riches peintures, représenta tous<br />

les objets conformément aux règles <strong>de</strong> l'optique et<br />

sas effets <strong>de</strong> <strong>la</strong> perspective. On y fit <strong>de</strong>s temples,<br />

<strong>de</strong>s sépulcres, <strong>de</strong>s armées, <strong>de</strong>s débarquements , <strong>de</strong>s<br />

chars vo<strong>la</strong>nts, <strong>de</strong>s apparitions, <strong>de</strong>s spectres. Il ensetgna<br />

au chœur <strong>de</strong>s danses figurées, et fut le créateur<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pantomime dramatique. Tous ces services<br />

ren<strong>du</strong>s aux beaux arts ne le garantirent pas <strong>de</strong> 1a<br />

persécution. Les prêtres lui irent us crime d'avoir<br />

mis sur <strong>la</strong> scène les mystères <strong>de</strong> <strong>la</strong> religion dans plusieurs<br />

<strong>de</strong> ses tragédies v et notamment dans ses EumémMes,<br />

que nous avons encore, où ©reste est<br />

accusé par les Furies, et défen<strong>du</strong> par Apollon et<br />

Minerve, La popu<strong>la</strong>ce ameutée voulut le <strong>la</strong>pi<strong>de</strong>r. U<br />

m réfugia près <strong>de</strong> l'autel <strong>de</strong> Baecbus. L'aréopage le<br />

sauta <strong>de</strong> <strong>la</strong> fureur <strong>de</strong> ses ennemis en se déc<strong>la</strong>rant<br />

son juge, et le renvoya absout en considération <strong>de</strong>s<br />

Mesures qu'il avait reçues à Marathon. Ainsi ses<br />

talents lui auraient coûté <strong>la</strong> fie, s'il n'en avait eu<br />

? un poète. Ce ne fat pourtant pas<br />

le chagrin le plus sensible qu'il essuya. Le danger<br />

qu'il avait couru n'avait pu le dégoûter <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie.<br />

11 eut l'impru<strong>de</strong>nce si commune <strong>de</strong> ne pas sentir<br />

que le génie a aussi sa vieillesse, et qu'il ne faut pas<br />

l'exposer aux mépris. Les ossements <strong>de</strong> Thésée ayant<br />

été portés à Athènes par Cimon, ce fut pour <strong>la</strong> ville<br />

un sujet <strong>de</strong> fîtes et <strong>de</strong> jeux. 11 y eut un con<strong>cours</strong> ouvert<br />

pour les poètes tragiques. Eschyle ne voulut pas<br />

manquer une occasion si solennelle. Malheureusement<br />

il avait pour concurrent on <strong>de</strong> ces hommes<br />

rares dont les premiers pas sont <strong>de</strong>s triomphes :<br />

c'était Sophocle à vingt-quatre ans. L'archonte s'aperçut<br />

qu'il y avait parmi le peuple <strong>de</strong>s mouvements<br />

et <strong>de</strong>s brigues qui faisaient craindre que l'esprit <strong>de</strong><br />

parti n'influât sur le jugement public. Dans ce moment,<br />

Cimon et les autres généraux d'Athènes arrivaient<br />

sur le théâtre pour y faire <strong>de</strong>s libations. L'arehonte<br />

les pria <strong>de</strong> faire <strong>la</strong> fonction déjuges. Sophocle<br />

remporta. Le vieux Eschyle en fut Inconso<strong>la</strong>ble. H<br />

quitta sa patrie, et se retira auprès d'Hiéron, roi <strong>de</strong><br />

Sicile , ami et protecteur <strong>de</strong>s lettres, et qui avait à<br />

sa cour Epicfaarme, Simoni<strong>de</strong>, Mndare. Cest en ee<br />

pays qu'il <strong>la</strong>it sa vie, écrasé, dit-on, par une tortue<br />

qu'un aigle <strong>la</strong>issa tomber sur sa tête ehauve. âe#è§<br />

sa mort, son ils Kuphorion it encore jouer à Athènes<br />

plusieurs pièces que son père avait <strong>la</strong>issées. Elles<br />

furent couronnées; mais l'auteur s'était plus.<br />

Il ne nous en reste que sept <strong>de</strong> toutes celles<br />

qu'il avait écrites : Pmméêàêe, ki Sepi CM/9 <strong>de</strong>*<br />

vont TÉêèee, k$ Persei, ji§mmemfmm, kg €®ëpàsrm,<br />

les EwmMâeif k$ SuppÊmnies. Toutes<br />

se ressentent <strong>de</strong> l'enfance <strong>de</strong> Fart, et les beautés<br />

sont pins <strong>de</strong> l'épopée que <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie. On y reconnaît<br />

uo génie wmM et brut, nourri <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie<br />

d'Homère, dont il s'avouait l'imitateur. Mm jàè»<br />

ee$, disaîttl, ne ssstl qme êm reMefs éesfmtêm<br />

ê'Hemêre* Mais dans Je» Gttiphoret il y a <strong>de</strong>s<br />

beauté» vraiment dramatiques f et dans Im Sept<br />

CM/M <strong>de</strong>s-morceaux d'une très-Mie poésie. Je<br />

m'arrêterai principalement sur ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières,<br />

après avoir dit un mot <strong>de</strong> chacune <strong>de</strong>s autres.<br />

Le sujet <strong>de</strong> PrwnétMe est monitrueux. ft<strong>de</strong>aio,<br />

accompagné <strong>de</strong> <strong>la</strong> Force et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Violence, mmîêtres<br />

<strong>de</strong> Jupiter, fait attacher sur le <strong>mont</strong> Caucase,<br />

avec <strong>de</strong>s chaînes <strong>de</strong> diamant, le dieu Prométhée,<br />

que le maître <strong>de</strong>s dieux veut punir, on ne sait<br />

pourquoi i d'avoir dérobé le feu <strong>du</strong> ciei, et d'avoir<br />

enseigné aux hommes-tous les arts. Les nymphes<br />

<strong>de</strong> FOcéan, l'Oêéan lui-même, et <strong>la</strong> malheureuse<br />

lof poursuivie aussi par Jupiter, viennent tour<br />

à tour entendre les p<strong>la</strong>intes <strong>de</strong> Prométhée > que<br />

son malheur n'a p<strong>la</strong>t abattu § qui ae vante même<br />

s.


84 GOUBS DE IXnftUTUBE.<br />

<strong>de</strong> savoir le seul moyen que Jupiter fuisse employer<br />

pour n-être pas renversé-un jour <strong>du</strong> trêae <strong>de</strong>s<br />

eiêus? et jure que rien ne l'obligera <strong>de</strong> le révéler,<br />

à moins qu'on se le délivre <strong>de</strong> ses chaînes. Mereure<br />

vient le sommer <strong>de</strong> dire ce secret, et lui déc<strong>la</strong>re<br />

que, s'il s'obstine au silence, Jupiter ?a le foudroyer<br />

et le <strong>la</strong>isser eu proie à un vautour qui lui déchirera<br />

les entrailles. L'inébran<strong>la</strong>ble Prométhée<br />

garje le silence,-et-brave les menaces <strong>de</strong> celui qu'il<br />

somme le tyrau <strong>de</strong>s dieux. L'arrêt s'eiécute : <strong>la</strong><br />

foudre tombe y disperse le rocher où Prométhée est<br />

enchaîné, et <strong>la</strong> pièce Unit. Ge<strong>la</strong> ne peut pas même<br />

s'appeler une tragédie.<br />

Les Perses, dont le sujet est plus rapproché «<strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> nature*, n'offrent ries <strong>de</strong> plus régulier ; maïs on<br />

sent combien cet outrage <strong>de</strong>vait p<strong>la</strong>ire aui Athéniens.<br />

C'est <strong>la</strong> défaite <strong>de</strong>s Perses à Sa<strong>la</strong>mine qui occupe<br />

cinq actes en récits, en <strong>de</strong>scriptions, en présages<br />

, en songes, en <strong>la</strong>mentations : nulle trace<br />

encore d'action ni d'intrigue. La scène est à Suze.<br />

Des -vieil<strong>la</strong>rds,- qui forment le chœur, atten<strong>de</strong>nt<br />

avec inquiétu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s nouvelles <strong>de</strong> l'expédition <strong>de</strong><br />

Xeriès. Atossa, mère <strong>de</strong> ce prince, fient leur ra-<br />

^•conter un songe qui Fépouvante. Arrite un soldat<br />

"îtftfppé <strong>de</strong> l'armée, qui raconte le désastre <strong>de</strong>s Par- '<br />

.ses. Atossa époque l'ombre <strong>de</strong> Darius, et, contre<br />

l'ordinaire <strong>de</strong>s ombres, qui ne retiennent que pour<br />

révéler aux vivants quelque grand aeeret, celle-ci<br />

ne parait que pour entendre <strong>de</strong> <strong>la</strong>-bouche d f Atossa<br />

ce qu'elle-même vient d'apprendre <strong>de</strong> <strong>la</strong> défaite <strong>de</strong><br />

;. Xeriès. Au cinquième acte, Xerxès lui-même parât<br />

seul avec un carquois ri<strong>de</strong>, qui -est, dit-il 9 tout<br />

ce qui lui reste <strong>de</strong> cette prodigieuse armée qu'il<br />

avait amenée contre les Grecs. 11 s'est sauvé avec<br />

bien <strong>de</strong> <strong>la</strong> peine. 11 pleure, il gémit, et ne fait autre<br />

chose que <strong>de</strong> recomman<strong>de</strong>r à sa mère et aux<br />

vieil<strong>la</strong>rds <strong>de</strong> pleurer et <strong>de</strong> gémir. Toute <strong>la</strong> pièce t<br />

d'ailleurs est remplie, comme on peut se Fimagi- '<br />

ricr, <strong>de</strong>s louanges <strong>du</strong> peuple d'Athènes : il est in»<br />

* viaeible, il est favorisé <strong>du</strong> ciel s il est le soutien <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Grèce. Tout ce<strong>la</strong> était vrai alors ; mais le poète met<br />

ces louanges dans <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong>s ennemis vaincus,<br />

et Ton sent comb<strong>la</strong>i elles en <strong>de</strong>viennent plus f<strong>la</strong>tfpiBHp<br />

11 leur <strong>mont</strong>re, pendant cinq actes, les Perses<br />

'dans <strong>la</strong> terreur, dans l'humiliation, dans les<br />

<strong>la</strong>ines, dans radmiratkm pour leurs vainqueurs.<br />

Avec* un tel sujet, traité <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s républicains<br />

• enivri8%<strong>de</strong> leur gloire, et qui n'avaient pas encore<br />

g|prî#4 être difficiles f on pouvait être couronné<br />

sans avoir fait une scène tragique, et c'est ce qui<br />

«riva. Mais après <strong>la</strong> défaite entière <strong>de</strong>s Athéniens<br />

cp Sidfe, <strong>la</strong> <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> toutes leurs forces, et «<br />

<strong>la</strong> pertf <strong>de</strong> pt ascendant qu'ils avaient dans <strong>la</strong> I<br />

1 Grèce, si quelque peëtc ait fait un* tragédie pour<br />

leur prouver qu'ils étaient le premier peuple <strong>du</strong><br />

mon<strong>de</strong>, je doute qu'ils l'eussent oouronné, car les<br />

Athéniens se connaissaient «s louanges.<br />

Jgamemmm est une pièce froi<strong>de</strong>ment atroce. On<br />

est un peu étonné qu'un homme <strong>de</strong> lettres qui esn-<br />

•naissait lea anciens, le Franc <strong>de</strong> Pompignan, à<br />

qui nous <strong>de</strong>vons une tra<strong>du</strong>ction élégante d'Eschyle,<br />

«porte l'enthousiasme <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>cteur jusqu'à dire que<br />

ce poète a perjèeêimmé ïmê qu'il mwaU immmié,<br />

et se récrie entre autres choses sur <strong>la</strong> beauté <strong>du</strong><br />

caractère <strong>de</strong> Oytemnestre.<br />

« Agamemnm , dit-il 9 a le défest <strong>de</strong> plusieurs <strong>de</strong> mm<br />

pièces mo<strong>de</strong>rnes. Ses premiers actes ne sent qu'une impie<br />

«position; Faction ni «mnnen£@ qu'an tpatrième. »<br />

Cest un pu tard, et je se connais point <strong>de</strong> pieds<br />

sur notre théâtre à qui Ton ait pardonné une<br />

pareille faute. Il ajoute :<br />

« le cinquième acte est do plut grand Intérêt Les personnages<br />

<strong>de</strong> Clftemnestre et <strong>de</strong> Cassandre n'y <strong>la</strong>issent<br />

rien à désirer. »<br />

Il est vrai que les prophéties <strong>de</strong> Cassandre sont<br />

belles; mais <strong>de</strong>s prophéties sont u® beau détail, et<br />

ne sont point un caractère. Quant à celui <strong>de</strong> Clytemnestre,<br />

il me semble qu'on n'y peut rien tolérer<br />

: elle est d'une atrocité qui révolte. Un grand<br />

crime n'est théâtral qu'avec use gran<strong>de</strong> passion ou<br />

<strong>de</strong> grands remords. Si Cljtemnestre était forcenée<br />

<strong>de</strong>jalousie comme Hermione, ou d'ambition comme<br />

Cléopâtre, je pourrais concevoir 6©n. crime; mais<br />

elle n'est si amoureuse, si jalouse, ni ambitieuse.<br />

Seulement elle veut tuer son mari, et le tue. Toilà <strong>la</strong><br />

pièce! Elle se contente <strong>de</strong> dire qu'Agamemnon a<br />

mérité <strong>la</strong> mort en faisant immoler sa ill# : elle le<br />

répète trois ou quatre fois. Bu reste, il se sort pas<br />

<strong>de</strong> cette âme, que ridée d f un semb<strong>la</strong>ble forfait <strong>de</strong>vait<br />

au moins troubler, un seul mot <strong>de</strong> passion, un<br />

cri <strong>de</strong> fureur, us accent <strong>de</strong> violence. H n'y a* point<br />

d'exemple d'une scélératesse si tranquille, et par<br />

conséquent si froi<strong>de</strong>. Elle attend son époui pour<br />

regorger sans être combattue un moment ; et quand<br />

elle l'a assassiné, elle sort <strong>de</strong> son priais pour s'en<br />

vanter <strong>de</strong>vant tout le peuple avee une insolence aussi<br />

calme qu'inconcevable. Il faut l'entendre elle-même<br />

pour juger où en était encore cet art.que Pompignan<br />

veut qu'Eschyle ait perfeeMmné*<br />

« Quand fl tant se venger d'us ennemi qui Mî mm<br />

être cher, ne tout il pas lui tendre snpfége qu'il m puisse<br />

éviter? Je méditais <strong>de</strong>puis longtemps cette vengeance légitime<br />

: roceasnn s'est présentée; je FM saisie avec ar­<br />

<strong>de</strong>ur. ApmemiMiii ne vit plus : je l'avouerai tans crainte.<br />

Teut était si bien disposé, qu'il ne pouvait ni fwr ni ae<br />

défendre. 1 s'est trouvé pris dans un superbe faite drame


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

iens<strong>de</strong>sHess IndisseiiiMes. Je FM frapppé<strong>de</strong>ux fbis,*ei<br />

<strong>de</strong>ux fois il a gémi m» mes coup. 1 tombe à mes pieds 9<br />

je le frappe mmm $ et ce <strong>de</strong>rnier coup l'envoie chez P<strong>la</strong>ton.<br />

1 expire : son sang rejaillit sur moi; rosée qui m'a para plus<br />

dsnee que les eaux da efel ne te sont pour les pro<strong>du</strong>ctions<br />

<strong>de</strong> k terre. J'annonce sans effroi ce que j'ai iiil : il m'est<br />

égal que vous m'apprenviez es me blâmiez. Tcilà le corps<br />

d'Agamemnon , le corps <strong>de</strong> mon époux. Je n'ai rien, commis<br />

que <strong>de</strong> jute ; je FaJ poignardé : c'est tout ce que j'avais<br />

à vins dire » ( ffmémcëm ée le Prmc ée Pêmpigmm,}<br />

Je se doute ps qu'es cet eodroit Brumoy ne<br />

répondit comme il liait si souvent : Le* Jihéniens<br />

é$mm$ KM peuple éc<strong>la</strong>iré ; comment croire qu'Us<br />

nêeuf mppèmM me seUmi Et il conclut qu'il y a<br />

quelquerajsonque noua se savons pas, et qui justifie<br />

m qui sous paraît sans excuse. Avec cette métho<strong>de</strong> f<br />

iJ n'y a ries qu'on ne fit trouver bon. Maisy. sans<br />

aller plus lois, les Ang<strong>la</strong>is sont assurément un peuple<br />

ttès-édairé, et tous tes jours ils app<strong>la</strong>udissent ce<br />

que nom ne supporterions pas. On es trouveraitjfort<br />

bien les raisons ; mais <strong>la</strong> logique <strong>de</strong> Bramoy dispense<br />

«Fia chercher : ce qui est beaucoup plus court. Ici,<br />

pr exemple, se peut-os ps dire que $ si cette pièce<br />

fat honorée d'un prix, c'est que le théâtre était<br />

encore à moitié barbare et bien loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> perfection<br />

où Sophocle le porta dans <strong>la</strong> suite? Et qui ne sait<br />

qu'à cette époque, ce qui s'est qu'atroce et noir<br />

parait énergique et grand ? Malheureusement t lorsque<br />

<strong>la</strong> corruption et <strong>la</strong> déca<strong>de</strong>nce succè<strong>de</strong>nt aux<br />

modèles et naissent <strong>de</strong> <strong>la</strong> satiété, Ton retombe, à<br />

l'autre bout dn cercle, dans le même abus- par où<br />

Fou avait commencé, et <strong>de</strong> nos jours ce commentaire<br />

trouverait aisément son application.<br />

Au cinquième acte <strong>de</strong>s. Coepkore$.9 qui ne sont<br />

antre chose que le sujet connu parmi sous sous les<br />

noms d'Electre et d'Oreste, ce <strong>de</strong>rnier tue sa mère<br />

aussi froi<strong>de</strong>ment qu'elle a tué son époux.<br />

U$ EumênMêê, sont <strong>la</strong> troisième pièce que <strong>la</strong> famille<br />

<strong>de</strong>s Atri<strong>de</strong>s ait fournie à Eschyle. 11 es a suivi<br />

exactement l'histoire dans ses trois tragédies : celle<br />

é*À§tmammm9 où ce pince est assassiné par sa<br />

femme; celle <strong>de</strong>s Coêphùrm, où il est vengé par sos<br />

Us; celte <strong>de</strong>s BumiMee, où Oreste est es proie<br />

aux Furies. Cette <strong>de</strong>rnière est au moins aussi étrangère<br />

à no* mœurs que ProméêMe. L'ouverture <strong>du</strong><br />

théâtre représente les Euméni<strong>de</strong>s eudormies à côté<br />

d'Oreste dans le temple <strong>de</strong> Delphes : c'est Apollon,<br />

protecteur <strong>de</strong> ce malheureux prince f qui est venu à<br />

tMut <strong>de</strong> les assoupir, et qui lui conseille <strong>de</strong> proiter<br />

<strong>de</strong> l'occasion et <strong>de</strong> s'éehappr, comme si les Furies<br />

<strong>de</strong>vaient être bien embarrassées à leur révëlpour le<br />

retrouver; et puis expliques <strong>la</strong> mythologie! Quoi<br />

qu'il en mit, Oreste trouve le conseil fort bon, et<br />

m<br />

' il prend <strong>la</strong> fuite. Survient l'ombre <strong>de</strong> Glytemnestni,<br />

qui trouve fort mauvais queles Furies sommeillent ;<br />

et es effet, l'on serait testé <strong>de</strong> croire que ces IlKes<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Nuit ne <strong>de</strong>vraient jamais sommeiller, tant<br />

qu'il y a <strong>de</strong>s coupables à tourmenter. Mais c'est aussi<br />

un dieu qui les a eudormies, et leur sommeil est<br />

bien <strong>du</strong>r, car il se passe beaucoup <strong>de</strong> temps avant<br />

que Clytemnestre parviense à les réveiller. Cette<br />

scène est curieuse. En voici une petite partie fidèlement<br />

tra<strong>du</strong>ite pr Pompignas, mais pur cette fois<br />

condamnée pr lui-même,<br />

« Écoutet mes pillâtes ,6 divinités Infernales! écoules<br />

eiytemnestre qui se <strong>mont</strong>re à vous pendant votre soin*<br />

meU. » (M ïe$ Emméniéu rm^flmL)<br />

arnitissTRB.<br />

,* « Yous me répon<strong>de</strong>z par es vain bralty et votre proie<br />

s'éloipe, Yous pouvez dormir es effet; les suppliants ne<br />

vous importaient guère. » (Lu Emméni<strong>de</strong>s rmflemt.)<br />

« Quel profond sommeil !*Mes douleurs se vous touchent<br />

pas. Cependant le meurtrier <strong>de</strong> sa mère» Oreste s s'enfuit ! -<br />

(Lu Mmméntdmrmjîeni» )<br />

« Tous dormez encore t rien ne peut vous éveiller î Ah !<br />

noires Furies ! vous ne ssvs» frite que <strong>du</strong> mal. » (Lu Bu*<br />

mémiém mnfimi* )<br />

«La FatigpeetleSommea.se sont nais ensemble pour<br />

assoupir ces monstres cruels. » (Lu Enmdmiém ronflent,<br />

et mm d'eilu. i 9 écri§% m rêtmmi: Arrête 1 arrête 1 arrelêî-)<br />

Un.momest après elles s'éveillent enfin, et se<br />

reprochent leur négligence. Apollon veut les chasser<br />

<strong>de</strong> son temple : elles le querellent sur <strong>la</strong> protec-<br />

, tion qu'il accor<strong>de</strong> à un prrici<strong>de</strong>.<br />

« Jeane dieu, lui dtafreHis, ta as trompé <strong>de</strong> vieilles<br />

Cependant Oreste s s estenfai <strong>de</strong> Delphes à Athènes,<br />

et le poète y transporte <strong>la</strong> scène au troisième acte,<br />

Ce n'est pas là, comme on voit, <strong>la</strong> règle <strong>de</strong>s unités.<br />

Dispute d'Oreste avec les Furies dans le temple <strong>de</strong><br />

Minerve : mais ce n'est pas FOreste que nous connaissons,<br />

car il leur prie <strong>de</strong> sang-froid et avec<br />

beaucoup <strong>de</strong> bon sens. 11 ne parait pa&que ces Furies<br />

lui fassent grand mal, si même gran<strong>de</strong> pur. 11 implore<br />

<strong>la</strong> protection <strong>de</strong> Minervei qui <strong>de</strong>scend au bruitf<br />

et vent savoir <strong>de</strong> quoi il s'agit. Les Eumési<strong>de</strong>s accusent;<br />

Orejrte se défesji Minerve s'abstient <strong>de</strong> juger<br />

une cause qtdmt% dit-elle, cm-éêssm ées utor-<br />

M$ : mais elle déc<strong>la</strong>re qu'elle va remettre ce jugement<br />

à un tribunal composé <strong>de</strong>s hommes les plus<br />

justes et les plus éc<strong>la</strong>irés S Athènes. 11 y a ici un<br />

magniûque éloge <strong>de</strong> ce tribunal, qui n'est autre<br />

chose que FAréopge, dont le poète attribue Fêta*<br />

bliasement à Miserve , et relève <strong>la</strong> majesté jusqu'à<br />

le Êûre juge <strong>de</strong>s dieux et <strong>de</strong>s hommes, puisque<br />

Apollon p<strong>la</strong>i<strong>de</strong> levant lui pur Oreste contre les


86<br />

C0U1S DE LITTÉIATUIE.<br />

Ewnéaittes. C'est pourtant pour cette pièce que<br />

Ton voulut <strong>la</strong>pi<strong>de</strong>r Eschyle : il praft que ce peuple<br />

d'âttièoes était fort difficile à manier. Conelusioo<br />

: Apollon déc<strong>la</strong>re que<br />

« L'enfant est f outrage <strong>du</strong> père, et son pis <strong>de</strong> fe mère,<br />

qui l'en est que ta dépositaire ; que Minera ele-mème est<br />

née <strong>de</strong> Jupiter seul 9 ee qui prouve qu'on peut §e passer<br />

<strong>de</strong> mère;»<br />

v€t autres raisons <strong>de</strong> <strong>la</strong> même force, qui persua<strong>de</strong>nt<br />

pourtant <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong> l'Aréopage ; car, lorsqu'on va<br />

ai» voix , les suffrages pour et contre se trouvent<br />

ép«ï f et dans ce cas <strong>la</strong> loi fabsout. Yoilà Oreste<br />

hors d'affaire, et le poète aussi : mais il faut convenir<br />

que voilà une étrange pièce.'<br />

Le sujet <strong>de</strong>s Supplianteg est aussi simple que<br />

celui <strong>de</strong>s Emnéni<strong>de</strong>s est extraordinaire; mais il n'y<br />

a pas plus d'action dans Tune <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux pièces<br />

que dans l'autre. Ces suppliantes sont les quarante<br />

llles <strong>de</strong> Dînais, qui ont quitté l'Egypte pour ne<br />

pas épouser les ils d'Êgyptus : elles viennent avec<br />

leur père supplier Pé<strong>la</strong>sgus9roi d'Argos, <strong>de</strong> leur<br />

donner l'hospitalité. Trois actes se passent à savoir<br />

s'il les recevra ou non. Au quatrième, il y consent.<br />

Au cinquièine? un envoyé d'Êgyptus fient les réc<strong>la</strong>mer<br />

: le roi d'Argos les refuse, et elles <strong>de</strong>meurent<br />

chez lui. Se douterait-on qu'il y eût là une tragédie?<br />

Le sujet <strong>de</strong>s Sept Chefs en pouvait fournir plus<br />

d'une : c'est celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> TkébaMe qu'on a tourné<br />

<strong>de</strong> tant <strong>de</strong> manières sans en faire jamais rien <strong>de</strong><br />

bon.<br />

* A proprement parler, dit Pompignaii, il n'y a point<br />

d'acteurs dans cette tragédie. Étéocle ne se <strong>mont</strong>re que<br />

pour écouter <strong>de</strong>s récits, gron<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s femmes, et expliquer<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>vises ; Ismène et âailgese n'arrivent sur <strong>la</strong> scène<br />

qu'après Se combat et <strong>la</strong> mort <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux frères : mais i y a<br />

dans ce poème <strong>de</strong>ux personnages invisibles qui le rempMs-<br />

•amf <strong>de</strong>puis Se œmmeiiœiiietit jusqu'à Sa fin f <strong>la</strong> Terreur et<br />

<strong>la</strong> Pitié. »<br />

Tfês-invisièks en effet , car j'avoue qu'il m'est impossible<br />

<strong>de</strong> les y voir. Mais cette pièce offre <strong>du</strong><br />

moins <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s beautés <strong>de</strong> détail. Les chœurs f<br />

une <strong>de</strong>s parties les plus bril<strong>la</strong>ntes d'Eschyle, y<br />

sont d'une poésie admirable. Quant au siège <strong>de</strong> ThêV<br />

bes9 ce pouvait être un grand événement pour les<br />

Grecs; mais pour nous un siège ne peut sous inté*<br />

resser qu'autant que les assiégeants et les assiégés/<br />

sont respectivement dans <strong>de</strong>s situations critiques<br />

et attachantes. Quand il ne s'agit d'autre chose que<br />

<strong>de</strong> savoir si <strong>la</strong> ville sera prise ou non, et qui régnera<br />

d'Étéocle on<strong>de</strong> Polynic@9 dont l'un ne paraît<br />

mime pas, et dont Fautie ferait aussi bien do m<br />

pas paraître, il n'y a ni terreur ni pitié. Parmi ces<br />

longs récits, ces longues <strong>de</strong>scriptions, quelques<br />

morceaui choisis peuvent donner tfne idée <strong>du</strong> style<br />

<strong>de</strong> fauteur, et en même temps d'un genre <strong>de</strong> beautés<br />

qui n'entrerait pas aisément dans une <strong>de</strong> nos<br />

tragédies. Souffririons-sous que rénumération <strong>de</strong>s<br />

sept chefs qui assiègent Thèbes, et <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription<br />

<strong>de</strong> leur armure, occupât un acte entier? C'est pourtant<br />

ce que fait Eschyle; et cet acte est le troisième<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, ce qui pour aous'est eaeére bien<br />

plus extraordinaire. Yoïci <strong>la</strong> marche <strong>de</strong> cet acte.<br />

Un officier thébain rend compte à Étéocle <strong>de</strong>s dispositions<br />

<strong>de</strong> l'armée <strong>de</strong>s assiégeants. Il y a use<br />

attaque préparée à chaque porte, et à «chacune<br />

comman<strong>de</strong> un <strong>de</strong>s chefs alliés <strong>de</strong> Polysice. Quand<br />

l'officier a fait <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription d'un <strong>de</strong> ces chefs, le<br />

chœur implore le se<strong>cours</strong> <strong>de</strong>s dieux. Étéocle nomme<br />

le Thébain qui sera chargé <strong>de</strong> repousser l'attaque,<br />

et ce détail , qui recommence sept fois,* remplit un<br />

acte : nous souffririons à peine qu'il remplit une<br />

scène.<br />

« , Le terrible Tydée, an bord <strong>de</strong> rbménus,<br />

Menace en frémissant <strong>la</strong> porte <strong>de</strong> Prêtas.<br />

Le tenve Yaisement s f oppose à son passage t<br />

Yatoeraent le défia, que trouble un noir présage,<br />

Veut arrêter ses pas es attestant les dirai ;<br />

Le guerrier, teS qu'os volt an serpent furieux<br />

Dont les feux <strong>du</strong> midi, sur en brû<strong>la</strong>nt riwage,<br />

Embrasent les poisons et réveillent <strong>la</strong> rage,<br />

Le guerrier <strong>du</strong> aer<strong>la</strong> accuse <strong>la</strong> frayeur;<br />

ïl méprise aa augure, U insulte à <strong>la</strong> peur,<br />

îl agite, en par<strong>la</strong>nt, trois aigrettes flottantes,<br />

De son casque d'airain parures menaçantes ;<br />

Frappe et <strong>la</strong>it retentir son ¥aste bouclier,<br />

iln<strong>du</strong>strieui ouvrage, où brille sur facier<br />

Cet astre, œil <strong>de</strong> <strong>la</strong> Nuit. qui décrit sa carrière<br />

Haas <strong>de</strong>s eleax étoiles que remplit sa <strong>la</strong>ralère.<br />

Ainsi marche au combat ee guerrier orgueilleux<br />

Use <strong>la</strong>nce à <strong>la</strong> main, el le feu dans les yeux,<br />

11 appelle à grands cris <strong>la</strong> guerre et le ramage,<br />

Semb<strong>la</strong>ble au fier <strong>cours</strong>ier gai, bouil<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> courage,<br />

Entend braire <strong>de</strong> Mars les affreux instruments $<br />

Et répond à os brait par <strong>de</strong>s aena<strong>la</strong>seratati, etc.<br />

On croit lire i'Ilmdê, et l'épopée n'a pas un autre<br />

ton. Étéocle oppose à Tydée Mé<strong>la</strong>nippe, ils d'Astacus.<br />

L'officier continue son récit :<br />

A <strong>la</strong> porte d'Electre, aux assauts désunie,<br />

S'élé?e comme un roc rénorme Caaaaée :<br />

Et que puissent les <strong>de</strong>ux, prompts à TOUS exaucer,<br />

Détourner les malheurs qu'il YOUS ose annoncer!<br />

Nul mortel ne saurait égaler sa stature.<br />

Audacieux géant, qu'agrandit son armure,<br />

Il Jure que nos tours tomberont sous son bras,<br />

Que les dieux conjurés ne nous sauveraient pas.<br />

D'une vais sacrilège 1 , U <strong>de</strong>tte, il b<strong>la</strong>sphème<br />

L'Olympe, le Destin, et Jupiter lui-même.<br />

11 ose se vanter qu'es Tain ce dieu jaloux<br />

.Armerait contre lui son foudroyant courroux.<br />

' Pour lui, tout ce fracas qiii fait trembler <strong>la</strong> terre,<br />

M'est rien que <strong>du</strong> midi <strong>la</strong> repear passagère.<br />

Pour Jetet plus d*ef£rol, son boucUer d'airain<br />

Présente Un homme nu, <strong>la</strong> torche dans If main,<br />

Et ces sinistres mots ! J'embrmemi lu ville.<br />

Contre un tel tsneml tous sara-t-M facile


De trouver œ pKrrfar prtt à se mesurer?<br />

Qui Foaera cumbattre?<br />

Os voit que l'usage <strong>de</strong>s <strong>de</strong>vises guerrières a précédé<br />

<strong>de</strong> beaucoup <strong>la</strong> dmwdmiê mo<strong>de</strong>rne. Étéocle<br />

se propose d'en?oyer Polyphonte à <strong>la</strong> .rencontre<br />

<strong>de</strong> Capasée, et le Thébaln reprend son dis<strong>cours</strong> :<br />

An remparts <strong>de</strong> Miner?*, WjffQmêêm s'avance,<br />

Portait d'un bras nerf eu un bouclier Immense.<br />

le rai vu. J'ai freint i <strong>la</strong> main <strong>de</strong> l'artisan<br />

A gravé sur le fer un monstrueux Titan.<br />

Typfeée, en rugissant, <strong>de</strong> » bouenc eaf<strong>la</strong>nnnée<br />

Vomit <strong>de</strong> loup torrents d'un® noire fomée.<br />

Bes serpents à rentour, formant cm cercle affreux,<br />

m tenu enrpa replié» «OnlMant lea manda.<br />

Le cri <strong>de</strong> m guerrier Inspire l'épouvante;<br />

A i <strong>la</strong> voix t <strong>la</strong> marche et IïEU d'une bacchante f etc.<br />

Mai» pins toi», vers te nord » an tombeau i s AiapMaa t<br />

Beapifant le ravage «t <strong>la</strong> iastracUaa,<br />

Le jeune fartàéeepa, impatient, s'é<strong>la</strong>nse.<br />

Mm moins présomptueux s n Jtire sur ta <strong>la</strong>nce,<br />

Seule divinité qu'atteste sa fureur,<br />

Que malgré tout les dieux sea bras sera ?aJafaeaf.<br />

Bril<strong>la</strong>nt fi<strong>la</strong> d'une nymphe, et né sur les <strong>mont</strong>agnes f<br />

0 quitta l'Arcadie et ses belles campagnes,<br />

Lotagaâ» premier <strong>du</strong>?et, fleur <strong>de</strong> <strong>la</strong> puberté*,<br />

Omalt à peine eneor sa naissante beauté.<br />

Mais né d'os sang divin, il n'est pas moins farouche ;<br />

L'orgueil est dans ses yeux , tlnsstte est dans sa bouche $<br />

Et aaa armure même, outrageant nos nmpaftsy<br />

Mous retrace le monstre horreur <strong>de</strong> nos regards,<br />

Le Sphinx, <strong>de</strong> nos malheurs cette impure origine, etc.<br />

C'est bien là le style <strong>de</strong> l'épopée. Voici celui <strong>de</strong><br />

l'o<strong>de</strong>. IL© chœur est formé d'osé troupe <strong>de</strong> jeunes<br />

filles tbébaioês : épouvantées <strong>de</strong>s horreurs <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

guerre et <strong>du</strong> sort qui les menace, si Thèbes tombe<br />

au pouvok <strong>du</strong> vainqueur, elles adressent leur prière<br />

aux dieu.<br />

Du pies mortel affraâ nos sens sont pénétrés.<br />

De combien d'ennemis ces mors sont entourés !<br />

Telle <strong>du</strong> haut <strong>de</strong>s airs <strong>la</strong> colombe timi<strong>de</strong><br />

¥«§t #us vol effrayant fondra l'autour rapi<strong>de</strong>;<br />

LlBfortusée, hé<strong>la</strong>s ! tremble pour ses petits,<br />

Et d'une aile impuissante elle couine leurs nids<br />

Qii'altoiis-iMms <strong>de</strong>venir ? Les héros <strong>de</strong>s batailles<br />

Ont fait ¥oler leurs traits autour <strong>de</strong> nos muraiSles.<br />

Dieux, protégez les murs epe Cadmus a bâtis î<br />

SU faut qu'à l'étranger Ils soient assujettis,<br />

Si ¥@ua aiîtaiaaaai cette ville si chère,<br />

Des sources <strong>de</strong>Blrcé l'eau pure et salutaire,<br />

DSreé, fleuve sacré, pour vous s! plein d'appas,<br />

Le fins beau eue Neptune épanche en ces climats,<br />

Wma&rw&m habiter dans un plus doux asile?<br />

O dieux! qui d'Agéaor gar<strong>de</strong>i l'auguste ?ttïf,<br />

A nos sers esntmls renvoyé* <strong>la</strong> terreur ,<br />

Mmm entre leurs mains les traits <strong>de</strong> leur fureur,<br />

Et $ sauveurs dis Thébalos , garants <strong>de</strong> notre gloire,<br />

fteeerez dans nos murs l'encens <strong>de</strong> <strong>la</strong> victoire.<br />

tariies-vun* &* 1 é dteus! «s femparta renommés,<br />

par les Sambeaux <strong>de</strong> Mars en cendre consumés,<br />

ït les filles <strong>de</strong> Thèbes, à servir <strong>de</strong>stinées,<br />

aux pieds <strong>de</strong> leurs vainqueurs par tes chef eux tramées ;<br />

R@s cttoyaDt captifa, amenés dans àrps,<br />

Marchant le front baissé, comme <strong>de</strong> vils troupeaux?<br />

Qaef désordre! quel brait! ô tille malheureuse!<br />

Te pleures tes enfants f ta solitu<strong>de</strong> affreuse.<br />

Eé<strong>la</strong>s 1 qu'il est cruel pour <strong>de</strong> Jeunes beautés f<br />

A qui ri jaaes gardait <strong>de</strong> chastes voluptés,<br />

m fialtiaf m sgour <strong>de</strong> leur peMMa enfance,<br />

ANCIENS. — POÉSIE. §7<br />

D'assouvir <strong>de</strong>s soldats <strong>la</strong> brutale insolence !<br />

La mort est préférable à cet amas d'horreurs<br />

Qu'à <strong>de</strong>s murs pris d'assaut réservait les vatnuucuii.<br />

- La victoire inhumaine est le signal <strong>du</strong> crime.<br />

L'un emporte sa proie ou trains sa victime ;<br />

Une torche à <strong>la</strong> main, l'autre embrase- tes toits.<br />

L'impitoyable Mars ne connaît plus <strong>de</strong> lois :<br />

Il marche, Ivre <strong>de</strong> sang, à <strong>la</strong> lueur <strong>de</strong>s f<strong>la</strong>mmes,<br />

Au bruit <strong>de</strong>s fers f aux cris <strong>de</strong>s enfants et <strong>de</strong>s femmes ;<br />

8a fureur y répond par <strong>de</strong>s rugissements ;<br />

Il foule sous les pieds les plus saints monuments.<br />

Près <strong>de</strong> lui <strong>la</strong> rapine, au Milieu <strong>du</strong> carnagef<br />

Dispute <strong>de</strong>s débris, combat pour le partage :<br />

Les présents <strong>de</strong> Cérès, ravis et dispersés,<br />

Sont aux pieds <strong>de</strong>s soldats au hasard entassés ;<br />

Et, <strong>de</strong>bout <strong>de</strong>vant eux, <strong>de</strong>s captives tremb<strong>la</strong>ntes<br />

Font ruisseler le vin dans les coupes sang<strong>la</strong>ntes.<br />

La sort leur donne un maître : il faut, quel changement !<br />

Devenir <strong>de</strong> son Ut le servi le ornement.<br />

Il faut même oublier que Jadis une mer*<br />

Ne les éleva pas pour ce vU ministère, etc.<br />

Au quatrième acte, on apporte sur le théâtre les<br />

corps sang<strong>la</strong>nts d*Étéocle et <strong>de</strong> Polynice, tués l'un<br />

par l'autre, et il y a ici une scène dont l'exécution %<br />

est belle et pathétique, mais qui pour nous coït? leadrait<br />

mieux à Topera qu'à <strong>la</strong> tragédie. Un choeur<br />

<strong>de</strong> Thébains, et ensuite les sœurs <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ui princes,<br />

Ismène et Astlgoae, déplorent tour à tour les<br />

crimes , les fureurs et <strong>la</strong> mort <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ui frères, dont<br />

les cadavres sont sous leurs yeux. C'est une espèce<br />

d f o<strong>de</strong> en dialogue 9 un <strong>du</strong>o <strong>de</strong> p<strong>la</strong>intes et <strong>de</strong> regrets y<br />

en très-beaux vers, et d'une forme très-favorable à<br />

<strong>la</strong> musique, dont les dé?iloppements seraient ici fort<br />

bien p<strong>la</strong>cés; mais tout ce qui arrête et suspend Faction<br />

est dans une tragédie un défaut réel, et c'est<br />

l'inconvénient <strong>de</strong> cette scène qui est trop prolongée,<br />

et


8S C0D1S M MTTÉMTC1E.<br />

La sang Inondait lents armera;<br />

Et leur bouche mourante exha<strong>la</strong>it leurs team.<br />

mcmm mmm»<br />

Tous <strong>de</strong>ux, en Immo<strong>la</strong>nt un Mm,<br />

IbpMmatotdfiieris foraines.<br />

HUSMIEA CHCBUS.<br />

Tous doue es combattant semb<strong>la</strong>ient environnés<br />

Des malédictions d'an père.<br />

wmm eue»»*<br />

Le <strong>de</strong>uil noircit nos tours t et nos murs ont gémi.<br />

Ils soot tombés, nos rois, hé<strong>la</strong>s ! M Thèbes pleure :<br />

Le trône armait te bras <strong>de</strong> ce eouple ennemi;'<br />

La terre ouvre à lois <strong>de</strong>ux leur <strong>de</strong>rnière <strong>de</strong>meuré.<br />

FOlXiBl CBOEMI,<br />

D'antres hériteront <strong>de</strong> ce trône odieux<br />

Qu'a longtemp disputé leur rage.<br />

Le fer, <strong>de</strong> leur iperéile arbitra Impériaux 9<br />

Leur a fait un égal partage.<br />

SBCOFf» CBocca<br />

Tous <strong>de</strong>ux n'auront <strong>de</strong> teur pays<br />

Que <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce où leurs corps seront enseveUs.<br />

fREMlEC CHOEUR.<br />

ah I rsoiàcareose entre les mères,<br />

fanera «épouse <strong>de</strong> son ils,<br />

Qui mit m Jour, bê<strong>la</strong>s ! ces <strong>de</strong>ux fils sanguinaires<br />

Pour être à Jamais ennemis 1<br />

secoue caoEm.<br />

F<strong>la</strong>rs rivaux que n'a pu réunir <strong>la</strong> nature,<br />

Ce sang qui fut puisé dans une source Impure<br />

€e sang répan<strong>du</strong> par YOS coup,<br />

Se isête en ê'mmâmî, se confond maigri vous.<br />

FUMER CBOEUa.<br />

De <strong>la</strong> terre «éerable ouvrage,<br />

€e mé^ exterminateur,<br />

Le fert présent <strong>la</strong>it à <strong>la</strong> rage,<br />

Mars, Impitoyable vengeur.<br />

Ont ainsi partagé le funeste héritage •<br />

Qm'OEdlpe à set enfants <strong>la</strong>issa dans sa fureur.<br />

§E€0!fO CHOEUR.<br />

De <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur ils ont senti llvresse.<br />

Us ont brigué le pou?oirv les trésors :<br />

Bans le sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> tem ils trouvent leur richesse s<br />

Et leur royaume est ehes les morts.<br />

L'Euméni<strong>de</strong>, au sein <strong>de</strong>s ténèbres,<br />

Au moment ou Se g<strong>la</strong>ive a terminé leurs Jours,<br />

Poussa <strong>de</strong>s cris aigus au sommet <strong>de</strong> nos tours<br />

Et <strong>la</strong>menta <strong>de</strong>s chants funèbrea.<br />

SECOUB CHOEUR. "<br />

àm portes <strong>de</strong> <strong>la</strong> viié, au pied <strong>de</strong> nos remparts.<br />

Aie, nienacante Inflexible,<br />

Tint asseoir son trophée horrible t<br />

Et sur les combattants attacha ses regards.<br />

EHe vit leur trépas, comme elle vit leurs crimes.<br />

Et resta satisfaite auprès <strong>de</strong> sea vfcUjnes.<br />

Polynlce!<br />

ttéocle!<br />

àwmmmL<br />

0 vanx toujours trompés !<br />

ANTIGONR.<br />

Tous <strong>de</strong>ux teppent et sont frap-les.<br />

Le sang contre le-sang !<br />

ANTIGOME.<br />

Le frère contra un frire !<br />

ISMiMTL<br />

Ah ! Je succombe à ma misère.<br />

âPTIGCMIL<br />

D'Intarissables pleurs mes yeux seront trempés.<br />

Le mineur nous unit autant que <strong>la</strong> nature.<br />

àxmumK*<br />

Qof ! où sert leur sépulture?<br />

IMéHR.<br />

Ou dose reeevrax-vous f rivaux taifertanéi t<br />

Les suprêmes houieim qui vous sont tatfses?<br />

àwnmmt*<br />

En quel endroit <strong>de</strong> cette terra<br />

ISMÈHE.<br />

Au tombera <strong>de</strong> MM rots.<br />

jyrneorai<br />

A celé <strong>de</strong> leur père, etc,<br />

Nous voici enin arrivés as seul ouvrage d'Eschyle,<br />

do moins <strong>de</strong> ceux pi sons restent, où l'os<br />

trouve <strong>de</strong>s beautés vraiment tragiques, vraiment<br />

théâtrales : c'est <strong>la</strong> pièce intitulée k$ €o€phm°m9<br />

mot qui signiie poriewt <strong>de</strong> iBoii@m, parce que le<br />

chœur est composé <strong>de</strong> femmes esc<strong>la</strong>ves qui portent<br />

<strong>de</strong>s vases et <strong>de</strong>s présents iméraires. Ce n'est pas<br />

<strong>la</strong> seule fois que le chœur a donné son nom aui<br />

tragédies <strong>de</strong>s Grecs. Lu Pàè<strong>de</strong>kmm$ d'Euripi<strong>de</strong>,<br />

dont le sujet est précisément <strong>la</strong> Thébaï<strong>de</strong>, sont appelées<br />

ainsi, parce que le èhœnr est composé <strong>de</strong><br />

femmes <strong>de</strong> Phénicîe; et lu TmeMnimms <strong>de</strong> Sophocle,<br />

dont le sujet est. <strong>la</strong> mort d'Hercule, tirent<br />

aussi leur nom <strong>de</strong> femmes <strong>de</strong> Traetiine, ville <strong>de</strong><br />

Theséaiie, où se passe <strong>la</strong> scène. Celle <strong>de</strong>s Cùipk&rm<br />

est dans Argos. Le sujet est <strong>la</strong> Vengeance qu'État?<br />

et Oreste veulent tirer <strong>du</strong> 'meurtre d'Agamemnon,<br />

assassiné par leur mère Clytemnestre. Ce sujet,<br />

traité tant <strong>de</strong> fois parmi les mo<strong>de</strong>rnes t n'a pas excité<br />

moins d'ému<strong>la</strong>tion ehes les anciens. Il a été un<br />

objet <strong>de</strong> concurrence entre Eschyle, Euripi<strong>de</strong>, et<br />

Sophocle. On n'avait pas alors cette ridicule tt révoltante<br />

injustice <strong>de</strong> croire que ce lit an crime <strong>de</strong><br />

s'exercer sur un sujet déjà manié par un antre auteur.<br />

Cette noble rivalité ne passait pas pour une<br />

basse jalousie; et les Grecs, occupés <strong>de</strong> leurs p<strong>la</strong>isirs,<br />

ne calomniaient pas si ma<strong>la</strong>droitement ceux<br />

qui leur en préparaient <strong>de</strong> nouveaux. Le vaste champ<br />

<strong>de</strong>s arts est ouvert à tout le mo'n<strong>de</strong> : nulle partie<br />

n'en appartient exclusivement à celui qui le premier<br />

y a porté <strong>la</strong> main; et les traces mêmes <strong>du</strong> génie,<br />

tontes respectables qu'elles sont, ne ren<strong>de</strong>nt point<br />

sacrilège celui qui s'avance sur <strong>la</strong> même route.<br />

Les Coëplmm sont encore une pièce très-imparfaite<br />

; mais le sujet en est dramatique; on commence<br />

à voir quelque idée d'une action théâtrale.<br />

Eschyle est même le premier qui ait imaginé d'intro<strong>du</strong>ire<br />

Oreste apportant <strong>la</strong> <strong>du</strong>sse nouvelle <strong>de</strong> sa<br />

propre mort : invention heureuse et qui a été suivie.<br />

Mais d'ailleurs il y a peu d'art dans <strong>la</strong> pièce.<br />

La reconnaissance <strong>du</strong> frère et <strong>de</strong> <strong>la</strong> sœur n'est nullement<br />

ménagée : au moment où Electre voit <strong>de</strong>s<br />

cheveu sur le tombeau d'Agamemnon, elle songe<br />

à si» frère, et fait <strong>de</strong>s vceui pour son retour.


ANCIENS. — POÉSIE,<br />

•f<br />

Orast», foi est «acbé iaai le fuitinage» se <strong>mont</strong>ra ees fatales Imprécations <strong>de</strong>vait foire frémir les spec­<br />

anssltét, et illt : le smk eeàd qwe mm éésim;jê tateurs.<br />

mis Oresie» Égisthe et Clytemnestre ne paraissant<br />

£ueruf mm» fmmsm ftef tm mémmê*<br />

qu'un seul moment, et pour lift égorgés. Mil dé?eloppeniest<br />

dans les caractères, nulle suspension dans<br />

ks éféntments. Electre et Oreste se sont jamais<br />

en danger ; et leur danger défait itre <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong><br />

source d'intérêt. Mais enfin le style et le dialogue<br />

sont <strong>du</strong> ton <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie, et <strong>la</strong> scène fai outre<br />

le second acte est d'un ordre supérieur. Cfétait<br />

pour <strong>la</strong> première fois que Melpomène prenait un<br />

ton si élevé. On aime à voir ces premiers efforts<br />

d'un art naissant; et m doit être une chose digne<br />

d'attention qu'une scène d'Eschyle que le grand<br />

Racine admirait comme un <strong>de</strong>s plus te» monuments<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie antique. Elle est d'un appareil<br />

t»iatp«saat; et ce n'est pas <strong>la</strong> seule fois qs'Esdijle<br />

a pu servir <strong>de</strong> modèle dans cette partie <strong>de</strong><br />

Fart, qui consiste à donner à <strong>la</strong> représentation une<br />

pompe qui fait partie <strong>du</strong> sujet et ajoute à <strong>la</strong> situa-<br />

EseJaies qui m'tââm dans ee triste êmoit,<br />

Quels vŒtti puJs-je former sur te tombeau cFum père?<br />

En épanchant les esm <strong>du</strong> Yase funéraire,<br />

Dtral-Je : « AgMMmnon, «f est ton épouse es pics»<br />

« Qui tfofln, par mes mains, les dons <strong>de</strong> ses douteras.<br />

« an mânes d'an époux elle offre cet hommage! »<br />

Hou, Je ne f «e pas. Hé<strong>la</strong>s ! et quel <strong>la</strong>ngage y<br />

Quelle priera encore et quels souhaits pieux<br />

Conffcanent à sa fille en cas funèbres Deux?<br />

Partes, qu'en ee moment vos mh m<br />

non. Electre s'avance portant <strong>de</strong>s libations et <strong>de</strong>s<br />

offran<strong>de</strong>s 9 et suivie d'un chour <strong>de</strong> femmes esc<strong>la</strong>ves<br />

qui portent aussi <strong>de</strong>s vases et <strong>de</strong>s présents : c'est<br />

0 ytemnestre qui a chargé Electre <strong>de</strong> ces dont funèbres,<br />

<strong>de</strong>stinés à honorer le tombeau d'âgamemnoii<br />

et I fléchir, s'il se peut, son ombre irritée. Pour<br />

entrer dans l'esprit <strong>de</strong> cette scène f il faut bien se<br />

souvenir <strong>du</strong> pouvoir que les anciens attachaient aui<br />

impécations religieuses et à <strong>la</strong> vengeance <strong>de</strong>s<br />

miiies. Si Electre ba<strong>la</strong>nce, comme on va le voir, à<br />

implorer l'ombre d'Agaraeranon et à maudire ses<br />

assassins, c'est qu'elle est bien sûre que sa prière<br />

ne sera pas vaine, qu'elle sera enten<strong>du</strong>e <strong>de</strong>s dieux<br />

kfernaiii » et qu'ils se chargeront <strong>de</strong> l'exaucer. Deman<strong>de</strong>r<br />

<strong>la</strong> mort <strong>de</strong>s coupables, c'est <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>la</strong><br />

mort <strong>de</strong> sa mère : elle tremble, elle hésite, et le<br />

chœur <strong>la</strong> rassure et l'encourage. Parmi nous, elle<br />

ba<strong>la</strong>ncerait moins à prononcer <strong>de</strong>s malédictions<br />

dont f effet ne nous paraîtrait pas <strong>de</strong>voir Itre si<br />

prompt et si infaillible, et qui d'ailleurs semblent<br />

Ère le cri naturel <strong>de</strong>s opprimés et <strong>la</strong> conso<strong>la</strong>tion <strong>de</strong><br />

Timpussance. C'est par une suite <strong>de</strong> cette mime<br />

croyance, qui n'est pas <strong>la</strong> nôtre, que Clytemnestre<br />

eUe-méme s'efforce d'apiser, autant qu'il est possible,<br />

Fombre <strong>de</strong> son époux massacré, et n'ose se<br />

présenter <strong>de</strong>vant sa tombe, qu'elle profanerait par<br />

sa présence* Elle envoie sa Elle, qui est innocente,<br />

et foi doit itre éhère à son père; et sa fille saisit<br />

ee même instant pour faire d'un sacrifice expiatoire<br />

une invocation <strong>de</strong> vengeance et <strong>de</strong> haine adressée<br />

aux divinités Infernales, et dont l'effet doit tomber<br />

sur Qytemnestre. Cette idée est gran<strong>de</strong> et sublime,<br />

et le moment ©à Electre se résout i <strong>la</strong>ncer enfin<br />

t enomtnpnt<br />

ait! sur les meurtriers dont les présents Poutrafsni,<br />

Si mm totx appe<strong>la</strong>nt sa vengeance et ses coups.<br />

De ses mânes trahis attestait le courroux!<br />

SI mon cour en croyait ee transport qui l'anime...<br />

Enfin, puisque Je Tient pour expier un crime,<br />

Dols-Je j«t*r an loin cas rues odieux,<br />

Et fuir avec horreur en détournant les yeux?<br />

Hmptore vos conseils; Je m'y soumets sans peint :<br />

Tons partapx kl mes malheurs et ma chaîne.<br />

Ne craignes rien ; songes que sous ks lois <strong>du</strong> sort.<br />

L'esc<strong>la</strong>ve et le tyran sont égaux dans <strong>la</strong> mort :<br />

Ked<strong>la</strong>stmulrs point, et bannbseï <strong>la</strong> crainte,<br />

LE CBOKJR.<br />

Poos sommai sans effroi, nous parierons sa<br />

ÉMMCMM»<br />

J'en Jura le tombeau <strong>du</strong> plus grand <strong>de</strong>s mortels,<br />

Pins asfuste pour mol t plus saint que les autels,<br />

•h I si ?©us référés <strong>la</strong> cendre <strong>de</strong> mou père,<br />

Tous pou wm tout sur mol ; sa fille TOUS est coin.<br />

Parte.<br />

m enam<br />

En arrosant os marhre Inanimé,<br />

<strong>la</strong>rncpei ce héros pour ceux «pi l'ont aimé.<br />

Éxncrrm»<br />

Lai ennemis dfglstfae.<br />

iLBcmi.<br />

Moi?<br />

yicwini.<br />

•on.<br />

iUCTU.<br />

lMstiili, hé<strong>la</strong>s!<br />

m CHonia.<br />

IMataMlonaltffsts<br />

Tous fatt-M OTMIer juHiest encor... Mais nos :<br />

Cest à mm seule, Bectre, à prononcer ce nom.<br />

» Éttcmii»<br />

Qwài£ûmmmfà9m$oltt*lqsà'wmÈM~'wmM®m?<br />

Oreste est loin <strong>de</strong> tons* mais Oreste reeftm<br />

BXICTM.<br />

Quel Jour luit dans mon cent»!<br />

m «non».<br />

€earaf Infortuné<br />

He doit rltn voir Ici qu'un père astasaliiâ<br />

Outra ses amassbu<br />

ÛJBCMËM.<br />

Faut-il une Je vous €roie?<br />

m mmm,<br />

Deman<strong>de</strong>s à grands «te que le câd Youienioie...<br />

tucmi.<br />

Des Jnps? <strong>de</strong>s Teifeurs ?<br />

m GBOEPI.<br />

Un dieu pour fdtis armé,<br />

Ou Mes quelque monel par les dieux animé t<br />

Qui Cgw<strong>de</strong>s d'éomter <strong>de</strong>s sestamaits telâM}<br />

Qui ffiret sans plié te sang <strong>de</strong>s parrM<strong>de</strong>s.


m<br />

tiucni.<br />

Eitae à moi .Juste ciel! à mol qull est permis<br />

m «nhtlter <strong>la</strong> mort à d« tels ennanli?<br />

os amim.<br />

Tmîmî^mmâMmMêêmUktpilfmmmïtU&lmê,<br />

A qui s'en ?®tt encor l'esc<strong>la</strong>ve et ta victime.<br />

ELECTRE.<br />

Eh Mm donc, ô Mercure ï © dieu <strong>de</strong>s nombres bords,<br />

D©nl ie sceptre tranquille est redouté <strong>de</strong>s morts ,<br />

¥* présenter mes vœux à cet dieu Inflexibles<br />

Dont mon père aujourd'hui subit les lois terribles;<br />

A <strong>la</strong> terre, par qui tout naît et se détruit,<br />

Qui rappelte en son sein tout ce qu'elle a pro<strong>du</strong>it.<br />

O mes père! reçois cette liqueur sacrée.<br />

{Mlle répand dm UbaU&m,}<br />

Je rappelle, 6 gran<strong>de</strong> ombre es mon cœur adorée!<br />

Jette un œil <strong>de</strong> pitié sur tes tristes enfants !<br />

Fais que ians.ton pa<strong>la</strong>is Ils rentrent triomphants !<br />

Maintenant poursuivis, trahis par une mère t<br />

Ils se peuvent trouver d'asile sur <strong>la</strong> terre.<br />

Os a souillé ton Ut, et ton épouse , ô <strong>de</strong>! 1<br />

T reçoit dans ses bras ton assasslu cruel.<br />

Oreste est fugitif, et mol f Je suis esc<strong>la</strong>ve ;<br />

Et ee lâche oppresseur, ÉgSsthe qui nous brave f<br />

Qui s'assied sur ton trône f et rit <strong>de</strong> nos soupirs,<br />

Lifrant aui voluptés ses coupables loisirs,<br />

Riche <strong>de</strong> tes trésors t tranquille sur sa proie ,<br />

Dévora Insolemment les dépouilles <strong>de</strong> Troie.<br />

Mou père, estesds ma voix : fais qu'Electre à Jamais<br />

Éloigne <strong>de</strong> sou cœur l'exemple <strong>de</strong>s forfaits,<br />

* Des <strong>de</strong>stins esnemls supporte tes injures,<br />

El eoastrve <strong>de</strong>s mutas isnoeeiitei et pures.<br />

Tels sont mes voeux pour mot, pour ton mâUwurciiz Sis.<br />

€isoee d'autres VCêUX contra tes ennemis ;<br />

Parais f Hèv#»tol <strong>de</strong> ta tombe insultée ;<br />

Parais, qu'à ton aspect leur âme épouvantée<br />

Ressente cet effroi, iirésursetir <strong>du</strong> trépas ;<br />

Lance sur eux ces traits que Fou n'évite pas t<br />

Que prépara et con<strong>du</strong>it Némésls indignée;<br />

Tiens, donne-leur <strong>la</strong> mort comme Sis te Tout donnée.<br />

{Aux êwiwmtm.)<br />

Et vous, faites entendre auteur <strong>de</strong> ee eerenflU<br />

Les chants <strong>de</strong> <strong>la</strong> tristesse et les hymnes <strong>du</strong> <strong>de</strong>uM.<br />

m cBonm.<br />

Pleurons, pleurons sur notre maître ,<br />

Sur notre maître malheureux.<br />

Pleurons sur ses enfants : ah 1 ses enfants, petit-être ,<br />

Oût un sort encor plus affreux,<br />

La source <strong>de</strong> nos pleurs ne peut être tarte :<br />

Que son ombra en soit attendrie.<br />

Mêlons t mêlons nos pleurs à ces libations<br />

QuHleetre vient répandra<br />

Sur cette auguste eendra ;<br />

Près <strong>de</strong> qui le <strong>de</strong>stin veut que nous gémissions.<br />

û grand âcamemniin! <strong>du</strong> séjour <strong>de</strong>s ténéhns,<br />

Entends nos cris ftinèbresî<br />

Le malheur trop longtemps s'est reposé «ut sons :<br />

Que sur nos ennemis désormais il s'arrête.<br />

ÉLMTflUB.<br />

le dévoue aux enfers, à <strong>la</strong> mort» à tes coup<br />

Leur ctlintiielle tête.<br />

m €BOH?S.<br />

Qui sera ton vengeur? qui nous sauvera tous?<br />

O Mars ! <strong>de</strong> sang insatiable I<br />

O Mars! e'est à toi <strong>de</strong> frapper.<br />

Descends t prends dans tes malus ee g<strong>la</strong>ive inévftab<strong>la</strong><br />

Qui vient moissonner le coupante<br />

Au moment qu'il croit échapper.<br />

COUBS DE UnÉBàTUBE.<br />

On peut résumer qu'Eschyle a inventé <strong>la</strong> scène,<br />

îa dialogue, et l'appareil théâtral; qu'il a le premier<br />

traité une action ; qu'il a été grand poète dans<br />

•es chœurs; qui! s $ est élevé dans quelques scènes<br />

au ton <strong>de</strong> <strong>la</strong> mit tragédie; fu v «Éin U a eu <strong>la</strong> gloire<br />

d'ouvrir <strong>la</strong> route où Sophocle et Euripi<strong>de</strong> ont été<br />

Men plus loin que lui.<br />

sac»» m. — De Sophocle.<br />

11 ne nous reste <strong>de</strong>s nombreux outrages qui remplirent<br />

sa longée carrière que sept tragédies, I»<br />

TYaeMniennes, jtfaxfitHeux, Jnti§®m9 Œdipe<br />

mi, Œdipe à €®hme, ÊMctre, et Phitoctète.<br />

Tout ie mon<strong>de</strong> sait que Sophocle a fait <strong>de</strong> belles<br />

tragédies : l'on ignore communément qu'il commaoda<br />

les armées s et fut élevé à <strong>la</strong> dignité d'archonte<br />

9 <strong>la</strong> première <strong>de</strong> <strong>la</strong> république d ? Athènes. On<br />

a souvent rappelé ce procès intenté par l'ingratitu<strong>de</strong><br />

et gagné par le génie; cette e4Ietise accusation <strong>de</strong>s<br />

enfants <strong>de</strong> Sophocle, qui, <strong>la</strong>s d'attendre son héritage<br />

9 et impatients <strong>de</strong> sa longue vieillesse, <strong>de</strong>mandèrent<br />

son interdiction à f aréopage s sons prétexte<br />

que sa tête était affaiblie. Le vieil<strong>la</strong>rd, pour toute<br />

défense, <strong>de</strong>manda aux juges <strong>la</strong> permission <strong>de</strong> leur<br />

lire <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière pièce qu'il Tenait d'acheter. C'était<br />

son Œdipe à Cobne, ouwage qui défait confond<br />

dre doublement ses accusateurs, puisqu'il y représente<br />

un père dépouillé par <strong>de</strong>s fils ingrats : il semb<strong>la</strong>it<br />

qu'un sentiment secret lui eit dicté sa propre<br />

histoire. Il fut recon<strong>du</strong>it jusque chez lui avec <strong>de</strong>s<br />

acc<strong>la</strong>mations, et 9 plus in<strong>du</strong>lgent quXJBdîpe, il pardonna<br />

à ses enfants. Il avait près <strong>de</strong> cent ans et<br />

avait composé cent vingt tragédies lorsqu'il fat couronné<br />

<strong>de</strong>vant toute <strong>la</strong> Grèce aux jeux olympiques.<br />

•11 mourut dans les transports <strong>de</strong> sa joie et dans le<br />

sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> gloire. 11 n'a manqué au Sophocle <strong>de</strong> nos<br />

jours, pour être aussi heureux que l'ancien, que <strong>de</strong><br />

mourir comme lui au milieu <strong>de</strong> son triomphe.<br />

Je commencerai par ceui <strong>de</strong> ses outrages qui<br />

nous sont le moins familiers, parce qu'ils 11*001 pas<br />

encore été transportés sur notre théâtre; je finirai<br />

par ceux qu'on y a pour ainsi dire naturalisés, et<br />

sur sept, y en a quatre, lès <strong>de</strong>ux Œdipe$, Ékc~<br />

ire, et PMtoctèîe.<br />

Le sujet <strong>de</strong>s Traehimlmmes est <strong>la</strong> mort d'Hercule<br />

, causée par <strong>la</strong> jalousie <strong>de</strong> Déjaoïre et <strong>la</strong> fatale<br />

robe <strong>de</strong> Nessus. Les a<strong>la</strong>rmes et les inquiétu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

cette femme, qui attend son époux absent <strong>de</strong>puis<br />

plus d'un an, un chœur <strong>de</strong> jeunes filles et son fils<br />

Hyllus, qui ia rassurent et <strong>la</strong> coosolent, forment<br />

Fêiposition <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce. Béjaoire est d'autant plus<br />

inquiète, qu'un oracle a prédit qu'Hercule périrait<br />

dans l'expédition d'OEchalle, pour <strong>la</strong>quelle il est<br />

parti Y ou que, désormais ren<strong>du</strong> à lui-même, il jouirait,<br />

après tant <strong>de</strong> travaux, d'un <strong>de</strong>stin doux et<br />

tranquille : oracle à double sens, comme tant d'autres;<br />

car ce repos ne veut dire ici que <strong>la</strong> mort qui<br />

attend Hercule au retour, et le bûcher d'où U s'élè-


AUCUNS. — FOÉSHL<br />

?era dans l'Olympe. D^anûrt aime dans Hercule un<br />

bénis v us libérateur, et un époux. Elle se p<strong>la</strong>int que<br />

<strong>la</strong> gloire l'enlève trop souvent à sa tendresse.<br />

«Vo«s serai ^Mmesqoélqiie Jour, dlt-dto à ees Jettera<br />

Mm qui l'entourent, et TOUS sauras alun tout m caca»<br />

peut ratifiée dans M sttoatta es je suis. »<br />

(Test us endroit que Raeine paraît avoir imité dans<br />

Jmirmmaqm, quand cette princesse dit à Hermione<br />

:<br />

Yem UQTCZ quelque Jour,<br />

Materna f peur ma Ii§ Jusqu'où ta notre amoor ? ete.<br />

Un envoyé vient annoncer à <strong>la</strong> reise qu'il a rencontré<br />

Lycas, Fanai d'Hercule, qui précè<strong>de</strong> son<br />

maître ; que ee héros revient triomphant $ et lui envoie<br />

les dépouilles <strong>de</strong>s ennemis et les captives qu'il<br />

a ramenées. En effet, Lyeas paraît un moment<br />

après, suïfl <strong>de</strong> toutes ces femmes prisonnières, qui<br />

se rangent au fond <strong>du</strong> théâtre. On distingue à leur<br />

tête <strong>la</strong> jeune lolet remarquable par sa beauté. Déjante,<br />

à cette vue, éprouve un mouvement doulouivtix,<br />

qu'elle attribue à <strong>la</strong> pitié que lui inspire<br />

k sort <strong>de</strong> ces infortunées; mais le spectateur démêle<br />

déjà les premières impressions <strong>de</strong> <strong>la</strong> jalousie.<br />

La reine «'occupe particulièrement <strong>de</strong> celte jeune<br />

captif©; elle est touchée <strong>de</strong> sa beauté , <strong>de</strong> sa douleur<br />

mo<strong>de</strong>ste et noble. Elle l'interroge plusieurs fois,<br />

lele baisse les yeux et gar<strong>de</strong> le silence. La reine<br />

interroge Lyeas, qui ne lui donne aucune lumière.<br />

Elle le fait entrer avec toutes les prisonnières dans<br />

l'intérieur <strong>du</strong> pa<strong>la</strong>is. Un homme survient , et s'offre<br />

à lui révéler un secret important : elle lui ordonne<br />

<strong>de</strong> parier. Il lui apprend que Lycas <strong>la</strong> trompe; que<br />

Lyeas a lui-même avoué, en arrivant, les nouvelles<br />

faiblesses d'Hercule ; que ee héros, épris <strong>de</strong>s charmes<br />

Hôte f n'a <strong>la</strong>it k guerre à Euryte, roi d'OEehalïe,<br />

que pour ravir sa 111e f et qulole, bien loin d'être<br />

traitée en captive, va régner en souferaiue sur <strong>la</strong><br />

lliessalie et sur Déjanire elle-même.<br />

• lUiemne(s 9 éaffeMlf)S quel serpent «f-Je reçu<br />

êmê mimmmf*<br />

Lyeas reparaît pour prendre ses ordres, et près<br />

d'aller rejoindre Hercule qui s'est arrêté au pro<strong>mont</strong>oire<br />

<strong>de</strong> Cénée pour foire un sacriiee à Jupiter. Déjanire<br />

irritée lui reproche sa perfidie. Elle sait tout,<br />

cl vent tout savoir : c'est le cri <strong>de</strong> <strong>la</strong> jalousie. Elle<br />

s'emporte, elle menace. Lycas persiste à nier qu'il<br />

sache rien <strong>de</strong> ce qu'elle <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Alors elle feint<br />

<strong>de</strong> s'apaiser par <strong>de</strong>grés : elle n'est indignée que <strong>de</strong><br />

ce qu'on veut lui en imposer ; car d'ailleurs elle est<br />

accoutumée à pardonner aui infidélités <strong>de</strong> son époui.<br />

Eofin elle frit si bien, que lycas ne croît plus <strong>de</strong>voir<br />

lui cacher ce qu'après tout, dit-il, son maître ne<br />

91<br />

caehe pas lui-même. Toute cette scène est prfaftee<br />

ment con<strong>du</strong>ite, et Ton voit déjà un art inconnu -à<br />

Eschyle. C'est alors que Déjanire, occupée tout entière<br />

<strong>de</strong>s moyens d'écarter sa rivale et <strong>de</strong> regagner<br />

le cœur <strong>de</strong> son époux, se ressouvient que le sang<br />

<strong>de</strong> Messas est un philtre qui, si elle en croit ce que<br />

lui a dit le centaure mourant, rallume l'amour près<br />

<strong>de</strong> s'éteindre. Elle teint <strong>de</strong> ee sang une robe qu'elle<br />

envoie à son mari, et qu'elle remet à Lycas. Ce<br />

n'est pourtant pas sans inquiétu<strong>de</strong> et sans effroi<br />

qu'elle se résout à employer ce charme inconnu<br />

dont elle n'a pas encore fait l'épreuve; car son caractère<br />

n'a rien d'odieux, et elle n'a pas une pensée<br />

coupable : elle n'est que jalouse et cré<strong>du</strong>le. A peine<br />

Lycas est-il parti, qu'elle confie au chœur ses a<strong>la</strong>rmes<br />

, ses remords » ses funestes pressentiments. Elle<br />

se rappelle que les lèches qui ont percé Misais<br />

étaient infectées <strong>de</strong>s poisons mortels <strong>de</strong> l'hydre <strong>de</strong><br />

Lerne. Elle se livre au désespoir, et jure que, s'il font<br />

que son mari soit victime <strong>de</strong> son impru<strong>de</strong>nce, elle<br />

ne lui survivra pas un moment. Ses craintes ne tar<strong>de</strong>nt<br />

pas à être confirmées. Son fils Hyllns, qui<br />

était allé au-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong> son père, l'a vu revêtir <strong>la</strong><br />

robe empoisonnée, et en .a vu les horribles effets.<br />

Cette <strong>de</strong>scription, digne <strong>du</strong> pinceau <strong>de</strong> Sophocle,<br />

remplit le quatrième acte. Ces sortes <strong>de</strong> moreeaui<br />

p<strong>la</strong>isaient infiniment aux Grecs, et occupaient chez<br />

eux beaucoup plus <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce que nous ne leur en<br />

permettons aujourd'hui. Hyllns accable sa mère <strong>de</strong><br />

reproches. Elle sort sans répondre un seul mot f et<br />

l'on apprend, un moment après f qu'elle s'est donné<br />

<strong>la</strong> mort, et que son fils lui-même, instruit <strong>de</strong> l'erreur<br />

qui l'avait ren<strong>du</strong>e criminelle, I embrassé sa<br />

mère mourante, et l'a baignée <strong>de</strong> ses <strong>la</strong>rmes.'On<br />

apporte sur le théâtre le malheureux Hercule, qm<br />

faces <strong>de</strong> ses maux a endormi un moment. Il se réveille<br />

bientôt, et le spectacle prolongé <strong>de</strong> ses douleurs<br />

est une sorte <strong>de</strong> situation passive qui réussirait<br />

moins parmi nous que chez les Grecs, surtout<br />

dans un cinquième acte s : nous voulons aller plus<br />

rapi<strong>de</strong>ment au but. Au reste, on peut s'attendre<br />

que Sophocle ne met dans sa bouche que <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>intes<br />

éloquentes et dignes d'Hercule, Cicéron les a<br />

tra<strong>du</strong>ites en vers <strong>la</strong>tins, et Eacine le fils en vers<br />

français.<br />

Plu bar ban pour mol qu* Eoiystbé» et louas,<br />

O fille itKaét» ! quelle est ta trahison !<br />

Et quels sont 1» tourmenta dont ta me vends ta peoto,<br />

Par le fatal présent que ta fureur m'envole f<br />

Tu m'as enveloppé <strong>de</strong> ee voile mortel ,<br />

Ge voile que pénètre us poison*! cruel,<br />

Voile afftfoi qu'ont Usse Hégire et Ttsipeene.<br />

Tout mon sang enf<strong>la</strong>mmé dans mes veines booilkmoe :<br />

* Cette division <strong>de</strong>s pièws ea tooto on m einq mm MM<br />

iMonnue aux Gîtes.


m<br />

. Qu'allume en moi « mîle a mon eorp attaché.<br />

Ainsi ce que n'ont pu t dans F horreur <strong>de</strong> te guerre ,<br />

Centaures el géeofs, Sers enfant! <strong>de</strong> k terre<br />

Ga que tout l'univers n'osa Jamalf tenter,<br />

Une femme le tente, et l'ose exécuter.<br />

Mon fils , soutiens Ion nom : ton amotif pour ton père<br />

Doit effacer en toi tolit amotir pour ta mère.<br />

Ta chercher, ¥a saisir celle qui m*a trahi t<br />

Trafne-<strong>la</strong> jusqu'à mol, va s eonrs et m'obét.<br />

Cours venger.... Mais bâts ! que fafs-Je t misérable !<br />

Je pleura, et jaiqiricl, d'un front Inébran<strong>la</strong>ble,<br />

De tant d'aHreoi revers J'ai sooleoo rhoneur.<br />

Mon ils s <strong>de</strong> oe poison vois quelle est <strong>la</strong> foreur !<br />

Ose approcher ; et wm» , aeoowes tons ensemble ,<br />

Peuples, que dans ces fleai mon malbeur TOUS rassemble !<br />

Contemplei en moi seul tons les tourments divers.<br />

Ah ! préciplto-Biol dans le fond <strong>de</strong>s enfers 9<br />

Termine par te foudre et ma vie et ma bonté t<br />

Grand dieu ! témoin <strong>de</strong>s maux dont l'excès me iopaoate.<br />

Qu'est <strong>de</strong>venu ee eorp que fai wço <strong>de</strong> toi ?<br />

Mes membres t'offrent-tls ejoetepe reste <strong>de</strong> nef?<br />

Hon , cette main si faible et presque inanimée<br />

If est pli» <strong>la</strong> main fatale au lion <strong>de</strong> Némée.<br />

Est-ce donc là ee bras <strong>de</strong> Cerbère vainqueur,<br />

-Ce bras dont le Centaure éprouva <strong>la</strong> vigueur,<br />

Ce bras qui il tomber le monstre d'Êrimanthe,<br />

L'Hydre-contre mes coup sans cesse renaissante,<br />

Et l'affreux surveil<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> ee fruit renommé;<br />

Ce bras qu'aucun mortel n'a jamais désarmé? ete,<br />

Dans les principes <strong>du</strong> théâtre grec, cette tragédie<br />

est fort bien con<strong>du</strong>ite. Pour nous, le sujet aurait<br />

quelquesjnconvénients et <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rait à être<br />

traité différemment La Déjanire <strong>de</strong> Sophocle est<br />

très-dramatique : son Hercule ne Pest pas. Nous<br />

ne ?oudrions pas qu'un héros ne parût sur <strong>la</strong> scène<br />

que pour y mourir, que sa maîtresse ne fît qu'un<br />

personnage muet9 et qu'en mourant il <strong>la</strong> résignât<br />

à son fis, comme fait Hercule dans Sophocle. Mithridate<br />

en fait autant pour Monione; mais il sait<br />

qu'elle aime Xipharès, et leurs amours ont fait le<br />

nœud <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce : ceux d'Iole et d'Hercule ne sont<br />

qu'un récit. Nous Terrons tout à l'heure un autre<br />

eiemple encore plus frappant, qui nous prouvera<br />

que l'amour n'entrait point dans le système théâtral<br />

<strong>de</strong>s Grecs. Ce sujet <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort d'Qercole a été<br />

traité plusieurs fois parmi nous, soit en tragédie,<br />

soit en opéra, et toujours sans aucun succès. Le<br />

râle if Hercule est très-difficile à faire : ces sortes<br />

<strong>de</strong> personnages, dont <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur est plus qu'humaine,<br />

ne sont guère faits pour notre système tragique.<br />

Je crois pourtant qu'a?ee un véritable talent<br />

pour <strong>la</strong> scène i on pourrait tirer parti <strong>de</strong> ce sujet.<br />

Les rêles <strong>de</strong> Déjanire, d'Iole, <strong>du</strong> jeune Hyllus, sont<br />

susceptibles d'intérêt, surtout si <strong>la</strong> ri?alité <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ui<br />

femmes était traitée avec art, et que <strong>la</strong> jeune lole,<br />

Insensible à l'amour d'Hercule, en eût pour son<br />

Ils. U est pourtant vrai <strong>de</strong> dire que ces sortes d'intrigues<br />

amoureuses sont un peu épuisées, et que<br />

«s sojetsanciens nepeuventse rajeunir aujourd'hui<br />

qui par <strong>la</strong> magie <strong>de</strong>s couleurs poétiques.<br />

COURS DB UTTÉMTIJ11.<br />

Le sujet ê'Jfmxfiêrtem est d'abord le désespoir<br />

<strong>de</strong> ee héros, dont <strong>la</strong> raison est aliénée par Minerve,<br />

après qu'Ulysse a remporté sur lui les armes d'Achille;<br />

ensuite sa mort et ses funérailles. 11 n'y a<br />

pas autre chose, et il n'en faut pas plus pour faire<br />

une tragédie grecque. Ne nous hâtons pas <strong>de</strong> condamner,<br />

et ne perdons pas <strong>de</strong> vue leurs mœurs et<br />

leur religion; songeons que nous sommes pour un<br />

moment à Athènes, Quand le cinquième acte d'O-<br />

'rette, que Voltaire avait trop idèlement Imité <strong>du</strong><br />

grec, fut mal reçu par le public <strong>de</strong> Paris, C'estpmwtant<br />

S&phock, disait Fauteur à madame <strong>de</strong> Graflgny.<br />

Elle lui répondit en parodiant un ven<strong>de</strong>s'iw<br />

mes samnte$ :<br />

Vzamm-mmfwùmkmg$ nous m sommes pas €ress„<br />

Elle avait raison. Quand on lut <strong>de</strong>s tragédies en<br />

France, il faut les faire pour <strong>de</strong>s Français; et Voltaire<br />

le sentit, car il It un autre cinquième acte.<br />

Mais ce qu'on disait à Voltaire, on ne doit pu le<br />

dire à Sophocle : on ne peut pas lui reprocher d'avoir<br />

écrit pour sa nation. Ce qui est faux et monstrueux<br />

est condamnable partout; mais ce qui n'a<br />

d'autre défaut que d'être appuyé sur ces idées conventionnelles<br />

qui varient d'un peuple à l'autre, ne<br />

put pas être reproché à l'auteur. Voyons Yjffax d'après<br />

ee principe, et, si nous n'y trouvons pas une<br />

tragédie française, nous y trouverons <strong>du</strong> moins<br />

<strong>de</strong> quoi admirer le poète grec.<br />

La première chose à remarquer, comme n'étant<br />

pas dans nos usages, c'est l'intervention d'une divinité.<br />

Minerve est un <strong>de</strong>s personnages <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce;<br />

elle ouvre <strong>la</strong> scène avec Ulysse près <strong>du</strong> pavillon d'Ajax.<br />

Ce guerrier a fait, pendant <strong>la</strong> nuit, un massacra<br />

horrible <strong>de</strong> troupeaux et <strong>de</strong> ceux qui les gardaient.<br />

La déesse protectrice <strong>de</strong>s Grecs dit à Ulysse que 9<br />

pour les sauver <strong>de</strong> k fureur d'Ajax, elle lui a été<br />

<strong>la</strong> raison, au point qu'il a assouvi sur <strong>de</strong> vils animaui<br />

et d'innocents bergers <strong>la</strong> rage qu'il croyait '<br />

exercer sur les Atri<strong>de</strong>s et sur Ulysse. Elle veut rendre<br />

celui-ci le témoin invisible <strong>de</strong> l'état <strong>de</strong> démenoe<br />

où elle a ré<strong>du</strong>it son malheureux rival. Elle appelle<br />

Ajax, qui sort lie sa tonte, et se vante d'avoir tué<br />

le ils d'Atrée et les autres rots. Quant à celui d'Ithaque,<br />

il le tient renfermé, dit-il, pour le faire<br />

périr dans un long supplice. Il rentre, et Minerve,<br />

s'adressant à Ulysse, lui dit :<br />

Eh bien ! <strong>de</strong>s Immortels vous voyes <strong>la</strong> pitsearice*<br />

Voilà ee grand âjai t <strong>la</strong> terreur <strong>de</strong>s guerriers I<br />

L'oubli <strong>de</strong> sa raison a létrt ses <strong>la</strong>uriers/.<br />

Les dieux Font égaré, sa gloire est éclipsée.<br />

ULYSSE."<br />

le le vols et le p<strong>la</strong>ins : loin <strong>de</strong> mol <strong>la</strong> fessée<br />

D'Insulter an roaiaefjjr même d'un ennemi !<br />

Quel afSreux êhangetseiit ! Hon actif es a Mai.


le dois mm Vmmm : son teisirtniieexiftna.<br />

Par as retour «ml, m'a consterné mM-méiM,<br />

Que fommea-tisiit, àé<strong>la</strong>ïf mm fra#«s tomates»<br />

WmMmm PMHJBI, Tains Jouets êm Bmêmt<br />

wmmjm.<br />

tetkmtex doueestmeiix, dont vous état Pcwwsfjs;<br />

We pranûMsu Jamais sa met ipl ta cmtrafe.<br />

Que Fêetat if» gran<strong>de</strong>un M vous pas» éblouir s<br />

¥om voyet qu'on mcnÉtmf peot <strong>la</strong> anétstir.<br />

Gar<strong>de</strong>z que <strong>la</strong> nta», te pomrutr, <strong>la</strong> ftdiene,<br />

He TOUI faaeeat <strong>de</strong> l'binime iwMler <strong>la</strong> fatetessa<br />

te «orage mo<strong>de</strong>ste «t protégé <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux,<br />

Et le mortel mméÈmmâm honear aux iteei*<br />

Cette mor&le religieuse et eette honorable protection<br />

fat Minerve aeeor<strong>de</strong> ta Grées <strong>de</strong>?tient<br />

leur p<strong>la</strong>ire également, et tétait un double mérite<br />

pour Fauteur. Quant à l'égarement d'Ajax, observons<br />

que les anciens et les mo<strong>de</strong>rnes ont employé<br />

sur le théâtre raliénation d'esprit comme un moyen<br />

if intérêt. Les Ang<strong>la</strong>is surtout en ont fait un fréquent<br />

usage, mais avec plus <strong>de</strong> succès dans leurs<br />

romans que dans leurs drames. La folie, une <strong>de</strong>s<br />

misères les plus humiliantes <strong>de</strong> <strong>la</strong> condition hamaioe,<br />

nous inspire aisément eette pitié dont nous<br />

voyons avec p<strong>la</strong>isir qu'Ulysse lui-même ne peut se<br />

défendre dans <strong>la</strong> scèàe <strong>de</strong> Sophocle; mais aussi<br />

8 f €MtÉi©tîs pas quêta folie est tout près <strong>du</strong> ridicule.<br />

Il faut dose beaucoup d ? art pour <strong>la</strong> <strong>mont</strong>rer aux<br />

hommes 9 et surtout il faut qu'elle ne soit que passagère<br />

, et tienne à une <strong>de</strong> ces gran<strong>de</strong>s fassions ou<br />

<strong>de</strong> ces gran<strong>de</strong>s infortunes qui peuvent troubler <strong>la</strong><br />

raison. On sent qu'il serait trop aisé <strong>de</strong> faire déraisonner<br />

un homme pendant toute une pièce, et que<br />

ce spectacle, à <strong>la</strong>longue, ne peut être que dégoûtant<br />

et fastidieux. L'art consiste à jeter dans le <strong>la</strong>ngage<br />

confus qui confient à ces sortes'd'accès <strong>de</strong>s choses<br />

mies et senties, où l'âme paraît se trahir elle-même,<br />

et se peint sans le vouloir par <strong>de</strong>s mots qui s'échappent<br />

d'une tête en désordre, et nous frappent comme<br />

<strong>de</strong>s éc<strong>la</strong>irs dans <strong>la</strong> nuit; car <strong>la</strong> folie est comme<br />

renfance; elle intéresse,, parce qu'elle ne trompe<br />

pas. Sophocle ne <strong>mont</strong>re celle d'Ajax que dans une<br />

scène très-courte, et qui! relèfe, autant qu'il est<br />

possible, par <strong>la</strong> noble compassion d'Ulysse et les<br />

sages leçons <strong>de</strong> Minerve; car d'ailleurs <strong>la</strong> démence<br />

efàjai ne pro<strong>du</strong>irait sur nous aucun effet, et nous<br />

tenons peu touchés <strong>de</strong> le foir rentrer dans sa tente<br />

pour aller batte <strong>de</strong> verges Ulysse, qu'il a, dit-il.,<br />

attaché à une colonne. Mais ce qui est intéressant f<br />

c'est le moment oà Minerve, pour le punir, permet<br />

qu'il mienne à lui-même et retrouve toute sa rai-<br />

•on. Cest tiers qu'en voyant les excès honteux où<br />

i s'ert emporté, il tombe dans un désespoir digne<br />

tftan néros qui s'est avili : c'est là que son rôle <strong>de</strong>vient<br />

pathétique et théâtral; sa douleur profon<strong>de</strong><br />

mtérase, et Fon admira ensuite m fermeté tran­<br />

ANCŒNS. — I01UL •t<br />

quille quand il se résout àntounr. Teemesse, éponse<br />

d'Ajax, autrefois sa captive, attirée par les cris <strong>de</strong>s<br />

Sakminiens qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt à voir leur roi, leur<br />

fait une peinture très-touchante <strong>de</strong> l'étal où il est<br />

ré<strong>du</strong>it.<br />

« Il est retenu <strong>de</strong> si ftnetir, dit-elle, mais son mal n'en<br />

est que plus terrible. Plongé dans car sombre tristesse f fl<br />

me iatt tremble?. 1 <strong>la</strong>perait son maliêw9etil toaxniaft »<br />

Mot d'une gran<strong>de</strong> vérité. Elle l'entend qui appelle<br />

son ils Eurysaee.<br />

> «Ah!tiM»llsi8 f éarte-l«lte<br />

Mouvement naturel qui peint bien tout ce qu'on<br />

peut craindre d'Ajax. Il paraît, et Sophocle le fait<br />

parler avec cette éloquence tragique que <strong>la</strong> prose<br />

dégra<strong>de</strong>rait trop, et que <strong>la</strong> poésie seule peut rendre.<br />

Les anciens excel<strong>la</strong>ient à peindre ces douleurs <strong>de</strong><br />

héros, à prêter à ces personnages fameux un <strong>la</strong>ngage<br />

proportionné à l'idée <strong>de</strong> leur gran<strong>de</strong>ur. Mais<br />

cette gran<strong>de</strong>ur a besoin <strong>de</strong> <strong>la</strong> perspective <strong>du</strong> théâtre,<br />

et <strong>de</strong>s couleurs poétiques; le prose, trop rapprochée<br />

<strong>de</strong> nous, <strong>la</strong> dément pour ainsi dire, et fait<br />

tomber l'illusion. Cette raison seule suffirait pour<br />

foire voir combien c'est dénaturer <strong>la</strong> tragédie que<br />

<strong>de</strong> lui dtar le <strong>la</strong>ngage qui lui appartient. Rien ne fait<br />

moins d'honneur à notre siècle que d'avoir imaginé<br />

cette ridicule innovation. Une tragédie en prose ne<br />

peut être qu'un monstre né <strong>de</strong> l'impuissance et <strong>du</strong><br />

mauvais goût; et il faut pardonner aux artistes <strong>de</strong><br />

fle pas voir <strong>de</strong> sang-froid qu'on abuse à ce point <strong>de</strong><br />

l'esprit philosophique pour attenter aux beaux<br />

arts.<br />

Cest aussi par ce motif que, toutes les fois que<br />

j'ai voulu donner une idée <strong>de</strong>s beautés <strong>du</strong> théâtre<br />

grec, j'ai essayé <strong>de</strong> vaincre <strong>la</strong> difficulté <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ire<br />

en vers, comme j'ai §Mt ci-<strong>de</strong>vant pour Eschyle et<br />

comme je le ferai encor tout à l'heure pour Sophocle<br />

et Euripi<strong>de</strong>.<br />

Tecmesse, qui prévoit le funeste <strong>de</strong>ssein d'Ajax,<br />

emploie, pour l'en détourner, tout ce que l'amour<br />

conjugal et maternel a <strong>de</strong> plus-touchant. 11 <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

à voir son fils encore enfant, et ces scènes puisées<br />

dans <strong>la</strong> nature sont, comme on sait, le triomphe<br />

<strong>de</strong>s poètes grecs. Tecmesse le conjure encore au<br />

nom <strong>de</strong>s dieux Il l'interrompt :<br />

« Igaorei-voei eae je ae dois plus rien us dieux? •<br />

Cependant i commence à craindre que sa femme<br />

et ses sujets ne s'opposent à sa résolution. Il feint<br />

<strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r, et sort comme pour aller se purifier dans<br />

une fontaine lustrale, et ensevelir dans <strong>la</strong> terre <strong>la</strong><br />

fatale épée qu'il a reçue d'Hector, et dont il a fait<br />

un il honteux usage. Arrive un envoyé <strong>de</strong> Teueer


i4 COllS DE LmÉRATDBE.<br />

pi <strong>de</strong>man<strong>de</strong> âjiï» On hri fépoiid fttli est absent.<br />

1 à-<strong>de</strong>ssis 11 s'écrie qu'un oracle <strong>de</strong> Catehas a?ait<br />

marqué m jour nomme celui que Minerf e étatisait<br />

à sa vengeance, et avait prédit que, si daas ce jour<br />

Ajax sortait, c'était fait <strong>de</strong> lui. Tout eet actt est<br />

os peu <strong>de</strong> remplissage. 11 y a <strong>de</strong>s longueurs que<br />

notre théâtre ne comporte point, et l'oracle annonce<br />

trop l'événement qui m suivre. Ajai rentre. 11 a<br />

enfoncé <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> son épée dans <strong>la</strong> terre pour se<br />

précipiter sur <strong>la</strong> pointe , tandis que tout s 9 est dispersé<br />

pour aller le chercher. 11 y a <strong>de</strong> l'adresse dans<br />

Fauteur à écarter ainsi tout ce qui pourrait s'opftoser<br />

au <strong>de</strong>ssein d'Ajax, et Ton reconnaît ici tes waîsembkfices<br />

théâtrales qu'il a obser?ées le premier.<br />

Pour bien juger le monologue qui termine le rôle<br />

d'Ajax, il faut se soutenir <strong>de</strong> l'importance extrême<br />

que les anciens attachaient aux honneurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> sépulture.<br />

En être privé, était pour eui un <strong>de</strong>s plus<br />

cruels affronts et un <strong>de</strong>s plus grands malheurs : ce<br />

n'était qu'après -l'avoir reçue mm tes cérémonies<br />

accoutumées que leur ombre pouvait passer le Styx,<br />

et reposer dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>meure <strong>de</strong>s morts; c'était sur<br />

leurs tombeaui qu'ils recevaient encore, lorsqu'ils<br />

n'étalent plus 9 les hommages pieux <strong>de</strong> leurs parents<br />

et <strong>de</strong> leurs amis. Tout concourait chez eux à lier<br />

les idées <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie présente et celles <strong>de</strong> <strong>la</strong> fis future;<br />

et c'est ce qu'il ne faut jamais perdre <strong>de</strong> vue quand<br />

on liules ouvrages <strong>de</strong> ces siècles reculés. We soyons<br />

donc pas surpris qu'Ajax» avant <strong>de</strong> mourir, mêle<br />

à ses imprécations contre ses ennemis <strong>de</strong>s vœux<br />

ar<strong>de</strong>nts et inquiets pour le retour <strong>de</strong> son frère Teu*<br />

cer, <strong>de</strong> qui le héros attend .les <strong>de</strong>rniers <strong>de</strong>voirs.<br />

Rappelons-nous aussi que les imprécations <strong>de</strong>s mourants<br />

étaient regardées comme <strong>de</strong>s prédictions qui<br />

<strong>de</strong>vaient être accomplies, et que par conséquent elles<br />

pro<strong>du</strong>isaient plus d'effet sur l'ancien théâtre que<br />

sur le Hêtre*<br />

Oui, le gSaiYe est tout prêt ; U Ta <strong>la</strong>i f ma vie.<br />

Enfoncé êwm tes flânes d'eue terre ennemie »<br />

P<strong>la</strong>cé dans <strong>de</strong>s rochers où fa iié ma mais t<br />

U prisante <strong>la</strong> pointe eu i'appuira mes sets.<br />

Ce don €m «seuil que <strong>la</strong> Grèce déteste,<br />

Ce fer, présent d'Hector, qui <strong>du</strong>t m'étre funeste,<br />

Aujourd'hui seul remè<strong>de</strong> aux horreurs <strong>de</strong> mon sort,<br />

Rend en <strong>de</strong>rnier senrS» à qui cherche <strong>la</strong> mort<br />

O vous ! ù dieux puissants ! eiaccei ma prière 1<br />

le se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas use fa¥eor trop chère»<br />

Mais an moins, dam nnstan^où Je perdrai le Jour,<br />

De Teacer, en ces Heu, dieux, hâtez le retour!<br />

Que Tcaaer me retrotr?• f et qull ren<strong>de</strong> à <strong>la</strong> terre<br />

Le cadavre sang<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> son malheureux frère,<br />

De penr qu'un ennemi t prévenant set seœurs,<br />

Me m'abandonne «s proie ami avi<strong>de</strong>s vautours.<br />

Que le ils <strong>de</strong> Malt, qui sur les riwat sombres,<br />

Des pavots <strong>de</strong> son sceptre- endort les tristes ombres f<br />

Dans le <strong>de</strong>rnier sommeil suspendant met ennuis,<br />

T plonge nMfUement mes raâaes assoupte.<br />

Tous, Iltes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Nuit, <strong>de</strong>ttes imp<strong>la</strong>cables,<br />

Qui, <strong>la</strong> tombe à <strong>la</strong> mais, pourraiva les coupables t<br />

Ministres ém enfers 9 dnet le regeral ewgew<br />

Observe toeessamment le crime et le malheur,<br />

le vous invoque M, puissantes EataénSiesI<br />

Toyes ce que m'ont fait les isjnstas ÉMàM.<br />

Auteur <strong>de</strong> tous nies matut, leur superbe mépris<br />

Insulte à nos trépas : payei-leur-eii le prix.<br />

Qu'ainsi que par mes mains ma lie est terminée,<br />

La main <strong>de</strong> leurs parents tranche leur <strong>de</strong>stinés!<br />

Que les Grecs soient punis , et lent caaap raeefé !<br />

l'en épargnée aster» : tons ils m'ont outragé.<br />

Soleil, anile-tot dans ta eonnedivine; •" .<br />

Détourne tes chevaux aux murs <strong>de</strong> Sa<strong>la</strong>aâoe ;<br />

<strong>la</strong>coata à Tétasses^ chargé ils poids <strong>de</strong>s ans,<br />

Et les <strong>de</strong>stins d'AJax, et ses <strong>de</strong>rniers moments.<br />

Oh ! combien ce récit va frapper sa vtailleiie I<br />

Oh ! qu'il va <strong>de</strong> ma mère affliger <strong>la</strong> tendresse !<br />

Fentends ses cris perçants, sa <strong>la</strong>mentable voix....<br />

le te parle, û Sciait ! pour <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière fois;<br />

Pour <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière fois mon œtt volt ta lumière.<br />

O mort! ô mort! approche, et ferme ma paupière;<br />

Approche : ton aspect ne peut m'épouvaster ;<br />

A Jamais avec toi Je m'en vais habiter.<br />

O Jour ! ô Sa<strong>la</strong>mine ! ô terres paternel Ses !<br />

Fleuves sacrés, et vous, mes nourrices Idèles!<br />

Noble peuple d'Athène, à non sang allié 1<br />

Troie , ou 9 pour mon palhear t les dieux m'ont envoyé !<br />

Tous, que ma voix appelle à cette <strong>de</strong>rnière heure t<br />

.Recevez mes adieux ; 11 est temps que Je meure,<br />

Que Je termine ea<strong>la</strong> ma p<strong>la</strong>inte et mes rase» ;<br />

Mon ombre va chercher <strong>du</strong> repos aux enfers.<br />

Pour nous m monologue serait trop long dans le<br />

moment o& il est prononcé f et les apostrophes paraîtraient<br />

trop multipliées; mais voilà m que les<br />

anciens appe<strong>la</strong>ient mmisttmm mrèm, les <strong>de</strong>nùèns<br />

proies, les proies <strong>de</strong> mort, fui avaient chai en<br />

une sorte <strong>de</strong> sanction religieuse et redoutée. On<br />

foit qu'Ajax n'oublie rien dana ses adieux f pas<br />

mimes ses nourrices, lies apostrophes sont multipliées<br />

dans ce inonolope : en général, elles sont<br />

plus fréquentes ehes eux que parmi nous, parce<br />

qu'ils personniiaient une foule d'êtres qui oe nous<br />

présentent que <strong>de</strong>s idées purement physiques, les<br />

fontaines, les foyers domestiquesf les Iweages, les<br />

fleures; ils animaient et consacraient tout. Ils par<strong>la</strong>ient<br />

plus à rimagiiiatioo, et nous I <strong>la</strong> raison. La<br />

poésie s'accommo<strong>de</strong> bien mieui <strong>de</strong> Tune que Je<br />

l'autre. Aussi ceux <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>rnes qui se sont appliqués<br />

avec succès à <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> poésie et à <strong>la</strong> gran<strong>de</strong><br />

éloquence f se sont approchés le plus qullront pu<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> manière antique.<br />

Après le morceau qu'on Tient d'entendre, et <strong>la</strong>?<br />

mort d'Ajai, <strong>la</strong> pièce serait unie pour nous. Elle M<br />

l'est pas pour les Grées ; car il s'agit <strong>de</strong> »? tir ce qno<br />

détiendra le corps d'Ajax. Le choeur rentre d f im<br />

eftté, Tccmesse <strong>de</strong> fautre; Teucer, atten<strong>du</strong> si longtemps<br />

, se <strong>mont</strong>re enûn. 11 apprend le malheur <strong>de</strong><br />

son frère. Le chœur remarque qu'Hector, lorsqu'il<br />

fut traîné par Achille, était attaché avec le baudrier<br />

qu'il avait reçu d'Ajax, et qu'Ajax i soi tour rfert<br />

percé <strong>du</strong> gkife qu'Hector lui a? ait donné. Cte éem<br />

mmtmlê et Jwmim ef» <strong>de</strong>m emmM mi mm


êmte9 Mt*Ëf éMfêèti§wétpmimFmies* Toutou»<br />

<strong>de</strong>s Idées et <strong>de</strong>s présagés attachés aux êtres inanimés<br />

: c'est là le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> l'antiquité. Méné<strong>la</strong>s Tient,<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pari <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> l'armée, défendre à Teeeer<br />

d'ensevelir Ajax, qui a fou<strong>la</strong> faire périr les à trilles :<br />

dispute très-vive entre Méné<strong>la</strong>s et Teucer. Le premier<br />

se retire.en menaçant d'employer <strong>la</strong> force.<br />

Tanças coupe <strong>de</strong> ses cheveux et <strong>de</strong> ceux d'Eurysaca;<br />

et, oMgé'<strong>de</strong> s'éloigner no moment pour trouver<br />

un lien propre à <strong>la</strong> sépulture d'Ajax, il se <strong>la</strong>isse<br />

pour le prier que sa femme Teemasse et son ils<br />

Eurysace. 11 met ces restes sacrés sous k protection<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> fnblssse et <strong>de</strong> l'enfance.<br />

« Périsse, dit-il, «pfc#a«pie oserait toucher à ce dépôt !<br />

Que lui et tous les siens tombent comme cette chevelure<br />

est tombée sona Se dsean l »<br />

Transportons-nous dans ce siècle si différent <strong>du</strong><br />

ultra, et voyons si ce n'est pas un spectacle touchant<br />

que le corps <strong>du</strong> père, menacé d'être enlevé<br />

par tes ennemis, et gardé par une femme et un<br />

«âant; voyez si ce tableau, qui serait beau sur <strong>la</strong><br />

toile, le serait moins sur le théâtre, et avouons<br />

que cette religion était poétique et théâtrale, et<br />

fw Sophocle et Homère s'en sont servis en grands<br />

As eJacpÉèM acte, Agamemson toi-même tient<br />

renouveler <strong>la</strong> défesse <strong>de</strong> Méaâas et <strong>la</strong> querelle ave©<br />

Teeeer. C'est un défaut réel : c'en est un surtout<br />

que êmA scènes qui ont le nlme objet sans que<br />

faction ait fait un pas. Ulysse vient à propos pour<br />

mettre fin à mmmàémnîMwmtm&mm, portée aux<br />

plus intentes injures. It soutient <strong>la</strong> noblesse <strong>de</strong>>son<br />

caractère, et tait sentir au ils d'Atrée qu'il est indigne<br />

<strong>de</strong> ^acharner sur un ennemi mort. Agamosinon<br />

se rend, et ta pièce loi.<br />

DM» actes ont été employés à savoir si te eoips<br />

d'Ajax serait ensevelL Yotel une pièce entière, et<br />

ce tfest pas une <strong>de</strong>s MUS touchantes <strong>de</strong> Sopho<strong>de</strong>,<br />

où il ne s'agit d'autre chose que <strong>de</strong> <strong>la</strong> sépulture<br />

niisée à Polyniee : c'est Jmk§one, Elle eut<br />

à Athènes trente-<strong>de</strong>ux représentations, et Fauteur<br />

eut pour récompense <strong>la</strong> préfecture <strong>de</strong> Samoa. Le<br />

vieux Eotrou en donna une imitation qui eut <strong>du</strong><br />

succès dans son temps, et qui n'est pas indigne <strong>de</strong><br />

fauteur <strong>de</strong> Fmcmlm*<br />

Cette pièce est <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> ta TMkcâêe* Les <strong>de</strong>ux<br />

ils dFORdipe" sont morts; Œdipe lui-même est enseveli<br />

dans une retraite profon<strong>de</strong>. Créon règne à<br />

Athènes; et le premier acte <strong>de</strong> son autorité est <strong>de</strong> dé*<br />

fendre que l'on donne <strong>la</strong> sépulture i Polyniee, tué<br />

<strong>la</strong> armes à <strong>la</strong> main contre sa patrie. Mous avens<br />


m<br />

inutilement essayé <strong>de</strong> sauter sa maîtresse , se donne<br />

GOUHS DE LFTTÉMTIJ1E.<br />

<strong>la</strong> mort pour se pas loi survivre. U j a là <strong>de</strong> quoi fournir<br />

aui mo<strong>de</strong>rnes plus d'âne 'scène très-tendre, et<br />

remplie <strong>de</strong> tous les développements d'une passioe<br />

malheureuse. Eh bien ! il n'en est pas même qtntiou<br />

dans <strong>la</strong> pièce <strong>de</strong> Sophocle. Rien ne prou?e plus<br />

évi<strong>de</strong>mment que les aneïens ne regardaient point<br />

l'amour comme fait pour entrer dans <strong>la</strong> tragédie.<br />

Noos 9 <strong>de</strong> notre côté, prenons gar<strong>de</strong> qu'une préfé­<br />

rence trop exclusif e pour les sujets d'amour n'égare<br />

notre jugement, et ne borne nos p<strong>la</strong>isirs : il n'y en<br />

a jamais trop; n'en eicluons aueun. Trop <strong>de</strong> gens<br />

sont portés à regar<strong>de</strong>r comme <strong>de</strong>s ouvrages froids<br />

ceux où l'amour ne joue ps un très-grand rôle ; et<br />

nous en a?©as <strong>de</strong> très-beaux qui n'ont point cette<br />

sorte d'intérêt. Mais quoi donc! n'y en aurait-il<br />

plus d'autre? L'amour est-il le seul sentiment dramatique?<br />

La tragédie n*a-frelle pas une foule d'autres<br />

ressorts qu'elle met en œuvre tout aussi heureusement,<br />

et souvent même avec plus <strong>de</strong> mérite?<br />

On s'est accoutumé à un -étrange abuï d'expression,<br />

qui est encore <strong>de</strong> nos jours ; c'est <strong>de</strong> ne reconnaître<br />

<strong>de</strong> sensibilité dans les ouvrages que ©elle qui peint<br />

tes sentiments tendres, comme s'il en fal<strong>la</strong>it moins<br />

pour peindre les passions fortes et violentes : c'est<br />

une sensibilité d'un antre caractère, mais qui n'a<br />

ni moins d'effet ni moins d'énergie. Un auteur peutil<br />

être regardé comme froid lorsque, sans employer<br />

l'amour, U sait attacher, échauffer, transporter<br />

mime le spectateur? Le cinquième acte <strong>de</strong> Clnna,<br />

•le quatrième <strong>de</strong>s ff&rmm , ne ?ous font ps fondre<br />

en <strong>la</strong>rmes, ne TOUS déchirent pas? Et quoiqu'on<br />

ait vu bien <strong>de</strong>s gens qui ne veulent plus reconnaître<br />

<strong>la</strong> tragédie qu'à ces seuls caractères t oseraientils<br />

nier que ces beaux morceaux ne donnent à notre<br />

âme une <strong>de</strong>s émotions les plus vives et les plus douces<br />

qu'elle puisse éprouver, puisqu'ils relèvent et<br />

l'attendrissent à <strong>la</strong> fois? He cherchons donc jamais<br />

à rabaisser un genre <strong>de</strong> mérite pour en élever un<br />

autre; admettons-les chacun à leur p<strong>la</strong>ce, et que<br />

jamais une préférence ne <strong>de</strong>vienne une exclusion.<br />

Laissons à l'esprit <strong>de</strong> prti cette logique trop commune<br />

: Tel ouvrage n'est pas dans tel genre, donc<br />

il n'est pas bon. Encore cette logique est-elle sujette<br />

à d'étranges alternatives, comme Test toujours<br />

•celle <strong>de</strong>s passions. L'auteur que l'on veut décrier<br />

a-t-il Ciit un ouvrage touchant ou il est impossible<br />

<strong>de</strong> nier les <strong>la</strong>rmes, alors tout ce qu'il y a <strong>de</strong> plus<br />

commun dans le mon<strong>de</strong>, c'est, «lit-on, le talent <strong>de</strong><br />

faire pleurer. En a«t il fait un antre d'un intérêt<br />

distrait, et qui remue l'âme 'sans <strong>la</strong> bouleverser,<br />

alon il n'existe plus d'autre mérite que <strong>de</strong> faire<br />

répandra <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes. Les mène» variations se<br />

représentent an d'autres genres; et ce n'est pas <strong>la</strong><br />

première fois que j'ai cru <strong>de</strong>voir m'élevar contra<br />

toutes ces poétiques <strong>du</strong> moment, à l'usage <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

haine et <strong>de</strong> l'envie. Quelle est au contraire <strong>la</strong> poétique<br />

<strong>de</strong>s écrivains honnêtes et <strong>de</strong> bonne foi f celle<br />

qu'on ne peut jamais accuser <strong>de</strong> partialité? Cest<br />

celle qui, fondée sur <strong>de</strong>s principes invariables, se<br />

retrouve <strong>la</strong> même dans tous les temp, <strong>de</strong>puis<br />

Aristote jusqu'à Qointilten, et <strong>de</strong>puis Horace jusqu'à<br />

Bespréaux ; qui, sans Mre valoir aucune partie<br />

<strong>de</strong> fart aux dépits <strong>de</strong> toutes les autres, dé<strong>mont</strong>re<br />

leur dépendance mutuelle et leurs effets différents ;<br />

qui, en distinguant les genres sans exalta l'un pour<br />

déprécier l'antre, <strong>mont</strong>re ce que chacun d'eux a <strong>de</strong><br />

mérite, en <strong>la</strong>issant à tout le mon<strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong><br />

choisir. Voilà celle dont on ne peut se déler sans<br />

injustice. M faut être au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s petites passions<br />

pur trouver <strong>la</strong> vérité; et c'est encore un moyen<br />

<strong>de</strong> plus pour avoir l'esprit juste, que d'avoir un<br />

CQ9ir honnête et droit.<br />

.Le sujet à'QËêipe à Cotom a été transporté,<br />

<strong>du</strong> moins en partie, dans mie tragédie mo<strong>de</strong>rne,<br />

VmMpetkmAêmMet <strong>de</strong>-M. Bues; et"l'on aurait<br />

souhaité que l'auteur ne l'eût pas mêlé atec ÏMemM<br />

d'Euripi<strong>de</strong> : <strong>la</strong> réunion <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux pièces étrangères<br />

l'urne à l'autre doit Ééeessaîrement mure à<br />

tontes les <strong>de</strong>ux. Mais tout ce qu'il avait emprunté<br />

<strong>de</strong> Sophocle a été généralement goité, ce qui prouvm<br />

qu'il a su imiter un homme <strong>de</strong> talent II a même,<br />

dans 1» scènes tirées<strong>du</strong> poète grec, <strong>du</strong>s traits é'un*<br />

gran<strong>de</strong> beauté qu'il ne doit point à Sophocle, et qui<br />

en sont dignes : ces <strong>de</strong>ux vert, par exemple, que<br />

prononce Œdipe dansaon imprécation contra Poly-<br />

Le sentiment et l'expressioB sont d'une égale éner- '<br />

gie. Le théâtre <strong>de</strong> l'Opéra s'estaussi emparé <strong>du</strong><br />

même sujet 9 et avec beaucoup <strong>de</strong> succès ; j'en parlerai<br />

ailleurs.<br />

Une sépulture $ un tombeau t f oilà encoro le fond<br />

que nous retrouvons ici ; mais le contraste <strong>de</strong> l'ingratitu<strong>de</strong><br />

dénaturée <strong>de</strong> Bolynîee, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> tentent<br />

héroîqueet iièle <strong>de</strong> ses sœurs, bmène et Antjgone;<br />

<strong>la</strong> situationd'OSdipe; le développement <strong>de</strong> ses longues<br />

douleurs et <strong>de</strong> ses profonds ressentiments :<br />

voUà les ressorts <strong>de</strong> l'intérêt, ressorts très-simples<br />

comme tous ©eus qu'employaient les Grecs, et qui<br />

n'en sont pas moins puissants. A cet intérêt général<br />

s'en joignait un particulier aux Athéniens :<br />

c'est <strong>la</strong> tradition établie dans <strong>la</strong> pièce qm'OËdipe a<br />

choisi son tombeau dans l'Attique; et ks ora<strong>de</strong>p,<br />

accrédités par <strong>la</strong> croyance popu<strong>la</strong>ire, avaient dé-


etaré que le pays où Œdipe choisirait sa tombe serait<br />

favorisé <strong>de</strong>s dieu, et détiendrait ameuta aux<br />

Thébaiiis. Ceux-ci f dans le temps où <strong>la</strong> pièce fat représentée<br />

, étaient au moment d'une rupture avec les<br />

athéniens. Ainsi <strong>de</strong>s circonstances politiques ajoutaient<br />

an mérite <strong>de</strong> l'ouvrage. L'ouverture est imposante,<br />

pittoresque et pathétique : on voit un<br />

bois sacré f un temple, une ville dans l'éloignement',<br />

et un vleliari aveugle con<strong>du</strong>it par use jeune fille.<br />

L'exposition est tout entière en spectacle et en action,<br />

comme dans VQEdipe mi, que nous verrons<br />

tout à heure. C'est un très-grand mérite dans aie<br />

tragédie, parce qnll importe beaucoup d'attacher<br />

d'abord les yeux, <strong>la</strong> curiosité et Fimaginàtion. Ce<br />

mérite, dont tous les sujets ne sont pas susceptibles<br />

, est particulier à Sophocle, qui Ta porté au<br />

pins haut <strong>de</strong>gré. Eschyle ne lui en avaltpôint donné<br />

l'exemple, et Euripi<strong>de</strong> ne Fa pas imité. Comme 0E-<br />

dipe cherche un asile, il est tout naturel que sa fille<br />

Antigone s'informe <strong>du</strong> lieu où elle est. Un habitant<br />

Tes instruit en détail, et par là le spectateur<br />

apprend tout ce qu ? il doit savoir, que <strong>la</strong> ville que<br />

Fon découvre est Athènes, que le lieu où l'on est<br />

se nomme Cotone, que le temple et le bocage sont<br />

consacrés aux Euméni<strong>de</strong>s, que Thésée règne dans<br />

le pays. Le chœur, composé <strong>de</strong> Cotonîates qui se<br />

«mt rassemblés autour <strong>du</strong> vieil<strong>la</strong>rd étranger, Fa-<br />

•ertit <strong>de</strong> sortir <strong>du</strong> bocage où il est entré 9 et où 11<br />

n'est permis à aucun mortel <strong>de</strong> s'asseoir. On lui dit<br />

même que s'il s'obstine & y <strong>de</strong>meurer, personne ne<br />

peut ni Fécouter ni lui répondre. 11 sort donc <strong>de</strong> son<br />

asile, et fient se p<strong>la</strong>cer sur une pierre. Antigone<br />

implore Fhospitalité pour son père et pour elle.<br />

(Edip <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que Thésée tienne le trouver,<br />

parce qu'il a, dit-il, à lui réféler<strong>de</strong>s secrets importants.<br />

11 se met sous <strong>la</strong> protection <strong>de</strong>s Euméni<strong>de</strong>s,<br />

et les prie <strong>de</strong> le race?air, et <strong>de</strong> souscrire à Foracle<br />

# Apollon, qui a prédit que leur temple serait le lieu<br />

où il trouverait le terme ié ses malheurs, et que<br />

sa présence y détiendrait un présage funeste pour<br />

cens qui Favaient chassé, et heureux pour ceux qui<br />

le recevraient. Il se nomme enfin, et ce nom fait<br />

frémir tous ceux qui l'enten<strong>de</strong>nt. Au milieu <strong>de</strong> cet<br />

entretien, Antigone tait arrifer sa sœur bmène,<br />

qui, animée <strong>de</strong>s mènes sentiments qu'elle, a quitté<br />

Tfaèbei pour venir s'attacher au sort <strong>de</strong> son père.<br />

Elle leur apprend que <strong>la</strong> guerre est déc<strong>la</strong>rée entre<br />

Étéocleet Polynice; que ce <strong>de</strong>rnier est banni <strong>de</strong><br />

Tbèbes; que les Thébains, instruits <strong>de</strong> Foracle<br />

qui attache <strong>de</strong> si gran<strong>de</strong>s <strong>de</strong>stinées au tombeau<br />

iFQEdipe, vont lui députer Créon pour le supplier<br />

<strong>de</strong> retenir i Tbèbes. Le chœur alors commence à<br />

Là «A»*. — mm i.<br />

ANCIENS. — POÉSIE, 97<br />

comprendre combien ce vieil<strong>la</strong>rd aveugle elprotcrit<br />

est un personnage important, et combien les dieux<br />

et les hommes' s'occupent <strong>de</strong> lui'. Remarquez qu'il<br />

ne fal<strong>la</strong>it rien moins pour rendre vraisemb<strong>la</strong>ble <strong>la</strong><br />

démarche d'un roi tel que Thésée, qui va venir lui-'<br />

même chercher un étranger suppliant, ré<strong>du</strong>it à <strong>la</strong><br />

plus extrême misère : c'est ainsi que -Sopho<strong>de</strong> sait<br />

obserfer <strong>la</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce. L'entrevue entre Œdipe<br />

et Thésée est ce qu'elle doit être : d'une part <strong>de</strong>s offres<br />

sincères et généreuses, <strong>de</strong> l'autre une noble résignation.<br />

Thésée propose au vieil<strong>la</strong>rd <strong>de</strong> venir dans<br />

son pa<strong>la</strong>is ; raaisŒdipepréfère<strong>de</strong> <strong>de</strong>meurer oùil est,<br />

et quoi qu'on lui dise <strong>de</strong>s <strong>de</strong>sseins <strong>de</strong> Créon contre lui,<br />

il ne put croire qu'on ose employer <strong>la</strong> violence<br />

pour enlever Fhdte d'un roi tel que Thésée. Cependant<br />

, après que ce prince s'est retiré, Créon arrive<br />

avec une suite <strong>de</strong> soldats, et d'abord essaye <strong>de</strong> fléchir<br />

Œdipe : mais, voyant qu'il n'en peut rien obtenir,<br />

il prend le parti qu'il croit le plus sûr pour le forcer<br />

<strong>de</strong> revenir à Thèses; c'est <strong>de</strong> lut Ater ses <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers<br />

soutiens, ses <strong>de</strong>ux filles, qu'il enlève en effet<br />

malgré les cris et les p<strong>la</strong>intes d'Œdipe et <strong>du</strong> chœur,<br />

qui, n'étant formé que <strong>de</strong> vieil<strong>la</strong>rds désarmés, ne<br />

peut résister à <strong>la</strong> force. Mais Thésée, qui n'est pas<br />

éloigné, met en fuite les ravisseurs, ramène les <strong>de</strong>ux<br />

princesses, et fait à Créon <strong>de</strong>s reproches également<br />

nobles et modérés sur Findigne violence où il s'est<br />

emporté. 11 se présente ici <strong>de</strong>ux ©bser?ations re<strong>la</strong>ti?ea<br />

au progrès <strong>de</strong> Fart : l'une, qu'il ne faut pas mettre<br />

sar'<strong>la</strong> scène <strong>de</strong>ux personnages tels qu'Ismène et Antîgaaef<br />

faisant absolument <strong>la</strong> même chose, et n'ayant<br />

qu'un même objet'dans <strong>la</strong> pièce, parce que c'est diviser<br />

mai à propos l'intérêt qui doit se réunir sur<br />

Fune<strong>de</strong>s<strong>de</strong>ux sœurs. Aussi dans <strong>la</strong> pièce <strong>de</strong> M. Ducis,<br />

n'a-f>on vu qu'Antigone, et non pas Ismène. Deux<br />

filles vertueuses au lieu d'une, et <strong>de</strong>ux appuis au<br />

lieu d'un, diminuent l'effet <strong>de</strong> <strong>la</strong> situtaion, bien<br />

loin <strong>de</strong> le doubler. Cest un principe d'une vérité<br />

sensible : <strong>la</strong> vertu dont on ne voit qu'un modèle<br />

nous frappe plus que celle qui est commune à <strong>de</strong>ux,<br />

et Finfortune avec <strong>de</strong>ux soutiens est moins à p<strong>la</strong>indre<br />

que celle qui n'en a qu'un. L'autre observation<br />

rappelle ne précepte d'Aristote, qui dit que rien<br />

n'est plus froid qu'on personnage qui ne paraît dans<br />

une pièce que pour tenter une entreprise qui ne<br />

réussit pas. Tel est ici Créon, qui veut enlever <strong>de</strong>ux<br />

princesses, et qui, après y avoir échoué, ne reparaît<br />

plus. Cet épiso<strong>de</strong> dont il ne résulte qu'un péril<br />

passager, est donc une espèce <strong>de</strong> hors-d'œuvre. Règle<br />

générale : rien <strong>de</strong> ce qui forme un nœud dans<br />

un drame, rien <strong>de</strong> ce qui met en danger les person-*<br />

nages, ne doit se dénouer qu'à <strong>la</strong> fin, sans quoi


os<br />

c'est un moyen a¥orté, ce qui est toujours dïm<br />

ffèi-tïiastats effet aa théâtre. Ici, par «emple, on<br />

sent bien que <strong>la</strong> venue <strong>de</strong> €réon et l'enlèvement<br />

<strong>de</strong>s imm princesses ne -sont qu'an remplissage;<br />

x car il est tout simple que Créon n'ait aucun pou*<br />

voir sur f esprit d'GEdipe, et Ton s'attend bien que<br />

Thésée ne <strong>la</strong>issera pas enlever chei lui' les <strong>de</strong>ux<br />

illesdont il a pris-le père sons si protection. Quel<br />

est donc le noeud véritable? Cest Polynice. Les remords<br />

<strong>du</strong> ils, soutenus <strong>de</strong>s supplications <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

sœnrf remporteront-ils sur les justes ressentiments<br />

d 9 CEdipe, que'ses déni enfants'ont indignement<br />

chassé <strong>de</strong> Thèses? voilà l'intérêt qui doit nous occuper.<br />

11 ne commence qu'avec le quatrième<br />

acte ; mais aussi quel parti Sophocle en a tiré I<br />

Thésée annonce d'abord simplement qu'un étranger<br />

est venu embrasser l'autel <strong>de</strong> Neptnne, et qu'il<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> sûreté pour voir Œdipe. « C'est Polynice,<br />

c'est mon frère, « dit Antigène à Ismène, qui ne doute<br />

Das non pins que ce ne soit lui. Elles le disent en<br />

tremb<strong>la</strong>nt à leur père, qui défend d'abord qu'on<br />

l'intro<strong>du</strong>ise <strong>de</strong>vant lui. Les <strong>de</strong>ux princesses engagent<br />

Thésée à joindre ses prières aux leurs f pour<br />

obtenir qu'OEdipe veuille entendre un ils suppliant.<br />

Il cè<strong>de</strong> à leurs instances rItérées, mais<br />

<strong>de</strong> manière à faire comprendre que Polynice n'a<br />

rien à espérer. Il faut se rappeler ici tout -ce qui<br />

fon<strong>de</strong> cette situation pour en bien juger l'effet.<br />

Œdipe, dans les premiers transports <strong>de</strong> son désespoir,<br />

quand sa malheureuse <strong>de</strong>stinée lui avait<br />

été révélée, s'était condamné lui-même à l'exil. On<br />

s'y était d'abord opposé, et il était resté à Thèses;<br />

maié dans <strong>la</strong> suite Polynice, sâêriiaat <strong>la</strong> nature<br />

à son ambition, avait es <strong>la</strong> cruauté <strong>de</strong> forcer<br />

son père à eiécuter contre lui-même ses fatales<br />

imprécations, lorsqu'il se repentait ie les avoir prononcées,<br />

et que sa douleur commençait à se cal­<br />

mer. (Tétait donc Polynice qui avait renouvelé centre<br />

son père l'arrêt <strong>de</strong> proscription, et qui Partît,<br />

pour ainsi dire, ren<strong>du</strong> aux Furies, en l'arrachant<br />

<strong>du</strong> sein <strong>de</strong> sa patrie et <strong>de</strong> ses dieux domestiques.<br />

Depuis ce temps, Œdipe a été ré<strong>du</strong>it à errer et à<br />

mendter son pain. Polynice, à son tour, banni <strong>de</strong><br />

Thèbes, dépouillé <strong>du</strong> triée par son frère £téocle,<br />

forcé <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>du</strong> se<strong>cours</strong> à <strong>de</strong>s rois alliés, et<br />

sachant combien il importe à sa cause qu'OEdipe<br />

se range <strong>de</strong> son parti ; tourmenté d'ailleurs par les<br />

remords, 4ui s'éveillent jdans l'infortune; frappé<br />

d'effroi, d'horreur et <strong>de</strong> pitié à <strong>la</strong> vue <strong>de</strong> l'état où<br />

il a ré<strong>du</strong>it son père et ses sœurs, est certainement<br />

dans une <strong>de</strong>s situations les plus violentes où un<br />

homme puisse se trouver. H a le plus grand intérêt<br />

i iéchir Œdipe; et tout ce qu'il voit doit lui en !<br />

COU1S DE UTIÉltATDBB.<br />

ôter l'espérante. H regar<strong>de</strong> son père f et il pleure, n<br />

fait lès damiers efforts pour Fémouvoir, et n'obtient<br />

pas raéme<strong>de</strong> réponse. Le vieil<strong>la</strong>rd, assis sur <strong>la</strong> pierre,<br />

les yeux baissés, immobile, gar<strong>de</strong> un morne silence.<br />

Ses <strong>de</strong>ux filles, qui ont tant <strong>de</strong> droits sur son coeur,<br />

intercè<strong>de</strong>nt pour le coupable, mais en vain. Le choeur<br />

alors prend <strong>la</strong> parole, et représenteque Polysiœ est<br />

envoyé par Thésée, roi d'Attique, qui exerce l'hospitalité<br />

enfers'Œdipe; qu'ainsi le vieil<strong>la</strong>rd, tout irrité<br />

qu'il est, ne peut refuser <strong>de</strong> lui .répondre. A<br />

ce grand mot d'hospitalité, si sacré chez les anciens<br />

, Œiif e sent naît est <strong>de</strong> son lereir <strong>de</strong> parler<br />

à celui que Thésée lui adresse ; mais sa réponse est<br />

telle que ce long et terrible sUooce a di <strong>la</strong> faire présumer:<br />

Puisqu'il use prier, puisqu'il faut te eonfendro<br />

En faveur <strong>de</strong> Thésée, «il, Je vais lui répond».<br />

Si <strong>de</strong> Thésée ici TOUS n'attestiez les droits,<br />

Polynice Jamais n'eût enten<strong>du</strong> ma voix.<br />

Mais ce eoupahle fils qui vient bramer un père<br />

M'en remportera pas tout te fruit qu'il espère<br />

Perfi<strong>de</strong>, c'est toi seul, c'est toi qui m'as banni ;<br />

Tu m'as chassé <strong>de</strong> filée* f et les dieux font puni.<br />

Tu ne peux maântennt, sans nue boute antère,<br />

Voir mes vêtements vili t souillés par <strong>la</strong> misère :<br />

Ah ! Ils dénaturé ! toi ami m'en m ©ouvert.<br />

Si tu souffres l'exil f oomme Je l'ai souffert t<br />

Gmi <strong>de</strong> les cruautés le prix trop légitime :<br />

En voyant ton malheur, Je rappelle ton crime.<br />

Je vois <strong>de</strong>ux ils ingrats qne Mémésts poursuit<br />

Barbare ! en quel état tous <strong>de</strong>ux nrtnt-lls ré<strong>du</strong>it.<br />

Errant <strong>de</strong> ville en ville t aveugle, Je mendie<br />

L'aliment nécessaire à ma pénible vie;<br />

Et Je l'aurais per<strong>du</strong>e, hé<strong>la</strong>s! <strong>de</strong>puis longtemps,<br />

SI mes ilUes, prenant pitié <strong>de</strong> mes vieux ans,<br />

Au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> leur sexe, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> leur âge,<br />

If avalent <strong>de</strong> ma misère accepté Se partait,<br />

le dois tout à leurs soins : leur tendre piété<br />

Assiste ma vieillesse et ma ca<strong>la</strong>mité,<br />

'S'acquitte d'un <strong>de</strong>voir qui <strong>du</strong>t être le votre ;<br />

Vott» , T oUà mon sang t et Je n'en M plus d'autre.<br />

Ta contre Thèbes, va porter tes étendards ;<br />

Mais ne te f<strong>la</strong>tte pas d'abattre ses remparts :<br />

Tous tomberez tous <strong>de</strong>ux au pied <strong>de</strong> ses murafUei »<br />

Et le champ <strong>de</strong>s combats verra vos funérailles.<br />

J'ai prononcé sur vous, en présence <strong>du</strong> ciel t<br />

Les Imprécations <strong>du</strong> courroux paternel ;<br />

- le- les prononce encor : ma voix t ma voix funeste,<br />

Appelle eneor sur vous <strong>la</strong> vengeance céleste.<br />

Mes tilles t mes enfants, qui m*ont su respecter,<br />

Hériteront <strong>du</strong> tréne ou vous <strong>de</strong>vtai <strong>mont</strong>er ;<br />

Récompense trop Juste, et que leur a promise<br />

La Justice éternelle, au haut <strong>de</strong>s cieux assise,<br />

Et tenant <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce auprès <strong>de</strong> Jupiter.<br />

Pour fol, fuis <strong>de</strong> mes yeux ; va, monstre ! que feuler<br />

Accumule t à ma voix, sur ta tête peri<strong>de</strong><br />

Tous les maux qui! prépare à l'enfant parrici<strong>de</strong>!<br />

Fuis, remporte avec toi, remporte avec itorreatr<br />

Mes malédictions qu'entend le ciel vengeur.<br />

Puisses-tu ne rentrer Jamais dans ta patrie,<br />

Exhaler sous ses murs ton exécrable vie t<br />

Verser 1e sang d'un frère, et mourir sous ses coup I<br />

Et vous, dieux infernaux, vous que J'Invoque tous ;<br />

Toi, plus terrible qu'eus, ministre <strong>de</strong> colère,<br />

Ombre triste «t «angtaste « ô Ltiusl o mon père!<br />

Et toi, dieu <strong>de</strong>s combats, Mars exterminateur,<br />

O Mars ! qui dans leur sein as versé ta fureur ;<br />

Motus divlnltéa, <strong>de</strong> ce coupto barba»,<br />

%


Hites-vous Y Faeure approetie, eatrafsex-Ie au Tartan.<br />

Reporte maintenant ma réponse au Thébatos ;<br />

DH quels YWSJL j'ai formel pour <strong>de</strong>ux ils inhumâtes.<br />

Dh que je vais mourir; que, pour ?©tre partage,<br />

le vous Mise à tous <strong>de</strong>ux cet horrible héritage*<br />

Polyslee se retire désespéré, et court accomplir<br />

les fatales prédictions <strong>de</strong> sop père. On entend ne<br />

coup <strong>de</strong> tonnerre qu'OEdipe reconnaît pour le signal<br />

<strong>de</strong> sa lu prochaine. Thésée refient , et le vieil<strong>la</strong>rd<br />

annonce d'oïl ton majestueux et prophétique que les<br />

dieux l'appellent par <strong>la</strong> voix <strong>de</strong>s foudres et <strong>de</strong>s vents.<br />

11 se seot inspiré par en, et va, dit-il, marcher<br />

sans gui<strong>de</strong> vers le lien où il doit eipirer.<br />

« Les. <strong>de</strong>stins me forçait d'y arriver. Sol?ei-mol y mes -<br />

files; je vons servirai <strong>de</strong> gui<strong>de</strong> 9 cerna» vous m'en ave»<br />

servi jusqu'à ce jour. Qu'os me <strong>la</strong>isse, qu'on ne m'approche<br />

pas. Seul, je trou?eraî l'endroit où <strong>la</strong> terre doit m'ouvrirsea<br />

sein. C'est par là : soif ei*cool : Mercure et les déesses<br />

<strong>de</strong>s enfers sont mes con<strong>du</strong>cteurs. Cher Thésée, et TOUS,<br />

sjÉaérenx âtMiilefts f toyei toujours heureux 9 et sou?eues-<br />

YMsdTCEdipe.»<br />

Un eheeer sert d'intervalle entre sa sortie et le récit<br />

<strong>de</strong> sa mort, récit aussi rempli <strong>de</strong> merveilleux que<br />

toute <strong>la</strong> fable <strong>de</strong> cette pièce. Arrîvé à rendrait où le<br />

chemin se partage en diverses routes y il s'est assis ,<br />

a quitté ses vêtements, s'est fait apporter <strong>de</strong> l'eau<br />

puisée dans use source voisine f et, après s'être punie,<br />

s'est couvert <strong>de</strong> <strong>la</strong> robe dont on a coutume<br />

<strong>de</strong> revêtir les morts. La terre a tremblé : il a fait ses<br />

<strong>de</strong>rniers adieux à ses filles, qui se frappaient <strong>la</strong><br />

poitrine en gémissant. Une voix s'est fait entendre<br />

eu ciel :<br />

« Œdipe, qa'ailsfun-foiitr »<br />

11 a embrassé ses illos 9 les a recommandées encore<br />

à Thésée f et leur a ordonné <strong>de</strong> s'écarter pour n'être<br />

pat spectatrices d'une muet dont Thésée seul f suivant<br />

Tordre <strong>de</strong>s dieux 9 doit être le témoin y et conserver<br />

le secret» Tout le mon<strong>de</strong> s'est éloigné, etf<br />

en moment après t Ton n'a plus vu CEdipe, mais<br />

seulement Thésée se couvrant le visage <strong>de</strong> ses mains,<br />

comme si ses regards eussent été éblouis d'un spectacle<br />

céleste.<br />

« Pour CEdipe (continue celui qui fait ce récit), on Ignore<br />

le genre <strong>de</strong> sa mort; mais sans doute <strong>la</strong> terre s'est ouverte<br />

pour le recevoir sans <strong>de</strong>aleer et sans violence. *<br />

H règne dans toute cette pièce une sorte <strong>de</strong> terreur<br />

religieuse t une mystérieuse horreur qui p<strong>la</strong>ît<br />

beaucoup à ceui qui aiment <strong>la</strong> tragédie. Il y a <strong>de</strong>s<br />

beautés éternelles; mais je crois qu'il faudrait beaucoup<br />

d'art pour accommo<strong>de</strong>r le déuoûmeot à notre<br />

théâtre, et n'en pas faire une scène d'opéra.<br />

Cette race <strong>de</strong>s Labdaei<strong>de</strong>s, si souillée <strong>de</strong> meurtres,<br />

d'incestes, et <strong>de</strong> toutes sortes d'attentats, a<br />

ANCIENS. - POÉSHL Uf<br />

fourni trois ptèoe§ à Sophocle* Celle qui m presto*<br />

tait <strong>la</strong> premilre t en suivant Tordre <strong>de</strong>s événements *<br />

c'était YQEdipe roi dont je vais parler; mais je l'ai<br />

réservée, ainsi que FÉkcire, pour réunir les <strong>de</strong>m<br />

ouvrages que Voltaire a jugés dignes <strong>de</strong> lui servir<br />

<strong>de</strong> modèles.<br />

M&mlmâ'méîpemîmBmmw&MlkmêsÈmmmw^<br />

que je crois <strong>de</strong>voir me borner à quelques remarques<br />

sur ce que les <strong>de</strong>ux pièces ont <strong>de</strong> commun et inr<br />

ce qu'elles ont <strong>de</strong> différent.<br />

L'ouverture et l'eiposition <strong>de</strong> Sophocle sont heu­<br />

reuses et théâtrales. Des vieil<strong>la</strong>rds 9 <strong>de</strong>s enfants 9<br />

un grand prêtre , <strong>de</strong>s sacrificateurs f <strong>la</strong> tête ornée<br />

<strong>de</strong> ban<strong>de</strong>lettes sacrées, et <strong>de</strong>s rameaux dans les<br />

mains en signe <strong>de</strong> supplications, sont prosternés au<br />

pied d'un autel qui est à rentrée <strong>du</strong> p<strong>la</strong>is d'OEdlpe.<br />

U paraît y et a voulu, dit-il 9 s'assurer par ses jeu<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> situation <strong>de</strong> ses malheureui sujets. Le grand<br />

prêtre prend <strong>la</strong> parole, et fait un tableau patbéti*<br />

que <strong>de</strong>s ravages que <strong>la</strong> peste cause dans Thèbes. Les<br />

Thébaîns implorent les seuls appuis qui leur restant,<br />

les dieux et leur roi, ce roi si sage et-si heureux,<br />

qui les a délivrés <strong>du</strong> Sphinx, et qui a déjà été leur,<br />

sauveur avant d'être leur souverain. 11 a prévenu<br />

leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> et envoyé à Delphes son beau-frère<br />

Gréon, pour savoir ce qui attire sur Thèbes <strong>la</strong> colère<br />

<strong>du</strong> ciel II attend à tout moment Gréon, qui<br />

<strong>de</strong>vrait être <strong>de</strong> retour. Ce prince parait, et annonce **<br />

que Foracle ordonne <strong>de</strong> rechercher les auteurs <strong>du</strong><br />

meurtre <strong>de</strong> Lalus, et <strong>de</strong> venger sa mort. CEdipe<br />

s'engage à donner tous ses soins à cette recherche 9<br />

et prononce par avance les plus terribles impréeations<br />

contre le meurtrier; imprécations dont l'effet<br />

est d'autant plus grand pour le spectateur, qu'elles<br />

retombent sur celui qui les prononce, foitaere les<br />

a ren<strong>du</strong>es en beaux vers :<br />

Et vous, dieux <strong>de</strong>s Thébaliis, itéra qui sous exameff<br />

PunJnez l'assassin » vous qui Se eosiiaissex.<br />

Soleil t cache à ses yeux k Jour qui nous éc<strong>la</strong>ire 1<br />

Qu'es horreur à se» ils, exécrable à sa mère ,<br />

Emut, abandonné, proscrit «ta» ronlveis,<br />

n rassemble sur lui tous les maux <strong>de</strong>s eofers f<br />

Et que sou corps utng<strong>la</strong>nt, privé <strong>de</strong> sépulture,<br />

Des vautours éémmmlf <strong>de</strong>vienne <strong>la</strong> pâtura 1<br />

Toute le marche <strong>de</strong> ce premier acte est parfaite.<br />

Voltaire n'a point fait usage <strong>de</strong> cette belle exposition;<br />

et, ce qu'il y a <strong>de</strong> pis, c'es^qtfas lieu <strong>de</strong> regretter<br />

le parti qu'il aurait pu en tirer, il en prie,<br />

avec un mépris très-Injuste, dans <strong>de</strong>s lettres qui<br />

proreot à <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> <strong>la</strong> première édition ê*Q£dipef<br />

et que lui-même supprima dans toutes les éditions<br />

générales <strong>de</strong> ses œuvres, mais qu'on a remises dans<br />

celles qui ont para pendant ses <strong>de</strong>rnières années f<br />

et dont il avait <strong>la</strong>issé le soin à <strong>de</strong>s libraires. Ce n'est<br />

7.


pas que ces kitres ne soient curieuses et très-dignes<br />

<strong>de</strong> l'impression f puisqu ? elles contiennent une trèsbonne<br />

critique <strong>de</strong> son Œdipe faite par lui-même,<br />

et <strong>de</strong>s réflexions Judicieuses sur ee sujet. II est à<br />

présumer que, quand il les retrancha, c'est qu'il<br />

sentit qu'il n'avait pas parlé d'un ton convenable<br />

<strong>de</strong> ce même Sophocle à qui <strong>de</strong>puis il rendit plus <strong>de</strong><br />

justice dans <strong>la</strong> préfixe d'Oretie; et j'ose croire que,<br />

tll a?ait relu ces lettres quand on les réimprima f<br />

il n'aurait pas <strong>la</strong>issé subsister les censures très-dép<strong>la</strong>cées<br />

qu'il hasar<strong>de</strong> contre cette eiposition <strong>de</strong><br />

ÏQEdîpe grec, qu'il eût mieux fait d'imiter. Voici<br />

comme il en parie, sans donner à l'auteur li plus<br />

légère louange.<br />

« La scène mm par un chœur <strong>de</strong> Tfaébafcis prosterpés<br />

an pied <strong>de</strong>s autels. Œdipe y leur libérateur et leur roi, parattau<br />

amen d'en*, Je suis méipe, leur dit-il, si vanté<br />

par i&ut h tmmdê. lt y a quelque apparence que tes Thétains<br />

n'Igsorafeiit pas qu'il s'appe<strong>la</strong>it Œdipe. »<br />

Non, ils ne l'ignoraient pas, mais Yoltaire ignorait<br />

<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue grecque ; et, faisant dire à Sophocle<br />

ce qu'il ne dit pas y il s'est exposé à tomber dans <strong>de</strong>s<br />

méprises qui avertissent <strong>de</strong> ne juger que <strong>de</strong> ce que<br />

l'on sait. Que dirait-on d'un critique qui, entendant<br />

ce premier vers û'Ipkigénie,<br />

Oui, c'ait à^nmmmm t e'«t ton roi qui tfévaille,<br />

reprocherait à Racine d'avoir dît, Je suis Agamemnon,<br />

je mes êm roi; et ajouterait t II y a quelque<br />

apparence qu'Arcas connaissait son roi, connaissait<br />

Agamemnm? On loi dirait que c'est une<br />

manière <strong>de</strong> parler très-convenable et très-reçue, et<br />

qu'il est tout naturel qu'Arcas étant surpris d'être<br />

éveillé par son roi, celui-ci l'assure qu'il ne se trompe<br />

pas, que c'est bien Jgamemnon, que c'est son roi<br />

qui l'éveille; ce qui, pour le dire en passant, annonce<br />

déjà une situation critique qui nécessite une<br />

pareille démarche. Cette explication même est si<br />

c<strong>la</strong>ire, qu'on ne <strong>la</strong> croirait nécessaire que pour un<br />

étranger, siolns instruit que nous <strong>de</strong>s tournures <strong>de</strong><br />

notre <strong>la</strong>ngue. Eh bien ! le vers d'Agamemnon est<br />

précisément celui d'OËdipe, et l'un n'est pas plus<br />

ridicule que l'autre.<br />

« Je suis sorti (dit-il ) au bruit <strong>de</strong> vos gémissements., et<br />

n'ai pas voulu m'en nppurter à d'autres. Je suis veau mol»<br />

«es», moi f cet Œdipe dont le nom est dans <strong>la</strong> bouché <strong>de</strong><br />

tout les hommes. »<br />

Eêmarquez que l'énigme <strong>du</strong> Sphinx l'avait ren<strong>du</strong><br />

frè^-célèbre, et que les anciens ne faisaient nulle<br />

difficulté d'avouer que leur nom était fort conou;<br />

témoin m que dit à <strong>la</strong> reine <strong>de</strong> Carti<strong>la</strong>ge le mo<strong>de</strong>ste<br />

Énée , <strong>de</strong> tous les héros le moins accusé d'orgueil :<br />

COURS DE UTIÉHAXIIHE.<br />

« Je suis le pieux Énee dont <strong>la</strong> renommée s'élève Jusqu'aux<br />

<strong>de</strong>ux. »<br />

Cette extrême réserve qu'imposent les hienséances<br />

sociales, et qui défend à l'amour-propre <strong>de</strong> chacun<br />

<strong>de</strong> se moetrer en quoi -que ce séit 9 <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> blesser<br />

ce<strong>la</strong>i <strong>de</strong> tous, cette mo<strong>de</strong>stie <strong>de</strong> convention et<br />

<strong>de</strong> raffinement n'était point un <strong>de</strong>voir dans <strong>de</strong>s<br />

mœurs plus simples et plus franches,, et tous les<br />

héros <strong>de</strong> l'antiquité en sont <strong>la</strong> preuve. 11 n'y a donc<br />

point d'orgueil dans ce qu'OEdipe dit <strong>de</strong> lui-mémo,<br />

comme il n'y a point <strong>de</strong> simplicité grossière dans<br />

<strong>la</strong> manière dont il se nomme, comme il n'y a rien<br />

<strong>de</strong> dép<strong>la</strong>cé à faire <strong>la</strong> peinture <strong>de</strong>s maux qui accablent<br />

les Thébains ; car, quoique Œdipe n'ignore<br />

pas que <strong>la</strong> peste règne dans Thèbes, ces sortes <strong>de</strong><br />

développements naturels au malheur ne sont point<br />

hors <strong>de</strong> propos et font p<strong>la</strong>isir au spectateur en peignant<br />

à l'imagination tout ce qu'il y a et*affreux dans <strong>la</strong><br />

situation <strong>de</strong>s personnages. Qu'on juge d'après ce<strong>la</strong><br />

si Yoltaire était fondé à terminer ainsi ses critiques<br />

inconsidérées.<br />

« Tout ce<strong>la</strong> s'est guère une preuve <strong>de</strong> cette ptfacidB<br />

oà Fou prétendit, il y a quelques années, que Sophocle<br />

avait porté là tragédie. (C'étaient Racine et Boileau qui<br />

l'avaient préten<strong>du</strong>. ) 11 ne paraît pas qu'os ait grand tort<br />

dans ce siècle <strong>de</strong> refuser son admiration à sa poète qui<br />

n'emploie d f autre artifice pour faire connaître ses personnages,<br />

epe <strong>de</strong> foire dire : Je suis Œdipe, Cette grossièreté<br />

ne s'appelle plus une noble simplicité. »<br />

Os est un peu étonné que Voltaire, refuse son<br />

admiration à Sophocle dans le temps où il lui emprunte<br />

toutes les beautés qui loi fait le suceès <strong>de</strong><br />

sa tragédie. Tout ce qu'on peut dire pour sou excuse<br />

| c'est qu'alors il était très-jeune 9 et que luimême<br />

probablement s'était condamné <strong>de</strong>puis, puisqu'il<br />

avait jugé à propos <strong>de</strong> retrancher ces ktùrrn<br />

<strong>de</strong> toutes les éditions dont il a été le rédaUtour.<br />

11 me semble aussi aller beaucoup trop loin quand<br />

il soutient que <strong>la</strong> pièce <strong>de</strong> Sophocle-est iule au iecond<br />

acte, et que les paroles <strong>du</strong> <strong>de</strong>vin ïlfésfis sont<br />

si c<strong>la</strong>ires y qu'OEdipe ne peut manquer <strong>de</strong> s'y reconnaître.<br />

Pour juger <strong>de</strong> ce reproche, voyons ce que<br />

dit le <strong>de</strong>vin. C'est le chœur qui conseille au roi <strong>de</strong><br />

le faire venir, et le roi répond 'que Créon lui a<br />

déjà donné le même avis ; qu'en conséquence il a<br />

déjà envoyé <strong>de</strong>ui fois chercher cet interprète <strong>de</strong>s<br />

dieux si révéré dans Thèbes , et qu'il s'étonne que<br />

Ttrésias tar<strong>de</strong> si longtemps. Le vieil<strong>la</strong>rd aveugle,<br />

à qui le ciel a donné <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong> ce qu'il y<br />

a <strong>de</strong> plus secret, et qui est parmi les mortels ce qu'Apollon<br />

est parmi les dieux , est amené sur <strong>la</strong> scène ; et<br />

j'avoue que ce personnage me paraît mieux adapté<br />

au sujet, et pro<strong>du</strong>it plus <strong>de</strong>-curiosité et <strong>de</strong> terreur


ANCIENS. — POÉSIE*<br />

que eâm àm grand piftre dans <strong>la</strong> pièce française y<br />

rôle beaucoup moins caractérisé que celui <strong>de</strong> Tiré-<br />

•as. Tous les <strong>de</strong>ux tiennent d'abord le même <strong>la</strong>ngage,<br />

tout <strong>de</strong>ux résistent longtemps avant que <strong>de</strong><br />

parler, et ne se déterminent qu'à regret à sommer<br />

Œdipe connut le meurtrier <strong>de</strong> Laïus. 11 s 1 comme Fa écrit Rousseau f qui dans ce taaap était<br />

juste, i'a emporté surk Grec <strong>de</strong> quatre*vingÊs. C'est<br />

un progrès que Fart a dû faire; mais 'est-il irai que<br />

les paroles <strong>de</strong> Tiréstas, qui en apprennent trop aux<br />

spectateurs, révèlent tout 1e sort d'Œdipe si c<strong>la</strong>i­<br />

emporte • rement, qu'il faut, dit Voltaire, f« <strong>la</strong> Mie JaJ ait<br />

éfa<strong>la</strong>aaieot dans les <strong>de</strong>ux pièces, et le grand prêtre et tourné, s'a ne regar<strong>de</strong> pm Itrémem comme m<br />

Ttrésks sont également traités d'imposteurs. Mais véritable prophète t Cet arrêt me parait beaucoup<br />

voki comme Voltaire, dans <strong>la</strong> 0n <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène » a res­ trop sévère; car eoio Œdipe, qui se croit toujours<br />

treint son imitation :<br />

et qui doit se croire fils <strong>de</strong> Polybe, roi <strong>de</strong> Corinthc ; .<br />

VaosmetnltHtoq|oaisfetrtllnetd^po<br />

Œdipe y à qui Fon n'a pas encore dit un seul mot<br />

f etn pèn, astrcfois, mm croyait plot •tneète, qui puisse lui faire connaître qu'il est le ils <strong>de</strong> Laïus;.<br />

OBMPB.<br />

Œdipe peut-il <strong>de</strong>viner tout ce<strong>la</strong>, parce qu'on lui a<br />

ànm : fée dls-tn7 Qui î MjrbeT m» pèn !...<br />

m GWLàm paÊmB.<br />

dit que le meurtrier <strong>de</strong> Laïus se trouvera le mari <strong>de</strong><br />

•eus ipprf»if€i trop tôt votre funota mrt i<br />

sa mère et le frère <strong>de</strong> ses.enfants? Ce qui est vrai,<br />

Cs Jesr m tous <strong>de</strong>nier là naissaiioB.et SA mort.<br />

c'est qu'il <strong>de</strong>vait être frappé <strong>du</strong> rapport qui se trouve<br />

Ce vers prophétique est admirable. Le fers <strong>de</strong> entre les paroles <strong>du</strong> <strong>de</strong>vin et l'oracle <strong>de</strong> Delphes,<br />

Sopbo<strong>de</strong>peut faire connaître combien <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngeegrec- qui lui a prédit autrefois, à lui Œdipe (comme il<br />

fijc était plus hardie que <strong>la</strong> nôtre dans son expres­ va l'avouer tout à l'heure à Jocastri, précisément<br />

sion : Cejewt vous enfantera et vous tuera ; et le les mêmes choses dont le menace îîrésîas : ce rap­<br />

vers <strong>de</strong> foliaire fait ?o!r comme il faut tra<strong>du</strong>ire, port <strong>de</strong>vrait l'inquiéter, et ici <strong>la</strong> critique est juste.<br />

•es asatta» tout oonbléi : TOUS aUes vous eonnaltn. Mais <strong>de</strong> ce qu'CÊdipe ne fait pas ce qu'il y a <strong>de</strong><br />

MsUrareu! M?ef-¥®us quel sang ¥«u donna Fêtra? niieoi à taira, et ne dit ps ce qu'il y a <strong>de</strong> mieux<br />

Entouré d« forfaits à •©©••«il réservés, .<br />

Sofcs-vcMi Mal—t svee ipl vous vives?<br />

à dire, il ne s'ensuit pas que son <strong>de</strong>stin soit si ma*<br />

nifestement dévoilé, que kt pièce est enMèrement<br />

Jusqu'ici le poète français tra<strong>du</strong>it i là i iêmêtê<br />

fiole; et conclure que Sophocle m smmMpm même<br />

et termine ainsi <strong>la</strong> scène :<br />

préparer tes événements et cachet sous k mUe k<br />

O Goftnfhe ! ê Plûd<strong>de</strong>, exéerable hyménée ! pim minée fit catastrophe <strong>de</strong> ses pièces, et qu*M<br />

Je?â§s nattn ni» race tapie, tafortnnée!<br />

Hfae ée m Mteanes, f* <strong>de</strong> qui <strong>la</strong> funvr<br />

vMe ks règlm <strong>du</strong> sens commun pour ne pas man­<br />

BfBpUrm tanivcn d'épouvante et d'hotmuv quer en apparence à celles <strong>du</strong> théâtre, c'est join­<br />

Sortsni.<br />

dre, ce me semble, beaucoup d'injustice dasi <strong>la</strong>s<br />

TSrésias en dit beaucoup davantage.<br />

jugements à beaucoup <strong>de</strong> <strong>du</strong>reté dans les termes.<br />

« Jetais le dis pour <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière fois ; cet aaaoroe que Un tort plus grand, et qui paraît à peine con­<br />

mm Aerdies» eecrinnel, m meurtrier est dam Thèses. cevable, c'est d'avoir lu avec tant <strong>de</strong> précipitation<br />

O» le «oit étruMoer ; mais en saura ntaotêt qu'il asf Tira-Fouvrage<br />

qu'il imitait f ou d'en parler <strong>de</strong> mémoire<br />

Ma. Si tortane va s'évanouir comme aa songe-. Aveugle, si légèrement, qu'il trouve dans Sophocle ce qui n'y<br />

relut à Findigeiioe» courbé sur an bâton, cm le ferra er- est pas, et qu'il n'y voit pas ce que tout le mon<strong>de</strong><br />

m iaas lit ceetréss étrangères. Quelle confusion quand peut y voir.<br />

I te noNiiialtrm frère <strong>de</strong> ses ils, époux <strong>de</strong> saraère, toeeo<br />

toeexct prrfd<strong>de</strong>! Ailes, prince, édaircissex ces terribles « Lorsque Œdipe (dit-Il) apprend <strong>de</strong> Inceste que le tara!<br />

paroles, et si vous les bouvet trompeuses, je caasaaa <strong>de</strong> témoin <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Laïus, Pherbas, vit encore, g ne<br />

ptfser peur jm ferat prophète. *<br />

songe seulement pa à <strong>la</strong> Aire chercher. Le chœur lui-<br />

Je conviens qu'il y a plus d'art dans le poète franmême,<br />

qui donne toujours <strong>de</strong>s conseils à Œdipe, ne lui<br />

donne pM ce<strong>la</strong>i d'interroger m témoin. H le prie seulement<br />

çais, api se borne d'abord à ne faire ?oir dans Œdipe<br />

d'envoyer chercher Tirette. »<br />

que le meurtrier <strong>de</strong> Laïus, et enveloppe le reste<br />

dans'<strong>de</strong>s paroles fagots et obscures qui ne peuvent Rien <strong>de</strong> tout ce<strong>la</strong> n*est conforme à <strong>la</strong> vérité. C'est<br />

faire naître que <strong>de</strong>s soupçons. C'est se conformer an troisième acte qu'Œdipe apprend <strong>de</strong> Joeaate que<br />

am règles <strong>de</strong> <strong>la</strong> progression dramatique, que <strong>de</strong> Phorbas est vivant, et le chœur, ne peut pas lui<br />

dé?elopoof par <strong>de</strong>grés toutes les horreurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>s­ donner là-<strong>de</strong>ssus le conseil d'envoyer chercher Tirétinée<br />

d'Œdipe, et <strong>de</strong> ne le <strong>mont</strong>rer locestoeoi et sias, car ce conseil a été donné dès le premier acte<br />

parrici<strong>de</strong> qu'à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce. Le mo<strong>de</strong>rne a mieui et exécuté au second t et Joeaate ne volt Œdipe<br />

observé ce précepte que l'ancien, et c'est en cette qu'après <strong>la</strong> scène où le <strong>de</strong>vin a parié au roi. Le<br />

paraii surtout que k Français <strong>de</strong> vingt-quatre ans, cheeur ne peot pas lui conseiller <strong>de</strong> foire venir Pbor-<br />

101


COURS DE UTTÉlATUiyE.<br />

bas; il s'en a pat le temps, car te premier mot «eorame ce que les anciens avaient fait <strong>de</strong> mieux en<br />

d'OMipe, dès que Jocaste lui a parlé, est eelol-ei : ce genre. 11 n'y a <strong>de</strong> défaut réel que celui qui est<br />

Faites venir Pkorbas au plus vite. Jocaste s'en inhérent au sujet, et qui se trouve dans le poète<br />

charge ; et a?ant <strong>de</strong> <strong>la</strong> quitter il lui répète encore : français comme dans le poète grec; c'est le peu <strong>de</strong><br />

Songez, je vous en conjure, à faire venir ce Phor- vraisemb<strong>la</strong>nce que Jocaste et Œdipe n'aient fait<br />

bas qui peutstulêcMrcir wwn sort. C'est par là que <strong>de</strong>puis si longtemps aucune recherche sur <strong>la</strong> mort<br />

tnit le troisième acte ; et Phorbas, qui est retiré à <strong>la</strong> <strong>de</strong> Laïus.. Mais heureusement ce défaut est daoi<br />

campagne, arrive à <strong>la</strong> scène quatrième <strong>du</strong> quatrième Favantacène, et c'est à ce propos qtf Aristote ob­<br />

acte. H ne parait pas qu'il y ait <strong>de</strong> temps per<strong>de</strong>, serve que quand un sujet a <strong>de</strong>s invraisemb<strong>la</strong>nces iné­<br />

suivant les règles <strong>de</strong> <strong>la</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce ; car il faut vitables , il faut au moins les p<strong>la</strong>cer avant faction.<br />

obserrer que les anciens n'ai aient pas, comme non*, Voltaire convient loi-même qu<br />

d'entr'actes proprement dits, qui <strong>la</strong>issent le théâtre<br />

vi<strong>de</strong> pendant un certain temps f et permettent<br />

<strong>de</strong> supposer un Intervalle tel à peu près qu'on le<br />

•eut pour les événements qui se passent <strong>de</strong>rrière<br />

le théâtre. Leurs actes n'étaient séparés que pr <strong>de</strong>s<br />

intermè<strong>de</strong>s que chantait le chœur, qui ne quittait<br />

point <strong>la</strong> scène, et qui ,-par conséquent, rendait <strong>la</strong><br />

règle d'unité <strong>de</strong> temps beaucoup phis rigoureuse<br />

que parmi nous. Aussi arrive-t-il que dans leurs<br />

pièces les événements paraissent quelquefois précipités."<br />

D'après Feiposé tdèle qu'on fient d'entendre,<br />

que <strong>de</strong>viennent les critiques <strong>de</strong> Voltaire, qui<br />

reproche à Sophocle <strong>de</strong> n'avoir pas feit précisément<br />

tout ce qu'il a fait?<br />

Ailleurs îî lui fait dire ce qu'il n'a pas dit :<br />

« ôa avait prédit à Jocaste que §©a ils porterait ses crimes<br />

jusqu'au lit <strong>de</strong> sa mère» et lorsque Œdipe <strong>la</strong>i dit, On<br />

m'a prédit que je souillerais te lit ée ma mère, die<br />

doit répondre sur-te-chinip, On m avait prédit autant<br />

àwmmfiU- »<br />

H on t elle ne saurait faire cette réponse, car elle ne<br />

dit nulle part qu'on lui ait prédît ce<strong>la</strong> <strong>de</strong> son ils :<br />

elle dît seulement que ce ils, suivant l'oracle, <strong>de</strong>vait<br />

être h meurtrier <strong>de</strong> son père. Voltaire a ajouté, il<br />

est vrai dans sa pièce, et le mari <strong>de</strong> sa mire. Mais<br />

sur ce qu'il fait dire à son Œdipe, il ne doit pas<br />

Juger celui <strong>de</strong> Sophocle, qui n'en a pas dit un mot.<br />

Il prétend qu'à moins ehm aveuglement ineomeembku<br />

<strong>la</strong> conformité qui se trouve entre les prédictions<br />

faites à son ils et celles que l'oracle a faites à Œdipe,<br />

et celles <strong>de</strong> Tirésias, doit lui faire connaître manifestement<br />

<strong>la</strong> vérité, Maïs Jocaste croit mort ce ils<br />

qu'elle a fait eiposer ; maïs Œdipe croît que Pfclybe<br />

est son père i mais Sophocle a m soin <strong>de</strong> donner à<br />

Jocaste s dans tout son rôle, un mépris marqué pour<br />

les oracles, <strong>de</strong>puis qu'on a vu périr par <strong>la</strong> main <strong>de</strong><br />

brigands inconnus ce même Laïus qui <strong>de</strong>vait périr<br />

par <strong>la</strong> mais <strong>de</strong> ce môme ftls qu'elle a eiposé et qu'elle<br />

croit mort. J'ose penser encore que toute cette intrigue<br />

est fort bien nouée f que les incertitu<strong>de</strong>s et les<br />

obscurités y sont suffisamment ménagées y et que ce<br />

n'est pas sans raison qu'os a regardé VOEdipe<br />

$ à moins <strong>de</strong> perdre<br />

un très-beau sujet il faut passer par-<strong>de</strong>ssus cette<br />

invraisemb<strong>la</strong>nce; et Ton remarque en général quo<br />

le spectateur ne se rend pas difficile sur ce qui a<br />

précédé Faction ; il permet au poète tout ce que<br />

celui-ci veut supposer, et ne se <strong>mont</strong>re plus sévère<br />

que sur ce qui se passe sous ses yeux.<br />

A ce vice <strong>du</strong> sujet, qui n'est pas, après tout,<br />

fort important, il faut ajouter une faute réelle,<br />

qui est celle <strong>du</strong> poète ; c'est là querelle très-mal fondée<br />

qu'Œdîpe fait à Créon, et l'accusation intentée<br />

si légèrement contre lui d'avoir suborné Tii^sias<br />

pour accuser le roi. Cet épiso<strong>de</strong> très-mal imaginé<br />

remplit tout le troisième acte <strong>de</strong> Soptmele. QKdipe<br />

y tient un <strong>la</strong>ngage et une con<strong>du</strong>ite également indignes<br />

d'un roi ; il accuse et condamne Créon avec<br />

une témérité ineicusable, et il fout que Jocaste<br />

obtienne <strong>de</strong> lui, avec beaucoup <strong>de</strong> peine, <strong>de</strong> ne pas<br />

sévir contre un prince innocent. C'est encore là un<br />

<strong>de</strong> ces inci<strong>de</strong>nts épisodlques qui, ne pro<strong>du</strong>isant<br />

rien, sont vicieux dans tout système dramatique,<br />

parce qu'ils ne font qu'occuper une p<strong>la</strong>ce qu'ils dtnat<br />

à Faction principle. C'est probablement parce que<br />

celle d'Œdipe est en ette-méme extrêmement simple:<br />

que Sophoele, pour y remédier, est tombé<br />

ians ce défeut, que Voltaire n'a fait que remp<strong>la</strong>cer<br />

par un autre en intro<strong>du</strong>isant son Philoctète, plus<br />

étranger encore au sujet que Créon.<br />

A l'égard <strong>du</strong> cinquième acte <strong>de</strong> Sophocle, Voltaire<br />

le trouve entièrement hors d'oeuvre, et soutient<br />

que <strong>la</strong> pièce est finie quand le <strong>de</strong>stin d'Œdipe<br />

est déc<strong>la</strong>ré. Ce<strong>la</strong> peut être vrai pour nous, mais je<br />

ne pense pas qu'il en fût <strong>de</strong> même pour les Grecs ;<br />

et ce que nous avons déjà vu <strong>de</strong> leur théâtre confirme<br />

aseei cette opinion. Ce cinquième acte contient<br />

<strong>la</strong> punition d'Œdipe, <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Jocaste, qui<br />

se tue elle-même, et les adieui que vient faire à ses<br />

enfants ce père infortuné, qui s'est condamné à<br />

l'exil et à l'aveuglement. J'avoue que je ne YOîS<br />

rien là que j'aie envie <strong>de</strong> rejeter ; et, es supposant,<br />

ce dont je doute encore, que <strong>la</strong> scène <strong>du</strong> père et <strong>de</strong>s<br />

enfants nous parût superflue au théâtre, il est sir<br />

au moins qu'on ne peut <strong>la</strong> lire sans attendisse*


meut. La volcL U a recommandé ses ils à Créon<br />

qui ¥i régner pendant leur minorité, et il <strong>de</strong>manda<br />

ses <strong>de</strong>ux filles qui sont encore dans l'enfance.<br />

Que Je les tourbe eseor <strong>de</strong> met matas pateneUes :<br />

Laissex-moi <strong>la</strong> douceur <strong>de</strong> plenrer avec elles,<br />

CI féeéreux Créée ! C'est mon <strong>de</strong>rnier espoir.<br />

Oui, qm Je lea^esïiiraase, et Je croirai Ici voir.<br />

Que dls-Je? Vous avez exaucé ma prière;<br />

•©us mm es pttM <strong>de</strong> ee maUieereux père :<br />

Me ta aa<strong>la</strong>aéa-Ja pat? dÉOH.<br />

Fai prévenu vos ? «su.<br />

ANCIENS. — POÉSIE.<br />

An! pour prix <strong>de</strong> YO§ soins, cher prisée, que iaa Estant<br />

Signalent envers- FOUS leur bonté faté<strong>la</strong>ire,<br />

Comme Ha ont envers moi signalé leur colère !<br />

Où sont-elles? ¥enexf venes, appreehei-voiis,<br />

Met filles f eoers enfants, objets jadis si doax ! «<br />

Toute enesf ces mains aux crimes condamnées t<br />

Cm mate que ©entre mol fai moi-môme tournée!.<br />

G mes fUks y voyez f voyez mes maux affreux.,<br />

Ceux que Je me suis faits, eeux «fne m'ont faits les dieux.<br />

•es» ptenrei 1 al| ! plutôt f ai 1 pleure* sur vous-même :<br />

Je vois dans l'avenir votre infortune extrême.<br />

Quel <strong>de</strong>stin vous attend au milieu <strong>de</strong>s humains!<br />

Enfants bais <strong>de</strong>s dieux , <strong>de</strong> combien <strong>de</strong> chagrins<br />

Ils sèment mm vos pas le sentier <strong>de</strong> là vie,?<br />

Us ont à Finooeenee attaché l'infamie.<br />

A quels Jeux, quelle fête, à quel festin sacré<br />

t3t«w«¥e«îs porter us fasal déshonoré?<br />

Quels apeeta<strong>de</strong>s pour vous a<strong>mont</strong> eneor <strong>de</strong>s chômes?<br />

Tons n*en reviendrez point sans répandre <strong>de</strong>s <strong>la</strong>naaa*<br />

Qaaaét Pige 4e l'hymen sera venu pour vous t<br />

Qnet père dans son ils voudra voir votre époux S<br />

Qm voudra <strong>de</strong> mon sans; partager les souillures ?<br />

Caioî dont Je suis né teignit mes mains impures.<br />

Oneeste m'a p<strong>la</strong>cé dans le Ut maternel!<br />

£t vomi êtes les fruits <strong>de</strong> ee nœud criminel.<br />

fl <strong>la</strong>nilra supporter l'affront <strong>de</strong> ces reproches;<br />

•ans verrez les mortels éviter vos approches t<br />

Et vous arriverez an terme <strong>de</strong> vos ans f<br />

Sans connaître d'époitx , sans nourrir <strong>de</strong>s enfants...<br />

(J Greois.)<br />

0 vous, le seul appsl qui reste à leur misées,<br />

Tons, fils <strong>de</strong> Menacée, hé<strong>la</strong>s! soyez leur père :<br />

Blés a*ee ont point d'astre ; elles sea! sans secourt ;<br />

<strong>la</strong> Honte, llndfgesee, environnent leurs Jours.<br />

Des yeux île <strong>la</strong> pillé regar<strong>de</strong>z leur enfance;<br />

Tons ne les <strong>de</strong>vez pas punir <strong>de</strong> leur nalssanca ;<br />

Dotmes-moi votre main, gage <strong>de</strong> votre fol.<br />

{A mm Jkttss.)<br />

Et vues, qui pour Jamais vous sépares <strong>de</strong> mol,<br />

le vous eu dirais plus si vous pouviez m'entendre;<br />

Hâta ajoa font les conseils dans un âge si tendre?<br />

Amen : poisse le CM, iéettl par mes revers,<br />

Bétonner loin <strong>de</strong> vous les maux que f si soufferts 1<br />

Peut-os douter qu'une pareille scène se fit couler<br />

quelques <strong>la</strong>rmes? Je ee sais si je me trompe , mais<br />

il me semble qu'elle terminerait heureusement <strong>la</strong><br />

tragédie i*€Eêipe. Me faut-il pas, pour que sa<br />

<strong>de</strong>stinée s'accomplisse, qu'on le foie partir pour<br />

l'exil, qui est le châtiment auquel les dieux Tout<br />

condamné? Ses adieuxf son départ, ne font-ils pas<br />

liés tors eue partie essentielle <strong>de</strong> ses malheurs , qui<br />

sont l'objet <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce? Il y a plus : après que le<br />

cœur a été serré douloureusement par l'horreur<br />

qu'inspire €ette complication <strong>de</strong> crimes lovoiontmm<br />

oooiin<strong>la</strong> par fmmwmm$ ce poids <strong>de</strong> <strong>la</strong> fata-<br />

10S<br />

lité qui écrase un homme vertueux, et qui est, à<br />

mon gré, un <strong>de</strong>s inconvénients <strong>de</strong> ce sujet, on<br />

éprouve volontiers un attendrissement dont on<br />

avait besoin. Jusque-là Ton n'a ? u que <strong>de</strong>s atrocités<br />

dont les dieux sont ies seuls auteurs ; et les infortunes<br />

d'OEdipe semblent d'affreux mystères où<br />

<strong>la</strong> raison et <strong>la</strong> justice ont peine à se retrotrver.<br />

Mais lorsque ce malheureux père, aveugle et banni,<br />

embrasse pour <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière fois ses enfants, dont<br />

il se sépare pour toujours, <strong>la</strong> nature se reconnaît<br />

dans ce tableau : on n'entend pas <strong>la</strong> p<strong>la</strong>inte d'OEdipe<br />

sans être ému <strong>de</strong> compassion, et l'on donne à ses<br />

disgrâces <strong>de</strong>s pleurs qu'on avait besoin <strong>de</strong> répandre.<br />

11 ne faut point parler <strong>de</strong> l'Œdipe <strong>de</strong> Corneille :<br />

il n'est pas digne <strong>de</strong> son auteur f et le sujet n'y est<br />

pas même traité ; if est étouffé par un long et froid<br />

épiso<strong>de</strong> d 9 amoury qui s'étend d f un bout <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce<br />

à l'autref et qui n'a pas, comme celui <strong>de</strong> Phîloctète<br />

.dans f Œdipe <strong>de</strong> Yoltaire, l'avantage d'être<br />

au moins racheté, autant qu'il peut l'être, par le<br />

mérite <strong>du</strong> style. Ce <strong>de</strong>rnier a cependant emprunté<br />

<strong>de</strong> Corneille <strong>de</strong>ux beaux vers : l'un, qui est <strong>la</strong> peinture<br />

<strong>du</strong> Sphinx,<br />

Ce monstre à voix hiimaiiii? algie, faatsae al Itoe j •<br />

l'autre, qui exprime heureusement rexcommunication<br />

en usage chez les anciens y<br />

Privéa <strong>de</strong>s feux sacrés et <strong>de</strong>s eaux salutaires.<br />

On a cité aussi fort souvent «a morceau d'une<br />

tournure très philosophique sur ce dogme <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

fatalité, si cher aux anciens, et qui anéantit ia liberté<br />

<strong>de</strong> l'homme. Ce morceau, quoiqu'il y ait quelques<br />

fautes <strong>de</strong> diction, est écrit et pensé avec une<br />

énergie particulière à Corneille ; et Voltaire remarque<br />

très judicieusement qu'il naît .<strong>du</strong> sujet, et n'est<br />

point un lieu commun comme tant d'autres, ni<br />

une déc<strong>la</strong>mation étrangère à <strong>la</strong> pièce. Des r^kximm<br />

swr <strong>la</strong> faêaMié, dit-il, peumnt-eMe§ éire mieux<br />

pk&cées qm ému k SUQ§î d'QEdipet Elles contrit<br />

huèrent même au succès <strong>de</strong> l'ouvrage, qui resta au<br />

théâtre jusqu'au moment où II céda sa p<strong>la</strong>ce à celui<br />

<strong>du</strong> jeune rival <strong>de</strong> 9 Sophocle. Lorsque <strong>la</strong> pièce <strong>de</strong><br />

CorneiMe parut, on était fort occupé <strong>de</strong>s querelles<br />

sur le libre arbitre, et tes amateur s apprirent pr<br />

cœur cette tira<strong>de</strong>, qui <strong>de</strong>vint fameuse :<br />

Quoi ! <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong>s vertus et <strong>de</strong>s viee»<br />

D'un astre impérieux doit suivre les caprices;<br />

Et Delphes malgré nous con<strong>du</strong>it nos acttaes<br />

Au plus Wsarre effet <strong>de</strong> ses prédictions 1<br />

L'âme «t doue tout esc<strong>la</strong>ve : nue loi aouvente<br />

Vers le bien on le mai iiieesilmment rentratoe •<br />

Et nous ne recevons ni eralnte ni désir<br />

De cette Mberté qui n'a rien à choisir.<br />

Attachés sans relâche à est ordre sublime s<br />

Vertueux sans mérite, et vieieux sans cri<br />

Qu'on massée» Isa rois » qsf@a bvtae tas •


104 COURS DE LITOÉMTIJIE.<br />

Cest <strong>la</strong> fuite te dieux, et son pas <strong>de</strong>s mortels.<br />

De toute <strong>la</strong> wertu sur <strong>la</strong> terre épan<strong>du</strong>e, *<br />

Tout te prts à eeii <strong>de</strong>ux ? toute <strong>la</strong> gloire est <strong>du</strong>e ;<br />

Ils agissent eïi nous quand nous pensons ogbr ; ><br />

Alors qu'oïl délibère on ne fait qu'obéir;<br />

Et notre volonté n'aiine , hait , enerehe t évite,<br />

Qm mitmmi §m d f m kmi leur brm k précipite I<br />

D'un tel aveuglement daignez me dispenser.<br />

Le ciel, Juste à punir, juste à récompenser,<br />

four rendre anx actions leur peine et leur sa<strong>la</strong>ire,<br />

Boit nous offrir son ai<strong>de</strong> s et puis sous <strong>la</strong>isser faire,<br />

N*enfonç&m toutefois ni votre mil ni le mien<br />

Bans ee profond abîme où nous ne voyons rien.<br />

Peut-être ne sera-t-on pas fâché <strong>de</strong> voir comment<br />

Voltaire a ren<strong>du</strong> précisément les mêmes idées dans<br />

un dUcomr$ sur <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> l'homme.<br />

D'un artisan suprême- Impuissantes machines,<br />

Automates pensants , mus par <strong>de</strong>s mains divines.<br />

Nous serions à jamais <strong>de</strong> mensonge occupés,<br />

If ils Instruments d'un dieu qui nous aurait trompés 1<br />

Comment t sans liberté , serions-nous ses Images f<br />

Que lui revendrait-il <strong>de</strong> ses brutn f ouvrages?<br />

On ne peut donc lui p<strong>la</strong>ira, on ne peut l'offenser ; '<br />

n n'a rien à punir, rien à récompenser.<br />

Bans les <strong>de</strong>ux, sur <strong>la</strong> terre, H n'est plus <strong>de</strong> Justice,<br />

Caton est-sans verte , Catlllet sans Ytoe :<br />

Le <strong>de</strong>stin nous entrai ne à nos affreux penchants,.<br />

Et ee chaos <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> est fait pour les méchants.<br />

L'oppresseur insolent, l'usurpateur m&m ,<br />

Cartouche t Mklwltz t ou tel antre barbare<br />

. Plus coupable enûn qu'eux \ le calomniateur<br />

Dira : « le n'ai rien fait, Dieu seul en est Fauteur; "<br />

« Ce n'est pas mol, c'est lui qui manque à wm pamte ',<br />

m Qui frappe par mes mains, pille, brûle, viole. »<br />

Cest ainsi que le dieu <strong>de</strong> justice et <strong>de</strong> paix<br />

Serait l'auteur <strong>du</strong> trouble et le dieu <strong>de</strong>s forfaits.<br />

Les tristes partisans <strong>de</strong> ee dogme effroyable<br />

DlraJcafrUs tien <strong>de</strong> plus ? sUs «foraient le diable?<br />

On retrouve dans ce morceau <strong>la</strong> bril<strong>la</strong>nte facilité<br />

<strong>de</strong> fauteur; mais en général il parait avoir éten<strong>du</strong><br />

dans <strong>de</strong>s vers harmonieux ee que Corneille a resserré<br />

dans <strong>de</strong>s vers énergiques ; et, malgré le mérite<br />

<strong>de</strong> l'imitateur, <strong>la</strong> supériorité appartient ici tout<br />

entière à l'original f non-seulement pour l'invention 9<br />

mais encore pour l'exécution.<br />

Compensation faite <strong>de</strong>s beautés et <strong>de</strong>s défauts f<br />

il serait difficile <strong>de</strong> prononcer entre les <strong>de</strong>ux Œdipe.<br />

11 n'en est pas <strong>de</strong> même ê'Ékcêre : quelque belle<br />

que soit celle <strong>de</strong> Sophocle, celle <strong>de</strong> .Voltaire remporte<br />

<strong>de</strong> beaucoup, au Jugement <strong>de</strong>s plus sévères<br />

connaisseurs. Il a fait ici <strong>de</strong> Sophocle le plus grand<br />

éloge possible, en limitant presque en tout. Le<br />

beau caractère d'Electre, Fun <strong>de</strong>s plus dramatiques<br />

que Ton connaisse; sa douleur profon<strong>de</strong>, tour à<br />

tour si touchante et si impétueuse; les regrets<br />

qu'elle donne à son père qu'elle a per<strong>du</strong>, à son<br />

1 Faute <strong>de</strong> français. Brutes ne se dit que <strong>de</strong>s animaax,<br />

fee bruiti. Bmt, adjectif, qui signifie grossier, informe, s'écrit<br />

sans §s comme on le volt ici, au masculin : un ouvrage<br />

brut, a» diamant èmL II ne prend l'« qu'au féminin s mm<br />

pierre ftrwfe.<br />

* Hyperbole trop forte.<br />

3 Bémhtinhe Uop faible après ce qui précè<strong>de</strong>.<br />

frère qu'elle a sauvé et qu'elle attend comme us<br />

libérateur; son esc<strong>la</strong>vage, qui n'abat si son courage<br />

m* sa ierté; ta soif <strong>de</strong> <strong>la</strong> vengeance qui l'animé sans<br />

cesse ; enfin, le contraste que forme le rôle <strong>de</strong> Onysothémis,<br />

qui est Ffphise <strong>de</strong> Voltaire t et dont <strong>la</strong><br />

sensibilité douce'et timi<strong>de</strong> fait encore mieux ressortir<br />

l'élévation et l'énergie <strong>de</strong> sa sœur ;- les ordres<br />

d'Apollon 9 qui recomman<strong>de</strong> le secret à Oreste comme<br />

le ressort <strong>de</strong> toute son entreprise; le rôle <strong>du</strong><br />

vieux gouverneur d'Oreste, qui est le Ptmmèee<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce française; cette idée si théâtrale d'apporter<br />

une urne qui est supposée contenir les cendres<br />

<strong>du</strong> ils d'Agameumon, et qui pro<strong>du</strong>it une scène<br />

fameuse dans toute l'antiquité pr le grand effet<br />

qu'elle eut à Athènes et à Rome; ces aiteraati¥«<br />

<strong>de</strong> crainte et d'espérance, causées par <strong>la</strong> fausse<br />

nouvelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort éf Oreste et par les présents<br />

qu'on a vus sur le tombeau <strong>de</strong> son père; cette situation<br />

déchirante <strong>de</strong> <strong>la</strong> malheureuse Electre, qui croit<br />

tenir entre ses mains les cendres <strong>de</strong> son frère s tandis<br />

que ce frère est sous ses yeux; cette reconnaissauce<br />

si naturellement amenée par l'attendrissement<br />

d'Oreste , qui ne peut résister aux <strong>la</strong>rmes <strong>de</strong><br />

sa sœur; en un motf cette simplicité d'action et<br />

d'intérêt, si rare et si admirable; tout ce<strong>la</strong> fait<br />

également le fond <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux pièces, tout ce<strong>la</strong> est<br />

beau dans Sophocle, et plus encore dans Voltaire.<br />

Le poète français a rassemblé dans sa tragédie toutes<br />

les beautés qui appartiennent au sujet, et toutes<br />

celles que pouvait y joindre un talent tel que le<br />

sien, fertile <strong>de</strong> ce que Fart a pu acquérir <strong>de</strong>puis<br />

Sophocle. Celui-ci n'avait pas, à beaucoup près, à<br />

fournir une carrière si longue et si. difficile. Les<br />

chœurs et les récits en occupent use partie : e<strong>du</strong>i<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> mort d'Oreste, qui a péri, dit-on, en tombant<br />

<strong>de</strong> son char aux jeux olympiques 4 , tient <strong>la</strong> moitié<br />

<strong>du</strong> second acte. 11 faut remarquer que Sophocle a<br />

commis en cet endroit un anachronisme, puisque<br />

les jeux olympiques n'ont été établis que longtempsaprès<br />

Fépoque où se passe Faction <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce. Mais<br />

les Grecs étaient si amoureux <strong>de</strong> ces sortes <strong>de</strong> <strong>de</strong>scriptions,<br />

qu'ils pardonnèrent aisément au poète<br />

cette liberté, et que ce long morceau <strong>de</strong>scriptif, qui<br />

nous paraîtrait fort dép<strong>la</strong>cé, fut un <strong>de</strong> ceux qui<br />

attirèrent le plus d'app<strong>la</strong>udissements à l'auteur.<br />

On concevra, on excusera même cet enthousiasme,<br />

si l'on se rappelle que les Grecs regardaient, non<br />

sans raison, les jeux olympiques comme une <strong>de</strong>s<br />

plus belles institutions dont ils pussent se glorifier*<br />

et qu'ils étaient très-Iattés d'en voir le tableau tracé<br />

sur leur théâtre par k pinceau <strong>de</strong> Sophocle. Vol-<br />

* Nos pas au Jeux olympiques, maisaui jeu pitbiques.


ANCIENS, — POÉSIE.<br />

taira n'a pu en frire usage; mais celui qu'il a mis<br />

an cinquième acte, et où il peut es traits si nobles<br />

et ri frappants <strong>la</strong> réfolutioa que pro<strong>du</strong>it Oreste es<br />

m <strong>mont</strong>rant aux anciens soldats d'Agamemnon,<br />

lui appartient entièrement! et a <strong>de</strong> plus le mérite<br />

d'appartenir an sujet.<br />

Le poëte français a enchéri encore sur son modèle<br />

dans <strong>la</strong> scène <strong>de</strong> fume. Chez Sophocle» Electre<br />

ne voit dans, son frère qu'un caicyé dê.Strophius<br />

qui apporte les cendres «d'Oreste. Chez ¥oitairet<br />

Oreste passe lui-même pour le meurtrier.<br />

Des newfilefs it>res!â, o eid I sctto-Je entourée?<br />

dit Electre à Oreste et à Py<strong>la</strong><strong>de</strong>; ce qui rend <strong>la</strong><br />

situation bien plus douloureuse et plus terrible<br />

pour elle et pour son frère. Cette scène si heureusement<br />

imaginée par Sophocle, où Chrysothémis<br />

¥icaf a?ec un transport <strong>de</strong> joie annoncer à sa sœur<br />

que sans doute Oreste est vivant, qu'il est même<br />

dans le pa<strong>la</strong>is, parce qu'elle a ?u <strong>de</strong>s offran<strong>de</strong>s et<br />

<strong>de</strong>s cheveux sur le. tombeau d'Agamemnon; cette<br />

nouvelle, qu'elle apporte à Electre dans l'instant<br />

même-où le brait <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort d'Oreste, qui semble<br />

certaine, vient <strong>de</strong> <strong>la</strong> mettre au désespoir; tout ©eta<br />

est encore embelli par fart <strong>de</strong> l'imitateur. Bans le<br />

grec, cette nouvelle ne fait pas <strong>la</strong> moindre impression<br />

sur Electre, qui se eroit trop sûre <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort<br />

d'Oreste, dont elle a enten<strong>de</strong> le récit qu'on a fait i<br />

Glytenuiestre <strong>de</strong>vant elle; elle se contente <strong>de</strong> p<strong>la</strong>indre<br />

l'erreur <strong>de</strong> Chrysothémis, et celle-ci se repent<br />

eUe-méme. <strong>de</strong> cette fausse joie qui Fa abusée un<br />

«MMat. Bans l'auteur français, Electre, qui n'a<br />

pas encore les mêmes raisons <strong>de</strong> croire son frère<br />

mort, reçoit avi<strong>de</strong>ment cet espoir qu'on lui présente.<br />

Elle quitte <strong>la</strong> scène à <strong>la</strong> in <strong>du</strong> second acte,<br />

toute remplie <strong>de</strong> cette joie passagère dont pourtant<br />

elle se délie, âhl dit«die à sa sœur en sortant avec<br />

die;<br />

Ah! si *» nw tempes, mm mfêimÊm <strong>la</strong> via<br />

Os prévoit <strong>de</strong> là quelle sera sa douleur quand <strong>la</strong><br />

mort dTOrwte paraîtra conformée. Aussi rentret-clle<br />

es disant :<br />

Um$mmm trompés aœabie et décourage :<br />

Un seul met <strong>de</strong> Pammène a fait évanouir<br />

Cet seeges Imposteurs émî vous osiez Jouir.<br />

Ces mouvements opposés qui se succè<strong>de</strong>nt, ce flux<br />

et «Eux <strong>de</strong> joie et d'affliction, sont l'âme <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie;<br />

et c'est nne <strong>de</strong>s parties <strong>de</strong> l'art, où les mo<strong>de</strong>rnes<br />

ont «celle.<br />

Il y a une scène dont le poëte français n'a point<br />

fait usage, et c'est peut-être <strong>la</strong> seule <strong>de</strong>s beautés<br />

île cette pièce qu'il ne se soit point appropriée. Sophocle<br />

en avait pris l'idée dans les Co^kmtti<br />

10S<br />

mais il l'a eiéeotée d'une manière toute difUrente.<br />

Elle est plus terrible dans Eschyle; dans Sophocle,<br />

elle est plus touchante. Chez lui, c'est Chrysothémis<br />

qui s'est chargée <strong>de</strong>s offran<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s expiations <strong>de</strong><br />

Ciytemnestre. Cette mère coupable est effrayée d'un<br />

songe menaçant dont elle voudrait détourner le présage.<br />

Chrysothémis trouve Electre sur son passage,<br />

Iri eipote les terreurs <strong>de</strong> leur mère, et le <strong>de</strong>ssein<br />

qui famène. Electre, saisie d'horreur, <strong>la</strong>'conjure<br />

<strong>de</strong> se refuser à un pareil emploi.<br />

Ah ! ma soeur, lofe <strong>de</strong> vont ce ministère Impie;<br />

loin , loin <strong>de</strong> ce tombeau ces 4cas ê'mmmaemlûi<br />

Voulez-voua violer toua les droite <strong>de</strong>s humains?<br />

Avez-tout pa charger vos tosoceotes nains<br />

Des coupables présents d'une maie meurtrière,<br />

Des présents qu'ont souillés le meurtre et l'a<strong>du</strong>ltéra?<br />

Voyez ce monument : e'est à sons d'empêeher<br />

Que Jamais rien d'Impur ne paisse es approctor.<br />

Jetez, Jeta, ma sœur, cette urne funéraire,<br />

Ou Mes, lois <strong>de</strong> ces Siens, cachez-<strong>la</strong> sous <strong>la</strong> terre;<br />

Et pour l'es retirer, atten<strong>de</strong>z que 1A mort<br />

Be Clytemnestre un Jour ait terminé le sort<br />

Alors, reportez-<strong>la</strong> sur sa cendre iûûdèle :<br />

AEei, <strong>de</strong> tels présents ne sont faits que powelle.<br />

€f@yezrfous f sli restait dans Se fond <strong>de</strong> Mm émir! .<br />

Après ses attentats, une ombre <strong>de</strong> pu<strong>de</strong>ur ;<br />

Croyez-Yous qu'aujourd'hui <strong>la</strong> fureur qui l'anime,<br />

Tint Jusqse dans sa tombe outrager sa ¥kttme,<br />

Insulter à ce point les mânes d'un héros,<br />

La sainteté <strong>de</strong>s morts et les dieux <strong>de</strong>s tombeau?<br />

Et <strong>de</strong> quel oail, ô ciel I pensai-?&m que mon père<br />

Puisse woSr ces présents que Ton ose isS faire?<br />

Ah ! n'est-ce pas ainsi 9 quand il fut massacré t<br />

Qu'on plongea dans les eaux son corps déiguré,<br />

Comme si Ton eût pu dans le seau <strong>de</strong>s eaux pures<br />

Laver en même temps le crime et les blessures?<br />

Les forfaits à ce prix seraient-Us effacés?<br />

Ne le permettez pas, lUeu qui les punissez !<br />

Et mm t ma sœur, et mm 9 n'en commettez point d'autres ;<br />

Prenei <strong>de</strong> mes cheveux t prenez aussi <strong>de</strong>s vôtres.<br />

Le désordre <strong>de</strong>s calées atteste mes douleurs ;<br />

Souvent Ils ont sera*! pour essuyer mes pleurs :<br />

II m'en reste bien peu ; mais prenez, Il n'Importe ;<br />

1 aimera ces dons que notre amour lui porte.<br />

Joignez-y ma ceinture : elle est sans ornement ; '<br />

Elle peut honorer ce triste monument<br />

Mon père le permet} il volt notre misère;<br />

Lui seul peut <strong>la</strong> finir, etc.<br />

'La naïveté <strong>de</strong>s mœurs grecques se <strong>mont</strong>re ici<br />

tout entière; mais Voltaire sous y avait tellement<br />

accoutumés dans cette pièce , que m morceau 9 sous<br />

sa plume, aurait pu, ce me semble, truster p<strong>la</strong>ce<br />

facilement, ffa-t-ii pas su tirer parti même <strong>du</strong> rêie<br />

d*Égïsthef qui n'est rien dans Sophocle, puisqu'il<br />

ne parait que pour être tué par Oreste? Nous afttis<br />

déjà TU, dans plus d'une pièce grecque, qu'on ne<br />

regardait pas alors comme un défaut <strong>de</strong> ne filtra<br />

Tenir un personnage que pour le dénouaient : aucun<br />

<strong>de</strong> nos auteurs ne se Test permis. Cependant il ne<br />

serait ps impossible qu'il y eût tel sujet où cette<br />

marelie fût 'raisonnable, c'est-à-dire, absolument<br />

nécessaire; car je ne connais pas d'antre manière<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> justiier.<br />

Les personnages odieux^ dans <strong>la</strong> tragédie, ter*<br />

-


|06<br />

CÔUES DE JLHTEEATDEE.<br />

rat aui moyens ; les personnages intéressants servent<br />

à l'effet. C'est en conséquence <strong>de</strong> ce principe<br />

que Voltaire s'est si bien servi d'Égisthe pour jeter<br />

Oreste dans le pins imminent danger <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> fin<br />

<strong>de</strong> quatrième acte jusqu'au dénoûment, et pour<br />

développer le grand caractère <strong>de</strong> Glytemnestre. C'est<br />

par ces <strong>de</strong>ux endroits surtout qu'il est infiniment<br />

supérieur à Sophocle; et c'est ce qui mérite d'être<br />

détaillé.<br />

Les anciens, chez qui l'intrigue est en général<br />

<strong>la</strong> partie faible, parce qu'ayant d'autres ressources<br />

dans leur speetaëtê, ils avaient moins senti le besoin<br />

<strong>de</strong> perfectionner celle-là ; les anciens ne savaient<br />

pas nouer assez fortement une pièce pour mettre<br />

dans on grand péril les principaux personnages t et<br />

les en retirer sans invraisemb<strong>la</strong>nce. C'est là l'effort<br />

<strong>de</strong> Fart chez les mo<strong>de</strong>rnes, et Sophocle lui-même<br />

ne l'a pas porté jusque-là. Dans son Electre, Égîsthe<br />

est absent pendant toute <strong>la</strong> pièce : il ne revient<br />

que pour voir Glytemnestre déjà égorgée, et pour<br />

se trouver pris comme dans un piège. Qu'en arrive-<br />

Ml? c'est qu'Oreste n'est jamais en danger. Je sais<br />

bien que le sort d'Electre inspire <strong>la</strong> pitié, et que sa<br />

situation et celle <strong>de</strong> son frère attendrissent finie et<br />

soutiennent <strong>la</strong> curiosité; mais <strong>la</strong> pitié même s'use<br />

et s'affaiblit, quand <strong>la</strong> situation est toujours <strong>la</strong> mène<br />

'pendant quatre actes, et n'est pas variée par <strong>de</strong>s<br />

inci<strong>de</strong>nts qui font nattre <strong>la</strong> crainte ou qui augmentent<br />

le malheur et le danger. Ce n'est pas assez que<br />

les personnages soient dans une position intéressante,<br />

il faut encore que cet intérêt aille en croissant :<br />

s'il n'augmente pas, il diminue. C'est ce progrès<br />

continuel et nécessaire qui rend <strong>la</strong> tragédie si difficile,<br />

ainsi ,-dass VElectre française f à peine Oreste<br />

est-il reconnu par sa sœur, qu'il est découvert par<br />

le tyran, et mis dans les fers avec Py<strong>la</strong><strong>de</strong> et Pammèie;<br />

en sorte que le spectateur, qui a respiré un<br />

poment en voyant le frère et <strong>la</strong> seetut réunis, n'en<br />

est que plus effrayé <strong>du</strong> péril qui les environne; car<br />

Fiel se peut arrêter le bras d'Égisthe que Clytempettre<br />

elle-même; et c'est ici, à mon gré, k coup<br />

<strong>de</strong> maître. Tout ce rite <strong>de</strong> Oytemnestre est dans<br />

Yoitaire une véritable création ; car, dans cette foule<br />

<strong>de</strong> pièces composées sur le même sujet, on ne trouve<br />

nulle part le moindre germe <strong>de</strong> cette idée. Ni Crébillon<br />

ni Longepierre, ni étrangers ni nationaux,<br />

ni anciens ni mo<strong>de</strong>rnes, n'avaient imaginé .que cette<br />

femme, qui avait assassiné son mari, pût défendre<br />

contre le complice <strong>de</strong> son crime le fils dont elle-même<br />

doit tout craindre. Les remords sont indiqués dans<br />

Sophocle, mais très-faiblement; et dans Voltaire<br />

tout est gra<strong>du</strong>é, dé?e|oppéy achevé avec une égale<br />

infériorité.<br />

S'il n'a point tait autre? dans m pièce cette p<strong>la</strong>inte<br />

éloquente d'Electre lorsqu'elle tient Furie entre m<br />

mains, c'est que l'éten<strong>du</strong>e <strong>de</strong> ce morceau, proportionnée<br />

am mœurs et am convenances <strong>du</strong> théâtre<br />

d'Athènes, eût trop ralenti une scène dont Faction<br />

est plus vive et plus forte dans <strong>la</strong> pièce française<br />

que dans <strong>la</strong> grecque ; et <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> cette espèce<br />

d'élégie dramatique fera ressortir davantage <strong>la</strong> différence<br />

<strong>du</strong> génie <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux théâtres, en prouvant que<br />

les beautés <strong>de</strong> fia ne pouvaient pas toujours convenir<br />

à l'autre.<br />

J'ai déjà dit que l'expression vraie et ingénue <strong>de</strong>s<br />

affections <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>vait être beaucoup plus<br />

facile dans <strong>la</strong> poésie grecque que dans <strong>la</strong> nôtre; et<br />

c'est une raison <strong>de</strong> plus pour que fou juge avec quelque<br />

in<strong>du</strong>lgence les efforts que j'ai faits dans ces différents<br />

essais <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ction ? où j'ai tâché <strong>de</strong> me<br />

rapprocher <strong>de</strong> <strong>la</strong> simplicité antique, autant que me<br />

Ta permis <strong>la</strong> noblesse, quelquefois peut-être un peu<br />

trop superbe, <strong>de</strong> notre <strong>la</strong>ngue poétique.<br />

O monument store <strong>du</strong> plus cher <strong>de</strong>s humains !<br />

Cher Oreste , est-œ toi que Je «eue dans mes matas!<br />

O toi ! dont mes se<strong>cours</strong> ont protégé l'enfance t<br />

Toi que fa vils sauvé dans une autre espérante,<br />

Est-ce ainsi que 9 pour mol <strong>de</strong>puis tongieisp fiiilii,<br />

Mon frère à mes regards <strong>de</strong>vait être ren<strong>du</strong>?<br />

le <strong>de</strong>vais donc <strong>de</strong> toi ne revoir fus <strong>la</strong> cendre 1<br />

Ah ! fpilt eût mieux valu 9 dans l'âge te plus tanin,<br />

Périr avec ton père t hé<strong>la</strong>s ! et <strong>du</strong> berceau<br />

Descendre à ses eétés dans le même tombeau !<br />

Et maintenant tu meurs, ô victime chérie,<br />

Sous am dsi étranger «t loin <strong>de</strong> ta patrie t<br />

Loin <strong>de</strong> ta sœur !... et mol, je n'ai pu sur ton corp<br />

Prodiguer les parfums, les ornements <strong>de</strong>s morts!<br />

D'autres ont pris pour toi les soins que f ai dû prendra;<br />

D'antres sur le bûcher ont recueilli ta ceûdre 1<br />

Ces débris précieux, on Ses porte à ta w«r,<br />

Dans une urne vulgaire enfermés sans bonneur!<br />

O malheureuse Electre ! ô frivoles tendresses !<br />

Inutiles travaux et trompeuses caresses !<br />

Soigner tes premiers ans fut mon plus doux p<strong>la</strong>isir,<br />

Et <strong>de</strong> mes propres mains j'aimais à te nourrir.<br />

M'occepant <strong>de</strong> toi seul, j'ai rempli près d'un frère<br />

Le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> nourrice, et d'esc<strong>la</strong>ve et <strong>de</strong> mère.<br />

Où tonMb cm beaux Jours 9 res Jours si fortunés ?<br />

Ah ! <strong>la</strong> mort avec toi les a donc moi&soanés !<br />

Oreste! tu n f es plus!... et je n'ai plus <strong>de</strong> perel<br />

• Me voilà seule au mon<strong>de</strong> ; et ma barbare mère<br />

Avec mes ennemi* jouit <strong>de</strong> ma douleur I<br />

Yaieement à mes maux tu promis un vengeur ;<br />

Oreste a dans <strong>la</strong> tombe emporté mon attente ;<br />

Et qu*est-il aujourd'hui? rien qu'une ombre Impoissaiite !<br />

Que suis-Je f béSas! moi-même, après f avoir per<strong>du</strong>?<br />

Qu'une ombre, qu'un fantôme aux enfers attew<strong>la</strong>l<br />

Mon frère, reçois-moi dans cette urne funeste;<br />

D'Electre auprès <strong>de</strong> toi reçois 1e triste reste :<br />

Les mêmes sentiments unissaient notre sort ;<br />

Soyons encor tous <strong>de</strong>ux réunis dans <strong>la</strong> mort.<br />

La mort est secourable, et <strong>la</strong> tombe est tranquille :<br />

•h! pour les malheureux 11 n'est point d'autre asile.<br />

H est honorable pour <strong>la</strong> mémoire ée Sophocle*<br />

qu'en vou<strong>la</strong>nt trouver le eheM'ctum <strong>de</strong> r»ncieona<br />

tragédii, il faille choisir wtw <strong>de</strong>oi <strong>de</strong> ses ouvrages,


Fœâipe mi m h PMtoetèle. Je nt tais si ne Intérêt<br />

particulier fait illusion à mon jugement; mais<br />

fêtais admirateur <strong>du</strong> second longtemps anal que<br />

feesse songé à eu être l'imitateur, et ma prédilection<br />

pour cet outrage était connue. Il y a dans F(Mêtpe»<br />

je l'avoue, mm pies grand intérêt <strong>de</strong> curiosité;<br />

mais il y a dans le PMtoetèie un pathétique plus ton*<br />

chant. L'intrigue <strong>du</strong> premier se dé?eloppe et se dénoua<br />

avec beaucoup d'art ; tfest peut-être «a art<br />

encore plus admirable t-d'avoir pu soutenir <strong>la</strong> siaipilété<br />

<strong>de</strong> l'autre; peut-être est-il encore plus diffiaia<br />

<strong>de</strong> parler toujours au cœur par l'expression <strong>de</strong>s<br />

sentiments frais y que d'attacher l'attention et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

suspendref pour ainsi dire, au 11 <strong>de</strong>s événements.<br />

Yons avei ta d'ailleurs qu'on pouvait faire à FOEï%a<br />

<strong>de</strong>s reproches assez g?a?es : d'abord <strong>la</strong> nature<br />

<strong>du</strong> sujet, qui a quelque chose d'odieux, puisque<br />

l'innocence y est <strong>la</strong> victime <strong>de</strong>s lïeai et <strong>de</strong> <strong>la</strong> fatalité,<br />

Biais surtout <strong>la</strong> querelle d'OEdipe avec Créée 9<br />

épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> pur remplissage, sans intérêt et sans<br />

motif; an Heu que dans le PhUoctêta, sujet encore<br />

plus simple que T(Mé^ms Sophocle a su se passer<br />

<strong>de</strong> tout épiso<strong>de</strong>. On n'y peut remarquer qu'une<br />

scène inutile, celle <strong>du</strong> second acte, où un soldat<br />

d'Ulysse, déguisé, •icut par <strong>de</strong> fausses a<strong>la</strong>rmes<br />

prier te départ <strong>de</strong> Pyrrhus et <strong>de</strong> Philoetète : ressort<br />

soperio, puisqoe celui-ci'n'a pas <strong>de</strong> désir plus<br />

ar<strong>de</strong>nt que <strong>de</strong> partir au plus têt. Cette scène allonge<br />

inutilement <strong>la</strong> marche <strong>de</strong> faction 9 et j'ai ère <strong>de</strong>? oir<br />

<strong>la</strong> retrancher. Mais à cette seule fente près, si Ton<br />

considère que <strong>la</strong> pièce f faite avec trois personnages,<br />

dans un désert, ne <strong>la</strong>nguit pas un moment; que<br />

Fistérêt m gra<strong>du</strong>e et se soutient par les moyens les<br />

plus naturels, toujours tirés <strong>de</strong>s caractères, qui<br />

sont supérieurement <strong>de</strong>ssinés; que <strong>la</strong> situation <strong>de</strong><br />

Philoetète, qui semblerait <strong>de</strong>voir être toujours <strong>la</strong><br />

même, est si adroitement cariée» qu'après s'être<br />

<strong>mont</strong>ré le plus à p<strong>la</strong>indre <strong>de</strong>s hommes c<strong>la</strong>ns File <strong>de</strong><br />

fjumios, après avoir regardé comme le plus grand<br />

bonheur possible que Fou voulût bien f en tirer,<br />

c'est pour lui, dans les <strong>de</strong>ux actes suif ants, k plus<br />

grand <strong>de</strong>s maux d'être obligé d'en sortir; que cette<br />

beuretne péripétie est si bien fondée en raison f que<br />

le spectateur change d'avis et <strong>de</strong> sentiment en mime<br />

temps que le personnage; que ce personnage est<br />

es lui-même un <strong>de</strong>s plus théétrals qui se puisse<br />

euncevoir, parce qu'il réunit les <strong>de</strong>rnières'misères<br />

<strong>de</strong> l'humanité aux ressentiments les plus légitimes,<br />

et que le cri <strong>de</strong> <strong>la</strong> vengeance n s est eèez lui que le<br />

cri <strong>de</strong> l'oppression; qu'enfin son rêle est d'un bout<br />

à Fantre un modëe pe<strong>la</strong>it <strong>de</strong> Féloquenee tragique ;<br />

cm conviendra facilement qu'en voilà assez pour<br />

justito ceux qui voient daiis cet ouvrage <strong>la</strong> plus<br />

ANCIENS. — POÉSIE 107<br />

belle conception dramatique dont Fantlquitl pisse<br />

s'app<strong>la</strong>udir.<br />

On avait regardé comme un défaut, <strong>du</strong> moins<br />

pour nous, l'apparition d'Hercule, qui pro<strong>du</strong>it le<br />

dénoûment : cette critique ne m'a jamais paru<br />

fondée. Certes, ce n'est point ici que le dieu n f est<br />

qu'one machine : si jamais l'intervention d'une<br />

divinité a été suffisamment motivée ? c'est sans contredit<br />

es cette occasion; et ce dénoâmeot, qui ne<br />

choque point <strong>la</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce théâtrale, puisqu'il<br />

est conforme aen idées religieuses <strong>du</strong> pays où se<br />

passe Faction f est d'ailleurs très-bien amené, nécessaire<br />

et heureux. Hercule n'est rien moins qu'étranger<br />

à <strong>la</strong> pièce; sans cesse il est question <strong>de</strong> lui : <strong>la</strong><br />

possession <strong>de</strong> ses flèches est le nœud principal <strong>de</strong><br />

l'intrigue; le héros est son compagnon, son ami,<br />

son héritier. Philoetète a résisté et a éû résister à<br />

tout : qui l'emportera enfle <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce ou <strong>de</strong> lut ?<br />

et qui tranchera plus dignement ce grand nœud<br />

qu'Hercule lui-même? De plus, ne voit-on pas ai?ec<br />

p<strong>la</strong>isir que Philoetète Jusqu'alors inflexible, ne cè<strong>de</strong><br />

qu'à <strong>la</strong> voïi d'un <strong>de</strong>mi-dieu, et d'un <strong>de</strong>mi-dieu son<br />

ami? C'est bien ici qu'on peut appliquer le précepte<br />

d'Horace, qui peut-être même pensait au Pkiioctêie<br />

<strong>de</strong> Sophocle quand il a dit :<br />

Mm dsm mtenits nid iignm wmâice noàm.<br />

« Ne <strong>la</strong>tte* pas Intervenir un dJeti ; à moins que le noeud<br />

ne sait digne d'être tranché par mi dieu. »<br />

D'après ces raisons et ces autorités s j'ai osé croire<br />

que ce dénoûment réussirait parmf nous comme<br />

il avait réussi chez les Grecs, et je ne me suis pas<br />

trompé.<br />

Brumoy s'exprime très-judicieusement sur ce sujet<br />

g et en générai sur les différents mérites <strong>de</strong> cette<br />

tragédie, qu'il a très-bien observés.<br />

« Les dieux font entendre que <strong>la</strong> victoire dépend <strong>de</strong> Philoetète<br />

et <strong>de</strong>s flèches d'Hercule ; mais comment déterminer<br />

m guerrier malheureux à secourir les Grecs f qu'il a droit<br />

<strong>de</strong> ceprècî connue les aafeare <strong>de</strong> se* nnnx? C'est us<br />

àeàitfa irrité qu'il faut repgner, parce qe'om a besnin <strong>de</strong><br />

son bras; et l'on a <strong>du</strong> voir file Puttoctèle n'est pat casées<br />

. inflexible qu'Achille 9 et que Sophocle s'est pas sceiessees<br />

d'Homère. Ulysse est employé à cette ambassa<strong>de</strong> ssec<br />

Néoptolème : heureux contraste dont Sophocle a tiré toute<br />

son intrigue; car Ulysse, politique jusqu'à <strong>la</strong> frau<strong>de</strong>, et<br />

Néoptolèmê, sincère jusqu'à l'extrême franchise, es feat<br />

tout le nœud ; tandis que Philoetète f défiant et inexorable f<br />

' élu<strong>de</strong> <strong>la</strong> rase <strong>de</strong> Fun, et ne se rend point à <strong>la</strong> générosité <strong>de</strong><br />

rsetre; <strong>de</strong> sorte qu'il lest qu'Hercule <strong>de</strong>scen<strong>de</strong> <strong>du</strong> <strong>de</strong>l<br />

pour dompter ce cœur sircee 9 et pour faire le dénooment.<br />

On lie peut aier qu'au pareil aœ^<br />

par Hercule. »<br />

Après <strong>de</strong>s réflexions sî justes, on est «s peu étonné<br />

<strong>de</strong> trouver le résultat qui les termine.


106<br />

COUftS DE OTTÉB^TUM.<br />

« Asmlwtêtegeêi <strong>de</strong> l'antiquité, pane peiil reprocher Fénelon f qui <strong>du</strong> chef-d'œuvre <strong>de</strong> Sophocle a tiré le<br />

à cette tragédie aucun défaut considérable. • plus bel épiso<strong>de</strong> <strong>du</strong> sien : c'est encore un <strong>de</strong>s mot»<br />

Non, pis même à suivre k.g&M mo<strong>de</strong>rne : ici ceaux <strong>du</strong> TMmaque qu'on relit le plus volontiers.<br />

l'un et l'autre sont d'accord.<br />

Fénelon s'est approprié les traits les plus heureux<br />

<strong>du</strong> poète grec, et les a ren<strong>du</strong>s dans notre <strong>la</strong>ngue<br />

« Tout y est Més tout y est soutenu, tout tend directe­ avec le charme <strong>de</strong> leur simplicité primitive, en nomment<br />

an bel : c'est Faction même telle qu'elle a dû 'se passer.<br />

Mais, à en juger par rapport à sons s te tmp <strong>de</strong> simme<br />

plein <strong>de</strong> l'esprit <strong>de</strong>s anciens * et pénétré <strong>de</strong> leur<br />

plicité, et te spectacle d'un homme aussi trUêemmi substance. Mais il faut observer ici une différence<br />

malheureux que Philoctète, ne peaient lions faire toi très-remarquable entre <strong>la</strong> tragédie grecque'et l'é-<br />

p<strong>la</strong>isir aussi vtf que les malheurs pim bril<strong>la</strong>nts piso<strong>de</strong><strong>du</strong> eê Télémague; c'est que, dans l'une, FM*<br />

plus variés <strong>du</strong> Nicomè<strong>de</strong> <strong>de</strong> Corneille. » loctète ne parle jamais d'Ulysse qu'avec l'expression<br />

Voilà un rapprochement bien étrange, et un juge­ <strong>de</strong> <strong>la</strong> haine et <strong>du</strong> mépris; et dans l'autre, ce même<br />

ment bien singulier. Quant an trop <strong>de</strong> simplicité, Philoctète racontant, mais longtemps après, tous<br />

passons que cette opinion 9 assez probable alors , ne ses malheurs au ils d'Ulysse, semble condamner<br />

pût être démentie que par le succès. On en disait lui-même ses propres emportements, et représente<br />

autant <strong>du</strong> sujet <strong>de</strong> Métope avant que Voltaire l'eût Ulysse comme un sage inébran<strong>la</strong>bledans son <strong>de</strong>voir,<br />

traité, et je n'ai pas oublié ce qu'il m'a raconté plus et un digne citoyen qui faisait tout pour sa patrie.<br />

d'une fois <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>isanteries qu'on lui faisait <strong>de</strong> tous Rien ne fait plus d'honneur au jugement et au goût<br />

cotés sur cette tendresse <strong>de</strong> Mérope pour son grand <strong>de</strong> Fénelon; rien ne fait mieux voir comme I faut<br />

enfant, dont il fou<strong>la</strong>it faire l'intérêt d'une tragédie. appliquer ces principes lumineux et féconds sur les­<br />

Mais que veut dire firumoy sur ce rôle <strong>de</strong> Philoo- quels doit être fondé l'ensemble <strong>de</strong> tout grand<br />

• tète, si tristement malkmtreuxt Si j'ai bien com­ ouvrage, et qui sont aujourd'hui si peu connus. 11<br />

pris dans quel sens ces mots peuvent s'appliquer à sentait combien l'unité <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssein était une chose<br />

un personnage dramatique, il me semble qu'ils ne importante ; que, dans un ouvrage dont TéMmaqne<br />

peuvent convenir qu'à celui qui serait dans une était le héros, il fal<strong>la</strong>it se gar<strong>de</strong>r d'avilir son père;<br />

situation monotone et irrémédiable : c'est alors et que tf ailleurs Fhiloctèfea, dont les ressentiments<br />

que le malheur afflige plus qu'il n'intéresse, pare® <strong>de</strong>vaient être adoucis par le temps, pouvait alors<br />

qu'au théâtre il n'y a guère d'intérêt sans espérance. être capable <strong>de</strong> voir, sous un point <strong>de</strong> vueplus juste,<br />

MaisPhiloctète n'eat nullement dans ce cas, et m <strong>la</strong> sagesse et le patriotisme d'Ulysse*<br />

l'un ni l'autre <strong>de</strong> ces reproches ne peut tomber sur C'était sans doute une nouveauté digne d'atten­<br />

ce rôle, reconnu si éminemment-tragique. Enfin, tion <strong>de</strong> voir sur le théâtre <strong>de</strong> Paris une pièce grec­<br />

<strong>de</strong> tous les ouvrages que Ton pourrait comparer au que, telle à peu près qu'elle avait été jouée sur le<br />

Phîfactète, Nimmê<strong>de</strong> est peut-être celui qu'il était le théâtre d'Athènes. Nous n'avions eu jusque-là que<br />

plus extraordinaire <strong>de</strong> choisir.' Quel rapport entre <strong>de</strong>s imitations plus ou moins éloignées ils originaux,<br />

ces <strong>de</strong>ux pièces, quand le principal mérite <strong>de</strong> l'une plus ou moins rapprochées <strong>de</strong> nos convenances et<br />

est d'abon<strong>de</strong>r en pathétique f et que le grand défaut <strong>de</strong> nos mœurs; et je pensais <strong>de</strong>puis longtemps que<br />

<strong>de</strong> l'autre estd'en être totalementdépourvue ! Qu'est- le sujet <strong>de</strong> PkUmiêtê était le seul <strong>de</strong> ceux qu'avaient<br />

ce que ces tmmikmr$ si briMants et si variés <strong>de</strong> traités les anciens qui fût <strong>de</strong> nature à être trans­<br />

Nicomè<strong>de</strong> ? A quoi donc pensait Brumoy ? Nicomè<strong>de</strong> porté en entier et sans aucune altération sur les théâ­<br />

n'éprouve aucun matkeur; il est triomphant pendant tres mo<strong>de</strong>rnes, parce qu'il est fondé sur un intérêt<br />

toute <strong>la</strong> pièce; il est, à <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> son père, plus qui est <strong>de</strong> tous les temps et <strong>de</strong> tous les lieux, celui <strong>de</strong><br />

roi que son père lui-même, et il ne paraît qu'un mo­ l'humanité soufrante. Mais quand je songeais,<br />

ment en danger. Son têhmtèriiimni, il est vrai, d'un autre cété, que j'al<strong>la</strong>is présenter à <strong>de</strong>s Français<br />

mais ce n'est assurément point par le malheur. On une pièce uon-settiement sans amour, mais même<br />

peut aussi, sans manquer <strong>de</strong> respect pour le génie sans rêle <strong>de</strong> femme, je sentais qu'il y avait là <strong>de</strong> quoi<br />

<strong>de</strong> Corneille, s'étonner <strong>du</strong> p<strong>la</strong>isir tri/que procure v effaroucher bien <strong>de</strong>s gens. La seule tentative qu'on<br />

selon Brumoy, ce drame, qui est en effet le moins eût faite en ce genre, soutenue <strong>du</strong> nom et <strong>du</strong> génie<br />

tragique <strong>de</strong> tous ceux où Fauteur n'a ps été abso­ <strong>de</strong> Voltaire dans toute sa force, n'avait pas réussi <strong>de</strong><br />

lument au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> lui-même; ce drame dans le­ manière à encourager ceux qui' voudraient <strong>la</strong> renouquel<br />

il y a en effet quelques traits <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur, mais veler. La Mort <strong>de</strong> Césmr, si estimée <strong>de</strong>s connaisseurs,<br />

pas un moment d'émotion.<br />

n'avait pu encore s'établir sur notre théâtre ; elle ne<br />

Le grand intérêt <strong>du</strong> fêle <strong>de</strong> Philoctète n'avait pas s'en est mise en possession que <strong>de</strong>puis que PMhe»<br />

échappé à l'un <strong>de</strong>s plus- illustras élèves <strong>de</strong> l'antiquité, iêk nous eut un pu accoutumés à cette espèce <strong>de</strong>


Bouffante* Cett en- ? Ma que In étrange» noua<br />

reprochaient, et mm raison, <strong>la</strong> préférons trop<br />

ej<strong>du</strong>srre que sous donnions au intrigues amoumues,<br />

et d'où sait dans mm pièces aie sorte d'e-<br />

ANQUS. — POÉSIE.<br />

lit<br />

je voudrais entendre votre voix. Eh! ne sojei peint<br />

eUrayés <strong>de</strong> mon extérieur fkoudie; m me craJgnei point f<br />

nuis plutôt ayes pitié d'un malheureux 9 seul dans en dé­<br />

mfannité dont les auteurs à'AÉkoUê et <strong>de</strong> Métope<br />

l'étaient efforcés <strong>de</strong> aaiis affranchir; ces granits<br />

brames, iaat le gaât était si exquis et si exercé t<br />

étaient les sente qui eussent paru sentir tout te mérite<br />

<strong>de</strong> cette antique simplicité : oie doit détenir aujourd'hui<br />

d'autant pins racommandable, qu v elle peut<br />

sertir d'antidote contre <strong>la</strong> contagion qui <strong>de</strong>vient <strong>de</strong><br />

jour en jour plus générale. Atteints <strong>de</strong> <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die<br />

<strong>de</strong>s gens rassasiés, nous fondrions rassembler tous<br />

les tableau dans un mène cadre f tous les intérêts<br />

dans un drame, tous les p<strong>la</strong>isirs dans un spectacle ;<br />

transporter Topera dans <strong>la</strong> tragédie, et <strong>la</strong> tragédie<br />

sur <strong>la</strong> scène lyrique : <strong>de</strong> là cette perrarsité d%firit<br />

pi précipite tant d'écrivains dans le bisarre et le<br />

monstrueux. On ne songe pas assez qu'il faudrait<br />

prendre gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> ne pas user à <strong>la</strong> fois toutes les sensations<br />

et toutes les jouissances, ménager les ressources<br />

ain <strong>de</strong> les perpétuer, admettre chaque genre<br />

à sa p<strong>la</strong>ce et à son rang, n'en dénaturer aucun, et<br />

ne pas les confondre tous ; ne rejeter que ce qui est<br />

froid et item, et surtout éviter les extrêmes, qui<br />

•ut toujours <strong>de</strong>s abus.<br />

Racine le ils, à qui son père a?ait appris à étudier<br />

les anciens et à les admirer, mais qui n'avait pas<br />

bérité <strong>de</strong> lui le talent <strong>de</strong> lutter eontre eux, a essayé,<br />

dans ses Mftexkms sm ta poésie, <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ire en<br />

fers quelques endroits <strong>de</strong> Sophocle, et en particulier<br />

le PMàmèie. Je ne crains pas qu'on m f accuse d'une<br />

concurrence mal enten<strong>du</strong>e : tel est mon amour pour<br />

te beau, que, si <strong>la</strong> f ersion m'avait para digne <strong>de</strong> IV<br />

rjgktal, je l'aurais, sans ba<strong>la</strong>ncer, substituée à <strong>la</strong><br />

•ienne. Hais ceux qui enten<strong>de</strong>nt le grec verront ai-<br />

•émesteombien le Ils<strong>du</strong> grand Racine est loin.<strong>de</strong> Sophocle.<br />

Ses vers ont <strong>de</strong> <strong>la</strong> correction, et quelquefois<br />

<strong>de</strong> réiégiace ; mais ils manquent le plus souvent <strong>de</strong><br />

vérité, <strong>de</strong> précision et d'énergie : ses fautes même<br />

sont si palpables, qu'il est facile <strong>de</strong> les faire apercef<br />

oïr àceuxqsi ne connaissent point l'original. Je me '<br />

bornerai à un seul morceau fort court, mais dont<br />

l'examen peut servir à faire f oir en même temps<br />

combien les anciens étaient <strong>de</strong> fidèles interprètes <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> nature, et combien Racine le ils, qui les aime<br />

et qm les loue, les tra<strong>du</strong>it infidèlement. Je choisis<br />

rentrée <strong>de</strong> Philoctète sur <strong>la</strong> scène; voici d'abord <strong>la</strong><br />

tenion en prose littérale :<br />

« Kâas! êétrangers! qui êtes»v®nsf vous qui abor<strong>de</strong>s<br />

luis etOe taira @è il n 9 sert, sans se<strong>cours</strong>, sans appui Parier : si vous venei comme<br />

amis, que vol paroles répon<strong>de</strong>nt as» miennes; c'est une<br />

grâce, taie justice que vous ne poavei me refuser.»<br />

Voilà Sophocle. Ce <strong>la</strong>ngage est celui qu'a dâ tenir<br />

Philoctète : rien d'essentiel n'y est omis, et il<br />

n'y a pas un mot <strong>de</strong> trop. Voici Racine le fils :<br />

Quel malheur voua con<strong>du</strong>it éjms cette fit mmm§e9<br />

Et YOUI force à chercher œ funeste rim§e?<br />

Vous, que sans doute Set <strong>la</strong> tempête a Jetés ,<br />

Be quel lieu', if quel peuple éie§-vmâ écartée ê<br />

Msis quel est cet habit que Je rewm p&rsttre ?<br />

Mtot-ee pas l'habit grée- vie Je crw§ ncmmsiin?<br />

Que cette f ce, é ciel ! chère à mou mmmlt,<br />

Redouble es moi l'&réeur ée mm mtreimirl<br />

HMsfrYoos doue, parlez. Qull me tante d'estatidfw<br />

Les sens qui m*cnl frappé dans l'âge le p<strong>la</strong>s tente,<br />

Et cette <strong>la</strong>sgue, bê<strong>la</strong>s ! que Je se parle plus !<br />

Tous Yoyez an mortel qui, <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre aidas s<br />

Des hommes et îles dieux satisfait <strong>la</strong> colère.<br />

Généreux inconnue, d'un mgerâ wmîm têwèm<br />

Considérez i'eèjet àe tsnt tFimimMé,<br />

Et aoyes mollis saisis d'horreur que île pitié.<br />

Ces eers, considérés en eux-mêmes, ont <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

douceur, et en général ne sont pas mal tournées ;<br />

mais juges-Iessur l'original et sur <strong>la</strong> situation, et<br />

feras serez étonnés <strong>de</strong> f oir eombien <strong>de</strong> fautes pires<br />

que <strong>de</strong>s soléeismes, combien <strong>de</strong> chevilles, d'inutilités,<br />

d'omissions essentielles. D'abord, quelle longueur<br />

dans les huit premiers fers, qui tombent<br />

tous <strong>de</strong>ux à <strong>de</strong>ux, et se répètent les uns les autres!<br />

Quelle uniformité dans ces hémistiches accouplés,<br />

cette Me sowage, cefumeste rivage, que je revoie'<br />

paraître, que je crois reeommUre ! Ce défaut serait<br />

peut-être moins répréhensible ailleurs; mais<br />

ici c'est l'opposé <strong>de</strong>s moufements qui <strong>de</strong>îreal se<br />

succé<strong>de</strong>r arec rapidité dans l'âme <strong>de</strong> Philoctète $ et<br />

que Sophocle a si bien exprimés. Ou sont ces interrogations<br />

accumulées qui doifent se presser<br />

dans <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong> cet infortuné qui fait enfin <strong>de</strong>s<br />

hommes? Les retrouve-t-on dans ces <strong>de</strong>ux fers si<br />

froids et si traînants :<br />

Quel malheur YOUS coodAt dans cette fie mum§§P<br />

Et YôUS fore© à chercher mfmewte rêm§eê<br />

Supposons on souverain dans sa cearf recevant <strong>de</strong>s<br />

étrangers, parlerait-il autrement? Ce tranquille interrogatoire<br />

ressemble-t-il à ce premier cri que jette<br />

Philoctète :<br />

« Hé<strong>la</strong>s ! ô étrangers ! qui êtes-vous ? »<br />

Ce cri <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>du</strong> se<strong>cours</strong>y implore <strong>la</strong> pitié, et<br />

peint l'impatience <strong>de</strong> <strong>la</strong> curiosité. Rien ne pouf ait<br />

le suppléer, et les <strong>de</strong>ux premiers fera <strong>de</strong> Racine le<br />

y a ni port ni habitation? Quelle<br />

firt votre patrie? «pelle est votre nusaanoa? à votre habit fils sont une espèce <strong>de</strong> contre-sens dans <strong>la</strong> situation*<br />

je N S reranattM <strong>la</strong> Grèce, qui n'est taajaars si chère;<br />

m qmlpenpte êm-mm êewrtmê


lit<br />

Ailleurs eette eipresrion pourrait n 9 itre pas mati*»<br />

•aise ; ici elle est d'eue recherche froi<strong>de</strong>, parce que<br />

tout doit être simple, rapi<strong>de</strong> et précis :<br />

« Quel est votre nom ? quelle est vota® patrie f »<br />

voilà ce qu'il faut dire : tout autre <strong>la</strong>ngage est<br />

faux.<br />

Mmh fuel fftf «t MMt?.<br />

Que ce mais est dép<strong>la</strong>cé! et pourquoi interroger<br />

hors <strong>de</strong> propos quand <strong>la</strong> chose est sous les yeux?<br />

Sophocle dit simplement :<br />

« Sij s ca€roisrappareni^fotrehaMteM€dsl<strong>de</strong>«€ieef.»<br />

Et qu'est-ce que l'ardmr <strong>de</strong> mm entretenir f II est<br />

bien question d'entretien 1 C'est le son <strong>de</strong> <strong>la</strong> voix<br />

d'un humain que Philoctète brûle d'entendre. Sophocle<br />

le dit mot pour mot :<br />

* Je feux entendre votre voix f »<br />

Quelle différence!<br />

Qu'il roc tards ê'mimêm<br />

Les sons qui m'ont frappé dans fige te plu tendre,<br />

Il eatte Sangns, Mte! qm Je se parle fiât !<br />

Ces fers ne sont pas dans le grec, mais ils sont<br />

dans <strong>la</strong> situation; ils sont bien faits. Cependant<br />

il eût mieui ?alu ne pas ajouter ici à Sophocle s<br />

et le tra<strong>du</strong>ire ntieui dans le reste : ce'qu'on lui<br />

donne ne faut pas ce qu'on lui a été. Il eût mieui<br />

valu ne pas commencer par mentir à <strong>la</strong> nature , ne<br />

pas omettre ensuite ce mou?ement si vrai et si touchant':<br />

« îf« soyez point effrayés <strong>de</strong> mon aspect; se me voyei<br />

point avec horreur. »<br />

C'est qu'en effet, dans l'état oè est Philoctète f il<br />

peut craindre eette espèce d'horreur qu'une profon<strong>de</strong><br />

misère peut inspirer. Le tra<strong>du</strong>cteur a reporté<br />

cette idée dans le <strong>de</strong>rnier vers ; mais une idée ne<br />

remp<strong>la</strong>ce pas on mouvement.<br />

êémérms mmnnm9 *f tm rtgard rmim té&ère,<br />

Omldéfes i f objet <strong>de</strong> tant d'inimitié.<br />

Tout ce<strong>la</strong> est vague et faible f et n'est point dans<br />

Sophocle. Philoctète ne les appelle point généreux,<br />

car il ne sait point encore s'ils le seront, et tout ce<br />

qu'il dit peint <strong>la</strong> défiance naturelle au malheur; et<br />

si leur regard etisévère, pourquoi les suppose-t-il<br />

généreux? Ce sont <strong>de</strong>s chevilles qui amènent <strong>de</strong>s<br />

inconséquences. Pourquoi leur parle-t-il <strong>de</strong> tant d%<br />

nimitiéf Toutes ces expressions parasites ne vont<br />

point an fait , ne ren<strong>de</strong>nt point ce que dit cl doit<br />

dire Philoctète :<br />

« àyei pillé d'us malheureux abandonné dans in désert,<br />

sans se<strong>cours</strong>, sans sppoi. »<br />

Cette analyse peut paraître rigoureuse : elle n'est<br />

COCBS DE LITTÉRATURE.<br />

pourtant que juste; el<strong>la</strong>est motivée, évi<strong>de</strong>nte, et<br />

porte sur <strong>de</strong>s fautes capitales. C'est en eiamittant<br />

dans cet esprit <strong>la</strong> poésie dramatique que Ton concevra<br />

quel est le mérite d'un Racine et d'un Voltaire,<br />

qui, dans leurs bons outrages, ne commettent<br />

jamais <strong>de</strong> pareilles fautes. Cest ainsi que Ton<br />

concevra en même temps pourquoi il n'est pas possible<br />

<strong>de</strong> lire une scène <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> pièces app<strong>la</strong>udies<br />

un moment par une multitu<strong>de</strong> égarée', et dont les<br />

succès- scandaleux nous ramènent à <strong>la</strong> barbarie.<br />

Il me reste à prier <strong>de</strong>s chœurs que j'ai supprimés.<br />

On sait ce qu'ils étaient chez les Grecs ; d#s<br />

morceau! <strong>de</strong> poésie lyrique, souvent fort beaux,<br />

qui tenaient à leur système dramatique f mais qui<br />

ne servaient <strong>de</strong> rien à l'action, quelquefois mime <strong>la</strong><br />

gênaient. Je les ai retranchés tous, comme inutiles<br />

et dép<strong>la</strong>cés dans une pièce faite pour lire jouée sur<br />

<strong>la</strong> scène française. Cette suppression, quoique indispensable,<br />

n'a pas <strong>la</strong>issé que <strong>de</strong> choquer beaucoup<br />

un amateur <strong>de</strong>s anciens \ qui m'en It «ne verte<br />

répriman<strong>de</strong>, et se p<strong>la</strong>ignit encore <strong>de</strong> quelques autres<br />

torts qu'il prétendait que j'avais faits à Sophocle.<br />

Je ne répondis point alors à eette diatribe;<br />

mais aujourd'hui qu'elle me fournit l'occasion <strong>de</strong><br />

nouveaux éc<strong>la</strong>ircissements sur le théâtre <strong>de</strong>s anciens<br />

comparé au nétre 9 je vais discuter en peu <strong>de</strong><br />

mots les observations <strong>de</strong> fmuieur amm^me.<br />

11 me reproche <strong>de</strong> n'amîr pas <strong>de</strong>s idées tout à<br />

faM justes sur <strong>la</strong> simplicité <strong>de</strong>s awdms drames.<br />

Sam dm<strong>de</strong>$ dit-il, Us étaient simples, mms mm<br />

pas nus et sans aeMm*<br />

Pour que ce reproche fût fondé, il faudrait que<br />

j'eusse dit ou insinué quelque part que ks drames<br />

grecs étaient nus et sans metàm ; mais je ne l'ai famais<br />

dit ni pensé. Vous avez vu que j'établissais<br />

une différence très-gran<strong>de</strong> entre Eschyle et ses <strong>de</strong>ux<br />

successeurs, précisément parce que les pièces <strong>du</strong><br />

premier étaient dénuées d'aeUm et d'intrigue, et<br />

que les <strong>de</strong>ux autres, plus savants dans l'art, ont<br />

mis dans leurs ouvrages ce qui manquait à ceux<br />

d'Eschyle. J'ai ajouté, il est vrai 9 que les cUœors<br />

tenant une gran<strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce dans les tragédies grecques<br />

9 et ne pouvant avoir lieu chez sous, ces pièces<br />

f idèlemeot tra<strong>du</strong>ites 9 ne pouvaient fournir aux<br />

mo<strong>de</strong>rnes que trois actes ; et j'ai avoué que nous<br />

avions porté plus loin que les anciens fart déjà<br />

contexture dramatique, et mieux connu les ressources<br />

nécessaires pour soutenir une intrigue pendant<br />

cinq actes ; je crois tout ce<strong>la</strong> incontestable. Si<br />

j'ai parlé dans un autçe endroit <strong>de</strong> cette simplicité<br />

si nme <strong>de</strong> Philoctète, ce<strong>la</strong> ne vou<strong>la</strong>it pas dire qu'il<br />

ps».<br />

1 1/abbé Ange?, mort <strong>de</strong>puis, et ipf «le» m m mmsmm


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

ikt mm aeifoit; car une pièce mm ac$îêm est i<br />

esleDtiellenMit mauvaise, et ne mérite ni d'être<br />

tra<strong>du</strong>ite ni d'être jouée. J'ai voulu dire seulement<br />

que PMtoeiête était <strong>la</strong> pièce <strong>la</strong> plos simple <strong>de</strong>s<br />

érees, qui s'en ont guère que <strong>de</strong> très-simples; et<br />

qu'il n'y en a pas'une dans Euripi<strong>de</strong> ni dans 80 •<br />

pbo<strong>de</strong> ne l'on ne trouve <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nts plus taries,<br />

plus <strong>de</strong> personnages agissants et plus <strong>de</strong> spectacle.<br />

A l'égard <strong>de</strong>s chœurs supprimés, je pourrais<br />

trancher <strong>la</strong> question en un mot, en m'appuyamYsur<br />

l'usage établi priai nous f et rappe<strong>la</strong>nt au critique<br />

ee que tout le mon<strong>de</strong> sait ; qu'une pièce avec <strong>de</strong>s<br />

étants ne serait pas jouée,'et que, si les coméiiens<br />

vou<strong>la</strong>ient eiécnter ces chœurs , le public se<br />

moquerait d'eux. (Test précisément ee qui arriva à<br />

<strong>la</strong> première représentation <strong>de</strong> TOEMpe <strong>de</strong> Voltaire.<br />

II avait, pr comp<strong>la</strong>isance pour le savant Daeier,<br />

<strong>la</strong>issé subsister tin chœor qui ne récitait que quatre<br />

vers : le fjublic se mit à rire, et il fallut retrancher<br />

<strong>du</strong> théâtrs ees-quatre vers que l'auteur a conservés<br />

dans toutes les éditions :<br />

Mais le critique, qui, à l'exemple <strong>de</strong> Daeier, ne<br />

veut pas qu 9 lit<br />

dons, les chœurs, ainsi que le dialogue, étaient<br />

chantés? Or, qui ne voit que dans ce cas, assujettis<br />

à l'harmonie et à l'unité d'effet, ils pouvaient pro<strong>du</strong>ire<br />

un p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> plus, comme dans nos opéras ;<br />

au lieu que <strong>de</strong>s chœurs parlés ne peuvent former<br />

qu'une confusion <strong>de</strong> sons, une cacophonie ridicule<br />

et désagréable, essentiellement contraire aux lois<br />

<strong>du</strong> théâtre, où rien ne doit blesser les sens?<br />

Examinons maintenant ce que dit l'anonyme <strong>de</strong>s<br />

fonctions <strong>du</strong> chœur chez les anciens, et ce qu'il<br />

voudrait que j'en eusse fait dan» Pki&ctêie.<br />

« Le chœur contribuait beaucoup au spectacle et à remplir<br />

<strong>la</strong> scène. »<br />

Qui, mais plus souvent encore il nuisait en blessant<br />

<strong>la</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce.<br />

« C'était ^iin êm personnages <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce; il en faisait<br />

une partie intégrante, et ne pouvait en être séparé. »<br />

On vient <strong>de</strong> voir pourquoi il n'en est pas <strong>de</strong><br />

même parmi nous, chez qui <strong>la</strong> tragédie n'est point<br />

chantée; et je ne vois pas ee qu'on peut répondre.<br />

L'anonyme cite le vers d'Horace (<strong>de</strong> Art. pœt*) :<br />

Aeêori$ parte» ekmmê , yffîeiMmqm vmlë.<br />

on été rien aux anciens, ne se rendra 11 n'avait qu'à continuer à transcrire tout ee mor*<br />

peut-être pas à l'autorité <strong>de</strong> f usage; il voudra <strong>de</strong>s ceau <strong>de</strong> Y Art poétique qui regar<strong>de</strong> le chœur : il n'en<br />

raisons. Eh bien ! il fait lui en donner ; et il suffira faut pas davantage pour prouver ce qu'il avait <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> loi présenter <strong>de</strong>s observations qui lui paraîtront défectueux, et combien nous sommes fondés à ne<br />

décisives, s'il les soumet à un examen impartial et pas l'admettre sur un théâtre perfectionné. Voici<br />

léfléehi.<br />

donoee que dit Horace :<br />

D'abord, il faut se rappeler que <strong>la</strong> tragédie et <strong>la</strong> « Que le chœur tienne <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce d'un personnage et en<br />

mmtêàw chez les Grecs ne furent, dans <strong>la</strong> première remplisse les fonctions ; qu'Q ne chante ries entre les actes<br />

origine 9 rien autre chose que ce que nous appelons qui ne tienne an sujet ; qu'il favorise les bons et leur donne<br />

11 chœur. La scène et le dialogue ne forent le?entés <strong>de</strong>s cnesels uttes ; qu'A réprime <strong>la</strong> colère et enennregi <strong>la</strong><br />

que dans <strong>la</strong> suite , et ce fut à Eschyle 'qu'on en eut vérin ; qu'il l&ne <strong>la</strong> frugalité 91*équité t conservatrices <strong>de</strong>s<br />

FoMigatiofi. C'est ce que Biîleai a si bien exprimé<br />

lois qm assurent ta tranquillité <strong>de</strong>s États $ qu'il gar<strong>de</strong> les<br />

secrets contés ; et qu'il prie les dieux, <strong>de</strong> secourir les mal­<br />

dans Y Art poétique :<br />

heureux, et d'uuiniUer les superbes. »<br />

Eschyle ians M ehœer Jeta les personnages,<br />

D'Un «ifie ptas hmmm lnMWâ les visages, etc. Cette morale est eieeUente. Mais n'est-il ps évi­<br />

Mais comme rien n'est plus naturel aux hommes <strong>de</strong> <strong>de</strong>nt que' ce personnage moraliste est à peu près<br />

tous les pays qu'un grand respect pour toute origine étranger à <strong>la</strong> pièce , puisqu'il ne partage ni les in*<br />

astique, 9 est probable que l'en conserva d'abord téréts ni les passions d'aucun personnage, et que<br />

tes chœurs, parce qu'ils étaient anciens, et qu'on lui-même n'en a d'aucune espèce? Or, rien n'est<br />

les ont <strong>de</strong> l'essence <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie, quoiqu'il soit plus contraire à tout système théâtral bien enten<strong>du</strong>.<br />

Èmk <strong>de</strong> dé<strong>mont</strong>rer que, s'il y a <strong>de</strong>s occasions où Horace veut qu'il g&r<strong>de</strong> hs gœreU. Et qu'est-ce<br />

Ton peut admettre un chœur sur <strong>la</strong> scène, "il y serait que <strong>de</strong>s secrets coulés à une assemblée? Ce<strong>la</strong> rap­<br />

le plus souvent très-dép<strong>la</strong>cé. Quant à nous, dont pelle ee vers d'une comédie :<br />

les premières pièces ont été dialoguées, nous n'a­ On ne le saura pas : le f nbUe est discret<br />

vons pas eu <strong>la</strong> même vénération pour les chœurs ; Un seul eiempie peut faire voir quels étalent les<br />

et <strong>de</strong> plus, use raison péremptoire, et prise dans <strong>la</strong> inconvénients <strong>de</strong> ce chœur que l'on n'osait jamais<br />

nature <strong>de</strong>s choses, a dû les bannir <strong>de</strong> notre théâtre bannir <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène. Phèdre, <strong>de</strong>vant un ehœur do<br />

tragique : c'est que l'exécution en est impossible femmes, se livre à tous les emportements d'une pas­<br />

dans te système <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie déc<strong>la</strong>mée. Comment sion qu'elle a tant <strong>de</strong> peine à avouer à sa nourrice,<br />

fafMmyme ne s*ett41 par soutenu que chei les an- et qu'elle voudrait se cacher à elle-même : il n'y a


111<br />

OÛU1S DE 1JTTÉMTIJ1E.<br />

guère dlDfraisamtiianeê plus forte ; et ?oilà ce que<br />

patent pro<strong>du</strong>ire l'habitu<strong>de</strong> et le préjugé chez les<br />

nations les plus éc<strong>la</strong>irées.<br />

Prenons <strong>la</strong> supposition <strong>la</strong> plusfavorable. Peut4tre<br />

l'anonyme aurait-il désiré que j'eusse conservé les<br />

chœurs | non pas dans les eatr'actes pour les y faire<br />

parler tous ensemble y mais, dans les scènes, où ils<br />

se seraient mêlés au dialogue , apparemment pr l'organe<br />

d'un seul interlocuteur. Je réponds que, dans<br />

cette supposition même, je n'aurais rien gagné ni<br />

pour le spectacle ni pour faction : pour le spectacle,<br />

parce qu'une poignée <strong>de</strong> soldats grecs toujours<br />

en scène n'offre ni pompe ni variété; pour <strong>la</strong> scène,<br />

parce que cet interlocuteur supposé n'aurait été<br />

qu'un eoni<strong>de</strong>nt ordinaire ; et quand use scène <strong>de</strong><br />

coni<strong>de</strong>nt n'est pas nécessaire à l'exposition <strong>de</strong>s faits<br />

ou au développement <strong>de</strong>s situations 9 c'est un défaut<br />

réel qu'il faut soigneusement éviter sur notre théâtre,<br />

où l'on ne craint rien tant que <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngueur. CTesî<br />

* par cette raison -que dans toute <strong>la</strong> pièce je n'ai fait<br />

usage d'aucun coni<strong>de</strong>nt, d'aucun interlocuteur<br />

subalterne, parce que j'ai ?u qu'il s'y avait pas un<br />

seul moment où ils pussent faire autre chose que<br />

répéter @e .qu'avaient dit lesprincipaux personnages,<br />

Plus j'admirais Sophocle, plps je me suis cru<br />

obligé <strong>de</strong> faire, autant qu'il était en moi, ce qu'il<br />

eût fait s'il eût travaillé pour nous, <strong>la</strong> in <strong>du</strong> <strong>de</strong>rnier<br />

acte, par exemple,-exigeait un retranchement<br />

assez important. Après que Philoctète, par un mouvement<br />

naturel et irrésistible, s'est jeté sur ses lèches<br />

pour en percer Ulysse au moment où il l'aperçoit,<br />

Sophocle prolonge en dialogue une scène<br />

qui ne comportait plus que <strong>de</strong> l'action, et Ulysse<br />

et Philoctète se parlent encore longtemps avant<br />

qu'Hercule paraisse. Ici c'eût été une faute inexcusable.<br />

J'ai réuni ces <strong>de</strong>ux moments, et j'ai fait paraître<br />

Hercule précisémejit lorsque Faction est dans<br />

son point le plus critique, lorsque Philoctète n'a plus<br />

rien à entendre, et qu'Ulysse n'a plus rien-à dire ;<br />

lorsque enie, malgré les efforts <strong>de</strong> Pyrrhus, <strong>la</strong> lèche<br />

fatale est près <strong>de</strong> partif : c'est alors que le tonnerre<br />

gron<strong>de</strong>, et que l'intervention nécessaire


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

m s'écartent <strong>de</strong> <strong>la</strong> tradition reçue,_ qui attribuait<br />

<strong>la</strong> blessure <strong>de</strong> Philoetète à l'une <strong>de</strong> ces ièches terribles<br />

qui tomba sar son pied, pour le punir d'avoir<br />

violé son serment en révé<strong>la</strong>nt le liée <strong>de</strong> <strong>la</strong> sépulture<br />

d'Hercule. Sophocle a Mes fait, ce me semble, <strong>de</strong><br />

rejeter cette tradition, comme peu honorable pour<br />

son héros, et d f y substituer le serpent <strong>du</strong> temple <strong>de</strong><br />

Chrysa.<br />

A l'égard <strong>de</strong> son style, j'aurais été assez payé <strong>de</strong><br />

mon travail par ce seul p<strong>la</strong>isir que Ton ne peut goûter<br />

qu'es tra<strong>du</strong>isant un homme <strong>de</strong> génie. 11 est doux<br />

d'être soutenu par le sentiment d'une admiration<br />

continue, et c'est alors que fou jouit <strong>de</strong> ce qu'on ne<br />

saurait égaler.<br />

mamn IY. — D'Euripi<strong>de</strong>.<br />

Euripi<strong>de</strong> était né à Sa<strong>la</strong>mine, an milieu <strong>de</strong>s fêtes<br />

que Ton célébrait pour <strong>la</strong> victoire qui a ren<strong>du</strong> ce<br />

nom si fameux. 11 cultiva d'abord <strong>la</strong> philosophie sous<br />

Anaxagore et Socrate : c'était le temps où elle commençait<br />

à régner dans Athènes.- Mais Euripi<strong>de</strong>, effrayé<br />

<strong>de</strong>s persécutions qu'elle avait attirées à son<br />

premier maître, Aoaxagore^, qui eut besoin, pour y<br />

échapper 9 <strong>de</strong> tout le crédit <strong>de</strong> Périclès, se tourna<br />

vers le théâtre, et eut bientôt <strong>de</strong>s succès assez éc<strong>la</strong>tants<br />

pour ba<strong>la</strong>ncer ceux <strong>de</strong> Sophocle. <strong>la</strong> jalousie<br />

les brouil<strong>la</strong> d'abord ; mais dans <strong>la</strong> suite ils se rendirent<br />

mie justice réciproque, et <strong>de</strong>vinrent amis. Euripi<strong>de</strong><br />

composa environ quatre-vingts pièces, dont<br />

quinze furent couronnées. 11 nous en reste dix-huit.<br />

Appelé à <strong>la</strong> cour d'Arebé<strong>la</strong>iis, roi <strong>de</strong> Macédoine,<br />

il fut honoré <strong>de</strong> <strong>la</strong> faveur <strong>de</strong> ce prince, et comblé<br />

<strong>de</strong> ses bienfaits. Sa In fut malheureuse : s'étant<br />

trouvé seul dans un lieu écarté, il fut dévoré par<br />

<strong>de</strong>s chiens. Les Athéniens re<strong>de</strong>mandèrent son corps<br />

pour lui donner <strong>la</strong> sépulture <strong>la</strong> plus honorable. Mais<br />

Arehé<strong>la</strong>ûs refusa <strong>de</strong> le rendre, jaloux <strong>de</strong> conserver<br />

à <strong>la</strong> Macédoine les restes d'un grand homme, et les<br />

Athéniens se ré<strong>du</strong>isirent à lui élever un cénotaphe.<br />

Je m'arrêterai plus ou moins sur chacune <strong>de</strong>s<br />

pièces qui nous restent <strong>de</strong> lui, selon le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong><br />

leur mérite, l'intérêt qu'elles peuvent avoir pour<br />

nous par les imitations qu'on en a faites, et les instructions<br />

qu'on en peut tirer. Je commencerai par<br />

dire un mot <strong>de</strong> celles qui ne sont pas dignes <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

réputation <strong>de</strong> Fauteur, et qui semblent se rapprocher<br />

<strong>de</strong> l'enfance <strong>de</strong> fart,<br />

les Bmchatâes ne méritent pas même le nom<br />

êm tragédie, à moins qu'on ne restreigne ce nom<br />

à <strong>la</strong> signification qu'il avait <strong>du</strong> temps <strong>de</strong> Thespis :<br />

c'est une espèce <strong>de</strong> monstre dramatique en' l'honneur<br />

<strong>de</strong> Baeehus. Le sujet est <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Penthée déchiré<br />

par sa mère, à qui Baeehus a été <strong>la</strong> raison pour ven-<br />

Lâ mmwm. ton. — t.<br />

113<br />

ger sur ce malheureux prince le mépris <strong>de</strong> son culte.<br />

Cette fable atroce peut tenir une p<strong>la</strong>ce dans les'<br />

Métamorphoses d'Ovi<strong>de</strong>; elle est dégoûtante dans<br />

un drame, et Euripi<strong>de</strong> a mêlé à ces horreurs absur<strong>de</strong>s<br />

le délire <strong>de</strong>s orgies et le ridicule <strong>de</strong> <strong>la</strong> farce. On<br />

y fait d'un bout à l'autre réloge <strong>du</strong> vin et <strong>de</strong> l'ivresse;<br />

ce qui fait conjecturer à Brumoy que <strong>la</strong> pièce fut<br />

composée pour les fêtes <strong>de</strong> Baeehus. Ce dieu vient<br />

pour établir à Thèbes sa divinité et son culte; il<br />

parait sous <strong>la</strong> figure d'un fort beau jeune homme,<br />

et a bientôt un parti puissant parmi les dames thébaines.<br />

Mais le roi Penthée, à qui Ton veut lç faire<br />

reconnaître, assure que, si le préten<strong>du</strong> dieu ne sort<br />

pas <strong>de</strong> Thèbes, il le fera pendre. Baeehus, pour se<br />

venger <strong>de</strong> lui, le rend fou. Nous avons déjà vu Minerve<br />

dans Sophocle en faire autant d'Ajax ; mais il<br />

faut avouer que cette folie a tout un autre air que<br />

celle <strong>de</strong> Penthée , tant il est vrai que tout dépend<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> couleur que le poëte sait donner aux objets.<br />

Le roi <strong>de</strong> Thèbes <strong>la</strong>it à peu près le rôle <strong>du</strong> roi <strong>de</strong><br />

Cocagne. Il prend le thyrse et une robe <strong>de</strong> femme,<br />

et se <strong>la</strong>it coiffer sur le théâtre par Baeehus même,<br />

qui est en gran<strong>de</strong> faveur auprès <strong>de</strong> lui. Tout eek ne<br />

serait que grotesque si Penthée ne <strong>la</strong>issait pas par<br />

être mis en pièces par sa mère Agave, que le dieu<br />

a aussi ren<strong>du</strong>e folie, et qui revient sur <strong>la</strong> scène rapportant<br />

<strong>la</strong> tête sang<strong>la</strong>nte <strong>de</strong> son ils, qu'elle prend<br />

pour une tête <strong>de</strong> lion. Si l'on n'avait jamais fait un<br />

autre usage <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fable, il n'y a pas d'apparence<br />

qu'elle eût fait une si gran<strong>de</strong> fortune.<br />

Au reste, on peut remarquer que c'est une vengeance<br />

très-commune parmi les dieux que cf ôter <strong>la</strong><br />

raison aux hommes pour leur faire commettre les<br />

plus horribles atrocités. Nous allons en voir un autre<br />

exemple aussi révoltant dans une autre pièce <strong>du</strong><br />

même auteur, Y Hercule furieux, ma peu moins ridicule<br />

que les Bacchantes, mais qui, pour ce<strong>la</strong>,<br />

n'en vaut guère mieux. Amphitryon raconte naïvement<br />

dans un prologue toute l'histoire que Molière,<br />

après P<strong>la</strong>nte, a ren<strong>du</strong>e si comique. H rappelle <strong>la</strong><br />

naissance d'Hercule. Ce héros est absent, et on le<br />

croit mort. Un certain Lycas a tué Créon, roi <strong>de</strong><br />

Thèbes, et s 1 est emparé <strong>du</strong> trône : il *ent faire<br />

mourir le vieil Amphitryon, Mégare sa belle-ûlle9<br />

femme d'Hercule, et leurs enfants, <strong>de</strong>.peur qu'un<br />

jour quelqu'un d'eux ne venge <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Créon.<br />

Toute cette famille proscrite s'est réfugiée auprès<br />

<strong>de</strong> l'autel <strong>de</strong> Jupiter, comme à un asile sacré et invio<strong>la</strong>ble<br />

: cet autel a été élevé par Hercule lui-même,<br />

à <strong>la</strong> porte <strong>de</strong> son pa<strong>la</strong>is; mais Lycas menace d'y<br />

faire mettre le "feu. Alors Mégare, perdant toute<br />

espérance, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qu'il lui soit permis <strong>de</strong> mourir<br />

en victime avant ses .enfants* 1 «t <strong>de</strong> les parer <strong>de</strong> leurs


CODES DE IITIÉRATDBE.<br />

114<br />

vêtements funéraires. Lyeas y consent, et leur permet<br />

d'entrer dans le pa<strong>la</strong>is pour faire ces tristes apprêts.<br />

11 sort en disant qu'il reviendra pour les sacrifier.<br />

Alcmène arrive aussi pour être témoin <strong>de</strong> cette<br />

exécution; mais Hercule fient à propos pour l'empêcher.<br />

On s'imagine bien que tuer Lycas n'est pas<br />

une gran<strong>de</strong> affaire pour celui qui vient <strong>de</strong> tirer Thésée<br />

<strong>de</strong>s enfers, et d'enchaîner Cerbère; et <strong>la</strong> pièce<br />

paraît finie après <strong>la</strong> mort <strong>du</strong> tyran et <strong>la</strong> délivrance<br />

<strong>de</strong>s proscrits. Point <strong>du</strong> tout : nous ne sommes qu'au<br />

troisième acte , et voici une secon<strong>de</strong> pièce qui eommenée,<br />

et même, comme <strong>la</strong> première, par un prologue;<br />

mats dans celle-ci c'est une divinité qui le<br />

prononce. Iris, messagère <strong>de</strong>s dieux, parait dans<br />

les airs , accompagnée d'une Furie, et nous apprend<br />

que Junon, n'ayant pu faire périr Hercule aux enfers<br />

9 a pris le parti <strong>de</strong> lui ôter <strong>la</strong> raison s et <strong>de</strong> lui<br />

inspirer une telle fureur, qu'il va massacrer <strong>la</strong> mère<br />

et les enfants qu'il vient <strong>de</strong> sauver* En effet , <strong>la</strong> Furie<br />

s'empare d'Hercule, et tout s'exécute comme on fa<br />

prédit. Hercule se'dépouille sur <strong>la</strong> scène; croit combattre<br />

Eurysthée, et se bat contre les vents ; et, quand<br />

il a tout tué, il s'endort. Sur quoi Bramoy fait<br />

cette réflexion naïve, :<br />

• En bon fiançais, Hercule est un fou à lier, pin que le<br />

Rôk&d <strong>de</strong> tàrîmis. N'imitons psa ces faits d'Euripi<strong>de</strong><br />

pour notre siècle f mais aussi m te cundamnoas pas légèrement<br />

dans le sien. »<br />

Le respect est ici porté un peu loin. Je crois qu'on<br />

peut condamner dans tous les siècles d'extravagantes<br />

horreurs, qui né pro<strong>du</strong>isent d'autre effet que<br />

le dégoût et le ridicule. Alci<strong>de</strong>$ à son réveil, retrouve<br />

sa raison, se répand en exc<strong>la</strong>mations <strong>de</strong> désespoir,<br />

et inît par s'en aller tranquillement avec<br />

Thésée ; qui lui propose <strong>de</strong> l'emmener dans son<br />

royaume d'Attique. Cependant le héros veut auparavant<br />

con<strong>du</strong>ire le chien Cerbère chez Eurysthée ,<br />

pour s'acquitter <strong>de</strong> sa promesse, et il s'en va en disant<br />

:<br />

• Malheureux qsfeonqpe prélèra hmUmê et <strong>la</strong> gmm<br />

à un véritable ami 1 »<br />

Le$ Sn^piUuite$9 dont le sujet a quelques np*<br />

ports avec <strong>la</strong> pièce d'Eschyle qui porte le même<br />

nom $ se rapprochent davantage <strong>du</strong> genre et <strong>du</strong> ton<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie : mais l'espèce d'intérêt qu'on y peut<br />

trouver est purement national, et ne pouvait exister<br />

que pour les Grecs. 11 est encore question <strong>de</strong> sépulture;<br />

et il n'y a que Sophocle qui f dans ces sortes<br />

<strong>de</strong> sujets f ait su mettre <strong>de</strong>s scènes d'une beauté faite<br />

pour tous les temps y en attachant un intérêt par*<br />

ticulier à ses personnages. Bans Euripi<strong>de</strong>, au contraire!<br />

tout est général; et-par conséquent rien<br />

n'intéresse. Il s'agit d'enterrer les Argiens tués an<br />

siège <strong>de</strong> Thèbes. Créon, vainqueur, s'oppose à ce<br />

qu'ils soient inhumés, et les veuves et les enfants<br />

<strong>de</strong>s morts viennent à Eleusis,, avec leur roi Adraste v<br />

prier Thésée, roi d'Attique, d'employer sa puissance<br />

pourforiMrGréonàrendreiesrastes<strong>de</strong>ces guerriers.<br />

Créon les refuse, et l'on en vient à une bataille où<br />

les Athéniens sont vainqueurs ; on rapporte, les<br />

corps qui faisaient le sujet <strong>de</strong> <strong>la</strong> querelle. On voit,<br />

en lisant <strong>la</strong> pièce y que le but principal <strong>de</strong> fauteur<br />

a été <strong>de</strong> <strong>la</strong>tte les Athéniens. La seule chose remarquable<br />

pour nous, c'est qu'on y trouve au dénomment<br />

une scène <strong>de</strong> spectacle qui a pu donner à Vol­<br />

taire l'idée <strong>du</strong> bûcher GQlytiple. Évadné, femme<br />

<strong>de</strong> Capanée, l'un <strong>de</strong>s chefs dont on rapporte les corps,<br />

<strong>mont</strong>e sur un rocher près <strong>du</strong>quel est dressé le bûcher<br />

qui va consumer les restes <strong>de</strong> son époux»<br />

Comme on n'a pas pris jusque-là le moindre intérêt<br />

à cette femme, qui ne paraît qu'à <strong>la</strong> fin, ni à son<br />

époui Capanée, mort avant <strong>la</strong> pièce, tout cet appareil<br />

n'est que pour les yeux. Mais le cinquième<br />

acte ŒOlympte fait comprendre que, Si <strong>la</strong> situation<br />

<strong>de</strong> cette princesse avait pro<strong>du</strong>it plus d'impression<br />

dans le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> l'ouvrage, ce dénouaient "et ce<br />

spectacle seraient <strong>du</strong> plus grand effet.<br />

Euripi<strong>de</strong> aussi a fait une Thêb


ANCIENS — POÉSIE.<br />

ils» et pour s'en aller ensuite avec sa Ile Antigone<br />

chercher use toinbedans l'Attique, tandis que Créoa,<br />

qui a pris le titre <strong>de</strong> roi f refuse <strong>la</strong> sépulture à Polynice.<br />

Tonte cette in, qui est très-longue, et <strong>la</strong> dispute<br />

inutile <strong>de</strong> Créon avec Aoligone, qu'il veut<br />

marier à son fils, sont hors <strong>de</strong> Faction principale f et<br />

fort loin <strong>de</strong> cette sage unité qui est un <strong>de</strong>s mérites<br />

<strong>de</strong> Sophocle.<br />

VOreste d'Euripi<strong>de</strong> n'a rien <strong>de</strong> commun avec<br />

les pièces <strong>du</strong> même nom. L'action se passe sept jours<br />

après le meurtre <strong>de</strong> Cljtemnestre. Les Argiens ont<br />

condamné à mort Oreste et sa sœur Electre comme<br />

<strong>de</strong>s prrid<strong>de</strong>s. Hélène et Méné<strong>la</strong>s, qui tiennent<br />

d'arriver dans. Argos, au retour <strong>du</strong> siège <strong>de</strong> Troie ,mm<br />

leur Elle Hermione 9 se préparent avec joie à<br />

recueillir fhéritage d f Agamemnon et à profiter <strong>de</strong>s<br />

dép<strong>du</strong>illes <strong>de</strong> ses enfants, qui n'ont plus d'autre<br />

appui que l'amitié et le courage <strong>de</strong> Pyia<strong>de</strong>. Il leur<br />

conseille <strong>de</strong> tuer Hélène , et <strong>de</strong> s'emprer <strong>de</strong> sa fille<br />

Hermione , comme d'un otage qui peut arrêter les<br />

mauvais <strong>de</strong>sseins <strong>de</strong> Méné<strong>la</strong>s. Le défaut <strong>de</strong> cette<br />

conspiration, qui d'ailleurs n'a rien d'intéressanty<br />

c'est qu'il est impossible d'en concevoir les moyens.<br />

Oreste, sa sœur, et son ami Pyia<strong>de</strong>, se trouvents<br />

sans qu'on sache comment, maîtres <strong>du</strong> pa<strong>la</strong>is. Ils<br />

y mettent le feu , et Oreste parait au milieu <strong>de</strong>s<br />

f<strong>la</strong>mmes f le fer kvé sur Hermione f et prêt à <strong>la</strong> frapper,<br />

si Méné<strong>la</strong>s ne révoque sur-le-champ l'arrêt <strong>de</strong><br />

mort porté contre les enfants d'Agamemnon. On<br />

voit que êette situation f employée coûtent dans nos<br />

romans et sur tous les théâtres mo<strong>de</strong>rnes, est bien<br />

ancienne. Elle est frappante ; mais il est difficile <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> rendre naturelle, et d'en sortir avec vraisemb<strong>la</strong>nce.<br />

Euripi<strong>de</strong> s'en tire fort aisément par l'intervention<br />

d'une divinité. Apollon <strong>de</strong>scend <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux,<br />

déc<strong>la</strong>re qu'il a sauté Hélène en <strong>la</strong> faisant disparaître<br />

an moment ©à l'on croyait <strong>la</strong> frapper, et qu'il l'a<br />

transportée dans les eieux. 11 <strong>la</strong> <strong>la</strong>it voir dans toute<br />

m §Mre à Méné<strong>la</strong>s. On peut dire mie c'est une<br />

étrange divinité; mais elle vaut bien les autres. 11<br />

mie Farrêt porté contre Oreste et sa sœur, oràmàmà<br />

&ëmêt d'épouser Pyia<strong>de</strong>, à Oreste d'épouser<br />

isette mime Hermione qu'il était prêt à poignar<strong>de</strong>r,<br />

el d'aller subir le jugement <strong>de</strong> l'Aréopage;.en sorte<br />

mm <strong>la</strong> pièce fiait pr un double mariage, dont l'un<br />

•<strong>mont</strong> doit praitri bien extraordinaire.. Cet ouvrage<br />

ainsi que plusieurs autres if Euripi<strong>de</strong>, resseme<strong>la</strong><br />

plus à mas opérai qu'à nos tragédies. Le metm»il«H<br />

y est employé sans art, et les événements<br />

y aont aœnnmlés sans préparation et sans effet.<br />

IJI pièce qui a pour titre Milèm est un roman<br />

cneore pins singulier* et qui fiât voir combien <strong>la</strong><br />

aytfaotog» était remplie <strong>de</strong>'traditions contradfo-<br />

toires, toutes égalent à l>»ge.<strong>de</strong>s|pcifte8« La<br />

scène est en Egypte :: Hélène, dans u« <strong>de</strong> ces'pftilogues<br />

narïfctifs qui servent ordinairement d'eippsition<br />

à Euripi<strong>de</strong>, instruit le speetatttuc mm i*%rope<br />

et l'Asie, pn combattant <strong>de</strong>vant Tçofe pDur ]a<br />

cause d'Hélène, se sont armées pour un îdàêwm;<br />

que ce fantôme a été subhîfh4par*Jiînon à <strong>la</strong> véritable<br />

Hélène pour tropper-V^its et Mis^ue ce<br />

prince, qui <strong>de</strong>puis dk ans croit possé<strong>de</strong>r » plus<br />

belle femme <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>9 ne possè<strong>de</strong> eit effet mtmm<br />

ombre, tandis qu'elle-même, <strong>la</strong>- véritable Hélène t<br />

est cachée en Egypte <strong>de</strong>puis le famams jumiflent<br />

<strong>du</strong> <strong>mont</strong> Ida ; que le roi d'Egypte, Théoclymësij<br />

est amoureux d'elle et veut l'épousa?, mais qu'elle<br />

a constamment résisté pour <strong>de</strong>meurer fidèle â,'son<br />

époux, qu'elle espère toujours <strong>de</strong> reioir. E% se<br />

désole, et ce n'est pas sans sm>t," d'avoir ilea le<br />

mon<strong>de</strong> une si mauvaise réputation f et si peu méritée*<br />

Cependant Méné<strong>la</strong>s, qui revient <strong>de</strong> Troie, ou<br />

il a repris le fantôme 9 est jeté par le naufrage dans<br />

ll<strong>la</strong> <strong>de</strong> Pharf f où .se passe <strong>la</strong> scène, précisent<br />

dans le temps où le 'roi d'Egypte a publié' une loi<br />

qui condamne à <strong>la</strong> mort tous les Cirai» qui abor<strong>de</strong>*<br />

ront dans cette fie. Méné<strong>la</strong>s., qui a <strong>la</strong>iaaé Jaasmat<br />

grotte son Hélène fantastique pour Aller à <strong>la</strong> «Jéaaliverte,<br />

est fort étonné d'en retrouve! une a#re;.<br />

Cette aventure d'une femme double ai trouve.d#s<br />

les MUk et une Nwt$, où elle est m peu mfeux<br />

p<strong>la</strong>cée que dans une tragédie. A <strong>la</strong> surprise soeoèdl<br />

l'éc<strong>la</strong>ircissement, et Méné<strong>la</strong>s est obligé <strong>de</strong> se rendre<br />

à l'évi<strong>de</strong>nce, surtout quand un homme <strong>de</strong>-sa suite<br />

vient, en criant au prodige, lui apprendrais l'Hélène<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> grotte a dispru f apparemment parce que<br />

son rôle <strong>de</strong> fantôme est lui <strong>de</strong>puis tpa <strong>la</strong> véritable<br />

Hélène est retrouvée. Il ne s'agit plus que <strong>de</strong> sauver<br />

Méné<strong>la</strong>s, et d'en imposer sa roi : Hélène s'en char-,<br />

ge. El<strong>la</strong> lui fait accroire que son mari est mort,<br />

qu'elle vient d'en apprendre <strong>la</strong> nouvelle par un Gréa<br />

qui a fait naufrage; et ce Grec, c'est Mépé<strong>la</strong>s luimême<br />

f qui parait avec <strong>de</strong>s fi<strong>la</strong>ments déchirai, et<br />

pleurant sou maître, taudis qu'Hélène, en habits<br />

<strong>de</strong> veuve, se <strong>la</strong>mente aussi. Toute cette camêail ne<br />

manque pas <strong>de</strong> réussir auprès <strong>de</strong> Théoelymèoe,<br />

aussi cré<strong>du</strong>le que doit f lira toujours èa 4jf ai<br />

<strong>de</strong> tragédie. 11 ne doute plus <strong>de</strong> son mariage a?«<br />

Hélène, puisque Méné<strong>la</strong>s n f est plus; ^, se raprt<br />

dant déjà comme son mari, il Isgbrepréseifte quq so§<br />

<strong>de</strong>voir n f est pas <strong>de</strong> pleurer Fépow qui aat'tooit,<br />

mais d'aimer celui qui est vivant. 11 lutpermettoute- >fois<br />

d'aller faire les funérailles <strong>de</strong> Méné<strong>la</strong>s m plein»<br />

mer, atten<strong>du</strong> qu'il est mort sûr taa^aan* MénéUfe<br />

et ses Grecs tuent les Égyptiens qjf oantent 1»<br />

vaisseau f s'en ren<strong>de</strong>nt maîtres et s'éWgnwitàtoiHfi


lift<br />

C001S DE UTTÉMTII1E.<br />

voiles s%Hpast là le tyran pris pur <strong>du</strong>pe. Celui-ci<br />

•lut s Y en prendre à sa sœur, une prephétesse oomtuée<br />

Théosoë, pour ne l'avoir pas averti <strong>de</strong> tout ce<br />

stratagème. 11 veut mime <strong>la</strong> faire mourir, et fou<br />

nu sait ce 13ui.es serait arrivé, si l'auteur n'avait<br />

ps eu're<strong>cours</strong> à ses-machines accoutumées. Castor<br />

et Pollui <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt .<strong>de</strong>s '<strong>de</strong>ux et prennent fait et<br />

cause pov Théonoë, dont ils attestent l'innocence,<br />

réordonnent ai roi <strong>de</strong> se soumettre à <strong>la</strong> volonté<br />

<strong>de</strong>s dieux, et prédisent à Hélène les honneurs divins<br />

après sa mort ; et à Méné<strong>la</strong>s un séjour éternel dans<br />

les lies Fortunées. Nous voilà un peu loin <strong>de</strong>puis<br />

quelque temps <strong>de</strong> cette simplicité grecque, qui,<br />

comme on le voit , n 9 a ps. toujours été le caractère<br />

d'Euripi<strong>de</strong>, Mais il se serait pas plus juste <strong>de</strong> le<br />

juger sur.toutes ces.pro<strong>du</strong>ctions monstrueuses,<br />

que <strong>de</strong> juger CorneUie sur Pukhérk, JgésUm, et<br />

Surina.<br />

lu» est une nouvelle preuve que le genre romanesque<br />

a été connu sur le théâtre <strong>de</strong>s Grecs comme<br />

ip te sêtre. Le sujet est si embrouillé, -que j'aime<br />

mieux renvoyer à Bramoy ceux qui voudront avoir<br />

une idée dé cette pièce, que <strong>de</strong> perdre un temps précieux<br />

à 1| développer. Je me hâte d'arriver à ceux<br />

<strong>de</strong>s ouvrages d'Euripi<strong>de</strong> qui méritent plus d'attentioft.<br />

-11 y a dans k$ BêmctMm le germe d'une tragédie;<br />

et plusieurs mo<strong>de</strong>rnes se sont essayés sur ce<br />

sujet : c'est <strong>la</strong> famille d'Âlci<strong>de</strong> poursuivie par Eurysthée,<br />

roi d'Argos, et <strong>de</strong>mandant un asile à Dé-'<br />

mophon, roi d'Athènes. Ce prince, dont le caractère<br />

est nobles généreux, s'expose à soutenir <strong>la</strong> guerre<br />

eoritre Àrgos plutôt que <strong>de</strong> violer les droits <strong>de</strong> l'hospitalité<br />

envers ces illustres proscrits. Mais un oracle<br />

a déc<strong>la</strong>ré qu'il ne pouvait obtenir <strong>la</strong> victoire qu'en<br />

sacriÉant une fille d'un sang illustre. Macarie, l'une*<br />

<strong>de</strong>s filles d'Hercule et d'Atanène, s'offre elle-même<br />

en sacpice, et s'occupe surtout <strong>de</strong> cacher à m mère<br />

sa résolution ci sa mort. Il y aurait là <strong>de</strong> quoi former<br />

ia jièBtti intéressant; mais Euripi<strong>de</strong> n'en profit®<br />

ps. Miearie est sacrifiée au troisième acte, sans<br />

que personne en parle-ou s'en occupe, sans que sa<br />

' mère le sache; et il n'est plus question, dans tout<br />

le pste le <strong>la</strong> pièce, que <strong>de</strong> <strong>la</strong> victoire <strong>de</strong>s Athéniens<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort d'Eurysthée, dont personne ne se<br />

soucie, lî tfy a encore là nulle connaissance <strong>de</strong> fart<br />

dramatique.<br />

tout fait. Mais aussi cet intérêt est affaibli par l'abominable<br />

caractère et les crimes affreux <strong>de</strong> Médée,<br />

et par <strong>la</strong> froi<strong>de</strong>ur <strong>du</strong> rôle <strong>de</strong> Jason. Cependant les<br />

justes ressentiments d'une épouse outragée par un<br />

ingrat, les combats <strong>de</strong> <strong>la</strong> vengeance et <strong>de</strong>s senti-'<br />

inents maternels, et <strong>la</strong> profon<strong>de</strong> dissimu<strong>la</strong>tion dont<br />

lléclée couvre ses noirs <strong>de</strong>sseins, pro<strong>du</strong>isent <strong>de</strong>s<br />

moments <strong>de</strong> terreur et <strong>de</strong>s mouvements pathétiques<br />

qui ont fourni <strong>de</strong> belles scènes. C'est d'ailleurs une<br />

<strong>de</strong>s pièces d'Euripi<strong>de</strong> les mieux con<strong>du</strong>ites, si l'on<br />

excepte l'inutile râle d ? Égée, qui vient offrir à Médée<br />

un asile dans ses États.<br />

Il faodrait avoir toute <strong>la</strong> partialité que firamoy<br />

ne <strong>mont</strong>re que trop en faveur <strong>de</strong>s anciens pour établir<br />

un parallèle entre Vffippolyte d'Euripi<strong>de</strong> et<br />

<strong>la</strong> Phèdre <strong>de</strong> Racine. L'auteur français'doit en effet<br />

au grec l'idée <strong>du</strong> sujet, <strong>la</strong> première moitié <strong>de</strong> cette<br />

belle scène <strong>de</strong> l'égarement <strong>de</strong> Phèdre, celle <strong>de</strong> Thésée<br />

avec son fils*, et le récit <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort d'Hippolyte;<br />

mais, dans tout le reste, il a remp<strong>la</strong>cé les plus<br />

gran<strong>de</strong>s fautes par les plus gran<strong>de</strong>s beautés. La<br />

pièce d'Euripi<strong>de</strong> commence, suivant sa coutume,<br />

par un proiogue.~Yénus est irritée contre Hippolyte,<br />

qui méprise son culte pour se livret tout entier à<br />

celui <strong>de</strong> Diane* C'est pour le perdre qu<br />

m La Mêêêe d'Etripi<strong>de</strong> a été mise sur tous les théâtres,<br />

et imitée par une fbule d'auteurs. Sans doute<br />

ce qui tes a frappés, c'est une sorte d'éc<strong>la</strong>t dans le<br />

râle <strong>de</strong> cette-audacieuse magicienne., et l'espèce<br />

d'iatMt qu'inspire toujours, à un certain point,<br />

cpe femme abandonnée par celui pur qui elle a<br />

Y elIe a ellemême<br />

allumé dans le cœur <strong>de</strong> <strong>la</strong> reine une passion<br />

indomptable. Elle prévient le spectateur <strong>de</strong> tout ce<br />

qui doit arriver, et prédit l'accusation calomnieuse<br />

<strong>de</strong> Phèdre, les imprécations <strong>de</strong> Thésée adressées à<br />

Neptune, et <strong>la</strong>' mort <strong>de</strong> l'innocent Hîppolyte.<br />

« Je sais, dit-élte, que PSièdre m'est fidèle. M'importe,<br />

U font qu'elle périsse. Ses jours ne me sont pas assef chers<br />

pour leur' sacrifier Bit vengeance. Immolons une victime<br />

<strong>la</strong>seeesle pour immoler mon ennemi. »<br />

Intro<strong>du</strong>ire une divinité pour lui faire jouer un si<br />

exécrable rôle, et annoncer ainsi d'avance tout ce<br />

qui va se passer, c'est ramener fart à son enfance;<br />

et après les pas qu'avait faits Sophocle, ces fautes<br />

énormes d'Euripi<strong>de</strong> ne sont nullement efcusabfes.<br />

11 n'a point mis d'épiso<strong>de</strong> dans cette pièce; mais<br />

aussi a-l-îl <strong>la</strong>issé beaucoup <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngueur dans Faction.<br />

Les conversations <strong>de</strong> Phèdre avec sa- nourrice remplissent<br />

les <strong>de</strong>ui premiers actes. Celle-ci s f esl chargée<br />

<strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s propositions à Hippolyte, indécence<br />

grossière qui ne serait pas tolérée sur-un théâtre<br />

épuré. Le jeune prince entre sur <strong>la</strong> scène en repoussant,<br />

avec <strong>de</strong>s cris d'indignation, <strong>la</strong> malheureuse<br />

confi<strong>de</strong>nte, qui veut embrasser ses genoux pour<br />

l'engager au moins au silence. U répète <strong>de</strong>vanrmi<br />

choeur <strong>de</strong> femmes les infâmes propositions qu'on<br />

vient <strong>de</strong> lui faire, comme <strong>la</strong> reine elle-même a <strong>de</strong>vant<br />

ces mêmes témoins exhalé toutes les fureurs<br />

•d'une passion criminellet en sorte que <strong>la</strong> bienséance


'ANCIENS. — POÉSIE.<br />

d <strong>la</strong> vwteêieMafiee sont également ?iolées. La longue<br />

déc<strong>la</strong>mation d'Hippolyte contre tes femmes<br />

n'est pas <strong>de</strong> meilleur goût.<br />

« Poteaat Jupiter, pourquoi sra-vons permis qu'en vît<br />

perritMaoas te soieUimiràaiisrf dangereux que ce sexe F<br />

dans vus parfit l'airain, le 1er et Forf pour acheter <strong>de</strong>s<br />

enfimts à proportion <strong>de</strong>s ôffran<strong>de</strong>sf etc.? »<br />

Suit use satire <strong>de</strong> quarante vers contre le mariage t<br />

contre les femmes beaux-esprits f contre les agentes<br />

d'amour, eoin tous les lieux communs dignes <strong>du</strong><br />

fête fFArnolphe quand il donne toutes les femmes<br />

au diable, mais bien indignes <strong>du</strong> théâtre <strong>de</strong> Melpomène.<br />

On a beau dire f ne ces endroits faisaient<br />

allusion nu mœurs d*Athènes : <strong>la</strong> tragédie n'est<br />

point <strong>la</strong> critique <strong>de</strong>s mœurs sociales ; cette critique<br />

est 1e domaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> comédie; et Hippolyte ne doit<br />

point parler comme ma vieil<strong>la</strong>rd ridicule et jaloux.<br />

Rejetons dans tous les temps ce qui est dans tous<br />

tetemps mauvais.<br />

Phèdre f après avoir maudit sa coni<strong>de</strong>nte, sort<br />

pour aller se pendre. On apprend sa mortf et <strong>la</strong><br />

pièce est régulièrement Unie, que Thésée n'est pas<br />

encore arrivé* autre défaut impardonnable. ¥oici<br />

Mes pis : il -trouve entre les mains <strong>de</strong> sa femme<br />

morte nne lettre qu'elle a écrite avant <strong>de</strong> se tuer,<br />

dont il reconnaît le caractère et qui accuse Bip*<br />

potytc. Ainsi <strong>la</strong> mort, qui est pour tous les hommes<br />

le moment <strong>du</strong> repentir, a été pour Phèdre le moment<br />

d'un <strong>de</strong>rnier crime. Elle poursuit après sa<br />

mort celui qu'elle a aimé pendant sa rie. Il faut le<br />

dire : c'est un démenti formel donné à <strong>la</strong> nature,<br />

an bon sens, à tous les principes <strong>de</strong> Fart. Il ne faut<br />

point faire grâce à ces honteuses absurdités que les<br />

partisans ma<strong>la</strong>droits et superstitieux <strong>de</strong>s anciens<br />

©ut cm <strong>de</strong>voir dissimuler.* Si <strong>la</strong> Phêdrè <strong>de</strong> Racine<br />

était faite dans ce goût, serait»€l!e supportée un<br />

<strong>mont</strong>ait? Seppotterait-on qu'après le récit <strong>du</strong> désastre<br />

affreux dHïppolyte y Thésée s'exprimât ainsi :<br />

«!tf⥫iff«;iïiliJM^<br />

«s f#c§ avec quelque sorte <strong>de</strong> satisfaction. Mais enfin je<br />

•est que <strong>la</strong> piété enfers les dieux et ma tendresse pour un<br />

risf tout csupable quH est, se révoltent dans msn césar.<br />

JiiieMssi»j€éa€iss3tS€^^<br />

Bits» dans Ffa^fMéreaee* »<br />

Et un moment après, comme son Ils n s avec <strong>de</strong>s traits si vrais, est-ce ainsi'que vota êtes<br />

faite? T a-t-il <strong>de</strong>s'femmes comme cette Phèdre,<br />

et <strong>de</strong>s pères comme ce Thèses, Grâces sttf îeVjs<br />

n<br />

est point<br />

encore mort, il ordonne qu'en rapporte <strong>de</strong>vant lui.<br />

m le seax Se revoir encore, <strong>la</strong>i reprocher si» crime, et<br />

asisttea <strong>de</strong> le convaincre par son supplice même. »<br />

Fane <strong>de</strong>s reproches à ion lis dans fétsl où il est!<br />

O nature! qui êtes Haie <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie, vous que<br />

les Grées et m -même Euripi<strong>de</strong> ont souvent peinte<br />

9 en crois rien; et si par hasard il y es avait, ce ne<br />

serait pas encore une excuse pour fauteur : il est<br />

<strong>de</strong> principe que les exceptions monstrueuses ne<br />

sont point Fobjet <strong>de</strong>s arts d'imitation.<br />

La pièce unit comme elle a commencé, par une<br />

déesse. Diane vient justifier Hippolyte » et accabler<br />

Thésée <strong>de</strong> reproches. On app&te sur le théâtre Hippolyte<br />

expirant, qui, pour achever <strong>de</strong> rendre son<br />

père plus odieux, lui pardonne sa mort. Cesl allonger<br />

inutilement <strong>la</strong> pièce, pur 'offrir un défaut <strong>de</strong><br />

plus. Tel est cet ouvrage, qu'il itot pourtant bien<br />

pardonner à Euripi<strong>de</strong>, puisque pouaUui <strong>de</strong>vons ce*<br />

lui <strong>de</strong> Eaeine.<br />

Si l'on en croit Brumoy, <strong>la</strong> <strong>du</strong>plicité d'action est<br />

un défaut inconnu aux Grecs. Haas avons déjà vu<br />

combien il était fréquent chez Euripi<strong>de</strong>, et nous<br />

en terrons"' encore <strong>de</strong>ux exemples bien remarquables<br />

, l'un dans kt Droyennes, l'autre dans Hêeiée ;<br />

m qui n'empêche pas qu'on admire avec raison 9<br />

dans ces <strong>de</strong>ux pièces, <strong>de</strong>s situations très-dramatiques,<br />

et une nature aussi traie, aussi touchante<br />

que celle <strong>de</strong> sa Phèére et <strong>de</strong> quelques autres pièces<br />

est fausse et révoltante. Le$ Trofmmm sont assez<br />

connues par <strong>la</strong> pièce <strong>de</strong> Châteaubrun, qui en est<br />

une imitation. La scène est dans le eamp <strong>de</strong>s Grecs<br />

et <strong>de</strong>vant les ruines <strong>de</strong> Troie. Les vainqueurs vont<br />

prononcer sur le sort <strong>de</strong> leurs captives, d'Hécube,<br />

<strong>de</strong> Polyxène, d'Andromaque, <strong>de</strong> Gassandre, et d'Astyanax,<br />

ils d'Hector. L'intérêt est divisé, et par<br />

conséquent affaibli. Mais pourtant les malheurs<br />

réunis sur cette famille royale sont susceptibles <strong>de</strong><br />

ia dignité et <strong>de</strong> l'émotion tragique qui se font Sêa -<br />

tir dans <strong>la</strong> pièce grecque et dans <strong>la</strong> française. Polyxène<br />

ne paraît point dans <strong>la</strong> première* C'est aaUf»<br />

r<br />

tint l'incertitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> son sort qui est l'objet <strong>de</strong>s<br />

. <strong>de</strong>ux premiers actes. On apprend au troisième<br />

qu'elle a été immolée sur le tombeau d'4#hî(le, et<br />

qu'Astyanax est condamné à périr. Voilà, bien une<br />

secon<strong>de</strong> action. Taltybius, officier <strong>de</strong> Farmée grecque,<br />

vient annoncer à <strong>la</strong> veuve d'Hector ee| arrêt<br />

foudroyant. Les p<strong>la</strong>intes <strong>de</strong> cette mère désolée, et<br />

sas adieux à son ils, sont un <strong>de</strong>s plus beaux morceaux<br />

qui soient sortis-<strong>de</strong> <strong>la</strong> plume d'Euripi<strong>de</strong>;<br />

• mais il faudrait eeia <strong>de</strong> Racine pour les rendre. Il<br />

est vrai qu'après ce beau troisième acte qui arrache<br />

<strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes, il semble les sécher à p<strong>la</strong>isir dans le rai*<br />

vant, et faire oublier son sujet par Fépiso<strong>de</strong> te plus<br />

dép<strong>la</strong>cé. 11 fait venir, sans <strong>la</strong> moindre raison, Méaé<strong>la</strong>s<br />

tout occupé <strong>du</strong> soin <strong>de</strong> se venger <strong>de</strong> son infidèle<br />

Hélène, et prêt à <strong>la</strong> faire embarquer pour <strong>la</strong><br />

117


118<br />

COtJBS Dl' UITtÊATOBEL<br />

Grècef ta il lofera mourir. )d s'établit une <strong>de</strong> ces<br />

scène&<strong>de</strong> coiitgo? erses dont Euripi<strong>de</strong> a?ait rapporté<br />

le §ûtlt|e Vémleâes philosophes, et dont il infecta<br />

le théâtjed'Athènes, d'autant plus facilement que lés-<br />

Grecs, nattirelléiftieDt subtils et ^sputeurs, aimaient<br />

assez ces sortes <strong>de</strong> scènes, opposées ejf général à<br />

l'esprit dramatique, qui veut beaucoup plus <strong>de</strong> sentiments<br />

qmàe raisonnements, et qui n'admet oeuxcl<br />

que dps les situations tranquilles, encore a?ee<br />

beaucoup d'art et <strong>de</strong> ftiesure. Ééné<strong>la</strong>s accuse Hélène;<br />

rfélènrse défend : double p<strong>la</strong>idoyer suivi<br />

d'un troisième, car Hécube prend <strong>la</strong> parole; elle<br />

se charge if confondre <strong>la</strong> femme <strong>de</strong> Méné<strong>la</strong>s, et<br />

paraît en venir à'bont ; mais encore^une fois, à<br />

quoi tout ce<strong>la</strong> fend-jf? Qu'à distraire le spectateur,<br />

pendant un acte entier s <strong>de</strong> l'intérêt qui l'occupait , •<br />

et <strong>du</strong> sort <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille '<strong>de</strong>JPriam.<br />

Un <strong>de</strong>s détails les plus bril<strong>la</strong>nts <strong>de</strong> cette pièce t<br />

c'est <strong>la</strong>-prophétie <strong>de</strong> Cûssandre, que ChAteaubrun<br />

a imitée assez heureusement, et qui, dans <strong>la</strong> nouveauté<br />

f contribua beaucoup au succès <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce,<br />

et commença <strong>la</strong> réputation <strong>de</strong> <strong>la</strong> célèbre C<strong>la</strong>iron.<br />

M'oublions pas que dans k$ Troyomei, comme<br />

dans les autres pièces <strong>du</strong> même auteur, on ne manque<br />

pas <strong>de</strong> retroufer le prologue, qui est <strong>de</strong> -règle<br />

chez rai. Les interlocuteurs sont Neptune et Minerve/qui<br />

conviennent <strong>de</strong> faire tout le mal possible<br />

à <strong>la</strong> flotte <strong>de</strong>s Grecs.<br />

bans Héetée, <strong>du</strong> moins i le prologue ne se fait<br />

pas pr une divinité : c'est fombre <strong>de</strong> Polydore, lis<br />

<strong>de</strong> Priaai, qui fient raconter toute son histoire, et<br />

prédire tout ce que les spectateurs verront. 11 a<br />

été assassiné par-Polymnestor, roi <strong>de</strong> <strong>la</strong> presqu'île<br />

<strong>de</strong>"Thrace9 à qui Priant l'avait confé. Les Grec»,<br />

ait retour <strong>de</strong> Troie, abor<strong>de</strong>nt dans cette presqulle.<br />

Héeube, leur prisonnière est avec eax^ et l'ombre<br />

d'Achille <strong>de</strong>man<strong>de</strong> le sacrifice <strong>de</strong> Polyxène, sans<br />

lequA les Grecs ne pourront pas sortir <strong>de</strong> <strong>la</strong> Thrace.<br />

Ces! cette même Polysène qu'Euripi<strong>de</strong> n'a pas<br />

wujo fa|re paraître dans Im Hray«wtef, quoi*<br />

qu'elle y fait immolée, mais sur <strong>la</strong>quelle il a épuisé<br />

ici taales les ressources <strong>de</strong> son génie et toutes les<br />

richesses <strong>de</strong> son éloquence. Les trois premiers actes<br />

<strong>de</strong> cette'pièce sont peut-être ce qu'il a fuit <strong>de</strong> pias<br />

touchant cl <strong>de</strong> plus parfait. Les <strong>de</strong>ui <strong>de</strong>rniers ne<br />

contiennent que <strong>la</strong> vengeance que tire Hécube <strong>de</strong><br />

Polymnestor;. et cette secon<strong>de</strong> action 9 absolument<br />

indépendante <strong>de</strong> <strong>la</strong> première, a <strong>de</strong> plus l'inconvénient<br />

d'être infiniment moins intéressante. Laismm%<br />

<strong>de</strong> cité, pouf ne nous occuper que <strong>de</strong> Polyièné.<br />

La scène aè Ulysse vient <strong>la</strong> chercher pour<br />

<strong>la</strong> con<strong>du</strong>ire à <strong>la</strong> mort où les Grecs font condamnée,<br />

les dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> cette princesse et <strong>de</strong> sa mère, leur<br />

séparation déchirniti, le rélf màae dUlyate, pi,<br />

dans un ministère odieux, conserve <strong>la</strong> dignité convenable,<br />

tout est traité atec une supériorité digne<br />

<strong>de</strong>s plus grands modèles. Hécube <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Ulysse<br />

<strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> l'interroger; car elle est captive et<br />

prie à un <strong>de</strong> ses maîtres. Elle lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> s'il se<br />

souvient qu'étant venu I-Troie, déguisé et chargé<br />

<strong>du</strong> dangereux personnage d'espion, il jfat «reconnu<br />

par Hélène, qui vint faire part à Hécube <strong>de</strong> cette<br />

découverte. Héeube n'avait qu'à dire un mot, et<br />

Ulysse était per<strong>du</strong>. Il implora sa pitié, et obtint<br />

d'elle" qu'elle le <strong>la</strong>issât partir. Ulysse convient <strong>de</strong><br />

tout; et l'on sent quel avantage cet aveu donne à<br />

Hécube, qui loi a sauvé <strong>la</strong> vie.<br />

Souviens-toi <strong>de</strong> m Jour m, d'eue vol* traÉblmto,<br />

Et pressanl mes genoux d'une main suppliante,<br />

Pile et défiguré par l'effroi <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort,<br />

A ma seule pitié ta remettais ton sort<br />

Je reçus <strong>la</strong> prière, et J'épargnai ta vie;<br />

Je te ii échapper d'une terre ennemie.<br />

Te êafs à mes toutes ce Jour qui <strong>la</strong>it pour toi,<br />

Et tu peux à ce-point être ingrat envers smït<br />

Ulysse outrage ainsi ma fortune abattue !<br />

SII vit, c'est par moi seule t et c'est lui qui me tse !<br />

11 m'arrache ma Elle I àh ! cruel ! et pourquoi?<br />

Quel dieu vous a dicté cette exécrable loi?<br />

Est-ce Achille aujourd'hui qui veut une vieieeef<br />

Dont les mânes vtnsjrars t'arment contre le crime t<br />

Et Men ! sacrifiez à l'ombre d'un héros<br />

L'auteur <strong>de</strong> son trépas f Fauteur <strong>de</strong> tous nos maux ;<br />

Saeritaz Hélène, odieuse furie,<br />

Et non moins qu'aux Troyeus t fatale à sa patrie.<br />

Si d'une offran<strong>de</strong> illustre Achille est si f<strong>la</strong>tté,<br />

§11 veut voir sur sa tombe immoler <strong>la</strong> beauté,<br />

Hélène, à qui les dieux font animée eu partage,<br />

Remporte enenr sur nous ce fnaesie avantage;<br />

Hélène est plus coupable et plus Mie à <strong>la</strong> fois.<br />

O vous à qui j'adresse une débile vol*,<br />

Tous gue j'ai TU jadis, dans un jour <strong>de</strong> détresse t<br />

Prosterné <strong>de</strong>vant moi, supplier ma vieillesse¥<br />

Que Fénjaité ¥ous parle et soit Juge entre nous<br />

Faites |ci pour moi ce que J'ai fait pour vous !<br />

Fat p<strong>la</strong>int votre Infortune, et vous voyez <strong>la</strong> nôtre;<br />

Tous pressiez cette main , et Je presse Sa votre.<br />

Hécube est à vos pieds; Hécube est mère % hé<strong>la</strong>s I<br />

Hé<strong>la</strong>s ! n'arrachez point ma fille <strong>de</strong> mes bras ;<br />

Me versez point son sang ; c'est assez <strong>de</strong> carnage.<br />

ifes revers sont affreux : ma §!§e Ses sotsleap,<br />

Console mes vieux ans, adoucit mes douleurst<br />

Et me fait quelquefois oublier mes malheurs.<br />

àh I ne me Pétez pas, ne me privez point d'elle!<br />

La victoire jamais ne doit être cruelle»<br />

Qnel vainqueur peut compter sur un bonheur constant?<br />

Je suis <strong>de</strong>s coups <strong>du</strong> sort un exemple éc<strong>la</strong>tant.<br />

le régnais* J'étafa mère, et je me crus heureuse :<br />

Mon tMMtaent a passé somme une ombre trompeuse*<br />

Un jour a tout détrait, et Je ne suis plus rien.<br />

Prenez pitié <strong>de</strong> moi, <strong>la</strong>issez-moi mon seul bien ;<br />

Parlez à tous ces chefs , et que votre «fasava<br />

De tant <strong>de</strong> cruautés fasse rougir <strong>la</strong> Grèce,<br />

Les femmes, les enfants, dans ftinreenr <strong>de</strong>s-combats,<br />

iront point été frappés êm fer <strong>de</strong> vos soMats.<br />

Est-ce an pied <strong>de</strong>s autels que, souil<strong>la</strong>nt votre gloire]»<br />

Tons répandrez le sang qu'épargna <strong>la</strong> victoire?<br />

Eh quoi ! pour <strong>de</strong>s captifs désarmés et soumit<br />

Serez-vous plus cruels que pour vos-ennemis?<br />

Parlez, et révoquez l'arrêt <strong>de</strong> rinjustlce :<br />

La tîfèce voua écoute, et doit es état» Ulysse.


CeilsetMm d'Héetbe, dans l v originalt semlite<br />

réunir tans les pares d'éloquence : celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> tendresse<br />

maternelle, <strong>la</strong> dignité d'une reine se mé<strong>la</strong>st<br />

à k douleur suppliante, fart d'intéresser jusqu'à<br />

rameur-propre d'un ennemi. Ulysse se défend<br />

aussi bien qu'il est possible. Il n 9 a point oublié ce<br />

qu'il doit à Béeube; mais il n f est que l'organe <strong>de</strong>s<br />

•©tontes <strong>de</strong> Fermée s il n*est pas en lui <strong>de</strong> les changer.<br />

Si Hécube 'pleure ses enfants, combien <strong>de</strong><br />

mères dans Ârgos et dans Myeènes -pleurent aussi<br />

leurs ils tués dotant Troie ! loin Achille, qui a<br />

ten<strong>du</strong> tant <strong>de</strong> services aux Grées, a <strong>de</strong>s droits sur<br />

leur reconnaissance; et comment lui refuser <strong>la</strong><br />

Yietîme qu'il <strong>de</strong>man<strong>de</strong>? Les héros sont jaloux <strong>de</strong>s<br />

honneurs <strong>du</strong>s à leur mémoire. M le poète, par <strong>la</strong><br />

bond» d'Ulysse, fait l'éloge <strong>de</strong>s mœurs grecques f<br />

et <strong>de</strong>s nobles tributs qu'elles payaient aux mânes<br />

<strong>de</strong>s-grands hommes, tandis que dans les monar<strong>du</strong>es<br />

barbares leurs services étaient ensevelis avec<br />

eux. Hécube, voyant qu'Ulysse résiste à ses prières,<br />

exhorte sa fille à le fléchir, s'il se peut, par<br />

ses soumissions et par ses <strong>la</strong>rmes. La réponse <strong>de</strong><br />

folpèaa est d'une fermeté qui contraste très-heu-<br />

; a?«c le iésespir d'une mère.<br />

Ulysse t Je le vols, TOIII craignes ma prier• :<br />

Votes- natal Mt <strong>la</strong> mienne, et votre front sévère ,<br />

Votze «gai* baissé, M détournent <strong>de</strong> moi.<br />

Rassurez-vous : <strong>de</strong>s Grecs Je resipllrii <strong>la</strong> toi.<br />

De <strong>la</strong> nécessité Je subirai remplre : •<br />

On «r<strong>de</strong>aiie ma mort t et mes cœur li désire.<br />

J'aurais trop à raa#elr si, <strong>de</strong>vant iiu vaimpeur,<br />

Trop if amour <strong>de</strong> k ¥te eût abaissé mon cœur.<br />

Pourquoi eîffslsje eneor? J'ai sa régner mon pète.<br />

!%tysèae f l'espoir et targuai «Fune mère f<br />

Croissait dans saa pa<strong>la</strong>is pour le plus beau <strong>de</strong>stin,<br />

Pour voir nu Jour <strong>de</strong>s rois se disputer sa sos<strong>la</strong> f<br />

i%3or aller ssaîselir une coar fortunée<br />

Qu'aurait enorgndiUe aa superbe byméaée;<br />

Et dans mes Jours <strong>de</strong> gloire et <strong>de</strong> prospérité ,<br />

le tfHVtafe aux dieux que nmmortalité.<br />

Je sida eaciave, héSas! €e Ho» pMm d'Infamie,<br />

€e nom seul me salit peur détester <strong>la</strong> sis.<br />

âtÉHiifseja qu'ici , pour combler mes revers s<br />

fja maître 1a prix d'argent , m» donnant d'astres fers,<br />

Ut» <strong>la</strong> sosar d'Hector su phts irtSs ministères,<br />

àam travaux <strong>de</strong>stinés à <strong>de</strong>s malus mercenaires,<br />

Et frfaa taeiese impur, afobfcaaiit malgré moi f<br />

Vienne taafilee BM» lit Où ial entre? aa roi?<br />

Usa. Faune mieux <strong>la</strong> mort que net excès dlnjun ;<br />

Fsaseie sdni aux enfers <strong>de</strong>scendra liera et pure.<br />

4 qui prt tout «p©fr il wte le trépes.<br />

Ulysse y Je TOUS suis ; n'arrêtez point mes pas y<br />

Ma mite; <strong>la</strong>tasez-mol marcher as sacrifice ;<br />

(M, lsauaHBOI neufte aesat qu'on m'avilisse.<br />

Le manieur, fl est ûar, peut frapper tout mortel;<br />

Moto fl est atten<strong>du</strong>, plus U semble cruel :<br />

•sis ejai petit à ropprobre abandonner sa vie?<br />

âJII ls plia gtsasi êas aieas sans douta est notarié.<br />

BéCOTS.<br />

raisiire ton courage, et Je pleure ton sort.<br />

m êm fi<strong>la</strong> <strong>de</strong> Pelée 11 fMt viager <strong>la</strong> mort f<br />

Gréas, m rs s'égarer votre «Juste eolàn?<br />

Du eriBse <strong>de</strong> Paris il faut punir sa mère.<br />

i«se*eii€a*€ir«a^^<br />

ANCIENS.- — POESIE. Ut<br />

Sur <strong>la</strong> tombe d'Achille épuisez tout mon sang.<br />

Frappes.<br />

ULYSSE. .<br />

Ce n'est pas vous qu'Achille nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>;<br />

Des Joum <strong>de</strong> Polysène 11 exige roftran<strong>de</strong>.<br />

aici'SE»<br />

Immoles toutes <strong>de</strong>ux : confon<strong>de</strong>s à l'autel<br />

Et le sang <strong>de</strong> ma fille, et le sang maternel.<br />

CLY88B.<br />

Achille Yeut le sien, madame, et non le votre. -<br />

Eh ! que ne pou? oos-nous épargner f aa et f taira !<br />

BÉCUBB.<br />

Mourir avec ma fille est un <strong>de</strong>voir pour moi.<br />

ULYSSE.<br />

Non : sotte seul <strong>de</strong>voir est <strong>de</strong> sutYre ma loi.<br />

HÉCT7BE.<br />

Tous me Terrez sans cesse à ses pas atf acnés.<br />

ULYSSE.<br />

Hon. Craignez <strong>de</strong> <strong>la</strong> sale <strong>de</strong> vos bras arrachée.<br />

MLY1È9IB.<br />

(A OTysse.)<br />

Madame, écoutes-mol.... ¥ousf dans ?otre rigueur,<br />

Ménagez une mère, épargnez sa douleur.<br />

{A Hémèe.)<br />

Ma mère, e , est assez combattre <strong>la</strong> puissances<br />

Ne souffrez pas dû moins d'indigne Ylolenee.<br />

Voulez-vous qu'à l'Instant, d*un bras injurieux,<br />

De farouches soldats, YOUS traînant.à mes yeux,<br />

Insultent à ee point votre rang et votre âge ?<br />

Sauvez-nous toutes <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ee comble cFoutrage.<br />

Donnez-moi votre main ; à mes <strong>de</strong>rniers moments<br />

accor<strong>de</strong>z <strong>la</strong> douceur <strong>de</strong> YOS embrassements.<br />

Ma mère ! <strong>de</strong> ce nom que ma tendresse Implore<br />

Pour <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière fois ma sols tous nomme encore.<br />

Mes yeux à <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté Yont cesser <strong>de</strong> s'ouvrir....<br />

âdleu, vivez, ma mère, et mol Je vais mourir.<br />

BÉCOTE.<br />

Be mes nombreux enfants cher et malheureux reste,<br />

Tu meurs ! et dans tes fers Je traîne un sort funeste !<br />

Quel en sera le terme? À quoi m'attendra aacar ?<br />

' FOLYXfelf».<br />

Quedlral-Je àPr<strong>la</strong>m, à votre fils Stator?<br />

BÉceiE.<br />

Dis que t par tant <strong>de</strong> coups tour à tour éprouvée,<br />

Au comble <strong>de</strong>s 'horreurs Hécube est arrivée.<br />

aoLSïfcaa,<br />

O sein qui m'as nourrie! é ma mère! M! grands dieux !<br />

BÉ€HBE.<br />

O gags le plus cher <strong>de</strong>s plus faeeates asasistii<br />

POLTXÊffB.<br />

• Eecevez mes adieux, Cassaiidre,f©lydôwf<br />

O ma scaar! S mon frère !<br />

Hé<strong>la</strong>s I'vft-11 eneore?<br />

le suis trop malheureuse, et Je crains tout <strong>de</strong>s dieux.<br />

POLYXÉHl.<br />

Sans doute fl est vivant ; 11 fermera vos yeux. '<br />

11 vit, n'es doutez pas : cet espoir me ranime.<br />

{^ Ulfae).<br />

Mkms. Couvfea <strong>du</strong> moins le front <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime.<br />

Ulysse, eachez-mol ma mère et ses douleurs :<br />

le puis souffrir <strong>la</strong> mort, et ne puis voir ses pleurs.<br />

Venez, etc.<br />

Le récit <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> cette princesse est digne<br />

<strong>de</strong> cette belle scène. U n'est pas inutile <strong>de</strong> faire<br />

?elr comment les anciens traitaient cette partie <strong>du</strong><br />

drame. Cest Tal%Wus qai nwwrt© h sacrilo© <strong>de</strong><br />

Polyièae, auquel il présidait ee. paillé <strong>de</strong> héraut,<br />

et qui le raconte à Hécube. Bans nos mœurs f ce<br />

serait maifuer «a COBWINMSS, «t nous M wof-


120<br />

fririons pas qu'ayant eu ^art à <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> <strong>la</strong> fille il<br />

en fît le récit à <strong>la</strong> mère* Mais le récit même nous<br />

fera mieux connaître encore toute <strong>la</strong> férocité <strong>de</strong> ces<br />

mœurs <strong>de</strong>s temps qu'os somme héroïques 9 férocité<br />

pro<strong>du</strong>its par <strong>la</strong> superstition et le fanatisme qui<br />

exaltaient l'énergie <strong>de</strong>s âmes,.et enfantaient <strong>de</strong>s<br />

crimes*<br />

C0B1S NE LITtti&ATOBE.<br />

Pour ee grand sacrifice on s'assemble , on s'empresse.<br />

De jeunes Grecs, rangés autour <strong>de</strong> <strong>la</strong> princesse,<br />

Devaient sous ma con<strong>du</strong>ite accompagner ses pas,<br />

La p<strong>la</strong>cer à Finie! et l'offrir au trépas.<br />

Pyrrhus vient ; il saisit <strong>la</strong> victime docUe, .<br />

Et l'entraîne lui-même à <strong>la</strong> tombe d'âchtlle.<br />

Il prend un vase d'or, te remplit, et soudain<br />

En l'honneur <strong>de</strong> son père 11 épanche le vin.<br />

A l'armée, en son nom, J'ordonne le fttenee.<br />

« Que ma voix dans ces lieux attire ta présence f<br />

« O mon pète! dit-Il, reçois aux sombres bords<br />

« Ces dons religieux qui consolent les morts.<br />

« Yols os sang consacré que nous étions répandra :<br />

« Ce pur sang d'une vierge appartient à ta cendre.<br />

« Sois-nous propice, AeMlSe f ô mon père 1 ô héros I<br />

« Loin <strong>de</strong>s bords d'IUon fais voguer nos vaisseaux.<br />

« Que sauvés <strong>de</strong>s éeueils d'une mer en furie,<br />

« Un retour fortuné nous ren<strong>de</strong> à <strong>la</strong> patrie! »<br />

H dlf, et tous les Grecs s'unissent à ses vœux,<br />

Et nos cris suppliants <strong>mont</strong>ent Jusques aux <strong>de</strong>ux.<br />

Dans <strong>la</strong> mata <strong>de</strong> Pyrrhus déjà le g<strong>la</strong>ive brille ;<br />

Ses regards m'ordonnaient <strong>de</strong> saisir votre iUe.<br />

m Arrête, nous dit-elle, ê vainqueurs <strong>de</strong>s Troyent..<br />

m Prêts à mêler mon sang avec le sang <strong>de</strong>s miens,<br />

« Épargnes-moi <strong>du</strong> moins un inutile outrage.<br />

« Ma mort doit être libre, et J'aurai le courage<br />

« De présenter au g<strong>la</strong>ive et ma tète et mon sein.<br />

« Sur <strong>la</strong> fille <strong>de</strong>s rois se portai point <strong>la</strong> main :<br />

« Polyxène, acceptant un trépas qu'elle brave,<br />

« Ne veut point aux enfers porter le nom d'esc<strong>la</strong>ve. *<br />

Elle dit : mille Voix parlent es sa faveur.<br />

Agamemnon lui-même, admirant son grand «mr9<br />

Souscrit à sa <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, et veut qu'on se retire.<br />

Polyxène l'entend : elle arrache et déeMre<br />

Les voiles, ornements <strong>de</strong> sa virginité ;<br />

Et t <strong>de</strong> son sein cFalbâtre éta<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> beauté,<br />

Blé tombe à genoux : « Pyrrhus, frappe, dlt-«lle ;<br />

« Frappe, J'attends tes coups. » H se trouble, il ehaneeUe.<br />

La victime à ses pieds, l'aspect <strong>de</strong> tan t d'appas t<br />

La pitié quelque temps semble arrêter son bras.<br />

Mais Achille l'emporte es cette âme hautaine s<br />

Il enfonce le fer au ccrar <strong>de</strong> Polyxène,<br />

Le retire fumant : le s «g jailli! au loin.<br />

Elle tombe expirante, et, par un <strong>de</strong>rnier soin,<br />

Elle rassemble eneor <strong>la</strong> force qui lui reste t<br />

Pour n'offrir aux regards qu'une cbufe mo<strong>de</strong>ste 8 .<br />

Elle meurt Ge moment change tous les esprits.<br />

Touchés.<strong>de</strong> ta vertu, <strong>de</strong> son sort attendris,<br />

Tous, et chefs et soldatsf qu'un même zèle anime,<br />

A l'envi l'un <strong>de</strong> l'autre honorent <strong>la</strong> victime.<br />

Déjà par mille makis son bûcher est dressé.<br />

Tous hâtent cet ouvrage, et d'un bras empressé<br />

Le couvrent <strong>de</strong> présents, l'entourent <strong>de</strong> guir<strong>la</strong>n<strong>de</strong>s,<br />

~ Se disputent le droit d'y porter <strong>de</strong>s offran<strong>de</strong>s ;<br />

Et tandis qu'on lut rend ces funèbres honneurs,<br />

Fentends gémir sa mère, et vois couler vos pleurs.<br />

x Ce détail, qui peut paraître petit dans un pareil moment,<br />

tient absolument aux moeurs anciennes. On le retrouve plus<br />

dtanefofe chez les Grées et ebex les Latins; et <strong>la</strong> Fontaine,<br />

dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> TMsbé, Imitée d'Ovi<strong>de</strong>, exprime<br />

ainsi <strong>la</strong> même idée :<br />

lie dit : et, tombant, range ses vêtements,<br />

Dernier trait <strong>de</strong> peâew à am ierstan mmmmts.<br />

Racine a pris soin d'mttir qtrtl m Al<strong>la</strong>it pas<br />

que <strong>la</strong> conformité <strong>de</strong> titra fit imaginer que son At*<br />

dromaque fût <strong>la</strong> même que celle d'Euripi<strong>de</strong>.<br />

m Quoique ma tragédie, dit-il» perte fe même titre que<br />

<strong>la</strong> sienne f le sujet en est pourtant très-différent- Âmàmmmqeef<br />

dans Euripi<strong>de</strong>, craint pour <strong>la</strong> fie <strong>de</strong> Molossus, qui<br />

est un fils qu'elle a eu <strong>de</strong> Pyrrhus, et qu'HermÂMie veut<br />

faire mourir avec sa mère. Mais dans ma pièce il ne s'agit<br />

point <strong>de</strong> Molossus. Andromaqee ne connaît point d'autre<br />

mari qu'Hector, m d'autre fils qa'Astyanax. J'ai era. m<br />

ce<strong>la</strong> me conforme? à l'idée que nous avens <strong>de</strong> cette princesse.<br />

La plupart <strong>de</strong> ceux qui ont enten<strong>du</strong> parleraAndromâf<br />

ae m <strong>la</strong> cesnaisseatguère que pour <strong>la</strong> ?eave d'Hector<br />

et pour <strong>la</strong> mère d'Astya&ax. On se croit peint qu'elle doive<br />

aimer ni un autre mari m un autre fils; et Je doute fuefes<br />

<strong>la</strong>rmes d'Andromaque eussent fait sur f esprit <strong>de</strong> mes apec-<br />

. tateore l'Impression qu'elles y ont <strong>la</strong>ite, si celles avaient<br />

coulé pouf un autre fils que celui qu'elle avait d'Hector.<br />

Ces observations prouvent le jugement exquis <strong>de</strong><br />

Racine, qui savait combien il importe au théâtre<br />

<strong>de</strong> se conformer aux. idées le pins généralement reçues,<br />

et


Aicms. — POÉSIE.<br />

fiait défendre ta ptltf^Iie, et Méaéias f fui prendle<br />

parti <strong>de</strong> sa Elle Hermioiie. Les brava<strong>de</strong>s <strong>du</strong> vieil<strong>la</strong>rd<br />

<strong>de</strong>vant us guerrier, ses insultes, ses menaces,<br />

se contiennent ni à son âge ni aui circonstances.<br />

Son <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong>vrait être celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> modération t<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse, <strong>de</strong> <strong>la</strong> sensibilité paternelle, et ce<br />

long conflit d'injures réciproques qui ne pro<strong>du</strong>isent<br />

rien ne peut jamais être théâtral. Ce qui ne f est<br />

pas plus 9 c'est <strong>de</strong> changer tout à coup <strong>la</strong> situation<br />

<strong>de</strong>s personnages sans qu'on aperçoive aucune cause<br />

<strong>de</strong> ce changement, aussi subit qu'invraisemb<strong>la</strong>ble.<br />

Après qu'on a été occupé pendant trois actes <strong>du</strong><br />

péril d'Andromaque et <strong>de</strong> son ûis, qui est-ce qui<br />

peut s'attendre qu'au quatrième, il s'en soit plus<br />

question, et qu'on voie paraître cette même Hermione,<br />

tout à l'heure si 1ère et si menaçante,<br />

maintenant saisie <strong>de</strong> frayeur f désespérée, s'arraehant<br />

les cheveux, et déchirant ses vêtements?<br />

Pourquoi? parce qu'elle craint que Pyrrhus, à son<br />

retour, ne veuille <strong>la</strong> punir <strong>de</strong> tout le mal qu'elle a<br />

voulu fiiire. Mais il n'est point question <strong>du</strong> retour<br />

<strong>de</strong> son époux, et il n'y a nulle raison pour que<br />

celle crainte ne l'occupât pas auparavant. Ce n'est<br />

pas ainsi que le spectateur veut être mené, et ces<br />

secousses en sens contraire sont l'opposé <strong>de</strong> Fart<br />

dramatique f qui veut surtout que Ton aille toujours<br />

ai but proposé. Tout à l'heure on craignait pour<br />

Àndromaquê ; à présent c'est Hermione qui veut<br />

m tuer, qui ne parle que <strong>de</strong> fer et <strong>de</strong> poison, sais<br />

f qui ne s'apaise qu'à l'arrivée d'Oreste, qui n'est<br />

121<br />

que imaginé? Sur quel théâtre aujourd'hui tolérerait-on<br />

cette con<strong>du</strong>ite d'Hermione? El quand on<br />

songe qu'elle n'est jus même punie à <strong>la</strong> fin do <strong>la</strong><br />

pièce, eonçoït-on que Brtunoy compte parmi les<br />

avantages <strong>du</strong> théâtre grec celui d'être plus moral<br />

que le nôtre?<br />

lu cinquième acte, un envoyé <strong>de</strong> Delphes vient<br />

apprendre à Pelée qu'Oreste a tué Pyrrhus; et,<br />

après un long narré, Ton apporte le corps <strong>de</strong> ce<br />

prince. Remarques que, <strong>de</strong> l'aveu même <strong>de</strong> Brumoy,<br />

<strong>la</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce est violée au point qu'Oreste<br />

n'a pas même pu avoir le temps d'aller à Delphes.<br />

U ne manque plus que <strong>de</strong> voir arriver Thétis pour<br />

consoler Pelée. Et toute cette multiplicité <strong>de</strong> machines<br />

merveilleuses et inutiles, toutes ces fautes<br />

contre l'unité d'action, <strong>de</strong> temps et <strong>de</strong> lieu, contre<br />

les règles <strong>de</strong> <strong>la</strong> décence, <strong>de</strong> <strong>la</strong> morale et <strong>du</strong> bon<br />

sens, sembleraient presque inconcevables chez un<br />

auteur qui a su, dans d'autres pièces, parvenir aux<br />

plus grands effets <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie, si l'histoire <strong>de</strong><br />

notre théâtre ne nous offrait pas <strong>de</strong>s contradictions<br />

à peu près semb<strong>la</strong>bles, et si l'on ne se souvenait pas<br />

qu'il est beaucoup plus facile <strong>de</strong> connaître les règles<br />

que <strong>de</strong> les observer.<br />

Le fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie eF^ta Je n'est pas aussi<br />

vicieux, et même il semble que, <strong>du</strong> côté moral,<br />

cette pièce est comme l'antidote <strong>de</strong> <strong>la</strong> précé<strong>de</strong>nte;<br />

car l'héroïne est un modèle <strong>de</strong> <strong>la</strong> tendresse conjugale,<br />

comme Hermione en est un <strong>de</strong> perversité. On as­<br />

sure que Racine trouvait ce sujet très-heureux, et<br />

pas plus préparée que tout ce qui précè<strong>de</strong>. C'est en­ qu'il aurait même été tenté <strong>de</strong> le traiter, s'il avait<br />

core use faute très-grave que d'amener au quatriè­ cm voir <strong>la</strong> possibilité d'un dénouaient qui pût conme<br />

acte un personnage qui n'a pas même été venir à notre scène* On ne peut pas calculer ce que<br />

nommé jusque-là, qui ne tient nullement à Faction 9 pouvait faire un homme aussi profond dans son art<br />

et qui vient en commencer une nouvelle. Oreste est que Fauteur i'JéàmMe ; mais ce qu'on put assurer,<br />

amoureux d'Hermione; mais cet amour, comme c'est que jamais il n'aurait eu à vaincre <strong>de</strong> plus gran­<br />

nous Tavons déjà vu dans quelques autres pièces <strong>de</strong>s difficultés. U y a sans doute <strong>de</strong> l'intérêt dans le<br />

grecques, n'est qu'un <strong>la</strong>it énoncé, et non pas une sacrifice héroïque d'Alceste ; mais il n'offre qu'une<br />

passion développée. Oreste veut profiter <strong>de</strong> l'ab- seule et même situation. U n'y a <strong>de</strong> ressource, <strong>du</strong><br />

seace <strong>de</strong> Pyrrhus pour enlever Hermione. Cette moins pour nous, que <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser ignorer à Admète<br />

princesse, enchantée <strong>de</strong> trouver un défenseur, se <strong>la</strong> généreuse résolution <strong>de</strong> sa femme : dès qu'il en<br />

jette à ses pieds ; ce qui, dans les circonstances est instruit, <strong>la</strong> pièce doit toucher à sa in, parce<br />

données, est contraire à toutes les bienséances. Le qu'un pareil combat ne peut pas <strong>du</strong>rer longtemps.<br />

péril n'est pas assez pressant, à beaucoup près, 11 est possible pourtant que celui qui avait su tirer<br />

pour §»1 lui soit permis d'oublier à ce point sa cinq actes <strong>de</strong>s adieux <strong>de</strong> Titus et <strong>de</strong> Bérénice fit m<br />

dignité, ion <strong>de</strong>voir, et son sexe. Oreste se charge aussi heureux et aussi habile dans Akeste; mais<br />

<strong>de</strong> h défendre ; elle promet <strong>de</strong> le suivre partout. comment finir cette pièce par <strong>de</strong>s moyens naturels ?<br />

I lui a déc<strong>la</strong>ré sans détour qu'il va chercher Pyr­ Yoilà probablement ce qui Fa détourné <strong>de</strong> l'entrerhus<br />

à Delphes, et que son <strong>de</strong>ssein est <strong>de</strong> l'assasprendre, et ce qui a renvoyé ce sujet à l'opéra. Ce n'est<br />

siner; et l'épouse <strong>de</strong> Pyrrhus gar<strong>de</strong> le silence, et pas que plusieurs écrivains ne l'aient essayé au théâ­<br />

sort avec celui qui va tmt son mari. Comment extre français. Lagraoge, entre autres, n'a pas été si<br />

cuser cette vio<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> fous les <strong>de</strong>voirs, qui n'est embarrassé que Racine. 11 a fait ramener Alessie<strong>de</strong>s<br />

fondée que sur un danger incertain, éloigné, pres-enfers<br />

par Hercule, qui est amoureux d'elle; mus


COUtS DE UTltRATUBE.<br />

1»<br />

quand on lui passerait et dénomment 9 son ouvrage<br />

n'en serait pas moins détestable <strong>de</strong> tout point.<br />

'Celui <strong>de</strong> Quinault est un <strong>de</strong>s plus faibles <strong>de</strong> cet auteur<br />

: les é?éuemeots et les épiso<strong>de</strong>s y sont trop<br />

multipliés; et Fou y mit mm peine ce mé<strong>la</strong>nge <strong>du</strong><br />

sérieux et <strong>du</strong> familier, <strong>du</strong> comique et <strong>du</strong> tragique,<br />

qui dans ce temps était encore à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>, et qui! a<br />

banni <strong>de</strong> ses bons ouwages; mais le rôle d'Hercule<br />

et le dénoûment ont <strong>de</strong> <strong>la</strong> noblesse et <strong>de</strong> l'effet.<br />

Ce qui choque le plus dans Y Alceste d'Euripi<strong>de</strong>,<br />

c'est <strong>la</strong> dispute grossière et restante ë'Ââmèiemm<br />

son père, le YÎeax Pttérès. Le Ifs reproche au père<br />

<strong>de</strong> n'a?©» pas le courage <strong>de</strong> mourir pour lui ; et<br />

cette scèneY indécemment prolongée, est un tissu<br />

<strong>de</strong>s plus odieuses ïsfectives. Bruraoy a beau'réc<strong>la</strong>mer<br />

les moeurs astiques, et nous dire que c'était<br />

une espèce <strong>de</strong> loi 9 un préjugé reçu, que le plus vieux<br />

mourût pur* le plus jeune : ce<strong>la</strong> n'est point <strong>du</strong> tout<br />

prou?é ; et <strong>la</strong> Volt <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, plus forte que - tous<br />

les préjugés, nous crie qu'un ils*est aussi injuste<br />

que cruel quand II outrage <strong>la</strong> tiefliesse <strong>de</strong> son père f<br />

et lui fait on crime <strong>de</strong> ne pas se résoudre à un stérilet<br />

qu'il ne doit pas. 1 serait plus facile d'excuser<br />

Euripi<strong>de</strong> sur le rôle d'Admète qui consent, quoique<br />

a?ec tout le regret possible, à <strong>la</strong>isser mourir<br />

Alceste; parce qu'il doit se soumettre aux oracles<br />

<strong>de</strong>s dieui. Mais â nos pi cette soumission ne serait<br />

qu'une lâcheté, et Âdmète ne nous paraîtrait<br />

digne <strong>de</strong> Peffbrt que fait Alceste en sa faveur qu'en<br />

s'y refusant <strong>de</strong> toute sa force. 11 faut encore avouer<br />

que, sur ce point, nos idées sont plus délicates et<br />

plus nobles que celles <strong>de</strong>s Grecs.<br />

Nous n'aimerions pas non plus à voir Hercule,<br />

à table, se livrer à toute <strong>la</strong> joie d'un festin, pendant<br />

que <strong>la</strong> mort


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

«sut» -ut Iphigénie; cette nouvelle foudroyante<br />

apportée par Areas, M l'mtimd à tautélpour. <strong>la</strong> sa»<br />

arîfier; cet hymen d'Achille faussement prétexté;<br />

le désespoir <strong>de</strong> Clytemnestre qui tombe aux pieds<br />

<strong>du</strong> seul défenseur qui reste à sa lie; <strong>la</strong> noble indignation<br />

<strong>du</strong> jeune héros dont le nom est si cruellement<br />

eomproûiis; les transports <strong>de</strong> l'amour maternel<br />

qui éc<strong>la</strong>tent dans Clytenmestre défendant sa<br />

lie contre m époux inhumain; <strong>la</strong> résignation moleste<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> victime, et les prières attendrissantes<br />

qu'elle adresse à son père; tontes ces beautés, qui<br />

ont fait si souvent irerser <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes an théâtre français,<br />

appartiennent à celui d'Athènes, appartiennent<br />

à Euripi<strong>de</strong> :et qnand il n'aurait pas d'antre titre,<br />

s'en serait-et pas assefc ponr mériter notre reconnaissance<br />

et notre vénération ?<br />

L'Achille d'Euripi<strong>de</strong> est beaucoup pins modéré et<br />

plus maître <strong>de</strong> lui que celui <strong>de</strong> Racine , et par conséquent<br />

moins tragique. Il fient en effet avec ses<br />

Thessalicns, comme dans <strong>la</strong> pièce française, pour<br />

défendre Iphigénie; il combat <strong>la</strong> résolution qu'elle<br />

a prise <strong>de</strong> moorîr : mais ce n'est pas avec eette ira*<br />

pétuosité entraînante que lui donne Racine, avec<br />

cette violence prête à font renverser, et qui sied si<br />

bien à un amant, à ce guerrier. Ici Achille finit par<br />

cé<strong>de</strong>r en quelque sorte à Iphigénie; il-se eontente<br />

<strong>de</strong> dire que l'aspect <strong>de</strong>. <strong>la</strong> mort peut <strong>la</strong> faire changer<br />

<strong>de</strong> résolution, et qu'il sera près ie Paatel avec ses<br />

soldats pour <strong>la</strong> défendre et <strong>la</strong> sauter.<br />

Ce n'est point un reproche que je fois à Euripi<strong>de</strong> •:<br />

ettes lui Achille n'en doit pas faire davantage; il<br />

c'est pas amoureux; ce n'est pas son épense qu'il<br />

défend. Elle se dévoile en victime, et il doit, suivant<br />

les mœurs <strong>du</strong> pays, respecter, à on certain point,<br />

son dévouement religieux. Mais f sans Blâmer Euripi<strong>de</strong>,<br />

f aime à voir dans Racine le bouil<strong>la</strong>nt Achille<br />

aller presque jusqu'à <strong>la</strong> violence pour sauver Iphigénie<br />

malgré elle.<br />

Os a reproché à Racine l'égarement <strong>de</strong> Clytemnestte,<br />

entcnie un petit inci<strong>de</strong>nt dont il a eu besoin<br />

pour fon<strong>de</strong>r sa pièce. Cette légère imperfection, si<br />

c'en est une, n'est point dans <strong>la</strong> pièce grecque;<br />

mais elle est remp<strong>la</strong>cée par un défaut qui, pour<br />

IMMMI <strong>du</strong> moins, serait moins excusable : c'est Méné<strong>la</strong>s<br />

feà, soupçonnant <strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong> son frère, arradie<br />

<strong>de</strong> force à l'officier tfAgameroaon <strong>la</strong> lettre<br />

qu'il porte.' Ce moyen nous semblerait peu conforme<br />

à <strong>la</strong> dignité <strong>du</strong> personnage ; et, <strong>de</strong> plus, il ne paraît<br />

pas convenable <strong>de</strong> faire paraître là Méné<strong>la</strong>s^ <strong>la</strong> première<br />

cane <strong>de</strong> tous les malheurs qui sont le sujet<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, On serait blessé aujourd'hui <strong>de</strong> le voir<br />

reprocher <strong>du</strong>rement à Apmemnon <strong>la</strong> répugnance<br />

trop Juste que celui-ci <strong>mont</strong>re à sacrifier saille à <strong>la</strong><br />

118<br />

vengeance <strong>de</strong> son frère. Méné<strong>la</strong>s est trop intéressé<br />

dans cette cause pour avoir le droit <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>i<strong>de</strong>r.<br />

C'est peut-être <strong>la</strong> seule faute grave d'Euripi<strong>de</strong> dans<br />

son ^kigémie; et Racine fa corrigée. 11 § écarté<br />

Méné<strong>la</strong>s, 'et a mis à sa p<strong>la</strong>ce Ulysse, qui f n'ayant<br />

d'autre intérêt que celui <strong>de</strong> tous les Grecs, est bien<br />

plus autorisé à combattre <strong>la</strong> résistance d'Agamemnon;<br />

et ce eàanpmeftt judiëeni est encore une<br />

preuve <strong>de</strong> l'excellent esprit <strong>de</strong> Racine.<br />

11 a mis aussi plus <strong>de</strong> force dan^ le rôle <strong>de</strong> Gytemnestre,<br />

et poussé plus loin les combats qu'elfe<br />

rend en faveur <strong>de</strong> sa fille. Bans Euripi<strong>de</strong>, elle finit,<br />

eomme Achille, par cé<strong>de</strong>r en gémissant à <strong>la</strong> résolution<br />

<strong>de</strong> sa fille ; aie entend tes adieux que <strong>la</strong> jeune<br />

princesse fait à ses compagnes, et <strong>la</strong> <strong>la</strong>isse sortir,<br />

pour aller à faatel 11 se peut que les mœurs grecques<br />

ne lui permissent ps d'en faire davantage ;<br />

mais, pour nous, il Vaut mieux sans doute qu'elle<br />

ne cè<strong>de</strong> qu'à <strong>la</strong> fonce, et qu'elle ne reste sir <strong>la</strong> scène<br />

que parce que <strong>de</strong>s soldats l'y retiennent.<br />

- -Le sujet É'JfifJestfe m Tawrt<strong>de</strong>, quoique vraiment<br />

tragique, n'est pourtant pas d'en intérêt si<br />

pénétrant ; et, quoique <strong>la</strong> pièce soit bien faite, elle<br />

pro<strong>du</strong>it moins d'effet que l'autre Ipki§émiê. 11 ne<br />

faut pas en juger tout à fait pr <strong>la</strong> pièce <strong>de</strong>Crulmond<br />

le <strong>la</strong> Torche. Quoiqu'il ait imité <strong>la</strong> sage'simplicité<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce grecque, cependant i i tiré ses plus<br />

grands effets <strong>de</strong> f amitié cfOreste tt <strong>de</strong> Py<strong>la</strong><strong>de</strong>, et<br />

<strong>de</strong> ce beau combat qui fait <strong>de</strong> son troisième acte,<br />

l'un <strong>de</strong>s plus théltrals que l'on connaisse. Ce combat<br />

est à peine indiqué dans Euripi<strong>de</strong>. Py<strong>la</strong><strong>de</strong> cè<strong>de</strong> assez<br />

facilement à Oreste, parce qu'il se <strong>la</strong>tte ée pouvoir<br />

le sauver, -et avec beaueoup plus d'apparence <strong>de</strong><br />

succès que dans <strong>la</strong> pièce française. Ce n'est point îê<br />

naufrage qui les a jetés en Tauri<strong>de</strong> ; ils y sont abor*<br />

dés heureusement y et paraissent au commencement<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, observant le temple dont ils veulent<br />

enlever <strong>la</strong> statue.<br />

Pour l'exécution <strong>de</strong> leur projet, il ont un vais*<br />

seau à <strong>la</strong> cêta. D'ailleurs, le péril est-moins grand<br />

que dans notre ipkigêmiê» Thoas ne presse point<br />

le sacrifice; il ne parait qu'au cinquième acte pour<br />

être trompé pr <strong>la</strong> prétrene, dont il n't aveune<br />

défiance, et qui f <strong>de</strong> concert avec les Grecs, enlève<br />

<strong>la</strong> statue et <strong>la</strong> porte sur leur vaisseau. Thoas veut<br />

les poursuivre ; mais Miner?e paraît et le lui défend.<br />

A l'égard <strong>de</strong> <strong>la</strong> reconnaissance*, elle se fait trèsaÉnpieeseet<br />

: Iphigénie, en présence <strong>de</strong> son frère,<br />

charge Py<strong>la</strong><strong>de</strong> d'une lettre pur Oreste. OruU /dit<br />

Py<strong>la</strong><strong>de</strong>, remwz Im kiête<strong>de</strong> vùùre ««sur. Mous voulons<br />

<strong>de</strong>s reconnaissances gra<strong>du</strong>ées avec plus d'art s .<br />

1 0a taravera ê&m les parti» suivantes <strong>de</strong> ce €mms ©à<br />

l'on ttatteile <strong>la</strong> tragédie mmiem®, êê plu grandidSvelop-


114<br />

COD1S DE TilT&ATOBE.<br />

Le €§ekpe d'Euripi<strong>de</strong>, qui n'est point une tragédie,<br />

n'est bon


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

di®iis ebes eux ©ftmt térité-prédcnse, le fon<strong>de</strong>ment<br />

<strong>de</strong> tous les arts d'imitation , et que nos progrès<br />

mânes ten<strong>de</strong>nt ànous faire perdre <strong>de</strong> vue. La simplicité<br />

<strong>de</strong>s anciens peut instruire notre lue ; car ee<br />

mot convient assez à nos tragédies, cpe nous avons<br />

quelquefois un peu trop ornées. Notre orgueilleuse<br />

délicatesse, à forée <strong>de</strong> vouloir tout ennoblir, peut<br />

ncins Mm méconnaître îe charme <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature primitive,<br />

§nl ne perdra jamais ses'droîts sur les hommes.<br />

Cest en ce genre que les Grecs peuvent encore<br />

sons être utiles. Il ne faut pas sans doute les imiter<br />

en tout; mais, dès qu'il s'agit <strong>de</strong> l'expression <strong>de</strong>s<br />

«tîiMiita naturels, rien n'est plus pur que le modèle<br />

qu'Us nous offrent dans leurs bons ouvrages.<br />

Cest là que jamais l'accent <strong>de</strong> rame,' si cher à<br />

l'homme sensible, n 9 @st corrompu ni pr l'affectation<br />

si par le faux esprit. C'est, en un mot, <strong>la</strong><br />

science dont ils sont les véritables maîtres. '<br />

APfWHII€S SUA Là ïaàGÉMg LâTfHB.<br />

Les Latins ont tout emprunté <strong>de</strong>s Grecs, comme<br />

nous avons tout emprunté <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s autres.<br />

La tragédie fut connue à Rome dans )e temps <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

secon<strong>de</strong> guerre punique. La <strong>la</strong>ngue n'était pas encore<br />

formée; mais <strong>la</strong> conquête <strong>de</strong> cette partie méridionale<br />

<strong>de</strong> «Italie qn'oin appe<strong>la</strong>it <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong>-Grèce,<br />

et surtout <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sicile et <strong>de</strong> Syracuse, où les Denys<br />

et les ffiérons avaient fait fleurir les lettres grecques<br />

f commenta à familiariser les Romains avec les<br />

beaux arts, et à faire naître le godt <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie et<br />

<strong>de</strong> rétoqaenee. On sait quels progrès ils y firent dans<br />

<strong>la</strong> suite t et 'avec quel • succès ils luttèrent en pins<br />

tfta genre contre leurs maîtres. Aceius et P&cuvîus,<br />

contempoKiiss <strong>de</strong>s Scipïons, passent pour avoir été,<br />

dm <strong>la</strong> Romains, les premiers qui aient écrit dès<br />

tragédies, que les édiles firent représenter. Le temps<br />

m nous a <strong>la</strong>issé que les titres <strong>de</strong> leurs ouvrages el<br />

quelques fragments informes : c'en est assez pour<br />

voir qu'ils ne firent que transporter sur le théâtre <strong>de</strong><br />

lome mm les sujets traités sur celui d'Athènes..<br />

Mais, moins heureuse que l'épopée, <strong>la</strong> tragédie n'eut<br />

point <strong>de</strong> Yïrgiïi. Elle fut pourtant cultivée dans le<br />

beau §iè<strong>de</strong> par <strong>de</strong>s génies supérieurs : nous savons<br />

qu'Ovi<strong>de</strong> fit une Médée, et César un Œdipe. Cicérons'était<br />

amusée mettre en vers <strong>la</strong>tins plusieurs<br />

pièces d'Euripi<strong>de</strong> et <strong>de</strong> Sophocle, dont quelques<br />

<strong>la</strong>mbeaux sont cités dans ses ouvrages. Hais les<br />

•eoles pièces qui soient parvenues jusqu'à nous sont<br />

mm le nom <strong>de</strong> Sénèque. Elles sont au nombre <strong>de</strong><br />

ém : mreukjmrieux, Tkyeeie; les Phéniciennes<br />

mêa TMbmk9A§mmmwM, Mppofyie, OEdipe,<br />

te Tmjfmmm, Hermk uu <strong>mont</strong> œtmf Médée, et<br />

Octet*. Excepté cette <strong>de</strong>rnière, on voit, par les<br />

135<br />

titres mimes, que toutes sont <strong>de</strong>s imitations <strong>de</strong>s<br />

Grecs. Les critiques les plus versés dans l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

l'antiquité croient qu'GfFdçpe, Hippo^te, Médée, et<br />

te Trmfmtm, sont <strong>de</strong> Sénèque le philosophe, qu'on<br />

a voulu mal à propos distinguer <strong>du</strong> tragique; et<br />

beaucoup <strong>de</strong> témoignages anciens, qui attribuent au<br />

même auteur le talent <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie, ainsi que celui<br />

<strong>de</strong>là prose, confirment cette opinion. On croît que<br />

les six autres sont <strong>de</strong> divers auteurs qui, dans <strong>la</strong><br />

suite, firent passer leurs tragédies sous un nom accrédité,<br />

comme plusieurs auteurs comiques publièrent<br />

<strong>de</strong>s pièces sous le nom <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nte. Ces sortes<br />

<strong>de</strong> frau<strong>de</strong>s étalent assez faciles dans un temps où il<br />

n'y avait point d'Imprimerie. 11 est sûr que les quatre<br />

tragédies que l'on prétend être <strong>de</strong> Sénèque sont<br />

meilleures que les six autres; et to<strong>de</strong>rnïère, Octavie,<br />

qui n'a pu être composée qu'après le règne <strong>de</strong> Néron<br />

f puisquek mort <strong>de</strong> «mépoose et son mariage<br />

avec Poppée ejt font !• sujet, est évi<strong>de</strong>mment <strong>de</strong><br />

quelque mauvais poëte qui -a voûta faire <strong>la</strong> satire<br />

d'un tyran, et <strong>la</strong> publier sous le nom d'un <strong>de</strong>s personnages<br />

célèbres qui avalent été ses victimes. Mais<br />

dans toutes ces pièces, et même dans celles qui passent<br />

pour les meilleures, on trouve en général peu <strong>de</strong><br />

connaissance <strong>du</strong> théâtre et <strong>du</strong> style qui convient à <strong>la</strong> *<br />

tragédie. Ce sont les plus, beau sujets d'Euripi<strong>de</strong><br />

et <strong>de</strong> Sophocle f tra<strong>du</strong>its en quelques endroits, mais<br />

le plus souvent transformés en longues déc<strong>la</strong>mations<br />

<strong>du</strong> style le plus boursouflé. La sécheresse,<br />

l'enflure, <strong>la</strong> monotonie, l'amas <strong>de</strong>s <strong>de</strong>scriptions gigantesques,<br />

le cliquetis <strong>de</strong>s antithèses recherchées,<br />

dans les phrases une concision entortillée, et une<br />

Insupportable diffusion dans les pensées, sont les<br />

caractères dominants <strong>de</strong> ces Imitations ma<strong>la</strong>droites<br />

et malheureuses, qui ont <strong>la</strong>issé leurs auteurs si loin<br />

<strong>de</strong> leurs modèles.<br />

11 ne faut pourtant pas croire que les pièces <strong>de</strong><br />

Sénèque soient absolument sans mérite. Il y a <strong>de</strong>s<br />

beautés, et les bons esprits qui savent tirer parti<br />

<strong>de</strong> tout ont bien su les apercevoir. On y remarque<br />

<strong>de</strong>s pensées Ingénieuses et fortes, <strong>de</strong>s traits bril<strong>la</strong>nts<br />

, et même <strong>de</strong>s morceaux éloquents et <strong>de</strong>s idées<br />

théâtrales. Racine a bien so profiter <strong>de</strong> rmppolyte,<br />

qui est en effet ce qu'il y a <strong>de</strong> mieux dans Sénèque ;<br />

Il en a prisses principaux moyens, et s'est rapproché<br />

<strong>de</strong> loi dons son p<strong>la</strong>n beaucoup plus que d'Euripi<strong>de</strong>.<br />

C'est d'après lui qu'il a feit <strong>la</strong> scène où Phè­<br />

dre déc<strong>la</strong>re elle-même sa passion à Hlppoiyte, au<br />

lieu ^ef dans Euripi<strong>de</strong>, c'est <strong>la</strong> nourrice qui se<br />

charge <strong>de</strong> parler pour <strong>la</strong> relue. Le poëte <strong>la</strong>tin eut<br />

donc le double mérite d'éviter un défaut <strong>de</strong> bienséance,<br />

et <strong>de</strong> risquer une scène très-délicate à manier<br />

; et le poëte français fa Imité dans l'un et dans


126<br />

l'autre. 11 lu! doit aussi ridée <strong>de</strong> faire sertir l'énée<br />

d'BIppolyte <strong>de</strong> témoignagecontre lui, et d'amener,<br />

à <strong>la</strong> in <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, Plièdre qui confesse son crime<br />

et l'innocence <strong>du</strong> prince, et se fait justice, en m<br />

donnant <strong>la</strong> mort ; ce qui vaut «a peu mieux que <strong>la</strong><br />

lettre calomnieuse <strong>de</strong> Phèdre, morte dans <strong>la</strong> pièce<br />

grecque, avant que Thésée arrive. Enfin, et c'est<br />

ici <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> gloire <strong>de</strong> Sénèque, il a fourni à<br />

Racine cette fameuse déc<strong>la</strong>ration l'un <strong>de</strong>s plus beaux<br />

morceaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Phèdre française. Voici <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction<br />

littérale, qui fera voir en même temps ce que<br />

Racine doit à Sénèque , et ce qu'il a su y ajouter.<br />

Phèdre se p<strong>la</strong>int <strong>du</strong> feu secret qui <strong>la</strong> dévore. Hïp*<br />

poSyte lui dit :<br />

« Je le ?®ls bien : votre aaaaas pour Thésée ions tour»<br />

moite et ions épie.<br />

Oui, fflppoljte, 1 est vrai, j'aime Thésée, tel qui!<br />

COIMS DE UTIÉB&TORE.<br />

eèuvraft à peine ses jouet f lorsqu'il tint attaquer le monstre<br />

<strong>de</strong> Crète dam les détoers da <strong>la</strong>byrinthe t et qu'a» il M<br />

servit <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>. Quel était alors son éc<strong>la</strong>t! Je fois encore<br />

ses cheveux renoué® t son teint bril<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s couleurs <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

jeunesse, ce mé<strong>la</strong>ngé <strong>de</strong> force et <strong>de</strong> beaolé. Il avait îe visage<br />

<strong>de</strong> cette Diane que vous adorez, ou <strong>du</strong> Soleil mon<br />

% aîeal f ou plutôt U avait votre air. C'est à vous , oui, a vous<br />

qu'il ressemb<strong>la</strong>i quand U charma <strong>la</strong> itle <strong>de</strong> son ennemi.<br />

C'estainsi qu'il portait sa tête ; mais sa grâce aégigés brille<br />

encore plus dans sou fils. ¥atra père respire es vous tout<br />

entier, et vous fanes <strong>de</strong> votre mère l'Amazone Je se sais<br />

quoi d'un peu farouche 9 qui mêle <strong>de</strong>a grâces sauvages à <strong>la</strong><br />

beauté d'un ?isage grec. Ah! si vous fussiez venu dans <strong>la</strong><br />

Crète ; c'est à vous que ma aaear aurait donné le fil seconrâble,<br />

etc. »<br />

Ici floit ce que Racine a imité. Quatre mers après,<br />

Phèdre parle sans ambiguïté ; et se jette aux genoux<br />

d'Hippolyte. Les vers <strong>de</strong> Racine sont trop connus<br />

pour les citer ici; mais on peut sa rappeler qu'il a<br />

joint beaucoup d'idées à celles <strong>de</strong> Sénèque s et surtout<br />

qu'il'a ini Je morceau eu portant l'égarement<br />

<strong>de</strong> Phèdre au <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>gré; eu sorte que sa pas*<br />

sion, même en se manifestait- davantage, a taajours<br />

un air <strong>de</strong>êélm; m qui est beaucoup plus heureux<br />

que <strong>de</strong> unir, comme elle fait dans Sénèque,<br />

par un aveu formel <strong>de</strong> sa faiblesse 9 et par un mouvement<br />

qui en est <strong>la</strong> plus humiliante expression.<br />

Ce n'est pas <strong>la</strong> seule obligation que Racine ait à<br />

Sénèque. D'autres passages font voir qu'il l'avait<br />

beaucoup <strong>la</strong>» Ces vers à'Ipkigénie,<br />

La Tbatsalieentière! ou vaincue ou animéef<br />

Ltsiios même ©amplt* aa attendant Pansée,<br />

De toute aalre valeur éternels monuments v<br />

li sont #àetiile oisif que les amusements ,<br />

sont une imitation d'un endroit <strong>de</strong>s Trm/mnês; et<br />

il a pris dans <strong>la</strong> aaéaaa pièce un fort boi morceau<br />

<strong>du</strong> rôle <strong>de</strong> Pyrrhus dans son Andmwmqwe* On sait<br />

que le mot fameux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Médée <strong>de</strong> Coneille est<br />

aussi tjré <strong>de</strong> <strong>la</strong> Méâêe <strong>la</strong>tine. Crébillon a pris dans<br />

Thymie plusieurs <strong>de</strong>s traits les plus énergiques <strong>de</strong><br />

son Aires. Enfin, Ton trouve dans les Tr&ymms,<br />

une scène entière fort belle entre âgaaiaaiaaa et<br />

Pyrrhus. Ce jeune prince <strong>de</strong>man<strong>de</strong> le sang <strong>de</strong> Folyxèoe,<br />

et le général s'efforce <strong>de</strong> lui faire voir 'toute<br />

l'horreur <strong>de</strong> cesaciilce. Le dis<strong>cours</strong> d'Agamemnon<br />

est <strong>du</strong> ton <strong>de</strong> <strong>la</strong> vraie tragédie : mais il perdrait trop<br />

à n'être tra<strong>du</strong>it qu'en prose.<br />

On a cité plusieurs fois <strong>de</strong>s sentences <strong>du</strong> même<br />

auteur, remarquables par un grand sens et par une<br />

tournure énergique et serrée , et quelques traits<br />

hardis <strong>de</strong> cette philosophie épicurienne qui était assez<br />

<strong>de</strong> mo<strong>de</strong> à Rome, et dont Lucrèce mit en vers<br />

les principes, sans que personne songeât à lui en<br />

faire un crime. C'est dans aae pièce <strong>de</strong> Sénèque que<br />

le chœur, qui est le personnage moral <strong>de</strong>s tragédies,<br />

chantait ee vers,<br />

Mea n'est après <strong>la</strong> mort s M mort mime n 9 est rien ;<br />

et ce <strong>de</strong>ux autres, tra<strong>du</strong>its par Cyrano dans son<br />

Agrippine,<br />

Une heure après ma mort, mon âme évanouie<br />

Sera os qu'eue était une heure avant ma vie.<br />

On n'est pas étonné <strong>de</strong> ces exemples quand on<br />

se rappelle quelle liberté <strong>de</strong> penser régnait à Rome<br />

sur ces matières, et que tout ce que le* lois exigeaient<br />

9 c'est que le culte public fût respecté. Yingt<br />

endroits d'Euripi<strong>de</strong>, où ses personnages parlent<br />

très-librement <strong>de</strong>s dieux, et rejettent toutes les fables<br />

qu'on en racontait, prouvait à lt fois, qu'il<br />

porta sur <strong>la</strong> scène <strong>la</strong> philosophie 4e Sœrate, et<br />

quelquefois même mal à propos; et que les Gréa<br />

ne regardaient pas comme <strong>de</strong>s objets <strong>de</strong> vénération<br />

toutes les traditions mythologiques qu'ils admettaient<br />

sur le théâtre. Brumoy remarque, avec saison<br />

, qu'il faut faire soigneusement cette distinction<br />

lorsqu'on étudie leurs auteurs.<br />

Les heureux <strong>la</strong>rcins qu'on a faits à Sénèque font<br />

voir aussi que, comme poëte, il n'est pas indigne<br />

d'attention ni <strong>de</strong> louange, mais le peu <strong>de</strong> réputation<br />

qu'il a <strong>la</strong>issée en ce genre, et le peu <strong>de</strong> lecteurs<br />

.qu'il a, sont <strong>la</strong> preuve <strong>de</strong> cette vérité «.toujours<br />

utile à remettre sous les yeux <strong>de</strong> ceux qui écrivent,<br />

que ce n'est pas le. mérite <strong>de</strong> quelques traits semés<br />

<strong>de</strong> loin en loin qui peut faire vivre les ouvrages, et<br />

qu'il faut élever <strong>de</strong>s monuments <strong>du</strong>rables pour attirer<br />

les regards <strong>de</strong> <strong>la</strong> postérité.


AMCONS. — POÉSIE.<br />

CHAPITRE ¥1. — De <strong>la</strong> mmédk meêeme.<br />

Hcnos PftBWÈftB. — D« tocoméelê grecque.<br />

1 faut, «faut tout, distinguer trois époques dans<br />

<strong>la</strong> comédie grecque. La première, qui se rapprochait<br />

beaucoup <strong>de</strong> l'origine <strong>du</strong> spectacle dramatique,<br />

eu atalt eousané et-même outré <strong>la</strong> licence.<br />

Ce qu'on appelle <strong>la</strong> vieille c&médte n'était autre.<br />

chose que <strong>la</strong> satire'eu dialogue : elle nommait les<br />

personnes, et les immo<strong>la</strong>it sans nulle pu<strong>de</strong>ur à <strong>la</strong><br />

risée publique. Ce genre <strong>de</strong> drame ne pou?ait être<br />

toléré que dans une démocratie effrénée 9 comme<br />

ceie d'Athènes. H n'y a qu'une multitu<strong>de</strong> sans principes<br />

, sans règle et sans é<strong>du</strong>cation, qui soit portée<br />

à protéger et encourager publiquement <strong>la</strong> médisance<br />

et <strong>la</strong> calomnie, parce qu'elle ne les craint<br />

pas, et que rien ne trouble le p<strong>la</strong>isir malin qu'elle<br />

goii* à les voir se déchaîner contre tout ce qui est<br />

l'objet <strong>de</strong> sa haine ou <strong>de</strong> sa jalousie. C'est une espèce<br />

<strong>de</strong> ttngeanee qu'elle eierce sur tout ce qui est au<strong>de</strong>ssus<br />

d'elle; car l'égalité cifilê, qur ne felt que<br />

constater l'égalité <strong>de</strong>s droits naturels, ne saurait<br />

détruire les inégalités morales, sociales-et physiques<br />

v établies par <strong>la</strong> nature même ; et rien au mon<strong>de</strong><br />

M peut fure que, dans Tordre social t un fripon<br />

soit régal d'un honnête homme, ni un sot l'égal<br />

d'un homme d'esprit.<br />

On ouvrit enfin les yens sur ce scandale, qui fut<br />

réprimé par les lois ; il fut défen<strong>du</strong> <strong>de</strong> nommer<br />

personne sur le théâtre. Mais les auteurs, ne vou<strong>la</strong>nt<br />

pas renoncer à l'avantage facile et certain <strong>de</strong><br />

f<strong>la</strong>tter <strong>la</strong> malignité publique, prirent le parti <strong>de</strong><br />

jouer <strong>de</strong>s a?enturea véritables sons <strong>de</strong>s noms supposés.<br />

La satire ne parfit rien sous un si faible déguisement<br />

: ce fut le second âge <strong>du</strong> théâtre comique,<br />

et ce genre s'appe<strong>la</strong> te mm/emm comédie. De<br />

nouveaux: édits <strong>la</strong> proscrivirent , et Ton It défense<br />

aux poètes comiques <strong>de</strong> mettre sur <strong>la</strong> scène, ni<br />

personnages réels f ni actions vraies et connues.<br />

Alors il fallut inventer; et c'est à cette troisième<br />

époque qu'il faut p<strong>la</strong>cer k naissance <strong>de</strong> <strong>la</strong> véritable<br />

comédie : ce qui l'avait précédée n'en méritait pas<br />

le nom.'Cest dans celle-ci que se distingua Menasdref<br />

qui en fut, chez les Grecs, le créateur et le<br />

modèle f comme Épieharme le fat chez les Siciliens.<br />

La postérité a consacré <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong> Ménandre,<br />

mais le temps a dévoré ses écrits. 11 ne nous est<br />

connu que par les imitations <strong>de</strong> Téraace» qui lui<br />

emprunta plusieurs <strong>de</strong> ses pièces» dont il enrichit<br />

le théâtre <strong>de</strong> Rome.<br />

Les onze pièces qui nous restent <strong>de</strong>s cinquantequatre<br />

fu'on dit qu'Aristophane avait faites appartiennent<br />

entièrement à <strong>la</strong> première époque, à celle<br />

<strong>de</strong>k vieMkcomédie. Eopolis, Cratinus et lui sont<br />

157<br />

les trois auteurs les plus célèbres qui aient travaillé<br />

dans ce genre. Leurs écrits foreat connus <strong>de</strong>s Romains<br />

, comme le prouve le témoignage d'Horace.<br />

Ils ne sont pas venus jusqu'à nous, non plus que<br />

ceux <strong>de</strong>s auteurs qui s'exercèrent dans les <strong>de</strong>ux autres<br />

genres : on sait seulement qu'ils furent en trèsgrand<br />

nombre. Le seul Aristophane est échappé,<br />

<strong>du</strong> moins en partie, à ce naufrage général. On ne<br />

sait rien <strong>de</strong> sa personne, si ce n'est qu'il n'était pas<br />

né à Athènes ; ce qui relève chez lui le mérite <strong>de</strong><br />

cet attieîsaoc que les anciens lui accor<strong>de</strong>nt généralement,<br />

c'est-à-dire <strong>de</strong> cette pureté <strong>de</strong> diction, <strong>de</strong><br />

cette élégance qui était particulière aux Athéniens,<br />

et qui faisait que P<strong>la</strong>ton même, le disciple <strong>de</strong> Soorate,<br />

trouvait tant <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir à <strong>la</strong> lecture d'Aristophane.<br />

Sans doute il en faut croire les Grecs sur ce<br />

point, 'et surtout P<strong>la</strong>ton, si bon juge en cette matière,<br />

et si pu suspect <strong>de</strong> partialité en faveur <strong>de</strong><br />

l'ennemi <strong>de</strong> son maître. Mais en mettant à part ce<br />

mérite, à peu près per<strong>du</strong> pour ftous, parée que les<br />

grâces <strong>du</strong> <strong>la</strong>ngage familier sont les moins sensibles<br />

<strong>de</strong> toutes dans une <strong>la</strong>ngue morte, il est difficile<br />

d'ailleurs, en lisant cet auteur, <strong>de</strong> n'être pas <strong>de</strong> Fa;<br />

fis <strong>de</strong> Plutarque, qui s'exprime ainsi dans un parallèle<br />

<strong>de</strong> Ménandre et d'Aristophane :<br />

s Ménandre 9 sait adapter soi style et proportionner son<br />

tua à tous tes rôles, sans négliger le comique, mais sans<br />

l'outrer. Il ne perd jamais <strong>de</strong> vee <strong>la</strong> nature, et <strong>la</strong> souplesse<br />

et îa flexibilité <strong>de</strong> son expression ne sauraient être surpassées.<br />

On peut dire qu'elle est toujours égale à elle-même , et<br />

toujours différente suif ant 3e besoin ; semb<strong>la</strong>ble à une eau<br />

fi«f!ieqai,€at^<br />

en prend tontes les formes sans rie» perdre <strong>de</strong> sa pwsté.<br />

U écrit en bonne d'esprit, ai honne do bonne, société;<br />

il est fait pour être lu, représenté, appris par esw» pour<br />

p<strong>la</strong>ire en tons Heux, et en tout temps ; et Ton n'est pas surpris,<br />

en Usant ses pièces, qe'M ait passé pour l'honnie <strong>de</strong><br />

son siècle qui s'exprimait a?ee le plus d'agrément, soit dans<br />

<strong>la</strong> conversation, soit par écrit »<br />

Un pareil éloge doit augmenter nos repets sur<br />

<strong>la</strong> perte totale <strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> est auteur; et ee qui<br />

mmÈtmm le jugement <strong>de</strong> Plutarque, c'est que tous<br />

ses caractères sont précisément «te <strong>de</strong> Térenee«<br />

qui a?ait pris Ménandre pour son modèle. Plutarque<br />

parie bien êM^m&mmt d'Aristophane*<br />

« D outre M nature, et prié à 1s popu<strong>la</strong>ce pins qrtrn<br />

honnêtes gens : son style est mêlé <strong>de</strong> dopantes eomsSsnel*<br />

les f élefé Jusqu'à Vsstlm, ftasHv Jusqu'à <strong>la</strong> baasiss* »<br />

bouffon jusqu'à <strong>la</strong> pnétfiité. Gbes toi l'os ne peut diaingMrlsÉlsdspère,<br />

le citadin dss paysan* ls guerrier <strong>du</strong><br />

boiu§e


138<br />

entortillées @t liem<strong>de</strong>iises. Ches M <strong>la</strong> ttsesse <strong>de</strong>vient malignité<br />

f k QâJTeté, <strong>de</strong>vient bêtise; ses railleries sont plus<br />

digues d'être sifflées qu'elles ae sont capables <strong>de</strong> faire rire ;<br />

sa gaieté rfesî qu'effronterie ; enfin f il n'écrit pas pour p<strong>la</strong>ire<br />

aux gens sensés et honnêtes, mais pour f<strong>la</strong>tter l'envie,<br />

Sa méchanceté, et <strong>la</strong> débauche. »<br />

Quoi qu'en, dise Brâmoy, qui trouve ce jugement<br />

trop séf ère , on ne peut nier que <strong>la</strong> lecture d'Aristophane<br />

ne justifie Piutarque dans tons les points.<br />

Le seul reproche qu'on poisse lui fidre , c'est <strong>de</strong><br />

n'avoir pas marqué f espèce <strong>de</strong> mérite qui se fait<br />

sentir à travers tant <strong>de</strong> défauts f et qui peut faire<br />

concevoir pourquoi cet auteur p<strong>la</strong>isait tant aux<br />

Athéniens. J'avoue qu'il est extrêmement difficile<br />

d'en donner une idée; car, pour saisir l'esprit<br />

d'Aristophane il faudrait avoir dans sa mémoire<br />

tous les <strong>la</strong>its 9 tous les détails <strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong> soa<br />

temps, et connaître les principaux personnages<br />

d'Athènes, comme nous connaissons ceux <strong>de</strong> nos<br />

jours. Cette connaissance ne pouvant jamais être<br />

qu'imparfaite, à cause <strong>de</strong> l'éloignement <strong>de</strong>s temps,<br />

il y a nécessairement une foule <strong>de</strong> traits dont l'apropos<br />

doit nous échapper. Cependant ceux qui<br />

• eût assez étudié <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong>s Grecs et leur histoire<br />

pour lire Aristophane, en savent <strong>du</strong> moins assez<br />

pour en comprendre une bonne partie, pour voir<br />

en quoi consistait son talent. Maïs cette difficulté<br />

même en fait voir le faible, et nous apprend ce qui<br />

lui a manqué. Car pourquoi est-il si ma<strong>la</strong>isé <strong>de</strong><br />

l'entendre, tandis que nous lisons avec délices les pièces<br />

<strong>de</strong> Térence, quoique nous n'ayons pas une connaissance<br />

plus particulière <strong>de</strong> Rome que d'Athènes?<br />

•(Test qu'Aristophane n'a peint que <strong>de</strong>s indivi<strong>du</strong>s,<br />

et que Térence a peint l'homme; c'est qm les pièces<br />

<strong>de</strong> l'un ne sont que <strong>de</strong>s satires personnelles ou -politiques<br />

, <strong>de</strong>s parodies, <strong>de</strong>s allégories * toutes choses<br />

dont l'à-propos et l'intérêt tiennent au moment;<br />

celles <strong>de</strong> l'autre sont <strong>de</strong>s comédies faîtes pour peindre<br />

dès caractères, <strong>de</strong>s vices, <strong>de</strong>s ridicules, <strong>de</strong>s<br />

passions, qui varient à un certain point dans les<br />

formes extérieures, mais dont le fond est le même<br />

dans tous les temps ; c'est qu'en un mot Aristophane<br />

n'était qu'un satirique, et que Térence, ainsi que<br />

Ménaedre, était véritablement un comique. Il y-a<br />

entre eux <strong>la</strong> même différence qu'entre un mime et<br />

un comédien, entre celui qui ne sait que contrefaire,<br />

et celui qui a le talent d'imiter. Et quelle distance<br />

il y a entre ces <strong>de</strong>ux arts 1 Celui qui contrefait prend<br />

un masque; il ne peut vous amuser qu'autant que<br />

vous connaisses le modèle ; encore ne vous amuse»<br />

t-il pas longtemps. Celui qui sait imiter vous présente<br />

un tableau qui peut p<strong>la</strong>ire toujours, parce que'lemodèle<br />

est <strong>la</strong> nature, et que tout le mon<strong>de</strong> en est<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

juge. Allons plus.loin, et comparons celui qui contrefait<br />

à celui qui trace un portrait; c'est accor<strong>de</strong>r<br />

beaucoup, car il y a encore bien loin <strong>de</strong> l'un à l'autre.<br />

Regar<strong>de</strong>rai-je longtemps' le portrait d'un homme<br />

que je n'ai'jamais connu, d'un homme mort il y a<br />

* cent ans, surtout si ce portrait n'est qu'une caricature<br />

, une fantaisie, un grotesque ? Non, assurément.<br />

Maïs une peinture où je verrai <strong>de</strong>s caractères, <strong>de</strong>s<br />

situations, <strong>de</strong> l'âme, aura toujours <strong>de</strong> quoi m'attacher,<br />

quand même je n'aurais jamais connu un<br />

seul <strong>de</strong>s personnages. Voilà le principe <strong>de</strong>s beaux<br />

arts. Je me suppose dans l'ancienne Rome, assistant<br />

à une pièce <strong>de</strong> Térence. Dès l'ouverture, je vois<br />

arriver un jeune homme agité, hors <strong>de</strong> lui, se promenant<br />

à grands pas :<br />

«Qsel parti prendre? Irai j@M ii e ifti-j@'pas? Quoi! je<br />

n'aurai jamais le cœur <strong>de</strong> prendre mie immm fois ma ré»<br />

solution y dé m plus souffrir les affronts-lés caprice», Ses<br />

rebuts î Elle m'a chassé» die me rappelle» et finis 1 Bon,<br />

non, quand elle viendrait elle-même m'en prier, »<br />

- Je ne sais encore qui est-ce qui prie; mais je dis<br />

en moi-même : Voilà un jeune homme bien amoureux.<br />

Je suis déjà intéressé et attentif, et j'entends,<br />

avec autant <strong>de</strong> facilité que <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir, le reste <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

pièce, qui est dans le même goût. *<br />

Je me transporte maintenant dans'Athènes 9 et<br />

je me suppose, non pas un Français d'aujourd'hui,<br />

mais un habitant <strong>de</strong> quelque colonie grecque <strong>de</strong><br />

l'Asie Mineure, <strong>du</strong> temps <strong>de</strong> Périclès. Je suis venu,<br />

pour <strong>la</strong> première fois, comme bien d'autres curieux,<br />

aux Panathénées, aui fêtes <strong>de</strong> Minerve qui se célèbrent<br />

tous les cinq ans. Je sais qu'on y donne <strong>de</strong>s<br />

spectacles qui attirent toute <strong>la</strong> Grèce, <strong>de</strong>s tragédies<br />

<strong>de</strong> Sophocle et d'Euripi<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s comédies d'Aristophane<br />

et d'Eopolis* Je me promets un grand p<strong>la</strong>isir ;<br />

car les Athéniens passent pour <strong>de</strong> fins connaisseurs,<br />

et leurs poètes ont une réputation prodigieuse.<br />

J'arrïvejustement pour voirVlphigénie d'Euripi<strong>de</strong>.<br />

Je pleure, je suis enchanté, et je dis : Que les<br />

Athéniens sont heureux d'avoir ce grand homme !<br />

On annonce ensuite une pièce d'Aristophane, qu'on<br />

appelle ks Chevaliers, et je m'attends à bien rire.<br />

Je vois paraître <strong>de</strong>ux esc<strong>la</strong>ves, et j'entends dire :<br />

Ah! voilà Démosthènes, voilà Nicias. —Que ditesvous<br />

donc? Ce sont <strong>de</strong>ux esc<strong>la</strong>ves, ils en ont l'habit;<br />

et Démosthènes et Hie<strong>la</strong>s sont <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> vos généraux,<br />

<strong>de</strong> braves gens dont j'ai beaucoup enten<strong>du</strong><br />

parler. — Oui : mais voyez ces masques; c'est<br />

<strong>la</strong> figure <strong>de</strong> Mîcias et <strong>de</strong> Démosthènes. — Mais<br />

pourquoi ces figures <strong>de</strong> généraux d'armée avec ces<br />

habits d'esc<strong>la</strong>ves? — Cest une allégorie. Vous allez<br />

voir. — Ah! fort bien : mais j'étais venu pour voir


•ANCIENS. — POÉSIE.<br />

une emmêMe , et je ne croyais pas ifoir à <strong>de</strong>viner <strong>de</strong>s<br />

énigmes. La pièce eommenee. Écoutons. (Je tra<strong>du</strong>is<br />

exactement, et son pas avec <strong>la</strong> réserve trompeuse<br />

<strong>de</strong> Brumoy, qui couvre une partie <strong>de</strong>s turpitu<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong> son auteur»)<br />

« MmmmÈmm (ce s'est pas l'orateur). Hé<strong>la</strong>s! hé<strong>la</strong>s!<br />

malbenretix que scms mmmmï Que te dd confon<strong>de</strong> ce<br />

( A œ mot <strong>de</strong> 'popki&gonim, <strong>de</strong> grands éc<strong>la</strong>ts <strong>de</strong><br />

rire.)<br />

«Depuis que ce fléau est dans <strong>la</strong> maison, nous sommes<br />

battus tous Ses jours. Niais. Ah ! qu'il périsse, le coquin<br />

ée pmpUm§màm, avec ses mensonges! DéM. Pauvre camara<strong>de</strong><br />

! comment te trouves-tu ? Nie. Fort mal ; ainsi que<br />

toi. DéM, Tins ça 9 chantons ensemble <strong>la</strong> comp<strong>la</strong>iiite d'Olympes.<br />

»<br />

( Tous <strong>de</strong>nt m mettent à chanter sur un air connu 9<br />

<strong>la</strong> musicien Olympus.)<br />

« Hé<strong>la</strong>s ! bé<strong>la</strong>sî... Mais pourquoi nous <strong>la</strong>menter inalîtement?<br />

rie faudrait-Il pas mieux trouver quelque moyen <strong>de</strong><br />

saint? Mm Eh î quel moyeu ? dis. DéM, Dis toi-même, afin<br />

que je sorte d s eiiibarras. ffic Mon 9 par ApoHon; mais parle<br />

te premier, je te suivrai. DÉn; Me pourrais-ta pas trouver<br />

quelque manière <strong>de</strong> me dire ce que je veux diref Nie. Je<br />

n'es ai pas Se courage. -Yoy «MU pourtant si je m pourrai<br />

pas te le dire adroitement et à <strong>la</strong>- manière d'Euripi<strong>de</strong>.<br />

MB. Eh! <strong>la</strong>isse là Euripi<strong>de</strong> et les marchan<strong>de</strong>* d'herbes. »<br />

( Ici <strong>de</strong>s risées qui ne <strong>la</strong>isses! pas. Pendant qu'on<br />

rit, je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si cet Euripi<strong>de</strong> dont on se moque<br />

est Fauteur .<strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie qui m'a fait ?erser tant<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes , et qu'on a tant app<strong>la</strong>udie.)<br />

« fii! oui C'est lui-même. Il est ils d'une marchan<strong>de</strong><br />

d'herbes. »<br />

(Je reste sa peu étonné. Mais <strong>la</strong> pièce continue. Il<br />

faut écouter.)<br />

« Dis. Trouve plutôt un petit air, là9 une chanson <strong>de</strong><br />

départ, afin <strong>de</strong> quitter notre mattre* Mm Dis donc tout <strong>de</strong><br />

suite» sans tant <strong>de</strong> fteons : Fuyons. Dix. Eh bien! oui, je<br />

dis : Fuyons. Nie. Ajoute maintenant une syl<strong>la</strong>be, et dis :<br />

Em^vons-oms. Mu, Enfuyons-nous. Nie. Fort bien. »<br />

( M j'entends <strong>de</strong>s paroles <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus grossière obs~<br />

oénité9 <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ts quolibets, dignes <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus file canaille<br />

9 et que jamais je n'aurais cru qu'on prononçât<br />

détail une assemblée d'honnêtes gens, encore<br />

moins <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s femmes, le me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> où est<br />

le bon goût <strong>de</strong>s Athéniens, où est cet attieisme si<br />

tinté, Mais imursui?oos. )<br />

• M». Ce §0*1 y a <strong>de</strong> mieux à faire actneOement, c'est<br />

<strong>de</strong> nous Mirer auprès <strong>de</strong> <strong>la</strong> statue <strong>de</strong> quelque dieu. DéM*<br />

Qaeie statue F Tu croisJoiic f al y a <strong>de</strong>s dieux ? Nie. Sans<br />

<strong>de</strong>nte, je le crois. Béa. Et par «pe<strong>la</strong> raison? Mie. Parce<br />

Là- saaea — ions. i.<br />

139<br />

qu'Us me tourmentent beaucoup plus qu'A ne faut. DÉn.<br />

Je suis <strong>de</strong> ton avis, «<br />

( Ici j'admire <strong>de</strong> quel ton les Athéniens souffrent<br />

qn $ on parle <strong>de</strong>s dieux sur le théâtre.-)<br />

« M ML Parlons d'autre chose. Bée, Oui 9 veux-tu que nous<br />

disions aux spectateurs ce qui en est? Nie. C'est fort bien<br />

fait. Mais prions-les <strong>de</strong> nous faire connaître si ce que nous<br />

imm^M pmpMmj^miêm que sotie mattre a acheté <strong>de</strong>puis disons leur fait p<strong>la</strong>isir. •<br />

peu, el si mal à propos peur nous! »<br />

( On bat <strong>de</strong>s mains ? et je suis surpris que les spectateurs<br />

fessent un rôle dans <strong>la</strong> pièce. )<br />

« DéM. Je vais leur dire le ML Nous avons pour mallre<br />

un vieil<strong>la</strong>rd fâcheux, colère, mangeur <strong>de</strong> fèfes, sujet à<br />

l'humeur ; c'est le peuple Pnycéen, qui aime tant le barreau,<br />

et qui est un peu sourd. Aux <strong>de</strong>rnières kaiendês*, il<br />

acheté aa esc<strong>la</strong>ve, un corroyeur paphlsgonîin, un fourbe 9<br />

un cetoafataea fieffé. Ce corroyeur, connaissant l'humeur<br />

<strong>du</strong> bonhomme, s'est empâté <strong>de</strong> son esprit en lé f<strong>la</strong>ttant 9<br />

en le caressant 9 eu le choquant 9 en le trompant Peuple ,<br />

lui dit-Ils ailes au bain quand fous aurez jugé; premi ce<br />

gâtée», mangez , déjeunez s reoer es f os trois oboles : foules-fous<br />

que je fous ser? a quelque chose à manger? Ensuite<br />

fl prend ce que chacun <strong>de</strong> nous a apprêté, et le donne<br />

à notre mattre. Dernièrement, n'avais-je pas pétri ce gâteau<br />

<strong>de</strong> Pyle, et n'a-t-fl pas si bien fait, qu'il me Fa escamoté,<br />

et fa servi au vieil<strong>la</strong>rd? »<br />

Ici les rires et les app<strong>la</strong>udissements redoublent.<br />

C'est bien pis quand tepaphtagonim, le corroyeur,<br />

fient à paraître. Cléon, Cléon, tout le mon<strong>de</strong> répète<br />

f Cléon. — Qui ? Cléon? ce général qui fous a<br />

ren<strong>du</strong> un si grand service en prenant 111e <strong>de</strong> Sphaetérie,<br />

et délivrant votre garnison assiégée dans<br />

Pyle? — Ouï, c'est lui. — En vérité, tous traitez<br />

fort bien vos poètes et vos' généraux. J'écoute<br />

• pourtant jusqu'à <strong>la</strong> fin, et toujours sans rien comprendre.<br />

Tout est aussi obscur, aussi indéchiffrable<br />

pour moi que ce commencement. C'est une<br />

suite <strong>de</strong> farces grotesques , où tout le mon<strong>de</strong> paraît<br />

entendre inesse, et qui sont pour moi un mystère<br />

impénétrable. L'esc<strong>la</strong>vepapMmgmêm s'enivre, et<br />

s'endërt sur un cuir : pendant son sommeil $ on lui<br />

dérobe subtilement ses ùracks ; car c'est un char<strong>la</strong>tan<br />

qui en a toujours ses poches pleines. Ces<br />

ormks disent qu'un charcutier remp<strong>la</strong>cera le corroyeur.<br />

11 ne manque pas <strong>de</strong> s'en présenter un t<br />

avec une boutique portative, où il étale <strong>de</strong>s vian<strong>de</strong>s<br />

coites. Démosthènes et Mê<strong>la</strong>s lui 'persua<strong>de</strong>nt qu'il<br />

est appelé par le ciel à-gouverner le peuple Pnycéen.<br />

11 a d'abord quelque peine à le croire; mais<br />

enfin il se rend 9 et commence une lutte <strong>de</strong> câarfa-<br />

* faire parler Aristophane ée katen<strong>de</strong>s, lui faire prendre<br />

set dates dans le calendrier romain, ctst, dit H. le Clerc,<br />

une faute vraSmeat inconeef able. Comment notre préverbe <strong>de</strong>s<br />

kalmêm gftcqmm n'est-il pas tenu à <strong>la</strong> mémoire <strong>du</strong> professeur,<br />

qui nous avait promis une tra<strong>du</strong>ction* fidèle?


C0U1S DB UTnftlkATDHB.<br />

ISO<br />

tan avec le papkkMpnim, disputant à qui saura<br />

mieux amadouer le vieil<strong>la</strong>rd. Cette lutte <strong>de</strong> bouffonnerie<br />

<strong>du</strong>re pendant trois actes % jusqu'à ce que<br />

le charcutier l'emporte sur le corroyeur, et le fasse<br />

chasser. Alors je prie mon voisin <strong>de</strong> vouloir bien<br />

avoir pitié d'un pauvre étranger, et <strong>de</strong> m'expliquer<br />

charitablement m que signifié ce singulier spec­<br />

tacle , où je n'ai pas trouvé le mot pou? rire. — Eien<br />

* Cette êïwMm par actes était f necmniM <strong>de</strong>s Graa, comme<br />

nom Vmmm iéjà lut raninpar.<br />

lui qui a joué sous le masque <strong>de</strong> Qéoo? — Comment?<br />

Est-ce fusage chez Vous que les auteurs<br />

jouent dans leurs pièces ? — H on, il n'y en avait<br />

point d'exemples*; mais comme aucun comédien<br />

n'a osé se charger <strong>du</strong> rôle <strong>de</strong> Cléon, ni s'attirer un<br />

ennemi si puissant, il a pris le parti déjouer luimême.<br />

H e conviendrez-vous pas que c'est là ce qui<br />

s'appelle aimer sa patrie ? — C'est au riolos haïr<br />

n'est plus simple, dit-il, et je vais vous mettre au ' beaucoup Cléon. Mais que lui a fait Euripi<strong>de</strong>? —<br />

fait. L'auteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce est ennemi mortel <strong>de</strong> (Test un disciple d'Anaxagore, un ami <strong>de</strong> Socrate ;<br />

Ciéont qui lui a contesté les droits <strong>de</strong> bourgeoisie, et Aristophane les hait également tous les trois,<br />

•c et qui n'avait pas grand tort ; car on ne sait-au juste parce qu'ils méprisent ses comédies, qu'ils n'y vien­<br />

~<strong>de</strong> quel pays est Aristophane. Il a eu beaucoup <strong>de</strong> nent jamais, et disent fout haut que ce sont <strong>de</strong>s<br />

'peine à s'en tirers et s'est bien promis <strong>de</strong> prendre farces scandaleuses. Ces philosophes n'aiment pas<br />

' sa revanche f en se servant <strong>de</strong> ses armes ordinaires v <strong>la</strong> gaieté. — Mais vous l'aimez beaucoup, vous au*<br />

c'est-à-dire en mettant Cléon sur <strong>la</strong> scène, comme très, puisque vous trouves fort bon qu'on m mo­<br />

il y a déjà mis Socrate. 11 y a cette différence, que que <strong>de</strong> vous. — Oui, pourvu qu'on nous fasse rire.<br />

1<br />

Socrate est ira honnête homme, un bon homme, Il y a quelque temps qu'Aristophane nous amusa<br />

'quoique un peu visionnaire, et que Cléon est un in- bien aux dépens <strong>de</strong> PéricJès. — Quoi 1 ce grand Pé-<br />

,trigant qui a trouvé moyen, on ne sait trop comrielès, dont le nom est si révéré dans toute <strong>la</strong> Grèce<br />

ment s <strong>de</strong> se rendre agréable au peuple. Son expé­ et jusque dans l'Asie, à qui votre république doit<br />

dition <strong>de</strong> Pyle lui a donné surtout un très-grand aujourd'hui sa splen<strong>de</strong>ur et sa puissance? — Mous<br />

crédit. Mais il y a plus <strong>de</strong> bonheur que <strong>de</strong> mérite. lui avons <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s obligations, il est viral ; mais<br />

I Avant qu'il arrivât pour prendre le comman<strong>de</strong>­ c'est pour ce<strong>la</strong> même que nous savons meilleur gré<br />

ment, Démosthèses avait déjà fort avancé les af­ à l'auteur <strong>de</strong> ne pas l'épargner plus qu'un entre.<br />

faires Y et Cléon n'a eu qu'à recueillir le fruit <strong>de</strong>s C'est là le symbole <strong>de</strong> l'égalité républfcaiiie. Tous<br />

travaux et <strong>de</strong> l'habileté d'autrui. Voilà ce que si­ ces grands personnages seraient trop fiers si notre<br />

gnifie ce gâteau <strong>de</strong> Pyle qu'il a escamoté 9 et qu'un Aristophane ne nous en faisait pas raison. Un <strong>de</strong>s<br />

autre avait pétri. C'est là le fin <strong>de</strong> l'emblème. On grands privilèges <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté, c'est <strong>de</strong> se moquer<br />

'rappelle papMagonten, non pas qu'il soit <strong>de</strong> Pa- <strong>de</strong> ceux qui sous font <strong>du</strong> bien ; mais pourtant nous<br />

ph<strong>la</strong>gonid : c'est un jeu <strong>de</strong> mots qui veut dire qu'il ne les en estimons pas moins. Groyes-vovs qm% les<br />

a une voix forte, et qu'il crie toujours ; ce<strong>la</strong> vient, p<strong>la</strong>isanteries d'Aristophane nous empêchent <strong>de</strong><br />

comme vous savez, <strong>de</strong> «*f xâÇuv 9 botâiUr avec brutt. sentir le mérite <strong>de</strong> Périclès, d'Euripi<strong>de</strong>, <strong>de</strong> «So­<br />

On l'appelle aussi eorroyeur, parce qu'originairecrate? Après tout, qui aurait droit <strong>de</strong> se p<strong>la</strong>indre,<br />

ment c'était son métier. — Ah ! c'est donc pour puisque nous ne nous faisons pas grâce à nous-<br />

ce<strong>la</strong> que , dans <strong>la</strong> pièce s il est si souvent question même ? Vous avez vu quel portrait il fait <strong>du</strong> vieil­<br />

<strong>de</strong> cuir, et qu'on riait tant dès qu'on par<strong>la</strong>it <strong>de</strong> <strong>la</strong>rd , mangeur <strong>de</strong> fèves. — Vous me le rappelez.<br />

cuir? — Justement, c'est une <strong>de</strong>s meilleures p<strong>la</strong>i­ Qu'esfcce que veulent dira ces fèves F — Quoi ! vous<br />

santeries <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce. — En effet, il faut que.l'au- ne savez pas qu'aux assemblées où nous donnons<br />

teur fait crue bien bonne, car il y revient souvent. nos suffrages, nous portons toujours <strong>de</strong>s lèves<br />

— Vous voyez maintenant toute sa marche. Le pour cet usage, et que nous nous amusons ordinai­<br />

p&phiagmim, qui a supp<strong>la</strong>nté auprès <strong>de</strong> son maître rement à les tenir entre nos <strong>de</strong>nts ? — Non vrai­<br />

les <strong>de</strong>ux esc<strong>la</strong>ves ses camara<strong>de</strong>s, c'est Cléon, qui a ment t je s'en savais ries. — Mais vous n-'avez donc<br />

su écarter Nieïas et Bémosthènes, les <strong>de</strong>sservir rien compris à <strong>la</strong> pièce? — Pas gran#ehose, et sur<br />

auprès <strong>du</strong> peuple athénien, et se faire donner les tout m que vous me dites, je vous avoue que je n'y<br />

récompenses qui leur étaient <strong>du</strong>es. — Quoi 1 ce<br />

ai pas trop <strong>de</strong> regret. — Vous avez per<strong>du</strong> beau­<br />

vieil<strong>la</strong>rd imbécile, dont os se moque pendant toute<br />

coup. Elle est pleine <strong>de</strong> traits piquants : chaque<br />

<strong>la</strong> pièce, ce peuple Pnycéen? — C'est le peuple<br />

mot iiit allusion à quelque endroit <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong><br />

d'Athènes, c'est nous : %wl est le nom <strong>du</strong> lieu où<br />

Cléon. Par exemple, c'est lui qui a fait donner au<br />

se tiennent nos assemblées. Oh! c'est un brave ci­<br />

peuple trois oboles pour son droit <strong>de</strong> présence aux<br />

toyen que cet Aristophane. Savez-voes que c'est<br />

* Us Athénien, dit M. Patin, pouvait-tt dîme Igné» tp'Etehyle<br />

et Sophocle avalent paru sur te théâtre» et représenté<br />

eu-mimes teun ouvrage*?


ANQEfS. •<br />

aapembléas 9 m Mm <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux qu'il a?ail auparavant. '<br />

Cest pour ce<strong>la</strong> que l'esc<strong>la</strong>ve dit recevez vm tmù<br />

oboMê* Seatea-vous toute h <strong>la</strong>esse? -* Oui, je<br />

conçois que ce<strong>la</strong> .peut vous amuser. ¥ous s - POÉSfE. . . . fax m<br />

.<strong>du</strong> boulevard y et qu'ftu'Ôlilieu <strong>de</strong> toutes ces farriS** •<br />

grossièremei||.bouffotipes<br />

gaves<br />

?©tre CKéûE par eœtir; tous le voyez tous les jours ; •<br />

v0114vivez avec lui. Manque m'importe, à moi, tout<br />

le mal tju'on dit <strong>de</strong> Cléon? Et pourquoi voulez-vous<br />

que je me mette l'esprit à <strong>la</strong> # torture pour comprendra<br />

les sarcasme» énginatiqùeB <strong>de</strong> votre Aristophane?<br />

— Mais aussi ce n'est pas pour vous qu'il<br />

a écrit. A qui voulez-vous doue qu'un poète 1mœatlipa<br />

cherche à p<strong>la</strong>ire, si ce n'est à ses juges<br />

naturels s à ses concitoyens ? — Mais quand II ferait<br />

m surit <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire à d'autres, il n'y aurait pas <strong>de</strong>*,<br />

mal f et peut-être n'e» fawbftit-3 que mieux. U vous<br />

sert sajou votve'godt, c'est fort bien <strong>la</strong>it ; mais eê°<br />

goit peut changer, et ? es tassais pourront fort bien<br />

•'amuser un peu moins que vous <strong>du</strong> gâteau <strong>de</strong><br />

Pyfe et dû cuir <strong>de</strong> Gléon. Je crois que cet Emipile,<br />

ce ils d'une marchan<strong>de</strong>* d'herbes, comme<br />

l'appelle ingéaicuseinent Aristophane, *a travaillé<br />

<strong>du</strong>es un genre un pu plus <strong>du</strong>rable. Je ne serais<br />

pas surpris que, é<strong>la</strong>ns lès siècles à tenir, et chez<br />

#nit»s nations, Il ne fût encore mû grand poète ,<br />

et que. votre Aristophane , s'il .parvient à <strong>la</strong> posté*<br />

vite, tfy eAt d'autre rang que eelu^d'un satirique<br />

qui a réussi dans le plu» aisé <strong>de</strong> tous les genres<br />

d'esprit,, eehrf'<strong>de</strong> <strong>la</strong> raééhâneeté, et quf a insulté<br />

grossièrement," dans Euripi<strong>de</strong>, un homme qui a<br />

en le talent rare <strong>de</strong>* travailler pour tous les siècles.<br />

Lai petite conversation que. je viens, d'avoir au<br />

théâtre d'Athènes nous a-déjà donné quelques no-<br />

Iléus sur Aristophane. Us coup ef œil très-rapi<strong>de</strong><br />

sur chacune <strong>de</strong> ses pièces, et quelques' traits détachés<br />

, quelques esquisses <strong>de</strong> scènes , doivent suffire<br />

ici pour achever l'idée qu'on peut s'en former;<br />

car il ne faut pas s'imaginer qu'il soit question <strong>de</strong><br />

p<strong>la</strong>n, d'action 9 d'intrigue , d'Intérêt, d'ordonnance<br />

dramatique 9 d'aucune <strong>de</strong>s bienséances théâtrales ;<br />

<strong>de</strong> siWations ou <strong>de</strong> caractères comiques : rien <strong>de</strong><br />

tout ce<strong>la</strong>. Supposons qu'à l'époque <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fron<strong>de</strong><br />

ira poëte <strong>du</strong> temps; un p<strong>la</strong>isant lia mo<strong>de</strong>,;Un<br />

Mot, par eiemple, ou on Marigny ; sa fil amusé à<br />

mettre Sur le théâtre le Coadjuteur, le <strong>du</strong>c <strong>de</strong><br />

Beaufort, le grand €ondé, le frère <strong>du</strong> roi, les daines<br />

<strong>de</strong> Chevreuse et <strong>de</strong> Montbazon, et à représenter en<br />

ridicule tout ce qui se passait alors à l'archevêché»,<br />

au Luxembourg, au Pa<strong>la</strong>is-<strong>Royal</strong>, au parlement , et '<br />

dans les halles; supposons que ces satires, misef en<br />

scènes, tantôt.réelles, tantôt allégoriques, fussent<br />

un composé <strong>de</strong> Fesprit <strong>de</strong> Rabe<strong>la</strong>is t <strong>de</strong>s <strong>la</strong>zzi-d'Àr-*<br />

lequin 9 <strong>de</strong>s farces Je. Sc^ramouche r '<strong>de</strong>s harangues<br />

<strong>de</strong>s char<strong>la</strong>tans <strong>du</strong> Pont-Neuf, -et i#s para<strong>de</strong>s<br />

% on distingua un fdhçlf'«<br />

d'imagination, quoique .tite«dérériée,*Iuifc §sprjt*<br />

fertile en.inraiSpis satiriques, et -uneTsôrtsT<strong>de</strong>*'''<br />

verve saiis aucun goût, ce Wrait noflr^ Aristophane^*<br />

On sent que.<strong>de</strong> pareilles #I|cas mm sMlent % au-.'<br />

jourd'hui d'aucun intérêt pour*nôuj,*ti tf. i/est *<br />

par l'espèce <strong>de</strong> curiosité qucnol&pounjQns $rojr<br />

le rechercher les détails fa«t«Icj!es <strong>de</strong>s fssaplles<br />

<strong>de</strong> ee'temps-là f cjwnrae nous lisons <strong>la</strong> # .Çsl|rê MM* •<br />

nippée pour étudier Fesprit <strong>de</strong> <strong>la</strong> «Ligue*,* el te .<br />

Cmfepwn ifeiSasey pour connaître* <strong>la</strong> eoim le<br />

Henri* IIL II-en est <strong>de</strong>' même'<strong>de</strong>s M蜧 d'Arjs-' 0<br />

tophane; c'est l'histoire qu'on y jffetft étudier<br />

plutôt que le tléltse* Un poëte comique éMt alotfs.<br />

un homme <strong>de</strong> parti , f|I as|it son «ris |ur fes-af*<br />

faires publiques, et qui le disait su».le filtre;<br />

.comme*les orateurs dans Ptittemblée / ai ce n'est 4 '*,<br />

que <strong>la</strong> forme était toute différente, et.que l|it*<br />

Athéniens, <strong>de</strong> tous les peuples'le plus léger,! j plus<br />

frivole, le ptafsfsp s le plus médisant, écoutaient* .*<br />

avec beaucoup plus d*atté\ition jas» bouffonneries. *<br />

<strong>de</strong> leurs poêles que jes harangùes^<strong>de</strong> leurs or#<br />

tsars. Il faut bien savoir à q«l abus, à quel excès .<br />

était pousse* <strong>la</strong> liberté démocratique fpo^urVftribt» "<br />

voir' tout m e|ie <strong>la</strong>is m £efire*a pu.osee. Aristo* * *<br />

phaneii La guerre 1 eftï Péloponèse <strong>du</strong>rait <strong>de</strong>puis<br />

ils ans : c'était Périclès qui 'avait étl c|sfip <strong>de</strong><br />

l'entreprendre, pour ne p^s*<strong>la</strong>isser perdre au*<br />

Athéniens l'ejspece <strong>de</strong># supvématip# cpl|s tfvlient *<br />

dans <strong>la</strong> Grèce <strong>de</strong>puis les J>atàille^<strong>de</strong>^{pratfioQ a et . .<br />

d§ Sa<strong>la</strong>minè, et que Lacédémone,s'eff^nçali <strong>de</strong>.- *<br />

reprendre sur eux. L'Àttiquo étant u^Qyffouveir» -.<br />

<strong>du</strong>'côté <strong>de</strong> <strong>la</strong> Laeonie, il étajt^ facile aux LaMcîèV* . '<br />

moniens <strong>de</strong> partes les rawpes. jusqi'apx^ portei"*<br />

d'Athènes, dont <strong>la</strong> puissance ccaslstajt surtout dans *<br />

ses- forces <strong>de</strong>'mer. 11 îffMvait^u'Athèjies, \imm : ^<br />

' vai^eaiix, irfestaît les ê pos§essïtftis.*<strong>de</strong>s Laeidé- # *<br />

monien». M ;qiiê ceui-ci, avec leurs aralées dr ••<br />

terre, déso<strong>la</strong>ient;l'Atti^ue. Cet|e # #Htproatt?e, m<br />

plutôt cette réciprocité Je* boas et <strong>de</strong> maufâïs stfc; .<br />

ces, et <strong>du</strong> ûial.qu'otf faisait'ovqjjbn^sqpffiait dé<br />

part et d'autre /<strong>du</strong>rait clepuia. six aa*|* On.néfo'-- ,<br />

ciait pour <strong>la</strong> paix : le peuplent iésiplf; mais les t\<br />

grands 9 les généraux d ? armé§"? ettrf a«t{ig9 Cléon -<br />

et Lamachos, ne <strong>la</strong> vou<strong>la</strong>ient fa^ # Aristophane •<br />

veut peftua<strong>de</strong>r qpe l^.|pix*ist;néces^ije. Il fait<br />

me pièce qui s^appellé les Aè'hSr^^M» -<strong>du</strong> nom<br />

d'un bour^<strong>de</strong> l'ptique^ nomn|# Jckarne, où se _•<br />

passe <strong>la</strong> s^ène.'C^st fne. sufta # mascara<strong>de</strong>s bwrl


•l • . ! • , CODES DE L1TTÉMT01R<br />

#\ • f- - i • • . ; .<br />

wdkkir contre •lui. -A FégaW fd' Aristophane*, il se<br />

• ' îff tfftsntet Hii^même 'sous Je nom û^MeœojMiîg,<br />

• ^est^diijT bon citoyen ; jer il <strong>la</strong>it son traité particulier<br />

Syfec les Lacédémoiiieos, qp.qui-liii vaut ose<br />

"•foule d'a%aQfâ§es dont <strong>la</strong> * guerre pfivp 'tous ses<br />

\ mmpMmimJ e ? est Jà h fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce. Ce qu'il<br />

' y.a <strong>de</strong> pips cnjriejUs^ c'est <strong>de</strong> voir oomme il traite<br />

||s athéniens e|*fe fne| ton il leur parle.<strong>de</strong> luirn^me<br />

par Ja bo<strong>de</strong>he <strong>du</strong> chœur.<br />

' •>«.Derels.4pe notre poêle fat occupé à/faire.<strong>de</strong>s eom^diesf<br />

I ne lu» est 'pas eues» -arrivé <strong>de</strong> faraltre défaut<br />

vouf^kror .vous Wr* qu'il a <strong>du</strong> méritê.*MâIs couple ses<br />

0*éîiiMpiis*Iii€ci|^ï}{ auprès <strong>de</strong> ces étourdis d'athéniens,<br />

déjoue* êjBfUtn théâtre <strong>la</strong> république,' et d'injurier le<br />

peuple» jl/aut Mm qu'if se justice aupiès <strong>de</strong> cette multi-<br />

•tq^eliiloaslâste. Qrf te poète dit que vous <strong>de</strong>veg faire<br />

grajtivcaa # lui, parce aate cfes* luiqui empêche que Ses<br />

députés <strong>de</strong>s vMlet alitées ne*TOUS ei^fasseat accroire, que<br />

^Je loin ifles an^ires.pobyques.* Auparamnt, dès que ces<br />

dè^utérYou<strong>la</strong>ieiit yôustoufmposer, il suffisait qu'ils vous<br />


CâmrtpMk. M y est, et il n'y est pas.' Estopéd-f®»?<br />

Dit Gomment? CéML-C'est que t§m mp^i .«mit îm<br />

champ*; il cherene <strong>de</strong>s fênf, et <strong>la</strong>i est niché«n ijarit <strong>de</strong>là<br />

mai»»,ou il Mt une tragédie. Die. Jene* atenirai poârtant<br />

pas. ïi tant que je lnf parle:. Je m'en fais l'appeler.<br />

Euripi<strong>de</strong>, Euripi<strong>de</strong>, éeootennoly sijiamais tous ayez écouté<br />

q eehpi'Mi ; % e^mos^0il^l^^^ 9 • A«CI * * ^<br />

?n se rappelle "qiÂcbjtea?ait<br />

été sdr (e point Ressuyer use condamnatipâ '<br />

capitale posrafoirét^accusédlFréligioi^^Aaaxagore^eourat<br />

le môme dan^ef, et que %xâte y stwcômba,<br />

©à çdnvï§ûdra#que Fictusatioa était aussi<br />

atroce jûè calomnieuse, et qt#Aristopliaae faisait<br />

un vftjnétte^. • ' ^.<br />

Une autçé-preufe d'impu<strong>de</strong>nce, eî&st ipi'O intro<strong>du</strong>it<br />

us hôirin)e habillé eniemmef qui preui lâ#d§- .<br />

fesse* d'Euripi<strong>de</strong>, et soutiesrqtfil n f a pas dit <strong>la</strong>-<br />

. centième partie <strong>du</strong> mal qn f i! pouVait dire; que les* •'<br />

femmes sont trop heureuses qu'il n'ait p§ réitfé *•'<br />

tous leurs secrets. * " . M,-<br />

{Astre allusion au style d'Euripi<strong>de</strong>. ) ' *<br />

«J'aibesoin M <strong>du</strong> batan que portent les mendiants'.<br />

&MP - Pren«4ê doue et aHez-ioss-eo. Die. Khf bons<br />

«M! que dites-fous? J'ai encore besoin <strong>de</strong> bien '<strong>de</strong>s<br />

doses. 11 <strong>du</strong>t absolument que je les obtienne <strong>de</strong> ¥ousf<br />

et ¥©m ne me reftweres pas. Donnes-moi une corbeUlê<br />

vMeà<strong>la</strong>lumée d'une <strong>la</strong>mpe. EOEIP. Qu'en fouta-vous<br />

toe?Dîe. Mao, mais je foudrais l'aToir. EUWP. AMez-<br />

*BM; TOUS m'importunes. Die. Que les dieux aient au-<br />

Hat désuni <strong>de</strong> fous qu'ils en ont en autrefois <strong>de</strong> Tôtre<br />

•ire. EOMP. AUet-foos-es. Die. Donnez-mot <strong>du</strong> moins<br />

me petite tasse cassée par les bords. ïuan». La voilà y<br />

•wo prtes. Cfest être trop importun. Die. Ab I mon cher<br />

Enrifi<strong>de</strong>! TOUS no sa?ex pas quel tort tous me faites. De<br />

grarâ,donB»iMi encore un pot do terre bouché avee une<br />

éponge. Etais», cet homme-là me fera perdre toute une<br />

« Noysooviîes seule»; personne p nop%entend. POOK • •<br />

quoi mirq tuâ <strong>de</strong> brait <strong>de</strong> piques Oaits §u % fl à <strong>la</strong>nces çên*?' '<br />

tre nous, tandis qu'a s'est, tif sojr unè4nflnilé <strong>de</strong> mais que<br />

nous faisons ?»\ .. ..** * ••". * * .'*•<br />

Suit un portrait épouvantable qu'il est iaipossiâ'^'.' '<br />

dç tra<strong>du</strong>ire. On »peutjuf^| par m seuJ eodbôjc s ',<br />

« A-Ml réfélé îtolre adresse à supposer <strong>de</strong>s enfants f On *<br />

lui reproche d'itolr peint <strong>de</strong>s.PJièdres, et pas une. Péné- " *<br />

lope. C'est qu^a n'y ï pas une'seuSe Wpétôjiêpârmi 4 iiiîis7'<br />

Mqiien0aj8ovin«loiilestoPMdm.ii *w.r '.<br />

Conçoit-on que <strong>de</strong> pareilles horreur? Meut été pr> •<br />

ornées tor lethaire d'Athènes? Au rœte, il fmt; '<br />

tragédie. Tenex, et Mssewnoi en repos. Die. Je m'es a croire au swiifs que les'Grecs ne'les appï%svèien.r " '<br />

fais, mais pourtant j'ai encore besoin d'une ehose essentieDe;<br />

et si elfe me manque, je suis un nomme, mort. Mettes-BMi<br />

quelques légumes dans cette corMEVÈumit. En<br />

rett; mais TOUS m'assassinei. Ma ttagédte est per<strong>du</strong>e,<br />

Bfc. J@ no fut» <strong>de</strong>mandé plus rien. Je me retire.' Je sens<br />

ffue je défias incommo<strong>de</strong>, et que je me brouffle avoc tous<br />

Ira iras m Un* Ah! siallieuiiêuxffi'al<strong>la</strong>ifrje faire ?JW-<br />

r<br />

. pas ; car on sait qui cette pièce ntoft adcuii àuccisr<br />

De pareils traits et une foule d'autres, pârtIeuM|rement<br />

celui <strong>de</strong>. <strong>la</strong>" spppositios <strong>de</strong>s enfants, quiltys<br />

fient plus «ronV fois dans'les ouffages di même<br />

auteur, et les obscénités #mt ils sont remplis ^ éii-Vfont<br />

nous faire penier.que <strong>la</strong> licence <strong>du</strong> théâtre'était<br />

égale à <strong>la</strong> corruption <strong>de</strong>s isecors.. ' •. • ' •


J34. COURS DE LITTÉRATURE<br />

. m Si Yfia veut savoir comment finit cette farce,,<br />

J'hqfBine vê^ ea femme |st rëeonaq, etj'on veut<br />

. # leiéfér#%ii iftagistrats ; maKEuripi<strong>de</strong>, quiest son*<br />

• /ami» etfipii a siktoift ce ipi s'était passé dans Pas-<br />

- gemoléë, décîar# mie^, s^ellesjie ren<strong>de</strong>nt pas ^prisonnier,<br />

iljMvèfera fcutr I Fenfç maris. JDe'phft, il<br />

• promet daine plus dire <strong>de</strong> malï'eM; et-tout est<br />

Lapièp intitulée k$ €renmsMks n'tst guèr^moins<br />

font* EschyÎQ que eogtre Etujpi<strong>de</strong>. L'un <strong>de</strong>puis<br />

*. lûfigtemps n'étaitIffusiFautre jeffaiwft mourir. On<br />

• put s s |ton|er qu^oa ait M$é représenter une satire '<br />

\ contre <strong>de</strong>ux écrivains illustres qu'Àthèpes admirait,-<br />

•° et qu'etyç.vgnait <strong>de</strong> jSêçjdre; mais apparemment les<br />

Athéniens n'étajejat pas plus délicats sur te point<br />

fictions gigantesques,-ses portraits hors <strong>de</strong>.natnre,<br />

ses expressions monstrueuses : celqj-eï n f épargne<br />

pas plus Euripi<strong>de</strong> sur <strong>la</strong> &Ibtesse <strong>de</strong> son style, sir<br />

hTsubtilité <strong>de</strong> ses controverses, mais il est si ma<strong>la</strong>droit<br />

<strong>la</strong>ds,ses censures, qu'if tourne en défaut,<br />

non-sei<strong>de</strong>mentt&,4iii !ï * € st pas répréheaable, mais<br />

ce qui est mêmé-uà* mérite réel, comme «d'avoir<br />

peint <strong>de</strong>s rois et <strong>de</strong>sthéros êm$ l'infortune et dans<br />

Jindigence ; d'avoir mis sur le théâtre (es Mblesses<br />

<strong>de</strong> l'humanité. If n'en faut pas davantage pour dé­<br />

qu f Arigtop]j&ne^cchuS <strong>de</strong>scend ïtii enfev»poury<br />

ttierejier un bon pogte tragique, parce qu'il n'est pas<br />

onnteat ii%eux qui 'dfcppitehj te prix à ses fêtes. H<br />

pute le Styt, et Caron le régale d'un chœur <strong>de</strong> greàouille^<br />

facétie grotesque digne'<strong>de</strong> l'auteur, et qui<br />

| donné leftom à <strong>la</strong> pièce, Ge quj en fait Je sujet,<br />

c'est <strong>la</strong> dispute eatre Eschyle et Euripi<strong>de</strong> sur <strong>la</strong> préémiaence.fne<br />

tous <strong>de</strong>uxrféc<strong>la</strong>meat en conséquence<br />

ifuaeloi qu! porte que celui (jui aura le mieux réussi<br />

dans làfoésie sîégeraf prési<strong>de</strong> Plutpn,*et sera nourri<br />

dan^Je prytaaée <strong>de</strong>§ enfers, commel'étaienfrdans<br />

ctlkfu'&tyèneahGeuxqui avaienlfren<strong>du</strong> quelque grand<br />

serriceii <strong>la</strong> république- Lie Valet <strong>de</strong> Pluton raconte<br />

•^ Jfealui <strong>de</strong>Bac«huiçîtkEsihyîe était <strong>de</strong>puis longtemps<br />

^ les possession^ «premier rang; mais qu'Euripi<strong>de</strong>,<br />

'. djpufarion arrivée, a donaé <strong>de</strong>s leçons aux coupeurs<br />

.dTtounes, aux brigands.; aux scélérats, dont le<br />

>; nombre est faPni;*qa ? ii s s esr fait ainsi Un grand<br />

, _ fàrti, et qui «ç veau à bout <strong>de</strong> supp<strong>la</strong>nter, Eschyle.<br />

*€e mot » les gaietés d > 4pstophanp,.qui nous ap-<br />

._ fread par là que lès Athéniens f en révérant <strong>la</strong> mé-<br />

':im>iMd v <strong>mont</strong>rer combien Aristophane Était un mauvais juge.<br />

Enfin ? <strong>la</strong> discussion finit par un trait <strong>de</strong> parodie*: on<br />

convient <strong>de</strong> peser les vers dans une ba<strong>la</strong>nce. Esêhyle<br />

défie Euripi<strong>de</strong> <strong>de</strong> se mettre dans' un <strong>de</strong>s bassins ;<br />

lui, tous ses écrits, sa femme, fes enfante, et son<br />

grand acteur Céphisophon, le méap apparemment<br />

( qû'Aristopiiaiiet lui donne pour valet; et il ne vent<br />

que <strong>de</strong>nx <strong>de</strong> ses grands mots pour contreba<strong>la</strong>ncer<br />

le tout. Pluton s'en rapporte an Jugement <strong>de</strong> <strong>la</strong>cchus,<br />

quise déc<strong>la</strong>ré pour Eschyle, en avouant pourtant<br />

que son concurrent n'est pas sans mérite. Il est<br />

probable qu'Aristophane n'aurait pas fait cet aveu<br />

<strong>du</strong> vivaat d'Euripi<strong>de</strong>.<br />

/H est impossible <strong>de</strong> âêMm&tmm€wm idée ém (M*<br />

jea<strong>la</strong>?, allégorie entièrement politique, etqtti.roule<br />

tout entière sur un^ ville qui fiusajt Pôbjet d'une<br />

gran<strong>de</strong> contestation entre Athènes et Laeédémone,<br />

et qui est représentée pi une ville-que les oiseaux<br />

veulent'bâtir en l'air.<br />

lyskimta est <strong>du</strong> mémo genre. Il s!agît encore<br />

d'engapr les Athéniens £ terminer cette <strong>la</strong>ngue<br />

guerre <strong>du</strong> Moponèse, qui épuisait les <strong>de</strong>ux partis.<br />

Lysistrata, î§msm d'un <strong>de</strong>s principaux magistrats<br />

d'Athènes, imagine un moyen <strong>de</strong> les contraindre a<br />

faire <strong>la</strong> paix : c'est d'engager tontes les femmes à<br />

se séprer <strong>de</strong> ieuw maris jusqu'à ce que le traité<br />

Saehylev donnaient cependant, et avecjus- soit conclu, EUe s<br />

"tiée* <strong>la</strong> préférence à Euripi<strong>de</strong>. C'eft ainsi que plus<br />

Jdhpe fois, sads le vouloir, <strong>la</strong> satire a ren<strong>du</strong> boni-<br />

Inage au mérite. • *.-•'.<br />

, dit le vajet <strong>de</strong>* Bacehiis, aVt-oii pas «as!<br />

.dtfiss^ritfiiipileiirà ceiips île-pierres? L'entra -répond<br />

(pfenQn f tuais que k décision <strong>de</strong> <strong>la</strong> querelle doit être re-<br />

. .mfae àk plnraEté«dês soffruges. Euripi<strong>de</strong> est bien adrQitf<br />

'ditte valet <strong>la</strong> Bâcefans. Mais quoi doàcî; Escn>le"n'a4-li'<br />

jpOTQP iM?....Ncm, car Q s'y a presque plus dlfonnétes.<br />

gais èliei les mortC -mm plus qu'à Athènes: »<br />

ipi s'attend bien^qùe <strong>la</strong> dî^ntë entre Icp


AUCUNS. — POÉSIE.<br />

tant emprunté te idées dans quelque! pèees <strong>de</strong><br />

théâtre itaMai.<br />

Dans <strong>la</strong> pièee fui a pour titre <strong>la</strong> Pmîm$ fauteur<br />

revient «wore à MU système favori 9 et d'autant<br />

plut que Qéon était mort. Elle est aussi tout allégoripe.<br />

La gucm et <strong>la</strong> paii | sont personniiées. Un<br />

vigneron, nommé Biffée, parait <strong>mont</strong>é sur un<br />

esearbot f et dit qu'il ta sommer Jupiter d f être plus<br />

favorable aux Grées. Qu'on imagine m que c'est<br />

qu'une pièee qui commence par un pareil spectacle.<br />

IftSi endroit où <strong>la</strong> Paix <strong>de</strong>man<strong>de</strong>'ceque fait<br />

Sophoele <strong>de</strong>puis qu s eUi a quitté l $ Attique. On lui<br />

répond:<br />

• H est <strong>de</strong>venu aussi avare et aussi Intéressé que te<br />

poêle StaMiMe. »<br />

Ces! bien là le génie d'Aristophane ; mais ee n'est<br />

pas, ce me semble, <strong>de</strong> <strong>la</strong> lue p<strong>la</strong>isanterie. Sophocle<br />

était alovs d'une eitrême vieillesse 9 et Aristophane<br />

Tatait loué dans d'autres pièces; mais il n'était pas<br />

juste qu'il Fexeeptât <strong>de</strong> tous les grands hommes<br />

qu'il a déchirés.<br />

Restent <strong>de</strong>ux pièces sur lesquelles il confient <strong>de</strong><br />

s'arrêter un moment f parce que l'une a eu l'honneur<br />

d'être imitée par Racine, et l'autre le malheur <strong>de</strong><br />

contribuer à <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Socrate. Les Guêpes ont<br />

fourni à Fauteur <strong>de</strong> Brliamniem <strong>la</strong> première idée<br />

<strong>de</strong> ses P<strong>la</strong>i<strong>de</strong>urs, comme le sujet <strong>de</strong> rEnfatdpm*<br />

A§m joué aux marionnettes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Foire it édore<br />

celui <strong>de</strong> Voltaire; et d'où il résulte, seulement que<br />

le germe le plus informe peut être fécondé par le<br />

génie.<br />

Ffailodéon est atteint précisément <strong>de</strong> <strong>la</strong> même<br />

ma<strong>la</strong>die que Dasdin : <strong>la</strong> fureur <strong>de</strong> juger Fa ren<strong>du</strong><br />

fou, et son Ils Bdélycléon le fait gar<strong>de</strong>r à vue. 11 <strong>de</strong>scend<br />

par une cor<strong>de</strong>, comme Dandin sort par le soupirai.<br />

Souff<strong>la</strong> pour f<strong>la</strong>tter un peu sa manie, lui propose<br />

«Teserar les fonctions <strong>de</strong> Juge dans sa maison. Il se<br />

présente fort à propos un procès digne <strong>du</strong> juge ; c'est<br />

un nbien qui a talé un fromage. La cause se p<strong>la</strong>i<strong>de</strong><br />

dans les formes. 11 y a le chien accusateur et le ehien<br />

aocnsé, et l'un et l'autre jappenftet parlent à <strong>la</strong> fois :<br />

c 9 «st là le comique d'Aristophane. On amène les petit!<br />

<strong>du</strong> <strong>du</strong>es pour émouvoir <strong>la</strong> pitié<strong>du</strong> juge, qui se<br />

trompe dam le choix <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux lèves, et qui donne<br />

©<strong>de</strong> d'absolution au lieu <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> condamnation.<br />

Cest II que Racine a imité : joignes-y quelques défait<br />

f quelques jeux <strong>de</strong> théâtre 9 et observez surtout<br />

que ks P<strong>la</strong>i<strong>de</strong>urs sent une comédie <strong>du</strong> second or*<br />

dit, 'qui <strong>de</strong>scend même jusqu'à <strong>la</strong> farce dans <strong>la</strong><br />

i <strong>de</strong>s petits chiens, et dont le.prineipal mérite<br />

1SI<br />

est dans le style, dans cette foule <strong>de</strong> vers charmants<br />

et <strong>de</strong> mots <strong>de</strong>venus proverbes. 11 est pourtant vrai <strong>de</strong><br />

dire que, malgré <strong>la</strong> distance prodigieuse <strong>de</strong> cette<br />

pièce à celle qui en a donné l'idée, il y a, dans fana<br />

comme dans l'autre** une critique très-vive et trèsingénieuse<br />

<strong>de</strong>s vices et <strong>de</strong>s ridicules <strong>du</strong> barreau.<br />

Mais qu f on se représente, dans <strong>la</strong> pièce grecque,<br />

les juges d'Athènes déguisés en guêpes, avec leurs<br />

manteaux et leurs bâtons, et poursuivant Bdélycléon<br />

sur le théâtre à eoops d'aiguillon r cette horrible<br />

mascara<strong>de</strong>, celle <strong>de</strong>s grenouilles formant un<br />

choeur, celle <strong>de</strong> Fescarbot vo<strong>la</strong>nt, et cent autres,<br />

sont <strong>de</strong>s monstres sur <strong>la</strong> scène et ne seraient pas<br />

tolérées sur nos <strong>de</strong>rniers tréteaux. D'ailleurs, le<br />

poète grec, dans les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers actes, abandonne<br />

entièrement son sujet. Philocléon, persuadé par<br />

son lit, qui lui a dé<strong>mont</strong>ré que <strong>la</strong> vie déjuge était<br />

misérable, et qu'il n'y avait pas à gagner, à beaucoup<br />

près, autant qu'à ne rien faire et àiatterlepeupie,<br />

veut se conformer à ee conseil ; il commence<br />

par s'enivrer; et occupe tout le cinquième acte <strong>de</strong>s<br />

plus dégoûtantes extravagances où puisse tomber<br />

u'tWttud Ivre. Toutefois, je le répète, il y a<br />

dans cette pièce un germe <strong>de</strong> talent comique qui<br />

<strong>mont</strong>re ee que l'auteur aaraft pu être s'il fit né<br />

dans un autre temps et avec un autre caractère ;<br />

car le caractère influe beaucoup sur le talent, et<br />

ce n'est pas <strong>la</strong> méchanceté,-<strong>la</strong> jalousie et <strong>la</strong> haine<br />

qui apprennent à faire <strong>de</strong>s comédies.<br />

Celle <strong>de</strong>s Nuées, si malheureusement célèbre, ne<br />

mérite en effet <strong>de</strong> l'être que par le mal qu'elle fit.<br />

Quoiqu'il y eût vingt-cinq ans d'intervalle entre <strong>la</strong><br />

représentation et le procès <strong>de</strong> Socrate, on ne peut<br />

douter qu'elle n'ait préparé l'injuste arrêt qui it<br />

périr le plus honnête homme <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce, puisque<br />

les accusations d'Anytus furent précisément les<br />

mêmes que celles que le poète intente ici au philosophe.<br />

Strepsia<strong>de</strong>, bourgeois d'Athènes, ruiné par un<br />

fils libertin qui dépense tout, qui est accablé <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ttes f et pressé par ses créanciers, rêve aux moyens<br />

<strong>de</strong> s'en débarrasser. Il n'en trouve pas <strong>de</strong> meilleur<br />

que d'aller consulter son voisin Socrate le philosophe<br />

, un <strong>de</strong> ces' gens qui disent que h ciel est tut<br />

four, et que k$ hommes sont <strong>de</strong>s charbons, et qui<br />

prouvent que le jour est <strong>la</strong> suit, et <strong>la</strong> suit le jour.<br />

Hé voilà-t-il pas <strong>la</strong> philosophie <strong>de</strong> Socrate bien I*<br />

nement caractérisée? ee n'est pas celle qu'on trouve<br />

dans P<strong>la</strong>ton. Le valet <strong>de</strong> Socrate fait beaucoup <strong>de</strong><br />

difficulté <strong>de</strong> recevoir Strepsia<strong>de</strong>, qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à<br />

être initié dans les mystères <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie.<br />

« fj@ sont <strong>de</strong> grands mystères, dit te vatet Socrate ê#


CÛUES DE UTTÉMTUM.<br />

136<br />

mandait tout à l'heure à' mm disciple Ohéréphon quelle<br />

était <strong>la</strong> longueur <strong>du</strong> saut d'une pue®. »<br />

Strepsia<strong>de</strong>, émerveillé, appelle Socrate <strong>de</strong> toute sa<br />

forée, et Ton aperçoit le philosophe guindé en l'air<br />

daus use corbeille. Strepsia<strong>de</strong> le conjure par les<br />

dieui.<br />

« Doucement, par quels dieux jures-Tons? un n'admet<br />

point dans mon école les dieux <strong>du</strong> pays. »<br />

Strepsia<strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> quels sont donc les dieux <strong>de</strong><br />

Socrate. U répond que ce sont ks mtée$ : <strong>de</strong> là Tient<br />

le titre <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce. Il les invoque, et les nuées remplissent<br />

le théâtre en habit <strong>de</strong> costume. Socrate<br />

apprend à son nouveau disciple que ks nuées sont<br />

<strong>de</strong>s déesses qui nourrissent les sophistes, les <strong>de</strong>vins,<br />

les mé<strong>de</strong>cins, et les poêles* U se moque <strong>de</strong> Jupiter,<br />

qu'il traite <strong>de</strong> chimère.<br />

« 11 n'y a point <strong>de</strong> Jupiter, êàî4l ; et ce qui le prouTe,<br />

c'est que ce n'est point Jupiter qui <strong>la</strong>it pleuvoir, et que ce<br />

sont ks muées seules qui donnent <strong>de</strong> <strong>la</strong> ploie. »<br />

Enfin, il exige que Strepsia<strong>de</strong> commence par renoncer<br />

aui dieux <strong>du</strong> pays, et n'adore que ks nuées.<br />

Le bourgeois consent à tout, pourra qu'on lui<br />

apprenne un moyen <strong>de</strong> ne pas payer ses <strong>de</strong>ttes, à<br />

corrompre le bon droit, et à emprunter sans rien<br />

rendre, Socrate lui enseigne force subtilités : le<br />

bonhomme s'en va fort content, et engage son ils<br />

Phidippi<strong>de</strong> à prendre les mêmes leçons, et à se former<br />

sons un maître aussi habile que Socrate, qui,<br />

en <strong>de</strong>rnier lieu, pendant qu'on le regardait tracer<br />

<strong>de</strong>s Igares sur <strong>la</strong> poussière arec un compas , escamota<br />

fort adroitement le manteau d'un <strong>de</strong>s spectateurs.<br />

Voilà Socrate pour le moins aussi habile que<br />

nos sorciers <strong>de</strong> <strong>la</strong> Foire ; car un manteau est plus difficile<br />

à escamoter qu'un jeu <strong>de</strong> cartes. Strepsia<strong>de</strong><br />

présente son ils au philosophe, et le supplie <strong>de</strong> lui<br />

faire connaître les <strong>de</strong>ux grands points <strong>de</strong> sa doctrine<br />

, k Juste et l'injuste.<br />

m M'oubliez pas surtout <strong>de</strong> l'armer <strong>de</strong> pied en cap contre<br />

lejmte. Je fais, reprend Socrate, le donner à instruire à<br />

ton les <strong>de</strong>ux. »<br />

En effet, k juste et l'injuste paraissent personnifiés.<br />

La dispute s'établit entre eux, et témjmk <strong>la</strong><br />

termine ainsi :<br />

« Yeux-tu que je te fasse loir c<strong>la</strong>irement qui <strong>de</strong> nous<br />

<strong>de</strong>ux doit cé<strong>de</strong>r à l'autre? Dis-môi un peu : Quelles gens<br />

sont-ce que nos orateurs ? — Des scélérats. — D'accord'.<br />

Et nos faiseurs <strong>de</strong>'tragédies? — Des scélérats. — Fort<br />

Men. Et nos magistrats? — Des scélérats. — On m peut<br />

pas mieux. Compte à présent Ses spectateurs. Qael est le<br />

Phidippi<strong>de</strong> profite si bien <strong>de</strong>s leçons <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> connaissance an juste et d* ffnpwfe,<br />

qu'îl bat ses créanciers qui Tiennent lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

<strong>de</strong> l'argent,_ et finit par battre son père, et lui<br />

prou?er philosophiquement qu'il a droit <strong>de</strong> le battre.<br />

Des philosophes <strong>de</strong> nos jours ont prouvé bien pis ;<br />

mais jamais on n'a ouï dire que ce fât là <strong>la</strong> jp&ifosopàk<br />

<strong>de</strong> Socrate.<br />

On ne saurait lire axée quelque attention les ouvrages<br />

d'Aristophane sans se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à soi^lme,<br />

premièrement, quels motifs ont pu autoriser, fendant<br />

un certain temps f un genre <strong>de</strong> spectacle qu'on<br />

ne retrouve chez aucune autre nation 9 et qui même<br />

finit par être entièrement aboli dans Athènes ; ensuite!<br />

comment ce peuple, si sévère sur l'article<br />

le <strong>la</strong> religion, pouvait permettre que ses dieux fus­<br />

sent tournés en ridicule sur le théâtre; enia comment<br />

un peuple si poli pouvait s'accommo<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s<br />

saletés grossières que Ton proférait <strong>de</strong>vant lui. Je<br />

vais tâcher <strong>de</strong> rendre compte <strong>de</strong> toutes ces questions,<br />

non par une dissertation en forme , mais en<br />

m f arrêtant simplement à'ce qui peut fournir une<br />

solution probable , c<strong>la</strong>ire et précise.<br />

On peut d'abord poser en principe que le spectacle<br />

dramatique doit, par sa nature même, dépendre<br />

beaucoup <strong>du</strong> gouvernement, <strong>du</strong> caractère,<br />

et <strong>de</strong>s mœurs <strong>de</strong>s différents peuples. U doit donc<br />

xarîer, à un certain point, suivant les divers pays<br />

où il s'établit, et suivant les diverses époques cher<br />

une môme nation : c'est ce qui arriva chez les Athéniens.<br />

Échappés à <strong>la</strong> tyrannie après l'expulsion <strong>de</strong>s<br />

Pisistratï<strong>de</strong>s, ils passèrent à l'extrême liberté et à<br />

tous les abus <strong>de</strong> <strong>la</strong> démocratie. Ces abus furent ba<strong>la</strong>ncés<br />

par l'esprit patriotique qui anima toute <strong>la</strong><br />

Grèce au moment <strong>de</strong>s Invasions <strong>de</strong> Darius et <strong>de</strong>'<br />

Xerxès. Mais comme le danger menaçant avait fait<br />

naître les gran<strong>de</strong>s xertus et pro<strong>du</strong>it les grands efforts,<br />

<strong>la</strong> victoire et <strong>la</strong> prospérité amenèrent à leur<br />

suite l'orgueil et <strong>la</strong> corruption. Le peuple d'Athènes<br />

fut enivré tout à k fois <strong>de</strong> son poutoir et<br />

<strong>de</strong> sa fortune. Chez lui il était maître <strong>du</strong> gouvernement,<br />

et au <strong>de</strong>hors il donnait <strong>la</strong> loi aux peuples<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce. Les grands hommes dont cette puissance<br />

était fourrage éprouvèrent toute cette ingratitu<strong>de</strong><br />

que Fou couvrait <strong>du</strong> prétexte <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté,<br />

mais qui n'avait d'autre cause que <strong>la</strong> jalousie naturelle<br />

aux républicains qui commencent à craindre<br />

leurs défenseurs quand Us se craignent plus d'en*<br />

semis. Enfin, Athènes était <strong>la</strong> république <strong>la</strong> plus<br />

plus grand nombre? Sônt-ce les gens <strong>de</strong> bien? Examine. •— puissante, <strong>la</strong> plus riche, <strong>la</strong> plus vaine, et <strong>la</strong> plus<br />

lies scélérats l'emportent, je l'avoue. — Eh bien 1 qu'as-ta<br />

corrompue <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> Grèce, au temps -<strong>de</strong> Pérî-<br />

à dire à présent? — Que j'ai per<strong>du</strong>. Messieurs, prenez<br />

mon manteau ; je Tais passer <strong>de</strong> votre cété : YOQS êtes les<br />

clès, qui fut celui d'Aristophane. Pérleiès lui-même,<br />

plus forts. *<br />

qui d'ailleurs mérita si bien <strong>de</strong> sa patrie, et dont


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

le plus grand talent fat <strong>de</strong> bien connaître à quel<br />

peuple il avait affaire, sentit îi nécessitées le ûatter<br />

pour conserver te pouvoir <strong>de</strong> lui foire <strong>du</strong> bien,<br />

et s'attira le reproche d'avoir augmenté encore<br />

l'esprit démocratique, qu'il eût été à souhaiter que<br />

l'on pût restreindre. 11 n'osa pas s'opposer à <strong>la</strong> licence<br />

d'Aristophane, parce qu'il sentit qu'elle p<strong>la</strong>isait<br />

à <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong>, qui semb<strong>la</strong>it regar<strong>de</strong>r cette<br />

espèce <strong>de</strong> censure publique comme un <strong>de</strong>s privilèges<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté. Ce mot seul est si imposant et<br />

si spécieux, qu'aujourd'hui même bien <strong>de</strong>s gens,<br />

tout en condamnant Aristophane, pensent qu'un<br />

poète comique <strong>de</strong> cette trempe pouvait être fort<br />

utile dans une république. Oui, sans doute, si!<br />

était possible <strong>de</strong> s'assurer qu'un homme chargé <strong>de</strong><br />

faire sur le théâtre les fonctions <strong>de</strong> censeur fût l'organe<br />

incorruptible <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice et <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité. Mais<br />

avec un peu <strong>de</strong> réflexion, comment ne voitron pas<br />

que celui même qui serait digne qu'on lui confiât<br />

un si dangereux ministère commencerait par le refuser,<br />

fondé sur ce principe incontestable, que<br />

toute accusation qu'il est permis d'intenter sans<br />

avoir besoin <strong>de</strong> preuve, et sans craindre une réponse<br />

, est pur ce<strong>la</strong> même une lâcheté et une calomnie?<br />

Je consens que, dans une république, il<br />

soit permis à tout citoyen d'en accuser un autre;<br />

oui, mais légalement, mais dans les tribunaux,<br />

mais <strong>de</strong> manière que l'accusé puisse se défendre.<br />

Et quelle réponse à <strong>la</strong> diffamation v aux injures, aux<br />

railleries, aux insinuations malignes et perfi<strong>de</strong>s<br />

qu'on peut accumuler dans une satire dramatique?<br />

Quand on parle tout seul aux hommes rassemblés,<br />

et qu'on ne veut que tes amuser aux dépens d'un<br />

particulier §n%a leur immole, a-t-on besoin <strong>de</strong><br />

dire <strong>la</strong> vérité pour le rendre odieux ou ridicule? Et<br />

n'est-ce pas là au contraire que te mensonge trouve<br />

tout naturellement sa p<strong>la</strong>ce? Ce principe , évi<strong>de</strong>nt<br />

par lui-même, n'est-il pas confirmé par les faits?<br />

<strong>la</strong> plupart <strong>de</strong> ceux qu'Aristophane déchirait avec<br />

tant <strong>de</strong> fureur n'étaient-ils ps en tout genre les<br />

hommes les plus estimables <strong>de</strong> leur temps? Écoutons,<br />

sur ce point, Cicéron, qui ne peut être suspect,<br />

et qui était aussi bon républicain qu'un autre.<br />

Comment prie-t-IÎ <strong>de</strong> l'ancienne comédie <strong>de</strong>s Grecs,<br />

<strong>de</strong> celle dont il est ici question?<br />

« Qui a-t-eUe éparpé? qui n'a-t-dle pas outragé? En­ violents sarcasmes. Mous verrons tout à l'heure<br />

core m ses traits ne fessent tombés que sur <strong>de</strong> mauvais dans fJmphiir^m <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nte, comment Mercure<br />

dtojena, sur un Clé», » Hyperbolus9 un Cléophoat Fou parte <strong>de</strong> Jupiter et <strong>de</strong> lui-même. Nous avons vu f<br />

pourrait le souffrir ; mais qu'us homme tel que Périclès ; dans Euripi<strong>de</strong>, les dieux assez souvent exposés au<br />

après tant d'années <strong>de</strong> services ren<strong>de</strong>s à sou pays, dans<br />

ridicule; c'est bien pis encore dans Aristophane :<br />

<strong>la</strong> gocfte et dans <strong>la</strong> paii 9 soit insulté sur le théâtre, et<br />

et f quoi qu'on dise pour expliquer cet excès <strong>de</strong> to­<br />

inirei cSana <strong>de</strong>s vers satiriques, ce<strong>la</strong> est aussi indécent que<br />

si, postai nous, Revins ou CecUiiis avait osé injurier Caton<br />

le Censeur ou Stiprai rAftfcata. »<br />

lit<br />

Ce n 9 eat f» que je préten<strong>de</strong> éter au tàéâtre son<br />

influence sur l'esprit public, inioence étouffée sous<br />

le<strong>de</strong>spotisme, et par conséquent précieuse aux États<br />

libres. Je veux au contraire <strong>la</strong> rendre plus puissante<br />

et plus utile, en substituant à <strong>la</strong> diffamation personnelle,<br />

qui put menacer également le vice et<br />

<strong>la</strong> vertu{, et qui est d'ailleurs à <strong>la</strong> portée <strong>du</strong> plus<br />

médiocre écrivain, une espèce <strong>de</strong> censure dramatique,<br />

qui suppose à <strong>la</strong> fois et plus <strong>de</strong> talent et plus<br />

<strong>de</strong> morale, et qui est en même temps susceptible<br />

d'un plus grand effet. Je dis aux poètes : Peignez<br />

en caractères généraux les amis et les ennemis <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> chose publique : si vos caractères sont bien coups<br />

et bien prononcés, les indivi<strong>du</strong>s y rentreront<br />

d'eux-mêmes; ils viendront se p<strong>la</strong>cer comme <strong>de</strong>s<br />

têtes dans un cadre, et les spectateurs y mettront<br />

les noms; car 0 y a une conscience publique qui<br />

ne ment pas plus que celle <strong>de</strong>s indivi<strong>du</strong>s; et quand<br />

les hommes sont rassemblés f cette conscience parle<br />

si haut, qu'il n'y a point <strong>de</strong> pouvoir au mon<strong>de</strong> qui<br />

puisse lui imposer silence, pas même (et f histoire<br />

nous l'atteste), pas même les soldats <strong>de</strong> Néron.<br />

U faut, au reste, que cette vérité ait été bien<br />

généralement sentie, puisque, vers le temps d'Alexandre,<br />

et lorsque Athènes, avec moins <strong>de</strong> puissance,<br />

conservait encore, sa liberté, tous les vices<br />

<strong>de</strong> l'ancien théâtre Avant entièrement proscrit* .par<br />

l'ammadversion <strong>de</strong>s lois, qui ne permirent plus dans<br />

<strong>la</strong> comédie que <strong>de</strong>s noms et <strong>de</strong>s sujets <strong>de</strong> fiction.<br />

Ce fut celle-là que les Romains imitèrent f car il est<br />

à remarquer que le gouvernement <strong>de</strong> Rome, .qui<br />

<strong>la</strong>issa passer les satires <strong>de</strong> Lueilius., où .les citoyens<br />

les plus puissants, étaient attaqués, regarda cette<br />

liberté comme infiniment plus dangereuse sur le<br />

théâtre : il n'y permit jamais aucune satire personnelle<br />

9 et n'admit dans les jeta publics d'autre comédie<br />

que celte <strong>de</strong> pure invention, comme elle était<br />

alors chez les Grecs. Il ne paraît pas que <strong>la</strong> sévérité<br />

romaine se fût accommodée <strong>de</strong>s insolentes facéties<br />

d'Aristophane, ni quelles censeurs eussent souffert<br />

qu'un bateleur usurpât <strong>la</strong> plus redoutable <strong>de</strong> leurs<br />

fonctions, celte <strong>de</strong> noter les citoyens répréhensibtes.<br />

Un autre genre <strong>de</strong> licence qui fut commun au<br />

théâtre <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux, nations, ce fut d'y faire <strong>de</strong> leurs<br />

dieux l'objet <strong>de</strong>s plus sang<strong>la</strong>ntes railleries et <strong>de</strong>s plus<br />

lérance dans une ville comme Athènes, où les tribunaux<br />

<strong>mont</strong>raient une sévérité si terrible daas les


138 COURS DE LITTÉRATURE.<br />

affaires <strong>de</strong> religion $ il 11*011 est pas moins vrai qu'une<br />

<strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s difficulté» qui 'se présentent dans<br />

<strong>la</strong> recherche <strong>de</strong>s mcrars anciennes, c'est celte <strong>de</strong><br />

concilier, if 011 côté tant d'indifférence, et <strong>de</strong> l'autre<br />

tant <strong>de</strong> ligueur sur le même objet; Alcibia<strong>de</strong>, rappelé<br />

<strong>de</strong> l'armée <strong>de</strong> Sicile où il commandait, pour<br />

se purger d'une accusation d*impiété envers les<br />

dieux 9 et ces mêmes dieux vilipendés sur <strong>la</strong> scène<br />

défaut tout un peuple qui ne faisait qu 9 en rire. Ce<br />

n'est pas assez d'établir une distinction entre les<br />

dieux <strong>de</strong> <strong>la</strong> religion et ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fable, entre les<br />

dieux <strong>de</strong>s prêtres et ceux <strong>de</strong>s poètes. On ne peut nier<br />

que cette distinction ne soit fondée à un certain<br />

point; mais qui nous apprendra en quoi elle consistait<br />

? qui marquera l'intervalle entre ce qu'il fal<strong>la</strong>it<br />

respecter et ce qu'on pou?ait mépriser ? C'est cette<br />

mesure qui nous manque absolument , et sans <strong>la</strong>*<br />

quelle cependant nous ne pouvons nous rendre<br />

compte <strong>de</strong> rien. L'on conçoit bien que toutes les<br />

traditions <strong>de</strong>s poètes pouvaient n'être pas <strong>de</strong>s articles<br />

<strong>de</strong> foi ; mais pourtant les dieux <strong>de</strong> <strong>la</strong> mythologie<br />

sont, à beaucoup d'égards, les mêmes dans Phistoire.<br />

Bacchus avait dans les temples et dans les<br />

eérétnotiiey publiques les mêmes attributs que lui<br />

donne Aristophane dans sa comédie <strong>de</strong>s GrmmU*<br />

fer. M Euripi<strong>de</strong>, ni lui, nf Haute, ne disent nulle<br />

part ni ne font entendre qu'il faille distinguer les<br />

dieux dont ils se moquent <strong>de</strong> ceux que l'on doit révérer;<br />

et ces auteurs, qui étalent dans l'usage <strong>de</strong><br />

faire tant <strong>de</strong> conidmoes aux spectateurs , -ne leur<br />

©nt jamais fait celle-là. <<br />

Ce n'est pas non plus uni solution p<strong>la</strong>usible <strong>de</strong><br />

rapprocher* comme on a fiât, ces impiétés et les<br />

farces religieuses <strong>de</strong> notre premier théâtre, et ces<br />

my$iêres où, comme dit Boîteau, fem jouait les<br />

Smink, <strong>la</strong>, Fkrge ef Dkm par piété.<br />

Ce<strong>la</strong> prouvait seulement <strong>la</strong> grossière ignorance<br />

d'écrivains qui n'avaient nulle envie <strong>de</strong> se moquer<br />

<strong>de</strong> nos mystères, mais qui en par<strong>la</strong>ient <strong>du</strong> même<br />

ton que les prédicateurs <strong>de</strong> ce temps. En effet, le<br />

même goût régnait dans <strong>la</strong>chaîre et sur les tréteaux.<br />

On n'en savait pas davantage alors, et <strong>la</strong> passion<br />

était préehée dans l'église, et jouée à <strong>la</strong> Foire, dans<br />

un Jargon également ridicule. Mais quand les dieux<br />

<strong>de</strong> l'antiquité furent bafoués sur <strong>la</strong> scène, c'était<br />

dans le siècle <strong>de</strong>s beaux arts et dans un temps <strong>de</strong><br />

lumières : ce n'était pas simplicité, c'était moquerie ;<br />

et Tune ne ressemble pas à l'autre. La meilleure<br />

raison qu'on en donne, c'est que les représentations<br />

dramatiques avaient pris naissance dans les fêtes<br />

consacrées à Bacchus, et qu'un <strong>de</strong>s caractères, un<br />

<strong>de</strong>s privilèges <strong>de</strong> ces fîtes, c'était <strong>de</strong> permettre tout<br />

ce qui pouvait faire rire. Des paysans barbouillés<br />

<strong>de</strong> lie pouvaient, <strong>du</strong> haut <strong>de</strong> leurs chariots rou<strong>la</strong>nts f<br />

dire <strong>de</strong>s injures à tout le mon<strong>de</strong>, sans qu'il fût permis<br />

<strong>de</strong> s'en p<strong>la</strong>indre, à peu près comme dans nos<br />

mascara<strong>de</strong>s <strong>du</strong> carnaval on permet à <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>ce <strong>de</strong><br />

se moquer <strong>de</strong>s passants. Les Romains eurent <strong>de</strong>s<br />

Saturnales où régnait <strong>la</strong> même licence. On croit<br />

que les spectacles ches les Grecs, conservant l'esprit<br />

<strong>de</strong> leur institution, forçat longtemps affranchis <strong>de</strong><br />

toute règle, et que l'on convint que tout serait bon,<br />

pourvu qu'on se divertit. Les Romains, en imitant<br />

les pièces <strong>de</strong>s Grecs, proitèrent <strong>de</strong> <strong>la</strong> même liberté s<br />

et l'on souffrit, dans les divertissements fuWîes,<br />

ce qui était défen<strong>du</strong> dans tout autre temps. Voilà<br />

ce qu'on a trouvé <strong>de</strong> plus p<strong>la</strong>usible; et il faut biea<br />

se contenter <strong>de</strong> cette explication, puisqu'il n'y ea a<br />

point <strong>de</strong> meilleure.<br />

Quoique l'obscénité <strong>de</strong>s termes ? si fréquente dam<br />

Aristophane, et l'indécence <strong>de</strong>s moeurs que nous,<br />

verrons dans P<strong>la</strong>nte, ne soient guère moins révol*<br />

tantes pour nous, il est pourtant plus aisé <strong>de</strong> s'en<br />

rendre raison. La <strong>la</strong>ngue d'Athènes et <strong>de</strong> Rome était<br />

moins mo<strong>de</strong>ste que <strong>la</strong> nôtre* .<br />

Le <strong>la</strong>tin <strong>du</strong>» tes mots brave Ffaosiiêtctâ»,<br />

aditBoilean;etron peut endireantant<strong>du</strong> grec. Il est<br />

raouiu que, sur cet article, ttutes les <strong>la</strong>ngues ne<br />

sont pas également scrupuleuses. La notre même 1<br />

éprouvé sur ce point <strong>de</strong>s variations, puisqu'il y t<br />

dans Molière tel mot qui revient fort souvent, qui,<br />

<strong>de</strong> son temps, n'était pas malhonnête , et qu'aujourd'hui<br />

Ton né se permettrait pas en bonne -compagnie<br />

ni sur le théâtre. La coutume et le prêjigé<br />

doivent donc avoir établi m m genre <strong>de</strong>s différences<br />

sensibles. Comme il n'y eut jamais citez les Grecs,<br />

et pendant longtemps à Rome, que les courtisanes<br />

qui vécussent librement et indistinctement avec les<br />

hommes, l'habitu<strong>de</strong> générale, parmi les jeunes gens,<br />

<strong>de</strong> vivre avec cette espèce <strong>de</strong> femmes, tandis que<br />

tontes les mères <strong>de</strong> famille se tenaient dans l'intérieur<br />

<strong>de</strong> leur domestique, ne <strong>du</strong>t ps apporter beaucoup<br />

<strong>de</strong> réserve dans le <strong>la</strong>ngage ordinaire et journalier.<br />

Tout ce qui a rapport aux con venances sociales<br />

n'a pu -se perfectionner que cher une nation où le<br />

commerce continuel <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux sexes a dû former peu<br />

à peu l'esprit général, et épurer le ton <strong>de</strong> <strong>la</strong> sodété.<br />

La société ainsi composée est en .effet l'empire naturel<br />

<strong>de</strong>s femmes': elles en sont <strong>de</strong>venues les légis<strong>la</strong>trices<br />

nécessaires. Les hommes peuvent comman<strong>de</strong>r<br />

partout ailleurs : là seulement l'autorité<br />

appartient tout entière au sexe à qui il a été donné<br />

par <strong>la</strong> nature d'adoucir et <strong>de</strong> polir le nôtre. Dès que<br />

tous les <strong>de</strong>ux se rassemblent, dès qu'on fait <strong>de</strong> cette<br />

réunion un moyen habituel die bonheur, il faut Menf


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

pour Mr intérêt réciproque, que le plus dons et<br />

le plQs aimable donne <strong>la</strong> IoiY et que celui <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

qui apporte dans m commerce le plus d'agrément<br />

et <strong>de</strong> doues»* y ait aussi le plus d'kËuenee. Alors<br />

a dé •'établir le prâeip <strong>de</strong> ne jamais prononcer<br />

<strong>de</strong>?ant les femmes as mot fui pût les faire rougir :<br />

<strong>de</strong> là ce respect qu'aura toujours pour elles tout<br />

homme un peu délicat; sorte d'hommage qui peut<br />

les f<strong>la</strong>tter encore plus que le désir <strong>de</strong> leur p<strong>la</strong>ire,<br />

parce que l'un tient à l'attrait général <strong>du</strong> sexe, et<br />

que F autre est un témoignage d'estime ; <strong>de</strong> là ces<br />

égards que l'on doit à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>stie qui leur est naturelle<br />

, et qui doit nous être à nous-mêmes d'au*<br />

tant plus précieuse 9 que c'est encore en elles une<br />

grâce <strong>de</strong> plus et un charme nouveau qui se mile à<br />

l'expression <strong>de</strong> leur sensibilité.<br />

Tel était l'excellent ton <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> Louis XI Y,<br />

celui qui se fut sentir dans tous les monuments<br />

qui nous en restent 9 celui qui servit <strong>de</strong> modèle aux<br />

autres nations <strong>de</strong> l'Europe, et qui a fixé le caractère<br />

<strong>de</strong> l'urbanité française. C'est encore à ces traits<br />

que l'on reconnaît aujourd'hui <strong>la</strong> bonne compagnie,<br />

celle qui mérite véritablement ce nom. Sans doute<br />

<strong>la</strong> nation ne renoncera jamais à l'un <strong>de</strong>s avantagea<br />

les plus aimables qui l'aient distinguée jusqu'ici. On<br />

ne détruira pas le respect <strong>de</strong>s convenances sociales,<br />

sous prétexte d'égalité, et l'on ne nous dtera pas <strong>la</strong><br />

politesse <strong>de</strong>s nations civilisées ni <strong>la</strong> décence <strong>de</strong>s<br />

moeurs et <strong>du</strong> <strong>la</strong>ngage, sous prétexte <strong>de</strong> nous rendre<br />

ta gaieté. Ce serait au contraire une preuve que nous<br />

Taurions per<strong>du</strong>e, cette gaieté dont on nous parle,<br />

si l'os n'en pouvait plus avoir qu'aux dépens <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

pu<strong>de</strong>ur publique. Ce genre <strong>de</strong> gaieté est heureusement<br />

celui <strong>de</strong> tous dont on se dégoûte le plus vite.<br />

Ceux qui seraient tentés d'y avoir re<strong>cours</strong> y renonceront<br />

bientôt f ne fût-ce que par amour-propre. On<br />

y réussit à peu <strong>de</strong> frais; et c'est <strong>de</strong> toutes les sortes<br />

d'esprit celle dont les sots tirent le plus <strong>de</strong> parti.<br />

Ainsi, quoique d'honnêtes gens, entraînés-par <strong>la</strong><br />

curiosité ou par <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>, puissent s'amuser un moment<br />

<strong>de</strong> ces spectacles subalternes, comme on s'arrête<br />

quelquefois dans <strong>la</strong> ne <strong>de</strong>vant le théâtre <strong>de</strong><br />

Polichinelle, ils ne croiront jamais que <strong>la</strong> gaieté<br />

française aille prendre <strong>de</strong>s leçons â ces farces grossières<br />

9 qui auraient été affilées dans les <strong>cours</strong> <strong>de</strong><br />

Tenailles par les valets <strong>de</strong> pied <strong>de</strong> Louis XIV.<br />

•moi n. — De <strong>la</strong> ccnéite <strong>la</strong>tine.<br />

Il s'y a point, à proprement parler, <strong>de</strong> comédie<br />

<strong>la</strong>tine, puisque les <strong>la</strong>tins ne firent que tra<strong>du</strong>ire ou<br />

imiter les pièces grecques ; que jamais ils ne mirent<br />

sur le théâtre un seul personnage romain ; et que $<br />

dans tontes leurs pièces, c'est^toujours une ville<br />

grecque qui est le ieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène. Qu'est-ce que<br />

ISO<br />

<strong>de</strong>s comédies tartines où rien n f est <strong>la</strong>tin que le <strong>la</strong>ngage<br />

? Ce n'est pas là sans doute un spectacle national.<br />

Le nêtre lui-même n'a mérité ee titre que <strong>de</strong>puis<br />

Molière : avant loi, toutes nos pièces étaient espagnoles<br />

, parce que Lopez <strong>de</strong> Vega, Caldéron, Roxas,<br />

et d'autres, ftirent les premiers modèles <strong>de</strong> nos<br />

auteurs. Cest un tribut que payent en tout genre<br />

les nations qui viennent les <strong>de</strong>rnières dans <strong>la</strong> carrière<br />

<strong>de</strong>s arts : maïs quand on arrive après les autres,<br />

il reste une ressource ; c*est d'aller plus loin qu' eux ;<br />

et les Français ont eu cette gloire, qui a manqué<br />

aux Romains.<br />

Ennius, Nevfus, Ceeilioi, Aquîlius, et beaucoup<br />

d'autres, tous imitateurs <strong>de</strong>s Grecs, ne sont point<br />

venus jusqu'à nous. Il nous reste vingt et une pièces<br />

<strong>de</strong> P<strong>la</strong>nte, qui écrivait dans le temps <strong>de</strong> <strong>la</strong> secon<strong>de</strong><br />

guerre punique. Épichaf me, Diphilus, Dénriophile,<br />

et Philémon $ furent ceux dont il emprunta le<br />

plus. Si l'on en juge par ses imitations, on n'aura<br />

pas une gran<strong>de</strong> idée <strong>de</strong> ses modèles. Le comique<br />

<strong>de</strong> P<strong>la</strong>nte est très-défectueux : il est si borné dans<br />

ses moyens, si uniforme dans son ton, qu'on peut<br />

Fappeler un comique <strong>de</strong> convention, tel qu'a été<br />

longtemps celui <strong>de</strong>s Italiens, c'est-à-dire, un canevas<br />

dramatique retourné en plusieurs façons, mais<br />

dont les personnages sont toujours les mêmes. C'est<br />

toujours une jeune courtisane, un vieil<strong>la</strong>rd ou une<br />

vieille femme qui <strong>la</strong> vend, un jeune homme qu! Fa*<br />

chète; et qui se sert d'un valet fourbe pour tirer <strong>de</strong><br />

l'argent <strong>de</strong> ton père ; joignez-y un parasite, espèce<br />

<strong>de</strong> comp<strong>la</strong>isant <strong>du</strong> plus bas étage 9 et dont le méfier,<br />

à Athènes comme à Rome, était d'être prêt à tout<br />

faire pour le patron qui lui donnait à manger; <strong>de</strong><br />

plus, un soldat fanfaron, dont <strong>la</strong> jactance extra va*<br />

pute et burlesque a servi <strong>de</strong> modèle aux eapîtam,<br />

aux maêmmorm <strong>de</strong> notre vieille comédie, qui ne reparaissent<br />

plus aujourd'hui, même sur nos tréteaux :<br />

voilà les caractères qu! se représentent sans cesse<br />

dans les pièces <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nte. Cette uniformité <strong>de</strong> personnages<br />

et d'intrigues n'est que fastidieuse; celle<br />

<strong>du</strong> style et <strong>du</strong> dialogue est dégoûtante. Tous ces<br />

gens-là n'ont qu'un <strong>la</strong>ngage dans toutes les situations<br />

; c*est celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> bouffonnerie, souvent <strong>la</strong> plus<br />

p<strong>la</strong>te et <strong>la</strong> plus grossière. Vieil<strong>la</strong>rds, jeunes gens,<br />

femmes, esc<strong>la</strong>ves, soldats, parasites, tous sont <strong>de</strong>s<br />

bouffons qui ne s'expriment guère que par <strong>de</strong>s<br />

quolibets et <strong>de</strong>s turlupina<strong>de</strong>s. 11 paraît que P<strong>la</strong>ute<br />

et ceux qui! a suivis se sont entièrement mépris<br />

sur l'espèce <strong>de</strong> gaieté qui doit régner dans Sa comédie<br />

, et sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>isanterie qui convient au théâtre.<br />

Elle doit être naturelle et conforme à <strong>la</strong> situation<br />

et au caractère. Les personnages d'une comédie ne<br />

sont point <strong>de</strong>s ba<strong>la</strong>dins qui ne songent qu'à faire


C0D1S DE LnTÉBàTDBE.<br />

140<br />

rire, n'importa comment ; il faut que ïe poëte les<br />

fasse agir et parler <strong>de</strong> manière à faire rire sans<br />

qu'ils aient l'air <strong>de</strong> le vouloir et d'y penser, sans<br />

quoi il n'y a plus d'Illusion. L'humeur <strong>du</strong> Misanthrope<br />

et le jargon mystique et hypocrite <strong>de</strong> Tartufe<br />

nous font rire; mais il s'en faut <strong>de</strong> beaucoup que<br />

ni l'un ni l'autre ait l'air d'en a?oïr le <strong>de</strong>ssein : c'est<br />

' parce qu'ils sont vrais9 c'est parce qn' ils sont euxmêmes<br />

9 qu'ils sont p<strong>la</strong>isants et risibles. Aussi rien<br />

n'est meilleur que le Misanthrope» quand il dit à<br />

tout un cercle que ses bouta<strong>de</strong>s divertissent beaucoup<br />

:<br />

Par ta samMea t marinis, Je m «oyati pas état<br />

SI p<strong>la</strong>isant que Je suif.<br />

Et vraiment non f il ne le croit pas : il ne doit pas<br />

le croire; et c'est pour ce<strong>la</strong> même qu'il Test infiniment.<br />

Mais qu'un amant qui vient <strong>de</strong> perdre sa maîtresse,<br />

ou qui est brouillé avec elle, qu'un esc<strong>la</strong>ve<br />

menacé d'un châtiment rigoureux, qu'un père ir- <<br />

rite contre ses enfants ou contre ses valets 9 ne<br />

s'occupent qu'à bouffonner, c'est là proprement <strong>la</strong><br />

farce f et nullement <strong>la</strong> comédie. {<br />

P<strong>la</strong>nta ne connaît pas davantage toutes les autres<br />

convenances théâtrales. Ses acteurs adressent,<br />

à tout moment | <strong>de</strong> loup narrés f <strong>de</strong> longs monologues,<br />

d'insipi<strong>de</strong>s lieux communs, au spectateur,<br />

et causent sans cesse avec lui. Ses scènes sont remplies<br />

<strong>de</strong> longs m parte hors <strong>de</strong> toute vraisemb<strong>la</strong>nce.<br />

Ses personnages entrent et sortent sans raison,<br />

ou <strong>la</strong>issent le théâtre vi<strong>de</strong>. Des gens qui se disent<br />

très-pressés parlent un quart d'heure lorsque rien<br />

ne les empêche d'aller où ils ont affaire. Enfin t<br />

Fauteur ne parait point avoir pour but d'imiter <strong>la</strong><br />

nature, si ce n'est celle qu'il ne faut pas imiter;<br />

car il met sur <strong>la</strong> scène, avec <strong>la</strong> plus révoltante vérité,<br />

les mœurs <strong>de</strong>s femmes per<strong>du</strong>es et toute l'infamie<br />

<strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> prostitution; et9 quoiqu'il y ait<br />

eu, même <strong>de</strong> nos jours, <strong>de</strong>s auteurs assez insensés<br />

pour croire qu'une pareille peinture pouvait être<br />

bonne a quelque chose et avoir quelque mérite f on<br />

peut assurer qu'il est <strong>du</strong> <strong>de</strong>voir .<strong>de</strong>'l'écrivain et <strong>de</strong><br />

l'artiste <strong>de</strong> ne jamais présenter <strong>de</strong>s objets d'une<br />

telle nature qu'un honnête homme ne puisse y arrêter<br />

ses regards.<br />

P<strong>la</strong>nte eut beaucoup <strong>de</strong> réputation <strong>de</strong> son temps,<br />

et en conserva même dans le siècle d'Auguste.<br />

Yarron 9 Quintilien, Cïeéron 9 en font l'éloge 9 et cependant<br />

Térenee avait écrit. On loue particulièrement<br />

P<strong>la</strong>nté d'avoir bien connu le génie <strong>de</strong> sa <strong>la</strong>ngue,<br />

mérite très-grand pour les Latins, surtout<br />

dans un auteur qui écrivait avant quecette <strong>la</strong>ngue fût<br />

arrivée à sa perfection ; mérite qui peut s'accor<strong>de</strong>r<br />

avec un très-mauvais goût <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isanterie et un<br />

trèt-mauvais dialogue. Cest.œ «os nous .<br />

autorisés à penser d'après Horace , juge si in et si<br />

délicat, et qui dit en propres termes :<br />

• MM ii«i mit admiré ta vers et <strong>la</strong>s bons moto <strong>de</strong><br />

P<strong>la</strong>dte&vee une cwip<strong>la</strong>isaiM» qu'on peut appâter «Mae. »<br />

Mais9 parmi tant <strong>de</strong> défauts, quel fut donc son<br />

mérite? Le voici : un fonds <strong>de</strong> comique dans quelques<br />

situations 9 <strong>de</strong> <strong>la</strong> gaieté dans quelques scènes,<br />

«lia un caractère ? le seul à <strong>la</strong> vérité qui mérite ce<br />

nom, maïs que Molière a immortalisé en le surpassant,<br />

celui <strong>de</strong> FAmre. Il a fourni à ce même<br />

Molière fJmpkWrifm, l'original <strong>de</strong> Seagdn, «t<br />

quelques détails ; à Regnard s fet Ménêckmm et te<br />

JWofir imprém. Voilà sa gloire : elle est réelle ; car,<br />

quoique, dans les pièces même où -ils Font imité,<br />

nos <strong>de</strong>ux comiques Paient <strong>la</strong>issé bien loin <strong>de</strong>rrière<br />

eux, if est quelque chose d'avoir eu <strong>de</strong>s idées asseï<br />

heureuses pour que <strong>de</strong> si grands maîtres les aient<br />

Observons pourtant qu'aucun <strong>de</strong> ses ouvrages<br />

n 9 est <strong>du</strong> genre <strong>de</strong> ceux qui tiennent parmi nous le<br />

premier rang, n 9 est ce qu'on appelle <strong>du</strong> haut comique;<br />

que tel Fmtrberïes <strong>de</strong> Scspin et te Itefour<br />

imprévu se sont que <strong>de</strong> petites pièces, <strong>de</strong>s intrigues<br />

<strong>de</strong> valets ; et que si YAmphMryon et tes Mê~<br />

neekmes sont <strong>de</strong>s pièces très-p<strong>la</strong>isantes, il faut<br />

commencer par admettre dans Tune le merveilleux<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Fable, et dans l'autre un jeu <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, qui<br />

est une sorte <strong>de</strong> merveilleux f tant il est loin <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

vraisemb<strong>la</strong>nce. VAvare est 9 i <strong>la</strong> vérité, un caractère<br />

<strong>de</strong> comédie ; mais outre que Molière Fa p<strong>la</strong>cé<br />

dans <strong>de</strong>s situations beaucoup plus variées, il a su '<br />

rattacher à une excellente intrigue; et celle <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nte<br />

est très-mauvaise, ou plutôt il n'y a point <strong>du</strong> tout<br />

d'intrigue. Je ne dirai rien <strong>de</strong> ses autres pièces :<br />

l'analyse en serait aussi ennuyeuse qu'inutile. Je<br />

ne m'arrêterai que sur celles dont <strong>la</strong>. comparaison<br />

avec les mo<strong>de</strong>rnes peut être un objet <strong>de</strong> curiosité<br />

et d'instruction. Molièrea suivi à peu près <strong>la</strong> marche<br />

<strong>de</strong> f .Amphitryon <strong>la</strong>tin, en y ajoutant le rôle <strong>de</strong><br />

Cléanthis ; ce qui pro<strong>du</strong>it <strong>de</strong>s scènes si p<strong>la</strong>isantes<br />

entre elle et Sosie. 11 donne encore à celui-ci une<br />

scène <strong>de</strong> plus avec Mercure 9 celle où le dieu l'empêche<br />

d'eotrer à l'instant où l'on va se mettre à table.<br />

On se doute bien d'ailleurs qu'il a fait tous les changements,<br />

toutes te corrections que le goût peut<br />

indiquer, et que son dialogue est beaucoup plus<br />

châtié, plus précis, plus piquant que celui <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nte ;<br />

mais il ne faut pas dissimuler que les traits les plus<br />

heureux appartiennent à l'original. Ce que Molière<br />

a très-bien fait, c'est <strong>de</strong> ne pas imiter un prologue<br />

<strong>de</strong> cent cinquante vers que débite Mercure avant <strong>la</strong><br />

. pièce. U y a substitué'un dialogue très-ingénieux


entre Mereure et <strong>la</strong> Nuit. Mais il est bon <strong>de</strong> faire<br />

eonsaître quelques endroits <strong>du</strong> prologue <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nte.<br />

« Je m'appelle; Mêresrç. Je Tiens <strong>de</strong> h part <strong>de</strong> Jupiter<br />

vom prier Mes doucement et bien humblement <strong>de</strong> nom<br />

être HiTurable; car mon père, afin que TOUS te saehiet,<br />

est aussi poltroii qu'aucun <strong>de</strong> TOUS autres. Étant né <strong>de</strong><br />

AUCUNS, — POÉSIE. 141<br />

non moins choquant dans Fauteur <strong>la</strong>tin : Mereurv<br />

est sur <strong>la</strong> scène dès le commencement <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce ;<br />

il entend toute <strong>la</strong> narration 9 tous les raisonnements<br />

' race tsumûiie, 1 se fcui pas s'étonner si est timi<strong>de</strong>. Moi-<br />

WÈÊmmf quoique ils <strong>de</strong> Jupiter, je s'en suis pas plus hardi,<br />

et je crois que mm père m'a famœriËiieaié sa pnltronee»<br />

rie Ce Jupiter jouera dans h pièce; j'aurai l'hmmm <strong>de</strong><br />

jouer avec lui. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on a ? a Jupiter<br />

faire le bateleur.... Vous saves d'aHeurs qu'il ne se<br />

eotttfaist pas dans ses pats; il est <strong>de</strong> eompleilon fort<br />

amoureuse. Il est maintenant avec Alemène , sous h figure<br />

# Amphitryon.... »<br />

El le reste, qui explique tout le sujet <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce,<br />

Cest ainsi qu'où s'égayait aux dépens <strong>de</strong> Jupiter9<br />

iriS'imm et très-grand, sur 1® théâtre <strong>de</strong> Rome.<br />

Sosie outre <strong>la</strong> pièce au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit, mais ii<br />

n'a point <strong>de</strong> <strong>la</strong>nterne 9 dont Molière fait un usage<br />

si heureux. 11 meurt <strong>de</strong> peur d'être rencontré et<br />

battu ; œ qui amène d'abord un défaut <strong>de</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce;<br />

car plus il est peureux f plus il doit être<br />

pressé d'arriver, et ce n'est pas là le moment d'avoir<br />

avec lui-même une eonversation <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux cents vers,<br />

et <strong>de</strong> préparer le long récit qu'il doit faire à sa<br />

maîtresse. Le plus pressé pour luif c'est d'entrer à<br />

b maison. Molière a senti cette objection, et Fa<br />

prévenue. Après une vingtaine <strong>de</strong> vers sur sa frayeur<br />

et sur <strong>la</strong> condition <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves, Sosie dit :<br />

Mais enfin dans Foteeiff té<br />

M ¥©És sotie maison, et ma frayeur •'éva<strong>de</strong>.<br />

Le voilà rassuré ; il est <strong>de</strong>vant sa porte : c'est alors<br />

qu'il s'ueeup <strong>de</strong> son message :<br />

fi s» tendrait pour l'ajubassatto<br />

Qasiipa dtaoM» nrenédtté.<br />

• La naisemMaiiee est observée. Soit ce dialogue<br />

si comique <strong>de</strong> Sosie avec sa <strong>la</strong>nterne 9 qui n'est pas<br />

même indiqué dans le <strong>la</strong>tin. Picote , qui ailleurs a<br />

tant d f envie <strong>de</strong> faire rire ? même quand il ne le fout<br />

pas 9 est tombé ici dans un défaut tout opposé. Il a<br />

mis dans <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong> Sosie un récit très-suivi, trèsdétaillé<br />

et très-sérieux <strong>de</strong> <strong>la</strong> victoire <strong>de</strong>s Tbébains 9<br />

tel quil pourrait être dans une histoire ou dans un<br />

poème. Molière a conservé le ton <strong>de</strong> <strong>la</strong> comédie et<br />

<strong>la</strong> mesure <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène. Il a senti qu'on s f <strong>de</strong> Sosie; et <strong>de</strong>puis le moment où celui-ci l'aperçoit,<br />

il y a encore quatre pgesd'un double aparté ; c'està-dire<br />

que Mercure s'épuise en fanfaronna<strong>de</strong>s et en<br />

menaces pur épouvanter le pauvre Sosie, et que<br />

celui-ci, quoique <strong>de</strong>mi-mort <strong>de</strong> frayeur, répond par<br />

<strong>de</strong>s quolibets, qui font un contre-sens dans <strong>la</strong> situation.<br />

Molière en savait trop pur commettre toutes<br />

ces fautes. 11 ne fait entrer Mercure qu'à propos,<br />

se gar<strong>de</strong> bien <strong>de</strong> prolonger les m parte, ni <strong>de</strong> foire<br />

goguenar<strong>de</strong>r Sosie dès qu'il a aperçu Mercure. C'est<br />

<strong>la</strong> différence d'une peinture naïve à une caricature<br />

grotesque. Sosie fait rire par f escès <strong>de</strong> sa frayeur,<br />

et non pas par <strong>de</strong>s rébus et <strong>de</strong>s calembours. On<br />

s'étonnera peut-être que ce genre <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isanterie se<br />

trouve dans P<strong>la</strong>nte. Mais il tant rendre justice à<br />

qui elle est <strong>du</strong>e : les calembours sont <strong>de</strong> toute antiquité.<br />

Dans toutes les <strong>la</strong>ngues, on a joué sur les<br />

mots : Cicéron lui-même en .a donné l'exemple<br />

plus d'une fois; et Boiïean 9 en proscrivant les pointes,<br />

ne défend pas à <strong>la</strong> gaieté d'en faire quelquefois<br />

usage. Mais il observe, avec tous les gens <strong>de</strong> goii,<br />

que, ries n'étant plus aisé ni plus frivole que cette<br />

espèce <strong>de</strong>débauche d'esprit, il ne fout se <strong>la</strong> permettre<br />

que très-rarement et avec beaucoup <strong>de</strong> réserve.<br />

' Voici un <strong>de</strong>s calembours <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nte. Mercure dit<br />

' que <strong>la</strong> veille il assommé quatre hommes. Je crains<br />

bknf dit Sosie, <strong>de</strong> changer aujourd'hui <strong>de</strong> nom,<br />

et <strong>de</strong> m'appekr Quintw. Cest que Quintm, -qui<br />

était un nom romain, vou<strong>la</strong>it dire aussi timquième ;<br />

et Sosie craint <strong>de</strong> faire le cinquième. Il continue à<br />

bouffonne? sur le même ton. JMEBCUBB : Je ferai<br />

manger mes poings au premier que je rencontrerat<br />

SOSIB. fai soupe : gar<strong>de</strong> ce ragoût pour ceux<br />

qui ont faim. Mime» Une voix a voté vers moi.<br />

Ses. Jemds Mm matkewreux <strong>de</strong> n'avoir pas mwpê<br />

tes aUm è ma vote, puisqu'elle est motatMe. M Bac.<br />

Il faut qw je le charge <strong>de</strong> coups. Sos. Jetais km,<br />

je ne puis porter aucune charge. Mine. Je ne sais<br />

qui parle là. Sos. Je suis sami : Une me mît pas.<br />

Je m'appelle Sosie, et mnpas Je ne sais qui. Mime.<br />

Une voix m'a frappé è droite. Sos. Si ma voix ta<br />

frappé'Jeerains bien qu'ilmemefrappe moPmême.<br />

embarras- Tous ces jeux <strong>de</strong> mots sont <strong>du</strong> ton d'Arlequin, et<br />

serait fort pu <strong>du</strong> combat t et que le comique ne te­ son pas <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Molière. Mais, je le répète, tonnait<br />

qu'à h manière dont Sosie s'en tirerait. Il lui tes les p<strong>la</strong>isanteries <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène qui suit, et qui<br />

fait tracer comme il peut <strong>la</strong> disposition <strong>de</strong>s troupes; roule sur les <strong>de</strong>ux moi, sont excellentes, et Molière<br />

il f arrête pru<strong>de</strong>mment au €01711 d'armée, et amène n<br />

Mercure quand Sosie ne sait plus où il en est.<br />

Ce<strong>la</strong> vaut un peu mieux que <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nte,<br />

CJSM s'aurait pas manqué d'ennuyer. Autre défaut<br />

v a pu rien faire <strong>de</strong> mieux que <strong>de</strong> se les approprier.<br />

Il a emprunté aussi <strong>la</strong> querelle et le raccommo<strong>de</strong>ment<br />

avec Alemène, et <strong>la</strong> scène où Mercure, <strong>du</strong><br />

haut d'une fenêtre, traite si mal Amphitryon et


C0U1S DE UTTÉ1ATU1E.<br />

143<br />

achève <strong>de</strong> le pousser à bout; et même le dénuement<br />

f qu'il a accommodé à notre théâtre.<br />

La pièce (but il a tiré le rdfte ée r Avare a pour<br />

titre tÀuimMfê, d'un mot <strong>la</strong>tin qui signifie pot <strong>de</strong><br />

terre, parce que l'Avare <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ute, Euelion, a trouvé<br />

dans sa maison un trésor dans un pot <strong>de</strong> terre que<br />

son grand-père avait enf oui. Bans <strong>la</strong> pièce française,<br />

ce trésor n'a pas été trouvé, il a été amassé; ce qui'<br />

?aut beaucoup mieux. Ile pies, Harpagon est riche<br />

et connu pour tel ;cequirendsQoavarice plus.odieuse<br />

et moins excusable. Euelion est pauvre, et est à<br />

peu près dane le cas <strong>du</strong> savetier <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine, à<br />

qui ses cent éem tournent <strong>la</strong> tête. EucMoa, <strong>de</strong>puis<br />

qu'il a trouvé un trésor, n'est oeeupé qu 9 à le gar<strong>de</strong>r.<br />

Il est <strong>du</strong>s <strong>de</strong>s transes continuelles, et se refuse<br />

tout, <strong>de</strong> peur qu'on ne se doute <strong>de</strong> sa bonne<br />

fortune. Ce taMeau est vrai, et tous les traits en<br />

sontfrafpaiits. Euelion ©uvra<strong>la</strong> scène, comme dans<br />

Molière, en querel<strong>la</strong>nt sa servante , parée qu'il imagine<br />

qu'elle se doute <strong>du</strong> trésor, et qu'elle cherche à<br />

le voler. Il répète sans cesse qu'il est pauvre, ce<br />

qui est fort bien ; mais Harpagom dit <strong>la</strong> même efaosey<br />

ce qui est encore mieux» parée qu'on sait le contraire,<br />

Euelion met sa servante <strong>de</strong>hors pendant qu'il<br />

va dans l'intérieur <strong>de</strong> sa maison faire h visite <strong>de</strong><br />

son trésor : il est obligé <strong>de</strong> sortir, quoique à regret s<br />

et il en a une bonne raison 9 c'est qu'il va à une assemblée<br />

<strong>du</strong> peuple où l'on distribue <strong>de</strong> l'argent. Il<br />

ne faut rien moins pour faire sortir un avare. Obligé<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong>isser sa servante pour gar<strong>de</strong>r <strong>la</strong> maison, it lui<br />

défend d'ouvrir à personne, pas même à h Fortune,<br />

si elle se présentait. J'en serais bien étonnée, dit<br />

dit: ^oyomiaêmisièm, il Meuse <strong>la</strong> vraiseplifaiii».<br />

Euelion, qui n'est pas fou 9 sait bien qu'on n'a- que<br />

<strong>de</strong>ux mains. Molière a pourtant profité <strong>de</strong> ce trait ;<br />

maïs comment ? Harpagon, après avoir vu une main,<br />

dit : L'autre; et après avoir vu <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> f il dit encore,<br />

L'autre. Il n'y a.rien <strong>de</strong> trop, parce que <strong>la</strong><br />

passion peut lui'faire oublier qu'il en a vu <strong>de</strong>ux;<br />

mais elle ne peut pas lui persua<strong>de</strong>r qu'on en a trois.<br />

Le mot <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nte est d'un farceur, celui <strong>de</strong> Molière<br />

est d'un comique. '<br />

Un voisin riche vient <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>la</strong> 111e d"EiicKon<br />

, en mariage. Il croit d 9 abord qu'on a f<strong>la</strong>iré le trésor;<br />

mais on offre <strong>de</strong> <strong>la</strong> prendre sans dot, et ce<strong>la</strong> le rassure.<br />

On sait quel parti Molière a tiré <strong>de</strong> ce mot<br />

sans dot, qui lui a fourni une <strong>de</strong>s meilleures scènes<br />

<strong>de</strong> sa pièce. Le gendre (FEucKon envoie <strong>de</strong>s cuisi­<br />

niers chez lui, en son absence, pour préparer le repas<br />

<strong>de</strong>s noces, et fait porter tontes les provisions et<br />

tous les instruments <strong>de</strong> cuisine. Euelion, <strong>de</strong> retour,<br />

jette <strong>de</strong>s cris horribles y bat les cuisiniers, les met<br />

<strong>de</strong>hors, et gar<strong>de</strong> tout ce qu'on a apporté. Fort bien:<br />

mais faime encore mieux l'idée dn jwete français,<br />

qui, faisant soi avare amoureux y a mis aux prises<br />

les <strong>de</strong>ux passions qui vont le plus mal ensemble.<br />

La perfection <strong>du</strong> comique, c'est <strong>de</strong> mettre le caractère<br />

en contraste avec <strong>la</strong> situation. Bien n'est si<br />

divertissant que les angoisses d<br />

<strong>la</strong> servante; eUe me nous a jamais ren<strong>du</strong> visite.<br />

EUCLION. Fats bonne gar<strong>de</strong>. LA SBHVANTB. Et<br />

que voukz-vous que je gar<strong>de</strong>? M n'y a chez vous<br />

que <strong>de</strong>s Mks d'araignées. EUCLïOM. Je veux qu'il<br />

y en ait Je te dépends <strong>de</strong> ks ba<strong>la</strong>yer* Je reviens<br />

dam k moment : ferme ta porte aux verrous, et<br />

m'ouvre è gui que ce soit* Éteins kfeu, <strong>de</strong> peur<br />

qu'on ne t'en <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Tu es morte f sijenetroum<br />

pas kfm éteint* Si l'on vient te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r dm/eu,<br />

dis que nous m'en avons pas. Si l'on vient te <strong>de</strong>-<br />

' man<strong>de</strong>r un couteau, un mortier, un couperet, quelqu'un<br />

<strong>de</strong>s usiensUes que ks voisins ont coutume<br />

d'emprunter, dis que ks vokurs ont tout emporté.<br />

Tous ces traits ont <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité ; mais en voici<br />

qui sont outrés et hors <strong>de</strong> nature. On dit d'Euclîon<br />

qu'il se p<strong>la</strong>int qu'on le pille, quand <strong>la</strong> fumée<br />

<strong>de</strong> ses tisons sort <strong>de</strong> chez lui; qu'endormant il se<br />

met un soufflet dans Sa bouche 9 pour ne pas perdre<br />

sa respiration; qu'il ramasse les rognures <strong>de</strong> ses ongles,<br />

etc. C'est passer le but. De même lorsque<br />

après avoir examiné les <strong>de</strong>ux maint d'un esc<strong>la</strong>ve, il<br />

Y un avare qui se croit<br />

obligé <strong>de</strong> donner à dfner à sa préten<strong>du</strong>e, et qui voudrait<br />

bien ne pas dépenser beaucoup d'argent. Ce<br />

sont là <strong>de</strong> ces moments où le poète peut prendre<br />

<strong>la</strong> nature sur le fait, etqudwteiiryanftMrieoainie<br />

Molière?<br />

Enfin, le trésor cfIndien est découvert et volé<br />

par un esc<strong>la</strong>ve s et il se trouve en mime temps que<br />

sa fille a été violée par celui qui veut l'épouser, litclion<br />

ignore ce <strong>de</strong>rnier inci<strong>de</strong>nt, et n'est occupé que<br />

<strong>de</strong> son trésor, lorsque l'amant <strong>de</strong> sa allé vient lui<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pardon <strong>de</strong> son attentât; en sorte que tout<br />

ce que l'un dit <strong>de</strong> <strong>la</strong> lîîe violée est appliqué par l'autre<br />

au trésor emporté, méprise p<strong>la</strong>isante et théâtrale,<br />

dont Molière a bien connu <strong>la</strong> valeur; mats, substituant<br />

un moyen plus honnête* il a supposé que le<br />

jeune homme qui aime <strong>la</strong> fille ff Harpagon est dans<br />

<strong>la</strong> maison, déguisé en valet. Ce<strong>la</strong> pro<strong>du</strong>it là rtéme<br />

scène, les mêmes aveux, le. même dialogue à double<br />

entente, et enfin cette exc<strong>la</strong>mation qui a fait<br />

proverbe : Les beaux yeux <strong>de</strong> mm cassette ! mot<br />

qui n'est point une charge, parce qu'il est impossible<br />

qu'Harpagon ne le dise pas. Il voit un coupable<br />

qui avoue .: on lui parle <strong>de</strong> trésor; il ne songe<br />

qu'au sien, à sa cassette, enfin on lui parle <strong>de</strong> beaux<br />

yeux. Les beaux yeux <strong>de</strong> ma cassette! ce mot doit<br />

lui échapper. 11 est excessivement gai, mais en n'est


<strong>la</strong>nce <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux frères est le ressort principal que<br />

Regoard doit à Fiante ; 11 lui a pris aussi quelques<br />

stsatioits ; mais les siennes sont en général plus fortes,<br />

pli» piqoastes et plus Tariées. Dans P<strong>la</strong>nte, l'un<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux Méneehmes, qui a été enlevé à ses parents<br />

dans son énonce, fient dans Athènes, où son frère<br />

a use maîtresse, c'est-à-dire une courtisane : il n'y<br />

a es point d'antres sur les 'théâtres anciens. Il arrif e<br />

au moment ou Méneefame leeitadin fient <strong>de</strong> donner<br />

a sa maftrease une belle robe qu'il a prise à*sa femme,<br />

et <strong>la</strong>i a promis, es <strong>la</strong> quittant, <strong>de</strong> revenir dîner ehes<br />

dit. Un moment après, cette femme croit l'apercevoir<br />

«ur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce, et vient <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à Méaechme<br />

l'étranger pourquoi il se fait attendre et n'entre pas,<br />

puisqu'il n f a ries à faire. Cest précisément <strong>la</strong> scène<br />

<strong>de</strong> Aegnawl, lorsque Araminte et sa suifante attaquent<br />

Méoechme leprovindaL Mais quelle différence<br />

d exécution! Celui <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ute, après s'être défen<strong>du</strong><br />

quelque temps f Init par se prêter à <strong>la</strong> méprise, atten<strong>du</strong>,<br />

dit-ilf qu'il n'a rien <strong>de</strong> mieux à frire que<br />

ANCIENS* — POÉSIE.<br />

143<br />

pas <strong>la</strong> fente <strong>du</strong> poète; il n'a fou<strong>la</strong> dire qm le mot d'accepter un bon dtser qui ne lui coitera rien. Il<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> sature.<br />

feint d'âfoïr vouflo p<strong>la</strong>isanter; et <strong>la</strong> courtisane, qui<br />

Lyconi<strong>de</strong>, ce<strong>la</strong>i qui aime <strong>la</strong> fille d'Euelion, lui commençait à s'impatienter, lui remet alors cette<br />

fait rendre son cher pot <strong>de</strong> terre avec tout for qui même robe qu'elle croit âf oir reçue <strong>de</strong> lui, et le<br />

est <strong>de</strong>dans. Le bon homme, transporté <strong>de</strong> joie, prie <strong>de</strong> <strong>la</strong> porter chez le tailleur pour y faire mettre<br />

baise son trésor, le caresse. Rien <strong>de</strong> miens. Mais quelques agréments. Remarquons, en passant, que<br />

ce qu'os est lois d'attendre et <strong>de</strong> prévoir, c'est que <strong>la</strong> nomenc<strong>la</strong>ture <strong>de</strong>s ajustements <strong>de</strong> femme paraît<br />

dans l'Instant même il s'écrie :<br />

afoir été alors tout aussi safante et tout aussi éten­<br />

« A qui readnii-jê grâces? AEX dieux qui ont pitié <strong>de</strong>s <strong>du</strong>e qu'aujourd'hui. Yoiei quelqueMBS<strong>de</strong>snomsque<br />

honnêtes gens, on à mes amis qui m agissent si Mes avec les Athéniennes donnaient à leurs habillements s <strong>la</strong><br />

moi? A tous les <strong>de</strong>ax. »<br />

transparente, tejà<strong>de</strong>blé, le petit linge b<strong>la</strong>nc, «».<br />

Et aussitôt il met le trésor entre les mains <strong>de</strong> son<br />

térimr, <strong>la</strong> émmamtée, ia jaune êe aourt, lm èmigendre,<br />

et consent que tous les <strong>de</strong>ux s'établissent %ne, l'étrangère, <strong>la</strong> vermiUmm, lm metiœ, <strong>la</strong><br />

dans sa maison. Un esc<strong>la</strong>ve s'adresse aux specta­ céHne, <strong>la</strong> phmaMk, etc. Il est c<strong>la</strong>ir que les mar><br />

teurs, et dit :<br />

chau<strong>de</strong>s <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>s d'Athènes âf aient l'esprit aussi<br />

in ventif que celles <strong>de</strong> Paris : cet article méritait bien<br />

« Messieurs, l'avare Eacekn a changé tout à coup <strong>de</strong><br />

une petite digression.<br />

caractère : il est défera libéral. Si veug sentes snssl uier<br />

<strong>de</strong> isféraité essers wmi9 app<strong>la</strong>wlissex. »<br />

Méneehme Pétranger prend <strong>la</strong> robe, mange le dîner,<br />

et emporte encore les bijoux qu'on le charge<br />

îfcea» vraiment, je n'app<strong>la</strong>udirai point m dénom­<br />

<strong>de</strong> porter ehes le joaillier pour les raccommo<strong>de</strong>r. 11<br />

ment : il «mtredit trop <strong>la</strong> nature et l'un <strong>de</strong>s pré­<br />

dit à son falet qu'il a trouvé une bonne <strong>du</strong>pe. Toute<br />

ceptes <strong>de</strong> l'art qu'elle a le mieux fondé, celui <strong>de</strong><br />

cette con<strong>du</strong>ite n'est pas fort délicate dans un homme<br />

conserver jusqu'au bout l'unité <strong>de</strong> caractère. Un<br />

qu'on ne donne pas pour un escroc ; et <strong>de</strong> plus, elle<br />

•fa» ne se transforme pas ainsi tout à coup, surtout<br />

est fort peu comique. C'est dans Regnard qu'il frnt<br />

dans un moment ©u son trésor qu'il fient <strong>de</strong> retrou­<br />

foir <strong>la</strong> fureur également risible <strong>de</strong> Méneehme le<br />

ver doit lui être plus cher que jamais. J'app<strong>la</strong>udirai<br />

campagnard, qui croit que <strong>de</strong>ux friponnes feulent<br />

le talent qui se <strong>mont</strong>re dans le mm» <strong>du</strong> rôle ; mais<br />

le <strong>du</strong>per; et d'Araminte et <strong>de</strong> sa suifante, qui se<br />

et dénoâmoit et Ses autres débuts <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièee me<br />

folest insultées et méprisées. C'est là que <strong>la</strong> gaieté<br />

font voir que P<strong>la</strong>nte n'était pas très-avancé dans<br />

est portée à son comble, quand Araminte a re<strong>cours</strong><br />

fart drainatiqiie.<br />

aux <strong>la</strong>rmes pour attendrir celui qu'elle prend pour<br />

^ te causait le fonds <strong>de</strong>s Mémœkmêê : tout l'effet un inidèle; et que le campagnard, poussé hors <strong>de</strong><br />

tient à «es méprises , qui sont une <strong>de</strong>s sources <strong>de</strong> toute mesure, et ne sachant plus <strong>de</strong> quoi s'aviser<br />

eomïqiieles plus faciles et les plus sûres. La ressem­ pour se délivrer d'un pareil fléau, <strong>la</strong> conjure et<br />

Pexoreise, comme on exorcise les démons et les posédés.<br />

&priis démon, luUn, ombre, fsmise m farf€,<br />

Qui qm tu sols, enfin, ktee-moi, Je ta pria<br />

C'est là ce qui «'appelle' appr©fond» une situation.<br />

P<strong>la</strong>nte n'a fait que l'indiquer et l'effleurer.<br />

U n'a marqué aucune nuance dans le caractère<br />

<strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux Ménechmes : Regnard au contraire s'est<br />

avisé très-ingénieusement <strong>de</strong> frire <strong>de</strong> Pun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

un homme grossier et brusque, moyen sir <strong>de</strong> rendre<br />

bien plus vifes les scènes <strong>de</strong> méprises. En joignant<br />

ce qu'il a d'humeur avec «qu'on lui en donne d'ailleurs,<br />

il y a <strong>de</strong> quoi le rendre fou. Aussi ne dit-il<br />

ps un mot qui ne soft caractérisé. Dans P<strong>la</strong>nte,<br />

quand Méneelwie l'étranger parle <strong>du</strong> vaisseau sur<br />

lequel il est venu à Athènes :<br />

« Eh! bons dleaxî dit <strong>la</strong> courtisane, <strong>de</strong> quel vaisseau<br />

me voulez-fous parler? Ma*. Us vafsseae <strong>de</strong> Mu, qui<br />

<strong>de</strong>puis longtemps met à <strong>la</strong> relie, rogne, Jette faner©, te


144<br />

C0U1S DE LITTÉEATU1E.<br />

radoube, et reçoit bien <strong>de</strong>s «wp <strong>de</strong> martes®. C'est comme<br />

li boutique d'un pelletier j use pièce y jutai l'antre. »<br />

Ce n'est là que <strong>de</strong> <strong>la</strong> bouffonnerie. Eegnard a pourtant<br />

imité cet endroit $ mais en le corrigeant. Méneehme<br />

le campagnard parle aussi <strong>du</strong> coche qui Ta<br />

amené à Paris. • -<br />

Mais <strong>de</strong> quel mdm iet me Tosto-wo» parler ?<br />

—De coehe te plus ra<strong>de</strong> où mortel puisse aller ;t<br />

Et Je ne pense pas que <strong>de</strong> Paris à Rome,<br />

Un €@che, «pet ipll soit, eatwto mieux f»a homme.<br />

Voilà le ton <strong>de</strong> l'humeur ; et cette léponse est <strong>de</strong><br />

caractère.<br />

On ne inirait point si Fon fou<strong>la</strong>it épuiser ces sortes<br />

<strong>de</strong> parallèles, dont il suffît <strong>de</strong> présenter ridée<br />

pour marquer <strong>la</strong> différente manière <strong>de</strong>s<strong>de</strong>uxauteurs.<br />

Le goût dans les choses d'esprit est une espèce <strong>de</strong><br />

sens tout aussi délicat que les autres : il suffit <strong>de</strong> l'avertir*<br />

et il faut craindre <strong>de</strong> le rassasier.<br />

Ceux qui cherchent <strong>de</strong>s sujets d f <strong>de</strong>s moeurs honnêtes et une passion exclusive pour<br />

un seul objet. C'est ainsi qu'il a composé son Andrimm^<br />

qui a été transportée avec succès sur <strong>la</strong><br />

scène française. 1 n'y a ps chei loi un seul <strong>de</strong>s caractères<br />

bas qui s'offrent dans Piaule f pas une trace<br />

<strong>de</strong> bouffonnerie, nulle licence, nulle grossièreté,<br />

nulle disparate* Des comiques anciens qui nous<br />

restent, il est le seul qui ait 'mis sur le théâtre <strong>la</strong><br />

conversation <strong>de</strong>s honnêtes gens, le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong>s passions<br />

, le vrai ton <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature. Sa morale est saine<br />

et instructive, sa p<strong>la</strong>isanterie est <strong>de</strong> très-bon goût;<br />

son dialogue réunit <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté, le naturel, <strong>la</strong> précision,<br />

l'élégance. Toutes les bienséances théâtrales sont<br />

observées dans le p<strong>la</strong>n et dans <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> ses pièces»<br />

Que lui a-l-II donc manqué? Plus <strong>de</strong> force et<br />

d'invention dans l'intrigue, plus d'intérêt dans les<br />

sujets f plus <strong>de</strong> comique dans les caractères. Mais<br />

est-il bien sûr que ce soit là ce que Jules-César a<br />

opéras comiques voulu dire dans ces vers qu'on nous a conservés?<br />

pourraient m trouver un dans <strong>la</strong> pièce intitulée<br />

Cmine, une <strong>de</strong>s plus gaies <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nte. Cestunfieil- « Et toi sussi, <strong>de</strong>mMfénandre, te es p<strong>la</strong>cé parmi nos<br />

<strong>la</strong>ri amoureux d'une jeune orpheline élevée chez plus grands écrivains, et tu le mérites par <strong>la</strong> pureté <strong>de</strong><br />

luiv<br />

qu'il ¥eut faire épouser à un <strong>de</strong> ses es<strong>la</strong>wes, à con­<br />

ton style,Et p<strong>la</strong>t an <strong>de</strong>! qu'as charme <strong>de</strong> tes écrits se<br />

Joignit celte force comique qui fêtait si nécessaire peur<br />

dition qu'en bon valet il en fera les honneurs à son<br />

égaler tes Grecs, et que tu ne leur fusses pas si Mériear<br />

maître. C'est précisément le marché que le comte dans cette partie! Yoilà ce qm te manque, !éreac«t et<br />

Aima?iva propose à Susanne dans tes Nmes <strong>de</strong> Fi- fen ai bleu <strong>du</strong> regret »<br />

§®m, si ce n'est.que l'esc<strong>la</strong>ve est plus aecoramo*<br />

dant que <strong>la</strong> camériste. La femme <strong>du</strong> ¥ieil<strong>la</strong>rd; ins-<br />

Quels étaient donc ces Grecs qui avaient cette<br />

. traite <strong>de</strong> cette menée, protège un autre esc<strong>la</strong>ve, à<br />

for» comique qui manquait à Tértac© ? et comment<br />

qui elle veut aussi faire épouser <strong>la</strong> jeune personne.<br />

Térenee n'était-il qjuatamoUUdê'MénandreîOn sait<br />

Après bien <strong>de</strong>s débats entra le mari et <strong>la</strong> femme »<br />

qu'il prenait communément <strong>de</strong>ux pièces <strong>de</strong> fauteur<br />

on confient <strong>de</strong> s'en rapporter au sort. Le confi<strong>de</strong>nt -<br />

grec pour en faire une <strong>de</strong>s siennes; etf comme il<br />

n'a jamais <strong>de</strong> dnplieîté d'action f il est vraisemb<strong>la</strong>­<br />

<strong>du</strong> vieil<strong>la</strong>rd gagne ; mais on se réunit pour <strong>du</strong>per<br />

ble que les pièces qu'il empruntait étaient d'une ex­<br />

le vieux débauché; et, au lieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeune épousée,<br />

trême simplicité. Son exécution est en général fort<br />

il trouve une esc<strong>la</strong>ve robuste qui le traite fort ru<strong>de</strong>­<br />

nonne ; il n'est faible que dans l'invention. Et qui<br />

ment. Ce dénoûment est <strong>du</strong> genre <strong>de</strong> <strong>la</strong> farce ; mais<br />

Tempéchait <strong>de</strong> profiter <strong>de</strong> celle <strong>de</strong>s Grecs ? Yoilà une<br />

nous en avons plus d'un exemple, mime au théâtre<br />

<strong>de</strong>ces questions que rendra toujours însolutsJek perte<br />

français 9 qui, comme on sait, se permet quelquefois<br />

que nous avons faite <strong>de</strong> tant d'outrages <strong>de</strong>s anciens.<br />

<strong>de</strong> déroger.<br />

Térenee était né en Afrique , et fut élevé à Rome.<br />

Térenee n'a pas un seul <strong>de</strong>s défauts <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nte,<br />

Il faat qu'il y ait été transporté <strong>de</strong> trèsrboane heure,<br />

si ce n'est cette teinte d'uniformité dans les sujets<br />

puisqu'il a écrit si parfaitement en <strong>la</strong>tin. Afranins,<br />

qu'il n'a pu faire disparaître entièrement, mais<br />

pacte comique, qui eut <strong>de</strong> <strong>la</strong> réputation dans le<br />

qu'il a <strong>du</strong> moins effacée, autant qu'il était possible,<br />

même siècle, dît en propres termes : Vmu ne mm-<br />

fur un théâtre où il ne lui était pas permis d'établir<br />

pmrerez penmmêà Térenee. Quand il proposa son<br />

une intrigue avec une femme libre. Il ne pouvait,<br />

premier ouvrage, l'Àmàrmme, aux édiles, qui<br />

comme P<strong>la</strong>nte, donner à ses jeunes gens que <strong>de</strong>s<br />

étaient dans l'usage d'acheter les pièces pour les faire<br />

courtisanes pour maîtresses. Qu'a-t-il fiât? Il a<br />

représenter dans les jeux publics» qu'ils donnaient<br />

trouvé le moyen d'ennoblir cette espèce <strong>de</strong> person­<br />

au peuple, les édiles, avant <strong>de</strong> conclure avec lui,<br />

nages , <strong>de</strong> manière à y répandre une sorte d'intérêt.<br />

le renvoyèrent à Geeilius, auteur comique, à qui<br />

Il suppose ordinairement que ce sont <strong>de</strong>s enfants<br />

ses succès avaient donné en ce genre une gran<strong>de</strong> mu*<br />

enlevés à leurs parents , et ven<strong>du</strong>s par frau<strong>de</strong> ou<br />

torité. Le lïeia poète était à table quand Téreaca,<br />

pr acci<strong>de</strong>nt. Leur naissance est reconnue à <strong>la</strong> in<br />

encore jeune et inconnu, se présenta chez lui awe<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce ; dénoâment qui ne contredit rien <strong>de</strong> ce<br />

un extérieur fort pu imposant. Cecilius lui fit don<br />

qui précè<strong>de</strong>, parce que fauteur ne leur donne que


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

145<br />

•eron petit siège près <strong>du</strong> litoà il était assis. Téreoce qui il vivait <strong>de</strong>puis longtemps, lui conte son aven­<br />

commença à lire. Il n'avait pas fiai <strong>la</strong> première ture, et loi donne un anneau qu'il avait pris à cette<br />

seèoe, que Ceciius se leva, l'invita à souper, et le fille. Quelque temps après, son père le marie. Tou­<br />

fit asseoir à sa table; et lorsque, après le repas, Il jours épris <strong>de</strong> sa maîtresse, il traite sa nouvelle<br />

eut enten<strong>du</strong>' toute <strong>la</strong> pièce, il lui donna les plus épouse pendant <strong>de</strong>ux mois avec une entière Indif­<br />

grands éloges: exemple d'équité et <strong>de</strong> bonne foi férence. Elle souffre ses froi<strong>de</strong>urs avec une douceur<br />

d'autant plus intéressant, qu'il est plus rare que les et une patience Inaltérables, ne se p<strong>la</strong>int point, et<br />

grands écrivains soient disposés à louer leurs rivaux* ne songe qu'à lui p<strong>la</strong>ire et à s'en faire aimer. Elle<br />

et à aimer leurs successeurs.<br />

commence a faire d'autant plus d'impression sur<br />

Térenee était esc<strong>la</strong>ve; Phèdre le fabuliste le fut lui, qu'il est plus mécontent <strong>de</strong> l'humeur <strong>de</strong> sa<br />

aussi. Ptaote fut ré<strong>du</strong>it à travailler au moulin ; Horace maltresse, qui ne peut lui pardonner son mariage.<br />

était ils d'un affranchi. D'un autre cAté, César et Enfin, il y renonce absolument, et <strong>de</strong>vient très-<br />

Frédéric ont cultivé les lettres; ce qui prouve qu'e<strong>la</strong>moureux <strong>de</strong> sa femme ; cependant II est obligé <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

les peuvent relever les plus basses conditions, et quitter pour un voyage d'affaires. L'action <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

qu'elles ne dégra<strong>de</strong>nt pas les plus hautes. pièce commence au moment <strong>du</strong> retour <strong>de</strong> Pamphile,<br />

M fal<strong>la</strong>it qu'on fût persuadé à Rome <strong>de</strong> cette vé­ e.t tout ce que je viens d'exposer s'est passé dans Parité,<br />

même longtemps avant le siècle d'Auguste; vant-scène. A son arrivée, Pamphile apprend que<br />

car Scipion et Lelius passèrent pour avoir eu part Phllumène, c'est le nom <strong>de</strong> sa femme, ne pouvant<br />

aux comédies <strong>de</strong> Térenee. Ce qui est certain, 'c'est pas vivre avec sa belle-mère, s'est - retirée <strong>de</strong>puis<br />

qu'il fht honoré <strong>de</strong> l'amitié <strong>de</strong> ces grands hommes; quelque temps chez ses parents ; que, dans ce même<br />

et, ce qui est vraisemb<strong>la</strong>ble, c'est qu'ils l'aidèrent jour, Sostrata, <strong>la</strong> mère <strong>de</strong> Pamphile, est allée pour<br />

<strong>de</strong> leurs conseils, et que leur bon goût lui apprit à rendre visite à sa bru, et n'a point été reçue che«<br />

me pas suivre celui <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nte.<br />

elle. Il y va lui-même, et s'aperçoit que sa femme<br />

S'il eut à se louer <strong>de</strong> Ceeilius, il n'en fut pas <strong>de</strong> vient d'accoucher en secret, après avoir caché sa gros­<br />

mime d'an certain Lucius, viens poète dont il se sesse à tout le.mon<strong>de</strong>. Il n'est pas étonné qu'elle en<br />

p<strong>la</strong>int dans tous ses prologues, comme <strong>du</strong> plus ar­ ait fait un-mystère, parce qu'il sait que l'époque oà<br />

<strong>de</strong>nt et <strong>du</strong> plus acharné <strong>de</strong> ses détracteurs. Ce ses froi<strong>de</strong>urs ont cessé, et où il A commencé à vivre<br />

Lucius traitait Térenee <strong>de</strong> p<strong>la</strong>giaire, parce qu'il tra­ avec elle, ne peut s'accor<strong>de</strong>r légitimement avec <strong>la</strong><br />

<strong>du</strong>isait les Grecs ; et Térenee lui répond : naissance <strong>de</strong> l'enfant. Il gémit d'être forcé <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

m Toutes nos ptèe*s sont-elles autre chose que êm em­<br />

juger coupable, et se résout, danà sa douleur, à ne<br />

prunts <strong>la</strong>its aux Grecs? »<br />

<strong>la</strong> plus revoir. Mais ses parents et ceux <strong>de</strong> Phllumène<br />

, qui ne sont pas dansje secret <strong>du</strong> lit conjugal,<br />

Il paraît que Lucius n'avait pas su emprunter avec ne conçoivent rien à cette con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> Pamphile, et<br />

autant <strong>de</strong> succès que Térenee.<br />

s'Imaginent que son éloigaemeot pour sa femme<br />

U se fat pourtant pas toujours heureux au théâ­ n'a d'autre cause qu'un renouvellement d'amour<br />

tre. .Sa pièce Intitulée Mec^ro, (<strong>la</strong> Belle-Mère) ne pour Bacchis, cette courtisane qu'il aimait aupara­<br />

fut pas achevée, parce qu'au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> représenvant. Les <strong>de</strong>ux pères prennent le parti <strong>de</strong> <strong>la</strong> faire<br />

tatou on annonça un spectacle <strong>de</strong> g<strong>la</strong>diateurs, et venir, et <strong>de</strong> lui représenter le tort qu'elle se Ijait, et<br />

que le peuple se porta en foule dans le cirque pour les dangers où elle s'expose en brouil<strong>la</strong>nt ainsi un<br />

retenir ses p<strong>la</strong>ces; ce qui obligea les comédiens <strong>de</strong> fils <strong>de</strong> famille avec son épouse. Bacchis proteste que,<br />

quitter k scène quand Ils se virent abandonnés. <strong>de</strong>puis le mariage <strong>de</strong> Pamphile, elle n'a voulu avoir<br />

Cette pièce me paraît <strong>la</strong> plus intéressante <strong>de</strong> toutes aucun commerce avec lui. On lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si elle<br />

celles <strong>de</strong> Térenee, quant au sujet; car on désire­ osera bien affirmer ce fait en présence <strong>de</strong> Philumène<br />

rait plus d'action et <strong>de</strong> mouvement; mais'<strong>la</strong> Fable et <strong>de</strong> sa mère. Elle y consent, et cette entrevue éc<strong>la</strong>lr-<br />

pourrait servir à faire ce qu'on appelle' aujourcit tout et amène le dénomment, dont on est instruit<br />

d'hui un drame, qui, s'il était traité avec art, se- par un récit. La mère <strong>de</strong> Philumène reconnaît au<br />

rait susceptible d'effet. Voici quel est ce roman : doigt <strong>de</strong> Bacchis <strong>la</strong> bague <strong>de</strong> sa fille, cette même ba­<br />

Un jeune Athénien, dans le désordre d'une <strong>de</strong> ces gue que Pamphile avait arrachée <strong>du</strong> doigt <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeune<br />

fêtes <strong>de</strong>s anciens, où régnait une extrême liberté, personne à qui, peu <strong>de</strong> temps avant son mariage,<br />

sortant d'un repas au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit, et pris <strong>de</strong> il avait fait violence dans l'ivresse et dans <strong>la</strong> nuit.<br />

•<strong>la</strong>, rencoatre dans l'obscurité, et dans une rue C'était Philumène elle-même, qui n'avait fait confi­<br />

détournée, use jeune fille, et lui fait violence. Il va <strong>de</strong>nce <strong>de</strong> son malheur qu'à sa mère ; et sa mère,<br />

eti» une courtisane qu'il aimait beaucoup, et avec ne pouvant pas prévoir ce qui se passe entre sa fille et<br />

Là HâlPt. — TOlK I.<br />

10


140<br />

COURS DE UTTÉRAXUBE.<br />

Pampblie , et croyant que le mariage ©ouvrirait cette<br />

fatale aventure , m avait gardé le secret.<br />

11 est à remarquer que eette pièce y dont le fond<br />

offrait peut-être plus d'intérêt que toutes les autres<br />

<strong>du</strong> même auteur, est très-froi<strong>de</strong>ment traitée. Phituméfie<br />

ne parait point sur <strong>la</strong> scène ; son état ne serait<br />

pas une raison pour Térence, car rien n'était plus<br />

facile que <strong>de</strong> <strong>la</strong> supposer accouchée en secret chez<br />

sa mère, peu <strong>de</strong> temps avant le retour <strong>de</strong> Parapluie.<br />

Bacebis ne paraît qui pour Fêe<strong>la</strong>ireisseraent<strong>de</strong>FiB*<br />

trigue. Ces <strong>de</strong>ui personnages étaient cent qui au*<br />

raient pu y répandre le plus d'intérêt. Tout se passe 9<br />

au contraire, en scènes <strong>de</strong> contestation entre<br />

les imm beaux-pères et <strong>la</strong> belle-mère; scènes inutiles<br />

et ennuyeuses. Cette pièce est celle qui justiie le<br />

plus le reproche que Von a fait à Térence <strong>de</strong> manquer<br />

<strong>de</strong> foret dramatique.<br />

Irnejs et Pa<strong>la</strong>prat ont emprunté <strong>de</strong> F Eunuque<br />

leur Muet, dont <strong>la</strong> représentation est agréable et<br />

gaie. On se doute Mm que <strong>la</strong> pièce française est<br />

plus virement intriguée que celle <strong>de</strong> Térence. -Les<br />

comédies <strong>de</strong> l'ancien théâtre n'ont pas assez <strong>de</strong><br />

mouvement et d'action , et- c'est un <strong>de</strong>s avantages<br />

que le nétre s'est appropriés. La situation d'un<br />

jeune homme amoureux, intro<strong>du</strong>it chai celle qu'il<br />

aime, à titre, <strong>de</strong> muetY fournit nécessairement <strong>de</strong>s<br />

jiui <strong>de</strong> théâtre d'un effet comique. Le Ckérm <strong>de</strong><br />

Térence, intro<strong>du</strong>it en qualité d'eunuque dans <strong>la</strong><br />

maison d'une courtisane, où loge une jeune 111e<br />

dont il ?ient <strong>de</strong> <strong>de</strong>?eulr amoureux en <strong>la</strong> voyant<br />

passer dans <strong>la</strong> rue, et qu'il viole un moment après *<br />

ne prouve que Feïtréme liberté <strong>de</strong>s mœurs théâtrales<br />

chez les anciens. Le viol est chez eu un<br />

moyen dramatique assez fréquent. Ce qui peut les<br />

excuser, c'est que les lois n'accordaient aucune<br />

vengeance <strong>de</strong> cet outrage aux filles qui n'étaient pas<br />

<strong>de</strong> condition libre. Dans F Eunuque <strong>de</strong> Térence,<br />

celle qui a éprouvé les violences <strong>de</strong> Chérea est reconnue<br />

à <strong>la</strong> in pour être citoyenne, et il réponse*<br />

Ci qui nous paraîtrait bien plus étrange, et ee qui<br />

^ tient aussi à cette disparité <strong>de</strong>s mœurs, qu'il faut<br />

soigneusement observer dans les comparaisons <strong>du</strong><br />

théâtre ancien et <strong>du</strong> nôtre, c'est le singulier marché<br />

conclu dans cette même pièce entre Pbaedria,<br />

l'amant <strong>de</strong> <strong>la</strong> courtisane Thaïs, et le capitaine Thm«<br />

son son rival. Thaïs <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ingénument à Plias*<br />

dria, qu'elle aime, qu'il veuille bien cé<strong>de</strong>r <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce,<br />

pendant <strong>de</strong>ux jours, au capitaine, qui lui a promis<br />

une jeune esc<strong>la</strong>ve qu'il a achetée pour elle et qu'elle<br />

voudrait rendre à ses parents. L'Intention est bonne;<br />

niais <strong>la</strong> proposition nous semblerait un peu extraordinaire.<br />

CependantPhaedriay consent. Il fait plus :<br />

a <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, un parasite, ami <strong>du</strong> capitaine y<br />

représente au Jeune amant <strong>de</strong> Thaïs que ce capitaine<br />

est riche, qu'il aime <strong>la</strong> dépense et <strong>la</strong> bonne chère»<br />

que Thaïs aime aussi Tune et l'autre; et il conseille<br />

à Pbaedria, qui n'a'pas les moyens <strong>de</strong> subvenir à<br />

tout, <strong>de</strong> consentir au partage avec le capitaine, et<br />

Pbaedria y consent. II s'est <strong>mont</strong>ré cependant fort<br />

amoureux et fort jaloux pendant toute <strong>la</strong> pièce ;<br />

mais c'est que les mœurs <strong>de</strong> ces peuples ne permettant<br />

guère aux jeunes gens d'autres amours que celles<br />

<strong>de</strong>s courtisanes, il y entrait nécessairement plus<br />

<strong>de</strong> débauche qoe <strong>de</strong> passion; et ce<strong>la</strong> seul explique<br />

combien nos mœurs sont plus favorables à l'intérêt<br />

dramatique que celles <strong>de</strong>s Grecs et <strong>de</strong>s Romains.<br />

Les auteurs <strong>du</strong> Muet ont emprunté à Térence ses<br />

plus heureux détails : mais c'est ici que l'original<br />

prend m revanche; les imitateurs sont Men loin<br />

d'égaler sa diction et son dialogue.<br />

Ce n'est qu'à Molière qu'il a été donné <strong>de</strong> surpagser<br />

Térence, même dans eette partie, quand il lui<br />

fait l'honneur <strong>de</strong> limiter* On sait d'ailleurs combien,<br />

sous tous les rapports, notre Molière est supérieur<br />

à tous les comiques anaiesa et mo<strong>de</strong>rnes. 11 a pris<br />

dans le Pkormim <strong>de</strong> Térence le fond <strong>de</strong> l'intrigue<br />

<strong>de</strong> ses Fourberies <strong>de</strong> Seapin ; ici .c'est un valet<br />

fourbe qui <strong>du</strong>pe <strong>de</strong>ux vieil<strong>la</strong>rds cré<strong>du</strong>les, et leur '<br />

escroque <strong>de</strong> l'argent pour servir les amours <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

jeunes gens; là, c'est un parasite qui fait le même<br />

rôle, <strong>de</strong> concert avec un valet. Mais fauteur français-<br />

est bien au-<strong>de</strong>ssus <strong>du</strong> <strong>la</strong>tin par <strong>la</strong> gaieté et <strong>la</strong><br />

verve comique. C'est pourtant dans cette pièce que<br />

Êoileau lui reproche, et avec raison , d'avoir à<br />

Térence mlUé Tabarin. Molière, en effet, y est<br />

<strong>de</strong>scen<strong>du</strong> jusqu'à <strong>la</strong> farce, ce que Térence n v a pas<br />

fait. Mais nous savons aussi que Molière avait besoin<br />

<strong>de</strong> farces pour p<strong>la</strong>ire à <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong>, qu'il n'avait<br />

pas encore assez formée ; et f dans cette même<br />

pièce <strong>de</strong> Say&in, m qui n 9 est pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> farce est<br />

bien au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce <strong>de</strong> Térence, et les scènes<br />

imitées <strong>du</strong> <strong>la</strong>tin sont bien autrement comiques en<br />

français.<br />

11 en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong>s J<strong>de</strong>lpkes, quoique ce<br />

soit, après FJndrierme, le meilleur ouvrage <strong>de</strong><br />

Fauteur. Molière, dans l'École <strong>de</strong>s Maris, a imité<br />

le contraste <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux frères, dont Fun a pour principe<br />

<strong>la</strong> sévérité dans l'é<strong>du</strong>cation <strong>de</strong>s enfants, et<br />

l'autre l'in<strong>du</strong>lgence. Le mérite êmJéépMs consiste<br />

en ee que Fintrigue est nouée <strong>de</strong> manière que celui<br />

<strong>de</strong>s<strong>de</strong>ux jeunes gens qui a le plus <strong>de</strong> liberté n'en abuse<br />

qu'en faveur <strong>de</strong> celui qui est élevé dans <strong>la</strong> contrainte.<br />

S'il enlève une file à force ouverte dans <strong>la</strong> maison<br />

d'un marchand d'esc<strong>la</strong>ves, c'est pour <strong>la</strong> remettre<br />

à son jeune frère f dont elle est aimée. 11 arrive <strong>de</strong><br />

là que l'instituteur rigoureux, qui oppose sans cesse


Il sagesse <strong>de</strong> son élè?a an désordres qu'il reproche<br />

à Fautre, joue sans cesse le râle d'une <strong>du</strong>pe s et c'est<br />

là le comique. Molière fa fort bien saisi, et, dans<br />

fÈe®k <strong>de</strong>s Maris, le tuteur à verrous et à grittes<br />

est <strong>du</strong>pé continuellement par Isabelle , doet il vante<br />

<strong>la</strong> sagesse, tandis que Léonore f éle?ée dans les principes<br />

d'une liberté raisonnable , ne trompe pas un<br />

moment <strong>la</strong> confiance <strong>de</strong> son tuteur. Mais Fou voit<br />

aussi que le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> Molière remplit beaucoup mieux<br />

le but moral. Térence n ? a fait qu'opposer un excès<br />

à un excès : si Fan <strong>de</strong>s vieil<strong>la</strong>rds refuse tout à son<br />

Hsf Fautre permet tout au sien. Ce sont <strong>de</strong>ui extrêmes<br />

également blâmables ; et qu'Esehyne commette<br />

es violences et fasse <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ttes pour son compte<br />

cm pour celui <strong>de</strong> son frère, sa con<strong>du</strong>ite n'en est pas<br />

•noms v^réhensible. Il en résulte seulement que le<br />

wMMard trompé fait rire en s 9 app<strong>la</strong>udissant d'une<br />

é<strong>du</strong>cation qui 9 dans le Éti 19 n f a pas mieux réussi que<br />

f autre; au Eau que Molière au comique <strong>de</strong> <strong>la</strong> méprise<br />

a joint Futilité <strong>de</strong> <strong>la</strong> leçon. Chez lui le tuteur<br />

île Léonore est dans <strong>la</strong> juste mesure, et ne permet<br />

à sa papille que ce qui est conforme à <strong>la</strong>-décence.<br />

I est récompensé par le succès, comme le tuteur<br />

tyran est puni par les disgrâces qiill s'attire : tout<br />

est dans l'ordre 9 et ce p<strong>la</strong>n est parfait*<br />

La plus faible <strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> Térence est celle qui<br />

a pour titre H^autanHmorumenoê, mot grec qui<br />

signifie , i'hmnme qui se punit M^méme. On fait<br />

mmm ici un «ces, remp<strong>la</strong>cé p«r un excès. C'est un<br />

père qui a séparé son fils d'une eourtisape qu'il<br />

aimait, et Fa forcé <strong>de</strong> s'éloigner : <strong>de</strong>puis ce temps<br />

il est au désespoir <strong>du</strong> départ <strong>de</strong> son ils; il s'est re»<br />

tiré à <strong>la</strong> campagne 9 où il se condamne aux plus ru<strong>de</strong>s<br />

travaux. Ce chagrin peut se concevoir; mais,<br />

dès qoe son iii est re?enu , il défient le f<strong>la</strong>tteur <strong>de</strong><br />

ses pâmons et le complice <strong>de</strong> ses esc<strong>la</strong>ves, dont il<br />

encourage les mensonges et les escroqueries : toujours<br />

<strong>du</strong> trop. L'intrigue d'ailleurs roule sur une<br />

mépriae à peu près semb<strong>la</strong>ble à celle <strong>de</strong>s J<strong>de</strong>îphm;<br />

mais trèsrfroi<strong>de</strong> ici, parée qu'il n'y a personne à<br />

tromper.<br />

Lessixcciiiiédies que nousaTons<strong>de</strong>Térence étaient<br />

composées avant qu'il eût atteint fige <strong>de</strong> trentecinq<br />

ans. 11 entreprit alors un ?oyag@ en Grèce, et<br />

périt dans le retour. Mais, sur <strong>la</strong> <strong>du</strong>rée <strong>de</strong> son<br />

?oyage , sur l'époque et les circonstances <strong>de</strong> sa mort %<br />

m t f â que ies traditions incertaines.<br />

ANCIENS. — POÉSIE. 14t<br />

CHAPITRE VII. — Be Im poésie fyrique chez k$<br />

emeiens.<br />

mmm PREMIèEE. — De» lyriques pecs.<br />

On convient qne Fo<strong>de</strong> était chantée ehei les anciens.<br />

Le mot dTxfe lui-même signiie chant, |ô ne<br />

prétends point n'enfoncer dans <strong>de</strong>s discussions<br />

profon<strong>de</strong>s sur <strong>la</strong> lyre <strong>de</strong>s Grecs et celle <strong>de</strong>s Latins ;<br />

sur l'accord <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique, <strong>de</strong> <strong>la</strong> dansa et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

poésie ehes ces peuples; sur <strong>la</strong> strophe, l'antistrophe<br />

et <strong>la</strong> péristropba, qui marquaient les mouvements<br />

faits pour accompagner celui qui maniait Finstrament<br />

; sur <strong>la</strong> mesure <strong>de</strong>s vers lyriques ; 1er cette<br />

liberté d'enjamber d'une strophe à Fautrey ie manière<br />

qu'un sens commencé dans <strong>la</strong> première ne i- 9<br />

nissait que dans <strong>la</strong> secon<strong>de</strong>; sur <strong>la</strong> possibilité d'accor<strong>de</strong>r<br />

ces suspensions <strong>de</strong> sens arec les plurales,<br />

musicales et les pas <strong>de</strong>s danseurs : toutqp ces difll»<br />

cultes ont sautent exercé les savants r«t plusieurs<br />

ne sont ps encore éc<strong>la</strong>ircies. On peut » représenter<br />

l'histoire <strong>de</strong>s arts , ehez les anciens, comme un<br />

pays immense, semé <strong>de</strong> monuments et <strong>de</strong> ruines ,<br />

<strong>de</strong> chefg-d'ftufre et <strong>de</strong> débris. Mous avons mit<br />

notre gloire à imiter les uns et à étudier les autres.<br />

Mais le génie a été plus loin que l'érudition*, et il<br />

est plus sûr que l'Jpkigéwk <strong>de</strong> Racine est aut<strong>de</strong>ssite<br />

<strong>de</strong> celle d'Euripi<strong>de</strong> qu'il n'est sûr que nous ayqps<br />

bien compris <strong>la</strong> combinaison et les procédés <strong>de</strong> tous<br />

les arts qui concouraient chez les Grecs à <strong>la</strong> représentation<br />

û'Iphigénie. *<br />

D'ailleurs, les anciens n $ ont rien fait pour nous<br />

conserf ar une tradition exacte <strong>de</strong> leurs connaissances<br />

et <strong>de</strong> leurs progrès. Uf n'ont point pris <strong>de</strong> précaution<br />

contra le temps et <strong>la</strong> barbarie. U.semb<strong>la</strong>it<br />

qu'ils ne redoutassent ni Fun ni l'autre* et peut-être<br />

doit-on pardonner à ces peuples qui jouèrent longtemps<br />

dans le monda un rôle si brû<strong>la</strong>nt, d'avoir<br />

été trompés par <strong>la</strong> sentiment <strong>de</strong> leur gloire et <strong>de</strong> leur<br />

immortalité.<br />

Les différences dans les mœurs 9 dans ia »lsfj(§i 9<br />

dans le gouvernement, dans <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue, ont dâ«écessairement<br />

en amener aussi dans <strong>la</strong>s arts que noib<br />

avons imités, et qui ont pris sous nos mains ëe<br />

nouvelles formes. Ainsi les mêmes mots n'ont plus<br />

signifié les mêmes choses, Nous avons continué<br />

d'appeler une action héroïque, dialogué® sur II<br />

scène, <strong>du</strong> nom <strong>de</strong> tragédie (qui signiie cfmmsmdn<br />

imm, parce qu'autrefois un bouc en était h prix) 9<br />

quoique nos tragédies ne soient plus chantées, £t .<br />

que Fauteur <strong>du</strong> Siège <strong>de</strong> Ctàais ait reçu, au Ûeu<br />

d'un bouc, une médape d'or. Ainsi ooosjmms <strong>de</strong>s<br />

o<strong>de</strong>s, quoique nos o<strong>de</strong>s ne soient point <strong>de</strong>s chanU;<br />

et ces o<strong>de</strong>s ont <strong>de</strong>s strophes, eu emm*imsf<br />

.* s©*


148<br />

quoiqu'on n f ait encore jamais Imaginé <strong>de</strong> mettre<br />

YO<strong>de</strong> à <strong>la</strong> Fortune m ballet.<br />

Tout et que je me propose ici 9 c'est <strong>de</strong> readre<br />

compte ûék différences les, plus essentielles que<br />

j'ai eru* remarqaer entre les odêSi les chmmtê <strong>de</strong>s<br />

météos y et les ?ers qu'on nomme parmi nous mks,<br />

gui ne sont point chantés, et qui sou?ent même<br />

ne sont pas tus.<br />

Un était m'offre es général l'idée d'une inspiration<br />

.soudaine, d!ùn mon?ement qui ébranle notre<br />

âme, d'un sentiment qui a besoin <strong>de</strong> se pro<strong>du</strong>ire<br />

an <strong>de</strong>hors. 1 semble que rien <strong>de</strong> ce qui est étudié,<br />

réfléchi Yien <strong>de</strong> ce qui suppose l'opération tranquille<br />

<strong>de</strong> l'enten<strong>de</strong>ment, n'appartienne au chant conçu <strong>de</strong><br />

• cette manière. Le chanteur m'offrira beaucoup plus<br />

dé sentiments et d'images que <strong>de</strong> raisonnements ,<br />

jglf arltfa bien plus à mes organes qu'à ma raison.<br />

Sf le «on, <strong>de</strong> l'instrument qui résonne sous ses<br />

doigts* si l'impression irrésistible <strong>de</strong> l'harmonie ,<br />

si le p<strong>la</strong>isit qu'il éprou?e et qu'il donne, fient à relouer<br />

plus fortement son âme, et ajoute <strong>de</strong> moment<br />

en moment à <strong>la</strong> première impulsion qu'il ressentait 9<br />

tiers il %s'élève jusqu'à l'enthousiasme ; les objets<br />

pstent rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong>?ant lui9 et se multiplient<br />

sous ses yeui 9 comme les accords se pressent sous<br />

•dn archet. Ses chants* portent dans les âmes le trou-<br />

M§qui paraît être dans <strong>la</strong> sienne : c'est un oraele,<br />

m prophète, un poète; U transporte et il est transpira;<br />

il semble maîtrisé par une puissance' étran-<br />

•gêre^ui le fatigue et l'accable, il halète sous le<br />

dieu qui le remplit ; et f semb<strong>la</strong>ble à un homme emporté<br />

par une <strong>cours</strong>e rapi<strong>de</strong>, il ne s'arrête qu'au momeat<br />

où il est déli?ré <strong>du</strong> finie qui l'obsédait.<br />

C'est précisément sous ces traits que les anciens<br />

fêtaient se représenter le poème lyrique, si Pon<br />

•eut se souTemr que leur poésie, qui par ellemême<br />

était une espèce <strong>de</strong> musique focale, se se<br />

séparait point <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique d'accompagnement,<br />

et que l'harmonie pro<strong>du</strong>it un enthousiasme réel<br />

^danf tous les hommes qui ont <strong>de</strong>s organes sensibte%<br />

soit qu'ils composent, soit qu'ils écoutent.<br />

HI était Pindare, <strong>du</strong> moins s'il faut en croire Ho-<br />

Écoutons un poëte qui parle d'un poète.<br />

, Ah ! que Jamais mortel, émule <strong>de</strong> Wndarê,<br />

tfe t'expose à le stii m en son vol orgaellfeui :<br />

Sur <strong>de</strong>s ailes <strong>de</strong> cire élevé dm» les <strong>de</strong>ux ,<br />

Il retracerait à nos yeux<br />

L'sjtdaee et <strong>la</strong> chute d'Icare.<br />

.Xel qu'us t&rrent furieux<br />

Qui f grossi ptr les ©rageji,<br />

"il Mplève en grondant et couvre ses rivages ;<br />

Tel se chantre impérieui,<br />

Iw d'enthousiasme, ivre <strong>de</strong> l'harmonie,<br />

Des vâstts profon<strong>de</strong>urs- <strong>de</strong> son puissant génie,<br />

Précipite à gpod bruit ses vers Impétueux ;<br />

«1 v«« F** d*n bouil<strong>la</strong>nt délire,<br />

COU1S BE UTTÉEATU1E.<br />

El <strong>de</strong> termes mmwmmK tofenteer admiré,<br />

n <strong>la</strong>isse errer sur sa lyre *<br />

Le broyant dithyrambe s à Bacchns consacré;<br />

Soit que, soumis eux lois d'un rhy thme plus sévère »<br />

Il chante les immortels,<br />

Et ces enfants 4es dieux t vainqueurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Chimère<br />

Et <strong>de</strong>s centaures cruels;<br />

Soit qu'aux champs <strong>de</strong> TÊU<strong>de</strong>, épris d'une titre gloire,<br />

11 ramène triomphants<br />

L'athlète et le <strong>cours</strong>ier qu'a choisis <strong>la</strong> Yietolre t<br />

Qui mieux que sur l'airain revivront dans ses chants;<br />

Soit qu'enf<strong>la</strong> ? sur <strong>de</strong>s tons plus doux et plus touchant! •<br />

11 calme les regrets d'une épouse ép!oréef<br />

Et dérobe à <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong>s temps<br />

D*UB Ils ou d'un époux lt mémoire adorée, etc.<br />

Si quelqu'un, d'après ce portrait, m lire Pindare<br />

ailleurs que dans l'original, il croira qu'Horace<br />

a?ait apparemment ses raisons pour exalter ce lyrique<br />

grec; mais quant à <strong>la</strong>i, il s'accommo<strong>de</strong>ra fort<br />

peu <strong>de</strong> tout ce magniiqiie appareil <strong>de</strong> mythologie<br />

qui remplit les o<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Pindare, <strong>de</strong> ces digressions<br />

éternelles qui semblent étouffer lé sujet principal,<br />

<strong>de</strong> ces écarts dont on ne ? oit ni le kit ni le point<br />

<strong>de</strong> réunion. Quelques gran<strong>de</strong>s images qu'il aperee?ra<br />

ça et là malgré <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction qui en aura été<br />

le coloris, quelques traits <strong>de</strong> force qui n'auront<br />

pas été tout à fait détruits 9 ne lui paraîtront pas us<br />

mérite suffisant pour lui faire aimer <strong>de</strong>s ouvrages<br />

où d'ai Heurs rien ne rattache. Il s f ennuiera f il quittera<br />

le litre 9 et il aura raison. Mais s'il juge Piadare<br />

et contredit Horace, sur cette lecture, je crois<br />

qu'il aura tort.<br />

Bappelons-aous d'abérd ce principe très-connu,<br />

qu'on ne peut pas juger un poëte sur une ¥ersion<br />

en prose; et cette autre qui n'est pas moins incontestable,-qu'en<br />

le lisant, même dans sa <strong>la</strong>ngue, il<br />

faut, pour être juste à son égard, se reporter au<br />

temps où il écrivait. Cette théorie n'est pas contestée;<br />

mais <strong>la</strong> pratique est plus difficile qu'on ne<br />

pense. Nous sommes si remplis <strong>de</strong>s idées, <strong>de</strong>s-moeurs,<br />

<strong>de</strong>s préjugés qui nous entourent, que nous avons<br />

1 Le dithyrambe <strong>de</strong>s anciens était originairement 9 ainsi<br />

que <strong>la</strong> tragédie; consacré à Baeehus, comme son nom linéique;<br />

il s'étendit ensuite à <strong>la</strong> louange <strong>de</strong>s héros. L'antiquité<br />

se nous en t <strong>la</strong>issé aucun modèle, et nous ne pouvons en<br />

avoir d'autre idée que eelie qu'Horace nous donne Ici es par»<br />

<strong>la</strong>s! éee dithyrambes <strong>de</strong> Pindare. Sur ce qu'il « dit, on doit<br />

croire que c'était un genre <strong>de</strong> poésie hardi (


«ne disposition très-prompte à rejeter tout ce qui<br />

fions paraît s'en éloigner. J ? a¥oue que <strong>la</strong> familledTOercale<br />

et <strong>de</strong> Thésée, les mmîmmê <strong>de</strong> Cadmus<br />

et <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong>s Géants, les jeux olympiques et l'expédition<br />

<strong>de</strong>s Argonautes, ne sous-touchent pas d'aussi<br />

près que les Grecs, et que <strong>de</strong>s o<strong>de</strong>s qui ne contiennent<br />

guère que <strong>de</strong>s allusions à toutes ces fables 9 et<br />

qui roulent toutes sur le même sujet f ne sont pas<br />

très-piquantes pour nous. Mais il fmt mmwmk<br />

aussi cpe l'histoire <strong>de</strong>s Grecs <strong>de</strong>vait intéresser les<br />

Grecs ; que ces fables étaient en gran<strong>de</strong> partie leur<br />

histoire; qu'elles fondaient leur religion; que les<br />

jeux olympiques 9 isthmiena, néméens, étant <strong>de</strong>s<br />

actes religieux, <strong>de</strong>s fêtas solennelles en l'honneur<br />

<strong>de</strong>s dieux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce'; le poète ne pouvait rien faire<br />

<strong>de</strong> plus agréable pur ees peuples que <strong>de</strong> mêler ensemble<br />

les noms <strong>de</strong>s dieux qui avaient fondé ees<br />

jeux, et ceux <strong>de</strong>s athlètes qui venaient d'y triompher.<br />

Il consacrait ainsi <strong>la</strong> louange <strong>de</strong>s vainqueurs en <strong>la</strong><br />

joignant à celle <strong>de</strong>s immortels, et il s'emparait avi<strong>de</strong>ment<br />

<strong>de</strong> ees fables si propres à exciter l'enthousiasme<br />

lyrique et à déployer les richesses <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie.<br />

On ne peut sierv en lisant Pindare dans le grée,<br />

qu'il ne soit prodigue <strong>de</strong> cette espèce <strong>de</strong> trésors t<br />

qui semblent naître en foule sous sa plume. 11 n'y a<br />

point <strong>de</strong> diction plus audaeieusement igùrée. Il<br />

franchît tontes les idées intermédiaires; et ses phrases<br />

sont une suite <strong>de</strong> tableaux dont il faut souvent<br />

suppléer <strong>la</strong> liaison. Toutes les formules ordinaires<br />

qui joignent ensemble les parties d'un dis<strong>cours</strong> ne<br />

se trouvent jamais dans ses chants : d'où l'on peut<br />

condor© que les Grecs, qui avaient une m gran<strong>de</strong><br />

admiration pour ce poète, étaient bien éloignés d'exiger<br />

<strong>de</strong> lui €ette marche méthodique que nous voulons<br />

trouver plus ou moins ressentie dans toute espèce<br />

d'ouvrages ; ce tissu plus ou moins caché qui<br />

ne doit jamais nous échapper, et que notre préten<strong>du</strong><br />

désordre iyriquen'a jamais rompu. Les Grecs, beaucoup<br />

plus sensibles que nous à <strong>la</strong> poésie <strong>de</strong> style,<br />

parce que leur <strong>la</strong>ngue était éléroentajrement plus<br />

poétique f <strong>de</strong>mandaient surtout au poète <strong>de</strong>s sons et<br />

<strong>de</strong>s images! et PKndaro leur prodiguait Tue et l'autre.<br />

Quoique les grâces particulières <strong>de</strong> <strong>la</strong> pfonondation<br />

grecque soient en partie per<strong>du</strong>es pour nous,<br />

il est impossible <strong>de</strong> n'être ps frappé <strong>de</strong> cet assemb<strong>la</strong>ge<br />

<strong>de</strong> syl<strong>la</strong>bes toujours sonores^ <strong>de</strong> cette harmonie<br />

toujours imitative, <strong>de</strong> ce rhythme imposant et majestueux<br />

qui semblefalt pour retentir dans l'Olympe.<br />

Quelque difficulté qu'il y ait à conserver dans notre<br />

versification une partie <strong>de</strong> ees avantages, le désir<br />

que j'ai <strong>de</strong> donner au moins quelque idée dé <strong>la</strong> marche<br />

<strong>de</strong> Pindare m'a engagé à essayer <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ire le<br />

«MBma3eeme&t <strong>de</strong> <strong>la</strong> première Pythique. Cette o<strong>de</strong><br />

fat compilée en Henné» d'Hiéron, roi <strong>de</strong> %n-<br />

ANCIENS. — POÉSIE. 14f.<br />

cuse, vainqueur à <strong>la</strong> <strong>cours</strong>e <strong>de</strong>sjrfiarl dans Jes jeux<br />

pythiens, c'est-à-dire, dont le mèhgr avait wm-*<br />

porté <strong>la</strong> victoire. Mais les Grecs étalent si pas*<br />

sionnés pour ees sortes <strong>de</strong> speétacles , quVra ne pouvait<br />

trop célébrer à leur gré celui qui Irait su se*<br />

proeurer le'cocher le plus habile et les ehevattf les<br />

plus légers. Voici le début <strong>de</strong> Pindare :<br />

• -,<br />

Boâx tiésof <strong>de</strong>s neuf Sœura, Instnftnent <strong>du</strong> génie f ^ **<br />

Lyre d'or qu'Apollon* anime sons ses doigts t<br />

Mère 4m p<strong>la</strong>isirs pus 9 niera <strong>de</strong> l'harmonie p ' *<br />

hjm, muUmm ma voli.<br />

Ta prési<strong>de</strong>» m chut» te gûaveraes ls> dansf.<br />

Tout le chœur; attentif et docile à tes sons}. «<br />

Soumet aux moèYêraents marqués par ta ca<strong>de</strong>nce *<br />

Ses pas ©t ses ehamoiis. #<br />

L'Olympe en est ému : Jeplter est sensible :<br />

I! éteint les carreaux qa'aUmna son courrous. • * •<br />

I! sourit aux mortels, et son algie terrible».<br />

S'endort à ses genoux.<br />

Il dort, Il est Tainca : ses paupières pressée! * «,<br />

D'une humi<strong>de</strong> vapeur se œuvrent mollemeit<br />

Il jlort, et sur soados ses ailes abaissées<br />

Tombent iaagulsgamment<br />

Tu iécals <strong>de</strong>s combats l'arbitre ssugii<strong>la</strong>sire;<br />

Ses traits ensang<strong>la</strong>ntés échappent <strong>de</strong> ses mains.<br />

Il dépose le g<strong>la</strong>ive , et promet à <strong>la</strong> terre «<br />

. Bes jours purs et sereins..<br />

O Lyre d'Âpol îoa ! puissante enchanteresse r<br />

Tu soumets tour à tour et <strong>la</strong> terre et les <strong>de</strong>ux.<br />

Qui n'aime poiat les arts, les Muses, <strong>la</strong> sagesse, .<br />

Est ennemi <strong>de</strong>s dieux.<br />

Tel est OB ier géant, dont <strong>la</strong> .rage étouffée<br />

D'un rugissement sourd épouvante renier,<br />

Ce superbe Titan f ce monstrueux Typbée- ' ,<br />

Qu'a puni luplter.<br />

Le tonnerre frappa ses cent têtes difformes.<br />

Sous i'Eina qui raccable il veut briser ses fers :<br />

L'Etna s'ébranle, s'ouvre, et <strong>de</strong>s roche» énormes<br />

Tout rouler dans lit mers»<br />

Ce reptile effroyable t enchaîné dans le fjoufft» v<br />

Et portant dans son sein une source <strong>de</strong> feux t<br />

Vomit <strong>de</strong>s tourbillons et <strong>de</strong> <strong>la</strong>mme et <strong>de</strong> soufre<br />

Qui <strong>mont</strong>ent dans les <strong>de</strong>ux.<br />

Qui pourra s'approcher <strong>de</strong> ces rives brû<strong>la</strong>ntes?<br />

Qui ne frémira polnt.<strong>de</strong> ees grands châtiments,<br />

Des tourments <strong>de</strong> Typhée , et <strong>de</strong>s roches perçantes ,<br />

Qui déchirent ses iancs? ' •<br />

Faiore f © Jupiter 1 ta puissance et ta gloire.<br />

T® règnes sur l'Etna, sur ces fermer» rempart»<br />

Élevés par ©e roi qu'a nommé lt Victoire<br />

Dans <strong>la</strong> liée <strong>de</strong>s cha». •<br />

fliéron est vatoquew : son nom s'est <strong>la</strong>it entendra, etc.<br />

Telle est <strong>la</strong> marche <strong>de</strong> Pindare. D'une invocation<br />

aux Muses 9 d'us éloge <strong>de</strong> leurs attributs, ou?ertufe<br />

très-naturelle dans te sujet qu'il traitait, il passe<br />

tout cf aa eoup à <strong>la</strong> peinture <strong>de</strong> Typhée écrasé sous<br />

l'Etna, sous prétexte que Typhée est ennemi <strong>du</strong><br />

iliiii et <strong>de</strong>s Muses. C'est s'accrocher à un mot; et<br />

une pareille digression ne nous paraîtrait qu'un écart<br />

«al dépisé. Peut-être les Grecs n'avaientf <strong>la</strong> pas tort<br />

#aa juger autrement. C'est dHiéran qu'il s'agissait.<br />

Hiéron régnait sur Syracuse el sur l'Etna; il avait


ISO<br />

mms DE onÉiATiJiE.<br />

bâti une ville <strong>de</strong> ce nom près <strong>de</strong> cette <strong>mont</strong>agne : il -ne fêtait pas chanté. Ces chants n'étaient pas sans<br />

fal<strong>la</strong>it bfen en parler. Et comment nommer l'Etna , récompense. L'aventure fabuleuse <strong>de</strong> Simoni<strong>de</strong>, ra­<br />

sans parler <strong>de</strong> %pbée FCeûtété «ne ma<strong>la</strong>dresse dans « contée dans Phèdre, fait voir qu'on avait coutume<br />

ma poète lyrique <strong>de</strong> refuser uiie<strong>de</strong>scription aux Grées, <strong>de</strong> pyer libéralement les poètes lyriques. Parmi<br />

fui aimaient prodigieusement <strong>la</strong> poésie <strong>de</strong>scriptive. nous, je ne crois pas qu'il y ait un plus mauvais<br />

Ils étpent, à cet égard, à peu près dans <strong>la</strong> mène moyen #e fortune que les o<strong>de</strong>s; elles sont dans un<br />

disposition que nous portons à l'opéra 9 où les ballets grand discrédit : elles étaient un peu mieux accueillies<br />

eoosfaraissent toujours assez bien amenés quand autrefois, et fort à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>. Une o<strong>de</strong> valut un évê-<br />

les danses sont bonnes. Nous ne sommés pas à beauché à Go<strong>de</strong>au : c'est <strong>la</strong> plus heureuse <strong>de</strong> toutes les<br />

ceup près $i in<strong>du</strong>lgents pour les vers. Les fers, o<strong>de</strong>s,et c'est une <strong>de</strong>s plus mauvaises. Chape<strong>la</strong>in<br />

parmi nous , sont jugés surtout pr l'esprit , par <strong>la</strong> en It une pour le cardinal <strong>de</strong> Richelieu ;«t ce qui<br />

raison; cheji les Grecs , ils étaient jugés davantage peut étonner, c'est que, <strong>de</strong> l'aveu même <strong>de</strong> Bottées,<br />

par lésons, par l'imagination : et Ton sait combien l'o<strong>de</strong> est assee bonne. Mais ce dont il ne convient<br />

l'esprit estons juge inflexible 9 et combien les sens pas, et ce qui n'est pas moins vrai, c'est que l'ciés<br />

sont <strong>de</strong>s juges favorables*<br />

qu'il composa sur <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> Hamur est très««ivaise.<br />

Pour cette fois Despréaux fut au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong><br />

La Poésie eut le tort <strong>de</strong> Pandore.<br />

* Quand le geste an ciel <strong>la</strong> il ëetow Chape<strong>la</strong>in, comme il fut au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> Quinauit<br />

t<br />

Chaesii <strong>de</strong>s arts FeoricliSt d'an présent.<br />

quand il voulut faire un prologue d'opéra : double<br />

«Ile reçut <strong>de</strong>s mains <strong>de</strong> <strong>la</strong> Peinture<br />

Le coloris, prestige sé<strong>du</strong>isant ,<br />

exemple qui rappelle ces vers <strong>de</strong> La Fontaine :<br />

Et ï'henreui don d'imiter <strong>la</strong> nature.<br />

He feft»8§ point notre <strong>la</strong>tent;<br />

De i'£kMfueûee elle eut ces traits vainqueurs,<br />

If oui ne ferions rien mm gréée.<br />

Ces traits brû<strong>la</strong>nts f si pénètrent les «Mrs,<br />

A l'Harmonie die <strong>du</strong>t <strong>la</strong> mesure,<br />

Si l'on veut re<strong>mont</strong>er jusqu'à <strong>la</strong> naissance <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

La mouvement f ie tour mélodieu t<br />

Et ces accents qui «Tissait le*' dieux.<br />

poésie lyrique, on se perd dans le pays <strong>de</strong>s fables<br />

.La Raison même à <strong>la</strong> jeune immortelle<br />

et dans les ténèbres <strong>de</strong> l'antiquité : toutes Ses origi­<br />

Voulut mwwit <strong>de</strong> oompagne fidèle;<br />

nes sont plus ou moins fabuleuses. Qui peut savoir<br />

Mais quelquefois, invisible témoin ,<br />

Elle <strong>la</strong> .suit et l'observe dt loin.<br />

au juste quand s'établirent les lofs <strong>de</strong> l'harmonie,<br />

dont le goût est si naturel à l'homme? Ce qui est<br />

C'est ainsi que s'exprime M. Mar<strong>mont</strong>el dans son certain, c'est qu'elle a été nécessairement <strong>la</strong> mère<br />

Êjâire aux poète*. On ne peut employer mieux l'i­ <strong>de</strong> toute poésie, et qu'il n'y a qu'un pas <strong>du</strong> chant à<br />

magination pour donner lin précepte dégoût. Mais9 <strong>la</strong> mesure <strong>de</strong>s paroles. 11 est probable que les noms<br />

parmi nous, ii fait le plos souvent que <strong>la</strong> raison ie plus anciennement consacrés en ce genre sont ceux<br />

suive <strong>la</strong> poésie <strong>de</strong> fort près; et chez les Grées, <strong>la</strong> <strong>de</strong>s hommes qui s'y distinguèrent les premiers, ou<br />

raison était assez souvent per<strong>du</strong>e <strong>de</strong> ? ne. C'est qu'ils qui en donnèrent aux autres les premières leçons.<br />

iraient <strong>de</strong> quoi s'en passer, et que nous ne pouvons Les merveilles qu'on en raconte ne sont que l'image<br />

être, eorame em, assez grands musiciens en poésie allégorique <strong>de</strong> leur succès et <strong>de</strong> leur pouvoir. On<br />

pour qu'ornions permette <strong>de</strong>s moments d'oubli anssi croit que Lins fut le premier inventeur <strong>du</strong>rliythme<br />

fréquents. Mens avons d'autres avantages; mais ce et <strong>de</strong> <strong>la</strong> mélodie, o'est-àdira, qu'il sut le premier<br />

n'est pas ici le n'eu d'en parler.<br />

mmUmm ensemble <strong>la</strong> mesure <strong>de</strong>s sons et cette <strong>de</strong>s<br />

Ai reste, si les suffrages d'un peuple aussi éc<strong>la</strong>iré vers ; c'est le plus ancien favori dm Muses. Virgile»<br />

et aussi délicat que les Grecs suffisent pour nous dans sa sixième églogue, le p<strong>la</strong>ne auprès d'elles sut<br />

déci<strong>de</strong>r su? Pindare, nous aurons <strong>la</strong> plus haute idée le Parnasse, le front couronné <strong>de</strong> fleurs, et le repré-<br />

<strong>de</strong> son mérite. On sait qu'il <strong>la</strong>issa une mémoire résente comme leur interprète. Il fut le mettre d'Orférée,<br />

et que <strong>la</strong> vengeance d'Alexandre, qui avait phée, qui eut encore plus <strong>de</strong> réputation que lit* pane<br />

enveloppé tout un peuple dans le même arrêt, s'ar­ qu'il Et servir là musique et <strong>la</strong> poésie à l'établisserêta<br />

<strong>de</strong>vant cette inscriptioa : Ne èrûkzpm<strong>la</strong> mut» ment <strong>de</strong>s cérémonies religieuses 9 qu'il emprunta <strong>de</strong>s<br />

mm<strong>du</strong>po&e Pindare. Les LaeédémonieiM, lorsqu'ils Égyptiens pour les porter dans <strong>la</strong> Grèce. Ce fut lui<br />

avaient pris Thèbes dans le temps <strong>de</strong> leur puissance* qui institua les mystères <strong>de</strong> Bacchus et <strong>de</strong> Cérèsavaient<br />

eu le même respect; mais ce qui prouve le Éleusine, à l'imitation <strong>de</strong> ceux d'Isiset d'Osiris,<br />

Accès qu'il eut dès son vivant, c'est le grand nom» et qui, <strong>de</strong> son nom, furent appelés Orphiques, Nous<br />

tore d'o<strong>de</strong>s qu'il composa sur le même sujet, c'est- avons encore quelques fragments <strong>de</strong>s hymnes que<br />

à-dire, pour les vainqueurs <strong>de</strong>s jeux. 11 paraît que l'on y chantait, et dont très-certainement il Ait l'au­<br />

chaque triomphateur était jaloux d'avoir Pindare teur,. Ils sont remarquables, surtout en ce qu'ils con­<br />

pour panégyriste, et qu'on aurait cru qu'il manquait tiennent les idées les plus hautes et les ' plus pures<br />

quelque chose à <strong>la</strong> gloire <strong>du</strong> triomphe, si Pindare sur l'unité d'un Dieu et sur tous lesattrihrtf<strong>de</strong> l*et>


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

mce iMac, tans nul mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong> polythéisme. En<br />

voici us que Suidas nous a conservé :<br />

« Dieu seul existe par lui-même, et tout existe par lui<br />

seul. 1 est <strong>du</strong>s tout : mil mortel ne peut Se vnirf et il les<br />

•oit tous. Seul il distribue dam m justice le» maux qui<br />

afmgeiit les nommes y <strong>la</strong> guerre et les douleurs. U gouverne<br />

les fente qui agitent Fuir et les lots, et elosse les feux<br />

do tonnerre. Il est assis an hast <strong>de</strong>s oeux sur un trtee<br />

d'or, et <strong>la</strong> terre est sens ses pieds. U étend sa main jus»<br />

tp'sux bornes <strong>de</strong> l'Océan, et les <strong>mont</strong>agnes tremblent<br />

jusque dans leurs foo<strong>de</strong>ments. C'est lui qui fait tout é&m<br />

f eel¥ers9 et qui est à <strong>la</strong> fois le commencement, le milieu ,<br />

et <strong>la</strong> fin.-»<br />

Suidas, en citant ce fragment*, assure qu'Orphée<br />

avait lu les livres <strong>de</strong> Moïse, et en avait tiré<br />

toute© qu'il enseignait sur <strong>la</strong> Nature divine. On a<br />

contesté cette assertion : il est c<strong>la</strong>ir pourtant que l'on<br />

retrouve dans ce moroeau non-seulement les Idée» *<br />

mais les expressions <strong>de</strong>s Mères saints, très-antérieur s<br />

aux. écrits d'Orphée ; et il est difficile <strong>de</strong> ne pas croire<br />

que le second a copié le premier. Observons encore<br />

que le grand secret <strong>de</strong>s anciens mystères était par*<br />

tout F unité d'un Dieu : c'était <strong>la</strong> croyance <strong>de</strong>s sages ;<br />

mais eux-mêmes <strong>la</strong> regardaient atee raison oomme<br />

insuffisante pour les peuples, et voyaient dans <strong>la</strong><br />

religion et le culte public <strong>la</strong> sanction <strong>la</strong> pins sire<br />

et <strong>la</strong> plus nécessaire <strong>de</strong> Fordre social.<br />

Horace nous dit qu $ Orphéef référé comme finterfrèle<strong>de</strong>sdieux,<br />

adoucit les moeurs <strong>de</strong>s hommes,<br />

leur apprit à .détester <strong>la</strong> meurtre et à ne point se nourrir<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> chair <strong>de</strong>s animaui ; dogme renouvelé <strong>de</strong>puis<br />

par Pythagore. Nous voyons , par plusieurs passages<br />

authentiques, que ceux qui menaient une vie chaste<br />

et frugale étaient appelés <strong>de</strong>s disciples d v Orphée.<br />

Thésée, dans <strong>la</strong> Pkêém d 9 Euripi<strong>de</strong>f donne ce nom<br />

à son fflr Hippolyte, es lui reprochant d'affecter<br />

<strong>de</strong>s moeurs sévères. Orphée est donc le plus ancien<br />

<strong>de</strong>s sages dont le nom soit venu jusqu f 161<br />

Aleée, Stésidiore, Simonidt, etquwttité d'autres,<br />

M sous ont <strong>la</strong>issé que leurs noms, et quelques fragments<br />

qui ne sont connus que <strong>de</strong>s critiques <strong>de</strong> profession.<br />

Nous n'avons qu'une domaine <strong>de</strong> vers <strong>de</strong><br />

cette fameuse Sapho *, dont Horace a dit : -<br />

La feu <strong>de</strong> son amour brûle eocor dans ses Ters.<br />

Ils sont assez passionnés pour faire croire tout ee<br />

qu'on raconte d'elle<br />

à nous; et<br />

pendant longtemps ce nom <strong>de</strong> sage fut joint à celui<br />

<strong>de</strong> poète, parce que <strong>la</strong> poésie était alors essentielleratât<br />

morale et religieuse.<br />

Orphée n'eut point <strong>de</strong> disciple plus célèbre que-<br />

Musée, qui marcha sur les traces <strong>de</strong> son maître, et<br />

pétil<strong>la</strong> aux mystères d'Éleusîse chez les Athéniens.<br />

Virgile, dans le sixième livre <strong>de</strong> l'Enéi<strong>de</strong>, le met<br />

dans l'Elysée à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong>s poètes pieux,"dont les<br />

chants ont été dignes d'Apollon, et qui ont consacré<br />

leur vie à <strong>la</strong> culture <strong>de</strong>s beaux arts.<br />

1 , et pour regretter ce qu'on en<br />

a per<strong>du</strong>. Boileau en a donné une imitation trènélégante,<br />

quoique peut-être elle ne soit pas animée <strong>de</strong><br />

toute <strong>la</strong> chaleur <strong>de</strong> l'original.<br />

Arrêtons-nous <strong>du</strong> moins un moment sur Anacréon,<br />

qui s'est immortalisé par ses p<strong>la</strong>isirs, lorsque<br />

tant d'autres n'ont pu l'être par leurs travaux :<br />

ce chansonnier voluptueux, qui se connut d'autro<br />

ambition que celle d'aimer et <strong>de</strong> jouir, m d'autre<br />

gloire que celle <strong>de</strong> ehanter ses amours et ses jouissances<br />

, on pieté t qui, dans ces mêmes chansons qui<br />

ont fait sa gloire, ne vit jamais qu'un amusement<br />

<strong>de</strong> plus. Ses poésies, dont heureusement le temps a<br />

épargné une partie, respirant <strong>la</strong> mollesse et l'enjoué*<br />

ment, <strong>la</strong> délicatesse et <strong>la</strong> grâce. Il s'est point auteur;<br />

U if écrit point. 11 est à table avec <strong>de</strong> belles Mlles<br />

grecques, <strong>la</strong> tête eouronsée<strong>de</strong> roses, buvant d'eieellents<br />

vins <strong>de</strong> Scie ou <strong>de</strong> Lesbos ; et tandis que Mnaès<br />

et Ag<strong>la</strong>é entre<strong>la</strong>cent <strong>de</strong>s leurs dans ses cheveux,<br />

il prend sa petite lyre d'ivoire à sept cor<strong>de</strong>s, et<br />

chante un hymne à <strong>la</strong> rose sur le mo<strong>de</strong> lydien. S 9 ii<br />

parle <strong>de</strong> <strong>la</strong> vieillesse et <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, ce s'est pas pour<br />

les braver avec-<strong>la</strong> morgue stolque; c'est pour s'exhorter<br />

lui-même à ne ries perdre <strong>de</strong> tout ee qu'il<br />

peut leur dérober. Remarquons en passant que les<br />

auteurs anciens les plus voluptueux, Anacréon,<br />

Horace, Tibulle, Catulle, mê<strong>la</strong>ient assez volontiers<br />

l'image <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort à celle <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>isirs. Ils l'appe<strong>la</strong>ient '<br />

à leurs fêtes, et <strong>la</strong> p<strong>la</strong>çaient, pour ainsi dire, à<br />

table comme un convive qui, lois <strong>de</strong> les attrister,<br />

les avertissait <strong>de</strong> jouir, Horace surtout, dans vingt<br />

endroits <strong>de</strong> ses o<strong>de</strong>s ? se p<strong>la</strong>t! à rappeler <strong>la</strong> nécessité<br />

<strong>de</strong> mourir; et ces passages, toujours rapi<strong>de</strong>s/qui<br />

fixent un moment l'imagination sur <strong>de</strong>s idées sombres,<br />

exprimées par <strong>de</strong>s ignres frappantes et <strong>de</strong>s<br />

métaphores justes et heureuses, font sur l'Ame nnc.<br />

impression qui renient doucement et ne l'effraye<br />

pas, y répan<strong>de</strong>nt pour un moment une sorte <strong>de</strong><br />

tristesse réfléchissante, qui s'accor<strong>de</strong>rait mal f il est<br />

vrai, avec <strong>la</strong> joie bruyante et tumultueuse, ma» qui<br />

se concilie très-bien avec le calme d'une âme satis- "<br />

faite, et rnlnie avec les épnehements d'un arecur •<br />

heureux. En général, les impressions qui font le pins<br />

• Ot fragment n*est.paa cité par Suidas, mata par saint<br />

Justin et par Einébe. Du reste, tout ce que <strong>la</strong> Harpe dit ici<br />

«TOrpiiée s'est, au Jugement <strong>de</strong> If. Botaeona<strong>de</strong>, qu'un tissu<br />

«Terreurs. (V©j« Je Mépertmw <strong>de</strong> fa Mtémiun, t xx,<br />

P. « 4<br />

* La Harpe se trompe ; il net» «te <strong>de</strong>^Saph© ipelcftiea<br />

fragmenta et <strong>de</strong>ux o<strong>de</strong>a. • % '


COURS DE LlTfÉEATOlE.<br />

159<br />

sentir le prit <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, tout celles qui pot» rappellent<br />

le plus facilement quelle doit inir. J'ajouterai<br />

que c'est encore une preuve <strong>du</strong> goût naturel <strong>de</strong>s<br />

anciens <strong>de</strong> n'avoir jamais parlé qu'en passant <strong>de</strong> ces<br />

éternels sujet <strong>de</strong> lieui communs ehei les mo<strong>de</strong>rnes,<br />

le temps et <strong>la</strong> mort, sur lesquels notre imagination<br />

permet qu'on l'avertisse, mais qui peuvent <strong>la</strong> rebuter<br />

bientôt : on s'y appesantit trop9 à moins que ce ne<br />

soit proprement le fond <strong>du</strong> sujet 9 comme dans félofuence<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> chaire.<br />

On ne sera pas fâché d'apprendre qu* Anacréon joignait<br />

à une médiocre fortune beaucoup <strong>de</strong> désintéressement<br />

, <strong>de</strong>ui gran<strong>de</strong>s raisons pour être heureux.<br />

11 vécut assez longtemps à Samos? à <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> ce<br />

Polyerate qui n'eut d'un tyran que le nom. Ce prince<br />

lui ût présent <strong>de</strong> cinq talents, trente mille francs <strong>de</strong><br />

notre monnaie. Mais Anacréon 9 qui n'avait pas coutume<strong>de</strong>possé<strong>de</strong>r<br />

tant d'argent , en perdit presque le<br />

sommeil pendant <strong>de</strong>ui jours ; il rapporta bien file<br />

au généreux Polyerate ses cinq talents; et ce trait<br />

historique, raconté par les écrivains grecs, et cité<br />

par GïraJdi dans son IHUoire dm Poètes, est l'original<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> fable <strong>du</strong> Sa?etier dans La Fontaine.<br />

11 est impossible <strong>de</strong> donner <strong>la</strong> moindre esquisse<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> manière d'Anacréoo. 11 y a dans sa composition<br />

originale une mollesse <strong>de</strong> ton s une douceur <strong>de</strong><br />

nuance, une simplicité facile et gracieuse, qui ne<br />

peu?ent se retrouver dans le travail d'une version.<br />

Ce sont <strong>de</strong>s caractères dont l'empreinte n'est pas<br />

esseï forte pour ne pas s'effacer beaucoup dans une<br />

copie. Il composait d'inspiration, et l'on tra<strong>du</strong>it<br />

d v effort. le tra<strong>du</strong>isons point Anacréon ».<br />

sienoH n. — D'Horace.<br />

11 est le seul <strong>de</strong>s lyriques <strong>la</strong>tins qui soit parvenu<br />

Jusqu'à nous ; mais ee qui peut nous consoler <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

perte <strong>de</strong>s autres 9 c'est le jugement <strong>de</strong> Quintilien f qui<br />

assure qifih m méritaient pas d'être lus. Il fait au<br />

contraire le plus grand éloge d'Horace 9 et cet éloge<br />

a été confirmé dans tous les temps et chez tons les<br />

peuples. Horace semble réunir en lui Anacréon et<br />

Pindare 9 mais il ajoute à tous les <strong>de</strong>ux. Il a l'enthousiasme<br />

et l'élévation <strong>du</strong> poêle thébaïn; il n'est<br />

pas moins riche que lui en figures et en images :<br />

<strong>la</strong>cis ses écarts sont un peu moins brusques; sa<br />

marche est un peu moins vague; sa diction a Mes<br />

plus <strong>de</strong> nuances et <strong>de</strong> douceur. Pindare 9 qui chante<br />

toujours les mêmes sujets, n'a qu'un ton toujours le<br />

même. Horace les a tous; tous lui semblent nata-<br />

1 items aveu tfefs tradodtoos ee vers <strong>de</strong>s poésies d'Anaeréon<br />

: l'une <strong>de</strong> Gacon, d'usé édiiiœ très-jolie f avec te grec<br />

à côté; l'autre <strong>de</strong> là Fosse; <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Sivri, te<br />

tra<strong>du</strong>cteur <strong>de</strong> Pline le naturaliste. Cette troisième version<br />

. cfAnactéim est écrite avee assas tFdlépnos et <strong>de</strong> farcie : les<br />

iléus «1res ne.seef ps lissMes»<br />

rels, et il a <strong>la</strong> perfection <strong>de</strong> tous. Qui presse sa<br />

lyre; qnef saisi <strong>de</strong> l'esprit poétique, il soit transporté<br />

dans le conseil <strong>de</strong>s dieux ou sur les minas <strong>de</strong><br />

Troie, sur <strong>la</strong> cime <strong>de</strong>s Alpes ou près <strong>de</strong> Glyisère,<br />

sa voix se <strong>mont</strong>e toujours au sujet qui l'inspire. Il<br />

est majestueux dans l'Olympe, et charmant prés<br />

d'une maîtresse. 11 ne lui en ecite pas plus pour<br />

peindre avec <strong>de</strong>s traits sublimes liste <strong>de</strong> Catoa et<br />

<strong>de</strong> Régulus, que pour peindre avec <strong>de</strong>s traits enchanteurs<br />

les caresses <strong>de</strong> Lycimnie et les coquetteries<br />

<strong>de</strong>Pyrrha. Aus9Ï franchement voluptueux qu'Anacréon,<br />

aussi idèle apôtre <strong>du</strong> p<strong>la</strong>isir, il a les grâces<br />

<strong>de</strong> ee lyrique grec avec beaucoup plus d'esprit<br />

et <strong>de</strong> philosophie f comme il a (Imagination <strong>de</strong> Pindare<br />

avec plus <strong>de</strong> morale et <strong>de</strong> pensée. Si Ton fait<br />

attention à <strong>la</strong> sagesse <strong>de</strong> ses idées , à <strong>la</strong> précision <strong>de</strong><br />

son style, à l'harmonie <strong>de</strong> ses vers, à <strong>la</strong> variété <strong>de</strong><br />

ses sujets ; si l'os se souvient que ce même homme<br />

a fait <strong>de</strong>s satires pleines <strong>de</strong> inesse, <strong>de</strong> raison $<br />

<strong>de</strong> gaieté; <strong>de</strong>s épftres qui contiennent les meilleures<br />

leçons <strong>de</strong> <strong>la</strong> société civile en vers qui se gravent<br />

d'eux-mêmes dans <strong>la</strong> mémoire; un Jripoéêiqw,<br />

qui est le co<strong>de</strong> éternel <strong>du</strong> bon goût; on conviendra<br />

qu'Horace est un <strong>de</strong>s meilleurs esprits que <strong>la</strong> nature<br />

ait pria p<strong>la</strong>isir à former.<br />

ïm hasardé <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> quelques o<strong>de</strong>s d'Horace,<br />

non pas assurément que je le croie facile à<br />

tra<strong>du</strong>ire; mais Horace a beaucoup d'esprit proprement<br />

dit, et l'esprit est <strong>de</strong> toutes les <strong>la</strong>ngues.<br />

Voyons-le d'abord dans le genre héroïque ; j'ai choisi<br />

Y O<strong>de</strong> à <strong>la</strong> Fortune* On pourra <strong>la</strong> comparer à cselie<br />

<strong>de</strong> Rousseau ; et l'on verra qu'une o<strong>de</strong> française<br />

ressemble très-peu à une o<strong>de</strong> <strong>la</strong>tine 1 . Le sujet <strong>de</strong><br />

celle-ci était fort simple. On par<strong>la</strong>it d'une <strong>de</strong>scente<br />

en Angleterre, qu'Auguste <strong>de</strong>vait con<strong>du</strong>ire lui-même,<br />

et qui n'eut pas lieu ; on par<strong>la</strong>it en même temps d'une<br />

guerre contre les Parthes. Le poète invoque <strong>la</strong> Fortune,<br />

et lui recomman<strong>de</strong> Auguste et les Romains.<br />

Mais il commence par se réconcilier avec les dieux 9<br />

qu'en sa qualité d'épicurien il avait fort négligés.<br />

Il s'étend ensuite sur les attributs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fortune, et<br />

finit, après l'avoir invoquée, par déplorer les guerres<br />

civiles et<strong>la</strong>corruption <strong>de</strong>s mœurs. Tel est le p<strong>la</strong>n<br />

<strong>de</strong> cette o<strong>de</strong>. J'ai risqué 9 es <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>isant, <strong>de</strong> changer<br />

plusieurs fois le rhythme, pour rendre mieux<br />

<strong>la</strong> variété <strong>de</strong>s tons, et suppléer, quand les phrases<br />

<strong>de</strong>mandaient une certaine éten<strong>du</strong>e, à <strong>la</strong> facilité<br />

qu'avaient les Grecs et les Latins d'enjamber d'une<br />

strophe & l'autre.<br />

1 Favertls que fat rejoint ro<strong>de</strong>, O êim, §mlmm qmm re§it<br />

Aniîmm, avec <strong>la</strong> précé<strong>de</strong>nte, Psrem <strong>de</strong>orum cultor et itftgmern,<br />

qui me parait en être te ©ommenoeiBeat, et es avoir<br />

été détachée fort mal à propos : U y a même <strong>de</strong>i éditÉurn<br />

où elles seei féwitos.


Ml*!» #èf« profuie*<br />

le itfessjs aux dieux <strong>de</strong>s vœux et <strong>de</strong> renée»*;<br />

Je suivais les égarements<br />

Des saga Insensés qu'aujourd'hui Je condamne.<br />

Je reconnais <strong>de</strong>s dieux : c'en est fait, Je me rend*.<br />

Fai irii le maître <strong>du</strong> tonnerre, *<br />

Quif <strong>la</strong> fondre à <strong>la</strong> main, ee <strong>mont</strong>falt i <strong>la</strong> ferre;<br />

Tâi vu dans en ciel par voler l'éc<strong>la</strong>ir bril<strong>la</strong>nt f<br />

Et les Toutes éternelles<br />

S'embraser te étincelles<br />

Que <strong>la</strong>nçait Jupiter <strong>de</strong> son char foudroyant<br />

Le Styx es a mugi dans sa source profon<strong>de</strong> ;<br />

Bu Tésare tente'fois les pertes ont tremblé;<br />

Des hauteurs <strong>de</strong> l'Olympe aux fon<strong>de</strong>ments <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>,<br />

L'At<strong>la</strong>s a chancelé.<br />

Oui, <strong>de</strong>s puissances immortelles<br />

Dictent à l'univers dlrrévocables lois.<br />

La Fortune t agitant ses inconstantes ailes ,<br />

Ptane d'an vol bruyant sur <strong>la</strong> tête <strong>de</strong>s rois.<br />

Aux <strong>de</strong>stins <strong>de</strong>s États son caprice prési<strong>de</strong> ;<br />

Elle seule dispense on <strong>la</strong> gloire on l'affront ,<br />

Enlève on diadème, et d'un essor rapi<strong>de</strong><br />

Le porte sur un antre front.<br />

Déesse efànl<strong>la</strong>m, ô déesse fatale !<br />

Fortune ! à ton pouvoir qui ne se soumet pas?<br />

Ta couvres <strong>la</strong> pourpre royale.<br />

Des crêpes affreux <strong>du</strong> trépas.<br />

Fortune, ô redoutable reine !<br />

Ta p<strong>la</strong>ces les humains an trône on sur recueil ;<br />

Tu trompes le bonheur, l'espérance et l'orgueil,<br />

Et fou voit se changer, à ta voix souveraine,<br />

La faiblesse en puissance, et le triomphe en <strong>de</strong>uil.<br />

Le pauvre te <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une moisson fécon<strong>de</strong> t<br />

Et l'avi<strong>de</strong> marchand t sur le gouffre <strong>de</strong> Fon<strong>de</strong><br />

Rapportant son trésor,<br />

Présente à <strong>la</strong> Fortune, arbitra <strong>de</strong>s orages f e<br />

Ses timi<strong>de</strong>s hommages,<br />

Et te <strong>de</strong>man<strong>de</strong> us vent qui le con<strong>du</strong>ise au port<br />

Le Scythe vagabond, le Dace sanguinaire,<br />

Et le gperrier <strong>la</strong>Ua, eonepérast <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre 9<br />

Craint tes funestes coups.<br />

De FOrlent soumis les tyrans invisibles,<br />

A t» autels terribles,<br />

L'encensoir à <strong>la</strong> main % Ééeslssest les genoux.<br />

Tu peux (et c'est f effroi dont leur âme est troublée) ,<br />

Eenrtaot <strong>de</strong> leur gran<strong>de</strong>ur <strong>la</strong> colonne ébranlée,<br />

Frapper ces <strong>de</strong>mi-dieux ;<br />

Et soulevant contre eux <strong>la</strong> révolte et <strong>la</strong> guerre,<br />

Cacher dans <strong>la</strong> poussière<br />

Le tinsse où leur orgueil cent s'approcher <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux.<br />

La nécessité cruelle<br />

Toujours marche à ton côté f<br />

De son sceptre détesté<br />

Frappant <strong>la</strong> race mortelle.<br />

Cette Ole <strong>de</strong> Pesfer<br />

Porte dans sa main sang<strong>la</strong>nte<br />

Une tenaille brû<strong>la</strong>nte,<br />

Du plomb, <strong>de</strong>s coins, et <strong>du</strong>-fer.<br />

L'Espérance te suit, «Mpagae plus propice,<br />

Et <strong>la</strong> Fidélité, déesse protectrice f<br />

Au ciel tendant les bras ,<br />

Os voie sur le front s accompagne tes pas, ' •<br />

toiiep'siisioafârit les a<strong>la</strong>rmes,<br />

Sous un vêtement <strong>de</strong> déni! ,<br />

Tu viens occuper le seafl<br />

D'un pa<strong>la</strong>is rempli <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes f<br />

D'où s'éloigne avec effroi,<br />

Il le vulgaire perfi<strong>de</strong>,<br />

Et <strong>la</strong> courtisane avi<strong>de</strong>,<br />

Et ces convives sans fol,<br />

Qui, dans us temps favorable,<br />

Du mortel tout puissant par le sort adopté<br />

tenaient environner Sa table,<br />

« sMfMtet 4a vta <strong>de</strong>- sa prospérité.<br />

ANCIENS. — POÉSIE. 'ISS<br />

Je t Implore à mou tour, déesse redoutée!<br />

Auguste va <strong>de</strong>scendre à cette Hé indomptée.<br />

Qui borne l'univers ' ;<br />

Tandis que nos guerriers vont affronter encore<br />

Ces peuples <strong>de</strong> l'Aurore,<br />

Qui seuls ont repoussé notre Joug et nos fers.<br />

Ah ! Rome vers les dieux lève <strong>de</strong>s mains coupables.<br />

Ils se sont point <strong>la</strong>vés, ces forfaits exécrables<br />

Qu'ont vus les immortels.<br />

Elles saignent encor, nos honteuses blessures;<br />

La Frau<strong>de</strong> et les Parjures,<br />

L ? Isosste et l'Homici<strong>de</strong> entourent les autels.<br />

M'importe, c'est à toi, Porta», à nous absoudre.<br />

Porte aux antres brû<strong>la</strong>nts, où se forge <strong>la</strong> fondée, -<br />

H os g<strong>la</strong>ives émoussés.<br />

Dans le sang odieux <strong>de</strong>s guerriers d'Assyrie<br />

11 faut que Rome expie<br />

Les flots <strong>de</strong> sang romain qu'elle-même t versés.<br />

Quelques idées <strong>de</strong> cette o<strong>de</strong> sont empruntées d'une<br />

o<strong>de</strong> <strong>de</strong> Pindare, où il invoqué <strong>la</strong> Fortune : c'est <strong>la</strong><br />

douzième <strong>de</strong>s Olympiques :<br />

Fille <strong>de</strong> Jupiter, Fortune impérieuse 9.<br />

Les conseils, les combats, les querelles <strong>de</strong>s rois,<br />

La <strong>cours</strong>e <strong>de</strong>s vaisseaux sur <strong>la</strong> mer orageuse,<br />

Tout reconnaît tes lois.<br />

Le ciel mit sur nos yeux le sceau <strong>de</strong> l'ignorance.<br />

De nos obscurs <strong>de</strong>stins nous portons le far<strong>de</strong>au,<br />

De revers en succès traînés par l'espérance<br />

Jusqu'au bord <strong>du</strong> tombeau.<br />

Le bonheur nous sé<strong>du</strong>it ; le malheur nous accable.<br />

Mais nul ne peut percer <strong>la</strong> suit <strong>de</strong> l'avenir ;<br />

Tel qui se p<strong>la</strong>int aux dieux <strong>de</strong> son sort déplorable<br />

Demain va les bénir, etc.<br />

On peut se convaincre, en lisant cette o<strong>de</strong>. <strong>de</strong> ce<br />

que j'ai dit ei-<strong>de</strong>ssus <strong>du</strong> poëte lyrique <strong>de</strong>s Romaine,<br />

qu'il semb<strong>la</strong>it écouter et suivre une inspiration momentanée<br />

; et peindre tout ce qui se présente <strong>de</strong>vant<br />

lui. Ou a TU tout le chemin qu'a fait Horace : on<br />

Fa vu <strong>mont</strong>er dans les eieux, <strong>de</strong>scendre dans les eufers<br />

, voler avec <strong>la</strong> Fortune autour <strong>de</strong>s trônes et sur<br />

les me», fout à coup il se <strong>la</strong> représente sous un appareil<br />

formidable, et il peint l'affreuse nécessité ; il<br />

lui donne ensuite un cortège plus doux, l'Espérance<br />

et <strong>la</strong> Fidélité; il l'habille <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil dans le pa<strong>la</strong>is d'un<br />

grand disgracié : il trace rapi<strong>de</strong>ment les festins <strong>du</strong><br />

Bonheur et <strong>la</strong> fuite <strong>de</strong>s confites Infidèles* Enfin il<br />

arrive à son but, qui est <strong>de</strong> recomman<strong>de</strong>r Auguste f<br />

et sa <strong>cours</strong>e est fuie.<br />

Voici maintenant <strong>de</strong>ux o<strong>de</strong>s ga<strong>la</strong>ntes. Toutes<br />

<strong>de</strong>ux sont fort courtes, dans toutes <strong>de</strong>ux il y a us<br />

mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong> douceurs et <strong>de</strong> reproches, <strong>de</strong> louange<br />

et <strong>de</strong> satire, qui a toujours été Fâme <strong>de</strong> cette espèce<br />

<strong>de</strong> commerce, et le fond <strong>de</strong>s conversations<br />

amoureuses ; c'est tout comme aujourd'hui. Voilà<br />

bien <strong>de</strong>s raisons qui peuvent faire excuser une tra<strong>du</strong>ction<br />

médiocre.<br />

81 te <strong>de</strong>i t'avait punie<br />

De l'oubli <strong>de</strong> tes serments 9<br />

1 L'Angleterre, que les lormina refsjdatont comme QM<br />

extrémité d@ runlven.


154<br />

Quand tu trompes toi i<br />

SU te nsedalt moins Jolie<br />

le croirais ton doux <strong>la</strong>ngage,<br />

J'aimerais ton doux lies ;<br />

Héïasl il te sied trop bien<br />

D'être parjure et vo<strong>la</strong>ge.<br />

Viens-tu ée trahir ta toi,<br />

TE n'en es que plus piquante*<br />

Plug belle et plus sé<strong>du</strong>isante;<br />

Les cœurs voies! après toi.<br />

Par le mensonge embeSMe 9<br />

Ta touche a plus <strong>de</strong> fraîcheur.<br />

Après use perfidie,<br />

Tes yeux ont plus <strong>de</strong> douceur,<br />

Si par l'ombre <strong>de</strong> ta mère,<br />

Si par tons tes dieu <strong>du</strong> <strong>de</strong>l,<br />

Tu Jures d'être sineêre,<br />

Les dieux restent sans colère<br />

A ce serment criminel ;<br />

Ténus eo rit <strong>la</strong> première;<br />

Et cet enf<strong>la</strong>nt si cruel f<br />

Qui sur <strong>la</strong> pierre sang<strong>la</strong>nte<br />

Aiguise <strong>la</strong> flèche ar<strong>de</strong>nte<br />

Que sur nous lu vas <strong>la</strong>ncer,<br />

Kit <strong>du</strong> mal qu'il te voit Caire,<br />

Et t'instruit encore à p<strong>la</strong>ire<br />

Pour te mieux récompenser.,<br />

forabien <strong>de</strong> vœux on f adresse»<br />

Cest pour toi que <strong>la</strong> Jeunesse<br />

Semble croître et se former.<br />

Combien d'encens os t'apporte!<br />

Combien d'amants à ta porte<br />

Jurent <strong>de</strong> ne plus f aimer!<br />

Le vieil<strong>la</strong>rd qui f envisage<br />

Craint que ton ils ne s'engage<br />

En un piège si charmant,<br />

Et l'épouse <strong>la</strong> plus belle<br />

Croit son époui infidèle,<br />

S'il te regar<strong>de</strong> un moment.<br />

C0U1S DE LITTÉEÂTOIE.<br />

A PYRRHA.<br />

Pyrite, quel est l'amant enivré <strong>de</strong> tendresse<br />

Qui t sur un lit <strong>de</strong> rose, éten<strong>du</strong> près <strong>de</strong> toi,<br />

T'admire, te sourit, te parle, te caresse,<br />

Et Jure qu'à Jamais Si vivra sous ta loi?<br />

Quelle grotte f niche et tranquille<br />

Est le voluptueux asile<br />

Ou ce Jeune impru<strong>de</strong>nt, comblé <strong>de</strong> tes faveurs,<br />

Te couvre <strong>de</strong> parfums, <strong>de</strong> baisers et <strong>de</strong> fleurs ?<br />

Cest pour lui qu%pîé$mî Pyrrha veut être belle ;<br />

Que ton goût délicat relève élégamment<br />

Ta simplicité naturelle,<br />

Et fait naître use grâce à chaque mouvement<br />

Peer lui ta maJn légère assemble à l'aventura<br />

Une flottante chevelure<br />

Qu'elle attache négligemment.<br />

Hé<strong>la</strong>s ! s'il prévoyait les pleurs qui doit répandre !<br />

Cré<strong>du</strong>le, il s'abandonne à l'amour, au bonheur.<br />

Dans ce calme perfi<strong>de</strong>, 11 est loin <strong>de</strong> s'attendre<br />

A ronge affreux <strong>du</strong> malheur.<br />

L'orage n'est pas loin : li va bientôt apprendre<br />

Que l'aimable Pyrrha qu'il possè<strong>de</strong> aujourd'hui,<br />

Que Pyrrha si belle et si tendre<br />

N'était pas pour longtemps à lui.<br />

Qu'alors 11 pleurera son fatal esc<strong>la</strong>vage!<br />

Insensé qui se Hé à ton premier accueil !<br />

Pour moi, le temp m'a ren<strong>du</strong> sage;<br />

l'at regagné le port, et J'observe <strong>de</strong> I'OBU<br />

Ceux qui vont, comme moi, se briser à l'écuell<br />

Que J'ai connu par mos naufrage.<br />

Il faut voir ce qu'est Horace jusque dans un simple)<br />

billet , où il s'agit d'un souper chez sa maîtresse :<br />

scie imagination riante Fy con<strong>du</strong>it m bonne compagnie.<br />

0 retse <strong>de</strong> Paphos t <strong>de</strong> G siée d <strong>de</strong> Cythère 1<br />

Tiens, quitte ces beaux Sleux, quitte-les pour Qfcère :<br />

Sa <strong>de</strong>meure est plus belle, et son encens plus doux.<br />

Mène avec toi l'enfant qui mm comman<strong>de</strong> à tous,<br />

Qui règne sur le mon<strong>de</strong>, et même sur sa mère.<br />

Mercure, ennemi <strong>de</strong>s Jaloux,<br />

Les Grâces en robe flottante,<br />

Les Nymphes à Verni se pressant sur tes pas,<br />

Et <strong>la</strong> Jeunesse enfin, divinité charmante,<br />

Qui sans toi ne le serait pas.<br />

Quelle flexibilité et esprit et <strong>de</strong> style m fout-il pas<br />

pour passer <strong>de</strong> ces images gracieuses au ton <strong>de</strong> l'o<strong>de</strong><br />

Jmimm ei immeem, dont 1# début si 1er et si imposant,<br />

a été souvent cité comme un modèle <strong>du</strong><br />

style sublime!<br />

Le Juste est inébraiî<strong>la</strong>bte,<br />

Et sur <strong>la</strong> base tasmable<br />

Des vertus et <strong>du</strong> <strong>de</strong>voir<br />

Il vent sans s'émouvoir<br />

Un tyran furieux lui mostrant le supplice,<br />

Un peuple soulevé loi dictant l'injustice,<br />

Le bras <strong>de</strong> Jupiter tout prêt à foudroyer :<br />

Le ciel tonne, <strong>la</strong> mer gron<strong>de</strong>.<br />

Sur lui les débris <strong>du</strong> mon<strong>de</strong><br />

Tomberont sans l'effrayer.<br />

Il y a dans Horace environ une trentaine d v o<strong>de</strong>s<br />

ga<strong>la</strong>ntes ou amoureuses, qui prouvent toutes combien<br />

cet écrivain avait f esprit in et délicat. Ce sont<br />

<strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s chefs-d'œuvre finis par <strong>la</strong> main <strong>de</strong>s<br />

Grâces. Personne ne lui en avait donné le modèle :<br />

ce n'est point là <strong>la</strong> manière d'Ânacréon. Le fond <strong>de</strong><br />

ces petites pièces est également piquant dans toutes<br />

les <strong>la</strong>ngues, et chez tous les peuples où régnent<br />

<strong>la</strong> ga<strong>la</strong>nterie et ia politesse. Elles sont même beaucoup<br />

plus agréantes pour, nous que les o<strong>de</strong>s héroïques<br />

<strong>du</strong> même auteur f dont le fond nous est souvent<br />

trop étranger, et dont <strong>la</strong> marche hardie et<br />

rapi<strong>de</strong> ne peut guère être suivie dans notre <strong>la</strong>ngue,<br />

qui procè<strong>de</strong> avec plus <strong>de</strong> timidité, et veut toujours<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> et <strong>de</strong>s liaisons. Peut-être serioasnous<br />

un peu étourdis <strong>de</strong> ia <strong>cours</strong>e vagabon<strong>de</strong> <strong>du</strong><br />

poète, et trouverioos-aosg qu'il y a dans cette espèce<br />

d'ouvrage trop pour rimagnatton, et pas assez<br />

pour l'esprit. Sous ce point <strong>de</strong> vue f chaque peuple<br />

a son goût analogue à son caractère et à son<br />

<strong>la</strong>ngage ; et il est sfk que nos o<strong>de</strong>s , n'étant pas faites<br />

pour être chantées 9 ne doivent pas ressembler<br />

aax o<strong>de</strong>s grecques et <strong>la</strong>tines. La plupart, au contraire<br />

, sont <strong>de</strong>s dis<strong>cours</strong> en vers, à peu près aassï<br />

suivis 9 aussi bien, liés qu'ils le seraient en prose. Je<br />

ne dis pas qu'il faille nous en blâmer absolument;<br />

mais ne seraient-elles pas susceptibles d 9 un peu plus<br />

d'enthousiasme et <strong>de</strong> rapidité qu'on n'en remarque,<br />

même dans nos plus belles ? C'est ce qu'il sera temps<br />

d'examiner quand il sera question <strong>de</strong>s lyriques modénies<br />

1 .<br />

1 Parmi eux, <strong>la</strong> première p<strong>la</strong>ce appartient, sa» contredit,<br />

à lousseau. Mais, en Unissant cet article, pestrôtre<br />

n'est-il pas inutile d'observer,, pour ilhtérét <strong>du</strong> goût, quel


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

CHAPITEE VII.— De <strong>la</strong> poéete pmtorak<br />

ei <strong>de</strong> <strong>la</strong>fabk chez ks anciens.<br />

mmm pimins. — Pastorafei,<br />

Il n'y a point <strong>de</strong> poésie plus déeréditée parmi nous,<br />

il qui mil plus étrangère à nos mœurs et à notre<br />

goût. Ce s'est pas <strong>la</strong> faute <strong>du</strong> genre, qui , comme<br />

tout les autres 9 est bon quand il est bien traité, et<br />

qui a <strong>de</strong> f agrément-et <strong>du</strong> charme : c'est que notre<br />

manière <strong>de</strong> livre est trop loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature champêtre,<br />

et que les modèles <strong>de</strong> <strong>la</strong> fie pastorale et lies<br />

douce»» dont elle est susceptible s'oit jamais été<br />

sons sus yeux. C'est dans <strong>de</strong>s climats fa?crises <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> sature, sous un beau ciel, dans une condition<br />

douée et aisée, que les bergers et les habitants <strong>de</strong>s<br />

hameaux peuvent ressembler en quelque chose aui<br />

bergers <strong>de</strong> Théocrite et <strong>de</strong> f irgiie. Ce quj le prouve,<br />

c'est que les combats <strong>de</strong> <strong>la</strong> flûte, tels que nous les<br />

? oyons tracés dans les églogues grecques et <strong>la</strong>tines v<br />

sont encore es usage en Sicile. 11 ne faut dose pas<br />

creira que m soit us jeu <strong>de</strong> l'imagination <strong>de</strong>s poê-<br />

fafres, <strong>de</strong>s poétiques, <strong>de</strong>s rhérotlipes à l'usage <strong>de</strong>s Jeunes<br />

gras, les tndsâwit an erreur, en citant, à l'appel d'us nom<br />

célèbre, <strong>de</strong> très-mauvais vers, <strong>de</strong>nt il « faudrait parler eue<br />

pour en faire voir les défauts, bien loin <strong>de</strong> les rapporter<br />

«us»* <strong>de</strong>s autorités. Tous ces composteurs ajaf se copient<br />

fidèlement les ans les autos, ei'doni ta nombre est infini,<br />

ne manquent Jamais f à propos d'Horace T <strong>de</strong> transcrire le jugement<br />

qu'en a porté Rousseau dans une <strong>de</strong> ses épitas. -Le<br />

¥


156<br />

î9 qui est <strong>la</strong> même dans tous ses écrits, fait<br />

qu'on ne peut pas le lire sans le savoir par cœur, et<br />

que, quand on le sait, on witt le relire encore pour<br />

le goûter davantage.<br />

Bios et Moschiis, fia <strong>de</strong> Smyrae 9 l'autre <strong>de</strong> Syra€i]se9<br />

furent contemporains <strong>de</strong> Tbéocrite, et habitèrent<br />

le même pays que lui. Leur composition est<br />

plus soignée, mais elle s'est pas exempte 'd'affectation<br />

; ils ont moins <strong>de</strong> sensibilité. Leurs élégies sont<br />

monotones; mais plusieurs <strong>de</strong> leurs idylles sont<br />

d'une imagination délicate et ingénieuse. J 9 en citerai<br />

<strong>de</strong>ux fort courtes : elles sont <strong>de</strong> Bion. Je me sers<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction qu'en a faite Chabanon dans <strong>la</strong><br />

préface <strong>de</strong> son Théocrite.<br />

C0U1S DE UTIÉRATCBE.<br />

* Un enfant s'amusait dans ira bois à prendre <strong>de</strong>s oiseau* :<br />

il fit l'Amour qui s'échappait et s'al<strong>la</strong>it reposer sur les<br />

branches d'un arbuste; il im réjonit comme d'une meilleure<br />

proie. Il rassemble tous sesgloaiu, et guetté l'Amour<br />

qui, toujours sautil<strong>la</strong>nt, lui échappe sans Cesse. L'enfant!<br />

dans son dépit, jette à terre ses pièges; et court fers le<br />

lieux SaLoureur qui Fat ait instruit dans cet art amusant<br />

Il lui conte sa peine, et lui <strong>mont</strong>re l'Amour caché dans Se<br />

feuil<strong>la</strong>ge. Le vieil<strong>la</strong>rd sourit en secouant k tête f et lui dit :<br />

Enfant, renonce à celte proie; ne chasse plus un tel oiseau ;<br />

c'est un monstre que tu dois craindre <strong>de</strong> connaître. Dès que<br />

te sortiras <strong>de</strong> Fentuiee, l'oiseau qui éta<strong>la</strong>it et f échappe, <strong>de</strong><br />

lui-même fondra sur toi. »<br />

Ces idées allégoriques ont été <strong>de</strong>puis souvent employées;<br />

mais il faut songer qu'alors elles étaient<br />

originales. La pièce suivante est à mon gré fort supérieure.<br />

« Offris m'est apparue eu songe. Ele con<strong>du</strong>isait par <strong>la</strong><br />

main le petit Amour qui baissait les yeux et regardait <strong>la</strong><br />

terre. Chantre <strong>de</strong>s vergers, m'a4-eife dit, prends avec toi<br />

l'Amour, et enseigne-lui les chansons. Elle dit et s'éloigne.<br />

Insensé, je crus FAmour curieux <strong>de</strong> mes leçons. Je lui<br />

enseigne <strong>de</strong> quelle manière Pan Invente <strong>la</strong> flûte oblique,<br />

Mineure <strong>la</strong> flûte droite , Mercure Sa lyre 9 ApoUon <strong>la</strong> cithare.<br />

Le petit dieu écoutait peu mes dis<strong>cours</strong>. Il se mit à chanter<br />

<strong>de</strong>s fers tendres ; il m f apprit les amours <strong>de</strong>s dieux et <strong>de</strong>s<br />

tiommes! divin oufrage <strong>de</strong> sa mère. Soudain j'oubliai ee<br />

que Je Tenais d'enseigner à F Amour, et ne me sou? MIS que<br />

<strong>de</strong> et qu'il venait <strong>de</strong> m'apprendre. »<br />

If oublions pas que ces petits tableaux, dont le fond<br />

est peu <strong>de</strong> chose, ne peuvent guère se passer <strong>du</strong> coloris<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> verslfleation, mais il faut un pinceau bien<br />

délicat et bien sûr. 11 serait à souhaiter que <strong>la</strong> Fontaine,<br />

qui a mis en vers une <strong>de</strong>s plus jolies pièces<br />

d'Anaeréon, eût fait le même honneur à celle-ci,<br />

qui vaut pour le moins autant. Ces sortes <strong>de</strong> compositioss<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt une main très-légère et très-exercée,<br />

parce que l'essentiel est <strong>de</strong> n'y mettre qu f autant<br />

d'esprit qu'il en faut au sentiment ; et cette mesure»<br />

là ne se donne pas, il faut l'a?oir.<br />

SEonoif 11. — De Sa <strong>la</strong>ble.<br />

« L'homme a un penchant naturel à entendre raconter.<br />

La fable pique sa cursssllé'et amuse son imagûmUnii.<br />

Elle est <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus haute antiquité; on trouve <strong>de</strong>s paraboles<br />

dans Ses plus anciens monuments <strong>de</strong> tous les peuples : il<br />

semble que <strong>de</strong> tout temps Sa vérité ait ea peur <strong>de</strong>s hommes,<br />

et que les hommes aient eu peur <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité. Quel quo<br />

soit l'inventeur <strong>de</strong> l'apologue; soit que <strong>la</strong> raison, timi<strong>de</strong><br />

dans <strong>la</strong> bouche d'un esc<strong>la</strong>ve, ait emprunté ce <strong>la</strong>ngage dé»<br />

tourné pour se Mre entendre d'un aiellre, soit qu'en sage y<br />

vou<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> réconcilier avec S'amour-propre * le plus superbe<br />

<strong>de</strong> tous les maîtres, ait Imaginé <strong>de</strong> lui prêter cette forme<br />

agréable et riante, cette invention est <strong>du</strong> nombre <strong>de</strong> ceUes<br />

qui font Se plus d'honneur à l'esprit humain. Par cet heureux<br />

artifice , le vérité 9 avant <strong>de</strong> se présenter aux hommes*<br />

compose avec Scur orgueil 9 et s'empare <strong>de</strong> leur ii'napaetion.<br />

EUê Seur offre le p<strong>la</strong>isir d'une découverte, leur<br />

épargne l'afbont d'un reproche et l'ennui d'une leçon. Occupé<br />

à démêler le sens <strong>de</strong> le fable f l'esprit n'a pas te temps<br />

<strong>de</strong> se révolter contre le précepte ; et quand <strong>la</strong> raison se <strong>mont</strong>re<br />

à <strong>la</strong> in, elle nous trouve désarmés : nous avons déju prononcé<br />

oestre nous-mêmes l'arrêt que nous ne voudrions<br />

pas entendre d'un autre ; car nous voulons bior quelque­<br />

fois nous corrige^ mais nous ne voulons jamais qo'on<br />

nous condamne. » (Éloge ée tm PomMme.}<br />

11 serait superflu <strong>de</strong> répéter ici tout ce qu'on a dit<br />

d'Ésope, et ce qu'on apprend à ce sujet à tous les<br />

enfants. On s'accor<strong>de</strong> à croire qu*U vivait <strong>du</strong> temp<br />

<strong>de</strong> Pisistrate; et s'il est vrai 9 comme on le rapporte,<br />

que les habitants <strong>de</strong> Delphes l'aient fait périr parce<br />

qu'il les avait offensés en leur appliquant une <strong>de</strong> ses<br />

fables, celle <strong>de</strong>s BâêwmfloÈtmmts, U faut te compter<br />

parmi les victimes <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie 9 car le grand<br />

sens <strong>de</strong> ses écrits mérite ce nom. Go mérite est le<br />

premier dans l'apologue, et c'est le seul d'Ésope.<br />

Sa narration d'ailleurs est dénuée <strong>de</strong> toute espèce<br />

d'ornement. La morale en fait tout te prix 9 et mémo<br />

il ne faut pas croire qu'elle soit toujours également<br />

juste. Plusieurs <strong>de</strong> ses fabu<strong>la</strong>tions sont défectueuses;<br />

et Phèdre et <strong>la</strong> Fontaine en ont corrigé<br />

plusieurs. Au reste, il est possible que ce reproche<br />

ne tombe pas sur lui : il est à peu près prouvé que<br />

P<strong>la</strong>nu<strong>de</strong>e moine grec <strong>du</strong> quatorzième siècle 9 qui te<br />

premier recueillit les fables d'Ésope f en mit sous le<br />

nom <strong>de</strong> ce fabuliste célèbre plusieurs qui n'étaient<br />

pas <strong>de</strong> lui. U nous en reste une quarantaine <strong>de</strong> <strong>la</strong>tines<br />

, composées par Aliénas 9 qui vivait sous Théodose<br />

IL Elles sont en général fort médiocres pour<br />

l'invention et pur te style : <strong>la</strong> Fontaine a pris les<br />

meilleures. U y en a aussi <strong>de</strong> beaucoup plus anciennes<br />

9 d'un Grec nommé Babrias *, qui se It Une loi<br />

* Et non Gaimm, comme le portant Ja plupart <strong>de</strong>s éditions.<br />

Bu reste, c'est le grammairien Ignatras Magltter qui<br />

a vé<strong>du</strong>lt à quatre vers tamblipei chacune <strong>de</strong>s fables <strong>de</strong> Sej<br />

br<strong>la</strong>a s tf se nous en reste que six entières. • "•


ANCIENS.<br />

<strong>de</strong> les wnfenner toutes dans quatre f ers , ain d'être<br />

au moins le plus <strong>la</strong>conique <strong>de</strong> tous les fabulistes. La<br />

plupart sont très-bien intentées; mais leur extrême<br />

brièveté nuit à l'instruction, et, ne présentant qu'une<br />

espèce d'énigme à <strong>de</strong>viner 9 ne donne pas le temps à<br />

<strong>la</strong> morale <strong>de</strong> répandre toute sa lumière. 11 ne faut<br />

faire d'aucun ouvrage un tour <strong>de</strong> fojree, et le mérite<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> difficulté vaincue est ici le moindre <strong>de</strong> tous 9<br />

atten<strong>du</strong> qu'il est en pure perte pour le lecteur. L'éten<strong>du</strong>e<br />

<strong>de</strong> chaque genre d 9 é€rit , quel qu'il soit, n'est<br />

ni rigoureusement déterminée, ni entièrement arbitraire<br />

: le bon sens ?eut qu'elle soit en proportion<br />

avec le sujet.<br />

Après Ésope 9 le fabuliste qui a eu le plus <strong>de</strong> réputation<br />

c'est Phèdre, qui, à <strong>la</strong> moralité simple et<br />

nue <strong>de</strong>s récits <strong>du</strong> Phrygien $ joignit l'agrément <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> poésie, Son élégance , sa pureté, sa précision,<br />

sont dignes <strong>du</strong> siècle d'Auguste. 11 ne fal<strong>la</strong>it rien<br />

moins que <strong>la</strong> Fontaine pour le surpasser. Ce sera<br />

un objet intéressant et curieux que l'examen <strong>de</strong> tout<br />

ce que cet homme unique a su ajouter,,! ceux qui<br />

Font précédé; mais je dols_ le réserver pour cette<br />

partie <strong>de</strong> mon travail qui regar<strong>de</strong>ra les mo<strong>de</strong>rnes.<br />

Aujourdliul 9 pour ne pas anticiper sur l'avenir, je<br />

se m'arrête sur ce» différents genres- <strong>de</strong> poésie<br />

qu'autant qu'il le faut pur caractériser les auteurs<br />

anciens, Le développement ne peut être complet que<br />

lorsque ? par?enus au moment <strong>de</strong> <strong>la</strong> renaissance <strong>de</strong>s<br />

lettres en Europe f et <strong>de</strong>scendant <strong>de</strong> cette époque<br />

jusqu'à nos jours , nous verrons comment chaque<br />

genre a été modiié par <strong>de</strong>s peuples nouveaux, restreint<br />

ou éten<strong>du</strong> 9 affaibli ou surpassé : et c'est ainsi<br />

que les <strong>de</strong>ux parties <strong>de</strong> ce Court, se rejoignant l'une<br />

à Fâutre, achèveront <strong>de</strong> mettre dans tout leur jour<br />

<strong>de</strong>s objets qui se tiennent par .eux-mêmes , mais que<br />

le pba qu'il a faJM suivre m'a forte dt partager.<br />

CHAPITRE IX. — De <strong>la</strong> satire mwkfme.<br />

«•cran mmteE. — Parallèle d'Horace et <strong>de</strong> Juvénal.<br />

Qeintiliea dit, en propres termes, que <strong>la</strong> satire<br />

appartient tout entière aux Romains : Satura qwtêem<br />

Mm mstra est Sans doute il veut dire seulement<br />

qu'en ce genre ils n'ont rien emprunté <strong>de</strong>s<br />

Grecs; car il ne pouvait pas ignorer qu'Hipponax<br />

et Arefailoque ne s'étaient ren<strong>du</strong>s que trop fameux<br />

par leurs satires, qui pouvaient p<strong>la</strong>tet s'appeler <strong>de</strong><br />

véritables libelles f si l'on en juge par les effets horribles<br />

qui en résultèrent y et par <strong>la</strong> punition <strong>de</strong> leurs<br />

auteurs, fiipponax fut chassé <strong>de</strong> son pays, et Arefailoque<br />

fut poignardé. Ce <strong>de</strong>rnier avait si cruellement<br />

- POÉSIE. 157<br />

malheureux se donna <strong>la</strong> mort. Archiloque fat l'inventeur<br />

<strong>du</strong> vers iambe, dont les Grecs et les Latins<br />

se servirent dans leurs pièces <strong>de</strong> théâtre. Mais dans<br />

ses mains ce fat $ dît Horace, l'arme <strong>de</strong> <strong>la</strong> rage «. Le<br />

lyrique <strong>la</strong>tin avoue qu'il s'est approprié cette mesure<br />

<strong>de</strong> vers dans quelques-unes <strong>de</strong> ses o<strong>de</strong>s ; mais<br />

il ajoute avec raison qu'il est bien loin d'en avoir<br />

fait un si détestable usage. Ses satires, ainsi que<br />

celles <strong>de</strong> Juvénal et <strong>de</strong> Perse, sont écrites en vers<br />

hexamètres. Ainsi, l'assertion <strong>de</strong> Quintilien se trouve<br />

suffisamment justiiée, puisque les satiriques <strong>la</strong>tins<br />

n'imitèrent les Grecs, ni dans <strong>la</strong> forme <strong>de</strong>s vers 9 ni<br />

dans le genre <strong>de</strong>s sujets.<br />

La satire, suivant les critiques les plus éc<strong>la</strong>irés,<br />

est un mot originairement <strong>la</strong>tin. Il n'a rien <strong>de</strong><br />

commun avec le nom que portent dans <strong>la</strong> Fable ces<br />

êtres monstrueux qu'elle représente entièrement<br />

velus, et avec <strong>de</strong>s pieds <strong>de</strong> chèvre. Il vient <strong>du</strong> mot<br />

satura, qui, dans les auteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus ancienne<br />

<strong>la</strong>tinité, signifiait un mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong> toutes sortes <strong>de</strong><br />

sujets. Bans <strong>la</strong> suite on l'appliqua plus particulièrement<br />

aux ouvrages qui avaient pour objet <strong>la</strong> raillerie<br />

et <strong>la</strong> p<strong>la</strong>isanterie. Enin Enmus et Lucilios déterminèrent<br />

<strong>la</strong> nature <strong>de</strong> ce genre d'écrire, et l'on<br />

ne donna plus le nom <strong>de</strong> satires qu'aux poésies dont<br />

le sujet était <strong>la</strong> censure <strong>de</strong>s mœurs. Lucilius surtout<br />

s'y rendit très-célèbre; et quoiqu'il eût écrit <strong>du</strong><br />

temps <strong>de</strong>s Scipîons, il avait encore dans le siècle<br />

d'Auguste <strong>de</strong>s partisans si zélés, qu'on murmura *<br />

beaucoup contre Horace, qui, en louant le sel <strong>de</strong><br />

ses écrits et sa courageuse hardiesse à démasquer<br />

le vice, avait comparé son style incorrect, diffus<br />

et inégal, à un fleuve qui roule beaucoup <strong>de</strong> fange<br />

avec quelques parcelles d'or. Quintilien lui-même<br />

trouve ce jugement d'Horace trop sévère. 11 nous<br />

est impossible <strong>de</strong> savoir au juste à qui l'on doit<br />

s'en rapporter : U ne nous reste que quelques vers<br />

<strong>de</strong> Lucilius.<br />

Heureusement nous sommes à portée <strong>de</strong> confirmer<br />

l'opinion <strong>de</strong> ce même Quintilien sur Horace,<br />

qui, selon lui, est infiniment plus pur et plus efaâ-<br />

' lié que Lucilius, et a excellé surtout dans <strong>la</strong> connaissance<br />

<strong>de</strong> l'homme.<br />

Horace, fanal <strong>du</strong> bon sens,<br />

Philosophe saut verbiage f<br />

EtpeêtesassCâ<strong>de</strong>eiioeiiâ, *<br />

â dit Gresset; et il est vrai qu'on ne peut, ni railler<br />

plos finement 9 ni loyer avec plus <strong>de</strong> délicatesse.<br />

Sa morale est à <strong>la</strong> fois douce et pure; elle n'a rien<br />

d'outré, rien <strong>de</strong> fastueux, rien <strong>de</strong> farouche. Mai<br />

poëte n'a mieux connu le <strong>la</strong>ngage qui convient à <strong>la</strong><br />

diffamé Lycambe, qui lui avait refusé m 111e, que le > PM art poct v. ifc)


158<br />

raison ; il se prêche pas <strong>la</strong> vérité, il <strong>la</strong> fait sentir;<br />

il ne comman<strong>de</strong> pas <strong>la</strong> sagesse, il <strong>la</strong> fait aimer. 11<br />

cousait les dangers <strong>du</strong> rôle <strong>de</strong> censeur, et il trouve es<br />

lui-même <strong>de</strong> quoi les éviter tous. YûEJI ne pouvez l'accuser<br />

<strong>de</strong> morgue ; car, en peignant les travers d'autre!<br />

y il commence par avouer les siens, et s'exécute<br />

lui-même <strong>de</strong> <strong>la</strong> meilleure grâce <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>. Vous ne<br />

pouvez vous p<strong>la</strong>indre qu'il prêche, car il converse<br />

toujours avec vous. 11 a trop <strong>de</strong> gaieté pour être<br />

taxé d'humeur et<strong>de</strong> misanthropie. Enfin le plus grand<br />

inconvénient <strong>de</strong> <strong>la</strong> morale, c'est l'ennui ; et M a tout<br />

ce qu'il faut pour y échapper : mie variété <strong>de</strong> tons<br />

inépuisable, <strong>de</strong>s épiso<strong>de</strong>s <strong>de</strong> toute espèce, <strong>de</strong>s dialogues,<br />

<strong>de</strong>s fktions, <strong>de</strong>s apologues, <strong>de</strong>s peintures<br />

<strong>de</strong> caractères y et l'usage le plus adroit <strong>de</strong> cette forme<br />

dramatique, toujours si heureuse partout où elle<br />

peut entrer, et dont, à son exemple, Voltaire, parmi<br />

les mo<strong>de</strong>rnes t a le mieux senti tous les avantages.<br />

C'est à lui qu'il appartenait <strong>de</strong> bien apprécier Horace;<br />

e 9 est à lui qu'il sied bien <strong>de</strong> dire dans cette<br />

charmante épttre, un <strong>de</strong>s meilleurs ouvrages <strong>de</strong> sa<br />

vieillesse :<br />

fouinons, écrire»! vivons, mec cher Boraee,<br />

§nf te bord <strong>du</strong> tombeau je mettrai tous mes soins<br />

• satire les leçons <strong>de</strong> ta pUtatspliie,<br />

4 mépriser <strong>la</strong> mort en savourant <strong>la</strong> %1e,<br />

4 lire tes écrits pleins <strong>de</strong> grâce et <strong>de</strong> sens,<br />

Comme on boit dfan vin vteui qui rajeunit les sans.<br />

Avec toi l'on apprend à souffrir rindigenos,<br />

A jouir sagement d'eue honnête opulence f<br />

4 virre avee soi-même f à sertir ses amis ,<br />

A se moquer un feu <strong>de</strong> ses sots ennemis,<br />

A sertir d'une vie ou triste ou fortunée,<br />

Eu rendant grftee aux dieux <strong>de</strong> nous l'avoir donnée.<br />

GODHS DE UTTtSJLlUBR.<br />

Voilà le meilleur résumé <strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong>s satires<br />

et <strong>de</strong>s épftres d'Horace; car on peut joindre ensemble<br />

ces <strong>de</strong>ux ouvrages, qui ont? à beaucoup d'égards<br />

9 le même caractère f si ce n'est que les épftres ?<br />

avec moins <strong>de</strong> force dans <strong>la</strong> pensée, ont cette aisance<br />

et ee naturel qui est <strong>du</strong> genre épisto<strong>la</strong>ire;<br />

mais le résultat est le même ; c'est que l'auteur est<br />

le plus aimable <strong>de</strong>s poètes moralistes, et par ce<strong>la</strong><br />

mime le plus utile, parce que ses préceptes 9 dont<br />

<strong>la</strong> récité est à <strong>la</strong> portée <strong>de</strong> tous les esprits, dont<br />

l'application est <strong>de</strong> tous les moments, renfermés<br />

dans <strong>de</strong>s vers pleins <strong>de</strong> précision et <strong>de</strong> facilité, vous<br />

accoutument à faire sur vous le même travail , te<br />

même examen qu'il fait sur luif et qui a pour but,<br />

son pas <strong>de</strong> vous mener à une perfection dont<br />

l'homme est bien rarement capable 9 mais <strong>de</strong> vous<br />

apprendre à <strong>de</strong>venir chaque jour meilleur, et pour<br />

vous-même et pour les autres.<br />

M. Dusaulx, <strong>de</strong> l'Académie <strong>de</strong>s InscriptSons9 à qui<br />

nous <strong>de</strong>vons <strong>la</strong> meilleure tra<strong>du</strong>ction en prose qu'on<br />

lit encore faite <strong>de</strong> Juvénal, a mis à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> son<br />

ouvrage un tria-beau parallèle <strong>de</strong> ee satirique et<br />

d'Horace son <strong>de</strong>vancier. Je vais le rapporter en entier,<br />

quoique un peu éten<strong>du</strong> : il est trop bien écrit<br />

pour paraître long. Mais* en rendant justice au talent<br />

<strong>de</strong> l'écrivain, je me permettrai quelques obsep»<br />

rations en foreur d'Horace, qu'il me semble avoir<br />

traité un peu rigoureusement, es même temps qu'il<br />

<strong>mont</strong>re pour Juvénal un peu <strong>de</strong> cette prédilection<br />

si excusable dans un tra<strong>du</strong>cteur qui a'êst pénétré<br />

comme 11 le <strong>de</strong>vait êm mérite <strong>de</strong> ton original.<br />

« Comme on a coutume, pour déprimer InréaaJ» <strong>de</strong><br />

le comparer avec Horace ; je vais essayer <strong>de</strong> faire sentir<br />

que ces <strong>de</strong>ux poètes ayant en quelque sorte partagé te<br />

vaste champ <strong>de</strong> <strong>la</strong> satire ; F ne n'eu saisit que l'enjouement,<br />

l'autre <strong>la</strong> gravité , et chacmi d'eu*, fidèle as bit<br />

qu'il se proposait, a fourni sa carrière avec autant <strong>de</strong><br />

succès | quoiqu'ils aient employé <strong>de</strong>s moyens «Mrtraàref.<br />

Celte manière <strong>de</strong> les envisager, plus morale peut-être que<br />

littéraire, n'en est pas moins capable <strong>de</strong> les <strong>mont</strong>rer p*r<br />

le côté le plus intéressant. Yoyons dans quelles ctrcoirr<br />

tances l'un et Tautre peignirent les mœurs 9 et ce qui constitue<br />

<strong>la</strong> différence <strong>de</strong> leurs caractères.*.. Avec autant <strong>de</strong><br />

sagacité, plus <strong>de</strong> goit, mais beaucoup moins d'énergie<br />

que Juvénal, Horace semble avoir eu plus «féerie <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire<br />

que <strong>de</strong> corriger. 1 est frai que <strong>la</strong> sauvante révoluttès qui<br />

venait d'étouffer les <strong>de</strong>niers soupirs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Inerte romaine<br />

n'avait pas encore eu le temps d'avilir absolument les<br />

âmes; il est vrai que les mœurs n'étaient pas armai dépravées<br />

qu'elles le furent après Tibère , Ceignis et Mérou.<br />

Le cruel , mais politique Octave 9 semait <strong>de</strong> fleurs les routes<br />

qu'il se frayait sour<strong>de</strong>ment vers le <strong>de</strong>spotisme. Les treani<br />

arts <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce, transp<strong>la</strong>ntés autour <strong>du</strong> Capitule, fleurissaient<br />

sens ses auspices ; te souvenir <strong>de</strong>s discor<strong>de</strong>s civiles<br />

faisait adorer l'auteur <strong>de</strong> ce estent* nouveau ; en se<br />

féficitali <strong>de</strong> s'avoir plus à craindre <strong>de</strong> se trouver I son recel<br />

inscrit sur <strong>de</strong>s taMes <strong>de</strong> pracripttoti; et le Romain<br />

en tutelle oubliait, à l'ombre <strong>de</strong>s <strong>la</strong>uriers <strong>de</strong> ses ancêtres,<br />

dans les amphithéâtres et dans le cirque, ces droits <strong>de</strong> citoyen<br />

dont ses pères avaient été si jalon i pendant plus <strong>de</strong><br />

huit siècles. Jamais <strong>la</strong> tyrannie n'eut <strong>de</strong>s prémices plus sé<strong>du</strong>isantes<br />

: filnsina était générale; ou si quelqu'un était<br />

tenté <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r au petit-neveu <strong>de</strong> César <strong>de</strong> quel droit<br />

U s'érigeait en maître, un regard <strong>de</strong> l'usurpateur le ré<strong>du</strong>isait<br />

au silence. Horace, aussi bon courtisan qu'il avait<br />

été mauvais soldat ; Horace, éc<strong>la</strong>iré par son propre intérêt,<br />

et se sentant incapable <strong>de</strong> remplir avec distinction<br />

les <strong>de</strong>voirs pénibles d'un vrai républicain, sentit jusqu'où<br />

pouvaient Féterer sans efforts <strong>la</strong> isesse, les grâces «t <strong>la</strong><br />

mesure <strong>de</strong> son esprit, qualités peu considérées jusqu'alors<br />

ches un peuple turbulent et qui n'avait médité que<br />

<strong>de</strong>s conquêtes. Ainsi <strong>la</strong> politesse, l'éc<strong>la</strong>t et <strong>la</strong> fatale sécu*<br />

rite <strong>de</strong> ce règne léthargique n'avaient rien d'odieux pour<br />

un homme dont presque toute Sa morale n'était qu'un car<br />

cul <strong>de</strong> votante, et dont tes différents écrits ne fofmaJent<br />

qu'un long traité <strong>de</strong> l'art <strong>de</strong> jouir <strong>de</strong> présent, sans égard<br />

aux mathets» qui menaçaient <strong>la</strong> postérité. Indifférent sur<br />

l'avenir, et n'osant rappslef <strong>la</strong> ttémoiro dn passé, il ara


ANCIENS,<br />

ssngenit qu'à m garantir <strong>de</strong> tout ce qm pouvait «Hector<br />

tristement son esprit, et troubler les eharinp d'une vfe<br />

dont U mêA habilement arrangé le système. Estimé <strong>de</strong><br />

Fempereiir, cher à Virgile f accueilli <strong>de</strong>s grands , et partageant<br />

leurs délices, U n'affecta point <strong>de</strong> regretter l'austérité<br />

<strong>de</strong> l'ancien goavcnietnefltr : c'eût été mal répondre aux<br />

¥ues û 9 Auguste et <strong>de</strong> Mécène, qui s'étaient dédaréâ ses<br />

proteeteiirs. Le premier, dit-on f feignit <strong>de</strong> vouloir abdiquer<br />

; le second l'en détourna. 11 fit bien pour 1® prince et<br />

pour fannaêsie. Que serslent-ii <strong>de</strong>venu tons <strong>de</strong>ux as miieo<br />

d'im peuple libre, Feu mm son caractère artificieux;<br />

et n'ayant plus <strong>de</strong> satelfites, l'antre avec sa vaine nrbanilé ?<br />

Dès lors 0 fallut se taire nu parler en «c<strong>la</strong>ire. Mais Horace,<br />

Mes sûr que les races Mures, enchantées <strong>de</strong> sa<br />

poésie, aflraschiraieni son nom, ¥it qu'il pouvait impunément<br />

être le f<strong>la</strong>tteur et le eompliee d'un homme fnl réfjiait<br />

sans obstacles. Aussi .les éloges qu'il distribuait<br />

étaient-ils nMpefnent re<strong>la</strong>tifs à Fêtât présent <strong>de</strong>s choses 9<br />

et as crédit actuel <strong>de</strong>s personnes dont U ambitionnait le<br />

suffrage. On ne tron¥e en aucun endroit <strong>de</strong> ses écrits ni le<br />

nom d'Ovi<strong>de</strong>, létri par sa disgrâce, ni celui <strong>de</strong> Cleéren,<br />

que ironie emmre Mère, dit Juvénal, avait appelé le diea<br />

tstékire, le père <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie. Mais il n'a point oublié <strong>de</strong><br />

cmaster tes ihvoris <strong>de</strong> <strong>la</strong> fortune; ceux-là n'avaient rien à<br />

craindrfl <strong>de</strong> sa muse : pins enjoiSée que mordante 9 efle ne<br />

s'égayait qu'au dépens <strong>de</strong> cette partie subalterne <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

sotiété, dont M n'attendait ni célébrité ni p<strong>la</strong>te». Uni ne<br />

eonsiit Brânw que lui Se pouvoir <strong>de</strong> <strong>la</strong> louange; nid ne sot<br />

l'appeler pins adroitenient, ni gagner avec plus d ? art <strong>la</strong><br />

Mes?ciiâiice <strong>de</strong>s premiers <strong>de</strong> Fempire ; et c'est par là sortent<br />

qse son li¥re est <strong>de</strong>venu cher aux courtisans. Avouonsle<br />

cependant : tout homme gai pense ne peut s'empêcher<br />

d'en faire ses délices. Le client <strong>de</strong> Mécène joignait <strong>de</strong>s qualités<br />

émiôentes et soli<strong>de</strong>s à <strong>de</strong>s talents agréables. Non<br />

moins pySosoplie qse poète, il dictait avec nue épie al*<br />

stnce les préceptes <strong>de</strong> k vie et ceux <strong>de</strong>s arts. Comme il<br />

aimait mieux capituler que <strong>de</strong> combattre, comme il attaétait<br />

peu d'importance à ses leçons, et qu'il ne tenait à<br />

ses principes qu'autant qu'ils favorisaient ses inclinations<br />

épenrianfies, ce Protêt compta pont amie et pour admi*<br />

raton» esnx même dont U critiquait les opinions on <strong>la</strong><br />

conènite.<br />

• Js¥énai commença sa carrière où l'autre avait fini <strong>la</strong><br />

sienne, c'eslrà-dire qui! lit pour les mœurs et pour <strong>la</strong> 11»<br />

berté ce qu'Horace avait fait pour <strong>la</strong> décence et le bon<br />

goêt, CeJiri-d tenait d'apprendre à supporter le joug d'un<br />

maître, el <strong>de</strong> préparer Fapothéose <strong>de</strong>s tyrans. Juvénal ne<br />

cessa âe réchmer contre on pouvoir usurpé, <strong>de</strong> rappeler<br />

an Romains les beaux jours <strong>de</strong> leur indépendance. Le<br />

caractère <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier lit <strong>la</strong> force et k verve; son bot,<br />

êe consterner les vi<strong>de</strong>sx, et d'abolir le vice presque Mg><br />

naami &w*geuse, mais inutile entreprise ! 11 écrivait dans<br />

un siècle détestable, où les lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature étaient impnnémeit<br />

violées, où Famour <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie était absolument<br />

éteint dans le cœur <strong>de</strong> presque tous ses concitoyens ; <strong>de</strong><br />

sorte que cette race, abrutie par <strong>la</strong> servitu<strong>de</strong> t par le <strong>la</strong>ie,<br />

et par Ions tes crimes qu'il a coutume <strong>de</strong> tramer à sa suite,<br />

méritait plntét <strong>de</strong>s bourreaux qu'un censeur. Cependant<br />

Fempre, ébranlé jusque dans ses fon<strong>de</strong>ments, al<strong>la</strong>it bientôt<br />

- POÉSIE. |gf<br />

s'écrouler sur hti-inême. Le eanetète mutin était teHsment<br />

dégradé, que personne n'osait proférer le mot <strong>de</strong> liberté.<br />

Chacun n'était sensible qu'à son propre malheur, et<br />

ne le conjurait souvent que par <strong>la</strong> dé<strong>la</strong>tion. Parents, amis,<br />

tout, jusqu'aux êtres inanimés, <strong>de</strong>venait suspect. U n'était<br />

pas permis <strong>de</strong> pleurer <strong>de</strong>s proscrits; on puntesait les<br />

<strong>la</strong>rmes. Finissons : car, excepté quelques instants <strong>de</strong> relâche,<br />

l'histoire <strong>de</strong> ces temps déplorantes n'est qu'une <strong>la</strong>me<br />

<strong>de</strong> pstidies, d'empoisonnements, et d'assassinats. Dans<br />

ces conjonctures, Juvénal méprise l'arme légère <strong>du</strong> ridicule,<br />

si kmUière à son <strong>de</strong>vancier. U saisit le g<strong>la</strong>ive <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

satire, et court <strong>du</strong> trône à k taverne ^frappant indistinctement<br />

quiconque s'est éteigne dn sentier <strong>de</strong> k vertu. Ce<br />

n'est pas, comme Horace, un poète souple et muni <strong>de</strong><br />

cette aadifférenee faussement appléa philosopMqse, qui<br />

s'amuse à reprendre quelques travers <strong>de</strong> peu <strong>de</strong> conséquence<br />

t et dont le style y «oisifs m Mn§a§e wàimire,<br />

coule an gré d'un instinct voluptueux. C'est un auteur ineerraptihte,<br />

c'est ne poète bonpant qui s'élève quelquefois<br />

avec son sujet jssqs'au ton <strong>de</strong> k tragédie. Austère et<br />

toujours conséquent aux mêmes principes, ebei loi tout<br />

est grave, tout est imposant; on s'il rit, son rire est en*<br />

core plus formidable que sa colère. Il m s'agit partout que<br />

<strong>du</strong> vice et <strong>de</strong> k vertu, <strong>de</strong> k servitu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> k liberté, dn<br />

k folie et <strong>de</strong> ksagesse. M eut le courage <strong>de</strong> sacrifier à k -<br />

vérité tant <strong>de</strong> bienséances équi¥oqnes et tant d'égards peitSejnea,<br />

ai chers à cens dont tonte k morale ne eonafsts<br />

qu'en apparences. He dksimnlons point qu'il a mérité <strong>de</strong><br />

justes reproches, non pas pour avoir dénoncé <strong>de</strong> §rands<br />

noms déshonorés, niait pour avoir sJaraiékpt<strong>de</strong>w:aiissi<br />

n'ai-je pas <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> l'en justifier. J'observerai seulement<br />

qu'Horace, tant vanté pour sa défatasaa, est encore plus<br />

Ueescieu, et qu'i a le matheur <strong>de</strong> rendre le fine aimable ;<br />

an lieu qu'en révé<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s horreurs dont frémit k nature 9<br />

en voit qu'l «Irait dans le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> Jovésal <strong>de</strong> <strong>mont</strong>rer 4<br />

quel point Fhomme peut s'abrutir quand il n'a pins d'antre<br />

gui<strong>de</strong> que k mollesse et k cnpMité. Sans ces taches, qui<br />

sont dn siècle, et non <strong>de</strong> Fauteur, on se trouverait rien à<br />

reprendre dans ses écrits : l'esprit qui tes dicta ne respire<br />

que l'amour <strong>du</strong> bien punie : s'il reprend les ridicules, ce<br />

ce n'est qu'autant qu'ik tiennent an vice on qu'ils y mènent.<br />

Quand il sévit, quand il immole, on n'est jamais<br />

testé <strong>de</strong> p<strong>la</strong>indre ses victimes, tant eUes sont odieuses et<br />

diflormes. Je sais qu'on l'accuse encore d'avoir été trop<br />

avare <strong>de</strong> touanges; mak quand on connaît le cœur humain »<br />

quand on ne veut ni te faire Mission à soi-même, ni tromper<br />

les antres, en peut-on donner beaucoup? JQ a peu loué :<br />

le matheur <strong>de</strong>s temps l'en dépensait. Ce qu'il pouvait<br />

Mn <strong>de</strong> pins hinsain était <strong>de</strong> compatir à k servitu<strong>de</strong> involontaire<br />

<strong>de</strong> quelques hommes secrètement vertueux, mak<br />

emportés par le tenant An reste, il était trop généreux<br />

pour fiatter <strong>de</strong>s tyrans,' et pour mendier tes suffrages <strong>de</strong><br />

leurs esckves. Les étogss ne sont donnés le plus souvent<br />

qu'en échange : il méprisait ce trafic. U aimait Irop sJncèrement<br />

les hommes pour tes f<strong>la</strong>tter; mais ce qui pouvait<br />

leur nuire l'indignait; et sons <strong>de</strong>vons à cette noble passion<br />

k pins belle moitié <strong>de</strong> son ouvrage, je veux dire k<br />

plus sentencieuse et k plus généralement intéressante en<br />

tout temps, en ton* Maux. Après avoir cesnbattii les vices


1*0<br />

COUS DE UTTÉRATDBB.<br />

recette» peur tels f il comprit fn*i MMf encore re<strong>mont</strong>er<br />

à <strong>la</strong> source <strong>du</strong> mal $ et dissiper le prestige <strong>de</strong>s fiasses fer<strong>la</strong>s<br />

| car il faut , dit Montaigne ; êter le masque aussi Men<br />

<strong>de</strong>s ehmes que <strong>de</strong>s personnes. De là ces satires os plutôt<br />

ces belles harangues contre nos Tains préjugés, plus forts<br />

et bien autrement accrédités'que <strong>la</strong> saine rassoit,<br />

« Il est aisé maintenant <strong>de</strong> sentir peurqnoi Horace a<br />

' plus <strong>de</strong> partisans que Jovénal. On sait que <strong>de</strong>puis longtemps<br />

<strong>la</strong> verta sans ilkge n'a plus <strong>de</strong> <strong>cours</strong> ; qne ceai qui<br />

b professent dais tonte sa pureté ont toujours pins d'adversaires<br />

que <strong>de</strong> disciples, et qu'ils révoltent pins souvent<br />

qu'ils ne persua<strong>de</strong>nt, Supposé que les riches , presque toujours<br />

insatiabiesi fessent sans pn<strong>de</strong>nr et sans humanité<br />

quand il s s éeetof pas 9 préUrera sans hésiter b rigueur d'une morale<br />

invariable à tous tes palliatifs d'un auteur comp<strong>la</strong>isant.<br />

Ainsi Juvénal serait le premier <strong>de</strong>s satiriques ; si <strong>la</strong> Ter te<br />

était le premier besoin <strong>de</strong>s hommes ; wmis, comme il le<br />

dit lui-même, m mule <strong>la</strong> proMté, tandis gu'dteM motfond.<br />

* Je conclus <strong>de</strong> ces considérations qu'Horace écrivit en<br />

courtisan adroit 9 Juvénal en citoyen zélé ; que l'un ne hisse<br />

fies à désirer à un esprit délicat et voluptueux y et que<br />

Fautre satisfait pMseœent une âme forte et rigi<strong>de</strong>. *<br />

Voilà sans doute un morceau d'une éloquence<br />

austère et digue d'uu tra<strong>du</strong>cteur <strong>de</strong> Juvénal. Mais<br />

agit <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir encore plus riches ; supposé que est-il bien réfléchi? Horace mérite-t-il tous les re­<br />

for, an lieu <strong>de</strong> circuler également dans tous les membres proches qu<br />

<strong>de</strong> FÉtat, et d'y porter <strong>la</strong> vie, se servit plus qu'à fomenter<br />

le lèse insolent <strong>de</strong>s parvenus : quel serait, je vous prie 9 le<br />

sort <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux orateurs , dont Fun p<strong>la</strong>i<strong>de</strong>rait <strong>la</strong> eanse <strong>du</strong> superflu<br />

f et Fautre celle <strong>du</strong> nécessaire? Il est évi<strong>de</strong>nt que le<br />

$ ou lui fait, et Juvénal tous les éloges<br />

qu'on lui donne? <strong>la</strong>is, les motifs <strong>de</strong> k préférence<br />

assez généralement accordée au premier sont-ils m<br />

effet eeui que fou nous présente iei? C'est ce que<br />

je vais me permettre d'examiner, sans autre intérêt<br />

que celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité 9 qui doit, aux yeoi d'un littérateur<br />

philosophe, tel que celui qui a écrit ce morceau<br />

f l'emporter sur toute autre considération ; et,<br />

comme il ne s'est fait aucun scrupule <strong>de</strong> réfuter,<br />

dans un autre endroit <strong>de</strong> son dis<strong>cours</strong>, l'opinion<br />

d'un <strong>de</strong> ses confrères sur Juvénal 9 j'espère qu'il ne<br />

trouvera pas mauvais que je combatte <strong>la</strong> sienne.<br />

Bussé-je me tromper, une discussion <strong>de</strong> cette nature,<br />

avec un homme <strong>du</strong> mérite <strong>de</strong> M. Dusaoli,<br />

ne peut qu'être honorable pour moi, et intéressante<br />

pour tous les amateurs <strong>de</strong>s lettres.<br />

D'abord nos <strong>de</strong>ux auteurs sont-ils suffisamment<br />

caractérisés par cette première phrase, qui sert <strong>de</strong><br />

fon<strong>de</strong>ment à tout le reste <strong>du</strong> parallèle :<br />

premier triompherait auprès <strong>de</strong> nos Crésus ; mais 1@ second<br />

n'ayant pour amis que les infortunés, je tremblerais pour<br />

lui. Le grand talent d'un écriv ain étiez les peuples arrifés<br />

à ce déclin <strong>de</strong>s mœurs qu'on appelle Feiquise politesse ;<br />

est moins <strong>de</strong> dire <strong>la</strong> vérité que ce qui p<strong>la</strong>ît au* hommes<br />

- puissants. Si ces réflexions sont justes f on m'accor<strong>de</strong>ra<br />

que les ambitieux, les hommes sensuels et ceux qui flottent<br />

au gré <strong>de</strong> l'opinion 9 n'ont que trop d'intérêt à préférer<br />

à Fâpre censure <strong>de</strong> Juvénal <strong>la</strong> douceur et l'urbanité<br />

d'un poète in<strong>du</strong>lgent, qui; non content d'embellir les objets<br />

<strong>de</strong> leurs goûts, et d'excuser leurs caprices$ sait encore<br />

autoriser leurs faiblesses par son eiemple. Souvent, dit<br />

Horace, je fais t au préjudice <strong>de</strong> mon bonheur, ce que ma<br />

propre Misée désatone. Il convient encore qu'il n'avait pas<br />

<strong>la</strong> force <strong>de</strong> résister à l'attrait <strong>du</strong> moment ? et que ses principes<br />

variaient selon Ses circonstances. Il faut l'entendre<br />

naSter tour à tour et <strong>la</strong> modération <strong>de</strong> l'âme, et son activité<br />

dans <strong>la</strong> poursuite <strong>de</strong>s honneurs; tantôt vanter <strong>la</strong> souplesse<br />

d'Artetippe, tantét FiniexibUité <strong>de</strong> Caton ; et, comme<br />

si le cœur pouvait suffire en même temps aux affections<br />

les plus contraires f approuver dans le même ouvrage et <strong>la</strong><br />

mo<strong>de</strong>stie qui se cache, et <strong>la</strong> vanité qui brûle <strong>de</strong> se pro<strong>du</strong>ire<br />

au grand jour. S'il est vrai que l'humanité s'affaiblit<br />

et s'altère à mesure qu'elle se polit, le plus grand nombre<br />

Unit aujourd'hui donner <strong>la</strong> préférence à celui qui sait le<br />

mieux amuser l'esprit, et f<strong>la</strong>tter l'indolence <strong>du</strong> coeur, sans<br />

paraître toutefois déroger aux qualités essentielles qui constituent<br />

l'homme <strong>de</strong> bien. C'est principalement à ces titres<br />

qu'Horace ne peut jamais cesser d'être d'âge en âge le coni<strong>de</strong>nt<br />

et l'ami d'une postérité que <strong>de</strong> nouveaux artst et<br />

par conséquent <strong>de</strong>s besoins non?eaux ; éloigneront <strong>de</strong> plus<br />

en plus <strong>de</strong> <strong>la</strong> simplicité naturelle. Mais l'homme libre,<br />

s'il en est encore 9 celui qui s'est bien persuadé que le vrai<br />

bonheur ne consiste que dans nous-mêmes; qu®9 excepté<br />

les re<strong>la</strong>tions êe <strong>de</strong>voirs, <strong>de</strong> bienveil<strong>la</strong>nce et d'humanité,<br />

toutes les autres sont chimériques et femloleeses : celui<br />

qui s'esf fait <strong>de</strong>s principes constants s qui ne connaît qu'eue<br />

chose à désirer, k bien ; qu'une chose à fuir, le mal ; et qui<br />

se dévouerait plutêt à l'opprobre 9 à <strong>la</strong> mort f que <strong>de</strong> trahir<br />

* L'on n'a saisi qne l'enjouement <strong>de</strong> <strong>la</strong> satire» l'autre que<br />

k gravité. »<br />

J'avoue qu'Horace est très-enjoué :.c'est cta lui<br />

tout à <strong>la</strong> fois un don <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature et un principe <strong>de</strong><br />

goût. C'est d'après un <strong>de</strong> ses vers, cité partout, que<br />

s'est établie cette maxime qui n'est pas contestée,<br />

que souvent le ridicule, même dans les sujets les<br />

plus importants, a plus <strong>de</strong> force et d'efficacité que<br />

<strong>la</strong> véhémence. Des exemples sans nombre pourraient<br />

le prouver; mais il n'y en a point <strong>de</strong> plus frappant<br />

que celui qu'adonné Montesquieu. L'auteur <strong>de</strong> l'Esprit<br />

<strong>de</strong>s lois savait autre chose que p<strong>la</strong>isanter, et<br />

c'est pourtant avec <strong>la</strong> seule arme <strong>du</strong> ridicule qu'il a<br />

attaqué l'Inquisition. Croîra-t-on pour ce<strong>la</strong> qu'il en<br />

sentît moins toute l'horreur ? On en peut juger par<br />

celle qu'il inspire pour le monstre qu'il terrasse en<br />

riant. Mais quel rire! C'est bien le cas d'appliquer<br />

ici ce mot heureux que M. Dusaulx loue avec tant<br />

<strong>de</strong> raison dans Juvénal :<br />

§• ecmieletîoe 9 dont le témoignage lui suffit ; celui-là y n'en s « Quand Diesregar<strong>de</strong> te mé€faaits9 M en rit et tes dé*<br />

teste.»


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

Ost qu'en effet il y a un rire mêlé <strong>de</strong> mépris et<br />

d'indignation, .qui exprime le sentiment le plus amer<br />

qoe l'excès do vice et <strong>du</strong> crime puisse inspirer à<br />

l'homme <strong>de</strong> bien. Ce n'est pas là, il est vrai f le rire<br />

d'Horace; mais aussi ce s'est pas l'Inquisition qu'il<br />

Ut SAUFS. — TÔVB 1.<br />

- un<br />

sophe que poète 9 il dictait arec une épie aisance les préceptes<br />

<strong>de</strong> 3a fie et ce» <strong>de</strong>s arts. »<br />

Je n'ai rien à ajouter à cet éloge si juste et si eoniplet.<br />

Mais ce portrait est-il celui d'un éerivain qui<br />

n'a saisi que l'e^fouement <strong>de</strong> lu mtiref Ce s'est<br />

emmkOL M. Btisaok confient lui-même qu'à l'épo­ point à moi <strong>de</strong> concilier M. Dusaulx a?ec lui-même.<br />

que où Horace écrit ait, les moeurs étaient teao- H me suffit <strong>de</strong> me servir d'une <strong>de</strong> ses phrases pour<br />

mmp moins dépravées 9 moins scandaleuses, moins<br />

atroces qu'elles ne le <strong>de</strong>rinrent<strong>de</strong>puîs Tibère jusqu'à<br />

réfuter l'autre 9 et je suis trop heureux <strong>de</strong> le combattre<br />

avec ses propres armes.<br />

Bomitien. 11 aurait pu ajouter, à <strong>la</strong> louange d'Au­ Mais, d'un autre côté, est-il vrai que Juvénal<br />

guste 9 que les sages lois <strong>de</strong> ce prince contribuèrent n'ait saisi que t® grmvilè <strong>du</strong> genre satirique? 11 en<br />

à rétablir une sorte <strong>de</strong> décence, et à réprimer une a sans doute; mais si j'osais hasar<strong>de</strong>r mon opinion<br />

partie <strong>de</strong>s désordres qu'avaient entraînés les guer­ contre celle <strong>de</strong> son élégant tra<strong>du</strong>cteur, qui doit, je<br />

res ciYÎIes. Mais il semble que M. Dusaulx ne veuille l'avoue, être d'un grand poids, je croirais que les<br />

pas rendre plus <strong>de</strong> justice à Auguste qu'au poète caractères dominants <strong>de</strong> ce poète sont plutôt l'hu­<br />

dont il fut le bienfaiteur ; et c'est encore , à mon meur! <strong>la</strong> colère, et l'indignation. Ce sont là <strong>du</strong> moins<br />

gréf un petit tort que j'oserai lui reprocher. les mouvements qui m manifestent le plus songent<br />

Horace a donc très-bien fait d'être enjoué dans ses dans ses écrits. Il dit lui-même que tifuUgnûimm a<br />

satires, non-seulement pree que les traits <strong>de</strong> <strong>la</strong> fait ses vers, et Ton n<br />

p<strong>la</strong>isanterie sont à craindre pur le fiée , mais parce<br />

que c'est un agrément <strong>de</strong> plus dans ce genre d'écrire<br />

v et qoe, pour instruire et corriger, il faut être<br />

lu. Mais n'a-t-U été qu'enjoué ? Ne sait-il pas donner<br />

«Mitent à <strong>la</strong> raison et à <strong>la</strong> vérité le sérieux qui leur<br />

cet propre? N'a-t-il pas asses <strong>de</strong> goût pour savoir<br />

que <strong>la</strong> satire <strong>de</strong>man<strong>de</strong> et comporte tous les tons,<br />

qu'es tout genre il faut en avoir plus d'un, et qu'un<br />

poète moraliste ne doit pas toujours rire? Est-il<br />

p<strong>la</strong>isant lorsqu'il met dans <strong>la</strong> bouche d'Ofellus un<br />

n bel éloge <strong>de</strong> <strong>la</strong> tempérance et <strong>de</strong> <strong>la</strong> frugalité, opposées<br />

à ce luxe <strong>de</strong> <strong>la</strong> table qu'il reproche aux Romains<br />

<strong>de</strong> son temps ? Peut-on mieux marquer le juste<br />

milieu qui sépare l'avarice <strong>de</strong> l'économie, et ta sor-<br />

«i<strong>de</strong> épargne <strong>de</strong> <strong>la</strong> sage simplicité? Peut-on mettre<br />

dans un jour plus intéressant les avantages d'une<br />

•ie saine et active, si propre à faire aimer les mets<br />

fes plus vulgaires et <strong>la</strong> nourriture <strong>la</strong> plus mo<strong>de</strong>ste?<br />

Est-il p<strong>la</strong>isant dans <strong>la</strong> satire sur <strong>la</strong> noblesse, où il<br />

parle d'une manière si touchante <strong>de</strong> l'é<strong>du</strong>cation qu'il<br />

a reçue <strong>de</strong> son père l'affranchi, et <strong>du</strong> tendre souvenir<br />

qu'il conserve <strong>de</strong> ce père respectable? N'est-ce pas<br />

d'après lui qu'on a fait ce vers <strong>de</strong> Métope t<br />

le n'aurais point mx êîmm <strong>de</strong>mandé d'astre père.<br />

Je pourrais citer cent autres endroits remplis <strong>de</strong><br />

«elte excellente raison, <strong>de</strong> ee grand sens qui nous<br />

ramène à ses écrits : on y verrait qu'il sait fort bien<br />

m passer <strong>du</strong> mérite <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>isanterie, comme il sait<br />

ailleurs s'en servir à propos. Mais je m'en rapporte<br />

à M. Desauk lui-même, qui dit plus bas :<br />

• Tout liOfmne qui pense ne peut s'empêcher d'en faire<br />

toi défiée* -Le client <strong>de</strong> Mécène joignait <strong>de</strong>s qualités émiusâtes<br />

et soli<strong>de</strong>s à <strong>de</strong>s talents agréables. Nos moins philO-<br />

f en peut douter en le lisant.<br />

Cette disposition naturelle s'était encore fortifiée<br />

par l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces déc<strong>la</strong>mations sco<strong>la</strong>stiques qui<br />

avaient occupé sa jeunesse f et qui ont <strong>la</strong>it dire m<br />

Boileau avec tant <strong>de</strong> vérité :<br />

Juvénal, élevé dans teserls <strong>de</strong> l'école, " * !<br />

Bôassa Jesqtfà l'excès sa mordante hyperbole. *.' ? '<br />

C'est là qu'il s'était accoutumé à ce style violent<br />

et emprtéqui nuittrès-certaînementà<strong>la</strong> metlieeJre<br />

cause, en con<strong>du</strong>isant à l'exagération* Son tra<strong>du</strong>cteur<br />

en' est convenu : il reconnaît que son %èk est<br />

quelquefois excessif* 11 n'en faudrait pas d'autre témoignage<br />

que son épouvantable satire contre les<br />

femmes, que Boileau n'aurait pas dû imiter, d'abord<br />

parce qu'un grand écrivais doit se gar<strong>de</strong>r d'us sujet<br />

qui, comme tous les lieux communs, en prouvant<br />

trop, ne prouve rien ; ensuite parce qu'es attaquant<br />

indistinctement une <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ui moitiés <strong>du</strong><br />

genre humais, il faudrait songer combien <strong>la</strong> récrimination<br />

serait facile, et si une femme qui aurait<br />

le talent <strong>de</strong>s vers, ne ferait pas tout aussi aisément<br />

contre les hommes une satire qui ne prouverait pis<br />

plus que celle qu'on a faite contre les femmes ; enfin,<br />

parce que Ia»justice, qui est <strong>de</strong> règle en toute occasion<br />

, exigerait qu'en disant ie mal on dît aussi le<br />

bien qui le ba<strong>la</strong>nce, et qu'on n'allât pas envelopper<br />

ridiculement tout un sexe dans <strong>la</strong> même condamnation.<br />

Boileau, <strong>du</strong> moins, pousse <strong>la</strong> comp<strong>la</strong>isance<br />

jusqu'à dire qu'il m est jusqu'à tmù qu'il pourrait<br />

excepter. Juvénal n'est pas si modéré : il n'en<br />

excepte aucune. 11 es suppose une qui ait toutes ks<br />

qualités :<br />

• Eh bien! ditil, elle sera insupportable par ses oc<br />

gnell, et mettra son imrt as désespoir sept fois par Jour. »<br />

Quoi donc! est-ce ainsi que Ton instruit, que l'on<br />

n


eprend, que l'on corrige? Est-ce là Je graviié <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> satire, dont le bot doit être si moral ? et doit-elle<br />

n'être qu'un jeu d'esprit et nue déc<strong>la</strong>mation <strong>de</strong> rhéteur?<br />

Je me rappelle à ce propos un mot très-sensé<br />

d $ tine femme <strong>de</strong>vant qui tin jeune homme priait<br />

<strong>de</strong> tout le sexe avec un ton <strong>de</strong> dénigrement qu'il<br />

croyait très-philosophique : « Ce jeune homme,<br />

dît-elle, ne se souvient-il ps qu v au moins il a eu<br />

une mère? »<br />

« Horace semble avoir es plus d'envie <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire que <strong>de</strong><br />

corriger. »<br />

D'abord tout poète, tout écrivain doit, jusqu'à un<br />

certain point y désirer <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire, car ce c'est qu'en<br />

p<strong>la</strong>isant qu'il peut être utile. Ce fut certainement<br />

le but principal d'Horace dans ses o<strong>de</strong>s, dans ses<br />

éfitfcs; et fou peut y joindre l'envie <strong>de</strong> s'amuser,<br />

quand on connaît son goût pour <strong>la</strong> poésie, et <strong>la</strong> tournure<br />

<strong>de</strong> sou caractère. Mais, dans ses satires, sa<br />

composition me parait plus sévère, plus morale , et<br />

suffisamment adaptée au genre. Cette distinction,<br />

qui est réelle, est ici d'autant plus importante t que<br />

M. Dusaulx, pour juger Horace comme poète satirique,<br />

ne cite jamais que ses épîtres, quoique,<br />

pour être conséquent, il ne fallût citer que ses<br />

satires.<br />

« Éc<strong>la</strong>iré par eus propre intérêt, et se jugeant incapable<br />

<strong>de</strong> remplir avec distinction les <strong>de</strong>voirs pénibles d'oïl vrai<br />

féfeeMkaâi, U sentit jusqu'oè pouvaient s'élever sans<br />

efforts <strong>la</strong> finesse, les grâces et k culture <strong>de</strong> son esprit,<br />

qualités peu considérées jusqu'alors ehei un peuple turbulent,<br />

qui n'avait médité que <strong>de</strong>s conquêtes. »<br />

COURS VE LITTÉRATURE.<br />

Ces suppositions sont peut-être plus raffinées que<br />

soli<strong>de</strong>s. Il est probable que, même sous le gouvernement<br />

républicain, le caractère doux et modéré<br />

d'Horace, son goût pour les lettres, pour le loisir<br />

et l'indépendance, l'auraient écarté <strong>de</strong>s emplois<br />

publics, puisque sa faveur même auprès d'Auguste<br />

ne rengagea pas à les rechercher. Mais rien ne nous<br />

prouve que, dans le cas où il en eût été chargé, il<br />

• f ca fût mal acquitté. U avait <strong>de</strong> <strong>la</strong> probité et <strong>de</strong><br />

l'esprit : pourquoi n'aurait-il ps été capable <strong>de</strong> faire<br />

ce que fit Othon, qui, plongé dans toutes les débauches<br />

imaginables ( ce qui est fort au <strong>de</strong>là d'Horace),<br />

fut, dans son gouvernement <strong>de</strong> Portugal » <strong>de</strong> l'aveu<br />

4e tous les historiens, un modèle <strong>de</strong> sagesse et<br />

«l'intégrité ? Mais v dans tout état <strong>de</strong> cause, ce<strong>la</strong> n'était<br />

point nécessaire au bonheur d'Horace ni à sa.<br />

ceeailérafle»; car il c'est pas vrai que les talents<br />

<strong>de</strong> l'esprit en eussent si pu cftei les Romains avant<br />

Auguste* Térence avait vécu dans <strong>la</strong> société <strong>la</strong> plus<br />

intime avec Seipion et Lelius, les <strong>de</strong>ux hommes les<br />

plus considérables <strong>de</strong> leur temps ; et l'on put croire<br />

qu'Horace n'aurait ps été moins bien traité par les<br />

principaux citoyens <strong>de</strong> <strong>la</strong> république.<br />

• ia politesse, l'éc<strong>la</strong>t et <strong>la</strong> fatale sécurité <strong>de</strong> ce règne<br />

léthargique n'avaient rien d'odieux pur un homme dont<br />

presque tonte <strong>la</strong> morale c'était qu'on calcul <strong>de</strong> voluptés,<br />

et dont les différants écrits ne formatent qn f un long traité<br />

<strong>de</strong> Fart <strong>de</strong> jouir <strong>du</strong> présent, sans égard sec msJtietin qui<br />

meiiaçajeiit <strong>la</strong> postérité.... Il n'affecta point <strong>de</strong> regretter<br />

i'mutéritéjb Taneien gonvêrnemenL.. il vil qn*M pouvait<br />

être impunément le f<strong>la</strong>tteur et k complice dW homme<br />

qui régnait sans obstacles. »<br />

J'ai pîne à concevoir quels reproches on prétend<br />

faire ici à Horace. Veut-on dire que, s'il avait été<br />

un vrai républicain , Impolitesse el iécktt <strong>du</strong> règne<br />

d'Auguste l'auraient indigné? Mais pourquoi tentée<br />

qu'il ait pnsé autrement que tout le reste <strong>de</strong>s<br />

Romains? C'est M. Dusaulx lui-même qui vient<br />

<strong>de</strong> nous dire, vingt lignes plus haut, ces propres<br />

paroles :<br />

« Le souvenir <strong>de</strong>s discor<strong>de</strong>s civiles faisait amwer Fauteur<br />

<strong>de</strong> m calme nouveau.... VïMmion était générale. •<br />

En quoi donc Horace est-il répréhensiMe d'avoir<br />

partagé les sentiments <strong>de</strong> tousses concitoyens ? Pourquoi<br />

voudrait-on qu'il eût été seul républicain quand<br />

il n'y avait plus <strong>de</strong> république? Il ne reste qu'une<br />

seule réponse possible, c'est <strong>de</strong> soutenir que tout<br />

le mon<strong>de</strong> avait tort, et qu'il fal<strong>la</strong>it abhorrer le pou*<br />

voir d'Aupste. Mais cette <strong>de</strong>rnière réponse nous<br />

obligera seulement à répéter ce qui <strong>de</strong>puis longtemps<br />

est dé<strong>mont</strong>ré f que les Romains ne pouvaient<br />

ni ne <strong>de</strong>vaient avoir une autre façon <strong>de</strong> penser. Que<br />

put signifier <strong>la</strong> fatale sécurité me ce rêgme iêêkargique,<br />

et cette austérité <strong>de</strong> <strong>la</strong>wcîem gouvernement<br />

que l'on voudrait qu'Horace eût regrettées? Certes,<br />

il y avait longtemp qu'il n'était plus question<br />

é'amtérité m <strong>du</strong> §&mermmmt ancien. C'est cinquante<br />

ans aupravant, c'est dans le Icrap <strong>de</strong>s<br />

guerres <strong>de</strong> Marins et <strong>de</strong> Syl<strong>la</strong>que Ton pouvait encore<br />

regretter quelque chose. Mais après cinq ou six<br />

guerres civiles, toutes plus sang<strong>la</strong>ntes les unes que<br />

les autres! <strong>la</strong> sécwrMê <strong>du</strong> règne d'Auguste était-clie<br />

fatale ou mkttaimî 11 n'y a pas <strong>de</strong> milieu : ou il<br />

fout convenir que les Romains eurent raison <strong>de</strong> se<br />

trouver très heureux sous le gouvernement d'Auguste,<br />

ou il faut prouver que Rome pouvait encore<br />

être libre. Mais M. Dusaulx sait aussi bien que moi<br />

que ce n'est plus une question. S'il existe dans l'histoire<br />

un résultat bien avoué, bien reconnu, c'estqu'il<br />

était moralement et politiquement impossiblequ'tiiie<br />

république riche et corrompue, qui envoyait désarmées<br />

puissantes dans les trois parties<strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, sans<br />

aucun pouvoir ccactlf capable d'en imposer aux généraux<br />

qui les commandaient, ne fût ps à <strong>la</strong> merci


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

«in premier ambitieux qui voudrait régner» Maries<br />

et Syllà l'avaient déjà fait : Pompée, au retour <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> Mithridate, pouvait être le maître <strong>de</strong><br />

Rome ; et c'est pour ne l'avoir pas voulu qu'il déviât<br />

l'idole <strong>du</strong> sénat. César et Antoine avaient régné.<br />

M. Dnsatiix nous dit lui-même que tous les<br />

défenseurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté avaient péri, que tous les<br />

Romains étaient enchantés <strong>de</strong> respirer enfin sous<br />

une autorité tranquille. Que <strong>de</strong>viennent donc les reproches<br />

qu'il adresse au poète ? Pourquoi Tappêllet-il<br />

esdmm m f<strong>la</strong>tteur f Quand tout le mon<strong>de</strong> est<br />

content <strong>du</strong> gouvernement ; quand il est bien avéré<br />

que Rome, se pouvant plus se passer d'un maître,<br />

n'a rien à désirer que d'en avoir un bon ; quand<br />

elle Ta trouvé, celui qui prend sa part <strong>du</strong> bonheur<br />

général, comme tous les autres, est-il tut mdave<br />

ou seulement un homme raisonnable? et celui qui<br />

loue son bienfaiteur n'est-il qaUvn f<strong>la</strong>tteur ou bien<br />

' on homme reconnaissant?<br />

Ces louanges, d'ailleurs, étaient-elles dénuées <strong>de</strong><br />

fon<strong>de</strong>ment ? M. Dssaulx, dans ses notes, traite Auguste<br />

avec beaucoup <strong>de</strong> mépris : ce n'est pas ainsi<br />

qu'en parlent les historiens. Il avait <strong>de</strong> f esprit, <strong>de</strong>s<br />

talents, et <strong>du</strong> caractère : c'en est assez pour rendre<br />

sa haute.fortunc concevable. Il manqua <strong>de</strong> courage<br />

dans plusieurs occasions, mais il en <strong>mont</strong>ra<br />

dans beaucoup d'autres ; ce qui prouve seulement<br />

que <strong>la</strong> bravoure n'était pas chez lui une qualité<br />

naturelle, mais une affaire <strong>de</strong> raisonnement et <strong>de</strong><br />

calcul, et qu'il ne s'exposait que quand il le croyait<br />

nécessaire. A f égare! <strong>de</strong> son règne, il semble consacré<br />

par le suffrage <strong>de</strong> tous les siècles. Il faut<br />

sans doute détester Octave, mais il faut estimer.Auguste.<br />

11 y a eu véritablement <strong>de</strong>ux hommes en lui,<br />

que 9 parmi les mo<strong>de</strong>rnes, Ton n'a pas toujours assez<br />

distingués ; et il ne faut pas que f un <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux hommes<br />

nous ren<strong>de</strong> injustes envers l'autre. M. Dusauli<br />

dit que son caractère a été dévoilé <strong>de</strong>puis que les<br />

philosophes ont écrit l'histoire. 11 suffisait <strong>de</strong> <strong>la</strong> lire<br />

dans les anciens pour avoir une idée très-juste <strong>de</strong><br />

ce caractère, qui n'a jamais été une énigme. Aucun<br />

d'eux n'a reproché aux écrivains <strong>de</strong> son temps les<br />

éloges qu'Auguste en a reçus, et c'est une injustice<br />

<strong>du</strong> nôtre <strong>de</strong> faire un crime à Horace et à Virgile d'avoir<br />

célébré un règne qui fit pendant quarante ans le<br />

bonheur <strong>de</strong> Eome, et qui valut à Auguste, après sa<br />

mort, rhommage le moins équivoque <strong>de</strong> tous, les<br />

regrets et les <strong>la</strong>rmes <strong>de</strong> tout l'Empire. On veut toujours<br />

confondre ce règne avec les proscriptions<br />

d'Octave. On peut contester les louanges ; mais jusqu'ici<br />

l'on n'a pas, ce me semble, démenti les regrets<br />

; et quand les peuples pleurent un souverain,<br />

i faut les en croire. Songeons que c'est un principe<br />

16S<br />

très dangereux <strong>de</strong> refuser justice à celui qui fait le<br />

bien après avoir fait le mal. Soit remords, soit politique<br />

, en un mot, quel qu'en soit le motif9 il est<br />

<strong>de</strong> l'intérêt général <strong>de</strong> n'ôter jamais aux hommes<br />

l'espérance d'effacer leurs fautes en <strong>de</strong>venant meilleurs.<br />

Je croîs avoir assez prouvé qu'Horace ne <strong>de</strong>vait<br />

ni regretter le passé ni se p<strong>la</strong>indre <strong>du</strong> présent.<br />

On l'accuse <strong>de</strong> n'avoir pas pensé à l'avenir. Assurément<br />

c'est l'attaquer <strong>de</strong> toutes les manières. Mais<br />

sous quel point <strong>de</strong> vue veut-on que cet avenir fait<br />

occupé ? 11 pouvait craindre (ce qui est arrivé) que<br />

<strong>de</strong>s tyrans ne succédassent à un bon maître. Mais<br />

cette crainte peut exister en tout temps dans un<br />

gouvernement absolu ; et en supposant que <strong>la</strong> liberté<br />

républicaine eût été rétablie un moment, comme<br />

elle pouvait l'être par l'abdication d'Auguste, on<br />

<strong>de</strong>vait avoir une autre crainte ; c'était que cette liberté<br />

ne fût bleuté! troublée par <strong>de</strong> nouvelles guerres<br />

civiles. L'use au l'autre <strong>de</strong> ces inquiétu<strong>de</strong>s doit<br />

être l'objet <strong>de</strong>s hommes d'État, <strong>de</strong> ceux qui peuvent<br />

influer sur <strong>la</strong> chose poblique; mais aucune <strong>de</strong> ces<br />

considérations ne peut déterminer le ton ni le genre<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> satire; et peut-être M. Dusaulx a-t-IÎ voulu<br />

re<strong>mont</strong>er un peu trop haut pour tracer les <strong>de</strong>voirs<br />

<strong>du</strong> satirique, et les différents caractères <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

poètes qu'il a comparés.<br />

Ce qu'il dit d'Horace, qu'il sentit jusqu'où ses<br />

talents pouvaient tékver sous un empereur, pourrait<br />

le faire regar<strong>de</strong>r comme un politique ambiieux.<br />

11 est pourtant vrai que jamais homme ne fut plus<br />

éloigné ni <strong>de</strong> l'ambition ni <strong>de</strong> <strong>la</strong> cupidité. Il refusa<br />

<strong>la</strong> p<strong>la</strong>œ <strong>de</strong> secrétaire d'Auguste, p<strong>la</strong>ce qui pouvait<br />

f<strong>la</strong>tter <strong>la</strong> vanité et éveiller l'espérance; et sa fortune<br />

et ses vœux furent toujours au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong>s offres <strong>de</strong><br />

Mécène. On sait que c'est à <strong>de</strong>ux hommes <strong>de</strong> lettres,<br />

Virgile et Varius, qu'il <strong>du</strong>t <strong>la</strong> protection et<br />

l'amitié <strong>de</strong>s favoris d'Auguste : ce ne sont pas là les<br />

recommandations d'un intrigant.<br />

Est-il juste <strong>de</strong> dire que toute sa mon<strong>de</strong> n'était<br />

qu'un eakul <strong>de</strong> mktptés, et $e$ écrits tut traité <strong>de</strong><br />

l'art <strong>de</strong> jouir? On peut aimer et chanter le p<strong>la</strong>isir,<br />

et avoir une autre morale que le calcul <strong>de</strong>s jouissances.<br />

La sienne aurait-elle été appelée celle <strong>de</strong><br />

tous les honnêtes gens, si elle n'avait pas eu un autre<br />

caractère? Il était épicurien, il est vrai, mais dais<br />

le vrai sens <strong>de</strong> ce mot. Les gens instruits savent combien<br />

l'on s'en est éloigné dans Faeception vulgaire.<br />

Horace, fidèle à <strong>la</strong> véritable doctrine d'Êpieurc, fut<br />

toujours loin <strong>de</strong>s excès : on voit pas ses écrits, où il<br />

se peint avec tant <strong>de</strong> naïveté, qu'il s'était sujet, ni<br />

à <strong>la</strong> débauche grossière, ni à rivresse, ni à <strong>la</strong> «pule,<br />

ni aux folles profusions; qu'il s'avait <strong>de</strong> luxe<br />

d'aucune espèce; que tous ses goâts étaient mo<strong>de</strong>*<br />

.11.


164<br />

rés. I recomman<strong>de</strong> sans cesse cette modération dans<br />

les désirs, cette précieuse médiocrité, <strong>la</strong> mère <strong>du</strong><br />

bonheur et <strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse; mais ce qu'il établit comme<br />

le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> tout, c'est d'avoir 1a conscience<br />

pure t et, 'pour me servir <strong>de</strong> ses expressions , <strong>de</strong> ne<br />

pâlir d'aucune faute , nuMâpalkseere culpâ. Il ? eut<br />

qoe Ton s'accoutume à se comman<strong>de</strong>r à soi-même!<br />

à réprimer les penchants déréglés, les passions violentes<br />

; epe Ton travaille continuellement à corriger<br />

ses défauts, et qu'on pardonne à ceux d'antnii. In<strong>du</strong>lgence'pour<br />

les autres, et sévérité pour soi, voiljk<br />

les <strong>de</strong>ux'grands pivots <strong>de</strong> sa morale. Y en a-t-ïl <strong>de</strong><br />

meilleurs ?Nul écrivain n'a parlé avec plus d'intérêt<br />

<strong>de</strong>s douceurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> retraite, <strong>de</strong>s attraits et <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs<br />

<strong>de</strong> Famitié f <strong>de</strong>s charmes d'une vie champêtre<br />

et paisible, et <strong>de</strong> cet amour <strong>de</strong> <strong>la</strong> campagne qui se<br />

mêle si naturellement à celui <strong>de</strong>s beaux*arts. Tel est<br />

répicuréîsme d'Horace; et, s'il avait beaucoup <strong>de</strong><br />

vrais sectateurs, je crois que <strong>la</strong> société y gagnerait.<br />

M. Busaufx reconnaît que nui homme ne sut apprêter<br />

plus adroitement <strong>la</strong> louange» Mais on peut<br />

ajouter qu'il n'a loué que tout ce qu'il y avait <strong>de</strong><br />

plus«timé dans l'empire, Agrippa, Pollion, Mételfus,<br />

Quintilius ¥arus. Son commerce épisto<strong>la</strong>ire<br />

avec Mécène respire à <strong>la</strong> fois l'enjouement le plos<br />

aimable et <strong>la</strong> plus douce sensibilité. C'est, parmi<br />

les anciens, celui qui a le mieux saisi ce ton <strong>de</strong> familiarité<br />

noble et décente qui a servi <strong>de</strong> modèle à<br />

Voltaire, et que bien peu d'hommes peuvent atteindre,<br />

parce qu'il faut, pour en avoir <strong>la</strong> juste mesure,<br />

infiniment d'esprit, <strong>de</strong> grâce et <strong>de</strong> délicatesse. On<br />

conçoit aisément, en lisant Horace, qu'il ait été<br />

si cher à ses amis, et qu'Auguste, entre autres,<br />

l'ait aimé avec tendresse. Mécène, en mourant, le<br />

recommandait à ce prince en peu <strong>de</strong> mots, mais<br />

ils sont remarquables : Souvenez-vous d'Horace<br />

comme <strong>de</strong> moi-même. Auguste ne lui sut pas mauvais<br />

gré <strong>du</strong> refus qu'il avait fait d'être son secrétaire<br />

; il se contente d'en p<strong>la</strong>isanter avec lui dans une<br />

<strong>de</strong> ses lettres :<br />

« l'ai parlé <strong>de</strong> vous <strong>de</strong>vant votre spl Sepiimks : I vous<br />

dira quel §ou?eair j'en conserve, car, quoiqu'il vous ait<br />

plu <strong>de</strong> feire avec moi h fier el te renchéri, je ne vous m<br />

veux pas plus pour ce<strong>la</strong>. »<br />

Que autre fois il lui écrit ;<br />

« Ne êm$m pas <strong>de</strong> tous vos droits sur moi. UsêMB<br />

Domine si .vous vivies dans nia maison. Tous ne pouvez<br />

mieux faire; vous mm% que c'est mou intention9 et que<br />

Je veux vous voir toutes les /ois que voira santé vous le<br />

permettra. »<br />

Je citerai encore une autre lettre; car il est curieux<br />

<strong>de</strong> voit comment le maître <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> écrivait au<br />

ûls d'un affranchi :<br />

COMS DE UT1ÉHATOBE.<br />

* Smehez que je mis très-piqué contre vous, <strong>de</strong> ce qm,<br />

dans Sa plupart <strong>de</strong> vos écrits,ee n'est pas avec mol que<br />

vous TOUS emtmîmm <strong>de</strong> préférence. Àvei-vone peur M<br />

vous faire tort dais Sa postérité , en lui apprenant que TOUS<br />

avez été mon ami?»<br />

Horace fut sensible .à ce reproche obligeant, et lui<br />

adressa cette belle épître : <strong>la</strong> première <strong>du</strong> second livre<br />

Qwmt êoisustmeas, etc.<br />

Tant <strong>de</strong> caresses, tant <strong>de</strong> sé<strong>du</strong>ctions, ne tour*<br />

nèrent point <strong>la</strong> tête <strong>du</strong> poète philosophe 9 et ne l'em*<br />

péchèrent point <strong>de</strong> passer <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong><br />

sa vie, soit à Tivoli, dont le nom est <strong>de</strong>venu si célèbre'!<br />

soit à sa petite terre <strong>du</strong> pays <strong>de</strong>s Sabim. Il<br />

faut l'entendre badiner avec Mécène sur l'opinion<br />

qu'on a <strong>de</strong> son grand crédit, sur <strong>la</strong> persuasion ou<br />

Ton est que Mécène s 9 entretient avec lui <strong>de</strong>s secrets<br />

<strong>de</strong> l'État,'touffe que le plus souvent, dit-il, nom<br />

parlons <strong>de</strong> <strong>la</strong>plmïe et <strong>du</strong> beau temps. 11 lui promit<br />

une fois, en partant pour <strong>la</strong> campagne, <strong>de</strong> s'y être<br />

que cinq jours : il y resta un mois, et finit par lui<br />

écrire qu'il ne reviendrait à Rome qu'au printemps ;<br />

et sa lettre est datée <strong>du</strong> mois d'août.<br />

« Que voulef-voss? lui dit-Il. Je ne suis pas ma<strong>la</strong><strong>de</strong> i<br />

est vrai; mais je crains <strong>de</strong> le <strong>de</strong>venir. II font me prendra<br />

comme je suis. Quand TOUS m'avez enrichi, vous m'avei<br />

Mme ma liberté : j'en profite. »<br />

On a beaucoup répété qu'Horace était un caurtUm :<br />

il est sûr qu'il en avait <strong>la</strong> politesse et les grâces;<br />

mais on voit qu'il n f en eut ni l'activité, ni l'inquiétu<strong>de</strong><br />

, ni même <strong>la</strong> comp<strong>la</strong>isance..<br />

Après avoir refusé beaucoup à Horacef M. Dtt«<br />

sanli n'accor<strong>de</strong>-t-il pas un peu trop à Juvénat?<br />

m H m cessa <strong>de</strong> réc<strong>la</strong>mer contre un pouvoir usurpé, <strong>de</strong><br />

rappeler an* Roman» les beaux jours <strong>de</strong> leur i®dépen«<br />

dâsce. »<br />

Je viens <strong>de</strong> relire toutes ses satires : j'avoue qm<br />

je n'ai vu nulle part qu'il réc<strong>la</strong>mât contre le pouvoir<br />

arbitraire, ni qu'il revendiquât les droits <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

liberté républicaine. Je sais qu'il fit une satire contre<br />

Domitien, et qu'il peint en traits énergiqries l'effroi<br />

qu'inspirait ce monstre et <strong>la</strong> lâcheté <strong>de</strong> ses courtisans.<br />

Mais Bomitien n'était plus; mais tant ce qu'il<br />

dit est personnel au tyran ; mais il n'y a pas un mot<br />

qui ten<strong>de</strong> à combattre en aucune manière le pouvoir<br />

impérial ; et, puisqu'il faut tout dire, ce même Do*<br />

mitien, qu'il déchire après sa mort, il l'avait loué<br />

pendant sa vie. 11 l'appelle le seul protecteur, le<br />

seul pi<strong>de</strong> qui reste aui arts et aux lettres. Je veux<br />

qu'il ait été trompé par cette apparence <strong>de</strong> faveur<br />

accordée aux gens <strong>de</strong> lettres, qui fut un <strong>de</strong>s premiers<br />

traits <strong>de</strong> l'hypocrisie particulière à Bomitien,<br />

comme Lucain fut sé<strong>du</strong>it par les trompetises<br />

prémices <strong>du</strong> règne <strong>de</strong> Néron; ruais lucain « dans


ANCIENS, - POÉSIE. les<br />

sa Pkormh, n'en élève pas moins un cri continuel<br />

continuelle, et l'on ne peut nous-faîre croire ,lii que<br />

et terrible contre <strong>la</strong> tyrannie* C'est lui qui ré-<br />

l'homme sage doive être toujours en colère, ni que <strong>la</strong><br />

dame bien fortement contre k p&moir usurpé,<br />

etièra ait toujours raison. Qu'est-ce qu'un écrivain<br />

qui s'indigne que les Romains portent en joug que<br />

qui ne sort pas <strong>de</strong> fureur, qui ne voit dans <strong>la</strong> natut»<br />

Ka lâcheté <strong>de</strong> leurs ancêtres a forgé , qui répète sans<br />

que <strong>de</strong>s monstres, qui ne peint que <strong>de</strong>s objets niÉsni\<br />

ces» le mot <strong>de</strong> liberté; qui crie ami armes contre<br />

qui s'appesantit avec comp<strong>la</strong>isance sur les peintures<br />

les tyrans , qui implore <strong>la</strong> guerre civile f comme pré­<br />

les plus dégoûtantes, qui m'épouvante toujour» et ne<br />

férable cent fois à <strong>la</strong> servitu<strong>de</strong>. Voilà parler en ré­<br />

me console jamais, qui ne me permet pas <strong>de</strong> me repopublicain;<br />

en Romain. Aussi Laçais fut conséquent :<br />

ser un moment sur un sentiment doux f Joignez à ce<br />

sa con<strong>du</strong>ite et sa <strong>de</strong>stinée furent telles qu'on <strong>de</strong>vait<br />

défaut capital <strong>la</strong> <strong>du</strong>reté pénible <strong>de</strong> sa diction, son<br />

Pattendre d'un homme qui écrit <strong>de</strong> ce style sous<br />

<strong>la</strong>ngage étrange, ses métaphores accumulées et<br />

Néron. U conspira contre lui avec Pison, et luit, à<br />

bizarres, ses vers gonflés d'épithètes scientifiques,<br />

vingt-sept ans, par 's'ouvrir les veines. Je ne re­<br />

hérissés <strong>de</strong> mots grecs. Et lorsque tant <strong>de</strong> causes se<br />

proche point à Juvénal cf avoir eu moins <strong>de</strong> courage ,<br />

réunissent pour en rendre <strong>la</strong> lecture si difficile,<br />

et d'être mort dans son lit; mais je ne lui donnerai<br />

faut-il donc chercher dans <strong>la</strong> corruption humaine et<br />

pas non plus <strong>de</strong>s louanges qu'il ne mérite point, -le<br />

dans <strong>la</strong> dépravation <strong>de</strong> entra siècle les motifs <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

ne trouve étiez lui qu'un seul endroit qui exprime<br />

préférence que l'on donne à un poète tel qu'Horace,<br />

quelque^ regret pour <strong>la</strong> liberté : c'est dans sa pre­<br />

dont <strong>la</strong> lecture est si agréable ? Est-il bien sir que<br />

mière satire, lorsqu'il se fait dire :<br />

Juvénal soit parmi nous si formidable pour <strong>la</strong> con­<br />

« As-tu en génie épi à ta matière? Es-tu, comme tes science <strong>de</strong>s méchants? Les mœurs qu'il attaque sont<br />

êmmumn, prêta tout écrire avee cette française animée en gran<strong>de</strong> partie si différentes <strong>de</strong>s nôtres; il peint<br />

dont je n'ose dire Se mm? •<br />

le plus souvent <strong>de</strong>s excès si monstrueux, et qui, par<br />

Ce nom, qu'il n'ose prononcer, est évi<strong>de</strong>mment celui notre constitution sociale, nous sont si étrangers \<br />

<strong>de</strong> liberté. Mais ce regret, comme on voit, est en­ qu'un homme très-vicieux parmi nous pourrait, en<br />

veloppé et timi<strong>de</strong>, il semble même ne porter que sur lisant Juvénal ? se croire un fort honnête homme.<br />

<strong>la</strong> liberté <strong>de</strong>s écrits; enfin, c'est le seul <strong>de</strong> cette es­ West-il donc pas plus simple <strong>de</strong> penser que, s'il est<br />

pèce qu'où remarque chez lui. Cette satire fut écrite, pu lu, c'est qu'il a peu d'attraits pour le lecteur;<br />

comme presque toutes les autres, sous Trajan; c'est qu'i<strong>la</strong>peint beaucoup moins les travers, lesfai-<br />

plusieurs le furent sous Adrien; une seule fut comblesses, les défauts et les vices communs à l'humaposée<br />

sous Bomitien, celle oà il eut le malheur <strong>de</strong> nité en général, qu'un genre <strong>de</strong> perversité particu­<br />

le louer. La date <strong>de</strong> ses écrits peut donc infkmer à lier à un peuple parvenu au <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>gré d'avilisse­<br />

sa certain point ce que dit son tra<strong>du</strong>cteur <strong>de</strong>s temps ment, <strong>de</strong> crapule et <strong>de</strong> dépravation 9 dans un climat<br />

ou i écrirait pour justifier f «ces d'amertume et corrupteur, sous un gouvernement détestable, et<br />

d'emportement, qui est le même dans toutes ses avec <strong>la</strong> dangereuse facilité d'abuser en tous sens <strong>de</strong><br />

«tires» Quoi! Juvénal, après avoir vécu sous Ba- tout ce que mettaient à sa discrétion les trois paraaitïta,<br />

a vu tout le règne <strong>de</strong> Trajan, l'un <strong>de</strong>s plus ties <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> connu? U faut m souvenir que les<br />

beaux que l'histoire ait tracés ; il a vu tour à tour <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> corruption tiennent non-seulement à l'im­<br />

régner un monstre et un grand homme, et ce conmoralité, mais aux moyens: si nous ne sommes ni<br />

traste si frappant, ce contraste que Tacite nous a s| ne pouvons être aussi dépravés que les Romains,<br />

bien fait sentir Y Juvénal ne Fa pas senti 1 C'est après c'est que nous ne sommes pas les maîtres <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>.<br />

Domitien et sous Trajan qu'il n'a que <strong>de</strong>s satires à Toutes ces considérations nous autorisent à ne<br />

faire, qu'il ne trouve pas une vertu à louer, pas un mot point admettre <strong>la</strong> conclusion par <strong>la</strong>quelle M. Bu-<br />

aféiage pour le modèle <strong>de</strong>s princes, lui qui avait saaJï termine son parallèle : .que si Juvénal a peu<br />

loué Bomitien ! Il ne profite pas <strong>de</strong> cette réunion <strong>de</strong> <strong>de</strong> partisans, c'est qu'il professe <strong>la</strong> vertu sans al*<br />

circonstances, si heureuse pour un écrivain sensible,<br />

qui sait combien les tableaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu font<br />

Mage eê dam toute sa pureté 9 et que ks ambUmm<br />

et les hommes sensuels ont intérêt à M préférer<br />

rasortir ceui <strong>du</strong> vice; combien ces peintures con­ na po&ê im<strong>du</strong>lgeni, qui embeUU ks objets <strong>de</strong> terri<br />

trastées se prêtent l'une à l'autre <strong>de</strong> force et <strong>de</strong> goûts, excuse leurs caprtem et autorise kursfaipouvoir;<br />

combien ces différentes nuances donnent Messes par son exempk. Il y a ici une espèce <strong>de</strong> so­<br />

«i style d'intérêt, <strong>de</strong> charme et <strong>de</strong> variété I Et c'est phisme que j'ai déjà indiqué, et qui pourrait sans<br />

là, pour conclure, un <strong>de</strong>s vices essentiels <strong>de</strong> ses doute, contre l'intention <strong>de</strong> fauteur, faire prendre<br />

«triages : une monotonie qui fatigue et qui ré­ lechangêà<strong>de</strong>s lecteurs inattentift. M. Dusaulx peint<br />

volte. La satire même ne doit pas être une iivectice • Stcl était écrit en 1787.


tm<br />

C0U1S DE UTTtRATUBB.<br />

M dais Horace, mm pas te poète satirique, nais<br />

fauteur d'o<strong>de</strong>s ga<strong>la</strong>ntes et voluptueuses, et do quelques<br />

épftres badises.'€e n'est ps là <strong>mont</strong>rer les ©bptssous<br />

leur véritable pint<strong>de</strong> vue. Cen'estpas quand<br />

Horace ïn?iteàa©«per GlycèreetLydie,ou p<strong>la</strong>isante<br />

a?ee ses amis, qu'il fout leeoniparer à Juv tuai. Celuici<br />

met», tout Juïéoal qu'il était, probablement n'écrivait<br />

ps à sa maîtresse, s'il en avait une, is<strong>la</strong>m<br />

dont il écrivait ses satins : il lui aurait lut peur.<br />

M* Dusaulx sait bien que chaque pore a son style.<br />

11 faut donc nous <strong>mont</strong>rer, dans les satires d'Horace,<br />

cette in<strong>du</strong>lgence pour êm mpHœê ei imfmièkmes;<br />

il faut nous faire voir les objets <strong>de</strong>s passions êmimà*<br />

M$, <strong>la</strong> morale mêlée à'atêimge, et ee n'est pas ce que<br />

J'y ai vu. Que serait-ce donc m nous jugions Javénalf<br />

qu'on nous donne ici pour un philosophe si austère,<br />

non par ses satires, mais par ee que ses amis<br />

disaient <strong>de</strong> lui ? Martial, son ami le plus intime, lu<br />

écrit d'Espgne ces propres mots ?<br />

« Tandis que, couvert d'une robe trempée <strong>de</strong> tueur, ta<br />

te Migues'à fatmmk les aatfeèaaahfes <strong>de</strong>s grasds, Je vis<br />

m bai {*ystt dans ma patrie. »<br />

Est-ce là cet homme si étranger au mon<strong>de</strong>? Mous<br />

venons <strong>de</strong> Y@ir qu'Horace le fuyait quelquefois, et<br />

voilà Juféeal qui le recherche. On se fauraît ps<br />

cru : c'est que 9 pour bien juger, pur saisir <strong>de</strong>s<br />

résultats sûrs, il ne faut ps s'en tenir à <strong>de</strong>s aperçus<br />

vagues, il feut considérer les choses sous toutes<br />

leurs faces, lire tout, et entendre tout le mon<strong>de</strong>.<br />

Je conclus que les beautés semées dans les écrits<br />

<strong>de</strong> Ju?énal, et qui, malgré tous ses défauts, lui ont<br />

<strong>la</strong>it une juste réputation, sont <strong>de</strong> nature à être<br />

goûtées surtout par les gens <strong>de</strong> lettres, seuls eap-<br />

Mes <strong>de</strong> dévorer les difficultés <strong>de</strong> cette lecture. Il a <strong>de</strong>s<br />

morceaux d'une gran<strong>de</strong> énergie : il est souvent déc<strong>la</strong>matêur,<br />

mais quelquefois éloquent; il est souvent<br />

outré t mais quelquefois peintre. Ses vers sur<br />

<strong>la</strong> Pitié, justement loués pr M. Dusaulx, sont<br />

«fautant remarquables, que ce sont les seuls où il<br />

ait employé <strong>de</strong>s teintes douces. La satire sur <strong>la</strong> Noblesse<br />

est fort belle : c'est à mon gré <strong>la</strong> mieux faite,<br />

et Boiieau en a beaucoup profité. Celle <strong>du</strong> Turbot,<br />

fameuse par <strong>la</strong> pinture admirable <strong>de</strong>s courtisans<br />

<strong>de</strong> Domltien, a un mérite particulier : c'est <strong>la</strong> seule<br />

'où l'auteur se soit déridé. Celle qui roule sur les<br />

Vœux offre <strong>de</strong>s endroits frappant? ; mais en total<br />

c f bettes, «t fufaaieBl tombe <strong>de</strong> lui-même : c'en<br />

comme si l'on soutenait qu'il se fiât pas désirer<br />

d'avoir <strong>de</strong>s enfants* parce qne c'est souvent une<br />

souree<strong>de</strong>ch^grins. Pour répondre à ce nûonsemeat<br />

il n'y aurait qu'à <strong>mont</strong>rer les peints que leurs enfanta<br />

ren<strong>de</strong>nt heureux, et dire : Pourquoi ne seraisje<br />

pas <strong>du</strong> nombre? De plus, il est faux qu'us père<br />

ne doive pas souhaiter à son ils les talents <strong>de</strong> Ôeéron,<br />

parce qu'il a péri sous le g<strong>la</strong>iie <strong>de</strong>s proscriptions;<br />

et quel homme, pur peu qu'il ait quelque<br />

amour <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu et <strong>de</strong> <strong>la</strong> véritable gloire, croira<br />

qu'une aussi-Mie carrière que celle <strong>de</strong> Cioéros soit<br />

pyée trop cher par une mort violente, arrivée à l'âge<br />

<strong>de</strong> soixante-cinq ans ? Qui refuserait à ce prix d'être<br />

l'homme le plus éloquent <strong>de</strong> son sied®, et peutêtre<br />

<strong>de</strong> tons les siècles ; d'être élevé pr son seul mérite<br />

à <strong>la</strong> première p<strong>la</strong>ce <strong>du</strong> premier empire Ai<br />

mon<strong>de</strong>; d'être trente ans l'oracle <strong>de</strong> Rome; enta<br />

d'être le sauveur et le père <strong>de</strong> sa ptrie? S'il était<br />

vrai que le fer d'un tasaasin qui frapp une tête<br />

b<strong>la</strong>nchie par les années pût es effet êter le prix à<br />

<strong>de</strong> si hautes <strong>de</strong>stinées, il faudraifccroire que tout ce<br />

qu'il y a parmi les hommes <strong>de</strong> vraiment grand, <strong>de</strong><br />

vraiment désirable, n'est qu'une chimère et une il*<br />

lusion.<br />

Au fond, cette satire si vantée se réélit donc à<br />

prouver que les plus précieux avantages que l*honr<br />

me pisse désirer sont mêlés d'inconvénients et <strong>de</strong><br />

dangers ; et c'est use vérité si triviale qu'il ne fal<strong>la</strong>it<br />

pas en foire <strong>la</strong> base d'un ouvrage sérieux.<br />

Horace ne tombe pint dans ce défaut, qui n'est<br />

jamais celui <strong>de</strong>s bons esprits; et sans vouloir revenir<br />

sur rémunération <strong>de</strong> ses différentes qualités,<br />

je crois, à M le considérer même que comme satirique,<br />

lui rendre, ainsi qu'à Juvénal, nue exacte<br />

justice, en iteant que l'un est fait pour être admiré<br />

quelquefois, et l'autre pur être toujours têtu.<br />

sacTioH u. — De Perse et <strong>de</strong> Pétrone.<br />

La gravité <strong>du</strong> style, <strong>la</strong> sévérité <strong>de</strong> <strong>la</strong> morale,<br />

beaucoup <strong>de</strong> concision et beaucoup <strong>de</strong> sens, sont<br />

les attributs particuliers <strong>de</strong> Perse. Mais l'excès <strong>de</strong><br />

ces bonnes qualités le fait tomber dans tous les défauts<br />

qui en sont voisins.<br />

Qui n'est


ANCIENS. — POÉSIE,<br />

mépris injuste. D'antres, qui l'estimaient eu proportion<br />

<strong>de</strong> ce qu'il leur avait coûté à entendre, Tout<br />

exalté outre mesure, comme on étagère le pris d'us<br />

trésor qu'os a découvert et qu'on croit possé<strong>de</strong>r seul.<br />

Un père <strong>de</strong> l'Église le jeta par terre, en disant : Puisque<br />

tune peux pas éêre compris, reste Jà.Un autre<br />

jeta ses satires au feu , peut-être pour foire cette<br />

mauvaise pointe : Brûtom-ks peur k$ rendre c<strong>la</strong>ires.<br />

Plusieurs savants, entre autres, Scaliger, Meursius,<br />

Heinskn, et Bayle, n'ont été frappés que <strong>de</strong><br />

son obscurité. D'autres Font mis au-<strong>de</strong>ssus d'Horace<br />

et <strong>de</strong> Jovénal. Cherchons <strong>la</strong> vérité entre ces extrêmes,<br />

et, quand nous aurons assez travaillé sur cet<br />

auteur pour le bien comprendre, nous serons <strong>de</strong> IV<br />

vis <strong>de</strong> Qaintilien, qui dit <strong>de</strong> Perse :<br />

«Mm mérité beaucoup <strong>de</strong> gtoe et <strong>de</strong> vraie gloire. »<br />

C'est qu'en effet sa morale est excellente, et son<br />

esprit très-juste; qu'il a <strong>de</strong>s beautés réelles t et propres<br />

au genre satirique ; que son expression est quelquefois<br />

très-heureuse; que ses préceptes sont vraiment<br />

ceux d v 1*7<br />

et conséquent, et l'on se p<strong>la</strong>int seulement que l'auteur<br />

ait eu une tournure d*esprit si extraordinaire,<br />

qu'on dirait qu'il ait trouvé trop commun d'être enten<strong>du</strong>,<br />

et qu'il n'ait voulu être que <strong>de</strong>viné.<br />

* Mais, je le répète, il vaut <strong>la</strong> peine <strong>de</strong> l'être, et<br />

ceux qui ne savent pas sa <strong>la</strong>ngue pourront, en lisant<br />

festimable tra<strong>du</strong>ction qu'en a faite M. Sélis, et les<br />

notes et les dissertations également instructives<br />

qu'il y a jointes f s'assurer que Perse est un écrivais<br />

d'un vrai mérite, et digne <strong>de</strong> l'honneur que lui a fut<br />

Boileau <strong>de</strong> lui emprunter plusieurs traits, plusieurs<br />

morceaux qui ne sont pas les moins heureux <strong>de</strong> ses<br />

satires. Tel est ce vers si connu,<br />

Le moment où Je parle est déjà lofa <strong>de</strong> moi s<br />

qui dans l'origtpal, ne tient'que <strong>la</strong> moitié d'un vers.<br />

Telle est cette belle prosopopée <strong>de</strong> F Avarice et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Volupté* dont Boileau n'a imité que <strong>la</strong> moitié. '<br />

U mmmm mu ses yetu emmmmm à l'épancher,<br />

Debout, dit ratifiée; H est tempe <strong>de</strong> marcher. —<br />

Eh! <strong>la</strong>inei-moi.^-DdxMit—Un moment—Ta répllquei! —<br />

ApdnefoBoleUfaitoiivrirletlioiiUiiaM.- '<br />

unsage; et que plusieurs <strong>de</strong> ses vers ont M%sfffjffe, lète-tol. — Pour ipol filtre, après tant? —<br />

été retenus comme <strong>de</strong>s proverbes <strong>de</strong> morale. C'en Pont courir l'Océan <strong>de</strong> Pun à loutre bout, • ."<br />

est assez peut-être pour dédommager <strong>de</strong> <strong>la</strong> peine Chereher jusqu'au <strong>la</strong>pon k noredalneet Pamère,<br />

lepporter <strong>de</strong> Goa le poivra et le gingembre. —<br />

qu'il donne au lecteur qui veut le connaître; car c'en Mata f ai <strong>de</strong>s Mess en foule, et Je puis m<br />

est une, et il faut d'abord avouer que c'est là un<br />

défaut véritable. L'obscurité est toujours blâmable,<br />

puisqu'elle est directement opposée au but <strong>de</strong> tout<br />

auteur, qui est <strong>de</strong> répandre <strong>la</strong> lumière. On a dit pour<br />

le justifier, que vou<strong>la</strong>nt attaquer Héron indirectement<br />

et sans trop s'exposer, il s'enveloppait à<br />

<strong>de</strong>ssein. Mais cette apologie est insuffisante ; elle<br />

ne pourrait regar<strong>de</strong>r qu'un petit nombre <strong>de</strong> vers,<br />

où l'on croit, avec assez <strong>de</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce, qu'il a<br />

voulu <strong>de</strong>sign» le tyran ; et l'obscurité <strong>de</strong> Perse est<br />

partout à peu prèségale. De plus, l'application plus<br />

m moins incertaine <strong>de</strong> tel ou tel endroit ne rend pas<br />

<strong>la</strong> diction en elle-même plus difficile à expliquer. 11<br />

faut dire encore à <strong>la</strong> louange <strong>de</strong> Perse, que ce n'est<br />

mi l'embarras <strong>de</strong> ses conceptions, ni <strong>la</strong> mauvaise logique,<br />

ni <strong>la</strong> recherche d'idées a<strong>la</strong>mbiquées qui jette<br />

<strong>de</strong>s nuages sur son style; c'est <strong>la</strong> multiplicité <strong>de</strong>s<br />

ellipses, <strong>la</strong> suppression <strong>de</strong>s idées intermédiaires,<br />

l'usage fréquent <strong>de</strong>s tropes les plus hardis, qui entassent<br />

dans un seul vers un trop grand ;n&mbre<br />

<strong>de</strong> rapports plus ou moins éloignés les uns <strong>de</strong>s autres,<br />

et offrent à l'esprit trop d'objets'à embrasser<br />

à <strong>la</strong> fois; e'est enln <strong>la</strong> contexture même <strong>de</strong> ses satires,<br />

composées le plus souvent d'un dialogue si<br />

brusque et si entrecoupé qu'il faut une gran<strong>de</strong> attention<br />

pour suivre les interlocuteurs, s'assurer<br />

quel est celui qui parle, suppléer les liaisons, et renouer<br />

un II qui se rompt à tout moment. Mais quand,<br />

m travail est fait, os s'aperçoit que tout est juste<br />

f en paner. —<br />

On n'en peut trop a?olr, et pour en amasser<br />

I Mtetèpefgiiernlerlsienipeijiire;<br />

II faut souffrir <strong>la</strong> faim et eoueher sur <strong>la</strong> fia»;<br />

Eût-on plus <strong>de</strong> trésors que n'en perdit Galet f<br />

n'avoir eh m maison nt meuble ni valet ;<br />

Parmi les tas <strong>de</strong> blé ?l¥re <strong>de</strong> seigle et d'oife;<br />

De peur <strong>de</strong> perdre m l<strong>la</strong>id f souffrir qtftm vous égorge. —<br />

Et pour i|lii cette épargne enfin?—Llgnores-ta?<br />

Ain qu'an héritier, Men nourri, Men Téta/<br />

Profitant d'un trésor en tn mains Inutile $<br />

De son train quelque Jour embarrasse <strong>la</strong> Yflle. —<br />

Que faire ? — Il feint fnatlr s lea mateMs mut ftfits *<br />

Mais dans Perse v pendant qtie l'Avarice éveille<br />

.cet homme, <strong>de</strong> Pautre côté <strong>du</strong> lit, <strong>la</strong> Volupté l'exhorte<br />

à dormir sur Tune et l'autre oreille; en sorte<br />

que le malheureux ne sait à qui entendre. Le tableau<br />

est plus fort par ce contraste y et l'on ne sait pourquoi<br />

Detpréaux se Ta pas imité tout entier.<br />

Une <strong>de</strong>s singu<strong>la</strong>rités <strong>de</strong> Perse, c'est qu'il était admirateur<br />

passionné tfHoraee. 11 le caractérise fort<br />

bien dans un endroit <strong>de</strong> ses satires, et dans une<br />

foule d'antres il se sert <strong>de</strong> ses idées 9 <strong>de</strong> manière à<br />

faire voir qu'il n'y a?ail p<strong>la</strong>t <strong>de</strong> leeturt qui lui 1%<br />

plus familière. C'est un exemple peut-être unique<br />

dans l'histoire littéraire que cette espèce <strong>de</strong> CôIIîmerce<br />

entre <strong>de</strong>ux auteurs qui sont si loin <strong>de</strong> le rassembler.<br />

• *#<br />

Perse a <strong>de</strong> quoi intéresser ceux à qui les qualités<br />

personnelles cfua auteur ren<strong>de</strong>nt encore §%s ouvrages<br />

plus chars, H a?ail <strong>de</strong> <strong>la</strong> naissante el <strong>de</strong> J» fortune,<br />

<strong>de</strong>ux moyens <strong>de</strong> sé<strong>du</strong>ction* surtout dans un siècle<br />

très-çorrompu'^ et noiprwnt il f'aéfonna <strong>de</strong> bonne<br />

.• * •<br />

•t -


168<br />

heure à <strong>la</strong> pfiilosopliie stoïcienne, qu'il étudia sous<br />

le célèbre Cornutus. Son maître <strong>de</strong>vint bientôt son<br />

ami, et cette amitié est peinte avec <strong>de</strong>s traits nobles<br />

et touchants, dans use satire qu'il loi adresse. Cor-'<br />

sutus sentit en homme sage tout le danger que courait<br />

son disciple, s'il publiait ses satires sous un règne<br />

tel que celui <strong>de</strong> Néron ; il l'engagea à les renfermer<br />

dans son portefeuille. Cette réserve pru<strong>de</strong>nte et<br />

<strong>la</strong> pureté <strong>de</strong> ses mœurs ne le garantirent pas d'une<br />

mort prématurée. Il fut enlevé à vingt-huit ans, et<br />

par là il échappa <strong>du</strong> moins au chagrin que lui aurait<br />

causé <strong>la</strong> in cruelle <strong>de</strong> Lucaln, avec qui il était trèsétroitement<br />

lié. Il légua use somme considérable et<br />

sa bibliothèque à Cornutus ? qui n'accepta que les<br />

livres. Ce philosophe ne voulut pas se charger <strong>de</strong><br />

mettre au jour les poésie» <strong>de</strong> Perse, quoiqu'il es eût<br />

fait Ater le nom <strong>de</strong> Néron, qui avait été remp<strong>la</strong>cé<br />

par celui <strong>de</strong> Mina. I pensait avec raison que c'est<br />

une impru<strong>de</strong>nce inutile d'irriter us méchant homme<br />

qu'on ne peut pas espérer <strong>de</strong> corriger, teins Bassus<br />

, poète lyrique, à qui Perse adresse aussi une <strong>de</strong><br />

ses satires% fut plus hardi et plus heureux. Il les ût<br />

paraître, et quoiqu'il y eût quatre vers <strong>de</strong> Néron<br />

tournés en ridicule, son courage resta impuni.<br />

Pour achever l'éloge <strong>de</strong> Perse, il ne faut pas oublier<br />

qu'il fut l'ami <strong>de</strong> Thraséas, celui dont Tacite a dit<br />

que Néron résolut <strong>la</strong> perte quand il voulut attaquer<br />

<strong>la</strong> vertu même.<br />

Les fragments recueillis en différents temps sous<br />

te titre <strong>de</strong> Satire * Péêrme {PeirmU Satyrimn )<br />

rappellent et confirment ce que nous avons dit 9<br />

qu'on appe<strong>la</strong>it originairement <strong>de</strong> ce nom <strong>de</strong> satyre<br />

' une espèce d'ouvrage très-irrégulier, mé<strong>la</strong>ngé <strong>de</strong><br />

tous lés tons et <strong>de</strong> tous les objets, et qui même<br />

pouvait ne pas être écrit en vers ; car <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong><br />

partie <strong>de</strong> ce qui reste <strong>de</strong> Pétrone est en prose, et les<br />

vers dont elle est entremêlée sont <strong>de</strong> différentes<br />

mesures. Quand le hasard fit retrouver ces <strong>la</strong>mbeaux<br />

sans ordre et sans suite, un passage <strong>de</strong> Tacite mal<br />

enten<strong>du</strong> fit tomber les savants dans une étrange erreur,<br />

qui <strong>de</strong>puis a été reconnue et complètement réfutée<br />

» et n'eu est pas moins répan<strong>du</strong>e encore aujourd'hui,<br />

tant il est difficile <strong>de</strong> déraciner les vieux préjugés.<br />

Tacite parle d'un Pétrone qui fut consul sous<br />

Néron, et l'un <strong>de</strong>s plus intimes favoris <strong>de</strong> cet empereur.<br />

C'était, dit l'historien, un homme d'une délicdteise<br />

exquise dans le choix <strong>de</strong>s voluptés, un vrai<br />

'précepteur <strong>de</strong> mollesse ; c'est à ce titre qu'il était <strong>de</strong>venu<br />

si agréable à Néron, qui en avait fait l'intendant<br />

<strong>de</strong> ses p<strong>la</strong>isirs, et ne trouvait rien à son goût<br />

que ce qui était <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Pétrone. Cette faveur<br />

<strong>du</strong>ra tant que JSéron se contesta d'être voluptueux ;<br />

mais lorsqu'il tomba 'dans fa débauche grossière et<br />

4 *<br />

COURS DE LITTÉRATU1E.<br />

• . «r<br />

: „ «• r ••<br />

. c * • m #<br />

' dans <strong>la</strong> crapule, il eut honte <strong>de</strong> lui-même <strong>de</strong>vant fe<br />

maître dont il n'était plus le disciple : il fallut ca-<br />

_ cher à Pétrone <strong>de</strong>s infamies qn*H méprisait, et Né­<br />

ron en était veau au point <strong>de</strong> rougir <strong>de</strong>vant un voluptueux<br />

<strong>de</strong> bon goût 9 comme on rougit <strong>de</strong>vant <strong>la</strong><br />

vertu. TigHlin f le ministre et le f<strong>la</strong>tteur <strong>de</strong> ses sales<br />

débauches , profita <strong>de</strong> cette disposition pour écarter<br />

un concurrent qu'il redoutait, et sut bientôt le rendre<br />

odieux et suspect au tyran , au point <strong>de</strong> le faire<br />

condamner à <strong>la</strong> mort. Cette mort est célèbre par le<br />

sang-froid et l'insouciance qui raccompagnèrent.<br />

Saint-Évremond <strong>la</strong> préfère à celle <strong>de</strong> Caton ; il oublie<br />

qu'il ne fal<strong>la</strong>it pas les comparer. Pétrone t avant <strong>de</strong><br />

mourir, traça par écrit le détail <strong>de</strong>s nuits infâmes <strong>de</strong><br />

Néron sous <strong>de</strong>s îtoms supposés 9 et le lui envoya dans<br />

un paquet cacheté. Cest ce paquet 9 qui vraisembfament<br />

n'a jamais été connu que <strong>de</strong> Néron seul $ que<br />

<strong>de</strong>s savants ont cru être cette satire mutilée qui nous<br />

^est parvenue sous le nom <strong>de</strong> Pétrone. Quand Vol-<br />

% taire s*est moqué <strong>de</strong> cette ridicule supposition, on n'a<br />

paru voir dans ce paradoxe qu'un <strong>de</strong>s traits ordinaires<br />

<strong>du</strong> pyrrhonisme qu'il apporté sur beaucoup d'objets.<br />

Mais ce qu'on ne sait pas communément t<br />

c'est que celte opinion sur Pétrone est fort antérieure<br />

à Voltaire ; que Juste-Lîpse avait déjà élevé<br />

sur cet article <strong>de</strong>s doutes qui approchaient beaucoup<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> probabilité, et que le savant liais a dé<strong>mont</strong>ré<br />

c<strong>la</strong>irement qu'il était Impossible que l'ouvrage <strong>de</strong><br />

Pétrone fût <strong>la</strong> satire <strong>de</strong> Néron, ni que Fauteur eât<br />

été le Pétrone l'abord favori et ensuite victime <strong>du</strong><br />

tyran. La licence cynique et les fréquentes <strong>la</strong>cunes<br />

<strong>de</strong> cet écrit tronqué, qui n'a ni commencement ni<br />

in $ ne permettent pas d'en faire Eexposé ni d'en<br />

apercevoir le p<strong>la</strong>n ; mais il est certain que les aventures<br />

triviales d'une société <strong>de</strong> débauchés <strong>du</strong> <strong>de</strong>rnier<br />

ordre ne peuvent ressembler aux nuits <strong>de</strong> Néron t<br />

quelque idée qu'on s'en fasse ; qu'un jeune empereur<br />

qui avait <strong>de</strong> l'esprit se peut pas être représenté dans<br />

le personnage <strong>de</strong> Trimalcïon, vieil<strong>la</strong>rd chauve, difforme,<br />

et imbécile; que les soupers <strong>de</strong> Néron ne<br />

pouvaient pas ressembler au repas ridicule <strong>de</strong> ce vieil<br />

idiot, et que sa femme Fortumêa, aussi insipi<strong>de</strong><br />

que lui, n'a rien <strong>de</strong> commun avec l'impératrice Poppée,<br />

l'une <strong>de</strong>s femmes les plus belles et les plus<br />

se<strong>du</strong>isantes.<strong>de</strong> son temps. Il est très-probable que<br />

cette rapsodie est <strong>de</strong> quelque élève <strong>de</strong> l'école <strong>de</strong>s<br />

rhéteurs, d'un jeune homme qui n'était pas sans quelque<br />

talent, et qui a choisi <strong>la</strong> forme <strong>la</strong> plus commo<strong>de</strong><br />

pouf joindre ensemble ses ébauches <strong>de</strong> <strong>littérature</strong> et<br />

<strong>de</strong> poésie, et le tableau <strong>de</strong> <strong>la</strong> mauvaise compagnie<br />

où il avait véatî. Il fait une critique fort sensée <strong>de</strong>s<br />

déc<strong>la</strong>mateurs <strong>de</strong> son temps, et son Essai poétique<br />

sur les guerres civiles a'est pourtant qu'une déc<strong>la</strong>-


AUCUNS. — POÉSIE.<br />

smtiéii où II y a quelques traits heureux.- Plusieurs<br />

<strong>de</strong> ses peintures ont <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité , mais dans MU genre<br />

eaanBaa, facile, et même bas. Quelques fragments<br />

<strong>de</strong> poésie et le conte <strong>de</strong> àt MûÈtms â'ÊpMœ, que<br />

<strong>la</strong> Fontaine a imité d'une manière inimitable, sont<br />

m qui y a<strong>de</strong> mien dans Pétrone. Bussy Eabutin en<br />

a tra<strong>du</strong>it presque littéralement l'histoire d 9 £umolpe<br />

et <strong>de</strong> Gfté rmj substituant <strong>de</strong>s noms <strong>de</strong> 1a cour<br />

<strong>de</strong> Louis XIV; et il n'est pas étonnant que9 dans<br />

un outrage tel que le sien, il ait choisi un pareil<br />

modèle. D'ailleurs* les louanges très-exagérées <strong>de</strong><br />

Saint-Éirremond a?aient mis Pétrone à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>. 11<br />

s'en parle qu'avec enthousiasme, paras qu'il le<br />

croyait homme <strong>de</strong> cour , que ce mot alors en imposât<br />

beaucoup, et que Toiture et lui regardaient<br />

««une une preu?e <strong>de</strong> boa goût <strong>de</strong> ne reconnaître<br />

une certaine délicatesse que dans les écrivains qui<br />

avaient ?éca à <strong>la</strong> cour. On opposait au pédantisme<br />

<strong>de</strong> réradïtîon qui a?ait régné longtemps une autre<br />

sorte d'abus, <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> l'esprit, l'affectation<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> ga<strong>la</strong>nterie, et <strong>la</strong> prétention à l'urbanité et au<br />

ton <strong>de</strong> oourtisan. Molière contribua beaucoup à faire<br />

tomber ce ridicule , accrédité par <strong>de</strong>s personnes <strong>de</strong><br />

mérite en plus'd'un genre, et fait pour dominer sur<br />

roptsion. Cette époque <strong>de</strong> notre <strong>littérature</strong>, considérée<br />

sous ce point <strong>de</strong> tue, ne sera pas un <strong>de</strong>s objets<br />

les moins curieux <strong>de</strong> notre attention, lorsqu'il sera<br />

îeaap <strong>de</strong> le traiter.<br />

ttcpoii m. — De répigramme et <strong>de</strong> Finscrfptioii.<br />

I/éf igramme, dans le sens que l'on donne aujourd'hui<br />

à ce mot, est, <strong>de</strong> tous les genres <strong>de</strong> poésie,<br />

ca<strong>la</strong>i qui se rapproche le plus <strong>de</strong> <strong>la</strong> satire f puisqu'il<br />

a souvent le même objet, <strong>la</strong> censure et <strong>la</strong> raillerie;<br />

et même, dans le <strong>la</strong>ngage usuel, un trait 'mordant<br />

<strong>la</strong>ncé dans <strong>la</strong> conversation s'appellent épigramme :<br />

mais ce mot s'applique aussi par eitension à une<br />

pensée ingénieuse, ou même à une naïveté qui fait<br />

le sujet d'une petite pièce <strong>de</strong> vers. Ce terme, en luimême,<br />

ne slgaîle qu'iiweripêtom, et il garda chez<br />

les Grecs, dont nous l'avons emprunté, son acception<br />

étymologique. Les épigramraes recueillies par<br />

Agathias, P<strong>la</strong>nu<strong>de</strong>, Constantin, Hiéroclès et autres,<br />

qui forment l'anthologie grecque, ne sont guère que<br />

<strong>de</strong>s inscriptions pour <strong>de</strong>s offran<strong>de</strong>s religieuses, pour<br />

<strong>de</strong>s tombeau, <strong>de</strong>s statues, <strong>de</strong>s monuments : elles<br />

«rat <strong>la</strong> plupart d'une eilréme simplicité, assesanalogue<br />

à leur <strong>de</strong>stination; c'est le plus souvent l'exposé<br />

d*un fait. Beaucoop sont trop longues, et presque<br />

toutes n'ont rien <strong>de</strong> commun avec ce que nous<br />

nommons une épigramme. Voltaire, qui savait cueillir<br />

si habilement <strong>la</strong> fleur fie chaque objet, a tra<strong>du</strong>jt<br />

169<br />

les seules *qoi remplissent l'idée que nous avons <strong>de</strong><br />

cette espèce <strong>de</strong> poésie. Les voici :<br />

SUR Ull WfkTÙE BB mOBÉ.<br />

La fatal eosmuii <strong>de</strong>s dieu<br />

Changea cette femme en pierre»<br />

Le sculpteur a fait bien mieux,<br />

H a fait tout le contraire.<br />

SUS L'ÀVEHftHIB Dl LÉâlHllE Et DMlO.<br />

Léasdre, con<strong>du</strong>it par l'Amour,<br />

En nageant disait aux cirages :<br />

IMmm-mmî gagner les rivages ;<br />

Ne me noyez qu'à mon retour.<br />

SUE Là finis BB PMMTFÈLE.<br />

Oui 9 je me <strong>mont</strong>rai toute eae<br />

An Bleu Mars, an bel Adonis.<br />

A Taisais même 9 et f en rougis ;<br />

Mais Praxitèle, oi m'a-t-U wm ?<br />

SUB SERGULE.<br />

Un-peu <strong>de</strong> miel, un peu <strong>de</strong> <strong>la</strong>it 9<br />

Ren<strong>de</strong>nt Mtraire favorable.<br />

Hercule est bien plus ehert 11 est bien motnt tmttable- :<br />

Sans <strong>de</strong>ux agneaux par Jonrt il.n'est point satisfait<br />

On dit qn*à mes <strong>mont</strong>ons ce étee sera propice :<br />

*. Qu'il sali Mil. Mais entre nous,<br />

Cest un peu trop en sacrifice :<br />

Qu'Importe qui les mange, ou d'Hercule ou <strong>de</strong>s loup?<br />

La <strong>de</strong>raière est une <strong>de</strong>s plus jolies qu'os ait faites :<br />

e 9 esl Lais sur le retour, consacrant son miroir dans<br />

le temple <strong>de</strong> Yénus 9 avec ces vers :<br />

Je le donne à Ténus, puEsqu'elto est toujours belle :<br />

11 redouble trop mes ennuis.<br />

' le ne saurais me voir en ce miroir iiète f<br />

Hl telle que J'étais t m* telle que Je suis.<br />

Martial , chez les Latins 9 a aiguisé l'épigramme<br />

beaucoup plus que les Grecs. 11 cherche toujours à <strong>la</strong><br />

renàre piquante; mais il s'en faut bien qu'il y réussisse<br />

toujours. Son plus grand défaut est d f es avoir<br />

fait beaucoup trop. Son recueil est-composé <strong>de</strong><br />

douse lifres ; ce<strong>la</strong> fait es?iron douse cents épigrammes<br />

; c f est beaucoup. Aussi en pourrait-on retrancher<br />

les trois quarts sans rien regretter. Lui-même<br />

s'accuse, en plus d'en endroit, <strong>de</strong> cette profusion ;<br />

mais cet aveu ne diminue rien <strong>de</strong> rimportaece qu'il<br />

a attachée à ces nombreuses bagatelles. Elles nous<br />

sont prveimesi<strong>la</strong>ns le plus bel ordre, tel qu'il les<br />

avait rangées, et même avec les dédicaces à <strong>la</strong> tête<br />

<strong>de</strong> chaque Une. Ce<strong>la</strong> est fort conso<strong>la</strong>nt sans doute,<br />

mais pas assez pour nous dédommager <strong>de</strong> <strong>la</strong> perte.<strong>de</strong><br />

tant d'ouvrages ie Tite-Live, <strong>de</strong> Tacite et <strong>de</strong> Salluste,<br />

que le temps n'a pas respectés autant que le<br />

recueil <strong>de</strong> Martial Le premier livre est tout entier<br />

à <strong>la</strong> louange <strong>de</strong> Domitien. La postérité lui saurait<br />

plus <strong>de</strong> gré d'une bonne épigramme contre ce tyran.<br />

Au reste, ces louanges roulent toutes sur le même<br />

* n y a dans VAnthologie beaucoup d'astres épigrtmmes<br />

Ingéniées», piquantes, satiriques t dont on pourrait IBIN <strong>de</strong>s<br />

épigrammes Mncaim. Il ne leur masque qu'un tra<strong>du</strong>cteur<br />

comme Voltaire ; si cet homme extraoïdlnalra s'en a tra<strong>du</strong>it<br />

que quelques-unis, c'est qu'il s'occupait <strong>de</strong> chef» plus 1mp@ftMto.


nu<br />

G0U1S DE L1TTÉ1ATUBE.<br />

il n'est question qm <strong>de</strong>s spectacles que Domitieo<br />

donnait au peuple t et Martial répète <strong>de</strong> cent<br />

manières qu'ils sont beaucoup plus mer?eiliens que<br />

tous €€m qu'on donnait aupara?ant. Ce<strong>la</strong> <strong>la</strong>it ?oir<br />

qu'elle importasee les Romains attachaient à cette<br />

espèce <strong>de</strong> magniieenee, et en même temps combien<br />

il état peu difficile <strong>de</strong> f<strong>la</strong>tter l'amour-propre<br />

<strong>de</strong>Domitien.<br />

Martial est aussi or<strong>du</strong>rter que notre Rousseau<br />

dans le ehoix <strong>de</strong> ses sujets; mais il y a l'infini entre<br />

eux pour le mérite <strong>de</strong> l'exécution poétique. Rousseau<br />

a excellé dans ses épigrammes licencieuses t au<br />

point d'en obtenir le pardon , si Ton pou?ait pardonner<br />

ce qui est contraire aux bonnes mœurs. Martial,<br />

pour être obscène, n'en* est pas meilleur ; et,<br />

condamnable en morale, il ne peut pas être absous en<br />

poésie : autant fi<strong>la</strong>it 9 ce me semble t être honnête. II<br />

dît quelque part qu'un poëte doit être pur dans sa<br />

con<strong>du</strong>ite , mais qu'il n'est pas nécessaire que ses mm<br />

soient chastes. On peut lui répondre qu'au moins il<br />

us faut pas qu'ils soient licencieux. Le petit nombre<br />

d'épigrammes qu'on a retenues <strong>de</strong> lui est heureusement<br />

<strong>de</strong> celles qu'on peut citer partout. J'en ai tra<strong>du</strong>it<br />

une qui peut ser?ïr <strong>de</strong> leçon à Paris comme à<br />

Rome, et qui necorrîgera pas plus Pun que l'autre ;<br />

elle est adressés à un a?oeat.<br />

0a m'a volé : fm aman<strong>de</strong> nfsoa<br />

• mon voteln, et je rai mil ce mnm<br />

Pour troto chevnaiu, et mm pour astrc chose.<br />

* 11 M s'agit <strong>de</strong> fer si m polios :<br />

Et toi, tu vmu, d\uie voix eaphatlipe,<br />

Parier Ici <strong>de</strong> k guerre punique,<br />

Et (TADiiibal, et <strong>de</strong> sot vieux héros ;<br />

Bei friaoïflrs, <strong>de</strong> leurs combats fusettes.<br />

Mb! Satan là tes grandi mots, tee grimées §s§ê§§ :<br />

Ami, <strong>de</strong> grâce, un mot <strong>de</strong> mes chevreaux.<br />

CHAPITRE X. — De MêgU H <strong>de</strong> h poésie<br />

émtèqme càee les mmmmm*<br />

Les Latins , dans le genre<strong>de</strong> l'élégie et <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie<br />

erotique, ont encore été les imitateurs <strong>de</strong>s Grecsj<br />

mais les modèles ont péri , et les imitations nous<br />

sont restées. Hons ne connaissons les élégies <strong>de</strong> Cal»<br />

llmaque, <strong>de</strong> Philétas et <strong>de</strong> Mimnerme que pr <strong>la</strong> réputation<br />

qu'elles ataieat chez les anciens, et pr<br />

les témoignages glorieux <strong>de</strong>s meilleurs critiques <strong>de</strong><br />

l'antiquité. Quoique le mot élégie vienne <strong>du</strong> grec<br />

IXtpç, qnî signiie mmpIMnie, eepndant elle n'était<br />

pas toujours p<strong>la</strong>intive; elle fut originairement,<br />

comme aujourd'hui, <strong>de</strong>stinée à chanter différents<br />

objets f les dieux f le retour d 9 un ami ou ;le jour <strong>de</strong><br />

sa naissance, ou, comme a dit Boileau, elle g&nissmM<br />

swr tut cercueil* La meilleure <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière<br />

espèce est celle d f joindre ensemble ce f sa fatals à dire <strong>de</strong> l'élégie et<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie erotique ou amoureuse. C'est dans m<br />

<strong>de</strong>rnier genre que Catulle s'est surtout diitiiigué , et<br />

e'est pr lui que je commencerai.<br />

~ CATUUB. —- Une domaine <strong>de</strong> morceaux d<br />

O?i<strong>de</strong> sur <strong>la</strong> mort dtf Tibulle. L'élégie<br />

fut sou?ent le chant <strong>de</strong> l'amour heureux ou<br />

malheureux. C'est pour oe<strong>la</strong> que j'ai cru 4moir .<br />

v un<br />

goût exquis f pleins <strong>de</strong> grâce et <strong>de</strong> naturel, l'ont mit<br />

au rang <strong>de</strong>s poètes les plis aimables. Ce sont <strong>de</strong><br />

petits chefs-dtame où il n'y a pas on mot qui ne<br />

soit précieux, mais qu'if est aussi impossible d'analyser<br />

que <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ire. On définît d'autant moins<br />

<strong>la</strong> grâce, qu'on <strong>la</strong> sent mieux. Celui qui pourra appliquer<br />

le charme <strong>de</strong>s regards f <strong>du</strong> sourire f <strong>de</strong> <strong>la</strong> démarche<br />

d'une femme aimable Y celui-là pourra expliquer<br />

le charme <strong>de</strong>s fers <strong>de</strong> Catulle. Les amateurs les salent<br />

par cœur, et Racine les citait sou?ent a?ce admiration.<br />

On peut croire que ce poëte tendre ec religieux<br />

ne par<strong>la</strong>it pas <strong>de</strong>s épigrammes obscènes ou'<br />

satiriques <strong>du</strong> même auteur, qui en général se soot<br />

pas dignes <strong>de</strong> lui, même sous les rapports <strong>du</strong> bon<br />

goût. 11 y en a plusieurs contre César, qui, pour toute<br />

vengeance, l'invita à souper. 11 ne faut pas trop admirer<br />

César, car les épigrammes ne sont pas bonnes;<br />

et je croirais Volontiers que le tact fin <strong>de</strong> César it<br />

grâce aux épigrammes en faveur <strong>de</strong>s madrigaux. Si<br />

Catulle lui récita ses ? en sur le moineau <strong>de</strong> Lesbk<br />

et son épitha<strong>la</strong>me <strong>de</strong> Thétiset Pelée, son hôte <strong>du</strong>t<br />

être content <strong>de</strong> lui : il <strong>du</strong>t voir dans Catulle un génie<br />

facile, qui excel<strong>la</strong>it dans les sujets gracieux, et'<br />

pouvait même s'élever au sublime <strong>de</strong> <strong>la</strong> passion.<br />

L'épiso<strong>de</strong> d'Ariane abandonnée dans l*fle <strong>de</strong><br />

Haxos, qui <strong>la</strong>it partie <strong>de</strong> l'épitha<strong>la</strong>me, est <strong>du</strong> petit<br />

nombre <strong>de</strong>s morceaux où les anciens ont su faire<br />

parler l'amour. On ne peut le louer mieux qu'en disant<br />

que Virgile, dans son quatrième livré <strong>de</strong> f£~<br />

nél<strong>de</strong>, m a emprunté <strong>de</strong>s idées, <strong>de</strong>s mouvements t<br />

quelquefois même <strong>de</strong>s expressions, et jusqu'à <strong>de</strong>s ?ers<br />

entiers. L'Ariane <strong>de</strong> Catiklle a serti à embellir <strong>la</strong> Bidon<br />

<strong>de</strong> Virgile. Peut-on douter qu'un homme qui a<br />

ren<strong>du</strong> m sertiee à l'auteur <strong>de</strong> fÉméiée n'eût pu <strong>de</strong>venir<br />

un grand poëte, s'il eût aimé le travail et <strong>la</strong>gloûre?<br />

Mais Catulle n'aima qm te p<strong>la</strong>isir et les voyages,<br />

<strong>de</strong>ux choses qui <strong>la</strong>issent peu <strong>de</strong> loisir pour les lettres,<br />

Il était né pauvre, et <strong>de</strong>s amis généreux l'enrichirent,<br />

entre autres, Maniius, dont il it féptha<strong>la</strong>me,<br />

sujet usé dont il sut faire un outrage<br />

charmant, parce que le talent rajeunit tout. 11 fut lié<br />

aussi avec Cïcéron et Cornélius Népos : c'est à ee<br />

<strong>de</strong>rnier qu'il a dédié son litre, flous Pavons tout<br />

entier ; il ne contient pas cent pages, et a ren<strong>du</strong> son<br />

auteur immortel. À-t-il em tort <strong>de</strong> n'en pas faire davantage?<br />

Tous les écrivains" <strong>de</strong> l'ancienne Rome<br />

l'ont comblé d'éloges, sans doute parce qu'il écrltfit<br />

bien, peut-être aussi farce qu'il écrivait peu. 11<br />

« m,


AUCUNS. — POÉSIE.<br />

suivit songoit, SâtisÉtc<strong>du</strong>i <strong>de</strong>s autres,et n'effraya<br />

pas l'envie. Que lui a-l-il manqué ? Rien que <strong>de</strong> jouir<br />

plus longtemps d'une fie qu'il sa?ait si bien employer<br />

pour lui-même. 11 mourut à cinquante ans.<br />

OTIDB. — Les outrages et les malheurs d'Ovi<strong>de</strong><br />

l'ont ren<strong>du</strong> également célèbre, La postérité jouit<br />

<strong>de</strong>s «as, et n'a pu encore expliquer les autres. Son<br />

ejxil est un mystère sur lequel <strong>la</strong> curiosité s'est épuisée<br />

en conjectures inutiles. 11 est bien sûr que son<br />

poëme <strong>de</strong> tJri d'aimer m fut le prétexte ; mais sa<br />

discrétion, apparemment nécessaire, nous en a caché<br />

<strong>la</strong> véritable cause* 11 répète en vingt endroits :<br />

« in cris» est étmmïmém ye«x. Pourquoi ai«ja tu<br />

ce que je ne <strong>de</strong>vais pas icar? »<br />

Qu'aiait-il vu ? C'est ce que nous ignorons. On a<br />

eratoaa même écrit <strong>de</strong> son temps qu'il avait sur*<br />

pris Auguste commettant un inceste. Rien s'est<br />

moins viaiaemb<strong>la</strong>ble. Il cet été trop ma<strong>la</strong>droit <strong>de</strong><br />

rappeler sans cesse à ce prinee ce qui <strong>de</strong>vait le faire<br />

rougir. Il est plus probable qu'ayant un accès facile<br />

dans <strong>la</strong> maison d f Auguste 9 qui estimait ses talents 9<br />

il lut témoin <strong>de</strong> quelque action honteuse à <strong>la</strong> famille<br />

impériale ; et ce qui vient à l'appui <strong>de</strong> cette opinion ,<br />

c'est que, après <strong>la</strong> mort d'Auguste, Tibère ne rappe<strong>la</strong><br />

point Ovi<strong>de</strong> <strong>de</strong> son exil ; d'où Pou peutjcon<strong>du</strong>re<br />

que, dans ce qu'il avait ta, Auguste n'était pas le<br />

seul qui Ht compromis. Quoi qu'il en soit, ce fat un<br />

atas <strong>de</strong> pouvoir, un acte <strong>de</strong> tyrannie très-odieux,<br />

que d'exiler un chevalier romain pour <strong>la</strong> faute d'auirai<br />

Le prétexte<strong>de</strong>eetteeruauté était absur<strong>de</strong>. Gommait<br />

©tait-on punir les vers d'Ovi<strong>de</strong>, beaucoup<br />

eaaias libres que ceux d'Heraee? Ces féiexions ont<br />

étéisitfat»et il font les répéter, pree qu'on ne peut<br />

pat trop souvent condamner l'injustice, surtout dans<br />

ceux api peuvent être injustes impunément.<br />

Ovi<strong>de</strong>, accoutumé aux délices <strong>de</strong> Rome , et transporté<br />

Y à Fige <strong>de</strong> cinquante ans, aux extrémités <strong>de</strong><br />

Fempwe romain, sur les bords <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer Moire,<br />

iaat a» pays sauvage et sous un climat très-rigoureux<br />

f aurait été assez puni, quand mime ti eéf<br />

commis <strong>la</strong> faute <strong>la</strong> plus grave. Qae sera-ce si Ton<br />

s*mg@ qu'il était iaaaceat? Il mérite sans doute <strong>la</strong><br />

pitié, et l'on peut même lui pardonner d'avoir été<br />

accablé <strong>de</strong> son exil f comme Cicéron 1e fut <strong>du</strong> sien.<br />

Je sais que Gresset a dit :<br />

Je cesse d'estimer Ovi<strong>de</strong> *<br />

Quand il vtont, ma <strong>de</strong> fUbles tous,<br />

Me ebaster, pleureur insipi<strong>de</strong> s<br />

De longues <strong>la</strong>mentations.<br />

Grasset en parle bien à son aise. 11 faut se souvenir<br />

qu'il y a tel exil qui peut paraître pire que<br />

<strong>la</strong> mort; et celui d'Ovi<strong>de</strong> était <strong>de</strong> cette espèce.<br />

"~ " ? le tes* autres maux TU était séparé<br />

171<br />

d'une femme qu'il adorait; et <strong>la</strong> plus intéressante<br />

<strong>de</strong> ses élégies , sans nulle comparaison, est celle<br />

où il détaille les circonstances <strong>de</strong> son départ, <strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>rnière nuit qu'il passa dans Rome, et les adieux<br />

tendres et douloureux <strong>de</strong> son épouse. He jugeons<br />

pas le malheur <strong>de</strong> si loin 9 et ne croyons pas que<br />

<strong>la</strong> sensibilité soit toujours une faiblesse. Ce qae je<br />

reproche à Ovi<strong>de</strong>, 'ce n'est pas <strong>de</strong> sentir "son infortune,<br />

elle était affreuse; c'est d'en adorer l'auteur;<br />

c'est l'excès continuel et fatigant <strong>de</strong> ses<br />

f<strong>la</strong>tteries prodiguées à son oppresseur; c'est cette<br />

basse idolâtrie qu'il porta au point <strong>de</strong> lui élever,<br />

même après sa mort, un autel où il sacri<strong>la</strong>lt tous<br />

les jours. Yoilà ce que le malheur ne peut excuser,<br />

pree que rien n'oblige d'être vil. Au reste<br />

sa bassesse et son encens furent per<strong>du</strong>s f et ses<br />

<strong>de</strong>ux divinités, Auguste et Tibère, furent également<br />

sour<strong>de</strong>s pour lui. '<br />

Les élégies composées pendant son exil9 et qu'il<br />

intitu<strong>la</strong> ks Tristes, sont, à l'exception <strong>de</strong> celle<br />

dont je viens <strong>de</strong> parler, généralement fort médiocres.<br />

Il joint à <strong>la</strong> monotonie <strong>du</strong> sujet celle <strong>du</strong> style :il<br />

y a trop peu <strong>de</strong> sentiments et beaucoup trop<br />

d'esprit. On voit que <strong>la</strong> douleur ne saurait passer<br />

<strong>de</strong> son âme jusque dans son style, et Ton croirait<br />

qu'il s'amuse <strong>de</strong> ses p<strong>la</strong>intes et <strong>de</strong> ses vers.<br />

Ovi<strong>de</strong>, né avec un génie facile et abondant ,<br />

une imagination riante et voluptueuse 9 et comme<br />

a dit M. Mar<strong>mont</strong>el,<br />

Eeiiiit gftté te Katci et iks Gften»<br />

De leurs frète» bril<strong>la</strong>nt dJssipaiesr„<br />

Et <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>isirs savant légis<strong>la</strong>teur,<br />

Ovi<strong>de</strong> était bien plus fait pour être le peintre <strong>de</strong>s<br />

voluptés que le chantre <strong>du</strong> malheur» Ses trois livres<br />

<strong>de</strong>s Jwwm$9 ouvrage <strong>de</strong> sa jeunesse, ont tout<br />

l'éc<strong>la</strong>t, toute <strong>la</strong> fraîcheur <strong>de</strong> fige où il les composa<br />

: il est impossible d'avoir plus d'esprit et d'agrément.<br />

1 n'a, je l'avoue, ai <strong>la</strong> sensibilité, ni l'élégance,<br />

ni <strong>la</strong> précision <strong>de</strong> Tisalîa; il est moins<br />

pssîaaaé que Properee. On peut lui reprocher<br />

l'abus <strong>de</strong> <strong>la</strong> facilité, <strong>de</strong> fréquentes répétitions d'idées<br />

i et quelquefois <strong>du</strong> mauvais goût. Mais quelle<br />

foule d'idées ingénieuses et <strong>de</strong> détails charmants ?<br />

Quelle vérité d'images gracieuses et <strong>de</strong> meuve*<br />

ments toujours aimables 1 Comme il aime franchement<br />

le p<strong>la</strong>isir ! Cest là ce qui manque à tant d'auteurs<br />

qui ont voulu l'imiter* On voit trop que c'est<br />

un air qu'ils se donnent % et qu'ils sont beaucoupplus<br />

sages fafîl ne voudraient nous le faire croire.<br />

Ils n'ont pas ce ton <strong>de</strong> vérité sans lequel on ne persua<strong>de</strong><br />

jamais. Ils oublient qu'on n'a jamais bonne<br />

grâce à vouloir être ce qu'on n'est pas. Boieau a si<br />

bien di! ;<br />

9 m **>


172 COORS DE LITTÉMTOfiE»<br />

€hw»ii, lifte dans son ait, est agréeMa asi»!<br />

Ce a*«f qm l'air tfautrui qui peut iëf fatae eu moi.<br />

Et malheureusement cet air-là s'aperçoit tout <strong>de</strong><br />

sotte. 11 en est <strong>de</strong>s livres comme <strong>de</strong> <strong>la</strong> société :<br />

dans l'un et c<strong>la</strong>ns l'antre il ne faut point avoir<br />

d 9 aytre caractère que le sien. (M<strong>de</strong> ne cherche<br />

pas h es imposer, et s'en impose point. Lorsque 9<br />

dais <strong>la</strong> troisième élégie <strong>de</strong> son livre <strong>de</strong>s Amours,<br />

il promet à sa maîtresse <strong>de</strong> n'aimer jamais qu'elle<br />

et assure que <strong>de</strong> son naturel il n'est point inconstant,<br />

on en a déjà TU asseï pour être bien sûr<br />

qu'il promet plus qu'il ne peut tenir, qu'il ne <strong>la</strong><br />

trompe pas f mais qu'il se trompe lui-même. Aussi<br />

ne tar<strong>de</strong>-t-il pas à confesser qu'il aime toutes les<br />

femmes , et qu'il n'est pas en lui <strong>de</strong> ne pas les aimer<br />

toutes. 11 ne manque pas d'en donner <strong>de</strong> trèsbonnes<br />

raisons; et cette confession, qui n'est pas<br />

très-édiiante y est au moins une <strong>de</strong> ses plus jolies<br />

pièces. 11 se p<strong>la</strong>int <strong>de</strong> cette malheureuse disposition<br />

à aimer, avec un sérieux qui est très-amusant.<br />

On juge bien qu'il ne songe pas a intéresser<br />

'par le tableau d'une belle passion. On ne peut pas<br />

ître moins scrupuleux en amour. 11 ne traite pas<br />

mieux que les autres cette beauté qu'il rendit si<br />

célèbre sous le nom <strong>de</strong> Corinne, et qui <strong>la</strong> première<br />

a?ait éveillé son génie. 11 eut <strong>la</strong> discrétion <strong>de</strong> se<br />

servir d'un nom feint, parce que c'était une dame<br />

romaine : au' lieu que Délie, Néera, Némésis et<br />

autres, célébrées par Tibulle et Properce 9 étaient<br />

<strong>de</strong>s courtisanes. Quelques-uns ont cru que cette<br />

Corinne n'était autre que Julie, fille d'Auguste,<br />

et que cette liaison découverte fut <strong>la</strong> véritable<br />

cause <strong>de</strong> sa disgrâce. Sidonius Apollinarïs l'a écrit<br />

expressément ; mais cette opinion est <strong>de</strong>stituée <strong>de</strong><br />

toute irraisemb<strong>la</strong>nce. S'il eût eu à se reprocher cette<br />

faute, aurait-il osé dire sans cesse à Auguste qu'il ne<br />

l'avait offensé que par une erreur involontaire? Il<br />

paraît par'ses écrits que cette Corinne l'aima passionnément,<br />

et que, si elle init par lui être infidèle<br />

, c'est qu'il lui en avait'donné l'exemple. Il se<br />

p<strong>la</strong>int amèrement <strong>de</strong> sa jalousie continuelle dans<br />

une <strong>de</strong> ses élégies, et surtout <strong>de</strong> ce qu'elle le soupçonne<br />

d'une intrigue avec sa femme <strong>de</strong> chambre.<br />

11 faut f oir quel pthétique il met dans ses p<strong>la</strong>intes<br />

: que <strong>de</strong> protestations, <strong>de</strong> serments! On serait<br />

tenté d'en être <strong>du</strong>pe. Mais il n'a pas envia qu'on<br />

le soit ; car <strong>la</strong> pièce qui soit immédiatement, et<br />

qui peut-être partit avee l'autre, est adressée à<br />

cette même femme <strong>de</strong> chambre, qui était, à ce<br />

qu'il nous apprend lui-même, une brune très-piquante.<br />

11, l'accuse d'avoir donné lieu ? par quelque<br />

indiscrétion, aux soupçons*<strong>de</strong> sa maîtresse\<br />

il lui reproche d'avoir rougi comme un enfant<br />

lorsqu'elle l'a regardé; il lui rappelle avec quel<br />

sang-froidii a su lui mentir, avee quelle intrépidité<br />

il s'est parjuré quand il a été question <strong>de</strong> se justiier,<br />

et finit par loi <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un ren<strong>de</strong>z-vous. Il<br />

y a là <strong>de</strong> quoi décréditer à jamais tous les serments<br />

<strong>de</strong>s poètes. Voilà les Amours <strong>de</strong> celui qui<br />

a fait l'Art d'aimer. Mais il ne font pas s'y tromper<br />

: le titre <strong>la</strong>tin ne présente pas tout à fait l'idée<br />

que nous attachons à ce mot aimer. Ce titre v Arth<br />

swmiwiBj signifie proprement l'Jrt défaire f«mowr;<br />

et en ce<strong>la</strong> le poète a raison, car f un ne s'apprend<br />

pas, et l'autre peut en effet se ré<strong>du</strong>ire en art.<br />

La division seule <strong>du</strong> poëme suffit pour prouver<br />

le but <strong>de</strong> fauteur : dans le premier livre, il traite<br />

<strong>du</strong> choix d'une maîtresse ; dans le second, <strong>de</strong>s<br />

moyens <strong>de</strong> lui p<strong>la</strong>ire et <strong>de</strong> se l'attacher longtemps.<br />

C'est à peu près le p<strong>la</strong>n qu'a suivi Bernard ; et Ton<br />

voit déjà le premier et le plus grand défaut commun<br />

aux <strong>de</strong>ux ouvrages, c'est que dans ê'Ari<br />

aTaimer9 tant <strong>la</strong>tin que français, on trouve tout,<br />

excepté <strong>de</strong> l'amour. On me dira qu'il ne pouvait<br />

guère 6'y trouver. C'est donc un sujet mal choisi.<br />

On ne s'accoutume point à entendre parler si longtemps<br />

d'amour sans que le coeur y soit pour rien.<br />

L'imagination est trompée, et par conséquent refroidie,<br />

le ne parlerai point ici <strong>du</strong> poème <strong>de</strong> Bernard,<br />

si-ce s'est pour dire qu'il est infiniment supérieur<br />

à celui d'Ovi<strong>de</strong> par le mérite <strong>de</strong> fexéeution.<br />

De plus, Ovi<strong>de</strong> est ici bien inférieur à lui-même*.<br />

Ce poète, si agréable dans ses Jmomr$r est eft<br />

général médiocre et froid dans VArt d'mkmer.<br />

Aussi est-il infiniment moins difficile <strong>de</strong> réussir<br />

dans <strong>de</strong>s pièces détachées -que dans un poème régulier,<br />

où il faut avoir un p<strong>la</strong>n et aller à un but.<br />

Dès le premier livre, le lecteur sent trop que l'ou­<br />

vrage n'aura rien d'attachant. Qu'esta» qu'un mil­<br />

lier <strong>de</strong> fers, pour vous apprendre à chercher une<br />

maîtresse ? Le cœur répond d'abord qu $ on <strong>la</strong> trouva<br />

sans <strong>la</strong> chercher, et que cet arrangement ne se fait<br />

pas comme dans <strong>la</strong> tête <strong>du</strong> poète. Ovi<strong>de</strong> vous envoie<br />

courir les p<strong>la</strong>ces publiques, les temples, les spectacles,<br />

<strong>la</strong> ville, <strong>la</strong> campagne, les eaux <strong>de</strong> Baies,<br />

pour trouver celle à qui vous puissieE dire : Je vous<br />

aime. Mite ne tombera pm <strong>du</strong> eki$ dit-il, il faut<br />

' <strong>la</strong> chercher. Ne voilà-t-il pas une belle découverte ?<br />

Tiennent ensuite quantité <strong>de</strong> détails minutieux<br />

qu'il faut renvoyer au vil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong>s Petite-«Sbftu,<br />

dans <strong>la</strong> carte <strong>de</strong> Ternêre, et dont quelques-uns<br />

pourraient être agréables dans une pièce badine,<br />

mais qui ne doivent pas être <strong>de</strong>s leçons débitées<br />

d'un ton sérieux. L'auteur y joint cinq ou sis épiso<strong>de</strong>s,<br />

p|ns insipi<strong>de</strong>s,plus déçja^5 Jes ujis que les<br />

autres. A propos <strong>de</strong>s spoc<strong>la</strong>eles.l^âcoatifi^vo-


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

17»<br />

ment <strong>de</strong>s Sâbines : s'il veut prouver les dispositions s'en acquitte parfaitement. 11 àmmmi jusqu'au! .<br />

que les femmes ont à aimer, il choisit décemment plus petites circonstances, dans tout ce qui peut<br />

<strong>la</strong> faille <strong>de</strong> Pasiphaé. En un motf quoiqu'il y ait avoir rapport à Fart <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire. 11 marque quelle<br />

quelques détails ingénieux et quelques jolis fers, le couleur d'habit convient aux brunes et aux blon<strong>de</strong>s ;<br />

tout ne présente qu'un ramage mesuré , et <strong>la</strong> facilité il épuise <strong>la</strong> science <strong>de</strong> <strong>la</strong> toilette; il prescrit <strong>la</strong> me­<br />

<strong>de</strong> dire <strong>de</strong>s riens en fers faibles et négligés. sure <strong>du</strong> rire, selon qu'on a les <strong>de</strong>nts plus ou moins<br />

Quand mm a?es trouvé <strong>la</strong> femme que TOUS belles : on ne peut pas être plus profond dans les<br />

foulez aimer, Ofi<strong>de</strong> met en question et très-sé­ bagatelles. 11 ne néglige pourtant pas le soli<strong>de</strong>, et<br />

rieusement si c'est un bon moyen pour détenir s<br />

son amant que <strong>de</strong> commencer par être celui <strong>de</strong><br />

sa femme <strong>de</strong> chambre. Il examine le pour et le<br />

contre , pèse les avantages et les inconvénients, et<br />

enfin il déci<strong>de</strong>, pour rendre à chacun ce qui lui<br />

appartient, que <strong>la</strong> femme <strong>de</strong> chambre ne doit passer<br />

qu'après <strong>la</strong> maîtresse. On vient <strong>de</strong> voir que,<br />

sur ce point, il prêchait d'exemple. Encore une<br />

fois , tout ce<strong>la</strong> pourrait faire le sujet d'une saillie<br />

poétique, d'un badinage; mais rédiger <strong>de</strong> pareils<br />

préceptes , c'est se moquer <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>.<br />

Le second chant est le meilleur, quoiqu'il commence<br />

par un long épiso<strong>de</strong> sur l'aventure <strong>de</strong> Dédale<br />

et d'Icare ? aussi mal amené que ceux qui<br />

précè<strong>de</strong>nt. Il est ici question <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire,<br />

et Ton peut penser qu'Ovi<strong>de</strong> n'était pas ignorant<br />

en cette matière , analogue d'ailleurs à <strong>la</strong> tournure<br />

<strong>de</strong> son esprit et à <strong>la</strong> nature même <strong>de</strong> son talent ,<br />

où Ton remarque toujours, s'il est permis <strong>de</strong> le<br />

dire, use sorte <strong>de</strong> coquetterie. Il y a <strong>de</strong>s endroits<br />

bien maniés ; <strong>de</strong>s observations que tout le mon<strong>de</strong><br />

a <strong>la</strong>ites, il est frai, mais exprimées d'une manière<br />

piquante, et qui marquent beaucoup <strong>de</strong> connaissance<br />

<strong>de</strong>s femmes ; un épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> Vénus surprise<br />

#?«€ le dieu Mars, le seul qui aille bien au sujet :<br />

mais, malgré ces beautés <strong>de</strong> détail, le vice <strong>de</strong> ce<br />

sujet se fait toujours sentir.<br />

Ovi<strong>de</strong> apparemment a voulu obtenir grâce auprès<br />

<strong>de</strong>s femmes pour toutes ses infidélités ; car il<br />

emploie à les instruire le troisième livre <strong>de</strong> son<br />

Art #«Iwer. i leur enseigne comment il faut<br />

s'y prendre pour p<strong>la</strong>ire aux hommes , pour avoir<br />

<strong>de</strong>s amants, pour les gar<strong>de</strong>r; quel parti il en faut<br />

tirer; à quel point il faut les tourmenter pour les<br />

attacher davantage; combien elles doivent être en<br />

gar<strong>de</strong> pour n'être pas trompées.; enfin il va jusqu'à<br />

leur apprendre à <strong>du</strong>per les époux, les surveil<strong>la</strong>nts,<br />

et même nn peu leurs amants. II s'est<br />

bien douté qu'il y aurait <strong>de</strong>s gens asseï méchants<br />

pour trouver ses leçons Inutiles : aussi corantepeêt-îl<br />

par poser en principe que -les femmes trompent<br />

l>eau€oup moins que les hommes, et il ajoute<br />

qu'après nous avoir donné <strong>de</strong>s jurmeg contre elles,<br />

Il est juste <strong>de</strong> leur en donner contre nous. Il se<br />

fait donner .cet çrdre par Vénus elle-inéfpe, et jl<br />

$ oixupe <strong>de</strong> leurs intérêts.<br />

« L'homme riche» dit-il» TOUS fan <strong>de</strong>s présents; le jurisconsulte<br />

dirham vos affaires; l'avocat défendre vos<br />

dients. Pour mm antres poètes, I ne fait «MS <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

que <strong>de</strong>s vers. »<br />

Il 'se manque pas cette occasion <strong>de</strong> faire le plus<br />

bel éloge <strong>de</strong>s poètes ses confrères, et surtout il<br />

affirme qu'il n'y a point d'amants plus tendres, plus<br />

constants, plus fidèles que ceux qui cultivent les<br />

muses. Yoilà trois belles qualités qu'il nous accor<strong>de</strong>-;<br />

et Ton ne manquera pas <strong>de</strong> dire qu'en nous traitant<br />

si bien, il est un peu suspect dans sa propre<br />

came, et que d'ailleurs son exemple affaiblit un peu<br />

son autorité. Je ne saurais en disconvenir; mais<br />

pourtant, s'il nous donne trop, ce n'est pas une<br />

raison pour nous refuser tout. Yoyons, sans trop<br />

<strong>de</strong> partialité, ce qui doit nous rester <strong>de</strong> ce qu'il nous<br />

attribue. Tendres : il a raison; Ses gens à imagination<br />

sont plus passionnés que d'autres, et il entre<br />

beaucoup d'imagination dans l'amour : ceux qui<br />

en manquent doivent être <strong>de</strong>s amants un peu insipi<strong>de</strong>s,<br />

et c'est pour ce<strong>la</strong> qu'on a dit que les sots ne<br />

pouvaient pas aimer. Constants : c'est beaucoup;<br />

ici Ovi<strong>de</strong> nous f<strong>la</strong>tte un peu. L'imagination est mo*<br />

bile : cependant il est possible que, distraite <strong>de</strong>m<br />

femps en temps par d'autres objets, elle revienne<br />

toujours à l'objet <strong>de</strong> préférence ; et si les poètes ne<br />

sont pas trèsrconstants, ils peuvent bien aussi n'être<br />

pas plus inconstants que d'autres, Fidèles : oh ! c'eut<br />

ici <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> difficulté. I


174<br />

mour et <strong>de</strong> ffllusion ; mais il né faut pas croire que<br />

€e soit celui <strong>de</strong> mensonge. Cest <strong>de</strong> très-bonne foi<br />

qu'où le prononce quand os aime. Le propre <strong>de</strong><br />

l'amour, et c'est là aussi un <strong>de</strong> ses grands charmes,<br />

c'est d'avoir toujours raisonf même quand,il n'a<br />

pas le sens commun f et d'être toujours vrai en ne<br />

débitant que <strong>de</strong>s chimères. 11 est aussi impossible<br />

à celui qui aime bien <strong>de</strong> ne pas croire qu'il aimera<br />

toujours, qu'il l'est à un homme <strong>de</strong> sang-froid <strong>de</strong><br />

concevoir comment l'amour peut <strong>du</strong>rer toujours.<br />

L'essentiel s'est donc pas, après tout, même pour<br />

les femmes, d'être toujours aimées, mais <strong>de</strong> Pétrc<br />

bien parfaitement, <strong>de</strong> l'être <strong>de</strong> manière h se persua<strong>de</strong>r<br />

<strong>de</strong> part et d'autre queçe<strong>la</strong> nesauraitinir ; comme<br />

l'essentiel s'est pas d'avoir <strong>la</strong> plus longue fie, mais<br />

d'avoir <strong>la</strong> plus heureuse. Or, en ce ses%, les poètes<br />

ut sont pas les plus mal partagés ; car nous sommes<br />

convenus tout à l'heure qu'ils aimaient parfaite*<br />

ment, c'est-à-dire, comme <strong>de</strong>s fous : <strong>la</strong> folie en ©e<br />

genre est <strong>la</strong> perfection. Je me <strong>la</strong>tte que ce petit<br />

commentaire sur Of i<strong>de</strong> se paraîtra pas hors<strong>du</strong> sujet,<br />

et que ni tes femmes, ni les amants, ni les poètes,<br />

ne pestent s'en p<strong>la</strong>indre.<br />

Ovi<strong>de</strong> ne borne pas là ses leçons, mais les <strong>de</strong>rnières<br />

sont d'un genre qui me force à borner cette<br />

analyse. Cependant je se luirai point cet article<br />

sans rendre encore hommage à <strong>la</strong> variété fertile et<br />

au caractère aimable <strong>de</strong> cet écrivais, qui a su se<br />

COU1S DE LÏTTÊRATU1E.<br />

plier avec succès à <strong>de</strong>s genres si différents. J*al parlé<br />

ailleurs <strong>de</strong> ses Métamorphoses, et l'os sait quelle<br />

p<strong>la</strong>ce éminente elles occupent parmi les plus belles<br />

pro<strong>du</strong>ctions <strong>de</strong> l'antiquité. Ses Fastes, dont sous<br />

n'avons que les sii premiers livres, sont bien inférieurs,<br />

mais ne sont pas son plus sans mérite : cet<br />

ouvrage est aui Métamorphoses ce qu'est us <strong>de</strong>ssin<br />

à un tableau. Les Fastes ont peu <strong>de</strong> coloris poétique;<br />

mais on y remarque toujours <strong>la</strong> facilité <strong>du</strong><br />

trait. Ses Hér&M<strong>de</strong>s, sortes ffépftrts amoureuses<br />

que Ton peut rapprocher <strong>de</strong> ses Élégies, ont le défaut<br />

<strong>de</strong> se ressembler toutes par le sujet. Ce sont<br />

toujours <strong>de</strong>s amantes malheureuses et-abandonnées.<br />

C'est Phyllis qui se p<strong>la</strong>int <strong>de</strong> Démophoon, Ifypsipyle<br />

<strong>de</strong> Jason, Déjanired'Hercule, Laodamie <strong>de</strong> Prêtéli<strong>la</strong>s,<br />

etc. On conçoit <strong>la</strong> monotonie qui résulte <strong>de</strong><br />

cette suite <strong>de</strong> p<strong>la</strong>intes, <strong>de</strong> reproches, <strong>de</strong> regrets qui<br />

reviennent sans cesse» Mais os ne saurait employer<br />

plus d'art et d'esprit à varier un fond si uniforme.<br />

Il y a même <strong>de</strong>s morceaux touchants et d'usé sensibilité<br />

qui doit sous faire comprendre aisément le<br />

grand succès qu'obtint sa tragédie <strong>de</strong> Médée. Nous<br />

ne l'avons plus; mais Quiotilien a dit qu'elfe faisait<br />

voir ee que l'auteur aurait pu faire, s'il avait su<br />

régler son génie au lieu <strong>de</strong> s'y abandonner. U faut<br />

avouer, en effet f avec les critiques les plus éc<strong>la</strong>irés,<br />

qu'Ovi<strong>de</strong>, dans tous ses ouvrages, a plus ou moins<br />

abusé d'une facilité toujours dangereuse quand on<br />

ne s'en défie pas. 11 ne se refuse en aucune manière<br />

<strong>de</strong> répéter <strong>la</strong> même pensée; et, quoique souvent<br />

elles soient toutes agréables, Fuse nuit souvent à<br />

l'autre. On peut lui reprocher aussi les faux bril<strong>la</strong>nts,<br />

les jeux <strong>de</strong> mots, les pensées fausses, <strong>la</strong> profusion<br />

<strong>de</strong>s ornements. Ainsi, venant après Virgile,<br />

Horace et Tibulle, les modèles <strong>de</strong> <strong>la</strong> perfection, i!<br />

a marqué le premier <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> déca<strong>de</strong>nce chez les<br />

Latins, pour n'avoir pas eu un goût asseï sévère et<br />

une composition assez travaillée.<br />

A le considérer <strong>du</strong> côté moral, quoique ses écrits,<br />

comme a dit un <strong>de</strong> nos poètes,<br />

A<strong>la</strong>rmait no peu Ilnooeenee,<br />

il m n'a <strong>du</strong> moins <strong>mont</strong>ré dans ses poésies que cette<br />

espèce d'amour que l'on peut avouer sans trente;<br />

et c'est us mérite presque unique dans <strong>la</strong> ecamipties<br />

<strong>de</strong>s mœurs grecques et romaines. H <strong>du</strong>t i sa passion<br />

extrême pour les femmes d'être préservé <strong>de</strong> <strong>la</strong> contagion<br />

générale. Il était d'un caractère trèt-doox, et<br />

lui-même se rend ce témoignage dans un endroit<br />

<strong>de</strong> ses Tristes, que <strong>la</strong> censure n'a jamais attaqué<br />

sa personne ni ses écrits : aussi était-il Tarai et le<br />

panégyriste <strong>de</strong> tous les talents. Tous les écrivains<br />

célèbres qui furent ses contemporains sont loués<br />

dans ses vers atoe autant <strong>de</strong> can<strong>de</strong>ur que d'affec­<br />

tion ; et il en est plusieurs parmi eus dont les ouvraga<br />

ont été per<strong>du</strong>s, et qui ne nous sont connus que par<br />

ses éloges.<br />

PJROPBBCB. — Les poésies <strong>de</strong> Prônera respirent<br />

toutes <strong>la</strong> chaleur <strong>de</strong> l'amour, et quelquefois <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

volupté ; et Ovi<strong>de</strong> l'a bien caractérisé lorsqu'il a dit,<br />

en par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> ses élégies, les feux <strong>de</strong> Pmperœ ><br />

Et Proper» mutait »*• mmM MI §MX.<br />

Smpè miki mUim reciêam Pmperlim i§nm.<br />

Mais U fait un usage trop fréquent <strong>de</strong> <strong>la</strong> mythe*<br />

logie, et ses citations, trop facilement empruntées<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Fable, ressemblent pies aui lieux «Mamans<br />

d'un poète qu'aur dis<strong>cours</strong> d'us amant. Une chose<br />

qui lui est particulière parmi les poètes erotiques,<br />

c'est qu'il est le seul qui n'ait célébré qu'une maltresse.<br />

U répète souvent à Cynthia qu'elle seule sera<br />

à jamais l'objet <strong>de</strong> ses chants : et il lui a tenu proie.<br />

Cependant il ne faut pas croire qu'il ait- été aussi<br />

iéèle dans ses amours que dans ses vers, car il fait<br />

à un <strong>de</strong> ses amis à peu près le même aveu qu'Ovi<strong>de</strong>.<br />

* Qiaeoa, dit>il, a ton début : le mtea est d'aimer tou­<br />

jours quelque cbese, *<br />

Il cosvient que c'est surtout au théâtre qu v il ne peut<br />

s'empêcher <strong>de</strong> désirer tout eo qu'il voit. U avoue


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

mène à Cynthia qu'il a en quelque goût pou? une<br />

Lyciniia, mais si peu, si peu , que ce s'est pas <strong>la</strong><br />

peine d*en parler. Après tout f à juger <strong>de</strong> cette Cynthia-<br />

par le portrait qu'il en fait, elle ne méritait<br />

pas plus tle fidélité. Jamais femme n 9 eut plus <strong>de</strong> dis*<br />

position à tourmenter, à désespérer «a amant; et<br />

jamais amant ne parut si malheureux et ne se p<strong>la</strong>ignît<br />

tant que Properoe. C'est même ce qui répand le<br />

plus d'intérêt dans ses ouvrages ; car aa sait que<br />

ries s'intéresse tant que <strong>la</strong> peinture <strong>du</strong> maltteer.<br />

On p<strong>la</strong>int d'autant plus Properoe, qu'après a?aîr<br />

liïaa reproché à sa maltresse ses <strong>du</strong>retés, ses hauteurs<br />

, ses caprices, il <strong>la</strong>it toujours par une entière<br />

résignation : il murmure contre le joug : mais le<br />

joug lui est toujours cher, et il ? eut le porter toute<br />

aa Yie. 11 paraît que, malgré l'inconstance <strong>de</strong> ms<br />

goûts, il avait aa penchant décidé pour Cynthia,<br />

et re?osait toujours à elle comme malgré lui. C'est<br />

une alternante <strong>de</strong> louanges et d'injures qui peint<br />

au naturel les différentes impressions qu'il éprouvait<br />

tour à tour. Tantôt il <strong>la</strong> représente comme<br />

plus Mie que toutes les déesses ; tantôt il f âfcrtlt<br />

<strong>de</strong> ne pas se croira si belle, parce qu'il lui a plu <strong>de</strong><br />

l'embellir dans ses vers, et <strong>de</strong> vanter f éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> son<br />

teint, quoiqu'il sût fort bien que cet éc<strong>la</strong>t n'était<br />

qu'emprunté. Ici, il lui attribue toute <strong>la</strong> fraîcheur<br />

<strong>de</strong>là jeunesse; ailleurs il lui dît qu'elle est déjà vieille.<br />

Enfin, après cinq ans, il perd patience, il rompt<br />

m chaîne, et ses adieux sont <strong>de</strong>s imprécations dans<br />

toutes les formes ; ce qui fait douter que cette chaîne<br />

soit en effet bien rompue, car l'indifférence n'est<br />

pas si colère. Aussi, après ces adieux solennels qui<br />

finissent le troisième litre, on toit dans le quatrième<br />

reparaître Cynthia, qui, toujours assurée<br />

<strong>de</strong> son pouvoir, tient chercher son esc<strong>la</strong>ve dans une<br />

maison <strong>de</strong> campagne, où il soupait avec <strong>de</strong>ux <strong>de</strong><br />

ses rivales. Elle est si furieuse et si terrible, qu'à<br />

son aspect les <strong>de</strong>ux compagnes <strong>de</strong> Properjse commencent<br />

par prendre <strong>la</strong> fuite, et le <strong>la</strong>issent tout<br />

seul vi<strong>de</strong>r <strong>la</strong> querelle, Cynthia, après l'avoir bien<br />

battu, consent à lui pardonner, à condition qu'il<br />

chassera l'esc<strong>la</strong>ve qui s'est mêlé d'arranger cette<br />

partie <strong>de</strong> campagne; qu'il ne se promènera jamais<br />

sous le portique <strong>de</strong> Pompée, ren<strong>de</strong>x-jrous ordinaire<br />

<strong>de</strong>s femmes romaines, qu'il s'ira point dans les rues<br />

es litière découverte, et qu'au spectacle il aura les<br />

yeux baissés. On voit qu'elle le connaissait bien 9<br />

et qu'elle savait <strong>de</strong> quoi il était capable. Properce<br />

se soumet à tout, et détient plus amoureux que<br />

jamais : et pois fiei-vous aux imprécations et aux<br />

ruptures!<br />

TmuixB. — Tibulle a moins <strong>de</strong> feu que Properec;<br />

mais il est plus tendre, plus délicat : c'est<br />

176<br />

• le poète <strong>du</strong> sentiment. 11 est surtout, comme écrivain,<br />

supérieur à tous ses rivaux. Son style est<br />

d'une élégance exquise, son goût est pur, sa com­<br />

position irréprochable. 11 a un charme d'expression<br />

qu'aucune tra<strong>du</strong>ction ne peut rendre, et il ne peut<br />

être bien senti que par le cœur. Une harmonie délicieuse<br />

porte au fond <strong>de</strong> l'âme les impressions les<br />

plus douces : c'est le livre <strong>de</strong>s amants. Il a <strong>de</strong> plus<br />

ce goût pour <strong>la</strong> campagne, qui s'accor<strong>de</strong> si bien<br />

avec l'amour; car <strong>la</strong> nature est toujours plus belle<br />

quand on n'y toit qu'un seul objet. Chaulieu,<br />

le disciple d'Ovi<strong>de</strong> et le chantre <strong>de</strong> l'inconstance,<br />

parle ainsi <strong>de</strong> Tibulle dans une épftre à l'abbé<br />

Ccartia :<br />

0?l«ie, cpie je pris pour maître f<br />

If apprit qui! faut être fripon.<br />

Ahbé, c'est le seul mmym d'être<br />

Autant aimé qm M Masoe.<br />

Pour TUNiUe, IS était il 1MM f<br />

Que Je croit qult «mit àû nattes<br />

"• Sar tarifât» <strong>de</strong> lignon, .<br />

Et qu'on l'eut p<strong>la</strong>cé là, pesi-étn,<br />

Entra IJJM et Cé<strong>la</strong>don.<br />

Au surplus, il ne serait pas juste d'exiger, dans <strong>de</strong>s<br />

poésies amoureuses, cette usité d'objet nécessaire à<br />

l'intérêt d'us roman. Tibulle lui-même, -amoureux<br />

<strong>de</strong> si bonne fol , a chanté plus d'une maîtresse. 11 parait<br />

que Délie eut ses premières inclinations, et c'est<br />

elle qui lui a inspiré ses meilleures pièces. Méaaésli<br />

et Nééra <strong>la</strong> remp<strong>la</strong>cèrent tour à tour. Et qui sait,<br />

après-tout, si c'était Tibulle qui avait tort? 11 est<br />

sûr au moins que celles qu'il aima conservèrent <strong>de</strong><br />

lui un souvenir bien cher, puisque nous apprenons<br />

<strong>de</strong> ses contemporains que Délie et Némésis, qui lui<br />

survécurent (car sa mort fut prématurée), suivirent<br />

ses funérailles, et avec toutes les marques <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

douleur. C'étaient pourtant <strong>de</strong>s courtisanes, mais on<br />

sait qu'à Rome et à Athènes il y a eu <strong>de</strong>s femmes <strong>de</strong> -<br />

cette condition qui tenaient un rang très-distingué<br />

par leur esprit, leurs talents, et le choix <strong>de</strong> leur société;<br />

et sans doute les maîtresses d'un homme tel<br />

que Tibulle n'étalent pas <strong>de</strong>s femmes ordinaires.<br />

Je ne dirai rien <strong>de</strong> Gajlus, plus cossu par ses liaisons<br />

avec les plus beaux -esprits ée son temps, et<br />

par les beaux vers <strong>de</strong> Virgile, que par ceux qu'il<br />

nous a <strong>la</strong>issés: Qa<strong>la</strong>tiliea lui reproche use versifier<br />

tion <strong>du</strong>re, et les fragments que nous en avons justifient<br />

ce jugement ». C'est à Tibulle qu'il es faut<br />

revenir; c'est lui qu'il faut relire quand on a<strong>la</strong>an<br />

c'est en le lisant qu'on se dit : Heureux l'homme<br />

1 ncgtdlflleUe#eiiJiipr;earllii0 mns nste tpaia vet*<br />

es Câlina, et <strong>la</strong> vefct, tel que VIMaa 8etMrtst VaeUéi<br />

Un® tri furet 4§vàêii smm âwm.<br />

m les attribue à un écrivain bmtmmf mmmd Maxim!»!,


176<br />

C0U1S DE LITT1EATU1E.<br />

d'une imagioatioQ tendre et flexible, qui joint au<br />

goût <strong>de</strong>s voluptés délicates le talent <strong>de</strong> les retracer,<br />

qui occupe ses heures <strong>de</strong> loisir à peindre ses moments<br />

d'ivresse, et arrive à <strong>la</strong> gloire en chantant<br />

ses p<strong>la</strong>isirs! C'est pour Sui que le travail <strong>de</strong> pro<strong>du</strong>ire<br />

<strong>de</strong>vient une nouvelle jouissance. Pour parler à<br />

notre âme, il n'a besoin que <strong>de</strong> répandre <strong>la</strong> sienne.<br />

11 nous associe à son bonheur en nous racontant ses<br />

illusions et ses souvenirs; et ses chants, pleins <strong>de</strong>s<br />

douceurs <strong>de</strong> sa vie; ses chants, qui ne semb<strong>la</strong>ient<br />

faits que pour l'amour qui repose, ou pour l'oreille<br />

<strong>de</strong> Famitié confi<strong>de</strong>nte, sont enten<strong>du</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière<br />

postérité.<br />

Quelque difficulté qu'il y ait à tra<strong>du</strong>ire Tibulie,<br />

je n'ai pu résister au p<strong>la</strong>isir d'en essayer <strong>du</strong> moins<br />

une imitation : j'ai choisi <strong>la</strong> première élégie, selon<br />

moi, <strong>la</strong> meilleure <strong>de</strong> toutes. ^<br />

Qu'un antre, poursuivant <strong>la</strong> gloire et <strong>la</strong> fortune,<br />

Troublé d'une craints importune,<br />

Empoisonne sa vie et trouble son sommeil;<br />

Que, dévouant à Mars sa péelMe carrière t<br />

La trompette sinistre et le cri <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre<br />

Retentissent à son réveil ;<br />

Pour mot,


DISCOURS SUE U STYLE DES PROPHÈTES<br />

ET L'ESPRIT DES LITRES SAINTS.<br />

ANCIENS. — POÉSIE.<br />

«s Mâinis m BB8 ffcôPBÉntSj COHSUIEIéS H'âBOUD<br />

s POÉSIE.<br />

Quand les poèmes <strong>de</strong> Moïse, <strong>de</strong> David, d'Isaîe, et<br />

<strong>de</strong>s autres prophète, ne nous auraient été transmis<br />

que comme <strong>de</strong>s pro<strong>du</strong>ctions purement humaines,<br />

ils seraient encore , par leur originalité et leur antiquité,<br />

dignes


178<br />

vous verrez ce qu'il <strong>de</strong>viendra. On m souvient encore<br />

combien tous les gens <strong>de</strong> lettres <strong>de</strong> <strong>de</strong>rnier<br />

siècle se moquèrent <strong>de</strong> Perrault, qui, se sachant<br />

pas un mot <strong>de</strong> grec, vou<strong>la</strong>it absolument qu'on jugeât<br />

Piudare sur us p<strong>la</strong>t français tra<strong>du</strong>it d'un p<strong>la</strong>t<br />

<strong>la</strong>tin •. Quoi <strong>de</strong> plus loepïe t es effet, que déjuger une<br />

poésie grecque sur le <strong>la</strong>tin littéral d'un seoî<strong>la</strong>ste;<br />

et comment un tiomme tel que Voltaire 9 qui avait<br />

tant <strong>de</strong> fois bafoué ce genre d'ineptie dans les censeurs<br />

<strong>de</strong> l'antiquité, en fait-il lui-même le principe<br />

<strong>de</strong> sa critique <strong>de</strong>s livres saints, au risque <strong>de</strong> faire<br />

rire tous les lecteurs instruits? C'est que <strong>la</strong> haine<br />

ne voit rien que son but, qui est <strong>de</strong> se satisfaire et<br />

<strong>de</strong> tromper. On a beau lui crier : Mais tu ne tromperas<br />

que les sots et les ignorants. Elle répond :<br />

Que m'importe, n'est-ce pas le grand nombre?<br />

Enfin, <strong>de</strong>puis quand <strong>la</strong> parodie, dont l'objet n'est<br />

que <strong>de</strong> divertir, est-elle une métho<strong>de</strong> pour juger ?<br />

Voltaire jetait les hauts cris quand on parodiait ses<br />

tragédies : il n'a pas assez d'expressions pour faire<br />

sentir combien c'est un genre détestable, l'ennemi<br />

<strong>du</strong> génie et le scandale <strong>du</strong> goût; et il est très-vrai<br />

que ce qu'il y a <strong>de</strong> plus, sublime est précisément ce<br />

qui prête le plus au p<strong>la</strong>isant <strong>de</strong> <strong>la</strong> parodie, comme<br />

les taches marquent davantage sur l'étoffe <strong>la</strong> plus<br />

riche et sur <strong>la</strong> couleur <strong>la</strong> plus bril<strong>la</strong>nte. Voltaire le<br />

savait mieux que personne, et il fait le drame <strong>de</strong><br />

Sufii, où il parodie, entre autres choses, <strong>la</strong> manière<br />

dont le prophète Nathan arrache à David l'aveu et<br />

<strong>la</strong> condamnation <strong>de</strong> son crime, et le force <strong>de</strong> prononcer<br />

lui-même sa sentence; c'est-à-dire que Voltaire<br />

livre au ridicule ce qui, eo tout temps et en<br />

tout pays, indépendamment <strong>de</strong> toute croyance religieuse,<br />

frappera d'admiration sous tous les rapports.<br />

Faites prononcer <strong>de</strong>vant les hommes rassemblés,<br />

quelque part que ce soit, ces mots si simples et si<br />

foudroyants : Tu es Ule vir,<br />

« ?oas êtes cet homme, »<br />

et tout retentira d'acc<strong>la</strong>mations. Je voudrais bien<br />

qu'on me dit ce qu'il peut y avoir <strong>de</strong> mérite et d'es-<br />

1 11 fut asseï ma<strong>la</strong>droit pour choisir précisément un morce<strong>la</strong><br />

sublime, le début <strong>de</strong> <strong>la</strong> première pytbique,, qu'il trouvait<br />

extrêmement ridicule; et ffest à lui que le ridicule est<br />

lesté. II avait îm, dans un <strong>la</strong>tte fait pour <strong>de</strong>s écoliers, epièmwm<br />

qmâem aqua, et i! tra<strong>du</strong>it <strong>de</strong> même, feau e$î trèsè&mm<br />

à te vériié. li m <strong>la</strong>vait pas que te mot grec offre tel<br />

ridée <strong>de</strong> l'eau élément ; que celui qui répond au tante optimum<br />

n'eiprlme pote! ici U bonté, mais <strong>la</strong> prééminence ; que<br />

là parlleule grecque qui répond à qui<strong>de</strong>ms et qu'il tra<strong>du</strong>it<br />

é <strong>la</strong>wénté, s'est qu'une explétlve qui marque à l'esprit forcire<br />

<strong>de</strong>s idées, et qui souvent ne doit pas se tra<strong>du</strong>ire, surtout<br />

par ces mots, à fa vérité, qui feraient tomber parmi<br />

nous le ters d'ailleurs Se plus sublime. Que <strong>de</strong> choses tiennent<br />

au génie d'une <strong>la</strong>ngue , et qui défen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> Juger, à<br />

moins <strong>de</strong> <strong>la</strong> satolrl<br />

Et voilà ce que fait ngaocaaee.<br />

(LA FcnfTàïsaJ<br />

C0U1S DE L1TTÉ1ÀTDEE.<br />

prit à trou?er ce<strong>la</strong> risible 9 et je suis sûr qu'aujourd'hui<br />

même personne ne me le dira. Et qu'aurait<br />

dit Voltaire, si Fou avait jugé Zaïre sur <strong>la</strong> parodie<br />

<strong>de</strong>s Enfants trouvés, et Awdrwmqm sur <strong>la</strong> folie<br />

Querellé! C'est pourtant m qu'il faisait et ce qu'il<br />

vou<strong>la</strong>it qu'on fît pour David ; et David lui aurait<br />

suffisamment répon<strong>du</strong>, par m mot si connu d'un<br />

<strong>de</strong> ses psaumes : MtmtUa estimiqwtm sM9<br />

* L'iniquité i menti contre êUemême. »<br />

11 savait bien nous dire, quand il voulut justifier<br />

son 1 Cantique <strong>de</strong>s CanHqves, contre l'autorité qui<br />

l'avait condamné f<br />

« Qu'il ne fal<strong>la</strong>it pas juger <strong>de</strong>s mœurs <strong>de</strong>s Orientaux par<br />

les nôtres 9 ni <strong>de</strong> <strong>la</strong> simplicité <strong>de</strong>s premiers séries par<br />

Sa eorrnptinn raffinée <strong>de</strong> nos temps mo<strong>de</strong>rnes; que SUS<br />

petites vanités9 neapetltes bienséances hypocrites, Re<strong>la</strong>ient<br />

pas connues à Jérusalem, et qu'on pensait et qu'on s'exprimait<br />

autrement à Jérosalem que dans <strong>la</strong> rue Saint-<br />

André <strong>de</strong>s Arci \ »<br />

Rien n'est plus vrai ni plus juste. Pourquoi <strong>du</strong>ne<br />

©ublle-t-il cette vérité et cette justice quand il juge<br />

l'original, lui qui les réc<strong>la</strong>me pour une imitation,<br />

et une imitation très-infidèle ?<br />

11 appelle un <strong>de</strong>s plus beaux psaumes (le soixanteseptième,<br />

Exsurgat Dem) urne ckamm <strong>de</strong> mrps<br />

<strong>de</strong> gar<strong>de</strong>. Quel ton et quel <strong>la</strong>ngage! Ce psaume fut<br />

composé par David, lorsqu'il it transporter rarche<br />

sur <strong>la</strong> <strong>mont</strong>agne <strong>de</strong> Siony où le temple <strong>de</strong>vait être<br />

bâti. La pompe lyrique <strong>de</strong> cette o<strong>de</strong> répond à celle<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> cérémonie, qui fut aussi auguste qu'elle <strong>de</strong>vait<br />

l'être. On lira ce psaume dans l'office <strong>du</strong> jeudi ; mais<br />

je mettrai ici en avant quelques traits <strong>de</strong> cette cksmson<br />

<strong>de</strong> corps <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>; et tous cetii qui se eonnaissent<br />

en esprit poétique, et qui ont l'idée <strong>de</strong>s formes<br />

<strong>de</strong> l'o<strong>de</strong>, jugeront si tfa ne les trouve pas mêtm<br />

dans une prose fidèle, malgré <strong>la</strong> prodigieuse distance<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> prose au <strong>la</strong>ngage mesuré.<br />

« Chantez Dieu, chantox son nom sur vos instruments;<br />

préparez k route à celui qui <strong>mont</strong>e au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux.<br />

Son nom est le Seigneur : réjouisses-vous en sa présence;<br />

mais que les méchants tremblent à k vue <strong>du</strong> père <strong>de</strong>s<br />

orphelins et <strong>du</strong> défenseur <strong>de</strong>s ventes.... Dieu mettra sa<br />

parole dans k bouche <strong>de</strong>s hérauts chargés <strong>de</strong> l'annoncer,<br />

et cette parole est puissante.... La <strong>mont</strong>agne <strong>de</strong> Dieu 3 est<br />

fertile. Pourquoi regaî<strong>de</strong>a*voiis à k fertilité <strong>de</strong>s astres<br />

1 On peut bien dire mm e&ntiqœ; car « n'est pas «lui et<br />

Salomon.<br />

* Ce sont là à peu près, autant fnlt m'es soutient, tes<br />

termes <strong>de</strong> sa Lettre à M. ei&epiim, et c'en est tres-eertaJnement<br />

<strong>la</strong> suhstae.ee, ftiolfoe je ne puisse citer fd que <strong>de</strong><br />

mémoire, n'ayant point <strong>de</strong> litres soos mes yeuz, et oëftgé<br />

souvent <strong>de</strong> travailler sus litres. C'est mon excuse, cramai<br />

mes citations ne seront pas tout à fait esactes dans les amis,;<br />

mais je garantis les choses. ~<br />

* Cest le nom qu'on donnait à <strong>la</strong> <strong>mont</strong>asse <strong>de</strong> Mon.


noiit^Deft ? ¥ en i-t»§i cafta» telle <strong>de</strong> Sion ? C'est là que<br />

le Sapieer m pail<strong>la</strong> flyra sa <strong>de</strong>meure; c'est là qu'il a<br />

ixé son séjour à Jamais,... La char <strong>de</strong> Dieu jast porté sur<br />

<strong>de</strong>s ramiers d'anges qui chantent <strong>de</strong>s cantiques <strong>de</strong> joie : le<br />

Seigneur est là dans saa sanctuaire, comme sur les sommets<br />

<strong>de</strong> Sinal.... O Dieu! votre peuple a vu votre marche;<br />

fl a YO h marche <strong>de</strong> mon Dieu, <strong>de</strong> mon roi, qui habite dans<br />

le Saint <strong>de</strong>s saints. Les princes <strong>de</strong>s tribus s'avançaient les<br />

premiers, suffis <strong>de</strong>s chantres avec leurs instruments , et<br />

<strong>de</strong>s jeunes vierges avec leurs tambours; Us chantaient :<br />

<strong>la</strong>Masaf le Seigneur.... Là était Se jeune Benjamin dans<br />

l'ei<strong>la</strong>te <strong>de</strong> <strong>la</strong> joie; les prisées <strong>de</strong> Isda, I <strong>la</strong> tête <strong>de</strong><br />

tons, etc. »<br />

Le poëte ne met-il pas <strong>de</strong>vant vos yeux toute <strong>la</strong><br />

marehc rdigenserToiit n'est-il pas en mouvement<br />

dans le style comme dans <strong>la</strong> fête? Dieu n'est-il pas<br />

lui-même au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> cérémonie? Le poète ne<br />

1*? a-t-il pas transporté ? Et cette toiirnore , qui est<br />

si fort dans le goût <strong>de</strong>s anciens,<br />

« Les princes <strong>de</strong>s tribus s'a?aaea<strong>la</strong>af les premiers ! »<br />

cette manière <strong>de</strong> mettre au passé ce qui est au présent,<br />

comme si le poète par<strong>la</strong>it déjà dans <strong>la</strong> posté*<br />

rite et <strong>la</strong> représentait ! Bientôt il s'adresse à Dieu, et<br />

les igeres sont également hardies et animées, soit<br />

dans <strong>la</strong> pensée, soit dans l'expression.<br />

« Conman<strong>de</strong>i à votre puissance d'être avec nous ; épouvanta<br />

les bêtes fclrocet <strong>de</strong>s roseaux <strong>du</strong> KM ( tes Égyptiens),<br />

les puissances qui viennent nous écraser sous leurs chars<br />

aux roues d'argent; repousset les peuples qui veulent <strong>la</strong><br />

guerre, et il viendra <strong>de</strong>s envoyés d'Egypte; FÉthiopie<br />

étendra ses maies vers le Seigneur, etc. »<br />

L'o<strong>de</strong> a-t-elle un é<strong>la</strong>n plus rapi<strong>de</strong>? Deman<strong>de</strong>z aai<br />

Pindare, aux Horace, aui Malherbe, au Rousseau,<br />

s'ils désireraient antre chose dans un chant d'inaugnration,<br />

et s'ils voudraient être autrement inspirés.<br />

Sans doute il manque ici le charme <strong>de</strong> l'harmonie,<br />

qui est le premier pour f effet universel ; mais<br />

je parle à ceux qui connaissent le genre et fart, et qui<br />

sont en état <strong>de</strong> juger un poème ré<strong>du</strong>it en prose,<br />

disjmU membra poetm, comme dit Horace : qu'ils<br />

disent si <strong>la</strong> poésie, quoique toute décomposée, ne<br />

résiste pas à cette épreuve, <strong>la</strong> plus périlleuse <strong>de</strong><br />

toutes?<br />

— Mais pourquoi donc Yoltaire n f a-t-il vu là<br />

qu'une chanson <strong>de</strong> corps <strong>de</strong> garée t<br />

Cest que lui-même en a fait une sur us verset <strong>de</strong><br />

ce psaume, précisément comme Scarron fait sept<br />

ou huit vers <strong>de</strong> parodie sur un vers <strong>de</strong> Virgile.<br />

Ayes soin, ma chers amis,<br />

De prendra tous les petits<br />

Encore à <strong>la</strong> mamelle,<br />

font éeraserei leur cervelle<br />

Contre Se mur <strong>de</strong> Pinidèle,<br />

El tes chiens s'engraisseront<br />

De ce sang qu'Us lécheront.<br />

ANCIENS. • - POESIE. 179<br />

Il était si ekmmé <strong>de</strong> ce peMi wmrœm, que je<br />

le lui ai enten<strong>du</strong> chanter pendant trois mois. Yoiei<br />

maintenant le texte <strong>de</strong> David ;<br />

« Le Seigneur a dit : J'enlèverai mes ennemis <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre<br />

<strong>de</strong> Basan 9 et je les précipiterai dans l'abîme ; et toi, mon<br />

peuple, tes pieds seront teints <strong>du</strong> sangle tes oppresseurs,<br />

et les chiens lécheront ce sang. »<br />

Racine n'a pas eu <strong>la</strong> même horreur <strong>de</strong> ces chiens<br />

et <strong>de</strong> ce sang, et en a tiré ces vers d'AthoMe, admirables<br />

partout et toujours app<strong>la</strong>udis :<br />

Bas <strong>la</strong>mbeaux pleins <strong>de</strong> sang k <strong>de</strong>s membres aUreux ,.<br />

Que <strong>de</strong>s chiens dévorants s@ disputaient entre eux.<br />

Qui croirait quecefût Voltaire qui logeât <strong>la</strong> muse<br />

<strong>de</strong> Racine au eorps <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>, par aversion pour<br />

celle <strong>de</strong> David ? Qui ne sait que ces images <strong>de</strong> vengeance<br />

et <strong>de</strong> carnage n'ont jamais déparé 1a poésie,<br />

et que le différent goût <strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngues ne fait que les "<br />

colorier diversement, sans toucher au fond? Et<br />

quand on se souvient qu'ici ces images prophétiques<br />

traçaient par avance <strong>la</strong> punition d'Achab et <strong>de</strong> Jésabel,<br />

à qui un prophète dit, après l'abominable<br />

meurtre <strong>de</strong> Naboth : En ce même endroit où tes<br />

chiens ont iécké le sang <strong>de</strong> votre victime, Us lècheroui<br />

votre sang et celui <strong>de</strong>s vôtres; quand on se<br />

rappelle que ce qu'il y a <strong>de</strong> terrible dans cet exemple<br />

et dans cette peinture n'a été employé que pour effrayer<br />

le crime, que reste-t-il à dire contre l'un et<br />

l'autre?<br />

Si l'on nous <strong>mont</strong>rait Virgile dans <strong>la</strong> version d'un<br />

écolier, pour nous donner une idée <strong>de</strong> Virgile; si<br />

Ton tra<strong>du</strong>isait ce vers, tiré<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription<strong>de</strong> l'Etna,<br />

ÂM&lUtque globoê^Mmmarwm, eietéem ImmMi,<br />

m il élève <strong>de</strong>s globes <strong>de</strong> f<strong>la</strong>mmes et lèche les mires % »<br />

est-ce Virgile qu'on nous aurait <strong>mont</strong>ré ? Cest pourtant<br />

ce que fait Voltaire <strong>de</strong> David : il tra<strong>du</strong>it ainsi,<br />

<strong>de</strong> ce même psaume 9 un passage qu'on vient <strong>de</strong> voir<br />

dans ce que j'ai cité :<br />

« La <strong>mont</strong>agne <strong>de</strong> Dieu est grosse : pourquoi regar<strong>de</strong>zvous<br />

les <strong>mont</strong>agnes grasses? »<br />

H feint*d'ignorer que le mot pinguis, qui en <strong>la</strong>tin<br />

est <strong>du</strong> style noble, signifie aussi himferiîk que<br />

gras ; mais il lui fal<strong>la</strong>it le mot gras et grasse pour<br />

faire rire. Le beau triomphe! Je sais bien que ceux<br />

qui aiment en lui son grand talent, mais non pas<br />

au point <strong>de</strong> se refuser à l'évi<strong>de</strong>nce, baisseront ici<br />

les yeux, et rougiront pour lui ; mais à qui <strong>la</strong> faute?<br />

1 Lsmbem (lécher) est, es <strong>la</strong>tin, aussi noble fae sonore;<br />

et <strong>la</strong> métaphore est Ici fidèlement pittoresque, parce que le<br />

mouvement <strong>de</strong> <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme Imite en effet celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue<br />

qui se courbe et se replie en léchant ¥ollà pourquoi Je<br />

vers est si beau en <strong>la</strong>tin. En français, le mot lécher est peu<br />

agréable, dSfletïe à faire entrer dans le style noble, et surtout<br />

impossible à Joindre Ici avec les mires, autre terme ligure<br />

pour dire le ciel Us équivalent est dose nécessaire,<br />

sans quoi vous rendrles ridicule ce qui est beau; c'est le cas<br />

ou <strong>la</strong> idéllté littérale est un mensonge.<br />

il.


180<br />

et qui aime plus fie moi son talent? mais <strong>la</strong> vérité<br />

est avant tout.<br />

11 eût été plus digne d'un homme si éc<strong>la</strong>iré <strong>de</strong> rechercher<br />

quels ont été et quels <strong>de</strong>vaient être naturellement<br />

les caractères <strong>de</strong> l'ancienne poésie hébraî que,<br />

et les rapports qu'elle <strong>de</strong>vait avoir avec le <strong>la</strong>ngage ,<br />

<strong>la</strong> religion et les «mœurs <strong>de</strong> ces temps reculés. Personne<br />

ne <strong>de</strong>vait nous apprendre mieux que lui que <strong>la</strong><br />

critique ne consistait pas à n'apprécier le génie antique<br />

que sur le goût mo<strong>de</strong>rne, mais à observer et reconnaître<br />

ce génie en lui-même, les procédés qu'il a<br />

suivis et dû suivre, et le genre <strong>de</strong> beauté qui en est<br />

résulté ; à discerner en quoi et pourquoi ces compositions<br />

<strong>de</strong>s premiers temps <strong>de</strong>vaient .différer <strong>de</strong>s nétrès,<br />

sans que <strong>la</strong> disparité fût une raison d'infério-<br />

. rite. C'estqu'ilfel<strong>la</strong>itappliquercegoûtvéritablement<br />

philosophique, qui sait démêler à chaque époque ce<br />

qui est conforme en soi aui notions essentielles <strong>du</strong><br />

beau, et ce qui ne tient qu'à <strong>de</strong>s convenances locales,<br />

à <strong>de</strong>s nuances particulières à chaque <strong>la</strong>ngue.; à <strong>de</strong>s<br />

délicatesses d'idiome ou d'opinion, qui sont <strong>de</strong>s lois<br />

dans tel temps et dans tel pays 9 et qui n'en sont<br />

pas ailleurs. C'est par <strong>de</strong> tels examens et <strong>de</strong> telles<br />

comparaisons que l'esprit s'enrichit, et que s'affermit<br />

le jugement ; et qui eût mieux réussi en ce genre<br />

que cet homme qui avait un talent singulier pour<br />

rendre l'instruction, et même l'érudition agréables?<br />

Il eût fait en <strong>littérature</strong> ce que Fontenelle a fait<br />

avec tant <strong>de</strong> gloire dans les sciences. Mais il lui a<br />

toujours manqué, même en critique purement littéraire,<br />

un fonds <strong>de</strong> solidité et d'équité, un accord<br />

«instant <strong>de</strong> vues générales : <strong>de</strong>ux choses incompatibles<br />

avec l'extrême vivacité <strong>de</strong> ses conceptions,- et<br />

<strong>la</strong> violence et <strong>la</strong> mobilité <strong>de</strong> ses passions.<br />

Je ne prétendrais point faire ce qu'il n'a pas fait,<br />

quand même f en aurais <strong>la</strong> faculté, parce que ce<br />

'm 9 mt pas ici le lieu <strong>de</strong> traiter à fond cette matière.<br />

Je me bornerai donc à indiquer en peu <strong>de</strong> mots ce<br />

•qui tient à mon objet, et eequ'il est nécessaire <strong>de</strong><br />

.considérer avant tout, pour évaluer les censures<br />

injustes répan<strong>du</strong>es contre Pouvrage que j'ai tra<strong>du</strong>it.<br />

La poésie <strong>de</strong>s Hébreux a généralement les caractères<br />

que <strong>du</strong>t avoir <strong>la</strong> poésie dans sa première origine<br />

•ehex tous les peuples qui Font cultivée. Née <strong>de</strong> l'imagination<br />

(car il ne s'agit pas encore <strong>de</strong> l'inspiration<br />

divine), elle est élevée, forte et hardie. Il est certain<br />

qu'elle était métrique; mais les Hébreux même<br />

ignorent aujourd'hui quelle était fa sature <strong>du</strong> mètre<br />

•Le mot <strong>de</strong> leur <strong>la</strong>ngue qui répond au carme* <strong>de</strong>s'<br />

.Latins, au vers <strong>de</strong>s Français, offre proprement l'idée<br />

d un dis<strong>cours</strong> coupé en phrases concises, et mesuré<br />

par <strong>de</strong>s intervalles distincts. Ce que nous appelons<br />

style poétique répond ches eux à un mot<br />

CODES DE UTTÉEATUML<br />

que les interprètes grecs ont ren<strong>du</strong> par celui <strong>de</strong> jMtrah<br />

bok9 c'est-à-dire un dis<strong>cours</strong> sentencieux et figuré,<br />

plus ou moins sublime, selon le sujet, mais toujours<br />

moral. Il tient <strong>de</strong> ce que nous appelons, parmi les<br />

igures <strong>de</strong> style, d'après les rhéteurs grecs, allégorie<br />

ou métaphore continuée : les psaumes en sont<br />

pleins.<br />

On sait d'ailleurs que l'allégorie est proprement<br />

l'esprit <strong>de</strong>s Orientaux, celui qui se <strong>mont</strong>re partout<br />

dans leurs écrits <strong>de</strong> tout genre, et même dans leur<br />

conversation, etcfcsf ee qui les a con<strong>du</strong>its à l'invention<br />

<strong>de</strong> l'apologue.<br />

U suffit <strong>de</strong> faire quelque attention à ce que nous<br />

nommons versets dans <strong>la</strong> Fuêgaie, pour y apercevoir<br />

à tout moment, malgré Téloignement <strong>de</strong> l'original<br />

, <strong>de</strong>s formes régulières et symétriques, qui paraissent<br />

y avoir été habituellement les mêmes. Le<br />

verset est d'ordinaire composé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux parties ou<br />

analogues ou opposées ; mais l'analogie estlieaucoup<br />

plus fréquente que l'opposition ». Ce procédé paraît<br />

fort simple; il peut tenir à <strong>de</strong>ux raisons : I e au rapport<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> phrase poétique avec <strong>la</strong> phrase musicale<br />

( car <strong>la</strong> musique et <strong>la</strong> poésiene se séparaient pas ), et<br />

les <strong>de</strong>ux phrases étaient alors également composées<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux parties; elles le sont quelquefois <strong>de</strong> trois,<br />

toujours avec le même air <strong>de</strong> symétrie; * à <strong>la</strong> sature<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue hébraïque. Ceux qui Font étudiée<br />

s'accor<strong>de</strong>nt à dire qu'elle n'a pas un grand nombre<br />

<strong>de</strong> mot», qu'elle a,peu <strong>de</strong> particules <strong>de</strong> liaison, <strong>de</strong><br />

transition, <strong>de</strong> modification s et que ses termes ont<br />

plus <strong>de</strong> <strong>la</strong>titu<strong>de</strong> indéfinie que <strong>de</strong> nuances marquées;<br />

ce qui prouve use sorte <strong>de</strong> pénurie dans l'idiome*<br />

et ce qui pro<strong>du</strong>it <strong>la</strong> difficulté dans <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction. Il<br />

en résulte aussi l'absence <strong>de</strong> ce style périodique qui<br />

nous charme dans les Grecs et les Latins. La pério<strong>de</strong>,<br />

en vers comme en prose, ne peut marcher qu'à<br />

l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> mobiles, qui <strong>la</strong> ren<strong>de</strong>nt aisée,<br />

nombreuse et variée. Ces mobiles sont dans les éiéments<strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> construction : ils paraissent masquer aux<br />

Hébreux, et nous-mêmes sommes inférieurs, enee<br />

point, aui Grecs et aux Latins, au moins pour <strong>la</strong><br />

diversité et l'effet <strong>de</strong>s moyens.<br />

H suit que, dans <strong>la</strong> diction <strong>de</strong>s Hébreux, lès phrases<br />

doivent être coupées, concises, et en général<br />

uniformes, et <strong>de</strong> là le style sentencieux ; que, dans<br />

^rjataaiïpie mÊAm pmi îmÊkm* ^ mmm mhsy<br />

iJOr^ZT** 9 ^ m§9 ****** mm§*mm mmeriamiimm<br />

tmm: T Si memndmm muitUmdmm mmmtmmm tarm.<br />

JX U ^ tam "* aè ****** «•*•' - * *m»m»\<br />

mmM*MtmtmeiiMtmper. •F^smm


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

leur poésie, les formes doivent être haMtiielleisieiit<br />

répétées et correspondantes , parée qu'ils ont cherché<br />

dans <strong>de</strong>s retours symétriques l'agrément qu'ils<br />

ne pouvaient trouver dans le nombre et là variété,<br />

comme nous-mêmes avons en re<strong>cours</strong> à <strong>la</strong> rime, au<br />

iéfaat d'une prosodie aussi accentuée que celle <strong>de</strong>s<br />

Gréa et <strong>de</strong>s Latins; et <strong>la</strong> rime n'est aussi qu'un genre<br />

<strong>de</strong> symétrie. De là encore, si <strong>la</strong> phrase <strong>de</strong>s Hébreu*<br />

est ©ose», leur style doit manquer souvent <strong>de</strong> précision,<br />

et les idées y sont repro<strong>de</strong>itesuvee <strong>de</strong>s différences<br />

légères, pour conserver le rapport <strong>de</strong>s formes.<br />

Mais il en arrive aussi que leur poésie est singulièrement<br />

animée et audacieuse, parce qu'ils substituent<br />

les mouvements aux liaisons qu'ils n'ont pas ; que leur<br />

«pression est très énergique, ne pouvant guère<br />

être nuancée; que chez eut <strong>la</strong> métaphore est plus<br />

bardieque partout ailleurs, parce que les figures<br />

sont un besoin dans une <strong>la</strong>ngue pauvre f au lieu<br />

qu'elles sont un ornement dans une <strong>la</strong>ngue riche.<br />

Ce que nous rendons par <strong>de</strong>s termes abstraits, ils<br />

répriment le plus souvent par <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions physiques<br />

; et c'est surtout ce défaut <strong>de</strong> mots abstraits<br />

qui Eût que, chez eui, presque tout est image, emblème,<br />

allégorie. Rien ne prouve mieux cette vérité,<br />

qui n'est bien enten<strong>du</strong>e que <strong>de</strong>s hommes très-instraits,<br />

que le génie <strong>du</strong> style et <strong>de</strong>s écrivains est naturellement<br />

modifié par celui <strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngues, et que les<br />

différentes beautés <strong>de</strong>s pro<strong>du</strong>ctions <strong>de</strong>s différents<br />

peuples dépen<strong>de</strong>nt non-seulement <strong>de</strong> ce que leur<br />

donne leur idiome, mais mime <strong>de</strong> ce qu'il leur refuse.<br />

11 est dans le progrès <strong>de</strong>s choses que les <strong>la</strong>ngues<br />

qui se sont formées dans <strong>la</strong> succession <strong>de</strong>s temps,<br />

dm <strong>de</strong>s peuples favorisés par <strong>la</strong> nature et le climat,<br />

tels que les Grecs et les Latins, aient été beaucoup<br />

plus abondantes que celles <strong>de</strong>s premiers siècles, en<br />

tout ce qui appartient aux idées ml s tes f aux modiieatiôas<br />

<strong>du</strong> dis<strong>cours</strong>, au raffinement <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée,<br />

fin suit celui <strong>de</strong>s moeurs et <strong>de</strong>s usages. C'est <strong>de</strong> tout<br />

ce<strong>la</strong> que su forme le ini <strong>de</strong> <strong>la</strong> composition dans les<br />

détails; mais rien ne serait plus déraisonnable que<br />

<strong>de</strong> l'exiger <strong>de</strong>s ouvrages nés dans les âges antiques.<br />

11 ne fendrait pas même l'y désirer; car ce qu'ils ont<br />

et plus précieux est précisément cette beauté primitive<br />

et inculte qu'on aime à rencontrer dans les<br />

oeuvres <strong>de</strong> l'esprit humain, aux époques les plus<br />

lointaines, et qui se passe très-bien <strong>de</strong> l'élégance <strong>de</strong>s<br />

parures mo<strong>de</strong>rnes : celles! est un mérite, sans doute,<br />

mais pour nous seuls, et n'était pas us <strong>de</strong>voir il y<br />

a trois mille ans.<br />

Or, ce genre <strong>de</strong> beauté, d'autant plus remarquable<br />

qu'il est absolument le même à <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s distances,<br />

<strong>de</strong> Job à Moïse, <strong>de</strong> Moïse à David, et <strong>de</strong><br />

David à lsaïcs est encore si réel et si éminent, que<br />

181<br />

nos plus habiles tersîlcatemrs ont mis beaucoup<br />

«fart et <strong>de</strong> travail à_s'en rapprocher, et ne l'ont pas<br />

toujours égalé. Que d'essais n'a-t-on pas faits en m<br />

genre sur les Psaumes! Et le seul Rousseau peut<br />

soutenir habituellement <strong>la</strong> comparaison, et pas toujours.<br />

Je n'en voudrais pour preuve que le psaume<br />

CœM enarrant. Il est vrai que, dans <strong>la</strong> première*<br />

strophe, Rousseau s'est beaucoup trop <strong>la</strong>issé aller<br />

à <strong>la</strong> paraphrase; mais, fût-elle meilleure, elle vaudrait<br />

difficilement ce premier verset :<br />

« Les c«aa racontent <strong>la</strong> g<strong>la</strong>ire <strong>de</strong> Interne! 9 et le firmament<br />

annonce l'ouvrage <strong>de</strong> tes mains, *<br />

Quelle majestueuse' simplicité! et combien en est<br />

loin ce commencement, malgré toute l'élégance <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux vers!<br />

Las c<strong>la</strong>ns Inslralsenl <strong>la</strong> terre<br />

À revérer km auteur.<br />

B'Alembert, qui là-<strong>de</strong>ssus n'était pas suspect <strong>de</strong><br />

prévention, regrette <strong>la</strong> touchante naïveté <strong>du</strong> cantique<br />

d'Éiéchias jusque dans cette immortelle imitation<br />

qu'en a faite Rousseau, dont cette o<strong>de</strong> est peutêtre<br />

<strong>la</strong> plus parfaite» Je crois que d f Alembert avait<br />

raison en un sens; mais peut-être ne sentait-tl pas<br />

assez l'harmonie enchanteresse <strong>du</strong> cantique français :<br />

elle est telle, qu'on peut <strong>la</strong> mettre en compensation<br />

pour tout le reste; et il faut tenir compte <strong>de</strong> ces<br />

sortes d'équivalents, quand il n'est pas possible <strong>de</strong><br />

trouver dans sa <strong>la</strong>ngue <strong>la</strong> même espèce <strong>de</strong> mérite que<br />

dans f original ; et je suis convaincu qu'on ne le peut<br />

pas.<br />

Racine ne s*esl élevé si haut, au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> tous les<br />

poètes français, dans Esther et dans AWmUe9 que<br />

parce qu'il y a fon<strong>du</strong> <strong>la</strong> substance et l'esprit <strong>de</strong>s livres<br />

saints, plutôt qu'il n'en a essayé <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction.<br />

C'est vraiment un coup <strong>de</strong> maître; car il a su échapper<br />

ainsi au parallèle exact, et il est <strong>de</strong>venu pour<br />

nous original. C'est un prophète d'Israël qui écrit<br />

en français; aussi n'avons-nous rien <strong>de</strong> comparable<br />

au style û'Ettker et i'Jéka&e, Mais quand il tra<strong>du</strong>it<br />

expressément un passage distinct, alors Racine luimême<br />

, tout Racine qu'il est, reste quelquefois au*<br />

<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> David. En voici <strong>la</strong> preuve :<br />

Fa! YH l'Impie adoré sur Sa terre ;<br />

Pareil au eèdn, il cachait dans les fient<br />

Son front audacieux. *<br />

Il eemb<strong>la</strong>it à ion gré gtmvemm le tonnerre,<br />

Fou<strong>la</strong>it aux pieds tes ennemis vairens :<br />

le n'ai fait que passer, I n'était ié|à plus.<br />

Certes f le poëte a fait ici ce qu'il y avait <strong>de</strong> mieux à<br />

faire : il a eu re<strong>cours</strong> à <strong>la</strong> richesse et I Fédat <strong>de</strong><br />

ta plus magnifique paraphrase 9 dans l'impossibilité<br />

d'égaler <strong>la</strong> sublime concision <strong>de</strong> l'original. Maïs enf<strong>la</strong>,<br />

mettes ces beaux vers en comparaison avec le


181 ' CODES DE LITTÉRATUIE.<br />

verset <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vuigate, fidèlement ren<strong>du</strong> en prose :<br />

« J'ai 7ii l'Impie élevé dans <strong>la</strong> gloire, haut comme les<br />

cèdres <strong>du</strong> Liban ; j'ai passé , et il n'était plus. »<br />

11 n'y a personne qui ne donne <strong>la</strong> palme à l'original<br />

par us cri d'admiration. Les vers <strong>de</strong> Raclée sont <strong>de</strong><br />

l'or parfilé ; mais le Magot est ici. . '<br />

On doit bien s'attendre que mon <strong>de</strong>ssein n'est pas<br />

d'énuraérer les beautés sans nombre répan<strong>du</strong>es dans<br />

les Psaumes : le commentaire excé<strong>de</strong>rait le texte; mais<br />

je ne crois passer aucune mesure en rappe<strong>la</strong>nt <strong>du</strong><br />

moins quelques endroits marqués par différents genres<br />

<strong>de</strong> beauté.<br />

Mouvements f images , sentiments 9 figures, ? oilà ,<br />

sans contredit, l'essence <strong>de</strong> toute poésie. Bous ne<br />

pouvons pas parler ici <strong>du</strong> nombre , qui t chez les<br />

Hébreux , nous est inconnu. Yoyons ce qui s'offre à<br />

nous dans tout le res|e*<br />

Voltaire s'est beaucoup moqué <strong>de</strong> 17m exUu k<br />

cause <strong>de</strong>s <strong>mont</strong>agnes et <strong>de</strong>s coJMms comparées aux<br />

èétiers et aux agneaux. Il aurait pu se moquer <strong>de</strong><br />

même, et avec aussi peu <strong>de</strong> raison que <strong>la</strong> Moitié et<br />

Perrault, <strong>du</strong> carnage que fait un guerrier dans les<br />

bataillons qui plient , comparé, dans i'Ilia<strong>de</strong> f au ravage<br />

que fait un âne lâché dans un champ <strong>de</strong> blé. Il<br />

n'en est pas moins vrai que si ks âmes, ks béliers<br />

et ks agneaux, etc. 9 ne sonnent pas noblement à<br />

notre oreille, il ne s'ensuit pas qu'il en fût <strong>de</strong> même<br />

chez les Grecs et les Hébreux f ni même chez les Latins,<br />

puisque le goût sévère <strong>de</strong> Yirgile ne lui défend<br />

pas d'assimiler les agitations <strong>de</strong> <strong>la</strong> reine Amate,<br />

tourmentée par Alecton, au mouvement d'un sabot<br />

sous le fouet <strong>de</strong>s enfants. Il n'est pas moins vrai non<br />

plus que les secousses <strong>de</strong>s <strong>mont</strong>agnes et <strong>de</strong>s collines,<br />

ébranlées par un violent tremblement <strong>de</strong> terre, sont<br />

idèlement représentées par les bondissements d'un<br />

troupeau ; et <strong>de</strong> là même cette expression reçue chez<br />

les marins, ta tuer moui&nm, pour dire qu'elle est<br />

agitée. Laissons donc ces nuances <strong>du</strong> <strong>la</strong>ngage, qui<br />

ne déci<strong>de</strong>nt rien d'un peuple à un autre., et voyons<br />

si, dans <strong>la</strong> marche <strong>de</strong> l'o<strong>de</strong>, il y a quelque chose <strong>de</strong><br />

plus beau que ce même commencement <strong>du</strong> psaume,<br />

dont le sujet est k sortie d'Egypte et les prodiges<br />

qui raccompagnèrent. Songez surtout que vous jugez<br />

un poète mis en prose * dans une <strong>la</strong>ngue étrangère<br />

, et voyons si, dans cette épreuve même, il doit<br />

craindre le jugement <strong>de</strong>s connaisseurs. " .<br />

« Lorsque Israël sortit <strong>de</strong> l'Egypte, et Jacob <strong>du</strong> milieu<br />

<strong>du</strong>s peuple barbare , <strong>la</strong> Judée <strong>de</strong>vint te sanctuaire <strong>du</strong><br />

Seigneur, Israël fut le peuple <strong>de</strong> sa puissance.<br />

« La mer le vit et s'enfuit; k Jourdain re<strong>mont</strong>a vers sa<br />

* La Harpe a tra<strong>du</strong>it ce psaume eu vers. Voyez à <strong>la</strong> fin<br />

<strong>du</strong> tome ix <strong>de</strong> ses Œuvres, édition <strong>de</strong> lS2ti.<br />

source. Les <strong>mont</strong>agnes bondirent comme le bâkry et ks<br />

collines comme l'agneau.<br />

« Mer, pourquoi as-tu fui? Jourdain, pourquoi as-ta<br />

reculé vers ta gourée? Montagnes, pourquoi avea-voei<br />

bondi comme le bélier; et vous, couines, comme L'agneau?<br />

« C'est que <strong>la</strong> terre s'est émue <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> ace <strong>du</strong> Seigneur,<br />

à l'aspect <strong>du</strong> Dieu <strong>de</strong> Jacob y <strong>du</strong> Dieu qui change <strong>la</strong> pierre<br />

en fontaine, et <strong>la</strong> roche en source d'eau vive.<br />

« La gloire n'en est pas à nous, Seigneur; éosnei-k<br />

tout entière à votre nom, à votre bonté pour.nousf à Sa<br />

vérité <strong>de</strong> nos oracles, <strong>de</strong> peur que les nalions ne disent<br />

quelque jour : Où dose est leur Dieu ? Moire Bien est dais<br />

les <strong>de</strong>ux; il a <strong>la</strong>it tout ce qu'il a voulu. »<br />

Si ce n'est pas là <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie lyrique, et <strong>du</strong> premier<br />

ordre, il n'y en eut jamais; et si je vou<strong>la</strong>is donner aa<br />

modèle <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière dont foie doit procé<strong>de</strong>r dans<br />

les grands sujets, je n'en choisirais pas un autre :<br />

il n'y en a pas <strong>de</strong> plus accompli. Le début est un exposé<br />

simple et rapi<strong>de</strong> et imposant. Le poète raconte<br />

<strong>de</strong>s merveilles inouïes comme il raconterait <strong>de</strong>s faits<br />

ordinaires ; pas un accent <strong>de</strong> surprise * ni d'admiration,<br />

comme n'y aurait pas manqué tout autre poète.<br />

Le psalmiste se veut pas parler lui-même <strong>de</strong> l'idée<br />

qu'il faut avoir <strong>de</strong>s merveilles qu'il trace. 11 veut<br />

que ce soit toute 1a nature qui ren<strong>de</strong> témoignage an<br />

maître à qui elle obéit. Il l'interroge donc tout <strong>de</strong><br />

suite, et <strong>de</strong> quel ton? Mer, pourquoi as-tufmî Jourdain,<br />

etc. Je cherche quelque chose <strong>de</strong> comparable<br />

à cette brusque et frappante apostrophe*, et je ne<br />

trouve rien qui en approche. 11 interpelle <strong>la</strong> mer, le<br />

fleuve, les <strong>mont</strong>agnes, les collines., et avec quelle<br />

sublime brièveté! Et dans f <strong>la</strong>staat vous enten<strong>de</strong>z <strong>la</strong><br />

mer, le ieuve, les <strong>mont</strong>agnes, les collines qui répon<strong>de</strong>nt<br />

ensemble :<br />

« Eh î n© voyet-vous pas que <strong>la</strong> terre s'est émue <strong>de</strong>vant<br />

k face <strong>du</strong> Seigneur! Et comment ne serait-elle pas ésafe<br />

à l'aspect <strong>de</strong> celui qui change <strong>la</strong> pierre es fontaine, et <strong>la</strong><br />

roclie en source d'eau vive? »<br />

Car ce sont là les liaisons supprimées dans cette poésie<br />

rapi<strong>de</strong>. Le poète aurait pu aussi mettre en récit<br />

ce miracle comme il a fait <strong>de</strong>s autres ; maïs il préfera<br />

<strong>de</strong> le mettre dans <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong>s êtres inanimés. Estce<br />

là un ajrt vulgaire ? Ce n'est pas tout : <strong>de</strong>s- mouvements<br />

nouveaux et affectueux succè<strong>de</strong>nt à ©eux <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

prosopopée :<br />

« La g<strong>la</strong>ire s'en est pas à nous, Seigneur, etc. »<br />

Je connais, comme un autre, Horace et Pïndare ;<br />

mais, si j'ose le dire sans manquer <strong>de</strong> respect pour<br />

* li n'y a qu'une manière d'expliquer comment os espose<br />

si uniment <strong>de</strong>s choses si extraordinaires; c'est que «lui<br />

qui en parle Ici ert celui qui tes a faites; et c'est <strong>de</strong> lui<br />

qu'il est dit dans un autre psaume ; Nihil «I mtmftt'ie t» omspeciu<br />

tjm. « Elea n'est merveiiSeui <strong>de</strong>vant lui. * Et ce<strong>la</strong><br />

doit être.


ce qui est sacré en le rapprochant <strong>du</strong> profane, F Esprit<br />

saint, qui n'tndt pas besoin, pour agir sur<br />

nous» <strong>de</strong> remporter <strong>la</strong> palme <strong>de</strong> l'esprit poétique,<br />

apparemment ne Fa pas dédaignée; car, à coup sûr,<br />

les frais poètes ne <strong>la</strong> lui disputeront pas. -.<br />

Que serait-ce, si j'appe<strong>la</strong>is ici tonte son école,<br />

Moïse, Isale, Jérémle, Habaeue, tous les prophètes ;<br />

si j'entrais dans le détail <strong>de</strong> tout ce qu'ils ont d'éton-<br />

Haut et <strong>de</strong> fraîment incomparable ? Mais tous ont un<br />

grand défaut dans Fopinion <strong>de</strong> nos jours : on les<br />

chante à l'église, et comment peut-il y atoir quelque<br />

chose <strong>de</strong> beau àfépres? Si ce<strong>la</strong> se trouvait, ou<br />

plutôt s ? il était possible que ce<strong>la</strong> se trouvât dans les<br />

écrits d'un brame <strong>de</strong> l'In<strong>de</strong>, dans un poète arabe ou<br />

persan, quel concert <strong>de</strong> louanges ! Fadmiration ne<br />

tarirait pas. Je ne.Fépniserai point sur les Psaus<br />

; mais continuons à les examiner comme je m'y<br />

S'agit-il <strong>de</strong>s agiras <strong>de</strong> diction, <strong>de</strong>s tropes, <strong>de</strong>s<br />

métonymies, <strong>de</strong>s métaphores; David dit à Bien :<br />

m Uimeraété votre route 9 les flots ont été vos sentiers^<br />

et r«l se verra pas TOS traces. •<br />

Ce <strong>de</strong>rnier trait est <strong>de</strong> vrai sublime.<br />

Veut-il peindre l'infamie <strong>du</strong> culte idolitrique :<br />

« Israël échangea <strong>la</strong> gloire <strong>du</strong> culte divin contre l'image<br />

d'un animal nourri d'herbe. »<br />

Y a-t-il un <strong>la</strong>ngage plus bril<strong>la</strong>nt et plus expressif?<br />

Désire-î-cjs que les tournures <strong>de</strong> sentiment se joignent<br />

à Fénergie <strong>de</strong>s figures, il n'y a qu'à entendre<br />

David parler <strong>de</strong> <strong>la</strong> miséricor<strong>de</strong> divine :<br />

* Quoi! Mas saillerait <strong>de</strong> faire grâce! I retiendrait sa<br />

Imité esebaiiée dans sa colère! »<br />

A-t-îl à caractériser Finsoience <strong>de</strong> <strong>la</strong> prospérité<br />

<strong>de</strong>s méchants:<br />

« Leur iniquité sort tout argaeliaosa dm sein <strong>de</strong> iear<br />

abondance. 1s sont comme enveloppés <strong>de</strong> leur impiété , @t<br />

recouverts <strong>du</strong> mal qu'ils ont fait... Le méchant â été en<br />

travail pour pro<strong>du</strong>ire l'Iniquité : Il a conçu le mal et enfanté<br />

le crime.»<br />

Quelle suite d'expressions fortement igurées ! Et<br />

tout est tra<strong>du</strong>it sur les mots <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vulgate : si ce<strong>la</strong><br />

se se retrouve pas dans les autres tra<strong>du</strong>cteurs, c'est<br />

que l'originalité <strong>de</strong> ce style les a effrayés; ils ont eu<br />

peur d'être si fidèles, et dans leur paraphrase, ils<br />

n'ont conservé que le sens.<br />

N'oublions pas que <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s poètes français<br />

ont puisé ici comme dans un trésor commue, et par<br />

leurs emprunts et leurs imitations , nous ont ren<strong>du</strong><br />

puer ainsi dire familier ce qu'il y a <strong>de</strong> plus graod<br />

dans l'Écriture. Mais lorsqu'il s'agit <strong>de</strong> juger, il est<br />

jttfte <strong>de</strong> re<strong>mont</strong>er à <strong>la</strong> date, et <strong>de</strong> se rappeler que<br />

ANCIENS. — POÉSIE. 18$<br />

rien n'est antérieur à ce que mm admirons Ici. Racine<br />

a dit dans ses dicrars :<br />

Abaisse <strong>la</strong> hauteur ies eieox ;<br />

et Voltaire dans <strong>la</strong> Hemria<strong>de</strong> :<br />

Viens ies <strong>de</strong>ux enf<strong>la</strong>mmés abaisser <strong>la</strong> hauteur.<br />

Mais celui qui a dit le premier : inclinavU cœlos, et<br />

<strong>de</strong>scendit, ' . *<br />

« Il a abaissé tes <strong>de</strong>ux ei est <strong>de</strong>scen<strong>du</strong> , »<br />

n'en <strong>de</strong>meure pas moins le poëte qui a tracé en trois<br />

mots <strong>la</strong> plus imposante image que jamais l'imagination<br />

ait conçue. Et que <strong>de</strong> force et d'éc<strong>la</strong>t dans<br />

le morceau entier ! (Ps. 17. ) David, vainqueur d'une<br />

foule d'ennemis étrangers et domestiques , <strong>de</strong>s Syriens,<br />

<strong>de</strong>s Phéniciens, <strong>de</strong>s I<strong>du</strong>méens, <strong>de</strong> dix tribus<br />

révoltées, chante le Dieu qui Fa fait vaincre, et qui<br />

s'est déc<strong>la</strong>ré Fennemi <strong>de</strong>s ennemis d'Israël 11 représente<br />

les effets.<strong>de</strong> sa toute-puissance dans un <strong>de</strong> ces<br />

tableau» prophétiques qui ont un double objet, et<br />

qui <strong>mont</strong>rent, d'un côté, le Très-Haut tel qu'il s'é­<br />

tait manifesté si souvent en faveur <strong>de</strong> son peuple;<br />

et, <strong>de</strong> Fautre, Jésus-Christ, son Yerbe, tel qu'il<br />

doit se manifester à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s temps. J'invite ceux<br />

qui ont vu dans Homère et dans Yïrgile l'intervention<br />

<strong>de</strong>s dieux au milieu <strong>de</strong>s combats <strong>de</strong>s Grecs et<br />

<strong>de</strong>s Troyens, Neptune frappant <strong>la</strong> terre <strong>de</strong> son tri<strong>de</strong>nt,<br />

le Scamandre <strong>de</strong>sséché, les murailles <strong>de</strong> Troie<br />

déracinées par <strong>la</strong> main <strong>de</strong>s immortels, à comparer<br />

toutes ces peintures avec celle-ci. :<br />

« Sa colère a <strong>mont</strong>é connue un tourblltai <strong>de</strong> fumée ; son<br />

visage a paru comme <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme f et son courroux comme<br />

un fea ar<strong>de</strong>nt II a abaissé les c<strong>la</strong>es 9 il est <strong>de</strong>scen<strong>du</strong> s et les<br />

nuages étaient sous ses pieds. Il a pris son vol sur les ailes<br />

<strong>de</strong>s Chérubins; il s'est é<strong>la</strong>ncé sur les vents. Les nuées<br />

amoncelées formaient autour <strong>de</strong> loi ca pavillon <strong>de</strong> ténèbres<br />

: l'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> M» visage les a dissipées, et une ploie <strong>de</strong><br />

feu est tombée <strong>de</strong> leur sein. Le Seigneur a tonné do haut<br />

ies <strong>de</strong>ux ; le Très-Haut a fait entendre sa sels ; m rais<br />

a éc<strong>la</strong>té comme un orage brû<strong>la</strong>nt. Il a <strong>la</strong>ncé ses lèch»<br />

et dissipé met ennemis ; il a redoublé ses foudres, qui les<br />

ont renversés. Alors les eaai ont été dévoilées dans leurs<br />

sources, les fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> Sa terre ont para à décoiifert,<br />

parce que vous les aves menacés, Seigneur, et qu'ils ont<br />

senti le souffle <strong>de</strong> f être colère. »<br />

Quelle supériorité dans les idées, dans les expressions!<br />

car elles sont ici littéralement ren<strong>du</strong>es.<br />

Jpparuenmt fontes aquarum, ei reve<strong>la</strong>ta suni<br />

fmidamenia orôts êerrarum. Voilà bien le sublime<br />

d'idée et d'expression? et ce que le psalmïste ajoute<br />

tout <strong>de</strong> suite est encore au-<strong>de</strong>ssus :<br />

* Parce que TOUS les aires menacés, etc. »<br />

Ab imarepaÈime tuâ, m^me9 ab impirmtimw<br />

spkitûM irm to*.-Neptune frappe <strong>de</strong> sonfri<strong>de</strong>nt,<br />

, Pal<strong>la</strong>s arrache les fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> Troie /ce n'est


184<br />

CODES DE OTTÉMTUEE.<br />

pas là le Dieu <strong>de</strong> David. La terre Ta enten<strong>du</strong> menoter;<br />

elle a seati le souffle ée sa colère. 11 s'en<br />

faut pas davantage, et l'univers froissé se <strong>mont</strong>re<br />

dans un état <strong>de</strong> dépendance et <strong>de</strong> soumission, et<br />

semble attendre que l'Étemel détruise tout, eomme<br />

il a fait tout 9 d'un signe <strong>de</strong> sa volonté.<br />

Avouons-le, il y a aussi loin <strong>de</strong> ce sublime à tout<br />

autre sublime que <strong>de</strong> l'esprit <strong>de</strong> Dieu à l'esprit <strong>de</strong><br />

l'homme. On voit ici <strong>la</strong> conception <strong>du</strong> grand dans<br />

son principe : le reste n'en est qu'une ombre, comme<br />

F intelligence créée n'est qu'une faible émanation <strong>de</strong><br />

l'intelligence créatrice; comme <strong>la</strong> fiction,' quand<br />

elle est belle, n'est encore que l'ombre <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité,<br />

et tire tout son mérite cTun fonds <strong>de</strong> ressemb<strong>la</strong>nce.<br />

Vous trouverez partout f avec l'oeil <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison attentive,<br />

les mêmes rapports et <strong>la</strong> même disproportion<br />

, toutes les fois que vous rapprocherez ce qui<br />

est <strong>de</strong> l'homme <strong>de</strong> ce qui est <strong>de</strong> Dieu, seul moyen<br />

d'avoir <strong>de</strong> l'un et <strong>de</strong> l'autre l'idée qu'il nous est donné<br />

d'en avoir; et c'est ainsi qu'étant toujours trèsimparfaite,<br />

comme die doit l'être, <strong>du</strong> moins elle ne<br />

sera jamais fausse. Cette gran<strong>de</strong>ur originelle, et par<br />

conséquent divine, puisque toute gran<strong>de</strong>ur vient <strong>de</strong><br />

Dieu, qui est seul grand, est partout dans l'Écriture,<br />

soit que Dieu agisse ou parle dans le récit, soit qu'il<br />

parle dans les prophètes. Je n'en citerai qu'un<br />

exemple 9 dont je ne doute pas que l'impression ne<br />

soit <strong>la</strong> même sur tous les lecteurs judicieux.<br />

Les Israélites, que Dieu éprouvait en les Élisant<br />

entrer dans le désert avant que d'entrer dans <strong>la</strong> terre<br />

promise (figure <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>du</strong> temps et <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> l'éternité),<br />

se trouvent pour <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> fois dans les<br />

solitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Sin, au même endroit où Moïse avait<br />

frappé le rocher pour en faire sortir l'eau qui leur<br />

manquait. Elle leur masquait <strong>de</strong> nouveau : Us murmurent,<br />

et Moïse crie mu Seigneur, qui lui dit :<br />

« Paria an radier : II en sortira <strong>de</strong> Fera, et et peuple<br />

traira. »<br />

Moïse ne fait pas attention à <strong>la</strong> parole <strong>du</strong> Seigneur,<br />

et frappe <strong>de</strong>ui fois le rocher, comme il .avait fait<br />

auparavant. L'eau en sort, comme <strong>la</strong> première fois,<br />

mais Dieu est offensé, et lui dit :<br />

N'est-ce pas celle que j'ai éten<strong>du</strong>e sur le Ml, quand<br />

je changeai ses eaux en sang; celle que j'ai éten<strong>du</strong>e<br />

sûr <strong>la</strong> mer Rouge, quand j'ouvris ses lots <strong>de</strong>vant<br />

Israël? Mais Moïse se gar<strong>de</strong> bien <strong>de</strong>,rien répondre;<br />

il reconnaît sa faute dès qu'il est repris. 11 conçoit<br />

très-bien que Dieului auraitdit? Pourquoi avec-vow<br />

pensé que mon pouvoir fût attaché à cette baguette?<br />

Tous les moyens ne me sont-ils pas égaui? et le<br />

choix se dépend-il pas <strong>de</strong> moi seul ? Je vous ai dit :<br />

Parlez au rocher : pourquoi n'awz-wus pas cru<br />

à ma pmrok f Aves-vous eu peur que <strong>la</strong> vêtre masquât<br />

<strong>de</strong> puissance, quand c'est moi qui <strong>la</strong> mets dans<br />

votre bouche? Pourquoi frapper, quand j'ai dit parlez<br />

f 11 fait croire et obéir*<br />

C'est là ce que l'Écriture offre à toutes les pages ;<br />

et qu'y a-t-il ailleurs qui soit <strong>de</strong> cet ordre d'idées f si<br />

supérieur à tout ce que les hommes ont écrit <strong>de</strong> 1m<br />

Divinité? Quel est dosc.ee Dieu qui n 9 est nulle part<br />

ce qu 9 il est kl? Ah! c'est qu'il n'a parlé nulle part, et<br />

qu'il parle ici; c'est qu'il n'y a que lui qui sache comment<br />

il faut parler <strong>de</strong> lui : et s'il est vrai, comme <strong>la</strong><br />

raison n'en peut douter, que FÉeriture seule nous<br />

donne dt Dieu ces idées également hautes et justes,<br />

également admirables et instructives, qui pro<strong>du</strong>isent<br />

à <strong>la</strong> fois le respect et <strong>la</strong> lumière, il est donc dé<strong>mont</strong>ré<br />

que l'Écriture est divine, et que nous n'avons <strong>la</strong><br />

véritable idée <strong>du</strong> grand que par <strong>la</strong> foi, parce qu'il<br />

s'y a <strong>de</strong> vraiment grand que le Dieu qui ta donne.<br />

Es effet, si quelque lecteur, persuadé par le parallèle<br />

que j'ai commencé à établir, et reconnaissant<br />

avec moi que David et Moïse sont tout autrement<br />

sublimes qu'Homère et Yirgile, se bornait à ne voir<br />

là qu'une affaire <strong>de</strong> goût et <strong>de</strong> tact, et en concluait<br />

« Parée que vous n'avez pas cru à ma parole , et que vont<br />

ne m 9 seulement que j'ai un peu plus <strong>de</strong> jugement et <strong>de</strong><br />

connaissances que les contempteurs <strong>de</strong>s livres saints,<br />

il se tromperait beaucoup, et me ferait un honneur<br />

que je se mérite pas plus que je ne m'en sou<strong>de</strong>.<br />

Beaucoup <strong>de</strong> personnes ont autant et plus <strong>de</strong> critique<br />

que moi, et apparemment Yoltaire n'en manquait<br />

pas. Pourquoi nVt-il rien vu <strong>de</strong> tout ce<strong>la</strong>? et pourquoi<br />

moi-même n'ai-je pas vu jusque-là* quand je<br />

ne lisais <strong>la</strong> Bible qu'avec les yeux d'un homme <strong>de</strong> lettres?<br />

Suis-je <strong>de</strong>venu tout à coup plus savant que je<br />

met point rends gloire <strong>de</strong>vant ce peuple , vous n'étais es <strong>littérature</strong> ? Non, sans doute, et je s'en ai<br />

- n'entrera point dans <strong>la</strong> terre promise. »<br />

pas appris sur Homère, Virgile et Pisdare, plus que<br />

. Qui se serait atten<strong>du</strong> au reproche et à <strong>la</strong> puni­ je n'en disais dans mes leçons publiques il y a dk<br />

tion ? HTa-t-on pas envie <strong>de</strong> prendre <strong>la</strong> parole pour ans. Comment donc n'ai-je eu <strong>de</strong>s aperçus souv-eaux<br />

Moïse, et <strong>de</strong> dire à Dieu : Seigneur, en quoi donc que sur les écrivains sacrés, que j'avais lus tous<br />

ai-je manqué <strong>de</strong> foi ? Cette verge dont j'ai touché <strong>la</strong> comme les auteurs profanes ? Ce sont ces mêmes li­<br />

pierre n'est-elft pas <strong>la</strong> même qui en avait déjà fait vres saints qui m'en res<strong>de</strong>nt raison. C'est que mes<br />

sortir "lue Source,'parce que vous Faves VôIIîII ? yeui étaient fermés, et qu'ils se sont ouverte : erm-<br />

N'est-ce f as^tfle que voua avez mise es mes mains, , m€dêqmndêtenebm:mmceiwiem^^Bomltm.<br />

commr W docile instrument <strong>de</strong> vos merveilles ? C'est que l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> Dieu enseipe tout es


ANCIENS. — FOÉUL<br />

181<br />

fail importe 1# plus <strong>de</strong>sifoir, dèt qu'on ne lit point ; undtittt<strong>de</strong> <strong>de</strong>s psJns, Hèveraiii <strong>la</strong> nh 'et ensntarast<br />

sa parole avec l'intention d'une critique orgueilleusef rhunne <strong>de</strong> vos louanges. •<br />

et dès lors nécessairemeal faine et mensongère. S'il est particttUèrement <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie d'animer «t<br />

Toutes les c<strong>la</strong>rtés que nous poufons a?oir d'ailleurs <strong>de</strong> personnifier tout, on tait que rien n'est plus<br />

ne vont pas au <strong>de</strong>là <strong>de</strong>s objets tri soles, et n'attei­ poétique que le style <strong>de</strong>s Psaumes et <strong>de</strong>s prophéties.<br />

gnent pas l'essentiel ; car f essentiel f pur liste rai­ Tout y prend une âne et un <strong>la</strong>ngage : <strong>la</strong> commue<br />

sonnable et immortelle, est certainement dans les' <strong>de</strong> l'aimée, fes sassaases rméimm d?aUigre$i09 kg<br />

rapports<strong>de</strong> l'homme à Dieu et <strong>du</strong> temps à l'éternité: germm qui se re^mâmemi, fee vmMwm fsil cAnnc'est<br />

là que tout rentre et doit rentrer , et sans ce<strong>la</strong> Êent <strong>la</strong> Iwtange, <strong>de</strong>., ce sont les Égarée <strong>du</strong> teste :<br />

tout s'est rien. Ainsi <strong>la</strong> foi , que fou traite <strong>de</strong> peM- y en a-l-il <strong>de</strong> plus heureuses et <strong>de</strong> plus bril<strong>la</strong>ntes?<br />

fesse ef iHmèécMiiM 3 est en effet pour l'homme <strong>la</strong> Mais d'oè fient que tout est twaat et sensible dans<br />

seule Térité et <strong>la</strong> seule gran<strong>de</strong>ur. J'avoue que Dieu <strong>la</strong> poésie <strong>de</strong>s fifres saints, et atec une sorte <strong>de</strong><br />

seul peut <strong>la</strong> donner; mais il ne <strong>la</strong> refuse jamais à hardiesse et d'intérêt qui n'est point ailleurs? C'est<br />

qui <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> atec un coeur simple et droit : c'est eacere ici le mime principe; c'est encore cette<br />

lui-même qui nous fa dit.<br />

idée mère qui fécon<strong>de</strong> toutes les autres, l'idée <strong>du</strong><br />

« Tout eeqw vues <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rai à mon père en mou nom grand Être qui donne l'être à tout ee qui compose<br />

(dît Jésus-Christ;, il vous le donnera.»<br />

l'univers pour ces chantres inspirés; Faction <strong>du</strong><br />

La vérité est un jour qui brille à tous les yens; mais<br />

Créateur qui se fait sentir incessamment à tout ce<br />

il ne faut pas les fermer : c'est l'orgueil qui les ferme<br />

qui est créé, est une sais faflfe enten<strong>de</strong>nt, et<br />

y<br />

et entre l'orgueil et <strong>la</strong> foi, il y a Fininî.<br />

l'obéissance <strong>de</strong>s créatures est une voix, et leurs<br />

besoins sont une sali. Telle est <strong>la</strong> rhétorique <strong>de</strong>s<br />

Est-ce par orgueil que Basic! dit :<br />

prophètes; c'est là surtout qu'ils puisent leurs<br />

« Tai pesé eu Icteffigecee tous ceux qui m'avalent suie^<br />

;fai passé fcifiel<strong>la</strong>idsea sagesse. »<br />

Églises : est-il étonnant qu'elles soient au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong><br />

celles <strong>de</strong> Fart?<br />

Est-ce le plus humble <strong>de</strong>s hommes qui parlerait<br />

La délicatesse <strong>de</strong> nos critiques <strong>du</strong> jour sourît atec<br />

iïasl , s'il n'ajoutait pas :<br />

dédain quand Basai et les trois enfants <strong>de</strong> Baby-<br />

• Para que fai médité vos orieoasaces s pree que J'ai lone appellent successivement toutes les créatures,<br />

étudié tMf sue eotnmiiiMiements,.... Je suis <strong>de</strong>venu plus<br />

•areipe tons mai ennemis, parce que je ep suis attaché<br />

le soleil, <strong>la</strong> lune, <strong>la</strong> terre, les mers, les animaux, etc.<br />

à vous peur toujours.... Yotre parole est <strong>la</strong> <strong>la</strong>mpe qui dirige pour les <strong>la</strong>siles à bénir k Seigneur* Je n'aperçois<br />

•es pas, et te lumière qui éc<strong>la</strong>ire mes sentiers... Tas là qu'un sentiment profond <strong>de</strong> <strong>la</strong> reconnaissance,<br />

fugaiiaits sont l'objet <strong>de</strong> tontes mes pensées, et sas justices qui, voyant l'homme entouré <strong>de</strong> tous les êtres<br />

•«1 toute tus sagesse.... »<br />

créés pour lui faire <strong>du</strong> bien, ne trente pas que ce<br />

Ainsi David ne se g<strong>la</strong>rîie jamais que dans <strong>la</strong> .parole soit assez <strong>de</strong> lui seul pour huer ei bénir un si ma*<br />

<strong>de</strong> Dieu, caaaeaa salut Paul aléas <strong>la</strong> emtx <strong>de</strong> lésm- galifae bienfaiteur. Il ne peut pas, comme Dieu,<br />

CkritL C'est le même esprit <strong>de</strong>puis Abraham jus­ appeler féales les étoêe$ ekmmm par «on saaaa<br />

qu'à AavM f et <strong>de</strong>puis David jusqu'au moindre <strong>de</strong>s (ùmnibm eU m&mimm memi ), parce qu'il n'y a que<br />

ebrétiens <strong>du</strong> nos jours ; et cet esprit ae passera pas celui qui les a faites qui puisse les appeler ainsi.<br />

plus que <strong>la</strong> paroi» <strong>de</strong> Dieu mène, Ferba assa «m Mais l'homme appelle <strong>du</strong> moins ce qull put nom­<br />

prmêeHhmt.<br />

mer, et il n'a pas trop <strong>de</strong> tout ce qu'il connaît<br />

Si aaaa passons ies-pîatares fortes aai images dans <strong>la</strong> nature pour chanter a?ee lui son auteur.<br />

riantes, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> majesté à <strong>la</strong> douceur, quel poëte n'en­ Est-ce que l'amour et <strong>la</strong> reconnaissance ont jamais<br />

vierait pas le coloris et le sentiment répan<strong>du</strong>s dans assez d'organes? Que cet enthousiasme est noble<br />

cette prière à Dieu , pour en obtenir les présents <strong>de</strong> et saint pour le cœuri et que <strong>la</strong> censure est froi<strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> terre'et <strong>de</strong>s saisons?<br />

et petite pour le goût!<br />

* Voua visiterez <strong>la</strong> terre » et vous <strong>la</strong> fécon<strong>de</strong>ra; TOUS Lisez tous les poètes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Bible, p<strong>la</strong>cés à <strong>de</strong><br />

aaÉtJpfefm ses richesses. Le grand fleuve ( le Jourdain ) longs intervalles dans les siècles : partout le même<br />

est rempli <strong>de</strong> l'abondance <strong>de</strong>s eaos. La terre a préparé <strong>la</strong> fonds <strong>de</strong> génie, partout <strong>la</strong> même manière <strong>de</strong> pen­<br />

ssamasta <strong>de</strong>s hommes t parte que mm l'aves <strong>de</strong>stinée à ser, <strong>de</strong> sentir, <strong>de</strong> s'eiprimer, sans autre différence<br />

«t @ss§e. Pénétrez son sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> rosée, fertilisai ses que celle qui tient au sajet; et cette uniformité<br />

Sennest et ils se réjouiront <strong>de</strong>s-influences <strong>du</strong> ciel. Tous<br />

twartali terre, et sas bénédictions seront <strong>la</strong> couronne <strong>de</strong><br />

d'idées et <strong>de</strong> sentiments qui sont au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong><br />

tannéef et les campagnes seront couvertes <strong>de</strong> vos <strong>de</strong>nté l'homme, comme <strong>la</strong> raison le dé<strong>mont</strong>re, et qui<br />

iisaesattsaaaiaisis<br />

nulle part ailleurs ne se retrouvent dans Fhomme<br />

eseat revêtues d'allégresse ; et les talionsf enrienia^dê <strong>la</strong> comme il est proufé par le fait, ne dit-elle ps que


COU1S DE MTTÉEATIJ1E.<br />

mm eài-écrivains n'ont m qu'un même Battre et<br />

une raâne inspiration? Lises cet ancien drame <strong>de</strong><br />

Job, et ensuite le psaume <strong>de</strong> <strong>la</strong> Création (Ps. 103,<br />

Memeék, amimm mm, Domino) , le plus fini peut-<br />

sm sefn9 et les vataseanx- passent sur ses on<strong>de</strong>s. Lànap<br />

ce grand drapa <strong>de</strong>s mers (Sa bâte») fie vous atei<br />

formé pour m jouer dans les flots. Quem fwmmsU md<br />

Ulu<strong>de</strong>n<strong>du</strong>meL »<br />

être <strong>de</strong> tons, à n'en juger que imitant les règles Il n<br />

d'tioe critique humaine; et David, en célébrant<br />

les centras <strong>de</strong> Bien, vous rappellera Bien lui-même<br />

par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> ses oeuvras à Job. Lisez aussi tout ce<br />

qu'on a écrit <strong>de</strong> plus estimé sur cette matière, si<br />

souvent traitée en prose et en vers <strong>de</strong>puis Hésio<strong>de</strong><br />

jusqu'à Ovi<strong>de</strong>, et <strong>de</strong>puis Cieéron et Pline jusqu'à<br />

Buffon, et fous ne nous citerez rien qui soit <strong>du</strong><br />

ton et <strong>de</strong> <strong>la</strong> hauteur <strong>de</strong> ce psaume, dont je ne rapporterai<br />

qu'un ou <strong>de</strong>ux passages, quoique tout soit<br />

également fait pur être cité.<br />

« Y&m aves appris au miel l'heure <strong>de</strong> mm ccradier. Vois<br />

répan<strong>de</strong>s <strong>la</strong>s ténèbres, et <strong>la</strong> sait ast sur m terre : c'est<br />

alors que les bêtes <strong>de</strong>s forêts marchent dans l'ombra ; alors<br />

lea rafisaamaa<strong>la</strong> <strong>de</strong>s Iteaeeaax appe<strong>la</strong>it <strong>la</strong> proie 9 et Jasa»<strong>de</strong>nt<br />

à Dieu k nourriture* promise aux ammani. Mais le<br />

soleil s'est levé 9 et déjà les bêtes sauvages se sont retirées ;<br />

elles sont allées se rep<strong>la</strong>cer dans leurs tanières; l'homme<br />

alors sort pour le trt?ail <strong>du</strong> jour, et accompli son œuvra<br />

jusqu'au soir. »<br />

Rien ne me semble plus beau que ce partage, si<br />

bien marqué, <strong>du</strong> jour et <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit, entre l'homme<br />

qui mî <strong>de</strong> son travail , et F animal qui fit <strong>de</strong> proie.<br />

La philosophie et <strong>la</strong> poésie ont pu le saisir surtout<br />

<strong>de</strong>puis David ; mais je ne me soutiens pas et je ne<br />

crois pas qu'il soit nulle part tracé <strong>de</strong> même. Le<br />

<strong>de</strong>ssein <strong>du</strong> Créateur est ici dans <strong>la</strong> pensée <strong>du</strong> poète,<br />

qui en rend compte avec <strong>la</strong> même autorité qu'il Fa<br />

conçu. Le poëte était présent au conseil <strong>de</strong> <strong>la</strong> Provi<strong>de</strong>nce!<br />

lorsqu'elle relégua, par un Impérieux iastinct,<br />

<strong>la</strong> bêta féroce et redoutable dans le domaine<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit, et lui défendit <strong>de</strong> troubler Vœuvre <strong>de</strong><br />

l'homme dans le domaine <strong>du</strong> jour. Cest cette même<br />

Provi<strong>de</strong>nce qui apprit au s&ieïi theure <strong>de</strong> son coucher.<br />

Et quel est celui <strong>de</strong>s Grecs et <strong>de</strong>s Latins qui<br />

ait eu ces idées? Les chevaux <strong>du</strong> Soleil, et son»<br />

char attelé par les Heures, et FAurore aux doigts<br />

<strong>de</strong> rose, sont les jeux d'une imagination inventive;<br />

mais ici <strong>la</strong> vérité est gran<strong>de</strong> comme <strong>la</strong> puissance :<br />

et si Fon en revient à <strong>la</strong> poésie, l'aime sol d'Horace<br />

est très-ingénieui, et <strong>la</strong> strophe est bril<strong>la</strong>nte; on<br />

rencontrera partout <strong>de</strong> beaui vers sur le soleil. Y en<br />

i-l-il pourtant qui réunissent le double caractère <strong>du</strong><br />

jour, <strong>la</strong> majesté et <strong>la</strong> douceur, exprimé dans <strong>la</strong> double<br />

image que* Rousseau a empruntée à David? Et <strong>la</strong><br />

mer aussi a été le sujet <strong>de</strong> beau vers en différentes<br />

<strong>la</strong>ngues : eb bien! qu'y a-t-il dans tous qui. soit <strong>du</strong><br />

genre <strong>de</strong> ces versets <strong>du</strong> même psaume? (Jtenarffc.)<br />

« Comme elle est vaste cette mer qui étend au loin ses<br />

bras spa<strong>de</strong>m I De* animaux sans nombre se mes vent dans<br />

4 y a ps d'idée plus imprévue ni plus extraordinaire.<br />

Quiconque a voulu peindre ce terrible<br />

élément a broyé <strong>de</strong>s couleurs d'épouvante, et a<br />

paru effrayé poor effrayer les autres : c'est <strong>la</strong> route<br />

vulgaire. Le psalmiste ne voit et ne fait voir que<br />

<strong>la</strong> puissance qui a préparé une <strong>de</strong>meure à d'innombrables-créatures,<br />

et un pssage à l'homme navigateur<br />

pour rapprocher les extrémités <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre.<br />

Toujours un <strong>de</strong>ssein, parce que le poète ne chante<br />

que pour louer Dieu, et instruire les hommes; et,<br />

s'il parle <strong>de</strong> <strong>la</strong> baleine, <strong>de</strong> ce colosse <strong>de</strong>s rnera»<br />

Bleu Yhjormê pour se jouer dam les flots! Ce <strong>de</strong>rnier<br />

trait n'a pu venir dans l'esprit qu'à celui qui<br />

savait .<strong>de</strong> source qu'il n'en a pas plus coûté au Créateur<br />

pour envoyer <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> baleines se jouer<br />

dans l'Océan, que pour semer sur <strong>la</strong> terre <strong>de</strong>s miliera<br />

<strong>de</strong> fourmis.<br />

Les dieux <strong>de</strong> l'antiquité païenne avaient seuls<br />

le droit <strong>de</strong> jurer par le Styx; c'est tout ce qu'elle<br />

put imaginer pour donner un serment aux dieux.<br />

Malgré <strong>la</strong> puérilité <strong>de</strong> l'idée f j'avoue que l'oreille<br />

et l'imagination sont enchantées <strong>de</strong> ces vers, harmonieux<br />

que fîfgîia a tra<strong>du</strong>its d'Homère :<br />

StggU perflumina frairiê 9<br />

Perpice terrmtet aêrêque vomgine npm,<br />

"Jmtmii; ei toium mmim tmmqfeeii Olympwm.<br />

La poésie <strong>de</strong> l'homme ne peut pas aller plus loin;<br />

mais il n'y a que le Dieu <strong>de</strong> Moïse et <strong>de</strong> David qui<br />

ait pu dire :<br />

Fan ai fait te ferment; J'ai juré par moi-même.<br />

Per memetipsmnjumwL Et e'est là le serment<br />

d'un Dieu.<br />

I» L'ESPRIT BES LIV1B8 SMHTS.<br />

Comme cet esprit <strong>de</strong> foi et <strong>de</strong> sainteté est le<br />

principe <strong>de</strong> toutes les beautés <strong>de</strong>s Psaumes, il est<br />

aussi <strong>la</strong> réponse aux censures futiles que l'irréligion<br />

seule a dictées f et qu'on n'a vues éclore qu'avec<br />

elle. II est tout simple que <strong>la</strong> critique d'un ouvrage<br />

soit ïnconséquente$ quand elle en met <strong>de</strong><br />

côté <strong>la</strong> nature et l'objet. Que dire <strong>de</strong> Voltaire, par<br />

exemple , qui met très-sérieusement sur <strong>la</strong> même<br />

ligne, comme poètes, David et le roi <strong>de</strong> Prusse?<br />

Frédéric a plus d'art et ©tenait miens mm mon<strong>de</strong>.<br />

II est fias enjoué rsa ¥er?e est plus fécon<strong>de</strong>.<br />

D a lu soa Horace, il f Imite, etc.<br />

Il est sûr que David n'est pas enjoué, qu'il me<br />

pouvait pas plus imiter que lire Horace, et que le<br />

mimée .que connaissait Frédéric n'était pas celui<br />

pour qui David écrivait Quel travers d'esprit daiis


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

ces rapprochements étranges, qui ne seraient en*<br />

eore qu'use bizarre ineptie f quand ils ne seraient<br />

pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière indécence I Mais lorsqu'on sait<br />

<strong>de</strong> plus le peu <strong>de</strong> cas que faisait Voltaire <strong>de</strong>s poésies<br />

<strong>du</strong> roi <strong>de</strong> Prusse, quoiqu'il les eût corrigées<br />

autant qu'elles pouvaient l'être; lorsqu'on sait qu'il<br />

l'appe<strong>la</strong>it ÂtUta-Coêàn, quelle valeur peut-on attacher<br />

à l'opinion d'un homme qui se joue ainsi<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité <strong>de</strong> son propre jugement, eomme <strong>de</strong><br />

toutes les bienséances? Quelle ma<strong>la</strong>droite a<strong>du</strong><strong>la</strong>tion<br />

pour un roi allemand, que rien n'oblige d'être<br />

un bon poète français$ et qui, eu admettant ce ridicule<br />

parallèle, serait encore aussi loin <strong>de</strong> David<br />

que <strong>de</strong> Voltaire! Laissons là ces écarts <strong>de</strong> l'esprit<br />

humain ; qui ne sont pas moins le scandale <strong>du</strong> bon<br />

1S7<br />

n'a diminué ni leur mérite ni leur réputation; et je<br />

renvoie là-<strong>de</strong>ssus à <strong>la</strong> judicieuse apologie qu'en ont<br />

faîte les meilleurs critiques. Celle <strong>de</strong> David, s'il en<br />

avait besoin, serait d'une tout autre importance;<br />

et proportionnée à celle <strong>de</strong> son ouvrage : ce n'est<br />

pas pour lui-même qu'il convient <strong>de</strong> l'indiquer, mais<br />

pour ceux à qui elle peut être utile.<br />

Les chrétiens savent que* les cantiques étant <strong>de</strong>s<br />

poèmes religieux, d'abord faits pour être chantés<br />

dans les cérémonies publiques d'Israël, et <strong>de</strong>stinés<br />

par <strong>la</strong> Provi<strong>de</strong>nce à <strong>de</strong>venir pour nous <strong>de</strong>s prières<br />

<strong>de</strong> tous les jours dans toute <strong>la</strong> suite <strong>de</strong>s siècles , sont<br />

<strong>de</strong> continuelles élévations à Dieu, <strong>de</strong>s invocations,<br />

<strong>de</strong>s supplications, <strong>de</strong>s actions <strong>de</strong> grâces, <strong>de</strong>s entre­<br />

tiens <strong>de</strong> l'homme avec Dieu 9 <strong>de</strong>s exhortations et <strong>de</strong>s<br />

sens que celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> religion, et voyoos dans les cho­ leçons pour ses serviteurs, <strong>de</strong>s menaces et <strong>de</strong>s arrêts<br />

ses ce qu'elles sont et ce qu'elles doivent être. contre ses ennemis, <strong>de</strong>s hommages à ses gran<strong>de</strong>urs,<br />

Tout ce fut mi éeriê Va éHpmsr noire imime- âsasjastlces, à ses bienfaits, à ses lois, è ses mer*<br />

Mm. (Saint Paul) Les livres saints contiennent <strong>la</strong> veilles; et si Ton considère que ce Éinds est partout<br />

science <strong>de</strong> Dieu, <strong>la</strong> science <strong>du</strong> salut. C'est poor le même, et que rien <strong>de</strong> profane et <strong>de</strong> terrestre ne<br />

ce<strong>la</strong> qu'ils nous ont été transmis; ils doifent être pouvait se mâer à ce qui est saint et céleste, on sera<br />

<strong>la</strong> nourriture <strong>de</strong> notre âme, et Jésus-Christ notre peut-être plus surpris <strong>de</strong> <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s tours et<br />

maître nous a dit que i%&mmê vU <strong>de</strong> <strong>la</strong> pamk <strong>de</strong>s mouvements, <strong>de</strong> l'abondance <strong>de</strong>s sentiments et<br />

§m sert êe <strong>la</strong> immkê es Dieu» 11 n'est pas surpre<strong>de</strong>s<br />

pensées, qu'on ne peut être blessé <strong>de</strong> l'espèce<br />

nant que ceux qui ne <strong>la</strong> cherchent pas dans ces d'uniformité <strong>de</strong> ton général qui nuit <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> l'ob­<br />

livres n'y aperçoivent tout au plus que l'accessoire 9 jet et <strong>du</strong> <strong>de</strong>ssein. Le psalmiste se répète, mais c<br />

c'est-à-dire, le mérite <strong>de</strong> <strong>la</strong> composition dans ce<br />

qu'il peut y aioir d'analogue aui idées reçues en ce<br />

genre, quand f Esprit divin, qui priait à <strong>de</strong>s<br />

hommes, a cm <strong>de</strong>voir <strong>de</strong>scendre à <strong>la</strong> perfection <strong>du</strong><br />

<strong>la</strong>ngage humain : je dis <strong>de</strong>scendre, car lors même<br />

que le style <strong>de</strong> l'Écriture est .au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tout autre<br />

comme on vient <strong>de</strong> le ? air, il est encore nécessairement<br />

au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong>s idées divines.<br />

Maisavee cette disposition, malheureusement trop<br />

commune, à lire Moïse et David comme on lirait<br />

Horace et Homère, non-seulement on en perd <strong>la</strong><br />

substance qui était pour notre âme, mais l'esprit<br />

même se peut que s'égarer .dans ses jugements,<br />

toutes les fois qu'il prendra pour <strong>de</strong>s défauts dans<br />

les auteurs sacrés ce qui pourrait en être dans les<br />

écrirains profanes, puisque les moyens ne doivent<br />

sûrement pas être toujours fes mêmes quand le but<br />

est différent. L'Esprit saint n'a pas écrit pour p<strong>la</strong>ire<br />

au hommes, mais pour apprendre aux hommes à<br />

p<strong>la</strong>ire à Dieu.<br />

Un <strong>de</strong>s reproches que Ton fait le plus sou?eut aui<br />

Psaumes, c'est <strong>la</strong> fréquente répétition <strong>de</strong>s mêmes<br />

idées, <strong>de</strong>s mêmes sentiments, <strong>de</strong>s mêmes tours. Je<br />

pourrais m'en tenir, à l'analyse succincte que j'ai<br />

donnés ci-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s procédés <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie hébraïque<br />

; je pourrais même faire remarquer qu'on a <strong>la</strong>it<br />

te mène reproche aux poètes grecs, ce qui pourtant<br />

v est<br />

toujours Dieu qu'il chante ; c'est toujours à Dieu ou<br />

<strong>de</strong> Dieu qu'il parie, et le cœur ne peut parler à Dieu<br />

ou <strong>de</strong> Dieu qu'avec amour : et qui est-ce donc qui<br />

caractérise l'amour, si ce n'est le p<strong>la</strong>isir et le besoin<br />

<strong>de</strong> dire sans cesse <strong>la</strong> même chose ? Sans doute l'amour,<br />

en s'adressant au Créateur, s'épure, s'ennoblit<br />

et s'élève; mais il ne change pas son caractère<br />

essentiel ; et comme celui qui aime ne s'occupe uniquement<br />

que <strong>de</strong> satisfaire et <strong>de</strong> répandre son âme<br />

<strong>de</strong>vant ce qu'il aime, et d'exprimer ce qu'il sent,<br />

sans aangar à varier oe qu'il dit; comme c'est ce<strong>la</strong><br />

même qui imprime le cachet <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité à ses dis*<br />

<strong>cours</strong> et à ses écrits, et qui persua<strong>de</strong> le mieux <strong>la</strong> par*<br />

sonne aimée », croit-on que l'amour <strong>de</strong> Dieu soit ou<br />

doive être moins affectueux et moins surabondant?<br />

On raconte d'un saint que sa prière n'était autra<br />

chose qu'une méditation habituelle sur les miséricor<strong>de</strong>s<br />

divines, dont il ne sortait que pour prononcer<br />

toujours les mêmes paroles : O èùmêê! ê bmtél<br />

ê bmM înftnte I £t il pleurait. Je sais qu'il n s y au-<br />

1<br />

Je M crois pas fa* Jamais mamm femme se soit p<strong>la</strong>inte<br />

qu'os Soi répétât uns cesse <strong>la</strong> même chose. Ces sortes <strong>de</strong><br />

rapprochements m doivent pas scandaliser ; c'est avec te<br />

même cœur qu'on allie Se Créateur os <strong>la</strong> créature, faoêfar<br />

les effets soient aussi différents qm lis etgeis. Madama <strong>de</strong><br />

Sévfgné dit <strong>de</strong> Racine : « Il aime Bleu comme 11 aimait ses<br />

maîtresses, » et «<strong>la</strong> n* ren<strong>du</strong> ridicule ni madame <strong>de</strong> 5é¥fgnéti<strong>la</strong>eliie.


ISS<br />

COU1S DE LITTÉMTU1E.<br />

mit pas là <strong>de</strong> quoi faire un psaume ni une o<strong>de</strong>;<br />

mais il y es avait assez pour Dieu et pur l'homme<br />

qui aimait Dieu; et c'est sous ce rapport que ce<br />

trait rentre dans ee que je disais.<br />

J'avoue encore que rien <strong>de</strong> tout ce<strong>la</strong> ti 9 est concevable<br />

pour ceux qui ne sa?eat pas ce que c'est que<br />

d'aimer Dieu , comme le <strong>la</strong>ngage <strong>du</strong> cœur est Inintelligible<br />

pour llionime froid ? comme <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong>s<br />

artistes est étrangère à qui ne connaît pas les arts;<br />

et Ton me pardonnera-ces rapports <strong>du</strong> sacré au profane<br />

, que je ne me permets que pur me faire enten­<br />

dre <strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong>. C'est-donc a?ee le cœur qu'il<br />

faut lira les Psaumes pour les faire sentir; et alors<br />

toute âme religieuse, loin d'y traiiter trop <strong>de</strong> répétitions,<br />

y ajoutera les siennes propres. 11 y a pour<br />

elle <strong>de</strong>s mots et <strong>de</strong>s idées qu'elle est nécessitée à<br />

redire sans cesse 9 comme l'extrême besoin n 9 a qu'un<br />

même cri , jusqu'à ce qu'il soit satisfait ; et le besoin<br />

<strong>de</strong> l'âme religieuse ne pou?ant jamais Fêtre dans<br />

cette Yie, son cri est toujours le même. Mêtmww$<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> terre« 9 pourquoi vous importunerait-il? On<br />

ne Fentend point parmi vous : il est le concert <strong>de</strong>s<br />

tabernacles <strong>du</strong> Seigneur, et c'est <strong>de</strong> là qu'il <strong>mont</strong>e<br />

aux cieux. Tout ce qu'on TOUS <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, c'est <strong>de</strong> ne<br />

pas le troubler, comme les sénateurs <strong>de</strong> Dieu ne<br />

font pas troubler YOS joies mondaines. Mseediiem<br />

me, mn%fti.- et icmîmbêf mandata Hd md.<br />

« Méchants , éiaipei»?aas <strong>de</strong> moi , et je méditerai les<br />

paroles <strong>de</strong> mon Mes. » (Jaa lis.)<br />

Yoyes dans l'Évangile <strong>la</strong> Chananéenne suivre<br />

obstinément Jésus-Christ pour en obtenir <strong>la</strong> guérison<br />

<strong>de</strong> sa Mlle ; song&»t*elle à Tarier son dis<strong>cours</strong>?<br />

les cent cinquante paumes : c'est beaucoup, HUé<br />

je vais au plus fort, parce que je ne saurais me résoudre<br />

à compter. Eh bien! il n'y a pas un moment<br />

dans notre existence qui ne soit le résultat d'oie<br />

foule <strong>de</strong> bienfaits <strong>du</strong> Créateur, même dans le maî«<br />

heureui, même dans le méchant.—Cekest-iî possible,<br />

diront peut-être ceux qui n'y ont pas plus<br />

pensé que je n'y ai pense moi-même pendant quarante<br />

ans ! — Ce<strong>la</strong> est aussi sûr que votre existera<br />

même; et si TOUS y réûédiïssez, ?ous n'ea doutera<br />

pas plus que <strong>de</strong> <strong>la</strong> lumière <strong>du</strong> jour. Or, quand Da?M,<br />

composant cette foule d'o<strong>de</strong>s à <strong>la</strong> louange <strong>de</strong> Dies,<br />

aurait énoncé cent fois ce qu'il est si juste et si naturel<br />

<strong>de</strong> sentir à tous les instants, il aie semble qu'il<br />

n'y a pas là d'excès ; et, s'il pouvait y en met, m<br />

moins ne serait-ce pas dans <strong>de</strong>s chants-<strong>de</strong> prière :<br />

car il<strong>la</strong>uteneore invoquer les convenances humaine;<br />

toute poésie religieuse, solennelle et musicale, em­<br />

porte et même exige <strong>de</strong>s retours et <strong>de</strong>s refrains.<br />

Et puisque j'ai touché ce point, j'obsertûral qaa<br />

les critiques inconsidérés ont totalement oubliées<br />

rapports <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie et <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique, qui sost<br />

pourtant <strong>de</strong>s lois reçues partout. Ils se sont féerie<br />

sur le psaume 185, oè Fon reprend à disque femt<br />

ces mots <strong>du</strong> premier, jmree que m wdsirkw<strong>de</strong> eil<br />

étemêlk. Maisest-ii permis d'ignorer que ce psaume,<br />

le seul <strong>de</strong> ce genre, avait un objet particulier? H<br />

était <strong>de</strong>stiné à <strong>la</strong> dédicace <strong>du</strong> temple que défait Mtir<br />

Salomon, et il fut» en effet, chanté. Il est partagé<br />

entre les chantres et le chœur : les uns doivent prononcer<br />

<strong>la</strong> première partie <strong>de</strong> chaque verset, qui<br />

rappelle quelqu'un <strong>de</strong>s bienfaits ou <strong>de</strong>s prodiges da<br />

Que dit-elle ? Rien que ces mots 9 qu'elle Ta répétant Bien d'Israël; les autres ne sont chargée qtiedi re­<br />

à chaque pas : Jémmy JUt <strong>de</strong> Dieu, ayez -pitié <strong>de</strong> frain qui en fait <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> : Qwmtom in «fenww<br />

moi : mafitte mi t&mmmiée par k-dèmm. Les wdmie&ré<strong>la</strong> ejm. Ce p<strong>la</strong>n musical est tttt-bea ;<br />

disciples eux-mêmes en sont impatientés (car ils et <strong>de</strong>man<strong>de</strong>i à un Lesueur, à un Gossee, à es<br />

n'avaient pas encore reçu FEsprit) ; ils prient leur Mébul, s'il n'est pas susceptible d'un grand effet<br />

maître d'éloigner cette femme importune. Mais le dans le refrain, et d'un effet très-varié dans chupse<br />

maître, qui ne fou<strong>la</strong>it que <strong>mont</strong>rer aux Jais un' verset; Si ce psaume eût été publié <strong>de</strong> nos jours, os<br />

exemple <strong>de</strong> patience et <strong>de</strong> foi dans une femme ido­ aurait imprimé une fois pour toutes les paroles da<br />

lâtre, finit par Fexauçer, et donne une leçon à ses chœur, comme c'est l'usage : mais les Juife* W<br />

disciples « en leur disant qu'il m'mpm* encore iremé nous ont conservé les Écritures, ont poussé le scru­<br />

tant <strong>de</strong> foi dam i$rmA.<br />

pule jusqu'à compter les mots par respect, COBDM<br />

— Mais enfin pourquoi le -psalmiste redit-il si nos censeurs mo<strong>de</strong>rnes les ont comptés par dérisiongourent<br />

fae Bien mi km, qu'il est mkérkwdîmm f — Mais, quoique Dieu soit toujours bon, q^os-<br />

Qui en doute? Pourquoi invite»t-il si souvent les qu'il nous fasse <strong>du</strong> bien à tous les moments, et qu'à<br />

hommes à tower et bénir Meuf Pourquoi ces re­ tous les moments on ait besoin <strong>de</strong> lui, faut-il s'en<br />

frains si fréquents : Écméez mm prière , exaucez- souvehîîr et le répéter sans cesse? nous 1© <strong>de</strong>ma»^*<br />

moi, recaarea-atal, etc. ? Ce<strong>la</strong> n'est-il pas Irap mo­ t-il? et ce<strong>la</strong> même est-il possible?<br />

notone , même pour <strong>de</strong>s chrétiens 1<br />

— Non, pas même aux solitaires et am contem­<br />

Oh! pour <strong>de</strong>s chrétiens, non, à coup sir* Mais p<strong>la</strong>tifs : les objets extérieurs et les impressions <strong>de</strong>s<br />

supposons que ce<strong>la</strong> revienne jusqu'à cent fois dans sens ont sur nous leur pouvoir et même leurs droîts;<br />

1<br />

Eifitisloaiesiaaaiaff.<br />

et Dieu ne nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que ce que ooû* pou*»»'


ANCIENS. — POÉSIE. 189<br />

Mali pourquoi a-t-il voulu que les cantiques qu'il a<br />

dictés nous reportassent sont est sur les mêmes<br />

* Cari connaît notre aJglle^ienssMVientquaiiimi<br />

sommes poussière.<br />

idées? Cestt qu'elles contiennent tout ce qu'il est « Les jours <strong>de</strong> Fbomme sont comme l'herbe ; sa leur est<br />

pour sons 9 et tout ce que nous <strong>de</strong>vons être pour comme celle <strong>de</strong>s champs : on souffle a passé, et k leur<br />

tel; tout ce qu'il veut que notre cœur s'accoutume est tombée ; et <strong>la</strong> terre qui Fa portée ne<strong>la</strong> reconnaîtra plus.<br />

à sentir, et notre bouche à répéter; et quoi <strong>de</strong> plus « Mais k miséricor<strong>de</strong> <strong>du</strong> Seigneur sur ceux qui le etalgnent<br />

est <strong>de</strong> l'éternité à Fétenlté. *<br />

important? Es songeant combien Dieu est bon,<br />

qoil Test comme lui seul peut l'être, rhomme aussi C<br />

apprend à être bon autant que peut Fêtre l'homme :<br />

en songeant combien Dieu nous aime, et qu'il n'y a<br />

que lui qui puisse aimer ainsi, l'homme apprend à<br />

aimer Dieu autant qu'on peut l'aimer ici-bas ; et celui<br />

qui aime Dieu détient bon. Awm et foc quod wi$ :<br />

« âirjici-ie f et faites ce que vous fendras. »<br />

11 y a dans ce mot <strong>de</strong> saint Augustin autant ie sens<br />

que <strong>de</strong> sentiment. Ce qui est toujours dans le cœur<br />

revient souvent sur les lèvres , et l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> bénir<br />

IMm sanctifie toutes nos actions. Cest une pensée<br />

qui corrige et parité toutes les autres : je ne craindrai<br />

pas que celui qui bénM Dieu <strong>de</strong> cœur fasse <strong>du</strong><br />

mal aux hommes.<br />

Cest donc le feu <strong>de</strong> Famour divin qui anime les<br />

Psaumes. Le palmiste en est en<strong>la</strong>mmé9 et le répand<br />

dans ses chants et dans notre âme. Faut-il s'en étonner?<br />

David était <strong>la</strong> ignée <strong>de</strong> celui qui est eettucfipmier<br />

ce feu sm <strong>la</strong> terre * ; il a comme prophète,<br />

incessamment <strong>de</strong>vant les yeux celui qu'il représente,<br />

et i voit dans l'avenir le chef-d'œuvre <strong>de</strong> l'amour<br />

divin, ravénement <strong>du</strong> Sauveur : aussi n'est-il jamais<br />

plus éloquent que sur les miséricor<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Dieu; et<br />

<strong>de</strong> là ce pthétiquequi, chez lui, est égal au sublime<br />

d'idées et d'images. Qui pourrait le méconnaître<br />

dan le psaume 102 {Jeiteeffe), et particulièr«nent<br />

dans les passages suivants?<br />

« Bénis le Seigneur, ênton âme! et f se, tout ce qui est<br />

a* moi ren<strong>de</strong> lumunageà son saint nom. Bénis le Seipienr,<br />

ê mm âme, et n'oublie jamais ses Nenfalts.<br />

« CTeat kti


190<br />

maîne est ce<strong>la</strong>i <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nte. Qui a mieux connu et<br />

mieux rempli ce besoin <strong>de</strong> notre espèce que les auteurs<br />

<strong>de</strong>s livres saints? on plutôt qui pouvait le<br />

mieux connaîtra et le mieux remplir que celui même<br />

qui a fait l'homme, et qui lui a envoyé sa parole<br />

pour l'éc<strong>la</strong>irer et le consoler? Tous qui êtes malheureux,<br />

affligés, opprimés, allez chercher le sou<strong>la</strong>gement<br />

et l'espérance dans Sénèque et dans les<br />

autres philosophes, et fans me dires comment vous<br />

?ous en serez trouvés*-Moi, je lirai l'Écriture, et<br />

surtout les psaumes : je lirai le psaume Memedêmm,<br />

si plein <strong>de</strong> douceur et d'onction, où David, en commençant,<br />

désigne d'abord ceux pour qui seuls il a<br />

écrit et chanté.<br />

« Je bénirai le Sdtpstar en tout temp; ses losanges<br />

seront toujours dans ma bouche. Mon âme se gforiicra dais<br />

le Seigneur : §oe les hommes d'en oeenr doux m'enten<strong>de</strong>nt<br />

et partagent mon allégresse. »<br />

Il venait alors d'échapper au plus éminest danger,<br />

en se sauvant <strong>du</strong> pays <strong>de</strong> Geth, où sa vie avait été<br />

menacée; mais sa situation était toujours pénible<br />

et périlleuse, comme elle le fut jusqu'à <strong>la</strong> mort <strong>de</strong><br />

son insensé persécuteur Sail, et quelquefois même<br />

<strong>de</strong>puis. Aussi ces cantiques sont-ils un mé<strong>la</strong>nge et<br />

une succession <strong>de</strong> p<strong>la</strong>intes et d'actions <strong>de</strong> grâces;<br />

mais toujours avec <strong>la</strong> plus entière confiance en Dieu.<br />

Il sait bien que ce sentiment n'est pas celui <strong>de</strong>s<br />

cœurs <strong>du</strong>rs et superbes ; il ne s'adresse donc qu'mt®<br />

kùmmes d'm cœur dmœ ; et c'est à eux qu'il dit ;<br />

«Célébrons tons ensemble te Seigneur; exaltons en­<br />

semble son nom. J'ai cherché le Seigneur 9 et M m'a exaucé,<br />

et il m'a délivré <strong>de</strong> mes adversités.<br />

« Approchez <strong>de</strong> lui, et. vois seras éc<strong>la</strong>ir en; et <strong>la</strong> honte<br />

ne sera pis sur votre front.<br />

« Ce pauvre " s crié vers le Seigneur, et il m été exaucé;<br />

et M est sorti <strong>de</strong> toutes ses tribu<strong>la</strong>tions.<br />

* L'ange <strong>du</strong> Seigneur <strong>de</strong>scendra près <strong>de</strong> caca qui craignent<br />

Dieu, et II les sauvera.<br />

« Éprouvés et goûtez combien le Seigneur est doux,<br />

comb<strong>la</strong>i est heureux celui qui espère en lui.<br />

« Il est auprès <strong>de</strong> ceux qui ont le cœur affligé, et I<br />

sauvera ceux dont f âme est humble. »<br />

Et ailleurs.<br />

« Le passereau trouve sa <strong>de</strong>meuré f et Sa tourterelle se<br />

fait un BM pour y déposer ses petits; vos autels, é mon<br />

Dieu et mon roi ! vos autels a , c'est faaile que je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>.<br />

1 Ce pawm est Dawtd Inl-néne. Ou a dit quelque part :<br />

€*«•!Jfer, no» c'esl èe


ANCIENS. — POÉSIE. 191<br />

île nos-besoins. L'idée<strong>de</strong> son immense pou?oir, con­ l'unité d'un Dieu, ont senti que <strong>la</strong> bonté était un<br />

sidérée "seulement quelques minutes 9 nous confond <strong>de</strong> ses attributs essentiels. Mais cette vérité se passa<br />

et nous accable : méditez un moment l'infini en jamais <strong>la</strong> spécu<strong>la</strong>tion; et jusqu'à l'Évangile, ao <strong>la</strong><br />

éten<strong>du</strong>e ou en <strong>du</strong>rée; cherchez à le concevoir ; vous bonté divine parut en personne, parut en actions et<br />

sera bientôt comme étourdi, et obligé d'éloigner en paroles, au point que les incré<strong>du</strong>les eux-mêmes,<br />

lia* idée qui tous fait tourner <strong>la</strong>-tête. L'infini nous en refusant d'y voir Dieu 9 y ont au moins vu <strong>la</strong><br />

entoure <strong>de</strong> tonte part, et nous ne pontons pas plus perfection <strong>de</strong> l'homme (ce qui est beaucoup pour<br />

le lier sons notre pensée que sous nos sens. L'en eux) ; jusqu'à <strong>la</strong> publication <strong>de</strong> ce livre qui a eaa-<br />

et l'antre ne <strong>la</strong>issent pas d'atteindre loin , témoin quia le mon<strong>de</strong> en oondamsant le mon<strong>de</strong>, <strong>la</strong> bonté<br />

l'astronomie ; mais quoique le mon<strong>de</strong> ait <strong>de</strong>s bornes divine n'a été sentie et représentée que dans les li­<br />

pour Dieu qui Ta fait, il en a si peu faar nous, vres <strong>de</strong> l'ancienne loi, qui annonçaient les mystères<br />

que les saute calculs <strong>de</strong> <strong>la</strong> distance possible <strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> nouvelle. Mais aussi quelle p<strong>la</strong>ce elle y tient!<br />

étoiles lias n'ont point <strong>de</strong> terme arithmétique. Ainsi <strong>de</strong> quels traits elle y est peinte! comme il est c<strong>la</strong>ir<br />

fini ni nous environne et nous repousse. Mais ap­ que ces traits-là ne sont pas <strong>de</strong> main d'homme!<br />

paremment que notre coeur est fins grand que no­ Yoos qui croyez seulement à l'existence d'un Dieu,<br />

tre esprit; car, quoique l'infini en bonté ne soit pas si cette idée n'est pas chez vous une idée vi<strong>de</strong> et<br />

plus à <strong>la</strong> portée <strong>de</strong> nos conceptions que tout autre, stérile ( ce qui serait "d'autant plus honteux, qu'elle<br />

sous pouvons considérer celui-là, aaa-seaîeaieal est <strong>la</strong> plus noble et <strong>la</strong> plus 'fécon<strong>de</strong> <strong>de</strong> toutes les<br />

sans peine et sans fatigue, mais avec un p<strong>la</strong>isir ton- Idées <strong>de</strong> l'esprit humain )', il ne faat ici que réfléchir<br />

jours nouveau : nos idées s'y per<strong>de</strong>nt, mais nos et être conséquent : mais combien l'un et l'autre<br />

sentiments s'y retrouvent. Je ne sais quoi nous dit est rare!<br />

que <strong>la</strong> puissance <strong>de</strong> Bien n'est qu'à lui et pour lui ; Us caractère particulier, dont je crois <strong>de</strong>voir<br />

mais que sa bonté est aussi à nous et pour nous; dire un mot dans ce dis<strong>cours</strong>, ou je ne fais qu'ef­<br />

et quoique es y pensant nous ne puissions en troufleurer ce qui est fait pur être développé iaal lin<br />

ver les limites, ni dans m qu'il donne, ni dans ce ouvrage, c'est cette coniance puur aissi dire fa­<br />

qu'il promet, il semble pourtant qu'il n'y ait rien milière entre Dieu et l'homme, que naturellement<br />

<strong>de</strong> trop pour notre coeur, pour ses besoins, pour aucun écrivain ne se permettrait, si elle ne lui était<br />

ses désirs. L'apdtre saint Jean a dit dans une <strong>de</strong> ses inspirée. Je conçois fort Bien qu'Un <strong>de</strong>s dieux d'Ho­<br />

épttreg un mot sublime * : Jfejar «il Deus cor<strong>de</strong>, mère couvre un héros <strong>de</strong> son boudier : <strong>de</strong>s' dieux qui<br />

mmtm :<br />

peuvent être trompés, blessés, emprisonnés, punis,<br />

« Dieu est plus grand que notre cœur. » ne peuvent guère se compromettre, et les poètes ont<br />

Il l'a dit en ce sens que Dieu en sait plus sur nos pu en faire ce qu'ils vou<strong>la</strong>ient. Mais que, dans les<br />

Éta<strong>la</strong>s qu^ <strong>la</strong> conscience mène <strong>la</strong> plus éc<strong>la</strong>irée. Mais mimes livres ou se <strong>mont</strong>rent sans aucun alliage les<br />

ce mot est tout aussi vrai <strong>de</strong> <strong>la</strong> capacité <strong>de</strong> notre idées les plus pures et les plus-hautes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Divinité f<br />

cœur en désirs : rien se nous paraît pouvoir aller comme on vient <strong>de</strong> le voir, et comme ce<strong>la</strong> n'est pas<br />

plus loin ; et Dieu seul est au <strong>de</strong>là.<br />

même contesté; que dans les livres pleins <strong>du</strong> plus<br />

Comment se fail-iî donc que le sentiment <strong>de</strong> cette profond respect pour Dieu, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> crainte <strong>de</strong> Dieu<br />

bonté, qui est si doui et qui semblerait si naturel,<br />

<strong>la</strong> plus religieuse, le Très-Haut paraisse en même<br />

ne se trouve exprimé et approfondi que dans l'Écri­<br />

temps traiter l'homme comme us ami daas <strong>la</strong> force<br />

ture, et n'ait été familier qu'aux chrétiens? C'est<br />

<strong>du</strong> terme, entrer avec lui en discussion aaaiaie avec<br />

qu'eux seuls ont en effet connu Dieu ; et c'est en<br />

un égal, sans que cette espèce <strong>de</strong> commerce si extra­<br />

bonne philosophie une preuve péremptoire que<br />

ordinaire, affaiblisse jamais dans l'homme <strong>la</strong> véné­<br />

rhotnoM avait besoin d'une révé<strong>la</strong>tion pour le cou*<br />

ration et <strong>la</strong> soumission; c'est ce qui est pour moi<br />

naîtra ainsi. Je ne suis point surpris qu'on ait peu<br />

une démonstration morale <strong>de</strong> l'inspiration divine t<br />

parié <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonté <strong>de</strong>s dieux <strong>du</strong> paganisme : il s'en<br />

et ce qui <strong>de</strong>vrait être au moins, pour tout homme<br />

<strong>de</strong> sess et <strong>de</strong> bonne foi, matière à axamaa et à ré-<br />

fal<strong>la</strong>it <strong>de</strong> tout qu'ils fessent bons. Dm philosophes<br />

ieiion. -<br />

anciens, il est vrai, ceux <strong>du</strong> moins qui ont reconnu<br />

Que le Dieu d'Israël, prêt à promulguer sa loi sur<br />

les sommets <strong>de</strong> Sinaï, s'annonce avec un appareil si<br />

m 3m swMêmm dans niai tam? Comment i*~Um cheicher<br />

m ém mèiàm dam tatat leas ! Saint Jean et It mèiêmm peeformidable<br />

t que les Hébreux, saisis d'effroi, prient<br />

« **sWsi afatr csMmMe? » i y i autant dteprlt dans m le Seigneur <strong>de</strong>nepm leur parier M-même, <strong>de</strong><br />

gao« ëe §mêeiés qnieft «<strong>la</strong>i <strong>de</strong> nos pMlemphei, cpedasi peur qmtk m mêmrmi, ce n'est pas, si je l'ose djre,<br />

«Ut txdaniattoe al attamate <strong>de</strong>s LtUrm permmm : « Ah!<br />

«aa!ssoiifl«ir est Portas! Gommentpant-on êtraPenan? • ce qui marque le plus à mes yeux fesprit divin dans


ttl<br />

COU1S DE MTTÉ1ATU1E.<br />

le récit <strong>de</strong> Moïse, Naturellement les idées <strong>de</strong> majesté<br />

efr<strong>de</strong> terreur entourent l'idée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Divinité; et, dans<br />

ce genre , l'imagination a donné à <strong>la</strong> Fable même<br />

quelques grands traits <strong>de</strong> vérité, quoique toujours<br />

altérés par un mé<strong>la</strong>nge qui prosv a l'erreur. Mais à<br />

quoi reconnattrai-je surfont Fesprit divin dans le<br />

Pentatenque et dans les antres parties <strong>de</strong> <strong>la</strong> Bible?<br />

C'est à <strong>la</strong> manière dont je fois Dieu converser arec<br />

l'homme ; c'est quand ee Bien si terrible s'entretient<br />

si familièrement avec Abraham , avec Moïse, arec<br />

Jooaa, arec tous ses serviteurs;c'est, par eiemple,<br />

dans cet endroit <strong>de</strong> <strong>la</strong> Genèse, dont il faut citer le<br />

texte, parce que rien ne saurait en suppléer l'impression.<br />

« JUort le Seigneur dit : Pourrais-jê cacher à Abraham<br />

ce que je dois faire ? ( Et il loi apprend qu'il va détruire Sedôme.)<br />

Alsranam <strong>de</strong>meura <strong>de</strong>vant le Seigneur s , et «'approchant,<br />

il lui dit : Serait-Il possible que rens issfes périr<br />

l'innocent avec le coupable? Sll j avait cinquante justes<br />

dans cette ville, les extermineries-vous avec les autres?<br />

Hé parfoaiiêrfei-vous pas plutôt à toute <strong>la</strong> ville, à cause<br />

<strong>de</strong>s cinquante justes qui s'y trouveraient ? Voua n'êtes point<br />

capable <strong>de</strong> perdre le jnste avec l'impie ; et <strong>de</strong> traiter Finïteeeat<br />

comme 1® coupable : une telle con<strong>du</strong>ite est indigne<br />

<strong>de</strong> vous. Celui qui est le juge <strong>de</strong> tonte <strong>la</strong> terre pourrait-il<br />

ne pas rendra justice? — Le Seigneur dit : Si je trouve<br />

cinquante juste dans Sodome, je pardonnerai à toute <strong>la</strong><br />

rile à cause d'eux. — Puisque j'ai commencé, dit Abraham<br />

, Je parlerai encore à mon Seigneur, quoique je ne sois<br />

que cendre et poussière. S'il s'en fal<strong>la</strong>it cinq qu'il n'y en<br />

tût cinquante, ferks-vous périr toute <strong>la</strong> ville, parce qu 9 il<br />

y en aurait cinq <strong>de</strong> moins ? — Non 9 dit-il, je se <strong>la</strong> détruirai<br />

point ; sll s'y trouve quarante-cinq justes. — Abraham,<br />

contfamast <strong>de</strong> parler, lui dit : Mais s'il s f y en avait que quarante?<br />

— A cause <strong>de</strong> ces quarante, dit le Seigneur, je ne<br />

<strong>la</strong> détruirai point. — Seigneur, dit Abraham; ne vous ÛV<br />

ches pas, je vous prie, si je parle encore. Peut-être qu'il<br />

n'y en aura que trente. — Le Seigneur dit : Si j'en trea?a<br />

trente, je ne k détruirai point — Puisque j'ai commencé,<br />

dit Abraham, je parlerai encore à mon Seigneur. S'il ne<br />

s'y en trouvait que v ingt? — Le Seigneur dit : A cause <strong>de</strong><br />

ces vingt, je se U détruirai point — Abraham dit ; Seigneur,<br />

Je ne parierai plus que cette fois. Peut-être n'y en<br />

âura-t-U que air» — SU y eu a dix, répondit le Seigneur,<br />

je ne <strong>la</strong> détruirai point. »<br />

Il y a quelque chose as moi qui me crie si fortement<br />

que l'homme n'a pas trouvé ce<strong>la</strong>, que , §11 était<br />

possible que ee sentiment me trompât, je se craindrais<br />

pas d'être surpris <strong>de</strong> mou erreur au jugement<br />

<strong>de</strong> Dieu. Je lui dirais comme Abraham : -<br />

* Tous êtes Jastc , et avec les idées que vous-même avet<br />

données à mon Intelligence, a§*je pu croire que ce n'était<br />

pas vous qui parlez ainsi ? »<br />

1 D paraît es cet endroit, ©omise ta beaucoup d'autres,<br />

sous <strong>la</strong> figea ifiin ange; maki ee se faisant ceeeaitre pour<br />

œ qu'il est, eomme on 1@ eolt par toute <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> festretten.<br />

Mais heureusement il n'y a pas <strong>de</strong> risque, et je suis<br />

sûr que ce<strong>la</strong> est <strong>de</strong> Dieu, eomme je le suis qu ? it y<br />

a un Dieu.<br />

Je <strong>la</strong>isse <strong>de</strong> cêté toutes les réierîees que peut<br />

faire naître cet entretien; et qui ne sont pas <strong>de</strong> mou<br />

objet. Je remarquerai uniquement que cette suite<br />

d'interrogations serait hors ie vraisemb<strong>la</strong>nce dais<br />

toute autre histoire, rien que d'un sujet à on roi 9 et<br />

un roi justement irrité, et que l'inaltérable patience<br />

<strong>du</strong> maître paraîtrait aussi peu concevable que les<br />

questions multipliées <strong>du</strong> serviteur paraîtraient, es<br />

pareille occasion 9 indiscrètes et téméraires. De part<br />

et d'autre, il n f y a rien là dans Perdre humain.<br />

' Jonas va criant dans les rues <strong>de</strong> N inive :<br />

« Encore quarante jours, et Maire sera détruite. »<br />

Car c'est là ce qu'il avait ordre d'annoncer; et <strong>la</strong><br />

sentence est positive « et <strong>la</strong> prophétie sans restriction.<br />

Cependant les Nisivites et leur roi s'humilient<br />

<strong>de</strong>vant le Dieu qui a envoyé Jonas; i<strong>la</strong> font pénitence<br />

tous le sac et <strong>la</strong> cendre % dans le jeûne et dans<br />

<strong>la</strong> prière, et ils disent :<br />

« Qui sait si Meu ee se retournera pas vers iras peur<br />

nous pardonner, s'il ne s'epaisera point, et a*ï nefévoqwra<br />

point l'arrêt <strong>de</strong> notre perte qu'il a praeeeicé dam sa colère?<br />

Eu effet, Dieu considéra leurs œuvres; et voyant qu'Os<br />

s'étaient convertis ee quittant leurs voies criminelles, 1<br />

eut pitié d'eux et ne leur il point k mal qu'il avait reca<strong>la</strong><br />

<strong>de</strong> lear faire. »<br />

Jonas, qui ne s'était chargé qu'à regret lie prédire<br />

les vengeances <strong>du</strong> Seigneur, et qui n'était pas<br />

dans ses secrets, quoique chargé <strong>de</strong> sa parole s<br />

trouva fort mauvais que sa prophétie fit ainsi démentie<br />

, et s'en p<strong>la</strong>ignit à celui qui l'avait envoyé.<br />

Mais il faut encore entendre Dieu et son prophète<br />

dans le teite sacré.<br />

« Cependant Jouta, étant sorti <strong>de</strong> Nlsive, était ailé §e<br />

p<strong>la</strong>cer à ferieol <strong>de</strong> <strong>la</strong> vUSe. Là, il se it use petite cabane<br />

<strong>de</strong> feuil<strong>la</strong>ges, et s'y reposa à S'ombre en attendant ce qui<br />

arriverait. Mais lorsqu'il vit que Dieu s'était <strong>la</strong>issé toucher<br />

<strong>de</strong> compassion, il en fet très-ttché; et, dans f'eacea <strong>de</strong><br />

un ehagrfa> il dit au Seigneur : ITest-ee pas là, mon<br />

Dieu, ceque je disais lorsque j'étais cneoredassinoii pays?<br />

C'est ce que je prévoyais ; et c'est pour ce<strong>la</strong> que je me sois<br />

eofai pour aUer à Tharais;ear je savais que vous êtes en<br />

Dieu dément, ton, patient, plein <strong>de</strong> miséricor<strong>de</strong>, et qui<br />

perdaaaezaai hommes leurs péchés. Je vous conjure donc,<br />

Seigneur, <strong>de</strong> retirer aiaa âme <strong>de</strong> mon corps, car In mort<br />

vaut mieux, pour moi que <strong>la</strong> vie. — Le Seigneur lui dit :<br />

Crojex-vous que votre colère soit biea raisonnable f »<br />

On s 9 étonnera sans doute que le Seigneur s'en<br />

dise pas davantage, et Ton trouvera d'abord le pro-<br />

• (Test raeore ee Orient le signe <strong>du</strong> <strong>de</strong>mi et <strong>de</strong> FaHIettoo.


ANCIENS POESIE.<br />

phète Mm raéchan^-et lé Seigneur bien bon. Yoyon§<br />

<strong>la</strong> suite <strong>du</strong> récit et <strong>de</strong> <strong>la</strong> leçon.<br />

« Comme te prophète était fort incommodé <strong>de</strong> <strong>la</strong> eha*<br />

hwt te Seigneur it naître un arbrisseau fii s'éleva au-<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> télé <strong>de</strong> Jouas , pour le couvrir <strong>de</strong> gon ombre et te<br />

gMWtk <strong>de</strong>s ar<strong>de</strong>urs <strong>la</strong> sotefi louas en eut une très-gran<strong>de</strong><br />

jek; mais le len<strong>de</strong>main matin, le Seigneur envoya un Ter<br />

' qui rongea <strong>la</strong> mtim <strong>de</strong> Sa p<strong>la</strong>nte» el eUe-<strong>de</strong>fûit toute sèche.<br />

Après le lever <strong>du</strong> solei ; Dieu, if souffler en ? eut bra-<br />

Imt, et les rayons do soleil donnant sur <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> Jonas,<br />

ï M Irepva dans un abattement extrême et souhaita <strong>de</strong><br />

BMorir, disant encore : <strong>la</strong> mort m'est meilleure que <strong>la</strong> fie.<br />

Hors le Seigneur dit à Jonas : Croyei-vous avoir raison <strong>de</strong><br />

vous fletar ?... Vois Tondries conserver une p<strong>la</strong>nte qui est<br />

fesse sans TOUS, qui est crue en une nuit, et qui est<br />

mute le len<strong>de</strong>main ; et vous ne voules pas que j'épargne <strong>la</strong><br />

gran<strong>de</strong> ¥ile <strong>de</strong> Ninive, où il y a plus ie six vingt mUle<br />

personnes qui ne- savent pas distinguer <strong>la</strong> droite <strong>de</strong> <strong>la</strong> gauche<br />

, et qui renferme une multitu<strong>de</strong> d'ammaux. »<br />

Je se prétends pas ici expliquer on récit où tout<br />

est Igor©, comme dans ton* ceux <strong>de</strong> l'Ancien Testament.<br />

Les chrétiens instruits gâtent que <strong>la</strong> colère<br />

injuste <strong>de</strong> Jonas représentait <strong>la</strong> jalousie présomp­<br />

tueuse <strong>de</strong>s Jiûfe, qui n'ont jamais pu comprendre,<br />

fne Dieu ait daigné se manifester aux Gentils, et<br />

leur porter use lumière que l'as Juifs n'ont pas voulu<br />

recevoir. Mais ce qui m'occupe ici, c'est toujours<br />

<strong>la</strong> boité <strong>de</strong> Dieu,'d'abord dans <strong>la</strong> douceur <strong>de</strong>s reproches<br />

qu'il fait à Jouas, ensuite dans <strong>la</strong> disproportion<br />

entre l'opinion que peut a?oir l'homme <strong>de</strong>s<br />

«îséricoKles divines, et ce qu'elles sont réellement.<br />

On volt que Jonas en avait déjà une gran<strong>de</strong> idée.<br />

Cependant il est surpris et scandalisé que Dieu<br />

pardonne si promptement à une fille si criminelle.<br />

C'est qu'il s'a TU que ce que l'homme peut voir, <strong>la</strong><br />

•nnititn<strong>de</strong> et Fénormité <strong>de</strong>s crimes, dont il ne peut<br />

trouver <strong>la</strong> compensation dans quelques jours <strong>de</strong> pénitence<br />

publique. Mais il y a une pénitence intérieure<br />

dont il n'est pas juge, parce qu'il ne lit pas<br />

dans les cœurs : il y a le repentir <strong>du</strong> ecéur, que<br />

Bien seul peut juger et apprécier, et, comme il r*p-<br />

P^<strong>de</strong> encore dans sa miséricor<strong>de</strong>, est-il étonnant<br />

qu'elle emporte <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce? Il fait môme entrer ici<br />

pour quelque chose <strong>la</strong> conservation <strong>de</strong>s animaux;<br />

« qui peut nous surprendre, mais ce qui ne surprend<br />

pas dans % celui qui les a faits s et qui s'est<br />

chargé <strong>de</strong> les nourrir.<br />

Cest <strong>de</strong> ce sentiment <strong>de</strong> sa bonté que aatt celui<br />

d* ramow dans les prophètes qui font chanté t et<br />

principalement dans le psalmïste. ' '<br />

- fl fera (dit David) <strong>la</strong> volonté' <strong>de</strong> ceux qui te craignent.<br />

» •<br />

r&kmMkm Hmmtium Mfijàciei. Quel homme ne<br />

croirait pas dégra<strong>de</strong>r <strong>la</strong> Divinité par. <strong>de</strong> semb<strong>la</strong>bles<br />

tA BAI». — TOm t - -<br />

198<br />

expressions f Faire <strong>la</strong> mèwêê* Quel roi t quel prince<br />

dirait -qu'a fera <strong>la</strong> mhmtê <strong>de</strong> ses sujets? et <strong>de</strong> qui<br />

foserait-on dire comme un éloge? A plus forte rai-<br />

•son, nul n'oserait le dire <strong>de</strong> Dieu. C'est que, dans<br />

toutes nos idées sur les gran<strong>de</strong>urs divines, quand<br />

ces idées ne sont que <strong>de</strong> nous, nous mêlons toujours<br />

involontairement ce qui dans nous se mêle plus ou<br />

moins à'toute gran<strong>de</strong>ur, l'orgueil. L'orgueil est Fattribut<br />

nécessaire <strong>de</strong> l'imperfection ; il appartient à<br />

tout ce qui est sujet à eompraison': tout être qui<br />

peut se comparer à un autre est donc sujet à f orgueil<br />

L'être parfait en est seul exempt. Dieu ne saurait<br />

être orgueilleux, parce qu'il ne put se comparer<br />

à rien, et c'est aussi pour ce<strong>la</strong> qu'il ne peut<br />

pas craindre comme nous <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre. C'est pour<br />

ce<strong>la</strong> que tant <strong>de</strong> choses et d'expressions ont choqué<br />

dans les livres saints, et n'ont choqué que l'orgneil<br />

et l'ignorance, qui ont cru voir <strong>de</strong> hpeUêesse dans<br />

les termes et daus les objets, comme si quelque chose<br />

était petit ou grand <strong>de</strong>vant Dieu : <strong>de</strong>vant lui tout<br />

est à sa p<strong>la</strong>ce, comme il Fa voulu, et voilà tout. 11<br />

nous a dit lui-même dans l'Écriture, et plus d'une<br />

•fois : Èies pensées ne sont pas les uêirês.<br />

La main me IMeu est une igure reçue ; mais je,<br />

ne crois' pas qu'aucun auteur eût risqué <strong>de</strong> dire<br />

comme David :<br />

« Si le juste tomber i ne sera pas froissé, -parce que le<br />

Seigneur avancer® t® main pour le soutenir »<br />

(Quia mminm mtppwdi wmmm)* Cette igure ne<br />

nous aurait-elle pas paru trop peUlet Mais supposons<br />

qu'elle passe, si l'on veut, grâce à l'habitu<strong>de</strong><br />

et à l'é<strong>du</strong>cation; en voici une où tous les lecteurs,<br />

quoique bien avertis f vont se récrier tout d'une voix<br />

(j'excepte toujours les chrétiens) :<br />

« Heureux l'homme attentif aux basons <strong>du</strong> pauvre et<br />

<strong>de</strong> fiaéijpiitt». U 'Seigneur l'assistera sur le lit <strong>de</strong> sa<br />

douleur. Oui , Seigneur, votre main retournera son Ut<br />

pour reposer ses infirmités : ( mimrmm sêraium ^ts<br />

versdstt in infirmitmêe-ejmy »<br />

Retourner $m lUÎ EMeu retourner un lié! Riez,<br />

grands esprits! J'avoue que ces figures-là ne sont<br />

pas <strong>de</strong> votre rhétorique : elles ne sont pas <strong>de</strong> votre<br />

Être suprême f mais elles sont <strong>du</strong> 6011 Dieu <strong>de</strong>s chrétiens,<br />

qui savent que rien n'estpetii dans sa bonté....<br />

0 Rousseau! où es-tu? Je n'ai jaopîs aimé tes erreurs,<br />

et tes sophismes ; mais toi, <strong>du</strong> moins s qui n'avais<br />

pas abjuré toute religion, tu ivals conservé un<br />

seos-'tiul manquait a -tous nos pkihsopkes. Tu as<br />

parlé dignement <strong>de</strong> l'Évangile et <strong>de</strong>s livres saints ;<br />

et ce n'est pas à toi qu'il eût fallu justifier cet admirable<br />

.verset <strong>de</strong> David.<br />

Il ne tarit pas sur les pisérîeor<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Dieu et sur<br />

le bonheur <strong>de</strong> l'aimer.<br />

13


194<br />

« Qu'elles sont gran<strong>de</strong>s s é mon Dteuî les douceurs que<br />

vous réservei à étui qui vous craiapeiiî ! VOIS les mémm<br />

dans te secret <strong>de</strong> votre fnecf hwi <strong>de</strong> <strong>la</strong> perséeatioii <strong>de</strong>s<br />

hommes; vous les mette en sûreté dans votre tabernacle<br />

» à l'abri <strong>de</strong> <strong>la</strong> contradiction <strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngues. Je disais dans<br />

l'excès <strong>de</strong> sien trouble : Mon Dieu 9 mm m'avez donc rejeté<br />

loin <strong>de</strong> TOUS ! Et tandis que je TOUS adressais ma prière 9<br />

vous m'aviez déjà exaucé.<br />

« Aimes donc le Seigoeur, parce qu'il conservera ceux<br />

cftil lui sont fidèles. Agissez avec courage, vous tous qui<br />

espères eu Dieu ; et que votre cœur se ferllie eu M...<br />

Cherchée <strong>la</strong> présence <strong>de</strong> Dieu 9 cherches-<strong>la</strong> toujours t etc. »<br />

* Ne per<strong>de</strong>z pas <strong>de</strong> me que <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong> ces cantiques<br />

ont été composés au milieu <strong>de</strong>s détresses et<br />

<strong>de</strong>s dangers. H commence presque toujours par <strong>de</strong>s<br />

p<strong>la</strong>intes, et Huit par <strong>de</strong>s remerefments; quelquefois,<br />

il est vrai, parce qu'il* échappé à un grand<br />

péril, mais le plus semant sans qu'il y ait rien <strong>de</strong><br />

changé à sa situation extérieure. D'où fient donc<br />

cette sérénitéf cette joie, cette confiance? C'est<br />

qu'il s prié, et qu'il ne doute pas que son Dieu ne<br />

fait enten<strong>du</strong> : il se regar<strong>de</strong> déjà comme délivré, et<br />

il l'est au moins <strong>de</strong> <strong>la</strong> crainte et '<strong>de</strong> l'abattement.<br />

C'est l'effet <strong>de</strong> <strong>la</strong> prière ; et c'est ce que l'Écriture<br />

enseigne à chaque page, et ce qu'elle a mis en action<br />

pour mieux nous l'enseigner..<br />

11 s'écrie au commencement <strong>du</strong> psaume 41 :<br />

« Comme te cerf altéré cherche feso <strong>de</strong>s fontaines, ainsi<br />

mou âme TOUS désire 9 ô mon Dieu ! Mon âme a soif <strong>du</strong> Dieu<br />

vtfaot, <strong>du</strong> Dieu fort. Oh! quand astms que j'irai et que je<br />

paraîtrai eu présence <strong>de</strong> mon Dieu? »<br />

Où a-t-on vu ce désir <strong>de</strong> paruUre dmmmi Mm si<br />

vivement exprimé? S'il n'était pas surnaturel, on le<br />

trouverait dans les prières <strong>de</strong>s autres religions ; mais<br />

il n'y est pas, il n'y fut jamais. Horace prédit à Auguste<br />

qu'il sera un dieu, ce qui est beaucoup plus<br />

que <strong>de</strong> voir Dieu; mais il lui conseille <strong>de</strong> ne pas se<br />

presser, malgré tout le p<strong>la</strong>isir qu'il peut y avoir à<br />

étfe dans l'Olympe : Serut in cmivm redms* Il a<br />

raison : il ne faut être dieu <strong>de</strong> cette manière que le<br />

plus tard possible.<br />

David ne paraît jamais vraiment affligé s que <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ux choses, <strong>de</strong> ses péchés, et <strong>de</strong>s injures qu'on<br />

fait à son Dieu. C'est encore ce qu'on ne rencontre<br />

pas dans l'antiquité païenne. Partout, il est vrai,<br />

les historiens, les poêles, les philosophes» détestent<br />

le sacrilège et l'impiété; c'est une disposition<br />

naturelle et générale» Mais aucun ne va jusqu'à s'en<br />

affliger, jusqu'à s'en faire un snjet <strong>de</strong> chagrin personnel.<br />

Il n'y a f ne David qui dise et redise :<br />

COU1S DE LinÉBATDBB.<br />

1 Quand SI par<strong>la</strong> su sou ne» : car H faut excepter tes<br />

pauma on 11 nprésento refonte in Sauveur portent les<br />

pécbés <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>; alors l'expression ne peut être pins dou-<br />

I ou mise.<br />

« le me nourrit le Jour et k suit <strong>de</strong> pain <strong>de</strong>s kmas9<br />

parce que f antemis qu'on me dt sans cesse : On doseest ton<br />

Dieu? Ci» b<strong>la</strong>sphèmes sont dans ma mémoire 9 et Je rentre<br />

dans mon âme jusqu'au jour ne je passerai dans les tabernacles<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> joie et <strong>de</strong> l'admiration, dans k <strong>de</strong>meure <strong>de</strong><br />

Dteu, au milieu <strong>de</strong>s cris <strong>de</strong> louanges qui retentirait dans<br />

le festin <strong>de</strong>s justes.<br />

« J'ai vu les,prévaricateurs9 et j'ai séché d'affliction,parce<br />

qu'ils n'observaient pas vos paroles.<br />

« Mon âme a défailli <strong>de</strong> douleur quand j'ai' vu tes pécheurs<br />

abandonner vos comman<strong>de</strong>ments.<br />

« J'ai vu dans tous les pécheurs <strong>de</strong> k terre <strong>de</strong>s triais*<br />

grosseurs <strong>de</strong>. votre loi f et c'est ce qui me Ta fait aimer.<br />

«t Bfanje pas liai tous ceux qui vous basent? Oui, je<br />

tes hais d'une haine prfnta » et vos ennemis sont <strong>de</strong>vons<br />

tes miens. »<br />

* Enin, c'est <strong>de</strong> lui que sont ces paroles que Jésus-<br />

Christ s'est appliquées :<br />

« Le sèle <strong>de</strong> votre maison m'a consumé. »<br />

Zém efamû$ éUM mmmMi me.<br />

Cet ar<strong>de</strong>nt amour pour <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> Dieu est le injnt<br />

particulier <strong>du</strong> plus long <strong>de</strong> tous ses psaumes, In eent<br />

dix-huitième, où il s'est fait un <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> faire entrer<br />

dans chaque verset k kd <strong>de</strong> Bku , ou ses pam-<br />

Il y-a loin <strong>de</strong> là au scrupule <strong>de</strong> se répéter y comme<br />

il y a loin <strong>du</strong> Saint-Esprit au Muses <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fable.<br />

C'est <strong>de</strong> ce psaume que je viens <strong>de</strong> citer quelques pat-<br />

sages sur <strong>la</strong> M <strong>de</strong> Dieu; c'est là qu'est m verset<br />

qui explique le secret <strong>du</strong> style <strong>de</strong> David 9 et cette chaleur<br />

active et pénétrante, caractère avoué es tente<br />

temps pour être'celui <strong>de</strong>s Écritures, et qui faisait<br />

dire à mmmmm qu'e&i partaient à mm eœwr. Votre<br />

parole<br />

« est on feu ar<strong>de</strong>nt, et mon âme en est embrasée. »<br />

Il y a trois mille ans que ce<strong>la</strong> est écrit ; et 9 <strong>de</strong>puis<br />

trois mille ans, il n'a manqué en aucun temps d'y<br />

âfoir <strong>de</strong>s hommes remplis <strong>de</strong> ce même feu ; et 9 <strong>de</strong>puis<br />

Jésus-Christ, le nombre en a été prodigieux.<br />

Ce<strong>la</strong> ne mérite-t-il pas qu'on y pense? Ou il faut<br />

soutenir que l'amour <strong>de</strong> Dieu ou <strong>de</strong> sa loi n'est pas<br />

en lui-même un sentiment bon pour l'homme et un<br />

principe <strong>de</strong> bien, ou il faut convenir qu'il n dans<br />

notre religion on principe <strong>de</strong> bien qui n'est dnns<br />

aucune autre. II parait difficile d'hésiter sur l'alternative<br />

en écoutant <strong>la</strong> raison; mais quand <strong>la</strong> raison<br />

nous embarrasse, on s'arme <strong>de</strong> ce qu'on peut<br />

avoir d'esprit pour se défaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison. Je ne<br />

connais pas d'étu<strong>de</strong> plus commune que celle-là, ni<br />

qui ait plus fructifié.<br />

David attache un si grand pris, à <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> Dieu,<br />

qu'elle feule lui tient lieu <strong>de</strong> tout, et il repro<strong>du</strong>it<br />

cette idée <strong>de</strong> toutes les manières imaginables.


m ne mm point écarté <strong>de</strong> votre loi.<br />

« L'iniquité <strong>de</strong>s superbes s'est multipliée sir mm; et<br />

moi f tsecaperâf tout mon cœur à méditer vos ordonnances.<br />

« H m'est bon que TOUS m'ayez humilié» afin <strong>de</strong> m'appromdrê<br />

vos justices,<br />

« La parole <strong>de</strong> votre bonebe est bonne à mon eœnr, et<br />

pfeta ftétkam pour moi que l 9 or et Pargent.<br />

« Les-pécheers m'ont attends pour me perdra ; mais vos»<br />

M mm donné FintèBi§ai€e <strong>de</strong> vos décrets.<br />

« Us m'ont presque anéanti sur k tecre; mais je n'ai<br />

point abandonné vos préceptes.<br />

« Les pécheurs m'ont tends leers filets 9 et ne m'ont<br />

point frit faillir dans vos comman<strong>de</strong>ments.<br />

« J'ai rencontré sur ma route <strong>la</strong> tribnktion et <strong>la</strong> détresse,<br />

et f ai persévéré dans <strong>la</strong> méditation <strong>de</strong> TOS préceptes.<br />

« Ceux qui me poursuivent et m'affligent se sont mnlfipiîét<br />

tons le* Jeeres; mais je ne me suis pas détourné <strong>de</strong><br />

vetoeW.<br />

« Les puissants m'ont rajustement persécuté; mais je<br />

su» damêsré dans <strong>la</strong> crainte <strong>de</strong> TOS comman<strong>de</strong>ments.<br />

« Combien je ctiéris votre loif Seigneur! elle est ma<br />

méditation <strong>de</strong> chaque jour Si votre loi n'avait pas été<br />

l'objet <strong>de</strong> mes pensées, peut-être aurais-je péri as josr <strong>de</strong><br />

mon afflfctioa. »<br />

Tous ces versets ne sont pas à <strong>la</strong> suite les uns <strong>de</strong>s<br />

autres; ils sont semés dans un psaome qui m a cent<br />

soixante-seize : mais ce retour si fréquent à <strong>la</strong> même<br />

pensée prouve eombïen le Psalmïste en était affecté»<br />

Je eoneoîs que cette manière <strong>de</strong> se consoler <strong>de</strong> tout<br />

par <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> Bien peut paraître bien étrange. Quel<br />

notre qu'un chrétien comprendra surtout comment<br />

<strong>la</strong> loi <strong>de</strong> Bien peut empêcher <strong>de</strong> périr, comme le<br />

dit ici David, et comme ce<strong>la</strong> est très-vrai en plus<br />

iFim sens ? — Quoi ! <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> Bien empêchera qu'on<br />

ne TOUS égorge? — Non, si elle s'a elle-même marqué<br />

le terme <strong>de</strong> vos jours; sans quoi personne ne<br />

pourra rien contre vous. Mais, dans tous les cas,<br />

die empêche <strong>de</strong> périr, es <strong>de</strong>ux manières : d'abord,<br />

celui qui aime et craint Bien ( et c'est l'effet <strong>de</strong> Tétn<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> sa loi) n f a jamais succombé ni à <strong>la</strong> crainte<br />

ni à l'affliction; et c'est déjà beaucoup pour ce mon<strong>de</strong> :<br />

ensuite il ne saurait périr <strong>de</strong>vant Dieu; et c'est tout<br />

pour l'antre.<br />

Parmi tous les genres <strong>de</strong> martyres connus.» on<br />

se cite pas un saint qui soit mort <strong>de</strong> chagrin 9 ni un<br />

solitaire mort <strong>de</strong> ses austérités : <strong>la</strong> plupart même<br />

<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers ont passé le terme ordinaire <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

vie, tant il est vrai que <strong>la</strong> paix <strong>de</strong> l'Ame f cette paix<br />

<strong>de</strong> Bieu9<br />

• fis surpasse test sentiment »<br />

(pmx IM qumexmperût oinnem aeiinim), contient<br />

aussi le corps, et même dans les besoins et les privations!<br />

Vous voyez bien que David savait ce qu'il<br />

disait : il savait pr expérience ce que c'est que <strong>la</strong><br />

ANCIENS. — POÉSIE. 195<br />

con<strong>la</strong>nce enBieu. Qu'on en juge par ce début'd'un<br />

psaume :<br />

« Le Seigneur est ma lumière et mon salât i qui doue<br />

ponrrai-je craindre? Le Seigneur est le protecteur <strong>de</strong> ma<br />

vie : qui donc me fera trembler? »<br />

— Mais puisque Bavid cessait si bien <strong>la</strong> loi <strong>de</strong><br />

Bleu, pourquoi donc en <strong>de</strong>man<strong>de</strong>-t-il si souvent<br />

l'intelligence, et nommément quatre fois dans ce<br />

même psaume 118?<br />

« Dcsmezasei Flsleligeice v et je vivrai, m mîki iftlsf•<br />

Uctum et vivom. Dosnei-iaol rinteUigencq» afin que j'apprenne<br />

vos comman<strong>de</strong>ments, m miki midimîmm mt M*<br />

mm îesiitfmnia fus.<br />

La loi <strong>de</strong> Bien «at-elie si difficile i comprendre?<br />

Elle est c<strong>la</strong>ire comme le jour pour <strong>la</strong> raison ; mais<br />

elle csstfârle tous les penchants vicieux <strong>du</strong> coeur<br />

humain. Avouons que c'estdès lors un terrible nuage<br />

.élevé dans ce coeur, et que, pour le dissiper, il<br />

faut que le coeur lui-même soit changé. Qui ne sait<br />

combien le cœur est sophiste contre <strong>la</strong> raison ? La<br />

philosophie païenne fa vu elle-même, et Ta dit<br />

cent fois. Celle <strong>de</strong> nos sages mo<strong>de</strong>rnes s'est mise<br />

plus à l'aise : elle a décidé que tous les penchants<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> nature étaient bons. C'est donc l'intelligence<br />

<strong>du</strong> cœur que Bavid <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ; et à qui <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>*<br />

t-ill A celui qui avait dit <strong>de</strong>s Israélites, lorsqu'il<br />

venait <strong>de</strong> leur donner sa loi sur le <strong>mont</strong> Sinaï :<br />

« Qui leur donnera as cœur pour me craindre et pour<br />

observer mes comman<strong>de</strong>ments? »<br />

C'est ce qu'il disait à Moïse ; et il dit dans <strong>la</strong> suite,<br />

par <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong> Jérémie :<br />

« Quand le temps sera verni 9 f imprimerai mes lois dans<br />

leur esprit 9 et je Ses écrirai dans leur coeur.» «<br />

C'est <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> <strong>la</strong> grâce apportée par Jésus-Christ,<br />

et connue par avance <strong>de</strong> David et <strong>de</strong>s prophètes,<br />

et <strong>de</strong>s patriarches et <strong>de</strong> tous les justes <strong>de</strong> l'Ancien<br />

Testament.<br />

— Et que n'a-t-ii donné celle-là tout <strong>de</strong> suite ?<br />

— Ce ne sera sûrement pas un chrétien qui fera<br />

cette question : un chrétien adore <strong>la</strong> bonté <strong>de</strong> Bien,<br />

et n'interroge pas ses décrets. D'ailleurs je ne défends<br />

pas ici <strong>la</strong> religion, et il me suffit <strong>de</strong> répondre<br />

à ceux qui n'y croient pas : Cette question est dép<strong>la</strong>cée<br />

dans votre bouche. La nouvelle loi est venue<br />

à temps pour vous; et qu'a-t-elle prodoit sur vous?<br />

Vous est-elle seulement connue? En avez-vow<br />

seulement l'idée? Be quoi vous mêlez-vous donc?<br />

Vous n'êtes pas chargé <strong>du</strong> sort-<strong>de</strong>s autres; vous<br />

n'aurez jamais à répondre que pour vous, et c'est<br />

<strong>la</strong> seule chose à quoi vous ne pensiez pas. Ao lieu<br />

<strong>de</strong> songer à interroger Dieu, le sens commun près-


196 C0U1S Bl UTTÉBATDBB.<br />

©rirait <strong>de</strong> songer à ce qu'on aura un jour à <strong>la</strong>i ré­ poser aux personnes peu éc<strong>la</strong>irées. Quel bruit n'a<br />

pondre.<br />

ps fait Voltaire d'un Dieu qui se repeni, qui te<br />

Bavid y songeait, et c'est pour «<strong>la</strong> qu'il désire met en colère, qui en<strong>du</strong>rcie le emur <strong>de</strong> Pharaûn,<br />

tant l'MdMgmwe <strong>de</strong> <strong>la</strong> parole divine. Cette parole qui se venge, qui tourne k mur <strong>de</strong>s : à<br />

a dans l'Écriture encore an antre caractère qui lui <strong>la</strong> haine contre Israël, eteJ Combien <strong>de</strong> fois ûV<br />

est propre : c'est une gran<strong>de</strong> éten<strong>du</strong>e <strong>de</strong> sens avec t-on pas invoqué les aotitfns métaphysiques pour<br />

<strong>de</strong>s expressions très-simples; et pour apercevoir nous apprendre que toutes ces impressions ne pou-<br />

Tune , il faut beaucoup méditer les autres ; <strong>de</strong> là vaient pas entrer dans l'essence divine! La bêh<br />

fiait que le psalmiste rappelle et recomman<strong>de</strong> sans découverte! Vous verrei que les prophètes, qui<br />

cesse cette méditation. On fait <strong>du</strong> premier coup partout ont fiât prier Bien si dignement et comme<br />

d'œil que <strong>la</strong> loi est bonne et juste : qui en doute? grand f et comme bon, et comme juste! n'en sa­<br />

Mais tous les objets concourent à nous en distraire 9 vaient pas autant que nos philosophes sur Pesseaea<br />

et toutes les pasions à nous en éloigner. H faut divise ! Mais ails avaient <strong>la</strong>it parler Bien en riguiur<br />

donc se recueillir en sot pour être en gar<strong>de</strong> et en métaphysique, leurs écrits n'auraient pas pro<strong>du</strong>it<br />

défense, et <strong>la</strong> méditation <strong>de</strong> l'esprit unit par met­ plus d'effet que le Manuel d'Épictète. Pour agir<br />

tre <strong>la</strong> loi dans le cceur à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s passions. Or9 sur le cœur <strong>de</strong> l'homme, il faut parler aux affec­<br />

qu'y a-t-il <strong>de</strong> plus digne <strong>de</strong> l'homme que méditer tions <strong>de</strong> l'homme ; et si toutes ces affections sont as<br />

ce qui peut le rendre meilleur? Voilà ce .que fait lui susceptibles <strong>de</strong> tice, parce qu'elles peuvent y <strong>de</strong>­<br />

le psalmiste, et ce qu'il nous exhorte à faire. Le sens venir un désordre, elles ne sont, dans <strong>la</strong> pensé® ûh<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> loi est lumineux ; mais l'amour <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi ne fine, que Tordre essentiel Bieu est impassible,<br />

peut naîtra que d'une application assi<strong>du</strong>e à consi­ pour lui, sans doute; mais s'il nous par<strong>la</strong>it comme<br />

dérer tout le besoin que nous en avons, tout le bien impassible, qui l'entendrait? S'il nous avait dit<br />

qu'elle seule pro<strong>du</strong>it! et tout le mal qu'elle seule qu'il ne peut ni aimer comme nous, puisque l'a­<br />

prévient; c'est <strong>la</strong> philosophie <strong>du</strong> chrétien. 11 y a <strong>de</strong> mour est un besoin, et que Dieu n'a besoin <strong>de</strong> rieo;<br />

quoi s'occuper toute <strong>la</strong> fie ; et, plus on s'en occupe,<br />

ni hoir comme nous, puisque rien ne peut lui faire<br />

plus on sent quelle profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> vérité et <strong>de</strong> sagesse<br />

<strong>de</strong> mal t ni s'irriter} ni se venger, ni je repentir,<br />

il y a dans cette loi f dont le premier article ne se<br />

etc., par les mêmes raisons, n'aurait-on pas rtûgé<br />

retrou?e dans aucune légis<strong>la</strong>tion religieuse quel­<br />

cette divinité-là parmi celles d'Épieure, qui<br />

conque : Fous aimerm k Seigneur votre Dieu <strong>de</strong><br />

mêlent ni ne se soucient <strong>de</strong> rien? Il aurait donc<br />

tout mire cœur, <strong>de</strong> <strong>la</strong>ul voire esprit, et <strong>de</strong> toutes<br />

fallu donner à toute <strong>la</strong> terre <strong>de</strong>s leçons <strong>de</strong> méta­<br />

vos farces. Les fameux fers <strong>de</strong> Pythagore, qui<br />

physique, pour enseigner à tous les hommes ce qu'Us<br />

sontunco<strong>de</strong><strong>de</strong>morale naturelle, commencent ainsi : .<br />

doivent craindre, et espérer <strong>de</strong> Bieu, qui les aérées?<br />

Avant tout, honorez ks dieux immortels, cka*<br />

Mais heureusement pour nous, il gavait (puisque<br />

emm stèm ion rang. Ni lui , ni aucun légis<strong>la</strong>teur, ni<br />

nous-mêmes nous le savons) qu'on n'établit pas pies<br />

aucun philosophe, n'a jamais dit : Aimez Dieu; n'a<br />

parlé en aucune manière <strong>de</strong> l'amour <strong>de</strong> Dieu : le<br />

une religion dans le cœur avec <strong>de</strong>s définitions onto­<br />

savant Barthélémy en fait <strong>la</strong> remarque dans son<br />

logiques qu'on n'établirait une légis<strong>la</strong>tion avec das<br />

excellent précis <strong>de</strong> l'ancienne philosophie \ Ce seul<br />

axiomes et <strong>de</strong>s corol<strong>la</strong>ires <strong>de</strong> philosophie. Il a (ait<br />

comman<strong>de</strong>ment, bien médité f«sépare tout <strong>de</strong> suite<br />

pour nous, comme Elisée pour cet enfant qu'il ren­<br />

<strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion divine <strong>de</strong> toutes les légis<strong>la</strong>tions hudait<br />

à <strong>la</strong> vie : il s'est mis, s'il est permis <strong>de</strong> le dire,<br />

maines : c'est toute <strong>la</strong> substance <strong>de</strong> l'homme moral.<br />

à notre mesure. Il a parlé <strong>de</strong> sa colère, <strong>de</strong> sa ven­<br />

11 est irai qu'il faut au moins y penser; mais quigeance,<br />

pour effrayer les méchants, n a permis qm<br />

conque y fessera bien, comprendra sans peine<br />

les bons le ghrjfiaMsent, quoique assurément m<br />

pourquoi Dieu seul a pu nous dire : Aimez Dieu. gloire n'ait nul besoin <strong>de</strong> nous. H nous a prescrit<br />

Il me reste, pour terminer ce dis<strong>cours</strong>, à rap­ <strong>de</strong> le huer, <strong>de</strong>. le bénir,' <strong>de</strong> le prier; et tout ce<strong>la</strong><br />

peler le vrai sens <strong>de</strong> quelques expressions <strong>de</strong> l'É­ pour nous-mêmes et pour notre bien ; car s'il peut se<br />

criture et <strong>de</strong>s Psaumes, dont les calomniateurs ont passer, et <strong>de</strong> nos kuanges s et <strong>de</strong> nos bénédictions ,<br />

abusé d'une manière assez spécieuse pour en im- et <strong>de</strong> nos prières, l'homme ne saurait s'en passer.<br />

11 a dit qu'il oubUemit nos iniquités ; et, quoiqu'on<br />

sache bien qu'il ne manque : <strong>de</strong> mémoire, m<br />

* « l'jifmmr é* MJkmf noonnu dam P<strong>la</strong>ton par saisi<br />

Augustin (<strong>de</strong> CiviL Dei, vin. s), M tresve aussi dani Se- tsrme est beaucoup plus vrai <strong>de</strong> lui que <strong>de</strong> nous ; car<br />

aèqua (èpttn 47) : Qmod Dm mtk eal, fui eolitur ei mk- l'homme qui prdonne n'oublie ps, et nous-mêmes<br />

IJJR. Pmage§ qu'os peut opposer à Barthélémy, note 2 siir <strong>la</strong><br />

chap. 79 <strong>du</strong> r&v&§€ ê>Anmh&mu.T» J. V. 1® Qere, Bimêw s'oublons ni se <strong>de</strong>vons oublier no» fautes ; mais<br />

mèwéfféi êm Pimtmàmm.<br />

Bieu est assez puissant etosses bon pour ftire,


ANCIENS. — POÉSIE.<br />

s'il le TOII, qu'elles aotatt<strong>de</strong>fant lui comme non<br />

avenues , es raison <strong>de</strong> notre repentir,. et surtout '<strong>de</strong><br />

sa miséricor<strong>de</strong>. Aussi dit-il v en se servant <strong>de</strong> figures<br />

<strong>du</strong> même genre :<br />

• Quand vetre rets* d'Iniquité setnif ronge comme f é«<br />

Ifî<br />

sous <strong>la</strong> restriction <strong>du</strong> repentir <strong>de</strong> ceux qui sont menacés<br />

9 puisque rien n'empêche que <strong>la</strong> pres<strong>de</strong>nee<strong>de</strong><br />

Dieu n'ait prêta l'effet <strong>de</strong> <strong>la</strong> menace lorsqu'il <strong>la</strong><br />

faisait? Cet argument sans réplique est applicable<br />

à-tous les cas pareils. Ils sont sans nombre dans<br />

car<strong>la</strong>te, je te remifil Manche comme <strong>la</strong> neige... je séeSSe- l'Écriture, parce que Bien a. voulu qu'on ne désesrai<br />

Iras ¥Cf§ pécliét dans se sac, et le jetterai an ftmd '<strong>de</strong> pérât jamais ici-bas <strong>de</strong> sa miséricor<strong>de</strong>.<br />

Il mer. »<br />

•Dieu est l'auteur <strong>de</strong> tout, hors <strong>du</strong> mal ; et le mal<br />

Et qu'y a-t-il dans tout ce<strong>la</strong> qu'un eieès <strong>de</strong> bonté, est dans <strong>la</strong> créature, parce que le Créateur ne peut<br />

qui prend tous les moyens sensibles pour rappeler rieiî faire d'aussi per<strong>la</strong>it que lui, et que <strong>la</strong> perfection<br />

à toi le pécheur, et lui êler cette fatale idée qui n'est qu'à lui : c'est un attribut incommunicable.<br />

retient tant <strong>de</strong> coupables dans <strong>la</strong> route <strong>du</strong> crime, M Lui-même a dit que les anges n'étaient pm enta*<br />

est ir&p tard, U m'est plus temps f S'il eût dit : A rement-purs êmmt W. Il est donc absur<strong>de</strong> <strong>de</strong>vou-<br />

telle mesure <strong>de</strong> crime il n'y aura plus <strong>de</strong> pardon, loir que l'homme ou un être créé quelconque soit<br />

que d'hommes dans le désespoir !• On a vu, dans les parfait.Un être créé imparfait et libre, tel queJ'hera*<br />

•citations précé<strong>de</strong>ntes, combien il est loin- <strong>de</strong> parler me s a donc en lui le germe <strong>du</strong> mal. Mais ce oui est en<br />

ainsi. 11 n'a jamais marqué cette mesure, parce que Dieu, c'est <strong>de</strong> tirer le bien <strong>du</strong> mal même; et c'est<br />

c'eût été en marquer une à sa clémence f ce qui serait ce qui justifie les vue» <strong>de</strong> sa sagesse, quand elle<br />

contradictoire dans l'Être inini en tout. Seulement , permet le mal que l'homme seul fait par sa Yolonté<br />

comme cette clémence est nécessairement attachée corrompue, mais que Dieu ne peut jamais faire.<br />

au repentir* selon l'ordre <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice, essentielle Ainsi, quand il est dit dans les livres saints qu'il<br />

ta lui comme <strong>la</strong> bonté,'le-temps <strong>de</strong> cette clémence tourna te cmur <strong>de</strong>s Égyptiens à <strong>la</strong> kaime (et aut<br />

ne saurait passer celui <strong>de</strong> l'épreuve, e'est-à-dire, <strong>de</strong> exemples semb<strong>la</strong>bles), on sait bien que ce n'est pas lui<br />

notre? ie, parce que l'Urne, une fois séparée <strong>du</strong> corps, qui a mis dans leur eteur un sentiment vicieux,<br />

ne peut plus éprouver <strong>de</strong> changement, et reste «é- puisque ce<strong>la</strong> est impossible; il a seulement permis<br />

cessairement ce qu'elle était au moment <strong>de</strong> <strong>la</strong> sépa­ qu'ils s'y livrassent, quoiqu'il pût empêcher à <strong>la</strong><br />

ration. Qju'y a4-il dans toutes ces idées qui ne soit fois et l'intention et l'effet; s'il ne le fait pas, c'est<br />

pariaitemeiit conséquent, et que <strong>la</strong> raison puisse at­ qu'il a ses raisons, que personne n<br />

taquer?<br />

Quand David dit <strong>du</strong> Dieu d'Israël, que regardant<br />

Fafflictiop <strong>de</strong> son peuple,<br />

* Il ne repentit suivant <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> ses miséripmmMmii<br />

eum seatmimm muUUudinem mherkw»<br />

dm «me, quelqu'un peut-il se tromper <strong>de</strong> bonne foi<br />

au sens <strong>de</strong>,ses eipressions', comme si Dieu qui sait<br />

tout, selon Tordre, pouvait en effet se repentir?<br />

If est-il-pas évi<strong>de</strong>nt que l'écrivain sacré se sert <strong>de</strong> ces<br />

termes humains pour faire comprendre que le bon<br />

Bien ne punit pur ainsi dire que malgré lui; qu'à<br />

peine a-t-il frappé, il attend, pour guérir, qu'on ait<br />

re<strong>cours</strong> à sa bonté, et qu'on rentre dans les ? oies <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> justice? Si l'Écriture fait dire aui Nini vîtes : Qui<br />

mU si Bien ne révoquera pas l'arrêt qu'il a pro~<br />

womeé dans m colère t foilà qu'un raisonneur qui<br />

se croit habileappellerécri? ain sur les bancs, comme<br />

i y appellerait Bien même, s'il y croyait, et lui dit<br />

avec confiance : Ne sais-tu pas que Dieu est immuable,<br />

et qu'il ne peut pas révoquer ce qu'il a résolu f<br />

If i Bien ni l'auteur inspiré ne lui répondront. Mais<br />

moi, je lui dirai : le sais-tu pas toi-même que rien<br />

n'empêche que toute menace ne soiiconditioipelle 9<br />

f a droit <strong>de</strong> lui<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r. Mais, comme il importait <strong>de</strong> persua<strong>de</strong>r<br />

aux Israélites et à tous les hommes que tout est con<strong>du</strong>it<br />

par <strong>la</strong> Pro?i<strong>de</strong>nce, les auteurs sacrés emploient<br />

quelquefois ces sortes <strong>de</strong> phrases pour le mal même,<br />

et les emploient toujours pour le bien sans distinguer<br />

<strong>la</strong> permission ou l'action que le bon seossap- •<br />

plée <strong>de</strong> lui-même pour quiconque n'y a pas renoncé.<br />

U n'y a pas plus <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>ment dans cet autre reproche<br />

qu'on a fait au psalmiste et aux autres prophètes,<br />

sur cette formule qui est .celle <strong>de</strong> l'imprécation<br />

: Que lemrs wéUx s'obscurcissent, afin qu'Us<br />

ne voient pas, et que teur dm soit toujours courbé<br />

pour'taservitu<strong>de</strong>, etc. Est-il permis, a-t-on dit, <strong>de</strong><br />

souhaiter <strong>du</strong> mal, même à ses ennemis? et ce<strong>la</strong><br />

n'est-il pas contraire à l'esprit <strong>de</strong> <strong>la</strong> religion f Sans<br />

doute. Mais toutes les fois qu'on a répété cette objection<br />

, l'on s'est bien gardé <strong>de</strong> tenir compte <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

réponse, qui est péremptoire : C'est qu'il est reconnu<br />

et prou?$, <strong>du</strong> moins pour tout chrétien ( et ce<strong>la</strong> suffit<br />

ici pour que tout soit conséquent), que ce n'est<br />

point David qui parle en cet endroit non plus que<br />

. dans une foule d'autres. C'est J. C. lui-même qui<br />

parle dans tous où se trouve ce passage, qui regar<strong>de</strong><br />

manifestement les Juifs déici<strong>de</strong>s, comme si l'on<br />

> contait leur histoire. Or, toutes les fois qqe Dieu


COOIS DE L1TTÉ1ATIJML<br />

tm<br />

prié ainsi, il n'y a ni souhait si imprécation ; il y<br />

a jugement et prédiction : et apparemment Bien 'est<br />

le maître.<br />

Four ce qui est île Ba?M lui-même, il n'y a qu'à<br />

lire son histoire 9 où ses fautes ne sont nullement<br />

dissimulées, os Terra qu'il s'y eut jamais d'homme<br />

moins porté à <strong>la</strong> vâigeasee. Jamais il n'es tira aucune<br />

d'aucun <strong>de</strong> ses ennemis, quoiqu'il en eût reçu<br />

les plus fiokeets outrages, et qu'ils lut eussent fût<br />

tout le mal qu'ils pouvaient* II eut <strong>de</strong>ui fois en son<br />

poutoir <strong>la</strong> fie <strong>de</strong> sou plus furieux oppresseur, Saûl ,<br />

et s'eut pas même <strong>la</strong> pensée d'y attenter. 11 n'y a<br />

nulle part <strong>de</strong> récit plus touchant que celui <strong>de</strong> tout<br />

ce qui se passa <strong>de</strong> part et d'autre en ces <strong>de</strong>ui rencontres.<br />

Tous ses autres ennemis obtinrent <strong>de</strong> lui<br />

leur pardon dès qu'il fut sur le frêne* 11 al<strong>la</strong> même<br />

jusqu'à dissimuler les attentats <strong>de</strong> l'insolent Joad ,<br />

en considération <strong>de</strong> ses grands sertie», et s'en remit<br />

à son successeur Salomos <strong>du</strong> sois <strong>de</strong> lespuniry<br />

parce qu'ils dotaient être punis. Qnnnd il éprouva<br />

<strong>la</strong> plus insigse trahisos <strong>de</strong> <strong>la</strong> part d'un <strong>de</strong> ses intimes<br />

amis, Achitophel, il ne <strong>de</strong>manda pas à Dieu <strong>de</strong> le<br />

faire périr, mais Seulement <strong>de</strong> déconcerter ses <strong>de</strong>sseins,<br />

et d'arrêter l'effet <strong>de</strong> sa politique, qui était<br />

connue : htfutua, Domine, cmuiiimm JekMûpàet<br />

Ce M toute sa prière : elle n'est pas d'un homme<br />

visdicatif. A?ut <strong>de</strong> livrer bataille au rebelle Absalon,<br />

le seul ordre qu'il donna fut que personne s'osât<br />

mettre <strong>la</strong> main sur lui : c'était son ils, j'en contiens<br />

; mais combien <strong>de</strong> rois n'auraient pas été pères<br />

m cette occasion 111 s'y en eut qu'une oè il fut au<br />

moment <strong>de</strong> se porter à <strong>la</strong> vengeance : c'était contre<br />

dès qu'il eut enten<strong>du</strong> AMgaïl; et il rendît grâce à<br />

Dieu et n'omir pas permit qu'U commit vm<br />

grm<strong>de</strong>fcmie:^f®m%mlm'nmb9à avait poussé bien<br />

loin l'inhumanité et l'ingratitu<strong>de</strong>.<br />

11 <strong>de</strong>man<strong>de</strong> soutent à Dieu <strong>de</strong> Js ê&temrêe s es<br />

emnemU, <strong>de</strong> emfmérê eem qui m wméemi à m<br />

tffc, <strong>de</strong> ks foire tomber ems>mêmês dsm k$ pièges<br />

qu'ik M ten<strong>de</strong>nt, eic> ; m qui signlia c<strong>la</strong>irement<br />

qu'il s'en remet à <strong>la</strong> justice «Maine <strong>de</strong>s moyens<br />

qu'elle tondra employer pour le sauter, pan» que<br />

lui-même, comme on le toit par son histoire, n'en<br />

emploie aucun pour leur faire <strong>du</strong> mal. Il ne s'occupe<br />

jamais qu'à se présertnr, ce qui assurément est<br />

très-permis ; et Dieu ne défend à personne <strong>de</strong> Tintoquer<br />

contre les méchants, quand il lui p<strong>la</strong>ît in<br />

leur donner <strong>la</strong> puissance. C'est toujours us temps<br />

d'épreute et <strong>de</strong> punition pour les hommes, et c'est<br />

à leurs prières d'obtenir que 'ce tamp soit abrégé*<br />

En un mot, les trois gran<strong>de</strong>s vertus <strong>du</strong> efaristianisme,<br />

<strong>la</strong> foi, l'espérance, et <strong>la</strong> charité, respirent<br />

dans les Psaumes f comme dans tous les litres émanés<br />

<strong>de</strong> l'Esprit saint; et c'est là ce qui rendra toujours<br />

ce recueil si précieux. Car, sans <strong>la</strong> foi » Unie eat privée<br />

<strong>de</strong> lumière ; sans <strong>la</strong> charité, le cœur est vîie <strong>de</strong><br />

bonnes centres; sans l'espérance, <strong>la</strong> tie n'a point<br />

d'objet, et <strong>la</strong> mort point <strong>de</strong> conso<strong>la</strong>tion. Disonsdoso<br />

à Dieu avec le Psalmisto :<br />

« Hesresx rhomiê que tons-mtoe aura Instruit f et à<br />

qui tous énrei enneigée votre loi, ain <strong>de</strong> lui adoucir les<br />

jours nantais, jusqu'à m que le pécheur ait eeaaaé <strong>la</strong> fosse<br />

oè U doit tomber ! Meatm kmm qmm êm amalàaria, D»><br />

mine, et <strong>de</strong> feev fus doeueris eum 9 ut mitigés ei êàeèms<br />

Nabal. 11 eut tort; mais M ierecoiuiut sur-lfrcfaamp, maiU, êùnœjbdêatwpeeeatwifimm, » Ps. 93.<br />

INTEODUCTION.<br />

;—c»e;CwC.;c :=::.=<br />

LIVRE SECOND. - ELOQUENCE.<br />

Mous passons <strong>de</strong>-<strong>la</strong> poésie à l'éloquence : <strong>de</strong>s<br />

objets plus sérieux et plus importants, <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s<br />

plus aévèree et plus réfléchies tont remp<strong>la</strong>cer les<br />

jeux <strong>de</strong> Flmapnetlon et les illusions variées <strong>du</strong> plus<br />

sé<strong>du</strong>isant <strong>de</strong> tous les arts. Ce n'est pas qu'ils n'aient<br />

tous entre eux <strong>de</strong>s rapports nécessaires et <strong>de</strong>s points<br />

<strong>de</strong> contact, par lesquels ils communiquent les uns<br />

avec les autres. Ainsi l'imagination f non pas, il est<br />

•rai, celle qui intente, mais celle qui peint et qui<br />

émeut, est essentielle à l'orateur comme au poète;<br />

et k poète, dans le plus tif accès, d'enthousiasme,<br />

ne doit pas perdre <strong>de</strong> tue <strong>la</strong> raison. Mais celle-ci do­<br />

mine beaucoup plus dans l'éloquence, et celle-là dans<br />

<strong>la</strong> poésie. En quittant feee pour l'autre, nous <strong>de</strong>tons<br />

nous igurer que nous passons <strong>de</strong>s amusements<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> jeusesse aui trataux <strong>de</strong> l'âge mûr ; car <strong>la</strong><br />

poésie est pour le p<strong>la</strong>isir, etféloquenee est pour les<br />

affaires. Les vara ne sont guèreun objet sérietnt que<br />

pour celui qui les composé : ce qui fait sos occupation<br />

est le dé<strong>la</strong>ssement <strong>de</strong> ses lecteurs. Mais quand<br />

le ministre <strong>de</strong>s autels annonce dans <strong>la</strong> chaire les<br />

gran<strong>de</strong>s tentés <strong>de</strong> <strong>la</strong> morale , auxquelles l'idée d'un<br />

premier Être rémunérateur et vengeur donne use<br />

sanction eécaaaaalra et ancrée ; quand le défenseur <strong>de</strong><br />

llnnoeence fait entendre sa toix dans les tribunaux ;<br />

quand l'homme d'État délibère dans les conseils


ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

«if le atsrt <strong>de</strong>s peuples-; quand le citoyen p<strong>la</strong>i<strong>de</strong> dam<br />

les asaemMées légis<strong>la</strong>tives <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté;<br />

quand le digne panégyriste <strong>du</strong> talent et <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu<br />

leur décerne <strong>de</strong>s éloges fil sont un encouragement<br />

pour lésons» pour lesautresun «proche, et pour tous<br />

ose instruction; enfnv quand le littérateur philosophe<br />

prépare dans le silence <strong>de</strong> <strong>la</strong> retraite ces<br />

ïïéâêËMtmm courageuses qui défèrentles abus , les<br />

erreurs et les crimes an tribunal <strong>de</strong> l'opinion publique;<br />

alors l'éloquence, n'est pas seulement un<br />

art, c'est un ministère auguste, consacré par <strong>la</strong> vénération<br />

<strong>de</strong> tous les citoyens, et dont l'importance est<br />

telle que le mérite <strong>de</strong> bien dire est un <strong>de</strong>s moindres<br />

<strong>de</strong> l'orateur, et qu'occupés <strong>de</strong> nos propres intérêts ,<br />

plus que <strong>du</strong> charme <strong>de</strong> ses paroles, nous oublions<br />

rhomme éloquent pour ne voir que l'homme vertueui<br />

et le bienfaiteur <strong>de</strong> l'humanité.<br />

C'est ainsi que l'établit cette admirable correspondance<br />

entre tout ce qu'il y a <strong>de</strong> plus grand dans<br />

l'homme, <strong>la</strong> ?ertu et le génie; c'est ainsi que, par<br />

vnheureax mé<strong>la</strong>nge, nos plus précieui intérêts tiennent<br />

à nos émotions les plus douces ; c'est ainsi que<br />

se révèlent à tout homme qui pense <strong>la</strong> puissance<br />

réelle et <strong>la</strong> véritable dignité <strong>de</strong>s arts, et que les leçons<br />

<strong>de</strong> rhistoire et les événements <strong>de</strong> notre âgé, le<br />

passé qui nous instruit, le présent qui nous afflige<br />

on nous console, l'avenir qui nous menace ou nous<br />

rassure, tout se réunit pour nous rappeler un principe<br />

éternel, 91e <strong>la</strong> M?olité ne comprend pas assez<br />

pour y croire, que les hommes pervers et puissants<br />

comprennent trop bien pour ne pas le craindre, et<br />

que <strong>la</strong> raison a trop su apprécier pour ne le pas répéter<br />

sans cesse : je veux dire 'que l'ignorance, le pré-<br />

Jugé «€ l'erreur, sont eu tout genre les plus cruels<br />

ennemis <strong>de</strong>s nations, et que les comnaisances les lumières,<br />

les talents, sont en effet leurs <strong>de</strong>rniers protecteurs<br />

et les vrais instruments <strong>de</strong> leur salut et <strong>de</strong><br />

leur félieité.<br />

En présentant les arts <strong>de</strong> l'esprit sous un point<br />

<strong>de</strong> vue si imposant 9 je ne prétends point dissimuler<br />

«nubien ils ont souvent dégénéré <strong>de</strong> leur noble ins­<br />

titution . Toutes les choses humaines ont <strong>de</strong>ux faces ;<br />

mais l'équité <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que l'une <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux ne nous<br />

fasse pas perdre l'autre <strong>de</strong> ?ue. Les arts et les talents<br />

sont comme toutes les autres espèces <strong>de</strong> puissances<br />

: les plus respectables en elles-mêmes peuvent<br />

lire les plus odieuses et les plus afilies, ou par <strong>la</strong><br />

né^igeiicc qu f on y apporte, ou par l'abus qu'on en<br />

fut.<br />

L'dtoqmcsdanstti cardinal <strong>de</strong> Eetz a été le fiéau<br />

ieTÉtat; mais dans un l'HospitaJ, uuMatthieu<br />

19»<br />

même distinction dans un ordre <strong>de</strong> choses moins<br />

élefé, et nous, nous n'aurons point l'injustice tle<br />

déprécier Fart d'écrire, parce ftîll est <strong>de</strong>venu pour<br />

tant <strong>de</strong> gens un métier ntalheureusementtrop fiteile.<br />

C'est k, puisqu'il faut le dire, le principe <strong>de</strong> toute<br />

dégradation, et le prétextedont se servent <strong>la</strong> vanité<br />

et l'envie pour rabaisser ce qui doit être honoré.<br />

Les rhéteurs et les déclsmateurs <strong>de</strong>s écoles romaines<br />

étaient <strong>de</strong>s pédagogues vulgaires ; mais un Quintilien,<br />

qui pendant vingt ans eut l'honneur, unique<br />

dans Rome, <strong>de</strong> tenir aux frais <strong>du</strong> gouvernement<br />

imeécole publique d'éloquence et dégoût; un QuintHien,<br />

qui a transmis ses leçons i <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière postérité,<br />

eaa mérité l'hommage et <strong>la</strong> reconnaissance. Un<br />

froid panégyrique d'un homme médiocre, composé<br />

par un médiocre écrivain, peut n'être qu'une amplification<br />

<strong>de</strong> collège; mais l'oraison funèbre d'un<br />

pasteur vertueux s , prononcée par un évêque digne<br />

d'être son élève ; mais l'éloge <strong>de</strong> Marc-Aurèle, composé<br />

par un orateur philosophe; mais le beau p<strong>la</strong>idoyer<br />

où l'avocat général Serras associa <strong>la</strong> cause<br />

<strong>de</strong> tout un peuple d'opprimés à celle d'un protestant,<br />

et <strong>la</strong> fit triompher; mais plus d'un ouvrage<br />

<strong>de</strong> nos jours 9 où <strong>la</strong> plus riche éloquence n'a servi<br />

qu'à dé?elopper les plus importants objets <strong>de</strong> <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion<br />

et <strong>du</strong> gouvernement; ces gran<strong>de</strong>s et belles<br />

pro<strong>du</strong>ctions, j'ose le dire, ne sont pas proprement<br />

<strong>de</strong>s livres, mais <strong>de</strong>s lots , <strong>de</strong>s bienfaits, <strong>de</strong>s exemples,<br />

<strong>de</strong>s monuments : et si, dans ce genre eomme<br />

dans tout autre, on a reproché trop souvent aux<br />

hommes une justice tardive, je crois m'honorer, ainsi<br />

que fous, en vous offrant l'occasion <strong>de</strong> <strong>de</strong>vancer<br />

l'hommage <strong>de</strong> nos neveux et <strong>la</strong> voïx <strong>de</strong> l'avenir.<br />

Si l'éloquence est si importante dans son objet,<br />

si noble dans ses motifs» si utile dans ses travaux,<br />

ne dédaignons pas <strong>la</strong> science qui lui sert <strong>de</strong> gui<strong>de</strong><br />

et d'intro<strong>du</strong>ctrice, <strong>la</strong> rhétorique; ne nous faisons<br />

pas scrupule <strong>de</strong> revenir un moment sur ces premières<br />

notions, qui sont le plus souvent pour <strong>la</strong> jeu*<br />

nesse un passe-temp plutôt qu'une instruction,<br />

et qui peuvent être aujourd'hui plus fructueuses<br />

pur <strong>de</strong>s esprits plus formés. C'est <strong>la</strong> connaissance<br />

<strong>de</strong>s premiers principes bien développés et bien'conçus<br />

qui nous met à portée <strong>de</strong> mieux sentir le mérite<br />

<strong>de</strong> ceux qui ont su les appliquer.-Souveaons-nous,<br />

pour me servir d'une comparaison <strong>de</strong> Quintilien,<br />

que <strong>la</strong> voix <strong>du</strong> plus grand orateur a commencé par<br />

n'être que le bégayement <strong>de</strong> l'enfance, et nous ne<br />

mépriserons pas les premières traces quijnarquent<br />

<strong>la</strong> route <strong>du</strong> génie. Quand <strong>la</strong> magie <strong>de</strong>s décorations<br />

Mole ( pour ne parler encore ici que <strong>de</strong>s siècles pas­ « 'Celte île M. Léger, enté do Stlut-Ândré èm Aies, Ml«<br />

sés), c'était k sauvegar<strong>de</strong>'do peuple. Misons k < ptffmé^ve*ton*stffrévs4Qidsfleff*B.


200 COCOS MB ÙTTÉBATOBB.<br />

théâtralessous représente <strong>la</strong>jnajestéd'us temple,<br />

<strong>la</strong> pompe d'un pa<strong>la</strong>is, <strong>la</strong> ver<strong>du</strong>red'un bocage, nos<br />

yeux sont enchantés <strong>de</strong> ce spectacle; mais pour leur<br />

faire celte agréable illusion, il a fallu d'abord étudier<br />

les effets <strong>de</strong> <strong>la</strong> perspective, le jeu <strong>de</strong> <strong>la</strong> lumière et<br />

<strong>de</strong>s ombres, et le prestige <strong>de</strong>s couleurs.<br />

Je m'étais .proposé d'analyser a?ee TOUS <strong>la</strong> rhétorique<br />

d'Aristote; mais plusieurs raisons m'en<br />

ont détourné. D'abord tes quatre livres qu'il a composés<br />

sur cette faste matière, et dont <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnier,<br />

adressé à son disciple, Alexandre, n'est qu'un résumé<br />

<strong>de</strong>s trois premiers » sont un traité <strong>de</strong> philosophie,<br />

.plus encore que <strong>de</strong> fart oratoire, Aristote, se<br />

fondant sur ce que cent qui avaient écrit a?ant lui<br />

sur. le même sujet en étaient trop négligé <strong>la</strong> parti*<br />

morale, embrasse celle-ci <strong>de</strong> préférence, et d'autant<br />

plus §tf elle était analogue à sa manière <strong>de</strong> considérer<br />

les objets. Accoutumé à généraliser tontes ses idées,<br />

il applique à <strong>la</strong> rhétorique <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> <strong>de</strong>s universaux.<br />

Ainsi, par exemple, à propos <strong>du</strong> genre déKbératif,<br />

qui roule particulièrement sur <strong>la</strong> discussion<br />

<strong>de</strong> futile et <strong>de</strong> l'honnête, il passe en reine tous les<br />

rapports sous lesquels les actions humaines peu?aat<br />

être ou honnêtes ou utiles; à propos <strong>du</strong> genre judiciaire,<br />

il examine <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s preuves, <strong>la</strong> fraisemb<strong>la</strong>nceon<br />

l'invraisemb<strong>la</strong>nce, teréel ©nie possible,<br />

<strong>la</strong> manière d'accuser ou <strong>de</strong> défendre, d'émouvoir<br />

dans le cœur <strong>de</strong>s juges les différentes passions qui<br />

peuvent les déterminer, comme <strong>la</strong> haine ou famour,<br />

l'Indignation, ou <strong>la</strong> pitié. Mais il traite toutes ces<br />

matières a? ce l'austérité d'un philosophe qui ? eut<br />

d 9 abord que l'on songe à'étre un bon moraliste avant<br />

d'être orateur. C'est là, sans doute, une excellente<br />

étu<strong>de</strong> pour celui qui, se <strong>de</strong>stinant à cet emploi,<br />

veut asseoir son art sur une base soli<strong>de</strong>, et connaître<br />

bien tous les matériaux qu'il doit mettre en œuvre.<br />

Mais, ?ous le savez v ce n'est pas là ce qui doit nous<br />

occuper. 11 ne s'agit point ici <strong>de</strong> former <strong>de</strong>s orateurs<br />

si <strong>de</strong>s poètes, mais d'acquérir une idée juste <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

belle poésie et <strong>de</strong> <strong>la</strong> sainte éloquence. Nous n'enseignons<br />

point à broyer les couleurs ni à-tenir le pinceau,<br />

mais à voir, à juger, à sentir l'effet et l'exprès-:<br />

sion <strong>du</strong> tableau, et le mérite <strong>du</strong> peintre. A l'égard<br />

<strong>de</strong>s moyens que l'artiste emploie et <strong>de</strong>s principes<br />

qu'il doit suivre, il suffit qu'ils se nous soient pas<br />

étrangers : c'est à lui seul à tes approfondir pour<br />

les pratiquer. Quintilien lui-même, dans ses ImîMu»<br />

ttom oratoires, se contente d'indiquer les différentes<br />

parties <strong>de</strong> l'art et d f y (oindre les préceptes <strong>du</strong><br />

goût. 11 renvoie ami écoles ceux qui veulent en savoir<br />

davantage. Son ouvrage, rempli d'esprit et d'agrémeift,<br />

est celui qui nous convient, et c'est avec lui<br />

que nous allons revenir sur les éléments <strong>de</strong> Fart<br />

oratoire, dont nous ne prendrons que m §a f I SOT<br />

faudra pour lire ensuite les orateurs avec plus <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir<br />

et plus <strong>de</strong> fruit, et nous familiariser avec cette<br />

partie <strong>du</strong> <strong>la</strong>ngage didactique qu'il n'est pas permit<br />

d'ignorer quand on a reçu quelque é<strong>du</strong>cation.<br />

CHAPITRE L — Jmfym dm im^mMmm<br />

mraMrm <strong>de</strong> QiÊâmMMm.<br />

oerns nantas. — Idées générales sur les premières<br />

étu<strong>de</strong>s, mr retiadgeeiBeot, sur les règles <strong>de</strong> fart<br />

Si .quelque chose peut donner un nouveau prix<br />

à ce litre immortel, c'est l'époque où il fut composé :<br />

c'était celle <strong>de</strong> l'entière corruption do goût; et ce<br />

qu'entreprit Quintilien fait autant d'honneur 'à son<br />

courage qu'à ses talents. Né sous C<strong>la</strong>u<strong>de</strong>, il avait<br />

vu unir les beaux jours <strong>de</strong> l'éloquence, longtemps<br />

portée à son plus haut <strong>de</strong>gré par Gîcéron et Hortessius,<br />

et soutenue ensuitepar Meaaaia et Pollion, mais<br />

bientôt précipitée vers sa déca<strong>de</strong>nce pr <strong>la</strong> fouie <strong>de</strong>s<br />

rhéteurs qui ouvraient <strong>de</strong> tous côtés <strong>de</strong>s écoles d'un<br />

art qu'ils avaient dégradé. 11 faut avouer aussi que<br />

<strong>la</strong> chute <strong>de</strong> <strong>la</strong> république avait dé entraîner celle<br />

<strong>de</strong>s beaux-arts. L'éloquence qu'on nomme délibérative,<br />

celle qui traitait <strong>de</strong>s plus grands objets dans<br />

le sénat ou <strong>de</strong>vant le peuple, était nécessairement<br />

<strong>de</strong>venue muette, lorsqu'il ne fut plus permis à <strong>la</strong><br />

liberté <strong>de</strong> <strong>mont</strong>er dans <strong>la</strong> tribune, et lorsque 9 dans<br />

un sénat esc<strong>la</strong>ve, il ne fut plus question que <strong>de</strong> déguiser<br />

avec plus ou moins d'esprit <strong>la</strong> bassesse <strong>de</strong>s<br />

a<strong>du</strong><strong>la</strong>tions que l'on prodiguait au' <strong>de</strong>spote, dont <strong>la</strong><br />

volonté était <strong>la</strong> première <strong>de</strong>s lois, ou d'envenimer<br />

aiec plus ou moins d'art les lâches accusations que<br />

<strong>de</strong>s dé<strong>la</strong>teurs à gages intentaient contre quelques<br />

citoyens vertueux que le regard ou le silence <strong>du</strong><br />

tyran avait désignés pour victimes. 11 y avait encore<br />

<strong>de</strong>s tribunaux, mais ils se sentaient, comme tout le<br />

reste, <strong>de</strong> <strong>la</strong> dépravation générale. Les gran<strong>de</strong>s affaires<br />

ne iy traitaient plus : il ne s'agissait plus d'y<br />

déférer un Yerrès, un Gïodius, à l'indignation publique<br />

; on n'y portait que ces controverses obscures<br />

où les avocats songeaient plus au gain qu'à <strong>la</strong> renommée.<br />

Ge n'était plus le temps où le barreau<br />

était <strong>la</strong> première arène ouverte au talent qui vou<strong>la</strong>it<br />

se faire connaître ; où les défenses et les accusations<br />

judiciaires étant un <strong>de</strong>s grands moyens d'illustration<br />

, les hommes les plus considérables <strong>de</strong> FÉtat ne<br />

<strong>de</strong>mandaient qu'à se signaler <strong>de</strong> bonne heure en dénonçant<br />

d'illustres coupables, es défendant <strong>de</strong>s accusés<br />

contre les plus puissants adversaires ; oà une<br />

ambition honorable êhereljiâit <strong>de</strong>s.inimitiés éc<strong>la</strong>tantes.<br />

Mut 4n oratoun n'était plus qu'un métier


<strong>de</strong> jorimaiato et d'avocat. L'éloquence s'élève m<br />

t*abâln@ m proportion dés objets qu'elle traite, et<br />

<strong>du</strong> théâtre où elle s'exerce. Ainsi, pour se faire remarquer<br />

dans cette lice obscure, ou eut re<strong>cours</strong> à<br />

<strong>de</strong> petits moyens. Les minces ressources <strong>du</strong> belesprit<br />

, <strong>la</strong> puérile affectation <strong>de</strong>s antithèses, <strong>la</strong> froi<strong>de</strong><br />

profusion <strong>de</strong>s lieux communs, le ridicule abus <strong>de</strong>s<br />

figures ; en un mot , toute Fafféterie d $ un art dépravé<br />

qui fcut relever <strong>de</strong> petites choses :,.w«là ce qu'os<br />

admirait dans cette Rome, autrefois <strong>la</strong> rivale d'Athènes.<br />

l£§dêdamatkm$ * <strong>de</strong>s écoles avaient achevé<br />

<strong>de</strong> fout gâter. On appe<strong>la</strong>it <strong>de</strong> ce nom <strong>de</strong>s dis<strong>cours</strong><br />

mr <strong>de</strong>s sujets feints, qui étaient les exercices journaliers<br />

<strong>de</strong>s jeunes étudiants. Ces sortes <strong>de</strong> dis<strong>cours</strong><br />

prononcés publiquement par tm maîtres <strong>de</strong> rhétorique,<br />

ou par leurs écoliers, «talent une vogue incroyable.<br />

On se portait en foule à cette espèce <strong>de</strong><br />

spectacle, le seul qui offrit <strong>du</strong> moins le <strong>la</strong>nterne <strong>de</strong><br />

F éloquence à en mêmes Romains qu'elle ne pouvait<br />

plus appeler au barreau ni aux assemblées<strong>du</strong> peuple.<br />

Comme les sujets communs <strong>de</strong>s discussions judiciaires<br />

se praissaient pas aux rhéteurs assez intéressants<br />

pour y faire briller leur esprit et piquer<br />

<strong>la</strong> curiosité, ils imaginaient à p<strong>la</strong>isir les questions<br />

les plus bizarres, les causes les plus extraordinaires,<br />

et telles qu'elles ne pouvaient que très-rarement se<br />

présenter dans les tribunaux. Nous avons encore<br />

<strong>de</strong>s essais <strong>de</strong> ces controverses imaginaires; les uns<br />

<strong>de</strong> Sénèque, le père <strong>du</strong> philosophe : d'autres trèsfaussement<br />

et très-ridiculement attribués à Quintilien.<br />

En void quelques-uns <strong>du</strong> premier qui peuvent<br />

foire juger <strong>de</strong>s autres. — Premier sujet : La loi ordonne<br />

que celui qui aura violé une Elle libre soit<br />

condamné à <strong>la</strong> mort ou à l'épouser sans dot. Un<br />

jesne homme en viole <strong>de</strong>ux dans une nuit. L'une<br />

veut l'épouser, l'autre <strong>de</strong>man<strong>de</strong> sa mort. P<strong>la</strong>idoyer<br />

pour l'une et pour l'autre. — Second sujet : La loi<br />

ordonne qu'une vestale coupable d'une faiblesse<br />

sera précipitée <strong>du</strong> haut d'un rocher. Une vestale<br />

accusée <strong>de</strong> ce crime invoque Testa, se précipite et<br />

s'en meurt pas. On veut lui faire subir le même<br />

supplice une secon<strong>de</strong> fois. P<strong>la</strong>idoyer pour et contre.<br />

— Troisième sujet : La loi permet à quiconque surprendra<br />

sa femme en commerce a<strong>du</strong>ltère avec un<br />

homme <strong>de</strong> les tuer tous les <strong>de</strong>ux. Un soldat qui avait<br />

per<strong>du</strong> ses <strong>de</strong>ux bras à <strong>la</strong> guerre surprend ainsi sa<br />

femme, et f ne pouvant lui-même se faire justice, il<br />

donne ordre à son ils <strong>de</strong> percer <strong>de</strong> son épée les <strong>de</strong>ux<br />

coupables. Le ils le refuse, et le père le déshérite. La<br />

1 On tes nommait ilogl $ pur» ipe t*§ êkmmw «aient<br />

déeteaiét êâm 1*§ èmlm mm «spiiâie; et s'aeieer ehet<br />

«si M défait et à radftoa œMtÊm •'appe<strong>la</strong>it<br />

éeeimmmm.<br />

ANQEM8. — ÉLOQUENCE. SOI<br />

cause est portée en justice : p<strong>la</strong>idoyer pour le père<br />

et pour le ils.<br />

Voilà les frivoles jeux d'esprit où les rhéteurs et<br />

leurs disciples épuisaient toutes les subtilités <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

dialectique et toutes les inesses <strong>de</strong> leur art. Qu'arrivait-il?<br />

Ost que les jeunes gens, après avoir<br />

passé <strong>de</strong>s années entières à exalter leur imaginatién,<br />

et à se creuser <strong>la</strong> tête sur <strong>de</strong>s chimères, arrivaient<br />

au barreau presque entièrement étrangers aui affaires<br />

qui s'y traitaient, et au ton qu'elles érigeaient»<br />

C'étaient <strong>de</strong> froids et pointiileui sophistes, et non<br />

<strong>de</strong> bons avocats; encore moins <strong>de</strong> grands orateurs :<br />

car on imagine bien que le style <strong>de</strong> ces compositions<br />

bizarres se ressentait <strong>du</strong> vice <strong>de</strong>s sujets : rien <strong>de</strong><br />

vrai 9 rien <strong>de</strong> senti , rien <strong>de</strong> sain ; <strong>de</strong>s raisonnements<br />

captieux, <strong>de</strong>s pointes, <strong>de</strong> faux bril<strong>la</strong>nts, <strong>de</strong>s tours<br />

<strong>de</strong> force 9 c'est tout ce qu'on remarque dans ce qui<br />

nous reste <strong>de</strong> ces étranges p<strong>la</strong>idoiries. Tout l'esprit<br />

qu'os y a per<strong>du</strong> ne vaut pas une page <strong>de</strong> Cicéron<br />

ou <strong>de</strong> Bémosthènes.<br />

C'ert <strong>de</strong> A ejif e t venu parmi nous f usage d'appeler<br />

didamaUom, en vers ou en prose, ce défaut,<br />

aujourd'hui presque général, qui eonsiste à exagérer<br />

ambitieusement les objets f à s'échauffer hors <strong>de</strong><br />

propos, à se perdre dans <strong>de</strong>s lieux communs étrangers<br />

à <strong>la</strong> question. Bans tous ces cas, plus on veut<br />

élever et animer son style, plus on le rend déc<strong>la</strong>matoire;<br />

parce qu'au lieu <strong>de</strong> <strong>mont</strong>rer un orateur rempli<br />

<strong>de</strong> son sujet, ou un personnage pénétré <strong>de</strong> sa<br />

situation, on nous <strong>mont</strong>re à peu près ce même jeu<br />

d'esprit qui était propre aux anciens déciamateurs.<br />

Malheureusement-il parut à cette époque un écrivain<br />

célèbre, qui, ayant assez <strong>de</strong> mérité pour mêler<br />

<strong>de</strong>Tagrément à ses défauts, contribua beaucoup<br />

à <strong>la</strong> perte <strong>du</strong> bon goût. Ce fut Sénèque, qui,<br />

né avec beaucoup plus d'esprit que <strong>de</strong> véritable talent,<br />

était plus intéressé que personne à ce que l'esprit<br />

tint lieu <strong>de</strong> tout, et qui trouva plus commo<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> décrier l'ancienne éloquence que <strong>de</strong> chercher à<br />

l'égaler. II ne cessait, dit Quistilien, <strong>de</strong> se déchaîner<br />

contre ces grands modèles, parce qu'il sentait<br />

que sa manière d'écrire était bien différente <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

leur, et qu'il se dé<strong>la</strong>i <strong>de</strong> <strong>la</strong> concurrence. Son style<br />

haché, sentencieux, sautil<strong>la</strong>nt, eut aux yeux <strong>de</strong>s<br />

Romains ie charme <strong>de</strong> <strong>la</strong> nouveauté, et ses écrits<br />

eurent une vogue prodigieuse, que sa longue faveur<br />

et sa gran<strong>de</strong> fortune <strong>du</strong>rent augmenter encore*<br />

Pour être à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>, il fal<strong>la</strong>it écrire comme Sénèque.<br />

m Moi -n'est si daogmix9 dit jiidktatisaiMni l'abbé<br />

Géd®¥B f que l'esprit dans an écrivais qui s'a peint île geic<br />

Les trais <strong>de</strong> Iitcifère <strong>de</strong>nt il Etrille toppei kt yeux <strong>de</strong>


102<br />

tout te mon<strong>de</strong>, et ses détails m sont ranarqiiés que d'un<br />

petit sombre <strong>de</strong> gens sensés. »<br />

Ils n'échappèrent point à QoiiitUîen, qui conçtil le<br />

projet courageux <strong>de</strong> faire revivre <strong>la</strong> salue éloquence<br />

décréditée , et ii<strong>la</strong> faire rentrer dans tous ses droits.<br />

II commença par <strong>la</strong> plus efficace <strong>de</strong> toutes les leçons,<br />

mais <strong>la</strong> plus difficile <strong>de</strong> tantes, feiemple. Il parut<br />

au barreau a?ea éc<strong>la</strong>t ; et ses p<strong>la</strong>idoyers, que nous<br />

a?©as per<strong>du</strong>s , furent regardés comme les seuls qui<br />

rappe<strong>la</strong>ssent le siècle d'Auguste. On retrouva, on<br />

reconnut avec p<strong>la</strong>isir cette diction noble, naturelle,<br />

intéressante, qui, <strong>de</strong>puis si longtemps, était oubliée.<br />

Son livre dm Cmme$ <strong>de</strong> <strong>la</strong> aarnffiaa» <strong>de</strong> tÊlm*<br />

ftaataa, qui ne noua est pas parvenu, ouvrit les<br />

yeux <strong>de</strong>s Raeaaîos; car il y a toujours un grand nombre<br />

d'hommes désintéressés qui sont dans l'erreur<br />

sans y être attachés, et qui ne<strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt pas mieui<br />

que <strong>de</strong> voir <strong>la</strong> lumière quand on <strong>la</strong> leur prisante*<br />

On vit dans Qtaatîiea le restaurateur <strong>de</strong>s lettres.<br />

On se réunit pour rengager à enseigner publiquement<br />

un art qu'il possédait si bien, et on lui assigna <strong>de</strong>s<br />

appointements sur le trésor public, honneur qu'on<br />

n'avait encore fait à personne. L'empereur lui confia<br />

l'é<strong>du</strong>cation <strong>de</strong> ses neveux, et le décora <strong>de</strong>s ornements<br />

consu<strong>la</strong>ires. Qnintilien f pour mieux répondre<br />

à <strong>la</strong> caaiaaee età l'estime qu'on lui témoignait,<br />

renonça aux exercices <strong>du</strong> barreau f quelque attrait<br />

et quelque avantage qu'ils lui offrissent, et se consacra<br />

pendant vingt ans adonner <strong>de</strong>s leçons à isjeanesse<br />

romaine. Cest dans <strong>la</strong> retraite qui suivit ce<br />

long travail qu'il composa ses ImiUuUsmomtoireM :<br />

il avait alors près <strong>de</strong> soixante ans. L'antiquité nous<br />

a transmis son nom avec les plus grands éloges, et<br />

Martial l'appelle <strong>la</strong> g foire <strong>de</strong> <strong>la</strong> toge romaine :<br />

GtMM Mmmmm, QurnUimm, t&§m.<br />

C01I1IS DE liTTÉtATUlB.<br />

gte parait néanninlna que ce» qui ont taat aiésagé les eafaals<br />

eut préten<strong>du</strong> ménager enoon plus les mattret. après<br />

tout, que veut-on que <strong>la</strong>sse aa enfant <strong>de</strong>puis qu'il cars*<br />

menée à parler? car enfin il fout bien qu'il fasse quelque<br />

chose; et si l'on peut tirer <strong>de</strong> ses premières années quelque<br />

avantage , si petit qui! soit, pourquoi le négliger ? Ce que<br />

Fou pourra prendre sur l'enfance est autant <strong>de</strong> gagné pour<br />

Fige qui sait. II en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong> tons les temps <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie.<br />

Tout ceaat 11 fait savoir, qu'on rapprenne toujours ie bonne<br />

hem : aeseaÉraas pofaiquteei^tiMfietetpRmièivt<br />

années dans l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'oisiveté. Sonpons que pour<br />

ces premières étu<strong>de</strong>s M ne fiât que <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire, et ejae<br />

neuseeleiiientlesenfuitseniiity mais qu'Uses ont même<br />

beaucoup plus que nous. Je ceaasis trop aussi <strong>la</strong> portée<br />

<strong>de</strong> chaque âge pour vouloir qu'on tourmente d t abord ea<br />

enfant, et qu'on lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> plus qu'il ne peut II faut se<br />

gar<strong>de</strong>r surtout <strong>de</strong> lui faire haïr l'Instruction dans un temps<br />

ou il ne peut encore l'aimer, <strong>de</strong> peur que le dégoût qu'on<br />

lui aura me lois fait sentir ne le rebute pour toujours. L'étu<strong>de</strong><br />

doit être un Jeu pour <strong>la</strong>i. Je veux qu'os le prie,<br />

qu'on le loue» qu'eu le caresse, et qu'il soit ioujoun Mes<br />

aise d'avoir appris ce que Fou veut qu'A sache. Quelquefois,<br />

ce qu'il refusera d'apprendre, on resseasaBeta à us<br />

autre; c'est le moyen <strong>de</strong> piquer ss jalousie. H voudra le<br />

surpasser, et on lui <strong>la</strong>issera croire qu'il a réussi. Cet âge<br />

est fort sensible à <strong>de</strong> petites récompenses; c'est encore<br />

une amorce dont U faut se servir. Tels <strong>de</strong> bien petits préceptes<br />

pour us aussi grand <strong>de</strong>ssein que ee<strong>la</strong>l que je me sais<br />

proposé : mats comme les corps les plus robustes ont eu <strong>de</strong><br />

faibles cotumeucements, tels que le <strong>la</strong>it et le berceau9 tes<br />

étu<strong>de</strong>s ont aussi leur enfance. »<br />

Ceux qui ont lu Èmik croiront entendre Rousseau<br />

: on indique ici les idées qu'il a si bien développées.<br />

Mais M y en a une sur <strong>la</strong> mémoire, qui est d'une<br />

telle importance que Je ne puis m'empédier <strong>de</strong> m'y<br />

arrêter. Ce que dit Quintilien <strong>de</strong> celle <strong>de</strong>s enfants<br />

est encore plus vrai <strong>de</strong> celle <strong>de</strong>s jeunes gens, et,<br />

par malheur, nous savons trop tard quel trésor nous<br />

Mais son plus bel éloge est sans contredit son ou­<br />

avions alors à notre disposition, et combien il importe<br />

vrage.<br />

<strong>de</strong> s'en servir dans le temps. Soyons bien assurés que,<br />

Il est divisé en douze livres. 11 prend l'orateur dès<br />

dans tout ce qui regar<strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire et l'intell Igeaea,<br />

le berceau 9 et dirige ses premières étu<strong>de</strong>s. Les idées<br />

ii n'y a rien dont on ne soit capable <strong>de</strong>puis dix ans<br />

générales qui remplissent les <strong>de</strong>ux premiers livres jusqu'à trente : c'est alors qu'on peut tout appren­<br />

sont, pour les parents et les maîtres, même en dre et tout retenir. Les organes, encore neufs, ont<br />

mettant à part le <strong>de</strong>ssein particulier <strong>de</strong> l'auteur, tant d'aptitu<strong>de</strong> et d'énergie ! <strong>la</strong> tête est si saine et<br />

d'excellents principes d'é<strong>du</strong>cation. 11 combat victo­ le corps si robuste ! toutes les idées sont si fraîches 1<br />

rieusement ceux qui préten<strong>de</strong>nt qu'il ne faut appli­ toutes les perceptions si vives ! toutes les images al<br />

quer un enfant à aucune espèce d'étu<strong>de</strong> avant fige présentes! Et c'est pour ce<strong>la</strong>, peut-être, que le<br />

<strong>de</strong> sept ans.<br />

temps, à cet âge, paraît si long : c'est que tout fait<br />

trace dans notre esprit, et que le passé nous est<br />

m J'aime mieui, dhVil $ m**» rapporter à ceux qui ont<br />

toujours présent. Cette foule <strong>de</strong> sensations qui ont<br />

mm , avec Ctarysippe $ qui n'y avait dans Sa vie <strong>de</strong> rhomme<br />

aucun temps qui se <strong>de</strong>mandât <strong>du</strong> sois et <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture. Qui<br />

marqué tous les instants <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>du</strong>rée nous a <strong>la</strong>issé<br />

empêche que, dès Se premier flge9 on ne cultive l'esprit comme une longue histoire qui nous semble ne <strong>de</strong>­<br />

<strong>de</strong>s estais comme on petit cultiver leurs mœurs? Je sais voir pas avoir <strong>de</strong> in. Mais à mesure que nos orga­<br />

Me» qu'on fera plus, dans là suite, « ni », que l'on nes s'altèrent, <strong>la</strong> multiplioté dis objets commence<br />

m'aura pu frire dotait tout le temps qui a précédé; mais il à y mettre <strong>de</strong> <strong>la</strong> confusion ; rattention soutenue, te


ANCIENS. — ÉLOQUBiaL<br />

long travail, nous <strong>de</strong>?ienneat plus difficiles; les<br />

distractions suit plus fréquentes, et les dé<strong>la</strong>ssements<br />

plus nécessaires. S'il était permis raisonnablement<br />

<strong>de</strong> se p<strong>la</strong>indre jf sa ordre <strong>de</strong> choses qui ,<br />

sans doute f <strong>de</strong> quelque manière qu'on l'envisage,<br />

n'a pu être que ce qu'il est 9 os serait tenté <strong>de</strong> murmurer<br />

contre <strong>la</strong> nature, qui, d'ordinaire, augmente<br />

en nous te désir d'apprendre et <strong>de</strong> connaître , lorsque<br />

nous «a avons moins <strong>de</strong> moyens. Il semble que<br />

dans <strong>la</strong> jeunesse elle nous aveugle sur nos propres<br />

facultés, et permette aux passions <strong>de</strong> nous en dérober<br />

le regret. Ce n'est pas quef dans <strong>la</strong> maturité f<br />

Fesprit n'ait toute sa force pour pro<strong>du</strong>ire, mais II<br />

en a bien moins pour apprendre. L'homme né avec<br />

h plus heureuse mémoire s'étonne , à quarante ans ,<br />

d'être obligé <strong>de</strong> lire <strong>de</strong>ux et trois fois ce qu'à vingt<br />

une seule lecture rapïÀ aurait gravé dans son souvenir.<br />

Cette altération <strong>de</strong>s facultés intellectuelles<br />

nous est d'autant plus sensible que c'est celle à <strong>la</strong>quelle<br />

on s'attend le moins. 'Tout nous avertit <strong>de</strong><br />

bonne heure <strong>de</strong> <strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong> nos sens, mais on<br />

est longtemps accoutumé à faire à peu près ce qu'on<br />

veut <strong>de</strong> son esprit. Mous avons dans nous je ne sais<br />

quel sentiment qui nous porte à croire que les or*<br />

ganes <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée ne doivent souffrir aucun affaiblissement;<br />

et, quand on vient à s'éprouver, on s'étonne,<br />

on s'indigne, pour ainsi dire, <strong>de</strong> sentir échapper<br />

une force qu'on avait crue impérissable. Elle<br />

ne Test pourtant pas ; et ceux qui ont apporté en<br />

naissant ce goût <strong>de</strong>s connaissances que souvent<br />

les sé<strong>du</strong>ctions <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse font négliger, et<br />

qu'os remet à satisfaire dans un'autre temps, ne<br />

sauraient trop se redire que c'est! <strong>la</strong> première moitié<br />

<strong>de</strong> notre vie qu'appartiennent particulièrement cet<br />

inappréciable don <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire, et que c'est alors<br />

qui I en faut faire usage, si l'on ne veut passer l'autre<br />

moitié à le regretter.<br />

»0f<br />

espèce <strong>de</strong> rouille , m fetaa il a'aaÉeiFiaa aaireetaiÉaaca es<br />

Im-méme; car aeMfat ne s'expese aafat à êtes mmpmé<br />

quand il fiai hasar<strong>de</strong>r en psbSk le fruit <strong>de</strong> ses étu<strong>de</strong>s» le<br />

grand jour le Messe : tout est son?eas pair lui 9 parce qu'A<br />

a eu le tort d'étudier seul avec loi-même ce qu'il <strong>de</strong>vait pratiquer<br />

aaa yeux <strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong>. »<br />

A cette raison f qui est re<strong>la</strong>tive au .disciple 9 Quintilien<br />

eu ajoute une qui regar<strong>de</strong> le maître. Il pense<br />

que celui-ci ferait toujours beaucoup mieux dans<br />

une école fréquentée que dans use maison prtïonlière.<br />

« Ua siMtrefalû'acp'ame^^<br />

jamais à ses paroles tout te poids, tout te feu qu'elles aéraient<br />

s'il était animé par une fauta d'auditeurs; car k<br />

force <strong>de</strong> l'éloquence rési<strong>de</strong> principalement dans l'âme. 11<br />

faut , pour que notre âme soit puissamment affectée f qu'elle<br />

se fasse <strong>de</strong> vives images <strong>de</strong>s citâtes , et qu'elle se transforme<br />

patt ainsi dire dans celles <strong>de</strong>al nous avons à parler. Or,<br />

plus aie est par a<strong>la</strong>-aaêaaa noble et élevée, et plus die a<br />

besoin d'être ébranlée par aaa grand spectacle. C'est alors<br />

que <strong>la</strong> losange lui <strong>la</strong>it prendre m essor plis hast, que<br />

reflbrt qu'elle Mî lui mmm un état p<strong>la</strong>t vif v et f a*a<strong>la</strong> se<br />

conçoit plus ries qse <strong>de</strong> grand. As contraire, on sent je se<br />

sais quel dé<strong>du</strong>is, d'abaisser à an seul «éditeur ce ssMnie<br />

talent <strong>de</strong> <strong>la</strong> parole, qui coûte tant <strong>de</strong> soins et <strong>de</strong> travaux 9<br />

et <strong>de</strong> sortir pour lui seul <strong>de</strong>s bornes <strong>du</strong> <strong>la</strong>ngage ordinaire.<br />

Qu'os se représente en effet un homme qui prononce un<br />

dis<strong>cours</strong> aree le tes, les gestes , les mouvements , <strong>la</strong> chaleur,<br />

li Catigae d'un orateury et tout ce<strong>la</strong> pour une personne<br />

qui féeatite : ae ressemblera-t-fl pas I an <strong>la</strong>tente? SI<br />

Feffae datait jamais parler qu'en particulier, 1 m'j aurait<br />

piat#é<strong>la</strong>a]aiaa«patail«<strong>la</strong>t^ »<br />

Ce qu'on vient <strong>de</strong> dire <strong>de</strong> celui qui parle est aussi<br />

trai <strong>de</strong> celui qui écoute. Dans Fun et l'autre eas f<br />

on est moins bien seul qu'en société ; et cette observation<br />

ait ici Y ce me semble f d'autant mieui p<strong>la</strong>cée<br />

qu'elle peut servir <strong>de</strong> réponse à une objection que<br />

Quintilien examine une autre question qui revient quelques personnes traient d'abord faite contre cet<br />

encore tous les jours, et sur <strong>la</strong>quelle les avis sont établissement si honorable aux lettres s et I qui<br />

partagés : Si l'é<strong>du</strong>cation domestique est préférable votre approbation*, manifestée par <strong>de</strong>s témoignages<br />

i ©elle <strong>de</strong>s écoles publiques. On trouve chez lui les si f<strong>la</strong>tteurs, promet cette stabilité qui seule peut le<br />

mêmes objections et les mêmes réponses qu'on fait rendre national. On a dit que tout ce qu'on entend<br />

aujourd'hui. 11 déci<strong>de</strong> pour l'é<strong>du</strong>cation <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>sses, dans ce Lycée pouvait se lire dans le cabinet arec<br />

et sa principale raison, qui parait assex fondée, tout autant <strong>de</strong> fruit. J'oserais croire au contraire<br />

c'est cpll faut <strong>de</strong> bonne heure accoutumer les jeunes (et cette opinion est fondée sur <strong>la</strong> nature même et<br />

gem à titre en société. Ce motif, qui bien examiné, sur l'expérience), que si nous sommes assez heu-<br />

peut s'appliquer à toutes sortes <strong>de</strong> personnes, est rem pour être <strong>de</strong> quelque utilité, elle doit être ici<br />

décisif surtout pour celui qui se <strong>de</strong>stine au barreau. plus certaine et plus éten<strong>du</strong>e que partout ailleurs.<br />

Je connais tons les avantages <strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture particu­<br />

m QM cafal f dit-Il, qui doit vivre as mules <strong>de</strong> <strong>la</strong> msllière,<br />

surtoutdans les matières abstraites, qui exigent<br />

itaile et dw le grand jour é>su théâtrepublie, s'habitue<br />

<strong>de</strong> bouse beareàse pas eralsdre l'aspect <strong>de</strong>s homme*; qu'on<br />

beaucoup <strong>de</strong> méditation; mais pour celles que nous<br />

•e le buse pont pâlir dans l'ombre <strong>de</strong> <strong>la</strong> solits<strong>de</strong>. Il fast traitons ici, qui généralement ont plus besoin d'ê­<br />

qotfssn esprit s'anime et s'élève, M lies que dans <strong>la</strong> re- tre bien saisies que longtemps approfondies; qui


§04<br />

CODES DE UTt.fcRATURR.<br />

mat plus faites pour donner eu mouvement à l s e§prit<br />

que pour le condamner au travail; nette forme<br />

<strong>de</strong>s assemblées publiques, et cette habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s mimes<br />

exercises me paraît préférable à tous les autres.<br />

En ee genre, l'oreille vaut mieux que l'œil pour retenir<br />

et arrêter <strong>la</strong> pensée. Les sensations sont plus<br />

vives quand elles ne sont pas fcolitaires 9 elles sont<br />

plus sûres quand elles paraissent eonirmées par<br />

tout ee qui nous environne; l'attention <strong>de</strong> chacun<br />

est soutenue par celle <strong>de</strong>s autres : ee qu'on a senti<br />

«i commun <strong>la</strong>isse une trace plus profon<strong>de</strong>. Chacun<br />

remporte <strong>de</strong>s idées acquises qu'il compare à loisir<br />

avec les siennes, et il s© fait en quelque sorte un travail<br />

général et simultané <strong>de</strong> tous les esprits, qui<br />

tourne tout entier au prolt <strong>de</strong> <strong>la</strong> raisoe et <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité.<br />

Quiutilien fait passer son élève pr tous les genres<br />

d'instruction qui doivent occuper les premières<br />

années, et précé<strong>de</strong>r l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> réloquenee. Ift-Ie met<br />

d'abord entre les mains <strong>du</strong> grammairien, qui doit lui<br />

apprendre à prier, à écrire correctement sa <strong>la</strong>ngue,<br />

à lire les poètes grecs et <strong>la</strong>tins, à connaître les règles<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> versification, à sentir le charme <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

poésie, à prendre une idée générale <strong>de</strong> l'histoire. 11<br />

veut <strong>de</strong> plus qu'il ne soit ps étranger à <strong>la</strong> musique<br />

ni à <strong>la</strong> géométrie , aie. que Tune loi forme l'oreille<br />

et lui donne le sentiment <strong>de</strong> l'harmonie, et que l'autre<br />

l'accoutume à <strong>la</strong> justesse et à <strong>la</strong> métho<strong>de</strong>. H sent<br />

Mec qu'oo sera étonné <strong>de</strong> tout ce qu'il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

l'élève qu'il veut préparer à l'éloquence. Mais il ne<br />

fait en ce<strong>la</strong> que répéter ce que recomman<strong>de</strong> Cicéron<br />

dans son TmMé <strong>de</strong> l'Orokwr, et se justile comme<br />

lui, en disant qu'il ne se règle sur aucun <strong>de</strong> ceux<br />

qu'il connaît, mais qu'il veut tracer le modèle idéal<br />

d'un orateur accompli, tel qu'il Ta conçu : dût-il ne jamais<br />

exister, chacun <strong>du</strong> moins en prendra ce dont<br />

il est capable et ira jusqu'où il peut aller. On a'altend<br />

bien qu'il n'omet pas <strong>la</strong> politique ni <strong>la</strong> jurispru<strong>de</strong>nce<br />

, 'sans lesquelles on ne peut traiter ni les affaires<br />

<strong>de</strong> l'État ni celles <strong>de</strong>s particuliers. Il prévoit<br />

qu'on se récriera sur <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s connaissances<br />

qu'il exige. Il faut voir les raisons et les exemples<br />

dont il s'appuie, et dont le détail nous mènerait<br />

trop loin <strong>de</strong> notre objet. Mais l'espèce <strong>de</strong> péroraison<br />

qui termine ce morceau et finit son premier livre,<br />

vous fera d'autant plus <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir, que vous<br />

verrez combien l'auteur était pénétré <strong>de</strong> cet amour<br />

<strong>de</strong>s arts, et <strong>de</strong> ce noble enthousiasme sans lequel il<br />

e# impossible d'y eiceller, ni <strong>de</strong> les faire aimer aux<br />

autres.<br />

« Avouons que nous grossissons Set difficultés peur excuser<br />

notre indolence. Ce n'est pas Fart qse nous aimons :<br />

KMS m vôjens pas dans L'éloquence teUe qm je FM ©on-<br />

cm i c'est-à-dire inséparable <strong>de</strong> le vertu ; nous n'y vojws<br />

pas Irplos belle, <strong>la</strong> plus honorable <strong>de</strong>s choses hamases:<br />

nous n'y cherchons qu'un vil et sordi<strong>de</strong> trafic Eh Met!<br />

que, sans tans les talents que je <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, on se' ânes<br />

écouter as barreau ; qu'on puisse raêjne s'y enrichir»J'j<br />

consens; mais ce<strong>la</strong>i qui aura <strong>de</strong>vant les venu cette image<br />

divine <strong>de</strong> l'éloquence , qu'Euripi<strong>de</strong> a si Moi nommée h<br />

souveraine <strong>de</strong>s âmes , celui-là n'en verra pas l'avantagé cl<br />

le fruit dans in sa<strong>la</strong>i» abject ; mais dans Félévation île sas<br />

pensées ; dans <strong>la</strong>s Jnfi<strong>la</strong>aancaa <strong>de</strong> son âme, jonissaneesroii-<br />

Unuelles et ^dépendantes do <strong>la</strong> fortune. Il donnera votantes<br />

aux arts et ani sciences le temps que l'on perd dans<br />

f oisiveté s dans les jeui f les spectacles , les oonvertaticfss<br />

frivoles, le sommeil et les festins, et trouvera plus <strong>de</strong> «<strong>la</strong>s*<br />

cour dans les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l'homme <strong>de</strong> lettres que dans tous<br />

les p<strong>la</strong>isirs <strong>de</strong> l'ignorance ; car ana provi<strong>de</strong>nce bienMsails<br />

a venin que nos accneatiaiis Ses plus honnêtes faisant<br />

'aussi les plus ietiaaslsnntes et les plus douces. »<br />

A l'égard <strong>de</strong>s auteurs qu'il fauT mettre les premiers<br />

entre les mains <strong>de</strong>s jeunes gens, c'est une question<br />

qui ne lui parait pas difficile à résoudre. Ce n'est<br />

pas que <strong>de</strong> son temps il n 9 y eût <strong>de</strong>s gens qui prétendaient<br />

que les auteurs les plus médiocres étaient<br />

ceui qu'il convenait <strong>de</strong> faire lire les premiers ; et<br />

cette opinion a été renouvelée <strong>de</strong> nos jours *. Le<br />

prétexte <strong>de</strong> ce frivole paradoxe * c'est que <strong>la</strong> première<br />

jeunesse n f estpasàportée<strong>de</strong>sentirtoutes les beautés<br />

<strong>de</strong>s écrivains supérieurs. Non : mais elle est trèssusceptible<br />

<strong>de</strong> se <strong>la</strong>isser sé<strong>du</strong>ire par le mauvais godt<br />

avant <strong>de</strong> connaître le bon ; et pourquoi feipnser à ces<br />

impressions trompeuses qu'on n 9 est pas toujours<br />

air d'effacer? Le précepte <strong>de</strong> Quîntilten est fort<br />

simple, et n'en est pas encans bon.<br />

« Mon avis est qu'il faat lire <strong>la</strong>s meilleurs auteurs dès k<br />

commencement, et toujours. »<br />

Mais il donne d'abord <strong>la</strong> préférence à ceux qui cal<br />

écrit avec le plus <strong>de</strong> netteté. II préfère, par exemple,<br />

Tite-Live à Salînste; mais il p<strong>la</strong>ce avant tout Cinéma,<br />

et après lui ceux qui s'en rapprocheront le plus.<br />

Il ajoute :<br />

« n est <strong>de</strong>ux excès opposés dont 11 faut également se<br />

gar<strong>de</strong>r. Ne soufrons pas née le maître, par ose admiratMMi<br />

aveugle <strong>de</strong> nos antiquités r <strong>la</strong>isse les enfants se renifler<br />

dans <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong> nos vieux auteurs , tels que les Grecques,<br />

Caton, et Mitres <strong>du</strong> même temps : ils y prendraient ana<br />

manière d f écrire <strong>du</strong>re $ sèche 9 et barbare. Trop faibles pour<br />

atteindre à <strong>la</strong> force <strong>de</strong>s pensées, et à <strong>la</strong> noblesse <strong>de</strong>s sentiments<br />

, Us s'attacheraient à Peipressien y qui sans doute<br />

était bonne alors, mais qui ne Tes!plus aaje«ï#aal; et,<br />

contents d'imiter ee qu'il y a <strong>de</strong> défeotneax dans ces grands<br />

hommes , ils seront asseï sots peur croira qu'ils leur ressemblent.<br />

D'an autre eOté, II faut prendre pr<strong>de</strong> qa*is se se<br />

passionnent pour les mo<strong>de</strong>rnes, an point <strong>de</strong> mépriser tes<br />

> Dans le Hvra InMtnlé Jdète ei TMmkm, m §*Um mr<br />

iÊêmmtmm, par maf<strong>la</strong>aw ée Génie*


ANCIENS..— ÉLOQUENCE.<br />

lêê<br />

a rien <strong>de</strong> si commo<strong>de</strong>, rien ipl <strong>la</strong>tte plus famottr-<br />

leurs défauts, jusqu'à celte profusion d'ornements qui propre et <strong>la</strong> paresse, que <strong>de</strong> pouvoir prendre l'igno­<br />

énerve le style. Gardons-noas qu'Us m se <strong>la</strong>issent sé<strong>du</strong>ira rance pour le génie. Car, d'ailleurs, les sophismes<br />

par cette sorte <strong>de</strong> Ime et <strong>de</strong> mollesse, qui les f<strong>la</strong>tte d'autant<br />

plus qu'elle a plus <strong>de</strong> rapport avec <strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong> leur<br />

puérils dont on s'efforce <strong>de</strong> s'appuyer, ne peuvent<br />

âge et <strong>de</strong> leur jugement -Quand ils anront te goût formé, pas résister au plus léger examen. Ce sont toujours<br />

et «telle seront capables <strong>de</strong> s'en tenir â ce qui eut bon, Ils <strong>de</strong> faux exposés hors-<strong>de</strong> <strong>la</strong> question, et c'est tou­<br />

pourront ietit lire inclIéreei.Raeatî anciens et mo<strong>de</strong>rnes, jours <strong>la</strong> mauvaise foi qui vient au se<strong>cours</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> dé-<br />

4e manié» qo'ils prendront <strong>de</strong>s uns <strong>la</strong> fbroe et le solidité, ralson.lls se moquent <strong>de</strong> l'autorité <strong>de</strong> tel ou tel f et<br />

purgée îles or<strong>du</strong>res d'un siècle grensier, et dos antres celle feignent d'oublier que ce n'est pas tel ou tel qui fait<br />

éMeeiaeef qui est ne mérite réel lorsqu'elle s'est pas far­ autorité f mais <strong>la</strong> raison et l'expérience , qui sont <strong>de</strong>s<br />

dée. Car <strong>la</strong> nature ne nous a pas faits pires que nos eieei ; autorités <strong>de</strong> tous les temps.<br />

mais le temps a changé notre goût; et, trop amateurs <strong>de</strong><br />

ce qui f<strong>la</strong>tte, nous avons porté le raffinement et <strong>la</strong> délice» Je me rappelle qu'un <strong>de</strong> ces prédicateurs d'igno­<br />

tessc ptss Soin qu'il ne fal<strong>la</strong>it. Aussi les anciens ne nous ont rance, après avoir rejeté avec le plus noble mépris<br />

pas tant surpassés par le génie qne par les principes. » toutes les règles <strong>du</strong> théâtre, admettait pourtant, par<br />

je ne sais quel excès <strong>de</strong> comp<strong>la</strong>isance, Funité d'ac­<br />

On voit combien ceux <strong>de</strong> Quintilien étaient metion et d'intérêt, mmpas, disait-il, comme régie<br />

surés et réfléchis 9 combien il était digne <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce ê'JrUMe, poif comme règle <strong>du</strong> èm- *ew. Eh!<br />

qo*il occupait. En les appropriant à notre siècle, mon ami, qui Jamais t'en a <strong>de</strong>mandé ' davantageI<br />

nous pourrons en tirer cette conséquence , que les Qui jamais lut assez imbécile pour prétendre que<br />

ouvrages <strong>de</strong> Corneille ne doivent être donnés à un c'était le nom d'Aristote qui faisait que telle nu teUe<br />

jeune homme dont les lectures seront bien dirigées, règleétait bonneà suivre? Et quand ce serait Lye@-<br />

«pfaprès que Despréaux et Racine auront suffisampferas qui aurait dit le premier qu'un poète tragiment<br />

formé son goût. Je me 'souviens très-distincque dans son drame, ou un peintre dans son tatement<br />

que plusieurs <strong>de</strong> mes camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong> rhétobleau, ne doit traiter qu'un sujet, il faudrait enrique,<br />

qui ne manquaient pas d'esprit, me citaient core le croire, non pas. par respect pour Ly contenu,<br />

avee enthousiasme le réle <strong>de</strong> Ro<strong>de</strong>lin<strong>de</strong>, dont ils mais par respect pour le bon sens.<br />

pesaient <strong>la</strong> Miarre enflure pour <strong>de</strong> <strong>la</strong> noblesse ; et •n'écoutons donc que le bon sens, et il nous dira'<br />

ce<strong>la</strong>i d'Atti<strong>la</strong>, dont <strong>la</strong> férocité brutale leur paraissait que les hommes, n'ont que <strong>de</strong>s idées acquises, et<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur. Un instituteur éc<strong>la</strong>iré qui aurait eon- que ces idées s'éten<strong>de</strong>nt, s'éc<strong>la</strong>irent et se fortiient<br />

ialtietirs étu<strong>de</strong>s les aurait amedès par <strong>de</strong>grés au point par <strong>la</strong> communication <strong>de</strong>s esprits; que les hommes<br />

<strong>de</strong> sentir d'eux-mêmes que cette gran<strong>de</strong>ur qu'ils ne font rien que par <strong>de</strong>grés, et n'arri?ent à aucune<br />

cherchaient était réellement dans Cinna et dans ks espèce <strong>de</strong> connaissance que par une progression<br />

jforoces. Un autre genre <strong>de</strong> défaut peut leur faire plus ou moins lente; qu'en tout genre, après <strong>de</strong>s<br />

illusion dans un orateur tel que Fontenelle;.et s'ils essais très-multipliés et très-défectueux, on ap­<br />

ne sont pas bien accoutumés, par <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong>s prend par<strong>la</strong> comparaison ce qui est bien et ©e qui<br />

c<strong>la</strong>ssiques, à ne goûter que ce qui est sain, Fabus est mal ; qu'alors ce qu'on appelle aa art n'est que<br />

qu'il fait <strong>de</strong> son esprit, et ses agréments recherchés, le résultat <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison et <strong>de</strong> l'expérience ré<strong>du</strong>it en<br />

pourront leur paraître ce qu'il y a <strong>de</strong> plus charmant métho<strong>de</strong> ; que le but <strong>de</strong> cet art est d'épargner à ceux<br />

et <strong>de</strong> plus parfait.<br />

qui nous suivront tout le chemin qu'ont fait ceux<br />

Comme les .mêmes erreurs reviennent assez na­ qui nous ont précédés; et qu'il faudrait nécessaiturellement<br />

aux mêmes époques, on ne s'étonnera rement recommencer, si l'on n'avait pas <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>s.<br />

§as que* <strong>du</strong> temps <strong>de</strong> Quintilien, comme aujourd'hui,<br />

il y eût <strong>de</strong>s gens qui soutenaient avec une<br />

hauteur qui leur paraissait sublime, et qui n'était<br />


106'<br />

règles; et sH fit eoumcelles tfAristote, comme<br />

notre Corneille; s'il oit suivi l'exemple <strong>de</strong>s Grées,<br />

mmam notre Racine, je ne sois pas sûr qu'il les<br />

eut égalés (car ce<strong>la</strong> dépend <strong>du</strong> plu ou <strong>du</strong> moins <strong>de</strong><br />

génie); mais je suis sûr qu'il aurait fait <strong>de</strong> meilleures<br />

pièces.<br />

Il y a <strong>de</strong>s gens qui disent que l'arithmétique est<br />

Inutile, parée qu'en calcu<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> tête il leur est arrivé,<br />

comme à bien d'autres, par un instinct qui<br />

leur <strong>mont</strong>rait le chemin le plus court, <strong>de</strong> séparer<br />

les unités 9 les dizaines 9 et les centaines. Fort bien :<br />

vous a?ez <strong>de</strong>viné comment on fait une addition.<br />

Mais je vais vous apprendre comment, par nn procédé<br />

un peu plus compliqué, on multiplie un nombre<br />

par un antre, comment on le divise; je vous<br />

enseignerai <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> contention avec lesquels<br />

TOUS compareres les quantités <strong>de</strong> toute espèce,<br />

comme on calcule par <strong>de</strong>s chiffres les quantités<br />

numériques, et TOUS saurez l'algèbre9 et vous §eres<br />

tout étonné d'avoir appris eu quelques outillées<br />

ce que voua n'aoriei pas <strong>de</strong>viné <strong>de</strong> toute votre<br />

vie.<br />

Mils pour en revenir à l'éloquence, QuintiHee<br />

marque avec beaucoup <strong>de</strong> sagacité les différents<br />

préjugés qui peuvent faire croire à <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong><br />

ignorante qu'en par<strong>la</strong>nt ou en écrivant on a plus <strong>de</strong><br />

force quand on a moins d'art.<br />

COUES DE UTTtfRATURB.<br />

« Il i*f a peint <strong>de</strong> début, dift-U, «pi ne soit voisin <strong>de</strong><br />

quelque qualité. Aussi ries n'est plus aisé qae <strong>de</strong> prendre<br />

<strong>la</strong> témérité pour k hardiesse f h diffusion pour l'abondance,<br />

Fimpu<strong>de</strong>sce pour une noble liberté. Us avocat effronté se<br />

permet beanconp plus qu'un autre <strong>la</strong> fiole ace et Tin? active,<br />

et quelquefois pourtant se <strong>la</strong>it éeenter, parce que les<br />

hommes entendait asset volontiers ce qu'ils ne vendraient<br />

pas direeui*inémes. De plus, ce<strong>la</strong>i qui aesoaiaiE tassasse<br />

•semai* dans son style, et va toujours à ee qui est entré,<br />

peut quelquefois rencontrer ce qui est grand; mais ce<strong>la</strong><br />

est rare, et ne saurait compenser tout ce qni lui manque.<br />

H se peut encore qm ce<strong>la</strong>i qui dit tont paraisse abondant ;<br />

mais il n'y a que 1*homme habite qui ne dise qm ce qu'il<br />

fait En s'écartant <strong>de</strong> <strong>la</strong> question, et se dispensant <strong>de</strong>s<br />

preuves, on évite ce qn§ pool paraître froid à <strong>de</strong>s esprits<br />

gâtée f et ce qui parait nécessaire sas bons esprits. A<br />

fetee <strong>de</strong> chercher <strong>de</strong>s pensées ssJt<strong>la</strong>afas, si Fou en renantre<br />

quelques-unes d'heureuses , elles font d'autant plus<br />

d'effet, cjae tout le reste est plis maavais, comme les<br />

éc<strong>la</strong>irs brillent dans <strong>la</strong> nuit. Oûnsenjons qu'on appelle gens<br />

. d'esprit ceux qui écrisaat ainsi * pourvu qn f U soit bien sir<br />

que Fhomme éloquent serait très-fâché qu'on Ht <strong>de</strong> lui un<br />

semb<strong>la</strong>ble éloge. La ?érité est que Fart ôte en effet cf neicfae<br />

chose à <strong>la</strong> composition, mais comme <strong>la</strong> lime an fer<br />

qu'elle polit, comme <strong>la</strong> pierre au elseea qu'elle aiguise,<br />

eosaase le temps an vin qn'il eairft »<br />

11 me semble qu'il est difficile <strong>de</strong> penser avec plus<br />

<strong>de</strong> justesse, ifinstraire mm plus <strong>de</strong> précision , et<br />

d'avoir raison avec plus d'esprit.<br />

Il n 9 otiblie pas ces déc<strong>la</strong>mateurs emportés, qui sont<br />

toujours tiers d'eux-mêmes on ne sait pourquoi.<br />

« €emi-là9 dit il, <strong>de</strong>nsiMt ans» écrivains qni font le plus<br />

d'honneur au lettres Ses dénominations les pins injurieuses<br />

dont Us poissent s'siîser; ils tes traitent d'aotenra/ai*<br />

Met , froids, terim, timi<strong>de</strong>s, pmMamlwm 9 elc. •<br />

Me dïnit-on pas que Quintilien avait lu <strong>la</strong> veille<br />

nos brochures, nos satires 9 et nos journaux? II conclut<br />

ainsi :<br />

* Félicitons-les <strong>de</strong> se trouver éloquents à si peu <strong>de</strong> frais »<br />

sans science, sans peine, et sans étu<strong>de</strong>. Pour moi, je charmerai<br />

mes loisirs et ma retraite en cherchant à rassembler<br />

dans ce livre tout ce qm je croirai postais être utile aux<br />

jeunes gens d'un meilleur esprit. Cf esl le seul p<strong>la</strong>isir qui<br />

me reste après avoir renencéanx exercices <strong>du</strong> barreau et<br />

à l'enseignement pnblic9 dans un temps où Fon paraissait<br />

encore désirer que je eoatmijsese mes fonctions. *<br />

Un <strong>de</strong>s reproches les plus communs et les plus<br />

injustes que Ton fuse aux vrais littérateurs, c'est<br />

un entêtement aveugle et Superstitieux qui fcut<br />

tout assujettir aux mêmes règles. On va voir si<br />

Quintilien sait assigner les restrictions conveua-<br />

blesf et si <strong>la</strong> raison étiez <strong>la</strong>i <strong>de</strong>vient pédantesque v<br />

et <strong>la</strong> sévérité tyran-nique.<br />

« QueFon n'exige pas <strong>de</strong> moi ee que beanconp asst aasslst<br />

Mm, <strong>de</strong> renfermer et <strong>de</strong> circonscrire Fart dans <strong>de</strong>s bernes<br />

nécessaires et immuables. Je s'en connais pont <strong>de</strong> cette<br />

espèce. La rhétorique'serait nue chose bien aisée, si l'on<br />

pouvait ainsi <strong>la</strong> ré<strong>du</strong>ire en système. La nature <strong>de</strong>s casses<br />

et <strong>de</strong>s circonstances, le sujet, l'occasion, <strong>la</strong> nécessitét<br />

changent etmodiient tout... »<br />

Il compare ici l'orateur à un général d'armée 9<br />

qui règle ses dispositions sur le terrain, sur les<br />

troupes qu'il comman<strong>de</strong>, sur celles qu'il a à coin*<br />

battre : le parallèle est aussi juste que fécond.<br />

« Yons me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z , poursuit-il f si Feior<strong>de</strong> est esécssse<br />

sâfre on inutile, s'il le fsat faire plus long ou pins court,<br />

si <strong>la</strong> narration doit être serrée on éten<strong>du</strong>e , si elle doit être<br />

continue on interrompue, si elle doit salrra l'ordre <strong>de</strong>s<br />

faits on l'intervertir : c'est votre cause qu'il tant consulter...<br />

1 fael se déterminer suivant Fexigence <strong>de</strong>s cas ; et c'est<br />

pour ce<strong>la</strong> que <strong>la</strong> principale partie <strong>de</strong> Forateur est le|iige>»<br />

ment Je lui recomman<strong>de</strong> avant tout <strong>de</strong> ne jamais perdre<br />

<strong>de</strong> vue <strong>de</strong>ux choses, <strong>la</strong> bienséance et l'utilité. Son premier<br />

objet, c'est le bien <strong>de</strong> sa cause. Je ne veux point que fou<br />

s'asservf sse à <strong>de</strong>s règles trop uniformes et trop générales :<br />

il en est peu qu'on ne puisse, qu'on ne doive quelquefois<br />

violer. Que les jeunes gens se gar<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> croire savoir tout,<br />

pour avoir <strong>la</strong> quelques abrégés <strong>de</strong> rhétorique. L'art <strong>de</strong> parler<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> m grand travail, use étu<strong>de</strong> continselSe, une<br />

longue expérience, beaucoup d'exercise f nne pru<strong>de</strong>nce consommée,<br />

une tête saine et toujours présente : e f est ainsi<br />

que les réglée bien appliquées peuvent être utDes,etqu*on


ANCIENS. - ÉLOQUENCE.<br />

apprend 1 10Î<br />

également à s'en servir et à ne pas trop s'y aalreis- Damksêempikspim &m§mtz <strong>de</strong> lmf^mè^me9<br />

are. Nous irons doue tantôt par tm chemin et tantôt par un je n'ai jamais aèomtfonmê ia pairie s dam ses prm-<br />

autre : si les torrents ont emporté les ponts $ nous ferons périiés, je me M ai rien <strong>de</strong>mandé pcmr wmi, et<br />

en détour ; et si <strong>la</strong> feu a gagné <strong>la</strong> porto, nous passerons par<br />

h fenêtre, le traite mie matière qui est d'une éten<strong>du</strong>e<br />

damnes momemis ks plus désespérés, je m'ai rkn<br />

9<br />

d'une ?ariété infinie, et qu'on s'épuisera jamais. l'essaye­ redouté. Il observe lui-même que ce passage avait<br />

rai <strong>de</strong> rapporter ce que les maîtres ont dit, <strong>de</strong> choisir les en <strong>la</strong>tin une grâce et une force qu'on ne saurait ren­<br />

metilea.fs préceptes «plis aient donnés ; et sf je trouve à dre es français. Quoi qu'il en soit, il It un assez<br />

papas ffj changer, d'y ajouter» d'y ratraicher quelque grand effet pour l'enhardir à passer.sur-le-champ, à<br />

chose, je le ferai. »<br />

l'objet principal <strong>de</strong> <strong>la</strong> délibération, et à rejeter iota<br />

11 faut voir tes objets <strong>de</strong> bien haut pour m aperce- <strong>de</strong> lui toute apologie, avec autant <strong>de</strong> hauteur que<br />

¥oir ainsi if en coup d'œil tente Fimmensité, et il Scipion <strong>mont</strong>ant au Capîtole. 11 fit ce jour-là tout<br />

n'appartient qu'au grands esprits <strong>de</strong> <strong>du</strong>e avec ce qu'il voulut. En sortant <strong>de</strong> l'assemblée, tout le<br />

Pope :<br />

mon<strong>de</strong> al<strong>la</strong> chercher dans Gicéron le passage qui<br />

Que Part est étends ! que l'esprit est borné î avait para si beau. On l'aurait cherché longtemps :<br />

il n'y en a pas un mot. Tout ce <strong>la</strong>tin-là était <strong>de</strong> lut ;<br />

Je pourrais eitraire un' bien plus grand nombre<br />

et cette aventure est assez piatsiata pour qu'on m<br />

<strong>de</strong> ces idées substantielles dont abon<strong>de</strong>nt ces <strong>de</strong>ux<br />

premiers livres ,• f ® sont comme les prolégomènes tpermette <strong>de</strong> dire qu'il me perdUpm fou tatm.<br />

<strong>de</strong> l'ouvrage, ou plutôt je les tra<strong>du</strong>irais tout en­ SECTieif IL — Des trois genres d'éloquence : le démonstratiers,<br />

si je me <strong>la</strong>issais aller an p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ire. tif, le déu'bératif, et le judiciaire.<br />

Mais il faut avancer vers le but, et résister à <strong>la</strong><br />

tentation <strong>de</strong> s'arrêter sur <strong>la</strong> route. Oo trouve à cha­ Quintilien considère <strong>la</strong> matière qu'il traite-sous<br />

que pas <strong>de</strong> ces observations simples, mais lumineu­ trois rapports principaux qui <strong>la</strong> partagent, l<br />

ses, que l'expérience a eoiiirmées par <strong>de</strong>s exemples<br />

frappants. L'auteur, en conseil<strong>la</strong>nt aux jeunes<br />

élèves <strong>de</strong> meubler leur mémoire <strong>de</strong>s meilleurs<br />

écrits, remarque qu'une citation qui vient à propos<br />

et qui est p<strong>la</strong>cée naturellement, nous fait souvent<br />

plus if honneur, et pro<strong>du</strong>it plus d'effet f que les pensées<br />

qui sont à nous. Cet avis apparemment parut<br />

boa à suivre à ce fameux coadjuteur <strong>de</strong> Paris, dans<br />

mie occasion remarquable que lui-même rapporte<br />

dans ses mémoires. On venait <strong>de</strong> lire dans rassemblée<br />

<strong>du</strong> parlement, où il était, un écrit que le gar<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s sceau avait remis aux députés <strong>de</strong> <strong>la</strong> magistrature<br />

, et qui accusait le coadjuteur <strong>de</strong> brouiller tout<br />

pour son intérêt, et <strong>de</strong> sacriier l'État à l'ambition<br />

«Titre ordinal. On s'attendait qu'il al<strong>la</strong>it faire son<br />

apologie : elle pouvait être embarrassante, et <strong>de</strong> plus<br />

elle éloignait l'objet <strong>de</strong> <strong>la</strong> délibération présente,<br />

qui était pour le moment un^coup <strong>de</strong> partie. Heureusement<br />

ce n'était pas à lui d'opiner, et il eut le<br />

temps <strong>de</strong> se recueillir. Il sentit qu'il fal<strong>la</strong>it pyer<br />

d'audace, en trouvant quelque moyen d'échapper à<br />

<strong>la</strong>aécessitéie se justifier; qu'il fal<strong>la</strong>it revenir promptemeet<br />

au résultat que Ton vou<strong>la</strong>it éviter. Quand ce<br />

fut à son tour <strong>de</strong>farler, il se leva arec confiance,<br />

et <strong>du</strong> ton le plus imposant :<br />

« le ne puis si sé<strong>du</strong>is, dans h dreoestasee présente,<br />

dit-il» répondre à <strong>la</strong> calomnie qu'en me rendant <strong>de</strong>vant<br />

vous, messienff, le même témoignage que se rendait l'orateur<br />

roman : M ii/jkîîUnm reêpmèliem tempwibm,<br />

mtèem mnmqtmmêesermî ; <strong>la</strong> prmperu sfâff <strong>de</strong> pmèUm<br />

<strong>de</strong>iiimm ; in <strong>de</strong>tperalls mlkii fiataf, »<br />

? artY l'artiste<br />

et l'ouvrage. Les divisions subséquentes sont<br />

formées <strong>de</strong>s différentes parties qui sont propres a<br />

chacune <strong>de</strong> ces trois choses. U examine (et c'est peutêtre<br />

trop <strong>de</strong> comp<strong>la</strong>isance qu'il eut pour les rhéteurs<br />

et les sophistes <strong>de</strong> son temps) û <strong>la</strong> rhétorique doit<br />

s'appeler un art, une science, une force, une puissance,<br />

une vertu. Tontes ces questions, à peu près<br />

aussi frivoles que subtiles, étaient fort à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong> dans<br />

les écoles grecques et romaines, et il fal<strong>la</strong>it bien ai<br />

pas paraître les ignorer. Heureusement nous sommes<br />

dispensés d'en savoir tant, et nous entendons<br />

assez quand nous disons que l'éloquence est Fart <strong>de</strong><br />

persua<strong>de</strong>r, et que <strong>la</strong> rhétorique est une science qui<br />

contient les préceptes <strong>de</strong> cet art. Sans vouloir prétendre<br />

à <strong>la</strong> précision rigoureuse <strong>de</strong>s définitions 9 qui<br />

n'est pas nécessaire hors <strong>de</strong>s matières philosophiques,<br />

on peut cependant établir cette différence générale<br />

entre une science et un art, que Tune se<br />

borne à <strong>la</strong> spécu<strong>la</strong>tion, et que rentre pro<strong>du</strong>it un<br />

ouvrage. Ainsi l'on est astronome, physicien, chimiste<br />

« sans faire autre chose qu'étudier <strong>la</strong> nature;<br />

mais on n'est poète qu'en faisant <strong>de</strong>s vers, orateur<br />

qu'en faisant un dis<strong>cours</strong>, peintre qu'en faisant un<br />

tableau, etc.<br />

Quintilien définit <strong>la</strong> rhétorique ta science <strong>de</strong> Mm<br />

dire, et cette définition est peut-être meilleure en<br />

<strong>la</strong>tin qu'en français ; d'abord parce que lé mot dieere<br />

a une tout autre force dans une <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux <strong>la</strong>ngues que<br />

dans l'autre; ensuite parce que l'auteur entend par<br />

Mémoire, non^seulement parler éîôf amanait» mais<br />

ne rien dire que d'honnête et <strong>de</strong> moral, ce que le <strong>la</strong>-


208<br />

tin peut comporter, mais m que les mots français<br />

correspondants ne présentent pas. Au reste f Quiutilien<br />

est conséquent; car il n'accor<strong>de</strong> le nom d'orateur<br />

qu'à celui qui est en môme temps éloquent et<br />

fertueui. Il serait à souhaiter que ee<strong>la</strong> fût irai ;<br />

mais je crains bien que l'amour qu'il avait pour son<br />

art ne le lui ait fait voir sous un jour un peu trop<br />

avantageux. César, <strong>de</strong> l'aveu <strong>de</strong> Cieéren, était un<br />

très-grand orateur, et n 9 était pas un*homme vertutui.<br />

J'approuve encore moins Quintîlien lorsqu'il<br />

condamne par <strong>de</strong>s raisons assez frivoles cette définition<strong>de</strong><br />

l'éloquence, assez généralement adoptée,<br />

l'art <strong>de</strong> persua<strong>de</strong>r. I objecte que ce. n'est pas <strong>la</strong><br />

seule chose qui persua<strong>de</strong>; que <strong>la</strong> beauté, les <strong>la</strong>rmes,<br />

les supplications muettes persua<strong>de</strong>nt aussi. Mais<br />

n'est-ce pas abuser <strong>du</strong> mot <strong>de</strong> persua<strong>de</strong>r, qui, en <strong>la</strong>tin,<br />

comme en français, entraîne, sans qu'on le dise 9<br />

l'idée <strong>de</strong> <strong>la</strong> persuasion opérée par <strong>la</strong> parole? A proprement<br />

parler, <strong>la</strong> beauté charme, les pleurs attendrissent,<br />

mais l'éloquence persua<strong>de</strong>. Les exemples<br />

mêmes qu'il cite «aient à l'appui <strong>de</strong> cette distinction<br />

très-randée.<br />

* Lorsque Alterne l'orateur, • p<strong>la</strong>idant puer Aquiliis,<br />

déchira tout à coup rhabtt <strong>de</strong> raseuse» et at voi* les blessures<br />

qu'il avait reçues ea cumbatfanf puer le patrie* se<br />

6a-t-il à <strong>la</strong> force <strong>de</strong> ses raisons? fm; mm il arracha <strong>de</strong>s<br />

fermée m peuple ramais 9 qui se put résinier à un spectacle<br />

si touchant f et renvoya le criminel absous. »<br />

Je réponds à Quintilien : Donc, <strong>de</strong> ¥otrea?eu,.le<br />

peuple romain ne fut pas jteesiiailé; il fut touché.<br />

Mais tout le mon<strong>de</strong> sera <strong>de</strong> son avis, lorsque, se<br />

p<strong>la</strong>isant à rejeter FexoeUeoce <strong>de</strong> Fart <strong>de</strong> parler, il<br />

nous dit:<br />

« Si le Créateur mus a distingués <strong>du</strong> reste <strong>de</strong>s âaâfiaea,<br />

c 9 est surtout par le don <strong>de</strong> le parole. Ils nous surpassent<br />

GOOIIS DE LITTtRATDEB.<br />

en force , en patience, en gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> corps , en <strong>du</strong>rée, en-<br />

•itesse, eu mille autres avantages, et surtout en celui <strong>de</strong><br />

se passer nieui que nous <strong>de</strong> tous se<strong>cours</strong> étrangers. Guidés<br />

seulement par le nature, ils apprennent bientôt, et<br />

d'eux-mêmes 9 à marcher, à se nourrir, à nager. Ils portent<br />

avec eux <strong>de</strong> quoi se défendre contre le froid ; ils ont <strong>de</strong>s<br />

armes qui leur sont naturelle»; Ils traaveet leur nourriture<br />

sous leurs pas ; et pour toutes eee choses, que n'en coote-<br />

141 pas aux hommes? La raison est notre partage, et eeea<br />

Meuras associer aux immortel*; mais combien elle serait<br />

fMMe sans <strong>la</strong> faculté d'exprimer nos pensées par <strong>la</strong> parole,<br />

qui en est l'interprète fidèle! C'est là ce qui manque aux<br />

animaux f bien plus que l'intelligence, dont on ne saurait<br />

dire qu'ils soient absolument dépoumis.... Donc si.nous<br />

n'avons rien reçu <strong>de</strong> meilleur que f usage <strong>de</strong> <strong>la</strong> parole,<br />

qu'y a4-il que nous défions perfectionner davantage! 1 Et<br />

quel objet plus digne d'ambition que <strong>de</strong> s'élever au-<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong>s autres hommes par- cette faculté unique qui les élève<br />

«i-Biêifies etaiaasas <strong>de</strong>s bêtes ! »<br />

QuintlHen distingue, ainsijqu'Aristote et les plus<br />

anciens rhéteurs, trois genres <strong>de</strong> composition oratoire<br />

: le démonstratif, le délibératif et le judiciaire.<br />

Le premier consiste prise!paiement à louer ou à-blâmer<br />

f et comprend sous Ipl le panégyrique et IV<br />

raison funèbre, qui étaient eu usage chez les anciens<br />

eomiiie parmi nous, mais avec les différences fie<br />

<strong>de</strong>?aient y mettre ïeaaieeiirsêt<strong>la</strong> religion. L'arelsee<br />

funèbre, par eiemple, a chez uous aa caractère relîgleai<br />

; elle se peut se prononcer que dans un temple,<br />

et fait ptrtie <strong>de</strong>s cérémonies funéraires : l'orateur<br />

doit être un ministre <strong>de</strong>s autels; et cet éloge <strong>de</strong>s<br />

eertas et <strong>de</strong>s talents, trop souvent ne fut accordé<br />

qu'au rang-et à ta naissance, dans ces mêmes chaires<br />

où l'on prêche tous les jours le néant <strong>de</strong> toutes<br />

les gran<strong>de</strong>urs humaines. Chez les anciens, l'oraison<br />

funèbre avait un caractère public, mais nullement<br />

religieux : c'était un <strong>de</strong>s parents '<strong>du</strong> mort qui <strong>la</strong><br />

prononçait dans rassemblée <strong>du</strong> peuple. On y faisait<br />

paraître Ses images <strong>de</strong>s ancêtres; et c'était poar<br />

les grands <strong>de</strong> Rome une occasion <strong>de</strong> faire valoir<br />

aux yeux <strong>du</strong> peuple <strong>la</strong> noblesse ? l'illustration f et les<br />

titres <strong>de</strong> leur famille. Les historiens ont'remarqué<br />

que Jules-César encore fort jeune, faisant ainsi<br />

l'éloge funèbre <strong>de</strong> sautante Julie, exalta ea termes<br />

magnifiques leur origine commune, qu'il faisait<br />

re<strong>mont</strong>er, d'un côté jusqu'à <strong>la</strong> déesse ¥ésus, et<br />

<strong>de</strong> l'autre jusqu'à f aa <strong>de</strong>s premiers rois <strong>de</strong> Rome,<br />

Aaeas Marcius.<br />

* Ainsi y disait-il 9 on trouve dans ma famine le aalufelé<br />

<strong>de</strong>s rais 9 qui sont les maîtres <strong>de</strong>s hommes f et le majesté<br />

<strong>de</strong>s dieux 9 qui sont les maîtres <strong>de</strong>s rois. *<br />

Parmi les morceaux <strong>du</strong> genre démonstratif ches<br />

les anciens» on compte principalement le panégyrique<br />

d'Évagore, roi <strong>de</strong> Sa<strong>la</strong>ra<strong>la</strong>e, quï9 avec use<br />

faible puissance, avait fait <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s actions. Ce­<br />

lui <strong>de</strong> <strong>la</strong> république d'Athènes f <strong>du</strong> même auteur, ne<br />

peut pas être rangé dans <strong>la</strong> même c<strong>la</strong>sse, parce<br />

qu'ayant pour principal objet d'engager les Athéniens<br />

à se mettre à le,tête <strong>de</strong>s Grecs pour faire <strong>la</strong><br />

guerre aux barbares, il rentre dans le genre délibératif.<br />

Vient ensuite le panégyrique <strong>de</strong> Trajan, <strong>la</strong><br />

chef-d'œuvre <strong>du</strong> second âge <strong>de</strong> l'éloquence romaine,<br />

c'est-à-dire lorsque, déchue <strong>de</strong> sa première gran<strong>de</strong>ur,<br />

elle substituait <strong>du</strong> moins tous les agréments <strong>de</strong> l'esprit<br />

aux'beautés simples et vraies qui avaient marqué<br />

Fépoque<strong>de</strong> <strong>la</strong> perfection. L'ouvrage <strong>de</strong> Pline,<br />

malgré ses défauts, lui fait encore honneur dans <strong>la</strong><br />

postérité, surtout parce qu'en louant un souverain,<br />

l'auteur fut assez heureux pour ne louer que <strong>la</strong><br />

vertu.<br />

On a reproché à Trajan <strong>de</strong> s'être prêté avec trop <strong>de</strong><br />

comp<strong>la</strong>isance à s'entendre louer dans un dis<strong>cours</strong>


ANCIENS. - ÉLOQUENCE. so§<br />

d'apparat pendaniplus<strong>de</strong> dit» heures. Mais les let­ plus fondé sur les lois. Il était Intime ami <strong>de</strong> Martres<br />

<strong>de</strong> Plia© justifiait le prinee<strong>de</strong> cette accusation ceHus; et César, qui le connaissait bien, se douta<br />

trop légèrement intentée. On y toit que le panégyri­ que sa sensibilité ne résisterait pas à cette épreuve :<br />

que, tel que nous ratons « us fat jamais prononcé ; il ne fut pas trompé. Cicéroa se leta quand ce fut<br />

que ce n'était originairement qu'un remerdment 'son tour d'opiner; et, au lieu d'une simple formule<br />

d'usage , adiessé dans le sénat, par le consul dési­ <strong>de</strong> compliment dont s'étaient contentés les autres<br />

gné, à l'empereur fui l'était choisi pour cette di­ consu<strong>la</strong>ires, l'orateur adressa au héros le dis<strong>cours</strong><br />

gnité. Pline, en s'acquittent <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>Voir, s'étendit le plus noble et le plus pathétique, et en mène<br />

us peu pins que <strong>de</strong> coutume sur les louanges <strong>de</strong> temp le plus patriotique que <strong>la</strong> reconnaissance s l'a­<br />

Tr^an, et ce morceau fit un p<strong>la</strong>isir si général, mitié et <strong>la</strong> tertu puissent inspirer à use âme életée et<br />

qu'on engagea l'auteur à le développer et I en faire sensible : il est impossible <strong>de</strong> le lire sans admiration<br />

tra outrage. C'est ce qui nous a tahi le panégyrique et sans attendrissement. On contient qu'en ce genre<br />

que nous tisons aujourd'hui, que Trajan lut sans il n'y a rien à comparer à ce morceau; et quand on<br />

doute, mais que Fauteur ne prononça point. On fait réfieiiou qu'il faut ou démentir (es témoignages<br />

est heureux d'atoir à releier ces sortes d'erreurs, les plus authentiques, ou croire qu'il fut composé<br />

et d'éloigner <strong>de</strong> <strong>la</strong> tertu le reproche d'atoir manqué sur-le-champ; lorsque ensuite on se rappelle tout<br />

<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>stie.<br />

ce qu'il fout aujourd'hui <strong>de</strong> temps, <strong>de</strong> réfienon et<br />

Un autre outrage <strong>de</strong> <strong>la</strong> même espèce, mais d'un <strong>de</strong> travail pour pro<strong>du</strong>ire quelque chose qui approche<br />

style bien différent, c'est le dis<strong>cours</strong> qui, parmi <strong>du</strong> mérite <strong>de</strong> ces pro<strong>du</strong>ctions <strong>du</strong> moment pi ne<br />

eaux <strong>de</strong> Cwéros, est intitulé assez improprement mourront jamais ; os serait tenté <strong>de</strong> croire que eta<br />

pm Mmceih, pour Marcellus, comme s'il eût p<strong>la</strong>idé anciens étaient <strong>de</strong>s hommes d'une nature supérieure,<br />

pour lui, ainsi qu'il avait fait pour Ugarius et pour si Ton ne se soutenait que dans les anciennes répu­<br />

le roi Déjotare. Ce dis<strong>cours</strong> n'est en effet qu'un re» bliques l'éloquence respirait son air natal, et qu'elle<br />

merctment adressé i César* et dont <strong>la</strong> beauté est n'a été parmi sous que transp<strong>la</strong>ntée; que, dans les<br />

d'autant plus admirable qu'il ne poutait pas être gonternemente libres, l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> prier en public<br />

préparé. Maredlus atait été un <strong>de</strong>s plus ar<strong>de</strong>nts en­ et <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> bien dire donnaient i l'orateur un<br />

nemis <strong>de</strong> César ; <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> défaite <strong>de</strong> Pharsale, il ressort et une facilité dont nais n'atoes pu long­<br />

s'était retiré à ifityîèaa, où il cultitait en paix les lefc» temps atoir d'idée; que l'âme, qui est le premier<br />

très v qu'il aimait pasataiéaiaaL Dans une assem- mobile <strong>de</strong> toute éloquence, était chez eux remuée<br />

Mée<strong>du</strong> sénat, où Pisonatait dit un mot <strong>de</strong> lui comme sans cesse par tout ce qui les aa?Iraaaait, aiguil­<br />

aa passant, son Itère Ca<strong>la</strong>» s'était jeté aux pieds lonnée par les plus pressants motifs, échauffée par<br />

<strong>du</strong> dictateur pour en obtenir le retour <strong>de</strong> Mareellus. les plus puissants intérêts, exaltée par les plus<br />

César, qui semb<strong>la</strong>it ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r jamais qu'une grands spectacles. C'est atec cette réunion d'encou­<br />

occasion <strong>de</strong> pardonner, se p<strong>la</strong>ignit a?ec beaucoup ragements et <strong>de</strong> se<strong>cours</strong> que l'homme s'élète au-<br />

<strong>de</strong> douceur <strong>de</strong> l'opiniâtreté <strong>de</strong> Marcellus, qui prais<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> hu-mêine.<br />

sait touloir toujours être son ennemi ; et ajouta que* Si le talent est rare, il est plus rare encore qu'il<br />

m tesêaal désirait son rappel, il n'a?ait rien àrefuser soit p<strong>la</strong>cé <strong>de</strong> manière à pro<strong>du</strong>ire tout ce qu'il peut.<br />

à une si puissante intercession. Les sénateurs répon­ U ne connaît lui-même toute sa force que lorsqu'il<br />

dirent par <strong>de</strong>s acc<strong>la</strong>mations, et s'approchèrent <strong>de</strong> Cé- lui est permis <strong>de</strong> le déployer. Uni ne trouve tou\<br />

sar pour lutrendre<strong>de</strong>saf^iu<strong>de</strong>grâces, d'autant plus en lui-même ; et le génie, comme tout le reste, ? eut<br />

touchés <strong>de</strong> ce qu'il tenait <strong>de</strong> faire, que Maredlus atoir sa p<strong>la</strong>ce pour atoir toute sa taleur. Outres<br />

était un <strong>de</strong>s meilleurs et <strong>de</strong>s plus illustres citoyens <strong>de</strong> dotant lui une carrière immense ; qu'il toie toujours<br />

Rome, et qu'ils s'attendaient moins à <strong>la</strong> fateur qu'il au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> son essor, et cet essor sera sans bornes.<br />

tenait-d'obtenir. César, quoiqu'il ne pût pas douter L'exercice continuel <strong>de</strong> ses forces sera en proportion<br />

<strong>de</strong>s dispositions <strong>du</strong> sénat, qui tenaient <strong>de</strong> se manifes­ <strong>de</strong> l'espace qu'il aura à parcourir, et c'est cet exerter<br />

si c<strong>la</strong>irement, nmtaft recueillir les suffrages dans cice qui jusqu'ici nous a manqué. Nous ne concetons<br />

tontes les formes; et l'on croit que son intention rien aux prodiges <strong>de</strong>s athlètes; mais sommes-nous<br />

atait été d'engager Cicéro»! parler. Ce grand ci­ életés et nourris comme eux? Et qui <strong>de</strong> nous pourtoyen<br />

t <strong>de</strong>puis que César régnait dans Rome, avait rait se f<strong>la</strong>tter <strong>de</strong> comprendre comment Cicéron a pu<br />

gardé le silence dans toutes les assemblées <strong>du</strong> sénat, faire en un moment un si beau dis<strong>cours</strong>, à moins<br />

ne tou<strong>la</strong>nt ni offenser le dictateur, qui le comb<strong>la</strong>it d'atoir été accoutumé, comme lui, à parier dans le<br />

<strong>de</strong> témoignages d'estime et <strong>de</strong> bienteil<strong>la</strong>nee, ni sénat <strong>de</strong> Rome?<br />

praire aucune part à un gouvernement qui n'était Un autre exemple non moins frappant <strong>de</strong> cette<br />

Là B4MK. — TOIE I.


210<br />

facilité, qui n'est étonnante que pour sou 9 et'dont<br />

nous ne voyons pas que les anciens aient jamais été<br />

surpris, parce qu'ils en voyaient tous les jours <strong>de</strong>s<br />

exemples, c'est <strong>la</strong> première Catilinaire; c'est cette<br />

harangue foudroyante qui terrassa l'audace '<strong>de</strong> m<br />

fameux scélérat 9 lorsqu'il osa se présenter dans le<br />

sénat romain, au moment même où Cicéron al<strong>la</strong>it<br />

y rendre compte <strong>de</strong> tous les détails <strong>de</strong> <strong>la</strong> conjuration<br />

qu'il venait <strong>de</strong> découvrir. Cette harangue si célébra<br />

est <strong>de</strong> l'autre espèce <strong>de</strong> genre démonstratif, opposée<br />

à celle dont je viens <strong>de</strong> parler. Cette secon<strong>de</strong> espèce<br />

. s'étend sur le blâme 9 comme l'autre sur <strong>la</strong> lovufnge.<br />

Elle est dictée par l'indignation, par <strong>la</strong> haine, par<br />

le mépris, comme Fautre par l'admiration, <strong>la</strong> reconnaissance,<br />

l'amitié. Elle est aussi regardée<br />

comme <strong>la</strong> plus facile, pree que les passions violenta<br />

sont celles qui nous dominent et nous entraînent<br />

avec le plus d'impétuosité 9 et que généralement les<br />

hommes enten<strong>de</strong>nt plus volontiers le blâme que <strong>la</strong><br />

louange-: il Irait leur apprêter celle-ci avec plus d'art,<br />

et Ton peut risquer l'autre avec moins <strong>de</strong> précaution.<br />

C'est par <strong>la</strong> même raison que9 dans le genre<br />

judiciaire f Quintilien remarque que l'accusation est<br />

plus aisée que <strong>la</strong> défense.<br />

. «ralvQ?dit-Ut<strong>de</strong>médi@€reiâfiM»tsseliiertsse£bia<br />

f taira. *<br />

La secon<strong>de</strong> Phiiippique <strong>de</strong> Cicéron est encore un<br />

monument mémorable dans le même genre. C'est<br />

le tableau <strong>de</strong> tous les vices, <strong>de</strong> tous les crimes <strong>de</strong><br />

Marc-Antoine, peints <strong>de</strong>s .plus effrayantes couleurs.<br />

COU1S DE UTTÉIATUIUL<br />

On sait qu'elle coûta <strong>la</strong> vie à son auteur. Il ne Favait<br />

pas prononcée; mais elle avait été publiée à Rome<br />

et lue dans tout f empire* Antoine ne <strong>la</strong> pardonna<br />

pas, et, <strong>de</strong>venu triumvir, il se vengea par un arrêt<br />

<strong>de</strong> proscription, c'est-à-dire comme un brigand se<br />

vengerait d'un magistrat, s'il avait <strong>de</strong>s bourreaux<br />

à ses ordres.<br />

Parmi nous, le genre démonstratif comprend,<br />

outre l'oraison funèbre, les sermons dont l'objet est<br />

<strong>de</strong> détourner <strong>du</strong> vice et <strong>de</strong> prêcher <strong>la</strong> vertu, les dis<strong>cours</strong><br />

prononcés dans les académies ou <strong>de</strong>vant les<br />

corps <strong>de</strong> magistrature, 'et, <strong>de</strong>puis environ trente<br />

ans, l'éloge <strong>de</strong>s grands hommes. Cette nouvelle<br />

branche, ajoutée à l'éloquence française, n'est pas<br />

celle qui a ieuri avec le moins d'éc<strong>la</strong>t, ni le moins<br />

fructifié pour futilité générale.<br />

Dans îe genre délibératif proprement dit, dont<br />

l'objet est <strong>de</strong> délibérer sur les affaires publiques s<br />

sur <strong>la</strong> guerre 9 sur <strong>la</strong> paix, sur les négociations, sur<br />

les intérêts politiques, sur tous les points généraux<br />

<strong>de</strong> légis<strong>la</strong>tion ou <strong>de</strong> gouvernement, nous n'avions<br />

ni ne pouvions rien avoir, avant <strong>la</strong> réf olotkm <strong>de</strong><br />

1789, àopposer aui Grecs et aux Romains; et Foi<br />

sent asseï que ce genre, qui est le triomphe <strong>de</strong> Féloquenœ<br />

républicaine, ne trouve point <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce dans<br />

les gouvernements monarchiques. Mais nous avons -<br />

<strong>de</strong>s ouvrages qui tiennent en partie <strong>de</strong> ce genre et <strong>du</strong><br />

genre démonstratif. Tels sont ceux oà Ton traies<br />

particulièrement quelque question importante <strong>de</strong><br />

morale, ou <strong>de</strong> politique, ou <strong>de</strong> légis<strong>la</strong>tion; comme<br />

le.préjugé <strong>de</strong>s peine* irifawwnte$$ et un très-petit<br />

nombre d'autres qui ont pour but <strong>de</strong> faim voir ee<br />

qu'il faut admettre et ce qu'il faut rejeter.<br />

L'éloquence déMbérative tient une très-gran<strong>de</strong><br />

p<strong>la</strong>ce dans les historiens <strong>de</strong> l'antiquité, et fait ta<br />

<strong>de</strong>s principaux ornements <strong>de</strong> leurs ouvrages; elle<br />

n'en tient presque aucune dans nos histoires mo<strong>de</strong>rnes<br />

9 et cette différence est encore une suite nécessaire<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> différence <strong>de</strong>s mœurs et <strong>de</strong>s gouvernements.<br />

Thucydi<strong>de</strong>, Xéaophon f Tite-fJv e, Sslsste,<br />

Tacite, n'ont nullement choqué <strong>la</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce<br />

en prêtant <strong>de</strong> fort beaux dis<strong>cours</strong> à <strong>de</strong>s hommes d'État<br />

reconnus pour très-éloquents et dont plusieurs<br />

même avaient <strong>la</strong>issé <strong>de</strong>s recueils manuscrits <strong>de</strong>s harangues<br />

qu'ils avaient prononcées en diverses musions<br />

, dans le sénat ou <strong>de</strong>vant le peuple, lorsqu'on<br />

y délibérait <strong>de</strong>s affaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> république. If sis comme<br />

parmi nous les délibérations qui influent sur le sort<br />

<strong>de</strong>s peuples n'avaient pas <strong>la</strong> même forme, et qu'un<br />

homme d'État n'était nullement obligé d'être orateur,<br />

un historien ne se croyait pas non plus obligé<br />

<strong>de</strong> l'être; et c'est encore une <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> <strong>la</strong> sé­<br />

cheresse <strong>de</strong> nos histoires.<br />

C'est dans les ouvrages <strong>de</strong> Déiposthènes et <strong>de</strong><br />

Cicéron qu'on trouve les modèles <strong>de</strong> cette espèce<br />

d'éloquence, <strong>la</strong> plus auguste <strong>de</strong> toutes et <strong>la</strong> pins imposante.<br />

Les Philippiques <strong>de</strong> l'orateur grec ont été<br />

souvent citées avec <strong>de</strong> justes éloges, et personne<br />

n'est plus disposé que moi à les confirmer, quoique<br />

Démosthènes me paraisse avoir été encore au <strong>de</strong>là<br />

quand il a prié pour lui-même. A l'égard <strong>de</strong> Cicéron,<br />

Ton peut citer surtout le dis<strong>cours</strong> pour <strong>la</strong> loi<br />

MmâBaf et ceux où il combattit <strong>la</strong> loi agraire. Il y<br />

remplit les <strong>de</strong>ux objets <strong>du</strong> genre délibératif, <strong>de</strong> persua<strong>de</strong>r<br />

et <strong>de</strong> dissua<strong>de</strong>r. Le tribun Maallîtis proposait<br />

au peuple <strong>de</strong> donner à Pompée, par commission<br />

extraordinaire, le comman<strong>de</strong>ment <strong>de</strong>s légions d'Asie<br />

<strong>de</strong>stinées à foire <strong>la</strong> guerre contre Mfthridats. Cette<br />

commission ne pouvait être décernée que par un plébiscite,<br />

c'est-à-dire par une toi particulière, revêtue<br />

<strong>de</strong> Fâutorité <strong>du</strong> peuple, et souffrait d'autant plus <strong>de</strong><br />

difficultés, qu'on venait d'en donner une toute semb<strong>la</strong>ble<br />

à ce même Pompée, lorsqu'on l'avait envoyé<br />

contre les pirates <strong>de</strong> CUicie. Lesprincipu<strong>du</strong>séeit,


ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

•t 1 leur tête Hwttnsliis et Gatolus, s'opposaient <strong>de</strong> •ânt une colonie dans une contrée nouvellement d£<br />

tuâtes leurs forces à <strong>la</strong> publication <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi, regar­ couverte, ou comme autrefois trent les barbares<br />

dant, non sans raison, connue un exemple dangereux dn Mont quand ils asservirent l'Europe. L'idée d'un<br />

dans une république, qu'on accumulât sur <strong>la</strong> téted'un semb<strong>la</strong>ble partage entre vingt-cinq millions d'hom­<br />

seul homme <strong>de</strong>s comman<strong>de</strong>ments extraordinaires. mes établis en corps <strong>de</strong> peuple <strong>de</strong>puis une longue<br />

C'est dans cette occasion que Catulus, homme d'un suite d'années n'entra jamais dans <strong>la</strong> tête <strong>de</strong>s plus<br />

mérite émisent et d'une farte respectée, <strong>de</strong>mandant déterminés bandits dont l'histoire <strong>la</strong>sse mention,<br />

M peuple romain à qui désormais il conterait les pas mime dans celle <strong>de</strong>s sicaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> troupe <strong>de</strong> Ca-<br />

gpnrras les plus périlleuses et les plus importantes tilina ; celui qui en aurait parlé sérieusement têt<br />

expéditions, sftl venait à perdre, par-quelque acci­ passé, à coup sûr, pour un fou furieux. Cette moi»*<br />

<strong>de</strong>nt, ce même Pompée qu'il expœait sans cesse à traosité inouïe était réservée, ainsi que tant d'au­<br />

<strong>de</strong> nouf eaux dangers, entendit tout le peuple lui rétres , à l'extravagance atroce <strong>de</strong>s scélérats qui ont,<br />

pondre d'une voix unanime : A veu$*mêmê, CmÉmàm <strong>de</strong> ; nos jours, désolé <strong>la</strong> France, L'eiéeution en était<br />

témoignage le plus honorable qu'un citoyen ait ja­ impossible <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> manières, qu'ils y ont renoncéf<br />

mais reçu <strong>de</strong> sa patrie. Gçéron, ami <strong>de</strong> Pompée, et même quand ils pouvaient tout, et ils ont trouvé<br />

persuadé que <strong>la</strong> première <strong>de</strong> toutes les lois9 c'est le<br />

saint <strong>de</strong> <strong>la</strong> république, <strong>mont</strong>a pour <strong>la</strong> première fois<br />

plus court et plus simple d'ensang<strong>la</strong>nter <strong>la</strong> terre au<br />

lieu <strong>de</strong> 1a partager ; <strong>de</strong> prendre tout au lieu <strong>de</strong> tout<br />

dans <strong>la</strong> tribune. 11 avait alors quarante et un ans, et Mv<strong>de</strong>r; <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> vastes déserts au lieu <strong>de</strong> petites '<br />

n'avait encore'cxircéses talents que dans le barreau. portions ; d'entasser <strong>de</strong>s cendres et <strong>de</strong>s cadavres f tu<br />

Pour parler dans l'assemblée <strong>du</strong> peuple, il fal<strong>la</strong>it lieu <strong>de</strong> poser <strong>de</strong>s bornes; et <strong>de</strong> prendreen main 9 au<br />

communément être revêtu <strong>de</strong> quelque magistrature. lieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> toise et <strong>du</strong> ni veau, <strong>la</strong> faux <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, sont<br />

H venait d'être nommé préteur. Le peuple, accou­ le nom <strong>de</strong> fmm <strong>de</strong> f égalité.<br />

tumé à l'app<strong>la</strong>udir dans les triftmaux, vit avec joie 1 al<strong>la</strong>s, tribun <strong>du</strong> peuple, avait entrepris <strong>de</strong> faire<br />

le plus illustre orateur <strong>de</strong> Rome paraître <strong>de</strong>vant lui t révivre cette loi agraire, tant <strong>de</strong> fois proposée et<br />

et malgré l'éloquence d'Hortenslus et l'autorité <strong>de</strong> toujours combattue. Cieéron, alors consul, dcéroo,<br />

Catulus, Cieéron l'emporta; <strong>la</strong> loi lut promulguée, qui <strong>de</strong>vait son élévation au peuple 9 mais qui aimait<br />

et i lot permis à Pompée <strong>de</strong> vaincre Mithridate. trop ce même peuple pour le f<strong>la</strong>tter et le tromper,<br />

Mais s'il eut dans cette affaire l'avantage <strong>de</strong> par* attaqua d<br />

1er pour un homme déjà porté par <strong>la</strong> faveur publique<br />

, le cas était bien différent lorsqu'il lut question<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> loi <strong>du</strong> potage <strong>de</strong>s terres. C'était, <strong>de</strong>puis trois<br />

cents ans, le vœu le plus cher <strong>de</strong>s tribus romaines,<br />

Fappât journalier et le cri <strong>de</strong> ralliement <strong>de</strong> <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong><br />

', le signal <strong>de</strong> <strong>la</strong> discor<strong>de</strong> entre les <strong>de</strong>ux ordres,<br />

et Parme familière <strong>du</strong> tribunat. Mais je dois avertir<br />

Ici «, puisque fen ai l'occasion, que ces lois agraires,<br />

qui furent chez les llomains le sujet <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> débats,<br />

n'avaient d'autre objet que <strong>de</strong> distribuer à un<br />

certain nombre <strong>de</strong> citoyens pauvres une partie <strong>de</strong>s<br />

terres conquises qui appartenaient à <strong>la</strong> république;<br />

qtf die affermait à <strong>de</strong>s régisseurs, et dont le revenu<br />

très-considérable <strong>la</strong> dispensait <strong>de</strong> mettre aucun<br />

unpêt sur le peuple. On voit d'ici, sans que j'entre<br />

dans unwMscussion qui n'est pas <strong>de</strong> mon sujet, pourquoi<br />

les bons citoyens s'opposèrent toujours I ces<br />

lois; mais on voit surtout qu'il n'y était nullement<br />

question <strong>de</strong> porter <strong>la</strong> moindre atteinte à <strong>la</strong> propriété,<br />

qui fut toujours sacrée ehei les Romains, comme<br />

chez tous les peuples policés; encore moins <strong>de</strong> faire<br />

une égale répartition <strong>de</strong> toutes les terres entre tous<br />

les citoyens, comme on pourrait le faire en établis-<br />

* €sa§ Ait Ê^mM «t prononcé ce iiwê.<br />

9 abord les tribuns dans le sénat; et, appelé<br />

par eux dans rassemblée <strong>du</strong> peuple, <strong>de</strong>vant qui<br />

<strong>la</strong> question avait été portée, il ne craignit pas <strong>de</strong> lé<br />

rendre juge dans sa propre cause, lui <strong>mont</strong>ra évi<strong>de</strong>mment<br />

<strong>de</strong> quelles illusions le berçaient <strong>de</strong>s ëtoyens<br />

avi<strong>de</strong>s et ambitieui, qui couvraient d'un<br />

prétexte accrédité leurs intérêts particuliers ; enta<br />

il poussa <strong>la</strong> coniance jusqu'à inviter les tribuns à<br />

<strong>mont</strong>er sur-le-champ à <strong>la</strong> tribune, et a discuter <strong>la</strong><br />

question avec lui eontradictoirement, en présence<br />

<strong>de</strong> tous les citoyens. Il fal<strong>la</strong>it, pour faire un parti<br />

déi, être bien sûr <strong>de</strong> sa propre force et <strong>de</strong> celle <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> vérité. Les tribuns, quelque avantage qu'ils <strong>la</strong>ssent<br />

avoir à combattre sur leur terrain, n'osèrent<br />

pas lutter contre un homme qui tournait les esprits<br />

comme il vou<strong>la</strong>it ; et, battu <strong>de</strong>vant le peuple comme<br />

Us l'avaient été dans le sénat, ils gardèrent un honteux<br />

silence. Depuis ce temps, il ne M plus question<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> loi agraire,. et Cieéron eut <strong>la</strong> gloire d'avoir<br />

fait tomber ce vieil épouvantai, dont les tribuns<br />

se servaient à leur gré pour effrayer le sénat.<br />

Le genre judiciaire comprend toutes les affaires<br />

qui se p<strong>la</strong>i<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s juges. Ce genre, ainsi<br />

que les <strong>de</strong>ux autres, n'a pas eu <strong>la</strong> même forme<br />

parmi nous que chez les anciens; car, quoiqu'il soit<br />

vrai, dans un sens, qu'il n'y m rtom <strong>de</strong> mamm<br />

211


211 COUES DE UTTEftATUHB.<br />

ëm$lê$®kU§ il est aussi vrai, itans un autre, que<br />

tout a changé, et que tout peut changer encore.<br />

Notre barreau ne ressemble pas même aujourd'hui<br />

I celui <strong>de</strong>s Grecs et <strong>de</strong>s .Romains : les particuliers,<br />

se sont pas accusateurs : il n'y a point d'affaires<br />

eontentieuses portées au tribunal ilo peuple. La plus<br />

mémorable <strong>de</strong> toutes celles <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière espèce<br />

lut <strong>la</strong> querelle d'Eschiae et <strong>de</strong>.Bémosthèiies,<br />

dont je par<strong>la</strong>is tout à l'heure; et <strong>la</strong>- défense <strong>de</strong> ce<br />

<strong>du</strong>raier passe pour le chef-d'œuvre <strong>du</strong> genre judiciaire.<br />

Mais aussi, toutes choses d'ailleurs égales,<br />

qne<strong>de</strong> raisons pour que ee<strong>la</strong>fÉt ainsi ! Et quel homme<br />

eut jamais à jouer un plus grand râle sur un plus<br />

grand théâtre ? Ce n'est pas ici le lieu <strong>de</strong> s'y arrêter ;<br />

il fiât suivre Quintilien.<br />

Quoique ces trois genres dolvent a?oir <strong>de</strong>s caractères<br />

différents, imitant <strong>la</strong> différence <strong>de</strong> leur<br />

objet, il observe a?ecraison, non-seulement qu'il<br />

j a <strong>de</strong>s qualités qui doivent leur être communes,<br />

mais même qu'il est certains cêtés par lesquels ils<br />

se touchent <strong>de</strong> très-près, et rentrent même en partie<br />

les uns dans les autres, ainsi, par exemple, l'orateur<br />

qui délibère doit souvent mettre en usage les mêmes<br />

moyens d'émouvoir que celui qui p<strong>la</strong>i<strong>de</strong>. Ils doireni<br />

totts<strong>de</strong>ux employer le raisonnement et le pthétique,<br />

quoique ce <strong>de</strong>rnier ressort soit plus particulièrement<br />

<strong>du</strong> genre judiciaire chez les anciens, où Ton s'étudia it<br />

surtout à chercher tout ce qui pouvait émou?oir les<br />

Juges ou les citoyens rassemblés. C'est dans cette<br />

partie que Cieéroa acel<strong>la</strong>it , au jugement <strong>de</strong> Quintilien,<br />

et pr <strong>la</strong>quelle il a surpassé Bémostbènes. On<br />

croyait à Athènes ce talent si dangereux, qu'il était<br />

expressément défen<strong>du</strong> <strong>de</strong> s'en servir dans les causes<br />

portées <strong>de</strong>vant l'aréopage. La loi prescrivait aui<br />

avocats <strong>de</strong> se renfermer eiactement dans <strong>la</strong> diseussion<br />

<strong>du</strong> fait; et s'ils s'en écartaient, un huissier<br />

était chargé <strong>de</strong> les interrompre et <strong>de</strong> les faire rentrer<br />

dans leur sujet. 'S'il y en avait eu un <strong>de</strong> cette<br />

espèce au pa<strong>la</strong>is f il aurait eu <strong>de</strong> l'occupation. Au<br />

reste, cette défense n'avait !!«« que dans l'aréopage,<br />

regardé comme le plus sévère et le plus in*<br />

loible <strong>de</strong> tous les*tribunaux : ailleurs, il était par-,<br />

mis à f orateur <strong>de</strong> se servir <strong>de</strong> toutes ses armes.<br />

Ce serait une question assez curieuse <strong>de</strong> savoir<br />

si <strong>la</strong> p<strong>la</strong>idoirie ne doit être effectivement que <strong>la</strong><br />

discussion tranquille d'an ML A raisonner en rigueur,<br />

on n 9 en saurait douter; et certes, si nous<br />

avions une idée eiacte <strong>de</strong> ce mot, le plus auguste<br />

que Fou puisse prononcer parmi les hommes, <strong>la</strong><br />

#®J , ui juge qui n'en est que l'organe, qui doit être<br />

impassible comme elle, et ne connaître ni <strong>la</strong> colère<br />

ni <strong>la</strong> pitié, <strong>de</strong>vrait regar<strong>de</strong>r comme un outrage que<br />

Ton cherchât à l'émouvoir, c'est-à-dire à le trom­<br />

per. Cest le croire capable <strong>de</strong> Juger suivant tes<br />

propres impressions et non suivant <strong>la</strong> loi, qui îfto<br />

doit point recevoir, qui ne doit prononcer que sur<br />

les faits, et <strong>de</strong>meurer étrangère à tout le reste.<br />

Mais il faut l'avouer, il est bien difficile que <strong>la</strong> ri-<br />

- gueur <strong>de</strong> <strong>la</strong> théorie soit applicable à <strong>la</strong> pratique.<br />

Avant tout, il faudrait que les lois fussent au point<br />

<strong>de</strong> perfection où le juge n'a rien à faire qu'à les appliquer<br />

an cas proposé, n'a rien à prendre sur In 9<br />

rien! interpétar, rien à restreindre, eaut aot,n'eit<br />

que <strong>la</strong> voii d'une puissance qui, par eUt-méme,<br />

est muette. Or, cette perfection est-elle ptMriMer<br />

Dans te jurispru<strong>de</strong>nce criouiieUe, je le crois, sur*<br />

tout avec uojtarjr bien institué:dans<strong>la</strong>jurispriiii«iiee<br />

civile, beaucoup plus compliquée, je ne te .crois pas.<br />

Ce qui çst certain, c'est que, même sans atteindre<br />

à ce <strong>de</strong>rnier pério<strong>de</strong>, il faut au moins s'en rapprocher<br />

le plus qu'il est .possible; et comme nous en<br />

étions infiniment éloignés, comme, par <strong>la</strong> nature<br />

<strong>de</strong> nos ordonnances judiciaires le juge pouvait beaucoup<br />

plus que <strong>la</strong> loi, il M<strong>la</strong>it bien <strong>la</strong>isser l'orateur<br />

remplir sou premier <strong>de</strong>voir, qui est sans contredit<br />

<strong>de</strong> défendre, par WM les .moyens qu'on lui permet,<br />

les intérêts ^qul lui sont coulés.<br />

Quant aux earitetèfes principaux qui distinguent<br />

en général les trois genres, le résultat <strong>de</strong> Quintilien<br />

est que le panégyrique, l'oraison funèbre et<br />

tous les dis<strong>cours</strong> d'apparat, sont ceux où l'éloquence<br />

peut déployer le plus <strong>de</strong> pompe et <strong>de</strong> richesse »<br />

parce que l'orateur, qui n'est chargé d'aucun intérêt,<br />

n'a d'autre objet que <strong>de</strong> bien parler. C'est là<br />

que le atyleest susceptible <strong>de</strong> tous les ornements <strong>de</strong><br />

Fart, que <strong>la</strong> magnificence, <strong>de</strong>s lieux communs , l'artifice<br />

<strong>de</strong>s figures, l'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong>s pensées et <strong>de</strong> l'expresion.<br />

trouvent naturellement leur p<strong>la</strong>ce. L'éloquence déiibérative<br />

doit être moins ornée et plus sévère; elle<br />

doit avoir une dignité proportionnée aux grands<br />

sujets qu'elle traite. Il n'est pas permis alors<br />

à i"orateur d'occuper <strong>de</strong> lui, mais seulement <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

chose en délibération; il doit cacher l'art et ne<br />

<strong>mont</strong>rer que <strong>la</strong> vérité. L'éloquence judiciaire doit<br />

être principalement forte <strong>de</strong> preuves, pressante <strong>de</strong><br />

raisonnements, adroite et déliée dans les discussions,<br />

impétueuse et passionnée dans les mouvements, et<br />

puissante à émouvoir les affections dans le cœur <strong>de</strong>s<br />

juges.<br />

Après avoir assigné ces caractères, il avertit que<br />

suivant l'occasion et les circonstances, chacun <strong>de</strong>s<br />

trois genres emprunte quelque chose <strong>de</strong>s autres;<br />

qu'il y a <strong>de</strong>s causes où le style peut être très-orné,<br />

<strong>de</strong>s délibérations ou peut entrer le pathétique. Parmi<br />

nous, le genre démonstratif l'admet très-heureusement,<br />

comme on le voit dans les oraisons funèbres


<strong>de</strong> Bossuet et <strong>de</strong> Fléehîer, dans les sermons <strong>de</strong><br />

Massillon et <strong>de</strong> Fabbé Poulie, et dans ceux qui se<br />

sont <strong>mont</strong>rés dignes <strong>de</strong> marcher sur leurs traces.<br />

Le genre judiciaire est celui sur lequel Quintiliaa<br />

s'étend davantage, eotmne sur celui qui, <strong>de</strong><br />

son temps surtout f était d'un plus grand usage. Il<br />

y distingue 'cinq parties : Fexowle, <strong>la</strong> narration,<br />

<strong>la</strong> eonfanitiim, <strong>la</strong> réfutation «l <strong>la</strong> péroraison. Ce<br />

•ont encore celles qui composent <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s<br />

p<strong>la</strong>idoyers <strong>de</strong> nos jours. L'exor<strong>de</strong> a pour but <strong>de</strong> rendre<br />

fejttge favorable, attentif et docile; <strong>la</strong> narration<br />

«pose le fût; <strong>la</strong> animation établit les moyens;<br />

<strong>la</strong> réfutation détruit ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> partie adverse; <strong>la</strong><br />

péroraison résume toute <strong>la</strong> substance <strong>du</strong> dis<strong>cours</strong>,<br />

et doit graier dans l'esprit et dans fâme <strong>du</strong> juge les<br />

impressions qtt'i importe le plus <strong>de</strong> lui donner.<br />

le ne le suivrai pas dans le détail <strong>de</strong>s préceptes;<br />

c'est Fétu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'avocat. Je me borne à choisir quelques<br />

traits dont l'application peut s'étendre à tout<br />

et intéresser plus ou moins tous ceux qui lisent ou<br />

qui écoutent.<br />

11 veut que Feior<strong>de</strong> en général soit simple et mo<strong>de</strong>ste,<br />

qu'il n f y ait rien <strong>de</strong> hardi dans l'expression,<br />

rien <strong>de</strong> trop ignré, rien qui annonce Fart trop ouvertement.<br />

11 en donne une raison p<strong>la</strong>usible :<br />

« l/orateur n'est pas encore Intro<strong>du</strong>it dans Fâme <strong>de</strong> ses<br />

auditeurs ; rattention y qui se fait que <strong>de</strong> naître , l'observe<br />

<strong>de</strong> sang-freM. #a <strong>la</strong>! permettra davantage quand les esprits<br />

AUCUNS. — ÉL0QI3BNCE,<br />

i «Mt être courte, elelre et probable. Elle<br />

ï cimrte y s'il n'y a rien d'Inutile. ; €ary dans le cas même<br />

m voussures beaucoup .<strong>de</strong> choses à dire, si vous ne dites<br />

neaieteap ,?iMisae sens pas trop leii§» EiesefacMfe,<br />

ai vous a» vous seriez pour chaque chose que <strong>du</strong> mol propre,<br />

et si vous, distinguez nettement le temps, les lieux<br />

et tes personnes. Il est alors si Important d'être enten<strong>du</strong> y<br />

qse M prononciation même doit être soignée <strong>de</strong> manière à<br />

ne rien faire perdre à l'oreille <strong>du</strong> juge. Enfin, elle sera preeaaief<br />

« tous essassies à chaque chose <strong>de</strong>s ssetlCs p<strong>la</strong>usibles<br />

etaea efeaastaeces naturelles. »<br />

H reproche aux avocats <strong>de</strong> son temps <strong>de</strong> ne pas<br />

sentir assez cette nécessité <strong>de</strong> ne rien <strong>la</strong>isser perdre<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> narration.<br />

« Jaloux <strong>de</strong>s appSaudksemeiits d'une multitu<strong>de</strong> assemblée<br />

an hasard, es quelquefois même gagnée 9 ils ne peuvent<br />

se contenter <strong>du</strong> aliénée <strong>de</strong> l'attention. Ils semblent ne<br />

ae cwi» éloquents que par le brait qu'ils font ou qu'As ei«<br />

ôteaL Bien expliquer un Mi comme il est, leur parait trop<br />

aoasseae et trop as-<strong>de</strong>ssous #eui. Mais s'est*» pas pistêt<br />

Éta<strong>la</strong> <strong>de</strong> le pouvoir que <strong>de</strong> le vouloir ? car l'expérience<br />

appteai que rien n'est si difficile que <strong>de</strong> dire ce qu'après<br />

noua avoir enten<strong>du</strong>s chacun croit qu'il eut dit aussi bien<br />

ajaa nous. Ce faiproealtcet effet sur l'auditeur ne lui parait<br />

pat èeea, mais frai. Or, l'orateur ne park jamais mieux<br />

que lorsqu'il semblé dire frai y puisque son seul but est <strong>de</strong><br />

tI8<br />

persua<strong>de</strong>r. Nos avocats, as contraH , regar<strong>de</strong>nt Fexpositàm<br />

comme us champ ouvert à leur éloquence : c'est là<br />

qu'Us venSeut bsfUsr; c'est là que le style, le tes, les gestes,<br />

les Bjeafeaseats <strong>du</strong> corps, tout est également outré.<br />

Qu'arrive^tt? Cfest qu'on app<strong>la</strong>udit à l'action <strong>de</strong> Favocatf<br />

et qu'on n'entend pas te cause, »<br />

11 ajoute que rien ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aa plus grand art<br />

que <strong>la</strong> narration judiciaire,<br />

« Il est bon qu'elle soit eroé®# afn que le récit trop nu<br />

ne <strong>de</strong>vienne pas insâpid® et ennuyeux i mafe cet ornement<br />

doit consister ssrtout dans te @h^ eus une<br />

élégance sans apprêt, dans l'agrément et <strong>la</strong> variété <strong>de</strong>s<br />

tournures. C'est un chemin qu'il faut rendre agréable pour<br />

l'abréger, mais où rien ne doit détourner <strong>du</strong> but Comme<br />

le narration se comporte pas les autres beautés <strong>de</strong> Fart<br />

oratoire f il faut qu'elle en ait une qui loi soit propre. C'est<br />

dans ce moment que le juge est plus attentif, et que rien<br />

s'est perds pour lui. De plus, je ne sais comment il se fslt<br />

qu'on croit, avec plus <strong>de</strong> facilité ce qu'on a enten<strong>du</strong> avec<br />

p<strong>la</strong>isir. »<br />

Il cite pour modèle le récit dn meurtre <strong>de</strong> CIodioS;<br />

dans le p<strong>la</strong>idoyer pour Milon; et c'est en effet,<br />

dans ce genre, ce que l'antiquité nous a <strong>la</strong>issé<br />

<strong>de</strong> plus parfait.<br />

Dans <strong>la</strong> confirmation ou Fexposé <strong>de</strong>s preuves,<br />

<strong>la</strong> division <strong>de</strong>s points principaux lui paraît essentielle.<br />

« Elle est fondée, dit-il, sur <strong>la</strong> nature mêm©# qui veut<br />

qu'on procè<strong>de</strong> d'une chose à une autre ; elle ai<strong>de</strong> beaucoup<br />

à <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong> celui qui parle, et soutient l'attention <strong>de</strong><br />

ceux qui écoutent, »<br />

Mais en même temps, 11 blâme Fabus <strong>de</strong>s subdivisions<br />

multipliées,<br />

« qui détiennent snbtUes et minutieuses, étant as dis<strong>cours</strong><br />

toute sa gravité, le hachent plutôt qu'elles ne le partagent,<br />

coupent ce qui doit être réuni, et pro<strong>du</strong>isent <strong>la</strong><br />

confusion et l'obscurité, précisément par le moyen inventé<br />

pour les prévenir. »<br />

Tous ces préceptes, comme on volt, sont applicables<br />

pour nous <strong>de</strong> plus d'une manière; et, par<br />

exemple, <strong>la</strong> manie <strong>de</strong> subdiviser est un <strong>de</strong>s vices<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> prédication : il est quelquefois fatigant dans<br />

Bourdaloue. Quant à ce grand précepte <strong>de</strong> l'ordre<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> métho<strong>de</strong>, il n'y en a point <strong>de</strong> plus fécond<br />

ni <strong>de</strong> plus essentiel dans presque tous les genres <strong>de</strong><br />

composition, mais surtout dansée qui regar<strong>de</strong> l'en*,<br />

geignement. II faut y avoir réfléchi, il faut même<br />

avoir mis <strong>la</strong> main à l'œuvre, pour sentir toute <strong>la</strong>.<br />

difficulté et tous les avantages cf eue bonne métho<strong>de</strong><br />

et d'une disposition lumineuse. C'est une <strong>de</strong>s parties<br />

<strong>de</strong> Fart dont le ressort est caché, et dont on ne<br />

voit que l'effet, sans savoir m qull a coûté. Rien<br />

n f est plus nécessaire pour attacher le lecteur ou Fanditeur,<br />

que <strong>de</strong> lui <strong>mont</strong>rer toujours un but, et do


COCUS DE UTTÉ1ATIIBE<br />

214<br />

lui mettre dans les Sains <strong>la</strong> fil fil doit Ummàmkê;<br />

car l'esprit <strong>de</strong> l'homme est naturellement paresseux<br />

et veut toujours être mené; il est naturellement<br />

curieux, et a toujours besoin d'attendre quelque<br />

chose : c'est le seerat <strong>de</strong> <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> et ce qui en<br />

fait le prix. Cest aussi par cette raison que, pour<br />

enseigner Mon moins qu'on ne sait9 il faut savoir<br />

beaucoup , et qu'on ne peut transmettre aux autres<br />

use partie <strong>de</strong> ses connaissances sans les a?oir longtemps<br />

et mûrement digérées. Avant d 9 intro<strong>du</strong>ir@ les<br />

autres dans une longue carrière, il ne suffit pas <strong>de</strong><br />

l'avoir reeonsiie; il faut pouvoir l'embrasser-tout<br />

entière d f un eoup d'oeil, savoir tous les chemins par<br />

où l'on passerai dans quels endroits et combien da<br />

temps on veut s'arrêter, tout-ce qu f on doit reacon*<br />

trer sur son passage : et comment pourra-t-on suivra<br />

un gui<strong>de</strong> arec confiance et avec p<strong>la</strong>isir, si luimême<br />

a l'air <strong>de</strong> marcher au hasard et <strong>de</strong> ne savoir<br />

où il va? Quoi <strong>de</strong> plus fatigant qu'un écrivain qui<br />

tournons eommuidquir <strong>de</strong>s. idées dont lui-même ne<br />

a'ast pas ren<strong>du</strong> compte; qui, loin <strong>de</strong> vous épargner<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> peine, ne vous <strong>mont</strong>re que <strong>la</strong> sienne, veut répandre<br />

<strong>la</strong> lumière dans les esprits, quand le sien<br />

est couvert <strong>de</strong> nuages, et, loin <strong>de</strong> vous apporter le<br />

fruit et le résultat <strong>de</strong> vos pensées, vous associe vousmême<br />

au travail <strong>de</strong> ses conceptions?<br />

La conlrmation et <strong>la</strong> réfutation nous con<strong>du</strong>isent<br />

aux preuves : les unes dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l'avocat, les<br />

autres n'en dépen<strong>de</strong>nt pas. Les <strong>de</strong>rnières sont les<br />

témoins, les écritures, les serments ; les autres sont<br />

les arguments et les exemples. Les arguments se<br />

divisent en propositions générales et particulières y<br />

et il s'ensuit qu'un orateur doit être bon logicien.<br />

Mais tout ce détail if est pas <strong>de</strong> notre sujet, et Quintilien<br />

lui-même, après l'avoir traité à fond, avertit<br />

qu'il faut possé<strong>de</strong>r <strong>la</strong> dialectique^ en philosophe<br />

et l'employer en orateur.<br />

La péroraison, que les Grecs appe<strong>la</strong>ient récapitu<strong>la</strong>tion,<br />

dbwafoMtâwt*, est <strong>la</strong> partie <strong>du</strong> dis<strong>cours</strong><br />

où Ton rassemble toutes ses forces pour porter le<br />

<strong>de</strong>rnier coup. Cest le triomphe <strong>de</strong> l'éloquence judiciaire<br />

9 surtout chez les anciens 9 dont les tribunaux 9<br />

entourés d'une foule innombrable ie peuple, ou<br />

même <strong>la</strong> tribune aux harangues, quand c'était lui<br />

qui jugeait 9 offraient un vaste théâtre à Faction oratoire.<br />

Là se développaieot toutes les ressources <strong>du</strong><br />

pathétique. Mais Quintilien avertit <strong>de</strong> ne pas s'y arrêter<br />

troplongtemps; il rappelle un mot d'un ancien<br />

déjà cité par Gicéron :<br />

< lin ne sèche si vite que les ferma*; MU dfièi aresdf<br />

iscrfmê. Le temps calme bientôt tes douleurs, même<br />

réelles; combien doivent se dissiper plus tellement les<br />

fffçreemtcos iUnswes qui n'agissent que sur flmagmaUon §<br />

l|iiefeplsJiiteMfoltpstraflisiipif sinon F«iiftNr as<br />

est fougue; il reprend sa tnnqsUlité, et 9 recréa <strong>de</strong> <strong>la</strong> pitié<br />

passagère qui l'avait saisi f il retrouve toute sa raison.<br />

SeMsseeséVjecparerrelélrte seetîiBmî;et$feaiMiBaas<br />

l'avons perte jesqa'oà 1 peut aller, arrêtons-noiii ; et n'espérons<br />

pas que l'âme soft longtemps sensible à <strong>de</strong>s douleurs<br />

qui M sont étrangères. Là, plus qa'aUtesrs, U faut<br />

quels dis<strong>cours</strong>, eec-reeiecaeBtse seetiesae, mais qu'il<br />

aile toujours en erafaatnt : tout ce qui n'ajsttfe pas à ce<br />

qu'en «dit se sert qn'à raflMbktr, et le tmtiaMnt s'éteint<br />

dèt qu'il <strong>la</strong>nguit. »<br />

Un autre avertissement quf 1 donne 3 c'est <strong>de</strong> ne<br />

pas essayer le pathétique f aï Toit ne se sent pas tout<br />

le talent nécessaire pour le bien manier.<br />

« Comme I s'y a point d'Impression pins puissante lors»<br />

qu'ut parvient à <strong>la</strong> pro<strong>du</strong>ire, il n'y en a peint qni retirai*<br />

disse davantage, si l'effet est manqué. Il vaudrait cent foie<br />

raies» sîccsteisiw<br />

car, en ce serve f les grands mouvements 9 les grands efforts,<br />

sent tout près <strong>du</strong> ridicule, et ce f aï se tait pas<br />

pleurer Mt rire. • .<br />

Les objets acrraïbles ont aussi beaucoup <strong>de</strong> pouvoir<br />

dans cette partie, comme <strong>la</strong> vue <strong>de</strong>s cicatrices y<br />

les blessures Y les habits teints <strong>de</strong> §ang9 les enfants<br />

en <strong>la</strong>rmes, les femmes en <strong>de</strong>uil, les vieil<strong>la</strong>rds en<br />

cheveux b<strong>la</strong>ncs. On en vit un exemple terrible lorsque<br />

Antoine mit sous les yeux <strong>du</strong> peuple romain <strong>la</strong><br />

robe ensang<strong>la</strong>ntée <strong>de</strong> César.<br />

* On savait qu'il était tué; son corps était déjà nais sur<br />

le bâcher : cependant ce vêtement ensang<strong>la</strong>nté cassât use<br />

si vive Imapjlti meurtre, qu'il semb<strong>la</strong> qu'en ce moment<br />

même en frappait encore César. »<br />

M'oublions plus ce qui a été si ridiculement et si<br />

malheureusement oublié parmi nous, qu'il est <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> nature <strong>de</strong> l'homme d'être mené par <strong>de</strong>s objets<br />

sensibles, et qu'il n'y a que <strong>de</strong>s sots ou <strong>de</strong>s monstres<br />

qui puissent se croire plus forts que <strong>la</strong> nature<br />

humaine.<br />

Hous apprenons <strong>de</strong> Quintilien que les avocats <strong>de</strong><br />

son temps faisaient d'autant plus d'usage <strong>de</strong> ces<br />

moyens, que tout les favorisait au barreau, et que<br />

d'ailleurs ils ne <strong>de</strong>mandaient pas beaucoup d'imagination.<br />

Mais aussi il en fal<strong>la</strong>it voir 1e danger lorsqu'on<br />

n'a pas apporté assez d'attention à s'assurer<br />

<strong>de</strong> toutes les circonstances <strong>du</strong> moment, et à prévoir<br />

tous les inconvénients.<br />

« Souvent; dit-il f l'ignorance et <strong>la</strong> grossièreté <strong>de</strong>scUests<br />

contredit trop ouvertement les paroles et les monvenietits<br />

<strong>de</strong> l'orateur. Ils paraSssent iasensMw qaand il <strong>la</strong>s peint in<br />

plus affectés, et rient même fcelfaelc»!^^<br />

«ente tout en pleurs. »<br />

Il raconte h ce sujet un tour assecr p<strong>la</strong>isant f rsll<br />

joua lui-même à un avocat qui p<strong>la</strong>idait contre lui,<br />

pour une jeune ille que son frère, disait-aUe, tas-


ANGDBB. — ÉUMHMNCai.<br />

Huait <strong>de</strong> imiNlM. An mMNnt do ;<strong>la</strong> pérorti-<br />

MMif l'atuctt ne manqua pas <strong>de</strong> praidre <strong>la</strong> jeune<br />

personne dans ses bras, et, sortant <strong>de</strong> son banc, il<br />

<strong>la</strong> porta dans le banc opposé ©4 il avait ^aee frère,<br />

comme pour <strong>la</strong> loi remettra malgré loi, et <strong>la</strong> déposer<br />

dans leadn fraternel. Mais Quintilien, qui avait<br />

YO <strong>de</strong> 1«B arriver cette ignre<strong>de</strong> rhétorique, avertit<br />

d'avant» aon client <strong>de</strong> s'éva<strong>de</strong>r dans <strong>la</strong> foule ; en<br />

aorte que l'avocat, qui 1 avait apporté cette enfuit<br />

* avee <strong>de</strong>a cris et <strong>de</strong>s mouvements très-violents, ne<br />

trouva plus personne à qui <strong>la</strong> présenter, et, déoon*<br />

carte par ee contre-temps imprévu, n'imagina rien<br />

<strong>de</strong> mieux que <strong>de</strong> <strong>la</strong> reporter très-tranqnillenient| et<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> remettre où il l'avait prise.<br />

« Us astre» p<strong>la</strong>idant pour une jeune femme qui avait<br />

per<strong>du</strong> son mari, ont faire memflle es exposant le périrait<br />

<strong>de</strong> cet épom misérablement assassiné. Mais eeax à «pi i<br />

ata.it ait <strong>de</strong> <strong>mont</strong>rer ce portrait IQI Jugea as mmmmî <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> pérarafseii , ne sachant pas ee qse c'était qo*ane pérorâtes<br />

, campe feia que f orateur jetait les yeux <strong>de</strong> leur<br />

eétét se arnscpaieiit pas èTavancer le portrait ; et enfle<br />

qaand en vint à le considérer, on vit qse ce<strong>la</strong>i que M veuve<br />

pknrait tant était en vieil<strong>la</strong>rd décrépit On en rit si fort,<br />

qu'on ne pensa plss as p<strong>la</strong>idoyer.<br />

« Os sait ce qui arriva à GSjeon. H avait amené à l'audience<br />

in enfaat s dans <strong>la</strong> pensée qae ses cris ai sea <strong>la</strong>mes<br />

pourraient attendrir les juges f et son préceptesr était anprès<strong>de</strong><br />

M pour FaTertk quand U faudrait pleurer. Glycoo ,<br />

pkm <strong>de</strong> coniasce9 loi adresse <strong>la</strong> parole et lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

parquaiI phare: Cettqmmmpféeepimr mpinm. »<br />

On a souvent conté ce fait comme étant <strong>de</strong> nos<br />

Jours : os voit qu'il est <strong>de</strong> vieille date, comme tant<br />

d'autres contes.<br />

Qointilien, pour aetiever <strong>de</strong> faire voir le vice <strong>de</strong><br />

tous ces moyens factices que les Jeunes gens apportaient<br />

<strong>de</strong> l'école <strong>de</strong>s rhéteurs ; raconte <strong>la</strong> leçon aussi<br />

piquante qu'ingénieuse que donna Cassius Sevcrus,<br />

l'un <strong>de</strong>s meilleurs avocats <strong>de</strong> son temps, I un jeune<br />

orateur fui s'avisa <strong>de</strong> lui dire en l'apostrophant tout<br />

à coup : Pourquoi me regmrdm^mm mec œ$ air<br />

fm-omcket Moi f dit Cassius, Je n 9 cTcaai<strong>la</strong>aÉra <strong>du</strong> fond do <strong>la</strong><br />

cause, et-le bon droit n'y manqaa pas; <strong>de</strong> aorte que ce<strong>la</strong>i<br />

qui gapsta casse par <strong>la</strong>ar moyennant craise qtf1 n'avait<br />

besoin qse;d<br />

f pemmk tênfememtpat.<br />

Mais mppmremmmi que cetm e$t ëcrë<br />

dam votre cahier, et Je vote mm regar<strong>de</strong>r comme<br />

mm h voulez. Et en même temps il lut <strong>la</strong>nça un<br />

regard épouvantable.<br />

Mais si Quintilieo marque les écueils <strong>du</strong> pathétique,<br />

c'est pour en relever davantage le mérite<br />

et <strong>la</strong> puissance quand il est heureusement mis en<br />

œuvre.<br />

• Bien <strong>de</strong>s pas savent trouver <strong>de</strong>s taisons et dédsfre<br />

<strong>de</strong>s preuves; mais enlever les jages à eux-mêmes, leur<br />

donner tele disposition que l'on veut, les au<strong>la</strong>miaer .<strong>de</strong><br />

colère on Ses attendrir Jusqu'aux <strong>la</strong>rmes t voilà ce qui est<br />

m», voilà le véritats<strong>la</strong> «spire que l'éloquence a sur les<br />

f nn avocat Mata qsand 1 s'agit <strong>de</strong> Cire «ne<br />

sorte <strong>de</strong> violence au juges, c'est ee que tes cliente ne<br />

pesvent sons apprendre 9 et ce qsinese trouve point dans<br />

leurs siémoires. Les preuves fbst penser aux jepa que<br />

notre casse est <strong>la</strong> meUlenre ; mais les sentiments qne non s<br />

leur inspiross leur font souhaiter qu'elle le soit, et notre<br />

aftdre <strong>de</strong>vient <strong>la</strong> leur, Aussi l'effet <strong>de</strong>s affamons et <strong>de</strong>s<br />

temoêjisgBS ne se manllMe qse qsand <strong>la</strong> portent leur<br />

estai, éta<strong>la</strong>, lorsqu'on vient à bout <strong>de</strong> les émouvoir, en<br />

eett»ai«it€p*fiaac^<br />

Jsgement Quand on les voit tout à coup fondre enJarmes,<br />

comme l'arrivé qselqnefoia dans ces belles péroraisons<br />

qui toucheraient tes eeears les plssinsessibies, ferait a*ea$i<br />

pas déjà prososcé? Qae Foratenr tonrne donc tous ses<br />

efttlta <strong>de</strong> ce côtéf et qaH s'attache partknHèrement à<br />

.cette partie <strong>de</strong> Fart, sans <strong>la</strong>quelle tact le reste est faible<br />

et stérile'; le pathétique est rame ia p<strong>la</strong>idoyer. »<br />

Les extrêmes se touchent; et Qulntilien psse<br />

tout <strong>de</strong> suite à un moyen tont opposé y le rire et<br />

b p<strong>la</strong>isanterie. 11 sent combien ce ressort est délicat<br />

à manier : il y faut <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> inesse <strong>de</strong><br />

tact, et <strong>la</strong> connaissance <strong>la</strong> plus juste <strong>de</strong> Fà-propos.<br />

H semble même que m moyen ealtVen quelque<br />

sorte étranger à l'éloquence. Mais l'expérience<br />

prouve tout ce qu'il peut pro<strong>du</strong>ire, et souvent une<br />

p<strong>la</strong>isanterie bien p<strong>la</strong>cée a fiât tomber le plus grand<br />

appareil oratoire.<br />

' « On a remarqué, dât-fr, que cette espèce dataient a<br />

8iaa«îaéà0éfamî^<br />

QuintMien, tont admirateur qu'il est <strong>de</strong> ce grand<br />

homme, avoue qu'il a trop aimé <strong>la</strong> raillerie, au îMTreau,<br />

comme dans <strong>la</strong> conversation ; mais il soutient<br />

que <strong>la</strong> p<strong>la</strong>isanterie <strong>de</strong> Cicéron est toujours celle <strong>de</strong>s<br />

honnêtes gens et <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> goût; qu 9 il avait sois<br />

<strong>de</strong> ne <strong>la</strong> p<strong>la</strong>cer ordinairement que dans l'intarrogatira<br />

dès témoins, et dans cette partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>idoirie<br />

qu'on appe<strong>la</strong>it altercation, c'est-à-dire touque les<br />

<strong>de</strong>ux avocats dialoguaient eontndietoireiiftent. Si<br />

Fon veut ef ailecirs i f attirer <strong>de</strong> <strong>la</strong> masuM* parfaite<br />

qu f il savait gar<strong>de</strong>r, lorsqu'il le fal<strong>la</strong>it f i n'y a qu'à<br />

lire Foraison pour Murena, où il p<strong>la</strong>idait contre<br />

Caton. Il fal<strong>la</strong>it affaiblir f autorité <strong>de</strong> ce redoutable<br />

censeur, sans blesser <strong>la</strong> fénérat<strong>la</strong>a qu'il inspirait;<br />

il défait, <strong>de</strong> plus, priée lut-mémo <strong>la</strong> dignité <strong>de</strong><br />

sa p<strong>la</strong>ce* puisque alors il était consul. U prit le parti<br />

<strong>de</strong> jeter sur le rigorisme <strong>de</strong>s principes stoïques <strong>de</strong><br />

Caton une teinte <strong>de</strong> ridicule si légère et ai douce,<br />

qu'il it rive iesauditeuri et les juges, sans que Caton<br />

fût en droit <strong>de</strong> se ficher. «e<br />

I a?ait d'ailleurs <strong>de</strong>s reparties qui portaient coup ;<br />

celle 9 par exemple , qu'il It à Hortensïus, qui 9 p<strong>la</strong>idant<br />

pour Terres, dit à propos d'une question qne<br />

116


216<br />

Cteéroa faisait à en témoin : Je n'mimdi pm im<br />

éfdgmm.—le m f em étmm, répliqua <strong>de</strong>éron ? mm<br />

mwm chez vmm k spMnx. Remarquez qu'Hortensias<br />

a?ait reçu <strong>de</strong> Verres un sphinx d*airain, estlâié<br />

comme tin morceau précieux. La réplique, comme<br />

on voit f n'était pas un simple jeu <strong>de</strong> mots.<br />

Je dirai encore f es passant f que ce mot sur une<br />

femme qui prétendait n'avoir que trente ans ; Je k<br />

croît, car M y ma vingt qwje k M mimai Mre;<br />

m mot, qu'on a cité cent fois comme mo<strong>de</strong>rne f est<br />

<strong>de</strong> Cieéron.<br />

Quintiiien a c<strong>la</strong>ssé et examiné les trois genres<br />

<strong>du</strong> dis<strong>cours</strong> oratoire. Or, tout dis<strong>cours</strong> est mm*<br />

posé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux choses, les pensées et les mots. Les<br />

pensées dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l'invention et <strong>de</strong> <strong>la</strong> disposition<br />

<strong>de</strong>s parties 9 et il en a traité en par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> tous<br />

les moyens que peut employer l'orateur, et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

manière dont il doit les distribuer. Les mots dépen<strong>de</strong>nt<br />

<strong>de</strong> l'éloentioD, et c'est ce dont il reste à<br />

s'occuper; car l'orateur a trois <strong>de</strong>foirs à remplir,<br />

d'instruire, <strong>de</strong> toucher, <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire. Il instruit par le<br />

raisonnement; il touche par le pathétique; il p<strong>la</strong>ît<br />

par l'éJocution.<br />

«i Cmif&mmmm Qiiatifea, <strong>de</strong> ces trois choses Sa plus<br />

difficile 9 aajageeaaat même <strong>de</strong>s orateurs. En effet, Antoine,<br />

raient iiiMiini¥lrf disait qu'il avait va bien <strong>de</strong>s gais diserts<br />

f et pas HE homme éloquent. 11 appe<strong>la</strong>it disert celui<br />

qui df sait sur aa sujet ce qu'il fal<strong>la</strong>it dire ; il entendait par<br />

éloquent celui qui disait comme il fal<strong>la</strong>it dire. Depuis lui ,<br />

CJfcéron MMIS a dit aussi que savoir inventer et disposer<br />

est d'un homme <strong>de</strong> sens» mais que savoir exprimer est<br />

d'un orateur. En conséquence, il s'est partleallèraiaeal<br />

étudié à* bien easelpier cette partie <strong>de</strong> k rhétorique. Le<br />

mot même d'éloquence fait assez voir qn f a a raison'; car<br />

être éloquent, à proprement parler, n'est autre chose que<br />

Me poufoir pro<strong>du</strong>ire au <strong>de</strong>hors toutes ses pensées, toutes<br />

ses conceptions 9 tous ses sentiments, et les communiquer<br />

atix autres ; et sans cette facallé 9 tout ce que nous avons<br />

enseigné jusqu'ici <strong>de</strong>vient inutile. Or, si l'expression ne<br />

donne pas à <strong>la</strong> pensée toute <strong>la</strong> force dont elle est susceptible,<br />

fous n'anrei r<strong>la</strong>a fait qu'à <strong>de</strong>mi. Voilà donc surtout<br />

ce qu'il faut apprendre, et à quoi Fart est absolument nécessaire<br />

; voi<strong>la</strong> quel doit être l'objet <strong>de</strong> nos soins, <strong>de</strong> nos<br />

exercices 9 <strong>de</strong> notre imitation ; voilà fétu<strong>de</strong> <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> fie ;<br />

voilà ce qui fait qu'un orateur remporte sur un autre orateur,<br />

et qu'un style est plus parfait qu'un autre : car les<br />

écrivains asiatiques et ceux <strong>de</strong>s Romains dont le goût est<br />

corrompu n'ont pas toujours péché dans l'invention ou <strong>la</strong><br />

disposition ; mais les uns , trop entés 9 ont manqué <strong>de</strong> mesort<br />

dans <strong>la</strong> diction ; et les antres, ou secs ou affectés, ont<br />

manqué <strong>de</strong> force dans Se style.<br />

« Qu'on n'aille pas en concis» néanmoins qnll ne faut<br />

s'occuper qae <strong>de</strong>s mots. Je me hâte d'aller an-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong><br />

cet abus que quelques personnes pourraient tare <strong>de</strong> ce<br />

que je viens <strong>de</strong> dire. H faut les arrêter tout court, et me<br />

déc<strong>la</strong>rer d'abord contre ces gens qui se consument vaine-<br />

COUB5 BE IJTTÊiATlIBE.<br />

méat à agencer datpnafai ataaaa mettra «1 peina <strong>de</strong>s<br />

choses, ejal sont fmurtaitt <strong>la</strong>s aatis.<strong>la</strong> e<strong>la</strong>aetara» lia mm<br />

'enent ré!egaaaaf qui eat charmante en dfe-mênie, I est<br />

vrai; mais quand elle est natnrelte, et non pas quand elfe<br />

est affectée. »<br />

Qeiatiilee se sort ici l'aie eaaipafaisaa mm% <strong>la</strong><br />

justesse est frappante v et très-propre à faire comprendre<br />

comment as» qualité nécessaire put» taira<br />

valoir tontes les autres nef to<strong>du</strong>itpourtant rien par<br />

elle-même, si a<strong>la</strong> est seule.<br />

« Ne aatoas-naas pas queces corps robustes, que Pawrclea<br />

a totales, et qoi ont an air <strong>de</strong> santé, Ireat ïear<br />

beauté <strong>de</strong>s marnes choses qni tout taw force? Tons leurs<br />

membres sont bien attaches» Mai ataiiarfiaaaséa; Ilsn'ont<br />

ni trop ni trop peu d'embonpomt ; leur chair est à <strong>la</strong> faia<br />

ferme et aeraieile. Mais qu'ils se <strong>mont</strong>rent à nous peints<br />

<strong>de</strong> vermfflon et con?erts <strong>de</strong> farci f is perdront à MM yeuxtoute<br />

<strong>la</strong> beauté que leur force leur donnait. Je veux donc<br />

que l'on pense aux mots, mais que l'on soit encore plus<br />

occupé <strong>de</strong>s choses; car d'ordinaire les meilleures expressions<br />

tiennent à <strong>la</strong> pensée même; mais par malheur nous<br />

les cherchons 9 nous Ses poursuivons, comme si elles fou<br />

iâieat se dérober à nous. Nous ne croyons jamais que ce<br />

qu'il faut dire soit si près et comme à notre portée ; sans<br />

foulons le faire venir <strong>de</strong> loin : nous faisons violence à<br />

notre génie. C'est cette recherche qui nuit an discoure;<br />

car les termes qui p<strong>la</strong>isent le pins aux esprits sensés sont<br />

simples comme le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité ; an contraire y ces<br />

mois cfai ne <strong>mont</strong>rent que <strong>la</strong> peine qu 9 os a eue à les trou- .<br />

ver n'ont pas <strong>la</strong> grâce qu'Us affectent, ne <strong>la</strong>issent rien dans<br />

l'esprit, et oflusqaent <strong>la</strong> pensée. Cependant Cicérôn avait<br />

déc<strong>la</strong>ré assez nettement qae le plus paad vice qu'en dis<strong>cours</strong><br />

ptisse avoir, c'est <strong>de</strong> s'éloigner trop <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière<br />

ordinaire <strong>de</strong> parler. Mais apparemment Cicéron n'y entendait<br />

rien : c'est un barbare en comparaison <strong>de</strong> nous. Noos<br />

n'aimons plus rien <strong>de</strong> ce que <strong>la</strong> .nature a dicté ; nous voulons,<br />

non pas <strong>de</strong>s ornements, mais <strong>de</strong>s raffinements,<br />

comme si les mots pouvaient avoir quelque beauté quand<br />

is ne conviennent pas ans choses qu'ils veulent eiprlmer....<br />

Je conclus qnll finit avoir un grand sa<strong>la</strong> <strong>de</strong> félocutien<br />

; pourvu qu'on sacfee bien f 1*11 ne faut rien foire pour<br />

l'amour <strong>de</strong>s mots, les mots eux-mêmes n'ayant été inventés<br />

qne pour les choses. »<br />

SBCIWN ui. — De réSocutionet <strong>de</strong>s Égares.<br />

Quintilién distingue trois qualités principales dans<br />

Pélocution oratoire, là c<strong>la</strong>rté, <strong>la</strong> correction, l'ornement.<br />

La c<strong>la</strong>rté dépend surtout <strong>de</strong> <strong>la</strong> propriété et <strong>de</strong><br />

l'arrangement naturel <strong>de</strong>s mots ; <strong>la</strong> correction résulte<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> régu<strong>la</strong>rité <strong>de</strong>s constructions; l'ornement naît<br />

<strong>de</strong> Theureui emploi <strong>de</strong>s ligures. Il veut que <strong>la</strong> diction<br />

<strong>de</strong> l'orateur soit si c<strong>la</strong>ire, que 1a pensée frappe<br />

l'esprit, comme <strong>la</strong> lumière frappe les yeux. H a .<br />

raison sans doute, puisque ceux à qui l'orateur s'adresse<br />

ne peuvent l'entendre trop têt ni trop bien ;<br />

mais, quoique en général <strong>la</strong> première qualité*<strong>du</strong>


ANCam S. — tiLOQlflBICR.<br />

gtylteott<strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté,11 sertit ti%flgo««id f «i%er<br />

qu'enfoui genre d'écrite elle Hit toujoew portée au<br />

manie -point. M est <strong>de</strong>s matières abstraites qui ne<br />

comportent que le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> c<strong>la</strong>rté proportionné<br />

à reten<strong>du</strong>e et à <strong>la</strong> profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s Sdéesf et à l'attention<br />

<strong>du</strong> teeteur; et ce serait alors une prétention<br />

île liparesse, <strong>de</strong> vouloir que l'écrivais rendit sensible,<br />

an premier aperçu, ce qui t pour être enten<strong>du</strong>,<br />

a besoin d'être médité. Un ouvrage tel que le Cmr<br />

êrmiëmeêmimfMgprîi <strong>de</strong>s iM$ m peut pas se lire<br />

comme un onwnge oratoire. La raison en est simple;<br />

c'est que le phMosophê et l'orateur se proposent<br />

ne but différent : Fun veut -surtout vous forcer à<br />

réfléchir; l'autre ne doit pas même vous <strong>la</strong>isser le<br />

teams <strong>de</strong> <strong>la</strong> réflexion.<br />

Pour m qui regar<strong>de</strong> <strong>la</strong> -propriété <strong>de</strong>s tomes,<br />

Quintiiien observe qu'il ne faut pas prendre ce mot<br />

ttans un sens trop littéral; ear il n'y a point <strong>de</strong> <strong>la</strong>»<br />

gue qui ait précisément un mot propre pour camps<br />

idée, et qui se soit souvent obligée <strong>de</strong> se servir<br />

<strong>du</strong> mime terme pour escrimer <strong>de</strong>s disses différentes.<br />

La plus riche est celle qui a le moins besoin<br />

<strong>de</strong> ces sortes d'emprunts, qui sont toujours <strong>de</strong>s<br />

preuves d'indigence. Banni nous, par exemple, on<br />

se sert <strong>du</strong> même mot pour dire qu'on aime le jeuet<br />

les femmes. Lis Grecs avaient au moins un mot<br />

particulier pour signiier l'amour d'un sexe pour<br />

l'autre, fpc; et cette distinction était juste. Lea<br />

Latins en avaient un9 pfetos, qui en exprimant l'amour<br />

<strong>de</strong>s enfants pour leurs parents, caractérisait<br />

un sentiment religieux ; et cette idée était un précepte<br />

<strong>de</strong> morale.<br />

Quintilien remarque aussi que <strong>la</strong> propriété <strong>de</strong>s<br />

termes est si essentielle au dis<strong>cours</strong>, qu'elle est<br />

plutôt un <strong>de</strong>voir qu'un mérite. Je ne sais ce qu'il<br />

en était <strong>de</strong> son temps : on peut croire que, les prernièRs<br />

étu<strong>de</strong>s étant généralement plus soignées,<br />

rtiafaitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> s'énoncer en termes convenables, et<br />

d'avoir, en écrivant, Feïpression propre, n'était pas<br />

très-rare. Aujourd'hui, si c'est un <strong>de</strong>voir, comme<br />

îi le dit, ce <strong>de</strong>voir est si rarement rempli, qu'on<br />

peut sans scrupule en faire immérité. Nous nous<br />

sommes tellement accoutumés à croire que tout<br />

se <strong>de</strong>vine et que rien ne s'apprend ; il y a si peu <strong>de</strong><br />

gens qui aient cru <strong>de</strong>voïrétudier tant <strong>la</strong>ngue, qu'il<br />

ne font pas s'étonner si, parmi ceux qui écrivent,<br />

il en est tant à qui là propriété <strong>de</strong>s termes est use<br />

science à peu pres étrangère; 11 n*y a que nos bons<br />

écrivains à qui Fusage <strong>du</strong>-tnot propre soit familier.<br />

Lorsque sous en serons à <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> mo<strong>de</strong>rne,<br />

nous serons peut-être étonnés <strong>de</strong> Fexcès honteux<br />

d'ignorance que l'on peut reprocher en ce genre à<br />

beaucoup d'auteurs, qui ont eu <strong>de</strong> <strong>la</strong> réputation f<br />

fil<br />

ou qui-mime en conservent encore. Sans doute if<br />

n'y a point d'écrivain qui ne fasse quelques fautes <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong>ngage, et celui même qui se mettrait dans <strong>la</strong> tête<br />

<strong>de</strong> n'en jamais Étira-, y perdrait beaucoup plus <strong>de</strong><br />

temps que n'en mérite un si minutieux travail. Mais<br />

il y a loin <strong>de</strong> quelques légères inexactitu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong><br />

quelques négligences, à <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s solécismes<br />

et <strong>de</strong>s locutions vicieuses que l'on rencontre <strong>de</strong> tous<br />

eftté». Parmi les maux qu v a faits aux lettres ce déluge<br />

d'écrits périodiques, qui <strong>de</strong>puis vingt-cinq ans<br />

inon<strong>de</strong> toute <strong>la</strong> France, il faut compter cette corruption<br />

épidémique <strong>du</strong> <strong>la</strong>ngage, qui en a été une<br />

suite nécessaire. Pour peu qu'on réfléchisse un moment<br />

, il est aisé <strong>de</strong> s'en convaincre. Mais je me ré- •<br />

servi <strong>de</strong> développer cette véritéioreque je traiterai<br />

en particulier <strong>de</strong>s journaux, <strong>de</strong>puis leur naissance<br />

jusqu'à nos jours. Avouoss-le ; m qu'on lit le plus<br />

ce sont tes journaux. Ils contiennent, en quelque<br />

genre que ce soit, <strong>la</strong> nouvelle <strong>du</strong> jour; et c'est en<br />

conséquence <strong>la</strong> lecture <strong>la</strong> plus pressée poir le plus<br />

grand nombre, et assez.souvent <strong>la</strong> seule. Or, par<br />

qui sont faits ces journaux? ( Je <strong>la</strong>isse à part les cxceptions<br />

91e chacun fera aussi bien que moi y et je<br />

parle en générai.) Par <strong>de</strong>s hommes qui certaine*<br />

ment n'ont choisi ce métier facile et vulgaire que.<br />

parce qu'ils ne sauraient faire mieux; par <strong>de</strong>s hommes<br />

qui savent fort peu, et qui n'ont ni <strong>la</strong> volonté<br />

ni même le temps d'en apprendre davantage. De<br />

plus9 comment les lit-on? Aussi légèrement qu'ils<br />

sont faits. Chacun y cherche d'un coup d'œil ce qui<br />

lui convient, et personne ne pense à examiner<br />

comme ils sont écrits : ce n'est pas là ce dont il<br />

s'agit. Qtfarrive-t-il? Ces feuilles éphémères, rédigées<br />

avec une préeipitation qui serait dangereuse<br />

même pour le talent, à plus forte raison pour ceux<br />

qui n'en ont point, fourmillent <strong>de</strong> fautes <strong>de</strong> toute<br />

espèce. Il est impossible à un homme <strong>de</strong> lettres<br />

d'en lire vingt lignes sans y trouver presque à chaque<br />

mot l'ignorance ou le ridicule. Mais ceux qui<br />

sont moins instruits s'accoutument à ce mauvais<br />

style, et le portent dans leurs écrits et dans leurs<br />

conversations; car rien n'est si naturellement contagieux<br />

que les vices <strong>du</strong> style et <strong>du</strong> <strong>la</strong>ngage, et<br />

nous sommes disposés à imiter, sans y penser,<br />

ce que nous lisons et ce que sous entendoaç tous<br />

les jours. Ce n'est pas ici le moment <strong>de</strong> porter<br />

jusqu'à <strong>la</strong> démonstration ce qui est assez prou?é<br />

pour quiconque a un peu réfléchi : je m'écarterais<br />

trop <strong>de</strong> mon objet, et celui-là est assez important<br />

pour être un jour traité à part. C'est alors<br />

qu'os sentira que les gens <strong>de</strong> lettres ( et toutes les<br />

fois que je me sers <strong>de</strong> ce terme, je n'entends jamais<br />

par <strong>la</strong>que ceux qui méritent ce nom), que


218 CXMJ15 DE UTTEMTUBEL<br />

les gens le lettres m doivent être taies ni d'humeur<br />

ni d'exagération lorsqu'ils annoncent ne si<br />

grand mépris pour ces malheureuses rapsodies Y <strong>de</strong>-<br />

Tenues l'aliment <strong>de</strong> <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong>. On ferra que ceux<br />

qui les composent ignorent le plus souvent <strong>la</strong> valeur<br />

<strong>de</strong>s mots dont ils se servent 9 ne savent pas<br />

même construire une phrase, ni dire ce qu'ils feulent<br />

dire 9 prodiguent au hasard <strong>de</strong>s mots techniques<br />

qu'ils n'enten<strong>de</strong>nt pas, et le style Iguré dont ils<br />

n'ont pas <strong>la</strong> première idée» C'est dans les journaux<br />

vou<strong>la</strong>nt 6ter le superflu. Quant à <strong>la</strong> oometiM, 1<br />

recomman<strong>de</strong> fort sagement <strong>de</strong> ne pas s'en occuper<br />

jusqu'au <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> scrupule que nous^nommofis dans<br />

notre <strong>la</strong>ngue purisme. Cette sévérité vétilleuse, qui<br />

se défend certaines irrégu<strong>la</strong>rités que le <strong>la</strong>ngage familier<br />

a intro<strong>du</strong>ites même sans le style soutenu,<br />

est un défaut dans l'éloquence, et un ridicule dans<br />

<strong>la</strong> conversation. C'est un travers où tombent quelques<br />

provinciaux 9 qui, vou<strong>la</strong>nt faire voir qu?Ils par­<br />

lent Mes 9 <strong>mont</strong>rent seulement qu'ils ne connaissent,<br />

que ?ous trouvères <strong>de</strong>s comtois polémiques, ce qui pas cette aisance et ce naturel d'eipression, un <strong>de</strong>a<br />

signtâe <strong>de</strong>s comtois wmbaMmîs. Pourquoi? C'est caractères particuliers <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonne compagnie <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

que le journaliste ne savait pas que polémique, ve­ capitale, et qui est, à proprement parler, l'urbanité<br />

nant d'un mot grec, mXig&og, qui signifie guerre, <strong>du</strong> <strong>la</strong>ngage, comme-elle était autrefois l'athéisme<br />

veut dire au propre ce qui a rapport à <strong>la</strong> guerre, dans Athènes. Quîntilien rapporte, à ce propos 9 que<br />

et par extension, au iguréf ce qui a rapport à <strong>la</strong> Théophraste fut reconnu pour étranger par une<br />

dispute : ainsi l'on dit <strong>de</strong>s écHts polémiques, le Qmrdian<strong>de</strong> d'herbes <strong>de</strong> cette ville ; et. comme on <strong>de</strong>»<br />

genre polémique, une dissertoMom polémique, mandait ÏÏ à cette femme à quoi elle s'en était aper­<br />

avait lu tous ces mots-là sans savoir ce qu'ils signiçue, C'est, ûît*elteiqm'ë parle trop bien. M-conclut<br />

fiaient, et il a mis à tout hasard, <strong>de</strong>s- comtois njnaia diction <strong>de</strong> Forateur doit être telle que les gens<br />

polémiques. Ailleurs, vous trouverai qu'il faut voir éc<strong>la</strong>irés l'approuvent, et que les ignorants l'eut»*<br />

cette actrice dans un râle plus conséquent, pour <strong>de</strong>nt.<br />

dire dans un réle plus important. Il faut pardonner Il vient enfin aui oAem»to <strong>du</strong> discourt, aux fl><br />

aui garçons marchands <strong>de</strong> <strong>la</strong> rue Saint-Denis <strong>de</strong> gures, gfani sujet pour les rhéteurs, mais dont I<br />

vous dire, en vous <strong>mont</strong>rant une étoffe, Ceci esi ne conviait <strong>de</strong> traiter didactiquement que dans un<br />

pim conséquent; et <strong>de</strong> croire que conséquent est livre fait exprès f et qui ne doivent nous fournir ici<br />

synonyme <strong>de</strong> ce qui est <strong>de</strong> conséquence. Mais n'est- que quelques observations sur leur origine, leur<br />

ce pas une ignorance ignominieuse, dans un homme usage, et leur abus. Il ne s'agit pas ea effet <strong>de</strong> re­<br />

qui écrit, <strong>de</strong> se méprendre si grossièrement sur un commencer notre rhétorique; et déplus, il faut l'a­<br />

mot si connu? Quel homme bien élevé ne sait pas vouer, c'en est bien <strong>la</strong> partie <strong>la</strong> plus frivole.- Quand<br />

que conséquent sigillé ce qui est d'accord avec on veut expliquer cette nombreuse nomenc<strong>la</strong>ture,<br />

soi-même dans toutes ses parties? Quand une pro­ rien ne ressemble plus à <strong>la</strong> leçon <strong>de</strong> M. Jourdain,<br />

position est régulièrement dé<strong>du</strong>ite d'une autre, elle à qui l'on enseigne gravement <strong>de</strong> quelle manière on<br />

est conséquente. Un homme est conséquent' lorsouvre<br />

<strong>la</strong> bouche pour, faire un 0. La eataehrèse, et<br />

que sa con<strong>du</strong>ite est d'accord avec ses principes, Fhyperbate, et <strong>la</strong> syneedoche, et l'antonomase, ces<br />

quand ses actions sont d'accord avec ses paroles, monstres <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>sses, épouvantai!<strong>de</strong>s enfants, sont<br />

ses démarches avec ses intérêts ; et, dans le cas con­ a peu près comme leurs poupées, qu'ils trouvent<br />

traire , il est inconséquent. Le peuple, qui corrompt creuses en <strong>de</strong>dans quand ils les ont déchirées. M'est-<br />

toujours le tangage, parce qu'il n'en sait pas les on pas bien avancé lorsqu'on sait qu'en disant fora-<br />

principes, a trouvé plus court <strong>de</strong> dire conséquent temr romain au lieu <strong>de</strong> Cicéron, on fait une antono­<br />

pour <strong>de</strong> conséquence; <strong>de</strong>s écrivains ignorants Font mase, c'est-à-dire qu'on met nfté qualiication à <strong>la</strong><br />

répété; et, par une suite <strong>de</strong> cet esprit d'imitation p<strong>la</strong>cé d'un nom propre ; que lorsqu'on dit les mortels<br />

dont je par<strong>la</strong>is tout à l'heure, <strong>de</strong>s gens même qui au lieu <strong>de</strong>s hommes, on fait une synecdoehe, parce<br />

<strong>de</strong>vraient bien parler font tous les jours <strong>la</strong> même qu'on prend le plus pour le moins ; que lorsqu'on dît<br />

faute.<br />

MMêfmiMe <strong>de</strong> papier, -on fait une eafacfarèse ou un<br />

Outre l'impropriété <strong>de</strong>s termes, Quîntilien assi­ abus <strong>de</strong> mots, parce qu'on applique par extension an<br />

gne quelques autres causes <strong>de</strong> l'obscurité qu'il faut papier le mot éefeuÈe, qui ne convient qu'aux vé­<br />

éviter dans le style, comme l'usage fréquent <strong>de</strong>s gétaux! Tous ces noms scientifiques, donnés aux<br />

mots vieillis ou étrangers, ou particuliers à quel­ différentes modifications <strong>du</strong> <strong>la</strong>ngage, n'apprennent<br />

que province; l'embarras <strong>de</strong>s constructions, <strong>la</strong> lon­ ni à mieux prier ni à mieux écrire, et ne peuvent<br />

gueur <strong>de</strong>s phrases, qui fait oublier à <strong>la</strong> fin ce qui a occuper avec quelque utilité que ceux qui veulent<br />

été mis au commencement; <strong>la</strong> concision affectée et faire une analyse métaphysique <strong>de</strong>s différents pro­<br />

eicessive, qui retranche <strong>de</strong>s mots nécessaires en cédés d'une <strong>la</strong>ngue, soit que le besoin, ou <strong>la</strong> coomo»


mcnis. —<br />

dite, on l'agrément les ait <strong>la</strong>it naîtra, soit que les<br />

passions et rïmafkation les aient employés pour<br />

ajoutera <strong>la</strong> force <strong>de</strong> l'expression. Par exemple, si<br />

Ton dit une feuille <strong>de</strong> ppier, c'est évi<strong>de</strong>mment par<br />

nécessité : le mot propre manquant pour l'objet,<br />

Ton a en re<strong>cours</strong> à ce ipi-ti approchait le plus ; et<br />

comme une feuille d f arlire est p<strong>la</strong>te f mince et légère<br />

comme <strong>du</strong> papier, on a dit feuille <strong>de</strong> papier, quoique<br />

le papier n'ait point <strong>de</strong> fouil<strong>la</strong>s» D'autres ligures<br />

ont été infestées pour <strong>la</strong> variété et Fagrément, et<br />

c'est ainsi qu'on a pris Ja partie pour le-tout, le contenant<br />

pour le contenu, <strong>la</strong> cause pour f effet s le si*<br />

gna pour <strong>la</strong>. chose sigillée, etc. L'imagination alors<br />

s f «t portée sur <strong>la</strong> partie <strong>de</strong> l'objet qui Fat ait le plus<br />

frappée f comme lorsqu'on dit une voile pour us ?aisseau<br />

, k tréne pour l'autorité royale, une excellente<br />

plume pour us excellent écrivais. C'est ainsi que se<br />

sont formés tes trôpes ou conversions <strong>de</strong> mots, c'està-dire<br />

, les figures <strong>de</strong> diction, par lesquelles un mot<br />

est détourné <strong>de</strong> sa propre signification pour en prendre<br />

use autre. Voilà ce qu'il faudrait dire aux commençants<br />

pour les accoutumer à se rendre compte<br />

<strong>de</strong>s expressions dont lis se servent, et les familiariser<br />

avec les notions primitives <strong>de</strong> <strong>la</strong> formation<br />

<strong>de</strong>s bogues. Mais on s'en tient au mot technique qui<br />

les effraye, et qu'ils apprennent sans l'entendre. On<br />

leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> gravement ce que c'est qu'une métosymie,<br />

ce qui d'abord leur fait une frayeur horrible ;<br />

car il tant Mes leur pardonner d'être comme Pradon,<br />

^ • (*ML.)<br />

Et quand ils sont parvenus à dire ce que c'est, ils<br />

n'en sont guère plus avancés : ils oublient bientôt le<br />

mot mène, parce qu'os ne leur a pas ren<strong>du</strong> <strong>la</strong> chose<br />

avex sensible, et qu'elle leur a été présentée sous<br />

un appareil pédanteaqne. Il fouirait, au contraire,<br />

•fcnr dire : N'ayez pis peur; les mots grecs n'y font<br />

ries; il a Mes fallu s'en servir, parce que notre <strong>la</strong>ngue<br />

n*a pas <strong>de</strong> mots combinés, et que métonymie<br />

est plus court que transposition <strong>de</strong> nom ; mais d'ailleurs<br />

c'est <strong>la</strong> chose k plus simple. On dit une flotte<br />

<strong>de</strong> cent voiles an lieu d'une lotte <strong>de</strong> cent vaisseaux,<br />

et l'on prend ainsi <strong>la</strong> partie pur le tout. Pourquoi ?<br />

Cest que <strong>la</strong> première ehossqui frappe les yeux dans<br />

us grand nombre <strong>de</strong> savires, ce sont les voiles,<br />

et que te moyen le plus court pour dénombrer une<br />

lotte, c 9 est <strong>de</strong> compter les voiles. Ainsi cette métonymie<br />

on transposition <strong>de</strong> nom n'a été employée<br />

que par une suite naturelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> première impiesfio®<br />

que l'objet faisait sur <strong>la</strong> vue. Avee cette métho<strong>de</strong><br />

on habituerait les enfants à penser, etlemotresterait<br />

plus aisément dans leur mémoire» lorsqu'il serait attaché<br />

à une idée.<br />

ÉLOQUENGK.. .319<br />

Cette Igore est d v un usap si boulier, qu'il n'y<br />

a personne qui ne s'en serve à tout moment et sans<br />

y penser. Dans l'éloquence et dans <strong>la</strong> poésie 9 il y a<br />

mUf moyens <strong>de</strong> <strong>la</strong> varier et d'en tirer <strong>de</strong>s effets'<br />

nouveaux; mais le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> hardiesse qu'on y met,<br />

•t qui en fait tout le prix, doit être mesuré sur les<br />

circonstances et sur <strong>la</strong> sature <strong>du</strong> sujet. C'est <strong>la</strong><br />

métonymie qui fait toute <strong>la</strong> beauté <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux vers<br />

<strong>de</strong> i'Orpkem <strong>de</strong> M CMm :<br />

Obéit à le» ioix dans «tta vil<strong>la</strong> Immwwe.<br />

L'expression est neuve : c'est <strong>la</strong> première fois qu'on<br />

s'est servi <strong>du</strong> mot d'esc<strong>la</strong>vage, qui signifie <strong>la</strong> condition<br />

<strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves', pour exprimer les ese<strong>la</strong>ves<br />

eux-mêmes: pris collectivement; c'est en ce<strong>la</strong> que<br />

consiste <strong>la</strong> ûgnrj. Mettes à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce Jet ewhmet m<br />

MÊmœ, et tout Tefbt est détruit. D'où fient celle<br />

différence f Ce n'est pas seulement <strong>de</strong> ce que ks m -<br />

ç&mm ai dtenee n'auraient rien qui fût au-<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> prose,mais c'est que le poète, en personniûant<br />

Yucbooge, agrandit le tableau, et, prune expression<br />

vaste, sous <strong>mont</strong>re toute une ville, une aH<strong>la</strong><br />

iwmam, habités par $mclom§e seul et par fesdttM@ê<br />

m siinm. Ce sont là <strong>de</strong>s traits <strong>de</strong> maître.<br />

Mais Atez cette igure <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce où elle est, dtes<strong>la</strong><br />

d'un sujet où l'imagination est déjà élevée par <strong>de</strong><br />

magniiques peintures <strong>de</strong>s exploits <strong>de</strong> Gengis-kan,<br />

par l'idée d'un peuple conquérant <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, par <strong>la</strong><br />

pompe <strong>du</strong> style oriental dont k pièce a reçu l'empreinte<br />

dès les premiers vers; transporte*-!! dans<br />

Ménpê ou dans OrmU9 elle y paraîtra trop poétique,<br />

elle sera froi<strong>de</strong>ment fostueuse et ne peindra<br />

rien. Supposons que, dans Oresêe, l'-auteur vou­<br />

<strong>la</strong>nt peindre <strong>la</strong> consternation <strong>de</strong>s habitants d'Argoa<br />

sous <strong>la</strong> tyrannie d'Égisthe, eût frit dire à Pammène ;<br />

LfteidivageaiilIsnMoMItàiavolx,<br />

c'était un luxe <strong>de</strong> poésie, dép<strong>la</strong>cé dans <strong>la</strong> Miette<br />

d'un vieil<strong>la</strong>rd affligé qui pleure son maître; et les<br />

connaisseurs n'auraient remarqué ce vers que pour<br />

le critiquer. Cest pourtant, si l'on y prend gar<strong>de</strong>,<br />

absolument <strong>la</strong> même idée : dans les <strong>de</strong>ux cas, il s'a*<br />

gît <strong>de</strong> représenter un peuple qui tremble, et qui se<br />

tait sous une domination étrangère. Mais combien<br />

les circonstances doivent changer le caractère ém<br />

style! Yoyex comment l'auteur d'On<strong>de</strong> frit parier<br />

Pammène, lorsqu'il se p<strong>la</strong>int à Oreste <strong>de</strong> <strong>la</strong> lâcheté<br />

<strong>du</strong> peuple d'Argos :<br />

Hé<strong>la</strong>s ! le citoyen, Umâênnmî fidèle ,<br />

H*osertlt m «s lieux taUter m «dot si# s<br />

Dès qu'Est!tke parti, 1» paflé, Mlffuur,<br />

Tremble <strong>de</strong> M <strong>mont</strong>er, et rentra te fend <strong>du</strong> cœur.<br />

Voilà <strong>de</strong>ux tableaux dont le fond est le mime,.<br />

I mais dont Ja couleur est bien différente ; c'est que,


OOU1S DR OTTÊIAÏOift<br />

dans Fan t le poëte , en traçant l'épouvante qû f a répan<strong>du</strong>e<br />

Finvasion <strong>de</strong>s Tartares dans le plus grand<br />

empire <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, ne veut parler qu'à l'imagination<br />

par une peinture qui s 9 est qu'accessoire, et ne tient<br />

pas aii fond <strong>du</strong> sujet : 0 se permet don® très à propos<br />

l'éc<strong>la</strong>t et <strong>la</strong> hardiesse <strong>de</strong>s expressions. Mais dans<br />

l'autre il ? eut parler au cœur, parée qu'à cette faiblesse<br />

timi<strong>de</strong> <strong>du</strong> peuple d'Argos tient le retar<strong>de</strong>ment<br />

d'une vengeance légitime, qui est précisément le<br />

sujet <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce. Il se sert donc, son pas d'espressionsraagniiques,<br />

maisd 9 expra8sionstoudiaetesf<br />

propres à inspirer l'intérêt, <strong>la</strong> pitié, l'indignation.<br />

La pété, seigneur,<br />

Ce rapport continuel <strong>du</strong> style au sujet est si important,<br />

surtout dans les ouvrages dramatiques, ©è<br />

tout doit tendre au mène effet, que, d'un bout à<br />

l'autre


ANCIENS. — ÉL0QU1NCB.<br />

ni surtout ici, m qu'on lient trouver dans les livres;<br />

mais 11 faut bien s'arrêter en moment sur celle qui<br />

est en même temps <strong>la</strong> plus générale, <strong>la</strong> plus variée<br />

cl <strong>la</strong> plus belle <strong>de</strong> toutes les figures <strong>de</strong> mots , <strong>la</strong> métaphore.<br />

Le nom même en est <strong>de</strong>?enu tellement<br />

usuel, qu'il a per<strong>du</strong> sa gravité seo<strong>la</strong>stique. Cependant<br />

<strong>la</strong> définition en est un peu abstraite; mais,<br />

comme toutes les définitions, elle s'éc<strong>la</strong>ircit bientôt<br />

par les exemples. On peut définir <strong>la</strong> métaphore, une<br />

ligure par <strong>la</strong>quelle on change <strong>la</strong> signification propre<br />

d'un mot en une autre signification qui ne convient<br />

à ce mot qu'en vertu cf liai comparaison qui se fait<br />

dans l'esprit Ainsi , quand on dit que le mensonge<br />

prend les couleurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité , le mot couleurs n'est<br />

plus dans son sens propre; car le mensonge n'a pas<br />

plus <strong>de</strong> couleurs que <strong>la</strong> vérité : couleurs veut donc<br />

dût ici apparence; mais l'esprit saisit sur-le-champ<br />

le rapport qui existe entre les couleurs et les apparences<br />

9 et <strong>la</strong> figure est c<strong>la</strong>ire. <strong>la</strong> métaphore a cet<br />

avantage f dit très-bien QeJntilien, que , grâce à elle y<br />

il n'y a rien que f on ne puisse exprimer. Mais ni lui,<br />

ni <strong>du</strong> Marsais, ni aucun rhéteur que je sache, n'a songé<br />

à re<strong>mont</strong>er à <strong>la</strong> véritable origine <strong>de</strong> <strong>la</strong> métaphore,<br />

qui pourtant me parait assez facile à reconnaître. La<br />

métaphore passe presque toujours <strong>du</strong> moral au physique,<br />

parce quef toutes nos idées venant originairement<br />

<strong>de</strong>s sens, nous sommes portés à rendre nos<br />

perceptions intellectuelles plus sensibles par leurs<br />

rapports avec les objets physiques : <strong>de</strong> là vient que<br />

presque toutes les métaphores sont <strong>de</strong>s Images, et <strong>de</strong>s<br />

espèces <strong>de</strong> similitu<strong>de</strong>s et <strong>de</strong> comparaisons. Quand je<br />

dis d'un homme en colère : Il est comme un iiomf<br />

c'est une similitu<strong>de</strong> : j'exprime <strong>la</strong> ressemb<strong>la</strong>nce générale<br />

entra un homme irrité et un lion. Si je vais<br />

pins loin, et que je dise : Tel qu'un lion qui, les yeux<br />

étiaceiacta et se battant les f<strong>la</strong>ncs <strong>de</strong> sa queue, s'é<strong>la</strong>nce<br />

avec un rugissement terrible, tel, etc. je détaille<br />

les circonstances <strong>de</strong> <strong>la</strong> similitu<strong>de</strong>, et je fais<br />

use comparaison. Si je dis simplement : Quand cet<br />

homme est en fureur, c*est un lion, je fais une métaphore<br />

: et <strong>la</strong> métaphore, comme on voit, n'est au<br />

fond qu'une eompafaiaû& abrégée qu'achève l'imagination.<br />

Cette figure est donc née <strong>de</strong> notre disposition<br />

habituelle à comparer nos affections morales avec<br />

nos sensations, et à nous servir <strong>de</strong>s unes pour exprimer<br />

plus fortement les autres. On a dit qu'un<br />

homme était bmàOmi <strong>de</strong> eéère, parce qu'on a<br />

senti que eette passion donnait au sang un mouvement<br />

et une agitation extraordinaire, semb<strong>la</strong>ble au<br />

bouillonnement <strong>de</strong> l'eau sur le feu. C'est <strong>de</strong> <strong>la</strong> même<br />

manière que nous sommes «tierce » consumés, g<strong>la</strong>cés,<br />

emèmsés, noircis, flétris* etc. Uac settic <strong>de</strong><br />

131<br />

ces métaphores expliquée suffit pour frire connaf-><br />

Ire <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> toutes les autres. Mais il y en a aussi<br />

où* les objets matériels- sont eomparés entre eux.<br />

On a dit <strong>la</strong> fleur <strong>de</strong> l'âge, farce que l'éc<strong>la</strong>t et <strong>la</strong><br />

fraîcheur <strong>de</strong> <strong>la</strong> première jeunesse ont rappelé les<br />

végétaux quand ils fleurissent. On a dit les g<strong>la</strong>ces <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> vkUksse, parée qu'on a vu qu'elle enchaînait les<br />

articu<strong>la</strong>tions et arrêtait les mouvements, à pu près<br />

comme <strong>la</strong> g<strong>la</strong>ce, en se formant, été à l'eau sa fluidité.<br />

Cette figure et <strong>la</strong> métonymie, qui est elle-même<br />

une espèce <strong>de</strong> métaphore, sont celles dont l'usage<br />

est le plus fréquent dans le dis<strong>cours</strong>. Elles sont<br />

à <strong>la</strong> portée <strong>du</strong> peuple comme <strong>de</strong> l'orateur et <strong>du</strong> poëte.<br />

Tous les hommes figurent plus ou moins leur <strong>la</strong>ngage,<br />

selon qu'ils sont plus ou moins affectés, et<br />

qu'ils ont plus ou moins d'imagination; et <strong>la</strong> métaphore<br />

est <strong>la</strong> plus belle <strong>de</strong> toutes les figures, parce<br />

qu'elle réunit <strong>de</strong>ux Mées dans un même mot, et<br />

que ces <strong>de</strong>ux idées <strong>de</strong>viennent plus .frappantes par<br />

leur réunion. Quand on dit que <strong>la</strong> beauté se flétrit t<br />

le mot <strong>de</strong> flétrir-m rapporte également aux femmes<br />

et aux fleurs, et cet assemb<strong>la</strong>ge si naturel et si<br />

intéressant p<strong>la</strong>ît à l'imagination. Mais <strong>de</strong> ce que <strong>la</strong><br />

métaphore est par elle-même si commune, il s'ensuit<br />

encore que c'est le choix qui en t <strong>la</strong>it le mérite.<br />

Il faut qu'elle soit juste, c'est-à-dire qu'elle<br />

exprime un rapport fondé sur. <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s choses.,<br />

Rien n'est plus choquant qu'une figure incohérente :<br />

comme elle annotée <strong>la</strong> prétention d'une beauté 9 elle<br />

est fort au-<strong>de</strong>ssous <strong>du</strong> terme propre, si elle maaqoesott<br />

effet. On s'est moqué avec raison <strong>de</strong> ces ?#rs<br />

<strong>de</strong> Rousseau:<br />

»l«J*aaeitéfi^<br />

Oatf&méu l'èmw ém mwL<br />

L'image est fausse, car on ne peut pas fondre une<br />

êc&rce* 11 faut, <strong>de</strong> plus, que <strong>la</strong> métaphore soit nécessaire,<br />

c'est-à-dire qu'elle ait plus <strong>de</strong> force que<br />

le mot propre, sans quoi celui-ci est préférable.<br />

• Elfe n'est faite, dit tngénieafleiiMnt Qwntilien, que<br />

pour remplir une p<strong>la</strong>ce vacante; et quand elle chasse le<br />

terme simple, elle est obligée <strong>de</strong> valoir mieux. »<br />

U faut encore qu'elle soit adaptée an siyet, et qu'il<br />

n'y ait pas trop <strong>de</strong> disproportion dans les idées,<br />

dont elle n'est qu'une comparaison implicite. Ainsi<br />

on a en raison <strong>de</strong> blflmer ce vers, où Ton dit, en<br />

par<strong>la</strong>nt d'un cocher qui assujettit ses chevaux an<br />

frein :<br />

n minet ritfléb^ à Psiivirv danois.<br />

L'idée é'empire est trop gran<strong>de</strong> pour un mors <strong>de</strong><br />

cheval. Il fout aussi se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> tirer <strong>la</strong> métaphore<br />

d'objets bas et dégoûtants. Corneille a péché contre


cette règle lorsque a dit, en par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s soldats <strong>de</strong><br />

Pompée :<br />

» Bout plus <strong>de</strong> ta moitié pHtmêmmî étale<br />

Use Indigne ewrés au Tantotra <strong>de</strong> Piaraaie*<br />

Le mot <strong>de</strong> curée offre une image qui dégoûte et<br />

que rejette le style noble ; piteusement n'est pas une<br />

igure 9 mais lie défait pas non plus entrer dans une<br />

tragédie : il ne confient pas an style soutenu. En-<br />

Inf quand <strong>la</strong> métaphore aurait toutes les qualités<br />

requises, il ne faut pas <strong>la</strong> prodiguer; car alors on<br />

retombe dans l'affectation et <strong>la</strong> monotonie, <strong>de</strong>ux<br />

mortels défauts en tout genre. _<br />

L'allégorie, considérée comme igure <strong>de</strong> style,<br />

et dans le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong>s rhéteurs» s'est proprement<br />

qu'une métaphore continuée; car elle consiste à dire<br />

une chose pour en faire entendre une autre. Quand<br />

le sens est parfaitement c<strong>la</strong>ir, et que les rapports ne<br />

sont ni trop multipliés, ni appelés <strong>de</strong> trop loin , cette<br />

figure peut être d'un bon effet dans l'éloquence et<br />

dans <strong>la</strong> poésie. Dans <strong>la</strong> tragédie <strong>de</strong> Rome mwéei<br />

Catillna dit, en par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> Cicéron :<br />

Sur Se miiseâû publie ce ploie égaré<br />

Présente è tôt» les vents lia f<strong>la</strong>nc mal ann.ee ;<br />

D t'agite an hasard f à Forage 11 l'apprêtef<br />

tau savoir §eaJagitaif d'où vient» <strong>la</strong> tanpêtt.<br />

H n'y a pas H une seule eipresslon api ne mit<br />

employée dans un sens détourné. Le ? aisseau , c'est<br />

<strong>la</strong> république; le pilote, € 9 est Cieéroi; les vents<br />

sont les ennemis <strong>de</strong> l'État ; li tempête, c'est <strong>la</strong> conjuration<br />

: cette suite <strong>de</strong> métaphores forme ce qu'on<br />

appelle une allégorie. On sent combien il est essentiel<br />

qu'elles soient tontes bien cohérentes : une seule<br />

qui s'écarterait <strong>de</strong> <strong>la</strong> première idée établit gâterait<br />

tout. C'est un défout trop fréquent dans les Épttres<br />

<strong>de</strong> Rousseau:<br />

Incontinent vmm l'allés ¥©Sr s f eni«r<br />

De tout te vent que peut M» soufflert<br />

Dans Ses fonrneat» d'une taie échauffée,<br />

Fatuité sur sotffat grugée.<br />

Dans les trois premiers vers, <strong>la</strong> métaphore, quoique<br />

forcée dans l'expression, est m moins suifie<br />

dans les objets, IM fourneaux d'une tête sont une<br />

ignre peu naturelle ; mais on conçoit <strong>du</strong> moins que<br />

le vent souffle dans tes fourneaux; ce qu'on lie<br />

peut pas conce?oir, c'est qife <strong>la</strong> fatuité greffée sur<br />

ta sotUsefmse souffler k vent. Ici <strong>la</strong> justesse <strong>de</strong>s<br />

rapports physiques est détruite : elle l'est encore<br />

pins dans les a en sel? aata <strong>de</strong> <strong>la</strong> même épttre : a<br />

Cest feapàiilipe et burlesque éta<strong>la</strong>ge<br />

D'en faux sublime mié iar FassemMagi<br />

De cet grands moisf eiimqm&mi île for a£s@n ,<br />

Bi$0êêée®mi9 et irMes île raison.<br />

La métaphore est triplement manfaise, parée<br />

qu'elle change trois fois d'objet. Yoilà le mbUme<br />

COBtS DE IITTÉRATDRK.<br />

enté Sur <strong>de</strong> grands mots qui sont do 'eUmqmmt :<br />

comment peut-on être enté sur <strong>du</strong> clinquant f Le<br />

premier ne peut se rapporter qu'aux arbres; le second<br />

qu'à <strong>de</strong>s compositions métalliques; et puis,<br />

comment <strong>du</strong> clinquant peut-il être enflé <strong>de</strong> vent?<br />

c'est encore un troisième ordre <strong>de</strong> choses. Il ne faut<br />

pas se dissimuler combien ce style est ?i<strong>de</strong>nx : il est<br />

d'autant moins excusable que Fauteur; en ce même<br />

endroit, ?eut donner <strong>de</strong>s leçons <strong>de</strong> goût et tombe<br />

pricisément dans les défauts qu'il reproche aux autres.<br />

Ce n'est pas que$ pour être en droit <strong>de</strong> reprendre<br />

<strong>de</strong>s fautes 9 il faille absolument n'en commettre<br />

aucune; car, en ce cas, qui oserait jeter <strong>la</strong><br />

première pierre au mauvais goût f Mais il est bien<br />

malheureux et bien ma<strong>la</strong>droit <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> Yen,<br />

Entés <strong>de</strong> ¥ent et ¥liles ie ratM» i<br />

en même temps qu'on en donne l'exemple. Prenonsen<br />

,un tout contraire dans un grand poète qtie<br />

Rousseau, aveuglé par ta haine, attaquait dans<br />

cette épttre, et fou<strong>la</strong>it particulièrement désigner.<br />

La Henria<strong>de</strong> ? a nous offrir un modëe <strong>de</strong> ces métaphores<br />

continuées qui forment l'allégorie : elle y<br />

est soutenue pendant dix vers, sans <strong>la</strong> moindre apparence<br />

d'effort ni le moindre défaut <strong>de</strong> justesse,<br />

mérite en ce moment le plus remarquable pour<br />

nous, indépendamment <strong>de</strong> tous les autres. Il fal<strong>la</strong>it<br />

peindre Henri III ( à l'instant où ja ligue commence<br />

à éc<strong>la</strong>ter contre lui) 9 faisant un effort passager pour<br />

sortir <strong>de</strong> son indolence, mais démê<strong>la</strong>nt mal ses intérêts,<br />

apercevant à peine ses dangers, et bientôt<br />

oubliant tout pour se replonger dans le sein <strong>de</strong>s<br />

p<strong>la</strong>isirs et <strong>de</strong>-<strong>la</strong> mollesse. Yoilà le propre; voici le<br />

iguré.<br />

Yabb M féweMIa <strong>du</strong> sein <strong>de</strong> son Ivraie :<br />

Ce brait 9 set appareil f m danger qui le §eass«f<br />

Ouvrirait aa moment ses yeux «f gmantls $<br />

Mali ia Jour importun f» regard* éblouis<br />

Me distinguèrent point, an fort <strong>de</strong> <strong>la</strong> tempête,<br />

Les fondra menaçants qui grondaient sur ntete;<br />

Las, et se rejetant dans les bras dn sommeil,<br />

Entre tes favoris et parmi les datées t<br />

Trampll<strong>la</strong> ; 11 s'endormit m l»fd <strong>de</strong>s péelpta*»<br />

Le tableau est achevé : et comme toutes les conlea»<br />

en ont gra<strong>du</strong>ées 1 comme les nuaneet sont bien marquées!<br />

Cette césure qui coupe le vers à <strong>la</strong> première<br />

syl<strong>la</strong>be Jet,


ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

<strong>de</strong>s exemples d'une continuation île <strong>la</strong> même métaphore<br />

pendant quatre pages : c'est alors un jeu<br />

d'esprit aussi ridicule qu'insipi<strong>de</strong>, et que lésants<br />

prennent pour <strong>de</strong> l'imagination.<br />

Mous <strong>de</strong>ssous un sens pins éten<strong>du</strong> à l'allégorie,<br />

quand nous appelons <strong>de</strong> ce nom une fiction poétique,<br />

où dès êtres moraux sont personnifiés; comme<br />

le temple <strong>de</strong> l'Amour dans Jo Mmrm<strong>de</strong>, l'épiso<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Mollesse dans le lutrin, et tant d'autres. U<br />

y a aussi d'antres allégories plus courtes, et renfermées<br />

dans un petit nombre <strong>de</strong> vers, qui forment<br />

une variété agréable dans <strong>la</strong> poésie morale ou didactique.<br />

Tels sont ces vers <strong>de</strong> Voltaire dans le<br />

DUeùmrs wr <strong>la</strong> m&déndi&m :<br />

<strong>la</strong>dis trop eaifsâé dfes malus <strong>de</strong> 1& MolS«M ;<br />

Le K «fil f s*endormit m tria <strong>de</strong> Sa Parme. *<br />

La* Langueur FaeeaMalt ; plu êe ehants, plus <strong>de</strong> Tirs 9<br />

Pies tfamour, et l'Ennui détratttit lUniva».<br />

Bu êim , qal prit pillé <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature humaine,<br />

Hit auprès <strong>du</strong> P<strong>la</strong>isir te Travail et <strong>la</strong> Peine.<br />

LA Crainte t*é¥etl<strong>la</strong>, l'Espoir galôa tes pas : *<br />

Ce cortège alourdirai raccompagne Ict-bas. ' •• '<br />

Lemierrc a très-bien caractérisé l'allégorie dans<br />

ce vers <strong>de</strong> son poème <strong>de</strong> ta Peîmimm :<br />

1/AlMpffe habite aa pdaSs diaphane.<br />

Et, dans le mime poëme, il en fait un très-bel<br />

usage, en traçant le portrait allégorique <strong>de</strong> l'ignorance:<br />

M est nia tlnpi<strong>de</strong> et lour<strong>de</strong> daté ;<br />

Le Tn»fas aetwfoti fat par elle haMié.<br />

. Llgsiiraii»estsc»iiôni;lmPareiiepeBanto<br />

L*eaiMiOj sans ioatear as bord #aoa «ta dormante:<br />

Le Hasard fattompagae f et l'Erreur <strong>la</strong> coadolt ;<br />

De fan pat en tau paa <strong>la</strong> Sottise <strong>la</strong> mit<br />

Los anciens hiéroglyphes <strong>de</strong>s Égyptiens, <strong>de</strong>s<br />

Scythes, et <strong>de</strong> quelques autres peuples <strong>de</strong> l'Asie,<br />

étaient <strong>de</strong>s espèces d'allégories qui par<strong>la</strong>ient aux<br />

yeux, mais moins c<strong>la</strong>ires et moins ingénieuses, à<br />

en juger par ce que nous en connaissons , que les fables<br />

emblématiques <strong>de</strong>s Grecs , dont notre poésie<br />

mo<strong>de</strong>rne s'est enrichie. Quand le roi <strong>de</strong>s Perses<br />

Darius l m , dans son expédition contre les Scythes 9<br />

m fut engagé témérairement dans leurs vantas solitu<strong>de</strong>s,<br />

où il perdit une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> son armée,<br />

ils lui mmjëfmt un ambassa<strong>de</strong>ur, qui, sans lui<br />

m rien dire, lui présenta <strong>de</strong> leur part cinq flèches, un<br />

•isemi, une souris, une grenouillé, et se retira. U<br />

fat question <strong>de</strong> savoir ce que «pil<strong>la</strong> il cette ambas-<br />

•a<strong>de</strong>énigmatiqoe.l7nB€rain, qui avait quelquecosnaissance<br />

<strong>du</strong> caractère et <strong>du</strong> <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> ce peuple,<br />

eipliqua ainsi leurs présents :<br />

Ml<br />

H se trouva qu'il avait bien <strong>de</strong>viné. Mais Darius<br />

avait interprété cet emblème d'une manière toute<br />

différente, et pourtant aussi p<strong>la</strong>usible. U prétendait<br />

que c'était un témoignage <strong>de</strong> <strong>la</strong> soumission <strong>de</strong>s<br />

Scythes, qui lui faisaient hommage <strong>de</strong>s animaux<br />

nourris dans les trois éléments, et lui abandonnaient<br />

leurs armes. C'est une mauvaise allégorie que ceUe<br />

qui n'a qu'une intention et qui en offre <strong>de</strong>ux» Cest<br />

par <strong>la</strong> même raison que les apologues, qui sont encore<br />

une autre espèce d'allégorie, doivent avoir un<br />

sens unique et c<strong>la</strong>ir. Dans tout ce qui a pour objet<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong>isser apercevoir une vérité voilée, on doit faits<br />

en sorte que le voile ne <strong>la</strong> cache pas, mais <strong>la</strong>isse seulement<br />

le p<strong>la</strong>isir àe l'entrevoir. Le masque <strong>de</strong> <strong>la</strong> comédie<br />

doit être ressemb<strong>la</strong>nt, sans charge et sans<br />

grimace ; et le voile <strong>de</strong> l'allégorie doit être artistement<br />

tissu, mais transparent.<br />

On connaît le trait <strong>de</strong> Tarquin le Superbe, Ionque<br />

son ils, tout puissant dans <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> éabîe,<br />

lui envoya <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce qu'il <strong>de</strong>vait faire, Tarquin 9<br />

qui se promenait dans son jardin, se mit à abattre<br />

les têtes <strong>de</strong>s pavots les plus élevés, avec une baguette<br />

qu'il tenait à <strong>la</strong> 'main, et envoya le député sans<br />

autre réponse : c'était une allégorie muette. Le ils<br />

l'entendit comme il convenait à un homme élevé pr<br />

un tyran, et trouva moyen <strong>de</strong> faire périr les princlpax<br />

Gabiens pour livrer <strong>la</strong> ville à son père.<br />

Mous voilà un peu loin <strong>de</strong>sigures <strong>de</strong> rhétorique;<br />

mais tous ces faits <strong>de</strong> différente nature servent i<br />

prouver que les principes <strong>de</strong>s arts sont soumis à <strong>la</strong><br />

même logique et à <strong>la</strong> même loi <strong>de</strong>s rapports qui<br />

sert à expliquer les actions humaines et à en faire<br />

connaître les ressorts, et c'est pour ce<strong>la</strong> que <strong>la</strong> rhétorique<br />

<strong>du</strong> penseur Aristote, fil écrivait pour <strong>de</strong>s<br />

hommes, et non pas pur <strong>de</strong>s écoliers, estai partie<br />

un traité <strong>de</strong> morale.<br />

L'ironie, l'ellipse, l'hyperbole, sont si connues,<br />

que leurs noms mêmes, quoique grecs et didactiques,<br />

sont <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue habituelle. L'ironie équivaut<br />

à une antre Ignre appelée antiphrase ou contrevérité;<br />

car elle a toujours pour but <strong>de</strong> faire entendre<br />

le contraire <strong>de</strong> ce qu'elle dît. Elle peut, selon<br />

les occasions, appartenir également à <strong>la</strong> pieté, au<br />

courroux, au mépris : ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers peuvent<br />

donc l'intro<strong>du</strong>ire dans le style noble et dans les sujets<br />

les plus hauts, mais rarement; car il ne faut<br />

pas <strong>la</strong>isser le temps <strong>de</strong> sentir qu'elle est voisine <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> p<strong>la</strong>isanterie. L'ironie est quelquefois <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière<br />

ressource <strong>de</strong> l'indignation et <strong>du</strong> désespoir, quand<br />

« â moins que TOUS ne puissiez v@ler dans les airs comme fetpressloo sérieuse leur paraît trop faible; à peu<br />

les oiseaux, ai TOUS cacher en? <strong>la</strong> terré comme les souris, près comme dans ces gran<strong>de</strong>s douleurs qui égarent<br />

an dam les easi comme les ffmmXBm% vous n'échap- on moment <strong>la</strong> raison, un rire effrayant prend <strong>la</strong><br />

i pas aux lèches te Scythes. »<br />

p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes qui ne peuvent pas couler. Tel est


S94 CODES DE UTTÉBATDBE.<br />

cet endroit <strong>du</strong> réle admirable d'Oiteste dans Jndro>°<br />

maqm, lorsque, après awoir tué Pyrrhus pur p<strong>la</strong>ire<br />

à Hermïone, il apprend qu'elle n'a pu lui survivre,<br />

et qu'elle fiant <strong>de</strong> ie donner <strong>la</strong> mort :<br />

Oui, je te loue, 6 etel î <strong>de</strong> ta pecaévéraiiee, etc.<br />

II finit par ce vers terrible :<br />

Eh Mes ! Je mit eûuttnt s et mm sort ait rempli<br />

Ci mot, je mm mm^mi, dans <strong>la</strong> situation d'Oreste,<br />

est le sublime <strong>de</strong> <strong>la</strong> rage; et ceux qui se rappellent<br />

d'avoir enten<strong>du</strong> prononcer m fers à l'inimitable<br />

Lekain, a?ee <strong>de</strong>s lèvres tremb<strong>la</strong>ntes , <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nts serrées<br />

, et un sourira infernal, peuvent avoir une idée<br />

<strong>de</strong> ce que c'est fie <strong>la</strong> tragédie 9 quand famé <strong>de</strong> facteur<br />

peut sentir comme celle <strong>du</strong> poëte.<br />

L f ellipse, ou omission, qui consiste à supprimer<br />

un ou plusieurs mots pour ajouter à <strong>la</strong> précision<br />

sans rien êter à <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté, est une <strong>de</strong>s figures les plus<br />

communes <strong>du</strong> <strong>la</strong>ngage ordinaire. La plupart <strong>de</strong>s<br />

ellipses <strong>de</strong> ce geart sont ce qu'on appelle <strong>de</strong>s phrases<br />

Élites ; mais celles qu'invente le génie <strong>du</strong> style f pur<br />

a?oir une marche plus rapi<strong>de</strong> et use impulsion plus<br />

forte, éditent être moins fréquentes dans l'éloquence<br />

que dans <strong>la</strong> poésie. On sait que cette <strong>de</strong>rnière a obtenu<br />

plus <strong>de</strong> liberté, précisément parce qu'elle a plus<br />

d'entraves ; et d'ail<strong>la</strong>nt il confient'qu'en géatoî le<br />

poëte ose plus que l'orateur. Au reste, les ellipse<br />

oratoires et poétiques sont plus difficiles dans notre<br />

<strong>la</strong>ngue quedans celles <strong>de</strong>s anciens, parée que ses procédés<br />

sont plus méthodiques, et qu'elle est, par sa<br />

nature, forcée, pour ainsi dire, à <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté. On peut<br />

encore remarquât que le style <strong>de</strong>s historiens est<br />

plus favorable à <strong>la</strong> conésion elliptique que celui <strong>de</strong>s<br />

orateurs : les premiers donnent plus à <strong>la</strong> féÉexioa,<br />

et les autres atten<strong>de</strong>nt plus <strong>de</strong> reflet <strong>du</strong> moment.<br />

Les auteurs <strong>la</strong>tins qui ont le plus tf ellipses son!<br />

SaHusta et Tacite. Leur diction serrée, et qu'il faut<br />

souvent suppléer, est toute différente <strong>de</strong> celle <strong>de</strong><br />

Cieéron, et défait Titre. Celui qui vou<strong>la</strong>it émouvoir<br />

ne défait pas négliger l'harmonie, qui natt <strong>de</strong><br />

l'arrondissement et <strong>de</strong>s ca<strong>de</strong>nces nombreuses, un<br />

<strong>de</strong>s ressorts a?ec lesquels on meut les multitu<strong>de</strong>s<br />

assemblées; mais les ieui historiens fou<strong>la</strong>ient sur*<br />

tout faire penser, et <strong>la</strong> concision avertit d'être attentif.<br />

L'byperbolen'estpasmoiss<strong>du</strong><strong>la</strong>iigagefiimilierque<br />

l'ellipse; mais comme on est accoutumé à <strong>la</strong> ré<strong>du</strong>ire<br />

à sa juste f aleur, l'abus qu'on en fait tous les jours<br />

n'empêche pis qu'elle ne puisse entrer heureusement<br />

dans le style noble, et surtout dans les sujets<br />

où notre esprit est <strong>mont</strong>é au grand, comme dans<br />

Fo<strong>de</strong> et dans l'épopée. Alors, comme M est naturel<br />

à l'imagination une fois émue d'agrandir, jusqu'à un<br />

certain point, letf obfats, on peut en ce genre, <strong>la</strong><br />

servir i son gré : mais il ne faut lui <strong>mont</strong>rer que ce<br />

qu'elle peut naturellement se figurer; car outrer<br />

l'hyperbole, c'est exagérer l'exagération. On admire<br />

eue raison ces beaux ? ers qui teraûneat le second<br />

chant <strong>de</strong> <strong>la</strong> Mmria<strong>de</strong> et le tableau <strong>de</strong> <strong>la</strong> Saint-Barthélemy<br />

:<br />

Et ta Seoir» f»iftls les emi eaeaiïgltiiitéee<br />

Ne fartaient


ANCIEWS. — ÉLOQUENCE.<br />

unes qui sont miment d'un grand effet. et appartiennent<br />

à <strong>la</strong> féritable éloquence. Telle est l'apostrophe<br />

» qui doit être le mouvement d'une imagination<br />

fortement ébranlée, on d f une Âme puissamment<br />

affectée, comme dans cette exc<strong>la</strong>mation <strong>de</strong> Bossuet :<br />

CMm <strong>du</strong> Seigneur! quel camp vmm mme% <strong>de</strong>jrapperiTmtêeia<br />

terre emesiéi&méê! comme dansées<br />

vers si touchants d'Androroaque :<br />

Haa t nous n'espérons p<strong>la</strong>t <strong>de</strong> TOUS revoir «MûT,<br />

Sacras mon qm s'a pu conserver mon Hector.<br />

On sent que cette apostrophe aux mers <strong>de</strong> Troie est<br />

feece.il naturel <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur et <strong>du</strong> regret, et c'est<br />

ainsi que les igeres sont bien p<strong>la</strong>cées.<br />

La prosopopée, personnification qui fait parler<br />

les morts et les cluses inanimées, est d 9 m<br />

sible <strong>de</strong> ne pas Hure le même mouvement, et <strong>de</strong> ne<br />

pas jeter le même cri que Cinna.<br />

La prétention est une autre sorte d'artifice ; il<br />

consiste dans une forme <strong>de</strong> phrase négative, par <strong>la</strong>quelle<br />

on ne semble pas vouloir dire ce que pourtant<br />

on dit en effet : Je ne vous dirai point, je me mm<br />

rappellerai point, je ne mm reprocherai palmé<br />

Mie, telle, telle chose; wmU, etc. L'on appuie alors<br />

sur <strong>la</strong> seule que l'on énonce positivement. Cette<br />

igure a un double avantage : elle ne diminue en rien<br />

<strong>la</strong> valeur <strong>de</strong>s choses que l'on a l'air d'écarter f et<br />

fertile beaucoup celle sar <strong>la</strong>quelle ce insiste, comme<br />

on va le voir par <strong>de</strong>s exemples. Alzire, obligée d'avouer<br />

à Zamore qu'elle vient d'épouser Gusman et<br />

un usage qu'elle a qpitté sa religion pour prendre celle <strong>de</strong>s<br />

plus rare. Plus cette figure est hardie, plus elle a Chrétiens ; Alzire aime avec trop <strong>de</strong> passion pour<br />

besoin d'être animée* FMchier s'en est servi très- se trouver elle-même excusable; mais ptirtaiit elle<br />

noblement dans Foraîson funèbre <strong>du</strong> <strong>du</strong>o <strong>de</strong> Mon* ne veut pas que son amant ignore tout ce qui peut<br />

l'excuser. Elle se gar<strong>de</strong> bien <strong>de</strong> lui dire :<br />

« 0§etaaa§a 9 dans ce dfaeeart, employer M Ictamet le « Tels quelle était ma situation : je l'ai cm mort; aa<br />

aeiaïaaiap? Cetombeau s'envriiatt, ces ossements se m- père ordonnait ; je n'immo<strong>la</strong>is au salut <strong>de</strong> ma patrie S »<br />

jeJBérilegt et ae fmtswniait pour me dire : Pourquoi Tout ce<strong>la</strong> est très-vrai, et pourtant serait très-froid<br />

alcas-ta mentir puer moi, qui m mentis jaunis peur per­<br />

dans <strong>la</strong> bouche d'une amante. Il faut donc qu'elle<br />

sonne? Ne me rends pas un bosseur que je n'ai pas mérité,<br />

à m@i qui n'en voulus jamais rendre qu'an •rai mé­ s'excuse sans paraître vouloir s'excuser. C'est ce que<br />

rite. Laisse-moi reposer dans ie sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité t et ne <strong>la</strong>it <strong>la</strong> prétention.<br />

Tient pas troubler ma paix par <strong>la</strong> f<strong>la</strong>tterie, que je hais. » Jêp&wmh fmlM§mert pour affaiblir mon crime,<br />

De mon père sur mol le poavolr légitime,<br />

La suspension et <strong>la</strong> prétention sont fréquemment L'erreur ou nous étions, mes regrets, mes combats,<br />

employées dans l'éloquence et dans <strong>la</strong> poésie; et Les pleurs que fat trois ans lionnes à ton trépas;<br />

Que, <strong>de</strong>s Ctirét<strong>la</strong>as aaf aepattff t eseia¥e tafortunét;,<br />

lorsqu'elles le sont bien, elles eut un très-grand La douleur <strong>de</strong> ta perte à leur dieu m'a donnée ;<br />

pouvoir. La suspension consiste à faire attendre ce Que je f aimil toujours ; que mon cœur éper<strong>du</strong><br />

A détestétes dieu qui font mal défen<strong>du</strong>.<br />

que Ton va dire , à l'annoncer <strong>de</strong> loin , afin <strong>de</strong> forcer Mais je ne enerebe point s je ne ¥eu point d'excuse ;<br />

l'esprit à s'y arrêter davantage. On conçoit bien II n'es est point pour mol forsajue Famour m'accuse.<br />

qu'il faut que <strong>la</strong> chose en faille <strong>la</strong> peine, sans quoi Ta vis, 11 m* suffit : je t*al aaafàpé <strong>de</strong> foi ;<br />

Tranche met Jouis atanx, nul ne i


faut bien que tes leçons ai<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> faiblesse, et suppléeiitreipérieiice;queFimftation?ieEiieau<br />

se<strong>cours</strong><br />

<strong>du</strong> talent , et facilite ses progrès.<br />

Je citerai encore un autre eiemple <strong>de</strong> <strong>la</strong> prétention,<br />

tiré <strong>du</strong> second chant <strong>de</strong> lm Mmrtaie, où<br />

Henri IV fait à <strong>la</strong> reine Elisabeth le récit <strong>de</strong> l'horrible<br />

Journée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Saint-Barthélémy.<br />

CODUS DB UrrtBATDBE.<br />

Je m v&m peinimi p&imt te tumulte et ks cris,<br />

Lt sangéaloaicôté» ratsw<strong>la</strong>stdans Parti,<br />

ht III assassiné sur le corps <strong>de</strong> ton père,<br />

, Le frère avec îa sœur, Sa fille avee îa mère,<br />

Les époux expirants sons tours toits embrasés ,<br />

Les enfants m hemmu sur <strong>la</strong> pierre écrasés :<br />

•Des fureurs <strong>de</strong>s humains c'est ©e qu'on doit attendre.<br />

Que sera donc ee qui va suivre, puisque ce<strong>la</strong>i qui<br />

trace cet épouvantable tableau semble lui-même<br />

n'en être pas étonné ! Tel est Fartiiee <strong>de</strong> <strong>la</strong> prétention<br />

; sans affaiblir l'horreur <strong>de</strong> cette peinture f elle<br />

?a rendre plus frappante celle qui suit :<br />

Mais ce que l'avenir asm peine à mmpmmâm,<br />

Ce que vous-même encore à peine vous croirez f<br />

Ces monstres furieux, <strong>de</strong> carnage altérés f<br />

Excités par <strong>la</strong> voix <strong>de</strong>s prêtres sanguinaires,<br />

Invoquaient le Seigneur en égorgeant leurs îtètm ,<br />

Et, le bras tout souillé <strong>du</strong> sang <strong>de</strong>s innocents ,<br />

Osaient offrir à Bleu cet exécrable encens 1<br />

La réticence mérite aussi qu'on en fesse mention*<br />

C'est une Ëgure très-adroite, en ce qu'elle fait entendre!<br />

non-seulement ce qu'on ne veut pasdire9 mais<br />

souvent beaucoup plus qu'on ne dirait. Telle est celleci<br />

dans le rêle d'Agrippine :<br />

rappe<strong>la</strong>i île l'exil, Je tirai <strong>de</strong> l'armée,<br />

Et ee mène Sénèqse t et ce même Bnrrhât t<br />

Qui députe... Borne tlore eiUmatt ieun ?ertu.<br />

' Voltaire Fa imitée dans lm Hmrkbàe :<br />

Et Blron , jeune encore, ar<strong>de</strong>nt , impétueut ,<br />

Qui <strong>de</strong>puis... mais tlore il «tait vertueux.<br />

Limitation même est si frappante qu'elle pourrait<br />

passer pour une espèce <strong>de</strong> <strong>la</strong>rcin. Mais Yoltaire était<br />

si ricbe <strong>de</strong> son fonds qu'il ne se faisait pas scrupule<br />

<strong>de</strong> prendre sur celui d'autrai.<br />

Une autre réticence encore plus belle* pareequ'elie<br />

tient à une situation théâtrale, c T est celle #Arfcle<br />

dans <strong>la</strong> tragédie <strong>de</strong> Phèdre :<br />

Prenez gtrfe t Seigneur : vos invincible! maint<br />

Ont ie monstres tans nombre affranchi Set bttmatiis ;<br />

Mali tout n'est pas détroit, et vous en <strong>la</strong>issez vivre<br />

Un... foire lii, Seigneur, me défend <strong>de</strong> poursuivre.<br />

Cette interruption subite doit épouvanter Tbésée.<br />

Aussi eommence-t-il dès ce moment à sentir <strong>de</strong> tires<br />

inquiétu<strong>de</strong>s, et à se reprocher son emportement.<br />

La malignité et <strong>la</strong> haine ont bien connu tout ce<br />

que pouvait <strong>la</strong> réticence par le chemin qu'elle fait faire<br />

à l'imagination; aussi n'ont-elles point d'armes<br />

mieux effilées, ni <strong>de</strong> traits plus empoisonnés. C'est<br />

<strong>la</strong> fombinaison <strong>la</strong> plus profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> méchanceté<br />

<strong>de</strong> savoir retenir ses coups, et <strong>de</strong> les porter par <strong>la</strong><br />

main d'autrui ; et malheureusement c'est aussi <strong>la</strong> plus<br />

facile. Rien n'est si aisé et si commun que <strong>de</strong> calomnier<br />

à <strong>de</strong>mi-mot, et rien n 9 est si difficile que <strong>de</strong><br />

repousser cette espèce <strong>de</strong> calomnie; car comment<br />

répondre à ce qui n'a pas été énoncé? Deviner l'accusation<br />

t c'est avouer en quelque sorte qu'elle n'est<br />

pas sans fon<strong>de</strong>ment. Aussi, le seul parti qu'il y ait<br />

à prendre est <strong>de</strong> porter un déi à l'accusateur timi<strong>de</strong><br />

et lâche ; et l'innocence alors peut lever <strong>la</strong> tête quand<br />

il cache <strong>la</strong> sienne dans les ténèbres.<br />

C'en est asaei sur les figures,.dont j'ai marqué<br />

les principales et les plus connues. Je n'ai point suivi<br />

pas à pas Quintilien : dans cette partie-là f comme<br />

dans beaucoup d'autres, c'est un instituteur qui prie<br />

à <strong>de</strong>s disciples, et dont le but n'est pas le mien. Si<br />

f ai choisi beaucoup <strong>de</strong> mes exemples dans les poètes,<br />

c'est qu'il fal<strong>la</strong>it faire voir que les mêmes igures appartiennent<br />

d'ordinaire à <strong>la</strong> poésie comme à l'élô»<br />

quence; que d'ailleurs les passages <strong>de</strong>s poètes sont<br />

plus présents à <strong>la</strong> mémoire , plus généralement connus<br />

, plus faciles à retetûr, et qu'enta les beaux vers<br />

sont comme <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> repos et <strong>de</strong> dé<strong>la</strong>ssement,<br />

où l'esprit aime à s'arrêter dans <strong>la</strong> route ari<strong>de</strong> et épi­<br />

neuse <strong>de</strong>s préceptes.<br />

Quintilien emploie un chapitre à traiter <strong>de</strong> ce qu'on<br />

nomme <strong>de</strong>s pensées, car c 9 est ainsi qu'on appelle,<br />

comme par excellence, celles qui sont énoncées<br />

dans une forme précise et sentencieuse. Elles don»<br />

neet <strong>de</strong> l'éc<strong>la</strong>t au dis<strong>cours</strong>; mail c'est un <strong>de</strong>s genres<br />

d'ornement qui ont le plus d'inconvénients et <strong>de</strong><br />

dangers, si l'on n f a pas soin d'en être sobre. Les<br />

pensées, les maximes, les sentences, ont un air<br />

d'autorité qui peut donner <strong>du</strong> poids au dis<strong>cours</strong>, si<br />

Ton n'y met <strong>de</strong> <strong>la</strong> réserve; mais qui, autrement,<br />

<strong>mont</strong>rent l'art à découvert. Elles sont voisines <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> froi<strong>de</strong>ur, parce qu'elles supposent communément<br />

un esprit tranquille. Aussi convient-il que l'orateur,<br />

et plus encore le poète, les tourne en sentiments le<br />

plus qu'il est possible. Il est plus facile <strong>de</strong> communiquer<br />

ce qu'on sent que <strong>de</strong> persua<strong>de</strong>r ce qu'on pense.<br />

De plus, ces sortes <strong>de</strong> pensées ont un bril<strong>la</strong>nt qui<br />

leur est propre, et si elles reviennent fréquemment,<br />

elles détournent trop l'attention <strong>du</strong> but principal,<br />

et paraissent en quelque sorte détachées <strong>du</strong> resta<br />

<strong>de</strong> l'ouvrage. Or, l'orateur et le poète doivent toujours<br />

songer à l'effet total. C'est à quoi ne pensant<br />

pas ceux qui ont <strong>la</strong> dangereuse prétention <strong>de</strong> tourner<br />

toutes leurs phrasesen maximes* Pluscettefenn»<br />

est imposante, plus il fait <strong>la</strong> réserver pour oe qui<br />

mérite d'en être revêtu. Celui qui cherche trop If»<br />

pensées risque <strong>de</strong> s'en permettre beaucoup <strong>de</strong> communes,<br />

<strong>de</strong> forcées, <strong>de</strong> fausses même; car rien n 9 ett


ANCIENS; —<br />

•f près île Terreur que les généralités. D'ailleurs 9 on<br />

ne peut pu avoir, dit fort bien Quiatiiien, autant<br />

<strong>de</strong> traits sail<strong>la</strong>nts qu'il y a <strong>de</strong> ins <strong>de</strong> phrases ; et quand<br />

on f eut les terminer toutes d'une manière piquante,<br />

on s'expose à <strong>de</strong>s chutes puériles. Ajoutez que celle<br />

manière d'écrire coupe et hache es petites parties<br />

le dis<strong>cours</strong>, qui, surtout dans l'éloquence, doit for*<br />

mer un tissu plus ou moins sait i ; que ces traits répétés<br />

éc<strong>la</strong>irent moinsqu'ilsn'éblouissent, parée qu'ils<br />

ressemblent plus aux étincelles qu'à <strong>la</strong> lumière; et<br />


m<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

nombreuse et publique , plus <strong>la</strong> supériorité est éc<strong>la</strong>tante.<br />

Or, il n'eu était pas <strong>de</strong> Rome comme <strong>de</strong> quelques<br />

gouvernements mo<strong>de</strong>rnes, où les titu<strong>la</strong>ires <strong>de</strong>s<br />

gran<strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ces ne les possè<strong>de</strong>nt pas toujours pour<br />

les remplir» où Ton convient d'une espèce <strong>de</strong> partage<br />

qui donne le pou?bir, les honneurs et les Émoluments<br />

aui chefs, et le travail aui subalternes;<br />

enûn f où quiconque a <strong>de</strong> quoi payer en secrétaire<br />

peut à toute forée se dispenser <strong>de</strong> savoir écrire une<br />

lettre. A Rome, on ne pouvait pas si facilement se<br />

cacher dans son impuissance 9 et ne paraître que sous<br />

le nom d*autrui. Il fal<strong>la</strong>it payer <strong>de</strong> sa personne, et<br />

m pro<strong>du</strong>ire au grand jour; il fal<strong>la</strong>it savoir parler<br />

au sénat, <strong>de</strong>vant le peuple et au forum, souvent jsans<br />

préparation, et toujours <strong>de</strong> mémoire ; et si Ton n'était<br />

pas obligé <strong>de</strong> s'en acquitter avec un grand succès,<br />

il était <strong>du</strong> moins honteux <strong>de</strong> <strong>mont</strong>rer <strong>de</strong> f incapacité :<br />

<strong>de</strong> là ces étu<strong>de</strong>s si longues et si multipliées, qui<br />

étaient celles <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> jeunesse romaine, <strong>de</strong>puis<br />

les ils <strong>de</strong>s causals jusqu'à ceux <strong>de</strong>s affranchis; <strong>de</strong><br />

là cette nécessité <strong>de</strong> se <strong>mont</strong>rer tel qu'on était <strong>de</strong>vant<br />

une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> juges qui, voyant tous les jours<br />

ce qu ! ils pouvaient attendre <strong>de</strong> chacun, étaient intéressés<br />

à mettre chacun à sa p<strong>la</strong>ce. C'est ainsi que<br />

<strong>de</strong>s hommes qui n'avaient d'antre recommandation<br />

que leur mérite, parvenaient à ces dignités éminentes<br />

où ta plus'gran<strong>de</strong> naissance ne con<strong>du</strong>isait pas<br />

toujours; c'est ainsi qu'un Cicéron, né dans un vil<strong>la</strong>ge<br />

d'Italie, obtint le consu<strong>la</strong>t, que Ton refusait<br />

» aux Catîliaa 9 aux Céthégus, aux Lentuius, issus <strong>de</strong>s<br />

plus gran<strong>de</strong>s familles <strong>de</strong> Rome, et parés <strong>de</strong> ces noms<br />

fameux que Fou respectait <strong>de</strong>puis l'origine <strong>de</strong> <strong>la</strong> ré*<br />

publique. Ce même Cicéron, né parmi nous, n'eût<br />

été probablement qu'un homme <strong>de</strong> lettres célèbre,<br />

ou un excellent avocat.<br />

Si Ton a ces idées bien présentes à f esprit, on<br />

ne sera pas. étonné <strong>du</strong> nom et <strong>de</strong> <strong>la</strong> dignité <strong>de</strong>s in*<br />

teriocuteurs qu'a choisis Cicéron dans les dialogues<br />

qui composent ses trois livres intitulés <strong>de</strong> l'Orateur;<br />

car, à l'exemple <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, il semble avoir adopté<br />

<strong>de</strong> préférence <strong>la</strong> forme <strong>du</strong> dialogue dans presque<br />

tout ce qu'il a écrit sur <strong>la</strong> philosophie ou sur l'éloquence.<br />

Cette forme, a <strong>de</strong> grands avantages; elle<br />

ête au ton didactique ce qu'il a <strong>de</strong> naturellement<br />

impérieux, en substituant <strong>la</strong> discussion <strong>de</strong> plusieurs<br />

à renseignement d'un seul; elle écarte <strong>la</strong> monotonie,<br />

en variant le style suivant les personnages;<br />

elle tempère <strong>la</strong> sécheresse et l'austérité <strong>de</strong>s préceptes<br />

par l'agrément <strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation; enfin, elle<br />

développe le pour et le contre <strong>de</strong> chaqpe opinion,<br />

avec <strong>la</strong> vivacité et l'abondance que chacun <strong>de</strong> nous<br />

a naturellement en soutenant l'avis qui lui est propre<br />

; tilt <strong>mont</strong>re les objets sous toutes les faces et<br />

dans le plus grand jour. On a objecté qu'elle avait<br />

un inconvénient, celui dé<strong>la</strong>isser quelquefois en doute<br />

quel est' fa?is <strong>de</strong> Fauteur loi-même. On a fait ce reproche<br />

à P<strong>la</strong>ton plutôt qu'à Cicéron; et je ne crois<br />

pas qu'au fond Fun le mérite plus que l'autre. 11 est<br />

assez facile, par le p<strong>la</strong>n même <strong>du</strong> dialogue, <strong>de</strong> voir<br />

dans <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong> qui doit se trouver <strong>la</strong> doctrine<br />

que Fauteur croit <strong>la</strong> meilleure. On peut croire, par<br />

exemple, toutes les fois que P<strong>la</strong>ton met Sqcrate en<br />

scène, quec'est par sa voix, qu'il va s'expliquer, parce<br />

qu'il est assez vraisemb<strong>la</strong>ble que P<strong>la</strong>ton ayant été<br />

disciple <strong>de</strong>Socrate, ce qu'il fait dire à son maître est<br />

précisément ce qu'il pense lui-même. Quand Cicéron<br />

fait parier Antoine et Crasses, Fun sur les moyens<br />

que peut employer l'orateur dans les questions judt-<br />

•ciaires, l'autre sur l'élocution qui lui convient, il est<br />

bîenévi<strong>de</strong>ntque leurs principessontceux<strong>de</strong>Cicéron,<br />

qui les nomme, en vingt endroits <strong>de</strong> .sesouvrages,<br />

les <strong>de</strong>ux hommes les plos éloquents dont Rome puisse<br />

se gloriËer.'Mais quelle distance d'un traité <strong>de</strong> rhétorique,<br />

rédigé dans <strong>la</strong> forme usuelle et méthodique*<br />

et tel qu'un maître le dicte à <strong>de</strong>s écoliers, à cette<br />

conversation si noble et si imposante établie par<br />

Cicéron ! Quelle manière plus heureuse <strong>de</strong> donner<br />

une gran<strong>de</strong> idée <strong>de</strong> son art, que <strong>de</strong> représenter les premiers<br />

hommes <strong>de</strong> <strong>la</strong> république, <strong>de</strong>s personnages consu<strong>la</strong>ires,<br />

tels qu'Antoine et Crasses, et son gendre<br />

Scévo<strong>la</strong>, grand pontife, et <strong>la</strong> lumière <strong>du</strong>'barreau ro­<br />

main pour <strong>la</strong> jurispru<strong>de</strong>nce, employant le loisir et le<br />

repos <strong>de</strong> <strong>la</strong> campagne 9 pendant le peu <strong>de</strong> jours <strong>de</strong> liberté<br />

que leur <strong>la</strong>isse <strong>la</strong> solennité <strong>de</strong>s jeux publics,<br />

à s'entretenir sur l'éloquence, en présence <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

jeunes gens <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> espérance,' Lacîus<br />

Cotta et Servies Sulpicius, qui pressent ces grands<br />

hommes <strong>de</strong> leur révéler leurs idées et leurs observations<br />

sur cet art dont ils ont été <strong>de</strong>puis longtemps<br />

les modèles ! Tel est l'entretien que Cicéron suppose<br />

avoir eu lieu lorsqu'il était à peine sorti <strong>de</strong>f enfance,<br />

environ cinquante ans avant le temps où 11 écrit t<br />

et lui avoir été rapporté par Cotta. C'est un effort<br />

<strong>de</strong> mémoire qu'il prétend faire en faveur <strong>de</strong> son frère<br />

Quintus, qui lui avait <strong>de</strong>mandé ses idées sur l'éloquence.<br />

11 est probable qu'en effet cette conversation<br />

n'était pas tout à fait une supposition; que Cotta<br />

en avait parlé à Cicéron, et lui en avait rapporté les<br />

principaux résultats; que celui-ci, dans< <strong>la</strong> suite,<br />

saisit l'occasion <strong>de</strong> travailler sur un fonds qui lui<br />

avait paru intéressant et riche ; et que le prince <strong>de</strong>s<br />

orateurs romains, quelque droit que lui donnassent<br />

<strong>la</strong> gloire et <strong>la</strong> vieillesse (il avait alors soixante et un<br />

ans) <strong>de</strong> dicter les leçons <strong>de</strong> son expérience et les lois<br />

<strong>de</strong> son génie, aima mieux se dérober au danger <strong>de</strong><br />

s'érige? en légis<strong>la</strong>teur, et préféra se mettre à.couvert


mus <strong>la</strong> vieille autorité <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux maîtres faraeui qui<br />

avaient été. avant lui les premiers organes <strong>de</strong> l'éloquence<br />

romaine.<br />

Le lieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène est à Tascii<strong>la</strong>nî , m <strong>de</strong>s plus<br />

agréables cantons <strong>de</strong> l'Italie, où Crasfus avait une<br />

maison <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isance et où Cicéron en eut une aussi.<br />

Le len<strong>de</strong>main d'une conversation sérieuse t et même<br />

triste, sur <strong>la</strong> situation <strong>de</strong>s affaires publiques f Crassus,<br />

Connue pour se distraire, lui et ses amis» <strong>de</strong><br />

leurs réieiïotts chagrines, se mit à parler <strong>de</strong>s avantages<br />

attachés à l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'éloquence, non pas,<br />

disait-il, pour y exhorter Sulpicius et Col<strong>la</strong>, mais<br />

pour les féliciter <strong>de</strong> ce qu'à leur âge ils étaient déjà<br />

assez avancés ,. non-seulement pour être au-<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> tous les autres jeunes gens, mais même pour<br />

mériter d'être comparés à ceux qui avalent plus<br />

d'années et d'expérience.<br />

« J'avoue, poursuit-Il , que Je ne connais rien <strong>de</strong> plus<br />

èeoe que <strong>de</strong> pouvoir, par le talent <strong>de</strong> k parole, lier fittastios<br />

<strong>de</strong>s hommes rassemblés, charmer les esprits, go»»<br />

venter les volontés, les pousser ou les retenir à son gré.<br />

Ce talent a toujours ieari 9 a toujours dominé chez les<br />

peuples Bbres, et surtout dans les états paisibles. Qu'y at-B<br />

<strong>de</strong> plut admirable que <strong>de</strong> voir un seul homme, os <strong>du</strong><br />

mains quelques hommes f se faire une puissance partlcu-<br />

lien d'une faculté naturelSe à tous ? Quoi <strong>de</strong> plus agréable à<br />

l'effrit et à l'oreille qa'oa dis<strong>cours</strong> poli$ orné, rempli <strong>de</strong> pensées<br />

sages et d'expressions nobles? Quel magnltique pouvoir<br />


MO<br />

COURS DE UTTÉMTHRE.<br />

tiae ici pr <strong>la</strong> bouche d'Antoine, et prophétise sur<br />

lui-même? Ce qui est certain, c'est que tous les<br />

traits qu'il a rassemblés jusqu'ici paraissait lui contenir*<br />

et ne convenir qu'à lui seul. ïl était non-seulement<br />

le plus éloquent, mais le plus savant <strong>de</strong>s<br />

Romains; et il a fait dire à Antoine, il n'y a qu'un<br />

moment; que rien n'est plus propre à nourrir et<br />

à fortiier le talent <strong>de</strong> l'orateur que <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s connaissances. Quoique alors celles que fou<br />

pouvait acquérir fussent plus bornées qu'aujourd'hui<br />

f cependant il n'a pas voulu dire, et lui-même<br />

en convient; que l'orateur <strong>de</strong>vait tout savoir; mais<br />

il a soutenu qu'il était <strong>de</strong> l'essence <strong>du</strong> talent oratoire<br />

<strong>de</strong> pouvoir orner tous les sujets autant qu'ils<br />

en sont susceptibles; et c'est précisément ce qu'il<br />

avait fait ; car il avait écrit, et toujours avec agrément<br />

et abondance s sur toutes les matières générales<br />

<strong>de</strong> philosophie, <strong>de</strong> politique et <strong>de</strong> <strong>littérature</strong>.<br />

11 n'était nullement étranger à l'histoire, puisqu'il<br />

avait fait celle <strong>de</strong> son consultât; ni à <strong>la</strong> poésie,<br />

puisqu'il avait composé un poème à l'honneur <strong>de</strong><br />

MariuSé Ainsi, grâces à l'amour <strong>du</strong> travail, qui<br />

était en lui au même <strong>de</strong>gré que le talent, il était<br />

précisément l'homme qu'il <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, celui qui ne<br />

se contente pas d'être exercé aux luttes <strong>du</strong> barreau<br />

et aux délibérations publiques, mais qui peut<br />

écrire éloquemment sur tous les objets qu'il tendra<br />

traiter.<br />

Antoine ciîga <strong>de</strong> l'orateur <strong>la</strong> sagacité <strong>du</strong> dialecticien,<br />

<strong>la</strong> pensée <strong>du</strong> philosophe, presque l'expression<br />

<strong>du</strong> poète, <strong>la</strong> mémoire <strong>du</strong> jurisconsulte, <strong>la</strong><br />

voix et le geste d'un grand acteur ; mais il ne va<br />

pas encore si loin que Crasses, qui, pour former<br />

cet homme accompli, veut, indépendamment <strong>de</strong>s<br />

dons naturels, tant <strong>de</strong> l'esprit que <strong>du</strong> corps, un<br />

exercice continuel, l'habitu<strong>de</strong> d'écrire et d'écrire<br />

avec soin, l'attention à fortiier sa mémoire, à observer<br />

au théâtre tous les vices <strong>de</strong> prononciation,<br />

tons les mouvements désagréables qu'il faut éviter ;<br />

qui recomman<strong>de</strong>, comme une chose très-utile, <strong>de</strong><br />

tra<strong>du</strong>ire les orateurs grées, et t comme une chose<br />

nécessaire, d'étudier l'histoire; qui conseille <strong>la</strong> lecture<br />

<strong>de</strong>s poètes, et surtout qu'en lisant les philosophes<br />

et les historiens on s'accoutume à les commenter,<br />

à les réfuter, à examiner dans cfaaque.question<br />

qui se présente chez eux ce qu'il y a <strong>de</strong> plus<br />

probable, et à discuter pour et contre; enin, qui<br />

veut une connaissance profon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> l'antiquité,<br />

<strong>de</strong>s coutumes, <strong>de</strong> <strong>la</strong> constitution <strong>de</strong> <strong>la</strong> république,<br />

<strong>de</strong>s droits <strong>de</strong>s alliés, <strong>de</strong> <strong>la</strong> discipline <strong>du</strong><br />

sénat; et qui ajoute à cet ensemble, déjà si vaste,<br />

cette tournure d'esprit délicate et enjouée qui apprend<br />

à faire i propos usage <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonne p<strong>la</strong>isante -<br />

rie, comme d'un assaisonnement nécessaire au dis<strong>cours</strong>.<br />

Antoine t qui faisait profession <strong>de</strong> n'avoir<br />

jamais étudié <strong>la</strong> jurispru<strong>de</strong>nce, et qui ne faisait ps<br />

un très-grand cas <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie grecque, mais<br />

dont le talent consistait principalement dans une<br />

gran<strong>de</strong> adresse à manier l'arme <strong>de</strong> <strong>la</strong> dialectique 9<br />

«t qui surtout passait pour être formidable dans <strong>la</strong><br />

réfutation, soutient ici son caractère. 11 resserre<br />

beaucoup <strong>la</strong> carrière que Crasses ouvré à l'éloquence,<br />

et qui pourtant, au gré même d'Antoine, <strong>de</strong>meure<br />

assex éten<strong>du</strong>e, puisqu'elle renferme dans son domaine<br />

les tribunaux ,ie sénat et les assemblées <strong>du</strong><br />

peuple. 11 est bien sir que c'est là proprement l'empire<br />

<strong>de</strong> l'orateur; mais quoique Antoine observe<br />

avec raison qu'il y a fort loin <strong>de</strong> ce genre <strong>de</strong> talent<br />

à celui d'écrire éloquemment sur <strong>de</strong>s matières <strong>de</strong><br />

philosophie, <strong>de</strong> politique et <strong>de</strong> goût, il n'est pas<br />

moins vrai que tous ces objets sont <strong>du</strong> ressort <strong>de</strong><br />

l'éloquence, qui doit se plier à tous les tons; et il<br />

ne faut pas reprocher à Crassus <strong>de</strong> voir Fart dans<br />

toutes ses dépendances. Aussi les raisonnements<br />

d'Antoine, dans cette partie, sont-ils plus spécieux<br />

que soli<strong>de</strong>s, surtout lorsqu'il prétend qu'il n'est<br />

pas nécessaire à un avocat d'être jurisconsulte;<br />

•qu'il lui suffit, pour chaque cause, d'être instruit<br />

<strong>de</strong>s lois re<strong>la</strong>tives au cas qui est mis en question.<br />

On sent que cette ressource passagère, qui peut<br />

quelquefois suffire au grand talent, ne peut pas se<br />

comparer, dans l'usage journalier, à <strong>de</strong>s connaissances<br />

méditées et approfondies. Crassus ne répond<br />

à <strong>la</strong> réfutation d'Antoine que par -quelques mots<br />

<strong>de</strong> politesse et <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isanterie, et saisit agréablement<br />

l'occasion <strong>de</strong> se joindre à Sulpicius et à Celte, pour<br />

obtenir <strong>de</strong> lui qu'il expose à ces <strong>de</strong>ui jeunes élèves<br />

ce qu'a pu lui apprendre une longue habitu<strong>de</strong> <strong>du</strong><br />

forum, puisque enin c'est là qu'il lui p<strong>la</strong>ft <strong>de</strong> borner<br />

à peu près les fonctions <strong>de</strong> l'orateur. Antoine se<br />

peut s'en dispenser; mais <strong>la</strong> conversation est remise<br />

au len<strong>de</strong>main, parce qu'il faut aller se reposer<br />

pendant <strong>la</strong> chaleur <strong>du</strong> jour. Seévo<strong>la</strong> le jurisconsulte<br />

témoigne son regret <strong>de</strong> ne pouvoir entendra Antoine<br />

, parce qu'il est invité chez Lélius.<br />

« Quoique Antoine lit maltraité <strong>la</strong> jurispru<strong>de</strong>nce s dit-il<br />

en p<strong>la</strong>isantant, je ne loi en veux pis tant d'en i^eir dit ia<br />

mal, que je Soi sus gré <strong>de</strong> nous avoir mmé si iegénamenl<br />

qu'il ne <strong>la</strong> connaissait pas. » (i 9 61.)<br />

Lorsqu'on se rappelle <strong>la</strong> prédilection qu'avait<br />

Ckéron pour <strong>la</strong> secte <strong>de</strong>s académiciens qui avait<br />

pour principe <strong>de</strong> discuter beaucoup et d'affirmer<br />

peu, et <strong>de</strong> reconnaître bien plus <strong>de</strong> choses probablés<br />

que <strong>de</strong> choses dé<strong>mont</strong>rées, on n'est pas surpris<br />

, dana le second dialogue, où Antoine joue le<br />

premier rAle, <strong>de</strong> le voir, dès son eior<strong>de</strong>, revenir


presque mtlèmmmtàf mm it Crassus., et avouer en<br />

badinant qu'il n s a voulu qu'essayer, dans sa réfutation,<br />

s'il lui enlèverait ses <strong>de</strong>ux jeunes disciples,<br />

Sulpicius etCotta; mais qu'actuellement, <strong>de</strong>vant<br />

les nouveaux auditeurs qui leur sont arrivés, il ne<br />

gouge qu'à dire sincèrement ce qu'il pense. Ces auditeurs<br />

sont le vieux Catulus et Gésar9 Fonele <strong>du</strong><br />

dictateur, tous <strong>de</strong>ux comptés parmi les meiUeurs<br />

orateurs <strong>de</strong> leur temps : Catulus 9 distingué surtout<br />

par <strong>la</strong> pureté et par l'élégance <strong>de</strong> <strong>la</strong> diction ; César,<br />

par le talent <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>isanterie. Tels sont les nouveaux<br />

personnages qu'amène. Cieéron à Tuseulum<br />

pour écouter Antoine; et Fon s'aperçoit bientôt que<br />

pour cette fois <strong>la</strong> doctrine qu'il prêche est bien selon<br />

le cœur <strong>de</strong> celui qui le fait parler, et que c'est<br />

#1 effet Cieéron qu'on entend. La jurispru<strong>de</strong>nce<br />

«copiée , sur <strong>la</strong>quelle on ne pouvait pas faire revenir<br />

Antoine avec vraisemb<strong>la</strong>nce, parce qu'il était<br />

notoira qu'il n'en avait jamais étudié que ce qui<br />

était nécessaire à ses causes, il passe d'aiïieur* en<br />

wmmlm différents genres où l'éloquence peut s'exercor}<br />

et voici sa conclusion, qui praf t entièrement<br />

conforme à ce qu 9 avait toujours pensé Cieéron :<br />

ANCIENS. — ÉLOQBHfCE.<br />

« Je vous dirai le résultat f aec pas <strong>de</strong> ce que f ai appris ,<br />

mais (ce qui est plus fart) <strong>de</strong> m que j'ai aul-mêoie éprouvé.<br />

^^^imM^làèim^m^rmmêBêéîMSmffmê§<br />

Mm dire n'est qu'enjeu pour su homme qui a <strong>de</strong> l'esprit<br />

naturel» <strong>de</strong> l'habitu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> l'instruction : le grand ouvrage<br />

<strong>de</strong> Fonteur est dans te genre judiciaire; et je ne sais<br />

sll est quelque chose <strong>de</strong> plu difficile parmi les œuvres <strong>de</strong><br />

f «prit humain. (Test là que te plus souveut te multitu<strong>de</strong><br />

igaatteteoejageia tatent & l'avocat que par revêtement;<br />

231<br />

pourtant il ne faudrait pas prendra à ta lettre ce<br />

qu'on vient d'entendre, que tout le reste est m jeu.<br />

Ce mot, qui est dans <strong>la</strong> bouche d'Antoine, est en<br />

effet sorti <strong>de</strong> finie <strong>de</strong> Cieéron. Ce sont <strong>de</strong> ces mots<br />

qui peignent plutôt l'homme qu'ils n'expriment <strong>la</strong><br />

chose; qui révèlent le secret <strong>de</strong> ses préférences et<br />

<strong>de</strong> ses affections plus qu'ils n'établissent <strong>la</strong> mesure<br />

précise <strong>de</strong> ses jugements. C'est ainsi que j'ai enten<strong>du</strong><br />

dire cent fois à cet homme qui avait tout tenté et si<br />

souvent réussi, à Yoltaire : M n'y ci an nwndk qu'urne<br />

chose difficile, c'est défaire tute beMe tragédie. U<br />

le disait <strong>du</strong> fond <strong>du</strong> cœur : mais qu'est-ce que ce<strong>la</strong><br />

prouvait? qu'eu faudrait-il conclure? qu'en effet<br />

tout le reste est aisé? Lui-même ne le croyait pas.<br />

Ces expressions exagérées et passionnées prouvaient<br />

seulement que9 <strong>de</strong> tout ce qu'il avait composé, <strong>la</strong><br />

tragédie était ce qui lui avait coûté le plus <strong>de</strong> peine<br />

et valu le plus <strong>de</strong> gloire.<br />

11 fait croire qu'il en était <strong>de</strong> même <strong>de</strong> Cieéron.<br />

Ses <strong>de</strong>ux terrines et <strong>la</strong> Mifomiame sont certainement<br />

ce qu'il a fait <strong>de</strong> plus beau s et ce qui <strong>du</strong>t lui<br />

coûter le plus; mais croira-t-ou que lui-même regardât<br />

comme une chose si facile <strong>de</strong> faire les Cuiilinaires,<br />

<strong>la</strong> secon<strong>de</strong> PMMppIque, <strong>la</strong> harangue pour<br />

ta loi ManMia, le remercfment à César pour Mareellus;<br />

tous morceaux admirables, et qui ne sont<br />

pas dans le genre judiciaire ? Et refuserons-nous une<br />

juste admiration à ces harangues, qui sont un <strong>de</strong>s<br />

principaux ornements <strong>de</strong>s historiens grecs, et surtout<br />

<strong>de</strong>s <strong>la</strong>tins, fort supérieurs en ce genre? De nos<br />

jours, ou les juge dép<strong>la</strong>cées. J'examinerai à l'article<br />

c'est là ojo*«i a <strong>de</strong>vant soi mm ennemi qu'il <strong>la</strong>it sans cesse <strong>de</strong>s historiens si, en prononçant cette condamna­<br />

frapper et repousser; c'est <strong>la</strong>que souvent ce<strong>la</strong>i qui doit tion 9 Ton n'a pas oublié <strong>la</strong> différence <strong>de</strong>s mœurs. Mais<br />

déci<strong>de</strong>r est f asti <strong>de</strong> votre adversaire os votre propre en* ce qui suffit pour prouver combien les anciens dif­<br />

estai ; qu'il frai, on l'instruire, ou te détremper , m Fexciféraient <strong>de</strong> nous sur ce point, c'est qu'Antoine,<br />

ter, ou le léprimer, co<strong>la</strong> prendre tous tes moyens pour l'interprète <strong>de</strong> Cieéron, parmi les genres d'écrire<br />

le mettre dans te disposition qu'exige te akoaastaacc et<br />

qui*exigent <strong>de</strong> Féloquence, compte expressément<br />

votre cause ; qu'il fout le ramener <strong>de</strong> <strong>la</strong> bienveil<strong>la</strong>nce à te<br />

faarne, el <strong>de</strong> te haine à te Meafel<strong>la</strong>oca^ et avoir pour<br />

l'histoire; il dit en propres termes : Q€e$î


232 G0C1S Bl UTTÉBATDUL<br />

Il tend compte <strong>de</strong> ee qu'il a coutume <strong>de</strong> pratiquer<br />

dans ces sortes d'occasions, et Ton ne salirait donner<br />

use meilleure leçon à ceux qui exercent le même ministère.<br />

« Quand quelqu'un Tient m'exposer si cause, j'ai 'coutume<br />

<strong>de</strong> faire pour un moment le rôle <strong>de</strong> sa partie adverse,<br />

et je p<strong>la</strong>i<strong>de</strong> contre lui9 afin <strong>de</strong> le mettre à portée <strong>de</strong> me<br />

développer toutes ses raisons. Quand il est parti f je me<br />

charge tour à tour <strong>de</strong> trois personnages que je soutiens avec<br />

une égale équité, celui <strong>de</strong> mon client, celui <strong>de</strong> mon ndv eraaire,<br />

celui <strong>du</strong> juge. Je marque les différents pointe <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

cause : ceui qui m'offrent plus d'avantage que <strong>de</strong> difficulté?<br />

je ma propose <strong>de</strong> les traiter; ceux qui sont tels que, d@<br />

quelque façon qu'on les prenne 9 ils me sont plus défav©rmbles<br />

qu'avantageai 9 je les mets entièrement à l'écart Je<br />

m'assure donc bien positivement- <strong>de</strong> mes moyens, et je<br />

sépare avec soin <strong>de</strong>ux, choses que bien <strong>de</strong>s gens confon<strong>de</strong>nt<br />

par trop <strong>de</strong> confiance, le temps <strong>de</strong> méditer une cause,<br />

et le temps <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>i<strong>de</strong>r. » (u 9 24.)<br />

Ensuite il s'étend sur <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s différentes<br />

causes et sur <strong>la</strong> manière <strong>de</strong> les considérer, sur fart<br />

<strong>de</strong> s'Insinuer dans f es prit <strong>de</strong>s juges, sur <strong>la</strong> meilleure<br />

métho<strong>de</strong> à employer dans <strong>la</strong> disposition <strong>de</strong>s preuves,<br />

sur l'espèce d'autorité que donne à l'orateur <strong>la</strong> considération<br />

personnelle attachée aux mœurs et à <strong>la</strong><br />

probité. Quant au secret d'émouvoir les passions,<br />

il donne pour l'éloquence le même précepte qu'Horace<br />

pour <strong>la</strong> poésie.<br />

« Il Tant, dit-il, éprouver Tous-même tes affections que<br />

•ous folles communiquer. Je ne sais ce qui arrive aui<br />

autres 9 mais pour moi jamais je n'ai cherché à «citer<br />

dans le cœur <strong>de</strong>s juges <strong>la</strong> douleur y le pitié f Fîndipationy<br />

que je ne fusse pénétré moi-même <strong>de</strong>s sentiments que je<br />

•nous Mes passer dans leur âme. Il faut t s'il est permis<br />

<strong>de</strong> s'eiprimer ainsi 9 que l'orateur soit en feu y s f i vent allumer<br />

un incendie. » (u9 4e.)<br />

Tout cet article, qui regar<strong>de</strong> les diverses passions<br />

qu'il s'agit d'inspirer aux juges, est traité a?ec une<br />

sagacité et développé avec une facilité et une abondance<br />

d'élocution dignes d ? un fi grand maître. Antoine<br />

en fient à ee qui regar<strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>isanterie ; mais<br />

alors il <strong>la</strong>isse <strong>la</strong> parole a César, renommé pour cette<br />

espèce <strong>de</strong> talent; et <strong>la</strong> longueur <strong>de</strong> <strong>la</strong> dissertation<br />

qu'il entreprend sur cet objet prouYe combien cette<br />

partie occupait <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce dans Fart oratoire. C'est<br />

qu'indépendamment <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>idoyers proprement dits,<br />

'où <strong>la</strong> p<strong>la</strong>isanterie pouvait être plus ou moins employée,<br />

il y assit encore <strong>de</strong>ux parties essentielles <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> p<strong>la</strong>idoirie, l'interrogation <strong>de</strong>s témoins qui appartenait<br />

à l'avocat t et l'altercation. On appe<strong>la</strong>it <strong>de</strong><br />

ee nom <strong>la</strong> discussion dialoguée et contradictoire <strong>de</strong>s<br />

faits, <strong>de</strong>s témoignages, <strong>de</strong>s moyens, qui succédait<br />

aux dis<strong>cours</strong> suivis et préparés, et qui <strong>de</strong>mandait<br />

beaucoup 4e présence d'esprit et une gran<strong>de</strong> habitu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> parler.<br />

Il est à' remarquer que Scévo<strong>la</strong>, l'un <strong>de</strong>s interlocuteurs<br />

<strong>du</strong> premier dialogue, n f est point présent<br />

à celui-ci; et il parait que Cieéron Ta écarté à <strong>de</strong>ssein<br />

, parce qu'il ne convenait pas qu'on fit un traité<br />

sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>isanterie en présence d'un homme aussi<br />

grave qu'un grand pontife. Ces sortes <strong>de</strong> bienséances<br />

sont soigneusement observées par les anciens;<br />

et Cieéron surtout, qui ne recomman<strong>de</strong> rien tant à<br />

l'orateur que l'exacte observation <strong>de</strong>s cou?enanees '<br />

<strong>de</strong> toute espèce 9 avait trop <strong>de</strong> délicatesse et <strong>de</strong> goât<br />

pour y manquer.<br />

Gomme ce sont souvent <strong>de</strong>s circonstances subites<br />

et imprévues qui donnent lieu aux traits les<br />

plus p<strong>la</strong>isants 9 il importe <strong>de</strong> savoir saisir Fà-propos;<br />

et cette heureuse promptitu<strong>de</strong> d'esprit rappelle<br />

à César un trait <strong>de</strong> Crassas dans un genre<br />

tout opposé à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>isanterie, mais très-remarquable<br />

par l'habileté <strong>de</strong> l'orateur à profiter «fan acci<strong>de</strong>nt<br />

inatten<strong>du</strong>, et par le grand effet .qu'il pro<strong>du</strong>isit.<br />

Crassas p<strong>la</strong>idait contre Brutus, jeune homm e<br />

qui déshonorait sou nom, qui avait dissipé son<br />

patrimoine et ven<strong>du</strong> toutes les terres <strong>de</strong> sa famille 9<br />

qui n'avait aucun talent qui rachetât <strong>la</strong> dépravation<br />

<strong>de</strong> ses mœurs ; et ami 9 <strong>de</strong> plus 9 comme pour se<br />

venger <strong>de</strong>là mauvaise réputation qu'il avait, intentait<br />

<strong>de</strong>s accusations Injustes et calomnieuses contra<br />

les meilleurs citoyens. C'était Crassus dans ce moment<br />

qu'il attaquait; et pendant que celui-ci par<strong>la</strong>it,<br />

le hasard it que le convoi <strong>de</strong> Junia, femme<br />

respectable et aïeule <strong>de</strong> Brutus, morte peu auparavant<br />

f Yint à passer <strong>de</strong>vant le forum , et à <strong>la</strong> suite <strong>de</strong><br />

son convoi paraissaient les images <strong>de</strong> ses ancêtres,<br />

que l'on avait coutume <strong>de</strong> porter dans ces lugubres<br />

cérémonies; car les Romains, ainsi que tous les<br />

peuples policés et même sauvages, ont honoré les<br />

morts par respect pour les vivants : ils ont honoré<br />

<strong>la</strong> nature humaine dans sa dépouille mortelle. On a<br />

consacré, d'un bout do mon<strong>de</strong> à l'autre, ces asiles<br />

souterrains où <strong>la</strong> plus excellente <strong>de</strong>s créatures attend<br />

dans le silence <strong>de</strong>s tombeaux le réveil <strong>de</strong> l'éternité;<br />

on a consacré Fappareil funéraire qui nous<br />

avertit que l'homme ne meurt pas tout entier; on<br />

a consacré <strong>la</strong> pierre qui couvre <strong>de</strong>s cendres chéries,<br />

afin que <strong>la</strong> douleur pût venir y répandre <strong>de</strong>s<br />

<strong>la</strong>fmes sur les restes d'un père, d'une mère, d'une<br />

épouse. Ce n'est qu'en France, au dix-huitième<br />

siècle, que <strong>de</strong>s hommes, «jui apparemment se reniaient<br />

jastîce, en ne se distinguant pas <strong>de</strong>s bétesbrutes<br />

et féroces t n'ont mis aucune différence entre<br />

le cadavre d'un homme et celui d'un chien. Opprobre<br />

et exécration! (et puisse ma voix retentir pour<br />

nous justifier, jusqu'aux extrémités <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> et jusqu'au!<br />

<strong>de</strong>rnières générations!) opprobre et exécra-


flou mr les monstres qui f m vMmt les lombeailx<br />

<strong>de</strong>s morts qu'ils dépoull<strong>la</strong>iest 9 m refusaieiit aux<br />

victimes qu'Us égorgeaient I Je sais que ceci est use<br />

digression ; mais rien n'est dép<strong>la</strong>cé f rien s'est per<strong>du</strong><br />

tontes les fois qu'il s'agît d'élever un eri <strong>de</strong> ?asgetnee<br />

eoatre ceux qui, pendant si longtemps, ont<br />

élevé impunément un cri <strong>de</strong> guerre contre f espèce<br />

humaine tout entière.<br />

Crassus s'interrompt, et l'adressant à Brutus :<br />

« Hé Meut M M*û9 que veux-fa que cette femme ré*<br />

ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

ta qu'elle dise à tous ces grands humilies tes eiaea dont<br />

sons voyons les images, à ce Brutus à qui aeas <strong>de</strong>vons<br />

noire Ebertére'il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce que tu fais, quel est f état ,<br />

quel est le genre <strong>de</strong> gloire et <strong>de</strong> vertu dont tu f occupes ,<br />

que lui dira-t-oe? Est-ce d'augmenter ton patrimoine? Ce<br />

n'est pis ce qu'il y tirait <strong>de</strong> plus digne <strong>de</strong> ton nom ; mais<br />

eemmeiaeae t'est plus possible ; 1 aa f es reste ; rien tes déhanches<br />

eut tout dévoré. Est-ce <strong>de</strong> l'étu<strong>de</strong> <strong>du</strong> droit civil ?<br />

Ton père s'y est distingué ; il nous en a <strong>la</strong>issé <strong>de</strong>s monuments;<br />

mais pour toi9 on lui dira qu'en vendant tout ce<br />

que tu en as reçu pour héritage 9 tu ne t'es pas même réservé<br />

le siège paternel où il écrivait. Est-ce <strong>de</strong> fart militaire?<br />

Mais tu n'as Jamais vu un camp. Est-ce <strong>de</strong> l'éloquence?<br />

Halsta ae facôanals même pas 9 et tout ce que tu as <strong>de</strong> voix<br />

et <strong>de</strong> facultés est employé à ce traie honteux <strong>de</strong> calomnies<br />

psMiqtfes, qui est ta <strong>de</strong>rnière ressource. Et lu oses voir<br />

le jour! tu oses regar<strong>de</strong>r tes jageal tu oses te <strong>mont</strong>rer<br />

dans le fbramt dans cette vile, im yesi <strong>de</strong> tes concitoyens<br />

§ Tu ne frémis pas <strong>de</strong> honte et d'effroi à l'aspect <strong>de</strong><br />

cet appareil funéraire, <strong>de</strong> ces images sacrées qui faccuseatf<br />

<strong>de</strong> ces ancêtres que tu es si loin d'imiter, qu'il ne te<br />

reste pas même un asile où. tu puisses encore les p<strong>la</strong>cer ! »<br />

(11,55.)<br />

On peut juger, par <strong>la</strong> véhémence et l'énergie <strong>de</strong><br />

cette accab<strong>la</strong>nte apostrophe, si Crassus avait l'âme<br />

et imagination d'un orateur. Gieéron, qui n'en<br />

pouvait conserver tout au plus qu'un bien faible<br />

souvenir, puisqu'il entrait à peine dansJ'adolesceoce<br />

lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Crassus, mais qui avait<br />

pour le talent cet amour si naturel aux belles âmes<br />

et aux esprits supérieurs, a consacré à sa mémoire<br />

les regrets les plus touchants ; et ce morceau, qui<br />

commence le troisième livre <strong>de</strong> son ouvrage, forme<br />

une espèce d'épiso<strong>de</strong> aussi intéressant que bien<br />

p<strong>la</strong>cé; qui peut aussi en être un dans cette analyse,<br />

et vous distraire un moment <strong>de</strong> <strong>la</strong> sévérité <strong>du</strong> ton<br />

didactique.<br />

« Comme je me disposais f mon cher frère, à rapporter<br />

dans le troisième livre les leçons <strong>de</strong> Crassus, qui s f était<br />

engagé à parler après Antoine , sur Félocatloa oratoire, j'ai<br />

été frappé d'un souvenir douSourem. Ce beau génie 9 qui<br />

méritait Flmmeftalité, cette douceur <strong>de</strong> merars, cette vertu<br />

ai a«ref tout fut détruit par une mort soudaine, dii jours<br />

après tes entretiens que vous venez <strong>de</strong> lire. Cressusf revenu<br />

à Home le damier jour <strong>de</strong>s Jetii , fut vivement affecté d'une<br />

232<br />

harangue <strong>du</strong> consul Philippe, dans <strong>la</strong>quelle 11 avait dit an<br />

peuple qu'avec un sénat tel que celui qu'on avait alors s M<br />

ne pouvait pas répondre <strong>de</strong> f adm<strong>la</strong>istratlôa <strong>de</strong>s affaires publiques.<br />

Les sénateurs l'étant assemblés en grand nombre<br />

le matin <strong>de</strong>s i<strong>de</strong>s <strong>de</strong> septembre, le tribun Dru sas f qui. les<br />

avait convoqués , après s'être p<strong>la</strong>int <strong>du</strong>«eonsul y <strong>de</strong>manda<br />

qu'on délibérât sur l'outrage qu'avait fait au sénat le premier<br />

magistrat <strong>de</strong> <strong>la</strong> république en le calomniant auprès <strong>du</strong><br />

peuple. J'ai souvent enten<strong>du</strong> dire an hommes les plus<br />

éc<strong>la</strong>iras que 9 toutes les fols que Crassus par<strong>la</strong>it, il semb<strong>la</strong>it<br />

s'avoir Jamais mieax parlé 9 mais que l'on convint ce jourlà,<br />

que 9 sli avait coutume d'être au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s autres, il<br />

avait été cette fois au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> lui-même. Il déplora<br />

le matheur <strong>du</strong> sénat, quly semb<strong>la</strong>ble au pupille dépouillé<br />

par un tuteur Infidèle 9 ou à l'enfant abandonné par ses parente!<br />

voyait sa dignité héréditaire envahie par un brigand<br />

sous le nom <strong>de</strong> consul, qui 9 après avoir ruiné l'État autant<br />

qu'il était en lui 9 c'a?ait en effet rien <strong>de</strong> mieai à faire que<br />

<strong>de</strong> lui enlever le se<strong>cours</strong> et les lumières <strong>du</strong> sénat. Philippe<br />

était violent, accoutumé à manier îa parole 9 et à faire tête<br />

à ceux qui l'attaquaient. H sentit vivement les atteintes que<br />

lui portait Crassus, et, résolu <strong>de</strong> contenir un pareil act?er«<br />

saire, il s'emporta jusqu'à prononcer contre loi une amen<strong>de</strong>,<br />

et M ordonner, suivant l'usage, d'en donner caution sur<br />

ses biens. C'est alors que Crassus, poussé à bout, par<strong>la</strong>,<br />

dit*m, comme un dieu : Penses-tu, lui dit-il, que je te<br />

traiterai en consul, quand tu me me traites pas en «msa<strong>la</strong>ire*?<br />

Penses-tu , quand tu as déjà regardé l'auto*<br />

rite <strong>du</strong> sénat comme tut bien <strong>de</strong> confiscation, quand<br />

tu Vas foulée aux pieds en présence <strong>du</strong> peupte romain,<br />

m'effrayer par <strong>de</strong> semb<strong>la</strong>bles menaces? Si tu veux<br />

m'imposer silence, m n'est pas mes biens qu'il faut<br />

m'êterï il faut m'arracker cette <strong>la</strong>nque que tu crains,<br />

ét&Mffer cette voix qui n'a jamais parlé que pour <strong>la</strong><br />

libertés et quand il même restera plus qm le souffle,<br />

je m'en servirai encore, autant que je le pourrai, pour<br />

combattre et repousser <strong>la</strong> tyrannie. 11 pria longtemps<br />

avec chaleur, avec force9 avec violence. On rédigea, sur<br />

son avis f le décret dn sénat, conçu dans les termes les plus<br />

forte et les plus expressifs, dont le résultat était que, tontes<br />

les fois qu'il s'était agi <strong>de</strong> fiatérêt <strong>du</strong> peuple romain,<br />

jamais Sa sagesse ni k fidélité <strong>du</strong> sénat n'avaient manqué<br />

à <strong>la</strong> république. Crassus assista même à <strong>la</strong> rédaction <strong>du</strong><br />

décret. Mais ce fut pour cet homme divin le chant <strong>du</strong> cygne<br />

: ce forent les <strong>de</strong>rniers accents <strong>de</strong> sa vois t et nous,<br />

comme si nous eussions <strong>du</strong> l'entendre toujours, nous venions<br />

au sénat, après sa mort, pour regar<strong>de</strong>r encore <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce<br />

où il avait parlé pour <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière Tois. 11 fut saisi 9 dans l'assemblée<br />

même, d'une douleur <strong>de</strong> côté, suivie d'une sueur<br />

abondante et d'un frisson violent, U rentra eues lui avec<br />

<strong>la</strong> lièvre; et au bout <strong>de</strong> sept jours il n'était plus. O trompeuses<br />

espérances <strong>de</strong>s hommes! ô fragilité <strong>de</strong> <strong>la</strong> condition<br />

humaine ! ê vanité <strong>de</strong> nos projets et <strong>de</strong> nos pensées, si souvent<br />

confon<strong>du</strong>s as milieu <strong>de</strong> notre carrière ** ! Tant que Si<br />

* Le texte dit en sénateur.<br />

** Bosraeta imité ce beau mcuvemeit dans l'oraison funèbre<br />

<strong>de</strong> Henriette d'Aegleterre, <strong>du</strong>chesse d'Orléans. Volet<br />

Fexor<strong>de</strong> : « O vanité! ô néant! ô mortels Ignorants As leurs<br />

1 «tonnées!etc. »


1S4<br />

COOIS DE UTTÉRATUHE.<br />

ife<strong>de</strong>tassM avait été oosiipéedsM les ta<br />

il était distingué par Ses sertie» qu'il tendait toi pariiralersf<br />

et par <strong>la</strong> supériorité <strong>de</strong> son génie, et non pas eseare<br />

par Ses a? sa<strong>la</strong>ges et tes honneurs attachés ani gran<strong>de</strong>s<br />

p<strong>la</strong>ces : et l'année qui suif il sert consu<strong>la</strong>t, lorsque , #nn<br />

consentement universel, il al<strong>la</strong>i! jouir <strong>du</strong> premier crédit<br />

dans Se gouvernement <strong>de</strong> l'État, <strong>la</strong> mort loi ravit tout à coup<br />

le fruit <strong>de</strong> passé et l'espérance <strong>de</strong> l'avoir ! Ce fut sans<br />

<strong>de</strong>nte nue perte amère peur sa famiMê9iMiiirk patrie, pour<br />

tons les pue <strong>de</strong> Me»; mais tel a été après Ini le sort <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

république, qu'on pent dire que les dieux se lui «et pas<br />

ôté <strong>la</strong> vie, mais lui ont accordé <strong>la</strong> mort Crassns s'a point<br />

vu l'Italie en proie aux feux <strong>de</strong> Sa guerre civile ; il n'a point<br />

vu'Se <strong>de</strong>uil <strong>de</strong> sa fille, l'exil <strong>de</strong> son gendre, <strong>la</strong> Celle désastreuse<br />

<strong>de</strong> Maries 9 le carnage qui suivit son retour ; enfin f<br />

M n'a point vu flétrir et dégra<strong>de</strong>r <strong>de</strong> toutes Ses manières cette<br />

république qui l'avait fait le premier <strong>de</strong> ses citoyens, lorsqu'elle<br />

même était <strong>la</strong> première <strong>de</strong>s républiques.<br />

« Mais puisque f ai parlé ek pouvoir et <strong>de</strong> l'inconstance<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> fortune t je n'ai besoin f pour en iëiaer <strong>de</strong>s preuves<br />

éc<strong>la</strong>tantes, que <strong>de</strong> citer ces mêmes hommes que j'ai cboisis<br />

pour mes interlocuteurs dans ces trois dialogues que je<br />

mets aujourd'hui sous vos yeux. En effet 9 quoique <strong>la</strong> mort<br />

<strong>de</strong> Crassus ait excité <strong>de</strong> justes regrets, qui ne <strong>la</strong> trouve<br />

pas heureusey en se rappe<strong>la</strong>nt le sort <strong>de</strong> tous ceux quiy<br />

dans ce séjour <strong>de</strong> Tweuluni, eurent avec lui leur <strong>de</strong>rnier<br />

entretien? Me savons-nous pas que Cata<strong>la</strong>n f ce citoyen si<br />

émiueut dans tous tes genres <strong>de</strong> mérite, qui ne <strong>de</strong>mandait<br />

à §ea aneies collègue Marins que Fexil pour toute grâce,<br />

fut ré<strong>du</strong>it à <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> s'cter <strong>la</strong> vie? Et Mare^Mtotiie,<br />

quelle a été sa fia? La tête sang<strong>la</strong>nte <strong>de</strong> cet homuie9 à qui<br />

tant <strong>de</strong> citoyens <strong>de</strong>vaient leur salut ; fut attachée à cette<br />

même tribune où pendant son consu<strong>la</strong>t il a?ait défends <strong>la</strong><br />

république avec tant <strong>de</strong> fermeté 9 et que pendant sa censure<br />

il avait ornée <strong>de</strong>s dépouilles <strong>de</strong> nos ennemis. Avec cette<br />

tête tomba celle <strong>de</strong> Ca<strong>la</strong>a^éaarf tratti par son hâte f et celle<br />

<strong>de</strong> sou frère Lu<strong>du</strong>s; en sorte que celui qui n'a pas été le<br />

témoin <strong>de</strong> ces horreurs semble avoir vécu et être mort avec<br />

1% république. Heureux encore use fois Crassus, qui n'a<br />

faifetrcsoepraeliepar^<br />

couraget mourir <strong>de</strong> sa propre mais; <strong>la</strong> statue <strong>de</strong> Vesta<br />

teinte <strong>du</strong> sang <strong>de</strong> son collègue, le grand pontife Scévo<strong>la</strong>,<br />

ni Fafreyse <strong>de</strong>stinée <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux jeunes gens qui s'étaient<br />

attachés à lui; Col<strong>la</strong> qu'il avait <strong>la</strong>issé ieriasast, peu <strong>de</strong><br />

jours après, déchu <strong>de</strong> ses prétentions au tribusat par <strong>la</strong><br />

cabale <strong>de</strong> ses ennemis, et Mectêt obligé <strong>de</strong> se bannir <strong>de</strong><br />

Rome ; Sulpiaus eu butte au même parti 9 Sulpieins, ejei<br />

croissait pour <strong>la</strong> gloire'dt l'éloquence remette, attab<strong>la</strong>nt<br />

téméraireniest ceux avec qui ou Favait vu le plus lié, périr<br />

d'une mort sang<strong>la</strong>nte, victime <strong>de</strong> son impru<strong>de</strong>nce, et<br />

per<strong>du</strong> pour <strong>la</strong> république. Ainsi donc, quand je considère,<br />

é Crassus, rédat <strong>de</strong> ta vie et l'époque <strong>de</strong> ta mort, il me<br />

semble que <strong>la</strong> provi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s dieux a veillé sur Fuse et<br />

sur l'autre. Ta fermeté et ta vertu t'auraient fait tomber<br />

sous le g<strong>la</strong>ive <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre civile, ou si <strong>la</strong> fortune t'avait<br />

sauvé d'sse mort violente, c'eût été pour te rendre témoin<br />

mmîm&^^^è^UmÉimimUêmmMmmm^^Ammàî<br />

"r sur <strong>la</strong> tyrannie <strong>de</strong>s méchants, mais encore I pieu-<br />

rwaertofi%ieif«^<br />

<strong>de</strong>s citoyens. » (in, 1,1,3.)<br />

Quand Cieéron écrivait ce moroeiv, les maux<br />

préwnti <strong>de</strong>vaient le rendre mmm plus sensible<br />

•nr le passé. Cet ouvrage fut composé dans le<br />

temps <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerro civile entre César et Pompée ;<br />

et quand Fauteur nous <strong>mont</strong>re cette tlte sang<strong>la</strong>nte<br />

<strong>de</strong> l'orateur Antoine attachée à <strong>la</strong> tribune 9 ne se<br />

rappelle-t-on pas aussitôt celle <strong>de</strong> Cieéron lui-même<br />

p<strong>la</strong>cée, quatre ans après, à cette même tribune par<br />

cet antre Antoine, qui $ bien différant <strong>de</strong> son illustre<br />

aïeul f se signa<strong>la</strong> par le crime et <strong>la</strong> tyrannie , comme<br />

Forateur s'était signalé par ses talents f t ses vertus ?<br />

Ce damier livre roule principalement sur Féloeu-<br />

tion et sur tout ce qui est re<strong>la</strong>tif à Faction oratoire.<br />

C'est Crassus qui porte <strong>la</strong> parole, parce qu'il<br />

excel<strong>la</strong>it particulièrement dans cette partie. C'est<br />

là qu'on aperçoit, plus que partout alleu», sons<br />

quel point <strong>de</strong> vue, aussi vaste que hardi et lumineux<br />

9 Cleérca avait embrassé tout Fart oratoire.<br />

11 ne peut se résoudre à séparer l'orateur <strong>du</strong> philosophe<br />

et <strong>de</strong> rhomme d'État. Il se p<strong>la</strong>int <strong>du</strong> préjugé<br />

<strong>de</strong>s esprits étroits et pusil<strong>la</strong>nimes, qui, rapetissant<br />

tout à leur mesure, ont séparé ce qui <strong>de</strong> sa nature<br />

<strong>de</strong>vait être inséparable. M reproche aui rhéteurs<br />

d'avoir renoncé par négligence et par paresse à m<br />

qui leur appartenait en propre, en se tenant au<br />

talent <strong>de</strong> bien dire, comme s'il était possible <strong>de</strong><br />

Sien dire sans bien penser, et souffrant que les phi­<br />

losophes s'attribuassent exclusivement tout ce qui<br />

est <strong>du</strong> ressort <strong>de</strong> <strong>la</strong> morale, usurpation évi<strong>de</strong>nte sur<br />

Féloquence. Il va jusqu'à réc<strong>la</strong>mer en faveur <strong>de</strong> ses<br />

prétentions cette chatoe immense qui lie ensemble<br />

toutes les connaissances <strong>de</strong> l'esprit humain. Il les<br />

voit comme nécessairement combinées et dépendantes<br />

les unes <strong>de</strong>s autres ; et cette idée, aussi gran<strong>de</strong><br />

que vraie, qui a été <strong>de</strong> nos jours <strong>la</strong> base<strong>de</strong>f fucyefopâfte,<br />

et qui est mieux exposée dans <strong>la</strong> préface<br />

qu'elle n'est exécutée dans le livre, Cleérca» <strong>de</strong><br />

tous les anciens, parait être le seul qui l'ait connue.<br />

Dans cet autre traité qui a pour titre FOn<strong>de</strong>ur,<br />

où Cicéron, s'adressent à Braies f parle en son<br />

propre nom, et se propose <strong>de</strong> tracer les caractères<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> plus parfaite éloquence, il pose encore pour<br />

première base <strong>la</strong> philosophie. Il traite <strong>de</strong>s trois<br />

genres <strong>de</strong> style, le simple, 1e sublime et le tempéré,<br />

dont <strong>la</strong> division (<strong>de</strong>puis lui, et Quintilien<br />

qui Fa suivi presque en tout) est <strong>de</strong>venue généralement<br />

c<strong>la</strong>ssique, quoique au fond elle ne soit pas<br />

fort importante, et que ni l'un ni l'autre ne s'y<br />

soient beaucoup attachés. U se moque très-gaie*<br />

ment <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong>s Eomains qui v couvrant d'un beau


nom leur médiocrité, nommaient melmmwemmt<br />

ittkieme une simplicité use, prifée <strong>de</strong> tout ornement,<br />

et s'appe<strong>la</strong>ient, connue par eieellenee,<br />

les seuls écrivains attiques; semb<strong>la</strong>bles à cet historien<br />

français qui, persuadé qu'il était <strong>du</strong> très-bon<br />

air <strong>de</strong> prendra Fesprït en aversion, parée qu'on en<br />

a souvent abusé, disait à un homme <strong>de</strong> lettres <strong>de</strong><br />

ses eonfrères, avec use lerté qu'il croyait trèsnoble<br />

f en lui présentant un livre <strong>de</strong> sa composition :<br />

Tarn, mmdmr9 Use* ceto:Mn°f apm d'esprit<br />

là <strong>de</strong>dom*. 11 faut avouer qu'il disait vrai.<br />

L'attitisme consistait dans une gran<strong>de</strong> pureté <strong>de</strong><br />

style, et dans une extrême délicatesse <strong>de</strong> goût qui<br />

rejetait toute recherche et toute enflure, mais qui<br />

n'excluait aucun <strong>de</strong>s ornements convenables au sujet,<br />

aucun <strong>de</strong>s grands mouvements <strong>de</strong> l'éloquence.<br />

Cicéron le prouve par Fexemple <strong>de</strong> Démosthènei,<br />

qui était bien aussi attique qu'un autre, et qui<br />

abon<strong>de</strong> es figures hardies, beaucoup .moins, il est<br />

vrai, <strong>de</strong> celles qu'on nomme figures <strong>de</strong> diction, que<br />

<strong>de</strong> celles qu'on nomme figures <strong>de</strong> pensées. C'est<br />

ce qu'oubliaient ou vou<strong>la</strong>ient oublier ces mauvais<br />

écrivains <strong>de</strong> Eome, qui sentaient bien qu'il était<br />

plus aisé d'éviter <strong>la</strong> bouffissure <strong>de</strong>s orateurs d'Asie<br />

que d'atteindre à l'éloquente simplicité <strong>de</strong> Démosthènes,<br />

mais qui auraient bien voulu que Pun parût<br />

une conséquence <strong>de</strong> l'autre.<br />

Outrai un principe vrai, vous trouverez l'erreur.<br />

Il y a un autre excès opposé à cette faiblesse<br />

timi<strong>de</strong> dont se moque Cicéron : c'est <strong>la</strong> prétention<br />

continuelle au grand, au sublime. Ceux qui croient<br />

que ce vice <strong>de</strong> style a quelque chose <strong>de</strong> noble es<br />

lui-même, et que c'est ce qu'on appelle un beau,<br />

défait, seront un peu étonnés <strong>de</strong>s expressions <strong>de</strong><br />

Gcéroa : elles méritent d'être rapportées; elles<br />

paraîtront peut-être un peu <strong>du</strong>res; mais il les<br />

justifie, et il faut l'écouter. Il vient <strong>de</strong> parler <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux genres, 1e simple et le tempéré ; il passe au<br />

sublime.<br />

et les dams Mitas. Cdni qui compote dans k genre simple,<br />

ANCIENS. — ÉLOQUENCE. sis<br />

I/arrJt peut noua sembler atfèra, tnaia ce sont<br />

les propres expressions <strong>de</strong> Fauteur ; et si nous nous<br />

souvenons que, dans l'éloquence comme dans <strong>la</strong><br />

poésie, <strong>la</strong> convenance <strong>du</strong> style an sujet est <strong>la</strong> cpuK<br />

lité sans <strong>la</strong>quelle tontes les autres ne sont rien , et<br />

que <strong>de</strong> plus il est Ici question <strong>de</strong> l'orateur <strong>du</strong> barreau<br />

t TOUS entrerons aisément dans <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong><br />

Cicéron. Voici comme il <strong>la</strong> développe y en prou?ant<br />

que celui qui est toujours dans l'extrême n'est bon<br />

à rien s et ne mérite par conséquent aucune estime.<br />

• L'orateur, dit-il 9 qni joint à <strong>la</strong> simplicité <strong>de</strong> <strong>la</strong> dteUnn<br />

<strong>la</strong> ûnesse <strong>de</strong>s pensées, p<strong>la</strong>tt par <strong>la</strong> «taon et <strong>la</strong> sagesse ; l'orateur<br />

dont le style est orné piaf t par fagrésmt : mais ca<strong>la</strong>i<br />

qui vent n'être que mWàsm m paraît même pas rafeesnable.<br />

Que penser en effet d'en homme qn| ne peut traiter<br />

aacuae matière d'un air tranquille, f tiî M sait mettre dans<br />

son dis<strong>cours</strong> ni métho<strong>de</strong>, ni définition, ni variété, ni douceur»<br />

ni enjouement 9 qnaad sa cause <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à être traitée<br />

<strong>de</strong> cette manière en tout on en partie? que penser <strong>de</strong> lui<br />

s§, sans avoir préparé les esprits, il s'enfemme dès le coin*<br />

mêneement? Cest absolument un frénétique parmi <strong>de</strong>s<br />

gens <strong>de</strong> sens rassis; c'est sn homme ivre parmi <strong>de</strong>s gesa<br />

à jeun et <strong>de</strong> sang-froid. » (xxviu).<br />

Au reste , il ne faut pas s'étonner <strong>de</strong> trouver Cicéron<br />

si séf ère.<br />

« Je suis, dit-il, si difficile à contenter, que Bémotthènei<br />

même ne me satisfait pas entièrement. Non, ce Démôsfjièses,<br />

qoi a ef<strong>la</strong>eé tons les' autres orateurs f's'a pas toujours<br />

<strong>de</strong> quoi répondre à tonte mm atteste et à tons mes désira,<br />

tant je tuas, en Bût d'éloquence, avi<strong>de</strong> et comme insatiable<br />

<strong>de</strong> perfection. • (ïïïîï.)<br />

11 ne s'épargne pas lui-même sur les pro<strong>du</strong>ctions<br />

<strong>de</strong> sa première jeunesse, et sa séf érité est d'autant<br />

plus louable, que les faites qull reconnaît pott-<br />

? aient lui paraître justilées par le succès. Mais Cicéron<br />

n'était pas <strong>de</strong> ces hommes qui croient qu'on<br />

n'a rien à leur répliquer lorsqu'ils ont dit : J'ai été<br />

app<strong>la</strong>udiY donc j'ai raison. Cicéron nous dit au contraire<br />

, en homme qui aime encore mkm i'art que<br />

son talent : J'ai été app<strong>la</strong>udi, et j'avais tort. Il rap.<br />

pelle un morceau <strong>de</strong> son premier p<strong>la</strong>idoyer, prononcé<br />

à Fâge <strong>de</strong> vingt-quatre ans, pour Ren<strong>du</strong>s<br />

•H a <strong>de</strong> l'esprit, <strong>de</strong> Sa isesse f <strong>de</strong> Sa délicatesse, sans cherciier<br />

rien au <strong>de</strong>là, peut passer pour on bon orateur. CeJaf<br />

qui travaille dans te genre tempéré , pourvu qu'il ait suffisamment<br />

<strong>de</strong> cette sorte d'ornements qui lui conviennent,<br />

m peut courir <strong>de</strong> grands hasards; €ar,ld» même qu'A sera<br />

inférieur à toi-même, §1 ne tombera pas <strong>de</strong> très-hast. Mais<br />

«M qui prétend «a premier rang dont il s'agit ttits f d'Amérie, et que nous avons encore. Ce discourt f<br />

quoique très-inférieur à ce qu'il It <strong>de</strong>puis, annonçait<br />

déjà tout ce qu'il pouvait faire : il fut eitrémement<br />

app<strong>la</strong>udi, non pas tant', dit l'auteur, i cause<br />

<strong>de</strong> ce qu'il était»-qu'à cause <strong>de</strong> ce qu'il promettait,<br />

n y eut surtout un endroit qui eicita beancoupv<br />

ll veut<br />

d'acc<strong>la</strong>mations f et qu'il condamne formellement,<br />

toujours être vif, ar<strong>de</strong>nt, impétuet»; si son génie le porte<br />

toqua» as-grand, s'il en firft son unique étu<strong>de</strong>, s'il ne<br />

comme une composition <strong>de</strong> jeune homme, qu'on<br />

a*caam


)S6<br />

GOUBS DE UTIEBATD1I.<br />

* Qu'y a-t-D, disait le jeune avocat, qui soit plus <strong>de</strong> droit les lieux communs <strong>du</strong> raisoniieftMtit y cm les inafôns<br />

commun que l'air pour les fixants, Sa terre pour les morts, générales où l'on pouvait puiser <strong>de</strong>s arguments pour<br />

l'eau <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer pour ceux qui sont submergés f le rivage toutes sortes 4'occasions. Get ouvrage est tiré d*À-<br />

poor ceux que <strong>la</strong> tempête y a rejetés? Eli bien 1 les parti» ristotef et purement sco<strong>la</strong>stique.<br />

cli.es vivent , et ils me jouissent point <strong>de</strong> f air ; ils meurent,<br />

S® Un traité <strong>de</strong>s Partiiiom orqâ&ires, ou <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

et le sein d@ <strong>la</strong> terre leur est refusé; ils flottent au milieu<br />

<strong>de</strong>s vagues, et n'en tout point baignés; ils sont poussés<br />

division <strong>de</strong>s parties <strong>du</strong> dis<strong>cours</strong>, emprunté aussi<br />

sur tes roêbersi et ne peuvent s'y reposer. » ( in.) d 9 Aristotef qui, dans tout ce qui regar<strong>de</strong> les éléments<br />

<strong>de</strong>s arts <strong>de</strong> l'esprit f a servi <strong>de</strong> gui<strong>de</strong> à tous<br />

ceux qui sont venus après lui. Ge livre est <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

même nature que le précé<strong>de</strong>nt y et n'est <strong>la</strong>it que pour<br />

être étudié par les gens <strong>de</strong> fart.<br />

4* Enin le livre intitulé Bruêm, on <strong>de</strong>s Orateurs<br />

célébrée, qui n'est qu'une histoire raisonnée <strong>de</strong><br />

Féloquence chez les Grecs et chez les Latins. Ge<br />

que j'en pourrais extraire ici me servira mieux d'intro<strong>du</strong>ction<br />

quand j'aurai à parler lies orateurs d'Athènes<br />

et <strong>de</strong> Rome.<br />

L'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> m morceau est encore relevé dans le<br />

<strong>la</strong>tin par «a arrangement <strong>de</strong> mots et us nombre<br />

qui appartiennent à <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue. Mais il ne faut qu'ira<br />

moment <strong>de</strong> réflexion pour voir que celte <strong>de</strong>scription<br />

sé<strong>du</strong>isante n'est qu'un vain cliquetis <strong>de</strong> mots qui<br />

éblouissent en se choquant 9 un assemb<strong>la</strong>ge d'idées<br />

frivoles ou fausses. Qu'est-ce que cette distinction<br />

<strong>de</strong> l'air qui est commun au* vivants, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre<br />

qui est commune aui morts! Est-ce qoe <strong>la</strong> terre n'est<br />

pas aussi commune aux vivants? De plus, il est<br />

faux qu'un homme jeté à <strong>la</strong> mer dans un sac ne<br />

soit pas mouillé par les flots, et ne puisse pas être<br />

porté sur un rocher. Mais quand tout ce<strong>la</strong> serait<br />

frai v qu'importe? et qu'est-ce que ce<strong>la</strong> prouve? Ce<br />

défaut paraîtra bien plus choquant si Ton se rappelle<br />

qu'il était question <strong>de</strong> défendre un ils accusé<br />

<strong>de</strong> parrici<strong>de</strong>. Est-ce là le moment <strong>de</strong> s'amuser à un<br />

vain jeu d'esprit, et <strong>de</strong> sjmétriser <strong>de</strong>s antithèses ?<br />

On ne trouve rien <strong>de</strong> pareil dans les autres dis<strong>cours</strong><br />

<strong>de</strong> C<strong>la</strong>iron; mais il était dans l'âge où il est<br />

pardonnable <strong>de</strong> s'égarer en <strong>mont</strong>rant <strong>de</strong> l'imagination.<br />

Il s'était lit ré à <strong>la</strong> sienne dans ce morceau ; et<br />

comme il dit fort bien :<br />

APPENDICE ! OU OBSIirfÂTIOlfS SfJl LIS DEUX<br />

CHAP1TBBS PBBCÉDBNTS.<br />

H ne faut pas donner à ces divisions et subdivisions<br />

élémentaires que vous avez vues dans Quintilien<br />

et Gicéron plus d'importance qu'elles n'es<br />

doivent avoir. 11 est sans doute très-aisé <strong>de</strong> les ignorer<br />

et <strong>de</strong> s'en{ moquer ; mais il est utile <strong>de</strong> les connaître<br />

et <strong>de</strong> les ré<strong>du</strong>ire à leor juste valeur. 11 convient<br />

d'abord <strong>de</strong> remarquer pourquoi les anciens se sont<br />

attachés à ces sortes <strong>de</strong> divisions et <strong>de</strong> subdivisions :<br />

c'est que les premiers maîtres <strong>de</strong> fart, les premiers<br />

rhéteurs, ont été <strong>de</strong>s sophistes; que par conséquent<br />

ils ont apporté jusque dans les arts d'Imagi­<br />

« D ennfkst qu'en jeune homme donne l'essor à son esnation<br />

les termes seô<strong>la</strong>stiques, dont <strong>la</strong> rigoureuse<br />

prit , et qne M fécondité s*épanehe sons sa plume. raime<br />

précision ne semble pas faite pour ces sortes «fobjets.<br />

La gran<strong>de</strong> réputation d'Aristote, qoi surpassa<br />

La conclusion <strong>de</strong> ce traité 9 c'est que l'orateur le tous ces rhéteurs, qui réunit tous leurs principes<br />

plus parfait est celui qui sait le mieux proportion­ et les perfectionna dans sa rhétorique; le nom et<br />

ner sa composition aux objets qu'il traite 9 qui sait l'exemple <strong>de</strong> Gicéron et <strong>de</strong> Quintilien, qui suivirent <strong>la</strong><br />

traiter les petits sujets avec simplicité, les sujets même route en y semant les fleurs <strong>de</strong> leur génie ; tout<br />

médiocres avec agrément 9 les gran<strong>de</strong>s choses avec a servi à consacrer cette métho<strong>de</strong>, dont ces grands<br />

noblesse. C'est <strong>la</strong> conclusion <strong>du</strong> traité précé<strong>de</strong>nt, hommes ont su couvrir les inconvénients. Elle n'est<br />

c'est celle <strong>de</strong> Quintilien, c'est * dans tous les temps, pourtant pas tout à fait inutile : tout ce qui sert à<br />

celle <strong>de</strong> tous les bons critiques.<br />

c<strong>la</strong>sser les objets sert aussi à les éc<strong>la</strong>ircir. Mais il<br />

Les autres ouvrages <strong>de</strong> Gicéron sur l'art oratoire n'y a point <strong>de</strong> procédé didactique qoi soit si près<br />

sont,<br />

<strong>de</strong> Pabos. Si ces c<strong>la</strong>ssifications, même dans les scien­<br />

1« Deux livres intitulés <strong>de</strong> tlnwmtim, qui ne ces , sont souvent insuffisantes, et même inexactes,<br />

sont, à ce qu'il nous apprend lui-même, que le ré­ elles le sont bien plus encore dans les arts d'imagisumé<br />

<strong>de</strong>s leçons qu'il avait prises dans les écoles et nation. Appliquons cette espèce <strong>de</strong> critique à cette<br />

les cahiers <strong>de</strong>- sa rhétorique. Gomme il était déjà division <strong>du</strong> genre démonstratif, déiibératif et judi­<br />

très-distingué, set camara<strong>de</strong>s les publièrent par un ciaire.<br />

eseès <strong>de</strong> zèle qu'il trouva indiscret et mal enten<strong>du</strong>. Les anciens appe<strong>la</strong>ient genre démonstratif celui<br />

T Un petit traité <strong>de</strong>s Topiques, mot grec qui ne qui sert à <strong>la</strong> louange et au blâme. Un homme qui<br />

signiie plus aujourd'hui qu'un remè<strong>de</strong> local , mais ne saurait que <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue "française aurait peine à m<br />

qui ; dans <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong>s anciens rhéteurs, slgniialt persua<strong>de</strong>r que le mot démomimiif 'fût susceptible


<strong>de</strong> ce wm4à. DèMmtrer, ceci BOUS, c'est porter<br />

un objet jusqu'à l'évi<strong>de</strong>nce; mais, en <strong>la</strong>tin et en<br />

grec, il §igni£e aussi ce que ferait eh« sous le mot<br />

expmUif ; il vou<strong>la</strong>it dire ce qui expose lis objet<br />

dans toute sa beauté, ce qui l'expose dans toute sa<br />

<strong>la</strong>i<strong>de</strong>ur, dans ses a?autages ou désavantages , dans<br />

sa gloire ou dans sa honte, etc. Ils renfermaient<br />

dans cette définition réloge ou <strong>la</strong> satire d'une ville,<br />

d'un empire, d'un héros ; le panégyrique <strong>de</strong>s morts,<br />

ou l'oraison funèbre, les. dis<strong>cours</strong> à <strong>la</strong> louange <strong>de</strong>s<br />

dieux y etc.<br />

Le genre délibératif était celui qui sert à résoudre<br />

les questions agitées dans les assemblées politiques;<br />

le judiciaire, celui qui serti résoudre les questions<br />

agitées dans les tribunaux.<br />

Mais qui ne voit, au premier aperçu, que ces<br />

trois genres rentrent nécessairement par beaucoup<br />

d'endroits les uns dans les autres? Il est très-difficile<br />

d'établir un objet judiciaire sans avoir à louer<br />

ou à blâmer, soit que vous soyez accusateur ou accusé;<br />

et tous ?oilà rentré dans le genre démonstratif.<br />

La plupart <strong>de</strong>s questions judiciaires rentrent aussi<br />

dans le genre délibératif. Il s'agit <strong>de</strong> savoir si un<br />

tel est coupable ou non ; si tel délit, si tel fait a tu<br />

lieu ou n'a pas eu Heu ; s'il doit être appliqué à tel<br />

principe ou à tel autre; s'il doit être ou non considéré<br />

sot» tel point <strong>de</strong> vue; et voilà un genre délibératif.<br />

1 faut pourtant rendre justice aux anciens, et<br />

aavok et qui leur a sera d'excuse dans cette métho<strong>de</strong>.<br />

Ils se sont <strong>la</strong> plupart appliqués particulièrement<br />

à faire valoir le genre judiciaire, à <strong>mont</strong>rer<br />

sa supériorité sur tous les autres, en raison <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

cMfficuité ; et il a été l'objet <strong>de</strong>s outrages didactiques<br />

lies plus grands hommes, <strong>de</strong>s orateurs les plus célèbres<br />

<strong>de</strong> f antiquité : il suffit <strong>de</strong> les nommer, Cieér©n<br />

et Quinttlics. Cette préférence tenait toujours<br />

aux mœurs, aux coutumes, aux habitu<strong>de</strong>s, et à i f esprit<br />

<strong>de</strong>s gouvernements. U y avait cfaei eux une institution<br />

d'une extiéme importance, et que, dans une<br />

république, Je crois nécessaire : c'était l'accusation<br />

particulière, <strong>la</strong> faculté qu'a?ait chaque citoyen d'en<br />

accuser un autre; mais toujours aux termes d'une<br />

M » jamais autrement.<br />

Voeu voyez d'ici quelle importance <strong>du</strong>t acquérir<br />

cbec ces peuples, dans Athènes et à Rome, le talent<br />

<strong>de</strong> l'accusation et <strong>de</strong> <strong>la</strong> défesse, et comment<br />

<strong>la</strong> ilivision <strong>de</strong>s genres leur servait à mettre'au-<strong>de</strong>ssus<br />

lie tout le judiciaire. Ce genre se trou?ait naturellement<br />

lié aux plus grands intérêts <strong>de</strong> l'État.<br />

Jjm accusations étaient ou publiques ou privées,<br />

car il s'agissait <strong>de</strong> délits qw regardaient l'État ou<br />

ANCIENS- — ÉLOQUENCE. 28?<br />

<strong>de</strong>s particuliers. Tous les intérêts se croisaient,<br />

soit pour l'accusation, soit pour <strong>la</strong> défense. Souvent<br />

même <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée <strong>de</strong> l'État était attachée au<br />

gain d'un procès.<br />

Jugez par là <strong>de</strong> l'importance extraordinaire que<br />

ces peuples mettaient à approfondir <strong>la</strong> science <strong>de</strong><br />

l'accusation et <strong>de</strong> <strong>la</strong> défense, et par conséquent tous<br />

les secrets <strong>de</strong> ce qu'ils appe<strong>la</strong>ient le genre judiciaire.<br />

Les ouvrages <strong>de</strong> Cîcéron et <strong>de</strong> QuIntiKen ne traitent<br />

presque que <strong>de</strong> cette matière; et c'est encore ce<br />

qui conirme l'observation que j'ai faite en commençant<br />

, que ces genres rentrent les uns dans les autres;<br />

car, puisque <strong>de</strong>s hommes qui se sont proposé<br />

d'établir et <strong>de</strong>défelopper toutes les parties <strong>de</strong> Fart<br />

ont cm l'avoir fait en les appliquant à un seul <strong>de</strong>s<br />

trois genres, il en résulte évi<strong>de</strong>mment que les règles<br />

qui sont bonnes pour un genre le sont pour les<br />

autres, et que îi division <strong>de</strong>vient à peu près gratuite<br />

et inutile.<br />

Une autre division qui suivait celle-là me paraît<br />

encore moins fondée : c'était <strong>la</strong> division qu'ils établissaient<br />

entre le genre simple, le genre tempéré<br />

et le genre sublime.<br />

Ils appe<strong>la</strong>ient genre simple celui qui convient an<br />

sujets vulgaires et subordonnés ; le genre tempéré 9<br />

celui qui est susceptible <strong>de</strong> simplicité et d'ornement.<br />

Il y a encore ici différence d'une <strong>la</strong>ngue à une autre.<br />

Le genre tempéré, genm temperatam, ne signiie<br />

pas ce qui est calme, ce qui est posé; il signiie,<br />

chez eus, ce qui est mé<strong>la</strong>ngé, susceptible d'amalgame,<br />

comme <strong>de</strong> simplicité et d'ornement ; c'était<br />

proprement un genre mixte.<br />

Le genre sublime était réservé aux grands sujets. '<br />

Il est bien facile d'observer que cette division-là n y a<br />

pas d'objet bien distinct, et qu'elle ne con<strong>du</strong>it à<br />

aucun résultat essentiel. Bans l'application, il s'en­<br />

suivrait qu'un genre <strong>de</strong> dis<strong>cours</strong> fit être tellement<br />

simple, qu'il ne pût comporter ni sublime ni même<br />

aucun ornement; et alors serait-il oratoire? De<br />

mémo, le genre susceptible d'ornement peut-il l'être<br />

au point d'exelure <strong>la</strong> simplicité, qui 9 en tout genre,<br />

a son prix?<br />

A l'égard <strong>du</strong> genre sublime, il s'y a point <strong>de</strong> sujet<br />

qui exige, qui tous permette même d'être continuellement<br />

sublime. L'homme qui voudrait être<br />

toujours sublime ne serait que ridicule et insensé.<br />

Cette espèce <strong>de</strong> déinition est donc vague, et<br />

même futile; et il faut en revenir à ce grand principe,<br />

qu'il n'y a à considérer dans l'éloquence que<br />

<strong>la</strong> convenance, que ce que Quintilien appe<strong>la</strong>it apie<br />

rffoere, parler convenablement : ce mot renferme<br />

tout. Le point capital est <strong>de</strong> bien saisir le rapport


1S8 COUBS WR UTrmATDBE.<br />

naturel qui se trouve entra le sujet et le style qui liil<br />

convient, entre tel ordre didées et tel genre dédie*<br />

tion. Le principe est vaste et fécond; les détails sont<br />

infinis : nous y entrerons autant qu'il nous sera possible.<br />

Une troisième c<strong>la</strong>ssification pou?ait avoir un objet<br />

plus direct et plus réel : ce sont les parties <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

composition. Elles ont été divisées en invention i<br />

disposition et élocution. £ette division est raisonnable<br />

: elle est bonne dans tout état <strong>de</strong> cause. Il<br />

faut toujours commencer par concevoir son sujet et<br />

les matériaux, qu'il comporte : c'est ce qu'ils appellent<br />

Fin?eatioa. Il faut en disposer les parties dans<br />

un ordre naturel et judicieux; voilà <strong>la</strong> disposition.<br />

Il faut enfin savoir les traiter dans un style adapté<br />

au sujet, ce qui est Fétocnlion; et cette <strong>de</strong>mie»<br />

partie était, au jugement <strong>de</strong> QaiaMîw et <strong>de</strong> Qcéron,<br />

<strong>la</strong> plus difficile <strong>de</strong> toutes. Elle l'est encore<br />

aujounfhni ; car c'est en charmant l'oreille et Firaafiliation<br />

que Ton arrive jusqu'au cœur, et que Ton<br />

par?ieot à éc<strong>la</strong>irer et à persua<strong>de</strong>r.<br />

Les anciens comprenaient dans <strong>la</strong> partie <strong>de</strong> finfanion<br />

| le choix <strong>de</strong>s preuves y les pensées , les exemples<br />

, les autorités 9 les passions à émouvoir, les lieux<br />

communs, etc. Ils comprenaient dans <strong>la</strong> disposition<br />

.cequi est <strong>de</strong> Fessence <strong>de</strong> tout dis<strong>cours</strong>, Fexot<strong>de</strong>, <strong>la</strong><br />

proposition; c'est-à-dire, <strong>la</strong> question ou le Eut, <strong>la</strong><br />

confirmation v <strong>la</strong> réfutation f s'il y a lieu t et <strong>la</strong> péroraison.<br />

Vous sentei que l'examen <strong>de</strong> cet cinq objets acquiert<br />

plus d'intérêt, et <strong>de</strong>vient susceptible <strong>de</strong> plut<br />

<strong>de</strong> développement à mesure qu'il s'agit <strong>de</strong> dis<strong>cours</strong><br />

qui comportent plus d'éten<strong>du</strong>e; car, sans doute, il<br />

ne faudrait pas toujours, dans une assemblée délibérante<br />

, a f astreindra à faire proprement un exor<strong>de</strong>, à<br />

développer une confirmation, et ensuite une réfutation<br />

, et enfin une péroraison. Il s'en faut <strong>de</strong> beaucoup<br />

que toute espèce <strong>de</strong> délibération soit <strong>de</strong> nature à<br />

embrasser toutes ces parties dans l'éten<strong>du</strong>e que l'on<br />

peut leur donner.<br />

Il n'est pas moins vrai que, quelque sujet que vous<br />

traitiez, il est naturel et même essentiel <strong>de</strong> commencer<br />

par prévenir vos auditeurs, soit en votre faveur,<br />

s'il est question d'une cause personnelle ; soit en<br />

faveur <strong>de</strong> <strong>la</strong> cause pour <strong>la</strong>quelle vous parlez, soit<br />

même contre Favis que vous vonlex infirmer.<br />

L'exor<strong>de</strong>, qu'on peut appeler, en <strong>la</strong>ngage plus familier,<br />

début, exige donc <strong>de</strong> <strong>la</strong> réflexion et <strong>du</strong> choix.<br />

Ensuite il sera essentiel, avant <strong>de</strong> passer à <strong>la</strong> con­<br />

firmation ( et ceci peut s'appliquer aussi à Féloquence<br />

déiibérative) f <strong>de</strong> bien déterminer Fétat d'une question<br />

quelconque, et <strong>de</strong> poser le principe auquel cette<br />

question est applicable. Avec ce procédé <strong>de</strong> logique t<br />

tout esprit juste est sir d'arriver à une démonstration.<br />

Après <strong>la</strong> confirmation vient naturellement <strong>la</strong> réfutation<br />

<strong>de</strong> Favis contraire ; et, à regard <strong>de</strong> <strong>la</strong> péroraison<br />

ou récapitu<strong>la</strong>tion, elle consistera à résumer et<br />

à présenter en peu <strong>de</strong> mots les points les plus décisifs<br />

qui doivent déterminer l'assentiment.<br />

En revenant sur chacune <strong>de</strong> ces parties, nous<br />

trouverons que Fexor<strong>de</strong> doit être ordinairement <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> c<strong>la</strong>rté, <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> simplicité,<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> netteté, à moins que l'occasion ne<br />

vous présente un mouvement heureux ; ce que les anciens<br />

appe<strong>la</strong>ient Fexor<strong>de</strong> èm mèmpiô, par lequel<br />

vous Commencez à heurter impétueusement ou un<br />

sophisme révoltant, ou une proposition totalement<br />

illégale et insensée. Qoand vous avex cet avantage<br />

ves Fattaquer <strong>de</strong> front, sans préparation »•••• ménagement,<br />

sans vous donner même le taap dtf»<br />

guisar vos armes. A moins <strong>de</strong> cette circonstance, il<br />

est toujours util et préférable <strong>de</strong> s'assurer d*un début<br />

qui puisse vous concilier l'auditeur et attirer son<br />

attention.<br />

L'orateur peut faire entrer dans son exor<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

réflexions qui lui sont personnelles, <strong>de</strong>s retours sur<br />

lui-même : rien n'est plus naturel dans le judiciaire,<br />

rien n'est plus délicat dans <strong>la</strong> délibération. Communément<br />

ces retours sur soi-même sont susceptibles<br />

<strong>de</strong> quelque apparence d'amour-propre; et à moins<br />

que l'apologie ne les ren<strong>de</strong> nécessaires (car Fon pardonne<br />

tout à celui qui est obligé <strong>de</strong> se justifier), il<br />

ne faut guère se prmettre cette espèce d'exord© personnel<br />

: il vaut mieux employer <strong>de</strong>s exor<strong>de</strong>s généraux,<br />

qui présentent quelques vérités applicables au<br />

fait dont il s'agit. L'avantage <strong>de</strong> ces exor<strong>de</strong>s est <strong>de</strong><br />

vous assurer une prévention avantageuse dans Fesprit<br />

<strong>de</strong>s auditeurs, qui s'aperçoivent que vous êtes<br />

capable d'embrasser ces vérités universelles, ces<br />

principes lumineux auxquels tous les cas prtieuliers<br />

viennent se rejoindre. Généralement, en toute matière<br />

à délibérer, on ne peut trop se hâter i*m venir<br />

à <strong>la</strong> question : ainsi <strong>de</strong>ux ou trois phrases i'exordt<br />

suffisent ordinairement.<br />

Les questions sont générales ou prtfealières :<br />

si elles sont générales, c'est le cas on <strong>la</strong> logique doit<br />

triompher; si elles sont particulières, s'il s'agit <strong>de</strong><br />

tel ou tel indivi<strong>du</strong> t c'est là ou <strong>la</strong> louange ou le Mime,<br />

tout ce que les anciens appe<strong>la</strong>ient les ressorts <strong>du</strong><br />

genre démonstratif, doit se déployer. Yoye» G#é»<br />

ron contre Pison, Yatinius; Démosthèeet 4Mntrt<br />

Eschiue, etc.<br />

A Fégard <strong>de</strong> <strong>la</strong> péroraison ou récapitu<strong>la</strong>tion, dit<br />

ne peut guère s'appliquer avec quelque éten<strong>du</strong>e


AUCUNS. — ÉLOQUENCE.<br />

p'iin dis<strong>cours</strong> médités; mais tilt est tuteurs néeeaairo,<br />

parce qu'il importe <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser dans rime<br />

Je tes auditeurs une idée nette et une impression<br />

profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> ce qu'on a ?eulu persua<strong>de</strong>r.<br />

La récapitu<strong>la</strong>tion doit surtout représenter, atec<br />

h plus gran<strong>de</strong> forée possible v tes différents endroits<br />

touchés dans le diseours, qui ont di pro<strong>du</strong>ire le<br />

plus d'effet. II faut leur donner une forme nouvelle<br />

pour caractériser avee plus d'énergie en que Ton<br />

• ? a?ait <strong>la</strong>it que présenter.<br />

Presque toujours les <strong>de</strong>rnières phrases sont les<br />

plfti décisives f quand elles sont bien adaptées à <strong>la</strong><br />

question.<br />

Les premières notions générales sont, dans les<br />

arts, ce qu*il y a <strong>de</strong> plus abstrait f et par conséquent<br />

ne peu?est être exemptes d'un peu <strong>de</strong> sécheresse.<br />

C'est lorsque fou fient <strong>de</strong> <strong>la</strong> théorie <strong>de</strong>s préceptes<br />

j l'application <strong>de</strong>s eiemples que les arts et Tensejgnanait<br />

<strong>de</strong>s arts peu?«il atteindre tout l'intérêt<br />

plis comportent; c'est alors qu'on en aperçoit<br />

toute reten<strong>du</strong>e f surtout dans les outrages <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>ssiques<br />

anciens ou mo<strong>de</strong>rnes. Vous trouveras sans<br />

doute bon que, dans les séances subséquentes,<br />

/applique <strong>de</strong> temps en temps à chacun <strong>de</strong>s principes,<br />

Un trait remarquable dans l'histoire <strong>de</strong> l'esprit<br />

humain v c'est que ce sont <strong>de</strong>ux républiques qui ont<br />

<strong>la</strong>issé au mon<strong>de</strong> entier les modèles éternels <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

poésie et <strong>de</strong> l'éloquence. Cest <strong>du</strong> sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté<br />

que se sont répan<strong>du</strong>es <strong>de</strong>ux fois sur <strong>la</strong> terre les lumières<br />

<strong>du</strong> bon goût qui éc<strong>la</strong>irent encore les nations<br />

policées <strong>de</strong> nos jours. On a très-improprement appelé<br />

mêck € AMxmÉn celui qui a commencé à<br />

Périclès et lui sous ce fameux conquérant, dont<br />

les triomphes en Asie n'eurent assurément aucune<br />

part à <strong>la</strong> gloire littéraire <strong>de</strong>s Grecs, qui expira* pré»<br />

eûémcnt à cette époque atec leur liberté. De tous<br />

ces grands empires qui m aient précédé le sien, il<br />

n'est resté que le soutenir d'une puissance renversée<br />

; mais les arts <strong>de</strong> l'imagination, le goût 9 le génie,<br />

ont été dn moins le noble héritage que l'ancienne<br />

Miette nous a transmis, et que noua avons recueilli<br />

dans les débris <strong>de</strong> Rome et d'-Athèiies.<br />

28»<br />

Ces arts si bril<strong>la</strong>nts, portés à tes si haut point <strong>de</strong><br />

prfectieii, eurent, comme toutes les choses humaines,<br />

<strong>de</strong> faibles commencements. Ce qui nous reste<br />

d'Antiphoii, d'Àndod<strong>de</strong>, <strong>de</strong> Lycurgue le rhéteur,<br />

d 9 Héro<strong>de</strong>% <strong>de</strong> Lesbonax9 ne s'élève pas au-<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> médiocrité. Périclès, Lysias, lsecratef Mjpéri<strong>de</strong>,<br />

Isée, Esehine, paraissent avoir été les premiers<br />

dans le second rang; car ïlémosthènes est<br />

seul dans le sien. On remarque, dans ce qui sous<br />

reste d'Isoerate, une diction ornée, élégante, <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> douceur, <strong>de</strong> <strong>la</strong> grâce, surtout une harmonie soignée<br />

avec un scrupule qui est peut-être porté trop<br />

loin. Sa timidité naturelle et <strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong> son organe<br />

l'éloignèrent <strong>du</strong> barreau et <strong>de</strong> <strong>la</strong> tribune ; mais<br />

Il se'procura une autre espèce d'illustration en ouvrant<br />

une école d'éloquence, qui fol pendant plus<br />

<strong>de</strong> soixante ans <strong>la</strong> plus célèbre <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> Grèce,<br />

et rendit <strong>de</strong> grands services à l'art oratoire, commi<br />

l'atteste Cicéron dans son jugement sur les orateurs<br />

grecs* Je ne puis mieux faire que <strong>de</strong> rapporter ce<br />

précis fait pr un juge si distingué, et qui était<br />

beaucoup plus près que nous <strong>de</strong>s objets dont il priait.<br />

« C'est dans Athènes, dit-il, qu'exista le premier en»<br />

sur lesquels je retiendrai, quelques-uns <strong>de</strong>s mor­ tenr9 et cet orateur fut Péridès. Avant lui et TtnKfdMt<br />

ceaux les plus frappants d'éloquence grecque ou <strong>la</strong>­ saa «mtempraln, on m trouve ries api mmmmÈÈBk M<br />

tine que je mettrai sous vos yeux. '<br />

fécftaMe éloquence. On croit cependant que, tongtemp<br />

auparavant s te ? ieux Safaa s Pteîstrete et Cftattéaa a?aient<br />

<strong>du</strong> mérite pur leur temps. Après eux, Thémistocte punit<br />

supérieur aux autres pr le talent <strong>de</strong> <strong>la</strong> parole , comme pr<br />

CHAPITRE lil. — ExpUmMm dm dkffèmàê<br />

ses lumières en plitique. loin Périclès, renommé pr<br />

moyens <strong>de</strong> Vart wrmtoire, c&miééréë pmMm- tant d'autres qualités, le fat surtout par cette <strong>de</strong> grand<br />

iiêmmmi dam DémêsêkèMt*<br />

ettfenr. On eonvfcnt aussi qie$ dans le même teeaps<br />

CMon, quoique citoyen turbulent, n'en Ait pas méfait un<br />

mnoH nmÉRE. — Des orateurs qui ont préeédé Dé-<br />

ImiinM éSoqiient A <strong>la</strong> mém<br />

mostnènes t et <strong>du</strong> caractère <strong>de</strong> ses éloquence.<br />

ii<strong>la</strong>ie, Critiaa, f liéramèee : comme il ne nous reste «en<br />

d'aucun d f eui y ce af est guère que par les écrits <strong>de</strong> Thncf •<br />

dicle que nous puvons conjecturer quel était le gcôt qui<br />

régnait alors. Leur style était noble; élevés seaten<strong>de</strong>sï,<br />

plein dans sa précision, mais par sa précision même un peu<br />

obscur. Dès que l'on s'aperçut d» reflet que pavait po»<br />

éaire un dis<strong>cours</strong> bien composé 9 ficelât il y eut <strong>de</strong>s put<br />

qui m tanèraat pur- pcefeaceara dans Fart <strong>de</strong> parier.<br />

Qm^3Mt^mtàm§timésm^^àê€^MmmfWfmÂ^m9<br />

d'AMèro, Prédise <strong>de</strong> Ftte <strong>de</strong> Gos, Nippas d'Êtée-, et<br />

beaucoup d'autres, se firent un nom dans m pare» Haaa<br />

leur prétention ressemb<strong>la</strong>it trop à <strong>la</strong> jactance; car ils se<br />

vantaient d'enseigner comment d $ un@ mao?aise cause on<br />

partait en faire une bonne. C'est contre ces sophistes * que<br />

s'élec| Socrate t qui employa 9 pur Set rambattre f tonte h<br />

* M. Se Clerc suppose que <strong>la</strong> Harpe avait écrit mwmOe;<br />

car tS n'y a potat «riféfwfe parmi tes onAaan âe m tempe f<br />

et il nous reste quelques fragments sous le nom <strong>de</strong> Dérnada.<br />

*• Le ktto dit, presque à U mérn* êpsque.<br />

» Yollfctapfeiiv«<strong>de</strong>eeqntaMdltcl4BS«MvejMlBSsophlstes<br />

avaient été les pwaj» à profeutr <strong>la</strong> iMterismi.


C0U1S Dl LITTÉIATUIE.<br />

240<br />

subtilité <strong>de</strong><strong>la</strong>d<strong>la</strong>lâstlqQe. Ses fréquentes leçons formerait<br />

beaucoup <strong>de</strong> savants hommes, et c'est alors que <strong>la</strong> morale<br />

commença à faire partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie, qui jusque-là ne<br />

s 1 était occupée que <strong>de</strong>s sciences phjsiques,<br />

« Tous ceui dont je viens <strong>de</strong> parler étalent déjà sur leur<br />

déclin, lorsque parut Isocrâte, dont <strong>la</strong> Biaises <strong>de</strong>vint<br />

l'école<strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce; grand orateur, maître parfait, et qui9<br />

sans briller dans les tribunaui , sans sortir <strong>de</strong> chex lui,<br />

parvint à un <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> célébrité où, dans le même genre»<br />

aal ne s'est élevé <strong>de</strong>puis. Il écrivit bien, et apprit aux<br />

autres à bien écrire. 11 connut mieux que tes prédécesseiirs<br />

l'art oratoire dans toutes ses parties , mais surtout il Ait le<br />

premier à comprendre que, si <strong>la</strong> prose ne doit point avoir<br />

le rliytbme <strong>du</strong> vers 9 elle doit an moins avoir un nombre et<br />

nue harmonie qui lui soient propres. Avant lui 9 on ne connaissait<br />

aucun art dans f arraageiaeal <strong>de</strong>s mots : quand cet<br />

arrangement était heureux , c'était un effet <strong>du</strong> hasard ; car<br />

<strong>la</strong> nature elle-même nous porte à renfermer notre pensée<br />

dans un certain espace 9 à donner au mots un ordre cou*<br />

lenable, et à tarniaer nos phrases le pins souvent d'une<br />

manière fias ou mojns nombreuse. L'oreille elSe-méme<br />

sent ce qui <strong>la</strong> remplit on ce qui lui manque ; nos phrases<br />

sont coupées par les intervalles <strong>de</strong>là respiration, qui non"<br />

seulement ne doit pas nous manquer, mais qui même ne<br />

peut être gênée sans pro<strong>du</strong>ire un mauvais effet »<br />

Cicéron parle ensuite <strong>de</strong> Lysias, d'Hypéri<strong>de</strong>,<br />

a?EscMas ; et, après leur avoir payé le tribu, d'éloges<br />

qu'ils méritent! il s'exprime ainsi :<br />

« Démosthènes réunit <strong>la</strong> pureté <strong>de</strong> Lysias , l'esprit et <strong>la</strong><br />

Inesse d f Hypéri<strong>de</strong>t <strong>la</strong> douceur et l'éc<strong>la</strong>t d'EscMae; el?<br />

quant aux figures <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée et aux mouvements <strong>du</strong> dis<strong>cours</strong>,<br />

il est au-<strong>de</strong>ssus'<strong>de</strong> tout': en un mot ; on ne peut<br />

rien Imaginer <strong>de</strong> plus divin. » ( Brutm, vuy vin, ix. )<br />

L 9 éloge <strong>de</strong> Bémosthènes revient sans cesse sons<br />

<strong>la</strong> plume <strong>de</strong> Cicéron, comme ce<strong>la</strong>i <strong>de</strong> Racine sons<br />

<strong>la</strong> plume <strong>de</strong> Voltaire. Ainsi chacun d'eux n'a cessé<br />

d'exalter l'homme qu'il <strong>de</strong>vait craindre le plus, et<br />

à qui il ressemb<strong>la</strong>it le moins. Ce doit être sans doute<br />

on <strong>de</strong>s avantages <strong>du</strong> génie <strong>de</strong> sentir plus vivement<br />

que personne le charme <strong>de</strong> <strong>la</strong> perfection 9 parce qu'il<br />

en connaît toute <strong>la</strong> difficulté ; et cet attrait doit contribuer<br />

à le mettre au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> <strong>la</strong> jalousie .naturelle<br />

à <strong>la</strong> rivalité. L'intérêt <strong>de</strong> son p<strong>la</strong>isir l'emporte<br />

alors sur celui <strong>de</strong> -son amour-propre : il jouit trop<br />

pour rien entier; il est trop heureux pour être<br />

injuste.<br />

Il y a malheureusement <strong>de</strong>s exceptions à cette vérité<br />

comme à toute autre : mais je ne m'occupe dans<br />

•ce moment que <strong>de</strong>s exemples d'équité; et celui <strong>de</strong><br />

Cicéron est d'autant plus frappant, <strong>la</strong> justice qu'il<br />

rend à Bémosthènes fait d'autant plus d'honneur<br />

à tous les <strong>de</strong>ux, que les caractères <strong>de</strong> leur éloquence y<br />

eomme je viens <strong>de</strong> le dire, sont absolument différents.<br />

Cicéron est, <strong>de</strong> tous les hommes, celui qui<br />

a porté le plus loin les charmes <strong>du</strong> style et les res-<br />

sourees <strong>du</strong> pathétique, li se comp<strong>la</strong>ît dans sa magniique<br />

abondance, raconte avec tout Part possible,<br />

et pleure avec grâce. C'est pourtant lui qui regar<strong>de</strong><br />

Démosthènes comme le premier <strong>de</strong>s hommes<br />

dans l'éloquence judiciaire et délibérât! ve, parce que<br />

nul ne va plus promptement et plus sûrement à son<br />

but, qui est d'entraîner <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> ou les juges.<br />

C'est Cicéron qui vante <strong>la</strong> supériorité <strong>de</strong> Démos*<br />

thènes, Félévation <strong>de</strong> ses idées et <strong>de</strong> ses sentiments,<br />

<strong>la</strong> dignité <strong>de</strong> son style et <strong>de</strong> son impulsion victorieuse.<br />

Péoeion lui rend le même hommage, le préfère<br />

à Cicéron, que pourtant il aime infiniment :<br />

tant il était <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée <strong>de</strong> Bémosthènes <strong>de</strong> sobjuguer<br />

en tout genre et ses juges et ses rivaux.<br />

On sait tous les obstacles qu'il eut à vaincre, et<br />

tous les efforts qu'il it pour corriger, assouplir,<br />

perfectionner son organe, et pour rendre son action<br />

oratoire digne <strong>de</strong> sa composition ; mais peut-être<br />

n'a-t-on pas fait assez d'attention à ce qu'il y avait<br />

<strong>de</strong> grand dans cette singulière idée, d'aller haranguer<br />

sur les bords <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer, pour s'exercer à haranguer<br />

ensuite <strong>de</strong>vant le peuple. C'était avoir saisi, m<br />

me semble, sous un point <strong>de</strong> vue bien juste, le rapport<br />

qui se trouve entre ces <strong>de</strong>ux puissances également<br />

tumultueuses et imposantes, les lots <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

mer et les flots d'un peuple assemblé.<br />

Raisonnements et mouvements, voilà toute l'éloquence<br />

<strong>de</strong> Démosthènes. Jamais homme n'a donné<br />

à <strong>la</strong> raison <strong>de</strong>s armes plus pénétrantes, plus inévitables.<br />

La vérité est dans sa main un trait perçant<br />

qu'il manie avec autant d'agllîtéque <strong>de</strong> force, et dont<br />

il redouble sans cesse les atteintes. 11 frappe sans<br />

donner le temps <strong>de</strong> respirer ; il pousse 9 presse, renverse<br />

, et ce n'est pas un <strong>de</strong> ces hommes qui <strong>la</strong>issent<br />

à l'adversaire terrassé le moyen <strong>de</strong> nier sa chute.<br />

Son style est austère et robuste, tel qu'il convient<br />

à une Âme franche et impétueuse. Il s'occupe rarement<br />

à parer sa pensée ; ce soin semble an-<strong>de</strong>ssous<br />

<strong>de</strong> lui : il ne songe qu'à <strong>la</strong> porter tout entière au fond<br />

<strong>de</strong> votre cœur. Nul n'a moins employé les ligures<br />

<strong>de</strong> diction, nul n'a plus néglf gèles ornements ; mais f<br />

dans sa marche rapi<strong>de</strong>, il entraîne l'auditeur où il<br />

veut ; et ce qui le distingue <strong>de</strong> tous les orateurs, c'est<br />

que l'espèce <strong>de</strong> suffrage qu'il arrache est toujours<br />

pour l'objet dont il s'agit, et non pas pour lui. On<br />

dirait d'on autre, Il parle bien ; on dit <strong>de</strong> Démosthènes<br />

? Il a raison.<br />

SECTION ii. — Des diverses parties <strong>de</strong> l'invention oratoire,<br />

etf en particulier, <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière <strong>de</strong> raisonner oratoirement<br />

telle que inemployée Démosthènes dans <strong>la</strong> harangue<br />

eaca LA mmmm»<br />

L'invention oratoire consiste dans <strong>la</strong> connaissance<br />

et dans le choix <strong>de</strong>s-moyens <strong>de</strong> persuasion. Ils sont


ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

tirés généralement <strong>de</strong>s choses ou <strong>de</strong>s personnes;<br />

mais <strong>la</strong> manière <strong>de</strong> les considérer n'est pas <strong>la</strong> même,<br />

à plusieurs égards, dans les délibérations politiques<br />

que dans les questions judiciaires. Bans celles-ci ,<br />

<strong>de</strong> quoi s'agit-il d'ordinaire? Tel fait est-il constant?<br />

Est-il un délit? Quelle loi y est-elle applicable?<br />

L'âge, <strong>la</strong> profession, les mœurs, le caractère, les<br />

intérêts f <strong>la</strong> situation <strong>de</strong> l'accusé, ren<strong>de</strong>nt-ils le fait<br />

probable ou improbable? Voilà le fond <strong>du</strong> genre judiciaire.<br />

Bans le délibératif, il s'agit 1 , suivait les anciens<br />

rhéteurs, <strong>de</strong> ce qui est honnête, utile ou nécessaire.<br />

Mais Quîntsiien rejette ce <strong>de</strong>rnier cas, et,<br />

prenant le mot dans son acception rigoureuse, c'està-dire,<br />

pour ce que Ton est contraint <strong>de</strong> foire par<br />

une nécessité insur<strong>mont</strong>able, il prétend que cette<br />

contrainte ne peut exister dès qu'on préfère <strong>la</strong> liberté<br />

<strong>de</strong> mourir. H cite en exemple une garnison à qui<br />

Fou dirait : Il est nécessaire <strong>de</strong> irons rendre, car,<br />

si TOUS ne vous ren<strong>de</strong>z pas, TOUS serez passés au<br />

il<strong>de</strong>l'épée. Et il ajoute qu'il n'y apoint<strong>de</strong> nécessité,<br />

puisque les soldats pestent répondre : Nous aimons<br />

mieux mourir que <strong>de</strong> nous rendre. Ni le raisonnement<br />

ni Fexempïe ne me paraissent concluants. Sans<br />

doute il n'y a pas <strong>de</strong> nécessité absolue <strong>de</strong> se rendre<br />

quand on aime mieux mourir. Mais fart oratoire,<br />

comme <strong>la</strong> morale et <strong>la</strong> politique, admet une<br />

nécessité re<strong>la</strong>tive, et <strong>la</strong> question peut être considérée<br />

sous un autre point <strong>de</strong> Tue. On peut <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

si <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce est assez importante pour sacrifier à<br />

sa conservation <strong>la</strong> fie d'un assez grand nombre <strong>de</strong><br />

braies gens qui peuvent servir encore longtemps<br />

<strong>la</strong> patrie ; et alors un orateur pourrait fort bien établir<br />

comme une nécessité l'obligation <strong>de</strong> conserver<br />

à Tétat <strong>de</strong>s défenseurs dont il a besoin. Cette espèce<br />

<strong>de</strong> nécessité morale peut avoir lieu dans une foule<br />

d'autres cas semb<strong>la</strong>bles : ce n'est autre chose qu'une<br />

utilité plus impérieuse, et c'est même, à vrai direy<br />

<strong>la</strong> seule nécessité qui puisse être mise en délibération;<br />

car <strong>la</strong> contrainte qui naît d'une force physique<br />

n'est pas susceptible <strong>de</strong> discussion.<br />

On ne répond pas à tout en disant, Je mourrai,<br />

comme on ne satisfait pas à tout en sachant mourir.<br />

C'est toujours une sorte <strong>de</strong> courage, il est vrai;<br />

mais ce n'est ni le plus rare ni le plus difficile, ni<br />

le plus utile <strong>de</strong> tous. Beaucoup <strong>de</strong> gens acceptent<br />

<strong>la</strong> mort, quand elle est sire, avec une résignation<br />

qu'on peut appeler fermeté, et non pas énergie.<br />

L'énergie consiste à braver le danger <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort<br />

quand elle est encore douteuse, à risquer tout pour<br />

<strong>la</strong> détourner, et à ne <strong>la</strong> vouloir que comme <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière<br />

extrémité. Mous serons à jamais un exemple<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> réalité <strong>de</strong> cette distinction : ce n'est pas le<br />

premier qu'offre l'histoire; mais c'est le plus frap-<br />

Lâ SA1FE. — TOK I.<br />

241<br />

pant <strong>de</strong> tous. Si tant <strong>de</strong> citoyens traînés aux cachots<br />

ou aux supplices sous le règne <strong>de</strong>s tyrans, si tous<br />

ces hommes qui ont <strong>mont</strong>ré tant <strong>de</strong> patience dans<br />

les fers et tant <strong>de</strong> sérénité sur i'éehaiaud, avaient<br />

eu le véritable courage, le courage <strong>de</strong> tête, ils auraient<br />

compris que les victimes étant en bien plus<br />

grand nombre que les bourreaux, ceux-ci, les plus<br />

lâches <strong>de</strong>s hommes, n'osaient tout que parce que<br />

les autres souffraient tout. Us auraient senti que<br />

dès qu'il n'y a plus d'autre loi que <strong>la</strong> force t il vaut<br />

cent fois mieux périrJes armes à <strong>la</strong> main, s'il le<br />

faut, que d'être traînés à <strong>la</strong> boucherie, et 11 aurait<br />

suffi même d'en <strong>mont</strong>rer <strong>la</strong> résolution pour en imposer<br />

à <strong>de</strong>s misérables qui n'ont jamais su qu'égorger<br />

<strong>de</strong>s hommes saas défense. Le mot <strong>de</strong> ralliement<br />

<strong>de</strong> tout citoyen, c'est <strong>la</strong> Loi; et dès qu'on invoque<br />

contre lui une autre espèce <strong>de</strong> force, il doit, pour<br />

toute réponse, mettre <strong>la</strong> main sur le g<strong>la</strong>ive : c'est<br />

pour ce<strong>la</strong> qu'il lui a été donné; et, comme a dit un<br />

ancien poète f<br />

I§mmmim $&êm9 m quwqmm ammi , mm * ?<br />

Si <strong>la</strong> leçon que nous avons reçue à cet égard a été<br />

nécessaire, elle a été assez forte pour qu'on puisse<br />

espérer qu'elle ne sera pas per<strong>du</strong>e.<br />

Ife prenons donc point les mots usuels dans <strong>la</strong><br />

rigueur <strong>du</strong> <strong>la</strong>ngage métaphysique, qui a quelquefois<br />

égaré les anciens ; et dans celui <strong>de</strong> l'art oratoire,<br />

appelons nécessaire ce qu'on peut appeler<br />

ainsi en morale, c'est-à-dire tout ce qui est indîspensablement<br />

commandé par l'intérêt <strong>de</strong> <strong>la</strong> chose<br />

publique; et sous ce rapport, rien ne rentre plus<br />

naturellement dans l'ordre <strong>de</strong>s délibérations.<br />

Les anciens faisaient une autre espèce <strong>de</strong> division<br />

générale. Le judiciaire, dit Cicéron, roule sur<br />

f équité, le délibératif sur l'honnêteté, ou, en d'au*<br />

très termes, Fun sur ce qui est équitable, l'autre<br />

sur ce qui est honnête. Ici se fait encore apercevoir<br />

<strong>la</strong> différence <strong>du</strong> génie <strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngues, et <strong>la</strong> diversité<br />

d'acception dans les termes correspondante d'une<br />

<strong>la</strong>ngue à l'autre : car on <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra d'abord si<br />

tout ce qui est honnête n'est pas équitable, et si<br />

tout ce qui est équitable n'est pas honnête. Mais,<br />

dans le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> leur barreau, les Latins entendaient<br />

pr mfMïim, qmd mqumm est, m qui est<br />

conforme au droit positif, aux lois, et par honnête 9<br />

honesium, ce qui est conforme à <strong>la</strong> morale universelle,<br />

à <strong>la</strong> conscience <strong>de</strong> tous les hommes; et cette<br />

distinction n'était rien moins que chimérique, car<br />

les lois sont nécessairement imparfaites» et <strong>la</strong> con-<br />

* mata, Pharmle, iv, 67». U y a dans le.texte :<br />

Sed régna iiwimimr<br />

(M fer mm , et $mU î&mrtm uritur armés,<br />

Ig&orastjpe daim, m quUqwm wrvfaf, émet.


Î42<br />

OOVBS DE UTTÉMTU1E.<br />

i est infoillible : d'oà il suit que <strong>la</strong> loi , qui ne<br />

•aurait prévoir tous les cas, offre souvent <strong>de</strong>s dispositions<br />

qui ne sont pas celles que dicterait l'eiacte<br />

honnêteté. C'est en ce sens qu'un <strong>de</strong> nos auteurs* a<br />

dit dans une tragédie,<br />

La loi permet souvent ce que âéfead rhoMMur,<br />

et l'honneur ici ne signifie que ce qu'il <strong>de</strong>vrait toujours<br />

signifier, Fhonnéteté.<br />

Ainsi, pour éviter <strong>la</strong> confusion <strong>de</strong>s idées dans<br />

notre <strong>la</strong>ngue, nous dirons, en adoptant <strong>la</strong> division<br />

<strong>de</strong> Cicéron f que le judiciaire roule sur ce qui est <strong>de</strong><br />

Tordre légal 9 et le déiibératif, sur ce qui est <strong>de</strong><br />

Tordre politique; et comme, dans Tun et dans Taut»,<br />

<strong>la</strong> justice. Tordre moral et social sont également<br />

istéressés, nous en conclurons <strong>de</strong> nouveau<br />

que ces genres se rapprochent et se confon<strong>de</strong>nt<br />

dans les principes généraux, soit <strong>de</strong> <strong>la</strong> naturef soit<br />

<strong>de</strong> l'art, quoiqu'ils s'éloignent par <strong>la</strong> diversité <strong>de</strong>s<br />

cas qui doit déterminer celles <strong>de</strong>s moyens oratoires.<br />

Ces moyens sontf r les prestes dé<strong>du</strong>ites par<br />

le raisonnement, qui applique les principes aux<br />

questions; T les priâtes tirées <strong>de</strong>s faits qu'il s'agit<br />

d v établlr ou <strong>de</strong> nier, ou d'expliquer suivant les<br />

règles <strong>de</strong> <strong>la</strong> probabilité, et tout ce<strong>la</strong> suppose <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

logique ; 3 S les autorités et les exemples, ce qui est<br />

d'un si grand usage et d'un si grand pouvoir dans<br />

l'éloquence, et os qui suppose <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong><br />

Thistoire; 4 e orateur, et ce f si dépend surtout <strong>de</strong>s mouvements<br />

<strong>du</strong> style. Cest en cette partie que Démosthènes a<br />

excellé : il n'a point fait usage <strong>du</strong> pathétique touchant,<br />

comme Cicéron; ses sujets ne l'y portaient<br />

pas; mais il a supérieurement manié le pathétique<br />

véhément, qui est plus propre au genre déiibératif,<br />

comme l'autre au genre judiciaire. Yous<br />

mjez si j'ai eu tort <strong>de</strong> faire entrer Thistoire et <strong>la</strong><br />

philosophie dans le p<strong>la</strong>n d'un Cours <strong>de</strong> <strong>littérature</strong>,<br />

tel f se doit le faire celui qui voudra être véritablement<br />

un homme <strong>de</strong> lettres; car un homme <strong>de</strong> lettres<br />

ne doit être nullement étranger au talent <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

proie; et ce talent, pour s'élever à un certain <strong>de</strong>gré<br />

, doit s'appuyer <strong>de</strong> toutes les connaissances que<br />

je viens d'indiquer.<br />

• Que sera-ce en effet qu'un orateur, s'il s'est pas<br />

logicien, s'il ne s'est pas accoutumé à saisir avec<br />

justesse <strong>la</strong> liaison ou l'opposition <strong>de</strong>s idées, à marquer<br />

avec précision le point d'une question débattue<br />

, à démêler avec sagacité les erreurs plus ou<br />

moins spécieuses qui l'obscurcissent, à bien définir<br />

les termes, â bien appliquer te principe à <strong>la</strong> question,<br />

et les conséquences au principe ; à rompre les<br />

liste d'un sophisme, dans lesquels se retranche l'ignorance<br />

ou s'enveloppe <strong>la</strong> mauvaise foi? Sans<br />

doute il doit <strong>la</strong>isser à <strong>la</strong> philosophie l'argumentation<br />

méthodique et <strong>la</strong> sèche dialectique, qui n'opè»<br />

m que les anciens ont nommé faux rent que <strong>la</strong> conviction. L'orateur prétend davan­<br />

c&mmmm3 e'cst4-dire les vérités <strong>de</strong> morale et tage, il veut persua<strong>de</strong>r; car, si <strong>la</strong> résistance à <strong>la</strong><br />

d'expérience t généralement applicables à toutes les vérité n'est souvent qu'une erreur, plus souvent<br />

actions humaines; les considérations tirées <strong>de</strong> Tins-' encore peut-être cette résistance est une passion »<br />

tabilité <strong>de</strong>s choses <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> f <strong>de</strong>s dangers <strong>de</strong> <strong>la</strong> et c'est là l'ennemi le plus opiniâtre et le plus difficile<br />

prospérité, <strong>de</strong> l'ivresse <strong>de</strong> <strong>la</strong> fortune, <strong>de</strong> <strong>la</strong> pitié à vaincre. Il faut donc que l'orateur, non-seulement<br />

qu'os doit au malheur, <strong>de</strong> l'orgueil <strong>de</strong> <strong>la</strong> richesse nous <strong>mont</strong>re le vrai, mtaîf nous détermine à le<br />

y<br />

<strong>de</strong>s inconvénients <strong>de</strong> <strong>la</strong> pauvreté, et mille autres suivre ; non-seulement nous <strong>mont</strong>re m qui est hon­<br />

semb<strong>la</strong>bles*dont le détail est infini, et que l'oranête, mais nous détermine à le faire; c'est pour<br />

teur doit p<strong>la</strong>cer suivant l'occasion», ce qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce<strong>la</strong> que <strong>la</strong> logique oratoire doit joindre les mouve­<br />

<strong>de</strong>s vues philosophiques sur <strong>la</strong> condition humaine; ments aux raisonnements. Mais les mouvements<br />

6° esis les sentiments et les passions, ce que ne seront puissants qu'autant que les raisonne­<br />

' les Latins appe<strong>la</strong>ient qffeeêmf les Grecs *«§r, et ce ments seront justes; et alors rien ne pourra résis­<br />

que nous avons extrêmement restreint par un mot ter à cette double force, faite pour tout entraîner.<br />

qui n'en est point l'équivalent, le mot <strong>de</strong>paêhéêi- C'était celle <strong>de</strong> Démosthènes, le plus terrible athlète<br />

fus, qui ne comprend que l'indignation et <strong>la</strong> pitié, qui jamais ait manié l'arme <strong>de</strong> <strong>la</strong> parole. Il se<br />

au lieu que les termes génériques <strong>du</strong> grec et <strong>du</strong> <strong>la</strong>tin sert <strong>du</strong> raisonnement comme d'une massue dont<br />

icomprennest toutes les affections <strong>de</strong> l'âme que To- il frappe sans cesse, et dont ehaque coup fait une<br />

rateur peut mettre en œuvre, comme favorables à p<strong>la</strong>ie. Je me suis souvent rappelé f en le lisant,<br />

sa cause ou à son opinion ; <strong>la</strong> compassion et <strong>la</strong> ven­ cet endroit <strong>de</strong> l'Ètuêkk (v. 466 et 460), où Entelle t<br />

geance, Tamour et <strong>la</strong> haine, l'ému<strong>la</strong>tion et <strong>la</strong> honte, plein <strong>de</strong> <strong>la</strong> force <strong>de</strong>s dieux, fait pleuvoir sur le mal­<br />

<strong>la</strong> crainte et l'espérance, <strong>la</strong> confiance et le soupçon, heureux Barès sneplle <strong>de</strong> coups 9 et le pousse d'un<br />

<strong>la</strong> tristesse et <strong>la</strong> joie, <strong>la</strong> présomption et l'abatte­ bout <strong>de</strong> l'arène à l'autre, jetant le sang pr te nez »<br />

ment : et c'est là ce qui est spécialement <strong>du</strong> grand par <strong>la</strong> bouche, et par les oreilles :<br />

Ptweipliemqm Marem mrâem a§U mqwm f®&»....<br />

* SinrtB, #ln«i


C'est précisément limage <strong>de</strong> Démosthènet quand<br />

il a en tête un adversaire; et malheur à qui se troufait<br />

sous <strong>la</strong>.main <strong>de</strong> ce ru<strong>de</strong> jouteur! C'est ches<br />

lui que je fais prendre d'abord <strong>de</strong>s exemples <strong>de</strong><br />

moyens et <strong>de</strong> formes oratoires; j'en tirerai ensuite<br />

<strong>de</strong> Cieéros; et vous jugerez <strong>la</strong> différente manièce<br />

<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux grands hommes.<br />

Dans ce femeux procès pmtr <strong>la</strong> €m$rmm9 où<br />

Démosthènes avait toute raison, Eschine s'était<br />

rejeté sur <strong>la</strong> teneur <strong>du</strong> décret <strong>de</strong> couronnement et<br />

sur le texte <strong>de</strong>s lois, matière où <strong>la</strong> chicane <strong>de</strong>s mots<br />

trente toujours <strong>de</strong>s ressources faciles ; et l'accusateur,<br />

lïoraroe <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> talent, les avait fait<br />

valoir avec toute l'adresse possible. Une loi défendait<br />

<strong>de</strong> couronner un comptable : il prétend que<br />

Démosthènes l'est : d'où il conclut que le décret est<br />

illégal et nul. Il se fondait sur ce que Démosthènes<br />

était encore chargé <strong>de</strong> l'administration <strong>de</strong>s spectacles<br />

et l'avait été dès <strong>la</strong> réparation <strong>de</strong>s murs d'Athènes.<br />

La première comptabilité n'avait aucun<br />

rapport au décret qui ne couronnait Démosthènes<br />

que pour <strong>la</strong> gestion qui concernait <strong>la</strong> réparation<br />

<strong>de</strong>s mors. Il est vrai que pour cette <strong>de</strong>rnière il n'avait<br />

ren<strong>du</strong> aucun compte; mais il en avait une fort<br />

bonne raison; c'est qu'il avait presque tout fait à<br />

ses dépens ; et c'était précisément pour récompenser<br />

cette libéralité civique et reconnueque le sénat, bien<br />

loin <strong>de</strong> lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s comptes, lui avait décerné<br />

une couronne d'or. Mais Eschine s'était retranché<br />

dans le teite littéral, et <strong>de</strong> plus, avait affecté <strong>de</strong> mêler<br />

et <strong>de</strong> confondre <strong>de</strong>ux comptabilités fort distinctes,<br />

celle <strong>de</strong>s spectacles et celle <strong>de</strong>s murs : c'était bien là<br />

une matière <strong>de</strong> pur raisonnement. Tous ailes voir<br />

comme Démosthènes sait <strong>la</strong> rendre oratoire, comme<br />

il <strong>la</strong> relève par <strong>la</strong> noblesse <strong>de</strong>s pensées et <strong>de</strong>s sentiments,<br />

en mène temps qu'il fait rayonner l'évi<strong>de</strong>nce<br />

<strong>de</strong>s principes et <strong>de</strong>s faits par une logique lumineuse.<br />

n SI Je passe seas siieaee îa plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> ce qse<br />

f ai <strong>la</strong>it pour le bien <strong>de</strong> <strong>la</strong> république dans les différentes<br />

fonctions qu'elle m'a confiées, c'est parce que ma conscience<br />

m'assure <strong>de</strong> <strong>la</strong> vôtre » et pour ee venir pins tôt ani<br />

lois que Ton prétend avoir été violées par le décret <strong>de</strong> Clé»<br />

siphon. Eschine a tellement embarrassé et obscurci tout ce<br />

qu'il a dit à ce sujet ; qu'en vérité je se crois pas que vous<br />

l'ayez compris mieux qui! s'a pu se comprendre lui-même.<br />

A ses longues déc<strong>la</strong>mations je répondrai ; moi 9 par une déc<strong>la</strong>ration<br />

nette et précise. Il a cent fois répété que je suis<br />

comptable. £fa bien ! je sois si loin <strong>de</strong> le nier f que pendant<br />

ma vie entière je me liens votre comptable t ô mes conci­<br />

toyens f <strong>de</strong> font ce qae j'aurai fait dans l'administration <strong>de</strong>s<br />

affiûres publiques. »<br />

Avant d'aller pins loin , arrêtons-nous un moment<br />

(car <strong>la</strong> chose en vaut <strong>la</strong> peine) pour remarquer ce<br />

ANCIENS. — ÉLOQUENCE. 243<br />

que c'est que <strong>la</strong> véritable éloquence, celle qui vient<br />

<strong>de</strong> fâme : Peetus est, qmd éîmrium farii. Cette<br />

expression simple et franche d'un grand et beau<br />

sentiment <strong>de</strong> citoyen n'a-t-elle pas déjà fait tomber<br />

tontes les ingénieuses arguties d f Eschine? Et en<br />

même temps, comme elle est vraiment oratoire et<br />

fondée sur <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong>s hommes ! Comme<br />

Démosthènes connaît bien ses auditeurs et ses juges l<br />

comme il est sûr d'en obtenir tout, en se mettant entre<br />

leurs mains, et même dans celles <strong>de</strong> son adversaire,<br />

et en offrant beaucoup plus qu'on ne peut toi<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r! Et qu'on ne dise pas qu'une pareille déc<strong>la</strong>ration<br />

est bien facile, que tout le mon<strong>de</strong> peut<br />

<strong>la</strong> faire. Oui, maïs il s 9 agit <strong>de</strong> f effet qu'elle doit pro<strong>du</strong>ire<br />

; et il ne faut pas s'y tromper, cet effet ne tient<br />

pas seulement au talent, mais à <strong>la</strong> personne et à<br />

sou caractère : pour s'exprimer ainsi avec succès,<br />

il faut être pur. Un homme dont <strong>la</strong> probité serait<br />

équivoque ne serait que ridicule en tenant ce <strong>la</strong>ngage,<br />

on sourirait <strong>de</strong> pitié; et un fripon reconnu serait<br />

sifflé. Aussi les anciens définissaient l'orateur vir<br />

bonus dîemdî per<strong>du</strong>s, un homme <strong>de</strong> bien instruit<br />

dans fart <strong>de</strong> <strong>la</strong> parole. Cette déc<strong>la</strong>ration ne serait<br />

donc plus oratoire, si elle s'était pas vraie. Nous<br />

aurons occasion, par ta suite, <strong>de</strong> relever cette singerie<br />

ma<strong>la</strong>droite, ce char<strong>la</strong>tanisme impu<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s<br />

hommes pervers qu'on a vus si souvent emprunter<br />

et défigurer ces eipressions <strong>du</strong> témoignage intime<br />

que peut se rendre <strong>la</strong> vertu, et qui ne ssjett dans<br />

leur bouche qu'un outrage <strong>de</strong> plus qu'ils osent lui<br />

faire. 11 est impuni, je l'avoue, quand il s'adresse<br />

à <strong>de</strong>s complices ou à <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves; mais, quand <strong>la</strong><br />

sclx publique est libre, elle fait justice sur-lechamp<br />

<strong>de</strong> cette insolente hypocrisie. Je n'en rapporterai<br />

qu'un exemple, antérieur même à <strong>la</strong> révolution.<br />

Un homme qui n'avait point mérité <strong>la</strong> mort qu'on<br />

lui a fait subir <strong>de</strong>puis, mais dont l'immoralité servile<br />

et vénale était connue, Linguet, s'avisa un jour <strong>de</strong><br />

s'appliquer es pleine audience ce vers d'Hippolyte<br />

dans <strong>la</strong> tragédie <strong>de</strong> Pkêdre (aet. iv, se. ïî) :<br />

Le Jour n'est pm plus par que le fond <strong>de</strong> mon eœar.<br />

A peine le plus honnête homme aurait-il pu 9 sans<br />

être taxé <strong>de</strong> quelque jactance, se donner à lui-même<br />

en public un pareil éloge, qui c'est permis qu'à<br />

<strong>la</strong> vertu calomniée. Linguet fut accueilli par une huée<br />

universelle; il se retourna vers l'assemblée avec <strong>de</strong>s<br />

regards menaçants, comme nous l'avons vu <strong>de</strong>puis<br />

<strong>mont</strong>rer le poing à l'Assemblée constituante. Mais<br />

ces moyens, qui, quoique très-communs aujour­<br />

d'hui, ne sont pas plus d'un orateur que d'un honnête<br />

homme, parce que <strong>la</strong> décence est inséparable <strong>de</strong><br />

l'honnêteté, ne servirent qu'à faire redoubler les<br />

huées. Ce<strong>la</strong> était juste , et il faut avouer que jamais<br />

îs.


GOUES DE LITTÉIATOIE.<br />

244<br />

citation se fut plus malheureuse. Je rétines à Dé-1<br />

mosthènes, et c'est retenir <strong>de</strong> loin ; il continue ainsi :<br />

« Mais je soutiens en même tenps qu'il n'y & aucune<br />

magistrature qui puisse me rendre comptable <strong>de</strong> ce que j'ai<br />

doimé | entends-tu , Esetiine f <strong>de</strong> ce que f al donné ? Et, Je<br />

•<strong>du</strong>s le <strong>de</strong>man<strong>de</strong> , Athéniens, lorsqu'un citoyen a employé<br />

sa fortuit pour le bien <strong>de</strong> l'état, quelle serait donc là loi<br />

esseï inique , assci eraclte, pour le priver <strong>du</strong> mérite qu'il<br />

a pu se faire auprès <strong>de</strong> TOUS 9 pour soumettre ses libéralités<br />

à <strong>la</strong> forme rigoureuse <strong>de</strong>s eiamens , et ramener <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s<br />

réviseurs chargés <strong>de</strong> calculer ses bienfaits? Une pareille<br />

loi n'eiiste pas ; s'il en est une 9 qu'on me <strong>la</strong> <strong>mont</strong>re. Mais<br />

non, il n'y en a point; i ne saurait y en a?oir. Esetiine a<br />

cm fous abuser par un sopliisme bien étrange : parce que<br />

je suis comptable <strong>de</strong>s <strong>de</strong>niers que j'ai reçus pour l'entretien<br />

<strong>de</strong>s spectacles 9 il veut que je te sois aussi <strong>de</strong> mes propres<br />

<strong>de</strong>niers que j'ai donnés pour <strong>la</strong>'réparation <strong>de</strong> nos<br />

mers. — Le sénat le couronne , s f éeri@4-il, et M est encore<br />

comptable! — ffon9 le sénat ne me couronne pas pour ce<br />

qui exige <strong>de</strong>s comptes f mais pour ce qui n'en comporte<br />

même pas 9 c'est-à-dire pour mon bien , dont j'ai <strong>la</strong>it pré- •<br />

sent à <strong>la</strong> république. — Mais, poursuit-il, tous aves été<br />

chargé <strong>de</strong> Sa reconstruction <strong>de</strong> nos murailles; donc TOUS<br />

émm compte <strong>de</strong> <strong>la</strong> dépense. — Oul9 si j'en âfais fait;<br />

mais c'est précisément parce que je n'en ai fait aucune,<br />

panse que j'ai tout ûût à mes dépens, que le sénat a cm me<br />

<strong>de</strong>voir <strong>de</strong>s honneurs. Un état <strong>de</strong> dépense <strong>de</strong>man<strong>de</strong> en effet<br />

nnefâmcn ; mais, pour <strong>de</strong>s dons, pour <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rgesses, il ne<br />

faut point <strong>de</strong> registres ; il ne <strong>du</strong>t que <strong>de</strong>s louanges et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

iseconnaissance. »<br />

Prenons, dans ce mime dis<strong>cours</strong>, un autre endroit<br />

où <strong>la</strong> logique <strong>de</strong> Démosthèses avait beaucoup<br />

' plus à faire : c'était réellement le point délicat <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> cause 9 celui où elle se présentait sous un aspect<br />

vraiment doutourem. Démosthènes, qui'f sans magistrature<br />

légale, était eu effet le premier magistrat<br />

d* A thèses, et mime <strong>de</strong>s républiques alliées, puisqu'il<br />

gouferuait tout par ses conseils et animait<br />

tout par son éloquence, avait seul fait décréter <strong>la</strong><br />

guerre contre Philippe, et <strong>la</strong> guerre avait été malheureuse.<br />

On niait bien qu'il n'y avait pas <strong>de</strong> sa<br />

faute; mais enfin, le malheur qui aigrit les hommes<br />

ne les rend-il pas injustes? Le ressentiment n'est-il<br />

pas quelquefois aveugle ? n f est-on pas naturellement<br />

trop porté à s'en prendre à celui qui est <strong>la</strong> cause,<br />

innocente ou nos, <strong>de</strong> nos infortunes? £t9 supposé<br />

qu'on lui pardonne, n'est-ce pas <strong>du</strong> moins tout ce<br />

qu'on peut faire? Est-on bien disposé d'ailleurs à<br />

le récompenser et à l'honorer? C'était là f espérance<br />

d'Eschine et le fort <strong>de</strong> son accusation, le mobile <strong>de</strong><br />

toutes ses attaques. 11 parait même f «Il n'a? ait osé<br />

hasar<strong>de</strong>r tant <strong>de</strong> mensonges et <strong>de</strong> calomnies que<br />

dans <strong>la</strong> persuasion où il était qu'il accablerait Démosthènes<br />

<strong>du</strong> poids <strong>de</strong>s désastres publics, <strong>de</strong> manière<br />

à ce qu'il ne pût s'en relever; et c'est dans ce<br />

sens que <strong>la</strong> haranguejMMir iaConrmm est d'autant<br />

plus admirée, qu'il y avait plus <strong>de</strong> difficultés à vainère.<br />

Tous les événements étaient contre l'orateur :<br />

l'essentiel était <strong>de</strong> se sauter par l'intention, ce qui<br />

n'offrait pas une matière aussi facile que celle d'Es*<br />

chine. Celui-ci avait à sa disposition tous ces lieux<br />

communs qui sont si plissants dans l'éloquence,<br />

quand l'application en est sous nos yeux : le sang<br />

<strong>de</strong>s citoyens répan<strong>du</strong>, <strong>la</strong> dévastation <strong>de</strong>s campagnes,<br />

<strong>la</strong> raine <strong>de</strong>s villes, le <strong>de</strong>uil <strong>de</strong>s familles, et<br />

tant d'autres objets déplorables qu'il étale et dé?eloppe<br />

avec tout ce que l'art a <strong>de</strong> plus insidieux, avec<br />

tout ce que l'indignation a <strong>de</strong> plus amer, tout ce que<br />

<strong>la</strong> haine a <strong>de</strong> plus priée» Je ne m'occupe point encore<br />

ici <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> toute espèce que lui oppose<br />

Démosthèues. Ils viendront à leur, p<strong>la</strong>ce. Je m'arrête<br />

à notre objet actuel, au raisonnement oratoire.<br />

Distinguer l'intention <strong>du</strong> fait était bien facile, mais<br />

ne suffisait pas à beaucoup près. Il fal<strong>la</strong>it tellement<br />

<strong>la</strong> séparer <strong>de</strong> l'événement, <strong>la</strong> caractériser -par <strong>de</strong>s<br />

traits si frappants et si nobles, que Démosthèues<br />

et les Athéniens parussent encore grands quand tout<br />

avait tourné contre eux. Nous verrons ailleurs l'article<br />

qui concerne particulièrement les Athéniens;<br />

mais, pour Démosthèues, il prend un parti dont <strong>la</strong><br />

seule conception prouve <strong>la</strong> force <strong>de</strong> sa tête et les ressources<br />

<strong>de</strong> son génie. Il nie formellement qu'il ait été<br />

vaincu; il affirme qu'il a été vainqueur, qu'il a réellement<br />

triomphé <strong>de</strong> Philippe; et ce qui est encore<br />

plus fort, il le prouve. Êcoutons-le s'adresser à EscHae<br />

:<br />

« Malheureux! si c'est le désastre public qui te donné<br />

<strong>de</strong> l'audace quand te <strong>de</strong>vrais en gémir avec nous , essaye<br />

donc <strong>de</strong> faire iroïr$ dans ce qui a dépen<strong>du</strong> <strong>de</strong> moi, quelque<br />

chose qui ait contribué à notre malheur, on qui n'ait pas<br />

dû te prévenir. Partout où j'ai été en ambassa<strong>de</strong>, tes<br />

eneô|és <strong>de</strong> Philippe ©ai-ils en quelque avantage sur moi?<br />

Bien, jamais ; non ; nette part ; ni dans te Thesaalte, ni dans<br />

<strong>la</strong> Thraee Pim dans Byiance , ni dans Thèbes, ni dans Fllly rie.<br />

Mate ce que j'avais fait par <strong>la</strong> parole , Philippe le détruisait<br />

par te force : et ta t'en prends à moi! et In ne rougis pas<br />

<strong>de</strong> m'en <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r compte! Ce même Démosthènes, dont,<br />

ti fais ni homme si faillie 9 te veux qu'il remporte sur les<br />

armées <strong>de</strong> Philippe; et avec quoi, arec te parole ? Ces U<br />

n'y avait que <strong>la</strong> parole qui fill moi : je ne disposais ni<br />

<strong>de</strong>s bras, ei <strong>de</strong> te fortune <strong>de</strong> personne ; je n'avais aucun<br />

comman<strong>de</strong>mêQt militaire ; et il n'y a que toi citasse*iesersé<br />

pour m'en <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r raison. Mais que pouvait, que défait<br />

faire l'orateur d'Athènes ? Voir le mal dans sa naissance, le<br />

faire •oir aux autres, et c'est ce que j'ai fait; prévenir,<br />

autant qu'il était possible, les retards, les faux prétextes s<br />

les oppositions d'intérêts, les méprises 9 tes fautes, les obstacles<br />

<strong>de</strong> toute espèce, trop ordinaires entre les républiques<br />

aillées et Jsleiises, et c'est ce que j'ai fait ; opposer à<br />

toutes ces difficultés te lèle, l'empressement # l'amour <strong>du</strong>


êevetar , F amitié 9 là mmmàê , et c'est ce que f al fait Ssr<br />

ANCIENS. - ÉLOQUENCE<br />

ummm <strong>de</strong> ces points, je êélô qui que ce soit<strong>de</strong> me trouver<br />

es défaut; et si Fou me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> comment Philippe l'a<br />

emporté, test le mon<strong>de</strong> répondra pour moi : Par ses armes<br />

qui ont tout envahi, par son or qui a tout corrompu. H<br />

n'était en moi <strong>de</strong> combattre ni Fe» il f autre; je tf avais ni<br />

trésors ni soldats. Mais, pour ce qui est <strong>de</strong> moi9 j'ose le<br />

dire9 j'ai vaincu Philippe: et comment ? Eu refusant ses<br />

<strong>la</strong>rgesses, en résistant à <strong>la</strong> corruption. Quand un homme<br />

s'est <strong>la</strong>issé acheter f l'acheteur peut dire qu'il a triomphé<br />

<strong>de</strong> lui ; mais celui qui <strong>de</strong>meure mcorraptible peut dire qu'il<br />

a triomphé <strong>du</strong> corrupteur. Ainsi doue, autant qu f U aidé»<br />

pen<strong>du</strong> <strong>de</strong> Démesthènes, Athènes a été victorieuse, Athènes<br />

a été Invincible. »<br />

N'est-ce pas là le chef-d'œuvre <strong>de</strong> l'argumentation<br />

oratoire? ITenten<strong>de</strong>z-voua pas d'ici les acc<strong>la</strong>mations<br />

qui ont dû suivre un si beau morceau? Et<br />

ne concevez-vous pas que rien n'a dû résister à un<br />

génie <strong>de</strong> cette force? Remarquez toujours, ce que<br />

je ne saurais faire remarquer trop souvent, quef<br />

pour employer <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> ce genre, il faut les<br />

trouver dans son âme; elle seule peut les donner :<br />

fart peut apprendre à les disposer et à les orner,<br />

maïs il ne saurait les fournir. C'est à l'orateur surtout<br />

que s'applique ce mot heureux et si souvent<br />

cité <strong>de</strong> Vauvenargues :<br />

« Les gran<strong>de</strong>s pensées viennent <strong>du</strong>. cœur. »<br />

Je dirai donc à celui qui voudra <strong>de</strong>venir éloquent :<br />

Commencez par être un bon citoyen, c'est-à-dire<br />

un honnête homme ; car l'un ne va pas sans l'autre.<br />

Aimez-vous, avant tout, <strong>la</strong> patrie, <strong>la</strong> justice et <strong>la</strong><br />

vérité? fois sentez-vous incapable <strong>de</strong> les trahir jamais<br />

pour quelque intérêt que ce soit? La seule idée<br />

<strong>de</strong> f<strong>la</strong>tter us moment le crime ou <strong>de</strong> méconnaître <strong>la</strong><br />

vertu vous fait-elle reculer <strong>de</strong> honte et d'horreur?<br />

Si vous êtes tel, parlez, ne craignez rien. Si <strong>la</strong> nature<br />

vous a donné <strong>du</strong> talent, vous pourrez tout faire ;<br />

si elle vous en a refusé, voua ferez encore quelque<br />

chose, d'abord votre <strong>de</strong>voir, ensuite un bien réel,<br />

celui <strong>de</strong> donner un bon exemple aux autres, et à <strong>la</strong><br />

bonne cause un défenseur déplus.<br />

sBenoR m. — Application <strong>de</strong>s mêmes principes dans <strong>la</strong><br />

PhiMppique <strong>de</strong> Démosthèaes, intitulée m Là CUEEsenteE.<br />

Ce qui manque à ceux qui n'ont d'autres facultés,<br />

que celles <strong>de</strong> leur âme, c'est surtout <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> et<br />

le raisonnement; c'est cette série d'idées fortifiées<br />

les unes par les autres; c'est cette accumu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong><br />

preuves qui vont toujours en s'élevant, jusqu'à ce<br />

que l'orateur, dominant <strong>de</strong> haut et comme d'un centre<br />

lumineux, finisse par donner une secousse impétueuse<br />

à tout cet amas, et en écrase ses adversaires.<br />

C'est alors que les mouvements, comme je l'ai<br />

indiqué, déci<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> victoire; mais il faut que les rai-<br />

145<br />

sonnements l'aient préparée : sans ce<strong>la</strong>, les maure*<br />

ments heurtent et ne renversent pas. QueFimpérieuse<br />

rérité arrache d'abord à tous les esprits cet assentiment<br />

secret et involontaire, il a raison : alors l'orateur,<br />

qui se sent le maître, comman<strong>de</strong> en effet,<br />

ou plutôt <strong>la</strong> raison comman<strong>de</strong> pour lui, et on obéit.<br />

C'est <strong>la</strong> tactique <strong>de</strong> Bémosthènes dans ses harangues<br />

délibératives, qui forment <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> partie<br />

<strong>de</strong> ses ouvrages, et qui, sous différents titres,<br />

sont toutes véritablement <strong>de</strong>s PMiippîques, puisqu'elles<br />

ont toutes le même objet, celui <strong>de</strong> réveiller<br />

l'indolence <strong>de</strong>s Athéniens, et <strong>de</strong> les armer contre<br />

l'artificieuse ambition <strong>de</strong> Philippe.<br />

On doit comprendre sous ce nom, non-seulement<br />

les quatre harangues qui portent spécialement le<br />

titre <strong>de</strong> PkiUppiques, mais toutes celles qui ont pour<br />

objet les démêlés <strong>de</strong> Philippe avec les Grecs et les<br />

Athéniens, telles que les trois qu'on nomme ordinairement<br />

ks Olynthioqœs, celle qui roule sur <strong>la</strong><br />

Paix proposée par le roi <strong>de</strong> Macédoine,.celle qui<br />

fut prononcée à l'occasion d'une Lettre <strong>de</strong> ce même<br />

prince, et celle qui est intitulée <strong>de</strong> ta Ckersoméêe.<br />

Ce<strong>la</strong> compose dix harangues, et cette <strong>de</strong>rnière est,<br />

à mon gré, <strong>la</strong> plus belle; maïs toutes peuvent être<br />

regardées comme <strong>de</strong>s modèles. On n'y trouve pas ,<br />

il est vrai, les grands tableaux, les grands mouvements,<br />

les développements- vastes <strong>de</strong> <strong>la</strong> harangue<br />

p&ur ta Couronne; ni cette espèce <strong>de</strong> lutte si vive<br />

et si terrible qui appartient au genre judiciaire, où<br />

<strong>de</strong>ux athlètes combattent corps à corps. Mais il faut<br />

remarquer aussi l'avantage particulier, et peut-être<br />

unique, attaché à ce <strong>de</strong>rnier sujet, à cette gran<strong>de</strong><br />

querelle d'Eschine et <strong>de</strong> Démosthëhes ; il faut se représenter<br />

toute <strong>la</strong> Grèce rassemblée, pour ainsi dire,<br />

dans Athènes, pour entendre les <strong>de</strong>ux plus fameux<br />

orateurs dans leur propre cause; et quelle causel<br />

l'homme qui, <strong>de</strong>puis vingt ans, gouvernait par <strong>la</strong><br />

parole Athènes et <strong>la</strong> Grèce, opposant aux attaques<br />

les plus malignes et les plus furieuses <strong>de</strong> <strong>la</strong> haine et<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> calomnie <strong>la</strong> peinture aussi bril<strong>la</strong>nte que fidèle<br />

<strong>de</strong> son administration, c'est-à-dire l'histoire <strong>de</strong>s<br />

Grecs en même temps que <strong>la</strong> sienne. L'intérêt <strong>de</strong>s<br />

événements se joignait ici à celui <strong>du</strong> procès. Déraosthènes,<br />

en défendant sa gloire, défendait celle d'Athènes<br />

et <strong>de</strong>s Grecs. Son âme <strong>de</strong>vait être à <strong>la</strong> fois<br />

élevée par tous les sentiments <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur nationale<br />

, et échauffée par tous les mouvements d'une<br />

indignation personnelle. U a <strong>de</strong>vant lui son adversaire<br />

et <strong>la</strong> Grèce 9 l'une qui l'honore, et l'autre qui<br />

l'outrage. Que ne <strong>de</strong>rait-il, que ne pouvait-il pas<br />

faire pour être digne <strong>de</strong> l'une et pour triompher <strong>de</strong> _<br />

l'autre! C'était vraiment entre Eschine et lui un com- '<br />

bat à mort; car dans Athènes et à Rome, le ban-


246 COURS DE- LITTÉEATUML<br />

nissement était mm sorte <strong>de</strong> peine capitale» Cet assemb<strong>la</strong>ge<br />

<strong>de</strong> circonstances si importantes rendait<br />

son dis<strong>cours</strong> susceptible <strong>de</strong> tons les genres d'éloquence;<br />

<strong>la</strong> piquante amertume <strong>de</strong>s réfutations et<br />

<strong>de</strong>s récriminations , <strong>la</strong> hauteur <strong>de</strong>s idées politiques,<br />

tous les feux <strong>de</strong> <strong>la</strong> gloire et <strong>du</strong> patriotisme se réunissaient<br />

naturellement dans une p<strong>la</strong>idoirie <strong>de</strong> cette<br />

nature, et tout s'y trouve au plus haut <strong>de</strong>gré. N'oublions<br />

jamais que le génie est plus ou moins porté<br />

par le sujet, et que les hommes s'agrandissent<br />

avec les choses, comme les choses avec les hommes.<br />

Le mérite <strong>de</strong>s- Philtppiques est celui qui appartient<br />

proprement à l'éloquence délibérative : une<br />

discussion animée, pressante, lumineuse; une série<br />

<strong>de</strong> raisonnements qui se fortifient les uns par<br />

les autres 9 et ne <strong>la</strong>issent ni le temps <strong>de</strong> respirer, ni<br />

fldée <strong>de</strong> contredire; <strong>de</strong>s formes simples f quelquefois<br />

même familières, mais <strong>de</strong> cette familiarité décente,<br />

et en quelque sorte noble, qui, avec <strong>la</strong> précision,<br />

<strong>la</strong> pureté et <strong>la</strong> rapidité <strong>de</strong> <strong>la</strong> diction, composaient<br />

ce que les anciens appe<strong>la</strong>ient atticisme.<br />

J'ai cru que, même sans une connaissance parfaite<br />

<strong>de</strong>s affaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce, nécessaire seulement<br />

à qui voudra connaître à fond l'esprit <strong>de</strong> ses orateurs,<br />

quelques morceaux choisis dans leurs écrits<br />

pourraient p<strong>la</strong>ire au plus grand nombre <strong>de</strong>s lecteurs.<br />

Mais je n'ai {fas cru pouvoir mieux faire, pour donner<br />

une idée plus éten<strong>du</strong>e <strong>du</strong> plus fameux <strong>de</strong> tous<br />

ces maîtres <strong>de</strong> <strong>la</strong> parole, que <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ire en entier<br />

une <strong>de</strong> ses PMlippiques. J'ai choisi <strong>la</strong> sixième, qui<br />

? Un court exposé sur <strong>la</strong> situation respectifs ie<br />

Philippe et <strong>de</strong>s Grecs à cette époque suffira pour<br />

mettre chacun en état <strong>de</strong> comprendre l f orateur que<br />

je vais faire parler dans notre <strong>la</strong>ngue.<br />

Philippe ; dont l'ambition n'était point bornée par<br />

ses petits États, et dont les talents étaient fort au<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> sa puissance héréditaire, avait formé le<br />

hardi projet <strong>de</strong> dominer dans <strong>la</strong> Grèce. C'était beaucoup<br />

entreprendre pour un roi <strong>de</strong>s Macédoniens,<br />

nation jusque-là méprisée <strong>de</strong>s Grecs, qui <strong>la</strong> traitaient<br />

<strong>de</strong> barbare. Philippe, <strong>de</strong>eean à <strong>la</strong> fois politique'<br />

et guerrier à l'école <strong>du</strong> Thébaîn Pélopidas f qui<br />

avait élevé sa jeunesse, mit à proit les leçons<br />

commun <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>i<strong>de</strong>urs en Juge ainsi, et s'imagine epe leur<br />

avocat n'en a jamais dit assez; mais l'ineptie <strong>de</strong>s habitués<br />

qui faisaient les réputations <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour <strong>du</strong> pa<strong>la</strong>is venait à l'appui<br />

<strong>de</strong> ce ridicule préjugé. On les entendait dire, avec le ton<br />

d'usé admiration emphatique ; Maître mm tel a, parié <strong>de</strong>ux<br />

heures, f avocat général a parié quatre heuret. La- raison<br />

pourrait en conclure le plus souvent qulis avaient débité bien<br />

<strong>de</strong>s inutilités ; mais l'ignorance conclut tout différemment t et<br />

s'extasie.<br />

Cette différence entre les anciens et nous, tient encore à celle<br />

<strong>du</strong> gouvernement. Quand tout citoyen est admis à parler<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> chose publique seloo le droit et l'occasion, te dégoût<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> prolixité et le mérite <strong>de</strong> <strong>la</strong> précision se font aisément<br />

sentir, et <strong>la</strong> mesure commune <strong>de</strong>s jugements, c'eut limp@rtance<br />

<strong>de</strong>s matières et <strong>la</strong> faculté que chacun a <strong>de</strong> les traiter,<br />

Mais, quand c'est ie métier d<br />

a pour titre <strong>de</strong> <strong>la</strong> Chersonése; elle n'est pas longue ;<br />

et jamais orateur ne fut moins diffus que Démosthènes.<br />

11 est vrai qu'en ce<strong>la</strong> le goût <strong>de</strong>s Athéniens servait<br />

<strong>de</strong> règle et <strong>de</strong> mesure aux harangueurs. Ce peuple<br />

Ingénieux et délicat n'aimait pas qu'on abusât<br />

<strong>de</strong> son loisir, ni qu'on se défiât <strong>de</strong> son intelligence.<br />

Il se piquait d'entendre pour ainsi dire à <strong>de</strong>mi-mot,<br />

et il lui arrivait d'Interrompre, à <strong>la</strong> tribune, ceux<br />

qui n'al<strong>la</strong>ient pas au fait. On peut juger <strong>de</strong> cette<br />

espèce <strong>de</strong> sévérité par un mot <strong>de</strong> Phocion. Il était<br />

renommé par une concision singulière, et par un©<br />

diction austère et âpre comme ses mœurs. Son <strong>la</strong>conisme<br />

énergique l'emporta plus d'une fois sur Fat»<br />

ticisme <strong>de</strong> Démosthènes t qui disait <strong>de</strong> lui : C'est<br />

mue hache qui coupe mes dis<strong>cours</strong>. Phocion, un<br />

jour qu'il se disposait à <strong>mont</strong>er à <strong>la</strong> tribune, paraissait<br />

fort rêveur; et comme on lui en <strong>de</strong>mandait <strong>la</strong><br />

cause : Je songe, dit-il, commeni je ferai pour<br />

abréger ce que j'ai à dire *..<br />

» Il y a lois <strong>de</strong> cette sobriété <strong>de</strong> paroles à <strong>la</strong> verbeuse ambition<br />

qu'affectaient parmi nous Ses orateurs <strong>du</strong> barreau.<br />

C'est là qu'il semb<strong>la</strong>it que le mérite d'un dis<strong>cours</strong> se mesurât<br />

•or sa <strong>du</strong>rée. L'on était aussi satisfait d'avoir parlé longtemps<br />

qu'os pourrait l'être d'Avoir bien parlé. Passe encore cpe le<br />

f un petit nombre <strong>de</strong> parler en<br />

public, quand ce métier est circonscrit dans une sphère<br />

étroite et privée, Fou s'étend d'autant plus en paroles qu'on<br />

est plus borné sur les objets : on se retourne en tout sens pour<br />

occuper le plus <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce que Ton peut cW ainsi qu'une p<strong>la</strong>idoirie<br />

sur un testament ou sur une substitution est d'ordinaire<br />

beaucoup fplus longue qu'aucune <strong>de</strong>s harangues <strong>de</strong><br />

Démosthènes et <strong>de</strong> Cicéron sur les plus grands intérêts publia<br />

et sur les affaires les plus considérables. Des «lia Pkilippiques,<br />

il n'y en a pas une qui excédât une àeml-heore <strong>de</strong><br />

lecture. Les plus longs p<strong>la</strong>idoyers <strong>de</strong> Clcéron ou <strong>de</strong> Démosthènes<br />

ne tiendraient pas plus d'une heure'; et celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> Ceunm»e<br />

, le plus éten<strong>du</strong> <strong>de</strong> tous, ce chef-d'œuvre si riche à tous<br />

égards, qui <strong>de</strong>vait renfermer et qui renferme tant d f obJets, ne<br />

comporte pas un débit <strong>de</strong> plus d'une heure t si l'on en retranche<br />

<strong>la</strong> lecture <strong>de</strong>s actes publics, qui étaient les pièces probantes.<br />

Tous les avocats pourtant ne donnent pas également dana<br />

cette diffusion; il en est qui savent se proportionner au §u-<br />

Jet. On cite'même un exemple d'une précision fort extraordinaire<br />

et fort p<strong>la</strong>isante t et qui t par ce<strong>la</strong> même, réussît à<br />

cause <strong>de</strong> <strong>la</strong> rareté <strong>du</strong> fait, mais dont je serais fort éloignéda<br />

vouloir faire un modèle à suivre. Dans une petite ville <strong>de</strong> province<br />

, un mauvais peintre fut accusé d'avoir fait un enfant à<br />

une tille qui réc<strong>la</strong>mait <strong>de</strong>s dommages et intérêts. Ce pauvre<br />

homme avait pour tout bien, outre son talent <strong>de</strong> peindre quelques<br />

<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> portes et quelques enseignes, <strong>la</strong> charge <strong>de</strong> peintre<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> ville, qui îuC va<strong>la</strong>it, je crois, une centaine d'écus\ Il<br />

était d'ailleurs fort mai partagé pour <strong>la</strong> figure et pour l'esprit.<br />

Voici le p<strong>la</strong>idoyer <strong>de</strong> son avocat, qui fut conservé par les curieux<br />

: 11 avait opposé ce qu'on appelle en justice déêjlnt <strong>de</strong><br />

non-reeewir.<br />

« Mes fins <strong>de</strong> non-recevotr sont bien simples. On ne peut<br />

• « sé<strong>du</strong>ire une fille que par l'un <strong>de</strong> ces trois moyens, ©u <strong>la</strong><br />

« figure, ou l'argent, ou l'esprit Or, celui pour qui je pîaf<strong>de</strong><br />

« est <strong>la</strong>id et fort <strong>la</strong>id, sot et fort sot, gueux et trjès-gueui.<br />

n Laid; regar<strong>de</strong>i-îe : gueux, 11 est peintre, e&peinêre êe <strong>la</strong><br />

« ville : sot ; Interrogei-le. Je persiste dans mes conclusions. »<br />

L'assemblée éc<strong>la</strong>ta d® rire, «lie procès fut gagné tout d'une<br />

voii.


" ^CIENS, — ALOQUKNQL<br />

#IM grand homme qui ami cultivé e» lui <strong>de</strong>s facilités<br />

naturelles. Il créa use puissance militaire, à<br />

peu près comme <strong>de</strong> nos jours Frédéric, et prépara<br />

ainsi pour son ils k conquête <strong>de</strong> F Asie en lui soumettant<br />

<strong>la</strong> Grèce. Son armée <strong>de</strong>?lit bientôt redoutable<br />

: elle était composée <strong>de</strong> <strong>la</strong> pha<strong>la</strong>nge macédonienne<br />

, corps d'infanterie qui fut invincible jusqu'à<br />

ce qu'il se fût mesuré contre les légions romaines;<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> cafalerie thessalienne, <strong>la</strong> meilleure que Fou<br />

connût alors, et qui dans <strong>la</strong> suite it remporter à<br />

Pyrrhus sa première Yictoire sur les Romains. Il<br />

forma <strong>de</strong>s généraux qui furent comptés <strong>de</strong>puis parmi<br />

les meilleurs d'Alexandre, tels qu f Attale et Parmeni©!.<br />

Avec ces troupes, con<strong>du</strong>ites par <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong><br />

ce mérite,bien entretenues et toujours en action9<br />

il se portait rapi<strong>de</strong>ment dans les différentes contrées<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce, suivant les occasions qu'il savait faire<br />

naître, ou attendre, ou saisir; car ce fut <strong>la</strong> politique<br />

encore plps que <strong>la</strong> force qui fit ses succès. Il<br />

trouvait, il est vrai, <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s facilités dans cet<br />

esprit <strong>de</strong> jalousie, <strong>de</strong> défiance et <strong>de</strong> rivalité qui animait<br />

les républiques grecques les unes contre les<br />

autres, et suscitait <strong>de</strong>s divisions continuelles. Philippe,<br />

prodigue <strong>de</strong> serments, <strong>de</strong> caresses et d'argent,<br />

avait partout <strong>de</strong>s ministres et <strong>de</strong>s orateurs à ses gages,<br />

et ils trompaient facilement <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong>, qui<br />

n'eit jamais plus asservie que quand elle croit comman<strong>de</strong>r.<br />

Cétait par le se<strong>cours</strong> <strong>de</strong> ces agents mercenaires<br />

qu'il dirigeait <strong>de</strong> loin toutes les résolutions<br />

<strong>de</strong> ces divers États, les uns plus forts, les autres<br />

plus faibles; et quand il les avait brouillés, il ne<br />

manquait pas d'intervenir dans <strong>la</strong> querelle, et, sous<br />

le prétexte <strong>de</strong> secourir fia contre l'autre, il unissait<br />

par dépouiller tous les <strong>de</strong>ux. Cest ainsi qu'il<br />

était parvenu à se faire livrer le passage <strong>de</strong>s Thermopjrles<br />

et le pays <strong>de</strong>s Phocéens, qui lui ouvrait<br />

FAttique; qu'il s'était emparé <strong>de</strong> FEubée, qui, <strong>du</strong><br />

cêté <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer, tenait en respect, par sa seule position<br />

9 tout le territoire d'Athènes ; qu'en!® il avait<br />

prit Amphipolis et beaucoup d'autres villes, soit <strong>de</strong><br />

Thrace, soit <strong>de</strong> Thessalie. Cersoilepte, un <strong>de</strong>s petits<br />

rois <strong>de</strong> Thrace, redoutant ses entreprises, et vou<strong>la</strong>nt<br />

se ménager contre lui l'appui <strong>de</strong>s Athéniens,<br />

avait prit le parti <strong>de</strong> leur cé<strong>de</strong>r <strong>la</strong> Chersonèse, presqu'île<br />

avantageusement située sur l'HeUespont,<br />

et qui pouvait être très-utile à une nation puissante<br />

sur mer, telle qu'était alors Athènes. Gardie, une<br />

<strong>de</strong>s villes principales <strong>de</strong> cette presqu'île, avait refusé<br />

<strong>de</strong> se soumettre comme les autres à <strong>la</strong> domination<br />

athénienne, et s'était mise sous <strong>la</strong> protection <strong>de</strong><br />

Philippe, qui avait dans ce moment une armée dams<br />

<strong>la</strong> Thrace. Athènes, qui avait envoyé une colonie<br />

dans <strong>la</strong> Chersonèse, <strong>la</strong> it soutenir par <strong>de</strong>s troupes<br />

247<br />

chargées d'observer Philippe. Btopithe, qui les commandait,<br />

regardant avec raison comme une hostilité<br />

<strong>la</strong> protection que ce prince accordait aux Gardiens,<br />

se jette sur les terres qu'il possédait dans <strong>la</strong><br />

Thrace maritime, les pille s les ravage, et remporte<br />

un riche butin qu'il met en sûreté dans <strong>la</strong> Chersonèse.<br />

Philippe, trop occupé ailleurs pour en prendre<br />

vengeance, porte <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s p<strong>la</strong>intes aux<br />

Athéniens, sous prétexte qu'il n'y avait point entre<br />

eux et lui <strong>de</strong> déc<strong>la</strong>ration <strong>de</strong> guerre. Il réc<strong>la</strong>me les<br />

traités qu'il avait violés le premier, et ses créatures<br />

s'empressent d'appuyer ses réc<strong>la</strong>mations et s'emportent<br />

contre Biopithe. Os <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qu'il soit<br />

rappelé, qu'on envoie même contre lui un autre général<br />

pour le forcer à <strong>la</strong> soumission en cas <strong>de</strong> résistance,<br />

et que Philippe reçoive <strong>de</strong>s satisfactions.<br />

Cette lâcheté-insensée <strong>de</strong>vait révolter Démosthènes.<br />

Il <strong>mont</strong>e à <strong>la</strong> tribune et parle ainsi :<br />

« Il faudrait, Athéniens , que caox qui parlent dam celte<br />

tribune i tous également exempts <strong>de</strong> comp<strong>la</strong>isance on d'àaimosiié,<br />

ne songeassent qu'à énoncer ce qui leur parait le<br />

meilleur à faire, surtout quand nous stwm à délibérer sur<br />

<strong>de</strong> grands intérêts publics. Mais paisqîM piraii les «rateiirg ,<br />

il en est qui se <strong>la</strong>issent con<strong>du</strong>ire , soit par un esprit <strong>de</strong> contention<br />

et «le jalousie, soit par d'autres motifs personnels ,<br />

c'est à vous <strong>du</strong> moins <strong>de</strong> mettre <strong>de</strong> côté tontes ces ceasl»<br />

dérapons particulières, pour ne vous occuper qu'à résoudre<br />

et exécuter ce que vous croiras utile à lIÉtat<br />

« De quoi s'agit il aujourd'hui? De k Chersonèse menacée<br />

par Pliiilppe9 qui <strong>de</strong>puis casa mois est dans <strong>la</strong> Thrace<br />

avec use armée. Et <strong>de</strong> quoi vous partent vos erstears?<br />

Des opérations et <strong>de</strong>s entreprises <strong>de</strong> Diopithe. Ponr moi ,<br />

j'attache fort peu d'Importance aas aciaisatlcas intentées<br />

contre im <strong>de</strong> vos généraux» que vous peaseaf quand vous<br />

le voudrez, pcarsalere ans termes <strong>de</strong> k loi, soit tout à<br />

l'heure, soit dans nu astre temp, peu importe; et je ne vois<br />

pas pourquoi, ni moi9 ni qui qne ce soit ici, nous nous<br />

échauflêrions sur nn pareil sujet. Mais ce que cherche à<br />

nous en<strong>la</strong>cer Philippe, notre ennemi, Philippe, dont les<br />

troupes couvrent les bords <strong>de</strong> IHelespaat; ce que vous<br />

ne pourrez plus' ni réparer ni ressaisir,- si vous en manqua<br />

l'occasion; voilà ce qui est pressant, voilà sur quoi il fsat<br />

statuer sur-le-champ , sans permettre que <strong>de</strong> vaines et tumultueuses<br />

altercations vous le fassent perdre <strong>de</strong> vue.<br />

« Je n'entends pas sans étonneaient, je l'avoue, bien<br />

<strong>de</strong>s choses qui se disent dans vos assemblées. Biais rien<br />

ne m'a plus surpris qne ce qui s'est dit <strong>de</strong>vant moi dans le<br />

sénat 9 que quiconque se proposait <strong>de</strong> vous parler dans tes<br />

circonstances acttiallea <strong>de</strong>vait déc<strong>la</strong>re? formeUemeiît s'il<br />

vous conseil<strong>la</strong>it k guerre ou k pais. Non f ce n'est plus là<br />

que nous en sommes. Si Philippe se tenait tranquille, s'il<br />

n'avait pas violé les traités # ravi vos faaaiessîens; s'! ne<br />

soulevait pas, s'il n'armait paa.eaatre vous Ses peuples en<br />

même temps qu'il se les attache, sans contredit 9 M ne tiendrait<br />

qu'à vous <strong>de</strong> rester en paix; et pour ce qui vous «mcerné!<br />

je vous j vois aussi disposés qu'il est possible <strong>de</strong> l'être.<br />

Mais si d'un côté nous avons sons les yeux les traités qn'O a


248<br />

COUfiS DE LITTÉiATUEE.<br />

Jurés mm wmf si <strong>de</strong> l'antre il est manifeste qo'afant<br />

môme que Dioplthe partit <strong>de</strong> ces murs à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> cette eotoile<br />

à qui i f oo reproche aujourd'hui d'être Sa cause <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

guerre, Philippe, contre tout droit et toute justice, s'était<br />

emparé déjà <strong>de</strong> ce qui TOUS appartient! si ?os propres décrets,<br />

ren<strong>du</strong>s à ce sujet, accusent autiieutiquemest ces<br />

vio<strong>la</strong>tions <strong>de</strong>s engagements pris a?ec nous ; si,' toutes les<br />

fois qu'il s'est lié avec les Grecs ou avec les barbares, il n'a<br />

eu évi<strong>de</strong>mment d'autre objet que <strong>de</strong> vous faire Sa guerre, que<br />

signifie donc ce qn'on vient vous dire, qu'il faut choisir <strong>la</strong><br />

guerre ou Sa paix ? Eh ! vous n'en met plus le choix; il ne vous<br />

restequ'tm seul parti, qui est à <strong>la</strong> fols celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice et <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> nécessité, c'est <strong>de</strong> repousser l'agresseur : et c'est le seul<br />

dont on ne vous parle pas ! à. motos cependant qu'on ne<br />

préten<strong>de</strong> que Philippe, pourvu qu'il n'attaque pas FAttiqne,<br />

le Pirée, nos muraiMes, ne nous fait point injure et n'est<br />

pas en guerre avec nous. Mais je ne puis penser, Athéniens 9<br />

que ceux qui établiraient <strong>de</strong> semb<strong>la</strong>bles règles d'équité, et<br />

marqueraient ainsi les limites <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre et <strong>de</strong> <strong>la</strong> paix,<br />

•on» parussent avoir l'idée <strong>de</strong> ce que prescrit <strong>la</strong> justice,<br />

<strong>de</strong> ce que vous pouvei supporter sais honte, et <strong>de</strong> ce<br />

qtfcïige votre sûreté. Il y a plus; ils ne s'aperçoivent pas<br />

qu'eux-mêmes, en par<strong>la</strong>nt ainsi, justifient Dioplthe qu'ils<br />

'accusent ; car enfin, pourquoi serait-il permis à Philippe <strong>de</strong><br />

faire tout ce qu'il <strong>la</strong>i p<strong>la</strong>ît, pourvu qu'il n'envahisse pas<br />

FAttique, s'il n'est pas permis à Dioplthe <strong>de</strong> secourir les<br />

Thraces sans être accusé d'allumer <strong>la</strong> guerre ? — Mais, dit-<br />

' on, il ne faut pas souffrir que les soldats mercenaires ravagent<br />

les bords <strong>de</strong> FHellespont, ni que Dioplthe, en levant<br />

<strong>de</strong>s vaisseaux étrangers, iksse le métier <strong>de</strong> pirate. — Soit :<br />

je suis persuadé <strong>de</strong>s bonnes intentions <strong>de</strong> ceox qui TOUS<br />

tiennent ce <strong>la</strong>ngage ; sans doute ils n'ont d'autre intérêt que<br />

celui <strong>de</strong> l'équité et le Yôtrc. En ce cas, je n'ai plus qu'une<br />

question à leur faire, et <strong>la</strong> voici : quand ils auront dissipé<br />

et anéanti votre armée en diffamant le général qui a trouvé<br />

dans ses propres ressources les moyens <strong>de</strong> l'entretenir,<br />

qu'ils nous disent comment Ils feront pour anéantir aussi<br />

farinée <strong>de</strong> Philippe. S'ils restent sans réponse, i est c<strong>la</strong>ir,<br />

Athéniens, qu'ils n'ont qu'un but; et c'est <strong>de</strong> vous ramener<br />

au même état <strong>de</strong> choses qui, dans ces <strong>de</strong>rniers temps,<br />

a - puisse faire à son aise tout ce qui lui conviendra. Jugez-en<br />

par ce qui se passe aujourd'hui. Il occupe <strong>de</strong>puis longtemps<br />

Sa Tance et <strong>la</strong> Thessahe a?ec <strong>de</strong>s troupes nombreuses : si 9<br />

avant l'époque <strong>de</strong>s vents étésiens, il assiège Byxan@e,eroyexvous<br />

que les Byzantins persistent dans leurs préventions<br />

cintre vous au point <strong>de</strong> ne pas sentir le besoin <strong>de</strong> votre se<strong>cours</strong><br />

P Eh î à votre défaut, ils appelleraient dans leurs murs<br />

<strong>de</strong>s auxiliaires, quels qu'ils fussent (même ceux dont ils<br />

se mèneraient encore plus que <strong>de</strong> vous) ; plutôt que do<br />

rester à <strong>la</strong> merci <strong>de</strong> Philippe ; à moins cependant qu'il ne<br />

•ienne à bout <strong>de</strong> s'emparer <strong>de</strong> leur ville avant que personne<br />

puisse le savoir. Et si nous n'avons point <strong>de</strong> troupes sur<br />

les lieux, si, quand nous vendrons y en envoyer, les vents<br />

s'y opposent, n'en doutons pas, les Byzantins sont per<strong>du</strong>s.<br />

— Mais ce sont <strong>de</strong>s peuples qu'a égarés un mauvais génie,<br />

et leur con<strong>du</strong>ite envers noos a été insensée. — Oui, mais<br />

ces insensés, il faut les sauver, et les sauver pour nous.<br />

« Sommes-nous sûrs enfin que Philippe ne se porte pas<br />

dans <strong>la</strong> Chersonèse ? N'a-t -il pas dit dans sa lettre qu'il comptai<br />

t se venger <strong>de</strong> ces peuples? Et n'est-ce pas une raison <strong>de</strong><br />

plus pour y <strong>la</strong>isser une armée que nous avons là toute formée,<br />

qui pourra défendre le pays et inquiéter Fennemi?<br />

Si nous <strong>la</strong> perdons, cette armée, et que Philippe entre dans<br />

Sa Chersonèse, qse ferons-nous alors? — Nous mettrons<br />

Dioplthe en justice. — Nous voilà bien avancés. — Nous<br />

ferons passer <strong>de</strong>s se<strong>cours</strong>. — Et si <strong>la</strong> mer n'est pas tenaèle?<br />

— Mais Philippe n'attaqnera pas <strong>la</strong> Chersonèse. — Et qui<br />

vous Fa dit? qui vous en répond? »<br />

Yoilà os modèle <strong>de</strong> précision dans le dialogue<br />

hypothétiqeef lise <strong>de</strong>s formes les plus piquantes<br />

que Fou puisse donner à <strong>la</strong> discussion. Mais il faut<br />

bien prendre gar<strong>de</strong> à on inconvénient très-dange- '<br />

reai , où tombent souvent ceci qui emploient ce<br />

moyen sans en connaître le principe et les effets.<br />

Ils se font <strong>de</strong>s objections faibles on ineptes , qui ne<br />

sont nullement celles qu'on leur oppose on qu'on<br />

peut leur opposer; et alors ce petit artllee <strong>de</strong>vient<br />

puéril, et retombe sur eoi. Quand on fait parler<br />

porté un coup si funeste à <strong>la</strong> puissance d'Athènes. Vous ses adversaires, il faut répondre à leur pensée, et<br />

le saves : rien n'a donné à Philippe tant d'avantages sur non pas à <strong>la</strong> sienne; être bien sûr <strong>de</strong> ee qu'ils peu*<br />

nous, que d'avoir toujours une armée sur pied ; qui le met vent dire, et bien série <strong>la</strong> réplique. Ici Démosthè-<br />

à portée <strong>de</strong> saisir toutes les occasions; il vous prévient nes ne met dans leur bouche que ce qu'ils avaient<br />

partout, parce que, après avoir délibéré à loisir avec lui- dit, ou ce qu'ils étaient obligés, <strong>de</strong> dire pour n'être<br />

même, 11 agit subitement et quand il lui p<strong>la</strong>St : H attaque,<br />

pas inconséquents. Trois fois il les fait parler, et<br />

11 renverse. Nous, au contraire, ce n'est qu'au bruit <strong>de</strong> ses<br />

trois fois il les terrasse d'un seul mot. Il reprend :<br />

invasions que nous commençons <strong>de</strong>s préparatifs longs .et<br />

tumultuaires. Mais qu'arrive4-il? Ce qui doit toujours arriver<br />

i ceux qui s'y prennent trop tard : il gar<strong>de</strong>, lui, sans<br />

« Considérez donc 9 Athéniens, dans quel temps et dans<br />

cpelle saison <strong>de</strong> Fumée on mm conseille <strong>de</strong> retirer ?os<br />

danger, ce qnll a pris sans obstacles; et nous, après <strong>de</strong> troupes <strong>de</strong> l'HeHespont, et <strong>de</strong> Feiposer sans défense aux<br />

gran<strong>de</strong>s dépenses inutiles, après bien <strong>de</strong>s efforts superflus, entreprises <strong>de</strong> Philippe. Quedis-je ? voici use considération<br />

après avoir bien vainement <strong>mont</strong>ré toute l'envie possible<br />

<strong>de</strong> le traverser et <strong>de</strong> lui nuire, que nous reste-t-II ? i'impuissance*et<br />

<strong>la</strong> honte.<br />

d'une tout antre importance : slf revenant <strong>de</strong> <strong>la</strong> hante<br />

Turace, i! <strong>la</strong>isse <strong>de</strong> côté <strong>la</strong> Chersonèse et fiyzance, et attaque<br />

Cbalcis et M'égares comme en <strong>de</strong>rnier lien <strong>la</strong> fille<br />

« Mettez-vous donc bien dans l'esprit, Athéniens, que<br />

d'Orée, aimei-vons donc mieni être obligés <strong>de</strong> l'arrêter<br />

tondis qu'on vous amuse ici <strong>de</strong> vaines paroles, au fond, tout<br />

sur vos frontières que <strong>de</strong> l'occuper loin <strong>de</strong> TOUS? » ,<br />

ce que l'on veut, c'est que vous jresties oisifs au <strong>de</strong>dans et L'orateur, bien affermi sur les <strong>la</strong>its qu'il a expo­<br />

désarmés au <strong>de</strong>hors, afin que Philippe, pendant ce temps, ' sés , et sur les conséquences à en tirer, ce qui, grâce


ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

à sa forte logique f a été pour lui l'affaire d'un moment,<br />

ne craint point <strong>de</strong> risquer un avis qu'il sait<br />

bien n'être point <strong>du</strong> goût <strong>de</strong> <strong>la</strong> plnpart <strong>de</strong>s Athéniens;<br />

mais aussi s'est-il réservé, pour le soutenir,<br />

les moyens les plus puissants f eeux qu'il va tirer<br />

<strong>de</strong>s affections morales d'un peuple qu'il âfâit bien<br />

étudié. Il te connaissait sensible à <strong>la</strong> honte, jalon*<br />

<strong>de</strong> sa réputation et <strong>de</strong> ses lumières, très-sujet à<br />

se <strong>la</strong>isser tromper par négligence, mais aussi trèsirascible<br />

contre ceux qu'il voyait convaincus <strong>de</strong> IV<br />

iroir trompé. Ce sont autant <strong>de</strong> leviers dont l'orateur<br />

va se servir pour mettre en mouvement cette multitu<strong>de</strong><br />

indolente et inattentive. Il a fait briller l'évi<strong>de</strong>nce;<br />

il va faire tonner <strong>la</strong> vérité, et vous verrez<br />

comment un citoyen parle à un peuple. On n'avait pas<br />

imaginé dans Athènes, non plus qu'en aucun endroit<br />

<strong>du</strong> inon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> donner ce titre <strong>de</strong> peuple à un<br />

ramas <strong>de</strong> brigands- Ceux-là, il faut bien les f<strong>la</strong>tte :<br />

comment ne pas f<strong>la</strong>tter <strong>de</strong>s complices ? Ceux-là, il<br />

faut bien les appeler" un pm^hessentielkmmi bon;<br />

c'était le refrain <strong>de</strong> nos tyrans. Mais Bémosthènes<br />

savait comme les Athéniens, que, si les hommes<br />

étaient mseniidlemeni bm$3 ils n'auraient pas besoin<br />

<strong>de</strong> lois ;• il par<strong>la</strong>it à un véritable peuple, très-susceptible<br />

d'erreurs, <strong>de</strong> faiblesse, <strong>de</strong> prévention, mais<br />

qui avait une patrie, une religion, une morale et<br />

<strong>de</strong>s mœurs sociales, et à qui l'on pouvait es conséquence<br />

<strong>mont</strong>rer impunément <strong>la</strong> vérité, mais <strong>la</strong> <strong>du</strong>re<br />

; vérité, <strong>la</strong> vérité poignante, pourvu qu'il fût sûr <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

' bonne foi-et <strong>de</strong>s intentions <strong>de</strong> l'orateur. Ceux qui ne<br />

sontpasfamiliarisésavecles anciens, et qui ne connaissent<br />

que cette vile a<strong>du</strong><strong>la</strong>tion sans cesse prodiguée<br />

parmi nous à <strong>la</strong> plus vile multitu<strong>de</strong>, cet abject<br />

popu<strong>la</strong>risme, nommés! improprement popu<strong>la</strong>rité,<br />

ne concevront rien à <strong>la</strong> véracité hardie et_ véhémente<br />

<strong>de</strong> Bémosthènes, à ces reproches amers et<br />

violents dont il frappe ses concitoyens pour les<br />

éveiller et les éc<strong>la</strong>irer ; et ils seront encore bien plus<br />

surpris <strong>de</strong> l'accueil qu'on fit à ce dis<strong>cours</strong>, et <strong>du</strong><br />

succès qu'il obtint.<br />

« papes ces <strong>la</strong>ite et ces réflexions, mon avis est 4ue,<br />

Mea Ma <strong>de</strong> licencier l'armée que Diopithe s'efforce <strong>de</strong><br />

ftiaiiitofiir pour le service <strong>de</strong> <strong>la</strong> république , il faut au contraire<br />

lui fournir <strong>de</strong> nouvelles forces, <strong>de</strong> l'argent et <strong>de</strong>s<br />

aiaiàiMmiL En effet, sa l'on <strong>de</strong>mandait à Philippe ce qu'il<br />

aimé le mieux, que tes troupei <strong>de</strong> Dtopithe (<strong>de</strong> quelque<br />

espèce qu'elles soient; je ne veux disputer là-<strong>de</strong>ssus avec<br />

personne ) sa<strong>la</strong>nt autorisées, honorées, renforcées par le<br />

peuple d'Athènes, ou dispersées et détruites par <strong>la</strong> malvettSânee<br />

<strong>de</strong> vos orateurs, qui doute que ce <strong>de</strong>rnier parti<br />

se fût ce<strong>la</strong>i qu'il préférât? Ainsi, ce que notre ennemi souhaiterait<br />

le plus au mon<strong>de</strong>, c'est précisément ce que vous<br />

veulei faire!... Et vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rai encore pourquoi<br />

nos affaires vont si mal !... Je vais vous le dire nettement,<br />

249<br />

Athéniens; Je vais mettre sorts vos yeux et votre situation<br />

et votre con<strong>du</strong>ite : en <strong>de</strong>ux mots, sous ne voûtons<br />

ni combattre si payer. Nous voulons attirer à sous les<br />

<strong>de</strong>niers publics; sous refusons à Dtopithe cens qui lui<br />

étaient assignés légalement, et nous te chicanons encore<br />

sur ceux qu'il se procure et sur l'emploi qu'il en fera :<br />

c'est ainsi que nous nous con<strong>du</strong>isons en tout, et que nous<br />

persistons t ne jamais nous charger <strong>de</strong> nos propres affaires.<br />

Nous louons, il est vrai, tant qu'os veut, ceux qui élèvent<br />

<strong>la</strong> voix pour l'honneur <strong>de</strong> te patrie; mais dans te<br />

<strong>la</strong>it, sous agissons comme si nous étions d'accord avec ses<br />

ennemis. Vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>* à ceux qui <strong>mont</strong>ent à cette tribune<br />

ce qu'il faut faire; et moi, je vous interroge à me®<br />

tour, et je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce qu'il fout vous dire; car, je<br />

vous le répète, si vous ne voules servir l'Étal ni <strong>de</strong> votre<br />

personne si <strong>de</strong> votre argent; si vous se voules ni faire<br />

passer à Diopithe les fonds qui loi sont <strong>du</strong>s, ni permettre<br />

qu'il en tire d'ailleurs; m un mot, si vous se voulei pas<br />

faire vous-mêmes vos suaires, Athéniens, je n'ai point <strong>de</strong><br />

conseils à vous donner.<br />

« Eh î <strong>de</strong> quoi serviraient-ils, quand vous souffre! que<br />

<strong>la</strong> licence <strong>de</strong> <strong>la</strong> calomnie aille au point <strong>de</strong> poursuivre Diopithe<br />

, son pas seulement sur ce qu'il a frit, mais même<br />

sur ce qu'il fera? Et c'est Sa ce que vous enten<strong>de</strong>* patiemment,<br />

Athéniens!... Mais m faut-il que vous dire ce qui<br />

es arrivera? Oh ! pour ce<strong>la</strong> <strong>du</strong> moins je vous te dirai, et<br />

avec toute liberté; car il s'est pas es moi <strong>de</strong> parler solrement.<br />

« Soyes sers d'abord (et f? engage ma tête) que tous<br />

vos commandante <strong>de</strong> vaisseau, quels qu'ils soient, ne<br />

font pas autrement que Diopithe, et tirent <strong>de</strong> l'argent <strong>de</strong><br />

nos alMés, <strong>de</strong>s habitants <strong>de</strong> éhio, d'Erythrée, enis <strong>de</strong><br />

tous les Grecs <strong>de</strong> llonie et <strong>de</strong>s Iles, les uns plus, les autres<br />

moins, selon le sombre <strong>de</strong>s bâMmente qu'ils comman<strong>de</strong>nt<br />

Et pourquoi les peuples fournissent-ils ces contributions?<br />

Croyez-vous que ce soit gratoitemeat? Nos, ils ne sont<br />

pas si insensés; c'estaflsqee vos amiraux protégeât leur<br />

commerce et leurs possessions : ils achètent à ce prix <strong>la</strong><br />

sûreté <strong>de</strong> leurs navires et <strong>de</strong> leur territoire; ils se mettent<br />

à l'abri <strong>de</strong>s pirateries maritimes et <strong>de</strong>s viotesœs <strong>du</strong> soldat,<br />

quoique» assurent, comme <strong>de</strong> raison, que tout ce<br />

qu'ils es font n'est qse par zèle et par attachement pour<br />

vona : peuvent-ils donner us autre nom à ces <strong>la</strong>rgesses<br />

intéressées? Et doetef-vous que Diopithe ne fasse comme<br />

les autres? Oui, les peuples lui donneront <strong>de</strong> l'argent; car<br />

«sfk, s'iln'ena pas, et si vous ne lui en esfoyes point,<br />

où voutea-vous qu'il prenne <strong>de</strong> quoi payer ses eoUale?<br />

Pot lui viendrait-il <strong>de</strong> fargest? <strong>du</strong> ciel? Il vit et il vivra<br />

sur ce qu'il pourra prendre et sur ce qu'il pourra se procu­<br />

rer par tous les moyens, soit dons, soit emprunte, il ninv<br />

BorteTlfeis que font aujourd'hui ceux qui l'accusent auprès<br />

<strong>de</strong> vous? Ils avertissent tout le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> ne ries<br />

donner à us général que vous, allés mettre en justice, et<br />

sourie passé, et pour l'avenir. Voilà on ten<strong>de</strong>nt tous ces<br />

discoure^j'enteiids : M preném <strong>de</strong>s vUlm, U zzpme<br />

et tmhU les Grées.... Car vous verres que ces discoureurs<br />

prennent un grand intérêt aux Grecs dAsie, et<br />

qu'ils Lt fort empressés à défendre les autre,>,ew qui<br />

1 se songent pas à détendre leur propre palne. lia P«seM


CODES DE LITTÉMTIJEE,<br />

KO<br />

d'éfiYôyar un autre général , et contre Diopitbe 1... Où en<br />

sommes-sons, grands dieux î S'il est coupable, s'il a<br />

commis <strong>de</strong> ces prévarications que les lois punissent 9 c'est<br />

aux lois à le punir : il ne fait pour ce<strong>la</strong> qu'un décret , et<br />

non une armée ; ce serait le comble <strong>de</strong> <strong>la</strong> folie. C'est contre<br />

nos ennemis9 sur qui nos lois ne peuvent rien; c'est<br />

contre eux qu'il faut enYoyer dfes flottes 9 <strong>de</strong>s troupes f <strong>de</strong><br />

l'argent; c'est contre eux que cet appareil est nécessaire.<br />

Mais contre un <strong>de</strong> nos concitoyens! une accusation et un<br />

jugement, ce<strong>la</strong> suffit, ce<strong>la</strong> est d'un peuple sage; et ceux<br />

qui ?ous parlent autrement feulent TOUS perdre.<br />

« Il est triste, je l'aTooe, qu'il y ait <strong>de</strong> semb<strong>la</strong>bles eonseUSers<br />

parmi TOUS ; mais ce qui est plus triste encore 9 c'est<br />

que l'un d'eux n'a qu'à se présenter à cette tribune pour<br />

TOUS dénoncer ou Diopithe, ou Charè8touAristophon9<br />

comme les auteurs <strong>de</strong> tous nos maux, TOUS l'accueillez,<br />

TOUS l'app<strong>la</strong>udissez comme a'U eût dit <strong>de</strong>s merveilles. Mais<br />

qu'un citoyen véridique Tienne TOUS dire ; Yous n'y penses<br />

pas; Athéniens, ce n'est ni Dioplttie9 ni €harès; ni Aristopnon<br />

qui TOUS font <strong>du</strong> mal; c'est Philippe, enten<strong>de</strong>z-<br />

Tons? Sans son ambition» Athènes serait tranquille; TOUS<br />

ne dites pas non9 TOUS ne le pourez pas; mais pourtant<br />

TOUS l'écoutés a?ec peine 9 et il semble que ce soit lui qui<br />

agisse arec TOUS en ennemi J'en sais bien <strong>la</strong> caase : mais ,<br />

par tous les diem immortels t se traarei donc pas maaaais<br />

qu'on TOUS parie hardiment quand il y Ta <strong>de</strong> votre<br />

salut<br />

Plusieurs <strong>de</strong> vos orateurs et <strong>de</strong> vos ministres TOUS ont<br />

<strong>de</strong>puis longtemps accoutumés à n'être à craindre que dans<br />

vos dé§ibéraHons9 et nullement dans TOS mesures d'exécution;<br />

<strong>du</strong>rs et emportés dans TOS assemblées, faibles et<br />

mous quand il faat agir. Que l'on TOUS défère comme<br />

coupables <strong>de</strong> nos malheurs un <strong>de</strong> TOS citoyens y dont TOUS<br />

savez qu'il ne tient qu'à TOUS <strong>de</strong> vous saisir, TOUS ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z<br />

.pas mieux ; TOUS êtes tout prêts. Mais qu'on TOUS<br />

dénonce le seul ennemi dont vous ne pourez avoir raison<br />

que par les armes , alors TOUS hésitez 9 TOUS ne savez plus<br />

quel parti prendre, et vous souffres impatiemment d'être<br />

convaincus <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité qui TOUS dép<strong>la</strong>ît Ce <strong>de</strong>vrait être<br />

tout le contraire, Athéniens; TOS magistrats auraient'dû<br />

TOUS apprendre à être doux et modérés envers vos concitoyens<br />

, terribles «vers TOS ennemis. Mais tel est le funeste<br />

ascendant qu'ont pris sur TOUS TOS artificieux a<strong>du</strong><strong>la</strong>teurs<br />

9 que TOUS ne pouvez pins entendre que ce qui f<strong>la</strong>tte<br />

vos oreilles 9 et c'est ce qui vous a mis au point <strong>de</strong> n'avoir<br />

plus eiî<strong>la</strong>à délibérer que <strong>de</strong> votre propre salut<br />

« Au nom <strong>de</strong>s dieux 9 Athéniens 9 je vous adjure ici tous :<br />

si les Grecs aujourd'hui TOUS <strong>de</strong>mandaient raison <strong>de</strong> toutes<br />

les occasions que vous avez per<strong>du</strong>es par retre indolence;<br />

s'ils vous disaient : Peuple d'Athènes 9 TOUS nous envoyez<br />

députés sur députés pour nous persua<strong>de</strong>r que Philippe en<br />

veut à <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> tous les Grecs 9 que c'est l'ennemi commun<br />

qu'il faut surveiller sans cesse, el cent autres dis<strong>cours</strong><br />

semb<strong>la</strong>bles. Nous le savons comme vous; mais9 ô<br />

les plus lâches <strong>de</strong> tous les hommes ( ce sont les Grecs qui<br />

TOUS parlent ainsi ) ! quand Philippe 9 éloigné <strong>de</strong> son pays<br />

<strong>de</strong>puis dix mois9 arrêté par <strong>la</strong> guêtre, par l'hiTer, par <strong>la</strong><br />

ma<strong>la</strong>die 9 n'avait aucun moyen <strong>de</strong> retourner chez lui y avez-<br />

TOUS saisi ce moment pour délivrer Ses Eubéens? Vous<br />

n'ates pas même songé I recourrer ce qui était à TOUS.<br />

Lui, au contraire, tandis que TOUS étiez ches vous Mes<br />

tranquilles et bien sains ( si pourtant on peut appeler sains<br />

ceux qui <strong>mont</strong>rent tant <strong>de</strong> faiblesse ), il a établi dans fi<strong>la</strong><br />

d'Eubée <strong>de</strong>ux tyrans à ses ordres, l'un à Sc<strong>la</strong>trie, l'autre<br />

à Orée 9 en face <strong>de</strong> FAltiqae caèraef et <strong>de</strong> manière à avoir<br />

pour ainsi dire un pied ches TOUS. . Et sans parler <strong>du</strong><br />

reste 9 avez°vou8 <strong>du</strong> moins fait aai pas pour l'en empêcher ?<br />

Mon : comme <strong>de</strong> concert avec lui ; TOUS aves abandonné<br />

vos droits. 11 est c<strong>la</strong>k que 9 quand PhiMppe mourrait dix<br />

fois pour une, TOUS ne TOUS remueriez pas davantage. Laisses<br />

donc là et vos ambassa<strong>de</strong>s et TOS accusations; <strong>la</strong>issernous<br />

en paix 9 puisque vous-mêmes aimez tant à y rester.<br />

Eh bien ! Athéniens, connaissez-vous quelque réponse à ce<br />

dis<strong>cours</strong>? Quant à moi, je n'en cannais pas. »<br />

Vous <strong>de</strong>vez bien imaginer qu'après cette verte répriman<strong>de</strong><br />

9 l'orateur est trop habile pour ne pas verser<br />

quelque baume sur les blessures qu'il vient <strong>de</strong><br />

faire à raraour-proprç. Après l'avoir abattu sous les<br />

reproches, il le relève bientôt, non par <strong>de</strong> grossières<br />

<strong>la</strong>iteries, mais par <strong>de</strong> légitimes louanges' sur ce<br />

qu'il y avait <strong>de</strong> noble et <strong>de</strong> généreux dans le caractère<br />

national quand les Athéniens le sait aient ; sur<br />

ce qu'il y avait <strong>de</strong> glorieux dans leur existence politique,<br />

parmi les Grecs accoutumés à regar<strong>de</strong>r Athènes<br />

comme le rempart <strong>de</strong> leur liberté; enfin, sur<br />

cette haine même que portait Philippe aux Athéniens,<br />

et qui était pour eux un titre d'honneur.<br />

Cette secon<strong>de</strong> moitié <strong>de</strong> son dis<strong>cours</strong> est encore au<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> première.<br />

« Je sais que TOUS avez parmi vous <strong>de</strong>s nommes qui s'imaginent<br />

a?elr répon<strong>du</strong> à faire orateur quand ils lui ent<br />

dit : Que faut-il doue faire? Je pourrais leur répondre d'un<br />

seul mot9 et arec autant <strong>de</strong> Térité que <strong>de</strong> justice : B sait<br />

faire tout ce que vous ne faites pas. Mais Je ne crains pas<br />

d'entrer dans tous les détails; je Tais m'expliquer complètement,<br />

et je souhaite que ces hommes si prompts à<br />

m'interroger ne le salent pas moins à exécuter quand j'aurai<br />

répon<strong>du</strong>.<br />

» Commences par établir comme un principe reconnu,<br />

comme un fait incontestable f que Philippe a rompu les<br />

traités, qu'il TOUS a déc<strong>la</strong>ré <strong>la</strong> guerre ; et cessez <strong>de</strong> TOUS en<br />

prendre làaîassas les uns aux autres trèsàaarlleraecit. Cmfei<br />

qu'il est l'emiemi mortel d'Athènes et <strong>de</strong> ses habitants,<br />

même <strong>de</strong> ceux, qui se f<strong>la</strong>ttent d'être en <strong>la</strong>vear auprès <strong>de</strong><br />

lui. S'ils doutent <strong>de</strong> ce que je leur dis ici , qu'ils regar<strong>de</strong>nt<br />

le sort <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux Olyatfaeas qui passaient pour ses rnalleara<br />

amis 9 Euthycrate et LéaatJièaa, qui , après lui tf air Ten<strong>du</strong><br />

leur patrie, ont eu une in déplorable. Mais ce que Philippe<br />

hait le plus, c'est <strong>la</strong> liberté d'Athènes, c'est notre démocratie.<br />

Il n 9 a rien tant à cœur que <strong>de</strong> <strong>la</strong> dissoudre ; et il<br />

n'a pas tort : i sait que, quand même il aurait asseryi tous<br />

les autres peuples, jamais il ne pourra jouir en paix <strong>de</strong> ses<br />

usurpations tant que TOUS serez libres ; que ; si! lui arrî-<br />

Tait quelqu'un <strong>de</strong> ces acci<strong>de</strong>nts où l'humanité est sujette,<br />

c'est dans TOS bras que se jetteraient tous ceux qui m


ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

tflfif mêMmuû à lui que par eoiitraJnte. 1 est vrai , Athéniens,<br />

et c'est mie justice qu'il finit TOQI rendre* que ? mm<br />

m cherchez point è •uns élever sur les raines <strong>de</strong>s malheureux,<br />

mais que voes faites consister votre puissance et<br />

? être gran<strong>de</strong>ur à empêcher que personne ne se fesse le<br />

tyran <strong>de</strong> h Grèce, ou à renverser celui qui serait parvenu<br />

à l'être. Tues êtes toujours prêts à combattre ceux<br />

qui ventent régner, à soutenir ceux qui se veulent pas<br />

être esc<strong>la</strong>ves. PSiilippe craint donc que <strong>la</strong> liberté d'Athènes<br />

ne traverse ses entreprises; itteessammêiit il lui semble<br />

qu'elle te menace » et il est trop actif, trop éckiré peur le<br />

souffrir patiemment. H en est donc l'irréconciliable adversaire;<br />

et c'est, avant tout, ce dont vous <strong>de</strong>vez être<br />

bien convaincus pour vous déterminer à prendre nn parti.<br />

« Ensuite f ce qu'il tant que vous sachiez avec <strong>la</strong> même<br />

certitu<strong>de</strong>, c'est qne» dans tout ce qu'il <strong>la</strong>it aujourd'hui,<br />

son principal <strong>de</strong>ssein est d'attaquer cette ville , et qne par<br />

conséquent tons ceux qui peuvent nuire à Philippe travaillent<br />

en effet à vous servir. Qui <strong>de</strong> vous serait assez simple<br />

pour s'imaginer que ce prince, capable d'ambitionner jusqu'à<br />

<strong>de</strong> misérables bicoques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Taraee 9 telles que Usa»<br />

tyre, Droagiliê, Cabyre; capable, pour s'en emparer, <strong>de</strong><br />

braver les hivers, les fatigues, les périls ; que ce même<br />

homme ne portera pas un œil d'envie sur nos ports, nos<br />

magasins, nos vaisseaux, nos mines d'argent, nos trésors<br />

<strong>de</strong> tonte espèce ; qu'il nous en <strong>la</strong>isssera <strong>la</strong> possessieft paisible,<br />

tandis qu'il combat au mIJieu <strong>de</strong>s hivers pour déterrer<br />

le seigle et le sillet enfouis dans les <strong>mont</strong>agnes <strong>de</strong><br />

Thrace ? Mon, Athéniens, non, vous ne le croyez pas.<br />

m Maintenant donc, que prescrit <strong>la</strong> sagesse dans <strong>de</strong> pareilles<br />

conjonctures? et quel est votre <strong>de</strong>voir? De secouer<br />

enfin cette fatale léthargie qui a tout per<strong>du</strong>; d'ordonner<br />

<strong>de</strong>s €»tritwtÉsas publiques, et d'en <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à nos ailés ;<br />

<strong>de</strong> prendre enfin toutes les mesures nécessaires pour conserver<br />

l'armée que nous avons. Puisque Philippe en a toujours<br />

une sur pied pour attaquer et subjuguer les Grecs 9<br />

il fout aussi en avoir une toujours prête à les défendre et<br />

à tes protéger. Tant que vous ne ferez qu'envoyer au besoin<br />

quelques troupes levées à <strong>la</strong> hâte 9 je vous le répète, vous<br />

n'avancerez à rien. Ayez <strong>de</strong>s troupes régulièrement entretenues<br />

, <strong>de</strong>s intendants d'armées, <strong>de</strong>s fonds affectés à <strong>la</strong><br />

paye <strong>de</strong> vos soldats 9 un p<strong>la</strong>n d'administration militaire<br />

le mieux enten<strong>du</strong> qu'il vous sera possible, c'est ainsi que<br />

vous serez à portée <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r compte aux généraux<br />

<strong>de</strong> leur con<strong>du</strong>ite, et aux administrateurs <strong>de</strong> leur gestion.<br />

Si vous prenez à cœur ce système <strong>de</strong> con<strong>du</strong>ite, alors vous<br />

pourrez retenir Philippe dans <strong>de</strong> justes bornes, et goûter<br />

une paix véritable ; alors k paix sera vraiment un bien, et<br />

j'avoue qu'en elle-même <strong>la</strong> paix est us Mes : ou si Philippe<br />

s'obstine encore à vouloir <strong>la</strong> perre, vous serez <strong>du</strong> moins<br />

en mesure contre lui.<br />

« On va me dire qne ces résolutions exigent <strong>de</strong> grands<br />

frais et <strong>de</strong> grands travaux. Oui, j'en conviens; mais considérez<br />

quels dangers s'approciiest <strong>de</strong> vous si vous se prenez<br />

pas ce parti f et vous sentirez qu'il vaut mieux vous<br />

y porter <strong>de</strong> vous-mêmes que d'attendre à y être forcés. En<br />

effet, quand us oracle divin vous assurerait (ce dont aucun<br />

mortel ne peut vous répondre) que, même en restant dans<br />

votre Inaction, vous ne serez point attaqués par Philippe,<br />

25 f<br />

quelle honte encore ne aerail-ee pas pour vous (J'en prends<br />

-tons les dieux à témoin) ! combien ne flétriries-vous pis<br />

<strong>la</strong> g<strong>la</strong>ire <strong>de</strong> vos ancêtres et <strong>la</strong> splen<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> cet État, si,<br />

pour l'intérêt <strong>de</strong> votre repos, voes abandonniez les Grecs<br />

à <strong>la</strong> servitu<strong>de</strong>! Qu'un antre vous donne ces mdigses conseils;<br />

qu'il paraisse» s'il en est us qui en soit capable;<br />

écoutez-le, si vous êtes capables <strong>de</strong> l'entendre : quant à<br />

moi, plutôt mourir aallle fois avant qu'un pareil avis sorte<br />

<strong>de</strong> ma bouche ! »<br />

Cette espèce <strong>de</strong> provocation, cet imposant déi,<br />

est tin <strong>de</strong> ces mouvements dont l'effet est sûr, quand<br />

f orateur a établi ses preuves victorieusement : son<br />

objet est d'empêcher qu'on ae lui fasse perdre un<br />

moment précieux f un moment décisif par une <strong>de</strong> ces<br />

résistances obliques etdéguisées, <strong>de</strong>rnière ressource<br />

<strong>de</strong> ceux qui n'osent plus lutter <strong>de</strong> front. Ils ont re<strong>cours</strong><br />

alors à <strong>de</strong>s restrictions partielles, à <strong>de</strong>s motions<br />

inci<strong>de</strong>ntes, prétextes pour prendre <strong>la</strong> parole,<br />

mais qui ne ten<strong>de</strong>nt qu'à remettre en discussion ce<br />

qu f on n'ose combattre et ce qui semb<strong>la</strong>it convenu.<br />

(Test ainsi qu'on parvient à refroidir l'impression<br />

générale, à prolonger une délibération qui semb<strong>la</strong>it<br />

terminée, jusqu'à ce que les esprits soient revenus<br />

<strong>de</strong> cette commotion pro<strong>du</strong>ite par le pouvoir <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

vérité, et que toutes les petites passions, étourdies<br />

et déconcertées un moment, aient eu le temps <strong>de</strong><br />

se reconnaître. C'est ce qu'on a fait si souvent parmi<br />

nous par <strong>de</strong>s motions d'ordre et <strong>de</strong>s ûmm<strong>de</strong>mmês,<br />

et ce qu'un habile orateur doit prévenir, ou en réservant<br />

ses plus gran<strong>de</strong>s forces pour <strong>la</strong> réplique, ou<br />

(ce qui vaut mieux encore, et ce qui est plus sir)<br />

en fondant, comme Démosthènes, <strong>la</strong> réfutation<br />

dans les preuves, <strong>de</strong> façon à ruiner d'avance <strong>de</strong> fond<br />

en comble toutes les objections possibles, à rendre<br />

tout avis contraire, ou ridicule, ou odieui; à faire<br />

rougir les uns <strong>de</strong> le proposer, et les autres <strong>de</strong> l'entendre.<br />

Voyez ici comme Bémosthènes, en <strong>de</strong>ux<br />

phrases, a su fermer à <strong>la</strong> fois <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong>s orateurs<br />

et l'oreille <strong>de</strong>s Athéniens. 11 va multiplier les mouvements<br />

à mesure qu'il en aperçoit l'effet; il va<br />

grandir et s'élever à <strong>la</strong> vue <strong>de</strong> ses antagonistes, jusqu'à<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r contre eux <strong>de</strong>s peines capitales 9 et à<br />

les signaler comme <strong>de</strong>s ennemis <strong>de</strong> l'État. Aussi restera-t-il<br />

maître <strong>du</strong> champ <strong>de</strong> bataille, comme cet<br />

athlète que nous a peint Virgile, qui, jetant un eeste<br />

énorme au milieu <strong>de</strong> l'arène, et <strong>mont</strong>rant à nu ses<br />

<strong>la</strong>rges épaules et ses membres musculeuz 9 inspirait<br />

répouvante aui plus hardis lutteurs, et leur était<br />

l'envie <strong>de</strong> se mesurer avec lui.<br />

« Mais si mes sentiments sont les vôtres , si vous voyez,<br />

comme je le vois, que, plus vous <strong>la</strong>issez faire <strong>de</strong> progrès<br />

à Pliilippe, plus vous fortifiez l'ennemi que tôt aa tari U<br />

vous faudra combattre, qui peut donc vous faire ba<strong>la</strong>ncer?<br />

Qn'atten<strong>de</strong>z-vons encore? pourquoi <strong>de</strong>s dé<strong>la</strong>is, <strong>de</strong>s les»


C0U1S DE UlTÉBATUBE.<br />

3SJ<br />

tours? Quand voulei-Tous enfin agir> Quand <strong>la</strong> nécessité<br />

TOUS y contraindra? Et quelle nécessité voules-vous dire?<br />

en est-il une autre ; grands dieux ! pour dès hommes libres ,<br />

ipie k crainte <strong>du</strong> déshonneur? Est-ce celle-là que TOUS<br />

atten<strong>de</strong>s? EDe TOUS assiège f eie TOUS presse, et <strong>de</strong>puis<br />

toagleaip, Il en est une autre, il est ¥rai; pour les es»<br />

ckves.... Dieux protecteurs! éloignez-<strong>la</strong> <strong>de</strong>s Athéniens...<br />

<strong>la</strong> contrainte, <strong>la</strong> violence, <strong>la</strong> me <strong>de</strong>s châtiments.... Athéniens<br />

, je rougirais <strong>de</strong> TOUS en parler.<br />

« Il 'serait trop long <strong>de</strong> TOUS déTêlopper tous les artifices<br />

que l'os inet eu œuvre auprès <strong>de</strong> TOUS; mais il en<br />

est us qui mérite d'être remarqué. Toutes les fois qu'il est<br />

question <strong>de</strong> Philippe à cette tribune, il ne manque jamais<br />

<strong>de</strong> se trouTêr <strong>de</strong>s gens qui se lèvent et qui s'écrient : Quel<br />

trésor que <strong>la</strong> paix! quel fléau que <strong>la</strong> guerre! Â quoi<br />

ien<strong>de</strong>nl toutes ces a<strong>la</strong>rmes, si ce n'est à ruiner nos<br />

finances? C'est avec <strong>de</strong> semb<strong>la</strong>bles discoure qu'ils TOUS<br />

endorment dans Totre sécurité 9 et qu'ils assurent à Philippe<br />

les moyens d'acheTer ses projets. C'est ainsi que chacun<br />

a ce qu'il désire : TOUS restez dans f être oisifeté euerie<br />

(et p<strong>la</strong>ise an ciel qu'un jour eie ne TOUS coûte pas<br />

cher ! ) ; Totre ennemi s'agrandit, et TOS f<strong>la</strong>tteurs gagnent<br />

totre bienveliknee et son argent Pour moi, ce n'est pas<br />

à vous que je tondrais persua<strong>de</strong>r <strong>la</strong> pais ; c'est un soûl<br />

dont on peut se reposer sur vous-mêmes; c'est à Philippe<br />

que je Tondrais <strong>la</strong> persua<strong>de</strong>r, parce que c'est lui qui ne<br />

respire que <strong>la</strong> guerre. A l'égard <strong>de</strong> nos finances, prenez<br />

gar<strong>de</strong> que ce qu'il y a <strong>de</strong> plus factieux, ce n'est pas ce<br />

que TOUS aurez dépensé pour totre sûreté, c'est ce que<br />

TOUS tares à perdre et à souffrir, si TOUS ne féales rien<br />

dépenser. H ceatleit sans doute d'empêcher <strong>la</strong> dissipation<br />

<strong>de</strong> TOS.<strong>de</strong>niers, mais par.le bon ordre et <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce,<br />

et non par <strong>de</strong>s épargnes prises sur le salut public. Ce qui<br />

m'afflige encore, c'est <strong>de</strong> tolr que ces mêmes gens qui<br />

crient sans cesse contre le pil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> TOS finances ; qu'il ne<br />

tient qu'à TOUS <strong>de</strong> réprimer et <strong>de</strong> punir, trouvent fort bon<br />

que Philippe pille tout à son aise et <strong>la</strong> Grèce et fous. Comment<br />

se fait-il en effet que, tandis que le Macédonien<br />

renouvelle sans cesse ses îatssloos, tandis que <strong>de</strong> tons<br />

côtés II prend <strong>de</strong>s Tilles, jamais on n'enten<strong>de</strong> ces gens-là<br />

condamner ses injustices, et réc<strong>la</strong>mer contre ses agressions;<br />

et qu'au contraire, dès que Ton TOUS conseille <strong>de</strong><br />

TOUS opposer à ses démarches y et <strong>de</strong> teilles sur totre<br />

liberté, sur-le-champ tous se récrient à-<strong>la</strong> fois que c'est<br />

proToquer <strong>la</strong> guerre? Il n'est pas difficile <strong>de</strong> l'expliquer :<br />

Ils feulent, si <strong>la</strong> guerre que Ton propose entraîne <strong>de</strong>s ineoBtéaleats<br />

(et quelle guerre n'en entraîne pas?) 9 tourner<br />

TOS ressentiments, non pas contre Philippe, mais contra<br />

ceux qui TOUS ont donné d'utiles conseils; ils feulent en<br />

même temps poufoir accuser l'innocence, et s'assurer<br />

l'impunité <strong>de</strong> leurs crimes. Voilà le vrai motif <strong>de</strong> ces éternelles<br />

réc<strong>la</strong>mations contre Sa guerre ; car, encore une fois f<br />

qui peut douter qu'afant même que personne eût songé à<br />

TOUS es parler, Philippe ne f ous <strong>la</strong> Ht réellement, lui qui<br />

envahissait f os p<strong>la</strong>ces , lui qui tout à l'heure a fourni contre<br />

TOUS ses se<strong>cours</strong> aux rebelles <strong>de</strong> Cardie ? Mais après<br />

tout, quand nous a tons l'air <strong>de</strong> ne pas nous en apercevoir,<br />

ce n'est pas lui qui Tiendra sous en avertir et nous le<br />

prouver. H y aurait <strong>de</strong> là folie <strong>de</strong> sa pari Que ils-je*<br />

quand i sera Tenu jusque sur totre territoire f il soutiendra<br />

toujours qu'il ne TOUS fait pas <strong>la</strong> guerre. Et n'est-ce<br />

pas ce qu'A disait aux'habitants d'Orée, Ion même qu'ilétâit<br />

sur leurs terres ; à ceux <strong>de</strong> Phères s au moment <strong>de</strong> Ses<br />

assiéger; à 'ceux d'Olynthe, dans le temps qu'il marchait<br />

contre eux ? U en sera <strong>de</strong> même <strong>de</strong> nous ; et si nous tontons<br />

le repousser, ses honnêtes amis TOUS répéteront que<br />

c'est nous qui rallumons k guerre. £h bien donc! subissons<br />

le joug : c'est le sort <strong>de</strong> quiconque ne teat pas se<br />

défendre.<br />

« Faîtes encore attention, Athéniens, que TOUS courez<strong>de</strong><br />

plus grands risques qu'aucun autre peuple <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce.<br />

Philippe ne pense pas seulement à TOUS soumettre, mair<br />

à TOUS détruire ; car il sent bien que Tous n'été» pas <strong>la</strong>its<br />

pour sertir; que, quand TOUS le Tondriez, TOUS se lepourries<br />

pas : TOUS êtes trop'accoutumés à comman<strong>de</strong>r. U*<br />

sait qu'à <strong>la</strong> première occasion TOUS lui donneriez plus <strong>de</strong><br />

peine que toute k Grèce ensemble. »<br />

Comme il faut peu <strong>de</strong> mots pour éveiller dans les<br />

Athéniens le sentiment <strong>de</strong> leur force et <strong>de</strong> leur gran<strong>de</strong>ur<br />

I Avec quel air <strong>de</strong> simplicité II en parle, comme<br />

d'une chose conterais, et dont personne se peut douter<br />

! Pour un orateur vulgaire c'était là un beau sujet<br />

d'amplification ; en était-il un plus agréable à traiter<br />

<strong>de</strong>vant <strong>de</strong> tels auditeurs? Mais quelle amplification<br />

vaudrait ces paroles si simples et si gran<strong>de</strong>s :•<br />

« Philippe sent bien que TOUS n'êtes pas faits pour servir ;<br />

que, quand vous le voudriez, TOUS ne le pourriez pas :<br />

TOUS êtes trop accoutumés à comman<strong>de</strong>r, »<br />

Un<strong>de</strong>s caractères <strong>de</strong> Démosthènes, c'est <strong>de</strong> faire ave©<br />

<strong>de</strong>s tournures qui semblent communes, avec'un*<br />

sorte <strong>de</strong> familiarité noble et mesurée , plus que d'autres<br />

avec <strong>de</strong>s termes magnifiques.<br />

n Combattez donc contre lui dès aujourd'hui, si TOUS<br />

voulez étiter une ruiné entière. Détestes Ses traîtres qui le<br />

servent, et livrei-les au supplice. On ne saurait terrasser<br />

les ennemis étrangers, si Fon ne punit auparavant les ennemis<br />

intérieurs qui conspirent avec eux : sans ce<strong>la</strong> f vous<br />

vous brisez contre recueil <strong>de</strong> k trahison, et vous détenez<br />

k proie <strong>du</strong> vainqueur.<br />

n £t pourquoi pensez-vous que Philippe ose TOUS outrager<br />

si insolemment? Pourquoi, lorsqu'il emploie <strong>du</strong><br />

moins contre les autres <strong>la</strong> sé<strong>du</strong>ction <strong>de</strong>s promesses , et<br />

même celle <strong>de</strong>s serfices, n'est-ce que contre ions seuls<br />

qu'il ose employer k menace? Voyez tout ce qu'il a fait<br />

en faveur <strong>de</strong>s Thessalleas pour les mener jusqu'à <strong>la</strong> servitu<strong>de</strong>;<br />

par combien d'artifices il abusa les malheureux<br />

Olynthiens, en leur donnant d'abord Petldée et quelques<br />

autres p<strong>la</strong>ces; tout ce qu'il fait aujourd'hui pour gagner<br />

les Thébains, qull a déhfrés d'une guerre dangereuse, et<br />

qu'il a ren<strong>du</strong>s puissants dans k Phoci<strong>de</strong>. On sait, il est<br />

wai, <strong>de</strong> quel prk les uns ont payé dans k suite ce qu'ils<br />

ont reçu ; et quel prix aussi doivent en attendre les autres.<br />

Mais pour vous, sans parler <strong>de</strong> ce que TOUS aviez déjà<br />

per<strong>du</strong> dans <strong>la</strong> guerre, combien , même pendant les aégo»


dtâkms <strong>de</strong> <strong>la</strong> pâli, ne fous a-t-il pas trompés, insultés,<br />

dépouillés î Le» p<strong>la</strong>ces <strong>de</strong> ta Pliod<strong>de</strong>, celles <strong>de</strong> îtarâee,<br />

Dorisqae, Pyle*, Serrfo, <strong>la</strong> personne même <strong>de</strong> Cerso-<br />

Nepte, qne se vous a-t-il pas enlevé! D'où fient cette<br />

con<strong>du</strong>ite si différente esters TOUS et envers les autres<br />

Grecs? C'est qm nom sommes les seuls êhei qui nos en-<br />

«*t»M aient impunément <strong>de</strong>s protecteurs déc<strong>la</strong>rés, tes<br />

seuls ce» qui l'ea puisse tout dire es faveur <strong>de</strong> Philippe<br />

quand


S64<br />

COUBS DE mTÉMTUlE.<br />

humaine : on en peut juger par ee qu'ils ont fait une ' qu'il avait reçu le même honneur que lui décernait<br />

fois, lorsqu'une fois ils ont régné. Mais observez en Ctésiphon; mais ici <strong>la</strong> haine crut avoir trouvé une<br />

même temps que cette politique, dont le succès a occasion favorable. La funeste bataille <strong>de</strong> Chéronée<br />

imposé on.moment à eeui que tout succès éblouit 9<br />

n'était pas moins inepte qu'atroce. Les tyrans qui<br />

avait abattu <strong>la</strong> puissance d'Athènes, et ren<strong>du</strong> Philippe<br />

l'arbitre <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce : c'était Démosthènes qui<br />

ont eu <strong>du</strong> génie n'ont jamais employé que <strong>de</strong>s lus- avait fait entreprendre cette guerre dont l'événement<br />

traments dont ils pouvaient toujours être les maî­ avait été si funeste* Eschine se f<strong>la</strong>tta <strong>de</strong> pouvoir le<br />

tres : <strong>la</strong> tyrannie , qui n'a que <strong>de</strong>s agents dont elle rendre odieui sous ce point <strong>de</strong> vue, et <strong>de</strong> lui arracher<br />

est l'esc<strong>la</strong>ve, est insensée , car elle en est toujours <strong>la</strong> <strong>la</strong> couronne qu'on lui offrait. Il attaqua le décret <strong>de</strong><br />

victime. Et qu'y a-il <strong>de</strong> plus fou que d'envahir tout Ctésiphon comme contraire ans lois. Son accusation<br />

sans pouvoir rien gar<strong>de</strong>r, et <strong>de</strong> dresser <strong>de</strong>s éeha- rouie sur trois chefs : 1° Une loi d'Athènes défend<br />

fauds pour finir par y <strong>mont</strong>er? Mais ceci ap­ <strong>de</strong> couronner aucun citoyen chargé d'une adminispartient<br />

à notre histoire , et je reviens à celle <strong>de</strong> l'étration quelconque, avant qu'il ait ren<strong>du</strong> ses corne*loquence<br />

et <strong>de</strong>s triomphes <strong>de</strong> Démosthèses *. 'tes; et Démosthènes, chargé <strong>de</strong> <strong>la</strong> réparation <strong>de</strong>s<br />

murs et <strong>de</strong> <strong>la</strong> dépense <strong>de</strong>s spectacles, est encore<br />

SECTION îv. — Exemples <strong>de</strong>s plus grands moyens <strong>de</strong> Fart comptable : première infraction. T Une autre -loi<br />

oratoire, dans les <strong>de</strong>ux harangues MMM LA &mm&mm9 défend qu'un décret <strong>de</strong> ^couronnement porté par<br />

l'une d'Eschine, l'autre <strong>de</strong> Démosthènes.<br />

le sénat soit proc<strong>la</strong>mé ailleurs que dans le sénat<br />

Quelques notions préliminaires sontindispensables même; et celui <strong>de</strong> Ctésiphon, quoique ren<strong>du</strong> par<br />

ici pour faire connaître l'importance <strong>de</strong> ce fameux le sénat, <strong>de</strong>vait être f selon sa teneur, proc<strong>la</strong>mé au<br />

procès, et le rôle considérable que Démosthènes théâtre : secon<strong>de</strong> infraction. 3° Enfin (et c'est ici<br />

soutint si longtemps dans Athènes, oà <strong>la</strong> profes­ le fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> cause), le décret porte que <strong>la</strong> cousion<br />

d'orateur était une espèce <strong>de</strong> magistrature, et ronne est décernée â Démosthènes pour les servi*<br />

lut particulièrement pour Démosthènes une puis* ces qu'il a ren<strong>du</strong>s et qu'il ne cesse <strong>de</strong> rendre à <strong>la</strong><br />

sauce si réelle, que Philippe! au rapport <strong>de</strong>s histo­ république; et Démosthènes, au contraire, n'a fait<br />

riens , disait que, <strong>de</strong> tous tes Grecs , il ne craignait que <strong>du</strong> mal à <strong>la</strong> république. Ce <strong>de</strong>rnier chef <strong>de</strong>vait<br />

que Démosthènes.<br />

amener <strong>la</strong> censure <strong>de</strong> toute • <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> Démos­<br />

Après <strong>la</strong> perte <strong>de</strong> <strong>la</strong> bataille <strong>de</strong> Chéronée 9 les thènes, <strong>de</strong>puis qu'il s'était mêlé <strong>de</strong>s affaires <strong>de</strong> l'É­<br />

Athéniens, craignant d'être assiégés, Irent répatat; et c'était là le principal but <strong>de</strong> son ennemi, qui<br />

rer leurs murailles. Ce fut Démosthènes qui donna cherchait à lui ravir également, et les honneurs<br />

ce conseil, et ce fut lui qu'on chargea <strong>de</strong> l'exécu­ qu'on lui accordait, et <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> les avoir mérition.<br />

11 s'en acquitta si noblement, qu'il fournit <strong>de</strong> tés. La querelle commença <strong>de</strong>ux ans avant <strong>la</strong> mort<br />

son bien une somme considérable, dont il ût pré­ <strong>de</strong> Philippe; mais les troubles politiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce,<br />

sent à <strong>la</strong> république. Ctésiphon, son ami, proposa <strong>de</strong> l'embarras <strong>de</strong>s affaires , et le danger îles conjonc­<br />

l'honorer d'une couronne d'or, pour récompense <strong>de</strong> tures, retardèrent <strong>la</strong> poursuite <strong>du</strong> procès, qui ne<br />

sa générosité. Le décret passa , et portait que <strong>la</strong> pro­ fut p<strong>la</strong>idé et jugé que sii ans après, et lorsque<br />

c<strong>la</strong>mation <strong>du</strong> couronnement se ferait au théâtre, Aleiandre était déjà maître <strong>de</strong> l'Asie.<br />

pendant les fêtes <strong>de</strong> Baeehus, temps où tous les On est tenté <strong>de</strong> déplorer tout le malheureux ta­<br />

Grecs se rassemb<strong>la</strong>ient dans Athènes pour assislent qu'Esehine déploya dans une mauvaise cause.<br />

ter à ces spectacles. Eschine était <strong>de</strong>puis longtemps A travers son élocution facile et bril<strong>la</strong>nte on dé­<br />

le rival et l'ennemi <strong>de</strong> Démosthènes. 11 avait un mêle à tout moment <strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong> ses moyens,<br />

grand talent et un très-bel organe, qu'il eut occasion l'artifice <strong>de</strong> ses mensonges. 11 donne à toutes' les<br />

d'exercer, ayant commencé par être comédien. Mais lois qu'il cite un sens faux et forcé, à toutes les<br />

il avait aussi une âme vénale, et il était, presque actions <strong>de</strong> Démosthènes une tournure maligne et<br />

publiquement f au nombre <strong>de</strong>s orateurs à gages que invraisemb<strong>la</strong>ble; il l'accuse <strong>de</strong> tout ce dont il est<br />

Philippe sbudoyait dans toutes les républiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> coupable lui-même, il lui reproche d'être ven<strong>du</strong> à<br />

Grèce. Démosthènes seul, aussi intègre qu'éloquent,<br />

Philippe, dont il est lui-même le pensionnaire; et<br />

était <strong>de</strong>meuré incorruptible ; et les Athéniens ne<br />

plus il sent le défaut <strong>de</strong> preuves, plus il exagère<br />

l'ignoraient pas. Aussi n'était-ce pas <strong>la</strong> première fois<br />

les expressions; ce qui, dans tout genre <strong>de</strong> calomnie,<br />

est <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> <strong>de</strong>s détracteurs, qui espèrent<br />

1<br />

0a croit <strong>de</strong>voir encore rappeler ici, pour <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière lob ,<br />

que toutes les réflexions semée* dans cet ouvrage, re<strong>la</strong>tive* à<br />

<strong>la</strong>i^int^Mmt<strong>de</strong>Tanité® I7MV et ont été prononcées asi<br />

écoles normalet et au Ljeée.<br />

ainsi faire au autres l'illusion qu'ils ne se font pas.<br />

A l'égard <strong>de</strong> Démosthènes, sa cause était belle, il<br />

est vrai : quel accusé en eut jamais une plus belle


à défendre? il s'agissait <strong>de</strong> justiier aux yeux <strong>de</strong><br />

toute <strong>la</strong> Grèce l'opinion que le peuple d'Athènes<br />

if ait <strong>de</strong> lui, et <strong>la</strong> récompense si f<strong>la</strong>tteuse et si éc<strong>la</strong>tante<br />

qu'on avait cm lui <strong>de</strong>voir. De plus f il a pour<br />

lui le pins grand <strong>de</strong> tous les avantages, <strong>la</strong> vérité.<br />

Il ne rapporte pas im seul <strong>la</strong>it sans avoir <strong>la</strong> preuve<br />

en mais, et chaque assertion est suivie <strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture<br />

d'un acte public, qui <strong>la</strong> confirme autheetiquemeut.<br />

Mais enfin il p<strong>la</strong>idait contre f enfle, l'envie<br />

toujours si favorablement écoutée; et il était obligé<br />

<strong>de</strong> soutenir le rôle, toujours dangereux, d'un<br />

homme qui parle <strong>de</strong> lui, et qui rappelle le bien<br />

qu'il a fait : c'était <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> <strong>de</strong> toutes lesdificultés.<br />

On verra comme il a su <strong>la</strong> vaincre; mais<br />

il est juste <strong>de</strong> citer auparavant quelques endroits<br />

<strong>du</strong> dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> son accusateur.<br />

Quoiqu'il donne une très-mauvaise interprétation,<br />

comme ce<strong>la</strong> est toujours très-facile, aux lois<br />

dont il prétend s'appuyer, il lui importe cependant<br />

d'établir d'abord que le respect religieux que l'on<br />

doit aux lois, doit, surtout dans un État libre , l'emporter<br />

sur toute autre considération. C'est le fon<strong>de</strong>ment<br />

<strong>de</strong> son eior<strong>de</strong>, et ce morceau est traité«vec<br />

<strong>la</strong> noblesse et <strong>la</strong> gravité convenables au sujet.<br />

ANCIENS. — ELOQUENCE,<br />

« Tous savez f Athéniens , qu'il y a trois sortes <strong>de</strong> gonveraemeits<br />

panai les hommes » l'empire d'un seul, l'autorité<br />

d'un petit nombre, et <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> tous. Dans les<br />

<strong>de</strong>ux premiers, tout se fait au gré <strong>de</strong> monarque, on <strong>de</strong><br />

«pix qui ont le pouvoir en main ; dans le <strong>de</strong>rnier, tout<br />

est soumis aux lois. Que chacun <strong>de</strong> vous se souvienne<br />

donc qu'au moment où il entre dans cette assemblée pour<br />

juger <strong>de</strong> <strong>la</strong> vio<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s lois, i vient prononcer sur sa<br />

propre liberté. C'est pour ce<strong>la</strong> que le légis<strong>la</strong>teur exige <strong>de</strong><br />

vous ce serment , le Jugerai suivant les lois; parce qui<br />

a senti que l'observation <strong>de</strong> ces lois est le maintien <strong>de</strong> notre<br />

indépendance. Tous <strong>de</strong>vez donc regar<strong>de</strong>r comme votre<br />

ennemi quiconque les viole, et croire que cette transgression<br />

ne peut jamais être us délit <strong>de</strong> peu d'importance. Ne<br />

souffres pas que personne vous enlève vos droits. N'ayez<br />

aucun égard à <strong>la</strong> protection que vos généraux accor<strong>de</strong>nt<br />

trop souvent à vos orateurs au grand détriment <strong>de</strong> l'État,<br />

ni ans prières <strong>de</strong>s étrangers, qui, plus d'une fois, ont<br />

servi à sauver <strong>de</strong>s coupables. Mais comme chacun <strong>de</strong> vous<br />

aurait bonté d'abandonner dans un combat le poste qui<br />

lui aurait été confié 9 vous <strong>de</strong>vez aussi avoir honte d'abandonner<br />

le poste ou <strong>la</strong> patrie vous a p<strong>la</strong>ces pour <strong>la</strong> défense<br />

<strong>de</strong>s lois et <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté. Souvenez-vous que tous vos concitoyens,<br />

et ceux qui sont présents à ce jugement, et ceaa<br />

qui n'ont pu y assister, se reposent sur votre fidélité <strong>du</strong><br />

•ait <strong>de</strong> maintenir leurs droits* S©uvenes»vous <strong>de</strong> votre<br />

serment; et quand j'aurai convaincu Ctésiphoa â^mpk<br />

faai§ia*éaacJé^<br />

abroges m décret inique, punisses Ses transgresseurs <strong>de</strong>s<br />

lois,venges et assurez à Sa fois <strong>la</strong> liberté qu'ils ont outragée.<br />

»<br />

Î55<br />

Passons <strong>la</strong> discussion juridique et le narré aussi<br />

long qu'infidèle <strong>de</strong> l'administration <strong>de</strong> Démosthèses,<br />

et venons à rendrait où Eschine se f<strong>la</strong>ttait d'avoir<br />

le plus d'avantage. Après <strong>la</strong> bataille <strong>de</strong> Chéronée,<br />

les Athéniens étaient si loin d'attribuer le<br />

mauvais succès <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre à l'orateur qui l'avait<br />

conseillée, qu'ils lui déférèrent, d'une commune<br />

voix, l'honneur <strong>de</strong> prononcer, suivant l'usage, l'éloge<br />

funèbre <strong>de</strong>s citoyens qui avaient péri dans cette<br />

fatale journée, et à qui on avait élevé un monument.<br />

Cette fonction était glorieuse; Eschine et tous les<br />

orateurs l'avaient briguée. L'accusateur, arrivé à<br />

cette époque, <strong>la</strong> rapproche <strong>de</strong> celle où Démosthènes<br />

it résoudre <strong>la</strong> guerre, et rassemble en cet endroit<br />

toutes ses forces pour l'accabler sous le poids <strong>de</strong>s<br />

ca<strong>la</strong>mités publiques.<br />

« C'est ici que je dois mes regrets à tous ces braves<br />

guerriers que Démosthènes, au mépris <strong>de</strong>s augures les<br />

plus sacrés, précipita dans un péril manifeste; et c'est<br />

lui cependant qui a osé prononcer reloge <strong>de</strong> ses victimes?<br />

C'est lui qui <strong>de</strong> ses pieds Captifs, qui servirent sa lâcheté<br />

dans les p<strong>la</strong>ises <strong>de</strong> Csérosée, a osé toucher le monument<br />

que vous avez élevé aui défenseurs <strong>de</strong> l'État ! O toi, le plus<br />

faible et le plus inutile <strong>de</strong>s hommes dès qu'il faut agir, le<br />

plus confiant dès qu'il faut parler, auras-<strong>la</strong> bien Se front <strong>de</strong><br />

soutenir en présence <strong>de</strong> nos juges que tu mérites d'eue<br />

eonrosaé? Et ail S'ose dire, le supporteres-vons, Athé*<br />

mens ? et cet imposteur pourra-tU vous ôîer le jugement<br />

et <strong>la</strong> mémoire, comme il a été <strong>la</strong> vie à ses concitoyens?<br />

imaginez-vous donc être transportés, pour un moment,<br />

<strong>de</strong> cette assemblée au théâtre ; voir s'avancer le héraut,<br />

et entendre le décret <strong>de</strong> Ctésiphon. Représentez-vous les<br />

<strong>la</strong>rmes que verseront alors les parents <strong>de</strong> tous ces illustres<br />

morts, non pas sur les infortunes <strong>de</strong>s héros <strong>de</strong> nos tragédies,<br />

mais sur leur propre sort et sur votre aveuglement<br />

Quel est parmi les Grecs qui ont reçu quelque é<strong>du</strong>cation,<br />

quel est celui qui se gémira pas eu se rappetoat ce qui se<br />

passait autrefois sur ce même théâtre dans <strong>de</strong>s temps plus<br />

lieareai 9 et lorsque <strong>la</strong> république était mieux gouvernée?<br />

Alors le héraut, <strong>mont</strong>rant au peuple les enfants dont les<br />

pères avaient péri dans les combats y les revêtait d'armes<br />

bril<strong>la</strong>ntes en prouoaçast ces paroles, qui étalent à <strong>la</strong> fois<br />

félege et feacaaifageaaeat <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu : Cm mtfmnês, don!<br />

les parts mmi wwrts esmr@§ewemmt pmtr Im pairie,<br />

mi été éiméê mm êétwm <strong>de</strong> i'Étmt jusqu'à fdg* ée<br />

puberté : atfaaffafaail <strong>la</strong> paêrêê km êenm t'mrmmre<br />

dm guerriers» et Im pteœ au premier rang dmm ses<br />

spœtaeim. Voilà ce qu'os eateiaîaif autrefois. Mais que<br />

sera-ce aujourd'hui ? Que dira le héraut quand il sera obligé<br />

<strong>de</strong> pro<strong>du</strong>ire es publie, et es présence <strong>de</strong> ces mêmes es-<br />

Étuis, celui qui les a ren<strong>du</strong>s arpleiaa? S'il profère les<br />

termes qui composest le décret <strong>de</strong> Ctésipheti» croyez-vous<br />

que sa voit étoslsra Sa vérité et notre boute? Croyes-vous<br />

qu'os se répondra pas par use rédamatias gaaéraia, que<br />

i^hMiiiiM(siimirtM<br />

itaaaaae fia l'os csuronse pour ta vertu est en effet m


§56 COUMS DE LITTÉEATÏÏ1E.<br />

mauvais citoyen; que ce<strong>la</strong>i dont en couronne les services<br />

a trahi sa patrie dans <strong>la</strong> tribune et dans les combats? Ah J<br />

' par tous les dieux, Athéniens, m TOUS <strong>la</strong>ites pas cet affront<br />

à Tous-mêmes ; n'élevez pas sur le théâtre on trophée<br />

si injurieux pour vous; n'exposez pas Athènes à <strong>la</strong><br />

risée <strong>de</strong>s Grecs, et ne rouvrez pas les blessures <strong>de</strong> vos<br />

malheureux alliés les Thébains, que TOUS aves reçus dans<br />

vos mura, bannis et fugitifs par <strong>la</strong> faute <strong>de</strong> Déraostbènes,<br />

dont l'éloquence vénale a détrait leurs temples et leurs<br />

monuments. Rappeles-vous tous les maux qu'ils ont soufferts;<br />

voyez les vieil<strong>la</strong>rds en pleurs et les veuves dans <strong>la</strong><br />

déso<strong>la</strong>tion, forcés, au terme <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, d $ oublier qu'ils ont<br />

été libres, vous reprocher <strong>de</strong> mettre le comble à leur<br />

misère ; au lien <strong>de</strong> <strong>la</strong> venger; vous conjurer <strong>de</strong> ne pas couronner,<br />

dans Démosthènes, et leur <strong>de</strong>structeur, et le fléau<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce 9 et <strong>de</strong> vous garantir vous-mêmes <strong>de</strong> l'influence<br />

attachée à ce sinistre génie, qui a per<strong>du</strong> tous ceux qui ont<br />

été assez malheureux pour s'abandonne/ à ses conseils.<br />

Eh ! quoi donc ! lorsqu'un <strong>de</strong>s pilotes qui vous transportent<br />

cl» Pînée à Sa<strong>la</strong>mme a le malheur d'échouer sur Se bord,<br />

même sans qu'il y ait <strong>de</strong> sa faute, vous lui défen<strong>de</strong>s par<br />

une loi <strong>de</strong> con<strong>du</strong>ire désormais aucun navire; vous ne voûte<br />

pas qu'il mette une secon<strong>de</strong> fois <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>s Gsecs en<br />

péri : et celui qui a causé <strong>la</strong> raine âe tous les Grecs et <strong>la</strong><br />

votre 9 vous lui permettrez encore <strong>de</strong> gouverner S »<br />

ûE ne peut nier que ce morceau ne présente un<br />

contraste habitemeet imaginé» L'orateur s'y prend<br />

aussi bien qu'il est possible pour rendre sou adversaire<br />

odieux. Il assemble autour <strong>de</strong> <strong>la</strong> tribune tes<br />

ombres <strong>de</strong> ces Infortunés citoyens $ il les p<strong>la</strong>ce entre<br />

le peuple et Démosthènes , il l'investit <strong>de</strong> ees mânes<br />

vengeurs , et en forme autour <strong>de</strong> loi un rempart dont<br />

il semble lui défendre <strong>de</strong> sortir. Eh bien ! c'est précisément<br />

en cet endroit que Démosthènes l'accablera<br />

dès qu'il aura pris <strong>la</strong> parole, et qu'il renversera<br />

d'une seule phrase tout cet appareil <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil et <strong>de</strong><br />

vengeance que son rival avait élevé contre lui.<br />

Mais avant <strong>de</strong> passer à sa réponse t je crois <strong>de</strong>voir<br />

citer un autre morceau, où peut-être il y a plus<br />

d'art encore que dans celui qu'on vient d'entendre,<br />

parce qu'il offre un fonds <strong>de</strong> vérité morale et politique<br />

très-imposant, et qui n'est faux que dans l'application.<br />

« Je dois vous avertir, Athéniens 9 que, si vous ne mettes<br />

<strong>de</strong>s bornes à cette profusion <strong>de</strong> couronnes et <strong>de</strong> récompenses<br />

que vous distribuez si facilement, bien loin d'Inspirer<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> reconnaissance à cens que sons honores, bien<br />

loin <strong>de</strong> rendre <strong>la</strong> république meilleure, vous ne ferez que<br />

décourager les bons citoyens et encourager les méchants.<br />

En vouiei-vous <strong>la</strong> preuve évi<strong>de</strong>nte? Si quelqu'un sons<br />

<strong>de</strong>mandait quelle est l'époque <strong>la</strong> plus glorieuse d'Athènes,<br />

celle dont noos sommes témoins, on celle qu ? ont vue nos<br />

encsMres^danso^eltsM^<br />

aujourd'hui ou autrefois 9 vous ne pourriez vous empêcher<br />

d f àv@n@r que nous jouîmes inférieurs en tout à cens qui<br />

nous eut préeédés. Maintenant à <strong>la</strong>quelle rJo ces iens érs><br />

ques a-t-on décerné plus <strong>de</strong> couronnes » <strong>de</strong> prodamatiefis *<br />

<strong>de</strong> récompenses publiques ? Il faut encore en convenir : ces<br />

honneurs étaient rares autrefois, et le nom <strong>de</strong> vertu était<br />

cependant beaucoup plus véritablement honoré. Aujourd'hui,<br />

vous avez tout prodigué, et vous décernes <strong>de</strong>s couronnés<br />

plutôt par habitu<strong>de</strong> que par chois. Croyes-vous<br />

que si, dans les fêtes <strong>de</strong>s panathénées ou dans les jeux olympiques,<br />

on 'couronnait, nos pas l'athlète qui a le mieux<br />

combattu, mais celui qui a su le mieux faire sa brigue;<br />

croyes-vons qu'il y eût beaucoup d'athlètes qui voulussent<br />

se dévouer à toutes les fatlgnes et à toutes les privations<br />

qu'exige cette <strong>la</strong>borieuse profession? Yoilà votre histoirev<br />

ô Athéniens ! A mesure, que vous ares accumulé les honneurs<br />

sans choix et sans discernement, vous avez eu moins<br />

<strong>de</strong> citoyens capables <strong>de</strong> les mériter. Plus vous avez donné,<br />

plus vous avez été mal servis. Comparez-vous ce Démosthènes,<br />

qui a fui <strong>du</strong> champ <strong>de</strong> bataille <strong>de</strong> Chéronéeyè<br />

ThémistocJe, qui a vaincu à Staminé; I Miltk<strong>de</strong>, qui a<br />

triomphé à Marathon; à ceux qui ont sauvé et ramené<br />

dans cette ville nos concitoyens enfermés dans les murs<br />

<strong>de</strong> Pyle *, à ce juste Aristi<strong>de</strong> ?... Je m'arrête : les dieux me<br />

préservent d'établir un parallèle si révoltant! Eh bien ! que<br />

Démosthènes nous cite un seul <strong>de</strong> ces grands hommes<br />

qui ait été honoré d'une couronne d'or. Quoi donc ! le peuple<br />

d'Athènes a-t-il été Ingrat? Mon : il a été magnanime;,<br />

et ces illustres citoyens ont été dignes <strong>de</strong> lui : Us ont pensé<br />

que ce n'était pas par <strong>de</strong>s décrets qu'ils seraient honorés<br />

aux yeux <strong>de</strong> <strong>la</strong> postérité, mais par le souvenir <strong>de</strong> leurs<br />

gran<strong>de</strong>s'actions, lis ne se sont pas trompés , et ce souvenir<br />

est immortel....<br />

« VouSei-vous savoir ce qu'ont obtenu <strong>de</strong> vos ancêtres<br />

ceux qui vainquirent les Mè<strong>de</strong>s aux bords <strong>du</strong> Strymon?<br />

Trois statues <strong>de</strong> pierre, p<strong>la</strong>cées sous le portique <strong>de</strong> Mercure.<br />

Allez voir le monument public où est représentée <strong>la</strong><br />

bataille <strong>de</strong> Marathon : le nom même <strong>de</strong> Miltia<strong>de</strong> n'y est<br />

pas : on permit seulement qu'il fût peint au premier rangf<br />

exhortant ses soldats. Lisez le décret ren<strong>du</strong> en faveur <strong>de</strong>s,<br />

libérateurs <strong>de</strong> Pyîe**: que leur décerne-t-on? Une couronne<br />

d'olivier. Lises ensuite celui <strong>de</strong> Ctésiphon en faveur<br />

<strong>de</strong> Démosthènes : Une couronne d'or. Prenez-y gar<strong>de</strong>,<br />

Athéniens : l'un <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux décrets anéantit l'autre. Si -<br />

l'un fut honorable, l'autre est honteux; si les premiers<br />

ont été récompensés en proportion <strong>de</strong> leur mérite ; il est<br />

évi<strong>de</strong>nt que celui-ci reçoit une récompense au-<strong>de</strong>ssus <strong>du</strong><br />

sien. Et lui-même, que <strong>de</strong>vait-il faire? Paraître <strong>de</strong>vant<br />

vous, et vous dire : Ce n'est pas à moi <strong>de</strong> refuser k courenne<br />

que vous m'offrez 9 mais ce n'est pas non plus te<br />

temps d'une pareille proc<strong>la</strong>mation. Il me siérait mal <strong>de</strong><br />

couronner ma tête quand k république est en <strong>de</strong>uil. Yoilà<br />

ce que dirait un homme qui connaîtrait <strong>la</strong> véritable vertu<br />

et k véritable gioire ; mais Démosthènes ne les connaît<br />

pas. »<br />

C'est dommage que Fart oratoire ne soit Ici autre<br />

• Ce moi Pyle, dit M. Patin, porte malheur à <strong>la</strong> Harpe.<br />

Voyei plus haut, p. SS3« Il y a dans Se grecènè #uàffç, êe<br />

** Yoyet<strong>la</strong> note pféeô<strong>de</strong>nte.


'ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

chose que celui <strong>de</strong> là calomnie, qui , en ne <strong>mont</strong>rant<br />

qu'un cêté <strong>de</strong>s objets 9 se sert <strong>du</strong> nom <strong>de</strong> <strong>la</strong> verte<br />

pour combattre les hommes vertueux.<br />

Les <strong>de</strong>ux jsoïntsprineipauxquetrafteEsehlnedans<br />

<strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière partie <strong>de</strong> son dis<strong>cours</strong> font trop voir quel<br />

effroi inspirait l'éloquence <strong>de</strong> Démosthènes. 11 veut<br />

absolument lui prescrire <strong>la</strong> forme <strong>de</strong> sa défense, et<br />

que les juges lui ordonnent d'y mettre le même ordre<br />

qu'il a mis dans son accusation; ensuite il s'efforce<br />

<strong>de</strong> prouver, par toutes sortes <strong>de</strong> raisons 9 que<br />

c'est à Ctésiphon seul à se défendre lui-même, et<br />

qu 9 au moment où il dira, suivant <strong>la</strong> formule usitée,<br />

Permettez-vous que j'appelle Démost-hémes, et qu'il<br />

parie pour moi? 00 refuse à celui-ci <strong>de</strong> l'entendre.<br />

l'avoue que je ne reconnais plus ici l'art d'Eschloe.<br />

Sa <strong>de</strong>man<strong>de</strong> est révoltante, et ne pouvait que lui<br />

nuire; il ne faut jamais <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce qu'on est sûr<br />

<strong>de</strong> se pas obtenir. Démosthènes n'était-il pas attaqué<br />

cent fois plus que Ctésiphon ? D'un autre cêté ,<br />

Esctîlîîe o f était-il pas également ma<strong>la</strong>droit <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser<br />

voir <strong>la</strong> crainte que Démosthènes lui inspirait, et <strong>de</strong><br />

se persua<strong>de</strong>r que les Athéniens se priveraient <strong>du</strong><br />

p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> l'entendre dans sa propre cause? Heureusement<br />

on n'eut aucun égard à cette absur<strong>de</strong> prétention;<br />

Démosthènes par<strong>la</strong>. 11 est temps <strong>de</strong> l'écouter;<br />

voici son eior<strong>de</strong> 1<br />

« Je coœtiMâice par <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r aux dieu immortels<br />

qu'Us vous Inspirent à mon égard, 4 Athéniens 1 les mêmes<br />

ilspôiilMiM ai j'ai toujours été pour vous el pour l'État;<br />

fais vins persua<strong>de</strong>nt, ce qui estd f accord avec votre intérêt<br />

; votre équité 9 votre gloire, <strong>de</strong> ne pas prendre conseil<br />

<strong>de</strong> mon adversaire pour régler Tordre <strong>de</strong> ma défense. Ries<br />

m serait plus injuste et plus contraire as serment que vous<br />

mm prêté, d'entendre également les <strong>de</strong>ux parties; ce qoi<br />

ne signifie pas seulement que vous ne <strong>de</strong>vez apporter ici<br />

ni préjugé ni faveur, mais qae vous <strong>de</strong>vez permettre à<br />

raccusé d'établir à son gré ses moyens <strong>de</strong> justification.<br />

Escante a déjà dans cette cause asseï d'avantages sut<br />

moi : oui, Athéniens, et <strong>de</strong>u surtout bien grands. D'abord<br />

nos risques se sont pas égaux : s'il ne gagne pas sa<br />

causé , il ne perd rien ; et moi , si je perds votre bienveil<strong>la</strong>nce....<br />

Mais non, il ne sertira pas <strong>de</strong> ma bouche une<br />

parole sinistre au moment où je commence à vous prier.<br />

L'antre avantage qu'il a sur mol, c'est qu'A n'est que trop<br />

naturel d'écouter volontiers l'accusation et le blâme 9 et <strong>de</strong><br />

n'entendre qu'avec peine ceux qui sont forcés à dire <strong>du</strong><br />

lien d'eux-mêmes, ainsi donc Eschke a pour lui tout ce<br />

qui f<strong>la</strong>tte <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s hommes; il m'a <strong>la</strong>issé ce qui leur<br />

iéf ta» et les Messe. Si, dans cette crainte, je me <strong>la</strong>is sur<br />

les actions <strong>de</strong> ma vie publique, je paraîtrai me justifier<br />

mal; je ne serai plus celui que vous avez jugé digne '<strong>de</strong><br />

récompense. SI je m'étends sur ce que j'ai fait pour le<br />

service <strong>de</strong> l'État t je serai dans Sa nécessité <strong>de</strong> parler souvent<br />

<strong>de</strong> moi-même. Je le ferai <strong>du</strong> moins avec toute <strong>la</strong><br />

réserve dont je suis capable; et ce que je serai obligé <strong>de</strong><br />

Là nanti — tous 1.<br />

2S?<br />

dire, ô Athéniens! imputez-le à celui qui m'a ré<strong>du</strong>it à me<br />

défendre. »<br />

Il se'gar<strong>de</strong> bien <strong>de</strong> suivre le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> défense que<br />

lui avait prescrit l'artificieux Eschîae, qui prétendait<br />

l'obliger à répondre d'âbowl sur l'infraction <strong>de</strong>s<br />

formes légales. Démosthènes était trop habile pour<br />

donner dans ce piège; il sentait bien que cette discussion<br />

juridique , déjà fort longue dans le dis<strong>cours</strong><br />

d'Eschine $ le paraîtrait encore bien plus dans le<br />

sien, et commencerait par ennuyer son auditoire et<br />

refroidir sa harangue. L'essentiel était <strong>de</strong> prouver<br />

qu'il avait mérité <strong>la</strong> couronne , et <strong>de</strong> sa concilier ses<br />

juges en remettant sous lenrsyeui tout ce qu'il avait<br />

fait pour l'État. Ce tableau <strong>de</strong> son administration f<br />

tracé avec tout l'intérêt qu'il était capable d'y mettre,<br />

<strong>de</strong>vait nécessairement l'agrandir aux yeui <strong>de</strong>s<br />

Athéniens en humiliant son adversaire, et p<strong>la</strong>cer sa<br />

cause dans le jour le plus favorable. C'est aussi par<br />

là qu'il commence. Mais avec quelle adresse il s'en<br />

tire 1 Comme il sait bien s'insinuer dans l'esprit <strong>de</strong><br />

ses auditeurs, en se rendant à lui-même le témoignage<br />

que se doit un honnête homme accusé, un<br />

homme public qui rend compte <strong>de</strong> sa con<strong>du</strong>ite!<br />

Gomme il évite tout ce qui a l'air <strong>de</strong>là jactance ! Il fait<br />

si bien, qu'il met les Athéniens <strong>de</strong> moitié dans sa<br />

cause. Il avait affaire à l'amour-propre, <strong>de</strong> tous les<br />

juges le plus difficile à manier , et c'est aussi celui qu'il<br />

gagne d'abord; et, si recueil <strong>de</strong> sa cause était le<br />

danger <strong>de</strong> blesser cet amour-propre, il faut avouer<br />

que <strong>la</strong> perfection <strong>de</strong> son éloquence est d'avoir su le<br />

mettre <strong>de</strong> son parti. Ce sont toujours les Athéniens<br />

qui ont tout fait : ses pensées, ses résolutions, ont<br />

toujours été les leurs ; ses avis ont toujours été d'accord<br />

avec leurs sentiments ; il met toujours sa gloire<br />

sous <strong>la</strong> proteetien <strong>de</strong> celle d'Athènes. Qu'on juge à<br />

quel point il <strong>du</strong>t p<strong>la</strong>ire à un peuple naturellement<br />

vain, et s'il est étonnant qu'il ait enlevé tous les<br />

suffrages*<br />

Il n'est pas au tiers <strong>de</strong> son dis<strong>cours</strong>, que celui <strong>de</strong><br />

son adversaire est anéanti ; il n'en reste pas <strong>la</strong> moindre<br />

trace : Démosthènes est dans les <strong>de</strong>ux, Esehîse<br />

est dans <strong>la</strong> poussière ; et si l'on ne désirait pas d'entendre<br />

un homme qui parle si bien, on le dispenserait<br />

d'en dire davantage. Cette première partie rend<br />

sonapologiesi complète, met dans une telle évi<strong>de</strong>nce<br />

tous les mensonges d'Eschine et tous les services<br />

<strong>de</strong> Démosthènes, qe'iisembje que le restesoit donné,<br />

non pas au besoin <strong>de</strong> <strong>la</strong> cause,-mais à <strong>la</strong> vengeance<br />

<strong>de</strong> l'accusé : il foule et retourne sous ses pieds un<br />

ennemi <strong>de</strong>puis longtemps terrassé*<br />

Lorsqu'il daigne enfin en venir aux détails juridiques<br />

, il pulvérise en quelques lignes les sophismesentassés<br />

par Eseliine sur <strong>la</strong> préten<strong>du</strong>e vio<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s lois<br />

17


<strong>la</strong>es <strong>la</strong> forme <strong>du</strong> couronnement ordonné par le décret<br />

<strong>de</strong> Ctésiphon. Ce n'était qu'un prétexte <strong>de</strong> chicanepouravoirledroitd'rate&terune<br />

accusation ; ce<br />

qui se pouvait jamais se faire qu'en s'appuyant sur<br />

les termes d'une loi bien ou mal Interprétée : c'était<br />

aai juges à déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> l'application, il y avait chez<br />

les Athéniens, comme partout ailleurs, <strong>de</strong>s ordonnances;<br />

qui, à ne considérer que quelques points<br />

particuliers, paraissaient contredites pr d'autres<br />

ordonnances. Eschine avait saisi, en adroit chicaneur,<br />

ce qui pouvait lui être favorable, faits aves ?u<br />

précé<strong>de</strong>mment comme Démosthèiws s ? e§t tiré <strong>de</strong><br />

cette partie si sèchement contentieuse <strong>de</strong> <strong>la</strong> compta*<br />

• Mité f et comme il sait relever et animer l'argumentation<br />

oratoire.<br />

Je sais que <strong>la</strong> réfutation est toujours d'autant plus<br />

facile* que les objections sont plus frivoles; mais,<br />

quoiqu'on ait l'évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> son ce té, on ne lui donne<br />

pas toujours cette tournure pressante * et cette force<br />

irrésistible qui est l'éloquence <strong>de</strong>là discussion»<br />

Il aeltiî en coûte pas plus pour réfuter le second<br />

chef légal <strong>de</strong> l'accusation*<br />

< Quant à ce qui regar<strong>de</strong> là proc<strong>la</strong>mation sur le théâtre,<br />

je ne vous citerai pas tant <strong>de</strong> citoyens qu'on y a ve cou­<br />

ronner : je ne vous rappellerai pas que j'y al été proc<strong>la</strong>mé<br />

moi-même plus d'une fois; mais es-tu si dénué <strong>de</strong> sens9<br />

Esdiine, que ta m comprennes pas que partout où un<br />

citoyen est couronné 9 <strong>la</strong> g<strong>la</strong>ire est <strong>la</strong> même, et que c'est<br />

pour ceux qui le couronnent que k proc<strong>la</strong>mation se fait<br />

sur le théâtre? CTast pour tous ceux qui l'enten<strong>de</strong>nt une<br />

exhortation à bien mériter <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie f et un sujet <strong>de</strong><br />

louanges pour ceux qui distribuent ces récompenses 9 plutôt<br />

que pour ceux qoi les reçoivent. Tel est l'esprit <strong>de</strong> <strong>la</strong> M<br />

qui a été parlée sur cet article. Usas <strong>la</strong> loi : Si f«sff afataa<br />

<strong>de</strong> nos wïiim mmêdpaïm amrmm un citoyen cf Âikè*<br />

nm, <strong>la</strong> jmelmmikèn $êfw& imm <strong>la</strong> ville §«é aura<br />

êécemé <strong>la</strong> wurmm : $î c'est fo peignis athénien m h<br />

Menai § al <strong>la</strong> décerné, <strong>la</strong>pmclmmaiêm pmrrm mfmîm<br />

sw k théâtre, awfêtm <strong>de</strong> Baetkus* »<br />

• f al<strong>la</strong> un tèite formel en faveur <strong>de</strong> Démosthèaes.<br />

Je l'ai cité a<strong>la</strong> que Ton fit juger <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonne foi<br />

<strong>de</strong> son ennemi<br />

Béajôstraènaa n'Ignorait pas quel avantage il avait<br />

sur Eschine dans Fopinion <strong>de</strong> ses concitoyens, et<br />

il s'en sert en homme supérieur dès le commencement<br />

<strong>de</strong> son dis<strong>cours</strong>, lorsque avant <strong>de</strong> réfuter les<br />

différents points <strong>de</strong> l'accusation intentée contre lui,<br />

il «pose l'état <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce au moment où il s'approcha<br />

<strong>de</strong> l'administration <strong>de</strong>s affaires; l'ambition<br />

al les intrigues <strong>de</strong> Philippe, et <strong>la</strong> vénalité <strong>de</strong>s orateurs<br />

tels qn'Eschine, qui servaient ce prince atu<br />

dépens <strong>de</strong> leur patrie.<br />

« La contagion était générale dans les villes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce :<br />

ceux qui gouvernaient m <strong>la</strong>issaient corrompre par <strong>de</strong>s pré-<br />

COtmS BE LITFÉMTUiUS.<br />

senti | et <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> s'abandonNlt I eux, ou par aves<br />

ajetaaat sur l'avenir, os par cette farMassa qui est <strong>la</strong> suite<br />

d'une longue iaia<strong>la</strong>aea. Chacun croyait que le malheur<br />

n'irait pas jusqu'à lui; on s'imaginait même s'élever sur<br />

les rames <strong>de</strong>s autres ; et c'est ainsi que l'impru<strong>de</strong>nte sécurité<br />

<strong>de</strong>s peuples leur a fait perdre <strong>la</strong> liberté, et que les<br />

magistrats qui croyaient livrer tout à Philippe, excepté<br />

eux-mêmes, se sont aperçus trop tard qu'ils s'étalent don*<br />

nés aussi. Ce ne sont plus aujourd'hui <strong>de</strong>s assit et <strong>de</strong>s<br />

Mêm, comme on les appe<strong>la</strong>it dans le temps qu'il ÉtEfaft les<br />

séumre; les choies ont à présent Jeurviainm<br />

<strong>de</strong> vils f<strong>la</strong>tteurs détestés <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>s dieux ; car 11<br />

ne faaî pas s'y tromper : on ne donne point d'argent pour<br />

enrichir un traître; et quand on a obtenu ce qu'on vou<strong>la</strong>it,<br />

il n'est plus même consulté : sans ce<strong>la</strong>, les traîtres seraient<br />

trop heureux. Mais non , il n'en est point ainsi ; et comment<br />

ce<strong>la</strong> pourrait-il être? Quand celui qui vou<strong>la</strong>it régner est<br />

<strong>de</strong>venu le maître , il f est <strong>de</strong> ceux mêmes qui lui ont ven<strong>du</strong><br />

les autres. Il connaît leur pervetsité9 il les hait et, les méprise.<br />

Bappeles-votts ce que vous avex vu et ce que vous<br />

voyes aujourd'hui. Iiâsthène a été l'asti <strong>de</strong> Philippe jusqu'au<br />

moment eà I fai a ven<strong>du</strong> <strong>la</strong> ville d'Olynthe ; Timo-<br />

Misf jusqu'à ce qu'il ait per<strong>du</strong> les f liéaa<strong>la</strong>s; Badiqae et<br />

Simos <strong>de</strong> Larissa t jusqu'à ce qu'ils M aient assujetti k<br />

Thêssaliê. Le mon<strong>de</strong> entier est plein <strong>de</strong>s mômes exemptes.<br />

Que sont maintenant Aristrate à Sksaaa t Pérfiaaa à Mé-<br />

pre? fous sont dans l'abjection. Et sais-tu ce qui en résulte»<br />

Eschine? (Test que tes pareils et toi, vous tous<br />

qui dans Athènes <strong>la</strong>ites métier <strong>de</strong> <strong>la</strong> trahison» vous aves<br />

<strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> obligation à ceux qui comme moi défen<strong>de</strong>nt<br />

<strong>de</strong> toutes leurs forces <strong>la</strong> république et <strong>la</strong> liberté. C'est là ce<br />

qui vous soutient ; c'est là ce qui vous enrichit : sans aaasf<br />

il y a longtemps qu'on ne vous payerait plus; saaaaaeaj, il<br />

y a longtemps que vous aurfes Mt tout ee qu'il tait pour<br />

vous perdre. Cet insensé n'a-t-ll pas dit quelque part que<br />

je lui reprochais l'amitié d'Alexandre? Mon, je ne me mé»<br />

prends pas aiasi Je n'ai jamais dit que tu fusses ni ffeêta<br />

ni Fami <strong>de</strong> Philippe ou d'Alexandre. Toi ! aasaaiiat f à quel<br />

titre ? Les esc<strong>la</strong>ves, les merceiiaires; s'appeMest-Us les aêtaa<br />

et tes amis <strong>de</strong> leurs maîtres. J'ai dit que tu avais été d'abord<br />

le aaerecaalra <strong>de</strong> PMMppey et que tu éta<strong>la</strong> aujourd'hui<br />

celui d'Alexandre. Je l'ai dit, et tous les Athéniens le iiseal<br />

Veux4n savoir ce qu'ils en pensent ? Ose les interroger. Tu<br />

ne Foses pas! Eh bien! je vais les interroger moi-même.<br />

Athéniens, que vous m semble? Esefaine ast-I Fami #àieiandre<br />

ou sou atercaaalff) ? Entends-tu leur réponse? »<br />

Il est c<strong>la</strong>ir qu'il Malt eu être sûr peur faire une<br />

pareille <strong>de</strong>mandé.<br />

Mats avec quelle noblesse il s'eiprime sur cette<br />

guerre castra Philippe» qu'on lui reproche d'avoir<br />

conseillée ! Quel sublime é<strong>la</strong>n d'enthousiasme ptrietique!<br />

et que dans ee moment Eschine paraît petit<br />

<strong>de</strong>vant Sui ! 11 rappelle ce jour terrible où se répandît<br />

dans Athènes <strong>la</strong> nouvelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> prise d'É<strong>la</strong>tée, ville<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Phoei<strong>de</strong>, qui ouvrait un passage à Philippe<br />

jusque dans l'Attique, Il n'y avait pas à ba<strong>la</strong>ncer :<br />

il fal<strong>la</strong>it qui les Athéniens ùWeufasiint «posés i


ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

use Isvasloa, où se iéunlss*Jeiit mm les Thébâles<br />

leurs aacieis ennemis. Rappelons-nous ici que les<br />

Grecs regardaient les Macédoniens comme <strong>de</strong>s barbares<br />

, et que les différents États <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce f quoique<br />

souvent divisés entre eu, se croyaient liés par<br />

une espèce <strong>de</strong> eonfirateniité nationale dès qu'il s'agissait<br />

<strong>de</strong> combattre tout ee qui n'était pas Grec.<br />

Ce n'est qu'après le règne <strong>de</strong> Philippe, dont Plnieence<br />

ait si puissante, et sous Alexandre, qui se<br />

Et nommer généralissime <strong>de</strong> <strong>la</strong>' Grèce contre les Perses<br />

* que les Macédoniens se confondirent réellement<br />

avee les autres nations grecques dans <strong>la</strong> ligue générale<br />

contre leurs mmmmm ennemis.<br />

m Vous vous i»f«i« quel tumulte remplit <strong>la</strong> fi<strong>la</strong> ; torsaja'aa<br />

courrier vint» <strong>la</strong> suit, apprendre aux prytases que<br />

Philippe était dans É<strong>la</strong>fée. An point <strong>du</strong> jour, te sénat était<br />

eaeeaaaêé; von étiei secourus à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce publique ; le sénat<br />

s'y rend, pro<strong>du</strong>it <strong>de</strong>vant irons le courrier, irons rend compte<br />

et k fusette noeveik. Le héraut <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qui vent parler.<br />

Personne ne m présente. Tons vos généraux, tons vos orales»<br />

étaient présente ; personne ne répondait à <strong>la</strong> rois, <strong>de</strong><br />

ai patrie <strong>de</strong>mandant aa citoyen qui lui indiquât <strong>de</strong>s moyens<br />

<strong>de</strong> salit; car le héraut, prononçant les paroles que k loi<br />

met dam sa bouche, est-il antre chose en effet que l'organe<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> ptrie? SU n'eut fallu ; pour se lever alors , qu'aimer<br />

<strong>la</strong> répnMiqiie et désirer son saint f ions S'enssiet fait tous ,<br />

athéniens; tous TOUS Tons seriez approchés <strong>de</strong> <strong>la</strong> tribune.<br />

S*i eût al<strong>la</strong> être riche , le conseil <strong>de</strong>s trois cents se serait<br />

levé : ceux qui, fetMsaaat ramonr <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie et les<br />

moyens <strong>de</strong> k sertir, irons ont <strong>de</strong>puis prodigué leurs Mens ,<br />

m aaraiaal lefés aussi. Mais «a pareil jour, sa pareil moaa<br />

<strong>de</strong>mandait pas seulement un-bon citoyen» un<br />

i sage , un homme opulent : il fal<strong>la</strong>it quelqu'un qui<br />

cannât à fond le caractère, <strong>la</strong> politique et les •nés <strong>de</strong> Philippe.<br />

Je fus cet homme! je parai, je par<strong>la</strong>i : f exposai les<br />

éeaaeêaa <strong>de</strong> Philippe, et ce qu'il fal<strong>la</strong>it faire pour les combattre<br />

: personne ne contredit; tons app<strong>la</strong>udirent. H fal<strong>la</strong>it<br />

imdécret: Je le rédigeai. Le décret ordonnait une ambassa<strong>de</strong><br />

fera <strong>la</strong>a ThâMhis; Je m'en éta<strong>la</strong>geai L'objet <strong>de</strong> l'ambassa<strong>de</strong><br />

était <strong>de</strong> leur persua<strong>de</strong>r qa'ik <strong>de</strong>vaient oublier toute<br />

divlsiaif et te réunir à veut ; Je tes persuadai. Eh ftfaai<br />

Esehiiie , quel fut ton rote ee jaaa-il ? quel fut le mfien ? Tu<br />

se ta rien : je fis tout. Si ta avais été en effet sa bon citoyen<br />

; c'était là le moment <strong>de</strong> parler ; il fal<strong>la</strong>it proposer<br />

in avis meilleur que le mien, et ne pas attendre à'et jour<br />

pour l'attaquer, et m*en faire un crime. Mais telle est te<br />

iliareact <strong>de</strong> ce<strong>la</strong>i qui cea.seiîe à celui qui calomnie, L'on<br />

aa maître avant Féfénements et s'expose aux contradictJaas»<br />

m refera, an ressentiments ; il prend tout sur lui :<br />

l'antre se tait ajaaail ï faut perler! et attend le moment d'un<br />

désastre pour élever <strong>la</strong> cri <strong>de</strong> <strong>la</strong> censure et <strong>de</strong> <strong>la</strong> haine.<br />

« Mais enfin, puisque ta as été met ce jour-là, dft-mef<br />

~ donc <strong>du</strong> moins anjonrd'hui quel autre dis<strong>cours</strong> )'ai éi te*<br />

airf quel était le bien que je pouvais faire et que j'ai négligé,<br />

quelle antre alliance j'ai dû proposer, quelle autre con<strong>du</strong>ite<br />

fal iû conseiller ; car c'est par là qall faut juger <strong>de</strong> mon<br />

admisjstraties, et non par révésemeiit L'éfénement est<br />

259<br />

dans <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong>s dieux; l'Intention est dans ie cœur <strong>du</strong><br />

citoyen. 11 n'a pas dépen<strong>du</strong> <strong>de</strong> moi que Philippe fût vainqueur<br />

ou nos; mais ee qui dépendait <strong>de</strong> moi, c'était <strong>de</strong><br />

prendre toutes les mesures que peut dicter <strong>la</strong> pru<strong>de</strong>nce<br />

humaine, <strong>de</strong> mettre dans l'exécution tonte <strong>la</strong> allâjeaee<br />

possible, <strong>de</strong> suppléer par le zèle ee qui nous manquait <strong>de</strong><br />

force | enfin, <strong>de</strong> ne ries Mie qui ne fût glorieux, nécessaire,<br />

et digne <strong>de</strong> <strong>la</strong> république. Prouve que telle n'a pas été ma<br />

con<strong>du</strong>ite, et alors ce sera une accusation, et non pas une<br />

invective. Si le même foudre dont <strong>la</strong> Grèce a été accablée<br />

est aussi tombé sur Athènes, que pouvats-je faire pour Fé»<br />

carter? Un citoyen chargé d'équiper un vaisseau pour l'État,<br />

le fournit <strong>de</strong> tout ce qui est nécessaire à sa défense : k<br />

tempête le renverse, quoiqu'un sosge-t-i à fea accuser?<br />

Ce n'est pas moi, dirait-il » qui tenais âe faawaraail. Et<br />

ce n'est pas moi nos plus qui ai con<strong>du</strong>it l'armée.... Si toi<br />

seej JEsctake, <strong>de</strong>vinais alors revenir, que ne Pas-te révélé ?<br />

Si tu ne Fus pas prévu, tu n'es, comme moi y coupable que<br />

d'Ignorance : et pourquoi m'aeeases-te quand je ne t'accuse.<br />

paFMêîsfwisip<strong>la</strong>^<br />

quelqsd chose <strong>de</strong> plus fort* et je vous conjure <strong>de</strong> ne voir<br />

aucune présomption dans mes paroles, mais seulement<br />

l'âme d'un Athénien. Je le lirai donc : Quand même nous<br />

aurions prévu tout ce qui est arrivé f quand toi-même,<br />

EscMae, qui dans ee temps n'osas pas ouvrir <strong>la</strong> bouche,<br />

<strong>de</strong>venu tout à coup prophète , tu nous aurais prédit l'avenir, '<br />

i eât fallu faire encore ce que nous avons <strong>la</strong>it, pour peu<br />

que nous eussions eu <strong>de</strong>vant les jeai <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> nos aa*<br />

eêtres et le jugement <strong>de</strong> <strong>la</strong> postérité. Es effet, que dit-on<br />

<strong>de</strong> sent aafaaraîtïaf ? Que nos efforts ont été trompés par<br />

<strong>la</strong> fortes®, taaf déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> tout. Mais <strong>de</strong>vant qui oserions*<br />

nous lever les yent, aiaaaa avions <strong>la</strong>issé à d'autres le sois<br />

<strong>de</strong> défendre <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong>s Grecs contre Philippe? Et qui<br />

donc, parmi les Grecs ou parmi les barbares, ignore que<br />

jamais dans les siècles passés Athènes n'a préféré use sécurité<br />

honteuse à <strong>de</strong>s péris g<strong>la</strong>rleaa ; que jamais elle n'a-çoa*<br />

senti à s'unir avec k puissance injuste, mais que dans<br />

tons les temps elle a combattu pour <strong>la</strong> prééminence et pour<br />

<strong>la</strong> gloire? Si je me vantais <strong>de</strong> vous avoir inspiré cette élévation<br />

<strong>de</strong> sentiments, ce serait <strong>de</strong> ma part un ergaell insupportable<br />

; mais en faisant voir que tels ont été toujours<br />

•os principes et sans moi et avant moi, je me MB us taa><br />

aear <strong>de</strong> pouvoir affirmer que, dans cette partie <strong>de</strong>s fonctions<br />

publiques qui m'a été eaaiée, fal été aussi pour quelque<br />

chose dans ee que votre con<strong>du</strong>ite a es d'honorable et <strong>de</strong><br />

geaéeeii* Mon accusateur, au contraire 9 es vou<strong>la</strong>nt m'ôter<br />

<strong>la</strong> aeaaaieaaae que vous m'avei décernée, ne s'aperçoit pas<br />

qui vent aussi mm priver <strong>du</strong> juste tribut d'éloges que<br />

vous doit <strong>la</strong> paatérîté; car si vous me condamnes pour le<br />

conseil que j'ai dossé, vous paraîtrez vous-mêmes avoir &HM<br />

en le suivant, liais non, Athéniens, son, vous n'avez point<br />

failli en bravant tous les dangers pour le salut et k liberté<br />

<strong>de</strong> tous-les Grecs ; vous n'avez point faili y j'en jure et par<br />

tes mises <strong>de</strong> vos ancêtres qui ont péri dans les champs <strong>de</strong><br />

Marathon, et par cens qui ont combattu à P<strong>la</strong>tée, à Salânaaaf<br />

à Artémise; par tous ces grands citoyens dont k<br />

Grèce a recueilli les cendres dans <strong>de</strong>s monuments publics.<br />

Elte leur accor<strong>de</strong> à tons k même sépulture et les mêmes<br />

honneurs : oui, Bsehiae, à tons ; car tons avaient eu k même<br />

17.


260<br />

? erta, quoique <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée, iôat ertliie ne tesr eût jus accordé<br />

à tous le même succès. »<br />

Cest là ce serment si célèbre dans l'antiquité, et<br />

si souvent rappelé <strong>de</strong> nos jours. Quand on l'entend ,<br />

il semble que toutes les ombres évoquées tout à<br />

l'heure par Eschine ¥iennent se ranger autour <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

tribune <strong>de</strong> Démosthènes et le prennent sous leur protection.<br />

Ce n'est pas assez : ? oyez comme il tourne<br />

contre Eschine cet air <strong>de</strong> triomphe qu'a eu celui-ci<br />

en par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> défaite <strong>de</strong> Chéronée.<br />

C0U1S DE LITTÉ1ATU1E.<br />

« ï/âves-vous remarqué, Athéniens , lorsqu'il a parlé <strong>de</strong><br />

nos malheurs,?11 en par<strong>la</strong>it sans rien ressentir, sans rien<br />

témoigner <strong>de</strong> cette tristesse qui sied si bien à on citoyen<br />

honnête et sensible. Son visage était rayonnant d'allégresse,<br />

sa voix était sonore et éc<strong>la</strong>tante. Le malheureux ! il croyait<br />

m'aceuser, et il s'accusait lui-même! en se <strong>mont</strong>rant, dans<br />

nos refera communs 9 si différent <strong>de</strong> ce que TOUS êtes. »<br />

Eschine n'avait cessé d'avertir les Athéniens <strong>de</strong><br />

se déier <strong>de</strong> <strong>la</strong> pernicieuse éloquence <strong>de</strong> Démosthènes<br />

; il lui avait donné sur son talent ces éloges perfi<strong>de</strong>s<br />

et meurtriers auxquels <strong>la</strong> haine se condamne<br />

quelquefois elle-même ; sincère sur un point pour se<br />

rendre plus croyable sur un autre, et faisant senrir<br />

<strong>la</strong> vérité à donner <strong>du</strong> poids à <strong>la</strong> calomnie : c'est<br />

ainsi que les passions souillent tout ce qu'elles touchent<br />

, et tournent Sa louange même en poison. Démosthènes<br />

, quj ne <strong>la</strong>isse aucun article sans réponse,<br />

ne manque pas <strong>de</strong> relever Eschine sur celui-ci : il<br />

dé<strong>mont</strong>re par les faits que le talent <strong>de</strong> <strong>la</strong> proie n'a<br />

jamais été en lui qu f un moyen <strong>de</strong> servir <strong>la</strong> république<br />

; mais il commence par s'exprimer, sur ce même<br />

talent, avec une réserve et une mo<strong>de</strong>stie qui <strong>de</strong>-<br />

•algtf iatter l'amour-propre <strong>de</strong>s Athéniens. 11 n'y a<br />

pas jusqu'à son génie qu'il ne fasse dépendre d'eux.<br />

« Pour ce qui est <strong>de</strong> mon éloquence (puisque ea<strong>la</strong> Es»<br />

dilue s'est servi <strong>de</strong> ce mot) 9 f ai toujours TU que cette<br />

puissance <strong>de</strong> <strong>la</strong> parole dépendait en gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s dispositions<br />

<strong>de</strong> ceux qui écoutent, et que l'orateur pralt habile<br />

en proportion <strong>de</strong> <strong>la</strong> Mes vail<strong>la</strong>nce que .TOUS lui témoignez.<br />

Du moins, cette éloquence qu'il m'attribue $ été utile<br />

à tous dans tons les temps, et jamais nuisible à personne;<br />

Mais <strong>la</strong> tienne, <strong>de</strong> quoi sert-elle à Sa ptrte? Tu viens au-<br />

Jourdlmi sens parler <strong>du</strong> passé. Que dirtifroad'un mé<strong>de</strong>cin<br />

qui, appelé près d'un ma<strong>la</strong><strong>de</strong>, n'aurait pu trouver m remè<strong>de</strong><br />

à son mal, n'aurait pu le garantir <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, et ensuite<br />

tiendrait troubler ses funérailles 9 et crier près <strong>de</strong> sa tombe<br />

qu'il vivrait si Ton avait suivi d'autres conseils? •<br />

Il fon<strong>de</strong> l'intérêt <strong>de</strong> sa péroraison sur l'honneur<br />

qu'on lui a fait <strong>de</strong> lui confier l'éloge funèbre <strong>de</strong>s citoyens<br />

tués à Chéronée. Eschine s'était efforcé d'en<br />

faire contre lui un sujet <strong>de</strong> reproche ,«t d'autant plus<br />

qu'il avait lui-même inutilement sollicité celle fonction.<br />

Démosthènes en tire un nouveau triomphe<br />

pour lui 9 et une mm?elle humifiatîon pour son accusateur.<br />

* La république , Eschine, a entrepris et exéeoté <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s<br />

choses par mon ministère ; mais elle n'a pas été ingrate.<br />

Quand il a fallu choisir, au moment <strong>de</strong> notre disgrâce, l'orateur<br />

qui <strong>de</strong>vait rendre les <strong>de</strong>rniers honneurs au, victime»<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie, ce n'est pas toi qu'on a choisi, malgré ta mm<br />

sonore et tes brigues ; ce n'est pas Déma<strong>de</strong>, qui Tenait <strong>de</strong><br />

nous obtenir <strong>la</strong> paix ; ni Hégémon, ni enfin anetm<strong>de</strong> ceux<br />

<strong>de</strong> ton parti : c'est mol On vous vit alors, Pyfeelèa al loi 9<br />

vomir contre moi, avec autant <strong>de</strong> fureur que d'impu<strong>de</strong>nce y<br />

les mêmes Invectives que tu viens <strong>de</strong> répéter ; et ce fut une<br />

raison <strong>de</strong> plus pour les Athéniens <strong>de</strong> persister dans leur<br />

choix. Tu en sais <strong>la</strong> valsait aussi bien que moi-même; Je<br />

veux pourtant te <strong>la</strong> dire : c'est qu'ils connaissait également<br />

, et tout mon amour pour <strong>la</strong> patrie, et tous les crimes<br />

que vous a?es commis envers elle. Us savaient que vous<br />

ne <strong>de</strong>viez votre impunité qu'à ses malheurs; que si vos<br />

sentiments contre elle n'ont éc<strong>la</strong>té que dans le temps <strong>de</strong><br />

sa disgrâce, c'était un aveu que dans tous tes temp vous<br />

aviez été ses ennemis secrets. H eoa?eaaif sans douta que<br />

celui qui <strong>de</strong>vait célébrer <strong>la</strong> vertu <strong>de</strong> ses concitoyens n'eût<br />

pas été le commensal <strong>de</strong> leurs ennemis, n'eût pas fait avec<br />

eux les mêmes sacrifices et les mêmes Ebattons. On ne pouvait<br />

pas déférer une fonction si honorable à ceux qu'en<br />

avait vus mêlés avec les vainqueurs y partager <strong>la</strong> joie insultante<br />

<strong>de</strong> leurs festins, et triompher 4® nos ca<strong>la</strong>mités. Enfin<br />

ce n'était pas a?ec une voix mensongère qu'il fanait dép<strong>la</strong>cer<br />

<strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée <strong>de</strong> ces illustres morts. Ces justes regrets n®<br />

pouvaient être que'.dans <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong> celui qui avait aussi<br />

<strong>la</strong> douleur dans l'âme; et cette douleur, on savait quelle<br />

était dans mon cœur et non pas dans le tien. Voilà ce qui<br />

a déterminé le suffrage <strong>du</strong> peuple; et quand les parente<br />

<strong>de</strong>s morts, chargés <strong>du</strong> triste soin <strong>de</strong> leur sépulture, ont<br />

donné te festin <strong>de</strong>s funérailles, c'est encore eàaa moi qu'Us<br />

Font donné, cliea mol, qu'ils regardâtes! comme faisant<br />

<strong>de</strong> plus près que personne à ceux dont nous pleurions <strong>la</strong><br />

perte. Ils leur étaient liés <strong>de</strong> plus près par le sang, mais<br />

personne ne Tétait davantage par tes aaat<strong>la</strong>aeals <strong>de</strong> citoyen ;<br />

personne, dans te perfe commune, n'avait eu À pleurer<br />

plus que moi. »<br />

Rollin observe avec raison que <strong>la</strong> seule choie qui<br />

puisse nous blesser dans cette Immortelle harangue y<br />

ainsi que dans celle d'Eschine, c'est <strong>la</strong> profusion<br />

d'injures personnelles que, dans plus d'un endroit,<br />

se permettent les <strong>de</strong>ux concurrents. Mais II est juste<br />

d'observer aussi qu'elles étaient autorisées par les<br />

mœurs républicaines, moins délicates sur ce point<br />

que les nôtres $ et que par conséquent ni l'un ni<br />

l'autre n'a manqué au précepte <strong>de</strong> l'art, qui défend<br />

<strong>de</strong> violer les convenances'reçues. Deux citoyens<br />

ennemis, <strong>de</strong>ux orateurs rivaux s'attaquaient l'un<br />

l'autre sur tous les points, sur <strong>la</strong> naissance, sur<br />

l'é<strong>du</strong>cation, sur <strong>la</strong> fortune, sur les mœurs; et cettf<br />

recherche entraînait <strong>de</strong>s détails qui ne sont pas toujours<br />

bien nobles pour nout* vu <strong>la</strong> différence <strong>de</strong>s


temps et <strong>du</strong> <strong>la</strong>igap, mais qui. alors avalent leur<br />

effet. On les retrou?e aussi dans Cïcéron, quand il<br />

parle eontre Antoine, contre Pisonf contre Vatinius<br />

, qui <strong>de</strong> leur côté ne l'épargnaient pas davantage.<br />

Quand ces injures n'étaient que <strong>de</strong>s mensonges!<br />

elles ne compromettaient que celui qui les avait proférées<br />

; et quand elles étaient fondées, on pensait<br />

qu'un homme libre avait droit <strong>de</strong> tout dire. Il faut<br />

bien pardonner aux citoyens <strong>de</strong> Rome et d'Athènes<br />

d*a?oir cm qu'un honnête homme pouvait sans<br />

honte entendre, les invectives d'un calomniateur.<br />

D'ailleurs ce n'était pas tout à fait sans risque qu'il<br />

était permis d'accuser et d'invectiver : dans Athènes<br />

, l'accusateur <strong>de</strong>vait avoir au moins <strong>la</strong> cinquième<br />

partie <strong>de</strong>s suffrages, sinon il était condamné au bannissement.<br />

C'est ce qui arriva à Eschine : il se retira<br />

dans 111e <strong>de</strong> Rho<strong>de</strong>s, où il ouvrit une école <strong>de</strong> rhétorique.<br />

Sa première leçon fut <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

harangues qui avaient causé sa condamnation. Je ne<br />

conçois pas, je l'avoue-, comment il eut le courage<br />

<strong>de</strong> lire à ses disciples celle <strong>de</strong> Démosthènes. On<br />

peut sans crime être moins éloquent qu'un autre;<br />

mais comment avouer, sans rougir 9 qu'on a été si<br />

évi<strong>de</strong>mment convaincu d'être un calomniateur et<br />

un mauvais citoyen?<br />

Pour Démosthènes, un historien dont l'autorité<br />

à cet égard a été justement contestée f d'après- le silence<br />

<strong>de</strong> tous les autres, prétend que cette fermeté si<br />

longtemps inébran<strong>la</strong>ble, ce désintéressement si'soutenu,<br />

se démentit une fois; qu'après s'être élevé<br />

contre Alexandre avec <strong>la</strong> même force qu'il avait déployée<br />

contre Philippe, il se <strong>la</strong>issa enfin corrompre,<br />

et feignit d f êtro ma<strong>la</strong><strong>de</strong> pour ne pas <strong>mont</strong>er à <strong>la</strong><br />

tribune; que cette indigne faiblesse l'obligea <strong>de</strong> se retirer<br />

d'Athènes. Mais on peut douter <strong>de</strong> <strong>la</strong> faute, et<br />

il est sûr que sa mort fut honorable et courageuse.<br />

Revenu dans Athènes après celle d'Alexandre, il<br />

-ne cessa <strong>de</strong> prier contre <strong>la</strong> tyrannie.<strong>de</strong>s Macéêcniens,<br />

jusqu'à ce qu ? Antipater, leur roi 9 eût obtenu 9<br />

<strong>la</strong> force en main, qu'on lui livrât tous les orateurs<br />

qui s'étaient déc<strong>la</strong>rés ses ennemis. Démosthènes<br />

prit <strong>la</strong> fuite; mais se voyant près d'être arrêté par<br />

ceux qui le poursuivaient 9 il eut re<strong>cours</strong> m poison<br />

qu'il portait toujours avec lui. On a remarqué que<br />

Cicéros et lui eurent une fin également tragique, et<br />

périrent victimes <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie, après avoir vécu ses<br />

défenseurs.<br />

NOTE SUll LE TlOISHaiE ClâPOTH.<br />

ANCIENS- - ÉLOQUENCE.<br />

Os lit dans te Nouveau Meiwmmîm kût&rêquê*, à f articit<br />

"Bimmmmmm, et a propos <strong>de</strong> cet éloge funèbre qtfll preaença,<br />

qalSichliie m manqnm pm iê relever cette encornéyuemee.<br />

On peut voir, par<strong>la</strong> réponse victorieuse <strong>de</strong>Bémosthènci,<br />

que J'ai In<strong>du</strong>ite dass m chapitre, ce qu'il faut penser <strong>de</strong><br />

eeite ptétai<strong>du</strong>é èMMêéquernse, qui m été celle <strong>de</strong>s Athé-<br />

301<br />

plemriout autant que <strong>la</strong> sterne. Il est bien étrunse <strong>de</strong> citer on<br />

reproche injuste sans dire on mot <strong>de</strong> <strong>la</strong> réfutation, surtout<br />

quand elle est péremptoire ; et c'est venir bien tard pour se<br />

ranger <strong>du</strong> côté <strong>de</strong>s détracteurs d'un grand homme et d'un<br />

excellent citoyen. On elle encore (et toujours sans réponse)<br />

îa déc<strong>la</strong>mation d'EschSne, qui Invoque les pères et les mères<br />

<strong>de</strong> oetii qui avaient péri à Cbémaée, contre <strong>la</strong>s honneurs<br />

qu'on vou<strong>la</strong>it rendre à Démosthènes} que ton pouvait re-<br />

§m<strong>de</strong>r tomme leur saamin; comme si l'orateur citoyen, qui<br />

eônsetlte une guerre légitime et nécessaire, était fmmmim<br />

<strong>de</strong> ceci qui raccomtait glorieusement dans <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

liberté contre <strong>la</strong> tyrannie. Il s'est 'permis <strong>de</strong> rapporter <strong>de</strong><br />

semb<strong>la</strong>bles reproches que pour luire voir tout ce qu'ils ont d'odieux<br />

et d'absur<strong>de</strong>. L'auteur <strong>de</strong> l'article appelle ces c<strong>la</strong>meur*<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> haine <strong>de</strong>t âêsa§réwtent$. Hou : ce sont <strong>de</strong>s attaques ma<strong>la</strong>droites<br />

qui amènent le triomphe <strong>de</strong> l'accusé ; os sont <strong>de</strong>s titres<br />

<strong>de</strong> gloire.<br />

Dans ce même Dictionnaire, à l'article ESCBIHE, il est dit que<br />

les <strong>de</strong>ux harangues pour te Couronne pourraimt^mppeier<strong>de</strong>M<br />

cheft-d'œuvre, s* elkê m'éêsèmi emort jdm eksrgêei d'itemreg<br />

que <strong>de</strong> tmits d'éloquence- C'est encore un Jugement injuste<br />

et erroné <strong>de</strong> toute manière. D'abord, il ne fal<strong>la</strong>it pas mettre sur<br />

<strong>la</strong> même tfgec te dis<strong>cours</strong> d'Eschlne et celui <strong>de</strong> Démosthènes.<br />

Quoique le premier ait <strong>de</strong>s beautés réelles, Il ne peut pas soutenir<br />

<strong>la</strong> comparaison avec l'autre} qui est en son genre un<br />

morceau unique et achevé. Ensuite 11 n'est nullement vrai que<br />

Iminjwrm, autorisées par <strong>la</strong> sature <strong>de</strong>s controverses Judiciaires<br />

et par <strong>la</strong> liberté répoMleaiee, détruisent dans ces sortes<br />

d'ouvrages te mérite <strong>de</strong> l'éloquence, et qu'un défaut, cfsl<br />

n'en est guère un que pour nous, remporte sur tant <strong>de</strong> beautés.<br />

CHAPITRE IY. — Jnmfym <strong>de</strong>s mmm§e$<br />

oratoires <strong>de</strong> Cicérm*<br />

memm maniai. — De te différence <strong>de</strong> caractère entre<br />

l'éloquence <strong>de</strong> Démosthènes et celle <strong>de</strong> efcéron 9 et <strong>de</strong>s<br />

rapports <strong>de</strong> Fui» et <strong>de</strong> feutre mm le -peuple d'âthènes<br />

et celui <strong>de</strong> lune.<br />

Noos avons enten<strong>du</strong> Démosthènes êtes tes <strong>de</strong>ux<br />

genres d'éloquence f le judiciaire et le délibératif, et<br />

nous mom m que dans l'un et dans f autre sa logique<br />

était également pressante , et ses motifemerits<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> même impétuosité. Gieéron procè<strong>de</strong> en général<br />

d'une manière différente : II donne beaucoup<br />

aux préparations; il semble ménager ses forces en<br />

multipliant ses moyens ; if n'en néglige aucun ,<br />

non-seulement <strong>de</strong> ceux qui ptmmt ser?ir à sa cause t<br />

mais jnéme <strong>de</strong> ceux qui ne font qu'à I# gloire <strong>de</strong><br />

son art ; il se ?eat rien perdre, et n'est pas moins<br />

occupé <strong>de</strong> lui que <strong>de</strong> <strong>la</strong> chose. C'est sans doute pour<br />

ce<strong>la</strong> que Fénelon, dont le tact est si délicat, préférait<br />

Démosthènes | tomme al<strong>la</strong>nt plus directement<br />

au but Qointilien, au contraire 9 paraît préférer<br />

Gicéron f et Ton sait qu'entre <strong>de</strong>ux orateurs d'une<br />

telle supériorité, <strong>la</strong> préférence est plutôt une affaire<br />

<strong>de</strong> goût que <strong>de</strong> démonstration. Telle a toujours été<br />

ma manière <strong>de</strong> penser su? ces sortes <strong>de</strong> comparaisons<br />

, si sou?ent ramenées dans les entretiens et<br />

dans les discussions littéraires. J 9 ai toujours cru que<br />

ce qui importait le plus , n'était pas <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r une<br />

prééminence qui sera toujours un problème! at-


963<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

ten<strong>du</strong> <strong>la</strong> valeur I peu près égale <strong>de</strong>s motifs pour et <<br />

contre et <strong>la</strong> di?ersité <strong>de</strong>s esprits v mais <strong>de</strong> bien saisir<br />

et <strong>de</strong> bien apprécier les caractères distinetifs et les<br />

mérites particuliers <strong>de</strong> chacun.<br />

J'avais toujours préféré Cteér on, et je le préfère<br />

encore comme écrivain; mais <strong>de</strong>puis que fai YH<br />

<strong>de</strong>s assemblées délibérantes, fai cru sentir que <strong>la</strong><br />

manière <strong>de</strong> Démosthènes y serait peut-être plus puissante<br />

dans ses effets que celle <strong>de</strong> Cieéron,<br />

Remarquez que tous <strong>de</strong>ux ne sont plus pour nous,<br />

à proprement parlerf que <strong>de</strong>s écri?ains ; nous ne les<br />

entendons pas , nous les lisons : ils ne sont plus là<br />

pour nous persua<strong>de</strong>r, mais pour nous p<strong>la</strong>ire. Philippe<br />

et Esefatne, Antoine et Catilina sont jugés il<br />

y a longtemps ; c'est Cieéron et Démosthènes que<br />

nous jugeons, et cette différence <strong>de</strong> point <strong>de</strong> vue<br />

est gran<strong>de</strong>, cor, pour les Grecs et pour les Romains,<br />

c'était <strong>de</strong> <strong>la</strong> chose qu'il s'agissait a?ant tout, et<br />

ensuite <strong>de</strong> l'orateur. Tons <strong>de</strong>ux ont eu les mimes<br />

succès f et ont exercé le même empire sur les âmes ;<br />

niais aujourd'hui je conçois très-bien que Cieéron 9<br />

qui a toutes les sortes if esprit et toutes les sortes <strong>de</strong><br />

ityle 9 doit être plus généralement goûté que Démosthènes<br />

, qui s'a pas cet avantage. Cieéron est datant<br />

<strong>de</strong>s lecteurs; il leur donne plus <strong>de</strong> jouissances diverses<br />

; il peut remporter : <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s auditeurs, nul<br />

me l'emporterait sur Démosthènes, pree qu'en l'écoutant<br />

, il est impossible <strong>de</strong> ne pas lui donner rak<br />

son ; et certainement c'est là le premier but <strong>de</strong> Fart<br />

oratoire.<br />

Ne pourrait-on pas encore observer d'autres motifs<br />

<strong>de</strong> disparité, tirés <strong>de</strong> <strong>la</strong> différence <strong>de</strong>s gou?eiv<br />

sèment* et <strong>du</strong> caractère <strong>de</strong>s peuples à qui tous <strong>de</strong>ux<br />

avaient affaire? Il n'y avait dans Athènes qu'uoe<br />

seule puissance, celle <strong>du</strong> peuple. C'était une démo*<br />

trafic absolue, telle que Rousseau <strong>la</strong> vou<strong>la</strong>it exclusivement<br />

JPOUT impeiUs Éimts : il <strong>la</strong> croyait impos*<br />

sible dans les grands ; et il n'y en avait jamais eu<br />

d'exemple.<br />

Lepeupte athénien était vo<strong>la</strong>ge 9 inappliqué, amoureux<br />

<strong>du</strong> repos, idolâtre <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>isirs, confiant dans<br />

sa puissance et dans son ancienne gloire. 11 avait<br />

besoin d'être fortement remué ; et, quoique <strong>la</strong> manière<br />

<strong>de</strong> Démosthènes fût sans doute le résultat<br />

<strong>de</strong>s qualités naturelles <strong>de</strong> son talent, elle <strong>du</strong>t aussi<br />

être modifiée, jusqu'à un eertain point, pr <strong>la</strong> connaissance<br />

qu'il avait <strong>de</strong> ses auditeurs ; et cette étu<strong>de</strong><br />

était trop importante pour échapper à un homme<br />

tout était per<strong>de</strong>. Les Athéniens étaient capables<br />

d'oublier tout ce qu'il leur disait pour s'extasier sur<br />

ses phrases , et faire para<strong>de</strong> <strong>de</strong> leur bon goût en se<br />

récriant sur le sien. U le savait si bien qu'à <strong>la</strong> fin<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> PMBppîque que j'ai-tra<strong>du</strong>ite, et qui lui attira<br />

beaucoup d'app<strong>la</strong>udissements! il leur adressa ces<br />

<strong>de</strong>rniers mots :<br />

« Eh S n'app<strong>la</strong>udisses pas l'orateurf et actes ce qe'i vous<br />

conseille, car je ne saurais vous sauver par mes parce» :<br />

c'est à vous <strong>de</strong> vous sauver pif <strong>de</strong>s actions. »<br />

Aussi , quand il avait entraîné te peuple, Il avait<br />

tout fait : on le chargeait su^le^champ <strong>de</strong> rédiger<br />

le décret suivant <strong>la</strong> formule ordinaire 9 qui en <strong>la</strong>issait<br />

à Forateur et l'honneur «t le danger. De tmwîs<br />

<strong>de</strong> Dêmmtkênm, le peuple ê f Màèm$ mrréieei décrète,<br />

etc. Nous avons encore une fa<strong>de</strong> <strong>de</strong> «es décrets<br />

, conservés chez les historiens et les orateurs<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce.<br />

Il n'en était pas <strong>de</strong> même à Rome : il y avait<br />

une concurrence <strong>de</strong> pouvoirs et une complication<br />

d'intérêts divers à ménager. Quoique <strong>la</strong> souveraineté<br />

résidât <strong>de</strong> fait dans le peuple, sans être théoriquement<br />

établie comme elle Fa été chez les mo<strong>de</strong>rnes,<br />

le gouvernement habituel appartenait au sénat, si<br />

ce n'est dans les occasions où les tribuns portaient<br />

une affaire <strong>de</strong>vant le peuple assemblé, et faisaient<br />

passer un plébiscite: dans ce cas, le sénat même<br />

y était soumis. Pour ce qu f on appe<strong>la</strong>it une loi, it<br />

fal<strong>la</strong>it réunir le consentement <strong>du</strong> peuple et <strong>du</strong> sénat;<br />

et <strong>de</strong> là ces fréquentes divisions entre les <strong>de</strong>ux<br />

ordres, dans lesquelles le peuple eut presque toujours<br />

Favantage, et, ce qui est le plus remarquable, prèsquetoujoursrapon.Maisee<br />

qui prouve que <strong>la</strong> théorie<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> souveraineté <strong>du</strong> peuple n'était pas très-c<strong>la</strong>irement<br />

connue * c'est qoe tons les actes publics portaient<br />

textuellement, Senotuspopulusqw romanus;<br />

m qui était inconséquent; les principes exigeaient<br />

que Fon dît, Popuim senatusque rommm. Mais<br />

cette différence entre <strong>la</strong> souveraineté et le gouvernement<br />

n'a été suffisamment développée que dans les<br />

écrits <strong>de</strong> Locke ; et c'est <strong>de</strong> là que Rousseau Fa reportée<br />

dans son livre <strong>du</strong> Contrat soewd.<br />

; Lesalfaire8étaientdonesouventtraitéesenmêroe<br />

temps et dans le sénat et <strong>de</strong>vant le peuple, et <strong>la</strong><br />

différence d'auditoire <strong>de</strong>vait en mettre dans l'éloquence.<br />

De plus, il y avait <strong>de</strong>s citoyens si poissants,<br />

qu'ils faisaient seuls, et par leur crédit particulier,<br />

d'un aussi excellent esprit que le sien. 11 songea donc un poids considérable dans <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce <strong>de</strong>s délibéra­<br />

principalement à frapper fort sur cette multitu<strong>de</strong> tions publiques : Forateur <strong>de</strong>vait avoir égawl à toutes<br />

inattents?e, sachant bien que, s'il lui donnait le ces considérations.<br />

temps<strong>de</strong> respirer, s'il lui permettait <strong>de</strong> s'occuper <strong>de</strong>s .Le peuple romain était beaucoup plus sérieux *<br />

agrémenta <strong>de</strong> mm style et <strong>de</strong>s beautés <strong>de</strong> sa diction % plus réfléchi, plus mesuré, plut moral, que celui


ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

d'Athènes. On peut dire même que, <strong>de</strong> tous les<br />

peuples libres <strong>de</strong> l'antiquité, il n'en est pli ma qui (<br />

puisse lui être comparé. Il a donné <strong>de</strong>s exemples sans<br />

nombre <strong>de</strong> cette modération qui semble ne pas appartenir<br />

à une multitu<strong>de</strong>, dont les mouvements ont<br />

ordinairement d'autant moins <strong>de</strong> mesure, qu'ils ont<br />

par eux-mêmes plus <strong>de</strong> force ; et Fon sait que <strong>la</strong> modération<br />

n'est autre chose que <strong>la</strong> mesure juste <strong>de</strong> toutes<br />

les affections, <strong>de</strong> .tous les <strong>de</strong>voirs, et <strong>de</strong> toutes les<br />

vertus. Ce qui est rare dans un indivi<strong>du</strong> doit l'être<br />

encore plus dans un amas d'hommes ; et c'est pourtant<br />

ce qu'on vit sans cesse dans le peuple romain,<br />

et ce qui le <strong>mont</strong>re aux yeux observateurs comme<br />

partienHèrement <strong>de</strong>stiné à comman<strong>de</strong>r aux autres.<br />

Cette vérité, qui pourrait donner une face nouvelle à<br />

f histoire romaine, si elle était écrite aujourd'hui par<br />

quelqu'un qui joignit à l'éloquence <strong>de</strong>s anciens <strong>la</strong><br />

philosophie qui leur a souvent manqué, n'est pas<br />

très-communément sentie, parce que tous les historiens<br />

<strong>la</strong>tins ont plus ou moins <strong>de</strong> partialité pour<br />

le sénat. C'était sans doute une compagnie très-saga,<br />

surtout dans sa politique extérieure f où ses passions<br />

ne dominaient pas, <strong>du</strong> moins jusqu'à l'époque<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> corruption ; mais, dans le gouvernement intérieur!<br />

il serait facile <strong>de</strong> prouver que le peuple <strong>mont</strong>ra<br />

souvent beaucoup plus <strong>de</strong> justice et <strong>de</strong> vertu que<br />

lui. Où trouvera-t-on, par exemple, rien qui ressemble<br />

aux Romains lorsque leur armée quitte son<br />

camp au brait <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Virginie ( premier crime<br />

indivi<strong>du</strong>el <strong>de</strong> <strong>la</strong> tyrannie décemvirale, et qui fut le<br />

<strong>de</strong>nier), entre dans Rome, enseignes déployées,<br />

sans commettre <strong>la</strong> plus légère violence ; se borne à<br />

rétablir les autorités légitimes, à tra<strong>du</strong>ire Appius<br />

<strong>de</strong>vant les tribunaux; et quand il est condamné,<br />

reçoit encore son appel au peuple, quoique lui-même<br />

ail abrogé ce droit d'appel ?<br />

Ce peuple était 1er, et il avait raison; 11 sentait<br />

as force, et n'en abusait pas : c'est <strong>la</strong> véritable<br />

énergie; c'est avec celle-là qu'on fait <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>*<br />

ehoses.<br />

I# corruption régnait dans Rome au temps <strong>de</strong><br />

Cicéron; mais il est juste d'avouer encore qu'elle<br />

était inlniment plus sensible chez les grands que<br />

chez le peuple. L'immoralité <strong>de</strong>s principes n'eût<br />

pas été supportée dans <strong>la</strong> tribune aux; harangues :<br />

elle le fit quelquefois dans le sénat, et se <strong>mont</strong>ra<br />

souvent dans sa con<strong>du</strong>ite. Mais aussi 9 dans aucun<br />

temps, <strong>la</strong> ierté <strong>du</strong> peuple et <strong>la</strong> sévérité romaine<br />

n'auraient pu s'accommo<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s objurgations arrières<br />

et humiliantes que Démosthènes adressait aux<br />

Athéniens. Caton seul se les permit quelquefois,<br />

et on les pardonnait à son stoïcisme reconnu : on<br />

respectait sa vertu sans estimer sa politique, qui<br />

36S<br />

en effet était médiocre. 1 rendit peu <strong>de</strong> services,<br />

parce qu'il manquait <strong>de</strong> cette mesure dont je par<strong>la</strong>is<br />

tout à f heure ? et que Tacite (Mmwr$ <strong>de</strong>s Germmim)<br />

appelle Éemere ex mpîmtia nèo<strong>du</strong>m. Cicéron en<br />

rendit <strong>de</strong> très-grands pendant toute sa vie, et mé­<br />

rita i'êtrejappelé Père <strong>de</strong>là patrie. Je me souviens,<br />

à ce propos, qu'un homme qui apparemment ne<br />

gavait <strong>de</strong> Cicéron que ce qu'on en sait dans les<br />

c<strong>la</strong>sses, et ne connaissait pas le Cicéron <strong>de</strong> l'histoire,<br />

me dit un Jour que je lui en faisais l'éloge : Atteat,<br />

mire Cicérm n'étaM> qu'un modéré. — Ce nesi<br />

pourtant pm è ce titre* lui dis-je, que tes irimmwïn<br />

i'iumtsinêrent, wmii c*e»t qu'apparemment on m<br />

emmimM pm à Mme ta fitetkm <strong>de</strong>s fmdérét*<br />

D'après ces observations, on ne sera pas étonné<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux caractères dominants dans l'éloquence délibéralise<br />

<strong>de</strong> Cicéron, l'insinuation et Parsèment :<br />

l'insinuation, parce qu'il avait à ménager, soit dans<br />

le sénat 9 soit <strong>de</strong>vant le peuple, soit dans les tribunaux<br />

, une foule/le convenances étrangères à Démosthènea;<br />

l'ornement, parée qu# <strong>la</strong> politesse <strong>du</strong><br />

style, qui n'était intro<strong>du</strong>ite à Rome que <strong>de</strong>puis <strong>la</strong><br />

conquête <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce, était une sorte d'attrait pi<br />

se faisait sentir plus vivement à mesure que tous<br />

les arts <strong>de</strong> goût et <strong>de</strong> luxe étaient plus accrédités<br />

dana Rome. Au milieu <strong>de</strong>s jouissances <strong>de</strong> toute espèce,<br />

celles <strong>de</strong> l'esprit et <strong>de</strong> l'oreille étaient <strong>de</strong>venues<br />

une véritable passion. On attachait un grand<br />

prix à <strong>la</strong> diction, surtout dans les tribunaux, on<br />

les p<strong>la</strong>idoiries étaient prolongées comme pour l'amusement<br />

<strong>de</strong>s juges f plus encore que pour leur instruction.<br />

Cicéron s'attacha donc extrêmement à l'élégance<br />

et au nombre. Il savaitqtfon se faisait une fête <strong>de</strong><br />

l'entendre dans le forum; que tous ses dis<strong>cours</strong><br />

étaient enlevés, dans te sénat par;îa même métho<strong>de</strong><br />

que nous employons aujourd'hui, pat <strong>de</strong>s taekfgrqpkes,<br />

que l'on nommait en <strong>la</strong>tin mtarë et<br />

MkmrB. Ainsit quoique l'élocution Ht également<br />

regardée pr les Grecs et pat les Romains comme<br />

<strong>la</strong> partie <strong>la</strong> plus essentielle et <strong>la</strong> plus difficile <strong>de</strong> l'art<br />

oratoire, parce qu'on y comprenait , dans le <strong>la</strong>ngage<br />

<strong>de</strong>s rhéteurs, non-seulement toutes les Égaras <strong>de</strong><br />

diction qui en sont l'ornement , mais toutes les Ignres<br />

<strong>de</strong> pensées qui ensont lime, Je conçois que Cicéron<br />

ait pu mtttn plus <strong>de</strong> soin que Démoathètiss<br />

dans ce qu'on appelle le lui <strong>de</strong>s détails f et qu'il<br />

ait recherché <strong>la</strong>-paraie et <strong>la</strong> richesse d'expression<br />

en raison <strong>de</strong> ce qu'on attendait <strong>de</strong> loi. Ce<strong>la</strong> est si<br />

vrai que ceux qui se piquaient d'être amateurs <strong>de</strong><br />

l'attidsine reprochaient à Cicéron cf être trop orné i<br />

et Quiaillieiî 9 son admirateur passionné, s'est cru<br />

<strong>de</strong> le Justiier sur ce point, et <strong>de</strong> réfuter ces


264<br />

COURS m LITTÉRATU1E.<br />

préten<strong>du</strong>s attiquesfqui en effet al<strong>la</strong>ient trop loin.<br />

L'attieisme consistait principalement dans eue<br />

grao<strong>de</strong> pureté <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage, un entier éloignement<br />

<strong>de</strong> toute affectation, et une certaine simplicité noble<br />

qui <strong>de</strong>vait avoir l'aisance <strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation, quoiqu'elle<br />

fût en effet beaucoup plus soutenue et plus<br />

relevée : c'est en ce<strong>la</strong> qu'excel<strong>la</strong>it Démosthènes. Mais<br />

cette simplicité n'excluait point les ornemente naturellement<br />

amenés, comme'le prétendaient ces<br />

critiques trop délicats, qui auraient ren<strong>du</strong> <strong>la</strong> diction<br />

maigre et eue à force <strong>de</strong> <strong>la</strong> rendre simple. Cette<br />

simplicité n'excluait que l'affectation, et jamais Cieéron<br />

n'a rien affecté. Chez loi tout coule <strong>de</strong> source ;<br />

et s'il se paraît pas, au même point que Démosthènes,<br />

s'oublier tout à fait comme- orateur, pour<br />

ne <strong>la</strong>isser voir que l'homme publie, il sait cacher<br />

son art,.et vous ne vous en apercevez que par le<br />

charme que son élocution YOUS fait éprouver.<br />

La gravité <strong>de</strong>s délibérations <strong>du</strong> sénat, nécessairement<br />

différentes <strong>de</strong> celles <strong>du</strong> peuple, toujours un<br />

peu tumultueuses, ne comportait pas d'ordinaire<br />

toute <strong>la</strong> véhémence, toute <strong>la</strong> multiplicité <strong>de</strong> mouvements<br />

qui était nécessaire à Démosthènes pour ixer<br />

l'attention et l'intérêt <strong>de</strong>s Athéniens. Aussi les Mf-<br />

Uppiqms <strong>de</strong> Cicéron soet-elles généralement beaucoup<br />

moins vives que celles <strong>de</strong> l'orateur grec. La<br />

secon<strong>de</strong>, qoi est <strong>la</strong> plus forte <strong>de</strong> toutes, ne fut pas<br />

prononcée. Elle n'est pas <strong>du</strong> même genre que les autres<br />

: c'est une violenté invective contre Antoine,<br />

en réponse à celle que le triumvir avait xomie contre<br />

lui en son absence, au milieu <strong>du</strong> sénat. Dans tes<br />

autres, qui ont pour objet <strong>de</strong> faire déc<strong>la</strong>rer Antoine<br />

ennemi <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie, et d'autoriser Octave à lui faire<br />

<strong>la</strong> guerre, Cicéron n'avait pas, à beaucoup,près,<br />

autant d'obstacles à vaincre que Démosthènes. Le<br />

sénat, au moins en gran<strong>de</strong> partie, était contre Antoine,<br />

et il ne s'agissait guère que <strong>de</strong> diriger ses<br />

mesures, <strong>de</strong> lui inspirer <strong>de</strong> <strong>la</strong> fermeté et <strong>de</strong> <strong>la</strong> résolution,<br />

et <strong>de</strong> le rassurer contre <strong>la</strong> défiance qu'on pouvait<br />

avoir d'Octave. Cicéron lit tout ce qu'il voulut,<br />

et rédigea tous les décrets.<br />

S'il se rapprocha quelquefois, dans les délibérations<br />

<strong>du</strong> sénatf <strong>de</strong> <strong>la</strong> véhémence <strong>de</strong> Démosthènes,<br />

©'est quand il eut en tête <strong>de</strong>s ennemis déc<strong>la</strong>rés, tels<br />

que Catiiina, Clodiua, Pisos, Vatïaius. Il réservait<br />

d'ailleurs les foudres <strong>de</strong> l'éloquence pour les eombats<br />

judiciaires; c'est là qu'il avait <strong>de</strong>vant lui une<br />

carrière proportionnée à l'abondance et If <strong>la</strong> variété<br />

<strong>de</strong> ses moyens; c'est là le triomphe <strong>de</strong> son talent.<br />

Mais, en cette partie même, il diffère <strong>de</strong> Démosthènes,<br />

en ce que celui-ci va toujours droit à l'ennemi,<br />

toujours heurtant et frappant; au lieu que Cicéron<br />

fait, pour ainsi dire, un siège en forme, s'empare<br />

<strong>de</strong> toutes les issues, et se servant <strong>du</strong> dis<strong>cours</strong> comme<br />

d'une arméo, enveloppe son ennemi <strong>de</strong> toutes parts,<br />

jusqu'à ce qu'enfin il l'écrase. Mais, avant d'entrer<br />

dans le détail <strong>de</strong> ses ouvrages, il faut voir ce que<br />

l'éloquence romaine avait été jusqu'à lui.<br />

dEcnoH s, — Des orateurs romains qui eut précédé<br />

Cicéron, et <strong>de</strong>s commencements <strong>de</strong> cet orateur,<br />

Cicéron, dans son Traité <strong>de</strong>s Orateurs célèbres,<br />

où il s'entretient avec Attieus et Brutus, après avoir<br />

parlé <strong>de</strong>s Grecs qui se distinguèrent dans l'éloquence,<br />

<strong>de</strong>puis Périciès jusqu'à Démétrius <strong>de</strong> Phalère,<br />

qui, avec beaucoup <strong>de</strong> mérite, commença pourtant<br />

à faire sentir quelque altération dans <strong>la</strong> pureté <strong>du</strong><br />

goût attique, et marqua le premier <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> <strong>la</strong> déca<strong>de</strong>nce<br />

, vient à ceux <strong>de</strong>s Romains qui » dès les premiers<br />

temps <strong>de</strong> <strong>la</strong> république, s'étaient fait un nom<br />

par le talent <strong>de</strong> <strong>la</strong> parole. Il en trace uoeéoumération<br />

assez éten<strong>du</strong>e pour nous faire comprendre combien<br />

cet art avait été cultivé sans faire <strong>de</strong> progrès<br />

remarquables, jusqu'au temps <strong>de</strong> Caton le Censeur<br />

et jusqu'aux Grecques, les seuls qu'il caractérise <strong>de</strong><br />

manière à <strong>la</strong>isser d'eux une gran<strong>de</strong> idée, non pas<br />

celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> perfection ( ils en étaient encore loin )?<br />

mais celle <strong>du</strong> génie qui n'est pas encore guidé par<br />

Fart, ni poli par le goût. La véhémence et le pathétique<br />

étaient le caractère <strong>de</strong>s Greeejues ; <strong>la</strong> gra*<br />

vite et l'énergie, celui <strong>de</strong> Caton : mais tous trois<br />

manquaient encore <strong>de</strong> cette élégance, <strong>de</strong> cette harmonie,<br />

<strong>de</strong> cet art d'arranger les mots et <strong>de</strong> construire<br />

les pério<strong>de</strong>s, toutes choses qui occupent une<br />

si gran<strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce dans l'art oratoire, non moins obligé<br />

que <strong>la</strong> poésie <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r l'oreille comme le chemin<br />

<strong>du</strong> cœur. Les Gracques paraissent avoir été <strong>du</strong> nombre<br />

<strong>de</strong> ceux qui furent instruits les premiers*dans<br />

les lettres grecques, que l'on commençait à connaître<br />

dans Rome. L'histoire nous apprend qu'ils <strong>du</strong>rent<br />

cette instruction, alors assez rare, à l'excellente<br />

é<strong>du</strong>cation qu'ils reçurent <strong>de</strong> leur mère Cornélie. Mais<br />

<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>la</strong>tine n'était pas encore perfectionnée;<br />

elle ne le fut qu'au septième siècle <strong>de</strong> Rome, à fépoque<br />

où fleurirent Antoine, Oassus, Scevo<strong>la</strong>, Sut»<br />

picius, Colle, que nous avons vus tous jouer un<br />

grand rôle dans les dialogues <strong>de</strong> Cicéron sur l'Qra»<br />

teur. L'éloge qu'il en fait n'est fondé en partie que<br />

sur une tradition qui se conservait facilement parmi<br />

tait d'auditeurs et déjuges; car plusieurs n'avaient<br />

rien écrit, et ceux dont les ouvrages étaient entra<br />

les mains <strong>de</strong> Cicéron n'ont pu échapper à l'injure<br />

<strong>de</strong>s temps. Bous ne les connaissons que par le té*<br />

moignage honorable qu'il leur rend : eu sorte que<br />

toute l'histoire <strong>de</strong> l'éloquence romaine et tous ta<br />

monuments qui nous eji restent sont, pour nous*<br />

renfermés à <strong>la</strong> fois dans les écrits <strong>de</strong> Cicéron.


ANCIENS. — ÉLOQUJENC&<br />

Lorsqu'il parut dans <strong>la</strong> carrière oratoire, Hortensias<br />

y tenait le premier rang : on l'appe<strong>la</strong>it k r&i<br />

êntmTetM. Gieéron, dès les premiers pas qu'il fit,<br />

rencontra cet illustre adversaire , eut <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong><br />

lutter contre lui arec a?antagef et <strong>de</strong> mériter son<br />

estime et son amitié. Mais lui-même nous apprend<br />

( et son impartialité bien connue le rend très-croya-<br />

Me ) qu'Hortensius ne soutint pas sa réputation<br />

jusqu'au bout. 11 ne s'aperçut pas que l'éc<strong>la</strong>t et l'ornement,<br />

qui étaient 1e principal mérite <strong>de</strong> ses dis<strong>cours</strong><br />

, son action, plus faîte pour le théâtre que<br />

pour les tribuoaui , toutes ces sé<strong>du</strong>ctions qui avaient<br />

fait app<strong>la</strong>udir sa jeunesse, contenaient moins à un<br />

âge plus mûr, dont on eiige <strong>de</strong>s qualités plus importantes<br />

, et qui doit mettre dans ses paroles tout<br />

le poids, toute <strong>la</strong> dignité qui appartient à l'expérience.<br />

On fit Hortensias baisser à mesure que Gieéron<br />

s'élevait. Cette concurrence inégale jeta quelques<br />

nuages dans leur liaison. Gieéron'crut avoir à<br />

se p<strong>la</strong>indre <strong>de</strong> lui dans le temps <strong>de</strong> son eiil ; ce qui<br />

ne l'empêcha pas <strong>de</strong> lui payer, à sa mort, le tribut<br />

<strong>de</strong> regrets qu'un aussi bon citoyen que lui ne pouvait<br />

refuser au mérite d'un rival et à l'intérêt <strong>de</strong><br />

l'État, qui les avait souvent réunis dans le même<br />

parti.<br />

Le plus beau triomphe qu'il remporta sur lui fut<br />

dans l'affaire déferrés, dont je me propose <strong>de</strong> parler<br />

en détail. Mais il faut observer auparavant, pour<br />

<strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> notre orateur, que, dans cette cause,<br />

comme dans beaucoup d'autres dont il se chargea,<br />

il y avait autant <strong>de</strong> courage à entreprendre que<br />

d'honneur à réussir. 11 était venu dans <strong>de</strong>s temps <strong>de</strong><br />

trouble et <strong>de</strong> corruption : <strong>la</strong> brigue, le crédit, le<br />

pouvoir, l'emportaient souvent dans les tribunaux<br />

sur l'équité; souvent Foppresseur était si puissant<br />

que l'opprimé ne trouvait point <strong>de</strong> défenseur. C'est<br />

ce qui était arrivé, par exemple, dans le procès <strong>de</strong><br />

Moscius cf à merle, qui, dans le temps où les proscriptions<br />

<strong>de</strong> Syl<strong>la</strong> faisaient taire toutes les lois, avait<br />

été dépouillé <strong>de</strong> ses biens par <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses parents<br />

qui avaient assassiné son père, quoiqu'il ne fût pas<br />

au nombre <strong>de</strong>s proscrits, et qui craignant ensuite<br />

que le fils ne revendiquât ses biens, avaient osé le<br />

charger <strong>du</strong> meurtre qu'eni-mëmes avaient commis,<br />

et intenter contre lui une accusation <strong>de</strong> parrici<strong>de</strong>.<br />

Ils étaient soutenus <strong>du</strong> crédit <strong>de</strong> Chrysogon, qui<br />

avait partagé les dépouilles ; c'était un affranchi <strong>de</strong><br />

Syl<strong>la</strong>, tout-puissant auprès <strong>de</strong> son maître, qui était<br />

alors dictateur. Aucun avocat n'avait osé s'eipowr<br />

aux ressentiments d'un ennemi si formidable. Gieéron<br />

, âgé <strong>de</strong> vingt-six ans 9 eut cette noble hardiesse.<br />

Plein <strong>de</strong> cette indignation qu'inspire l'injustice, et<br />

qu'une pru<strong>de</strong>nce timi<strong>de</strong> refroidit trop souvent dans<br />

165<br />

Tâge <strong>de</strong> l'expérience, mais qui allume le gang d'un<br />

jeune homme bien né, peut-être aussi emporté par<br />

cette ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> se signaler, un <strong>de</strong>s plus heureux attributs<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse, il osa seul parler quand tout<br />

le mon<strong>de</strong> se taisait : résolution d'autant plus étonnante<br />

que c'était <strong>la</strong> première cause publique qu'il<br />

p<strong>la</strong>idait s .<br />

Un autre mérite non moins admirable, c'est qu'il<br />

ait mis dans son p<strong>la</strong>idoyer toute l'adresse et toute <strong>la</strong><br />

réserve que le courage n'a pas toujours. En attaquant<br />

Chrysogon avec toute <strong>la</strong> force dont il était capable,<br />

en le rendant aussi odieux qu'il était possible,<br />

il a pour Syl<strong>la</strong> tous les ménagements imaginables 9<br />

et prend toujours le parti le plus pru<strong>de</strong>nt, lorsque<br />

l'on combat l'autorité, celui <strong>de</strong> supposer qu'elle<br />

n'est point instruite, et même qu'elle ne saurait l'être.<br />

Nous ignorons quel fut l'événement <strong>du</strong> procès;<br />

mais nous savons que peu <strong>de</strong> temps après, il eut<br />

encore <strong>la</strong> même confiance, et défendit le droit <strong>de</strong><br />

quelques villes d'Italie à <strong>la</strong> bourgeoisie romaine,<br />

contre une loi expresse <strong>de</strong> Syl<strong>la</strong> qui <strong>la</strong> leur était.<br />

Pie targue, qui écrivait plus d'un siècle après Gieéron,<br />

croit que son voyage dans <strong>la</strong> Grèce, et son<br />

absence, qui <strong>du</strong>ra <strong>de</strong>ux ans, eurent pour véritable<br />

cause, non pas le besoin <strong>de</strong> rétablir sa santé,<br />

comme il le disait, mais <strong>la</strong>eraïate <strong>de</strong>s ressentiments<br />

<strong>de</strong> Syl<strong>la</strong>. Cette opinion <strong>de</strong> Plutarque est démentie<br />

par.d'autres témoignages beaucoup plus authentiques,<br />

d'après lesquels on voit que Gieéron <strong>de</strong>meura<br />

un an dans Rome après le procès <strong>de</strong> Roscius. La<br />

con<strong>du</strong>ite noble et courageuse qui marqua son entrée<br />

au barreau fut ensuite un <strong>de</strong>s plus doux souvenirs<br />

qui aient f<strong>la</strong>tté sa vieillesse. 11 en parle à son<br />

filsaveccomp<strong>la</strong>tsancesetlui citeson exemple cornai e<br />

une leçon pour tous ceux qui se <strong>de</strong>stinent au même<br />

ministère, et qui doivent être bien convaincus que<br />

rien n'est plus propre à leur mériter <strong>de</strong> bonne heure<br />

<strong>la</strong> considération publique que ce dévouement généreux<br />

qui ne connaît pins <strong>de</strong> danger dès qu'il s'agit <strong>de</strong><br />

protéger l'innocence. C'est le sentiment qui l'anime<br />

dans l'accusation centre Terres» 11 est vrai qu'il apportait<br />

dans cetln cause <strong>de</strong> grands avantages. H était<br />

dans <strong>la</strong> force <strong>de</strong> Tâge et dans <strong>la</strong> route <strong>de</strong>s honneurs.<br />

Il avait exercé <strong>la</strong> questure en Sicile avec éc<strong>la</strong>t, et<br />

veoaitd'étre désigné édile. Le peuple romain, charmé<br />

<strong>de</strong> son éloquence, et persuadé <strong>de</strong> sa vertu, lui prodiguait<br />

dans toutes les occasions <strong>la</strong> faveur <strong>la</strong> plus<br />

déc<strong>la</strong>rée. Les app<strong>la</strong>udissements publics le suivaient<br />

partout; mais il n'est pas moins vrai qu'en atta­<br />

quant Verres, il avait <strong>de</strong> grands obstacles à vain-<br />

1 Os tppliif mtuMpmbliqmêê eelta qui étafest portées <strong>de</strong>vant<br />

les sénateurs on les chevallen, et os ta distluguit êm<br />

mumprwéeê, jsgfet dans ta trilwajiiliiftrlMUi»


S66<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

er*. Verres, toutcoupable qu'il était, m sentait appuyé<br />

<strong>du</strong> crédit <strong>de</strong> tout ee qu'il y avait <strong>de</strong> puissant<br />

dans Rome. Les grands, qui regardaient comme en<br />

<strong>de</strong> leurs droits <strong>de</strong> s'enrichir dans le gouvernement<br />

<strong>de</strong>s provinces par les pies criantes concussion*, faisaient<br />

cause commune avec lui, et ne voyaientdans<br />

<strong>la</strong> punition qui le menaçait qu'un exemple à craindre<br />

pour eux. On employait tous les moyens possibles<br />

pour le soustraire à <strong>la</strong> sévérité <strong>de</strong>s lois. Cieéron, à<br />

qui 1 es Siciliens avaient adressé leurs p<strong>la</strong>intes comme<br />

au protecteur naturel <strong>de</strong> cette province, <strong>de</strong>puis qu'il<br />

jr.avait été questeur, était allé sur les lieux recueillir<br />

les témoignages dont il avait besoin contre l'accusé.<br />

11 avait <strong>de</strong>mandé trois mois pour ce voyage; mais<br />

il apprit qu'on s'arrangeait pour traîner l'affaire en<br />

longueur jusqu'à l'année suivante, où M. Métetkts<br />

<strong>de</strong>vait être préteur, et Q. Métellus et Hortensias,<br />

consuls. C'étaient précisément les défenseurs <strong>de</strong><br />

Verres, et ce con<strong>cours</strong> <strong>de</strong> circonstances leur aurait<br />

donné trop <strong>de</strong> moyens <strong>de</strong> le sauver. Gicéron It tant<br />

<strong>de</strong>-diligence, que son information fut achevé en<br />

cinquante jours. Il revint à Rome au moment où on<br />

l'attendait le moins; et considérant que <strong>la</strong> p<strong>la</strong>idoirie<br />

pouvait occuper un grand nombre d'audiences,<br />

et consumer un temps précieux, il It procé<strong>de</strong>r tout<br />

<strong>de</strong> suite à <strong>la</strong> preuve testimoniale, et ne prononça<br />

qu'un seul dis<strong>cours</strong>, dans lequel à chaque fait il citait<br />

les témoins qu'il présentait à son adversaire,<br />

HortensïuS; qui <strong>de</strong>vait les interroger. Les preuves<br />

furent si c<strong>la</strong>ires, les dépositions si accab<strong>la</strong>ntes, les<br />

murmures <strong>de</strong> tout le peuple romain, qui était pré*<br />

sent, scflrent entendre avec tant <strong>de</strong> violence, qu'Horten8ius<br />

s attéré, n'osa prendre <strong>la</strong> parole pour combattre<br />

l'évi<strong>de</strong>nce, et conseil<strong>la</strong> lui-même, k Verres<br />

<strong>de</strong> ne pas attendre le jugement, et <strong>de</strong> s'exiler <strong>de</strong><br />

Borne. Quand on lit dans Gicéron le détail <strong>de</strong> ses<br />

crimes atroces et innombrables, dont un'seul aurait<br />

mérité <strong>la</strong>mort s on est indigné que <strong>la</strong> jurispru<strong>de</strong>nce<br />

romaine, digne d'éloges à tant d'autres égards,'ait<br />

m pi m <strong>de</strong> respect pour le titre <strong>de</strong> citoyen romain que<br />

pour cette justice distributive qui proportionne le<br />

châtiment ail délit, et qu'elle ait permis que tout citoyen<br />

qui se condamnait lui-même à l'exil fût regardé<br />

comme assez puni. Verres cependant eut une In malheureuse;<br />

mais ses crimes n'en forent que l'occasion<br />

et non pas <strong>la</strong> cause. Après 'avoir mené dans son<br />

exil une vie misérable dans l'abandon et lt mépris,<br />

il revint à Rome dans le temps <strong>de</strong>s proscriptions<br />

d'Octave et d'Antoine; mais, ayant eu l'impru<strong>de</strong>nce<br />

<strong>de</strong> refuser à ce <strong>de</strong>rnier les beaux vases <strong>de</strong> Gorinthe<br />

et les belles statues grecques qui étaient le reste <strong>de</strong><br />

ses déprédations en Sicile, ii fut mis au nombre <strong>de</strong>s<br />

proscrits ; et Verres périt comme CIoéroe.<br />

C'est <strong>la</strong> seule fois que m grawl homoie, neopé<br />

feans cesse <strong>de</strong> défendre <strong>de</strong>s accusés; se porta pour<br />

accusateur ; et c'est aussi par cette remarque intéressante<br />

qu'il commence sa première Verrine. La tournure<br />

que prit cette affaire fut cause que <strong>de</strong> sept harangues<br />

dont elle est le sujet, il n'y eut que les <strong>de</strong>ux<br />

premières <strong>de</strong> prononcées. Gicéron écrivit les autres<br />

pur <strong>la</strong>isser un modèle <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière dont une accu­<br />

sation doit être suivie et soutenue dans toutes ses<br />

parties. Les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières Verrines, regardées généralement<br />

comme <strong>de</strong>s chefs-d'œuvre, ont pour objet,<br />

l'une, les vols et <strong>la</strong> rapines <strong>de</strong> Verres, l'autre ses<br />

cruautés et ses barbaries. L'une est remarquable<br />

par <strong>la</strong>richesse<strong>de</strong>sdétails, <strong>la</strong> variété et l'agrément <strong>de</strong>s<br />

narrations, par tout fart que l'orateur emploie pour<br />

prévenir <strong>la</strong> satiété, en racontant une foule <strong>de</strong> <strong>la</strong>rcins<br />

dont le fond est toujours le même ; l'autre est admirable<br />

par <strong>la</strong> véhémence et le pathétique, par tous les<br />

ressorts que l'orateur met en œuvrepour émouvoir<br />

<strong>la</strong> pitié en faveur <strong>de</strong>s opprimés, et etclter l'indignation<br />

contre le coupable. Cest cette <strong>de</strong>rnière dont<br />

j'ai cru <strong>de</strong>voir tra<strong>du</strong>ire quelques morceaux : en<br />

nous faisant sentir l'éloquence <strong>de</strong> l'orateur, ils ont<br />

encore pour nous l'avantage précieux <strong>de</strong> nous donner<br />

une idée <strong>du</strong> pouvoir arbitraire qu'exerçaient îm<br />

gouverneurs romains dans les provinces qui leur<br />

étaient confiées, et <strong>de</strong> l'abus horrible qu'ils en Irent<br />

trop souvent, lorsque 1a corruption àm mœurs<br />

Peut emporté sur <strong>la</strong> sagesse <strong>de</strong>s lois. Cest en jetant<br />

les yeux sur ces tableaux qui révoltent l'humanité,<br />

que, malgré tout l'éc<strong>la</strong>t dont <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur romain^<br />

frappe l'imagination, on rend grâces au <strong>de</strong>l <strong>de</strong> l'anéantissement<br />

d'une puissance si naturellement<br />

tyranoique, qu'à quelques excès quMk se portât^<br />

il fal<strong>la</strong>it absolument les souffrir, jusqu'à ce que,<br />

le terme <strong>du</strong> gouvernement expiré, on pût aller à Euow<br />

solliciter une vengeance incertaine, faible, tardive,<br />

qui n'expiait point les forfaits et ne réparait<br />

point leff maux. C'est aussi par cette raison que,<br />

sans m'arrête aux discourt re<strong>la</strong>tifs à <strong>de</strong>s causes<br />

particulières, et dont les détails ne peuvent guère<br />

nous intéresser en eux-mêmes, j'ai choisi <strong>de</strong> préférence<br />

tous les exemples que je me propose <strong>de</strong> citer<br />

dans les harangues où l'intérêt public est mêlé» et<br />

où l'éloquence et l'histoire se réunissent ensemble<br />

pour nous instruire et nous émouvoir.<br />

mmm m. — ïm Verrines.<br />

Au moment où Verres fut chargé <strong>de</strong> <strong>la</strong> préfure<br />

<strong>de</strong> Sicile, les pirates infestaient les mers qui baignent<br />

cette fie et les cotes d'Italie. Son <strong>de</strong>voir était d'entretenir<br />

<strong>la</strong> lotte que <strong>la</strong> république armait poVIT les<br />

combattre et proléger son commerce. Maïs l'avarice<br />

<strong>du</strong> préteur ne vit dans ces moyens <strong>de</strong> défense qu'on


ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

mmml objet <strong>de</strong> rapines et d'exactions; et, faisant<br />

acheter tenr congé ai» soldats et aux matelots qui<br />

<strong>de</strong>raient sewir sur les galères, vendant aux villes<br />

alliées et tributaires <strong>la</strong> dispense <strong>de</strong> fournir ce qu'elles<br />

<strong>de</strong>vaient suivant les traités, et <strong>la</strong>issant manquer<br />

<strong>de</strong> tout le peu d'hommes qu'il se crut obligé <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r<br />

sur le petit nombre <strong>de</strong> vaisseaux qu'il eut en<br />

mer, il ne se mit pas en peine d'exposer <strong>la</strong> Sicile aux<br />

incursions <strong>de</strong>s pirates, pourvu qu'il s'enrichit aux<br />

dépens <strong>de</strong> l'État et <strong>de</strong> <strong>la</strong> province. 11 mit à <strong>la</strong> tête<br />

<strong>de</strong> cette misérable escadre, non pas un Romain,<br />

mais , ce qui était sans exemple 9 un Sicilien nommé<br />

déomèiie, dont <strong>la</strong> femme était publiquement <strong>la</strong><br />

maîtresse <strong>du</strong> préteur. Il arriva ce qui <strong>de</strong>vait arriver<br />

: <strong>la</strong> flotte romaine s'enfuit à <strong>la</strong> vue <strong>de</strong>s pirates,<br />

et Cléomène le premier s'empressa <strong>de</strong> débarquer.<br />

Les autres commandants <strong>de</strong> galères, qui n'avaient<br />

que quelques soldats exténués par le besoin, ne<br />

purent faire autre chose que <strong>de</strong> suivre l'exemple <strong>de</strong><br />

l'amiral. Les pirates brûlèrent les vaisseaux abandonnés,<br />

à <strong>la</strong> vue <strong>de</strong> Syracuse, et entrèrent jusque dans<br />

le port. Cet affront fait aux armes romaines, cette<br />

a<strong>la</strong>rme portéepar <strong>de</strong>s corsaires jusque dans une ville<br />

aussi puissante que Syracuse, retentirent bientôt<br />

jusqu'à Rome, ferrés craignit les suites d'un si fâcheux<br />

éc<strong>la</strong>t, et, pur ne pas paraître coupable <strong>de</strong> ce<br />

désastre, il forma le <strong>de</strong>ssein le plus abominable qui<br />

•oit jamais entré dans <strong>la</strong> pensée d'un tyran également<br />

lâche et cruel. 11 imagina d'accuser <strong>de</strong> trahison<br />

les commandants siciliens, dont l'innocence était<br />

connuef et qui n'avaient pu faire que ce qu'ils avaient<br />

fait ; et, sans <strong>la</strong> plus légère preuve,il les condamna<br />

au <strong>de</strong>rnier supplice. Toute <strong>la</strong> Sicile frémit <strong>de</strong> cet attentat.<br />

Cicéron en <strong>de</strong>manda vengeance. On va voir<br />

<strong>de</strong> quelles couleurs il a su le peindre, et avec<br />

quelle énergie il en détaille tontes les horreurs.<br />

m Verres sort <strong>de</strong> son pa<strong>la</strong>is, animé <strong>de</strong> toutes les foreurs<br />

tin crime et <strong>de</strong> k barbarie. Il parait dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce publique<br />

y et fait citer les commandante à son tribunal. Ils fiée»<br />

peut sans soupçon et sans crainte. H lut soudai® charger<br />

<strong>de</strong> fers ces malheureux qui fie fiaient à leur liwiceiice, qui<br />

réc<strong>la</strong>ment <strong>la</strong> justice <strong>du</strong> préteur, et lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> raison<br />

<strong>de</strong> ce traitement. C'est, leur dit-il, pour avoir irré par<br />

trahison nos ?aisseani à Fennemi Tout k mon<strong>de</strong> se récrie<br />

i tout te mon<strong>de</strong> s'étonne qu'A ait assez d'impu<strong>de</strong>nce<br />

pur imputer à Castres qe*à lui Sa casse d'an maHieur qai<br />

n'était que l'oevrafe<strong>de</strong> •*» avariée; qu'en htnnne tel que<br />

Yenèa, mis par frnhta pnMiqne an rang <strong>de</strong>s brigands<br />

et <strong>de</strong>s corsaires, oseaefiawfss^'eBd'ttied'ieaeHisaDB<br />

itee eus; qu'enfin cette ataanp mmmËm n'éc<strong>la</strong>te que<br />

tp ta» jours après l'événement, ùm <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ou est €Momène,<br />

son pan qu'en le crut pins digne <strong>de</strong> châtiment que<br />

les miras : qo'avalt-il pu faire avec <strong>de</strong>s misse»! dénués<br />

éatouM<strong>de</strong>ftjuMtlIitoenfniacattMW :©*<br />

M 7<br />

est rjéemëne? On le eelt à côté <strong>du</strong> préteur, h! priant familièrement<br />

à l'oreille 9 comme 11 if lit centaine <strong>de</strong> faire.<br />

L'indignation est générale, que les hommes Ses plus honnêtes<br />

, les' plus ilst<strong>la</strong>gaes <strong>de</strong> leur Tille soient mis ani fers ,<br />

tandis qse Cléateèee, pour pris <strong>de</strong> ses comp<strong>la</strong>isances infimes,<br />

est Farni et le confi<strong>de</strong>nt <strong>du</strong> préteur. Il se présente<br />

cependant tm acettsateer : c'était un misérable, sommé<br />

Tarpiee, flétri sons les govremements précé<strong>de</strong>nts, bien fait<br />

pour le rôle abject dont on le chargeait , et connu pour être<br />

Ftastrament <strong>de</strong> tentes les iniquités , <strong>de</strong> tontes Ses bassesses<br />

t <strong>de</strong> tontes tes eitorskms <strong>de</strong> Terres. Les parents , les<br />

proches <strong>de</strong> ces iaiartaaés aceeareaf à Syracuse , frappés <strong>de</strong><br />

cette funeste nouvelle; ils •oient leurs enfants accablés<br />

sons le poids <strong>de</strong>s chaînes 9 portant, 0 •erres! <strong>la</strong> peine <strong>de</strong><br />

Ion exécrable avariée. Ils se présentent, réc<strong>la</strong>ment leurs<br />

enfants, les défen<strong>de</strong>nt à grands cris, implorent ta foi, ta<br />

Jistke, comme si tn en avais en jamais. C'est là qu'on<br />

voyait Deiion <strong>de</strong> Tyndaris ; «ri ireasase <strong>de</strong> <strong>la</strong> première noblesse,<br />

qai t'avait logé chez Ini, que tu avais appelé ton<br />

bête; et ni l'hospitalité, ni son malheur, ni le rang qu'il<br />

tient parmi les siens, ni sa vieillesse, si ses <strong>la</strong>rmes, n'ont<br />

an te rappeler un moment à qaclqae sentiment d'humanité.<br />

On voyait Etibnly<strong>de</strong> 9 non moins considérable et non mollis<br />

respecté, qni, pour avoir dans ses défenses prononcé le<br />

nom <strong>de</strong> Cléomène, vit par tes ordres déchirer ses vêtements,<br />

et rat <strong>la</strong>issé presque aa ssr <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce. Et que! moyen <strong>de</strong><br />

fnsi'ieatica restnit-ii donc ? le défends, dit Terres, <strong>de</strong> nommer<br />

Cléomène. — Mais ma casse m'y oblige.—Tons mour-<br />

~rei, si vous le nommes.—Nais je n'avais point <strong>de</strong> rameurs<br />

sur mon navire. — Tons acceser le préteur ! Licteurs, qne sa<br />

têfetonsnesnajsiehsche.Iagasfaaa<br />

<strong>la</strong>mais il ne it <strong>de</strong> moindres menaces. Écoutez, an nom <strong>de</strong><br />

rhemanMé, écoutez les outrages frits à nos alliés; écoutes<br />

le récit <strong>de</strong> leurs malheurs. Parmi ces Innocents acensés<br />

paraissait aussi HëracHus <strong>de</strong> Sêgeste, Sicilien <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus<br />

hante naissance, que <strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong> sa vue avait empêché<br />

<strong>de</strong> s'embarquer sur son vaisseaa, et qui avait en ordre <strong>de</strong><br />

restera Syracuse. Certes, Terres, celuMa n'a pu être<br />

coupable; i n'a pu ni Hvrer ni abandonner le navire où il<br />

n'était pas. If importe : on met au nombre <strong>de</strong>s criminels<br />

ce<strong>la</strong>i qu'on ne peut accuser, même faussement, d'aucun<br />

crime. Enfin, <strong>de</strong> ce nombre était aussi Feriû* d'Héradèe,<br />

homme célèbre pendant sa vie, et qui Fest <strong>de</strong>venu bien<br />

pins après sa mort : c'est Soi qui eut Se cosrage, non-seulement<br />

d'adresser en face à Terres tons les reproches qu'il<br />

méritait (sir <strong>de</strong> moarir, fl n'avait plus rien à ménager),<br />

mais même d'écrire son apologie dans <strong>la</strong> prison, en présence<br />

<strong>de</strong> sa mère, qui tout en <strong>la</strong>rmes, passait les jours et<br />

les nuits auprès <strong>de</strong> M. Tonte le Sicfle l'a lue, cette apologie,<br />

ÎTiistoSre <strong>de</strong> les forfaits et <strong>de</strong> tes cruautés : on y volt<br />

combien chaque commandant <strong>de</strong> galère a reçu <strong>de</strong> matelots<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> ville qui <strong>de</strong>vait les fournir, et eomMen ont acheté <strong>de</strong><br />

toi leur congé. Et lorsqu'à ton tribunal il alléguait ses<br />

moyens <strong>de</strong> défense, tes licteurs <strong>la</strong>i frappaient les yeux à<br />

coups <strong>de</strong> verges, tandis qne cet homme courageux, résolu<br />

à là mort, et insensible à ses à\Mikurs, s'écriait qu'il était<br />

indigne qne les <strong>la</strong>mes # sa mère eussent moins <strong>de</strong> pouvoir<br />

sur toi pour le sauver, qae les caressea d'une prot*<br />

taée pour sauver l'infinie Cléomène.


COUES DE L1TTÉMTD1I.<br />

« Terres CDAD les condamne toos9 <strong>de</strong> l'avis <strong>de</strong> SOI conseil;<br />

mais pourtant, dans une casse <strong>de</strong> cette nature, dais<br />

ose affaire capitale, il ne fait Tenir si son questeur Teltins,<br />

ni son lieutenant Cervius. Cepréten<strong>du</strong>conseiln'était<br />

que le ramas <strong>de</strong>s brigands qu'il avait à ses ordres, Juges*<br />

représentez-vous <strong>la</strong> eonsternation <strong>de</strong>s Siciliens f nos pins<br />

fidëes et nos pins anciens aillés, si souvent comblés <strong>de</strong>s<br />

bienfaits <strong>de</strong> nos ancêtres. Chacun tremble pour soi, personne<br />

ne se croit en sûreté. On se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ee qu'est <strong>de</strong>»<br />

tenus cette ancienne douceur <strong>du</strong> gooïémanent romain ,<br />

changée «cet eicès'd'iimniiiaiiitéjcomment tant d'homme*<br />

ont pu être condamnés en on moment, sans être con?aineus<br />

d'aucun crime ; comment ce préteur indigné a pu imaginer<br />

<strong>de</strong> couvrir ses brigandages par le supplice <strong>de</strong> tant d'innocente.<br />

Il semble en effet qu'on ne puisse rien ajouter à tant<br />

<strong>de</strong> scélératesse, <strong>de</strong> démence et <strong>de</strong> entantes. Mais Terres<br />

veut se surpasser lui-même ; il veut enchérir sur ses propres<br />

forfaits. Je feue ai parlé <strong>de</strong> Pha<strong>la</strong>rgus, excepté <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

condamnation générale, parce qu'il commandait le navire<br />

que <strong>mont</strong>ait Géomène, Timarchi<strong>de</strong> s tin <strong>de</strong>s agents <strong>de</strong><br />

Verres, fut instruit que ce jeune homme, ne croyant pas<br />

sa cause différente <strong>de</strong> celle <strong>de</strong>s antres f avait <strong>mont</strong>ré quelque<br />

crainte. Il sa le trouver, lui déc<strong>la</strong>re qu'il est à l'abri<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> hache, mais qu'il court risque d'être battu <strong>de</strong> verges,<br />

sH ne se rachète <strong>de</strong> ce supplice; et fous l'aie?, enten<strong>de</strong><br />

¥Ons spécifier <strong>la</strong> somme qu'il assit comptée pour se dérober<br />

ans serges <strong>de</strong>s licteurs» Mais à qsol m'arrêté-je ? SomVee<br />

là <strong>de</strong>s reproches à faire à Terres ? Un jeune homme noble ,<br />

un commandant <strong>de</strong> vaisseau, se rachète <strong>de</strong>s verges à pris<br />

d'argent t c'est dans Terrés un trait d'hnminité *. Un antref<br />

au même pris , se dérobe à <strong>la</strong> hache : Terres sens y a<br />

accoutumés ; ce n'est pas à M qu'A faut reprocher <strong>de</strong> tels<br />

crimes» ce n'est rien pour lui. Le peuple romain attend <strong>de</strong>s<br />

horreurs nouvelles , <strong>de</strong>s attentats inouïs ; il sait que ce n'est<br />

pas un magistrat prévaricateur qu'on a mis en jugement<br />

<strong>de</strong>vant vous f mais le plus abominable <strong>de</strong>s tyrans : sens aies<br />

le reconnaître. Les innocents sont condamnes, on les trame<br />

dans les cachots, on prépare leur supplice. Mais il faut que<br />

ce supplice commence dans leurs malhesreui parents ; on<br />

leur interdit <strong>la</strong> vue <strong>de</strong> leurs enfants ; on défend <strong>de</strong> leur porter<br />

<strong>de</strong>s vêtements et <strong>de</strong> <strong>la</strong> nourriture. Ces pères infortunés ,<br />

qui sont ici <strong>de</strong>vant TOUS , étaient étendis sur le seuil <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

prison; <strong>de</strong>s mères déplorables y passaient <strong>la</strong> nuit dans les<br />

pleurs 9 sans pouvoir obtenir les <strong>de</strong>rniers embrassements<strong>de</strong><br />

leurs enfants : elles <strong>de</strong>mandaient pour toute grâce qu'il leur<br />

fût permis <strong>de</strong> recueillir leurs <strong>de</strong>rniers soupirs , et le <strong>de</strong>mandaient<br />

en vain. Là veil<strong>la</strong>it le gardien <strong>de</strong>s prisons» le ministre<br />

<strong>de</strong>s barbaries <strong>de</strong> Terrés, <strong>la</strong> terreur <strong>de</strong>s citoyens» le<br />

licteur Sestius» qui s'établissait un revenu sir les douleurs<br />

et les <strong>la</strong>rmes <strong>de</strong> tons ces malheureux. — Tant pour visiter<br />

votre ils » tant pou? M donner <strong>de</strong> <strong>la</strong> nourriture. Personne<br />

se s'y refusait. — Que me <strong>de</strong>naeres-vous pour .faire mourir<br />

votre ils d'un seul coup y pour qu'a ne souffre pas longtemps»<br />

pour qu'il ne soit pas frappé plusieurs fois? Tontes<br />

• M. Gueroult, dans sa tra<strong>du</strong>ction <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières Terrines<br />

f remarque avec raton que <strong>la</strong> Harpe s'est trompé dans cet<br />

endroit,et 11 prouve qm ces mots, kmwmmum mi, chap. xuv,<br />

veakaf ctire, c*erf um ckem r«*s iimpie, e'etf mm tmit <strong>de</strong><br />

i'kuwmimefaièkme.<br />

ces grâces étaient taxées. 0 condition affreuse ! à insupportable<br />

tyrannie ! ce n'était pas <strong>la</strong> vie que l'on inarctmnïsst v<br />

c'était une mort plus prompte et moins cruelle î Les prisonniers<br />

eux-mêmes composaient avec Sestius pour ne recevoir<br />

qu'un seul coup; ils <strong>de</strong>mandaient à leurs parents,<br />

comme une <strong>de</strong>rnière marque <strong>de</strong> leur tendresse» <strong>de</strong> payer<br />

cette faveur à fiileslble Sestius. Est-ce assez <strong>de</strong> tour»<br />

ments? <strong>la</strong> mort en aera-t-elle au moins le terme ? <strong>la</strong> barbarie<br />

peut-dle s'étendre an <strong>de</strong>là? Oui : quand ils auront étU<br />

exécutés» leurs corps seront exposés aux bêtes féroces. Si<br />

c'est pour les parents un malheur <strong>de</strong> plus g qu'ils payent te<br />

droit <strong>de</strong> sépulture. Tous le saves» vous sves enten<strong>du</strong><br />

Onase <strong>de</strong> Ségeste vous dire quelle somme il avait payée<br />

à Timarchi<strong>de</strong> pour ensevelir lïérscllis. Et qui» dans Syracuse<br />

; ignore que ces marchés pour <strong>la</strong> sépulture se traitaient<br />

entre Timarchi<strong>de</strong> et les prisonniers eux-mêmes ; que ces<br />

marchés étaient publics; qu'ils se concluaient en présence<br />

<strong>de</strong>s parents; que fonds <strong>de</strong>s funérailles était arrêté et payé<br />

d'avance?<br />

* Le moment <strong>de</strong> FeitafJam est arrivé : on tire les prisonniers<br />

<strong>de</strong> leurs cachets, en les attache au poteau ; ils reçoivent<br />

le coup mortel. Quel fut alors l'homme assez insensible<br />

pour ne pas se croire frappé <strong>du</strong> même coup» pour ne<br />

pas être touché <strong>du</strong> sort <strong>de</strong> ceslnincents 9 <strong>de</strong> leur jeunesse »<br />

<strong>de</strong> leur infortune» qui <strong>de</strong>venait celle <strong>de</strong> tous leurs concitoyens?<br />

Et toi» dans ee <strong>de</strong>uil général, au milieu <strong>de</strong> ces<br />

gémissements, ta triomphais sans doute ; ta te livrais à ta<br />

joie insensée ; tu t'app<strong>la</strong>udissais d'avoir anéanti tes témoins<br />

<strong>de</strong> ton avarice. Tu te trompais » Terrés » en croyant effacer<br />

tes soailtareset <strong>la</strong>ver tes crimes dans le sang <strong>de</strong> l'innocence.<br />

Tu t'accusais toi-même» en te persuadant que tu<br />

pourrais, à force <strong>de</strong> barbarie» l'assurer l'impunité <strong>de</strong> les<br />

brigandages. Ces innocents sont morts» il est vrai; niais<br />

leurs parents vivent, mais ils poursuivent <strong>la</strong> vengeance <strong>de</strong><br />

leurs enfants, mais ils poursuivent ta punition. Que dis*<br />

je ? Parmi ceux que tu avals marqués pour tes victimes ,<br />

il en est qui sont échappés ; U en est que le ciel a réservés<br />

pour ce jour <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice. Toilà Phi<strong>la</strong>rque qui n'a pas fui<br />

avec Cléomène; qui, heureusement pour lui» a été pris<br />

par les pirates f et que sa captivité a sauvé <strong>de</strong>s fureurs d'un<br />

brigand plus inhumaiii cent fois que ceux qui sont nos<br />

ennemis. Toilà Pha<strong>la</strong>rgus qui a payé sa délivrance à ton<br />

agent Timarchi<strong>de</strong>. Tous <strong>de</strong>ux déposent <strong>du</strong> congé ven<strong>du</strong><br />

aux matelots» <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>mine qui régnait sur <strong>la</strong> lotte, <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

faite <strong>de</strong> Cléomène. Eh bien ! Romains » <strong>de</strong> quels sentiments<br />

êtes-veus affectés?qu'attes<strong>de</strong>x-vous encore? ni se réfugieront<br />

vos alliés? à qui s*adresseront-ils? dans quelle espérance<br />

pourront-ils encore soutenir <strong>la</strong> vie» si vous les ananfainesP...<br />

C'est ici le port, l'asile, Faute! <strong>de</strong>s opprimés.<br />

Il ne viennent pas y re<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r leurs biens, leur ory leur<br />

argent, tours esc<strong>la</strong>ves, les ornements qui ont été enlevés<br />

<strong>de</strong> leurs temples et <strong>de</strong> leurs cités. HéSas! dans leur simplicité,<br />

ils craignent que le peuple romain ne <strong>la</strong>sse plus<br />

un crime à ses préteurs lie les avoir dépouillés. Ils voient<br />

que <strong>de</strong>puis longtemps nous souffrons en silence que quelques<br />

particuliers absorbent les richesses <strong>de</strong>s nations;<br />

qu'aucun d 9 em9 même, ne se met en peine <strong>de</strong> cacher sa<br />

cupidité et ses-rapines; que leurs maisons <strong>de</strong> campagne<br />

sent toutes rtmpiies, toutes briUantes <strong>de</strong>s dépouilles <strong>de</strong>


net allés, tendis que, <strong>de</strong>puis tint «fumées» Rome et le<br />

Capitule ne sont ornés que <strong>de</strong>s dépouillés <strong>de</strong> nos ennemis.<br />

Où sont, m effet, tes trésors irradiés à tant <strong>de</strong> peuples<br />

soumis, aujourd'hui dans l'indigence? Où sont-us? le <strong>de</strong>mmês®>i®m<br />

, quand tous voyes Athènes, Pergame t BfUet,<br />

Samos, l'Asie, <strong>la</strong> Grèce, englouties dam les <strong>de</strong>meures <strong>de</strong><br />

quelques ravisseurs im^mk? Mais non, Romains, je le<br />

répète, ce s'est pas là l'objet <strong>de</strong> nos p<strong>la</strong>intes et <strong>de</strong> sos<br />

prières. Yos allés n'ont plus <strong>de</strong> Meus à défendre. Toyei<br />

dans quel déni* dans quel dépouillement, dans quelle abjeetinn<br />

Us paraisMBNtevant vous, Yoyei Sthénius <strong>de</strong> Therme,<br />

dont Yerrès a pilé <strong>la</strong> maison : ce n'est pas sa fortune<br />

qu'il M re<strong>de</strong>man<strong>de</strong>; c'est-si propre eifrtanee que Yerrès<br />

lui a «fie en le pwmiimuit <strong>de</strong> sa patrie, où il tenait le<br />

premier rang par ses wertas et' par ses bienfaits..Toyes<br />

Déliai <strong>de</strong> Tysdaris : il ne réc<strong>la</strong>mera* point ce que Yerrès<br />

lui a pris» il réc<strong>la</strong>me im fils unique; fl Test, après avoir<br />

pris une juste vengeance <strong>de</strong> son bourreas t porter quelque<br />

conso<strong>la</strong>tion à ses cendres. Toyes EoJmM<strong>de</strong> 9 ce vieMIard accablé<br />

d'années, qui n'a entrepris un pénible voyage que<br />

pour voir <strong>la</strong> condamnation <strong>de</strong> ce monstre après avoir vu<br />

te snppplice <strong>de</strong> son fils. Vous Terriez ici avec eux, si Méielns,<br />

te successeur et Se protecteur <strong>de</strong> Yerrès, l'eût permis<br />

9 TOUS ferriez les mères , les femmes; les sœurs <strong>de</strong> ces<br />

malheureux. Une d'elles, je m'en souviens, comme j'approchais<br />

d'Héraclée an inllleti <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit, Tint à ma rencontre<br />

9 suivie <strong>de</strong> toutes les mères <strong>de</strong> famille , à <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté <strong>de</strong>s<br />

<strong>la</strong>mbeaux ; et m'appe<strong>la</strong>nt son sauveur, appe<strong>la</strong>nt Yerrès son<br />

bourreau y répétant le nom <strong>de</strong> son fils ; elle restait prosternée<br />

à mes pieds, comme si f tvals pu te loi rendre et le<br />

rappeler à <strong>la</strong> vie. J'ai été reçu <strong>de</strong> même dans toutes les autres<br />

villes où <strong>la</strong> vieillesse et l'enfance, également dignes<br />

<strong>de</strong> pitié , ont également sollicité mes soins s mon zèle et ma<br />

fidélité. Non, Romains, cette cause n'a rien <strong>de</strong> commun<br />

avec aucune autre. Ce s'est pas on Tain désir <strong>de</strong> gloire qui<br />

m'a con<strong>du</strong>it 'comme accusateur à ce tribunal ; j'y suis venn<br />

appelé par les termes; j'y suis Yeno pour empocher qu'à<br />

fseenlr les injustices -<strong>de</strong> l'autorité, <strong>la</strong> prison, les chaînes,<br />

les haches f tes supplices <strong>de</strong> ves fidèles alliés, le sang <strong>de</strong>s<br />

mnocents, enfin Sa sépulture même <strong>de</strong>s morts et le <strong>de</strong>uil<br />

<strong>de</strong>s parents, ne soient pour Ses gouverneurs <strong>de</strong> nos provinces<br />

l'objet d'un traie abominable; et si, par Sa cosdamnation<br />

<strong>de</strong> ce scélérat, par l'arrêt <strong>de</strong> votre jusUee, je<br />

délivre te Skite et vos alliés <strong>de</strong> <strong>la</strong> crainte d'en semb<strong>la</strong>ble<br />

tort 9 j'aurai satisftit à teurs vœux et à mon <strong>de</strong>voir. » ( m<br />

Smppi, xu-uu).<br />

Cieéron, fidèle an rég<strong>la</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> progression<br />

oratoire, réserve pour <strong>la</strong> lu <strong>de</strong> ses différents p<strong>la</strong>idoyers<br />

le pins grand <strong>de</strong>s crimes <strong>de</strong> Yerrès, celoi<br />

d'avoir fait mourir ou battre <strong>de</strong> verges <strong>de</strong>s citoyens<br />

romains; ce qui était sévèrement défen<strong>du</strong>-par les<br />

lois, à moins d'un jugement <strong>du</strong> peuple on d'un<br />

décret <strong>du</strong> sénat, qui donnait aux consuls un pouvoir<br />

extraordinaire. L'orateur s'étend principalement<br />

sur le supplice <strong>de</strong> Gatius. On ne conçoit pas,<br />

après ce qu'on vient d'entendre, qu'il trouve encore<br />

<strong>de</strong>s expressions nouteilea contre Yerrès i mais on<br />

ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

269<br />

peut se ier à l'inépuisable fécondité <strong>de</strong> son génie.<br />

Il semble se surpasser dans son éloquence, à mesure<br />

que Verres se surpasse lui-même'dans ses<br />

attentats. Souvenons-sous seulement f pour avoir<br />

une juste idée <strong>de</strong> l'indignation qu'il <strong>de</strong>vait exciter»<br />

souvenons-nous <strong>du</strong> respect profond, <strong>de</strong> <strong>la</strong> vénération<br />

religieuse qu'on portait dans toutes les provinces<br />

<strong>de</strong> l'empire t et même dans presque tout le mon<strong>de</strong><br />

connu, à ce nom <strong>de</strong> citoyen romain. Cétait ns<br />

titre sacré qu'aucune puissance ne pouvait se f<strong>la</strong>tter<br />

<strong>de</strong> violer impunément. On avait vu plus d'une<br />

fois <strong>la</strong> république entreprendre <strong>de</strong>s guerres lointaines<br />

et périlleuses, seulement pour venger un<br />

outrage fait à un citoyen romain : politique sublime,<br />

qui nourrissait cet orgueil national qu'il est toujours<br />

si utile d'entretenir, et qui <strong>de</strong> plus imposait aux<br />

nations étrangères f et faisait .respecter partout le<br />

nom romain.<br />

« Que dirai-je <strong>de</strong> Gavitw, <strong>de</strong> te vlUe municipale <strong>de</strong> Cosano?<br />

Oà trouverai-je essai <strong>de</strong> paroles, assez <strong>de</strong> voix, assez<br />

<strong>de</strong> douleur ?... Ma sensibilité n'est pas épuisée, Romains;<br />

mais je crains que mes expressions n'y répon<strong>de</strong>nt pas. Moimême,<br />

te première fois qu'on me par<strong>la</strong> <strong>de</strong> ce fer<strong>la</strong>it, Js<br />

crus ne pouvoir le faire entrer dans mon accusation. Je savais<br />

qu'il n'était que trop réel, mais je sentais qu'il n'était<br />

pas vraisemb<strong>la</strong>ble. Enfin, cédant aux pleurs <strong>de</strong> tous tes<br />

citoyens romains qui font te commerce en Sicile, appuyé<br />

<strong>du</strong> témoignage <strong>de</strong> toute te vile <strong>de</strong> IMge et <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ntée»<br />

chevaliers romains qui par hasard étaient alors à Messine »<br />

J'ai exposé le fait dans mon premier p<strong>la</strong>idoyer, et <strong>de</strong> manière<br />

à porter te vérité jusqu'à l'évi<strong>de</strong>nce. Mais que puisje<br />

faire aujourd'hui ? Il y a déjà si longtemps que je vena<br />

entretiens <strong>de</strong>s cruautés <strong>de</strong> Yerrès 1 Je n'ai pas prévu, je<br />

l'avoue, les efforts qu'il me faudrait faire pour soutenir<br />

votre attention, et ne pas vous fotigner <strong>de</strong>s mêmes horreurs.<br />

Il ne me reste qu'un moyen, c'est <strong>de</strong> vous dire simplement<br />

te fait : il esttd,quekseul rédt saffira. CeGa- '<br />

vins, jeté, comme tant d'antres, dans les prisons souterraines<br />

<strong>de</strong> Syracuse, bâties par Danys te tyran, trouva',<br />

je ne sais comment, te moyen <strong>de</strong> s'échapper <strong>de</strong> ce gouffre r<br />

et vint à Messine. Là, près <strong>de</strong>s murs <strong>de</strong> Minage et <strong>de</strong>s cotes<br />

d'Italie, sorti <strong>de</strong>s ténèbres <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, il se sentait renaître<br />

en revoyant te jour pur <strong>de</strong> Sa liberté; U était comme<br />

ranimé par ce voisinage nfentîtsant qui lui rappe<strong>la</strong>it Rome<br />

et ses bis. Il par<strong>la</strong> tout haut dais Messine, se p<strong>la</strong>ignit<br />

qu'un citoyen romain eût été jeté dans les fers. Il al<strong>la</strong>it,<br />

disait-il, droit à Rome, il al<strong>la</strong>it <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r justice contra<br />

Terres. Le malheureux ne sa doutait pas que s'exprimer<br />

ainsi <strong>de</strong>vant les Messinois, c'était comme s'il eût parlé<br />

dans te pa<strong>la</strong>is <strong>du</strong> préteur. Je vous l'ai-dît, et vous te savez 9<br />

Romains, qu'il avait choisi les Messinois pour être les complices<br />

<strong>de</strong> tous ses crimes, Ses recélears <strong>de</strong> ses vols, tes associés<br />

<strong>de</strong> son infamie. Gavias est con<strong>du</strong>it aussitôt <strong>de</strong>vant<br />

les magistrats <strong>de</strong> Messine, et par malheur Terres y vint<br />

<strong>la</strong>nmêine ce jour-là* On l'informe qu'un citoyen romain se<br />

p<strong>la</strong>int d'avoir été plongé dans les eachots <strong>de</strong> Syracuse ;


370 CXHJBS DE LUTEBATU1E.<br />

qu'as moment eà • mettait le pieat dana te vaisseau, en<br />

proférant <strong>de</strong>s menaces centre Terres , il avait été arrêté |<br />

qu'on le gardait, afin qae te préteur décelât <strong>de</strong> ace sort.<br />

11 les remercie <strong>de</strong> leur zèle et <strong>de</strong> leur ÉdéHté , el9 tranaporté<br />

<strong>de</strong> ftoeer, errlf e à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce publique : ses jeax étira<br />

ca<strong>la</strong>ient ; tous ses traits exprimaient <strong>la</strong> rage et <strong>la</strong> cruauté,<br />

tout le mon<strong>de</strong> était e<strong>la</strong>aa l f le reste. Je m te <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas anr quoi ta fon<strong>de</strong>s cette<br />

imputation ; je récuse mes propres témoins : mais tu le dis<br />

toknême, tu l'avoues, qu'il criait, Je MU citoyen reninia /<br />

Eh bien! léponda-mot, misérable9 si ta te trouvais parmi<br />

<strong>de</strong>s nattons barbares, aux extrémités <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, près d'être<br />

eeninit au snnf*nef qnedirais4u? qneettefais-tn?ai<br />

attejge ie ee ejalî al<strong>la</strong>it faire, te m'est. Je mi$ cimpt» rnaanalnl Et s'il est vrai que,<br />

cjeaiaé tout à coup U ordonne qu'on màâhm Gavins 9 qu'on partout eè te nom do <strong>la</strong>ma est parvenu, ce titre sacré «ef-<br />

le dépouille, qu'on rattaelie an poteau, et que les lefeara<br />

préparent les instruments <strong>du</strong> ance^tlcm L'infixtiisé décria<br />

qu'il est citoyen romain 9 qu'il a serai avec PréM«s9 ebeaeller<br />

romain s en ee moment à Païenne, et qui peut rendre<br />

témoignage à <strong>la</strong> férié, Terres répond qu'il est bien<br />

informé que Gavins est aat espion envoyé en Sicile par les<br />

eaclftTes fegitêfs t restes <strong>de</strong> fermée <strong>de</strong> Spartaeus ; imputa»<br />

tiaa absur<strong>de</strong>f dont il n'existait pas le moindre soupçon,<br />

le innindre Indice. Il ordonne aea Moteurs <strong>de</strong> l'entourer et<br />

<strong>de</strong> le frapper. Dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce puMiqiiê <strong>de</strong> Messine» on battait<br />

d® aergearm citoyen romain, tandis qu'an eaiiea <strong>de</strong>s<br />

iealeara, as miiee <strong>de</strong>s coops dont on FaecataSait 91 ne<br />

faisait entendre d'autre erit d'antre géeaisaameal que ce<br />

seul mot M anale ettefea romain /11 pensait que ee seul<br />

nom <strong>de</strong>vait écarter <strong>de</strong> lui les tortures et les bourreaux ;<br />

mais» Men loin <strong>de</strong> l'obtenir, loin d'arrêter <strong>la</strong> main <strong>de</strong>s Me»<br />

tours pendant ejalf répétait en vain le nom <strong>de</strong> Rome, une<br />

eroii, une croix infime, rinstrument <strong>de</strong>là mort <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves,<br />

était dressée pour ee nialheuroax, qui jamais n'avait<br />

cm qn'fl existât an mon<strong>de</strong> une puissance dont i pût craindra<br />

ce traitement. O doux nom <strong>de</strong> liberté 1 ê droits augustes<br />

<strong>de</strong> nos ancêtres! Sol Borda! loi Seapremlel puissance<br />

Mnnnilieaine .si amèremerit regrettée 9 et qui Tient enfin <strong>de</strong><br />

nous être ren<strong>du</strong>e, est-ce là antre pouvoir ? Aves-vons donc<br />

été établie pour que dans une province <strong>de</strong> l'empire f dans<br />

le aaia d'une vile allée, on citoyen romain rat ivre aux<br />

atages <strong>de</strong>s betenra par le magistrat même qui ne tient que<br />

<strong>du</strong> peuple romani ses Météore et ses fafscetuxPQue dirai-<br />

|t <strong>de</strong>s feux, <strong>de</strong>s fers irattaetta dont ou se servait pour le<br />

teennenter? Et cependant •erres n'était tosehé ni <strong>de</strong> ses<br />

pUiitas, ni <strong>de</strong>s krmes do tout ee qu'il y avait à Messine<br />

<strong>de</strong> nos cttepna présents à ee<strong>la</strong>irenx spectacle S To%Teraee<br />

f toi, ta as osé attacher à en gibet celui qui se disait<br />

citoyen romain S Je n'ai pas venin, vous m'en êtes témoins,<br />

je n'ai pas voulu y le prânter jour, me livrer à ma juste indignatM»<br />

; f al craint celle <strong>de</strong> peuple qui m s écoutait; j'ai<br />

craint le senlèveinent générai qui s'annonçait <strong>de</strong> tontes<br />

natta; je me suis contant, <strong>de</strong> peur que <strong>la</strong> fureur pnbiiqie9<br />

assouvie sur ee monstro 9 ne te dérobât à <strong>la</strong> vengeance <strong>de</strong>s<br />

lois. J 9 ai app<strong>la</strong>udi à <strong>la</strong> pra<strong>de</strong>ece <strong>du</strong> préteur Gtebrien, qui,<br />

voyant ce mouvement général, itpnmptnment écarter <strong>de</strong><br />

l'audteuce te témoin que Fou venait d'entendre. Mais aujourd'hui<br />

, ¥errès t que tout te naan<strong>de</strong> sait l'état <strong>de</strong> <strong>la</strong> caaaa<br />

et quelte en doit être l'issue, je me renferme avec toi dam<br />

un seul point, je m'en tiens à ton pente aven : cet aven<br />

est ta sentence mortelle. Yoas vous anewcnea 9 juges, qu'an<br />

moment <strong>de</strong> feceèsetlnn, Terres, effrayé <strong>de</strong>s cris qu'il en­<br />

firatt pour ta anreté, easamaaitcet bonuno, quel qu'il Ht»<br />

invoquant ee titre mvie<strong>la</strong>lite, Finvoquant <strong>de</strong>vant un préteur<br />

romain,>i'a4-i pu 9 je ne dis naaiécnaniner an suppîce,<br />

mais même te retar<strong>de</strong>r d'un moment?<br />

« (Mes cet appui à nos citoyens, étet-tenr ee garant île<br />

leur salât, et les provinces, îea vîtes libres f tes royaumes,<br />

te mon<strong>de</strong> entier, ou le voyagent avec sécurité, vt désormais<br />

être fermé pour eux.... Mais pourquoi mînaaatee ane<br />

Gaaiea 9 comme si tu n'avais, été l'ennemi que <strong>de</strong> lui seul »<br />

et non pas ce<strong>la</strong>i in nem romain , <strong>de</strong>s droits e%Inesnf ice<br />

droits <strong>de</strong>s nations et <strong>de</strong> <strong>la</strong> cause «Mnmme <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté?<br />

En effet 9 cettecraa que lesMeaelneia 9 suivant teur usage,<br />

avaient <strong>la</strong>it dresser dans <strong>la</strong> voie Pompéia 9 pourquoi l'astu<br />

<strong>la</strong>it arracher ? pourquoi f antn <strong>la</strong>it transporter à l'endroit<br />

qui regar<strong>de</strong> le détroit qui sépare k Sicie <strong>de</strong> f Italie ? Pour <<br />

quoi? C'était, tu l'as dit toi-même-, tu ne peux le nier,<br />

tu l'as dit psbMquaBênt, c'était afin que Gavins, qui m<br />

vantait d'être citoyen romain y pât9 <strong>du</strong> haut <strong>de</strong> son gibet,<br />

regar<strong>de</strong>r, en expirant, sa ptrie* Cette croix est te sente*<br />

<strong>de</strong>puis <strong>la</strong> fondation dé Messine» qui ait été p<strong>la</strong>cée sur le<br />

détroit. Tu as choisi ce tien afin que cet infortuné, mourant<br />

dans les tourments, vit, pour comble d'amertaine,<br />

quel espace étroit séparait le séjour où <strong>la</strong> liberté règne y et<br />

ce<strong>la</strong>i où il mourait en esc<strong>la</strong>ve; afin que l'Italie vit un <strong>de</strong><br />

ses enfants attaché au gibet, périr dans le supplée honteux<br />

réservé pour <strong>la</strong> servitu<strong>de</strong>. *<br />

« Enchatuer un citoyen romain est un attentat; te battra<br />

<strong>de</strong> verges est un crime; te inre mourir est presque un parrici<strong>de</strong><br />

: que sera-ce <strong>de</strong> l'attacher à une croix? L%afaraaeann<br />

manque pour cetteatrocité, et pourtant ce n'a pas été aaaea<br />

pour Verres. Qu'il menra, dit-il » en regardant l'Italie ;<br />

qu'il meure à <strong>la</strong> vue <strong>de</strong> k liberté et <strong>de</strong>s fois. Ion, Terrés,<br />

ce n'est pas seulement Gavins, ce n'est pas un seul tonne,<br />

un seul citoyen que tu as attaché à cette croii; c'est <strong>la</strong><br />

liberté e<strong>la</strong>nrnâmes c'est le droit ccaaamnn <strong>de</strong> tous, c'est le<br />

peuple romain tout entier. Crejea tons, croyes que s'il M<br />

Fa pas dressée au milieu dn forum 9 dans l'assemblée <strong>de</strong>a<br />

comices» dans te tribune aux harangues; s'il n'en a pas<br />

menacé tous Ses citoyens romains f c'est qu'il ne le pouvait<br />

pas. Mais an moins il e fait ce qu'il pouvait; il a choisi te<br />

Heu te plus fréquenté <strong>de</strong> k province 9 te plus voisin <strong>de</strong><br />

l'Italie, te plus exposé â le ane; i e voulu que tous ceux<br />

qui navSgment anr ces mers vissent à rentrée même <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Sicies et comme aux portes <strong>de</strong> ntalie, te monument <strong>de</strong><br />

son <strong>la</strong>adace et <strong>de</strong> ton crime. » (Us Snmai LXI—LXVI.)<br />

La péroraiscra <strong>la</strong>it voir rie quelle fermeté Cicéron<br />

tendait autour <strong>de</strong> lui 9 se leva tout à coup et dit que Gavins s'armait eoatre l'orgueil et <strong>la</strong> tyrannie <strong>de</strong>s grands,<br />

n'avait préten<strong>du</strong> être un citoyen roniain que pour retar<strong>de</strong>r jainata in <strong>la</strong> fortune et <strong>de</strong> l'élévation <strong>de</strong> cena qu'ils<br />

son supplice ; mais qu'en effet ce Gavins n'était qu'un es­<br />

appe<strong>la</strong>ient <strong>de</strong>s hommes nouveaui, c'est-à-dire qui<br />

pion. Il ne m'en faut pas dauntap} Je faaaaaia enté font<br />

n'mtant d'autre recommandation que leur mérite.


ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

Geéron , qui défait tout au sien et à <strong>la</strong> justice que<br />

lui rendait le peuple romain, ne croyait pas pouvoir<br />

miens lui marquer sa reconnaissance qu'en soutenant<br />

avec courage cette guerre naturelle et interminable<br />

qui subsiste entre l'homme <strong>de</strong> bien et les<br />

méchants. 11 menace hautement les juges <strong>de</strong> les<br />

tra<strong>du</strong>ire <strong>de</strong>vant h peuple, s'ils se <strong>la</strong>issent corrompre<br />

par l'argent <strong>de</strong> Verres. Cet audacieux brigand<br />

avait dit publiquement qu'il a?ait fait te partage<br />

<strong>de</strong>s trois années <strong>de</strong> son gou?emement <strong>de</strong> Sicile,<br />

qu'il y en a?ait une pour lui, une pour ses avocats ,<br />

une pour ses juges. II ai ail compté beaucoup, non*<br />

seulement sur Fétoqaenoe 9 mais sur le crédit i*Hnrtensius,<br />

qui n'était ps9 à beaucoup près, aussi<br />

délicat que Cteéron sur les moyens qu'il employait<br />

pour gagner ses causes. Gicéron s'adresse à lui, et<br />

l'avertit qu'il aura les yeu ouverts sur sa con<strong>du</strong>ite 9<br />

et qu'il lui en fera rendre compte. Il faut se soutenir<br />

que ces harangues « quoiqu'elles n'aient pas été<br />

prononcées , furent ren<strong>du</strong>es publiques, et que par<br />

conséquent l'orateur n'ignorait pas à combien <strong>de</strong><br />

ressentiments et <strong>de</strong> dangers l'exposait son incorruptible<br />

fermeté.<br />

« Mais qwriS me dlra4cD9YiM<strong>la</strong>-fw» donc veas charger<br />

<strong>du</strong> far<strong>de</strong>au <strong>de</strong> tant d'inimitiés? Je reposés qu'il s'est<br />

al dans mon «raclées ni ians mon iiafeniiaa ia tes cherchar;<br />

nuis qu'il se m'est pas permis d'imiter cet nobles<br />

qui atten<strong>de</strong>nt dans te aaairaeîl le l'oisiveté les bienfaits dn<br />

peuple romain. Ma caôiitlea est tout astre que Sa leur. J'ai<br />

ie?aat les yeu l'exemple <strong>de</strong> Ca<strong>la</strong>s, <strong>de</strong> Marins, ie Fimbria,<br />

<strong>de</strong> €éUus9 qui ont senti comme mol que ce n'était qu'à<br />

force <strong>de</strong> travaux, soppôrtés 9 à force <strong>de</strong> périls sur<strong>mont</strong>és ,<br />

qalls pea¥il«if parvenir ans mêmes honneurs où ees nobles<br />

y heureux ftvoris <strong>de</strong> <strong>la</strong> fbrtuiie, sont portés sans qu'il<br />

tour en eoâte rien. VeBà tes modèles que je Ait gloire d'imiter.<br />

Je Tels a?se quel sel #eat ls on reprée l'avancement<br />

<strong>de</strong>s hommes nouveau y qu'os ne aeaa pardonne rien,<br />

qu'il saos tant toejeurs veiller, lesijaaia sgsa Et pourquoi<br />

cta<strong>la</strong>dinis-Je d'avoir pour ennemis déc<strong>la</strong>rés caaa qui sont<br />

secrètement mes en? 'ma ; casa qui, par <strong>la</strong> ilfféresea <strong>de</strong>s<br />

Intérêts et <strong>de</strong>s principes, sont nécesuiremeiit mes aifsrsaferes<br />

et mes détracteurs? le le déc<strong>la</strong>re donc : si j'obtiens<br />

<strong>la</strong> réparation <strong>du</strong>e an peuple romain et à <strong>la</strong> Sicile ? je renonce<br />

an itis #saaasaiaar ; mais si f é?énement trompe f oplsÉae<br />

que j'ai <strong>de</strong> mes juges 9 je suis résolu à poursuivre jusqu'à<br />

<strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière extrémité et les corrupteurs et les earrasa<br />

pus. Ainsi, que ceaa qui voudraient ssaaer le coupable,<br />

quelques moyens qu'ils emploient, artifice, audace on vénalité,<br />

soient prêts à répondre <strong>de</strong>vant te peuple romain j<br />

et s'ils ont vu en moi quelque ebâteur, quelque fermeté,<br />

fesÉcjaa afptsaee dans sas casse aè je n'ai


279<br />

perversité bizarre qui fait que Ton s'acharne, après<br />

<strong>de</strong>ux mille ans, contre un grand homme, sans<br />

autre Intérêt, sans autre motif que cette haine<br />

pour <strong>la</strong> verts , qui semble être l'instinct <strong>de</strong>s méchants.<br />

Sans doute, ils se disent à eui-mémes eu<br />

lisant ses écrits : Si nous allons vécu <strong>du</strong> temps <strong>de</strong><br />

cet homme, il eût été notre ennemi (car les ouvrages<br />

et les actions <strong>de</strong> l'homme <strong>de</strong> bien accusent<br />

<strong>la</strong> conscience <strong>de</strong> celui qui ne Test pas). Peutêtre<br />

aussi affecte-t-oa aujourd'hui plus que jamais<br />

cette déplorable singu<strong>la</strong>rité <strong>de</strong> démentir ce qu $ il<br />

y a <strong>de</strong> plus généralement reconnu. Comment eipliquer<br />

autrement ce qu'on imprima il y a quelque<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

temps 9 que êmemjmrmtwm <strong>de</strong> CatiMna était mm<br />

chimère que fa vanUi <strong>de</strong> Cteérm avait fait croire<br />

ans Romains *f Certes, <strong>de</strong>puis le père Hardouin,<br />

qui 9 à force <strong>de</strong> se lever matin pour travailler à ses<br />

recherches d'érudition, parvint à rêver tout éveillé,<br />

et crut un jour avoir découvert que <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s<br />

ouvrages <strong>de</strong>s anciens avaient été fabriqués par <strong>de</strong>s<br />

moines <strong>du</strong> moyen âge; <strong>de</strong>puis ce ridicule fou, qui<br />

fal le scandale et <strong>la</strong> risée <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> littéraire, on<br />

n'a rien imaginé <strong>de</strong> plus étrange, <strong>de</strong> plus incompréhensible<br />

que ce démenti donné à tous les historiens<br />

<strong>de</strong> Fantiquité, et en particulier à Salluste, auteur<br />

contemporain, ennemi <strong>de</strong> Cicéron, et qui apparemment<br />

s'est amusé à écrire tout exprès l'histoire<br />

d'une conjuration imaginaire. On ne sait quel nom<br />

donner à ce genre <strong>de</strong> démence; mais ce qui est<br />

remarquable et conso<strong>la</strong>nt, c'est qu'on est aujourd'hui<br />

si accoutumé à cette folie <strong>de</strong>s paradoxes,<br />

ip'on o 9 céron se servait. 11 avait distribué dans le sénat <strong>de</strong>s<br />

copistes qu'il exerçait à écrire, par abréviation,<br />

presque aussi vite que <strong>la</strong> parole. Cet art fut perfectionné<br />

dans ia suite, et Ton voit que cette intention,<br />

longtemps per<strong>du</strong>e et renouvelée <strong>de</strong> nos jours,<br />

appartient i Cicéron, quoique nous ne sachions pas<br />

précisément quel procédé il employait.<br />

Quand l'audacieux Catlîlea parut inopinément au<br />

milieu <strong>de</strong> rassemblée <strong>du</strong> sénat, dans le moment<br />

même où le consul y rendait compte <strong>de</strong> <strong>la</strong> conjuration,<br />

qui pouvait s'attendre qu'il eût l'impu<strong>de</strong>nce<br />

d'y paraître? On le conçoit d'autant moins,<br />

que cette brava<strong>de</strong> désespérée n'avait aucun objet;<br />

qu'il ne pouvait se <strong>la</strong>tter d'imposer ni au sénat<br />

ni m consul, et que cette folle témérité ne pouvait<br />

tourner qu'à sa confusion. L'historien Salluste,<br />

dont le témoignage ne saurait être suspect, dit en<br />

propres termes : « C'est alors que Cicéron prononça<br />

cet éloquent dis<strong>cours</strong> qu'il publia dans <strong>la</strong> suite. »<br />

S'il y avait eu une différence marquée entre le dis<strong>cours</strong><br />

prononcé et<br />

y fait plus mime attention. Celui-ci, que<br />

m'ont rappelé les CmtUîtmîrm <strong>de</strong> Cicéron' qui vont<br />

nous occuper, a passé sans qu'on y prit gar<strong>de</strong> ; et à<br />

force d'abuser <strong>de</strong> tout, nous avons <strong>du</strong> moins obtenu<br />

cet avantage, que l'extravagance même n'est plus<br />

im moyen <strong>de</strong> faire <strong>du</strong> bruit.<br />

Des quatre harangues <strong>de</strong> Cicéron contre Catilina,<br />

il y en a <strong>de</strong>ux qui sont d'autant plus admirables»<br />

qu'on toit, par <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s circonstances,<br />

que l'orateur qui les prononça n'avait guère pu s'y<br />

préparer ; et quoique en les publiant il les ait sans<br />

doute revues avec le soin qu'il mettait à tout ce<br />

qui sortait <strong>de</strong> sa plume, le grand effet qu'elles pro<strong>du</strong>isirent<br />

dès le premier moment ne doit nous <strong>la</strong>isser<br />

aucun doute sur le mérite qu'elles avaient, lors<br />

même que fauteur n'y avait pas mis <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière<br />

main. On <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra peut-être comment il pouvait<br />

se souvenir <strong>de</strong>s dis<strong>cours</strong> que son génie lui dictait<br />

sur-le-champ dans les occasions importantes, dis<strong>cours</strong><br />

qui ne <strong>la</strong>issaient pas d'avoir quelque éten<strong>du</strong>e.<br />

Les historiens nous apprennent <strong>de</strong> quel moyen Ci-<br />

• Cmi uii èm paradons <strong>de</strong> Ugtgstt<br />

f e dis<strong>cours</strong> écrit, est-ce ainsi<br />

qu'un ennemi se serait exprimé? Les termes do<br />

Salluste sont un éloge d'autant moins récusable,<br />

qm dans ce même endroit il lui échappe un trait<br />

<strong>de</strong> malignité qui décèle son inimitié : Seii, dit-il $<br />

qytU craignit ta présence <strong>de</strong> Catilina, soit qu'M<br />

fU ému d'indignation. Le second motif est si évi<strong>de</strong>nt,<br />

qu'il y a <strong>de</strong> ia mauvaise foi à supposer l'autre.<br />

'Quand toute <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite <strong>du</strong> consul, aussi ferme<br />

qu'éc<strong>la</strong>irée et vigi<strong>la</strong>nte, ne prouverait pas suffisamment<br />

qu'il ne craignit jamais le scélérat qu'il combattait,<br />

était-ce au milieu <strong>du</strong> sénat, que les ctietatiers<br />

romains entouraient l'épée à <strong>la</strong> main; était-*»<br />

sur le siège <strong>de</strong> sa puissance et <strong>de</strong> son autorité, que<br />

Cicéron pouvait craindre Catilina? On va voir qu'il<br />

ne craignit pas même les dangers trop manifestes<br />

où sa fermeté patriotique l'exposait pour l'avenir;<br />

qu'il connaissait l'envie et s'attendait à l'Ingratitu<strong>de</strong>,<br />

et qu'il brava Tune et l'autre. Aussi, dans un<br />

bel ouvrage où cette gran<strong>de</strong> âme est fidèlement<br />

peinte, où l'exagération n'est jamais à côté <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

gran<strong>de</strong>ur, ni <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>mation près <strong>du</strong> sublime, dans<br />

<strong>la</strong> tragédie '<strong>de</strong> Rome sauvée, Cicéron parait avoir<br />

dicté lui-même m vers admirable dans sa simplicité<br />

:<br />

Et sssYom <strong>la</strong> leinaliis, inssent-Iis être Ingrats.<br />

En effet, pour bien apprécier ces harangues, dont<br />

je vais extraire quelques morceaux, il faut se mettre<br />

<strong>de</strong>vant les yeux l'état où était alors <strong>la</strong> république.<br />

L'ancien esprit <strong>de</strong> Rome n'existait plus; <strong>la</strong><br />

dégradation <strong>de</strong>s ftmes avait suivi <strong>la</strong> corruption <strong>de</strong>s<br />

moeurs. Marins et Syl<strong>la</strong> avaient fait voir que les<br />

Romains puvaient souffrir <strong>de</strong>s tyrans» et il m


AlOENS. — ÉLOQUENCE.<br />

masquait pas d'hommes dont cet exemple évdlr<br />

<strong>la</strong>it l'ambition et les espérances. L'amour <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie» fondé sur l'égalité et les lois,<br />

oe pouvait plus subsister â?ec cette puissance monstrueuse,<br />

et ces richesses énormes dont <strong>la</strong> conquête<br />

<strong>de</strong> tant <strong>de</strong> pays a?ait mis les Romains en possession,<br />

Césarf déjà soupçonné d*a?oïr eu part à une<br />

conspiration, blessé <strong>de</strong> <strong>la</strong> prééminence 3e Pompée<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> prédilection qn f a?ait pour lui le sénat, ne<br />

songeait qu'à faire re?i?re le parti <strong>de</strong> Marius. Pompée,<br />

sans aspirer ouvertement à <strong>la</strong> tyrannie, aurait<br />

voulu que les troubles et les désordres nés <strong>de</strong> S ? esprit<br />

factieux qm régnait partout, ré<strong>du</strong>isissent ks<br />

Romains au point <strong>de</strong> se mettre sous sa protection<br />

en le nommant dictateur. Les grands, à qui les<br />

dépouilles <strong>de</strong>s trois parties <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> pouvaient à<br />

peine suffire pour assouvir leur luxe et leur cupidité,<br />

redoutaient tout ce qui pouvait relever l'autorité<br />

<strong>de</strong>s lois et réprimer leurs exactions et leurs<br />

brigandages. Un petit nombre <strong>de</strong> bons citoyens,<br />

et Gicéron à leur tête, soutenaient <strong>la</strong> république<br />

sur le penchant <strong>de</strong> sa ruine; et c'en était assez pour<br />

être Fobjet <strong>de</strong> <strong>la</strong> haine secrète et déc<strong>la</strong>rée <strong>de</strong> tout ce<br />

qui était intéressé au renversement <strong>de</strong> l'État. C'est<br />

dans ces conjonctures que Catilina, dont Cieéron<br />

avait fait échouer les prétentions au consu<strong>la</strong>t, per<strong>du</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ttes et <strong>de</strong> débauches, chargé <strong>de</strong> crimes <strong>de</strong><br />

toute espèce, et dont l'impunité prouvait h quel<br />

excès <strong>de</strong> licence et <strong>de</strong> corruption Ton était parvenu,<br />

s'associe tout ce qu'il y avait <strong>de</strong> citoyens aussi déshonorés<br />

que lui, aussi dénués <strong>de</strong> ressources ; forme<br />

le projet <strong>de</strong> mettre le feu à Rome, et d'égorger<br />

tout le sénat et les principaux citoyens; envoie<br />

Malîius, un <strong>de</strong>s meilleurs officiers qui eussent servi<br />

sous Syl<strong>la</strong>, soulever les vétérans, à qui le dictateur<br />

avait distribué <strong>de</strong>s terres, et qui ne <strong>de</strong>mandaient<br />

qu'un nouveau pil<strong>la</strong>ge. Mallius en forme un corps<br />

d'armée entre Fézuîes et Arezzo, promette s'a-,<br />

tancer vers Rome au jour marqué pour le meurtre<br />

et l'incendie 9 et <strong>de</strong> se joindre à Catilina pour mettre<br />

tout à feu et à sang, renverser le gouvernement, et<br />

partage? les dépouilles. Ces affreux complots commençaient<br />

à éc<strong>la</strong>ter <strong>de</strong> toutes parts : on n'Ignorait<br />

pas les engagements <strong>de</strong> Mallius avec Catilina; on<br />

savait que les vétérans avaient pris les armes, que<br />

les conjurés avaient <strong>de</strong>s intelligences dans Préneste,<br />

une <strong>de</strong>s villes qui couvraient Rome. Ce n'était plus<br />

le temps où 9 sur <strong>de</strong> bien moindres a<strong>la</strong>rmes, on avait<br />

fait pair, sans forme <strong>de</strong> procès, un Mélius, un Cas-<br />

$i@g, parce qu'alors <strong>la</strong> première <strong>de</strong>s lois était le<br />

salut <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie. La consternation était dans<br />

Rome : chacun s'exagérait le péril, et Cieéron seul<br />

•'occupait <strong>de</strong> te prévenir. Armé <strong>de</strong> ce décret iû<br />

Là HAftK. — TQME 1.<br />

US-<br />

sénat dont <strong>la</strong> formule, réservée pour les dangers<br />

extrêmes, donnait aux consuls un pouvoir extraordinaire,<br />

il veil<strong>la</strong>it à <strong>la</strong> sûreté <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville, fortifiait<br />

les colonies menacées, faisait lever <strong>de</strong>s troupes dans<br />

l'Italie, opposait à Mallius le peu <strong>de</strong> forces qu'on<br />

avait pu rassembler; car il feut avouer que Catilina<br />

et les conjurés avalent choisi le moment le plus favorable<br />

à leur entreprise. Il n'y avait en Italie aucun<br />

corps d'armée considérable : les légions étaient en<br />

Asie, sous les ordres <strong>de</strong> Pompée. Ces circonstances,<br />

les a<strong>la</strong>rmes déjà répan<strong>du</strong>es, les précautions déjà<br />

prises, tout avertissait Catilina qu'il fal<strong>la</strong>it précipiter<br />

l'exécution. Il convoque une assemblée nocturne<br />

<strong>de</strong> ses compîicesles plus affidés, etleurdonne<br />

ses <strong>de</strong>rniers ordres. A peine étaient-ils séparés, que<br />

Cieéron fut instruit <strong>de</strong> tout par Fulvie, maîtresse<br />

<strong>de</strong> Curius, un <strong>de</strong>s .conjurés, qui, pour se faire valoir<br />

auprès d'elle, lui avait conié tout le détail <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> conjuration. Cette femme en eut horreur, et vint<br />

<strong>la</strong> révéler à Cieéron, qui assemb<strong>la</strong> aussitôt"le sénat<br />

dans le temple <strong>de</strong> Jupiter Stator, bien fortifié :<br />

c'est là que Catilina, qui était loin <strong>de</strong> se douter que<br />

le consul eût appris ses <strong>de</strong>rnières démarches, osa<br />

se présenter. Quand on n'est pas très-instruit <strong>de</strong>s<br />

mœurs romaines et <strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong> cei temps-là,<br />

on s'étonne que le consul ne le ftt pas arrêter. Le<br />

décret <strong>du</strong> sénat lui en donnait le pouvoir, mais il au*<br />

rait révolté tout le corps <strong>de</strong>s nobles, et même<br />

beaucoup <strong>de</strong> citoyens, jaloux à l'excès <strong>de</strong> leurs privilèges,<br />

s'il eût voulu se servir <strong>de</strong> toute sa puissance<br />

pour faire arrêter un patricien qui n'était<br />

pas convaincu, ni même accusé. Ce procédé extrajudiciaire<br />

était donc très-dangereux. Cieéron luimême<br />

va nous exposer les autres motifs, non moins<br />

importants, qui <strong>de</strong>vaient régler sa con<strong>du</strong>ite; et nous<br />

reconnaîtrons dans sa véhémente apostrophe l'orateur,<br />

îe consul et l'homme d'État.<br />

« Jusque» à quand, Catilina, thnseras-ta <strong>de</strong> notre patience?<br />

Combien <strong>de</strong> temps encore ta foreur osera-t-elle<br />

sous insulter? Quel est le terme où s'arrêtera cette audace<br />

effrénée? Quoi doue! ni Sa gar<strong>de</strong> «pi veille <strong>la</strong> nuit an <strong>mont</strong><br />

Pa<strong>la</strong>tin, ni celles qui sont disposées par toute <strong>la</strong> ville, ni<br />

tout le peuple en a<strong>la</strong>rmes ; ni le con<strong>cours</strong> <strong>de</strong> tous les bons<br />

citoyens 9 ni le choix <strong>de</strong> ce lien fortifié où f ni convoqué te<br />

sénat, ni même l'indignation que tu lis sur le visage <strong>de</strong><br />

tout ce fil t'environne ici, tout ce que ta vois enfin ne fa<br />

pas averti que tes eomplols sont découverts, qu'ils sont<br />

eipotés an grand Jour, qu'As sont enchaînés è€ toutes<br />

parts? Peoses-te que quelqu'un <strong>de</strong> nous ignore ce que tu<br />

as fait <strong>la</strong> unit <strong>de</strong>rnière et «aie qui Fa- précédée, dans quelle<br />

maison tu as rassemblé tes conjurés! quelles résolutions<br />

tu as prises ? O temps ! é moeurs I le sénat ea est instruit 9<br />

te consul le voit, et Catilina vit encore ! 11 vit! que dis-je?<br />

II vient dans le sénat! il s'assied d&tis Se conseil <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

répiMiqaei il marque <strong>de</strong> l'unil ceux d'entre sous qu'il a<br />

is


174 COBIIS DE- IJTTÊMTOIM,<br />

„we—, pour ses iteMmes, et «MIS, sénateurs, nous<br />

Croyons avoir assef. fait si nous évitons le g<strong>la</strong>ive dont il<br />

ireut sons égorger i II y a longtemps, Catû<strong>la</strong>a, que les<br />

ordres do consul auraient dû te faire con<strong>du</strong>ira à <strong>la</strong> mort...»<br />

Si je le faisais dans ce même moment ; tout ce que j'aurais<br />

à craindre , c'est que cette justice ne parût trop tardive,<br />

.et nos pas trop sévère. Mais j'ai d'autres raisons pour l'épargner<br />

encore. Tu ne périras que lorsqu'il n'y aura pas un<br />

seul citoyen , si méchant qui! puisse être » si abandonné ;<br />

si semb<strong>la</strong>ble à toi f qui ne convienne que ta mort est légitime.<br />

Jusque-là tu vivras : niais tu vivras comme ta vis<br />

aujourd'hui , tellement assiégé ( grâce à mes soins) <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nts<br />

et <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>s , teUement entouré <strong>de</strong> barrières 9 que<br />

ta ne puisses faire un seul mouvement, un seul effort contre<br />

que tu <strong>la</strong>isserais dans ces mura t que tu as désigné les «par*<br />

tiers <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville où il faudrait mettre le feu. Tu as ixé te<br />

moment <strong>de</strong> .ton départ : ta as dit que <strong>la</strong> seule chose qui put<br />

t'arrêter, c'est que je vivais encore. Deux chevaliers romains<br />

ont offert <strong>de</strong> te délivrer <strong>de</strong> moi, et ont promis <strong>de</strong><br />

ra'égorger dans mon lit avant le jour. Le conseil <strong>de</strong> tes<br />

brigands n'était pas séparé, que j'étais informé <strong>de</strong> tout Je<br />

me suis mis pn défense ; j'ai fait refuser l'entrée <strong>de</strong> ma maison<br />

à ceux qui se sont présentés ehex mol, comme pour<br />

me rendre visite ; et c'était ceux que j'avais nommés d'avance<br />

à pasteurs <strong>de</strong> nos plus respectables citoyens, et<br />

l'heure était celte que j'avais marquée.<br />

Ainsi donc, CatUina, poursuis ta résolution! sors txàa<br />

<strong>de</strong> Rome : les portes sont ouvertes : pars. M y a trop long­<br />

Sa république. Des yeux toujours attentifs, <strong>de</strong>s oreilles toutemps<br />

que l'armée <strong>de</strong> Malins t'attend pour général. Emjours<br />

ouvertes, me répondront <strong>de</strong> toutes tes démarches,<br />

mène avec toi tous les scélérats qai te ressemblent, purge<br />

sans que ta puisses f en apercevoir. El que peux-tu espérer<br />

cette ville <strong>de</strong> <strong>la</strong> contagion que ta y répands ; délivre-<strong>la</strong> <strong>de</strong>s<br />

encore quand <strong>la</strong> irait ne peut plus couvrir tes assemblées<br />

craintes que ta présence y fait naître ; qu'il y ait <strong>de</strong>s murs<br />

erimiiiêlSêSî quand le bruit <strong>de</strong> ta conjuration se fait entendre<br />

entre nous et toi. Tu ne peux rester plus longtemps : je ne<br />

à travers les murs où tu crois te renfermer? Tout ce que ta<br />

Se sonffriraj pas, je ne le •upporterai..pas, je ne le permet­<br />

Tais est connu <strong>de</strong> moi f comme <strong>de</strong> toi-même. Veux-ta que<br />

Je f en donne <strong>la</strong> preuve? Te sosvtenW que j'ai dit dans Se<br />

trai pas. Hésites-tu à faire par mon ordre ce que ta faisais<br />

sénat qu'avant le 6 <strong>de</strong>s calen<strong>de</strong>s <strong>de</strong> novembre, Mallina, le<br />

<strong>de</strong> toknâme? Consul, j'ordonne à notre ennemi <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong><br />

ministre <strong>de</strong> tes forfaits, aurait pris les armes et levé l'é­<br />

Rome. Et qui pourrait encore t'y arrêter? Comment peux-tu<br />

tendard <strong>de</strong> <strong>la</strong> rébellion? Eh bien! me suis-je trompé, non-<br />

supporter le séjour d'une vlUe où II n'y a pas un seul haseulement<br />

sur le fait, tout horrible, tout incroyable qu'il<br />

bitant , excepté les complices, pour qui ta ne sois un objet<br />

est , mais sur le Jour ? l'ai annoncé en plein sénat quel jour<br />

d'horreur et d'effroi? Quelle est l'infamie domestique dont<br />

ta avais marqué pour le meurtre <strong>de</strong>s sénateurs : te sou­<br />

ta vie n'ait pas été chargée? Quel est l'attentat dont tes<br />

viens-tu que m jour-là même, où plusieurs <strong>de</strong> nos princi- mains n'aient pas été souillées? Enfin, quelle est <strong>la</strong> vie qse<br />

pasx citoyens sortirent <strong>de</strong> Morne, bien moins pour se déro­ ta mènes? Car je veux bien te parier un moment, non pas<br />

ber à tes coups que pour réunir ©outre toi les forces <strong>de</strong>là avec Fiadigiisiôi que ta mérites, mais avec <strong>la</strong> pitié que<br />

république ; te souffens-ta que ce jour-là je sus prendre <strong>de</strong> ta mérites si peu. Tu viens <strong>de</strong> paraître dans cette<br />

telles préctoUons, qu'il ne te fut pas possible <strong>de</strong> rien tenter blée;ehbien! dans ce grand nombre <strong>de</strong> sénateurs, parait<br />

contre nous, quoique tu eusses dit publiquement que, lesquels ta as <strong>de</strong>s parents, <strong>de</strong>s amis, <strong>de</strong>s proches, quel est<br />

malgré le départ <strong>de</strong> quelques-uns <strong>de</strong> tes ennemis, a te res^ celui <strong>de</strong> qui ta aies obtenu un salut, un regard? Si ta es<br />

<strong>la</strong>it encore assez <strong>de</strong> victimes? Et le jour môme <strong>de</strong>s calen­ le premier qui aies essuyé un semb<strong>la</strong>ble affront, attends-tu<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong> novembre 9 où ta te f<strong>la</strong>ttais <strong>de</strong> te rendre maître <strong>de</strong> que <strong>de</strong>s voix s'élèvent contre toi, qeand h silence seul t<br />

Préneste, ne t'es-ta pas aperçu que j'avais pris mes mesu­ qnand cet-arrêt, le plus accab<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> tous, fa déjà conres<br />

pour que cette colonie fût en état <strong>de</strong> défense? Tu ne damné, lorsqu'à ton arrivée les sièges sont restés vi<strong>de</strong>s<br />

peux foire un pas, ta n'as pas une pensée dont je n'aie sur- autour <strong>de</strong> toi, lorsque les consu<strong>la</strong>ires, au moment où ta<br />

lé-champ <strong>la</strong> eonnaissaiice. Enfin, rappeUe-toi cette <strong>de</strong>rnière t'es assis, ont aussitôt quitté <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce qui pouvait les rap­<br />

mut, et ta vas voir que j'ai encore plus <strong>de</strong> vigianœ pour procher <strong>de</strong> toi? Avec quel front, avec quelle contenance<br />

te salut <strong>de</strong> <strong>la</strong> république que tu n'en as pour sa perte ttf- peux-ta supporter tant d'humiliations? Si mes esc<strong>la</strong>ves<br />

firme que cette nuit ta t'es ren<strong>du</strong>, avec un cortège d'armu­ me redoutaient comme tes citoyens te redoutent, s'ils me<br />

riers , dans Sa maison <strong>de</strong> Leect : uU® parler chroment ? voyaient <strong>du</strong> même œU dont-tout le mon<strong>de</strong> te voit id9<br />

qu'un grand nombre <strong>de</strong> ces inateenreiiit que tu associes à j'abandonnerais ma propre maison : et ta ;<br />

tes crimes s'y sont ren<strong>du</strong>s es môme temps. Ose le nier • lu donner ta patrie s à fuir dans quelque désert, à cacher dans<br />

tetatel Parle; je pais te convaincre. Je vois ici,dans cette quelque solitu<strong>de</strong> éloignée cette vie coupable réservée aux<br />

assemblée, plusieurs <strong>de</strong> ©eux qui étaient avec toi. Bleui supplices;! Je t'entends me répondre que ta es prêt à partir,<br />

«•notais! où sommes-ii®®g? dans quelle vite, é ciel! vi- si le sénat prononce rarrêt <strong>de</strong> ton exil Non, je ne le propommsrmmt<br />

Dans quel état est krépiAUqueiid, idisême serai pas au sénat ; mais je vais te mettre à portée <strong>de</strong> con­<br />

pimunou, pèieeeeiiKii^<strong>de</strong>jMceeoMefl^tfMeaBBati naître ses disposittens à ton égard, <strong>de</strong> manière que ta n'es<br />

et te plus samt <strong>de</strong> l'univers, sont assis ceux qui méditent puisses douter. CUUfca9 sors <strong>de</strong> Rome; et puisque tu<br />

U nme <strong>de</strong> Rome et <strong>du</strong> l'empire; et moi, consul, je les attends le mot d'exil, exUe-toi <strong>de</strong> ta patrie. Eh quoi! CaU-<br />

ton et je leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> leur avis} et ceux qu'y faudrait iina, remarqiies-ta ce sUence? et t'en faut-il davantage?<br />

raire tratoer au supplice, ms vois ne le® a PM même encore Si j'en disais autant à Sextiss, à Mareeins, tout consul<br />

attaqués! Oui, cette nuit, CatMina, c'est dans <strong>la</strong> maison que je suis, je ne serais pas en sûreté dais le sénat liais<br />

<strong>de</strong> Leeea que lu as distribué Ses postes <strong>de</strong> ritalie, que ta c'est à toi qoe je m'adresse, c'est à toi que j'adonne l'exil ;<br />

m sommé ceux dit tiens que ta amènerais avec toi, cet» et qnand le sénat me <strong>la</strong>issé parler ainsi, il m'approuve •


« J'en #§ wmmâ ilst ctevaHen kmmkm, <strong>de</strong> m corps<br />

ImmmààB qui entoure te sénat en si grand nombre, dont<br />

tu as pif en entrant ici, mûôamîîm les sectifiMts et<br />

entendre <strong>la</strong> voix, et dont j'ai peine à retenir <strong>la</strong> maie prête<br />

à se porter sur toi Je te suis garant qu'ils te suivront<br />

jusqu'au, portes <strong>de</strong> cette TîDe que <strong>de</strong>puis si longtemps<br />

tu luttes <strong>de</strong> détruire.... Pars dose : ta as tant dît que tu<br />

attendais us ordre tait qui pût me Fendre pdteux. Sois<br />

mutait; )« l 9 ai donné : achèv®, m ty rendant , d'exciter<br />

outre moi cette inimitié doit tu te promets tantd'ivantagea«<br />

Itsiaai ta vesx me fournir as nouveau sujet <strong>de</strong> gloire»<br />

surs avec te eortêfe <strong>de</strong> brlpnds qui t'est dévoué ; sanavto<br />

te Ue <strong>de</strong>s citoyens ; va dans le camp <strong>de</strong> Matins; déc<strong>la</strong>re à<br />

FÉtat une guerre impie § m te jeter dans ce repaire ©à t'appelle<br />

<strong>de</strong>puis longtemps ta fureur insensée. Là , eombien tu<br />

seras satisfait! Quels p<strong>la</strong>isirs dignes <strong>de</strong> toi ta vas goûter!<br />

A quelle horrible joie tu tas te il?rer lorsque , en regardant<br />

autour <strong>de</strong> toi, ta ne pourras plus ni voir ni entendre en<br />

ses! homme <strong>de</strong> bien!... Et TOUS, pères conscrits, écostex<br />

avec attention , et graves dans votre mémoire te réponse<br />

voue, avoir quelque justice. Je crois entendre <strong>la</strong> pétrie,<br />

cette peine qui m'est plus chère que ma vie, je ereis fea»<br />

tendre me dire : Cfcéron, que fate-tn? Qnoil celui que tu<br />

reconnais pour mou ennemi, celui qui va porter te guerre<br />

dans mon sein9 qu'on attend dans un camp <strong>de</strong> rebelles,<br />

Fauteur <strong>du</strong> crime, le chef <strong>de</strong> <strong>la</strong> conjuration, le corrupteur<br />

: <strong>de</strong>s citoyens, ta le <strong>la</strong>isses sortir <strong>de</strong> leeae 1 tu renvoies prendre<br />

tes armes contre <strong>la</strong> république I ta ne le fais pas charger<br />

<strong>de</strong> fersy traîner à <strong>la</strong> mort ! tu ne le ivres pas au plus affreux<br />

suppliée 1 Qui t'arrête? Estes <strong>la</strong> discipliiie <strong>de</strong> nos ancêtres?<br />

mais souvent <strong>de</strong>s particuliers mêmes ont puni <strong>de</strong> mort <strong>de</strong>s<br />

doyens séditieux. Sont-ee les lois qui ont borné le châti­<br />

ment <strong>de</strong>s citoyens coupables ? mais ceux qui se sont déc<strong>la</strong>rés<br />

contre <strong>la</strong> répunUque n'ont jamais joui <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> citoyen.<br />

Crains-tu Ses reproches do <strong>la</strong> génération suivante? mais le<br />

peuple romain, qui fa con<strong>du</strong>it <strong>de</strong> si bonne heure par tous<br />

tes <strong>de</strong>grés d'élévation jusqu'à h première <strong>de</strong> ses dignités ,<br />

sans nulle recommandation <strong>de</strong> tes ancêtres, sans te connaître<br />

autrement que par toi-même, le peuple romain obtient<br />

donc <strong>de</strong> toi bien peu <strong>de</strong> recottuaissanecy s'il est quelque<br />

considération, quelque crainte qui te fasse oublier le salut<br />

ée ses citoyens t<br />

« A cette voix sainte <strong>de</strong> <strong>la</strong> repunMque, à ces p<strong>la</strong>iates<br />

qu 9 elte peut m , adresfler9 pères eonserite^oict quelle est ma<br />

réponse. Si j'avais cru que te meileer parti à prendre fût<br />

<strong>de</strong> faire périr Catilina, je ne f eareia pas <strong>la</strong>issé vivre un moment<br />

En effet y si les plus grands tommes <strong>de</strong> te répeMlejee<br />

se sent ttoonréspar te mort <strong>de</strong> P<strong>la</strong>cent, <strong>de</strong>Safarwnas, <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux Grecques, je ne défais pas craindre que <strong>la</strong> postérité<br />

me condamnât pour avoir fiùt mourir ce brigand , cent fois<br />

plus coupable 9 et meurtrie? <strong>de</strong> ses concitoyens ; ou s'il était<br />

posslbi® qu'eue action si juste excitât contre moi <strong>la</strong> haine t<br />

i est dans mes principes <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r comme <strong>de</strong>s titres <strong>de</strong><br />

ejeéreteeesiiiefi»<br />

cet ordre mêmef H est <strong>de</strong>s hommes qui ne voient pas tous<br />

uns dnprn et tout use maux» on qui ne ventent pas tes<br />

voir. Ce «Mit eux fil» en se <strong>mont</strong>rent trop ftH<strong>de</strong>st ont<br />

Anams. — iLOQtnNcaB. tri<br />

nourri les espérances <strong>de</strong> Oattiesii m sont eux ajst ont fortifié<br />

<strong>la</strong> conjuration en refusant d'y croire. Entrâmes par léser<br />

autorité, beaucoup <strong>de</strong> citoyens aveuglés ou méchants» si<br />

j'avais sévi contre CatUina» m'auraient accusé <strong>de</strong> cruauté<br />

et <strong>de</strong> tyrannie Aujourd'hui, s'il se rend, comme il l'a résolu<br />

/dans le camp <strong>de</strong> Mailing , il n'y aura personne d'asseï<br />

insensé pour nier qu'il ait conspiré contre <strong>la</strong> patrie. Sa mort<br />

aurait réprimé les comploté qui nous, menacent, et ne les<br />

aurait pas entièrement étouffés. Mais s'il emmène avec lui<br />

tout cet exécrable ramas d'assassins et d'incendiaires,<br />

alors, a»sealejiieet nous aurons détrait cette peste qui<br />

s'est accrue et nourri® as milieu <strong>de</strong> nous*, mais même nous<br />

aurons anéanti jugqu 9 aux semences <strong>de</strong> te corruption.<br />

« Ce n'est pas d'aujourd'hui, pères conscrits, que nous<br />

sommes environnés <strong>de</strong> pièges et d'embûches; nuis il semble<br />

que tout cet orage <strong>de</strong> fureur et <strong>de</strong> crimes ne se soit<br />

grossi <strong>de</strong>puis longtemps que pour éc<strong>la</strong>ter sous mon consu<strong>la</strong>t<br />

SI parmi tant d'ennemis nous ne frappions que Catflina<br />

seul, sa mort nous bisserait respirer, il est vrai; mais le<br />

péril subsisterait, et le venin serait renfermé dans le sein<br />

<strong>de</strong> te repubiqsê. Ainsi donc, Je le répète, qee tes méchante<br />

se séparent <strong>de</strong>s bons; qee nos ennemis se rassemblent en<br />

une seule retrait®, qu'ils cessent d'assiéger te consul dans<br />

si maison, les magistrats sur teur tribunal, les pères <strong>de</strong><br />

Rome dans le sénat; d'amasser <strong>de</strong>s f<strong>la</strong>mbeaux pour embraser<br />

nos <strong>de</strong>meures; enfin, qu'on puisse voir écrits sur te .<br />

front <strong>de</strong> chaque citoyen ses sentiments pour <strong>la</strong> république. '<br />

Je vous réponds, pères conscrits, qu'A y aura dans vos con- !<br />

suis assea <strong>de</strong> vigi<strong>la</strong>nce, dans cet ordre assea d'autorité, ><br />

dans celui <strong>de</strong>s chevaMers asseï <strong>de</strong> courage, parmi tous les ,<br />

bons citoyens aesee d'accord et d'union, pour qu'au départ ;<br />

<strong>de</strong> Oati<strong>la</strong>e tout ce que vous pouviez craindre <strong>de</strong> lui et <strong>de</strong> '<br />

ses complices soit à <strong>la</strong> fois découvert, étonftt et ppi.<br />

« Va donc, avec ce présage «le notre salut et <strong>de</strong> te perte, :<br />

avec tous les satellites que tes akMsiaablea complots ont<br />

réunteaveetoi;vâftU8^,CâtiliM^ .<br />

guerre sâcrUége. Et toi, Jupiter Stator, dont te temple a '<br />

été élevé par Romulus, sons les mêmes auspices que tome<br />

même I toi, nommé dans tous les temps le soutien <strong>de</strong> l'empire<br />

romain 1 tu préserveras <strong>de</strong> te rage <strong>de</strong> ce brigand tes<br />

autels, ces murs, et te vie <strong>de</strong> tous nos citoyens : et tous<br />

ces ennemis <strong>de</strong> Eome, ces déprédateurs <strong>de</strong> l'Italie, ces<br />

scélérats liés entre eux par les mêmes forfaits, seront aussi,<br />

vivants et morte, réunis à jamais par tes mêmes ssppices, »<br />

Ce fin sans doute <strong>la</strong> première punition <strong>de</strong> Catiina<br />

Y tfavoïr à essuyer cette foudroyante harangue.<br />

En venant au sénat, il ^exposait à cette tempête.<br />

Il n'y avait aucun moyen d'interrompre un consul<br />

par<strong>la</strong>nt au milieu <strong>de</strong>s sénateurs, et l'usage ne permettait<br />

ps même d'interrompre us sénateur oy. -<br />

liant. Cependant, ni <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> Cïeéfoa, ni celle <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> conscience, ne purent intimi<strong>de</strong>r assez Catilina<br />

pour lui 4ter le courage <strong>de</strong> répliquer. 11 prit une<br />

contenance hypocrite, et se leva pour répondre;<br />

mais à peine eut-il dit quelques phrases vagues, que<br />

Sallestenousa conservées, et qui portent sur l'opinion<br />

f ue doit donner <strong>de</strong> lui sa naissance opposée


COURS DE UTTEHATUBE.<br />

à celle ie CIcérôn, que les murmures, s'élevant <strong>de</strong> possible,<strong>de</strong> cet inhtf gable consul,le-plus grand<br />

tous tes cAtés, lui firent bien ¥oir qu'on ne recon­ obstacle à tous leurs <strong>de</strong>sseins; pour mettre le feu<br />

naissait plus en lui les privilèges d'un sénateur. dans Rome, et attaquer le sénat à l'instant où<br />

Bientôt un eri général l'empêcha <strong>de</strong> poursuivre ; Catilina se <strong>mont</strong>rerait aux portes avec son armée;<br />

les soins <strong>de</strong> parrici<strong>de</strong> et d'incendiaire retentissaient enfin, pour grossir jusque-là leur parti par tous<br />

à ses oreilles. 11 fallut alors jeter le masque; et, les moyens imaginables. Ils essayèrent d'y entraîner<br />

n'étant plus maître <strong>de</strong> lui, il <strong>la</strong>issa pour adieux au ks députés <strong>de</strong>s Allobroges,. et leur remirent ua<br />

sénat ces paroles furieuses, citées par plusieurs p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> <strong>la</strong> conjuration avec leur signature. Tout<br />

historiens t et dont l'énergie est remarquable : fut porté sur-le-champ à Cicéron*' Muni <strong>de</strong> cet<br />

« Puisque je suis poussé à bout pv les ennemis-qui m'en* pièces <strong>de</strong> conviction, II convoque le sénat, manie<br />

vironnait» j'éteindrai SOIS <strong>de</strong>s débris fmmmâm qu'on al­ chez lui Lentolus, Céthégus, Céparlus, Gabinius<br />

lume autour <strong>de</strong> moi. »<br />

et Statilius qui, ne se doutant pas qu'ils fussent<br />

L'événement justifia <strong>la</strong> politique <strong>de</strong> Cicéron. La trahis, se ren<strong>de</strong>nt à ses ordres. Il s'empare <strong>de</strong><br />

nuit suivante, Catilina sortit <strong>de</strong> Rome avec trois leur personne, et les mène avec lui au sénat, où<br />

cents hommes armés, et al<strong>la</strong> se mettre à <strong>la</strong> tête il fait intro<strong>du</strong>ire d'abord les députés <strong>de</strong>s Allobro-<br />

<strong>de</strong>s troupes <strong>de</strong> Mallius. On sait quelle fut l'issue ges. On entend leur déposition ; on ouvre les dé­<br />

lie cette guerre, et que, dans cette sang<strong>la</strong>nte bapêches : les preuves étaient c<strong>la</strong>ires. Les coupables<br />

taille où il fut défait 9 ses soldats se firent presque sont forcés <strong>de</strong> reconnaître leur seing et leur cachet.<br />

tous tuer, et délivrèrent Rome et l'Italie <strong>de</strong> ce C'est àcetteoccasionque l'on rapporte use bien belle<br />

qu'elles avaient <strong>de</strong> plus vicieux et <strong>de</strong> plus à craindre parole <strong>de</strong> Cicéron à Lentolus. Ce conjuré était <strong>de</strong><br />

pour leur repos. Si Ton <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pourquoi Catilina , <strong>la</strong> famille <strong>de</strong>s Cornéliens, <strong>la</strong> plus illustre <strong>de</strong> Rome.<br />

<strong>de</strong>vant qui Cicéron avait manifesté ses intentions Lui-même était alors préteur. Son cachet représen­<br />

et ses vues, prend précisément le parti que le contait <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> son aïeul, qui avait été un excellent<br />

sul désirait qu'il prît, c'est qu'il n'y en avait pas citoyen. Le reconnaissez-vous ce cachet? lui dit ie<br />

un autre pour lui; c'est que, tout étant découverts consul, c'est l'image <strong>de</strong> votre aïeul, qui a si Men<br />

et Rome si bien gardée qu'il ne lui était guère méHlé <strong>de</strong> <strong>la</strong> république. Commeni <strong>la</strong> seule vue <strong>de</strong><br />

possible d'y rien entreprendre, il n'avait plus <strong>de</strong> cette tête vénérable ne vous m-i-eUe pas arrêté an<br />

ressource que <strong>la</strong> force ouverte et l'armée <strong>de</strong> Mal- wwment où vous aMk& vous en servir pour signer<br />

Mus.<br />

h crime f<br />

Qài qu'il fut parti, Cicérea <strong>mont</strong>a à <strong>la</strong> tribune Le sénat décerne <strong>de</strong>s récompenses aux Àllobro-<br />

aux fiartegues, et rendit compte au peuple romain ges, <strong>de</strong>s actions <strong>de</strong> grâces et <strong>de</strong>s honneurs sans<br />

<strong>de</strong> tout ce qui s'était passé : c'est te sujet <strong>de</strong> <strong>la</strong> exemple au consul : on ordonne les fêtes appelées<br />

secon<strong>de</strong> Catilinaïre. L'orateur s'y propose princi­ supplications , qui, après le triomphe t étaient le<br />

palement <strong>de</strong> dissiper les fausses et insidieuses a<strong>la</strong>r­ prix le plus honorable <strong>de</strong>s victoires. Cicéron hames<br />

que les partisans secrets <strong>de</strong> Catilina affectaient rangue le peuple, et lui expose tout ce qui s'est fait<br />

<strong>de</strong> répandre, en exagérantses ressources et le danger dans le sénat, et <strong>de</strong> quel péril Rome vient d'être<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> république. Cicéron oppose à ces insinuations délivrée : c'est <strong>la</strong> troisième Catilinaire. Enfin, il<br />

aussi lâches que perfi<strong>de</strong>s le tableau fidèle <strong>de</strong>s forces ne s'agissait plus que <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r <strong>du</strong> sort <strong>de</strong>s cou­<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux partis, et le contraste <strong>de</strong> <strong>la</strong> puissance ropables. Si<strong>la</strong>nus, désigné consul pour l'année suimaine<br />

et d'une armée <strong>de</strong> brigands désespérés. En vante, opine à <strong>la</strong> mort. Son avis est suivi <strong>de</strong> tous<br />

effet, il était évi<strong>de</strong>nt qu'on ne pouvait craindre <strong>de</strong> -ceux qui parlent après lui, jusqu'à César, qui opine<br />

Catilina qu'un coup <strong>de</strong> main 9 qu'un <strong>de</strong> ces attentats à <strong>la</strong> prison perpétuelle et à <strong>la</strong> confiscation <strong>de</strong>s<br />

subits et imprévus qui peuvent feeale?erser une biens. Il avait déjà un grand crédit, et son opinion<br />

ville. Ce n'était que dans Rome qu'il était réelle­ "pouvait entraîner d'autant plus <strong>de</strong> voix, que ceux<br />

ment redoutable : ré<strong>du</strong>it à faire <strong>la</strong> guerre, il <strong>de</strong>vait mêmes qui étaient les plus attachés à Cicéron<br />

succomber. Ainsi tout concourt à faire voir que craignant que quelque jour on ne lui <strong>de</strong>mandât<br />

les vues <strong>de</strong> Cicéron forent aassl justes que sa con­ compte <strong>du</strong> sang <strong>de</strong>s citoyens, qui, dans les formes<br />

<strong>du</strong>ite fut noble et patriotique.<br />

ordinaires, ne pouvaient être condamnés à mort<br />

Celle <strong>de</strong>s conjurés fut si impru<strong>de</strong>nte, qu'elle pré­ que par le peuple, paraissaient incliner à l'in<strong>du</strong>lgence,<br />

cipita leur perte longtemps avant celle <strong>de</strong> leur pour ne pas exposer un grand homme qu'ils ché­<br />

chef. Il avait <strong>la</strong>issé dans Rome Lestâtes et Céthérissaient. -Ils semb<strong>la</strong>ient chercher dans ses yeix<br />

gus, et quelques autres <strong>de</strong> ses principaux confi­ l'avis qu'ils <strong>de</strong>vaient ouvrir. Cicéron s'aperçut <strong>du</strong><br />

<strong>de</strong>nts , pour épier le moment <strong>de</strong> se défaire , si était danger nouveau que courait <strong>la</strong> république dans ce


moment <strong>de</strong> crise : il savait que les amis et les par*<br />

tissus <strong>de</strong>s conjurés ne 8 1 œeupaieiit qu'à se mettre<br />

ce état <strong>de</strong> forcer leur prison; et si le sénat eût molli<br />

dans une délibération si importante , c'en était assez<br />

pour relever le parti <strong>de</strong> Catilina. L'intrépi<strong>de</strong> consul<br />

prit <strong>la</strong> parole, et c'est dans cette harangue, qui<br />

est <strong>la</strong> quatrième Catllisalre f qu'il a le plus manifesté<br />

l'élévation <strong>de</strong> ses sentiments, et ce dévouement<br />

d'une âme vraiment romaine 9 qui n'ignorait pas ses<br />

propres périls, et qui les bravait pour le saint <strong>de</strong><br />

l'État,<br />

ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

. « Je m'aperçois, pères conscrits 9 que tous les jeux sont<br />

tournés sur moi, que fous êtes occupés, non-seulement<br />

<strong>de</strong>s dangers <strong>de</strong> k république, mais <strong>de</strong>s miens. Cet intérêt<br />

particulier qsi te mêle an sentiment <strong>de</strong> nos mâUienrs communs<br />

est sans doute un témoignage bien doui et bien lit»<br />

tour ; mais, je vous en conjure au nom <strong>de</strong>s dieux 9 oubtiex-le<br />

entièrement, et, <strong>la</strong>issait à part ma propre sûreté, ne songes<br />

qu'à <strong>la</strong> foire et à celle <strong>de</strong> vos enfants. Si teUe est ma condition,<br />

que tons les maux, tontes les afflictions, tons les<br />

refers doivent se rassemble? sur moi seul , je k supporterai<br />

non-seulement avec courage, mais avecjoie, pourvu<br />

qne par mes travaux j'assure votre dignité et le saint <strong>du</strong><br />

peuple romain. Depuis qu'il m'a décerné le consu<strong>la</strong>t, TOUS<br />

le savez, Ses tribunaux, sanctuaires <strong>de</strong> k justice et <strong>de</strong>s<br />

lois ; le CSiamp<strong>de</strong> Mars, consacré par les auspices ; rassemblée<br />

<strong>du</strong> sénat qui est le refuge <strong>de</strong>s nations ; f asile <strong>de</strong>s dieux<br />

pénates , regardé comme invio<strong>la</strong>ble; le lit domestlqne; où<br />

tout citoyen repose en paix; enfin ce siège d'honneur f cette<br />

chaise enraie, ont été pour moi ni théâtre <strong>de</strong> dangers renalssâiits<br />

et d'a<strong>la</strong>rmes eontlnueUes : c'est à ces conditions<br />

que je suis consul. J'ai souffert, j'ai dissimulé, j'ai pardonné<br />

: fui guéri plusieurs <strong>de</strong> vos blessures en cachant<br />

les miennes; et si les dieux ont arrêté que ce serait à ce<br />

prn que je sauverais <strong>du</strong> fer et <strong>de</strong>s f<strong>la</strong>mmes s <strong>de</strong> toutes les<br />

horreurs dn pliage et <strong>de</strong> k dévastation 9 Rome et l'Italie,<br />

•os femmes, tua enfants, les prétresses <strong>de</strong> Yesto 9 les temples<br />

et les autels, quel que soit le sort qui m'attend, je<br />

sus prêt à le subir. Leninlus a bien p@ croire que k <strong>de</strong>strac*<br />

tlon <strong>de</strong> <strong>la</strong> république était attachée à sa <strong>de</strong>stinée et m nom<br />

Cornélien : pourquoi ne m'appkndirais-je pas que l'époque<br />

<strong>de</strong> mou, cousskt ait été liée par les <strong>de</strong>stins pour sauver k<br />

république ? Ne pensez donc qu'à voes-mêmes, pères conscrits,<br />

et eessex <strong>de</strong> penser à moi. D'abord je dois espérer<br />

que les dieux, protecteurs <strong>de</strong> cet empire, m'accor<strong>de</strong>ront<br />

<strong>la</strong> récompense que j'ai méritée ; mais s'il en arrivait autrement,<br />

je mourrai sans regret; car jamais <strong>la</strong> mort ne peut<br />

être ni honteuse pour un homme courageux , ni prématurée<br />

pour on consu<strong>la</strong>ire, ni à craindre pour le sage. Ce n'est pas<br />

que je me faste gloire d f être insensible aux <strong>la</strong>rmes <strong>de</strong> mon<br />

frère qui est ici présent, à k douleur que voas me témoigne!<br />

tons; que ma pensée ne se reporte souvent sur k<br />

désoktiou oè j'ai <strong>la</strong>issé chez mol une épouse et une ille<br />

également chères, également frappées <strong>de</strong> mes dangers ; un<br />

i<strong>la</strong> encore enfant, que Rome semble porter dans son sein,<br />

comme un garant <strong>de</strong> ce que M doit mon consu<strong>la</strong>t ; que mes<br />

jeux m m tournent sur in gendre qui, dans cette assem-<br />

271<br />

bêée, attend, ainsi que TOUS, avec taqaiéto<strong>de</strong>î réfénement<br />

<strong>de</strong> cette journée : je suis touché <strong>de</strong> leur sJtnation et <strong>de</strong> leur<br />

sensibilité, je l'avoue; mais c'est une raison <strong>de</strong> ptita peur<br />

que j'aime mieux les sauver tous avec irons, même quand<br />

je <strong>de</strong>vrais périr, que <strong>de</strong> les voir enveloppés avec vous dans<br />

une même raine. En effet, pères conscrits, regar<strong>de</strong>z forage<br />

qui vous menace, si fous ne le prévenez. Il ne s'agit point<br />

ici d'un Tlbérlus Gracchus, qui ne vou<strong>la</strong>it qu'obtenir nu<br />

second tribtmat ; d'un Caius ; qui ameutait dans les comices<br />

les tribus rustiques; d f un SMurnJnns, qui n'était coupable<br />

que <strong>du</strong> meurtre d'un seul citoyen s <strong>de</strong> Memmius : vous avez<br />

à juger ceux qui ne sont restés dans Rome que pour Fin*<br />

cendier, pour y recevoir Catilina, pour vous égorger tons.<br />

Yous avez dans vos mains leurs lettres, leurs signatures v<br />

leur aveu. Ils ont voulu soulever les AEobrefea, armer tes<br />

esc<strong>la</strong>ves, intro<strong>du</strong>ire Catilina dans nos murs. En un mot,<br />

leur <strong>de</strong>ssein était qu'après nous avoir <strong>la</strong>it périr tous, §1 ne<br />

restât pas un seul citoyen qui pût pleurer sur les débris<br />

<strong>de</strong> l'État. YoUà ce qui est prouvé, ce qui est avoué; Telle<br />

sur quoi, pères conscrits, vous avez déjà prononcé vousmêmes.<br />

Et que folsies-veus, en effet, quand vous avez<br />

porté en ma faveur un décret d'actions <strong>de</strong> grâces pour avoir<br />

découvert et prévenu une conspiration <strong>de</strong> scélérats armés<br />

contre k patrie ; quand vous avez forcé Lentulus à te <strong>de</strong>meure<br />

<strong>de</strong> k préture; quand vous l'avez mis en prison loi<br />

et ses complices ; quand vous avez ordonné nue suppiiea*<br />

Uon aux dieux » honneur qui, jusqu'à moi, n'a jamais été<br />

accordé qu'aux généraux vainqueurs; enfin quand vous<br />

avez honoré <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s récompenses k fidélité <strong>de</strong>s<br />

AUobroges? Tous ces actes si solennels, si multipliés, ne<br />

sont-ils pas k condamnation êm conjurés? Cependant,<br />

puisque f ai cru <strong>de</strong>voir mettre Maire en délibération <strong>de</strong>vant<br />

vous, puisqu'il g 9 agit <strong>de</strong> statuer sur k peine <strong>du</strong>e aux<br />

coupables, Je vais vous dire, avant fout, ce qu'un consul<br />

ne doit pas vous <strong>la</strong>isser ignorer. Je savais bien qu'il régnait<br />

dans tes esprits une sorte <strong>de</strong> vertige et <strong>de</strong> fureur, que Fon<br />

cherchait à exciter <strong>de</strong>s troubles, que Fon avait <strong>de</strong> pernicieux<br />

<strong>de</strong>sseins*; mais je n'avais jamais cru f je l'avoue, que<br />

<strong>de</strong>s citoyens romains pussent former <strong>de</strong> si abominables<br />

complots. Si vous croyez que peu d'hommes y aient trempé,<br />

pères conscrits f vous vous trompez : le mal est plus éten<strong>du</strong><br />

que vous ne le croyez. H a non-seulement gagné l'Italie, il<br />

a passé les Alpes; il s'est glissé sour<strong>de</strong>ment dans les provinces,<br />

tes lenteurs et les dé<strong>la</strong>is ne peuvent que Paecroltre ;<br />

vous ne sauriez trop tôt l'étouffer; et, quelque parti que<br />

vous choisissiez, vous n'avez pas un moment à perdre : 1<br />

faut prendre votre résolution avant k nuit. » (rv, I -3.)<br />

Il discute en cet endroit l'avis <strong>de</strong> Si<strong>la</strong>nus et celui<br />

<strong>de</strong> César, toujours avec les plus grands ménagements<br />

pour ce <strong>de</strong>rnier. 11 a même l'adresse <strong>de</strong><br />

faire sentir qui! ne faut pas croire que son avis ait<br />

été dicté par une in<strong>du</strong>lgence criminelle. Il entre<br />

habilement dans <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong> César, qui9 ne vou<strong>la</strong>nt<br />

ps avoir l'air d'épargner les conjurés, avait<br />

paru regar<strong>de</strong>r <strong>la</strong> captivité perpétuelle comme une<br />

peine beaucoup plus sévère que <strong>la</strong> mort, qui s'est<br />

que <strong>la</strong> Un <strong>de</strong> tous les maui. If appuie sur eett*


27i<br />

idée, et n'insista sur <strong>la</strong> peine <strong>de</strong> mort que pan»<br />

que les eireonataiiees et l'inftéiét lie l'État <strong>la</strong> ren<strong>de</strong>nt<br />

nécessaire. Après ee détail , il semble prendre<br />

<strong>de</strong> nouvelles forces pour donner an sénat tout le<br />

courage dont il est lui-même animé; et cette <strong>de</strong>rnière<br />

partie <strong>de</strong> son dis<strong>cours</strong> inspire cet intérêt mêlé<br />

d'admiration, qui est un <strong>de</strong>s plus beatti effets <strong>de</strong><br />

l'éloquence. _<br />

coms DE LITTéIIATOBB.<br />

« Je ne dots pas vous dissimuler m que J'entends tous<br />

les jours ; <strong>de</strong> tous cotés viennent à mes oreilles les dis<strong>cours</strong><br />

d@ ceux qui semblent craindre que je n'aie pas assez <strong>de</strong><br />

moyens , asseï <strong>de</strong> force pour exécuter ce que vous aves<br />

résolu, fie irons y trompes pas, pètes conscrits ; tout est<br />

préparé, test est prévu, tout est assuré, et par mes soins<br />

et ma vigi<strong>la</strong>nce, et plus encore par le ièl# <strong>du</strong> .peuple romain,<br />

qui veut conserver son empire, ses biens et sa liberté.<br />

. Tous ans pour TOUS tous les ordres <strong>de</strong> FÉtat ; <strong>de</strong>s<br />

citoyens <strong>de</strong> toel âge ont rempli <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce publique et les temples<br />

; et occupent tontes les siennes qui «sa<strong>du</strong>iseot an lien<br />

<strong>de</strong> cette assemblée. C'est qu'en effet cette cause est <strong>la</strong> première<br />

, <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> fondation <strong>de</strong> Rome f on tous les citoyens<br />

n'aient en qu'un même sentiment, qu*un même intérêt,<br />

excepté ceux qui, trop sors <strong>du</strong> sort que leur réservent les<br />

lois, aimeiit mieux tomber avec <strong>la</strong> république que <strong>de</strong> périr<br />

souk. Je les excepte volontiers, je les sépare <strong>de</strong> nous ; ce<br />

ae sont pas nos concitoyens, ee sont nos plus mortels ennemis.<br />

Mais tons les astres, gmaès dieux I avec quelle ar<strong>de</strong>ur,<br />

siée quel courage, afec quelle afiliience ils se présentent<br />

pour assurer <strong>la</strong> dignité et <strong>la</strong> salut <strong>de</strong> tousl Vous<br />

parlerai-je <strong>de</strong>s cfee?allers romains, qui, vous cédant le premier<br />

rang dans l'État f ne disputent avec fous que <strong>de</strong> zèle<br />

et d'amour pour <strong>la</strong> patrie r Après tes longs débats qui tous<br />

ont divisés, ce jour <strong>de</strong> danger, <strong>la</strong> cause commune, TOUS les<br />

a tons attachés ; et j f ose TOUS répondre que toutes les parties<br />

<strong>de</strong> l'administration pnMique nedoffent pus redouter<br />

aucune atteinte ; si cette union établie pendant mon consu<strong>la</strong>t<br />

peut être à jamais affermie. Je vois ici parmi tons, je<br />

vois, remplis <strong>du</strong> même sèle, les tribuns <strong>de</strong> l'épargne, ces<br />

dignes citoyens qui, dans ce même jour, pour concourir à<br />

<strong>la</strong> défense générale, ont quitté les fonctions qui les appe<strong>la</strong>ient,<br />

ont renoncé au profit <strong>de</strong> leurs charges, et sacrifié<br />

tout antre intérêt à celui qui nous rassemble. Et quel est,<br />

en effet, le Bomam à qui l'aspect <strong>de</strong> ]a patrie et le jour <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> liberté ne soient <strong>de</strong>s biens chers et précieux f N'oublies<br />

pas dans ce nombre les affranchis, ces hommes qui, par<br />

leurs travaux et Senr mérite, se sont ren<strong>du</strong>s dignes <strong>de</strong> partager<br />

f os droits , et dont Rome est <strong>de</strong>venue U mère, tandis<br />

que set enfants les plus illustres par leur nom et leur naissance<br />

ont voulu l'anéantir. Mais quedis-je, <strong>de</strong>s affranchis ?<br />

il n'y a pas même un esc<strong>la</strong>ve, pour peu que son maître lui<br />

ren<strong>de</strong> <strong>la</strong> servitu<strong>de</strong> supportable, qui n'ait les conjurés en<br />

horreur, cfui ne désire que <strong>la</strong> république subsiste, et qui<br />

ne soit prêt à y contribuer <strong>de</strong> tout son pouvoir. M'ayez donc<br />

•naine Inquiétu<strong>de</strong> 9 pères conscrits, <strong>de</strong> ce que TOUS êtes<br />

enten<strong>du</strong> dire qu'un agent <strong>de</strong> LentuJus cherchait à soulever<br />

les artisans et Je petit peuple. 11 fa tenté, il est vrai, mais<br />

vainement; il m s'en est pas trente nu seul assez dénué<br />

<strong>de</strong> nssourees, nu assez <strong>de</strong>prtfidê caractère, pour ne pas<br />

désirer <strong>de</strong> jouir trampiSanient <strong>du</strong> fruit <strong>de</strong> son traiai Journalier,<br />

<strong>de</strong> sa <strong>de</strong>meura et <strong>de</strong> son lit Toute cette cassée<br />

dilemmes ne peut même fon<strong>de</strong>r sa subsistance que ssr <strong>la</strong><br />

tranquillité publique. Leur pin diminue quand les ateliers<br />

sont fermés : que serait-ce s'ils étaient embrasés ? Me craignez<br />

donc pas que le peuple romain voas manque : craignes<br />

•ous-mêmes<strong>de</strong> manquer au peuple romain. Tous s?ei un<br />

consul que les dieux, en ramenant aux embûches et à <strong>la</strong><br />

mort , n'ont pas conservé pour M-mêtne, mais pour TOUS.<br />

La pétrie commune, menacée <strong>de</strong>s g<strong>la</strong>tfeset <strong>de</strong>s fiiiiibeaux<br />

par une conjuration tapie y •eus tend <strong>de</strong>s mains supp<strong>la</strong>ntes<br />

; elle ions recomman<strong>de</strong> le Capitole, les feui étemels<br />

<strong>de</strong> Veste, garants <strong>de</strong> b <strong>du</strong>rée <strong>de</strong> cet empire; elle fous recomman<strong>de</strong><br />

ses murs, ses dieux, ses habitants. Enfin, c'est<br />

sur antre propre, vie, sur celle <strong>de</strong> vos femmes et <strong>de</strong> vos<br />

enfants, sur ans biens, sur <strong>la</strong> conservation <strong>de</strong> vos foyers t<br />

que anns avex à prononcer aujourd'hui Songe* combien I<br />

s'en est peu fallu qm cet édifice dé <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur romaine 9<br />

fondé par tant <strong>de</strong> tmenaïs éfnaé si haut par les dieux,<br />

n'ait été renversé dans urne nuit. C'est à •eus <strong>de</strong> pour?oir<br />

à ce que désormais un semb<strong>la</strong>ble attentat ne paisse, je no<br />

dis pas être commis, mais même être médité. Si je TOUS<br />

parie ainsi, pères conscrits, ce n'est pas pour exciter antee<br />

lèle, qui as sans doute au-<strong>de</strong>vant <strong>du</strong> mien ; c'est afin<br />

que ma voix, qui doit être <strong>la</strong> première enten<strong>du</strong>e, s'acquitte<br />

en votre présence <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong> votre consul. Je s'ignore<br />

pas que je me fais autant d f ennemis imp<strong>la</strong>cables qu'il existe<br />

<strong>de</strong> conjurés, et TOUS savez quel en est le nombre ; mais Us<br />

sont fous, à mes yeux, vus, feiWee et abjects ; et, quand<br />

même il arri?erait qu 9 un jour leur fureur, excitée et soutenue<br />

par quelque ennemi plus puissant f prévalut contre<br />

moi sur aee droits et sur ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> république, jamais je<br />

ne me repentirai <strong>de</strong> mes actions ni <strong>de</strong> mes paroles. La mortv<br />

dont ils me menacent, est réservée à tous les hommes ;<br />

mais <strong>la</strong> gloire dont vos décrets m'ont couvert n*a été réservée<br />

qu'à moi. Les autres ont été honorés pour avoir servi<br />

<strong>la</strong> patrie; mais vos décrets n 9 ont attribué qu'à moi seul<br />

l'honneur <strong>de</strong> l'avoir sauvée. Qu'Us soient à jamais célèbres<br />

dans vos fastes, ce Sciplnn qui arracha l'Italie <strong>de</strong>s mains<br />

d'Annibal ; cet autre Seipioi qui renversa Car tirage et Wumasce,<br />

les <strong>de</strong>ux plus craeBes ennemies efe Rouie ; ce Paqj<br />

Emile, dont un roi puissant suivit le char <strong>de</strong> triomphe ; ce<br />

Marins, qui délivra l'Italie <strong>de</strong>s Cfanbres et <strong>de</strong>s Teutons;<br />

que Fou mette au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tout Su grand Pompée, dont<br />

tes expioits's'ont es d'autres bornes que celles do mon<strong>de</strong> y<br />

il restera encore une p<strong>la</strong>ce assea honorable à celui qui a<br />

conservé aux vainqueurs <strong>de</strong>s nations sue patrie où ils puissent<br />

venir triompher. Je sais que <strong>la</strong> victoire étrangère a<br />

cet avantage sur <strong>la</strong> victoire domestique, qne, dans Tune,<br />

tes vaincus <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s sujets soumis on <strong>de</strong>s alliés fidèles;<br />

dans fsntne, ceux qu'une fureur insensée a ren<strong>du</strong>s<br />

ennemis <strong>de</strong> l'État ne peuvent, quand vous les av« ecinôchés<br />

<strong>de</strong> nuire, être réprimés par les armes ni fiéchispar Ins<br />

bienfaits. Je m'attends donc à une guerre éternelle avec<br />

les méchants. Je <strong>la</strong> soutiendrai avec le se<strong>cours</strong> <strong>de</strong> tous les<br />

bons citoyens; et j'espère que <strong>la</strong> rétinien <strong>du</strong> sénat et <strong>de</strong>s<br />

chevaliers sera , dans Sous les temps, une barrière qu'aucun<br />

effort ne pourra renverser.


AUCUNS. — ÉLOQUENCE.<br />

« Matstenaiit, pères itenrltty tout ce que Je vous èèmÊmèBmiéwm$mmêêmqMfÊàmulÊêpMrr®m,êm<br />

sjeaferaeraeet ^aaapreafsceat <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>ment d'âne<br />

armée aè f» mMMieé peur veiSer I Sa sftreté <strong>de</strong> l'État, <strong>de</strong><br />

te» les hôwmmm el <strong>de</strong> tuas les avantages que j'ai négligés<br />

peur ce seul motif, <strong>de</strong> teus lee soins que j'ai pis, <strong>de</strong><br />

tait fefaréeae <strong>de</strong>nt je me suis chargé; tout eeejae je TOUS<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>, c'est <strong>de</strong> pr<strong>de</strong>r. » souvenir idèSe <strong>de</strong> nu» consu<strong>la</strong>t.<br />

€e souvenir, tant «pli sert prétest à votre esprit,<br />

•en le pins ferme rempart que je puisse opposer à le lieiiie<br />

et à renvie. SI'mes esfértaces test trompées, el les méctiasts<br />

remportait, je Teus rerommiii<strong>de</strong> l'enfance <strong>de</strong> mes<br />

ils; et je averti riei I craindre peur lui ; rien ne doit manquer<br />

in jour ni à sa sÉreté ni même à sa itpaté, si ?oai<br />

aeas mmmmm qu'il est Se ils d'en homme qui, à ses propres<br />

périls 9 ¥11118 a garantis <strong>de</strong> ceux qui fées menaçaient.<br />

« Ce qui Teus teste à lira en ce moment, c'est <strong>de</strong> statuer<br />

a?ee promptitu<strong>de</strong> et fermeté sur <strong>la</strong> casse <strong>de</strong> Rome et <strong>de</strong><br />

F empira; et, quoi qee vous palsafee déri<strong>de</strong>r, eroyei que<br />

le «anal! saur» maintenir votre aetorité, faire respecter<br />

vos décrets, et es assurer Feeéetitlea. » (r?f 7-11.)<br />

Cest avec ee <strong>la</strong>ngage qu'on intimi<strong>de</strong> les méchants<br />

, qu'on rassure les faibles $ qu'os encourage<br />

les bons; es os mot, que l'âme d'un seul homme<br />

défient celle <strong>de</strong> toute ose assemblée 9 <strong>de</strong> faut un<br />

peuple. La sentence <strong>de</strong> mort fat prononcée d'une<br />

fou presque unanime, et exécutée sur-le-champ.<br />

CIcéw», ne moment après, trou?a les partisans,<br />

les amis 9 les parents dos conjurés 9 encore attroupés<br />

dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce publique : ils ignoraient le sort <strong>de</strong>s<br />

coupables, et n'afaient pas pria toute espérance.<br />

HM ont vécu, leur dit te consul, en se tournant<br />

ters eux ; et ce seul motfutnra coup <strong>de</strong> foudre qui<br />

les dissipa tous en un instant. 11 était nuit : Cicéron<br />

fut recon<strong>du</strong>it chez lui aux acc<strong>la</strong>mations <strong>de</strong> tout le<br />

peuple, et sa<strong>la</strong>i <strong>de</strong>s principaux <strong>du</strong> sénat. On p<strong>la</strong>çait<br />

<strong>de</strong>s <strong>la</strong>mbeaux aux portes <strong>de</strong>s maisons pour éc<strong>la</strong>irer<br />

sa marche. Les femmes étaient aux fenêtres<br />

pour te ?©ïr passer , et le <strong>mont</strong>raient à leurs enfants.<br />

Quelque temps après, Caton <strong>de</strong>vant le peuple, et<br />

Catulus dans le sénat, lui décernèrent le nom <strong>de</strong><br />

fera <strong>de</strong> îa partie, titre si glorieux, que dans <strong>la</strong><br />

suite <strong>la</strong> <strong>la</strong>iterie l'attacha à <strong>la</strong> dignité impériale,<br />

mais que Rome libre, dit heureusement Juvénal,<br />

m'a domié qu'au seul Cicéron.<br />

Berna fëàmm jMfrw VkmwMM Mèem ëMi,<br />

(Juwt.)<br />

Tous ces Mis sont si connus f nous sont si fatniMen,<br />

dès nos premières étu<strong>de</strong>s, que Je ne les<br />

aurais pas même rappelés, s'ils ne faisaient une<br />

partie nécessaire <strong>de</strong> l'objet qui nous occupe 9 et <strong>de</strong>s<br />

ouvrages que nous considérons; affairée m'y réfuter<br />

d'autant moins, qu'il est plus doux v en faisant<br />

l'histoire <strong>du</strong> génie, <strong>de</strong> faire en même temps celle<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu.<br />

i?f<br />

mmm v.~-lies atitim Hantai<br />

Bans le temps même oà les dangers <strong>de</strong> <strong>la</strong> république<br />

occupaient tous les moments, toutes les pensées<br />

<strong>de</strong> Cicéron ; lorsque, après avoir forcé Catilina<br />

<strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> Rome, il observait tous les pas <strong>de</strong>s<br />

conjurés, et cherchait I s'assurer àm preuves <strong>du</strong><br />

crime, il se chargea dans les tribunaux d'une affaira<br />

très-importante, et dont le succès intéressait à <strong>la</strong><br />

fois son amitié, son éloquence, et sa politique. On<br />

aurait peine à conce?oir comment chez lui les soins<br />

<strong>de</strong> l'administration <strong>la</strong>issaient p<strong>la</strong>ce encore aux affaires<br />

<strong>du</strong> barreau, comment, parmi tant <strong>de</strong> fatigues qui<br />

lui permettaient à peine quelques heures <strong>de</strong>sommeil,<br />

le consul eût encore le loisir d'être avocat, et <strong>de</strong><br />

composer un p<strong>la</strong>idoyer aussi bien travaillé que celui<br />

dont je vais prier, si Ton ne savait quelle prodigieuse<br />

facilité <strong>de</strong> travail il tenait <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature et <strong>de</strong><br />

l'habitu<strong>de</strong>, et ce que peut l'homme qui s'est accaitumé<br />

à faire un usage continuel <strong>de</strong> son temps et <strong>de</strong>son<br />

génie. D'ailleurs, le premier <strong>de</strong> tous les intérêts pour<br />

Cicéron, celui <strong>de</strong> l'État, l'appe<strong>la</strong>it à <strong>la</strong> défense <strong>de</strong><br />

Lieieius Muréna, désigné consul pour l'année suivante,<br />

mais alors accusé <strong>de</strong> brigue, et à qui une condamnation<br />

juridique pouvait faire perdre <strong>la</strong> dignité<br />

qu'il avait obtenue. C'était un citoyen plein d'honneur<br />

et <strong>de</strong> courage, qui avait servi avec <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong><br />

distinction sous Lucullus, et très-attaché à Cicéron<br />

et à <strong>la</strong> patrie. Dans le trouble et le désordre où<br />

étaient les affaires publiques, il était <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière<br />

importance que <strong>la</strong> bonne cause ne perdit pas un tel<br />

appui, que Muréna entrât en charge au jour marqué,<br />

et qu'on ne fil pas exposé aux dangers d'une<br />

nouvelle élection. Les circonstances rendaient si<br />

défense difficile et délicate. Cicéron lui-même, à <strong>la</strong><br />

prière <strong>de</strong> tous les honnêtes gens, révolté <strong>de</strong> <strong>la</strong> corruption<br />

qui régnait dans les comices, avait porté<br />

contre <strong>la</strong> brigue une loi plus sévère que les précé<strong>de</strong>ntes.<br />

Muréna avait pour accusateur un <strong>de</strong> ses<br />

compétiteurs au consu<strong>la</strong>t, Sulpleius, jurisconsulte<br />

renommé, et compté aussi parmi les amis <strong>de</strong> Cicéron.<br />

Mais ce qui donnait le plus <strong>de</strong> poids à l'accusa*<br />

tion 9 c'est qu'elle était soutenue par un homme dont<br />

le caractère était généralement respecté, par Caton<br />

, qui, daes ce même temps, était près d'obtenir<br />

le tribunat. Pressé <strong>de</strong> faire un exemple, il avait dit<br />

publiquement que Tannée ne se passerait pas sans<br />

qu'il accusât un consu<strong>la</strong>ire. On peut croire que l'excès<br />

<strong>de</strong> son -zèle mit un peu <strong>de</strong> précipitation et d'humeur<br />

dans 9m poursuites; car, au rapport <strong>de</strong>s historiens<br />

, Muréna, sans être absolument irréprocha-<br />

Msf n'était pas dans le cas <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi, et ne s'était<br />

permis que cette espèce <strong>de</strong> sollicitation passée in<br />

usage, m que-les pin honnêtes gens ne rougit»


280 COTES DE LITTEMTU1R ,.<br />

saieiît pas d'employer. Oa ne'pouvait M impoter<br />

aucune transgression formelle, et ee n'était pas<br />

l'exoiipple qt$l fal<strong>la</strong>it clioisir : aossi fut-Il absous par<br />

tous les suffrages. NOMS avons enten<strong>du</strong> l'orateur romain<br />

tonnant contre Verres et GalIIîaa avec toute<br />

<strong>la</strong> féhémence, tout le pathétique, tonte l'énergie<br />

<strong>de</strong> Téloqoence animée par <strong>la</strong> vertu et <strong>la</strong> patrie ; nous<br />

allons voir son talent et son style se plier à un ton<br />

tout différent. Nous passons ici <strong>du</strong> sublime au simpie,<br />

et nous verrons comme il saisit habilement<br />

tous les caractères propres à ce genre <strong>de</strong> composition<br />

oratoire, Fart <strong>de</strong> <strong>la</strong> discussion , le choix <strong>de</strong>s exemples<br />

, l'agrément <strong>de</strong>s tournuresf <strong>la</strong> finesse, <strong>la</strong> délicatesse<br />

9 et même <strong>la</strong> gaieté , celle <strong>du</strong> moins que <strong>la</strong> nature<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> cause peut comporter.<br />

Cicéron 9 après avoir établi f dans un eior<strong>de</strong> aussi<br />

.noble qu'intéressant , les rapports et les liaisons qui<br />

rattachent à Muréna; après avoir réfuté les imputations<br />

<strong>de</strong> Sulpicius 9 poursuit ainsi :<br />

« 11 est temps d'en venir m pins grand appui <strong>de</strong> nos adversaires<br />

9 à celui qu'un peut regar<strong>de</strong>r comme Se rempart<br />

<strong>de</strong> nos accusâtes» , à dates ; et quelque gravité t quelque<br />

force qu'il apporte dans cette cause, je crains beaucoup<br />

pliiSj je l'avoue, sas autorité que ses raisons. Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong>*<br />

rai d'abord que <strong>la</strong> dignité personnelle <strong>de</strong> Caton , l'espérance<br />

prochaine # tribunal, <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> sa vie, ne soient point<br />

<strong>de</strong>s armes contre nous, et que les avantages qu'il s'a reçus<br />

que pour être utile à tous ne servent pas à <strong>la</strong> perte d'un<br />

seul. Scipion l'Africain avait été <strong>de</strong>ux fois consul, avait<br />

renversé Carti<strong>la</strong>ge et Numanee, <strong>la</strong>s <strong>de</strong>ux terreurs <strong>de</strong> cet<br />

empire f quand II accusa Lucius Cette ; il avait pour lu! une<br />

gran<strong>de</strong> éloquence, une gran<strong>de</strong> réputation <strong>de</strong> probité et<br />

d'intégrité, une autorité teUe que <strong>de</strong>vait Fa?as? un homme<br />

à qui le peuple romain <strong>de</strong>vait <strong>la</strong> sienne. J'ai souvent oui<br />

dire à nos vieil<strong>la</strong>rds que rien n'avait tant servi Gotte auprès<br />

<strong>de</strong> ses juges, que cette prééminence même <strong>de</strong> Scipion. Ces<br />

hommes si sages ne voulurent pas qu'un citoyen succombât<br />

dans les tribunaux, <strong>de</strong> manière à faire croire qu 9 U<br />

avait été opprimé par l'excessive prépondérance <strong>de</strong> son<br />

accusateur. Me savons-nous pas aussi, Ca<strong>la</strong>s f que le jugement<br />

dépeuple romain sauva Sergius Galba <strong>de</strong>s poursuites<br />

d'un <strong>de</strong> vos ancêtres, citoyen très-courageux et trèsconsidéré,<br />

mais qui semb<strong>la</strong>it trop s'acharner à <strong>la</strong> perte <strong>de</strong> '<br />

son adversaire? Toujours, dans cette filet le peuple en<br />

corps, et en particulier les juges éc<strong>la</strong>irés et qui regar<strong>de</strong>nt<br />

dans Favenir, ont résisté aux trop gran<strong>de</strong>s forces <strong>de</strong> ceux<br />

qui accusaient. Je ne veux point qu'un accusateur fasse<br />

sentir dans les tribunaux une supériorité trop marquée,<br />

trop <strong>de</strong> pouvoir, trop <strong>de</strong> crédit : employez tous ces avantages<br />

pour le saisi <strong>de</strong>s innocents, pour le soutien <strong>de</strong>s faibles,<br />

pour <strong>la</strong> défense <strong>de</strong>s malheureux, oui; mais pour le<br />

péril et <strong>la</strong> raine <strong>de</strong>s citoyens, jamais. Qu'os ne vienne donc<br />

point nous dire qu'en se présentant ici contra Muréna, Catona<br />

jugé <strong>la</strong> cause ; ee serait poser un principe troplnju8te9<br />

et faire aux accusés une condition trop <strong>du</strong>re et trop mal»<br />

heureuse, si fapiaiaii <strong>de</strong> leur accusateur était regardée i<br />

1 comme leur antenee. Four mai, €aton,le cas singulier<br />

qae je <strong>la</strong>is <strong>de</strong> votre vertu ne me permet pas <strong>de</strong> blâmer<br />

votre con<strong>du</strong>ite et vos démarches en cette occasion : mais<br />

peut-être puis-je y trouver quelque chose à réformer. Vous<br />

ne commettes point <strong>de</strong> fautes, et l'on ne peut pas dire <strong>de</strong><br />

vous que TOUS avez besoin d'être corrigé, mais seulement<br />

fssl y a quelque chose en vous qui peut être adouci et<br />

tempéré. La nature eUe-même vous a formé pour l'honnêteté,<br />

b gravité, <strong>la</strong> tempérance ,1a justice, <strong>la</strong> fermeté d'âme.<br />

Elle vous a fait grand dans toutes les vertus ; mais vous y<br />

avez tyouté <strong>de</strong>s principes <strong>de</strong>. philosophie où l'on voudrait<br />

plus <strong>de</strong> modération9 pins <strong>de</strong> douceur ; qui sont enfin, pour<br />

<strong>du</strong>e ce que j'en pense, plus sévères et plus rigoureux que<br />

<strong>la</strong> nature et <strong>la</strong> vérité ne le comportent. Et puisque je ne<br />

parie pas ici <strong>de</strong>vant une multitu<strong>de</strong> ignorante, vous me permettrez,<br />

juges, quelques réflexions sur ce genre d'étu<strong>de</strong>s<br />

philosophiques, qui, par .lui-même, n'est éloigné si <strong>de</strong><br />

votre goût ni do mien.<br />

* Sachez donc que tout ce quêtions voyons dans Catoa<br />

d'excellent, <strong>de</strong> divin t est à lui, lui appartient en propre;<br />

au contraire, ce qui nous <strong>la</strong>isse quelque chose à désirer<br />

n'est pas <strong>de</strong> lui, mais <strong>du</strong> maître qu'il a choisi, <strong>de</strong>là secte<br />

qu'il a embrassée. Il y a parmi les Grecs un homme <strong>de</strong><br />

grand esprit, Zenon, dont les sectateurs s'appellent Stoî.<br />

ciens. Voici quelques-uns <strong>de</strong> leurs principes : Que le sage<br />

n*a point d'égard pour quelque Utre <strong>de</strong> faveur que ce soit ;<br />

qu'il ne pardonne jamais aucune faute; que <strong>la</strong> compassion<br />

et l'in<strong>du</strong>lgence ne sont que légèreté et folie; quH n'est<br />

point digne d'un homme <strong>de</strong> se <strong>la</strong>isser toucher ni fléchir;<br />

que le sage, même s'il est contrefait, est le plus beau <strong>de</strong>s<br />

hommes; le plus riche, même en <strong>de</strong>mandant l'aumône;<br />

roi, même dans l'esc<strong>la</strong>vage ; et que nous tous, qui ne sommes<br />

pas <strong>de</strong>s sages, nous ne sommes que <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves et<br />

<strong>de</strong>s insensés; que toutes les fautes sont égales; que tout<br />

délit est un crime; que celui qui tue un poulet, quand II<br />

n'en a pas le droit, est aussi coupable que celui qui étrangle<br />

son père; que le sage ne se repent jamais, ne se trompe<br />

jamais, ne change jamais d'avis.<br />

* Taftaa sont les maximes que Catas , dont vous cou*<br />

naisses Fesprit et Ses lumières , a puisées étants <strong>de</strong> très-savants<br />

auteurs, et qu'il s'est appropriées, non pas, comme<br />

tant d ? autresf pour en faire un sujet <strong>de</strong> controverse, mais<br />

pour en faire <strong>la</strong> règle <strong>de</strong> sa vie. Les fermiers <strong>de</strong> <strong>la</strong> république<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt .quelque remise :—Prenez gar<strong>de</strong>, dit Catoa,<br />

n'accor<strong>de</strong>z rien à <strong>la</strong> faveur. — Des malheureux supplient<br />

: — C'est un crime d'écouter <strong>la</strong> compassion. — Ua<br />

homme avoue qu'il a commis une faste 9 et <strong>de</strong>man<strong>de</strong> grâce :<br />

— C'est se rendre coupable que <strong>de</strong> pardonner. — Mais <strong>la</strong><br />

faute est légère : — Toutes les fautes sont égales. .-— Ave»<br />

vous dit quelque chose sans réflexion , il ne vous est plus<br />

permis d'en revenir. — Mais j'ai été entraîné par l'opinion<br />

: — Le sage ne connaît que <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong> 9 et estletneaf<br />

l'opinion. — Vous vous êtes trompé involontairement sir<br />

an fait : — Ce n'est point une erreur; c'est un mensonge,<br />

une calomnie. De là une con<strong>du</strong>ite parfaitement conforme à<br />

cette doctrine. Pourquoi Cataa est-il ici accusateur? C'est<br />

qu'il a dit dans le sénat qu'il accuserait un consu<strong>la</strong>ire.--<br />

Mais vous Favez dit dans <strong>la</strong> colère ; — Le sage ne se met


point en Colère. — Mais efet on propos, ém moment, qsi<br />

m TOUS engageait à rien : — Le sage ne peut, sans limite,<br />

changer d'avis. II ne peut, sans crime, se <strong>la</strong>isser fléchir ;<br />

futile compassion est une faiblesse, tonte in<strong>du</strong>lgence un<br />

forfait.<br />

« Et moi aiissi9 dans ma première jeunesse ; me défiant<br />

<strong>de</strong> mes propres lumières, fti recherché, comme Citée ,<br />

celles <strong>de</strong>s philosophes; mais tes maîtres que fai suivis,<br />

P<strong>la</strong>ton et Aristote , ont <strong>de</strong>s principes différents. Leurs disetpSea<br />

9 hommes mesurés dans leura opinions , pensent que<br />

Se sap même peut accor<strong>de</strong>r quelque chose au ciraons»<br />

tances, as*, considérations particulières; que l'homme <strong>de</strong><br />

bien peut cé<strong>de</strong>r à Sa pitié; qu'il y a <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés dans tes<br />

délits et dans les peines ; que <strong>la</strong> f erte et <strong>la</strong> fermeté peu*<br />

vent faire grâce; qne le sage loi-même peut être quelque*<br />

fais entraîné par l'opinion ; emporté par <strong>la</strong> colère , touché<br />

par <strong>la</strong> compassion ; qu'il peut sans honte revenir, sur ce<br />

qui! a dit, et changer d'avis, s'il en trouve un meilleur ;<br />

qu'enfin toutes les vertus ont besoin <strong>de</strong> mesure, et doivent<br />

craindre l'excès.<br />

* Si, avec le caractère que f eos ares 9 Caton, le hasard<br />

vous eût adressé aux mêmes maîtres que moi, vous se<br />

seriez pas plus homme <strong>de</strong> bien , plus eourageui, plus<br />

leetpérant, plus juste : ce<strong>la</strong> ne se peut pas ; mais vous<br />

sortez un peu plus enclin à <strong>la</strong> douceur ; TOUS ne TOUS seriez<br />

pas ren<strong>du</strong> gratuitement l'agresseur et l'ennemi d'un<br />

homme plein <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>stie dans ses moeurs, plein d'honneur<br />

et <strong>de</strong> noblesse dans ses sentiments. Yous auriez<br />

pensé que, <strong>la</strong> fortune vous ayant tous les <strong>de</strong>ux préposés<br />

dans le même temps à <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> république, lui,<br />

comme consul, et vous, comme tribun, il <strong>de</strong>vait y avoir<br />

entre vous une sorte <strong>de</strong> liaison patriotique. Yous auriez<br />

supprimé, vous auriez oublié ce que vous avez dit dans<br />

le sénat avec trop <strong>de</strong> violence, ou vous auriez vous-même<br />

tiré <strong>de</strong> vos paroles une conséquence moins rigoureuse.<br />

Croyez-moi, vous êtes maintenant dans le feu <strong>de</strong> l'âge,<br />

dans toute l'ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> votre caractère, dans tout Fenthousjasine<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> doctrine que vous avez adoptée; mais<br />

le temps, l'usage, r@ipérience, doivent sans doute quelque<br />

jour vous calmer, vous modérer, vous fléchir. En<br />

effet, ces légis<strong>la</strong>teurs <strong>de</strong> vertu, ces précepteurs que vous<br />

avez suivis, ont porté, ce me semble, les <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong><br />

l'homme au <strong>de</strong>là <strong>de</strong>s bornes <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature. Mous ponvons<br />

en spécu<strong>la</strong>tion aller aussi loin qu'il nous p<strong>la</strong>ît, nous élever<br />

jusqu'à l'infini; mais dans <strong>la</strong> pratique, dans <strong>la</strong> réalité, Il<br />

est nu terme où il faut s'arrêter. Ne pardonnez ries, nous<br />

dit-on. — Et moi, je réponds : Pardonnes quand il y a<br />

heu à l'in<strong>du</strong>lgence. — N'écoutez aucune considération par*<br />

sonnelle : — Et je dis qu'il ne faut y avoir égard qu'autant<br />

que le <strong>de</strong>voir et l'équité le permettent — Ne vous <strong>la</strong>issez<br />

pas émouvoir à compassion : — Jamais sans doute au<br />

point d'affaiblir l'autorité <strong>de</strong>s lois, mais autant qne le<br />

prescrit <strong>la</strong> première <strong>de</strong> toutes, l'humanité. — Soyez fermes<br />

dans vos sentiments : — Oui f si l'on ne vous en propose<br />

pas <strong>de</strong> meilleurs. Ainsi par<strong>la</strong>it ce grand Seipion, qui<br />

eut,comme vous, Caton, <strong>la</strong> réputation d'un homme trèsinstruit,<br />

d'an homme presque divin dans Sa discipline ,<br />

domestique t mais que ta philosophie dont il faisait pesa<br />

•AUCUNS. — ÉLOQUENCE.<br />

2S1<br />

fessioa, puisée dans les mêmes mmmm qne <strong>la</strong> vôtre, n'avait<br />

point rendn plus sévère qu'il ne fint rétoe, et qui,<br />

an contraire, a toujours passé -pour te pins doux <strong>de</strong> tous<br />

les hommes. Lélius avait pris ces mêmes leçons : eh I qui<br />

jamais a en plus d'aménité dans ses mœurs, et a ren<strong>du</strong> <strong>la</strong><br />

sagesse plus aimable? J'en puis dire autant <strong>de</strong> GaUus, <strong>de</strong><br />

Philippe; mais j'aime mieux prendre <strong>de</strong>s exemples dans<br />

votre maison. Qui <strong>de</strong> nous n'a pas enten<strong>du</strong> parler <strong>de</strong> Caton<br />

Se censeur, l'on <strong>de</strong> vos plus illustres aïeux? et qui<br />

jamais a été plus mesuré dans sa con<strong>du</strong>ite et dans ses<br />

principes y pins trsjtable, plus facile dans le commerce <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> vie ? Quand vous l'ave* loué dans votre p<strong>la</strong>idoyer avec<br />

autant <strong>de</strong> justice que <strong>de</strong> dignité, vous Favei cité êomme<br />

un modèle domestique qne vous vous proposiez d'imiter.<br />

Les liens <strong>du</strong> sang, les rapports <strong>de</strong> caractère, vous y-inforisent,<br />

il est vrai, plus qu'aucun <strong>de</strong> nous; mais pourtant<br />

je Se regar<strong>de</strong> comme un exemple pour moi autant que<br />

pour vous-même; et si vous pouviez aussi à votre sévérité<br />

naturelle mêler un peu <strong>de</strong> sa facilité et <strong>de</strong> sa douceur,<br />

toutes les qualités qne vous possé<strong>de</strong>z n'en seraient pas<br />

meilleures, mais en <strong>de</strong>viendraient plus aimables.<br />

« Ainsi, pour en revenir à ce que j'ai dit d'abord, que<br />

Fon écarte <strong>de</strong> cette cause le nom <strong>de</strong> Caton ; que Fou mette<br />

I part son autorité, qui doit être nulle dans un jugeaient<br />

légal, on Savoir <strong>de</strong> crédit qne pour faire le bien ; que Fon<br />

nous attaque par <strong>de</strong>s faite, Que voulez^vons, Caton? que<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>z-vous? sur quoi porte votre accusation? Yous<br />

vous élevez contre <strong>la</strong> brigue : je ne <strong>la</strong> défends pas. Yous<br />

me reprochez <strong>de</strong> justifier dans les tribunaux ce que j'ai<br />

proscrit par mes lois : j'ai proscrit <strong>la</strong> brigue, et je défends<br />

l'innocence, ffaccuses-vous que le crime? Je me joins à<br />

vous. Prouvez que Muréna l'a commis, et j'avouerai que<br />

mes propres lois le condamnent, » {«•ni — xxxn.)<br />

Ce seul morceau, parmi tant d'autres, suffirait<br />

pour nous faire seatîr toute <strong>la</strong> flexibilité <strong>du</strong> talent<br />

<strong>de</strong> Cieéros. 11 était nécessaire d'écarter <strong>de</strong>là ba<strong>la</strong>nce<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> justice ce poids que pouvait y mettre un nom<br />

tel que celui <strong>de</strong> Catoii. Il ose employer contre lui<br />

le ridicule; mais, pour pu qu'il s'eût pas su eu<br />

émousser <strong>la</strong> pointe! os n'aurait pas souffert qu'il<br />

s'en servit contre un homme si révéré. La cause <strong>de</strong><br />

Caton serait <strong>de</strong>venue celle <strong>de</strong> tous les honnêtes gens,<br />

et même <strong>de</strong> ceux qui ne Tétaient pas ; car, lorsque<br />

<strong>la</strong> vertu est généralement reconnue, ceux mêmes<br />

qui ne l'aiment point veulent qu'on <strong>la</strong> respecte;*<br />

c'est tia hommage qui coûte peu et qui n'engage i<br />

rien. Avec quelle habileté, avec quelle adresse, il<br />

sépare <strong>la</strong> personne <strong>de</strong> .Caton <strong>de</strong> sa doctrine I Gomme<br />

il se joue doucement <strong>de</strong> Fune sans affaiblir en rien<br />

<strong>la</strong> vénération que l'on doit à l'autre! Ses traits, en<br />

tombant sur le stoïcisme <strong>de</strong> Caton, ne vont jamais<br />

jnsqu'àloi; c'est en le comb<strong>la</strong>nt d'éloges qu'il lui ôte,<br />

sans qu'on s'en aperçoive, toute l'autorité <strong>de</strong> son<br />

opinion; car, dès qu'une fois il est parvenu à faire<br />

rire sans le blesser, sa gra?ifé n'i plus <strong>de</strong> pouvoir s


C0UBS DE IARÉBATOIE.<br />

il n'y » pan <strong>de</strong> .pto# pour elle. Aussi lui-même ne<br />

put <strong>la</strong> parier : il ne put s'empêcher ie sourire au<br />

portrait ipe trace Cieéroa <strong>du</strong> rigorisme stolque;<br />

et j moitié riant, moitié grondant, il dit, au sortir<br />

<strong>de</strong> l'audience : En pêrMê, nom avwu wi cornu!<br />

irês'pimsmmt<br />

Cétaieitt, d v ailletirsy ces morceaux par lesquels<br />

l'orateur tempérait fautant qu'il le pouvait, Tanstérité<br />

<strong>du</strong> genre judiciaire; c'étaient ces écrias<br />

d'épiso<strong>de</strong>s, toujours heureusement p<strong>la</strong>cée, qui dé<strong>la</strong>ssaient<br />

les juges <strong>de</strong> <strong>la</strong> fatigue <strong>de</strong>s querelles <strong>du</strong><br />

barreau, <strong>de</strong> Famertume <strong>de</strong>s controverses judieiaîres<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> criatllerîe <strong>de</strong>s avocats. Yoilà ce qui rendait<br />

l'éloquence <strong>de</strong> Cicéron si agréable aux Romains,<br />

et faisait recueillir avec tant d'avidité toutes ses<br />

harangues, dès qu'il les avait prononcées. Bai ne<br />

possédait au même <strong>de</strong>gré que lui cet art <strong>de</strong> répandre<br />

<strong>de</strong> l'agrément sur les matières les plus sèches; et <strong>la</strong><br />

vraie marque <strong>de</strong> <strong>la</strong> supériorité, c'est <strong>de</strong> pouvoir<br />

ainsi se rendre maître <strong>de</strong> tous les sujets, et <strong>de</strong><br />

savoir, en traitant tous les genres, avoir le ton et<br />

<strong>la</strong> mesure <strong>de</strong> tous.<br />

C'est encore ce qu'il it en p<strong>la</strong>idant <strong>la</strong> cause<br />

d 9 Ârehias, eélèbre poète grec, à qui l'on contestait<br />

fort mal à propos le titre <strong>de</strong> citoyen romain. 11 était<br />

né à Antiœhe, mais'il avait reçu le droit <strong>de</strong> cité à<br />

Héraclée, ville alliée, qui jouissait <strong>de</strong>s privilèges<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> bourgeoisie romaiqe. Les archives <strong>de</strong> cette<br />

ville avaient été brûlées dans le temps <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre<br />

sociale, et, vingt-huit ans après, un nommé drains,<br />

ennemi d'Archias, voulut tourner contre lui<br />

cet acci<strong>de</strong>nt, qui lui enlevait <strong>la</strong> preuve <strong>de</strong> son titre.<br />

Heureusement il avait pour lui le témoignage <strong>de</strong><br />

Lucullus, dont <strong>la</strong> protection lui avait procuré cette<br />

faveur <strong>de</strong>s habitants d'Héraelée. Il fut défen<strong>du</strong> par<br />

Cicéron, et l'orateur nous apprend dans son eior<strong>de</strong><br />

les droits qu'avait le poète à son amitié, et même<br />

à sa reconnaissance. Cest une observation à faire,<br />

que Cicéron, dans chaque cause qu'il p<strong>la</strong>i<strong>de</strong> 9 commence<br />

par établir les motifs personnels qui font<br />

déterminé à s'en charger; et l'importance qu'il met<br />

à les bien fon<strong>de</strong>r prouve qu'indépendamment <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

'cause mène il y avait <strong>de</strong>s convenances particulières<br />

à gar<strong>de</strong>r, pour se charger, avec l'approbation générale,<br />

<strong>du</strong> réïe d'accusateur ou <strong>de</strong> défenseur. C'était<br />

pour les hommes considérables une fonction publique,<br />

souvent liée ans intérêts <strong>de</strong> l'État, bien<br />

différente <strong>de</strong> cette foule <strong>de</strong> petits procès particuliers<br />

que les orateurs <strong>de</strong> réputation et les hommes<br />

en p<strong>la</strong>ce abandonnaient aui avocats subalternes, I<br />

mm qui sont désignés en <strong>la</strong>tin par un mot qui elgniie<br />

pimMettrs es cames (amUÊkQ. Le procès<br />

d'Archias semb<strong>la</strong>it <strong>de</strong>voir être <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier genre.<br />

Il n'offrait que <strong>la</strong> dftetnsioii d'un fait très-simple,<br />

qui dépendait surtout <strong>de</strong> <strong>la</strong> preuve testimoniale, et<br />

n'exigeait que quelques minutes ie p<strong>la</strong>idoirie. Le<br />

dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> Cicéron n'est tout au plus que d'une<br />

<strong>de</strong>mi-heure <strong>de</strong> lecture, et le fait lui-même n'occupe<br />

pas quatre pages. Le reste est un éloge <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie<br />

et <strong>de</strong>s lettres 9 <strong>de</strong>s avantages et <strong>de</strong>s agréments qu'on<br />

en retire 9 et <strong>de</strong>s honneurs qu'on kurdoit.II semble<br />

que Geéîon, qui partout fait profession d'aimer<br />

extrêmement <strong>la</strong> poésie et ceux qui <strong>la</strong> cultivent ait<br />

été bien aise d'avoir l'oeeasion <strong>de</strong> leur rendre un<br />

hommagepen était un bien f<strong>la</strong>tteur pour Archias,<br />

que <strong>de</strong> prendre sa défense. Mous allons voir que<br />

cette démarche ne fait pas moins d'honneur au caractère<br />

<strong>de</strong> Cicéron qu'au mérite <strong>du</strong> client.<br />

Il y avait loin d'un consul romain à un poète grec,<br />

et <strong>la</strong> cause ne <strong>de</strong>mandait pas les efforts d'an orateur.<br />

Aussi le p<strong>la</strong>idoyer n'a-t-il presque rien <strong>de</strong><br />

commun avec le genre judiciaire, M tient beaucoup<br />

plus <strong>du</strong> démonstratif; et, après avoir .vu Cicéron<br />

dans le sublime et dans le simple, je choisis chez<br />

lui ce morceau 9 comme un exemple <strong>du</strong> style tempéré<br />

fie. caractérisent <strong>la</strong> grâce, <strong>la</strong> douceur et l'ornement.<br />

« Si f ai quelque talent, Juges (et je seas cociMea j'en<br />

al peu) f quelque habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> h parole (et j'avoue qu'elle<br />

est es moi assez médiocre) , quelque connaissance <strong>de</strong> fart<br />

oratoire, puisée dans Féti<strong>de</strong> <strong>de</strong>s lettres, qui se m'ont été<br />

étrangères en aucun temps <strong>de</strong> ma vie* tous ces avantages,<br />

quels qu'Os soient, je les dois à Llcîalis Archias, qui a„„<br />

droit d'en réc<strong>la</strong>mer le finit et <strong>la</strong> récompense. Aussi Soin"<br />

que ma mémoire peut re<strong>mont</strong>er dans le passé et revenir<br />

sur mes premières années, je le vols dirigeant mes premières<br />

étu<strong>de</strong>s, et m f intro<strong>du</strong>isant dans <strong>la</strong> carrière que fai<br />

parcourue | et si ma voii , affermie et encouragée par ses<br />

leçons, t été quelquefois utile à mes concitoyens , je dois<br />

sans doute 9 autant qu'il est en moi 9 servir celui qui m'a<br />

mis en état <strong>de</strong> servir les antres. Ce que je dis peut étonner<br />

eeai qui ne feraient attention qu'à <strong>la</strong> différence qu'Us<br />

- trouvent dans le genre <strong>de</strong> mes travaux ef <strong>de</strong> cens d'Arefe<strong>la</strong>s<br />

; mais l'éloquence ® s » pas été ma seule étu<strong>de</strong>, et<br />

Sons les arts qui tiennent à <strong>la</strong> culture <strong>de</strong> Fesprit ont entre<br />

eux comme un Uen <strong>de</strong> parenté» et forment, pour ainsi<br />

dire» une même famille.<br />

« Peut-être aussi sera-f*» surpris qne , dans une question<br />

<strong>de</strong> droit, dans aa procès qui se p<strong>la</strong>i<strong>de</strong> publiquement<br />

<strong>de</strong>vant aa préteur si distingué et <strong>de</strong>s juges si graves, en<br />

présence «fuie si nombreuse assemblée, j'emploie un <strong>la</strong>®»<br />

§age tout dttrent que eeial da barreau; mais c'est eue<br />

liberté que j'attends da l'in<strong>du</strong>lgence <strong>de</strong> mes juges, et<br />

i j'espère qu'elle ne leur dép<strong>la</strong>ira pas. Le caractère <strong>de</strong> faneuse,<br />

homme <strong>de</strong> lettres, eieeiieaf poète, dont le loisir et<br />

le travail ont toujours été également éloignés <strong>de</strong>s alterca­<br />

tions et <strong>du</strong> bruit <strong>de</strong>s tribunaux; le con<strong>cours</strong> d'hommes<br />

lettrés qu'attire ici sa cause; votre goût pour les beauartê<br />

qu'il eoltive, et celui ds îeafjatrat qui prési<strong>de</strong> I ce


AUCUNS. — ÉLOQUENCE.<br />

t;toot m*ant§flseàeisAt apavous mepermettre!<br />

<strong>de</strong> m'éearter an peu <strong>de</strong> <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> ordinaire; et si<br />

f&btMm <strong>de</strong> ¥©ss cette frâce y Je me f<strong>la</strong>tte <strong>de</strong> vous dé<strong>mont</strong>rer<br />

que non-seulement Arehlit ne doit point étn retransfeé<br />

<strong>du</strong> sombre <strong>de</strong> nos concitoyens y mut même que» s'il<br />

il 9 »! était pu t il mériterait d'y être admis.<br />

m méê^mmmmnmM&ê'Amiimhû.wmemmmmmmmî<br />

célèbre et opulente, remplie <strong>de</strong> savants hommes, et flottemite<br />

par tes arts et les lettres» ârebks était à pane sorti<br />

<strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l'enfance, que ses écrite te p<strong>la</strong>cèrant an mm*<br />

mm rang. Bientôt U <strong>de</strong>vint si célèbre dam f Asie et dans<br />

<strong>la</strong> Grèce, que sonarriTée dans chaque fille était sue fête;<br />

l'attente et <strong>la</strong> curiosité qu'il excitait al<strong>la</strong>ient encore au<strong>de</strong>là<br />

<strong>de</strong> sa renommée| et, quand on l'avait enten<strong>du</strong>,cette<br />

attente même était surpassée par FadniiratSon.<br />

« Les lettres grecques étaient alors répan<strong>du</strong>es dans fi<strong>la</strong>»<br />

Uê9 cultivées dans les filles <strong>la</strong>iiaea pins qu'elles ne le sauf<br />

aujourd'hui, et favorisées dans Rome même par <strong>la</strong> tranquillité<br />

dont jouissait <strong>la</strong> république. Les peuples <strong>de</strong> Tarante)<br />

<strong>de</strong> Etiege et <strong>de</strong> Nantes 9 s'empressèrent d'honorer Arehias<br />

<strong>du</strong> droit <strong>de</strong> cité et <strong>de</strong> récompenses <strong>de</strong> toute espèce; tous<br />

ceux qui étaient faits pour juger <strong>de</strong>s talents le regardèrent<br />

comme na homme dont l'adoption leur faisait honneur.<br />

« Marins et Cs<strong>la</strong><strong>la</strong>s étaient consuls lorsqu'il f<strong>la</strong>f à<br />

Rome, où sa réputation f aaalî <strong>de</strong>vancé. U y trouvait <strong>de</strong>ux<br />

grands hommes 9 dont Fus fautait lui fournir <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s<br />

choses à célébrer, et l'antre, joignant! <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong>s exploits<br />

sâiifaiaes le hou goût et Ses cosnaissanees, était<br />

digne d ? entendre ce<strong>la</strong>i qui pouvait le chanter. Areh<strong>la</strong>s,<br />

encore revête <strong>de</strong> <strong>la</strong> robe prêtes le 9 fut reçu dans <strong>la</strong> maison<br />

<strong>de</strong> Lacal<strong>la</strong>s ; et, il doit, non-seulement à son génie et à ses<br />

écrits, mais encore à son caractère et à ses mœurs, cet<br />

avantage honorable, que <strong>la</strong> maison où sa jeunesse fut ac-<br />

- euetUie est encore aujourd'hui l'asile <strong>de</strong> sa vieillesse. Il<br />

était bien venu <strong>de</strong> MéteUua le Numidiqiie et <strong>de</strong> son ils;<br />

ÉBiî<strong>la</strong>s féceatalt avec p<strong>la</strong>isir; U ai sait avec les <strong>de</strong>ux<br />

Catuius, père et fils; LaclosCrassus le cultivait; il était<br />

étroitement lié aaee toute <strong>la</strong> famille <strong>de</strong> Lucullss, d'Hortensias,<br />

d'Octavius, avec Drasus et Cataa : et c 9 est encore<br />

un honneur pour lui que, parmi ceux qui le recherchaient<br />

, <strong>la</strong>s uns le faisaient par geiî et parce qu'ils sa?sîeat<br />

l'apprécier et jouir <strong>de</strong> son talent ; tes autres vou<strong>la</strong>ient seulement<br />

s'en faire un mérite. » (i — m.)<br />

Suit on détail très-court et 1res-c<strong>la</strong>ir gur le fond<br />

île <strong>la</strong> essaie; et Cïoéros pouvait s'en tenir Iàf s'il<br />

n'eAt voulu que <strong>la</strong> gagner ; elle était é?i<strong>de</strong>nte- : mais<br />

il avait promit dans soaeior<strong>de</strong><strong>de</strong> faire autre chose<br />

qu'un p<strong>la</strong>idoyer; il tint parole, et9 s'adressant à<br />

raeeasatetir9il eostistie ainsi :<br />

« Tons me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rai pourquoi je parais si attaché<br />

à Udnius Arehias : parce que c'est à lui que je dois chaque<br />

jour Se dé<strong>la</strong>ssement le plut doux <strong>de</strong>s travaux <strong>du</strong><br />

forum et <strong>du</strong> tumulte <strong>de</strong>s affaires. Et croyez-vous que Je<br />

pusse trou?er dans mon esprit <strong>de</strong> quoi suffire à tant d'objets<br />

différents, si je ne puisais sans cesse <strong>de</strong> nouvelles<br />

richesses dans l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s lettres ; ou que je pusse sapfxea<br />

ter tant <strong>de</strong> travaux 9 si les agrémente <strong>de</strong> cette même étu<strong>de</strong><br />

S8S<br />

aeswfsleiitl iassifssisiif et I sue sasiseislr ? J%?aase que<br />

Je n'y livre lopins


S84 • •<br />

'COURS DE UTTÉRATDBÈ.<br />

prospérité, <strong>la</strong> «custkttai <strong>de</strong> Finfortmie; elles «MIS amusent<br />

dans Sa retraite y ne sont peint dép<strong>la</strong>cées dans <strong>la</strong> société.;<br />

elles veulent avec seras 9 eies nous accompagnent<br />

dans nos voyages 9 elles sens suivent dans tes campagnes ;<br />

enfin , quand nous s'en aurions pas le goût j nous se pourrions<br />

leur refuser notre estime et notre admiration.<br />

« Peur ce qui regar<strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie' en particulier, mm<br />

avons enten<strong>du</strong> dire aux mefflenfs jnges que les antres<br />

talents s'acquièrent par les préceptes, mais que celni <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> poésie est un don <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature , use faculté <strong>de</strong> Fimagination,<br />

nue sorte d'inspiration divine. Aussi notre vieil<br />

Brmàis appelle les poètes <strong>de</strong>s hommes saints, parce qu'ils<br />

sont distingués à nos yeux par les présents <strong>de</strong> <strong>la</strong> Divinité.<br />

Qu'il soit doue saint parmi Tons, parmi <strong>de</strong>s hommes aussi<br />

instruits que vous Fêtes, ce nom <strong>de</strong> poète , que les barbares<br />

mêmes n'ont jamais violé. Les rochers et les déserts<br />

semblent répondre à <strong>la</strong> voix <strong>du</strong> poète ; les bêtes mêmes<br />

paraissait sensibles à l'harmonie » et nous y serions insensibles<br />

1 Les peuples <strong>de</strong> Colophon, <strong>de</strong> Chio9 <strong>de</strong> Sa<strong>la</strong>niine,<br />

<strong>de</strong> Smyrae, et d'autres encore, se disputent Homère, et<br />

loi élèvent <strong>de</strong>s antels : ils veulent, longtemps après sa<br />

mort, l'avoir pour concitoyen, parce qu'il a été grand<br />

poète; et celni qai est réellement'le notre par sa volonté<br />

et par nos lots , nous polirions le rejeter I Nous rejetterions<br />

celni mm a employé son génie à chanter <strong>la</strong> gloire <strong>du</strong> peuple<br />

romain! Oui , dès sa première jeunesse, il a composé nn<br />

poème sur <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong>s Cimbres, et cet hommage <strong>la</strong>tte<br />

Marins même, qui était, vous le savez, asses étranger au<br />

commerce <strong>de</strong>s Muses. C'est qu'il n'est personne, si <strong>du</strong>r<br />

et si farouche qu'il puisse être, qui ne soit f<strong>la</strong>tté <strong>de</strong> voir<br />

son nom porté par <strong>la</strong> poésie aux générations à Tenir. On<br />

<strong>de</strong>mandait à ce célèbre Athénien, Thémistoele, quelle<br />

était <strong>la</strong> TOII qu'il entendrait a?ec le plus <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir : Celle,<br />

dît-il, qui chantera Umimx ce que j'ai JaM. Ce même<br />

Archias a célébré dans un autre ouvrage les victoires <strong>de</strong><br />

. Lueuilss sur Mithridate f et cette guerre si fertile en révolutions,<br />

qui a ouvert aux armes romaines <strong>de</strong>s contrées<br />

que <strong>la</strong> nature semb<strong>la</strong>it leur avoir fermées ; ces batailles<br />

mémorables où LucoHos, arec peu <strong>de</strong> soldats, a défait<br />

<strong>de</strong>s troupes innombrables; ce siège <strong>de</strong> Gysique 9 où il a<br />

sauvé une ville, notre alliée , <strong>de</strong>s fureurs <strong>de</strong> Mithridate 9<br />

cet incroyable combat <strong>de</strong> Tésédos , où les forces navales<br />

<strong>de</strong> ce puissant roi ont été anéanties avec Jes généraux qui<br />

les commandaient. La gloire <strong>de</strong> Lueuilus est <strong>la</strong> nôtre; ce<br />

qu'on a fait pour lui f on Fa fait pour nous; et dans les<br />

chants d'Arehlâs, consacrés à Lueuilus, seront perpétués<br />

les trophées, les monuments, et les triomphes <strong>de</strong> Rome.<br />

« Et qui <strong>de</strong> nous ignore combien Ennins fut cher à notre<br />

limera Setpios l'Africain ? La statue <strong>de</strong> ce poète est élevée<br />

en marbre dans Se tomlean <strong>de</strong>s Scipions. Son poème <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> guerre punique est regardé comme un hommage ren<strong>du</strong><br />

an nom romain : c'est là que Ses Fabius, les Mareellus,<br />

les Fuir lus y les Cites, sont comblés <strong>de</strong> louanges honora*<br />

Mes que nous partageons avec eux, sont couverts d'en<br />

éc<strong>la</strong>t qui rejaillit sur nous. Aussi nos ancêtres donnèrent<br />

km poète, né dans Sa Calibre, le titre <strong>de</strong> citoyen romain :<br />

et nous le refuserions à Archias, à qui nos lois l'ont aemrééî<br />

Et qu'on n'imagine pat que ses travaux dQjrent<br />

nous Intéresser moins, parce qui écrit en fers grecs : m<br />

serait se tromper beaucoup. La <strong>la</strong>ngue grecque est répan<strong>du</strong>e<br />

dans tout le mon<strong>de</strong>; b nôtre est renfermée dans les<br />

limites <strong>de</strong> notre empire ; et, si notre puissance est bornée<br />

aux pays que nous avons conquis, ne <strong>de</strong>vons-nous pas<br />

souhaiter que notre gloire parvienne jusqu'où nos armes<br />

l'est pu parvenir? Si cette espèce d'illustration est agréable<br />

et chère aux peuples mêmes dont le poêie raconte les<br />

exploits, <strong>de</strong> quel prix ne doft-eUe pas être, quel encouragement<br />

ne doit-elle pas donner aux chefs, aux généraux ,<br />

aux magistrats, qui n'envisagent que <strong>la</strong> gloire dans leurs<br />

travaux et leurs périls! Alexandre avait à sa suite un<br />

grand .nombre d'écrivains chargés <strong>de</strong> composer son histoire;<br />

mais quand il vit le tombeau d'Achille, il s'écria :<br />

Weureux Achille, qui m trouvé un Momèrepmr te<br />

chanter! Et en effet, sans cette immortelle Eïaêe, le<br />

même tombeau qui couvrit les restes <strong>du</strong> vainqueur <strong>de</strong><br />

Troie aurait enseveli sa mémoire. Que dirai-je <strong>de</strong> notre<br />

grand Pompée, dont <strong>la</strong> fortune extraordiiiaire a égalé <strong>la</strong><br />

valeur ; et qui en présence <strong>de</strong> son armée a proc<strong>la</strong>mé citoyen<br />

romain Théophane <strong>de</strong> Mitylène, l'historien <strong>de</strong> ses exploits?<br />

Et nos soldats, ces hommes sans lettres, <strong>la</strong> plupart rustiques<br />

et grossiers, sensibles pourtant aux honneurs <strong>de</strong><br />

leur général, et croyant les partager, ont répon<strong>du</strong> par<br />

leurs acc<strong>la</strong>mations à l'éloge qu'il faisait <strong>de</strong> Théoptiane.<br />

« Avouons-le, ftomalns, osons dire tout haut ce que<br />

chacun <strong>de</strong> nous pense tout bas : nous aimons tous <strong>la</strong><br />

louange ; et ceux qu'elle touche le plus vivement sont aussi<br />

ceux qui savent le mieux <strong>la</strong> mériter. Les philosophes qui<br />

écrivent sur le mépris <strong>de</strong> <strong>la</strong> gloire mettent leurs noms à<br />

leurs écrits, et sont encore occupés d'elle, même en paraissant<br />

<strong>la</strong> mépriser. Décimas Bref as, aussi grand capitaine<br />

que bon citoyen, grava sur les monuments qu'il<br />

avait élevés les vers'd'Accius son ami. Fui?lus, que notre<br />

Ennius accompagnait lorsqu'il triompha <strong>de</strong>s Étoiiens,<br />

consacra aux Muses les dépouilles qu'à avait remportées.<br />

Est-ce donc <strong>la</strong> toge romaine qui se déc<strong>la</strong>rera leur ennemie , '<br />

quand les généraux d'armée les révèrent, et qui refusera<br />

aux poètes <strong>la</strong> protection et les récompenses que leur<br />

accor<strong>de</strong>nt les guerriers?<br />

« J'irai plus loin ; et 9 s'il m'est permis <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> mon<br />

propre intérêt, si j'ose <strong>mont</strong>rer <strong>de</strong>vant vous cet amour<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> gloire, trop passionné peut-être, mais qu| ne peut<br />

jamais être qu'un sentiment noble et louable, je vous<br />

avouerai qu s Archias a regardé comme un sujet digne <strong>de</strong><br />

ses vers les événements <strong>de</strong> mon consu<strong>la</strong>t, et tout ce que<br />

j'ai <strong>la</strong>it avec vous pour Se salut <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie. L'ouvrage<br />

est commencé, je l'ai enten<strong>du</strong>, j'en ai été touché, et je<br />

l'ai exhorté à S'achever ; car <strong>la</strong> vertu ne désire d'autre<br />

récompense <strong>de</strong> ses travaux et <strong>de</strong> ses dangers que ce témoignage<br />

glorieux qui doit passer à <strong>la</strong> postérité; et si on<br />

veut le lui ôtar, «pie restera-t-il , dans cette vie si rapi<strong>de</strong><br />

et si courte, qui puisse nous déé^mmager <strong>de</strong> tant <strong>de</strong><br />

sacrifices? Certes, si notre âme ne pressentait pas l'avenir,<br />

s'il fal<strong>la</strong>it que ses pensées s'arrêtassent aux bornes<br />

<strong>de</strong> notre <strong>du</strong>rée, qui <strong>de</strong> nous pourrait se consumer par<br />

tant <strong>de</strong> fatigues, se tourmenter par tant <strong>de</strong> soins et <strong>de</strong><br />

nOtos, et frire si pi <strong>de</strong> cas <strong>de</strong> k vie? Mais i y a dîna


faas les esprits élites vie fores fntérteew qui leur iili<br />

sentir jour et soit Ses aigniUons <strong>de</strong> ta gloire f un sentiment<br />

qui les avertit que notre SOUTenir se doit pas périr avec<br />

«Mis, et qu'il doit s'étendre et se perpétuer dans tous les<br />

âges. Eh î sous tous f victimes dévouées à <strong>la</strong> défense <strong>de</strong> ta<br />

république 9 nous rabaisserions-noas au point <strong>de</strong> sous persua<strong>de</strong>r<br />

qu'après avoir vécu <strong>de</strong> manière à s'avoir pas un<br />

seul moment <strong>de</strong> repos et <strong>de</strong> tranquiGté, nous <strong>de</strong>vons<br />

«are périr tout entiers? Si les plus grands hommes sont<br />

fâfetut <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser leur ressemb<strong>la</strong>nce dans <strong>de</strong>s images et<br />

<strong>de</strong>s statues périssables, combien m <strong>de</strong>vons-sous pas<br />

attacher un plus grand prix à ees monuments <strong>du</strong> génie<br />

qui trassmettestà sos <strong>de</strong>rniers neveu l'empreinte £dèle<br />

<strong>de</strong> notre âme 9 <strong>de</strong> nos sentiments y <strong>de</strong> sos pensées ! Pour<br />

moi t Piomaiss, en Msast ee que j'ai fait , je croyais dès ce<br />

moment es répandre le souvenir dans toute <strong>la</strong> terre et<br />

dans fétes<strong>du</strong>e <strong>de</strong>s siècles ; et soit que le tombeau doive<br />

m'ôter le sentiment <strong>de</strong> cette immortalttté, soit, coasse<br />

Font cru tous les sages, qu'il doive rester quelque partie<br />

<strong>de</strong> nous qui soit encore capable d'en jouir, aujourd'hui <strong>du</strong><br />

mollis Fon se peut mVtter cette pensée ; qui est mon p<strong>la</strong>isir<br />

et ma récompense.<br />

m Cosservei donc, Romains, sa citoyen d'un mérite<br />

égalemesf prouvé et par ta qualité et par f ancienneté <strong>de</strong>s<br />

liaisons les plus respectables; un homme d'us génie tel<br />

que sos concitoyens les plus illustres ont désiré <strong>de</strong> se rattacher<br />

et d'en recueillir les fruits; un accusé dont le bon<br />

droit est attesté par le bienfait <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi9 par l'autorité<br />

d'une ville municipale, par le témoigsage d'an Lucnlius9<br />

par les registres d'en Mételles. Faites que celui qui a travaillé<br />

pour ajouter, estant qu'il est en lui, à votre gloire,<br />

à celle <strong>de</strong> vos géoérasa et <strong>du</strong> peuple romain ; qui promet<br />

encore <strong>de</strong> consacrer à <strong>la</strong> mémoire ces orages récents et<br />

domestiques dont vous f eues <strong>de</strong> sortir ; qui est ds nombre<br />

<strong>de</strong> ces hommes dont h personne est regardée comme invio<strong>la</strong>ble<br />

chez tontes les nations : faites qu'il s'ait pas été<br />

amené <strong>de</strong>vant vous pour y recevoir un afgront cruel f mais<br />

pour obtenir un gage <strong>de</strong> f être justice et <strong>de</strong> votre bonté. »<br />

(vi — ni.)<br />

On aime, en lisant ee dis<strong>cours</strong>, à voir Fauteur<br />

s'y peindre tout entier, à reconnaître en lui cette<br />

sensibilité franche, cet enthousiasme <strong>de</strong> gloire y que<br />

traitent <strong>de</strong> vanité et <strong>de</strong> faiblesse <strong>de</strong>s hommes qui f à<br />

<strong>la</strong> vérité, ne seraient pas capables d'en avoir une<br />

semb<strong>la</strong>ble. Je sais qu'on peut dire qu'il est beaucoup<br />

plus beau <strong>de</strong> Étira <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s choses sans songer à<br />

<strong>la</strong> louange et à <strong>la</strong> gloire; mais il est us peu plus<br />

aisé d'en donner le précepte que d'en trouver l'exemple;<br />

et cette espèce <strong>de</strong> vertu sera toujours si rare<br />

et si difficile à prouver, qu'il vaut bien mieux f pour<br />

l'intérêt commun, ne pas décrier ce mobile, au<br />

motos le plus noble <strong>de</strong> tous, qui a pro<strong>du</strong>it tant <strong>de</strong><br />

bien, et qui en pro<strong>du</strong>ira toujours. 11 serait bien<br />

ma<strong>la</strong>droit <strong>de</strong> décourager ceux qui, en faisant tout<br />

pour nous, ne nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt que <strong>de</strong>s louanges.<br />

Si c'est «M vanité, puisM-t-eile <strong>de</strong>venir générale !<br />

ANCIENS. — ÉLOQUENCE. S8S<br />

Cest, ce me semble, le vceu le plus «lie et le plus<br />

sage qu'on puisse former pour le bonheur <strong>de</strong>s hommes.<br />

Peut-être, en tra<strong>du</strong>isant ce morceau, ai-je cédé,<br />

sans m'en apercevoir, au p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> vous <strong>mont</strong>rer<br />

combien Cicéron avait honoré Fart <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie?<br />

Mais j'ai eu un autre motif pour entreprendre <strong>la</strong><br />

tra<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> ce dis<strong>cours</strong> et <strong>de</strong> plusieurs autres morceau!<br />

choisis dans les harangues <strong>de</strong> Cicéron; c'est<br />

qu'il n'y a guère d'auteurs dont les ouvrages soient<br />

moins connus <strong>de</strong> ceux qui n'enten<strong>de</strong>nt pas sa <strong>la</strong>ngue.<br />

Il n'en existe point <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ction qui soit répan<strong>du</strong>e.<br />

On ne lit guère dans le mon<strong>de</strong> que ses lettres, qui<br />

ont été assez bien tra<strong>du</strong>ites par l'abbé Mongault.<br />

<strong>la</strong> version <strong>de</strong>s Catiliaatres par l'abbé d'Olivet est<br />

très-médiocre, et je n'en ai fait aueun usage, non<br />

plus que <strong>de</strong> celle que Toumil et Âuger ont données<br />

<strong>de</strong> Démosthènes et d'fschine.<br />

Il m'est doui <strong>de</strong> pouvoir excepter <strong>de</strong> cette condamnation<br />

, avouée par tous les bons juges, <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction<br />

<strong>de</strong> quelques harangues <strong>de</strong> Cicéron, formant<br />

un volume, qui parut, il y a quelques années,<br />

composée pr <strong>de</strong>ux maîtres <strong>de</strong> l'université <strong>de</strong> Paris,<br />

qui ont prouvé leur mo<strong>de</strong>stie en venant siéger aujourd'hui<br />

parmi nous * sous le titre d'élèves 9 après<br />

avoir prouvé leur talent pour écrire et pour enseigner;<br />

les <strong>de</strong>ux frères €ueroult, que le goût <strong>de</strong>s<br />

' mêmes étu<strong>de</strong>s unit autant que <strong>la</strong> fraternité naturelle<br />

et civique. Leur ouvrage atteste une égale connaissance<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux <strong>la</strong>ngues et <strong>du</strong> style oratoire, et ne<br />

<strong>la</strong>isse rien à désirer, si ce n'est <strong>la</strong> continuation d'un<br />

travail qui sera toujours un titre honorable et précieux<br />

auprès <strong>de</strong>s amateurs <strong>de</strong>s lettres et <strong>de</strong> l'antiquité*.<br />

Pour moi, désirant <strong>de</strong> foire connaître pr<br />

<strong>de</strong>s exemples l'éloquence <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux plus grands orateurs<br />

d® Rome et d'Athènes, je n'ai voulu m'en rap-.<br />

porter qu'à ce que leur lecture m'inspirait, et mon<br />

zèle n'a point été arrêté pr <strong>la</strong> difficulté <strong>de</strong> foire<br />

prier dans notre <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong>s écrivains si supérieurs,<br />

et particulièrement Cicéron, dont <strong>la</strong> singulière élégance<br />

et l'inexprimable harmonie ne puvent guère<br />

être conser?és tout entières dans une tra<strong>du</strong>ction*<br />

Malgré tout ce qui put manquer à <strong>la</strong> mienne, au<br />

moins en aurai-je retiré ce fruit, que vous pourras<br />

aisément apreevoir. eombieû cette manière d'écrire<br />

<strong>de</strong>s anciens est différente <strong>de</strong> celle qui malheureusement<br />

est aujourd'hui trop à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>. Il n'y a,<br />

dans tout ce que vous avez enten<strong>de</strong>, rien qui sente<br />

le moins <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche 9 l'affectation, Pan<br />

Eure; rien <strong>de</strong> faux, rien <strong>de</strong> tourmenté, rien d'en*<br />

tortillé. Tout est sain, tout est c<strong>la</strong>ir, tout est senti ;<br />

1 Ani écoles normales.<br />

* Ce travail a été aoal<strong>la</strong>aé pr les <strong>de</strong>ux frères Gnaronit


280<br />

lotit coule <strong>de</strong> source et va au but. Ils s'ont point<br />

<strong>la</strong> misérable prétention d'écrire pour <strong>mont</strong>rer <strong>de</strong><br />

l'esprit; ce qui f comme a si Mes dit Montesquieu ,<br />

e$i Mm peu <strong>de</strong> €kme« lis nous occupent toujours<br />

<strong>de</strong> leur objet, et jamais <strong>de</strong>s efforts <strong>de</strong> Fauteur. Ce<br />

. ne sont point <strong>de</strong> cei éc<strong>la</strong>irs multipliés semb<strong>la</strong>bles à<br />

ceux <strong>de</strong>s feux d'artifice, qui , après aient ébloui un<br />

moment , ne <strong>la</strong>issent après eu que l'obscurité et <strong>la</strong><br />

fumée; c'est <strong>la</strong> lumière d'un beau jour qui p<strong>la</strong>ft aux<br />

yeux sans les fatiguer, qui éc<strong>la</strong>ire sans éblouir, et<br />

s'épanche d'elle-même sans s'épuiser.<br />

Si le talent <strong>de</strong> <strong>la</strong> parole est un g<strong>la</strong>ise contre le<br />

crime, c'est aussi le bouclier <strong>de</strong> l'innocence; etCicérea<br />

sa sait se servir <strong>de</strong> l'un et <strong>de</strong> l'autre arec <strong>la</strong><br />

mime force et le même succès. Mous l'avons vu<br />

poursuivre <strong>de</strong>s scélérats : il faut le voir défendre <strong>de</strong>s<br />

citoyens purs et courageni. Au reste, les ieni espèces<br />

<strong>de</strong> guerref l'offensive et <strong>la</strong> défensive, se confon<strong>de</strong>nt<br />

souvent dans Fonfee civil et politique,<br />

comme dans <strong>la</strong> science militaire ; et il faut être également<br />

prêt à l'une et à l'autre quand on a dévoué<br />

son talent à <strong>la</strong> cause commune : car l'ami <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu<br />

est nécessairement l'ennemi <strong>du</strong> crime, et celui qui<br />

croirait pouvoir séparer <strong>de</strong>ux choses si inséparables<br />

m trompetait beaucoup, et les méconnaîtrait toutes<br />

<strong>de</strong>ux. Qui ne hait point asses le crime n'aime p<strong>la</strong>t<br />

asscs <strong>la</strong> vertu ; c'est un axiome <strong>de</strong> morale. Et c'en<br />

est un autre en politique, qu'il n'y a point <strong>de</strong> traité<br />

avec les méchants, à moins qu'ils ne soient absolument<br />

hors d'état <strong>de</strong> nuire. Jusque-là leur <strong>de</strong>vise<br />

est toujours <strong>la</strong> même : « Qui n'est pas pour nous<br />

est contre nous. » Yoilà leur principe; et kur con<strong>du</strong>ite<br />

y est conséquente. On peut être sir que ,[dès<br />

qu'ils se croient les plus forts, ils n'épargnent pas<br />

plus Fhomme faible qu'ils méprisent que l'homme<br />

ferme qu'ils redoutent. La faislêsse, tfaiiears (qu'il<br />

faat bien distinguer <strong>de</strong> <strong>la</strong> prudtnee : Fone est l'absence<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> force' , l'autre n'en est que <strong>la</strong> mesure );<br />

<strong>la</strong> faiblesse, on ne saurait trop le dire, soit dans<br />

factorisé publique soit dans le caractère particulier,<br />

est le plus grand <strong>de</strong> tous les défauts et le plus<br />

mortel <strong>de</strong> tous les dange». Voltaire Fa caractérisée,<br />

citas «sers :<br />

Tjms cul cakes sa criâtes et détruit toi vertus.<br />

COURS DE UTTÉHATCHE.<br />

ceaspcetica ; mais Cicéron <strong>du</strong> moins ne fut'jamais<br />

faible comme homme public ; il ne le fut que comme<br />

prticulier. Aussi ses fautes ne nuisirent guère qu'à<br />

sa gloire, et celles <strong>de</strong> Bratus et <strong>de</strong> Caton nuisirent<br />

à <strong>la</strong> chose commune. Je ne connais qu'une occasion<br />

où Cicéron, pour avoir eu un moment <strong>de</strong> pusil<strong>la</strong>nimité,<br />

perdit <strong>la</strong> cause d'un citoyen générant, d'un<br />

<strong>de</strong> ses meilleurs amis, <strong>de</strong> Milon. S'il y eut <strong>mont</strong>ré<br />

autant <strong>de</strong> fermeté que dans celle <strong>de</strong> Seitius , il eit<br />

triomphé <strong>de</strong> même. Ce sont ces <strong>de</strong>ux causes qui<br />

vont nous occuper aujourd'hui.<br />

Un <strong>de</strong>s plus beaux p<strong>la</strong>idoyers <strong>de</strong> Cicéron est celui<br />

qu'il prononça pur le tribun Seitius. Qu'on<br />

juge s'il <strong>de</strong>vait se porter à sa défense avec chaleur :<br />

c'était en quelque sorte sa propre cause qu'il p<strong>la</strong>idait.<br />

H satisfaisait à <strong>la</strong> fois <strong>de</strong>ui sentiments trèslégitimes<br />

9 sa haine pour Clodiusf le plus furieux <strong>de</strong><br />

tous ses ennemis 9 et sa reconnaissance envers Seitius,<br />

l'un <strong>de</strong> ses plus ar<strong>de</strong>nts défenseurs. 11 faut se<br />

rappeler que Cicéron 9 quatre ans après son con­<br />

su<strong>la</strong>t, éprouva le sort qu'il avait prévu. 11 fut obligé<br />

<strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r à <strong>la</strong> faction <strong>de</strong> Clodius, soutenu asses ouvertement<br />

pr César, qui vou<strong>la</strong>it dompter <strong>la</strong> liberté<br />

républicaine <strong>de</strong> Cicéron s et secrètement par Pompée<br />

lui-même, qui était jatoui <strong>de</strong> <strong>la</strong> réputation et <strong>du</strong><br />

crédit <strong>de</strong> l'orateur. 11 prit le parti <strong>de</strong> s'éloigner, et<br />

fut rappelé seise mois après, avec tant d'éc<strong>la</strong>t, qu'on<br />

peut dire qu'il <strong>du</strong>t à sa disgrâce le plus beau jour<br />

<strong>de</strong> sa vie. Mais il en ccita <strong>du</strong> sang pour obtenir son<br />

retour. Quoique alors tous les ordres <strong>de</strong> FÉtat<br />

fussent réunis en sa faveur, quoique toutes les puissances<br />

<strong>de</strong> Rome se déc<strong>la</strong>rassent pour lui , le féroce<br />

Clodius, que rien n'intimidait, s'étant mis à <strong>la</strong> tête<br />

d'une troupe <strong>de</strong> g<strong>la</strong>diateurs sa<strong>la</strong>riés et <strong>de</strong> brigands<br />

échappés à <strong>la</strong> déroute <strong>de</strong> Catïlina, assiégeait le forum,<br />

et prétendait, à force ouverte, empêcher les<br />

tribuns <strong>de</strong> convoquer l'assemblée <strong>du</strong> peuple, où<br />

<strong>de</strong>vait se proposer le rappel <strong>de</strong> Cicéron. Milon et<br />

Seitius f voyant qu ? il fal<strong>la</strong>it absolument repousser <strong>la</strong><br />

force pr <strong>la</strong> force, se mirent en défense, et bientôt<br />

les rues <strong>de</strong> Rome et <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce pbliqut <strong>de</strong>vinrent te<br />

théâtre <strong>du</strong> carnage. Dans une <strong>de</strong> esa reasscasteaja l»<br />

multueiises, Seitius fiit <strong>la</strong>issé pour mort, et fa «set<br />

icCïceftsa castrat risque <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie.<br />

Tarai juges par là quelle espèce <strong>de</strong> désordre aaar-<br />

T^rmn est une expression juste; car <strong>la</strong> faiblessef chique s'était intro<strong>du</strong>it dans Rome <strong>de</strong>puis les guer­<br />

comme <strong>la</strong> tyrannie, anéantit les droits naturels <strong>de</strong> res <strong>de</strong> Marins et <strong>de</strong> Syl<strong>la</strong>, et imposait <strong>de</strong> temps ea<br />

l'homme y et lui été ses facultés. Cicéronv qui fut teasp silence aux lois. J'en indiquerai tout à l'heure<br />

généralement très-pru<strong>de</strong>nt, fut aussi quelquefois <strong>la</strong> cause, quand je parlerai <strong>du</strong> procès <strong>de</strong> Milon. Mais<br />

faible ; il est si naturel et si commun d'avoir le dé* on peut observer dès ce moment que ces querelles<br />

faut qui est le plus près <strong>de</strong> nos bonnes qualités! sang<strong>la</strong>ntes ne ressemb<strong>la</strong>ient en rien à ces horreurs<br />

Caton et Bratt» commirent <strong>de</strong>s fautes par un eicès <strong>de</strong>s premières journées <strong>de</strong> septembre, qui, parmi<br />

d'énergie, et Cieéron en commit pv un eicès <strong>de</strong> ek- tant <strong>de</strong> mwmmêîmmê infanaginiMes, n'offrent rien


.ANCIENS. — ÉMIQUENCE.<br />

<strong>de</strong> plus extraordinaire que leur longue impunité.<br />

Vous vertes que ce Clodius était <strong>du</strong> moins en braire<br />

scélérat, marchant à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> bandits 'déterminés<br />

comme lui 9 aeeontumés aux combats , qui risquaient<br />

tout en osant tout, attaquaient, les armes à <strong>la</strong> main ,<br />

<strong>de</strong>s gens armés, et exposaient leur fie en menaçant<br />

celle d'autrui. L'asile domestique ne fut jamais<br />

fiole » le sexe, l'enfance, <strong>la</strong> vieillesse Y ne furent pas<br />

même insultés. Clodius sa<strong>la</strong>riait <strong>de</strong> vieux soldats<br />

<strong>de</strong>venus brigands, <strong>de</strong>s g<strong>la</strong>diateurs <strong>de</strong>venus assassins;<br />

mais il ne s'avisa-pas <strong>de</strong> mettre en œuvre un<br />

bataillon <strong>de</strong> femmes pour proc<strong>la</strong>mer le massacre et<br />

le pil<strong>la</strong>ge au nom <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté; il n f eut pas re<strong>cours</strong><br />

à ce lâche moyen, pour que <strong>la</strong> force répressive, ménageant<br />

<strong>la</strong> faiblesse <strong>du</strong> sexe , même dans celles qui<br />

ont per<strong>du</strong> tous ses droits en l'abjurant , permit au<br />

désordre et à <strong>la</strong> révolte <strong>de</strong> s'aeeroître f <strong>de</strong> s'enhardir,<br />

et d'essayer sans danger m qu'on serait capable<br />

<strong>de</strong> supporter. Quand les lois sont sans pouvoir, <strong>la</strong><br />

. pire espèce <strong>de</strong> scélérats n'est pas celle qui put tout<br />

braver; c'est elle qui ne rougit <strong>de</strong> rien. Mais aussi<br />

c'est <strong>la</strong> plus facile à réprimer dès que <strong>la</strong> loi reprend<br />

son g<strong>la</strong>ive. Ceux qui se vantent d'avoir fatigué leurs<br />

bras à tuer <strong>de</strong>s malheureux sans défense, ne croiseraient<br />

pas le fer contre le fer; et ceux qui boivent<br />

<strong>du</strong> sang ne risquent guère le leur ; 011 plutôt ce n'est<br />

pas <strong>du</strong> sang qui est dans leurs veines, c'est <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

boue : dès que <strong>la</strong> force publique les signale et les<br />

environne, elle n'a pas même besoin <strong>de</strong> les frapper ;<br />

<strong>la</strong> mort nedoit les atteindre qu'à réchafaud.<br />

Toutes les violences <strong>de</strong> GCMMUS n'empêchèrent<br />

pas le retour <strong>de</strong> Cicéron Y parce que l'autorité légale<br />

se rendit bientôt asses forte pour rétablir l'ordre,<br />

et en imposer à CWiss. Mais ce forcené eut l'impu<strong>de</strong>nce,<br />

un an après, <strong>de</strong> faire accuser Sextius <strong>de</strong><br />

pêôkrnœ (ée wi) par Albinovanus, un <strong>de</strong> ses affidés,<br />

tamis que lui-même se prépaît à accuser Mien*<br />

11 n'en eut pas le temps, et périt misérablement,<br />

comme il le méritait : mais auparavant il eut encore<br />

<strong>la</strong> douleur <strong>de</strong> se voir arracher par Cicéron une vie*<br />

time qu'il n'avait pu égorger <strong>de</strong> son propre g<strong>la</strong>ive,<br />

et qu'il vou<strong>la</strong>it faire périr par celui <strong>de</strong>s lois. Si jamais<br />

Cicéron panât égaler <strong>la</strong> véhémence impétueuse<br />

<strong>de</strong> Bémosthèoes, c'est dans cette harangue, et sur-'<br />

tout dans l'endroit ou il rapplle le combat qui pensa<br />

être si fatal à Sextius. 11 peint <strong>de</strong>s couleurs les plus<br />

vifes un tribun <strong>du</strong> peuple percé <strong>de</strong> coup, et n'échappant<br />

à ses meurtriers que parce qu'ils le croient<br />

mort.<br />

«Et c'est 8est§asfe*est lui qui mîmmsê <strong>de</strong> violence!<br />

Pourquoi ? quel est son crime ? €f est <strong>de</strong> vivre encore. Ésis vue jamais entourer cet tribunaux. Si f dans <strong>la</strong> EmmËmme<br />

CM» m peut pu même le lui reprocher. S'il vit 9 c'est <strong>de</strong> tontes les casses* quand le sénat me amatall tant<br />

qu'un ne lui a pis pilé If damier eotip, teêoup qui <strong>de</strong>- d'attacheneiit, tons les bon* dtojtejii tant <strong>de</strong> lèSe et<br />

iiî<br />

•ait être mortel. A qui Un prends-tu, Ctediee? kmmm<br />

doue k sjadkteur Lentidisg, qui s'a pat frappé oà âl fal<strong>la</strong>it.<br />

Accuse ton stteUite Sabmms <strong>de</strong> Mette y qui cria si<br />

lienretiseineiii, si à propos pour Sextius : Il est mort!<br />

Mais lui, que lui feproehes-fa ? S'est-il rafosé tu g<strong>la</strong>ive?<br />

Ne l'a-t-il pas reçu dans ses flânes, craime les g<strong>la</strong>diateurs<br />

<strong>de</strong> arque à qui l'on ordonne <strong>de</strong> recevoir <strong>la</strong> mort? De quai<br />

âme est-il coupable ; Humains? Est-ce <strong>de</strong> n'avoir pu iww*<br />

rir ? d'avoir couvert <strong>du</strong> sang d'an tribu les marches <strong>du</strong><br />

temple <strong>de</strong> Castor ? Est-ce <strong>de</strong> ne pas s'être fait reporter sur<br />

<strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce lorsqu'il fut ren<strong>du</strong> à <strong>la</strong> vie f <strong>de</strong> se s'être pas remis<br />

sous Se g<strong>la</strong>ive? Mais je vous le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, Montais f §11<br />

eût péri dans m maUiem^ si cette troupe d'assassins eût<br />

mit ce qu'elle vou<strong>la</strong>it faire, si Sextius, que Feu crut mort,<br />

fat mort en effet, n'auriei-voas pas tons pris les armes<br />

pour venter le sang d'un magistrat dont k penesse est<br />

iariekMe et sacrée , pour venger <strong>la</strong> fépeltlfae <strong>de</strong>s attentats<br />

d'un brigand ? Yerriei-vees tranquillement CWiaa<br />

paraître <strong>de</strong>vant votre tribunal ? Et celui dont <strong>la</strong> mort vous<br />

cet fait pousser ni cri <strong>de</strong> vengeance, pour peu ipe vous<br />

vous fussiez souvenus <strong>de</strong> vos droits et <strong>de</strong> vos ancêtres,<br />

peut-il craindre quelque esose <strong>de</strong> vous quand vous mm<br />

à prononcer entre fa victime et i'assassm? » (xxxva-<br />

XXXVM.)<br />

On a plus d'une fois mis en question (car ces<br />

grands événements nous intéressent encore comme<br />

s'ils Tenaient <strong>de</strong> se passer) si le parti que prît Cicé»<br />

ron <strong>de</strong> quitter Rome lorsqu'il lut poursuivi par Clodius<br />

était en effet le meilleur ; si, se voyant soutenu<br />

pr tout le sénat qui avait pris le <strong>de</strong>uil, par tout le<br />

eorps <strong>de</strong>s chevaliers qui avait pris les armes, il <strong>de</strong>vait<br />

abandonner le champ <strong>de</strong> bataille. Sans doute,<br />

s'il n'avait eu à le disputer qu'à Clodius, il eût pu<br />

compter sur le succès ; mais lui-même va nous faire<br />

entendre assez c<strong>la</strong>irement ce qu'op aperçoit en lisant<br />

l'histoire avec un peu <strong>de</strong> réflexion, que Clodius<br />

n'était pas pour lui l'ennemi le plus à craindre.<br />

César, prêt à partir pour les Granits, était aux portes<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> file avec une armée ; et si 9 dans ces circonstances<br />

, le carnage ait commencé dans Rome, si<br />

l'on eût versé le sang d'un tribun, peut-on douter<br />

que César ne se fil bientôt mêlé <strong>de</strong> <strong>la</strong> querelle $ et<br />

n'eût saisi une si belle occasion <strong>de</strong> prendre les armes<br />

et <strong>de</strong> se rendre maître <strong>de</strong> <strong>la</strong> république ? Rome<br />

eût été asservie dix ans plus têt Voilà le danger dont<br />

<strong>la</strong> préserva le généreux dévouement <strong>de</strong> Cicéron 9 qui<br />

s'app<strong>la</strong>udit avec raison f dans cette harangue, d'avoir<br />

sauvé <strong>de</strong>ux fois <strong>la</strong> patrie. Il faut l'entendre luimême<br />

nous développer ses motifs*<br />

• « Je vais vous rendre compte, leonfus» <strong>de</strong> ma aendatte<br />

et <strong>de</strong> mes pensées f et je ne maiiqiierai pas à ce qu'at­<br />

tend <strong>de</strong> moi cette assemblée y <strong>la</strong> plus nombreuse que fa»


•COURS DE L1TTÉ1ATURR<br />

Î88<br />

d'union ; quand IltaH® entière était prête à tout faire, à<br />

tout risquer pour ma défense; si avec tant d'appuis j'ai pu<br />

craindre les fureurs d'an tribun , le plus vil dés hommes 9<br />

et Sa folle audace <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux consuls, aussi méprisables<br />

que lui , f ai manqué sans dont® à <strong>la</strong> fois et <strong>de</strong>-sagesse et<br />

<strong>de</strong> fermeté. MéteUus s'exi<strong>la</strong> lui-même! il est wii; mais<br />

quelle différence ! Sa cause était bonne » je l'atone , et approuvée<br />

par tous les honnêtes gens ; mais le sénat ne l'avait<br />

pas solennellement embrassée; tous les ordres <strong>de</strong> l'État,<br />

tonte l'Italie, ne s'étaient pas déc<strong>la</strong>rés pour âui par <strong>de</strong>s<br />

décrets pnblics.... Il avait affaire à Mafias, au libérateur<br />

<strong>de</strong> S'empire, alors dans sou sixième consu<strong>la</strong>t f et à <strong>la</strong> tête<br />

d'une armée invincible; à Satain<strong>la</strong>asf tribun fectfeïix,<br />

mais magistrat vigi<strong>la</strong>nt et popu<strong>la</strong>ire 9 et <strong>de</strong> mœurs irréproébahies....<br />

Et moi, qui avais-je à combattre? Ce n'était pas<br />

une armée victorieuse; c'était un amas d'artisans stipendiés!<br />

qu'excitait l'espoir <strong>du</strong> pil<strong>la</strong>ge. Qui a?ais*je pour ennemis?<br />

€e n'était point Marins, k terreur <strong>de</strong>s barbares»<br />

le boulevard <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie ; c'étaient <strong>de</strong>ux monstres odieuf ,<br />

qu'une honteuse indigence et une dépravation insensée<br />

avaient faits les cédâtes <strong>de</strong> Clodius; c'était Clodius Soimême,<br />

un compapon <strong>de</strong> débauche <strong>de</strong> nos ba<strong>la</strong>dins, un<br />

a<strong>du</strong>ltère, un incestueux, un ministre <strong>de</strong> prostitution, un<br />

fabrkateur <strong>de</strong> testaments, un brigand, un assassin; un<br />

empoisonneur; et si j'avais employé les armes pour écraser<br />

<strong>de</strong> tels adversaires, comme je le pouvais aisément, et<br />

comme tant d'honnêtes gens m'en pressaient ; je n'avais pas<br />

à craindre qu'on me reprochât d'avoir opposé <strong>la</strong> force à <strong>la</strong><br />

force, ni que quelqu'un regrettât <strong>la</strong> perte <strong>de</strong> si mauvais<br />

attoyens, ou plutôt <strong>de</strong> nos ennemis domestiques ; mais d'autres<br />

raisons m'arrêtèrent €e forcené Clodius, cette furie,<br />

ne cessait île répéta* dans ses harangues que tout ce qu'il<br />

faisait contre moi c'était <strong>de</strong> l'aveu <strong>de</strong> Pompée, <strong>de</strong> ce grand<br />

homme, aujourd'hui mon ami ; et qui l'aurait toujours été y<br />

si on lui avait permis <strong>de</strong> l'être. Ciodius nommait parmi<br />

mes ennemis Crassus, citoyen courageux, avec qui j'avais<br />

les plut étroites baisons; César, dont jamais je n'avais<br />

mérité <strong>la</strong> haine. 11 disait que c'étaient là les moteurs <strong>de</strong><br />

toutes ses actions, les appuis <strong>de</strong> tous ses <strong>de</strong>sseins; que<br />

l'un avait une armée puissante dans Titane, que les '<strong>de</strong>ux<br />

autres pouvaient en avoir, une dès qu'Us le voudraient,<br />

et qu'ils l'auraient en effet Enftn ce n'étalent pas les lois,<br />

les jugements, les tribunaux dont il me menaçait ; c'étaient<br />

les armes, les généraux, les légions, <strong>la</strong> guerre. Mais quoi i<br />

<strong>de</strong>vals-je faire si grand cas <strong>de</strong>s dis<strong>cours</strong> d'us ennemi qui<br />

nommait si témérairement Ses plus illustres <strong>de</strong>s Bomains ?<br />

ffen, je n'ai pas été frappé <strong>de</strong> ses dis<strong>cours</strong> f mais <strong>de</strong> leur<br />

silence ; et quoiqu'ils eussent d'autres raisons <strong>de</strong> le gar<strong>de</strong>r,<br />

cependant, aux yeux <strong>de</strong> tant d'hommes disposés à tout<br />

craindre y en se taisant, ils semb<strong>la</strong>ient se déc<strong>la</strong>rer ; en ne<br />

désavouant pas Ciodius, Us semb<strong>la</strong>ient l'approuver....<br />

Que <strong>de</strong>vais-je faire alors? Combattre? Eh bien! le bon<br />

parti l'aurait emporté; je le veux. Qu'en serait-il arrivé?<br />

Avte-voûi oublié ce que disait Clodius dans ses insolentes<br />

harangues, qu'il fal<strong>la</strong>it me résoudre à périr ou à vaincre<br />

<strong>de</strong>ux fois? Et qu'était-ce que vaincre <strong>de</strong>ux fois ? N'était-ce<br />

pas avoir i combattre, après ce tribun Insensé, <strong>de</strong>ux consuls<br />

aussi méchants que lui, et ceux qui étaient tout prêts<br />

I se déc<strong>la</strong>rer ses vengeurs? Ah ! quand le danger n'eût me-<br />

nacé que moi seul, j'aurais mieux aiiifé mourir que <strong>de</strong> remporter<br />

cette seeoaie victoire, qui était <strong>la</strong> perte <strong>de</strong> <strong>la</strong> république.<br />

C'est vous que j'en atteste, ê dieux <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie!<br />

dieux domestiques! c'est vous qui m'êtes témoins qsef<br />

pour épargner vos temples et vos autels,- pour se pas ex*<br />

poser <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>s citoyens, qui m'est plus chère que <strong>la</strong><br />

mienne, je n'ai pu me résoudre à cet horrible combat.<br />

Étatise donc <strong>la</strong> mort que je pouvais craindre? Et lorsqu'au<br />

milieu <strong>de</strong> tant d'ennemis je m'étais dévoué pour le salât<br />

public, n'avais-je pas <strong>de</strong>vant les yeux l'exil et 1a mort?<br />

N'avsJs-je pas dès Sors prédit moi-même tons les péris qui<br />

m'attendaient?... Mon éloignement volontaire a écarté <strong>de</strong><br />

vous les meurtres, l'incendie et l'oppression. J'ai sauvé<br />

<strong>de</strong>ux fols <strong>la</strong> parle : <strong>la</strong> première fois a?ec gloire t et <strong>la</strong> secon<strong>de</strong><br />

avec douleur ; car je ne me vanterai point d'avoir pu<br />

me priver, sans un mortel regret, <strong>de</strong> tout ce qui m'était<br />

cher au mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> mon frère, <strong>de</strong> mes enfants, <strong>de</strong> mon<br />

épouse, <strong>de</strong> l'aspect <strong>de</strong> ces murs, <strong>de</strong> <strong>la</strong> vue <strong>de</strong> mes concitoyens<br />

qui me pleuraient, <strong>de</strong> cette Rome qui m'avait honoré.<br />

Je ne me défendrai pas d'être homme, et sensible : etqueU®<br />

obligation m'auries-vous donc, si tout ce que j'abandonnais<br />

pour vous, j'avais pu le perdre avec indifférence? Je<br />

vous ai donné, lomaJns, <strong>la</strong> preuve <strong>la</strong> plus certaine <strong>de</strong><br />

mon amour pour <strong>la</strong> patrie, lorsque, me résignant au plus<br />

douloureux sacrifice, j'ai mieux aimé l'achever que <strong>de</strong> vou s<br />

livrer à vos ennemis. » (xvi—xxu.)<br />

Ce p<strong>la</strong>idoyer eut le succès qu'avaient ordinairement<br />

ceux <strong>de</strong> l'orateur : Sextius fut absous d'une<br />

vois unanime.<br />

Il semb<strong>la</strong>it qu'il fût <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée <strong>de</strong> Cieéren<br />

d'avoir à défendre tous ceux qui ravalent défen<strong>du</strong><br />

lui-même; mais il fut moins heureux pour Milon<br />

qu'il ne l'avait été pour tant d'autres. Ce n'est pas<br />

que sa cause fit plus mauvaise; mais il faut avouer<br />

d'abord que les circonstances politiques, qui avaient<br />

tant d'influence sur les affaires judiciaires, ne lui<br />

furent pas favorables. J'ai déjà parlé <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre<br />

ouverte que Clodius et Milon se faisaient au milieu<br />

<strong>de</strong> Rome : on ne doutait pas que l'un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux ne<br />

dût périr. Cieéron, dans plus d'un endroit, parle<br />

<strong>de</strong> Clodius comme d'une victime qu'il abandonne à<br />

Milon. Celui-ci <strong>de</strong>mandait le consu<strong>la</strong>t, et Clodius <strong>la</strong><br />

prêtera; et ce <strong>de</strong>rnier, qui avait tant d'intérêt à ne<br />

pas voir son ennemi revêtu d'une magistrature supérieure<br />

9 avait dit publiquement, avec son audace ordinaire,<br />

que, dans trois jours, Milon ne serait pas en<br />

vie. Milon paraissait déterminé à ne pas l'épargner<br />

davantage. Ce fut pourtant le-hasard 9 et non aucun<br />

projet <strong>de</strong> part ni d'autre, qui amena <strong>la</strong> rencontre où<br />

périt Clodius. Il revenait <strong>de</strong> <strong>la</strong> campagne avec une<br />

suite d'environ trente personnes : il était à cheval ;<br />

et Milon y qui al<strong>la</strong>it à Lanuvium 9 était dans un chariot<br />

avec sa femme; mais sa suite était plus nombreuse<br />

et mieux armée. La querelle s'engagea : Clodius,<br />

blessé, etseseiitant le plus filble, se retira 4ana


ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

«te hôtellerie, comme pour s'en faire un asile. Mais<br />

Milon se voulut pas masquer une si belle occasion :<br />

il ordonna à ses g<strong>la</strong>diateurs do forcer <strong>la</strong> maison, et<br />

<strong>de</strong> tuer Clodins. Bans on État tranquille et bien<br />

policé, ce meurtre n'aurait pas été excusable; mais<br />

quand les lots ne sont pas assez fortes pur protéger<br />

<strong>la</strong> fie <strong>de</strong>s citoyens , chacun rentre dans les droits <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> défesse naturelle, et c'était là le cas <strong>de</strong> Miloa.<br />

Cependant mlml qu'il a?ait tué était un homme trop<br />

considérable pour que ses parents et ses amis ne pour<strong>la</strong>itisseat<br />

pas <strong>la</strong> tengeance <strong>de</strong> sa mort. M ilon fut<br />

accusé, et ce procès fut, comme tout le reste, une<br />

affaire <strong>de</strong> parti. Pompée, qui était alors le citoyen<br />

le plus puissant <strong>de</strong> Romef n'était pas fâché qu'on<br />

l'eût défait <strong>de</strong>dodius, qui ne ménageait personne ;<br />

mais en même temps il <strong>la</strong>issa ?oir qu'il serait bien<br />

aise aussi qu'on le défit <strong>de</strong> Milon , dont le caractère<br />

- ferme et incapable <strong>de</strong> plier ne puvait masquer <strong>de</strong><br />

dép<strong>la</strong>ire à quiconque affectait <strong>la</strong> domination. Ce fut<br />

d'abord eette disposition <strong>de</strong> Pompée trop bien con­<br />

nue, qui nuisit beaucoup à Milon. Cette causé fut<br />

piaidée avec-ne appareil extraordinaire, ot défait<br />

use multitu<strong>de</strong> innombrable qui remplissait le forum.<br />

Le peuple était <strong>mont</strong>é jusque sur les toits pur<br />

assister à ce jugement, et <strong>de</strong>s soldats armés, par Porêra<br />

<strong>du</strong> consul Pompée, entouraient l'enceinte où les<br />

juges étaient assis. Les accusateurs furent écoutés<br />

es silence; mais dès que Cicéron s® ie?a pur leur<br />

répndre, <strong>la</strong> faction <strong>de</strong> Clodius, oompsée <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

plus aie pp<strong>la</strong>ce, passa <strong>de</strong>s cris <strong>de</strong> fureur. L'orateur,<br />

accoutumé à <strong>de</strong>s acc<strong>la</strong>mations d'un autre<br />

genre 9 se troub<strong>la</strong> : il fut quelque temps à se remettre,<br />

et partial avec peine à se faire écouter; mais il ne<br />

put jamais retenir dé <strong>de</strong>tte première impression, qui<br />

affaiblit-toute sa p<strong>la</strong>idoirie et ne lui priait pas <strong>de</strong><br />

déployer tous ses moyens.<br />

De cinquante juges, Milon n'en eut que treize<br />

pur lui; tous les autres le condamnèrent à l'exil.<br />

11 est Frai que parmi les voix qui lui furent favorables<br />

, il y en eut une qui râ<strong>la</strong>it seule plus eue toutes<br />

Celles qu'il n'eut pas. Cataa fut d'avis <strong>de</strong> l'absoudre;<br />

et si quelquefois on accusa Caton <strong>de</strong> trop <strong>de</strong> sévérité,<br />

jamais on ne lui a reproché trop d'in<strong>du</strong>lgence.<br />

11 pensait que Milon avait ren<strong>du</strong>.service à <strong>la</strong> république<br />

ea <strong>la</strong> délivrant d'un si mauvais citoyen. Ce<br />

fut aussi l'opinion <strong>de</strong> Bra<strong>la</strong>s, qui publia un mémoire<br />

où il soutenait que le meurtre <strong>de</strong> Clodius était légitime.<br />

Il avait même conseillé à Cicéron <strong>de</strong> ne désavouer<br />

m le fait ni l'intention, et <strong>de</strong> soutenir que<br />

Milon, en vou<strong>la</strong>nt tuer Clodius, et en le tuant, n'avait<br />

fait que ce qu'il <strong>de</strong>vait faire. Cleérea trouva<br />

cette défense trop hasar<strong>de</strong>use, et dans l'état <strong>de</strong>s<br />

choses , il avait raison. Il prit donc une autre tour*<br />

LA aaaaia — tous L '<br />

289<br />

note, et se servit habilement <strong>de</strong> toutes les elreoaatasces<br />

<strong>de</strong> l'action pour prouver que Clodius avait<br />

ten<strong>du</strong> <strong>de</strong>s embûches à Milon sur <strong>la</strong> voie Àppieuse t<br />

et pur rejeter tout l'odieux <strong>du</strong> meurtre sur les esc<strong>la</strong>ves,<br />

qui avaleat agi sans l'ordre <strong>de</strong> leur maître.<br />

Son dis<strong>cours</strong> passe pur un <strong>de</strong> ses chefs-d'œuvre :<br />

mais celui que nous avons n'est pas celui qu'il prononça.<br />

11 était trop intimidé pour avoir tant d'énergie.<br />

Aussi, lorsque Milon, qui soutenait son exil avec<br />

beaucoup <strong>de</strong> courage, reçut le p<strong>la</strong>idoyer que Cicéron<br />

lui envoyait, tel qu'il sous a été transmis, il<br />

lui écrivit : Je mus remercie <strong>de</strong> m'amir pas fait<br />

si bien d'abord; si vous aviez pare ainsi, je ne<br />

mangerais pas à MarseMk <strong>de</strong> si bons poissons.<br />

Un homme qui prenait son parti avec tant <strong>de</strong> résolution<br />

méritait le suffrage <strong>de</strong> Caton et <strong>de</strong> Brutes.<br />

Quoique Cicéron n'eût pas voulu établir sa défense<br />

sur le pian qu'os lui avait proposé, cependant<br />

il ne le rejeta pas tout entier; et, après avoir dé<strong>mont</strong>ré,<br />

autant qu'il le peut9 dans <strong>la</strong> première prie<br />

<strong>de</strong> son dis<strong>cours</strong>, que c'est Clodius qui était intéressé<br />

à faire périr Milon, et qui en a eu le <strong>de</strong>ssein,<br />

dans <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> il va plus loin : le servant <strong>de</strong> tous ses<br />

avantages, et rappe<strong>la</strong>nt tous les forfaits <strong>de</strong> Clodius,<br />

il soutient que, quand même Milon Peut poursuivi<br />

ouvertement comme un ennemi public, bien loin<br />

d'être puni par les lois 9 il mériterait <strong>la</strong> reconnaissance<br />

<strong>du</strong> peuple romain. Mais il me semble avoir<br />

choisi ses moyens es orateur habile, lorsqu'il a<br />

préféré <strong>de</strong> mettre cette assertion en hypothèse, et<br />

nos pas es fait : elle en a bien plus <strong>de</strong> force.<br />

Il y avait quelque chose <strong>de</strong> trop <strong>du</strong>r à dire crûment,<br />

J'ai voulu le tuer, et je l'ai tué : au lieu qu'après<br />

avoir présenté son adversaire comme l'agresseur,<br />

comme I<strong>la</strong>sifJIatearraa est reçu bien plus favorablement<br />

à dire : Quand même j'aurais voulu sa mort,<br />

il m'en avait donné le droit. On parie alors à <strong>de</strong>s esprits<br />

préparés | qui peuvent plus alséiaeat se <strong>la</strong>isser<br />

persua<strong>de</strong>r, ce qui aurait pu les révolter d'abord.<br />

Cette progression dans les idées qu'on préseste, et<br />

dans les impressions qu'on veut pro<strong>du</strong>ire, est us <strong>de</strong>s<br />

secrets <strong>de</strong> l'art oratoire. On obtient, avec <strong>de</strong>s mésagements<br />

et <strong>de</strong>s préparations, ce qu'on ne purrait<br />

pas emporter <strong>de</strong> vive force. Mais, après toutes<br />

les précautions qu'il a prises s Cicéron paraît triompher<br />

lorsqu'il dit :<br />

« Si dans ea même moment Milon » tenant en sa main<br />

soo épée encore sang<strong>la</strong>nte 9 décriait : iaraaiest écoutesmoi;<br />

écôateiasat, citoyens : oui, j'ai tué Clodius; c'est<br />

avec ce bras, c'est avec ce fer que j'ai écarté <strong>de</strong> vos têtes<br />

les fureurs d'us scélérat que nul frein ae pouvait plus retenir»<br />

qiiê les lois ne pouvaient plus enchaîner; c'est par sa<br />

mort que vos droits 9 <strong>la</strong> liberté, l'Innocence, l'honneur, sont<br />

en sûreté : il MUon tenait m tanpgef • sursit-il qnelqse<br />

19


290<br />

chose a «tinte? Et en eft%tf njmrfîniij qui ne Pappnrave<br />

pas? Qui ne le trouve ps digne <strong>de</strong> leuanp? Qui<br />

se pense pas, «pi ne dit pas tout haut que jamais homme<br />

n'a donné tu peuple romain un plus grand sujet <strong>de</strong><br />

joie? De tous les triomphes que nous âfoni TUS, nul,<br />

j'ose le dire, n'a répan<strong>du</strong> dans ces murs une plos The<br />

allégresse, et n'a promis <strong>de</strong>s avantages plus <strong>du</strong>rables. Je<br />

me f<strong>la</strong>tte, Romains, que TOUS et vos enfants êtes <strong>de</strong>stinés<br />

à ¥©ir dans <strong>la</strong> république les pins heureux changements;<br />

persua<strong>de</strong>!-voas bien que tons ne les Ternes jamais , si Cledlns<br />

vfvait encore. Tout nous autorise à espérer qu'axée<br />

un €0niiil tel que le grand Pompée , cette même aimée Terra<br />

mettre on frets à <strong>la</strong> licence, Terra <strong>la</strong> cupidité réprimée,<br />

les lois affermies ; et ces jours <strong>de</strong> saint que nous attendons y<br />

que! homme assez insensé se serait f<strong>la</strong>tté <strong>de</strong> les voir luire<br />

in TiTant <strong>de</strong> Clodins? Qne dis-je? Quelle est celle <strong>de</strong> f es<br />

possessions domesttqyes dont Tons essaies pu TOUS promettre<br />

une jouissance assurée et paisible ; tant qne ce furieux<br />

anrait nn faire sentir sa domination? Je ne crains pas qu'on<br />

Impute à mes reseemUeaents particnlers île mettre dans mes<br />

accusations pins <strong>de</strong> eMaece que <strong>de</strong> Térité. Quoique j'eusse<br />

plis qse tent antre le droit <strong>de</strong> 1® hair, cependant ma haine<br />

personnelle ne pourrait pas être an-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> l'horreur uni»<br />

TerseUe qu'il inspirait... Enfin, Juges, Je TOUS Se <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

f il s'agit <strong>de</strong> prononcer sur le meurtre <strong>de</strong> Cledlua : Isa»<br />

gmesrvoua donc ( car <strong>la</strong> pensée peut nous représenter un<br />

moment les objets comme si Ton en voyait <strong>la</strong> réalité ), imagines-Tons<br />

, dls-je , que Ton me promet d'absoudre Mllon ,<br />

sons <strong>la</strong> cenelllen qne Clodins revivra! Tous frémisses<br />

tons 1 Eh quoi I si cette seule idée 9 tout mort «pli est f Tons<br />

a frappés d'épouvante, qne serait» donc s'il était Tirant ? »<br />

(xxvm, no. )<br />

On regar<strong>de</strong> aisez généralement le péroraison <strong>de</strong><br />

œ dis<strong>cours</strong> comme <strong>la</strong> plus belle qu'ait faite Cicéron.<br />

L'objet le plus ordinaire <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière partie <strong>de</strong>s<br />

p<strong>la</strong>idoyers est f comme on sait , d'exciter <strong>la</strong> pitié <strong>de</strong>s<br />

juges en faveur <strong>de</strong> l'accusé; et cette métho<strong>de</strong> est<br />

celle <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>rnes$ comme <strong>de</strong>s anciens. Si Ton avait<br />

une idée exacte <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice et <strong>du</strong> ministère <strong>de</strong> ceux<br />

qui <strong>la</strong> ren<strong>de</strong>nt, on ne Terrait pas les orateurs <strong>de</strong> tous<br />

les temps et <strong>de</strong> toutes les nations se mettre avec les<br />

accusés, aux pieds <strong>de</strong>s juges, et employer, pour<br />

les émouvoir, tout Fart <strong>de</strong>s supplications, N'est-ce<br />

pas ea effet une espèce d'outrage à <strong>de</strong>s juges $ <strong>de</strong> les<br />

supplier d'être justes? Est-il permis <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à<br />

<strong>la</strong> compassion ce qu $ on ne doit attendre epe <strong>de</strong> l'équité;<br />

<strong>de</strong> faire parler ses pleurs comme si Ton se<br />

défiait <strong>de</strong> ses raisons ; d'oublier enûn que le ministre<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> loi 9 celui dont le premier <strong>de</strong>voir est d'être<br />

impassible comme elle , ne doit point ? cage? l'innocent<br />

parce qu'il le p<strong>la</strong>int, mais parce qu'il le juge?<br />

Yoilà ce que pourrait dire une philosophie rigoureuse.<br />

Mais l'éloquence a trop bien enten<strong>du</strong> ses intérêts<br />

pour les fon<strong>de</strong>r sur une perfection presque<br />

absolument idéale. L'orateur a pensé que, si <strong>la</strong> philosophie<br />

, dans sm spécu<strong>la</strong>tions, peut sans risque ne<br />

CÛU18 DE OTTÉ1ÂTO1B.<br />

voir dans les jogn que <strong>la</strong> loi vivantè^il était bien<br />

plus sûr pour lui et pour sa cause <strong>de</strong> n v y Toir autre<br />

chose que les hommes. 11 s'est souvenu qu'il est<br />

dans notre nature d'aimer à n'accor<strong>de</strong>r que comme<br />

une grâce ce qu'on peut exiger comme une jus*<br />

tice, qu'on se rend à <strong>la</strong> conviction comme à <strong>la</strong> force,<br />

mais qu'on cè<strong>de</strong> à l'attendrissement comme à son<br />

p<strong>la</strong>isir ; qu'un peu <strong>de</strong> sensibilité est plus facile et plus<br />

commun que beaucoup d'équité et <strong>de</strong> lumièrai ; que<br />

l'on dispute contre son coeur beaucoup moins que<br />

contre sa raison;et que, quand tous les<strong>de</strong>ux peuvent<br />

déci<strong>de</strong>r <strong>du</strong> sort <strong>de</strong> l'accusé, le défenseur ne petit<br />

mieux faire que <strong>de</strong> s'assurer tous les <strong>de</strong>ux*<br />

C'est cequeCicéron entendait mieux que personne*<br />

mais ce que le caractère et <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> M Mon rendaient<br />

trèfrdifflcil%l ne fal<strong>la</strong>it pas que l'avocat parât<br />

en contradiction avec son client; et le 1er Mtlon,<br />

intrépi<strong>de</strong> dans le danger, n'avait rien fait <strong>de</strong> ce qu'a*<br />

valent coutume <strong>de</strong> faire les accusés pour se rendre<br />

leurs juges favorables. 11 n'avait point pris le <strong>de</strong>uil t<br />

n'avait fait aucune sollicitation, ne témoignait aa-^<br />

eaae crainte. Il y avait là <strong>de</strong> quoi déranger beaucoup*<br />

le pathétique d'un orateur vulgaire : le nôtre s'y<br />

prend si bien, qu'il tourne en <strong>la</strong>veur <strong>de</strong> son client<br />

cette sécurité qui pouvait indisposer contre lui, en<br />

ressemb<strong>la</strong>nt à l'orgueil.<br />

« Que me reaîe-t-1 à faire f si ce n'est dlmplorar en fk*<br />

veur ds plus courageux <strong>de</strong>s hommes <strong>la</strong> pitié que <strong>la</strong>keénae<br />

ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> point, et que Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> même malgré M?<br />

Si vous ne l'aves pas vu mêler une <strong>la</strong>rme à tontes celea<br />

qu'il vous fait répandre; ai vous n*a?ei remarqué aucun<br />

changement dans sa contenance ni dans ses dis<strong>cours</strong>, vous<br />

ne <strong>de</strong>ves pas pour ce<strong>la</strong> prendre moins d'intérêt à son sort ;<br />

petiêêîre même est-ce une raison pour lui en <strong>de</strong>voir da-<br />

Tantage. Si, dans les combats <strong>de</strong> g<strong>la</strong>cllelen.r8, quand il<br />

s'agit<strong>du</strong> sort d@ces hommes <strong>de</strong>là <strong>de</strong>rnière c<strong>la</strong>sse, nous<br />

ne pouvons nous empêcher d'avoir <strong>de</strong> l'avenu* et ces né -<br />

pris pour ceux qui se <strong>mont</strong>rent timi<strong>de</strong>s et suppliants , qui<br />

noua <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> Tie; si, au contraire, nous nous intéressons<br />

au salut <strong>de</strong> ceux qui font voir un grand courage,<br />

et s'offrent hardiment à Sa mort; si nous croyons alors<br />

<strong>de</strong>voir notre compassion à ceux qui ne l'Implorent pas 9<br />

combien cette disposition esl«ele encore plus juste et<br />

eufeoi p<strong>la</strong>cée quand il s'agit <strong>de</strong> nos nieilenrs riteyena I<br />

Pour moi Je l'avoue, je suis pénétré <strong>de</strong> douleur quand<br />

j'entends ce fieMUun me répète tons les jours, quand<br />

j'entends les adieux qu'il adresse à ses concitoyens. Ôe'M§<br />

soient heureux, me ditil ; qu'ils vif eut dans <strong>la</strong> paix et <strong>la</strong><br />

sécurité; que <strong>la</strong> république soit florissante; elle me sera<br />

toujours chère, quelque traitement que j'en reçoive SI je<br />

ne puis jouir avec elle <strong>du</strong> repos qne je lui ai procuré,<br />

qu'elle en jouisse sans moi et par moi. Je me retirerai,<br />

Je m'éteignerai, content <strong>de</strong> troaTer un asile dans ta première<br />

cité libre et bien gouvernée qne je reaiaaatrersl sur<br />

mon passage. © travaux anales et mal récompensés !<br />

a^ecrte-Mii ée^etatacajstrempeuMl ê trop viipespcn-


•JtsîMMqirttdsiWÉMtoBip é^»Mmt<br />

ANCfflBOL — ÉLOQUMC3B.<br />

marqués par<br />

les attentai* <strong>de</strong> Ciojlins 9 quand te sénat était dans l'abat*<br />

tement, <strong>la</strong> république dans l'oppression 9 les chevaliers<br />

romains sans pouvoir, tous les bons citoyens sans espérance,<br />

leur ai dévoué, leur al consacré tout ce que le tribunal<br />

me donnait <strong>de</strong> puissance, m@ serais-je attends à<br />

être an jour abandonné par eeux que j'avais défen<strong>du</strong>s?<br />

Moi qui t'ai ren<strong>de</strong> à ta patrie, Cieéron (car c'est à moi<br />

ip*i s'adresse <strong>la</strong> plus souvent), <strong>de</strong>vais«jecroire qu'Une<br />

ne Ht pas permis d'y <strong>de</strong>meurer? On est maintenant ce<br />

aéett dont nous avons pris en msJn <strong>la</strong> cause? Ou sont ces<br />

chevalters romains qui dataient toujours être à toi I .Où<br />

mmîemmmmmifmmm&^mmBlMmi les villes munici­<br />

pales » ces recommandatioiis <strong>de</strong> tonte l'Italie ! Enfin, oti est<br />

ta voix, ô Cieéron ! qui a santé tant <strong>de</strong> citoyens? Ta voix<br />

m pent donc rien pour mon saldt après que j'ai tout risqué<br />

pour le tient<br />

« €e que je ne puis répéter ici qîfavee <strong>de</strong>s gémissements,<br />

Iledit avec le même visage que tons lui voyet. H ne<br />

croit point ses eondtoyens ciptlriesdlnpatiftfl<strong>de</strong>; U ne les<br />

m(àîqmêmâmmimlâm.Mmmt^mîiMM€mmipm><br />

digue son patrimoine pour s'attacher cette parie <strong>du</strong> peuple<br />

que GMimarmait contre tons; i compte, parmi les<br />

sêrrkeif qu'il tons a ren<strong>du</strong>sy ses libéralités, dont le pou*<br />

voir, ajoutant à celui <strong>de</strong> ses vertus 9 a fait votre sûreté.<br />

H se soutient <strong>de</strong>s marques d'intérêt et <strong>de</strong> bienveil<strong>la</strong>nce que<br />

le sénat M a données dans ce moment même ; et dans<br />

quelque endroit que son <strong>de</strong>stin le con<strong>du</strong>ise ; il emporte<br />

i?ee M le soutenir <strong>de</strong> vos empressements 9 <strong>de</strong> totre zèle ,<br />

et <strong>de</strong> tos regrets.... H ajoute, et atee vérité, que les gran<strong>de</strong>s<br />

âmes n'entteagênt dans leurs actions que le p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong><br />

Men faire, sans songer an pris qui tes attend; qu'il n'a<br />

rien fait dans sa vie que pour l'honneur ; que, si rien n'est<br />

plus beau f plus désirable que <strong>de</strong> sertir sa patrie et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

délivrer <strong>du</strong> danger, ceux-là sans doute sont heureux entera<br />

qui die s'est acquittée par <strong>de</strong>s honneurs -publies ;<br />

mais qu'il ne faut pas p<strong>la</strong>indre eeux envers qui leurs concitoyens<br />

<strong>de</strong>meurent re<strong>de</strong>vables; que si l'on apprécie les<br />

témm^mmê <strong>de</strong> k vertu, kgfotre est <strong>la</strong> première <strong>de</strong> toutes ;<br />

que c'est ele qui console <strong>de</strong> <strong>la</strong> brièveté <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie par <strong>la</strong><br />

pensée <strong>de</strong> l'atenir, qui nous ropro<strong>du</strong>it quand nous sommes<br />

absents f nous fait retitre quand nous ne sommes<br />

plus, et sert aux hommes comme d§ <strong>de</strong>gré pour s'élever<br />

jusqu'au! <strong>de</strong>ux.<br />

« Dans tous tes temps , dit-il y le peuple romain 9 toutes<br />

les nations parleront <strong>de</strong> Milon : son nom ne sera jamais<br />

oublié. Aujounfhui même que tons les efforts <strong>de</strong> nos ennemis<br />

se réunissent pour irriter l'envie contre mol 9 partout<br />

<strong>la</strong> voix publique me rend hommage, partout ou les hommes<br />

se rassemblent Us me ren<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s actions <strong>de</strong> grâces.<br />

Jenepartepas<strong>de</strong>aiètesquel'ÉtrarteacélÉliréet et établies<br />

en mon honneur : ilj a maintenant plus <strong>de</strong> trois mois<br />

fne €Mïmàfèn$€ihhmitê%mmmîfm parcourant<br />

toutes tes provinces <strong>de</strong> l'empire, y a répan<strong>du</strong> <strong>la</strong> joie et<br />

l'allégresse. Et qu'importe où je sois désormais, puisque<br />

. mon nom et ma gloire sont partout?<br />

« Yoâtà ce que tu me dis souvent, Milon, en Fabsence<br />

<strong>de</strong> ceux qui m'éeotitent 9 et voici ce que Je te réponds en<br />

leur présence : le ne puis refuser <strong>de</strong>s étops à ce grand<br />

991<br />

conrap; pais plu je radniiro9 plus ta perte me <strong>de</strong>vient<br />

amère et douloureuse. Si tu m'es enlevé, et si l'on t*ar><br />

radie <strong>de</strong> mes bras, je n'aurai pas même cette mmmUûm<br />

<strong>de</strong> pouvoir haïr eem qui m'auront porté un coup si sensible.<br />

Ce ne sont pas mes ennemis qui me priveront <strong>de</strong> toi ;<br />

ce sont ceui-mêmes que j'ai le plus chéris* ceux qui m'ont<br />

<strong>la</strong>it à moi-même le plus <strong>de</strong> bien. Non, Romains f quelque<br />

chagrin que vous me canniez (et vous ne pontes m'en<br />

casser un plus cruel ), jamais tous ne me forceras à ou*<br />

blfer ce que tous avez fait pour moi; mais si vous favea<br />

oublié vous-mêmes, si quelque chose en moi a pu vous<br />

offenser, pourquoi ne pas m'en punir plutôt que Mltea?<br />

Quoi qu'il m'arrite, je m'estimerai heureux si je ne suis<br />

pas le témoin <strong>de</strong> m disgrâce.<br />

« La seule conso<strong>la</strong>tion qui puisse me rester, sUlon 9 c'est<br />

qu'au moins j'aurai rempli envers toi tous tes <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong> fa*<br />

mitiez <strong>du</strong> sèle et <strong>de</strong> k reconnaissance. Pour toi j'ai bravé<br />

l'inimitié <strong>de</strong>s hommes puissants , j'ai exposé ma vie à tous<br />

les traits <strong>de</strong> tes ennemis; pour toi j'ai pu même les supplier,<br />

j'ai regardé ton danpr comme le mien, et mon bien<br />

et celui <strong>de</strong> mes enfants connus te tien propre. Enfin, s'il<br />

est quelque violence qui menace ta tête, je ne crains pas<br />

<strong>de</strong> l'appeler sur <strong>la</strong> sienne. Que me reste-yi encore? que<br />

puis-je dire? que puls*je &ke9st€en f est<strong>de</strong> lier déwrmais<br />

mon sort au tien, quel qu'M soit, et <strong>de</strong> suivre en tout ta<br />

fortune? J'y consens, Romains; je veux Men que vous<br />

soyes penuadés que le salut <strong>de</strong> stiion mettra le comble à<br />

tout ce que je vous dois 9 ou que tous tes bienfaits que<br />

j'ai reçus <strong>de</strong> vous seront anéantis dans sa disgrâce. Mais<br />

pour lui, toute cette douleur dont je suis pénétré, ces<br />

pleurs que m'arrache sa situation, n'ébranlent point son<br />

incroyable fermeté. Il ne peut se résoudre à regar<strong>de</strong>r comme<br />

un exil quelque lieu que ce soit où puisse habiter <strong>la</strong><br />

vertu : <strong>la</strong> mort même ne lui parait que le terme <strong>de</strong> l'humanité<br />

, et non pas une punition. Qu'il reste donc dans ces<br />

sentiments qui lui sont naturels. Mais nous, ÉNnains,<br />

quels doivent être les nôtres! Voules-vous ne gu<strong>de</strong>r <strong>de</strong><br />

Milon que son souvenir, et le bannir en te regrettant ? Est-il<br />

au mon<strong>de</strong> quelque asile plus digne <strong>de</strong> ce grand homme que<br />

le pays qui Fa pro<strong>du</strong>it ? Je vous appelle tous, ô vous, braves<br />

Romains, qui ates répan<strong>du</strong> votre sang pour k patrie ! eenturions,<br />

soldats, c'est à vous que je m'adresse dans les<br />

dangers <strong>de</strong>'ce citoyen courageux. Est-ce <strong>de</strong>vant vous, qui<br />

assistes à ce jugement les armes à <strong>la</strong> main; est-ce tous<br />

vos yeux que k vertu sera bannie, sera chassée, sera<br />

rejetée loin <strong>de</strong> nous? Malheureux que je suis ! c'est avec le<br />

se<strong>cours</strong> <strong>de</strong> ces mêmes Romains, ô MUoni que tu as pu<br />

me rappeler dans Rome; et Ils ne pourront m'aMer à fy<br />

retenir! Que répondrai-je à mes enfants9 qui te regar<strong>de</strong>nt<br />

comme un second père ? à mon frère aujourd'hui absent 9<br />

mais qui a partagé autrefois tous tes Unix <strong>de</strong>nt tu m'as<br />

délivré? Je leur dirai donc que je n'ai rien pu pour ta défense<br />

auprès <strong>de</strong> ceux qui t'ont si bien secondé pour k<br />

mienne i Et dans quelle cause! dans celte qui excite un intérêt<br />

universel. Dotant quête juges? <strong>de</strong>vant ceux à qui <strong>la</strong><br />

mort <strong>de</strong> Clodius a été le plus utile. Avec quel défenseur?<br />

avec Cieéron. Quel si grand crime anje donc commis, <strong>de</strong><br />

quej forfait inexpiable me suis-je chargé, quand j'ai rechef<br />

ché, "découvert, étoôflë cette fatale conjuration qui nous<br />

it.


fSJ<br />

COURS m LITTÉRATURE.<br />

wenapit tous, §t fil est <strong>de</strong>venue pour moi et pour les<br />

miens use source <strong>de</strong> maux et d'iMortiMies P Posrqsoi<br />

m'a?efrv©es rappelé dans ma patrie ? Est-ce pour en chasser<br />

sens mes yeux, eesx qui m'y ont rétabli ? Vraie*?eus doue<br />

que mon retour mit plus êmà&wm% que mon eii : on<br />

plutôt» comment poisse me mâm en effet rétabli, si je<br />

perds ceux à qui je dois mon salut? Plit aux dknx que<br />

ClorSas ( parfenaes ê ma patrie! pardonne : je crains que<br />

m vœu.qne m'arrache l'intérêt <strong>de</strong> Mlos ne soit ss erime<br />

envers toi ) ; plût ans dieu que Clodlus vécût «score s<br />

qu'il lit préteur, caecal f dictateur, plutôt que <strong>de</strong> voir<br />

tant jamais prononcée; mais elle fut'répan<strong>du</strong>e dans<br />

Rome et dans l'Italie 9 et lue avec aridité. Antoine<br />

ne <strong>la</strong> pardonna jamais à fauteur, et ce fut <strong>la</strong> prin­<br />

cipale cause <strong>de</strong> sa mort. Antoine cependant avait été<br />

ragresseur; lui-même avait provoqué cette terrible<br />

représaille, en venant dans le sénat déc<strong>la</strong>mer avee<br />

violence contre Cicéron, qui était absent. L'orateur<br />

n'avait pas ooutume éTen<strong>du</strong>wr eus sortes d'injures;<br />

il était trop sûr <strong>de</strong> ses armes. Ge n'est pas que ce<br />

pure d'éloquence soit le plus difficile, à beaucoup<br />

ftflreux spectacle dont cm seul menace! O dieux immortels!<br />

ô Romains! «serrez an citoyen tel que mon! —<br />

<strong>la</strong>a 9 me dit-Il ; que Clodias soit mort comme I le méritait,<br />

et que je subisse le sort que je n'ai pas mérité. — C'est<br />

ainsi fait parie : et cet homme, né pour <strong>la</strong> patrie, encartait<br />

aiiears que dans sa patrie! Sa mémoire sera gravée<br />

dans ?os cœurs, et lui-même s'aura pas un tombeau dans<br />

FltaJIè î et quelqu'un <strong>de</strong> •ras pourra prouoiiear l'exil d'as<br />

lionne que tontes les MlioMVOrt<br />

O trop heureuse <strong>la</strong> file qui te reefvra! O Rome Ingrate»<br />

ai <strong>de</strong> le basait 1 malheureaae, si die le perd! Mes <strong>la</strong>rmes<br />

se me permettait pas d'en dire dafauttp, et M<strong>la</strong>a ne<br />

•eut pas être défen<strong>du</strong> par <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes. Tout ce que je<br />

¥ous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, c'est d'©sery en donnant •acre 8sÂap9<br />

s'en croire que vos sentiments. €royes que celui qui a<br />

choisi pour jusjes les hommes les plus justes et les plus<br />

fermes, les plus honnêtes pic <strong>de</strong> <strong>la</strong> république, s'est engagé<br />

d'année, plus pexicalèr^facat que personne, à approuver<br />

ee que TOUS euraat dicté <strong>la</strong> justice, <strong>la</strong> patrie et<br />

<strong>la</strong>vertu. » (xxxiv — xxxvni.)<br />

Plus je relis cette admirable harangue , plus je me<br />

persua<strong>de</strong>, comme Milos, que si es effet Cicéron<br />

avait paru dans cette cause aussi ferme qu'il avait<br />

coûta» <strong>de</strong> l'être, il l'aurait emporté sur toutes les<br />

considérations timi<strong>de</strong>s ou intéressées qui pouvaient<br />

agir contre f accusé» C'est an coup <strong>de</strong> Fart f un trait<br />

unipe que cette péroraison, où l'orateur, ne pou-<br />

Yant appeler <strong>la</strong> pitié sur celui qui <strong>la</strong> dédaignait,<br />

prend le parti <strong>de</strong> l'implorer pour lui-même, prend<br />

pour lui le rôle <strong>de</strong> suppliant, aûn d # près : Fimprobation et le reproche ont naturellement<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> véhémence, et les peintures satiriques<br />

piquent <strong>la</strong> malignité. Mais ce genre acquiert <strong>de</strong> Firaportance<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> gravité quand il s'agit d'intérêts<br />

pubtics. La guerre contre les méchants est alors<br />

<strong>la</strong> mission <strong>de</strong> l'homme honnête, et il appartient à<br />

Forateuf citoyen <strong>de</strong> prier aux ennemis <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie<br />

<strong>de</strong> manière à les intimi<strong>de</strong>r, et <strong>de</strong> les peindre avec <strong>de</strong>a<br />

traits qui les fassent rougir d'eux-mêmes. C'est ce<br />

que faisait Cicéron dans cette immortelle PkiMppique<br />

où il trace l'exposé <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie d'Antoine <strong>de</strong>puis<br />

ses <strong>de</strong>rnières années. Ces sortes


ANCIENS. — ÉLOQUENCElysepa?<br />

quéquesmorceaui tirés dtt dis<strong>cours</strong> adressé | exploita i»TCBttpiMirtêiïfr^<br />

99S<br />

<strong>de</strong>vant le sénat, à César dictateur, au moment où ~" # " s# ~ "*"* -•—-•• —--•- * —- *— *—<br />

i venait d'accor<strong>de</strong>r le rappel <strong>de</strong>Marcellus, qui avait<br />

été un <strong>de</strong> ses plus violents ennemis. Une partie <strong>de</strong><br />

ce dis<strong>cours</strong> s'est autre chose que f éloge <strong>de</strong> <strong>la</strong> clémence<br />

<strong>de</strong> César. Il est fait avec intérêt et noblesse,<br />

sans exagération et sans <strong>la</strong>iterie; et ce que dit foratesr<br />

en <strong>la</strong>issait est <strong>la</strong> meilleure réponse qu'on<br />

puisse faire à ceux qui lui ont reproché trop <strong>de</strong><br />

comp<strong>la</strong>isance pour César.<br />

* CTest avec regret , César, que f al enten<strong>du</strong> souvent <strong>de</strong><br />

•être beoetie ce mot qui 9 par luf-même , est pîeifi <strong>de</strong> sagesse<br />

et <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur : J*ai mmz vécu, mit pour im nature<br />

9 s&iêpmr Im gloire. Assez pour <strong>la</strong> nature , si vous<br />

unies; asaei même pour <strong>la</strong> gloire, j'y consens, nuls non<br />

pis pour te patrie, qui est avant tout. Laissez donc ce<br />

<strong>la</strong>ngage aui philosophes qui ont rais leur gloire à mépriser<br />

<strong>la</strong> mort : cette sagesse ne doit palet être <strong>la</strong> a être ; ele coûterait<br />

trop à <strong>la</strong> république. Sans doute TOUS auriez sssez<br />

féca | si ?©es étiez né pour TOUS seul ; mais aujourd'hui que<br />

le sa<strong>la</strong>ire tous les citoyens et le sort <strong>de</strong> <strong>la</strong> république dépen<strong>de</strong>nt<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite que vous tiendrez 9 vous êtes bien loin<br />

d'avoir achevé te grand édifice qui Mî être votre ouvrage :<br />

vous s'en aaea pas même jeté les fon<strong>de</strong>ments. Est-ce donc<br />

à uns à mesurer <strong>la</strong> <strong>du</strong>rée <strong>de</strong> vos jeun sur le peu <strong>de</strong> pria<br />

que peut y attacher votre can<strong>de</strong>ur d f pas <strong>la</strong>it ce qui n'aurait appartenu qu'à TOUS. Ayez dont<br />

<strong>de</strong>vant les yen ces juges se?ères qui prononceront un<br />

jour sur TOUS, et dont le jugement $ si j'ose 1® diref aura<br />

plus <strong>de</strong> polds-que Se nôtre 9 parce qu'ils seront sans intérêt,<br />

sans haine, et sans envié. »(vuf>n.) '<br />

Maintenant, je le <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à tous cens qui ont<br />

fait un crime à Cicéron <strong>de</strong>s louanges qu'il a don*<br />

nées à César : Est-ee là le <strong>la</strong>ngage d'un a<strong>du</strong><strong>la</strong>teur,<br />

d'un esc<strong>la</strong>ve? N'est-ce pas celui d'un homme éga»<br />

lement sensible aux vertus <strong>de</strong> César et aux intérêts<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie, et qui rend-justice à l'un, mais qui<br />

aime l'autre; qui, en louant l'usurpateur <strong>de</strong> l'usage -<br />

qu'il fait <strong>de</strong> sa puissance, l'avertit que son premier<br />

<strong>de</strong>voir est <strong>de</strong>. le soumettre ani lois? Fal<strong>la</strong>it-il qu'il<br />

fût IsaesslNe à cette clémence qui nous touche en*<br />

core aujourd'hui? Je sais qu'un républicain rigi<strong>de</strong>s<br />

qu'un Bratus, un Caton, répondra qu'il ne faut<br />

rien louer dans un tyran; que sa clémence même<br />

est un outrage; que le premier <strong>de</strong> ses crimes est <strong>de</strong><br />

pouvoir pardonner. Je conçois cette fierté dans ém<br />

hommes nés libres, en qui l'amour <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté f<br />

sucé aiee le <strong>la</strong>it f étouffe lent autre sentiment. Mais<br />

ce <strong>de</strong>rnier excès <strong>de</strong> l'inflexibilité républicaine esl-Il<br />

âme9 et non pat sur on <strong>de</strong>voir indispensable? ne tient-il pas plutôt au<br />

l'intérêt eomman? Et si je TOUS disais que ce n'est pas caractère qn'à <strong>la</strong> morale ? ne peut^on y mettre quel­<br />

asset pour cette gloire même que, <strong>de</strong>-votre propre-aveu » que restriction 9 quelque mesure-, sans se rendre vU<br />

et ma%ré tous vaspritodpea <strong>de</strong> piiaaafiiia 9 fouspvéiirez<br />

on coupable ? ne peut-on aimer, <strong>la</strong> liberté et son pays<br />

à tout? Quoi donc! me direz-voua, en Msseral-je si peu<br />

après moi? Beaucoup, €éaarf et même assez pour tout<br />

sans fermer entièrement son âme aux impulsions<br />

autre; trop peu pour voss seuls car à vos yen rien ne <strong>de</strong> <strong>la</strong> sensibilité et <strong>de</strong> <strong>la</strong> reconnaissance? Tous ces<br />

doit être assez grand, si reste quelque chose au-<strong>de</strong>ssus. sénateurs, qui bientôt après assassinèrent César, se<br />

Or, prenez garda que, si toutes vos gran<strong>de</strong>s actions doi­ jetaient alors à ses pieds pur- en obtenir <strong>la</strong> grâce di<br />

vent aboutir à iaiaser h république dans f état où elle est t Marcelius. S'il était coupable à leurs yeux do pou­<br />

VOéS a'aye* peatêt excité l'admiration que mérité <strong>la</strong> rértvoir l'accor<strong>de</strong>r, pourquoi <strong>la</strong> lui <strong>de</strong>mandaient-ils? Il<br />

table gloire, si eelleci consiste à <strong>la</strong>isser après soi le sou­ faut être conséquent c si tout ce qu'en reçoit d'un<br />

tenir <strong>de</strong> Men qu'en a fait au siens, à <strong>la</strong> patrie et au genre<br />

tyran déshonore, il est-abject <strong>de</strong> lui rien <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r.<br />

humain. YoUà ce qui vous reste à faire ^ •©» le grand<br />

Mais il est bien difficile <strong>de</strong> s'accor<strong>de</strong>r avec soi-même<br />

tarai qui doit vous écorner. Donnes une forme stable à<br />

<strong>la</strong> république, et jouissez aans^isêaie <strong>de</strong> <strong>la</strong> paix et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

dans <strong>de</strong>s principes outrés et excessifs. Cicéron 9 ejiie<br />

tranquillité que vous aarea proeurées à l'État... M*appeles l'on a taxé d'inconséquence , ne me paraît pas avoir<br />

pas votre ¥ie eele dont <strong>la</strong> condition humaine a marqué les mérité, comme eux, ce reproche». Quand on l'en­<br />

bornes, mais ce<strong>la</strong> qui s'étendra dans tous les âges, et qui tendit dans <strong>la</strong> suite app<strong>la</strong>udir aux meurtriers <strong>de</strong> Cé­<br />

awaftfcndre à <strong>la</strong> postérité. C'est I cette vie Immortelle que sar comme aux vengeurs <strong>de</strong> Mairie et <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté,<br />

TOUS <strong>de</strong>vez tout rapporter. Elle .a. déjà dans vous ae était-ce donc, comme on Ta dit, se démentir? Il<br />

qui peut être admiré; mais elle attend ce qui peut être pouvait répondre : J'ai loué dans un grand homme<br />

approuvé et estimé. On entendra, on lira arec étonne-<br />

ce qu'il avait <strong>de</strong> louable; j'ai Mâmé sa tyrannie pument<br />

vos triomphes sur Se Ehin, sur le M, sur l'Océan.<br />

bliquement, et f al exhorté lui-même à y renoncer ;<br />

Mais si <strong>la</strong> république n'est pas affermie sur une base soli<strong>de</strong><br />

par vos soins et YOfre sagesse, actre nom se répandra au je vou<strong>la</strong>is §al! fût le meilleures<br />

foin 9 mais ne vous donnera pas dans Farenlr un rang assuré<br />

et isemtestable. Tous serez citer nos aareaa» nomme<br />

vous avez été parmi nous, un sujet dé «firiaiaa et <strong>de</strong><br />

discoï<strong>de</strong> : les uns vous élè?ereat jusqu'au elel : les-autres<br />

diront qnffl vow a manqué ce qu'il y a <strong>de</strong> plus glorieui ,<br />

4e guérir les maai <strong>de</strong> k patrie f ils diiont que vos grands<br />

9 !! eût vécu : on l'a immolé<br />

à <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> Rome; je suis Romain, je remercie<br />

nos vengeurs. Mais quand César me rendait<br />

mon. ami, j'étais homme, et je remerciais celui qui<br />

faisait le bien avec le pouvoir <strong>de</strong> faire le mal.<br />

On voit avec p<strong>la</strong>isir, dans l'histoire, les témoignages<br />

multipliés <strong>de</strong> cet attrait réciproque que Ce-


294 C0U1S .DE LITTÉMTOIE.<br />

sar et Cicéron eurent toujours Fan pour l'autre. Ces<br />

<strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s âmes <strong>de</strong>vaient se connaître et s'entendre,<br />

quoique César ne pût aimer dans Cicéron le<br />

défenseur <strong>de</strong>s lois et <strong>de</strong> <strong>la</strong> république, et que Cicéron<br />

ne pût aimer dans César leur ennemi et leur<br />

oppresseur. Ils se rapprochaient par le caractère,<br />

quoiqu'ils s'éloignassent parles principes. Us avaient<br />

le même amour pour <strong>la</strong> gloire, le même goût pour<br />

les lettres 9 le même fonds <strong>de</strong> douceur et <strong>de</strong> honte.<br />

Il y a sans doute une autre sorte <strong>de</strong> mérite, une autre<br />

espèce <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur. Je se prétends fien (ter à Ca»<br />

ton et à Bratus; je les révère. Mais ils ont eu quelquefois<br />

besoin d'excuse dans leurs vertus rigi<strong>de</strong>s :<br />

pourquoi n'es accor<strong>de</strong>r aucune à Cïcéron dans ses<br />

vertus modérées, et même à César dans ses fautes<br />

héroïques et éc<strong>la</strong>tantes? Rien n'est parfait dans<br />

l'humanité ; tout a été donné.à l'homme avec mesure<br />

i gardons-<strong>la</strong> dans nos jugements. N'exaltons<br />

pas une vertu pour en humilier une autre. Toutes<br />

sont plus ou moins précieuses, toutes honorent <strong>la</strong><br />

nature humaine; et c'est l'honorer soi-même que <strong>de</strong><br />

leur rendre à toutes le respect qui leur est dû.<br />

L'apologie <strong>de</strong> Cicéroi m'a entraîné : je reviens<br />

à ses talents. Ce que vous avez enten<strong>du</strong> <strong>de</strong> lui le<br />

fait mieus connaître et le loue mieux que tout ce<br />

que j'en pourrais dire ; et d'ailleurs f pour bien louer<br />

Cicéron, a dit Tite-Live, il faut un autre Cfeéron.<br />

A son définit, écoutons QniutiUen, qui, dans un résumé<br />

sur les auteurs <strong>la</strong>tins, s'exprime ainsi ;<br />

« C'est surtout dans FéloqaeDoe qm Rome peut se van*<br />

1er d'avoir égalé <strong>la</strong> Grèce. En effet, à Mot es qm ceDe-d<br />

• déplus grand J'appose hardiment Cicéron. Je s'ignore<br />

pas quel eamhatraurai à soutenir ©outre les partisans <strong>de</strong><br />

Démosthènes ; mais mon <strong>de</strong>ssein n'est pas d'entreprendre<br />

Ici m parallèle inutile à mon objet, puisque moi-ném® je<br />

cite partont Bémosthèoes comme un <strong>de</strong>s premiers auteurs<br />

qu'a fout lire f ou plutôt qu'il faut savoir par cœur. robserverai<br />

seulement que <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s quaJités <strong>de</strong> rotateur<br />

sent au même <strong>de</strong>gré dans tous les <strong>de</strong>ux, <strong>la</strong> sagesse <strong>la</strong>mé-<br />

tho<strong>de</strong>, l'ordre <strong>de</strong>s avisions, fart <strong>de</strong>s préparations ' <strong>la</strong> disposées<br />

<strong>de</strong>s preuves, enfin tout ce qui tient à ce qu'on an-<br />

{^Invention. Dans rétention,iy a quelque différence.<br />

L un serre <strong>de</strong> plus près son adversaire, l'autre prend plus<br />

* champ pour combattre. L'en se sert toujours <strong>de</strong> <strong>la</strong> pointe<br />

<strong>de</strong> ses armes , l'autre en fait souvent ientir aussi te poMs<br />

On ne peut rien ote à l'un, rien ajoutera l'autre, il y »<br />

plus <strong>de</strong> travail dans Démosthènes, plus <strong>de</strong> naturel dans Cecéron.<br />

Celui-ci remporte évi<strong>de</strong>mment pour <strong>la</strong> ptatsanter»<br />

et le pathétique, <strong>de</strong>ux puissants ressorts <strong>de</strong> l'art oratoire<br />

Peut-être dira-ton que les mœurs et les lois d'Athènes<br />

m permettaient pas à l'orateur grec les belles péroraisons<br />

<strong>du</strong> hêtre; mais aussi <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue attique lui donnait <strong>de</strong>s<br />

^lettres <strong>de</strong> tous les <strong>de</strong>ux : il n'y â nulle comparaison à<br />

m fiure. D m tutre^, Mmmmimwriâ ma­<br />

ta», c'est qu'il est venu le premier, et qu'il a contribué<br />

es gran<strong>de</strong> partie à faire Cicéron ce qu'il est. Il s'est attaché<br />

à imiter les Grecs, et nous a représenté, ce me semble, en<br />

M seul, Sa force <strong>de</strong> Démostiièiies, raboiidimc€<strong>de</strong> Maton,<br />

.et <strong>la</strong> douceur d'Isoerate. Mais ce s'est pas l'étu<strong>de</strong> qu'il<br />

en a peu Mm qui lui & donné ce qu'il y a dans chacun<br />

d'eux : U l'a tiré <strong>de</strong> lui-même, et <strong>de</strong> ©et heureux génie né<br />

pour réunir toutes les qualités. Os dirait qu'il a été formé<br />

par une <strong>de</strong>stination ptAiculièro <strong>de</strong> <strong>la</strong> Provi<strong>de</strong>nce, qui YOStait<br />

taire voir aux hommes Jusqu'où l'étoqueoee pouvait<br />

aller. En effet, qui sait mieux développer <strong>la</strong> vérité? qui<br />

sait émouvoir plus puissamment les pagstons? quel écrivain<br />

est Jamais autant <strong>de</strong> charme? Ce qu'il amehe <strong>de</strong><br />

force, il semble robtenir <strong>de</strong> plein gré; et quand I vous entraîne<br />

avec violence, vous eroyet Se suivre voScmtairenifint.<br />

Il y a dans tout ce qn'il dit une telle autorité <strong>de</strong> raison que<br />

l'on a honte <strong>de</strong> n'être pis <strong>de</strong> son avis. Ce .n'est point un<br />

avocat qui s'emporte, c'est on témoin qui dépose, un juge<br />

qui prononce; et cependant tous ces différents mérites,<br />

dont chacun muterait un long travail à tout autre que lui,<br />

semblent ne lui avoir rien coûté, et dans <strong>la</strong> perfection <strong>de</strong><br />

son style il ©onservê toute <strong>la</strong> grâce <strong>de</strong> k plus heureuse facilité.<br />

C'est donc à juste titre que, parmi ses ««tempe,<br />

rafns, il apassé pour le dominateur <strong>du</strong> barrera, et sue<br />

dans <strong>la</strong> postérité son nom est <strong>de</strong>venu celui <strong>de</strong> l'éloquence.<br />

Ayons te donc toujours <strong>de</strong>vant les yeux, comme le wmêm<br />

qm ron doit se proposer, et que celui-là soit sur d'avoir<br />

profité beaucoup qui aimera beaucoup Cicéron. » (x, L )<br />

J'ai cité cet excellent moroeau d'autant pins volontiers,<br />

qu'il semble exprimer idèlement ce que <strong>la</strong><br />

lecture <strong>de</strong> Cicéroi nous a fait éprouver à tous. M<br />

paraît qu'il en était <strong>de</strong> temps <strong>de</strong> Qulntiiien, comme<br />

in nôtre, où Ton dit un Cicéron ponr on homme<br />

éloquent, comme nous disons aussi un César pour<br />

donner ridée <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> bravoure. Ces sortes<br />

<strong>de</strong> dénominations, <strong>de</strong>venues popu<strong>la</strong>ires après tant<br />

<strong>de</strong> siècles, n'appartiennent qu'à ont prééminence<br />

Mengénér<strong>de</strong>raentreeonnueet Nntie. Fémion donne<br />

cependant l'avantage à Bémostbènw SOT Cicéron;<br />

il n'est pas, comme on voit, le seul <strong>de</strong> cet avis, pois'<br />

que, au temps où Qatatitien écrivait, bien <strong>de</strong>s gens<br />

pensaient <strong>de</strong> même. Yoici le passage <strong>de</strong> Fénelon,<br />

•qui mérite d'être cité:<br />

« Je ne crains pas dire que Démosthèoei me parait supérieur<br />

à Cicéron. Je proteste que personne n'admire ctot<br />

ron plus que je fais, n embellit tout ce qu'il touche; il <strong>la</strong>it<br />

honneur à <strong>la</strong> parole; il fait <strong>de</strong>s mots ce qu'un autre n'en<br />

saurait faire; il a je se sais oomlt<strong>la</strong>u <strong>de</strong> sortes d'esprits: il<br />

est même court et véhément toutes les fois qu'a veut l'être,<br />

contre CatiSina, contre Verres, contre Antoine. Mais on<br />

remarque quelque parure dans son dis<strong>cours</strong>. L'art y est<br />

merveilleux, mais on l'entrevoit L'orateur, en pensant m<br />

«<strong>du</strong>t <strong>de</strong> <strong>la</strong> république, ne s'oublie pas, et ne se <strong>la</strong>isse point<br />

oublier. Démosthènes parait sorlk <strong>de</strong> soi, et ne voir que<br />

Sa patrie. Il ne cherche point le beau s II le fait sans y penser<br />

: il se sert <strong>de</strong> <strong>la</strong> parole, comme un homme mo<strong>de</strong>ste d#<br />

ion habit pour se couvrir. 1 tonne, fl foudroie. C'est un


ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

torrat ejai entrai!® font On M peut h critiquer, pare*<br />

qu'on est mm» On pense «a choses qa'fl dit9 et son à ses<br />

paroles. On le perd <strong>de</strong> vue : ©s n'est occupé que <strong>de</strong> Philippe<br />

f qui envahit tout le suis charmé <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>m orateurs;<br />

mais j'avoue que je suis moins touché <strong>de</strong> Fart infini<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> mapUique éloquence <strong>de</strong> Cicéron que <strong>de</strong> <strong>la</strong> npi<strong>de</strong><br />

•tmpMdté <strong>de</strong> Démesthèiies. » ( UHn è PAmi. ft-anç- )<br />

Démosthène* et Cicéron sont <strong>de</strong>ux grands orateurs;<br />

Quintilien et Fénelon9 <strong>de</strong>ui gran<strong>de</strong>s autorités<br />

: qui oserait se rendre leur juge? Assurément,<br />

ce ne sera pas moi. Je crois méeae qu'il serait<br />

difficile <strong>de</strong> ré<strong>du</strong>ire en démonstration <strong>la</strong> préférence<br />

qu'on put donner à l'orateur <strong>de</strong> Rome ou à celui<br />

d'AÉiènes. C'est ici que le goût raisonné n'a plus <strong>de</strong><br />

mesura bien certaine, et qu'il faut s'en rapporter au<br />

fpit senti* Qmmi le talent est dans un si haut <strong>de</strong>*<br />

pré <strong>de</strong> part et d'autre t on ne peut plus déci<strong>de</strong>r, on<br />

ne peut que choisir : car esta chacun peut suifre<br />

son penchant, pourvu qu'il ne le donne pas pur<br />

règle; et, loin <strong>de</strong> mettre, comme on <strong>la</strong>it trop souvent,<br />

<strong>la</strong> moindre humeur dans ces sortes <strong>de</strong> discussions,<br />

il faut seulement se réjouir qu'il y ait dans<br />

tous les arts<strong>de</strong>shommesassai supérieurs pur qu f on<br />

M pisse pas s'accor<strong>de</strong>r sur le droit <strong>de</strong> primauté. Et<br />

qu'importe en effet qui soit le premier, pourvu qu'il<br />

ÉHIt caoow admirer le second F Je les admire donc<br />

tous les dans; mais je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qu'il me soit priais,<br />

sans offenser prsoniie9 d'aimer mieux €Ieé-<br />

MMI. 11 me partit l'homme le plus naturellement éloquent<br />

qui ait existé; et je ne le considère ici que<br />

comme orateur, Je <strong>la</strong>isse à part ses écrits philosophiques<br />

et ses lettres : j'en parlerai ailleurs. Mais,<br />

n'eût-il <strong>la</strong>issé que set harangues, je le préférerais à<br />

Démosthènet : non que je mette rien aur<strong>de</strong>ssus <strong>du</strong><br />

p<strong>la</strong>idoyer pour <strong>la</strong> Cùmrtmme, <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier, mais<br />

•es autres outrages ne me paraissent pas en général<br />

i§ <strong>la</strong> même hauteur ; ils ont <strong>de</strong> plus une sorte d'uniformité<br />

<strong>de</strong> ton qui tient peut-être à celle <strong>de</strong>s sujets ;<br />

car il s'agit presque toujours <strong>de</strong> Philippe. Cicéron<br />

sait prendre tous les tons; et je ne sauras sans ingratitu<strong>de</strong><br />

refuser mon suffrage à celui qui me donne<br />

tous les p<strong>la</strong>isirs. Ce n'est pas qu'il me paraisse non<br />

plus sans défauts : U abuse quelquefois <strong>de</strong> h facilité<br />

tjn'il t d'être abondant; il lui arrive <strong>de</strong> se répéter :<br />

mais ce n'est pas comme Sénèque, dont chaque répétition<br />

d'idée est un nouvel effort d'esprit; on<br />

pourrait dire <strong>de</strong> Cicéron qu'il débor<strong>de</strong> quelquefois,<br />

pare© qu'il est trop plein. Ses répétitions ne nous<br />

fatiguent pint, pree qu'elles ne lui ont ps coûté.<br />

U est toujours si naturel et si élégant, qu'on ne<br />

•ait ce qu'il faudrait retrancher : on sent seulement<br />

qu'i y a <strong>du</strong> trop. On a remarqué aussi qu'il affectionne<br />

certaines formes <strong>de</strong> construction ou d'faar-<br />

<strong>mont</strong>e qui rmiennent soufint ; qu'excel<strong>la</strong>nt dans <strong>la</strong><br />

p<strong>la</strong>isanterie, il <strong>la</strong> pusse quelquefois Jusqu'au jeu <strong>de</strong><br />

mots : on abuse toujours un peu <strong>de</strong> ce dont on a<br />

beaucoup. Ces légères imperfections disparaissent<br />

dans <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s beautés, et, à tout prendre,<br />

Cicéron est à mes yeux le plus beau génie dont l'ancienne<br />

Rome puisse se glorifier.<br />

âPPniiiiŒ*, eu nouveau* édMrcisseiiiflnts emfé<strong>la</strong>fesisce<br />

an<strong>de</strong>sne, sur l'érudition <strong>de</strong>s qmlmmèmm® ejatastèiae<br />

et ssliièiBe siè<strong>de</strong>s; sur le ilsisfae <strong>de</strong> Incite, si cànus<br />

mmwmnm saeejeemrtjt; sur DémMthtees et Cleé»<br />

mnyctc.<br />

1M ans éaotas nomates en im.<br />

La discussion contradictoire met <strong>la</strong> ?érlté dans<br />

un nouveau jour. Fal promis <strong>de</strong> répndre à <strong>de</strong>s objections<br />

que le temps ne m'avait pas permis <strong>de</strong> résoudre<br />

entièrement, et <strong>de</strong> vous <strong>mont</strong>rer <strong>de</strong> nouveaux<br />

exemples <strong>de</strong> cette liberté à <strong>la</strong> fois décente et<br />

courageuse, qui est, dans Bémosthènes, le vrai<br />

modèle <strong>de</strong>s orateurs républicains, ainsi que <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

manière noble et franche dont il peut leur être permis<br />

<strong>de</strong> parier d v ^ux-mémes quand les circonstances<br />

les y obligent. Les bornes d'une séance ne m'a?aient<br />

pas <strong>la</strong>issé les moyens <strong>de</strong> remplir ces différents objets,<br />

et vous ailes d'abord retrouver le <strong>de</strong>rnier dans<br />

ce qui me reste à tra<strong>du</strong>ire <strong>de</strong> <strong>la</strong> harangue sur <strong>la</strong><br />

eàêt§mé$e, que je n'eus pas le loisir <strong>de</strong> vous lire<br />

tout entière. C'est à <strong>la</strong> fois un combat entre Démos- '<br />

tfaènes et ses adversaires, auxquels il porte les <strong>de</strong>rniers<br />

coups, et le résumé <strong>de</strong>s mesures qu'il propose<br />

aux Athéniens, et qui furent toutes adoptées dans le<br />

décret qu'il rédigea.<br />

« J'admire Fii@soaéqti§sû@d@ tes amies» : lia ne vêm<br />

permettent pu <strong>de</strong> vous défendre f quand m vues attaque ;<br />

i§ Yùmprmahmtêdimlmmki^m9^lhtmM f jtÈammt<br />

pas eux-mêmes , quand un me leur M% aucun mal. J'entends<br />

d'ici k premier d'entre eus qui ?s <strong>mont</strong>er à h tribune. —<br />

Yons ne voulez pas, me dit-il, prendre sur vous un décret<br />

en votre nom ? Êies-vous <strong>du</strong>ne si faible et â timi<strong>de</strong>? — Je<br />

n'ai pas <strong>du</strong> mous leur attestée importune et insolente ;<br />

mais f ose dire que j'ai plus <strong>de</strong> courage que ces indignes<br />

aàiastrmapmmêta^<br />

Certes »lî se faut aucun courage pour prodiguer Set accusa*<br />

lions, tes calomnies, <strong>la</strong> corruption, sas dépens <strong>de</strong> vos<br />

intérêts. Us savent se procurer auprès <strong>de</strong> vous sa pge<br />

esrfaitt <strong>de</strong> leur sécurité ; "û leur suffit, pour ne courir aucun<br />

danger, <strong>de</strong> ne vous dire jamais que ce qui peut vous tattef »<br />

et <strong>de</strong> ne se mêler en rien, do m qpà peut péricliter dans <strong>la</strong><br />

république. Mais fitsmese eoongm, ©'est ce<strong>la</strong>i ejaif<br />

pour <strong>la</strong> défendre» ses à ton! moment contrarier vos ar»<br />

mars; qui se cherche pas à vous p<strong>la</strong>ire, mais à voussec-<br />

* On s €ra <strong>de</strong>voir remettra tel ce morceau, comme us<br />

tiHretoppement utile pour tout m cpl précèSl*. D fat <strong>la</strong> suite<br />

d'une m^érmm uHtée aux éeates normales, et qui tvatt<br />

été istorvompae.


296<br />

OOU!S DE UTTËMTOfŒ.<br />

Tir ; qui se craint aas cle traiter <strong>de</strong>vant mm les parties <strong>de</strong><br />

raciiïàaisnsitlen les plus dépendantes <strong>de</strong>s caprices <strong>de</strong> ta<br />

fortune, et qui veut bien impmr à ce qu'us jour an lui<br />

en <strong>de</strong>man<strong>de</strong> compte. YôiSà h vrai citoyen, et mm pas ces<br />

efaârktans <strong>de</strong> popu<strong>la</strong>rité, qui, pour obtenir aie fovear<br />

d'un jour, ont <strong>la</strong>it tomber les plus grands appuis <strong>de</strong> votre<br />

liberté. Je suis si loin <strong>de</strong> vouloir me comparer à ceux qui<br />

m'apostrophent, si Soin <strong>de</strong> les regar<strong>de</strong>r comme dignes <strong>du</strong><br />

nom <strong>de</strong> citoyens, que, s'ils me disaient : Qu'as-tu Mtpoiir<br />

<strong>la</strong> repu Wlipa ? je ne citerais pas les navires que j'ai équipés 9<br />

les sommes que J'ai doraéesfiôurteseoetribuUons, pofir<br />

les jeux publics , pour <strong>la</strong> rançon <strong>de</strong>s prisonniers, et astres<br />

choses semb<strong>la</strong>bles qui entrent dans les <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong> l'huma»<br />

ailé ; non ; je dirais : l'ai <strong>la</strong>it tout ce que TOUS ne faites pas,<br />

et n f ai rien fait <strong>de</strong> ce que irons <strong>la</strong>ites. Je pourrais s comme<br />

tant d f antresf accuser, proscrire, corrompre; mais ce<br />

n'est ni l'ambition , ni <strong>la</strong> cupidité» «pi m'ont amené dans<br />

Ses affaires publiques. Quand je <strong>mont</strong>e à cette tribune,<br />

athéniens ; ce n'est pas pour augmenter mon crédit auprès<br />

<strong>de</strong> TOUS par <strong>de</strong>s paroles comp<strong>la</strong>isantes ; c'est pour augmenter<br />

faire puissance par <strong>de</strong>s a?is salutaires. C'est un<br />

témoignage que j'ai droit <strong>de</strong> me rendre f et <strong>de</strong>nt l'envie ne<br />

peut pas s'offenser. Je serais un mauvais citoyen 9 si je vous<br />

par<strong>la</strong>is <strong>de</strong> manière à daienir le premier parmi fous, tandis<br />

que TOUS seriez les <strong>de</strong>rniers parmi les Grecs. J'ai pour<br />

principe qu'A faut que l'État et ceux qui le gouYement<br />

s'élèvent et s'agrandissent ensemble et par les mêmes<br />

moyens, qu'il s'agit ici <strong>de</strong> voss dire 9 non pas ce qu'il y a<br />

<strong>de</strong> plus favorable auprès <strong>de</strong> vens y car chacun y est assez<br />

porté, mais ce qui YOUS est le plus utile; car pour fous le<br />

conseiller M liai <strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse, et <strong>de</strong> l'éloquence pour vous<br />

le persua<strong>de</strong>r. ECaaJe pu entends un <strong>de</strong> ces hommes<br />

s'écrier : « Yos ceisails sont excellents, mais os n'a jamais<br />

« <strong>de</strong> YOUS que <strong>de</strong>s dis<strong>cours</strong> 9 et non pas <strong>de</strong>s actions. » 11<br />

se trompe: ce n'est pas à moi qu'il doit adresser cette<br />

parole; c'est! ¥pus. Quand l'orateur YOUS a <strong>mont</strong>ré le<br />

meilleur parti qu'il y ait à prendre 9 U a fait tout ce qu'on<br />

doit exiger <strong>de</strong> lui. Lorsque Timothée YOUS disait, Athéniens,<br />

TOUS* délibérez i et les faéaa<strong>la</strong>s sont dans Hle<br />

dTEubéel kYez-YOus, armez une flotte, <strong>mont</strong>ei sur YOS<br />

? aisseau, on le crut, on suivit ses conseils : U a tait bleu<br />

parié, YOUS agites bien, chacun ût son <strong>de</strong>voir t et l'Eubée<br />

ftrt sauYée. Mais si v©es Hissiez restés oisifs, tes paroles <strong>de</strong><br />

Timothée et les affaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> république étalent épSement<br />

« Je me résume, et je een<strong>du</strong>s qu'il faal ordonner <strong>de</strong>s<br />

contributions 9 entretenir une armée dans <strong>la</strong> Chersonèse y<br />

y réformer les abus, s'il y en a eu, ne rien détruire9 et ne<br />

pas donner aux calomniateurs le p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> YOUS iair travailler<br />

Yous-mêmes à votre râ<strong>la</strong>s; qu'il faut enYoyer <strong>de</strong>s<br />

ambassa<strong>de</strong>urs dans toutes les contrées <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce, pour<br />

préparer t discuter, lifter les mesures nécessaires au sa<strong>la</strong>i<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> république; mais principalement, et avant tout9<br />

punir les traîtres sa<strong>la</strong>riés prias ennemis pour YOUS enchaîner<br />

ici prieurs perfi<strong>de</strong>s manœuvres : leur châtiment<br />

fera détester leur exemple, et encouragera les bons citoyens.<br />

Si YOUS prenez sérieusement ces résolutions 9 §1 l'exécution<br />

les suit sans dé<strong>la</strong>i 9 YOUS aseï tonte espérance <strong>de</strong> réussir ;<br />

mais, ti tans YOUS contesta é'afp<strong>la</strong>aiîr l'auteur, sans<br />

rien foire ie ce qu'il irons eonseOle, je YOUS le déc<strong>la</strong>re<br />

encore, il n'est pas en mol <strong>de</strong> YOUS sauver par mes. paroles<br />

quand YOUS ne voutet pas YOUS sauYer vous-mêmes. »<br />

Je siens à présent à <strong>la</strong> distinction que m'a proposée<br />

us <strong>de</strong> mes collègues (M. Garât) entre l'éloquence<br />

et l'art oratoire, distinction qui m m'a point<br />

paru, je l'avoue, avoir l'importance qu'il semb<strong>la</strong>it<br />

y mettre. On sait assez en effet que l'éloquence,<br />

considérée en elle-même, est une faculté naturelle f<br />

et que Fart oratoire est <strong>la</strong> théorie <strong>de</strong>s moyens que<br />

l'étalé et f expérience ajoutent à cette faculté. Je<br />

me suis donc contenté d'indiquer, en commençant,<br />

cette différence suffisamment connue , et j'ai saisi<br />

d'ailleurs Fusage reçu 9 même dans le <strong>la</strong>ngage didaotique,<br />

dédire indifféremment ou Féloquence, on<br />

Fart oratoire, parce qu'on sait qu'il s'agit ici 4e<br />

cette espèce d'éloquence qui fertile les dons <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

nature par le se<strong>cours</strong> <strong>de</strong>s préceptes.. *<br />

Mon collègue avait remarqué, et avec raison,<br />

qu'il y assit <strong>de</strong>s easrages oà l'éloquence se trou*<br />

sait sans Fart oratoire, et d'autres oà était fart<br />

oratoire sans Féloquence. 11 en résulte seulement<br />

que le talent naturel se manifeste quelquefois sans<br />

le se<strong>cours</strong> <strong>de</strong> fart, et que Fart ne donne pas le talent.<br />

Mais il fout consentir aussi que le talent sans<br />

culture ne pro<strong>du</strong>it guère que quelques morceau<br />

épars et imparfaits Y et que <strong>la</strong> réunion <strong>de</strong> Fus et <strong>de</strong><br />

l'autre peut seule faire écinre les chefs-d'oeofre qui<br />

sont ici l'objet <strong>de</strong> nos étu<strong>de</strong>s; o*est encore une *é»<br />

rité reconnue.<br />

J'avais dit que <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> éloquence, celle que<br />

les anciens appe<strong>la</strong>ient par excellence Féloquence<br />

<strong>de</strong>s orateurs , eloqmmiimm orutortam, celle qui se<br />

signale dans les assemblées politiques et dans les<br />

tribunaux, n'avait pu fleurir parmi nous, comme<br />

à Rome et dans Athènes 9 avant l'époque <strong>de</strong> antre<br />

réfolution; mais j'avais rappelé en même temps les<br />

beaux é<strong>la</strong>ns que l'esprit <strong>de</strong> liberté avait pro<strong>du</strong>its f<br />

<strong>de</strong>puis trente ans, sons <strong>la</strong> plume <strong>de</strong> nos célèbres<br />

écrivains, et j'avais remarqué spécialement fit*-'<br />

fluence qu'eut sur l'esprit public Féloquence <strong>du</strong> panégyrique<br />

, lorsque l'Académie Française mit an<br />

con<strong>cours</strong> l'éloge <strong>de</strong>s grands hommes. Si je n'ai pas<br />

insisté là-<strong>de</strong>ssus autant que Fa fait ensuite mon<br />

collègue, c'est que plusieurs raisons <strong>de</strong> circonstance<br />

m'engageaient à passer rapi<strong>de</strong>ment sur m genrr<strong>de</strong><br />

mérite, qui me paraissait aujourd'hui fort oublié;<br />

et d'ailleurs je l'avais développé plus d'une fois dans<br />

mes écrits, lorsque j'ai cru <strong>de</strong>voir défendre l'Acadé»<br />

mie Française contre <strong>de</strong>s détracteurs ignorants ou<br />

envieux 9 et <strong>mont</strong>rer qu'il entrait dans leurs reproches,<br />

non-seulement <strong>de</strong> Finjustice, mais même <strong>de</strong><br />

Fingratltu<strong>de</strong>, comme, peu <strong>de</strong> temps auparavant,


ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

dais le sein <strong>de</strong> cette même académie f f amis relevé<br />

les abus <strong>de</strong> sou institution. Ces faits sont publics,<br />

et ils déposeront, au besoin, <strong>de</strong> l'invariable égalité<br />

<strong>de</strong> mes principes; mais aujourd'hui qu'il n'y a plus<br />

d'Académie , j'ai aïs cru ne pas <strong>de</strong>? ©if même prononcer<br />

un nom qui avait été longtemps un titre <strong>de</strong><br />

proscription, et qui est encore un texte d'injures<br />

pour <strong>de</strong>s aboyeurs forcenés f qui ne <strong>la</strong> nomment jamais<br />

qu'avec une horreur stupi<strong>de</strong> ou un mépris fort<br />

ridicule. Je ne psserai pas nton temp à les réfuter<br />

; mais j'observerai seulement, comme une vérité<br />

générale, dont on profitera si on veut 9 que, si<br />

<strong>la</strong> nature <strong>du</strong> gouvernement conseille ou même prescrit<br />

l'abolition <strong>de</strong>s sociétés littéraires dont les formes<br />

ne paraissent plus convenables, quoique le fond<br />

n'en soit pas vicieux, on n'est pas obligé <strong>de</strong> fouler<br />

aux pieds ce qu'on a cru <strong>de</strong>voir abattre ; que l f -équité;<br />

<strong>la</strong> première <strong>de</strong>s lois 9 défend d'oublier et <strong>de</strong> méconnaître<br />

ce qui a été utile dans un temps, et a cessé<br />

<strong>de</strong>l'être ; qu'on ne détruit pas le mérite en l'oubliant,<br />

et qu'on n'étouffe pas <strong>la</strong> vérité en <strong>la</strong> forçant au silence;<br />

car l'oppression est; passagère, et <strong>la</strong> vérité<br />

éternelle. L'histoire ira plus loin sans doute, quand<br />

elle peindra <strong>de</strong> sa main indépendante et incorruptible<br />

ce qu'ont été, sous tous les rapports, et spécialement<br />

sons celui <strong>du</strong> patriotisme, les gens <strong>de</strong><br />

lettres <strong>de</strong> l'Académie, et leurs calomniateurs et<br />

leurs assassina ; mais ici j'en ai lit assex, et m n'est<br />

ps <strong>de</strong>vant vous qu'il est besoin <strong>de</strong> p<strong>la</strong>i<strong>de</strong>r <strong>la</strong> cause<br />

<strong>de</strong>s talents et <strong>du</strong> génie.<br />

Quant à ce qu'ajoutait mon collègue f <strong>de</strong> Thomas<br />

en particulier, qu'en réc<strong>la</strong>mant lesdroits <strong>de</strong> l'homme<br />

il avait prié comme <strong>du</strong> haut d'une tribune; ce qui<br />

pourrait se dire <strong>de</strong> même <strong>de</strong> Rousseau et <strong>de</strong> Raynal,<br />

<strong>de</strong> l'un quand il n'est ps sophiste, <strong>de</strong> l'autre<br />

quand I n'est pas déc<strong>la</strong>mateur; et ce qu'on pourrait<br />

dire êneore <strong>de</strong> plusieurs écrivains <strong>de</strong> nos jours,<br />

éloquemment patriotes J'observerai que leur compositioh<br />

9 modiiée et limitée par <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s objets<br />

qu'ils ont traités, était plutôt celle <strong>de</strong> moralistes<br />

éloquents que <strong>de</strong> véritables orateurs, si nous ne<br />

donnons ce titre, avec les anciens, qu'à cens qui se<br />

signalent dans <strong>la</strong> lice bril<strong>la</strong>nte et périlleuse <strong>de</strong>s délibérations<br />

et <strong>de</strong>s jugements publics ; qui soutiennent<br />

<strong>de</strong>s combats corps à corp 9 et, après avoir terrassé<br />

leurs adversaires, entraînent les hommes ras*<br />

semblés à <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> leurs triomphes.<br />

Un autre objet m'a paru aussi mériter quelque<br />

attention, c'est celui où nous sommes restés à <strong>la</strong><br />

fin <strong>de</strong> <strong>la</strong> séance 9 et qui regardait le règne <strong>de</strong> l'érudition.<br />

Mon collègue a préten<strong>du</strong> qu'il avait plus<br />

contribué à étouffer le génie qu'à le développer.<br />

Cette opinion paraît p<strong>la</strong>usible à quelques égards :<br />

Î97<br />

il est sûr que <strong>la</strong> culture assi<strong>du</strong>e <strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngues grecque<br />

et <strong>la</strong>tine a dû con<strong>du</strong>ire à une sorte <strong>de</strong> prédi*<br />

lection pour ces mêmes <strong>la</strong>ngues; et le <strong>la</strong>tin en<br />

prticulier <strong>de</strong>vint celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s écrivains<br />

<strong>de</strong> l'Europe 9 Allemands, Français, Espagnols,<br />

tous écrivirent en <strong>la</strong>tin. Mon collègue a cru y voir<br />

une <strong>de</strong>s. causes principales qui ont retardé les progrès<br />

<strong>du</strong> génie ; j'avoue que cette opinion n'est pas<br />

<strong>la</strong> mienne, Voici les objections que je vou<strong>la</strong>is lui<br />

faire, que <strong>la</strong> réflexion n'a fait que contrôler, et<br />

dont vous jugerez D'abord il y a un <strong>la</strong>it remarquable,<br />

c'est que le Dante, Boccace et Pétrarque,<br />

ceux qui, parmi les Italiens, donnèrent les premiers<br />

l'essor à leur talent, dans leur propre <strong>la</strong>ngue,<br />

avaient beaucoup écrit en <strong>la</strong>tin; et c'est<br />

même en <strong>la</strong>tin que Pétrarque a composé le plus<br />

grand nombre <strong>de</strong> ses écrits. H est' donc à présumer<br />

que l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngues anciennes, bien loin<br />

d'étouffer leur talent, n'a servi qu'à le développer.<br />

On sait qu'ils iorissaient tous trois au quatonièmesièele,<br />

au temp <strong>de</strong> <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> Constantiiiople*,<br />

lorsque tout ce qui restait <strong>de</strong>s lettres anciennes<br />

reiui'vers l'Italie, Pétrarque fut même un <strong>de</strong>s<br />

mo<strong>de</strong>rnes qui s'occupa le plus <strong>la</strong>borieusement <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> recherche <strong>de</strong>s anciens manuscrits, et à qui l'on<br />

eut en ce genre le plus d'obligation. Maintenant,<br />

si Bembo, Sadolet, Satwaiar, Ange-Politien, Postant»,<br />

et autres, ne lurent guère que <strong>de</strong>s humanistes<br />

<strong>la</strong>tins, et s'ils n'ont eu <strong>de</strong> réputation qu'à<br />

ce titre, n'est-il pas extrêmement probable qne le<br />

génie a manqué à leur science 9 puisque avec les mêmes<br />

moyens que le Dante, Boccace et Pétrarque,<br />

ils n'ont pas eu les mêmes succès ? On en put dire<br />

autant <strong>de</strong> Muret ? notre plus fameux <strong>la</strong>tiniste, et <strong>de</strong><br />

ceux qui Font suivi.<br />

Si nous passons aux Ang<strong>la</strong>is, les querelles <strong>de</strong> religion<br />

et les troubles politiques praitront avoir retardé<br />

chez eux <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> et <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue, sans qu'on<br />

puisse s'en prendre à <strong>la</strong> culture <strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngues anciennes,<br />

qui n'a fleuri chei eux qu'au moment où <strong>la</strong><br />

génie national prenait l'essor; et ce génie même ne<br />

s'est poli que par un commerce pins habituel avec<br />

les anciens et avec nous 9 au temps <strong>de</strong> Charles II.<br />

Chez les Espagnols, Lopei <strong>de</strong> ¥ega, Cervantes,<br />

ce <strong>de</strong>rnier surtout, n'étaient rien moins qu'étrangers<br />

à l'érudition.<br />

Pour ce qui regar<strong>de</strong> les Allemands, une disposition<br />

d'esprit particulière, qui les attache exclusivement<br />

aux sciences, a dû les détourner longtemp<br />

<strong>de</strong>s. lettres et <strong>de</strong>s arts <strong>de</strong> l'imagination; et <strong>de</strong>puis<br />

* La Harp sommet Ici w» erres? AmmlG0qm wii»<br />

meut ilfîgïiïièw dans sa homme <strong>la</strong>slmll La prto i« €@aatanflnopte<br />

est <strong>de</strong> usa» Or, te Dante était' mort in ta»;<br />

3mmm m ttfn Wtmqus m 1 m%»


%m<br />

COURS DE UTTÉMTU1E.<br />

qu'ils s'y sont essayés, os confient que leurs progrès<br />

y ont été médiocres.<br />

^ Pour ee qui nous concerne, Amyot et Montaigne<br />

qui n'attendirent pas pour écrire que leur <strong>la</strong>ngue<br />

Et formée, et qui imprimèrent à leurs écrits un<br />

caractère que le temps n ? a pu effacer, étaient <strong>de</strong>s<br />

hommes très-versés dans <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> ancienne. Les<br />

écrits <strong>de</strong> Montaigne sont enrichis partout et même<br />

chargés <strong>de</strong>s dépouilles <strong>de</strong>s anciens; et Amyot ne<br />

•'est immortalisé qu'en tra<strong>du</strong>isant uahistorien grec,<br />

précisément à <strong>la</strong> mime époque où Ronsard s'efforçait<br />

si ridiculement <strong>de</strong> .transporter en français le<br />

grec et le <strong>la</strong>tin. La vogue passagère <strong>de</strong> ee poème put<br />

égarer un moment ceui qui auraient peut-être été<br />

capables <strong>de</strong> contribuer aux progrès <strong>de</strong> leur propre<br />

lingue : mais cette contagion fut <strong>de</strong> peu d'effet et<br />

<strong>de</strong> peu <strong>de</strong> <strong>du</strong>rée, puisqu'un moment après, Mal*<br />

herbe découvrit notre rhythme poétique : d'oà il<br />

soit que Malherbe eut assez <strong>de</strong> génie pour bien sentir<br />

celui <strong>de</strong> sa <strong>la</strong>ngue, et que ce génie manquait à Ronsard<br />

et an autres poètes qui composaient alors ce<br />

qu'on appelle <strong>la</strong> Pëtadêfrançaki»<br />

Je me résume, et je conclus <strong>de</strong> l'examen <strong>de</strong>s <strong>la</strong>its<br />

qui doivent gui<strong>de</strong>r tons les raisonnements et éc<strong>la</strong>irer<br />

toutes tes spécu<strong>la</strong>tions, que les hommes supérieurs<br />

, en France et en Italie, qui les premiers dégrossirent<br />

le <strong>la</strong>ngage encore brut, lui donnèrent les<br />

premières beautés d'expression, les pfemières fort<br />

mes heureuses, les premiers procédés réguliers, nonseulement<br />

ne trouèrent pas d'obstacles, nais trouvèrent<br />

même <strong>de</strong> grands se<strong>cours</strong> dans l'érudition.<br />

Sans doute ils faisaient exception par rapport au<br />

reste <strong>de</strong> leurs contemporain! f qui étaient si loin<br />

d'eux : les bons oui rages ne parurent en foule, surtout<br />

parmi nous, que lorsque <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue se forma.<br />

C'est une iérité reconnue qu'a rappelée mon collègue,<br />

quand il a dit avec Condil<strong>la</strong>c que le génie <strong>de</strong>s<br />

écrivains ne se déploie tout entier que dans une<br />

bague qui est déjà fiée» Mais pur arriver jusquelà,<br />

je persiste à croire que l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngues-anciennes,<br />

non*seulemeiit n'a pu nuire à ce progrès,<br />

mais y a été utile et nécessaire ; que le génie n'étend<br />

ses ?ues et ses moyens qu'autant qu'il a <strong>de</strong>vant lui<br />

un grand nombre d'objets <strong>de</strong> comparaison ; que fétu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s tangues, qui ne paraît d'abord que celle<br />

<strong>de</strong>s mots, con<strong>du</strong>it, par une .suite naturelle, à celle<br />

<strong>de</strong>s choses; qu'en un mot f l'érudition, si elle n'entre<br />

pas communément dans le temple <strong>du</strong> goât, <strong>du</strong><br />

moins en ap<strong>la</strong>nit le chemin et en ouvre le vestibule.<br />

L'antiquité a donc été et a dû être notre véritable<br />

nourrice : son <strong>la</strong>it est fort et nourrissant; et il<br />

m fini pas 8 f étoiUMf si tiaa hommes d'une consti­<br />

tution faible ne pouvaient pas le digérer ; aussi in»<br />

meurèrent-ib <strong>la</strong>nguissants et Inirmes; mais <strong>de</strong>s<br />

nourrissons d'un tempérament plus heureux y ont<br />

puisé <strong>la</strong> santé, <strong>la</strong> force et <strong>la</strong> beauté. El qui^peut<br />

ignorer que Port-<strong>Royal</strong> « cette fameuse école, héritière<br />

<strong>de</strong>s anciens, où se formèrent Pascal, Racine,<br />

Despréaux, fut celle qui, parmi nous, commença<br />

le règne <strong>du</strong> bon goât ? le sais que êm hommes supérieurs,<br />

en France et en Italie, s'étaient élevés<br />

seuls au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> leur siècle, comme <strong>de</strong>s jets hardis<br />

et abondants qu'une végétation spontanée pousse<br />

quelquefois dans un sol inculte et désert ; mais dans<br />

l'ordre général, il fut que le long travail <strong>du</strong> défrichement<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture dompte le terrain, le<br />

fécon<strong>de</strong> par <strong>de</strong>grés pour en faire sortir cet réeoltea<br />

régulières, ces riches moissons qui nourrissent <strong>de</strong>s<br />

peuples entiers, et ces forêts soignées et renaissantes<br />

qui préparent d'éternels ombrages à une loupe<br />

suite <strong>de</strong> générations.<br />

Yoyons maintenant ce dialogue, qui a été «te<br />

Ici à l'occasion <strong>de</strong> <strong>la</strong>'question élevée sur <strong>la</strong> ligne <strong>de</strong><br />

démarcationentre les anciens et les mo<strong>de</strong>rnet ; question<br />

qui n'en est pas une pour nous, puisqu'à notre<br />

égard les anciens sont évi<strong>de</strong>mment les Grecs et les<br />

Latins, dont nous avons tout appris et tout emprunté.<br />

le dois remercier mon collègue <strong>de</strong> tn'avoir rap­<br />

pelé ce dialogue, et <strong>de</strong> nfavoïr donné par là l'oooar<br />

sion <strong>de</strong> te relire; car je l'ai relu avec un tvèa-grand<br />

p<strong>la</strong>isir, I n'est pas complet, il y a <strong>de</strong>s <strong>la</strong>cunes; et<br />

ce que nous en avons, fût regretter ce que noua avons<br />

per<strong>du</strong>. Les uns l'attribuent à Quintilien, les autres<br />

à Tacite : l'opinion <strong>la</strong> plus générale fa <strong>la</strong>issé a m<br />

<strong>de</strong>rnier ». Mais <strong>la</strong> question qui regar<strong>de</strong> les mmmm<br />

les mo<strong>de</strong>rnes n'y est traitée qu'épisodiquement et<br />

sous un point <strong>de</strong> vue tout autre. On y compare les<br />

Romains aux Romains, et un âge <strong>de</strong>s lettres <strong>la</strong>tines<br />

à un autre âge; comme nous pourrions comparer<br />

le siècle présent au siècle <strong>de</strong>rnier, ou bien le siècle<br />

<strong>de</strong>rnier à celui <strong>de</strong> Marot, <strong>de</strong> Montaigne, <strong>de</strong> Ronsard.<br />

Ce dialogue présente quatre interlocuteujrs,<br />

un amateur <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie, un amateur <strong>de</strong> l'éloquence,<br />

un détracteur <strong>de</strong>s anciens, représenté comme un<br />

homme qui fait <strong>de</strong> ses opinions ifî jeu d'esprit, et<br />

un quatrième, Messa<strong>la</strong>, qui vient vers le mineu <strong>du</strong><br />

dialogue, et qui se range <strong>du</strong> côté <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux premiers.<br />

Mon collègue, qu'apparemment sa mémoire a<br />

trompé, nous disait que <strong>la</strong> question inci<strong>de</strong>mment<br />

traitée dans ce dialogue n'y était pas résolue. 11 m'a<br />

* MonMnf à <strong>la</strong> ttto <strong>de</strong>- s* trténettôii fruste, piMMe<br />

m ifcn, attribue cet ©uirrige à Hâterons, en <strong>de</strong>s Interlocuteurs<br />

fin Élâlofpe. Yuyes «asti sur eetto ftwstioi»<br />

ta mlMNlMi m M. MOIM, MUta êê bripstok., im


paru qu'elle Pétait, c'est-à-dire ré<strong>du</strong>ite à sa juste ? aleur,<br />

et écartée en fort peu <strong>de</strong> mots 9 pour revenir<br />

à ce qui fait proprement le sujet <strong>du</strong> dialogue. Je<br />

•aïs lire ce passagef et ensuite quelques autres,<br />

comme uu objet d'instruction et d'agrément : ear<br />

il est sou?eut question, dans cet écrit 9 <strong>de</strong> matières<br />

qui se sont présentées ici ou qui pu?eut s'y présenter,<br />

et Mj rencontre <strong>de</strong>s ?ériîés applicables dans<br />

tous les temp.<br />

ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

« Je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d'abord (c'est Aper qui paria f fauta»<br />

goaieta êm anciens) m que voas enten<strong>de</strong>s par ancienss<br />

quel âge <strong>de</strong> Fétoqeeiiee vous préten<strong>de</strong>i marquer par cette<br />

êmmmmmàm; car, pour mol, lorsque j'entends parler<br />

d'anons, je me représente mmx qui sent nés dans <strong>de</strong>s<br />

sJèefet reculés; et Je me §§pae aussi Ul|sse et Heslor, qui<br />

mMMMmiêj^mmmmUmM&emUêm;êîmmêfimmmmm<br />

parte d'abord d 9 nn Dém@stiièii6Sf d'au Hypéri<strong>de</strong>» qui ne<br />

nous sont antérieurs que d'environ quatre siècles 9 «le, »<br />

Ou voit qne oeci a'est qu'une espèce <strong>de</strong> Minage 9<br />

m aima <strong>de</strong> mots fort Mm p<strong>la</strong>cé dans <strong>la</strong> bouche<br />

d'un interlocuteur, que Ton donne comme un homme<br />

à paradoxes. 11 passe tout <strong>de</strong> suite aux Latins,<br />

dont il s'agit spécialement dans ce dialogue, puisfue<br />

Fauteur avait pour objet <strong>de</strong> prouver que l'éloquence<br />

romaine était «xtrémement dégénérée <strong>de</strong>puis<br />

<strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Cicéron; et ceci m'oblige d'entrer dans<br />

quelques M&kmmmmmtM mêsmmms pour l'intelligence<br />

<strong>de</strong> ce qui va suivre.<br />

On comptait Qfdinahreaieat, an tenp où ce dia-<br />

" logue lut composé, trois âges dans les lettres <strong>la</strong>tines :<br />

celui d'Elu»» d'Aiww, <strong>de</strong> Paenviiis, <strong>de</strong> Caton le<br />

censeur, etc., lorsque <strong>la</strong> lingue était encore ra<strong>de</strong> et<br />

grossière; celui <strong>de</strong>s Grecques, qui, les premiers,<br />

tempérèrent un peu <strong>la</strong> gravité romaine pr <strong>la</strong> politesse<br />

<strong>de</strong>s lettres grecques; ea<strong>la</strong> celui <strong>de</strong> Cicéron,<br />

dans lequel on comprend Grassus, Antoine, César,<br />

Célius, fiortensius, et Gicéron, qui les surpassa<br />

tenu» donna son nom à cette époque, que <strong>de</strong>puis on<br />

regarda généralement comme celle <strong>du</strong> bon goût.<br />

Mais lorsque Tacite écrivait ce dialogue sous le<br />

règne <strong>de</strong> Vespasiea, le goât était extrêmement corrompu,<br />

et Sénèqoe y avait contribué plus que personne.<br />

11 avait sé<strong>du</strong>it presque toute <strong>la</strong> jeunesse romaine<br />

par l'attrait <strong>de</strong> <strong>la</strong> nouveauté et le piquant <strong>de</strong><br />

son sljia, dont elle ne sentait pas tous les défauts :<br />

<strong>la</strong> suite <strong>de</strong> ce Court nous mettra à portée <strong>de</strong> les développer.<br />

Aper se <strong>mont</strong>rait partisan zélé <strong>de</strong> ce nouveau<br />

goût, qu'il met ici au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> l'ancien, comme<br />

beaucoup plus afféabit et pins amusant. H traite<br />

fort <strong>du</strong>rement les orateurs qu'on nommait alors anciens,<br />

et ne ménage pas même Cicéron. 11 règne<br />

dans sa discussion, comme os doit s'y attendre, un<br />

esprit <strong>de</strong> controverse ftailt qu'un esprit <strong>de</strong> eri-<br />

299 .<br />

tique. 1 n'oublie pas <strong>de</strong> chicaner sur les mots, et<br />

c'est ce qui amène <strong>la</strong> question épisodique sur ce<br />

qtfon entend par ancien. H ne manque pas d'intéresser,<br />

autant qu'il le peut, famour-propre <strong>de</strong> ses<br />

adversaires, Mitâmes et Secondasf qui cultivaient<br />

en effet l'éloquence et les lettres a?ec beaucoup <strong>de</strong><br />

succès. Mais les louanges qu'il leur donne n'égarent<br />

point leur jugement f et Maternus dit à Messa<strong>la</strong> 9 en<br />

l'invitant à réfuter Aper :<br />

« Ross ne vous <strong>de</strong>mandons pas précisément <strong>de</strong> défendre<br />

les anetens ; ear9 quelque mal qa'en ait dit Aper, et qnelqnes<br />

louanges qsH nous ait données, nous persistons lie<br />

leur comparer personne <strong>de</strong> nos cimtemfHxaint, et Aper<br />

tei-même, aa Èmà , n'est pas d'en antre «fis ; maâsf snttânt<br />

<strong>la</strong> métho<strong>de</strong> usitée dans les écoles <strong>de</strong> philosophie9 i aprâs<br />

pour lui <strong>la</strong> rôle ie contradicteiir. Ma font éten<strong>de</strong>s doue pas<br />

sur leur renommée ; mais expl<strong>la</strong>]ie«wia faawpat «nu<br />

sommes si fort élolgaéa <strong>de</strong> leur éloquence , lorsqu'à ne s'est<br />

pas éeeulé plus <strong>de</strong> cent vingt ans <strong>de</strong>puis k mort <strong>de</strong>Ctoéroe<br />

]nsqn ? à nous. »<br />

Messa<strong>la</strong> répond :<br />

« Je Minai le p<strong>la</strong>n que f eus me tacaa ; je ne combattrai<br />

point ea qn f a dit Apar, qiâ n'a, m me semble, éle?é qu'une<br />

dispute <strong>de</strong> mots» comme si l'on ne poiiftit pas appeler<br />

anciens ceux qui sonl morts 11 y a pins d 9 iin siècle. Je ne<br />

contesterai pofait sur l'expression ; ceux dont I s'agit seront<br />

on nos aïeux on nos in<strong>de</strong>as, comme on Tondra, pourm<br />

qne Fin eauftesme que rétaqoenee <strong>de</strong> leur temps fat <strong>la</strong><br />

ffiaileira qui ait jamais été parmi nous. »<br />

Voilà donc <strong>la</strong> question ré<strong>du</strong>ite à ses véritables termes!<br />

et par conséquent résolue pour les Romains,<br />

qui avaient raison <strong>de</strong> donner le nom d'anciens aux<br />

orateurs et aux écri?ains qui , plus d'en siècle auparavant;<br />

avaient formé tous ensemble cette gran<strong>de</strong><br />

époque où <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> romaine atteignit une perfection<br />

dont on avait <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>scen<strong>du</strong> par <strong>de</strong>grés,<br />

jusqu'à <strong>la</strong> corruption dont se p<strong>la</strong>ignaient tons les<br />

bons esprits.<br />

Messa<strong>la</strong> continue :<br />

« Parmi les Athéniens, on donne le premier rang à<br />

IMsnaflièMS; Esehine , Rypéri<strong>de</strong> , Lysfas , Lycm-gne , sont<br />

mm qui passent les premiers après M9 et l'on s'accor<strong>de</strong><br />

àrogsrdweetâge<strong>de</strong> l'éloquence comme ce<strong>la</strong>i <strong>de</strong>s vrais<br />

modèles. De même, parmi nous, Gcén» passe, dans<br />

fopisiMi générale, sons tes orateurs <strong>de</strong> son temps; et, si<br />

.on le préfère à Câlins, à César, I Bnrtns, à Célns, I<br />

Ashwis, on préfère ceux-ci à tons les orateors qui les ont<br />

précédés on suivis. Ce n'est pas que chacun d'eux n'ait m<br />

sa maniera propre; mais tons se sont accordés sur les<br />

principes ie bon §eêt : ainsi, Cahms est pins serré fAsmhii<br />

p<strong>la</strong>t nombreux, Ossar pins bril<strong>la</strong>nt, Deltas pins amer,<br />

Bratns pies grave, et Cfeéren ph» véhément 9 pins aboi*<br />

étal f pus Tâptiîamii mats tons ont une éloquence pore<br />

et saine : <strong>de</strong> façon qu'en lisant leurs ouvrages, on lueonoalt<br />

entre eux, malpé <strong>la</strong> dhcnlltfBWiRWBtos<strong>la</strong>fa^KritSfOinBna.


son<br />

use sorte <strong>de</strong> parenté, qui consiste êmm h rsêseriaa<strong>la</strong>aea<br />

<strong>de</strong> jugement et <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssein. »<br />

Et ?oilà aussi ce que l'on put répondre à ceux<br />

qui opposent <strong>la</strong> disparité <strong>de</strong>s esprits à l'unité <strong>de</strong>s<br />

principes. Oui, sans doute, les principes sont les<br />

mêmes, quoique les esprits soient différents, comme<br />

les règles <strong>du</strong> chant et <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique sont les mêmes»<br />

quoique chacun ne puisse chanter que selon<br />

ce qu'il a <strong>de</strong> foix et d'expression. J'en dis autant<br />

dés règles <strong>du</strong> goût; elles sont universelles, puisqu'elles<br />

sont fondées sur <strong>la</strong> nature, qui est toujours<br />

<strong>la</strong> même ; mais chacun les applique suivant son caractère<br />

et ses moyens. Leur observation n'est point<br />

l'imitation servUe <strong>de</strong>s auteurs qui les ont mieux pratiquées<br />

: ne faites pas ce qu'ils ont fait 9 mais pénétres-vous<br />

bien <strong>de</strong>s mêmes préceptes f si tous voulez<br />

foire aussi bien qu'eux, lis ont marqué <strong>la</strong> bonne<br />

route; mais chacun y marche suivant ses forces,<br />

s'avance plus ou moins loin, suivant ses facultés,<br />

et choisit différents sentiers, selon son caractère<br />

et ses dispositions*<br />

M essais en vient aux causes <strong>de</strong> <strong>la</strong> déca<strong>de</strong>nce f et<br />

il en assigne quatre i<br />

« Qm peut ignorer, fit-il, que l'éloquence et les arts<br />

seul fort déchus <strong>de</strong> leur êmâmm gfofeef nés par <strong>la</strong> disette<br />

<strong>de</strong> talents, mais par <strong>la</strong> paresse <strong>de</strong>s jeunes gens, le négligence<br />

<strong>de</strong>s parents, ltincâptdté <strong>de</strong>s mattresy et l'oubli <strong>de</strong>s<br />

mœurs antiques, a<br />

îî détaille ces quatre causes y mais il oublie, comme<br />

<strong>de</strong> raison, <strong>la</strong> première <strong>de</strong> toutes, <strong>la</strong> prie <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

liberté : ce dialogue était écrit sous un empereur.<br />

Cependant, s'il n'ose pas tout dire, il fait tout<br />

entendre. En effet, dans le <strong>de</strong>rnier morceau que je<br />

Tais lire, il présente <strong>la</strong> concurrence <strong>de</strong>s intérêts<br />

politiques, <strong>la</strong> rivalité <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux ordres <strong>de</strong> <strong>la</strong> république<br />

romaine, leur lutte continuelle, l'importance <strong>de</strong>s<br />

délibérations <strong>du</strong> sénat, les débats <strong>de</strong>s tribunaux,<br />

<strong>la</strong> majesté <strong>de</strong> <strong>la</strong> tribune aux harangues, comme les<br />

mobiles et les instruments <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> éloquence.<br />

CÛU1S DE LITTÉ1ATOEE.<br />

« Elle est cotasse le feu, difril, qui a besoin d'aliments,<br />

que le mouvement al<strong>la</strong>sse ^ et qui brille en embrasant<br />

C'est ce qui fa portée si bâtit dans l'aneienne république.<br />

Elle a eu, <strong>de</strong> nus jours, tout ce que peut comporter on<br />

gouvernement réglé, tranquille et liearaaa; mais elle a été<br />

bien plus re<strong>de</strong>vable aux troubles et même à <strong>la</strong> iceaee <strong>de</strong><br />

ces temps ai tout était pour afasi dire pêle-mêle, et ai,<br />

n*Yint point <strong>de</strong> modération unique» chape orateur avait<br />

<strong>de</strong> l'autorité en raison <strong>de</strong> ses moyens <strong>de</strong> persuasion sur me<br />

multitu<strong>de</strong> égarée ; <strong>de</strong> là ces lois multipliées, cet réptttatniis<br />

popu<strong>la</strong>ires» ces harangues <strong>de</strong>s magistrats qui passaient <strong>la</strong><br />

nuit à <strong>la</strong> trîtsia^eesaccasstlefiseet ces<br />

ininiitiés héréditaires dans les'fugues, ces fautions <strong>de</strong>s<br />

•grands » ces discordas aeat<strong>la</strong>ae<strong>la</strong>s au sénat et <strong>du</strong> peuple,<br />

toutes choses qui rempUssaisnt<strong>la</strong> république d'agitations,<br />

ismfafiÉexeft^eBîi f é^<br />

paissants et <strong>de</strong> grands intérêts. »<br />

11 est triste sans doute pour <strong>de</strong>s amis <strong>de</strong>s lettres,<br />

comme Fêtaient les interlocuteurs <strong>de</strong> m dialogue,<br />

d'être obligés d'avouer que ce qui trouble tm État<br />

est ce qui favorise le plus l'éloquence; mais enfin<br />

e*est une vérité : telle est <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s choses humaines;<br />

et, comme il est dit dans <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> cet<br />

écrit, <strong>la</strong> mé<strong>de</strong>cine ne serait pas un art f s'il n'y a?ait<br />

pas <strong>de</strong> ma<strong>la</strong>dies. L'éloquence peut sertir les passions,<br />

mais il faut <strong>de</strong> l'éloquence pour les combattre :<br />

et l'on sait que le bien et le mal se confon<strong>de</strong>nt dans<br />

tout ce qui est <strong>de</strong> l'homme.<br />

Au reste, sur ce tableau <strong>de</strong>s désordres politiques<br />

<strong>de</strong> Rome, il ne État pas croire qu'il y ait jamais en<br />

dans cette aille ni dans celle d'Athènes rien 4e<br />

semb<strong>la</strong>ble à ce que nous a?ons an pendant trop<br />

longtemps. L'art oratoire n'était pas exempt <strong>de</strong><br />

dangers, mais il ne connaissait ni obstacles ni entrâtes.<br />

Les Grecques et Cicéron luirent par une mort<br />

violente, parce qu'un <strong>de</strong>s partis qui se combattaient<br />

<strong>la</strong>it par écraser l'autre. Mais, outre que ces acci<strong>de</strong>nts<br />

tragiques ont été très-rares, et sont <strong>de</strong> nature<br />

à ne <strong>de</strong>toir pas entrer dans les calculs <strong>de</strong> <strong>la</strong> pru*<br />

<strong>de</strong>nce t et encore moins dans ceux <strong>du</strong> «nuage, nous<br />

voyons dans l'histoire qu'un certain ordre légal f<br />

toujours conservé dans toute nation policée, et une<br />

certaine décence <strong>de</strong> moeurs qui ne fut jamais violée<br />

arasa les anciens f <strong>la</strong><strong>la</strong>sèraat en tout tasap on<br />

champ libre an talent oratoire; au lieu ejne ce ta*<br />

lent t dû disparaître partni nous qnand <strong>la</strong> parole<br />

même a été interdite: il est à croire qu'elle ne peut<br />

plus l'être,<br />

J'ai promis <strong>de</strong> répondre à d'autres difficultés que<br />

l'on m 9 a proposées par écrit, et je vais n'acquitter<br />

<strong>de</strong> cet engagement.<br />

Je parierai d'abord <strong>de</strong> ceux qui, rappe<strong>la</strong>nt les<br />

abus <strong>de</strong> l'éloquence Y ont mis en question si elle Élisait<br />

plus <strong>de</strong> bien que <strong>de</strong> mal « et s'il ne fal<strong>la</strong>it pas <strong>la</strong><br />

proscrire plutôt que l'encourage? ; et j'observerai<br />

qu'il ne faudrait jamais poser <strong>de</strong> ces questions absolument<br />

oiseuses, et résolues d'avancef il y a longtemps,<br />

par ce principe si bien connu <strong>de</strong> tous les<br />

.hommes qui ont réiéehi, que l'abus possible <strong>de</strong>s<br />

mëUeures choses est un vice attaché à <strong>la</strong> nature humaine,<br />

et mime, que l'abus est d'autant plus dan»<br />

getasrst que <strong>la</strong> chose en elle-même est meilleure,<br />

suivant cet aiiome <strong>de</strong>s anciens : Cbmpflo &pUwd<br />

pemdwm» Ainsi, dans le moral, on a abusé <strong>de</strong> <strong>la</strong> religion,<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie„ <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté, <strong>de</strong> Tel®*<br />

quence, toutes choses exeelleotes en dles-mémes;<br />

ainsi, dans le physique, on abuse <strong>de</strong> <strong>la</strong> force, <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

santé, <strong>de</strong> tfbeauté, toutes choses excellentes en


ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

cUes-mêmes. Souvenons-nous <strong>de</strong> ce qu'a dit Ruas-'<br />

se§u «H commençant son Emile.<br />

m Tssl est bien, sortant <strong>de</strong>s mains <strong>de</strong> l'auteur <strong>de</strong>s êtres t<br />

. tmt se dégradé «t se dénature entre les mains <strong>de</strong><br />

- Ru»»© *. »<br />

Es effet, si vous y prenes gar<strong>de</strong>, le mal n'est pas<br />

dans <strong>la</strong> cbose : <strong>la</strong>issez-lui sa <strong>de</strong>stination et sa mesura,<br />

tout sera bien. Le mal est dans l'homme fin<br />

abuse. Ainsi (pour appliquer le principe) <strong>la</strong> religion 9<br />

c'est-à-dire <strong>la</strong> communication entre le Créateur et<br />

k créature, qui lm doit hommage et rceonsMsanee,<br />

ait non-seulement bonne en elle-même, mais le<br />

besoin universel <strong>de</strong> tous les peuples; et il n'y en a<br />

pas une qui n'enseigne une bonne morale i l'abus est<br />

dans le prêtre 9 quand il est superstitieux 9 fanatique<br />

et ambitieux. La philosophie, qui n 9 est que <strong>la</strong> recherche<br />

<strong>du</strong> vrai 9 est une étu<strong>de</strong> digne <strong>de</strong> l'homme ;<br />

l'artifice ou l'orgueil <strong>du</strong> sophiste en fait un abus détestable;<br />

mais le mal est dans le sophiste. Qu'y a-t-<br />

II <strong>de</strong> plus précieux que <strong>la</strong> liberté, qui consiste à<br />

n'obéir qu'aui lois ? Et qu'y a-t-il <strong>de</strong> plus exécrable<br />

que fhypocrisie démagogique, qui <strong>la</strong>tte une partie<br />

<strong>du</strong> peupleaux dépens <strong>de</strong> l'autre, pour les asservir<br />

et les dévorer toutes <strong>de</strong>ux? mais le mal est dans<br />

les démagogues. Quoi <strong>de</strong> plus beau que le talent <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> parole, qui donne à <strong>la</strong> raison et à <strong>la</strong> vérité toute<br />

<strong>la</strong>forccdont ellessontsnseeptibles ? Tant pis pur qui<br />

le fait sertir à l'erreur et au mensonge. Mais en eonrisra-t-ai<br />

qu'il faut que, parmi les hommes. Il n'y ait<br />

plus ni religion, ni philosophie, ni autorité légale 9<br />

ni instruction? Si <strong>la</strong> Provi<strong>de</strong>nce eût permis qu'un<br />

si monstrueux délire eât existé une iris chai un peuple,<br />

ce ne pourrait être que pour faire voir, par les<br />

monstrueux effets qui en auraient résulté, ce qui doit<br />

arriver à l'homme quand il veut sortir <strong>de</strong> sa nature 9<br />

quand il prétend anéantir ou créer, oubliant que f ai<br />

et l'autre lui est également impossible, et qu'il doit<br />

tendre sans cesse à régler et à mesurer ce qui est<br />

a jamais <strong>de</strong> l'homme, au lieu <strong>de</strong> vouloir refoire<br />

l'homme ; et l'histoire et <strong>la</strong> philosophie profiteraient<br />

sans doute, pour l'instruction <strong>de</strong>s races futures, <strong>de</strong><br />

cette leçon terrible donnée une fois à l'orgueil humain.<br />

Que'faut-il donc faire pour obvier, autant <strong>du</strong><br />

moins qn 9 hnmaine ne va pas plus loin. Yons craignes l'abus -<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> religion : vous a?ai raison. Faites qne le prêtre<br />

n'ait <strong>de</strong> pouvoir que sur le spiritnel, et <strong>de</strong> richesses<br />

que pour les pauvres : ce qui a été pendant plusieurs<br />

siècles peut encore être aujourd'hui, fous<br />

craignez les abus <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté : elle en aura toujours;<br />

vous <strong>de</strong>vez y compter; mais elle n'en aura<br />

que <strong>de</strong> très-supportables, si, sous quelque prétexte<br />

que m soit, vous ne" permette! jamais l'arbitraire;<br />

si vous vous sou?eues que le comble <strong>de</strong> l'extravigance<br />

est d'attenter à <strong>la</strong> liberté pour mieux rétablir;<br />

si l'autorité légale est rigoureusement conséquente<br />

dans ses actes, comme <strong>la</strong> logique dans set<br />

procédés; c'est-à-dire9 si le g<strong>la</strong>ive ne frappe qui<br />

quand <strong>la</strong> loi a prié, et ne frappe jamais autrement.<br />

C'est au crime à menacer, parce qu'il tremble : l'autorité<br />

légale, qui ne doit rien craindre, ne menace<br />

point; elle agit dès que <strong>la</strong> loi a prononcé.<br />

Quant aux abus <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie et <strong>de</strong> l'éloquence,<br />

<strong>la</strong> source en est inépuisable : c'est à <strong>la</strong> raison<br />

<strong>de</strong> les combattre sans cessa : l'erreur et <strong>la</strong> raison<br />

se disputent le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>puis son origine, et cette.lutte<br />

<strong>du</strong>rera autant que le mon<strong>de</strong>. Le partage <strong>de</strong><br />

l'une et <strong>de</strong> l'autre a varié suivant les siècles. Le<br />

nétre,qui s'était extràmementvanté<strong>de</strong>seslumières,<br />

est parvenu en ce moment, il faut l'avouer9 au moxir<br />

mmm <strong>de</strong> <strong>la</strong> clémence. Les extrêmes se touchent :<br />

qui sait si nous n'atteindrons pas au wmximmm <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> raison? Ce<strong>la</strong> dépend <strong>du</strong> gouvernement et <strong>de</strong> Fédaeatioa,<br />

qui influent puissamment sur les mœurs<br />

publiques, comme les mœurs publiques influant sur<br />

l'art <strong>de</strong> penser et <strong>de</strong> parler. Mais d'ailleurs on ne<br />

peut ni ordonner ni défendre d'être éloquent, comme<br />

on ne peut ni ordonner ni défendre <strong>de</strong> raisonner<br />

bien ou mal. On nous cite l'Aréopage, qui avait interdit<br />

aux avocats les moyens oratoires. Je réponds<br />

que nous ne pouvons pas savoir à quel point une<br />

pareille défense était observée ; car où flxer précisément<br />

<strong>la</strong> limite qui sépare <strong>la</strong> simple discussion <strong>de</strong><br />

l'éloquenca? Un <strong>de</strong> ceux qui m*on t écrit me <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

si l'éloquence est autre chose que <strong>la</strong> raison ellemême.<br />

Oui, assurément, sans quoi tout homme<br />

raisonnable serait orateur : l'éloquence est <strong>la</strong> raison<br />

armée; et <strong>la</strong> raison a besoin d'armes, elle a tant<br />

on le peut, à ces cens <strong>de</strong> ce qui est bon? d'ennemis! Il prétend que <strong>la</strong> raison suffit pour con^<br />

D'abord renoncer à l'idée folle <strong>de</strong> détruire ou <strong>la</strong> <strong>du</strong>ire les hommes f et il oublie qne les hommes ont<br />

chose ou l'abus; Tun et l'autre est également hors <strong>de</strong>s passions, et que le but <strong>de</strong> l'éloquence est d'ex­<br />

<strong>de</strong> notre pouvoir : ensaite diriger l'usage <strong>de</strong> <strong>la</strong> citer les 'passions nobles contre les passions basset.<br />

chose <strong>de</strong> manière à ce que l'abus nécessaire et iné­ Le méchant fait le contraire t je l'avoue; mais voua<br />

vitable soit le moindre qu'il se pourra. La sagesse ne pouvez pas plus empêcher Fun que l'autre. Au<br />

reste, j'ai peine à comprendre l'è-propos <strong>de</strong> cette<br />

* Rousseau dit mm plus <strong>de</strong> eosdslos i « Tout est Mes, question, soit en général, soit en particulier. En<br />

sortant <strong>de</strong>s mams <strong>de</strong> l'Auteur <strong>de</strong>s dmm; %mt dégénère<br />

entre les mains d® l'homme. »<br />

général, dans De que nous connaissons <strong>de</strong>s orateurs<br />

.801


lot<br />

GOCBS DE UTTÉEÂTDBE.<br />

anciens on mo<strong>de</strong>rnes , le bon «sage <strong>de</strong> l'éloquence<br />

remporte <strong>de</strong> beaucoup sur Tabès; et pour ce<br />

qui nous regar<strong>de</strong> <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> révolution 9 s'il croit que<br />

l'éloquence est pour quelque chose dans <strong>la</strong> masse<br />

<strong>de</strong> nos maux, il est loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité. Mais, si, d'un<br />

autre dite, elle n'a pas fait, là où elle s'est rencontrée,<br />

tout le bien qu'elle pouvait faire; si elle n'a<br />

pas empêché tout le mal qu ? ont fait <strong>la</strong> scélératesse<br />

et l'ignorance, c'est que l'éloquence seule se suffit<br />

ps. Cicèron, sll n'eût été qu'orateur, n'eût pas<br />

triomphé <strong>de</strong> Catillna. Il fut homme d'État; il eut à<br />

<strong>la</strong> fois et <strong>de</strong> <strong>la</strong> fermeté et <strong>de</strong> <strong>la</strong> politique ; il mit dans<br />

ses actions et dans ses moyens <strong>la</strong> même énergie que<br />

dans ses paroles * et Rome fut sauvée.<br />

L'article le plus important d® nos <strong>de</strong>rnières dis­<br />

démarche le rendit d'abord l'idole <strong>du</strong> sénat et <strong>du</strong><br />

peuple. Il n'avait eostro lui que le parti républicain,<br />

ceux qu'os appe<strong>la</strong>it optimaieê, mot qui répondait<br />

à reipressiongreoqued'arif/ecrafef . C'est pour<br />

nous un étrange b<strong>la</strong>sphème; maïs9 en par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>t<br />

anciens, nous sommes obligés d'adopter leur <strong>la</strong>ngue<br />

et leurs idées. Parmi-nous, un arkfawrmte est un<br />

partisan d'une noblesse proscrite, et par conséquent<br />

on ennemi <strong>de</strong> notre êèmcmMe. Chef les Romains,<br />

où le gouvernement était entre les mains d'un sénat<br />

permanent 9 quoique <strong>la</strong> souveraineté fût dans le peuple;<br />

chez les Romains, qui attisai conservé le pa~<br />

trieiat, quoique les plébéiens fussent susceptibles<br />

<strong>de</strong> toutes les charges sans enseptioe , les aristocra­<br />

tes étaient les amis et les soutiens <strong>de</strong> <strong>la</strong> constitucussions<br />

mgwtàê <strong>la</strong> personne <strong>de</strong> Cieéron. Je ne prétion , les ennemis <strong>de</strong> toute puissance arbitraire, soit<br />

tends sûrement pas qu'il n'y ait aucun reproche à qu'on y parvint en <strong>la</strong>ttaat le peuple, comme Ma­<br />

lui faire; mais tous les grieft articulés ici contre rins; soit qu'on s'en emparât « l'attachant au se*<br />

loi sont si peu conformes à <strong>la</strong> vérité historique, que •aat, comme Syl<strong>la</strong>. Les &piimmi£ê étaient, autemp<br />

<strong>la</strong> meilleure minière d'y répondre doit être un es- dont nous parlons, les meilleurs et les plus illusposé<br />

c<strong>la</strong>ir et précisées fîts véritables. Chacun pourra tres citoyens <strong>de</strong> Rome, les Catules, les Bomitius,<br />

©aaasftfi alors facilement ce qu'on peut blâmer dans les MarceUng, les Hortensius, etc., et Cicérao à<br />

<strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> Cieéron f ce qu'on peut excuser, ce leur tête, <strong>de</strong>puis son consu<strong>la</strong>t, quoiqu'il ne fit pas<br />

qu'on doit louer ; chacun sera ies lors à portée <strong>de</strong> pro­ patricien. Mais Caton ne l'était pas non plus; et je<br />

noncer avec connaissance <strong>de</strong> cause, et <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>r suis sûr que <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong> ceux qui citent le plus<br />

•on jugement sur <strong>de</strong>s résultats positHï. Cette courte soufent ces <strong>de</strong>ux grands noms <strong>de</strong> Caton et <strong>de</strong> Brutus<br />

discosion, qui entre naturellement dans un <strong>cours</strong> seraient bien étonnés, si on leur apprenait ce que<br />

<strong>de</strong> <strong>littérature</strong>, peutà<strong>la</strong> fois nous intéresser et sous <strong>du</strong> moins tout le mon<strong>de</strong> doit savoir ici<br />

instruira.<br />

I ne fal<strong>la</strong>it pas dire que c'est à l'époque <strong>la</strong> plus<br />

éc<strong>la</strong>tante <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> Cîeéron, celle où il fut nommé<br />

père <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie, que mwmmmcmi mfiwiei, et<br />

fm m gkâre m termêt* Depuis cette époque jusqu'à<br />

ton etil y dans un intervalle <strong>de</strong> quatre années, je ne<br />

crois pas qu'il ait commis aucune/«nie, et celles<br />

qu'on lui attribue ici sont <strong>de</strong>s suppositions gratuites.<br />

II ne fal<strong>la</strong>it pas <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si un homme aussi habile<br />

que lui avait démêlé les tues ambitieuses <strong>de</strong><br />

César : <strong>de</strong> moins c<strong>la</strong>irvoyants que lui ne s'y trompaient<br />

pas ; là-<strong>de</strong>ssus tous les historiens sont d'accord.<br />

On <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ensuite powrqmi ii m'êpim jmni<br />

mjmm mmMMeux9 pùmrqmi M m fappoêa ptdmi<br />

è ses prMemêtom. Yoyons donc si ce qu'il a fait<br />

n'était pas tout ce qu'il punit faire.<br />

On paraît oublier ici que César n'était pas encore<br />

alors celui qui menaçait <strong>de</strong> plus près <strong>la</strong> liberté : c'était<br />

Pompée toutpf uissaet dans Rome, Pompée qui<br />

aurait pu9 au retour <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> Mithridate,<br />

s'emparer sans obstacle <strong>de</strong> tout le pouvoir qu'avait<br />

m Syl<strong>la</strong>. Il ne le voulut pas. Son ambition affectait<br />

le titre <strong>de</strong> premier citoyen <strong>de</strong> Rome, et redoutait<br />

celui <strong>de</strong> tyran; il congédia son armée, et cette<br />

f , qac Caton<br />

et Brutus étaient les plus déterminés mrhtoamieê<br />

qui aient jamais existé. La raison n'a pu que rire<br />

<strong>de</strong> pitié <strong>de</strong> ?oir pendant longtemps <strong>de</strong>s gens qui<br />

savaient à peine lire vouloir jeter toutes les nations<br />

<strong>du</strong> mon<strong>de</strong> dans un même moule politique, et Injurier<br />

même celles qui prétendaient êtres libres et<br />

républicaines à leur manière. On est enin retenu,<br />

quoique on peu tard, <strong>de</strong> cette démence inouïe,<br />

qui malheureusement a été quelque chose <strong>de</strong> pis<br />

qu'un ridicule : on s'est aperçu que ceux qui avaient<br />

proc<strong>la</strong>mé ks dmUg <strong>de</strong> l'htmme <strong>de</strong>?aient respecter<br />

ceux <strong>de</strong>s peuples, qui tous ont le droit <strong>de</strong> se gouverner<br />

comme il leur p<strong>la</strong>ft ; et que, s'il y a un moyen<br />

iégitimed'iniuer sur les autres gouvernements, c'est<br />

<strong>de</strong> donner dans le sien l'exemple <strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse et <strong>du</strong><br />

bonheur.<br />

tassasf ennemi <strong>de</strong> Pompée, parce qu'il n'avait<br />

que <strong>de</strong>s richesses à opposer à sa gloire, ne <strong>la</strong>issait'<br />

pat <strong>de</strong> ba<strong>la</strong>ncer à un certain point son crédit par<br />

une opulence énorme qui offhut tant <strong>de</strong> ressources<br />

dans une république corrompue, aà tout était vénal.<br />

Leurs divisions troub<strong>la</strong>ient un peu l'État, mais<br />

maintenaient <strong>du</strong> moins <strong>la</strong> liberté. César, qui en sa-<br />

* hm estais seniikt étalent agaaoiésj île iaas*<br />

iasa<strong>la</strong>iistt as profentoii.


AHCRR S. — ÉLOQUENCE,<br />

?aît plus qu'eux déni; César, que sa hante missauce<br />

et tes grands talents faisaient déjà remarquer ;<br />

qui s'était ren<strong>du</strong> agréable à <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> par ses<br />

profusions et sa popu<strong>la</strong>rité; pi s'était «niait dans<br />

son gouvernement d'Espagne <strong>de</strong> manière à mériter<br />

un triomphe; César sentit qui! avait besoin <strong>de</strong> ces<br />

<strong>de</strong>ux hommes, qui lui étaient supérieurs par l'âge<br />

et le crédit, et il se rendit médiateur entre eux,<br />

pour s 9 en servir, les tromper, et les renverser. Apprenons<br />

<strong>de</strong>s historiens les motifs qu'il employa auprès<br />

d 9 eui. Quefirttn-vom, leur disait-il y par mm<br />

m<br />

intérêts, dissimulé sans être in, §t toujonîs ! <strong>du</strong>pa<br />

<strong>de</strong> sa vanité inHniment plus que Qeéw», i qui petitp<br />

être on ne fa tant reprochée que pane qu'eût se<br />

mê<strong>la</strong>it en lui à l'amour <strong>de</strong> <strong>la</strong> véritable gloire ; Pompée<br />

ne vit que l'assurance <strong>de</strong> ne plus trouver d'obstacles<br />

à ses volontés, et repousa toute idée <strong>de</strong><br />

danger par <strong>la</strong> coniance présomptueuse d'être ton*<br />

jours à portée d'arrêter César quand il le voudrait.<br />

Ainsi se forma le premier triumvirat : on sait quel*<br />

les en furent les suites. Pompée ne pardonna pas à<br />

t&$$emkmi Hermltei, d ce n s e$t d'augmenier <strong>la</strong><br />

ptdssmmœ ée Ckêmn et <strong>de</strong> Cahml Ugmm-nmm<br />

ememMe : mus m^Mgnermm tirai; mmm Jèmm<br />

tMspmmiire %mâe mém mwtorUê, etmmm serwm<br />

seuls m&Ure$ <strong>de</strong> <strong>la</strong> répwèBque,<br />

Cieéron , en effet f <strong>de</strong>puis soneonsu<strong>la</strong>t, a?ait dans<br />

le gouvernement une influence assez prépondérante<br />

pour que Pompée lui-même en Ht jaloux. Les détracteurs<br />

<strong>de</strong> Cieéron, c'est-à-dire les restes impurs<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> conspiration <strong>de</strong> Catlîlua 9 tons ceux qui en<br />

avaient été les fauteurs secrets; en un mot9 tous<br />

les mauvais citoyens, traitaient <strong>de</strong> tyrannie cette<br />

autorité que Cieéron ne <strong>de</strong>vait qu v à ses talents 9 à ses<br />

vertus , à ses ser?ïees, et dont l'exerciee était toujours<br />

légal ; et remarquons, en passant, que les méchants<br />

traitent toujours <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> tyrannie, et ne<br />

donnent jamais le nom <strong>de</strong> liberté qu'à f anarchie,<br />

parce que, sous le règne <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi, ils ont tout à<br />

craindre, et dans ranarchie tout à gagner. Il semblerait<br />

qu f Cieéron d'avoir voulu l'empêcher : César lui en* sut<br />

très-mauvais gré. Devenu consul, il fit passer, avec<br />

l'appui <strong>de</strong> Pompée et <strong>de</strong>s tribuns, les lois les plus<br />

pernicieuses, et obtint enfin ce qu'il désirait, eommo<br />

le grand moyen <strong>de</strong> domination, le comman<strong>de</strong>ment<br />

d'unearmée dans une province à conquérir, dans Ici<br />

Gaules. Tous <strong>de</strong>ui abandonnèrent aui fureurs <strong>du</strong><br />

tribun Clodius Cieéron, qu'ils vou<strong>la</strong>ient absolument<br />

éloigner <strong>de</strong> Rome, ainsi que Caton, pour y dominer<br />

sans résistance. Cieéron al<strong>la</strong> en aili pour ne pas exciter<br />

une guerre civile; et, n'ayant point <strong>de</strong> prétexte<br />

contre Caton, ils s'en défirent es lui donnant le gouvernement<br />

<strong>de</strong> ï'f le <strong>de</strong> Chypre.<br />

Qu'on nous dise maintenant que Cieéron dmaU<br />

éelmier, tmmer, eemwr le Éùcêim dam Même, ete. :<br />

ce<strong>la</strong> prouve seulement qu'on ne connaît ps assee<br />

les mœurs <strong>de</strong> Eome et <strong>de</strong> l'histoire. Quelques observations<br />

en donneront une plus juste idée. 11 faut se<br />

souvenir qu'à Rome tous les grands pouvoirs, tous<br />

les moyens d'action, étaient dans les magistra»<br />

on ne dût pies se <strong>la</strong>isser prendre à <strong>de</strong>s turcs,-dans l'usage ou l'abus plus ou moins éten<strong>du</strong><br />

pièges connus <strong>de</strong>puis tant <strong>de</strong> siècles, et que l'appli­ que Fou pouvait faire d'une autorité qui n'avait <strong>de</strong><br />

cation <strong>de</strong> ces vieilles vérités dût être un sir préser­ frein que le danger d'être mis es jugement en sorvatif<br />

contre <strong>de</strong>s abus si grossiers. Mais <strong>la</strong> plupart tant <strong>de</strong> charge ; danger que ces magistratures mê­<br />

<strong>de</strong>s gouvernés ignorent ces vérités, <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s mes mettaient souvent es état <strong>de</strong> prévenir. Tout<br />

gouvernants manquent <strong>de</strong> courage pour les appli­ se Élisait donc par <strong>de</strong>s formes légales, si ce n'est.<br />

quer ; et c'est ainsi que se vérifie le mot <strong>de</strong> Foote- quand on recourait ouvertement aui armes; ce"<br />

nelle, que Jet mÊHmémpère$ tmd pmàm pmt qui, <strong>de</strong>puis Sf lia, n'arriva que lorsque César passa<br />

• k$ emfmtê.<br />

le Rubieon. On nous dit : Que fmkaiê Ckérm<br />

Cieéron et Caton virent venir le coup, et réuni­ qmmd Césmr «e perpétua® dam mm camman<strong>de</strong>rent<br />

leurs efforts pour s'y opposer. Cieéron surwtemi, am méprte dm hli? Point <strong>du</strong> tout, ce ne<br />

tout, qui aimait Pompée,'et dont Pompée faisait fut pas m miêprM <strong>de</strong>s JW*, mais es vertu <strong>de</strong>s lois,<br />

profession d'être Fami, n'oublia rien pour lui ou­ en vertu d'un décret ren<strong>du</strong> par le sénat, #1 souvrir<br />

les jeux sur <strong>la</strong> politique <strong>de</strong> César, et sur les tenu par les tribuns et par Pompée, que César se fit<br />

suites funestes qu'elle pouvait 'avoir, si Pompée renouveler pour cinq ans le comman<strong>de</strong>ment dans<br />

et Gnssus Munissaient à lui pour le porter au con­ les Gaules. Et que pouvait faire Cicéros contre Tausu<strong>la</strong>t.<br />

Pompée ne voulut rien entendre : cet homme, torité <strong>du</strong> sénat et <strong>du</strong> peuple? Son accusateur a falr<br />

qui l'est rien dans un haut <strong>de</strong>gré, si ce n'est les <strong>de</strong> croire qu'il es était <strong>de</strong> Rome comme <strong>de</strong> <strong>la</strong> petite<br />

talents militaires, trop exaltés d'abord en lui parce république d'Athènes, où le peuple, peu nombreux",<br />

que sa fortune fut encore au-<strong>de</strong>ssus, trop rabais­ traitait par lui-même toutes les gran<strong>de</strong>s affaires<br />

sés ensuite pwe.qu'elle l'abandonna <strong>de</strong>vant César, où le crieur publio disait au nom <strong>du</strong> peuple : Qui<br />

qui était supérieur à tout; cet homme,'plein <strong>de</strong> veut prier? 11 a l'air <strong>de</strong> croire en conséquence que Ci­<br />

petites passions pi lui faisaient oublier <strong>de</strong> grands eéron pouvait Hure avec <strong>la</strong> parole tout ce qu'a fait


êêé<br />

COURS DE UTTÉBATDBB.<br />

Démostltènes. Nullement. A Rome, tout était subordonmé<br />

aux magistrats : au sénat, tout dépendait<br />

primitivement <strong>de</strong>s consuls; dans l'assemblée liu<br />

peuple, tout dépendait <strong>de</strong>s tribuns. Ces magistrats .<br />

pataient convoquer ou dissoudre à leur gré les as*<br />

semblées : les tribuns particulièrement pliaient<br />

-empêcher qui que ce fût <strong>de</strong> parier au peuple sans<br />

leur permission ; c'était un <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> leur charge.<br />

Ainsi 9 quand les triumvirs étaient assurés <strong>de</strong>s consuls<br />

et<strong>de</strong>s tribuns (et ils en liaient les moyens) 9 rien<br />

ne pouvait leur résister. Caton voulut une fois s'opposer<br />

à une loi <strong>de</strong> César, alors consul. César, qui<br />

était à <strong>la</strong> tribune aux harangues avec les tribuns y<br />

It con<strong>du</strong>ire Caton en prison. U y a plus ; les consuls<br />

et les tribuns étaient les maîtres <strong>de</strong> suspendre<br />

toute espèce d'assemblée, et 9 par conséquent* toute<br />

élection <strong>de</strong> magistrats. Cest ce qui arriva quand<br />

Pompée voulut forcer les Romains à le nommer<br />

dictateur. La faction dont il disposait arrêta tout<br />

élection, et Ton init par le nommer seul consul;<br />

ce qui était sans exemple, et ce que Caton lui-même<br />

approuva* parce qu'un gouvernement, irrégulier,<br />

disait-il, va<strong>la</strong>it encore mieux que l'anarchie.<br />

Vous concevez maintenant que l'éloquence et <strong>la</strong><br />

vertu même ne pouvaient pas tout faire, et qu 9 il Cil<strong>la</strong>it<br />

<strong>de</strong> (apolitique. Quelle était celle <strong>de</strong> Cîcéron? De<br />

ba<strong>la</strong>ncer et <strong>de</strong> contenir, les uns par les autres, ces<br />

citoyens ambitieux qui se disputaient le pouvoir; et<br />

certes, il n'y avait rien <strong>de</strong> mieux à fiire. U connaissait<br />

parfaitement Pompée et César; il vit bien que<br />

ce <strong>de</strong>rnier fou<strong>la</strong>it aller plus loin que l'autre; que<br />

l'un vou<strong>la</strong>it dominer dans <strong>la</strong> république sans <strong>la</strong> renverser,<br />

mais que l'autre foulerait aui pieds toutes<br />

les lois, et vou<strong>la</strong>it décidément régner. Il resta donc<br />

attaché constamment à Pompée, quoiqu'il eût beau­<br />

<strong>de</strong> Pompée, élgalemeift insensées 9 avaient tout per<strong>du</strong>.<br />

Il se vit obligé <strong>de</strong> quitter en fugitif Rome et<br />

ïltaîle : et pourtant l'autorité légale était <strong>de</strong> son<br />

eêté; et tous les républicains le'suivireat, en le condamnant.<br />

Cette époque est une <strong>de</strong> celles qui ont<br />

attiré le plus <strong>de</strong> reproches à Cieéron sur les irrésolutions<br />

dont ses lettres nous ont ren<strong>du</strong>s conf <strong>de</strong>nts<br />

avec Atticus. Je ne crois pas qu'ils soient fondés;<br />

car l'irrésolution n'est pas toujours <strong>de</strong> <strong>la</strong> faiblesse.<br />

Cieéron n'hésitait pas sur le parti qu'il <strong>de</strong>vait<br />

prendre; mais il eût voulu le prendre le plus taré<br />

possible, parce qu'il en prévoyait l'issue. 11 apprécie<br />

les <strong>de</strong>ux partis en <strong>de</strong>ux mots. D'w côté, dit-il 9<br />

«©ml Ému les drmMs; <strong>de</strong> immire, immies les forces.<br />

César, qui affectait autant <strong>de</strong> modération que Pompée<br />

affectait d'orgueil, faisait <strong>de</strong>s propositions <strong>de</strong><br />

paix asses p<strong>la</strong>usibles, et Cieéron eût désiré qu'on s'y<br />

prêtât; mais Pompée ne vou<strong>la</strong>it rien entendre. Céser<br />

avançait toujours vers Rome , et se proposait <strong>de</strong><br />

convoqueree qui était resté dans <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> sénateurs<br />

et <strong>de</strong> magistrats, afin <strong>de</strong> donner à sa cause cette<br />

apparence ie légalité, toujours si importante dans<br />

les moeurs romaines. Il se détourne <strong>de</strong> sa route * et<br />

va, suivi <strong>de</strong> quatre ou cinq cents hommes, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

à souper à Cieéron, retiré dans une <strong>de</strong> ses<br />

maisons <strong>de</strong> campagne. Tous allez juger, par cette<br />

visite et par le résultat qu'elle eut, <strong>de</strong> quelle haute<br />

considération jouissait Cieéron, sans autre puissance<br />

que celle <strong>de</strong> son nom, <strong>de</strong> ses talents, <strong>de</strong> ses<br />

vertus, et en même temps si cette faiblesse dont on<br />

l'accuse al<strong>la</strong> jamais jusqu'au sacrifice <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>voirs.<br />

César, qui lui rendait plus <strong>de</strong> justice que nous, n'essaya<br />

même pas <strong>de</strong> l'engager dans son parti ; il se<br />

bornait àlui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r <strong>la</strong> neutralité, qui<br />

convenait, disait-il, à l'âge et à 1a dignité d'un<br />

coup à s'en p<strong>la</strong>indre. Il ne cessa <strong>de</strong> le mettre en gar<strong>de</strong> homme tel que lui, seul en état <strong>de</strong> 6e rendre mé­<br />

contre l'ambition <strong>de</strong> César; il prévit parfaitement diateur entre les <strong>de</strong>ux partis, s'il y avait lieu à un<br />

tout ce qui arriverait, jugea parfaitement les hom­ accommo<strong>de</strong>ment 11 promettait d'en faire les ouvermes<br />

et les choses : ses lettres! que nous avons, en tures au sénat, pressait Cieéron <strong>de</strong> s'y trouver.<br />

font foi. Quand César eut levé le masque et passé le Mais «I j'y vais, dit l'orateur, mesertmi-ïi permis<br />

Rubicon, Cieéron m ftéekiê pomi k §emu <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> dire ma pensée? — «Seins cfonfe. Alors Cieéron<br />

fitfofe, comme on le lui reproche ici. U s'en flut<strong>de</strong> énonça un avis directement contraire aux vues <strong>de</strong><br />

tout, Joici ce qui se passa :<br />

César. Celui-ci s'écrie : F&Mè précisément m qm<br />

Convaincu que <strong>la</strong> guerre civile finirait par don­ je ne peux pm qu'on dise,—Je n'irai iùmpmemm<br />

ner un maître à Rome, il avait toutfait pour prévenir sénat, reprend froi<strong>de</strong>ment Cieéron, car je tt<br />

<strong>la</strong> rupture entre César et Pompée, comme il avait<br />

tout flut auparavant pour empêcher leur coalition.<br />

En effet, le triumvirat <strong>la</strong>issait <strong>du</strong> moins une apparence<br />

<strong>de</strong> gouvernement légal et républicain, et <strong>la</strong><br />

guerre civile défait infailliblement amener le pouvoir<br />

absolu. Quand les maui sont inévitables, <strong>la</strong> pru<strong>de</strong>nce<br />

ne peut que choisir le moindre : Mlnlmm <strong>de</strong><br />

mmBs est sa <strong>de</strong>vise. La jactance et l'imprévoyance<br />

f y foirais<br />

dire mère ekmse, César répliqua aigrement, et<br />

même avec menace» Tous <strong>de</strong>ux se quittèrent fort<br />

mécontents l'un <strong>de</strong> l'autre ; et, peu <strong>de</strong> jours après,<br />

Cieéron se rendit au camp <strong>de</strong> Pompée.<br />

Que ceux qui le taxent <strong>de</strong> faiblesse se supposent<br />

eux-mêmes dans une pareille conférence avec César,<br />

et qu'ils n'oublient pas son cortège, qui, au<br />

rapport <strong>de</strong> Cieéron et <strong>de</strong>s historiens, faisait fré-


ANCIENS. — ÉLOQUENCE<br />

US<br />

kir. 11 était tel que peut-étreon eût excusé celui qui car enln 9 puisqu'il y avait <strong>de</strong>s républicains, et en­<br />

en aurait eu quelque effroi. Cicéron es eut horreur, tre autres, les soixante sénateurs qui conspirèrent<br />

cl conclut qu'il va<strong>la</strong>it encore mieux être vaincu avec quelque temps après 9 pourquoi ne s'en serait-il pas<br />

Pompée que <strong>de</strong> vaincre avec ces gens-là. trouTé un seul qui se con<strong>du</strong>isit autrement que Ci­<br />

Passons à ce qui suivit <strong>la</strong> journée <strong>de</strong> Phawale , et céron? pourquoi au contraire en fit-Il beaucoup<br />

d'abord écoutons l'accusateur qui s'écrie : Fmts vi­ moins que tous les autres, comme te prouve le déviez,<br />

Cmiim et Brnlm, et mm vtoim pmtr Rome; tail <strong>de</strong> cette séance, qui nous a été conservé? C'est<br />

mmawimrepiiavlêdmtymmfwmis<strong>la</strong>wmrtêtaii que nous confondons tout, faute d'attention. La<br />

teprtxdmiwm vmBezpmyer$moêàmx NerfaU. manière dont César se comporta ce jour-là à l'égard<br />

Ne croirait-on pas, sur ees eipressions 9 que Bru- <strong>du</strong> plus déterminé républicain et <strong>de</strong> son plus mortel<br />

lis et Cassius ne s'étaient résolus à vivre que pour ennemi, Marcellus, dont il accorda le retour aux<br />

mm César? Nullement. Ouvres l'histoire, et vous instances et aux supplications <strong>du</strong> sénat, enchanta<br />

verrei que tous <strong>de</strong>ux s'étaient empressés <strong>de</strong> se ré* tous les esprits, et confirma l'opinion ou l'on était<br />

concilier avec lui <strong>de</strong> très-bonne foi ; que tous data encore que César pouvait être assez grand pour ré­<br />

étaient au rang <strong>de</strong> ses amis, et prtkulièrement tablir <strong>la</strong> république. Cicéron, sensible également,<br />

Bratus; que tous <strong>de</strong>ux lui. avaient écrit après <strong>la</strong> et comme citoyen et comme ami 9 ne se défendit pas<br />

défaite <strong>de</strong> Pharsale, pour prendre ses ordres 9 et <strong>de</strong> cet enthousiasme général. 11 rompit pour <strong>la</strong> pre­<br />

se rendre auprès <strong>de</strong> lui; que Bratus même pressa mière fois le silence; il loua, non pas te tyran, puis­<br />

beaucoup Cicéron pour en faire autant : celui-ci qu'il faut te dire 9 mais César, mais le grand homme :<br />

<strong>du</strong> moins attendit que César lui éerivtt le premier. ce litre n'était pas contesté; l'autre était encore<br />

Meâ? <strong>de</strong> tout ce<strong>la</strong> ne doit nous étonner. Aucun douteux, et César n'exerçait qu'une magistrature<br />

d'eux ne désespérait encore <strong>de</strong> <strong>la</strong> chose publique, légale. Et pourquoi donc Cicéron n'aurait»H pas re­<br />

et tous vou<strong>la</strong>ient voir comment César userait <strong>de</strong> mercié et loué César, quand le sénat entier avait<br />

sa victoire. On n'avait pas oublié f abdication <strong>de</strong> <strong>de</strong>mandé et obtenu le retour <strong>de</strong> Marcellus? C'est ici<br />

Syl<strong>la</strong> : César était eapble <strong>de</strong> faire plus. Sa mm* qu'il faut répondre sur le motif <strong>de</strong> i'amUM, que<br />

Mtmêms les premiers moments, lut si magnanime l'accusateur rejette entièrement. Sans doute elle ne<br />

qu'elle <strong>du</strong>t relever toutes les espérances. Bratus et .peut jamais autoriser ni un crime ni une bassesse.<br />

Cassius s'y livrèrent plus que personne; ils ne quit­ Mais d'abord il est c<strong>la</strong>ir que, dans les idées et les<br />

taient presque point le dictateur. Ils en reçurent moeurs <strong>de</strong> ce temps-là, nul ne se croyait avili en<br />

toutes sortes <strong>de</strong> bienfaits, et jouirent d'us grand adressant <strong>de</strong>s prières et <strong>de</strong>s remercfments au pre­<br />

crédit auprès <strong>de</strong> lui. Cicéron, que l'âgeet l'expérience mier magistrat <strong>de</strong> Rome : on sait jusqu'où on <strong>de</strong>s­<br />

rendaient plus défiant, s'était renfermé chex lui, cendait quelquefois en ce genre, et sans rougir,<br />

et n'al<strong>la</strong> qu'une fois chez César pour rendre service <strong>de</strong>vant les juges. Je n'eiamine point ici ces mœurs;.<br />

à un ami. La foule était si gran<strong>de</strong> qu'on fit attendra ce n'est pas <strong>la</strong> question : j'en rends un compte leUe f<br />

Cicéron quelque temps dans une antichambre. Cé­ et personne n'ignore que partout les actions <strong>de</strong>s<br />

sar sortit un moment, l'aperçut, lui it <strong>de</strong>s excuses, particuliers sont jugées en raison <strong>de</strong>s mœurs pu­<br />

et, rentrant ches lui f dit ces paroles très-remarquabliques. J'ajoute que les <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong> l'amitié al<strong>la</strong>ient,<br />

bles : Comment esêaye&wnts <strong>de</strong> me persua<strong>de</strong>r qme ches les Romains, beaucoup plus loin que parmi<br />

ma pmissamceest agréable aux Romains, quand je nous; et, quelque opinion qu'on puisse en avoir, il<br />

mis mm emmdaîre M que Cicéron que tmmfmM at­ est constant qu'il fetttj uger un Romain sur les mœurs<br />

tendre dans mes awMchambrest Bans les assem­ <strong>de</strong> son pays.<br />

blées <strong>du</strong> sénat, il garda un profond silence jusqu'à A présent voulef-vous voir dans ce même renier*<br />

l'affaire <strong>de</strong> Marcellus. Qu'on reproche ici à Cicéron, ciment pour Marcellus <strong>la</strong> preuve <strong>de</strong>s intentions et<br />

comme <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière <strong>de</strong>s bassesses, d'avoir partagé <strong>de</strong>s espérances <strong>de</strong> Cicéron ? Youlez-vous voir <strong>de</strong> quel<br />

en cette occasion <strong>la</strong> sensibilité et <strong>la</strong> reconnaissance ton il parle au vainqueur <strong>de</strong> Pharsale et m maître<br />

<strong>du</strong> sénat, et d'avoir prodigué <strong>de</strong>s louanges mm ty­ <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>? Relises un morceau <strong>de</strong> cette harangue,<br />

ran; voici ma réponse :<br />

sur <strong>la</strong>quelle heureusement le temps n'a point passé<br />

Jugeons toujours les choses à leur p<strong>la</strong>ce; voyons l'éponge <strong>de</strong> l'oubli ; et dans ce morceau sublime vous<br />

les temps, les mœurs et les hommes. Pour accuser verrei que l'orateur dit au héros, en propres ter­<br />

Cicéron, il tant ou condamner ici le sénat entier, mes, qu'il s'a rien <strong>la</strong>it <strong>de</strong> vraiment grand s'il ne<br />

sans eicepter ceux qu'on sous oppose sans cesse, rétablit pas <strong>la</strong> liberté publique sur <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments<br />

Bratus et Cassius, ou pouvoir citer quelqu'un dont soli<strong>de</strong>s». Est-ce là le <strong>la</strong>ngage d'un esc<strong>la</strong>ve et d'un<br />

<strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite fit un contraste avec celle <strong>de</strong> Cicéron ; > Voytt m mmmmm <strong>du</strong>» le chapitra présidait.<br />

Là HABM. — VOUE i.


a<strong>du</strong><strong>la</strong>teur ? Jusqu'à ce qu'on me cite quelqu'un qui<br />

ait prié ainsi à César, on me permettra d'admirer<br />

Cieéron. Je sais qu'il donne à <strong>la</strong> vérité <strong>de</strong>s formes<br />

douées et attirantes ; mais quand on veut rappeler à<br />

<strong>la</strong> véritable gloire un homme que Ton en croit digne,<br />

doit-on se servir <strong>de</strong> paroles <strong>du</strong>res F Voltaire, dont<br />

oe a cité <strong>de</strong>s fers sur lesquels je tais ra'expliquer<br />

tout à l'heure, en a fait d'autres où il semble avoir<br />

<strong>de</strong>viné l'âme et les intentions <strong>de</strong> Cieéron. C'est dans<br />

<strong>la</strong> tragédie <strong>de</strong> Morne sauvée où Cieéron dit à Caton ,<br />

qui voudrait que Ton traitât César comme Catilina ;<br />

Appreadi à distinguer l'ambitieux <strong>du</strong> traître :<br />

S'il s'est pas ¥ertaeux, ma vote te Corée à l'être.<br />

Un courage Indompté dans te cœur <strong>de</strong>s mortels<br />

Fait ou les grands héros ou les grands criminels»<br />

Qui do crime à <strong>la</strong> terre a donné <strong>de</strong>s eiemptes ,<br />

SI! eût aimé <strong>la</strong> gloire, eût mérité <strong>de</strong>s temples;<br />

Catilioa lui-même, à tant d'horreurs lustrait,<br />

Mi été Sdplon , si Je t'avais coudait. •<br />

Cieéron se trompa dans son espoir : tous les au*<br />

très se trompèrent. Pourquoi l'accuser seul ? CTest<br />

après cette séance, où le sénat avait para si satisfait<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> déférence <strong>de</strong> César et <strong>de</strong> ses dispositions pour<br />

<strong>la</strong> république, que Cieéron écrivit à Attieus qu'il<br />

commençait à espérer pour elle, puisqu'elle a?ait<br />

paru reprendre quelque chose <strong>de</strong> son ancienne dignité.<br />

Ce fut alors qu'il par<strong>la</strong> pour LIgarins et Dé*<br />

jotaras, et il était impossible qu'il s 9 C0ÏÏ1S DE UTT&RATUHB.<br />

lui un tyran, les sentiments do Cieéron furent trèsconnus<br />

: <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> ses dis<strong>cours</strong> a<strong>la</strong>rma ses amis;<br />

et Ton sut que César en était offensé. Cieéron avait<br />

tout récemment publié un éloge <strong>de</strong> Caton ; l'homme<br />

que le tyran haïssait le plus : cet éloge fit <strong>la</strong> sensation<br />

<strong>la</strong> plos vive, et César crut <strong>de</strong>voir y répondre<br />

par un écrit intitulé l'AnO-OUon. Les vers d'une tragédie<br />

{<strong>la</strong> Mort <strong>de</strong> César) où Ton fait parier Brutue<br />

ne-sont nullement une autorité contre Cieéron. Brutes,<br />

en effet, lui sut très-mauvais gré, dans <strong>la</strong> suite»<br />

<strong>de</strong> ses Maisons avec le jeune Octave ; mais au temps<br />

dont nous parlons, il était fort attaché à Cieéron.<br />

On croit avec raison que, si les conjurés ne le mirent<br />

pas dans leur secret, c'est qu'il ne leur parut<br />

pas qu'un homme <strong>de</strong> son âge (et il avait soixantequatre<br />

ans) fût propre pur un coup <strong>de</strong> main, et<br />

qu'ils craignirent, ou que <strong>la</strong> timidité d'un vieil<strong>la</strong>rd,<br />

ne nuisit à <strong>la</strong> vigueur <strong>de</strong> leurs mesures y ou que son<br />

expérience ne le mft naturellement à <strong>la</strong> tâte d'une<br />

entreprise dont ils ne vou<strong>la</strong>ient pas lui <strong>la</strong>isser l'honneur.<br />

Au reste, ceui qui voudront approfondir toi» ces<br />

détails n'ont qu'à lire le précieux recueil <strong>de</strong> sa correspondance<br />

avec Attieus ; on y voit son âme à nu :<br />

on pourra juger si ses vertus ne l'emportaient pas<br />

en dispensât. sur ses faiblesses. 11 se les reproche plus sévèrement<br />

Qu'aurait-on dit <strong>de</strong> lui, s'il eût refusé <strong>de</strong> parier que personne, celles <strong>du</strong> moiiisfyui touchante <strong>la</strong> chose<br />

pour un ami et pour un client, quand César parais­ publique; car, pur ce qui est <strong>de</strong> «on abattement<br />

sait s'étudier à lui comp<strong>la</strong>ire, et, pour me servir dans l'exil, et <strong>de</strong> son excessive douleur <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort<br />

<strong>de</strong>s termes d'Attieus, semb<strong>la</strong>it courtiser Cieéron ? <strong>de</strong> sa fille, il ne veut pas se rendre sur ces <strong>de</strong>ux ar­<br />

Mais quel fut donc le moment où ses espérances ticles , et oppose sa sensibilité à tous les reproches :<br />

•*évanouirent, et où se forma <strong>la</strong> conspiration ? Tous ce qui n'empêche pas que je ne sois <strong>de</strong> l'avi» <strong>de</strong> ses<br />

, les historiens sont d'accord là-<strong>de</strong>ssus : c'est lorsque contemporains, qui pensèrent avec raison que les<br />

César, enivré <strong>de</strong> sa fortune, it rendre ou <strong>du</strong> moins sentiments les plus justes ont leur mesure, et que<br />

accepta <strong>de</strong>s décrets honorifiques, qui allèrent bientôt rien ne doit éter à l'homme le courage qui sied à<br />

jusqu'à <strong>la</strong> plus basse a<strong>du</strong><strong>la</strong>tion; quand il permit que l'homme. Je condamne aussi avec eux et avec lui-<br />

sa statue fût portée avec celle <strong>de</strong>s dieui; quand il même les comp<strong>la</strong>isances que lui arracha <strong>la</strong> funeste<br />

blessa <strong>la</strong> fierté <strong>du</strong> sénat en ne se levant pas <strong>de</strong>vant amitié <strong>de</strong> Pompée, qui le compromit plus d'une fois,<br />

une députation <strong>de</strong> cette compagnie; enfin, quand surtout lorsqu'elle l'engagea à défendre en justice<br />

il eut <strong>la</strong>issé apercevoir ses prétentions à <strong>la</strong> royauté 9<br />

le jour qu'Antoine eut <strong>la</strong> lâcheté <strong>de</strong> vouloir essayer<br />

<strong>de</strong>ux hommes aussi méchants que Gabinlus et Vatinius,<br />

que dans plusieurs <strong>de</strong> ses harangues il avait<br />

le diadème sur son front. Dès ce moment sa mort couverts d'opprobres.<br />

fut résolue. Des billets adressés à Brutes lui avaient M reste à le justifier sur le jeune Octave, et c'est<br />

déjà rappelé ce que Rome attendait d'un homme <strong>de</strong> ce qui sera le plus facile et le plus court. Je n'ai<br />

son nom, et ce fut Cassîus qui le détermina. Com­ besoin que <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité historique, que l'accusateur a<br />

ment l'accusateur <strong>de</strong> Cieéron peut-il dire que* s'il violée à toutes les lignes d'une manière vraiment<br />

ne fut pas <strong>du</strong> complot, c'est que ses comp<strong>la</strong>isances étrange. Il fait mourir firotus et Cassîus avant Ci­<br />

pour le dictateur le leur avaient ren<strong>du</strong> suspect? eéron, et <strong>la</strong> guerre n'était pas même commencée<br />

Comment, sur un pareil motif, Imites et Cassîus quand ce grand homme fut <strong>la</strong> première victime <strong>du</strong><br />

auraient-ils pu suspecter ou méconnaître le républi­ g<strong>la</strong>ive triumviraL II le fait immqmMê tpectaêmur <strong>de</strong>s<br />

canisme <strong>de</strong> Cieéron, sans s'accuser eux-mêmes, puis­ grands débais §nl suivirent <strong>la</strong> mmri <strong>de</strong> César, et<br />

que leur con<strong>du</strong>ite avait été beaucoup moins réservée il y fat le premier acteur, le plus ferme appui <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

que <strong>la</strong> sienne ? Depuis que César avait <strong>la</strong>issé voir en liberté, l'âme <strong>du</strong>- sénat, et le plus terrible ennemi


ANCIENS. — ÉLOQUUCE.<br />

d'Antoine. C'est là qu'il redéfini ce qu'il a?ait été<br />

contre Catilina , et que ses <strong>de</strong>rniers travaux, couronnaot<br />

une vie glorieuse, furent couronnés par une<br />

belle mort.<br />

Je conclus en affirmant! l'histoire à <strong>la</strong> main, que<br />

Cicéron , quoique en général <strong>la</strong> politique ait dominé<br />

dans son caractère plus que l'énergie, quoique sa<br />

con<strong>du</strong>ite ait offert <strong>de</strong>s inégalités, n ? a jamais trahi<br />

un moment <strong>la</strong> cause publique; et, sans fouloir répéter<br />

ici tous les éloges que les anciens lui ont pro­<br />

SOT<br />

<strong>de</strong>s hommes <strong>la</strong>its ce que savent, au collège, <strong>de</strong>s<br />

écoliers <strong>de</strong> douze ans,'que jamais <strong>la</strong> conviction juridique<br />

n'a pu aller plus loin qm^i&m l'affaire dont<br />

il s'agit, puisque le sénat romain prononça sur <strong>la</strong><br />

signature et l'aveu <strong>de</strong>s conjurés. Pour ce qui est <strong>de</strong><br />

Catilina lui-même, qui ne fut jamais mis en jugement,<br />

et qui périt les armes à <strong>la</strong> main, l'erreur au<br />

moins est indifférente; et je n'en parlerais même<br />

pas, si tout à l'heure encore on n'avait pas enten<strong>du</strong><br />

parler dans ta Convention <strong>de</strong> Yéchq/uud <strong>de</strong> Catilina.<br />

Mais ceci me ramène au <strong>de</strong>rnier engagement que<br />

digués en prose et en vers sur ses vertus patriotiques,<br />

je m'en tiendrai au témoignage d'un homme qui ne<br />

pouvait pas être soupçonné <strong>de</strong> f<strong>la</strong>tter <strong>la</strong> mémoire<br />

d'un républicain dont <strong>la</strong> mort <strong>de</strong>vait le faire rougir.<br />

Ce même Octave, <strong>de</strong>venu empereur sous le nop<br />

d'Auguste, surprit un jour son petit-fils Drusus lisant<br />

les ouvrages <strong>de</strong> Cicéron. Le jeune homme voulut<br />

cacher le livre sous sa robe, craignant <strong>de</strong> faire<br />

mal sa cour à César, en lisant les écrits d'un républicain.<br />

M$ez-k9 wwmJMs, lui dit Auguste : c'était<br />

sut beau génie , et tm excellent cMmfem qui aimait<br />

Mm m pairie*<br />

Vous mm dû voir qu'une <strong>de</strong>s sources les plus fécon<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong> ces préventions ? aujourd'hui si communes,<br />

contre tant <strong>de</strong> pands hommes, et <strong>de</strong> cet esprit<br />

détracteur que Ton signale contre eui comme a<br />

Verni , c'est une ignorance <strong>de</strong> l'histoire, qui prouve<br />

combien toute espèce d'étu<strong>de</strong> est négligée, et toute<br />

espèce d'instruction <strong>de</strong>venue rare. Il en résulte souvent<br />

<strong>de</strong>s conséquences bien autrement graves que<br />

celles que je viens <strong>de</strong> relever, puisqu'à tout moment<br />

Terreur et le mensonge -sont cités comme <strong>de</strong>s autorités,<br />

et dans <strong>de</strong>s occasions jie <strong>la</strong> plus haute importance.<br />

Ce même Cicéron t dont nous venons <strong>de</strong> nous<br />

occuper, m'en rappelle un exemple aussi déplorable<br />

que honteux. Lorsqu'il s'agissait d'établir ces tribunaux<br />

sanguinaires que Ton déteste aujourd ? j'ai pris <strong>de</strong> tirer <strong>de</strong> Cicéron, comme j'ai fait <strong>de</strong> Démosthènes,<br />

quelques rapprochements <strong>de</strong>s exemples<br />

anciens avec ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> tyrannie, heureusement enfin<br />

abattue. Ceux qui observent <strong>la</strong> théorie <strong>du</strong> crime<br />

dans tous les temps et dans tous les pays, et qui<br />

sur<strong>mont</strong>ent le dégoût <strong>de</strong> cette pénible étu<strong>de</strong> en faveur<br />

<strong>de</strong> Futilité dont elle peut être pour connaître<br />

et traiter les ma<strong>la</strong>dies morales et politiques, comme<br />

<strong>la</strong> mé<strong>de</strong>cine interroge les poisons et jusqu'au! excréments<br />

pour y chercher <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s aux ma<strong>la</strong>dies<br />

<strong>du</strong> corps, ceux-là remarqueront quelques rapprochements<br />

sensibles entre les moyens <strong>de</strong> rapine et<br />

d'oppression que tira Terrés <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong>s pirates»<br />

et ceux que <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vendée a fournis si<br />

longtemps aux tyrans <strong>de</strong> <strong>la</strong> France. Il est vrai que<br />

Verres n'a?ait <strong>du</strong> moins aucune part à cette piraterie<br />

maritime, qui existait longtemps avant lui ; qu'il<br />

ne l'avait ni excitée ni entretenue, non plus que<br />

celle <strong>de</strong> Sprtaeus, dont les faibles restes servirent<br />

aussi <strong>de</strong> prétexte à ses cruautés. Mais 9 au lieu d'employer<br />

<strong>la</strong> force publique qu'il a?ait entra les mains<br />

à combattre et repousser les corsaires, il prit pour<br />

lui l'argent <strong>de</strong> l'État, dépouil<strong>la</strong> ses défenseurs, et,<br />

aptes les avoir mis hors d'état d'agir, les assassina<br />

juridiquement, <strong>de</strong> peur qu'ils ne déposassent con­<br />

hui tre lus. Hotre histoire dira aussi que dans cette abo­<br />

tout haut, <strong>de</strong>puis qu'on les a vus tomber, mais qu'aminable guerre <strong>de</strong> <strong>la</strong> Yendée, qui n<br />

lors on osait à peine censurer, qui croirait que, sur<br />

quelques représentations qui s'élevèrent contre ce<br />

co<strong>de</strong> inouï qui permettait <strong>de</strong> condamner, sans preuves<br />

, un membre <strong>de</strong> <strong>la</strong> convention cita <strong>du</strong> ton le plus<br />

imposant <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> Cicéron dans le jugement<br />

<strong>de</strong>s complices <strong>de</strong> Catilina?<br />

« Cicéron, s'écria-t-ii, eut-il besoin <strong>de</strong> preuves<br />

pour envoyer à <strong>la</strong> mort Catilina et ses complices? 3»<br />

Je veux croire que, si personne ne releva cette<br />

grossière imposture, c'est qu'on n'osait pas même<br />

démentir les tyrans sur un <strong>la</strong>it historique aussi<br />

connu que celui-là <strong>de</strong>vait l'être ; et pourtant j'ai<br />

vu, <strong>de</strong>puis, cette même fausseté répétée dans <strong>de</strong>s<br />

écrits qui n'étaient pas voués au mensonge. Cest<br />

un <strong>de</strong>s motifs qui m'engagent à répéter aussi <strong>de</strong>vant<br />

9 a existé que parce<br />

qu'on l'a YOUIU, dans cette guerre qu'on a soigneusement<br />

nourrie parce qu'elle servait à tout f nos tyrans<br />

ne choisirent guère pour commandants que <strong>de</strong>s<br />

complices; qu'ils les envoyèrent moins pour combattre<br />

<strong>de</strong>s ennemis armés, que pour piller et massacrer<br />

nos concitoyens tdèles et paisibles. Mous avons<br />

lu dans les Yerrines que le proconsul romain, qui<br />

avait juré une gmrre à m&rt aux négociants, faisait<br />

arrêter tous les commerçants riches et tous les<br />

commandants <strong>de</strong> navires qui apportaient <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nrées<br />

dans les ports <strong>de</strong> Sicile, et qu'il confisquait<br />

leurs marchandises parce qu'ils étaient, disait-il, <strong>du</strong><br />

prti <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves fugitifs, et qu'ils leur avaient fourni<br />

<strong>de</strong>s vivres ; qu'il it même périr une foule <strong>de</strong> ces<br />

innocents, éloigna <strong>de</strong>s citas <strong>de</strong> sa province tous les<br />

30.


SOS<br />

COUS DE UTT&BATDRE.<br />

marchands épouvantés <strong>du</strong> bruit <strong>de</strong> ses fureurs, mit<br />

<strong>la</strong> famine sur <strong>la</strong> flotte, et l'aurait mise dans sa province,<br />

s'il l'eût gouvernée plus longtemps Et c'est<br />

ainsi que, parmi BOUS, l'opulent commerce <strong>de</strong> Lyon,<br />

<strong>de</strong> Nantes, <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux 9 <strong>de</strong> Marseille, etc., qui faisait<br />

envie au reste <strong>de</strong> l'Europe, a été anéanti par<br />

ceux qui avaient proscrit le ûégociantisme, crime<br />

aussi nouveau que le terme, et le seul crime <strong>de</strong> ces<br />

hommes <strong>la</strong>borieusement utiles y dont l'active in<strong>du</strong>strie<br />

approvisionne un empire, qui généralement ne<br />

peuvent s'enrichir qu'en faisant <strong>du</strong> bien, ne peuvent<br />

établir leur crédit que pr une réputation <strong>de</strong> probité,<br />

ne peuvent gagner qu'en raison <strong>de</strong> ce qu'ils<br />

risquent; dont <strong>la</strong> profession et les talents sont honorés<br />

partout, encouragés partout où l'on a les premières<br />

notions <strong>de</strong> gouvernement ; qui d'ailleurs sont<br />

naturellement les premiers amis <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté et <strong>de</strong>s<br />

lois, puisque <strong>la</strong> liberté et les lois sont les premiers<br />

appuis <strong>de</strong> leur commerce et <strong>de</strong> leurs travaux ; enfin,<br />

qui, dans tous les temps et chez toutes les nations v<br />

ont été mis par <strong>la</strong> philosophie au nombre <strong>de</strong>s bienfaiteurs<br />

<strong>du</strong> genre humain.<br />

Cicéron n'a pas dédaigné <strong>de</strong> faire mention d'un<br />

Sestius 9 d'un geôlier <strong>de</strong>s prisons <strong>de</strong> Yerrès, d'un <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>rniers satellites <strong>du</strong> préteur; et pourquoi? C'est<br />

qu'il savait que le caractère <strong>de</strong>s commandants <strong>de</strong>vient<br />

celui <strong>de</strong>s subalternes, et qu'on peut juger <strong>de</strong>s uns<br />

par les autres. 11 y a dans l'esprit <strong>de</strong> tyrannie une<br />

bassesse naturelle, une abjection -particulière qui<br />

peut dépraver jusqu'aux bourreaux; et un homme<br />

qui n'aurait vu que nos échafauds et nos prisons aurait<br />

pu juger alors <strong>de</strong> notre gouvernement..Mais<br />

Cicéron ne parle que d'un Sestius, et nous en avons<br />

eu <strong>de</strong>s milliers, dont l'histoire ne dédaignera pas<br />

non plus <strong>de</strong>.faire mention. Et combien ils ont surpassé<br />

Sestius 1 ce misérable rançonnait l'infortune,<br />

il est vrai, il Élisait payer <strong>la</strong> sépulture; et ce genre<br />

<strong>de</strong> commerce était interdit à nos Sestius, puisqu'il<br />

n'y avait plus même <strong>de</strong> sépulture parmi nous : mais<br />

onne nousditpointqu'ilsefitfun <strong>de</strong>voir et un p<strong>la</strong>isir<br />

d'insulter à tout moment le sexe, <strong>la</strong> vieillesse, le besoin,<br />

<strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die, l'agonie, les cadavres.... Que <strong>de</strong><br />

détails affreux que je ne fais qu'indiquer à vos souvenirs<br />

'et à vos réflexions! Ici je n'es dois pas faire<br />

davantage; je connais <strong>la</strong> mesure <strong>de</strong> mes fonctions et<br />

<strong>de</strong> mes paroles. Hais ces détails ne sont pas per<strong>du</strong>s<br />

pour l'instruction <strong>de</strong> <strong>la</strong> postérité. Mon, ils ne le seront<br />

pas, j'en jure s par l'humanité outragée comme<br />

elle ne l'avait été jamais; et si <strong>la</strong> nature a donné<br />

1 On croît* sans petit que m s'est pas pat amotir-prep»<br />

que Je rappelle ici les acc<strong>la</strong>mations mmttipllés qui<br />

suivirent ce serment prononcé aux écoles sonna!» et au<br />

lycées. De l'amour-propro, bon Dieu! dans un ptreU sujet<br />

1 ftittêiâfi niunanUé, et nramanlti me vtpûmtait<br />

quelque force à mes crayons, ri un profond sentiment<br />

<strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l'homme peut suppléer à ce qui<br />

manque au talent, tous ces traits, toujours divers<br />

et toujours les mêmes, épars jusqu'ici dans quelques<br />

feuilles accusatrices, seront rassemblés et coloriés<br />

pour en former un tableau d'horreur et <strong>de</strong> vérité,<br />

où les yeux ne s'arrêteront pas sans <strong>la</strong>isser tomber<br />

quelques <strong>la</strong>rmes. Ces <strong>la</strong>rmes ne seront pas inutiles :<br />

<strong>mont</strong>rer tout ee qu'a pu faire l'immoralité popu<strong>la</strong>irement<br />

érigée en principes dans un <strong>la</strong>ngage nouveau f<br />

c'est avertir l'homme <strong>de</strong> ne jamais dénaturer les expressions<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> morale sous peine <strong>de</strong> tout dénaturer<br />

à <strong>la</strong> fois. Quelle leçon contre les brigands et les oppresseurs<br />

qui ont fait <strong>de</strong> ee travestissement monstrueux<br />

une arme si terrible., grâce à l'ignorance et<br />

aux vices <strong>de</strong> <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> ! Et c'est bien en vain qu'ils<br />

prétendraient arrêter <strong>la</strong> main capable <strong>de</strong> les présenter<br />

au mon<strong>de</strong> entier dans toute leur épouvantable<br />

difformité. Le g<strong>la</strong>ive même <strong>de</strong>s assassins viendrait<br />

trop tard : le tableau déjà tracé repose dant<br />

l'ombre en attendant le jour <strong>de</strong> toutes les vérités,<br />

et si le peintre n'est pas à l'abri <strong>de</strong> leurs coups,<br />

l'ouvrage est à Fabri <strong>de</strong> leurs atteintes.<br />

Vous mm app<strong>la</strong>udi avec transport, dans le beau<br />

p<strong>la</strong>idoyer pour Archias, le magnifique éloge <strong>de</strong>s<br />

lettres et <strong>de</strong>s arts, digne <strong>du</strong> sujet et <strong>de</strong> Cicéron :<br />

et vos app<strong>la</strong>udissements étaient une sorte d'hommage<br />

expiatoire que vous leur rendiez après le règne<br />

<strong>de</strong> l'ignorance et <strong>de</strong> <strong>la</strong> barbarie. Mais quand<br />

Cicéron, dix-huit siècles avant le nétre, par<strong>la</strong>it avec<br />

tant d'intérêt et d'élévation <strong>de</strong> ce respect universel<br />

pur les talents <strong>de</strong> l'esprit, comme d'un caractère<br />

naturel à toutes les nations policées; quand il citait<br />

<strong>la</strong> poésie en particulier comme l'objet d'Une espèce<br />

<strong>de</strong> consécration, même chez <strong>de</strong>s peuples barbares;<br />

quand le mon<strong>de</strong> entier attestait <strong>la</strong> vérité <strong>de</strong> ces<br />

paroles, si on lui eût dit qu'au bout d'une longue<br />

suite <strong>de</strong> siècles, et dans un temps où cette lumière<br />

<strong>de</strong>s arts, alors renfermés chez les Grecs et les<br />

Romains, se serait répan<strong>du</strong>e dans l'Europe entière,<br />

ces mêmes arts, ces mêmes talents chei une nation<br />

qui en aurait porté le goût et <strong>la</strong> perfection plus loin<br />

qu'aucune autre, seraient solennellement déc<strong>la</strong>rés<br />

un titre <strong>de</strong> proscription, dévoués à f opprobre s aux<br />

fers, aui supplices; leurs monuments foulés aux<br />

pieds « traînés dans <strong>la</strong> boue, mutilés par le fer, livrés<br />

aui <strong>la</strong>mmes, dans toute l'éten<strong>du</strong>e d'un grand empire,<br />

sans <strong>la</strong> moindre réc<strong>la</strong>mation ; qu'aurait-il pensé<br />

<strong>de</strong> cette prophétie? ne l'eût-il pas regardée comme<br />

unechimère'qui ne pouvait jamais se réaliser, à moins<br />

que <strong>de</strong>s extrémités <strong>du</strong> globe il n'arrivât quelque hor<strong>de</strong><br />

sauvage et dévastatrice qui mft tout à feu et à sang<br />

ôhes cette nation subjuguée, ou que <strong>la</strong> colère <strong>du</strong> ciel


ANCIENS. - ÉLOQUENCE.<br />

909<br />

ne <strong>la</strong> frappât tout entière d'un noir esprit <strong>de</strong> ?artige, peu connues ou mal exposées. M <strong>la</strong> difficulté sera<br />

d'un délire atroce f <strong>de</strong>rnier terme <strong>de</strong> <strong>la</strong> dégradation <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>r <strong>la</strong> ? «semb<strong>la</strong>ble 9 malgré <strong>la</strong> plus éc<strong>la</strong>tante<br />

<strong>de</strong> l'espèce, et avant-coureur <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>struction? Et, publicité, et malgré le nombre et <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté <strong>de</strong>s té­<br />

si os lui eût dit encore


310<br />

nier sceau à toute corruption, achète d'étouffer<br />

toute conscience, et <strong>de</strong> jostiier tous les forfaits!<br />

Que peut-il en eotlter à <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> cette trempe v<br />

pour vouloir mourir comme <strong>de</strong>s brutes 9 après avoir<br />

vécu comme <strong>de</strong>s monstres? Des scélérats peuventils<br />

envisager un antre asile, un autre espoir, un<br />

autre partage que le néant?<br />

D'ailleurs, il faut l'avouer, tous ©es milliers <strong>de</strong><br />

brigands domiuateurs 9 qui en peu d'années ont plus<br />

ravalé <strong>la</strong> nature humaine que n'ont jamais pu faire<br />

les tyrans <strong>de</strong> tous les siècles, ont bien pu croira que 9<br />

puisque <strong>la</strong> terre était à eui, ils n'avaient point <strong>de</strong><br />

maître dans le ciel : ce raisonnement est à leur portée<br />

et très-digne d'eu. 11 y a plus, cette fête abominable,<br />

réellement consacrée à Robespierre sous<br />

le nom <strong>de</strong> l'Être suprême, a pu les persua<strong>de</strong>r, plus<br />

que tout le reste f que cette proc<strong>la</strong>mation si étrange<br />

n'était qu'une <strong>de</strong> ces farces révolutionnaires que <strong>la</strong><br />

tyrannie éta<strong>la</strong>it tous les jours en spectacle; et ce<br />

qui était vrai et trop ?rai <strong>de</strong> cette préten<strong>du</strong>e féie,<br />

ils Font cru <strong>du</strong> Dieu qu'on y outrageait. Et en effet,<br />

fut-il jamais plus outragé ? Je ne parle pas seulement<br />

<strong>de</strong> l'opprobre que ce fil char<strong>la</strong>tan répandait<br />

sur <strong>la</strong> France entière, en lui ordonnant d'avertir<br />

l'univers que <strong>la</strong> nation française, au dix-huitième<br />

siècle, reconnaissait encore un Dieu. Il était juste<br />

que le même homme mît <strong>la</strong> Divinité en écriteau à<br />

<strong>la</strong> porte <strong>de</strong>s églises, comme il avait mis ta iiimrié<br />

en enseigne à <strong>la</strong> porte <strong>de</strong>s maisons ; il était fait pour<br />

croire à l'une comme à l'autre, et pour les traiter<br />

<strong>de</strong> même toutes les <strong>de</strong>ux. Je baisse les yeui <strong>de</strong> honte<br />

et d'horreur toutes les fois que j'aperçois, en passant<br />

, sur ces éditées qui furent autrefois <strong>de</strong>s tempies,<br />

ces incriptions qui ne subsistent* que pour<br />

déshonorer <strong>la</strong> nation. Mais qu'est-ce encore que ce<br />

scandale, si on le compare à l'appareil sacrilège dont<br />

Paris fut forcé d'être le témoin et le complice, quand<br />

un Robespierre (car le mépris ne peut rien trouver<br />

<strong>de</strong> plus abject que son nom) osa élever insolemment<br />

l'autel <strong>de</strong> son orgueil vis-à-vis l'éehafaud <strong>de</strong> ses victimes,<br />

osa présenter au Dieu qu'il b<strong>la</strong>sphémait une<br />

nation esc<strong>la</strong>ve et flétrie qu'il égorgeait chaque jour,<br />

et lever ses regards vers le ciel en fou<strong>la</strong>nt sous ses<br />

pieds le sang innocent? Sans doute ses innombrables<br />

agents se dirent alors qu'apparemment il n'y<br />

avait point <strong>de</strong> Dieu qui l'entendît, puisqu'il n'y en<br />

avait point qui le foudroyât. Je sais qu'au moment<br />

<strong>de</strong> sa chute et <strong>de</strong> son supplice, on lui criait <strong>de</strong> toutes<br />

parts qu'U y avait tut Dteu; mais il ne faut pas<br />

« Elles ftubsig<strong>la</strong>lent alors, au commencement <strong>de</strong> §4; et<br />

l'auteur est le premier qui, <strong>de</strong>vant douze ceots auditeurs,<br />

se toit élevé «Mitre cet excès <strong>de</strong> ridicule et <strong>de</strong> scandale<br />

qui avait encore <strong>de</strong>s carlistes.<br />

GOUitS DE UTIÉLUTDHK.<br />

s f y tromper ,-ceus qui Moi disaient alow n'en avaient<br />

jamais douté. Au contraire, cet» qui voudraient<br />

lui succé<strong>de</strong>r, malgré cet exemple, disent seulement<br />

que <strong>la</strong> fortune lui a manqué enfin, et qu'il n'a eu<br />

d'autre tort que <strong>de</strong> ne pas répandre assez <strong>de</strong> sang.<br />

On ne saurait trop le redire : <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ie <strong>la</strong> plus profon<strong>de</strong><br />

que <strong>la</strong> tyrannie ait Mte à <strong>la</strong> France, c'est cette<br />

perversité avouéev cette immoralité épidémique qui<br />

a rompu tous les Mens <strong>de</strong> Tordre social. C'est là le<br />

grand mal qu'il .faut guérir avant tout, et c'est au<br />

zèle ar<strong>de</strong>nt pour <strong>la</strong> morale qu'on peut reconnaître<br />

désormais-les amis <strong>de</strong> <strong>la</strong> chose publique. C'est à nos<br />

tyrans qu'il apprtenait <strong>de</strong> détruire les moeurs;<br />

c'est aux amis <strong>de</strong> l'ordre à les rétablir, et à faire d'abord<br />

<strong>de</strong>s hommes pour avoir <strong>de</strong>s citoyens.<br />

CHAPimE V. — Dm cfettx Pane.<br />

L'éloquence romaine, entraînée dans <strong>la</strong> chute <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> liberté publique, perdit tout ce qu'elle en avait<br />

empranté, sa dignité» son élévation, son énergie,<br />

son audace, son importance. Elle ne pouvait pins<br />

se <strong>mont</strong>rer <strong>la</strong> même dans les assemblées <strong>du</strong> peuple,<br />

qui n'avait plus <strong>de</strong> pouvoir : dans les délibérations<br />

d'un sénat esc<strong>la</strong>ve, elle <strong>de</strong>vait rester miette, ou ne<br />

s'exercer qu'à l'a<strong>du</strong><strong>la</strong>tion et à <strong>la</strong> bassesse : les tribunaux<br />

n'étaient plus dignes <strong>de</strong> sa voii <strong>de</strong>puis que<br />

les jugements publies avaient per<strong>du</strong> leur crédit et<br />

leur majesté, qu'os m'y discutait plus que <strong>de</strong> petits<br />

intérêts, et que tout le reste dépendait <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté<br />

d'un seul. C'est quand il s'agit <strong>de</strong> subjuguer toutes<br />

les volontés que l'orateur triomphe : quand tout<br />

est soumis à un maître, le talent <strong>de</strong> f<strong>la</strong>tter <strong>de</strong>vient<br />

le premier <strong>de</strong> tous ; car les talents <strong>de</strong>s hommes tiennent<br />

toujours plus ou moins à leurs intérêts. Un<br />

État libre est le vrai efaâmp <strong>de</strong> l'éloquence : il lui<br />

faut <strong>de</strong>s adversaires, <strong>de</strong>s combats, <strong>de</strong>s dangers,<br />

<strong>de</strong>s triomphes. C'est alors que ses efforts sont en<br />

proportion <strong>de</strong> ses espérances, que le génie trouve<br />

naturellement sa p<strong>la</strong>ee ; il aime à écarter <strong>la</strong> fouie<br />

pour arriver -à son but, à marcher au milieu <strong>de</strong>s<br />

obstacles et <strong>de</strong>s difficultés en voyant <strong>de</strong> loin les récompenses<br />

et les honneurs. C'est ainsi que les hommes<br />

sont tout ce qu'ils peuvent être; qu'ils prennent<br />

leur rang à différents-<strong>de</strong>grés, selon leurs facultés<br />

et leur mérite. Mais, dans l'esc<strong>la</strong>vage, tout<br />

est sur <strong>la</strong> même ligne, tout se range au même niveau;<br />

l'on ne peut s'en écarter sans trouver un<br />

précipice : <strong>la</strong> Vie civile et politique n'est plus une<br />

carrière immense ouverte <strong>de</strong> tous cdtés, où chacun<br />

cherche à <strong>de</strong>vancer ses concurrent»; c'est on déilé


étroit et escarpé, oà tout le mon<strong>de</strong> marche es silence<br />

et les yeux baissés. Telle était <strong>la</strong> condition<br />

<strong>de</strong>s Romains <strong>de</strong>puis Auguste, dont le règne, il est<br />

irai , a donné son nom à cette époque bril<strong>la</strong>nte <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> perfection <strong>du</strong> goit dana te <strong>la</strong>ngage et dans les<br />

arts <strong>de</strong> l'imagination, mais qui fit aussi périr <strong>la</strong> ?éritable<br />

éloquence avec <strong>la</strong> république et Cieéron.<br />

La poésie, quoiqu'elle ait , comme tons les arts,<br />

besoin <strong>de</strong> liberté, en est pourtant un peu moins dépendante<br />

que l'éloquence, elle est moins effrayée<br />

<strong>de</strong>s tyrans f parce qu'elle-même les effraye un peu<br />

moins. Sa voix, moins austère, est plus consacrée<br />

au p<strong>la</strong>isir qu'à l'instruction, aux illusions qu'à <strong>la</strong><br />

vérité; et le charme <strong>de</strong> ses jeux et <strong>de</strong> ses fables peut<br />

se faire sentir an tyrans mêmes, s'ils ne sont pas<br />

stupi<strong>de</strong>s : encore faut-il qu'elle ait soin d'écarter <strong>de</strong><br />

son <strong>la</strong>ngage et <strong>de</strong> ses inventions tout ce qui pourrait<br />

a<strong>la</strong>rmer <strong>de</strong> trop près <strong>la</strong> conscience <strong>de</strong>s méchants.<br />

Virgile, dans aucun <strong>de</strong> ses ouvrages 9 n'a<br />

fait l'éloge <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté : Lucaln Fa osé faire; mais<br />

on sait comme il a fini. Ce n'est donc pas. Passer-<br />

Yissement <strong>de</strong>s Romains qui a porté le coup fatal à<br />

<strong>la</strong> poésie comme à l'éloquence : c'est seulement<br />

cette déca<strong>de</strong>nce presque inéfitable qui suit <strong>de</strong> près<br />

<strong>la</strong> perfection; c'est celte corruption <strong>de</strong> goût et <strong>de</strong><br />

principes, effet nécessaire <strong>de</strong> l'inquiétu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

faiblesse naturelle à l'esprit humain, qui ne poutant<br />

se lier dans le bien, s'égare en cherchant le<br />

mieux. <<br />

Cependant, lors même que l'éloquence et <strong>la</strong> poésie<br />

étaient déjà fort dégénérées, plusieurs hommes<br />

<strong>de</strong> mérite leur conser?èrent encore quelque gloire,<br />

et formèrent comme le troisième âge <strong>de</strong>s lettres<br />

che2 les Romains : envers, Perse, Juvénal, Sïlîus<br />

Italiens, Stace, Martial, et surtout Lucaln; dans<br />

k prose, Quintilienf Sénèque, et les <strong>de</strong>ux Pline. Je<br />

ne parle pas ici <strong>de</strong> Tacite, homme bien supérieur<br />

à tous ceux que je viens <strong>de</strong> nommer, homme à part,<br />

et qui seul, dans ce <strong>de</strong>rnier âge, fut digne d'être<br />

comparé aux plus beaux génies <strong>de</strong> celui d'Auguste :<br />

j'en parlerai à l'article <strong>de</strong>s historiens. Quintilien a<br />

déjà passé sous nos yeux ; nous avons vu les poètes :<br />

il reste à nous occuper <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux Pline, et d'abord<br />

<strong>de</strong> Pline le jeune, parce que son Panégyrique <strong>de</strong><br />

Trsjan est le seul monument qui nous reste <strong>de</strong> ce<br />

siècle, et le seul qui puisse sertir d'objet <strong>de</strong> corn*<br />

paraison avec le siècle précé<strong>de</strong>nt. Il se p<strong>la</strong>int sou*<br />

f rat f datas ses ouvrages, <strong>de</strong> <strong>la</strong> déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s lettres<br />

et <strong>du</strong> goût, ainsi que Tacite, son ami, qui même<br />

écrivit sur ce sujet un ouvrage en dialogue, dont<br />

nous avons per<strong>du</strong> une partie. Mais Tacite a l'avantage<br />

<strong>de</strong> n'être inférieur à personne dans le genre<br />

où il a travaillé : Pline! à qui l'on reprochait <strong>de</strong> son<br />

ANCIENS. — ÉLOQUENCE. _ Uî<br />

temps son admiration pour CIcéron, et 6a sévérité<br />

pour ses contemporains; Pline, qui s'était proposé<br />

CIcéron pour modèle, est bien loin <strong>de</strong> l'égaler.<br />

Noos ne pouvons pas apprécier ses p<strong>la</strong>idoyers, que<br />

nous n'avons plus; mais, à juger par son Panêgy*<br />

riqw, s'il suivait son goût en admirant Cicéron,<br />

11 avait, en composant, une manière toute dîfférente,<br />

et qui a déjà l'empreinte d'un autre siècle.<br />

Il a infiniment d'esprit; on ne peut même en avoir<br />

davantage : mais il s'occupe trop' à le <strong>mont</strong>rer, et<br />

ne <strong>mont</strong>re rien <strong>de</strong> plus. Il cherche trop à aiguiser<br />

toutes ses pensées, à leur donner une tournure piquante<br />

et épigrammatique; et ee travail continuel f<br />

cette profusion <strong>de</strong> traits sail<strong>la</strong>nts, cette monotonie<br />

d'esprit pro<strong>du</strong>it Mentét <strong>la</strong> fatigue. Il est, mmm<br />

Sénèque, meilleur à citer par fragments qu'à lire<br />

<strong>de</strong> suite. Ce n'est plus, comme dans Cicéron, ce ton<br />

naturellement noble et élevé, cette abondance facile<br />

et entraînante, cet enchaînement et cette progression<br />

d'idées f ce tissu où tout se tient et se développe;<br />

cette foule <strong>de</strong> mouvements, ces constructions<br />

nombreuses, ces figures heureuses qui animent<br />

tout; c'est un amas <strong>de</strong> bril<strong>la</strong>nts, une multitu<strong>de</strong> d'étincelles<br />

qui pîeJl beaucoup pendant un moment,<br />

qui excite mène une sorte d'admiration s ou plutôt<br />

d'éblouissement, mais dont on est bientôt étourdi.<br />

11 a tant d'esprit, et il en fa et tant pour le suivre,<br />

qu'on est tenté <strong>de</strong> lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r grâce et <strong>de</strong> lui dire :<br />

En voilà assez. On s'est souvent étonné que Trajan<br />

ait eu <strong>la</strong> patience d'entendre ce long dis<strong>cours</strong> où <strong>la</strong><br />

louange est épuisée; mais on oublie ce que Pline<br />

nous apprend lui-même, que celui qu'il prononça<br />

dans le sénat, lorsque Trajan l'eut déc<strong>la</strong>ré consul,<br />

n'était qu'Un remercfment fort court, adapté au<br />

lieu et aux circonstances. Ce n'est qu'au bout <strong>de</strong><br />

quelques années qu'il le publia aussi éten<strong>du</strong> que<br />

nous l'avons. Si quelque chose pouvait rendre cette<br />

longueur excusable, c'est qu'il louait Trajan et son<br />

bienfaiteur; mais il faut <strong>de</strong> <strong>la</strong> mesure dans tout,<br />

et principalement dans <strong>la</strong> louange. Au reste, s'il a<br />

excédé les bornes, il n'a pas été au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité.<br />

Il a le rare avantage <strong>de</strong> louer par <strong>de</strong>s faits, et<br />

tous les faits sont attestés. L'histoire est d'accord<br />

avec le panégyrique; et, ce qu'il y a <strong>de</strong> plus heureux<br />

, au portrait d'un bon prince il oppose celui<br />

<strong>de</strong>s tyrans qui l'avaient précédé, et particulièrement<br />

<strong>de</strong> Bomitien. On conçoit ce double p<strong>la</strong>isir que doit<br />

sentir une âme honnête à faire justice <strong>du</strong> crime en<br />

rendant hommage à <strong>la</strong> vertu, et à comparer le bonheur<br />

présent aui malheurs passés : ce contraste est<br />

le plus parte! mérite <strong>de</strong> son ouvrage. Je citerai les<br />

morceaux qui m'ont para les mieux faits, les plus<br />

intéressant», et qui offrent <strong>de</strong>s leçons et <strong>de</strong>s esero-


812<br />

pies utiles à présenter dans tous les temps. Mais<br />

11 faut ¥O!F auparavant <strong>de</strong> quelle manière fauteur<br />

lui-même parle <strong>de</strong> son ouvage dans les lettres qu'il<br />

nous a <strong>la</strong>issées.<br />

• Us <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong> mon consu<strong>la</strong>t était <strong>de</strong> rendre <strong>de</strong>s<br />

actions <strong>de</strong> grâces à l'empereur au nom <strong>de</strong>là république;<br />

et, après m'en être acquitté suivant <strong>la</strong> convenance <strong>du</strong> lieu<br />

et <strong>du</strong> moment, j'ai cru qu'il était digne d'un bon citoyen<br />

<strong>de</strong> développer dans ira ouvrage plus éten<strong>du</strong> ce que je<br />

n'avais fait qu'effleurer dans un remerciaient : d'abord<br />

pour rendre à un grand prince l'hommage qu'on doit à<br />

ses vertus; ensuite afin <strong>de</strong> présenter à ses successeurs,<br />

non pas <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> con<strong>du</strong>ite 9 mais un modèle qui leur<br />

apprenne à mériter k même gloire par les mêmes moyens.<br />

En effet 9 dire aux souverains ce qu'Us doivent être est beau<br />

sans doute, mais c'est une tâche pénible, et même une<br />

sorte <strong>de</strong> prétention ; au liei que louer celui qui <strong>la</strong>it bien,<br />

<strong>de</strong> manière que son éloge soit une leçon pour les autres 9 et<br />

comme une lumière qui leur <strong>mont</strong>re le chemin9 est une<br />

entreprise non moins utUe et plus mo<strong>de</strong>ste. »<br />

L'auteur <strong>du</strong> Panégyrique, après avoir rappelé<br />

<strong>la</strong> bassesse et <strong>la</strong> lâcheté <strong>de</strong> ces vils empereurs qui<br />

n'arrêtaient les incursions <strong>de</strong>s barbares qu'en leur<br />

donnant <strong>de</strong> l'argent, et en achetaient <strong>de</strong>s captifs<br />

pour en faire l'ornement d'un triomphe illusoire,<br />

fait voir dans son héros une con<strong>du</strong>ite bien différente*<br />

CÔÎJtS DE MTTÉMTC1E.<br />

* Maintenant on a renvoyé chez les ennemis <strong>de</strong> l'empire<br />

<strong>la</strong> terreur et <strong>la</strong> consternation. Ils apprennent <strong>de</strong> nouveau<br />

à être éodles et soumis; ils croient revoir dans Trajan un<br />

<strong>de</strong> ces héros <strong>de</strong> f ancienne Rome f qui n'obtenaient le titre<br />

d'empereur qu'après avoir couvert les champs <strong>de</strong> carnage ;<br />

et les mers <strong>de</strong> leurl triomphes. Nous recevons aujourd'hui<br />

<strong>de</strong>s otages 9 et nous ne Ses achetons pas. €e n'est point- par<br />

<strong>de</strong>s <strong>la</strong>rgesses honteuses qui épuisent et avilissent <strong>la</strong> république<br />

que nous marchandons le faux titre <strong>de</strong> vainqueurs ;<br />

ce sont les ennemis qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt» qui supplient; c'est<br />

nous qui accordons ou refusons, et l'un et l'autre est digne<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> majesté <strong>de</strong> l'empire. Ils nous ren<strong>de</strong>nt grâce <strong>de</strong> ce<br />

qu'ils ont obtenu; ils n'osent se p<strong>la</strong>indre <strong>de</strong> ce qu'ils<br />

n'obtiennent pas. L'oseraient-ils , quand Us se souviennent<br />

<strong>de</strong> vous avoir vu camper près <strong>de</strong>s nations les plus féroces 9<br />

dans <strong>la</strong> saison <strong>la</strong> plus favorable pour elles, <strong>la</strong> plus périlleuse<br />

pour nous, lorsque les g<strong>la</strong>ces amoncelées rejoignaient<br />

les <strong>de</strong>ux rives da Danube; lorsque ce Beuve pouvait à<br />

tout moment nous apporter <strong>la</strong> guerre sur ses eaux en<strong>du</strong>rcies<br />

par les hivers; Lorsque nous avions contre nous9 non-seuleincnt<br />

les armes <strong>de</strong> ces peuples sauvages , mais le ciel et<br />

leurs frimas? Il semb<strong>la</strong>it alors que notre présence eût<br />

changé l'ordre <strong>de</strong>s saisons : c'étaient em qui se renfermaient<br />

dans leurs retraites, et nos troupes tenaient <strong>la</strong><br />

campagne, parcouraient les rivages , et n'attendaient que<br />

vos ordres pour saisir l'occasion <strong>de</strong> fondre - sur eus , en<br />

passant sur ces mêmes g<strong>la</strong>ces qui faisaient jusqu'à!®»<br />

leur force et leur défense.... Mais votre modération est<br />

d'autant plus digne <strong>de</strong> louanges que, nourri dans <strong>la</strong> guerre y<br />

vous aimes <strong>la</strong> pais ; qu'ayant pour père en triomphateur<br />

dont les <strong>la</strong>uriers ont été consacrés dans le Capitale le jour<br />

même <strong>de</strong> votre adoption, ce n'a pas été une raison pour<br />

vous <strong>de</strong> rechercher avi<strong>de</strong>ment toutes les occasions do<br />

triompher. Vous ne redoutes pas k guerre y et vous ne <strong>la</strong><br />

provoque* pas. Il est beau <strong>de</strong> camper sur les rives <strong>du</strong><br />

Danube, sûr <strong>de</strong> vamcre si vous le passeï f et <strong>de</strong> ne pas<br />

forcer as combat <strong>de</strong>s ennemis qui le refusent. L'un est<br />

l'ouvrage <strong>de</strong> votre valeur, l'autre celui <strong>de</strong> votre sagesse :<br />

celle-ci fait que vous ne voulez pas combattre; celle-là,<br />

que vos ennemis ne l'osent pas. Le Capiloie verra donc<br />

enfin ; non pas un triomphe fantastique ni un vain simu<strong>la</strong>cre<br />

<strong>de</strong> victoire, mais un empereur nous rapportant une gloire<br />

véritable, <strong>la</strong> paix et <strong>la</strong> tranquillité, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong> nos<br />

ennemis une telle soumission qu'il n'a pas été besoin <strong>de</strong><br />

les viinere» Tell m qui est plis beau que tous tes triomphes;<br />

car jamais nous n'avons pu Tramera que ceux qui<br />

avaient d'abord méprisé notre empire. Si quelque roi<br />

barbare porte son audace insensée jusqu'à s'attirer votre<br />

courroux et votre iniignatlnn s c'est alors qu'il sentant que<br />

l'intervalle <strong>de</strong>s mers 9 <strong>la</strong> <strong>la</strong>rgeur <strong>de</strong>s neuves 9 <strong>la</strong> barrière <strong>de</strong>s<br />

<strong>mont</strong>agnes, seront <strong>de</strong> si faibles obstacles contre vous que<br />

les <strong>mont</strong>s t les fleuves, les mers sembleront avoir disparu<br />

pour <strong>la</strong>isser passer, Je ne dis pas vos armées, mais Home<br />

entière avec vous, •<br />

Chaque empereur! à son avènement, avait coutume<br />

<strong>de</strong> faire au peuple romain une distribution<br />

d'argent, appelée comgiariMm. L'orateur s'exprime,<br />

ce me semble y avec noblesse et intérêt sur les circonstances<br />

qui accompagnèrent cette libéralité <strong>de</strong><br />

Trajan»<br />

« A rapproche <strong>du</strong> jour marqué pour cette distribution,<br />

on voyait ordinairement le peuple en foule, et une multitu<strong>de</strong><br />

d'enfants remplir les rues, et attendre le prince à son<br />

passage. Leurs parents s'empressaient <strong>de</strong> les lui faire voir,<br />

les portaient dans leurs bras 9 leur apprenaient à lui adresser<br />

<strong>de</strong>s prières f<strong>la</strong>tteuses et <strong>de</strong>s caresses suppliantes. Ces<br />

enfants répétaient ce qu'on leur avait appris, le plus<br />

souvent à <strong>de</strong>s oreilles sour<strong>de</strong>s et insensibles. Chacun ignorait<br />

ce qu'il pouvait espérer. Tous, au contraire, vous<br />

n'avez pas même voulu qu'on vous priât ; et quoique Se<br />

spectacle <strong>de</strong> toute cette génération naissante eût <strong>de</strong> quoi<br />

f<strong>la</strong>tter votre sensibilité, vos dons leur étaient assurés, leur<br />

partage était réglé, avant que vous les eossàez vus ou<br />

enten<strong>du</strong>s. Tous avez voulu que dès leur enfance ils s'aperçussent<br />

que tous avaient en vous un père y qu'ils pussent<br />

croître par vos bienfaits en croissant pour vous, qu'ils<br />

fussent vos élèves avant d'être vos soldats, et que chacun<br />

d'eux vous fût aussi re<strong>de</strong>vable qu'à ses propres parents. Il<br />

est digne <strong>de</strong> vous, César, <strong>de</strong> nourrir <strong>de</strong> votre trésor l'espérance<br />

<strong>du</strong> nom romain. Il n'y a point <strong>de</strong> dépense plus convenable<br />

à un prince qui veut être immortel que les bienfaits<br />

répan<strong>du</strong>s sur <strong>la</strong> postérité. Les riches ont par eus-mêmes<br />

tout à gagner en élevant <strong>de</strong>s enfants, et trop à perdre<br />

quand ils n'en ont pas ; niait les pauvres, pour en voir et<br />

en élever, n'ont qu'un motif d'encouragement, <strong>la</strong> bonté <strong>du</strong><br />

souverain. C'est à lui <strong>de</strong> leur inspirer cette confiance, <strong>de</strong>


ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

lessost»ir-par ses dons, s'il m venthâter h ruine <strong>de</strong>FÉtat<br />

Les grands s'en suât que <strong>la</strong> tête, et quand les soins <strong>du</strong><br />

prises ne s'éten<strong>de</strong>nt que sur eux, elle chancelle et tombe<br />

Ment® t avec m corps affiybli et knguissant Aussi 9 quelle<br />

a dû être votre joie quand TOUS avex été accueilli par les<br />

tcAf»tî«isfé«Mi^è]«<br />

quand vous mm entends tes premiers mm <strong>de</strong> cet âge débile,<br />

è f al les <strong>la</strong>rgesses impériales n'ont point <strong>la</strong>it <strong>de</strong> grâce<br />

plus marquée que <strong>de</strong> le dispenser même <strong>de</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s et<br />

èes supplications ! Le comble <strong>de</strong> votre gloire est <strong>de</strong> TOUS<br />

<strong>mont</strong>rer tel que, sons votre règne» tout citoyen désire<br />

d'être père et se trouve heureux <strong>de</strong> l'être, lui auptird'uni<br />

ne craint antre chose pour son fils , que tes acci<strong>de</strong>nts<br />

inséparables <strong>de</strong> Fhnmanité : roppressioii arbitraire n'est<br />

pins comptée parmi les maux inévitables » et s'il est doux<br />

<strong>de</strong> voir dans ses enfints l f objet <strong>de</strong>s libéralités <strong>du</strong> prince,<br />

il est encore pies dosx <strong>de</strong> les élever pour être libres et<br />

tranquilles. Que l'empereur même se donne rien; c'est<br />

assex9 pourvu qu'il n'été pas. Qu'il ne se charge pas <strong>de</strong><br />

nourrir; n'importe, pourvu qu'il se détruise pas. Mais s'il<br />

enlève d'us côté pour donner <strong>de</strong> l'autre 9 s'il nourrit ceuxei<br />

et frappe ceux-là, <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>vient pur tous use charge<br />

imper tune. Ainsi donc, ê César ! ce que je loue le plus dans<br />

votre munificence, c'est que vous ne donnez que ce qui est<br />

à vous. On ne dira pas <strong>de</strong> vous que vous nourrissez nos<br />

enfants, comme les petits <strong>de</strong>s bêtes féroces, <strong>de</strong> sang et <strong>de</strong><br />

carnage; et c'est là ce qui bit le pins <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir à ceux qui reçoivent<br />

vos dons. €e que vous lesr donnez, Ils savent que<br />

vous se l'avex pris à personne ; ils savent 9 quand vous les<br />

enrichisaez 9 qse vous n'appauvrissez que voas seul ; que<br />

di*je? pas même vous; car celui <strong>de</strong> qui tous les autres<br />

tiennent ce qu'ils ont, possè<strong>de</strong> lui-même ce qui est à tous<br />

les autres. »<br />

Un autre objet <strong>de</strong> <strong>la</strong> munificence <strong>de</strong>s empereurs,<br />

c'étaient les jeux et les spectacles qu'ils donnaient<br />

an peuple romain, qui en était toujours idolâtre, au<br />

point <strong>de</strong> justifier ee mot si connu <strong>de</strong> Je vénal : Que<br />

faut-il aux wmîtres <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> f Bu pain et <strong>de</strong>s speo<br />

êack$. Si quelque chose avait pu les en dégoûter,<br />

c'eût été <strong>la</strong> démence atroce <strong>de</strong>s tyrans nommés Césars,<br />

qui trouvaient jusque dans ces amusements<br />

<strong>du</strong> théâtre, dans ces combats <strong>du</strong> cirque$ une occasion<br />

<strong>de</strong> plus <strong>de</strong> faire sentir leur <strong>de</strong>spotisme, et d'exercer<br />

leur cruauté. Ils se passionnaient pour un cocher<br />

ou un g<strong>la</strong>diateur, au point <strong>de</strong> faire périr ceux qui<br />

ne pensaient pas comme eux et favorisaient un parti<br />

opposé. On sait que9 sous les empereurs grecs , cette<br />

rage insensée fut poussée à un tel excès, que <strong>la</strong> faction<br />

<strong>de</strong>s Bkus et <strong>de</strong>s Feris , appelés ainsi <strong>de</strong> <strong>la</strong> livrée<br />

<strong>de</strong>s cochers <strong>du</strong> cirque, occasionna plus d f une fois<br />

d'horribles massacres dans Constantinople. Avant<br />

le temps où Pline écrivait, Caligu<strong>la</strong>, Néron f DCMïIîtien,<br />

avaient signalé leur folle passion pour les g<strong>la</strong>diateurs<br />

ou les pantomimes par les excès les plus<br />

monstrueux. On pense bien que les jeux donnés par<br />

Trajets avaient un autre caractère { et m morceau<br />

SIS<br />

<strong>du</strong> Pmmêgyriqw, suivi <strong>du</strong> tableau.<strong>de</strong> <strong>la</strong> punition <strong>de</strong>s<br />

dé<strong>la</strong>teurs, est d'une telle beauté, que, si Pline avait<br />

toujours écrit <strong>de</strong> ce style, on pourrait peut-être le<br />

comparer à Cicéron. Mais je choisis ce qu'il y a <strong>de</strong><br />

meilleur; et, après avoir marqué les défauts dominants<br />

9 j ? aime mieux vous présenter Ses beautés que<br />

les fautes. Celles-ci mêmes, dans un dis<strong>cours</strong> <strong>la</strong>tin v<br />

tenant en partie à <strong>la</strong> diction, ne peuvent guère être<br />

senties que par ceux qui enten<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue; et les<br />

beautés peuvent l'être par tout le mon<strong>de</strong>* •<br />

Nous avons en <strong>de</strong>s spectacles 9 non <strong>de</strong> mollesse et <strong>de</strong> cor*<br />

rnption , et faits non ponr énerver le courage, mais pour<br />

inspirer nu généreux mépris <strong>de</strong> k mort ; en <strong>mont</strong>rant les<br />

blessures honorables, rameur <strong>de</strong> <strong>la</strong> g<strong>la</strong>ire et l'ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong><br />

vaincre jusque dans <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves fugitifs et <strong>de</strong>s criminels<br />

condamnés. Et quelle noblesse vous mm Ait voir, César,<br />

dans ces fêtes ponuMresl quelle Justicei Combien vont<br />

mm fait sentir que tente partialité était au-<strong>de</strong>ssous<strong>de</strong> vous!<br />

Le peuple a obtenu en ee genre tout ee qu'il <strong>de</strong>mandait :<br />

on lui a même offert ee qu'il ne <strong>de</strong>mandait pas. Yous IV<br />

vea invité vens-méme à désirer et à choisir, et vois avez<br />

rempM ses vœux sans les avoir prévus. Quelle liberté dans<br />

les suffrages <strong>de</strong>s spectateurs! avec quelle sécurité chacun<br />

a pu suivre son geût et ses iacllnatierig 1 Personne n'a passé<br />

pour impie, n'a été criminel pour s'être déc<strong>la</strong>ré centre un<br />

gSadktenr; personne n'a expié pr les lupplices <strong>de</strong> misérables<br />

amusements, et , <strong>de</strong> spectateur qu'il était, n'est <strong>de</strong>venu<br />

lui-même un spectacle. O insensé et ignorant <strong>du</strong> véritable<br />

honneur, le souverain qui peut chercher, jusque dans<br />

f'arène, <strong>de</strong>s crimes <strong>de</strong> lèse-majesté qui se croit méprisé<br />

et avili si l'on ne respecte pas ses histrions j qui regar<strong>de</strong><br />

leurs injures comme les siennes 9 qui croit <strong>la</strong> divinité violée<br />

dans leur personne , et qui 9 s'estimant sa<strong>la</strong>nt que les dieux 9<br />

estime ses g<strong>la</strong>diateurs autant que rai S Combien ces affreux<br />

spectacles étaient différents <strong>de</strong> celui que vous nous aves<br />

donné I Assez longtemps nous avions vn une troupe <strong>de</strong><br />

dé<strong>la</strong>teurs exercer dans Home leurs brigandages. Abandonnant<br />

les grands chemins et les forêts à <strong>de</strong>s brigands d'une<br />

autre espèce 9 ceux-là assiégeaient les tribunaux et le sénat<br />

1 n f | avait plus <strong>de</strong> patrimoine assuré, plus <strong>de</strong> testament<br />

respecté; qu'on eût <strong>de</strong>s enfants on qu'on n'en eût pas, le<br />

danger était le même, et l'avarice <strong>du</strong> prince encourageait<br />

ces ennemis publies. Tous aves tourné vos regards sur ce<br />

fléau <strong>de</strong> l'État ; et y après avoir ren<strong>de</strong> <strong>la</strong> paix et <strong>la</strong> sérénité<br />

à nos armées9 vous Faves ramenée dans le forum; vous<br />

avez extirpé cette peste qui le déso<strong>la</strong>it, et votre sévérité<br />

prévoyante a empêché qu'une république fondée sur les lois<br />

ne fût renversée par l'abus <strong>de</strong> ces mêmes lois. Aussi ; quoique<br />

votre fortyne et votre générosité VOUS aient rais à portée<br />

<strong>de</strong> nous faire voir dans le cirque ce que <strong>la</strong> force et le<br />

courage ont <strong>de</strong> plus remarquable, <strong>de</strong>s monstres indomptablés<br />

eu apprivoisés, et ces merveilles <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, avant<br />

vousnres et cachées, et, grâce à vous, <strong>de</strong>venues communes<br />

s rien n'a pra plus agréable au peuple romain, ni<br />

plus digne <strong>de</strong> votre règne, que <strong>de</strong> voir l'insolent orgueil<br />

<strong>de</strong>s dé<strong>la</strong>teurs renversé dans <strong>la</strong> poussière. Nous les recenailtsfoaf<br />

tous, nous j«§es»s tous, en voyant ces victimes


C0U1S DE UTIÉBÀTinOL.<br />

314<br />

giratoires <strong>de</strong>s a<strong>la</strong>rmes pMtpes paner dans te drqae,<br />

sur les cadavres sang<strong>la</strong>nte <strong>de</strong>s criminels f pour être traînées<br />

à un supplice plus grand et plus terrible. Jetés pête-mête<br />

dans <strong>de</strong> mauvaises barques, on Ses a litres aux lois et aux<br />

tempêtes. Qu'ils s'éloigoent , qu'Us fuieiit <strong>de</strong> ces contrées<br />

que déso<strong>la</strong> leur méchanceté. Si les vagues les rejettent sur<br />

<strong>de</strong>s rochers, qu'Es hablteut <strong>de</strong>s terres sauvages inhospitalières<br />

; qu'Us y vivent dans les tourments <strong>de</strong> nnquiélu<strong>de</strong> et<br />

<strong>du</strong> besoin; et que, pour comble <strong>de</strong> donteur, ils regar<strong>de</strong>nt<br />

autour d'eux le genre humais qu'ils sont forcés <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser<br />

tranquille. Qeel spectacle mémorable que cette flotte chargée<br />

<strong>de</strong> coupables, abandonnée à tous les vents, sans gui<strong>de</strong> et<br />

sas» se<strong>cours</strong>, et forcée d'obéir ans flots irrités, sur quelque<br />

pitp inhabitée qu'il p<strong>la</strong>ise à <strong>la</strong> mer <strong>de</strong> les portert Avec'<br />

qneUe joie nous avons vu tous ces frêles bâtiments dispersés<br />

en sortant <strong>du</strong> port, comme si <strong>la</strong> mer eût voulu rendre<br />

grâces à l'empereur, qni <strong>la</strong> chargeait <strong>du</strong> supplice <strong>de</strong> ces misérables<br />

qu'il dédaignait <strong>de</strong> punir <strong>la</strong>i-même! Alors on a pu<br />

catraaJtss quel changement s'était fait dans <strong>la</strong> république,<br />

quand les méchants n'ont eu pour asile que ces mêmes rochers<br />

sur lesquels auparavant tant d'innocents étaient relégués<br />

; quand les déserts, auparavant peuplés <strong>de</strong> sénateurs,<br />

nous qni le sommes; et le père <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie ne croit plot<br />

fiili leur soit plus cher qu'à nous. Tons nous avez délivrés<br />

toits d'un accusateur domestique; vous avez élevé un signe<br />

<strong>de</strong> salut qui a détroit parmi nous <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong>s maîtres<br />

et <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves i vous leur avez* ren<strong>du</strong> un service égal<br />

en rendant tes uns tranquilles et <strong>la</strong>s antres fidèles. Voas<br />

m vei<strong>de</strong>x cependant pas qn'on vous loue <strong>de</strong> cette justice f<br />

et peut-être en effet ne Se doit-on pas ; mais <strong>du</strong> moins c'est<br />

sas pensée Mes douce pour ceux qui se rappellent ce<strong>la</strong>i <strong>de</strong><br />

vos prédécesseurs qui snbornait toi-même Ses esc<strong>la</strong>ves<br />

contre les maîtres, et leur fournissait <strong>de</strong>s accusations pour<br />

avoir un préteste <strong>de</strong> punir Ses crimes qu'il avait inventés :<br />

<strong>de</strong>stinée affreuse] et inévitable qu'il fal<strong>la</strong>it sabir tontes les<br />

fois qn s U se trouvait un esc<strong>la</strong>ve aussi méchant que Temperenr.<br />

•<br />

Trajaa avait vécu longtemps dans une condition<br />

privée : il avait vu le règne abominable et <strong>la</strong> in<br />

tragique <strong>de</strong> Dormi tissa» Adopté par Merra, qui avait<br />

remp<strong>la</strong>cé Domitîen, et qui régna peu, il lui avait<br />

bientôt succédé. Un homme qui avait autant d'esprit<br />

que Pline ne pouvait manquer <strong>de</strong> saisir cette circons­<br />

* ne l'ont plus été que par leurs dé<strong>la</strong>teurs et leurs bourreaux. « tance si heureuse et les réiexîbns qu'elle fait naître.<br />

Tout le mon<strong>de</strong> doit reconnaître Ici les <strong>de</strong>ux vers<br />

<strong>de</strong> Racine daas Britannieus :<br />

m Combien U est allie <strong>de</strong> passer par l'adversité pow arriver<br />

aux gran<strong>de</strong>urs I Tons avez vécu avec nous 9 vous avec<br />

Les déserts t autrefois peuplés <strong>de</strong> sénateurs 9<br />

partagé nos périls, voua avez, comme noua, vécu dans<br />

He sont plus habités que par leurs dé<strong>la</strong>teurs* les a<strong>la</strong>rmes : c'était alors le sort <strong>de</strong> l'innocence. Vous avez<br />

C'est use tra<strong>du</strong>ction littérale <strong>de</strong> m passage <strong>de</strong> Pline. va par vens-même comMen les médisiits princes sont dé­<br />

Il continue, et félicite Trajan d'avoir aboli les actestés, même <strong>de</strong> ceux qui contribuent à les rendre plus<br />

cusations <strong>de</strong> lèse-majesté, qui mettaient le couteau<br />

méchants. Yoos vous Haussas* <strong>de</strong>s vaux et <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>intes<br />

qne vous formiez avec nous. Ainsi, les lumières <strong>du</strong> parti­<br />

dans <strong>la</strong> main <strong>de</strong>s plus vils scélérats pour égorger<br />

culier servent en vous à éc<strong>la</strong>irer le prince; et vous avez<br />

les plus honnêtes gens, et qui grossissaient le trésor fait pins même que vous n'auriez désiré d'un autre : et nous,<br />

impérial <strong>de</strong> ia dépouille <strong>de</strong>s victimes.<br />

dont tons les vœux m bornaient à n'avoir pas pour empe­<br />

« Comment se fait-il que vos prédécesseurs , qui dévoreur le pire <strong>de</strong>s hommes, vons nous avez accoutumés à ne<br />

misai tout, qui ne <strong>la</strong>issaient rien à personnef aient été pouvoir en supporter un qui ne serait pas le melUeur <strong>de</strong><br />

pauvres au milieu <strong>de</strong> leurs rapines ; et que vous, qui don­ tons. C'est ce qui fait qu'il n'y a personne qui vous cou*<br />

nez tout et ne ravissez rien, vous soyez riche au milieu <strong>de</strong> naisse assez peu et se connaisse assez peu lui-même pour<br />

vos libéralités ? Sans cesse autour d'eux, <strong>de</strong>s conseiUers déstrsr votre p<strong>la</strong>ce. Il est plus aisé <strong>de</strong> vous succé<strong>de</strong>r que<br />

sinistres veil<strong>la</strong>ient avec un front sévère et sourcilteux aux <strong>de</strong> s'en croire capable. Qui voudrait, en effet, supporter le<br />

intérêts <strong>du</strong> fisc; les princes eux-mêmes, tout avi<strong>de</strong>s, tout même far<strong>de</strong>au? Qui ne craindrait pas <strong>de</strong> vous être coin*<br />

rapaces qu'ils étaient, et qooiqu'Us eussent si peu besoin paré? Qui sait mieux que vous qudte charge on s'impose<br />

<strong>de</strong> parais matures, apprenaient d'eux cependant tout ce en remp<strong>la</strong>çant un bon prince ? Et cependant vous arias S'ei-<br />

qu'on pouvait faire contre nous. Mais vous, César, vous cuse <strong>de</strong> votre adoption. Quel règas à imiter que celui soas<br />

avez fermé votre oreille à toute espèce d'a<strong>du</strong><strong>la</strong>tions, et sur­ lequel personne n'ose fon<strong>de</strong>r sa sûreté sur son abjection !<br />

tout à celles qui s'adressent à <strong>la</strong> cupidité. La f<strong>la</strong>tterie est Nul aujourd'hui ne craint rien, ni pour sa vie, ni pour sa<br />

muette, et il n'y a plus personne pour donner <strong>de</strong> mauvais dignité; et l'on ne regar<strong>de</strong> plus comme un trait <strong>de</strong> sagesse<br />

conseUâ 9 <strong>de</strong>puis que le prince ne les écoute plus| en sorte <strong>de</strong> se cacher dans les ténèbres. Sous un prince tel que vous,<br />

que nous vous sommes également re<strong>de</strong>vables, et pour les <strong>la</strong> vertu a les mêmes récompenses et les mêmes honneurs<br />

mœurs que vous mm, et pour le bien que vous avez <strong>la</strong>it que dans un État libre, et ce n'est plus le temps où elle n'a­<br />

aux nôtres. C'était surtout ce crime unique et extraordinaire vait d'autre prix que le témoignage <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience. Vaas<br />

<strong>de</strong> lèse -majesté 9 inventé pour perdre ceux qui étaient aimez <strong>la</strong> fermeté dans les citoyens; vous ne cherchez<br />

exempts <strong>de</strong> tout crime, c'était là ce qui enrichissait le Use. pas, comme on faisait autrefois, à étouffer le courage,<br />

Tous nous ai m délivrés <strong>de</strong> cette crainte, content <strong>de</strong> cette à intimi<strong>de</strong>r <strong>la</strong> droiture; vous l'excitez, vous l'animes. Ce<br />

* gran<strong>de</strong>ur réelle que n'eurent jamais ceux qui s'attribuaient serait assez qu'il n<br />

une majesté imaginaire. Par là, vous a?ez ren<strong>du</strong> <strong>la</strong> fidélité<br />

aux amis, <strong>la</strong> piété filiale aux enfante, <strong>la</strong> soumission aux<br />

esciates. Nos esc<strong>la</strong>ves ne «ont plus leaamis <strong>de</strong> César : c'est<br />

? y eût pas <strong>de</strong> danger à être homme <strong>de</strong><br />

bien; il y a même <strong>de</strong> Favâotage. C'est aux honnêtes gens<br />

que vous offrez les dignités, les sacerdoces, les gouvernements<br />

: votre amitié, votre suffrage, les distinguent. Les


ANCIENS- — ÉLOQUENCE.<br />

fruits qu'ils recueillent <strong>de</strong> leur Intégrité et <strong>de</strong> leurs traTâux part, il enferma aiac<strong>la</strong>l <strong>la</strong> rengainée et <strong>la</strong> mort f et le dieu<br />

encouragent ceux qui leur ressemblent, et imitent à leur qui punit les crimes. Le châtiment al<strong>la</strong> jusqu'à M, à titressembler;<br />

car, il n'en faut pas douter, les hommes sont Ters les barrières dont il s'entourait. Que lui scrrlt alors<br />

bons on méchants selon le prix qu'ils en atten<strong>de</strong>nt. 11 en sa difinité préten<strong>du</strong>e, et le secret <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>meure inac­<br />

est peu d'une âme asseï étorée pour ne pas juger, par 1® cessible où l'exi<strong>la</strong>ient son orgueil et sa haine pour le genre<br />

succès, <strong>de</strong> ce qui est honnête ou honteux. La plupart; humain? Combien cette même <strong>de</strong>meure est aujourd'hui<br />

quand ils Toient donner à Pindolenee le prix dn Irai ail ; an plus assurée et plus tranquille, <strong>de</strong>puis qu'on n'y mit plus<br />

luxe celui <strong>de</strong> Sa fragilité, cherchent à se procurer les mê­ les satellites <strong>de</strong> <strong>la</strong> tyrannie et <strong>de</strong> <strong>la</strong> cruauté, <strong>de</strong>puis qu'elle<br />

mes avantages par <strong>la</strong> même TOIO : ils •entent être tels qne n'a plus <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> que notre amour, et <strong>de</strong> défense que <strong>la</strong><br />

Deux qui les ont obtenus; et dès qu'ils le Tentent 9 Us le multitu<strong>de</strong> qu'elle reçoit 1 Quel exemple peut mieux Toua<br />

<strong>de</strong>viennent. Vos prédéeesseers, si feues excepte Totee côiraiicre que <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> <strong>la</strong> plus sûre et <strong>la</strong> plus fidèle <strong>de</strong>s<br />

père » et aTant M un on <strong>de</strong>ux tout an plus , aimaient mieux princes 9 c'est leur propre Tertu, ou plutôt, que jamais ils<br />

Ses lices «les citoyens que leurs vertus : d'abord parce que ne sont mieux <strong>de</strong>Ten<strong>du</strong>s que lorsqu'ils n'ont pas besoin do<br />

chacun est porté à aimer son semb<strong>la</strong>ble; et , <strong>de</strong> plus 9 parce défense F »<br />

qu'ils pensaient que ceux-là supportaient le plus patiem­ 11 justifie arec beaucoup d'élévation et d'énergie<br />

ment <strong>la</strong> serritn<strong>de</strong> f qui étaient en effet dignes d'être esc<strong>la</strong>» <strong>la</strong> manière dont il parle <strong>de</strong>s tyrans qui avaient op­<br />

¥€8. C'est dans leur 'sein qu'ils déposaient tout ; quant aux primé Rome aranl que Trajan <strong>la</strong> rendit heureuse.<br />

bons citoyens ; ils les reléguaient dans l'obscurité et l'inaction,<br />

et ce n'était que les dangers qui les faisaient connaî­<br />

« Tontes que j'at dit, pères conscrits, <strong>de</strong>s autres princes<br />

que nous arons eus n'a d'autre but que <strong>de</strong> TOUS faire<br />

tre. Vous, César, TOUS choisissez pour amis les hommes<br />

voir combien notre père commun a changé et corrigé l'es­<br />

les plus estimés ; et Téritablement il est juste que ceux qui<br />

prit <strong>du</strong> gouTemement, si longtemps corrompu et dépravé.<br />

étaient les plus odieux an tyran soient les plus chers à un<br />

Cette comparaison sert à mieux marquer et le mérite et <strong>la</strong><br />

bon prince. Tous te sâTez, César : comme rien n'est si<br />

reconnaissance. De plus, le premier <strong>de</strong>voir <strong>de</strong>s citoyens<br />

différent que l'autorité et <strong>la</strong> tyrannie, on est d'autant plus<br />

enreré un empereur tel que le nôtre, c'est <strong>de</strong> flétrir ceux<br />

attaché à l'une qu'on déteste plus l'autre. C'est donc les<br />

qui se lui ressemblent pas. On n'aime point assez les bons<br />

bons que TOUS éteeez, que TOUS <strong>mont</strong>rez au reste <strong>de</strong> l'em­<br />

princes quand en se hait pas les mas?ais. Enfs, une <strong>de</strong>s<br />

pire, comme les garants <strong>de</strong>s principes que TOUS mm em­<br />

plus gran<strong>de</strong>s obligations qne nous ayons à notre digne embrassés<br />

et <strong>de</strong>s choix que TOUS satei foire.<br />

pereur, c'est <strong>la</strong> liberté do tout dire contre les tyrans. Ponr»<br />

L'orateur compara l'affabilité <strong>de</strong>Trajan, toujours<br />

rions-nous oublier qu§ tout récemment Domitien a •onln<br />

Tenger Néron? Est-ce donc le rengenr <strong>de</strong> sa mort qui au­<br />

oiifift et accessible, à f effrayante et impénétrable<br />

rait permis qu'on fit justice <strong>de</strong> sa fie? 11 prendrait pour<br />

retraite où ¥i?aieat les tyrans <strong>de</strong> Rome.<br />

lui-même tout ce qu'on dirait contre son modèle. Pour moi,<br />

1<br />

m kwm quelle bonté TOUS accueillez, TOUS enten<strong>de</strong>z tout<br />

César, je regar<strong>de</strong> comme un <strong>de</strong> TOS plus grands bienfaits<br />

te mon<strong>de</strong> ! comme , au milieu <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> teetaiii , TOUS sem­<br />

que nous puissions, à <strong>la</strong> fois 9 et nous Tenger <strong>du</strong> passé,<br />

blés être presque toujours <strong>de</strong> loisir I Nous Tenons dans TC~<br />

et miner sur farenir; qu'il nous soit permis d'annoncer<br />

tre pa<strong>la</strong>is, non plus, comme autrefois, tremb<strong>la</strong>nts d'être<br />

par avance aux nnaefcanta princes qu'en aucun temps, en<br />

venus trop tard aux ordres <strong>de</strong> l'empereur, mais joyeux et<br />

aucun lien, leurs mânes coupantes ne seront à l'abri <strong>de</strong>s<br />

reprochés et <strong>de</strong>s niécratinna <strong>de</strong> <strong>la</strong> postérité. Croyei-mof<br />

trermmiiea, et à l'heure qui nous confiée! 1! nous est<br />

donc, pères conscrits, <strong>mont</strong>rons aree coniance et fermeté<br />

permis, même quand TOUS êtes prêt à nous receroir, <strong>de</strong><br />

nos douleurs et notre joie. Gémissons sur coque nous «TOUS<br />

sous refuser I cet honneur, si nous tvens autre chose à<br />

souffert autrefois ; jouissons <strong>de</strong> ce que nous rofona aujour­<br />

faire, flous sommes toujours excusés à TOS yeux ; et nous<br />

d'hui : Toilà ce que nous <strong>de</strong>rons faire en public comme en<br />

aérons l'être sans doute, car TOUS sacre assez que chacun<br />

secret dans les actions <strong>de</strong> grâces solennelles comme dans<br />

<strong>de</strong> nous s'estime d'autant plus qu'il Tons Toit, TOUS fré­<br />

Ses conversations particulières. SouTenons-nous que le mal<br />

quente «ktaetâge; et c'est encore une raison pour TOUS <strong>de</strong><br />

que nous dirons <strong>de</strong> nos tyrans est l'éloge <strong>de</strong> notre bienfai­<br />

TOUS prêter plus Tolontiers à ce désir. Ce n'est pas un testeur<br />

: lorsqu'on n'ose pas parler <strong>de</strong>s maorals princes f c'est<br />

'tant d'audience snirl <strong>de</strong> <strong>la</strong> désertion et <strong>de</strong> <strong>la</strong> solitu<strong>de</strong> : nous<br />

ine preuve fie ce<strong>la</strong>i qui règne lenr resnemèle. »<br />

restons, nous Tirons arec TOUS , dans ce pa<strong>la</strong>is qu'un peu<br />

auparavant une bête féroce earlrossait <strong>de</strong> <strong>la</strong> terreur, lors­ Nous-avons <strong>de</strong> Pline, outre ce'Panégyrique; un<br />

que, retirée comme dans une carême, elle s'abreuTait <strong>du</strong> recueil <strong>de</strong> lettres, composé <strong>de</strong>dii Hères, que Fauteur<br />

sang <strong>de</strong> ses proches 9 on n'en sortait que pour déTorer nos mit en ordre, et publia, nous dit-il, à <strong>la</strong> prière <strong>de</strong><br />

plus illustres citoyens. Alors fcifiafeei aux portes <strong>la</strong> menace ses amis ; c'est-à-dire que ces lettres sont un ou­<br />

et l'éponTante, alors tremb<strong>la</strong>ient également ceux qui étaient<br />

vrage, et c'en est nn en effet. Il ne faut dose pas<br />

admis et ceux qe'on éloignait. Lui-même ne se présentait<br />

qm sous un aspect formidable ; l'orgueil était sur son front, s'attendre à y trnaeer cette aiaaiice familière, cet<br />

<strong>la</strong> fureur dans ses yeux : personne n'osait f abor<strong>de</strong>r ni lui épanehemest intime, cet abandon qui est <strong>du</strong> genre<br />

parler dans les ténèbres où il se renfermait f et il ne sor­ épisto<strong>la</strong>ire proprement dit. Ce ne sent point ici <strong>de</strong>s<br />

tait <strong>de</strong> sa solitu<strong>de</strong> que pour <strong>la</strong> retrou ter partout. Mais pour­ lettres qui n'étaient pas faites pour être lues, et<br />

tant, iana cet mêmes maraiiea dont il se faisait un rem* i dont le charme tient surtout à cette curiosité naturelle<br />

IIS


116<br />

COII1S DE LITTÉ1ATU1E.<br />

à fesprît humain, qui aime h&mmmp à entendre<br />

ceux qui ne croient ps qa'os les écoute. Madame<br />

<strong>de</strong> Sétigaé nous p<strong>la</strong>tt dans ses lettres ¥ parée qu'elle<br />

donne <strong>de</strong> l'intérêt aux plus petites choses; Cicéron,<br />

parce qu'il révèle le secret <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s. Pline est auteur<br />

dans les siennes; mais il Test avec beaucoup<br />

d'agrément et <strong>de</strong> variété. Tous ses billets sont écrits<br />

pour <strong>la</strong> postérité ; mais die les a lus, et cette lecture<br />

fait ainier fauteur.<br />

Si les lettres <strong>de</strong> Pline font honneur à son esprit<br />

pr <strong>la</strong> manière dont elles sont écrites, les noms <strong>de</strong><br />

ceux à qui elles sont adressées suffiraient pour faire<br />

Féloge <strong>de</strong> son caractère. Ce sont les plus honnêtes<br />

gens et les hommes les plus célèbres par leurs talents,<br />

leur mérite et leurs vertus; et les sentiments<br />

qu'il exprimé sont dignes <strong>de</strong> ses liaisons. Il intéresse<br />

également, et parmi les amis dont il regrette<br />

<strong>la</strong> perte, tels qu'un Hel¥idius9 un Arulenus 9 un Senécion,<br />

les victimes <strong>de</strong> Domitien, et par ceux qui<br />

jouissent avec lui <strong>du</strong> règne <strong>de</strong> Trajan, tels que Tacite,<br />

Quintilien, Macer, Suétone, Martial, etc. 11<br />

ne peut pas nous attacher, comme Cicéron, pr le<br />

détail <strong>de</strong>s intrigues et <strong>de</strong>s ré?olutions <strong>du</strong> siècle le<br />

plus orageux <strong>de</strong> <strong>la</strong> république. Un règne heureux<br />

et tranquille né peut founir cette espèce d'attrait à<br />

l'imagination, et cet aliment à <strong>la</strong> curiosité. En ce<br />

genre y tout ce qu'on put faire <strong>du</strong> bonheur c'est d'en<br />

jouir; car il en est <strong>de</strong> l'histoire à pu près comme<br />

<strong>du</strong> théâtre, où rien n'intéresse moins que les gens<br />

heureux. Mais on trouve <strong>du</strong> moins dans Pline <strong>de</strong>s<br />

traits et <strong>de</strong>s anecdotes qui peignent les moeurs et les<br />

caractères. On y voit particulièrement <strong>la</strong> malignité<br />

cruelle <strong>de</strong>s dé<strong>la</strong>teurs sous Domitien 9 et leur bassesse<br />

rampante sous Trajaa; car rien n'est si lâche et si<br />

vil que le méchant, dès qu'il ne put plus faire <strong>du</strong><br />

mal : c'est une bête féroce à qui Ton a arraché les<br />

griffes et les <strong>de</strong>nts, et qui lèche quand elle ne peut<br />

plus mordre. Tel-était un certain Réga<strong>la</strong>s, sur lequel<br />

Pline s'exprime ainsi dans une <strong>de</strong> ses lettres,<br />

qui présente un tableau frappant <strong>de</strong> vérité, qu f on<br />

voit toujours avec p<strong>la</strong>isir, celui <strong>de</strong> l'humiliation <strong>du</strong><br />

méchant homme.<br />

* Avei-vons vu quelqu'un pies hamafe et plus timi<strong>de</strong><br />

que lega<strong>la</strong>s défais <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Domitien, sons lequel 11<br />

n'a pas commis moins <strong>de</strong> crimes que sons Héron, mais<br />

avec plus <strong>de</strong> précaution et <strong>de</strong> secret? Il a es peur que je<br />

n'eusse <strong>du</strong> ressentiment contre lui; et il ne se trompait<br />

pas, j'en avals. Je l'avais vu échauffer k perseciillea conte<br />

Àralenus 9 et triompher <strong>de</strong> sa mort ai point <strong>de</strong> réciter<br />

et <strong>de</strong> repaire dans 1e publie us libelle où il rappe<strong>la</strong>it tf n<br />

occasion : Quel oVoff mm-wmmr mes maris? Bslrœ<br />

que je mis remuer les cméres <strong>de</strong> mire Crmssms et <strong>de</strong><br />

mire Camerinm? (data victimes <strong>de</strong>s dé<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> Regulus<br />

sous Mérou). *<br />

On est forcé <strong>de</strong> s'arrêter pour admirer f énergique<br />

Impu<strong>de</strong>nce et l'atrocité <strong>de</strong> m motY mes morts. Ce<br />

sont là <strong>de</strong> ces expressions <strong>de</strong> métier qui en représentent<br />

toute rhorreur.Ges misérables reg ardaient ma<br />

qu'Us avalent fait périr comme <strong>de</strong>s possessions et<br />

<strong>de</strong>s titres ; on croirait entendre <strong>de</strong>s fossoyeurs se<br />

disputer un cadavre. Poursuivons.<br />

• Régules craignait donc que sa con<strong>du</strong>ite ne m'est vivement<br />

blessé : aaasi s'étalt-il donné <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> me mettre<br />

an nombre <strong>de</strong> ses auditeurs lorsqu'à lit <strong>la</strong> testera ati-atai<br />

libelle. De plus, il se ressouvenait dans quel péril il m'avait<br />

mis moknême <strong>de</strong>vant les f»tamvirs. fi n°j al<strong>la</strong>it do<br />

rien moins que <strong>de</strong> ma fie. • <strong>la</strong> prière ifAreieaas, fêtais<br />

venu témoigner pour Arionfl<strong>la</strong>v femme <strong>de</strong> Tira», et<br />

j'avais eu tête Regstes. Je m'appuyais $ dans un <strong>de</strong>s pointa<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> défense, sur l'avis <strong>de</strong> Mo<strong>de</strong>stes, aJars eiié par Domitien.<br />

Regains mMnterrompL Que peme*wm, médit-<br />

0 9 ée Mmksim ? Si j'avais dit, Bu bien, irons voyez cpel<br />

danger : si favals dit f Bu msâ, quelle honte. Tout ce fie<br />

Je puis dire, c'est que Ses dieu vinrent à mon se<strong>cours</strong>» et<br />

m'inspirerait. M répondrai , <strong>la</strong>i dis-je, è mire faillie»,<br />

il ks cmiummrs <strong>la</strong> regar<strong>de</strong>nt comme a» <strong>de</strong>s points eu<br />

procès» Il insiste, lî tae semble, pœrsuivis-je, fin <strong>la</strong><br />

coutume mi d<br />

sings <strong>de</strong>s SMekm qui portait émettre les stigmates es<br />

Viteliim. Tous reeaaaaissee là le style <strong>de</strong> l'homme. II y<br />

déchire aussi Séaéciaa, et avec tant ils foreur, que Metias<br />

Caras fealra homme <strong>de</strong> h même trempe) M dit à cette<br />

f interro§w les témoins sur les mêmes, ei<br />

non pas sur ceux qmi sont déjà condamnés. Je émmm<br />

ée, reprend <strong>la</strong>galtis, ee fae aaaa pensez, non pas précisément<br />

ée Mo<strong>de</strong>stm, mais <strong>de</strong> mm attachement pour<br />

le prince?Btmoi, dis-je alors,Je croit qu'il n'est pm<br />

même permis défaire mm question sur œqui a déjà<br />

été jugé» il se ta tf et tout le mon<strong>de</strong> me féieîta <strong>de</strong> ee qne 9<br />

sans rien dire pour ma sûreté qui pût compromettre mon<br />

honneur, je m'étais débarrassé <strong>de</strong> son insidieuse interrepttaa»<br />

Aujourd'hui que Béguins ne se sent pas <strong>la</strong> conscience<br />

nette, i a été trouver d'abord Ceallu Caler et Fabius<br />

Jastas , pour ks prier <strong>de</strong> le réconcilier avec moi. îfa»<br />

content <strong>de</strong> ce<strong>la</strong>, il s'est adressé à Spurinns; et d'un ton<br />

suppliant (vous savex comme il est bas quand il craint)v<br />

Je mm conjure, lui a-tildit, <strong>de</strong> voir Pline <strong>de</strong>main<br />

matin, mais <strong>de</strong> grané wmtin ; car je ne puis vivre dam<br />

^inquiétu<strong>de</strong> oéje mis; et9 <strong>de</strong> quelque manière qmœ<br />

soit # faites en sorte qu'il m soit plus fâchécontre moi.<br />

Je venais <strong>de</strong> me lever : on Tient me dire que Spurinns<br />

envoie clin moi m'annoneer sa visite. Non « dis-je s je vais<br />

lies <strong>la</strong>i Comme nous alliai l'un vers l'autre, je le rencontre<br />

sons le portique <strong>de</strong> Livie. U m'eipose sa commis*<br />

sk», et ajoute quelques prières, mais avec beaucoup <strong>de</strong><br />

réserve, et comme i convient à aa honnête homme par»<br />

knt pour celui qui ne l'est pas. Cest è mus <strong>de</strong> voir, lui<br />

dis-je , ce que mm <strong>de</strong>vez répondre à Megmius. M m faut<br />

pas mm tromper : j'attends Maurice (il n'était pas encore<br />

revenu d'exil); je ne peux rien rems dire sans<br />

ravoir mt, ni rien faire sans son consentement C'est<br />

è lui <strong>de</strong> me gui<strong>de</strong>r § ei à moi <strong>de</strong> le suivre* Quelques jours


ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

après, legs!» lui-même vient me trouver dans <strong>la</strong> «le<br />

in préteur; et, après m'avoir suivi quelque temps, i m®<br />

tire à récart : le crains, me éll-U , qm vom n'mgez mr<br />

if cttwr <strong>la</strong> msmère êmt je me mis expliqué <strong>de</strong>want<br />

ëm œnàtwmirs, torsqu'en^daêdant mntremm et Sa-<br />

Dans une <strong>de</strong> sas lettres à Tacite, il peint avec <strong>de</strong>s<br />

traits aussi nobles que touchants Fusion qui règne<br />

entre eux 9 et qui <strong>de</strong>vrait régner entre tous ceux que<br />

kg talents ren<strong>de</strong>nt supérieurs aux autres hommes,<br />

et ne ren<strong>de</strong>nt pas toujours supérieurs à l'envie.<br />

« Tai lu votre ouvrage, et j'ai marqué avec te plus <strong>de</strong><br />

•cta qu'il m f a été possible ce qui m'a para <strong>de</strong>voir être ou<br />

changé ou retranché. J'ai centaine <strong>de</strong> dire <strong>la</strong> vérité, et vous<br />

ahnet à l'entendre; car personne no soutire plus patiemment<br />

<strong>la</strong> critique que ceux qui méritent <strong>la</strong> Souaiige. A présent<br />

c'est votre tour, et j'attends vos remarques sut l'ouvrage<br />

que je vous ai conié. 0 l'honorable et te charmant coinmerce<br />

que cette réciprocité <strong>de</strong> lumières et <strong>de</strong> secoure! Qu'a<br />

•'cal doux <strong>de</strong> penser que, si Sa postérité s'occape <strong>de</strong> nous,<br />

HT<br />

on saura à jamais combien 11 y a eu entre sous d'union, <strong>de</strong><br />

eosiance 9 et <strong>de</strong> franchise i Ce sera un exemple rare et remarquable,<br />

que <strong>de</strong>ux hommes, à peu près <strong>du</strong> même âge<br />

et dû même rang, et <strong>de</strong> quelque nom dans les lettres ( car<br />

il faut bien ejee je parle mo<strong>de</strong>stement <strong>de</strong> vous, pnisqueje<br />

crins Rmfm, M m'éckapp® <strong>de</strong> Are : Sstrims Mufm est parte es même temps <strong>de</strong> mol), se soient aidés et soutenus<br />

mtormtemrquim pique d'imiter Ckéron, et qui n'est mutuellement dans leurs éto<strong>de</strong>s. Dans ma première jeu­<br />

pm mmimi <strong>de</strong> feloqwenm êe mire sièelê. Je lui réposnesse, et lorsque vous aviez déjà <strong>de</strong> <strong>la</strong> réputation et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

dit que c'était kl qui m'apprenait qu'il y avait <strong>de</strong> <strong>la</strong> mau­ gloire, toute mon ambition était <strong>de</strong> suivre vos traces, <strong>de</strong><br />

vaise intestlos dans ses parafes ; que 9 sans si» aveu , j'au­ loin, i est vrai, mais <strong>du</strong> moins <strong>de</strong> plus près que tout anrais<br />

pu tes prendre pour use louange; car ajoutai-je, je tre. O y avait d'antres hommes célèbres par leur génie;<br />

tm pique en effet €ïmkter Cieérom, et ne gôéte pas in~ mais vous me paraissiez f par un rapport naturel entre nous<br />

finement l'élêqumœ êe notre siècle, le crois qu'il est <strong>de</strong>ux, celui que je pouvais et que je <strong>de</strong>vais imiter. C'est ce<br />

insmsé<strong>de</strong>me pm se proposer pomrmmdèle en tout genre qui fait que je m'app<strong>la</strong>udis tant <strong>de</strong> ce que mon nom est cité<br />

m qu'il f o dé mieux. Mais puisque vous mm sou­ avec te vôtre lorsqu'il est question <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> lettres, <strong>de</strong><br />

venez si Mm <strong>de</strong> cette p<strong>la</strong>idoirie <strong>de</strong>mmt les cmmm- ce qu'on pense à moi lorsqu'on parle <strong>de</strong> vous. Ce n'est pas<br />

vin , mmmmt me&vom oublié celle oà vom m'inler* qu'il n'y ait <strong>de</strong>s écrivains qu'on nous préfère ; mais il m'im­<br />

mgedtm sur Moêesêm? Ici tm» somme <strong>de</strong>vint ping pâle porte pou dans quel rang on nous mette ensemble, parce<br />

encore qu'il s'avait coutume <strong>de</strong> Fêtre, et, tout es baibs- qu'à mon gré te premier <strong>de</strong> tous est celui qui vient après<br />

iâanft9 me dit que €@ s'était pas à moi qu'îles vou<strong>la</strong>it alors, vous. 11 y a plus : vous <strong>de</strong>vez avoir remarqué que dans les<br />

. mais à Mo<strong>de</strong>stes. Vous voye» le caractère <strong>du</strong> personnage, testaments on sous <strong>la</strong>issé <strong>de</strong>s legs semb<strong>la</strong>bles à l'un et à<br />

qui s?eee l'envie qu'il a eae ie nuire à m aalàeereiiï feutre, à moins que te testateur n'ait été l'ami particulier<br />

exilé. An anrplnsy il m'en êmm eue excellente raison. <strong>de</strong> f ea <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux. Je conclus que sous <strong>de</strong>vons sous en ai­<br />

iÊmfmim , iit-i y seuil écrit <strong>de</strong> «el , dsm urne lettre qui mer davantage 9 puisque les étu<strong>de</strong>s 9 tes meeurs ; k réputa­<br />

fmt Im è&wmitim, cm propres etefs : Megulw, k plus tion, et esln tes <strong>de</strong>rnières volontés <strong>de</strong>s hommes, sous<br />

mmkmmi dm Mpèêm. fous verrez qm Mo<strong>de</strong>stm mait unissent par tant <strong>de</strong> liens. »<br />

grand tort. Ce M à peu près là toute notre conversation :<br />

je ne voulus pas Rengager pies avant, peer me réserver Quelquefois ce§ lettres ne contiennent que <strong>de</strong>s<br />

tonte ma liberté jusqu'au retour <strong>de</strong> mon ami Maurise. Je anecdotes p<strong>la</strong>isantes, telles que celle-ci :<br />

sais fort bien qu'un légères n'est pas en homme aisé à « Tous n'avez pas été témois d'useassez singulière aven­<br />

éétruire. H est riche et intrigant; bien <strong>de</strong>s gens te eoneldèture, ni moi nos plus : mais on m'es a parlé, comme elle<br />

reai ; Sa plupart te craignent s et <strong>la</strong> crainte est un sentiment venait <strong>de</strong> se passer. Polliesus Paulus, chevalier romain <strong>de</strong>s<br />

souvent pans fort que l'amitié même. Cependant il peut ar­ plus distingués et <strong>de</strong>s plos instruits, compose <strong>de</strong>s élégies :<br />

river que toute eetfe fortune déjà ébranlée tomba entière­ c'est chez lui un talent <strong>de</strong> famille; car il est <strong>de</strong> <strong>la</strong> même<br />

ment, car te pouvoir et le crédit <strong>de</strong>s méchants sont aussi ville maaMcfpaie que Properce, et il le compte parmi ses<br />

trompeurs qu'eux-mêmes. Mais, comme je vous te disf ancêtres. Il récitait publiquement ses élégies, dont <strong>la</strong> pre.<br />

j'attends Maurice : c'est nu homme do poids, un homme reière commence ainsi : Fêtes m'ordonnez, Prisetu....<br />

ie bon sens, instruit par Fexpértence, et que le passé peut Javolenus Priseus, Fus <strong>de</strong> ses meilleurs amis, qui était<br />

éc<strong>la</strong>irer sur l'avenir. €7est d'après ses conseils que je pren­ présent, se mit à dire tout d'un coup : Moi, je n'ordonne<br />

drai le parti d'agir ou <strong>de</strong> rester tranquille. Je vous ai tait rien. Imagiseï les ris et les p<strong>la</strong>isanteries. Ce Priscus s'a<br />

tout ce détail 9 parce eae notre amitié mutuelle exige que je pas <strong>la</strong> tête Mes saine, mais pourtant il remplie les <strong>de</strong>vof rs<br />

•cas <strong>la</strong>sse part, aeeraeeJesiect <strong>de</strong> mes actions, mais <strong>de</strong> publies, il est admis dans les conseils, il professe même<br />

nies pensées. »<br />

te droit civil; en sorte que cette saillie n'en fut que pins<br />

ridicule et plus remarquable, et refroidit beaoeoap <strong>la</strong> lecture<br />

<strong>de</strong> Paulus. Avouez que ceux qui lisent en public ont<br />

bien <strong>de</strong>s soins à prendre : il fait qu'ils répon<strong>de</strong>nt, noftseulement<br />

<strong>de</strong> Seur bon sens, mais aussi <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> leurs<br />

auditeurs. »<br />

Une autre lettre contient un acte <strong>de</strong> bienfaisance,<br />

également honorable pour celui qui en était Fauteur,<br />

et pour celui qui en était l'objet. Elle est <strong>de</strong> 1a plus<br />

gran<strong>de</strong> simplicité, et c'est ce qui en <strong>la</strong>it le mérite.<br />

Pline écrit à Quintilien :<br />

« Quoique vous soyez très-simple et très-mo<strong>de</strong>ste dans<br />

votre manière <strong>de</strong> vivre, et que vous ayez élevé votre lie<br />

dans tes vertus convenabtes à <strong>la</strong> fille <strong>de</strong> Quistilies et à <strong>la</strong><br />

ïM^ïe^Éleiei^ttw^<br />

ffonias Ceter9 homme <strong>de</strong> distiBction, et à qui ses émpSois


SIS<br />

COURS DE LITTÉBATCRE.<br />

et ses charges Imposent <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> vivre dans es certain<br />

éc<strong>la</strong>t , il faut qu'elle règle son train et ses habite sur<br />

le rang <strong>de</strong> son mari. Ces <strong>de</strong>hors n'augmentent pas nôtre<br />

dignité réelle ? mais ils le relèvent aux feia <strong>du</strong> public. Je<br />

sais que TOUS êtes très-riene <strong>de</strong>s biens <strong>de</strong> l'Ame y et beau*<br />

coup moins <strong>de</strong>s biens <strong>de</strong> <strong>la</strong> fortune. Je prends donc sur<br />

moi une partie <strong>de</strong> ?os obligations, et, comme on second<br />

père9 Je donne à notre chère fille cinquante mille sesterces.<br />

Je ne me bornerais pas là, si je n'étais persuadé que <strong>la</strong><br />

modicité <strong>du</strong> présent sera pour ? ©us <strong>la</strong> seule raison <strong>de</strong> le<br />

recevoir. »<br />

Le récit <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort volontaire <strong>de</strong> son ami Corellins<br />

Etiftis offre <strong>de</strong>s circonstances Intéressantes, et<br />

<strong>la</strong> peinture d'en caractère mâle et ferme s digne <strong>de</strong>s<br />

anciens Romains*<br />

« J'ai fait une cruelle perte, si c'est dire assez pour exprimer<br />

le malheur qui nous enlève un si grand homme.<br />

Corellius Eîifes est mort, et f ce qui m'accable davantage,<br />

il est mort parce qu'il Fa féale. Ce genre <strong>de</strong> mort, que<br />

l'on ne peut reprocher ni à Tordre <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, ni au caprice<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> fortune, me semble le pies affligeant <strong>de</strong> tous.<br />

Lorsque <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die emporte nos amis, Us nous <strong>la</strong>issent an<br />

mê<strong>la</strong>s un sujet <strong>de</strong> conso<strong>la</strong>tion dans cette inévitable nécessité<br />

qui menace tous les hommes. Mais ceux qui se livrent<br />

eux-mêmes à Sa mort ne nous <strong>la</strong>issent que l'éternel regret<br />

<strong>de</strong> penser qu'ils auraient pu vivre longtemps. Une souveraine<br />

raison qui tient lies <strong>de</strong> <strong>de</strong>stin soi sages â déterminé<br />

CoreMus Rufos. Mile avantages concouraient à lui faire<br />

aimer <strong>la</strong> vie : le témoignage d'une bonne conscience, une<br />

hante réputation, un crédit <strong>de</strong>s mieux établis, eue femme 9<br />

une fille, un petit-fils t <strong>de</strong>s sœurs très-aimables, et, ce qui<br />

est encore plus précieux, <strong>de</strong> véritables amis. Mais ses maux<br />

<strong>du</strong>raient <strong>de</strong>puis si longtemps, ils étaient <strong>de</strong>venus si insupportables,<br />

que les raisons <strong>de</strong> mourir remportaient sur<br />

tant d'avantages qu'il trouvait à vivre. A trente-trois ans,<br />

i fut attaqué <strong>de</strong> <strong>la</strong> goutte : je lui ai oui dire plusieurs fois<br />

qu'il l'avait héritée <strong>de</strong> son père; car les maux comme les<br />

biens nous viennent souvent par succession. Tant qu'il<br />

fut jeune, il trouva <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s dans le régime et dans <strong>la</strong><br />

continence; plus avancé en âge et plus accablé» U se soutint<br />

par sa vertu et par sa constance. Un jour que Ses douleurs<br />

les pies aiguës n'attaquaient plus les pieds seuls,<br />

comme auparavant, mais se répandaient sur tout le corps t<br />

f al<strong>la</strong>i le voir à sa maison près <strong>de</strong> Rome : c'était <strong>du</strong> temps<br />

<strong>de</strong> Donatien. Dès que je paras, les valets <strong>de</strong> CoreMus se<br />

retirèrent : il avait établi cet ordre chez lui y que, quand<br />

un ami <strong>de</strong> confiance entrait dans sa chambre, tout en sortait<br />

jusqu'à sa femme, quoique d'ailleurs trè&capable <strong>du</strong><br />

êmmïf par <strong>la</strong> diète les douleurs qui étaient redmibUet;<br />

mais comme elles continuaient, sa fermeté sut y mettre tin<br />

terme. Quatre jours s'étaient passés sans qu'il prit aeennc<br />

nourriture, quand Hispa<strong>la</strong>, sa femme, envoya notre ami<br />

commun, C. Gemlnies, m'appocter <strong>la</strong> triste nouvelle que<br />

Corelias avait résolu <strong>de</strong> mourir; que les farines d'une<br />

épouse, les supplications <strong>de</strong> sa fille, ne gagnaient rien sur<br />

lui; que j'étais le seul qui pat Se rappeler à <strong>la</strong> vie. J'y <strong>cours</strong> :<br />

j'arrivais lorsque Joins Allions, <strong>de</strong> nouveau dépêché vers<br />

moi parffispa<strong>la</strong>, me rencontre, et m'annonce que l'on<br />

avait per<strong>du</strong> tonte espérance, même celle que Ton avait en<br />

moi, tant Cerellins paraissait affermi dans sa résolution.<br />

Ce qui désespérait, c'était <strong>la</strong> réponse qu'il avait faite à son<br />

mé<strong>de</strong>cin, qui le pressait <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s aimanta : L'mrréi<br />

est prenante. Parole qui me remplit tout à <strong>la</strong> fois d'aémiratfon<br />

et <strong>de</strong> douleur. Je ne cesse <strong>de</strong> penser quel incarna t<br />

quel-ami j'ai per<strong>du</strong>. U avait passé soixante et sept ans 9<br />

terme assez long, même pour les hommes robustes. U est<br />

délivré <strong>de</strong> toutes les douleurs d'une ma<strong>la</strong>die continuelle;<br />

il a ea le bonheur <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser florissantes, et sa famille, et<br />

<strong>la</strong> république, qui lui était plus chère encore que sa famille.<br />

Je me le dis, je le sais, je le sens ; cependant je le regrette<br />

comme s'il m'eût été ravi dans <strong>la</strong> fleur <strong>de</strong> son âge et dans <strong>la</strong><br />

plus brû<strong>la</strong>nte sauté. Mais (<strong>du</strong>ssies-vous nf accuser <strong>de</strong> faiblesse<br />

) je le regrette particdièrenient pour l'amour <strong>de</strong> moi.<br />

J'ai per<strong>du</strong> le témoin, le gui<strong>de</strong>, le juge <strong>de</strong> ma con<strong>du</strong>ite.<br />

Tous ferai-je un aveu que j'ai déjà fait à notre ami Galvt»<br />

sies dans les premiers transports <strong>de</strong> ma douleur ? Je crame<br />

<strong>de</strong> vivre désormais avec moins d'attention sur moi-même.<br />

Yeus voyez quel besoin j'ai que vous me consoMes. U ne s'agit<br />

pas <strong>de</strong> me représenter que Cnrelinis était vieux, qu'il<br />

était infirme; U me faut d'autres conso<strong>la</strong>tions; il me faut<br />

<strong>de</strong> ces raisons que je n'ai point encore trouvées ni dans le<br />

commerce <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, ni dans les Mires. Tout ce que j'ai<br />

enten<strong>du</strong> dire, tout ce que j'ai lu, me revient asses dans<br />

l'esprit, mais mon affliction n'est pas d'une nature à se<br />

rendre à <strong>de</strong>s considérations communes. »<br />

Si cette lettre est triste, en voici use qui peut<br />

amuser; car les histoires d'apparitions et <strong>de</strong> fantômes<br />

amusent toujours, même ceux à qui elles font<br />

peur. Celle do spectre d'Athènes, que Pline rapporte<br />

le plus sérieusement <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, paraît être f orîgioaî<br />

<strong>de</strong> tous ces contes <strong>de</strong> revenants, répétés et retournés<br />

en mille manières, atten<strong>du</strong> que chacun peut raconter<br />

à sa fantaisie ce qui n'est jamais arrivé. Quoi<br />

qu'il en soit, les mauvais p<strong>la</strong>isants ne pourront pas<br />

dire cette fois que c'est ici une histoire d'esprit faite<br />

secret. Après avoir jeté les yeux <strong>de</strong> tous côtés : Savez-vous par quelqu'un qui n<br />

bien, dit-il,pour'quoi je me suis obstiné à vivre si longtemps<br />

maigre <strong>de</strong>s mauximuppwtaèles? C'est pour survivre<br />

mu meirn d'un jour à œ monstre <strong>de</strong> DomWrn.<br />

Pour faire lui-même ce qu'il désirait qu'on Ht, je suis sâr<br />

qu'il ne lui manqua que <strong>de</strong>s forces égales à son courage.<br />

Mais les dieux, <strong>du</strong> moins, exaucèrent son veaa, et le tyran<br />

fut tué. Alors satisfait et tranquille, sûr <strong>de</strong> mourir libre,<br />

il lut en état <strong>de</strong> rompre les Mens nombreux, mais plus faibles,<br />

qui' l'attachaient encore à <strong>la</strong> fie. Il avait essayé d'a-<br />

f en a guère. C'est Pline qui<br />

parle ; écoutons.<br />

« Le loisir dont nous jouissons vous permet d'enseigner»<br />

et me permet d'apprendre. le voudrais donc bien savoir<br />

si les fantômes ont quelque chose <strong>de</strong> réel ; s'ils ont une vraie<br />

figure | et si ce sont <strong>de</strong>s génies 9 ou seulement <strong>de</strong> vaines images<br />

qui se tracent dans Iliiaflnaiien troublée par <strong>la</strong> crainte.<br />

Ce qui me ferait pencher à croira qu'il y a <strong>de</strong> véritables<br />

spectres, c'est ce qu'on m'a dit être arrifé à Ceriaa Ruras.<br />

Dans le temps qu'il était encore sans fortune et sans


ANCIENS. — ÉLOQUENCE.<br />

319<br />

nom y U avait suif S es Afrique celui à qui le gouvernement oreilles <strong>du</strong> philosophe. Gehital regar<strong>de</strong> encore une fois, et<br />

en était échu. Sur le déclin <strong>du</strong> jour, Il se promenait sons en voit que Foa continue à l'appeler <strong>du</strong> doigt. Alors, sans<br />

portiqaet lorsqu'une femme, d'une taille et d'eue beauté tar<strong>de</strong>r davantage, il se lève, prend k lumière et suit. Le<br />

plus qu'humaines, se présente à kl : <strong>la</strong> peur le saisit. le fantôme marche d'un pas lent, comme si le poids <strong>de</strong>s chat-<br />

mis § dît-elle, l'Afrique; je viens fe prédire ce qui d$ii nés l'eut accablé. Mais, arrivé dans <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> k maison,<br />

' f srriwr. Tm iras è Mmmf M rempliras les plus gran­ il disparaît tout à coup, et <strong>la</strong>isse là notre philosophey<br />

<strong>de</strong>* eMrgm, et tm reviendras ensuite gmtverner cette qui ramasse <strong>de</strong>s feuilles et <strong>de</strong>s herbes, et tes p<strong>la</strong>ce à ren­<br />

prwimœ, &u tu wwmrras* Tout arriva comme elle Fa-drait<br />

où il avait été quitté, pour le paavalr reconnaître. Le<br />

Tait prédit. On conte même qu'abordant à €arthâgef et sas len<strong>de</strong>main il Ta trouver les magistrats, et Ses supplier d'or­<br />

tant <strong>de</strong> son vaisseau, <strong>la</strong> même figure se présenta <strong>de</strong>vant donner que l'on fouille en cetendrolt. On le fait : on y trouve<br />

lui» et Tint'à sa rencontre sur le rivage. Ce qull y ad© <strong>de</strong>s os encore en<strong>la</strong>cés dans <strong>de</strong>s chaînes ; le temps avait con­<br />

irai, c'est qu'il tomba ma<strong>la</strong><strong>de</strong>, et que, jugeant <strong>de</strong> l'avesumé les chairs. Après qu'on les eut soigneusement rasnir<br />

par le passé , et <strong>du</strong> malheur qui le menaçait par <strong>la</strong> bonne semblés, on les ensevelit publiquement; et <strong>de</strong>puis que Ton<br />

fortune qu'il avait éprouvée, il désespéra <strong>de</strong> sa guérison, eut ren<strong>du</strong> au mort les <strong>de</strong>rniers <strong>de</strong>voirs, il ne troub<strong>la</strong> plus le<br />

malgré <strong>la</strong> bonne opinion que tous les siens en avaient con­ repos <strong>de</strong> cette maison*. Ce que je viens <strong>de</strong> dire, je Se crois<br />

çue. Mais voici une autre histoire qui ne TOUS paraîtra pas sur k foi d'autrui; mais voici ce que je puis assurer aaa<br />

moins surprenante; et qui est bien plus horrible; je TOUS autres sir k mienne. J*al un affranchi, nommé Marcus,<br />

<strong>la</strong> donnerai telle que je l'ai reçue. Il y avait à Athènes une qui n'est point sans instraetion. Il était couché aveu Mm<br />

maison fort gran<strong>de</strong> effort logeable, mais décriée et dé­ jeune frère; il lui semb<strong>la</strong> voir quelqu'un assis sur le lit,et<br />

serte. Dans le plus profond silence <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit, on enten­ qui approchait <strong>de</strong>s ciseaux <strong>de</strong> sa tête, et même lui coupait<br />

dait un brait <strong>de</strong> fer qui se choquait contre <strong>du</strong> fer, et si Fou les cheveux au-<strong>de</strong>ssus <strong>du</strong> front Quand il fut jour, «i aper­<br />

prêtait l'oreille avec plus d'attention, un brait <strong>de</strong> chaînes çât qu'il avait le haut <strong>de</strong> k tête rasé, et ses cheveux furent<br />

qui paraissait d'abord Tenir <strong>de</strong> loin $ et ensuite s'approcher. trouvés répan<strong>du</strong>s près <strong>de</strong> lui. Peu après, pareille aventure<br />

Bientôt on ? oyait s'approcher un spectre fait comme un arrivée à un <strong>de</strong> mes gens ne me permit plus <strong>de</strong> douter <strong>de</strong><br />

•iêU<strong>la</strong>rd très-maigre, très-abattu, qui avait une longue <strong>la</strong> vérité <strong>de</strong> l'autre. Un <strong>de</strong> mes jeunes esc<strong>la</strong>ves dormait avec<br />

barbe, <strong>de</strong>s cheveux hérissés, <strong>de</strong>s fers au pieds et ans ses compagnons dans le lieu qui leur est <strong>de</strong>stiné. Deux hom-<br />

mains 9 qu'il secouait horriblement. De là <strong>de</strong>s nuits affreumes vêtus <strong>de</strong> b<strong>la</strong>nc (c'est ainsi qu'il le racontait) vinrent<br />

ses et sans sommeil pour ceux qui habitaient cette maison : par les fenêtres, lui rasèrent k tête pendant qu'il était<br />

Pinsomnie à Sa longue amenait <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die, et <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die, couché, et s'en retournèrent comme ils étaient venus. Le<br />

en redoub<strong>la</strong>nt k frayeur, était suivie <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort ;-car, pen­ len<strong>de</strong>main, lorsque te jour parut, on le trouva rasé t comme<br />

dant le jour, quoique le spectre ne parut plus, l'impression on avait trouvé l'autre, et les cheveux qu'on lui avait cou­<br />

qu'il avait Coûte le remettait toujours défaut les jeux, et pés épars sur le p<strong>la</strong>ncher. Ces aventures n'eurent aucune<br />

M crainte passée es donnait une nouvelle. A <strong>la</strong> in, <strong>la</strong> mai­ salle , si ce n'est peut-être que je ne fus point accusé <strong>de</strong>vant<br />

son fat abandonnée et <strong>la</strong>issée tout entière au fantôme. On Bomitien, sous l'empire <strong>de</strong> qui ellesarrivèrent. Je ne l'eusse<br />

y mit pourtant un écriteau pour avertir qu'elle était à touer pas échappé,. s'il eût vécu ; car on trouva dans son porte­<br />

ou à Tendre, dans <strong>la</strong> pensée que quelqu'un peu instruit feuille une requête donnée contre moi par Méfias Cacas :<br />

d'un faconvéniest si terrible pouvait y être trompé. Le phi­ <strong>de</strong> là on peut conjecturer que, comme <strong>la</strong> coutume <strong>de</strong>s ac- •<br />

losophe Athénodore Tient à Athènes : 1 aperçoit Fécriteau, caaéa est <strong>de</strong> négliger leurs cheveux et <strong>de</strong> les <strong>la</strong>isser croître,<br />

en <strong>de</strong>man<strong>de</strong> le prix. La modicité le met en défiance ; ii s'in­ eelu que foa avait coupés à mes gens marquaient que j'éforme<br />

: on lui dit l'histoire; et, loin <strong>de</strong> lui faire rompre le tais hors <strong>de</strong> danger. Je vous supplie dose <strong>de</strong> mettre ici<br />

marché, eUê l'engage à le conclure sans remise. Il s'y loge, toute votre érudition en ceuvre.-Le sujet est digne d'une,<br />

et sur le soir il ordonne qu'on lui dresse son lit dans l'ap­ profon<strong>de</strong> méditation, et peut-être ne suis-jepas indigne que<br />

partement sur le <strong>de</strong>vant; qu'on lui apporte ses tablettes, TOUS me fassiez part <strong>de</strong> vos lumières. Si, selon votre cou­<br />

aa plume, et <strong>de</strong> k lumière, et que ses gens se retirent au fond tume, vous bakncei Ses <strong>de</strong>ux opinions contraires, faites<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> maison. Lui, <strong>de</strong> peur que son imagination libre n'al­ pourtant que <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce penche <strong>de</strong> quelque côté, pou? me<br />

lât , au gré d'une crainte frivole, se figurer <strong>de</strong>s fantômes, tirer <strong>de</strong> l'inquiétu<strong>de</strong> où je suis ; car je ne vous consulte que<br />

I applique son esprit, ses yeux et sa main à écrire. Au<br />

pour n'y plus être. »<br />

commencement <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit, un profond silence règne dans La première réflexion qui se présente sur ce ré­<br />

cette maison comme partout ailleurs ; ensuite il entend <strong>de</strong>s cit (car on ne pet pas entendre <strong>de</strong>s histoires <strong>de</strong><br />

fers s'entrechoquer, <strong>de</strong>s chaînes qui se heurtent; il ne lèf e<br />

revenants sans es dire son avis), c'est qu'il n'y a<br />

pas les yeux, il ne quitte point sa plume, ne songe qu'à<br />

bien affermir son eœur, et à se garantir <strong>de</strong> l'illusion <strong>de</strong> ses<br />

qu'un seul fait, celui <strong>de</strong>s cheveux coupés, dont Pline<br />

sens. Le bruit s'augmente, s'approche : il semble qu'il se se ren<strong>de</strong> le garantf sans qu'on sache pourquoi, car<br />

<strong>la</strong>sse près <strong>de</strong> <strong>la</strong> porte, et bientôt dans <strong>la</strong> chambre même. il ne le rapporte que sur <strong>la</strong> foi d'un affranchi et d'un<br />

II regar<strong>de</strong>, il aperçoit le spectre tel qu'on le lui avait dépeint<br />

: ce spectre était <strong>de</strong>bout, et l'appe<strong>la</strong>it <strong>du</strong> doigt. Athé­ * Toute cette histoire m retrouve sous d'autres noms,<br />

nodore lui fait signe <strong>de</strong> <strong>la</strong> main d'attendre un peu, et con-<br />

mats avec les mémei détails, dans us ouvrage <strong>de</strong> Lucien,<br />

ïuûmè PMlopmudès, chap. xxx etxxxi; et il faut convenir<br />

liane à écrire comme si <strong>de</strong> rien n'était. Le spectre recom­ qu'elle ne pouvait être mieux p<strong>la</strong>cée que dans un ouvrage<br />

mence aaa fracas avec ses étatisée, qu'il <strong>la</strong>it sonner aaa dont le titre signifie l'Ami êm mmmmge.


C0U1S DE UTTÉBATUBR.<br />

eselsve; cl quand rnn ot l'autre auraient été trompés<br />

par <strong>la</strong> frayeer, oo auraient eux-niérnes trompé<br />

leur maître, Il n'y aurait rien <strong>de</strong> merveilleux : ce<strong>la</strong><br />

même est un peu plus facile à supposer, qu'il ne<br />

l'est <strong>de</strong> croire qu'un esprit fétu <strong>de</strong> b<strong>la</strong>nc vienne faire<br />

l'office <strong>de</strong> barbier. 11 se présente un autre sujet <strong>de</strong><br />

réflexion : <strong>la</strong> consultation très-sérieuse que Pline<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> à son ami, le ton dont il s'exprime, l'apparition<br />

<strong>du</strong> mauvais génie <strong>de</strong> Brutus rapportée par<br />

le grave et judicieux Plutarque, plusieurs endroits<br />

<strong>du</strong> penseur Tacite, nous font voir que <strong>de</strong> très -grands<br />

esprits, <strong>de</strong>s écrivains philosophes, n'ont pas cm<br />

les apparitions impossibles. Voilà un beau texte à<br />

commenter ; mais comme f après avoir parlé longtemps<br />

, on pourrait bien n'en pas savoir davantage ;<br />

mmmt d'ailleurs m sujet, selon <strong>la</strong> manière dont on<br />

l'envisage, peut paraître ou trop frivole pour être<br />

mêlé à <strong>de</strong>s objets sérieux 9 ou trop sérieux pour être<br />

traité légèrement, ces raisons m'imposent silence;<br />

et cet article <strong>de</strong> Pline Inira comme toutes les conversations<br />

sur les esprits, où chacun fait son histoire,<br />

et écoute celle <strong>de</strong>s autres, sans que. personne<br />

soit obligé d'en rien croire. J'observerai seulement<br />

que dans une lettre suivante, Pline, écrivant à son<br />

ami Tacite Y commence ainsi :<br />

« J'augure ( et eetaugnre-là s'est pas trompeur) que VOS<br />

ouvrages seront immortels. »<br />

Assurément <strong>la</strong> prédiction s'est bien vérifiée jusqu'ici.<br />

Je serais tenté d'en conclure que Pline raisonnait<br />

mieux sur les écrits <strong>de</strong> Tacite que sur les histoires<br />

<strong>de</strong> revenants.<br />

Une autre lettre fort courte roule sur une observation<br />

morale dont l'application n'est pas si générale,<br />

il est vrai, que Pline semble le croire, mais<br />

qui le plus souvent est fondée : quiconque a été<br />

pavement ma<strong>la</strong><strong>de</strong> put en juger.<br />

« Ces jours passés, <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die d'un <strong>de</strong> mes amis me It<br />

Mm cette réleiios, que nous sommes fort gens <strong>de</strong> bien<br />

quand nous sommes ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s. Car quel est le ma<strong>la</strong><strong>de</strong> que<br />

l'avarie® es l'ambition tourmente? il n'est plus enivré d'amour,<br />

entêté d'humeurs; il néglige le bien; quelque peu<br />

qu'on» tltf i ?m a toujours assez quand on se croit près<br />

<strong>de</strong> le quitter. Le ma<strong>la</strong><strong>de</strong> croit <strong>de</strong>s dieu, et se souvient<br />

qs*fl est homme ; il n'envie, il n'admire, U ne méprise <strong>la</strong><br />

fortune <strong>de</strong> personne. Les médisances se <strong>la</strong>! font ni impression<br />

m p<strong>la</strong>isir : tonte son imagination n'est occupée que <strong>de</strong><br />

bains et <strong>de</strong> fontaines. Tout ce qu'il se propose ( s'il en peut<br />

échapper )9 e'est <strong>de</strong> mener à l'avenir une vie dosée et tranqattle<br />

9 sue vie innocente et heureuse. Je puis donc nous<br />

faire id à tons <strong>de</strong>ux, en peu <strong>de</strong> motsy une leçon dont les<br />

phOosophes font <strong>de</strong>s volâmes entiers. Persévérons à être<br />

pendant <strong>la</strong> santé ce qne nous nous proposons <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir<br />

quand<br />

Une lettre à Maxime, qui al<strong>la</strong>it comman<strong>de</strong>r dans<br />

<strong>la</strong> Grèce 9 nous fait connaître combien Pline chérissait<br />

cette contrée, qui avait été le berceau <strong>de</strong>s arts $<br />

et dont le nom seul a dû être cher dans tous les<br />

temps à quiconque était né avec le goût <strong>de</strong>s lettres.<br />

Ce morceau, d'ailleurs y <strong>mont</strong>re un homme pénétré<br />

<strong>de</strong> ces principes d'humanité et <strong>de</strong> douceur qui<br />

convenaient à un philosophe, à un ami <strong>de</strong> Trajan,<br />

et qui peuvent servir <strong>de</strong> leçon à tous ceux que leurs<br />

charges et leurs emplois mettent au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s autres.<br />

Il est peu <strong>de</strong> lettres où Pline ait fait voir un<br />

caractère plus aimable, et où <strong>la</strong> raison s'exprime<br />

avec plus <strong>de</strong> grâce et <strong>de</strong> délicatesse.<br />

m L'amitié qne je vous ai vonée m'oblige, non pas à vens<br />

instruire (car vous n'avez pas besoin <strong>de</strong> maître )f mais à<br />

vous avertir <strong>de</strong> ne pas oublier ce que vous savez déjà ; <strong>de</strong><br />

le pratiquer, on même <strong>de</strong> le savoir encore mieni. Seagei<br />

qne l'on vous envole dans f Aeaiïe ; c'est-à-dire dans Sa véritable<br />

Grèce ; dans <strong>la</strong> Grèce par excellence, ©nia politesse,<br />

les lettres, l'agriculture même, ont pris naissance; que<br />

voss allez gouverner <strong>de</strong>s hommes libres 9 dootSes vertus,<br />

les actions, les alliances, les traités, Sa religion, aat en<br />

pour principal objet <strong>la</strong> conservation <strong>du</strong> plus beau droit que<br />

nous tenions <strong>de</strong> Sa nature. Respectes Ses dieux leurs fondateurs<br />

| respectai l'ancienne gloire <strong>de</strong> cette nation, et<br />

cette vieillesse <strong>de</strong>s États qui est sacrée, comme celle <strong>de</strong>s<br />

hommes est vénérable. Faites honneur à leur antiquité , à<br />

lents exploits Sameux, à leurs fables même. N'entreprenez<br />

ries sur <strong>la</strong> dignité, sur <strong>la</strong> liberté, ni même sur <strong>la</strong> visité<br />

<strong>de</strong> personne. ayez continuellement <strong>de</strong>vant Ses yeax<br />

qae sous avons puisé notre droit c<strong>la</strong>as ce pays ; que nous<br />

n'avons pas imposé <strong>de</strong>s lois à ce peuple après ravoir vajneu,<br />

mais qu'il nous a donné les siennes après que nous S'en<br />

avons prié. €fest Athènes ou vous ailes 9 c'est à Laeédémené<br />

que vous <strong>de</strong>vez comman<strong>de</strong>r. Il y aurait <strong>de</strong> i'infiumanïté,<br />

<strong>de</strong> Sa cruauté 9 <strong>de</strong> <strong>la</strong> barbarie, à leur 6ter l'ombre et le<br />

nom <strong>de</strong> liberté qui leur restent. Voyez comme es usent les<br />

mé<strong>de</strong>cins : quoique, par rapport à <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die, il n'y ait<br />

point <strong>de</strong> différence entre les hommes libres et les esc<strong>la</strong>ves,<br />

Qs traitent pourtant les premiers plus doucement et plus<br />

humainement que les autres. Sou venez-vous <strong>de</strong> ce que fut<br />

autrefois chaque ville 9 mais que ce ne soit point pour insulter<br />

à ce qu'elle est aujourd'hui Me croyez point vous rendre<br />

méprisable en se vous <strong>mont</strong>rant pas <strong>du</strong>r et altier. Ce­<br />

lui qui est revêtu <strong>de</strong> l'autorité et armé <strong>de</strong> <strong>la</strong> puissance ne<br />

peut jamais être méprisé, à moins qui! ne soit sordi<strong>de</strong> et<br />

vil 9 et qu'il ne se méprise le premier. C'est faire une mauvaise<br />

épreuve <strong>de</strong> son pouvoir que <strong>de</strong> s'en servir pour offenser.<br />

La terreur est un moyen peu sûr pour s'attirer SA<br />

vénération, et l'on obtient beaucoup plus par l'amour que<br />

par <strong>la</strong> crainte; car, pour peu que vous vous éloigniez, <strong>la</strong><br />

crainte s'éloigne avec vous 9 mais l'amour reste $ et comme<br />

Sa première se change en haine, <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> se, tourne en respect...<br />

Jeterminerai cet étirait par l'aventure d'en enfant<br />

d'Hippoae, fort agréablement racontée, et qui prouve


cette inclination que l'on attribue au dauphins pour<br />

l'espèce humaine. Pline raconte le fait à nn poète <strong>de</strong><br />

ses amis, nommé Carlnlus, parée qu'il croit le sujet<br />

susceptible <strong>de</strong>s couleurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie, et il n'a<br />

pas tort.<br />

ANCIENS, — ÉLOQUENCE.<br />

« J'ai découvert un sujet <strong>de</strong> poème : c'est une histoire »<br />

mais qui a tout l'air d'une fable. Il mérite d'être traité par<br />

UE homme comme vous 9 qui ait l'esprit agréable» élevé»<br />

poétique. J'en ai fait k découverte à table, où chacun contait<br />

kïmwi son prodige. L'auteur passe pour très-fidèle9<br />

quoique» à dire vrai, qu'importe le fidélité à ai poète?<br />

Cependant c'est un auteur tel que TOUS ne refttsertei pas<br />

<strong>de</strong> lui ajouter foi, si TOUS écririez FMstoire. Près <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

colonie dlfinpone, qui est es Afrique, sur le bord <strong>de</strong> k<br />

mer, ou voit un étang navigable» d f oà sort un canal qui»<br />

comme un fleuve t ente dans <strong>la</strong> mer, ou retourne à l'étang<br />

même t selon que k reflux l'entraîne ou que le flux le repousse.<br />

La pèche » <strong>la</strong> navigation 9 le bain ; y sont <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>isirs<br />

<strong>de</strong> tons les àges9 surtout <strong>de</strong>s enfants» que teur inclination<br />

perte au divertissement et à l'oisiveté. Entre eax9<br />

ils mettent l'honneur et Se mérite à <strong>la</strong>isser Se rivage bien<br />

Soin <strong>de</strong>rrière eux y et ce<strong>la</strong>i qui s'en éloigne k plus 9 et qui<br />

<strong>de</strong>vance tous les antres, en est le vainqueur. Dans cette<br />

sorte <strong>de</strong> combat 9 un enfimt plus hardi que ses compagnons 9<br />

«'étant fort avancé» un dauphin se présente» et tantôt k<br />

précè<strong>de</strong>» tantôt le suit» tantôt tourne autour <strong>de</strong> lui9 enfin<br />

charge l'enfant sur son dos 9 puis le remet à Fera, une autre<br />

fois k reprend » el l'emporte tout tremb<strong>la</strong>nt 9 d'abord en<br />

pleine mer» mais 9 peu après, il revient à terre» et le rend<br />

au rivage et à ses compagnons. Le bruit s'en répand dans<br />

k cotente : chacun y court; chacun regar<strong>de</strong> cet semai<br />

comme une merveille ; on ne peut se fesser <strong>de</strong> l'interroger»<br />

<strong>de</strong> l'entendre raconter ce qui s'est passé. Le len<strong>de</strong>main<br />

tout k mon<strong>de</strong> courte k rive; §s ont tous le* yeux sur k<br />

mer ou sur ce qu'ils prennent pour elle ; les enfants se mettent<br />

à <strong>la</strong> nage» et» parmi eux t ce<strong>la</strong>i dont je vous parle»<br />

mak avec plus <strong>de</strong> retenue. Le dauphin revient à k même<br />

heure 9 el s'adresse au même enfant Celui-ci prend k fuite<br />

avec les autres : te dauphin 9 comme s'il vou<strong>la</strong>it k rappeler<br />

et finviter, saute, plonge» et <strong>la</strong>it cent tours différents. Le<br />

jour suivant» celui d'après» etplnstenrs antres <strong>de</strong> suite»<br />

saceae chose arrive » jusqu'à ce que ces gens » nourris sur<br />

k mer» se i»t9 à k fin, une honte <strong>de</strong> leur crainte : is approchait<br />

<strong>du</strong> dauphin» ils l'appe<strong>la</strong>nt; is jouent avec lui»<br />

is k touchent; il se <strong>la</strong>isse manier. Cette épreuve tes encourage<br />

9 surtout reniant qui k premier en avait couru k<br />

risque; il sage auprès <strong>du</strong> dauphm9 et saute sur son dos. 11<br />

est porté et rapporté ; i se croit reconnu et aimé; il aime<br />

tuas! 9 et ni l'un ni l'astre ne ressent ni n'inspire k frayeur.<br />

La confiance <strong>de</strong> ceJaHà augmente, et en même temps k<br />

docilité <strong>de</strong> celui-ci ; tes autres enfants l'accompagnent en<br />

nageant» et l'animent par leurs cria et far leurs dis<strong>cours</strong>.<br />

Avec ce dauphin on en voyait un autre (et ceci n'est pas<br />

moins merveitteux) qui se servait que <strong>de</strong> compagnon et<br />

<strong>de</strong> spectateur. Il ne faisait» il ne souffrait rien <strong>de</strong> sembkbk<br />

» mais il menait et ramenait Featre dauphin 9 comme<br />

tes enfants menaient et ramenaient leur camara<strong>de</strong>. L'animal»-<br />

<strong>de</strong> phis en plus apprivoisé par l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> jouer<br />

Là HAftPB. — TOME 1.<br />

331<br />

avec l'enfant et <strong>de</strong> k porter» avait cecteme <strong>de</strong> venir I terre ;<br />

et après s'être séché sur te sabte » lorsqu'il venait à sentir<br />

<strong>la</strong> chaleur; U se rejetait à k mer. Oetavius Avitus» lieutenant<br />

<strong>du</strong> proconsul» emporté par une vaine superstition»<br />

prit le temps que Se dauphin était sur le rivage pour faire<br />

répandre sur lui <strong>de</strong>s parfums : k nouveauté <strong>de</strong> cette o<strong>de</strong>ur<br />

k aiites fuite» et le fît sauter dans k mer. Plusieurs jours<br />

s'écoulèrent <strong>de</strong>puis sans qu'il parât Enfin 11 revint » d'abord<br />

<strong>la</strong>nguissant et triste, et »' peu après t ayant repris ses premières<br />

forces» Il recommença ses jeux et ses tours ordinaires.<br />

Tous les magistrats <strong>de</strong>s heax clreonvoislns s'empressaient<br />

d s accourir à ce speetaek : leur arrivée et leur séjour<br />

engageaient cette vUk» qui n'est déjà pas trop riche»à <strong>de</strong><br />

nouvelles dépenses qui achevaient <strong>de</strong> l'épuiser. Ce con<strong>cours</strong><br />

<strong>de</strong> mon<strong>de</strong> y troub<strong>la</strong>it d'aUteurs et y dérangeait tout. On<br />

prit donc k parti <strong>de</strong> tuer secrètement k dauphin qu'on<br />

venait voir. Ne plenrax-vous pas son sort? De quelles expressions,<br />

<strong>de</strong> caieltes figures vous enrichirez cette histoire »<br />

quoiqu'il ne soit pas besoin <strong>de</strong> votre art pour l'embellir» et<br />

qu'A suffise <strong>de</strong> ne rien êter à <strong>la</strong> vérité S<br />

Pline» qu'on a nommé k-matursMste pour le distinguer<br />

<strong>du</strong> précé<strong>de</strong>nt, appartient plus» comme ce<br />

titre f indique assez, à <strong>la</strong> physique et aui sciences<br />

naturelles qu'à <strong>la</strong> <strong>littérature</strong>; mais, à ne le considérer<br />

même que comme écrivain , l'éloquence qu'il<br />

a répan<strong>du</strong>e dans son ouvrage, l'imagination qui<br />

anime et colorie son style» lui donnent une p<strong>la</strong>ce<br />

éminente parmi les auteurs <strong>du</strong> <strong>de</strong>rnier fige <strong>de</strong>s lettres<br />

romaines. On ne peut douter» et c'est son plus<br />

grand éloge, qu'il n*ait servi <strong>de</strong> modèle au célèbre<br />

auteur <strong>de</strong> notre Histoire naturelle, qui, par <strong>la</strong> noblesse<br />

et l'élévation <strong>de</strong>s idées, l'énergie <strong>de</strong> <strong>la</strong> diction,<br />

<strong>la</strong> richesse <strong>de</strong>s peintures, et <strong>la</strong> variété <strong>de</strong>s détails,<br />

semble avoir voulu lutter contre lui. Lisez<br />

dans Pline <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> l'éléphant et <strong>du</strong> lion, el<br />

YOU8 croirez lire Buffon. Mais récrivais français<br />

remporte par <strong>la</strong> pureté <strong>du</strong> goût : l'on ne peut lui reprocher,<br />

comme à fauteur <strong>la</strong>tin, <strong>de</strong> tomber dans <strong>la</strong><br />

déc<strong>la</strong>mation, et d'être quelquefois <strong>du</strong>r et obscur,<br />

en cherchant <strong>la</strong> précision et <strong>la</strong> force ; ce sont là les<br />

défauts <strong>de</strong> Pline k naturaliste. Son livre, d'ailleurs,<br />

est un monument précieux à tous égards ; on fa<br />

nommé avec raison VEncyclopédie <strong>de</strong>s Jnekm. U<br />

a servi à marquer pour nous le terme <strong>de</strong> leurs connaissances.<br />

Tout s'y trouve, astronomie, géométrie»<br />

physique générale et particulière » botanique,<br />

mé<strong>de</strong>cine, anatomle, minéralogie ^ agriculture, arts<br />

mécaniques, arts <strong>de</strong> luxe. La seule nomenc<strong>la</strong>ture<br />

<strong>de</strong>s ouvrages que Fauteur cite, le nombre <strong>de</strong> ceux<br />

qu'il dit avoir lus, <strong>la</strong> plupart per<strong>du</strong>s aujourd'huif<br />

et qui forment <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> volumes, suffît pour<br />

donner une idée effrayante <strong>de</strong> son travail ; et quand<br />

on pense qu'il avait composé une foule d'autres ouvrages<br />

que nous n'a?ons plus, que ce même homme<br />

fut teille •sa vie occupé <strong>de</strong>s affaires publiques, ût


ia guerre i fut chargé pendant plusieurs années do<br />

gouvernement d*une province, et qu'il mourut à<br />

cinquante-six ans, on se eoneevraît pas mmmmt<br />

il« pu suffire à tant d'objets, <strong>de</strong> lectures, <strong>de</strong> recherches<br />

et <strong>de</strong> fatigues, si Pline le jeune, en nous<br />

traçant te p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> fie que suivait son oncle, ne nous<br />

eût fait ¥oir en lui l'homme le plus <strong>la</strong>borieux qui<br />

ait jamais existé. 11 faut jeter les yeux sur ce ta*<br />

bleau pour apprendre ce que c'est que le travail ; et<br />

Fou ne sera pas étonné que celui qui. le traçait s'accusât<br />

lui-même <strong>de</strong> paresse, en comparaison d'un<br />

semb<strong>la</strong>ble modèle. Assurément peu d'hommes seront<br />

«capables <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> fon<strong>de</strong> et <strong>de</strong>s scrupules <strong>du</strong><br />

neveo. Voici comme ce <strong>de</strong>rnier s'explique dans une<br />

<strong>de</strong> ses lettres :<br />

COURS DE IJTTÉMTU1E.<br />

Voes ne faites un grand p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> lire a?ec tant <strong>de</strong><br />

fassii» les au?rages <strong>de</strong> raaa oncley et <strong>de</strong> vouloir les connaître<br />

tous. Je m im contesterai pas <strong>de</strong> vous les indiquer,<br />

je ? cas marquerai encore dans quel ordre lis ont été faits :<br />

c'est aae connaissance qui n'est pas sans agrément pour<br />

les 'gens <strong>de</strong> lettres. Lorsqu'il commandait aae briga<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

cavalerie, il a composé aa livre <strong>de</strong> Fari <strong>de</strong> <strong>la</strong>ncer lejsvefol<br />

à ekeval, et dans ce livre l'esprit et l'exactitu<strong>de</strong> se font<br />

éplement remarquer ; <strong>de</strong>ux antres, <strong>de</strong> <strong>la</strong> frie <strong>de</strong> Powp®-*<br />

mim Semmdm. 1S es avait été singulièrement aiméf et il<br />

crut <strong>de</strong>voir cette marque <strong>de</strong> reeosnaJssaiice à <strong>la</strong> mémoire<br />

<strong>de</strong> son ami. Il sons en a <strong>la</strong>issé vingt antres <strong>de</strong>s Gwarrm<br />

d'Âltewmgne, où lia renfermé toutes celles que nous avons<br />

eues avec les peuples <strong>de</strong> ces pays, lia songe lui fit entreprendre<br />

cet oovrage : lorsqu'il servait dans cette province,<br />

U crut voir en songe Drasus Héron, qui, après y avoir<br />

fait <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s conquêtes, y était mort : ce prince le conjurait<br />

<strong>de</strong> ne le pas <strong>la</strong>isser enseveli <strong>du</strong>s l'oubli. Nous avons<br />

encore <strong>de</strong> ini trois livres intitulés l'Bmmme <strong>de</strong> leêtres , que<br />

leur grosseur obligea mon oncle <strong>de</strong> partager en six volumes;<br />

il prend l'orateur au berceau , et ne le quitte point<br />

qu'il ne l'ait con<strong>du</strong>it à Sa pins hante perfection : huit livres<br />

sur Imfaçom déparier dmteum ; il fit cet ouvrage pendant<br />

les <strong>de</strong>rnières années <strong>de</strong> l'empire <strong>de</strong> Néron 9 où <strong>la</strong> tyrannie<br />

rendait dangereux tout genre d'étu<strong>de</strong> plus libre et plus<br />

élevé : trente et un pour servir <strong>de</strong> suite à l'histoire qu'Anidios<br />

Bassîis a écrite : trente-sept <strong>de</strong> i f Mî$Mr§ naturelle.<br />

Cet ouvrage est d'une éten<strong>du</strong>e et d'une érudition Infinie,<br />

et presque aussi varié que Si nature eHe-même. Vous êtes<br />

sarfris qtfus homme dont Se temps était si rempli ait pu<br />

écrire tant <strong>de</strong> volumes f et y traiter tant <strong>de</strong> différents sujets,<br />

<strong>la</strong> plupart si épineux et si difficiles. Vous seret bien plus<br />

étonné quand von» saurez qu'il a p<strong>la</strong>idé pendant quelque<br />

temps, et qu'il n'avait que dnquante-sk ans quand il est<br />

mort. On sait qu'il en a passé <strong>la</strong> moiHé dans les travaui<br />

que les plus importants emplois et <strong>la</strong> confiance <strong>de</strong>s princes<br />

lui ont imposés. Mais c'était une pénétration, une application,<br />

une vigi<strong>la</strong>nce incroyables. 11 commençait ses veilles<br />

ans fêles <strong>de</strong> YulesJn, dans le mois d'août, non pas<br />

pour chercher dans le ciel <strong>de</strong>s présages y mais peur.étsdier.<br />

11 se mettait à Fétu<strong>de</strong>, en été, dès qu'il était nuit close ; es<br />

hiver, à une heure <strong>du</strong> matin y au plus tard à <strong>de</strong>ux, souvent<br />

à ai<strong>la</strong>ali 11 n'était pas eeaaêale <strong>de</strong> aaMaa <strong>du</strong>aner au saaa<br />

ami, qui quelquefois Se prenait et le quittait sur ses livres.<br />

Avant le jour ii se rendait chez l'empereur Yespatien, qui<br />

faisait aussi un bon usage <strong>de</strong>s nuits : <strong>de</strong> là , il alkit n'acquitter<br />

<strong>de</strong> tout ce qui lui avait été ordonné. Ses altères<br />

faites,il retournait chez lui, et ce qui lui restait <strong>de</strong> temps<br />

était encore pour l'étu<strong>de</strong>. Après le dîner (toujours très-simple<br />

et très-léger, suivant <strong>la</strong> coutume <strong>de</strong> nos pères ) , si! se<br />

trouvait quelques moments <strong>de</strong> loisir, en été, il sa cauelislt<br />

au soleil. On lui lisait quelques livres : U en tirait <strong>de</strong>s remarques<br />

et <strong>de</strong>s eiirsits; car jamais il n'a rien lu sans ai»<br />

traire. Aussi avait-il coutume <strong>de</strong> dire qu'il n'y a si mauvais<br />

litre où l'on ne puisse apprendre quelque chose. Après<br />

s'être retiré <strong>du</strong> soleil, il se mettait le plus souvent dans le<br />

bain d'eau froi<strong>de</strong>. 11 mangeait aa morceau, et dormait trèspeu<br />

<strong>de</strong> temps. Ensuite, et comme si un nouveau jour est<br />

recommencé, il reprenait l'étu<strong>de</strong> jusqu'au sonner. Pendant<br />

qui soupalt, nouvelle lecture y eeateaai ei traite t mais en<br />

courant. Je me souviens qu'on jour le lecteur ayant mai<br />

prononcé quelques mots, un <strong>de</strong> cens qui étaient à faMe<br />

l'obligea <strong>de</strong> recommencer. Quoi / ne l'avez-vom pas enten<strong>du</strong>?<br />

êlî mon on<strong>de</strong>. Pardonnez-moi, reprit son ami.<br />

Et pourquoi dôme, reprit-Il, le faire répéter? Voire taiemtpmn<br />

nom toute plm <strong>de</strong> dix ligne*. Voyez si ce<br />

n'était pas être bon ménager <strong>du</strong> temps. L'été, il sortait <strong>de</strong><br />

tetile avant que le jour nous eût quittés ; en hiver, entre<br />

sept et huit. Et toit ce<strong>la</strong> 9 il le faisait au milieu <strong>du</strong> tumulte<br />

<strong>de</strong> Borne, malgré toutes les occupations que l'on y trouve,<br />

et te faisait comme si quelque loi S'y ait forcé. A <strong>la</strong> caaspagnef<br />

le seul temps <strong>du</strong> bain était axeaa.pt d'étu<strong>de</strong> ; je veux<br />

dire le temps qu'I était dans Feau, car, pendant qu'il en<br />

sortait et qull se fsiaait essuyer, il ne manquait pas <strong>de</strong> lire<br />

os <strong>de</strong> dfeter. Dans ses voyages, c'était sa seule applicttion<br />

: comme si sJars il eût été plus dégagé <strong>de</strong> tous tes autres<br />

soins, il avait toujours à ses cotes son livre, ses tablettes<br />

et saa copiste. Il lui faisait prendre ses gants en<br />

hiver, aia que ia rigueur même <strong>de</strong> Sa saison ne put dérober<br />

un moment à féti<strong>de</strong>. C'était par celte raison qu'à fieras<br />

il s'al<strong>la</strong>it jamais qu'en étatisa. Je me souviens qu'un jour<br />

U me reprit <strong>de</strong> m'étre promené. Vem pouviez, dit-il,<br />

mettre cm kmret è prqfit; car il comptait pour perds<br />

tout le temps que l'on n'employait pas aux sciences. CTest<br />

par cette prodigieuse assi<strong>du</strong>ité qu'il a su achever tant <strong>de</strong><br />

volumes, et qu'il m'a <strong>la</strong>issé cent soixante tomes remplis<br />

<strong>de</strong> ses remarqiws, écrites sur les pages et sur les revers<br />

en très-petits caractères, ce qui les multiplie beaucoup.<br />

11 me contait qu'il n'avait teaa qu'à U, pendant qull<br />

était procurateur en Espagne, <strong>de</strong> les vendre à Lartiiis IJcraiaa<br />

quatre cent mile sesterces; et alors ces mémoires<br />

n'étaient pas tout à fait en si grand nombre. Quand vous<br />

seagesà cette immense lecture, à ces ouvrages inilnisqu'il<br />

a composés, ne croiriei-vous pas qu'il n'a jamais été ni<br />

dans les charges ntdass <strong>la</strong> fa?ear <strong>de</strong>s princes? Et quand<br />

on vous dit tout le temps qu'il a ménagé pour tes belles-lettres,<br />

ne caasBieaaeaaaaas pasà croire qu'il n'a pat encore<br />

assezIset aasai écrit? Car, d'un coté, quels obstacles<br />

les charges et <strong>la</strong> cour ne formatâtes point aux étu<strong>de</strong>s!<br />

et <strong>de</strong> l'autre, que ne peut point une si constante appilcation<br />

I C'est doue avec râSsoii que je me moque <strong>de</strong> ceux


suis cas vrai fatoêant. Cependant je donne à l'étu<strong>de</strong> tout<br />

c« qm les <strong>de</strong>voira et publics et particuliers me <strong>la</strong>issent <strong>de</strong><br />

temps. Et qui, parmi eeu-mêmes qui consacrent toute<br />

leur vie in beMes-leltres, pourra mmleiiif nette companfaon,<br />

et 11e pas mugir, comme si Se sommeil et b molleste<br />

partageateat ses joara? Je m'aperçois que mon sujet<br />

m'a emporté pSiis to<strong>la</strong> que je ne m'étais proposé. Je vou-<br />

Ui seulement voes apprendre ce que TOUS désirteisav oir,<br />

quels ouvrages mon oncle « composés. Je m'assure pourtant<br />

que» que je TOUS ai mandé ne voes fera guère mollis<br />

<strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir que leur lecture. Moo^ceaiecaest ce<strong>la</strong> peut piquer<br />

encore davantage votre curiosité, fat» vous piquer vousi<br />

d'une miâ& émuM»®. »<br />

Nous avons une tra<strong>du</strong>ction complète <strong>de</strong> THistoire<br />

naiwreMe <strong>de</strong> Pline, tra<strong>du</strong>ction médiocre en ellemême<br />

, mais précieuse par les recherches d'érudition<br />

et <strong>de</strong> physique dont elle est accompagnée f et<br />

qui sont en partie le fruit <strong>de</strong>s veilles <strong>de</strong> plusieurs<br />

gavants, encouragés, il y a environ trente ans, à<br />

cette tâche pénible par un <strong>de</strong> nos plus respectables<br />

magistrats (M. <strong>de</strong> Malesherbes), qui, chargé alors<br />

<strong>de</strong> prési<strong>de</strong>r à k <strong>littérature</strong> , semb<strong>la</strong>it être p<strong>la</strong>cé dans<br />

le département que son goût aurait choisi et que<br />

<strong>la</strong> nature lui aurait indiqué, et qui, appelé aux<br />

gran<strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ces par <strong>la</strong> renommée, et par le choix <strong>du</strong><br />

monarque, leur a préféré ce loisir noble et studieux<br />

, cette liberté à <strong>la</strong> fois paisible et active, qui,<br />

pour les âmes douces et pures, sensibles à l'amitié,<br />

à <strong>la</strong> nature et am arts, est <strong>la</strong> source <strong>de</strong> jouissances<br />

que rien ne peut corrompre, et d f un bonheur que<br />

rien ne peut troubler.<br />

Cette tra<strong>du</strong>ction en douze volumes in-4* est plus<br />

faite pour les savants et les littérateurs que pour<br />

les gens <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>. Mais heureusement e f est à<br />

ceux-ci qu'on a songé lorsqu'on nous a donné un<br />

volume composé <strong>de</strong>s morceaux les plus curieux<br />

<strong>de</strong> Pline k fmtarmMsie, choisis avec goût, c<strong>la</strong>ssés<br />

avec métho<strong>de</strong>, et tra<strong>du</strong>its avec une pureté, une<br />

élégance et une noblesse qui prouvent une connaissance<br />

réfléchie <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux <strong>la</strong>ngues. Cet ouvrage,<br />

qui est un véritable service ren<strong>du</strong> aux amateurs,<br />

est <strong>de</strong> M. l'abbé Gueroult, professeur <strong>de</strong> rhétorique<br />

au collège d'Harcourt, et fait honneur à l'Université,<br />

qui compte Fauteur parmi ses membres<br />

les plus distingués. On y trouve cette foule <strong>de</strong> détails<br />

Instructifs sur les mœurs domestiques <strong>de</strong>s<br />

Humains, sur leurs arts, sur leur luxe, et cette<br />

multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> particu<strong>la</strong>rités historiques qui donnent<br />

.un si grand prix à ce vaste monument que<br />

Pline nous a transmis. Les bornes qui me sont<br />

prescrites ne me permettent pas d'en rien citer ;<br />

je ne pis que renvoyer i l'abrégé dont je viens <strong>de</strong><br />

f trier les curieux d'antiquités, et je me contenterai<br />

ANCIENS — ÉLOQUENCE SÎ3<br />

<strong>de</strong> transcrire un ou <strong>de</strong>ux morceaux qui peuvent<br />

donner quelque idée <strong>de</strong>s beautés <strong>de</strong> Pline, et en<br />

même temps <strong>de</strong> ses défauts; car ceux-ci se trou*<br />

vent quelquefois à ce té <strong>de</strong>s beautés mêmes, et le<br />

tra<strong>du</strong>cteur n'a pas dû les faire disparaître. Je choisis,<br />

par exemple, l'endroit <strong>du</strong> premier livre où Pline<br />

parle <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre *.<br />

« La terre est le seul <strong>de</strong>s éMmests à qui nous ayons<br />

donné, pour prix <strong>de</strong> ses bienfaits9 un mm qui offre l'idée<br />

respectable <strong>de</strong> <strong>la</strong> maternité. Elle est le domaine <strong>de</strong> l'homme,<br />

comme le ciel est te <strong>de</strong>ssalée <strong>de</strong> Dieu. Elle le reçoit à sa<br />

naissance, le nourrit quand i est né, et <strong>du</strong> moment où il<br />

a fa le jour elle ne cesse pins <strong>de</strong> Ici servir <strong>de</strong> soutien et<br />

d'appui ; enfin ; nous ouvrant son sein , quand déjà te reste,<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> nature nous à rejetés, mère alors plus que jamais,<br />

elle couvre nos dépouilles mortelles, nous rend sacrés,<br />

comme elle est elle-même ; et c'est surtout à ce titre qu'eue<br />

est pour sons ini objet sa<strong>la</strong>i et vénérable. Elle fait plus encore;<br />

elle porte nos titres et nos monuments, étend 1a <strong>du</strong>rée<br />

<strong>de</strong> notre nony et prolonge notre mémoire an <strong>de</strong>là <strong>de</strong>s<br />

bornes étroites <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. C'est <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière divinité qu'invoque<br />

notre colère : nous <strong>la</strong> prions <strong>de</strong> s'appesantir sur ceux<br />

qui ne sont plus, comme si nous ne savions pas qu'elle<br />

seule ne s'irrite jamais contre l'homme. Les eaux s'élèvent<br />

pour retomber en ploies orageuses; elles se <strong>du</strong>rassent en<br />

grêle, se gooieat en vagues, se précipitent en torrents:<br />

f air se con<strong>de</strong>nse en nuées, se décharné en tempêtes ; mais<br />

<strong>la</strong> terre est bienfaisante, douce, in<strong>du</strong>lgente ; toujours empressée<br />

à servir tes mortels. Que <strong>de</strong> tributs nous lui arrachons<br />

! que <strong>de</strong> présents elle nous offre d'elle-même ! quelles<br />

couleurs i queues saveurs! quels sucs! quels touchers!<br />

quelles o<strong>de</strong>urs! Comme eUe est idèle à payer l'intérêt <strong>du</strong><br />

dépôt qu'on lui confie ! Combien d'êtres elle nourrit pour<br />

nous! S'il existe <strong>de</strong>s animaux venimeux, Fiir qui leur<br />

donne <strong>la</strong> vie en est seul conpaMe. Elle est contrefaite d'en ><br />

recevoir le germe, et <strong>de</strong> les soutenir lorsqu'ils sont éetos ;<br />

mais elle répand en tous lieux les herbes salutaires : toujours<br />

elle est en travaM poar l'homme , et peut-être les poisons<br />

mêmes sont-Us un don <strong>de</strong> sa pitié. »<br />

Ce morceau est d'un ton absolument oratoire,<br />

et même politique; il est bril<strong>la</strong>nt. Mais toutes les<br />

idées en sont-elles bien justes ? Est-il vrai que <strong>la</strong><br />

terre (en lui attribuant tout Se pouvoir que Fauteur<br />

lui donne ûgurément) ne fasse jamais <strong>de</strong> mal<br />

à l'homme? Et quand les volcans ouvrent leur sein<br />

pour y engloutir <strong>de</strong>s villes entières? quand les tremblements<br />

<strong>de</strong> terre bouleversent un royaume? De<br />

plus, tout le bien qu'elle fait lui appartient-Il exclusivement?<br />

Sans ces pluies dont parle Pline pour<br />

s'en p<strong>la</strong>indre fort injustement, sans le soleil dont<br />

il ne parle pas, que <strong>de</strong>viendrait cette terre si 'bienfaisante?<br />

Avouons-le : il fal<strong>la</strong>it <strong>la</strong>isser aux poètes<br />

exalter <strong>la</strong> divinité <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre aux dépens <strong>de</strong> quel-<br />

* PHMt AU. Mat H, «3, — M. <strong>de</strong> <strong>la</strong> Harpe dit f# ffw»<br />

fumier, pares qu'il m compte pas le livre précè<strong>de</strong>nt, qui<br />

tfert, à proprement parler, qu'une table <strong>de</strong>* maUères.<br />

si.


324<br />

que» autres; mais un philosophe défait plutôt nous<br />

faire voir cette harmonie <strong>de</strong>s éléments, qui, ne<br />

pouvant rien pour ûOOS FUS sans l'autre, se cornbineat<br />

pour nous être utiles, et dont <strong>la</strong> concor<strong>de</strong><br />

éternelle pro<strong>du</strong>it l'éternelle fécondité. Je n'étendrai<br />

pas plus loin <strong>la</strong> critique sur ce morceau, qui a <strong>de</strong><br />

l'intérêt et <strong>de</strong> l'éc<strong>la</strong>t, mais qui n'est pas exempt,<br />

comme on le voit, <strong>de</strong> déc<strong>la</strong>mation ; car on appelle<br />

ainsi tout ce qui tend à-agrandir les objets aux dépens<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité.<br />

Cicéron nous a fait tant <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir, que nous <strong>de</strong>vons<br />

en trouver aussi à voir quel hommage lui a<br />

ren<strong>du</strong> Pline, lorsqu'on par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s honneurs que<br />

les lettres et les talents <strong>de</strong> l'esprit ont reçus <strong>de</strong>s<br />

Romains, il leur adresse cette éloquente apostrophe<br />

:<br />

COURS DE LITTERATURE.<br />

« pourrais-je, sans crime, passer ton nom mm silence,<br />

êCieéron? Que céSébrerat-je en toi comme le titre dlstfnctir<br />

<strong>de</strong> ta gloire? ait ! §Am douté il suffira d'attester cet hommage<br />

f<strong>la</strong>tteur qu'un peuple entier, qu'en peuple tel qne celui<br />

<strong>de</strong> Rome rendit à tes sublimes- talents, et <strong>de</strong> ctwÉsiri<br />

citas tonte te suite d'une si belle vie 9 les sentes aetiossqiii<br />

signalèrent ton consolât. Tn paries, e t les trions romaines<br />

renoncent à Sa toi agraire, à cette loi qui leur assurait les<br />

premiers besoins <strong>de</strong> te vie. Tn conseilles ; elles pardonnent<br />

à Roseitis, auteur <strong>de</strong> te loi qui rég<strong>la</strong>it les rangs an spectacle,<br />

et consentent à une distinction injurieuse pour elle.<br />

•Tn persua<strong>de</strong>s, elles" enfants <strong>de</strong>s proscrits se con<strong>de</strong>nsent<br />

©lix-mêmes à ne pins prétendre aux honneurs. CaUifaâ<br />

luit <strong>de</strong>vant ton génie : c'est-loi qui proscris Marc-Antoine^<br />

Reçois mon hommage, ê toi qui Se premier fus nommé<br />

Père <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie, toi qui le premier méritas le triomphe<br />

sans quitter <strong>la</strong> toge, et le premier obtins les <strong>la</strong>uriers <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

victoire avec les seules armes <strong>de</strong> <strong>la</strong> parole; toi enfin, pour<br />

me servir <strong>de</strong>s expressions <strong>de</strong> César, autrefois ton ennemi,<br />

toi qui remportas le plus beau <strong>de</strong> tous les triomphes, puisqu'il<br />

est plus glorieux d'avoir éten<strong>du</strong> poar les Romains<br />

les limites <strong>du</strong> génie, que d'avoir reculé Se* bornes <strong>de</strong> leur<br />

empire. »<br />

LIVRE TROISIÈME. - HISTOIRE, PHILOSOPHIE,<br />

ET LITTÉRATURE MÊLÉE.<br />

CHAPITRE PREMIER. — Histoire.<br />

SECTION HIEMèBS. — Historiens grecs et romains <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

première c<strong>la</strong>sse.<br />

L'histoire, dans les premiers temps, paraît tfa-<br />

' voir été confiée qu'à <strong>la</strong> poésie, qui par<strong>la</strong>it à l'imagination,<br />

et se gravait dans <strong>la</strong> mémoire, ou aux<br />

monuments publics, qui semb<strong>la</strong>ient propres à perpétuer<br />

le souvenir <strong>de</strong>s grands événements. On les<br />

déposait sur l'airain, sur <strong>la</strong> pierre, sur les statues, sur<br />

les tombeaux, sur les médailles ; et c'est ce qui fait<br />

que ces <strong>de</strong>rnières, dont un grand nombre a échappé<br />

aux ravages <strong>du</strong> temps, sont <strong>de</strong>venues un objet <strong>de</strong><br />

recherche pour les curieux d'antiquité, et ont servi<br />

souvent à éc<strong>la</strong>ircir ou à constater les faits et <strong>la</strong><br />

époques <strong>de</strong>s siècles les plus reculés. L'ouvrage le<br />

plus anciennement rédigé en forme d'histoire, que<br />

<strong>la</strong> <strong>littérature</strong> grecque nous ait transmis (car il n'est<br />

ici question ni <strong>de</strong>s livres sacrés ni <strong>de</strong>s écrivains<br />

orientaux ), est celui d'Hérodote, nommé par cette<br />

raison k Père <strong>de</strong> r Histoire.<br />

C'est à lui que Ton doit le peu que nous connaissons<br />

<strong>de</strong>s anciennes dynasties <strong>de</strong>s Mè<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s Perses,<br />

<strong>de</strong>s Phéniciens, <strong>de</strong>s Lydiens, <strong>de</strong>s Grecs, <strong>de</strong>s<br />

Égyptiens, <strong>de</strong>s Scythes. Il vivait environ cinq<br />

siècles avant l'ère chrétienne f et avait voyagé dans<br />

l'Asie mineure, dans <strong>la</strong> Grèce et dans l'Egypte.<br />

Les noms <strong>de</strong>s neuf Muses, donnés par ses contemporains<br />

aux neuf livres qui composent son histoire,<br />

sont un témoignage <strong>de</strong> l'estime qu'en faisaient<br />

les Grecs, à qui l'auteur en fit <strong>la</strong> lecture dans<br />

rassemblée <strong>de</strong>s jeux olympiques; et cet honneur<br />

qu'on lui rendit doit aussi leur donner un caractère<br />

d'autorité. Non qu'il faille es conclure que<br />

tous les faits qu'il rapporte sont incontestables :<br />

puisque nos histoires mo<strong>de</strong>rnes ne sont pas ellesmêmes<br />

à l'abri <strong>de</strong> <strong>la</strong> critique, .à plus forte raison<br />

ce qui n'est fondé que sur <strong>de</strong>s traditions si éloi*<br />

gaées est-il soumis à Sa discussion, et sueeptibie<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong>isser <strong>de</strong>s doutes. D'ailleurs, le goût si connu<br />

<strong>de</strong>s Grecs pour le merveilleux et pour les fables,<br />

goût qui leur a été "si souvent reproché par te<br />

écrivains <strong>la</strong>tins, peut rendre suspecte leur véracité.<br />

Mais aussi Ton est tombé dans un autre excès<br />

en rejetant trop légèrement tout ce qui ne nous a<br />

pas paru conforme à <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce,<br />

qu'il n'est pas possible <strong>de</strong> déterminer d'une manière<br />

bien positive; car, dans l'histoire, comme dans le<br />

drame,<br />

Le vrai peut quelquefois tf être pas vraisemb<strong>la</strong>ble-<br />

Nous sommes trop portés à régler <strong>la</strong> mesure <strong>de</strong>s


pfobabilités su? celle <strong>de</strong> nos idées commuées et<br />

<strong>de</strong> nos connaissances imparfaites. La distance <strong>de</strong>s<br />

temps et <strong>de</strong>s Meui, et <strong>la</strong> di?ersité <strong>de</strong>s religions ,<br />

<strong>de</strong>s mœurs, <strong>de</strong>s costumes et <strong>de</strong>s préjugés, ost<br />

p<strong>la</strong>cé les anciens et les mo<strong>de</strong>rnes à an si grand<br />

éloigoemeut les uns <strong>de</strong>s autres, que les <strong>de</strong>rniers<br />

se doivent prononcer qu'avec beaucoup <strong>de</strong> précaution<br />

quand il s ? agit <strong>de</strong> se rendre juges <strong>de</strong> ce que<br />

îea premiers ont pu faire ou peser. L'expérience<br />

doit ici, comme en tout, ser?ir <strong>de</strong> leçon : plus d'une<br />

fois elle a dé<strong>mont</strong>ré réel ce qui ne semb<strong>la</strong>it pas<br />

croyable; et en <strong>de</strong>rnier Heu, <strong>de</strong>s voyageurs trèsinstruits<br />

ont férilê sur les lîeui ce qu'Hérodote<br />

avait écrit <strong>de</strong> l'Egypte, et ce qu'on a?ait regardé<br />

aaeaeaa fabuleux. Il peut y a?air autant d'ignorance<br />

à tout rejeter qu'à tout croire, et <strong>la</strong> différence aléas<br />

n'est que <strong>de</strong> <strong>la</strong> simplicité à <strong>la</strong> présomption. 11 finit<br />

se déler également <strong>de</strong> toutes <strong>de</strong>ui; celui qui sait<br />

beaucoup doute .souvent, et le doute con<strong>du</strong>it à<br />

l'examen et à l'instruction; celui qui sait peu est<br />

prompt à nier, et manque l'occasion <strong>de</strong> s'instruire.<br />

An reste y cet examen n'est pas <strong>de</strong> mon sujet; et je<br />

dois surtout considérer les historiens comme écrivains<br />

et hommes <strong>de</strong> lettres, le ne puis donc offrir<br />

qu'un aperçu très-rapi<strong>de</strong> sur ceux <strong>de</strong>s historiens <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> Grèce et <strong>de</strong> Rome que le suffrage <strong>de</strong> tous les<br />

siècle a mis au nombre <strong>de</strong>s auteurs c<strong>la</strong>ssiques.<br />

Après Hérodote, dont on estime <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté, l f éléganoe<br />

et l'agrément, mais en qui Ton désirerait plus<br />

<strong>de</strong> métho<strong>de</strong>, plus <strong>de</strong> développements, plus <strong>de</strong> critique,<br />

parut Thuoydi<strong>de</strong>, qui a écrit cette fameuse<br />

guerre <strong>du</strong> Péloponèse entre Athènes et Lacédémoae,<br />

qui <strong>du</strong>ra vingtsept ans. Il en a rapporté <strong>la</strong> plus<br />

gran<strong>de</strong> partie comme témoin, et mime comme acteur<br />

; car il fut ràargé d 9 un comman<strong>de</strong>ment; et les<br />

Athéniens « qui le bannirent pour avoir mal fait <strong>la</strong><br />

guerre, honorèrent ensuite et récompensèrent comme<br />

historien celui qu'ils avaient puni comme général.<br />

On lui reproche ieax défauts assez opposés<br />

fus à l'autre : il est trop concis dans sa narration, et<br />

trop long dans ses harangues. 11 a beaucoup <strong>de</strong> pensées<br />

, mais elles sont quelquefois obscures ; il a dans<br />

son style <strong>la</strong> gravité d'un philosophe, mais il en <strong>la</strong>isse<br />

as peu sentir <strong>la</strong> sécheresse. Aussi le lit-on avec moins<br />

<strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir que Xénophon» qui écrivit quelque temps<br />

après lui 9 et qu'on a surnommé fJbeUk mêêïqm,<br />

pour désigner <strong>la</strong> douceur <strong>de</strong> son style. Ce fut lui qui<br />

publia et continua l'histoire <strong>de</strong> Thucydi<strong>de</strong>, à <strong>la</strong>quelle<br />

il ajouta sept livres. Il avait été disciple <strong>de</strong><br />

Socrate, et commandait dans cette mémorable retraite<br />

<strong>de</strong>s Dix mille, l'une <strong>de</strong>s merveilles <strong>de</strong> l'antiquité,<br />

et dont il était digne d'écrire l'histoire. 11<br />

fut, comme César, l'historien <strong>de</strong> ses propres spieits :<br />

ANCIENS. — HISTOIRE. 325<br />

comme lui il joignit le talent <strong>de</strong> les écrire à <strong>la</strong> 'gloire<br />

<strong>de</strong> les sïécater : comme lui, il mérite une entière<br />

croyance, parce qu'il avait <strong>de</strong>s témoins pour juges.<br />

Ce <strong>de</strong>rnier mérite n'est pas celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cyropédie,<br />

dans <strong>la</strong>quelle, au jugement <strong>de</strong> Cicéron, il a moins<br />

consulté <strong>la</strong> vérité historique que le désir <strong>de</strong> tracer le<br />

modèle d'un prince accompli et d'un gouvernement<br />

parfait. Si les gens <strong>de</strong> l'art ('étudient comme général<br />

dans <strong>la</strong> Retraite <strong>de</strong>s Dix mitkf on l'admire comme<br />

philosophe et comme homme d'État dans ce livre<br />

charmant <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cyropédie, qu'on peut comparer à<br />

notre Têtémaque* On a dit <strong>de</strong> Xénophon que les<br />

Grâces reposaient sur ses lèvres : on peut ajouter<br />

qu'elles y sont près <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sagesse,<br />

Depuis lui jusqu'à Féoelon, nul homme n 9 a possédé<br />

au même <strong>de</strong>gré le talent <strong>de</strong> rendre <strong>la</strong> vertu aimable.<br />

Les anciens ne parlent <strong>de</strong> lui qu'avec vénération<br />

, et l'on sait que Seip<strong>la</strong>a et La ça II as faisaient<br />

leurs délices <strong>de</strong> ses ouvrages. Cet homme, qui eut<br />

dans ses écrits tant le charme <strong>de</strong> l'éloquence attique,<br />

avait dans l'âme <strong>la</strong> force d'un Spartiate. Il sacrifiait<br />

aux dieux, <strong>la</strong> tête couronnée <strong>de</strong> fleurs : tout à coup<br />

on vient lui apprendre que son fils a été tué à là<br />

bataille <strong>de</strong> Bffentinée*. Il été ses couronnes et verse<br />

<strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes ; mais lorsqu'on ajoute que ce ils, combattant<br />

jusqu'au <strong>de</strong>rnier soupir» a blessé mortellement<br />

le général ennemi, il reprend ses couronnes. Je<br />

savait , dit-il, que mmfik était mortel, et m gloire<br />

d&U me eonsokr <strong>de</strong> sa mort<br />

Nous avons <strong>de</strong> lui beaucoup d'autres ouvrages,<br />

entre autres, un Éloge, d'JgésUm, roi <strong>de</strong> Lacédéraeae;<br />

un EeeueU <strong>de</strong>s paroles mémorabki <strong>de</strong> 5ocraie,<br />

et f Apologie <strong>de</strong> ce philosophe. Mais ses <strong>de</strong>ui<br />

chefs-d'œuvre sont <strong>la</strong> Retraite afea Dix mUte et <strong>la</strong><br />

Cgropédiê.<br />

Quintilien compare Tïte-Live à Hérodote, et Salluste<br />

à Thucydi<strong>de</strong>. Je serais tenté <strong>de</strong> croire que<br />

Fadmiraion <strong>de</strong>s Romains pour <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> grecque,<br />

qui avait servi <strong>de</strong> modèle à <strong>la</strong> leur, et ce vieux res­<br />

pect que Ton conserve pour ses maîtres, mettaient<br />

un peu <strong>de</strong> préjugé dans cet avis <strong>de</strong> Quintilien 9 d'ailleurs<br />

si judicieux et si éc<strong>la</strong>iré. Quant à nous autres<br />

mo<strong>de</strong>rnes, qui avons une égale obligation aux Grecs<br />

et aui Latins, il me semble que nous préférerions<br />

Tïte-Lîve à Hérodote, et Saliaate à Thucydi<strong>de</strong>, par<br />

<strong>la</strong> raison que les <strong>de</strong>ui historiens <strong>la</strong>tins sont bien<br />

plus grands coloristes et meilleurs orateurs que les<br />

<strong>de</strong>ui historiens grecs. Les couleurs <strong>de</strong> Tite-Live<br />

sont plus douces ; celles <strong>de</strong> Salluste sont plus fortes.<br />

L'un se fait admirer par sa facilité bril<strong>la</strong>nte, l'autre<br />

par sa rapidité énergique. Le goût <strong>de</strong> Tîte»Lire est<br />

si parfait, que Quintilien le cite à côté <strong>de</strong> Cicéron, en<br />

indiquant ces <strong>de</strong>ux auteurs comme ceux qui! faut


S2§<br />

C0U1S DE OTTÉEATCBE.<br />

mettre <strong>de</strong> préfères» entre les mains <strong>de</strong>sjeunesgens. <strong>la</strong> capitale <strong>du</strong> momie : Je ne amis ps m reprofte<br />

« Sa Barimlloiif dibil 9 est êmguliè^mmmî agrêibSe f et fondé. <strong>de</strong> Rome n'eut jamais plus <strong>de</strong> véritable gran­<br />

h c<strong>la</strong>rté <strong>la</strong> plus pore. Ses harangues sont d'une éloquence <strong>de</strong>ur que dans ses premiers siècles, qui forent cessa<br />

au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> toute expression. Tout y est parMtemeiit <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu, <strong>du</strong> courage et <strong>du</strong> patriotisme; et ce<br />

adapté aux personnes et aux circonstances. Il excelle sur­ n'est pas quand son empire fut le plus éten<strong>du</strong> qu'elle<br />

tout à exprimer les sentiments doux et touchants 9 et nul eut le plus <strong>de</strong> gloire réelle. C'est en effet lorsqu'elle<br />

historien n'est plus pathétique. »<br />

combattait pour ses foyers oontré Pyrrhus et contre<br />

Cet éloge est juste dans tous les points, et Ton Carthageqoe le peuple rcusâlnse <strong>mont</strong>ra le premier<br />

peut ajouter que le génie <strong>de</strong> Tite-Live, sans jamais peuple <strong>de</strong> l'univers; et ce -grand caractère, qui an­<br />

<strong>la</strong>isser voir le travail si l'effort! paraît s'élever nanonçait ce qu'il <strong>de</strong>vint dans M suite, cfast-à-dne<br />

turellement jusqu 'à <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur romaine. Il n'est le dominateur <strong>de</strong>s nations, défait§e retrouver sont<br />

jamais au-<strong>de</strong>ssus ni au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> ce qu'il raconte. <strong>la</strong> plume <strong>de</strong> Tite-Live.<br />

Ses harangues 9 que les anciens admiraient, et que On l'accuse <strong>de</strong> faiblesse et <strong>de</strong> superstition, parée<br />

les mo<strong>de</strong>rnes lui ont reprochées, sont si belles , que qu'il rapporte très-sérieusement une foule <strong>de</strong> prodi­<br />

leur censeur le plus sévère regretterait sans doute ges. Je ne sais s'il en fait conclure qu'il les croyait.<br />

qu'elles n'existassent pas; et je prouverai tout à Le plus souvent il ne les donne que pour <strong>de</strong>s tra­<br />

l'heure que ce n'était pas <strong>de</strong>s beautés hors <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce s ditions reçues, et il SA pouvait se dispenser d<br />

et qu'on ne peut pas lui appliquer le bon mot si connu<br />

<strong>de</strong> Plutarque : Tu as tenu hors <strong>de</strong> propos un trèsbeau<br />

propos.<br />

Sa réputation s'étendit fort loin, même <strong>de</strong> son<br />

vivant, s'il est vrai, comme on le dit, qu'un habitant<br />

<strong>de</strong> Cadii , qui f dans ce temps , était pour les<br />

Romains une extrémité <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> 9 partit <strong>de</strong> son<br />

pays pour voir Tite-Live, et s'en retourna aussitôt<br />

après l'avoir ?u. Saint Jérôme, dans une lettre<br />

qu'il écrit à Paulin, dit très-heureusement à ce<br />

sujet :<br />

« C'était sans doute une chose bien extraordinaire, qu'un<br />

étranger entrant dans une ville telle que Home, y cherchât<br />

autre chose que Rome même. »<br />

On sait que dans son ouvrage, composé <strong>de</strong> cent<br />

quarante livres, il avait embrassé toute l'éten<strong>du</strong>e<br />

<strong>de</strong> l'histoire romaine, <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> fondation <strong>de</strong> Rome<br />

jusqu'à <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Brusus, petîMîIs d'Auguste. U<br />

ne nous en reste que trente-cinq livres, et le temps<br />

n'a pas épargné davantage Tacite et Salluste. Ces<br />

pertes, si déplorables pour ceux dont Ses lettres<br />

font le bonheur, ne seront probablement jamais réparées.<br />

II fut très-aimé d'Auguste, ce qui ne l'empêcha<br />

pas <strong>de</strong> donner dans seséerî|s les plus gran<strong>de</strong>s louanges<br />

au parti républicain, à Brutus, à Cassius,<br />

et particulièrement à Pompée 9 au point qu'Auguste<br />

l'appe<strong>la</strong>it le Pompéien. Sous Tibère, l'historien Crémutius<br />

Cor<strong>du</strong>s fut accusé <strong>de</strong>vant le sénat <strong>du</strong> crime<br />

<strong>de</strong> lèse-majesté, pour avoir appelé Braies le <strong>de</strong>rnier<br />

<strong>de</strong>s Romains, et fut obligé <strong>de</strong> se donner <strong>la</strong> mort. On<br />

peut juger, par ce seul trait, quel progrès d'un règne<br />

a l'autre avait fait <strong>la</strong> servitu<strong>de</strong>.<br />

L'abbé Desfontaines a reproché à Tite-Tive <strong>de</strong><br />

s'être <strong>la</strong>issé trop éblouir par Ja gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Rame,<br />

et d'avoir parlé <strong>de</strong> cette ville naissant* comme <strong>de</strong><br />

9 en<br />

parler. Ces prodiges étaient une partie essentielle <strong>de</strong><br />

l'histoire dans un empire où tout était présage et<br />

auspiee, où Ton ne faisait pis une démarche importante<br />

sans observer l'heure <strong>du</strong> jour et Fétat <strong>du</strong> ciel<br />

Jecroîs bienque<strong>du</strong> temps d'Auguste, et même avant<br />

luiY on commençait à être moins superstitieux ; mais<br />

le peuple fêtait toujours t et <strong>la</strong> politique savait et défait<br />

tirer parti <strong>de</strong> ce puissant ressort <strong>de</strong> <strong>la</strong> eroyanee<br />

générale, dont les effets sont généralement bons dans<br />

tout gouvernement, même quand <strong>la</strong> croyance est erronée.<br />

Il n'y a que f Irréligion qui soit essentiellement<br />

eaaemie<strong>de</strong> tout ordre social et moral. Aussi <strong>de</strong><br />

tout temps je sénat avait pilé <strong>la</strong> religion et les auspices<br />

aux intérêts publics. Les livres <strong>de</strong>sSSbyllcs, qu'on<br />

ouvrait <strong>de</strong> tempa en temp^ étaient évi<strong>de</strong>mment<br />

comme les centuries <strong>de</strong> Nostradaraus, oà fou trouve<br />

tout ce que l>n vent ; mais on se moque <strong>de</strong> rfestradamus<br />

, et l'on révérait les Sibylles. Ces notions suffisent<br />

pour nous persua<strong>de</strong>r que Tite-LIte et les antres<br />

|lstcrleris se croyaient obligés <strong>de</strong> ne rien témoigner<br />

<strong>de</strong> ce qu'ils pensaient<strong>de</strong> ees prodiges, et se souciaient<br />

fort peu <strong>de</strong> détromper personne. Ce n'est pas pourtant<br />

que je voulusse assurer que Tite-Live n'eût sur<br />

ee point accuse cré<strong>du</strong>lité : je dis simplement que<br />

ce qu'il a écrit ne peut pas être regardé comme aie<br />

preuve <strong>de</strong> ce qu'il pensait. Il est très-possible qu'afee<br />

un beau génie on croie à <strong>la</strong> fatalité et à <strong>la</strong> divination :<br />

on soupçonnerait volontiers en lisant Tacite, qu'il<br />

croyait à l'une et à l'autre.<br />

Salluste paraît s'être proposé pour modèle <strong>la</strong> précision<br />

et <strong>la</strong> gravité <strong>de</strong> Thucydi<strong>de</strong> , et l'on dit même<br />

qu'il avait beaucoup emprunté <strong>de</strong> cet auteur. Salluste,.<br />

dit Quintiiien, a beaucoup tra<strong>du</strong>it <strong>du</strong> grec.<br />

Il faut apparemment que.ee soit dans les autres ouvrages<br />

qu'il avait composés, «et que nousaYons per<strong>du</strong>s;<br />

car os m voit aucune trace <strong>de</strong> ees tra<strong>du</strong>ctions dans


ceftiî nous est resté \ U avait écrit une gran<strong>de</strong> prlie<br />

<strong>de</strong> l'histoire romaine; mais, en imitant <strong>la</strong> brièveté<br />

<strong>de</strong> Thucydi<strong>de</strong>, il lui donna encore plus <strong>de</strong> nerf<br />

et <strong>de</strong> forœ: un passage <strong>de</strong> Sénèque** <strong>la</strong>it sentir cette<br />

différence.<br />

« Dans faste» graef dit-il , quelque séné ftfi mit,<br />

wons pourries mmm ralnnclier qeelqîie chute, nos pus<br />

mm rien diminuer <strong>du</strong> mérite <strong>de</strong> k diction y mais ém mmm<br />

sans rien ©ter <strong>de</strong>là plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s pensées. Dans Salluste9<br />

ue mol supprimé f le sens est détroit ; et «'est ee que n'a<br />

pas senti Tito-Live 9 qui loi reproeSiait <strong>de</strong> défigurer les pensées<br />

<strong>de</strong>s Grées et<strong>de</strong> les affaiblir, êtquiSni préférait TbucyfHdê,<br />

Htm qu'il aimât davantage ee <strong>de</strong>rnier, mais parce<br />

qu'il Se cntigmifi moins, et qu'il se f<strong>la</strong>ttait <strong>de</strong> se mettre plus<br />

aisément an-<strong>de</strong>sn» <strong>de</strong> SaUnste, tH mettait d f abwd Salleste<br />

an-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> f incyiiée* »<br />

Ce moreean fait voir que Tite-Uve, dont on croit<br />

volontiers les mou» aussi douées que le style 9 était<br />

pourtant capable <strong>de</strong>s injustices <strong>de</strong> <strong>la</strong> jalousie : tant<br />

il est vrai que 9 pour se mettre au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> ee ?tee<br />

attaché à l'imperfection humaine 9 il ne suffit pas<br />

d'os grand talent9 qui est rare; il faut une gran<strong>de</strong><br />

âme 9 ce qui est plus rare encore.<br />

Àalu-ëei<strong>la</strong> appelé Salluste un auteur mmnê m<br />

ërêèwiê, mm nmmtm? mfmM <strong>de</strong> wwtM ; ee qui ne<br />

veut pas dire qu'il inventait <strong>de</strong> nouveaux termes ,<br />

mais qu'il en faisait un usage nouveau.<br />

« L'éKpnee <strong>de</strong> SaUnste , dltil alUenra 9 <strong>la</strong> beauté <strong>de</strong> ses<br />

eapmsiaîis, et son application à en mmûmf <strong>de</strong> nouvel*<br />

tesy trouvèrent beanorap <strong>de</strong> eenseiirs , mâme parmi <strong>de</strong>s<br />

hommes d'usé dassedistt^^<br />

tse <strong>de</strong> remarques critiques qu'Us ont faites sur ses oavrapsf<br />

m en trouve quelques-unes <strong>de</strong> Mae fondées, et beau,<br />

coup ©à II y a pies <strong>de</strong> malignité que <strong>de</strong> justesse. »<br />

11 ne faut pas compter Lénasf affranchi <strong>de</strong> Pompée,<br />

qui appe<strong>la</strong>it Salluste tut êrês~mtmàiâmê$ volew<br />

<strong>de</strong>s emmwessmms <strong>de</strong> (Mm Fancim ***; ee n'était<br />

qu'une injure grossière d'un ennemi, et d'un ennemi<br />

fil. Mais cf ailleurs m notaient pas en effet <strong>de</strong>s hommes<br />

médiocres qui reprochaient à Salluste <strong>de</strong> l'obscurité<br />

dans le style f et l'affectation <strong>de</strong> rajeunir <strong>de</strong><br />

vieui termes : c'était Jules César, qui l'aimait et qui<br />

it sa fortune; c'était le célèbre Asialus Pollion, cet<br />

homme d'un goût si in et si délicat f ce protecteur<br />

d'autant plus cher aux gens <strong>de</strong> lettres 9 qu'il était<br />

homme <strong>de</strong> lettres lui-même. fl a? ait eu le même<br />

maître que Salluste ; ee maître était un grammairien<br />

• ©est une erreur. Le discourt <strong>de</strong> Mklpta mourant ( Jt*fttftil.<br />

eap. r?) est tra<strong>du</strong>it es partie <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières paroles <strong>de</strong><br />

Cynts, UT. T/OI <strong>de</strong> fa tyrapAfi*. Mmm trairons mmm<br />

dam Salinité d'auto» Imltatloiis nombreuses et sensiMis <strong>de</strong><br />

Xénopbcni, <strong>de</strong> Thucydi<strong>de</strong> 9 <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, etc.<br />

** fie Sénèqua le rhéteur. (Bxmtpt* €mimmm* m, I.)<br />

••• Si mrèm mmqmi mmiiém f mmm Ceêmm<br />

CVfsjw , lm§mriMnm cmtdMw kMorêm.<br />

ANCIENS. — MSTÛIEE. 327<br />

nommé Preteitatas, qui, toyant que son élèta<br />

Salluste <strong>mont</strong>rait <strong>de</strong> <strong>la</strong> disposition pour le genre<br />

historique, lui donna un précis <strong>de</strong> toute l'histoire<br />

romaine, ain qu'il y choisit <strong>la</strong> partie qu'il fondrait<br />

traiter. U écrivit d'abord <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> Catîlina, et<br />

ensuite celle <strong>de</strong> Jugurtha : il a?ait été témoin <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

première. U composa l'histoire <strong>de</strong>s guerres cl fi<strong>la</strong>s <strong>du</strong><br />

Marins et <strong>de</strong> Sjl<strong>la</strong>v jusqu'à <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Sertorius, et<br />

<strong>de</strong>s troubles passagers excités par lipi<strong>de</strong> après <strong>la</strong><br />

mort <strong>du</strong> dictateur Syl<strong>la</strong>, et étouffés par Ca<strong>la</strong>it»*<br />

Tout ce morceau 9 qui sans doute était précieux f a<br />

péri presque entièrement : il n'en reste plus que<br />

quelques <strong>la</strong>mbeaux.<br />

Si les censeurs ont poussé trop loin <strong>la</strong> critique a<br />

l'égard <strong>de</strong> Salluste 9 d'autres ont exagéré <strong>la</strong> louange.<br />

Martial l'appelle le premier dis historiens romains t<br />

et il n'est ps le seul <strong>de</strong> cet aria \ J'avoue que je lui<br />

préférerais Tlta-ïif a et Tacite y l'un pour <strong>la</strong> perfection<br />

<strong>du</strong> style 9 l'autre pour <strong>la</strong> profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s idées.<br />

Sans vouloir prononcer sur le choix <strong>de</strong> ses termes,<br />

dont nous ee sommes pas juges assez compétents,<br />

on ne peut se dissimuler qu'il y a quelque affecta*<br />

tlôudaussua style, et toute affectation est un défaut.<br />

On ne peut excuser non plus ses lonp préambules<br />

et ses digressions morales f qui ne tiennent pas assez<br />

au sujet principe et dont l'objet est vague et le<br />

fond trop commun. U s'en faut bien que sa morale<br />

et sa politique Taillent celles <strong>de</strong> Tacite $ qui dans ce<br />

genre n'a rien aiMkssus <strong>de</strong> lui. Un autre grief contre<br />

Salluste, c'est sa partialité à l'égard <strong>de</strong> Cieéron.<br />

Ce grand homme a marqué les <strong>de</strong>ux principaux datera<br />

<strong>de</strong> l'historien 9 <strong>de</strong> ne rien dire <strong>de</strong> .faux, et <strong>de</strong><br />

ne rien omettre <strong>de</strong> vrai. Salluste est irréprochable<br />

sur le premier article : et comment ne le serait-il<br />

pas? il par<strong>la</strong>it d'événements publia dont tous ses<br />

lecteurs avaient été témoins* Mais il est une autre<br />

espèce <strong>de</strong> mensonge f r^a-familief à <strong>la</strong> haine v le<br />

mensonge <strong>de</strong> réticence ; et celui-là 9 moins choquant<br />

que l'imposture formelle, est aussi coupable et<br />

plus lâche 9 parce que <strong>la</strong> méchanceté se cache pour<br />

ne pas rougir. Le sénat décerne <strong>de</strong>s actions <strong>de</strong> grâces<br />

à Cicéron $ conçues dans les termes les plus honorables<br />

, pour avoir délivré <strong>la</strong> république <strong>du</strong> plus<br />

grand danger sans effusion <strong>de</strong> sang. C'est un acte<br />

public et solennel, dont tous les historiens font<br />

mention : Salluste n'en parle pas **. CatuSus et Caton<br />

9 dans une assemblée <strong>du</strong> sénat 9 donnent à Cicéron<br />

<strong>la</strong> nom glorieux <strong>de</strong> Père <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie , que Pline 9<br />

* Crkpm mmmû primw in Au Jorid. MâBT. — Mmm<br />

txmmmurmm Jl&rtmiimimm aucÊ&r» TâC Annal uif<br />

** Devait-Il s'arrêter à rapporter 1e décret do sénat 9 aprêi<br />

avoir dit, interné pUUf mmjmmîimm paiçfaetâ, ftfefrv-,<br />

nem &â eœîuw t&ttere; mluH ex ëtrvitute twepia, §m~<br />

'•• iimm stque îmâiism ggitmèat. (Bel. Catil. eap. U,VUI.)<br />

"M,


338 CÛUtS DE LHTÉMTU1E.<br />

Juvénal et tant d'autres écrivains, ont rappelé, et<br />

que <strong>la</strong> postérité lui a conservé : Salluste n'en parle<br />

tout le reste. Des auteurs dignes <strong>de</strong> foi s'aceonfait<br />

à dire qu'il u<br />

pas \ Les magistrats <strong>de</strong> Capoue, <strong>la</strong> première<br />

ville municipale d'Italie, décernent à Cîeéron une<br />

statue pour avoir sauvé Rome pendant son consu<strong>la</strong>t<br />

: Salluste n'en parle pas. Enfin le sénat lui aecor<strong>de</strong><br />

on honneur dont il n'y a?ait point d'exemple :<br />

il ordonne ee qu'on appe<strong>la</strong>it <strong>de</strong>s supplications dans<br />

les temples, et ce qui n'avait jamais lieu que pour<br />

les triomphateurs. Cette distinction inouïe est<br />

assez remarquable : Salluste n'en parle pas. 11 y a<br />

plus : qu'on lise son histoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> Catîlina;<br />

tout y est parfaitement détaillé , excepté ce<br />

que fit Cicéron **, sans lequel rien ne se serait fait.<br />

Est-ce là <strong>la</strong> fidélité <strong>de</strong> l'histoire? Est-ce là remplir<br />

son objet le plus utile et le plus respectable, celui<br />

<strong>de</strong> <strong>mont</strong>rer <strong>la</strong> punition <strong>du</strong> crime et <strong>la</strong> récompense<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu? Mais comme <strong>la</strong> passion raisonne mal!<br />

Comment Salluste n'a-t-il pas senti que ce silence,<br />

quis dans un homme indifférent, serait une omission<br />

condamnable, dans un ennemi était une bassesse<br />

odieuse? En se taisant sur <strong>de</strong>s faits publics,<br />

croyait-il les faire oublier? Croyait-il que d'autres<br />

se les écriraient pas ? If a-t-îl pas dû prévoir que ces<br />

réticenees perfi<strong>de</strong>s n'auraient d'autre effet, si ce<br />

n'est qu'on saurait à jamais que ces honneurs avaient<br />

été décernés à Cicéron , et que Salluste n'en avait<br />

rien dit?<br />

Au reste, le caractère d'un ennemi tel que tous<br />

les anciens nous ont peint Salluste, fait honneur à<br />

Cicéron. Les témoignages sont aussi unanimes sur<br />

<strong>la</strong> perversité <strong>de</strong> ses mœurs que sur <strong>la</strong> supériorité <strong>de</strong><br />

sus talents. 11 ail<strong>la</strong>it qee le dérèglement <strong>de</strong> sa con<strong>du</strong>ite,<br />

dont parle Horace dans ses Satires, allât<br />

jusqu'à Tinfamiê, puisqu'il fut chassé <strong>du</strong> sénat par<br />

le préteur Appius Pulcher, dans un temps où <strong>la</strong> censure<br />

, autrefois sévère comme les mœurs publiques,<br />

s'était relâchée elle-même, et corrompue comme<br />

* Lt>mpe Catlilsa appelle Cteéros inqmiimm emk wrMs<br />

Bamm, Salinité m dit-U pas que les sénateurs^ saisis dis-'<br />

iUgoatloa, traiterait <strong>de</strong> parrici<strong>de</strong>, û'enmemi êe ta patrie,<br />

«M qui osait insulter CSeéroa ; Oèitmpere mmmf kmtem<br />

ai§ue pmrrwMam memm. (Bel. Catii. cap. uu.)<br />

••Mais m lit-on pas dans Salluste : Tùm TmUim comulwaiimmn<br />

kmêmii îmmîmiammiqm uîiimm reipmèiktÊ, qusm<br />

pmtm teriptam edèdit Hlndique-Ml pas <strong>la</strong> source oo l'ou<br />

peut puiser les détails cpe <strong>la</strong> rapidité <strong>de</strong> sa narration ne lui<br />

a pas permis <strong>de</strong> iloasar ? Un ennemi lâchement méchant eût-<br />

Il il Mes dépeint Fasiiété paternelle <strong>de</strong> Cicéron f Ai Mmm<br />

in§em mm utque imUUm mmmi mxmpapere. Nom Imtaè&twr,<br />

emtfwuthme patef&cta, cwitatem perimlm ereptam este;<br />

p&rro autem ammm anxim ermi, in wmximo sceiere tanMs<br />

ewBu» éeprekemm, qmié facto opm émet; pœn&m Ul&rum<br />

iiM omete, impmniUtem perëendm nipubltem crt<strong>de</strong>bst.<br />

(Cap. ILVI.) Et CSeéroa a'est-i! pas à l'Instant résolu à tout<br />

encourir pour sauter sa patrie? Où est doue ce mensonge <strong>de</strong><br />

féUeesee? Où «f donc mite méchanceté qui m mckeponr m<br />

pm nmgir?<br />

f a foulu qu'imposer à ses lecteurs,<br />

et tromper*<strong>la</strong> postérité, eu affectant dans ses ouvrages<br />

le <strong>la</strong>ngage le plus austère, et en éta<strong>la</strong>nt un®<br />

moral® qui n'était pas celle île son cœur; qu'il ne<br />

recherchait les expressions anciennes que pour faire<br />

crelre que ses principes se sentaient, ainsi que son<br />

style, <strong>de</strong> <strong>la</strong> sévérité <strong>de</strong>s premiers Ages <strong>de</strong> <strong>la</strong> république;<br />

qu'enfin il n'empruntait les termes dont Caton<br />

le censeur s'était servi dans son livre <strong>de</strong>s Origines<br />

que pour paraître ressembler en quelque chose à ce<br />

modèle <strong>de</strong> vertu, que d'ailleurs il était si loin d'imiter^<br />

Il <strong>du</strong>t son élévation et sa fortune à César, qui, en<br />

qualité <strong>de</strong> chef <strong>de</strong> parti, ne pouvait pas' être délicat<br />

sur le choii <strong>de</strong>s hommes : c'est un principe et un<br />

malheur <strong>de</strong> l'ambition <strong>de</strong> m servir <strong>de</strong>s vices d'autrui.<br />

Ce fut César qui le it rentrer dans le sénat, et<br />

lui procura par son crédit <strong>la</strong> dignité <strong>de</strong> préteur. Salluste<br />

je servit bien dans le guerre d'Afrique s et après<br />

<strong>la</strong> victoire il obtint pour récompense le gouvernement<br />

<strong>de</strong> Numidie f avec le titre <strong>de</strong> propréteur. C'est<br />

là que | par toutes sortes <strong>de</strong> brigandages, il amassa<br />

<strong>de</strong>s richesses immenses, dont il jouit avec d'autant<br />

plus <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir, que <strong>la</strong> dissipation <strong>de</strong> son patrimoine<br />

l'avait ré<strong>du</strong>it à <strong>la</strong> pauvreté* 11 acheta ces jardins<br />

fameux, connus <strong>de</strong>puis sous le nom <strong>de</strong> Jardins <strong>de</strong><br />

SmUusêê, et une maison <strong>de</strong> campagne délicieuse auprès<br />

<strong>de</strong> Tivoli. Le cri lut général 9 et les peuples <strong>de</strong><br />

sa province l'accusèrent <strong>de</strong> concussion auprès <strong>de</strong><br />

Gésarfttlors dictateur. Mais comment celui qui 9 aiii<br />

yeux <strong>de</strong> tous les Romains, avait enlevé le trésor publie<br />

<strong>du</strong> temple où il était renfermé, pouvait-il punir<br />

un concussionnaire? La guerre civile n'est pas<br />

le temps <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice. Salluste fut dispensé <strong>de</strong> ré»<br />

pondre, en donnant au maître qu'il avait servi une<br />

partie <strong>de</strong> l'argent qu'il avait volé, et s'assura une<br />

possession paisible pour le reste <strong>de</strong> sa vie. Tel est<br />

l'homme qui, dans ses écrits, invective contre <strong>la</strong><br />

dépravation générale t et rappelle sans cesse les<br />

mœurs antiques.<br />

On ne peut pas dire <strong>de</strong> Tacite , comme <strong>de</strong> Salluste,<br />

que ce n'est qu'un parleur <strong>de</strong> vertu : il <strong>la</strong> fait respecter<br />

à ses lecteurs, parce que lui-même parait <strong>la</strong><br />

sentir. Sa diction est forte comme son âme, singulièrement<br />

pittoresque sans jamais être trop figurée,<br />

précise sans être obscure, nerveuse sans être ten<strong>du</strong>e.<br />

Il parle à <strong>la</strong> fois à l'âme, à l'imagination, à l'esprit.<br />

On pourrait juger <strong>de</strong>s lecteurs <strong>de</strong> Tacite par<br />

le mérite qu'ils lui trouvent, parce que sa pensée est<br />

d'une telle éten<strong>du</strong>e, que chacun y pénètre plus ou<br />

moins, selon le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> ses forces. 11 creuse à<br />

un© profon<strong>de</strong>ur immense, et creuse sans effort. Il


a fuir bien moins tr&falllé que quoiqu'il<br />

soit sans comparaison plus plein et plus fini. Le<br />

.secret<strong>de</strong> son style, qu'onn'égalerapeut-étrejamais,<br />

tient non-seulement à son génie, mais auï circonstances<br />

où il s'est trouvé.<br />

Cet homme vertueux, dont les premiers regards f<br />

au sortir <strong>de</strong> l'enfance, se lièrent sur les horreurs<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> Néron; qui vit ensuite les ignominies<br />

<strong>de</strong> Galba, <strong>la</strong> crapule <strong>de</strong> Vitcllîiis t et les brigandages<br />

d'Othon ; qui respira ensuite un air plus pur sous<br />

¥espasien et sous Titus, fut obligé, dans sa ma|urite,<br />

<strong>de</strong> supporter <strong>la</strong> tyrannie ombrageuse et hyp©-.<br />

crite <strong>de</strong> Domitien. Obscur par sa naissance, élevé<br />

à <strong>la</strong> questure par Titus, et se voyant dans <strong>la</strong> route<br />

<strong>de</strong>s honneurs, il craignit, pour sa famille, d'arrêter<br />

les progrès d'une illustration dont il était le premier<br />

auteur, et dont tous les siens <strong>de</strong>vaient partager les<br />

avantagés.- Il fut contraint <strong>de</strong> plier <strong>la</strong> hauteur <strong>de</strong> son<br />

âme et <strong>la</strong> sévérité <strong>de</strong> ses principes, non pas jusqu'aux<br />

bassesses d'un courtisan, mais'<strong>du</strong> moins aux comp<strong>la</strong>isances<br />

, aux assi<strong>du</strong>ités d'un sujet qui espère, et<br />

qui ne doit rien condamner, sous peine <strong>de</strong> ne rien<br />

obtenir. Incapable <strong>de</strong> mériter l'amitié <strong>de</strong> Domitïen,<br />

il fallut ne pas mériter sa haine, étouffer une partie<br />

<strong>de</strong>s talents et <strong>du</strong> mérite d'un sujet, pur ne pas<br />

effaroucher <strong>la</strong> jalousie <strong>du</strong> maître; faire taire à tout<br />

moment ma cœur indigné; ne pleurer qu'en secret<br />

les blessures.<strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie, et le sang <strong>de</strong>s bons ci»<br />

toyens; et s'abstenir même <strong>de</strong> cet extérieur <strong>de</strong> tristesse<br />

qu'une longue contrainte répand sur le visage<br />

d'un honnête homme,'et toujours suspect à un<br />

mauvais prince, qui sait trop que dans sa cour il<br />

ne doit y avoir <strong>de</strong> triste que <strong>la</strong> verte-<br />

Dans cette douloureuse oppression, Tacite, obligé<br />

4a se replier sur lui-même, jeta sur le papier tout<br />

eet amas <strong>de</strong> p<strong>la</strong>intes et ce poids d'indignation dont<br />

il ne pouvait autrement se sou<strong>la</strong>ger. Voilà ce qui<br />

rend son style si Intéressant et si animé. Il n'invective<br />

point en dée<strong>la</strong>mateur ; un homme profondément<br />

affecté ne peut pas l'être : mais'il peint avec <strong>de</strong>s<br />

couleurs si vraies tout ce que <strong>la</strong> bassesse et l'esc<strong>la</strong>vage<br />

ont <strong>de</strong> plus dégoûtant, tout ce que le <strong>de</strong>spotisme<br />

et <strong>la</strong> cruauté ont <strong>de</strong> plus horrible, les espéraôeeset<br />

les succès<strong>du</strong> crime, Sa pâleur <strong>de</strong> l'innocence<br />

et l'abattement <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu; il peint tellement tout<br />

ce qu'il a vu et souffert, que l'on voit et que l'on<br />

souffre avec lui. Chaque ligne porte un sentiment<br />

dans Fâme : il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pardon au lecteur <strong>de</strong>s horreurs<br />

dont il l'entretient, et ces horreurs mêmes attachent<br />

an point qu'on serait fâché qu'il ne les eût<br />

pas tracées. Les tyrans nous semblent punis quand<br />

il ks peint. 11 représente <strong>la</strong> postérité et <strong>la</strong> vengeancef<br />

ANCIENS. — HISTOIRE.<br />

M»<br />

et je ne connais point <strong>de</strong> teetufe piutf terrible pour<br />

<strong>la</strong> conscience <strong>de</strong>s méchants.<br />

On a dit qu'il voyait partout 1e mal, et qu'il calomniait<br />

<strong>la</strong> nature humaine- Maïs pouvait-il calomnier<br />

le siècle où il a vécu? et peut-on dire que celui<br />

qui nou%a tracé les <strong>de</strong>rniers moments <strong>de</strong> Germantcus,<br />

<strong>de</strong> Baréa, <strong>de</strong> Thraséas; qui a fait le panégyrique<br />

d'Agricole, ne voyait pas <strong>la</strong> vertu où elle était ?<br />

Ce <strong>de</strong>rnier morceau, cette vie d'Agricole, est 1© désespoir<br />

<strong>de</strong>s biographes : c'est le chef-d'œuvre <strong>de</strong> Tacite,<br />

qui n'a fait que <strong>de</strong>s chefs-d'œuvre. 11- l'écrivit<br />

dans un temps <strong>de</strong> calme et <strong>de</strong> bonheur. Le règne <strong>de</strong>*<br />

Nerta, qui le fit consul, et ensuite celui <strong>de</strong> Trajan,<br />

le conso<strong>la</strong>ient d'avoir été préteur sous Domitien.<br />

Son style a <strong>de</strong>s teintes plus douces et un charme<br />

plus attendrissant : ©s voit qu'il commence à pardonner.<br />

C'est là qu'il donne cette leçon si' belle et<br />

si utile à tous ceux qui peuvent être condamnés à<br />

vivre dans <strong>de</strong>s temps malheureux.<br />

« L 9 êxenip!e d'Âgrleo<strong>la</strong>, dit-il, nous apprend qu'on peut<br />

être grand sons un mauvais prince, et que Sa soumission<br />

mo<strong>de</strong>ste, jointe aux tétants, et à <strong>la</strong> fermeté, peut donner<br />

une autre gloire que eeBe ©à sent parvenus <strong>de</strong>s homme»<br />

plus fmpétaeui f qui État cherché qtfune mort illustre et<br />

H n'y a pas bien longtemps que le mérite supérieur<br />

<strong>de</strong> Tacite a été senti parmi nous. Les mo<strong>de</strong>rnes<br />

ne lui avaient pas ren<strong>du</strong> d'abord toute <strong>la</strong> justice<br />

que lui rendaient ses contemporains. Des écrivains<br />

philosophes ont fait revenir <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s préjugés<br />

<strong>de</strong> quelques rhéteurs outrés dans leurs principes,<br />

et d'une fouie <strong>de</strong> pédants : , qui, ne vou<strong>la</strong>nt<br />

reconnaître d'autre manière d'écrire que celle<br />

<strong>de</strong> Cieéron, comme si le style <strong>de</strong>s orateurs <strong>de</strong>vait<br />

être celui <strong>de</strong> l'histoire, nous avaient accoutumés,<br />

dans notre jeunesse, à regar<strong>de</strong>r Tacite comme un<br />

écrivain <strong>du</strong> second ordre et d'une <strong>la</strong>tinité' suspecte,<br />

comme un auteur obscur et affecté. C'est à <strong>de</strong> pareilles<br />

gens qu'il faut citer u un <strong>de</strong>s critiques<br />

<strong>du</strong> seizième siècle, que d'ailleurs je n'aurais<br />

pas choisi pour garant. Voici ce qu'il dit en assez<br />

mauvais style, mais fort sensément :<br />

« Chaque page, chaque ligne <strong>de</strong> est un trait <strong>de</strong><br />

sagesse, un conseil, un ailûma. Mais i est si rapi<strong>de</strong> et si<br />

copias, qu'il faut bien <strong>de</strong> k sagacité pour le suivre et pour<br />

lVîtfndie. Tous tes chiens ne sentent pas le gibier, et tous<br />

les lecteurs ne sentent pas Tacite. »<br />

Si quelque chose pouvait faire voir combien,<br />

avant l'invention <strong>de</strong> l'imprimerie, toutes les précautions<br />

possibles étaient peu sires pour garantir <strong>de</strong>s<br />

injures <strong>du</strong> temps les plus beaui ouvrages <strong>de</strong> l'esprit


ait<br />

C0U1S DE UTTMATUBE.<br />

humain, ém% m qw est arrifé à ceux <strong>de</strong> Tacite.<br />

Plusieurs siècles après lui f un homme <strong>de</strong> son nom<br />

fut élevé an trame <strong>de</strong>s Césars, et9 se glorifiant <strong>de</strong><br />

lui appartenirY quoiqu'on en doutât, il ût transcrire<br />

avec le plus grand soin tout ce qui était sorti <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

plume <strong>de</strong> cet inimitable historien, et le û|déposer<br />

dans <strong>de</strong>s bibliothèques publiques. U ordonna <strong>de</strong> plus<br />

que tous les dii ans on en renou¥elât les copies.<br />

Tous ces soins n'ont pu nous eonser?er ses écrits,<br />

dont <strong>la</strong> plus gnn<strong>de</strong> partie est mmw f objet <strong>de</strong> nos<br />

regrets.<br />

Parmi les historiens <strong>de</strong> <strong>la</strong> première c<strong>la</strong>sse on paît<br />

encore p<strong>la</strong>cer Quinte-Curées quoique inférieur à ceux<br />

dont je tiens <strong>de</strong> parler. On ne sait pas bien précisément<br />

dans quel temps il a écrit; il est très-?raiscmb<strong>la</strong>bte<br />

que c'était sous ¥espasien. Il a renfermé dans<br />

un faisait assez court <strong>la</strong> fie d'Alexandre, divisée en<br />

dii livres. Freinshemins a suppléé les <strong>de</strong>ux premiers<br />

et une partie <strong>du</strong> <strong>de</strong>rnier. Le style <strong>de</strong> Quinte-Cnrce<br />

est très-oraé et très-fleuri; mais il confient à son<br />

sujet : il écri?ait <strong>la</strong> vie d'un homme extraordinaire.<br />

Il excelle dans tes <strong>de</strong>scriptions <strong>de</strong> batailles : sa harangue<br />

<strong>de</strong>s Scythes est un morceau fameux. 11 a <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

noblesse et <strong>du</strong> feu quand il raconte ; mais lorsqu'il<br />

fait parler ses personnages, il <strong>la</strong>isse trop paraître<br />

fauteur. On Faccuse aussi, et avec raison, <strong>de</strong> plusieurs<br />

erreurs <strong>de</strong> dates et <strong>de</strong> géographie, et en tout<br />

il est beaucoup moins exact qtfArrien, qui a servi<br />

à le rectifier. Mais je ne sais si Ton est bien fondé<br />

à croire qull s'est permis, dans l'histoire <strong>de</strong> son<br />

héros, beaucoup d'embellissements romanesques.<br />

Alexandre, chez les autres historiens qui ont parlé<br />

<strong>de</strong> lui 9 ne paraît pas moins singulier, moins outré<br />

en tout que dans Qa<strong>la</strong>le-Curce ; et il y a <strong>de</strong>s hommes<br />

dont l'histoire véritable ressemble fort à un<br />

roman, seulement parce que ces hommes-là ne ressemblent<br />

pas aux autres. Dans ce siècle même, Charles<br />

XII Ta suffisamment proufé. QuInte-Curee ne<br />

dissimule et n'a aucun intérêt <strong>de</strong> dissimuler aucune<br />

<strong>de</strong>s fautes ni <strong>de</strong>s mauvaises qualités «FAlexandre..<br />

11 dit le bien et le mal, et n'a point le ton d'un enthousiaste,<br />

ni même d'un panégyriste. Quant à <strong>la</strong><br />

vérité <strong>de</strong>s faits, si Ton cassai ta une dissertation <strong>de</strong><br />

Tita-Iif e sur le succès qu'aurait pu avoir Alexandre<br />

s'il eût porté ses armes en Italie, on verra que les<br />

Romains s'étaient procuré <strong>de</strong> très-bons mémoires<br />

sur ce prince, lorsqu'ils conquirent <strong>la</strong> Macédoine.<br />

Simon u.—Bei harasgiies, et <strong>de</strong>là différence <strong>de</strong> systèmes<br />

entre les histoires «<strong>de</strong>nses et <strong>la</strong> natte*<br />

11 me reste à justifier les anciens sur ces harangues<br />

que Ton regar<strong>de</strong> comme <strong>de</strong>s efforts <strong>de</strong> l'art oratoire<br />

plutôt que comme <strong>de</strong>s monuments historiques, li se<br />

paat en effet que Fabius et Saîp<strong>la</strong>a n'aient pas dît<br />

dans le sénat précisément les mêmes choses que<br />

Tite-Live leur <strong>la</strong>it dire; mais s'il est très-probable<br />

qnlls ont dû et qnlls ont pu parler à peu près dans<br />

le même sens, je ne fais pas <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>ment au reproche<br />

que Ton fait à l'historien. En ce genre, ce<br />

me semble, il est permis d'embellir sans être accusé<br />

<strong>de</strong> controu?er. Si Fauteur fusait parler avec éloquence<br />

<strong>de</strong>s hommes qui n'eussent pas été faits pour<br />

en avoir, qui n'eussent jamais eu aucune habitu<strong>de</strong><br />

<strong>du</strong> talent <strong>de</strong> <strong>la</strong> parole, c'est alors que l'historien ferait<br />

le rôle <strong>de</strong> romancier. Mais c'est ici qu'il faut se<br />

rappeler l'observation que j'ai déjà eu lieu <strong>de</strong> faire,<br />

que nos moeurs et notre'é<strong>du</strong>cation ne sont pas à<br />

beaucoup près celles <strong>de</strong>s anciennes républiques. U<br />

est reconnu qu'Athènes était gouvernée par ses orateurs<br />

; que rien d'important ne se décidait sans eux ;<br />

que dans toute <strong>la</strong> Grèce, excepté peut-être Lacédémone,<br />

Fart <strong>de</strong> parler était une <strong>de</strong>s connaissances<br />

les plus essentielles, les pi us nécessaires à un citoyen,<br />

une <strong>de</strong> celles que Ton cultivait avec le plus <strong>de</strong> soin<br />

dans <strong>la</strong> première jeunesse, et <strong>la</strong> partie <strong>la</strong> plus importante<br />

<strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s. A Rome, quiconque aspirait aux<br />

charges <strong>de</strong>vait être en état <strong>de</strong> s'énoncer avec facilité<br />

et avec grâce <strong>de</strong>vant trois ou quatre cents sénateurs,<br />

<strong>de</strong> savoir motiver et soutenir un avis que Ton attaquait<br />

avec toute <strong>la</strong> liberté républicaine, quelquefois<br />

<strong>de</strong> pérorer <strong>de</strong>vant rassemblée <strong>du</strong> peuple romain,<br />

composée d'une multitu<strong>de</strong> innombrable et tumultueuse.<br />

Les accusations et les défenses judiciaires<br />

étant un <strong>de</strong>s grands moyens d'illustration, les membres<br />

les plus considérables <strong>de</strong> l'État cherchaient à<br />

se signaler en dénonçant <strong>de</strong>s coupables ou en les défendant.<br />

Leur but était <strong>de</strong> se faire connaître» au<br />

peuple, et l'ambition cherchait <strong>de</strong>s inimitiés éc<strong>la</strong>tantes.<br />

Toutes les petites discussions eaateatïeases<br />

étaient portées à <strong>de</strong>s tribunaux subalternes, tel que<br />

celui <strong>du</strong> préteur et <strong>de</strong>s eeutumvirs; niais toutes les<br />

gran<strong>de</strong>s causes se p<strong>la</strong>idaient <strong>de</strong>vant un certain nombre<br />

<strong>de</strong> chevaliers romains, choisis par <strong>la</strong> loi, et assujettis<br />

à un serment, dans un vaste foram rempli<br />

d'une foulé attentive; et celui qui s'exposait à -cette<br />

périlleuse épreuve <strong>de</strong>vait être bien sir <strong>de</strong> ses talents<br />

et <strong>de</strong> sa fermeté. C'était là qu'un homme était jugé<br />

pour <strong>la</strong> vie : ses espérances et son élévation dépen*<br />

liaient <strong>de</strong> l'opinion qu'il donnait <strong>de</strong> lui es se mon*<br />

trant dans cette lice aussi bril<strong>la</strong>nte que dangereuse.<br />

Les enfants <strong>de</strong> famille y assistaient assidûment, et<br />

e'estee qu'on appe<strong>la</strong>it lesexercices<strong>du</strong> fonum r.e'é*<br />

taïaut ceux <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> jeunesse, ainsi que les tra*<br />

vaux <strong>du</strong> Champ <strong>de</strong> Mars.


I m'est dont pas étonnant que <strong>de</strong>s hommes ék-<br />

•es ainsi haranguassent beaucoup plus souvent et<br />

plus facilement que nous ne l'imaginons. L'éloquence<br />

, qui dans nos monarehies semble n'être le partage<br />

que <strong>de</strong> ceux qui par état doivent en avoir fait une<br />

étu<strong>de</strong>-particulière, était chez les Urées et les Romains<br />

une <strong>de</strong>s qualités communes, dans un <strong>de</strong>gré<br />

plus ou moins émiiient, à tout homme publie, à<br />

tout citoyen constitué en dignité. Les Graeques,<br />

César, Catoo, Seipioe , étaient <strong>de</strong> très-grands orateurs<br />

, c'est-à-dire f dans <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue républicaine, <strong>de</strong><br />

très-grands hommes d'État. Bans le pays <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté<br />

f <strong>la</strong> persuasion est un pore <strong>de</strong> puissance<br />

qu'on ne soupçonne pas dans les pays où II ne doit y<br />

en avoir d'autre que l'autorité*<br />

On peut donc croire, sur ce que je fient d'expoposer,<br />

que les grands hommes que Tive-Live et Salloste<br />

font parler "dans leurs histoires ont mmwmî<br />

puisé dans leur âme d'aussi beaux traits que ceux<br />

que leur attribue l'historien, et ont dû mime pro<strong>du</strong>ire<br />

<strong>de</strong> plus grands effets <strong>de</strong> vive voix qu'Us n'en<br />

ont pro<strong>du</strong>it sur le papier; et ce qui prouve encore<br />

l'importance qu'on attachait à ces dises»», c'est<br />

que <strong>la</strong> plupart <strong>du</strong> temp on en «raser?ait <strong>de</strong>s copies.<br />

Cieéron cite à tout moment <strong>de</strong>s harangues prononcées<br />

dans le sénaty plus d'un siècle mmt lui, par<br />

<strong>de</strong>s hommes qui ne les gardaient pas comme <strong>de</strong>s<br />

monuments littéraires, mais comme <strong>de</strong>s pèees jostiirotïf«<br />

<strong>de</strong> leur con<strong>du</strong>ite et <strong>de</strong> leurs <strong>la</strong>ftii dans<br />

l'administration <strong>de</strong>s affaires publiques.<br />

II se présente une autre différence dans <strong>la</strong> manière<br />

dont nous considérons aujourd'hui l'histoire, et dont<br />

les anciens <strong>la</strong> considéraient. Tïte-Live, Salluste,<br />

Tacite, Quinte-Curce, croyaient a?oir rempli tous<br />

leurs <strong>de</strong>voirs quand ils étaient éloquents et frais.<br />

M ouf nous p<strong>la</strong>ignons <strong>de</strong> ne pas trouver chez eux aaaes<br />

<strong>de</strong> lumières et <strong>de</strong> détails, sur les mœurs publiques et<br />

particulières, sur <strong>la</strong> police intérieure, sur les lois,<br />

sur les finances, sur les impôts, sur les subsistances,<br />

sur fart militaire, etc. C'est dans <strong>de</strong>s traités <strong>la</strong>its<br />

exprès, dans <strong>de</strong>s ouvrages d'une autre espèce, que<br />

nous allons chercher, sur tous ces points, <strong>la</strong> connaissance<br />

<strong>de</strong> Fantiquité. Depuis que les esprits se<br />

sont tournés, parmi nous, vers <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion et l'économie<br />

politique, ce qui nous paraît le plus important<br />

dans l'histoire, c'est ïa recherche <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux<br />

grands objets, et <strong>la</strong> comparaison <strong>de</strong> ce qu'ils étaient<br />

autrefois et <strong>de</strong> ce qu'ils sont aujourd'hui. Cette comparaison<br />

est vraiment intéressante. Mais pourquoi<br />

ne trou?ons-noos pas, à cet égard, à satisfaire entièrement,<br />

notre curiosité dans les historiens grecs et<br />

romains les plus célèbres ? Et, d'un autre côté, pourquoi<br />

ce genre d'histoire philosophique nous paraft-il<br />

ANOINS. — HISTOffiH tfl<br />

aujourd'hui nécessaire dans les annales <strong>de</strong> FEurop©<br />

mo<strong>de</strong>rne? En YOîCI peut-être <strong>la</strong> raison. Nous avons<br />

été longtemps barbares; longtemps nous n'avons<br />

su ni ce que hous étions ni ce que sous «fêtions être.<br />

L'Europe entière, livrée au mé<strong>la</strong>nge bixarre <strong>de</strong>s<br />

constitutions féodales interprétées par <strong>la</strong> tyrannie,<br />

et <strong>de</strong> quelques lois romaines interprétées par l'ignorance,<br />

l'Europe n'offre jusqu'au seizième siècle,<br />

qu'un chaos, un <strong>la</strong>byrinthe, où se perd cette foule<br />

<strong>de</strong> nations échappées aux fers <strong>de</strong>s Romains, pour<br />

tomber dans ceux <strong>de</strong>s barbares <strong>du</strong> Nord, détenues<br />

aussi grossières que leurs.nouveaux vainqueurs, et<br />

sur lesquelles l'oeil <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison ne se ixe qu'avec<br />

peine, jusqu'au moment où <strong>la</strong> lumière <strong>de</strong>s arts fient<br />

les éekirer. La curiosité <strong>de</strong> ces nations est donc aujourd'hui<br />

<strong>de</strong> connaître leurs ancêtres, dont elles<br />

n'ont rien confier?é : <strong>de</strong> chercher <strong>de</strong>s trocea <strong>de</strong> »<br />

qui n'est plus; <strong>de</strong> wetf à quel point elles sont différentes<br />

<strong>de</strong> leurs pères* Mais les Romains, mais les<br />

Grecs, ont toujours été, à <strong>la</strong> corruption près, ce<br />

que leurs pères avaient été. Les lois <strong>de</strong>s Bmm Tables<br />

étaient en rigueur sous Auguste, comme au<br />

temp <strong>de</strong>s guerres <strong>de</strong>s Samnites ; <strong>la</strong> distribution <strong>de</strong>s<br />

tribus romaines'était k même; les magistratures<br />

étaient les mêmes. Le sénat pendant sept cents ans<br />

avait eu <strong>la</strong> mime forme, <strong>de</strong>puis les premiers consuls<br />

jusqu'aux premiers césars. La iiseaflroe militaire,<br />

<strong>la</strong> tactique, <strong>la</strong> légion, subsistèrent, sans au*<br />

mu changement considérable, <strong>de</strong>puis Pyrrhus jusqu'à<br />

Théodose. Le luxe augmentait sans doute avec<br />

les richesses, et k table <strong>de</strong> Lucullus n'était pas celle<br />

<strong>de</strong> Huma ni <strong>de</strong> Fabricius; mais k robe consu<strong>la</strong>ire <strong>de</strong><br />

Cieéron était <strong>la</strong> même que celle <strong>de</strong> Irotas; il avait<br />

les mêmes droits, les mêmes prérogative» : au lieu<br />

qu'aujourd'hui l'habillement dt ce qu'on appelle un<br />

grand seigneur dans ks monarchies <strong>de</strong> l'Europe ne<br />

ressemble pas pies à celui <strong>de</strong> ses aïeux que son existence<br />

civile et politique ne ressembk à celle ém<br />

ten<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Charlemagoa et <strong>de</strong>s barons <strong>de</strong> Philippe-<br />

Auguste, et qu'un régiment d'infanterie ne ressembk<br />

à une compagnie d'hommes d'armes <strong>de</strong> Charles Y.<br />

Il n'est donc pas étonnant qu'on ait beaucoup à<br />

nous apprendre sur nos ancêtres, et que les Romains<br />

et les Grecs ne voulussent savoir <strong>de</strong> leurs pères que<br />

leurs exploits. Tout le reste leur était suffisamment<br />

connu. Tout citoyen se promenant à Rome sur k<br />

p<strong>la</strong>ce publique, <strong>du</strong> temp <strong>de</strong>s césars, pouvait <strong>mont</strong>rer<br />

<strong>la</strong> tribune aux harangues où avait parlé k<br />

premier tribuu <strong>du</strong> peuple. S'il prétendait au même<br />

honneur, il lui (al<strong>la</strong>it faire ks.mêmes démarches, et<br />

obtenir les mêmes suffrages. Mak uahrave homme<br />

qui chercherait aujourd'hui quelqu'un qui l'armât<br />

chevalier, ou une belle dame qui lui ceignit Fépét


M)<br />

COC1S DE UTTÉ1AT01E.<br />

tt lui éimmàî les éperon», paraîtrait aussi fou que et Patercole. Je dte Justin le premier, à eaute <strong>de</strong><br />

don Quichotte.<br />

l'éten<strong>du</strong>e et <strong>de</strong> l'importance <strong>de</strong> son ouvrage. 11 vi­<br />

Je ne dirai qu'un mot <strong>de</strong>s historiens qui n'ont vait sous les Automne. Nous avons <strong>de</strong> lui l'abrégé<br />

pas été <strong>de</strong>s écrivains éloquents. Ions trouvons d'a­ d'une Hisiolre mmàmr$eik <strong>de</strong> Trogue-Pompée, qui<br />

bord , parmi les Grecs 9 Polyhe et Denys d'Halïear- est per<strong>du</strong>e, et qui, si nous l'avions, nous apprea*<br />

iiasse. L'en; précieux pour ceux qui étudient fart . drait comment les anciens concevaient le p<strong>la</strong>n d'une<br />

militaire et se p<strong>la</strong>isent à comparer ce qu'il est parmi histoire universelle. A n'en juger que par cet abrégé,<br />

nous à ce qu'il était chez les anciens , a le mérite ce n'est pas ce que nous voudrions aujourd'hui. Jus-<br />

particulier <strong>de</strong> nous avoir donné, dans ce qui nous tin-n'est pas un peintre <strong>de</strong>mceurs, maïs c'est un fort<br />

reste <strong>de</strong> lui, les meilleures instructions sur <strong>la</strong> tac­ bon narrateur. Son style .en général est sage, c<strong>la</strong>ir<br />

tique romaine et sur fart <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre en général 9 et naturel, sans affectation, sans enflure, et semé <strong>de</strong><br />

avec <strong>la</strong> supériorité <strong>de</strong> lumières qu'on peut atten­ morceaux fort éloquents. Il n'y faut pas chercher<br />

dre d'un élève <strong>de</strong> Philopéme®* et <strong>de</strong> fun <strong>de</strong>s meil­ beaucoup <strong>de</strong> métho<strong>de</strong> ni <strong>de</strong> chronologie : c'est un<br />

leurs officiers <strong>du</strong> second <strong>de</strong>s Seipion. L'autre nous tableau rapi<strong>de</strong> 4m plus grands événements arrivés<br />

a <strong>la</strong>issé son Recueil é'mmiiqmiêéê romaines, le livre chez les nations conquérantes, ou qui ont fait quel­<br />

où Ton trouve le plus <strong>de</strong> ces détails <strong>de</strong> mœurs et <strong>de</strong> que brait dans le mon<strong>de</strong>. Plusieurs traits <strong>de</strong> ce ta­<br />

coutumes dont nous sommes <strong>de</strong>venus avi<strong>de</strong>s, et qui, bleau sont d'une gran<strong>de</strong> beauté, et peuvent donner<br />

paraissant aux historiens <strong>la</strong>tins un objet d'érudition une idée <strong>de</strong> cette manière antique, <strong>de</strong> ce ton-<strong>de</strong><br />

plus que <strong>de</strong> talent,'tiennent beaucoup moins <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur si naturel aux historiens grecs et romains,<br />

p<strong>la</strong>ce chez eus que chez les écrivains gr§esy pour qui et <strong>de</strong> l'intérêt <strong>de</strong> style qui anime leurs pro<strong>du</strong>ctions.<br />

c'était un objet <strong>de</strong> recherche et <strong>de</strong> curiosité, pîn- Citons quelques exemples. II s'agissait <strong>de</strong> peindre<br />

dore<strong>de</strong> Sicile 9 Appien, Arrien, Dion Cas§iust sont le moment où AMbia<strong>de</strong> 9 longtemp exilé <strong>de</strong> sa pa- •<br />

au rang <strong>de</strong> ces écrivains médiocres qu'on ne <strong>la</strong>isse pas trie, y rentre enfin, après avoir «été tour à tour <strong>la</strong><br />

ée lire avec quelque p<strong>la</strong>isir, seulement pour <strong>la</strong> con­ terreur et l'appui, hmmqmmt et lé sauveur <strong>de</strong> ses<br />

naissance <strong>de</strong>s faits : car l'histoire, a fort bien dit concitoyens.<br />

Cicéron, <strong>de</strong> quelque manière qu'elle soit écrite, ûous<br />

« Les AêiàÊÊmmiê§mêmimÈ3Mêêm^mmtèt€mit<br />

amuse toujours : HUimr<strong>la</strong>, qmqm mo<strong>de</strong> êerlpÊm,<br />

année triomphante : Us regar<strong>de</strong>nt avec «damaiM» tous les<br />

êekeM. Diodo» <strong>de</strong> Sicile a écrit sur les aneïenr guerriers qui <strong>la</strong> composent, et surfait ASdbia<strong>de</strong>. Cfest sur<br />

empiras ; Appien, les guerres civiles <strong>de</strong> Rome; Ar- Mm^^^^M^mêlmyem$^êlmMlmi^iMêêÊ%lr<br />

rien, celles d'Aloandre. Le moindre <strong>de</strong> tous est tachent avi<strong>de</strong>ment : ils le contemp<strong>la</strong>it canine un envoyé<br />

Dion, auteur d'une histoire romaine, où <strong>la</strong>-nar­ <strong>de</strong> <strong>de</strong>l, cérame le dieu <strong>de</strong> là victoire, 0a se rappelle avec<br />

ration n'est pas sans agrément, mais où les haran­ éfop tout ce qu'il a <strong>la</strong>it pour sa patrie, et même ce qu'il a<br />

gues sont aussi prolixes que MMes, et les préventions<br />

<strong>de</strong> toute espèce extrêmement marquées. Son<br />

acharnement contre tous les hommes célèbres, et<br />

particulièrement centre Cieéron, a beaucoup ininné<br />

son autorité. I est naturellement détracteur, et<br />

pourtant peu lu et peu connu; ce qui suffit pour, ap­<br />

fait contre elle, ik m souviennent <strong>de</strong> l'avoir offensé 9 et Ils<br />

excusent ses mmmUmmU, Tel a doue été 9 disent- ils y Faseeudant<strong>de</strong><br />

€ethûnngi@; qu'A a pu lui seul renverser un grand<br />

empire et le relever, que <strong>la</strong> victoire a toujours passé dans<br />

le parti où H était, et qu'il semble qu'il j ail eu an accord<br />

invio<strong>la</strong>ble entre <strong>la</strong> fortune et lui. On lui prodigue tons les<br />

honneurs, même ceux qu'on se rond qu'à <strong>la</strong> Divinité. Ou<br />

précier et son caractère et son talent.<br />

•eut que <strong>la</strong> postérité ne puisse déci<strong>de</strong>r s'il y a eu dans ses<br />

Parmi <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s historiens <strong>du</strong> Bas-Empire, ou ' bamiiaMmêiit plus dlpomîiiie; que d'éc<strong>la</strong>t dans son retour.<br />

<strong>de</strong> ceux dont les éeritssont connus sous lenom d'Ms-<br />

Os porte au-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong> lui, pour orner sou triomphe, ces niâmes<br />

dieux dont on avait autrefois appelé ta vengeance sur<br />

tvrim Jugwtm, on a distingué Ammieo Marcellin<br />

sa tête dévouée. Athènes voudrait p<strong>la</strong>cer dans le ciel celui<br />

et Hercules : l'un estimable par son impartialité, à qui elle avait fermé tout asUe sur <strong>la</strong> terre. Les affronts<br />

et assez instructif'dans le récit <strong>de</strong>s faits pour faire sont réparés par les honneurs, les pertes compensées par<br />

pardonner <strong>la</strong> <strong>du</strong>reté rebutante <strong>de</strong> son style, à peine les <strong>la</strong>rgesses, les Éaprécatleas expiées par les vos». On<br />

<strong>la</strong>tin ; l'autre, remarquable pr une élégance qui déjà ne parle plus <strong>de</strong>s désastres <strong>de</strong> Sicile, qu'A a causés, mais<br />

<strong>de</strong>venait rare chez les Grecs, même avant <strong>la</strong> trans­ <strong>de</strong>s succès qui Font signalé dans <strong>la</strong> Grèce. On oublie les<br />

<strong>la</strong>tion dé l'empire à Constantinople.<br />

vaisseaux qu'il a fait perdre, pour ne se soutenir que <strong>de</strong><br />

SECTIOH m.—Historienà^là secon<strong>de</strong> c<strong>la</strong>sse.<br />

Tenons aux historiens <strong>de</strong> <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> c<strong>la</strong>sse, les<br />

abrévtateurs et les biographes. Les trois plus dis­<br />

ceux f al vient <strong>de</strong> prendre sur les ennemis. Ce n'est plus<br />

Syracuse que Fou dte, c'est TIonîê$ FHellespont. Tant il<br />

était impossible à ce peuple <strong>de</strong> se modérer jamais à l'égard<br />

d'Alclbia<strong>de</strong>^ou dans sa haine ou dans son amour i »<br />

tingués dans le premier genre sont, Justin, Flora», Je citerai encore le portrait <strong>de</strong> Philippe <strong>de</strong> Maeé-


io<strong>la</strong>e, etle parallèle <strong>de</strong>èe princt «vteton ils Alenndre.<br />

« PWUppe mettait beaucoup ptos JE rectaftlie et <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir<br />

dans les apprêts d'us combat que dans l'appareil d'un<br />

festin. Les trésors n'étalent pour lui qa'uae arme <strong>de</strong> pins<br />

pour faire b guerre. Il savait mieax acquérir les richesses<br />

que les garfler9 et fut toujours paavre en vivant <strong>de</strong> brigandages.<br />

H s© lui en contait pas plus pour pardonner que pour<br />

trompery et il n'y avait point pour lui <strong>de</strong> manière honteuse<br />

<strong>de</strong> vaincre. Sa conversation était douce et sé<strong>du</strong>isante : Il<br />

était prodigue <strong>de</strong> promesses qu'il ne tenait pas; et9 sait qu'il<br />

fit sérieux aa gai f fi avait toujours on <strong>de</strong>ssein. 11 eut <strong>de</strong>s<br />

Valsons d'intérêt 9 et aucun attachement. Sa maxime constante<br />

était <strong>de</strong> caresser ceni qu'il baissait , <strong>de</strong> brouiller ceux<br />

qui s'aimaient 9 et <strong>de</strong> iat<strong>la</strong>r séparément ceux qu'il avait<br />

bronUlés. D'ailleurs 9 éloquent , donnant à tout ce «pli disait<br />

aa tour remarquable , plein <strong>de</strong> inesse et d'esprit 9 et ne<br />

manquantf ni <strong>de</strong> promptitu<strong>de</strong> à imaginer» ni <strong>de</strong> grâce à<br />

s'énoncer. Il eut pour successeur son fils Alexandre, qui<br />

eut <strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong>s vertus et <strong>de</strong> plus grands vices que loi.<br />

Tons déni triomphèrent <strong>de</strong> leurs ennemis 9 mais diversement<br />

: Fan n'employait que Sa force ©y verte ; l'antre avait<br />

raeonrs à Fartiica : l'on se félicitait qnand il avait trompé<br />

ses ennemis; l'antre qnand il les avait vaincus. Philippe<br />

avait pins <strong>de</strong> palif aaf Alexandre pins <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>nr : le père<br />

savait ciissiaaaiaf sa colère» et qndqsefois même <strong>la</strong> siirmon*<br />

ter; le fils ne connaissait dans ses vengeances ni dé<strong>la</strong>is ni<br />

Bornes. Tons <strong>de</strong>ux aimaient trop le vin; mais l'ivresse avait<br />

en eux àm effets différents. Phffippe, an sortir d'un repas*,<br />

al<strong>la</strong>it chercher lepéril, et s'y exposait témérairement<br />

Alexandre tournait sa colère contre ses propres sujets t<br />

aussi l'un revint souvent <strong>du</strong> champ <strong>de</strong> bataille couvert <strong>de</strong><br />

Mesures; fsatae se leva <strong>de</strong> table souillé dn sang <strong>de</strong> ses<br />

amis. Cens <strong>de</strong> Philippe al<strong>la</strong>ient polit admis à partager<br />

mm pouvoir; ceux d'Alexandre sentaient le poids <strong>de</strong> sa do-<br />

Biaal<strong>la</strong>a : le père vou<strong>la</strong>it être aimé; le ils vou<strong>la</strong>it être<br />

craint. Tons <strong>de</strong>nx cultivaient les lettres 9 mais Philippe<br />

par politique» Alexandre par penchant Le premier affectait<br />

plus <strong>de</strong> modération avec ses ennemis; Fantre en avait<br />

rédlement davantage, et mettait dans sa clémence pins <strong>de</strong><br />

grâce et <strong>de</strong> bonne loi. C'est avec ces qualités diverses qne<br />

le père jeta les fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> l'empire <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, et que<br />

le lis eut <strong>la</strong> gloire d'achever ce grand ouvrage. »<br />

* Main avons d'aussi terni parallèles dans nos orateurs<br />

; mais, pour en trouver <strong>de</strong> semb<strong>la</strong>bles dans nos<br />

historiens, il faut ouvrir l'histoire <strong>de</strong> Charles XII9<br />

l'un <strong>de</strong>s morceaux <strong>de</strong> notre <strong>la</strong>ngue le plus éloquemment<br />

écrit, et lire les portraits <strong>du</strong> roi <strong>de</strong> Suè<strong>de</strong> et <strong>du</strong><br />

czar mis en opposition.<br />

fions, qui a composé l'Abrégé <strong>de</strong> l'histoire romaine<br />

jusqu'au règne d'Auguste, sous lequel il vivait,<br />

a le mérite d'avoir resserré en ue très-petit<br />

volume les annales <strong>de</strong> sept siècles 9 sans omettre<br />

un seul fait important. 11 y a dans son style quelques<br />

traces <strong>de</strong> déc<strong>la</strong>mation, mais en général <strong>de</strong> <strong>la</strong> rapidité<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> noblesse. La conjuration <strong>de</strong> Catilina<br />

est racontée en <strong>de</strong>ux pages 8 et rien d'essentiel n'y<br />

ANCIENS. — HISIOIBE. S3S<br />

est oublié. Pateraie, qui a» nomme lui,ie mérlt<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> brièveté v et qui, en traitant le même sujet , s'est<br />

renfermé dans <strong>de</strong>s bornes non moins étroites, a plu<br />

<strong>de</strong> génie que lui et que Justin ; mais il est plus souvent<br />

rhéteur, et toujours a<strong>du</strong><strong>la</strong>teur. H ne parle <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> maison <strong>de</strong>s Césars qu'avec le ton d'une admira-<br />

tion passionnée. Ce n'est pas un Eomain qui écrit,<br />

c'est l'esc<strong>la</strong>ve <strong>de</strong> Tibère : il lui prodigue les louanges<br />

les plus exagérées; il insulte à <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong><br />

Bratus. Cependant son ouvrage est un morceau pré*<br />

<strong>de</strong>ux pr le style, et par le talent <strong>de</strong> semer <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>xions<br />

rapi<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s pensées fortes c<strong>la</strong>ns le tissu<br />

<strong>de</strong> sa narration. Le prési<strong>de</strong>nt Méiaelt Fa nommé<br />

avec justice le modèle <strong>de</strong>s abréviateurs. H y a dans<br />

son Abrégé beaucoup plus d'idées et d'esprit qne dans<br />

celui <strong>de</strong> Florus ; et ses portraits surtout 9 tracés en<br />

cinq ou six lig nés, sont d'une force et d'une fierté <strong>de</strong><br />

pinceau qui le ren<strong>de</strong>nt en m genre supérieur à tout<br />

les anciens, peut-être mène à Sallusta, si admirable<br />

en cette partie.<br />

« Mtàrtiaia, dit-il, qull n'est pas permis <strong>de</strong> passer sons<br />

stieiiee, mais dont U est dira^<br />

tigabte dans <strong>la</strong> gnerre, terrible par sa aeillejea aatsal ajoe<br />

par M» eouraga, toujours grand par le génie 9 quelque»<br />

Mê par <strong>la</strong> fortune, soldat à <strong>la</strong> fois et capitaine, et pour<br />

les Romains an antre AnnibaL »<br />

El ailleurs :<br />

« Caton, l'image <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu, qui fnt en toit aies près<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Divinité qne <strong>de</strong> l'homme; qui jamais ne ît le bien<br />

pour paraître le faire, mais parce qu'il n'était pas en loi <strong>de</strong><br />

faire autrement ; qui ne croyait raisonnable que ce qui était<br />

jasle; qui n'eut aucun <strong>de</strong>s vices <strong>de</strong> l'humanité, et fut toujours<br />

supérieur à <strong>la</strong> fortune. »<br />

Quoique l'Abrégé <strong>de</strong> Patercule n'ait que <strong>de</strong>ux<br />

livres, une gran<strong>de</strong> partie <strong>du</strong> premier nous manque.<br />

Ce qui regar<strong>de</strong> les Romains commence à <strong>la</strong> guerre<br />

<strong>de</strong> fessée, et Fauteur avait commencé son ouvrage<br />

à <strong>la</strong> fondation <strong>de</strong> Rome, en re<strong>mont</strong>ant même aux<br />

temps antérieurs, et résumant en quelques pagei<br />

l'histoire <strong>de</strong> l'Asie et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce. A <strong>la</strong> naissance<br />

<strong>de</strong> Romulus s'offre une <strong>la</strong>cune qui n'a pas été remplie<br />

, et tout l'intervalle entre cette époque et <strong>la</strong><br />

conquête <strong>de</strong> <strong>la</strong> Macédoine par Paul-Emile est resté<br />

vi<strong>de</strong>. Une circonstance particulière distingue cet<br />

Abrégé. L'auteur y adresse souvent <strong>la</strong> parole à Vinicius,<br />

son parent, et parait avoir écrit pour lui.<br />

Cette forme, pu usitée dans FMstoire, a été suivie<br />

par Voltaire daos son Emm mr k$ mœurs et Vu»<br />

prit <strong>de</strong>s mtwm, adressé à une femme célèbre que<br />

son esprit et ses connaissances rendaient très-digne<br />

<strong>de</strong> cet hommage.<br />

Parmi les biographes <strong>la</strong>tins on distingue Cornélius<br />

Népos et Suétone. Le premier écrit avec autant<br />

, d'élégance que <strong>de</strong> précision. Les fies dm hommes


184<br />

m»ares qu'il nous t <strong>la</strong>issées sent , I proprement •<br />

parler, <strong>de</strong>s sommaires <strong>de</strong> leurs actions principales,<br />

semés <strong>de</strong> réflexions judicieuses. Mais 9 en rapportant<br />

les événements 9 il a négligé les détails qui<br />

peignent les hommes , et ces traits caractéristiques<br />

dont <strong>la</strong> réunion forme leur physionomie : Rome<br />

n'a point eu <strong>de</strong> Plutarque.<br />

Suétone s'est jeté dans l'excès contraire; il est<br />

exact jusqu'au scrupule, et rigoureusement méthodique<br />

: il n $ omet rien <strong>de</strong> ce qui concerne l'homme<br />

«font il écrit <strong>la</strong> fie ; il rapporté tout, mais il ne peint<br />

rien. C'est proprement un anecdotier, si Ton peut<br />

f® sertir <strong>de</strong> ce terme, mais fort curieux à lire et à<br />

«insulter. On rit <strong>de</strong> cette attention dont il se- pique<br />

dans les plus petites choses; mais souvent on<br />

ji'est pas fâché <strong>de</strong> les trouver. D'ailleurs, il cite <strong>de</strong>s<br />

oui-dire, et ne les garantit pas. S'il abon<strong>de</strong> en détails<br />

t il est fort sobre <strong>de</strong> réflexions. Il raconte sans<br />

s'arrêter, sans s'émouvoir : sa fonction unique est<br />

celle <strong>de</strong> narrateur. Il résulte <strong>de</strong> cette indifférence<br />

an préjugé bien fondé en faveur <strong>de</strong> son impartialité.<br />

11 n'aime ni ne hait personnellement aucun <strong>de</strong>s hommes<br />

dont il prie; il <strong>la</strong>isse au lecteur à les juger.<br />

Suétone était secrétaire <strong>de</strong> l'empereur Adrien.<br />

Mais le plus justement estimé, le plus relu et le<br />

meilleur à relire parmi les biographes <strong>de</strong> tous les<br />

pays, c'est sans contredit Plutarque. D'abord le<br />

p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> ses Fk$ pamMêks, établi sur le rapprochement<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ' personnages célèbres chez <strong>de</strong>ux<br />

nations qui ont donné le plus <strong>de</strong> modèles au mon<strong>de</strong>,<br />

Rome et <strong>la</strong> Grèce,_ est en morale et en histoire une<br />

idée <strong>de</strong> génie. Aussi l'histoire n'est-elle nulle part<br />

aussi essentiellement morale que dans Plutarqne.<br />

Si l'on peut désirer quelque chose dans sa narration,<br />

qui n'est pas toujours aussi c<strong>la</strong>ire, aussi méthodique<br />

qu'elle pourrait Titre, il faut se souvenir d'abord<br />

qu'elle suppose toujours <strong>la</strong> connaissance antérieure<br />

<strong>de</strong> l'histoire générale. Cest <strong>de</strong> l'homme<br />

qu'il s'occupe, plus que <strong>de</strong>s choses ; son sujet est<br />

particulièrement l'homme dont il.écrit <strong>la</strong> vie; et,<br />

sous ce point <strong>de</strong> vue, il le remplît toujours aussi<br />

bien qu'il est possible, non pas en accumu<strong>la</strong>nt 'les<br />

détails, comme Suétone, mais en choisissant <strong>de</strong>s<br />

traits. Quant aux ParoMéks qui en sont le résultat,<br />

ce sont <strong>de</strong>s morceaux achevés; c'est là surtout<br />

qu'il est supérieur, et comme écrivain, et comme<br />

philosophe. Jamais personne ne s'est <strong>mont</strong>ré plus<br />

digne <strong>de</strong> tenir <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce où <strong>la</strong> justice <strong>de</strong>s siècles<br />

pèse les hommes et leur assigne leur véritable valeur.<br />

Personne ne s'est moins <strong>la</strong>issé sé<strong>du</strong>ire ou éblouir<br />

par ce qu'il y a <strong>de</strong> plus éc<strong>la</strong>tant, et n'a mieux saisi<br />

et même fait valoir le soli<strong>de</strong>. Il examine et apprécie<br />

tout; il confronte le héros avec lui-même, les ae-<br />

COURS DE LOTÉRATUIE.<br />

iloss avec Ici m#tis f te succès mm les moyeu, les<br />

fautes avec les excuses; et <strong>la</strong> justice, <strong>la</strong> vertu, IV<br />

nxrar <strong>du</strong> bien, sont toujours m qui détermine son<br />

jugement, qu'il prononce toujours avec autant d@<br />

réserve que <strong>de</strong> gravité. Ses réflexions sont d'ailleurs<br />

un trésor <strong>de</strong> sagesse et <strong>de</strong> vraie politique : c'est <strong>la</strong><br />

meilleure école pour ceux qui veulent diriger leur<br />

vie publique, et même privée, sur les règles <strong>de</strong> l'honnêteté.<br />

Ce n'est pas qu'on ne lui ait fait quelques reproches<br />

plus ou moins fondés. Je ne sais si nous sommes<br />

assez savants en grec pour censurer mm style<br />

aussi <strong>du</strong>rement que Fâ fait Dacier, qui apparemment<br />

a craint pour cette fois <strong>de</strong> donner dans l'excès<br />

<strong>de</strong> comp<strong>la</strong>isance attribué aux tra<strong>du</strong>cteurs, et<br />

qui peut-être est tombé dans l'excès contraire. Il le<br />

trouve dépourvu <strong>de</strong> toutes ks grâces <strong>de</strong> sa tangue,<br />

<strong>de</strong> nombre, d'harmonie, d'mrangemenê, <strong>de</strong> rêgk<br />

dans ses pério<strong>de</strong>s. C'est beaucoup. Je ne suis pas<br />

assez helléniste pour être si sévère, mais je doute<br />

'que Dacier ait été assez mesuré dans sa critique.<br />

Je suis sûr au moins qu'il en est <strong>de</strong> Plutarqne, four<br />

sa diction, comme <strong>de</strong>s auteurs grecs, qui tous ont<br />

<strong>de</strong>s tournures .et <strong>de</strong>s constructions qu'ils affectionnent,<br />

et qui sont comme <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong> leur<br />

style ; <strong>de</strong> façon qu f en passant d'un auteur à l'autre,<br />

il faut, dans les vingt premières pages 9 faire une<br />

sorte d'apprentissage <strong>de</strong>s tours <strong>de</strong> phrases qii sont<br />

familiers à chacun. 11 se peut aussi que le béotien<br />

Plutarque n'ait pas <strong>la</strong> pureté attique; mais il m 9 a<br />

paru que son style, autant que je puis en juger, se<br />

manque m <strong>de</strong> dignité, ni <strong>de</strong> force, ni même <strong>de</strong><br />

c<strong>la</strong>rté. Il y a <strong>de</strong>s endroits obscurs; et où n'y en at-il<br />

pas? L'altération inévitable dans les anciens<br />

manuscrits suffît pour faire comprendre que ces<br />

obscurités ne sont pas <strong>de</strong> Fauteur lui-même, quand<br />

sa pensée est ordinairement c<strong>la</strong>ire, ainsi que son<br />

expression.<br />

On a pu lui reprocher avec plus <strong>de</strong> justice <strong>de</strong>s<br />

endroits trop poétiques et trop Igurés, qui ne sont<br />

pas <strong>du</strong> ton <strong>de</strong> Fhistoire, et l'espèce <strong>de</strong> bigarrure que<br />

forment quelquefois les fragments <strong>de</strong>s poètes et<br />

<strong>de</strong>s philosophes qu'il insère dans son -teste sans en<br />

avertir. Lui-même se <strong>la</strong>isse aller aussi <strong>de</strong> temps es<br />

temps à <strong>de</strong>s excursions philosophiques trop éten<strong>du</strong>es<br />

et trop abstraites, suite naturelle <strong>de</strong>.son goût<br />

dominant pour les recherches et les réflexions en<br />

tout genre. Il porte cet esprit dans l'érudition historique,<br />

et l'on se passerait bien <strong>du</strong> travail qu'il prodigue<br />

un peu en dissertations mythologiques, géo*<br />

graphiques, généalogiques, critiques, qui seraient<br />

mieux dans Pausanias que cties lui. On voit qu'en<br />

total m n'est pas un écrivain d'un goût pur. Mais


ANCIINS. —<br />

garni vouloir dire, avec Bae<strong>la</strong>rf que <strong>la</strong> plume <strong>de</strong><br />

Plntarque mt impure trempée âam k bon semf<br />

je mettrai volontiers cette plume au premier rang<br />

parmi ©elles <strong>de</strong>s biographes, parce qu'elle est toujours<br />

celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison, et que dans ses PamMèki<br />

dès grands hommesf elle est non-seulement sage,<br />

mais éloquente.<br />

A fégard <strong>de</strong> son autorité dans le détail <strong>de</strong>s faits 9 -<br />

elle est plus sire dans <strong>la</strong> fie <strong>de</strong>s Grecs que dans celle<br />

<strong>de</strong>s Eomaîns, non pas qu'il feuille jamais tromper;<br />

mais lui-même nous a indiqué d'avance <strong>la</strong> cause <strong>de</strong><br />

quelques erreurs dont il a été notoirement convaincu.<br />

Il atoue Y avec can<strong>de</strong>ur, qu'il n y a qu'une trèsméâlmm<br />

connaissance <strong>du</strong> <strong>la</strong>tin. Aussi lui arrive-ti<br />

<strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ira mal les auteurs qu'il cite, d'après le<br />

Jette <strong>de</strong> cette <strong>la</strong>ngue; et <strong>de</strong> là Tiennent les méprises<br />

évi<strong>de</strong>ntes -qu'on a relevées dans ses écrits, et<br />

qui par ce<strong>la</strong> même n'étaient pas d'une dangereuse<br />

conséquence.<br />

Maintenant, je croirais s'avoir ps achevé l'apologie<br />

<strong>de</strong> ces harangues dont on a fait un sujet <strong>de</strong><br />

reproche, si je ne faisais voir qu'elles ne doivent titre<br />

qu'un sujet <strong>de</strong> gloire, en <strong>mont</strong>rant, par quelques<br />

exemples 9 combien elles sont parfaitement adaptées<br />

aui caractères et ara circonstances 9 et avec quelle<br />

habileté les-historiens ont su se mettre à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce<br />

<strong>de</strong>s personnages qu'ils faisaient prier. L'éten<strong>du</strong>e<br />

qu'il convenait <strong>de</strong> donner à ces citations aurait interrompu<br />

l'examen critique qui nous occupait :<br />

c'est par là que je le terminerai. Je vous rapporterai<br />

une harangue <strong>de</strong> Tite-Live, une <strong>de</strong> Salluste, une<br />

<strong>de</strong> Tacite, une <strong>de</strong> Quinte-Curce : c'est un moyen<br />

île plus <strong>de</strong> comparer <strong>la</strong> manière et le génie <strong>de</strong> chacun<br />

d'eux.<br />

Je choisis dans Tite Lite le dis<strong>cours</strong> que Quin*<br />

fit» Gapitolinus, un <strong>de</strong>s plus grands hommes <strong>de</strong><br />

son temps, et, ce qui alors signi<strong>la</strong>it <strong>la</strong> même chose,<br />

un <strong>de</strong>s meilleurs citoyens, adressa au peuple romain<br />

dans un <strong>de</strong> ces moments où <strong>la</strong> discor<strong>de</strong> et<br />

Fanimosité réciproque <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux ordres <strong>de</strong> l'État faisaient<br />

oublier les intérêts et les dangers commung,<br />

pour ne s'occuper que <strong>de</strong>s dissensions domestiques.<br />

Les peuples ennemis <strong>de</strong> Eome avaient profité <strong>de</strong><br />

. l'occasion favorable pour s'avancer jusqu'aux portes<br />

, sans que personne se mit en <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> les repousse?.<br />

Le consul Quintius <strong>mont</strong>e à <strong>la</strong> tribune 9 et<br />

parle ainsi :<br />

« Quoique je se me sente coupable d'aucune faste, Bornâtes,<br />

je me sens pénétré <strong>de</strong> honte en paraissant <strong>de</strong>vant<br />

vous. Quoi! vous savez, et <strong>la</strong> postérité l'apprendra, que<br />

les Èques et tes Volsques, qui tout à f heure pouvaient à<br />

peine résister aux Berniques, sont vernis en innés jusqu'aux<br />

portes <strong>de</strong> Hume» sous le quatrième consu<strong>la</strong>t <strong>de</strong><br />

Quintius, et y sont venus impunément! Quoique dès long-<br />

HISTOIRE. SSB<br />

temps les choses en estent en point <strong>de</strong> ne présager rie» iped@<br />

triste, cependant, si j'avais cm que cette année àM<br />

être l'époque i^ae semb<strong>la</strong>ble ignominie, je m'y serais<br />

dérobé par feii, ou par <strong>la</strong> mort même, si c'est été le seul<br />

moyen <strong>de</strong> sauver mon honneur. Donc, si vos ennemis<br />

avaient été vraiment <strong>de</strong>s hommes, si <strong>de</strong>s guerriers dignes<br />

<strong>de</strong> ce nom avaient eu entre les satins ces armai qui ont<br />

menacé nos remparts , lome ponvalt être prise lorsque<br />

QninUus était consul. Ah ! f avais assez d'ans et d'honneurs :<br />

je <strong>de</strong>vais mourir dans mon <strong>de</strong>rnier consu<strong>la</strong>t. Qui donc ces<br />

lâches ennemis ont-ils méprisé ? Est-ce nous, causais ? Est^a<br />

vous, Humains ? Si <strong>la</strong> faute est à nous, ôtez-nous une dignité<br />

fie nous ne méritons pas; et si een'estpas assez, ajoutez-y<br />

<strong>de</strong>s punitions. Si <strong>la</strong> faute est à TOUS seuls, que les iieaa<br />

et les hommes ne TOUS en punissent jamais : U suffit <strong>de</strong><br />

voas en repentir. Non, sas ennemis l'ont pas compté sur<br />

leur courage, encore moins sur votre timidité. Tant <strong>de</strong> fais<br />

vaincus et mis en fuite, forcés dans leur camp, dépouillés<br />

<strong>de</strong> leurs bleus ; passés sous le joug , ils TOUS connaissent<br />

assez ; ils se connaissent eux-mêmes. La division <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

ordres ; les querelles do sénat et <strong>du</strong> peuple, iroilà <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die<br />

<strong>de</strong> FÉtat ; voilà le poison qui nous dévore et nous consume.<br />

Tandis que nous ne pouvons nous accor<strong>de</strong>r ensemble 9 m<br />

sur les bornes <strong>de</strong> l'autorité, ni sur celles <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté, que<br />

tons ne paires souffrir le magistrature patricienne, ni le<br />

sénat les magistrats <strong>du</strong> peuple , le courage est revenu à nos<br />

ennemis. Mais, par les dieui immortels! que vous faut-il<br />

encore ? Vous avez voulu <strong>de</strong>s tribuns : pour avoir <strong>la</strong> pais t<br />

nous y avons consenti. Yaas ares désiré qu'on élit <strong>de</strong>s décemvirs<br />

: ils ont été créés. Les décemvirs vous ont déplu :<br />

nous les avons forcés d'abdiquer. Devenus particuliers, votre<br />

ressentiment Ses a poursuivis : nous avons <strong>la</strong>issé condamner<br />

à Feiil et à <strong>la</strong> mort Ses plus nobles et les plus distingués <strong>de</strong>s<br />

citoyens. Vous a?es re<strong>de</strong>mandé vos tribuns : ils vous ont<br />

été ren<strong>du</strong>s. Tous avez préten<strong>du</strong> an consu<strong>la</strong>t; et quoique<br />

cette prétention nous parât contraire à nos droits, nous<br />

avons <strong>la</strong>issé passer au peuple les distinctions patriciennes.<br />

Le droit <strong>de</strong> protection accordé à vos tribuns ; rappel an<br />

peuple | <strong>la</strong> Soi qui soumet le sénat aux plébiscites; tous<br />

nos privilèges détruits sous le prétexte <strong>de</strong> rétablir l'égalité :<br />

nous avons supporté, nous supportons tout. Quel sera le<br />

terme <strong>de</strong> ces longs débats ? Quand pourrons-nous avoir<br />

une commune patrie, et ne faire qu'un seul et même peuple<br />

? Valicis, nus sommes pins patients et plus paisibles<br />

que vous qui êtes fes vainqueurs. N'est-ce pas asses pour<br />

vous <strong>de</strong> nous avoir ré<strong>du</strong>its à vous craindre? C'est contre<br />

nous qu'on s'empare <strong>du</strong> Mont- Aventin ; contre nous que<br />

l'on se saisit <strong>du</strong> Mont-Sacré ! Mais quand le Yo<strong>la</strong>que était<br />

prêt à forcer <strong>la</strong> porte Esquiline, prêt à <strong>mont</strong>er sur nos remparts,<br />

personne ne fa repoussé. Tous n'avez <strong>de</strong>s armes,<br />

vous n'avez <strong>de</strong>s forces que contre lions. Eh bien donc !<br />

quand vous aurez assiégé le sénat, quand vous sures rempli<br />

le plues publique <strong>de</strong> vos fureurs séditieuses, rempli<br />

les prisons <strong>de</strong> sénateurs, allez donc avec ce même emportement<br />

et cette même fierté, aies jusqu'à <strong>la</strong> porte Esquiline,<br />

sortez <strong>de</strong> vos murs, on si vous ne l'osez pas, regar<strong>de</strong>z <strong>du</strong><br />

haut <strong>de</strong>s remparts, regar<strong>de</strong>s vos campagnes ravagées par le<br />

fer et par le feu, vos dépouilles enlevées par f causal ; sises<br />

Aimer vos toits embrasés ; et dans ce désordre commun »


quand lome est menacée, quand renmami triomphé f en<br />

quel état croyea-vons que soient vos fortunes particulières ?<br />

Encore us moment $ et chacun <strong>de</strong> fois apprendra les pertes<br />

qu'il a faites. Etqs'avei-vous Ici qui vous m dédommage ?<br />

Yos tribuns peetêtre vous rendront ce cjiie fois aurez<br />

per<strong>du</strong>. Oui, sans donte, es dédamatioiis, en invectives,<br />

ea a€€mmilint lois sur lois, harangneâ sur baraiignês. En<br />

ce genre , TOUS poaves tout attendre d'eux ; mais quelqu'un<br />

<strong>de</strong> TOUS en est-Il revenu pies riche ehex <strong>la</strong>i? En a-t-il rapporté<br />

à sa femme et à ses enfants antre chose que <strong>de</strong>s haïnés,<br />

<strong>de</strong>s ammosiiés, <strong>de</strong>s querellés paMiepes et particailèras,<br />

dont les suites vous auraient déjà été funestes, si <strong>la</strong><br />

sagesse d'antrei ne Tons défendait <strong>de</strong> vas propres fastes?<br />

Ah! quand ?aas servie» sans vos caasalsf et non pas sons<br />

ics cris faisaient frémir famées! dans les batailles, et non<br />

pas le sénat ramais dans YOS assemblées; alors, chargés<br />

<strong>de</strong> butinf possesseurs <strong>de</strong>s terres <strong>de</strong> l'ennemi, riches <strong>de</strong> ses<br />

i%oaiIes? couverts <strong>de</strong> <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> l'État et <strong>de</strong> <strong>la</strong> votre,<br />

? eae retourniez triomphants .dans vos foyers. Mais aujourd'hui<br />

c'est vous, TOUS Romains, ejal <strong>la</strong>isscï l'ennemi enpar<br />

ter YOS déponUks. Demeures donc, puisque TOUS le<br />

Taules; restes ici pour écouter YOS harangueursy passez<br />

fotre fie dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce publique. Vous croyes vous dérober<br />

à <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong>s combats ; elle vous poursuit. Tons n'a?es<br />

pas ? ca<strong>la</strong> TOUS mettre en campagne contre les Èapes et<br />

les Volsques; Us sont as pied <strong>de</strong>s mars. Si vous ne les es<br />

chasses pas, tout à l'heure ils seront dans cette enceinte,<br />

Us <strong>mont</strong>eront an Capitale s ils vous suivront jusque dans<br />

vos maisons. Deux ans se sont écoulés <strong>de</strong>puis qne le sénat<br />

a ordonné <strong>de</strong> lever <strong>de</strong>s troupes, et <strong>de</strong> con<strong>du</strong>ire une armée<br />

au McMii-Àlglie; et cependant nous restons oisifs, occupés<br />

à bons quereller comme <strong>de</strong>s femmes 9 et jouissant <strong>de</strong> noire<br />

loisir, sans songer que ce loisir «Fus moment va multiplier<br />

les guerres et les dangers. Je sais qu'on peut TOUS tenir <strong>de</strong>s<br />

dis<strong>cours</strong> plus agréables ; mais quand mon caractère ne me<br />

porterait pas à foas dire <strong>de</strong>s choses utiles et fraies 9 plutôt<br />

que <strong>de</strong>s choses f<strong>la</strong>tteuses , <strong>la</strong> nécessité m'en ferait une lot<br />

Je voudrais YOUS p<strong>la</strong>ire, Romains, mais J'aime encore<br />

mieux YOUS sae?er; et à ce prii je n'examine pas même<br />

si YOUS m'en saurez gré. Il est dans <strong>la</strong> nature que celui qui<br />

se songe qu'à son propre intérêt en par<strong>la</strong>nt à <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong><br />

traaf e le moyen <strong>de</strong> paraître plus popu<strong>la</strong>ire que celui qui<br />

ne Yoit rien que l'Intérêt <strong>de</strong> l'État. Yous YOUS imagines<br />

peut-être que tous ces f<strong>la</strong>tteurs <strong>du</strong> peuple, ces harangueurs<br />

étemels ; qui ne YOUS permettent ni <strong>de</strong> combattre au <strong>de</strong>hors<br />

si d'être tranquilles au <strong>de</strong>dans, sont fort occupés <strong>de</strong> YOS<br />

intérêts. Quelle erreur! Leur éléfatiea et leur profit, Yoilà<br />

ce f ails cherchent en vous soulevant contre nous. Nuls<br />

quand nous sommes tous d'accord , ils se sont puissants<br />

que dans le trouble et le désordre'; et ils aiment encore<br />

mieux faire Se mal que <strong>de</strong> ne poufoir rien. Mais si fous<br />

pouvet enfin YOUS <strong>la</strong>sser <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> discor<strong>de</strong>s, YOUS dégoûter<br />

<strong>de</strong> ces cassées nouvelles, et re<strong>de</strong>venir semb<strong>la</strong>bles à YOS<br />

ancêtres et à vous-mêmes, je m'engage (et si je manque à<br />

cet engagement je dévoue ma tête à tous les supplices ) , je<br />

m'engage à vous venger dans peu <strong>de</strong> jours <strong>de</strong> ces déprédateurs<br />

<strong>de</strong> vos campagnes , à les mettre en fuite , à m'emparer<br />

<strong>de</strong> leur campy et à reporter jusque dans leurs villes cette<br />

COD1S DE MTTÉlATOflE.<br />

terreur <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre qui est fesse» jusqu'à net pertes, et<br />

ce bruit <strong>de</strong>s armes qui retentit autour <strong>de</strong>i<br />

OA remarque dans ce dis<strong>cours</strong> Fart vraiment oratoire<br />

<strong>de</strong> rassembler tous les motifs <strong>de</strong> persuasion »<br />

<strong>de</strong> s'insinuer dans les esprits f d'échauffer les âmes :<br />

le ton en'est noble et pathétique; le stylef plein <strong>de</strong><br />

mouvement; <strong>la</strong> diction, élégante et nombreuse. En<br />

voici un d'osé tournure toile différente. Salluste<br />

avait à Dure prier Marius9 qui faisait gloire ie n'être<br />

que soldat, et <strong>de</strong> n'avoir aucune teinture <strong>de</strong>s<br />

lettres 11 fal<strong>la</strong>it une éloquence inculte, agreste et<br />

militaire. Marius y homme sans naissance, élevé par<br />

son seul mérite, ennemi <strong>de</strong>s nobles v et nommé malgré<br />

eux pour comman<strong>de</strong>r en Afrique et faire <strong>la</strong><br />

guerre à Jugurtha, remer<strong>de</strong> en ces termes le peu-,<br />

pie romain. ,<br />

« Je s'ignore pas, lomaJns, que <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong> ceux §ai<br />

tsrieasemt les a«aseefs se <strong>mont</strong>rent» quand ils les ont obtenus<br />

, bien différents <strong>de</strong> ce qu'ils étaient lorsqu'ils les ost<br />

<strong>de</strong>mandés : d , âbord actifs* mo<strong>de</strong>stes, suppliants; ensuite<br />

indolents et orgoelleax* Ce se sont pas là mes principes :<br />

<strong>la</strong> république est plus que le consu<strong>la</strong>t, et il convient <strong>de</strong><br />

mettre plus <strong>de</strong> sois à servir f aae qu'à obtenir l'autre. Je<br />

n'ignore pas non plus que, si j'ai reçu <strong>de</strong> vous us grand<br />

bienfait » vous m'avet chargé d'un grand <strong>la</strong>r<strong>de</strong>a®. Pourvoir<br />

aux dépenses <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre, en ménageant le trésor public,<br />

ia^wîeedtaye^<br />

à tout au <strong>de</strong>dans et an <strong>de</strong>hors, et tout ce<strong>la</strong> as mMm <strong>de</strong>s<br />

Cibsta<strong>de</strong>s <strong>de</strong> f ea? le et <strong>de</strong>s frétions, est plus difficile qu'on<br />

ne se fiaiegiae. D'autres, s'ils commettent <strong>de</strong>s fautes, ont<br />

pour eux leur ancienne noblesse, <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> léser s ancêtres,<br />

le crédit <strong>de</strong> leurs parents et <strong>de</strong> leurs alliés 9 l'appui <strong>de</strong> nom*<br />

tirées clients. Je n'ai pour moi que moi seul : tontes mes<br />

ressources sont dans moi-même $ dans mon courage, dans<br />

ma con<strong>du</strong>ite irréprochahSe; tout le reste me manquerait.<br />

Je vois que tout le mon<strong>de</strong> a les yeux sur moi 9 que les bons<br />

citoyens me sont favorables, perce que mes «faons sont<br />

utiles à <strong>la</strong> république 9 mais que les nobles s'atten<strong>de</strong>nt qse<br />

l'occasion <strong>de</strong> m'attaqser. Je dois donc redoubler d'efforts<br />

pour qu'ils se puissent pas vous es imposer, et pour se pas<br />

donner prise sur moi. Je me suis comporté, <strong>de</strong>puis mon<br />

enfance jusqu'à ce jour, <strong>de</strong> manière à être accoutumé à tous<br />

les travaux , à tous les dangers : si je me suis con<strong>du</strong>it ainsi<br />

<strong>de</strong> moi-même avant <strong>de</strong> vous être re<strong>de</strong>vable, je n'ai pas<br />

envie <strong>de</strong> changer ma con<strong>du</strong>ite après qse vous m'en avet<br />

payé le prix. Que ceux à qui l'ambition apferit à se centre,<br />

faire aient <strong>de</strong> <strong>la</strong> peine à régler l'usage <strong>de</strong> leur pouvoir, ce<strong>la</strong><br />

doit être : pour moi 9 qui ai passé ma vie à remplir mes<br />

<strong>de</strong>voirs, l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> bien faire m'est <strong>de</strong>venue naturelle.<br />

Vous m'avez chargé <strong>de</strong> faire <strong>la</strong> guerre à Jtsguttha, et <strong>la</strong><br />

noblesse en murmure. C'est à vous <strong>de</strong> voir si un autre choix<br />

serait préférable ; s'il vaut mieux envoyer à cette expédition<br />

quelqu'un choisi dans cette foule <strong>de</strong> nobles, quelque homme<br />

<strong>de</strong> vieille race9 qui compte beaucoup d'ancêtres et point<br />

d'années <strong>de</strong> service, à qui <strong>la</strong> tête tourne dans un comman<strong>de</strong>ment<br />

si cossidérabie, et qui soit ré<strong>du</strong>it à chercher dans<br />

ce même peuple un subalterne qui lui apprenne son métier ;


tar c'est ce qui arrive te plus souvent, tous le savez, et<br />

celui que vous mm choisi poor générai s'en choisit un astre<br />

pour lui-même. J'en connais, Romains, qui , parvenus au<br />

consu<strong>la</strong>t, ont commencé à se faire lire les actions <strong>de</strong> leurs<br />

ancêtres et les livres <strong>de</strong>s Grecs sur Fart militaire, fort mal à<br />

propos , ce nie semble ; car si , dans l'ordre <strong>de</strong>s choses , on<br />

est élu avant <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r, dans Tordre <strong>de</strong> k raison , il<br />

fiut apprendre à comman<strong>de</strong>r avant d'ôtre élu. Compares à<br />

ces anciens nobles si ailiers tin homme nouveau tel que<br />

mol Ce qu'ils lisent ou ce qu'ils enten<strong>de</strong>nt dire, je l'ai vu<br />

ou je l'ai fait. Ce que f élu<strong>de</strong> leur apprend 9 je le sais par<br />

même que <strong>de</strong> flétrir celle dont on a hérité. Je sais que, s'ils<br />

veulent me répondre, ils ne manqueront pas <strong>de</strong> paroles<br />

éloquentes et bien .arrangées ; mais, comblé <strong>de</strong>.vos bienfaits,<br />

et tous les jours, ainsi que vous, outragé par leur haine»<br />

je n f ai pas cru <strong>de</strong>voir me taire, <strong>de</strong> peur qu'on ne prit te<br />

silence <strong>de</strong> k mo<strong>de</strong>stie pour un aveu <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience; car<br />

d'ailleurs je ne crois pas pouvoir être blessé par leurs dis<strong>cours</strong>.<br />

S'ils sont vrais, ils doivent me rendre justice; s'ils<br />

Sôtttfatii, nia con<strong>du</strong>ite les réfute. Mais, puisqu'ils accusent<br />

votre choix, qui m*a chargé d'une commission également<br />

importante et honorable, voyez encore une fois si vous <strong>de</strong>vez<br />

vous en repentir. Je ne saurais vous donner pour mes<br />

garants les triomphes et les consukts <strong>de</strong> mes pères ; mais9<br />

s'il le faut, je puis <strong>mont</strong>rer les décorations militaires que<br />

fa! reçues, tes enseignés que j'ai prises à l'emiimi , les ci*<br />

îA usai*!. — TOUS i<br />

ANCIENS. — HISTOIRE. S37<br />

catrices dont je suis couvert. Romains, voilà mes titres <strong>de</strong><br />

noblesse : ils ne me sont pas venus par succession ; ils sont<br />

le prix <strong>de</strong>s fatigues, <strong>de</strong>s services et <strong>de</strong>s dangers.<br />

« Je ne parle pas bien ; je ne suis pas éloquent 9 je le sais :<br />

c'est MI art dont je fais peu <strong>de</strong> cas. Je le <strong>la</strong>isse a ceux qui<br />

en ont besoin pour couvrir par <strong>de</strong> belles paroles <strong>de</strong>s actions<br />

qui ne le sont pas ; mais-k vertu, quand elle se <strong>mont</strong>re,<br />

n*a besoin que d'elle-même. Je n'ai pas étudié les lettres<br />

grecques : j'ai cru cette étu<strong>de</strong> bien inutile, puisqu'elle n'a<br />

pas servi à rendre meilleurs ceux qui nous les ont ensei­<br />

Fexpérience. Lequel vaut mieux <strong>de</strong>s paroles ou <strong>de</strong>s actions ?<br />

Je vous es fais juges, Romains. Ils méprisent ma naissance,<br />

et moi leur lâcheté. Ils me reprochent <strong>la</strong> faute <strong>de</strong> k fortune :<br />

je leur reproche leurs vices , ou plutôt je pense que tous<br />

les hommes sont égaux par k nature, mais que celui-là<br />

est te plus noble qui est le meilleur et le plus brave. Deman<strong>de</strong>z<br />

aux parents d'un Alhinus» d'un Restia, s'ils aiment<br />

fiiieiii être les pères <strong>de</strong> pareils ils que d'un Marins : Us vous<br />

répondront qu'Os voudraient avoir pour ils celui qui a le<br />

plus <strong>de</strong> mérite. Si les nobles ont raison <strong>de</strong> me mépriser, qu'ils<br />

méprisent donc leurs ancêtres f qui ont tmmmmé , m&wm<br />

moi, par s'avoir «l'autre noblesse que k vertu. Ils m'en*<br />

vient mes honneurs; qu'ils m'envient donc aussi mes fatigues,<br />

met périls, ma probité; car c'est l'un qui m'a valu<br />

Patttre. Mais ces hommes, corrompus par l'orgueil, vivent<br />

cornue s'ils méprisaient les honneurs, et les <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt<br />

mmmm s'ils, les avaient mérités. Certes ils s'abusent beau-<br />

CMJOB <strong>de</strong> prétendre à k fois à <strong>de</strong>ux choses si opposées, anx<br />

p<strong>la</strong>isirs <strong>de</strong> f oisif été et aui récompenses <strong>du</strong> courage. Ces<br />

mêmes hommes y quand ils parlent dans, le sénat ou <strong>de</strong>vant<br />

vous, élèvent jusqu'au! <strong>de</strong>ux le mérite <strong>de</strong> leurs ancêtres ,<br />

et creies! par là s'agrandir dans l'opinion : c'est tout le<br />

contraire; leur lâcheté parait d'autant plus coupable, que<br />

les actions <strong>de</strong> leurs aïeux ont été plus éc<strong>la</strong>tantes. La gloire<br />

<strong>de</strong>s pères éc<strong>la</strong>ire k honte <strong>de</strong>s enfants. Je ne veux pas,<br />

mmwm enx, citer ce qu'ont fait les autres; mais, ce qui<br />

vaut beaucoup mieux, je puis dire ce que f al fait. Et cependant,<br />

voyez comme ils sont injustes! Ils ne me permettent<br />

pas <strong>de</strong> m f gnées. J'ai appris ce qui importe davantage à <strong>la</strong> république,<br />

à frapper l'ennemi, à défendre mes compatriotes 9 à ne ries<br />

craindre que l'infamie, à souffrir le froid et le chaud, à reposer<br />

sur <strong>la</strong> <strong>du</strong>re, à supporter k soif et k faim. Yoilà ce<br />

que j'enseignerai à mes soldats. Je ne me traiterai pas délicatement<br />

en les traitant avec rigueur ; je ne veux pas que<br />

ma gloire ne soit que le fruit <strong>de</strong> leurs peines : c'est ainsi<br />

que l'on comman<strong>de</strong> à <strong>de</strong>s citoyens; c'est ainsi qu'il est ni île<br />

<strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r. Yivre soi-même dans k mollesse, et faire<br />

vivre son armée dans les privations, est d'un maître, et<br />

non pas d'un général. C'est en pensant, en agissant cérame<br />

moif que nos pères ont été grands, et ont illustré k république.<br />

La noblesse d'aujourd'hui, qui ne leur ressemble<br />

guère, nous insulte, parce que nous voulons leur ressembler<br />

; elle brigue les honneurs y comme s'ils lui étaientalus.<br />

Us se trompent, ces hommes superbes : leurs ancêtres leur<br />

ont <strong>la</strong>issé tout ce qu'ils pouvaient leur transmettre, <strong>de</strong>s<br />

richesses, <strong>de</strong>s titres, un grand nom ; ils ne leur ont pas<br />

<strong>la</strong>issé k vertu ; ils ne le pouvaient pas. Ce n'est pas un présent<br />

qu<br />

app!audir <strong>de</strong> ce qui m'appartient, tandis qu'ils se<br />

vantent <strong>de</strong> ce qui ne leur appartient pas, apparemment<br />

parée que je n'ai pas, comme eux, <strong>de</strong>s portraits <strong>de</strong> famille<br />

à étaler <strong>de</strong>vant vous, et que ma noblesse ne date que <strong>de</strong><br />

moi; comme s'il ne vakit pas mieux s'en faire une à soi-<br />

9 on puisse faire ni qu'on puisse recevoir. Ils disent<br />

que je suis grossier et sans é<strong>du</strong>cation, parce. que je n'entends<br />

rien à préparer un festin, parce que je ne paye pas<br />

un cuisinier, un histrion, plus cher qu'un fermier. J'en<br />

conviensy Romains. J'ai appris <strong>de</strong> mon père 9 et j'ai entends<br />

dire aux honnêtes gens, que le lue est pour les femmes,<br />

et le travail pour les.hommes; qu'il faut à un bon citoyen<br />

plus <strong>de</strong> gloire que <strong>de</strong> richesse; que les ornements d'un guerrier,<br />

ce sont ses armes, et non pas ses meubles. Quant à<br />

eux,- qu'ils s'occupent <strong>de</strong>s seules choses dont ils fassent<br />

cas, <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>isirs et <strong>de</strong> k table; qu'ils passent leur vieillesse<br />

comme ils ont passé leurs premières années, dans les festins,<br />

dans Ses débauches .et <strong>la</strong> dissolution, et qu'ils nous<br />

<strong>la</strong>issent <strong>la</strong> sueur et <strong>la</strong> poussière <strong>de</strong>s camps, à jtous qui en<br />

| disons plus <strong>de</strong> cas que <strong>de</strong> leurs voluptés. Mais non : quand<br />

ils se sont déshonorés par toutes sortes d'infamies, ils<br />

viennent ravir les récompenses <strong>de</strong>s honnêtes gens. Ainsi,<br />

par k plus criante injustice, le luxe f k mollesse, les vices,<br />

ne nuisent pas à ceux qui en sont coupables, et nuisent à<br />

<strong>la</strong> république, qui en est innocente. Maintenant que je leur<br />

al répon<strong>du</strong>, non'pas en proportion <strong>de</strong> leur indignité, mais<br />

convenablement à mes mœurs, je dirai un mot <strong>de</strong> <strong>la</strong> chose<br />

publique. D'abord, pour ce qui regar<strong>de</strong> k Namidie, soyez<br />

tranquilles, Romains. Tous avez écarté tout ce qui, jusqu'à<br />

présent, avait défen<strong>du</strong> Jugurttia : l'avarice, lignerance,<br />

l'orgueil <strong>de</strong> vos généraux. Vous avei sur les lieux<br />

une armée qui connaît le pays, mais jusqu'ici plus brave<br />

qu'heureuse, et affaiblie en gran<strong>de</strong> partie par l'avidité et<br />

k témérité <strong>de</strong> ses chefs. Yous tous donc qui êtes en état<br />

<strong>de</strong> porter les armes, préparez-vous à défemdre k répubE-<br />

32


338<br />

que avec mol. Que te malheur passé et h <strong>du</strong>reté <strong>de</strong>s commandants<br />

ne vous effrayent plus ; ? ©us i?ez un général qui,<br />

dans les marches et les combats , sera votre gui<strong>de</strong> et votre<br />

compagnon , et qui ne s'épargnera pas plus que vous. Avec<br />

le se<strong>cours</strong> <strong>de</strong>s dieux, TOUS pouves tout vous promettre :<br />

<strong>la</strong> victoire, le butin, l'honneur. £ts quand tous ces avantages<br />

seraient douteux ou éloignés, il conviendrait encore<br />

que les boas citoyens Tinssent au se<strong>cours</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> république ;<br />

car Sa lâcheté ne sauve personne <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort , et jamais père<br />

n'a désiré que ses enfante vécussent* toujours, mais qu'Ile<br />

fiiseeat estimés et honorés. J'en dirais davantage, Eomains9<br />

si Ses paroles donnaient <strong>du</strong> courage à ceux qui n'en ont pas;<br />

mais pour les braves, j'en M dit assez. »<br />

À cette elgueuf mâle et guerrière, à cette austérité<br />

brusque, à cette âpreté<strong>de</strong> style t à cette jactance<br />

soldatesque $ tous cem qui ont lu l'histoire ne<br />

recounaissêût-ils pas Marins? Ne croient-ils ps<br />

l'entendre lui-même? Qu'on lise les lettres et les<br />

mémoires <strong>du</strong> grand Yil<strong>la</strong>rs; qu'on ?oie <strong>de</strong> quelle<br />

manière il prie <strong>de</strong> lui et <strong>de</strong> ceux qu'il appelle <strong>de</strong>s<br />

généraux ée c&wt; et Ton s'apercevra qu'aux formes<br />

près, nécessairement différentes dans en consul<br />

romain et dans un général français, les hommes9<br />

p<strong>la</strong>cés dans les mêmes situations, ont, dans tous<br />

les temps, à peu près le même <strong>la</strong>ngage. C'est dire<br />

assez combien Saltoste connaissait les hommes; et<br />

quand on les connaît bien Y on a le droit <strong>de</strong> les faire<br />

parler.<br />

Les harangues dans Tacite sont ordinairement<br />

courtes; mais toujours substantielles; et, dans sa<br />

précision, il ne manque point <strong>de</strong> mouvement, quoi*<br />

qu'il en ait moins que Tîle-Lif e dans son abondance.<br />

Je prends chez Tacite le dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> Crémutlus<br />

Cordas, accusé dans le sénat, sous le règne <strong>de</strong> Tibère<br />

, d'avoir appelé dans ses écrits Brutus et Cassius<br />

ks <strong>de</strong>rniers <strong>de</strong>s Romains.<br />

« On m'inculpe dans mes paroles, pères conscrits9 tant<br />

je guis innocent dans mes actions. Cependant 9 mes paroles<br />

mêmes n'ont attaqué ni César JM ses parents, Ses seuls qui<br />

soient compris dans les accusations <strong>de</strong> lèse-majesté. On me<br />

reproche d'avoir loué Brutus et Cassius; beaucoup d'auteurs<br />

en ont écrit l'Siistoire , aucun ne les a nommés sans<br />

éloge. Tite-Ovê, distingué entre tous les écrivains par son<br />

éloquence et sa ?éraelté 9 a donné tant <strong>de</strong> louanges à Pom­<br />

pée, qu'il en eut d'Auguste le nom <strong>de</strong> P&mpéiem , sans en<br />

être moins aimé. Huile part chef lui, Seipion Afranius, si<br />

ee même Cassius 9 ni ce même Brutus t ne sont traités <strong>de</strong><br />

brigands et <strong>de</strong> parrici<strong>de</strong>s, comme on les appelle aujourd'hui<br />

9 et sou?eut il les appelé <strong>de</strong> grands hommes. Ae<strong>la</strong><strong>la</strong>s<br />

POQîOD, dans ses écrits, rend hommage à leur mémoire :<br />

Meaea<strong>la</strong> Oarv<strong>la</strong>ae, dans les siens, célébrait Cassius comme<br />

son général,et tous les <strong>de</strong>ux forent en crédit et en honneur<br />

auprès d'Auguste. Quand Ckéroo publia l'ouvrage s oè i<br />

élève Caton jusqu'au <strong>de</strong>ux, le dictateur César lui répondift-<br />

1 CemI qui avait pour titre €stof auquel César refondit<br />

par flmM~€mêô ; tous les <strong>de</strong>ux sont per<strong>du</strong>s.<br />

COU1S DE LITTÉHATUllt<br />

il autrement qu'en le réfutant comme il aurait bit <strong>de</strong>vant<br />

<strong>de</strong>s juges ? Les lettres d'Antoine, les harangues <strong>de</strong> Brutus ,<br />

sont remplies <strong>de</strong> reproches contre Auguste, injustes, il est<br />

•rai, mais très-amers ; et on lit encore les vers <strong>de</strong> Bibaculus<br />

et <strong>de</strong> Catulle, pleins <strong>de</strong> satires contre les Césars. Mais Jules<br />

César et le divin Auguste les souffrirent et les oublierait<br />

avec autant <strong>de</strong> modération que <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce ; car les satires<br />

s f ef&eent 9 si on les méprise ; mais si Ton s'en irrite 9 on paraît<br />

s'y reconnaître. Je ne parle pas <strong>de</strong>s Grecs, càei qui nonseulement<br />

<strong>la</strong> liberté f mais même <strong>la</strong> licence <strong>de</strong>s paroles, n'a<br />

jamais été punie, ou n'a été repoussée qu'a?ee les mêmes<br />

armes. Mais surtout il a toujours été libre et innocent <strong>de</strong><br />

dire sa pensée sur les morts : pour eux, Il s'y a pins ni <strong>la</strong>veur<br />

si haine. Mes écrits sont-ils <strong>de</strong>s harangues incendiaires, <strong>de</strong>s<br />

trempettes <strong>de</strong> guerre effile es faveur <strong>de</strong> Brutus et <strong>de</strong> Casstns,<br />

armés dans les champ <strong>de</strong> PhUippes? Il y a eeliaste»<br />

dix ans qu'ils ne sont plus ; et comme on les retrouve dans<br />

leurs images, que le vainqueur lui-même n'a pas détruites,<br />

leur mémoire gar<strong>de</strong> sa p<strong>la</strong>ce dans l'histoire. La postérité<br />

rend à chacun rhonnenr qui lui est dû ; et, s'il faut que je<br />

sois condamné, il ne manquen pas d'écrivains qui se sein<br />

viendront «sii-ièii<strong>la</strong>ie^<br />

<strong>de</strong> moi. »<br />

J'ai déjà cité <strong>la</strong> harangue <strong>de</strong>s Scythes à Alexandre<br />

f 'comme en <strong>de</strong>s morceaux qu'on a le plus remarqués<br />

dans Qni®te-€ufce. On a su gré à fauteur<br />

d f y avoir parfaitement saisi le ton tentefiâettx et<br />

ignré <strong>de</strong> l'éloquence propre à ces peuples, qui s'énoncent<br />

volontiers ee maximes et en paraboles,<br />

comme on a toujours fait dans f Orient et dans le<br />

Nord.<br />

« Si ks dieux avaient proportioiiiié ta stature à ton ambition,<br />

le mon<strong>de</strong> ne te contiendrait pas. Tu toucherais l'orient<br />

d'une main 9 Se couchant <strong>de</strong> l'autre, et tu fendrais<br />

encore saisir où vent s'ensevelir les feux <strong>de</strong> l'astre il fin<br />

qui nous éc<strong>la</strong>ire. C'est ainsi * que tu désires toujours plus<br />

que tu ne peux embrasser. Tu passes d'Europe en Asie, tu<br />

repasses d'Asie en Europe 9 et si tu avais soumis tout le<br />

genre humain tu ferais <strong>la</strong> guerre aux forêts, aux <strong>mont</strong>agnes<br />

, aux ienses, et aux bêtes sauvages. Quoi donc S ïgisn<br />

res-tu que les grands arbres sont longtemps à croître, et<br />

sont déracinés en un moment ? Insensé ce<strong>la</strong>i qui ne regar<strong>de</strong><br />

que leurs fruits sans mesurer leur hauteur ! Prends gar<strong>de</strong> f<br />

en vou<strong>la</strong>nt parvenir au sommet, <strong>de</strong> tomber a?ec les brandies<br />

que tu auras saisies. Quelquefois le lion a servi <strong>de</strong> pâ­<br />

ture aux plus petits oiseaux, et <strong>la</strong> rouille détruit le fer. Il<br />

n'y a rien <strong>de</strong> si fort qui ne puisse craindre même ce qui est<br />

faible. Qu'y a-t-H entre toi et nous? Nous n'avons jamais<br />

approché <strong>de</strong> ton territoire. Dans les fastes forêts où nous<br />

vivons, ne nous est-il pas permis d'ignorer qui tu es et<br />

d'où tu viens? Mous ne pouvons pas servir, et nous ne<br />

voulons pas comman<strong>de</strong>r. Yeux-tu connaître <strong>la</strong> nation <strong>de</strong>s<br />

Scythes ? Un st<strong>la</strong>iagcjate bœufs, une charrue y une flèche 9<br />

une coupe, voilà ce qui nnese été donné, ce qui esta notre<br />

usage pour nos amis et contre nos ennemis. A nos amis<br />

1 Centre-sens, Sic qooojm, même m'utt.... tel que tu es,<br />

tu désires encans plus mm tn s# peux embraster.


mmèmu&mlMtimÊMèêMlmm9 pro<strong>du</strong>its par te travail<br />

<strong>de</strong> nos bœufs; et «s suis partagent le wm dont nous faisons<br />

avec eux èm libations, Pour nos ensemfs, nous Ses<br />

mmbsmmêeMuÈwmUÈUIm.eiè&pèêmmh^qm,<br />

C'est avec ces armes que nous avons battu le roi <strong>de</strong> Syrie,<br />

€<strong>du</strong>i <strong>de</strong>s Perses et <strong>de</strong>s Mè<strong>de</strong>s, et que Se ctieama nous a été<br />

©avert jusqu'en Egypte. Mais toi, qui te fastes <strong>de</strong> faire<br />

§a guerre un brigands t es-tu autre chose que le ?oleor <strong>de</strong><br />

tant <strong>de</strong> pis usurpés? Tu as pris <strong>la</strong> Lydie, <strong>la</strong> Syrie; tu<br />

t'es emparé <strong>de</strong> <strong>la</strong> Perse et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Baeirianê; <strong>la</strong> as attaqué<br />

ANCIENS — PHILOSOPHE. SS9<br />

CHAP1TBE IL — PMhmpkie am<strong>de</strong>me.<br />

insss eeÉLiniiâiais.<br />

riada; et •@Uà cuis qse tu étends tes mains avares et fafemtMâm<br />

jusqu'à net tnmpeasx* Et tp*a§-ta besoin <strong>de</strong> tant<br />

<strong>de</strong> rïeliessef pour a'y trouver que <strong>la</strong> disette! Tu et le pre-<br />

-mier pour qui <strong>la</strong> satiété ait pro<strong>du</strong>it <strong>la</strong> foim , puisqu'à mef<br />

are que tu as plus tu désires davantage. Mais ne vois-tu pas<br />

<strong>de</strong>puis combien <strong>de</strong> temps <strong>la</strong> Baetriane seule te tient arrêté ?<br />

Pendant que tu <strong>la</strong> soumets, <strong>la</strong> SogdJâne s'arme contre toi j<br />

et pour toi <strong>la</strong> guerre naît <strong>de</strong> <strong>la</strong> victoire : ear9 que tu sois<br />

plis grand et plus tail<strong>la</strong>nt que tout autre» personne cependant<br />

m veut soumir un mettre étranger. Passe seulement<br />

le Tanais, te venas jusqu'où s'éten<strong>de</strong>nt les Scythes » et fu<br />

ne les atteindras pas. Notre pauvreté sera plus agile que<br />

l'opulence <strong>de</strong> ton armée, qui traîne <strong>la</strong> éépml<strong>la</strong><strong>de</strong> tant <strong>de</strong><br />

nations; et lorsque ensuite tu nous croiras Mes loin, tu<br />

nous verras aux portes <strong>de</strong> ton eamp9 car nous fuyons et<br />

pounuifons Fennerni avec <strong>la</strong> même vitesse. On dit que<br />

dans vos adages grecs on se moque <strong>de</strong>s solitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s Scythes<br />

; mais nous aimons mieux <strong>de</strong>s déserts incultes que <strong>de</strong>s<br />

•ile§ eiia riches campagnes. Peur toi, serreà <strong>de</strong>ux mains<br />

<strong>la</strong> fortune : elle glisse» et on ne <strong>la</strong> retient pas en dépit d'elle.<br />

C'est l'a?amir plus que le présent qui donne un non conseil.<br />

Mets un mors à ton bonheur, tu le maltrisens plus aisément<br />

On dit ches noua que <strong>la</strong> fortune est sans pieds :<br />

' elle n'a que <strong>de</strong>s mains et <strong>de</strong>s ailes; et quand elle nous présente<br />

tes unes , elle ne <strong>la</strong>isse pas prendre les autres. Enfin $<br />

ai tues un dieu, tu dois faire <strong>du</strong> bien aux hommes, et non<br />

1<br />

pas leur ravir le leur : si tu n'es qu'un homme $ songe toujours<br />

que tu es un homme. B y a <strong>de</strong> <strong>la</strong> folie à ne se souvenir<br />

que <strong>de</strong> ce qui nous porte à nous oublier. Tu l'auras pour<br />

•ttJs amie que ceux à qui tu n'auras point <strong>la</strong>it Sa guerre;<br />

car entre égaux l'amitié est ferme, et ceux-là sont censés<br />

égeem qui n'ont point mesuré leurs forces. Quant aux vamcss<br />

» pr<strong>de</strong>-toi<strong>de</strong> les prendre pour <strong>de</strong>s amis : point d'amitié<br />

entra le mettre et f esc<strong>la</strong>ve: <strong>la</strong> paix même est entre eux<br />

un état <strong>de</strong> guerre. As reste» ne crois pas que les Scythes<br />

lestât l'amitié : notre serment se e Il ne faut plus s'attendre ici à ces analyses dé*<br />

taillées qui ont paru nous attacher si vivement à <strong>la</strong><br />

poésie et à l'éloquence <strong>de</strong>s anciens, et que j'ai tâché<br />

<strong>de</strong> proportionner à l'importance <strong>de</strong>s sujets,• et<br />

à <strong>la</strong> mesure d'intérêt qu'ils pouvaient comporter.<br />

La philosophieY qui va nous occuper, n'a pas <strong>la</strong><br />

même attrait pour tout le mon<strong>de</strong>, et n'est pas à<br />

beaucoup près si familière à toos les esprits, et si<br />

rapprochée <strong>de</strong> tous les goûts. Elle comman<strong>de</strong> uns<br />

attention plus <strong>la</strong>borieuse par le sérieui <strong>de</strong>s objets,<br />

et ne <strong>la</strong> soutient pas par les mêmes agréments.<br />

est Se respect pour notre<br />

parole. Nous Usmm aux Grecs ces précsutiots <strong>de</strong> signer<br />

<strong>de</strong>s pactes, et d'attester les dieu : pour nous, nous mettons<br />

nota retigta dans notre t<strong>de</strong>lite. Ceux qui ne respectent<br />

pas les hommes trompent les dieux ; et l'en n'a pas<br />

besoin <strong>de</strong> Tarai <strong>de</strong>nt <strong>la</strong> volonté est suspecte. 11 ne tient<br />

qu'à toi <strong>de</strong> nous avoir pour gardiens <strong>de</strong> tes limites d'Europe<br />

et d'Asie. Nous ne sommes séparés <strong>de</strong>s Bactriens que<br />

par te Tanais : as <strong>de</strong>Sa, <strong>du</strong> côté opposé» nous touchons a<br />

<strong>la</strong> îfirace, qui confine, dit-on, à <strong>la</strong> Macédoine. P<strong>la</strong>cés aux<br />

<strong>de</strong>ux extrémités <strong>de</strong> ton empire, nous veux-tu pour amis<br />

on pour ennemis? Choisis. »<br />

1<br />

Quand l'instruction s'adresse à l'imagination et au<br />

coeur autant qu'à l'esprit et au goût, on vole pour<br />

ainsi dire au-<strong>de</strong>vant d'elle : quand elle ne s'adresse<br />

qu'à <strong>la</strong> raison, il lui faut <strong>de</strong>s auditeurs déterminés<br />

à s'instruire. Mais pourtant <strong>la</strong> raison a aussi son<br />

intérêt propre, et peut p<strong>la</strong>ire à l'esprit en l'exerçant<br />

Elle ne peut d'ailleurs aller ici jusqu'à <strong>la</strong> contention<br />

et à <strong>la</strong> fatigue <strong>de</strong> tête, que nous <strong>la</strong>issons<br />

aui érodits et aux savants <strong>de</strong> profession, aveu les<br />

dédommagements qu'ils y trouvent. Cest à eux <strong>de</strong><br />

rapprocher P<strong>la</strong>ton et Aristotè, Épicure et Zenon,<br />

le Portique et f Académie ; <strong>de</strong> les opposer Pun à<br />

l'autre, ou <strong>de</strong> les concilier et <strong>de</strong> chercher à les entendre<br />

partout, quand ils ne se.seraient pas enten<strong>du</strong>s<br />

eui-mêmes. Brucker et Des<strong>la</strong>n<strong>de</strong>s, et une<br />

foule d'autres écrivains, ont passé leur vie à errer<br />

dans ce <strong>la</strong>byrinthe, semb<strong>la</strong>ble à ces châteaux en*»<br />

chantés où l'Arioste nous représente les pa<strong>la</strong>dins<br />

armés, courant les tins après les autres, se combattant<br />

toujours sans se reconnaître jamais, et<br />

après qu'ils sont enfin sortis <strong>de</strong> ce séjour d'illusions,<br />

se retrouvant tels qu'ils étaient entrés, et avouant<br />

tous qu'ils avaient longtemps rêvé les yeux ouverts.<br />

Tel est en général, il est vrai, le résultat <strong>de</strong> cette<br />

multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> systèmes nés dans les écoles anciennes,<br />

et tous <strong>de</strong>puis longtemps abandonnés. Il n'y a<br />

rien à en conclure contre les anciens, si ce n'est qu'ils<br />

sont beaucoup plus excusables que les mo<strong>de</strong>rnes<br />

d'avoir entrepris plus qu'ils ne pouvaient. L'erreur<br />

<strong>la</strong> plus naturelle à l'esprit humain, dès qu'il veut<br />

atteindre à l'origine <strong>de</strong>s choses, c'est-à-dire chercher<br />

ce qu'il ne trouvera jamais, a toujours été <strong>de</strong><br />

se mettre tout uniment à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> fauteur <strong>de</strong>s<br />

choses, et <strong>de</strong> refaire en imagination l'ouvrage <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> pensée divine. 11 est donc tout simple que chaque<br />

philosophe ait fait son mon<strong>de</strong>, l'un avec le feu,<br />

l'autre avec l'eau; celui-ci avec Téther, celui-là avec<br />

<strong>de</strong>s atomes. Je ne vous entretiendrai sûrement pas<br />

<strong>de</strong> toutes ces cosmogonies que les curietv trou?e-<br />

».


340<br />

0ÛU1S DE LnTÉMTOlE,<br />

rouf partout : heureusement chacun a pu donner <strong>la</strong> qui consiste dans une analyse «acte et complète,<br />

sienne sans le moindre inconvénient; et celles <strong>de</strong> et dans une dialectique sévère : par l'une 9 on em­<br />

Descartes et <strong>de</strong> Letbnitz n'ont pas été plus dangebrasse un objet dans toutes ses parties ; par l'autre 9<br />

reuses. Ceux-ci pourtant avaient moins d'excuse, on se défend <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser rien sans preuve, et l'on ne<br />

puisque tant <strong>de</strong> siècles d'expérience auraient dû bâtit jamais sur une hypothèse comme -sur une<br />

leur faire sentir que nous <strong>de</strong>vions nous borner à base. Cette métho<strong>de</strong> n'a été connue que <strong>de</strong>s mo­<br />

l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s faits et à l'observation <strong>de</strong>s phénomènes, <strong>de</strong>rnes, et c'est ce qui a surtout affermi leurs pas<br />

sans prétendre <strong>de</strong>viner les causes premières, dont dans <strong>la</strong> carrière <strong>de</strong>s connaissances naturelles, et ce<br />

îe secret appartient à Dieu aussi nécessairement que qui les a con<strong>du</strong>its si loin dans tout ce qui est <strong>du</strong><br />

l'ouvrage môme, puisque l'un et l'autre supposent, ressort <strong>de</strong>-<strong>la</strong> physique et <strong>de</strong>s mathématiques. C'est<br />

l'infini en sagesse comme en puissance.<br />

pourtant à un ancien que nous sommes re<strong>de</strong>vables<br />

Si Ton a renoncé enfin à expliquer <strong>la</strong> théorie et d'avoir fait <strong>de</strong> <strong>la</strong> logique une science, et <strong>du</strong> raison­<br />

les moyens <strong>de</strong> l'Architecte éternel, c'est <strong>de</strong>puis que nement un art, comme nous l'avons vu dans le<br />

lieu* génies puissants, l'un en mathématiques, l'au­ précis sur Aristote. Mais lui-même, non-seulement<br />

tre en métaphysique, Newton et Locke, parvenus n'a pas tiré <strong>de</strong> cette découverte tout le fruit qu'on<br />

à dé<strong>mont</strong>rer, le plus c<strong>la</strong>irement qu'il était possible, en <strong>de</strong>vait attendre, mais encore a frayé.<strong>la</strong> route <strong>de</strong><br />

celui-là les lois <strong>du</strong> mouvement, celui-ci les opéra­ l'erreur aux sco<strong>la</strong>stiques qui Font suivi, en abusant<br />

tions <strong>de</strong> l'enten<strong>de</strong>ment humain, ont en même temps <strong>de</strong> ces abstractions connues sous le nom ije eatégo-<br />

avoué tons les <strong>de</strong>ui l'impossibilité <strong>de</strong> connaître <strong>la</strong> ries et d'universaux, et en rangeant parmi les êtres<br />

- cause qui meut tes corps, et Faction <strong>de</strong> <strong>la</strong> faculté pen­ ce qui n'existe que dans l'enten<strong>de</strong>ment. Sa dialectisante<br />

pour mouvoir le corps humain. Alors d'autres que ne servit donc qu'à confondre par une argumen­<br />

philosophes (car les athées s'appellent aussi <strong>de</strong> ce tation invincible les paralogîsmes <strong>de</strong> mots et les<br />

nom, et même exclusif ement ) se sont retournés d'un puériles subtilités <strong>de</strong>s sophistes, dont Sacrale et<br />

antW côté, et ont fait <strong>de</strong> gros livres, tels que le P<strong>la</strong>ton s'étaient tant moqués, comme nous le verrons<br />

Système <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, pour nous apprendre com­ tout à l'heure ; et c'était sûrement un service ren<strong>du</strong><br />

ment le mon<strong>de</strong> pouvait se passer d'une cause, com­ à l'esprit humain : mais ce moyen qu'il trouva pour<br />

ment tout existait par soi-même, et se maintenait combattre l'erreur ne lui servit pas à établir <strong>la</strong> vé­<br />

par soi-même dans un ordre nécessaire et éternel ; rité. Sa métaphysique se ré<strong>du</strong>isit à une longue suite<br />

et avec un long amas <strong>de</strong> mots et <strong>de</strong> raisonnements <strong>de</strong> divisions et <strong>de</strong> subdivisions très-méthodiques,<br />

absolument inintelligibles, ils ont conclu par cette mais dont les conséquences sont absolument vi<strong>de</strong>s<br />

gran<strong>de</strong> découverte, Tout est ainsi,parée que tout et illusoires, et sa physique générale n'offre partout<br />

est ainsi; ce qui est profond et lumineux, et ce qui que <strong>de</strong>s formes substantielles et <strong>de</strong>s qualités occul*<br />

heureusement encore <strong>la</strong>isse le mon<strong>de</strong> comme il est. êe$9 c'est-à-dire <strong>de</strong>s mots mis à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s cho­<br />

Ce n'est pas sous ce rapport que les rêveries <strong>de</strong> ses , et qui ont le plus grand <strong>de</strong> tous les inconvé­<br />

nos philosophes ont pu être pernicieuses : il ne leur nients, celui d'ouvrir un champ immense à <strong>la</strong><br />

est pas plus donné <strong>de</strong> déranger le mon<strong>de</strong> physique controverse, sans pouvoir obtenir un résultat; en<br />

que <strong>de</strong> le comprendre; mais vous pouvez juger <strong>de</strong> sorte qu'ici les erreurs mêmes <strong>de</strong>vaient être per­<br />

ce qu'ils en auraient fait si le Créateur avait pu per<strong>du</strong>es, comme elles Font été pendant si longtemps;<br />

mettre qu'ils eu disposassent un moment, comme au lieu qu'en disputant <strong>du</strong> moins sur les choses,<br />

il a permis qu'ils fissent un moment Fessai <strong>de</strong> leur l'erreur même n'est pas sans quelque fruit, parce<br />

mon<strong>de</strong> moral et politique.<br />

que enfin l'examen amène <strong>de</strong>s vérités <strong>de</strong> fait, et<br />

. Malgré le vice radical <strong>de</strong> tous les systèmes <strong>de</strong> l'an­ qu'on finit par s'entendre et s'accor<strong>de</strong>r.<br />

cienne philosophie sur les premiers principes <strong>de</strong>s le n'en suis pas moins disposé à me ranger à Fa-<br />

choses, s! <strong>la</strong> physique entrait dans notre p<strong>la</strong>n, il vis <strong>de</strong> ceux qui regar<strong>de</strong>nt Aristote comme un esprit<br />

ne serait pas difficile <strong>de</strong> faire voir que les anciens plus soli<strong>de</strong> et plus profond que P<strong>la</strong>ton. Yous en<br />

ont eu <strong>du</strong> moins <strong>de</strong>s aperçus justes, ingénieux, avez vu <strong>la</strong> raison lorsque j'ai parlé <strong>de</strong>s ouvrages où<br />

éten<strong>du</strong>s sur beaucoup <strong>de</strong> points <strong>de</strong> physique géné­ il a procédé d'une manière plus sûre et plus heurale<br />

et particulière; mais <strong>de</strong>s aperçus toujours plus reuse, c'est-à-dire dans sa Poétique et dans sa<br />

ou moins défectueux et stériles, par <strong>de</strong>ux raisons : Rhétorique, dans sa Morale et dans sa Politique<br />

d'abord, par le défaut <strong>de</strong> progrès assez grands dans même, quoique celle-ci ne soit pas au nombre <strong>de</strong>s<br />

les mathématiques, où ils ne paraissent avoir été objets qui doivent nous occuper. C'est là qu'il a<br />

loin que dans <strong>la</strong> mécanique, qui lit <strong>la</strong> gloire d'Ar- su appliquer cet esprit d'analyse et cette rare juschimè<strong>de</strong>;<br />

ensuite par le défaut <strong>de</strong> cette métho<strong>de</strong> tesse <strong>de</strong> vues qui Font caractérisé parmi les anciens 9


connut parmi nous, et pi <strong>la</strong>i Irent donner pr<br />

l'antiquité le titre <strong>de</strong> Prince dmpMhwpkes. C'est<br />

là que son excellente métho<strong>de</strong> loi sert à c<strong>la</strong>sser, à<br />

iéinir, à spécifier les choses, et qu'il s'est garanti<br />

<strong>de</strong> l'abus <strong>de</strong>s abstractions 9 qui, en d'autres genres,<br />

l'a mmwmî égaré. Quand il parle d'éloquence, <strong>de</strong><br />

poésie, <strong>de</strong> mœurs, <strong>de</strong> goufernement, il considère<br />

sans cesse <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> l'homme telle qu'elle est; il<br />

s'appuie <strong>de</strong> l'expérience, et c'est ce qui le mène à<br />

ies résultats judicieux et féconds. Il ne bâtit pas<br />

en l'air, comme P<strong>la</strong>ton a bâti sa Mépubi§qwf fui<br />

est restée oà elle défait rester, dans ses livres; mais<br />

il démêle a?ee beaucoup <strong>de</strong> sagacité les causes <strong>de</strong><br />

Tordre et <strong>du</strong> désordre dans les différentes sortes <strong>de</strong><br />

f ou?eroements* Aussi a-t-U été étudié par tous les<br />

bons publidstes, qui en ont prolté plus que <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton,<br />

dont on n'a pu-recueillir que <strong>de</strong>s idées partielles<br />

et <strong>de</strong>s vérités détachées, qui ne sont jamais<br />

é'un aussi grand usage que les théories générales,<br />

quand celles-ci sont bien conçues.<br />

Mais aussi, en métaphysique et en morale, aucun<br />

<strong>de</strong>s anciens ne s'est élevé aussi haut que P<strong>la</strong>ton.<br />

L'on ne peut douter qui! n'ait dû à Secrète s<br />

son mettre, <strong>la</strong> gloire d'avoir donné le premier à <strong>la</strong><br />

morale k seule base soli<strong>de</strong> qu'elle puisse a?oir, l'unité<br />

<strong>de</strong> Dieu, l'immortalité <strong>de</strong> l'âme, et les peines<br />

et les récompenses dans une autre fie. C'est ordinairement<br />

Seerate qui, dans les Dialogues <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton<br />

, développe ces dogmes fondamentaux ; et, quoiqu'il<br />

ne paraisse ps avoir rien écrit, si ce s'est<br />

quelques lettres 1 , on sait, par le témoignage <strong>de</strong><br />

toute Fantiquité Y que ces dogmes étaient les siens,<br />

ceux qu'il enseignait publiquement; et c'est surtout<br />

par les écrits <strong>du</strong> disciple que nous est connue <strong>la</strong> sagesse<br />

<strong>du</strong> maitre. Mais on ne peut guère penser que<br />

ce soit Socrate qui ait fourni à P<strong>la</strong>ton ses idées sur<br />

<strong>la</strong> nature <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> et sur l'espèce d'hiérarchie qu'il<br />

a établie entre les êtres divers qui le gouvernent ou<br />

qui l'habitent : il paraît, au contraire, que toute<br />

cette philosophie; purement conjecturale, n'a jamais<br />

été <strong>du</strong> goût <strong>de</strong> Seerate, qui n'approuvait pas que<br />

Ton s'égarât dans ces spécu<strong>la</strong>tions ambitieuses sur<br />

<strong>de</strong>s objets dont l'homme ne peut jamais savoir que<br />

ce qull aura plu.à Dieu <strong>de</strong> lui-apprendre. Aussi<br />

n'est-ce pas Socrate, mais ïimée <strong>de</strong> Loeres % qui<br />

1 H s'amusa aussi, dans les <strong>de</strong>miet» jours <strong>de</strong> tu fis, à<br />

mettre m wm tes fables d'Ésope.<br />

* Ce Tlméef disciple <strong>de</strong> Pythagore, était eertaSnement an-<br />

. térkijf à Socrate, et P<strong>la</strong>ton m a fait le principal personnage<br />

<strong>du</strong> dialogue dont nous allons bientôt rendre compte, et qu'il se<br />

faut pas confondre mm un outrage particulier, intitulé Bê<strong>la</strong><br />

tmimrt et êe terne <strong>du</strong> Momie, qui ne fut publié que dans<br />

le second siècle <strong>de</strong> notre èr@t sons le son <strong>de</strong> ce Tlmée <strong>de</strong><br />

lucres. Ce petit traité eonUeat à peu près SsjiJ^sf é» que<br />

Ton toit dans P<strong>la</strong>ton ; et Ton a. era d'abord atPtf était lie ce<br />

ANCIENS. PHILOSOPHIE. S41<br />

porte <strong>la</strong> parole dans le dialogue intitulé <strong>de</strong> son nom ;<br />

et l'on peut d'ailleurs conjecturer que, quand P<strong>la</strong>ton<br />

a mis dans <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong> Socrate <strong>de</strong>s idées <strong>du</strong><br />

même genre, c'est d'abord pour s'appuyer <strong>de</strong> l'autorité<br />

d'un homme reconnu dans <strong>la</strong> Grèce pour le<br />

plus sage <strong>de</strong>s hommes, ensuite pour se mettre à<br />

couvert lui-même sous <strong>la</strong> sauvegar<strong>de</strong> d'un nom <strong>de</strong>venu<br />

plus respectable,, <strong>de</strong>puis que le repentir <strong>de</strong>s<br />

Athéniens avait consacré sa mémoire pour réparer<br />

l'injustice <strong>de</strong> sa condamnation 1 Nous apprenons<br />

même d'un ancien que, Socrate, ayant enten<strong>du</strong> <strong>la</strong><br />

lecture <strong>du</strong> dialogue intitulé Lysls, l'un <strong>de</strong>s ouvrages<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, et où celui-ci lé fait<br />

parler wr k§ muses d'amour et d'amiUi entré tes<br />

hommes s il s'écria : Que <strong>de</strong> beiks choses méfait<br />

dire ce jeune kûmmêf mm quejamaisfy aie pensé!<br />

Si P<strong>la</strong>ton risqua ce genre <strong>de</strong> supposition <strong>du</strong> vivant<br />

même <strong>de</strong> Socrate, il est extrêmement vraisemb<strong>la</strong>ble<br />

qu'il n'eut pas plus <strong>de</strong> scrupule après sa mort,<br />

surtout quand il traita <strong>de</strong>s matières qui n'étaient<br />

pas saea danger chez un peuple aussi ombrageux que<br />

celui d'Athènes sur tout ce qui touchait à <strong>la</strong> religion,<br />

comme on le voit par plus d'un exemple avant et<br />

après P<strong>la</strong>ton.<br />

C'est par lui que je commencerai cet exposé sueda'et<br />

<strong>de</strong> ce que nous pouvons recueillir <strong>de</strong> plus profitable<br />

<strong>de</strong> ta philosophie <strong>de</strong>s anciens sous un double<br />

aspect, celui <strong>de</strong>s choses où ils se sont le plps ap- ,<br />

-proches <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité par les lumières naturelles, et<br />

celui <strong>de</strong>s erreurs les plus remarquables où les a fait<br />

tomber l'inévitable imperfection <strong>de</strong> ces mêmes lumières.<br />

C'est le seul ordre que je crois <strong>de</strong>voir suivre<br />

dans ce précis, <strong>de</strong>stiné seulement à donner <strong>de</strong>s<br />

notions c<strong>la</strong>ires, et, si je le puis, utiles à ceux qui<br />

n'iront pas s'enfoncer dans <strong>la</strong>- lecture d'une quantité<br />

d'auteurs tant anciens que mo<strong>de</strong>rnes; qui suppose<br />

beaucoup <strong>de</strong> curiosité, d'étu<strong>de</strong>et <strong>de</strong> loisir sans beau- '<br />

coup d'utilité. Ensuite viendront Plutarque, Cicéron<br />

etSénèque, qui contiennent, avec P<strong>la</strong>ton,<br />

tout le fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie <strong>de</strong>s Grées ; car celle<br />

<strong>de</strong>s Latins est tout entière d'emprunt. D'ailleurs,<br />

ces quatre philosophes sont aussi <strong>de</strong>s écrivains<br />

renommés ; et pr là ils appartiennent plus partieu-<br />

Ttmée que P<strong>la</strong>ton avait emprunté sa cosmogonie» ma!» Il a<br />

para <strong>de</strong>puis beaucoup pioi probable que ce traité est l'ouvrage<br />

<strong>de</strong> quelque p<strong>la</strong>tonicien dn second siècle, qui crat fortifier les<br />

idées <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton par une plus gran<strong>de</strong> antiquité % c'est l'opinion<br />

<strong>de</strong>s meilleurs critiques. On ne peut douter, M est vrai, d'après<br />

le témoignage <strong>de</strong> Piutarque, qui cite ce limée f qull n'y<br />

ait eu quelque rapport entre sa philosophie et celle <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton ;<br />

niais si cette <strong>de</strong>rnière n'eût été qu'on 'p<strong>la</strong>giat, et n'eût pas<br />

appartenu au disciple <strong>de</strong> Socrate, on ne lui en aurait pas fait<br />

honneur dans Ions les siècles, et cette espèce.*<strong>de</strong> vol lut eût<br />

été reprochée par les critiques anciens, très-curieux <strong>de</strong> ces<br />

sortes <strong>de</strong> découvertes; et l'école <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton se serait appelée<br />

celle <strong>de</strong> Tlmée.


342<br />

00U1S DE UTTÉMTIJ1E.<br />

fièrement essore à nos séanees, et y seront aussi<br />

considérés sous ce point <strong>de</strong> tue, qui est en général<br />

celui d'un Cours <strong>de</strong> <strong>littérature</strong> , mais qui , dans cette<br />

partie, n'est past comme dam les autres, le premier.<br />

SECTION pianÈEE. — P<strong>la</strong>ton.<br />

Tous les anciens philosophes ont cm <strong>la</strong> matière<br />

éternelle Y et différaient seulement sur <strong>la</strong> manière<br />

dont s'était formé Tordre universel <strong>de</strong>s choses physiques<br />

qu'on appelle k mon<strong>de</strong>. Les uns l'attribuaient<br />

à une force motrice repaies partout, et qulls<br />

sommaient Fâme <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>; les autres , au mouvement<br />

salinef qui, dans <strong>la</strong> succession <strong>de</strong>s temps,<br />

a?ait opéré <strong>la</strong> combinaison <strong>de</strong>s divers éléments suivant<br />

leur nature et leurs rapports; ceux-ci à tel<br />

eu tel élément en particulier, comme l ? eau ou le feu,<br />

dont ils faisaient un principe générateur et conservateur;<br />

ceux-là à une sorte d'attraction sympathique<br />

<strong>de</strong>s parties simi<strong>la</strong>ires ; et quelques-uns ont appelé<br />

Dieu le mon<strong>de</strong> lui-pême, k Granê-lbiâ, comme<br />

disaient les stoïciens. 11 serait superûu <strong>de</strong> répéter<br />

ici ce qui a été dé<strong>mont</strong>ré tant <strong>de</strong> fois, combien ton*<br />

tes ces hypothèses étaient absur<strong>de</strong>s et -contradictoires<br />

en elles-mêmes 9 quoiqu'il n'y en ait pas une<br />

qui ne se retrouve plus ou moins dans les nouveaux<br />

traités <strong>de</strong> matérialisme, dont les auteurs e 9 ont paru<br />

rajeunir un fotads d'extravagance usé <strong>de</strong>puis tant <strong>de</strong><br />

siècles que parce que les <strong>de</strong>rnières acquisitions <strong>de</strong><br />

k physique et <strong>de</strong> <strong>la</strong> chimie les ont mis à portée <strong>de</strong><br />

se servir <strong>de</strong> termes* nouveaux pour repro<strong>du</strong>ire <strong>de</strong><br />

vieilles folies. Il est à remarquer que tes poètes,<br />

naturellement disposés à se rapprocher en tout <strong>de</strong>s<br />

opinions communes, ont été ici beaucoup plus, près<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> raison que tous les febricateun <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>s.<br />

Frappés, comme tous les hommes en général, <strong>de</strong><br />

cette harmonie <strong>de</strong> l'uni*en, qui <strong>mont</strong>re à notre esprit<br />

une suprême intelligent®, comme le soleil<br />

«<strong>mont</strong>re le jour à nos yeux, les poètes anciens oit<br />

tous représenté les dieux, non pas, il est vrai, comme<br />

créateurs, mais <strong>du</strong> moins comme ordonnateurs <strong>du</strong><br />

mon<strong>de</strong>, et auteurs <strong>de</strong> l'ordre qui a remp<strong>la</strong>cé le<br />

chaos; et Ton ne peut nier que cette espèce <strong>de</strong> cosmogonie<br />

antique, chantée par Hésio<strong>de</strong> et Ovi<strong>de</strong>,<br />

ne soit beaucoup plus sensée que celle <strong>de</strong>s Thaïes<br />

et <strong>de</strong>s Anaxagore.<br />

P<strong>la</strong>ton lui-même ne conçut pas <strong>la</strong> création telle<br />

qu elle est dans <strong>la</strong> Genèse, c'est-à-dire l'acte <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

puissance suprême tirant tout <strong>du</strong> néant par sa volonté;<br />

et ce n'est pas un reproche à faire à P<strong>la</strong>ton,<br />

car cette idée est au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> l'homme, et cette<br />

création ne pouvait'être que révélée. Seulement <strong>la</strong><br />

métaphysique a compris et dé<strong>mont</strong>ré, dépois que<br />

eetteeréation, quoique incompréhensible pournous,<br />

appartenait néeeaatrcnietit à <strong>la</strong> puissance éternelle<br />

et infinie, à Dieu seul. Mais P<strong>la</strong>ton reconnut êm<br />

moins que le mon<strong>de</strong> avait eu un commencement,<br />

et que Dieu seul en était le créateur. Ces! 'surfont<br />

dans son Ttmds qu'il développe cette doctrine; car<br />

dans quelques autres il ne s'explique ps si positivement,<br />

et semble <strong>la</strong>isser en doute si le mon<strong>de</strong> est<br />

éternel ; mais son doute ne se trouve que dans ceux<br />

<strong>de</strong> ses écrits oè cette question se présente comme<br />

en passant; au lieu que dans le Timéef où elle est<br />

expressément traitée, il <strong>mont</strong>re Dieu partout comine<br />

l'éternel et suprême architecte. Selon M, Dieu.a<br />

tout fait, parce qu'il est bon; il a formé l'univers<br />

sur le modèle qu'il avait dans -sa pensée, et ce modèle<br />

était nécessairement le meilleur possible, en<br />

raison <strong>de</strong> <strong>la</strong> puissance, <strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonté<br />

<strong>de</strong> son auteur. L'on voit déjà que P<strong>la</strong>ton est le premier<br />

qui ait fait <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonté essentielle à k nature<br />

divine <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> <strong>la</strong> création, et le premier aussi<br />

qui ait posé en principe ce' que les mo<strong>de</strong>rnes ont<br />

appelé V&piimitmê, et ce qui n'a été le sujet <strong>de</strong> tant<br />

<strong>de</strong> controverses que parce qu'on a toujours confon<strong>du</strong><br />

plus ou moins <strong>de</strong>ux choses très-différentes,<br />

<strong>la</strong> bonté re<strong>la</strong>tive et <strong>la</strong> bonté absolue, dont Tune<br />

appartient aux idées humaines, et l'autre aux idées<br />

divines : c'est une méprise très-grave en métaphysique<br />

? et dont les conséquences sont très-importantes,<br />

mais dont <strong>la</strong> discussion ne saurait trouver ici,<br />

une p<strong>la</strong>ce qu'elle doit avoir ailleurs.<br />

P<strong>la</strong>ton n*a pas vu moins juste quand il a dit que<br />

Dieu ne pouvait pas être Fauteur <strong>du</strong> mal moral ou<br />

<strong>du</strong> péché: ce sont ses expressions; car le mot <strong>de</strong><br />

péché, qui parmi nous n'est plus que <strong>du</strong> style religieux,<br />

était chez les anciens <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue philosophique»<br />

Mais P<strong>la</strong>ton n'a pas été et ne pouvait guère<br />

aller plus loin : d'abord parce qu'il ne paraît pas<br />

avoir connu <strong>la</strong> théorie métaphysique <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté<br />

essentielle à <strong>la</strong> substance intelligente, liberté dont<br />

il n'a parlé nulle part * ; ensuite, parce qu'il se contente<br />

d'attribuer le désordre moral à <strong>la</strong> résistance<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> matière, c'est-à-dire an dérèglement <strong>de</strong>s passions<br />

qui appartiennent à l'âme sensitive; car on<br />

* Os trouve an contrâtes dans P<strong>la</strong>ins, Lmt, x, page »? :<br />

« Dira a voulu,par <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce et <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée qui! assignerait<br />

« à chaque partie <strong>de</strong> Fàme universelle, faire eu sorte que <strong>la</strong><br />

« vertu fût réellement triomphante, et le vise vaincu, alors.<br />

« H a porté otite loi commune m Omis que <strong>de</strong>s actions <strong>de</strong> cha»<br />

« ces dépendrait <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce, <strong>de</strong> son âme et te llso <strong>de</strong> son séjour ;<br />

m et U a <strong>la</strong>issé à notre item mrèiire le dois <strong>de</strong> notre avenir.<br />

« En effet, ce sont nos désirs, ce sont les qualités <strong>de</strong> notre<br />

« âme, qui nous font ce que nous sommes , etc. » Aussi M. le<br />

Clerc a-t-il remarqué dans Ses Pmêém êe P<strong>la</strong>ton , page 301 v<br />

qu'on pouvait corriger <strong>la</strong> phrase <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> <strong>la</strong> Harpe m lisant<br />

le contraire. En général, toute celle analyse <strong>du</strong> p<strong>la</strong>tonisme ne<br />

souttendmteu l'eiames : fauteur <strong>du</strong> Eyeée n'a? ait pas étudia<br />

le folio» elT^igesur parole.


ANCIENS. — PHILOSOPHE. 843<br />

ierra tout à l'heure qu'il distingue* comme presque métaphysique. C'est encore mm emprunt fait à P<strong>la</strong>­<br />

tous les anciens , <strong>de</strong>s âmes spirituelles et <strong>de</strong>s âmes ton que ces vers d'une o<strong>de</strong> <strong>de</strong> Thomas sur k Tempg,<br />

matérielles, ce qui est par soi-même use gran<strong>de</strong> er­ fuse <strong>de</strong>s meilleures <strong>de</strong> ce siècle, malgré quelques<br />

reur, et ee qui serait encore très-insuffisant pour fentes;<br />

résoudre ïee objections sur le mal moral, dont <strong>la</strong><br />

solution n'est <strong>du</strong>e qu'à <strong>la</strong> bonne philosophie <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>rnes,<br />

et surtout à celle <strong>de</strong>s chrétiens.<br />

Bien dit an mouvement : Bu temps sois <strong>la</strong> mesure.<br />

11 dit à te nature :<br />

Le temps sera pour vous, l'éternité pour mol.<br />

P<strong>la</strong>ton distingue en général <strong>de</strong>ux sortes <strong>de</strong> subs­ Ces <strong>de</strong>ux passages prouvent que <strong>la</strong> lecture <strong>du</strong><br />

tances : <strong>la</strong> substance intelligentef immuable, éternelle,<br />

incorruptible; et <strong>la</strong> substance matérielle, dé­<br />

Timée notait pas été inutile à Rousseau et à<br />

Thomas.<br />

pourvue <strong>de</strong> toutes ces qualités. Il range dans <strong>la</strong> La pureté et <strong>la</strong> sublimité <strong>de</strong> ces notions ont fiât<br />

première c<strong>la</strong>sse Dieu, et ce qu'il appelle en grec ks dire aussi à un docteur <strong>de</strong> l'Église ? saint Clément<br />

démom , nom qui ne signifie point dans sa <strong>la</strong>ngue, d'Alexandrie, que les Haras <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton avaient serti<br />

comme dans <strong>la</strong> nétre, <strong>de</strong>s esprits malfaisants et à préparer les païens à l'Évangile , comme cent <strong>de</strong><br />

réproufés, mais <strong>de</strong>s difinités secondaires, qui re- Moïse à préparer à <strong>la</strong> foi les Juifs que f É?angîle<br />

fiennent à peu près à ce qu'on entend par <strong>de</strong>s gé­ avait convertis. On sait en effet que <strong>la</strong> philosophie<br />

nies dans les écrits <strong>de</strong>s païens, et par <strong>de</strong>s anges chez p<strong>la</strong>tonicienne était extrêmement en ?ogue dans les<br />

les chrétiens. A ces dieui <strong>du</strong> second rang, il jQint premiers siècles <strong>de</strong> l'Église; et <strong>de</strong> là les efforts que '<br />

dans <strong>la</strong> même c<strong>la</strong>sse, mais au-<strong>de</strong>ssous d'eux, l'âme Ton ût alors pour concilier en quelque sorte l'école<br />

raisonnable-qui anime et régit le corps <strong>de</strong> l'homme; d'Alexandrie a?ec le christianisme , et pour trouver<br />

et comme elle est, ainsi qu'eux, d'origine difine, il dans P<strong>la</strong>ton'ce qui n'y était pas. C'était use erreur<br />

en conclut qu'elle doit se conformer en tout à ce <strong>du</strong> zèle; et ce qui <strong>la</strong>it voir que toutes les erreurs<br />

premier modèle <strong>de</strong> perfection 9 par Famour <strong>du</strong> beau<br />

et <strong>de</strong> rhonnéte; et <strong>de</strong> là dérifent ses <strong>de</strong>?oîrs pen­<br />

sont dangereuses, c'est qu'en même temps que <strong>de</strong>s<br />

chrétiens trompés croyaient tirer a?antage <strong>de</strong> l'audant<br />

<strong>la</strong> fie, et ses <strong>de</strong>stinées après sa mort. torité <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, et tâchaient d'attirer le p<strong>la</strong>tonisme<br />

Ce philosophe est aussi le premier qui ait fait Bien à <strong>la</strong> révé<strong>la</strong>tion, les ennemis <strong>du</strong> christianisme nais­<br />

auteur <strong>du</strong> mouvement, et qui ait fait <strong>du</strong> mouvement sant prétendirent, pur infirmer <strong>la</strong> divinité, en<br />

<strong>la</strong> mesure <strong>du</strong> temps. C est une<strong>de</strong>ses plus belles idées, retrouver les principal dogmes dans P<strong>la</strong>ton. On<br />

et personne a?ant lui n'a?ait rien conçu d'aussi su­ al<strong>la</strong> jusqu'à y Yoir le Verbe et <strong>la</strong> Trinité, et cette<br />

blime et d'aussi frai que ce qu'il dit <strong>du</strong> temps et <strong>de</strong> supposition a passé jusque dans ces <strong>de</strong>rniers temp.<br />

l'éternité.<br />

Mais il suffit d'ouvrir P<strong>la</strong>ton pur se con?aincre<br />

« L'éternité est ifesnefeiie dans l'unité d'être, c'est-à- qu'il n'y a ici qu'une pure confusion <strong>de</strong> mots. Le<br />

dire en Dieu » et n'admet ni changement ni succession. Il mot grec, qui répnd à celui <strong>de</strong> Terbe, Xe>ç, ne<br />

j a plus 9 <strong>la</strong> réalité <strong>de</strong> f être n'est qu'en Blea : c'est te seul signifie pas seulement en grec impmr<strong>de</strong>, mais aussi<br />

doit en ne puisse pas dire proprement, îi a éié ou M sera <strong>la</strong> » reàsm (rotto), d'où fient le mot logique, et<br />

mais Mutaient ff est 11 «créé te temps es créant te mon<strong>de</strong> : s'est pris chez P<strong>la</strong>ton que danj ce sens. II n'est ja­<br />

et cette <strong>du</strong>rée sucoMsire, marquée par tes révolutions <strong>de</strong>s mais dit que cette raico», cette sagesse tfe Dieu,<br />

corps célestes, est «e image aieàlle <strong>de</strong> fêterai tés et passera soit une émanation <strong>de</strong> l'esseneedivine, encore moins<br />

comme te mon<strong>de</strong>, quelle sac soit <strong>la</strong> in qui doit avoir^. » que ce soit une <strong>de</strong>s trois parannnei <strong>de</strong> <strong>la</strong> Trinité;<br />

Toutes ces conceptions sont gran<strong>de</strong>s, et sans con- ' et celle <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton n'est autre chose que Bien, f âme<br />

tredit supérieures <strong>de</strong> beaucoup à toutes'celles <strong>de</strong> <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, et le mon<strong>de</strong> lui-même, dont il fait rani­<br />

l'antiquité païenne. Tous reconnaissez ici ( pour le mai pr eicellence, contenant en lui toutes les es­<br />

dire en passait) <strong>de</strong>mi ?era fameux<strong>du</strong> premier <strong>de</strong> nos pèces pssibles d'animaux. 11 est c<strong>la</strong>ir que rien <strong>de</strong><br />

lyriques :<br />

tout ce<strong>la</strong> ne^ressemble à nos-mystères : et il ne<br />

Le tamp, cette Image nwblte<br />

Test pas moins que ces mystères, que Dieu seul a<br />

Be riauneaUe éternité.<br />

pu révéler,, n'ont pu en ascttne manière être <strong>de</strong>vinés<br />

Ceit une tra<strong>du</strong>ction littérale <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton y dont l'i­<br />

ni même entrerns pr ta raison humaine, puisqu'ils<br />

magination bril<strong>la</strong>nte était faite pour inspirer <strong>la</strong><br />

sont au-<strong>de</strong>ssus d'elle, mime <strong>de</strong>puis qu'ils ont été<br />

poésie même, et n'a serti cette fois à <strong>la</strong> philosophie<br />

révélés. Quant à <strong>la</strong> f rééminenee qu'il attache à son<br />

qu'à rendre plus sensible et plus frappante une idée<br />

iermàre, que l'on a foulu confondre a?ee notre<br />

• Tmêéê, mm ittl. — Nous renvoyons mm pgas <strong>de</strong> Mtlitlêa<br />

<strong>de</strong> Francfort, icoa, lu-fa!; en avertissant nie fols<br />

pmir toutes que le texte a souvent fort peu <strong>de</strong> rapport ave*<br />

«KfllSlIalîCMîS,.<br />

Trinité, elle tient à ces idées chimériques sur <strong>la</strong><br />

puissance <strong>de</strong>s sombres » que P<strong>la</strong>ton emprunta <strong>de</strong>s<br />

pythagoriciens, ainsi que beaucoup tfantras erreurs


344<br />

•COU1S BE LITTÉRATURE.<br />

mêlées avec les siennes. II faut i présent dire un<br />

mot <strong>de</strong>s principales, et voir <strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong> l'esprit<br />

humain, après en a?oir vu <strong>la</strong> force.<br />

P<strong>la</strong>ton a beaucoup écrit, beaucoup pensé , puisque<br />

ses ouvrages embrassent toutes les connaissances<br />

naturelles, et non-seulement toutes les parties <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> philosophie spécu<strong>la</strong>tif©; mais encore <strong>la</strong> physïologieet<br />

Fanfltomie; mais il faut avouer aussi qu'il<br />

a beaucoup rêvé. On lui doit pourtant cette justice,<br />

que, idèle imitateur <strong>de</strong> <strong>la</strong> réserve <strong>de</strong> son maître $ il<br />

se préserva toujours <strong>de</strong> cette affirmation tranchante<br />

qui caractérisait l'orgueil dogmatique <strong>de</strong> tant <strong>de</strong><br />

lectes <strong>de</strong> philosophes, dont chacun® se prétendait<br />

exclusivement en possession <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité. Sociale et<br />

P<strong>la</strong>ton donnaient toujours leurs opinions seulement<br />

comme probables : nous verrons à l'article <strong>de</strong> Clcéron<br />

que ce probabi'lisme, qui <strong>de</strong>vint le point <strong>de</strong> ralliement<br />

<strong>de</strong>s différentes écoles <strong>de</strong> l'académie fondée<br />

par P<strong>la</strong>ton, avait aussi ses inconvénients et ses abus.<br />

Mais ce fut <strong>du</strong> moins dans l'origine une sorte d'excuse<br />

pour cette foule d'hypothèses plus ou moins<br />

enrouées qu'il débitait avec d'autant moins <strong>de</strong> scrupule<br />

9 qu'il ne <strong>de</strong>mandait pour elles que cette espèce<br />

d'assentiment qu'on peut accor<strong>de</strong>r à ce qui n'est<br />

que probable, et non pas cette conviction qui ne<br />

peut naître que <strong>de</strong> Févi<strong>de</strong>nee.<br />

Mais cette probabilité même se trouve-t-elle à<br />

l'examen dans <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s théories <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton?<br />

nullement. II a trop peu <strong>de</strong> métho<strong>de</strong> et <strong>de</strong> logique;<br />

il abon<strong>de</strong> en suppositions gratuites : rien<br />

n'arrête Fessor <strong>de</strong> son imagination. Il semble toujours<br />

avoir <strong>de</strong>vant les yeux ce mon<strong>de</strong> intelligible,<br />

ces idées archétypes , où tout est disposé dans un<br />

ordre parfait <strong>de</strong> rapports infaillibles et éternels. Ce<strong>la</strong><br />

est es effet et doit être ainsi dans <strong>la</strong> sagesse divine;<br />

et <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> gloire <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton est <strong>de</strong> Fy avoir<br />

vu : c'est sûrement le plus grand pas <strong>de</strong> l'ancienne<br />

métaphysique, et qui suffirait seul pour mettre<br />

P<strong>la</strong>ton au rang <strong>de</strong>s plus beaux génies. Mais il n'a<br />

-pas compris que, si ce modèle idéal et parfait était<br />

nécessairement dans l'intelligence infinie quand elle<br />

a pro<strong>du</strong>it le mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> là même il s'ensuit qu'il ne<br />

saurait se retrouver dans l'intelligence humaine,<br />

qui elle-même n'a l'idée <strong>de</strong> Finie! que parce qu'elle<br />

trouve partout <strong>de</strong>s bornes qui se sont pas celles<br />

<strong>de</strong>s choses, mais <strong>de</strong> ses conceptions ; car si l'infini<br />

est dans les idées <strong>de</strong> Dieu, parce qu'elles embrassent<br />

tout , il n'est dans les nôtres que parce qu'elles<br />

n'embrassent rien, et que nous voyons toujours au<br />

<strong>de</strong>là <strong>de</strong> nous, et bien loin ah <strong>de</strong>là, le réel et le possible,<br />

sans aucun moyen d'y .atteindre. Il n'y a pas une<br />

science qui n'atteste que tout est partiel dans nos<br />

conceptions, et que nous ne pouvons rien c<strong>la</strong>sser<br />

parfaitement, parce que non-seulement nous m<br />

connaissons en rien les premiers principes, mais<br />

que nous* ne connaissons pas même à beaucoup<br />

près tous les effets et fous les acci<strong>de</strong>nts. La mo<strong>de</strong>stie<br />

<strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, au lieu <strong>de</strong> lui Interdire toute affirmation<br />

, ce qui est un excès et une erreur, aurait<br />

été mieux enten<strong>du</strong>e, si elle l'eût empêché <strong>de</strong> donner,<br />

même comme probable, ce qui n'était appuyé<br />

sur rien.<br />

Que signifie cette âme <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> qui n'est pas<br />

Bleu, et qui pourtant est une substance divine,<br />

comme s'il pouvait y avoir <strong>de</strong>ux substances dans<br />

<strong>la</strong> Divinité , dont P<strong>la</strong>ton lui-même a compris l'unité<br />

nécessaire ? Quelle contradiction ! et que <strong>de</strong> contradictions<br />

semb<strong>la</strong>bles dans tout le système <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton!<br />

Qu'est-ce que ce mon<strong>de</strong> animal, <strong>la</strong> troisième partie<br />

<strong>de</strong> son ternaire, et qui a fourni à Spinosâ <strong>la</strong> première<br />

base <strong>de</strong> son incompréhensible athéisme?<br />

Mais que dire surtout <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière dont P<strong>la</strong>ton<br />

explique <strong>la</strong> nature et <strong>la</strong> formation <strong>de</strong> Fâme humaine?<br />

Selon lui, elle est double, et même triple; et voici<br />

comment, autant <strong>du</strong> moins qu'il est possible <strong>de</strong> le<br />

comprendre à travers les obscurités <strong>de</strong> ses termes<br />

arbitraires et vagues, et <strong>de</strong> ses définitions subtiles.<br />

Le suprême Ouvrier, après avoir formé les astres et<br />

tous les corps célestes, et leur avoir promis l'immortalité,<br />

non pas qu'elfe appartienne à leur nature<br />

y mais comme un pur don <strong>de</strong> ses bontés ; après<br />

avoir donné au mon<strong>de</strong> une âme composée <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

substance immuable, invisible et incorruptible,<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> substance matérielle, divisible et muable;<br />

et encore d'une troisième substance mixte qui résulte<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux autres (inexplicable composé, qui<br />

pourtant, comme je l'ai dit, s'appelle chez lui un<br />

Dieu, ainsi que le mon<strong>de</strong> lui-même), s'adresse à<br />

ces dieux secondaires, à ces démons, qui ne sont ni<br />

plus c<strong>la</strong>irement définis ni mieux expliqués que tout<br />

le reste, et les charge <strong>de</strong> former tous les animaux<br />

dont Fexistence est comprise dans Fidée <strong>du</strong> grand<br />

animal qui est le mon<strong>de</strong>; et s'il s'en remet à eux<br />

pour cette création, c'est, dit-Il, que, s'il faisait<br />

lui-uiéme ces animaux, ils seraient immortels. Mais<br />

c'est <strong>de</strong> lui que ces agents inférieurs doivent recevoir<br />

les semences <strong>du</strong> seul animal qui sera participant<br />

<strong>de</strong> l'immortalité et doué <strong>de</strong> raison, an'tin mot*<br />

<strong>de</strong> Fhomme. Alors il fait lui-même un mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong>s<br />

éléments ou principes qui lut ont servi à pro<strong>du</strong>ire<br />

les astres ou Fâme <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> façon pourtant<br />

qu'ils n'aient pas dans Fhomme <strong>la</strong> même perfection<br />

et <strong>la</strong> même pureté. Les agents <strong>du</strong> grand Ouvrier joignent<br />

ensuite à cette partie immortelle <strong>de</strong> Fâme une<br />

autre espèce d'âme mortelle, susceptible <strong>de</strong> toutes<br />

les affections sensuelles d'où naissent le p<strong>la</strong>isir et


ANCIENS. — PH0LOSOPHIB.<br />

<strong>la</strong> douleur? -e€ <strong>de</strong> tontes les passions qui naissent do<br />

désir 011 dé <strong>la</strong> crainte. Voilà Meo jusqu'ici cffux<br />

âmes très-distinetes : mais, <strong>de</strong> peur que- <strong>la</strong> plus<br />

mauvaise a f aît trop d'empire- sur <strong>la</strong> meilleure, ils<br />

p<strong>la</strong>cent eellMi dans <strong>la</strong> partie supérieure <strong>du</strong> corps<br />

immain, dans <strong>la</strong> tête, et l'antre dans <strong>la</strong> poitrine ; et<br />

cette secon<strong>de</strong> âme se divise encore en <strong>de</strong>ux, Tirasdbk<br />

et <strong>la</strong> .cwwi^àmbk, que nos agents logent <strong>de</strong><br />

manière que le diaphragme en fasse <strong>la</strong> séparation.<br />

L'irascible a son siège dans le cœur, afin qu'elle<br />

soit plus près <strong>du</strong>. siège <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison, qui doit tem­<br />

pérer ses mou?ements. La concuplecU<strong>de</strong> est située<br />

plus bas, entre le diaphragme et le nombril, afin<br />

que, dans cet éloignement <strong>de</strong> <strong>la</strong> tête, elle excite le<br />

moins <strong>de</strong> troubles et <strong>de</strong> tempêtes qu'il est possible<br />

dans le domaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> partie divine, <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison.<br />

Si P<strong>la</strong>ton n'eût donné toute cette fabrique que<br />

comme une allégorie, un emblème <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ui puissances<br />

qui se disputent l'empire sur nous 9 <strong>la</strong> raison<br />

et <strong>la</strong> passion, ce genre d'apologue ne <strong>la</strong>isserait pas<br />

d'être ingénieux * et aurait <strong>du</strong> moins un <strong>de</strong>ssein assez<br />

c<strong>la</strong>ir, quoique toujours mêlé d'inconséquences;<br />

car, pourquoi les mou?ements <strong>de</strong> <strong>la</strong> colère et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

•engeance auraient-ils plus besoin <strong>du</strong> se<strong>cours</strong> prochain<br />

et <strong>du</strong> frein <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison que les mon?ements<br />

<strong>du</strong> désir et <strong>de</strong> <strong>la</strong> volupté? Ces <strong>de</strong>ux âmes, comme<br />

P<strong>la</strong>ton les appelle, qui passèrent <strong>de</strong>puis dans Fécole<br />

<strong>de</strong> son disciple Aristote, et chez tous les sco<strong>la</strong>stiques<br />

mo<strong>de</strong>rnes jusqu'à ces <strong>de</strong>rniers temp, mais sous un<br />

autre etoaa 9 celui ëappétU irmeièk et û'appétM<br />

mmmpiecék, ces <strong>de</strong>ux Ames ou ces<strong>de</strong>uxoppltfte m<br />

sont ni moins indociles ni moins funestes l'un que<br />

tartre , et Ton ne toit pas d'ailleurs ce que <strong>la</strong> distance<br />

plus ou moins gran<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces âmes à celle <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> tête peut oter ou ajouter à leur action ou à leur<br />

résistance réciproque. Mais ce qu'il est absolument<br />

impossible <strong>de</strong> concevoir, c'est ce que P<strong>la</strong>ton dit <strong>du</strong><br />

foie, qui, étant un corps spongieux , est p<strong>la</strong>cé tout<br />

près <strong>de</strong> finie cûncupUcièk, comme un miroir <strong>de</strong>stiné<br />

à lui représenter les lois <strong>de</strong> l'âme souveraine,<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> raison. C'est une étrange idée que <strong>de</strong> faire <strong>du</strong><br />

foie un miroir moral; et l'usage <strong>de</strong>s figures et <strong>de</strong>s<br />

comparaisons, qui esty eagénérai, un <strong>de</strong>s agréments<br />

<strong>du</strong> style <strong>de</strong> ce bril<strong>la</strong>nt philosophe, est aussi un <strong>de</strong>s<br />

écueils <strong>de</strong> son jugement, et le jette dans <strong>de</strong>s écarts<br />

bien extraordinaires.<br />

Yous sentez que je ne m'amuse pas à relever tout<br />

ce qu'il y a d'incohérent et d'incompréhensible dans<br />

ce ma<strong>la</strong>droit assemb<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> métaphysique et d'anatomie.<br />

Je ne fais père que marquer <strong>de</strong> préférence<br />

les erreurs qui se sont propagées <strong>de</strong>s anciens jusqu'à<br />

nous, pour vous faire voir qu'en ce genre les<br />

différents siècles n'ont guère fait que se copier les<br />

345<br />

uns les autres avec plus ou moins <strong>de</strong> ?arîations$ et<br />

que le principe est toujours et sera toujours le mène 9<br />

<strong>la</strong> présomptueuse curiosité pour ce 91e nous ne pouvons<br />

pas sa?oir et pour ce que nous foulons toujours<br />

<strong>de</strong>viner. L'erreur se lègue ainsi d'un âge à l'autre,<br />

dans <strong>la</strong> race humaine 9 comme un héritage <strong>de</strong> famille<br />

, tantôt grossi $ testât diminué , éprouvant divers<br />

changements selon les mains où il tombe, et enrichissant<br />

les uns ou ramant les autres, selon l'usage<br />

qu'on en fait. Le faible pour <strong>la</strong> divination, par exem­<br />

ple , qui est celui <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, comme <strong>de</strong> tous les anciens<br />

, a fait <strong>de</strong> ses ouvrages le premier répertoire<br />

<strong>de</strong>s illuminés et <strong>de</strong>s thêosophes 9 et <strong>de</strong>s cabalistes <strong>de</strong><br />

tous les genres. C'est lui qui nous dit très-sérieusement<br />

que cette âme matérielle et sensuelle, toute<br />

grossière qu'elle est, s'est pourtant pas inhabile à<br />

<strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong> toutes sortes <strong>de</strong> vérités, et il lui<br />

attribue particulièrement <strong>la</strong> faculté <strong>de</strong> <strong>de</strong>viner et<br />

<strong>de</strong> prophétiser; ce qui n'arrive, dit-Il, que dans le<br />

sommeil, par le moyen <strong>de</strong>s songes, ou dans cet état<br />

d'enthousiasme que les anciens appe<strong>la</strong>ient fureur,<br />

aliénation, tel qu'était celui <strong>de</strong>s sibylles et <strong>de</strong>s prétresses<br />

: et voilà nos somnamèuitMes et nos eonvulsionnaires.<br />

Les beaux moyens <strong>de</strong> vérité, que les<br />

rêves et <strong>la</strong> démence! C'est aussi par les écrits <strong>de</strong><br />

P<strong>la</strong>ton que s'est le plus répan<strong>du</strong>e <strong>la</strong> chimérique doctrine<br />

<strong>de</strong>s nombres, qui joue un si grand rôle dans<br />

<strong>la</strong> cabale; car, quoique cette doctrine fût <strong>de</strong> Pyiha»<br />

gore, comme nous n'avons aucun <strong>de</strong> ses ouvrages,<br />

nous m <strong>la</strong> connaissons guère que par ceux <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton<br />

, qui fréquenta longtemps ses disciples en Sicile 9<br />

et emprunta beaucoup <strong>de</strong> leur philosophie, qu'il fondit<br />

dans <strong>la</strong> sienne. Ce n'est pas qu'il ait jamais été<br />

aussi fou que les cabalistes sur les merveilleuses propriétés<br />

<strong>de</strong>s nombres, mais un ton souvent exalté ou<br />

mystérieux, qui est un <strong>de</strong>s caractères <strong>de</strong> ses traités<br />

métaphysiques, a dooné en effet lieu <strong>de</strong> croire qu'il<br />

voyait dans les nombres ce que jamais le bon sens<br />

n'y verra. S'il y a quelque chose au mon<strong>de</strong> d'évi<strong>de</strong>nt,<br />

c'est que les propriétés <strong>de</strong>s nombres sont purement<br />

mathématiques, c'est-à-dire qu'elles ne peuvent s'étendre<br />

en aucun sens au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> <strong>la</strong> sphère <strong>de</strong>s calculs<br />

et <strong>de</strong>s mesures, sans que jamais II en puisse<br />

résulter un effet quelconque sur les objets calculés<br />

ou mesurés, ni sur l'intelligence qui calcule ou qui<br />

mesure. Il n'est pas moins certain que cette ténébreuse<br />

folie est encore aujourd'hui une science<br />

dans toute l'Europe, c'est-à-dire <strong>la</strong> science dm<br />

insensés.<br />

P<strong>la</strong>ton n'a-t-iï pas pris à Pythagore sa métempsycose<br />

, qui ne kl sert qu'à gâter le dogme salutaire<br />

<strong>de</strong>s peines et <strong>de</strong>s récompenses à venir? Écoutez-le,<br />

et il vous dira, ou plutét il fera parler Dieu même,


346<br />

GODES BE UTTÉMTU1K<br />

pour f ous dire mm l'autorité cf un suprême légis-, bord créé tnHedaM tous lit indivi<strong>du</strong>s-, i»is«ti§ il<br />

<strong>la</strong>teur:<br />

furent méchants ayant été à <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> pério<strong>de</strong> diui-<br />

« Que les âmes «pi auront mmmté h colère, <strong>la</strong> vogés en femmes* mmwm il avait été prescrit, alun<br />

lupté, U cupidité, et vécu dans <strong>la</strong> justice , »»t heure®' les ïsdif i<strong>du</strong>s <strong>de</strong> fus et dt l'autre saie qui tfataseatt<br />

ses après <strong>la</strong> mort ; que celtes qui auront mal vécu <strong>de</strong>?ien- pas bien vécu subirent à une troisième époque les<br />

mmi femmes dans use secon<strong>de</strong> gésétitlôis et Mte$ dans métamorphoses suivantes : Les philosophes d'un es»<br />

une troisième , si elles ne se sont fMf amendées ; et qu'elles<br />

m cessent <strong>de</strong> parcourir les différentes espèces <strong>de</strong> bêtes,<br />

prit léger, qui avaient cru pouvoir, par le aecaors<br />

Jusqu'à ce qu'elles aJent appris I se soumettre m tout à <strong>de</strong>s sens, atteindre à <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong>s chutes In­<br />

hmlmm. » (Tlimée, page 1054.)<br />

tellectuelles , furent changés en «seau; ceux qui,<br />

négMgeantl'étu<strong>de</strong><strong>de</strong>sdio^<br />

P<strong>la</strong>too9 qui s'était fait légis<strong>la</strong>teur dans sa Mépu-<br />

que <strong>de</strong>s objets terrestres, <strong>de</strong>vinrent <strong>de</strong>s quadrupèêHqw,<br />

c'estrà-dire dans son cabinet, ce qui est per<strong>de</strong>s<br />

, et, parmi eux, les plus mauvais détinrent <strong>de</strong>s<br />

mis à tout le mon<strong>de</strong> f aurait pu <strong>du</strong> moins faire <strong>de</strong><br />

reptiles ; enfin les plus f<strong>la</strong>pies forent condamnés à<br />

même dans sa Tkéodicée*, et m pas promulguer<br />

être poissons, comme indignes <strong>de</strong> respirer le même<br />

ses lois par l'organe <strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse éternelle. Je ne<br />

airquenous. Sans nous altéra ces transformations<br />

parle pas <strong>de</strong> cette singulière progression <strong>de</strong> peines s successives et sans cesserenouvelées, qui n'ont d'an­<br />

qui p<strong>la</strong>ce <strong>la</strong> bête immédiatement au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

tre fon<strong>de</strong>ment que <strong>de</strong>s analogies p<strong>la</strong>isamment mora­<br />

femme : j'imagine que ?ous n'aurez fait qu'en rire;<br />

les , observons le seul résultat série» qu'on en puisse<br />

et si P<strong>la</strong>ton peut <strong>de</strong>?enk une occasion <strong>de</strong> scandale 9 tirer : c'est que, dans le système <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, rime<br />

€*est quand il statue longuement et dïsertemeot,<br />

humaine, telle qu'il <strong>la</strong> suppose, mi-partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> subs­<br />

dans sa RépiêUque, qm toutes les femmes seront<br />

tance immortelle et <strong>de</strong> <strong>la</strong> substance mortelle f est in­<br />

communes à tous les citoyens. Ce n'est pas sans quelcessamment<br />

répan<strong>du</strong>e dans toutes les espèces anique<br />

répugnance que je mets sous vos yeux ce monsmales,<br />

qui par conséquent ne diffèrent <strong>de</strong> l'homme<br />

trueux délire d'un <strong>de</strong>s plus illustres philosophes <strong>de</strong><br />

que par <strong>la</strong> forme. Ce dogme est pris tout entier <strong>de</strong><br />

l'antiquité : le scandale est ici if autant plus réel,<br />

l'école <strong>de</strong> Pythagore, et n'en est pas moins une <strong>de</strong>s<br />

que le même dogme a été renouvelé plus d'une fois,<br />

plus choquantes absurdités oà puisse tomber <strong>la</strong> phi­<br />

et même <strong>de</strong> nos jèurs. Mais il est juste d'ajouter que<br />

losophie, et une <strong>de</strong>s contradictions les pins mani­<br />

cette immoralité, qui à <strong>la</strong> vérité est forte 9 est <strong>du</strong><br />

festes dans un philosophe qui nous avait d'abord dit<br />

moins <strong>la</strong> seule qui se rencontre dans P<strong>la</strong>ton 9 dont les<br />

<strong>de</strong> si belles choses sur l'origine <strong>de</strong> notre âme et sur<br />

écrits respirent d'ailleurs <strong>la</strong> morale, non-seulement<br />

sa <strong>de</strong>stination.<br />

<strong>la</strong> plus pure, mais <strong>la</strong> plus élevée, et qui n'est jamais<br />

plus éloquent que quand il appelle l'âme <strong>de</strong> L'ordre et <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> ne sont sûrement pas pour<br />

rhomme à <strong>la</strong> contemp<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> ce modèle priait P<strong>la</strong>ton au nombre <strong>de</strong>s mérites et <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs; car sa<br />

dont elle porte en elle l'image, et <strong>de</strong> ces idées éter­ métaphysique, et sa physique, et sa musique, ef sa<br />

nelles qui sont pour elle les miroirs <strong>de</strong> J*honnéteté physiologie, et ses mathématiques, sont îaiifféretij-<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu. Lui-même eut une con<strong>du</strong>ite conforme ment semées dans ses ÎIffes et Im Mépmèëque et <strong>de</strong>s<br />

I ses principes ; et s'il s'est une fois égaré à ce point EM$. Tout est pêle-mêle dans ses ouvrages ; ce qui<br />

dans ses spécu<strong>la</strong>tions politiques, tout ce qu'il y a <strong>de</strong> n'empêche pas que <strong>la</strong> lecture n'en soit agréable,<br />

meilleur à en conclure, c'est que <strong>la</strong> raison humaine parce qu'il jette sur tous les objets une étonnante<br />

sans gui<strong>de</strong> est capable, même en morale t et même profusion d'idées, <strong>la</strong> plupart très-hasardées, et aou-<br />

dans le plus honnête homme, <strong>de</strong>s plus honteuses test même fausses, maïs toujours plus on moins<br />

illusions.<br />

sé<strong>du</strong>isantes, ou par une imagination qui exerce celle<br />

Je <strong>la</strong>isse <strong>de</strong> eôté ses Jnér&g^nm, autrement Her­ <strong>du</strong> lecteur, ou par Paîtrait d'un style orné et Ëeuri,<br />

maphrodites, Mile cependant aussi ingénieuse qu'au­ ou par le piquant <strong>de</strong> <strong>la</strong> contre?erse et <strong>du</strong> dialogue.<br />

cune <strong>de</strong> celles <strong>de</strong>s Grecs, et qui a fourni à nos poètes C'est peut-être le plus bel esprit <strong>de</strong> l'antiquité et<br />

<strong>la</strong> matière <strong>de</strong> petits contes assez gais et assez con­ celui qui a parlé <strong>de</strong> tout avec le plus <strong>de</strong> facilité et<br />

nus pour me dispenser d'en parier ici. Mais je pois d'agrément. Aussi les poètes et les orateurs les plus<br />

ajouter à ce que ? ous avez enten<strong>du</strong> <strong>de</strong> sa métempsy­ célèbres chez les Grecs et les Eomains avaient sans<br />

cose une autre distribution qui vous praltra plus cesse dans les mains ses nombreux écrits, et ne se<br />

p<strong>la</strong>usible, comme allégorie morale, et qui lui sert à cachaient pas ou se glorifiaient même <strong>du</strong> profit qu'ils<br />

rendre compte à sa manière <strong>de</strong> l'origine <strong>de</strong>s diverses en tiraient. On sait quelle vénération avait pour lui<br />

espèces d'animaux. Le premier, l'homme, fut d'a- Cicéron, qui le traite toujours d'homme divin, et<br />

8 qui ne connaît pas <strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong> autorité que <strong>la</strong><br />

Ce mot veut dire jmUm 4$ JMm : c'est Se titra #aa<br />

outrage <strong>de</strong> Ldtmitz.<br />

sienne; et nous apprenons <strong>de</strong> Plutarque que ce fut


<strong>la</strong> leetun <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton fui détermina iMmûsthènes an<br />

genre d'éloquence politique qu'il adopta, celui qui<br />

eoaaiateà préférer en toute occasion m qui est honnête<br />

et glorieux; et tel est en effet, si vous tous en<br />

souveseï, le principe <strong>de</strong> toutes ses haranguai. Si<br />

l'on cherche m qui put donner à P<strong>la</strong>ton eette poissante<br />

Influence qu'il exerça longtemp sur les plus<br />

garnis esprits, on verra que ce ne pouvait être que<br />

<strong>la</strong> partie morale <strong>de</strong> sa philosophie, sans comparaison<br />

te meUleure <strong>de</strong> toutes, purée qu'elle est.nobleY<br />

insinuante, persuasif e , accommodée à ta nature humaine,<br />

et <strong>la</strong> dirigeant toujours-?ers le bien dont<br />

elle est capable, sans <strong>la</strong> rebuter par <strong>la</strong> morgue et<br />

<strong>la</strong> roi<strong>de</strong>ur <strong>du</strong> stoïcisme. Personne 9 parmi les païens,<br />

n'a mieux parlé <strong>de</strong> <strong>la</strong> Divinité et <strong>de</strong> nos rapports<br />

a?ee elle. On croit à <strong>la</strong> vérité que les litres <strong>de</strong>s Hébreux<br />

qui font une partie <strong>de</strong> nos litres saints ne lui<br />

«toi pas été inconnus; et ce qui peut appuyer eette<br />

conjecture, c'est qu'ils étaient assez répan<strong>du</strong>s en<br />

Egypte lorsque P<strong>la</strong>ton y voyagea, puisqu'il ne s'écou<strong>la</strong><br />

guère qu'un siècle <strong>de</strong>puis lui jusqu'à Ptolémée<br />

PWlâ<strong>de</strong>lphe, que <strong>la</strong> célébrité <strong>de</strong>s écrits <strong>de</strong> Moïse et<br />

le désir d'enrichir <strong>la</strong> fameuse bibliothèque d'Alexandrie,<br />

formée par son père, engagèrent à faire tra<strong>du</strong>ire<br />

en grec les litres sacrés <strong>de</strong>s Hébreux. Ce qui<br />

fient encore à Fappui <strong>de</strong> cette opinion, c'est <strong>la</strong> conformité<br />

frappante <strong>de</strong>s idées <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton avee celles <strong>de</strong><br />

l'Écriture sur l'inévitable jugement <strong>de</strong> Bien, sur<br />

sa présence à toutes nos actions et à tontes nos<br />

pensées; conformité qui va même jusqu'à celte <strong>de</strong>s<br />

expressions et <strong>de</strong>s phrases; témoin ce passage <strong>de</strong>s<br />

ANCIENS. — PHILOSOPHE- 34?<br />

L'on ne sera ps surpris <strong>de</strong> cette rigueur, si Ton<br />

« Si Je m'élève Jusqu'aux <strong>de</strong>ux, veut y êtes; si je se rappelle combien tous les gou?ornements <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>scends dans Isa proftn<strong>de</strong>tim <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre, je tous y Grèce étaient ennemis <strong>de</strong> l'irréligion, et que tes-<strong>de</strong>ux<br />

trouve*; »<br />

ou trois sophistes qui manifestèrent une opinion<br />

et celui <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, dans le dixième livre <strong>de</strong>s Luis, contraire à l'existence <strong>de</strong>s dieux n'évitèrent le sup­<br />

- « Quand vous seriez tssee petit pour <strong>de</strong>scendre dans les plice que par un exil volontaire. Les Eomains, en­<br />

proi»d@!i» <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre, os asser liant pour <strong>mont</strong>er dans core fort étrangers à toute espèce <strong>de</strong> philosophie<br />

le sfei avec <strong>de</strong>s aies, vous l'échapperez pas aux repris lorsqu'ils firent leurs lois, ne supposèrent pas appa­<br />

<strong>de</strong>ttes.» (Page 9§S,B.)<br />

remment que l'on pût nier l'existence <strong>de</strong> <strong>la</strong> Divinité,<br />

H est possible que P<strong>la</strong>ton et le psalmiste se soient puisqu'en ordonnant <strong>de</strong>s peines capitales contre le<br />

rencontrés ; mais <strong>la</strong> rencontre est remarquable. Au saerfîége et Timpiété ils ne firent aucune mention <strong>de</strong><br />

reste, c'est dans ce même livre <strong>de</strong>s Lois que P<strong>la</strong>ton l'athéisme, qui pourtant, vers, les <strong>de</strong>rniers temps <strong>de</strong><br />

établit et jesïiie <strong>la</strong> Provi<strong>de</strong>nce par <strong>de</strong>s moyens puisés <strong>la</strong> république, et à l'époque <strong>de</strong> l'extrême déprava*<br />

dans ia plus saine philosophie. 11 prouve très-bien lien <strong>de</strong>s mœurs, <strong>de</strong>vînt commun cbei eux, comme<br />

que Un liférence ou l'impuissance à l'égard <strong>de</strong>s chez les Grecs, mais <strong>de</strong> <strong>la</strong> même manière que parmi<br />

choses humaines sont également incompatibles avec nous; c'est-à-dire que <strong>la</strong> Divinité était plutôt ou­<br />

<strong>la</strong> nature divine, et il est le premier chez lequel on bliée ou méconnue par inconsidération que niée par<br />

trouve cet argument invincible, que l'homme, qui conviction. 11 y eut pourtant eette différence, que<br />

ne peut jamais voir que les acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> l'indivi<strong>du</strong> Home n'eut point <strong>de</strong> professeurs d'athéisme propre- ^<br />

et <strong>du</strong> temps, c'est-à-dire, ce qui est partiel et pas- ment dits, et que ia France et l'Europe en ont eu, '<br />

* Psaume 13SS ¥. 8; àmm, Pmpkét, n, 2.<br />

sager, ne saurait être juge compétent <strong>du</strong> <strong>de</strong>ssein<br />

<strong>de</strong> Dieu, qui doit nécessairement rapporter et subordonner<br />

le particulier au général » et le temps<br />

à l'éternité.<br />

fl n'y a en philosophie aucune réponse possible<br />

à cette démonstration : il n'y en a que dans l'athéisme,<br />

qui n'est point une philosophie; et Ton<br />

sf attend bien que P<strong>la</strong>ton ne doit pas aimer les athées.<br />

Il est même, dans sa légis<strong>la</strong>tion, très-sévère à leur<br />

égard, et d'autant plus que <strong>la</strong> justice divine est <strong>la</strong><br />

première base <strong>de</strong> toutes ses lois criminelles et civiles<br />

, et que le sacerdoce et le culte sont ciies lui au<br />

premier rang dans l'ordre politique; en quoi P<strong>la</strong>ton<br />

ne diffère d'aucun légis<strong>la</strong>teur ni d'aucun gouvernement<br />

connu <strong>de</strong>puis l'origine <strong>de</strong>s sociétés : ce n'est<br />

pas en, ce point qu'on peut le trouver novateur ou<br />

romanesque. Quant aux athées, voici ses paroles, à<br />

l'article <strong>de</strong>s lois contre l'impiété :<br />

« Parmi ceux qui aient <strong>la</strong> Divinité, il en est qui, par<br />

une salie <strong>de</strong> leur bon naturel, s'abstiennent <strong>de</strong> mal faire<br />

et vivent bien; il en est qui pe cherchent dans celte opinion<br />

qu'une sauvegar<strong>de</strong> à leurs passions et à leurs vices :<br />

<strong>la</strong>s uns et les astres sont plus ou moins nuisibles à Tordre<br />

public. Les premiers seront punis <strong>de</strong> cinq ans <strong>de</strong><br />

détention ; et pendant ee temps Us ne verront que tes magistrats<br />

chargés <strong>de</strong> l'inspection <strong>de</strong>s prisons, et qui les exher*<br />

tirait à rentrer en eux-mêmes et à revenir au bon sens.<br />

Ils feront ensuite mis en liberté; mais, s'ils se rendait<br />

<strong>de</strong> nouveau coupables <strong>du</strong> même crime, ils seras! mis à<br />

mort. Les autres ssraat eoiidamnés à une prison perpétuelle,<br />

et après leur mort, ils seront privés <strong>de</strong> sépulture<br />

et jetés hors <strong>du</strong> territoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> répmUqiie ! . »<br />

* Gedntotqrtiaeaiislyie.—•oyasIetailtg^PM


348 COURS DE UTTÉKATUBE.<br />

doat plusieurs même, dans les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers siècles,<br />

pérfreat <strong>du</strong> <strong>de</strong>rnier supplice. Malgré ces exemples!<br />

et l'autorité <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, qui eu toute autre chose<br />

est fort lois d'usé rigueur outrée, raoo. âfis, si j'étais<br />

obligé d'en a?oir un, ne serait jamais pour use<br />

peine capitale; maïs il ma semble que Ton pourrait<br />

dire à celui qui professe ouvertement l'athéisme :<br />

Votre doctrine est contraire à tout ordre social, et<br />

¥Ous êtes par conséquent très-coupable <strong>de</strong> n'a?oïr<br />

pas <strong>du</strong> moins gardé pour vous seul une opinion qui<br />

ne peut faire que <strong>du</strong> mal. Dès que ?ous l'avez fait<br />

connaître, TOUS ne pouvez plus vivre sous nos Jois,<br />

dont vous méconnaisses le premier principe. Retirez:vous<br />

donc <strong>de</strong> notre territoire, et allez vivre là<br />

où l'on voudra vous souffrir.<br />

« Toute impiété, dit P<strong>la</strong>toa, a l'erreur pour principe. »<br />

( P. 945. )<br />

C'est directement l'opposé <strong>de</strong> <strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong> nos<br />

jours, qui tient pour premier axiome, que toute retigion<br />

est une erreur. Il paraît que P<strong>la</strong>ton, d'ailleurs<br />

si doux et si in<strong>du</strong>lgent, ne pouvait tolérer l'irréligion.<br />

On s'en aperçoit au commencement <strong>de</strong> son<br />

dixième livre <strong>de</strong>s LQM3 Où il se propose <strong>de</strong> convaincre<br />

l'impiété comme absur<strong>de</strong>, avant <strong>de</strong> <strong>la</strong> condamner<br />

comme criminelle.<br />

« Quoiqu'il ne soit pas possible» dit-il, <strong>de</strong> m pas baïr<br />

les impies, et <strong>de</strong> ne pas s'élever contre en avec félié»<br />

mmsœ, tâchons cependant <strong>de</strong> contenir notre indignation f<br />

et <strong>de</strong> raisonner avec eni le plus pusthtemeiit qu'il nous sera<br />

possible. »(p. 947.)<br />

Et c'est ce qu'il fait : mais plus ces raisonnements<br />

sont p<strong>la</strong>usibles, plus os ea peut conclure qu'on n'eût<br />

pas ainsi <strong>la</strong>issé raisonner <strong>de</strong> nos jours ira si grand<br />

ennemi <strong>de</strong> l'irréligion ; et que y s'il fut assez heureux<br />

pour échapper aux <strong>de</strong>w tyrans <strong>de</strong> Syracuse f il n'aurait<br />

pas échappé aux tyrans <strong>de</strong> notre révolution.<br />

L'article <strong>de</strong>s femmes est toujours celui où P<strong>la</strong>ton<br />

est le plus malheureux. 11 veut les faire élever dans<br />

les mêmes exercices que les hommes 9 et qu'elles<br />

portent les armes comme eux. Sa raison est f ail<br />

n f y a <strong>de</strong> différence d'un sexe à l'antre que celle <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> force; en quoi d $ abord iJ se trompe beaucoup :<br />

mais en admettant même cette assertion, dont on<br />

prouverait aisément <strong>la</strong> fausseté, comment un philosophe<br />

tel que lui oVt-il pas fait attention aux<br />

conséquences aussi nombreuses qu'importantes qui<br />

résultent <strong>de</strong> cette seule disparité <strong>de</strong> constitution<br />

physique? Comment n'a-t-il pas vu qu'il serait inconséquent<br />

et absur<strong>de</strong>, dans Tordre naturel, que<br />

cette disparité si marquée fût un acci<strong>de</strong>nt isolé, et<br />

qui ne tint pas à une disparité bien plus enten<strong>du</strong>e <strong>de</strong><br />

moyens, <strong>de</strong> fonctions et <strong>de</strong> <strong>de</strong>voirs, qui enrichissent<br />

à <strong>la</strong> fois les <strong>de</strong>oi sexes /précisément par l'oppo­<br />

sition et <strong>la</strong> compensation <strong>de</strong> ci qui manque à chacun<br />

d'eux? Ce qui lui manque, à lui, c'est <strong>la</strong> liaison<br />

<strong>de</strong>s idées : s'il Favaît consultée a?ee plus d'atten*<br />

tion 5 et s'il eût rempli ce premier <strong>de</strong>?oir iu philosophe,<br />

d'analyser d'abord parfaitement le réel avant<br />

<strong>de</strong> chercher le possible, d'où il résulte le plus souvent<br />

que ce qui est n'est autre chose que ce qui doit<br />

être; s'il eét suit!-cette marche dans l'examen <strong>de</strong>s<br />

différences spécifiques <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux sexes, et <strong>de</strong> faction<br />

réciproque <strong>du</strong> physique et <strong>du</strong> moral dans tous les<br />

<strong>de</strong>ux, il aurait bien autrement encore adoré cette<br />

Profi<strong>de</strong>nce bienfaitrice dont il parle d'ailleurs si<br />

bien, mais qu'il était loin d'avoir assez étudiée. Cette<br />

étu<strong>de</strong>, au reste, <strong>de</strong>vait être un <strong>de</strong>s grands avantages<br />

<strong>de</strong> ceux qui ont eu le se<strong>cours</strong> inappréciable-<strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> révé<strong>la</strong>tion": eux seuls peuvent savoir qu'il'n'y a ici<br />

<strong>de</strong> vraie philosophie (pour parler humainement), ou<br />

pour mieux dire, qu'il n'y a <strong>de</strong> vraie sagesse^quo dans<br />

ces simples paroles <strong>du</strong> Créateur, lorsqu'il voulut<br />

faire une compagne pour Adam, et que pour <strong>la</strong> lui<br />

donner, il <strong>la</strong> tira <strong>de</strong> sa propre chair : II n'est pas<br />

bon que l'homme soit seul. Et P<strong>la</strong>ton ne s'aperçoit<br />

pas que, dans son système, l'homme, a?ec une<br />

femme, serait encore seul» Heureusement ce système<br />

est totalement impraticable 1 . Aussi us philo*<br />

sophe révolutionnaire s'est-il empwssé<strong>de</strong> l'adopter,<br />

il y a quelques années. 11 n'a pas foit plus fortune<br />

chez lui qm chez P<strong>la</strong>ton ; mais je suis fâché que ce<br />

soit P<strong>la</strong>ton qui fe lui ait fourni.<br />

On a emprunté <strong>de</strong> ses traités <strong>de</strong>s Lois <strong>de</strong>ux autres<br />

articles fort différents, et qui font partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière<br />

constitutif» frapçais© : l'un fort sensé, <strong>la</strong><br />

justice arbitrale, dont je crois que P<strong>la</strong>ton est le premier<br />

auteur, mais qui a été rarement usitée ; l'autre<br />

encore très-problématique, <strong>la</strong> révision décennale<br />

<strong>de</strong>s lois ; celui-là pourrait être le sujet d'une discussion<br />

qui n'a rien <strong>de</strong> commun avec les matières qui<br />

nous occupent.<br />

Au reste, si l'on veut une preu?e <strong>du</strong> peu d'accord<br />

qui règne dans <strong>la</strong> politique <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, bien plus encore<br />

que dans sa métaphysique t il suffira <strong>de</strong> remarquer<br />

ce qu'il dit dans son dialogue intitulé l'Homme<br />

poUtiqw *, et ce qu'il prescrit ensuite dans sa République<br />

et dans les lois qu'il lui donne. Voici les propositions<br />

qu'il établit dans son dialogue :<br />

« La p@litiqiiê est Fart <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r aai hommes, <strong>de</strong><br />

con<strong>du</strong>ire k chose publique ; cet art est aae s<strong>de</strong>ace, et<br />

une science très-rare et très-difficile f qui se peut appartenir,<br />

dans chique état, qu'à nn homme ou <strong>de</strong>ux, ou <strong>du</strong><br />

moins à très peu d'hommes. C'est donc une science qu'on<br />

peut appeler royale. D'où a suit que le meilleur <strong>de</strong> tous tes<br />

1 Comlorcet<br />

* Édition grecque déjà citée, pap m.


gouvernements est <strong>la</strong> tmmmhk, et le pies maniais if<br />

toos <strong>la</strong> démocratie 9 comme é<strong>la</strong>nt le plus éloigné <strong>du</strong> premier.<br />

Onant à ce<strong>la</strong>i qui est entre les <strong>de</strong>ux 9 et qu'on nomme aristocratique,<br />

c'est-à-dire le gouvernement <strong>de</strong>s menteurs ou<br />

<strong>du</strong> très-petit sombre , ii ne vaut pas le mouarchiqQe f mais<br />

il vaut aiietii que le démoentiqiie. *<br />

P<strong>la</strong>ton développe ensuite avec une très-gran<strong>de</strong> force<br />

tous les vices et tous les dangers <strong>du</strong> pouvoir <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> 9 et refuse même le nom <strong>de</strong> politique<br />

à toute administration qui n'est pas celle d'un<br />

seul, parce que l'administrateur, à moins d'être<br />

roi , est plus ou moins subordonné aui caprices<br />

<strong>de</strong> ceux qu'il gouverne. Sans entrer dans un examen<br />

qui nous serait ici étranger, j'observerai seulement<br />

que les conséquences <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton ne découlent point<br />

<strong>du</strong> tout <strong>de</strong> ses principes » et que f quand <strong>la</strong> science<br />

<strong>de</strong> gouverner ne pourrait rési<strong>de</strong>r que dans un seul<br />

gouvernant, ce qui est très-faux9 il ne s'ensuivrait<br />

pas <strong>du</strong> tout que le gouvernant dût avoir cette science,<br />

qui certainement n'est ni une attribution ni un héritage.<br />

11 n'est pas plus vrai que <strong>la</strong> politique appartienne<br />

exclusivement ni même éminemment à celui<br />

qui gouverne seul , sous quelque nom que ce soit :<br />

et ici les faits parlent plus haut que toutes les théories;<br />

car, à ne consulter que l'histoiref je ne sais si, au<br />

jugement <strong>de</strong>s connaisseurs, on trouverait dans quelque<br />

monarque que ce soit, à plus forte raison dans<br />

une suite <strong>de</strong> monarques ? une politique plus admirable<br />

que celle <strong>du</strong> sénat romain jusqu'au temps <strong>de</strong>s<br />

Grecques, ou <strong>du</strong> sénat <strong>de</strong> Yenise jusqu'au <strong>de</strong>rnier<br />

siècle. Que serait-ce, si je faisais entrer ici en ligne<br />

<strong>de</strong> compte les ministres, qui non-seulement ne<br />

gouvernaient pas seuls, mais qui avaient à combattre<br />

à <strong>la</strong> fois et le roi et <strong>la</strong> nation, tels, par exemple,<br />

que Richelieu et Ximenez, regardés universel*<br />

lement comme <strong>de</strong>ux politiques <strong>du</strong> premier ordre ?<br />

Toutes ces méprises font assez voir que ce n'est pas<br />

sans fon<strong>de</strong>ment que j'ai reproché à P<strong>la</strong>ton le défaut<br />

<strong>de</strong> logique, qui en effet tient <strong>de</strong> fort près, pour<br />

l'ordinaire, à <strong>la</strong> vivacité d'imagination. Il pose beaucoup<br />

trop légèrement ses principes, et les conséquences<br />

<strong>de</strong>viennent ensuite ce qu'elles peuvent ; et,<br />

comme elles ne le font jamais revenir sur ses pas,<br />

<strong>du</strong> moins dans un même ouvrage, il s'en tire par<br />

<strong>de</strong>s subtilités qui, à <strong>la</strong> fin, le mènent très-loin <strong>du</strong><br />

point d'où II était parti.<br />

Mais ce qui est le plus étonnant, c'est qn'ïmmédiatement<br />

après ce traité où il vient <strong>de</strong> faire un<br />

éloge exclusif <strong>de</strong> <strong>la</strong> monarchie, viennent les livres<br />

<strong>de</strong> sa MépubMqtiê, qui n'est autre chose qu'un mé<strong>la</strong>nge<br />

<strong>de</strong> beaucoup cf aristocratie et d'un peu <strong>de</strong> démocratie,<br />

et, pour tout dire, une espèce <strong>de</strong> communauté<br />

philosophique, comme Sparte était une<br />

ANCIENS. — P11LOS0PM1E. 149<br />

communauté militaire; mm cette différence, que<br />

Sparte, au moyen <strong>de</strong> l'injure faite à l'humanité dans<br />

ses esc<strong>la</strong>ves appelés Mûtes, et <strong>de</strong> son empire tyran*<br />

nique sur ses sujets qu'elle appe<strong>la</strong>it aiiiés, pouvait<br />

subsister par <strong>la</strong> force <strong>de</strong> ses institutions guerrières ;<br />

et qu'au contraire <strong>la</strong> Mëpubiiqmê <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton ne donnant<br />

<strong>de</strong>s armes qu'à une partie <strong>de</strong>s citoyens, qu'il<br />

appelle Jet gardiens, et s'en rapportant d'ailleurs<br />

à leur é<strong>du</strong>cation et a leur sagesse, sans donner au<br />

reste <strong>du</strong> peuple aucun contre-poids contre leur<br />

puissance, il était plus que probable que ies gardiens<br />

pourraient, quand ils le voudraient, <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s<br />

loups, et dévorer le troupeau, au lieu <strong>de</strong> le gar<strong>de</strong>r.<br />

Je ne me pique nullement <strong>de</strong> connaissances en m<br />

genre;.mais toutes les fois que je lis <strong>de</strong>s philosophes<br />

qui se font légis<strong>la</strong>teurs, je me rapalia toujours ce<br />

vers d 9 une <strong>de</strong> nos comédies,<br />

' le vols qu'un philosophe est fnauvals poUUque';<br />

et je serai toujours porté à croire qu'il en est <strong>de</strong><br />

cette science comme <strong>de</strong> toutes les autres qu'on appelle<br />

pratiques, pour les distinguer <strong>de</strong> celles qui se<br />

bornent à <strong>la</strong> spécu<strong>la</strong>tion : je veux dire que, comme<br />

il faut avoir manié l'instrument pour être artiste,<br />

il faut (qu'on me passe le terme) avoir manié <strong>de</strong>s<br />

hommes pour être politique. La machine <strong>du</strong> gouvernement,<br />

<strong>la</strong> plus compliquée <strong>de</strong> toutes, est, encore<br />

bien plus que les autres, sujette à féptmm<br />

<strong>de</strong>s frottements et <strong>de</strong>s résistances, pour être bien<br />

connue, parce que les frottements et les résistances<br />

ne se trouvent ni sous <strong>la</strong> plu me ni sous le crayon.<br />

Aussi, pour peu qu'on veuille étudier l'histoire, on<br />

verra que nul homme, excepté Lycurgue, n'a fait<br />

un gouvernement; et l'on pourrait assigner les motifs<br />

<strong>de</strong> cette exception, qui sont connus, et ajouter<br />

que ce gouvernement n'était pas bon, puisqu'il ne<br />

l'était que pour quelques milliers <strong>de</strong> Spartiates. Et<br />

qui donc a fait tous les autres gouvernements, et<br />

les a maintenus plus ou moins <strong>de</strong> temps au milieu<br />

<strong>de</strong> leurs inévitables variations? Les <strong>de</strong>ux seuls légis<strong>la</strong>teurs<br />

<strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, le temps et f expérience, ou t<br />

en d'autres termes, <strong>la</strong> force réunie <strong>de</strong>s hommes et<br />

<strong>de</strong>s choses, qui, dans Tordre moral, comme dans<br />

Tordre physique, ten<strong>de</strong>nt toujours, malgré <strong>de</strong>s e'scil<strong>la</strong>tions<br />

et <strong>de</strong>s secousses, à se reposer dans l'équilibre.<br />

C'est dans les <strong>de</strong>ux dialogues qof ont pour titre<br />

JkBiadê que Ton remarque les rapports les plus<br />

prochains .<strong>de</strong> fécale <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton avec celle <strong>de</strong>s moralistes<br />

chrétiens. CTest là que Sacrale donne les premières<br />

leçons <strong>de</strong> con<strong>du</strong>ite à ce jeune Athénien à peine<br />

sorti <strong>de</strong> l'adolescence, et déjà rempli d'espérances présomptueuses.<br />

Il lui dé<strong>mont</strong>re que <strong>la</strong> haute opinion


860<br />

C0B1S Bl UTTÉ1ATU1R<br />

qu'il paraît avoir <strong>de</strong> lui-même, fondée sur sa naisraies, et qui ont servi un moment à mettre en crédit<br />

sance, sa beauté, ses richesses, son esprit, n'est les idées innées dans <strong>la</strong> philosophie mo<strong>de</strong>rne, qui<br />

qu'use Illusion et on danger. Il lui enseigne à eegtr- bientôt y a renoncé à mesure qu'elle s'est perfection<strong>de</strong>r<br />

<strong>la</strong> vertu 9 non-seulement comme le premier <strong>de</strong>s née. Pour prouver cette préten<strong>du</strong>e réminiscence,<br />

<strong>de</strong>voirs, mais comme le premier <strong>de</strong>s moyens, ou F interlocuteur Seerate interroge un esc<strong>la</strong>ve qui n'a<br />

plutôt comme le seul qui puisse faire employer utile* aucune connaissance <strong>de</strong> <strong>la</strong> géométrie, et le con<strong>du</strong>it <strong>de</strong><br />

ment tous les autres. Pour arriver à <strong>la</strong> f erta 9 le pre­ questions en questions à résoudre le problème <strong>du</strong><br />

mier pas est <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong> soi-même! e'est-a- carré double; ce qui peut être une fort bonne médire<br />

<strong>de</strong>s défaits et fies fiées <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature humaine! tho<strong>de</strong> pour enseigner <strong>de</strong> façon à donner <strong>de</strong> l'exer­<br />

qui sont <strong>la</strong> source <strong>de</strong> tous ses maux; et ces fiées cice à l'esprit, mais ce qui ne prouve nullement que<br />

sont prinëpaleraent l'ignorance et l'orgueil : et, l'esprit se ressouvienne <strong>de</strong> ce qu'il découvre. P<strong>la</strong>ton<br />

comme <strong>la</strong> source <strong>de</strong> toute ?érité et <strong>de</strong> tout bien est ne s'est pas aperçu que cette découverte n'est pas un<br />

en Dieu, c'est <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière d'honorer et <strong>de</strong> prier souvenir <strong>de</strong> l'esprit, quoiqu'elle en soit l'ouvrage;<br />

Dieu que Socrate fait dépendre cette sagesse qui con­ mais qu'elle est le pro<strong>du</strong>it <strong>du</strong> rapport exact <strong>de</strong>s idées,<br />

siste à se connaître soi-même. Il-importe d'obser?er considérées attentivement par <strong>la</strong> faculté pensante<br />

ici que, dans ces <strong>de</strong>ux dialogues, c'est toujours <strong>de</strong> qui procè<strong>de</strong> <strong>du</strong> connu à l'inconnu. C'est ainsi que,<br />

Bien qu'il parle, et non pas <strong>de</strong>s dieux : il établit que sans connaître aucune métho<strong>de</strong> algébrique f on ré­<br />

ce qui est agréable à Dieu, ce n'est pas <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> sout <strong>de</strong> petits problèmes d'algèbre seulement en com­<br />

et <strong>la</strong>pmp<strong>de</strong>s sacrifices, mais <strong>la</strong> disposition <strong>du</strong> cœur binant <strong>de</strong>différentes manières <strong>la</strong> quantité qu'on cher-<br />

et <strong>la</strong> pureté <strong>de</strong>s voeux qu'il forme ; qu'il faut surtout che avec les quantités données. A mesure que vous<br />

bien prendre prie à ee qu'on <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Dieu, parce écartez les résultats faux, vous approchez <strong>du</strong> véri­<br />

qu'il nous punit souvent, en exauçant nos vœux, table, que vous tmateee un pu plus tard que vous<br />

<strong>de</strong> l'offense que nous lui faisons en les lui adressant. n'auriez fait par les procédés <strong>de</strong> <strong>la</strong> science; à peu<br />

En conséquence, il approuve cette formule <strong>de</strong> prière près comme Pascal <strong>de</strong>vina par ses propres calculs les<br />

à Bieu, comme <strong>la</strong> meilleure <strong>de</strong> toutes* : premières propsitions d'Eudï<strong>de</strong>.<br />

« Donnez-nous ee qui nous est k», même quand nous Cette subtilité d<br />

ne le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rions pas ; et refesea-eees ce qui est mauvais,<br />

même quand ions te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rions. »<br />

£nint sur ce qu'Alcibia<strong>de</strong> lui dit qu'il espère acquérir<br />

<strong>la</strong> sagesse, si Secrète le veut, il répond :<br />

-« Tous ae dites pas Mee : dites. Si Dieu le vent. »<br />

Et en effet, c'était une <strong>de</strong>s phrases.qu'on entendait<br />

le plus souvent dans <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong> Soêrats, et qui est<br />

<strong>la</strong> phrase <strong>de</strong>s chrétiens, s'MptaM è Mm. Dans us<br />

autre dialogue intitulé Ménm, il établit que ee<br />

n'est pas l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie qui put donner<br />

<strong>la</strong> vertu 9 mais que <strong>la</strong> vertu ne peut venir que <strong>de</strong><br />

Dieu seul.<br />

C'est dans ce même dialogue qu'il soutient que<br />

notre esprit, en apprenant, ne fait que m ressouvenir<br />

; et il <strong>de</strong>vait être d'autant plus attaché à ce dogme,<br />

que c'était une conséquence <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> transmlgration<br />

successive <strong>de</strong>s âmes. Mais c'était une erreur<br />

née d'une erreur : ce qui pouvait <strong>la</strong> rendre spécieuse,<br />

surtout pour un homme d'une conception aussi<br />

prompte que P<strong>la</strong>ton 9 c'est cette avidité <strong>du</strong> vrai, et<br />

cette vivacité <strong>du</strong> p<strong>la</strong>isir que ressent notre âme par<br />

l'apercevance <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité f sentiments naturels à<br />

l'homme, quoiqu'ils aient plus ou moins <strong>de</strong> force<br />

dans chacun, suivant <strong>la</strong> différanee <strong>de</strong>s facultés mo-<br />

9 argumentation qui nuit à <strong>la</strong> justesse<br />

es| une <strong>de</strong>s causes principales <strong>de</strong>s fréquentes<br />

erreurs <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton. Ainsi, pr exemple, pour faire<br />

voir que <strong>la</strong> faculté intelligente a <strong>la</strong> prééminence dans<br />

l'homme, et que l'âme doit comman<strong>de</strong>r au eorp,<br />

il se <strong>la</strong>isse aller à un lux <strong>de</strong> dialectique, qui le mène<br />

jusqu'à conclure que l'homme n'est rien qu'une âme :<br />

ee qui est .évi<strong>de</strong>mment faux ; car alors il serait une<br />

intelligence pure; et l'homme est un animal dans<br />

lequel le eorp même a ses lois 9 comme Time , et ta<br />

dépendance mutuelle <strong>de</strong> l'un et <strong>de</strong> l'autre est même<br />

une <strong>de</strong>s merveilles <strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse créatrice, et aussi<br />

une <strong>de</strong> celles qtie les anciens ont le moins approfondies.<br />

Cette erreur n'a pas, il est vrai, <strong>de</strong>s suites<br />

graves dans <strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, où elle n'aboutit<br />

pur ainsi dire qu'à une Égare <strong>de</strong> style Y à une exagération<br />

oratoire pur eiaîter l'âme et déprimer le<br />

eorp. Mais c'est toujours un mauvais moyen, même<br />

avec une bonne intention, et c'est surtout en philosophie<br />

que qui prouve trop ne prouve rien, d'autant<br />

plus qu'en prtant d'un faux principe vous tombez<br />

aussitôt dans le liai <strong>de</strong>s fausses conséquences, dont<br />

vous ne pouvez plus sortir avec tout adversaire qui<br />

saura vous y enveloppr. Un interlocuteur habile<br />

qui, en réfutant ici P<strong>la</strong>ton dans <strong>la</strong> personne <strong>de</strong><br />

Socrate, lui aurait dé<strong>mont</strong>ré, non-seulement que<br />

rhomme est un eompsé <strong>de</strong> corps et d'âme, mais<br />

même que les besoins <strong>du</strong> eorp, dont <strong>la</strong> conserva-


ANCIENS. — PHILOSOPHE.<br />

lion est coilée à Famé, sont par conséquent <strong>de</strong>s<br />

lois pour elle-même, qu'elle ne peut violer sans attenter<br />

à <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> l'homme, qui est celle d'un animal<br />

, et par conséquent sans désobéir à Dieu 9 qui en<br />

est fauteur, aurait pu rétorquer contre Soerate ses<br />

propres arguments, jusqu'à rembanrasserbeaucoup,<br />

même sur cette excellence <strong>de</strong> <strong>la</strong> substance pensante,<br />

qui est pourtant une térîté, et une ?érîlé nécessaire*<br />

Aussi tout ce que je prétends inférer <strong>de</strong> cette observation<br />

, c'est que, dans <strong>de</strong>s matières si importantes,<br />

il n'y a point d'erreur indifférente, et qu'il faut se<br />

gar<strong>de</strong>r soigneusement <strong>de</strong> l'enthousiasme, même en<br />

morale comme en toute autre chose. La mesure <strong>du</strong><br />

bien est ce qu'il y a <strong>de</strong> plus essentiel dans le bien;<br />

et le siècle qui va finir fera époque dans tous les<br />

siècles, pour leur avoir enseigné, par un mémorable<br />

exemple 9 que l'enthousiasme <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie,<br />

le fanatisme <strong>de</strong> <strong>la</strong> mîsm, sont capables <strong>de</strong> faire plus<br />

<strong>de</strong> mal que tout autre enthousiasme et tout autre<br />

fanatisme, précisément parce que <strong>la</strong> raison et <strong>la</strong> philosophie<br />

sont en elles-mêmes <strong>de</strong> très-bonnes choses,<br />

et que l'abus <strong>du</strong> très-bon, suivant un fieil axiome,<br />

est très-mauvais.<br />

Mais rien n'a fait plus d'honneur à Soerafe et à<br />

P<strong>la</strong>ton que <strong>la</strong> guerre opiniâtre qu'ils déc<strong>la</strong>rèrent tous<br />

<strong>de</strong>ux aux sophistes <strong>de</strong> leur temps, et que le disciple<br />

poursuivit avec courage, quoiqu 9 elle eût coûté <strong>la</strong><br />

vie au maftre. Ces sophistes tels que nous les voyons<br />

aujourd'hui dans les écrits <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton ne nous paraissent<br />

qu'impu<strong>de</strong>nts et ridicules; mais <strong>la</strong> vogue<br />

et le crédit qu'ils eurent un certain temps prouvent<br />

que leur char<strong>la</strong>tanisme ne <strong>la</strong>issait pas d'être contagieux,<br />

surtout ches un peuple qui, entre autres rapports<br />

avec le peuple français, avait particulièrement<br />

celui <strong>de</strong> se piquer d'esprit par-<strong>de</strong>ssus tout, et <strong>de</strong><br />

mettre ainsi au premier rang dans l'opinion ce qui,<br />

dans les choses et dans les hommes f ne doit jamais<br />

être qu'au second, puisque l'honnêteté doit être<br />

partout au premier. On peut juger <strong>de</strong> <strong>la</strong> jactance<br />

d'un Protagoras, d'un Oorgias, et d'une foule d'autres<br />

qui se vantaient d'être prêts à répondre sur-lechamp<br />

à toutes sortes <strong>de</strong> questions, <strong>de</strong> soutenir le<br />

puur et le contre sur toutes sortes <strong>de</strong> sujets, et <strong>de</strong><br />

fournir <strong>de</strong>s arguments pour dé<strong>mont</strong>rer le faux et<br />

infirmer le vrai en tout genre. Il fal<strong>la</strong>it bien que<br />

cette gran<strong>de</strong> science, pi m bonne police n'est qu'un<br />

grand scandalei et aux yeux <strong>du</strong> bon sens une gran<strong>de</strong><br />

Ineptie, ne fût pas sans attrait, au moins pour les<br />

jeunes gens, puisque ceux qui <strong>la</strong> professaient j gagnèrent<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> célébrité et <strong>de</strong>s richesses, quoiqu'elle<br />

ne fût pat sans inconvénient pour les professeurs<br />

eux-mêmes, pisepe pluMeu» furent mis en justice<br />

et condamnés lies amen<strong>de</strong>s ou à Pexil, et que<br />

S51<br />

les livres <strong>de</strong> Protagoras, qui avait mis <strong>la</strong> Divinité<br />

en problème, furent brûlés sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce publique<br />

d'Athènes. Mais cette animadversion <strong>de</strong>s magistrats<br />

n'avait Heu que sur les matières qui touchaient à <strong>la</strong><br />

religion, <strong>la</strong> seule chose que les Grecs ne permissent<br />

pas <strong>de</strong> tourner en controverse. Du reste, les sophistes<br />

avaient toute liberté, et l'on conçoit sans peine<br />

que <strong>de</strong>s leçons <strong>de</strong> cette nature pouvaient être <strong>du</strong><br />

goût <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse, toujours si disposée à regar<strong>de</strong>r<br />

toute nouveauté comme un bien, et toute espèce <strong>de</strong><br />

frein comme un mal. Aussi courait-elle en foule à<br />

<strong>la</strong> suite <strong>de</strong>s sophistes, qui al<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> ville en ville,<br />

mettaient partout à contribution <strong>la</strong> curiosité et <strong>la</strong><br />

cré<strong>du</strong>lité. L'on sait que c'est là le fonds sur lequel<br />

les char<strong>la</strong>tans en tout genre ont p<strong>la</strong>cé leur revenu,<br />

dans tous les lieux et dans tous les temps ; et c'est<br />

peut-être le seul qu'on n f ait jamais pu appeler un<br />

fonds per<strong>du</strong>. 11 était très-fructueux pour ces maîtres<br />

nouveaux, d'autant plus courus qu'ils se faisaient<br />

payer plus cher, comme c'est <strong>la</strong> coutume;<br />

maïs qui pourtant 9 s'ils faisaient <strong>de</strong>s <strong>du</strong>pes, Tétaient<br />

quelquefois eux-fnémes<strong>de</strong> leurs disciples, tant ceux-ci<br />

profitaient bien <strong>de</strong> leurs leçons. Aulu-Gelle en "rapporte<br />

on exemple que je crois pouvoir citer comme<br />

uses amusant pour égayer m% peu le sérieux continu<br />

<strong>de</strong>s matières que nous traitons.<br />

Un jeune homme, nommé Évathle, .qui se <strong>de</strong>stinait<br />

au barreau, avait fait marché avec Protagoras<br />

pour apprendre <strong>de</strong> lui toutes les finesses <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>idoirie<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> chicane, moyennant une certaine<br />

somme, mais sous <strong>la</strong> condition qu'il n'en payerait<br />

d'abord qu'une moitié, et ne serait tenu <strong>de</strong> payer<br />

l'autre qu'après le 'gain <strong>de</strong> <strong>la</strong> première cause qu'il<br />

p<strong>la</strong>i<strong>de</strong>rait. Le jeune avocat, bien endoctriné, ne se<br />

hâte pourtant pas <strong>de</strong> mettre ses talents à répreuve,<br />

et i quoique pressé par son maître ,«qui avak le double<br />

intérêt <strong>de</strong> faire briller son disciple et d'en être<br />

payé, il diffère toujours d'entrer en lice, jusqu'à<br />

ce qu'enln le sophiste impatienté le fait assigner<br />

sur sa promesse écrite, et, se croyant sûr <strong>de</strong> son<br />

fait, débute ainsi «<strong>de</strong>vant les juges, d'un ton triomphant,<br />

et avec rasâuranced'un maftrequi va confondre<br />

un écolier :<br />

« De quelque manière que cette efeMre soit jugée, mon<br />

débiteur ne peut manquer d'être obligé ai payement; car<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux choses l'use : ou il perdra sa casse, etf m couse*<br />

faeaeeie votre arrêt 9 È font qull meftye ; ou fl <strong>la</strong> gagnent<br />

et dès kirs» panière casse étant §a§aée f il s'ensuit encore<br />

qn f l f<strong>la</strong>il me payer. »<br />

Gran<strong>de</strong>s acc<strong>la</strong>mations. Le jeune homme se lève i<br />

son tour, et <strong>du</strong> ton le plus tranquille :<br />

« J'accepte, dit-il à sea maître, cette même alternatif e<br />

comme te vrai fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> toute cette cause, et connu


3S2<br />

COU1S DE LITTÉMTUER<br />

tin mof en péremptoire en ma faveur : car <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux dièses cune sentence, ils donnaient, par le fait, gain <strong>de</strong> causé<br />

f use : ©a là sentence me sera favorable 9 et dès Sors je ne au jeune homme, puisque ne rien prononcer sur une<br />

vous dolft rien ; on elle me sera contraire, et'dès Sors nia <strong>de</strong>man<strong>de</strong> en payement, c'est dispenser <strong>de</strong> payement<br />

première cause est per<strong>du</strong>e, et je suis quitte. » Celui qui est actionné comme débiteur.<br />

Le rhéteur resta muet, et les juges interdits trou­ Cette historiette a pu vous divertir, parce qu'ici<br />

vèrent <strong>la</strong> cause si épineuse et si équivoque, qu'ils <strong>du</strong> moins le sophisme est lié à quelque chose <strong>de</strong> réel ;<br />

refusèrent <strong>de</strong> prononcer.<br />

mais vous ne verriez qu'un excès <strong>de</strong> sottise, d'autant<br />

J'ai conté ce trait pour TOUS donner une idée, non- plus digne <strong>de</strong> mépris qu'elle affiche plus <strong>de</strong> prétenseulement<br />

<strong>de</strong> cet art sophistique, mais <strong>de</strong> ce qui le tion 9 dans cette foule <strong>de</strong> subtilités puérilement cap­<br />

it valoir chez les Grecs : c'était surtout le faible tieuses qui faisaient le fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong> ces<br />

qu'ils eurent en tout temps pour les arguties, pour sophistes qui figurent dans les dialogues <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton.<br />

tout ce qui est subtil et délié, pour tout ce qui brille Ce n'est que chez lui qu'on peut les entendre avec<br />

et échappe à l'esprit, comme l'éc<strong>la</strong>ir aui yeux. Ce quelque p<strong>la</strong>isir, parce qu'il a eu l'art <strong>de</strong> les présen­<br />

goût est d'autant plus à remarquer en eux , qu'ils ter avec <strong>de</strong>s formes comiques, comme les casuistes<br />

ne le portèrent point dans l'éloquence ni dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>s Provinciales <strong>de</strong> Pascal. C'est précisément leur<br />

poésie, chez eui recommandable surtout par use sérieux qui les rend plus fous; et il n'est pas dou­<br />

saine simplicité. Mais il dominait dans l'esprit soteux que le Molière <strong>de</strong> Port-<strong>Royal</strong> n'ait pris pour mocial<br />

et dans le commerce <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie civile. On en a <strong>de</strong>s dèles les dialogues <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton sur les sophistes, d'au­<br />

preuves sans nombre dans tout ce que les lettres antant qu'il n'y avait pas d'auteur ancien qui fût alors<br />

ciennes nous ont transmis. Ici 9 par exemple, il est<br />

c<strong>la</strong>ir qu'on abusait <strong>de</strong> part etd'autre d'une équivoque<br />

lu, cité et célébré autant que P<strong>la</strong>ton dans <strong>la</strong> bonne<br />

<strong>littérature</strong> française. Un <strong>de</strong>s premiers essais <strong>de</strong> Ra­<br />

qui tombait sur-le-champ , en distinguant ce que le cine fut <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction d'un morceau <strong>de</strong> cet illustre<br />

bon sens <strong>de</strong>vait distinguer. 11 était c<strong>la</strong>ir que le pro­ Grec, et <strong>la</strong> Fontaine en était alitement enthousiaste,<br />

cès pour le payement <strong>de</strong>vait d'abord être séparé <strong>de</strong> comme <strong>de</strong> Barach. 11 est certain que cette ironie <strong>de</strong><br />

Cette première came dont le gain éventuel <strong>de</strong>? ait Soerate, qu'on n'a pas vantée sans raison, joue ici<br />

motiver ce payement même ; sans quoi rengagement un rôle très-avantageux. Il commence toujours avec<br />

réciproque n'aurait eu aucun sens ; aucun <strong>de</strong>s con­ ses sophistes comme il faut commencer avec les sots<br />

tractants n'aurait rien stipulé d'obligatoire; chacun glorieux et les bavards importants dont on veut ti­<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux aurait promis le oui et le non; ce qui rérer parti dans <strong>la</strong> société. Il a l'air et le ton d'un humble<br />

pugne. Il s'ensuivait que, jusqu'à cette première écolier qui veut s'instruire, et, pour les rassurer<br />

cause, qui ne pouvait pas être celle <strong>du</strong> payement, le contre son nom, et mettre à l'aise toute leur imper­<br />

jeune homme, en aucun cas, ne <strong>de</strong>vait rien, grâces tinence, il feint d'abord une sorte d'étonnement<br />

à <strong>la</strong> négligence <strong>du</strong> maître, qui, en acceptant un qu'ils ne manquent pas <strong>de</strong> prendre pour <strong>de</strong> l'admi­<br />

payement conditionnel ? n'avait pas eu <strong>la</strong> précaution ration , quoique pour tout autre qu'eux il <strong>la</strong>isse per­<br />

nécessaire <strong>de</strong> fixer l'époque où cette condition <strong>de</strong>vait cer un mépris froid et piquant, qui bientôt <strong>de</strong>vient<br />

être réalisée , sous peine <strong>de</strong> payer dans le cas même très-gai à mesure que nos rhéteurs encouragés dé­<br />

où elle ne le serait pas. Faute <strong>de</strong> cette c<strong>la</strong>use, le jeune bitent plus librement toutes les inepties <strong>de</strong> leur<br />

homme n'était tenu à rien; et tout restait égal, at­ science. Alors Socrate, usant <strong>de</strong> <strong>la</strong> permission <strong>de</strong><br />

ten<strong>du</strong> qu'en ne faisant point usage <strong>de</strong>s leçons qu'il les interroger, et argumentant sur leurs réponses<br />

avait reçues f s'il gagnait d'un côté <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong> <strong>la</strong> avec cette finesse qu'on peut se permettre dans <strong>de</strong>s'<br />

somme promise, <strong>de</strong> l'autre il perdait ce qu'il aurait questions frivoles, pour confondre <strong>la</strong> vanité et l'i­<br />

pu gagner dans les tribunaux; et comme cette secon<strong>de</strong><br />

moitié <strong>de</strong>vait être, <strong>du</strong> consentement <strong>du</strong> maître,<br />

gnorance <strong>de</strong> docteurs <strong>de</strong> cette espèce ¥ les. fait tomber<br />

à tout moment dans les contradictions les plus<br />

le prix dû succès <strong>de</strong> ses leçons t rien ne lui était dû absur<strong>de</strong>s et les conséquences les plus folles Jusqu'à<br />

dès que ce succès n'avait pas lieu, puisque lui-même ce qu'enfin ils se sentent asses humiliés pr le rire<br />

. avait consenti que l'un fût le prix <strong>de</strong> l'autre. <strong>de</strong>s auditeurs pour prendre <strong>de</strong> l'humeur ccitfc<strong>la</strong>i t<br />

Ce qu'il y a <strong>de</strong> bon, c'est que les juges, quoiqu'ils et que, se taisant <strong>de</strong> confusion, ils lui <strong>la</strong>issent M<br />

n'eussent pas su écarter un dilemme également so­ parole. Il ne s'en sert que pour ramener <strong>la</strong> philosophistique<br />

<strong>de</strong> part et d'autre, et qui ne pouvait pas phie à son véritable but, à <strong>de</strong>s vérités utiles et mo­<br />

être <strong>la</strong> solution <strong>du</strong> procès, puisque c'était le procès rales; car c'est toujours là qu'il en revient, et il ne<br />

même qui faisait <strong>du</strong> dilemme un argument contra­ veut décrier ces sophistes <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> jeunesse que<br />

dictoire dans les termes, au fond cependant jugè­ pour <strong>la</strong> garantir <strong>de</strong> leurs sé<strong>du</strong>ctions 9 et lui insrent<br />

comme nous jugeons ; car, en ne rendant au- pirer le pût <strong>de</strong>s bonnes étu<strong>de</strong>s et l'amour <strong>du</strong> <strong>de</strong>-


voir et.<strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu. Mais on se put ries détacher<br />

<strong>de</strong> ces dialogues : c'est un tissu oà tout se tient ;<br />

et y pour en sentir f adresse et l'heureux jurtiflee, il<br />

faut le suitre d'un bout à l'autre : et je se sache pas<br />

que cette partie <strong>de</strong>s ouvrages <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, qui , pour<br />

être bien ren<strong>du</strong>e es français 9 <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rait beaucoup<br />

<strong>de</strong> facilité, <strong>de</strong> précision et <strong>de</strong> grâcef ait jamais été<br />

prmi mm tra<strong>du</strong>ite comme elle défait l'être. Ce ne<br />

sent guère que <strong>de</strong>s savants qui ont travaillé sur P<strong>la</strong>ton,<br />

et pur le tra<strong>du</strong>ire il faut plus que <strong>de</strong> <strong>la</strong> science :<br />

celle-ci même n 9 a réussi que fort médiocrement à<br />

mm passer dans notre <strong>la</strong>ngue les morceaux les plus<br />

sérieux <strong>de</strong>s écrits <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, ceux qui regar<strong>de</strong>nt <strong>la</strong><br />

politique et <strong>la</strong> métaphysique.<br />

C'est, en effet, dans <strong>la</strong> prtle sérieuse et didactique,<br />

et dans les résumés moraux* <strong>de</strong>s dialogues<br />

<strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, que l'on peut plus convenablement<br />

prendre quelques morceaux qui justifient ce que<br />

fui dit <strong>de</strong> cette surprenante conformité <strong>de</strong> sa morale<br />

avec celle <strong>de</strong>s chrétiens. Ainsi, par exemple,<br />

lorsque, daos son Gwgim, il a mis à bout ce<br />

vieux rhéteur, et son jeune admirateur Calliclès,<br />

dont fus fiât <strong>de</strong> <strong>la</strong> rhétorique un art d'imposture,<br />

et l'autre confond absolument le pouvoir et l'autorité<br />

avec <strong>la</strong> tyrannie, Socrate termine ainsi, <strong>de</strong> manière<br />

à ce que vous erciriei presque entendre un<br />

prédicateur <strong>de</strong> F Église, si ce n'est que le ton <strong>de</strong> l'un<br />

est plus oratoire, et l'autre plus philosophique;<br />

mais les idées sont les mêmes.<br />

« Pour moi, CalMeSès (p. 3&S ), je considéra comment<br />

J# pourrai, <strong>de</strong>vant le souverain juge, lui présenter mon<br />

âme dans l'état le plus sais. Méprisant les honneurs popu<strong>la</strong>ires,<br />

et attentif à <strong>la</strong> vérité, je tâcherai 9 le pies qu'il m'est<br />

possible , <strong>de</strong> fifre et <strong>de</strong> mourir honnête homme; et c'est<br />

à ifael j'exhorte aussi les autres autant qu'il est en moi<br />

Je vous y invite vous-même, et vous rappelle à celte vie<br />

qni doit être id-baa celle <strong>de</strong> Fhomme, et à cette espèce <strong>de</strong><br />

«saisit qui est vraiment celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie humaine 9 et celui<br />

que l s homme doit soutenir <strong>de</strong> préférence à tons les autres.<br />

C'est là-<strong>de</strong>ssus que je vous répriman<strong>de</strong> % vous qui oublies<br />

que vous se pennes vous secourir vous-même quand vous<br />

acres jugé, et quand <strong>la</strong> sentence, dont je. vous par<strong>la</strong>is tout<br />

à rhenre, vous menacera <strong>de</strong> près. Lompie vous serez saisi<br />

et amené <strong>de</strong>vant ce tribunal *9 vous seret tremb<strong>la</strong>nt et<br />

muet ; e*est là que vous essnieret <strong>de</strong> véritables affronts,<br />

ANCIENS. — PHILOSOPHIE. S63<br />

et que sons serez véritablement hsmilié et maltraité «<br />

léellement frappé et souffleté. Peut-être ceci vous paraltA<br />

un conte <strong>de</strong> vieille, et <strong>de</strong>s paroles dignes <strong>de</strong> mépris : et<br />

ce mépris ne m'étonnerait pas si vous elles ea état d'opposer<br />

à ce que je dis quelque chose <strong>de</strong> meilleur et <strong>de</strong> plus vrai.<br />

Mais vous l'ave? cherché et vous ne l'avei pas troavé, et<br />

voss venez <strong>de</strong> voir qu'entre trois personnages tels que vous,<br />

qui passez pour les plus éc<strong>la</strong>irés <strong>de</strong>s Grecs, Mb», Gorgîas<br />

et voss, voos n'avez pu prouver qull fallût vivre<br />

d'une autre manière que celle que f ai dé<strong>mont</strong>rée être <strong>la</strong><br />

pins avantageuse pour paraîtra à ce <strong>de</strong>rnier jugement, <strong>la</strong><br />

efi%ts <strong>de</strong> tontes nos discussions, qu'est-ce qui est resté<br />

sans réponse et racaaaa irréfragable? Cek seul t qn'U font<br />

se donner <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> faire <strong>du</strong> mal plus qse d'en SôSÉHF;<br />

qn'U faal travailler avant tout, non pas à être tenu pour<br />

honnête homme, assis à l'être en effet, soit dans le public v<br />

soit dans le particulier; que si l'on a fait le maly on doit<br />

en être puni; et que, si le premier bien est d'être juste et<br />

MTépfoetiaMe, le second est <strong>de</strong> recevoir ici <strong>la</strong> peine <strong>du</strong> mal<br />

qu'on a fait, et <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir bon par le châtiment et le repentir<br />

; qu'y rsat éviter d'être <strong>la</strong>tte®*, ni pour soi-même, ni<br />

pour les particule»» ni pour <strong>la</strong> mnltito<strong>de</strong>; et qu'enfin <strong>la</strong><br />

rhétorique, comme tonte autre chose, ne doit servir qno<br />

pour <strong>la</strong> justice. Croyez-moi donc, CaJMciès» et marchez avee<br />

moi vers.ee but : si vous y parvenec, voss serez henreni 9<br />

et dans cette vie9 et après votre mort. A ce prix f <strong>la</strong>ssées»<br />

vous traiter d'insensé, et nerepr<strong>de</strong>z pas comme un affront,<br />

si quelqu'un vous injurie on vous frappe ; car vous n'éprouverez<br />

jamais rien qui soit véritablement à craindre tant que<br />

vous serez juste, honnête, et attaché à <strong>la</strong> pratique <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

vertu. »<br />

Après ces échantillons <strong>de</strong> îa philosophie <strong>de</strong> Sacrale<br />

et <strong>de</strong> son disciple, j'aurais quelque peine et<br />

même quelque honte à vous en donner <strong>de</strong> celle<br />

dont ils s'étaient déc<strong>la</strong>rés les ennemis, et qui était<br />

si loin d'en mériter le nom. Mais 9 comme il conviée t<br />

pourtant d'enflure au moins apercevoir <strong>la</strong>distance,<br />

je me bornerai, ne fût-ce que pour varier, à vous<br />

citer un <strong>de</strong>s arguments <strong>de</strong> ces écoles f entre mille<br />

autres tout semb<strong>la</strong>bles 9 qui en étaient l'eiercice habituel.<br />

On se proposait, par exemple 9 <strong>de</strong> prouver<br />

qu'il était faces qu'un rat pût manger <strong>de</strong>s livres, tu<br />

<strong>du</strong> <strong>la</strong>rd 9 ou <strong>du</strong> fromage ; et voici comme on s 9 y prenait:<br />

s îf eat-i pas vrai qu'un mi est une syl<strong>la</strong>be? »<br />

On accordait cette majeure f et le maître alors reprenait<br />

:<br />

« Saresiteeiprfsdca.cplralM<br />

éa l'autorité que donnait <strong>la</strong> vieillesse eiss les anciens, et * Sacrale venait <strong>de</strong> sealcalf que tes Baserais traitements<br />

do respect invio<strong>la</strong>ble que les Jeunes geaa étalent tenus <strong>de</strong> lut qa'on easaia <strong>de</strong>s tyrans et <strong>de</strong>s tommes Injustes as seet en<br />

porter.<br />

effet <strong>de</strong>s injures et <strong>de</strong> vrais maux que pour ca<strong>la</strong>i qui les fait,<br />

» C'est let celui <strong>de</strong> Mïmm, parce que, dans m dialogue,<br />

et non pas pour eeial qui tes souffre; m qui avait d'anord<br />

il y a un auditoire, et que Socrate se faisait un ctefolr <strong>de</strong><br />

causé une étrange surprise à Gargfaa et à Calliclès, mais es<br />

nspedat le culte <strong>de</strong> ion pays, et <strong>de</strong> se conformer es puMle<br />

qui! avait dé<strong>mont</strong>ré <strong>de</strong> manière à les ré<strong>du</strong>ire à l'absur<strong>de</strong> et<br />

as tangage commun. Mais, dans <strong>la</strong> traités partirent», où<br />

au silence par let aveux qu'il leur avait successivement am­<br />

Socrate et P<strong>la</strong>ton parlent librement, Ui disent d'ordinaire<br />

enés, somme il va Se rappeler tel. Ces notes% ta reste, prou-<br />

Htm., a t6ç f et rarement les dieu 9 si ce n'est quand <strong>la</strong> coe-<br />

?aat ne que Je disais tout à rheun <strong>de</strong> <strong>la</strong> «celle d'extraire<br />

tsoverst les y force. -<br />

É*aa éaril ou tout 'se tient.<br />

m aeirts — vou i.<br />

93


§54<br />

COURS DE LITTÊEATÏÏ1B.<br />

< Or, me «fliatm se mange ni ivres s ni tard, ni fin- raisonnement vicieux par <strong>la</strong> forme est nécessaire<br />

mage : ëm3 etc. »<br />

ment faux ; non pas qu'il ne puisse y avoir <strong>du</strong> vrai<br />

Ce<strong>la</strong> est, sans doute, prodigieusement ridicule; dans les propositions» mais parce que <strong>la</strong> démons*<br />

TOUS vous tromperiez cependant si fous pensiez tration entière est nécessairement mauvaise, faute<br />

que les Grées, quoiqu'ils ne fussent pas sots, eus­ <strong>de</strong> cohérence dans les parties qui <strong>la</strong> composent. Do<br />

sent en général pour ces sottises le dédain et <strong>la</strong> plus, il était reçu dans les écoles <strong>de</strong>s sophistes (et<br />

pitié qu'elles méritaient, et qu'elles trouvèrent ils avaient bien leur raison pour ce<strong>la</strong>) qu'il fal<strong>la</strong>it<br />

à Rome quand elles y furent transportées dans les se tirer d'un argument tel qu'il était, sous peine<br />

<strong>de</strong>rniers temps <strong>de</strong> <strong>la</strong> république. 11 y eut toujours <strong>de</strong> praftre vaincu; et c'est ce qui favorisait le plus<br />

dans le caractère <strong>de</strong>s Grées un fonds <strong>de</strong> frivolité cette lutte méprisabl6y où Ton n'était armé que lie<br />

que les Romains appe<strong>la</strong>ient grmeam kwit@tem,*et Téquivoque <strong>de</strong>s termes. Aussi que faisait-on ? Sou­<br />

dont leur sévérité naturelle ne put jamais s'accomvent Ton rétorquait l'argument par une autre équimo<strong>de</strong>r,<br />

<strong>du</strong> moins jusqu'à l'époque <strong>de</strong> rentière dévoque, c'est-à-dire l'absur<strong>de</strong> par Tabsur<strong>de</strong>. Ainsi 9<br />

gradation <strong>de</strong> l'esprit publie. Cest ce qui fît chasser pour achever le peu <strong>de</strong> détails que je me pertnets<br />

<strong>de</strong> Rome les philosophes grecs dans les plus beau! sur ces misères <strong>de</strong> f esprit humain, et dont je <strong>de</strong>­<br />

siècles <strong>de</strong> <strong>la</strong> république 9 non pas qu'ils fussent toos man<strong>de</strong> pardon à <strong>la</strong> curiosité même, quoique vou­<br />

si décidément frivoles s mais tous donnaient plus <strong>la</strong>nt! un certain point <strong>la</strong> satisfaire, il y avait <strong>de</strong>ux<br />

ou moins dans le sophistique » c'est-à-dire dans manières d'écarter le bel argument qui tout à l'heure<br />

l'argumentation <strong>de</strong>s mots, sans en excepter même vous a fait rire. La première et <strong>la</strong> bonne était <strong>de</strong><br />

les plus graves <strong>de</strong> tous* les Stoïciens. S'ils furent distinguer <strong>la</strong> majeure en définissant les termes :<br />

bannis pareillement sous Domitien, l'on comprend<br />

« Le mot rat est mie syl<strong>la</strong>be, ctil : <strong>la</strong> cbeee rat est one<br />

bien que m ne pouvait pas être pour <strong>la</strong> même syl<strong>la</strong>be, son ; ctr os fit est as animal. »<br />

raison; mais c'est que les philosophes étaient aussi<br />

mathématiciens 9 et que les mathématiciens étant en Et dès lors il n'y a pas même <strong>de</strong> sens dans tout le<br />

même temps astrologues et <strong>de</strong>vins, ils étaient sus­ reste, qu'on ne peut répéter qu'en éc<strong>la</strong>tant <strong>de</strong> rire<br />

pects et odieux aux tyrans, qui veulent bien qu'on aux dépens <strong>du</strong> raisonneur. Mais ce<strong>la</strong> était trop sim­<br />

raisonne mal -s maïs qui ne sauraient souffrir qu'on ple et trop sensé pour contenter <strong>de</strong>s sophistes; et,<br />

prédise f <strong>de</strong> peur que tout le mon<strong>de</strong> ne croie ce 'pour ne pas <strong>de</strong>meurer court, on leur répondait<br />

qu'ils savent que tout le mon<strong>de</strong> souhaite. dans leur genre :<br />

Ne vous imaginez pas d'ailleurs que ces ineptes « Us rat est tue syl<strong>la</strong>be : or as rat mangé <strong>de</strong>s livres :<br />

sophismes se renfermassent dans <strong>de</strong>s jeui d'esprit : <strong>du</strong>ne une syl<strong>la</strong>be mange <strong>de</strong>s livres. »<br />

non ; ils s'étendaient aux matières les plus impor­ Et les <strong>de</strong>ux arguments sont <strong>de</strong> <strong>la</strong> même force : Tua<br />

tantes , soit dans l'ordre moral 9 soit dans Tordre ju­ vaut l'autre. Rien ne ressemble plus 4à ce faussaire<br />

diciaire ; et avec ces abus <strong>de</strong> mots, rien n'était plus normand»I qui un autre faussaire <strong>mont</strong>rait en<br />

ni faux, ni vrai, ni juste, ni injuste; ce qui convient justice uoe obligation où Técriture<strong>du</strong> premier était<br />

toujours merveilleusement à une certaine c<strong>la</strong>sse si parfaitement contrefaite, que les experts n'o­<br />

d'hommes, et alors <strong>la</strong> déraison passe à <strong>la</strong> faveur <strong>de</strong> saient pas <strong>la</strong> démentir. Nieras4u ton écriture? di­<br />

<strong>la</strong> perversité. On en voit <strong>la</strong> preuve dans les livres <strong>de</strong> sait le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur. le m'en gar<strong>de</strong>rai bien, répon­<br />

P<strong>la</strong>ton; où les sophistes mettent en avant les prodit rentre, je suis trop honnête homme pour ce<strong>la</strong>.<br />

positions les plus Immorales, toujours en jouant Mais apparemment tu m nieras pas nmptms <strong>la</strong><br />

sur les mots. On <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra peot-être comment Menue; et mki te quittance* Et en effet, <strong>la</strong> quit­<br />

il y a?ait quelque embarras à pulvériser ces niaisetance va<strong>la</strong>it l'obligation.<br />

ries sco<strong>la</strong>stiques $ qui <strong>de</strong>vaient s'évanouir <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> En voilà bien assez et même trop sur cette ma­<br />

simple iéliillioa <strong>de</strong>s termes cl <strong>la</strong> distinction natutière; et je terminerai cet article en m'arrétant un<br />

relle <strong>de</strong>s idées. Mais d'abord <strong>la</strong> logique d'Aristote, moment aux <strong>de</strong>ux morceaux <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton les plus re­<br />

qui est là-<strong>de</strong>ssus d'un grand se<strong>cours</strong> 9 n'était pas nommés peut-être, ou <strong>du</strong> moins les plus générale­<br />

encore connue 9 et ne le M qu'après P<strong>la</strong>ton, dont ment connus, Vjpolôgiê <strong>de</strong> Socrate, ou. le discourt<br />

Arîstote fbtle disciple. Jusque-là Tonne savaitguère qu'il prononça <strong>de</strong>vant l'Aréopage, et le Pâédm,<br />

attaquer les mauvais rayonnements par le vice <strong>de</strong> dialogue fameux où quelques heures avant <strong>de</strong> boire<br />

forme qui se trouvait en effet dans <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong> <strong>la</strong> ciguë, le sage d'Athènes entretient <strong>de</strong> Timmor*<br />

ces sophismes dont on It tant <strong>de</strong> bruit dans les talité <strong>de</strong> Tâme ses amis qui l'admirent et qui pleu­<br />

écolesf qui dès lors seraient tombés d'eux-mêmes, rent. Ces <strong>de</strong>ux morceaux se retrouvent partoutdans<br />

au point <strong>de</strong> dispenser <strong>de</strong> toute réponse, puisqu'un rtoi livrée d'histoire et dé philosophie : on les a


même transportés sur <strong>la</strong> scène f quoique ce ne fttt<br />

pas là leur p<strong>la</strong>ce, Comme on s'en est Men vite aperçu,<br />

le dois donc dire peu <strong>de</strong> chose <strong>de</strong> ce qui est partout ;<br />

et j'observerai d'abord que dans ces outrages, les<br />

plus purs qui nous restent <strong>de</strong> l'auteur, il se rencontre<br />

pourtant quelques erreurs, dont les unes tiennent<br />

à son pythagorisme, c'est-à-dire à ses chimères sur<br />

<strong>la</strong> transmigration <strong>de</strong>s Ames, et les autres à ces illusions<br />

bril<strong>la</strong>ntes qui <strong>de</strong>?aient p<strong>la</strong>ire à son imagination.<br />

Je voudrais retrancher <strong>du</strong> PMdom cette argumentation<br />

subtilement erronée qui a pur objet <strong>de</strong><br />

prouver que k vivant nmU en m&ri, m qui est également<br />

faux dans l'ordre physique et dans Tordre<br />

intellectuel; ear9 puer ce qui est <strong>de</strong>s corps, rien ne<br />

peut naître sans germe; et pour ce qui regar<strong>de</strong> les<br />

âmes, il est prouvé es métaphysique qu'elles ne<br />

peuvent <strong>de</strong>voir leur origine qu'à Dieu même. P<strong>la</strong>ton<br />

en convenait, puisqu'il les regardait ? ainsi que nous,<br />

comme <strong>de</strong>s émanations <strong>de</strong> <strong>la</strong> substance divine ; mais<br />

il abusait <strong>de</strong>s termes pour prouver que9 l'âme immortelle<br />

passant d'un corps à un autre, chaque naissance<br />

était ainsi le pro<strong>du</strong>it d'une mort. On eicusera<br />

plus aisément ce qu'il dit <strong>du</strong> cygne f et <strong>la</strong> comparaison<br />

qu'il fait <strong>de</strong> lui-même avec cet oiseau. Comme<br />

ses amis s'étonnent <strong>de</strong> son inaltérable tranquillité<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> hauteur et <strong>de</strong> <strong>la</strong> force <strong>de</strong> ses pensées à l'approche<br />

<strong>du</strong> moment fatal f il tire <strong>de</strong> ce qui les étonne<br />

ns nouvel appui pour 1a thèse qu'il soutient, que<br />

l'âme, en quittant le corps dont elle n'a pas été l'esc<strong>la</strong>ve<br />

, ne fait autre chose quatre ren<strong>du</strong>e à sa pureté<br />

originelle; qu'en conséquence II est tout simple qu'à<br />

f Instant <strong>de</strong> rompre ses chaînes corporelles elle paraisse<br />

s'épurer et se fortifier d'autant plus qu'elle<br />

est plus près <strong>de</strong> sa délivrance. C'est là-<strong>de</strong>ssus qu'il<br />

ajoute qu'on se trompe beaucoup en prenant pour<br />

une p<strong>la</strong>inte funèbre le chant <strong>du</strong> cygne, qui <strong>de</strong>vient<br />

plus mélodieux quand l'oiseau va mourir ; qu'au contraire,<br />

cet oiseau étant consacré à Apollon et aui<br />

M uses,- <strong>la</strong> beauté <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>rniers accents est une espèce<br />

d'oracle divin qui fait l'éloge <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort $ et nous<br />

apprend à n'y voir que l'entrée dans une meilleure<br />

vie. Tout ce passage serait charmant dans un poète,<br />

mais l'est un peu trop pour un philosophe* qui vouant<br />

à <strong>la</strong> vérité le <strong>de</strong>rnier reste d'une belle vie et l'autorité<br />

d'une belle mort $ n'y doit rien mêler <strong>de</strong> fictif et<br />

<strong>de</strong> fabuleux ; et l'on sait que tout ce qu'on a dit <strong>du</strong><br />

cygne est une fiable. Mais 11 fal<strong>la</strong>it bien que l'imagination<br />

<strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton « qu'on pouvait appeler lui-mime<br />

le cygne <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie! en adoptant ses fictions<br />

et son <strong>la</strong>ngage Y se <strong>mont</strong>rât partout et se servît <strong>de</strong><br />

tout; quelque sujet qu'il traitât. Il ne s'en est abstenu<br />

que dans l'Jpolôgw, que l'on croit avec raison<br />

être à peu près le même dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> Socrate : dis­<br />

ANCIENS. — PHILOSOPHIE. •55<br />

<strong>cours</strong> qui avait eu un trop nombreux auditoire pour<br />

que P<strong>la</strong>ton se permit d'en altérer en rien le casée*<br />

tère et les expressions, en sorte qu'il fut cette fois<br />

comme enchaîné , et par le respect pour son maître ,<br />

et par le respect pour le publie.<br />

On ne peut attribuer qu'à cette même effervescence<br />

d'esprit un dialogue (celui qui a pour titre Ion)<br />

<strong>de</strong>stiné tout entier à prouver que <strong>la</strong> poésie n'est<br />

point un art, parce qu'elle ne peut être que l'effet <strong>de</strong><br />

ï'inspiration et <strong>de</strong> l'enthousiasme $ et que les poètes<br />

ne peuvent faire <strong>de</strong>s vers que quand ils sont tieri<br />

d'eux-mêmes. On voit que l'auteur a outré beaucoup<br />

trop une vérité commune, et que son opinion favo*<br />

riserait trop aussi ceux qui veulent à toute force<br />

que tous les poètes soient <strong>de</strong>s fous; ce qui n'est<br />

pas plus vrai qull ne l'est que tous les fous sont<br />

poètes. C'est, comme si l'os disait qu'un athlète ou<br />

un danseur <strong>de</strong> cor<strong>de</strong> n*est*pas fait comme un autre<br />

homme, parce que les mouvements <strong>de</strong> l'un et les<br />

efforts <strong>de</strong> l'autre vont au <strong>de</strong>là <strong>de</strong>s facultés communes.<br />

Mais l'un et l'autre » hors <strong>de</strong> <strong>la</strong> lutte ou <strong>du</strong> théft»<br />

tre, rentrent dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse générale, et <strong>la</strong> facilité<br />

même qu'ils ont à en sortir quand ils exercent leur<br />

art prouve que c'en est un réellement, et qui ne<br />

s'acquiert, comme tous les autres, que par une mé*<br />

tho<strong>de</strong> et en travail qui se joignent aux dispositions<br />

naturelles.<br />

Les dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> Socrate dans le Phédm seraient<br />

d'ailleurs admirables partout, mais le sont encore<br />

plus là où ils sont; car il n'est pas douteux que, si<br />

P<strong>la</strong>ton les a écrits, c'est Socrate qui les a tenus, et il<br />

ne paraît pas qu'il ait été donné à aucun homme <strong>de</strong><br />

voir plus loin par ses propres lumières, ni <strong>de</strong> <strong>mont</strong>er<br />

plus haut par l'essor <strong>de</strong> son Ame. Si Ton se rappelle<br />

que dans ce siècle un philosophe, d f ailleurs très*<br />

estimable % a condamné <strong>la</strong> salutaire pensée <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

mort, qui est le plus grand frein <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, on n'en<br />

sera que plus frappé <strong>de</strong> ces paroles <strong>du</strong> Phédm,<br />

les premières <strong>de</strong> ce genre qu'on trouve dans toute<br />

l'antiquité :<br />

* Tente-vous fus je vous explique pourquoi le vrai pie*<br />

lesophe voit <strong>la</strong> mort prochaine avec l'œil <strong>de</strong> l'espérance, et<br />

pourquoi M est fondé à croire qu'elle sera pour lin Se eom*<br />

mêneemeat d'oie gran<strong>de</strong> félicité? La maltilndê l'ignore f<br />

et je vais fans le dire : c'est que k vraie philosophie n'est<br />

autre chose que l'élu<strong>de</strong> <strong>de</strong> k mort 9 et que le sage apprend<br />

sans cesse dans cette vie» eaa»sealeaieet à mourir $ mais à<br />

être déjà mort» Car qu'est-ce que h mort? N'est-ce pas M<br />

séparation <strong>de</strong> l'âme d'avec le corps? Et ne sceaiaes-aatié<br />

pas contenus que <strong>la</strong> perfection <strong>de</strong> Famé consiste turtout<br />

à s'affranchir le plus qu'A est possible <strong>du</strong> commerce <strong>de</strong>s<br />

sens et <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> corps 9-pour contempler <strong>la</strong> vérité dans<br />

Bleu ? Me sommes-nous pas couveras cpie le plus grand<br />

« Van?«nargues.<br />

sa»


Uê<br />

C0U1S DE LITTÉEATU1E.<br />

afestsele à Cet exercice <strong>de</strong> l'âme est dans les objets terres-<br />

Ires et dans les sé<strong>du</strong>ctions <strong>de</strong>s sens? N'est-il pas dé<strong>mont</strong>ré<br />

que, si nous pouvons avoir ici quelque eosnaissaace <strong>du</strong><br />

vrai, c'est eu le considérant avec les yen* <strong>de</strong> l'esprit, et<br />

en fermant les yeux do corps et les portes <strong>de</strong>s sens ? Done ,<br />

si jamais nous pouvons parvenir à <strong>la</strong> pure compréhension<br />

<strong>du</strong> vrai 9 ce ne peut être qu'après là mort, et fous avez reconnu<br />

mm moi , dans le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> cet entretien s qu'il n'y<br />

â <strong>de</strong> bonheur réel pour l'homme que dans <strong>la</strong> connaissance<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité ; que Dieu en est le principe et <strong>la</strong> source, et<br />

que cette connaissance ne peut être parfaite qu'en lui. MV<br />

vons-sous donc pas droit d'espérer que celui qui a <strong>la</strong>it <strong>de</strong><br />

cette recherche <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> affaire <strong>de</strong> sa lie 9 et dont le cœur<br />

a été pur, pourra s , approchery après sa mort, <strong>de</strong> cette fie<br />

éternelle et céleste ? car assurément ce qui est impur ne<br />

peut approcher <strong>de</strong> ce qui est pur. YoUè pourquoi le sage<br />

vit en effet pour méditer sur k mort, et pourquoi il n'en<br />

est pas effrayé quand elle approche : voilà le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong><br />

celte confiance heureuse que j'emporte mm moi au moment<br />

<strong>de</strong> ce passage qui m'est prescrit aujourd'hui, con­<br />

fiance que doit avoir, comme moi s quiconque aura préparé<br />

<strong>de</strong> même et purifié son âme*. »<br />

Quand on entend ce <strong>la</strong>ngage 9 qui est d'os bout à<br />

l'autre ce<strong>la</strong>i do Pkédm, l'on excuse cette singulière<br />

saillie <strong>de</strong> f IîQ <strong>de</strong>s plus spirituels écrivains <strong>de</strong><br />

seizième siècle, Érasme, qui s'écrie quelque part :<br />

Saint Socrate, priez pour notai Et, m effet, il<br />

n'y a rien là qui se soit parfaitement d'accord a?ec<br />

ce que les saints ont écrit et pratiqué.<br />

Une similitu<strong>de</strong> n'est pas une preuve ; mais je vous<br />

ai déjà prévenus que P<strong>la</strong>ton ne se fait pas scrupule'<br />

d'employer Fane pour l'autre; et ce même endroit<br />

m'en offre un exemple f où vous ne serez pas fâchés<br />

<strong>de</strong> retrouver encore l'imagination <strong>du</strong> disciple <strong>de</strong><br />

Socrate.<br />

« Quel donc ! (Mm dire à son maître) Fart <strong>de</strong>s Égyptiens<br />

conserve les corps pendant <strong>de</strong>s siècles avec <strong>de</strong>s préparations<br />

aromatiques» et vous croiries que Sa substance<br />

qui est par elle-même incorruptible, que l'âme, en un<br />

mot9 pourrait mourir au moment oà elle se dégage <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> contagion <strong>du</strong> corps pour s'élever jusqu'à M <strong>de</strong>meure<br />

<strong>de</strong> l'Être éternel, qui est le seul boa et le seul sage? »<br />

(P. 60.)<br />

Cette idée, si purement métaphysique, que Dieu<br />

teul est vraiment boa et vraiment sage, c'est-à-dire<br />

que <strong>la</strong> sagesse et <strong>la</strong> bonté , également inlnies en lui ,<br />

sont <strong>de</strong>s attributs essentiels <strong>de</strong> son être f est en effet<br />

<strong>de</strong> Socrate, et se représente sous les mêmes tefmes<br />

dans VApologie. Ce précieux monument <strong>de</strong> l'antiquité<br />

grecque est peut-être encore plus singulier que<br />

k Pkédm; car c'est le seul exemple, parmi les anciens,<br />

qu'un accusé ait parlé <strong>de</strong> ce ton à ses juges.<br />

Ce n'est rien moins qu'un p<strong>la</strong>idoyer : le célèbre ora-<br />

* Simple analyse Es texte. Toves Fkmém9 page le»<br />

teur Lysias en avait fait un pour Socrate', qui le<br />

refusa : II est foré beau, lui dit-il, inssls Une me<br />

convientpat* Le sien, s'il est permis <strong>de</strong> l'appeler<br />

ainsi 9 ressemble parfaitement à une leçon <strong>de</strong> philosophie,<br />

<strong>du</strong> même genre que celles qui! donnait habituellement<br />

à <strong>la</strong> jeunesse d'Athènes. 11 ne justifie point<br />

sa con<strong>du</strong>ite ; 11 rend compte <strong>de</strong> ses principes avec uo<br />

caisse imperturbable, et tel qu'il ne pouvait l'avoir<br />

qu'en par<strong>la</strong>nt pour lui-même; car il n'aurait pas pu<br />

l'avoir en par<strong>la</strong>nt pour un autre. Mais s'il est sans<br />

trouble, il est .aussi sans orgueil, quoiqu'il ne cache<br />

pas le mépris pour ses accusateurs : il le <strong>mont</strong>re<br />

même d'autant plus, qu'il n'y mêle aucune indignation,<br />

pas le plus léger mouvement <strong>de</strong> colère, eomme<br />

il convient quand le méchant ne fait <strong>de</strong> mal qu'à<br />

nous f et quand il cfest que notre ennemi particulier,<br />

sans être un ennemi public. Socrate, qui d'ailleurs<br />

sentait bien que son danger venait surtout <strong>de</strong> l'envie<br />

que lui attirail cette haute réputation <strong>de</strong> sagesse 9<br />

confirmée par un oracle, apprécie cet oracle suivant<br />

ses principes, qui sont encore ici entièrement conformes<br />

à ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie chrétienne, et qui<br />

font un <strong>de</strong>voir, non pas seulement <strong>de</strong> <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>stie que<br />

tous les sages ont recommandée, mais <strong>de</strong> l'humilité<br />

dont Socrate seul paraît avoir eu quelque idée avant<br />

les chrétiens, Voici ses paroles :<br />

« Ou m'appelle sage, parce qu'on s'imagine que je suis<br />

savant dans les choses sur lesquelles je prouve aux autres<br />

qu'Us sont ignorants. On se trompe» Athéniens : Dâss<br />

seul est sage; et tout ce que signifie l'oracle ren<strong>du</strong> m ma<br />

<strong>la</strong>veur, c'est que <strong>la</strong> sagesse humaine est peu <strong>de</strong> chose, en<br />

plutôt n'est rien. Si l'oracle m'a nommé sage, c'est qu'il<br />

s'est servi <strong>de</strong> mon nom comme d'un exemple ; c'est comme<br />

8*11 eût dit aux hommes : Apprenet que celui-là est Se plus<br />

sage <strong>de</strong> tousy qui sait qu'en effet sa sagesse n f est rien. »<br />

(P. 1S.)<br />

On ne peut mieux dire; et quant à ce courage<br />

tranquille qui ne va pas chercher le danger, mais<br />

qui se le regar<strong>de</strong> pas quand, il le rencontre dans <strong>la</strong><br />

route <strong>du</strong> <strong>de</strong>voir, il ne peut s'exprimer avec plus <strong>de</strong><br />

simplicité, c'est-à-dire avec plus <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur que<br />

dans cette déc<strong>la</strong>ration <strong>de</strong> Socrate à ses juges :<br />

« Si vous me promettiei <strong>de</strong> m f absoudre, sous <strong>la</strong> condition<br />

que je se m'occuperais plus <strong>de</strong> l'étu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> renseignement<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie , je vous répondrais : Athéniens;<br />

je vous aime et vous chéris, mais j'aime mieux<br />

obéir à Dieu qu'à VOUS ; et tant qu'il me <strong>la</strong>issera <strong>la</strong> vie et<br />

k force, je ne cesserai pas <strong>de</strong> faire ce que f al fait jusqu'ici,<br />

c'est-à-dire d'eihorte? à <strong>la</strong> vertu tous ceux qui voudront<br />

bleu m'écoeter. »<br />

Tout ce<strong>la</strong> ne saurait être trop loué. Mais il fal<strong>la</strong>it<br />

bien que l'imperfection humaine se <strong>mont</strong>rât ici<br />

comme ailleurs; et sis comme je le disais tout à<br />

l'heure 9 Socrate a <strong>du</strong> moins aperçu <strong>la</strong> théorie <strong>de</strong>


l'humilité f il It f oir une fois qu'il n'tn soutenait<br />

pas <strong>la</strong> pratique f si mime ©elle <strong>de</strong> <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>stie 9 telle<br />

que l'enseignent les bienséances fondées sur <strong>la</strong> naliire<br />

<strong>de</strong> l'homme. Jamais <strong>la</strong> raison n'approufera que,<br />

dans cette mémo- Jpoiogie où il a si bien prouié<br />

que rbomme doit faire peu <strong>de</strong> as <strong>de</strong> sa propre sagesse<br />

, il répond « juges que 9 puisqu'ils lui ordonnent<br />

<strong>de</strong> statuer lui-même sur <strong>la</strong> plue qu'il mérite f<br />

il ne croit pas en mériter d'autre que celle d'être<br />

nourri dans le Prytanée y ce qui était le plus bonorable<br />

tribut <strong>de</strong> l'estime publique. Ici l'orgueil humain<br />

est pris sur le fait, et dans <strong>la</strong> personne d'un sage.<br />

Assurément, il lui suffisait <strong>de</strong> répondre que, ne se<br />

croyant pas coupable, il était dispensé <strong>de</strong> prononcer<br />

contre lui-même aucune peine : ce<strong>la</strong> était eonséquent<br />

et irréprochable, et même suffisamment courageux<br />

; car il était d'usage <strong>de</strong> ne déférer ainsi à<br />

l'accusé <strong>la</strong> faculté d'arbitrer lui-même <strong>la</strong> peine que<br />

quand elle défait se borner à une amen<strong>de</strong>; et lorsque<br />

cette faculté lui fut accordée, le parti qui fou<strong>la</strong>it<br />

le saiifc? avait prévalu dans l'Aréopage, et sa<br />

fie était en sûreté. L'orgueil <strong>de</strong> sa réponse refaite<br />

<strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s juges ; ce qui n'empêchait<br />

pas qu'ils ne fussent très-injustes en le condamnant<br />

; car l'orgueil n'est pas un délit dans les tribunaux<br />

; mais c'est une tache dans l'homme , et c'était<br />

<strong>de</strong> plus dans Socrate une contradiction.<br />

Mais ce qui n'en était pas une, et ce qui fusait<br />

•oir, au contraire, un accord très-réel entre sa doctriiie<br />

et sa con<strong>du</strong>ite, c'est que dans toute cette affaire<br />

on ? oit c<strong>la</strong>irement le mépris <strong>de</strong> <strong>la</strong> fie et <strong>la</strong> détermination<br />

à saisir dans cet odieux procès une belle<br />

occasion <strong>de</strong> bien mourir. Il est éfi<strong>de</strong>nt qu'il ne ? Délit<br />

pal le perdre, et qu'il refusa <strong>de</strong>ux fois <strong>la</strong> fie ;<br />

d'aboii I ses juges, qui <strong>la</strong> lui offraient lisiblement ;<br />

ensuite I tes amis mêmes 9 qui lui offraient toutes<br />

les facilités -possibles pour sortir sans obstacle et<br />

sans danger, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> prison, et <strong>de</strong> sa patrie. Ici le<br />

'saged'Athènesautorisasesrésolutionssur<strong>de</strong>s principes<br />

très-beaux et très-frais, mus qui ne sont pas<br />

encore sans mé<strong>la</strong>nge d'erreur, <strong>de</strong> façon pourtant<br />

que les férités sont d'un grand usage, et l'erreur<br />

<strong>de</strong> peu <strong>de</strong> conséquence. Quand fi ne f oulut point<br />

consentir à se donner <strong>la</strong> mort lui-même pour échapper<br />

à ce qu'on appe<strong>la</strong>it <strong>la</strong> honte <strong>du</strong> supplice, il eut<br />

toute raison, et ses arguments contre le suici<strong>de</strong> lui<br />

font d'autant plus d'honneur, qu'il est le premier et<br />

je crois même le seul parmi <strong>la</strong>s païens, qui ait osé<br />

condamner, non pas seulement comme une faiblesse,<br />

mais comme un délit y ce qui était reçu dans toute<br />

Fantiquité, et dans l'opinion, et dans l'usage. On<br />

peut dire que <strong>la</strong> philosophie a?ait <strong>de</strong>?ïné <strong>la</strong> religion<br />

en ce point, quand eue décida par ta bouche <strong>de</strong> So­<br />

ANCIENS. — PHILOSOPHIE. S57<br />

crate que l'homme, qui a reçu <strong>de</strong> Bien <strong>la</strong> fie, ne<br />

doit pas <strong>la</strong> quitter sans son ordre, et qu'il n'a pai<br />

le droit <strong>de</strong> disposer <strong>de</strong> ce qui n'est pas à lui. Socratê<br />

semble afoir aussi aperçu le premier ce principe<br />

social et politique qui fait <strong>de</strong> l'obéissance aux lois<br />

un <strong>de</strong>f oir fondé sur un pacte tacite, par lequel tout<br />

homme, en naissant, est censé appartenir à sa patrie<br />

, et tenu d'obéir à l'autorité qui le protège, tant<br />

que cette autorité est en effet protectrice; car on<br />

sent bien qu'un paya où il n'y aurait plus ni lolf<br />

ni garantie <strong>de</strong> <strong>la</strong> sûreté commune, ne serait plus une<br />

patrie pour personne, et remettrait chacun dans<br />

l'état <strong>de</strong> nature; ce qui n'était nullement le cas d'Athènes<br />

et <strong>de</strong> Socrate. Dans tous ces points, il a <strong>de</strong>*<br />

faacé <strong>de</strong> fort loin tous les philosophes <strong>de</strong>s Âges Buif<br />

ants. Mais il fa trop loin quand il prétend qu'il n'est<br />

pas permis <strong>de</strong> se soustraire par <strong>la</strong> fuite à une condamnation<br />

injuste, en vertu <strong>de</strong> cette règle, qu'il ne<br />

faut pas rendre le mal pour le mal ni à sa patrie, ni<br />

aux particuliers. La règle est juste et certaine, mais<br />

ici mal appliquée. Elle serait f Idée sans doute si<br />

f ous opposiez <strong>la</strong> force à l'injustice publique, ce qui<br />

ne pourrait se faire sans refaite; et dès lors TOUS<br />

rendriez en effet le mal pour le mal, ce qui est défen<strong>du</strong><br />

; et f ous feriez même à faire patrie un mal<br />

plus grand que celui qu'elle pourrait se faire par une<br />

sentence inique. Mais en fous y dérobant fous ne<br />

lui en faites aucun; vous suif es une loi naturelle<br />

sans renf erser les lois positif es, dont aucune ne f ous<br />

ordonne d'abandonner sans nécessité le soin <strong>de</strong><br />

f otre eooserf ation; et <strong>de</strong> plus TOUS serf ez <strong>la</strong> patrie!<br />

loin <strong>de</strong> lui nuire, puisque f ous lui épargnez un crime.<br />

Au reste, il n'y a là, dans Socrate et dans P<strong>la</strong>ton,<br />

qu'un excès <strong>de</strong> scrupule^ sorte d'excès aussi peu dangereux<br />

que peu commun.<br />

Cicéron disait * que si les dieux fou<strong>la</strong>ient parler<br />

<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong>s hommes, ils prieraient celle <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton<br />

; ce qui sans doute ne se rapportait pas seulement<br />

à félégasce-<strong>de</strong> son élocution, mais aussi à <strong>la</strong> nature<br />

<strong>de</strong> ses conceptions philosophiques, qui sont d'un<br />

ordre très-élefé. C'est, sans contredit t <strong>de</strong> tous les<br />

philosophes anciens, celui qui a le plus brillé par le<br />

talent d'écrire : sans prier <strong>de</strong> cette pureté <strong>de</strong> diction<br />

qu'on app<strong>la</strong>it mUidsme, et que tous les critiquée<br />

anciens lui accor<strong>de</strong>nt dans le plus haut <strong>de</strong>gré ? il a<br />

su concilier <strong>la</strong> séf érlté <strong>de</strong>s matières les plus abstraites<br />

arec les ornements <strong>du</strong> <strong>la</strong>ngage; et l'on foit que<br />

celui qui conseil<strong>la</strong>it à Xénocrate <strong>de</strong> saeriler aux<br />

Grâces, nfavait pas négligé leur culte, et avait petite<br />

<strong>de</strong> leur commerce. Il n'est pourtant pas eiempt<br />

<strong>de</strong> défauts dans son style, non plus que dans sa<br />

composition et dans sa métho<strong>de</strong>. S'il a commune-<br />

• Brutw, êim De elmriê Omfariè, et#* xxs.


SS8<br />

ment <strong>de</strong> réélit et <strong>de</strong> <strong>la</strong> richesse, il a aussi quelquefois<br />

<strong>du</strong> luxe et <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche, et très-souvent <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> diffusion et in désordre. Il se répète beaucoup,<br />

et ne se soit pas toujours, Quant à l'obscurité qu'on<br />

peut lui reprocher en beaucoup d'endroits 9 elle n'est<br />

pas dans sa manière d'écrire , mais dans sa manière<br />

<strong>de</strong> philosopher. Architecte d'un mon<strong>de</strong> intellectuel<br />

et hypothétique s il bâtit dans le possible avec une<br />

confiance égaie à sa facilité, comme on <strong>de</strong>ssinerait<br />

sur le papier un magnifique édifice, sans songer aux<br />

matériau! et aux fon<strong>de</strong>ments. Il est certain que ceux<br />

<strong>du</strong> mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton sont en gran<strong>de</strong> partie chimériques;<br />

et, comme il suppose <strong>de</strong>s êtres <strong>de</strong> sa façon,<br />

sans prouver leur existence., il en arrange les rap-<br />

' ports aussi gratuitement qu'il en a créé <strong>la</strong> substance ;<br />

et, au lieu d'idées qu'il puisse communiquer à ses<br />

lecteurs, il entasse <strong>de</strong>s dénominations métaphysiques<br />

dont on peut d'autant moins se rendre compte,<br />

que lui-même9 au besoin, varie sur leur acception.<br />

Il ne faut don® pas aspirer à rendre son système intelligible<br />

dans toutes ses parties; mais ii n'y en a<br />

pas une qui ne présente <strong>de</strong>s notions et <strong>de</strong>s idées d'une<br />

tête très-philosophique , qui oonçoit trop vite pour<br />

l'assurer <strong>de</strong> ses conceptions, mais qui, dans cette<br />

science <strong>de</strong>s propriétés générales <strong>de</strong> l'être, qu'on appelle<br />

ontologie, fait, comme en courant, <strong>de</strong>s découvertes<br />

rapi<strong>de</strong>s et lumineuses, dont elle <strong>la</strong>isse à<br />

d'autres les conséquences et le profit. C'est ainsi,<br />

par exemple, qu'il a marqué le premier, avec <strong>la</strong><br />

plus gran<strong>de</strong> sagacité, le principe universel <strong>du</strong> p<strong>la</strong>isir<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur, dont l'un consiste dans ce qui est<br />

analogue au maintien <strong>de</strong> <strong>la</strong> constitution organique<br />

<strong>de</strong>s corps animés, et l'autre dans ce qui lui est contraire;<br />

et Ton peut appeler cette définition un excellent<br />

aphorisme <strong>de</strong> physiologie. Ainsi, dans un<br />

< autre genre, il a conçu le premier, que Fisse ? séparée<br />

<strong>du</strong> corps, arrive à une autre fie dans le même<br />

état moral où l'a <strong>la</strong>issée le moment <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort *,<br />

c'est-à-dire avec les affections vicieuses ou vertueuses<br />

qui lui ont été habituelles dans son union avec<br />

le corps ; ce qu'il n'a pas développé suffisamment, à<br />

beaucoup près, mais ce qui, par une suite <strong>de</strong> con<strong>du</strong>sions<br />

philosophiques, con<strong>du</strong>ite infirmer <strong>la</strong> gran<strong>de</strong><br />

erreur <strong>de</strong> ceux qui, pour nier les peines et les récompenses<br />

à venir, soutiennent que l'âme, dégagée<br />

<strong>de</strong>s sens, ne peut rien conserver <strong>de</strong>s habitu<strong>de</strong>s d'être<br />

qui ne tenaient qu'aux objets sensibles.<br />

Je crois <strong>de</strong>voir'rappeler en finissant, comme objet<br />

<strong>de</strong> remarque et <strong>de</strong> curiosité, que c'est dans P<strong>la</strong>ton<br />

** que les mo<strong>de</strong>rnes ont trouvé les plus anciennes<br />

traditions <strong>de</strong> cette gran<strong>de</strong> ile <strong>de</strong> l'Océan at<strong>la</strong>ntique,<br />

* A <strong>la</strong> fin au C^rgms, pag. 357.<br />

** puai te Tmée, m mmsmmsmmt, pag. rot*.<br />

COU1S DE LITTÉEATUEE.<br />

appelée At<strong>la</strong>nti<strong>de</strong> ? qui i donné lieu à tant <strong>de</strong> discussions<br />

et <strong>de</strong> conjectures dans ces <strong>de</strong>rniers temps, où<br />

l'on a soutenu que cette fie préten<strong>du</strong>e <strong>de</strong>vait tesir<br />

autrefois au continent <strong>de</strong> l'Amérique, dont une <strong>de</strong>s<br />

révolutions <strong>du</strong> globe l'avait détachée, ou <strong>du</strong> moins<br />

qu'elle n'en était pas éloignée ,et qu'elle y avait porté<br />

tous les arts dont nous avons trouvé <strong>de</strong>s vestiges au<br />

Mexique et au Pérou« Je <strong>la</strong>isse aux savants ces coatroverses,<br />

et renvoie à P<strong>la</strong>ton même ceux qui voudront<br />

voir téut ce qu'il raconte <strong>de</strong> cette At<strong>la</strong>nti<strong>de</strong> 9<br />

sur <strong>la</strong> foi <strong>de</strong>s prêtres égyptiens. Mais il est bon d'ob*<br />

server que, si P<strong>la</strong>ton lui-même n'a pas fait son fie<br />

comme il a fait un mon<strong>de</strong>, il ne faut pas croire sur<br />

sa parole tout ce qu'il fait dire à ses Égyptiens , qui<br />

font re<strong>mont</strong>er à huit mille ans l'existence et <strong>la</strong> disparition<br />

<strong>de</strong> cette At<strong>la</strong>nti<strong>de</strong>, aussi gran<strong>de</strong>, selon leur<br />

rapport, que l'Europe et l'Afrique ensemble. P<strong>la</strong>ton<br />

et beaucoup d'autres anciens ont voulu accréditer <strong>de</strong><br />

préten<strong>du</strong>s livres <strong>de</strong>s sages d'Egypte, qui <strong>de</strong>vaientcontenir<br />

une foule <strong>de</strong> merveilles que l'on cachait an<br />

vulgaire; mais il est extrêmement probable que ces<br />

livres n'ont jamais existé. 11 n'est guèrepossiblequ'ils<br />

se fussent entièrement per<strong>du</strong>s dans un pays où les<br />

rois en avaient rassemblé si soigneusement un si<br />

grand nombre, ou que <strong>du</strong> moins il n'en fût pas <strong>de</strong>*<br />

meure quelque trace certaine, soit dans les écrits 9<br />

soit dans les traditiohs<strong>de</strong> l'antiquité. Les seuls qu'on<br />

ait cités en ce genre sont cens qu'on attribuait à<br />

Hermès; mais ces livres, qui ne renferment ni se*<br />

•erets ni merveilles, sont très-eerteinement apocry-»<br />

phes; et quand ils furent imprimés dans le <strong>de</strong>rnier<br />

siècle, on prouva qu'ils ne pouvaient pas être plus<br />

anciens que le second âge <strong>de</strong> l'ère chrétienne, et<br />

que l'auteur, qui <strong>mont</strong>re partout une gran<strong>de</strong> hor­<br />

reur <strong>de</strong> l'idolâtrie, ne pouvait pas être cet Hermès<br />

contemporain d'Osiris, et regardé comme un <strong>de</strong>s<br />

auteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie égyptienne, <strong>la</strong> plus ido<strong>la</strong>trique<br />

<strong>de</strong> toutes, mais bien quelque p<strong>la</strong>tonicien<br />

d'Alexandrie.<br />

wmm m. — Plutarque.<br />

Plutarque aussi paraît avoir été un <strong>de</strong>s hommes<br />

<strong>de</strong> l'antiquité qui eut le plus <strong>de</strong> connaissances variées,<br />

et qui traita le plus facilement différents genres<br />

<strong>de</strong> philosophie et d'érudition. Nous l'avons déjà<br />

vu dans un rang distingué parmi les historiens, et<br />

au premier <strong>de</strong>s biographes ; mais ses autres écrits,<br />

qu'on peut appeler une véritable polyergie, font<br />

voir que, s'il fut homme <strong>de</strong> grand sens, il fut aussi<br />

écrivain <strong>de</strong> grand travail, et que, s'il jugeait bien<br />

les hommes, il ne savait pas moins apprécier les choses,<br />

à commencer par <strong>la</strong> plus précieuse <strong>de</strong> toutes, le<br />

temps. Ce n'est pas que, dans cette multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />


ANCIENS. — PHILOSOPHIE.<br />

S59<br />

petits traités, tout soit m général suffisamment ap­ tout était tradition, il ne pouvait guère avoir <strong>de</strong><br />

profondi , ou même assez choisi ; ou voit seulement mauvaise volonté contre les Assyriens et les Scythes,<br />

que, toujours curieux et studiem, il aimait à se et l'on ne voit pas même pourquoi, dans les temps<br />

rendre eompte <strong>de</strong> tout, et à jeter sur le papier toutes postérieurs et plus voisins <strong>de</strong> lui, il en aurait eu<br />

les idées qui l'occupaient, et tous les résultats <strong>de</strong> ses contra les Béotiens et les Corinthiens. Cest pour­<br />

lectures. Ainsi les Questions physiques ou méfagtàytant là le procès que lui Intente Plutarque; mais il<br />

siq-ues m sont guère que <strong>de</strong>s eitraits raisonnes d'A» faut savoir aussi que jamais personne ne fut plus<br />

ristote, <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, et <strong>de</strong>s autres philosophes plus attaché que lui à sa patrie, et ne porta plus loin l'a­<br />

011 moins d'accord avec ces <strong>de</strong>ui coryphées <strong>de</strong>s mour <strong>du</strong> sol natal. Ce sentiment est naturel à'tous<br />

écoles, et n'offrant conséquemment que le même les hommes, mais c'était chez lui une passion, «t<br />

mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong> tentés et d'erreurs. Autant il goûtait l'on peut dire à son honneur que c'en était pour lui<br />

<strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux grands hommes, autant il une fort belle, par les idées qu'elle lui inspira, et l'in­<br />

avait d'aversion pour celle <strong>de</strong>s Stoïciens ; dont il a fluence qu'elle eut sur sa vie entière. Ses talents «t<br />

réfuté les paradoxes. Ses Questions <strong>de</strong> imbk rou­ sa réputation le mirent à portée<strong>de</strong>choisir son séjour<br />

lent souvent sur <strong>de</strong>s points d'érudition historique où il aurait voulu, et prtienlièrement dans quel­<br />

assez frivoles, et ressemblent beaucoup-à quelques qu'une <strong>de</strong> ces cités célèbres qui étaient un théâtre<br />

morceaux <strong>de</strong> nos Mémoires <strong>de</strong> l'Académie <strong>de</strong>s bel- pou? les hommes supérieurs, dans Rome même ,<br />

lesrlettres, où futilité <strong>de</strong>s recherches ne semble sans comparaison <strong>la</strong> première <strong>de</strong> toutes, où Ton<br />

pas proportionnée à m qu'elles ont coûté; ce qui avait voulu le lier quand il y fut dépoté par ses<br />

n'empêche pas qu'en total cette collection, peut-être concitoyens. Mais il ne voulut jamais quitter <strong>la</strong> pe­<br />

trop négligée par les littérateurs, ne soit un trèstite ville <strong>de</strong> Béotk où il avait pris naissance ; Chébon<br />

répertoire <strong>de</strong> science, quoiqu'on y désirât un ronéc, où il renferma tous ses désirs et toute son<br />

peu plus <strong>de</strong> cet agrément dont tous les sujets sont ambition 9 tt dont II remplit toutes les charges mu­<br />

jusqu'à un certain point susceptibles, et que les nicipales. On lui re<strong>mont</strong>rait en vain que, dans nette<br />

anciens ont rarement négligé. La forme <strong>du</strong> dialogue vaste éten<strong>du</strong>e <strong>de</strong> <strong>la</strong> domination romaine, Ghéronée,<br />

que P<strong>la</strong>ton mit à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>, soit qu'il en ait été le pre­ était un petit coin fort obscur» imperceptible aux<br />

mier auteur d'après les leçons <strong>de</strong> Sœrata, ou seu­ yeux <strong>de</strong> <strong>la</strong> renommée. 11 répondait que si Chéroné®<br />

lement le modèle d'après son talent, cette forma heu­ n'avait jusque là aucun lustre, il lui donnerait <strong>du</strong><br />

reuse adoptée par Cicéron et Plutarque, a contribué moinscelui qu'elle pouvait tenir <strong>de</strong> lui, quel qu'il fût,<br />

plus que tout le resteà rendre agréablepar <strong>la</strong> formece et lui ferait tout le bien qu'il lui pourrait faire. C'est<br />

qui n'estpastouj#ursfortattachantoufort instructif 1 à sans doute <strong>la</strong> plus louable <strong>de</strong> toutes les ambitions,<br />

pour le fond. Le Banquet <strong>de</strong>s Sept Sages et les Queset<br />

<strong>la</strong> meilleure preuve <strong>du</strong> bon esprit dt Plutarque<br />

tions <strong>de</strong> tabk en sont un exemple : dans ces <strong>de</strong>rniè­ dans ses actions comme dans ses écrits. Vous lui<br />

res surtout, <strong>la</strong> matière est souvent assez faille, pardonnerez; sans doute, d'après ces dispositions v s»<br />

mais l'entretien est amusant, parce que les interlo­ colère contre Hérodote, qui, selon loi, n'avait pas<br />

cuteurs ont une physionomie, et que cet assemb<strong>la</strong>ge ren<strong>du</strong> justice aux peuples <strong>du</strong> Péloponèse; et sur le<br />

<strong>de</strong> raisonnements sans aigreur, et <strong>de</strong> gaieté sans Péloponèse, te bon Plutarque ne trouvait rien d'In­<br />

bouffonnerie, <strong>de</strong> saillies et <strong>de</strong> sentences, d'histodifférent pour lui. Il aurait dûpour^<br />

riettes et <strong>de</strong> discussions, forme un tout qui ne fati­ plus in<strong>du</strong>lgent sur les inexactitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> faits, <strong>de</strong> dates<br />

gue pas plus l'esprit qu'une conversation d'honnêtes et <strong>de</strong> noms » que lui-même, comme j'ai dû le dire à<br />

gens.<br />

l'article <strong>de</strong>s historiens, en est moins exemptque per­<br />

Je ne vois dans Plutarque qu'un seul ouvrage ou sonne : et les raisons que j'en ai données, et que tout<br />

il ait <strong>mont</strong>ré <strong>de</strong> l'humeur; c'est celui qui a pour le mon<strong>de</strong> connaît, attestent aussi qu'il n'y avait dans<br />

titre De <strong>la</strong> malignMê d'Hérodote, que pourtant, <strong>de</strong> ses erreurs aucune mauvaise intention, non plus que<br />

l'aven <strong>de</strong> Plutarque lui-même , on n'aurait pas cru dans Hérodote; et encore moins d'inconvénients,<br />

fort malin, et qui en effet ne parait pas l'avoir été, parce qu'elles étaient beaucoup plus faciles à rec­<br />

même dans les endroits où Plutarque Fa convaincu tifier.<br />

<strong>de</strong> méprise : et quel historien ne s'est jamais trom­ Mais en morale, je ne sais si, parmi les anciens,<br />

pé? L'on convient assez que, dans ce qui regar<strong>de</strong> quelqu'un est préférable à Plutarque, au moins dans<br />

les anciennes dynasties <strong>de</strong> l'Orient et <strong>de</strong>s siècles re­ cette morale usuelle accommodée à toutes les condiculés<br />

9 Hérodote, en s'approchant <strong>de</strong> l'époque et <strong>du</strong> tions et à toutes les circonstances. Ce, n'est pour­<br />

pays <strong>de</strong>s fables, ne pouvait guère y trouver Ses motant pas qu'il manque d'élévation et <strong>de</strong> noblesse :<br />

numents authentiques <strong>de</strong> l'histoire, quand presque vous en verrez <strong>de</strong>s traits dans mes oitationa, ©tes ne


860<br />

sont pas, à beaucoup près, les seuls qu'offrent ses<br />

écrits. Mais son caractère particulier, c'est <strong>de</strong> 'rapprocher<br />

toujours ses Idées <strong>de</strong> <strong>la</strong> pratique, plutôt que<br />

<strong>de</strong> les étendre en spécu<strong>la</strong>tions ; et <strong>de</strong> là, non-seulêment<br />

«sou mérite propre, mais aussi les défauts qui<br />

s'y mêlent C'était peut-être l'esprit le plus naturellement<br />

moral qui ait existé 9 et c'est <strong>la</strong> base <strong>de</strong> ses<br />

admirables Parallèles; mais c'est aussi <strong>la</strong> cause <strong>de</strong><br />

ses fréquentes excursions, qui n'ont ps toujours<br />

asseï <strong>de</strong> mesure et <strong>de</strong> motif. De même, dans ses<br />

ouvrages philosophiques, il ramène tout à ce qui<br />

est <strong>de</strong> tous les hommes et <strong>de</strong> tous les jours : il ? eut<br />

fout rendre sensible, et abon<strong>de</strong> en comparaisons<br />

physiques, au point que <strong>la</strong> pensée ne marche presque<br />

jamais seule chez lui, et qu'on put toujours s'attendre<br />

à voir arriver à sa suite une similitu<strong>de</strong> quel*<br />

conque, métho<strong>de</strong> agréable par elle-même, il est vrai,<br />

et chez lui le plus souvent très-ingénieuse, mais qui<br />

a quelque chose aussi <strong>de</strong> trop uniforme en soi, et<br />

ressemble quelquefois chez lui à l'envie <strong>de</strong> mettre<br />

es avant tout ce qu'il sait, abus assez commun et<br />

peut-être endémique chez les Grecs. Joignez-y <strong>de</strong><br />

temps en temps le défaut <strong>de</strong> choix, ou même <strong>de</strong> justesse,<br />

dans les comparaisons, et vous aurez à peu<br />

près tout ce qui se mêle <strong>de</strong> défectueux à l'excellente<br />

morale <strong>de</strong> Plutarque, et ce que <strong>la</strong> réflexion aperçoit,<br />

sans presque rien ôler au p<strong>la</strong>isir et à l'instruction.<br />

Dans cette multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> petits traités, tous utiles<br />

et estimables, on peut distinguer ceux-ci : sur<br />

ta Manière <strong>de</strong> lire ks Poètes; sur <strong>la</strong> Maniêred'Éconter;<br />

sur ta DMimimm mire l'AM et k F<strong>la</strong>tteur;<br />

mr l l 'Utilité qu'on peut Mirer <strong>de</strong> ses Ennemis;<br />

smr ta CwriosMé; sur t'Amour <strong>de</strong>s Mckessm;<br />

sur VAwwwt Fraternel; sur les SaèMards; sur <strong>la</strong><br />

Mmmaise Monte; sur k$ Occasions m il est parmis<br />

<strong>de</strong> setauer soi~mém; sur ks Détais et ta jusiïee<br />

âimm par rapport aux méchants» Tout est<br />

généralement sain et substantiel dans ces morceaux<br />

d'élite, et il serait bien à souhaiter que quelque<br />

bonne plume se chargeât, en faveur <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse,<br />

d'en composer un petit volume à part, en <strong>la</strong>issant à<br />

un âge plus avancé ce qui n'est pas aussi pur, ou ce<br />

qui est hors <strong>de</strong> <strong>la</strong> portée <strong>de</strong>s adolescents.<br />

Je TOUS ai promis quelques maximes <strong>de</strong> P<strong>la</strong>tarque,<br />

et en voici qui sont prises à l'ouverture <strong>du</strong> livre,<br />

et qui peuvent faire désirer d'en voir davantage :<br />

* Les enfants ont plus besoin <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>s pour lire que<br />

pour marcher.<br />

« La perfection <strong>de</strong> <strong>la</strong> ?erte se forme <strong>de</strong> trois choses : <strong>du</strong><br />

naturel 9 d© l'Instruction et <strong>de</strong>s habitu<strong>de</strong>s.<br />

« C'est dans l'enfance qm Ton jette les fon<strong>de</strong>moits d'une<br />

bonne vieillisse.<br />

CÛUES DE LITTBfiATUM.<br />

« Se taire I propos vaut souvent mleui que <strong>de</strong> Mes<br />

parler.<br />

« H s'y a d'homme Mbre que ce<strong>la</strong>i qui obéit à <strong>la</strong> rajsen.<br />

« (Mal qui obéit à <strong>la</strong> raison obéit à Bleu.<br />

« L'homme m saurait recevoir et Dieu ne saurait imam<br />

rien <strong>de</strong> plus grand que Sa vérité.<br />

' « L'autorité est le couronne <strong>de</strong> 1s vieillesse.<br />

« Un ennemi est aa précepteur qui ne sons colite ries.<br />

« Le sieaae est <strong>la</strong> parure et <strong>la</strong> sauvegar<strong>de</strong> <strong>de</strong> lt Jeunesse.<br />

« Pour sa?oir parler, 0 faut »? car écouter.<br />

« Saches écouter, et TOUS tarera parti <strong>de</strong> ceux mêmes<br />

qui parlent mal.<br />

« Ceux qui sont avares <strong>de</strong> <strong>la</strong> losange prouvent qu'ils<br />

sont pauvres en mérite.<br />

« Je fais pies <strong>de</strong> cas <strong>de</strong> l'abeille qui tire <strong>du</strong> aile! <strong>de</strong>s<br />

« leurs que <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme qui en <strong>la</strong>it <strong>de</strong>s bouquets.<br />

« Quand mou serviteur bat mes habits, ce s'est pas<br />

sur moi qu'il frappe : il ea'est <strong>de</strong> même <strong>de</strong> celui qui me<br />

reproche les acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> Sa nature eu <strong>de</strong> <strong>la</strong> fortune.<br />

« Il n'en est pas <strong>de</strong> l'esprit comme d'un vase ; M ne faut<br />

pas le remplir jusqu'aux bords.<br />

« L'équitation est ce qu'un jeune prince apprend le miens,<br />

parce que son cheval ne le f<strong>la</strong>tte pas.<br />

« Celui qui affecte <strong>de</strong> dire toujours comme vous dites,<br />

et <strong>de</strong> faire toujours comme vous faites, n'est pas votre<br />

ami; c'est votre ombra.<br />

« Le caaîéléôa prend toutes les couleurs, excepté le<br />

b<strong>la</strong>nc : le f<strong>la</strong>tteur imite tout, excepté ce qui est bien.<br />

« Le iattear ressemble à ces mauvais peùttres qui ut<br />

savent pas rendre <strong>la</strong> beauté <strong>de</strong>s traits, mais saisissait par-<br />

Mteaieatlesalffefiaites, -<br />

« Il y a <strong>de</strong>s hommes quly pour fuir les voleurs aa lt<br />

faaf se fetîaat dans aa précipice; U en est <strong>de</strong> môme <strong>de</strong><br />

ceux qui, pour évita* <strong>la</strong> superstition, se jettent dais le<br />

triste et odieux système <strong>de</strong> l'athéisme, passait ainsi d'un<br />

extrême à l'autre, et <strong>la</strong>issant <strong>la</strong> seligion, fat est aa ailieu.<br />

« L $ eaiafeJsaeiaeat dans tecrfme partit te etstir* eaaasse<br />

<strong>la</strong> raaiîe pourrit le fer. »<br />

Malgré cette aptitu<strong>de</strong> marquée à donner à sa<br />

pensée un tour précis et nerveux y l'affectation <strong>du</strong><br />

stjleseateacleas lui est entièrement étrangère. Tons<br />

sentez que ees passages détachés ici sont répan<strong>du</strong>s<br />

ehei lui dans divers traités, et jamais accumulés<br />

nulle part. Sa diction même est habituellement liée<br />

et périodique, et sa composition progressive; mais<br />

il connaît rasage et <strong>la</strong> variété <strong>de</strong>s mouvements, et<br />

atteint même le style sublime, soit par <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur<br />

<strong>de</strong>s idées et <strong>de</strong>s rapports, soit par l'énergie <strong>de</strong>s<br />

tournures et <strong>de</strong>s expressions ; témoin ces <strong>de</strong>ux passages<br />

sur le f<strong>la</strong>ttteur :<br />

«l]dità<strong>la</strong>colèro9VCDgs-toi;à <strong>la</strong> passiou, Joais ; à <strong>la</strong><br />

peur. Fuyons; au soupçon. Crois 'tout.<br />

« Patroete, en se couvrant <strong>de</strong>s armes d'Achille, s'osa<br />

pas prendre sa asaee 9 qu'Achille seul pouvait manier. Ainsi<br />

Sa f<strong>la</strong>tterie emprunte tout ce qui est <strong>de</strong> l'amitié, hors <strong>la</strong>


l'amitié seule peut <strong>la</strong> porter. »<br />

Quand il se rencontre dans <strong>la</strong> poésie épique ou<br />

dramatique <strong>de</strong>s maximes perverses ou <strong>de</strong>s sentiments<br />

? Iciem , Plutarque ? eut qu'on inspire au<br />

jeunes gens qui les lisent f encore plus d'horreur<br />

<strong>de</strong> ces paroles que <strong>de</strong>s choses mêmes qu'elles ciprimeet.<br />

Il a raison; et ce précepte est d'un moraliste<br />

profond : car un mauvais principe fait plus<br />

<strong>de</strong> mal qu'une mauvaise action ; d'abord 9 parce qu'il<br />

y a une foule <strong>de</strong> ma<strong>la</strong>ises actions renfermées dans<br />

un mauvais principe; et <strong>de</strong> plus, parce que les<br />

mauvaises actions admettent le r@pentir9 et qu'un<br />

mauvais principe le repousse. Vous apercevez ici le<br />

motif <strong>de</strong> cette inexprimable horreur; qui se perpétuera<br />

dans toutes les générations futures pour <strong>la</strong><br />

doctrine rèwkdimmire, qui avait mis en axiomes<br />

<strong>de</strong> morale et <strong>de</strong> légis<strong>la</strong>tion beaucoup plus que les<br />

poètes n'avaient osé mettre en imitation ou en intention<br />

théâtrale dans <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong>s tyrans et <strong>de</strong>s<br />

scélérats.<br />

Yous croirez sans pine que <strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong> Plutarque<br />

«irtaDirinité et <strong>la</strong>Provi<strong>de</strong>ni» est absolument<br />

<strong>la</strong> même que vous avez vue dans P<strong>la</strong>ton 9 et que tous<br />

retrouverez dans Cieéron, Yoici comme il prouve*<br />

par cette métho<strong>de</strong> comparative qui lui est si familière,<br />

que nous <strong>de</strong>vons nous abstenir <strong>de</strong> juger les<br />

<strong>de</strong>sseins <strong>de</strong> <strong>la</strong> Provi<strong>de</strong>nce f et qu'il faut s'en remet*<br />

tes à elle <strong>de</strong> <strong>la</strong> disposition <strong>de</strong>s choses <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>.<br />

« Celui qui se sait pas <strong>la</strong> mé<strong>de</strong>cine ne saurait assigner<br />

les rainant qu s a pu avoir te mé<strong>de</strong>cin pour jemplojar tel<br />

remè<strong>de</strong>' aîaiat que tel autre, et aujourd'hui plutôt que<br />

<strong>de</strong>main. De même 1 ne contait pat à 1'1MIIIIM9 irait <strong>la</strong><br />

jiistteeitsitiiipaffMtettk<br />

rasa praoneer sur M con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> Dieu à notre égard, par<br />

ca<strong>la</strong> aeel rpa <strong>la</strong>i aaaî sait parfaitement en quel temps i<br />

faut appliquer <strong>la</strong> punition «rame on ipplà|ae m remè<strong>de</strong>.<br />

U ae sert <strong>de</strong>s méchants pour m punk d'autres; 0 s'en<br />

sert comme <strong>de</strong> mfnislras publics et d'eiécuteers <strong>de</strong> aa<br />

justice, et ensuite les écrase et les anéantit.... Quand les<br />

peuples ont <strong>la</strong>aaaia <strong>de</strong> frets et <strong>de</strong> cialtaaeaf f 0 leur en*<br />

voie <strong>de</strong>s prisées craais es <strong>de</strong>s tyrans Impitoyables, et I<br />

aa détruit ces Instruments i^ai<strong>la</strong>tâaa et <strong>de</strong> âésa<strong>la</strong>t<strong>la</strong>a que<br />

AUCUNS. — MOLOSOPHIK. SQ1<br />

Mais je vous disais que «s comparufons, souvent<br />

si belles Y ne sont pas toujours justes, comme<br />

lorsqu'il compare l'ami généreux et délicat qui oblige<br />

sans vouloir être connu f à <strong>la</strong> Divinité qui aime à<br />

faire <strong>du</strong> bien aux hommes sans qu'ils s'en aperçoivent,<br />

parce qu'elle est bienfaisante par sa nature.<br />

Or9 il est bien vrai que nous ne sa?osa ni ne pouvons<br />

savoir tout le bien que nous fait Bien; mais*<br />

bien loin qu'il veuille que nous ne nous en aperça»<br />

fiaas pas autant qu'il nous est possible, il veut au<br />

contraire que nous sentions les biens que.nous recevons<br />

<strong>de</strong> lui, et nous en fait un <strong>de</strong>voir, comme il<br />

nous en fait un <strong>de</strong> l'aimer; non pas en effet qu'il<br />

ait aucun besoin <strong>de</strong> notre amour et <strong>de</strong> notre reconnaissance,<br />

mais parce que cet amour et cette reconnaissance<br />

nous ren<strong>de</strong>nt meilleurs. Et Plutarque<br />

pouvait aller jusque-là, puisqu'il cite avec éloge ce<br />

mot <strong>de</strong> Pythagore ;<br />

« Quand nous approchons <strong>de</strong> Dieu par <strong>la</strong> priera, aaaa<br />

<strong>de</strong>venons moBcurs. •<br />

Maisf s'il n 9 a pas été toujours aussi loin qu'il<br />

pouvait aller, il a plus d'une fois <strong>de</strong>vancé les mo<strong>de</strong>rnes,<br />

<strong>de</strong> manière i les faire rougir d'avoir préféré<br />

les vieilles erreurs <strong>de</strong> quelques rêveurs décriés<br />

à <strong>de</strong>s vérités reconnues par les hommes les plut<br />

sages <strong>de</strong> tous les temp. Le paradoie renouvelé do<br />

nos jours, et dont U sera question dans <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> nos<br />

séances, que l'homme n'était le plus lûteUIgeal <strong>de</strong>s<br />

aa<strong>la</strong>aseii que parce qu'il avait <strong>de</strong>s mains, ^appartient<br />

pas mime à Hdvétius, comme on Fa cru : i<br />

est d'Anaiagore l'athée; et Plutarque, qui le cite,<br />

répond judicieusement que <strong>la</strong> proposition d'Anaitgore<br />

est l'inverse <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité, que c'est précisément<br />

parce que l'homme est doué déraison que <strong>la</strong> nature<br />

lui a donné <strong>de</strong>s mains f qui sont <strong>de</strong>s instruments pro»<br />

prUaaaéa à son intelligence.<br />

11 se trouva aussi à Eome, <strong>du</strong> temp <strong>de</strong> Plutarque,<br />

un homme qui se prétendait philosophe, et<br />

qui, raisonnant comme Haiaét<strong>la</strong>a et nos autres matérialistes,<br />

n'attachait sucune conséquence morale<br />

quand le mal qa ? au liens <strong>de</strong>là natureet <strong>du</strong> sang, et n'y reconnaissait<br />

U fal<strong>la</strong>it périr est extirpé. C'est ainsi que que <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions purement physiques. Comme le<br />

le règne <strong>de</strong> Pha<strong>la</strong>rfs Ait proprement une mé<strong>de</strong>cine puer bon Plutarque l'en réprimandait fortementf et d'au­<br />

les Siemens, comme le ripe <strong>de</strong> iawfaa aa fat aaa pour tant plus qu'il vou<strong>la</strong>it le réconcilier avec un frère en­<br />

<strong>la</strong>s Icaaa<strong>la</strong>a, »<br />

vers qui ses mauvais procédés étaient conséquents<br />

11 cite a?ee app<strong>la</strong>udissement un passage <strong>de</strong> Fia- i ses principes; comme il lui alléguait les droits<br />

dare, qui fait ?oîr que les grands poètes ont pensé sacrés naturellement inhérents à <strong>la</strong> pternité f à<br />

là-<strong>de</strong>ssus comme les grands philosophes.<br />

<strong>la</strong> maternité, à <strong>la</strong> fraternité, Jik», M dit cet<br />

« Haa , l'auteur.et le mattre <strong>de</strong> tout » est aussi Fauteur et<br />

homme, mikz prêcher mim êùdrim à en %»#-<br />

le mattre <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice : à lui seul appartient <strong>de</strong> statuer roufs; qmuU èwmê,jemmi$pm€eqmijepidê<br />

ajaaaÉ.raïaîaïaaiaiJai^^<br />

êmàrèmmdrehwMM9parœqmMetm@lmuê<br />

qu'il a ML»<br />

mmmei mrttê db §H* «faut mêm/bmm* Ces!


869<br />

COUtS DE UTTÊEATU1E.<br />

absolument le même abus <strong>de</strong> l'analyse métaphysique<br />

que Ton trouve dans les mêmes ternies es vingt<br />

cie?rages <strong>de</strong> ce siècle. Plotarque, indigné qu'on §e<br />

servît si insidieusement d'une partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie<br />

pour détruire l'autre, et qu'on abusât à et<br />

point <strong>de</strong> <strong>la</strong> métaphysique pur saper <strong>la</strong> morale,<br />

se contenta <strong>de</strong> lui répliquer, sans raisonner davantage<br />

: Et moi, je vois fort Mm que v&m ne mmprme*<br />

peu fnàm<strong>la</strong> Mffermée qu'il peut y qwrir è<br />

éire né d'une'femme m d'urne cMmne. Cet homme,<br />

an reste, était philosophe comme il était frère.<br />

Un <strong>de</strong> ses écrits le plus spirituel et le plus piquant,<br />

c'est celui Sur ks BmUUmrdi* Jamais ce vice<br />

<strong>de</strong> l'esprit n'a été mieux combattu f et c'est là surtout<br />

que Ton s'aperçoit que les poètes comiques<br />

pourraient aussi lire Plotarque a?ec fruit; car ce<br />

h'est ps te seul endroit où il soit pittoresque et<br />

dramatique, à <strong>la</strong> façon <strong>de</strong> notre <strong>la</strong> Bruyère. 11 a<br />

saisi toutes les habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s babil<strong>la</strong>rds, et les<br />

peint a?ec une vivacité <strong>de</strong> couleur qui ferait croire<br />

que sa sagesse avait rencontré en son chemin cette<br />

espèce <strong>de</strong> folie, et en avait été heurtée, f eus concevez<br />

que parmi les babil<strong>la</strong>rds il comprend, comme<br />

<strong>de</strong> fsle%a? les nouvellistes, car fini ne va pas sans<br />

l'autre; et tout nouvelliste est babil<strong>la</strong>rd, comme<br />

tout babil<strong>la</strong>rd est nouvelliste. Plutarque, pur caractériser<br />

cette passion (car c'en est une)9 rappris<br />

<strong>de</strong>ux aventures trè^-avérées, qui en marquent si bien<br />

h force impérieuse, et qui sont par elles-mêmes<br />

si amusantes, que sans doute vous ne me saurez<br />

pas mauvais gré <strong>de</strong> les repro<strong>du</strong>ire ici. Voici d'abord<br />

<strong>la</strong> plus gaie; je <strong>la</strong> raconterai dans les termes<br />

<strong>de</strong> fauteur :<br />

<strong>du</strong>Pyrie, et eiiacim» occupé <strong>de</strong>s stais» «art pour es<br />

savoir <strong>de</strong>s nouvelles. La p<strong>la</strong>ce est MentOt déserte, et le<br />

malheureux barbier y reste seul sur <strong>la</strong> rose; 1 y reste<br />

jusqu'au soir : enfin pourtant le bourreau vient te délier.<br />

Mais <strong>de</strong>vines quelle fot sa première parole pendant qu'on<br />

le déliait? Bt Nicku, sait-on mmmmê il a péri? C'est<br />

ainsi qu'il était corrigé, tant le babi <strong>du</strong> nouvelliste est<br />

une ma<strong>la</strong>die incurable. »<br />

L'autre aventure est plus sérieuse : 1e dénoâment<br />

en est très-moral $ et peut se joindre à tant d'exemples<br />

<strong>du</strong> même genre, qui prouvent que <strong>la</strong> Provi<strong>de</strong>nce<br />

se sert <strong>de</strong>s moyens les plus inatten<strong>du</strong>s pur con<strong>du</strong>ire<br />

les criminels à se trahir eux-mêmes et à détenir les<br />

instruments <strong>de</strong> leur perte.<br />

« A Lacédémone. on trouva un jour que te temple <strong>de</strong><br />

Pe<strong>la</strong>s venait d'être pillé f et que les voleurs y avaient<br />

<strong>la</strong>issé une iieateiie récemment vidée. On s'assemble sur<br />

te lies» et Ton s'épuise en conjectures sur cette bouteille.<br />

Si vous le muiez* dit un <strong>de</strong> ceux qui étaient présents,<br />

je vous dirai Mm, moi, ce que jepmm. Je ereU qm<br />

I« sacrilèges n'ont osé s'exposer 4 un ai §rmé pérU<br />

qu'après avoir, à tout événement, avalé <strong>de</strong> <strong>la</strong> eèqué,<br />

§i qm%is misppwié êmwim^m mkâmÊmi éê maiê,<br />

dans k cmoé ils owrmêmê fait leur wup mm éùre<br />

mu. ÂUmdm que le vin esl un antidote eonire <strong>la</strong> cigué,<br />

et m déêrmit l'qffèt» m lta t qms'ik atmiêmi été<br />

pris , to ctyué aurait agi assez à temps pour ks déroba'<br />

aux tortures et au suppliée. Cette explication punit<br />

trop ingénieuse pour n'être qu'une conjecture, et Ton<br />

conclut que celui qui venait <strong>de</strong> parler n'avait rien <strong>de</strong>viné f<br />

mais savait tout. Chacun l'interroge : Qui es-tu? d'oà<br />

Mens*lu œ que tu viens <strong>de</strong> dire?et <strong>de</strong> qui es4m connu<br />

ici ? On le presse, et il finit par avouer qu'il est un <strong>de</strong>s<br />

auteurs <strong>de</strong> ce vol sacrilège. »<br />

Ainsi k tentation <strong>de</strong> parier et <strong>de</strong> <strong>mont</strong>rer <strong>de</strong> l'es­<br />

« Les barbiers sont Fêspèce <strong>la</strong> plis bavar<strong>de</strong> <strong>de</strong> toutes ;<br />

prit le con<strong>du</strong>isit au supplice.<br />

cerniiie les plus grands bâtards affluent ches eux, et y Au reste, personne n'ignore que les écrits <strong>de</strong><br />

tiennent leurs séances, il faut que les barbiers le défies- Plutarque sont un magasin d'histoires, <strong>de</strong> contes<br />

neuf par imitation et par tiaMta<strong>de</strong>. lierai ârchéliis ayant et d'apologues, où tout le mon<strong>de</strong> s'est approvi­<br />

en besoin d'un barbier, celui-ci, en lui arrangeant <strong>la</strong> sersionné; et <strong>la</strong> Fontaine, en autres, en a tiré plu*<br />

viette su cou, lui <strong>de</strong>manda comment il vou<strong>la</strong>it ôtre rasé : sieurs <strong>de</strong> ses fables.<br />

Sans rien dire, répondit le prime. Ce fut aussi un bar- Après avoir donné <strong>de</strong>s exemples <strong>de</strong> <strong>la</strong> démanhier<br />

qui répandit le premier dans Athènes <strong>la</strong> nouvelle <strong>de</strong> h geaison <strong>de</strong> parler, il en donne aussi <strong>de</strong> l'exactitu<strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong> défaite <strong>de</strong> Nletas en Sicile» H <strong>la</strong> tenait d'un esc<strong>la</strong>ve<br />

à se taire. Le plus singulier est celui d'un esc<strong>la</strong>ve<br />

débarqué au Pyrée avec quelques autres fugitifs. Mon<br />

fioieiîia quitte aussitôt sa boutique, et court à toutes<br />

qui sut le porter jusqu'à confondre son maître ? et<br />

Jambes à <strong>la</strong> file pour ne pas <strong>la</strong>isser à un autre llionneur tourner contre lui ses ordres, d'une manière trèa^<br />

<strong>de</strong> lui enlever <strong>la</strong> nouvelle. Gran<strong>de</strong> rumeur : on's'assemble piquante.<br />

dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce, et le peuple veut savoir quel est fauteur « Le rhéteur Pisne, ne pouvant souffrir d'être Iiter»<br />

|*iia brait <strong>de</strong> cette nature. On traîne dans rassemblée rompu dans ses pensées , avait défen<strong>du</strong> I ses esc<strong>la</strong>ves <strong>de</strong><br />

noire barbier, qui ne peut pas même dire <strong>de</strong> qui Tenait lui parler jamais sans être interrogés. Quelque temps après,<br />

tes rapport ; car il se s'était pas donné le temps <strong>de</strong> s'infor­ Il fait apprêter un festin gpkndi<strong>de</strong> pour traiter un <strong>de</strong> ses<br />

mer <strong>du</strong> nom <strong>de</strong> l'esc<strong>la</strong>ve. Le peuple irrité s'écrie : Cest nne amis, Clodius, qui venait d'être nommé à use magistra­<br />

invention <strong>de</strong> ce misérable. Quel autre que lui a enten<strong>du</strong> ture, et U l'envoie prier à souper. A l'heure marquée, les<br />

rien <strong>de</strong> semb<strong>la</strong>ble? Qu'on k mette à <strong>la</strong> question. On autres convives arrivent tous, et Clodiiis seul se fait at­<br />

l'attache aussitôt sur un© roue; mais en ce même moment tendre. Pison envoie coup sur coup au-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong> lui pour<br />

le fait se confirmait <strong>de</strong> tous côtés par ceui qui armaient voir s'il venait, et le faire bâter. Cependant l'heure se


ANCIENS. — PHILOSOPHIE. 3§S<br />

passe, k nuit vient, et Foi se met à table. JVef-ffts pas<br />

ailé imiter Clodiw <strong>de</strong> ma pari? dit Pissa à son ©s»<br />

ckve. — 0t*f. — Pourquoi danc me vienUl pm? —<br />

C'est qu'il a dit qu'il ne pouvait pas venir. — Et pour*<br />

quai ne me Vas-tu pas dit? — Cest que vous ne me<br />

faces pas <strong>de</strong>mandé. Le maître resta k bonclie close.<br />

Mais aussi est esc<strong>la</strong>ve était romain f ni esc<strong>la</strong>Te grec n'en<br />

ferait jamais autant. »<br />

Plutarque distingue trois manières <strong>de</strong> répondre :<br />

<strong>la</strong> réponse <strong>de</strong> nécessité, <strong>la</strong> réponse <strong>de</strong> politesse, <strong>la</strong><br />

réponse <strong>de</strong> baML Et c'est on <strong>de</strong>s endroits où il peint<br />

très-comiquemeot celui <strong>de</strong>s Athéniens.<br />

« Sœrate y est-M? L'esc<strong>la</strong>ve <strong>de</strong> mauvaise humeur dira,<br />

M n'y est pas : ou mêmê9 s'il se pique <strong>de</strong> <strong>la</strong>conisme, il<br />

dira simplement, non, comme les I^eédémoiitens, qui<br />

recevant <strong>de</strong> Philippe' ime grisée lettre pour les engager à<br />

le <strong>la</strong>isser entrer dans leur Tille ; toi envoyèrent en réponse<br />

eue ajaaie pancarte où il n'y avait qee ce swnosyl<strong>la</strong>be,<br />

mais en lettres énormes : NOM. Si l'esc<strong>la</strong>ve est plus pol 9<br />

11 dira, Seerate n'w mi pm, ii est aUé chez sm banquier;<br />

et s'il vent <strong>mont</strong>rer encore aa peu <strong>de</strong> courtoisie, il<br />

ajoutera 9 parce qu'il f attend <strong>de</strong>s kétes qui iui arrivent.<br />

Mais l'Athénien jasenrHura : Socratê est chez te banquier,<br />

où ii attend <strong>de</strong>s hâtes attente, sur tu recommandation<br />

tFAlctbia<strong>de</strong>, qui iui a écrit <strong>de</strong> Milet, où il est auprès<br />

<strong>de</strong> Hssapherne, oui Tissspherne, le satrape <strong>du</strong> grand<br />

rai, auparavant Varna et l'allié dm Lacédémomiens ;<br />

wmm ÂêcêMa<strong>de</strong> Fa retmsrmé, et à présent ii est tmt<br />

Athénien ; car Aleièiadêmmrt d'envie êe revenir, efe.<br />

£t U loi îém$mm <strong>de</strong> suite tout ce que «ras voyons dans<br />

le huitième livre <strong>de</strong> Thucydi<strong>de</strong> ; il inon<strong>de</strong>ra son homme<br />

d'un déluge <strong>de</strong> paroles, et ne le <strong>la</strong>issera pas aller f aeMIIet<br />

ne soit pris9 et Alcibia<strong>de</strong> exilé une secon<strong>de</strong> tes» *<br />

On ne peut rien lire <strong>de</strong> plus instructif que le» leçons<br />

<strong>de</strong> Plutarque, pour apprendre à écouter, à se<br />

taire, tt à ne parler qu'à propos; et cette science<br />

n f très-morale quand elle a un but, et que les faits<br />

sont bien choisis. Celui-ci est tel, que je n'en connais<br />

ps <strong>de</strong> plus frappant, ni même <strong>de</strong> plus extraordinaire<br />

sur <strong>la</strong> puissance» diwemords. D'ailleurs, je ne<br />

dois pas dissimuler, ce qui n'est que trop vrai et trop<br />

attesté <strong>de</strong>puis longtemps, que, si le goût <strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture<br />

est plus général que jamais, il est plus que jamais<br />

frivole. On me IMpaimÈ, disait Voltaire; et il<br />

avait raison, car il vou<strong>la</strong>it dire qu'on ne lit guère ce<br />

qu'il faut lire et comme il faut lire. Je viens à mon<br />

histoire, et ce sera <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière, au moins dans cet<br />

article ; car je ne veux ps trop ra'engager pour le<br />

reste.<br />

« Bessus le Péonien avait tué son père f et son crime<br />

fut longtemps caché. Un jour qu'il al<strong>la</strong>it souper chai un<br />

<strong>de</strong> ses hétes avec quelques amis» il entend crier <strong>de</strong>s petits<br />

d'hiron<strong>de</strong>lle| et, avec eue pique qu'il tenait à k maie» i<br />

abat ie nid et écrase les petits oiseaux. On s'étonne f comme<br />

<strong>de</strong> raison ; d'une action si brutale» et on lui en <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

le motif. Quoi / répondit-il ; vous ne voyez pm que ce<br />

sont <strong>de</strong> faux témoins? mus ne les enten<strong>de</strong>z pas crier<br />

A mes oreilles que j'ai tué mon père? On al<strong>la</strong> sur-lechamp<br />

rendre compte do <strong>la</strong>it an roi, qui le fit arrêter ; Il<br />

ftat MentOt convainai et supplicié. »<br />

Je ne saurais me résoudre à mettre au rang <strong>de</strong>s<br />

ouvrages philosophiques <strong>de</strong> Plutarque ces <strong>de</strong>ux morceaux,<br />

l'un Sur <strong>la</strong> fortune <strong>de</strong>s Romains, l'autre<br />

Sur <strong>la</strong> fortune if Alexandre, qui ne me paraissent<br />

autre chose que <strong>de</strong>s essais d'un jeune homme dans<br />

ie genre oratoire, tels que ceux que nous appelons<br />

dans nos c<strong>la</strong>sses amplifications, et que les anciens<br />

appe<strong>la</strong>ient déc<strong>la</strong>mations. Ce n'est pas qu'il n'y ait<br />

beaucoup d'esprit, et même assez d'éloquence proprement<br />

dite, pour faire voir que Plutarque aurait<br />

pu briller, s'il f eût voulu, parmi les orateurs. Cest<br />

est ni petite ni commune. Les conseils qu'il donne,<br />

surtout une idée très-bril<strong>la</strong>nte que <strong>de</strong> personnifier<br />

et les moyens qu'il prescrit, <strong>mont</strong>rent une connais­<br />

<strong>la</strong> Vertu et <strong>la</strong> Fortune disputant à qui <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux a<br />

sance réfléchie <strong>de</strong> nos diverses habitu<strong>de</strong>s et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

plus fait pour <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s Eomains; et les dé­<br />

manière dont elles se forment ou se réforment. Oo<br />

tails <strong>de</strong> <strong>la</strong> discussion n'ont pas moins d'éc<strong>la</strong>t et <strong>de</strong><br />

reconnaît en lui un esprit observateur, à ce qu'il<br />

pompe que cette prosopopée. Mais c'est précisément<br />

vous rappelle sou?ent ce que vous aviez vu sans l'ob­<br />

tout cet appareil, non-seulement oratoire, mais presserver,<br />

et qui se trouve, à l'examen, d'accord avec<br />

que poétique, et fort étranger au goût <strong>de</strong> Fauteur,<br />

ses remarques. Il s'est aperçu 9 par exemple, que les<br />

comme aux convenances <strong>de</strong>s sujets qu'il traite et<br />

gens curieux ne vont guère à <strong>la</strong> campagne, ou s'y<br />

au ton habituel qu'il y prend ; c'est cette disparate<br />

ennuient bientôt.<br />

vraiment étrange qui seule me persua<strong>de</strong>rait que ce<br />

« Il leur faut toute une ville, <strong>de</strong>s théâtres, <strong>de</strong>s tribu* n'est pas 14 une composition <strong>de</strong> Plutarque historien<br />

nau , <strong>de</strong>s Hem publics, un port <strong>de</strong> mer. »<br />

et philosophe, mais un <strong>de</strong>s cahiers <strong>de</strong> sa rhétorique ;<br />

Rien n'est plus vrai, et rien n'explique mieux ce et cette opinion approche <strong>de</strong> <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong>, si Ton<br />

que nous avons souvent oui dire <strong>de</strong> certaines per­ considère le fond d'un <strong>de</strong> ces morceaux, celui qui<br />

sonnes ,'ou'eUes nepawmkmi se pmmer <strong>de</strong> Paris. regar<strong>de</strong> Alexandre. Comment concevoir qu'un es­<br />

Je ne puis me refuser à citer encore un <strong>de</strong> ces prit si sage et si éloigné <strong>de</strong> <strong>la</strong> manie <strong>du</strong> paradoxe et<br />

traits historiques dont Plutarque est plein, dsssîei- in besoin <strong>de</strong> <strong>la</strong> singu<strong>la</strong>rité ait entrepris <strong>de</strong> prouver<br />

vous dire que je me <strong>la</strong>isse aller avec lui à l'habitu<strong>de</strong> que toute l'expédition d'Alexandre n'était qu'un sys­<br />

facile <strong>de</strong> conter. Elle ost facile sans doute, mais tème <strong>de</strong> civilisation générale; qu'il n'avait d'autre


864<br />

but qoe<strong>de</strong>falreadôpterdaiis tout l'Orient les mœurs,<br />

les lois et les lettres grecques; qtf en- un mot toute<br />

soo ambition ne fut que <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie? G f C0U1S DE LITTÉEATUtR<br />

1 qu'il composa tous ses écrits philosophiques, dont<br />

' une partie a péri par l'injure <strong>de</strong>s temps. Ils formaient<br />

est là un <strong>cours</strong> complet <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie <strong>de</strong>s Grecs, et<br />

évi<strong>de</strong>mment un jeu d'esprit, que Plutarque n'a pu furent achevés dans l'espace <strong>de</strong> cinq ans, malgré<br />

se permettre que comme mi amusement <strong>de</strong> jeunesse. les troubles et les orages qui se mêlèrent encore aux<br />

Celui qui a écrit si judicieusement <strong>la</strong> ?i@ d'Alexandre, <strong>de</strong>rnières occupations qu'il avait choisies, et le re­<br />

et qui ne dissimule, ni ses fastes, ni ses passions9 jetèrent plus d'une fois dans le iot <strong>de</strong>s discor<strong>de</strong>s ci­<br />

ni ses fiées, n'a sûrement pas foulu le f<strong>la</strong>tter si grosviles, qui finirent par l'engloutir lui-même avec <strong>la</strong><br />

sièrement , ni inventer un genre <strong>de</strong> f<strong>la</strong>tterie si ma<strong>la</strong>­ liberté romaine.<br />

droit et si ridicule. De plus, il était lui-même trop Cette philosophie <strong>de</strong>s Grecs avait à Rome <strong>de</strong>s<br />

bon philosophe pour ne pas savoir que le projet <strong>de</strong> sectateurs et <strong>de</strong>s amateurs <strong>de</strong>puis Lelius ; mais peu<br />

ranger tous les gouvernements <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> sous un <strong>de</strong> Romains avaient écrit sur ces matières jusqu'à<br />

même niveau, et <strong>de</strong> donner à tous les peuples <strong>de</strong> tous Brutus et Yarron; et c'est au premier que Cicéron<br />

<strong>la</strong>s climats les mènes habitu<strong>de</strong>s politiqueset sociales, adressa le plus souvent ses Traités <strong>de</strong> philosophie<br />

ne pouvait entrer que dans <strong>la</strong> tête d'un fou, et même et d'éloquence, car Brutus était également versé dans<br />

d'un fou tel qu'il ne s'en est jamais rencontré, puis­ l'une et dans l'autre. Mais Cicéron seul eut assez d'éque,<br />

parmi les conquérants , qui ne sont pas les plus ten<strong>du</strong>e <strong>de</strong> génie pour embrasser toutes les .parties<br />

sages <strong>de</strong> tous les hommes, il n'y en eut jamais un <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie grecque, et assez <strong>de</strong> confiance dans<br />

qui ait songé à un pareil ni?ellement, et que tous au ses forces pour entreprendre <strong>de</strong> faire passer dans<br />

contraire ont eu assez <strong>de</strong> sens commun pour <strong>la</strong>isser <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> <strong>la</strong>tine tout ce qui, dans ce genre, était<br />

à chaque peuple ce qu'on ne saurait jamais lui dter sorti <strong>de</strong>s plus célèbres écoles <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce. Ce fut <strong>la</strong><br />

par <strong>la</strong> force, ses mœurs, ses coutumes, ses opinions, <strong>de</strong>rnière espèce<strong>de</strong> gloire qu'il ambitionna ; et le p<strong>la</strong>n<br />

qui ne peuvent jamais être changées que par le qu'il conçut, et dont lui-même nous rend compte à<br />

pouvoir insensible <strong>du</strong> temps, qui change tout SU <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> son second lïrmSur <strong>la</strong> MwîmUm^ prouve<br />

était possible que Plutarque eût écrit ce<strong>la</strong> sérieuse­ <strong>la</strong> variété <strong>de</strong> ses connaissances et <strong>la</strong> facilité <strong>de</strong> son<br />

ment , on ne pourrait déci<strong>de</strong>r s'il aurait voulu, dans talent. Ces matières étaient encore si neuves à Rome t<br />

cette supposition, faire l'éloge ou <strong>la</strong> satire d'A­ que les Latins n'avaient pis même <strong>de</strong> termes pour<br />

lexandre. Heureusement l'un n'est pas plus vrai­ rendre les abstractions <strong>de</strong> <strong>la</strong> métaphysique <strong>de</strong>s Grecs ;<br />

semb<strong>la</strong>ble que l'autre : jpais j'ai cru cette remarque et ce fut lui qui créa pour les Romains <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue<br />

nécessaire pour fairs voir que dans <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong>s<br />

philosophique, transportée <strong>de</strong>puis dans nos écoles<br />

anciens il faut distinguer avec attention, non-seu­<br />

mo<strong>de</strong>rnes, qui jusqu'ici n'en ont pas connu d'autre<br />

lement ce qui est reconnu pour leur appartenir, ou<br />

U commença par le livre intitulé Mmiemim, que<br />

ce qui leur a été attribué sans preuve et sans au­<br />

nous avons per<strong>du</strong> f et oàil faisait à <strong>la</strong> fois Féloge <strong>de</strong><br />

thenticité, mais encore, dans ce qui est réellement<br />

<strong>la</strong> philosophie et sa propre apologie y contre ceux<br />

sorti <strong>de</strong> leur plume, le temps où ils ont écrit, et <strong>la</strong><br />

qui lui reprochaient ce genre d'étu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> composi­<br />

nature et l'époque <strong>de</strong> leurs ouvrages, qui n'ont pas<br />

tion, comme au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> sa dignité personnelle.<br />

toujours été recueillis avec assez <strong>de</strong> précaution et<br />

H revient ailleurs, et à plus d'une reprise, sur ce re­<br />

<strong>de</strong> discernement.<br />

proche, qu'il n'a pas <strong>de</strong> peine à détruire; et il se<br />

mam m.— Cieéran.<br />

fon<strong>de</strong>, non-seulement sur ce que cette étu<strong>de</strong>est trèsdigne<br />

en eHe-mêmê d'occuper l'esprit humain, mais<br />

Cicéron, dans les <strong>de</strong>rnières années <strong>de</strong> sa vie, éloi­ sur ce qu'il n'y a donné que le temps où il ne pouvait<br />

gné <strong>du</strong> gouvernement par les guerres civiles, qui rien faire <strong>de</strong> mieux, et qu'il n'a rien pris sur ses <strong>de</strong>­<br />

avaient substitué le pouvoir <strong>de</strong>s armes à celui <strong>de</strong>s voirs <strong>de</strong> citoyen et d'homme public. 1 ajoute qu'il<br />

lois, ne crut pas pouvoir employer mieux le loisir est aussi <strong>de</strong> l'honneur <strong>de</strong>s lettres <strong>la</strong>tines <strong>de</strong> n'avoir<br />

<strong>de</strong> sa retraite qu'en remp<strong>la</strong>çant les travaux <strong>de</strong> Fé- rien à envier aux Grecs en cette partie, <strong>de</strong>puis qu'elloquence<br />

et <strong>de</strong> l'administration par ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> philoles sont entrées en concurrence pur l'éloquence et<br />

sophie. 11 ravait toujours aimée et cultivée, comme <strong>la</strong> poésie; et H trouve f<strong>la</strong>tteur pour lui qu'elles lui<br />

on l'aperçoit dans tous ses ouvrages; raaisji n'avait soient re<strong>de</strong>vables <strong>de</strong> ce nouvel honneur. Enfin, il se<br />

pu y donner que le peu <strong>de</strong> moments que lui <strong>la</strong>issaient félicite <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier moyen d'être utile i <strong>la</strong> jeunesse<br />

les affaires publiques, où nous l'avons vu jouer un romaine dans <strong>de</strong>s temps corrompus, oà elle I plus<br />

si graad rôle, comme orateur et eomme magistrat, que jamais besoin <strong>de</strong>s se<strong>cours</strong> <strong>de</strong> l'instruction et <strong>du</strong><br />

jusqu'au moment où <strong>la</strong> guerre éc<strong>la</strong>ta entre César et frein <strong>de</strong> <strong>la</strong> morale.<br />

Pompée. C'est <strong>de</strong>puia cette époque jusqu'à sa mort « Mes cf»titoj«tsf «m, ne prdsniwroiitf ou pin-


ANCIENS. — PHILOSOPHIE. S65<br />

têt Ils lia muent gré, quand <strong>la</strong> république est assortie,<br />

<strong>de</strong> n'avoir wmké m k ifciblessê et l'abattement<br />

qui lâmmêmimmi tout, ni le ressentiment qei se refuse<br />

à tout, ni <strong>la</strong> rampMsaiee a<strong>du</strong><strong>la</strong>trice qui f<strong>la</strong>tte <strong>la</strong> puis<br />

sauce absolue, fente <strong>de</strong> pouvoir toutnir as© mmêâêêM<br />

privée. »<br />

Après fffortmsîm il donna les Jcméémik$me$$<br />

dont nous n'avons qu'une partie, et où il se propose<br />

<strong>de</strong> défendre 1a doctrine qu'il avait embrassée,<br />

celle <strong>de</strong> l'académie <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, qui , d'après Sœrate,<br />

n'admettait rien que comme probable y et ne rëeonnaissait<br />

ni évi<strong>de</strong>nce ni certitu<strong>de</strong>. Cette doctrine,<br />

quelques efforts qu'il fessa pour <strong>la</strong> justifier, n'est<br />

pas soutenable en rigueur : aussi 1a ré<strong>du</strong>it-il, à<br />

mesure qu'il est pressé, à peu près à ce qu'elle a <strong>de</strong><br />

raisonnable quand elle est restreinte, c'est-à-dire<br />

qu'il k borne à ce qui est véritablement inaccessible<br />

à l'intelligence humaine, et ne permet que les<br />

conjectures. Les eiemples qu 9 babilisme il restera toujours sans défense contre celui<br />

qui, le serrant <strong>de</strong> près, lui soutiendra, non sans<br />

raison, qu'il ne se croit obligé à rien quand rien ne<br />

lui est prouvé; que, si rien n'est évi<strong>de</strong>nt en principe,<br />

rien n'est évi<strong>de</strong>mment bon ou mauvais dans Fapplication;<br />

et il serait curieux alors <strong>de</strong> savoir <strong>de</strong> Cicéron<br />

M-méme ce que <strong>de</strong>viendrait son Traité <strong>de</strong>s<br />

Devoir». Comment, lui dira-t-oa, me prescrirezvous<br />

pour règle invio<strong>la</strong>ble, pour premier intérêt,<br />

pour souverain bien, ce qui est honnête et vertueux,<br />

quand vous-même ne pourriez pas affirmer que ce<br />

qui vous parait le contraire <strong>de</strong> l'honnête ne soit pas<br />

rhonnête en effet? Car voilà ce qui résulte rigoureusement<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> théorie <strong>du</strong> probabilisme 9 et ce dont<br />

<strong>la</strong> secte académique, à ce<strong>la</strong> près <strong>la</strong> plus raisonnable<br />

<strong>de</strong> toutes, n'a pas vu tout le danger. Cicéron f<br />

d'après ses maîtres, se rejette toujours sur les hypothèses<br />

physiques ou métaphysiques; mais il sem­<br />

il cite sont presque ble éviter le fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> question, sans doute pars»<br />

tous <strong>de</strong> ce genre ; mais en général il ne renonce ja­ qu'il n'ose pas y entrer. Il importe fort peu en effet<br />

mais formellement à ce principe <strong>de</strong> sa secte, gu'om que nous soyons sirs <strong>de</strong> <strong>la</strong> grosseur <strong>du</strong> soleil ou <strong>de</strong><br />

ne peut dire d'mwwm chose qu'ette mt pfak, mm <strong>la</strong> manière dont l'âme agit sur le corps, et nous<br />

pmimi qm k amiraire mît néeeësairemmi faux. pouvons riraindiflfomiiient<strong>de</strong>ceux qui ne croyaient<br />

Ce sont ses termes, et c'est une absurdité» C'est pas le soleil plus gros en réalité qu'en apparence,<br />

même us assemb<strong>la</strong>ge d'inconséquences visibles ; car, ou <strong>de</strong> ceux qui le croyaient plus gros que <strong>la</strong> terre<br />

en vou<strong>la</strong>nt bien <strong>la</strong>isser <strong>de</strong> cAté une preuve <strong>de</strong> fait, seulement d'un dix-huitième. Mais il est <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus<br />

tirée <strong>de</strong>s connaissances mathématiques, dont il ne haute importance que l'homme soit sir <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>­<br />

parlejamaissoudont il sembleneteniraucun compte, voirs et <strong>de</strong> sa in. Quoi! le méchant est assez cor­<br />

il y. a une contradiction métaphysique qu'auraient rompu pour décliner le jugement <strong>de</strong> sa conscience<br />

dûapereevoir Socrate, P<strong>la</strong>ton et leurs disciples ; c'est et <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> tous les hommes, quoique reconnu<br />

qu'il n'est pas possible que l'intelligence, émanée, pour certain, et vous ne craignes pas qu'il ne se<br />

dans leur propre système, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Divinité, ait été don­ serve <strong>de</strong>s armes que vous lui fournisses vous-même<br />

née à l'homme comme une faeulté tellement illu­ pour f évoquer en doute, ou plutôt, pour rejeter<br />

soire, qu'elle ne pût avoir <strong>de</strong> notions évi<strong>de</strong>ntes, ni loin <strong>de</strong> lui les lois que vous dépouilles <strong>de</strong> toute sanc­<br />

arriver à un résultat certain sur quoi que ce soit. tion ! Yoos pouvez croire qu'il lui suffira d'une pro­<br />

Qui veut <strong>la</strong> in vent les moyens : or, <strong>la</strong> in <strong>de</strong> <strong>la</strong> babilité pour préférer le <strong>de</strong>voir qui lui semblera<br />

créature raisonnable est, <strong>de</strong> leur aveu, <strong>la</strong> connais­ difficile au crime qui lui paraîtra aisé et avantageux !<br />

sance <strong>de</strong> <strong>la</strong> ?érité 9 sans <strong>la</strong>quelle l'homme n'aurait Non : ce système est aussi mauvais dans <strong>la</strong> pratique<br />

aucun gui<strong>de</strong>. 11 s'ensuit que, si Dieu loi a refusé <strong>la</strong> quedans.<strong>la</strong> spécu<strong>la</strong>tion. Cette réserve <strong>du</strong> doute aca­<br />

connaissance <strong>de</strong> ce qui est au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> lui, et <strong>de</strong> ce démique, qu'il se piquait d'opposer à <strong>la</strong> présomp­<br />

qui par conséquent ne loi est pas nécessaire, il a dû tion dogmatique, n'est qu'un eicès, et retombe dé<br />

lui donner <strong>la</strong> perception entière <strong>de</strong>s idées dont il a son poids dans l'absur<strong>de</strong> <strong>du</strong> pyrrhonisme, dont eux*<br />

besoin pour se con<strong>du</strong>ire et se déterminer ; sans quoi mêmes sentaient tout le ridicule. Affirmer tout est<br />

Bien ne serait ni juste ni bon envers sa créature, ce une illusion <strong>de</strong> l'orgueil, mais douter <strong>de</strong> tout est<br />

qui répngne ; et ne serait pas d'accord avec lui-même, une arme pur <strong>la</strong> perversité»<br />

car il fondrait et ne voudrait pas, ce qui ne répugne •Ce doute absolu sur ce qui se perçoit par le np-<br />

pas moins. Cicéron a beau dire, pour échapper à prt <strong>de</strong>s idées intellectuelles n'est pas même admis­<br />

<strong>de</strong>s conséquences qui détruiraient toute morale, que sible sur ce qui se perçoit par les sens. C'est là-<br />

cette probabilité qu'il substitue à <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong> est ce<strong>de</strong>ssus que les académiciens triomphaient le plus,<br />

pendant assez forte pur pro<strong>du</strong>ire une détermina­ parce que les erreurs <strong>de</strong>s sens sont nombreuses et<br />

tion suffisante, et servir <strong>de</strong> mobile à toutes les ac­ avouées; mais ils triomphaient fort mal à props*<br />

tions et à tous les <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie; nonf ce n'est et seulement à <strong>la</strong> <strong>la</strong>veur <strong>de</strong> paralogismes dont ils<br />

pas là raisonner oonséqnemment; et avec son pro* ne s'apercevaient pas. D'abord ce qu'ils appe<strong>la</strong>ient


36-6<br />

erreur <strong>de</strong>s sens postait contre eui qu'il y a?ait <strong>de</strong>s<br />

sensations certaines; car l'erreur s'est que <strong>la</strong> négation<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité; et Ton ne peut dire que telle sensation<br />

est erronée qu'en supposant soi-même que <strong>la</strong><br />

sensation contraire est réelle, sans quoi Ton ne dirait<br />

rien qui eût <strong>du</strong> sens. De plus, ce ne sont pas les<br />

sens qui se trompent, car les sens ne jugent point :<br />

c'est l'âme seule, c'est <strong>la</strong> faculté pensante qui forme<br />

<strong>de</strong>s jugements sur les objets transmis par les sens;<br />

et Cicéron lui-même le dit très-c<strong>la</strong>irement dans ses<br />

Tumdanes. Enfin, si les sens nous trompent souvent,<br />

«ous connaissons les causes <strong>de</strong> l'erreur, et<br />

les moyens <strong>de</strong> <strong>la</strong> rectifier dans tout ce qui est à <strong>la</strong><br />

portée <strong>de</strong> nos sens. Les expériences physiques en<br />

sont <strong>la</strong> preuve, et les effets <strong>de</strong> <strong>la</strong> pression et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

pesanteur et <strong>de</strong> l'é<strong>la</strong>sticité <strong>de</strong> l'air, effets qui certainement<br />

n'arrivent que par les sens à l'intelligence<br />

qui les juge, nous sont aussi dé<strong>mont</strong>rés que <strong>de</strong>s corol<strong>la</strong>ires<br />

mathématiques. En un mot, cette incertitu<strong>de</strong><br />

générale ferait <strong>de</strong> notre existence et <strong>du</strong> mon<strong>de</strong><br />

une espèce <strong>de</strong> rêve ; ce qui ne peut se soutenir qu'en<br />

rêvant ou en p<strong>la</strong>isantant, et ce qui serait mime Ha<br />

fort triste rêve et une fort inepte p<strong>la</strong>isanterie.<br />

Cicéron a suivi partout <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton,<br />

celle -<strong>du</strong> dialogue, mais rarement celle <strong>de</strong> l'argumentation<br />

socratique par <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s et par réponses,<br />

qui est par elle-même subtile et sèche, et convenait<br />

peu au génie <strong>de</strong> Cicéron et à sa manière d'écrire<br />

plus ou moins oratoire dans tous les genres. 11 se<br />

rapproche beaucoup plus <strong>de</strong> cette partie <strong>de</strong>s dialogues<br />

<strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton dans <strong>la</strong>quelle chaque interlocuteur<br />

expose tour à tour son opinion raisonnée et développée,<br />

ce qui donne beaucoup plus <strong>de</strong> champ à félocutioa;<br />

et Cicéron avait trop d'intérêt à n'y pas<br />

renoncer. On retrouve partout dans <strong>la</strong> sienne l'élégance<br />

et <strong>la</strong> richesse, qui ne l'abandonnent jamais,<br />

et f ce qui est encore plus important en philosophie,<br />

<strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté et <strong>la</strong> métho<strong>de</strong>, <strong>de</strong>ux choses qui manquent<br />

à P<strong>la</strong>ton. Cicéron ne s'est pas borné non plus à l'exposé<br />

et à <strong>la</strong> discussion <strong>de</strong>s différentes doctrines ; on<br />

croira sans peine qu'il y met <strong>du</strong> sien, et qu'il tâche<br />

dans chaque cause d'être aussi bon avocat qu'il est<br />

possible, par l'usage qu'il fait <strong>de</strong>s moyens qu'on lui<br />

a fournis. Bans ses cinq livres Sur <strong>la</strong> nature <strong>du</strong> Mm<br />

et <strong>du</strong> mai, on peut dire <strong>de</strong> lui ce que Vol taire disait<br />

<strong>de</strong> Baylt, qu'il s'était fait l'avocat général <strong>de</strong>s philosophes;<br />

mais non pas ce que Voltaire ajoute <strong>de</strong><br />

Bayle, qu'il ne donne jamais ses conclusions : car<br />

on connaît très-bien celles <strong>de</strong> Cicéron f soit qu'il<br />

prie lui-même, comme lorsqu'il défend le probabilisme<br />

académique, et attaque les dogmes d'Épicure<br />

et <strong>de</strong> Zenon, soit qu'il donne <strong>la</strong> parole à quel'<br />

qu'un <strong>de</strong>s personnages qu'il intro<strong>du</strong>it, et pi sont<br />

COU1S DE L1TTÉMTUEE*<br />

<strong>la</strong> plupart au nombre <strong>de</strong>s plus considérables <strong>de</strong> son<br />

temps et <strong>de</strong>s plus distingués <strong>de</strong> ses amis, tels que<br />

Lueullus, Catullus, Gotta, Caton, Torquatus, et<br />

autres, comme vous avez eoteo<strong>du</strong> Crassus et Antoine<br />

dans les dialogues sur l'éloquence.<br />

II s'agit ici <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> question <strong>du</strong> smaeraM<br />

Mm; et si l'on ne trouve nulle part un résultât entièrement<br />

satisfaisant, c'est qu'il était impossible<br />

d'en obtenir sur ce qui n'existe pas. C'est le premier<br />

inconvénient (et il est capital) <strong>de</strong> ces interminables<br />

controverses <strong>de</strong>s anciens. Aucun ne s'est aperçu qu'ili<br />

cherchaient tous ce qu'on ne peut pas trouver, puisqu'il<br />

est <strong>de</strong> toute impossibilité que le souverain bien<br />

soit dans un ordre <strong>de</strong> choses où tout est nécessairement<br />

imparfait» Ce<strong>la</strong> nous parait aujourd'hui si simple,<br />

que personne ne s'avise plus d'en douter ; mais il<br />

est très-commun d'ignorer ce qui est pourtant une<br />

vérité <strong>de</strong> fait, que si les mo<strong>de</strong>rnes ont absolument<br />

renoncé à cette question, qui n'a cessé d'agiter pendant<br />

tant <strong>de</strong> siècles les écoles anciennes, c'est <strong>de</strong>puis<br />

que le légis<strong>la</strong>teur <strong>de</strong> l'Évangile eut appris à<br />

l'homme que le bonheur n'était point <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> 9<br />

et qu'il ne fal<strong>la</strong>it pas l'y chercher. Cette vérité, quoi»<br />

que révélée, a para si sensible, que tout le mon<strong>de</strong><br />

en a profité, même lorsque pr <strong>la</strong> suite l'Évangile<br />

perdit beaucoup <strong>de</strong> disciples ; et ce n'est pas à beau*<br />

coup près <strong>la</strong> seule vérité qu'en ait empruntée, sans<br />

s'en apercevoir, <strong>la</strong> philosophie mo<strong>de</strong>rne, ni le seul .<br />

avantage qu'aient conservé <strong>de</strong>s lettres chrétiennes<br />

ceux mêmes qui, d'ailleurs, se sont déc<strong>la</strong>rés contre<br />

<strong>la</strong> religion.<br />

En quoi consiste le souverain bien? C'était là ce<br />

qu'on <strong>de</strong>mandait à tous les philosophes, comme on<br />

leur <strong>de</strong>mandait à tous, Gomment le mon<strong>de</strong> a-t-fl été<br />

fait ? H n'y en avait pas un qui se crût en état <strong>de</strong> répondre<br />

sur les <strong>de</strong>ux questions : et <strong>de</strong> là autant <strong>de</strong><br />

systèmes sur l'une que sur l'autre. Êpîcure et Artstippe<br />

répondaient, Dans le p<strong>la</strong>isir : Hiéronymef<br />

Dans l'absence <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur : Zenon, Dans <strong>la</strong> vertu ;<br />

et ces trois systèmes étaient simples et absolus :<br />

P<strong>la</strong>ton, Dans <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité, et dans<br />

<strong>la</strong> vertu qui en est <strong>la</strong> suite : Aristote, Carnéa<strong>de</strong> et<br />

les péripatéticiens, A vivre conformément aux lois<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, mais non pas indépendamment <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

fortune : ces <strong>de</strong>ux systèmes étaient complexes, et<br />

l'Académie, que Cicéron faisait profession <strong>de</strong> suivre,<br />

se rapprochait <strong>du</strong> <strong>de</strong>rnier en le commentant et l'expliquant<br />

Du reste, les choses et les mots se confondaient<br />

tellement dans l'exposition et <strong>la</strong> discussion<br />

<strong>de</strong> chaque doctrine, que souvent Tune rentrait en<br />

partie dans Pautre; et même Cicéron prétend que<br />

Zenon et tout le Portique ne s'étaient séparés da<br />

péripatéttdtns que pr un rigorisme mal enten<strong>du</strong>;


ANCHOIS. — PHILOSOPHIE.<br />

qu'ils étaient d'aeeoid sur le point principal, où ils<br />

oedifféraient farinas les termes; mais qu'ils a? aient<br />

ren<strong>du</strong> ce même fond vieieox et insoutenable en le<br />

rendant exclusif. Yîvre conformément aux lois <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> nature était, selon les péripatét!ciens9 <strong>la</strong> même<br />

chose que vivre honnêtement ; et par Sa ils rentraient<br />

dans le souverain bien <strong>de</strong> Zenon, qui était l'honnêteté<br />

, ou <strong>la</strong> vertu ( mots synonymes dans <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue<br />

philosophique). Mais Zenon al<strong>la</strong>it jusqu'à ne reconnaître<br />

aucune espèce <strong>de</strong> bien que <strong>la</strong> vertu, aucune<br />

espèce <strong>de</strong> mai que le fiée ; et c'est là-<strong>de</strong>ssus que les<br />

péripatéticiens et les académiciens se réunissaient<br />

contre loi, admettant également comme bkm rusage<br />

légitime <strong>de</strong>s choses naturelles et Féloignement<br />

<strong>de</strong>s maux physiques ; et ils avaient raison.<br />

Épicure était à <strong>la</strong> fois attaqué par tous, surtout<br />

par Cicéron , qui détestait sa doctrine, quoique estimant<br />

sa personne; car toute l'antiquité convient<br />

que cet homme, qui s'était fait l'apôtre <strong>de</strong> <strong>la</strong> volupté,<br />

vécut toujours très-sagement et fort éloigné <strong>de</strong> tout<br />

excès et <strong>de</strong> tout scandale. Il n'en est pas moins<br />

prouvé que ceux qui ont voulu expliquer et justifier<br />

sa philosophie en rapportant à lime tout ce qu'il disait<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> volupté, sa sont entièrement abusés. Nous<br />

n'avons plus ses écrits y il est vrai ; mais <strong>du</strong> temps <strong>de</strong>.<br />

Cicéron, ils étaient entre les mains <strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong>;<br />

et quand Cicéron en cite souvent <strong>de</strong>s passages eatîers<br />

comme textuels 9 en présence d'un épicurien qu'il dé~<br />

ûe <strong>de</strong> nier le teite, on ne peut penser que Cicéron<br />

ait voulu menti? gratuitement, ni citer à faux,<br />

quand il eût été si facile <strong>de</strong> ie démentir. Il est bien<br />

vrai qu'Épicure, comme s'il eit été honteux et embarrassé<br />

Itii-méme <strong>de</strong> sa doctrine (ce qui est assez<br />

croyable), l'embrouille en quelques endroits, au risque<br />

<strong>de</strong> ne pouvoir plus ni s'entendre ni s'accor<strong>de</strong>r;<br />

et ceaax <strong>de</strong> ses disciples qui ne vou<strong>la</strong>ient pas être,<br />

selon l'expression d'Horace, <strong>de</strong>sp&ureemux <strong>du</strong> troupeau<br />

d'Épteure*9 profitaient <strong>de</strong> ces obscurités pour<br />

crier à <strong>la</strong> calomnie, et se p<strong>la</strong>indre sans cesse qu'on<br />

ne blâmait cette philosophie que parce qu'on ne l'entendait<br />

pas. Ce n'est ps <strong>la</strong> seule fois qu'on a eu<br />

re<strong>cours</strong> au même arilce en paellle occasion pour<br />

repousser ou Foditui ou le danger d'une doctrine<br />

perverse t et se conserver le droit et les moyens d'en<br />

répandre <strong>la</strong> contagion : artifice frit aie et misérable ;<br />

car si m que vous dites est tel qu'il ne soit bon que<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> manière dont vous seul l'enten<strong>de</strong>s, et mauvais<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> manière dont tout le mon<strong>de</strong> l'entend et<br />

doit l'entendre, il est c<strong>la</strong>ir que vous ne <strong>de</strong>vez pas le<br />

dire. D'ailleurs, les mêmes termes ont et doivent<br />

avoir nécessairement <strong>la</strong> même slgalieatîaa pour<br />

8 Bsncwri Si §w§êpômiM> (Epht. f t I.J<br />

36T<br />

tous ceux qui prient <strong>la</strong> même <strong>la</strong>ngue, sans quoi il<br />

faudrait renoncer au commerce <strong>du</strong> <strong>la</strong>ngage et i <strong>la</strong><br />

communication <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée. Mais il vaut 'mieux<br />

écouter là-<strong>de</strong>ssus Cicéron lui-même, qui emplie ici<br />

une dialectique irrésistible,^ une démonstration qui<br />

peut servir <strong>de</strong> réponse péremptoire à tous les écrivains<br />

qui <strong>de</strong> nos jours se sont efforcés fort mal à<br />

propos <strong>de</strong> réhabiliter Épicure.<br />

Cicéron s'adresse en ces termes à l'épicurien farquatus,<br />

qui vient <strong>de</strong> faire l'apologie <strong>de</strong> ce philoso*<br />

phe en présence <strong>de</strong>Triariui :<br />

« Épicure dit que ie souverain bien consiste dans <strong>la</strong><br />

volupté, et le souverain mal dans <strong>la</strong> douleur, far <strong>la</strong> ma<br />

son <strong>de</strong>s contraires, Or9 Se mot qui dans sa Sangs® répond<br />

à ca<strong>la</strong>i <strong>de</strong> volupté dans <strong>la</strong> notre (tfavty , m signifia absolu*<br />

ment rien alias les Grecs, comme chas nous, «aie les p<strong>la</strong>n<br />

sirs <strong>de</strong>s sens ; et Épicure lui-même ne M donne pas sue<br />

autre slgalfioailos , puisqu'il dit en propres termes que<br />

le p<strong>la</strong>isir et <strong>la</strong> douleur n'appartiennent qu'au corps,<br />

et que le» sens en sont le» seuls juges. Ca<strong>la</strong> est-il positif?<br />

Il dit en propres termes qu'il ne conçoit même pas quel<br />

bien peut exister ssas <strong>la</strong> volupté, si ce ans peuvent entendre<br />

les staieieas par leur <strong>la</strong>naaroia Mm f al ml dam<br />

FJmmnéteté, el ne <strong>la</strong> mimpîé West pour tien. Il affirme<br />

que ce sont làêm sao<strong>la</strong> aérien <strong>de</strong> sens; a spécifie ia<strong>la</strong>nêeia<br />

comme mlupté les saasatiaas agréables qu'os peut recevoir<br />

par le goût, par le tact9 par <strong>la</strong> vue, par Fouie, par<br />

l'odorat; et aaia II ajoute ce qu'on ne peut pas même<br />

énoncer sans blesser <strong>la</strong> décence. Il est bien vrai qu'en d'an*<br />

très endroits, comme si rougissait loi-même <strong>de</strong> sa morale<br />

(tant est pas<strong>de</strong> <strong>la</strong> force <strong>de</strong>s sentiments naturels î «) ,11<br />

dit qu'on ne saurait faire agréablement sans vivre honnêtement;<br />

mais i ne s'agit pas ici <strong>de</strong> ce qoT 1 dit dans «pan<br />

qnes^endroits ; il s'agit <strong>de</strong> savoir comment ea peut coudlier<br />

ces endroits avec son système entier, tel rn#i se <strong>mont</strong>re<br />

partout, tel que tout le mon<strong>de</strong> l'entend. Ce n'est pas<br />

notre ûinte, s'a a méprisé <strong>la</strong> logique, parce qu'il n'en avait<br />

pas, et s'il n'entend rien en «Manfanata Noël définissons<br />

tous l'honnête, ce qui est juste et louable en soi 9 désirabSê<br />

en soif indépendamment <strong>de</strong> tout intérêt particulier, <strong>de</strong><br />

tonte louange étrangère t <strong>de</strong> toute Jouissance sensible. Ce<strong>la</strong><br />

est <strong>du</strong>c, et Épleore répond qu'il lui est impossible <strong>de</strong><br />

comprendre quel bien anus voyons dans l'honnête, è<br />

moins, dit-il, pas sans n'entenéiens ce qui est glorieux<br />

dans l'opinion popu<strong>la</strong>ire; ce qui, en effet, ajoate-til,<br />

est souvent plus agréable que certain» p<strong>la</strong>i»in9<br />

mais ce qu*m ne désire encore g n'en vue <strong>du</strong> p<strong>la</strong>isir ».<br />

Voi<strong>la</strong> donc tin philosophe famem qui a mis en rumeur <strong>la</strong><br />

Grèce et l'Italie, et qui connaît si peu Yhonnéte, qu'il le<br />

fait dépendre <strong>de</strong> l'opinion <strong>de</strong> <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong>!...' Je sais aussi<br />

tout ce qu'il débite sur cette dmm tranquillité d'âme<br />

C§o§veia) qui vante et recomman<strong>de</strong> sans cesse, au point ,<br />

dit-il, que le sage <strong>de</strong> son école s'écriera dam le taureau<br />

<strong>de</strong> Ph&<strong>la</strong>ri» ; Que edmmi doux! Voilà qui est plus que<br />

1 Tunis mi vk mlum!<br />

• C'est mut à mot et que Hit Hèbétlus sur Ss g<strong>la</strong>ire.


MB<br />

COC1S DE UTTÉEATDEE.<br />

itefeifti ; carie stoWê® dira seulement qse M dostesr s'est<br />

point SB malt et M sera ds mous eeiiséqsest, puisqu'il<br />

l'appelé mai qse es qsi ait ©kl«« fil Amiens. Mais à<br />

fil Épieare fermai «impreadre comment les sens, seuil<br />

/Mjei ifti ptaMr ei<strong>de</strong>lm êomkwr, tre-averont t grâce à là<br />

Iranfiiflli^ a? ont* * <strong>du</strong> p<strong>la</strong>isir à être déchirés et brûlés?<br />

Si ce s'est pas là nue vaine jactance <strong>de</strong> mata, qtfett-ee que<br />

c'est? Enfin, veulons-ntias connaître Se fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> manie<br />

d'Épiesre, ouvrons le ifre par exedtonee, ce<strong>la</strong>! eà i a<br />

renfermé ses prfadpam dogmes, «Mnm© les on<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Sa<br />

sagesse et les leçons <strong>de</strong> bonheur; es un mot9 ce qu'il appelle<br />

les smimem mmmraimm (mçm ftfec). Qui <strong>de</strong> TOUS<br />

ne les sait pas par eœsr? Ëceatea dsne9 et dttês^mol si ma<br />

•ersioa est falièle : Si m qui faii Im piûMn ém Jaaat»<br />

mes Ut plm mdmpimmx Um été m même fettij» M<br />

An fond, farfiêtas, Jasais <strong>de</strong> Favis <strong>de</strong> votre sévère philo-<br />

8opti€| en eeqn'i <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s bornes ètawlupêé: caaf<br />

daMsonhfpottièse, m^êlmm^mpiémikMmmwmên èim,<br />

Je crois bien qs'ls'entend pas parler <strong>de</strong> ceas cjaa seaiseesit<br />

ssr h table, qn'il <strong>la</strong>at emporter an Mt9 et qsi recommencent<br />

le len<strong>de</strong>main; qui n'ont Jamais vu, comme on dit, le<br />

soleil se coucher ni se lever, et ejii <strong>la</strong>isseit par asaajassar<br />

<strong>de</strong> tosty parée aalls ont tout mangé. Mon : parles-moi <strong>de</strong><br />

ses volsptnem <strong>de</strong> bon ton et <strong>de</strong> bon geét, f al eut le aaâl<strong>la</strong>ar<br />

eaieaîief, le meiPenr pâtissier, kasai<strong>la</strong>afa marée, <strong>la</strong> aseil-<br />

leasaisa<strong>la</strong>iia.feeseiieara^<br />

tontes tes choses sans lesqselles Éplcsroiiêcomiattpasdc<br />

bonhenr. Joignes-y, si vous aaales 9 <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves Jesiaaa et<br />

beaux posr servir à table, <strong>la</strong> plus beUe vaisselle d'argent et<br />

te plus bel airain <strong>de</strong> €ormthe9 et le pras aseasilifije loge­<br />

m§mf$$îimmpwMiminêmêp M crainte et M wmri el <strong>de</strong> ment, n s'ensuivra seulement que eeni qui vivent aissi »<br />

immmimimeiimmmmwmtéèmmimméêlmmmmrêéum vivent Mm, seleu vons, piisaji'is vivent dans <strong>la</strong> ea-<br />

Umt pmskm, nom n'amm rim à reprmêm m mx; Isfiliff api est, selon vous, le èfest; mais i ne s'ensnivr»<br />

mr^umcêiéîkmmimmêiéêiêmdmpmpmms^mmm'ê MPement qse <strong>la</strong> volupté soit en effet le bonheiir, soit le<br />

Un'$mmm%rlmqwlMÊ$ffïrê,rmêewmlmdB9€rmi- sasiawai» Me». La volspté par dSe-méme ne sera Jacassa<br />

è-dim mweun mal.<br />

qse <strong>la</strong> volspté, et pas antre chose; et tait ce qse je vois<br />

« Id * Triariss ne peut se contenir, et ai tonnant vers <strong>de</strong> aMf dans <strong>la</strong> doctrine #Épcaees c'est qs'i ne cherche<br />

Torqeatss : Sentie là, ditri,tes parolesè?Épiesre? (Il le <strong>de</strong>s disdples que posr leur apprendre que ceux qui ventait<br />

sa?ait Men, saisi vou<strong>la</strong>it en entendre l'aveu. ) Oui, répon­ être volsptneux doivent d'abord <strong>de</strong>venir pUtesopliea. *<br />

dit Twqoatns avec assurance, oe sent ses propres paroles; (Zte/n. n.)<br />

«ffa tons n'enten<strong>de</strong>s pas sa pensée. S'il dit use chose,<br />

repstaje alon t et en pense eue astre, c'est ose nisi» posr Voilàf i» tm semble, le procès â^Êpeum frit et<br />

que je ne sache pas ce qs'i pense, mais ce n'en est pas priait. €Mmm vient ensuite à celui <strong>de</strong>s stoïciens f<br />

me pour que je n'enten<strong>de</strong> pas ce qu'il dit; et I dit me qui d'abord ont dans Catua nu robuste défenseur et<br />

efesanlié; cerees paroles sJfpMent que les hommes Ses us digue représentant <strong>du</strong> Portique. Je m'étendrai<br />

plus voluptueux se sont pas à blâmer, s'ils eeef sages, peu sureette philosophie, jugée <strong>de</strong>puis longtemps,<br />

**4Is egprmnmî à régUr tenr* pmutom; et n'est-il pas et d'autast plus facilement abandonnée, que feieès<br />

pMsant ip'au |>hiesepiie suppose que <strong>la</strong> volupté puisse dans <strong>la</strong> vertu est le moins sé<strong>du</strong>isant <strong>de</strong> tous. Aussi<br />

apprmêm à régler les pattkmt.' Selon loi, i ne s'agit<br />

Épicure s-t-il trouvé dans ce siècle une fouie <strong>de</strong> par­<br />

id que <strong>de</strong> <strong>la</strong> mmmrê, ainsi <strong>la</strong> rapidité aura ta mmtre,<br />

l'a<strong>du</strong>ltère m «entre, M débauche ta wmwei QseOe<br />

tisans et d'apologistes, et Zenon pas un. Yous aveu<br />

philosophie que eeUe qui ne s'occupe pas à détruire le déjà vu 9 dans le plpdoyer pour Murena 9 les dogmes<br />

vice 9 mais seulement à te régler ? Quoi ! Épienre 9 vois se follement eaitees <strong>du</strong> stoïcisme fournir matière à une<br />

trouves pas ia iusurê * ré§mékemîèk m eUe-même 1 vous raillerie douée et fne, telle que <strong>la</strong> comportait l'élo­<br />

en Tante setUement séparer les craintes superstitieuses quence judiciaire. Ici Ton s'attend bien que Gtcéron<br />

et <strong>la</strong> peur <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort I Mais en ce cas vous poevei avoir em- f rsjcèie plus sévèrement, mais néanmoins sans se retentement<br />

: i y a tel débuché si peu eupersUtieux 9 qu'il fuser l'espèce <strong>de</strong> force que peut prêter au raisonne­<br />

mangeradans les p<strong>la</strong>tsdasaeriiee; et d'antres craignent ment <strong>la</strong> p<strong>la</strong>isanterie délicate qui naft <strong>de</strong>s choses<br />

d pee ta mort 9 qse vous tel entendres chanter: mimes, et n'offense pas les personnes. CIcéroo ne<br />

« Six mois, six moto <strong>de</strong> bosse vie,<br />

pouvait pas se priver <strong>de</strong> cette partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> discussion,<br />

« Et donnons le lesta à Piston,<br />

qu'il manie aussi bien qu'aucune autre, et Fane <strong>de</strong><br />

i<br />

celles qui forment chez lui comme rassaisounenient<br />

» (TMImlmm^^mmûmmmmmmimMmmm^Êêê <strong>de</strong> ses banquets philosophiques, i tâche <strong>de</strong> faire<br />

» son entietlen. •<br />

sentir à Caton mêim% et fait très-aisément com­<br />

* C'est le mot is teste <strong>la</strong>tbi, et I a fsffe s%a servir tel,<br />

'qsotqoa Pesage fait fetéfié <strong>du</strong>» Sa morale religtena. Mais<br />

prendre à quiconque s'est pas stoicieu, que Zenon<br />

<strong>la</strong> n^pM voûta ilsî|^ pins haut lm^<br />

et ses disciples ont méconnu <strong>la</strong> nature humaine en<br />

i est aval dans Se texte f et que J'ai tra<strong>du</strong>it par A» plm tv- vou<strong>la</strong>pt trop l'élever ; que d'ailleurs leur piiHosophie<br />

Oa voit à cpM point <strong>la</strong> pensée dtpfcare est en effet absords a un double inconvénient, d'abord en ce qu'ils se<br />

«t ««tradictoin dans <strong>la</strong>s termes, car luxure éaaisait à êé- sont <strong>la</strong>it un <strong>la</strong>ngage d'école tellement convention­<br />

Immcke, et taata ééMmcke est su meèt ; m M>rte f rftt <strong>la</strong>ipees nel , que leurs termes, souvent détournés <strong>de</strong> leur<br />

<strong>la</strong> «attifa dans f cawit. Taiîi posKpoi le mot Imxmm (imzmrtn)f<br />

cpi aies les Lattes passait métaphoriquement à tout acception propre, ue peuvent être enten<strong>du</strong>s <strong>de</strong> per­<br />

« tpf eiftaFSdés


<strong>de</strong> persuasion dans <strong>la</strong> chose où il est le plus important<br />

<strong>de</strong> persua<strong>de</strong>r, dans <strong>la</strong> morale, ils lui dtent son<br />

plus grand charme et son pou?oir îe plus universel 9<br />

et ne disent jamais rien au cœur, pour s'adresser<br />

toujours à <strong>la</strong> raison. En effet, tout le stoïcisme était<br />

resserré dans une sorte <strong>de</strong> formules exiguës, d'argumentations<br />

abstraites, et, comme dit Cieéron,<br />

<strong>de</strong> petites eonelwiomeuks (car l'expresion sue parait<br />

assez heureuse pour passer <strong>du</strong> <strong>la</strong>tin au français) qui<br />

<strong>de</strong>ssèchent et exténuent tellement <strong>la</strong> morale, que.,<br />

n'ayant plus ni sue, ni mouvement, ni couleur, elle<br />

est comme ré<strong>du</strong>ite en squelette ; et que, quand j'entends<br />

les aphorisme» stolques, tels qu'ils sont, par<br />

exemple, dans le Manuel éPÉpictètc, je crois entendre<br />

un cliquetis <strong>de</strong> petits ossements. Ce n'est pas<br />

que cette secte n'ait compté parmi ses disciples <strong>de</strong><br />

très-grands hommes. Mais il ne faut pas s'y tromper<br />

: ce n'est pas parce qu'ils étaient stoïciens qu'ils<br />

furent grands ; mais <strong>la</strong> hauteur <strong>de</strong> leur caractère se<br />

trouva au ni?eau <strong>de</strong>s principes <strong>du</strong> Portique dans ce<br />

qu'ils ont <strong>de</strong> beau et <strong>de</strong> bon 9 c'est-à-dire dans <strong>la</strong><br />

prééminence donnée à <strong>la</strong> vertu ffar toute chose ; et<br />

Us ne comptèrent le reste que pour un assortiment<br />

seo<strong>la</strong>stique, qui était pour ainsi dire le protocole <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> secte.<br />

Cieéron leur reproche avec justice <strong>de</strong> n'a?oir rien<br />

pro<strong>du</strong>it qu'on puisse opposer, pour Futilité générale,<br />

à ce qu'avaient écrit P<strong>la</strong>ton et Aristote, et plusieurs<br />

<strong>de</strong> leurs disciples, sur les mœurs et <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion.<br />

ANCIENS. - f BU-OSÛPHIE.<br />

« CMtnte et Chrysippe * poursuit-! f ont pourtant essayé<br />

<strong>de</strong> faire mm rhétorique ; mais ils s'y sont pris <strong>de</strong> freon qu'il<br />

B'ytiteè meUfeiiF à lire pour appnodro à ne jamais<br />

ptiler; et cependant quel ftste et quelle prétention IA les<br />

entendre, ils veut ênËammer les âmes. Et comment î C'est<br />

que l'univers est <strong>la</strong> cité <strong>de</strong> rktmww. Fort bien : voilà<br />

êmm les habitants <strong>de</strong> Frau<strong>de</strong>s dont le mon<strong>de</strong> est Is vile<br />

municipale 1 Cfest avec ces mots d'Invention qu'Us prêtesietit<br />

mettre te fm mus êmm! Ils l'éteindraient, s ? U y<br />

était S'ils parlent <strong>de</strong> <strong>la</strong> puissance <strong>de</strong> <strong>la</strong> fer<strong>la</strong>, ils TOUS<br />

pressent avec <strong>de</strong> petites questions comme s?ec <strong>de</strong>s stgeH*<br />

les ; et quand vous avei dit oui, rame n'a ries enten<strong>du</strong> ; il<br />

n 9 y a rien 4e changé en nous, et l'on s'en va comme on<br />

était venu. Est-ce donc que <strong>la</strong> nouveauté <strong>de</strong>s termes change<br />

<strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s idées et <strong>de</strong>s sentiments? Je viens vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

comment I se peut que <strong>la</strong> douleur m mît mm un<br />

mal, et vous me répon<strong>de</strong>z que <strong>la</strong> douleur est une chose<br />

Ûebeuse, incommo<strong>de</strong>, odieuse, difficile à supporter. Eh<br />

Menl vous aves mis mie ié<strong>la</strong>itisa à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>du</strong> mot : soit;<br />

mais poyrqeoi'eette chose fâcheuse, incommo<strong>de</strong>* odieuse,<br />

etc., s'est-ellê pas nu mal ? — C'est que dans tout ce<strong>la</strong>, i<br />

n'y a, ni malice, ni frau<strong>de</strong>, ni méchanceté, ni tante, ni<br />

honte, et par conséquent point <strong>de</strong> mal. — Supposons que<br />

Je poisse m'mpécher d« rire en apprenant qu'il n'y a pas<br />

<strong>de</strong> malice, ni <strong>de</strong> frau<strong>de</strong>, ni <strong>de</strong> traite, dans <strong>la</strong> douleur,<br />

Là làiPS, — TOME i.<br />

3G9<br />

me voUà bien aianeé! Et comment ce<strong>la</strong> m*apprandra4-l<br />

le moyen <strong>de</strong> supporter courageusement <strong>la</strong> douleur? —<br />

C'est que l'homme qui regar<strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur comme un mal<br />

ne saurait être courageux. — Soil ; mais comment te sera*<br />

t-fl davantage en <strong>la</strong> regardant seulement comme une chose<br />

Acheiise, incommo<strong>de</strong>* odieuse, et difficile à supporter?<br />

le vous défie <strong>de</strong> me le dire ; car Se courage, et le faiblesse<br />

assurément tiennent m% choses mêmes, et non pas aux<br />

différents noms qu'on leur donne. » (De Fin, iv. )<br />

Vous voyes avec quelle grâce et quelle légèreté<br />

d'escrime Cieéron ne <strong>la</strong>isse pas <strong>de</strong> porter <strong>de</strong> ra<strong>de</strong>s atteintes<br />

; et si vous étiez curieux d'entendre au moins<br />

quelqu'un <strong>de</strong>s paradoxes siolqnes dont il se divertit<br />

si gaiement, permettez que je me borne à un seul,<br />

qui suffira, parmi cent autres, pour faire voir jusqu'où<br />

fou peut, a?ec <strong>de</strong> bonnes intentions, pousser<br />

l'extravagance philosophique. Les stoïciens tenaient<br />

que iûms ceux qui n'étaient pas parfaUement<br />

sages, éîmîmi également misérables; celui qui<br />

omdt Êué soit père m'était pas plus misérable qm<br />

ceM qui, vivant d'aiMeurs en komnéêe homme, %'êtait<br />

pas émettre parvenu è <strong>la</strong> pmtfmiêe sagesse. Et<br />

cette parfaite sagesse f comme on peut le penser, ne<br />

se trouvait que» dans le stoïcien : et en vérité, elle<br />

ressemble fort à <strong>la</strong> parfaite folie. Mais au. ridicule<br />

<strong>de</strong> l'assertion il faut joindre celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> comparaison<br />

dont Ils l'appuyaient. De dmm hommes qui se<br />

fM<strong>de</strong>nt, disaient-ils, €ekà qui e$i près êe <strong>la</strong> tmperficie<br />

<strong>de</strong> team ne respire pas plus qm celui qui es$<br />

au fmd : êomt etc. Tous en rlei comme Cieéron<br />

: mais c'est au moins ici un ridicule innocent ;<br />

et il faut avouer que les stoïciens, généralement<br />

probes dans leur con<strong>du</strong>ite, étaient dans leur doctrine<br />

les plus honnêtes et les meilleurs <strong>de</strong> tous les<br />

fous.<br />

L'objet <strong>de</strong>s cinq dissertations en dialogue, qu'on<br />

appelle les Tmcukmm, parce qu'elles eurent lieu à<br />

<strong>la</strong> maison <strong>de</strong> campagne qu'avait Cieéron à Tosculum<br />

% est <strong>de</strong> chercher les moyens les plus essentiels<br />

pour le bonheur; et fauteur en marque einq :<br />

le mépris <strong>de</strong> <strong>la</strong> mortf <strong>la</strong> patience dans k douleur,<br />

<strong>la</strong> fermeté dans les différentes épreuves <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie,<br />

l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> combattre les passions, coin <strong>la</strong> persuasion<br />

que <strong>la</strong> vertu ne doit chercher sa récompense<br />

qu'en elle-même. Toute cette théorie f qui ne mérite<br />

que <strong>de</strong>s éloges, est plus ou moins empruntée <strong>de</strong> ce<br />

|tiê l'Académie et le Portique avaient <strong>de</strong> meilleur,<br />

et toujours ornée, corrigée et enrichie par Cieéron,<br />

qui <strong>la</strong> professe en personne d'un bout à l'autre <strong>de</strong><br />

l'ouvrage. Tout ce que <strong>la</strong> philosophie naturelle a <strong>de</strong><br />

plus beau en métaphysique et en morale est ici embelli<br />

par l'éloquence; et ce qu'il peut y avoir <strong>de</strong>dé-<br />

^•f^erdliuiFraseatt.


S70<br />

foctneui 011 d'inoomplet ne doit paa être imputé à<br />

fauteur, puisque <strong>la</strong> révé<strong>la</strong>tion seule Ta suppléé pur<br />

nous. 11 prouve très-bien que f dans toutes le* hypothèses,<br />

<strong>la</strong> mort s'est point un mal en elle-même;<br />

puisque, dans le cas où tout l'homme périrait, le<br />

néant est Insensible : que si l'âme est immortelle,<br />

eomnie il le pense et l'établit <strong>de</strong> toute sa force, ce<br />

n'est pas <strong>la</strong> mort même qui est un mal pour le méchant,<br />

mais seulement les peines qui <strong>la</strong> suivront,<br />

et qui ne sont que <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> ses fautes ; pour l'homme<br />

<strong>de</strong> bien, elle est plutôt à désirer qu'à craindre, puisqu'elle<br />

lui ouvre une meilleure vie. Il appuie d'arguments<br />

très-p<strong>la</strong>usibles l'immortalité <strong>de</strong> fâme, et<br />

<strong>la</strong> mémoire surtout lui parait en nous une faculté<br />

merveilleuse, qui ne peut appartenir à <strong>la</strong> matière.<br />

Quant à ceux qui nient l'immortalité <strong>de</strong> l'âme, parce<br />

qu'ils ne conçoivent pas ce que peut être l'âme séparée<br />

<strong>du</strong> corps, il leur répond fort à propos :<br />

« El €mmr&rïï&m wàêm m qu'elle est dans son autan<br />

avec le corps?»<br />

Eéponse-très digne <strong>de</strong> remarque; ear elle fait voir<br />

qu'il avait <strong>du</strong> moins aperçu ce genre <strong>de</strong> démonstration<br />

dont <strong>la</strong> bonne philosophie mo<strong>de</strong>rne a tiré et<br />

peut tirer encore un si grand avantage Y et qui consiste<br />

à se sertir <strong>de</strong> ce qui est reconnu certain et<br />

pourtant inexplicable, pour renverser <strong>la</strong> dialectique<br />

très-commune et très-fkusse f qui nie d'autres faits<br />

tout aussi certains et tout aussi dé<strong>mont</strong>rés, seulement<br />

parce que l'intelligence humaine ne peut pas<br />

les expliquer.<br />

Cieéron a très-bien senti tout le faux <strong>de</strong> cette manière<br />

<strong>de</strong> raisonner, en usage <strong>de</strong> son temps comme<br />

<strong>du</strong> ndtre, et qui n'a d'autre, effet qu'une ignorance<br />

volontaire <strong>de</strong> ce qu'on peut savoir, très-misérablement<br />

fondée sur l'ignorance invincible <strong>de</strong> ce qui est<br />

au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> sous. Voici, à ce sujet, un échantillon<br />

<strong>de</strong> sa logique :<br />

COD1S DE L1TTÉEATU1E.<br />

« L'origine <strong>de</strong> notre âme ne saurait se trouver dans rien<br />

<strong>de</strong> ee qui est matériel, ear <strong>la</strong> matière ne saurait pro<strong>du</strong>ire<br />

<strong>la</strong> pensée f h connaissance , <strong>la</strong> mémoire» qui n'ont rien <strong>de</strong><br />

commue avec elle. U n'y a rien dans f «as , dans l'air, dans<br />

le fou , dans ce que les éléments offrent <strong>de</strong> plut subtU et<br />

<strong>de</strong> plus délié f qui présente f liée <strong>de</strong> moindre rapport quelconque<br />

avec <strong>la</strong> faculté que nous avons <strong>de</strong> percevoir les<br />

Mées <strong>du</strong> passé, <strong>du</strong> présent, et <strong>de</strong> l'avenir. Cette faculté<br />

ne peut donc venir que <strong>de</strong> Dieu seul ; elle est essentiellement<br />

céleste et divine. Ce qui pense en nous f ce qui sent ,<br />

m qui veut, ce qui nous meut, est donc nécessairement<br />

iscorraptible et étemel; et nous ne pouvons pas même<br />

concevoir l'essence divise autrement que nous ne conce­<br />

vons celle <strong>de</strong> notre âme, c'est-à-dire, comme quelque chose<br />

d'absolument séparé et indépendant <strong>de</strong>s sens, comme une<br />

substance spirituelle qui connaît et qui meut tout. Yous<br />

aie dires : Et os' est cette substance qui connaît et qui<br />

ment tout? et ccmmsnt eat-cie Cafta? Je voua répands :<br />

Et ou est votre âme? et comment se <strong>la</strong> repaÉseater? Yens<br />

ne sauriez me le dire, ni moi non plus. Mais, si je n'ai<br />

pas, pour <strong>la</strong> comprendre, îeas les saajeaa que je voudrais<br />

bien avoir, est-ce aae raison pour me priver <strong>de</strong> ce que j'ai?<br />

L'œil voit et ne se voit pas : a<strong>la</strong>sl notre âme, qui voit taat<br />

<strong>de</strong> choses, ne voit pas ce qu'eue est elle-même ; mais pourtant<br />

elle a <strong>la</strong> conscience <strong>de</strong> sa pensée et <strong>de</strong> son action «.<br />

— Mais où habite-t-eUe? et qu'eat-elle? — C'est ce qu'a<br />

ne faut pas mêmr chercher.... Quand ?ea§ voyez Fordre<br />

<strong>du</strong> mon<strong>de</strong> et le mouvement réglé <strong>de</strong>s corps célestes, a'en.<br />

condnei-vous pas qu'il f a aae Mallfeaace suprême qui<br />

doit y prési<strong>de</strong>r, soit que cet univers ait commencé et aja*i<br />

soit Fou vrage <strong>de</strong> cette inteffigence, comme le croit P<strong>la</strong>ton 9<br />

soit qu' il eiisle <strong>de</strong> toute éternité, et que cette intelligence<br />

en soit seulement <strong>la</strong> modératrice 9 comme le croit Aristoter<br />

Yous reconnaisses un Dieu à ses œuvres et à Sa beauté<br />

<strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, quoique vous ne sachiez pas on est Dieu ni<br />

ce qu'il est : reconnaissez <strong>de</strong> même votre âme à son action<br />

continuelle, et à <strong>la</strong> beauté <strong>de</strong> son cravre, qei est <strong>la</strong><br />

vertu.»<br />

D'après <strong>la</strong> vénération profon<strong>de</strong> qu'il eut toujours<br />

pour le divin P<strong>la</strong>ton ( car c'est le nom que lui douue<br />

toute l'antiquité ), TOUS se serez pas surpris <strong>de</strong> retrouver<br />

chai lui ce que vous aaei enten<strong>du</strong> <strong>du</strong> philosophe<br />

grée sur l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort; et si feu fais<br />

ici mention 9 c'est pour constater une opinion qui a<br />

été <strong>la</strong> même dans eas <strong>de</strong>ux grands hommes sur un<br />

point <strong>de</strong> morale que l'on imagine communément<br />

tenir à un abus <strong>de</strong> spiritualité ou d'austérité, et<br />

dont on a fait à <strong>la</strong> philosophie chrétienne un repro-'<br />

che très-mal fondé. Vous voyez que là-<strong>de</strong>ssus P<strong>la</strong>ton<br />

et Cieéron 9 qu'on n'a jamais accusés <strong>de</strong> rigorisme 9<br />

ont prié comme les Chrétiens ; et il est d'autant plus<br />

singulier qu'ils aient mis en avant ce principe 9 qu'ils<br />

n'avaient pas pour l'appuyer <strong>la</strong>s motifs puissants que<br />

notre religion seule y a joints.<br />

« Que faisons-nous, dit Cieéron, quand nous séparons<br />

notre âme <strong>de</strong>s objets terrestres, <strong>de</strong>s soins <strong>du</strong> corps et <strong>de</strong>s<br />

p<strong>la</strong>isirs sensibles, pour <strong>la</strong> livrer à <strong>la</strong> méditation? que fiùsons-sous<br />

autre chose qu'apprendre à mourir, puisque <strong>la</strong><br />

mort n'est que <strong>la</strong> séparation <strong>de</strong> l'Urne et <strong>du</strong> corps? Appliquons-nous<br />

donc à cette étu<strong>de</strong>, si vous m'en croyes; mettons-nous<br />

à part <strong>de</strong> notre corps, et accoutanioiis-nous à<br />

mourir. Alors notre vie sur <strong>la</strong> terre sera semb<strong>la</strong>nte à <strong>la</strong><br />

vie <strong>du</strong> ciel \ et quand nous serons au moment <strong>de</strong> rompre<br />

nos chaînes corporelles, ries ne retar<strong>de</strong>ra l'essor <strong>de</strong> notre<br />

âme vers les <strong>de</strong>ux. »<br />

Dans remédient traité sur <strong>la</strong> Nt<strong>du</strong>re <strong>de</strong>s Dieux,<br />

Cieéron paraît s'être proposé surtout <strong>de</strong> prouver<br />

et <strong>de</strong> justifier <strong>la</strong> Provi<strong>de</strong>nce. Il intro<strong>du</strong>it d'abord<br />

un épicurien qui déraisonne contre al<strong>la</strong>, d'après<br />

les dogmes qui semblent appartenir particulièrement<br />

au maître <strong>de</strong> cette école; car, pour son ato-<br />

« le pests : tfescje suis, disait Detcartot.


misme9 ©a -stït qu'il Tairait pris tout entier <strong>de</strong><br />

JDémoerite, quoiqu'il le traitât fort mal dans ses livres.<br />

Cicéroo voit là une sorte d'ingratitu<strong>de</strong> : c'était<br />

plutôt, ce me semble, un petit artiice <strong>de</strong> <strong>la</strong> vaaité<br />

d'Épîcur®, qui affectait <strong>de</strong> déprécier celui dont<br />

il avait enïpranté son système physique, afin <strong>de</strong><br />

faire croire qu'il s'y avait <strong>de</strong> bon que ce qu'il y<br />

avait mis ou para mettre <strong>du</strong> sien. Pour ce qui est<br />

<strong>de</strong> l'obligation, elle était mince, et les atomes, tant<br />

ceux <strong>de</strong> Bémoerite que ceux d'Épicure, n'avaient pas<br />

fait assez <strong>de</strong> fortune pour valoir <strong>la</strong> peine qu'on se<br />

les disputât, quoique Lucrèce ait pris celle <strong>de</strong> les<br />

mettre en vers; car rien n'empêche d'habiller Terreur<br />

aussi poétiquement que <strong>la</strong> vérité f comme on<br />

peut parer <strong>la</strong> <strong>la</strong>i<strong>de</strong>ur aussi bien que <strong>la</strong> beauté. Cicéron,<br />

qui d'ailleurs paraît faire cas <strong>du</strong> personnel<br />

d'Épicure, dit en termes exprès que toute sa phiiosophie<br />

était univérseMewwnt méprisée <strong>de</strong>s hommes<br />

instruits.<br />

« le ne sais comment II se fait, dit à ce propos Cfeéron »<br />

qu'il n'y a rien <strong>de</strong> si absur<strong>de</strong> qui s'ait été avancé et soutenu<br />

par quelque philosophe. *<br />

Épicure, en ce genre, ne fut pas mal partagé, et<br />

ses dieux étaient encore bien plus ridicules que son<br />

mon<strong>de</strong> d'atomes; car, après tout, nous n'avons aucune<br />

idée <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière dont le mon<strong>de</strong> a été fait :<br />

mais <strong>la</strong> métaphysique, analysant les notions <strong>du</strong> plus<br />

simple bon sens, avait, dès le temps d'Épicure, reconnu<br />

les- attributs nécessairement renfermés dans<br />

ridée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Divinité. 11 n'en fal<strong>la</strong>it pas davantage<br />

pour rire <strong>de</strong> pitié <strong>du</strong> beau loisir, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> belle indolence,<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> bienheureuse insouciance dont Épicure<br />

gratifiait ses dieux, qui ne <strong>de</strong>vaient se mêler <strong>de</strong><br />

ries, <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> se fatiguer; qui ne <strong>de</strong>vaient s'offenser<br />

<strong>de</strong> rien, <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> se chagriner, ni s'intéresser<br />

à ries, <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> troubler cette parfaite tranquillité<br />

qu'Êpicure <strong>de</strong>vait attribuer à ses dieux s comme à son<br />

sage; car Épicure était un raisonneur si conséquent!<br />

Vous pouvez imaginer que le stoïcien Balbus, que<br />

Cicéron met* en tête <strong>de</strong> l'épicurien, a beau jeu<br />

contre tant d'inepties ; car si les stoïciens déliraient<br />

en vou<strong>la</strong>nt faire <strong>de</strong> leur sage un dieu, ils avaient<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Divinité <strong>de</strong>s idées très-saines ; et Balbus s'a*<br />

muse beaucoup <strong>de</strong> son épicurien, qui, ne soupçonnant<br />

aucune différence entre <strong>la</strong> nature divine<br />

et <strong>la</strong> nature humaine, semble persuadé que l'action<br />

<strong>de</strong> Dieu est un travail comme celle <strong>de</strong> l'homme;<br />

que Dieu ne saurait bâtir sans instruments et sans<br />

outils, non plus que l'homme; qu'il ne saurait<br />

veiller sur son ouvrage sans se tourmenter, non<br />

plus que l'homme, ni même punir sang être blessé,<br />

quoique les juges mêmes <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre punissent le<br />

crime sans trouble et sans colère.<br />

ANCIENS. — PHILOSOPHIE, 371<br />

Il faut ici rendre justice aui anciens : toute<br />

cette théologie d'Épicure, qui a été renouvelée d®<br />

nos jours avec les mêmes arguments et presque<br />

avec les mêmes termçs >, fut, parmi eui, si généralement<br />

bafouée, qu'enfin un <strong>de</strong> ses disciples<br />

n'imagina d'autre moyen, pour soustraire à tant<br />

<strong>de</strong> ridicule <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong> son maître, que <strong>de</strong> publier,<br />

comme un fait dont il était confi<strong>de</strong>nt, qu'au<br />

fond Épicure n'avait jamais cru à l'existence <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Divinité, et que c'était uniquement pour voiler son<br />

athéisme, et se dérober à Tanimadversion <strong>de</strong>s lois,<br />

qu'il avait eu re<strong>cours</strong> à cette impertinente doctrine,<br />

qui, sans anéantir expressément <strong>la</strong> Divinité, <strong>du</strong><br />

moins en fabriquait une assez oiseuse pour être sans<br />

conséquence, ou asses méprisable pour en dégoûter.<br />

Il prétendait, entre autres folies, que les dieux<br />

étaient nécessairement <strong>de</strong> forme humaine, atten<strong>du</strong><br />

f «Ils <strong>de</strong>vaient avoir <strong>la</strong> plus belle <strong>de</strong> toutes, et qu'il<br />

n'y en avait point <strong>de</strong> plus belle que celle <strong>de</strong> l'homme.<br />

L'interlocuteur, qui est ici son adversaire, le réfute<br />

avec beaucoup <strong>de</strong> gaieté; mais je ne sais si le sérieux<br />

soutenu dont Tépicurien débite les cahiers <strong>de</strong> sa<br />

secte, et qui ressemble fort à celui <strong>de</strong>s matérialistes<br />

mo<strong>de</strong>rnes, n'est pas encore plus p<strong>la</strong>isant. Avec<br />

quelle noble fierté il se glorifie <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s lumières<br />

apportées par Épicure, <strong>de</strong>s grands services qu'il a<br />

ren<strong>du</strong>s à l'humanité ! On croit entendre un <strong>de</strong>s professeurs<br />

<strong>de</strong> nos jours.<br />

« TOUS avez mis an-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> nos tètes 9 dit-il, un <strong>de</strong>spote<br />

étemel qu'il <strong>la</strong>nt eraindre jour et nuit; car, qui ne<br />

redouterait pas an Dieu qui veillé à tout , qui pense ft tout,<br />

qui observe tout» qui se croit chargé <strong>de</strong> tout, en un mot9<br />

un Dieu toujours occupé et affairé? Épicure nous délivre<br />

d« toutes ces craintes, comme 11 délivre les dieux <strong>de</strong> tout<br />

embarras. U vous remet en liberté; il vues apprend à ne<br />

rt» appréhen<strong>de</strong>r d'un être mmâ n'est pas plus capable <strong>de</strong><br />

Mm le moindre chagrin à personne que d'en prendre luimême.<br />

Ces! là <strong>la</strong> véritable idée que Ton doit avoir d'une<br />

nature excellente et parfaite» et le mite pieux et sdint<br />

que nous lui rendons. »<br />

Une <strong>de</strong>s difficultés qu'il élève contre <strong>la</strong> création ,<br />

et qui a été aussi fort répétée parmi nous, c'est <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce quefaisait Dieu a?ant <strong>de</strong> faire le mon<strong>de</strong> ,<br />

et comment et pourquoi il l'a fait dans un temps<br />

plutôt que dans un autre. 11 ne peut se figurer Dieu<br />

sortant tout à coup <strong>de</strong> son repos éternel pour pro<strong>du</strong>ire'<br />

tant <strong>de</strong> choses» après avoir été si longtemp<br />

sans rien faire.<br />

« Et pour qui tout ce<strong>la</strong>? Pour les hommes. Mais <strong>la</strong><br />

plupart <strong>de</strong>s hommes sont fous; et Dieu9 «pi M saurait<br />

travailler pour les feus, a donc travaillé pour un bien petit<br />

nombre! »<br />

Gomme cette objecttoa a été cent fois rebattue<br />

1 notamment dans te Co<strong>de</strong> es M matmmg <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot<br />


S7*<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

ife notre temps, et que ce n'est pas ici le lieu<br />

d'approfondir <strong>de</strong>s théories métaphysiques, je me<br />

bornerai à observer que, si quelque chose poufâit<br />

«score étonner dans l'extravagance <strong>de</strong> l'orgueil<br />

humais, ce serait <strong>de</strong> l'entendre dire à Dieu : Je ne'<br />

concevrai jamais que tu aies fait tout ce que nous<br />

•oyons, à moins que je ne sache pourquoi tu ne Tas<br />

pas fait plus tôt, et ce que tu faisais auparavant;<br />

et je ne puis crèire que tu aies jamais rien pro<strong>du</strong>it,<br />

à moins que ta ne me ren<strong>de</strong>s compte <strong>de</strong> tout l'emploi<br />

<strong>de</strong> ton éternité.<br />

Cicéron traite fort légèrement les futiles chicane s<br />

<strong>de</strong> nos épicuriens; mais il est très-grave et trèssévère<br />

sur les conséquences désastreuses <strong>de</strong> ces<br />

systèmes irréligieux, qui ne font à rien moins<br />

qu'à Renverser les fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> <strong>la</strong>'société; et là<strong>de</strong>ssus<br />

il parle comme tous les hommes sages et<br />

honnêtes ont parlé <strong>de</strong>puis Cicéron jusqu'à nous.<br />

Yous ne doutes pas non plus qu'il ne soit très-éloquint<br />

dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription <strong>de</strong>s beaités , <strong>de</strong>s richesses<br />

et <strong>de</strong> l'harmonie <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> physique : c'est un <strong>de</strong>s<br />

morceaux où il semble avoir nia le plus <strong>de</strong> soin et<br />

d'éten<strong>du</strong>e, et avoir pris le plus <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir.-Mais 11<br />

faudrait aussi tant <strong>de</strong> soins pour lutter en français<br />

contre ce chef-d'œuvre d'éloeution <strong>la</strong>tine f détruire les preuves admises, ce qui est reçu partout<br />

en logique; Cicéron conclut, pour ce qui le<br />

concerne, en faveur <strong>de</strong> Balbus, dont Fopinion lui<br />

paraît approcher le plus <strong>de</strong> cette probabilité, le<br />

seul résultat admis dans l'Académie, et dont vous<br />

avez vu que les conséquences équiva<strong>la</strong>ient dans le<br />

fait'à celles <strong>de</strong> <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong>.<br />

11 avait fait un ouvrage fort considérable en six<br />

livres, dans le même genre et avec le même titre<br />

que celui <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, <strong>de</strong> <strong>la</strong> République. Nous l'avons<br />

per<strong>du</strong>. Et il le fit suivre d'un autre, sw ks<br />

Lois, qui ne nous est parvenu que fort mutilé.<br />

La partie qui nous en reste est, moitié morale et<br />

religieuse, moitié politique. 11 met, comme P<strong>la</strong>ton,<br />

Arlstote et tous les anciens, une importance<br />

majeure à <strong>la</strong> religion et au culte, qui tiennent une<br />

très-gran<strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce dans les trois livres qui nous restent<br />

dans son traité mr les Lois» C'est lui-même<br />

qui porte <strong>la</strong> parole <strong>de</strong>vant Qnlntns son frère, et<br />

son ami  f tiens f qui Técoutent beaucoup plus<br />

qu'ils ne le contredisent. On voit à peu près, par<br />

cet ouvrage, quel était le fond <strong>de</strong> celui dont il était<br />

<strong>la</strong> suite et que son p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> gouvernement était h<br />

pmamir <strong>du</strong> peuple, toujours dirigé p%r Vautùriêê<br />

, que je <strong>du</strong> sénat : et dans ce mot ^aut&rUé était conte­<br />

suis oblige <strong>de</strong> me refuser ce p<strong>la</strong>isir, qui en serait nue, dans <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>la</strong>tine dont nous l'avons pris,<br />

nn pour moi, si je n'étais entraîné plus loin par <strong>la</strong> ridée d'une puissance <strong>de</strong> raison, différente <strong>de</strong> celte<br />

multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s objets 9 et resserré par <strong>la</strong> nécessité <strong>du</strong> peuple, qui n'est qu'une puissance <strong>de</strong> force.<br />

<strong>de</strong> les borner.<br />

C'est <strong>la</strong> distinction reconnue par tous les bons<br />

Mais, toujours Idèle à <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> académique <strong>la</strong>tinistes entre les mots potestas et- auelorMas,<br />

<strong>de</strong> p<strong>la</strong>i<strong>de</strong>r également le pour et le contre, Cicéron f dont le premier se dit indifféremment en bien et<br />

après que Balbus a comme préludé pr une légère en mal, et dont le second ne s'emploie jamais<br />

cscarraouehe contre l'épicuréisnie, oppose au dé­ qu'en éloge, et emporte toujours une idée <strong>de</strong> resfenseur<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Provi<strong>de</strong>nce l'académicien Cotte, pect. C'est pour ce<strong>la</strong> que les Romains disaient dans<br />

qui engage un combat plus sérieux, et dé<strong>du</strong>it avec tous leurs actes, Senaèm Poptdwqw rowmwm,<br />

beaucoup <strong>de</strong> force les difficultés réelles sur <strong>la</strong> ques­ mettant toujours le sénat au premier rang. De<br />

tion <strong>du</strong> mal moral, et si réelles, que <strong>la</strong> révé<strong>la</strong>tion même, par le mot <strong>de</strong> cU&tfem, ils n'entendaient<br />

seule a pu en donner l'entière solution. Cependant que ceux qui jouissaient <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> cité; ce qui<br />

Cicéron, trop sensé et trop judicieux pour Ignorer <strong>de</strong>mandait beaucoup <strong>de</strong> conditions, et ce qui fut<br />

que <strong>de</strong>s difficultés même insolubles ne déci<strong>de</strong>nt rien, longtemps fort restreint. Ils ne se rendaient pas<br />

contre <strong>de</strong>s preuves positives qui forcent l'assenti­ moins difficiles sur <strong>la</strong> profession <strong>de</strong> soldat, et ne<br />

ment <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison, et qu'il ne résulte rien <strong>de</strong> ces confiaient <strong>la</strong> défense <strong>de</strong> l'État qu'à eom dont les<br />

difficultés, si ce n'est qu'en ces matières nous n'en propriétés étaient le garant <strong>de</strong> lenr intérêt à <strong>la</strong> chose<br />

savons pas assez pour répondre atout; Cicéron, publique. Il fal<strong>la</strong>it donc un certain revenu pour<br />

qui sentait que l'idée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Provi<strong>de</strong>nce était en elle- servir dans les armées, et avant tout il fal<strong>la</strong>it être<br />

même inséprable <strong>de</strong> l'idée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Divinité, au point <strong>de</strong> condition libre. Marius, qui le premier arma<br />

que Tune ne peut exister sans l'autre, et que toutes les esc<strong>la</strong>ves, ce que n'avait jamais fait Rome dans<br />

les <strong>de</strong>ux sont aussi dé<strong>mont</strong>rées que nécessaires; ses plus grands dangers, donna un scandale eitra-<br />

que si <strong>la</strong> démonstration ne détruit pas toutes les ordinaire et nouveau. Des Impopu<strong>la</strong>ires étendirent<br />

objections, les objections peuvent encore moins ensuite le droit <strong>de</strong> cité jusqu'à un eieès qui accéléra<br />

<strong>la</strong> chute <strong>de</strong> <strong>la</strong> république, quoique jamais il n'ait<br />

1<br />

Voyes te second livre ie Naturm Dçemm, § %$ et soi- été poussé jusqu'à <strong>de</strong>venir universel. Les seuls ci­<br />

¥fttits ; A primeipiô êerra Mm$v§rms etç» CfcéfOi n'a Jamais<br />

rien écrit île pSiu élégant<br />

toyens <strong>de</strong> Rome eurent aussi le droit <strong>de</strong> suffrage<br />

/


. ANCIENS.<br />

pendant six cents ans ; et quand les tribus <strong>de</strong> Fltatte<br />

y forent admises, an temps <strong>de</strong>s guerres <strong>de</strong> Marins 9<br />

<strong>la</strong> république crou<strong>la</strong>it <strong>de</strong> toutes parts. 11 ne faut<br />

donc pas s f étonner que Cicéron, dans, ses livres <strong>de</strong><br />

politique et <strong>de</strong> philosophie, témoigne partout un si<br />

profond mépris pour <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> t c'étaient les<br />

principes <strong>de</strong> l'aristocratie romaine, Jont je ne dois<br />

être ici que l'historien t et non pu» le juge. On sait<br />

assez que ces questions seraient ici d'autant plus<br />

etseuses, qu'elles ne se déci<strong>de</strong>nt point par le raisonnement<br />

9 et ne sont qu'une perte <strong>de</strong> temps et <strong>de</strong> paroles.<br />

Cicéron s'étend beaucoup ettrèfr^isertementsur<br />

<strong>la</strong> justice naturelle, comme étant <strong>la</strong> régu<strong>la</strong>trice <strong>de</strong><br />

toutes les lois ; et il <strong>la</strong> fait dépendre elle-même <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

justice ii? Isa, qu 9 PHILOSOPHIE. • S?3<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> difination qui tient an culte public y comme les<br />

auspices et l'expiation <strong>de</strong>s prodiges. Il répond fort sensément<br />

que tout ce que les lois ont consacré comme<br />

police religieuse n'a rien <strong>de</strong> commun avec <strong>la</strong> philosophie,<br />

et que l'homme public et le'dtoyen doivent<br />

alors respecter comme police ee que les lois ont fait<br />

entrer dans Tordre politique, parce que le mépris<br />

<strong>de</strong>s lois est toujours un mauvais eiemple et un délit<br />

; mais que te <strong>la</strong>ngage public <strong>de</strong> l'augure n'oblige à<br />

aucune croyance k raison <strong>du</strong> philosophe, pas plus<br />

que le citoyen n'est ohHgé à croire bonnes toutes les<br />

lois auxquelles il est pourtant tenu d'obéir. Cette<br />

distinction est très-bien fondée » et un pïea ne pouvait<br />

foire une meilleure réponse* En total f sur cette<br />

matière, que Cicéron semble avoir épuisée 9 les mo*<br />

M établit comme <strong>la</strong> seule sanction<br />

dénies, qui se sont le plus moqués <strong>de</strong> <strong>la</strong> suprstitioo ,<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> justice humaine. Yoiei ses termes :•<br />

n'ont pu que le répéter.<br />

« Que le premier fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> tout soit cette persua­<br />

Parmi les anciens livres <strong>de</strong> morale, je ne pense<br />

sion générale, que les dieux sont tes maîtres et les modé­ pas qu'il y en ait un meilleur à mettre entre les mains<br />

rateurs <strong>de</strong> tout ; que toute adminifltratk» est subordonnée <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse que le Traité dm Dm&in<br />

à leur pouvoir et à leur- provi<strong>de</strong>nce ; qu'ils sont Ses bienfaiteurs<br />

<strong>du</strong> genre iumm<strong>la</strong>; qu'ils observent ee qu'est en<br />

hit-même chaque indl?ids# os qu'il fait , m qu'il se permet,<br />

dans quel esprit et «•eeqseUe piété il pratique le culte posais;;<br />

et qu'Us font le Mmxmmmmî <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> bien et dès<br />

impies. YoiSèce dont M faut que tous* les esprits soient pénétrés<br />

pour a?oir <strong>la</strong> «mnaissaiM» do Fstflc et <strong>du</strong> vrai. »<br />

SU attache tant <strong>de</strong> prix à <strong>la</strong> religion, ce n'est<br />

sûrement pas qu'on puisse le taxer <strong>de</strong> <strong>la</strong> moindre<br />

teinte <strong>de</strong> superstition et <strong>de</strong> cré<strong>du</strong>lité. Jamais homme<br />

n'en fut plus éloigné ; il suffirait ? pour s'en convaincre,<br />

si là-<strong>de</strong>ssus sa réputation n'était pas faite,<br />

<strong>de</strong> lire son traité <strong>de</strong> ta Divination; c'est là qu'il a<br />

passé en revue tons les genres <strong>de</strong> char<strong>la</strong>tanisme en<br />

général9 tous les prestiges, tontes les impostures ,<br />

tontes les rJferies qui composaient <strong>la</strong> préten<strong>de</strong>s<br />

science <strong>de</strong>s oracles, <strong>de</strong>s prodiges 9 <strong>de</strong>s auspices, <strong>de</strong>s<br />

prophéties, sibyllines, etc. Jamais <strong>la</strong> raison n'a été<br />

plus sévère à <strong>la</strong> fois et plus gaie : il ne fait grâce à<br />

rien ; il donne même les meilleures explications naturelles<br />

<strong>de</strong>-quelques faits avoués <strong>de</strong> son teoipf, et que<br />

son frère Quintes, très-entêté <strong>de</strong> <strong>la</strong> divination, lui<br />

cite comme merveilleux f et qui en ont en effet l'apparence.<br />

Cicéron loi répond, entre autres choses<br />

aussi justes qu'ingénieuses, qu'il ne prétend pas non<br />

plus que les <strong>de</strong>vins soient asses malheureux pour<br />

qu'une chose n'arrive jamais par hasard, parce qu'ils<br />

s <strong>de</strong> Cicéron.<br />

M roule entièrement sur <strong>la</strong> comparaison et <strong>la</strong> concurrence<br />

<strong>de</strong> Fhonnéte «t <strong>de</strong> Futile 9 qui est en effet<br />

pour l'homme social k preuve <strong>de</strong> tous les moments<br />

et <strong>la</strong> pierre d# touche <strong>de</strong> <strong>la</strong> probité. 11 écarte les arguties<br />

<strong>de</strong>s stoïciens, mais il s'approprie leurs principes,<br />

généralement bons à cet égard ; il en sépare<br />

ee qui est outré, et adapte à leurs dogmes toujours<br />

secs, même quand ilssont vrais, sa diction attrayante<br />

et persuasive. It entre, sans diffusion et sans saperfluité<br />

f dans tous les détails <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong> k vie, et<br />

donne une gran<strong>de</strong> force à k Maison réelle , et beau*<br />

coup plus étroite et plus essentielle qu'on ne pense<br />

communément, entre les <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong> rigueur et les <strong>de</strong>voirs<br />

<strong>de</strong> bienséance. 11 est triste et honteux d'être<br />

obligé d'avouer que, sur ce point important, les anciens<br />

étaient plus sévères, et par conséquent plus judicieux<br />

que nous. Ils avaient senti combien c'est une<br />

gran<strong>de</strong> loi morale et sociale, que <strong>de</strong> se respecter soimême<br />

<strong>de</strong>vant les autres, et <strong>de</strong> respecter les autres à<br />

cause <strong>de</strong> soi, dans les paroles et dans tous les <strong>de</strong>hors<br />

dont rhomme est le juge et le témoin , quand Dieu<br />

seul est le juge <strong>de</strong> l'intérieur. L'histoire <strong>de</strong> k censure<br />

romaine, tant que les mœurs publiques k soutinrent<br />

en même temps qu'elle les soutenait, fournit <strong>de</strong>s<br />

exemples <strong>de</strong> cette observation, trop connus pour les<br />

rappeler ici. L'indécence et k corruption qui suivi-<br />

, rent trouvèrent une justiieation dans k doctrine<strong>de</strong>s<br />

l'auraient prédite à tout hasard. 1S conclut <strong>de</strong> tout son<br />

ouvrage que l'homme raisonnable doit respecter <strong>la</strong><br />

religion, et mépriser <strong>la</strong> superstition. 11 était augure,<br />

et son frère lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> s'il parlerait dans le sénat<br />

on <strong>de</strong>vant le peuple comme il fient <strong>de</strong> parler dans<br />

ton jardin entre un frère et un ami sur cette partie<br />

* On le faisait lira au écoliers, dans toutes les maison!


374<br />

cyniques; Il n'y a rien d'étonnant, leur nom même *<br />

était celui <strong>de</strong> l'impu<strong>de</strong>nce : mais 11 est plus fâcheux<br />

que <strong>la</strong> grossièreté et le scandale aient eu <strong>de</strong>s patrons<br />

an Portique, au moins dans les paroles. C'était <strong>la</strong><br />

suite <strong>de</strong> ces généralités mal enten<strong>du</strong>es, qui ne sont<br />

qu'un abus <strong>de</strong> <strong>la</strong> métaphysique mal appliquée. La<br />

métaphysique défient folie dès qu'elle sort <strong>de</strong>s choses<br />

purement intellectuelles 9 comme tout ee qui est<br />

dép<strong>la</strong>cé <strong>de</strong>?ïeat mauvais. C'est <strong>la</strong> pireespèee d'erreur<br />

philosophique, dangereuse dans tous les temps,<br />

mais qui ehes tes anciens ne s'étendit guère au <strong>de</strong>là<br />

<strong>de</strong>s écoles, comme autorité, et n'al<strong>la</strong> guère, comme<br />

exemple, au <strong>de</strong>là <strong>de</strong>s ridicules et <strong>de</strong>s fices; au lieu<br />

que <strong>de</strong> nos jours elle a pro<strong>du</strong>it <strong>de</strong>s scandales atroces<br />

et <strong>de</strong>s crimes publics : progrès déplorable, mais assez<br />

naturel, en ce que <strong>la</strong> démence <strong>de</strong>s imitateurs ? a<br />

toujours au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> celle <strong>de</strong>s modèles, et que l'excès<br />

dans l'imitation est un <strong>de</strong>s caractères, ou <strong>de</strong> notre<br />

vivacité, ou <strong>de</strong> notre vanité.<br />

•Cieéron, qui adresse son ouvrage à son Ils alors<br />

étudiant à Athènes, 1%?ertlt <strong>de</strong> ne pas en croire les<br />

cyniques, ni même les stoïciens, sur cet article presque<br />

cyniques, qui ont beaucoup argumenté contre<br />

<strong>la</strong> pu<strong>de</strong>ur et <strong>la</strong> décence, sous prétexte que ce qui<br />

n'est pis honteux en soi ne l'est pas non plus à dire<br />

ou à iiire en* présence d'autrui. 11 réfute aisément ce<br />

sophisme en puisant ses raisonnements dans <strong>la</strong> nature<br />

même, dont les indications impérieuses et générales<br />

ont été le premier type <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> société.<br />

« Suivons <strong>la</strong> nature, eonclubfl , et évitons tout ce qui<br />

Messe <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>stie <strong>de</strong>s oreilles et <strong>de</strong>s yeux. »<br />

Aucun ancien n'a mieux TU ni mieux développé<br />

l'accord <strong>de</strong>s principes <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison avec ceux <strong>de</strong> Tordre<br />

social, et c'est un <strong>de</strong>s plus puissants moyens dont<br />

il se sert pour rectiler cette fausse notion, et même<br />

cette fausse dénomination û'utïiité, vulgairement<br />

attribuée par chacun à son intérêt particulier. H dé<strong>mont</strong>re<br />

lumineusement que ce qui tend à détraire<br />

l'harmonie <strong>du</strong> corps social dont nous sommes membres<br />

ne peut en effet nous être Mile; et cette théorie,<br />

qui est indiquée par P<strong>la</strong>ton, est si puissamment conçue<br />

et éc<strong>la</strong>irée par Cieéron, qu'os peut dire qu'elle<br />

lui appartient. Nous lui avons donc l'obligation dV<br />

foir affermi plus que personne cette secon<strong>de</strong> base <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> morale : elle est liée, chez lui, comme chez P<strong>la</strong>ton,<br />

à <strong>la</strong> première, qui est <strong>la</strong> loi divine; mais celleci<br />

est<strong>la</strong> seule que P<strong>la</strong>ton semble avoir bien connue ;<br />

il n'a fait qu'entrevoir l'autre. Et j'observerai par<br />

avance à quelques hommes que je vais combattre<br />

1 Cynique Tient d'an moi grec qui signifie chiem. On appels<br />

ainsi cette secte, parée qu'elle faisait profession d'aboyer<br />

après tout te mon<strong>de</strong>, et <strong>de</strong> a*⥩ir honte d s aseanê indéeenoe.<br />

COU1S DE LITTÉMTD1E.<br />

tout à l'heure, panégyristes <strong>de</strong> Sénèque au point<br />

d'être contempteurs <strong>de</strong> Cieéron, qu'eu fait <strong>de</strong> vues<br />

vraiment philosophiques, celle-ci est Mes autrement<br />

importante, bien autrement éten<strong>du</strong>e que toutes les<br />

sentences <strong>de</strong>Sénèquc. C'est déjàun très-grand avantage<strong>de</strong><br />

Cieéron ; et combien il en a d'autres 1 Combien<br />

cette manière <strong>de</strong> sanctionner l'honnêteté, et <strong>de</strong> décréditer<br />

l'intérêt privé, est supérieure, sous tous les<br />

rapports, aux subtilités et aui exagérations stoïciennes,<br />

qui sont tott le fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie <strong>de</strong><br />

Séuèque!<br />

Jamais, d'ailleurs, Cieéron ne tombe dans les conséquences<br />

outrées ; ce qui est encore un vice capital<br />

<strong>du</strong> Portique et <strong>de</strong> son élève Séuèque. Après qu'il a<br />

fait valoir, comme il le doit et comme il le peut, cette<br />

loi sainte <strong>du</strong> maintien <strong>de</strong> F ordre social, il se <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

s'il sera quelquefois permis <strong>de</strong> sacrifier à <strong>la</strong> chose<br />

publique <strong>la</strong> modération et <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>stie *. Il répond<br />

décidément, Mon.<br />

« Jamais l'homme sage et terfeen se fera <strong>de</strong>s actions<br />

pmr le saiui <strong>de</strong>là patrie.Et pouiqasi? C'est que ta patrie<br />

eUe-même m h veut pas; et le meffleiire réponse 1<br />

eefte question, c'est qffQ ne peut jamais arriver <strong>de</strong> eenjesefa»<br />

telle , qu'il soit lie Fiatéeêt <strong>de</strong> <strong>la</strong> chose publique<br />

qa'ns honnête homme faste rien <strong>de</strong> coupable et <strong>de</strong> hon­<br />

teux. »<br />

Si vous vous rappelez à ce sujet tout le mal qu'on<br />

a fait avec les mots <strong>de</strong> civisme et <strong>de</strong> modéré, vous<br />

en conclurez que les rémluiimnaires, qui se disaient<br />

philosophes, m Tétaient sûrement pas à <strong>la</strong> manière<br />

<strong>de</strong>s anciens, ou plutôt qu'ils niaient pas plus <strong>de</strong><br />

philosophie que <strong>de</strong> politique et d'humanité.<br />

Youg n'avez pas besoin <strong>de</strong> Cieéron pour détester<br />

<strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong> ceux qui ordonnaient qu'un fils<br />

accusai son père, ou un père son Us, et qu'il k<br />

traînai lui-même au supplice, non pas seulement<br />

pour <strong>de</strong>s actes quelconques, mais pour <strong>de</strong>s opinions<br />

ou avouées ou même intérieures, supposées ou présumées.<br />

Ce n'est donc que pour vous donner le<br />

p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> respirer au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature que je vous<br />

citerai encore un vrai philosophe, qui connaît assez<br />

bien <strong>la</strong> politique pour ne <strong>la</strong> mettre jamais en<br />

contradiction avec <strong>la</strong> nature. Il parcourt une foule<br />

<strong>de</strong> ces cas possible où un <strong>de</strong>voir semble contredire<br />

l'autre; et il entre dans tous ces détails, d'abord<br />

parce qu'il traite <strong>de</strong> cette partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> morale qui<br />

consiste dans les différents <strong>de</strong>grés <strong>du</strong> <strong>de</strong>voir, ensuite<br />

parce que cette espèce d'opposition apparente se<br />

rencontre fréquemment dans le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie civile.<br />

11 ne se borne point aux cas les plus communs ;<br />

1 11 m faut pas oublier qm em mots ont ici toute retend wi<br />

qm doit leur donner te <strong>la</strong>ngage phUotophlqiN,


il fuppute les plus rares, et se sert en exemple <strong>de</strong><br />

m qui était le plus énorme attentat chez les Romains,<br />

le sacrilège.<br />

« SI vous mwm que vêtre père a pillé ni temple ; qu f il<br />

a pratiqué <strong>de</strong>s soutarraiiis pour voler le trésor public (toujours<br />

renfermé dans ai temple) , <strong>de</strong>vei-vous le dénoncer<br />

au magistrats ? Ce serait un crime. U y a p<strong>la</strong>t : s*l est accusé<br />

dans les tribunaux 9 f aas <strong>de</strong>vez le défmlr® autant<br />

qu'A vous géra possible.—Quoi ! l'intérêt <strong>de</strong> k chute publique<br />

s'est donc pas avant tout? — Avant tout assurément<br />

; mais le premier intérêt ie <strong>la</strong> chose publique est que<br />

les <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong> h nature soient observés, et que 1a piété<br />

iî<strong>la</strong>le ne soit pas violée. —Mais si mon père Tent s'emparer<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> tyrannie, eu trahir <strong>la</strong> patrie, gar<strong>de</strong>rai-je le silence?<br />

— Ce cas unique est différent. Tons <strong>de</strong>vez alors mettre<br />

tant en aasge pour détonner taira père dû crime qu'il<br />

médite. S'il persiste , vos» <strong>de</strong>?es alors préférer le saint <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> patrie à i»lui <strong>de</strong> votre père, »<br />

Cicéron est conséquent. Le vol <strong>du</strong> trésor publie<br />

ou <strong>la</strong> profanation d v un temple, ne va pas au renversement<br />

d'un corps politique et <strong>de</strong> Tordre social, et<br />

dès lors ie respect pour les lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature est toujours<br />

<strong>la</strong> première <strong>de</strong>s lois. Mais s'il s'agjit d'un cas<br />

où <strong>la</strong> chose publique est évi<strong>de</strong>mment menacée <strong>de</strong> sa<br />

raine, son intérêt est avant tout autre <strong>de</strong>voir,<br />

puisque tous les <strong>de</strong>voirs ne vont qu'à <strong>la</strong> conserver.<br />

Tel' est l'avantage d'une morale dont les fon<strong>de</strong>ments<br />

sont si bien posés, que vous y trouverez <strong>la</strong><br />

solution <strong>de</strong> tous les'problèmes; et c'est conformément<br />

I ces principes que Brutus ût mourir ses <strong>de</strong>ux<br />

ils, et ne fit que son <strong>de</strong>voir.<br />

Cicéron est d'accord avec tous les moralistes 9 maïs<br />

non pasaveetous les politiques, sur îecîiak <strong>de</strong>s meilleurs<br />

moyens <strong>de</strong> maintenir le pouvoir, ceux <strong>de</strong> Paaicar<br />

ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> crainte : il prononce sans ba<strong>la</strong>ncer.<br />

« Rien <strong>de</strong> pins favorable an maintien <strong>du</strong> pouvoir que<br />

l'amour ; rien <strong>de</strong> plus contraire que <strong>la</strong> crainte. Il n'y a point<br />

<strong>de</strong> pouvoir qui résiste à <strong>la</strong> haine universelle. An reste,<br />

•jonto-t-il, on conçoit très-bien que <strong>la</strong> domination fondée<br />

car k force croit se soutenir par <strong>la</strong> cruauté, et ce peut être<br />

<strong>la</strong> politique <strong>du</strong> <strong>de</strong>spote ; mais cette politique f dans un État<br />

libre, est ce qu'A y a <strong>de</strong> plus insensé. »<br />

11 trace <strong>la</strong> règle <strong>de</strong>s intérêts pécuniaires et mercantiles<br />

, dont <strong>la</strong> discussion est d'autant plus instructive,<br />

que ceux-là sont <strong>de</strong> tous les hommes et<br />

do tous le moments. 11 déci<strong>de</strong> toujours, conformément<br />

à son principe, qu'il est contraire à <strong>la</strong> nature<br />

<strong>de</strong> l'homme et <strong>de</strong>s choses, c'est-à-dire, à ce<br />

qui fon<strong>de</strong> Tordre social, d'oter rien à personne <strong>de</strong><br />

ce qui lui appartient, <strong>de</strong> lui causer le plus petit<br />

dommage, directement ou indirectement, par action<br />

ou par omission, <strong>de</strong> nuire <strong>de</strong> paroles ou <strong>de</strong> réticences<br />

; et il résulte, <strong>de</strong> tous les exemples qu'il propose,<br />

cette gran<strong>de</strong> férité usuelle et pratique 9 que <strong>la</strong><br />

ANCIENS. — PHILOSOPHIE. S7S<br />

probité, pour être complète, doit aller jusqu'à <strong>la</strong> délicatesse,<br />

ou, en d'autres termes, fie <strong>la</strong> délicatesse<br />

n'est autre chose que <strong>la</strong> parfaite probité.<br />

« La disette est extrême à Rho<strong>de</strong>s; et le blé par conséquent<br />

très-cher. Un marchand d'Alexandrie en apporte,<br />

al, es raison dn besoin, le vendra ce qall voudra ; mais f<br />

m partant d*Alexandrie f il a vu une foule d'autres vaisseaux<br />

chargés <strong>de</strong> grains, et prêts à mettre à <strong>la</strong> voile pour<br />

Rho<strong>de</strong>s. Le marchand honnête homme estai tenu <strong>de</strong> le<br />

dire aux lliaéïaas? »<br />

Geéron cite les avis opposés <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux philosophes<br />

fort austères et fart éc<strong>la</strong>irés, et le pour eHe contre<br />

est parfaitement discuté. U déci<strong>de</strong> pour l'affirmative<br />

| fondé sur cette règle, que l'acheteur ne doit<br />

rien ignorer <strong>de</strong> ce que sait le ven<strong>de</strong>ur, sans quoi le<br />

marché n'est pas égal ; et il doit Tétre dans les principes<br />

éê <strong>la</strong> société humaine.<br />

« Le sience <strong>du</strong> ven<strong>de</strong>ur, en pareil cas, est-il d'un homme<br />

frase» droit; Juste? Non. Il n'est donc pas d'un honnête<br />

J'ai toujours été étonné qu'en fait <strong>de</strong> commerce<br />

Tintérêt même n'ait pas fait un calcul qui serait<br />

Fi<strong>la</strong>ge le plus efficace <strong>de</strong> <strong>la</strong> probité. Je suppose qu'un<br />

marchand, après avoir évalué ce que doit légitimemtnt<br />

lui rapporter son commerce, se bornât au<br />

profit qui est le juste sa<strong>la</strong>ire <strong>de</strong> son travail, et <strong>la</strong><br />

subsistance légitime <strong>de</strong> sa famille, comme, par exemple,<br />

un intérêt <strong>de</strong> quinse pour cent, qu'on dit être<br />

celui dn commerce, se défendît d'ailleurs <strong>de</strong> jamais y<br />

rien ajouter, <strong>de</strong> jamais surfaire, <strong>de</strong> jamais donner<br />

une qualité <strong>de</strong> marchandise pour une autre, d'en jamais<br />

cacher les défauts ; en un mot, qu'il vendit toujours<br />

comme il voudrait acheter : je mets en fait<br />

que cet homme, une fois connu pour tel, et il le<br />

serait bientôt, <strong>de</strong>viendrait dans un temps donné le<br />

plus riche <strong>de</strong> son état, et qu'il n'aurait pas <strong>de</strong> plus<br />

grand embarras que <strong>de</strong> suffire à <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s acheteurs.<br />

Je sais bien que quelques-uns se sont piqués<br />

<strong>de</strong> n'avoir qu'un prix ; mais ce<strong>la</strong> est très-insuffisant,<br />

et même très-insidieux : l'expérience Ta bientôt<br />

<strong>la</strong>it voir. Ce que je propose est tout autre, et l'homme<br />

dont je parle serait tel, qu'on pourrait envoyer chez<br />

lui un enfant, pourvu qu'il sût dire ce qu'il faut, et<br />

qu'on pourrait prendre sa marchandise les yeux fermés.<br />

Je ne craindrais pour lui qu'une tentation, trèsprochaine<br />

et très-forte, il est vrai, celle <strong>de</strong> faire <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> confiance une fois bien établie un moyen <strong>de</strong> tromperie<br />

très-lucrative, au moins jusqu'à ce qu'elle fût<br />

reconnue; car ie gain fait naître <strong>la</strong> soif <strong>du</strong> gain, et Sa<br />

fortune allume <strong>la</strong> cupidité. Mais ici encore <strong>la</strong> cupidité<br />

calculerait mal ; car à peine <strong>la</strong> frau<strong>de</strong> serait-elle<br />

publique, qu'il ne vendrait plus rien : il serait le seul à<br />

qui Ton ne passât pas d'être fripon ; et alors ce qu'il


876 COURS DE LITTÉRATURE.<br />

aurait gagné pendant un certain temps f et gagné<br />

mal, vaudrait-il ce qu'il aurait pu bien gagner tout<br />

le reste <strong>de</strong> sa fie ?<br />

Mais Yôïei <strong>de</strong>s problèmes tout autrement épineux;<br />

aussi ne <strong>de</strong>?aient-ils pas, selon moi, être même<br />

proposés. Au milieu d'un naufrage, <strong>de</strong>ux hommes<br />

se jettent sur unep<strong>la</strong>nche qui s'en peut sauf er qu'un;<br />

lequel <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ui doit cé<strong>de</strong>r à l'autre? Cieéron déd<strong>de</strong><br />

qu'elle appartient! celui qui est leplus utile à <strong>la</strong> chose<br />

publique. Et qui en sera juge ? Et quand Fon<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

jugerait en faveur <strong>de</strong> l'autre centre lui-même 9 ce qui<br />

serait déjà beaucoup, ce<strong>la</strong> suffirait-il pour vaincre<br />

le sentiment naturel et légitime <strong>de</strong> sa conservation ?<br />

Cieéron prononce <strong>de</strong> même que, s'il s'agit <strong>de</strong> mourir<br />

<strong>de</strong> faim ou <strong>de</strong> froid, et qu'il y ait un aliment ou<br />

sa vêtement disputé entre <strong>de</strong>ux personnes, celle<br />

qui est <strong>la</strong> plus nécessaire à ses concitoyens a droit<br />

<strong>de</strong> s'emparer <strong>du</strong> pin ou <strong>de</strong> l'habit au préjudice <strong>de</strong><br />

f autre, Remarquez qu'il s'agit <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux personnes<br />

égales d'ailleurs en tout le reste; car les exemples<br />

<strong>de</strong> Cieéron ne sont pas <strong>de</strong> ceux qu'offre mmm fréquemment<br />

l'histoire, comme <strong>de</strong>s soldats qui font<br />

à peu près <strong>de</strong> semb<strong>la</strong>bles sacrifices à leur générai ,<br />

ou <strong>de</strong>s sujets à leur souverain : encore n'est-ce pas<br />

dans cette extrémité <strong>de</strong> besoin physique où l'homme<br />

n'a plus guère qu'un mouteoient machinal; et l'on<br />

pourrait douter, dans tous les cas, si ce qui est<br />

cité comme trait d'héroïsme et <strong>de</strong> dévouement, peut<br />

être prescrit comme <strong>de</strong>voir. Mais, en total, mon<br />

âfis serait que ces sortes d'hypothèses sortent <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

sphère <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs, et doivent être en conséquence<br />

étrangères à un traité <strong>de</strong> morale. La morale suppose<br />

nécessairement l'homme jouissant <strong>de</strong> ses facultés<br />

morales. Or, dans les exemples allégués ou un<br />

homme est près <strong>de</strong> se noyer, ou <strong>de</strong> périr <strong>de</strong> faim<br />

ou <strong>de</strong> froid (ce sont les termes<strong>de</strong>Cicéron) a , l'homme<br />

n'est qu'animal », et ce n'est plus le moment <strong>de</strong> lui<br />

tracer <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs quand il ne peut en sentir qu'un;<br />

le premier alors pour tous les êtres animés, celui <strong>de</strong><br />

se conserver; et, en supposant même qu'il y eût en<br />

ce genre <strong>de</strong>s phénomènes <strong>de</strong> magnanimité, ce qui est<br />

possible, on ne pourrait pas faire une règle <strong>de</strong> ce qui<br />

n'est qu'une exception.<br />

Cieéron paraîtra moins rigoriste sur le serment,<br />

matière aussi souvent agitée qu'aucune autre. 11 se<br />

range à l'opinion généralement reçue, non-seule*<br />

ment que, si l'on a juré <strong>de</strong> mal faire, le serment est<br />

1 Sifsmm smifrigùm €M$datur.<br />

1 II est dt fait qu'eue failli extrême, cm froid extrême,<br />

ôtfent <strong>la</strong> raison. Dam nos lofs, as homme qmï mourant <strong>de</strong><br />

faim, prendrait un pi<strong>la</strong> chez aa bou<strong>la</strong>nger, a# serait pas<br />

puni comme- voleur. 11 importe d@ prendre gante qm Je se<br />

parte ici qm <strong>de</strong> ce seul étal, et eue cette eieeption n'est pas<br />

dangereuse; car ce n'est pas cet état qui pro<strong>du</strong>it <strong>de</strong>s crimes.<br />

nul ; mais que tout serment imposé par <strong>la</strong> force n'est<br />

point obligatoire. -<br />

« Le serment, dit-il, Cleel I <strong>la</strong> coiiiefeaee, et dès que<br />

•mis n'ira pu juré selon votre eeincleiiee, ea? «tffftï aentenilâ<br />

f il a*f a point <strong>de</strong> parjure. »<br />

Mais il se touche) pas <strong>la</strong> question <strong>la</strong> plus délicate* «<br />

l'honnête homme put jurer, par <strong>la</strong> crainte d'un danger<br />

quelconque, m qu'il ne croit pas <strong>de</strong>voir tenir<br />

par respect pour ton <strong>de</strong>voir. Je ne <strong>la</strong> traiterai pas<br />

non plus, parée qu'elle dépend d'un grand nombre<br />

<strong>de</strong> circonstances qui peuvent ehanger les obligations,<br />

au point qu'il n'est guère possible là-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> lier<br />

une loi générale.<br />

Les traités <strong>de</strong> h riMmm et <strong>de</strong> FJmMiê, naturellement<br />

eacîai abstraits que tous les autres, ont<br />

été si souvent tra<strong>du</strong>its, et sont si connus <strong>de</strong> toutes<br />

les c<strong>la</strong>sses <strong>de</strong> lecteurs, que je me crois dispensé <strong>de</strong><br />

tout examen et <strong>de</strong> tout extrait. Il y a longtemps<br />

que ces <strong>de</strong>ux morceaux ont réuni tous les suffrages.<br />

Celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fidlksm, surtout, a pra charmant,<br />

et d'autant plus qu'on s'y attendait moins : on a dit<br />

qu'il faisait appétit <strong>de</strong> vieillir. Si l'on a désiré quelque<br />

chose dans celui <strong>de</strong> l'JmîMé, c'est peut-être<br />

en raison d'une attente contraire : personne n'aime<br />

<strong>la</strong> vieillesse9 quoique chacun souhaite <strong>de</strong> vieillir; et<br />

il est aussi commun <strong>de</strong> se piquer d'amitié que <strong>de</strong> se<br />

p<strong>la</strong>indre <strong>de</strong> <strong>la</strong> rareté d'un ami. Chacun prétend l'être,<br />

en répétant ce mot connu : Ornes amis IU n'y mpim<br />

d'amis. Heureusement pour Cieéron, nous avons <strong>la</strong><br />

preuve qu'il Fêtait, et qu'il en eut un. Ses lettres à<br />

Atticus attestent l'un et l'autre 9 et c'est à lui aussi<br />

qu'il dédia son livre <strong>de</strong>l'JmUM : mais c'est Lelius<br />

qui en trace les caractères et les préceptes; c'est lui<br />

qui dit que Scipion ne connaissait point <strong>de</strong> plus odieux<br />

b<strong>la</strong>sphème contre l'amitié que ce mot d'un ancien :<br />

Il faut aimer comme si ton <strong>de</strong>vait un jour hoir.<br />

Ce mot vous révolte et moi aussi, et j'al<strong>la</strong>is peutêtre<br />

cé<strong>de</strong>r au p<strong>la</strong>isir d'en faire justice avec vods;<br />

mais je me rappelle qu'elle a déjà été faite, et en<br />

vers, ce qui vaut toujours mieux que <strong>la</strong> prose quand<br />

les vers sont bons; et ceux-ci le sont, quoique Fauteur<br />

*, distingué en d'autres genres, ait fait fort peu<br />

<strong>de</strong> vers en sa vie.<br />

1 M. Gail<strong>la</strong>rd$ historien savant et éc<strong>la</strong>iré, écrivain pur et<br />

élégant, dont les recherches ail<strong>la</strong>s et <strong>la</strong>borieuses ont répan<strong>du</strong><br />

beaucoup <strong>de</strong> lumières sur une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> notre histoire,<br />

li était mon confrère à l'Académie française, et >?alt été <strong>de</strong><br />

très-bonne heure un <strong>de</strong>s pas4e lettres dont S'estime et <strong>la</strong> bienveil<strong>la</strong>nce<br />

encouragèrent les travaux <strong>de</strong> ma première jeunesse.<br />

Il était d'ailleurs très-digne <strong>de</strong> bien parler <strong>de</strong> l'amitié : 11 fut<br />

hongre pendant trente ans <strong>de</strong> celle <strong>du</strong> vertueux et infortuné<br />

Ifaksherbes. La profon<strong>de</strong> retraite aa U a vécu <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> révolution<br />

l'a éloigné <strong>de</strong> mol sans qne jamais je Taie oublié; et<br />

j'ai saisi avec empressement celte occasion <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser une marque<br />

<strong>de</strong> soutenir et é» recosaaisaaace à un ancien confrère,<br />

aujourd'hui œiogénalro, et que peut-être ae reverftl-Je pta.


Ce mot, l'effroi <strong>de</strong> cour et l'effroi <strong>de</strong> ramonr 1<br />

Songez que mên ami peut mm trahir un Jour.<br />

B&m qu'on® doakHiieaM et coupable pru<strong>de</strong>nce<br />

Dans l'obscur avenir ebêrcae un crime douteux ;<br />

5*1! cesse un Jour filmer, qu'il sera malheureux !<br />

êmmUtmMmmm,JÊêsMmmTMfMmàML<br />

Mon amitié M pure, et Je n'ai rien à erâfadfe.<br />

Qull <strong>mont</strong>re à tout ta yeux les secrets <strong>de</strong> mon «or ;<br />

€^sect€tsiô©tl*aiii«r, raMtM.lâïifmlfœ, -<br />

La douleîtt <strong>de</strong> Se mkt Infidèle et parjure,<br />

Oublier ses serments, comme mol mon injure.<br />

CIcéron doit revenir encore <strong>de</strong>vant nom v sous les<br />

rapports <strong>du</strong> mérite philosophique f en mm^mémm<br />

avec Sénèque, dont il me reste à parler.<br />

gicTiôîi !•.— Sénèque.<br />

ANCIENS. — PHILOSOPHIE.<br />

Il y a quinze ou seize ans qu'il s'éleva use gran<strong>de</strong><br />

querelle sur Séuèque : elle ne fit pas, il est vrai Y le<br />

même bruit en France et en Europe que celle dont<br />

Homère fat le sujet dans le siècle <strong>de</strong>rnier et dans le<br />

nôtre. .Sénèque ne tenait pas une assez gran<strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce<br />

dans Fopinion pour intéresser dans sa cause autant<br />

<strong>de</strong> lecteurs qu'Homère; et <strong>la</strong> discussion sur les anciens<br />

et les mo<strong>de</strong>rnes, dont celui-ci fut l'occasion,<br />

n'était d'ailleurs qu'une question <strong>de</strong> goôL Ou ne<br />

<strong>la</strong>issa pas, suivant l'usage, d'y mêler cette espèce<br />

d'aigreur qui naît si facilement <strong>de</strong> <strong>la</strong> contrariété<br />

<strong>de</strong>s avis, et même cette <strong>du</strong>reté qui tient au pédantisme<br />

<strong>de</strong> l'érudition : vous avez vu que ce fut le<br />

tort <strong>de</strong> <strong>la</strong> savante Dacier. Cependant les injures ne<br />

furent <strong>du</strong> moins que littéraires, et n'attaquaient<br />

que l'esprit. Ici ce fut bien autre chose : <strong>la</strong> controverse<br />

sur Sénèque, rou<strong>la</strong>nt en gran<strong>de</strong> partie sur le<br />

personnel <strong>de</strong> ce philosophe, fut une espèce <strong>de</strong> procès<br />

criminel, et au point que 9 dans aucune espèce <strong>de</strong><br />

procès 9 on ne publia jamais éefactum plus violent,<br />

plus outrageant , plus forcené que celui <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot<br />

contre quelques journalistes qui, en rendant compte<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction <strong>de</strong>s (Eu?res <strong>de</strong> Séoèque« , avaient<br />

osé, ou censurer sa con<strong>du</strong>ite, ou seulement élever<br />

<strong>de</strong>s doutes et jeter quelques nuages sur sa vertu.<br />

Heureusement le public ne prit pas à cette cause un<br />

Intérêt égal s à beaucoup près , au vacarme que firent<br />

les apologistes <strong>de</strong> Sénèque ; et il en prenait fort peu<br />

à <strong>la</strong> diffamation répan<strong>du</strong>e sur ses adversaires, dont<br />

plusieurs en effet n'étaient pas déjà très-bien famés,<br />

mais qui cette fois avalent raison pour le fond <strong>de</strong>s<br />

choses, quoiqu'ils n'eussent pas toujours bien choisi<br />

ni bien dé<strong>du</strong>it leurs moyens. Ils eurent même, ce<br />

qui ne leur était pas ordinaire t l'avantage <strong>de</strong> <strong>la</strong> modération,<br />

comme celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> férité, sans doute<br />

parce que personne ne pouvait guère se passionner<br />

1 Oawage posthume <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grange, publié par ffalpim en<br />

m*.<br />

117<br />

«mire Sénèque, comme Di<strong>de</strong>rot seul était capable<br />

<strong>de</strong> m'passionner pur lui. Le scandale ne fut doms<br />

ni long ni éc<strong>la</strong>tant ; mais l'ouvrage <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot, qui<br />

fut lu malgré sa lonpeur et ses défauts, surtout<br />

i cause <strong>de</strong> quelques sorties indirectement satiriques<br />

contre <strong>de</strong>s pissanœs <strong>de</strong> plus d'une espèce f est resté<br />

comme un <strong>de</strong>s monuments les. plus singuliers <strong>de</strong><br />

ITatoléranec fort peu phitosophique<strong>de</strong> ectti qui s'app<strong>la</strong>itst<br />

ei<strong>du</strong>sivemtnt pMêmepàes» 11 a encore<br />

tm autre caractère particulier à Fauteur : c'est le<br />

contraste, à plue concevable dans tout autre que<br />

lui, <strong>de</strong>s louanges outrées qu'il prodigue à <strong>la</strong> philosophie<br />

et au talent <strong>de</strong> Sénèque, avec les reproches<br />

et les censures qu'il lui adresse, et qui en sont <strong>la</strong><br />

contradiction <strong>la</strong> plus formelle. L'examen que je<br />

ferai tout à l'heure <strong>de</strong> ce livre <strong>de</strong>'Di<strong>de</strong>rot, soit en<br />

réfutant ses erreurs et ses sophismes, soit en évaluant<br />

ses aveux, sera <strong>la</strong> confirmation <strong>la</strong> plus forte<br />

<strong>de</strong> Fopinion, que déjà plus d'une fois , dans le <strong>cours</strong><br />

<strong>de</strong> nos séances, j'ai eu occasion d'énoncer, quoique<br />

en passant, sur les écrits <strong>de</strong> Sénèque, qu'à présent<br />

il convient <strong>de</strong> rassembler sous vos yeui dans un<br />

aperçu général et raisonné.<br />

Le premier qui se présente en suivant le même<br />

ordre que son tra<strong>du</strong>cteur <strong>la</strong> Grange, ce sont ses £eltret<br />

à iMeîMm : elles sont au nombre <strong>de</strong> cent vingtquatre,<br />

et roulent toutes sur <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> morale,<br />

tantét différents*, tantôt les mêmes. Si Fon vou<strong>la</strong>it<br />

les juger comme l'auteur prétend les avoir écrites,<br />

c'est-à-dire comme une correspondance familière<br />

avec un ami et un disciple (car Lucilius parait avoir<br />

été l'un et l'autre), <strong>la</strong> première critique qu'on pourrait<br />

en faire, c'est qu'elles ne sont rien moins que<br />

ce que Fauteur vou<strong>la</strong>it qu'elles fussent.<br />

« Tons vous p<strong>la</strong>ignes s , écrit-il à Ludlius 9 que mes lettres<br />

se sont pis eêêei soignées ; mais soigne-t-oa sa conversation,<br />

à moins qu'en se veuille parler d'une maniera<br />

affectée? Je veux que mes lettres rmsemèimi à mmemvenatton<br />

que anus aurions ensemble, assis ou en marchant<br />

Je veui qu'elles soient simples eifmeiim # qu'etim<br />

M smiemi en rien <strong>la</strong> rœkerche ni k travail. »<br />

Certes, les Letires à LwcUim ne tiennent pas plus<br />

<strong>de</strong> Im conversation que <strong>du</strong> style épisto<strong>la</strong>ire : ce sont,<br />

à peu <strong>de</strong> chose près, <strong>de</strong> petits sermons <strong>de</strong> morale ,<br />

ou <strong>de</strong> petits traités <strong>de</strong> stoïcisme, ou <strong>de</strong> petites dis-<br />

* Je me sers, dans tout cet article, <strong>de</strong> <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> 1A<br />

Grange, non qu'elle soit <strong>la</strong> meilleure possible, Il s'en faut <strong>de</strong><br />

beaucoup, mais elle est généralement assez bonne; et, comme<br />

Je ae peau <strong>mont</strong>rer ici Sénèque que tra<strong>du</strong>it, fal cru <strong>de</strong>voir<br />

déroger celte fois a l'habitu<strong>de</strong> où je suis <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ire moimême,<br />

<strong>de</strong> peur qu'en m m'accusât <strong>de</strong> gâter Sénèque pour le<br />

blâmer. Pour obvier à ce reproche, qu'il fal<strong>la</strong>it prévoir ©©mme<br />

tout autre, dès que Fou a?ait affaire à l'esprit <strong>de</strong> parti t Je<br />

n'ai pu me servir d'un mètileur moyen que <strong>de</strong> suivie partout<br />

<strong>la</strong> eersloe approuvée, revue et augmentée par les présents<br />

<strong>de</strong> Sénèque.


3?S<br />

€»U1S DE UTTÉRâTUiR<br />

gertations sur <strong>de</strong>s matières <strong>de</strong> philosophie et d'érudition;<br />

souveot môme rien n'indique que m soient <strong>de</strong>s<br />

Mires 9 hors le titre <strong>du</strong> recueil. Le ton est habituellement<br />

celui d'un philosophe en chaire ou sur les<br />

bancs; et le style, celui d'un rhéteur qui tombe souvent<br />

dans <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>mation f et <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>mation ? a quelquefois<br />

jusqu'à <strong>la</strong> puérilité •••<br />

L'éditeur <strong>de</strong> l'ouvrage posthume <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grange,<br />

homme instruit, mais réeusable dans une cause où<br />

il était partie, et où il se déc<strong>la</strong>rait adorateur île<br />

Sénèque et disciple <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot, a voulu tirer avantage<br />

<strong>de</strong> ce reproche <strong>de</strong> Lucilius , qui semble opposé<br />

à celui qu'on a toujours fait à Sénèque, puisqu'il<br />

Ton ne paraît taier que <strong>de</strong> négligence celui que l'on<br />

1 toujours accusé d'affectation. Mais l'éditeur s'est<br />

mis, ce me semble, à eAté <strong>de</strong> <strong>la</strong> question en se<br />

mettant à <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot. 11 a l'air <strong>de</strong> croire,<br />

ainsi que lui, que les critiques si souvent renouvelées<br />

contre le style et le goût <strong>de</strong> Sénèque tombent<br />

sur sa IMMti. J'aime à croire qu'il n'y a ici qu'une<br />

méprise : l'esprit <strong>de</strong> parti peut se méprendre <strong>de</strong><br />

bonne foi. Mais pourtant dans tout ce que Di<strong>de</strong>rot<br />

cite <strong>de</strong> ceux qu'il appelle k$ éâirmcêmn <strong>de</strong> Sénèque,<br />

et que je ne connais que par les citations, il n'y a<br />

qu'une ligne sur <strong>la</strong> <strong>la</strong>UnUê, parmi une foule d'autres<br />

censures. Cette ligne porte que c f est un auteur<br />

généralement part qui et* éi sta<strong>de</strong> d'Auguste;<br />

m qui est reconnu <strong>de</strong> tous lis philologues et <strong>de</strong> tous<br />

les bons critiques, et ee qui M fait rien <strong>du</strong> tout à<br />

<strong>la</strong> question. On ne manque pas <strong>de</strong> nous répéter iei<br />

très-gratuitement tout ee qui a été avancé <strong>de</strong> nos<br />

jours sur l'impuissant» absolue oà nous étions d'avoir<br />

un avis sur <strong>la</strong> diction <strong>de</strong>s auteurs <strong>la</strong>tins; et je<br />

ne crois pas <strong>de</strong>?oir répéter ee que vous mm enten<strong>du</strong><br />

dans nos premières séances » sur <strong>la</strong> valeur <strong>de</strong> cette<br />

assertion. J'ai fait voir alors combien elle <strong>de</strong>vait<br />

être restreinte, et combien réten<strong>du</strong>e qu'on vou<strong>la</strong>it<br />

y donner était, ou <strong>de</strong> maltais sens, ou <strong>de</strong> mauvaise<br />

foi. Mais ee n'est point <strong>de</strong>ioMwMê qu'il s'agit : c'était<br />

à Quintilien <strong>de</strong> juger en grammairien eelie <strong>de</strong> Sénèque,<br />

et il n'en parle pas. Mais dans tous les temps<br />

nous pouions juger son style, c'est-à-dire le tour<br />

qu'il donne à ses pensées , à ses phrases, et le choix<br />

<strong>de</strong>s igures qu'il emploie. Tout homme instruit peut<br />

y remarquer, même aujourd'hui 8 ee qu'il a <strong>de</strong> force »<br />

d'outré f <strong>de</strong> fauxf d'obscur, d'entortillé, d'affecté :<br />

tout ce<strong>la</strong> est vicieux partout et en tout temps, et sa<br />

rencontre dans Sénèque à peu près à toutes les pages,<br />

plus ou moins. Je ne me souviens pas 4'avoir TU<br />

en ma fie aucun homme <strong>de</strong> lettres qui en doutât.<br />

Di<strong>de</strong>rot et son éditeur objectent qu'on n'a jamais<br />

rien cité à l'appui <strong>de</strong> cette opinion : c'est apparem­<br />

cfe <strong>la</strong> bmsm <strong>la</strong>UnUê, et ces mots sont en guillemets : ment parce qu'elle n'avait guère été contestée. Mais<br />

d'où Ton doit supposer qu'ils sont transcrits. Ce- comme ceci est proprement <strong>de</strong> notre ressort, je<br />

pendant, comme Di<strong>de</strong>rot réfute totft le mon<strong>de</strong> à leur ferai le p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> citer, et, s'il le faut, jusqu'à<br />

<strong>la</strong> Ibis, <strong>la</strong> ploprt <strong>du</strong> temps sans aucune désignation, satiété, c'est-à-dire jusqu'au terme où l'ennui seul<br />

mettant tout pêle-mêle, et ne sepiquant ni <strong>de</strong> métho<strong>de</strong> suffit pour tenir lieu <strong>de</strong> conviction.<br />

ni d'eiactîtu<strong>de</strong>, j'avoue que j'ai peine à croire que Mais avant tout il faut rendre justice à ce qu'il<br />

quelqu'un ait pu se servir d'une eipression si impro­ y a <strong>de</strong> bon dans Sénèque, soit comme moraliste,<br />

pre, et confondre le <strong>de</strong>rnier âge <strong>de</strong>s lettres romaines, soit comme écrivain. Je n'ai pas besoin d'assurer<br />

qui était celui <strong>de</strong> Sénèque* avec cette époque très- que cet auteur m'est aussi indifférent que tous les<br />

postérieure qu'on nomma le moyen âge, qui fut anciens dont j'ai parlé. Vous ferrez, vers <strong>la</strong> in <strong>de</strong><br />

véritablement celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> bosse <strong>la</strong>tMtê. Quel qu'il cet article, pourquoi les panégyristes que je combats<br />

en soit, Di<strong>de</strong>rot et son éditeur profitent adroite­ ne peuvent pas professer <strong>la</strong> même impartialité, et<br />

ment <strong>de</strong> ce mot, réel ou supposé, pour attribuer comment <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> Sénèque n'a été que le prétexte<br />

cette bévue à tous les censeurs <strong>de</strong> Sénèque, qui et l'occasion d'une querelle très-personnelle, une<br />

dans le fait n'ont jamais dit autre chose, si ce n'est affaire <strong>de</strong> parti pour eux, qui ne saurait en être une<br />

que fa <strong>la</strong>tinité <strong>de</strong> son temps n'était déjà plus aussi pour moi.<br />

1<br />

Telle est là fcnanlèn dont os peut c<strong>la</strong>sser les diverses S'il n'y a guère <strong>de</strong> pages qui n'offrent dans Sé­<br />

eumpotitloos ; récrivais éloquent qui a toujours le style <strong>de</strong> nèque <strong>de</strong>s défauts plus moins choquants, il n'y en<br />

•qfet; le rhéteur qui Yent tout agrandir et tout omet; le dé» a guère non plus qui n'offrent quelque chose d'in­<br />

e<strong>la</strong>matear qui s'échauffe à froid. La première c<strong>la</strong>sse est celle<br />

èm grands génies et ira modèles, comme, parmi nom, les génieux , soit par <strong>la</strong> pensée, soit par <strong>la</strong> tournure. La<br />

Bornet, lea MoiitesqiiSeii, etc.; <strong>la</strong> secon<strong>de</strong>, celleêm tommes morale <strong>de</strong> Fauteur est sou?ent noble et élevée,<br />

fat «fit en pies <strong>de</strong> talent que <strong>de</strong> jnpment et <strong>de</strong> goût, eomme<br />

Ttaomas; comme Raynal, Di<strong>de</strong>rot, et Mm d'antres après comme l'était celle <strong>de</strong>s stoïciens : elle tend à ins-<br />

eut ; <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière et Sa pltn nombreuse, «Ile <strong>de</strong>s écrivains, on pirer le mépris <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie et <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, et à mettre<br />

mauvais os très-médiocres s en prose ou en vers, qui sont le<br />

pies souvent boursouflés et fl<strong>de</strong>s, emphatiques et faux. Ce l'homme au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s choses sensibles et passagè­<br />

<strong>de</strong>rnier caractère est généralement celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s prores , et <strong>la</strong> vertu au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tout. C'est ce que vous<br />

iuetlôfîs mo<strong>de</strong>rnes députa le milieu <strong>de</strong> ce siècle, d'où l'on<br />

peut dater <strong>la</strong> dépra?«tes <strong>de</strong>s esprits et ds put, qui <strong>de</strong>puis * Toyei plu haut t livre i«% eèap. m$B§U Mmgmpm^


a?m déjà vu dans Socrtte 9 dans P<strong>la</strong>ton , dans Pintarque,<br />

dans Cieéron, avec <strong>de</strong>s couleurs et <strong>de</strong>s<br />

nuances différeotes. La prédication <strong>de</strong> Sénèque<br />

C car c'en est une 9 et fi a Pair <strong>de</strong> prêeher quand les<br />

antres raisonnent ) â une espèce <strong>de</strong> forée qui n'est<br />

point dans les antres : je dis une espèce <strong>de</strong> force,<br />

car si <strong>la</strong> meilleure et <strong>la</strong> véritable est celle qui est <strong>la</strong><br />

plus efficace et qui pro<strong>du</strong>it le plus


88®<br />

l'homme, c'estMh* son àm, et, dans cette âa»f1§ ta- ><br />

gesse. »<br />

Je me suis permis quelques changements dans <strong>la</strong><br />

tra<strong>du</strong>ction que fauteur n'eut pas le temps <strong>de</strong> revoir;<br />

mais l'intention a%a saurait être suspecte.<br />

Cest par te même motif que j'ai supprimé <strong>de</strong>ux ou<br />

trois ligues <strong>de</strong> l'original, pour ne rien gâter au<br />

morceau Y ni au p<strong>la</strong>isir qu'il pourrait vous faire.<br />

Sénèque dit <strong>de</strong> son sage, fut! volt ks hommes<br />

totcf ses pieds, et k$ dieux sur <strong>la</strong> ligne. La première<br />

moitié <strong>de</strong> cette phrase est arrogante, et l'autre<br />

ridiculement fastueuse. Ailleurs : II me quiète<br />

pms k ciei pour m <strong>de</strong>scendre. Cette phrase, louche<br />

et amphibologique , est une faute <strong>du</strong> tra<strong>du</strong>cteur.<br />

Il fal<strong>la</strong>it dira :<br />

« Le sage n'a pas quitté le ciel pour en être <strong>de</strong>scends, »<br />

Ce qui s'explique très-bien par cette comparaison<br />

tirée <strong>de</strong>s rayons <strong>du</strong> soleil, et qui me parait sublime.<br />

Le paragraphe entier est plein <strong>de</strong> <strong>mont</strong>âmes! et<br />

d'éc<strong>la</strong>t. Je n'examine point si ce<strong>la</strong> est d'une conversation<br />

ou d'une lettre; je ne prends point Fauteur<br />

au mot : je regar<strong>de</strong> <strong>la</strong> chose; elle est entièrement<br />

oratoire. Mais si l'ouvrage était seulement<br />

Intitulé Lettres philosophiques, il n'y aurait rien à<br />

objecter, car celles-là comportent tous les tons.<br />

Cest ce que sont les lettres <strong>de</strong> Sénèque, quoiqu'elles<br />

n'en aient pas le titre. El qu'importe? Ce n'est<br />

donc pas sur cette convenance réelle ou préten<strong>du</strong>e<br />

qm j'appuierai aucune critique : je prends ici pour<br />

bon tout ce qui Test en soi. L'on ne trou?eraît peutêtre<br />

p§ dans Sénèque trois morceaux qui vaillent<br />

celui-là. Mats quoiqu'il soit <strong>de</strong> te vieillesse <strong>de</strong> fauteur,<br />

et qu'il y ait <strong>de</strong> l'imagination, n'avez-voua pas<br />

senti qu'il y avait là <strong>du</strong> faux et <strong>du</strong> luxe <strong>de</strong> jeunesse?<br />

Les grands spectacles <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature attestent un dieu ;<br />

mais le culte ren<strong>du</strong> aux <strong>la</strong>cs et aux fontaines est<br />

une superstition, et il ne faut pas partir d'une erreur<br />

pour arriver à une vérité. Ce<strong>la</strong> pourrait se passer<br />

tout au plus à un poète qui, avec <strong>de</strong> beaux vers, a<br />

toujours raison; jamais à un philosophe. Quatre<br />

comparaisons si près Tune <strong>de</strong> l'autre, c'est <strong>du</strong> trop;<br />

et il manque trois ou quatre lignes qui étaient nécessaires<br />

pour en marquer les rapports, car, en soimême,<br />

le lion sauvage ou apprivoisé n'est pas trop<br />

l'emblème d'un sage. Cependant le fond <strong>de</strong> l'idée est<br />

juste; ce qui ne dispensait pas <strong>de</strong> l'expliquer. La<br />

<strong>de</strong>rnière comparaison, celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> vignet a le même<br />

défaut. U eût faîia énoncer d'abord et positivement<br />

le principe qu f CODES DE L1TTÉMTD1E.<br />

justesse dans Tordre <strong>de</strong>s Mecs sont iifdlspensaUa,<br />

surtout en matière philosophique; et fauteur aurait<br />

prévenu l'objection qui se présente d'elle-ménê,<br />

quand il dit trop têt et trop crûment <strong>de</strong> <strong>la</strong> vigne<br />

fertile : OH <strong>la</strong> préfère è mm mgme d'or. Non pas»<br />

s'il vous p<strong>la</strong>ît; car avec <strong>la</strong> vigne d'or j'aurai mite<br />

arpents <strong>de</strong> l'autre v et àm meilleur terrain.<br />

Yoilà bien <strong>de</strong>s fautes, «t pourtant je vous ai<br />

<strong>mont</strong>ré Sénèque dans ce qu<br />

nne chose n'est belle que <strong>de</strong> <strong>la</strong> beauté<br />

qui lui est propre; qu'une vigne chargée <strong>de</strong> grappes<br />

est belle <strong>de</strong> sa fertilité, et qu'une vigne à fruits<br />

et à feuilles d'or n'est pas une belle vigne, mais un<br />

beau morceau <strong>de</strong> ciselure. Cette précision et cette<br />

9 i a <strong>de</strong> plus beau. Je<br />

suis persuadé que, quand Ludliug lui faisait observer<br />

qm ses lettres m'éimiemt pm m$m% soignées, il<br />

ne vou<strong>la</strong>it pas dire qu'il écrivait mal en <strong>la</strong>tin; ce<br />

qu'on a supposé très-mal à propos, et ce qui n'est<br />

pas présumante d'un écrivain <strong>de</strong>s plus renommés <strong>de</strong><br />

son temps ; mais qu'il ne donnait pas assez <strong>de</strong> soin<br />

à ce qui en <strong>de</strong>man<strong>de</strong> toujours, même dans <strong>de</strong>s Mtrès,<br />

dès qu'elles roulent sur <strong>de</strong>s matières <strong>de</strong> cette<br />

importance ; qu'il négligeait trop <strong>la</strong> liaison, <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté,<br />

<strong>la</strong> précision <strong>de</strong>s idées et <strong>de</strong>s expressions. L'ami <strong>de</strong><br />

Sénèque aura poliment renfermé cette eeesuredans<br />

une phrase générale ; mais les lecteurs anciens et<br />

mo<strong>de</strong>rnes en ont eu l'intelligence et <strong>la</strong> preuve, et ne<br />

s'y sont pas trompés 9 ou n'ont pas feint <strong>de</strong> s'y tromper,<br />

comme ceux qui se sont faits les patrons <strong>de</strong><br />

Sénèque.<br />

Le morceau que vous venez d'entendre n'est donc<br />

en total qu'une bril<strong>la</strong>nte amplification d'un rhéteur<br />

qui a <strong>du</strong> talent, et quelquefois <strong>de</strong> grands traits.<br />

Cette manière d'écrire, et <strong>la</strong> foule <strong>de</strong> sentences et<br />

<strong>de</strong> pensées sail<strong>la</strong>ntes et détachées qui abon<strong>de</strong>nt dans<br />

_ Sénèque, sont d'ordinaire plus favorables dans <strong>de</strong>s<br />

citations que dans une lecture suivie, surtout dans<br />

les matières philosophiques, et par comparaison<br />

avec un écrivain qui, comme Cicéron, se fait un <strong>de</strong>voir<br />

<strong>de</strong>s convenances <strong>de</strong> chaque sujet, <strong>de</strong> <strong>la</strong> chaîne<br />

<strong>de</strong> ses idées, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> variété <strong>de</strong> sa diction. Yous<br />

n'êtes plus ici dans le genre oratoire, où j'étais<br />

sûr, à l'ouverture <strong>du</strong> livre, d'offrir à votre admiration<br />

quelqu'un <strong>de</strong> ces endroits dont l'intérêt et le<br />

charme se font sentir d'abord à tout le mon<strong>de</strong>. 11<br />

.faut ici le jugement <strong>de</strong> <strong>la</strong> réflexion, mais il suffit<br />

aussi d'être averti pour apercevoir aisément <strong>la</strong> supériorité<br />

réelle <strong>de</strong> l'écrivain consommé, qui ne peut<br />

avoir que le mérite propre à chaque objet, et qui<br />

fa toujours. Le passage que je vais tra<strong>du</strong>ire a beaucoup<br />

<strong>de</strong> rapport avec celui <strong>de</strong> Sénèque. Cicéron veut<br />

prouver, comme lui, que notre âme a en elle un principe<br />

divin; mais il <strong>la</strong> considère ici <strong>du</strong> côté <strong>de</strong>s connaissances<br />

et <strong>de</strong> l'invention <strong>de</strong>s arts. Sa manière <strong>de</strong><br />

prouver réunit, ce me semble, <strong>la</strong> philosophie et l'éloquence,<br />

mais sans que fune nuise à l'autre, et<br />

dans l'accord qui convient à toutes <strong>de</strong>ux.<br />

« Quitte est dose es nous cette puissance qui recherche


ANCIENS. — PHILOSOPHE.<br />

m qui est caché , qui fait ente et imagine ? PenteMe voas<br />

pantin formée d'an limon terrestre? et n'est-eiê qu'une<br />

substance mortelle et périssable] Que vous semble <strong>de</strong> celui<br />

qui donna le pFemiêr à chaque ckose son nom , ce que Pythapre<br />

regar<strong>de</strong> comme l'ouvrage d'aae haute sagesse ; <strong>de</strong><br />

celui qui rassemb<strong>la</strong> les hemines anroersés 9 et leur apprit à<br />

vivre en société ; <strong>de</strong> celui qui marqua par an petit nombre<br />

<strong>de</strong> caractères testes les différentes inflexions <strong>de</strong> <strong>la</strong> voix *<br />

qu'es aurait ers <strong>de</strong>voir échapper an calcul ; <strong>de</strong> celui qui<br />

observa <strong>la</strong> marche et le retonr Ses étoiles, et leur <strong>de</strong>stination<br />

? Tous forent <strong>de</strong> gréais hommes sans doute ; et eeuilà<br />

le forent aussi ; qui a?aient trouvé auparavant Fart <strong>du</strong><br />

<strong>la</strong>lwarage, le vêtement, le logement, les instruments nécessaires<br />

tu travail, et les moyens <strong>de</strong> défense ceelre les '<br />

animau sauvages. C'est par cechemmqiienioiiiiiie, adouci<br />

et policé, passa <strong>de</strong>s arts <strong>de</strong> nécessité ta a arts d'agrément<br />

et aux sciences élevées; qu'on en vint jusqu'à préparer<br />

<strong>de</strong>s p<strong>la</strong>isirs à notre areîif e, par l'assemb<strong>la</strong>ge 9 Se choix et <strong>la</strong><br />

variété <strong>de</strong>s sons; que nos yeux apprirent à contempler les<br />

astres , tant ceux que Ton appellerai*f que ceux que nous<br />

nommons errmmU, et qaitdansle fait, sont fort loin d'errer.<br />

Mais l'homme, qui a su en mesurer tes mouvements<br />

réguliers, a fait voir que son <strong>la</strong>telMpace <strong>de</strong>vait être <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

même nature que celle <strong>de</strong> l'ouvrier qui les a <strong>la</strong>its.<br />

«Et quand nn Arehimè<strong>de</strong>a renfermé dans les cercles<br />

d'une sphère le soleil, <strong>la</strong> lune et les étoiles , a't-fel pas fait<br />

<strong>la</strong> même chose que le soprême artisan <strong>du</strong> Timée <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton,<br />

qai régk les mouvements toujours uniformes <strong>de</strong>s corps<br />

célestes , par <strong>la</strong> proportion entre <strong>la</strong> vitesse <strong>de</strong>s uns et <strong>la</strong><br />

lenteur <strong>de</strong>s autres ? Et si cet ordre n $ a pu exister dans le<br />

mon<strong>de</strong> sans un Dieu 9 ArcMaeeele aussi n'a pu fimiter dans<br />

sa sphère arfiieiat<strong>la</strong> sans une intelligence divise. Ouiy<br />

certes, elle est divine cette faculté qm pro<strong>du</strong>it tant et <strong>de</strong><br />

si gran<strong>de</strong>s choses. Que dirai-je <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire qui retient<br />

tout, et <strong>de</strong> l'esprit qui invente tout? rose affirmer que cette<br />

puissance est ce qu'A y a <strong>de</strong> plssgrand dans Dieu même.<br />

Croyes-voes que ce soit le nectar et l'ambroisie 9 et cette<br />

Hébé qui tes sert aux tables <strong>de</strong> l'Olympe, qui tissent le<br />

bonheur <strong>de</strong>là Divinité? Fictions d'Homère, qui transpor-'<br />

tait au ciel ce qui est <strong>de</strong> l'homme : j'aimerais mieux qu'il<br />

eut transporté àniomine ce quiest <strong>du</strong> cleL Qu'y a-MI donc<br />

<strong>de</strong> réeSlement divin? L'action, h raison> <strong>la</strong> pensée, <strong>la</strong><br />

•taoire. Ce sont là les attributs <strong>de</strong> rime : eue est donc<br />

divine; et si j'osais m'exprimer poétiquement $ comme Euripi<strong>de</strong>,<br />

je dirais : L'âme est un Dieu. »<br />

J'avoue que je préférerai toejours cette manière<br />

<strong>de</strong> philosopher et d'écrire à celle <strong>de</strong> Sénèque. Laissées<br />

même <strong>de</strong> côté ce qui est hors <strong>de</strong> prallèle f le<br />

toi <strong>de</strong> cette composition, où il n'y a pas une tache,<br />

et où le goût a distribué et proportionné les ornements<br />

préparés par l'imagination. Combien n'y<br />

a-t-iï pas ici, dans un moindre espace, pies <strong>de</strong><br />

choses que dans Sénèque? Chei ce <strong>de</strong>rnier, une seule<br />

idée est retournée et repro<strong>du</strong>ite dans plusieurs comparaisons<br />

pies ou moinsdéfectuiuses ; dans Cieéron»<br />

181<br />

pa§- une phrase où une nouvelle idée n'ajoute à<br />

eelle<strong>de</strong> <strong>la</strong>phrase précé<strong>de</strong>nte, où unenouvelle preuve<br />

ne fortifie sa thèse : et c'est encore un mérite étrange<br />

à Séaèque s que cette progression dans les idées f<br />

qui pro<strong>du</strong>it celle qu'on a toujours recommandée<br />

dans le dis<strong>cours</strong>.<br />

A présent, voulez-vous savoir comment Sénèque<br />

est d'accord avec lui-même, et juger <strong>de</strong> sa logique<br />

et <strong>de</strong> sa métaphysique? La kOre que je vais transcrire<br />

vous prouvera combien il était pauvre m ce<br />

genre. Si ce que vous avez enten<strong>du</strong> <strong>de</strong> lui f sur cette<br />

divinité qui est en nous, était autre chose qu'un<br />

essai <strong>de</strong> rhétorique sur <strong>de</strong>s idées qui sont <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton f<br />

il faudrait absolument que l'auteur eût écrit sans<br />

a'e étendre, et qu'à k morale près s qui est à <strong>la</strong> portée<br />

<strong>de</strong> tout le moe<strong>de</strong> f il n'm fût pas d'ailleurs aux éléments<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie.<br />

Y©us savei que, selon les principes <strong>de</strong> Zénoe,<br />

il se reconnaît <strong>de</strong> Mm proprement dit que <strong>la</strong> vertu.<br />

Lueiiius lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s! kèim est en corps. 1S répond<br />

(je vous préviens que <strong>la</strong> citation vous paraîtra peutêtre<br />

un peu longée, parce que rien n'impatiente<br />

comme <strong>la</strong> déraison; mais il faut entendre toute l'ar-<br />

gumentâtioe <strong>de</strong> notre philosophe, pour apprécier<br />

sa dialectique et tes éloges <strong>de</strong> ses panégyristes ; et<br />

ce<strong>la</strong> vaut bien quelques minutes <strong>de</strong> résignation) :<br />

« Sans doute le bien est un corps, puisqu'il agit % et<br />

ci qui agit est corporel. Le Mm agit sur rame ; il lui donne<br />

sa forme ; il en est poar ainsi dire le moule : effets qui ne<br />

sont propres qu'à un corps. DWIleara, tes Mens re<strong>la</strong>tifs aa<br />

eerps ne sont-Us pas corporels? Ceux qui sont re<strong>la</strong>ta* I<br />

rame le sont donc aussi, puisque fâmeelle-iiiêiiBe est une<br />

substance corporelle.... Je ne crois pas que vous dootiei<br />

que les passions soient <strong>de</strong>s corps ; par exemple, <strong>la</strong> colère,<br />

ramonr, <strong>la</strong> tristesse. Si vous en douties , considérez à quel<br />

point elles altèrent le visage , contractent le font, épanouissent<br />

les traits, excitent <strong>la</strong> rougeur, eu repoussent le sang<br />

vers le eœnr. Croyes-vons qu'une cause incorporelle puisse<br />

imprimer <strong>de</strong>s caraetAros aussi ttirperals? Si les ptAiiôns<br />

sont cerner<strong>de</strong>s, les ma<strong>la</strong>dief <strong>de</strong> r âme le soit pareilemeat;<br />

telles sent l'avariée, <strong>la</strong> cruauté, et gsn#nlsnMiit<br />

tons les vices invétérés et <strong>de</strong>venus fnenrrlgglifos. On peut<br />

donc en dire autant <strong>de</strong> <strong>la</strong> méchanceté et <strong>de</strong> toutes ses es*<br />

pèces, <strong>de</strong> <strong>la</strong> malignité , <strong>de</strong> l'envie f ie l'orgueil. H en est<br />

donc <strong>de</strong> même <strong>de</strong>s Mern : d'abord, parce qu'ils sont contraires<br />

aux maux; secon<strong>de</strong>ment, parce qu'ils pro<strong>du</strong>isent<br />

les mêmes milices au <strong>de</strong>hors. Me voyez-vous pas quel feu<br />

le courage donne aux yeux, quels regards attentifs a <strong>la</strong><br />

1 ,<br />

Ds yaiKilBtd%ommeuapêîî?er^mmétapsyiiiiueiilîi<br />

n ¥l à 8<br />

Ï5^i i "P ^«^W donnée pour preuVè d'une mtm<br />

anfnrdtté. Ltefco» es* en tUiMséme un mouvement spontané<br />

uni suppose une volonté d'aglif; et cette actim a'appartieat<br />

ira à <strong>la</strong> faculté InteUHnte, et ne peut appartenir i 1a matière,<br />

qui M peut ni penser ni vouloir, et dont le mouvement se<br />

1<br />

Cleéeea a raison s l'invention éa l'alphabet as! un <strong>de</strong>s era-<br />

peut être, dans tons les cas, qm mécanique. P<strong>la</strong>ton avait été<br />

iffaeia l'esprit humain.<br />

Jusque-là, et c'est pourquoi y avait donné uns êmm m monda,<br />

parce que l'âme seule «ftU * „ *


S83<br />

COURS DE LlTTÉlâTUlE.<br />

sérénité a Sa joie, faelle rai<strong>de</strong>ur a <strong>la</strong> sérérifé, quelle aisance<br />

a k pieté? Il faut donc que toutes ces fer<strong>la</strong>s soient<br />

<strong>de</strong>s corps pour changer aies! <strong>la</strong> couleur et Sa façon d*être<br />

<strong>de</strong>s corps f et poor eiereer sur eux un empire si absolu.<br />

Or, Ses ferles que f ai rapportées et tous les effets qu'elles<br />

pro<strong>du</strong>isent sont <strong>de</strong>s èïms, et tfatiéreraieit pas Se corps sans<br />

us contact; et, comme a dit Lucrèce, tout ce qui peut<br />

nions <strong>de</strong> sa secte, d'avoir son avis, <strong>de</strong> ne jurer sur<br />

<strong>la</strong> parole <strong>de</strong> personne; et Di<strong>de</strong>rot lui-même nous<br />

le donne pour un véritable éclectique. En plus d'un<br />

endroit, Sénèque rejette avec mépris certaines subtilités<br />

<strong>du</strong> staicissiief tandis qu'il en adopte <strong>de</strong> vraiment<br />

révoltantes en elles-mêmes, comme par exemple,<br />

qm toutes ks fon<strong>de</strong>s et toutes ks vertus sont<br />

égales «. On ne peut donc mettre sur le compte <strong>de</strong><br />

son école toutes ks sottises qu'il débite ici en son<br />

propre nom : soiiîses est bien le mot, et il n'y a<br />

point <strong>de</strong> raison pour ménager les termes quand les<br />

choses sont si mauvaises. Celles-ci sont bien <strong>de</strong> son<br />

choit, et il en est très-responsable. Mais comment<br />

un homme qui avait lu P<strong>la</strong>ton, Aristote, Cicéron,<br />

et tant d'autres philosophes, sur l'immatérialité <strong>de</strong><br />

Fâme, est-il excusable <strong>de</strong> méconnaître <strong>la</strong> force <strong>de</strong><br />

1 lettre 68. - Cette lettre, ie îawea <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot, n'est qu'un<br />

tissa m scssliisraes.<br />

leurs raisons i et celé même <strong>du</strong> sens iat<strong>la</strong>ief ejal<br />

en est une en philosophie 9 et celle <strong>du</strong> sentiment<br />

commun à tous les hommes, qui 9 eomine le dit<br />

fort Men Gicéron 9 est en ce genre une M <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

marfurt 1 ? Tous a?c2 déjà enten<strong>du</strong> P<strong>la</strong>ton 9 et Cieéron<br />

qui le répète et le fortiie. âristote , quoique<br />

plus abstrait en cette matière, est <strong>du</strong> moins hors<br />

toucher est corps ; ces fartas seat donc <strong>de</strong>s corps. Allons <strong>de</strong> tout soupçon <strong>de</strong> matérialisme ; car, après avoir<br />

plus loin : ce qui a <strong>la</strong> force <strong>de</strong> pousser» <strong>de</strong> contraindre, <strong>de</strong> admis quatre principes universels, qui ne sont au­<br />

retenir, <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r, est corporel. Or, k crainte ne retre chose que nos quatre éléments; et par conséquent<br />

tient-elle pas? l'audace ne pousse-toile pas? te.courage toute <strong>la</strong> matière 9 il affirme expressément que l'Ame<br />

ne donue-t-il pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> fougue et <strong>de</strong> l'impulsion? k modé­ humaine n'a rien <strong>de</strong> commun avec eux 9 que c'est<br />

ration n'estalle pas un frein qui contient ? <strong>la</strong> joie tféSè?e-t- une substance à part, dont <strong>la</strong> nature est un mouelle<br />

pas ? <strong>la</strong> tristesse n'abat-elle pas ? Enfin , nous n'agissons<br />

vement spontané et continuel : c'est ce qu'il nomme<br />

que par les ordres <strong>de</strong> k méchanceté ou <strong>de</strong> k Verte : ce qui<br />

esaaaiaaae au corps est corps ; ce qui fait fiolence au corps<br />

enUMchîe. Pjthagore même 9 bien autrement abs­<br />

l'est pareËSemeitt. La Mm <strong>du</strong> corps est corporel : ie èîm trait dans sa mystérieuse doctrine <strong>de</strong>s nombres,<br />

<strong>de</strong> l'homme est le Men <strong>du</strong> corp : le Mm est doue cor­ disait que Hase était en nous ce qu'est l'harmonie<br />

porel. *<br />

dans un instrument, le résultat intelligible <strong>de</strong>s sons,<br />

Si quelque chose peut ajouter m ridicule <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> <strong>la</strong> mesure et <strong>du</strong> mouvement. Il ne s'agit pas<br />

cf Inepties 9 c'est le ton magistral dont elles sont dé­ d'examiner ces déinitions en elles-mêmes : il nous<br />

bitées. Je se fois aucune excise à cet entassement suffit que rien <strong>de</strong> tout ce<strong>la</strong> n'indique <strong>la</strong> matérialité.<br />

d'extravagances. Di<strong>de</strong>rot prie <strong>de</strong> cette lettre dans Hous avons droit d'en conclure que tous les philoso­<br />

son aamen général, et se contente d'en indiquer phes les plus accrédités avaient senti que l'esprit<br />

le titre , que ks wrlm $mi corporelles, et d'ajou­ et <strong>la</strong> matière, l'âme et le corps, étaient <strong>de</strong>ux subster<br />

9 Faims disputes <strong>de</strong> wmte, SU eût trouvé queltances nécessairement hétérogènes 9 et que Sénèque,<br />

que chose <strong>de</strong> semb<strong>la</strong>lile dans Cieéron, que n'eût-il venu long-temps après eux, n'a pas même eu assez<br />

pas dit! Et que dirons-nous d'un philosophe qui <strong>de</strong> sens pour profiter <strong>de</strong> cette lumière généralement<br />

dans cette assertion, que fente estmrpwelk, m répan<strong>du</strong>e; ce qui le met d'abord fort au-<strong>de</strong>ssous<br />

•oit qu'une dispute <strong>de</strong> smês? Ce s'est là pourtant d'eux.<br />

qu'une <strong>de</strong> ces erreurs qui composent cet incom­ Ses pnégyristes nous opposeraient vainement on<br />

préhensible paragraphe. Dira-t-ou que Sènèque ne sa faveur quelques physiciens, quelques savants <strong>de</strong><br />

fait que stiitre ici <strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong>s Stoïciens? Mais nos jours, qui ont été ou qu'on a crus matérialis­<br />

d'abord 9 quoiqu'il soutienne dans ses LeUres plutes. Le mérite qu'ils ont pu avoir dans les sciences,<br />

sieurs <strong>de</strong> leurs paradoxes les plus étranges 9 il fait très-indépendant <strong>de</strong> leur opinion sur ce point, ne<br />

profession <strong>de</strong> ne point s'astreindre en tout aux opi- \ P^uve rien pour Sénèqué, qui n'entre pas en par-<br />

tsge <strong>de</strong> leur génie et <strong>de</strong> leur gloire pour avoir partagé<br />

une erreur qui n'y a jamais été pour rien.<br />

Parmi les ouvrages <strong>de</strong> matérialisme ou d'athéisme<br />

que nous avons .vus écïara, on n'en citerait pas un<br />

1 Comtemm mrnnmm ter mmimrm pmUnêm mi, acérée pos<br />

m principe s propos <strong>de</strong> le croyance en Men, <strong>de</strong> l<strong>la</strong>aœarattf té<br />

<strong>de</strong> Pâme, et <strong>de</strong>s eoUons <strong>de</strong> <strong>la</strong> moral® unlverselte, c'est-à-diro<br />

<strong>de</strong>s refîtes dont is nature a donné <strong>la</strong> conscience à tout les hommes,<br />

perce qu'elfes sont eécrsseirei à tout. Les matérf alâsies et<br />

les athéesi un pen embarrassés <strong>de</strong> ce principe, aussi incontestable<br />

qu'essentiel, n f ont pas manqué d'objecter les erreurs<br />

<strong>de</strong> physique §mérmkmmt rtseaaa dans l'êstff elle. C'est se<br />

mettre à côté <strong>de</strong> <strong>la</strong> question mm une mauvaise foi ma<strong>la</strong>droits,<br />

qui ne peut en Imposer qu'aux ignorants. Il importe fort peu<br />

au genre hama<strong>la</strong> que ce soit le soleil on <strong>la</strong> terra qui soit an<br />

centre <strong>de</strong> notre système p<strong>la</strong>nétaire v et tontes les questions <strong>de</strong><br />

ce genre sont également indifférentes à l'ordre social. Mais<br />

ce qui concerne les <strong>de</strong>voirs et 1a <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> l'homme- est<br />

e?aee tout entre importance. On ne peut <strong>du</strong>ne assimiler les<br />

choses si diverses sans rleler ie principe <strong>de</strong> parité entre les<br />

idées, fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> tonte logique : c'est aa soptilsiiM grossier<br />

qui ne pressée asie fàapeiaaace es tépnodif.


seul fui ait été en titre pur son auteur, et qui lui<br />

ait donné us rang parmi les savants. Ces titres oui<br />

été lus et recherchés comme hardis et prohibés;<br />

nullement comme bons; et aucun d'eus-ne porte le<br />

nom d'aucun <strong>de</strong>s hommes céièbces dans les sciences,<br />

d'un grand géomètre, d'un grand physicien, d'un<br />

grand astronome, d'un grand chimiste, etc. Pour ce<br />

qui est <strong>de</strong> Sénèque, il ne fût rien <strong>de</strong> tout ce<strong>la</strong>, ni rien<br />

même qui en approchât <strong>de</strong> loin. 11 n'a guère écrit<br />

ANCIENS. — PHILOSOPHE. 883<br />

est i§fm; toute l'argumentation <strong>de</strong> Sénèque sur<br />

les vertus qui sont corporelles est à lui, et c'est un<br />

chef-d'œuvre <strong>de</strong> déraison. Quel philosophe, surtout<br />

<strong>de</strong>puis qu'Aristote avait écrit, pouvait se méprendre<br />

au point <strong>de</strong> prendre ks wrtm pour <strong>de</strong>s substances<br />

corporelles ou incorporelles? Elles ne sont pas<br />

plus l'un que Feutre ; il y avait quatre cents ara<br />

qu'Aristote avait distingué tes substances et tes mu-<br />

d^ficatùms, tes sujets et les attributs; et quoiqu'il<br />

que sur <strong>la</strong> morale, si Ton excepte ses Questions na­ eût admis les quaJMés, les abstradfam, au moins .<br />

turels, dont il sera bientôt fait mention ; et comme dans le raisonnement, comme êtres rationnels, ja­<br />

les premières bases <strong>de</strong> Sa morale touchent à <strong>la</strong> mémais il ne les avait confon<strong>du</strong>es avec les êtres réels.<br />

taphysique et à <strong>la</strong> logique, c'est sous ces <strong>de</strong>ux rap­ Qu'est-ce donc qu<br />

ports qu'il convenait <strong>de</strong> l'envisager d'abord, au<br />

moins dans le peu qu'il en dit, car elles çeeupeat<br />

chez lui peu d'espace; et, comme vous venez <strong>de</strong> le<br />

voir, il serait à souhaiter qu'elles en tinssent encore<br />

moins.<br />

- Je comprends parfaitement Socrate, P<strong>la</strong>ton et<br />

Cieéron s quand ils me disent que l'âme humaine,<br />

émanée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Divinité, et faite pour s'y réunir, doit<br />

regar<strong>de</strong>r comme son seul bien, comme sa fin, <strong>la</strong><br />

vérité et <strong>la</strong> vertu f dont le principe et le modèle sont<br />

dans ce même Dieu, et dont les notions premières<br />

sont dans notre intelligence. Je vois là nneconneiïon<br />

d'idées, un motif et un <strong>de</strong>ssein. Mais quand Sénèque,<br />

en me disant que l'âme est corps, et que ks<br />

mrtus sont corps, et que h souverain bien est corps,<br />

amasse ensuite volume sur volume pour me redire<br />

<strong>de</strong> mille manières f ail ne faut faire cas que <strong>de</strong> l'Aonnête,<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu, <strong>du</strong> souverain bien, et avoir le<br />

plus grand mépris pour le corps, le compter pour<br />

rien, ne pas même s'embarrasser s'il aura <strong>du</strong> pain<br />

et <strong>de</strong> Feau, gui ne sont pas plus nécessaires qu maire<br />

chose (ce sont ces termes), f avoue qu'il m'est<br />

impossible <strong>de</strong> soupçonner comment je dois faire si<br />

peu <strong>de</strong> cas <strong>de</strong> mon corps, et en faire tant <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu,<br />

qui est corps aussi. L'honnête, <strong>la</strong> vertu, le some~<br />

rain bien, <strong>la</strong> matière, le corps, ks sens, tout <strong>de</strong>vient<br />

dès lors égal : tout est sujet également à <strong>la</strong><br />

dissolution <strong>de</strong>s parties, et par conséquent à <strong>la</strong> mort;<br />

car apparemment Sénèque n'ignorait pas ce qui a<br />

été reçu partout, même chez les anciens» que tout<br />

ce qui est corporel est corruptible et mortel. Pourquoi<br />

donc m'occuperais-je plus <strong>de</strong> mon âme que <strong>de</strong><br />

mon corps, quand tous les <strong>de</strong>ux sont <strong>la</strong> même chose ?<br />

, Et qu'est-ce alors que f honnête et <strong>la</strong> vertu, qu'assurément<br />

mon corps ne connaît ni ne conçoit, tandis<br />

qu'au contraire il connaît fort bien <strong>la</strong> sensation<br />

<strong>du</strong> p<strong>la</strong>isir et <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur?<br />

- Mais passons encore que ce chaos d'inconséquences<br />

vienne <strong>du</strong> Portique, où Ton disait en effet, avec<br />

Zenon, que famé était <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature <strong>du</strong> feu, anima<br />

9 un raisonneur qui se fait <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

si Je feu est un corps, si <strong>la</strong> vertu est un corps, et<br />

qui répond oui? La <strong>de</strong>man<strong>de</strong> et <strong>la</strong> réponse sont également<br />

impertinentes, et dénotent un iicès d'ignorancequ'onne<br />

peut pas escuser daasSénèque, comme<br />

on excuse sa mauvaise physique, par le peu <strong>de</strong> progrès<br />

qu'avait fait <strong>la</strong> science. Four <strong>la</strong> physique, soit;<br />

mais l'homme qui a écrit les <strong>de</strong>ui pages précé<strong>de</strong>ntes<br />

était prodigieusement en arrière <strong>de</strong> <strong>la</strong> métaphysique<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> logique <strong>de</strong> son temps. Le moindre écolier dit<br />

répon<strong>du</strong>, d'après les catégories d 9 Aristotê, quefc<br />

bien, <strong>la</strong> vertu, n'étaient pas plus <strong>de</strong>s substances<br />

quelconques, pas plus <strong>de</strong>s œrps dans notre âme,<br />

quand même notre orne serait corporelle, que <strong>la</strong><br />

btonekettr dans <strong>la</strong> neige et l'o<strong>de</strong>ur dans les roses<br />

ne sont <strong>de</strong>s carpe. L'écolier, par<strong>la</strong>nt le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong><br />

;ses cahiers, aurait distingué là ie concret et Tabs*<br />

'iraH; mais il aurait pu aussi se faire entendre <strong>de</strong><br />

tout le mon<strong>de</strong>, en disant que <strong>la</strong> vertu n'était autre<br />

choseque flirt vertueux, considéré par l'esprit sous<br />

If rapport <strong>de</strong> <strong>la</strong> qualité nommée vertu; qu'il n f y<br />

avait point <strong>de</strong> substanee, corps ou êms^ qui se nommât<br />

mriif; qui se nommât l'honnête, qui se nommât<br />

te Mm, mmmê 11 n'y en a point qui se nomme Mmekmt<br />

et asfesr. 11 n'eût pas même failli re<strong>mont</strong>er<br />

pour ce<strong>la</strong> jusqu'au! livres d'Ariatote, t<strong>du</strong>te cette<br />

théorie-est à peu près dans ceux <strong>de</strong> Cieéron « Mais<br />

celle qui fait <strong>du</strong> courage tut mrps , parce que le courage<br />

pousse, 'comme si une métaphore était une<br />

expression propre, toute cette longue chaîne <strong>de</strong> sophismes<br />

puérils, où chaque ligne est un abus <strong>de</strong><br />

mots et une ignorance <strong>de</strong>s choses, appartient en<br />

propre à Sénèque, et je tfai rien vu <strong>de</strong> semb<strong>la</strong>ble<br />

dans les anciens.<br />

C'est pourtant <strong>de</strong> lui que l'éditeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grange<br />

et <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot nous dit *<br />

« Qu'il a Soi seul plus <strong>de</strong> connaissances, plus d'idées,<br />

plus <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur que P<strong>la</strong>ton et Cieéron réunis et analysés<br />

; qui & plus <strong>de</strong> nerf f plus <strong>de</strong> substance et <strong>de</strong> vérita*<br />

* Toitti.paftUae<strong>la</strong>pfeatfèNédltloii.


COUES DE L1TFÉEATC1E.<br />

384<br />

Me sève <strong>du</strong>» ebiq m ib pages que ces tuteurs s'en ont<br />

dans cent. »<br />

On se dira pas que l'éloge est minée. Ce s'est<br />

partant qu'un texte dont le commentaire est dans<br />

Di<strong>de</strong>rot; et je le eiterai seeeessi veinent à mesure<br />

que <strong>la</strong> réfutation trou?era sa p<strong>la</strong>ce. Mais je puis , dès<br />

es moment, ré<strong>du</strong>ire à leur valeur, c'est-à-dire au<br />

néant, ces premières hyperboles, aussi gratuites que<br />

fastueuses. L'éditeur ne les a pas étayées <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus<br />

légère preu?e9 non plus que son suffragant Di<strong>de</strong>rot :<br />

moi, qui ne me ereîs point le droit <strong>de</strong> prononcer<br />

en maître comme eux, et qui n'ai point l'habitu<strong>de</strong><br />

d'affirmer sans prouver, je m'appuierai d'abord sur<br />

<strong>de</strong>s faits.<br />

P<strong>la</strong>ton a traité toutes les parties <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie,<br />

et y a même fait entrer <strong>la</strong> politique et <strong>la</strong><br />

légis<strong>la</strong>tion, qui patent ; il est frai, se lier à <strong>la</strong> métaphysique<br />

et à <strong>la</strong> morale par <strong>de</strong>s conséquences trèsgénéralisées<br />

, mais qui ont ce<strong>la</strong> <strong>de</strong> commun avec <strong>la</strong><br />

physique qu'elles ne patent se passer <strong>de</strong> Fexpérienee,<br />

et sont par conséquent <strong>de</strong>s sciences pratiques.<br />

Ce<strong>la</strong> n'empêche pas que, dans ses traités <strong>de</strong><br />

fa Mépubiiqm, il n'ait semé <strong>de</strong>s ©bsemtïoes justes<br />

et utiles, et qu'il n'y ait <strong>mont</strong>ré assez <strong>de</strong> connaissances<br />

pour que les peuples <strong>de</strong> Thèbes et d f Arcadie<br />

lui <strong>de</strong>mandassent <strong>de</strong>s lois, comme Lyeurgue en a?ait<br />

donné à Lacédémone, et lâJeneas aux Locriens.<br />

P<strong>la</strong>ton leur répondit qu'ils étaient trop heureux<br />

pour avoir besoin <strong>de</strong> changer <strong>de</strong> gonTernement, et<br />

trop riches pour admettre l'égalité <strong>de</strong>s biens. P<strong>la</strong>*<br />

ton apparemment n'avait pas conçu que le plus bel<br />

ouirage.<strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie et <strong>de</strong> <strong>la</strong> politique fit <strong>de</strong><br />

tacriier un peuple à Vwaimrê, et une génération à<br />

<strong>la</strong>pmUrUi. Ce<strong>la</strong> prouve seulement qu'il n'était pas<br />

à mÉre hauteur, mais non pas qu'il u'edt acquis une<br />

gran<strong>de</strong> réputation <strong>de</strong> politique et <strong>de</strong> légis<strong>la</strong>teur. Hous<br />

n'avons pas un mot <strong>de</strong> Sénèque sur ces matières :<br />

ce n'est donc pas là qu'il peut passer <strong>de</strong> si loin P<strong>la</strong>ton<br />

en œmmiss&ncm, m éééM?, mpmfomêmr. Serait*»<br />

ce en métaphysique ? Le peu qu'il en a mis dans mm<br />

écrits en dé<strong>mont</strong>re l'ignorance absolue. Serait-an<br />

en physique générale? Celle-ci, dans P<strong>la</strong>ton, est<br />

fort erronée, mais le même éditeur que j'ai cité<br />

avance au même endroit, non sans raison t que ceux<br />

<strong>de</strong>s anciens qui, même en se trompant, ont éf eîîlé <strong>la</strong><br />

curiosité, ont ingénieusement conjecturé et entrevu<br />

<strong>de</strong>s vérités importantes v ne sont point à mépriser,<br />

et ont bien mérité <strong>de</strong>s âges suivants, ne fût-ce qu'es<br />

leur épargnant beaucoup <strong>de</strong> mensonges. Or, on se<br />

peut nier que ce mérite ne soit celui <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton dans<br />

sa physique. Des hommes qui, dans ces matières,<br />

ont acquis une autorité que je suis fort loin d'avoir<br />

et <strong>de</strong> prétendre, assurent que P<strong>la</strong>ton avait eu en<br />

mathématiques <strong>de</strong>s connaissances très-distinguées<br />

pour son temps, à en juger par quelques aperçus<br />

fort heureux, entre autres, par celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> gravité<br />

qui attire les corps célestes vers un centre, en même<br />

temps qu'un mouvement <strong>de</strong> rotation les en éloigne B ..<br />

Il y a encore loin <strong>de</strong> là, sans doute, à <strong>la</strong> gravitation<br />

calculée par Newton; mais a y a une vue juste et<br />

éten<strong>du</strong>e, et Cieéron en a été assez frappé pour <strong>la</strong> rapporter<br />

dans ses ouvrages. En métaphysique, P<strong>la</strong>ton<br />

a eu <strong>de</strong>s idées aussi gran<strong>de</strong>s que neuves, dont je<br />

n'ai remarqué qu'une partie d'après l'assentiment<br />

universel ; mais l'un <strong>de</strong>s plus savants et <strong>de</strong>s plus<br />

célèbres professeurs <strong>de</strong> philosophie, dans un pays<br />

elle où est <strong>de</strong>puis longtemps comme naturalisée,<br />

l'Allemagne, M. Thiedmann *, à qui nous <strong>de</strong>vons<br />

le meilleur commentaire qu'on ait encore fait sur<br />

tous les écrits <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, a pris <strong>la</strong> peine d'observer<br />

toutes les notions capitales en métaphysique, que<br />

P<strong>la</strong>ton a trouvées le premier, et que les mo<strong>de</strong>rnes<br />

n'ont pu qu'adopter et développer. 11 en compte<br />

un assez grand nombre et lui en décerne l'honneur,<br />

non pas à beaucoup près avec le ton d'un commentateur<br />

enthousiastef mais avec le discernement d'un<br />

juge compétentjdans ces matières, qui explique trèsbien<br />

en quoi P<strong>la</strong>ton s'est trompé, et que sa vaste<br />

érudition met à portée <strong>de</strong> lui assigner ce qui est à<br />

lui, et ce qu'on ne trouve que chez lui.<br />

C'est par ses écrits que nous connaissons <strong>la</strong> philosophie<br />

<strong>de</strong> Pythagore, dont il n'a fait lui-même<br />

que trop d'usage pour nous qui n'en faisons aucun<br />

cas, mais qui <strong>du</strong> moins, comme objet <strong>de</strong> enrînsite,<br />

entre avec bien d'autres dans l'article <strong>de</strong>s<br />

connaissances, dont il n'y a que peu ou point <strong>de</strong><br />

traces dans Sénèque. En un mot, je ne vois pour<br />

celui-ci que se*. Questions natuteUes, qu'on ne<br />

se serait peut-être pas atten<strong>du</strong> à voir igurer parmi<br />

ses titres, vu l'obscure existence <strong>de</strong> cet ouvrage<br />

chez les anciens, comme ehei les mo<strong>de</strong>rnes. C'est<br />

dans un avertissement particulier, à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> ces<br />

Questions, que l'éditeur a cru <strong>de</strong>voir enrichir <strong>la</strong><br />

gloire <strong>de</strong> Sénèque <strong>de</strong> ce trésor caché; et il ne lui<br />

faut pair ce<strong>la</strong> que sa métho<strong>de</strong> familière d'affirmer<br />

l'hyperbole <strong>la</strong> plus outrée comme <strong>la</strong> vérité <strong>la</strong> plus<br />

reconnue. Cest là que Sénèque est mis, comme<br />

naturaliste, et je croîs pour <strong>la</strong> première fois, à eôté<br />

d'Aristote et <strong>de</strong> Pline. Yous vous souvenez <strong>de</strong> toute<br />

1 Ctoit ce qu'on a nommé <strong>de</strong>puis k farce eentripète et <strong>la</strong><br />

forée centrifuge t et ce fil est indiqué dans Piéton, et répété<br />

dans les Hwetilsae*.<br />

* Voyez <strong>la</strong><strong>de</strong>raière édition di P<strong>la</strong>ton t Imprimée aux Deux-<br />

Ponts, 13 volumes io-8®, 1781, dont le <strong>de</strong>rnier confient us<br />

résumé <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie <strong>de</strong> Piston, écrit en f&Un, excellent<br />

morceau <strong>de</strong> M. Thiedmann t qui était mmm vivant S©» <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

pablteatton <strong>de</strong> cet ouvrage.


'AUCUNS. — PHILOSOPHE. 18$<br />

f«tirne qu'a témoignée Buffoo pour te Ttmiié dm<br />

mmmmmx; et ee suffrage, autorisé par celui <strong>de</strong>s anciens,<br />

qu'à suivi celui <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>rnes* acquiert un<br />

aouteau poids <strong>de</strong> <strong>la</strong> part d'us si bon juge. L'ouvrage<br />

<strong>de</strong> Pline était <strong>de</strong>puis- si longtemps fameux,<br />

même tel qu'il nous- est par? ; les Latins <strong>la</strong> philosophie <strong>de</strong>s Grecs, n'est pas plus<br />

profond que Faateaelle quand il analyse les travaux<br />

<strong>de</strong> l'Académie <strong>de</strong>s sciences. Maïs si ce talent <strong>de</strong><br />

l'analyse; qui, par l'éten<strong>du</strong>e <strong>de</strong>s connaissances et "<br />

enu , était en magasin<br />

l'agrément <strong>du</strong> style, à fait <strong>la</strong> réputation <strong>de</strong> Fontenelle,<br />

n'a pas fait <strong>de</strong> même celle <strong>de</strong> Cicéron, quoi­<br />

si riche, si curieux et si orné, un si précisai dépôt qu'il y eût chez lui le wtâm€ mérite d'exécution,<br />

<strong>de</strong>s acquisitions anciennes dans vingt sciences diflê- <strong>la</strong> raison en est sensible : c'est qu'il a été si supérentes,<br />

qu'il aurait pa se passer ia témoignage <strong>de</strong> rieur dans l'éloquence, qu'on ne voit guère en lui<br />

m même Buffon , si celui-ci «a s'était honoré lui- que f orateur. L'orateur a effacé le philosophe :<br />

même en <strong>la</strong>aaat le -plus illustre éerîvaîn <strong>de</strong> l'anti­ l'orateur a jeté tant d'éc<strong>la</strong>t, que le reste <strong>de</strong> l'homme<br />

quité dans l'histoire iiaturelle. Les Questions <strong>de</strong> est <strong>de</strong>meuré dans l'ombre. C'est bien aux ouvrages<br />

Sénèque prouvent seulement qu'il n'était pas étran­ philosophiques <strong>de</strong> Cicéron qu'on put appliquer ce<br />

ger à ce qu'on pouvait savoir alors en physique ; et que l'éditeur dit <strong>de</strong> Sénèque, que, quand nous »'«f-<br />

l'on put en dire autant <strong>de</strong> Plutarque et <strong>de</strong> Cicéron y<br />

à qui pourtant on n'en a jamais fait un mérite parrtons<br />

<strong>de</strong> lui que ses Questions naturelles, Userait<br />

encore compté parmi ks hommes distingués <strong>de</strong><br />

ticulier. Mais amener Sénèque a?ec ses Questions son sMck* 11 est bien sûr que .celui qui n'aurait <strong>la</strong>it<br />

entre Pline et Arïs<strong>la</strong>te, c'est un genre <strong>de</strong> confiance, que les Tuscutsnes et ks Devoirs, et <strong>la</strong> Nature dm<br />

ou plutôt d'intrépidité, qui n'étonne plus, parée Dieux, etc., serait loin d'être un homme vulgaire,<br />

qu'on en a bien vu d'autres <strong>de</strong>puis, mais qui a sur et aurait encore une belle p<strong>la</strong>ce parmi les phltoso*<br />

moi le même effet qu'un nain entre <strong>de</strong>ux géants, phes et les écrivains <strong>de</strong> l'antiquité; mais, pur les<br />

<strong>mont</strong>ré par un nomene<strong>la</strong>teur qui crierait ; Voilà Questions <strong>de</strong> Sénèque, je crois que pu <strong>de</strong> gens se­<br />

trois géants!<br />

ront <strong>de</strong> l'avis <strong>de</strong> l'éditeur. Ce n'est sûrement pas le<br />

Ce n'est pas assez, au'gré <strong>de</strong> l'éditeur, pour fond <strong>de</strong>s choses qui put faire valoir cette pro<strong>du</strong>c­<br />

agrandir le Sénèque qu'il <strong>mont</strong>re. H faut qu'il ait tion : lui-même le pense comme moi, et, comme<br />

cru que, pour diviniser son nom, il n'y avait qu'à lui, je ne reproche pas à l'auteur tout ce qu'il peut<br />

lui accor<strong>de</strong>r <strong>de</strong> grands noms. Il appelle encore à son y avoir <strong>de</strong> faux et même <strong>de</strong> puéril dans sa physique.<br />

ai<strong>de</strong> Bacon et Lucrèce. Que fait là Lucrèce? Sa p<strong>la</strong>ce Les <strong>de</strong>ux savants, si justement célèbres<br />

est parmi les pactes. L'éditeur nous dit qu'il m'est<br />

pas donné-à tout k mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> se tromper comme<br />

ArUtote, Pline 9 Lua-éee et Sénèque; et il s'agit<br />

<strong>de</strong> physique ! Je suis fort <strong>de</strong> son avis sur les <strong>de</strong>ux<br />

premiers, sur le troisième, -si l'on veut, dans ce<br />

sens qu'il n'êsipas donné à tout le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> joindre<br />

une poésie quelquefois très-belle à une pMlosopftie<br />

toujours plus ou moins mauvaise. Mais celle <strong>de</strong> Lucrèce<br />

n'est pas à lui, et je ne vois pas quels merfmnges<br />

Épieureet luiont épargnés aux mo<strong>de</strong>rnes, car<br />

leurs arguments sont encore tous ceux <strong>de</strong>s athées<br />

<strong>de</strong> nos jours. Pour Bacon, j'aperçois <strong>de</strong> tous "côtés<br />

dans le champ <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie les pas <strong>de</strong> ce génie<br />

scrata<strong>la</strong>tir et pénétrant, et je vois que tous les matins<br />

en physique vénèrent ces traces lumineuses,<br />

les premières qui aient éc<strong>la</strong>iré le sentier abandonné<br />

par où l'expérience con<strong>du</strong>it à <strong>la</strong> vérité. Je vois dans<br />

ses écrits f tout ignorant que je suis y une foule <strong>de</strong><br />

posées fortes, originalest et profon<strong>de</strong>s, qui en<br />

font nattre une foule d'autres. Maïs <strong>de</strong> ma vie je<br />

n'ai enten<strong>du</strong> prsonne parler <strong>de</strong>s obligations que<br />

<strong>la</strong> physique avait à Sénèque; et si quelque chose<br />

pouvait embarrasser l'éditeur, ce serait put-ltre<br />

<strong>de</strong> nous les «vêler. -<br />

Cteéren f qui s'a préten<strong>du</strong> que transp<strong>la</strong>nter ceci<br />

M asare, — mat i<br />

f , qui ?©ulurent<br />

bien joindre quelques notes à <strong>la</strong> version <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Grange, n'ont pas même cru <strong>de</strong>voir indiquer toutes<br />

les erreurs <strong>de</strong> Sénèque, et s'en sont servis seulement<br />

comme d'un texte pour leurs observations instructives.<br />

On n'y voit nulle part qu'il ait eu même <strong>de</strong><br />

ces aperces éloignés qui sont comme le pressentiment<br />

<strong>du</strong> vrai, si ce n'est qu'il prédit que quelque<br />

jour on connaîtra <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s comètes ; ce qui ne<br />

me semble pas plus "difficile à prévoir que l'explica- '<br />

tion <strong>de</strong> tout autre phénomène, et ce qui n'a probablement<br />

servi en rien à mettre Newton sur <strong>la</strong> route,<br />

pur nous apprendre ce ajae sont les comètes.<br />

C'est encore moins par le style que les Questions<br />

puvent être distinguées : il est tout aussi ampoulé,<br />

tout aussi déc<strong>la</strong>matoire que partout ailleurs ; et,<br />

comme prtout ailleurs, il y a <strong>de</strong> temps en temps<br />

do bon. Si l'on veut <strong>de</strong>s exemples d'us ridicule<br />

'rare, et curieux, il n'y a qu'à lire ce qu'il nous dit<br />

pur nous rassurer contre <strong>la</strong> foudre et les tremblements<br />

<strong>de</strong> terre.<br />

« Quelle folie, quel oubli <strong>de</strong> ia fragilité humaine 9 dé m<br />

craindre k mort que quand il tonne S C'est donc <strong>de</strong> Sa fondre<br />

que dépend votre vie ! Yens seriez donc sûr <strong>de</strong> vivre,<br />

si VOUS éefaappiêz à ses coups? Vous avaries donc plus à<br />

1<br />

MM. Dsreetêt Deunanst.


986<br />

C0IJ1S DE UTTEHAXURE.<br />

craindre nf kgïaife, ni k chute <strong>de</strong>s ptarrêsfnl kièrre?<br />

Croj«-moi, <strong>la</strong> foudre est le pins éc<strong>la</strong>tant, mate «MI îa<br />

plus grand <strong>de</strong>s périls. Vous seres donc Mes eaallieareai ^<br />

si k célérité <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort fous en dérobe le sentiment? »<br />

H n'y a jusqu'ici <strong>de</strong> raisonnable que cette <strong>de</strong>rnière<br />

pensée, qui est si commune. Mais compter pour<br />

rien un danger présent 9 parce qu'il y en a beaucoup<br />

d'autres plus ou moins éloignés f est <strong>de</strong> <strong>la</strong> logique<br />

ordinaire <strong>de</strong> Fauteur. Ce qui suit est vraiment*<br />

bouffés : je déle qu'on puisse le qualifier autrement.<br />

« Yousseres donc tien mairAiretii s si votre trépas est<br />

eipié * , si même» en périssant, ?oos n'êtes pas initie ma<br />

man<strong>de</strong>, et lui donnes le présage <strong>de</strong> quelque grand événement?»<br />

Il finirait être bien difficile pour ne pas prendre<br />

cette conso<strong>la</strong>tion pur bonne, et bien incré<strong>du</strong>le,<br />

pour ne pas être aussi superstitieui que le philosophe<br />

Sénèque, qui prend <strong>de</strong> si bonne foi <strong>la</strong> foudre<br />

pour un présage*.<br />

« Tous voilà bien infortuné d'être mmtël avec <strong>la</strong> foudre<br />

!... Vous trouvei donc pies béas <strong>de</strong> mourir <strong>de</strong> peur que<br />

par <strong>la</strong> fondre ? Ansea-veus plutôt <strong>de</strong> murage contre les<br />

menaces <strong>du</strong> ciel : et quand fous Terres le mon<strong>de</strong> embrasé<br />

<strong>de</strong> toiles partss senpex qm vous n'êtes pas saies important*<br />

pour périr par d f aiissi grands aa«pf ou si vêtu<br />

eroyes que c'est par vous que le ciel est en désordre, que<br />

les tempêtes s'excitent, que les nuages s'accouraient et<br />

s'en trechoqnent , qae les feux brillent et éc<strong>la</strong>tent 9 n'etf-ce<br />

pm une mnmiaUen pour mus, que mtre mort mériiê<br />

tmd ce fracas ? »<br />

Ah! il n'y a ps moyen <strong>de</strong> s'y refuser : ce<strong>la</strong> est<br />

si persuasifs... Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si Gros-René, expliquant<br />

dans Molière <strong>la</strong> philosophie a?as eousim JrU~<br />

Me, est plus p<strong>la</strong>isant et plus gai. Nos très-sérieux<br />

ad?ersaires ne manqueront pas <strong>de</strong> s'indigner qu'on<br />

traite Sénèque <strong>de</strong> bouffon; mais ils se gar<strong>de</strong>ront<br />

bien <strong>de</strong> dire à quel propos, ou <strong>de</strong> transcrire ce<br />

que je cite : ils seraient trop sûrs <strong>de</strong>s éc<strong>la</strong>ts <strong>de</strong> rire<br />

<strong>du</strong> lecteur. Ce moyen <strong>de</strong> eomo<strong>la</strong>tim lui paraît si<br />

puissant (à Sénèque s'entend, et non,ps au lecteur),<br />

qu'il y revient encore sur les trembleipents<br />

<strong>de</strong> terre : il y déploie toutes les voiles <strong>de</strong> sa rhétorique<br />

; et il faut au moins voir quelque chose <strong>de</strong> ce<br />

morceau pour rire encore, mais non fîaj tout 9 car<br />

1 Parce qs'oii faisait les eaBi3ft#a*Éaai 1M ileai où était<br />

tombée là fondre, ae qm le tra<strong>du</strong>cteur serait dû indiquer<br />

iaaa M werstoo, pour éviter ï s équt¥©qae <strong>du</strong> mot expié.<br />

* Di<strong>de</strong>rot a f e»t pis ©et mcré<strong>du</strong>le-là ; car II dit très sérieusement<br />

dams §aa oommeiitatra ; PmrqmipmP Et II iadina*<br />

ta rafseias qu'on pourrait en donner.<br />

1 ISïS îxetifs et les cfeetam , que te tonnerre frappe si soa-<br />

vert iaas <strong>la</strong>s campagnes, sont doue <strong>de</strong>s êtres Mes foiaortemts?<br />

^<br />

Sénèque lui-même ne nous afturife pas à épuiser<br />

comme lui lo ridicule :<br />

« Ces gran<strong>de</strong>s révolutions", 'bien lotit sis ses» mmfcrner<br />

plus qs'one mort ordinaire, <strong>de</strong>vraient as esatreire<br />

nom mwrgweMiir; et, pilsepll est nécessaire <strong>de</strong> sertir<br />

<strong>de</strong> k via, paisajali font un jour vendre l'âme, ii est pim<br />

beau «te périr par <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> mw§em. »<br />

Comment ne s'est-os pas avisé <strong>de</strong> lire ce chapitra<br />

<strong>de</strong> Sénèque sur les raines <strong>de</strong> Lisbonne abîmée, nia<br />

â'morgwdUir m qui restait d'habitants, assem peu<br />

philosophes pour être consterne*? C'est qu'on n'a<br />

pas assez lu Sénèque. Mais <strong>de</strong>puis qu'il est tra<strong>du</strong>it<br />

et commenté, il faut espérer-qu'en pareille occasion<br />

l'on n'y manquera pas.<br />

« Careaia 1 faat mourir, qnriqse part que casait t en<br />

quelque temps que casait »<br />

(A ce<strong>la</strong> il n'y a rien à répondre.)<br />

' « £hl que m'importe qu'on jette <strong>la</strong> terre sur moiy oit<br />

qu'elle s*j jette eUe-mêmef... El<strong>la</strong> m'emporte dans un<br />

•Mme immense : eh bien ! <strong>la</strong> mort est-elle plus douce à sa<br />

surface ? Qu'aie à me p<strong>la</strong>indre, si k nature ne veut déposer<br />

mon cadavre qm cuis un Heu célèbre par quelque catastrophe,<br />

si elle me couvre d'une partie d f eDMnême? »<br />

(A ptaèidrel il y aurait <strong>de</strong> l'humeur, i présent<br />

que nous savons qu'il n'y a que <strong>de</strong> quoi **at#rgwmr.)<br />

« C'est âne grands consoimilm , en mourant 9 <strong>de</strong> sa?olr<br />

que <strong>la</strong> terre eUe-même est mortelle. »<br />

( Gran<strong>de</strong> assurément ; qui s'avisera d'en douter ? )<br />

« Craiaifaaje <strong>de</strong> périr, quand k terre périt aaaa moi,<br />

quand œ globe qui me/mit arsasôler tremble lui-même,<br />

et ne parvient à ma <strong>de</strong>struction que par k sienne propre ?...<br />

1 font mourir : k mort est k loi <strong>de</strong>k nature : k mort est<br />

te tribut et le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong>s mortels : k mort est le remè<strong>de</strong> à<br />

tous les main, etc.»<br />

Ce<strong>la</strong> est convaincant Vous voyez que c'est d'après<br />

Sénèque qu'un <strong>de</strong> nos auteurs a dit si heureusement<br />

:<br />

Mourir n'est rien; c'est notre <strong>de</strong>rnière heure.<br />

Yous royes aussi, par ces <strong>de</strong>rnières phrases sur -<br />

<strong>la</strong> mort, que9 quand Sénèque répète sa pensée,<br />

c'est toujours cmee <strong>de</strong>s nuances dêOeates, et que<br />

c'est ainsi, comme l'assure Di<strong>de</strong>rot, qu*MftMè<br />

chaque ii§m k charme <strong>de</strong> tkomme <strong>de</strong> g&mt et k<br />

désespoir eu Èmêuetem. Tous ?oyez etifa que Di<strong>de</strong>rot,<br />

en avouant qu'il y a <strong>de</strong>s pointe! dans Sénèque,<br />

a raison d'assurer qu'il n'y en a jamais dans<br />

les endroits où le style doit s 9 éle?er mm le sojet<br />

En effet, qui oserait dire que te globe, qwi irewtèk<br />

qmand il wmfmU tremèkr, et <strong>la</strong> terre qui se jette<br />

eUe-même sur moi mu iiem d'être jetée sur wmi; et<br />

.qui eMmwêeWê qwmdje meurs, ete., sont autant


ANCIENS. — PMLOSOPim<br />

Éfj»l§tl» et d'abus <strong>de</strong> mots? Et il ne s'agit, après<br />

tout, que <strong>de</strong>s tremblements <strong>de</strong> terre et <strong>de</strong> <strong>la</strong> in<br />

in mon<strong>de</strong>.<br />

Mais sll i*|ifii&idétrmetmrs quipuissent<br />

inei<strong>de</strong>nter sur k charme <strong>de</strong> ce stfk, voici dans ces<br />

mêmes ÇmsUms ma passap que l'éditeur ne ba<strong>la</strong>nce<br />

pas à égaler mm pàm èemtx wmmmMMÈ»<br />

mmêekm et Cteérom,m ajoutant qu'il y mm mMk<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> mime forée dans Sénèque ; et comme il n'en<br />

fiiidrait pas tant pour égaler Ton à l'autre, M est<br />

cMs que Sénèque est aussi grand orateur que Cicéron,<br />

au moins pmr k$ mmmemmds orokdnti<br />

m qui est mmmm <strong>de</strong> km k$ §ms<strong>de</strong> §oêi9 comme<br />

ï§ eàmmm <strong>de</strong> smstyk. Voyonsèmemmmmmi<br />

il s 9 agit <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Callisthènes.<br />

« Cfesi pour Atexandra me tache étemelle, que n'eflheerosi<br />

Jaunis si mm courage' ai set exploits niMtairas.<br />

Qmaà ©a dira qu'il a M% périr <strong>de</strong>s utils» <strong>de</strong> Pênes,<br />

mmwmâM$Eî€9Ëà$mmm* Quand mêÈmqwtUmfmU<br />

périr Darius, te souverak d'un puissant empire, m répondra<br />

: Mais i s tué CaUïsthèsiet. Quand on il» qu'il a<br />

tout soumis jusqu'à FOcéan 9 qu'il a eoo?ert l'Océan même<br />

<strong>de</strong> Qouf elles Hottes , qu'il a éten<strong>du</strong> son empire <strong>de</strong>puis un<br />

coin ©bsear <strong>de</strong> <strong>la</strong> Thraee jusqu'aux Imites <strong>de</strong> l'Orient 1os<br />

répondra: Mais 11 a taé Cslistlièass» Quand même 1 aurait<br />

éclipsé <strong>la</strong> §Mm <strong>de</strong> fous les rais et <strong>de</strong> tous les héros set<br />

pfédtassettrf, 1 n'a rftii èàt êê M §rmmê§m le crêite<br />

d'avoir taéOaUisliiiMS \ »<br />

La igure <strong>de</strong> répétition ,moif U m fue^efe,, a<strong>de</strong><br />

Fénergie et <strong>de</strong> l'effet dans ce morceau, et e f triers. Sénèque <strong>mont</strong>ra partout une haine furieuse<br />

contre ee prince ; mais k baiee et <strong>la</strong> fureur ne justifient<br />

pas le mensonge et k calomnie. Il sied bien<br />

peu à <strong>de</strong>s philosophes <strong>de</strong> faire asseï <strong>de</strong> cas d'une<br />

antithèse moMre pour oublier tout ce qu'elle coûte<br />

à k vérité. Si leurs ad?ersakes avaient donné prise<br />

sur eux jusqu'à ce point, à quelles personnalités<br />

les apologistes se seraient-ils donc portés, eux qui<br />

s'en permettent <strong>de</strong> si injurieuses sur une opinion<br />

dont ik ne prouvent pas l'injustice 1 De plusy quoique<br />

k mort <strong>de</strong> Callisthènes soit une cruauté détestable,<br />

pourquoi le serait-elle plus que le meurtre<br />

<strong>de</strong> Qitns, qui était Farai d'Alexandre, et lui avait<br />

sauvé k vie? Et f si Ton excuse l'ivresse, pourquoi<br />

plus que celui <strong>de</strong> Parménion, vieil<strong>la</strong>rd non moins<br />

innocent que Callisthènes, et à qui Alexandre avait<br />

lesplusgran<strong>de</strong>sobiigattons? N'est-ce pas trop faire<br />

voir qu'on regar<strong>de</strong> le meurtre d'un philosophe<br />

comme le plus grand <strong>de</strong> tous les attentats? Et ce<br />

n'est pas là, ce me semble, un principe reconnu :<br />

nous avons en morale, pour évaluer les crimes,<br />

une autre échelle <strong>de</strong> proportion. Et je veux bien<br />

<strong>la</strong>isser <strong>de</strong> côté tout ce que les historiens reprochent<br />

à l'intolérable orgueil <strong>de</strong> Callisthènes : dès qu'il<br />

s'agit <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime, je ne m'occupe point d'excuses<br />

pour l'assassin.<br />

U y a donc ici même beaucoup <strong>de</strong> cette malheureuse<br />

déc<strong>la</strong>mation dont l'auteilr ne pouvait pas se<br />

défaire, et dont il était si aisé <strong>de</strong> se passer. Et<br />

est ce<br />

c'est là ce qu'on oppose à ce qu'il y m <strong>de</strong> plus beau<br />

qui le rend oratoire. Quant au fond <strong>de</strong>s choses et<br />

dans Cicéron!<br />

aux détails <strong>de</strong> <strong>la</strong> phrase, il y a <strong>de</strong> l'hyperbolique et<br />

<strong>du</strong> faux9 c'est-à-dire ce qui domine partout dans<br />

Il n'y a pas <strong>de</strong>ux voix sur l'excellent goût <strong>de</strong><br />

celui-ci dans ses dialogues et ses traités 'philosophi­<br />

Sénèque; et il y en a même au point d'en détruire<br />

ques : aussi, quoique moins connus et moins célé­<br />

l'effet, à <strong>la</strong> réflexion : ce qui n'arrive jamais dans<br />

brés ep général que ses chefs-d'œuvre oratoires,<br />

<strong>la</strong> véritable éloquence. Il n'est pas permis <strong>de</strong> faire<br />

d'abord en raison <strong>de</strong>s matières plus ou moins abs­<br />

on mensonge grossier et calomnieux pour symétritraites<br />

, ensuite parce que k plupart ne fout pas<br />

ser une antithèse. Alexandre n'a point tué Darius<br />

partie <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s c<strong>la</strong>ssiques, cependant il est peu<br />

(ocddiê, dans l'original), et ne fa point fait périr<br />

d'hommes instruits qui ne les aient lus et même<br />

(comme tra<strong>du</strong>it <strong>la</strong> Grange, pour adoucir l'expres­<br />

relus; et plusieurs, tels que <strong>la</strong> FMMesse et tAmitié,<br />

sion); il n'est pas même possible <strong>de</strong> supposer qu'il<br />

sont familiers à ceux mêmes qui lisent le moins, à<br />

Feût fait, quajid on se souvient <strong>de</strong> quelle manière<br />

ceux qu'on appelle gens <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>. Mais, excepté<br />

il traita Ponts, <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes qu'il fessa sur <strong>la</strong> mort<br />

le très-petit nombre d'hommes qui veut connaître<br />

<strong>de</strong> Darius, <strong>de</strong> <strong>la</strong> terrible vengeance qu'il en tira %<br />

tout ce qui-a rapport à <strong>la</strong> science, qui a lu ou qui<br />

et même <strong>de</strong> l'opinion que manifesta Darius <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

lira les Questions <strong>de</strong> Sénèque?<br />

générosité d'Alexandre, dont il menaça ses meur-<br />

Il serait difficile, d'après cet exposé très-exact<br />

et très-motivé, <strong>de</strong> comprendre où l'éditeur a pu<br />

* Ce n'est nés <strong>la</strong> fuie êm tra<strong>du</strong>ctew si le mot §mmê est<br />

pals le§ BlMsIvcaeat eu <strong>de</strong>ux sens opposés. L'original est en- voir l'incommensurable supériorité <strong>de</strong> Sénèque sur<br />

esse pli : MMi tmm mm§nmm qmèm cmém Cmiiiêiàmiê ; P<strong>la</strong>ton et sur Cicéron, pour les connaissances, les<br />

« lies n'est §1 grand sue te meurt» <strong>de</strong> CalUstheoes. » Pake<br />

ne mmîmmm pour être concis, ce s'est pas savoir écrira. idées et <strong>la</strong> profon<strong>de</strong>ur, puisqu'il n'a pas eu une<br />

II était indtapessante île spédisr les <strong>de</strong>ux §mmâmm dtffé- idée en philosophie (je dis une, et je déie qu'on eo<br />

tentes, eslle <strong>de</strong>s exploits, et eeite <strong>du</strong> crime ; c'est et que <strong>la</strong> cite une), et que P<strong>la</strong>ton en a eu beaucoup ; puisqu'il<br />

Grange a fait à moitié.<br />

'lUtéoutrierBeMO*.<br />

n'a pas même effleuré quantité d'objets où P<strong>la</strong>ton<br />

ss.<br />

•SI


SS8 CODIS DE LRTÉRATDRB.<br />

et Gieéron mmiîfmî <strong>de</strong>s eomuttuanees tariées et sont pas profonds, l'éditeur <strong>de</strong> Sénèque et <strong>de</strong> Di­<br />

réiédiles qu'os ne peut attribuera Sénèque à moins <strong>de</strong>rot félicite Helvétius d'une tout autre découverte<br />

d'afoir <strong>de</strong> loi en manuscrit ce que nous m'mom qui consiste à faire dériver tous nos <strong>de</strong>voirs et<br />

pas en imprimé. Reste <strong>la</strong> profon<strong>de</strong>ur, et apparem­ toutes nos vertus <strong>de</strong> <strong>la</strong> iemiMMé physique. Yous<br />

ment ce ne peut être qu'en morale qu'il a été si concevez que par ce chemin-là Helvétius ne pou­<br />

profond; car, dans le fait f il n'est que moraliste 9<br />

et pas autre chose; et ses panégyristes même<br />

vait plus se rencontrer avec Gieéron, ni avec P<strong>la</strong>ton,<br />

ni avec Socrate, ni avec aucun <strong>de</strong>s moralistes <strong>de</strong><br />

ne nous disent pas qu'il soit profond dans sa phy­ tous les siècles. Cmêpmfom<strong>de</strong>mr est très-mo<strong>de</strong>rne 9<br />

sique : il n'y est que distingué. Reste doue à le con­ et n'en paraît que plus admirable à l'éditeur, qui<br />

sidérer dans sa morale, soit comme penseur, soit se prosterne <strong>de</strong>vant ce système d'Helvétitts avec<br />

comme éeri?ain. C'est bien là tout Sénèque; et nos autant <strong>de</strong> vénération et <strong>de</strong> foi qu'un géomètre <strong>de</strong>­<br />

adversaires ne se p<strong>la</strong>indront pas que l'examen soit vant les calculs <strong>de</strong> Hewtoo. Mais ce n'est pas Ici le<br />

incomplet, et que <strong>la</strong> question ne soit qu'ébauchée. lieu d'examiner cette doctrine, qui appartient à <strong>la</strong><br />

Meus reviendront ensuite sur le panégyrique qu'ils <strong>de</strong>rnière partie <strong>de</strong> ce Cours, à <strong>la</strong> philosophie <strong>du</strong><br />

ont fait <strong>de</strong> cet auteur au détriment <strong>de</strong> Cicéron, qui dix-huitième siècle<br />

pourtant, je l'espère f n'y a pas per<strong>du</strong> beaucoup.<br />

.liiprofm<strong>de</strong>urm mon<strong>de</strong> consiste en<strong>de</strong>m choses :<br />

dans les f ces générales qui déterminent le mieux<br />

les wafs fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs et <strong>de</strong>s vertus; et<br />

dans les traits particuliers qui caractérisent le mieux<br />

les défauts et les vices. Je crois voir le premier <strong>de</strong><br />

ces mérites dans Cicéron, et j'en ai déjà observé un<br />

exemple décisif dans cette idée fondamentale qu'il<br />

a puissamment embrassée, d'attacher toute l'économie<br />

<strong>du</strong> mon<strong>de</strong> social et moral à l'observation <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>voirs <strong>de</strong> chacun envers tous 9 pour l'intérêt même<br />

<strong>de</strong> chacun et <strong>de</strong> tous. 11 n'y a presque point <strong>de</strong><br />

trace <strong>de</strong> cette théorie vraiment profon<strong>de</strong> ailleurs<br />

que dans Gieéron, et Sénèque ne paraît pas même<br />

s'en être douté. Il faut que l'éditeur, conséquent<br />

dans son mépris pour Gieéron, ou ne fait pas lu<br />

<strong>de</strong>puis k collège (comme H dit que c'est l'usage),<br />

ou n'y ait guère fait attention;, car il fait honneur<br />

aui mo<strong>de</strong>rnes 9 ou plutôt au seul Helvétius, d'avoir<br />

vu dans <strong>la</strong> vertu <strong>la</strong> conformité avec l'intérêt général.<br />

11 y a ici une double erreur : d'abord ce qu'il y<br />

a <strong>de</strong> vrai dans ce qu'a dit à ce sujet Helvétius est<br />

emprunté <strong>de</strong> Gieéron, puisque tout k Traité <strong>de</strong>s<br />

DmàrM ml bâti sur cette base ; mais <strong>de</strong> plus (et<br />

c'est là le mal), Helvétius ne s'est emparé <strong>de</strong> cette<br />

idée que pour <strong>la</strong> dénaturer, au point que ce qui<br />

est, dans Gieéron, <strong>la</strong> sanction <strong>de</strong> toutes les vertus,<br />

est dans Helvétius celle <strong>de</strong> tous les vices; et ce<strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>vait être, dès que le sophiste français, en prenant<br />

un principe <strong>du</strong> philosophe <strong>la</strong>tin, jugeait à propos<br />

d'en rejeter un autre dont celui-là s'était que<br />

<strong>la</strong> conséquence. Ge premier principe, comme vous<br />

<strong>de</strong>vei vous en souvenir, était <strong>la</strong> conformité <strong>de</strong>s lois<br />

positives <strong>de</strong> <strong>la</strong> morale avec les notions <strong>de</strong> justice<br />

naturelle, qui sont proprement <strong>la</strong> loi divine écrite<br />

dans nos cœurs, et constituent ce qu'on appelle <strong>la</strong><br />

conscience : c'est <strong>la</strong> croyance <strong>de</strong> Socrate, <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton<br />

et <strong>de</strong> Gieéron. Mais comme ces moralistes-là ne<br />

1 .<br />

<strong>la</strong> secon<strong>de</strong> espèce <strong>de</strong> pmfimdmr se remarque<br />

dans <strong>la</strong> peinture <strong>de</strong>s vices, et c'est en ce sens que<br />

les bons poëtes comiques sont moralistes, et que<br />

Molière est te plus profomd <strong>de</strong>s poëtes comiques.<br />

Théophraste aurait pu avoir cette qualité, que <strong>de</strong>mandait<br />

le genre <strong>de</strong> son ouvrage. Maïs celle que<br />

les anciens distinguèrent chez lui, ce fut surtout<br />

<strong>la</strong> pureté <strong>de</strong> son atticisme, <strong>la</strong> grâce <strong>de</strong> son élocution.<br />

Son livre <strong>de</strong>s Caractères offre <strong>de</strong>s traits d'une<br />

vérité ingénieuse, soit dans les maximes, soit dans<br />

les portraits. Mais il a '<strong>la</strong>issé <strong>la</strong> palme aux mo<strong>de</strong>rnes f<br />

à <strong>la</strong> Eochefoucauld, dont les pensées sont souvent<br />

très-fines et les obserationsqudquefowprq/bttfes,<br />

et surtout à <strong>la</strong> Bruyère, le premier ea'"ce genret<br />

et qui est également profond, comme observateur<br />

et comme peintre : son regard atteint loiny et son<br />

pinceau rend tout ce qu'il a vu.<br />

Cette espèce et profon<strong>de</strong>ur n'est ni dans Cicéron<br />

ni dans Sénèque : <strong>du</strong> moins, je ne l'y aperçois pas.<br />

Elle pouvait plus naturellement se trouver dans le<br />

<strong>de</strong>rnier, qui parle toujours en son nom, qui dans ses<br />

traités, et surtout dans ses Lettre*, pouvait prendre<br />

tous les tons, et n'en a jamais qu'un. On se<br />

rejettera probablement sur les pensées, les sentences,<br />

les maximes; et il faut d'abord distinguer entre<br />

les Idées et les pensées, car ce sont <strong>de</strong>ux choses<br />

différentes : une pensée peut être belle, forte, délK<br />

cate, mais elle est renfermée en un seul point : une<br />

% s<br />

Cet eiaïaaa a cependant ptm <strong>de</strong>puis wèmmEéMmmi, tôt»<br />

le titre <strong>de</strong> M^mt&U&m eu Mme ée FMtjmt, et ne s'en trouver»<br />

pas mollis dam <strong>la</strong> mite ils ce Comn$ êmlM fait ae article<br />

enentleL Les partisans, tt mène <strong>la</strong>s tnJi dWvétffls, aaf<br />

§ÈiïêâwtmÊteM4fktsMm le tUeut ta aie» pref&mâ, et fat<br />

eût Hé «ml te fins pru<strong>de</strong>nt, ttf as défaut eeaoia <strong>de</strong> rat-<br />

«ou, lis B^aseeet prodigué les tajines. On pMlee@piies on<br />

éenaaralita trcKeonna*, qui n'est pourtant paa atMe9 a été<br />

<strong>de</strong> meUlrare foi 11 a Imprimé 'que <strong>la</strong> censeur 4î%ltéf <strong>la</strong>a<br />

avmii mimm pnaqm m mmi ; mmiê §m%î mmii tort êe ém<br />

êmmmléêîa pMimmpkm : et l'on volt ie futile jriUinqritif.<br />

• H. Dupent le Mtmmm»


idée boite, gran<strong>de</strong>! prqfittwk, est un aperçu qui es<br />

contient beaiicôaf d'autres. Quand Cioéroa dît à<br />

César:<br />

« Il n'y â ries <strong>de</strong>pïos grand êmm ta fortune que <strong>de</strong>poswmr<br />

wmm <strong>la</strong> fie à aie feule d'hommea 9 et dm <strong>de</strong> plus<br />

grand dans tes âme qoaée M ToaMr, »<br />

Il renierme «s dans lignes v a?ee autant <strong>de</strong> noblesse<br />

que <strong>de</strong> précision* le résultat le pins juste, le plus<br />

éten<strong>du</strong>, le plus moral <strong>de</strong> <strong>la</strong> puissance et <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonté.<br />

C'est là aie idée, et une gran<strong>de</strong> idée. Quand Sénèipe<br />

dit:<br />

« Cafiattiea d'hemmes ont manqué d 9 amltié piotêl que<br />

t'asÉs!»<br />

il tourne ingénieusement une pensée traie .qui revient<br />

à cette maiime vulgaire, que, pour être aimé,<br />

il faut savoir aimer : Si vk ammri ama. A présent,<br />

pour apprécier Sénèque, qu'on a loué principalement<br />

pour les maximes détachées, et qui lui-même les<br />

donne pour ce qu'il y a <strong>de</strong> plus efficace en morale *<br />

je ne crois pas pu?oir mieux faire que <strong>de</strong> m'arré*<br />

ter sur celles qui sont <strong>du</strong> choix <strong>de</strong> -son apologiste<br />

Di<strong>de</strong>rot, fous jugerez aisément <strong>de</strong> leur valeur, et<br />

tons évaluerai encore plus aisément les éloges inouïs<br />

qu'on a faits <strong>de</strong> sa philosophie.<br />

« Une partie <strong>de</strong> là fie » pisse à mal iÉre»ltpies grands<br />

^^kmnmmm.pfmqmUm^Mkïêîmmtmm^^<br />

que m qtf ©a étroit »<br />

Sénèque lui-même ne savait pas à quel point ce<strong>la</strong> est<br />

vrai ; mais il dit bien ce qui était très-aisé à dire.<br />

« Ouest Ftiomme qui sache apprécier le temps 9 compter<br />

les Jours, et se rappeler qu'il meurt à chaque iaataat? »<br />

« Me pouvant lire autant <strong>de</strong> 11?ras qae ?aas en pouvez<br />

acquérir, s'en ecepérea qa'aetant que ? osa en pourrai<br />

lire,»<br />

« 0a lit peur se rendre habite : si ©a lisait pour se rendre<br />

matlsoifj bientôt on <strong>de</strong>viendrait pi a s habile. »<br />

m Celui qui se veut que satisfaire à <strong>la</strong> failli , à <strong>la</strong> soif f<br />

aux besoins <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, ne se morfond polol à <strong>la</strong> porte<br />

<strong>de</strong>s grands s n'essuie si leurs reprds dédaigneux , ni leur<br />

petitesse insultante* »<br />

* Vous parles <strong>de</strong>s prisants <strong>de</strong> <strong>la</strong> fortune : dites sespié»<br />

§§•-»<br />

« lien <strong>de</strong> plus sjilsfia<strong>la</strong> aux bosses sueurs 91e b fréejoeotaiioa<br />

<strong>de</strong>s spectacles. »<br />

« LaTertu a per<strong>du</strong> <strong>de</strong> son prix paoroaloi foi se surfait<br />

ca<strong>la</strong>i <strong>de</strong> <strong>la</strong> fia»<br />

« Rien <strong>de</strong> p<strong>la</strong>t cooaaas qu'un vWIird qui commence<br />

à Tina. »<br />

Pas si commun; et Di<strong>de</strong>rot lui répond très à propos<br />

que quelque chose <strong>de</strong> plus commun, c'est un<br />

vieil<strong>la</strong>rd qui meurt sans avoir vécu. Mais jusqu'ici<br />

oonnalssez-Tous rien <strong>de</strong> plus mmmtm que tontes<br />

ces pensées? Mes sont raisonnables, et c'est tout.<br />

Est-ce 1 cette force <strong>de</strong> sens et d'expression qui<br />

AICIKNS. — PHHJOSOPMII. as»<br />

TOUS a frappés dans ce que j f ai cité <strong>de</strong>s pensées <strong>de</strong><br />

Plutarque? Encore quelques-unes, totyours prises<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> main <strong>de</strong> l'apologiste :<br />

* Un mal n'est pas grand quand il est le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>s maux:<br />

<strong>la</strong> perte <strong>la</strong> moins à craindre est ce<strong>la</strong> fol ne peut être softfe<strong>de</strong><br />

regrets. » *<br />

Ce<strong>la</strong> est mot à mot dans Cicéron, sor le même<br />

sujet; sur <strong>la</strong> mort.<br />

« La colère est une courte démence. »<br />

Ce<strong>la</strong> est mot à mot dans Horace : Ira9fwror brevkesê*.<br />

« L'homme le plus puissant doit craindre autant <strong>de</strong> mai<br />

qu'il en peut faire. »<br />

« La route <strong>du</strong> précepte est longue : celle <strong>de</strong> l'exemple est<br />

plus courte et plus sûre. »<br />

« Le même mot peut sortir <strong>de</strong> <strong>la</strong> bouche d'un saga et<br />

d'un foa. »<br />

Je le crois, ainsi que tout ce qui précè<strong>de</strong>; mais<br />

qu'y a-t-il à tout ce<strong>la</strong> <strong>de</strong> profond?<br />

« La philosophie est <strong>la</strong> fraie noblesse : mil c'a i éoo peur<br />

<strong>la</strong> gloire d'antrai. »<br />

C'est dire d'une manière trèa-louche ce qui a?ail<br />

été dit mille fois mieux et particulièrement dans Salîostc<br />

(dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> Marins). Beaucoup <strong>de</strong> bons citoyens<br />

ont véco et ont voulu vivre/MUT <strong>la</strong> gloire<br />

<strong>de</strong> leur patrie v et tous ont considéré <strong>la</strong> ghlre, qui<br />

en rejaillirait sur leur postérité. Quant à <strong>la</strong> philosophie,<br />

il faut croire qu'elle est ici ie synonyme <strong>de</strong><br />

vertu; ce qui n'est pas toujours vrai.<br />

¥oici <strong>de</strong>s pensées qui me paraissent meilleures :<br />

« Un voyageur a beaucoup d'hôtes et peu d'amis. »<br />

« Me Mies rien que votre ennemi ne puisse sasolr» »<br />

« Dieux , accor<strong>de</strong>z-moi <strong>la</strong> sagesse, et je TOUS liens quittes<br />

<strong>de</strong> toit le reste. »<br />

« L'administration d'une république livrée à <strong>de</strong>s brigands<br />

n'est pas digne d'un sage. »<br />

' « Les petites âmes portent dans les gran<strong>de</strong>s choses te<br />

vice qui est en elles. »<br />

m On dosoo'io temps et <strong>de</strong>s soiaaà tout : M s'y a que <strong>la</strong><br />

verte dont en ne s'occupe que quand on n'a rien à faite, »<br />

* Si TOUS avez à peser aa service avec oac injure, étot<br />

an poids <strong>de</strong> fane , et ajoutea à celui <strong>de</strong> l'antre : tons ne<br />

serai<br />

* BpUL xvifl, et <strong>de</strong> Ira, 1, 1. — Mais Séaètpe m s'attribue<br />

pas cette définition.<br />

1 FM pris <strong>la</strong> liberté d'abréger ainsi cette pensée , dont te<br />

fond est très boa, pour faire ¥otr que Sénèque, qui cherche<br />

•ouïrent Sa concision ans dépens <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté et <strong>de</strong> <strong>la</strong> justesse,<br />

allonge aussi sa phrase sans nécessité, et n'est alors ni concis<br />

ai précis. Di<strong>de</strong>rot tra<strong>du</strong>it, d'après le <strong>la</strong>tte : * §1 TOUS avez<br />

« à peser os amlce este une Injure, juge dans votre propre<br />

« cause , lu pru<strong>de</strong>nce ?ent que f ©as ajoutiei <strong>du</strong> poids aux<br />

« servtoes que vous aiei reçus, et que vous en aller à fie»<br />

« jure qu'on vous a faite. » Que <strong>de</strong> superflu dans cette phrase !<br />

Di<strong>de</strong>rot a dft qu'on s mmjmtn envie <strong>de</strong> resserrer Cieérm et<br />

d'étmdre Sénèque. L'an s'est pas plus vrai que l'autre : tara<br />

s'a suite aarle d¥ftii*>v Sénèque, dont felroodasoca est si


C0U1S DE LITTÉIATUIE.<br />

8i0<br />

« An fond d'an e«F MConiiaJfl««t, un Menftit porte<br />

intérêt»<br />

« La f ertu passe entre <strong>la</strong> bonne et h maiif aise fortese,<br />

et jette sur l'une et Feutre en regard <strong>de</strong> mépris. »<br />

Oa confond trop aisément les sentences avec le<br />

ton sentencieux 9 les pensées mec m qui n'en a que<br />

<strong>la</strong> tournera. L'éditeur regar<strong>de</strong> Sénèque comme<br />

fauteur le plus grave, kpim moral <strong>de</strong> toute faniiqmiêé<br />

: il Test beaucoup moins que Cieéron 9 et surtout<br />

que Plutarque. La gravité, dans les ouvrages<br />

<strong>de</strong> raisonnenient,consi8te dans <strong>la</strong> solidité <strong>de</strong>s moyens<br />

tl dans'une dignité <strong>de</strong> style assortie à celle <strong>du</strong> sujet.<br />

C'est précisément ce qui manque à Sénèque; car<br />

on peut dire qu'une qualité manque h un auteur,<br />

quand elle se <strong>mont</strong>re très-rarement chez lui, et que<br />

le contraire y est à tout moment. Je f aurai dé<strong>mont</strong>ré,<br />

si je fais voir, par <strong>de</strong>s citations nombreuses et<br />

<strong>de</strong> tout genre, que ses moyens, loin d'être soli<strong>de</strong>s,<br />

sont <strong>la</strong> plupart frivoles, faux, ridicules même; quef<br />

loin d'avoir une abondance <strong>de</strong> pensées, comme le<br />

dit encore l'éditeur, il s'a qu'une abondance <strong>de</strong> phrases<br />

tournées en apophthegmespour redire une même<br />

chose, sans nuances et sans progression; que les<br />

forma <strong>de</strong> son style, loin d'avoir le sérieui qui eonvient<br />

à <strong>la</strong> chose, sont <strong>de</strong>s tours <strong>de</strong> force et <strong>de</strong>s jeui<br />

d'esprit qui peuvent quelquefois éblouir «a instant<br />

l'homme inattentif, mais dont <strong>la</strong> futilité parait dès<br />

qu'on y regar<strong>de</strong>. Je prends d'abord pour eiemple<br />

un dés objets qu'il semble avoir voulu épuiser, tant<br />

il y revient souvent, le mépris <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur et <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> mort. Vous le retrouverez le même que sur le mépris<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> foudre et <strong>de</strong>s tremblements <strong>de</strong> terre. Je<br />

ne peui pas vous lire ici tout Sénèque ; mais quand<br />

un même caractère est si marqué dans les morceaux<br />

importants et dans <strong>de</strong>s passages entiers, tels qu'on<br />

ne rencontrerait rien d'approchant dans un auteur<br />

qui saurait écrire; quand ce caractère se repro<strong>du</strong>it<br />

dans une foule <strong>de</strong> citations diverses plus ou moins<br />

éten<strong>du</strong>es; quand les citations sont prises dans ce<br />

que les apologistes eui-mémes présentent à l'admiration<br />

(et c'est une loi que je me suis faite dans<br />

tout cet article); alors on peut affirmer que ce caractère<br />

est celui <strong>de</strong> l'auteur : et si ce s'est pas le<br />

procédé d'un critique impartial 9 que nos adversaires<br />

sous en indiquent un autre.<br />

Di<strong>de</strong>rot nous crie <strong>de</strong> sa voix d'inspiré " :<br />

cmkmê9f où <strong>la</strong> même matière est traitée, «liant<br />

Séaèque a pris tout ce qu'il y a <strong>de</strong> sensé dans le faatf<br />

<strong>de</strong> sa morale. Cieéron s'outre rien : ses motifs sont<br />

pris dans <strong>la</strong> saine raison $ dans usejuste estimation<br />

<strong>de</strong>s choses humaines. 1 n'insulte point à <strong>la</strong> nature<br />

comme s'il y avait en elle <strong>de</strong> <strong>la</strong> folie à repousser ce<br />

qui lui est contraire : il tâche seulement <strong>de</strong> raffermir<br />

par <strong>de</strong>s considérations analogues à ses forces 9<br />

et oppose à <strong>de</strong>s maux nécessaires le courage que<br />

doit inspirer à rhomrae <strong>la</strong> noblesse <strong>de</strong> son âme, et<br />

cette patience virile qui s'est qu'une résignation réfléchie<br />

, seul remè<strong>de</strong> à ce qu'on ne peut guérir, seul<br />

adoucissement à ce qu'on ne peut éviter. Enfin, il<br />

se sert principalement <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> comparaison,<br />

ici les miens appliqués <strong>de</strong> tous, puisque <strong>la</strong> meilleure<br />

manière <strong>de</strong> juger un mal, c'est <strong>de</strong> le comparer à un<br />

plus grand ; et il faitsen tir combien 1e vice et <strong>la</strong> honte,<br />

qui souillent et tourmentent l'âme, sont <strong>de</strong>s maui<br />

plus à craindre que <strong>la</strong> douleur et <strong>la</strong> mort.<br />

« Je ne nie pas, dit-il, qse <strong>la</strong> douleur ne. suit en nul;<br />

Je ni® qu'elle soit le pins grand <strong>de</strong>s mani : et si dlen'éfelt<br />

pas sa mal, où serait donc le courage <strong>de</strong> <strong>la</strong> brafer? Je<br />

dis que ce mal est sprmenté par <strong>la</strong> patience. Et, si fous<br />

manquez <strong>de</strong> patience, où est donc lu philosophie? A quoi<br />

nous sérielle ? Pourquoi h fauter, et nous en gtoriler ? —<br />

Mais <strong>la</strong> douleur ne fait sentir tes sigillées* — Et, quand<br />

es serait un poignard, qa'arrtfeim^Q? Si irons êtes sens<br />

défense, TOUS recevra le coup. Mais TOUS te npensseiei, M<br />

¥«ts aves le bouclier d'AcMUe, ramure céleste : et font<br />

fmm; car ce bouclier, qu'est-ce antre chose que le courage?<br />

Si fous n'en aves pas, renoncez donc à <strong>la</strong> dignité<br />

d'homme.... Me m'avez-vous pas accordé qu'aucun mal<br />

n'est comparable à h botîte ; à l'infamie? Et quoi <strong>de</strong> pies<br />

honteux à l'homme que <strong>de</strong> snecomber à k douleur os à <strong>la</strong><br />

crainte? $11 ne sait pas leur résister, comment préférerat-ll<br />

à font le èseef r et <strong>la</strong> verte ? »<br />

Voilà qui va an <strong>la</strong>it; voilà parler en homme et à<br />

<strong>de</strong>s hommes. Écoutons Sénèque ;<br />

« Il est difficile, dites-fous, d'amener l'âme jusqu'au<br />

mépris <strong>de</strong> h mort. Eh ! ne voyez-Yous pas quels sejets Utiles<br />

Sa font tous les jours mépriser? € 9 est ea amant qui se<br />

pend à <strong>la</strong> porte <strong>de</strong> sa issf tresse ; un esc<strong>la</strong>ve qui se précipite<br />

do haut d'un toit pour n'être plus sujet ses emportements<br />

<strong>de</strong> son mettre; mrftagKif qui se perce le sein pour<br />

a'êtra pas ramené dans les fers. Dontet-fous que <strong>la</strong> courage<br />

puisse opérer ce qs'a fait l'excès <strong>de</strong> <strong>la</strong> crainte ?... Que<br />

feulent lire ces fouets armés <strong>de</strong> pointes signés s ces che­<br />

valets 9 cet attirail <strong>de</strong> supplices f Quoi ! ce n<br />

m Homme pusil<strong>la</strong>nime, fit les <strong>de</strong>ai grands fantômes, <strong>la</strong><br />

douleur et <strong>la</strong> mort l'effrayent, lis Sénèque. »<br />

J'aime mieux, pour mon compte, lire les Tustout<br />

est stérile : et qu'on essaye sur mm pensée <strong>de</strong>s ouvrages<br />

imlleiophtyiMs «le Oeéros mm rédaction eto même genre que<br />

osUe fat a Skn Ici. sur Sénèque!<br />

1<br />

In priât te #ff«s uni et unr.<br />

s est que <strong>la</strong> dosleur<br />

S Ce n'est rien , ou elle faire promptement. A quoi bon<br />

ces glslf es ; ces feux , ces beurrent» qui frémissent auteur<br />

<strong>de</strong> mot ? Quoi ! ce n'est que <strong>la</strong> mort ! Mon esc<strong>la</strong>ve <strong>la</strong> bravait<br />

hier. »<br />

C'est là ce que Di<strong>de</strong>rot admire et ce qu'on nous<br />

ordonne d'admirer. Mais quel homme <strong>de</strong> MUE peut<br />

être <strong>du</strong>pe <strong>de</strong> cette dé<strong>du</strong>sation fiw&rauie? Tout


ANCIENS. — PHILOSOPHE. 391<br />

est fiai dans II pansée, tout est puéril dans les<br />

tournures. Que veut Sénèque? M'inspirer <strong>de</strong> <strong>la</strong> fermeté,<br />

<strong>du</strong> courage, <strong>de</strong> <strong>la</strong> résolution. Et il m'offre<br />

<strong>de</strong>s exemples <strong>de</strong> désespoir, qui, <strong>de</strong> sou aveu, se<br />

sont qu'un excès <strong>de</strong> crakiMI Quelle grossière inconséquence!<br />

Quand Cieéron me ditf Soyez homme,<br />

et me prou?e qu 9 il faut l'être f je ne saurais lui dire ,<br />

Je se suis pas un homme. Mais je dirais à Sénèque<br />

: Je ne suis, ni esc<strong>la</strong>ve, ni fugitif, ni enragé.<br />

11 me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> H k courage ne fera pas ce qu'a<br />

fait fexeês <strong>de</strong> ta crainte. Cest comme s'il me <strong>de</strong>mandait<br />

si je ne ferais pas en état <strong>de</strong> raison et <strong>de</strong><br />

santé ce qu'on fait dans <strong>la</strong> lèvre chau<strong>de</strong>. Le courage<br />

est une force tranquille, et celle-là est rare;<br />

c'est celle qui est vraiment <strong>la</strong> vertu : aussi le courage<br />

et- k verte sont le même mot chez les Latins.<br />

La force, qui fait qu 9 on m pend, qu f on s§ précipite,<br />

qu'on s'égorge soi-même, est une frénésie,<br />

une aliénation née, tu en confient, d 9 teur, quoiqu'il n'ait été ni l'as ni l'autre (car on<br />

n'est ni poite m orateur pour avoir écrit en prose<br />

avec l'imagination et l'éloquence que peut comporter<br />

le style philosophique), lui refuse nettement<br />

le titre <strong>de</strong> philosophe;-et il ne faut pas moins que<br />

l'autorité <strong>de</strong> l'éditeur pour faire passer ce paradoxe ,<br />

que ?ous paniez apprécier d'après ce que ?aaa<br />

avez enten<strong>du</strong>, et d'après l'opinion générale, qu'il<br />

appelle une idolâtrie, mais qu'il a?oue s'être conservêe<br />

jusqu'à nos jours dans toute sa pureté. Je<br />

m'en iatte, et lui sais gré <strong>de</strong> l'aveu. Mais il se f<strong>la</strong>tte,<br />

lui, que, dans un sëck tel queh nôtre, où l'on<br />

n'a pas wmîms <strong>de</strong> lumières que <strong>de</strong> goût, P<strong>la</strong>ton et<br />

Cieéron doivent nécessairement perdre, comme<br />

philosophes, ce qu'apparemment Sénèque doit gagner.<br />

Permis à chacun <strong>de</strong> se donner raison dans l'a?<br />

f enir ; et, quoique P<strong>la</strong>ton et Cieéron aient déjà <strong>de</strong>ux<br />

mille ans pour eux, celui-ci un pu moins, celui-là<br />

un mouve­ un peu plus, rien n'empêche que dans <strong>de</strong>ux mille<br />

ment aveugle et désordonné, d'un «ces <strong>de</strong> crainte ans encore quelqu'un ne réc<strong>la</strong>me contre k préjugé,<br />

§t <strong>de</strong> foreur : c'est <strong>la</strong> force <strong>de</strong> rhydrophobe fil!-se PMumtkm et l'idolâtrie, et n'en a^pdie à un plus<br />

jette dans le feu <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> l'eau. L'Une <strong>de</strong> ces 'for- amplement informé, comme cet orateur <strong>de</strong> café,<br />

cet est donc essentiellement un bien, et l'autre une Boindin, qui se trouvant seul <strong>de</strong> son ails au milieu<br />

.ma<strong>la</strong>die; l'une est l'honneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature humaine, d'un cercle nombreux, disait froi<strong>de</strong>ment : Cestqu'it<br />

et l'antre en est <strong>la</strong> faiblesse; l'une enfin n'appar­ me manque là dix mitk personnes qui seraient<br />

tient qu'au sage, et Fautre à tous tes fous : et c'est peut-être <strong>de</strong> mon avis.<br />

un philosophe qui conclut <strong>de</strong> Tune à l'autre è/@r- Mous savons que les opinions peuf eut changer<br />

Mori! c'est un moraliste grave et profond qui as­ avec les siècles sur les objets <strong>de</strong>s sciences, toujours<br />

simile' ce qu'on fait quand on a per<strong>du</strong> <strong>la</strong> tête t à perfectiDles; mais nous n'afons pas encore fu que,<br />

m qu'il prescrit <strong>de</strong> faire par un calcul <strong>de</strong> raison et sur <strong>de</strong>s hommes tels que P<strong>la</strong>ton et Cieéron, un siè­<br />

par un principe <strong>de</strong> sagesse, comme si <strong>de</strong>ux causes cle ait contredit tous les siècles. U n'y en a point<br />

si différentes détalent avoir le mime effet! Un d'exemples; et pourtant le mon<strong>de</strong> est assez fieux<br />

amant désespéré, un esc<strong>la</strong>ve excédé <strong>de</strong> coups, un pur en av oir fourni. On sait <strong>de</strong>puis longtemps I<br />

fugitif échappé <strong>de</strong> sa chaîne f sont les modèles en­ quoi s'en tenir sur ce qu'il peut y avoir à prendre<br />

courageants, les professeurs d'héroïsme que Sénè­ ou à <strong>la</strong>isser dans <strong>la</strong> philosophie d'Aristote, <strong>de</strong> P<strong>la</strong>que<br />

fait asseoir a?ec lui dans sa chaire <strong>de</strong> philoton f <strong>de</strong> Cieéron, comme dans celle <strong>de</strong> Deseartes et<br />

sophie! Et il ne sent ps tout ce ridicule! et ses <strong>de</strong> Leibnits ; mais les hommes ont gardé leur p<strong>la</strong>ce,<br />

aiaiifateiifs ne s'en doutent pas! Il est frai que les et Fon put présumer qu'ils <strong>la</strong> gar<strong>de</strong>ront. La cou*<br />

tours <strong>de</strong> phrases sont dignes <strong>de</strong>s idées. Quoi! ce t tradietiaa particulière est <strong>de</strong> tous les temp, mais<br />

n'est que ce<strong>la</strong> f Ce n'est rien. Ce n'est que ta douelie<br />

n'infirme pint <strong>la</strong> voix générale; et quand on<br />

leur f Ce n'est que <strong>la</strong> mortf... Mais qu'y a-t-II donc espère convertir nos neveux, il faudrait au moins<br />

<strong>de</strong> plus aisé que cette forfanterie <strong>de</strong> proies, qu'on commencer par être fort <strong>de</strong>vant ses contemprains.<br />

peut appeler proprement <strong>la</strong> gaseoaaa<strong>de</strong> philosophi­ Hour sommes déjà peut-être assa avancés pour<br />

que; car le ton en est assez risîWe pour autoriser avoir un avis arrêté sur Sénèque et ses prtisans;<br />

cette expression familière? On prdonne cette rhé­ mais il faut pusser jusqu'au bout cette discussion,<br />

torique aux écoliers et aux char<strong>la</strong>tans. Mais un moins pur convaincre <strong>de</strong>ux ou trois adversaires<br />

vieux philosophe! un écrivain <strong>de</strong> profession! Ce<strong>la</strong> qu'on ne prsua<strong>de</strong>ra ps, que pur eaairaaer et ? en-<br />

n'est digne que <strong>de</strong> mépris, et peut très-raisonnager <strong>la</strong> vérité que les autres ne sont pint intéressés<br />

blement faire douter qu'il y ait eu quelque chose à rejeter.<br />

<strong>de</strong> réel et <strong>de</strong> soli<strong>de</strong> dans les principes, quand il y<br />

Ce P<strong>la</strong>ton, qu'on dédaigne tant comme philoso­<br />

a dans le <strong>la</strong>ngage une affectation si habituelle et<br />

phe et comme moraliste, me rappelle ici le Phédm,<br />

sirinblê.<br />

par le contraste qu'il forme avec <strong>la</strong> manière <strong>de</strong> Sé­<br />

L'éditeur, qui estime P<strong>la</strong>ton comme poêle et oranèque.<br />

Quelle différence et quelle És<strong>la</strong>acel Ce que


-S9) %<br />

(MJËS DE LltrÉMTUlB.<br />

Sénèque met en'controverse est là en agiles : Socrate<br />

va mourir dans quelques heures 9 et parle <strong>du</strong><br />

mépris <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort. Cherchez dans ce dialogue 9 cherchez<br />

dans VJpotogie <strong>de</strong> Socrate quelque chose qui<br />

ressemble au faste Insensé <strong>de</strong> Sénèque, soit dans<br />

les morceaux que je Tiens <strong>de</strong> citer, soit dans mille<br />

autres <strong>du</strong> même goût. On voit que lime <strong>de</strong> Socrate<br />

est calme f parce que sou <strong>la</strong>ngage est simple ; on voit<br />

qu'il est persuadé, parce qu'il n'affecte et n'exagère<br />

rien. Ses idées sont conséquentes, et ses sentiments<br />

élevés; et Tue prouve <strong>la</strong> tranquillité <strong>de</strong> l'esprit,<br />

l'autre <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> fflme, mais cette gran<strong>de</strong>ur<br />

traie, qui est <strong>de</strong> principe et d'habitu<strong>de</strong>, qui n'a d'effort<br />

à faire sur rien, parce qu'il y a longtemps qu'elle<br />

est préparée à tout et décidée sur tout. Je conçois<br />

donc très-bien que le Phéd&m soit <strong>de</strong>puis si longtemps<br />

l'objet d'une admiration unanime : c'est là,<br />

chez les anciens 9 ce qu'il faut lire pour voir ce que<br />

peut être l'homme aux prises avec <strong>la</strong> mort, sans<br />

autre se<strong>cours</strong> que sa propre force. Mais Sénèque !...<br />

On en dira ce qu'on voudra, mais avec lui je suis'toujours<br />

dans une école; je rois toujours un <strong>de</strong> ces anciens<br />

$®pkisêesf <strong>de</strong> ces anciens éêe<strong>la</strong>maîmrs qui<br />

s'eierçaient à étonner leur auditoire : c'était <strong>la</strong><br />

profession <strong>de</strong> Sénèque le père, dont n'a point dégénéré<br />

Sénèque le ils.<br />

1 A <strong>la</strong> marche naturelle, facile et décente <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton<br />

et <strong>de</strong> Cicéron, comparez celle <strong>de</strong> Sénèque : c'est<br />

un homme sur <strong>de</strong>s éebaases. Au premier aspect, il<br />

paraît haut; mais toisez-le, et TOUS voyez qu'il vacille,<br />

parce qu'il n'a qu'une base factice : tous ses<br />

mouvements sont forcés et désagréables, et il tombe<br />

souvent. Sénèque a beau exagérer l'expression <strong>du</strong><br />

dédais quand il me parle <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, comment pourrait-il<br />

me donner une force que je vois qu'il n'a pas ?<br />

11 en parle trop pour <strong>la</strong> mépriser tant; ce qu'on ne<br />

peut pas dire <strong>de</strong> Cicéron, qui n'a traité ce point <strong>de</strong><br />

morale qu'à sa p<strong>la</strong>ce, au premier livre <strong>de</strong>s Tmcukrnes,<br />

et qui'n'y est guère revenu. Sénèque le rebat<br />

sans cesse, et partout, et à tout propos, toujours<br />

<strong>du</strong> même ton. Les mouvements <strong>de</strong> son style sont<br />

les mêmes : <strong>de</strong>s saillies, <strong>de</strong>s brava<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s abus <strong>de</strong><br />

mots. Il a l'air <strong>de</strong> chercher querelle à <strong>la</strong> mort, <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

morguer comme un ennemi qu'on défie <strong>de</strong> loin; il<br />

s'escrimeen l'air. Ses apologistes vont se récrier : —<br />

Comment 1 est-ce qu'il n'a pas su mourir? — C'est<br />

ce que nous verrons tout à l'heure : continuons à<br />

voir comment il a su écrire.<br />

Ce n'est pas ma faute si vous n'avez pu trouver<br />

rien <strong>de</strong> fort remarquable dans les-pensées que Bî<strong>de</strong>-<br />

1 ¥oyct cMeestii f à Putlele QuintUim, ee cffili dit <strong>de</strong> ers<br />

déel&wmlemn, et <strong>de</strong>s mmmmm étu<strong>de</strong>s d§ kJetwesie, qui se<br />

gâtait ïVspril dans kmr éeok.<br />

lut lui-même a cru <strong>de</strong>voir extraire» Je pourraii en»<br />

eere es rapporter une d'après lui :<br />

« La gloire suit <strong>la</strong> verte , comme l'ombre suit le eorpt. »<br />

Il <strong>de</strong>man<strong>de</strong>* si cette pensée n'est pas charmante .<br />

c'est mon avis; mais il aurait dû ajouter qu'elle est<br />

mot à mot <strong>de</strong> Cicéron ; et ce<strong>la</strong> m'avertit <strong>de</strong> vous en<br />

citer quelques autres <strong>de</strong> lui.<br />

« Qi'j a-Ml <strong>de</strong> grand dans les chutes ti«iitàieat pour<br />

l'homme qui a ridée <strong>de</strong> l'infini f »<br />

« Tontes qni est penikiêiix dans ses progrès «al vi<strong>de</strong>ni<br />

dans sa naissance. »<br />

« Ca<strong>la</strong>i qui chercha <strong>de</strong> <strong>la</strong> mesure dans le vice ressemble<br />

à ce homme qui , se précipitant <strong>de</strong>s sommets <strong>de</strong> Lenemte ,<br />

voudrait se tenir en l'air. »<br />

« La nature n'a pis étéasset rajuste enfers nous pour<br />

nous donner tant <strong>de</strong> remè<strong>de</strong>s pour te corps, «t aie» pour<br />

famé : .cet f «H» même a été <strong>la</strong> mieux traitée ; car 1er remè<strong>de</strong>s<br />

pour le corps M viennent <strong>de</strong> <strong>de</strong>horsf tertemè<strong>de</strong>s pour<br />

l'âme sont en elle. «<br />

jyose croire que ce sont là <strong>de</strong>s vérités plua iéfl6ehfps,<br />

plus éten<strong>du</strong>es et mieux exprimées que celles<br />

<strong>de</strong> Sénèque. Venons à celles qui sont vicieuses, ou<br />

comme fausses v ou comme vagues, ou comme contradictoires,<br />

etc. Elles sont sans nombre, et il y a<br />

<strong>de</strong> quoi choisir. Mais il est juste <strong>de</strong> commencer par<br />

celles qui font dire à Di<strong>de</strong>rot :<br />

« Malheur à celui que quelques-nues <strong>de</strong> ces pensées fia<br />

je jette an hasard, à mesura epe <strong>la</strong> lecture <strong>du</strong> phUosoptie<br />

Ne vous effrayez pas trop <strong>de</strong> ce foudroyant anatliètxra<br />

<strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot : c'est chez lui, et chez beaucoup<br />

d'autres écrivains <strong>de</strong> <strong>la</strong> même c<strong>la</strong>sse, une formule<br />

parasite. Eien <strong>de</strong> plus fréquent chez eui que <strong>la</strong> malédiction<br />

; si tous ©eux qu'ils ont solennellement maudits,<br />

au propre ou au igsré, avaient dû s'en ressentir,<br />

je ne sais ce que le mon<strong>de</strong> serait <strong>de</strong>venu. Bous<br />

ne pouvons pas trop nous plonger ici dam <strong>la</strong> midiêaêkm,<br />

nous sommes en trop bonne compagnie,<br />

mais il ne faut pas médiier beaucoup pour ce que<br />

nous avons à discuter. .<br />

* Le tyran vous fera con<strong>du</strong>ire... Où? Où vous ailés. »<br />

Il veut dire à <strong>la</strong> mort ; car c'est encore là que nous<br />

en sommes. Ce<strong>la</strong> est faux, et très-faux <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manières.<br />

Je vote à <strong>la</strong> mort, il est vrai, mais non pas<br />

au supplice. Je vais et je puis aller fort longtemps<br />

à <strong>la</strong> mort, qui est peut-être fort loin ; mais le tyran<br />

me fera con<strong>du</strong>ire au supplice qui est là <strong>de</strong>vant moi.<br />

Prétendre me faire accroire que c'est <strong>la</strong> même chose,<br />

ce n'est ni m'instruira ni m 9 encouragêr; c'est se<br />

moquer <strong>de</strong> moi : c'est me prendre pour un imbécile<br />

, et non pas me rendre plus ferme. Il n'est pis<br />

permis à un philosophe d'ignorer <strong>de</strong>ux choses également<br />

certaines : l'une, que le passage prochain


d'une ?I# f Mat et entière à une.mort violente et<br />

infime est ce qu'il y a <strong>de</strong> pies répugnant à <strong>la</strong> nature<br />

humaine ; l'autre, que « dans cette terrible nécessité,<br />

<strong>la</strong> mort est encore moins terrible fie Fi»<br />

gnominie; ce fui est prouvé par le grand nombre<br />

d'hommes qui se sont donné ta mort, et une moft<br />

cruelle, pour se dérober ara bourreaui. Et vous me<br />

dites froi<strong>de</strong>ment , que c'est là que je mis ! Yons<br />

mentez ; et mu mensonge évi<strong>de</strong>nt n'est ni une raison,<br />

ni un conseil, ni use conso<strong>la</strong>tion ; c'est une insulte,<br />

et ici une insulte au malheur. 11 est d'un philosophe<br />

<strong>de</strong> connaître <strong>la</strong> nature humaine, et <strong>de</strong> prendre en<br />

elle, autant qu'il est possible, l'antidote <strong>de</strong>s main<br />

qui sont en elle. Il y a es effet dans<strong>la</strong> raison et dans <strong>la</strong><br />

vertu <strong>de</strong>s appuis réels contre tontes les infortunes*<br />

et mime contre celle qui me menace <strong>de</strong> si près, mais<br />

YOUS ne les connaissez pas f car ? ces ne par<strong>la</strong>i si en<br />

homme, ni es philosophe, mais en rhéteur qui veut<br />

faire une phrase. Allez faire <strong>de</strong>s phrases dans votre<br />

c<strong>la</strong>sse ; et moi, je fais inVoquer le Dieu qui i les yeux'<br />

sur l'innocence et sur le crime.<br />

Telle est <strong>la</strong> réponse qu'os pourrait faire à Sésèque,<br />

en attendast k réplique <strong>de</strong>s adorateurs <strong>de</strong> sa<br />

philosophie.<br />

« H est <strong>du</strong>r <strong>de</strong> vivre sons <strong>la</strong> nécessité ; mais I u 9 y a<br />

point <strong>de</strong> nécessité d 9 y livra *. »<br />

Ici <strong>la</strong> nécessité ne peut slgsiler que le <strong>de</strong>stin,<br />

fatum, que Sénèque, ainsi que les stoïciens, admettait<br />

avec <strong>la</strong> Provi<strong>de</strong>nce, sans trop se mettre en<br />

peine <strong>de</strong> les concilier. Mais, dans cette hypothèse,<br />

les termes <strong>de</strong> cette phrase impliquent contradiction ;<br />

car a?ac <strong>la</strong> fatalité, qui est cette même nécessité,<br />

tout est également nécessaire $ et par conséquent<br />

il Test <strong>de</strong> vivre sous cette nécessité, autant qu'elle<br />

le tondra. Mais, en <strong>la</strong>issant même cette rigueur<br />

métaphysique , qui est fort loin <strong>de</strong> Sénèque, ce qu'il<br />

nées apprend dans cette pensée se ré<strong>du</strong>it à mourir<br />

quand il ne nous convient plus <strong>de</strong> vivre; ce qui n'est<br />

pas un mer?eilleui secret, mais ce qui est un <strong>de</strong>s pi-<br />

YOts <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie <strong>de</strong> Sénèque, grand prédicateur<br />

<strong>du</strong> suicida» Ce notait pas l'opinion <strong>de</strong> Sacrale et <strong>de</strong><br />

P<strong>la</strong>ton, car il est juste <strong>de</strong> n'opposer à Sénèque que<br />

<strong>de</strong>s philosophes païens. Mais cette question, qui<br />

s'en doit pas être une pour nous, a été trop souvent<br />

agitée pour y revenir ici. J'observerai seulement,<br />

comme idée à méditer, pour ceux qui méditent,<br />

qu'un moyen <strong>de</strong> disposer <strong>de</strong> son existence, qui serait<br />

commun à l'homme <strong>de</strong> bien et au scélérat, se<br />

saurait être dans Tordre métaphysique et moral.<br />

« Amener à Caton son poignard, c'est <strong>la</strong>i enfler son<br />

immortalité. *<br />

* l<strong>la</strong>iime i%t€ersf allée par Sénèque, ép. lia<br />

ANCIENS. — P11IDS0PBIE. S9S<br />

La belle passion'<strong>du</strong> suici<strong>de</strong> nVt-eUe pas emparée<br />

Sénèque un peu trop loin? Quoi! Caton n'avait<br />

pas asses <strong>de</strong> sa vie pur être immortel ! et it na le<br />

serait pas, s'il ne s ¥ éteil pas tué ! C'est ce qu'os a<br />

dit d'Othos, et ce qui était frai n?nn homme qui<br />

n'avait <strong>la</strong>it en sa vie qu'une action <strong>de</strong> courage, celle<br />

<strong>de</strong> mourir. MaisCatos! quelque satisfait qu'il ait<br />

pu être <strong>de</strong> sa mort 9 je se crois pas qu'il le fit assex<br />

peu <strong>de</strong> sa vie pour l'être ici <strong>de</strong> Sénèque.<br />

« Quelle sera <strong>la</strong> vie <strong>du</strong> sage enfermé dans an cachot» es<br />

jeté sir sua p<strong>la</strong>ge déserte? C@U® <strong>de</strong> inpiter dans <strong>la</strong> dlsso<strong>la</strong>f<br />

<strong>la</strong>n <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s. »<br />

Sur quoi Di<strong>de</strong>rot s'écrie :<br />

« De pareilles idées ne viennent qu'à <strong>de</strong>s hommes d'une<br />

trempe rare. »<br />

Sur quoi je réponds que <strong>de</strong> pareiiks idées ne<br />

viennent qu'à <strong>de</strong>s fous f et que cette folie n'est pas<br />

rare, Horace, homme d'une trempe assez rare, au<br />

moins pour l'esprit, avait dit dans ces strophes connues<br />

pour un <strong>de</strong>s eiemples <strong>du</strong> sublime, et où il<br />

peint l'inébran<strong>la</strong>ble fermeté <strong>du</strong> juste (Od. m9 3 ) :<br />

Séfrmîm ff<strong>la</strong>batur &rbù9<br />

iMjMmêmmferimt rminm.<br />

Le ciel tonna, <strong>la</strong> mer gron<strong>de</strong> :<br />

Sur lui les éêerfs <strong>du</strong> mon<strong>de</strong><br />

Tomberont sans l'effrayer.<br />

Ce<strong>la</strong> est grand, et ne peut l'être davantage sans<br />

passer toute raison, c'est-à-dire sans cesser d'être<br />

grand ; et Sénèque était très-capable <strong>de</strong> cette transmutation<br />

: sa phrase n'est pas'autre chose, et son Jupiter<br />

y atout gâté. Le bos sens <strong>de</strong>man<strong>de</strong> es quoi<br />

les pensées <strong>de</strong> Jupiter peuvent ressembler à celles<br />

<strong>du</strong> sage dans <strong>la</strong> dissôMion<strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s. Mais l'esprit<br />

<strong>de</strong> Sésèqse affectionnait extraordinâirement<br />

cette similitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Jupiter et <strong>du</strong> sage : c'est use <strong>de</strong><br />

ses pensées favorites.<br />

« L'homme <strong>de</strong> bien ne diffère <strong>de</strong> Bien que par <strong>la</strong> <strong>du</strong>rée :<br />

Il est son disciple et son ri?al. »<br />

Ailleurs, ce n'est pas assez pour Sénèque <strong>de</strong> <strong>la</strong> parité;<br />

et es effet, ce serait dommage <strong>de</strong> s'arrêter en<br />

si beau chemin:<br />

« Un petit nombre d'années est autant pour le sage que<br />

l'éternité pour les dieux. Il a même un mérite déplus : M<br />

sagesse <strong>de</strong>s dieux est <strong>du</strong>e à leur nature , et non à leurs efforts.<br />

»<br />

N'oubliez pas que tout k l'heure il <strong>de</strong>mandait aui<br />

dieux k sagesse Y et Di<strong>de</strong>rot n'a pas manqué <strong>de</strong> le<br />

lui reprocher. Maisea<strong>la</strong>s selos lui, les dieni <strong>du</strong> moins<br />

étaient donc pour beaucoup dans <strong>la</strong> sagesse huniaine<br />

?et il n'est pas trop bien §afe le sage se fasse<br />

ainsi le rival, et dtême le supérieur d'une divinité<br />

l Mesfiutrii». On pourrait trouver là quelque ingnti-


•§4<br />

taie et quelque impiété. Mus je ne ferai pi une '<br />

noufeUê Injure à <strong>la</strong> raison es combattant ces arrogantes<br />

folles : c'est bien assez <strong>de</strong> celle f se lui fait<br />

Sénèque en les débitant. Je m'en tiens à mm conséquenoe<br />

qui est <strong>de</strong> mon objet v et qui défient <strong>de</strong> pies<br />

en plus manifeste ; c'est que ceux qui ont trente ce<br />

style si gfweelii tituruljugentcommeSénèque écrivait;<br />

et c'est, je crois,<strong>la</strong> seule manière <strong>de</strong> ïeurdke<br />

<strong>la</strong> férlté sans les offenser; car qu'y a-t-il pur eu<br />

qu'un rapport quelconque a?ee Sénèque se ren<strong>de</strong><br />

honorable ? Mais, pour nous, rien ne sera jamais plus<br />

contraire à <strong>la</strong> gravité qui sied à 1a morale que ces<br />

fanfaronna<strong>de</strong>s qui tiennent <strong>du</strong> burlesque ; et rien ne<br />

confient moins à un philosophe que <strong>de</strong> parler <strong>de</strong>s<br />

dieux comme lecapitan Matamore <strong>de</strong> l'ancienne comédie<br />

par<strong>la</strong>it <strong>de</strong>s rois et <strong>de</strong>s empereurs. Le faux<br />

sublime9 qu'on ne pardonne pas même aux poètes,<br />

est intolérable en philosophie. Celui <strong>de</strong> Sénèqueest<br />

comme <strong>la</strong> g<strong>la</strong>ce qui brille <strong>de</strong> loin, qui ?oos gèle dès<br />

qu'on y touche 9 et qui se résout en eau sale dès qu'on<br />

<strong>la</strong> presse.<br />

COD1S Dl UXTÉkUTOHE.<br />

« L'amour ressemble à l'amitié ; il ea est pour almi dire<br />

<strong>la</strong> folie. »<br />

C'est ne connaître m fan ni Fautre. L'amour et<br />

f amitié sont <strong>de</strong>ux choses aussi différentes qu'un<br />

sentiment et une passion; et je ne sais ce que c'est<br />

que <strong>la</strong>faMe <strong>de</strong> tmmiëéf folie qui dès lors ne serait<br />

plus i'&mUié, et ne serait pas encore l'amwur. 11<br />

ne faut point assimiler ce qui ne peut jamais se<br />

ressembler.<br />

J'ai promis <strong>de</strong>s citations plus éten<strong>du</strong>es : toid une<br />

suite <strong>de</strong> pensées sur l'amitié <strong>du</strong> sage. Mais ici e f tst<br />

moi qui cite t et non pas Di<strong>de</strong>rot :<br />

« I<br />

géant dam ta wéditmMm* L'éditeur dit que<br />

« Sénèque estasse f érftee ssr vérités, mais qrïl tes entasse<br />

rpelejnefeie ame tant d'ordre et <strong>de</strong>précM&m, ejne »<br />

pins rapprochées p eUes n'es sont que plut lemitto et plus<br />

évi<strong>de</strong>ntes. »<br />

Ce mot quelque/vis indique, il est frai, une i<br />

considérable restrictionsursii folumes; et peut-être<br />

ce passage n'entre-t-il pas dans 1e qwelqmjbm. Quasi<br />

à moi, je suis encore à ?oir dans Sénèepe cette espèce<br />

i'emimimmmi ame ordre ei prMêtom ; .peutêtre<br />

même indinerais-je à penser que ces idées ne<br />

s'accor<strong>de</strong>nt guère plus que neles <strong>de</strong> Sénèque; qu«<br />

Yentaseement «<strong>du</strong>t tordre, et que, <strong>de</strong> tous les iffles<br />

possibles, te style <strong>de</strong> Sénèque est celui qui «<strong>du</strong>t<br />

le plus ta précision* Mais pour le moment je n'ai<br />

ps <strong>la</strong> force <strong>de</strong> raisonner en rigueur ; le sage <strong>de</strong> Sénèque<br />

m'en été l'envie. Oui, en vérité, ce sage qui<br />

se tnjff et mourrait plutôt que <strong>de</strong> vivre seul, qui<br />

se sttfjli et prend une femme, etfidi <strong>de</strong>s enfants<br />

par circonstance, m'a rappdé tout <strong>de</strong> suite D. Jephet,qui,<br />

tout mouillé, <strong>de</strong>mi-nu et transi <strong>de</strong> froid,<br />

dit aussi philosophiquement :<br />

Pnnf «w fmife pensif, J f appradMni <strong>de</strong> feu.<br />

On confient que personne n'a parlé <strong>de</strong> <strong>la</strong> vieillesse<br />

mieux queCieéroe, n'a nilem fait sentir ses dédommagements<br />

et ses jouissances, ni mieux consolé <strong>de</strong><br />

ses pertes; mais il ne s'est avisé d'aucun <strong>de</strong>s motifs<br />

que Sénèque nous propose pour chérir ta vieUks$ef<br />

dans le petit entassement <strong>de</strong> vérités que voici :<br />

« Chérissons k vieillesse; jelnne-nens dans ses bras :<br />

elle a <strong>de</strong>s douceurs pour qui sait en user.... »<br />

Vous allez lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r quellesdouceiirs? Éeotitn :<br />

il ne tous IMî pas attendre.<br />

« Les fruits sent pli» recherchés quand ils se pestent,<br />

et Feanenee semble pies beUe quand <strong>du</strong>e se termine : les<br />

be?eere trenfeet plus <strong>de</strong> charmes au <strong>de</strong>niers coups es<br />

fia, à ceux qui les aehèf eot, qui ceeseeMneel leur îf rente :<br />

ce qee le p<strong>la</strong>isir a <strong>de</strong> plus piquant, il le gar<strong>de</strong> pour ta<br />

fin. »<br />

Ce ne sont pas là <strong>de</strong>s pensées, si f en f eut, ce sont<br />

<strong>de</strong>s similitu<strong>de</strong>s ; mais aussi quoi <strong>de</strong> plus semb<strong>la</strong>ble<br />

que <strong>la</strong> fielllesee et k <strong>de</strong>rnier terme <strong>de</strong> Fiwesset<br />

Quoi <strong>de</strong> plus semb<strong>la</strong>ble .que <strong>la</strong> fielllesse qui ter*<br />

mine <strong>la</strong> fie, et l'adolescence qui termine tenfancêt<br />

Mais surtout eftini <strong>de</strong> plus semb<strong>la</strong>ble que <strong>la</strong> fielllesse<br />

et tafin piquante <strong>du</strong> pMsk-f M'étes-fous pas


saisis <strong>de</strong> <strong>la</strong> justesse <strong>de</strong> «s rapports f <strong>de</strong> leur profimêem*<br />

<strong>de</strong> leur wmraMIê, <strong>de</strong> leur gravitât Ils sont<br />

tellement graves, que sans doute vous me dispenserez<br />

<strong>du</strong> détail. Il-ajoute :<br />

« Je crois même qu'as bord <strong>de</strong> h tombe I f i Ses pu*<br />

sirs à goûter, os <strong>du</strong> 1110ms , ce qui tient lieu Hé p<strong>la</strong>isir : m<br />

n'en a plus besoin. »<br />

Ce<strong>la</strong> est vrai sans être fort conso<strong>la</strong>nt : il ait mieux<br />

valu, comme Cieéron, rendre eompte <strong>de</strong>s frais<br />

p<strong>la</strong>isirs <strong>de</strong> <strong>la</strong> vieillesse* et comme lui, les faire<br />

aimer. Mais ce n ? est pas <strong>la</strong> seule fois que Sénèque,<br />

si diffus dans l'inutile et le feux, est à peu près nul<br />

dans le nécessaire et le vrai. Il ajoute eniii :<br />

« Quel bonheur d'avoir <strong>la</strong>ssé tes passions, et <strong>de</strong> les wms<br />

m lois <strong>de</strong>rrière soi! »<br />

¥oUà <strong>du</strong> moins un motif raisonnable : aussi est-il<br />

<strong>de</strong> Ckéron, et Tua <strong>de</strong> eeux dont il a tiré le meilleur<br />

parti. Pour Sénèque f il se gar<strong>de</strong> bien <strong>de</strong> dire<br />

un mot <strong>de</strong> plus; mais il emploie <strong>de</strong>ux pages à<br />

commenter ce fers d'Horace {Epist. Mb. if 4} :<br />

Ommtm ertêi àùm tibi êUmmsM êmprmmm*<br />

Croie» que chaquejour est pour vous le drate.<br />

Plusieurs autres <strong>de</strong> ses kitres ne sont aussi que<br />

<strong>de</strong>s paraphrases <strong>de</strong>s ÉpUrm d'Horace, entre autres<br />

celle sur les voyages t où <strong>la</strong> prose <strong>du</strong> philosophe ne<br />

tant siaepasl pas les fers <strong>du</strong> poète.<br />

« Tons pouves corriger un mal par un antre » <strong>la</strong> crainte<br />

par l'espoir. »<br />

Il répète ailleurs cette même maxime , qui <strong>la</strong>it<br />

<strong>de</strong> l'espérance un moi : c'est un démenti donné à<br />

<strong>la</strong> nature. Il se peut que ce<strong>la</strong> fût dans <strong>la</strong> doctrine<br />

stoïcienne , mais ce<strong>la</strong> n'est pas dans <strong>la</strong> raison.<br />

Il conseille,' comme tous les moralistes, <strong>de</strong> ne<br />

pas pousser les soins <strong>du</strong> corps jusqu'à' s'y asser?ir,<br />

et dit sensément'd'après tout le mon<strong>de</strong> :<br />

« Lavette n'aura plus <strong>de</strong> fris pour vous, si <strong>la</strong> corps en<br />

a trop. »<br />

Mais l'esprit <strong>de</strong> Sénèque ne manque guère une<br />

occasion <strong>de</strong> gâter <strong>la</strong> raison d'autrui.<br />

« Donnons <strong>de</strong>s soins au corps, continiie-t-il, mais sans<br />

ba<strong>la</strong>ncer à Se jeter dans les f<strong>la</strong>mmes as premier signal <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

raison, <strong>de</strong> rhonneur, <strong>du</strong> <strong>de</strong>voir. »<br />

Éternel et incorrigible déc<strong>la</strong>mateur! ne dirait-on<br />

pas qu'il n'y a rien <strong>de</strong> si commun que <strong>de</strong> se jeier<br />

dams 'ks f<strong>la</strong>mmes su signai'<strong>de</strong> <strong>la</strong> raison, <strong>de</strong> thonneur,<br />

<strong>du</strong> <strong>de</strong>mirî Si on lui <strong>de</strong>mandait <strong>de</strong>s exemples ,<br />

il se trouYerait que <strong>de</strong>s assiégés s'y sont jetés par<br />

un désespoir furieux; que le sentiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature<br />

et <strong>de</strong> l'amour, exalté par le danger <strong>de</strong> personnes<br />

chéries, y a précipité pour les sauver; et ,<br />

dans toutes ces occasions, ce n'est ni <strong>la</strong> raison,<br />

ANCIENS. — PHILOSOPHIE. 395<br />

ni rhonneur, m k <strong>de</strong>voir qui a donné le signai :<br />

c'est un mouvement antérieur à toute réiexlen.<br />

« Le sage considère en tout le commencement et non <strong>la</strong><br />

Isa *<br />

Le sage <strong>de</strong> Sénèque apparemment; car <strong>la</strong> Fontaine<br />

n'a été que l'écho <strong>de</strong> tous les sages <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> quand<br />

Il a dit:<br />

En tonte abuse i asti considérer <strong>la</strong> in.<br />

Et9 malgré Sénèque, je suis <strong>de</strong> l'avis <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine<br />

et <strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong>. Si Sénèque a voulu<br />

dire que le sage considère en tout le principe, et<br />

non pas l'événement, pourquoi ne fa-t-il pas dit?<br />

Il aurait dit une vérité très-commune, qui ne contredit<br />

point le vers <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine, parce que le<br />

<strong>de</strong>voir est pour l'honnête homme le principe et <strong>la</strong><br />

in; mais il aurait <strong>du</strong> moins exprimé sa pensée.<br />

A propos <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> <strong>la</strong> santé et <strong>de</strong> l'exercice<br />

qui peut ajouter à l'embonpoint , il trouve indécent<br />

pour un homme kUrê d'exercer ses bras. J'ai<br />

vu <strong>de</strong>s hommes lettrés , et fort lettrés , jouer encore<br />

à <strong>la</strong> paume et à <strong>la</strong> balle à quarante et cinquante<br />

ans, sans aucune iméêeenœ* Il ajoute :<br />

« Quand TOUS serez gras à souhait, quand vos épaules<br />

auront aise <strong>la</strong>rgeur démesurée, jamais vos» a f égalerai le<br />

poids et Feneo<strong>la</strong>re d'un bœuf. »<br />

J'en suis convaincu; mais je le suis aussi qu'excepté<br />

<strong>la</strong> grenouille <strong>de</strong> <strong>la</strong> fable, jamais personne<br />

n'eut cette prétention.<br />

Il approuve cette maxime d'Épicure :<br />

« Croyez-moi, un grabat et <strong>de</strong>s haillons donnent an discausa<br />

use gran<strong>de</strong>ur plus Imposante. »<br />

Et pourquoi? Un grabat est plus sain que <strong>la</strong> plume<br />

et Fédredon; soit : un habillement simple et mo<strong>de</strong>ste<br />

convient à l'homme <strong>de</strong> Mant à moins ipe<br />

son rang ne lui. en prescrite un autre. Mais les<br />

haillons 9 si ce sont eeux <strong>de</strong> l'indigence, n'imposent<br />

que l'aumône : si ce sont ceux <strong>du</strong> cynisme, je dirai<br />

à Antisthène, avec Sacrale : le vois percer<br />

ion orgweM à travers k* Irasss <strong>de</strong> ton manteau.<br />

Mais, ce qui est vrai, c'est qu'il y a telle situation<br />

où ce sont ks dis<strong>cours</strong> qui peuvent donner <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

gran<strong>de</strong>ur au grabat et aux haillons, qui par euxmêmes<br />

n'en ont pas.<br />

' m Préservons surtout nos cœurs d'une passion trop<br />

commune 9 celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort »<br />

Il fal<strong>la</strong>it que Sénèque lui-même ne <strong>la</strong> crût pas si<br />

eoMMtiHe, puisqu'il atant écrit pour nous apprendre<br />

à mépriser <strong>la</strong> mort ; au contraire 1 il ne nous met en<br />

gar<strong>de</strong> qu'en ce seul endroit contre im passion <strong>de</strong><br />

im mort mise au premier rang entre toutes celles<br />

dont il faut se préserver. le ne sais il mène en


896<br />

Angleterre f où Ton connaît une ma<strong>la</strong>die endémique,<br />

qui est le dégoût <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, os prierait<br />

ainsi <strong>de</strong> <strong>la</strong> passion <strong>de</strong> <strong>la</strong> mûri ; et le spken n'était<br />

pas connu à Rome.<br />

C0U1S Dl UTTÉIÂTUIE.<br />

m Qui vont tendra l'égal <strong>de</strong> b Divinité ? Sera-ce l'argent?<br />

Mm n'a rien. La toge-prétexte? D est nn. La renommée,<br />

<strong>la</strong> représentation, l'immense étendse <strong>de</strong> votre célébrité?<br />

Mm n'est mmmm <strong>de</strong> personne. SenH» Dette fonte d'esdavesqni<br />

portent votre litière? Mais DieuIni-mameperte le<br />

mon<strong>de</strong> entier. »<br />

J'avoue qu'ici s%t dans toutes les vérMés <strong>de</strong> cette<br />

force, Sénèque ne doit rien, ni à Soorate, si à<br />

P<strong>la</strong>ton, ni à Cieéros, ni à personne. Tous ces<br />

philosophes avaient dit, il est vrai, que <strong>la</strong> vertu<br />

seule peut nous rapprocher <strong>de</strong> <strong>la</strong> Divinité; mais il<br />

restait à Sénèque <strong>de</strong> découvrir <strong>de</strong> pareils«mcjcris<br />

<strong>de</strong> conviction 9 pour sous dé<strong>mont</strong>rer qu'il s'y avait<br />

pas d'autre manière d'être 1'êged et Dieu. Dieu a<br />

tout fait 9 tout lui appartient ; il donne tout, et M<br />

n'm Hem! M est mu; car a il us corps et apparemment<br />

Sénèque Fa vu. U m'est c&mm <strong>de</strong> personnel<br />

J'aurais cru qu'il a?ait une assez gran<strong>de</strong> renommée,<br />

puisque nos athées mêmes n'ont pu encore <strong>la</strong> lui<br />

êtes. Si l'auteur a voulu'dire que l'essence <strong>de</strong> Dieu<br />

n'est pas connue, e'est une équivoque bien inepte<br />

et un contre-sens dans <strong>la</strong> phrase; car il s'agit <strong>de</strong><br />

réputation et <strong>de</strong> cëéèrMê* Mais ce qu'il y a <strong>de</strong> plus<br />

heureux, e'est <strong>de</strong> sous dégoûter <strong>de</strong>s litières et <strong>de</strong>s<br />

porteurs l , parce que Dieu lui-même porte k<br />

mon<strong>de</strong>.... U faut en revenir à ce que disait Di<strong>de</strong>rot,<br />

que Sénèque et son sublime sont d'une trempe rare.<br />

« Mi les enfants ni les imbéciles ne craignent k mort !<br />

Quelle honte, si k raison ne pouvait nous con<strong>du</strong>ire à une<br />

sécorifé que donne ftnscoceiîe <strong>la</strong> raison! »<br />

Encore <strong>la</strong> même absurdité relevée ci-<strong>de</strong>ssus ; et il<br />

y est tellement attaché, qu'il tire ailleurs <strong>la</strong> même<br />

preuve <strong>de</strong>s brutes, tant U aèon<strong>de</strong> en vérités et en<br />

mèml<br />

Si, par hasard 9 il en était chez lui <strong>de</strong>s rapports<br />

1 II y a environ étoffante tns qu'an chevalier d® Bfodène,<br />

homme d'esprit, et d\ra esprit fort original, avait fait use<br />

Mitaine <strong>de</strong> sfaeees contre fanage <strong>de</strong>s chaises à porteurs. îi<br />

In récitait à Tenailles , dans use société où était l'abbé ia<br />

Boûmoût, prédicateur da roi, et ooi, ce Joar-b mêm@9 <strong>de</strong>vait<br />

prêcher. Os vient l'avertir qu'il est l'heure <strong>de</strong> se rendre<br />

à k chapelle, et que ses porteurs soal là, Il s'excuse auprès<br />

<strong>du</strong> chevalier sur <strong>la</strong>elrcoastaacaipil le prive <strong>du</strong> p<strong>la</strong>isir d'entendre<br />

le .reste <strong>de</strong>s stances. — « Monsieur l'abbé, encore nse,<br />

« et Je vous <strong>la</strong>isse aller : *<br />

neabfe ifocltcie Mm esaoaa» :<br />

Jasas perte mr le Calvaire<br />

<strong>la</strong> croix où mm mmg ?a eoaler ;<br />

Les saccessears <strong>de</strong>s Ctïrjsoitôïoes<br />

Sont portés par ces mêmes Oesaaas<br />

CWT fil Jetas s s f'tsuM<strong>la</strong>r.<br />

— « Monteur lechevaier, Je vous entends. Qa'on renvoie<br />

« mes porteurs -, fIrai à pied. •<br />

entre sa morale et ia con<strong>du</strong>ite, «mm© entre se»<br />

principe! cPéloquence et leur application dans son<br />

style, <strong>la</strong> conséquence serait fâcheuse pour <strong>la</strong>i<br />

Mais on sait que l'un n'entraîne pis l'autre, et je<br />

tombe sur use ktêre où il parie d'une manière qui<br />

vous édifiera s sur iêkqweme qui convient au pMfosophe*<br />

11 s'élève contre <strong>la</strong> rapidité étourdie #trn<br />

?ain babil, soit dans <strong>la</strong> composition! soit dans le<br />

débit.<br />

« Qtsoll vous avetl dissiper rnes craintes, à réprimer<br />

mes désirs, à combattre mes pc^ngés, à m'affruiclilr <strong>de</strong><br />

luxe et <strong>de</strong> l'avariée, et vous eompta le faire en eoummî !<br />

Que penser <strong>de</strong> Fâme quand le <strong>la</strong>ngage est wnfm, en désordre<br />

et mm frein ? S&m cet amas <strong>de</strong> paroles je ne pois<br />

qu'ungrand vi<strong>de</strong>, beamemp <strong>de</strong> bruit, et md effet....<br />

Us philosopha ne doit pas <strong>la</strong>isser aller ses paroles f mais<br />

Us régler f les mesurer .... Il peut s'âever9 mais sans compromettre<br />

ta dignité <strong>de</strong> son caractère : elle ettperêmpar<br />

cm tours déférée, par cette vékémeme outrée, ete. »<br />

(Droéuctum <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grange. )<br />

Il s'y a pas là un mot qui ne tombe à plomb sur<br />

le style <strong>de</strong> tons les on?rages <strong>de</strong> Sénèque : il ne lui<br />

manquait que d'ajouter, Faiies comme mol, pour<br />

renonfeler <strong>la</strong> fable <strong>de</strong> Fécrevisse, qui enseigne à<br />

marcher en a?ant. Ce morceau est le résultat te<br />

plus exact <strong>de</strong> f analyse faite et à faire <strong>de</strong> tous les<br />

écrits <strong>de</strong> cet auteur, et c'est lui qui nous fa fourni.<br />

Mais qu'eu faut-il Inférer? Que <strong>du</strong> moins il savait<br />

très-bien cnrnrnent il fal<strong>la</strong>it faire, quoiqu'il ne le<br />

fit pas? qu'il avait us goût sais et éc<strong>la</strong>iré 9 quoique<br />

sa manière d'écrire fût très-mauvaise? Nullement.<br />

Tout le mon<strong>de</strong> peut cossaftre et répéter ces notions<br />

<strong>de</strong> critique générale, sans en être plus habile<br />

à les appliquer, non-seulement dans ia composition,<br />

mais dans le jugement. Le vrai goût , comme le<br />

vrai talent, ne se constate qu'à l'épreuve. Il faut<br />

avoir approché <strong>de</strong>s objets , soit pour les traiter en<br />

écrivain 9 soit pour les examiner es critique ; et<br />

c'est alors seulement que Ton peut voir si vous<br />

pouves les manier. Ries n'est moins rare que <strong>de</strong><br />

rencontrer <strong>de</strong>s esprits faux qui recomman<strong>de</strong>nt <strong>la</strong><br />

justesse, et <strong>de</strong>s auteurs boursouiés qui blâment<br />

Fesflure. Comme eux, Sénèque était <strong>de</strong>" bonne<br />

foi es par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> mesure <strong>de</strong>s paroles et <strong>du</strong> frein<br />

dam k styk, et ne se .doutait pas que nul auteur<br />

n'en avait eu moins que lui. De Belloj se piquait<br />

d'être admirateur <strong>de</strong> Racine f et s'était même engagé<br />

à sous dévoiler le secret <strong>de</strong> son élégance. On<br />

a dit qu'il y avait aussi use conscience d'écivrais :<br />

il faut s'entendre. Je croirais bien qu'il y a use<br />

arrière-crjnseîence qui parle fort bas et fort rarement<br />

, et à qui famour-propre impose bien vite le<br />

silence, comme <strong>la</strong> passion Fimposo aux remords


-ANciDi& —<br />

dn médmnt. Mais là conscience habitueiie qui<br />

tourmente et- irrite les maniais écrivains f c'est<br />

eeUe <strong>du</strong> rang qu'ils occupent dans l'opinion : c'est<br />

là ee qu'ils se parent guère se dissimuler, malgré<br />

tous leurs efforts, parce que toujours <strong>la</strong> voii<br />

publique s@ <strong>la</strong>it entendre un peu plus tôt, us peu<br />

plus tard; et <strong>de</strong> là les blessures sécrètes <strong>de</strong> Famour-propre.<br />

Ou a m ee même <strong>de</strong> Belloy mourir<br />

à peu près <strong>de</strong> chagrin Y après les plus bril<strong>la</strong>nts succès<br />

, également persuadé que le public le regardait<br />

comme un très-mauvais versificateur et un trèsmédiocre<br />

poète tragique, et que ce publie était<br />

prévene contre lui. Séaèqne ne put pas même être<br />

averti, comme lui; par <strong>la</strong> froi<strong>de</strong> indifférence et le<br />

silence <strong>du</strong> mépris, succédant à un fol engouement<br />

: Sénèque fut l'écrivain <strong>de</strong> son temps le plus<br />

à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>, mais ffllusion ne <strong>du</strong>ra pas plus que sa<br />

fie, Qaîalîlîea le mit , quoique a?ee beaucoup <strong>de</strong><br />

ménagement 9 à sa véritable p<strong>la</strong>ce ; et, à <strong>la</strong> renaissance<br />

<strong>de</strong>s lettres ee Europe 9 l'opinion publique le<br />

relégua parmi les auteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> c<strong>la</strong>sse 9<br />

quoiqu'il ait eu encore alors quelques suffrages<br />

comme moraliste f bien plus que comme écrivain,<br />

safirages qui seront évalués avant <strong>de</strong> tnir cet article,<br />

qui doit nous mener plus loin.<br />

H écrit à LucUius :<br />

« Si votre ami savait ee que c'est §n'm nmmmm <strong>de</strong> Mm,<br />

il aa se <strong>la</strong>ttermli pis <strong>de</strong> l'être; il désespérerait même <strong>de</strong><br />

jamais le <strong>de</strong>venir. »<br />

Quêtes stoïciens par<strong>la</strong>ssent ainsi <strong>de</strong> leur sap9 qui<br />

n'était,, à leur dire, qu'un mm plutôt qu'une réalité,<br />

il n'y avait pas grand mal; on n'était guère<br />

tenté d'y croire. Mais il est d'une bien mauvaise<br />

philosophie <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> Y homme <strong>de</strong> Mm m phénix<br />

qmpmâpmrmMre tmdaupim wmef&îs m cinq émis<br />

mm •: ee sont les termes <strong>de</strong> l'auteur. Si ce<strong>la</strong> n'était<br />

pas heureusement un paradoxe aussi outré que cent<br />

autres <strong>de</strong> <strong>la</strong> même plume, il n 9 PlIfLûSOPIiy. 897<br />

faire payer ses leçons en argent ou en louanges. Un*<br />

philosophe tarait dû savoir que, si <strong>la</strong> morale théorique<br />

est tus &ti9 <strong>la</strong> morale pratique &m h mrtm<br />

•l'en est pas un; et qu'on n'étudie et qu'on n'apprend<br />

celle-ci qu'entre Dieu et sa conscience. Le km*<br />

mrd qui <strong>la</strong> fait dmmmdm en pWen'est qaama p<strong>la</strong>titu<strong>de</strong>,<br />

comme il y en a mille autres, et n'est pour<br />

moi qu'une occasion d'avertir que je ne m'arrête pas<br />

aux fuites <strong>de</strong> style, aussi nombreuses, mais beaucoup<br />

moins importantes que les fautes-<strong>de</strong> sens.<br />

«Apprendre <strong>la</strong> verta, c'est désapprendre le vice. »<br />

Fort bien : mais pourquoi ajouter :<br />

* La vertu ae se désapprend pas. »<br />

Hé<strong>la</strong>s! plus aisément que le vice : c'est une vérité<br />

d'expérience.<br />

« La philosophie ne veut que <strong>de</strong>s respects. »<br />

Dieu est donc meilleur que <strong>la</strong> philosophie, et n'est<br />

pas si 1er : il veut l'amour.<br />

« La vieillesse se vaut pas aa désir : elle ne mérite pas<br />

pou plus un refus. »<br />

Ce<strong>la</strong> est dit ingénieusement et à <strong>la</strong> manière <strong>de</strong> Sénèque,<br />

quand il est à peu près tout ce qu'il peut être.<br />

Maïs il ajoute :<br />

« Aussi n'est-il pas décidé' qu'on doive renoncer aux <strong>de</strong>rnières<br />

aimées <strong>de</strong> <strong>la</strong> vieillesse, et se donner <strong>la</strong> mort tu Iwm<br />

<strong>de</strong>-l'attendre. »<br />

Pm décidé ! mais je l'espère : quelle grâce vous nous<br />

<strong>la</strong>ites! En vérUé, disait Yaitaka dans ses moments<br />

<strong>de</strong> gaieté, cesphMmmpMi smni <strong>de</strong> drôles <strong>de</strong> gem !<br />

Est-il possible que <strong>la</strong> comédie n'ait guère fait qu'ébaucher<br />

un sujet si riche »? 11 Test au point que ce<br />

ne serait pas trop <strong>de</strong> tout Molière pour le remplir.<br />

« Avant <strong>la</strong> vieillesse, je ne pensais qu'à bien vivre ; je<br />

ne pense aujourd'hui qu'à bien mourir, c'est-à-dire avec<br />

résignation. »<br />

¥oilà <strong>du</strong> bon sens : je le saisis quand je le rencon­<br />

y aurait là qu'une<br />

tre. «<br />

dispense d'être homme <strong>de</strong> ôfett, une excuse pour qui<br />

ne Test pas, un découragement pour qui voudrait<br />

« La nécessité s*est que pour les rebelles : 1 a* j en a<br />

plus quand on se soumet. »<br />

f être, une injure pour celui qui Test.<br />

Encore miens 9 ainsi que tout ce qui suit sur <strong>la</strong> perte<br />

« La bonne eenseiatre veut <strong>de</strong>s lâmmm :1a masvatse,<br />

<strong>de</strong> nos amis.<br />

dam us désert, aafsîl encore <strong>de</strong>s aSarmes. »<br />

< « Mâtaas-aaas <strong>de</strong> jouir <strong>de</strong> nos amis, parce' que nous ne<br />

Il eit été beaucoup plus juste <strong>de</strong> dire : La bonne<br />

savons pas si nous en jouirons longtemps. Yoyes caeiMea<br />

conscience ne craint pas les témoins t et n'en a pas <strong>de</strong> fois nous tes quittons pour île longs voyagea, «nubien<br />

besoin : le méchant les craint, même quand il est ie temps nous passons dans le même endroit qu'eux sans<br />

seul.<br />

les voir ; et vous sentirai que ee n'est paèrnl faar trépas qui<br />

« Tenu rougisses d'apprendre Sa vertu. Pour un mri <strong>de</strong> aaas en prive le plus. Mais que dire <strong>de</strong> ces insensés qui<br />

cette importance, mlM êmm hiaatt<strong>la</strong>at <strong>de</strong> prendre un naïf» aéaJàjaaf leurs amis f et se désolent <strong>de</strong> leur perte! Bsn'al-<br />

âreê Bspérea-votis que <strong>la</strong> hasard <strong>la</strong> fera <strong>de</strong>scendre es pluie menl que les amis qu'Us n'ont plus. Leur donteur est sans<br />

dana votre âme?»<br />

Un sapîsta pouvait se donner pour un wmUm - * Lm Phikmpkm d@ M. PaMssot tout un ouvregs pIda<br />

if esprit, il® goût et d'étégaeee s M refit-Il pas fait fias fort<br />

ée werêm, et appeler <strong>la</strong> vertu un mi : il vou<strong>la</strong>it se leomlqiia, s'il l'avait Mi plut tant?


MM<br />

Ils s* y prennent trop tard p@er le prou? er. »<br />

C'est là penser et ©bser?er en moraliste. Pourquoi<br />

Di<strong>de</strong>rot se eitc-t-il rien dans ce goût? 11 y en a<br />

peu d f exemples; mais il j a% entre autres, tonte<strong>la</strong><br />

teiire sur <strong>la</strong> manière dont il faut traiter ses domestiques,<br />

<strong>la</strong> meilleuref à peu <strong>de</strong> chose près, <strong>de</strong><br />

tout ce recueil, et dont Di<strong>de</strong>rot ne parle même pas.<br />

Je <strong>la</strong> rapporterais volontiers,' s'il se suffisait pas à<br />

¥ équité <strong>de</strong> l'indiquer ici, dans un article que je ne<br />

saurais con<strong>du</strong>ire à son but sans m f étendre un peu<br />

plus que je ne faurais désiré. Pourquoi Di<strong>de</strong>rot ne<br />

nous offre-t-il rien dans ce genre? C'est qu'il y a <strong>de</strong>s<br />

hommes (W <strong>de</strong>s femmes) qui se sont mis dans <strong>la</strong><br />

tête, mais très-sérieusement, que l'esprit ne peut<br />

guère se rencontrer mm le bon sens; ce qui est<br />

vrai... <strong>de</strong> leur esprit.<br />

« Une marque liiiiillîitei s liiiperfe€tiôaf c'est <strong>de</strong> pouvoir<br />

augmenter. »<br />

D'accord; mais as lieu d'en conclure qu'étant imparfaits,<br />

nous <strong>de</strong>vons travailler à augmenter en<br />

,nous ce qui est bon, <strong>la</strong> sagesse et <strong>la</strong> vertu, il en<br />

'conclût que <strong>la</strong> vertu, <strong>la</strong> sagesse, qui sont le souverain<br />

bien, ne sont smœptiMes m mus ni <strong>de</strong> plus<br />

ni <strong>de</strong> moins; que t&uêes tes vertm MM§parfaites,<br />

parce que ternies sont dicfucf, etc. Je ne sais s'il y<br />

a eu au mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> plus mauvais raisonneurs que les<br />

stoïciens. Comment tant d'hommes graves n'ont*<br />

ils pas compris que 9 dans une substance imparfaite f<br />

tous les attributs sont imparfaits, et que par conséquent<br />

<strong>la</strong> sagesse, parfaite en Dieu, ne saurait l'être<br />

en nous? Us auraient pu dire <strong>de</strong> même que notre<br />

intelligence est sans bornes, parée qu'elle émane<br />

<strong>de</strong> f intelligence divine, qui n ? QplIRS DE UTTÉEATIJBE,<br />

ps <strong>de</strong> sens, et es que Fauteur n« veut pas dite,<br />

qu'est-ce qu'un être f tfl se suffi, Hàqutie imeeém<br />

d'aimer esi inMrmif Au reste, je ne reviendrai<br />

plus sur les contradictions : il y es a trop.<br />

Mais voici <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison et <strong>de</strong> <strong>la</strong> haute raison ; et<br />

save&vous pourquoi? Cest qu'elle est 4e P<strong>la</strong>ton.<br />

Sénèque, qui parait en faire fias <strong>de</strong> cas que rat<br />

éditeur, le cite en quelques endroits <strong>de</strong> ses Miw 9<br />

et c'est use occasion dont je profite.<br />

« Admirons ces formes qui remplissait fesaaaa, et as<br />

nsllieti d'elles <strong>la</strong> Mm Masfafsaatt qui, par sa atapess»<br />

corrige Uwkeêe <strong>la</strong> matière,et sauve da ttémm mmmmmêe<br />

qui n'est pas in<strong>de</strong>structible' par lui-même. S'il subsiste et<br />

se €oos@r?êt c'est par les seins d'un smsatl<strong>la</strong>ai S'il élut<br />

étemel, il n'iurait pas besefa <strong>de</strong> gardien; niais il fout que<br />

te même bras qui Ta formé le soutienne 9 et qu'à <strong>la</strong> faiblesse<br />

<strong>de</strong> l'ouvrage supplée <strong>la</strong> puissance <strong>de</strong> l'ouvrier. »<br />

Quand on trouve après ce morceau, quoique<br />

dans use autre lettre, qoe<br />

* Lammrt <strong>la</strong> plus dégoûtante est préférable à fa servitu<strong>de</strong><br />

im pins propre, »<br />

on se sent tomber <strong>de</strong> haut, et Ton passe <strong>du</strong> génie <strong>de</strong><br />

P<strong>la</strong>ton à l<br />

en a pas. Mais tout ce<br />

que nous en avons reçu est dans une proportion nécessaire<br />

avec notre nature, et Dieu lui-même se<br />

pouvait pas loi communiquer une perfection qui<br />

n'est qu'en lui. Mènes <strong>de</strong> - M ému 9 nous dit-on. Je le<br />

sais; mais pourquoiSénèque les a-t-il dé<strong>la</strong>yés dans<br />

cinquante anipiiieatf ons que vous nous donnes peu?<br />

<strong>de</strong> l'éloquence, quand il n'y a que <strong>de</strong> l'ennui?<br />

« La mort <strong>la</strong> plus longue est toujours Sa plus fâcheuse. »<br />

Passons que ce<strong>la</strong> soit t&uj&mrs vrai : pourquoi<br />

doue l'auteur a-i-il compté entre les avantages <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> vieillesse urne éissuiuMum ternie et gra<strong>du</strong>ée î La<br />

contradiction est manifeste, et Sénèque se contredit<br />

sans cesse d'une page à l'autre, et souvent dans<br />

<strong>la</strong> même page : c'est ainsi qu'il affirme que ieèemîn<br />

d'aimer est inhérent à l'homme ( ce qui est vrai) ;<br />

quatre lignes après cette autre assertion f que te<br />

mge se suffi. Or, à moins que ce besoin d'aimer<br />

se soit celui <strong>de</strong> s'aimer soi-même, ce qui n'aurait<br />

? e§prit <strong>de</strong> Sénèque. Les antithèses lui tiennent<br />

lieu même <strong>de</strong> raisonnement, comme dans lindroit<br />

où il prouve que le suici<strong>de</strong> est suffisamment<br />

indiqué par im M éternelle, qui n'a mmert qu'urne<br />

pwtepmtr entrer dam <strong>la</strong> wte, et wmitepmÊr m sortir*<br />

Le facétie n'est pas maltaise 9 mais l'in<strong>du</strong>ction<br />

est bien étrange 9 et cette manière-là n'est pas grave.<br />

¥eut-îl prou?er que <strong>la</strong> raison est ce qui nous rend<br />

supérieurs aux animaux, il nous dit :<br />

« L'homme t aaeta<strong>la</strong>; mais cale <strong>de</strong>s eUens n'est-elle<br />

pas pim eiuire ? cale <strong>de</strong>salgies fit» perçante? ce<strong>la</strong> <strong>de</strong>s<br />

taureau plus §rmw ? »<br />

Os peut lui passer ses aigles et leur voix perçante,<br />

mais <strong>la</strong> voix eiuire àm chiens et <strong>la</strong> voix grave <strong>de</strong>s<br />

taureaux , mise en contrasté a?ce l'organe <strong>de</strong> l'homme,<br />

sont d'un choix bien hétéroclite. En fait d'or*<br />

gaee, <strong>la</strong> gravité <strong>de</strong> celui lies taureaux ne me semble<br />

bonne à elter que comme <strong>la</strong> bouffissure <strong>de</strong> Sénèque<br />

s'appelle gravité <strong>de</strong> style chez ses apologistes.<br />

non-seulement il gâte ses pensées par <strong>la</strong> redondance,<br />

ou <strong>la</strong> disconvenante, ou <strong>la</strong> frî? alité <strong>de</strong>s détails,<br />

mais souvent aussi par l'impuissance <strong>de</strong> rendre bien<br />

une seule fois ce qu'il rend mal à plusieurs reprises.<br />

11 a eu, par exemple, une pensée juste et noble,<br />

que <strong>la</strong> ferme résolution à mourir pour sa patrie est<br />

aussi honorable pour celui qui Fa formée que pour<br />

celui qui l'exécute. Mais comment l'exprime-fe-il?<br />

« Vous neutres pour <strong>la</strong> pfrie, quand même •être réeatatiaa<br />

m s'eiéesteraJl pas sui-le-champ, dn moment<br />

mène ou TOUS sacea eamteiaca qu'il liât le faire. »<br />

Cette phrase est louche et à peine intelligible, dam


ANCIENS. — PHUJOSOPMIL m§<br />

le <strong>la</strong>its contint dans <strong>la</strong> version, surtout par l'équivoque<br />

<strong>du</strong> futur, vous mwwrm, qui <strong>la</strong>isse douter fi<br />

e v le mieux qu'on put ; car, si le philosophe écrit mal ,<br />

il se sera pas lu. AJ'égnd <strong>de</strong> l'orateur, ce<strong>la</strong> se mé­<br />

est tu propre ou au Iguré. Mais si! eût dit : rite pas même <strong>de</strong> réponse : il suffit <strong>de</strong> renvoyer<br />

Êtes-voes bien eonvâtam qu'il fknt moarrir pour <strong>la</strong> pa­ l'homme à <strong>la</strong> fable <strong>du</strong> renatd sans queue. Sénèque<br />

trie; êtet-fnns Mes déterminé à mmtk peur elle s'il ie aime que l'otateur soit vékémmiplutèî qu'apprêté •<br />

fut; eTêst asm : le seeriiee <strong>de</strong> foire fie est ftltf quand ce<strong>la</strong> est merveilleux I II aime mieux une bonne qua­<br />

même il n'y tarait paa Heu à in <strong>de</strong>rnier ; et <strong>la</strong> patrie t as* lité qu'une mauvaise La véhémence est une qualité<br />

eepté vote mûrt : - •<br />

oratoire très-bonne f à moins qu'elle ne soit dép<strong>la</strong>­<br />

sa pensée était complète et enten<strong>du</strong>e.<br />

cée : f apprêt est viâeux partout; et qui jamais a<br />

«Yens vomies savoir es que Je pense <strong>de</strong>s arts Mbéraitt? loué l'apprêt dans lestyle?<br />

M n'en est pis on dont Je tese cas f ps un que je range <strong>du</strong>s LepkMmt%>ke a donc dit une niaiserie, et us au*<br />

M élusse <strong>de</strong>s biens, Cest l'appât <strong>de</strong> pin qui les mciie : Ire Ta répétée : ce<strong>la</strong> n'est-il pas fort imposant?<br />

étu<strong>de</strong>s mmesaliesp abjectes; eiereicêsd'ealiiits, etc.»<br />

La CmmtmMm è Mardm et celle è MeMa sont<br />

L'éditeur et Di<strong>de</strong>rot ont également improuvé ce proprement <strong>de</strong>ux dédamationa <strong>de</strong> sophiste* L'une<br />

passage f qui ne blesse pas seulement <strong>la</strong> justice, mais pleurait son mari * <strong>de</strong>puis trcissiis ; l'autre, mère <strong>de</strong><br />

qui va jusqu'à l'absur<strong>de</strong>, comme si tout travail <strong>de</strong>­ Sénèque, venait <strong>de</strong> perdre le plut jeune <strong>de</strong> ses ils **.<br />

venait abject par un sa<strong>la</strong>ire légitime. Sénèque était Le C@M®tstmr dit à Mareia que c'est l'habitu<strong>de</strong>,<br />

lois d'avoir aperçu cet admirable p<strong>la</strong>n d'une Provi­ et non pas ie regret, qui prolonge l'affliction et les<br />

<strong>de</strong>nce, dans <strong>la</strong> dépendance réeiproque <strong>de</strong>s besoins <strong>la</strong>rmes; ce qui est obligeant pour celle qui pleure<br />

et <strong>de</strong>s travaui $ et dans l'intérêt <strong>de</strong> chacun à travail­ <strong>de</strong>puis si longtemp, et qui aurait pu lui répondre :<br />

ler pour autrui en travail<strong>la</strong>nt pour soi. 11 est même Si vous aves cette opinion <strong>de</strong> ma douleur, vous êtes<br />

fort douteux que ceux qui ont si justement repoussé bien bon <strong>de</strong> prendre <strong>la</strong> peine <strong>de</strong> me mrneter. Mais<br />

cette incarta<strong>de</strong> <strong>de</strong> Sénèque y aïest vu autre chose Sénèque ë'occ*pe4«U d'être conséquent? 11 dit a •<br />

que l'injure <strong>la</strong>ite aux beaux-arts.<br />

l'autre***:<br />

Os put encore s'égayer, en passant, sur son<br />

« Yetre Os est mort trop tôt ; et Pwnpée f «t Catm f et<br />

goût délicat et sur <strong>la</strong> force <strong>de</strong> ses raisons, quand<br />

Cfeéran, et tant d'antres, ont vécu trop


400<br />

CODES BE OTTÉ1AT01E.<br />

mature <strong>de</strong> tk&mmê, parée qu'elle m'est que k désir Trait <strong>de</strong> rhéteur; earf dans <strong>la</strong> croyance vtrigalra f les<br />

<strong>de</strong> fa wemgeance. La. première fausseté est si en­ dieux quittaient cettej?rts@ft quand lis vou<strong>la</strong>ient f et<br />

<strong>de</strong>tte, que l'éditeur et l'apologiste l'avouent. La l'on sait à quel point ils aimaient à s'humaniser; et,<br />

secon<strong>de</strong> est moins sensible, sans être moins réelle; dans les principes philosophiques, dans ceux <strong>de</strong> Sé­<br />

et l'on n'en a rien dit. La colère n'est pas k désir <strong>de</strong> nèque, Dieu est partout. One pareille phrase pou­<br />

<strong>la</strong> n«t§eance, quoique souvent ©e désir suite ou acvait être excusable.dans le jeune disdple; elle se<br />

compagne <strong>la</strong> colère* Eïen n'est plus commun, que Test pas dans le vieux précepteur. On a conté qu'A­<br />

<strong>de</strong>se mettre en colère sans avoir eavie<strong>de</strong> faire aucun lexandre li exposer Lpimaque à un lion, et que<br />

mal. La colère est un mouvement violent <strong>de</strong> f âme l'homme, sans armes, vint à bout <strong>de</strong> <strong>la</strong> bête féroce.<br />

qui repousse ce qui <strong>la</strong> blesse. Mais il ne faut pas <strong>de</strong>­ Ce trait 9 qui a toujours pssé pour fabuleux, et dont<br />

man<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s définitions à Sénèque : je ne crois pas Qulnte-Curce ne parle pas, fournit à Sénèque cette<br />

qu'il y en ait une bonne dans tout ce qu'il a écrit. apostrophe :<br />

Et quand il ajoute que f si <strong>la</strong> colère m'est pas nmturdk<br />

à l'homme, c'est parce qm l'homme ne désire<br />

« j ê te le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, Ô AJaiaadre ! quelle différence y<br />

avait-il entre exposer Lysimaqueà un tins, on te déchirer<br />

pas naturellement <strong>la</strong> vengeance, il entasse fausseté <strong>de</strong> tes propres <strong>de</strong>ats? »<br />

sur fausseté, et raisonne comme il définit. L'indignation qu'inspire <strong>la</strong> cruauté autorise cette<br />

* Si c'est Dieu qui nous frappe, «* perd sa peine en hyperbole oratoire, et c'est là proprement <strong>de</strong> là vé­<br />

s*mmp&rtant emire M, comme m essagani <strong>de</strong>tejlé* hémence, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> véhémence louable et blpn p<strong>la</strong>cée.<br />

cJUr. m<br />

Mais l'auteur n'était pas homme à s'en/tenir là; il<br />

Si Sénèque avait cette idée <strong>de</strong> lrDivinité, il avait ajoute :<br />

bien per<strong>du</strong> m peine à nous en parler tant. La Divinité<br />

est ehes lui, ici comme en vingt endroits, aussi<br />

indifférente, aussi nulle que celle d'Épieure. Celui<br />

« Sa gueule était <strong>la</strong> bouche*. Ta aurais voulu sans doute<br />

être armé <strong>de</strong> griffes et <strong>de</strong> mâchoires assez <strong>la</strong>rges pour dévorer<br />

un homme. »<br />

qui s'emporte contre mm n'est pas seulement in­ Yoilà le pathos. Même mé<strong>la</strong>nge dans le morceau<br />

sensé, il est coupable; et si Dieu était inflexible, il souvent cité <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Gaton :<br />

serait plus mauvais que l'homme, qui se <strong>la</strong>isseflè- « Voici <strong>de</strong>ux athlètes dignes <strong>de</strong>s regards <strong>de</strong> Bien : un<br />

ckir, Yous pouvexremarquer, en passant, combien<br />

homme <strong>de</strong> courage aux prises avec <strong>la</strong> mauvaise fortes® , »<br />

les idées <strong>de</strong> l'ancienne philosophie sur <strong>la</strong> Divinité<br />

beau jusque-là,<br />

étaient souvent erronées : celles <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton, <strong>de</strong> CI-<br />

« surtout quand it est agresseur. »<br />

céron, <strong>de</strong> Plutarque, les meilleures <strong>de</strong> toutes, ne<br />

Ce<strong>la</strong> n'a plus <strong>de</strong> sens; <strong>la</strong> igure n'est plus suivie, car,<br />

sont pas elles-mêmes exemptes d'erreur, et souvent,<br />

en ce genre, l'instinct naturel a mieux valu que <strong>la</strong><br />

entre <strong>de</strong>ux athlètes, il n'y a point é'agrmsem; et<br />

philosophie. Mais nous ne considérons ici que celle comment Caton était-il l'agressewr <strong>de</strong> <strong>la</strong> fortune,<br />

<strong>de</strong> Sénèque, qui nous donne pour unique preuve <strong>de</strong> quand il ne se tuait que pour se dérober à ses coups?<br />

ce paradoie, qm k désir <strong>de</strong> <strong>la</strong> vengeance n'est pas Cette inconséquence est puérile»<br />

motard à l'homme, l'exemple <strong>de</strong>s magistrats qui « Les dieux lurent pénétrés <strong>de</strong> <strong>la</strong> joie <strong>la</strong> plus pure quand<br />

font périr les coupables sans avoir aucune envie <strong>de</strong><br />

se venger d'eux.<br />

On ne revient pas <strong>de</strong> cette fréquente absence <strong>de</strong><br />

toute logique, et <strong>de</strong> cette imperturbable déraison. Il<br />

m grand homme, cet enthousiaste «Mime <strong>de</strong> k liberté»<br />

veil<strong>la</strong>it à 1a sûreté <strong>de</strong>s siens 9 disposait tout pour leur fuite ;<br />

lorsqu'il se livrait à l'étu<strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit même qui précéda sa<br />

mort,»<br />

nous apprend que fa colère est <strong>la</strong> seuk passion qui beau jusque-là;<br />

s'empare <strong>de</strong>s sociétés entières. Il ne <strong>de</strong>vait pourtant * feimpll plongeait te fer dams sa poitrine sacrée, »<br />

pas ignorer que, quand les Cïmbres, les Teutons passe encore, à <strong>la</strong> faveur <strong>de</strong>s maximes païennep,<br />

et les Ambrons vinrent fondre sur <strong>la</strong> Gaule et l'Ita­ « lorsqu'il arrachait ses propres entrantes, et tirait awee<br />

lie ces Mo<strong>de</strong>lés assez nombreuses n'étaient nulle­ m mains son âme vénérable qm le far eût smUUe. •<br />

ment guidées par <strong>la</strong> colère. La passion qui s'était -Ce phébus fait pitié : ne fal<strong>la</strong>it-il pas écarter cette<br />

emparée d'elles, comme <strong>de</strong> tant d'autres peup<strong>la</strong><strong>de</strong>s image <strong>de</strong>s entrâmes arrachées! Ce<strong>la</strong> est d'un fu­<br />

barbares, était uniquement le désir <strong>du</strong> bien d'autrui. rieux plus que d'un sage. Mais ce qui est indigne <strong>de</strong><br />

11 a dit à Héron, à qui son Traité <strong>de</strong> fa démence. tout écrivain sensé, c'est <strong>de</strong> tirer son âme avec ses<br />

est adressé :<br />

« La servitu<strong>de</strong> <strong>la</strong> plus gênante <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur est <strong>de</strong> ne<br />

medm; e'esteette pensée sifolleetsi contradictoire.<br />

moue me les dieux : le cM est lev piton.;


* que le fer eût mmillé l'âme ic Cmton plus qm ses<br />

mmlns,»<br />

comme si Vin eût touché l'âme plus que l'autre ;<br />

comme si Caton, en se frappant, n'eût pas employé<br />

\tfer; et comme si le fer pouvait souiller une âme<br />

plus que les mains : trois absurdités en trois mots;<br />

* ce<strong>la</strong> est d'une trempe rare.<br />

« JLes dieux m hissent tomber <strong>la</strong> prospérité que sur les<br />

Imes abjectes et vulgaires. »<br />

C'est pourtant une vérité assez reconnue <strong>de</strong> tout<br />

temps v que <strong>la</strong> prospérité est <strong>la</strong> plus forte épreuve<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse; et Ïïte-Live * avait dît, avec l'approbation<br />

générale : Seamdm res sapîmiîmm animos<br />

fatigant : La prospérité fatigue les forces <strong>du</strong> sage.<br />

Sénèque, qui fut très-riche, et longtemps puissant<br />

et honoré , se croyait-il alors abject <strong>de</strong>vant les dieui f<br />

Au reste, il y a <strong>de</strong>s moments où ses prétentions<br />

morales paraissent extrêmement bornées, comme<br />

dans cet endroit ioù il dit :<br />

« Je ne me propose pas d'épier les plis vertueux 9 mais<br />

<strong>de</strong> surpasser les méchants. »<br />

Il est pourtant assez raisonnable <strong>de</strong> se proposer le<br />

mieui possible es fait <strong>de</strong> con<strong>du</strong>ite; on en approche<br />

au moins le plus qu'on peut : mais que peut-on gagner<br />

à se comparer aux méchants? Qui croirait que<br />

ce fût là l'ému<strong>la</strong>tion d'un philosophé f ce n'est sûrement<br />

pas celle <strong>de</strong> l'homme <strong>de</strong> bien.<br />

J'ai dit que je ne parlerais plus <strong>de</strong> contradictions ;<br />

mais en voici une si inconcevable, que je ne saurais<br />

me dispenser d'en tenir compte :<br />

« Pentes douter que le sage ne trouve plus d'occasions<br />

<strong>de</strong> déployer son âme dans l'opulence que dans <strong>la</strong> pauvreté?<br />

Et c'est lui qui vient <strong>de</strong> dire que les dieux ne <strong>la</strong>issent<br />

tomber <strong>la</strong> prospérité que sur les âmes abjectes!<br />

Selon Di<strong>de</strong>rot,<br />

« te Traité <strong>de</strong> <strong>la</strong> (Mère est parfait dans son genre : Fauteur<br />

s 9 ? <strong>mont</strong>re grand moraliste» eiceMent raisonneur* et<br />

<strong>de</strong> temps en temps peintre sublimé. »<br />

Cet éloge est <strong>de</strong> <strong>la</strong> même mesure que tous ceux qu'il<br />

prodigue aux différents ouvrages <strong>de</strong> son philosophe<br />

favori; et, d'après les procédés qu'il, a suivis<br />

dans <strong>la</strong> revue <strong>de</strong> ses ouvrages, tout ce que l'on peut<br />

conclure, c'est qu'il n'était pas difficile m perfection,<br />

et que plus il se croyait permis d'affirmer,<br />

moins il se croyait obligé <strong>de</strong> prouver : ce <strong>de</strong>rnier<br />

caractère est celui <strong>de</strong> tous ses écrits.<br />

* Hos, mais Sal<strong>la</strong>ste , Cattt. ehap. 11. — La Harpe cite encore<br />

celle pensée es par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> TAwmdh <strong>de</strong> Qulnanlt, mais<br />

sans en nommer facteur. Il parait qu'il <strong>la</strong> croyait <strong>de</strong> Tite-<br />

U?e.<br />

LA BABFE, — TOME I.<br />

ANCIENS. — PHILOSOPHIE. 40 f<br />

Il ne <strong>la</strong>isse pas <strong>de</strong> combattre, dans cet excellent<br />

raisonneur, et dans ee même traité, comme dans<br />

les autres, les absurdités les plus intolérables, et<br />

que lui-même trouve telles. Les expressions les<br />

plus fortes contre Sénèque ne sont pas ici sous <strong>la</strong><br />

plume <strong>de</strong>s détracteurs, mais sous <strong>la</strong> plume <strong>de</strong> l'apologiste<br />

qui les réfute.<br />

« Ce<strong>la</strong> est d*tm fou... ce<strong>la</strong> est d'un vil esc<strong>la</strong>ve.... Yous<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>z l'impossible, le nuisible même.... Sénèque,<br />

mon philosophe , que faites-vous ? Tous admislstrez i<strong>de</strong>mment<br />

eu poison.... Je le répète : Séoèqoe m'est odieux,...<br />

l'entre dans une espèce d'indignation 9 ete. »<br />

Qui s'exprime ainsi ? Di<strong>de</strong>rot* Mais eu même temps,<br />

quels hommes ont été les critiquée <strong>de</strong> Sénèque F<br />

« Des ignorants qui ne l'avaient pas lu, <strong>de</strong>s envieux qui<br />

Favaient lu avec prévention, <strong>de</strong>s Épicuriens dissolus et<br />

réfoltés <strong>de</strong> sa morale austère, <strong>de</strong>s littérateurs qui préféraient<br />

iâ|ïîireté <strong>du</strong> style i <strong>la</strong> pureté <strong>de</strong>s mœurs. »<br />

Qui parle ainsi? Encore Di<strong>de</strong>rot. Je ne sais dans<br />

<strong>la</strong>quelle <strong>de</strong> ces c<strong>la</strong>sses il veut être p<strong>la</strong>cé; mais aucun<br />

critique, que je sache, n'en a dit davantage<br />

contre Sénèque. 11 lui reproche les contradictions,<br />

les subtilités, les assertions les plus révoltantes,<br />

<strong>de</strong>s pues antisociales, superstitieuses, pusil<strong>la</strong>ni-t<br />

mes, perfi<strong>de</strong>s, un esprit monacal; il argumente<br />

contre lui , et fréquemment, et <strong>de</strong> façon à le ré<strong>du</strong>ire<br />

à l'absur<strong>de</strong>, ce qui n'est pas difficile. Deman<strong>de</strong>rez -<br />

TOUS comment il concilie ses louanges avec tant <strong>de</strong><br />

reproches qui les détruisent? c'est que Di<strong>de</strong>rot ne<br />

s'occupe pas plus que Sénèque d'être d'accord avec<br />

lui-même; c'est qui] n ? a jamais dans <strong>la</strong> tête que <strong>la</strong><br />

page qu f il écrit, et qu'il oublie dans l'une ce qu'il<br />

a dit dans l'autre; c'est qu'enfin, lorsqu'il s'aperçoit<br />

lui-même <strong>de</strong>s atteintes qu'il porte à son héros<br />

<strong>de</strong> philosophie, il en est quitte pour nous dire qu'il<br />

faut pardonner à Sénèque, parce que rien n'est plus<br />

naturel et plus commun que <strong>de</strong> passer les bornes<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité par intérêt pour <strong>la</strong> cause qu'on défend ;<br />

et il est irai que'rien n'est plus naturel et plus<br />

commun aux têtes chau<strong>de</strong>s et aux mauvais esprits ,<br />

à qui sans doute on peut le pardonner, pourvu<br />

qu'on nous pardonne aussi d'en faire fort peu <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> cas, et pourvu qu'on se souvienne que les bons<br />

esprits et les bous écrivains n'ont ps besoin <strong>de</strong> ee<br />

pardon-là.<br />

Malheureusement encore Di<strong>de</strong>rot reprend dans<br />

Sénèque le vrai comme le faux, et j'en donne surle-champ<br />

<strong>la</strong> preuve. Il s'agissait <strong>de</strong> répondra à ceux<br />

qui avaient soutenu très-mal à propos que <strong>la</strong> colère<br />

en elle-même était utile, et servait <strong>de</strong> soutien et <strong>de</strong><br />

mobile aux vertus, par exemple, au courage dans<br />

les combats ; comme si Ton n'était brave que par colère,<br />

et que le premier mérite <strong>de</strong> <strong>la</strong> bravoure ne fût


C0U1S DE UTTÉMTOEE.<br />

pas le calme et le sang-froid , qui <strong>la</strong> distinguent <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> témérité. Sénèque traite fort sensément cet endroit,<br />

quoique beaucoup trop longuement 9 comme<br />

<strong>de</strong> coutume. 11 s'écrie à ce sujet :<br />

« La verte serait bien malheureuse, si die mmt besoin<br />

<strong>du</strong> se<strong>cours</strong> <strong>de</strong>s vices. »<br />

C'est peut-être une dm plus beMes lignes ( pour par-<br />

1er comme Di<strong>de</strong>rot ) qui soient Tenues sous <strong>la</strong> plume<br />

<strong>de</strong> Sénèque. Mais pour cette fois ce n'est pas ïmk<br />

<strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot, qui ne veut pas que les passions soient<br />

<strong>de</strong>s vices; et il est ici question <strong>de</strong> <strong>la</strong> colère comme<br />

habitu<strong>de</strong>, iracuntMa* (disaient les Latins), mot<br />

qui nous manque en français pur eiprimer substantivemeiit<br />

<strong>la</strong> différence <strong>de</strong> l'homme en colère à<br />

Thomme colère. Dès lors il est hors <strong>de</strong> doute que<br />

Yiracundia est une habitu<strong>de</strong> vicieuse, une passion,<br />

un fiée* Biais Di<strong>de</strong>rot soutient le contraire , c'est-àdire<br />

qu'il nie qu'unepassion soit un niée. Cependant<br />

nous appelons passions, dans un sens absolu<br />

it générique, les affections déréglées <strong>de</strong> rame; et<br />

quand nous foulons donner à ce mot une acception<br />

favorable , nous y joignons toujours une épithète qui<br />

le relèfe et le corrige, comme une passion noèk,<br />

louable, lêgitime9 etc. , «spèce <strong>de</strong> ûgure <strong>de</strong> diction<br />

reçue dans toutes les <strong>la</strong>ngues. Mais comment Di<strong>de</strong>rot<br />

prouve-t-il sa thèse? Comme il a coutume <strong>de</strong><br />

prouver. Il fie conçoUpas qu'un être sensible agisse<br />

sans passion; et il confond ainsi les affections naturelles<br />

quelconques avec les affections vicieuses<br />

qu'on appelle en français passions. Pour nous faire<br />

entendre qu'on n'agit point sans passion ( quoique<br />

ce seul énoncé, agir avec passion, soit universellement<br />

l'expression <strong>du</strong> blâme )? il ne lui faut que<br />

<strong>de</strong>ux lignes, et pas un mot <strong>de</strong> plus.<br />

« Le magistrat juge sans passion; mais c'eil par §&ût<br />

m par passion qu'il est magistrat. »<br />

Je ne connais guère que Dandin qui fût magistrat<br />

par passion, et j'en ai connu beaucoup qui ne Tétaient<br />

pas même par goût, sans compter que le goût<br />

n'est point <strong>la</strong> passion. Mais qu'importe à Di<strong>de</strong>rot?<br />

Vous voyez qu'il est au niveau <strong>de</strong> Sénèque, et comme<br />

loi, excellent raisonneur et stêlime moraMsÉe.Màm<br />

c'est avec cette rare logique qu'on endoctrine le<br />

genre humain, et-qu'on lui comman<strong>de</strong> <strong>de</strong> respecter<br />

les philosophes.<br />

« La raison est tranquille ou furieuse, »<br />

Ce n'est pas un axiome <strong>de</strong> Sénèque, c'est une ligne<br />

<strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot, dont Ja raison en effet est souvent/nrkme,<br />

m ce sens que <strong>la</strong> fureur lui tient lieu <strong>de</strong> rai-<br />

1 Ira, <strong>la</strong> colère ; imim, Thomme en colère; imcmném,<br />

l'homme colère. Jusque-là, aoua gommes m équivalent ; mais<br />

pour imcunàia, nous sommes obligés <strong>de</strong> dire rhaWtu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> colère.<br />

son, comme dans ses réponses aux censeurs It Sénèque.<br />

Vous verrez qu'elles ne sont jamais que <strong>de</strong>s<br />

invectives qui supposent ta fureur, ou <strong>de</strong>s sophismes<br />

audacieux qui supposent un homme hors <strong>de</strong> sens.<br />

11 s'est appliqué surtout, ainsi que l'éditeur, à<br />

donner un grand poids aux suffrages qu'a obtenus<br />

Sénèque, et à décrier ceux qui se sont réunis contre<br />

lui, <strong>de</strong>puis Quîntilien jusqu'à nos jours. Ceci nous<br />

mène à l'examen <strong>de</strong>s autorités qu'on a voulu ba<strong>la</strong>ncer,<br />

et qui sont curieuses à peser. Mais auparavant<br />

je croîs <strong>de</strong>voir compléter cette analyse par un morceau<br />

<strong>du</strong> choix <strong>de</strong> nos adversaires, qui met à portée<br />

<strong>de</strong> les prendre pour ainsi dire corps à corps, et <strong>de</strong><br />

les combattre sur leur propre terrain. 11 faut leur<br />

êter te subterfuge fermai dans ces sortes <strong>de</strong> controverses,<br />

que l'on n'a <strong>mont</strong>ré que le cdté faible <strong>de</strong><br />

l'auteur. J 9 aî commencé par faire tout le contraire;<br />

mais ce n'est pas assez : je veux inir <strong>de</strong> même, et<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> manière <strong>la</strong> plus décisive. Di<strong>de</strong>rot nous propose<br />

un morceau <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux pages, sur lequel il consent<br />

que Sénèque soit jugé..<br />

« Si l'on doute, diMl, que Sénèque f série penser <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong>s choses, et tes rendre amc noblesse, f en appellerai<br />

an dis<strong>cours</strong> qu'il a mis dans <strong>la</strong> eenclie ie Néron , au<br />

œmmeiieemêni do Traité <strong>de</strong> <strong>la</strong> Clémence, et je <strong>de</strong>mas»<br />

dorai quelques pages plus belles en aucun auteur, sans<br />

en eicepter Tacite. »<br />

Tant mieux : ce<strong>la</strong> s'appelle se présenter <strong>de</strong> bonne<br />

grâce; et pourquoi l'apologiste n'est-il pas toujours<br />

aussi franc <strong>du</strong> collier? Cependant il n'a pas voulu<br />

cette fois confier son auteur à un autre, et sa ver*<br />

sion n'est pas celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grange. Mais il est juste<br />

<strong>de</strong> préférer celle-ci, car elle est plus fidèle et meilleure<br />

: et d'un ce té, Di<strong>de</strong>rot a joint ses fautes à celles<br />

<strong>de</strong> Sénèque, ce dont je ne veux pas profiter ; et<br />

<strong>de</strong> l'autre, il s'est permis <strong>de</strong>s suppressions qui changeraient<br />

un peu l'état <strong>de</strong>s choses, et par conséquent<br />

celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> question. Lisons le morceau.<br />

« 11 est agréable <strong>de</strong> se dire à soi-même : Seul <strong>de</strong> tous<br />

les mortels, j'ai été choisi pour représeiier les dieux sur<br />

<strong>la</strong> terre. Arbitre absolu <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie et <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong>s nations y<br />

Se sort et f état <strong>de</strong> chaque Indivi<strong>du</strong> est remis dans mes<br />

mains. Cest par ma bouche que le fortune déc<strong>la</strong>re ce qu'elle<br />

Veut accor<strong>de</strong>r à chaque homme. C'est <strong>de</strong> mes réponses<br />

que les peuples et les villes reçoivent les motifs <strong>de</strong> leur joie.<br />

Molle partie do mon<strong>de</strong> n f est florissante que par ma fer car et<br />

ma volonté. Ces milliers <strong>de</strong> g<strong>la</strong>ires que <strong>la</strong> pâli relient dans le<br />

fourreau, d'an clin d'oeil je tes en ferai sortir. C'est moi qui<br />

déci<strong>de</strong> quelles nations eteireat être anéanties on transportées<br />

alSteiirs, affranchies on ré<strong>du</strong>ites en servitu<strong>de</strong> ; quels souveraias<br />

doivent être <strong>la</strong>its ese<strong>la</strong>res; quels fronts doivent être<br />

ceints <strong>du</strong> ban<strong>de</strong>au royal ; quelles Tilles doivent être détruites,<br />

quelles cités s'élever sur leurs débris. Malgré cette puis<br />

sauce suprême, on ne peut pas me reprocher un seul supplice<br />

injuste. Je ne me guis <strong>la</strong>issé emporter, ni par <strong>la</strong> colère,


m par <strong>la</strong> fougue <strong>de</strong>là Jeunesse, si par <strong>la</strong> témérité et l s ©bs«<br />

tisatiiMi <strong>de</strong>s hommes , qui fait perdre patience au âmes<br />

les plus tranquilles , ni par rambitiim cruelle, et pourtant si<br />

commune aux maîtres <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> » <strong>de</strong> <strong>mont</strong>rer leur pouvoir<br />

par <strong>la</strong> terreur. Chei moi f le g<strong>la</strong>ive est enfermé, on plutôt<br />

captif, dans le fourreau. Je suis a?are <strong>du</strong> sang même le<br />

plus fil ; et quand on n'aurait pas d'autre reeommandatios<br />

que le titre d'homme f e 9 en serait une suffisante auprès <strong>de</strong><br />

moi. A ma cour, te sévérité se cache* et <strong>la</strong> démence se<br />

<strong>mont</strong>re à découvert Je m'observe comme si je <strong>de</strong>vais<br />

compte <strong>de</strong> ma con<strong>du</strong>ite aux lois $ que j'ai tirées <strong>de</strong>s ténèbres<br />

pour les exposer au grand jour. Je suis touché <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

jeunesse <strong>de</strong> l'un, <strong>de</strong> Fige avancé <strong>de</strong> Fan Ira; je fais grâce<br />

à <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> celui-ci t à <strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong> celui-là ; et si je<br />

ne trouve pas d'autre motif <strong>de</strong> commisération, je pardonne<br />

pour me faire p<strong>la</strong>isir à moi-même. Si les dieux immortels<br />

me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt compte aujourd'hui <strong>de</strong> mon administration t<br />

je sois fuit à leur faire le dénombrement <strong>du</strong> genre humain.<br />

*<br />

Si ton dmtê qu'a?ee beaucoup <strong>de</strong> connaissances<br />

on puisse avoir très-peu <strong>de</strong> tact, et ne pas distinguer<br />

l'enflure <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur, et <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>mation <strong>de</strong><br />

réloquenee, ce jugement solennel <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot en sera<br />

une preuve et un exemple. 11 n'est pas mime besoin<br />

d'un goût très-exercé pour apercevoir tout <strong>la</strong> grossière<br />

inconvenance <strong>de</strong> ce morceau. Comment Séné*<br />

que et Di<strong>de</strong>rot n'ont-ils pas senti f l'un plus que<br />

l'autre, tous les fiées <strong>de</strong> cette composition? Il n'y<br />

a là en tout qu'une seule idée :<br />

« Je jouis <strong>du</strong> plus grand pouvoir, et n'en ai point abusé ;<br />

je puis faire beaucoup <strong>de</strong> mal y et n'ai fait que <strong>du</strong> bien. »<br />

Yoilà le fond. Admettes ensuite rampliflcation oratoire<br />

; elle doit avoir partout ses bornes : Gicéron ne<br />

les passe jamais. Elles sont ici outre-passées au<br />

<strong>de</strong>rnier excès f et <strong>de</strong>vaient être d'autant plus resserrées,<br />

qu'on ne supporte pas longtemps un homme<br />

qui se rend un compte si gratuit <strong>de</strong> tout ce qu'il est,<br />

<strong>de</strong> tout ce qu'il peut, <strong>de</strong> tout ce qu'il Tant f <strong>de</strong> tout le<br />

bien qu'il a fait. Aucun panégyrique ne parait plus<br />

long à l'auditeur ou au lecteur que celui qu'on fait<br />

<strong>de</strong> soi-même. Cette prolixité f fastidieuse en soi 9 est<br />

donc ici doublement insupportable. L'emphase ne<br />

f est pas moins; elle est l'opposé <strong>de</strong> <strong>la</strong> mèksse mo<strong>de</strong>ste<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> dignité simple 9 qui sied surtout au<br />

témoignage <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience. Qu'est-ce que ce gigantesque<br />

éta<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> <strong>la</strong> puissance impériale, dont<br />

personne ne doit être moins ébloui que celui qui <strong>la</strong><br />

possè<strong>de</strong>? 11 pourrait passer dans <strong>la</strong> bouche d'un f<strong>la</strong>tteur<br />

: il ne saurait être dans celle <strong>du</strong> maître <strong>du</strong><br />

mon<strong>de</strong>. Les détails mêmes en sont faux et <strong>du</strong> plus<br />

mauvais choix. Un homme raisonnable ne croit jamais<br />

être en droit <strong>de</strong> faire le mal, ê'anéanMr <strong>de</strong>s nu-<br />

«©m, <strong>de</strong> détruire <strong>de</strong>s viUes, défaire esc<strong>la</strong>ves <strong>de</strong>s<br />

smmeroim, etc. El ce n'est pas seulement le pouvoir,<br />

ANCIENS. - PHILOSOPHIE. 40»<br />

c'est aussi te droit qui est exprimé dans les termes<br />

<strong>de</strong> Fauteur 1 . Cette jactance féroce est d'us chef <strong>de</strong><br />

hor<strong>de</strong>s barbares, d'un Atti<strong>la</strong>, d'un Tamer<strong>la</strong>n; et il<br />

n'y a qu'un ma<strong>la</strong>droit rhéteur qui puisse l'attribuer<br />

à un empereur romain t qu'il croît agrandir et qu'il<br />

<strong>la</strong>it petit. En écoutant Héron 9 je croyais entendre<br />

le matamore dont je par<strong>la</strong>is ci-<strong>de</strong>ssus :<br />

n est vrai que Je rêve », et ne sais que résoudre.<br />

Lequel <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux-Je dois le premier mettre en pondre s<br />

Bu grand SopM <strong>de</strong> Pêne on bien <strong>du</strong> grand Magot<br />

N'est-ce pas <strong>la</strong> même chose? Et vous voyez que <strong>la</strong><br />

fausse gran<strong>de</strong>ur, dans <strong>la</strong> comédie qui ? eut faire rire ,<br />

a le même ton et le même <strong>la</strong>ngage que dans un philosophe<br />

qui ? eut faire admirer <strong>la</strong> véritable gran<strong>de</strong>ur. Le<br />

rapport peut-il être plus frappant et plus instructif?<br />

Youles-fous quelque chose qui le soit da?antage?<br />

C'est l'exemple <strong>du</strong> bon substitué à celui <strong>du</strong> mac?aïs*<br />

Racine a fait usage <strong>de</strong> ce qu'il y a?ait <strong>de</strong> bien TU dans<br />

le<strong>de</strong>swin<strong>de</strong>SénèquejCtn'arieapris<strong>de</strong> l'exécution. II<br />

a rempli et rectifié son idée en <strong>la</strong> restreignant à ce<br />

qui peut instruire et toucher, c'est-à-dire à <strong>la</strong> satisfaction<br />

intérieure d'un bon prince qui jouit <strong>du</strong><br />

bonheur qu'il donne. Il fait dire à Burrhus en scène<br />

a?ec Néron :<br />

Quel plililf <strong>de</strong> penser et <strong>de</strong> dite en Tous-même :<br />

Partout, en ce moment, os me bénit, on m'aime;<br />

On ne voit point le peuple à mon nom s'a<strong>la</strong>rmer;<br />

Le efei dans tous leurs F pleurs ne m'entend rw.— point nommer; ne<br />

Lear sombre ia<strong>la</strong>iiîlé se fait point mon visage ;<br />

le Tufs voler parfont les cœurs à mon passage.<br />

Quelle différence <strong>de</strong> ton et <strong>de</strong> style ! C'est celle <strong>de</strong> l'écrivain<br />

éloquent à celui qui tâche <strong>de</strong> l'être. 11 n'a,<br />

d'ailleurs, dans cette même scène, rien emprunté<br />

<strong>de</strong> Sénèque, que ce seul fers, plteé beaucoup plus<br />

convenablement dans <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong> Burrhus :<br />

Le sang te plus abject vous était précieux ;<br />

vers qui tf a rien <strong>de</strong> fort remarquable : mais celui-ci y<br />

La efef dam tons leurs pleurs ne m 9 enteni point nommer<br />

réunît au sentiment cette élégance qui est à Racine-<br />

Ce seul ?ers vaut mille fois mieux que toute <strong>la</strong> rhétorique<br />

<strong>de</strong> Sénèque.<br />

Parmi les autorités que Di<strong>de</strong>rot veut faire valoir<br />

en faveur <strong>de</strong> son philosophe, on nous permettra, je<br />

crois, <strong>de</strong> ne pas compter pour beaucoup Juste-Lipse,<br />

savant <strong>du</strong> seizième siècle 3 , et l'un <strong>de</strong> ces commcti-<br />

1 Que les nations ë&ivmt'èlM anéanties, aie,; et font le<br />

rate <strong>de</strong> <strong>la</strong> phrase est <strong>de</strong> même, ainsi que dans le <strong>la</strong>tte.<br />

* L'Eimim eomipit, <strong>de</strong> P. Corneille.<br />

» luste-Lipe fut, dans son enfance, un prodige d'érodftlon<br />

et <strong>de</strong> mémoire ; et ensuite un prodige <strong>de</strong> ridicule, comme<br />

nomme et comme éerirain. Il s'était pris <strong>de</strong> belle passion<br />

'pour Tacite ; et ce qui prouve que ce n'était pas une passion<br />

fort éc<strong>la</strong>irée, c'est qu'il en avait use encore plus gran<strong>de</strong><br />

pour Sénèque. I! se mit m tête <strong>de</strong> ressusciter le stoïcisme,<br />

36.


404 ,<br />

COU1S DE L1TTÉRATU1E.<br />

tuteurs dont le Ira?âîî n'a pas été inutile t mais doot aversion pour ce qui est surabondant, que nous<br />

le goût n'a jamais fait loi ; ni un abbé Ponçai, qui, sommes toujours occupés à ré<strong>du</strong>ire nos harangues<br />

<strong>de</strong> nos jours, a donné eue VU <strong>de</strong> Sémèqw, et une tra­ au lieu <strong>de</strong> les amplifier. 11 a uae telle aversion pour<br />

<strong>du</strong>ction <strong>du</strong> Traité <strong>de</strong>s Bienfaits, ouvrages fort igno­ le faux, que tout fart, toute l'élégance et tout l'érés<br />

9 que Di<strong>de</strong>rot a cru <strong>de</strong>voir tirer <strong>de</strong> l'oubli, appac<strong>la</strong>t <strong>de</strong> <strong>la</strong> diction d'Esebine peuvent à peine faire<br />

remment pour nous apprendre que d'ordinaire un écouter ses sophismes; encore ne lui ont-Os guère<br />

tra<strong>du</strong>cteur faisait cas <strong>de</strong> fauteur qu'il prenait <strong>la</strong> réussi. Croyez-moi, restez, comme ¥©tre pèref tut<br />

peine <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ire; ce que personne ne contestera. Il bon déc<strong>la</strong>wmteur * <strong>de</strong>s écoles. 11 n'y a veine chez vous<br />

suffirait, pour annuler le jugement <strong>de</strong> Juste-Lipse, qui ten<strong>de</strong> à ce que nous appelons l'éloquence, nous<br />

<strong>de</strong> rappeler ce que Di<strong>de</strong>rot et l'éditeur étalent en <strong>la</strong>tin autres qui passons pour nous y connaître.<br />

et en français, a?ee une bonne foi et une comp<strong>la</strong>i­ On nous oppose aussi le témoignage <strong>de</strong> Lamothesance<br />

également admirables ; que ce sa?ant retrouvait Levayer ; mais 11 ne porte que sur <strong>la</strong> morale <strong>de</strong> Sé­<br />

dans Sénèque <strong>la</strong> véhémence <strong>de</strong> Démosthènes. C'est nèque; et personne se nie qu'il n'y ait <strong>de</strong> belles et<br />

à coup sûr <strong>la</strong> seule fois qu'on a mis ces <strong>de</strong>ux noms bonnes choses, bien ou mai dites, parmi une foule<br />

ensemble : Démosthènes et Sénèque 1 Pour déterrer d'autres qui sont outrées, et même extravagantes.<br />

ce bizarre alliage 9 il fal<strong>la</strong>it fouiller dans les brous­ Di<strong>de</strong>rot es convient, et prétend qu'il faut les mettre<br />

sailles <strong>de</strong>s scoliastes avec Finfatigable curiosité <strong>de</strong> sur le compte <strong>de</strong> son stoïcisme. Tant pis pour son<br />

nos <strong>de</strong>ui apologistes $ déterminés à tirer parti <strong>de</strong> qui­ stoïcisme et pour lui : voilà use p<strong>la</strong>isante excuse ! Et<br />

conque aurait pu dire <strong>du</strong> bien <strong>de</strong> Sénèque. Si Ton qu'importe que ce soit <strong>de</strong> sa secte ou <strong>de</strong> lui que<br />

vou<strong>la</strong>it dire <strong>du</strong> mal d'Horace f il n'y aurait qu'à pro­ vienne ce qui fait une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> ses écrits, et<br />

<strong>du</strong>ire <strong>de</strong> même les inepties pédantesques <strong>de</strong> Jules- ce qui en rend <strong>la</strong> lecture si difficile à soutenir 1<br />

Scaliger, heureusement ensevelies avec lui. Que On fait grand bruit d'un suffrage <strong>de</strong> Montaigne,<br />

s'eussent-ils pasdit eux-mêmes $ si on leur eût allé­ qui, en effet, est un autre homme que ceux-là : mais<br />

gué entouteautre occasion l'autorité <strong>de</strong> Juste-Lipse ? d'abord, pour ce qui concerne Sénèque, Montaigne<br />

Comme ils se seraient moqués, non sans raison, et lui reconnaît do grands défauts; et, s'ils adoptent<br />

<strong>du</strong> pédant et <strong>de</strong> ses écoliers ! Mais aujourd'hui, à tout l'avis <strong>de</strong> Montaigne quand il loue, et le rejettent<br />

ce qui a été avancé contre le style <strong>de</strong> Sénèque, ils quand ilblâmef pourquoi n'aurions-nous pas le droit<br />

répon<strong>de</strong>nt gravement : Ce n'estpas l'avis <strong>de</strong> Juste- d'en faire autant? Montaigne n'est pas plus infailli­<br />

Lipse. Et ils partent <strong>de</strong> Juste-Lipse pour nous donner ble dans l'un que dans l'autre, et pas plus pour nous<br />

comme une chose convenue que Démosthènes et que pour eux. Di<strong>de</strong>rot et l'éditeur p<strong>la</strong>cent Sénèque<br />

Sénèque sont, <strong>du</strong> moins pour <strong>la</strong> véhémence*, sur <strong>la</strong> ®nr<strong>de</strong>ssm<strong>de</strong>êmsksmùmU$êesi et multiplient toutes<br />

même ligne. Quiconque a étudié les anciens autre­ les expressions <strong>du</strong> mépris pour quiconque a pu en<br />

ment que les glossateurs <strong>du</strong> seizième siècle? quicon­ douter. Cependant je ne vois pas que, <strong>du</strong> parallèle<br />

que a un peu d'usage <strong>de</strong>s principes <strong>de</strong> l'art d'écrire, que fait Montaigne <strong>de</strong> Plutarque avec Sénèque, on<br />

ne daignera pas même mettre à l'examen ce b<strong>la</strong>s­ puisse conclure, à beaucoup près, <strong>la</strong> supériorité <strong>du</strong><br />

phème littéraire. II se contentera d'assurer que Dé­ <strong>de</strong>rnier. Vous en jugerez en écoutant Montaigne luimosthènes<br />

n'eût pas m&m voulu d'un Sénèque pour même, qu'on est toujours bien aise d'entendre.<br />

élève dans l'art oratoire. 11 lui aurait dit : N'y*pensez<br />

« Plutarque est pins uniforme et constant; Seaeque, plus<br />

pas; vous n'êtes point né orateur, surtout pour <strong>de</strong>s<br />

ondoyant et divers : cette? cy se peine, semiéUei se tend,<br />

Athéniens. Vous avez <strong>de</strong>ux défauts, entre autres, pour armer <strong>la</strong> vertu contre <strong>la</strong> foiblesse, 1a crainte et les>i-<br />

qui sont l'opposé <strong>de</strong> notre attïeisme, <strong>la</strong> verbosité et cleia appétits; l'aoltre semble n'estimer pas tant leurs ef­<br />

l'affectation. Notre peuple d'Athènes a une telle forts, et <strong>de</strong>sdaigner d*en hasfer son pas et se mettre sur<br />

sa gar<strong>de</strong>. Plu torque a les opinions p<strong>la</strong>toniques, doutées et<br />

accommedaèles à <strong>la</strong> société civile : Faultre les a stoïques<br />

et epicii rieuses \ ping edoffigoees <strong>de</strong> l'usage commun, mais<br />

selon moy plus commo<strong>de</strong>s en particulier et plus fermes. »<br />

et d'en expliquer toute <strong>la</strong> doctrine, qu'il prétendait avoir<br />

toujours été mal enten<strong>du</strong>e ; et on lui a prouvé que c'était lui<br />

qut ne l'entendait pas. Il prit Sénèque pour sou modèle <strong>de</strong><br />

style, et n'en imita que les défaits, qu'il porta au point <strong>de</strong><br />

tout écrire eu épigrammes et eu pointes, même son épi<strong>la</strong>phe,<br />

que nous avons, et qui est un morceau rare en m<br />

genre. L'éditeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Graoge avait dit lui-même dans ses<br />

notes que Juste-Lipse avait pim ê'êrudMwm que <strong>de</strong> §oûL<br />

Mais, quand <strong>la</strong> querelle s'allume, ce même Juste-lipe <strong>de</strong>vient,<br />

dans l'ouvrage <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot, un juge plus compétent<br />

que tous les Ultérateurs mo<strong>de</strong>rnes, parce qu'il mvait mieux<br />

Je <strong>la</strong>tin. Mais ce n'est point <strong>de</strong> <strong>la</strong>tin qu'il s'agit, c'est <strong>de</strong><br />

goût; et, si vous convenez qu'il n'en avait guère, pourquoi<br />

donc le elta-Yôus?<br />

1 C'est l'exptesifam <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot f en par<strong>la</strong>nt <strong>du</strong> père cle<br />

Sénèque.<br />

» On <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra peut-être comment Montaigne réunit<br />

<strong>de</strong>ux choses si différentes. C'est d'abord en ee qu'Épia»,<br />

comme Zenon, $ f éloignait 4e l'umge commun <strong>de</strong>s mots :<br />

os ee i ?ïi fi preuve dans tout ee qui a été 0t <strong>de</strong> leur philo-<br />

Sophie. De plus, il parait que Montaigne, ainsi que Sénèque,<br />

considère ici Épieure dans sa morale personnelle, qui était<br />

très-sévèref et son pas dans sa doctrine publique, qui certainement,<br />

quo| qu'on m ait dit, anéantit les <strong>de</strong>voirs et les


Ce<strong>la</strong> paraissait plus commo<strong>de</strong> à Montaigne, mais<br />

peu <strong>de</strong> gens ont été <strong>de</strong> son avis et en seront ; et, <strong>de</strong><br />

plus, il m s'agit ici, comme on voit 9 que <strong>de</strong> morale,<br />

et ceci n'a point trait an mérite <strong>de</strong> l'écrivain.<br />

m il paroist en Seneque qu'il preste un peu à te tyrannie<br />

<strong>de</strong>s empereurs <strong>de</strong> son temps; »<br />

( Voilà bien Montaigne an rang <strong>de</strong>s échos <strong>de</strong> Suiteus,<br />

et <strong>de</strong> Dion, et <strong>de</strong> À'fphUin, comme disent les<br />

apologistes, puisque ces échos n'en ont guère dit<br />

davantage.)<br />

« car te tiens pour certain que c'est d'un jugementforcé<br />

qyll con<strong>de</strong>mne Sa cause <strong>de</strong> ces généreux meurtriers <strong>de</strong><br />

César. »<br />

- ( Si Montaigne ne doute pas que le philosophe<br />

Sénèquê n'ait hl^sê forcer son jugement, pourquoi<br />

serait-ce un si grand crime <strong>de</strong> penser qu'il s'est un<br />

peu prêté à <strong>la</strong> tyrannie en bien d'autres occasions ?)<br />

« Plutarque esi Hère par tome. »<br />

( 11 me semble que ce n'est pas là un avantage<br />

médiocre; et, si Plutarque a écrit sous Trajan, il<br />

écrivit aussi sous Domitien. )<br />

« Seneune est plein <strong>de</strong> pometeset saillea; Plutarque 9<br />

éecJmses:»<br />

( Lequel vaut le mieux ? )<br />

« eeJn j là vous esehanffê plus et vous esment ; »<br />

( N'en dép<strong>la</strong>ise à Montaigne, il me semble ici peu<br />

conséquent, à moins qu'il n'ait voulu dire que Sénèquê<br />

échauffait plus <strong>la</strong> tête. )<br />

«cettny ey vous contente ÉâfJtnfsge et vous paye<br />

mieulx; »<br />

( Ceci ennienie ma conjecture, et donne beaucoup<br />

plus à Plutarque qu'à Sénèque, ou je n'entends pas<br />

le français. )<br />

« il nous gui<strong>de</strong>, Fanître sons poulse. »<br />

Es morale, celui qui est capable <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>r est le<br />

plus sûr : celui qui pousse peut quelquefois pousser<br />

tout <strong>de</strong> travers.<br />

Conclusion, qu'an dire <strong>de</strong> Montaigne même, qu'on<br />

nous oppose avec un préambule foudroyant, nonseulement<br />

Sénèque n'est pas plus grand moraliste,<br />

plus grave, plus profond, plus utile que Plutarque,<br />

mais même est entaché <strong>de</strong> plus d'un défaut et <strong>de</strong> plus<br />

d'une faiblesse, qui ne sont rien moins que sans<br />

conséquence, tandis que ce même Montaigne ne<br />

fait pas à Plutarque le moindre reproche; et, s'il<br />

fal<strong>la</strong>it choisir d'après ce parallèle, qui est-ce qui<br />

vertus. Os disait <strong>de</strong> Ini : « 11 détruit <strong>la</strong> dévolu par ses pa.<br />

« roks, mais 11 les «mitent par ses exemples. *» On pourrait<br />

répondre qu'un philosophe qui déimii ies <strong>de</strong>mim pat m§<br />

pamleê donne ea effet le pins pernicieux <strong>de</strong> tous le» exmmptm.<br />

ANCIENS. - PHILOSOPHIE. 405<br />

ba<strong>la</strong>ncerai l à vouloir être Plutarque plutôt que Séné*<br />

que?<br />

— Mais comment les apologistes ont-ils eux-mêmes<br />

cité ce qui leur est si contraire? — Je. vous l'ai<br />

dit : c'est qu'ils n'ont jamais qu'une idée à <strong>la</strong> fois,<br />

et qu'ils n'ont vu dans tout le passage que <strong>la</strong> préférence<br />

donnée en philosophie morale à Plutarque et<br />

à Sénèque conjointement, sur P<strong>la</strong>ton et Cicéron,<br />

comme vous l'allez voir; et, à <strong>la</strong> faveur <strong>de</strong> ce résultat,<br />

ils ont <strong>la</strong>issé passer Plutarque sans y faire trop<br />

d'attention} non plus qu'à <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s motifs <strong>de</strong><br />

préférence énoncés dans Montaigne, qui nous dît<br />

au môme endroit :<br />

« Ils ont touts tiens cette notablemmmodïté pmr mmn<br />

humeur, qm <strong>la</strong> science que l'y cherche y est imiciéê à<br />

pièces décousues, qui ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt pas l'obligation d'un<br />

long travail, <strong>de</strong>quoy i§ suis incapable : ainsi sont les<br />

opuscules <strong>de</strong> Plutarque, et les epîtrm <strong>de</strong> Sénèque, qui<br />

sont <strong>la</strong> plus Mie partis <strong>de</strong> leurs escripts et <strong>la</strong> plus<br />

proufitaèle. 11 ne fault pas gran<strong>de</strong> entreprisse pour m'y<br />

mettre ; et les quitte où U me niafsf : car elles n'ont point<br />

<strong>de</strong> suite et <strong>de</strong> dépendance <strong>de</strong>s unes aux asile es, »<br />

C'est donc l'humeur pressense <strong>de</strong> Montaigne qui<br />

est le premier motif <strong>de</strong> sa prédilection pour les ÉpU<br />

très <strong>de</strong> Sénèque et les petits Traités moraux <strong>de</strong> Plutarque<br />

, que l'on peut prendre et quitter comme on<br />

•eut, au lieu qu'en effet il y a beaucoup plus <strong>de</strong> suite<br />

et d'éten<strong>du</strong>e dans les dialogues philosophiques <strong>de</strong><br />

P<strong>la</strong>ton et <strong>de</strong> Cicéron dont on ne peut pas perdre <strong>de</strong><br />

vue le tissu sans être totalement dérouté. 11 se peut<br />

que l'autre manière soit plus commo<strong>de</strong> pour <strong>la</strong> paresse;<br />

mais il me semble que <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière suppose un<br />

mérite plus essentiellement philosophique, et une<br />

bien plus gran<strong>de</strong> force <strong>de</strong> tête et <strong>de</strong> composition. On<br />

peut bien ne pas convenir non plus que les Opuscules<br />

<strong>de</strong> Plutarquq et les lettres <strong>de</strong> Sénèque soient <strong>la</strong> plus<br />

belle partie <strong>de</strong> leurs ouvrages, et <strong>la</strong>pins profitable.<br />

Les Fies parallèles <strong>du</strong> premier ont toujours passé<br />

pour ce qu'il afaitcfe plus beau;et sa manière d'écrire<br />

est si morale dans l'histoire, qu'elle peut y être tout<br />

aussi profitable que dans ses œuvres philosophiques<br />

Pour ce qui est <strong>du</strong> <strong>de</strong>rnier, Di<strong>de</strong>rot lui-même n'est<br />

pas <strong>de</strong> l'avis <strong>de</strong> Montaigne : il préfère les Traités<br />

<strong>de</strong> Sénèque à ses Lettres, et là-<strong>de</strong>ssus je pense comme<br />

lui; ce qui presse encore que Montaigne n'est pas<br />

plus irréfragable pour lui que pour nous. Vous ne serez<br />

pas surpris, sur ce que Montaigne nous a dit <strong>de</strong><br />

sa façon <strong>de</strong> lire-, qu'il s'ennuie <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière d'écrire<br />

<strong>de</strong> Cicéron, qui ne traite rien à pièces décousues,<br />

et qui se croit obligé <strong>de</strong> remplir chaque objet à sa<br />

p<strong>la</strong>ce. Mais peut-être le serez-vous qu'il ne trouve<br />

dans les écrits philosophiques do l'orateur <strong>de</strong> Rome<br />

f ne <strong>du</strong> terni : c'est une opinion qui lui est particulière<br />

et qui fait un grand sujet <strong>de</strong> joie pour nos ad-


406<br />

COU1S DE UCTÉMTUML<br />

Mires,-quoiqu'elle fasse plus <strong>de</strong> tort à Montaigne oratoires, que les gens <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> ne relisent guère,<br />

qu'à Cicéron. Personne s'estime plus que moi Fau­ précisément parce qu'ils les ont beaucoup lus an<br />

teur <strong>de</strong>s Essais *\ mais lui-même sentait si bien qu'il collège; mais comme on n'y lit guère ses autres<br />

al<strong>la</strong>it heurter l'opinion <strong>de</strong> tous les sièeles, qu'avant écrits, ceux-ci sont dans les mains<strong>de</strong> tous lesbommes<br />

d'énoncer <strong>la</strong> sienne il nous préfîent avec sa naïveté biens élevés; et ce qui doit le faire présumer, c'est<br />

badine, que, quand on m franchi les bornes <strong>de</strong> i'imn le grand nombre <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ctions qu'on a faites <strong>de</strong> ses<br />

pu<strong>de</strong>nœ, U n'y a plm et bri<strong>de</strong>. Vous concevez que œuvres philosophiques, et qui ont eu <strong>du</strong> succès. Qui<br />

ce mot d'impu<strong>de</strong>nce m sipiûe rien <strong>de</strong> plus ici que est-ce qui n'a pas lu le livre <strong>de</strong> ta Nalwre <strong>de</strong>s Dieux<br />

<strong>la</strong> légèreté; et TOUS concevrez* aussi <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce qu'il tra<strong>du</strong>it par d'Olivet? ceux <strong>de</strong> ta FieUksse, et <strong>de</strong><br />

peut avoir dans son véritable sens, quand nous en l<br />

serons à l'objet le plus important <strong>de</strong> celte réfutation.<br />

Mais s'il ne s'agissait que d'autorités f voilà fiayle 9<br />

plus foncé en ces matières, sans contredit, que Montaigne<br />

et qui trouve j»fa« <strong>de</strong> substance dam urne pério<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> Cicéron que dam sept ou huit <strong>de</strong> Sénèque.<br />

Je suis entièrement <strong>de</strong> son avis ; mais je pense, avant<br />

tout, que si ces divers sentiments peuvent mettre<br />

quelque chose dans <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce, ils ne remportent<br />

pas. Me partons que <strong>de</strong> ce qui est constaté : jusqu'ici<br />

Montaigne seul peut être cité contre Cicéron ;<br />

Bayle, quand il serait seul, le vaut pour le moins,<br />

et l'opinion générale est pour Bayle et pur nous.<br />

J'en trouve l'aveu dans les apologistes eux-mêmes,<br />

qui cherchent pourquoi Sénèque est si peu tu et si<br />

peu goûté : ce sont leurs termes; ils sont positifs.<br />

Or, pourquoi est-il en effet si peu lu et si peu goûté f<br />

Est-ce en raison <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s sujets ? ils sont les<br />

mêmes que ceux <strong>de</strong> Cicéron, et sou?ent <strong>de</strong> Plutarque,<br />

et tous <strong>de</strong>ux sont lus et goûtés. On nous répond<br />

que ce quidégoûte<strong>de</strong> Sénèque, c'estqu'ilmtrop<br />

d'héroïsme pour nom* Depuis quand les leçons nous<br />

font-elles assez <strong>de</strong> peur pour remporter sur notre<br />

p<strong>la</strong>isir? Nos orateurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> chaire les plus suivis,<br />

Bourdaloue et M assîtes, étaient les plus sévères, et<br />

pouvaient effrayer bien davantage. Mais ne seraitce<br />

pas que Ton va chercher ce qui est bien loin pour<br />

fermer les yeux sur ce qui est bien près? Si Sénèque<br />

n'est ni tu ni goûté, ne serait-ce pas parce qu'il<br />

écrit mai et assez mal pour n'être pas moins rebutant<br />

en français qu'en <strong>la</strong>tin; pour fatiguer également le<br />

lecteur, et le choquer à tout moment v dans une <strong>la</strong>ngue<br />

comme dans l'autre? Yoilà tout le mystère;<br />

voilà le fait et l'explication <strong>du</strong> fait ; l'un est avoué ;<br />

l'autre ne peut pas s'appeler une décision tranchante,<br />

mais bien une démonstration s après qu'on vous a<br />

<strong>mont</strong>ré fauteur là même où ses partisans se p<strong>la</strong>isent<br />

à nous le <strong>mont</strong>rer.<br />

Ils voudraient bien qu'il en fit <strong>de</strong> Cicéron comme<br />

<strong>de</strong> Sénèque, puisqu'ils préten<strong>de</strong>nt qu'on ne lit guère<br />

non plus Cicéron quand on est sorti <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>sses.<br />

Ce<strong>la</strong> peut être vrai jusqu'à certain point <strong>de</strong>s ouvrages<br />

1<br />

Voyei dans HntrsiMetmm, à <strong>la</strong> Mon<strong>de</strong> partie et m<br />

€mn9 Féloge <strong>de</strong> cet écrivain.<br />

9 Amitié ,tt<strong>de</strong>s Devoirs, tra<strong>du</strong>its par tant d'autres?<br />

et avant <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> Sénèque par <strong>la</strong> Grange, il<br />

n'y en avait point <strong>de</strong> connpe; et celle-là même, malgré<br />

les efforts et les moyens d'une secte qui en avait<br />

fait une affaire <strong>de</strong> parti, n'a pas réhabilité Sénèque.<br />

Rien ne tourmente plus ses apologistes que le<br />

jugement qu'en a porté Quintilien, regardé <strong>de</strong>puis<br />

dix-sept siècles comme l'oracle <strong>du</strong> bon goût, au point<br />

que son nom est <strong>de</strong>venu celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> saine critique,<br />

comme Cicéron celui <strong>de</strong> l'éloquence. Son opinion<br />

sur'Sénèque, considéré comme écrivain, a été confirmée<br />

unanimement jusqu'à nous, si l'on excepte<br />

Juste-Lipse, le seul, absolument seul, parmi les gens<br />

<strong>de</strong> lettres <strong>de</strong> tous les siècles, que nos adversaires<br />

aient pu découvrir pour faire une exception dont<br />

il n'y a pas trop à se vanter. Il leur importait donc<br />

beaucoup <strong>de</strong> décrier le jugement <strong>de</strong> TAristarque <strong>de</strong><br />

Rome ; et leur premier moyen, celui qui leur est familier<br />

dans ces sortes d'occasions, a été <strong>de</strong> dénigra<br />

sa personne, <strong>de</strong> noircir son caractère et d'envenimer<br />

ses intentions. Pour <strong>la</strong> première fois, Quintilien,<br />

qui n'avait jamais essuyé, ni <strong>de</strong> ses contemporains<br />

, ni <strong>de</strong> <strong>la</strong> postérité, le plus léger reproche sur<br />

son impartialité, a été parmi nous diffamé et calomnié.<br />

Pourquoi ? Parce qu'en rendant justice à l'esprit,<br />

au talent, aux connaissances <strong>de</strong> Sénèque, il a osé dira<br />

que, « son style est presque partout corrompu, et<br />

ses exemples dangereux. » In<strong>de</strong> ira.<br />

D'abord ils ont commencé par nous aviser d'un<br />

genre <strong>de</strong> découverte dont ils réc<strong>la</strong>ment tout l'honneur;<br />

c'est que tous ceux qui ont censuré les écrits<br />

<strong>de</strong> Sénèque n'ont étiquetes échos <strong>de</strong> QminMUm : et<br />

ensuite voici comme ils s'y prennent pour mettre au<br />

néant les témoignages réunis <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> siècles :<br />

« Il s'y a proprement contre les écrits <strong>de</strong> Sénèque qu'im<br />

seul avis, celui <strong>de</strong> Quiuttlien ; et U est récmaèle, mmmm<br />

ennemi et rival <strong>de</strong> Sénèque» et animé par une basse<br />

jal&mle. »<br />

Tous les entendrez tout à l'heure faire mot à mot<br />

le même raisonnement sur <strong>la</strong> vertu <strong>de</strong> Sénèque. Et<br />

d'abord, comme je suis ici nécessairement un <strong>de</strong><br />

ces Htiérateurs échos9 je prends <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> répondre<br />

à nos maîtres : Votre réflexion, qui nous<br />

avait échappé, est vraiment atterrante. Es effet,


je n'a?ais jamais songé qu'il fal<strong>la</strong>it que quelqu'un<br />

eût parlé le premier d'un auteur mort il y a dix-sept<br />

cents ies. Mais fous-mêmes n'avez pas vu (car on<br />

ne voit pas tout) l'éten<strong>du</strong>e <strong>de</strong> votre réflexion, et<br />

je veux aussi eu tirer parti. Yoyons quel est celui<br />

<strong>de</strong>s anciens qui nous apprit le premier que Cieéron<br />

était un grand orateur. Je crois que c'est Tite-Live<br />

qui a dit que 9 pour louer dignement Cieéron f il faudrait<br />

l f éloquenced ? un Cieéron. Yoilà qui est fait : <strong>la</strong><br />

reDommée<strong>de</strong>CioéronesttoutentièredansTite-Live.<br />

11 est vrai que les <strong>de</strong>ux Pline et mille autres ont •<br />

dit <strong>la</strong> même chose, mais d'après Tite-Live, et par<br />

conséquent autant d'admirateurs, autant à'êchos.<br />

Je ne ¥ois ici qu'un inconvénient-, mais qui, tel<br />

qu'il est, va troubler un peu vôtre joie : on ne peut<br />

pas penser à tout. Yoilà Juste-Lispe qui a dit, il y<br />

a <strong>de</strong>ux cents ans, précisément <strong>la</strong> même chose que<br />

vous sur Sénèque, et qui s f est moqué comme vous<br />

<strong>de</strong> ses censeurs, si ce n 9 est qu'il ne les trouve qu'ineptes<br />

et rMienks, et qu'il se va pas jusqu'à les<br />

croire <strong>de</strong>s méchants. Quoi donc! vous aussi, vous<br />

n'êtes que <strong>de</strong>s échos l Allons, il fiant se consoler.<br />

Écho pour écho, je consens à être celui <strong>de</strong> Quia»<br />

tilien : mjm celui <strong>de</strong> Juste-Lipse, qui jusqu'ici<br />

n'en a pas eu d'autres que vous.<br />

Tout ce<strong>la</strong>, comme vous voyez, messieurs, n'est<br />

que risible, et ne mérite pas'd'étre traité autrement :<br />

mais ce qui va suivre est plus sérieux.<br />

« Quintilien naquit <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> rasée <strong>du</strong> règne <strong>de</strong> C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> :<br />

alors Sénèque avait quitté te barreau. Celui-ci professa <strong>la</strong><br />

paf<strong>la</strong>saaMe, l'astre l'art oratoire. Tous <strong>de</strong>ux furent <strong>la</strong>s.<br />

fHatasra <strong>de</strong>s grands.; mata QuiatUien resta naître d'école *<br />

et Sénèque <strong>de</strong>vin! ministre. » (ML)<br />

fous vous trompez. Quintilien, après avoir été<br />

le premier professeur d'éloquence qui eût un traitement<br />

<strong>de</strong> f État, fut appelé à <strong>la</strong> cour, et chargé <strong>de</strong><br />

l'é<strong>du</strong>cation <strong>de</strong>s neveux <strong>de</strong> Domitien, <strong>de</strong>stinés à l'empire;<br />

ensuite décoré <strong>de</strong>s ornements consu<strong>la</strong>ires 9 ce<br />

qui était le second <strong>de</strong>s honneurs publics z après le<br />

consu<strong>la</strong>t.; qui était le premier. Mais Quintilien fut<br />

sans ambition, et quitta <strong>la</strong> cour pour <strong>la</strong> retraite,<br />

quoique avec une assez gran<strong>de</strong> fortune et une plus<br />

gran<strong>de</strong> considération ; ce n>st pas là tout à fait un<br />

mmîire d'école» Mais qu'importe? et que veut dire<br />

cette opposition affectée <strong>du</strong> ministre au maître<br />

d'école? Est-il d'an philosophe déjuger les hommes<br />

par <strong>la</strong> fortune? Il s'agit ici <strong>de</strong> talent, et Quintilien,<br />

1 C'est à ce propos que Javéual ilt :<br />

Sifûrtwm wUtt$m 4» rMi&re mnml<br />

« SI <strong>la</strong> fortune le veut, <strong>de</strong> rhéteur TOUS <strong>de</strong>viendrez consul. »<br />

Ici ce s'était pas <strong>la</strong> fortune, c'était le mérite; et Juvénaî était<br />

Ma 4e le nier, car il fait le plus grand éloge <strong>de</strong> QuiaUlien,<br />

•eus tous ks rapports.<br />

ANCIENS. — PHILOSOPHIE. 407<br />

à cet égard, a eu dans <strong>la</strong> postérité et aura toujours<br />

une autre p<strong>la</strong>ce que Sénèque. Que voulez-vous donc<br />

dire? Ma serait-ce pas que vous voudriez insinuer<br />

par avance que Quintilien fut jaloux <strong>de</strong> Sénèque,<br />

et le traita es ennemi f Oui, c'est votre <strong>de</strong>ssein;<br />

car vous l'accusez un moment après <strong>de</strong> basse jalousie<br />

et <strong>de</strong> haine, et vous croyez en donner <strong>la</strong><br />

preuve dans ses propres paroles, au commencement<br />

<strong>du</strong> morceau qui concerne Sénèque ; paroles que vous<br />

tra<strong>du</strong>isez <strong>de</strong> manière à nous persua<strong>de</strong>r que Quintilien<br />

avouait lui-même qu'on le regardait généralement<br />

comme f ennemi personnel <strong>de</strong> Sénèque. Mais<br />

Quintilien dit dans le teste que vous-même citez :<br />

m Je m'étais abstenu Jusqu'ici d'en parler, à cause <strong>de</strong><br />

l'opinion faussement répan<strong>du</strong>e que je réprouvais cet écrivain<br />

9 et que f avais <strong>de</strong> l'aversion pour lui. Propter mdgatam<br />

Julio <strong>de</strong> nie opiniomem, qwa damnare emmei invistffff<br />

quogue haèere mm crediim, »<br />

J'ai tra<strong>du</strong>it exactement, et ou ne lui attribue ici<br />

autre chose qu'une <strong>de</strong> cas préventions <strong>de</strong> goût qui<br />

tombent uniquement sur le talent, et telle qu'on<br />

<strong>la</strong> reprochait, par exemple, à Boileau contre Quinault.<br />

S'il y avait eu <strong>de</strong>s motifs connus pour attribuer<br />

à Quintilien <strong>de</strong>s ressentiments particuliers ou<br />

<strong>de</strong>s intérêts <strong>de</strong> concurrence Y à coup sûr il en eût<br />

parlé ici, et aurait tâché d'éloigner <strong>de</strong> lui le soupçon<br />

<strong>de</strong> partialité. Quant à vous, vous lui faites dire :<br />

« C'est à <strong>de</strong>ssein que Je me suis abstenu d'en parler<br />

jusqu'ici fpar égard pour <strong>la</strong> prévention générale que je<br />

hais ¥ homme et que je méprise fauteur. »<br />

Mais ces mots, je hais r/mmme, sont <strong>de</strong> votre<br />

version, et non pas <strong>du</strong> <strong>la</strong>ite; votre antithèse <strong>de</strong><br />

l'homme et <strong>de</strong> l'auteur, et celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> haine pour<br />

fus et <strong>du</strong> mépris pour l'autre, sont <strong>de</strong> vous, et non<br />

pas <strong>de</strong> Quintilien ; et vous avez transporté hl'hemme<br />

ce qui ne tombe que sur l'écrivain» Je m'adresse<br />

ici à tous les bons <strong>la</strong>tinistes, et je leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

si l'auteur, ayant fall une seule et même phrase <strong>de</strong><br />

damnare eum, qui tombe évi<strong>de</strong>mment sur Vécri<br />

vain, et àHmdsum quoqm habere, a voulu exprimer<br />

autre chose que cette improèaêion <strong>de</strong>s ouvrages<br />

qui va quelquefois jusqu'à Vaversion. Voilà le<br />

vrai sens, le vrai rapport <strong>de</strong> ces mots, damnare «<br />

1 II est vrai que <strong>la</strong> version <strong>de</strong> l'abbé Gédoys, tra<strong>du</strong>cteur<br />

<strong>de</strong> Qatatltfea, se rapproche <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot : « os s'est<br />

« iaiâgtaé^Baa-seateaiêstcîaajacaadaiBaalsee<strong>la</strong>ïitear, mais<br />

« que Je te haïssais penmnellemml » le sois aoava<strong>la</strong>ca<br />

que ce mot pefMnnellemmt, qui n'est pas dans le Min, est<br />

un contre-sens, @tv encore ime fols, J'invoque là-<strong>de</strong>ssus le<br />

témoignage <strong>de</strong> tous ks humanistes. Au reste, Quintilien esplique<br />

font <strong>de</strong> suite d'où venait cette espèce <strong>de</strong> préjugé ; c'est<br />

qu'en commençant à enseigner, il avait trouvé <strong>la</strong> Jeunesse<br />

infatuée <strong>de</strong> Sénèque t an point <strong>de</strong> ne lire presque que ce seul<br />

aeteur ; et f ê&m te ntinr <strong>de</strong> leurs mains, fl leur avait appris<br />

seulement à ne pas le préférer à ceux qui va<strong>la</strong>ient beau-


40S<br />

et îmimm quoque habere. Et §11 peut y mmt <strong>du</strong><br />

cloute sur tes tenues, certes les faits COUSUS et<br />

afôiiés doivent en déterminer l'acception : c'est<br />

une règle <strong>de</strong> critique* Or, pour supposer à Quintilien<br />

une inimitié personnelle contre Sénèque, il faudrait<br />

qu'ils eussent été contemporains, <strong>de</strong> manière<br />

à pouvoir être concurrents, et avoir quelque chose<br />

à démêler Fun avec l'autre, Mais comment ce<strong>la</strong> se<br />

peut-Il, puisque fun entrait dans le mon<strong>de</strong> quand<br />

l'autre Favait quitté? Que les faits parlent pour<br />

moi; c'est ma métho<strong>de</strong> : les voici. Quintilien était<br />

né <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> année <strong>du</strong> règne <strong>de</strong> C<strong>la</strong>u<strong>de</strong>; c'est vousmême<br />

qui le dites, et ce<strong>la</strong> est vrai. C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> régna<br />

quatorze ans , et Sénèque mourut <strong>la</strong> huitième année<br />

<strong>du</strong> règne <strong>de</strong> Héron, successeur <strong>de</strong> C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> : donc<br />

Quintilien avait vingt ans lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Sénèque<br />

; et qu'est-ce qu'un jeune homme 9 à peine sorti<br />

<strong>de</strong>s c<strong>la</strong>sses, pouvait avoir à disputer à un vieux ministre<br />

déjà retiré <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour et <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>? Est-il assez<br />

évi<strong>de</strong>nt que Quintilien n'a pas pu dire qu'il passait<br />

pour haïr [homme? Et si le texte <strong>la</strong>tin prouve<br />

qu'il ne Fa pas dit, est-il moins prouvé par les faits<br />

qu'il n'a pu ni le dire ni le penser? Tous en avez<br />

donc imposé sur ses paroles, comme sur ses sentiments;<br />

vous en avez imposé au point <strong>de</strong> dire qu'un<br />

nuire que Quiniîiiense serait condamné au silence<br />

sur Sénèque; ce qui certainement ne peut s'entendre<br />

que <strong>de</strong> cette inimitié publique et déc<strong>la</strong>rée qui<br />

défend à l'homme délicat <strong>de</strong> juger Vécrivain, quand<br />

on sait qu'il a <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> haïr l'homme* Vous<br />

avez voulu le faire présumer par le contraste insidieux<br />

et mensonger <strong>du</strong> maître d'école et <strong>du</strong> ministre,<br />

contraste qui s'évanouit <strong>de</strong>vant les dates et les<br />

faits. Tous n'alléguez ni ne pouvez alléguer aucun<br />

autre motif <strong>de</strong> haine et <strong>de</strong> basse jalousie. Tout ce<strong>la</strong><br />

n'est donc, <strong>de</strong> votre part, qu'une insulte fondée sur<br />

une imposture.<br />

Après <strong>de</strong>s torts <strong>de</strong> cette nature, il Importe peu<br />

que Fanimosîté qui a déchiré l'homme se répan<strong>de</strong><br />

sur ses écrits ; que vous trouviez <strong>de</strong> Vâpre el <strong>du</strong><br />

barbare dans le style <strong>de</strong> Quintilien, dont tout le<br />

mon<strong>de</strong> a loué l'urbanité et <strong>la</strong> grâce; que vous le<br />

trouviez incorrect, inélégant et <strong>du</strong>r9 vous qui avez<br />

répété cent fois que les Muret et les Sannazar n'étalent<br />

eux-mêmes que <strong>de</strong>s juges très-médiocres <strong>du</strong><br />

Min, 11 est juste, très-juste, que ceux qui refusent<br />

COUES DE UTTÉIATUIE-<br />

mur miens que lui. Cmi tliisi que, parmi nous, OU & dit<br />

que Voi<strong>la</strong>i n était F ennemi m Corneille, parce qu'il préférait<br />

à ses tragédies celles <strong>de</strong> Incise. Mali qu'y a-Ml Ici dans Quintillen,<br />

même ea adoptant <strong>la</strong> version <strong>de</strong> Gé<strong>de</strong>ya, qui donne<br />

<strong>la</strong> moindre Idée <strong>de</strong> eoDcarnoee Indivi<strong>du</strong>elle e! <strong>de</strong> batte jalomk,<br />

oi qui Indique aueun <strong>de</strong> ces motifs qui défen<strong>de</strong>s! à<br />

no auteur d'en juger os astre? ïi n'y a doue rien par conséquent<br />

qui puisse Justifier les in<strong>du</strong>ctions calomnieuse! <strong>de</strong>s<br />

apologistes <strong>de</strong> Sénèque.<br />

à tous les humanistes les plus renommés <strong>de</strong>puis trois<br />

cents ans le droit <strong>de</strong> juger le style <strong>de</strong> Sénèque,<br />

réprouvé dans tous les temps par les meilleurs critiques,<br />

tant anciens que mo<strong>de</strong>rnes, <strong>de</strong>puis Quintilien<br />

jusqu'à Roiiin, s'arrogent le droit <strong>de</strong> juger <strong>la</strong><br />

diction <strong>de</strong> Quintilien lui-même, admiré dans tous<br />

ks temps; <strong>de</strong> voir dans sa <strong>la</strong>tinité <strong>de</strong> fincorreo<br />

tUm, <strong>de</strong> l'inélégance, <strong>de</strong> <strong>la</strong> barbarie, etc. Mais si<br />

quelque censeur <strong>de</strong> Sénèque fût tombé dans cet<br />

égarement d'esprit, TOUS conteoteriez-voes d'y ¥©ïr<br />

ce que l'inconséquence a <strong>de</strong> plus absur<strong>de</strong>? et n'y<br />

feriez-Yous pas remarquer ce que <strong>la</strong> présomption a<br />

<strong>de</strong> plus révoltant?<br />

Vous continuez <strong>du</strong> même ton :<br />

« Pour nous,.qui professons l'Impartialité... »<br />

(C'est qu'il ne vous en coûte pas pour professer tout<br />

le contraire <strong>de</strong> ce que vous êtes.)<br />

« admirateurs <strong>de</strong> Sénèque et <strong>de</strong> Quistilien... »<br />

(Vous êtes aussi bons juges <strong>de</strong> l'un que <strong>de</strong> l'autre.)<br />

« nous pro<strong>mont</strong>pm.., »<br />

( Prosternons-nous : les maîtres mut prononcer, )<br />

« que leurs qualités leur appartiennent , et que leur mee est<br />

celui <strong>de</strong> leur temps s'ils ont été vicieux... » .<br />

C'est là ce que YOUS prononcez ! Maîtres, mîm<br />

prononcé n'a pas <strong>de</strong> sens. Personne, pas même<br />

YOUS, n'a reproché à l'un le même trfceqn'à l'autre :<br />

comment donc ce vice serait-il celui <strong>de</strong> leur temps?<br />

11 n'y a pas le plus léger rapport-entre le style <strong>de</strong><br />

l'un et celui <strong>de</strong> l'autre, pas plus qu'entre le bon et<br />

le mauvais; et quand tous les <strong>de</strong>ux seraient mauvais,<br />

ils ne peuvent l'être <strong>de</strong> <strong>la</strong> même manière. Où<br />

en sommes-sous ? et avee qui sommes-nous ré<strong>du</strong>its<br />

à combattre?<br />

« Le critique <strong>de</strong> Sénèque ne fera pas l'approbateur <strong>de</strong><br />

Tacite, et tuât pis pont lui. «<br />

Tant pis assurément pour qui ne sera pas et<br />

fapprobateur et l'admirateur <strong>de</strong> Tacite. Mais aussi<br />

j'aurais cru qu'il n'y aYait qu'un Joste-Lipse qui<br />

pût les accoler ensemble : actuellement on peut<br />

compter <strong>de</strong>ui hommes capables <strong>de</strong> ce ridicule unique,<br />

Jiiste-Iipse et Di<strong>de</strong>rot.<br />

Ce monstrueux rapprochement <strong>de</strong> Sénèque et <strong>de</strong><br />

Tacite retient plus d'une fois sous sa plume, comme<br />

si blâmer l'un c'était condamner l'autre. J'en conclus<br />

qu'il tenait fermement tous ses lecteurs pour<br />

<strong>de</strong>s idiots, ou qu'il se croyait un art infaillible pour<br />

brouiller ce qu'il y a <strong>de</strong> plus simple et <strong>de</strong> plus c<strong>la</strong>ir.<br />

Qui jamais a enten<strong>du</strong> parler <strong>de</strong> tacite comme on a<br />

toujours parlé <strong>de</strong> Sénèque? Dans ce siècle particulièrement<br />

, l'éloge est venu <strong>de</strong> tous cités sur Tacite,<br />

comme le blâme sur Sénèque. Mous pouvons même


ANCIENS. - VBBMOPBnL<br />

MB<br />

ici opposer un dos apologistes à l'autre y et l'éditeur<br />

à Di<strong>de</strong>rot. Tous <strong>de</strong>m, il est vrai, louent <strong>la</strong> pré-<br />

sécheresse et monotonie, et ee sont <strong>de</strong>s vices <strong>de</strong><br />

Sénèquequi ne sont point dans Tacite. Celui-cidonne<br />

dswm <strong>de</strong> Sénèque, et Di<strong>de</strong>rot va jusqu'à dire qu'il à son style toutes les formes et <strong>la</strong> pério<strong>de</strong>, comme<br />

est imeméqm, Mais Féditeur sous dit aussi, eu ter­ les autres. 11 est souvent concis à propos, et toumes<br />

exprès, qu'il a une abondance fastueuse, un jours précis ; jamais verbeux , pree qu'il n'y a dans<br />

luxe dépensées, urne affectation vicieuse <strong>de</strong> pré'<br />

8aphra3enitropnitKoppu;ilsaité€rire9etSénèque<br />

senter urne même idée par plusieurs traits détachés. ne le sait pas,<br />

11 a dit irai s mais je ne croîs pas que ee soit là le Je ne parle pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong>s hommes,<br />

portrait <strong>de</strong> Tacite. Il reste à concilier tous ces dé­ qui annonce le penseur et l'observateur; ni <strong>de</strong> l'éfauts<br />

arec <strong>la</strong> précision et k <strong>la</strong>conisme : c'est l'affaire nergie <strong>de</strong>s tableaux, qui fait le grand peintre : je<br />

<strong>de</strong>s apologistes, et non pas <strong>la</strong> nôtre. L'éditeur y a respecte trop un homme tel que Tacite pour lui<br />

fait quelques efforts : il dit que k styk <strong>de</strong> Sénèque comparer le phrasier sco<strong>la</strong>stique quia Mi parler le<br />

a tair verbeux, quoique d'ailleurs vif et serré. maître <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> en fanfaron <strong>de</strong> théâtre.<br />

Quand il f cadra s'assurer <strong>du</strong> rapport <strong>de</strong>s idées et Pour Di<strong>de</strong>rot, il ne respecte pas plus Corneille<br />

<strong>de</strong>s mots, il comprendra que, par un zèle mal enten<strong>du</strong> que Tacite; et qu'est-ce que Di<strong>de</strong>rot respecte, si ce<br />

pom son auteur, il a voulu fort mal à propos allier n'est <strong>la</strong> philosophie <strong>de</strong> Sénèque? Il aperçoit<br />

ce qui s'exclut ; qu'à <strong>la</strong> vérité le tour <strong>de</strong> phrase dans une merveilleuse analogie entre Corneille et lui par<br />

Sénèque est quelquefois nîf} et souvent concis,<br />

mais que le tissu <strong>de</strong> son stuk n'est pas et ne peut<br />

les défauts peut-être ; mais un homme <strong>de</strong> <strong>la</strong> trempe<br />

<strong>de</strong> Corneille se juge par son génie et non par ses<br />

pas être serré : d'abord, parce qu'il est décousu, défauts ; et sont-ce <strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong> génie que Cor­<br />

comme l'éditeur Farcie lui-même, sans paraître neille peut avoir avec Sénèque? j'en vois plus dans<br />

s'en douter, puisque <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>e irmiis détachée une belle scène <strong>de</strong> fus, et cent fois plus, que dans<br />

forme précisément le décousu <strong>du</strong> styk; ensuite, parce tous les ouvrages <strong>de</strong> l'autre ; et je dis <strong>du</strong> génie pen­<br />

qu'un style souvent composé <strong>de</strong> to répéiiiirm <strong>de</strong>s seur, et non pas seulement <strong>du</strong> génie dramatique :<br />

mimes idées, comme il en confient encore, ne sau­ ou plutôt le mot <strong>de</strong> génie ne peut pas avoir lieu<br />

rait être ferré; et au contraire est très-réellement pour Sénèque. Il a <strong>de</strong> tout ce qui tient à l'esprit,<br />

verbeux, car <strong>la</strong> verbosité n'est autre chose que et <strong>de</strong> ce qui ne mène jamais le talent bien loin. Il a<br />

l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> redire plusieurs fois ce qu'il suffisait <strong>de</strong> <strong>la</strong> iaesse, et quelquefois mime <strong>de</strong> <strong>la</strong> délicatesse<br />

<strong>de</strong> dire une. Le stgk <strong>de</strong> Sénèque n'est donc point dans les pensées, particulièrement dans son Traité<br />

serré : il est haché menu. Sénèque affecte les phra­ <strong>de</strong>s Bienfaits; mais sa inesse <strong>de</strong>vient le plus souses<br />

et les tournures concises, et par là même il est vent subtilité, et pour une fois qu'il est délicat, il<br />

-souvent louche, obscur, équivoque; mais <strong>la</strong> eond- est cent fois recherché. Et Lueain aussi offre <strong>de</strong>s<br />

ston et <strong>la</strong>, préeâsiem sont <strong>de</strong>ux choses très-différen­ rapports avec Corneille, et même <strong>de</strong>s rapports d'étes.<br />

La précision consiste dans <strong>la</strong> proportion exacte lévation et <strong>de</strong> force, soutenus dans <strong>de</strong>s morceaux<br />

entre ridée et l'expression, entre ee qui était à dire entiers, <strong>de</strong>s rapports <strong>du</strong> genre sublime. Cependant<br />

et ce qui est dit, <strong>de</strong> manière que l'un n'excè<strong>de</strong> pas cette analogie, et le cas que faisait Corneille <strong>de</strong><br />

l'autre, et que <strong>la</strong> mesure <strong>de</strong>s pesées règle celle <strong>de</strong>s Lueain, ont-Ils changé l'opinion établie sur <strong>la</strong> Phar-<br />

paroles, et <strong>la</strong> mesure <strong>du</strong> sujet celle <strong>de</strong> l'ouvrage. saie et sur son auteur? Et quelle distance encore<br />

Telle est <strong>la</strong> précision, qualité <strong>de</strong>s bons esprits en entre ces auteurs, tous <strong>de</strong>ux <strong>du</strong> second ordre, entre<br />

prose comme en vers, et <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> tact écrirais dans Sénèque et Lueain!<br />

tous les genres. La concision au contraire n'est point 11 faut que les apologistes ne se soient pas crus<br />

un <strong>de</strong>voir; c'est une qualité <strong>de</strong> tel ou tel esprit, un bien forts en autorités, et qu'ils aient eux-mêmes<br />

caractère <strong>de</strong> tel ou tel écrivain : elle consiste à ren­ senti l'insuffisance <strong>de</strong> celles qu'ils ramassaient; car<br />

fermer habituellement sa pensée dans le moindre ils ont pris un prit qu'on peut dire désespéré, celui<br />

espace possible ; elle ajoute à <strong>la</strong> force, si elle n'été rien 4'en faire à peu près, faute d'en avoir.<br />

à <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté, comme dans Tacite et Salluste, chez qui « Le Portique , l'Académie et le Lycée <strong>de</strong> k Grèce n'ont<br />

elle est une beauté; elle est un défaut dans Perse, rien pro<strong>du</strong>it <strong>de</strong> comparable à Sénèque pour h philosophie<br />

dont il faut <strong>de</strong>viner <strong>la</strong> pensée, qui n'est pas suffisam­ morale. Et <strong>de</strong> qui iicagiiie-f-aa que soit cet éloge? Il est<br />

ment exprimée. Mais, lors même que <strong>la</strong> concision <strong>de</strong> Phttarqiie. » ( JHd\ )<br />

ne passe pas les bornes, il ne faut pas l'affecter. Les En effet, je ne l'aurais pas imaginé, et je ne le<br />

formes concises entrent, comme toutes les autres, crois pas encore* Ces hyperboles si dép<strong>la</strong>cées ne<br />

dans <strong>la</strong> variété essentielle au style; si elles sont sont nullement <strong>du</strong> style ni <strong>du</strong> caractère <strong>de</strong> fr<strong>la</strong>tar-<br />

accumulées et trop près les unes <strong>de</strong>s autres, c'est que, si réservé dans ses jugements, surtout en ma-


410<br />

lié» <strong>de</strong> goût, qu'il s'abstient même <strong>de</strong> prononcer<br />

entre le mérite oratoire <strong>de</strong> Cieéron et celui <strong>de</strong> Démosthènes.<br />

Aussi ne trouv©4«on pas dans ses écrits<br />

un seul mot <strong>de</strong> ce que Di<strong>de</strong>rot lui fait dire , et pourtant<br />

le nom <strong>de</strong> Sénèque y est cité <strong>de</strong>ui fois, mais<br />

tans le plus léger éloge. OùdoncDi<strong>de</strong>rota»Ml trouvé<br />

ce jugement <strong>de</strong> Plutarque? Dans une note <strong>de</strong> Juste-<br />

Lipse , qui elle ose épiire <strong>de</strong> Pétrarque à Sénèque ,<br />

où ee jugement est rapporté. Mais jusqu'à ce qu'on<br />

nous <strong>mont</strong>re sur quelle autorité s'appuyait le poète<br />

italien, il est très-permis <strong>de</strong> croire que cette opinion<br />

qu'il attribue à Plutarque était une tradition<br />

erronée dont il se reste aucune trace, ou peut-être<br />

une fiction poétique. Quand on fait ainsi prier un<br />

homme tel que Plutarque, il fout citer le texte : et<br />

oùestpil?<br />

Autre découverte à peu près <strong>du</strong> même genre :<br />

Dry<strong>de</strong>n a fait us très-judieieui parallèle <strong>de</strong> Sénèque<br />

et <strong>de</strong> Plutarque, et ce n'est nullement à l'avantage<br />

<strong>du</strong> premier. Di<strong>de</strong>rot a trouvé, je ne sais où, que ce<br />

n 9 est pas <strong>du</strong> tout <strong>de</strong> Sénèque et <strong>de</strong> Plutarque qu'il<br />

s'agit ici ; que Dry<strong>de</strong>n n'y pensait pas ( quoique tous<br />

les traits <strong>du</strong> parallèle conviennent parfaitement aux<br />

<strong>de</strong>ux anciens philosophes); mais qu'il vou<strong>la</strong>itfmm<br />

kmr nom, <strong>mont</strong>rer <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses .compatriotes qu'on<br />

ne nous nomme pas. Je le veux bien; mais qu'Importe,<br />

si dans le fait les portraits ressemblent aux<br />

originaux nommés? Di<strong>de</strong>rot n'essaye pas trop <strong>de</strong><br />

prouver le contraire; et, quant à <strong>la</strong> ressemb<strong>la</strong>nce<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux Ang<strong>la</strong>is, c'est l'affaire <strong>de</strong> Dry<strong>de</strong>n et nos<br />

ps <strong>la</strong> nôtre ; ce qui n'empêche pas que Di<strong>de</strong>rot ne<br />

regar<strong>de</strong> comme <strong>de</strong> bien pauvres <strong>du</strong>pes ceux qui ont<br />

cru bonnement voir là Plutarque et Sénèque, parce<br />

que Dry<strong>de</strong>n a mis leur nom 9 apparemment comme<br />

on mettrait Damis et Mondor.<br />

COTES DE UITÉBATDBB.<br />

sénbleiiient proposer fé<strong>du</strong>np <strong>de</strong> ses richesses ' centre<br />

une vie dont il avait précité le néant» qu'il n'aurait pis été<br />

Aché <strong>de</strong> conserver, et qu'il ne pal racheter à ce prix; châtiment<br />

digne <strong>de</strong>s soins avec lesquels il les avait accumulées.<br />

On dira que je traite ce philosophe un peu <strong>du</strong>rement.<br />

Il s'est guère possible, sur le récit <strong>de</strong> Tacite, <strong>de</strong> Se juger<br />

plus favorablement ; et, pour dire ma pensée en <strong>de</strong>ux<br />

mots, ni Sénèqse ni Burrtras ne sont pas d'aussOionnêtes<br />

gens qu'on nous les peint »<br />

' Or, maintenant, <strong>de</strong>vinez <strong>de</strong> qui est cette violente<br />

et <strong>la</strong>conique smUre que ks ennemis <strong>de</strong> Sénèque n'ont<br />

fait <strong>de</strong>puis que dé<strong>la</strong>yer9 à ce que BOUS dit ici Di<strong>de</strong>rot.<br />

Elle est <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot lui-même, oui, <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot<br />

; mais c'est us <strong>de</strong>s péchés <strong>de</strong> sa jeunesse. II n'avait<br />

, dît-il, que vingt ans quand il l'imprima : il<br />

en fait amen<strong>de</strong> honorable, et s'écrie avec une componction<br />

tout à fait pathétique ;<br />

« Héksl jeune homme, c'est bien moins à tons-même<br />

qu'il faut tapoter votre indiscrétion, qa'ans grammairiens<br />

qni vous ont élevé, et qui , sous prétexte <strong>de</strong> garantir<br />

votre goût <strong>de</strong> <strong>la</strong> corruption, éloignerait <strong>de</strong> vos yeux te<br />

prasea fessai <strong>du</strong> philosoplie.... Vous n'a?Isa pour tonte<br />

mesure <strong>de</strong>s actfeaa que les misérmèks cahiers <strong>de</strong> morale<br />

aristotélique que Ton vous dictait sur les bancs <strong>de</strong> l'école 9<br />

a?ee quelques chapitres <strong>de</strong> Nicole » qu'on professeur janséniste<br />

vous commentait le <strong>de</strong>rnier jour <strong>de</strong> k semaine. »<br />

Eh bien 1 monsieur Di<strong>de</strong>rot * puisque vous ereyei<br />

avoir besoin <strong>de</strong> toutes ces eieuses pour vous pardonner<br />

un* <strong>de</strong>s morceaux les plus raisonnables que<br />

vous ayez écrits, un jugement sa vous-même ne<br />

faisiez que vous ranger à celui qu'avaient porté avant<br />

vous nombre d'écrivains fort sensés, nous allons<br />

faire tout le possible pour admettre votre jnslilcation<br />

i toute mal conçue qu'elle peut être. Nous vous<br />

passerons qu'une opinion f qui n'est en effet qu'un®<br />

suite toute naturelle efas réét <strong>de</strong> Tacite, ne doive<br />

être imputée qu'ut** gmmwmîriem qui ne vous<br />

Mais voici bien un autre adversaire <strong>de</strong> Sénèque, ont pas fait lire Sénèque, quoiqu'au fond ee qu'il a<br />

un terrible détracteur <strong>de</strong> $m philosophie et <strong>de</strong> ses éerït ne soit pour rien dans ee qu'il a <strong>la</strong>it. Nous voua<br />

vertus* C'est Di<strong>de</strong>rot qui le met en scène, et quit passerons même votre mépris pour <strong>la</strong> morale d'Â-<br />

après l'avoir vigoureusement châtié, init par nous ristote , qui pourtant n'a jamais été regardée comme<br />

le faire connaître. Je puis ? sas annoncer d'avance si mkéraMe, etpour celle <strong>de</strong> Nicole, dont Voltaire<br />

qu'à son nom vous <strong>de</strong>meurerez tout stupéfait. Mais lui-même a fait l'éloge. Yos opinions sur tout ce<strong>la</strong><br />

puisqu'il est ici pro<strong>du</strong>it pht Di<strong>de</strong>rot, il faut l'écouter. sont libres. Mais pourquoi donc ne permettez-vous<br />

« Sénèque, chargé pr état <strong>de</strong> èramr fa mmrij m pré- pas que celles <strong>de</strong>s autres le soient? Si vous n'avez<br />

sentant à son i<strong>la</strong>cjp<strong>la</strong> les remmitiinees <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu, le sage commis qu'une imÊscrétim m imprimant que<br />

Sénèque , plus attentif à entasser <strong>de</strong>s richesses qu'à remSénèque<br />

n'étaMpmm si hmnétehwmme, pourquoi<br />

plir ee périlleux <strong>de</strong>voir, se conteste <strong>de</strong> foire ditersioa à donc tous ceui que ont pensé et qui pensent oomine<br />

<strong>la</strong> cruauté èm tjran en favorisant m lumre. Il souscrit vous pensiez alors sont-ils dm méckmts, <strong>de</strong>s kgpar<br />

un honteux silence à <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> quelques braves ci­<br />

1 toyens qu'il aurait dû défendre. Lai-même» présageant sa L'aoteer M trompe Ici dans Tordre <strong>de</strong>s faits : ee fat<br />

caste prochaine par celle <strong>de</strong> ses amis, moins intrépi<strong>de</strong>, avant <strong>de</strong> quitter <strong>la</strong> cour que Sénèque proposa <strong>du</strong> remettre à<br />

avec tout son stoïcisme, qtie l'épicurien Pétrone; <strong>la</strong>s d'é­<br />

Héron tout ce ejal! es avait reçu; et ce fut après sa retraite<br />

qu'il prit contre le poison tontes les précautions dont on<br />

chapper au poison en se nearrlssaote<strong>la</strong>s fruits <strong>de</strong> son Jardin, parle ld. More celle erreor <strong>de</strong> date, en elle-même fort in-<br />

et <strong>de</strong> M désaltérer an connut d'en ruisseau , s'en va mf- ilfféeeate, routeur a d'âtUenrt raison en tout.


ANCIENS. — PHILOSOPHIE. 411<br />

pocrUes, <strong>de</strong>s pervers, et <strong>de</strong>s scélérats, etcJ A<br />

vingt mm étiez-vous tout ce<strong>la</strong>, quand fois traitiez<br />

si <strong>du</strong>rement Sénêquef Non, sans doute, car TOUS<br />

vous dites ici à vous-même, en mm peignant tel<br />

que vous étiez alors :<br />

Je v@as cernais : ICIIîS êtes ntturdlemeiit iaielpet,<br />

mm wmz l'âme kmnéte ei sensible. Vingt tais m mm<br />

a enten<strong>du</strong> mettre à <strong>la</strong> défense ém empable plus (Tinté*<br />

rit et plus <strong>de</strong> chaleur qu'il n'en mettrait à sa propre cause.<br />

CsmmeBt âviez-vons subitement per<strong>du</strong> cette heureuse ei<br />

mre disposition? »<br />

Que vous ayes l'âme honnête ei sensible, c'est ce<br />

qui ne fait rien icis et ce que tout le mon<strong>de</strong> peut<br />

dire <strong>de</strong> soi, quoiqu'il vaille mieux le <strong>la</strong>isser dire aux<br />

autres ; mais pourquoi ne le croiriez-vous pas aussi<br />

<strong>de</strong> ceux qui, comme vous 9 ont pu condamner Séné»<br />

que sans cesser d'être honnêtes et sensibles, ou<br />

plutôt parce qu'ils Tétaient? Le seraient-ils moins<br />

que vous, parce qu'ils ne mettent pas tant <strong>de</strong> chukmr<br />

et d'intérêt que vous à <strong>la</strong> défense <strong>du</strong> eoupabkf<br />

Mais ne TOUS étes-vous pas un peu mépris sur le Caractère<br />

<strong>de</strong> Yhonnéteté et <strong>de</strong> <strong>la</strong> sensibilité? S'il ne<br />

s'agissait que <strong>de</strong> défendre l'accusé, vous seriez dans<br />

le vrai; mais ?ous dites Yous-méme k coupable, Et<br />

où avez-vous donc pris <strong>la</strong> morak qui TOUS fait regar<strong>de</strong>r<br />

comme un attribut <strong>de</strong> Yhonnéteté <strong>de</strong> défendre<br />

k eoupabkf Ce s'est pas dans celle c?4rîsicîe<br />

ni <strong>de</strong> Nicole; mais pourriez-vous en citer une qui<br />

autorise un travers si condamnable? Becs <strong>de</strong>vons<br />

tous p<strong>la</strong>indre et même excuser le coupabk autant<br />

que <strong>la</strong> chose le permet, parce que chacun <strong>de</strong> nous<br />

peut le <strong>de</strong>venir. Mais, après le malheur d'être complice<br />

<strong>du</strong> eoupabkf le plus grand, c'est <strong>de</strong> s f p<strong>la</strong>n ce n<br />

en rendre<br />

le défenseur, eê d'y mettre tant <strong>de</strong> chaleur et<br />

d'intérêt. Ne sentez-vous pas que dès lors vous vous<br />

ôtei le droit <strong>de</strong> défendre l'innocence et <strong>la</strong> vertu,<br />

parce que votre jugement est d'avance infirmé et<br />

déshonoré par vous-même? Ne sentez-vous pas que<br />

dans cette phrase vous avez prononcé, sans y penser,<br />

contre celui qui a mis, non-seulement tant <strong>de</strong><br />

chakur et d'intérêt, nuis encore tant d'emportement<br />

et <strong>de</strong> mauvaise foi à défendre <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong><br />

Sénèque?<br />

C'est le <strong>de</strong>rnier objet <strong>de</strong> cette discussion, et le<br />

premier dol'ouyrage<strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot, si nous l'en croyons ;<br />

car il assure n'avoir pris <strong>la</strong> plume que pour défendre<br />

l'homme encore plus que l'écrit ail, quoique Fun<br />

tienne bien autant <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce que l'autre dans les six<br />

cents pages <strong>de</strong> sa diatribe. Ce procès moral pourrait<br />

en tenir ici beaucoup, s'il fal<strong>la</strong>it errer avec l'auteur<br />

dans le dédale cl il se jette, et 1e suivre à travers<br />

ses innombrables détours, qui tous aboutissent à<br />

l'erreur, et pas un à <strong>la</strong> vérité. Maiscomniedass notre<br />

f est pour nous qu'un inci<strong>de</strong>nt, <strong>du</strong>, si l'on<br />

veut, un épiso<strong>de</strong> admissible seulement sous le rapport<br />

<strong>de</strong> l'intérêt naturel que vous avez toujours nia<br />

à neps écarter entièrement le personnel <strong>de</strong>s hommes<br />

célèbres dont les écrits nous ont occupés, je<br />

restreindrai cette partie à l'essentiel, et un simple<br />

exposé <strong>de</strong>s faits et <strong>de</strong>s priocîpux moyens <strong>de</strong> conviction<br />

suffira pur le but que je dois me proposer.<br />

Une première présomption très-légitime contre<br />

l'apologiste Di<strong>de</strong>rot, c'est que tout est visiblement<br />

artifice dans ce qu'il dit <strong>du</strong> <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> son ouvrage<br />

et <strong>de</strong>s motlfj <strong>de</strong> son entreprise. A l'entendre, c'est<br />

le zèle pur Y innocence calomniée, pour ta mémoire<br />

d'un philosophe vertueux, qui lui a dicté un gros volume<br />

écrit avec <strong>la</strong> plus horrible virulence. 11 revient<br />

vingt fois là-<strong>de</strong>ssus avec <strong>de</strong>s redoublements <strong>de</strong> p thos<br />

et d'emphase tels ? que l'on dirait qu'il n'y a plus dans<br />

le mon<strong>de</strong> ni philosophie ni vertu si <strong>la</strong> philosophie et <strong>la</strong><br />

vertu <strong>de</strong> Sénèquene sont pas horsdjatteinte. C'est en<br />

même temps, par <strong>la</strong> raison <strong>de</strong>s contraires, uniquement<br />

<strong>la</strong> haine <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu et <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité qui, selon<br />

Di<strong>de</strong>rot et l'éditeur, anime tous les improbateurs<br />

<strong>de</strong> Sénèqne. Mais l'un et l'autre répugnent à <strong>la</strong> nature<br />

et au' bon sens. 11 est insensé qu'on ne puisse<br />

blâmer un ancien, mort il y a dix-sept cents ans,<br />

sans haïr ta vertu, quand même cet ancien serait<br />

un Catec ou un Phocion. La mémoire <strong>de</strong>s hommes<br />

qui ont un nom dans l'histoire appartient à l'opinion<br />

<strong>de</strong> tous les siècles ; et c'est parce que cette opinion<br />

estpluadésintéress&enproprtion<strong>de</strong>réroignement,<br />

c'est parce qu'elle ne put plus ni f<strong>la</strong>tter ni blesser<br />

personne, qu'elle s'appelle, suivant une expression<br />

heureuse <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot lui-même, <strong>la</strong> justice <strong>de</strong>s siècles.<br />

Lui-mime nous dit aussi dans son ouvrage que Pon<br />

peut bien haïr l'homme vertueux m présence, mais<br />

ftfll n'est pas dam <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> hoir <strong>la</strong> vertu en<br />

dkrMéme. Ce<strong>la</strong> est généralement vrai, et ce<strong>la</strong> seul<br />

fait tomber toutes ses accusations injurieuses contre<br />

ceux qu'il prétend combattre. Cette vérité renverse<br />

toute h partie satirique <strong>de</strong> son livre : cette vérité,<br />

pous <strong>la</strong> recevons <strong>de</strong> sa main; et vous avez déjà vu<br />

que pur réfuter Di<strong>de</strong>rot on n'a besoin le plus sou*<br />

vent que <strong>de</strong> lui-même.<br />

D'un autre côté, il n'est pas plus naturel que Di<strong>de</strong>rot,<br />

quelque chakwr qu'il mft à tout f en ait pu<br />

mettre ici au point <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir furieux contre une.<br />

opinion qui n'était rien moins que nouvelle, et qui<br />

avait été <strong>la</strong> sienne. 11 l'a si bien senti f qu'il s'en fait<br />

faire l'objection, et se reproche lui-même plus d'une<br />

fois l'amertume <strong>de</strong> ses invectives, qu'il rejette tantôt<br />

sur l'intérêt dê<strong>la</strong>vëUê, tantôt sur l'indigna-<br />

Mon que lui inspirent ses adversaires, qui exposent<br />

m philosophe à être fâché <strong>de</strong> ce qu'M a écrit, à


413<br />

COU1S DE UTTÉRATUBE.<br />

être mal ave* kâ-méme : ce sont ses expressions,<br />

qui ne sont pas <strong>de</strong>s excuses, mais <strong>de</strong>s aïeux. En<br />

us mot, les faits déci<strong>de</strong>nt, et il faut les dire. Les<br />

journalistes qui a?aient le plus maltraité Sénèque en<br />

rendant compte <strong>de</strong>là tra<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grange étaient<br />

les ennemis publies <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot et <strong>de</strong> ses amis : ils<br />

l'a talent critiqué cent fois, et l'attaquaient tous les<br />

jours. Dans'l'article même sur Séeèque se trouvait<br />

cette phrase ;<br />

« Nous ne croyons pas aisément au fer<strong>la</strong>s philosophiques.<br />

»<br />

C 9 est Di<strong>de</strong>rot qui <strong>la</strong> rapporte. Que s'ensuit-il ?<br />

que Di<strong>de</strong>rot, qui s'était fait un <strong>de</strong>voir et un effort<br />

<strong>de</strong> ne pas répondre directement à ses censeurs} saisit<br />

tiens (c'est ici <strong>la</strong> même chose) que Di<strong>de</strong>rot ressasse<br />

jusqu'au dégoût , c'est te respect pour <strong>la</strong> vertu, qui<br />

doit l'emporter sur les raisonnements les plus c<strong>la</strong>irs 9<br />

sur les in<strong>du</strong>ctions les plus p<strong>la</strong>usibles. Et là-<strong>de</strong>ssus<br />

arri?est les phrases à <strong>la</strong> file :<br />

« Je se croirai qu'à <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière extrémité.... le p<strong>la</strong>i<strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> cause <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu.... Lecteur, qui que tu suis, bon m<br />

méchant , je compte sur ton estime 9 etc. etc. etc. »<br />

Sophiste, arrête-toi un moment, s'il est possible;<br />

cet artifice eM, aussi trop usé : tu commences par<br />

mettre en fait ce qui est en question. C'est <strong>la</strong> vertu<br />

<strong>de</strong> Sénèque, entends-tu bien ? C'est sa vertu que<br />

l'on te nie formellement, et on <strong>la</strong> nie par <strong>de</strong>s faits ;<br />

et à ces faits, qui détruisent <strong>la</strong> vertu <strong>de</strong> Sénèque,<br />

l'occasion <strong>de</strong> guerroyer au nom et sous les ensei­ et que tu ne saurais détruire, tu opposes l'hypothèse<br />

gnes <strong>de</strong> Sénèque ; et Ton peut dire qu'une seule fois <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu <strong>de</strong> Sénèque! Comment n'as-tu pas honte<br />

paya pour toutes : tout ce qu'il avait amassé <strong>de</strong> bile d'une logique si puérile? Commence par mettre les<br />

déborda dans son outrage, Je n'examine pas à quel faits d'accord avec <strong>la</strong> vertu dont tu parles,' alors<br />

poirit ces représailles étaient, ou fondées, ou pro­ il sera temps <strong>de</strong> te glorifier, et tu n'auras <strong>du</strong> moins<br />

portionnées $ ou conformes à <strong>la</strong> consêame <strong>du</strong> sage : fait ton panégyrique qu'une fois. Pf est-ee pas as­<br />

trials c'était à coup sûr <strong>la</strong> plus mauvaise disposition sez?<br />

possible pour traiter contradictoirement une ques­ * Tous êtes tous <strong>de</strong>s disciples <strong>de</strong> 1'inflme Solfiais, et<br />

tion <strong>de</strong> <strong>littérature</strong> et <strong>de</strong> morale.<br />

proprement Sénèque n<br />

Di<strong>de</strong>rot a tellement besoin qu'on le croie exalté,<br />

pour excuser le fanatisme <strong>de</strong> son livre, qu'il se met<br />

à faire l'éloge <strong>de</strong>s têtes exaltées; ce qui était encore<br />

une manière défaire le sien ; mais vous avez.vu qu'il<br />

ne s'en faisait pas scrupule. Il prétend qu'on donne<br />

le nom <strong>de</strong> têteexaUée à ceux qui marquent une vk><br />

tenêeindigmUmcûntre ksvUescommuns ; H craint<br />

quefm n'ait h cœur corrompu dès qu'on cesse <strong>de</strong><br />

passer pour une téie exmMée.<br />

« Mon enfant | poieBlof-toos mériter cette injure tente<br />

votievtei»<br />

Mime système partout dam <strong>la</strong> même c<strong>la</strong>sse<br />

d'hommes : ils font leurs poétiques avec les défauts<br />

<strong>de</strong> leurs ouvrages, et leur morale avec ceux <strong>de</strong><br />

leur caractère. Mais les phrases, les apostrophes,<br />

les exc<strong>la</strong>mations, les imprécations, ne font rien<br />

Ici, si ce n*est pour <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>ce qui écoute au bas<br />

<strong>de</strong>s tréteaux. Le bon sens répond au harangueur<br />

<strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce : L'exaltation n'est que le premier <strong>de</strong>gré<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> folie; et <strong>la</strong> folie n'est bonne à rien. Une tête<br />

exaltée s'accor<strong>de</strong> merveilleusement avec une âme<br />

froi<strong>de</strong>, et je ne fais pas pins <strong>de</strong> cas <strong>de</strong> l'une que <strong>de</strong><br />

l'autre. Eniti, il est souverainement ridicule que<br />

ceux qui affichent <strong>la</strong> vérité affichent en même temps<br />

l'exaltation. Quelle disparate 1 Abats Tune <strong>de</strong> tes<strong>de</strong>ui<br />

enseignes : Si Mmpkihsùpke, raisonne; si tu as<br />

une iéie exmMée, déraisonne. Lequel <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux es-tu ?<br />

Choisis.... Mais <strong>la</strong> nature a'dioisi pour toL<br />

Un <strong>de</strong>i arguments, oujrfutét une <strong>de</strong>s déc<strong>la</strong>ma-<br />

9 a jamais m qu'un seul accusateur<br />

Saillies. »<br />

Le nom <strong>de</strong> ce Suillius couvre les pages <strong>de</strong>s apologistes<br />

, et n'est pas une fois sous <strong>la</strong> plume <strong>de</strong>s censeurs<br />

qu'ils réfutent. Je ne ferai pas comme Di<strong>de</strong>rot,<br />

qui s'est chargé <strong>de</strong> démasquer Suillius : s'il a<br />

eu un masque <strong>de</strong> son vivant, Tacite était bon pour<br />

le lui ôter. Mais il n'en atalt aucun : c'était un dé<strong>la</strong>teur<br />

<strong>de</strong> profession*, un homme tll 9 coupable <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> mort <strong>de</strong> plus d'un innocent. Exilé tour à tour et<br />

rappelé sous C<strong>la</strong>u<strong>de</strong>, il est <strong>de</strong> nouveau poursuivi<br />

sous Héron, qui était alors gouverné par Burrhus<br />

et Sénèque. Il est condamné au tribunal <strong>de</strong> l'empereur;<br />

et, selon Tacite,<br />

« quoiqu'il eût mérité <strong>la</strong> haine <strong>de</strong> bien <strong>de</strong>s gens, sa oonit<strong>mont</strong>ioooe<br />

<strong>la</strong>issa pas <strong>de</strong> jeter <strong>de</strong> l'odieux sur Sénèque : »<br />

QuatmU mutêorum odim merUm rem9 kaud ta*<br />

mensMeinvuMâ- Serwcm dmmmmimr, Cette expression<br />

défavorable n'est pas ici un grief contre Sénèque<br />

: elle indique seulement qu'il eut <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong><br />

part à cette nouvelle sentence d'exil, que l'on trouva<br />

trop sévère, comme punissant une secon<strong>de</strong> fois; et<br />

dans un temps où les mœurs étaient sans force, le<br />

malheur et l'abaissement faisaient aisément oublier<br />

les fautes. Cette affaire it quelque bruira Rome,<br />

puisque Tacite <strong>la</strong> rapporte avec assez <strong>de</strong> détails : il<br />

fait parier Suillius; et l'accusé, dans ses défenses,<br />

paraît n'imputer ses dangers qu'à Sénèque. 11 lui reproche<br />

son avidité, ses gran<strong>de</strong>s richesses, peu conformes<br />

à ses maximes <strong>de</strong> philosophie, et ses intrigues


AUCUNS. — PHILOSOPHIE. 413<br />

d'amour a?ce Julie, sœur <strong>de</strong> Galigu<strong>la</strong>. Gê <strong>de</strong>rnier<br />

grief avait été le sujet ou le prétexte <strong>de</strong> l'exil <strong>de</strong> Sénèque<br />

sous C<strong>la</strong>u<strong>de</strong>, et <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière opinion est <strong>la</strong> plus<br />

vraisemb<strong>la</strong>ble. Aujsun historien ne parle <strong>de</strong> ce commerce<br />

a?ec Julie que comme d'un brait vague ou<br />

d'une accusation supposée. Bios même, qui ménage<br />

fort peu Sénèque, n ? eo parle pas autrement. Saint-<br />

Éfremond, qui ne doutait <strong>de</strong> rien , fait aussi <strong>de</strong> Sénèque<br />

famoft** ^Àgripplm, sans y être plus autorisé<br />

, et-'âppareraraent pour le p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> faire d f un<br />

stoïcien un débauché. 11 n'y a là que <strong>de</strong>s rumeurs<br />

popu<strong>la</strong>ires, dont les historiens font mention sans<br />

les appuyer ; et Tacite se confirme en rien les dis<strong>cours</strong><br />

<strong>de</strong> Suillius. Si Ton a préten<strong>du</strong> (comme on peut<br />

le présumer par le texte <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot f qui se fait l'objection)<br />

que Suillius n'a pu, tans être fou, articuler<br />

défaut Héron <strong>de</strong>s faits dont il pou?ait savoir <strong>la</strong><br />

fausseté f on a mal raisonné ; et Di<strong>de</strong>rot ne répond<br />

pas mieux en disant que Suillius pouvait être fou,<br />

puisqu'il éêait méchant ; c'est une argumentation<br />

stoïcienne, qui n'est concluante qu'au Portique. Mais<br />

rien n'empêche qu'un homme ulcéré ne répète contre<br />

un ennemi <strong>de</strong>s accusations qui ont éc<strong>la</strong>té sans être<br />

vérifiées. Quant aux richesses <strong>de</strong> Sénèque, le scandale<br />

n'a pu venir <strong>de</strong> Suillius. Sénèque lui-même, dans<br />

les dis<strong>cours</strong> qu'il adresse à Héron , avoue que cette<br />

excessive opulence ne convient pas à Sénèque f et je<br />

crois qu'il avait raison. Cependant je n'en conclurai<br />

pasf comme bien d'autres, que ce fût, à cet égard,<br />

mm hypocrite. On ne peut nier, je l'avoue, qu'il n'ait<br />

été assez généralement taxé d'hypocrisie pour qu'un<br />

sévère moraliste <strong>du</strong> <strong>de</strong>rnier siècle, <strong>la</strong> Rochefoucauld<br />

*, ait mis à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> ses Maximes <strong>la</strong> figure<br />

<strong>de</strong> ce philosophe sous l'emblème <strong>de</strong> l'hypocrisie avec<br />

son masque et le nom <strong>de</strong> Sénèque au bas. C'est bien<br />

une forte preuve que ce nom n'était pas f à beaucoup<br />

près? aussi vénéré que voudraient nous le faire croire<br />

ses apologistes , qui ont toujours l'air <strong>de</strong> nous prendre<br />

pour <strong>de</strong>s gens d'un autre mon<strong>de</strong>. Si l'auteur <strong>de</strong>s<br />

Maximes eût fait une semb<strong>la</strong>ble caricature d'Aristi<strong>de</strong>,<br />

ou <strong>de</strong> Sacrale, ou <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton , ou <strong>de</strong> quelqu'un<br />

<strong>de</strong> ces fameux anciens dont <strong>la</strong> réputation est Intacte},<br />

que n*eût-on pas dit? Et personne <strong>de</strong>puis cent ans<br />

1<br />

Cest tans dotite fiejare <strong>la</strong> plus réfléchie et <strong>la</strong> plus caractérisés<br />

qu'on ait faite à Séfiètpe; «t en oonséquence, <strong>la</strong><br />

Rochefoucauld aurait dû étro traité comme lis sacrUége par<br />

nos foogûeu apologistes. Cependant Tus d'eux s'est borné à<br />

Kffluqinr que eeMe mtmmpe m§ m tmamit que iam k§ imm<br />

&m qmire pfmmièreM éëitwns; d'où il coacSot que Vauteitr<br />

M'émit wéirmeêé. D'autres eu concluraient seulement que, <strong>la</strong><br />

p<strong>la</strong>nche étant usée, et l'ouvrage abandonné ans libraires,<br />

os n'avait paa pris <strong>la</strong> peine <strong>de</strong> faire les frais d'une nou¥elle<br />

p<strong>la</strong>nche; mais le fait est que <strong>la</strong> famille,là Rochefoucauld<br />

était alors puissante et respectée, et qui! n'y avait pas moyen<br />

<strong>de</strong> faflUer aui Smiiiim. Mes apologistes ne s'en sont-Us pas<br />

bïm tirés? et Q v n*a dit un seul mat, personne sa s'est formalisé en<br />

faveur <strong>de</strong> Sénèque. Mais ce n'est pas non fi<strong>la</strong>s une<br />

preuve qu'il ait été réellement hypocrite sur l'article<br />

<strong>de</strong>s richesses. I<br />

ont-ils pas su tout nonommodag?<br />

e Un sage peut être riche sans déroger<br />

à <strong>la</strong> sagesse : il peut user <strong>de</strong> l'opulence sans y<br />

tenir. Nous ne savons pas quel usage en faisait Sénèque<br />

; mais rien n'indiquant qu'il fût mauvais f nous<br />

pouvons présumer qu'il était fion. Dion, toujours<br />

suspect quand il parle seul, fait <strong>de</strong> Sénèque un avare ;<br />

mais Juvénai parle <strong>de</strong>s beaux présents qu'il envoyait<br />

à ses amis. T II n'était pas sans'danger <strong>de</strong> rejeter<br />

les libéralités <strong>de</strong> Néron : cette retenue pou?ait paraître<br />

une censure <strong>de</strong>s prodigalités indécemment répan<strong>du</strong>es<br />

sur <strong>de</strong>s affranchis. Il était encore plus périlleux<br />

<strong>de</strong> lui rendre tout quand Sénèque quitta <strong>la</strong> cour :<br />

c'eût été comme une déc<strong>la</strong>ration <strong>de</strong> guerre; et si<br />

rhomme <strong>de</strong> bien doit tarer le danger nécessaire v<br />

il ne cherche pas un danger gratuit. 8 e Si Sénèque<br />

p<strong>la</strong>çait son argent à gros intérêts, c'était <strong>de</strong>puis<br />

longtemps l'usage universel <strong>de</strong>s Romains, même <strong>de</strong>s<br />

plus honnêtes gens; et Caton le Censeur et Bratus K<br />

étaient <strong>de</strong>s plus forts usuriers <strong>de</strong> leur temps. Bans<br />

tout ce qui n'est pas criminel en soi, et ne le défient<br />

qu'à une mesure éventuelle dont <strong>la</strong> règle peut varier,<br />

les mœurs publiques sont une excuse pour les<br />

indivi<strong>du</strong>s ; et c'est ce qu'il ne faut jamais perdre <strong>de</strong><br />

vue dans tout ce qui regar<strong>de</strong> les anciens.<br />

Que Di<strong>de</strong>rot crie, comme à l'audience : Instruis<br />

sons kprocès <strong>de</strong>SuiUius, et qu'il l'instruise en effet<br />

dans un terrible p<strong>la</strong>idoyer qui envoie ce misérable<br />

au roc tarpékn; <strong>la</strong>issons-le faire, c'est qu'il a <strong>du</strong><br />

temps à perdre. Le procès <strong>de</strong> Sénèque, un peu plus<br />

important, n'a rien <strong>de</strong> commun avec celui <strong>de</strong> Suillius.<br />

Il s'agit pour nous <strong>de</strong> savoir, I e si Sénèque a<br />

été, dans son exil <strong>de</strong> Corse, le plus bas et le plus dégoûtant<br />

f<strong>la</strong>tteur <strong>de</strong> l'imbécile C<strong>la</strong>u<strong>de</strong>, et d'un affranchi<br />

nommé Polybe, auquel il adresse une Conso<strong>la</strong>tion<br />

qui a toujours fait partie <strong>de</strong> ses ouvrages ; 2 e s'il<br />

a été le vil comp<strong>la</strong>isant <strong>du</strong> crime, et l'infâme apologiste<br />

d'un parrici<strong>de</strong>, quand Héron fit périr sa mère.<br />

Yoità ce que reprochent à Sénèque tous ceux qui refusent<br />

<strong>de</strong> reconnaître dans ses actions <strong>la</strong> morale <strong>de</strong><br />

ses écrits. Dion et son abréviateur Xyphilin ne sont<br />

ici pour rien. Jamais Suillius n'a parlé ni pu même<br />

parler <strong>de</strong> ce qui va nous occuper. Nous tenons d'écarter<br />

sa querelle particulière'avec Sénèque, et d'annuler<br />

tous les reproches qu'il lui a faits. Fous allons<br />

donc juger Sénèque sur le récit, sur le seul récit <strong>de</strong><br />

Tacite, autorité irréfragable pour les apologistes<br />

comme pour nous. Songez à présent, je voua prie,<br />

1<br />

Voyei t dans les Lettm


414<br />

CÛU1S DE UTTÉIATOML<br />

que, quand même il n'y eût jamais ou au mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>.<br />

Suillius, les choses seraient encore ee qu'elles sont,<br />

et <strong>la</strong> question entière est dans le même état pour<br />

nous ; songez ensuite que tous ceux qui, dans notre<br />

question, ont prononcé contre Sénèque d'après Tacite<br />

, et d'après le seul Tacite f sont tous, sans eieeption<br />

, aux yeux <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot, <strong>de</strong>s Smttius; et juges si<br />

un homme raisonnable peut voir sans quelque pitié<br />

le froid délire d'un ?ieil<strong>la</strong>rd qui se passionne si follement<br />

contre quiconque n'est pas <strong>de</strong> son avis sur Sénèque,<br />

qu'il exhume à grands cris et poursuit à chaque<br />

pas un mort ignoré, qui ne lui sert qu'à injurier<br />

les ?ïirants, sans rien faire pour sa cause2 et dont le<br />

nom est pourtant <strong>de</strong>venu si familier aux <strong>de</strong>ux ou<br />

trois enthousiastes <strong>de</strong> Sénèque, que, si par hasard<br />

l'un d'eux essaye encore <strong>de</strong> revenir h <strong>la</strong> charge, je<br />

serai bien surpris, et même un peu fâché f <strong>de</strong> ne pas<br />

me trouver aussi <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille <strong>de</strong> Suillius.<br />

Commençons par le principal, le meurtre d'Âgrippine<br />

: ici <strong>la</strong> vérité s dé<strong>mont</strong>rée en un point capital,<br />

sert 4'appui et <strong>de</strong> confirmation pour tout le reste.<br />

Que Tacite soit notre gui<strong>de</strong> : nos adversaires ne reconnaissent<br />

d'autre autorité que <strong>la</strong> sienne 9 et je n f en<br />

veux pas d'autre. Di<strong>de</strong>rot s'accuse <strong>de</strong> ne l'avoir pas<br />

enten<strong>du</strong> à vingt ans : alors pourtant il paratt l'avoir<br />

enten<strong>du</strong> fort bien et comme tout le mon<strong>de</strong>, puisque,<br />

sur son récit, il condamnait Sénèque. Mais vous<br />

allez voir qu'il lui a plu en f entendre très-mal, <strong>de</strong><br />

le déâgurer et <strong>de</strong> le démentir, lorsqu'à soixante am<br />

il n'a plus songé qu'à p<strong>la</strong>i<strong>de</strong>r contre ses propres ennemis,<br />

en paraissant p<strong>la</strong>i<strong>de</strong>r pour Sénèque.<br />

Bien n'est plus connu que l'invention infernale<br />

<strong>de</strong> ce navire construit pour faire périr Agrippine;<br />

invention digne <strong>de</strong> Néron et <strong>de</strong> son affranchi Animî.<br />

Agrippine échappe au danger comme par miracle;<br />

elle se retire à sa maison <strong>de</strong> Bailles, près <strong>du</strong><br />

rivage <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer; et les agents <strong>de</strong> Héron viennent<br />

aussitôt à Haïes, au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit, lui annoncer<br />

que <strong>la</strong> machine a manqué l'effet qu'on en attendait,<br />

et n'en a eu d'autre que <strong>de</strong> manifester le crime.<br />

La frayeur le saisit : il craint tout <strong>de</strong>s ressentiments<br />

d f Agrippine et <strong>de</strong> l'indignation universelle. Écoutons<br />

maintenant Tacite que je vais tra<strong>du</strong>ire avec <strong>la</strong><br />

plus scrupuleuse fidélité t et non pas en tronquant,<br />

morce<strong>la</strong>nt, retranchant, ajoutant, comme font les<br />

apologistes. Soyez attentifs à toutes les expressions :<br />

l'historien savait les peser et les choisir. Héron est<br />

représenté délibérant avec lui-même.<br />

« s Quelle ressource lui festait-U, à moins que Burrhis et<br />

Sénèque n'en inugbiaMent quelqu'une ? H tes avait fait<br />

man<strong>de</strong>r aussitêt : étaient-Us précé<strong>de</strong>mment instruite <strong>de</strong><br />

projet? C'est ce qui n'est pas avéré. Tous <strong>de</strong>us gar<strong>de</strong>nt<br />

d'abord on long silence, soit pour s'épargner <strong>de</strong>s re<strong>mont</strong>rances<br />

inutiles, soit qu'ils crussent les choses «i point<br />

fait fal<strong>la</strong>it que Néron péril m qn*fl prévint Agrippine.<br />

Enfin Sénèque s d'ordinaire plus prompt à s'expliquer, regar<strong>de</strong><br />

BîirrfMisf et in! <strong>de</strong>man<strong>de</strong> s'E tat &mkmm ee tueurtre-aox<br />

soldats. Burrhus répond que les prétoriens sont<br />

attachés à toute <strong>la</strong> maison <strong>de</strong>s Césars et à <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong><br />

Germanieus 9 et qu'Es n'oseront se porter à aucune •Menée<br />

contre sa fie; qn'Anieet est à se charger seul <strong>de</strong> ce qu'A<br />

avait promis d'exécuter. Celui-ci, sans ba<strong>la</strong>ncer9 prend<br />

sur lui <strong>de</strong> consomme? le crime. A cette parole» Néron s'écrie<br />

que c'est <strong>de</strong> ce jour qu'il va être empereur, et qu'il en<br />

est re<strong>de</strong>vable à un affranchi, fl lui ordonne <strong>de</strong> se h&ter,'et<br />

<strong>de</strong> prendre avec lut <strong>de</strong>s hommes déterminés. »<br />

Arrêtons-nous un moment sur cette première partie<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> narration. D'abord Sénèque et Burrhus<br />

étaient-ils confi<strong>de</strong>nts <strong>du</strong> premier projet d'assassinat?<br />

Dion n'en doute ps$ mais il l'affirme sans preuve*<br />

et même sans irraisemManee. Héron, comptant sur<br />

Anieet, n'avait jusque-là aucune raison <strong>de</strong> se conter<br />

à eux,En étaient-ils au moins informés (gnaros),<br />

comme ils purent l'être, puisque, selon Tacite 9<br />

Agrippine elle-même avait été avertie? Tacite ne Tassure<br />

pas ; mais on peut le présumer raisonnablement,<br />

et Di<strong>de</strong>rot lui-même en contient 9 <strong>du</strong> moins pour<br />

Burrhus, cfaprès ces paroles:<br />

• Que votre Anieet n'achève-t-il ce qu*U a promH? »<br />

Borrbus le savait donc, et par conséquent Sénèque<br />

aussi. Mais ee n'est pas encore là un grief sans excuse<br />

: ils ont pu le savoir, non-seulement sans y<br />

avoir pris part et sans l'approuver, mais même sans<br />

moyen <strong>de</strong> l'empêcher, comme l'indiquent ces mota<br />

<strong>de</strong> Tacite : ne irrMi dissuadèrent. Jusqu'ici donc<br />

ils sont hors d'atteinte, et leur Umg silence est encore<br />

une marque dMmprobation. Mais qui <strong>du</strong> moins<br />

jusqu'ici a pris davantage im lui, et s'est opposé<br />

au forfait autant qu'il a pu? Burrhus, sans contredit;<br />

car il refuse nettement le ministère <strong>de</strong> <strong>la</strong> gar<strong>de</strong><br />

qu'il comman<strong>de</strong>, et <strong>de</strong>vant Héron c'était risquer<br />

beaucoup : on le voit assez aux transports <strong>de</strong> sa<br />

joie, et à ses remercîments après les promesses <strong>de</strong><br />

l'affranchi. Ce n'est pourtant pas l'avis <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot :<br />

il les met tous ions ici, Burrhus et Sénèque, sur<br />

<strong>la</strong> même ligne. De ee que Sénèque parle le premier,<br />

et interroge Burrhus, il conclut que lui seul igno-<br />

ntif pmmpiior, rmpken Bmrrkmm m seiseîÊsfi am miiiii •#•peranda<br />

ctèdm émet? Me prmimmmM â>ft Cmmrmm émmm<br />

oèëtrkiœ, et mewmeê Gersmnid, mîhtt sdmnm pmgemtem<br />

* Qmé€m^mMmèméémmmU9mM§wMBmrrkme$§emem $w stms smmrm wmp&mdM ;pefpetmret Amêmtm pmmmm.<br />

êxpergwcenntMt? Qmm êiaëm aeciverai, imeertmm mn ei &mtè Qui ftt'M eunet&tm, pmcii mmmmm meleru. Jd t Haut vo*<br />

§mfw. Igiiur im§um mirimêfmê mlmtium, me Mit iùmm- emm Ner&s UlôsiU die êsn mperiwm, mmeêsremqme Umii<br />

êêwmî, tm m <strong>de</strong>ëeemwm emêeèani, m, mm pmvemreîur mmnerm iièerimm pr&jUtimr ; weipmperè, dmeêretqme pvmmf-<br />

J§rifpimsp*mMêwm ifmmmi met? Pmî §mœm9 kmcle- Ummmmipmm (Tadl ^ftft. ai.)


ANCIENS. - PHILOSOPHIE<br />

£ ï ^ " ' " ^ ab80,unM «* ^probable que<br />

I un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux en sût plus que l'autre. De ce que<br />

tous <strong>de</strong>ux furent longtemps sans rien dire il conclut<br />

qu'« «/a* *>«, douter ou'ils n^fauZ<br />

re<strong>mont</strong>rance^< plu, énergique,, et il assie que<br />

c est <strong>la</strong> ce que Tacite lui faU entendre. Ensuite<br />

v.ent un paragraphe sur <strong>la</strong> force <strong>du</strong>tilence. Enfin,<br />

après s être récné sur l'audace ,acrilëge d'ajouter<br />

ZSÎ.TJV?* <strong>de</strong>Taclte ' B substitae •« I<br />

narré a celui <strong>de</strong> l'historien. Il fait dire à Néron ces<br />

mots en guillemets : '<br />

«surfait « : « Que rawaMto Àgériooa. un <strong>de</strong>.*nv»u*- .<br />

«•«rd.etqu'ette «MUporté <strong>la</strong> peine <strong>de</strong>lnl?^ m ~<br />

<strong>de</strong>saccosauo.» renouvelée, <strong>de</strong> plus iota: - QaïffS<br />

Prttendo au partage <strong>de</strong> l'empire, voulu forcer le^J£<br />

Prenne, <strong>de</strong> prêter un Uent a iïïÏÏfït<br />

J^rerjdari le sénat et .e peapte „ K ' £ t<br />

»ri» mcè. <strong>de</strong> ses entreprise. l'eratt S e !!!£<br />

Or, a n'y a pas un mot <strong>de</strong> tout ce<strong>la</strong> dans Tacite •<br />

2:t£l m ^l*"** é *» te aux député, <strong>de</strong>s nation.» . H atuSt S<br />

«directement le règne <strong>de</strong> C<strong>la</strong>u<strong>de</strong>, rejetant m 2 S<br />

tajrtw. <strong>de</strong> ce temps-là, et rappe<strong>la</strong> „ J^ÏÏ*<br />

?»'* »«•*•Néron il attribuait M mort à <strong>la</strong> fortune Ptl»Mnne M»!. , «Ti<br />

quelqu'und'w«««t„»M- !i.„ l,qne Plus terrible pour £T^TlZ£Z ^ T ^ / ^ ^ - ^*?"** Z «•*• *<br />

plus excusable. Mais il a oublié qu'alors c'était Né- TS^JÎZF^*!"'***""'**»*•*,<br />

ron lui-même qui avait peur, parce Jil se crovalt ^oZSZ^t-**"<br />

* rw»»*î r«^c oui H sg croyait<br />

en danger, et que dans le danger, et même à <strong>la</strong><br />

moindre apparence <strong>de</strong> danger, jamais personne ne<br />

" ^ *» **»> '«*»«<br />

fut plus lâche que Néron. Tacite, qui nous l'a peint<br />

ainsi, n était pas homme à nous le représenter menaçant<br />

ses gouverneurs quand il craint tout <strong>de</strong> sa K53ï£r''--mère-,<br />

et Di<strong>de</strong>rot seul avait besoin <strong>de</strong> <strong>la</strong> supposibon,<br />

au point <strong>de</strong> ne pas faire attention à l'ineptie.<br />

Cest aussi par le besoin <strong>de</strong> donner à <strong>la</strong> timi<strong>de</strong> interrogation<br />

<strong>de</strong> Sénèque une intention et une énergie<br />

que Tacite ne lui donne pas, qu'il lui fait dire :<br />

« Faut-il ordonner aux soldats d'égorger <strong>la</strong> mère <strong>de</strong> l'emporeurr<br />

»<br />

mais l'historien lui fait dire simplement :<br />

* Ffcntil ©wtow»r m meurtre aux ; »<br />

^m ïmperandm miim cm<strong>de</strong>sf Tacite d'ailleurs ne<br />

caractérise eu aucune manière ni le tMeme, ni le<br />

regard, niie tm, m le maintien : il a <strong>la</strong>issé tout<br />

ce<strong>la</strong> pour <strong>la</strong> p<strong>la</strong>idoirie <strong>de</strong> l'avocat Di<strong>de</strong>rot.<br />

^ Il en résulte qm, pur ce qui est <strong>de</strong> <strong>la</strong> complicité,<br />

Dion seul en accuse Burrhus et Sénèque, et<br />

il n'a été suivi par personne; mais ©n ne voit pas<br />

non plus que, selon Tacite, Sénèque aitdonné au-<br />

«m indice d'opposition, ni aucune preuve <strong>de</strong> courage;<br />

et en ce<strong>la</strong> Burrhus a fait beaucoup plus que<br />

ta. Achevons d'entendre Tacite après qu'Agrippine<br />

a été massacrée dans son lit par Anieet, par un<br />

centurion et un commandant <strong>de</strong> galère, suivis d'une<br />

escorte <strong>de</strong> soldats <strong>de</strong> marine, à <strong>la</strong> vue <strong>de</strong> ses esc<strong>la</strong>ves<br />

et <strong>de</strong> toute sa maison, et <strong>du</strong> peuple mis en<br />

fuite, et après qm les félicitations <strong>du</strong> sénat et <strong>du</strong><br />

peuple sont venues jusqu'à Naples rassurer le parrici<strong>de</strong><br />

qui s'y est retiré.<br />

sfi £S<br />

D'après ce texte littéral il est certain, f que <strong>la</strong><br />

lettre était <strong>de</strong> Sénèque, et universellement connue<br />

pour en être : elle fut longtemps conservée comme<br />

un monument curieux (et elle l'était), puisque'<br />

trente ans après, Quintilien en cita <strong>la</strong> p r eS<br />

phrase, mais seulement sous le rapport <strong>de</strong> <strong>la</strong> dic-<br />

II est certain, r que l'objet <strong>de</strong> <strong>la</strong> lettre était <strong>de</strong><br />

^««/fer autant qu'il serait possible, l'attentat <strong>du</strong><br />

flls par les fautes <strong>de</strong> <strong>la</strong> mère, en ne s'expliquant<br />

toutefois sur sa mort qu'en termes enveloppés et<br />

susceptibles d'un double sens : celui <strong>de</strong> l'assassinat<br />

et celui <strong>du</strong> suici<strong>de</strong>. 11 n'y avait pas moyen <strong>de</strong> dire •<br />

« jnjrf*. liber*, et luiue eam pïnaZZ'£££Z IL<br />

« «rlu, paravmet. » Adjicùbaterimina to^lZJu-<br />

«Pretoria» cokorttM ij~j„.r.*~r"1 ue "» /*•»«"«verba<br />

„.~~.Z..^^'. uUmaM <strong>de</strong><strong>de</strong>eut senaltu et populi<br />

« nuhUbm patribmque etplebi, diuua^i^t don^uTtt<br />

. %T-,?° "ï- Wtmtum, ne irrumperet^am,<br />

feretu, namque et natfragtvm narrabat. Quod fortui.<br />

a"ZuE£LÎ*L e *° 0h,it * *»«**«». «ïretretTSâ<br />

amulure «aufraga tnwmm am leh, unum qui cohorte, et<br />

cfaue. tmperatoru perfringnt. *^o non JamNer7Ïc%2<br />

r**"."*"» ï.« ,ate • «*«rt, $ed advenoruZn,<br />

^^Tfo.r^ Mi -*«—-»*—.a*-<br />

« Cest <strong>de</strong> là qu'il éert?ait an ^1 une lettre d©nt te *. | * Satnm wm e$w mïàm fwc emd& née @®u<strong>de</strong>& : « Je M<br />

« iniB «e@m m ton» gûr albtai wltaM d'être suive. »


416<br />

CODES DE LITTÉEATC1E<br />

J'ai fait massacrer ma mère^Ce<strong>la</strong> eût été trop cru f<br />

même pour Néron. 11 n'y avait pas moyeu non plus<br />

<strong>de</strong> nier publiquement uu meurtre exécuté publiquement<br />

et à force ouverte. La phrase <strong>la</strong>tine, dont<br />

j'ai conservé l'équivoque dans <strong>la</strong> version française,<br />

peut signifier également, ou qu 1 'Àgrippine, en m<br />

tuant, a eu dam F âme <strong>la</strong> même fureur qu'en mu<strong>la</strong>nt<br />

tuer son fit (et c'est le sens qu'a choisi Di<strong>de</strong>rot)<br />

, ou qu'en recevant ta pumimm <strong>de</strong> son crime,<br />

eMe s'est sentie coupable, comme en h commettant.<br />

Mais, dans tous les cas, on conclut que sa mort<br />

est tm coup <strong>de</strong> <strong>la</strong> fortune <strong>de</strong> Rome; et c'est là<br />

qu'on en vou<strong>la</strong>it venir.<br />

Il est certain, 3 e Elle me manque, moi, pour rendre ce que j'épropve...<br />

Mais on ne peut ba<strong>la</strong>ncer qu'entre le mépris et l'indignation.<br />

Commençons par articuler <strong>la</strong> chose telle<br />

qu'elle est : Vous mentes : vous se vous trompez<br />

pas ; vous mentez. Yous n'êtes pas assez ignorant<br />

pour tra<strong>du</strong>ire confessionem par indiscréUon. Ceui<br />

mimes qui ne savent pas le <strong>la</strong>tin enten<strong>de</strong>nt ici ce<br />

mot <strong>de</strong>venu français, et voient qu'il s'agit <strong>du</strong>ne<br />

confession, d'un aveu. 11 est vrai qu'il» aveu est<br />

aussi quelquefois une indiscrétion : mais vous n'êtes<br />

pas stupi<strong>de</strong>; et, quelque hardi que vous soyez, vous<br />

n'oseriez pas dire même au papier, à plus forte<br />

raison <strong>de</strong>vant les hommes, que l'aveu d'us parri­<br />

que personne, au rapport <strong>de</strong> ci<strong>de</strong> n'est autre chose qu'une indiscrétion. Ce serait<br />

Tacite, ne fut ni ne pouvait être <strong>du</strong>pe <strong>du</strong> préten<strong>du</strong> <strong>la</strong> première fois qu'on aurait mis cet aveu-là au<br />

suici<strong>de</strong>, non plus'que <strong>du</strong> préten<strong>du</strong> naufrage, et nombre <strong>de</strong>s aveux indiscrets. Tacite n'était pas<br />

qu'en conséquence <strong>la</strong> voix publique reprochait à capable <strong>de</strong> cette incroyable bêtise, et <strong>la</strong> lui prêter<br />

Sénèque d'avoir prêté sa plume à ce grossier tissu si affirmativement est d'une incroyableimpu<strong>de</strong>ece...<br />

<strong>de</strong> p<strong>la</strong>tes impostures, qui n'étaient en effet que C'est à vous, messieurs, que je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pardon <strong>de</strong><br />

l'aveu d'un grand crime, puisqu'on ne prend pas <strong>la</strong> cette expression, et non pas à celui qui <strong>la</strong> mérite,<br />

peine <strong>de</strong> le justifier quand on ne Fa pas commis. et qui lui-même me sert ici d'autorité. 11 dit dans<br />

Voilà ce que dit Tacite; et l'on peut ajouter son livre, au milieu <strong>de</strong> toutes les horreurs qu'il<br />

que, suivant sa brièveté accoutumée, il expose les vomit contre les vivants et les morts, le tout en<br />

faits <strong>de</strong> manière à ce qu'ils contiennent son juge­ l'honneur <strong>de</strong> Sénèque :<br />

ment, et dictent celui <strong>du</strong> lecteur, sans l'énoncer « Je parle air vivants comme aux morts 9 et aax morts<br />

expressément. Tacite est d'ailleurs moins disposé comme aax vivants. »<br />

que personne à charger Sénèque, <strong>de</strong> l'aveu même Je puis aussi user <strong>de</strong> ce droit, mais je suis loin<br />

<strong>de</strong> Juste-Lipse, qui, pour cette fois, ne peut pas d'en abuser comme lui, d'après son livre. Ouvrez-le,<br />

être suspect, et qui, reprochant à Dion sa malveil­ et vous verrez que le terme le plus fort dont je me<br />

<strong>la</strong>nce contre Sénèque, reconnaît une disposition sois servi avec toute raison, n'est rien en compa­<br />

' tout opposée dans Tacite», dont <strong>la</strong> oienveiManœ, raison <strong>de</strong> ceux dont il se sert partout quand il a<br />

dit-il dans son Commentaire, favorise partout Sé­ tort. 11 me suffit <strong>de</strong> vous assurer que je ne pournèque<br />

: Seneem nbique vokns 'et amicus. Les aporais<br />

pas même, sans violer toutes les bienséances<br />

logistes qui ont tant cité leur Juste-Lipse, se sont et sans donner un affreux scandale, répéter ici <strong>la</strong><br />

bien gardés <strong>de</strong> citer ce passage, et je conçois bien moindre partie <strong>de</strong>s or<strong>du</strong>res qui tombent à lots <strong>de</strong><br />

pourquoi; mais il est bon <strong>de</strong> leur Étira voir qu'on sa plume cynique.<br />

a lu aussi Juste-Lipse.<br />

Il continue "à commenter le récit <strong>de</strong> Tacite f pour<br />

Mais que pensez-vous que Di<strong>de</strong>rot ait vu dans en falsifier en tout le sens et l'esprit.<br />

ce récit <strong>de</strong> l'historien? Yous en aurez une première<br />

« 11 s'est question dam l'historien qm d'un brait popu­<br />

- idée dans <strong>la</strong> façon dont il a tra<strong>du</strong>it <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière <strong>la</strong>ire. »<br />

Yous mentez encore. Quoique vous sachiez assez<br />

« Cette lettre, <strong>de</strong>venue publique, détourna les yeux <strong>de</strong> mal le <strong>la</strong>tin, à es juger par Totre livre, vous ne<br />

<strong>de</strong>ssus 1@ cruel Héron, et Fou ne s'entretint pies que <strong>de</strong><br />

pouvez pas vous méprendre à ce qui est c<strong>la</strong>ir et<br />

l'indiscrétion <strong>de</strong> Sénèque qui l'avait dictée, •<br />

sans difficulté. Rumore ad&erso esse est une phrase<br />

Ne vous hâtez pas <strong>de</strong> vous récrier. Il a prévu faite, qui signifie être mal dans l'opinion publique,<br />

l'étonnement et l'exc<strong>la</strong>mation : aussi a-t-il mis le comme adversa fama esse : ce<strong>la</strong> est <strong>la</strong> même chose,<br />

mot indiscrétion en italique, et il se fait dire sur- et ce<strong>la</strong> est très-différent d'tm bruit popu<strong>la</strong>ire.<br />

le-champ, en alinéa : — La lettre adressée au sé­ « Tacite s'approuve ni se désapprouvé. »<br />

nat, une imdiscréMonî Mais il ne s'étonne pas aisé­<br />

Sa phrase l'en dispensait : en matière si grave renment,<br />

lui, et il répond avec <strong>la</strong> plus froi<strong>de</strong> assurance,<br />

dre compte <strong>de</strong> l'opinion publique sans y rien op­<br />

et «a citant les mots <strong>la</strong>tins au bas <strong>de</strong> <strong>la</strong> page :<br />

poser, c'est y souscrire; et, si <strong>la</strong> faute <strong>de</strong> Sénèque<br />

« C'est l'expression <strong>de</strong> facile* » -<br />

c'était pas manifeste par le seul exposé, le jugement


ANCIENS. — PHILOSOPHIE.<br />

publie est assez flétrissant pour que Ton prtt <strong>la</strong><br />

peine <strong>de</strong> le repousser.<br />

« Senèqse est tué «Tune faute qu'il n*a pu» même commise,<br />

(M M n'y â imite iméiscréëom dans sa lettre. »<br />

Réfutes, si vous le voulez, vos propres suppositions<br />

: <strong>la</strong> tâche n'est pas difficile. Non, il n'y a<br />

pas eu effet d'indiscrétion dans cette lettre, non<br />

plus que dans le teite <strong>de</strong> Tacite : il y a ce que tout<br />

le peuple romain y a vu, ce que Tacite a énoncé<br />

textuellement, ce que tous les hommes y verront<br />

à jamais, Yaveu et fapologie d'un parrici<strong>de</strong> sous<br />

<strong>la</strong> plume d ? un philosophe.<br />

m La rameur se l'accns* ni <strong>de</strong> crimet ni <strong>de</strong> lâcheté 9 ni <strong>de</strong><br />

bassesse. Pourquoi faut-Il que nous nous <strong>mont</strong>rions pires<br />

que 1A canaille ; dont le caractère est <strong>de</strong> tout envenimer ! »<br />

Suivez <strong>la</strong> inarche <strong>du</strong> sophiste déhonté. Tout à<br />

l'heure l'indignation publique, se détournant <strong>de</strong><br />

Néron même pour éc<strong>la</strong>ter contre celui qui confesse<br />

ttJustifie le crime, n'était qu'un bruit popu<strong>la</strong>ire;<br />

et déjà ce n'est plus que <strong>la</strong> canaille <strong>de</strong> Rome qui<br />

envenime <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> Sénèqoe ; et ceux qui voient<br />

<strong>du</strong>es cette con<strong>du</strong>ite une bassesse, une lâcheté, m<br />

crime, c'est-à-dire ce qui est compris dans le seul<br />

énoncé <strong>de</strong> l'historien, sont pires que h canaille!<br />

Cette accumu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> mensonges et d'injures, d'au- '<br />

tant plus odieuse que l'audace semble ici <strong>de</strong> sangfroid,<br />

autorise à répondre, au nom <strong>de</strong> <strong>la</strong> morale<br />

universelle, ici foulée aux pieds, qu'au moment<br />

où Di<strong>de</strong>rot écrivait, il n'y avait pas d f exemple que<br />

<strong>la</strong> canaille, même <strong>la</strong> plus vile, eâl approuvé et<br />

consacré l'apologie d $ Depuis quand, lorsqu'il s'agit <strong>de</strong> principes généraux,<br />

exige-t-on <strong>de</strong>s titres particuliers?<br />

« Censeurs» vous.avez beau faire, je pe vous es croirai<br />

pas BieUeara. »<br />

Sophiste, c'est <strong>de</strong> Sénèqoe qu'il s'agit, et non pas<br />

<strong>de</strong> ses censeurs. (Test son procès que vous instruisez,<br />

et non pas le leur; et qu'importe d'ailleurs<br />

l'opinion que vous aurez d'eux, quand <strong>la</strong> vôtre sur<br />

Sénèque suffit pour fixer celle qu'on doit avoir <strong>de</strong><br />

votre jugement, et même <strong>de</strong> votre bonne foi?<br />

Tous dites à un homme distingué par ses vertus<br />

(c'est ainsi que vous-même appelez Sacy ), vous dites<br />

à cet homme <strong>de</strong> bien (comme l'appelle votre<br />

éditeur) :<br />

Ce l'est pis dans le fond d'une retraite paisible, dans<br />

une bibliothèque, <strong>de</strong>vant on popitre, que Ton Juge saine*<br />

ment ces actions-là. C'est dans l'antre <strong>de</strong> <strong>la</strong> bête féroce<br />

qu'il faut être 9 ou se supposer <strong>de</strong>vant elle f sons ses feux<br />

élince<strong>la</strong>nts t ses ongles tirés 9 sa gueule entrouverte et dégouttante<br />

<strong>du</strong> sang d'une mère. C'est là qu'il faut dire à <strong>la</strong><br />

bête : Tu vas me déchirer, je n'en doute pas; mais je ne<br />

ferai rien <strong>de</strong> ce que <strong>la</strong> taie comman<strong>de</strong>s Qu'il est aisé <strong>de</strong><br />

braver le danger d'un autre ! etc. »<br />

Sacy aurait pu répondre : Sophiste, un instant<br />

<strong>de</strong> réflexion, et vous vous ferez pitié à vous-même.<br />

Je n'ai pas parlé <strong>de</strong> ce que f aurais fait <strong>de</strong>vant ta bête<br />

et <strong>de</strong>vant ses ongles, et <strong>de</strong>vant sa gueuk; car il<br />

n'y a que Dieu qui le sache. J'ai parlé <strong>de</strong> ce que le<br />

<strong>de</strong>voir et <strong>la</strong> vertu prescrivaient <strong>de</strong> faire ; et je ne<br />

connais ni bête, ni ongles, ni gueule, qui doive<br />

changer le moins <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> le <strong>de</strong>voir ni <strong>la</strong> vertu.<br />

unparrici<strong>de</strong>; mais que, grâces Vous <strong>de</strong>vez savoir apparemment ce qui appartient à<br />

à <strong>la</strong> lettre <strong>de</strong> Séuèque et à l'ouvrage <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot, il l'un et à l'autre, puisque vous avez lu Votre Sénè­<br />

est <strong>de</strong> fait qu'un philosophe écrivit à Rome cette apoque. Yous avez donc bien peu profité à son école,<br />

logie, et qu'un autre philosophe <strong>de</strong> <strong>la</strong> même trempe ou c'est un bien mauvais précepteur, puisque tout<br />

écrivit à Paris, au bout <strong>de</strong> dix-sept siècles, pour <strong>la</strong> ce qui paraît vous causer tant d'effroi ne lui parait<br />

consacrer. Je dis consacrer, car les conclusions <strong>de</strong> pas même valoir <strong>la</strong> peine qu'on y pense ou qu'on y<br />

Didoroi sont que Sénèquc a fait ce qu'il y avait <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>. SU était là, il vous dirait <strong>de</strong> votre bête, et<br />

mieux à faire, et net pas craint le déshonneur pour <strong>de</strong>seson^fes, et <strong>de</strong> $& gueule : Quoi! ce n'est que<br />

remplir te <strong>de</strong>voir <strong>du</strong> sage en se sacrifiant à l'inté­ celât J'avoue qu'il n'a pas parlé <strong>de</strong> même <strong>de</strong>vant<br />

rêt publie. C'est là tout le fond <strong>du</strong> p<strong>la</strong>idoyer, qu'il <strong>la</strong> bête ; mais ce<strong>la</strong> prouve seulement contre lui, et<br />

faut encore suivre un moment, pour l'intérêt sacré non pas contre moi : ce<strong>la</strong> prouve qu'on agit d'ordi­<br />

<strong>de</strong>s mœurs publiques, et <strong>la</strong> répression d'un ménaire en lâche quand on a parlé en fanfaron. C'est<br />

morable scandale.<br />

à vous maintenant à prouver que nous avons tort<br />

Rien ne révolte plus dans un sujet <strong>de</strong> cette na­ <strong>de</strong> condamner, au nom <strong>du</strong> <strong>de</strong>voir et <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu, <strong>la</strong><br />

ture que <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser sans cesse <strong>la</strong> question pour s'at­ lâcheté qui se rend complice o> crime, quand elle<br />

taquer aux personnes. Quand il s'agit <strong>de</strong> ce que Sé­ voit <strong>de</strong> près le danger qu'elle n'a su braver que <strong>de</strong><br />

uèque <strong>de</strong>vait faire, Di<strong>de</strong>rot vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> toujours loin.<br />

si vous t'auriez fait. C'est substituer à une discussion Et j'ajouterai que plus <strong>la</strong> jactance a été ridicule,<br />

<strong>de</strong> morale une querelle personnelle ; et c'est tout ce plus <strong>la</strong> lâcheté est méprisable; que plus on a parlé<br />

que vou<strong>la</strong>it l'auteur. Il nous dit fièrement : haut <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu, plus on est bas quand on f<strong>la</strong>tte le<br />

« Qui a Se droit d'accuser Séuèque ? »<br />

crime; que si Tigellin eût préconisé<br />

Tout le mon<strong>de</strong>, pourvu qu'on prouve l'accusation.<br />

• TOME I.<br />

1 le meurtre<br />

1<br />

Cest l'expression <strong>du</strong> vertueuse Siey sur <strong>la</strong> Mire <strong>de</strong> Se-<br />

2?<br />

417


418<br />

d'Agrippine, personne n'y aurait pris gar<strong>de</strong> ; mais que<br />

<strong>la</strong> ktire <strong>de</strong> Sénèque fut un détestable eiemple 9 parée<br />

qu'elle était un démenti solennel <strong>de</strong> sa doctrine et ie<br />

ses écrits f et qu'elle autorisait à croire que <strong>la</strong> vertu<br />

en proies n'engage à rien pour les actions. Et cependant<br />

, s 9 COUBS DE UTTÉBATU1E.<br />

Quelle illusion imesiée! Bm jmm pkm heureux<br />

sous le parrici<strong>de</strong> et le fratrici<strong>de</strong> Néron, enooungi<br />

par un sénat a<strong>du</strong><strong>la</strong>teur qui divinise ses forfaits!<br />

8° U est absur<strong>de</strong> <strong>de</strong> penser queSénèque ? soit comme<br />

instituteur, soit comme ministre, pût se f<strong>la</strong>tter <strong>de</strong><br />

il n'y avait pas <strong>de</strong>s bëêeê féroces qui com­ conserver le moindre pouvoir, le moindre crédit sur<br />

man<strong>de</strong>nt à k ? ertu rinfiuate <strong>de</strong>s paroles ou celle <strong>du</strong> Néron, après s'être fait l'apologiste <strong>de</strong> ses atten­<br />

sil€nce9 sous peine <strong>de</strong> <strong>la</strong> fie! où seraient donc les tats. Néron a?ait assez d'esprit pour mépriser dès<br />

dangers et les honneurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu ?<br />

lors celui qui s'était à ce point a?ili lui-même. Sénè­<br />

m Quel si grand avantage y a?aiH pour te fépmUêqmê que aussi ne tarda pas à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r sa retraite , et n'y<br />

à ce cpê Sénèque Alt épr§é plus tel? »<br />

attendit pas longtemps k mort. Était-ce <strong>la</strong> peine die<br />

. U y en if ait un très-grand 9 et pur <strong>la</strong> chose pu­ l'attendre à ce prii? Quant à mfmmiik et à cet<br />

blique (car il n'y avait plus <strong>de</strong> rêpvMàqwe), et pour amis, moyen qui fournit encore trois ou quatre mor­<br />

Sénèque : pour <strong>la</strong> chose publique, car on ne <strong>la</strong> sert telles amplifications, une fmmMk et <strong>de</strong>samif qui<br />

jamais mieux qu'en apprenant à tous les citoyens à ?ous presseraient <strong>de</strong> vivre infâme, ain <strong>de</strong> vivre pour<br />

préférer le <strong>de</strong>voir à <strong>la</strong> vie, et <strong>la</strong> mort à l'opprobre ; eux , auraient-ils le droit d'être écoutés?<br />

pour Sénèque, car il va<strong>la</strong>it mille fois mieux mourir Di<strong>de</strong>rot cite cette objection proposée par ses ad­<br />

quelques anûées plus tel que <strong>de</strong> déshonorer sa vieilversaires :<br />

lesse , son nomf sa p<strong>la</strong>ce et ses écrits. Et je pour­ ' * toctsieeseséteicete^^<br />

rais rétorquer <strong>la</strong> question a?ec bien plus <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>­ qse le ils périt par m mère, cm <strong>la</strong> mèra par Mm ffliFCTest<br />

ment. Quel si grand avantage y avait-il , à Fâge <strong>de</strong> eee cesse IsïrreeefiïtjisMe, »<br />

Sénèque, et sous le règne <strong>de</strong> Héron , à sauver sa mè Mais lui t qui s'efforce d'établir cette affirmative t<br />

aujourd'hui aux dépens <strong>de</strong> son honneur, pour perdre parce que l'apologie <strong>de</strong> Sénèque le mène tout naturel­<br />

<strong>de</strong>main <strong>la</strong> vie après avoir per<strong>de</strong> l'honneur aujourlement, comme ce<strong>la</strong> <strong>de</strong>vait étire, jusqu'à Fapologie<br />

d'hui?<br />

<strong>de</strong> Néron, il répond, lui, avec son audase tran­<br />

« 11 était utile <strong>de</strong> rester m pa<strong>la</strong>is» pour l'empire, peur chante;<br />

<strong>la</strong> famille <strong>de</strong> Sénèque, pour nombre <strong>de</strong> boni citoyens.<br />

Après l'assassinat d'âgrippine, n'y avait-il plus <strong>de</strong>, bien à*<br />

« inwoteêMMttMêpmt


ANCIENS. — PHILOSOPHIE.<br />

¥@m acnlt possible d'aHégaer pmr et contre les aeoisés*<br />

et dltes-aaal qutile serait votre pensée. » s<br />

Qu'on me dise à présent si jamais tout ee qu'il y<br />

a <strong>de</strong> plus sacré parmi les hommes a été plus formellement<br />

mis en problème et en litige que dans<br />

ces trots grandi ptaMeyers, proposés gravement<br />

par Di<strong>de</strong>rot à l'examen <strong>de</strong>s kùmmçs 'semés, il<br />

dont le second est mum HSBON. Tel est f esprit <strong>de</strong><br />

tous les outrages <strong>du</strong> même auteur : nulle part il<br />

n'a TU que <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>idoyers à faire pour et emdre ;<br />

et ee <strong>de</strong>rnier trait explique tout, en TOUS donnant<br />

<strong>la</strong> mesure <strong>de</strong> l'homme et celle <strong>de</strong> l'intérêt qu'il prenait<br />

à <strong>la</strong> morale et à <strong>la</strong> vérité. Tout ce qui a?ait pu<br />

TOUS frapper d'étonnemeat dans celui qui faisait<br />

l'apologie <strong>de</strong> Sénèque doit à présent TOUS paraître<br />

tout' simple dans celui qui a proposé et ébauché<br />

celle <strong>de</strong> Néron.<br />

Yens ne trouverez pas plus extraordinaire que<br />

Sénèque, auteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> IMire apologétique adressée<br />

au sénat après le meurtre «FAgrippine, le soit- aussi<br />

d'une Corn oloMm à un Poly be affranchi <strong>de</strong> C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> 9<br />

sur <strong>la</strong>quelle Di<strong>de</strong>rot W-même s'explique ainsi :<br />

« B f<strong>la</strong>ut es convenir : i est incertain il l'auteur <strong>de</strong> cet<br />

oavtap se mentie plis rampant et plus vil dans les éloges<br />

mitres qu'il adresse à Met» que dans les iatîaffea dégâtantes<br />

fait prodigue à l'empereur. • °<br />

J'en conviens : mais, après <strong>la</strong> lettre, <strong>la</strong> Oft##-<br />

Inlfa» semble si peu <strong>de</strong> chose que je n%n parlerais<br />

mime pas, si ee n'était pour moi une sorte <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir<br />

d'achever le tableau <strong>de</strong> fapkUoÊopktoproilqm<br />

<strong>de</strong> Sénèque, et <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> ses aplogtstes.pi y a<br />

même ici quelque chose <strong>de</strong> particulier une progression<br />

dans les sophismes tellement ma<strong>la</strong>droite *<br />

que les premiers et les <strong>de</strong>rniers se détruisent mstueHement..<br />

D'abord, l'éditeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grange avait<br />

¥i si peu <strong>de</strong> jour à nier que cette ComokMom fût <strong>de</strong><br />

Sénèque, qu 9 il employait huit pages à en accuser <strong>la</strong><br />

bassesse dans un Amrtîssmmd dont les'prettières<br />

ptnrapas tout nous mettre au fait <strong>de</strong> tout.<br />

« Pefyîse était un <strong>de</strong>s afeaaîi<strong>la</strong> <strong>de</strong> remperaur C<strong>la</strong>u<strong>de</strong>;<br />

Sénèque M adressa cette Cmmlmiêên m cenimaieement<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> troisième année <strong>de</strong> son exil es Corse. Ce aîafoeaatia<br />

était alun âgé d'environ trente-neuf ans, et n'avait eneere<br />

composé que <strong>de</strong>ux Traités, <strong>la</strong> QMm<strong>la</strong>tim à m mère, et<br />

celle à Marda : t'est <strong>du</strong> moins f epiaiee <strong>de</strong>s critiques y qui<br />

comptent cette Conso<strong>la</strong>tion è Poifèe comme le troisième<br />

<strong>de</strong> set ouvrages dans l'ordre ehroiiolôgiqae. Ce Polybe était<br />

un homme très-iastrait , et qui occupait à <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> C<strong>la</strong>u<strong>de</strong><br />

nu emploi fort considérable, puisqu'il était secrétaire d'État.<br />

On me doit pas être étonné que Sénèque» quicaaiials»<br />

mîlnpmmké^minMmÊMêmfm§m%énmaâê^Bîm^î<br />

a?ait avec raison plus <strong>de</strong> eaiiaaee dans l'humanité et <strong>la</strong><br />

x Pa§e lis. mmmm éê Sémêmm^ tome i, èifiaa <strong>la</strong>-e*.<br />

Pmrii ,chei Smith.<br />

410<br />

cammiséfâtiiMi d'un ministre éeialré et homme <strong>de</strong> lettres<br />

lui-même, que dans celle <strong>de</strong>s eaariisang ordinaires , te plupart<br />

sans pitié pour les malheureux dont ils n'ont plus rlea à<br />

craindre m à espérer, on ne doit pas être étonné, <strong>du</strong> je,<br />

qm Sémègue ait cherché à se concilier adroitement <strong>la</strong><br />

Menveil<strong>la</strong>nee <strong>de</strong> Polybe, et à s'en faire en appui auprès <strong>de</strong><br />

l'empereur. Cette ©oBdsitês'ariea <strong>de</strong> répréhensible, ménw<br />

quand Sénèque aurait un peu exagéré U mérite <strong>de</strong> son<br />

protecteur 9 m dmi nom n*amm aucune premm. Hais<br />

et qui parait MoiHf./SMils èjmt^rf c'est que, dams êetie<br />

même lettre eà 1! entreprend <strong>de</strong> eeaaa<strong>la</strong>r Polybe sur <strong>la</strong><br />

mort <strong>de</strong> soi frère, il prodigue è Cbs<strong>de</strong>t qu'il n'aimait<br />

ni m'estimait, <strong>de</strong>sf<strong>la</strong>tteries mitéet et d'autant plm ridimles,<br />

que ce prince ImMcile ne rachetait ses piœs<br />

par aucune vertu. Les ennemis <strong>de</strong> Sénèqm lui ont reproché<br />

ces losanges excessives données^ un tyran <strong>de</strong>nt<br />

<strong>la</strong> wlepuèMqm et particulière inspire autant <strong>de</strong> haine<br />

que <strong>de</strong> mépris* Mais cet reproches spécieux mut beaucoup<br />

trop sewères, et peut-être même injustes. »<br />

Mais qu'est-ee donc que ces mnemU <strong>de</strong> Sénèqm<br />

ont pu dire <strong>de</strong> plus fort que ee même exposé<br />

<strong>de</strong> Mditeur? Ici le fait seul est un jugement; et ,<br />

somment ee qui, <strong>de</strong> l'aven <strong>de</strong> Féditeur, n'est pas '<br />

facile à justifier, n'est-il plus que spécieux, et<br />

mérm Injuste, d*une phrase à l'autre? Cette contradiction<br />

si palpable et si choquante n'est encore<br />

ries près <strong>du</strong> pfclctyet qu'il Ta commencer, et dont<br />

les premiers mots, en TOUS offrant <strong>la</strong> même logique<br />

qu'a employée Di<strong>de</strong>rot pur <strong>la</strong> Lettre apohgé-<br />

Mqm9 TOUS dispenseront d'en entendre davantage<br />

sur <strong>la</strong> ComoMion à Pofybe*<br />

« Pour juger Sénèqm, il faut se p<strong>la</strong>cer en idée dans<br />

<strong>la</strong>^itmamn nèîim trouvait alors, ete, »<br />

L f éditeur nous tutoie <strong>de</strong> là dans File <strong>de</strong> Corse,<br />

comme Di<strong>de</strong>rot nous ti%oH <strong>de</strong>wmt <strong>la</strong> bétê. Jamais<br />

TOUS ne les tirerez <strong>de</strong> là ; jamais ils n'ont d'autre<br />

appréciation <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong> l'homme. Telle est<br />

leur pMMsophîêi et vous eonce?«. où elle peut<br />

mener. Je croîs fia Sénèque était fort mal à son<br />

aise dans son eiîî <strong>de</strong> Corse; mais peut-être me permettrez-vous<br />

<strong>de</strong> appeler ee que j'ai eu occasion<br />

<strong>de</strong> dire d'0?i<strong>de</strong> dans un cas tout semb<strong>la</strong>ble. Je ne<br />

pensais nullement alors à Sénèque : je rendais seulement<br />

hommage à <strong>de</strong>s principes imprescriptibles.<br />

J'excusais CMia sur ses longues élégies et sur ses<br />

fanwm<strong>la</strong>Mom, que Gresset lui reprochait f et je me<br />

fondais sur ce que l'homme souffrant est toujours<br />

excusable d'être faible, et qu'il faut p<strong>la</strong>indre <strong>la</strong> fai­<br />

blesse , comme on admire <strong>la</strong> fermeté. Mais, comme<br />

il y a quelque différence entre <strong>la</strong> faiblesse et k<br />

bassesse, sou?enez-¥ous que je le troutais ineicusabledans<br />

ses abjectes a<strong>du</strong><strong>la</strong>tions pour Auguste et<br />

Tibère, par <strong>la</strong> raison, disais-je, qu'on n'est jamais<br />

forcé d'être ? il : et pourtant Auguste et Tibère lui-<br />

27.


410<br />

même étaient beaucoup plus susceptibles <strong>de</strong> louange<br />

que ce C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> t qui ne rachetait ses vices par aucune<br />

vertu. C'est l'éditeur qui nous le dit, et qui<br />

trouve tout simple qu'on prodigue à cet imbécile<br />

tyran têt f<strong>la</strong>tteries ies pins ridicules, dès qu'elles<br />

sont datées <strong>de</strong> Corse. Quant à Polybe l'affranchi ,<br />

je le connais fort peu, et je <strong>la</strong>isse l'éditeur et Di<strong>de</strong>rot<br />

s'accor<strong>de</strong>r là-<strong>de</strong>ssus comme ils le pourront.<br />

L'un fia rim vu <strong>de</strong> rêpréhemipk, même dams<br />

l'exagération <strong>de</strong>s louanges, atten<strong>du</strong> que nous<br />

'n'avons aucune preuve qu'elles soient exagérées :<br />

l'autre, qui va toujours <strong>de</strong>vant lui sans s'embarrasser<br />

<strong>de</strong> rien ni <strong>de</strong> personne, affirme au contraire que<br />

'ces louanges sont d'une exagération si extraordinaire!<br />

qu'elles ne peuvent être qu'une sang<strong>la</strong>nte ironie.<br />

Pour Vexagération, elle n'est pas douteuse, et<br />

ce Polyba ne nous intéresse pas assez pour vous<br />

C0U1S DE I1TTÉEATU1E.<br />

rapporter ici ce qui est à faire vomir. Mais il faut vous "<br />

apprendre pourquoi Di<strong>de</strong>rot veut que ce soit une<br />

ironie; et c'est ici <strong>la</strong> progression dont je vous par<strong>la</strong>is.<br />

L'éditeurs après avoir si longuement justifié<br />

cette Conso<strong>la</strong>tion, finissait par dire, avec une sorte<br />

<strong>de</strong> timidité, que Dion semble insinuer que l'ouvrage<br />

<strong>de</strong> Sénèque ne subsistait plis, parce que l'auteur<br />

lui-même en avait été honteux dans <strong>la</strong> suite, et<br />

i'awàt effacé (stylo verso <strong>de</strong>k&U). L'éditeur ajoutait<br />

<strong>de</strong> son cru" :<br />

« Ce qui sigpMte .qu'il en retira toutes les copies qu'il put<br />

rassembler. »<br />

Soit. Mais comment les retirer toutes? Ce<strong>la</strong> est<br />

impossible. 11 n'ai Infère pas moins que <strong>la</strong> Conso<strong>la</strong>tion<br />

que'nous avons, ou s'est pas celle <strong>de</strong> Sénèque,<br />

eu a été altérée par Suiliius; car les apologistes<br />

ne sauraient nulle part se passer <strong>de</strong> Suillius. Us<br />

appellent aussi à leur se<strong>cours</strong> Juste-Lipse, autre<br />

rempart <strong>de</strong> leur p<strong>la</strong>idoirie. Mais il est encore bien<br />

plus réservé que l'éditeur.<br />

«lia douté plus d'une fois que tout ce qu'il y a là <strong>de</strong><br />

bas et d'abject lit <strong>de</strong> Sénèqoe; mais il est sûr m moins<br />

-qu'il n'y a que ses ennemis qui aient pu mettre as jour ce<br />

morceau : et peut-être Font-Us altéré. »<br />

{Fortasse et maculârunt.) L'intrépi<strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot<br />

se moque <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> circonspection. Il restait un pas<br />

à faire, dit-il naïvement; ct.il le fait. L'écrit n'est<br />

pas <strong>de</strong> Sénèque «, et il le prouve par un nouveau<br />

p<strong>la</strong>idoyer, dont <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> partie détruit radicalement<br />

<strong>la</strong> première. D'abord il prétend que, <strong>la</strong> véritable<br />

Conso<strong>la</strong>tion ayant disparu (supposition gratuite,<br />

comme tout le reste), on y a substitué une espèce <strong>de</strong><br />

eenton pris ça et là dans les écrits <strong>de</strong> Sénèque. Il<br />

cite ensuite tout ce qu'il y a <strong>de</strong> plus dégoûtant en<br />

> Ptp 6set § 88.<br />

a<strong>du</strong><strong>la</strong>tion, et soutient que Sénèque n'a pu écrire<br />

'<strong>de</strong> pareilles sottises* Mais tout s'explique, selon<br />

lui, si <strong>la</strong> pièce n'est qu'une satire, une ironie, un<br />

persif<strong>la</strong>ge, et il lui paraît impossible d'en douter.<br />

Mais alors comment celui qui n'a voulu que diffame?<br />

Sénèque par un écrit a<strong>du</strong><strong>la</strong>toire s'y est-il pris si<br />

ma<strong>la</strong>droitement, qu'on ne pût y voir qu'une satire!<br />

« Si <strong>la</strong> Conso<strong>la</strong>tion n'est qu'une satire 9 tout s'explique,<br />

et l'on ne peut plus reprocher à Sénèque f amertume <strong>de</strong><br />

l'Apocoloqnintose s . »<br />

Quoi! cette Conso<strong>la</strong>tion est donc <strong>de</strong> Sénèque,<br />

comme l'Apocoloquintose ! Eh, vous disiez tout à<br />

l'heure très-affirmativement qu'e/fe n'était pas <strong>de</strong><br />

Ml Que faut-il croire, et auquel <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux vous<br />

tenez-vous ?<br />

« Ou Sénèque n'est point l'auteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> C&mseia&m à<br />

Polybe, ou c'est eue satire, on Sénèque n'a point écrit<br />

Ylncucurèiêatmn <strong>de</strong> C<strong>la</strong>u<strong>de</strong>; »<br />

Le<strong>de</strong>rnîerfaitn J estpsdouteuxf n'est pas contesté,<br />

et V InmcmrbUatkm est bien <strong>de</strong> lui ; et vous oubliez<br />

que <strong>la</strong> Conso<strong>la</strong>tion est, selon vous, une moquerie<br />

si évi<strong>de</strong>nte, que Polybe même n'aurait pu s'y'tromper,<br />

et n'eût vu dans l'auteur qu'en insolent; et,<br />

selon vous encore, Sénèque ne pouvait pas être si<br />

ma<strong>la</strong>droit : donc il n'a pas écrit <strong>la</strong> Cemmiaiiem<br />

comme une satire. Tâchez <strong>de</strong> vous tirer <strong>de</strong> toutes<br />

ces contradictions.<br />

« Quoi! Sénèque aurait eu <strong>la</strong> bassesse d'adresser à<br />

C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> les f<strong>la</strong>tteries les pins outrées pendant sa vie, et les<br />

plus cruelles invectives après sa mort! C'était à Caire traîner<br />

dans le Tibre le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves. »<br />

TraUez, si vous voulez, fûtes êtes bien le maître.<br />

H est frai qu'il ne fal<strong>la</strong>it pas faire <strong>de</strong> -C<strong>la</strong>u<strong>de</strong><br />

une citrouille, après en avoir fait un dieu, ni le<br />

mettre, lui et tous les siens, dans <strong>la</strong> boue, après s'y<br />

être mis <strong>de</strong>vant lui. Mais pourtant cette Apomfaquintose<br />

est un morceau piquant et ingénieux, et<br />

je ne fois pas pourquoi ?ous voudriez Fêter à Sénèque,<br />

faute <strong>de</strong> pouvoir <strong>la</strong> concilier avec <strong>la</strong> CornsùimiiGB*<br />

Yons faites donc bien peu d'attention aux<br />

faits que vous rapportez vous-même? Ulneuatroitation<br />

est-elle plus facile à concilier avec f Oraison<br />

funèbre <strong>de</strong> C<strong>la</strong>u<strong>de</strong>, que Sénèque dictait pour Néron,<br />

et que vous rappelez d'après Tacite? Est-il<br />

assez avéré qu'il traçait <strong>de</strong> <strong>la</strong> même plume, et au<br />

même moment, <strong>la</strong> satire et l'apothéose? Cette oraison<br />

funèbre ne <strong>la</strong>isse pas <strong>de</strong> vous embarrasser un<br />

peu.<br />

« Si j'avais , dites-vous , un reproche à faire à Sénèque 9<br />

t on métamorphose <strong>de</strong> C<strong>la</strong>e4e en citrouille; proptemest<br />

imemurbiutim m iaiex C'est aaa satire ie Sénèque, qnll<br />

eétendit après <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> C<strong>la</strong>u<strong>de</strong>. ',


ANCIENS. — PHILOSOPHIE. 421<br />

m se serait pas d'avoir écrit l'Âpoc&foquimt&sê , mais d'a-<br />

TOIT composé l'Oraison funèbre. »<br />

Soit; niais, bien résolu <strong>de</strong> ne lui jamais faire aucun<br />

reproché, essaye! dose <strong>de</strong> l'excuser d'avoir fait<br />

les <strong>de</strong>ux pièces. Vous savez ce qui arriva <strong>de</strong> l'Oraison<br />

funèbre : quoique prononcée par l'empereur, et<br />

d'abord écoutée patiemment, elle fit rire le sénat et<br />

le peuple, fusai on entendit louer k bon jugement<br />

et <strong>la</strong> prqfmée politique <strong>de</strong> C<strong>la</strong>u<strong>de</strong>. Il vous reste y à<br />

vous , <strong>de</strong> louer ici kbm jugement <strong>de</strong> Fauter, qui 9<br />

à ce que dit Tacite $ a?ail soigné et poU cette harangue....<br />

Vous croyez $ messieurs , que je p<strong>la</strong>isante :<br />

point <strong>du</strong> tout; et tous oe sauriez trop vous persua<strong>de</strong>r<br />

que tout ee qu'on peut supposer ici en ridieute<br />

est toujours surpassé dans le grand sérieux <strong>de</strong> Fa*<br />

paiegîste.<br />

« Oui, Sénèque avait mis ëeumemp ê'art dans cette<br />

harangue ; c'est Tacite qui 1@ dit : MuUmm eultus. »<br />

Mais multum eiiiim signifie un style soigné et poli,<br />

et non pas beaucoup d'art Et enfin, quel est cet<br />

art?<br />

« Une îeeon énergique. Sénèque a prévu que sa harangue<br />

serait $\fflée$ et c'est comme s'il eut dit à son<br />

élève : Prince5 enten<strong>de</strong>z-Tons? si vous gouvernez mal9<br />

c'est ainsi que vous serez traité lorsqu'on se vous craindra<br />

plus. »<br />

Ce <strong>de</strong>rnier trait est si subtilement imaginé, que<br />

Fauteur lui-même n'a pu s*empêcher <strong>de</strong> s'en faire<br />

compliment. Il se fait dire :<br />

« Vous êtes Um ingénieux pour Justifier Sénèque. »<br />

Mais il réplique mo<strong>de</strong>stement qu'il Fest beaucoup<br />

moins que k$ détracteurs pour k noircir» Cependant<br />

ne faut-il pas bien moins d'esprit pur ne voir<br />

que ce qui est dans les choses que pour y ¥Oir et y<br />

faire voir ee qui n f tôme <strong>de</strong> sénat. Les f<strong>la</strong>tteurs à gages ne manquérent<br />

pas <strong>de</strong> lui reprocher d'avoir un avis sur > <strong>la</strong><br />

police <strong>de</strong>s spectacles <strong>de</strong> Syracuse Y quand II n'en<br />

donnait point sur les plus gran<strong>de</strong>s affaires <strong>de</strong> l'empire.<br />

11 répondit,<br />

« qu'en s'oeespiat <strong>de</strong> petites choses il <strong>mont</strong>rait essai,<br />

pour l'honneur <strong>du</strong> sénat» qu'on n'aurait pas négligé les<br />

gran<strong>de</strong>s t s'il est été permis <strong>de</strong> s'en mêler. »<br />

Ce qu'une pareille réponse renferme <strong>de</strong> sens et <strong>de</strong> '<br />

courage ne peut échapper à personne, et je ne serais<br />

pas excusable d'y insister. Di<strong>de</strong>rot sera, je le<br />

crois s le seul à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si cette réponse frivok<br />

est digne d'un magistrat* S'il appelle frwok une<br />

réponse qui accusait si ouvertement ee qu'on vou<strong>la</strong>it<br />

le plus dissimuler, <strong>la</strong> tyrannie» c'est qu'il veut que<br />

l'on fasse un crime à Thraséas d'être resté au sénat,<br />

vu qu'on ne trouve pas mauvais que Sénèque n'ait<br />

pas quitté <strong>la</strong> cour. Ses expressions même vont beaucoup<br />

plus loin, et font nettement Féioge <strong>de</strong> Fun, et<br />

<strong>la</strong> condamnation <strong>de</strong> l'autre..<br />

« Thraséas reste inutile dans un sénat déshonoré, et<br />

personne ne Fen blâme! Sénèque gar<strong>de</strong> une p<strong>la</strong>ce dangereuse<br />

et pénible» ou il peut encore servir le prince et lu<br />

patrie, et on ne lui pardonne pas ! Quels censeurs <strong>de</strong> MM<br />

actions 1 quels juges I<br />

Je réponds à Di<strong>de</strong>rot pour <strong>la</strong>. <strong>de</strong>rnière fois, et je<br />

unis.<br />

Non-seulement on ne blâmera point Thraséas,<br />

pais on lui doit <strong>de</strong>s éloges. Le sénat était déshonoré,<br />

il est vrai , par ses paroles ; mais Thraséas n'y<br />

était pas imtUk par son silence. Ce silence représentait<br />

l'opinion publique ? qui ne pouvait plus avoir<br />

d'autre organe. Thraséas pouvait, sans danger, rester<br />

chez lui comme bien d'autres : il y en avait à<br />

rester au sénat pour se taire seul au milieu <strong>de</strong>s ac­<br />

y est pas? C'est <strong>la</strong> différence enc<strong>la</strong>mations <strong>de</strong> ta servitu<strong>de</strong>; il y en avait à expliquer<br />

tre l'apologiste et cet» qu'il appelle détracteurs ; et 6on silence, comme il osa le faire; et quand il n'y<br />

oe n'est pas <strong>la</strong> peine <strong>de</strong> disputer sur <strong>la</strong> mesure d'es­ serait resté que pour en sortir une fois, comme on<br />

prit, car <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux- côtés ee n'est sûrement ps le sait qu'il en sortit, c'en serait assez pour sa mémême<br />

esprit.<br />

.moire, comme ce fut assez pour sa perte. C'est<br />

11 convenait à celui <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot d'attaquer <strong>la</strong> véri­ quand on en vint jusqu'à lire dans le sénat cette<br />

table vertu comme il avait défen<strong>du</strong> <strong>la</strong> fausse; et il infâme lettre qmî vous a coûté six cents pages, que<br />

fal<strong>la</strong>it v pour couronner l'œuvre, immoler Thraséas Thraséas se leva 9 et sortit, dit Tacite, se démuant<br />

à Sénèque. Thraséas, au milieu <strong>de</strong>s a<strong>du</strong><strong>la</strong>tions sé­ à <strong>la</strong> mort§ mais sans rendre h liberté à un sénat<br />

natoriales, exerçait <strong>la</strong> seule espèce <strong>de</strong> censure que eseimw, £e mîiUmîre Thraséas, comme vous l'appe­<br />

comportât ce temps déplorable, celle <strong>du</strong> silenee : à lez , eut horreur d'entendre ce que le philosophe<br />

f uoi auraient servi les paroles d'un seul contre tous ? Sénèque n'eut pas honte d'écrire 9 et l'oreilîe <strong>de</strong> l'un<br />

Ce silence fut si bien enten<strong>du</strong>, qu'il <strong>de</strong>vint le seul eut plus <strong>de</strong> pu<strong>de</strong>ur que <strong>la</strong> plume <strong>de</strong> l'autre. Je vous<br />

chef d'accusation que les dé<strong>la</strong>teurs intentassent con­ p<strong>la</strong>ins <strong>de</strong> ne Favoir pas senti, et je conçois fort bien<br />

tre lui, assez capital pour le forcer à se donner <strong>la</strong> que vous n'ayez pas osé rapporter ce trait mémo­<br />

mort. Mais il était arrivé qu'une fois il avait pris <strong>la</strong> rable, qui m'apprend pourquoi Thraséas a encouru<br />

proie sur use <strong>de</strong> ces affaires d'un intérêt subalterne votre disgrâce. Son silence avait condamné Héron,<br />

qm le <strong>de</strong>spotisme impérial abandonnait à ce fan­ et sa sortie <strong>du</strong> sénat condamnait Sénèque. Ainsi


4n<br />

Tfanséas a?ail prononcé dès lors contra les sophistes<br />

(s'il pouvait s'en trouver) qui seraient capables<br />

<strong>de</strong> proposer m§rmiâp<strong>la</strong>idoyer pour le parrici<strong>de</strong>,<br />

et d'en foire un très-grand pour l'apologiste.<br />

Cependant Sénèque et Tbraséas moururent tous<br />

<strong>de</strong>ux <strong>de</strong> même, et m firent ouvrir les veines : c'est<br />

tout t» qu'ils eurent <strong>de</strong> commun; et ce<strong>la</strong> prou?e<br />

seulement qu'il y a un genre <strong>de</strong> tyrannie à <strong>la</strong>quelle<br />

ta n'échappe pas plus en <strong>la</strong> f<strong>la</strong>ttant qu'en <strong>la</strong> bravant.<br />

Mais dans les mœurs <strong>de</strong> Rome, et surtout <strong>de</strong> ces<br />

tpmps-là, jamais <strong>la</strong> résignation tranquille à une mort<br />

forcée n 9 a suffi pour caractériser <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur d'âme<br />

et le courage. U n'y a?ail point <strong>de</strong> force plus ml*<br />

pire : les exemples en sont innombrables, et lés<br />

exceptions très-rares. Combien d'hommes méprisables<br />

et méprisés ont su mourir aïee résolution dans<br />

ces terap4à, comme dans les nôtres ! Mais il y a<br />

ici quelque chose <strong>de</strong> plus : <strong>de</strong>puis un certain temps ,<br />

Sénèque, instruit que Héron cherchait à se défaire<br />

<strong>de</strong> lui par le poison , ne se nourrissait pins que <strong>de</strong><br />

fruits qu f il cueil<strong>la</strong>it lui-même, et se désaltérait <strong>de</strong><br />

fmm <strong>de</strong> ses fontaines. Est-il bien difficile <strong>de</strong> se résoudre<br />

à quitter une semb<strong>la</strong>ble fie? li peut n'être<br />

pis proifé qu'il ait conspiré avec Pison t quoique<br />

ce<strong>la</strong> soit aussi probable -qu'indifférent; mais 1 est<br />

sûr qu'il <strong>du</strong>t avoir pu <strong>de</strong> peine à mourir.<br />

CHAPITEE.il. — Dm dimr$ gmru <strong>de</strong> Rttêmtwre<br />

eke% tes mmîmw*<br />

Ce qu'on appelle polyergie f ou <strong>littérature</strong> mêlée y<br />

nous paraîtrait peut-être avoir tenu autant <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce<br />

ehes les anciens que parmi nous t si Fart <strong>de</strong> l'imprimerie<br />

f qui conserve tout, nous eût transmis toutes<br />

leurs pro<strong>du</strong>ctions. Les poiygraphes n'ont pas été<br />

rares parmi ew t et quelques-uns auraient pu lutter<br />

contre nos in-folio, si l'on en juge seulement parles<br />

titres nombreux <strong>de</strong>s ouvrages <strong>de</strong> Pline, que nous<br />

avons per<strong>du</strong>s, mais dont un seul a suffi pour éterniser<br />

sa mémoire. 11 y a cependant certains genres<br />

qu'on peut croire n'avoir pas été cultivés chez eux<br />

autant que chez les mo<strong>de</strong>rnes; par eiemple, celui<br />

<strong>de</strong>s romans, si fécond <strong>de</strong> tout temps dans notre Europe.<br />

Le sujet <strong>de</strong> <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s nôtres, et d'ordinaire<br />

leur plus grand mérite, tient $ comme celui <strong>de</strong><br />

nos drames ; ani peintures variées <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus variée<br />

<strong>de</strong> toutes les passions, l'amour; et nous avons vu<br />

que eette passion n'a point eu le même rang dans<br />

les écrits <strong>de</strong>s Grecs et <strong>de</strong>s Romains, comme elle ne<br />

l'avait point dans <strong>la</strong> société. D'ailleurs, il ne paraît<br />

pas que <strong>la</strong> gravité romaine se soit jamais accQmmo*<br />

dée <strong>de</strong> ces inventions fabuleuses qui sont le fond<br />

COU1S DE LITTÉRATURE.<br />

plus ou moins diversité <strong>de</strong> tous les romans chez<br />

toutes tes nations. L'imagination <strong>de</strong>s Grecs se ptétait<br />

beaucoup plus à ces compositions frivoles; et<br />

c'est d'eux qu'il nous en reste un certain nombre,<br />

telles que Tkéûgêœ e# CkmrkMe, CMrém et Cm-<br />

Maé, qui, pour <strong>la</strong> variété <strong>de</strong>s aventures et <strong>de</strong>s<br />

situationsf ne le cè<strong>de</strong>nt en rien à nos romanciers<br />

mo<strong>de</strong>rnes, mais oà l'on chercherait en vain ces développements<br />

<strong>de</strong> sentiments passionnés ou délicats,<br />

et ces détails <strong>de</strong> caractères et <strong>de</strong> mœnnquî relèvent<br />

pour nous le prii <strong>de</strong> ces sortes d 9 écritsf et en rachètent<br />

quelquefois <strong>la</strong> frivolité. L'auteur <strong>de</strong> HwpinU<br />

ei CUoé, Longus v a un autre mérite : c'est le<br />

seul qui ait eu un objet , etqui ait voulu foire un tableau<br />

, celui <strong>de</strong> cette espèce d'innocence <strong>de</strong>s MM»<br />

pastorales, mêlée sans cesse à ce premier Instinct<br />

qui entraîne un sae vers l'autre. Ses <strong>de</strong>ux jeunes<br />

bergers ont une naïveté qui n'est pas sans intérêt ;<br />

mais celle <strong>de</strong>s images et <strong>de</strong>s eipressions va jusqu'à<br />

<strong>la</strong> liceQ€et et rend <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong> ce livre assez dangereuse<br />

pour être prticulièrement interdite à <strong>la</strong><br />

jeunesse, quand même il ne serait pas reçu en principe<br />

qu'une jeune personne, comme a dit Rousseau,<br />

ne doit point lire <strong>de</strong> romans ; et fou peut ajouter,<br />

surtout le sien, à coup sûr le plus contagieux <strong>de</strong><br />

tous.<br />

Parmi les Latins f on ne connaît guère qu'Apulée<br />

qui nous ait <strong>la</strong>issé un roman, i'Jm d'or, assez étrangement<br />

composé <strong>de</strong> morale et <strong>de</strong> magie, et dont <strong>la</strong><br />

<strong>la</strong>tinité, fort mauvaise, est celle <strong>du</strong> moyen âge.<br />

Mais l'épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> fAmmsr ei <strong>de</strong> Psyckê a eu un succès<br />

général, et a enrichi notre théâtre lyrique. Si<br />

Apulée est l'inventeur <strong>de</strong> cette charmante fable, qui<br />

seule a fait vivre son ouvrage et son nom 9 cet auteur<br />

avait en ce genre une imagination digne <strong>de</strong> l'ancienne<br />

Grèce.<br />

Dans l'érudition et dans <strong>la</strong> critique, il est juste<br />

<strong>de</strong> distinguer Denysd'Halieaniasse, dont nousavons<br />

déjà rappelé les travaux^dans l'histoire. Médiocre<br />

dans le style et dans <strong>la</strong>'narration, il a, dans ses<br />

Jnêiquliés romaines, un mérite particulier, qui fait<br />

regretter davantage ce qu'on en a per<strong>du</strong>; c'est d'être<br />

<strong>de</strong> tous les anciens celui qui a répan<strong>du</strong> le plus<br />

<strong>de</strong> lumière sur les premiers siècles <strong>de</strong> Rome, et travaillé<br />

avec plus <strong>de</strong> succès à concilier les diverses<br />

traditions, et à éc<strong>la</strong>irer l'un par l'autre les premiers<br />

annalistes qu'elle ait eus, <strong>de</strong> manière à fon<strong>de</strong>r <strong>la</strong><br />

certitu<strong>de</strong> historique. 11 avait passé vingt ans à Rome<br />

<strong>du</strong> temps d'Auguste 9 et avait été à portée d'y amasser<br />

les matériaux <strong>de</strong> son ouvrage, et <strong>de</strong> recueillir<br />

<strong>de</strong>s instructions et <strong>de</strong>s autorités. H suit, comme<br />

Tîte-Live, les quatre auteurs les plus accrédités<br />

pour Phistoiie <strong>de</strong>s premiers âges <strong>de</strong> Rome, FaMui


ANCIENS. — LITTÉEAT01E MÊLÉE.<br />

Pictoff Censins, Caton le tenseur, et fâlértas Antiist<br />

dont il ne nous reste rien; mais il a plus <strong>de</strong><br />

eritique que Tite-Iive, et n'adopte rien qu'ave©<br />

erantn. Aussi a-t-il écarté plus d'une fois le mer-<br />

YtËletn que Foigueil national on <strong>la</strong> cré<strong>du</strong>lité superstitieuse<br />

avait mêlé au origines romaines, aux<br />

événements les plus remanpables <strong>de</strong> ces époques<br />

neulées, et que Tite-Iive, au oontralre, parait avoir<br />

pis p<strong>la</strong>isir à orner d'un eoloris dramatique. De m<br />

nombre est, par eiemple v le luit iuneui <strong>de</strong> Usais<br />

approchant sa main d'un brasier. Denys n'en<br />

dit pas un mot, et raconte le fiil <strong>de</strong> manière que<br />

Muoius est ferme et intrépi<strong>de</strong>, sans férocité et sans<br />

fureur. Mais pour ce qui concerne le gouvernement<br />

intérieur dans toutes ses parties, <strong>la</strong> religion, le<br />

culte, les cérémonies publiques, les jeux, les triomphes,<br />

<strong>la</strong> distribution <strong>du</strong> peuple en différentes e<strong>la</strong>s»<br />

M8, le cens, les revenus publics, les comices ,Pautorité<br />

do sénat et <strong>du</strong> peuple ; c f est cha lui qnll faut<br />

en chercher <strong>la</strong> connaissance <strong>la</strong> plus parfaite; c'est<br />

là es qu'il traite avec le plus <strong>de</strong> détail, comme étant<br />

son oijet principal. 11 arrive <strong>de</strong> là, Ilitl vrai, que<br />

l'intérêt <strong>de</strong> ta narration est chei lui fort négligé,<br />

parce qu'à tout moment les recherches et les discussions<br />

coupent le rédt <strong>de</strong>s faits, au point quH a<br />

éten<strong>du</strong> dans traite livres ce qui n'en tient que trois<br />

dans Tite-live. Mais ce n'est ps un reproche à lui<br />

faire, m nous lui avons l'obligation <strong>de</strong> savoir ce que<br />

les historiens <strong>la</strong>tins ne se sont pas soudés <strong>de</strong> nous<br />

apprendre, uniquement occupés <strong>de</strong> leurs concitoyens!<br />

et fort peu <strong>du</strong> reste <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> <strong>la</strong> postérité.<br />

Ces»en effet à <strong>de</strong>ux Urées, Poïybe et Deoys,<br />

que nous <strong>de</strong>vons les notions les plus assurées et les<br />

plus fructueuses sur tout ce qui regar<strong>de</strong> 1^ civil et<br />

le militaire <strong>de</strong>s Romains; et sans doute il est bon.<br />

que les uns se soient occupés <strong>de</strong> ce qu'avaient omis<br />

les autres.<br />

Je <strong>de</strong>vais ici ce témoignage à Denys d'Halîcarnaaae,<br />

dont <strong>la</strong> qualité disllnctifi a été l'érudition<br />

critique dans le genre <strong>de</strong> l'histoire. En fait <strong>de</strong> <strong>littérature</strong><br />

et <strong>de</strong> pût ; il n f a guère été, ce me semble,<br />

que ce que les anciens appe<strong>la</strong>ient un grammairien ;<br />

car si Quintiien n'est pour nous que le premier <strong>de</strong>s<br />

rhéteurs, parce que nous n*avons pas les p<strong>la</strong>idoyers<br />

oà, suivant le témoignage unanime <strong>de</strong> ses contemporains,<br />

il avait fait revivre <strong>la</strong> saine éloquence et<br />

l'honneur <strong>du</strong> barreau romain, Denys, dans ce qu'il<br />

a composé sur <strong>la</strong> rhétorique, est i une si gran<strong>de</strong><br />

distance <strong>de</strong> Quintilieu, et encore plus <strong>de</strong> Cicéron, que<br />

ceux-ci semblent avoir écrit pour les pas <strong>de</strong> goût<br />

<strong>de</strong> tous les temps, et celui-là pour <strong>de</strong>s écoliers. Ce<br />

n'est pas qu'en général ses principes ne soient bons 9<br />

et ses Jugements asset équitables; mais, sans par-<br />

42S<br />

1er même <strong>de</strong> ses étemelles redites, qui font rentrer<br />

presque tous ses Traités les uns dans les mitres, et<br />

pour le fond et pour Ici détails, il parait n'afoir<br />

guère considéré dans l'éloquence qu'une seule partie,<br />

celle qui était contenue ehti les anciens dans le<br />

mot générique <strong>de</strong> mmpmUim pour les Latins, et<br />

pour les Grecs, 9Mms%$ et qui comprenait tous les<br />

éléments <strong>de</strong> <strong>la</strong> diction, <strong>la</strong> construction, les fours <strong>de</strong><br />

phrase, l'arrangement <strong>de</strong>s mots, soit pour le sens,<br />

soit pour l'oreille. 11 en résulte qu'une partie <strong>de</strong> son<br />

travail est <strong>de</strong> peu d'usage pour nous, et tellement<br />

propre à son Idiome 9 que nous ne pouvons pas toujours<br />

savoir si les reproches qu'il fait aux grands<br />

écrivains, dont U épluche les phrases mot à mot,<br />

sont aussi fondés que le ton en est affirmatif. Il est<br />

difficile <strong>de</strong> ne pas voir dans ce genre <strong>de</strong> censure, qui<br />

Meut chez lui une si gran<strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce, ai» sorte <strong>de</strong> pédaotisme,<br />

surtout quand il s'agit d'écrivains <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

première c<strong>la</strong>sse , et dont il semble reconnaître plutét<br />

<strong>la</strong> renommée que sentir tout le mérite. Hous<br />

trouvons dans Océron et Quintilien quelques observations<br />

<strong>de</strong> ce genre, mais en très-petit nombre f<br />

•t toujours choisies, <strong>de</strong> manière que tout le mon<strong>de</strong><br />

peut les comprendre; au lieu que celles <strong>de</strong>.Denys<br />

ne sont le plus souvent à <strong>la</strong> portée que <strong>de</strong>s nationaux.<br />

Ort vous vous touvenei que c'était là précisément<br />

l'office <strong>du</strong> grammairien, qui enseignait aui jeunes<br />

gens à lire les poètes et les orateurs, <strong>de</strong> façon à<br />

connaître les procédés <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue et <strong>du</strong> style, et<br />

l'effet <strong>du</strong> nombre et <strong>du</strong> choix. Denys ne va guère<br />

au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> ces objets , et parait aller souvent au <strong>de</strong>là<br />

<strong>de</strong> leur importance, qui doit toujours être en proportion<br />

avee le reste. Homère et Démosthènes sont<br />

seuls à l'abri <strong>de</strong> sa férule, mais il maltraite fort<br />

Thucydi<strong>de</strong> et P<strong>la</strong>ton, et revient sans cesse sur le<br />

premier avec une sorte d'acharnement. Partout il<br />

fait profession <strong>de</strong> rendre justiee à leur talent supérieur;<br />

mais pourtant il es faudrait rabattre beaucoup,<br />

s'il y avait dans ses critiques autan* d'évi<strong>de</strong>nce qu'il<br />

y veut mettre <strong>de</strong> gravité. Pour Thucydi<strong>de</strong> en particulier,<br />

nous sommes <strong>du</strong> moins en état d'apprécier<br />

les reproches les plus sérieui, ceux qui tombent<br />

sur l'ordre, <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> et <strong>la</strong> narration; car tout<br />

ce<strong>la</strong> est soumis aux mènes règles dans toutes les<br />

<strong>la</strong>ngues, et ne pèche point <strong>du</strong> tout par les endroits<br />

que Denys y trouve répréhensibles. 11 le blâme d'avoir<br />

pris pour division <strong>de</strong> son récit les hivers et les<br />

étés ; mais Thucydi<strong>de</strong> fait l'histoire d'une guerre, et<br />

il <strong>la</strong> divise par campgnes, comme ce<strong>la</strong> est assez<br />

naturel, et comme il est même d'usage en pareille<br />

matière eh« les mo<strong>de</strong>rnes. 11 n'y a point <strong>de</strong> faute<br />

dans nette disposition : il y en a encore moins dans<br />

le ehoix <strong>du</strong> sujet; et, quoiqu'il y ait, mime en fait


C0U1S DE LITTÉMTU1E.<br />

424<br />

d'histoiref quelque chose à considérer dans <strong>la</strong> nature<br />

<strong>de</strong>s sujets 9 qui ne sont pas tous aussi favorables<br />

, soit pour l'intérêt, soit pour l'instruction, on<br />

a peioe à concevoir ce qu'à voulu dire Denys d'Halicarnasse,<br />

quand ii fait presque un crime à Thucydi<strong>de</strong><br />

d'avoir travaillé sur cette guerre <strong>du</strong> Péiopoaèse,<br />

époque désastreuse <strong>de</strong> tous les crimes et <strong>de</strong> tous les<br />

maux qui peuvent naître <strong>de</strong> l'ambition $ <strong>de</strong> <strong>la</strong> jalousie<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> discor<strong>de</strong>, et que Denys met en opposition<br />

avec l'époque que choisit Hérodote, qui fut<br />

celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> constance et <strong>de</strong> <strong>la</strong> magnanimité <strong>de</strong>s Grecs.<br />

.Mais l'histoire n'est-elle instructive et digne d'attention<br />

que dans les tableaux <strong>de</strong>s prospérités et <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur ? Les exemples qu'elle trace dans le mal<br />

comme dans le bien ne sont-ils pas éplement une<br />

leçon pour les âges suivants ? Et serait-Il moins<br />

utile d'inspirer l'horreur <strong>de</strong>s crimes que l'ému<strong>la</strong>tion<br />

<strong>de</strong>s vertus? Si Hérodote avait fait voir combien les<br />

Grecs avaient été grands dans <strong>la</strong> concor<strong>de</strong> et l'union,<br />

que pouvait faire <strong>de</strong> mieui Thucydi<strong>de</strong> que <strong>de</strong><br />

<strong>mont</strong>rer ce qu'ils s'étaient <strong>la</strong>it <strong>de</strong> mal et <strong>de</strong> déshonneur<br />

dans leurs opiniâtres dissensions et leurs atroces<br />

rivalités? Et n'était-ce pas encore un avantage<br />

d'avoir à peindre ce qu'il avait vu ? Le critique estil<br />

plus raisonnable quand il le reprend très-aigrement<br />

<strong>de</strong> sa sévérité à marquer toutes les fautes <strong>de</strong>s<br />

différents partis $ souillés tour à tour, ou tout à <strong>la</strong><br />

fois, par <strong>la</strong> perfidie, l'injustice et <strong>la</strong> cruauté, comme<br />

si c'était l'historien qui dût supporter l'odieux <strong>de</strong> ce<br />

qu'il est obligé <strong>de</strong> rapporter ? Toute cette mauvaise<br />

humeur est fort étrange dans un homme qui d'ailleurs<br />

paraît naturellement judicieux. 11 avoue et<br />

répète en. plusieurs endroits que P<strong>la</strong>ton et Thucydi<strong>de</strong><br />

jouissent <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus haute réputation, et sont<br />

regardés comme les modèles à suivre, l'un parmi<br />

les philosophes, l'autre parmi les historiens; et il<br />

croit réfuter cette opinion en opposant sans cesse<br />

les défauts <strong>de</strong> leur diction à <strong>la</strong> perfection <strong>de</strong> Démosthènes.<br />

Mais d'abord le mérite propre <strong>de</strong> Fhistorien<br />

<strong>du</strong> philosophe, même dans le style, n'est pas<br />

celui <strong>de</strong> l'orateur, et c'est ce que Denys parait avoir<br />

oublié; et, à l'amertume <strong>de</strong> ses censures, on dirait<br />

qu'il est choqué <strong>de</strong> l'admiration qu'on a pour eux.<br />

Je ne l'accuse pas pourtant d'une partialité prouvée<br />

: il peut avoir eu quelques préventions particulières<br />

; il est si rare <strong>de</strong> n'en avoir aucune ! Le bon<br />

Plutarque a fait un Traité <strong>de</strong> ta malignité d'Hêrodote;<br />

et Denys, compatriote <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier, nous<br />

assure qu'Hérodote est partout un homme simple<br />

et bon. Ce qu'on aperçoit ici <strong>de</strong> plus avéré, c'est<br />

que Denys d'Halîcaraasse, quëque en général d'un<br />

jugement sain, n'a pas les conceptions assez nettes.<br />

Le jugement se <strong>mont</strong>re en ce que, P<strong>la</strong>ton et Thucy­<br />

di<strong>de</strong> exceptés, il caractérise les poètes $ les orateurs,<br />

les historiens, les philosophes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce, avec<br />

assez <strong>de</strong> justesse pour que Quintilien Tait suivi es<br />

cette partie <strong>de</strong> très-près, et quelquefois même Fait<br />

presque répété. Mais le défaut <strong>de</strong> netteté dans les<br />

vues générales ne se manifeste pas moins dans le<br />

vague <strong>de</strong> ses divisions et c<strong>la</strong>ssifications, trop susceptibles<br />

d'équivoque, et quelquefois <strong>de</strong> contrariété,<br />

au moins apparente, et dans ce qu'il appelle<br />

ses résumés, qui ne sont que <strong>de</strong> longues et fastidieuses<br />

répétitions, qui pro<strong>du</strong>isent les mêmes choses<br />

sans les fortifier ou les éc<strong>la</strong>ircir. Comme écrivain,<br />

Denys, dans ses ouvrages didactiques, est lâche,<br />

traînant, diffus, sans agrément, sans variété, sans<br />

élévation. Gommé critique, toutes ses théories se<br />

ré<strong>du</strong>isent à une seule idée dont le fond est vrai,<br />

mais qui n'est point <strong>du</strong> tout exposée comme elle <strong>de</strong>vrait<br />

l'être, et qui s'obscurcit encore en se perdant<br />

au -milieu <strong>de</strong> ses prolixes et minutieuses citations.<br />

En voici <strong>la</strong> substance : P<strong>la</strong>ton, Isocrate, Thucydi<strong>de</strong> 9<br />

ont les beautés et les défauts <strong>du</strong> style figuré; tous<br />

trois pèchent par l'affectation, l'un <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur,<br />

l'autre <strong>du</strong> nombre, le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée; ce qui<br />

fait que le premier est quelquefois enflé, le secoué<br />

souvent monotone, et le troisième souvent obscur.<br />

Parmi ceux qui ont préféré le style simple, Lysias<br />

a eu toutes les grâces <strong>de</strong> <strong>la</strong> simplicité sans'tomber<br />

jamais, mais aussi sans jamais s'élever. Entre ces<br />

<strong>de</strong>ux sortes d'eitrêmes, Denys établit ce qulf appelle<br />

très-improprement, ce me semble, le gmre<br />

mûfem, qui joint tout le mérite d'une pureté soutenue<br />

et d'une simplicité attique à ce sublime <strong>de</strong>s<br />

igures <strong>de</strong> pensée et <strong>de</strong> mouvements <strong>du</strong> dis<strong>cours</strong>,<br />

sans aucune affectation ni dans le dis<strong>cours</strong> ni dans<br />

<strong>la</strong> pensée; et ce genre wwtjm est celui <strong>de</strong> Démosthènes.<br />

Telle est <strong>la</strong> substance d'un gros volume <strong>de</strong><br />

rhétorique, qui pouvait être abrégé <strong>de</strong>s trois quarts y<br />

et <strong>de</strong>vait être mieux conçu et mieux eipliqué. Il est<br />

hors <strong>de</strong> 'toute convenance <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>ui extrêmes,<br />

c'est-à-dire <strong>de</strong>ux exemples vicieui <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux c<strong>la</strong>sses<br />

d'écrivains : dont Fuse, celle <strong>de</strong> Lysias, d'Esehine,<br />

d'Hypéri<strong>de</strong>, est, <strong>de</strong> Faveu même <strong>de</strong> Denys, ie modèle<br />

<strong>du</strong> genre auquel ils se sont attachés, et n'a<br />

d'autre défaut que <strong>de</strong> n'être pas sublime ; et dont Fautre<br />

n'a péché que par l'abus <strong>de</strong>s qualités éminentes,<br />

telles que celles qui dominent dans P<strong>la</strong>ton, dans<br />

Isocrate, dans Thucydi<strong>de</strong>, c'est-à-dire, dans l'un <strong>la</strong><br />

noblesse et <strong>la</strong> richesse <strong>de</strong>s idées, dans l'autre.Fharmonie<br />

et l'éc<strong>la</strong>t <strong>du</strong> style, dans le <strong>de</strong>rnier <strong>la</strong> force et<br />

<strong>la</strong> profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s pensées. Tout ce qu'il y a ici <strong>de</strong><br />

vrai, c'est qu'en effet toute perfection est entre <strong>de</strong>ux<br />

excès, et


ANCIENS. — L1TTÉ1ATU1E MÊLÉE.<br />

écrivains grecs. Mais quand il est simple et pur, il<br />

Test comme Lysias; quand il est grand, il fest<br />

comme P<strong>la</strong>tes; quand il est fort, il Test comme<br />

Thucydi<strong>de</strong> : et Denys lui-même Fa?ait senti 9 puisqu'il<br />

dit que Bémosthènes a imité ee qu'il y a?altie<br />

meilleur dans tout ce qui l'avait précédé. Ge<strong>la</strong> est<br />

•rai, ettfoffre point <strong>du</strong> toutridéed'un poire moyot,<br />

mais celle d ? un eicellent esprit qui proite habilement<br />

<strong>de</strong> tous les autres esprits, en se rapprochant<br />

<strong>de</strong> ce qu'ils ont <strong>de</strong> meilleur, et s'éloignaat <strong>de</strong> ce<br />

qu'ils ont <strong>de</strong> défectueux.<br />

Bans un autre genre, le moraliste satirique Lucien<br />

, quoique né à Samosate en Syrie, et <strong>du</strong> temps<br />

<strong>de</strong>s Antonins, lorsque les lettres grecques et romaines<br />

étaient également déchues, n'en est pas<br />

moins regardé comme un écrivain c<strong>la</strong>ssique pour<br />

<strong>la</strong> pureté et l'élégance <strong>de</strong> <strong>la</strong> diction. Je ne fondrais<br />

pourtant pas, comme a fait son <strong>de</strong>rnier tra<strong>du</strong>cteur,<br />

l'appeler le plus bel esprit <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce : c'est exagérer<br />

beaucoup le mérite <strong>de</strong> Fauteur, et même <strong>la</strong><br />

comp<strong>la</strong>isance d'un tra<strong>du</strong>cteur ; que <strong>de</strong> donner à<br />

Lucien ce qui pourrait appartenir à Xénophon ou<br />

à P<strong>la</strong>ton. Ses nombreux ouvrages prouvent <strong>de</strong> Fesprit,<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Inesse et <strong>de</strong> <strong>la</strong> gaieté caustique; mais<br />

ils roulent presque tous sur un même fonds d'idées<br />

et <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isanteries. Toujours renfermé dans unraéme<br />

cadre, celui <strong>du</strong> dialogue, il y repro<strong>du</strong>it toujours<br />

les mêmes objets, <strong>de</strong>s dieux et <strong>de</strong>s' sophistes : il<br />

se moque sans cesse <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s autres, et ses<br />

satires contre eux ne diffèrent guère que par les<br />

titres. C'est un impitoyable censeur <strong>de</strong> toute superstition<br />

et <strong>de</strong> toute char<strong>la</strong>tanerie ; mais il est<br />

inconséquent dans sa mauvaise humeur; il confond<br />

avec les plus vils sophistes ceux mêmes qu'il a loués<br />

ailleurs comme <strong>de</strong> vrais philosophes, par exemple,<br />

Socrate et Arlstote. Il met dans leur bouche un<br />

<strong>la</strong>ngage insensé et furieux, qui n'a jamais été le<br />

leur. En un mot, si Lucien a <strong>la</strong> verve d'un satirique,<br />

il a aussi les travers d'un bouffon qui sacrifie<br />

tout à l'envie <strong>de</strong> faire rire ; et s'il offre, dans beaucoup<br />

<strong>de</strong> ses dialogues, <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison et <strong>de</strong> <strong>la</strong> saillie, beaucoup<br />

aussi sont dépourvus <strong>de</strong> sel, et d'autres tout<br />

à fait insignifiants. 11 avait pourtant <strong>de</strong> l'imagination<br />

et même <strong>de</strong> celle qui invente, car, dans le genre<br />

<strong>de</strong> l'allégorie satirique, <strong>de</strong>s auteurs <strong>de</strong> mérite ont<br />

profité <strong>de</strong> ses inventions. C'est d'un écrit fort ingénieux,<br />

intitulé Histoire véritable, que Swift a emprunté<br />

le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> son Gulliver : et c'est <strong>de</strong> l'Ane <strong>de</strong><br />

Lucien, autre roman non moins joli, qu'Apulée,<br />

FIN DB LA nsMriun FABTII DU SOMB nniiBB.<br />

426<br />

vers le moyen âge, tira son Am cfor, qui ne vaut<br />

pas l'original pour cette sorte <strong>de</strong> merveilleux p<strong>la</strong>isant,<br />

quoique bizarre, et moral dans l'intention,<br />

quoique extravagant dans les choses, dont il parait<br />

que Lucien a eu <strong>la</strong> première idée.<br />

Bans l'histoire <strong>de</strong>s arts et <strong>de</strong> leurs monuments,<br />

l'antiquité grecque peut opposer Pausanias à m<br />

que les mo<strong>de</strong>rnes ont <strong>de</strong> meilleur. 11 écrivait vers<br />

le même temps que Lucien ; et tandis que celui-ci<br />

ridiculisait les fables <strong>du</strong> paganisme , Pausanias décrivait<br />

les chefs-d'œuvre d'architecture, <strong>de</strong> sculpture,<br />

<strong>de</strong> peinture, qui n'avaient pas peu contribué<br />

à rendre ces fictions vénérables. Son style est précis<br />

et plein; et, son livre h <strong>la</strong> main, os voyagedans l'an*<br />

cienne Grèce : il semble vous <strong>la</strong> <strong>mont</strong>rer tout entière.<br />

Mais en ce genre l'imagination est si impuissante<br />

pour suppléer les sens, que ceux qui n'ont vu que<br />

les débris semés dans <strong>la</strong> Grèce mo<strong>de</strong>rne ont une<br />

bien plus gran<strong>de</strong> idée <strong>de</strong> ce qu'elle était que ceux<br />

qui ne <strong>la</strong> connaissent que par les <strong>de</strong>scriptions <strong>de</strong><br />

Pausanias.<br />

Sur ce que les anciens, et Cioéron en particulier,<br />

ont dit <strong>du</strong> savoir <strong>de</strong> Varron et <strong>de</strong> son grand<br />

ouvrage <strong>de</strong>s Antiquités romaines, qui ne nous est<br />

pas parvenu t il avait fait à peu près pour Rome ce<br />

qu'avait fait Pausanias pour <strong>la</strong> Grèce. Ce<strong>la</strong>it un<br />

homme d'une érudition immense, mais dont on<br />

a loué le jugement et les connaissances beaucoup<br />

plus que le style et le talent. H ne nous, en reste<br />

qu'un Traité sur <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>la</strong>tine, qui n'a pas peu<br />

servi à éc<strong>la</strong>irer les philologues mo<strong>de</strong>rnes ; et un<br />

autre sur l'agriculture, beaucoup moins estimé<br />

pour <strong>la</strong> diction que celui <strong>de</strong> Columdle. Yitrave a<br />

non-seulement le mérite <strong>de</strong> Féiégance dans ce qu'il<br />

nous a <strong>la</strong>issé sur l'architecture, mais il pense et<br />

s'exprime sur les arts en homme qui en a senti <strong>la</strong><br />

dignité, et qui a réfléchi sur les principes <strong>du</strong> beau<br />

en tout genre. Enfin, les recueils historiques et<br />

polygraphiques d'JSlien, d'Athénée, <strong>de</strong> Biogène<br />

Laërce, <strong>de</strong> Valère Maxime, d'Aulu-Gelle, <strong>de</strong> Macrobe,<br />

etc., assez semb<strong>la</strong>bles à nos ana, offrent<br />

à <strong>la</strong> curiosité qui ne veut que s'amuser quantité <strong>de</strong><br />

faits et d'anecdotes, et à celle qui veut s'instruire<br />

différentes sortes <strong>de</strong> recherches dont on peut extraire<br />

l'essentiel en écartant le frivole et le minutieux.<br />

Mais c'est là que je dois borner cette espèce <strong>de</strong> nomenc<strong>la</strong>ture<br />

critique, qui ne pourrait s'étendre plus<br />

loin sans sortir <strong>de</strong> notre p<strong>la</strong>n, et passer à ce qui<br />

doit y être étranger.


SECONDE PARTIE. - SIÈCLE DE LOUIS XIV.<br />

llfTkoBIÎCTÎI», ©5 BÎSCOOIS SUR L'ÉTAT DES LWTEES IH<br />

BUH0K, BETOIS Là fW BU SIÈCLE QUI â SUIVI CELUI B f âU-<br />

€WS« JUSQU'AU »ÉCffl BS LOUIS UT,<br />

Tel qu'il fet §mmmâ m I7f7.<br />

LIVRE PREMIER. — POÉSIE.<br />

Wons avons parcouru ces beaux siècles <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce<br />

et <strong>de</strong> Rome qui ont été ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> gloire et <strong>de</strong>s prodiges<br />

<strong>de</strong> l'esprit humain; nous avons voyagé au milieu<br />

<strong>de</strong> ces grands monuments dont le temps a respecté<br />

<strong>du</strong> moins une prtie qui doit faire à jamais<br />

regretter l'autre. Si longtemps ensevelis dans les<br />

vastes et profon<strong>de</strong>s ténèbres dont <strong>la</strong> barbarie obscurcissait<br />

Il terre, au premières lueurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison<br />

«t <strong>du</strong> goût y le travail et Féradition les débarrassèrent<br />

<strong>de</strong>s décombres qui les couvraient et <strong>de</strong> <strong>la</strong> rouille<br />

qui les avait noircis. Le génie, au moment où il<br />

s'éveil<strong>la</strong> comme d'un long sommeil 9 ne put les eontttnplfr<br />

qu'avec cet enthousiasme qui apprend à égaler<br />

ou <strong>du</strong> moins à imiter ce qu'on admire ; et dans<br />

<strong>la</strong> suite <strong>la</strong> satiété, le paradoxef et une rivalité mal<br />

enten<strong>du</strong>e, leur ont insulté avec une orgueilleuse<br />

ingratitu<strong>de</strong> 9 à cette époque où l'esprit <strong>de</strong>vient subtil<br />

et contentieux y en même temps que les grands<br />

talents <strong>de</strong>viennent plus rares; où <strong>la</strong> prétention <strong>de</strong><br />

juger l'emporte sur le besoin <strong>de</strong> jouir ; où l'on médit<br />

<strong>de</strong> ce qui a été fait, à mesure qu'il <strong>de</strong>vient plus difficile<br />

<strong>de</strong> bien faire; enfin, où l'on ne conserve plus<br />

guère d'autre goût que Famour aveugle <strong>de</strong> <strong>la</strong> nouveauté<br />

, quelle qu'elle soit; goût pervers et dépravé,<br />

qui calomnie le passé 9 corrompt le présent, et méconnaissant<br />

tous les principes <strong>du</strong> beau et <strong>du</strong> bon9<br />

<strong>la</strong>isse à peine l'espérance <strong>de</strong> l'avenir.<br />

Nous avons suivi <strong>de</strong>s yeux les chantres d'Achille<br />

et d'Énée dans <strong>la</strong> carrière immense <strong>de</strong> l'épopée 9 et<br />

mêlé nos app<strong>la</strong>udissements à ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce assemblée<br />

9 lorsqu'elle couronnait sur le théâtre les<br />

Euripi<strong>de</strong> et les Sophocle, et que dans les jeux olympiques<br />

elle décernait <strong>de</strong>s palmes au courage s à l'adresse;<br />

à <strong>la</strong> force y au son<strong>de</strong> <strong>la</strong> lyre <strong>de</strong> Pindare,<br />

que nous avons retrouvée <strong>de</strong>puis dans les mains <strong>de</strong><br />

cet heureux favori <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature et <strong>de</strong> Mécène f qui<br />

savait passer si facilement <strong>du</strong> sublime aux chansons,<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> morale <strong>du</strong> Portique à celle d'Épieun. Noua<br />

nous sommes crus un moment , dans ce lycée, Grecs<br />

ou Romans (et c'est ainsi Seulement qu'il pouvait<br />

nous être permis <strong>de</strong> le croire) , quand l'éloquence<br />

elle-même, sous les traits <strong>de</strong> Cicéron ou <strong>de</strong> Démosîhènes<br />

9 est motitée dans <strong>la</strong> tribune d'Athènes ou <strong>de</strong><br />

Rome, avec cet air <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur qu'elle <strong>de</strong>vait avoir<br />

dans les anciennes républiques, et ce caractère énergique<br />

et 1er, st naturellement empreint sur le front<br />

<strong>de</strong>s orateurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté, si ridiculement contrefait<br />

<strong>de</strong> nos jours sur celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> servitu<strong>de</strong> factieuse ou<br />

<strong>de</strong> l'hypocrite tyrannie.<br />

La muse <strong>de</strong> l'histoire s'est <strong>mont</strong>rée à nous non<br />

moins majestueuse, entourée <strong>de</strong> tous les héros qu'elle<br />

faisait revivre. Mais, en <strong>de</strong>scendant àFâge suivant,<br />

<strong>la</strong> déca<strong>de</strong>nce nous a déjà frappés. Les traits bril<strong>la</strong>nts<br />

<strong>de</strong> Lucaïn, tout Pesprit <strong>de</strong> Pline et <strong>de</strong> Sénèque, les<br />

pointes <strong>de</strong> Martial, n'ont servi qu'à nous faire sentir<br />

davantage quels hommes c'étaient que Cicéron,<br />

Virgile et Catulle. La Grèce ne peut plus se glorifier<br />

que <strong>de</strong> son piutarque, qui se p<strong>la</strong>ce encore au<br />

rang <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>ssiques. Rome a son Quintilien, qui défend<br />

le bon goût <strong>du</strong> siècle précé<strong>de</strong>nt contre <strong>la</strong> corruption<br />

<strong>du</strong> sien ; mais 9 plus heureuse que <strong>la</strong> Grèce, elle<br />

<strong>mont</strong>re encore à <strong>la</strong> postérité un homme unique 9 Tacite,<br />

qui seul, <strong>la</strong> tête aussi haute que tout ce qui l'a<br />

précédé, reste <strong>de</strong>bout, comme une colonne parmi<br />

<strong>de</strong>s ruines.<br />

Au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce point où nous nous sommes arrêtés,<br />

que trouvons-nous? un désert et <strong>la</strong> nuit.<br />

Quelles sont les causes <strong>de</strong> ces étonnantes révolutions<br />

<strong>de</strong> l'esprit humain? Pourquoi ces éclipses si<br />

longues 9 qui succè<strong>de</strong>nt à l'éc<strong>la</strong>t <strong>du</strong> plus beau jour ?<br />

D'où vient qu'on a vu le même f<strong>la</strong>mbeau tour à tour<br />

briller et s'éteindre, et se rallumer encore chex certains<br />

peuples, tandis que chez d'autres il semble<br />

avoir disparu pour toujours, ou même ne s'est jamais<br />

allumé pour eux? Quelle est cette espèce <strong>de</strong> prédilection<br />

accordée par <strong>la</strong> nature à certains siècles, où<br />

l'on dirait qu'elle a pris p<strong>la</strong>isir à développer toute<br />

sa puissance pro<strong>du</strong>ctive, à prodiguer ses richesses,<br />

à répandre ses trésors comme par monceaux ? Inépuisable<br />

et toeptirs <strong>la</strong> même dans ses pro<strong>du</strong>ctions<br />

physiques, est-ële donc si bornée dans son énergie


SIèCLE 1» wwis xnr. — DmopucrioN.<br />

munie, et oVt-elle tu ee génie qu'une fioniité<br />

passagère qui <strong>la</strong> condamne ensuite I une lonpe stérBIté?<br />

Cette question soufeet agitée peut iiuniir<br />

cependant <strong>de</strong> nou?eaui aperçus, quand il s'agira f<br />

fera <strong>la</strong> in <strong>de</strong> ee Cours 9 <strong>de</strong> chercher un résultat<br />

satisfaisant dans <strong>la</strong> querelle trop loupe et trop fameuse<br />

sur les anciens et les mo<strong>de</strong>rnes. Aujourd'hui<br />

je ne me propose qu'un résumé rapi<strong>de</strong> et auodnet,<br />

où, ne ufarrétaut qu 9 aui faits, sans discuter les causes<br />

, je rappellerai quel a été, à différentes époques 9<br />

le sort <strong>de</strong>s lettres et <strong>de</strong>s arts 9 <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> fin*<strong>du</strong> siècle<br />

qui a suivi celui d'Auguste, jusqu'au temps où le<br />

génie fit renaître <strong>de</strong> beaux jours sous les Médieis,'<br />

et répandit ensuite sous Louis XI? cette éc<strong>la</strong>tante<br />

lumière qui a rempli le mon<strong>de</strong>, qui offusque aujourd'hui<br />

plus que jamais <strong>la</strong> médiocrité jalouse et l'ignorance<br />

présomptueuse; mais qui appelle encore les<br />

regards <strong>de</strong>s hommes le sens , comme dans une nuit<br />

obscure <strong>de</strong>s f oyageurs égarés tournent les yens fers<br />

le point <strong>de</strong> l'horizon d'où Ton ferra renaître le jour.<br />

Quoiqu'on ait obserf é y af ee raison f que le règne<br />

<strong>de</strong>s arts a toujours été chez les anciens 9 comme chez<br />

les mo<strong>de</strong>rnes, attaché à <strong>de</strong>s temps <strong>de</strong> puissance et<br />

<strong>de</strong> gloire, il paraît cependant que, pour fon<strong>de</strong>r et<br />

perpétuer ce règne, ce n'est pas une cause suffisante<br />

que <strong>la</strong> prospérité d'un gouvernement affermi. On<br />

en f oit <strong>la</strong> preuve dans cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> quatre-vingts<br />

ans, qui s'écou<strong>la</strong> <strong>de</strong>puis Trajan jusqu'au<br />

<strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>s Antonins, sous <strong>de</strong>s souf crains comptés<br />

parmi les meilleurs dont le mon<strong>de</strong> ait conservé <strong>la</strong><br />

mémoire. L'histoire remarque que les nations furent<br />

alors aussi bien gouvernées qu'elles pouf aient<br />

f être, parce que <strong>la</strong> f ertu était sur le trône avec une<br />

philosophie qui se piquait d'être éminemment morale<br />

et religieuse, comme celle <strong>de</strong> notre siècle s'est<br />

piquée <strong>de</strong> n'être ni l'un ni l'autre. La vertu régna<br />

comme <strong>la</strong> loi : <strong>la</strong> terre fut heureuse et le génie fut<br />

muet. 11 y eut encore quelques hommes d'esprit et<br />

<strong>de</strong> goût, tels que le critique Longin, le moraliste<br />

satirique Lucien, et, par <strong>la</strong> suite, <strong>de</strong>s historiens<br />

<strong>du</strong> second ordre, tels qu'Ammîenifarcellin, Hérodien,<br />

et d'autres; mais, dans l'éloquence et <strong>la</strong> poésie,<br />

Rome et <strong>la</strong> Grèce étaient ré<strong>du</strong>ites aui déc<strong>la</strong>matesra<br />

et au sophistes, les uns occupés à fendre <strong>de</strong>s<br />

louanges, les autres enfoncés dans les disputes <strong>de</strong><br />

l'école.<br />

Cependant vers le milieu lu quatrième siècle,<br />

lorsque l'empire romain, chance<strong>la</strong>nt sous le poids<br />

<strong>de</strong> sa gran<strong>de</strong>ur, était forcé <strong>de</strong> se partager pour se<br />

soutenir, lorsque Rome n'était déjà plus <strong>la</strong> seule<br />

capitale <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, quand les ressorts <strong>de</strong> l'autorité<br />

étaient affaiblis, quand les barbares menaçaient <strong>de</strong><br />

tous ©êtes le peuple dominateur et corrompu, qui<br />

41?<br />

ne w défendait plus que par sa discipline militaire,<br />

une éloquence nouvelle naquit me une nouvelle<br />

religion, qui <strong>de</strong>s prisons et <strong>de</strong>s écbauûmds venait <strong>de</strong><br />

<strong>mont</strong>er sur le très© <strong>de</strong>s Césars. Cette voii auguste<br />

et puissante était celle <strong>de</strong>a orateurs <strong>du</strong> ehristiaaisme;<br />

et le cer<strong>de</strong><strong>de</strong>s préjugés particuliers rétrécit<br />

tellement les idées, que peut-être entendra-t-on ici<br />

avec quelque surprise <strong>de</strong>s noms qui ne sont guère<br />

plus cités parmi nous que dans les chaires éf angéliques,<br />

et qu'on s'étonnera <strong>de</strong> voir, au rang <strong>de</strong>s successeurs<br />

<strong>de</strong> Cicéron et <strong>de</strong> Démosthènes, <strong>de</strong>s hommes<br />

m qui l'on est accoutumé <strong>de</strong> ne voir que les successeurs<br />

<strong>de</strong>s apêtres ». Mats sans blesser le respect<br />

qu'à ce <strong>de</strong>rnier titre doivent tous les chrétiens aux<br />

Basile, aux Grégoire 9 aux Chrysostdme, je puis les<br />

considérer ici principlement sous le rapport <strong>de</strong>s<br />

talents et <strong>du</strong> génie. Pourquoi faudrait-il détourner<br />

tesyew, quand nous rencontrons ces grands hommes<br />

à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce qn'ils doivent occuper dans le tableau .<strong>de</strong>s<br />

différents âges littéraires ? Sans doute ils appartiennent<br />

prticulièriment à l'Église, qui les a consacrés<br />

à <strong>la</strong> vénération publique : c'est surtout à elle à rappeler<br />

les services qu'ils ont ren<strong>du</strong>s à <strong>la</strong> religion, les<br />

victoires qu'ils ont remportées sur l'hérésie, les<br />

exemples qu'ils ont donnés <strong>de</strong> <strong>la</strong> sainteté pastorale;<br />

les lumières qu'ils ont répn<strong>du</strong>es parmi les peuples,<br />

les tourments qn'ils ont soufferts pur <strong>la</strong> foi ; mais<br />

ils appartiennent aussi à Histoire et aux lettres humaines.<br />

L v histoire9 en nous affligeant <strong>du</strong> récit <strong>de</strong>s<br />

crimes qui furent alors, comme dans tous les temps,<br />

ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> tyrannie, <strong>de</strong> l'ambition et <strong>du</strong> fanatisme,<br />

nous offre le contraste <strong>de</strong> tant d'horreurs dans le<br />

portrait iièle et avoué <strong>de</strong> ces héros <strong>de</strong> l'Évangile.<br />

L'histoire nous présente en eux les plus touchants<br />

modèles <strong>de</strong>s plus pures vertus ; nous les fait voir réu-<br />

1 Dana hmm^qm%TmêmêBmtMtêmm mm emmenératai»<br />

<strong>de</strong>s NowwUeg §mîiëqms, distingué par si touche<br />

spirituelle et §oes il est dit que ee wmtemm a fuit <strong>la</strong>nguir<br />

t» m&mmt l'mMmtkm» «$ fv'tl mmmîi été app<strong>la</strong>udi il f m<br />

wim§i «M. Je puis assurer que ee même morceau, ©à Je m'A<br />

rien change, fat app<strong>la</strong>udi en 1788. Ce n'est pas qu'il y eut<br />

alors plus <strong>de</strong> religion cjtfBjjjowd'IiQl; 11 y en tirait motos;<br />

mais c'était wm antre espèce dlneréds<strong>la</strong>. Oem d'alors fêtaient<br />

<strong>de</strong>là façon <strong>de</strong> Voltaire; ceux d'anjoerd'hoi Je mmi <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> façon <strong>de</strong> Chaemelte et d'Hébert. Les sommes lustrait s sentaient<br />

que l'orateur remplissait mie partie essentielle <strong>de</strong> son<br />

sujet, en examinant use époque aussi remarquable que celte<br />

<strong>de</strong> l'éloquence chrétienne, <strong>la</strong> seule qui fût eoanae dans le<br />

mon<strong>de</strong> pendant pleslean siècles. Ils tairaient full n'était paa<br />

teapeesSale qu'on fttt en saint «t pourtant qu'on ne fit paa<br />

on sot ; qu'on poaTait louer le génie et les fer<strong>la</strong>s d'un saint 9<br />

même sans être dtVof, comme foliaire a loué saint Louis;<br />

qtfon pondait aller jusqu'à nommer mmi Jmfmëm et «


428<br />

COURS DE L1TTEEATHEE.<br />

mmmt <strong>la</strong> dignité <strong>du</strong> caractère à celle <strong>du</strong>'sacerdoce ,<br />

use douceur inaltérable à une fermeté intrépi<strong>de</strong>;<br />

adressant ans empereurs le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité ,<br />

an coupable celui <strong>de</strong> sa conscience qui le tourmente,<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice céleste qui le menace, à<br />

tous les malheureux celui <strong>de</strong>s conso<strong>la</strong>tions fraternelles.<br />

Les lettres les réc<strong>la</strong>ment à leur tour, et s'app<strong>la</strong>udissent<br />

d'avoir été pour quelque chose dans le<br />

bien qu'ils ont fait à l'humanité 9 et d'être encore 9<br />

aux yeux <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, une partie <strong>de</strong> leur gloire : elles<br />

aiment à se'couvrir<strong>de</strong> l'éc<strong>la</strong>t qu'ils ont répan<strong>du</strong> sur<br />

leur siècle, et se croiront toujours en droit <strong>de</strong> dire<br />

qu'avant d'être <strong>de</strong>s confesseurs et <strong>de</strong>s martyrs, ils<br />

ont été <strong>de</strong> grands hommes; qu'avant d'être <strong>de</strong>s<br />

saints, ils ont été <strong>de</strong>s orateurs.<br />

En les regardant sous ce point <strong>de</strong> vue, soit que<br />

Ton mette à pdrt l'inspiration divine, soit que Fou<br />

reconnaisse encore <strong>la</strong> Provi<strong>de</strong>nce dans les moyens<br />

saturais dont elle se sert, on peut observer les causes<br />

qui contribuèrent à donner cette nouvelle vie à l'éloquence,<br />

oubliée <strong>de</strong>puis si longtemps. Un nouvel<br />

ordre d'idées et <strong>de</strong> sentiments à développer, une foule<br />

d'obstacles à combattre et d'adversaires à confondre,<br />

<strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> vaincre par <strong>la</strong> persuasion et<br />

l'exemple, qui étaient les <strong>de</strong>ux seules forces <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

religion naissante; voilà ce qui <strong>du</strong>t animer le génie<br />

<strong>de</strong>s fondateurs et <strong>de</strong>s défenseurs <strong>du</strong> christianisme.<br />

Le paganisme, longtemps persécuteur, était encore<br />

redoutable , même <strong>de</strong>puis que Constantin eut fait<br />

régner f Évangile» Les zé<strong>la</strong>teurs <strong>de</strong> l'ancienne, religion<br />

avaient pour eus, selon les temps et les circonstances,<br />

<strong>de</strong>s intérêts <strong>de</strong> parti, et, dans tous les<br />

temps, l'intérêt <strong>de</strong> toutes les passions divinisées par<br />

le polythéisme. Mais il faut avouer que ce n'étaient 9<br />

sous aucun rapport, <strong>de</strong>s hommes à comparer aux<br />

prédicateurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> foi chrétienne. 11 s'en fal<strong>la</strong>it<br />

beaucoup que Oise, Porphyre, Symmaque, pussent<br />

ba<strong>la</strong>ncer <strong>la</strong> dialectique d'un Tertullien, <strong>la</strong> science<br />

d'un Origène 9 ni les talents d'un Augustin et d'un<br />

Chrysostôme. Ce <strong>de</strong>rnier, dont le nom seul rappelle<br />

<strong>la</strong> haute idée que ses contemporains avaient <strong>de</strong> son<br />

éloquence, peut être opposé à ce que l'antiquité avait<br />

eu <strong>de</strong> plus grand. Ce n'est pas que dans ses écrits,<br />

comme dans ceux <strong>de</strong> saint Augustin, <strong>de</strong> saint Basile,<br />

<strong>de</strong> saint Grégoire, <strong>la</strong> critique n'ait pu remarquer<br />

<strong>de</strong>s défauts que n'ont pas eus les c<strong>la</strong>ssiques<br />

grecs et romains. On s'aperçoit que Ses orateurs<br />

chrétiens n'ont pu échapper entièrement au goût<br />

général <strong>de</strong> leur temps, qui s'était fort corrompu.'<br />

On y désirerait souvent ptus <strong>de</strong> sévérité dans le style,<br />

plus d'attention aux convenances <strong>du</strong> genre, plus <strong>de</strong><br />

métho<strong>de</strong>, plus <strong>de</strong> mesure dans les détails. On leur<br />

a reproché <strong>de</strong> <strong>la</strong> diffusion, <strong>de</strong>s digressions trop<br />

fréquentes, et l'abus <strong>de</strong> l'érudition, qui, dans l'élocpienee,<br />

doit être sobrement employée, <strong>de</strong> pur qu'en<br />

vou<strong>la</strong>nt trop instruire l'auditeur, on ne Tienne à le<br />

refroidir. Mais aussi quel connaisseur impartial n'y<br />

admirera pas un mé<strong>la</strong>nge heureux d'élévation et <strong>de</strong><br />

douceur, <strong>de</strong> force et d'onction, <strong>de</strong> beaux mouvements<br />

et <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s idées, et .en général cette élocution<br />

facile et naturelle, l'un <strong>de</strong>s caractères distinetife <strong>de</strong>s<br />

siècles qui ont fait époque dans l'histoire <strong>de</strong>s lettres ?<br />

Celle où je m'arrête en ce moment présente une<br />

observation qu'il ne faut pas omettre, c'est <strong>la</strong> supériorité<br />

<strong>de</strong>s Grecs sur les Latins. Ceux-ci nous offrent<br />

principalement comme écrivains et orateurs,<br />

dans ces premiers âges <strong>du</strong> christianisme, Tertullien,<br />

saint Ambroise, saint Cypricn, et saint Augustin.<br />

Personne ne conteste au premier <strong>la</strong> vigueur <strong>de</strong>s pensées<br />

et <strong>du</strong> raisonnement, mais personne aussi n'excuse<br />

<strong>la</strong> <strong>du</strong>reté africaine <strong>de</strong> son style, même dans ses<br />

<strong>de</strong>ux ouvrages les plus célèbres, Y Apologie et les<br />

Prescriptions > dont les beautés frappantes sont<br />

mêlées d affectation, d'obscurité et d'enflure. Saint<br />

Cyprien, qui l'avait pris pour modèle, en a conservé<br />

le caractère, mais également affaibli dans les beautés<br />

et dans les défauts. Saint Ambroise a beaucoup plus<br />

<strong>de</strong> douceur et <strong>de</strong> pureté ; mais il s'élève peu, et n'a<br />

pas comme eux cette foule <strong>de</strong> traits qui préparaient<br />

pour <strong>la</strong> chaire tant <strong>de</strong> citations heureuses et bril<strong>la</strong>ntes.<br />

Saint Augustin est certainement le plus beau génie<br />

<strong>de</strong> l'Église <strong>la</strong>tine : il est impossible d'avoir plus d'esprit<br />

et d'imagination; mais on convient qu'il abuse<br />

<strong>de</strong> tous les <strong>de</strong>ux. Son style nous rappelle Sénèque,<br />

comme celui <strong>de</strong> Grégoire, <strong>de</strong> Basile, <strong>de</strong> Chrysostôme,<br />

rappelle Cicéron et Démosthènes, et c'est<br />

dire assez que les Pères grecs ont <strong>la</strong> palme <strong>de</strong> l'éloquence.<br />

A Pégard <strong>du</strong> paganisme, on trouve, vers le temps<br />

dont je parle, Libaniuset Thémiste, distingués parmi<br />

les philosophes rhéteurs, mais qui avaient plus <strong>de</strong><br />

<strong>littérature</strong> que <strong>de</strong> talent. Le plus glorieux titre <strong>du</strong><br />

premier, c'est d'avoir eu <strong>de</strong>ux disciples dont le nom<br />

éclipsa bientôt le sien, et ce sont ce même Grégoire<br />

et ce même Basile, qui reçurent <strong>de</strong> leurs contemporains<br />

le nom <strong>de</strong> grand, et qui furent admirés <strong>de</strong>s<br />

païens mêmes. L'autre illustra sa plume et son caractère,<br />

en se faisant auprès <strong>de</strong> l'empereur arien,<br />

Yaiens, le défenseur <strong>de</strong>s catholiques persécutés; et<br />

ce fut un païen qui eut <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> donner cette leçon<br />

<strong>de</strong> tolérance et cet exemple <strong>de</strong> courage, qui furent,<br />

couronnés par le succès.<br />

Après cet éc<strong>la</strong>t passager que <strong>la</strong> religion seule rendit<br />

aux lettres, les irruptions <strong>de</strong>s barbares, <strong>de</strong>puis<br />

le cinquième siècle jusqu'au dixième, éten<strong>de</strong>nt et<br />

épaississent <strong>de</strong> plus en plus dans notre Occi<strong>de</strong>nt les


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — INTRODUCTION.<br />

429<br />

ses ; par les asiles <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu, <strong>de</strong> l'instruction, <strong>de</strong><br />

l'humanité, où Ton ne marche que sur <strong>de</strong>s ruines?<br />

Et je me dis en gémissant : Ici une race nouvelle et<br />

étrangère parmi les hommes, <strong>la</strong> race révolutionnaire,<br />

a passé; et que peut-il rester après son passage, si<br />

ce n'est le chaos renouvelé, et le génie <strong>du</strong> mal p<strong>la</strong>nant<br />

encore au-<strong>de</strong>ssus <strong>du</strong> chaos, et s!app<strong>la</strong>udissant<br />

d'avoir tout détruit, comme autrefois le Créateur<br />

s'app<strong>la</strong>udissait d'avoir tout fait ?<br />

Hommes célèbres, et si dignement célèbres, puisque<br />

vous Fêtes surtout pour avoir été utiles, vous<br />

qui fûtes, <strong>de</strong> siècle eo siècle, les instituteurs <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> génération naissante, les maîtres et les modèles<br />

à <strong>la</strong> fois <strong>de</strong> <strong>la</strong> saine <strong>littérature</strong>, <strong>de</strong> <strong>la</strong> pure morale<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> vraie religion, qui en est <strong>la</strong> sanction et le<br />

soutien; ombres <strong>de</strong>s Gerson, <strong>de</strong>s Dumoulin, <strong>de</strong>s<br />

Duval, <strong>de</strong>s Rollm, <strong>de</strong>s Hersan, <strong>de</strong>s Gihert, <strong>de</strong>s<br />

Goffîn, <strong>de</strong>s Grenan, <strong>de</strong>s le Beau, et <strong>de</strong> tant d'autres<br />

qui ont attaché leurs noms à <strong>de</strong>s monuments à jamais<br />

précîeiiï pour les amis <strong>de</strong>s lettres et<strong>de</strong>s mœurs,<br />

vous ne rejetterez pas l'hommage que je vous adresse<br />

au milieu d'eux. Si j'ose vous le rendre aujourd'hui,<br />

c 9 est que toujours je vous l'ai ren<strong>du</strong> ; c'est que mon<br />

<strong>la</strong>ngage a toujours été le même à votre égard ; c'est<br />

qu'au moment où tous les corps littéraires, tous les<br />

établissements d'instruction publique, étaient déjà<br />

hautement menacés par <strong>la</strong> démence <strong>de</strong>structive,<br />

j'en pris hautement <strong>la</strong> défense ; j'en rappe<strong>la</strong>i les avantages<br />

et <strong>la</strong> gloire, et, avec autant <strong>de</strong> reconnaissance<br />

que <strong>de</strong> respect, je proposai seulement dans le p<strong>la</strong>n<br />

<strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s quelques légers changements, quelques<br />

améliorations qu'indiquait l'expérience, que déjà<br />

même quelques maîtres adoptaient, et dont Futilité<br />

était généralement reconnue. Mais il n'appartenait<br />

pas à l'ignorance barbare, érigée pour <strong>la</strong> première<br />

fois en légis<strong>la</strong>trice, <strong>de</strong> sentir tout ce qu'il y avait<br />

d'utile et <strong>de</strong> respectable, tout ce qu'il y avait <strong>de</strong><br />

vraiment politique dans ces gran<strong>de</strong>s institutions<br />

consacrées par les siècles qui sont l'ornement <strong>de</strong>s<br />

empires, et font partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> dignité qu'un grand<br />

peuple doit toujours avoir chez les autres peuples ;<br />

dans l'éten<strong>du</strong>e, dans <strong>la</strong> stabilité, dans <strong>la</strong> réunion,<br />

dans <strong>la</strong> considération publique <strong>de</strong> ces sociétés d'enseignement,<br />

dont le nom seul imposait par avance<br />

à <strong>la</strong> légèreté naturelle d'une jeunesse nombreuse,<br />

et lui imprimait ce respect sans lequel il ne peut y<br />

avoir ni docilité, ni décence, ni progrès ; dans ces<br />

décorations attachées au mérite d'une profession<br />

honorable et <strong>la</strong>borieuse, et qui, n'attestant que <strong>la</strong><br />

gloire <strong>de</strong>s lettres et <strong>de</strong>s arts, ne pro<strong>du</strong>isaient que<br />

l'ému<strong>la</strong>tion, sans orgueil et sans danger; dans cette<br />

noble indépendance <strong>de</strong>s instituteurs ,* toujours choisis<br />

et jugés par leurs pairs, et non pas par une molli-<br />

ténèbres <strong>de</strong> l'ignoranoe et <strong>du</strong> mauvais goût : et si 9 !<br />

dans eelong intervalle, on aperçoit quelques hommes<br />

supérieurs aux autres par les dons <strong>de</strong> l'esprit; un<br />

Photius 9 qui It <strong>du</strong> sien un usage si funeste ; un Abei<strong>la</strong>rd,<br />

fauieui dans les écoles, et qui paya par ses<br />

malheurs sa réputation et ses fautes; surtout un<br />

saint Bernard ».qui fut Foracle <strong>de</strong> son temps , et dont<br />

les écrits sont encore cités dans le nôtre ; aucun<br />

d'eux ne put relever les lettres dégradées et les arts<br />

corrompus. Constantmople en était encore le centre,<br />

même dans son abaissement; mais <strong>la</strong> seo<strong>la</strong>stique et<br />

ses controverses, nées <strong>de</strong> cet esprit sophistique qui,<br />

dans tous les temps, it plus ou moins partie <strong>du</strong> caractère<br />

<strong>de</strong>s Grecs f avait acquis, en se joignant à <strong>la</strong><br />

religion, qu 9 elle corrompait, une importance mal<br />

enten<strong>du</strong>e, qui décourageait les autres étu<strong>de</strong>s chez<br />

tous les peuples qui avaient assis <strong>de</strong>s trônes sur les<br />

débris <strong>de</strong> l'empire romain. Théodorie, qui it pour<br />

les lettres, en Italie, beaucoup plus qu'on ne#pouvait<br />

attendre d'un roi goth, ne parvint pas à les<br />

relever. Charlemagne, comme lui conquérant politique<br />

et légis<strong>la</strong>teur, mais fort supérieur à lui, et,<br />

sans contredit, le plus grand homme quf ait paru<br />

dans ce long intervalle qui a séparé <strong>la</strong> chute <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

empires, Charlemagne it entrer les sciences et les<br />

arts dans le vaste p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> gouvernement dont il<br />

fou<strong>la</strong>it faire <strong>la</strong> base d'une puissance qui ne put survivre<br />

à son génie. Il fonda l'université <strong>de</strong> Paris :<br />

mais ce ne fut que longtemps après lui qu'el le acquit<br />

une splen<strong>de</strong>ur digne <strong>de</strong> son origine, et <strong>de</strong>vint pour<br />

toutes les nations <strong>de</strong> f Europe un modèle et un objet<br />

d'ému<strong>la</strong>tion Ici je m'arrête involontairement,<br />

les yeux fiés sur le passé, sur le présent et sur<br />

l'avenir. Quand je prononçai pour <strong>la</strong> première fois<br />

ce même dis<strong>cours</strong>, il y a quelques années, elle existait<br />

encore cette savante et respectable école, <strong>la</strong><br />

plus ancienne <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, <strong>la</strong> mère <strong>de</strong>s sciences et <strong>de</strong>s<br />

lettres : elle n'est plus! Vingt autres universités,<br />

dignes illes <strong>de</strong> cette illustre mère, honoraient et<br />

instruisaient <strong>la</strong> France : elles ne sont plus ! Et <strong>de</strong>puis<br />

longtemps, toutes les fois que se rencontre<br />

sous ma plume quelqu'une <strong>de</strong> ces innombrables<br />

raines dont nous sommes environnés, et que je considère<br />

d'un côté ce qu'on a détruit, et <strong>de</strong> l'autre ce<br />

qui en a pris <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce, je me prosterne en idée, et<br />

je paye à ces tristes et vénérables souvenirs le tribut<br />

que leur doit tout ce qui n'a pas renoncé à <strong>la</strong> raison<br />

humaine, tour ce qui a conservé <strong>de</strong>s sentiments<br />

d'homme. Car, qu'y a-t-il aujourd'hui parmi nous<br />

<strong>de</strong> saint et <strong>de</strong> vénérable, si ce n'est <strong>de</strong>s ruines ; à<br />

commencer par les autels, qui sont <strong>de</strong>s ruines; par<br />

les temples, où l'on adore Dieu sur <strong>de</strong>s raines ; par<br />

les tombeaux, où Ton pleure les morts sur <strong>de</strong>s rui-


4S0<br />

COU1S DE LITTÉ1ATU1E.<br />

fa<strong>de</strong> ignorante, oupttr<strong>de</strong>sadministrationséttangèpes esc<strong>la</strong>ve ni votre complice. Mais qu'Importent les<br />

à <strong>la</strong> science; dans <strong>la</strong> nature même <strong>de</strong>s émoluments p<strong>la</strong>intes ? et où sont les réparations ? quelle puissance<br />

<strong>de</strong> leur travail, toujours assurés sur <strong>de</strong>s fonds pu­ sérail capable <strong>de</strong> remédier à tant <strong>de</strong> désastres, et <strong>de</strong><br />

blies, et dont <strong>la</strong> répartition fut toujours invariable, combler tant d'abîmes? Ah 1 si les hommes vertueux<br />

et n'eut jamais rien <strong>de</strong> précaire ni d'humiliant ; dans dont j'ai sf pelé les mânes pouvaient aimer <strong>la</strong> ven­<br />

<strong>la</strong> perspective eneourageante d'une existence tougeance , je leur dirais : lepr<strong>de</strong>z ce qui' a remp<strong>la</strong>cé<br />

jours <strong>la</strong> même et toujours distinguée, d'une vieillesse votre ouvrage; voyez ees efforts si multipliés et si<br />

toujours aisée, paisible et honorable, trop juste ré­ impuissants pour bâtir sans aucune base, pour orcompense<br />

d'un long dévouement; dans <strong>la</strong> discipline ganiser le désordre et réaliser le néant; tous ces<br />

<strong>de</strong>s maisons d'enseignement, qui commandait <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ns également stériles, tour I tour préconisés et<br />

régu<strong>la</strong>rité <strong>de</strong>s mœurs, attribut indispensable <strong>de</strong> <strong>la</strong> rejetés ; ces généralités chimériques, qui, en vour<br />

profession d'instituteur; dans le goût <strong>du</strong> travail, <strong>la</strong>nt tout embrasser, n'atteignent jamais i rien ; ces<br />

résultat naturel <strong>de</strong> cette discipline et <strong>de</strong> l'esprit théories si follement ambitieuses et si com^étement<br />

général <strong>de</strong> ees maisons <strong>de</strong> doctrine, et qui dédiait inexécutables, où l'orgueil <strong>de</strong>s mots est en raison<br />

sans cesse <strong>de</strong> nouvelles pro<strong>du</strong>etions aui lettres, aux <strong>du</strong> vi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s idées; ce char<strong>la</strong>tanisme puéril qui croit<br />

sciences, à <strong>la</strong> morale, à <strong>la</strong> religion ; enfin, dans cet changer les choses en changeant les noms, et qui<br />

solennités annuelles, dont <strong>la</strong> pompe innocente, se retranche obstinément dans les spécu<strong>la</strong>tions <strong>de</strong><br />

enf<strong>la</strong>mmant l'imagination <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse, lui arra­ l'avenir, quand il est sans cesse repoussé par<br />

chait <strong>de</strong>s efforts qui déce<strong>la</strong>ient <strong>de</strong> bonne heure le l'impossibilité actuelle. Yoyez cette profon<strong>de</strong> et hon­<br />

secret <strong>de</strong> ses forces, et furent souvent les prémices teuse ignorance <strong>de</strong>s premiers principes et <strong>de</strong>s pre­<br />

<strong>du</strong> talent et <strong>du</strong> génie.<br />

miers éléments <strong>de</strong> toute é<strong>du</strong>cation publique; igno­<br />

Ombres illustres, que j'aime à évoquer ici (car rance portée au point <strong>de</strong> ne pas même distinguer<br />

où pourrait-je les évoquer ailleurs?) voilà donc ce et c<strong>la</strong>sser ce qui convient aui différents âges <strong>de</strong><br />

qu'ont anéanti les barbares <strong>du</strong> dix-huitième siècle l'homme, à l'enfance, à l'adolescence, à <strong>la</strong> jeunesse,<br />

qui se sont nommés pkMmopkes! Autrefois vous à l'âge a<strong>du</strong>lte; <strong>de</strong> confondre <strong>de</strong>s académies avec<br />

aînaiei à tourner encore vos regards sur ees écoles <strong>de</strong>s écoles, <strong>de</strong>s rassemblements <strong>de</strong> gens <strong>de</strong> lettres<br />

antiques où respirait votre génie, où vos noms avec <strong>de</strong>s maisons d'é<strong>du</strong>cation; d'imaginer qu'il<br />

étaient vénérés, où vos leçons étaient répétées. Au­ suffit <strong>de</strong> nommer <strong>de</strong>s maîtres pour attirer <strong>de</strong>s disjourd'hui<br />

vous les détoumei avec horreur, et peutciples ; que l'on peut instruire et former <strong>de</strong>s enfants<br />

être avec pitié. Et qu'y verriez-vous? <strong>de</strong>s cachets, et <strong>de</strong>s adolescents, sans aucun point <strong>de</strong> réunion<br />

<strong>de</strong>s solitu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s dévastations. Ce n'est pas seule­ habituelle et'obligée, sans aucun but marfué il<br />

ment <strong>la</strong> basse envie, l'envie aveugle et forcenée, distinct, sans aucun lien moral d'attachement et<br />

qui a voulu frapper tout ce qui l'humiliait : l'insa­ <strong>de</strong> respect entre les instituteurs et les élèves, sans<br />

tiable rapacité a cherché <strong>de</strong>s dépouilles ? même où aucun frein <strong>de</strong> discipline, sans aucun moyen <strong>de</strong> su­<br />

il n'y avait guère <strong>de</strong> richesses qui fussent à son bordination, et sans aucun p<strong>la</strong>n d'avancement;<br />

usage. Tout a été pillé, saccagé, enlevé; et <strong>de</strong>s qu'on peut rétablir <strong>la</strong> morale si déplombfoment<br />

bandits qui ne savaient pas lire ont envahi les dé­ avilie, l'inspirer et l'inculquer h <strong>de</strong>s enfants s à <strong>de</strong>s<br />

pôts et les monuments <strong>de</strong> <strong>la</strong> science, ont mis à l'en­ adolescents, avec <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s métaphysiques,<br />

can tout ce qu'ils avaient pris sans le connaître, sans aucune <strong>de</strong> ces notions religieuses, si naturelles,<br />

l'ont ven<strong>du</strong> au nom <strong>de</strong> <strong>la</strong> mMm : comme si elle pour ainsi dire, à l'instinct <strong>de</strong> l'homme; les seules<br />

eût jamais avoué cette prostitution infâme, comme qui, réunies à <strong>de</strong>s objets sensibles, aient ares véri­<br />

s'il pouvait y avoir en Europe une nation qui fit table autorité sur ce premier âge, parce qu'elles<br />

sa propriété <strong>du</strong> brigandage, qui consentit à se seules prient à son coeur, et que le cœur .<strong>de</strong>vance<br />

nourrir <strong>de</strong> sang et <strong>de</strong> dépouilles, et à <strong>la</strong>isser mourir nécessairement <strong>la</strong> raison; notions si essentielles et<br />

<strong>de</strong>'faim ceux qu'elle n'aurait pas égorgés en les si sacrées, même en politique humaine, qu'en sup­<br />

dépouil<strong>la</strong>nt. Brigands, qui avez spolié, mis dans posant (ce qui n'est pas) qu'elles pussent être futi­<br />

les fers ? torturé 9 traîné à l'échafaud les successeurs les à l'intelligence formée, elles seraient mmm<br />

<strong>de</strong>s Rollin et <strong>de</strong>s Fénelon, gar<strong>de</strong>z pour vous le sa­ d'une Indispensable nécessité pour ce premier âp,<br />

<strong>la</strong>ire <strong>de</strong>s crimes qui ne sont qu'à vous, et cessez puisque, incapable <strong>de</strong> raisonnements abstraits, il<br />

au moins d'outrager <strong>la</strong> nation, qui n'en a pas plus ne peut et ne doit que croire t aimer et obéir. ¥oyes<br />

le pro<strong>du</strong>it que <strong>la</strong> honte, qui vous parle ici par ma enfin toute <strong>la</strong> génération qui a eu le malheur <strong>de</strong> naî­<br />

voix, comme parlera l'histoire, comme parle l'Eutre dans ces temps abominables, livrée au plus<br />

rope entière y comme parle quiconque n'est ni votre funeste abandon » i moins <strong>de</strong> se<strong>cours</strong> particuliers


SIÈCLE Dl LOCIS XIV. — INflOBlICTIOIf-<br />

qui sont toujours rares, et condamnée à crottre an<br />

milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus dévorante oontaglon <strong>de</strong> principes,<br />

d'eiemples 9 d'actions , et <strong>de</strong> proies f qui ait jamais<br />

infecté l'espèce humaine, sans que, <strong>de</strong>puis quatre<br />

années 9 les réformateurs <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> aient pu seulement<br />

iwvrir une éeole où l'enfance puisse apprendre<br />

à lire et à éeriref à honorer Bien et ses<br />

parents.<br />

Mais que me répondraient ©es maîtres anciens f<br />

si tristement vçngés et si affligés <strong>de</strong> l'être ? qu'il<br />

n'arrive que ce qui doit arriver, et que, quand une<br />

justice suprême, à <strong>la</strong> fois séfère et prévoyante, a<br />

permis que <strong>la</strong> hor<strong>de</strong> révolutionnaire se déchaînât<br />

parmi nous, elle a voulu que l'orgueil <strong>de</strong>vint stupi<strong>de</strong><br />

m <strong>de</strong>venant féroce, et que ces mêmes hommesft<br />

éminemment armés <strong>de</strong> tous les moyens <strong>de</strong> détraire,<br />

fussent en même temps frappés <strong>de</strong> Firrémédiable<br />

impuissance <strong>de</strong> rien édifier.<br />

Et moi, je dirai am dignes représentants qui ne<br />

peuvent être confon<strong>du</strong>s avec ces ennemis <strong>du</strong> genre<br />

humain , à ceux qui * <strong>de</strong> concert avec quelques éerivains<br />

honnêtes et courageui, luttent contre Finluence<br />

encore menaçante <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers fauteurs <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> barbarie ; Si vous voulez ramener <strong>la</strong> lumière et<br />

les mœurs, après les ténèbres et les crimes, rétablissez<br />

les anciennes écoles; rétablissas-les, avec<br />

les' réformes très-faciles et très-légères que peut<br />

comporter <strong>la</strong> nature d'un gouvernement libre et légal<br />

1 est aussi trop absur<strong>de</strong> que <strong>de</strong>s universités ne<br />

puissent se concilier avec une république et qu'une<br />

république puisse craindre <strong>de</strong>s universités.<br />

(Test cet intérêt si pressant et si prochain f qui m*a<br />

entraîné un moment, non pas hors <strong>de</strong> mon sujett<br />

mais un peu au <strong>de</strong>là. Vous le pardonnerez sans doute<br />

en <strong>la</strong>veur <strong>de</strong> f intention , quand bien même elle serait<br />

sans effet. Je reviens.<br />

Chariemape retarda peut-être les progrès <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

<strong>la</strong>ngue française s en faisant régner dans ses vastes<br />

États <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong>s Romains, qui fut généralement<br />

en France celle te lois et <strong>de</strong>s actes publics jusqu'à<br />

François I* r . Si nous jetons les yeux sur FEspgne f<br />

f Angleterre, l'Italie t FAllenugne, nous les voyons,<br />

pnéant près <strong>de</strong> six cents ans, foulés tour à tour<br />

sous le choc <strong>de</strong>s barbares, qui s'en disputent <strong>la</strong> possession<br />

; et lorsque les nations formées <strong>de</strong> ce mé<strong>la</strong>nge<br />

d'indigènes asservis et <strong>de</strong> conquérants étrangers,<br />

ont pris quelque consistance, FEutop entière,<br />

comme arrachée <strong>de</strong> ses fon<strong>de</strong>ments par cet enthousiasme<br />

<strong>de</strong>s croisa<strong>de</strong>s que <strong>la</strong> Provi<strong>de</strong>nce ne paraît<br />

pas avouer, se renverse sur F Asie Mineure, sur <strong>la</strong><br />

Palestine et FÉgypte; nt ees longues et violentes<br />

secousses éloignent encore le moment où les peuples<br />

<strong>du</strong> Hord, qui <strong>de</strong>s provinces romaines <strong>de</strong> FÛeei<strong>de</strong>nt<br />

431<br />

avaient fut tant <strong>de</strong> royaumes, pouvaient déposer<br />

par <strong>de</strong>grés <strong>la</strong> rouille <strong>de</strong> leur origine, et se dégager<br />

<strong>de</strong> cette grossièreté <strong>de</strong> mœurs et <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage, incompatible<br />

arec <strong>la</strong> culture <strong>de</strong>s arts. Les croisa<strong>de</strong>s<br />

servirent à l'affranchissement <strong>de</strong>s communes et<br />

au développement <strong>de</strong>s idées <strong>de</strong> commerce; mais<br />

en agitant les empiras] encore peu affermis, nies<br />

étirent aux gouvernements, <strong>de</strong> qui tout dépend<br />

toujours, le loisir et les moyens <strong>de</strong> s'occuper <strong>de</strong>s<br />

lettres.<br />

Bans cet engourdissement <strong>de</strong>s esprits, à qui<br />

«votts-nous l'obligation d'avoir conservé <strong>du</strong> moins<br />

«neparierJesmatériaux dispersés qui servirent dans<br />

<strong>la</strong> suite à reconstruire Fédifiee <strong>de</strong>s connaissances<br />

humaines? L'histoire, qu'on ne saurait démentir,<br />

répond pour nous que c'est encore aux gens <strong>de</strong> FÉgiise<br />

: eux seuls avaient quelque teinture <strong>de</strong>s lettres,<br />

et <strong>de</strong> là vient que le nom îk<strong>de</strong>rc <strong>de</strong>vint le synonyme<br />

d'homme lettré, et se donna même par extension à<br />

quiconque savait lire, ce qui pendant longtemps<br />

fut asses rare pour être un titre privilégié. Je ne<br />

dissimulerai point que cet avantage fut un <strong>de</strong> ceux<br />

dont abusa <strong>la</strong> corruption, qui se mêle à tout bien<br />

sans le détruire. On s'est quelquefois étonné que les<br />

peuples et les rois aient souffert patiemment les<br />

usurpations <strong>de</strong> <strong>la</strong> puissance sacerdotale : <strong>la</strong> raison<br />

s'étonne seulement qu'on ait été <strong>de</strong> eus jours aasea<br />

injuste et assa inconséquent pour les attribuer à<br />

<strong>la</strong> religion, qui les a toujours condamnées, et à FÉgliae,<br />

qui les a toujours désavouées. La raison sait<br />

que le bien est dans <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s choses, et le mal<br />

dans <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> l'homme, qui abuse <strong>de</strong>s choses.<br />

Cette patience qu'on reproche aux peuples n'était<br />

pis seulement une conséquence mal enten<strong>du</strong>e <strong>du</strong><br />

respect, d'aîMeun légitime en lui-même, que l'on<br />

rendait à un ministère aaeré; c'était aussi une suite<br />

naturelle <strong>du</strong> pouvoir <strong>de</strong>s lumières sur l'ignorance.<br />

Pour remédie? à ©et abus <strong>de</strong>s lumières, qui n'existait<br />

plus <strong>de</strong>puis qu'elles étaient répn<strong>du</strong>cs par le se<strong>cours</strong><br />

<strong>de</strong> l'imprimerie, on a imaginé <strong>de</strong> nos jouis <strong>de</strong><br />

taire régner l'ignorance sur les lumières; et nous<br />

n'avons pas besoin d'attendre ce que l'histoire dira<br />

<strong>de</strong> ce système nouveau, résumé complet et digne<br />

résultat <strong>de</strong> l'esprit révolutionnaire ; l'expérience a<br />

été, ce me semble» aeseï forte pour être une leçon<br />

suffisante ; ou f si elle ne suffisait pas, i est douteux<br />

.que <strong>la</strong> Provi<strong>de</strong>nce eUe-même, qui ne peut que l«<br />

possible, pût donner une leçon plus efficace. Après<br />

ce que nous avons vu et ce que nous voyons, il M<br />

parait pas qu'elle puisse faire davantage pour corriger<br />

une nation tombée en démence, à moins if<br />

l'anéantir.<br />

On doit donc ani étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s clercs d'avoir pré-


COURS DE LITTÉRATURE.<br />

432<br />

paré le rétablissement <strong>de</strong>s lettres par <strong>la</strong> congé<strong>la</strong>tion<br />

<strong>de</strong>s manuscrits! trésors uniques avant l'imprimerie<br />

: on leur doit <strong>la</strong> perpétuité <strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngues grecque<br />

et <strong>la</strong>tine, Sans <strong>la</strong>quelleces trésors <strong>de</strong>venaient inutiles.<br />

La plupart ont été déterrés, en différents temps,<br />

dans <strong>la</strong> poussière <strong>de</strong>s bibliothèques monastiques;<br />

et c'est surtout <strong>de</strong>puis le douzième siècle jusqu'au<br />

quinzième que les copies <strong>de</strong>s ©ufrages <strong>de</strong> l'antiquité<br />

commencèrent à <strong>de</strong>venir moins rares, et firent d'abord<br />

renaître l'érudition ,. qui longtemps ne s'énonça<br />

guère qu'en <strong>la</strong>tin, aucun peuple ne se fiant encore<br />

asses à sa propre <strong>la</strong>ngue pour <strong>la</strong> croire capable <strong>de</strong><br />

foire vivre les pro<strong>du</strong>ctions <strong>de</strong> l'esprit. La poésie<br />

seule, plus audacieuse, avait hasardé quelques essais<br />

informes t qui ressemb<strong>la</strong>ient au bégayement <strong>de</strong><br />

l'enfance. Deux hommes pourtant, avant que l'impression<br />

fillt connue, furent assefc heureux pour<br />

pro<strong>du</strong>ire dans leur idiome naturel <strong>de</strong>s ouvrages qui<br />

contribuèrent à le fixer, et que leur mérite réel a<br />

même transmis jusqu'à sous. Ce fut l'Italie qui eut<br />

cette gloire; ce qui prouve que sa <strong>la</strong>ngue est celle<br />

<strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngues mo<strong>de</strong>rnes qui a été perfectionnée <strong>la</strong> première<br />

s et que ce fut le pays <strong>de</strong> l'Europe où, dans<br />

les temps <strong>de</strong> barbarie, il se conservait encore le plus<br />

d'esprit et <strong>de</strong> goût pour les arts. Ces <strong>de</strong>ux hommes<br />

furent le Dante* et Pétrarque : Fus, dans un poëme<br />

d'ailleurs monstrueux, et rempli d'extravagances<br />

que <strong>la</strong> manie paradoxale <strong>de</strong> notre siècle a pu seule<br />

justifier et préconiser, a répan<strong>du</strong> une foule <strong>de</strong> beau*<br />

tés <strong>de</strong> style et d'expressions, qui <strong>de</strong>vaient être vivement<br />

senties par ses compatriotes, et même quelques<br />

morceaux assez généralement beaux pour : êlre admirés<br />

par toutes les nations. L'autre, né peut-être<br />

avec moins <strong>de</strong> génie, mais avec plus <strong>de</strong> goût, a eu<br />

le défaut, il est vrai, <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> l'amour un jeu<br />

d'esprit presque continuel; mais cet esprit a quelquefois<br />

saisi le ton et le <strong>la</strong>ngage <strong>du</strong> sentiment, surtout<br />

dans ses o<strong>de</strong>s appelées Canwni, et même a<br />

sa, dans <strong>de</strong>s sujets plus relevés, tirer <strong>de</strong> sa lyre<br />

quelques sons assez nobles et assez fermes pour<br />

nous rappeler salie d'Horace. Son plus grand mérite<br />

est dans une élégance qui lui est particulière,<br />

et qui Fa mis au rang <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>ssiques <strong>de</strong> son pays.<br />

11 fat le maître <strong>de</strong> Boceace, qui it pour <strong>la</strong> prose<br />

italienne ce que Pétrarque avait fait pour les vers,<br />

dans ce même pays qui semb<strong>la</strong>it <strong>de</strong>stiné à faire tout<br />

renaître. Il se distingua, il est vrai, dans un genre<br />

moins relevé que celui <strong>de</strong> Pétrarque, mais heureusement<br />

susceptible, par sa variété, <strong>de</strong> tous les caractères<br />

d'élégance qui peuvent convenir à <strong>la</strong> prose.<br />

Le conteur Boceace joignit à <strong>la</strong> naïveté <strong>du</strong> récit une<br />

* Voyei te Dante apprécié par M. Tlllemâln t û&m le Taëëmu<br />

éê t& iittér&itm m msym âge, %\ ai* et an* leçûn.<br />

pureté <strong>de</strong> diction qui, plusieurs siècles après lui*<br />

le rend encore, pour ainsi dire, le contemporain<br />

<strong>de</strong>s auteurs les plus estimés en Italie; et c'est un<br />

avantage que n'ont point en France, ni en Angleterre<br />

, les écrivains qui ont <strong>mont</strong>ré <strong>du</strong> talent avant<br />

que leur <strong>la</strong>ngue fût fixée : <strong>la</strong> tournure <strong>de</strong> leur esprit<br />

a préserf é leurs ouvrages <strong>de</strong> l'oubli, mais n'a<br />

pu empêcher leur <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> vieillir.<br />

Le milieu <strong>du</strong> quinzième siècle fut l'époque mémorable<br />

<strong>de</strong> l'invention <strong>de</strong> l'imprimerie, <strong>de</strong> cet art<br />

nouveau dont les effets ont été si éten<strong>du</strong>s en bien<br />

et en mal, que les dée<strong>la</strong>mateurs inconsidérés ou passionnés,<br />

dont tout l'esprit consiste à ne <strong>mont</strong>rer<br />

qu'un côté <strong>de</strong>s objets, ne pourront jamais épuiser<br />

ici ni l'éloge ni <strong>la</strong> satire. Le bon sens, qui est l'opposé<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>mation, commence par reconnaître<br />

que cette invention, comme toutes celles qui contribuent<br />

à étendre l'exercice <strong>de</strong>s facultés <strong>de</strong> l'homme,<br />

est bonne en elle-même, et Fune <strong>de</strong>s plus belles et<br />

<strong>de</strong>s plus ingénieuses <strong>de</strong> l'esprit humain. Si, dans<br />

Fapplication <strong>de</strong>s procédés <strong>de</strong> cet art, il a usé <strong>de</strong> sa<br />

liberté naturelle pour tirer également <strong>de</strong> l'impri­<br />

merie <strong>de</strong> bons et <strong>de</strong> mauvais effets, ce n'est pas<br />

Fart qu'il faut accuser, c'est l'homme. C'est à l'histoire<br />

à évaluer l'influence, très-sensible sous tous<br />

les rapports, qu'a dû exercer l'imprimerie <strong>de</strong>puis<br />

trois siècles. C'est à l'autorité légale et à <strong>la</strong> morale<br />

publique, partout où Fune et l'autre existent, à diriger<br />

l'usage et à réprimer l'abus, sans pourtant se<br />

f<strong>la</strong>tter jamais que l'usage puisse subsister <strong>de</strong> manière<br />

à ce qu'il n'y ait pas lieu à l'abus; absurdité<br />

<strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> possible, chimère <strong>de</strong> perfection, <strong>la</strong><br />

plus folle et <strong>la</strong> plus pernicieuse <strong>de</strong> toutes les chimères<br />

, qui n'était jamais tombée dans <strong>la</strong> tête d'aueunpeuple<br />

ni d'aucun gouvernement, et que <strong>la</strong> postérité<br />

marquera comme un <strong>de</strong>s principes originels t<br />

un <strong>de</strong>s caractères distinctifs <strong>de</strong> l'esprit révolutionnaire,<br />

qui est <strong>de</strong>scen<strong>du</strong> si fort au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> tout<br />

ce qui avait jusque-là déshonoré <strong>la</strong> nature humaine,<br />

précisément parce qu'il a commencé par vouloir s'élever<br />

au-<strong>de</strong>ssus d'elle; qui n'est <strong>de</strong>venu assez atroce<br />

pour tout bouleverser, que parce qu'il a été assez<br />

sottement orgueilleux pour prétendre tout corriger.<br />

On ne se doute pas communément <strong>de</strong> tout m<br />

que renferme cette fécon<strong>de</strong> et terrible vérité : if<br />

n'était pas inutile d'en jeter ici ie germe, qui sera<br />

développé ailleurs et en son temps.<br />

L'imprimerie, en multipliant avec tant <strong>de</strong> facilité<br />

les images <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée, a établi d'un bout <strong>du</strong><br />

mon<strong>de</strong> à l'autre <strong>la</strong> correspondance continuelle et<br />

rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison et <strong>du</strong> génie. En par<strong>la</strong>nt aux yeux<br />

bien plus vite que <strong>la</strong> plume, elle a gagné, au proie<br />

<strong>de</strong> l'instruction f tout le temps que faisaient perdre


SIÈCLE DK LOUIS IIV. — INTRODUCTION.<br />

4IS<br />

les difficultés réunies <strong>de</strong> récriture et <strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture, et cessé es moment <strong>de</strong> l'attaquer pr tous les moyens<br />

il a été permis à l'homme qui pense <strong>de</strong> eommiinl- <strong>du</strong> puvoir ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> corruption? N'ont-ils pas été<br />

quer dans le même moment mm tons ceux qui li- sans cesse occupés à l'anéantir, s'il était pssible,<br />

seiït <strong>la</strong> rendant les livres aussi communs et aussi pr <strong>de</strong>s actes arbitraires qu'il! osent appler <strong>de</strong>s<br />

popu<strong>la</strong>ires que l'es manuscrits étaient rares et peu lois? Je me gar<strong>de</strong>rai donc bien <strong>de</strong> leur dire qu'ils<br />

accessibles, elle a tiré <strong>la</strong> science et <strong>la</strong> vérité <strong>de</strong> <strong>la</strong> sont inconséquents; mais je leur dirai : Vous êtes<br />

retraite <strong>de</strong>s lettrés, et les a répan<strong>du</strong>es dans l'uni­ bien malheureusement conséquents dans un bien<br />

vers. Elle a donc certainement hflté <strong>la</strong> renaissance malheureux système. Tous vouiez à tout prix vous<br />

et le nouveau progrès <strong>de</strong>s arts; et il lui a ét£donné rendre les maîtres <strong>de</strong> l'opinion, parce que l'opinion<br />

<strong>de</strong> pouvoir dire à <strong>la</strong> barbarie, même après <strong>la</strong> révo­ est aussi une puissance, et <strong>la</strong> seule que vous n'ayez<br />

lution française, Tu ne régneras pas ; à <strong>la</strong> puissance pas. Oui, c'en est une, sans doute, et il faut bien<br />

injuste, quiaupara?antn'étaitguèredénoncée qu'aux qu'elle soit réelle, puisque seule et dénuée <strong>de</strong> toute<br />

temps à venir, Tu entendras dès ce moment ta sen­ autre force, elle épouvante encore ceux qui ont<br />

tence prononcée partout ; à Fhomme capable <strong>de</strong> dire toutes les forces dans leurs mains. Eh bien! il faut<br />

<strong>la</strong> vérité, Parle, et le mon<strong>de</strong> entier entendra ta <strong>la</strong> conquérir. Mais saches qu'on n'en vient pas à bout<br />

voix.<br />

avec <strong>de</strong>s canons et <strong>de</strong>s baïonnettes, ni avec <strong>de</strong>s dé­<br />

Ce sont là <strong>de</strong> grands bienfaits sans doute; le mal crets 9 ps plus qu'avec <strong>la</strong> plume <strong>de</strong> vos mercenaires.<br />

n'est pg moindre f et je serais dispensé <strong>de</strong>s preuves, 11 n'y a qu'une seule et unique voie pur y parve­<br />

quand même ce serait ici le lieu cf es parler : elles nir : c'est <strong>de</strong> mettre d'accord <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong>s gou­<br />

sont <strong>de</strong>puis longtempsdans notre expérience, et tout vernants avec <strong>la</strong> conscience <strong>de</strong>s gouvernés. S'il vous<br />

à l'heure dans notre histoire. Ce qu'il peut y avoir en coûte trop <strong>de</strong> faire cette alliance avec l'opinion,<br />

<strong>de</strong> conso<strong>la</strong>nt, c'est qtfea ce<strong>la</strong> 9 tomme en tout le #vous ré<strong>du</strong>irez-vous à lui imposer encore silence par<br />

reste, le mal ayant même passé le terme imaginable <strong>la</strong> terreur? Je suppse encore pssible ce qui tout<br />

nous sommes, prune marche irrésistible, ramenés au plus ne Fa été qu'une fois : vous n'aurez encore<br />

pas à pas vers le bien ; et c'est ce qui explique par­ rien gagné. Sachez que <strong>la</strong> vérité n'en est pas moins<br />

faitement l'opposition furieuse <strong>de</strong>s auteurs et <strong>de</strong>s une puissance, même quand elle se' tait, car elle<br />

fauteurs <strong>du</strong> mal à cette liberté <strong>de</strong> peser et d'é­ reste dans les cœurs jusqu'au moment où elle en<br />

crire, dont le nom seul <strong>de</strong> l'imprimerie a dû vous sort tout armée; et ce moment, toujours inévitable,<br />

rappler le souvenir. J'app<strong>la</strong>udis volontiers aux ne se fait pas même attendre longtemps. Enfin,<br />

écrivains honnêtes et courageux qui en défen<strong>de</strong>nt tuerez-vous tous ceux qui sont capables <strong>de</strong> <strong>la</strong> dire?<br />

les droits, et je m'honore d'avoir été un <strong>de</strong>s pre­ Et qui a tué plus <strong>de</strong> mon<strong>de</strong> que Robespierre? Il n'a<br />

miers à paraître dans <strong>la</strong> lice, quand j'ai cru pouvoir pas tué <strong>la</strong> vérité. Elle est éternelle comme son au­<br />

appuyer <strong>la</strong> raison sur <strong>la</strong> volonté générale. Mais j'ateur; sans quoi il y a longtemps que le crime serait<br />

voue que les efforts <strong>de</strong> nos adversaires ne m'ont ja­ seul maître <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre.<br />

mais causé ni étonnement ni scandale. Ce n'est ps Les premiers ouvrages que l'impression fit éelore<br />

moi qui leur reprocherai d'être en contradiction furent dictés par les muses <strong>la</strong>tines, qui revenaient<br />

avec eux-mêmes, et <strong>de</strong> vouloir aujourd'hui subor­ avec p<strong>la</strong>isir, sous le beau ciel <strong>de</strong> FAusosie, respirer<br />

donner à Faction <strong>de</strong> leur police cette même liberté . Fair <strong>de</strong> leur ancienne patrie. Yida, Fraseator, Ange<strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> presse qu'ils ont tant dé fois déc<strong>la</strong>rée supérieure Politien,Sadol€t, Érasme, Sannazar, et une foule<br />

à toute espèce d'autorité. Comme leurs actions m'ont d'autres, firent reparaître dans leurs écrits, non ps<br />

<strong>de</strong> tout temp appris à connaître leur <strong>la</strong>ngage, je encore le génie, mais le goût et Félégance <strong>de</strong> l'anti­<br />

sais trop bien qu'il n'a jamais été le notre, et que que <strong>la</strong>tinité : et il était juste que l'Italie fit le théâ­<br />

les mêmes mots n'ont pas pour eux et pur nous le tre <strong>de</strong> cette heureuse révolution. Elle s'étendit à tous<br />

même sens. C'esten effet <strong>la</strong> licencequ'ils avaient con­ les genres, grâces à l'influence bienfaisante <strong>de</strong>s Mésacrée,<br />

pur renverser ou iétrlr tout ce que les<br />

hommes connaissent <strong>de</strong> sacré; et ils étaient si loin<br />

dicisf.qui, tout-puissants dans Florence et dans<br />

Rome, y recueillirent les arts bannis <strong>de</strong> Constant!-<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté, que pndant <strong>de</strong>s années on n'a pu nople pr les armes ottomanes et par <strong>la</strong> chute <strong>de</strong> ce<br />

écrire autrement que dans leur sens, si ce n'est au fantôme d'empire grec, ré<strong>du</strong>it <strong>de</strong>puis longtemps aux<br />

péril ou aux dépns <strong>de</strong> sa vie. Cette liberté a donc murs <strong>de</strong> Byzanee. Ces Médicis eurent <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong><br />

été alors muette et enchaînée, et enchaînée par eux marquer <strong>de</strong> leur nom, cher à jamais aux lettrés et<br />

seuls. Depuis qu'une constitution, dont ils se croient aux artistes, cette gran<strong>de</strong> époque <strong>du</strong> seizième siècle,<br />

obligés <strong>de</strong> respecter au moins le nom, ne permet le premier qui, dans <strong>la</strong> poésie, ait été le rival <strong>du</strong><br />

plus d'abattre cette liberté avec le g<strong>la</strong>ive, ont-Ils<br />

Là •*•». — von i.<br />

siècle d'Auguste; qui, dans <strong>la</strong> sculpture tt l'archi-


484<br />

C0U1S DE LITTÉRATURE.<br />

lectures ait retracé ees belles formes, ces proportions<br />

élégantes, cette expression <strong>de</strong> <strong>la</strong> satura, ees<br />

<strong>de</strong>ssins à <strong>la</strong> fois simples et majestueux, jusque-là<br />

connus seulement <strong>de</strong>s Grecs ; et <strong>de</strong>s Romains leurs<br />

imitateurs; enta, qui, dans <strong>la</strong> peinturef ait rempli<br />

fidée <strong>du</strong> beau, et au jugement <strong>de</strong>s artistes et <strong>de</strong>s<br />

connaisseurs <strong>de</strong> tous les pays, soit <strong>de</strong>meuré le modèle<br />

in?ariable <strong>de</strong> <strong>la</strong> perfection.<br />

La magmicence et le goût <strong>de</strong>s Médicis encouragèrent<br />

cette foule <strong>de</strong> talents supérieurs qui naissaient<br />

<strong>de</strong> toutes parts» L'Italie se remplit <strong>de</strong> ees<br />

chefs-d'œuvre jans nombre qui attirent encore dans<br />

son sein les étrangers <strong>de</strong> toutes les contrées, et<br />

qu'elle <strong>mont</strong>re arec une sorte d'orgueil national,<br />

qui a pesé jusque dans cette c<strong>la</strong>sse <strong>du</strong> peuple 9 partout<br />

ailleurs étrangère au arts, mais qui semble en<br />

avoir naturellement le goût et l'amour dans le seul<br />

pys où les beaux-arts soient popu<strong>la</strong>ires. L'Europe<br />

a jeté un cri d'indignation, un cri enten<strong>du</strong> et répété<br />

mime parmi nous, quand elle a m enlever à<br />

ces peuples <strong>de</strong>s monuments qui sont pour eux une<br />

propriété publique et l'objet d'un culte particulier. ;<br />

On a dit qu'entre les nations policées, <strong>la</strong> victoire,<br />

et mime l'exemple <strong>de</strong>s Romains, n'autorisaient pas<br />

ces spoliations toujours odieuses, également condamnées<br />

par <strong>la</strong> politique et par <strong>la</strong> morale <strong>de</strong>s nations.<br />

Four moi, je l'aYoue 9 je souhaiterais <strong>du</strong> fond<br />

<strong>du</strong> cœur que ce fût le seul tort qu'on eût à nous reprocher.<br />

L'enlèvement <strong>de</strong> quelques tableaux, <strong>de</strong><br />

quelques statues, <strong>de</strong> quelques litres y est un mal qui<br />

peut être aussi aisément et aussi promptement réparé<br />

que commis. Mais jetez les yeux d'un bout <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> France à l'autre sur <strong>la</strong> nudité <strong>de</strong>s temples, et <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s<br />

ce qu'est détenue cette prodigieuse quantité<br />

<strong>de</strong> monuments <strong>de</strong> toute espèce, non-seulement<br />

sacrés pour <strong>la</strong> religion <strong>de</strong>s peuples, mais riches et<br />

précieux pour les arts, pour les antiquités, pour<br />

<strong>la</strong> gloire et l'ornement d'un grand empire : ils ne<br />

sont plus, et il faut <strong>de</strong>s siècles pour tes remp<strong>la</strong>cer.<br />

Parmi tant <strong>de</strong> maux et <strong>de</strong> crimes, on ne saurait<br />

s'arrêter aux moindres, et c'est un <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> ménager<br />

son indignation et ses <strong>la</strong>rmes.<br />

Médicis, maître <strong>de</strong> Florence, et le fameux pontife<br />

<strong>de</strong> Rome, Léon X, firent chercher dans toutes<br />

les bibliothèques les manuscrits <strong>de</strong>s anciens, et<br />

les presses les repro<strong>du</strong>isirent, enrichis <strong>de</strong> recherches<br />

instructives et d'obserïations estantes* Alors<br />

fut entièrement déchiré ce ? ©île épais et injurieux<br />

qu'une longue barbarie a?ait éten<strong>du</strong> sur <strong>la</strong> belle<br />

antiquité, lie sortit <strong>de</strong> ses ténèbres, et parut<br />

encore toute vivante, comme ees statues qui, enseteiîes<br />

pendant <strong>de</strong>s siècles sous les décombres<br />

amassés par les tremblements <strong>de</strong> terre et les boule­<br />

versements <strong>du</strong> globe, semblent encore, an moment<br />

où elles sont ren<strong>du</strong>es au jour, sortir <strong>de</strong>s mains <strong>de</strong><br />

Fourrier. De li cette espèce d'tdolltrieqn 1 elle inspira<br />

d f abord, et qui al<strong>la</strong> jusqu'à une sorte <strong>de</strong> fanatisme ;<br />

tant il est plus difficile en tout genre- <strong>de</strong> régler le<br />

mouvement <strong>de</strong> f esprit humain que <strong>de</strong> le lui donner<br />

ou'<strong>de</strong> le lui rendra. Les érudits et les commentateurs<br />

formèrent un peuple <strong>de</strong> superstitieux. La<br />

science fut pédantesque, et Fige suivant, par un<br />

autre excès, <strong>la</strong> Tendit ridicule. Mais les hommes<br />

instruits et équitables reconnaîtront toujours avec<br />

p<strong>la</strong>isir les obligations essentielles que nous avons<br />

à ces travailleurs infatigables, qui vieillissaient sur<br />

les parchemins, et s'enterraient vivants avec les<br />

morts. Nous leur reprochons <strong>de</strong> s'être trop-passionnés<br />

pour les objets <strong>de</strong> leurs veilles, comme si cette<br />

passion mime n'avait pas été un soutien nécessaire<br />

à leurs trataai ; d'avoir surchargé leurs commentai*<br />

res d'une érudition minutieuse et souvent mémo<br />

inutile, comme si nous n'étions pas trop heureux<br />

qu'ils ne nous aient <strong>la</strong>issé que rembarras <strong>de</strong> choi -<br />

sir. Us se per<strong>de</strong>nt quelquefois dans <strong>de</strong>s sentiers obs»<br />

cars et stériles; mais ils ont, les premiers» débarrassé<br />

<strong>la</strong> gran<strong>de</strong> route où nous marchons arfcerfieil<br />

sans obstacle. Us amassent péniblement quelques<br />

ronces ; mais ils ont défriché le champ où noua cueillons<br />

sans pêne les fruits et les leurs. He perdons<br />

pas une occasion <strong>de</strong> redire à ce siècle frivole et hautain<br />

, qu'il n'y a aucun mérite à mépriser tout, mais<br />

qu'il y en a beaucoup à profiter <strong>de</strong> tout. Est-ce à<br />

nous d'insulter aux savants <strong>du</strong> seizième siècle, quand<br />

nous jouissons <strong>du</strong> fruit <strong>de</strong> leur <strong>la</strong>beur? Ils ont porté<br />

jusqu'à l'abus l'étu<strong>de</strong> et l'amour <strong>de</strong> l'antiquité, je<br />

•le veux; mais <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>rnes, qui ne <strong>de</strong>vaient qu'aux<br />

lumières générales ce qu'ils pouvaient avoir d'esprit,<br />

ont beaucoup trop négligé cette même étu<strong>de</strong> dont<br />

ifs n'ont su que se moquer, comme <strong>de</strong>s héritiers<br />

étourdis et prodigues <strong>la</strong>issent en riant dépérir entre<br />

leurs mains une fortune immense, obscurément<br />

amassée par <strong>de</strong>s pères avares et <strong>la</strong>borieux.<br />

Tels ne furent point FArioste et le Tasse, qui<br />

tous <strong>de</strong>ux, versés dans l'ancienne <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong>s Romains,<br />

assez pour y écrire avec succès, aimèrent<br />

mieux illustrer celle <strong>de</strong> l'Italie mo<strong>de</strong>rne, et y tiennent<br />

encore le premier rang : l'un qui a fait oublier le<br />

Boyardoet le Pulci, en immortalisant leurs actions,<br />

qu'il embellissait <strong>de</strong>s charmes <strong>de</strong> son style; l'autre<br />

qui, précédé dans Fépopée pr le Trissin, ne prit <strong>de</strong><br />

lui que cette simplicité <strong>de</strong> p<strong>la</strong>n, cette unité d'action<br />

enseignée par les anciens, maistpi, rempli <strong>du</strong> beau<br />

feu qui les animait t et que <strong>la</strong> nature avait refusé au<br />

chantre trop faible <strong>de</strong> Vltaâm UbemÊa* vint se p<strong>la</strong>cer<br />

à côté d'Homère et <strong>de</strong> Yirgile, et ba<strong>la</strong>nça par l'inven-


SIECLE DE LOUIS XIV. — IOT10DHCTKM. 485<br />

lie» il fiMtéfit ce qui lui manque pour les égaler<br />

liais <strong>la</strong> poésie <strong>de</strong> style* Ou n'ignore pas que l'Italie<br />

e§t encore partagée d'opinion entre le Tasse et i'Arioste<br />

9 comme on.se partage encore entre Corneille<br />

et Racine, et <strong>de</strong>puis si longtemp entre Cieérou et<br />

Bémostbènes; ear le génie, ainsi que tontes les<br />

puissances conquérantes,' divise les hommes en les<br />

subjuguant, et ne se fait guère <strong>de</strong>s sujets sans se<br />

dire <strong>de</strong>s ennemis. Ce n'est pas ici le lien d'examiner<br />

tes titres <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux concurrents, qui passeront<br />

dans <strong>la</strong> suite sons nos yeux y quand nous nous occuperons<br />

particulièrement <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> étrangère.<br />

Ils ne sont nommés ici que comme étant <strong>du</strong>' petit<br />

nombre <strong>de</strong>s hommes supérieurs dont ïagloire<strong>de</strong>vknt<br />

celle <strong>de</strong> leur nation, et comme les <strong>de</strong>ux écrivains<br />

qui ont donné à <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue italienne toute <strong>la</strong> grâce<br />

et toute <strong>la</strong> force dont elle parait susceptible.<br />

C'était le temps où cette <strong>la</strong>ngue souple et flexible<br />

prenait tous les tons, et s'assurait dans tous les<br />

genres <strong>de</strong>s titres pour <strong>la</strong> postérité, L'auteur <strong>du</strong> Pm-<br />

twfid® disputait à celui <strong>de</strong> YAmkUe <strong>la</strong> palme <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

pastorale dramatique. Guiehardin atteignait à <strong>la</strong> dignité<br />

<strong>de</strong> Fhistoire. Fra-Paoio soutenait <strong>la</strong> liberté et<br />

<strong>la</strong> 'constitution <strong>de</strong> sa patrie, avec <strong>la</strong> plume et le<br />

courage d'un citoyen, contre <strong>la</strong> politiqucambitiéese<br />

<strong>du</strong> pontiieat romain : heureux, si cette louable fer*<br />

meté n'eût pas dégénéré par <strong>la</strong> suite en une partialité<br />

blâmable; si l'historien <strong>du</strong> concile <strong>de</strong> Trente,<br />

oubliant les querelles <strong>de</strong> Favocat <strong>de</strong> Yenise, eût<br />

écrit avec autant <strong>de</strong> fidélité que d'agrément et d'esprit;<br />

et si le défenseur <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté n'eût pas ini<br />

par être un <strong>de</strong>s disciples <strong>de</strong> Machiavel!<br />

Ce Florentin, nourri dans les conspirations, et pi<br />

commença par éehappr au <strong>de</strong>rnier supplice en résistant<br />

aux tortures, s'est acquis une déplorable celé*<br />

brité par son livre intitulé le Prince, qui n'est autre<br />

chose que <strong>la</strong> théorie <strong>de</strong>s forfaits et le co<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> tyrannie<br />

$ et dont on a très-gratuitement voulu justifier<br />

Fintention, d'après une <strong>de</strong>s rêveries d f Amelot<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Houssaye, qui crut avoir découvert que Machiavel<br />

n'avait professé le crime que pour en inspirer<br />

l'horreur. Il suffit <strong>de</strong> lire ses ouvrages pour se<br />

convaincre que, naturellement imbu <strong>de</strong> <strong>la</strong> politique<br />

italienne <strong>de</strong> son temps 9 qui n'était guère que <strong>la</strong> perfidie<br />

et <strong>la</strong> scélératesse, il employa tout ce qu'il avait<br />

d'esprit et <strong>de</strong> talent à ré<strong>du</strong>ire en système ce qu'il<br />

•oyait pratiquer tous les jours. Cette sorte <strong>de</strong> perversité<br />

peut se rencontrer dans un pays <strong>de</strong> révolution,<br />

tel qu'alors était l'Italie. Mais je dois observer<br />

aussi à ceux quî$ ne connaissant point <strong>la</strong> mesure <strong>de</strong>s<br />

choses, voient <strong>de</strong>s ressemb<strong>la</strong>nces où il n'y a que<br />

<strong>de</strong>s rappris éloignés, qu'on a fait injure à Machiavel<br />

en agrégeant à son école nos-docteurs révolu­<br />

tionnaires : <strong>la</strong> différence est très-gran<strong>de</strong>. Machiavel<br />

«aminé les occasions où Fanassinat et l'empoison*<br />

sèment, les moyens d'oppression, <strong>de</strong> di?Ision et <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>straction, peuvent être utiles ou nécessaires à <strong>la</strong><br />

puissance qui ne fait pas entrer <strong>la</strong> morale dans sa<br />

politique. Il raisonne le crime, mais il ne le consacre<br />

pas ; il n'en dissimule pas même les dangers, et en*<br />

seigae à en sauver l'horreur,* autant <strong>du</strong> moins qu'il<br />

est possible. S'il se fit trouvé avec <strong>de</strong>s hommes qui<br />

ne connussent d'autre politique que le pil<strong>la</strong>ge universel<br />

et le massacre universel, et qui posassent pour<br />

première base <strong>de</strong> gouvernement l'abolition <strong>de</strong> tout<br />

ordre social, moral ' et légal, comme le font encore<br />

aujourd'hui ceux qui veulent à toute force proc<strong>la</strong>mer<br />

le gouvernement révolutionnaire, il n'aurait vu<br />

en eux que <strong>la</strong> lie <strong>de</strong>s bandits <strong>de</strong> l'Europe, <strong>de</strong>venus<br />

fous <strong>de</strong>puis qu'on les a déchaînés ; et Machiavel, en<br />

vou<strong>la</strong>nt séprer <strong>la</strong> tyrannie* <strong>de</strong> <strong>la</strong> démence absolue,<br />

eût vraisemb<strong>la</strong>blement péri parmi nous, comme<br />

étant <strong>de</strong> <strong>la</strong>fœUm <strong>de</strong>s kowmm é'Èêat, ou <strong>de</strong> fa<br />

fmMm {kgmméêréi, ou <strong>de</strong> imfmiïm dm komn&eê<br />

•§em : on peut choisir.<br />

11 appartient à l'époque dont je par<strong>la</strong>is, par sa coméèMeàelmMmndMgwe,<br />

qui, <strong>de</strong> son temps, eut<br />

un grand succès, et dont nous avons une imitation<br />

dans les œuvres <strong>de</strong> J. B. Rousseau. Tout imparfaite<br />

qu'est pour nous cette pièce, elle donna <strong>la</strong> première<br />

idée <strong>de</strong> l'intrigue et <strong>du</strong> dialogue comique, comme <strong>la</strong><br />

Jr#à#iilf<strong>la</strong>? <strong>du</strong> Trissin fut <strong>la</strong> première tragédie composée<br />

d'après les règles d'Aristote. Mais ces essais,<br />

quoique dignes d'estime, furent alors <strong>de</strong>s semences<br />

stériles, et <strong>la</strong> poésie dramatique resta dans son enfance<br />

chez ces mêmes Italiens qui, dans les autres<br />

arts, étaient les précepteurs <strong>de</strong>s nations.<br />

Elle prenait cependant, non ps encore un vol '<br />

soutenu ni bien réglé, mais un essor quelquefois,<br />

très-élevé, chez <strong>de</strong>s pépies que Fltalie regardait<br />

comme <strong>de</strong>s barbares. L'Espagne, qui tenait <strong>de</strong>s<br />

Maures sa ga<strong>la</strong>nterie chevaleresque, ses tournois,<br />

ses poésies d'un tour oriental, et ses romances<br />

amoureuses, eut alors son Lopes <strong>de</strong> Yega, et, <strong>de</strong>puis<br />

, son Cal<strong>de</strong>ron, qui <strong>mont</strong>rèrent <strong>de</strong> l'invention,<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> fécondité, et un'génie théâtral, On sait que<br />

leurs innombrables 'drames, divisés en journées,<br />

sont dépourvus <strong>de</strong> tout ce que Fart enseigne, et <strong>de</strong><br />

tout ce que le bon sens prescrit; mais il j a cjes situations,<br />

<strong>de</strong>s effets! <strong>de</strong>s caractères même ; et c'est<br />

ce que n'ont point ou presque point nos meilleurs<br />

tragiques <strong>du</strong> même temps, aussi inférieurs aux Espagnols<br />

et aux Ang<strong>la</strong>is, que Corneille et Racine Ims<br />

ont été <strong>de</strong>puis supérieurs. C'est au même moment<br />

que parut chez les Ang<strong>la</strong>is leur Shakspeare, qui eut<br />

les beautés et les défauts <strong>de</strong> Lopes et <strong>de</strong> Cal<strong>de</strong>ron 9


GOURS DE UTTÉIATUEE,<br />

416<br />

mais fui, sans porter Fart plus lois qu'eu, remporta<br />

sur eu par us talent naturel, quelquefois<br />

élevé, jusqu'au sublime <strong>de</strong>s pensées, à l'éloquence<br />

<strong>de</strong>s passions fortes, à l'énergie <strong>de</strong>s caractères tragiques;<br />

Dans ces morceaux d'autant plus frappants<br />

qu'ils sont étiez lui plus rares et plus mêlés d'alliage,<br />

il fut, il est vrai, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> son siècle, où <strong>la</strong> véritable<br />

tragédie était ignorée partout; mais <strong>de</strong>puis<br />

que <strong>de</strong>s génies <strong>du</strong> premier ordre , sous Louis XIV et<br />

<strong>de</strong> nos jours, Font portée à sa perfection, il n'appartient<br />

plus qu'à k prétention -nationale chez les<br />

Ang<strong>la</strong>is, ou priai nous à <strong>la</strong> manie paradoxale, <strong>de</strong><br />

comparer les maîtres dans le premier <strong>de</strong>s arts cultivés<br />

par les nations éc<strong>la</strong>irées à un écrivain qui, dans<br />

<strong>la</strong> Barbarie <strong>de</strong> son pays et dans celle <strong>de</strong> ses écrits, It<br />

briller <strong>de</strong>s éc<strong>la</strong>irs <strong>de</strong> génie.<br />

Le Portugal pouvait se glorifier d'avoir donné i<br />

l'épopée un poète <strong>de</strong> plus, Camoëns, qui eut, à <strong>la</strong><br />

vérité» fort peu d'invention, mais qui, dans plus<br />

d'un endroit <strong>de</strong> sa Lmsim<strong>de</strong>f retraça Féléiration<br />

d'Homère, et, dans l'épiso<strong>de</strong> d'Inès, Feipression<br />

touchante <strong>de</strong> Virgile. Son poëme, trop au-<strong>de</strong>ssous<br />

<strong>de</strong> son sujet 9 qui était grand ; trop défectueux dans<br />

li p<strong>la</strong>nf qui est à peu près historique, se recommandait*<br />

surtout par l'espèce <strong>de</strong> beauté qui contribue<br />

le plus à faire vivre les outrages <strong>de</strong> poésie,<br />

celle <strong>du</strong> style.<br />

Le nord n'avait encore rien pro<strong>du</strong>it dans les arts<br />

<strong>de</strong> l'imagination,-mais il s Y illustrait d'une autre manière<br />

pr les services qu'il rendait aui sciences, et,<br />

quoiqu'elles n'entrent pas dans notre p<strong>la</strong>n, il contient<br />

au moins <strong>de</strong> les rapprocher ici un moment<br />

sous ce coup d'œil général que Je dois étendre sur<br />

tous les pas que faisait en mime temps l'esprit humain,<br />

qui, dans tous les États <strong>de</strong> l'Europe, reprenait<br />

le mouvement et <strong>la</strong> vie.<br />

Copernic l'est pas le premier, comme il est trop<br />

ordinaire <strong>de</strong> le croire, qui ait p<strong>la</strong>cé le soleil au<br />

centre <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, et qui ait <strong>la</strong>it tourner autour <strong>de</strong><br />

cet astre <strong>la</strong> terre et les p<strong>la</strong>nètes. Près <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mille<br />

ans avant lui, un <strong>de</strong>s disciples <strong>de</strong> Pythagore,<br />

Philo<strong>la</strong>is, avait publié ce système : il venait encore<br />

d'être discuté et soutenu à Rome, dans fe quinzième<br />

siècle. Mais il est resté à Copernic, parce<br />

qu'il réussît à le dé<strong>mont</strong>rer. 11 étendit et perfectionna,<br />

par ses méditations, cette ancienne théorie<br />

longtemps oubliée, et parvint à expliquer heureusement<br />

tous les phénomènes célestes par le double<br />

mouvement <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre, et par les révolutions régulières<br />

<strong>de</strong>s p<strong>la</strong>nètes autour <strong>du</strong> soleil, en proportion<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> distance où elles sont <strong>de</strong> cet astre, p<strong>la</strong>cé<br />

au centre <strong>de</strong> notre sphère. Galilée, dans FAge suivant<br />

, rendit sensibles aui yeu les vérités ensd-<br />

gnées par Copernic* Le Hol<strong>la</strong>ndais Hétius ••nait<br />

d'inventer les terres d'optique : Galilée, à Fable <strong>de</strong><br />

cette découverte, que ses ciféflences enrichirent<br />

encore, eoos <strong>mont</strong>ra <strong>de</strong> nouveaux astres dans les<br />

<strong>de</strong>ux. Grâces à lui, et à Torricelli son disciple, qui<br />

nous ût connaître le pesanteur <strong>de</strong> Fair, lltalie, déjà<br />

si prédominante dans les lettres et les arts, eut<br />

aussi son rang dans l'histoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie. En<br />

Allemagne, Tycho-Brahé et Kepler, Fun, malgré<br />

ses erreurs, regardé comme le bienfaiteur <strong>de</strong>s sciences<br />

amquelles il consacra son temps et sa fortune;<br />

l'autre, nommé pr les savants le légis<strong>la</strong>teur <strong>de</strong><br />

l'astronomie et le digne précurseur <strong>de</strong> Hewton, dé»<br />

dommagèrent leur patrie <strong>de</strong> ce qui lui manquait<br />

dans les arts d'agrément. L'Angleterre, <strong>de</strong>stinée à<br />

<strong>de</strong>venir bientôt <strong>la</strong> .légis<strong>la</strong>trice <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> dans lea<br />

sciences eiactes et dans <strong>la</strong> saine métaphysique,<br />

pouvait dès lors opposer à tous les grands hommes<br />

que j'ai nommés le chancelier Bacon, Fun <strong>de</strong> ces<br />

esprits hardis et indépendants qui doivent tout i<br />

l'étu<strong>de</strong> approfondie <strong>de</strong> leurs propres idées ; et à l'habitu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> considérer les objets comme si personne<br />

ne les a?ail considérés auparavant. Il remplit toute<br />

l'éten<strong>du</strong>e <strong>du</strong> titre qu'il osa donner, d'après <strong>la</strong> conscience<br />

<strong>de</strong> son génie, à ce livre immortel*, qui apprit<br />

à <strong>la</strong> philosophie à ne plus faire un pas sans<br />

s'appuyer sur le bâton <strong>de</strong> l'expérience; et c'est en<br />

suivant ses leçons que <strong>la</strong> physique est <strong>de</strong>venue tout<br />

ce qu'elle pouvait et <strong>de</strong>vait être, <strong>la</strong> science <strong>de</strong>s faits,<br />

<strong>la</strong> seule permise à l'homme, si longtemps condamné<br />

par son orgueil à déraisonner sur les causes, faute<br />

<strong>de</strong> reconnaître qu'il était condamné par sa nature<br />

h les ignorer.<br />

La France ( il a fallu inir par elle : elle est Tenue<br />

tard dans tous les genres; mais elle a passé,<br />

dans plusieurs, les nations qui l'avaient précédée),<br />

<strong>la</strong> France était alors bien loin <strong>de</strong> pouvoir ba<strong>la</strong>ncer<br />

tant <strong>de</strong> gloire. Descartes n'était pas né. La <strong>la</strong>ngue<br />

n'avait ni pureté ni correction. Ce qu'elle avait pro<strong>du</strong>it<br />

<strong>de</strong> meilleur en vers et en prose n'avait pu servir<br />

qu'à ses progrès, encore lents et bornés, sans<br />

donner à notre <strong>littérature</strong> cet éc<strong>la</strong>t qui ne se répand<br />

au <strong>de</strong>hors que quand une <strong>la</strong>ngue est à peu près<br />

filée. L'historien <strong>de</strong> Thou pouvait être réc<strong>la</strong>mé par<br />

les Latins, dont il avait emprunté <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue, et imité<br />

l'élégance, le goût et le jugement, te théâtre français,<br />

<strong>de</strong>venu <strong>de</strong>puis le premier <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, n'existait<br />

pas, Âmyot en prose et Marot en poésie se distinguaient<br />

surtout par un caractère <strong>de</strong> naïveté qui est<br />

encore senti aujourd'hui parmi nous ; mais <strong>la</strong> noblesse<br />

et <strong>la</strong> régu<strong>la</strong>rité d'une diction soutenue, et Ici<br />

1 JVOMMI êetentMmM Or§mmmm.


SIÈCLE DB LOUIS XIV. — nOBGDUCIIOlf.<br />

convenances au style proportionné an sujet, étaient<br />

<strong>de</strong>s mérites ignorés. La scène, te barbeau* <strong>la</strong> chaire,<br />

n'avaient qu'un même tonf également indigne <strong>de</strong><br />

tous trois. Les malheureux efforts <strong>de</strong> Ronsard pour<br />

transporter dans le français les procédés <strong>du</strong> grée et<br />

<strong>du</strong> <strong>la</strong>tin , prouvèrent qu'inutilement rempli <strong>du</strong> génie<br />

<strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngues anciennes 9 il n'était pas en état <strong>de</strong><br />

saisir celui qui était propreà <strong>la</strong> sienne. Deux hommes<br />

seuls, mais sons <strong>de</strong>s rapports aussi éloignés que<br />

les <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> leur mérite « paient attirer l'attention<br />

: ce sont Rabe<strong>la</strong>is et Montaigne. Le premier<br />

était aussi naturellement gai9 que le second naturellement<br />

raisonnable; mais l'un abusa presque<br />

toujours <strong>de</strong> 6a gaieté jusqu'à <strong>la</strong> plus basse bouffon*<br />

iierie; l'autre <strong>la</strong>issa quelquefois aller <strong>la</strong> paresse <strong>de</strong><br />

sa raison jusqu'à l'excès <strong>du</strong> scepticisme. Rabe<strong>la</strong>is,<br />

à qui <strong>la</strong> Fontaine troufait tant d'esprit, et qui<br />

réellement en avait, ne l'exerça que dans k genre<br />

le plus facile, celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> satire allégorique, habillée<br />

en grotesque. 11 fou<strong>la</strong>it se moquer <strong>de</strong>. tous<br />

ses contemporains, <strong>de</strong>s roisy <strong>de</strong>s grands y <strong>de</strong>s prétres9<br />

<strong>de</strong>s magistrats, <strong>de</strong>s religieux et <strong>de</strong> <strong>la</strong> religion ;<br />

et pour jouer impunément ce râle, toujoum.un peu<br />

dangereux 9 il prit celui <strong>de</strong> ces fous <strong>de</strong> cour à qui<br />

Ton permettait tout, parce qu'ils fusaient rire,<br />

et qui disaient quelquefois k vérité.sans danger,<br />

parce qu'ils <strong>la</strong> disaient sans conséquent». A l'égard<br />

<strong>de</strong> son talent, on m a dit trop et trop peu.<br />

Ceux que a rebutait son <strong>la</strong>ngage bisarre et obscur<br />

ont <strong>la</strong>issé là Rabe<strong>la</strong>is comme un insensé : ceux qui<br />

ont travaillé à le déchiffrer ont. exalté son mérite<br />

en raison <strong>de</strong> ce qu'il leur avait coûté à entendre.<br />

Au fond, il a, parmi beaucoup <strong>de</strong> fatras et d'or<strong>du</strong>res,<br />

<strong>de</strong>s traits et même <strong>de</strong>s morceaux pleins<br />

d'une verve satirique, originale et piquante; et,<br />

après tout, on ne saurait croire qu'un auteur que<br />

•<strong>la</strong> Fontaine lisait sans cesse> et dont il a souvent<br />

profité ,t n'ait été qu'un fou vulgaire.<br />

Montaigne était sans doute un esprit d'une trempe<br />

fort supérieure. Ses connaissances ttaient plus<br />

éten<strong>du</strong>es et mieux digérées que celles <strong>de</strong> Rabe<strong>la</strong>is :<br />

aussi se proposa-t-il un objet bien plus relevé et<br />

plus difficile à atteindre. Ce ne fut pas <strong>la</strong> satire<br />

<strong>de</strong>s vices et <strong>de</strong>s abus <strong>de</strong> son temps, attaqués déjà<br />

<strong>de</strong> tous cAtés ; ce fut l'homme tout entier et tel<br />

qu'il est partout qu'il voulut examiner en s'examinent<br />

lui-même, il avait voyagé et beaucoup ta;<br />

mais il fondit son érudition dans sa philosophie!<br />

Après avoir écouté les anciens et les mo<strong>de</strong>rnes,<br />

il se <strong>de</strong>manda ce qu'il en pensait. L'entretien fut<br />

assez long, et il y avait en effet <strong>de</strong> quoi parler<br />

longtemp. Avouons d'abord les défauts : c'est par<br />

là qu'il faut commencer avec les gens qu'on almef<br />

437<br />

afin <strong>de</strong> les.louer ensuite plus à son aiae. Sa dietion<br />

est incorrecte, même pour le temps, quoiqu'il ait<br />

donné à <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong>s expressions et <strong>de</strong>s tournures<br />

qu'elle a gardées comme <strong>de</strong> vieilles richesses ; il<br />

abus© <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> converser, et perd <strong>de</strong> vue le<br />

point <strong>de</strong> <strong>la</strong> question établie; il été <strong>de</strong> mémoire, et<br />

fût <strong>de</strong>s applications fausses ou forcées <strong>de</strong> plus tf un<br />

passage; il resserre trop les bornes <strong>de</strong> nos conceptions<br />

sur plusieurs objets «que, <strong>de</strong>puis M, l'expérience<br />

et <strong>la</strong> lélexion n'ont pas trouvés inaccessibles.<br />

Tels sont, je crois, les*reproches qu'on peut lui<br />

faire : ils sont effacés pr les éloges qu'on lui doit.<br />

Comme écrivain, il a imprimé à <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue une<br />

sorte cf énergie familière qu'elle n'avait pas avant<br />

lui, et qui ne s'est point usée, parce qu'elle tient à<br />

celle <strong>de</strong>s sentiments et <strong>de</strong>s pensées, et qu'elle ne s'éloigne<br />

pas f comme dans Ronsard 9 <strong>du</strong> génie <strong>de</strong> notre<br />

idiome. Comme philosophe, il a peint l'homme tel<br />

qu'il est, sans l'embellir avec comp<strong>la</strong>isance, et sans<br />

le défigurer avec misanthropie. Ses écrits ont un<br />

eajractère <strong>de</strong> bonne foi qui leur est particulier : m<br />

n'est pas un livre qu'on lit; c'est une conversation<br />

qu'on écoute. Il persua<strong>de</strong> d'autant plus qu'il parait<br />

moins enseigner, il parle souvent <strong>de</strong> lui, mais <strong>de</strong><br />

manière à vous occuper <strong>de</strong> tous ; et il n'est ni vain,<br />

pî ennuyeux, ni hypocrite; troiA choses très-dillciles<br />

à éviter, quand on se met soi-même en scène<br />

dans ses écrits. Il n'est jaraail sec : son, âme ou mm<br />

caractère sont partout. Et quelle foule d'idées sur<br />

tous les sujets! quel trésor <strong>de</strong> bon sens! que <strong>de</strong><br />

confi<strong>de</strong>nces où son histoire est aussi celle <strong>du</strong> lee-<br />

• teur l'Heureux qui retrouvera <strong>la</strong> sienne propre dans<br />

ce chapitre sur famille, qui a immortalisé le nom<br />

<strong>de</strong> l'ami <strong>de</strong> Montaigne ! Ses Eôsals sont le livre <strong>de</strong><br />

tous ceux qui lisent, et même <strong>de</strong> ceux qui ne lisent<br />

pas.<br />

Nous avançons vers Fe dix-septième siècle, qui<br />

fat enfin celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> France. La <strong>la</strong>ngue commençait<br />

à s'épurer; elle prenait <strong>de</strong>s formes plus exactes,<br />

un ton plus noble et; plus soutenu; elle acquérait<br />

<strong>de</strong> l'harmonie dans les vers <strong>de</strong> Malherbe et<br />

dans 1a prose <strong>de</strong> Balzac : mais celui-ci t moins occupé<br />

<strong>de</strong>s choses que <strong>de</strong>s mots, et s'appliquent surtout<br />

à l'arrangement et au nombre <strong>de</strong> <strong>la</strong> phrase,<br />

qui semb<strong>la</strong>ientators <strong>de</strong>s miracles, parce qu'ils étaient<br />

<strong>de</strong>s nouveautés, écrivit <strong>de</strong> manière que sa gloire,<br />

moins attachée au mérite <strong>de</strong> ses ouvrages qu'aux<br />

services- qu'il rendait à notre <strong>la</strong>ngue, est presque<br />

tombée dans l'oubli quand il est <strong>de</strong>venu inutile.<br />

C'est pentétre une espèce d'ingratitu<strong>de</strong>, mais qui<br />

ne prattra ps sans excuse, si l'on se souvient que<br />

<strong>du</strong> moins les écrivains <strong>de</strong> cette c<strong>la</strong>sse ont joui d'une<br />

réputation proportionnée au p<strong>la</strong>isir qu'ils procuraient<br />

à leurs contemporain!; que lea jouissances


438<br />

COUÈS DE LITTÉiâTIJBB.<br />

<strong>de</strong>s lenteurs Mit <strong>la</strong> mesure naturelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> celé* mène en épigranunes et en Jeux <strong>de</strong> mots. Lt Mm-<br />

brité <strong>de</strong> l'écrivain, et qu'en m genre née générartamm <strong>de</strong> Tristan et <strong>la</strong> Sêpàmdslm <strong>de</strong> Maire! sont<br />

tion ne se charge guère <strong>de</strong> <strong>la</strong> reconnaissance d'une infectées <strong>de</strong> ce ridicule style ; et c'étaient encore les<br />

autre. Malherbe, plus heureux, animant ses ouvra­ merveilles <strong>de</strong> notre théâtre, au moment où Corneille<br />

ges <strong>du</strong> feu <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie, et y répandant <strong>de</strong>s beautés donnait h CM et Cimm. B'un autre edté, les ro­<br />

<strong>de</strong> tous les temps , a conservé <strong>de</strong>s droits sur <strong>la</strong> posmanciers espagnols dont 'Cervantes se moquait si<br />

térité t en même temps qu'il enseignait à nos aïeux agréablement dans son pays, mais qu'on admirait<br />

1* rbythrae qui convient à notre versification, les dans le nôtre, nous avaient accoutumés à donner<br />

règles essentielles <strong>de</strong> nos différents mètres et fart aux héros <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie un ton ampoulé qui res­<br />

<strong>de</strong> les entremêler, le mouvement et les suspensions semb<strong>la</strong>it au sublime comme <strong>la</strong> forfanterie révolu­<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> phrase poétique, l'usage légitime <strong>de</strong> PI o fertionnaire ressemble à <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur romaine; et<br />

ait! y le choix et r-effat <strong>de</strong> <strong>la</strong> rime.<br />

l'exagération <strong>de</strong>s sentiments et <strong>de</strong>s idées se mê<strong>la</strong>nt<br />

Le bon goût avait cependant bien <strong>de</strong>s obstacles avec les subtilités épigrammatiques, il en résultait<br />

mmm à sur<strong>mont</strong>er; et il fal<strong>la</strong>itf suivant une mar­ l'assemb<strong>la</strong>ge 1® plus monstrueux. La comédie, égale*<br />

che assez ordinaire aux hommes, passer par toutes ment calquée sur celle d'Italie et d'Espagne, n'était<br />

les mmwwwkm routes, avant <strong>de</strong> rencontrer le bon qu'uneautre espèce <strong>de</strong> roman dialogué, une soited'in-<br />

chemin. Nos progrès étaient retardés par ce même* ë<strong>de</strong>nts <strong>de</strong>stitués à <strong>la</strong> fois <strong>de</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce et <strong>de</strong> dé­<br />

esprit d'imitation, qui pourtant est nécessaire au cernée, ce qu'on appelle encore aujourd'hui imèroglto,<br />

moment où les arts renaissent, mais qui a ses in­ c'est-à-dire <strong>de</strong>s travestissements, <strong>de</strong>s déguisements<br />

convénients comme sea avantages. Si les premiers <strong>de</strong> sexe, <strong>de</strong>s méprises forcées, <strong>de</strong> longues scènes <strong>de</strong><br />

modèles à qui f es s'attache ne sont pas'absolument nuit, <strong>de</strong>s friponneries <strong>de</strong> valets, .enfin toutes ces<br />

purs, ils sont dangereux, en ce qu'on est d'abord machines grossières, déeréditées parmi nous pen-<br />

bien plus facilement porté à imiter leurs défauts dantcent ans, <strong>de</strong>puis que Molière nous eut fait oon-<br />

que leurs beautés. Quand les Romains <strong>de</strong>mandèrent naître <strong>la</strong> vraie comédie d'intrigue, <strong>de</strong> moeurs et <strong>de</strong><br />

aux Grecs <strong>de</strong>s leçons <strong>de</strong>. poésie et d'éloquence, le caractère, mais qui <strong>de</strong> nos jours ont reparu en triom­<br />

goât <strong>de</strong>s maîtres était assez parfait pour ne pas égaphe sur tons les théâtres, parce qu'enfin il faut <strong>du</strong><br />

rer les disciples. Mais ritalie et l'Espagne, qui don­ nouveau, et que rien ne parait plus neuf à <strong>la</strong> mulnaient<br />

encore le ton à toute l'Europe, quand les titu<strong>de</strong> que ce qui était usé il y a cent ans.<br />

lettre! naissaient en France, avaient <strong>de</strong>ux défauts Le style, qui tient beaucoup plus qu'on ne croît<br />

très-graves, et malheureusement très-sé<strong>du</strong>isants, communément au caractère général <strong>de</strong> <strong>la</strong> compo­<br />

qui dominaient dans leur <strong>littérature</strong>, et dont même sition, puisqu'il est assez naturel <strong>de</strong> s'exprimer<br />

leurs meilleurs écrivains n'étaient pas exempts. comme on pense, te style n'était pas meilleur que<br />

L'enflure espagnole et l'affectation italienne <strong>de</strong>vaient Je fond. C'était celui <strong>de</strong>s farces d'Italie, le jargon<br />

doue régner en France avant qu'on eût appris à <strong>de</strong> TrïveMn et <strong>de</strong> Scaramouche. Ce bas comique,<br />

étudier le vrai goût chez les anciens. La <strong>la</strong>ngue fait pour <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>ce, et non pour les honnêtes<br />

<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux nations était familière aux Français : gens, était en possession <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire au point que,<br />

nos fréquentes expéditions en Italie, le luxe <strong>de</strong>s même dans <strong>la</strong> comédie héroïque ou tragi-comédie,<br />

princes <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison <strong>de</strong> Médicis et nos alliances il y avait d'ordinaire un personnage bouffon qui<br />

avec eux, l'éc<strong>la</strong>t <strong>du</strong> règne <strong>de</strong> Charles-Quint, l'in­ était it grocimo dès Espagnols; et on le retrouve<br />

fluence sinistre <strong>de</strong> Philippe II, <strong>du</strong> temps <strong>de</strong> <strong>la</strong> Ligue, jusque dans les premiers opéras <strong>de</strong> Quinault, qui<br />

toutes ces causes réunies avaient donné sur nous, pourtant finit par en purger <strong>la</strong> scène lyrique, comme<br />

à'nos voisins <strong>du</strong> Midi, cet ascendant <strong>de</strong> <strong>la</strong> mo<strong>de</strong> le grand Corneille en purgea le théâtre français<br />

qu'ont eu <strong>de</strong>puis ceux <strong>du</strong> Nord. Livres, jeux, spec­ dans k CM, représenté d'abord, comme on sait,<br />

tacles, vêtements, tout fut alors en France italien sous le titre <strong>de</strong> tragi-comédie.<br />

ou espagnol : leurs auteurs étaient dans les mains Cet amour pour <strong>la</strong> bouffonnerie donna naissance<br />

<strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong>, et faisaient partie <strong>de</strong> notre é<strong>du</strong>­ au genre burlesque, qui eut aussi son moment <strong>de</strong><br />

cation. H os poètes se réglèrent sur eux. La poésie vogue, et dont Scarron fut le héros. Mais, pour<br />

ga<strong>la</strong>nte s'empara <strong>de</strong> ces pointes <strong>du</strong> bel-esprit ita* réunir les <strong>de</strong>ux extrêmes <strong>du</strong> mauvais goût, il rélien<br />

appelées eoncetêi, et <strong>de</strong> là ce déluge <strong>de</strong> fa<strong>de</strong>urs ' gnait en même temps une autre sorte <strong>de</strong> travers, le<br />

a<strong>la</strong>tnbiquées, ou l'amant qu'on entendait le moins style préeieui, qui est l'abus <strong>de</strong> <strong>la</strong> délicatesse,<br />

passait pour celui qui s'exprimait le mieux. La poé. comme le burlelque est l'abus <strong>de</strong> <strong>la</strong> pieté. Une so­<br />

aie dramatique eut <strong>la</strong> même ambition, et les auteurs ciété qui <strong>de</strong>puis longtemps n'est guère citée qu'en<br />

les plus estimés en ce genre firent parler Mdpo- ridicule 9 mais qui, par le rang et le mérite <strong>de</strong> ceux


SIÈCLE JMË LOUIS XIV. — 1NTEOBUCT10N.<br />

fui <strong>la</strong> corapsaient, <strong>de</strong>vait avoir une gran<strong>de</strong> in­ leurs livres élémentaires, qui ont fourni tant <strong>de</strong><br />

fluence, le fameux àêtel <strong>de</strong> Rambouillet contribua se<strong>cours</strong> pur <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngues | tous leurs<br />

plu qse tout le reste i mettre, en faveur ce <strong>la</strong>ngage ou?rages écrits sainement et avec pureté, et et mé­<br />

obscur et affecté, qu'on prenait pur l'exquise porite qui n'appartient qu'à <strong>la</strong> supériorité, <strong>de</strong> savoir<br />

litesse, et qui n'était qm le pédanisme <strong>de</strong> l'esprit 9 <strong>de</strong>scendre pur instruire; voilà leurs titres dans <strong>la</strong><br />

remp<strong>la</strong>çant le pédantisœe <strong>de</strong> l'érudition. Si Ton se postérité; voilà ce qui servit à consommer <strong>la</strong> révo­<br />

rappelle que c'était un Richelieu! un Condé, un lution que le goût attendait pur éc<strong>la</strong>irer le génie.<br />

Montausier, qui fréquentaient cette maison célèbre Pour tout dire en un mot, c'est <strong>de</strong> leur école que<br />

m l'amour et <strong>la</strong> poésie étaient soumis à l'analyse sont sortis Pascal et Racine : Pascal, qui nous<br />

<strong>la</strong> plus sophistique, on concevra également que ces donna le premier ouvrage où <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue ait paru<br />

hommes si grands, chacun dans leur c<strong>la</strong>sse, pouvaient<br />

n'être pas #exetlesttt maîtres en fait <strong>de</strong><br />

liée 9 et où elle ait pris tous les tons <strong>de</strong> l'éloquence ;<br />

Racine, le modèle éternel <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie française.<br />

goût, et pourtant faire <strong>la</strong> loi à celui <strong>de</strong>s autres. Ces noms caractérisent l'époque qu'on ipplle<br />

Quant aux gens <strong>de</strong> lettres, c'étaient, Chape<strong>la</strong>in, encore le siècle <strong>de</strong> Louis XI? * Le dix*huitième s*ou-<br />

fui, n'ayant point encore donné sa Pœdk9 psvre ensuite <strong>de</strong>vant nous : spectacle d'autant plus<br />

sait ponr le premier <strong>de</strong>s 'poètes ; Ménage 9 qui d'ail» intéressant qu'il forme presque en tout'un con­<br />

leurs ne îaanquait ni <strong>de</strong> connaissances ni mime <strong>de</strong> traste aveci'autre, particulièrement par <strong>la</strong> nouvelle<br />

jupmiit, puisqu'il fut le premier à rendre justice philosophie qu'il vit nattre en ses premières années,<br />

i Mollre, .quand Molière <strong>la</strong> It <strong>de</strong>s précêemes ri- et que les <strong>de</strong>rnières ont dû nous mettre à portée<br />

aftaJat; Yoiture, <strong>de</strong> tous les beau-esprits le plus à d'apprécier. Je n'ai pas besoin <strong>de</strong>. dire que sur cet<br />

<strong>la</strong> mo<strong>de</strong>, qui, bien venu à <strong>la</strong> cour où il avait <strong>de</strong>s objet <strong>de</strong> première imprtance j'énoncerai mon opi­<br />

p<strong>la</strong>ces honorables, homme <strong>de</strong> lettres et homme <strong>du</strong> nion tout entière, telle qu'elle est, sans m'embar*<br />

mon<strong>de</strong>, avait une <strong>de</strong> ces réputations ipposantes rasser aucunement <strong>de</strong> ceux qui croiraient voir ici un<br />

fan l'on craint d'attaquer, et <strong>de</strong>vant qui Boitai <strong>de</strong>voir ou un intérêt à <strong>la</strong> modiler, ou à <strong>la</strong> soumettre<br />

bii-Qiàne, à <strong>la</strong> férilé jeune encore, se prosterna à <strong>de</strong> préten<strong>du</strong>es considérations qui, étant étrangères<br />

comme toute <strong>la</strong> France. Quoiqu'elle ait reconnu <strong>de</strong>­ à <strong>la</strong> vérité, doivent l'être à celui qui <strong>la</strong> dit. Je sais<br />

puis, avec ce mime Boileau, tous les iéfeats <strong>de</strong> <strong>la</strong> taire lorsqu'elle serait sans effet; mais dès que je<br />

¥oiture9 il ne faut pas croire qu'il ait été absolument<br />

inutile. Il avait l'esprit In et délicat, et dans<br />

<strong>la</strong> crois bonne à entendre, il n'est pas en moi <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

dire à <strong>de</strong>mi. 11 put exister un puvoir qui m'em­<br />

plusieurs <strong>de</strong> ses écrits il donna <strong>la</strong> première idée <strong>de</strong> pêche <strong>de</strong> prier : il n'y en a pint qui m'empêche<br />

cil art heureux et difficile que Yoltaïre a si éminem­ <strong>de</strong> prier comme je pnse. Ce ne sera pas ma fente<br />

ment possédé dans <strong>la</strong> poésie badine et dans le style si je ne prviens pas à détrompr ceux qui se per­<br />

épisto<strong>la</strong>ire, l'art <strong>de</strong> rapprocher et <strong>de</strong> familiariser ensua<strong>de</strong>nt si follement, ou qui voudraient se prsuasemble<br />

le talent et <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur, sans compromet<strong>de</strong>r encore, qu'ils sont faits pur comman<strong>de</strong>r à l'otra<br />

ni l'un ni l'autre. L'hôtel <strong>de</strong> Rambouillet servit pinion, qu'en faisant le mal ils ont changé <strong>la</strong> nature<br />

aussi à quelque chose : il accoutumait à avoir <strong>de</strong> <strong>du</strong> bien, que prsoaae ne put plus honorer ce<br />

l'esprit sur tous les objets ; et c'est par là qu'if faut qu'ils insultent, ni louer ce qu'ils ont détruit ou<br />

commencer. On apprend ensuite à n'avoir sur cha­ voudraient détruire, ni détester ce qu'ils font ou<br />

que objet que <strong>la</strong> sorte d'esprit convenable; et c'est voudraient faire, ni mépriser ce qu'ils voudraient<br />

par là qu'il faut Inir : c'est l'abrégé <strong>de</strong> <strong>la</strong> perfection mettre en honneur; et que si ce n'est plus, comme<br />

et <strong>du</strong> goût.<br />

autrefois, <strong>la</strong> terre entière, au moins c'est toute <strong>la</strong><br />

11 ouwit son école à Port-<strong>Royal</strong>; et si l'esprit <strong>de</strong> France qui doit être à jamais l'esc<strong>la</strong>ve et l'écho <strong>de</strong><br />

•este, fait pur tout gâter, engagea ces grands hom­ leur atroce extravapncè. Il ne tiendra pas à moi <strong>de</strong><br />

mes dans <strong>de</strong> malheureuses querelles qui troublèrent dissiper cet étrange rêve d'un orgueil surhumain,<br />

leur siècle » et dont le funeste contre-coup s'est fait et <strong>de</strong> leur <strong>mont</strong>rer leurs systèmes absur<strong>de</strong>s y renfer­<br />

sentir jusque dans le nôtre, ici nous ne foyons en més avec eux dans le cercle très-étroit <strong>de</strong> leur exis- ,<br />

tut que les bienfaiteurs <strong>de</strong>s lettres t et nous ne pu­ teate très-précaire, et conspués «avec horreur par le<br />

ions que rendre gommage aux monuments qu'ils mon<strong>de</strong> entier. C'est même, je dois l'avouer, cet in­<br />

nous ont <strong>la</strong>issés. Héritiers et disciples <strong>de</strong> <strong>la</strong> littératérêt sacré <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité nécessaire, qui peut seul me<br />

ture <strong>de</strong>s anciens, ils nous apprirent à le <strong>de</strong>venir. soutenir dans une carrière <strong>la</strong>borieuse ; dans une car­<br />

Les excellentes étu<strong>de</strong>s qu'ils dirigeaient, leurs prinrière qui, après tant d'événements, ne put plus être <strong>la</strong><br />

cipes <strong>de</strong> grammaire et <strong>de</strong> logique, les meilleurs que même ; qui autrefois, par ses rapprts avec mes goûts<br />

l'oneonnflt jusqu'à eux, et bons encore aujourd'hui ; les plus ehers, puvait paraître uni! suite <strong>de</strong> jouis-<br />

419


440<br />

C0U1S DE LITTÉIÂTOIE.<br />

sance,et qui est aujourd'hui en elle-même un <strong>la</strong>erilee<br />

et no dévouement. Mon que j'aie pu <strong>de</strong>venir insensîMe<br />

à ces arts que j'ai tant aimés, ni surtout atii<br />

témoignages <strong>de</strong> bienveil<strong>la</strong>nce qu'ils m'ont procurés<br />

ici dans tous les temps, et qui sont restés dans mon<br />

coeur ; maïs, je ne le dissimulerai point, le charmes'est<br />

éloigné et affaibli : et que n'altéreraient pas nos longues<br />

années <strong>de</strong> révolution? Je sais que <strong>la</strong> faculté<br />

d'oublier jBst uo <strong>de</strong>s biens <strong>de</strong> l'homme, qui ne pourrait<br />

guère supporter à <strong>la</strong> fois et tout le passé et unit<br />

le présent; mais cette facilité, comme toutes les autres,<br />

doit avoir sa mesure ; et qui oublie trop et trop<br />

tel n'est ni assez instruit ni assez corrigé. J'excuse<br />

et n'envie point ceui qui peuvent vivre comme s'ils<br />

n'avaient ni souffert ni vu souffrir; mais qu'ils me<br />

pardonnent <strong>de</strong> ne pouvoir les imiter. Ces jours d'une<br />

dégradation entière et inouïe <strong>de</strong> k nature humaine<br />

sont sous mes yeux, pèsent sur mon âme, retombent<br />

sans cesse sous ma plume, <strong>de</strong>stinée à Jes retracer<br />

jusqu'à mon <strong>de</strong>rnier moment. Dans cette situation<br />

d'esprit, les lettres ne sont plus pour moi qu'une<br />

distraction innocente, et les arts ne se présentent<br />

plus à mon imagination que pour colorier les imposantes<br />

et déso<strong>la</strong>ntes idées qui peuvent seules m'oocuper<br />

tout entier. Sans doute, ceux qui ont tout oublié<br />

ne sauraient ra'entendre; mais je dirai à ceux<br />

qui pleurent encore, Et moi aussi je pleure avec ?ous.<br />

La douleur <strong>de</strong> l'homme sensible est comme <strong>la</strong> <strong>la</strong>mpe<br />

religieuse et solitaire qui veille auprès <strong>de</strong>s tombeaux;<br />

et qui serait assez barbare pour l'éteindre?<br />

D'ailleurs il ne faut pas s'y tromper : toutes les vérités<br />

se tiennent par <strong>de</strong>s liens plus ou moins apparents,<br />

mais toujours réels; et bien loin que <strong>la</strong> morale<br />

nuise au goût et au talent, elle épure et enrichit<br />

l'un et l'autre. Je p<strong>la</strong>ins ceux qui ne savent pas qu'il<br />

y a une dépendance secrète et nécessaire entre les<br />

principes qui fon<strong>de</strong>nt l'ordre social et les arts qui<br />

l'embel lissent. Je persisterai donc à joindre l'un avec<br />

l'autre, et je ne séparerai point ce que <strong>la</strong> nature a<br />

réuni. Je continuerai à regar<strong>de</strong>r avec compassion,<br />

plus encore qu'avec mépris, ces nouveaux précepteurs<br />

<strong>de</strong>s nations, qui si tristement et si fièrement<br />

seuls contre l'univers, contre l'expérience <strong>de</strong>s siècles<br />

, contre le cri <strong>de</strong> tous les sages, contre <strong>la</strong> conscience<br />

<strong>de</strong> tous les hommes, en sont venus à ne pas<br />

concevoir que l'on puisse lever les yeux vers <strong>la</strong> suprême<br />

justice qui règne éternellement dans k ciel,<br />

quand le crime règne un moment sur <strong>la</strong> terre : incurables<br />

fous, condamnés à ne se douter jamais <strong>de</strong><br />

réten<strong>du</strong>e <strong>de</strong> leur sottise et <strong>de</strong> <strong>la</strong> richesse <strong>de</strong> leurs<br />

ridicules; semb<strong>la</strong>bles à ces malheureux privés <strong>de</strong><br />

toute raison, qui, éta<strong>la</strong>nt leur nudité et leur folie,<br />

se moquent <strong>de</strong> tout ce qui n'est pas dégradé iê<br />

même, et rient <strong>de</strong> ceux fil ont pitié d'eux. Enfin,<br />

je ne cesserai <strong>de</strong> signaler ceux qui s'efforcent obstinément<br />

<strong>de</strong> séparer <strong>la</strong> terre <strong>du</strong> ciel, parce que le ciel<br />

les condamne, et qu'ils veulent envahir k terre; et<br />

Ton ne m'dtera ni l'horreur <strong>du</strong> mal ni l'espérance<br />

<strong>du</strong> bien » donec tromemt îniquîim*<br />

CHAPITRE PREMIER. — De ta Poésie frmçmim<br />

avant et <strong>de</strong>puis Marot Jusqu'à CorneMk.<br />

La poésie a été le berceau <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue français®!<br />

comme <strong>de</strong> presque toutes les <strong>la</strong>ngues connues.<br />

L 9 idiome provençal, qui était cekiï <strong>de</strong>s troubadours,<br />

nos plus anciens poètes, est le premier parmi<br />

nous qu'elle ait parlé, et même avec succès, pendant<br />

plusieurs siècles *. Us nues donnèrent k ri.ii»,<br />

soit qu'ils en fussent les inventeurs, soit qu'ils f eussent<br />

empruntée <strong>de</strong>s Maures d'Espagne f comme on<br />

le croit avec d'autant plus <strong>de</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce f»<br />

<strong>la</strong> rime chez les Arabes était <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus haute antiquité,<br />

et que l'on sait d'ailleurs que ces peuples conquérants<br />

lorsqu'ils passèrent d'Afrique dans le midi<br />

<strong>de</strong> l'Europe, au huitième siècle, <strong>la</strong> trouvèrent entièrement<br />

barbare, et portèrent les premiers dans<br />

nos climats méridionaux le goût <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie ga<strong>la</strong>nte<br />

et quelque teinture <strong>de</strong>s arts. Les troubadours, qui<br />

professaient ta science gmk (c'est ainsi qu'ils rappe<strong>la</strong>ient)<br />

et qui couraient le mon<strong>de</strong> en chantant IV<br />

mour et les dames, furent honorés et recherchés.<br />

Leur profession eut bientôt tant d'éc<strong>la</strong>t et d'avantages,<br />

les femmes,toujourssensibiesà<strong>la</strong> louange,<br />

traitèrent si bien ceux qui <strong>la</strong> dispensaient, que <strong>de</strong>s<br />

souverains se glorifièrent <strong>du</strong> titre et même <strong>du</strong> métier<br />

<strong>de</strong> troubadours. Ils fleurirent jusqu'au quatorzième<br />

siècle : ce fut le terme <strong>de</strong> leurs prospérités. Us t'étaient<br />

fort corrompus en se multipliant, et par <strong>de</strong>s<br />

abus et <strong>de</strong>s désordres <strong>de</strong> toute espèce, ils forcèrent<br />

le gouvernement <strong>de</strong> les réprimer, et tombèrent dans<br />

le discrédit. Ils firent p<strong>la</strong>ce aux poëtea français proprement<br />

dits, c'est-à-dire à ceux qui écrivaient dans<br />

<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue nommée originairement <strong>la</strong>ngue romance,<br />

formée d'un mé<strong>la</strong>nge <strong>du</strong> <strong>la</strong>tinet <strong>du</strong> celte, et qui vert<br />

le onzième siècle s'appe<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue française : c'est te<br />

temps où elle parait avoir eu <strong>de</strong>s articles. Elle adopta<br />

<strong>la</strong> rime; et, quoique cette invention soit beaucoup<br />

moins favorable à <strong>la</strong> poésie que le vers métrique <strong>de</strong>s<br />

Grecs et <strong>de</strong>s Latins, elle parait absolument essentielle<br />

à <strong>la</strong> versification <strong>de</strong> nos <strong>la</strong>ngues mo<strong>de</strong>rnes, si<br />

éloignées <strong>de</strong> <strong>la</strong> prosodie presque musicale <strong>de</strong>s anciens.<br />

La rime est voisine <strong>de</strong> <strong>la</strong> monotonie ; mais elle<br />

• Yoyei Se Tabteau et !*t Uîiémimm mm moyen i§f*9 par<br />

M. YlUemaln, in», i¥% v* et n" leçon.


«si agréable en elle-même, comme toute espèce <strong>de</strong><br />

retour symétrique; car <strong>la</strong> symétrie p<strong>la</strong>ît naturellement<br />

aux sommes 9 et entre plus on moins dans les<br />

procédés <strong>de</strong> tous les arts d'agréments. Voltaire a eu<br />

raison <strong>de</strong> dire :<br />

La rime est mêmmâm à nos Jarfoss nouveau,<br />

Enfanta <strong>de</strong>mi pulls <strong>de</strong>s il oosmois^et <strong>de</strong>s €etbs.<br />

Les novateurs bizarres f tels que <strong>la</strong> Mothe, qui<br />

ont voulu êter <strong>la</strong> rime à nos vers, s'y connaissaient<br />

un pan moins que fauteur <strong>de</strong> ta Menriaek.<br />

BmfabMamx et <strong>de</strong>s chansons 9 voilà nos premiers<br />

essais poétiques. On sait que ImfabUamx sont <strong>de</strong>s<br />

contes rimes, souvent forl gais et p<strong>la</strong>isamment imaginés.<br />

Ce qui le prouve, c'est que <strong>la</strong> Fontaine en a<br />

tiré plusieurs <strong>de</strong> ses pins jolis contes , Boecace nu<br />

assez grand nombre <strong>de</strong> ses Nwmlk*, et Molière<br />

même quelques scènes. Un recueil où les nationaui<br />

et les étrangers ont également puisé ne peut être<br />

sans mérite. A Fégard <strong>du</strong> <strong>la</strong>ngage, il est aujourd'hui<br />

difficile à entendre ; mais, en l'étudiant, on y trou?e<br />

une mamèr&<strong>de</strong> raconter qui n'est pas sans agrément.<br />

Les sujets roulent <strong>la</strong> plupart sur l'amour, et ont<br />

quelquefois <strong>de</strong> l'intérêt. H os chansonniers mo<strong>de</strong>rnes<br />

en ont fait usage; et <strong>de</strong> là fient que les chansons qui<br />

expriment les malheurs ou les p<strong>la</strong>intes <strong>de</strong> l'amour<br />

s'appellent encore <strong>de</strong>s romancés, <strong>du</strong> nom que Ton<br />

donnait anciennement à <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue française.<br />

Mous afons <strong>de</strong>s chansons provençales <strong>de</strong> Guil<strong>la</strong>ume,<br />

comte <strong>de</strong> Poitou, troubadour qui vi?ait m<br />

onzième siècle. Les chansons françaises <strong>de</strong> Thibault,<br />

comte <strong>de</strong> Champagne, sont <strong>du</strong> treizième.<br />

11 était contemporain <strong>de</strong> saint Louis, et a beaucoup<br />

célébré <strong>la</strong> reine B<strong>la</strong>nche. On voit par les noms <strong>de</strong>s<br />

poètes français inscrits dans les recueils bibliographiques,<br />

qu'il y en eut un nombre prodigieux sous<br />

le règne <strong>de</strong> saint Louis, et que l'enthousiasme <strong>de</strong>s<br />

croisa<strong>de</strong>s échauffa leur verve : mais <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue était<br />

encore très-informe. On croit que Thibault est<br />

le premier qui aitemployé les versa rimes féminines;<br />

mais ce ne fut que bien longtemps après que Malherbe<br />

nous apprit à tes entremêler régulièrement<br />

avec les vers masculins. Quand on lit les chansons'<br />

<strong>de</strong> Thibault, qu'à peine pouvons-nous entendre , on<br />

se conçoit pas que dans l'Anthologie française on ait<br />

imaginé <strong>de</strong> lui attribuer cette chanson, qu'on a <strong>de</strong>puis<br />

imprimée partout sous son nom ;<br />

Las 1 si fatals pan wiir d v @sMfer,<br />

Sa beauté, son Mes dit»,<br />

Et son tas! doux, tant doui regar<strong>de</strong>r,<br />

F<strong>la</strong>irait moii mart yre.<br />

Mais, <strong>la</strong>s! mon «w*r je n'as pi<strong>la</strong> Ôfer i<br />

Et grand affo<strong>la</strong>ge<br />

M*€st #espérar.<br />

Malt tel servage<br />

' SŒGLB DE LOUIS. XIV. — POÉSIE. 441<br />

Donne €oma§i<br />

A fout en<strong>du</strong>rât. «t<br />

Et pois mmmmî, eommeni oubtter<br />

$atoeuté9sonlBlenâtre,<br />

Et son tant doux f tant doux regar<strong>de</strong>r !<br />

Mieux aime mon martyre.<br />

Que l'on fasse attention qu'il n'y a dans cette chanson<br />

naïve et tendre que le mot d'affûtage qui ait<br />

vieilli, quoique nous ayons conservé affoler et raffoler<br />

(car, pour le mot servage, on remploie encore<br />

très-bien dans le style familier 9 que d'ailleurs toutes<br />

les constructions sont exactes, à l'inversion près,<br />

qui a régné jusqu'au temps <strong>de</strong> Louis XI? ; qu'il<br />

n'y a pas un seul <strong>de</strong> ces hiatus qu'on retrouve encore<br />

jusque dans Voiture; que l'on compare ensuite ce<br />

style au jargon ru<strong>de</strong> et grossier que fou par<strong>la</strong>it au<br />

treizième siècle 9 et l'on verra qu'il est impossible<br />

que cette chanson date <strong>du</strong> règne <strong>de</strong> saint Louis, et<br />

qu'elle ne peut pas être plus ancienne que les poésies<br />

<strong>de</strong> Marot, dont les madrigaux 9 qu'il appelle épigrammes<br />

t ne sont pas tous si gracieusement tournés<br />

: il s'en fal<strong>la</strong>it bien que <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue eût fait tant<br />

<strong>de</strong> progrès, il y a cinq cents ans. C'est alors que<br />

parut k R&man <strong>de</strong> ta Mose, commencé par Lorris<br />

et achevé par Jean .<strong>de</strong> Neun. Cest, parmi les vieux<br />

monuments <strong>de</strong> notre poésie dans sou enfance, celui<br />

qui eut le plus <strong>de</strong> réputation; et il n'y arien qui<br />

approche <strong>de</strong> cette chanson attribuée au comte <strong>de</strong><br />

Champagne. Tout l'esprit <strong>de</strong> l'auteur : morale ; ga<strong>la</strong>nterie<br />

f satire, tout est en allégorie; genre <strong>de</strong> fiction<br />

le plus froid <strong>de</strong> tous.<br />

La bal<strong>la</strong><strong>de</strong>, le ron<strong>de</strong>au, le triolet, toutes les sortes<br />

<strong>de</strong> poésies à refrain, sont celles qui furent en<br />

vogue jusqu'au seizième siècle. 11 faut savoir gré<br />

aux auteurs <strong>de</strong> ce temp d'avoir senti que ces refrains<br />

avaient une grâce particulière conforme au<br />

caractère., <strong>de</strong> douceur et <strong>de</strong> naïveté, le seul que<br />

notre poésie ait eu jusqu'à Marot, qui le premier y<br />

joignit un tour un et délicat. Bès le quinzième siè­<br />

cle, Villon, et auparavant Charles d'Orléans, père<br />

<strong>de</strong> Louis XH, tournaient <strong>la</strong> bal<strong>la</strong><strong>de</strong> et le ron<strong>de</strong>au avec<br />

assez <strong>de</strong> facilité. Voici <strong>de</strong>s vers <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier sur le<br />

retour <strong>du</strong> printemps : il faut se souxpnir, en les jugeant,<br />

<strong>de</strong> quelle date ils sont :<br />

Le temp a <strong>la</strong>issé son manteau<br />

De veut, <strong>de</strong> froi<strong>du</strong>re et <strong>de</strong> pluie 9<br />

Et s'est vêts <strong>de</strong> bro<strong>de</strong>rie<br />

De s@leil luisant, c<strong>la</strong>ir et beau.<br />

H n'y a bête ni oiseau<br />

Qu'en son Jargon ne chaste ou crie :<br />

Le temp a <strong>la</strong>issé son manteau<br />

Detest, dafrot<strong>du</strong>ra et<strong>de</strong>pluie..<br />

On peut remarquer que toutes les mesures ie icn<br />

étaient dès lors en usage, excepté l'hexamètre ou<br />

l'alexandrin9 ainsi nommé $ à m qu 9 on croit, d'un<br />

poème intitulé Jkxmmére, qui est <strong>du</strong> doutjèmeslè-


441 COURS DM UTTIIATUIE.<br />

siècle, et où m fers est employé pou? <strong>la</strong> première<br />

fois. Il fat <strong>de</strong>puis très-rare <strong>de</strong> s'en servir jusqu'à Dsbel<strong>la</strong>j<br />

et Ronsard. La noblesse f qui est le caractère<br />

<strong>de</strong> ce vers , n'était pas encore celui <strong>de</strong> notre <strong>la</strong>ngée,<br />

Les vers <strong>de</strong> Marot sont presque tons <strong>de</strong> cinq pieds.<br />

Lenr toornure agréable et piquante s'accordait<br />

très-bien avec celle <strong>de</strong> son esprit, (<strong>la</strong> trouve dans<br />

Crétin et dans Martial <strong>de</strong> Paris <strong>de</strong>s idylles en vers<br />

<strong>de</strong> quatre,et cinq syl<strong>la</strong>bes. Le <strong>de</strong>rnier, qui vivait <strong>du</strong><br />

temps <strong>de</strong> Charles ¥11, Et une espèce d'élégie sur <strong>la</strong><br />

mort <strong>de</strong> ce prince. En voici quelques vers, dont <strong>la</strong><br />

marche est aisée et cou<strong>la</strong>nte.<br />

. Mleu^vaut <strong>la</strong> lieue,<br />

L'amour et tâmptesse<br />

De bergers pastearj»<br />

Qrtnreir à <strong>la</strong>rgos*<br />

Or, argent, richene,<br />

m <strong>la</strong> irattUoie<br />

De ces grandi selgneiirs :<br />

Car peur sot <strong>la</strong>bccra<br />

, Meei m&m mm eesae<br />

Les team près «Meut,<br />

feeitapa, nâsiirs,<br />

EtJoIeàseseiMi», - .<br />

Sans mal qui aea* blesse.<br />

En ?mûàê Crétin qui ont une syl<strong>la</strong>be <strong>de</strong> moins,<br />

§t foi ont aussi bien moins <strong>de</strong> douceur :<br />

Partout ioyaea 9<br />

En ces jours beau,<br />

le vous eoaria<br />

A Jeux nouveaux.<br />

Bergères frandies 9<br />

CadlSeï <strong>de</strong>s branches<br />

De <strong>la</strong>uriers verts, etc.<br />

Je ne les cite que comme <strong>de</strong>s eiemples fort anciens<br />

d'une espèce <strong>de</strong> mètre qui put quelquefois être<br />

employée aeec soeeès , pourvu que ce soit a?ce sobriété;<br />

car l'oreille serait bientôt fatiguée <strong>du</strong> retour<br />

trop fréquent <strong>de</strong>s mêmes sons. Madame Besboulières<br />

et Bernard se sont servis heureusement<br />

<strong>de</strong> ces petits vers dans <strong>de</strong>s sujets gracieui ; Rousseau<br />

, if us sa belle cantate <strong>de</strong> Cîreê$ a su les rendre<br />

propres aui images fortes. Tout le mon<strong>de</strong> sait par<br />

«ur ces vers i<br />

Sa wolx rwtoetaMt<br />

Trouble le§ enfers , <strong>de</strong>.<br />

Hais 1 les a p<strong>la</strong>cés très-judicieusement dans une<br />

espèce <strong>de</strong> poème musical où ils occupent peu <strong>de</strong><br />

p<strong>la</strong>ce t et ©à, parmi <strong>de</strong>s vers <strong>de</strong> différentes mesures y<br />

ils forment une variété <strong>de</strong> plus. Il y ammit <strong>de</strong> l'inconvénient<br />

à les prolonger : ils ne sont faits que<br />

pur 4es pièces <strong>de</strong> peu d'éten<strong>du</strong>e. Comme <strong>la</strong> difficulté<br />

<strong>de</strong> se resserrer dans un riftàiiae très-étroit<br />

•et no <strong>de</strong> leurs méritas, cette difficulté trop long*<br />

i vaineve ne paraîtrait qu f tm jeu d'esprit, un<br />

effort artificiel ; et c'est m qull faut éviter en tout<br />

genre.<br />

On ne cite guère qu'en ridicule les vers <strong>de</strong> Scarron<br />

à Sarrazin, d'une mesure encore plus gênante,<br />

puisqu'ils ne sont que <strong>de</strong> trois syl<strong>la</strong>bes :<br />

Mas voisin, ete.<br />

Cette fantaisie convenait à un poète burlesque.<br />

On a été plus loin <strong>de</strong> nos Jours ; on a mis <strong>la</strong> passion<br />

en vers d'une seule syl<strong>la</strong>be. Yoi<strong>du</strong>n échantillon<br />

<strong>de</strong> cette pièce bizarre qui, je crois, n'a jamais<br />

été imprimée, et qui n f est connue que <strong>de</strong> quelques<br />

curie» :<br />

De<br />

CB<br />

Un*<br />

Bien<br />

Mort<br />

Sort;<br />

Sort<br />

Fort<br />

Dur,<br />

Mais<br />

Très<br />

Mr.<br />

Ces préten<strong>du</strong>s tours <strong>de</strong> ferce ne prouvent que <strong>la</strong><br />

manie puérile <strong>de</strong> s'occuper <strong>la</strong>borieusement <strong>de</strong> petites<br />

choses, et Ton en peut dire autant <strong>de</strong>s acrostiches<br />

et <strong>de</strong> toutes les belles inventions <strong>de</strong> ce genre,<br />

imaginées apparemment par ceux qui avaient <strong>du</strong><br />

temps a perdre.<br />

Le nom <strong>de</strong> Marot est <strong>la</strong> première époque vraiment<br />

remarquable dans l'histoire <strong>de</strong> notre poésie,<br />

bien plus par le talent qui brille dans ses ouvrages<br />

et qui lui est particulier, que par les progrès qu'il<br />

It faire à notre versification, progrès qui furent<br />

très-lents et très-peu sensibles <strong>de</strong>puis loi jusqu'à<br />

Malherbe. On retrouve dans ses écrits les <strong>de</strong>ux vices<br />

<strong>de</strong> versification qui donnèrent f avant et après<br />

lui, les Moins ou con<strong>cours</strong> <strong>de</strong> voyelles , et l'inob-<br />

serratloa <strong>de</strong> cette alternative nécessaire entre les<br />

rimes masculines et féminines. Mais on ne lui a pas<br />

ren<strong>du</strong> justice, quand on lui a reproché d'avoir <strong>la</strong>issé<br />

subsister Te muet au premier hémistiche, défaut<br />

capital qui anéantit <strong>la</strong> césure et le nombre ; en faisant<br />

disparaître le repos où Foreille doit s'arrêter.<br />

Cette faute , très-commune a?aat lui, est infiniment<br />

rare dans ses vers s et ne reparaît presque plus dans<br />

les poètes <strong>de</strong> quelque nom qui font suifi. Il faut<br />

done le louer d'avoir contribué beaucoup à corriger<br />

ce défaut <strong>de</strong>structeur <strong>de</strong> toute harmonie. Mais<br />

ce n $ est là qu'un <strong>de</strong> ses moindres mérites : il eut un<br />

talent infiniment supérieur à tout ce qui Fa précédé 9<br />

et même à tout ce qui Fa suivi jusqu'à Malherbe. On<br />

remarque chez lui un tour d'esprit qui lui estpro-


S1ÈCIJE DE LOUIS M?. — JPQÉSH.<br />

pre. La nature lui a?ait donné m qu'on n'acquiert<br />

point : elle Pavait doué <strong>de</strong> grâce. Son style a vraiment<br />

<strong>du</strong> charme, et ce charme tient à une naïveté<br />

<strong>de</strong> tournure et dépression qui se joint à <strong>la</strong> délicatesse<br />

<strong>de</strong>s idées et <strong>de</strong>s sentiments. Personne n 9 a<br />

mieux connu que lui, même <strong>de</strong> nos jours-, leton qui<br />

convient à répigramme, soit celle que nous appelons<br />

ainsi proprement, soit celle quia pris <strong>de</strong>puis le<br />

nom <strong>de</strong> madrigal , es s'appliquant à l'amour et à <strong>la</strong><br />

ga<strong>la</strong>nterie. Personne n'a mieux connu le rhythme<br />

<strong>du</strong> vers à cinq pieds et le vrai ton <strong>du</strong> genre épisto<strong>la</strong>ire$<br />

à qui cette espèce <strong>de</strong> vers sied si bien. C*est dans les<br />

beaux jours <strong>du</strong> siècle <strong>de</strong> Louis XI? que Boileau a<br />

dit:<br />

Imitons <strong>de</strong> Karot Pâégamt badlsag®.<br />

1 lut, sans doutef beaucoup plus élégant que tous<br />

ses contemporains; mais comme le choix <strong>de</strong>s termes<br />

n 9 est pas ce qui domine le plus dans son talent,<br />

et que son <strong>la</strong>ngage était encore peu épuré, on aimerait<br />

mieux dire f ce me semble :<br />

Imitons ie I<strong>la</strong>aaî £§ <strong>du</strong>mnapt eaaJaaap»<br />

Pour peu qu'on saltitît à un certain nombre <strong>de</strong> mots<br />

et <strong>de</strong> constructions qui ont vieilli <strong>de</strong>puis, on lit encore<br />

aujourd'hui avec on très-grand p<strong>la</strong>isir ne partie<br />

<strong>de</strong> ses ouvrages; car il y a un dioixàfaJref et il<br />

n'a pas réussi dans tout. Ses psaumes, par cxemple9<br />

ne sont bons-qu'à être chantés dans les églises<br />

protestantes. Mais quoi <strong>de</strong> plus p<strong>la</strong>nt et même <strong>de</strong><br />

plus tendre que cette chanson?<br />

Pslsspe <strong>de</strong> Tous Je. n'ai astre visage $<br />

Je m'es vais rendre àermite en un désert f<br />

Pour prier Pfea f si on autre TOUS sert t<br />

Qu'ainsi que moi en voira honneur soit gage,<br />

•dieu amour, adieu gentil corsage,<br />

âdleti ce teint» adles ces triants yeux ;<br />

le n'ai pas en <strong>de</strong> TOUS grand saaaaaia ;<br />

Un notas aimant aura peut-être mieex.<br />

Que <strong>de</strong> sentiment dans ce <strong>de</strong>rnier vers! On a <strong>de</strong>puis<br />

employé souvent <strong>la</strong> même pensée; mais jamais elle<br />

n'a été miens exprimée.<br />

On a tant <strong>de</strong> fois cité <strong>la</strong> petite pièce intitulée ie<br />

Oui et ie Nmmî, qu'on me reprocherait avec raison<br />

<strong>de</strong> l'omettre, ici.<br />

Un ioax nenni mm as doux sourire<br />

Est tant honnête ! 1! TOUS le faut apprendra.<br />

Quant est <strong>de</strong> es! t si Teniez à 1® dire,<br />

D*avalr trop dit Je vendrais irons rapnodre,<br />

Hou que Je sols ennuyé d'entreprendre<br />

D'avoir Se fruit dont le désir me point ;<br />

Mais Je loairafs qu'an me te <strong>la</strong>lsaaot prendre,<br />

Tons ma disiez ; Mon, vans se Passai point<br />

Vos agréables rimeurs, qui se sont p<strong>la</strong>inta si<br />

mwmmt au public <strong>de</strong> trouter <strong>de</strong>s mattreises trop<br />

faciles 9 n'ont <strong>la</strong>it que commenter et paraphraser ces<br />

?en <strong>de</strong> Marot, et ne les ont sûrement ps égalés*<br />

443<br />

On a <strong>de</strong> même imité et retourné <strong>de</strong>' cent maniera<br />

l'idée ingénieuse <strong>de</strong> ce madrigal f qui n'ait pas moint<br />

joli que le précé<strong>de</strong>nt :<br />

Amour îraswa eells qui m'est amèw,iMfj<br />

étals : J'en sais bien mieux le conte).<br />

Boojoor, dit-il, bonjour. Ténus, ma mère;<br />

Fa<strong>la</strong> tout à coup il voit quTl se mécompte ,<br />

Dont <strong>la</strong> eoufaar an visage Iil <strong>mont</strong>e ,<br />

D'avoir nilU, honteux, Dku sait combien !<br />

Non, non, Amonr, loi dis-Je, n'ayez honte ;<br />

fias dalrvoyanto ajae vous s'y trompent bien.<br />

En ?oîci un autre où il y a moins d'esprit, maïs<br />

beaucoup <strong>de</strong> sensibilité 9 et l'un vaut bien l'autre.<br />

îîa Jour, <strong>la</strong> dame en api si fort Je pense<br />

Me dit un mot <strong>de</strong> moi tant estimé<br />

Que Je ne pus en fataa léeompes»,<br />

F09 <strong>de</strong> l'avoir en mon eaur lufataié;<br />

Me dit avec un ris accostasse :<br />

m le crois cfaftt faut qtfa f aimer Je ptnrfomm »<br />

le <strong>la</strong>i réponds : « M'ai gan<strong>de</strong> qull smMf<strong>la</strong>susa<br />

« Un si grand Men $ et si J'ose affirmer<br />

« Que Je <strong>de</strong>wais craindre foa ca<strong>la</strong> vienne;<br />

« Car fsjiiie trop quand on ma faut aimer. »<br />

Yoltaire citait souvent l'épigramme geïvmte,<br />

qui est d'un genre tout différent : état ©e que Detpréaux<br />

appe<strong>la</strong>it le <strong>la</strong>i<strong>la</strong>age <strong>de</strong> Marot.<br />

' ifaasfear l 9 abbé et mouteur son valet<br />

Sont faits égaux tous <strong>de</strong>ux comme <strong>de</strong> dm :<br />

L'on est grand Ion, Part» petit faafaf;<br />

L'un veut rafler, l'autre grâdir et rire ;<br />

L'en boit <strong>du</strong> bon, faatra ne Doit <strong>du</strong> pire.<br />

Mais aa débat le soir entre eux s'émeut ;<br />

Car asal<strong>la</strong>a abbé toute <strong>la</strong> nuit ne aasit<br />

Être sans vin, que sans se<strong>cours</strong> ne meure;'<br />

Et son valet Jamais dormir ne peut,<br />

Tandis qu'as pot une §oataa en c"<br />

Opoonnaft<strong>la</strong>is tragique <strong>de</strong> Samb<strong>la</strong>iiçay^ufiiitendaut<br />

<strong>de</strong>s iaasees ious François 1 er , et condamné I<br />

mort, quoique innoeeut. Il fat mené tu suppliée par<br />

le lieutenant criminel Mail<strong>la</strong>rd f dont <strong>la</strong> réputation<br />

était aussi mauf aise que celle <strong>de</strong> Samb<strong>la</strong>nçay était<br />

respectée. Nous avons sur ee sujet une épigramme<br />

<strong>de</strong> Marot , dans le goût <strong>de</strong> celles <strong>de</strong>s anciens , où fou<br />

traitait quelquefois <strong>de</strong>s sujets nobles; ee qui n'est<br />

patat aaaîraif eaacaraetère<strong>de</strong> répigramme , qui peut<br />

prendre tous les tous, et qui peut Inir aussi bien pat<br />

aae belle pensée que par un bon mot. Martial, Rousseau<br />

? Saaaasir, et beaucoup d'autres, l'ont prouvé.<br />

Celle <strong>de</strong> Marot est d'autant plus remarquable,' que<br />

c'est <strong>la</strong> seule ou il ait soutenu le ton noble qui n'est<br />

pas le sien.<br />

Lorsque afailîtrat, Jasje é?eniert menait<br />

4 Maatfaaaaa SamManfaj fiaaa assaisa *<br />

A voire avis, lequel dis <strong>de</strong>ux fanait<br />

Metteur maintien? Pour aoas le Mrs entendra,<br />

Mail<strong>la</strong>nt semb<strong>la</strong>it fconme que asact aa psasaisa B<br />

Et Samb<strong>la</strong>iipy fnt M tariiM¥§fllUaiil9<br />

Que Ton aaaîatt pour ffatfali menât pendra<br />

AMoatfeiiooataitataBisa<strong>la</strong><strong>la</strong>a^^<br />

Maintenant il faut entendre Marot dans <strong>la</strong>funi-


444<br />

C0ÏÏ1S DE UTIEsUTUBE.<br />

liarité badine ûm style épistoitift et <strong>de</strong> ses eorresftûsdaseesaiiioiirettses<br />

; car ses owragessont pleins<br />

<strong>de</strong> ses«moiirs9 qm ont troublé sa vie et embelli ses<br />

•ers t comme il stmm prescpie toujours. On sait<br />

quel édat irest à <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> François !•' les intrigues<br />

<strong>du</strong> poëte mm Diane <strong>de</strong> Poitiers, qui <strong>de</strong>puis<br />

fut à peu près reine <strong>de</strong> France sous le règne <strong>de</strong><br />

Henri II v et mœ Margécrite <strong>de</strong> ¥aloïs, d'abord <strong>du</strong>chesse<br />

d'Alencon, et ensuite reine <strong>de</strong> Naiarre. Ces<br />

noms-làfont honneur à <strong>la</strong> poésie f et au poëte qui élevait<br />

si haut se&hommages. Diane, <strong>la</strong> beauté <strong>la</strong> plus<br />

fameuse <strong>de</strong> son temps, écouta les vœux <strong>de</strong>" Marot<br />

.avant <strong>de</strong> se rendre à ceux d'un roi. Il parait qu'ils<br />

ne furent pas mal ensemble, puisqu'ils luirent par<br />

se brouiller. Marot eut le malheur <strong>de</strong> déshonorer<br />

son talent jusqu'à remployer contre edle-même à<br />

qui d'abord il avait consacré ses chants. Ce<strong>la</strong> fait<br />

tant <strong>de</strong> peine quey pour l'excuser un peu, Fon voudrait<br />

croire qu'il l'aimait encore f tout en lui disant<br />

<strong>de</strong>s Iiijares; et Ton pardonne bien <strong>de</strong>s choses à<br />

l'anour en colère. Diane pourtant ne lui pardonna<br />

ps : elle se servît <strong>de</strong> son crédit auprès <strong>de</strong> Henri,<br />

alors dauphint pour faire emprisonner Marot, qu'on<br />

accusait <strong>de</strong> favoriser les nouvelles opinions <strong>de</strong>s réformés.<br />

Il subit un procès criminel 9 en l'absence <strong>de</strong><br />

François I* r , fut f aimait et le protégeait, et qui alors<br />

était prisonnier en Espagne. Marot fut mis en liberté<br />

par un ordre exprès <strong>du</strong> roi, qu Y il avait sollicité<br />

en <strong>la</strong>ngage poétique, m lui envoyant une pièce<br />

fort p<strong>la</strong>isante, intitulée l'Enfer, composée dans sa<br />

prison ; car sa verve et sa gaieté m l'abandonnèrent<br />

jamais. Cet Enfer9 c'est le Châtelet, et les juges en<br />

sont les démons. Marguerite <strong>de</strong> Yalois, dont il était<br />

valet <strong>de</strong> chambre, le servit beaucoup en cette occasion<br />

auprès <strong>du</strong> roi son frère. La reconnaissance<br />

dans un coeur tendre <strong>de</strong>vint bientôt <strong>de</strong> l'amour, et<br />

celui <strong>de</strong> Marot pour Marguerite éc<strong>la</strong>ta d'autant plus s<br />

qu'il fut très-bien accueilli. Mois avons encore <strong>de</strong>s<br />

vers <strong>de</strong> cette princesse adressés à Marot, qui <strong>du</strong>t<br />

en être content. Une lettre qu'elle lui écrivit, et<br />

que nous ne connaissons que par k repose, <strong>du</strong>t<br />

lui faire encore plus <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir, puisqu'on y joignait<br />

Fordre <strong>de</strong> k brûler. C'est là-<strong>de</strong>ssus qu'il lui écrit ;<br />

lies tau*» «tk main qui <strong>la</strong> ploya,<br />

Et qui vers met <strong>de</strong> grâce renvoya !<br />

Bien heureux «t fat envoyer k set y<br />

Et pies heureux celui api <strong>la</strong> reçut!<br />

11 peint aveeuue vérité toschaute le regret qu'il eut<br />

et l'effort qu'il se it eu jetant cette lettre au feu.<br />

Aucune lois an feu Je <strong>la</strong> mettais<br />

Pour k briMer, puis soudain f es était 9<br />

Pub l'y remis, et puis l'eu rece<strong>la</strong>i :<br />

Maii à k fis I regret k brû<strong>la</strong>i f<br />

Dtost : O kftre! (après l'avoir baisée)<br />

Pubqoni <strong>la</strong> frat, totem embrasée :<br />

Car faims misa* dtaU ai obétant<br />

Que tout p<strong>la</strong>isir en êêmbêlmmmt<br />

La Fontaine, qui lisait beaucoup Marot, parait<br />

avoir imité k peinture qu'on vient <strong>de</strong> voir, dans cet<br />

endroit d'une <strong>de</strong> ses meilleures fables 9 où il dit <strong>de</strong>s<br />

souris:<br />

Mettant <strong>la</strong> aea à l'air, <strong>mont</strong>rent un peu k tête;<br />

Pub rentrent dans leurs nids à rats;<br />

Puis ressortant font «patee pas ;<br />

Pais enfin M mettent en quête<br />

i<strong>la</strong>ïa le chef-d' centre <strong>de</strong> Marot dans le genre dt<br />

lettre, c'est celle où M raconte àFraçois 1 er comment<br />

il a été volé par son valet. Otes ce qui a vieilli<br />

danslestermes et les constructions; c'est d'ailleurs<br />

un modèle <strong>de</strong> narration 9 <strong>de</strong> finesse et <strong>de</strong> bonne p<strong>la</strong>isanterie.<br />

€to dit Mm Yralrkmaiwal» fortin ,<br />

Me Tient Jamais qu'elle n'en apporte use t<br />

Os âeax, en trois aaacafiiia elle ; sire,<br />

Votre came noble es saurait bien que dire;<br />

Et mol cbétlf, qui ne sais roi ni rien t<br />

L f at éprouvé v et aaoa conterai bien t<br />

Si f aas ¥©ulex, comment vint <strong>la</strong> besogne.<br />

Tatals aa Jeux aa ralet <strong>de</strong> Gascogne, f<br />

Gaaaaiaad f <strong>la</strong>aagaa et assuré menteur,<br />

Wpeurt <strong>la</strong>rron, Juieur, b<strong>la</strong>sphémateur,<br />

Saatiiot <strong>la</strong> bart <strong>de</strong> caat pas à k raa<strong>de</strong> ;<br />

4a âemeurant <strong>la</strong>aielleaf lia <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>,<br />

Ce vera, si p<strong>la</strong>isant après rémunération <strong>de</strong>s bettes<br />

qualités <strong>de</strong> ce valet 9 est <strong>de</strong>venu proYerbe f et se lé*<br />

pète encore tous les jours dans te mène sens.<br />

CfrvénéKsJtte Ilot lut averti<br />

De faaifaa aageat f aa m'avks départi »<br />

Et que ma bourse avait grosse apostome.<br />

Si se <strong>la</strong>va plus tôt que <strong>de</strong> coutume t<br />

Et me Ta prendre en tapinois leelîe;<br />

Puis aeas <strong>la</strong> mit très-bien sons son aisselle.<br />

Argent et tout, ce<strong>la</strong> se doit entendre,<br />

Et ne crois point que aa fût pour k rendre;<br />

Car oseques puis n'en ai oui parler.<br />

Bref, le vliaiE ne s'en voulut aller<br />

Pour si petit; mais encore U me happ»<br />

Saye et bonnets t chausses, pourpoint et cape»<br />

De mes habits en effet 11 pil<strong>la</strong><br />

Tous les plus beaux t et puis s'en habil<strong>la</strong><br />

Si Justement, qu'à le voir ainsi être<br />

Tous l'eussiez pris en plein jour pour son maître.<br />

Finalement <strong>de</strong> ma chambre il s'en ta<br />

Bfoit à retable, aâ icax chevaux trouva,<br />

Laisse le pire, tt sur le meilleur moule,<br />

Pique et s'en ira. Pour abréger mon conte »<br />

Soyei certain qu'au partir dadit i<strong>la</strong>a<br />

n'oublia rieny fors à me dire adieu.<br />

Àfaii s f en va $ chatouilleux <strong>de</strong> <strong>la</strong> gorge,<br />

Ledit valet , <strong>mont</strong>é comme no Satat-Georp,<br />

Et TOUS <strong>la</strong>issa moosleiir dormir son saoul,<br />

Qui an réveil n'eût su iner d'un ton.<br />

Ce monsieur làf sire v c'était moi-même,<br />

Qalt sans mentir, ta as matin Mes blême,<br />

Quand Je me vis sans honnête vêtue,<br />

Et fort fiché <strong>de</strong> perdre ma <strong>mont</strong>ure.<br />

Mais pour l'argent que vous m'aviei donné,<br />

Je ne te point <strong>de</strong> le perdre étonné:<br />

Car votre argent, très-débonnaire prince,<br />

Sans point <strong>de</strong> faste, est sujet à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce.<br />

Mental apli cette tetn&e-ià


Usa tutnt pin mocm se I<br />

De n'assaillir, et ctnque Jour m'assant*<br />

Ma menaçant <strong>de</strong> me donner le saut ,<br />

Et <strong>de</strong> ce Met mFttnroyar 1 Fenters<br />

limer tout terre tt f frira ta ren.<br />

Cest une <strong>la</strong>agaie «t lour<strong>de</strong> ma<strong>la</strong>die<br />

De trois bons mois f qui m'a tout éfnarêtt<br />

La pauf re tête, et se wmt terminer ;<br />

4b» me contraint d'apprendre à eseiiilMr,<br />

Tant faible suis : bref, à ce trliSe corps<br />

Dont Je TOUS parle, il n'es! <strong>de</strong>meuré, fora<br />

Le paawe esprit qui <strong>la</strong>mente et soupira 9<br />

Et en pleurant tâche à TOUS faire rire.<br />

Voilà comment députa neuf mois en fà<br />

le suis traité : or ee que me <strong>la</strong>issa<br />

Mon <strong>la</strong>reôaaeea t longtemps a 9 Pal wmànf<br />

Et en sirops et Juieps dépends.<br />

Ce néanmoins ce que Je TOUS en man<strong>de</strong><br />

ff eat pour irons faire on requête on <strong>de</strong>man<strong>de</strong>.<br />

Je se Yeux point tant <strong>de</strong> gens ressembler,<br />

Qui s'ont soacl autre que d'assembler.<br />

* Tant qu'ils vivre al, Ils <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ront, eu ;<br />

MaSs Je commence à <strong>de</strong>venir honteux,<br />

Et se eaoi pins à ?oe dons m'arreter.<br />

Je se dis pas, si voulez rien prêter,<br />

Que ne le prenne : Il n f est point <strong>de</strong> préteur,<br />

S'il veut prêter, qui ne fasse un <strong>de</strong>btenr.<br />

Et sa¥«-YOnst sire, comment Je paye?<br />

If si se le sait, si premier se l'essaye.<br />

Tons me <strong>de</strong>vrai, si Je puis , ds retosr,<br />

Et vous ferai eacoraa aa bon tour,<br />

à celle fin qu'il n'y ait faute nulle,<br />

Je voss ferai use belle cédille,<br />

A vous payer, sans sssre l'entend,<br />

Qsand on ferra tout le mon<strong>de</strong> content ;<br />

Ou, si voalei, à payer ce sera<br />

Quand votre los et renom cessera.<br />

Depuis Horace, on n'avait pas donné à <strong>la</strong> louange<br />

une tournure si délicate.<br />

SIÈCLE DE LOUIS XJV. — POÉSIE.<br />

Je sais aaaaa que vous s'avex pas peur<br />

Qse Je m'enfuie ou que Je sols trompeur :<br />

Mais il fait bon assurer ce qu'on prête.<br />

Bref, votre paye, ainsi qse Je l'arrête,<br />

Est aussi sure, amenant mon trépas,<br />

Comme avenant que Je ne meure pas.<br />

ÂYiset donc sS vous avei désir<br />

De me prêter : TOUS me ferea p<strong>la</strong>isir.<br />

Car <strong>de</strong>puis peu J'ai Mtl à Clément,<br />

Là où j ai fait un grand déboursemest;<br />

Et à Marot, qui est un pas plus loin,<br />

Tout tombera qui n'es aura le sols.<br />

Voilà 1e point principal <strong>de</strong> ma lettre;<br />

Tous savei tout : 11 s'y faut plus rien mettre.<br />

Rien mettre, <strong>la</strong>s ! Certes, et si ferai,<br />

Et ce faisant, mon style hausserai,<br />

Disant : Oroi! amoureux <strong>de</strong>s neuf Muses;<br />

loi en qst aoat leurs sciences Muses ;<br />

Roi, plus que Mars d'honneur environné ;<br />

Mol, le plus rot qui fut cac courossé,<br />

Dieu tout-pstssant te dolst, pour fétreneer,<br />

Les quatre coins <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> à pwvcrser,<br />

Tant pour le Mes <strong>de</strong> <strong>la</strong> ron<strong>de</strong> machine, '<br />

Qse pour estant que ssr tous en es digne.<br />

On imagine sans peine que François l* r , qui se<br />

glorifiait <strong>du</strong> titre <strong>de</strong> Père <strong>de</strong>s Lettres, Youlnt bien<br />

être le créancier d'un <strong>de</strong>bteur qui empruntait <strong>de</strong><br />

M bonne grâce. Marot eut plus d'une fois besoin<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> libéralité et <strong>de</strong> <strong>la</strong> protection <strong>de</strong> son maître* Ses<br />

succès en poésie et en amour lui avaient fait <strong>de</strong>s<br />

44$<br />

ennemis, et <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> ses opinions et <strong>de</strong> ses dis<strong>cours</strong><br />

les irritait encore et leur donnait <strong>de</strong>s armes<br />

contre lui. Rien n'est si facile que <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s<br />

torts à in homme qui a <strong>la</strong> tête vite et-le cœur bon.<br />

11 fut plusieurs fois obligé <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> France, et<br />

mourut enin hors <strong>de</strong> sa patrie, après une vie aussi<br />

agitée que celle <strong>du</strong> Tasse, et à peu près par les mêmes<br />

causes, mais bien moins malheureuse, parce<br />

que le malheur ou le bonheur dépend principalement<br />

<strong>du</strong> caractère ? et que celui <strong>de</strong> Marot était porté<br />

i <strong>la</strong> pieté, comme celui <strong>du</strong> Tasse-à <strong>la</strong> mé<strong>la</strong>ncolie.<br />

Obserfons que, dans l'épttre qu'on fient <strong>de</strong>foîr<br />

et dans plusieurs autres, l'oreille <strong>de</strong> Fauteur lui a?ait<br />

appris que l'enjambement, qui est par lui-même<br />

vicieux dans l'hexamètre, à moins qu'il n'ait une<br />

intention marquée et un effet particulier, non-seulement<br />

sied très-bien-au fers à cinq pieds, mats<br />

même pro<strong>du</strong>it une beauté rhythmique, en arrêtant<br />

le sens ou suspendant <strong>la</strong> phrase à lliémistiche.<br />

Bref, le vi<strong>la</strong>in ne s'en voulut aller<br />

Pour si petit..<br />

Finalement <strong>de</strong> ma chambra U s'en va<br />

Droit à fétable...<br />

Voilà comment <strong>de</strong>puis neuf mois en fà<br />

Je suis traité...<br />

Cette coupe est très-gracieuse dans cette espèce <strong>de</strong><br />

?ers9 pourvu qu'on ne <strong>la</strong> prodigue pas trop; car<br />

on ne saurait trop redire à ceux qui sont toujours<br />

prêts à abuser, <strong>de</strong> tout, .que l'excès <strong>de</strong>s meilleures<br />

choses est un mal, et que l'emploi trop fréquent<br />

<strong>de</strong>s mêmes beautés défient affectation et monotonie.<br />

Voyez le commencement <strong>de</strong> VÊpUre mr ia<br />

Cmhmnie <strong>de</strong> Voltaire :<br />

•fontes-mol, rrapecJaMt Émifa :<br />

Vos* êtes belle : ainsi donc <strong>la</strong> moitié<br />

Du genre humain sera votre eonemle.<br />

Tous possé<strong>de</strong>i us sublime génie :<br />

On f «M eratndra. Votre simple aaaltai<br />

Est contante, et vous aarea trahis.<br />

Ces fers sont parfaitement coupés; mais si tous les<br />

fers <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce l'étaient <strong>de</strong> même, ce<strong>la</strong> serait insupportable.<br />

Marot, en s'éle?ant fort au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> ses contemporains,<br />

n'eut cependant qu'une assez faible iniuence<br />

sur leur goût; et Fon ne voit pas que <strong>la</strong><br />

poésie ait a?ancé beaucoup <strong>de</strong> son temps. Celui qui<br />

s'approcha le plus <strong>de</strong> lui fut son ami Saint-Ge<strong>la</strong>is :<br />

il a <strong>de</strong> ia douceur et <strong>de</strong> <strong>la</strong> facilité dans sa f erjification,<br />

et Fon a consenré <strong>de</strong> lui quelques jolies épigrammes;<br />

mais il a bien moins d'esprit et <strong>de</strong> grâce<br />

que Marot. Celuï-d eut une <strong>de</strong>stinée assez singulière<br />

: il eut une espèce d'école <strong>de</strong>ux cents ans après<br />

sa mort. C'est fers le milieu <strong>de</strong> ce siècle, et lorsque<br />

<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue, dès longtemps fixée, était Isa cane si dif-


4M GOCHS DE UIIÉBATDKB.<br />

féventa <strong>de</strong> <strong>la</strong> sienne, que vint <strong>la</strong> mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> ce qu'on<br />

appelle le mmrùMtme. Rousseau t fui avait <strong>mont</strong>ré<br />

tant <strong>de</strong> goût et prié un si beau knpge dans ses poésies<br />

lyriques, s'avisa dans ses épîtrès 9 et plus encore<br />

danssesaMégories, <strong>de</strong> rétrogra<strong>de</strong>r jusqu'au seizième<br />

siècle, et ce dangereux exemple fut imité pr ose<br />

foule d'auteurs. Mais je remets à f article <strong>de</strong> ce grand<br />

poète à examiner les effets et l'abus <strong>de</strong> cette innovation,<br />

dont je ne prie ici que pour faire reîr combien<br />

<strong>la</strong> tournure naïve <strong>de</strong> Marot avait para sé<strong>du</strong>isante,<br />

puisqu'on empruntait son <strong>la</strong>ngage, <strong>de</strong>puis<br />

longtemps vieilli, pour tâcher <strong>de</strong> lui ressembler. A<br />

présent il fait poursuivre l'histoire <strong>de</strong>s progrès <strong>de</strong><br />

notre poésie.<br />

Les premiers qui essayèrent <strong>de</strong> lui faire prendre<br />

un ton plus noble, et d f y transporter quelques-unes<br />

<strong>de</strong>s beautés qu'ils avaient aperçues chez les anciens,<br />

furent Dubelky et surtout Ronsard. Ce <strong>de</strong>rnier<br />

est aussi décrié aujourd'hui qu'il fat admiré <strong>de</strong><br />

son temps, et il y a <strong>de</strong> bonnes raisons pour Ton et<br />

pour l'autre. Si le plus grand <strong>de</strong> tous les défauts est<br />

<strong>de</strong> ne pouvoir pas être ta» quel reproche peut-on<br />

nous faire d'avoir oublié les vers <strong>de</strong> Ronsard ; tandis<br />

que les amateurs savent par coeur plusieurs morceaux<br />

<strong>de</strong> Marot et ruine <strong>de</strong> Saint-Ge<strong>la</strong>ig, qui écrivaient<br />

tous <strong>de</strong>ux trente ans avant lui? (Test qu 9 en<br />

effet il n'a pas quatre vers <strong>de</strong> suite qui puissent être<br />

retenus, grâce i Fétrangeté <strong>de</strong> si diction ( s'il est<br />

permis <strong>de</strong> se servir <strong>de</strong> ce mot nécessaire et que<br />

l'exemple <strong>de</strong> finales» grands écrivains <strong>de</strong> nos jours<br />

<strong>de</strong>vrait avoir déjà consacré}. Cepndant Ronsard<br />

était né avec <strong>du</strong> talent; il a <strong>de</strong> <strong>la</strong> verve poétique. :<br />

mais ceci pi, en lui refusant le jugement et le goût 9<br />

vont jusqu'à lui trouver <strong>du</strong> génie, me semblent abuser<br />

beaucoup <strong>de</strong> ce mot, qui ne peut aujourd'hui<br />

signiier qu'une gran<strong>de</strong> force <strong>de</strong> talent. Certainement<br />

elle ne peut pas consister à calquer servilement<br />

les formes <strong>du</strong> grec et <strong>du</strong> <strong>la</strong>tin sur un idiome<br />

api les repousse. Ce n'est pas non plus pr les idées<br />

qu'il peut être grand; elles sont ordinairement chez<br />

lui communes ou ampoulées : ni par Finvention f<br />

rien n'est plus froid que son perce <strong>de</strong> & Framcm<strong>de</strong>.<br />

Ce qui sé<strong>du</strong>isit ses contemporains, c'est que son<br />

style étale une pompe inconnue avant lui : quoique<br />

étrangère à <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue qu'il priait, et plus <strong>la</strong>ite pour<br />

k défigurer que pour l'enrichir, elle éblouit parce<br />

qu'elle était nouvelle, et <strong>de</strong> plus parce qu'elle ressemb<strong>la</strong>it<br />

au grec et au <strong>la</strong>tin, dont l'érudition avait<br />

établi le règne, et qui étaient alors généralement<br />

ce qu'on admirait le plus.<br />

•joutons, pour excuser Ronsard, et ceux qui l'ad­<br />

miraient, et ceux qui le suivirent, que le genre noble<br />

est sans nulle compraison le plus difficile <strong>de</strong><br />

tous; et, si ce princip avoué par tons les bms esprits,<br />

avait besoin d'une nouvelle preuve, nous <strong>la</strong><br />

trouverions dans ce qui est arrivé à <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue française.<br />

Avant d'être formée, elle compta <strong>de</strong> bonne<br />

heure <strong>de</strong>s écrivains qui surent donner à sa simplicité<br />

inculte les grâces <strong>de</strong> <strong>la</strong> naïveté et déjà gaieté;<br />

mais quand il fallut s'élever au style soutenu, au<br />

style <strong>de</strong>s grands sujets, tous les efforts furent malheureux<br />

jusqu'à Malherbe, et pourtant ne furent<br />

pas méprisables; car il y avait quelque gloire à tenter<br />

ce qui était si difficile, et à faire au moins quelques<br />

pas hasardés, avant que <strong>la</strong> route pût être frayée.<br />

Alors k véritable force, le vrai génie aurait été <strong>de</strong><br />

sentir quel caractère, quelles constructions, quels<br />

procédés, pouvaient convenir à notre <strong>la</strong>ngue; à <strong>la</strong><br />

débarrasser <strong>de</strong>s inversions qui ne lui sont point naturelles,<br />

vu le défaut <strong>de</strong> déclinaisons et <strong>de</strong> conjugaisons<br />

proprement dites, et Fattirail d'auxiliaires<br />

et d'articles quelle traîne avec elle ; à purger <strong>la</strong> poésie<br />

<strong>de</strong>s himtm qui offensent Foreille; ê mé<strong>la</strong>nger<br />

régulièrement les rimes féminines et masculines f<br />

dont l'effet est si sensible. Voilà ce que fit Malherbe v<br />

qui eut vraiment <strong>du</strong> génie, et qui créa sa <strong>la</strong>ngue;<br />

et ce que ne it pas Ronsard, qui n'avait qu'un talent<br />

informe et brut, et qui gâta <strong>la</strong> sienne.<br />

Il fait étudier ses ouvrages pour y trouver le mérite<br />

que je lui ai reconnu malgré tous ses défauts,<br />

et pur y distinguer quelques beautés d'harmonie<br />

et d'expression qui s'y rencontrent 9 au milieu <strong>de</strong> son<br />

esiare barbare. Le système <strong>de</strong> sa vérification n'est<br />

pas difficile à saisir. On voit c<strong>la</strong>irement qu'il veut<br />

mouler le vers français sur le grec et le <strong>la</strong>tin; qull<br />

a senti l'effet <strong>de</strong>s césures variées et <strong>de</strong>s épithètes<br />

pittoresques : il les prodigue ma<strong>la</strong>droitement : c'est<br />

en général une caricature lour<strong>de</strong> et grossière. Mais<br />

purtant il y a quelques traits heureux et dont on<br />

a pu prolter ; car à cette époque, comme je Fai déjà<br />

dit, celui qui se trempe souvent et rencontre quelquefois<br />

ne <strong>la</strong>isse pas d'être utile. C'est une épreuve<br />

où Fart doit absolument passer, et ce n'est pas en<br />

ce genre que les sottises <strong>de</strong>s pères, suivant l'expres­<br />

sion connue <strong>de</strong> Fontenelle, sont per<strong>du</strong>es pur les<br />

enfants. Sans douté il y a pu d'art et <strong>de</strong> mérite à<br />

franciser arbitrairement une foule <strong>de</strong> mots <strong>la</strong>tins<br />

ou a <strong>la</strong>tiniser <strong>de</strong>s mots français pour, les accumuler<br />

en épithètes; à mettre ensemble les cornes rameuses<br />

, les sources mu<strong>de</strong>uses; à faire rimer à eieux un<br />

esprit qui n'est point mieux; à parler ile baisers<br />

eotonihîm$3 turturim ( et je ne cite que ses inventions<br />

les moins bizarres ) : mais on peut le louer<br />

d'avoir osé quelquefois avec plus <strong>de</strong> bonheur, d'avoir<br />

trouvé <strong>de</strong>s constructions poétiques, <strong>de</strong>s césures<br />

qui varient k nombre <strong>du</strong> vers alexandrin; paf eieaa-


pli f iiiit ©et «droit au 1 dil m par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fortune:<br />

Sans lira ©estante* 9 mmim s'en f» ooateat<br />

L f antithèse do second fers, quoique assez ingénieuse,<br />

n'est qu'uneespèce <strong>de</strong> jeu <strong>de</strong> mots. Umekaem<br />

s'est pas <strong>du</strong> style suite s et le premier hémistiche<br />

offre à l'oreille un son équi vaque. Mais ce mot d'etpét&me,<br />

formant <strong>la</strong> césure an cinquième pied», coupe<br />

le fers <strong>de</strong> manière à pro<strong>du</strong>ire une suspension qui a<br />

un effet analogue à ridée <strong>de</strong> l'espérance. Ronsard<br />

a connu aussi l'usage <strong>de</strong>s phrases d'apposition et<br />

d'interposition, antre espèce <strong>de</strong> fariété dans le<br />

rhythme. Il dit en par<strong>la</strong>nt <strong>du</strong> siècle d'or :<br />

Les champs s'étalent bornés ; et là terra mmmmm,<br />

Sans semer ni p<strong>la</strong>nter, — bonne mère , apportait<br />

Le fruit qui <strong>de</strong> •ei-nèeie heureusement sortait.<br />

Bonne mêm, p<strong>la</strong>cé là par interposition f est d'un effet<br />

agréable.<br />

I/ambltlon » Ferrenr, îi guerre et le dlscord f<br />

Par -lm pewpteê emtmmi 9 — Imaf» <strong>de</strong> <strong>la</strong> aaafft...<br />

Le premier hémistiche <strong>du</strong> second fers est p<strong>la</strong>t :<br />

mais cette apposition, imagm <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, h ter*<br />

mine noblement.<br />

Ce n'est pas <strong>la</strong> peine <strong>de</strong> redire jusqu'où l'a égaré<br />

<strong>la</strong> manie d $ intro<strong>du</strong>ire dans notre <strong>la</strong>ngue les mots<br />

conibînés9 <strong>la</strong> toux ronge-poumon, le gosier m<strong>de</strong>fo<strong>la</strong>urier,<br />

CatiUx dompte portai*, et mille autres; ni<br />

Fabus qu'il a fait <strong>de</strong>s igures : il est tel, que l'os a<br />

oublié qu'il -s'en sert <strong>de</strong> temps en temps mm une<br />

hardiesse poétique que Ton ne connaissait pas a?ant<br />

lui.<br />

Otstfes dans <strong>la</strong>i champ, m «militent <strong>la</strong>» ehamna»<br />

Ce fers est beau, et Ton a remarqué, sans doute,<br />

les tkamm oMvm : c'est là vraiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie.<br />

Mais, en donnant quelque idée <strong>de</strong> l'expression<br />

et <strong>du</strong> nombre qui conviennent au fers héroïque et<br />

à <strong>la</strong> fersiieation soutenue, il a donné tant d'exemples<br />

ficieux, qu'il aurait fait un mal irréparable, si<br />

ses succès avaient été moins passagers. Son affectation<br />

presque continuelle d'enjamber d'un fers à l'autre<br />

est essentiellement contraire au caractère <strong>de</strong> nos<br />

grands fers, lolre hexamètre, naturellement majestueux<br />

, doit se reposer sur lui-même ; il perd toute<br />

' sa noblesse, si on le fait marcher par sauts et par<br />

bonds ; si <strong>la</strong> in d'un fers se rejoint souvent au commencement<br />

<strong>de</strong> l'autre, l'effet <strong>de</strong>. <strong>la</strong> rime disparaît;<br />

et Ton sait qu'elle est essentielle à notre rhythme<br />

poétique. 11 est frai que, pr lui-même, il est voisin<br />

<strong>de</strong> l'uniformité; mais aussi le grand art est <strong>de</strong><br />

varier <strong>la</strong> mesure sans là détraire, et <strong>de</strong> couper le<br />

vers sans le briser. Le moyen qu'ont employé nos<br />

8IÈCLB ME WOm XI?. — POÉSIE, 441<br />

bons poètes, c'est <strong>de</strong> p<strong>la</strong>tv <strong>de</strong> temp il tsnp <strong>de</strong>t<br />

«entras ou <strong>de</strong>s repos à différantes p<strong>la</strong>ns, en sort»<br />

qeVui vers ne ressemble pas à l'autre; <strong>de</strong> ne pat toujours<br />

procé<strong>de</strong>r par distiques, et <strong>de</strong> inir quelquefois<br />

le sens en fusant attendre <strong>la</strong> rime, comme ëaas ait<br />

endroit <strong>de</strong> Racine :<br />

H faut <strong>de</strong>s ehattaents dont tarif» Mndaee s<br />

Qu'on tremble — es comparant futaies et <strong>la</strong> suppliée,<br />

Qm les peuples entiers dans te sang lofent noyés. —<br />

le veux qu'on dise un Jour ans siècles effrayai :<br />

IlM<strong>de</strong>slîitfs.—<br />

Et ailleurs :<br />

le Fai trouvé mmêwt d'une affreuse nsossiète,<br />

Bawêtu lia ImmmmmM, tout pile; — nais Mm «Il<br />

. Cesser ?att sou* Sa cendre eaeor le marne ecgueli<br />

Toys ces vers sont d'une coupe différente, et là<br />

césure est toujours p<strong>la</strong>cée avec une intention re<strong>la</strong>tif<br />

e an sens. La césure est différente <strong>de</strong> l'hémistiche<br />

en ce qu'elle se p<strong>la</strong>ce où Fou feut; mais l'hémistiche<br />

exprime essentiellement <strong>la</strong> moitié d'un fers<br />

divisé en <strong>de</strong>ux parties égales. On peut aussi en faner<br />

l'effet, suivaat les diferses structures <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

phrase, arrêtée sur rhémistiebe d'une manière plus<br />

ou moins distincte : c'est m que nous enseigne Voltaire<br />

dans ces fers qui sont à <strong>la</strong> fois une leçon et<br />

un modèle.<br />

Qbmrwm nitabtlche, —et redoutas l'ennui<br />

Qu'un repos uniforme attache auprès <strong>de</strong> M.<br />

Que votre phrase heureuse — et dafremeot ren<strong>du</strong>e<br />

Soit taillât terminée et tantôt suspen<strong>du</strong>n.<br />

Cest le secret <strong>de</strong> l'art. — Imites ces accents<br />

Dent l*a<strong>la</strong>é Jéltotle avait charmé ses sens.<br />

Tm^mmlmmmmmm^mmmmmmmmmf<br />

Il n'appesantît peint ses sons et sa es<strong>de</strong>nee.<br />

Salle t — dont Terpftlchore avait con<strong>du</strong>it les pas,<br />

fit sentit <strong>la</strong> mesure et ne I* marasa pas.<br />

On a dû voir que <strong>la</strong> phrase est contenue tantét<br />

dans un <strong>de</strong>mi-fers , tantdt dans dans un fers m*<br />

tier, tantét dans <strong>de</strong>ux. On peut mène ne compléter<br />

le sens qu'au bout <strong>de</strong> huit , <strong>de</strong> dix , <strong>de</strong> ûmm vers ,<br />

quand on sait faire <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> poétique, et c'est m<br />

mé<strong>la</strong>nge qui pro<strong>du</strong>it l'harmonie.<br />

Mais que fait Ronsard? Toujours rempli dos<br />

Grecs et <strong>de</strong>s Latins, il feut en français procé<strong>de</strong>r<br />

comme eux, et il fa sans cesse enjambant d'un fort<br />

à l'autre.<br />

Cette nymphe royale est digne qu'on lui ie<br />

Des autels...<br />

Les parques se disaient : Chartes qui doit •euh*<br />

An mon<strong>de</strong>...<br />

Je Tau, s*i est pessilile, atteindra à tatotnogB<br />

m celle....<br />

II ne s'aperçoit pas que p<strong>la</strong>cer ainsi une chute <strong>de</strong><br />

phrase au commencement d'un fers, est tout m qu'il<br />

y a <strong>de</strong> plus ridicule et <strong>de</strong> plus baroque ; et qu'alors ,<br />

pour me servir d'une expression tri*<strong>la</strong>ie, mais juste,<br />

le fers tombe sur le nez 9 ou plutôt qu'il n'y a plus<br />

<strong>de</strong> fers. Je n'aurais pas mène insisté là-<strong>de</strong>ssus* si


448<br />

COUBS DE UrraiATURE.<br />

<strong>de</strong> nof jours on n'avait pai poussé rabmîdilé jusqu'à<br />

?ouloir repro<strong>du</strong>ire m mécanisme grossier. Qui<br />

le croirait 9 si <strong>de</strong>s ouvrages qui ont fait <strong>de</strong> brait us<br />

moment ne l'attestaient pas9 que Ronsard ait été<br />

sur le point <strong>de</strong> re<strong>de</strong>venir le légis<strong>la</strong>teur <strong>de</strong> notre<br />

poésie , après les Racine et les fioileau v et qu'on ait<br />

presque érigé en système l'ignorance <strong>la</strong> plus hoateuie<br />

<strong>du</strong> rbythme <strong>de</strong> notre versification ? Il est <strong>de</strong><br />

rintérêt <strong>de</strong>s lettres et <strong>du</strong> goût <strong>de</strong> rappeler <strong>de</strong> temps<br />

es temps ces exemples, qui font voir <strong>de</strong> quels travers<br />

est capable l'impuissance orgueilleuse, qui f ne<br />

pouvant pas même innover en extravagance, croit<br />

se relever en renouve<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> vieilles erreurs et rajeunissant<br />

<strong>de</strong> vieui abus. Et <strong>de</strong> quel point est-on<br />

parti pour en venir là? Nos grands écrivains avaient<br />

<strong>la</strong>it <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue et <strong>de</strong> <strong>la</strong> versification ce qu'il est<br />

possible d'en faire; et l'ambition <strong>du</strong> talent doit être<br />

<strong>de</strong> pro<strong>du</strong>ire <strong>de</strong>s beautés nouvelles par les mêmes<br />

moyens f reconnus les seuls bons , les seuls praticables.<br />

Ce<strong>la</strong> est difficile 9 il est vrai ; on a donc pris un<br />

autre parti. On a abusé d'un aveu qu'ils avaient fait<br />

<strong>de</strong> l'infériorité <strong>de</strong> ces moyens ; comparés à ceux <strong>de</strong>s<br />

<strong>la</strong>ngues anciennes; mail, loin <strong>de</strong> reconnaître avec<br />

eux qull faut se servir <strong>de</strong> son instrument 9 quel qui!<br />

soit, et non pas le dénaturer, on a trouvé plus court<br />

<strong>de</strong> dire qu'ils n'y entendaient rien; que <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue<br />

<strong>de</strong> Racine et <strong>de</strong> Voltaire était usée; qu'il fal<strong>la</strong>it m<br />

créer me mmwik; que notre poésie ; qui pourtant<br />

est assez vivante dans leurs outrages , se mwnmîi<br />

mèrent use Pléia<strong>de</strong> poétique <strong>de</strong> sept écrivains qui<br />

florissaient <strong>du</strong> temps <strong>de</strong> Ptolémée Phi<strong>la</strong><strong>de</strong>lphe, on<br />

it aussi une Pléia<strong>de</strong> française <strong>du</strong> temps <strong>de</strong> Ronsard.<br />

Ceux qui <strong>la</strong> composaient avec lui étaient Belleao,<br />

Balf f Jo<strong>de</strong>lle, Jean Dont, Dubel<strong>la</strong>y, Ponthus. Belieau<br />

et Baîf n'eurent guère que les défauts <strong>de</strong> Ronsard<br />

sans avoir son mérite. Bu Bartss fut pin encore<br />

: jamais <strong>la</strong> barbarie ne fut poussée plus loin. Il<br />

semb<strong>la</strong>it que l'érudition mal enten<strong>du</strong>e et le pédantisme<br />

sco<strong>la</strong>stique eussent conspiré <strong>la</strong> raine <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue<br />

française. Les <strong>la</strong>tinismes, les héllénismes, les<br />

épithètes entassés et les métaphores outrées avaient<br />

tout envahi. C'est un <strong>de</strong>s caractères <strong>de</strong> <strong>la</strong> médiocrité<br />

d'esprit <strong>de</strong> voir l'art tout entier dans ce qui n'est<br />

qu'une partie <strong>de</strong> l'art ; et un genre <strong>de</strong> beauté nouvellement<br />

découvert est d'abord employé avec profusion.<br />

On avait vu dans Ronsard l'effet <strong>de</strong> quelques<br />

belles épithètes, <strong>de</strong> quelques métaphores expressives;<br />

on ne voulut plus faire autre chose, et l'on entendit<br />

<strong>de</strong> tous elles, dans fo<strong>de</strong> et le poème, <strong>de</strong>s<br />

vers tels que ceux-ci :<br />

O grand Dtea qui nourris ta mfimMM m§mmm<br />

Dm &imaux nmmgsux.,.<br />

Par M te §tm bétail <strong>de</strong>s mmsmt wmeketw§;<br />

Par toi f humble immpemm <strong>de</strong>s b<strong>la</strong>nehm 6frftrta...<br />

M se f «Mit haussant les mm§mmM wmmimgnm ;<br />

Là vont s'ap<strong>la</strong>nissent les p&mdreusm esmpàgneë.<br />

Si <strong>la</strong> profusion <strong>de</strong>s épithètes est on défaut en poésie<br />

9 c'en est un bien plus grand encore dans <strong>la</strong> prose,<br />

dont le ton doit être plus simple. Ce n'est pas appa­<br />

m iîmMîU; qu'U n'y avait p&imê <strong>de</strong> mot qu'on me remment l'avis <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> prosateurs <strong>de</strong> nos<br />

pMfiâre entrer dans <strong>la</strong> poésie mbk; et cent au­ jours ? qtii s'imaginent avoir <strong>de</strong> <strong>la</strong> force et <strong>du</strong> colotres<br />

assertions aussi foiles9 répétées magistralement' ris en accumu<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s mots. Ce<strong>la</strong> donnait parfois<br />

par <strong>de</strong>s journalistes qui ont ie privilège <strong>de</strong> nous en­ un peu d'humeur h Voltaire, qui écrivait à ce sujet :<br />

seigner tous les jours ce qu'ils n'ont jamais appris. Ne pmtrm-t-onpm km* faire comprendre comèim<br />

L'exécution est venue à l'appui <strong>de</strong> cette belle théorie, r@4jœtif e$t sommé ennemi <strong>du</strong> «éftouffe, fteaf-<br />

et, sous prétexte d'égaler les Grecs et les Latins, qm'M$ i'mc&r<strong>de</strong>mt m genre, en nomère, eimemf<br />

on nous a fait une foule <strong>de</strong> vers qui ne sont pas A l'égard <strong>de</strong>s figures, on va voir comme on les<br />

français. On s'est mis à multiplier les enjambements employait d'après Ronsard.Chassignet, par exemple,<br />

tels que ceux que vous venez d'entendre; à tour­ tra<strong>du</strong>isant un psaume v disait à Dieu :<br />

menter, à hacher le vers <strong>de</strong> toutes les manières 9 à Par toi le mol ZépMra, ans allés diaprées 9<br />

lui donner un air étranger en vou<strong>la</strong>nt le faire paraî­ le&tse d'an air dou <strong>la</strong> perruque <strong>de</strong>s f ras 9<br />

Et sur les <strong>mont</strong>s veisuis,<br />

tre neuf; à chercher les vieux mets, quand ceux Éventant ses soaptrs par les vignes pmiprées f<br />

qui sont en usage va<strong>la</strong>ient mieux; à fairef ce que Demie <strong>la</strong> ris aux leurs et da sue au raisins.<br />

n'eût pas osé Chape<strong>la</strong>in, un hémistiche entier d'un Remarquons, à travers ee fatras f que pour rendre<br />

adverbe <strong>de</strong> six syl<strong>la</strong>bes; et tout cet amas <strong>de</strong> prose le <strong>de</strong>rnier vers fort bon, il n'y a qu'à changer un seul<br />

brisée et martelée9 <strong>de</strong> locutions barbares, <strong>de</strong> cons­<br />

mot9 et mettre,<br />

tructions forcées9 s'est appelé, pendant quelque<br />

Bonne <strong>la</strong> via au leurs et le «ae aux râte<strong>la</strong>i.<br />

temps, dm nuwoemmU, <strong>de</strong> i'qffèt, <strong>de</strong> ta variété,<br />

êe ta pk^êimmtmk, Et ces sublimes découvertes <strong>du</strong> Chassignet continue sur le même ton :<br />

dix-huitième siècle n'étaient pas tout à fait renou­ Par toi le doax Safefi i <strong>la</strong> Terre sa femme,<br />

velées <strong>de</strong>s Grecs 9 mais <strong>du</strong> siècle <strong>de</strong> Ronsard : heu» rj*in œil tout plein d'amour comBHHlipa sa<br />

Eltaatàreoflrnn<br />

nusemeet êtes ont passé aussi vite que lui.<br />

Lui pondra les cheveux, set têtemeists emname;<br />

On se rappelle qu'à Feumph <strong>de</strong>s Grecs qui for­ EtS«friiiti€<strong>la</strong>aïgMnitaIJenrJi«tegroe,


H OU8 Ftf oiis ¥» tout à rfaeure donner une perruque<br />

aux prairies : il ne s'en tient pas là, il es douée<br />

mm aussi an soleil.<br />

Soit que <strong>du</strong> beau Soleil <strong>la</strong> perruque empourprée'<br />

Recta <strong>de</strong> les rais cette basse contrée.<br />

Il faut a?ûner que le dieu do jour, qui <strong>de</strong> temps<br />

immémorial est en possession chez les poètes d'a-<br />

?ôif <strong>la</strong> plus bellechevelure <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, se doit pas être<br />

mmîmt <strong>de</strong> Chassigpet, qui s'avise <strong>de</strong> le mettre ee<br />

perruque.<br />

De Bartas a imité, dans une <strong>de</strong>scription <strong>du</strong> déluge,<br />

le morceau connu <strong>de</strong>s Métamorphosée d'Ovi<strong>de</strong>.<br />

Il y a quelques f ers qui ont <strong>de</strong> <strong>la</strong> précision et <strong>de</strong> l'énergie.<br />

Son style a beaucoup <strong>de</strong> rapport avec celui <strong>de</strong><br />

Ronsard ; on voit qu'il s'était mo<strong>de</strong>lé sur lui. Voici<br />

<strong>la</strong> in <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>scription, quiv malgré <strong>de</strong>s fautes sans<br />

nombre, n'est pas sans beautés. Cette citation suffira<br />

pour faire voir ce que les poètes <strong>de</strong> ee temps avaient<br />

<strong>de</strong> talent, et à quel point ce talent était dépourvu <strong>de</strong><br />

goût.<br />

Tandis s Sa sainte nef, sur FéeMm * notés '<br />

* Du superbe Océan, navigeait assurée,<br />

Bien que sans mât, sans rame t et loin, loin <strong>de</strong> tout port :<br />

Car retereel était son pilote et SôQ n&rê.<br />

Trois fols cinquante jours le général ma%fm§e «<br />

Dévasta l'univers. Enfin cfsa tel ravage<br />

L'Immortel attendri n'eut pas sonné sitôt<br />

* La retraite <strong>de</strong>s eaux, que soudais Sot sur flot<br />

Blés vont s'éQspler : tous les fleuves s'abaissent ;<br />

La mer rmîr* en prise* ; les <strong>mont</strong>agnes renaissent 0 ;<br />

Les bois mostreni déjà leurs limoneux rameaux g<br />

1 Béjà <strong>la</strong> terre croit par le décroît <strong>de</strong>s eaux ;<br />

Et bref <strong>la</strong> seule mais <strong>de</strong> dieu ê&rêe-t®mnerwe %<br />

9 Montre <strong>la</strong> terre au ciel et le ciel à <strong>la</strong> terra.<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

Besportes écrivit beaucoup plus purement que<br />

Ronsard et ses imitateurs. Il effaça <strong>la</strong> rouille imprimée<br />

à notre versiication9 et <strong>la</strong> tira <strong>du</strong> chaos où<br />

on l'avait plongée. Il par<strong>la</strong> français : il évita avec<br />

assez <strong>de</strong> soin l'enjambement et l'hiatus; mais, faible<br />

d'idées et <strong>de</strong> style, il n'a pu, dans l'âge suivant,<br />

gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> rang sur notre Parnasse. Il imita Marot dans<br />

les pièces amoureuses9 et resta fort inférieur à lui. II<br />

<strong>de</strong>vança Malherbe dans les stances qu'on ne peut pas<br />

encore appeler <strong>de</strong>s odê§, quoique <strong>la</strong> tournure en<br />

soit assez douce et facile, et Malherbe le Et oublier.<br />

Celui-là fut vraiment un homme supérieur : c'est<br />

son nom qui marque <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> époque <strong>de</strong> notre<br />

<strong>la</strong>ngue. Marot n'avait réussi que dans <strong>la</strong> poésie ga-<br />

* Pour eepmêmL<br />

* <strong>la</strong>cise a tUt : te dm 4ê îa pMm ft§»M#,<br />

9 Enjambement.<br />

* Me diratt-on pas qui c'est un téoéral qui s'appe<strong>la</strong>it JYet§-<br />

Huée?<br />

* Enjambement<br />

* Belle expresatos.<br />

1 Beau vers.<br />

0 Estthète graeque.<br />

Là 8àa«. — mwm i.<br />

4 if<br />

<strong>la</strong>nte et légère : Malherbe fut le premier modèle <strong>du</strong><br />

style noble et le créateur <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie lyrique. Il en a<br />

l'enthousiasme, les mouvements et les tournures,<br />

lié avec <strong>de</strong> fortifia et <strong>du</strong> goût, Il connut les effets <strong>du</strong><br />

rhythme f et créa une foule <strong>de</strong> constructions poétiques<br />

adaptées au génie <strong>de</strong> notre <strong>la</strong>ngue. 11 nous enseigna<br />

l'espèce d'harmonie imitative qui lui convient,<br />

et comment on sesert <strong>de</strong> l'inversion avec art et avec<br />

réserve. Ses ouvrages pourtant ne sont pas encore<br />

d v une puretécomparableauf écri vans <strong>de</strong>s beaux jours<br />

<strong>de</strong> Louis XIY : il ne serait pas juste <strong>de</strong> l'exiger. Mais<br />

tout ce qu'il nous apprit, il ne le <strong>du</strong>t qu'à lus-mime,<br />

et au bout <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux cents ans on cite encore nombre<br />

<strong>de</strong> morceaux <strong>de</strong> lui, qui sont d'une beauté à peu<br />

près irréprochable. Voyez cette belle paraphrase<br />

d'un psaume sur <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur périssable <strong>de</strong>s rois :<br />

Ont-Us ren<strong>du</strong> l'esprit, ee n'est plus ipe poussière<br />

Que cette majesté si pompeuse et si Hère,<br />

Bout Téc<strong>la</strong>t orgueilleux étonnait l'unité»;<br />

Et f dans ces grands tombeau m lents âme<br />

. • Fout encore les ¥aioess<br />

Ils sont rongés <strong>de</strong>s vers,<br />

Là se per<strong>de</strong>nt ces noms <strong>de</strong> maîtres <strong>de</strong> <strong>la</strong> terra,<br />

D'arbitres <strong>de</strong> <strong>la</strong> paix t <strong>de</strong> foudres <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre : .<br />

Comme Usn'ont plus <strong>de</strong> sceptre, ils n'ont plus <strong>de</strong> fiatteors<br />

Et tombent avec eux, d'une chute eommune e<br />

Tous eetu «pie <strong>la</strong> fortune<br />

Faisait leurs serviteurs.<br />

Voilà enfin <strong>de</strong>s vers français, et l'on n'avait rien FU<br />

jusque-là qui pût même en approcher.<br />

Veut-on un exemple <strong>de</strong> ce beau feu qui doit animer<br />

Fo<strong>de</strong> : voyez celle qu'il adresse à Louis XIII partant<br />

pour l'expédition <strong>de</strong> <strong>la</strong> Eochelle. Il faut excuser quelques<br />

défauts <strong>de</strong> diction, quelques prosaïsmes; <strong>la</strong><br />

limite entre le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie et celui <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

prose n'était pas encore bien Éxée : on ne peut pas<br />

tant faire à <strong>la</strong> fois. Voyons seulement si les mouvements<br />

et les idées sont d'un poète.<br />

Certes t ou je me trompe, ou déjà <strong>la</strong> YSctotre,<br />

Qui ' son plus grand honneur <strong>de</strong> tes palmes attend,<br />

Est aux bords <strong>de</strong> Charente, en son habit <strong>de</strong> g<strong>la</strong>ire,<br />

Pour te rendre content,<br />

le <strong>la</strong> fais qui f appelle, et f ai semble te dira :<br />

Roi le plus grand <strong>de</strong>s rois t et qui m'es le plus cher,<br />

SI tu veux que Je t'ai<strong>de</strong> à sauver ton empire,<br />

11 est temps <strong>de</strong> marcher..<br />

Que UL façon est brave, et sa vmim* assurée !<br />

Qu'elle a fait richement son armure étoffer!<br />

Et «pli se connaît bien, à <strong>la</strong> voir si parie»<br />

Que tu vas triompher !<br />

Telle, en ce grand assaut où <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> <strong>la</strong> Terra<br />

La rage ambitieuse à Um honte parut s<br />

Elle tauva le ciel, et rua le tonnerre<br />

Dont Briare mourut<br />

La strophe suivante est remarquable par Thartnfinie<br />

imitative.<br />

Déjà <strong>de</strong> toutes parts t'avançaient <strong>la</strong> approches.<br />

Ici courait Mimas : 14 Typhon se battait;<br />

1 Investi» vieieiise.


45*<br />

CODES DE LÏTTÉEATUEE.<br />

El là suait Earyte à détaeter les radies<br />

Qs'Eoce<strong>la</strong><strong>de</strong> Jetait<br />

Dans le premier <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers vers on sent le<br />

tra?ail <strong>du</strong> géant qui détache <strong>la</strong> roche; dam le <strong>de</strong>rnier<br />

on <strong>la</strong> voit partir.<br />

.¥eut-on <strong>de</strong> l'intérêt et <strong>de</strong> <strong>la</strong> noblesse? écoutons<br />

encore <strong>la</strong> In <strong>de</strong> cette même o<strong>de</strong> où fauteur a pris<br />

tous les tons <strong>de</strong> <strong>la</strong> lyre : c'était pourtant <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière<br />

fois qu'il <strong>la</strong> maniait; c'est <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière o<strong>de</strong> qu'il ait<br />

faite.<br />

Je sali pmmemdm temps * : jaeèée à ses outrages.<br />

Mon «prit seulement, exempt <strong>de</strong> sa rigaecir,<br />

A <strong>de</strong> quoi témoigner es ses <strong>de</strong>rniers ouvrages<br />

Sa première figue».<br />

On a vu §11 dit vrai, et si Ton peut lui pardonner<br />

cette sorte <strong>de</strong> jactance, permise aux poètes quand<br />

on peut les supposer inspirés f un peu ridicule quand<br />

on sent qu'ils ne le sont pas, et qui dans tous les<br />

cas est sans conséquence.<br />

LM puissantes faveurs dont Parnasse nftoara»<br />

Nos loin <strong>de</strong> mon berceas cofuiaencèreet leur court :<br />

Je les possédai Jeune, et tes possè<strong>de</strong> encore<br />

• <strong>la</strong> in <strong>de</strong> mes Jours.<br />

€e que J'en al reçu, Je ?«n te le pro<strong>du</strong>ira:<br />

Ta Terres mm adrem ; et ton front t cette fols f<br />

Sera ceint <strong>de</strong> rayons qu'on ne fil jamais luire<br />

Ssr ta tète <strong>de</strong>s rois.<br />

Quel nombre! quelle ca<strong>de</strong>nce! quelle beauté d'expression!<br />

voyons-le dans <strong>de</strong>s sujets moins grands,<br />

et qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> douceur et <strong>de</strong> <strong>la</strong> sensibilité;<br />

par exemple t dans les stances qu'il adresse à son ami<br />

Dnpérier, qui avait per<strong>du</strong> sa ille à peine au sortir<br />

<strong>de</strong> l'enfance,<br />

Ti doetear, Dnpérier, sera dose éternelle?<br />

Et ta tristes dis<strong>cours</strong><br />

Que te met en l'esprit ramiUé paternelle<br />

L'augmenteront toejoara?<br />

Obserfons d'abord le choii <strong>du</strong> rhythme : ce petit<br />

vers qui tombe régulièrement après le premier, peint<br />

si bien rabattement <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur! c'est là le ¥raï<br />

secret <strong>de</strong> l'harmonie dont on parle tant aujourd'hui :<br />

il ne s'agit ps <strong>de</strong> <strong>la</strong> travailler avec effort; il feut <strong>la</strong><br />

choisir a?ec goût.<br />

Le malheur <strong>de</strong> ta Ilie an tombeau <strong>de</strong>sosndne<br />

Par an commun trépas,<br />

Est-ce quelque dédale où ta raisaa per<strong>du</strong>e<br />

Mesefatroufe pas?<br />

Elle était <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> , où les plus belles choses<br />

OUI le pire <strong>de</strong>stin;<br />

Et, rose, elle a irêm ce quêtent les roses.<br />

L'espace d*aa matlu. '<br />

Le charme <strong>de</strong> ces vers est inexprimable. Cest dans<br />

cette mime pièce que se trouvent les vers sur <strong>la</strong><br />

morts trop femeux pour n'en pas parler, trop con-<br />

"it \ FM ^ e t frtll ?» l s s - Os est vaincu jw, et non mineu <strong>de</strong>.<br />

Mats m poésie cette lieeiwe bien p<strong>la</strong>cée peut étant*.<br />

mm pour les répéter. Les quatre premiers sont faibles;<br />

mais les quatre <strong>de</strong>rniers sont d'une beauté<br />

parfaite.<br />

Deui poètes, élèves <strong>de</strong> Malherbe, eurent, mène<br />

<strong>de</strong> son vivant, une réputation méritée : Raean et<br />

Maynard.<br />

Raean, dans <strong>la</strong> poésie lyrique, est <strong>de</strong>meuré fort<br />

au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> son maître; mais, comme poète bucolique,<br />

il a justiié l'éloge qu'en a fait Boileau,<br />

quand il a dit :<br />

Aaon ebaster Phlllt, les bergers et les bols,<br />

11 a le premier saisi le Tirai ton <strong>de</strong> <strong>la</strong> pastorale, qu'il<br />

avait étudiée dans firgile. Son style, malgré les incorrections<br />

et les inégalités que Malherbe lui reprochait<br />

a?ec raison f respire cette mollesse gracieuse et<br />

cette mé<strong>la</strong>ncolie douce que doit avoir l'amour quand<br />

il soupire dans une solitu<strong>de</strong> champêtre, et qui rappelle<br />

ce mot d'une femme d'esprit à qui Ton <strong>de</strong>mandait,<br />

dans ses <strong>de</strong>rnières années, ce qu'elle regrettait<br />

le pins <strong>de</strong> sa jeunesse : Un beau ckagrim<br />

dam me beMe-prcdrie. Les bons fers <strong>de</strong> Eacan ont<br />

<strong>du</strong> nombre et quelquefois une élégance 'heureuse<br />

et poétique.<br />

P<strong>la</strong>isant f séjour <strong>de</strong>s âmes affligées 9<br />

•Mlles forêts <strong>de</strong> trois siècles âgées v<br />

Qui taceles <strong>la</strong> soit, le silence et l'effroi ;<br />

Dépôts qu'es ces déserts les nmmutews, amm armmte \<br />

Tieaeeet faire leur p<strong>la</strong>inte,<br />

Es a-t-on m quelqu'un plus malheureux que mol?<br />

Soit que te jour dissipant les étoiles t<br />

Force <strong>la</strong> suit à retirer ses salle»,<br />

Et peigne f ©rient <strong>de</strong> diverses couleurs,<br />

Ou que S'ombre <strong>du</strong> soir, <strong>du</strong> faite <strong>de</strong>s <strong>mont</strong>agnes ,<br />

Tombe dans les campagnes,<br />

L'on m me volt Jamais que p<strong>la</strong>indre mes dontou».<br />

Ainsi Daphnls, rempli d'inquiétu<strong>de</strong> f<br />

Contait sa peine en cette solitu<strong>de</strong>,<br />

GSorieus d'être esakse eu <strong>de</strong> si beaux tiens.<br />

Les njmphes <strong>de</strong>s forêts p<strong>la</strong>ignirent son martyre,<br />

Et l'amoureux Zéphlra<br />

Arrêta ses soupirs pour entendre les siens.<br />

H y. a'quelques feutes dans ces stances s dont <strong>la</strong><br />

première est imitée d'Ovi<strong>de</strong>; mais elles sont en général<br />

d'un ton intéressant. Le rhjthme en est bien<br />

choisi, à l'exception <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux premiers fers. On peut<br />

remarquer, pour peu qu'on ait l'oreille sensible,<br />

que le vers <strong>de</strong> quatre pieds se mêle très-bien awee<br />

l'hexamètre; jamais le vers à cinq piedst qui s'est<br />

fait qoe pour aller seul<br />

Raeanf qui formait son goût sur celui <strong>de</strong>s anëeas,<br />

emprunta souvent leurs idées morales sur <strong>la</strong> rapidité'<br />

et l'emploi <strong>du</strong> temps, sur <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> mourir,<br />

« Piaimmi se disait sJors pour agréable, et se trame encore<br />

pris en ce sens dans Bollean, comme adjectif werfsej<br />

Tenant dn imlmpimm.<br />

» II faut prendre gar<strong>de</strong> à cet mnstnigtltms équfYOSiMS.<br />

Saeu,amnte se rapporte à vùnmeni faire km Momie, et<br />

parait à Italie se rapporter d'abord à mrnmtm.


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE,<br />

mr les iôiceirs <strong>de</strong> <strong>la</strong> retraite; mais il paraphrase i<br />

us peu longuement, et s'il imite leur naturel, il s'égale<br />

pas leur précision. (Test le seul défaut <strong>de</strong> ces<br />

stances* sur <strong>la</strong> retraite, plus d'une fois citées par les<br />

amateurs f comme en <strong>de</strong> ses meilleurs morceaux. '<br />

Les yers se lient facilement les uns aux antres ; ils<br />

sont doux et cou<strong>la</strong>nts : mais comme <strong>la</strong> pièce est nn<br />

peu longue, cette sorte <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngueur qu'on aime pendant<br />

trois on quatre stances, défient monotone,<br />

quand on en lit sept ou huit. En ¥oiei quelques-unes :<br />

Tlrcte, U faut penser à luire <strong>la</strong> s retraita :<br />

La <strong>cours</strong>e <strong>de</strong> nos Jours est plus cfu*à <strong>de</strong>mi faite ;<br />

L'âge ItisciiftfMeïiient nous con<strong>du</strong>it à ia mort<br />

Mous avens assez vu, sur <strong>la</strong> mer <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>,<br />

Errer au gré <strong>de</strong>s Ilots notre nef wagahoo<strong>de</strong> :<br />

U est tempe <strong>de</strong> jouir <strong>de</strong>s déliées <strong>du</strong> port<br />

Le Men <strong>de</strong> <strong>la</strong> fortune est sa bien périssable;<br />

Quand on bâtit fur elle, on bâtit sur le sable :<br />

Plus on est élevé, plus on court <strong>de</strong> dangers ;<br />

Les grands pins sont m butte aux coup <strong>de</strong> <strong>la</strong> tempête ,<br />

Et <strong>la</strong> rage <strong>de</strong>s vents brise plutôt te faite<br />

Des maisons <strong>de</strong> usa rois que les toits <strong>de</strong>s bergers.<br />

O bleu heureux celui cful peut <strong>de</strong> sa mémoire<br />

Effacer pour Jamais les vains désirs <strong>de</strong> gloire ,<br />

Dont nautile soin traverse ries p<strong>la</strong>isirs;<br />

Et qui loin retiré <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule importune,<br />

Vivant dans sa maison , content <strong>de</strong> sa fortune 9<br />

4 selon son pouvoir mesuré ses désirs!<br />

C'est un objet <strong>de</strong> comparaison assez curieux, que<br />

<strong>de</strong> mit précisément les mêmes idées renfermées dans<br />

le même nombre <strong>de</strong> fers par le grand fersliealeor<br />

Despréaus:<br />

Qu'heureux est le mortel qui, <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> Ignoré,<br />

lit content <strong>de</strong> lui-môme en us ce<strong>la</strong> retiré ;<br />

Que f amour <strong>de</strong> ce r§en qu'on nomme renommée ,<br />

H'aJamais enivré d'une vaine fumée;<br />

Qui <strong>de</strong> sa liberté forme tout son p<strong>la</strong>isir,<br />

Et M rend qu'à lui seul compte <strong>de</strong> ton loisir 1<br />

Peut-être serait-il difficile <strong>de</strong> choisir. L'expression<br />

- est certainement pies poétique dans les <strong>de</strong>rniers;<br />

mais il règne dans les astres je se sais quel abandon<br />

qui petit ba<strong>la</strong>ncer l'élégance.<br />

La diction est plus soignée dans les mm <strong>de</strong> Mayiiard;<br />

<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue s'y épure <strong>de</strong> plus en plus ; mais ses<br />

wers plus travaillés n'ont pas le caractère aimable<br />

<strong>de</strong> ceux <strong>de</strong> Racan. On a <strong>de</strong> lui <strong>de</strong>s sonnets et <strong>de</strong>s<br />

épîgrammes d'une bonne tournure et d'une expression<br />

choisie; mais il est toujours un peu froid. Si<br />

jamais on a pu appliquer particulièrement à quelqu'un<br />

ces vers <strong>de</strong> madame Deshoulières, qui sont<br />

assez frais <strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong>,<br />

Bai s'est content <strong>de</strong> sa fortune,<br />

Il naéeeataat <strong>de</strong> son esprit f<br />

e*tj$t surtout & Maynard. Il loue sans cesse son talent,<br />

et même un peu an <strong>de</strong>là <strong>de</strong>s libertés poétiques f<br />

1 L'artktoest <strong>de</strong> trop : Si faut Mm faim fttmite.<br />

4M<br />

et se p<strong>la</strong>int continuellement <strong>du</strong> peu <strong>de</strong> fruit qu'il en<br />

retira. (Test ce qu'os verra dans le sonnet suivant,<br />

qui peut d'ailleurs faire juger <strong>de</strong> sa manière d'éerlr©<br />

dans le genre noble, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté, <strong>de</strong> <strong>la</strong> correction<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> pureté <strong>de</strong> ses vers.<br />

Mes veil<strong>la</strong>i , qui partout se faat <strong>de</strong>s partisans ,<br />

N'ont pu, toucher le eœar <strong>de</strong> ma * gran<strong>de</strong> princesse;<br />

Et te Pa<strong>la</strong>is-<strong>Royal</strong> va traiter mes vieux ans<br />

De même que le Louvre a traité ma Jennesee*<br />

Jamais an bon succès s'accompagna mes vœux f<br />

Bien que ma voix me fasse un <strong>de</strong>s cygnes <strong>de</strong> France ;<br />

Doue lustres entiers ont b<strong>la</strong>nchi mes cheveu t<br />

Depuis que ma tarin se p<strong>la</strong>int <strong>de</strong> l'espérance.<br />

Un si constant reproche à <strong>la</strong> Un m'a <strong>la</strong>ssé,<br />

Et Je vota à regret, en' mon âge g<strong>la</strong>cé,<br />

Que <strong>la</strong> <strong>la</strong>veur me fuit et que <strong>la</strong> cour me trompa.<br />

Voisin, comme Je suis, <strong>du</strong> rivage <strong>de</strong>s morts,<br />

A quoi me servirait d'acquérir <strong>de</strong>s trésors?<br />

Qu'à me faire enterrer aweeqm pins <strong>de</strong> pompe.<br />

Ses <strong>de</strong>ux pièces les plus connues et les meilleur»<br />

sont œlks qui regar<strong>de</strong>nt le cardinal <strong>de</strong> Richelieu ;<br />

et malheureusement l'une est un éloge -, et rentre<br />

une satire.<br />

Armand f Page affaiblit mes yeux 9<br />

Et toute mm chaleur me quitte ;<br />

Je Terrai bientôt mes aïeux y<br />

Sur M rivage <strong>du</strong> Coeyte.<br />

Cest où Je serai <strong>de</strong>s suivants<br />

Be ce bon monarque <strong>de</strong> France,<br />

Qui fut le père <strong>de</strong>s savants ,<br />

Bans un siècle plein d'ignorance.<br />

Dès que J'approcherai <strong>de</strong> <strong>la</strong>i»<br />

II voudra que Je lui raconte<br />

Tout ce que tu fais auJourd§hui<br />

Four combler l'Espagne <strong>de</strong> fiante*<br />

Je contenterai son désir<br />

Par le beau récit <strong>de</strong> ta vie,<br />

Et charmerai le dép<strong>la</strong>isir<br />

Qui lui fait maudire Pavie.<br />

Mais s'il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à quel emploi<br />

Tu m'as occupé dans ce mon<strong>de</strong>,<br />

Et quel bien f ai reçu <strong>de</strong> toi t<br />

Que veux-tu que Je lui répon<strong>de</strong>?<br />

On sait <strong>la</strong> réponse <strong>du</strong> cardinal : Mm. Et quelque<br />

temps après 9 Maynard il le senne! suivant , qui est<br />

d'us tour très-ffailosophique 9 et vaut beaucoup mieux<br />

que l'autre 9 mais qui luit par un trait piquant contre<br />

le ministre qu'il venait <strong>de</strong> louer.<br />

Par votre humeur le mon<strong>de</strong> est gouverné ;<br />

Vos volontés font le calme et Forage,<br />

Et voua riez <strong>de</strong> me voir conflué,<br />

Loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour 3 , dans mon petit vil<strong>la</strong>ge.<br />

Cléomédon, mes désira sont contents;<br />

le trouve beau le désert où J'habite ;<br />

Et connak bien fait faat cé<strong>de</strong>r au temp,<br />

Fuir* Féc<strong>la</strong>t et <strong>de</strong>venir ermite.<br />

le fuis heureux <strong>de</strong> vfanlir: sans emploi ,<br />

1 La raina Anne.<br />

* Aujourd'hui ce ne serait pas trop <strong>la</strong> peine qu'us poète<br />

fit remarquer qu'il vit loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour; mais II faut se souvenir<br />

que <strong>du</strong> tarap <strong>de</strong> Richelieu toi» tes poitei éta<strong>la</strong>it courtisans<br />

t excepté le grand Ceeaeil|a.<br />

» #kir était alors <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux syl<strong>la</strong>bes. L'oreille apprit dtpsis<br />

à n*ea faire qu'une.<br />

»,


462 COUES DE LITTÉRATURE.<br />

De me cacher, <strong>de</strong> fifre tout à mol,<br />

D'avoir dompté là crainte et l'espérance;<br />

Et §1 le elel , qui me traite si bien,<br />

avait pitié île YCMM et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Francs,<br />

Voire bonheur sérail égal an sales.<br />

Rien n'a fait pies <strong>de</strong> fortune que son épitapbe,<br />

<strong>de</strong>venue <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> <strong>de</strong>vise <strong>de</strong> mmwmmm ou <strong>de</strong> nécessité<br />

, adoptée par tant <strong>de</strong> gens :<br />

• Lai d'espérer et <strong>de</strong> me p<strong>la</strong>indre<br />

Des Muses, <strong>de</strong>s grands et <strong>du</strong> sort,<br />

Cest Ici que f atlescss <strong>la</strong> mort g<br />

Sam <strong>la</strong> désirer ni <strong>la</strong> craindre.<br />

Sarrasin, écrl?a<strong>la</strong> faible et inférieur à ees <strong>de</strong>ux<br />

poètes f osa pourtant prendre en main <strong>la</strong> lyre <strong>de</strong><br />

Malherbe i et en tira même quelques sons assez beuk<br />

ftMi dans l'o<strong>de</strong> sur <strong>la</strong> bataille <strong>de</strong> Less. On a remarqué<br />

cette strophe9 <strong>la</strong> seule qui en effet soit belle, et<br />

fui <strong>de</strong> plus a été imitée par Fauteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Bewrimk :<br />

11 <strong>mont</strong>a as eliefal superbe,<br />

Qui, furieux aux combats,<br />

 peine fait courber rherbe<br />

Sous <strong>la</strong> trace <strong>de</strong> Mi pas.<br />

Son regard semble «farouche;<br />

L'écume sort <strong>de</strong> sa bouche ;<br />

Prêt au moindre mouvement,<br />

II frappe <strong>du</strong> pied <strong>la</strong> terre,<br />

Et semble appeler <strong>la</strong> guerre<br />

Par us 1er faemiisement.<br />

disait Boileau; et, <strong>de</strong>puis ce temps, elles n'en aont<br />

pas sorties. Celle-ci m'a para une <strong>de</strong> ses meilleures<br />

;<br />

Gilles faut faire fclf qu'il a Mes <strong>de</strong>s affairas;<br />

On le treaife partout, dans Sa presse, à f écart;<br />

Maie ses voyages sont <strong>de</strong>s erreurs volontaires :<br />

Quoiqu'il aille toujours, il ne va nulle part.<br />

Malleville fut renommé surtout pour le sonnet et<br />

le ron<strong>de</strong>au. Mais il s'est mieux soutenu dans ce <strong>de</strong>rnier<br />

genre que dans l'autre. Son fameux sonnet <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> èeUe Maiineuse, tant tante lors <strong>du</strong> règne <strong>de</strong>s<br />

sonnets, est fort au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> sa renommée. Il y a<br />

trop <strong>de</strong> mots et trop peu.<strong>de</strong> pensées : celle qui le termine<br />

tient <strong>de</strong> cette ga<strong>la</strong>nterie <strong>de</strong>s poètes italiens, dont<br />

<strong>la</strong> France reçut les sonnets t ers le seizième siècle, et<br />

qui comparent toujours leurs belles, au soleil. La<br />

comparaison est bril<strong>la</strong>nte; mais elle a été usée <strong>de</strong><br />

bonne heure; et, longtemps atant Molière , ies valets<br />

<strong>de</strong> comédie s'en servaient. A ce<strong>la</strong> près, le sonnet<br />

<strong>de</strong> Mallef Ile n'est pas trop mal tourné, et <strong>de</strong> son<br />

temps il a pu faire illusion :<br />

Yoltaire a dit :<br />

Les moments lui sont ehers : il parcourt tous les rasp<br />

Sur as ccsjsiler fougueux t plus léger que les Tests ;<br />

Qui f ter <strong>de</strong> son far<strong>de</strong>au, <strong>du</strong> pied frappant <strong>la</strong> terre, '<br />

Appelle les .dangers., et respire <strong>la</strong> guerre.<br />

Cette <strong>de</strong>scription est rapi<strong>de</strong>; mais elle est, si j'ose<br />

le dire, moinrf énergique et moins animée que celle<br />

<strong>de</strong> Sarrazin. Appelle ie$ dangers ne me semble pas<br />

aussi beau qm"mppeier <strong>la</strong> guerre; et ce vers, par<br />

m fier hemmissmimt^ est un trait qui dans l'imagination<br />

achète le tableau.<br />

Gombaud et Malle? iile furent plutôt <strong>de</strong>s écrit aies<br />

ingénieux que <strong>de</strong>s poètes, surtout le premier, qui<br />

nous a <strong>la</strong>issé un recueil #épigrammesv ou plutôt<br />

d§ bons mots. 1 est bien frai que Boitais a dit :<br />

L s Le stieuee régnait sur <strong>la</strong> terre et sur Ton<strong>de</strong> ;<br />

L'air <strong>de</strong>venait serein et l'Olympe vermeil ;<br />

Et l'amoureux Zéphke, qffmsicM <strong>du</strong> smmmeU,<br />

Eeassacl<strong>la</strong>ll les fleurs, d'une haleine fécon<strong>de</strong> *.<br />

L'aurore déployait for <strong>de</strong> sa tresse blon<strong>de</strong> s<br />

Et semait <strong>de</strong> rabis le ebemln <strong>du</strong> Soleil ;<br />

Enfin ce dieu venait s» * plus sfajsl apparats,<br />

Qu'il soit jamais venu pour éc<strong>la</strong>irer le mon<strong>de</strong> :<br />

Quand <strong>la</strong> jeune Pallia, au visage riant-,<br />

Sortant <strong>de</strong> son pa<strong>la</strong>is fasse elmir que t&rkmt »<br />

Fit f sir use isniièee et plus vive et plus belle,<br />

Sacrés f<strong>la</strong>mbeaux <strong>du</strong> Jour, n'en soyee point Jakmi ;<br />

Tous patates -alors aussi peu <strong>de</strong>vant elle,<br />

Que les feux <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit avaient fait <strong>de</strong>vint TOUS.<br />

J'aime mieux, je Tatoue, son petit ron<strong>de</strong>au contre<br />

l'abbé <strong>de</strong> Boisrobert, dont Richelieu avait fait<br />

un riche bénéficier, et non pas un bon ecclésiastique.<br />

Coiffé d'an froc bien raffine, -<br />

Et revêtu à?un doyenné<br />

Qui lui rapporte <strong>de</strong> quoi frire,<br />

Frère lésé <strong>de</strong>vient ïsca&ice,<br />

éfiirsiimst plus libre, en son tour plus borné,<br />

Et vit sommé un déterminé.<br />

Us pré<strong>la</strong>t riche et fortuné.<br />

Iffest assFfafit tpftan ton mot <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux -rimes orné.<br />

Sons un bonnet esiumisé,<br />

Hais, sans blesser le respect dâ au légis<strong>la</strong>teur <strong>du</strong> En est, si Ils tssl ainsi dire,<br />

Coiffé.<br />

Parnasse, osons dire que celle définition ne carac­ Ce s'est pas que frère René<br />

térise guère que répigramme médiocre. Celle dont B'aueuu mérite soit orné,<br />

Qu'il soit docte 9 qu'il sache écrire.<br />

Mardi a donné le modèle, surpassé <strong>de</strong>puis par Ra­ Il qu'il dise Se mot pour rire;<br />

cine et Rousseau, doit être piquante par l'expres­ Mais seulement cast cp'H est né<br />

sion comme par l'idée. L'épigramme a son ? ers qui<br />

Coiffé.<br />

lui appartient en propre, et ceux qui en ont fait Boisrobert est peint assez idèlement dans ce joli<br />

<strong>de</strong> bonnes (ce qui n'est pas extrêmement rare)9 le ron<strong>de</strong>auf hors us seul trait. 11 est très-sir qu'il<br />

nient bien. Gombaud ne le satall pas, et e'estj»<br />

qui fait que ses épigrammes sont oubliées.<br />

* Fin <strong>de</strong> vers traisast ; l'Inversion était tel <strong>de</strong> néeesiité.<br />

» 11 faut ê@M9 te plm tressi Au se peut remp<strong>la</strong>cer tfsiss<br />

f# que tetasp*if est question d'un Mess


SIÈCLE DE LOUIS XI?. — POÉSIE.<br />

n'était m savant ni bon écrivain; mais il n 9 est pas<br />

wrri qu'il fit sans gaieté. Un homme qui faisait<br />

rire 1e cardinal <strong>de</strong> Richelieu, détail avoir k moi<br />

ptmrlre.<br />

Yoiture et Bensera<strong>de</strong>, les <strong>de</strong>ux poètes <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour,<br />

par eieeltence*, <strong>du</strong>rent aussi leur fortune à un esprit<br />

aimable et liant 9 et à <strong>de</strong>s talents agréables. On<br />

n'ignore pas que le premier, d'une naissance trèscommune,<br />

s'éleva par l'amitié <strong>de</strong>s grands et <strong>la</strong> £a«<br />

vcur <strong>de</strong> <strong>la</strong> reise-mèrey à un assez haut <strong>de</strong>gré <strong>de</strong><br />

considération. Ses p<strong>la</strong>ces et son crédit répandirent<br />

sur lui un éc<strong>la</strong>t qui rejaillit toujours sur <strong>la</strong> réputa*<br />

tion littéraire. La sienne fut une <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s<br />

dont un homme <strong>de</strong> lettres ait joui <strong>de</strong> son vivant.<br />

On a reproché à Bofleau d'en a?oir été <strong>la</strong> <strong>du</strong>pe;<br />

mais il faudrait se soutenir aussi que dans <strong>la</strong> suite<br />

il restreignit beaucoup ses éloges : <strong>la</strong> postérité,<br />

encore plus sévère $ les a ré<strong>du</strong>its presque à rien. Ses<br />

lettres f autrefois si recherchées 9 et qui faisaient les<br />

délices <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour et <strong>de</strong> <strong>la</strong> fille, ne sont plus lues<br />

que par curiosité, et eommeon ? a YOïF dans un gar<strong>de</strong>meuble<br />

les mo<strong>de</strong>s <strong>du</strong> temps passé. Cependant il faut<br />

contenir f al eut une sorte d'esprit qui lui était particulière<br />

et qui <strong>de</strong>vait lé distinguer : c'était un enjouement<br />

quelquefois délicat et fin, qui contrastait<br />

avec l'emphase oratoire <strong>de</strong> Balzac, et <strong>la</strong> ga<strong>la</strong>nterie<br />

fa<strong>de</strong> et a<strong>la</strong>mbiquée <strong>de</strong>s poètes et <strong>de</strong>s romaociers <strong>de</strong><br />

son temps; mais chez lui l'affectation gâte tout,.et<br />

ses succès mime servirent à régarer. On lui trouvait<br />

<strong>de</strong> l'agrément : il vou<strong>la</strong>it être toujours agréable,<br />

et cessa d'être naturel. Il se mît à raffiner sur tout,<br />

et à travailler son badinage et sa gaieté, qui dès lors<br />

me furent le plus souvent que <strong>de</strong> mauvaises équivoques,<br />

<strong>de</strong>s quolibets, <strong>de</strong>s pointes énigmatiques, un<br />

jargon précieux; enf<strong>la</strong> il trouva le moyen <strong>de</strong> tomber<br />

dans ce qu'on appelle hpkéètts en vou<strong>la</strong>nt être<br />

gai, comme tant d'autres en vou<strong>la</strong>nt être sublimes.<br />

Il ressemb<strong>la</strong>it à ces p<strong>la</strong>isants <strong>de</strong> profession, à ces<br />

bouffons <strong>de</strong> société, qui se croyant toujours obligés<br />

<strong>de</strong> faire rire, pour <strong>de</strong>ux ou trois traits heureux qu'ils<br />

rencontrent, se permettent cent sottises. Tel est<br />

Voiture dans ses lettres. A l'égard <strong>de</strong> sa versiflcation<br />

elle est lâche, diffuse et incorrecte, et souvent prosaïque<br />

jusqu'à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>titu<strong>de</strong>. C'est à lui surtout qu'on<br />

peut appliquer ces vers <strong>de</strong> Voltaire :<br />

li dit avec prefastoo<br />

Des riens m rimes redoublées.<br />

Li seule pièce <strong>de</strong> lui qui ait quelque mérite, celle<br />

qu'il adressa au grand Condé, au sujet d'une ma<strong>la</strong>die<br />

qui attaqua ce prince après <strong>la</strong> campagne <strong>de</strong><br />

1643, est en général d'un ton facile et enjoué, mais<br />

ne roule que sur <strong>de</strong>ux ou trois idées proliiement dé<strong>la</strong>yées<br />

dans trois cents vers. Ce défaut serait moins<br />

' 463<br />

sensible, si Fexpression poétique remplissait le vi<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s pesées; mais elle manquait entièrement à fauteur,<br />

beaucoup plus homme d'esprit que poète. Citons<br />

am morceau <strong>de</strong> cette épttre.<br />

La mort, tpl dam te efaamf» <strong>de</strong> Min t<br />

' Parmi les cris et les a<strong>la</strong>rmes 9<br />

Les feux, les g<strong>la</strong>ires et les dardi,<br />

La foreur et le brait <strong>de</strong>s armes t<br />

' Vous parut avoir quelques charmes ,<br />

EtYoïis semb<strong>la</strong> belle autrefois,<br />

â cheral et sons le haraois 9<br />

MVt-elle pas une autre mine<br />

Lorsqu'à pas lents elle chemine<br />

Vers un ma<strong>la</strong><strong>de</strong> qui <strong>la</strong>nguit?<br />

Et semble- t-eîle pas bien <strong>la</strong>tdf<br />

Quand elle vient t tremb<strong>la</strong>nte et/miêe,<br />

Prendre un homme éedsm son lit?<br />

Lorsque Fon se rot! assaillir<br />

Par un secret Tonln qui tue t<br />

Et que Fon se sent défaillir<br />

Les forées, Fesprit et <strong>la</strong> rue ;<br />

Quand os volt que les mé<strong>de</strong>cins<br />

Se trompent dans tous leurs <strong>de</strong>sseins ,<br />

Et qu'avec un visage blême t<br />

On ¥oit quelqu'un qui dit tout bas :<br />

Bfourra-t-ti* ne moorra-t-il pas,<br />

ba-trll jusqu'au quatorzième?<br />

Monseigneur, en ce triste état<br />

Gontaoei que le eoear ions bat,<br />

Comme 11 fait à aa»f que nous sommes,<br />

Et que fous autres <strong>de</strong>mi-dieux f<br />

Quand <strong>la</strong> mort ferme aussi aoa yeux,<br />

âaea peur comme d'autres hommes.<br />

Tout cet appareil <strong>de</strong>s mourants,<br />

Un confesseur qui vous exhorte,<br />

Un ami qui se âéewtfwte,<br />

Des valets tristes et pleurants,<br />

Nous font voir <strong>la</strong> mort plus horrible.<br />

Je crois qu'elle était moins terrible,<br />

Et marchait avec moins d'effroi,<br />

Quand mm <strong>la</strong> fîtes aux <strong>mont</strong>agnes<br />

De Fribourg f et dans les campagnes<br />

Ou <strong>de</strong> Hofillogne ou <strong>de</strong> Eocrol.<br />

Malgré toutes tes répétitions, toutes les Inutilités,<br />

toutes les fautes <strong>de</strong> ce morceau 9 le contrasta <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

mort qu'on brave dans les batailles et qu'on craint<br />

dans sou lit est nue idée assez heureuse, et il y a<br />

quelque grâce à dire à un héros tel que Condé, que<br />

celui qui n'a pas eu peur <strong>du</strong> canon peut avoir eu peur<br />

<strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins. C'est là Fesprit <strong>de</strong> Voiture, et cet art<br />

d'assaisonner <strong>la</strong> louange <strong>du</strong> sel <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>isanterie<br />

mérite <strong>de</strong>s éloges.<br />

Voltaire, qui savait si Mes se servi? <strong>de</strong> Fesprit<br />

d'autan, parce qu'il en avait prodigieusement, a<br />

employé dans une o<strong>de</strong> ce contraste <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ui espèces<br />

<strong>de</strong> morts ; et il est assez curieux d'observer <strong>la</strong> ressemb<strong>la</strong>nce<br />

<strong>de</strong>s idées, avec <strong>la</strong> différence <strong>de</strong> ton qui<br />

doit se trouver entre une épttre familière et une o<strong>de</strong> :<br />

Lorsau'en <strong>de</strong>s tourbillons <strong>de</strong> <strong>la</strong>mine et <strong>de</strong> fumée t<br />

Cent tonnerres d'airain t précédés <strong>de</strong>s éc<strong>la</strong>irs,<br />

De leurs globes brû<strong>la</strong>nit écrasent une armée;<br />

Quand <strong>de</strong> guerriers mmtmmtM les siUoû» soat couverts»<br />

Tfcus ceux qtfépargaa là foudre,<br />

Voyant rouler dans <strong>la</strong> poudre<br />

Leurs eompagooaa magsacrés t


454 GOUBS BE LITFEiATORE.<br />

Souris à ta pillé timi<strong>de</strong>,<br />

Mareheol d'us pas intrépi<strong>de</strong><br />

Sur leurs membres déchirés.<br />

Ces féroces humains, plus <strong>du</strong>rs, plus InHeiibles<br />

Que facier qui les eoiivre au milieu <strong>de</strong>s combats,<br />

S'étonnent à <strong>la</strong> fis <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir sensibles,<br />

D'éprouver <strong>la</strong> pitié qu'ils ne connaissaient pasy<br />

Quand <strong>la</strong> mort qu'ils soi bravée»<br />

Bans celle fouie aèrmwe s<br />

Du sang qu'ils ont répan<strong>du</strong> f<br />

Tient d'un pas lent et tranquille 9<br />

Seule aux portes d'un asile,<br />

Où repose <strong>la</strong> e erin»<br />

Ces trois <strong>de</strong>niers vers, qui sont beaux, rappellent<br />

ceux-ci <strong>de</strong> Voiture :<br />

NVt-eltepas une autre raine<br />

Lorsqu'à pas lents elle chemine<br />

Yen un ma<strong>la</strong><strong>de</strong> qui <strong>la</strong>nguit ?<br />

La couleur est différente f mais le tableau est le<br />

même. Toiture, dans cette même épttre, dit au<br />

prince : •<br />

Que d'une forée sans seeon<strong>de</strong><br />

La mort sait ses traits é<strong>la</strong>ncer,<br />

Et qu'us peu <strong>de</strong> plomb sait casser<br />

La plus belle ttte <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>.<br />

Cette idée a encore été imitée, mais bfeu embellie<br />

par Voltaire , qui dit au roi <strong>de</strong> Prusse :<br />

Et d'un plomb dans un tube entassé par <strong>de</strong>s sofaf<br />

Peut casser d'un seul coup <strong>la</strong> tête d'un héros,<br />

La tête d'un héros vaut nu peu mieux que <strong>la</strong> plus<br />

bdk Mie <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> ; et cet hémistiche ? mimsê par<br />

<strong>de</strong>s sois, est d'un homme qui savait multiplier les<br />

contrastes et unn pas les chevilles.<br />

Les plus jolis Ters <strong>de</strong> Voiture ne se trouvent point<br />

dans ses œuvres 9 ni même dans les recueils qu'on<br />

a faits <strong>de</strong>puis. C'est madame <strong>de</strong> Motteville qui nous<br />

les a conservés dans ses mémoires. La reine lune<br />

étant à Ruel aperçut Toiture qui se promenait dans<br />

les jardins f d'un air rêveur. Elle loi <strong>de</strong>manda à<br />

quoi il pensait : quelques moments après il lui<br />

porta les stances suivantes. 11 faut se souvenir qu'après<br />

avoir été persécutée par Richelieu, elle était<br />

alors régente, et que sous le règne précé<strong>de</strong>nt le <strong>du</strong>c<br />

<strong>de</strong> Bnelinghâui avait eu <strong>la</strong> hardiesse <strong>de</strong> se déc<strong>la</strong>rer<br />

amoureux d'elle.<br />

Je pense si le cardinal<br />

(l'entends celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> ¥ ailette)<br />

Pouvait voir réc<strong>la</strong>t sans égai<br />

Dans lequel maintenant vous êtes;<br />

l'enten<strong>du</strong> celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> beauté ;<br />

Car, auprès Je n'estime guère,<br />

Ce<strong>la</strong> soit dit sans vous dép<strong>la</strong>ire ,<br />

Tool l'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> <strong>la</strong> majesté,<br />

le pensais que <strong>la</strong> <strong>de</strong>sîi née,<br />

Après tant d'Injustes malheurs,<br />

Tous a justement couronnée<br />

De gloire, d'éc<strong>la</strong>t et d'honneur;<br />

* A quoi se rapporte abreuvée? est-ce à <strong>la</strong> mort»est-ce<br />

à <strong>la</strong>/wlf / C'est une amphibologie condamnable.<br />

Mais que ¥0» effet plus heureuse ,<br />

Lorsque vous éttei autrefois,<br />

Je ne veux pas dire amoureuse »<br />

La rime Se veut toutefois.<br />

Je pensais que ce pauvre Amour,<br />

Qui toujours vous prête ses charma,<br />

jfst bans! loin <strong>de</strong> votre cour,<br />

Sans ses traits, son arc et ses armes :<br />

Et ce que Je puis profiter,<br />

En passant près <strong>de</strong> vous ma vie,<br />

Si vous pouv« si maltraiter<br />

Cens qui vous ont si bien servie.<br />

Je pensais (nous autres poêles<br />

Nous pensons extravagamment)<br />

Ce que, dans l'humeur où tous êtes.<br />

Tous ferles, si dans ce <strong>mont</strong>ent<br />

Tous avisiez en cette p<strong>la</strong>ce<br />

Tenir le <strong>du</strong>c <strong>de</strong> Bucktngham ,<br />

Et lequel serait en disgrâce<br />

Bu <strong>du</strong>c os <strong>du</strong> pèm VùnaU • ?<br />

La* p<strong>la</strong>isanterie était familière.<br />

« La reine t dit madame <strong>de</strong> Motteville, ne s'en <<br />

pas , et trouva Ses vers si Jel<strong>la</strong> 9 qu'elle Ses garda loagtempt<br />

dans son cabinet. »<br />

Elle ajoute : •<br />

« Cet homme avail <strong>de</strong> f esprit 9 et 9 par l'agrément <strong>de</strong> sa<br />

conversation f il était ramusement <strong>de</strong>s tefiet rmeilet ém<br />

dames qui font profession <strong>de</strong> recevoir bonne cooipsajoie» »<br />

Voilà, pour le dire dépassant, un <strong>de</strong> ces mots<br />

qui font voir les changements que <strong>la</strong> mo<strong>de</strong> intro<strong>du</strong>it<br />

dans le <strong>la</strong>ngage. Boiieau a eu beau dire dans son<br />

Art poétique, en par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> Louis XIY:<br />

Que, <strong>de</strong> son nom chanté par <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong>s bellesy<br />

Bensera<strong>de</strong> en tous lleui amuse les rueUe»,<br />

il y a longtemps qu'il n ? est plus question <strong>de</strong> rmeiks.<br />

Aujourd'hui nos rinueurs ga<strong>la</strong>nts, qui font l'amour<br />

dans nos elmauachs f ne croiraient pas leurs vers<br />

<strong>de</strong> bon ton 9 s'ils n'y p<strong>la</strong>çaient pas un boudoir, et<br />

peut-être dans cent ans, si <strong>la</strong> mo<strong>de</strong> change encore,<br />

le boudoir aura passé comme leurs vers.<br />

Bensera<strong>de</strong> soignait les siens un peu plus que<br />

Voiture. II a plus <strong>de</strong> pensées, plus d'esprit proprement<br />

dit ; mais ses <strong>de</strong>vises faites pour les ballets<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> Louis XIV, quoique toutes plus ou<br />

moins ingénieuses, ont per<strong>du</strong> beaucoup <strong>de</strong> leur<br />

mérité avec l'à-propos. C'est une preuve que* l'esprit<br />

tout seul est peu <strong>de</strong> chose v même dans le genre<br />

où il doit le plus dominer. On a pourtant retenu<br />

<strong>de</strong> lui quelques vers. Voltaire 9 dans son Siêeie <strong>de</strong><br />

Louis XIV, a cité les plus jolis. Ils furent faits<br />

pour' le roi, représentant le Soleil.<br />

Je doute qu'on le prenne avec vous sur le ton 9<br />

De Daphné ni <strong>de</strong> Phaéton :<br />

Lui trop ambitieui, elle trop inhumaine.<br />

Il n'est point là <strong>de</strong> piège où vous puissiez donner.<br />

* C'était son eo®!eiseur; ajoute <strong>la</strong> Harpe. Mais H est ptai<br />

probabie que Toiture par<strong>la</strong>it <strong>de</strong> lui-même. Son nom <strong>de</strong> baptême<br />

était Fim€€Êit9 et on rappe<strong>la</strong>it par familiarité îepeVe<br />

FiâcemL


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

Le tmjm <strong>de</strong> slmagificr<br />

Qu'une femme vous fuie et qu'un homme vous mène!<br />

La querelle <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ui sonnets, fini <strong>de</strong> Bensera<strong>de</strong>,<br />

Fautre <strong>de</strong> Yoiture, a fait tant <strong>de</strong> bruit autrefois,<br />

' qu'il faut bien en prier. Toute <strong>la</strong> France se par tagea<br />

en wranisêes et wjobefou : heureuse si elle<br />

n'eût jamais été partagée en d'autres sectes ! Les jo-<br />

Mlns tenaient pour Benscra<strong>de</strong>, qui avait fait un<br />

sonnet sur Job; les uranistes pour Voiture, qui en<br />

a?ait fait un pour Uranie. On peut les rapporter<br />

tous <strong>de</strong>ui ; car si <strong>la</strong> querelle est fameuse , les sonnets<br />

sont aaaez peu connus.<br />

Jl faut finir mes Jours en Fameer d'Ursule ;<br />

L'aînesse al le temps se m'en sauraient guérir :<br />

Et Je ne ¥oSs plis ries qui pût me secourir,<br />

Ni qui sût rappeler ma iifjerté bannie.<br />

Dès longtemps Je connais sa rigueur totale :<br />

Mais pensant au beautés pour qui Je doit périr,<br />

Je bénis mon martyre, et content <strong>de</strong> mourir,<br />

Je n'ose murmurer soufra sa tyrannie.<br />

Quelquefois ma raison par <strong>de</strong> faibles dtooan<br />

mnvlle à <strong>la</strong> révolte et me promet seeoers ;<br />

Mais lorsqu'à mon besoin Je ?ew me sertir d'elle 9<br />

Après beaucoup <strong>de</strong> pelée et d'efforts impuissants,<br />

£ik dit qu*Uranle est seule aimable et belle,<br />

Et m'y rengage plus que ne font tous m<br />

C'est là 9 sans doute, un assez mauvaïs sonnet. Remarquons<br />

que Boileau 9 dans le même temps qu'il<br />

looait ¥oiture9 se moquait <strong>de</strong> ces rimeuw froi<strong>de</strong>ment<br />

amoureux<br />

Qui ne aavsat Jamais qu'adorer leur prison f<br />

Et faire quereller les sens et <strong>la</strong> raison.<br />

Et folture ici fait-il autre chose? Hais il ,y a <strong>de</strong>s<br />

réputations qu'on n 9 ose pas juger, et qui eu imposent<br />

aux meilleurs esprits. Bespréaux, cette fois,<br />

fut entraîné par son siècle; et d'ailleurs il fa corrigé<br />

si souvent et si bien, qu'il faut Fexeuser <strong>de</strong> n'atoir<br />

pu ce qu'après tout personne ne peut, c'està-dire<br />

avoir toujours raison. U faut f air si le sonnet<br />

<strong>de</strong> Bensera<strong>de</strong> ne sera pas meilleur.<br />

Job <strong>de</strong> mille tourments atte<strong>la</strong>i<br />

Tous rendra M âmimr emmwe,<br />

Et raJsosiiablement il craint<br />

Que votu n'en soiez point émue.<br />

Tous verrez sa misère nue ;<br />

Il s'est lui-même Ici dépeint :<br />

Aeamtainex-voiii à <strong>la</strong> eue<br />

Wum nomme qui souffre et se p<strong>la</strong>int<br />

Bien qu'il eût d'extrêmes «aiTtaaaet f<br />

On Ylt aller êetp&iimcm<br />

Plus loin que <strong>la</strong> sienne s'al<strong>la</strong>.<br />

§11 souffrit <strong>de</strong>s maux Incroyables,<br />

Il s'en p<strong>la</strong>ignit, U en par<strong>la</strong> :<br />

l'en connais <strong>de</strong> plus misérables.<br />

11 y a <strong>du</strong> moins Ici une pensée spirituelle et fine.<br />

Je ne sais pas <strong>de</strong> quel eêté je me serais rangé, si<br />

j'avais été <strong>du</strong> temps ou le prince <strong>de</strong> Conti était à<br />

455<br />

<strong>la</strong> tête <strong>du</strong> parti êmpèeMm, et madame <strong>de</strong> Longuefîlîe<br />

I <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> celui <strong>de</strong>s mrmdMlm; car qui<br />

peut savoir quel goût il aurait eu il y a cent ciaquante<br />

ans? mais il me semble qu'aujourd'hui je<br />

serais jobettn* On est tenté <strong>de</strong> dire : O qu'il fait<br />

bon venir à propos! A le bon temps que celui où<br />

<strong>la</strong> cour et <strong>la</strong> fille, tontes les puissances, se divisaient<br />

pour <strong>de</strong>ux sonnets, dont l'un est fort mauvais, et<br />

l'autre assez médiocre 1 Hais allons doucement, et<br />

songeons que Ton pourrait bien quelque jour en<br />

dire autant <strong>de</strong> nous; et que, quand on parlera <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> fortune prodigieuse <strong>de</strong> quelques ouvrages d'aujourd'hui<br />

9 ou aura quelque droit <strong>de</strong> s'écrier aussi :<br />

O qu'alors on avait <strong>de</strong> grands succès avec <strong>de</strong> bien<br />

petits talents! U faut que les siècles, ainsi que les<br />

indivi<strong>du</strong>s f se ménagent un peu les uns les autres 9<br />

<strong>de</strong> penr que ceui qui se moquent <strong>de</strong> leurs pères, ne<br />

soient à leur tour moqués par leurs enfants.<br />

Puisque nous en sommes sur le chapitre <strong>de</strong>s sonnets,<br />

il faut achever en peu <strong>de</strong> mots ce qui reste<br />

à dire sur ce genre <strong>de</strong> poésie qui a été si longtemps<br />

en crédit, et qui est aujourd'hui entièrement passé<br />

<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>. Boileau paya lui-même une sorte <strong>de</strong> tribut<br />

à l'opinion, en traçant <strong>la</strong>borieusement dans son Art<br />

pêéàque les règles <strong>du</strong> sonnet, et finissant par dire :<br />

Un sonnet sans iéfast Tant seul in long polme.<br />

Ge<strong>la</strong> est un peu fort, et c'est pousser un peu loin<br />

te respect pour le jonnet. On a remarqué avec<br />

raison qu'il n'y arait point <strong>de</strong> différence essentielle<br />

entre <strong>la</strong> tournure d'un sonnet et celle <strong>de</strong>s autres<br />

fers à rimes croisées, et qu'il doit seulement,<br />

comme le madrigal et répigramme, inir par une<br />

pensée remarquable : U n'y a pas là <strong>de</strong> quoi lui donner<br />

une si gran<strong>de</strong> valeur. Bans le très-petit nomlira<br />

<strong>de</strong> ceux qui ont échappé au naufrage général,<br />

on compte celui <strong>de</strong> Besèârreaux, qui finit par une<br />

belle idée, ren<strong>du</strong>e par une belle image; mais où<br />

les connaisseurs ont remarqné <strong>de</strong>s idées fausses ou<br />

trop répétées, <strong>de</strong> mauvaises rimes et <strong>de</strong>s eipressions<br />

impropres : celui <strong>de</strong> Haynaut sur tawtrim,<br />

qui est plein d'esprit, mais qui pèche par une multiplicité<br />

d'antithèses recherchées, monotones, et<br />

disant presque toutes <strong>la</strong> même chose; un autre <strong>de</strong><br />

ce même Haynaut, qui malheureusement est use<br />

satire injuste contre Colbert ; et, dans le style badin,<br />

celoi <strong>de</strong> Fontenelle sur Baptisé* Je citerai les<br />

<strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers, comme les meilleurs. Oublions que<br />

l'esprit <strong>de</strong> parti a dicté celui <strong>de</strong> Haynaut : Fauteur<br />

était créature <strong>de</strong> Fouquet ; il écrivait contre l'ennemi<br />

<strong>de</strong> son bienfaiteur. La reconnaissance est <strong>du</strong><br />

moins une excuse, et le repentir qu'il en témoigna<br />

<strong>de</strong>puis peut lui mériter son pardon : n'examinons<br />

que les vers.-


456<br />

COURS DE IJTTÉMTU1B.<br />

Mtoàt» c?ara et <strong>la</strong>tte, esetaf © malhsttNux t<br />

Qui gémis sous lt poids <strong>de</strong>s affaires publiques,<br />

Victime dévouée aux chagrins politiques,<br />

Fantôme référé sous un titre onéreux ! •<br />

Vois combien <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>urs te comble est dangereux !<br />

Contemple <strong>de</strong> Foequet les funestes reliques,<br />

Et tandis qu'à sa perte es secret tu rappliques,<br />

Crains qu'on ne te prépara ne <strong>de</strong>stlo plus affreux*<br />

Il part plus d'us revers <strong>de</strong>s mains <strong>de</strong> Sa fortune :<br />

La chute, comme à lui, te peut être commune;<br />

le! ne tombe innocent d'où Ton te ¥oit <strong>mont</strong>é.<br />

Cesse donc d'animer ton prince à son supplice,<br />

Et, près d'avoir besoin <strong>de</strong> toute sa bonté ,<br />

le le fais pas user <strong>de</strong> toute sa Justice.<br />

La tournure <strong>de</strong>s vers est un peu uniforme; mais<br />

elle est ferme, et <strong>la</strong> précision 9 l'élégance, <strong>la</strong> noblesse<br />

peuvent racheter quelques fautes. Voici le sonnet<br />

<strong>de</strong> Fontenelle :<br />

'le suis (criait jadis Apollon à Daphné,<br />

Lorsque tout hors d'haleine il courait après die,<br />

Et lui contait pourtant <strong>la</strong> longue kyrielle<br />

Des rares qualités dont il était erné ) ;<br />

le suis le dieu <strong>de</strong>s ¥@rs, Je suis bel-esprit né.<br />

Mais les vers n'étalent point le chenue <strong>de</strong> <strong>la</strong> belle. .<br />

Je sais Jouer <strong>du</strong> luth. Arrêtes. — Bagatelle.<br />

Le luth se pouvait rien sur ce cœur obstiné..<br />

le connais <strong>la</strong> vertu <strong>de</strong> <strong>la</strong> moindre racine,<br />

le suis, par mon savoir, dieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> mé<strong>de</strong>cine.<br />

Daphiié courait encor plus vite que Jamais.<br />

Mais s'il eût dit : Voyez quelle est votre conquête,<br />

le suis un jeune dieu toujours beau, toujours frais,<br />

Daphné sur ma parole aurait tourné <strong>la</strong> tète.<br />

Pour traiter <strong>de</strong> suite les genres <strong>de</strong> poésie qui<br />

avaient <strong>du</strong> rapport entre em, j'ai <strong>la</strong>issé m arrière <strong>la</strong><br />

satire et le conte, qui, dès le temps <strong>de</strong> Malherbe,<br />

firent <strong>de</strong> grands progrès sous <strong>la</strong> plume <strong>de</strong> Régnier<br />

et <strong>de</strong> Passerat. 11 suffit <strong>de</strong> dire, pour <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong><br />

celui-ci ; que sa pièce intitulée l'homme métamorphosé<br />

m c&wcm est digne <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine. Il a eu,<br />

dans cette seule pièce à <strong>la</strong> vérité, le naturel charmant<br />

et Ses grâces <strong>de</strong> notre/eôlfer. Le sujet, quoique<br />

sans aucune indécence, n'est pourtant pas <strong>de</strong><br />

nature à pouvoir s'en permettre nne lecture publique.<br />

Mais on le trouve dans tous les recueils , et<br />

<strong>la</strong> pièce est si bien faite d'un bout à l'autre que j'aurais<br />

<strong>du</strong> regret <strong>de</strong> <strong>la</strong> morceler. Ce petit chef-d'œuvre<br />

<strong>du</strong> seizième siècle prouve encore ce que j'ai dit ailleurs,<br />

que tout ce qui comporte le style familier a<br />

été porté à un certain <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> perfection longtemps<br />

avant tout le reste. A l'égard <strong>de</strong> Régnier, on sait ce<br />

qu 9 en a dit Boileau, après avoir parlé d'Horace et<br />

<strong>de</strong> Juvéaal :.<br />

De ces maîtres savants disciple ingénieux,<br />

Régnier, seul parmi nous, formé sur leurs modèles,<br />

Dans son vieux style encore a <strong>de</strong>s grâces nouvelles.<br />

Et m qui était vrai alors n'a pas cessé <strong>de</strong> l'être aujourd'hui.<br />

Despréaui Fa bien surpassé, mais il ne<br />

l'a fm foiC oublier; et que peutroo dire <strong>de</strong> plus à <strong>la</strong><br />

louange <strong>de</strong> Régnier! Voilà donc tons les genres <strong>de</strong><br />

poésie qu'on peut appeler <strong>du</strong> second ordre, para<br />

qu'ils n'exigent point d'invention, déjà créés en<br />

France, où nous les verrons se perfectionner dans<br />

le siècle <strong>de</strong> Louis XIV et dans le nôtre. Il reste <strong>la</strong><br />

poésie <strong>du</strong> premier ordre, l'épopée et le théâtre. Celui-ci<br />

va bientôt acquérir <strong>la</strong> plus haute splen<strong>de</strong>ur 9<br />

grâces au génie puissant <strong>de</strong> Corneille. La muse épique<br />

, moins heureuse, ne it que bégayer, même dans<br />

un temps où toutes les autres parlèrent le <strong>la</strong>ngage<br />

qui <strong>de</strong>vait leur appartenir.<br />

C'est <strong>la</strong> seule couronne qui ait manqué à ce grand<br />

siècle, où d'ailleurs <strong>la</strong> France en a tant amassé qui<br />

ncfse flétriront jamais. U faut voir quels obstacles<br />

purent s'opposer dans ce sepl genre au progrès<br />

qu'elle faisait c<strong>la</strong>ns tous les autres.<br />

Si l'on en juge par le petit nombre d'hommes qui<br />

chez les anciens et chez les mo<strong>de</strong>rnes ont eu le bonheur<br />

d'y réussir, ce doit être le plus difficile <strong>de</strong> tous.<br />

Il est soumis à moins d'entraves que <strong>la</strong> tragédie; il<br />

a bien plus d'espace, <strong>de</strong> moyens et <strong>de</strong> ressources :<br />

mais aussi sa carrière est immense, et il fout bien<br />

<strong>de</strong> l'haleine pour <strong>la</strong> parcourir d'un pas égal. Il s'est<br />

pas obligé <strong>de</strong> pro<strong>du</strong>ire <strong>de</strong> si grands effets; mais<br />

ceux qu' il doit atteindre sont en plus grand nombre.<br />

Le poète épique a presque toujours <strong>la</strong> liberté d'être<br />

poète sans se cacher <strong>de</strong> l'être 9 avantage que n'a pas<br />

le poète tragique, qui parle toujours sous d'autres<br />

noms; mais aussi on lui impose l'obligation d'être<br />

toujours poète autant qu'il est possible, et <strong>de</strong> soutenir<br />

le ton d'un homme inspiré. Enfin l'intérêt d'ut»<br />

ou <strong>de</strong>ui situations et l'illusion <strong>du</strong> théâtre peuvent<br />

faire vivre un drame médiocre, au moinsjur <strong>la</strong> scène ;<br />

mais le poème épique, qui doit être lu, ne supporta<br />

pas <strong>la</strong> médiocrité, et <strong>la</strong> fable <strong>la</strong> mieux faite ne saurait<br />

y racheter le défaut <strong>de</strong> style. Malgré tant <strong>de</strong><br />

difficultés, les poètes épiques parurent en foule dans<br />

te dix-septième siècle : il est vrai que c'étaient pour<br />

<strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s, hommes sans talent. On ne connaît<br />

plus le titre <strong>de</strong> leurs poèmes que par les satires <strong>de</strong><br />

Boileau. Le Chartemagnc, le Chil<strong>de</strong>brmnd, le Jfonos,<br />

h Moïse, le Ciovis, YA<strong>la</strong>rte, furent appréciés<br />

à leur juste valeur, même par les contemporains.<br />

La patience <strong>la</strong> plus infatigable ne soutiendrait pas<br />

<strong>la</strong> lecture suivie <strong>de</strong> ces ennuyeuses pro<strong>du</strong>ctions, à<br />

peu près aussi mauvaises par le fond que par le style»<br />

Que dire, par exemple, d'un Scudéry, qui s'avise<br />

<strong>de</strong> con<strong>du</strong>ire le roi <strong>de</strong>s Ooths dans un désert 9 sur les<br />

côtes <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer <strong>du</strong> Nord, où il trouve un Hibomois<br />

qui <strong>de</strong>puis trente ans s'est retiré solitaire dans une<br />

caverne pour lire et étudier à son aise ? Ce studieux<br />

ermite lui prouve par un long dis<strong>cours</strong> qu'il n'y a<br />

rien <strong>de</strong> plus beau que <strong>la</strong> science y ce qui est fort utile


et fort intéressant pour le roi goth, qui va prendre<br />

Home. Il lui <strong>mont</strong>re sa bibliothèque, et lui en fait<br />

le détail circonstancié comme su catalogue <strong>de</strong> librairie.<br />

Voici, dit-il, les philosophes :<br />

Par eux nom apprenons l'admirante ptoysâq» t<br />

L f éthique, <strong>la</strong> morale, avec réeom>mlqiief<br />

La politique sage; et, cl'iiïi YC4 glorieux,<br />

- Far k métaphysique os va jusques BU <strong>de</strong>ux.<br />

De cet autre côté, toicJ t prince hécolf w,<br />

Ce» <strong>de</strong> qui l'art dépend <strong>de</strong> 1a mathématfqiM,<br />

Architectes, sculpteurs, petatre, aiiislclesi,<br />

Géomètres certains , arllhiaétlelesi t<br />

Les maîtres <strong>de</strong> fopUqse avec les cosmograpties,<br />

Ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> perspective avec les géographes, etc.<br />

Cette belle nomenc<strong>la</strong>ture et cette eosf ersation si<br />

Mes p<strong>la</strong>cée remplissent tout on chant. C'est ainsi<br />

qu'écrirait ce Scudéry qui censurait en maître les<br />

?ers <strong>de</strong> Corneille, lui citait sans cesse Aristote, et<br />

qui, malgré toute son érudition, ignore pourtant<br />

que l'éthique et <strong>la</strong> morale sont parfaitement <strong>la</strong><br />

même chose 9 si ce s'est que Ton <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux mots<br />

est <strong>la</strong>tin et l'autre grec. Il se manque pas <strong>de</strong> dire<br />

dass sa préface qu'il faut <strong>de</strong> l'érudition dans un<br />

poëme épique : il s'autorise4e l'exemple d'Homère,<br />

qui a fait voir dans ses ouvrages qu'il s'était rien<br />

moins qu'étranger aux diverses connaissances <strong>de</strong><br />

son siècle; et il ae s'aperçoit pas que ce qu'il y a<br />

dans Homère <strong>de</strong> géographie, <strong>de</strong> physique, <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine<br />

et d'arts mécaniques, est rapi<strong>de</strong>ment fon<strong>de</strong><br />

dass <strong>la</strong> poésie qui loi fournissait son idiome pittoresque.<br />

C'est aissi que <strong>de</strong>s pédants se serf aient mal à<br />

. propos <strong>de</strong> l'eiemple et <strong>de</strong> l'autorité <strong>de</strong>s anciens pour<br />

les rendre complices <strong>de</strong> leurs sottises; et Ton voit<br />

c<strong>la</strong>irement que, quand même l'auteur dMforfc écrirait<br />

moins mal, son érudition bibliographique serait<br />

encore dans son poëme us épiso<strong>de</strong> ridicule.<br />

Chape<strong>la</strong>in a plus <strong>de</strong> jugement que Scudéry : <strong>la</strong><br />

marche <strong>de</strong> son poëme est plus raisonnable, et poufait<br />

afoïr quelque intérêt, s'il avait su écrire. Voltaire<br />

a blâmé le choix <strong>de</strong> son sujet, qu'il se croyait<br />

pas susceptible d'être traité sérieusement. Un <strong>de</strong><br />

mes confrères à l'Académie française a combattu<br />

cette opinion arec beaucoup d'esprit, et l'on put<br />

croire en effet qu'avant l'existence d'un autre poëme,<br />

fort différent <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Chape<strong>la</strong>in, l'héroïne d'Orléans,<br />

appelée <strong>la</strong> Puœlk, pouvait avoir dans <strong>la</strong><br />

poésie <strong>la</strong> dignité qu'elle a dans l'histoire. Mais je<br />

doute, même dans cette supposition, que cette époque<br />

<strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong> France pût fournir à l'épopée us<br />

ouvrage intéressant. Il est bon qu'un poëme trouve<br />

l'imagination déjà prévenue pour le héros; et si Ditnois<br />

ni Charles Vil, ni même Jeanne d'Arc, malgré<br />

son courage et ses eiploits, n'ont joué s ce me semble,<br />

un assez grand rôle pour remplir <strong>la</strong> majesté <strong>de</strong><br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — PCÉSUE.<br />

457<br />

l'épopée : c'est là surtout que rhérofeme doit être<br />

au plus haut point. Je ne parle pas <strong>de</strong>s lettons que<br />

ne permettent guère une époque si récente et le lieu<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> scène si voisin : les actions aujourd'hui se s*<br />

présentent naturellement que dans féiolgseeaeot<br />

<strong>de</strong>s temps et <strong>de</strong>s lieux. L'auteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Hmria<strong>de</strong><br />

s'en est passé; mais il est soutenu par l'intérêt attaché<br />

au nom <strong>de</strong> son héros, et par les beautés d'une<br />

philosophie aimable qui remp<strong>la</strong>ce, <strong>du</strong> moins en partie,<br />

le charme <strong>de</strong>s letioss poétiques : et malgré ses<br />

ressources et son talent supérieur pour <strong>la</strong> versification,<br />

il est resté fort au-<strong>de</strong>ssous d'Homère, <strong>de</strong> Virgile<br />

et <strong>du</strong> Tasse, pour Fimaginatios et l'intérêt ; tant<br />

<strong>la</strong> machine <strong>de</strong> l'épopée a besoin <strong>de</strong>s ressorts <strong>du</strong> merveilleux!<br />

La <strong>du</strong>reté <strong>du</strong> style <strong>de</strong> Chape<strong>la</strong>in est célèbre, et<br />

il a été <strong>de</strong> son vivant assez tourmenté par Boileau<br />

pour obtenir aujourd'hui qu'on <strong>la</strong>isse en paix sa<br />

cesdre. Hiis si l'on veut voir encore un exemple <strong>de</strong>s<br />

fausses idées que l'on prenait alors dans les anciens<br />

légis<strong>la</strong>teurs <strong>de</strong>s beaux-arts, si mal interprétés par<br />

les mo<strong>de</strong>rnes, il n'y a qu'à lire <strong>la</strong> préface où il rend<br />

compte lo-iesseln <strong>de</strong> son poëme et <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière<br />

dont il a roolo conformer son p<strong>la</strong>n aux principes<br />

d'Aristote. Le philosophe grec a dit que l'épopée avait<br />

pour objet non pas le réel, mais le possible, l'universel<br />

; ce qui sigsiûait simplement que le poëte n'était<br />

point astreint à <strong>la</strong> vérité historique, et qu'il était<br />

le maître <strong>de</strong> présenter les faits, non pas tels qu'ils<br />

étaient mais tels qu'ils pouvaient être. Chape<strong>la</strong>in<br />

abuse <strong>de</strong> ce précepte si c<strong>la</strong>ir et si raisonnnable,<br />

pour l'appliquer à un système d'allégorie, rêverie<br />

purement mo<strong>de</strong>rne, et qui s'a jamais existé dans <strong>la</strong><br />

tête <strong>de</strong>s anciens ; et f oîcî comme il nous explique k<br />

mystère <strong>de</strong> son poème : c'est le terme dont il se sert<br />

avec beaucoup <strong>de</strong> raison, commue on va voir.<br />

«t Je lèverai ici le f elle dont ce'mystère est couvert , et<br />

je dirai m peu <strong>de</strong> paroles qu'afin <strong>de</strong> ré<strong>du</strong>ira faction à l'universel<br />

; soif aot Ses préceptes , et <strong>de</strong> se Sa priver pas <strong>du</strong> sens<br />

sJIégorM|o€ par l«pei Sa poésie est faite an <strong>de</strong>s principass<br />

instruments <strong>de</strong> l'aivliitectoniqiie» je disposai <strong>la</strong> matière <strong>de</strong><br />

telle sorte que Sa France <strong>de</strong>vait représenter falote êe<br />

l'homme m guerre avec elle-même, et travaillée par les<br />

plus violentes <strong>de</strong> toutes les émorloos; Se roi Charles, Im<br />

volonté maîtresse absolue 9 et portée an bien par sa nature ,j<br />

mais facile à porter an mal par l'apparence <strong>du</strong> Mes ; r An ^<br />

g<strong>la</strong>ls et le Boorgaigoon , anjets et ennemis <strong>de</strong> Charles f les<br />

divers transports <strong>de</strong> l'appêM fraocfetettal altèrent l'empire<br />

Ségiilme <strong>de</strong> fa volonté ; âmanry et Agées, Fini favori et<br />

l'astre amante <strong>du</strong> prisée, les différents mouvements <strong>de</strong><br />

l'appétit mmmpiidbh, qui corrompent fanoceoeecle le<br />

volonté par leurs in<strong>du</strong>ctions et par leurs charmes ; le comte<br />

<strong>de</strong> Dtffiois, parent dn roi, Inséparable <strong>de</strong> set Intérêts et<br />

champion <strong>de</strong> sa §oereiief lu oerÉi qui a ses racines dans<br />

<strong>la</strong> mimié, tpl rosinieni les sesstetices <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice qui


468<br />

CGU1S Dl LITIÉBATUBE;<br />

sont en elfe f et qui combat toujours pour FiffraneSiIr <strong>de</strong> 11<br />

tyrannie <strong>de</strong>s passions ; Tannegs? , chef do conseil <strong>de</strong> Charles<br />

, temtm<strong>de</strong>menê qui éc<strong>la</strong>ire <strong>la</strong> wfonté aveugle ; te Pucelle<br />

; qui vient assister le monarque œstre Se Bourguignon<br />

et 1*Ang<strong>la</strong>is j et qui le délivre d'Agnès et d'Amasry, ta<br />

§râce divine, qûï9 dans l'embarras on l'abattement <strong>de</strong><br />

testes les puissance <strong>de</strong> l'âme, fient raffermir <strong>la</strong> volonté,<br />

soutenir l'mimêemmt, se joindre à te vertu 9 et, par os<br />

victorieux effort, assujettissant à <strong>la</strong> volonté Ut mppétiU<br />

irmelèle et ammpteeièk qui <strong>la</strong> troublent et ramollissent 9<br />

prodsit cette paix inférieure et cette parfaite tranquillité,<br />

en quoi toutes les opinions conviennent qse consiste le souferai*<br />

dieu. »<br />

On connaissait déjà» grâce à Boiteau, quelques<br />

traits <strong>de</strong> <strong>la</strong> muse <strong>de</strong> Chape<strong>la</strong>in; mais j'ai cru que<br />

peu <strong>de</strong> gens connaissaient sa prose, et que cet éehantillon<br />

pouvait paraître curieux. On ¥©it qu'il est bon<br />

quelquefois <strong>de</strong> tout lire f et <strong>de</strong> feuilleter jusqu'aux<br />

préfaces <strong>de</strong> ces poudreux auteurs, p<strong>la</strong>cés comme<br />

<strong>de</strong>s épouf antails dans les bibliothèques f où ils semblent<br />

se défendre par leur, masse in-folio, autant<br />

que par l'effroi que leur seul titre inspire. 11 faut<br />

bien ne pas s'épouvanter, et se résoudre à acheter<br />

quelques découvertes par un peu d'ennui. On trouvera<br />

d'abord tout simple qu'il n'y ait pas beaucoup<br />

<strong>de</strong> poésie dans une tête remplie <strong>de</strong> ce galimatias raé»<br />

x taphysique. Mais, dans le fait, ce n'était qu'un tribut<br />

payé à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong> généralement reçue d'affecter une<br />

érudition sco<strong>la</strong>stique; et il est probable que Chape<strong>la</strong>in<br />

, dont l'ouvrage, ridicule par le style, n'est pas<br />

déraisonnable par le fond, avait arrangé toutes ses<br />

allégories sur son p<strong>la</strong>n déjà tout fait, et non pas soii<br />

p<strong>la</strong>n sur ses allégories. Ce qui rend cette opinion<br />

p<strong>la</strong>usible, c'est que le Tasse lui-même donna une<br />

explication à peu près semb<strong>la</strong>ble <strong>de</strong> sa lérm&km<br />

délivrée, qui n'en est pas moins un ouvrage admirable.<br />

On sait qu'il ne prit ce parti que pour ré*<br />

pondre aux critiques qui avaient blâmé ses fictions,<br />

et pour les rendre respectables sous le voile <strong>de</strong> l'allégorie<br />

morale et religieuse, qui semb<strong>la</strong>it alors <strong>de</strong>voir<br />

tout consacrer.<br />

Parmi tous ces malheureux poètes épiques ensevelis<br />

dans <strong>la</strong> poussière et dans l'oubli, celui qui<br />

eut te plus d'imagination est sans contredit le père<br />

le Moine, auteur <strong>du</strong> Salnt-toutt. Ce n'est pas que<br />

son ouvrage soit fait pour attacher par <strong>la</strong> construction<br />

générale ni par le choix <strong>de</strong>s épiso<strong>de</strong>s. Il invente<br />

beaucoup, mais le plus souvent mal; son merveilleux<br />

n'est le plus souvent que bizarre; sa fable n'est<br />

point liée, n'est point suivie; il ne sait ni fon<strong>de</strong>r<br />

ni gra<strong>du</strong>er l'intérêt <strong>de</strong>s événements et <strong>de</strong>s situations<br />

: c'est un chaos d'où sortent quelques traits<br />

<strong>de</strong> lumière qui meurent dans <strong>la</strong> nuit. Mais dans ses<br />

vers il • da h ww, * Pou trouve <strong>de</strong>s morceaux<br />

dont l'invention est forte, quoique l'exécution soit<br />

très-imparfaite. Yoifà ce qu'on aperçoit quand on a<br />

le courage, à <strong>la</strong> vérité difficile, <strong>de</strong> lire dix-huitchants<br />

remplis <strong>de</strong> fatras, d'enflure, et d'extravagance.<br />

Mais pourquoi cet auteur, né avec <strong>du</strong> talent; pourquoi<br />

l'auteur <strong>du</strong> Moite, Saint-Amand, qui n'en<br />

était pas dépourvu; pourquoi Brébeuf, qui en avait<br />

encore davantage ; pourquoi ces trois hommes n'ontils<br />

écrit que d'illisibles ouvrages, précisément à <strong>la</strong><br />

même époque où Corneille donnait tous ses chefsd'œuvre?<br />

Ce n'est pas seulement à cause <strong>de</strong> <strong>la</strong> disproportion<br />

<strong>du</strong> génie : sans égaler les sublimés conceptions<br />

<strong>de</strong> Corneille, on pouvait <strong>du</strong> moins mériter<br />

d'être lu. Qui donc les a détournés si loin <strong>du</strong><br />

but, quand lui seul savait y atteindre ? qui leur a<br />

Êiit parler un <strong>la</strong>ngage si étrange, quand le sien était<br />

souvent si beau dans Cinna et dans les Hormesf<br />

11 faut chercher dans le ton général <strong>de</strong> leurs écrits<br />

le principe <strong>de</strong> leur égarement : il est d'autant plus<br />

digne d'attention que c'est absolument le même<br />

qu'on a voulu et qu'on voudrait encore faire revivre<br />

au milieu cl« tant <strong>de</strong> grands modèles et qui eon=<br />

tribus le plus à corrompre le goût et à ramener ia<br />

barbarie après un siècle <strong>de</strong> lumières. C'est le facile<br />

et malheureux abus <strong>du</strong> style figuré ; c'est <strong>la</strong> folle<br />

persuasion que <strong>la</strong> poésie consiste, non pas dans le<br />

choix <strong>de</strong>s figures, mais dans leur accumu<strong>la</strong>tion ; non<br />

pas dans <strong>la</strong> justesse et <strong>la</strong> vérité <strong>de</strong>s métaphores, mais<br />

dans leur hardiesse bizarre ; c'est l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> croire<br />

qu'il faut être toujours outré pour être fort, exagéré<br />

pour être grand, recherché pour être neuf. Ouvrez le<br />

Smmi'LomiM , et vous ne lirez jamais vingt vers sans y<br />

trouver m caractère constamment soutenu, c'est-àdire<br />

l'enflure <strong>de</strong> <strong>la</strong> diction dès que Fauteur veut s'élever.<br />

Veut-il peindre une flotte nombreuse :<br />

Jamais on camp plus ta» ne rou<strong>la</strong> sur <strong>la</strong> mer9<br />

Ifi plus belles forets ne volèrent en l'air.<br />

Le soleil, pour les voir, sraoem <strong>la</strong> jonraée.<br />

Les tlles <strong>de</strong> les» mâts à Pair êteol k Jour.<br />

Concevez, s'il est possible, comment on Ile le jour<br />

à l'air. 11 appelle une <strong>la</strong>nce un long frêne ferré, les<br />

étoiles un rou<strong>la</strong>nt êmmiL Veut-il peindre <strong>de</strong>s pavillons<br />

flottants dans les airs :<br />

L'air <strong>de</strong> son pavIUos Jouait arec le «ut<br />

Un guerrier reçoit-il un coup dans les yeux :<br />

Et <strong>la</strong> nuit loi aar?Ist par les port» dn jour.<br />

Un enfant est-il veau au mon<strong>de</strong> en donnant <strong>la</strong> mort<br />

à sa mère :<br />

le sortis d'une morte, et Je naquis sans mère.<br />

Parle-t-ii <strong>de</strong> guerriers dont <strong>la</strong> fureur étincelle dans<br />

leurs regards :


Vil autre tombe-t-il en défail<strong>la</strong>nce :<br />

H m <strong>la</strong> suit su yeux et ta mtirt ta wlsage*<br />

Un auteur <strong>de</strong>'uos jours a imité heureusement cette<br />

heureuse tournure ; en disant d'une femme :<br />

La perte âw <strong>de</strong>nts, là idp in sein.<br />

Voilà connue le bon goût se perpétue. -<br />

Ce sont ces erreurs et ces travers que Boileau<br />

combattait, lorsqu'il disait dans son Art poétique :<br />

SIÈCLE BI LOUIS XI?. — PÛÉSM.<br />

LA plupart t emportés d'une fougue Insensée,<br />

Toujours lois <strong>du</strong> droit sens vont chercher leur pensée;<br />

Ils croiraient s'abaisser, dans leurs vers mosstriieoi,<br />

SIluMoialent ee qu'us astre a pu penser comme eus.<br />

Ce sont ces ridicules, si longtemps en créditf<br />

dont Molière se moquait dans son Misamikr@pe :<br />

Ce style igeré, dont on fait vanité,<br />

Sort <strong>du</strong> bon caractère et <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité ;<br />

Ce s'est que Jeu <strong>de</strong> mots, qu'affectation pi»;<br />

Et se n'est point Mail que parle <strong>la</strong> sature.<br />

Racine et Despréaux a?aient ramené <strong>la</strong> poésie à<br />

son véritable esprit : ils a?aient écrit parmi nous<br />

comme Horace et Virgile chez les Latins. Rousseau<br />

dans ses belles o<strong>de</strong>s, Voltaire dans ses belles<br />

4S9<br />

<strong>de</strong>s principes reçus qui servait à les juger. Us<br />

se sont crus en état <strong>de</strong> secouer le joug, et au moment<br />

<strong>de</strong> pouvoir risquer une révolte ouverte. Ainsi Y<br />

d'un dite, en renversant tout l'édifice <strong>de</strong> notre système<br />

théâtral, élevé par les Corneille, les Molière,<br />

les Racine, les Voltaire; en fou<strong>la</strong>nt aux pieds mm<br />

mépris toutes les règles qu'ils ont suivies, on a<br />

imprimé ces propres mots : Il flotte mfim dam ks<br />

cars, k drapeau <strong>de</strong> im guerre littéraire, etc.; et<br />

Ton a prédit que cette guerre finirait par f entière<br />

<strong>de</strong>straction <strong>de</strong> notre scène, qui doit tomber pour<br />

faire p<strong>la</strong>ce à un nouveau système dramatique. D'un<br />

autre côté (et cette autre révolte moins ma<strong>la</strong>droitement<br />

concertée a été beaucoup plus contagieuse),<br />

on a dit hautement qu'il fal<strong>la</strong>it substituer une nouvelle<br />

poésie à <strong>la</strong> nôtre, qui était trop timi<strong>de</strong>; et,<br />

sans examiner si notre <strong>la</strong>ngue en comportait une<br />

autre, et si nos grands écrivains Pavaient bien on<br />

mal connue, on a affecté <strong>de</strong> répéter sans cesse que<br />

le vrai génie poétique consistait dans ce que Racine<br />

k fils appelle fort bien <strong>de</strong>s alliances <strong>de</strong> tmts ; on<br />

a dit que Voltaire en avait peu et qu'il était peu<br />

poète, que Racine et Boileau s'en avaient pas as*<br />

tragédies et dans <strong>la</strong> Menria<strong>de</strong>, avaient suivi <strong>la</strong> même<br />

route. Les vrais principes <strong>du</strong> style s fondés sur <strong>la</strong><br />

nature et le bon sens, sur <strong>de</strong>s modèles avoués dans<br />

tous les siècles, semb<strong>la</strong>ient irrévocablement fixés.<br />

Il était reconnu que plus on s'en approchait, plus<br />

on avait <strong>de</strong> talent; que plus on s'en éloignait, .<br />

moins on savait écrire. Mais qu'est-il arrivé? C'est |<br />

ici le lieu <strong>de</strong> développer ce que j'ai indiqué plusieurs !<br />

sez. En conséquence on a cent fois loué avec profusion,<br />

dans <strong>de</strong>, très-mauvais ouvrages, quelques<br />

beaux vers qui pourtant n'étaient beaux que parce<br />

qu'ils étaient faits suivant les bons principes. Et<br />

quant à <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s mauvais, on e<br />

fois, <strong>de</strong> dé<strong>mont</strong>rer un fait qui doit avoir sa p<strong>la</strong>ce<br />

dans l'histoire littéraire, et qui, moins sensible peutêtre<br />

aux yeux <strong>de</strong>s gens <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, occupés d'autres<br />

choses, a dû frapper davantage les gens <strong>de</strong> l'art,<br />

intéressés, comme <strong>de</strong> raison, à l'objet <strong>de</strong> leurs étu<strong>de</strong>s.<br />

La <strong>littérature</strong> a ses temps <strong>de</strong> schisme et d'hérésie;<br />

différentes erreurs ont régné à différentes<br />

époques : j'aurai l'occasion <strong>de</strong> les rappeler successivement<br />

Celle dont je veui parler ici s'est accréditée<br />

<strong>de</strong>puis environ dix ans; on <strong>la</strong> retrouve érigée<br />

en système dans une foule d'écrits <strong>de</strong> toute espèce,<br />

mais surtout dans <strong>de</strong>s compi<strong>la</strong>tions périodiques qui<br />

sont malheureusement ce qu'on lit le plus. Cette<br />

théorie, que je vais combattre, est née <strong>de</strong> l'impuissance.<br />

On a senti <strong>la</strong> prodigieuse difficulté <strong>de</strong> pro<strong>du</strong>ire<br />

<strong>de</strong>s beautés nouvelles sans s'écarter dp bon<br />

sens; les mauvais auteurs, <strong>de</strong>venus plus forts par<br />

leur nombre 9 par leur réunion $ par tous les moyens<br />

dont ils disposent, se sont <strong>la</strong>ssés d'avoir toujours<br />

<strong>de</strong>vant les yeux cette comparaison <strong>de</strong>s écrivains c<strong>la</strong>ssiques<br />

qui les mettait à leur p<strong>la</strong>ce, et cette rigueur<br />

f a guère essayé<br />

<strong>de</strong> les défendre en détail, parce qu'on aurait trop<br />

choqué l'évi<strong>de</strong>nce ; mais on a toujours répété que<br />

c'était là <strong>du</strong> génie poétique, et qu'il n'y manquait<br />

qu'un peu plus <strong>de</strong> goût. On n'a pas osé non plus<br />

soutenir formellement que <strong>de</strong>s ouvrages tombés <strong>du</strong><br />

poids <strong>de</strong> l'ennui, après avoir été exaltés,-étaient<br />

<strong>de</strong> bons ouvrages; mais on ne par<strong>la</strong>it <strong>de</strong> leurs fautes<br />

mêmes qu'avec le ton d'admiration qui invite à<br />

en commettre <strong>de</strong> semb<strong>la</strong>bles. Il y a <strong>de</strong>s gens qui<br />

préten<strong>de</strong>nt que tout ce<strong>la</strong> est indifférent ; ils se trompent<br />

: c'est là ce qui égare presque tous les jeunes<br />

écrivains. Ions en voyons <strong>la</strong> preuve dans les con<strong>cours</strong><br />

académiques : dans <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s pièces<br />

dont on ne peut pas lire vingt vers <strong>de</strong> suite, il y en<br />

a quelques-unes dont les auteurs annoncent <strong>du</strong> talent;<br />

mais on voit c<strong>la</strong>irement qu'ils font tous îês<br />

efforts imaginables pour écrire mal; os y reconnaît<br />

une prétention, une recherche continuelle,<br />

l'ambition <strong>de</strong>s figures, <strong>la</strong> manie <strong>de</strong>s métaphores,<br />

Fenvie d'imiter <strong>de</strong> mauvais modèles. Il peut donc<br />

être utile <strong>de</strong> détruire leurs erreurs, <strong>de</strong> les ramener<br />

à <strong>de</strong>s notions plus justes. Il faut bien revenir alors<br />

sur <strong>de</strong>s vérités familières aux bons esprits; mais on<br />

ne peut pas réfuter autrement ceux qui les combattent,<br />

ni éc<strong>la</strong>irer ceux qui les oublient ; et quand on


C0U1S DE L1TTÉMTUÉE.<br />

460<br />

réponil à oe qui eft dénimiiaMe, on est forcé <strong>de</strong><br />

redire ce qui est connu.<br />

Les" ligures par elles-mêmes se sont point une<br />

beauté : c'est tout ce qu'il y a <strong>de</strong> plus facile et <strong>de</strong> plus<br />

commua. Le <strong>la</strong>ngage <strong>du</strong> bas peuple m est rempli;<br />

et Botleau disait qu'on entepdrait aux balles plus <strong>de</strong><br />

métaphores en on jour qu'il n'y en a dans toute i'Énêt<strong>de</strong>.<br />

La beauté consiste donc dans l'usage et le<br />

eboiï <strong>de</strong>s figures. Es effet, quel es est l'objet, que<br />

¥«ut-0E faire quand on passe <strong>du</strong> propre au figuré?<br />

rendre son idée plus sensible et plus frappante. Eh<br />

bien! si l'image est fausse f si <strong>la</strong> métaphore est forcée,<br />

si elle est outrée, l'idée, le sentiment que vous<br />

fouliez exprimer, n'y per<strong>de</strong>nt-ils pas au lieu d*y gagner?<br />

Yous faites donc tout le contraire <strong>de</strong> ce que<br />

vous vouliez faire? Est-ce .là <strong>de</strong> <strong>la</strong> force ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> faiblesse?<br />

Vous foules me peindreuneflotte nombreuse<br />

qui vogueàpleines voiles. Vous cherchez une image ;<br />

fort bien. Yous me dites que jamais pius beiks fo­<br />

le Montrât 1« pranter anx peuples <strong>la</strong> Unique<br />

L'appareil, Inouï pour cas mortels nouveaux 9<br />

De nos châteaux allés qui vo<strong>la</strong>ient sur les eaux.<br />

Rien n'est plus bril<strong>la</strong>nt que cette métaphore, ni es<br />

même temps plus naturel, par <strong>la</strong> manière dout elle<br />

est p<strong>la</strong>cée. Car supposons qu'Alvarès, n'ayant point<br />

à prier <strong>de</strong>s Mexicains ni <strong>de</strong> l'effet que pro<strong>du</strong>isit sur<br />

eui <strong>la</strong> première vue <strong>de</strong>s vaisseaux européens, eût<br />

dit, en par<strong>la</strong>nt <strong>du</strong> départ <strong>de</strong> <strong>la</strong> flotte espagnole pour<br />

toute autre expédition,<br />

Et nos châteaux ailés volerait sur Ici eaux 9<br />

il eût <strong>la</strong>it <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie très-mal à propos, il eût abusé<br />

<strong>de</strong>s figures ; car ce n'est pas à lui à voir dans <strong>de</strong>s<br />

vaisseaux <strong>de</strong>s châteaux ailés* Mais le cas est bien<br />

différent. lia <strong>mont</strong>ré kpremier à <strong>de</strong>s peuples nouveaux<br />

un appâté! inouï pour eux.,.. Yoilà l'imagination<br />

préparée. En prose , il aurait achevé ainsi ,<br />

<strong>de</strong> nos vaisseaux qui kmr semb<strong>la</strong>ient <strong>de</strong>s châteaux<br />

aies; mais c'eût été trop <strong>la</strong>nguissant en fera. Tout<br />

rêts m'ont volé dons Vair. Ooyes-vous avoir présenté<br />

à mon imagination un tableau fidèle? Yous ne<br />

m'avez offert qu'une chimère et une image fausse.<br />

Hé dirait-on pas d ? abord que les forêts ont coutume<br />

<strong>de</strong> voler dam tairt Quand même les forêts voleraient<br />

dans l'air, elles ne ressembleraient point à<br />

une gran<strong>de</strong> lotte. On a dit, même en prose, une<br />

forée <strong>de</strong> mâts, et <strong>la</strong> métaphore est juste : elle ne<br />

<strong>mont</strong>re que les arbres <strong>de</strong>s forêts taillés en mâts, et<br />

j'en saisis sur-le-champ le rapport. On dirait <strong>de</strong> même,<br />

d'une flotte en mer, qu'on croit Yôir une forêt moupunie,<br />

parce que le mouvement d'une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

mâts peut ressembler en quelque sorte à celui <strong>de</strong>s<br />

arbres agités par le vent. Ainsi Rousseau a dit dans<br />

une <strong>de</strong> ses o<strong>de</strong>s :<br />

A Fsapeef <strong>de</strong>s vaisseaux qm vomit te Bosphore,<br />

Sous an nouveau Xerxès, Téthys croit voir mmm<br />

An travers <strong>de</strong> sas flots promt aer les forêts.<br />

Observons- ici Fart <strong>de</strong> rendre vraisemb<strong>la</strong>bles et<br />

naturelles les figures les plus Jiardies. Certainement<br />

les forêts ne m promènent pas plus qu'elles ne volent<br />

; mais voyez comment le poète nous con<strong>du</strong>it par<br />

<strong>de</strong>grés jusqu'à l'idée qu'il veut offrir. C'est d'abord<br />

Téthys qui eroMvoir; ce n'est pas une réalité; c'est<br />

mm travers <strong>de</strong> ses flots : voilà l'imagination liée;<br />

il ne reste plus qu'à pouvoir prendre les mâts pour<br />

<strong>de</strong>s forêts mouvantes, et nous avons vu que cette<br />

' figure ne répugnait pas. Mais quand fous dites,<br />

jamais plus beUes forées ne votèrent par les sirs,<br />

¥@us entassez trois ou quatre figures les unes sur<br />

les autres, dont pas une ne me rappelle <strong>de</strong>s faisseaux;<br />

et ce n'est plus une image, mais une énigme.<br />

Yoltairea dans sa tragédie é % ce qui précè<strong>de</strong> rend le sens suffisamment c<strong>la</strong>ir. Il a<br />

re<strong>cours</strong> à <strong>la</strong> figure rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'ellipse : il s'exprime<br />

comme si c'était pour lui-même que ces navires fessent<br />

<strong>de</strong>s châteaux aHés, parée qu'on ne peut pas s'y<br />

méprendre ; et, conservant <strong>la</strong> marche poétique sans<br />

blesser <strong>la</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce, il peut dire :<br />

L'appareil, inouï pour ces mortels nouveaux.<br />

De nos châteaux allés fol vo<strong>la</strong>ient sur les eaux.<br />

Et cette ellipsef qu'on entend très-bien, est tue<br />

nouvelle beauté et une finesse <strong>de</strong> l'art. Remarquons<br />

encore <strong>la</strong> filiation <strong>de</strong>s idées, si essentielle au style.<br />

S'il eût donné au mot <strong>de</strong> châteaux toute autre épitbèteque<br />

celle d'ailés, le vers perdrait beaucoup.<br />

Mais ailés amène naturellement qui vo<strong>la</strong>ient sur<br />

tes eaux y et c'est ainsi qu'on est tout à <strong>la</strong> fois naturel<br />

pour contenter <strong>la</strong> raison 9 et hardi pour satisfaire<br />

<strong>la</strong> poésie.<br />

Je me suis un peu éten<strong>du</strong> sur cet article pour faire<br />

bien sentir que l'effet <strong>de</strong>s ligures dépend toujours<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité <strong>de</strong>s rapports physiques ou moraux et <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> liaison <strong>de</strong>s idées. On peut juger combien il faut<br />

<strong>de</strong> talent pour y réussir. Aussi les figures, bien employées,<br />

sont une <strong>de</strong>s parties principales <strong>du</strong> grand<br />

écrivain; mais les employer mal, est à <strong>la</strong> portée <strong>de</strong><br />

tout le mon<strong>de</strong>. En voilà beaucoup à propos d'une<br />

métaphore; mais on connaît le mot <strong>de</strong> Marcel :<br />

Que <strong>de</strong> choses dans un menuet! Et en passant <strong>du</strong><br />

petit au grand ( car il faut bien soutenir notre dignité),<br />

on nous permettra <strong>de</strong> dire : Que <strong>de</strong> choses<br />

dans un beau vers!<br />

Mais ce n'est pas assez que les figures soient parfaitement<br />

justes, il faut encore qu'elles soient adaptées<br />

à <strong>la</strong> nature <strong>du</strong> sujet. Ce vers <strong>du</strong> Saint-Louis<br />

JMre$ a dit en très- que j'ai cité tout à l'heure,<br />

Jbeaui ?ers :<br />

L'or <strong>de</strong> son pavillon Jouait avec te veut,


SIÈCLE DS IOTIS XIV. — POÉSIE.<br />

indépendamment <strong>de</strong> ses autres défauts 9 a eeîml <strong>de</strong><br />

pécher contre <strong>la</strong> mmwmmm <strong>de</strong> ton ; carY en supposant<br />

même que l'or pût jouer avec te vent, et<br />

que t&r, qui n'est ki que iguré, puisse, par une<br />

autre igure, être personniié (ee qui est ridicule ) ,<br />

jouer avec te vent serait encore une expression au<strong>de</strong>ssous<br />

<strong>du</strong> style noble, et indigne <strong>de</strong> l'épopée. Ceci<br />

tient aux nuances <strong>du</strong> <strong>la</strong>ngage. Se jouer peut entrer<br />

dans le style le plus oratoire et le plus poétique : <strong>la</strong><br />

fortune se joue <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>urs, te aépkyr se joue<br />

dam te feuil<strong>la</strong>ge, etc. Tout ce<strong>la</strong> est fort bon. Mais<br />

jmser peut être difficilement au-<strong>de</strong>ssus <strong>du</strong> familier»<br />

parce qu'il rappelle trop ridée <strong>de</strong>s amusements<br />

puérils.<br />

Ce n'est pas tout encore : quand même les igures<br />

seraient toutes excellentes en elles-mêmes s il faut<br />

en user a?ec sobriété ; car c'est un ornement, et il<br />

faut le ménager; c'est un art, et il ne faut pas trop<br />

<strong>mont</strong>rer Fart; c'est une partie <strong>de</strong> Fart, et ce n'est<br />

pas à beaucoup près fart tout entier. Us se trompent<br />

donc étrangement ceux qui affectent <strong>de</strong> vouer<br />

à cette espèce <strong>de</strong> beauté une admiration si exclusive,<br />

qu'ils semblent ne reconnaître, ne sentir en poésie<br />

aucune autre sorte <strong>de</strong> mérite. Il n'est que trop commun<br />

<strong>de</strong> ?oir <strong>de</strong> préten<strong>du</strong>s juges refuser leur estime<br />

à <strong>de</strong>s outrages écrits a?ec <strong>la</strong> plus heureuse élégance $<br />

et qui réunissent l'intérêt <strong>du</strong> style, <strong>la</strong> noblesse,<br />

l'harmonie et le sage emploi <strong>de</strong>s figures. Tout ce<strong>la</strong><br />

n'est pas assez pour eux : il n'y a, disent-ils, rien<br />

qui'étonne, rien d'extraordinaire; enin point<br />

4U<br />

expliqué. L'idée est moins forte, moins profon<strong>de</strong><br />

que celle <strong>du</strong> vers <strong>de</strong> Corneille ; mais wkUlir dans.<br />

une longue enfance est une métaphore bien singulièrement<br />

Jieureuse, et une <strong>de</strong> ces expressions que<br />

Boileau appe<strong>la</strong>it trouvées.<br />

Le père <strong>du</strong> Glorieux dit à son ils qui se jette-â<br />

ses pieds en le priant <strong>de</strong> ne ps se découvrir :<br />

J'entends : In vaniU me déc<strong>la</strong>re à genoux f<br />

Qu'on père malheureux n'est pas digne <strong>de</strong> vous.<br />

IM mnïié è genoux semble offrir <strong>de</strong>ux choses contradictoires.<br />

Ce vers est admirable et <strong>du</strong> très-petit<br />

nombre <strong>de</strong> ceux qui prouvent que <strong>la</strong> comédie peut<br />

quelquefois s'élever au sublime.<br />

Yoilà <strong>de</strong> beaux exemples d'alliances <strong>de</strong> mois. Il<br />

y en a une peut-être au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> toutes les autres :<br />

elle est <strong>de</strong> Voltaire, à qui l'on reproche <strong>de</strong> n'en pai<br />

avoir. Gengis-kan, dans <strong>la</strong> tragédie <strong>de</strong> tOrpkelin<strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> Chine, veut exprimer le vi<strong>de</strong> que <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> fortune<br />

avait <strong>la</strong>issé dans son âme avant qu'il aimât<br />

Idamé:<br />

Tant d'États subjugués ont-Ils rempli mon mer?<br />

Ce eœur <strong>la</strong>ssé <strong>de</strong> tout, <strong>de</strong>mandait use erreur<br />

Qui pût <strong>de</strong> mes casais chasser <strong>la</strong> nuit profon<strong>de</strong>,<br />

Et qui me consolât sur le tféne <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>.<br />

Consoler sur le trêne <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>! quel sentiment<br />

à <strong>la</strong> fois touchant et profond ! et comme ces <strong>de</strong>ux<br />

idées, qui paraissent si loin l'une <strong>de</strong> l'autre t sont ici<br />

naturellement réunies ! Joignez-y l'harmonie <strong>du</strong> vers,<br />

et vous trouverez tous les mérites ensemble.<br />

11 est pourtant vrai qu'en général il est moins riche<br />

û'aMianeê <strong>de</strong> mots. C'est ce que j'ai enten<strong>du</strong> dire <strong>de</strong> en igures que Racine; mais aussi Eacine est supé­<br />

im Mmrmik » même à <strong>de</strong>sgens d'esprit ; car <strong>la</strong> mo<strong>de</strong> rieur dans cette partie, comme dans toutes les au­<br />

se mêle <strong>de</strong> tout, et l'on parle aujourd'hui <strong>de</strong>s aMan- tres qui regar<strong>de</strong>nt le style, à tous les poètes français.<br />

CES <strong>de</strong> mots, comme si elles n'étaient décou¥ertes Et ce qu'il importe d'observer, ce qui achèvera <strong>de</strong><br />

que d'hier : il faut donc en prier ici. Ce qu'on ap­ développer ce que j'avais à d jre sur les igures, c'est<br />

pelle alliance <strong>de</strong> mots est une espèce <strong>de</strong> métaphore <strong>la</strong> manière dont il s'en sert. 11 ne les emploie qu'à<br />

plus hardie que les autres : elle consiste dànrle propos, et sait les cacher quand il les emploie.<br />

rapprochement <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux idées, <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mots, qui Adresse et réserve, voilà les <strong>de</strong>ux grands préceptes.<br />

semblent s'exclure, comme dans ce fers <strong>de</strong> Cor­ Il faut <strong>de</strong> <strong>la</strong> réserve, parce que <strong>la</strong> diction trop souneille<br />

:<br />

vent igurée cesserait d'être naturelle. Mien n'est plus<br />

déraisonnableque <strong>de</strong> vouloir que tous les sentiments,<br />

Il <strong>mont</strong>é snr le faite, fl aspira à diiondw.<br />

toutes les idées, aient une expression également<br />

M êédre <strong>de</strong>scendre serait très-simple. Mais le mot marquée. Le plus grand nombre ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que <strong>de</strong><br />

aspire suppose un objet élevé, et pourtant s'appli­ <strong>la</strong> pureté et <strong>de</strong> l'élégance. Pourquoi une igure brilque<br />

ici à <strong>de</strong>scendre. De là, l'énergie <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée et <strong>la</strong>nte f énergique, hardie, pro<strong>du</strong>it-elle <strong>de</strong> l'effet ? c'est<br />

<strong>de</strong> l'expression. Le vœu <strong>de</strong> l'ambition, qui est or­ qu'elle tranche pour ainsi dire avec le reste. Mais si<br />

dinairement celui <strong>de</strong> <strong>mont</strong>er, est ici <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre. vous voulez être trop souvent hardi, vous ne paraî-<br />

Racine trouvait ce vers sublime, et il s'y connaistres plus qu'étrange et recherché; si vous voulez<br />

sait. Lui-même a su employer cette igure, et plus être trop souvent fort f vous serez ten<strong>du</strong> et pénible ;<br />

souvent que Gorneille. Il dit dans BrMaw<strong>de</strong>m : si vous vouks être trop souvent élevé, vous serea<br />

Dtss me loup® eftfmmx m l'auraient fldt wmUir. exagéré et emphatique. Il faut en tout <strong>de</strong>s nuances<br />

Vemfame et <strong>la</strong> vkUtsm semblent s'exclure. Elles<br />

et <strong>de</strong>s ombres. Une femme qui <strong>de</strong>s pieds à <strong>la</strong> tête<br />

serait couverte <strong>de</strong> diamants, aurait-elle Ken bonne<br />

sont m réoniii, et le sent est trop c<strong>la</strong>ir pour être


403<br />

grâce ? Je dis <strong>de</strong>s diamants : que sera-ce si sa parère<br />

est composée <strong>de</strong> pierres fausses et mal assorties,<br />

d'oripeau terne et <strong>de</strong> clinquant déjà passé ? c'est précisément<br />

ce que sont les ouvrages chargés <strong>de</strong> mauvaises<br />

figures f tels que ceux do père le Moine et<br />

tant d'autres, qu'on veut nous donner, comme fous<br />

le verrez tout à l'heure, pour <strong>de</strong>s trésors <strong>de</strong> poésie.<br />

Racine a quelquefois cinquante vers <strong>de</strong> suite sans<br />

qu'il y ait une seule figuré remarquable; et ils n'en<br />

sont pas moins beaui, parce qu'ils sont ce qu'ils<br />

doivent être, et qu'ils ont tous les autres mérites<br />

qu'ils doivent avoir. Il y a plus (et c'est là cette<br />

adresse merveilleuse, cette autre condition qu'exigent<br />

les meilleurs critiques, tels que Longin et<br />

QuintilieUfdaus l'emploi <strong>de</strong>s figures) : celles <strong>de</strong><br />

Racine sont toujours si bien p<strong>la</strong>cées, si .naturellemeetamenéesf-qu'onnelesaperçoitqueparréiexion.<br />

Il est hardi sans qu'on s'en doute, et c'est ainsi qu'il<br />

faut l'être. L'habileté consiste à pro<strong>du</strong>ire l'effet sans<br />

<strong>mont</strong>rer le ressort : il n'y a que les gens <strong>de</strong> l'art<br />

qui soient dans le secret. Quand il dit dans AtkaUe ,<br />

Faut-il t &bmt% faut-il mm rappeler le murs<br />

Des prodiges fameui accomplis m nos jours,<br />

Des tyrans d'Israël les célébrée disgrâces,<br />

Et Mets troof é Mêle «i toutes sa mamomj<br />

on sent bien que ce <strong>de</strong>rnier vers est beau; mais<br />

il faut y penser pour voir que c'est ordinairement<br />

dans ses promesses qu'on est trouvé fidèle $ et que<br />

fidèle dam ses menaces est d'un poète. Cependant<br />

personne n'est étonné <strong>de</strong> cette aMance <strong>de</strong> mots<br />

( car c 9 en est encore une ), parce que tout le mon<strong>de</strong><br />

supplée aisément l'ellipse f fidèk è accomplir ses<br />

menaces. On pourrait citer mille autres exemples :<br />

<strong>la</strong> lecture <strong>de</strong> Racine les amènera.<br />

Maïs parce que Yoltaire a moins <strong>de</strong> beautés <strong>de</strong><br />

ce caractère, est-il juste <strong>de</strong> le rabaisser? ffa-t-il<br />

pas d'autres qualités? Faut-il ne mettre dans <strong>la</strong><br />

ba<strong>la</strong>nce qu'un seul genre <strong>de</strong> mérite? N'y en a-t-il<br />

qu'un seul en poésie? Cette exclusion marque,<br />

ou <strong>la</strong> petitesse <strong>de</strong>s vues t ou <strong>la</strong> partialité <strong>du</strong> jugement.<br />

Quand un auteur a rempli les conditions<br />

essentielles qui font d'abord le grand écrivain , "il<br />

se distingue ensuite par un caractère qui lui est<br />

propre; et heureusement pour nous chacun a le<br />

sien. Voltaire ne ressemble pas à Racine : eh ! tant<br />

mieux. Nous avons <strong>de</strong>ux hommes au lieu d'un. L'un<br />

a plus <strong>de</strong> sagesse et d'art dans ses figures; l'autre<br />

a plus d'éc<strong>la</strong>t : l'un a souvent plus <strong>de</strong> correction;<br />

l'autre a quelquefois plus <strong>de</strong> charme : l'un met plus<br />

<strong>de</strong> logique dans son dialogue; l'autre plus <strong>de</strong> vivacité.<br />

Apprécions tous ces différents mérites, comparons<br />

, préférons selon notre manière <strong>de</strong> sentir;<br />

mais jouissons <strong>de</strong> tout et ne rabaissons rien.<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

11 me reste à faire voir jusqu'où cet amour aveugle<br />

pour les figures bien ou mal connues f et l'absur<strong>de</strong><br />

affectation d'y voir <strong>la</strong> véritable poésie, même<br />

quand elles y sont le plus opposées f égarent nos jugements.<br />

J'ai ren<strong>du</strong> justice aux rédacteurs <strong>de</strong>s Jm~<br />

naks poéêiques, à leurs recherches, à leur travail,<br />

aux notices en général judicieuses, où ils ont suivi<br />

les progrès <strong>de</strong> notre poésie dans ses premiers âges.<br />

Mais à mesure qu'ils approchent <strong>du</strong> nôtre, <strong>la</strong> contagion<br />

<strong>du</strong> mauvais goût dominant paraît trop les gagner;<br />

Ils prodiguent au père le Moine les louanges<br />

les plus exagérées, et ce qu'ils citent à l'appui <strong>de</strong><br />

leurs louanges ne <strong>de</strong>vrait le plus souvent être cité que<br />

pour faire voir combien v même dans ses meilleurs<br />

morceaux! il se trompe dans ce qu'il prend pour <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> poésie.<br />

« M sultan, disent-Os, prononce un dis<strong>cours</strong> où 1 y a<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> chaleur et <strong>de</strong>s expressions hardies, comme celle<br />

qui se trouve dans te second <strong>de</strong> ces vers :<br />

Déjà dans leur «prit l'Egypte est renversée;<br />

Wé§k dans notre sang îk trempent Umt pmtée »<br />

•Eh bien! vous ai-je trompés! Ne voi<strong>la</strong>-t-îl pas que<br />

l'on qualifie expressément <strong>de</strong> chakur et <strong>de</strong> lierdksse<br />

ce <strong>de</strong>rnier eicès <strong>de</strong> ridicule et d'extravagance ?<br />

Par quel moyen , sous quel rapport peut-on se représenter<br />

<strong>la</strong> pensée trempée dam le sangt et ce<br />

vers, qu'on ne peut entendre sans pouffer <strong>de</strong> riref<br />

est cité avec éloge !<br />

« L'expression <strong>du</strong> père te Moine est impurs hardie<br />

et poétigme. S'il veut peindre <strong>de</strong> grands arbres, voici<br />

comment il s'exprime :<br />

Et les plus lourdltaiK, dont <strong>la</strong> têtes litières t<br />

Jm lever dm ioteil, te trempaient les premières. »<br />

Comment ne s'est-on pas aperçu que <strong>de</strong>s pins qui<br />

se trouvent ks premiers au kver <strong>du</strong> soldi9 sont<br />

absolument <strong>du</strong> style burlesque? Une pareille idée<br />

serait digne <strong>de</strong> Scarron ; mais ce qui serait fort<br />

bien dans k Firgïk travesti, peut-il se trouver<br />

dans un poëme épique? Poursuivons le panégyrique<br />

et les citations.<br />

« Les vers <strong>du</strong> père le Moine se sont jamais composés<br />

d'hémistiches ressassés d'après autrui. Set défauts et ses<br />

beautés lui apparbennêiit..<br />

Cependant le soleil à mm §§te m rend;<br />

Le jour meurt, et Se brait avec le Jour mourant :<br />

Pmsr en p&rêer le <strong>de</strong>uil le* iénibret <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt ,<br />

Et d'une armée à faute en sUenee s'éten<strong>de</strong>nt. »<br />

Le second et le quatrième vers sont beaux; mais<br />

y a-t-il une idée plus fausse f plus insensée que ks<br />

ténèbres qui portent k <strong>de</strong>tte dmjourî 11 est diffielle<br />

en .effet <strong>de</strong> prendre à personne <strong>de</strong> pareilles<br />

choses : elles sont trop originales. Ce qui m'étonne,<br />

c'est qu'on ne cite pas missi connut Mm karmt


SIÈCLE DE LOUIS XIY. — POÉSIE.<br />

etMtn jwéUfue h sokU qui se. rend à «on gîte.<br />

Cette énorme p<strong>la</strong>titu<strong>de</strong> donne Heu a une <strong>de</strong>rnière<br />

observation; c'est qn ? à entendre les panégyristes<br />

<strong>de</strong> Fauteur <strong>du</strong> £mmi~tmi$ f il n'a d'antres défauts<br />

que d'sèmer <strong>de</strong> son esprit et fie son mm§i$mUm ,<br />

une eipression quelquefois outrée et <strong>de</strong> mawak<br />

goût, <strong>de</strong>s idées souvent dé]figwrêes par trop <strong>de</strong><br />

recherche, tontes choses qu'on pourrait dire d'auteurs<br />

estimables d'ailleurs, et dont- les béantes rachèteraient<br />

suffisamment les défants. La vérité est<br />

que, dans ce long fatras dont <strong>la</strong> lecture est insoutenable<br />

f il y a autant <strong>de</strong> trifialité que d'enflure,<br />

autant <strong>de</strong> prosaïsme bas et dégoûtant que d'extravagante<br />

emphase. On en peut juger par ces fers<br />

pris au hasard :<br />

Ils suivaient Gmpdm y le eéfèère jouteur,<br />

Bout te h&TMâs, charmé par Emir l'enchanteur,<br />

SOI» te fer émoulu plus ferme qu'une enclume,<br />

S'étonnait taiil peu d'un dard que (fooe plume.<br />

Et ailleurs :<br />

Ils gar<strong>de</strong> cependant as prince donne avb<br />

Que <strong>de</strong>ux grands étrangers, d'un riche train suivit,<br />

Sont Team députés pour une gran<strong>de</strong> affaire f<br />

De <strong>la</strong> part <strong>du</strong> sultan qui règne sur te Caire.<br />

Ile reaaaaafl-oo pas là un écrivain quif gâtant les<br />

grands objets par l'exagération f ne sait 'pas ennoblir<br />

les petits par un peu d'élégance?<br />

Le résultat <strong>de</strong>s éditeurs répond à ce qui a précédé.<br />

« Tel est le poème <strong>de</strong> Sofaâtoff #Toawage feoMIre<br />

le plus poétique qws nous ayons dons mire longue. »<br />

( Ceui qui l'enten<strong>de</strong>nt bien savent que cette formule<br />

<strong>de</strong> doute, équivaut à peu près à l'affirmation....<br />

)<br />

« Malgré ses défauts.... *<br />

( Remarquez cette eipression si réservée , quand<br />

il s'agit <strong>de</strong> l'assemb<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> tons les vices les plus<br />

monstrueux qui puissent déshonorer le goût, l'esprit<br />

et le <strong>la</strong>ngage. )<br />

« Malgré aes iéfaatf f nous croyons que les ouvrages <strong>de</strong><br />

père le Moine eool mne vêrtMIe écrie êejmécie, et tpaaaa<br />

pareille lecture, <strong>la</strong>ite néanmoins avec précaution,...<br />

(« Cest quelque chose : on ne prierait pas autrement<br />

<strong>de</strong> Corneille.)<br />

« peut être utile aux Jeunes poètes 9 dans un teanp surtout<br />

aè notre poésie 9 à force <strong>de</strong> raison , est émenm pmi4ire<br />

trop iimiéc$ et où notre <strong>la</strong>ngue a per<strong>du</strong> <strong>de</strong> sa richesse en<br />

•'épurant. »<br />

Yoilà done ce qu'on imprime à <strong>la</strong> In <strong>du</strong> dix-huitième<br />

siècle! voilà les belles leçons qu'on nous<br />

donne I Ainsi dose les ouvrages ie$ plus'poétiques<br />

<strong>de</strong> notre <strong>la</strong>ngue ne sont pas, sans contredit, caui<br />

<strong>de</strong>s Boileau et <strong>de</strong>s Rousseau Y ceoi <strong>de</strong>s Racine et<br />

<strong>de</strong>s Toi taire v qu v 46S<br />

cœur : c'est peut-être le poème <strong>de</strong> Jalft#-£awff, qm<br />

personne ne lit ni ne pourrait lire, et dont personne<br />

ici peut-être ne savait un seul vers. 11 y en a quelques-uns<br />

d'heureux parmi ceux qui sont rapportés<br />

dans les- Anrmke poétiques : il y en a même qu'on<br />

n'a point cités, et qui m'ont para plus beaux et<br />

moins défectueux, quoiqu'on y aperçoive encore<br />

quelque rouille. Tel est cet endroit où le sultan<br />

d'Egypte <strong>de</strong>scend dans les souterrains <strong>de</strong>stinés à<br />

conserver les corps embaumés <strong>de</strong> ses ancêtres :<br />

Sous le* pêeés <strong>de</strong> cm <strong>mont</strong>s taillés et suspen<strong>du</strong>s,<br />

M détend <strong>de</strong>s pays ténébreux et per<strong>du</strong>s,<br />

Des déserts spacieux, <strong>de</strong>s solitu<strong>de</strong>s sombres<br />

Faites pour le séjour <strong>de</strong>s morts et <strong>de</strong> leurs ombres.<br />

Là, sont les corps <strong>de</strong>s rois et Ses corps <strong>de</strong>s sultans.,<br />

Dwermmmt mn§é§ mùm i'&mim dt$ iemiw,<br />

Les uns sont eut Misés dans <strong>de</strong> eremsm lwmgm9<br />

A qui l'art a donné leur taille et leurs ¥f sages;<br />

Et dans ces <strong>la</strong>ias portraits ( qui sont leurs moswnants ,<br />

Leur orgueil se consenre mm leurs ossements.<br />

Les autres, embaumés, sont posés en <strong>de</strong>s itfcAcf,<br />

Où leurs ombres encore éc<strong>la</strong>tantes et riches<br />

Semblent perpétuer, malgré les lois <strong>du</strong> sort,<br />

La pompe <strong>de</strong> leur Yip en celle <strong>de</strong> leur mort<br />

Ile ce muet sénat, <strong>de</strong> cette cour terrible,<br />

Le silence épouvante et Imfom est horrible.<br />

Là sont les <strong>de</strong>vanciers mm leurs <strong>de</strong>scendants;<br />

Tous les règnes y sont; on y voit tous les temps;<br />

Et cette antiquité, ces siècles dont l'histoire<br />

If a pu sauver qu'à peine use obscure mémoira,<br />

Méaafj par <strong>la</strong> mort en cette sombre nuit,<br />

Y sont sans mouvement, sans lumière et sans bruit<br />

Si îe père îe Moine avait un aorta<strong>la</strong> nombre <strong>de</strong><br />

pareils morceaux, il y aurait <strong>de</strong> quoi excuser toutes<br />

ses fautes : il mériterait d'être lu 9 et il le serait.<br />

Mais fose assurer qu'on n'en trouverait pas un<br />

second, écrit et conçu <strong>de</strong> cette manière. Ce f ail<br />

peut avoir <strong>de</strong> bon cf aîliears consiste en quelques<br />

traits f quelques eipressionsy quelques vers épara'<br />

ça et là, le tout noyé dans le galimatias. Et n'estce<br />

pas tendre un piège aoi jeunes gens que <strong>de</strong> leur<br />

dire : Yollà fécale <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie? Quand on n<br />

on lit sans cesse et qu'on sait par<br />

$ a parlé<br />

<strong>de</strong> ses mutes innombrables et impardonnables que<br />

pour les eicuser, ou même les exalter, n'est-ce pas<br />

dire en quelque sorte : Faites <strong>de</strong> rai aie, et vous<br />

passerez pour avoir <strong>du</strong> génie; soyez enflé 9 et vous<br />

paraîtrez hmrdi ; sayei insensé, et vous serai poêU~<br />

que. Encore, si l'on disait qm <strong>de</strong>s écrivains d'un<br />

goût formé peuvent trouver dans ces vieux poètes<br />

quelques beautés informes, quelques idées ébauchées<br />

dont il est possible <strong>de</strong> tirer parti, ce<strong>la</strong> m se*<br />

rait pas dépourvu <strong>de</strong> vérité : mais <strong>de</strong> semb<strong>la</strong>bles<br />

modèles ne sont-ils pas pour les élèves infiniment<br />

plus dangereux qu'utiles ? H n'y a que ceux qui par<br />

état sont à portée <strong>de</strong> voir et d'entendre tous les<br />

jours les jeunes littérateurs, qui sachent combien<br />

ils sont infectés <strong>de</strong> mauvais f oit et <strong>de</strong> faux principes.<br />

Convient-il <strong>de</strong> les y affermir au lieu <strong>de</strong> les en<br />

détourner? Faut-il les rappeler <strong>de</strong> l 9 école <strong>de</strong> Bis-


4G4<br />

préaux pour les envoyer I celte <strong>du</strong> père le Moine ?<br />

Je n'insisterai pas sur Finjure ;que l'on fait à<br />

nos poêles c<strong>la</strong>ssiques, en trouvant l'auteur <strong>du</strong> Saint-<br />

Louis plus poète qu'oui. C'est un outrage sans conséquence,<br />

auquel ils répon<strong>de</strong>nt assez par un siècle<br />

<strong>de</strong> gloire et le suffrage <strong>de</strong> toutes les nations. Je<br />

me contenterai d'affirmer avec tous les connaisseurs,<br />

que, si l'on donne aux mots leur acception<br />

légitime, si <strong>la</strong> vraie poésie n'est en effet que l'expression<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> belle nature, le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> l'imagination<br />

con<strong>du</strong>ite par ta raison et le goût, Faccofd<br />

heureux et soutenu <strong>de</strong> <strong>la</strong> force et <strong>de</strong> <strong>la</strong> justesse, <strong>du</strong><br />

sentiment et <strong>de</strong> l'harmonie, il y a plus <strong>de</strong> poésie<br />

cent fois dans JtkaMe, dans <strong>la</strong> Hmria<strong>de</strong>, et même<br />

dans le Lutrin, que dans les dix-Huit mortels<br />

chants <strong>du</strong> Saint-Louis. Qu'il me soit permis, pour<br />

sortir <strong>de</strong> toute cette barbarie, <strong>de</strong> inir par un mor-,<br />

ceau <strong>de</strong> cette Hmria<strong>de</strong> qu'il est <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> aujourd'hui<br />

<strong>de</strong> dénigrer. 11 suffit pour faire voir si nous<br />

sommes en effet si Umi<strong>de</strong>s , et si notre poésie 9 sous<br />

<strong>la</strong> plume d'un grand maître, ne sait pas exprimer<br />

même les objets qui semblent lui être le plus étrangers.<br />

Bain te centra éc<strong>la</strong>tant <strong>de</strong> ces orbes Immenses,<br />

Qui n'est pi nous cacher leur marche et leurs lUstasees t<br />

Luit est astre <strong>du</strong> jour, par Dieu même allumé,<br />

Qui tourne autour <strong>de</strong> sol sur sou axe esûammé :<br />

De lui partent sans fa <strong>de</strong>s torrents <strong>de</strong> lumière ;<br />

Il donne t en se <strong>mont</strong>rant, <strong>la</strong> vie à <strong>la</strong> matière,<br />

Et dispense les jours $ les saisons et les ans<br />

A <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s il fers, autour <strong>de</strong> lui flottants.<br />

Ces astres f assertI» à <strong>la</strong> loi qui les presse,<br />

S'attirent dans leur <strong>cours</strong>e, et s'évitent sans cesse;<br />

.Et serrant Fus à l'autre et <strong>de</strong> règle et d'appui ,<br />

Se prêtent les c<strong>la</strong>rtés qu'Us reçoivent <strong>de</strong> lui.<br />

Au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> leurs <strong>cours</strong> $ et loin dans cet espace<br />

Ou ls matière nage, et que Dieu seul embrasse,<br />

Sont <strong>de</strong>s soleils sans nombre et <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s sans in.<br />

Bans cet abîme Immense il leur ouvre un chemin.<br />

Par <strong>de</strong>là tous ces ctenx le dieu <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux rési<strong>de</strong>.<br />

Enten<strong>de</strong>z-vous le chant <strong>du</strong> pue te? n'est-il pas dans<br />

les eieux? n ? y êtes-vous pas avec lui ? sont-ee là <strong>de</strong>s<br />

beautés assez originales? où en était le modèle? qui<br />

M i serti <strong>de</strong> gui<strong>de</strong> quand il prenait ce sublime<br />

essor? Son génie, le génie <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie, dont l'œil<br />

sait tout ?oîrf dont le pinceau peut tont rendre,<br />

dont <strong>la</strong> voix peut tetil chanter. Et <strong>de</strong>s barbares<br />

oseront comparer, préférer même !.. * Je m'arrête. He<br />

passons pas <strong>de</strong> Fadmiration à <strong>la</strong> colère : il y aurait<br />

trop à perdre. J'en dirai davantage lorsque, dans le<br />

dix-huitième siècle, nous retrouverons, marchant<br />

d'un pas plus ferme sur les traces <strong>de</strong> Voltaire t k<br />

muse <strong>de</strong> l'épopée, qui n'a fait que s'égarer dans le<br />

précé<strong>de</strong>nt. U est temps <strong>de</strong> suivre y au tyoint où nous<br />

en sommes, une muse plus heureuse, celle <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

tragédie, qu 9 alon le grand GorneUle p<strong>la</strong>çait avec lui<br />

sur le même trêne.<br />

COUES DE LkTTÉLUTDBk.<br />

CHAPITRE II. — Du ikééêre français, et <strong>de</strong><br />

Pierre CormeUk.<br />

MBCIMM PADUèIS. — Poètes .tragiques avant Corneille.<br />

Mon <strong>de</strong>ssein n'est par <strong>de</strong> faire l'histoire <strong>de</strong> ce qu'on<br />

appelle les premiers âges <strong>du</strong> théâtre français; on ne<br />

doit pas même donner ce nom ans tréteaux <strong>de</strong>s Cornfrères<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Passion, <strong>de</strong>s Enfants sans souci, et<br />

<strong>de</strong>s Ckrcs <strong>de</strong> tm Bazocke. Une partie <strong>de</strong> ces farces<br />

intitulées Mystères , publiée dans les premiers<br />

temps où l'imprimerie fut connue f se conserve encore<br />

dans les bibliothèques <strong>de</strong>s curieux, qui mettent<br />

un grand prix aux livres qu'on ne lit point. On<br />

en trouve <strong>de</strong>s «traits multipliés dans cette foule <strong>de</strong><br />

compi<strong>la</strong>teurs qui se copient les uns les autres, et<br />

dont les recherches historiques sur notre théâtre se<br />

repro<strong>du</strong>isent tous les jours dans ces recueils où l'on<br />

a tout mis, excepté <strong>de</strong> l'esprit et <strong>du</strong> goût. La seule<br />

nomenc<strong>la</strong>ture <strong>de</strong>s auteurs le Mystères et <strong>de</strong> Moraines<br />

(ce sont les titres <strong>de</strong> nos anciennes pièces) est<br />

presque aussi nombreuse que celle <strong>de</strong> nos poètes<br />

dramatiques <strong>de</strong>puis Corneille. Je remarquerai seulement<br />

qu'il n'est pas étonnant que nos îlrres saints<br />

aient fourni <strong>la</strong> matière <strong>de</strong> toutes ces pro<strong>du</strong>ctions<br />

informes : c'étaient les objets les plus familiers au<br />

peuple, qui ne lisait point; et, dans un temps où les<br />

connaissances étaient aussi rares que les livres, <strong>la</strong><br />

multitu<strong>de</strong> aimait à retrouver au spectacle les mêmes<br />

sujets qui l'édifiaient à l'église. Les croisa<strong>de</strong>s $ qui<br />

avaient transporté l'Europe en Asie, ajoutaient<br />

encore à cet esprit religieux, échauffé par <strong>la</strong> vue<br />

<strong>de</strong>s lieux saints qui avaient été le théâtre <strong>de</strong>s souffrances<br />

d'un Bleu sauveur, ou par les récits qu'en<br />

faisaient ceux que le zèle y avait con<strong>du</strong>its; et cette<br />

espèce <strong>de</strong> ferveur'subsistait encore longtemps après<br />

ces expéditions lointaines, dans <strong>de</strong>s siècles où <strong>la</strong><br />

religion, bien ou mal appliquée, était le'ressort 1e<br />

plus uni?erse! qui pût mouvoir les peuples.<br />

Le diable jouait ordinairement un grand rôle dans<br />

ces représentations grotesquement mystiques, tel<br />

qu'il le joue encore dans les autos saerameniaieê<br />

ou actes smemmemtaux <strong>du</strong> théâtre espagnol. Il n'est<br />

que trop facile <strong>de</strong> s'égayer sur ces pro<strong>du</strong>ctions <strong>de</strong>s<br />

temps d'ignorance et <strong>de</strong> grossièreté; mais il ne faut<br />

en ce genre employer le ridicule qu'au proit <strong>de</strong> Finstraction,<br />

et nous n'avons rien i gagner Ici à nous<br />

moquer <strong>de</strong> nos pères. Les auteurs pouvaient-Us en<br />

savoir davantage, quand les spectateurs ne savaient<br />

pas lire?<br />

SI nous leur reprochons <strong>de</strong> n'avoir pas <strong>de</strong>viné ce<br />

qu'ils ne pouvaient pas savoir, ne seraient-ils pas<br />

plus fondés à nous reprocher <strong>de</strong> corrompre tous les<br />

jours ce qu'on nous a si bien appris ?


SIÈCLE DE LOUIS X|V. — POÉSIE.<br />

Je M fous arrêterai pas plus longtemp sur cette<br />

première enfonce <strong>de</strong> fart, bien différente <strong>de</strong> celte<br />

<strong>de</strong> l'homme : autant celle-ci est aimable et intéressante<br />

dans sa faiblesse, autant l'autre est insipi<strong>de</strong><br />

et dégoûtante. Cest vers le commencement <strong>du</strong> seizième<br />

siècle que nous avons essayé <strong>de</strong> marcher avec<br />

<strong>de</strong>s lisières. Les premiers pas ont été bien faibles :<br />

ils se sont un peu affermis <strong>de</strong>puis Jo<strong>de</strong>lle. Je ne les<br />

suivrai qu'un moment, et autapt qu'il le faudra pour<br />

faire mîeui sentir <strong>la</strong> force <strong>de</strong> celui qui le premier<br />

al<strong>la</strong> si loin dans une carrière que ses <strong>de</strong>?ancien n'avaient<br />

guère fait qu'entrevoir, à peu près comme ces<br />

<strong>de</strong>ux con<strong>du</strong>cteurs d'Israël qui découvrirent <strong>de</strong> loin<br />

îa terre promise! sans qu'il leur fût permis d'y entrer»<br />

Avant Jo<strong>de</strong>lle, on avait imprimé <strong>de</strong>s tra<strong>du</strong>ctions<br />

en vers <strong>de</strong> quelques tragédies grecques 9 et ces essais<br />

<strong>mont</strong>raient <strong>du</strong> moins que les modèles commençaient<br />

à être connus. Lazare Balf avait tra<strong>du</strong>it YÉlectre <strong>de</strong><br />

Sophocle et ÏBécube d'Euripi<strong>de</strong>. Un auteur qui<br />

n'est'connu, que <strong>de</strong>s bibliographes f Sybilet, avait<br />

4S5<br />

apprend ees détails, et que le roi pallia l'auteur<br />

d'une somme <strong>de</strong> cinq cents écus lie son épargne :<br />

éF-'mianÊ, dit Pasquier, que c'était chose mmœUe<br />

ei trèê-èelk et très-rare* Jo<strong>de</strong>lle, encouragé par<br />

m premier succès* it une comédie en eînq actes et<br />

en vers*, intitulée Eugène : c'était encore une nouveauté,<br />

et par conséquent mm beUe chose, <strong>du</strong> moins<br />

pour ceux qui ne connaissaient rien <strong>de</strong> mieux. JËais<br />

comment Ronsard, qui avait lu lès anciens, pouvait-il<br />

dire :<br />

foddte te premier, d'usé p<strong>la</strong>int©hardie,<br />

Wm&^mmmâ chanta 1m grecque tragédie;<br />

Pats , en changeant <strong>de</strong> ton, chanta <strong>de</strong>vant noa mil<br />

La jeîine comédie m <strong>la</strong>ngage franco!*,<br />

El ai nfen les sonna que Sophocle et Ménandve 9<br />

Tant fnaaana-it* aaaanta, y «meut pu apprendre.<br />

C Y èst une preuve que Ronsard n'avait pas plus <strong>de</strong><br />

goût dans ses jugements que dans ses vers. Assurément<br />

Sophocle et Ménandre n'auraient rien appris<br />

à l'école-<strong>de</strong> Jo<strong>de</strong>lle, si ce n'est que celui-ci n'avait<br />

pas assez étudié dans <strong>la</strong> leur.<br />

Cependant les Confrères <strong>de</strong> <strong>la</strong> Passion, à qui le<br />

tra<strong>du</strong>it V^higé<strong>de</strong> m ÂtsM<strong>de</strong>. Aucune <strong>de</strong> ces pièces parlement avait défen<strong>du</strong> <strong>de</strong> jouer davantage les<br />

ne fut représentée. Jo<strong>de</strong>lle t sans prendre ses sujets mystères <strong>de</strong> notre religion, et qui avaient pris le<br />

dm les Grecs, voulut <strong>du</strong> moins traiter à km ma­ nom <strong>de</strong> Comédiens <strong>de</strong> Fhêtel <strong>de</strong> Bourgogne, voyant<br />

nière ceux <strong>de</strong> Cléopâtre et <strong>de</strong> DMm : U imita leurs le succès qu'avaient eu les pièces <strong>de</strong> Jo<strong>de</strong>lle, con­<br />

prologues et leurs chœurs; mais il n'avait aucune sentirent à les jouer, et y attirèrent <strong>la</strong> foule; en<br />

. étincelle <strong>de</strong> leur génie, aucune idée <strong>de</strong> leur eontex- sorte que, <strong>du</strong> moins sous ce rapport, il peut être<br />

ture dramatique ; tout se passe en déc<strong>la</strong>mations et en regardé comme le fondateur <strong>du</strong> théâtre. Soft ami,<br />

récits. Le style est un mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong> <strong>la</strong> barbarie <strong>de</strong> Jean <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pérase, It représenter une Médée, tra­<br />

Ronsard et <strong>de</strong>s froids jeux <strong>de</strong> mots que les Italiens <strong>du</strong>ite <strong>de</strong> Sénèque, qui fut imprimée <strong>de</strong>puis, et re­<br />

avaient mis à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong> en France. Cependant sa Cleotouchée par Scéf oie <strong>de</strong> Sainte-Marthe. Salsl-Ge<strong>la</strong>ls<br />

pâtre eut une gran<strong>de</strong> réputation : <strong>la</strong> difficulté était tra<strong>du</strong>isit <strong>la</strong> Sophoniêbe <strong>du</strong> Trissin. Grevin it jouer<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> représenter. Les Cmfi'ères <strong>de</strong> <strong>la</strong> Passion et an collège <strong>de</strong> Beauvais une Mort <strong>de</strong> César, dont <strong>la</strong><br />

les Bmwchims9 alors en possession <strong>de</strong>s spectacles versification est moins mauvaise que celle <strong>de</strong> Jo­<br />

privilégiés, étaient bien éloignés <strong>de</strong> se prêter à établir <strong>de</strong>lle; il y a même <strong>de</strong>s morceaux <strong>de</strong> force : tel est<br />

un genre <strong>de</strong> pièces qu'ils regardaient comme étran­ celui-ci, dont il ne faut juger que le fond, sans<br />

ger, et qui pouvait nuire à leurs tréteaux. Dans ces faire attention au <strong>la</strong>ngage.<br />

circonstances f Jo<strong>de</strong>lle reçut <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> lettres, ses Atow ep'on parlera <strong>de</strong> César et <strong>de</strong> Rome,<br />

Qu'un se sonaleinae am»f tp*U a été nh humilie,<br />

confrères et ses rivaux 9 une marque <strong>de</strong> zèle aussi Us Brate, le vengeur <strong>de</strong> toute cruauté t<br />

honorable pour eux que pour lui, et qui prou?e qu'au Qui aurait d'un sen! oonp gagné <strong>la</strong> liberté.<br />

moment <strong>de</strong> <strong>la</strong> naissance <strong>de</strong>s arts l'amour qu'ils inspi­ Quand on dira, Céaar Ait maître <strong>de</strong> rempli»,<br />

Qu'on Mené quand et quand Brute le sot œeire.<br />

rent est moins altéré par <strong>la</strong> jalousie qu'au temps oà Quand on dira, Céaar fut premier empereur,<br />

les inquiétu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l'envie et les prétentions <strong>de</strong> IV Qu'on dtn quand et quand Brate en fut le vengeur.<br />

mour-propre se multiplient en proportion <strong>du</strong> nom­ Qu'on mette ces idées en vers tels qu'on en peut<br />

bre <strong>de</strong>s concurrents. Jean <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pérase, Rémi Bel- faire aujourd'hui 9 on verra qu'elles sont gran<strong>de</strong>s et<br />

leau, et quelques autres poètes, se réunirent avec fortes, et <strong>du</strong> ton <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie : il n'y a pas dans<br />

fauteur <strong>de</strong> CMopêÈM pour jouer sa pièce au collège Jo<strong>de</strong>lle un seul more^pie ce mérite*<br />

<strong>de</strong> Rems 9 <strong>de</strong>vant Henri II et toute sa cour. Jo<strong>de</strong>lle 9 Jean <strong>de</strong> <strong>la</strong> Taille imita dans sa tragédie <strong>de</strong>s Ga~<br />

qui était jeune et d'une igure agréable, se chargea bamàtm quelques situations <strong>de</strong>s Troyemm d'Eu­<br />

<strong>du</strong> rêle<strong>de</strong> <strong>la</strong> reine d'Egypte. Cette représentation eut ripi<strong>de</strong>. Un antre transporta dans celle <strong>de</strong> Jephté<br />

beaucoup <strong>de</strong> succès, et ce fat un événement assez quelques scènes <strong>de</strong> ÏIpM§êmtê m AwtMê» Mais on<br />

considénlile pour que Pasquier en fit <strong>de</strong>puis mention empruntait sans <strong>de</strong>venir plus riche, et toutes ©es<br />

dans ses Mecherehes historiques, test M qui nous imitations étaient déiprées par le plu^ mauvais<br />

Là HâlFE. — ton i.<br />

m


466<br />

goôf. Le style ut cessait d'être p<strong>la</strong>t que pour être<br />

ndiculemtiit affecté.<br />

L*tmôu? mange mon taag, l'amour mon sang <strong>de</strong>man<strong>de</strong>.<br />

GOUftS DE LITTÉ1ATU1E.<br />

Voire enfer* dieu d'enfer, pour mon bien Je désire,<br />

Sachant Feuler d'amour <strong>de</strong> tout arien le pire. •<br />

Voilà le style <strong>de</strong> Jo<strong>de</strong>lle et <strong>de</strong> ses contemporains.<br />

Garaier s'éleva au-<strong>de</strong>ssus d'eux, sans avoir encore<br />

ni pureté ni élégance : sa diction se rapproche<br />

davantage <strong>de</strong> <strong>la</strong> noblesse tragique, mais <strong>de</strong> manière<br />

à tomber trop souvent dans l'enflure. II connaissait<br />

les anciens! et presque toutes ses pièces sont tirées<br />

<strong>du</strong> théâtre <strong>de</strong>s Grecs ou imitées <strong>de</strong> Sénèque; mai»<br />

il est beaucoup plus voisin <strong>de</strong>s déc<strong>la</strong>mations diffuses<br />

et emphatiques <strong>du</strong> poète <strong>la</strong>tin que <strong>du</strong> naturel<br />

et <strong>du</strong> pathétique <strong>de</strong>s tragiques d'Athènes. Il offre<br />

pourtant quelques scènes touchantes par les sentiments<br />

qu'ils lui ont fournis, quoiqu'il ne sache pas<br />

les revêtir d'une espression convenable. La <strong>la</strong>ngue<br />

chez lui tient encore beaucoup <strong>de</strong> <strong>la</strong> ru<strong>de</strong>sse <strong>de</strong><br />

Ronsard, qui servait <strong>de</strong> modèle à <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong> ses<br />

contemporains. 11 prodigue comme lui les épithètes<br />

néologiques et les adjectifs <strong>la</strong>tinisés. Un autre<br />

défaut remarquable dans ses pièces, c'est le mé<strong>la</strong>nge<br />

<strong>de</strong>s styles : on y trouve les comparaisons <strong>de</strong><br />

Virgile, les o<strong>de</strong>s d'Horace, et le ton <strong>de</strong> l'églogue :<br />

c'est le caractère-<strong>de</strong>s imitateurs novices, qui ne<br />

savent pas encore bien employer ni bien p<strong>la</strong>cer ce<br />

qu'ils empruntent. En adoptant les choeurs, et<br />

quelquefois les prologues <strong>du</strong> théâtre <strong>de</strong>s Grecs,<br />

Gar<strong>de</strong>r méconnaissait <strong>la</strong> nature <strong>du</strong> nôtre; et, affectant<br />

<strong>la</strong> même simplicité <strong>de</strong> p<strong>la</strong>n, sans avoir <strong>la</strong><br />

même éloquence, il fait trop sentir le vi<strong>de</strong> d'action<br />

et te défaut d'intrigue. 11 s'en faut <strong>de</strong> beaucoup<br />

aussi qu'il connaisse les convenances <strong>de</strong> moeurs et<br />

<strong>de</strong> caractère. 11 prend <strong>la</strong> jactance pour <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur,<br />

et fait parler ses héros en rhéteurs <strong>de</strong> collège.<br />

Un seul morceau cité donnera l'idée <strong>de</strong> tout ce qui<br />

manquait à Garaier, et en mime temps <strong>de</strong> ce<br />

qu'il peut y avoir <strong>de</strong> louable dans sa composition :<br />

c'est un monologue <strong>de</strong> César qui rentre vietoricui<br />

dans Rome.<br />

O MNPCtffomi Êmmt è wUmx iêeméil<br />

O pa<strong>la</strong>is &r§ueUkux! ô temples honorés ' !<br />

O tons ! mars que les dieux ont maçonnai mu-mëmm,<br />

Eu-nêmea éàgfa <strong>de</strong> mille diadèmes a 9<br />

He wê«ïtei-¥CMi§ î»lBt te p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> vm mwm »,<br />

De voir ?otre César, le mtMueur <strong>de</strong>n mmquemn \<br />

Par tant île gloire œmUtë «p maikms éimnseê »,<br />

àmmîlm son empira ainsi que vos fonafigeiî<br />

Et toi, lente orgueilleux , ne vas-<strong>la</strong> par tes flots<br />

8 Monotone amii d'exc<strong>la</strong>mations et d'énftbèto.<br />

* Ternes f fwaipas au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> <strong>la</strong> tn§Éfàa<br />

* tes mura <strong>de</strong>s tours et <strong>de</strong>s pa<strong>la</strong>is f<br />

4 Fanfaronna<strong>de</strong>s.<br />

» te èHaai ato» émm§t mmt étranger.<br />

Aux tritons «Mariniers faim braira mm fat f ,<br />

Et su père Océan te vanter que te Tibre<br />

Roulera plus fameux que STàiphrate et le Fifre x ?<br />

là, presque tout Se mon<strong>de</strong> obéit aux Romabis;<br />

Ils ont presque <strong>la</strong> mer et <strong>la</strong> terre en tenta mains;<br />

Et soit où te soleil <strong>de</strong> sa ùtrehe * voisine<br />

Les Indien»perieux 4 <strong>du</strong> matin Illumine,<br />

Soit m SOQ êàar <strong>la</strong>ssé <strong>de</strong> <strong>la</strong> oo-mrse <strong>du</strong> Josr<br />

Le ciel quitte* à <strong>la</strong> nuit qui oasaaeaae son tour,<br />

Soit où <strong>la</strong> mer g<strong>la</strong>cée en cristal te remerre •,<br />

Soit où Tar<strong>de</strong>nt soleil sèche et brûle k terre* t<br />

Les Romains on redoute •, et n'y « si grand roi, •<br />

Qui su • cœur ne frémisse 9 oyant parler <strong>de</strong> mol.<br />

César est <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre et <strong>la</strong> gloire et <strong>la</strong> crainte ;<br />

César <strong>de</strong>s ileaa gtwtrtem a to immm§s êkmto **.<br />

C'est là saos doate use ampiiicatïoa <strong>de</strong> rhétorique,<br />

et fou sent qu'il est ridicule que César, par<strong>la</strong>nt<br />

tout seul, fasse son panégyrique avec tant<br />

d'emphase. (Test <strong>la</strong> caricature <strong>du</strong> style héroïque;<br />

mais c'était déjà quelque chose, après ks Mystères,<br />

que <strong>de</strong> ressembler à l'héroïque, 'même arec cette<br />

charge grossière; et c'est à peu près tout ce que firent<br />

Jo<strong>de</strong>lle et Garaier.<br />

Dans sa TMbaï<strong>de</strong>, m <strong>de</strong>rnier fait dire à Polyniee<br />

:<br />

Pour gar<strong>de</strong>r un royaume ou pour le conquérir, -<br />

le ferais volontiers femme et enfants mourir.<br />

Un ambitieux peut le penser, mais il ne le dit pis<br />

si crûment t et en poète ne doit pas le dire si p<strong>la</strong>tement<br />

: c'est <strong>de</strong> toute manière un manque <strong>de</strong> mesure<br />

qui appartient à l'enfance <strong>de</strong> Fart.<br />

Maïret eot plus <strong>de</strong> naturel dans les sentiments<br />

et dans le style-. Sa dictionY plus correcte, fait<br />

apercevoir les progrès <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue. La meilleure<br />

<strong>de</strong>-ses pièces, Sopkonuèê, imitée <strong>de</strong> celle <strong>du</strong> Trissis,<br />

eut longtemps <strong>du</strong> succès an théâtre, même<br />

après Corneille. C'est <strong>la</strong> première <strong>de</strong> nos tragédies<br />

qui offre un p<strong>la</strong>n régulier et assujetti aux trois<br />

unités. Mais le sujet a <strong>de</strong> si grands inconvénients,<br />

que <strong>la</strong> pièce n'a pu se soutenir lorsque Part a été<br />

fïiîetii connu. Voltaire, qui Ta remanié <strong>de</strong> nos jours<br />

arec tout l'avantage que lui donnaient son expérience<br />

et son génie $ n'a pu vaincre les difficultés <strong>du</strong> sujet,<br />

parce qu'il y en a d'irrémédiables. La plus gran<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

toutes, c'est que le héros <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce y Massînisse f y<br />

i Msrimkrgg terme <strong>de</strong> prose.<br />

1 Mauvaises rimes.<br />

• Mauvaise expression es par<strong>la</strong>nt Ûu s@Ml.<br />

*£plhète à <strong>la</strong> Ronsard.<br />

• le version vicieuse. An reste* on disait alors f Je mm<br />

quitie quelque ckom ; pour Je mm eèds,<br />

• Mauvaise igum.<br />

' Tous ces fers sont ém aty<strong>la</strong> é§kmm<br />

• Inversion vicieuse. On redoute tes Rsmmm serait tout<br />

aussi noble et pins c<strong>la</strong>ir. Quand llnvenloii Rajoute pat à<br />

Met, elle gâte <strong>la</strong> pttram<br />

• 1 Mai esœra es otage alors : ils roftenaent à tout Moment<br />

»• On aeiitpa iMmêm te lmm§e. Malt catia «matracUt»<br />

italienne, « a <strong>la</strong> losange éteinte »


SIÈCLE DE LOUIS XW. - POÉSIE.<br />

est néeeisaireiSMit ati.ll sous fasœndant <strong>de</strong> <strong>la</strong> puissance'romaine.<br />

Nous ferrons ailleurs les efforts<br />

étonnants d'un grand homme presque œtogéoaire<br />

pour venir à bout d'un aiijat qu'il avait lui-même condamné,<br />

tout Fart qu $ il y a mis , toutes les beautés<br />

qu'il y a répan<strong>du</strong>es : c'est le titre le plus glorietu <strong>de</strong> sa<br />

vieillesse. Un objet bien différent doit nous occuper :<br />

c'est <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s fautes grossières qui nous<br />

choquent dans l'outrage <strong>de</strong> Mairet, qui ne précéda<br />

le dé que <strong>de</strong> sept ans. Rien n'est plus propre à Étira<br />

comprendre tout le chemin que It Corneille, ou<br />

plutét par quel rapi<strong>de</strong> é<strong>la</strong>n cet homme prodigieux<br />

<strong>la</strong>issa 9 dès sa secon<strong>de</strong> tragédie y tous ses rivaui si<br />

loin <strong>de</strong>rrière lui.<br />

La scène outre par une querelle entre <strong>la</strong> fille d'Àsdruhal,<br />

Sophonisbe et son vieui marif Syphai,<br />

qui a surpris une lettre qu'elle écrit à Massinisse.<br />

Ci prince, allié <strong>de</strong>s Romains, et à qui Sophonisbe<br />

a été fiancée autrefois sans Ta?oir jamais tu, est<br />

alors dotant les murs <strong>de</strong> Cyrtho, capitale <strong>de</strong>s États<br />

<strong>de</strong> Syphax f a?ec une armée romaine commandée par<br />

Scipion. Sophonisbe en est détenue amoureuse un<br />

jour qu'elle Ta tu <strong>du</strong> haut <strong>de</strong>s remparts § f avancer<br />

en combattant jusqu'aux bords <strong>de</strong>s fossés <strong>de</strong> <strong>la</strong> fille.<br />

Ces sortes <strong>de</strong> passions, qui font le nœud <strong>de</strong> beaucoup<br />

<strong>de</strong> pièces <strong>du</strong> siècle <strong>de</strong>nier, et mène <strong>de</strong> eelui-d,<br />

sont <strong>de</strong>s a?entoures <strong>de</strong> roman, et non pas <strong>de</strong>s ws- #<br />

sorts <strong>de</strong> tragédie. La lettre <strong>de</strong> Sophonisbe est <strong>du</strong><br />

même genre :<br />

Yoyes à que! malheur mm <strong>de</strong>stin fit soumis.<br />

Le brait île TM vertus et «le votre vall<strong>la</strong>nce<br />

Me contraint eajoatd'nui d'aimer met ennemis<br />

D'un sentiment plus fort que s'est 1* blenveU<strong>la</strong>oee.<br />

On conçoit que Syphai ne doit pas être content<br />

<strong>de</strong> cette tendre déc<strong>la</strong>ration, et aujourd'hui le spectateur<br />

ne léserait pas datantage. Des stances si for*<br />

nielles, plus faites pour une coquette <strong>de</strong> comédie<br />

que pour un personnage héroï que, pour une reine qui<br />

finira par se détoner à <strong>la</strong> mort plutôt que d'être menée<br />

en triomphe, suffiraient pour faire tomber une<br />

pièce sur un théâtre perfectionné. Si le fond est vi<strong>de</strong>ux,<br />

le style n f est pas meilleur. Syphax dit à sa<br />

femme.<br />

Tu fa* d'an marna l'objet â« les déa§» I<br />

' Re pouvals-in trouver eu prmém tm ptekêm ,<br />

Qu'en ebercJiant Famille <strong>de</strong> es prince numi<strong>de</strong> f<br />

Que me pouRiSrtn cHie, êmgmdmii 4J¥ûmie§i<br />

On croit entendre Amolpbe dire à <strong>la</strong> jeune Agnès :<br />

Pmwpot M pas m*i!tB#ff madame Itapo<strong>de</strong>nu?<br />

Mais c'est précisément, parce que ce ton est excellent<br />

dans un Vieil<strong>la</strong>rd ridicule, qu'il est détestable<br />

dans une tragédie.<br />

467<br />

La con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> Sophonisbe dans le reste<strong>de</strong><strong>la</strong> pièce<br />

n'est pas plus décente $ ni son <strong>la</strong>ngage plus mo<strong>de</strong>ste*<br />

Son mari est tué dans un combat : on le lui annonce»<br />

Elle reçoit cette nou?eIle assez froi<strong>de</strong>ment, et s'écrie<br />

qu ? I est trop heureux d'être mort. Elle <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

si quelqu'un <strong>de</strong> sa suite veut <strong>la</strong> tuer, mais d'un ton a<br />

faire en sorte que personne n'en ait envie. Aussi sa<br />

confi<strong>de</strong>nte, Phénice, lui représente fort sensément<br />

qu'on est toujours à tempa-<strong>de</strong> se tuer.<br />

Un <strong>la</strong>d désespéré<br />

A tonjoon dans <strong>la</strong> mort on remè<strong>de</strong> assuré.<br />

Cependant c'est aussi le <strong>de</strong>rnier f e'on essaie,<br />

Et qu'on doit app<strong>la</strong>quer à <strong>la</strong> iermièfft p<strong>la</strong>te.<br />

Four mol, Je suis d'avis qn'onbl<strong>la</strong>nt te trépas,<br />

Vous tiriez <strong>du</strong> se<strong>cours</strong> <strong>de</strong> vos propres appas.<br />

Vont n'asrlei pas besoin <strong>de</strong> beaucoup d'artiiM<br />

Pour TOUS rendre agréable au yeux <strong>de</strong> Mamtnigte.<br />

Essayei <strong>de</strong> gagner son inclination.<br />

Plût au dieux!<br />

La réponie est naf ve. Cependant elle ajuste un mo*<br />

ment après:<br />

-Je n'attendi rien <strong>du</strong> tout <strong>du</strong> eêté <strong>de</strong> mes cnarmes*<br />

€e remè<strong>de</strong>, Phénlse, est riékuU et vain;<br />

H vaut isSeux sa servir <strong>de</strong> estai d§ le «aii,<br />

Mais Phénïee <strong>la</strong> rassure en fidèle suivante t<br />

a-vons t i*Sl TOUS f lift, us peu <strong>de</strong> patience f<br />

Et <strong>de</strong> votre beauté faites expérience.<br />

Saches ea qtfel<strong>la</strong> Tant et ee tpe vous pouves.<br />

Mali comment le savoir si fous ne réprouve*?<br />

Une antre simu<strong>la</strong>, Corisbé, fient à l'appui :<br />

Defalt,<strong>la</strong> défianea où <strong>la</strong> rel.se se frein»,<br />

Ma put venir ê'mîlmm qm d'an manque d'épreuve*<br />

aoraotusas.<br />

CoriaM, preiea gar<strong>de</strong> à Fêtai on Je suis,<br />

Et par là, comme moi, voyes m ipe Je pilf.<br />

Quand hier f aurais été <strong>la</strong> vivante peiaf ara<br />

Bet pins rares béantes qu'on mit m <strong>la</strong> nature,<br />

Le moyen cpe mes yeux conservent anjonrd'hei<br />

Une extrême beauté sons un extrême aurai?<br />

Et n*ayant plus en mol que <strong>de</strong>s attraits vulgaires t<br />

Ils ne toucheraient point, on ne toucheraient goères.<br />

De sorte qn'aprèa toot, Je conclus qu'il vaut mieux<br />

Essayer le lecouis ds <strong>la</strong> mai* qm dm yens.<br />

•Voilà encore VagréaMe alternatif e <strong>de</strong>s yeux et <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> wmin. Mais ou a quelque peine à concevoir pour*<br />

quoi cette vente si résignée craint tant que le chagrin<br />

n'ait altéré ses appas. Ce rfest pas<strong>du</strong> moins celui<br />

qu'a pu lui eauser <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> son époui ; car elle ne<br />

lui a pas doflné <strong>la</strong> plus petite <strong>la</strong>rme. Aussi n'est-ou<br />

pas étonné que <strong>la</strong> sage conseillère Phéniee <strong>la</strong> liieite<br />

sur sa fraîcheur.<br />

as Mite f <strong>la</strong> dûoJaur ne vous a pas' étrist<br />

M I <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté <strong>de</strong>s yeux ni <strong>la</strong> beauté <strong>de</strong> teint :<br />

Vos pleut» * vous ont <strong>la</strong>vé* , et vous êtes <strong>de</strong> celles<br />

Qu'us air triste et dolent rend encore pi» belles.<br />

1 Qaalt pleurs? Ce sont apparemment ceux qu'elle a r#*<br />

pandas quand ion mari Fa querellée. « M,<br />

,


COUS BE UTTÉBÀTUIE.<br />

4êê<br />

&mm qns Mesjlntmi est on mmmi meker,<br />

SI fes peffeeimm m le peuvent tosetier,<br />

Et ipl est p<strong>la</strong>t cruel qu'en tigre fFMyrêanle,<br />

811 exerça «nié» ¥@es k moudfe tpaanle.<br />

Assurément Maasiniise n'est point ee rœker et n'est<br />

point ce tigre; car à peine Sophonisbe a-t-elle répon<strong>du</strong><br />

à son premier compliment, qu'il 8 9 éerii:<br />

Oa bien fallu eipoier toutasces p<strong>la</strong>titu<strong>de</strong>s pour dire<br />

voir d*où nous sommet partit, et ce qu'étalent nos<br />

chefs-d'œuvre avant Corneille. 11 fait encore joindre<br />

à toutes ces fautes les pointes et te pkébm <strong>de</strong>s sonnets<br />

italiens. Massinisse,dans cette même soène,<br />

s f eiprime ainsi ;<br />

O dieux î que <strong>de</strong> mer?elles<br />

<strong>la</strong>diâriteolà !I fête net yeux et met oreilles 1<br />

Et Phénîee dit tons bu à Corisbé :<br />

Mi compagne, i M pmd.<br />

H est vrai que Sophonisbe lui donne beau jeu , et<br />

commence par Fissurer qu'elle est rafle <strong>de</strong> sa victoire<br />

y et qui! n'aura jamais tant <strong>de</strong> bonheur qu'elle<br />

lui en souhaite. C'est là le cas <strong>de</strong> ne .pas perdre <strong>de</strong><br />

temps : aussi le prince numi<strong>de</strong> atone qu'elle Tient<br />

<strong>de</strong> M ravir $m «wr. Sophonisbe répond que e v D art mt que d'abord fal aati M pitié :<br />

Mais, ramme le soleil mit tes pas <strong>de</strong> l'anton",<br />

L'amour qui Ta faille, et qui Sa suit ea«*re t<br />

A fait an aa Instant, dans mos €orar embrasé.<br />

Le p<strong>la</strong>a grand chanpment fa*il ait Jamais causé.<br />

Ce jargon domine d<br />

est<br />

là «m tcmgagê moqœwr qui ne sied pas à n» généreux<br />

vabêqueitr. Mais Massinisse, pour lui prouver<br />

qu'il ne se moque point, déc<strong>la</strong>re qu'il est prêt<br />

à l'épouser. La reine ne se fait point prier, et s'écrie<br />

pour toute réponse :<br />

O mef¥@ttleux «ces <strong>de</strong> grâce et <strong>de</strong> bonheur,<br />

Qui siel eue captira an lit <strong>de</strong> ton seigneur !<br />

Putupe ?iaal <strong>la</strong> p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> FentaMlfe.<br />

VuusptafMlî<br />

foloaite» ; Je m'es eaJa vous rapprendre.<br />

f un bout à l'autre dans 5|?fcfef<br />

tragi-comédie <strong>de</strong> Mairet, jouée en leai, quinze ans<br />

avant Ji GW, et qui it courir tout Paris pendant<br />

quatre ans. U est vrai que cet insupportable abus<br />

d'esprit tomba entièrement lorsqu'on eut enten<strong>du</strong><br />

k Oé, qui en offre fort peu <strong>de</strong> traces, et qui It<br />

connaître un genre <strong>de</strong> beauté bien différent. Maint<br />

lui-même appe<strong>la</strong> <strong>de</strong>puis cette «%Me Jet péeàé$ d&<br />

mjewmie : tant un seul homme peut ininer sur<br />

ses contemporains ! Mais il n'est pas moins vrai que<br />

Mairet ne put pardonner à Corneille d'avoir éc<strong>la</strong>iré<br />

son siècle, et qu'il fut, à sa honte, un <strong>de</strong>s plus ar<strong>de</strong>nts<br />

détracteurs <strong>du</strong> CM.<br />

Que SopàmMê ait réussi lorsqu'on ne connaissait<br />

rien <strong>de</strong> mieuj, on plutôt lorsqu'elle était meilleure<br />

que tout ce que Fon connaissait, rien n'est<br />

plus simple; mais on <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra comment ce succès<br />

a pu <strong>du</strong>rer encore cinquante ans après <strong>la</strong> lumière<br />

apportée par Corneille. G f est ici qu'il faut rendre à<br />

Mairet le tribut d'éloges qui lui est dû. 11 convenait<br />

d'abord <strong>de</strong> faire voir les vices grossiers qui dominaient<br />

dans les ouvrages les plus estimés; mais je<br />

dois dire à prêtent que, dans les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rtiiers<br />

actes <strong>de</strong> cette pièce, il y a <strong>de</strong>s beautés. A <strong>la</strong> vérité,<br />

le style en est trop faible et trop défectueux pour<br />

en citer <strong>de</strong>s moreeaui quand nous sommes si près<br />

<strong>de</strong> Corneille ; mais il y a, dans les sentiments, do<br />

pathétique et <strong>de</strong> l'élévation. La douleur <strong>de</strong> Massinisse,<br />

quand il fout sacriler Sophonisbe, est touchante<br />

, quoiqu'elle ne soit pas toujours assez noble,<br />

et qu'il s'abaisse aux supplications beaucoup plus<br />

qu'il ne sied au caractère d'un monarque et afin<br />

héros. Son désespoir tour à tour impétueux et<br />

tranquille pro<strong>du</strong>it <strong>de</strong> l'effet; et ce qui <strong>du</strong>t en Étire<br />

encore plus, c'est le moment oà il <strong>mont</strong>re à Sopion<br />

son épouse mourante <strong>du</strong> poison qu'il lui a donné,<br />

éten<strong>du</strong>e sur le lit nuptial. Ce spectacle, qui s f tat<br />

point une faine pompe, mais qui Ml partie d'une<br />

action tragique; ce dénuement théâtral était fort<br />

au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> ce qu'on avait vu jusqu'alors. (Test là<br />

sauf doute ce qui a fait vivre <strong>la</strong> pièce jusqu'au temps<br />

où le grand nombre <strong>de</strong> modèles rendit les spectateurs<br />

plus difficiles; et c'est aussi ce qui engagea<br />

Voltaire à tenter un <strong>de</strong>rnier effort sur ce sujet, déjà


traité lept fois pour <strong>la</strong> scène française, M y a plus- :<br />

quand te grand Corneille f dans toute ta gloire f<br />

fonlut faire ne Sopkmàsèe, trente ans après ©elle<br />

<strong>de</strong> Mairet, Il ne put <strong>la</strong> dépossé<strong>de</strong>r Ai théâtre, et<br />

resta an-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> ce qu'il fou<strong>la</strong>it effacer. Ce n'est<br />

pas qu'il fit tombé dans <strong>de</strong>s foutes pareilles à celles<br />

qu'on fient <strong>de</strong> ?olr; il a?alt enseigné au autres à<br />

les éfiter : mais son intrigue est froi<strong>de</strong>; sa pièce<br />

est bien moins tragique que les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers actes<br />

<strong>de</strong> Muret; en un mot, elle a le plus grand <strong>de</strong> tous<br />

les défauts, eelui d'être absolument sans intérêt.<br />

J'y retiendrai dans feiamen <strong>de</strong> son théâtre ; mais,<br />

a?ant d'y entrer, il confient <strong>de</strong> prier d'une autre<br />

tragédie qui eut autant <strong>de</strong> succès que SopkimUbe,<br />

et qui faut encore moins : ce qui est d'autant plus<br />

remarquable , qu'elle M jouée immédiatement a?ant<br />

le CkL C'est Im Martomm <strong>de</strong> Tristan, pièce longtemps<br />

célèbre, même après Corneille, et fantée après<br />

ses ehefe-d'œuwe : tant le bon goât a <strong>de</strong> peine às'é»<br />

tablir I Lesujpt est connu; c'est le même qu'a traité<br />

Voltaire, et à plusieurs reprises, sanspouioir jamais<br />

en faire un bon ouirrage; ce qui proufe qu'en<br />

lui-même le sujet n'est pas heureux. Il est tiré <strong>de</strong><br />

l'historien Josèphe, qui raconte a?ec beaucoup<br />

d'istérêt les infortunes <strong>de</strong> Mariamne, con<strong>du</strong>ite à<br />

Féehafaud par les fureurs jalouses, d'un époux barbare<br />

, <strong>de</strong> cet Héro<strong>de</strong>, signalé dans l'histoire par ses<br />

talents et ses cruautés. Maïs un é?énement tragique<br />

n'est pas toujours une tragédie; il s'en fout <strong>de</strong><br />

beaucoup. 11 faut une action, une intrigue t celle<br />

<strong>de</strong> Tristan ne suppose pas beaucoup d'invention.<br />

Salome, <strong>la</strong> sœur d'Héro<strong>de</strong>, et l'ennemie <strong>de</strong> Mariamne,<br />

sans qu'on dise même pourquoi 9 corrompt<br />

un échanson <strong>du</strong> roi son frère, et l'engage à déposer<br />

que Marianne lui a fait l'horrible proposition<br />

d'empoisonuR Héro<strong>de</strong>. Sur cette accusation, <strong>de</strong>stituée<br />

d'ailleurs <strong>de</strong> toute espèce <strong>de</strong> pneufes, il prononce<br />

<strong>la</strong> sentence <strong>de</strong> mort contre une femme qu'il<br />

idolâtre; et quand on f ient lui apprendre que <strong>la</strong> sentence<br />

est eiécutée, il tombe dans un désespoir qui<br />

remplit tout le cinquième acte, sans que Fauteur ait<br />

eu même le soin <strong>de</strong> faire reconnaître l'Innocence <strong>de</strong><br />

Mariamne et <strong>la</strong> perfidie <strong>de</strong> Salome. Toute <strong>la</strong> pièce<br />

n'est donc qu f une déc<strong>la</strong>mation dialoguée; elle est<br />

'absolument sans art, mais non pas sansquelque intérêt,<br />

puisqu'une femme innocente et mise à mort<br />

inspire toujours quelque pitié. Mondory, le premier<br />

têtenr <strong>de</strong> ce temps-là, <strong>de</strong>vint fameui par le succès<br />

qu'il eut dans Je rdle d'Héro<strong>de</strong>, que sans doute il<br />

Jouait avec autant d'emphase et d'exagération qu'il y<br />

en a dans les sentiments et les idées. Sa déc<strong>la</strong>mation<br />

ne pouvait pas être moins outrée que tout le<br />

-reste; elle Fêtait au point que Mondory pensa<br />

SIÈCLE DE LOUIS H¥* — POÈME. 46i<br />

périr <strong>de</strong>» cfiforts qu'il insait dans les foreurs d'Héro<strong>de</strong>*<br />

et fut emporté presque mourant hors <strong>de</strong>là<br />

scène, où il ne put jamais reparaître.<br />

Mais quel était le style et le dialogue <strong>de</strong> cette tragédie,<br />

jouée en même temps que le Clef, et mm<br />

<strong>de</strong> si grands app<strong>la</strong>udissements? C'est ce qu'il est en»<br />

fictif <strong>de</strong> voir, non pas tant pour juger Tristan que<br />

pour apprécier Corneille.<br />

Héro<strong>de</strong>, à Fouferture <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, est retaillé<br />

par un songe effrayant. 11 appelle son capitaine <strong>de</strong>s<br />

gar<strong>de</strong>s Phérore, et lui prie <strong>de</strong> ce songe dont il est<br />

encore troublé. Phérore f assure que les songes no<br />

signifient rien <strong>du</strong> tout.<br />

Et, •don qu'un ra.bN.il me It os Jour entendre,<br />

Çtat les prendre fort Mm que <strong>de</strong> n'en rien attendra.<br />

BÉttOBB.<br />

Quelles tort» raisons apportait ce docteur,<br />

Qui MMitot qm le songe est toajoars sn menteur?<br />

mimons.<br />

Il disait que Thumeiif qui dam nos eorp domine -<br />

A Yok certains objets sa dormant MM» incitas»<br />

Le flegme humi<strong>de</strong> et froid s'éievaat as eer?eaiit<br />

T visât redressâtes <strong>de</strong>s brouil<strong>la</strong>rds et <strong>de</strong> Jean,<br />

<strong>la</strong> Mis ar<strong>de</strong>nte et Jaune, au qualités stîMIss ,<br />

Wj dépeint que eombats, qu'embrueiiiests <strong>de</strong> etlfsa»<br />

Le faeg qui ttent <strong>de</strong> rair, et répond an printemps<br />

Rend tes mates fortanéi dam leur» seasjss contents, lit.<br />

Après, eette dissertation sur les revu, qui ooeupe<br />

tout» <strong>la</strong> scène, Héro<strong>de</strong> veut enfin conter le<br />

sien 9 et Salome sa sœur se présente à <strong>la</strong> porte eu<br />

disant?<br />

Tes» fislt-fl opef«tessàa <strong>la</strong>ssieetaa urentsw?<br />

Héro<strong>de</strong> eonte son mmféwt% c'est-à-dire son<br />

rêve ; ensuite il se p<strong>la</strong>int à Phérore et à Salome <strong>de</strong>s<br />

chagrins que lui donne Mariamne, qui ne répond '<br />

nullement à Famëur qu'il a pour elle. Les <strong>de</strong>m<br />

confi<strong>de</strong>nts.s'efforcent <strong>de</strong> Faigrir <strong>de</strong> plus en plus<br />

contre son épouse.<br />

Quel p<strong>la</strong>Jatf fmm*wm <strong>de</strong> ciiérlr sme rœnt<br />

Boni toi •oarcea <strong>de</strong> pisssrs coulent Isesssaesiiissïf f<br />

Et fut fesir ¥c4re Mnoiir n'a point <strong>de</strong> ssuflipeitl?<br />

Hiieai*<br />

81 te divin objet dont je anlf Idolâtre<br />

Pane pour sn rocher, e'eit un rocher #alMtn9<br />

Un éeaell agréable $ oà l'on volt éc<strong>la</strong>ter<br />

Tout se sps <strong>la</strong> nature a fait pour nie tenter.<br />

Il i ¥ esf point <strong>de</strong> rnMi vermeil comme sa bouche,<br />

Qui mêle aa sffirM d'ambre à tout ce qu'elle touches<br />

Et l'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> ses yeux f sa! que mes' sentiments<br />

îm mènent pour le mollis an rang iss d<strong>la</strong>mante.<br />

Um rœke éÊmi tteouk dm $mt€m et jrinm,<br />

m êcwdl a§téoèkf m rocker fdbâire, ée$ ymm<br />

qm kê ÊmMmmdi meMenSpow k tmâm mu mm§<br />

<strong>de</strong>gêkmmmii, etc. C'est cette profusion di figures<br />

bizarrement recherchées, et d'idées puérilement<br />

a<strong>la</strong>mbiquéea, qui % se mê<strong>la</strong>nt aux plus triviales p<strong>la</strong>titu<strong>de</strong>s<br />

9 formait un ensemble vraiment grotesque :<br />

et tel était pourtant le style qui $ obéi les auteurs


470<br />

les-plus renommés , dominait dans <strong>la</strong> tragédie 9 dans<br />

l'épopée 9 dana l'éloquence, à l'époque où Corneille<br />

donna k CM.<br />

Mimée fuit par envoyer un message amoureux<br />

à Mariamne.<br />

Observe blés surtout, « faisant ce message,<br />

Et te son <strong>de</strong> <strong>la</strong> voix, et t'ait <strong>de</strong> ton visage,<br />

Si sos fefBt <strong>de</strong>iient pâle ou ail défient vermeti :<br />

J'en saurai <strong>la</strong> réponse m sortant <strong>du</strong> conseil. /<br />

C'est <strong>la</strong> In <strong>du</strong> premier acte <strong>de</strong> MarUmm. Tout<br />

le mon<strong>de</strong> sait par cœur eette autre in d'un premier<br />

acte:<br />

le vais donner une heu» aux soins <strong>de</strong> m» «aptes,<br />

Et le reste <strong>du</strong> Jour sera tout à Zalrt.<br />

' Ce rapprochement qui semble ici se présenter <strong>de</strong><br />

lui-tnême, offre les <strong>de</strong>ux- extrêmes <strong>du</strong> style. Mariamne,<br />

au second acte, se p<strong>la</strong>int <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> son<br />

jeune frère qulléro<strong>de</strong> avait fait noyer,<br />

Ce c<strong>la</strong>ir soleil levant, adoré <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour,<br />

Se plongea dans Ses eaux comme f astre <strong>du</strong> Jour,<br />

Et n'en ressortit pas en sa beauté première ;<br />

Car il en fut tiré sans force et sans lumière.<br />

Voilà les emeeiU que l'Italie avait mis à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>,<br />

et que Ton admirait au théâtre, comme dans <strong>la</strong> société<br />

le jargon <strong>de</strong>s Précieuses ridicules. En voici<br />

d'autres exemples : *<br />

Yotre teint t composé <strong>de</strong>s plus aimables leurs ,<br />

Sert trop losgtemp <strong>de</strong> Ht à <strong>de</strong>s ruisseaux <strong>de</strong> pieu».<br />

Martamne a <strong>de</strong>s morts accès le triste sombra ;<br />

Ce qui Ait mon soleil n'est donc plus rien qu'une ombra !<br />

Quoi ! dans sos orient cet astre <strong>de</strong> beauté,<br />

Es éc<strong>la</strong>irant mon âmet a per<strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté I<br />

Cest Héro<strong>de</strong> qui parle ainsi en déplorant <strong>la</strong> mort<br />

<strong>de</strong> Mariamne. li s'adresse au soleil :<br />

Astre sass ccoBaJsaaiice et sans ressestlmetit,<br />

Tu portes <strong>la</strong> lumière avec aveuglement.<br />

81 l'immortelle main qui te forma <strong>de</strong> f<strong>la</strong>mme,<br />

En te donnant un corps l'avait pourvu d'une âme,<br />

Tu serais plus sensible au sujet <strong>de</strong> mon <strong>de</strong>uil ;<br />

M ton Ut aujoud'liui tu ferais ton eeteseti t et®.<br />

Il continue sur le même ton :<br />

CODES DE UTTÉEATO1E.<br />

il n ? y a pas <strong>de</strong> quoi s%i étonner : ces <strong>la</strong>mentations<br />

sont si froi<strong>de</strong>s! et voilà le plus grand mal, c'eut<br />

qu'avec tant <strong>de</strong> iguns et d'antithèses il n'y a pas<br />

un mot <strong>de</strong> sentiment.<br />

Et m n'est pas â<strong>la</strong>st que parle <strong>la</strong> esters<br />

C'est toujours là qu'il en faut revenir.<br />

àh ! voici te plus court : U faut que eette tarse<br />

D'un coup blesse mon cœur et guérisse mon âme,<br />

Ou Mes, siesfs <strong>du</strong> regret <strong>de</strong> ne pcwvoJf mourir.<br />

Est-ce là le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur? Cherche-telle<br />

jamais <strong>de</strong>s pointes et <strong>de</strong>s subtilités? Ce n'était<br />

point <strong>la</strong> peine <strong>de</strong> se tuer à réciter <strong>de</strong> pareils vers.<br />

Nous venons <strong>de</strong> voir le style <strong>de</strong> Mariai, voici celui<br />

<strong>de</strong> D. Japhet :<br />

Ah! OerMmtête,fatal ai<br />

Tu sais Mes contre moi pro<strong>du</strong>ire es poJaoïL<br />

Mais inutilement ta bouebe envenimée<br />

Jette son aconit contre ma renommée ;<br />

Me est d'une can<strong>de</strong>ur que ries ne peattaslief, et&<br />

Quelque chose <strong>de</strong> bien pis encore, c'est le-rdle<br />

que fauteur fait jouer à <strong>la</strong> mère <strong>de</strong> Mariamne,<br />

Alexandra : elle prononce dans un monologue <strong>de</strong><br />

justes imprécations contre le bqurreau <strong>de</strong> sa file,<br />

contre le tyran qui vient <strong>de</strong> condamner l'innocence<br />

; mais Y dans <strong>la</strong> etainte qu'on ne k soupçonne<br />

elle-même <strong>de</strong> complicité dans <strong>la</strong> préten<strong>du</strong>e trahison<br />

<strong>de</strong> Mariamne, elle attend au passage cette Infortunée<br />

que Ton mène au supplice, et l'arrête pour'<br />

l'accabler <strong>de</strong>s plus atroces invectives, pour app<strong>la</strong>udir<br />

à sa condamnation, insulter à son infortune, lui<br />

reprocher uncrimequ'ellesaittrop bien être supposé.<br />

On n'a jamais donné à k nature un démenti plus<br />

outrageant, et c'est une nouvelle preuve qu'avant<br />

Corneille on ne <strong>la</strong> connaissait guère plus dans <strong>la</strong><br />

fable et dans les caractères que dans <strong>la</strong> diction.<br />

11 n'y a dans toute cette pièce qu'un seul beau<br />

vers : Héro<strong>de</strong> s'indigne contre les Juifs <strong>de</strong> ce qu'ils<br />

ne viennent pas venger sur lui <strong>la</strong> mort d'une reine<br />

qu'ils adoraient; il s'adresse aux <strong>de</strong>ux, et s'écrie :<br />

Punissez ces Ingrats .qui ne m'ont point puai.<br />

Aurait-os dissipé os recueil <strong>de</strong> miracles!<br />

Aurait-on fait cesser mes célestes oracles?<br />

Ce n'est point là une antithèse <strong>de</strong> motst c'est as<br />

Aurait-on <strong>de</strong> <strong>la</strong> sorte enlevé tout mon bien?<br />

Et ce qui lut mon tout ne serait-il plus ries? sentiment vrai et profond, ren<strong>du</strong> avec énergie.<br />

D'après ce que nous avons vu <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sêphmmim<br />

Tu dis qu'os a détroit cet ouvrage <strong>de</strong>s <strong>de</strong>mi t et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Mariamme, jugeons maintenant ce que<br />

WŒMÂL,<br />

Un, smeqm regret Je l'ai vu <strong>de</strong> mes feux.<br />

Corneille avait à faire, et ce qu'il fit Rappelons-<br />

HÉaoni.<br />

nous ce qui a dû nous frapper davantage dans &m<br />

Viens m'en conter au long 1* pitoyable histoire.<br />

étranges scènes <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux pièces les meilleures, ou<br />

La belle chute! Rien ne ressemble plus à cet amailt les moins mauvaises qu'on eût encore faites. Il en<br />

<strong>de</strong> comédie qui, dont son, désespoir, est ailé $e résulte que l'on ignorait presque entièrement le ton<br />

jeter... pair <strong>la</strong> fenêtre? non, sur smt Ut Cette tran­ qui convenait à <strong>la</strong> tragédie; et sans ce point si imquille<br />

interrogation d'Héro<strong>de</strong>, après toutes ses <strong>la</strong>portant, tout ce qu'on avait <strong>la</strong>it était peu <strong>de</strong> chose,<br />

mentations, est absolument <strong>du</strong> même genre. Mais pn avait lu les Grecs; on avait étudié <strong>la</strong> PoéU§we


SIÊCJLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

our le Caire pleurer comme si en effet<br />

il s'affligeait. En un mot, nous y allons pour être<br />

trompés 9 et tout ce que nous <strong>de</strong>mandons 9 c'est qu'on<br />

nous trempe bien. Je citerai 9 à ce propos 9 le mot<br />

d'un Ang<strong>la</strong>is qui était -venu voir lei tours d'adresse<br />

d'un fameur joueur <strong>de</strong> gobelets. A cité <strong>de</strong> lui se<br />

trouvait un <strong>de</strong> ces hommes toujours prêts à faire<br />

ce qu'on ne leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ps, et qui s'offrit, pour<br />

l'empêcher d'être <strong>du</strong>pe Y <strong>de</strong> lui <strong>mont</strong>rer d'avance le<br />

secret <strong>de</strong>s tours d'escamotage qu'il al<strong>la</strong>it foir. « Je<br />

vous en dispense; monsieur, dit froi<strong>de</strong>ment l'An*<br />

|lftîf 1 je paye ici pour être trompé. •<br />

471<br />

Mais pour tromper a?te le néons êê F art f II faut<br />

obscr?ar toutes les con?enani» sur lesquelles 11 est<br />

fondé. Or, une <strong>de</strong>s premières est que chaque personnage<br />

agisse et parle selon le oaraetère qu'on lui<br />

connaît. Un héros, un roi ne s'eiprime pas comme<br />

un homme <strong>du</strong> peuple; ni une reinet une princesse,<br />

comme une soubrette. Cest ce qu'enseignait Horace,<br />

lorsqu'il a dit : Qm ckaqm per$omm§e pmrk<br />

kkmg@@eqtdkd wfpropre. ïïnkêw$mé®i$pm<br />

s'exprimer comme Bmm> Ce précepte parait bien<br />

simple; cependant, jusqu'à Corbeille, on a?ait été<br />

presque toujours', sur <strong>la</strong> scène, ou p<strong>la</strong>t jusqu'à <strong>la</strong><br />

trivialité 9 ou boursouié <strong>de</strong> igures <strong>de</strong> rhétorique :<br />

ce <strong>de</strong>rnier défaut était surtout celui <strong>de</strong> Garnler;<br />

l'autre fut celui <strong>de</strong> Mairet. La tragédie me <strong>mont</strong>re<br />

<strong>de</strong>s rois et <strong>de</strong>s héros; elle me les <strong>mont</strong>re, non pas<br />

dans les actions indifférentes <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, où tous les<br />

hommes peuvent se ressembler à un certain point,<br />

mais dans <strong>de</strong>s moments choisis 9 dans <strong>de</strong>s situations<br />

intéressantes. Je m'attends naturellement à' entendre<br />

un <strong>la</strong>ngage digne <strong>de</strong> leur rang9 conforme à leur<br />

caractère 9 adapté à leurs intérêts y à leurs passions,<br />

à leurs dangers; et, si je ne suis pas frustré dans<br />

mon attente, l'illusion s'établit et mon p<strong>la</strong>isir commence.<br />

Mais, si je les vois agir et parler comme<br />

mon voisin et mes voisines que j'ai <strong>la</strong>issées à <strong>la</strong> mai*<br />

son, je vois sur-le-champ que celui qui a voulu m'en<br />

Imposer n'y entend rien ; et 9 sous les habits <strong>de</strong> Mass<strong>la</strong>îsse<br />

et <strong>de</strong> Sophonisbe, je reconnais les bourgeois<br />

<strong>de</strong> mon quartier. C'est cette disconvenance pi choque<br />

dans ce que nous avons vu <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce <strong>de</strong> MaureL<br />

Est-ce bien <strong>la</strong> fille d'Aidrubal 9 l'épouse <strong>de</strong> Syphai,<br />

cette reine que l'histoire nous représente si 1ère et<br />

si sensible, et qui accepta <strong>du</strong> poison <strong>de</strong> <strong>la</strong> main <strong>de</strong><br />

Massinisse plutôt que d'être tramée en triomphe<br />

au Capitole? est-ce elle qui se con<strong>du</strong>it et qui s'énonce<br />

comme une veuve eoquette, pressée <strong>de</strong> se marier,<br />

et qui se jette à <strong>la</strong> tête d'un jeune homme qu'elle a<br />

trouvé beau ? Et Massinisse, qui ne Fa vue que dans<br />

ce seul moment où ces avances indécentes <strong>de</strong>vraient<br />

le prévenir contre elle, put-il convenablement lui<br />

offrir sur-le-champ <strong>de</strong> l'épouser ? Voilà pour le fond<br />

<strong>de</strong>s choses. Et le dialogue n'est-il pas entièrement <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> comédie ? Il est vrai que cette séparation si essentielle<br />

et si indispensable entre le <strong>la</strong>ngage familier et<br />

celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie ne peut s'établir qu'à mesure<br />

que l'idiome s'épure et s'ennoblit. U fal<strong>la</strong>it faire à<br />

<strong>la</strong> fois ce double travail. Mais heureusement Fun<br />

tient à Fautre, et c'est l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> penser noblement<br />

qui donne <strong>de</strong> <strong>la</strong> noblesse au <strong>la</strong>ngage. Voilà le<br />

premier service que Corneille rendit à <strong>la</strong> lingue et<br />

au théâtre» Cest lui qui, k premier, marqua <strong>de</strong>s<br />

limites entre <strong>la</strong> diction tragique et le dis<strong>cours</strong> or-


41%<br />

dinaire. <strong>la</strong> faisant <strong>de</strong> suite un grand nombre <strong>de</strong><br />

tel»! vers , il apprit aux Français que <strong>la</strong> dignité <strong>du</strong><br />

style achève <strong>de</strong> caractériser les personnages <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

tragédie, comme le costume et les attitu<strong>de</strong>s caractérisent<br />

les igures sur <strong>la</strong> toile et sous le ciseau. Que<br />

serait-ce en effet si un peintre nous représentait<br />

Achille fétu comme Sosie,et mettant le poing sous<br />

le nez d'Agamemnon ? Cest précisément ce que M-<br />

•aient les poètes tragiques avant Corneille.- Des<br />

«pressions ignobles dans <strong>la</strong> bouche d'un grand<br />

personnage sont <strong>de</strong>s haillons qui couvrent un roi.<br />

Corneille écarta ces Kambeaui qui rendaient Melpepèaa<br />

méconnaissable, et <strong>la</strong> revêtit d'une robe<br />

majestueuse : il y <strong>la</strong>issa encore quelques taches; et,<br />

après lui, <strong>la</strong>c<strong>la</strong>e <strong>la</strong> couvrit d'or et <strong>de</strong> diamants.<br />

Mais t dit^on, comment ? avec cette noblesse con*<br />

tinue d'expression et cette harmonie nécessaire au<br />

vers, conserver un air <strong>de</strong> férlté qui ressemble à <strong>la</strong><br />

nature? à cette question il faut répondre comme<br />

Zenon à ceui qui niaient le mouvement : il marcha.<br />

Lisez nos bons écrivains dramatiques, et voyez si<br />

leur élégance été rien au naturel. Cest ici le moment<br />

<strong>de</strong> citer Corneille, puisqu'il a donné parmi nous le<br />

premier modëe <strong>de</strong> ce grand art <strong>du</strong> style tragique.<br />

Écoutez don Diègne défendant son Ils accusé par<br />

Chimène :<br />

' Qu'en est digne d*envle<br />

fyataaja'eo perdant <strong>la</strong> fort» os perd aussi là ¥te !<br />

Et qu'un long âge apporte aux hommes généreux,<br />

km bout <strong>de</strong> leur carrière , os <strong>de</strong>stin malheureux S<br />

Mot, dont tes Sosp travaux ont acquis tut <strong>de</strong> giofre;<br />

Mol, que Jadis partout a suM <strong>la</strong> victoire;<br />

le me vots aujourdliul {pour âfotr trop wém,<br />

Eeewolr us affront f et <strong>de</strong>meurer ft<strong>la</strong>co,<br />

Ce que n'a pu Jamais oornèat, siège, embusca<strong>de</strong>,<br />

Ce que s'a pu Jamais Aragon, ni Grena<strong>de</strong> 9<br />

m tous ? os enuem<strong>la</strong> , a! tous mes envieux,<br />

Le ouste, en voire «sur, l*a fait presque à vos jeux,<br />

Jaloux <strong>de</strong> votre choix et fier <strong>de</strong> l'avantage<br />

Que lui donnait sur mol f Impuissance <strong>de</strong> Fige,<br />

are 9 alliai eee cheveux Hanehls eous le harnais 9<br />

Ce tang, pour ¥©ui servir prodigué tant <strong>de</strong> fols,<br />

Ce bras , jadis l'effroi d'une armée ennemie,<br />

DeMendilent au tomteas tout nhargés dlnfuife 9<br />

SI Je n'eusse pro<strong>du</strong>it un Ui digne <strong>de</strong> mol,<br />

Digne àè son pays et digue <strong>de</strong> son roi.<br />

11 m'a prêté sa mais, Il a tué le conte;<br />

Il m'a ren<strong>du</strong> rhesneur, il a <strong>la</strong>vé ma hoste.<br />

81 <strong>mont</strong>rer <strong>du</strong> courage est <strong>du</strong> raeesttment t<br />

81 venger un souftlet mérite un chàtlmeut ;<br />

8i Qitiaèae ae p<strong>la</strong>int qui • tué son père f<br />

Due Peut jamais fait, si Jefeuase pu faire.<br />

IraBaolei donc es cAc/qu* les ans vont ravit,<br />

* Et conservai pour vous le bras qui peut servir.<br />

Aux dépens se mou sang satisfaites CMaaèaa;<br />

Je n'y réftate potntf Jeexaisaiis à WMpéne;<br />

BHotn<strong>de</strong> mmmwm d'us rigstusu décret,<br />

Mourant sans déshûPAeur$ Je .monrrai sans regret.<br />

Eh Mon («xe§fté te mot <strong>de</strong> eie/ejii a vieilli dans<br />

te sens <strong>de</strong> me, prtfeaMeaiifit parce qu'il est sujet à<br />

l'équivoqm) f a4-liliiig tout ce morceau fi vigou­<br />

CODES ME L1TTÉBATIME.<br />

reux, il animé, si pathétique, un seul mot au-<strong>de</strong>ssous<br />

<strong>du</strong> style noble, et en mime temps y en a-t-II<br />

un seul qui ne joit dans <strong>la</strong> nature et dans <strong>la</strong> ? érité f<br />

On entend un beau <strong>la</strong>ngage9 <strong>de</strong>s fers nombreux; et<br />

en même temp que IVeille et l'imagination sont<br />

f<strong>la</strong>ttéesv Fâme est toujours satisfaite et jamais<br />

trompée : elle atone, elle reconnaît tout ce qu'elle<br />

entend. C'était là fheureui secret qu'il fUMt découvrir,<br />

le problème qu'il fal<strong>la</strong>it résoudre ; et peut-on<br />

s'étonner <strong>de</strong> f effet prodigieux qu'éprouva toute <strong>la</strong><br />

France <strong>de</strong>s transports <strong>de</strong> l'admiration universelle,<br />

<strong>la</strong> première fois qu 9 on entendit un <strong>la</strong>ngage si nouveau<br />

, si supérieur à tout ce qui existait anparavant ?<br />

Quelle distance <strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> Seudéry1 <strong>de</strong> Bensora<strong>de</strong>,<br />

<strong>de</strong> Deryer, <strong>de</strong> Mairet f <strong>de</strong> Tristan t <strong>de</strong> Rotron,<br />

à cette merveille <strong>du</strong> CM! Eotrou s'en rapprocha<br />

<strong>de</strong>puis dans Femmslm ; mais quoique Corneille eût<br />

<strong>la</strong> déférence <strong>de</strong> rappeler sm père , parce qu'il n'était<br />

entré qu'après lui dans <strong>la</strong> carrière <strong>du</strong> théâtre, cependant,<br />

comme Eotrou n'avait rien pro<strong>du</strong>it jusque-là<br />

qui ne lût au-<strong>de</strong>ssous <strong>du</strong> médiocre, et que le seul<br />

ouvrage qui lui ait survécu n 9 a paru que six ans<br />

après h CM, <strong>la</strong> justice f eut qu ? on le range parmi<br />

ceux qui proitèrent à l'école <strong>du</strong> grand Corneille, et<br />

c'est à ce rang que j'en parlerai.<br />

Pour développer d'abord le grand changement<br />

que fauteur <strong>du</strong> CM intro<strong>du</strong>isit dans lestyle tragique,<br />

j s ai un peu anticipé sur ce que j'avais à dire <strong>de</strong> cette<br />

mémorable époque <strong>de</strong> notre théâtre, et a?ant <strong>de</strong> m'y<br />

arrêter, je dois dire un mot <strong>de</strong> Médé$, qui <strong>la</strong> précéda<br />

; car on me dispensera sans doute <strong>de</strong> parier <strong>de</strong>s<br />

premières comédies <strong>de</strong> Corneille. On se sourient<br />

seulement qu'il les a Mtes, et que, sans rien valoir,<br />

elles valent mieux que' toutes celles <strong>de</strong> son temps.<br />

Cest quand il donna k Memkm qu'il eut encore <strong>la</strong><br />

gloire <strong>de</strong> précé<strong>de</strong>r Molière dans les pièces <strong>de</strong> caractère.<br />

Maintenant je ne considère en lui quête pèn<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie.<br />

seertea n. — Corneille.<br />

Son coup d'essai fut Méêèê : le sujet n'était pas<br />

très-heureux : eMe n'eut qu'un succès médiocre. U<br />

n f est pas surprenant que Longepierre, qui travail<strong>la</strong><br />

sur le même sujet environ soixante ans après, Tait<br />

manié avec plus d'art, et soit parvenu à y répandre<br />

asseï d'intérêt pour taire voir sa pièce <strong>de</strong> temp en<br />

tempatecquelquep<strong>la</strong>isir, malgré sesdéfauts, quand<br />

il se trouve une actrice propre à faire valoir le rôle<br />

<strong>de</strong> Médée : soixante ans <strong>de</strong> lumières et do modèle<br />

sont d'un grand se<strong>cours</strong>, même pour un talent aaédioen.<br />

Mais le talent sublime <strong>de</strong> Corneille s f aaeeea<br />

çait déjà dans sa Médée (quoique mal conçue et mal<br />

écrite) par quelques morceaux d'une force et atone<br />

élévation <strong>de</strong> style inconnues avant lui. Tel est m


monologue do Médée, imité <strong>de</strong> Sénèque. Ailleurs ce<br />

pourrait être une déc<strong>la</strong>mation; mais il faut longer<br />

que c'est une magicienne qui parle.<br />

Souverains protecteurs <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> rhyménée t<br />

Meus, garants <strong>de</strong> Sa fol que <strong>la</strong>son m'a (tonnée f<br />

•oui fnH prit à témoin d'une Immortelle ar<strong>de</strong>ur,<br />

Quand par un faux serment il vainquit ma pmêemrg<br />

Yojm é* quel «épris fou traite son parjure ,<br />

M m'aMes à venger cette ccniniiM tojura :<br />

ffU me peut aujourd'hui chasser Impunément,<br />

Tu» êtes sans pouvoir m sans ressentiment<br />

Et vous ? troupe savante en noires barbaries,<br />

FtHes <strong>de</strong> rAehéron , Spectres , Larves , Furies ,<br />

Flères «m.» t si jamais notre commerce étroit<br />

Sur tous et vos serpents me donna fueitpe droit,<br />

Sortes <strong>de</strong> m* eachois avec les mêmes f<strong>la</strong>mmes<br />

Bt les mêmes tourments dont vous gêna les âmes :<br />

Latoses-tes quelque temps reposer dans les fers ;<br />

Pmr misai agir pour mol, faites iréve au» atftn.<br />

• âpportat-mol <strong>du</strong> fond <strong>de</strong>s autres <strong>de</strong> Cerbère<br />

Lamort <strong>de</strong> ma ri¥ale eteeUe <strong>de</strong> son père?<br />

M, si vous oe vouki mal servir mon eourroex,<br />

Quelque chose <strong>de</strong> pis pour moe perfi<strong>de</strong> époux,<br />

fjofl coure vagabond <strong>de</strong> province en province!<br />

. Qrftt fasse lâchement <strong>la</strong> cour à cnaipie prisée 1<br />

Banni <strong>de</strong> tous eûtes, sans Mec et sans appât,<br />

kmmM^mmmm%,êAmimmmê"mmî%<br />

Qu'à ses plus grands malheurs aucun ne •empathie!<br />

Qull ait regret à moi pour son <strong>de</strong>rnier supplies.<br />

Et que mon souvenir, Jusque dans le tombeau f<br />

attache à mm esprit un éternel bourreau !<br />

Jason me répudia, et qui l'aurait pu croira !<br />

8V a manqué d'amour, masque-t-ll <strong>de</strong> mémotrt?<br />

Me pat4l bien quitter après tant <strong>de</strong> bienfaits?<br />

ITeee-t-Ii bien quitter après tant <strong>de</strong> forfaits?<br />

Saehaiit ce que je puis, ayant vu es que j'ose,<br />

Croit»! que m'Offenser ee soit si peu <strong>de</strong> chose?<br />

Quoi! mon père trahi, les éléments forcés,<br />

WMB frète dam <strong>la</strong> mer les membres dispersés,<br />

Loi font-Us présumer mon audace épuisée?<br />

Lut font-Ils présumer qu'à mon tour méprisée, .<br />

Ma rage contre Sut s'ait sur &à s'assouvir,<br />

Et que tout mon pouvoir se borneà le servir?<br />

On peut relever quelques fautes <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage ; mais,<br />

'en total,-ee morceau est è?ia style ininiment élevé<br />

au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tout ee qu'on éeri?ait dans le même<br />

temp. Ces <strong>de</strong>ux vers surtout 9<br />

, Me peut-il bien quitter après tant <strong>de</strong> bienfaits?<br />

Wm*m Men quitter après tant êê teftito?<br />

offrent un rapprochement d'idées <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong><br />

énergie : il est impossible <strong>de</strong> dire plus en peu <strong>de</strong><br />

mots : c'est le irai sublime.<br />

La <strong>littérature</strong> espagnole était alors eu vogue parmi<br />

nous. Mous atlons emprunté beaucoup <strong>de</strong> pièces <strong>de</strong><br />

théâtre <strong>de</strong> cette nation, mais nous n'en avions guère<br />

imité que les défents. Corneille 9 en l'appropriant le<br />

sujet <strong>du</strong> CM, traité d f abord en Espagne par Dïamante,<br />

et ensuite parGnilem <strong>de</strong> Castro, neIt pas<br />

un <strong>la</strong>rds, eomme renfle le lui reprocha très-injustement,<br />

mais une <strong>de</strong> ces conquêtes qui n'appartien­<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. - POÉSIE. .471<br />

On connaît <strong>de</strong>puis longtemps ee qu'il y a <strong>de</strong> défectueui<br />

dans k CM, mm ce qui est très-reraarquable,<br />

et ce qu'il importe <strong>de</strong> dé<strong>mont</strong>rer, c'est qtie,<br />

dans <strong>la</strong> nouveauté <strong>de</strong> l'outrage, ce qui lui Ait re- '<br />

proche comme le plus répréhenMble est véritable*<br />

ment ce qu'il y a <strong>de</strong> plus beau. Cet exemple prouve<br />

ce que j'ai établi au commencement <strong>de</strong> ce Cawg,<br />

que le génie précè<strong>de</strong> nécessairement le goit et qu'il<br />

<strong>de</strong>vine par instinct avant que nous sachions juger<br />

par principes. Je ne parle pas <strong>de</strong> Scudéry, qui était<br />

aveuglé par <strong>la</strong> haine, mais l'Académie en corps<br />

condamna k fte/el <strong>du</strong> CM, et déc<strong>la</strong>ra expressément<br />

qu'il néMip&i bon. Je sais <strong>de</strong> quelle estime jouit<br />

<strong>la</strong> critique qui parut alors sous le titre <strong>de</strong> SmMmmi.<br />

<strong>de</strong> VAcadémie mr k CM : cette estime est méritée<br />

à beaucoup «d'égards; mais je crois pouvoir dire,<br />

sans blesser le respect que je dois à nos prédécesseurs,<br />

que cette critique est fautive en Men <strong>de</strong>s<br />

points; qu'on a été trop loin quand on Pa qualifiée<br />

<strong>de</strong> ekef-é'emmre, et qu'elle est plutôt un modèle<br />

d'impartialité et <strong>de</strong> modération que <strong>de</strong> justesse et<br />

lie bon geejt Ce fut Chape<strong>la</strong>in qui <strong>la</strong> rédigea 9 et cet<br />

ouvrage fait honneur I ses connaissances et à son<br />

esprit. Malgré quelques expressions, quelques tournures<br />

qui ont vieilli, malgré quelques traits qui<br />

sentent l'affectation et <strong>la</strong> recherche^ alors trop à <strong>la</strong><br />

mo<strong>de</strong>, en général les pensées et le style ont <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

dignité, et les motifs et les principes <strong>de</strong> l'Académie<br />

sont noblement développés. On y rend un légitime<br />

hommage au talent <strong>de</strong> Corneille: le'cardinal <strong>de</strong><br />

Hichelieu en fut très-mécontent, et c'était en Mm<br />

l'éloge. Quant aux erreurs qui s'y trouvent, et dont<br />

Voltaire, qu'on accuse d'être le détracteur <strong>de</strong> Corneille<br />

t a déjà relevé une partie, elles sont très-excusables,<br />

parce que fart ne faisait que <strong>de</strong> naître. Il y<br />

a peu <strong>de</strong> mérite à les rectiier aujourd'hui, après cent<br />

cinquante ans d'expérience; mais il n'est pas indifférent<br />

à <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> Corneille <strong>de</strong> foire voir qu'il lui<br />

arriva ne qui arrive toujours aux esprits créateurs :<br />

c'est que non-seulement il faisait mieux que tous<br />

ses rivaux | mais qu'il en savait plus que tous ses<br />

juges.<br />

Les reproches incontestables que Ton peut faire<br />

au CM, sont :<br />

t« Le rôle <strong>de</strong> Hnbiite, qui a le double inoontéV<br />

nient'd'être absolument inutile* et <strong>de</strong> venir se mêler<br />

mal à propos aux situations les plus intéressantes.<br />

(Ce rôle fut retranché lorsque Rousseau le lyrique<br />

arrangea k CM <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière dont on le joue mainnent<br />

qu'au génie. Il embellit beaucoup ce qu'il pretenant; mais f examine Fouvrap tel qu'il fut eom«<br />

nait , en ôta beaucoup <strong>de</strong> défauts 9 et ré<strong>du</strong>isit le tout .posé.)<br />

aui règles principales <strong>du</strong> théâtre. Il ne les observa a® L'impru<strong>de</strong>nce do roi <strong>de</strong> Castille, pi se prend<br />

pas toutes : qui peut iwrt faire en commepçafet? ' aucune mesure pour prévenir <strong>la</strong> <strong>de</strong>scente îles Mau-


474<br />

COURS DE LITTÉRàTUU.<br />

rei, fuofquH en scilt Instruit à temps, et fui, par _<br />

conséquent! joue un rôle peu algue <strong>de</strong> <strong>la</strong> royauté. '<br />

S® L'kv raiscmbïanee <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène où don Sanche<br />

apporte son épée à Chimène, qui se persua<strong>de</strong> que<br />

Rodrigue' est mort» et persiste dans une méprise<br />

beaucoup trop prolongée, et dont un seul mot poufait<br />

<strong>la</strong> tirer. On Yoit que fauteur s'est servi <strong>de</strong> ce<br />

moyen forcé pour amener le désespoir <strong>de</strong> Chimène<br />

jusque l'aveu publie <strong>de</strong> son amour pour Rodrigue,<br />

et affaiblir ainsi <strong>la</strong> résistance qu'elle oppose au roi t<br />

qui veut l'unir à son amant. Mais il ne parait naa<br />

que ce ressort Mtnécessaire, et <strong>la</strong>passion <strong>de</strong> Chimène<br />

éltil suffisamment connue.<br />

4® La vio<strong>la</strong>tion fréquente <strong>de</strong> cette règle essentielle<br />

qui défend <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser jamais <strong>la</strong> scène ? lit , et que les<br />

acteurs entrent et sortent sans se parler ou sans se<br />

•oir.<br />

i° La monotonie qui se fait sentir dans toutes les<br />

scènes entre Chimène et Rodrigue, où ce <strong>de</strong>rnier<br />

oAe continuellement <strong>de</strong> mourir. J 9 ignore si » dans<br />

le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> l'ouvrage, il était possible <strong>de</strong> faire autrement<br />

ï j f n<br />

afouerai aussi que Corneille a mis beaucoup<br />

d'esprit et d'adresse à varier, autant qu'il le pouf ait*<br />

«far les détails y cette uniformité <strong>de</strong> fond ; mais «nia<br />

elle se fait sentir f et Voltaire ajoute avec raison que<br />

Rodrigue offrant toujours sa fie à sa maîtresse a<br />

une tournure un peu trop romanesque.<br />

Voilà , m me semble 9 les frais défauts qu'on peut<br />

Mimer dans <strong>la</strong>con<strong>du</strong>ite <strong>du</strong> CM: ilssont assez gra?es.<br />

Remarquons pourtant qu'il n'y en a pas un qui soit<br />

capital, c'est-à-dire qui fesse crouler l'outrage par<br />

' les fon<strong>de</strong>ments, ou qui détruise l'intérêt ; car un rôle<br />

inutile peut être retranché t et nous en afons plus<br />

d'un exemple. Il est possible à toute force que le roi<br />

<strong>de</strong> Castille manque <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce et <strong>de</strong> précaution 9 et<br />

que don Sanche, étourdi <strong>de</strong> l'emportement <strong>de</strong>'Chimène,<br />

n'ose point l'interrompre pur <strong>la</strong> détromper :<br />

ce sont <strong>de</strong>s invraisemb<strong>la</strong>nces, mais non pas <strong>de</strong>s absurdités.<br />

Cette distinction est très-importante, et<br />

nous aurons lieu <strong>de</strong> l'appliquer quand il son ques*<br />

tîon<strong>de</strong>Rodogune.<br />

11 résulte <strong>de</strong> cet exposé que k CM n'est pas une<br />

pièce régulièrement bonne. Mais estait vrai, comme<br />

le prétendait l'Académie, que le ntfet n'en $mipm<br />

ton? Un siècle et <strong>de</strong>mi <strong>de</strong> succès a répon<strong>du</strong> d'af ance<br />

à cette question ; mais il peut être utile <strong>de</strong> <strong>la</strong> discuter,<br />

pour l'intérêt <strong>de</strong> l'art et l'instruction <strong>de</strong>s<br />

amateurs.<br />

Pour condamner le sujet <strong>du</strong> CM, l'Académie se<br />

fon<strong>de</strong> rtur ce qu'il est wmmkmetU inwmUmbkék<br />

que GMmènc consente à épouser le ifaeurtrier <strong>de</strong> son<br />

père le même jour où il Fa tué. 11 y a, si j'ose le dire,<br />

une double erreur dans ce jugement. D'abord il<br />

9 est pas frai que CMmène contants «presseront<br />

à épouser Rodrigue. Le spectateur f oit bien qu'elle<br />

y consentira un jour, et il le fait pour qu'il emporte<br />

cette espérence, qui est <strong>la</strong> suite et le complément<br />

<strong>de</strong> fintérêt qu'il a pris à leur amour. Mais écoutons<br />

<strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière réponse <strong>de</strong> Chimène au roi <strong>de</strong> Castille,<br />

qui n'a consenti au combat <strong>de</strong> Rodrigue contre don<br />

Sanche que sous <strong>la</strong> condition qu'elle épouserait le<br />

fainqueur. '<br />

nftratnmHM^iIm,<br />

Mon amour a pim, Je m pots m'en dédire.<br />

Rodrf£iie a <strong>de</strong>s wrtm que Je ne poli haïr,<br />

Et TOUS êtes mon roi, je TOUS êok obéir.<br />

Mata à quoi que déjà mm m'iyei eosdaiBfiéa 9<br />

Pourrez-tons à YôS yetu souffrir cet hyménés?<br />

Et quand <strong>de</strong> mon <strong>de</strong>voir v ouwonlez est effott »<br />

Toute ¥otre Justice en est-elle d'accord?<br />

§1 Rodrigue à l'État <strong>de</strong>vient al nécessaire ,<br />

De ce qu'il fait pour TOUS dois-Je être le salMr* ,<br />

Et me livrer moi-même au reproche étemel,<br />

P'avolf trempé mes mains dans le sang pataradf<br />

Je ne pis mieux faire que <strong>de</strong> joindre à ce paasage<br />

<strong>la</strong> note <strong>de</strong> Voltaire.<br />

« H me semble qne ces beaei'fêfg que dit Chmitee <strong>la</strong><br />

justifient entièrement. Mk n'épouse point Rodrigue; elle<br />

fait même <strong>de</strong>s re<strong>mont</strong>rances an raL J'avose que je ne conçois<br />

pas comment on a pu recenser d'indécence 9 an lieu<br />

<strong>de</strong>là p<strong>la</strong>indre et <strong>de</strong> rtdmtar. Elle dit I <strong>la</strong>férité an mi, Je<br />

dêk oèéir; mais elle ne dit point, J'obéirai* Le spectateur<br />

sent bien pourtant qu'elle obéira ; et c'est en eek9 m<br />

me semble, que consiste <strong>la</strong> beauté il désoamenl. »<br />

Cest ainû que le grand amenU <strong>de</strong> Corneille le<br />

défend contre l'Académie. SU est priais d'ajouter<br />

quelque chose à l'opinion d'un si grand maître, j'observerai<br />

que celui qui rédigea le jugement <strong>de</strong> f Académie<br />

se méprend dans les idées et dans les termes,<br />

quand il dit que le sujet <strong>du</strong> CM est son mariage avec<br />

Chimène. Ce mariage v dans le cas où il aurait lieu f<br />

serait le dénouaient, et non pas le sujet. Puisqu'il faut<br />

retenir à <strong>la</strong> rigueur <strong>de</strong>s termes techniques, le sujet<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce <strong>de</strong> Corneille est l'amour que Rodrigue et<br />

Chimène ont l'un pour l'autre," trafcrsé par <strong>la</strong> querelle<br />

<strong>de</strong> don Diègue et <strong>du</strong> comte, et par <strong>la</strong> mort <strong>de</strong><br />

ce <strong>de</strong>rnier, tué par le Cid. La situation fiolente <strong>de</strong><br />

Chimène entre son'amour et son <strong>de</strong>foir forme le<br />

nœud qui doit se trouver dans toute action dramatique<br />

; et ce nœud est en lui-même un <strong>de</strong>s plus beaui<br />

qu'on ait imaginés, indépendamment <strong>de</strong> <strong>la</strong> péripétie<br />

qui peut terminer <strong>la</strong> pièce. Cette péripétie, ou ehangement<br />

d'état, est <strong>la</strong> double fictoire <strong>de</strong> Rodrigue :<br />

fane sur les Maures, qui saufe l'État et met son<br />

libérateur à l'abri <strong>de</strong> k punition; l'autre sur don<br />

Sanche, <strong>la</strong>quelle, dans les règles <strong>de</strong> <strong>la</strong> chevalerie,<br />

doit satisfaire <strong>la</strong> vengeance <strong>de</strong> Chimène. Jusque-là<br />

le sujet est irréprochable dans tous les principes <strong>de</strong><br />

Fart,puisqu'il estoonformeà <strong>la</strong> nature et atu mœurs.


11 est <strong>de</strong> plus Intéressait, puisqu'il mém à <strong>la</strong> fols<br />

radmintion et <strong>la</strong> pitié : l'admiration pour Rodrigue,<br />

qui ne bt<strong>la</strong>nee pas à combattre le comte, dont<br />

il -adore <strong>la</strong> Uie; l'admiration ponr Oiimène, qui<br />

pourrait <strong>la</strong> vengeance <strong>de</strong> son père en adorant ce<strong>la</strong>i<br />

qui fa tué ;• et <strong>la</strong> pitié pour les <strong>de</strong>us amants , qui sacriient<br />

l'intérêt <strong>de</strong> leur passion aux lois <strong>de</strong> l'honneur.<br />

Je dis l'intérêt <strong>de</strong> leur passion, et non pas<br />

leur passion même; car, si CMmène cessait d'aimer<br />

Rodrigue 9 pree qu'il a fait le <strong>de</strong>voir d'un ils, en<br />

t engeant son père comme le v eut cet Ignorant <strong>de</strong><br />

Scudéryf qui n'y entend rien 9 <strong>la</strong> pièce*ne ferait pas<br />

le moindre effet. Laissons m pauvre homme traiter<br />

CMmène <strong>de</strong> âémUurie, <strong>de</strong> jwfrfcfcfe, <strong>de</strong> mmtêre,<br />

faJuHe, <strong>de</strong> BanO<strong>de</strong>, et s'étonner que Imfmiêm<br />

m tomôe pm #nr elk. Ces p<strong>la</strong>tes déc<strong>la</strong>mations font<br />

pMé : on s'attend bien que ce n'est pas là le style <strong>de</strong><br />

l'Académie; il est aussi honnête que celui <strong>de</strong> Scudéry<br />

est indécent. Elle avoue que l'amour <strong>de</strong> CMmène<br />

n'est point condamnable,<br />

SIÈCLE Bl -LOUIS XIV. - POÉSIE. 475<br />

81 ipilfMaiitn MaUM» mtmmwmâ m& pin,<br />

Mon âme aurait trouvé dans tenta <strong>de</strong> te voir<br />

t%aiip« aUégemeiit f scelle eût pi recevoir,<br />

Et emsiv ma douleur J'annls eeiitl êm ckmnmm<br />

Quand mie main it ehère eût essuyé met <strong>la</strong>rmes.<br />

Mais 11 me tant te perdre aprèa Favetr per<strong>du</strong>;<br />

Cet effort sur ma <strong>la</strong>mine à mon honneur est lif<br />

Et cet affreux <strong>de</strong>voir, dont fordre m'anmiilne, i<br />

Me forée à travailler mot-même à ta ratne ;<br />

Car «i.iii n'attends pas <strong>de</strong> mon affection<br />

De IMrns sentiments pour ta punition.<br />

De fi»! ipf«a ta faveur notre amour m'otttNtftniie,<br />

Ma genérattti doit répoiidri à Sa tienne.<br />

Te t'es, es m*oftenant, <strong>mont</strong>ré digne <strong>de</strong> mot :<br />

le me dois, par ta mort, <strong>mont</strong>rer digne <strong>de</strong> toL<br />

La versification <strong>la</strong>isse ici beaucoup I désirer;<br />

mais les sentiments sont vrais, et c'est toujours le<br />

ton <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie.<br />

L'Académie tombe ici dans une sorte <strong>de</strong> contradiction<br />

t lorsque, après avoir appronté Famour <strong>de</strong><br />

CMmène, elle dit:<br />

« Nous <strong>la</strong> Marnons «itemeat <strong>de</strong> m que «m amour remporte<br />

sur ton iifûfff et qu'en même temps qu'elle pour­<br />

suit lôdrigae elle fait ém VœUX m m taveur. •<br />

« Nous n'entendras pas, dit-elle 9 condamner CMmène Non, Famour ne l'emporte point sur le <strong>de</strong>voir :<br />

<strong>de</strong> « «p'elfe aime te meurtrier <strong>de</strong> son père, puisque son voyez si, dans <strong>la</strong> scène où elle <strong>de</strong>man<strong>de</strong> justice au<br />

engagement avec Rodrigue avait précédé <strong>la</strong> mort <strong>du</strong> comte» roi, elle épargne rien pour en obtenir vesgean.ee. 11<br />

et qu'à n'est pas en <strong>la</strong> puissance d'une personne <strong>de</strong> cesser est vrai que, dans <strong>la</strong> scène où Rodrigue est à ses<br />

if limer quand I lui pût. »<br />

pieds plein d'amour et <strong>de</strong> désespoir, et lui <strong>de</strong>man-<br />

Voilà done FAcadémie qnl approuve ce qui est dant <strong>la</strong> mort « l'attendrissement h con<strong>du</strong>it jusqu'à<br />

vraiment le sujet <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, l'amour combattu par dire t<br />

le <strong>de</strong>voir. Le dénouaient, qui n'est que <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière Je nul IMS iMariolt à Mm i<br />

partie <strong>de</strong> ce sujet 9 était délicat et difficile. On put Maâa, malgré <strong>la</strong> rigueur d'us si erael <strong>de</strong>voir,<br />

affirmer aujourd'hui avec Voltaire, avec toute <strong>la</strong> Mon méqm souhait est <strong>de</strong> se rien pouvoir.<br />

France, qui app<strong>la</strong>udit k CM <strong>de</strong>puis tant d'années, Quoi donc ! voudrait-on qu'elle lui dit qu'elle dé­<br />

queCoraeïlïes'enest tiré très-heureusement, et qu'il sire en effet sa mort? Ce sentiment serait injuste et<br />

a su accor<strong>de</strong>r ce qui était dû à <strong>la</strong> décence avec l'in­ atroce f puisque, <strong>de</strong> son aveu « il n'a rien fait que <strong>de</strong><br />

térêt qu'on prend an <strong>de</strong>ux amants.<br />

légitime. Ce vœu serait Feipression <strong>de</strong> <strong>la</strong> haine,<br />

Si l'on eût été alors plus avancé dans <strong>la</strong> connais­ et Chiuiène n'en doit point avoir. Si elle al<strong>la</strong>it jussance<br />

<strong>du</strong> théâtre, l'Académie aurait été plus loin. que-là , c'est alors que Famour serait éteint par l'of­<br />

Elle aurait dit que ce qu'il y a <strong>de</strong> plus admirable dans fense involontaire <strong>de</strong> Rodrigue; et si les passions<br />

k Orfest précisément cette passion <strong>de</strong> Chïmène pour combattues sont intéressantes, les passions entière­<br />

celui qu'elle poursuit et qu'elle doit poursuivre. Elle ment sacrifiées sont froi<strong>de</strong>s. Et où serait donc le mé­<br />

aurait reconnu ces combats qui sont finie <strong>de</strong> <strong>la</strong> trarite <strong>de</strong> Chimène, si elle le poursuivait en désirant<br />

gédie , dans ces vers <strong>de</strong> CMmène :<br />

Téritablementsamort?Cest parce qu'elle <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

Ah! Usérigne, iîest vrai, quoique ton i<br />

en craignant <strong>de</strong> Fobtenir qu'elle nous paraît si inté­<br />

Je m puis te "Marner d'avoir fol l'Infamie;<br />

ressante; et quand nous Favons enten<strong>du</strong>e, <strong>de</strong>vant le<br />

Et i* qmlqm fûçm fpfédatent mes douta» t<br />

Je us fmampoint, Je plmm mes manu»». roi <strong>de</strong> Castille, tmtjmUce et faire parler 1e sang <strong>de</strong><br />

Je Mis os fie Vhmnewt après es tel outrage t son père; lorsque ensuite, en présence <strong>de</strong> ce qu'elle<br />

Dmandait à farémr d'un généreux courage. aime, touchée <strong>de</strong> l'infortune d'un amant aussi mal­<br />

Tu n'as fait te <strong>de</strong>toii « que d'un homme <strong>de</strong> bien ;<br />

Mata ainsi, iefmusnt, tu m'as appris le mien. heureux qu'innocent, elle avoue qu'elle ne peut sou­<br />

Ta funeste valeur m'instruit par ta victoire; haiter sa mort, notre coeur reconnaît également<br />

Elle a vengé ton pète et soutenu ta gtoi» :<br />

Même total me regar<strong>de</strong>, et J'ai, JMW dans ces <strong>de</strong>m scènes le cri <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature; et, il faut<br />

m*nffà§m9<br />

lia gloire à soutenir et mon père à m<br />

bien le dire 9 Corneille k connaissait raieu que FA- '<br />

~~~ ! êm mMritM me désespère : '<br />

cadémie.<br />

Elle donne raison I Scudéiy sur m qa'on appelle,<br />

* n faNf : Wm m*m JêU §m f# tfftwir


47*<br />

OOUtS DE LITTÉEATUIE,<br />

dûment est, emêrn <strong>la</strong> bkmêmnm <strong>de</strong> sm mxe, c'esteneonséquenciilicipriiieiptfii'oni'y intéresse<br />

amante frop semsibk etjMk trop <strong>de</strong>meurée, et même aux coupables f quand ils ont <strong>de</strong> grandies pas­<br />

qu'elle eêi cm mtâm Mcmêakme, H dk m'est peu sions ou <strong>de</strong> grands remords » qui sont i <strong>la</strong> fois el leur<br />

dépravée.<br />

excuse et leur punition : leur excuse» car tous nous<br />

J'en <strong>de</strong>man<strong>de</strong> encore pardon à l'Académie': mais sentons au fond <strong>du</strong> cœur <strong>de</strong> quoi les passions pu?ent<br />

U m'est bien dé<strong>mont</strong>ré qu'une JMte <strong>de</strong>meurée ne rendre l'homme capable; leur punition! et.ctet m<br />

serait pas supportée au théâtre, bien loin d'y pro­ qui répond à ceux qui craignent que ces eiemples<br />

<strong>du</strong>ire l'effet f n'y pro<strong>du</strong>it Chiraèae. Ce sont là <strong>de</strong> ces ne soient dangereux. Personne n'est tenté d'imiter<br />

fontes qu'on ne pardonne jamais 9 parce qu'elles sont Phèdre ou Sérairamis, malgré Pitres» entraînants<br />

jugées par le cœur, et que les hommes rassemblés <strong>de</strong>l'uneet <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur imposante<strong>de</strong>fautre, Lepoëte,<br />

ne peuvent pas recevoir une impression opposée à au eonttake, semble tous dire à chaque fers :<br />

<strong>la</strong> nature. L'exemple <strong>de</strong> l'Académie nous prouve au Yoyei comme Phèdre est tourmentée par un amour<br />

contraire combien l'esprit peut s'égarer en jugeant a<strong>du</strong>ltère! ?oyes eomma Sémkamis 9 au milieu <strong>de</strong> sa<br />

les effets <strong>du</strong> théâtre par <strong>de</strong>s principes généraux et puissance, est poursuifie par le repentir <strong>de</strong> son<br />

abstraits.<br />

crime!<br />

Chape<strong>la</strong>in 9 qui a?ait étudié <strong>la</strong> poétique plus en Des critiques <strong>de</strong> mau?aise foi ont dit <strong>de</strong> ces piè­<br />

gavant qu'en homme <strong>de</strong> goût 9 in<strong>du</strong>isit probablement ces et <strong>de</strong> quelques-unes <strong>du</strong> même genre : Mais com­<br />

l'Académie en erreur sur ce mot <strong>de</strong> mœmrs qui est ment s'intéresser à <strong>de</strong>s personnages si criminels?<br />

m mal enten<strong>du</strong>. Les mœurs faisant partie <strong>de</strong> limi­ Et fort souvent on les a crus, foute d'apercevoir<br />

tation théâtrale, il n'est pas nécessaire qu'elles soient l'espèce <strong>de</strong> sophisme qui est dans ce mot s<br />

rigoureusement bonnes; notre premier légis<strong>la</strong>teur,<br />

Aristote9 l'avait très bien senti 9 et le dit expressément.<br />

Les mœurs dramatiques sont donc subordonnées<br />

, non-seulement aui circonstances f mais encore<br />

au temps et au pays où se passe <strong>la</strong> scène ; et c'est ce<br />

que l'Académie, qui n'en dit pas un mot dans sa critique,<br />

parait avoir entièrement oublié. L'action <strong>du</strong><br />

Cil est <strong>du</strong> quinzième siècle 9 et se passe en-Espagne,<br />

dans le temps <strong>du</strong> règne <strong>de</strong> <strong>la</strong> che?alerie. A cette époque,<br />

et dans les mœurs alors établies, un gentilhomme<br />

qui n'aurait pas vengé l'affront fait à son<br />

père aurait été regardé avec autant d'exécration que<br />

s'il eût commis les plus grands crimes : il n'eût pas<br />

été seulement méprisé; il eût été abhorré. Ce <strong>de</strong>voir<br />

étant si sacré, il n'est donc pas semMttkux que<br />

Chimène ne prenne pas le parti <strong>de</strong> renoncer entièrement<br />

à Rodrigue, comme le tondrait l'Académie,<br />

qui prétend que c'est ainsi que défait finir 4? comfaf<br />

<strong>de</strong> rkmnewr contre ïatmwr; que cette victoire eût<br />

M d'aidant pins gran<strong>de</strong> , qu'eUe eût été plm raismmabk<br />

; qm ce m'est pas ce combat qu'elle désapprouve,<br />

mais <strong>la</strong> manière dont U se termine, et que<br />

eétd <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux équité <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>meure <strong>de</strong>vait raismmabkmerd<br />

succomber.<br />

Je ne sais pas si cette victoire eût été bien raisonnable;<br />

mais je suis sûr qu'elle n'était point <strong>du</strong> tout<br />

théâtrale y a que, si Corneille eût pris ce parti,<br />

l'Académie ne lui aurait jamais fait l'honneur <strong>de</strong> le<br />

critiquer* M'oublions pas qu'il y a dans le cœur <strong>de</strong><br />

tous les hommes un fonds <strong>de</strong> justice naturelle, et<br />

que c'est elle qui dirige secrètement toutes les impressions<br />

qu'ils reçoîvent au spectacle ; c'est sur ce<br />

premier fon<strong>de</strong>ment que repose <strong>la</strong> morale <strong>du</strong> théâtre î<br />

9 Mérmser.<br />

Il y a <strong>de</strong>ux manières <strong>de</strong> s'intéresser au théâtre :<br />

l'une consiste à désirer le bonheur <strong>de</strong>s personnages<br />

qu'on aime, comme dans Maïm et dans k CM;<br />

l'autre f à p<strong>la</strong>indre l'infortune <strong>de</strong> ceux qu'on excuse ,comme<br />

dans Phèdre et SéwÉtmwdê : et ces <strong>de</strong>ux<br />

sources d'intérêt sont également fécon<strong>de</strong>s, quoique<br />

<strong>la</strong> première soit k plus heureuse.<br />

Appliquons maintenant au CM ces principes <strong>de</strong><br />

justice universelle* et afouons qu'au fond t les spectateurs<br />

ne font pas le moindre reproche à Rodrigue 9<br />

et conséquemment désirent son bonheur. Orv le<br />

poëte a toujours raison quand il se eof£fonne aux<br />

dispositions secrètes <strong>de</strong>s spectateurs f et il ne leur<br />

dép<strong>la</strong>tt jamais tant que quand il les tromp. Le €id<br />

a tué le père <strong>de</strong> Chimène9 il est frai ; mais il le <strong>de</strong>fait;<br />

mais elle-même en convient ; mais il a sau?é<br />

l'État; mais il a rainée et désarmé le champion qui<br />

avait pris querelle pour Chimène; mais le roi n 9 a<br />

permis ce combat qu'à condition qu'elle recevrait <strong>la</strong><br />

main <strong>du</strong> vainqueur : combien <strong>de</strong> contre-poids qui<br />

ba<strong>la</strong>ncent le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> fille! Cependant <strong>la</strong> décence<br />

ne permet pas qu'elle accepte <strong>la</strong> main d'un homme<br />

qui f dans le mime jour, a tué son père : elle <strong>la</strong> refmm<br />

donc; mais elle ne dit pas qu'elle <strong>la</strong> refusera<br />

toujours. La bienséaneeest satisfaite ; le spectateur,<br />

à qui l'on permet d'espérée le bonheur im Cid9 ffea<br />

va content f et le poète a raison.<br />

Je ne me seras pas permis d'insister sur Fapologie<br />

d'un ouvrage que9 dans sa naissance f le public dé»<br />

fendit contre l'Académie, et dont le temps a consacré<br />

les beautés, si ce n'avait été une occasion <strong>de</strong><br />

dévelooper une théorie qui peut être <strong>de</strong> quelque utilité,<br />

et foire oonnattse sous quel point <strong>de</strong> tue U fout


considérer rartdramatique. C'est à quoi peut sertir<br />

principalement l'analyse <strong>de</strong>s ouwages célèbres <strong>de</strong>puis<br />

longtemps appréciés. Concluons que dans te<br />

Cid le choix <strong>du</strong> sujet que fou a blâmé est un <strong>de</strong>s plus<br />

grands mérites <strong>du</strong> poète. C'est , à mou gré t le plus<br />

beau, le plus intéressant que Corneille ait traité.<br />

Qu'il Fait pris à Guillem <strong>de</strong> Castro, peu importe :<br />

on ne saurait trop répéter que prendre ainsi aux<br />

étrangers ou aux anciens pour enrichir sa nation 9<br />

sera toujours un sujet <strong>de</strong> gloire f et non pas <strong>de</strong> reproche.<br />

Mais ce mérite <strong>du</strong> sujet est-il le seul ? J'ai parlé<br />

<strong>de</strong> l'a beauté <strong>de</strong>s situations : il faut y joindre celle <strong>de</strong>s<br />

caractères. Le sentiment <strong>de</strong> l'honneur et l'héroïsme<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> chef aierie respirent dans le fieux don Diègue<br />

et dans son ils 9 et ont dans chacun d'eui le caractère<br />

déterminé par <strong>la</strong> différence d'âge. Le rôle <strong>de</strong><br />

Chimène, en général noble et pathétique, .tombe<br />

<strong>de</strong> temps en temps dans <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>mation et le faux<br />

esprit, dont <strong>la</strong> contagion s'étendait encore jusqu'à<br />

Corneille, qui commençait le premier à en purger le<br />

théâtre; mais il offre les plus beaux traits <strong>de</strong> passion<br />

qu'ait fournis à l'auteur <strong>la</strong> peinture <strong>de</strong> l'amour,<br />

à <strong>la</strong>quelle il semble que son génie se pliait difficilement,<br />

lissent d'ailleurs trop connus pour les rappeler<br />

ici. Je ne m'arrêterai p<strong>la</strong>t non plus à discuter quelques<br />

autres observations <strong>de</strong> l'Académie, que je ne<br />

crois pas plus fondées que celle qu'on rient <strong>de</strong> ?oir»<br />

et qui parient <strong>du</strong> mène principe d'erreur. Celles qui<br />

portent sur <strong>la</strong> partie dont ce tribunal défait le mieux<br />

juger, <strong>la</strong> diction, ne sont pas non plus à l'abri <strong>de</strong><br />

tout reproche, et marquent une application trop<br />

rigoureuse <strong>de</strong> <strong>la</strong> grammaire à <strong>la</strong> poésie. Je me bornerai<br />

à <strong>de</strong>ux exemples :<br />

Mmmm.qm mon htm m put ptas tccfaelr,<br />

Je te raceti an tien pour venger et punir.<br />

Ces <strong>de</strong>ux fers sont admirables. En ?oid <strong>la</strong> critique<br />

:<br />

« Venger eipmir est trop Tape; car en ne sait qui<br />

ielf être vengé ou qei icft être puni. »<br />

J'ose croire cette'critique mal fondée, et je louerai<br />

ces <strong>de</strong>ux fers précisément par ce qu'on y censure.<br />

D'abord le sens est c<strong>la</strong>ir : qui peut se méprendre<br />

sur ce qu'on doit venger et sur ce qu'on doit punir I<br />

Mais ce qui me paraît digne <strong>de</strong> louange, c'est cette<br />

précision rapi<strong>de</strong> qui est arare <strong>de</strong>s mots, parce que<br />

<strong>la</strong> f engeance est avare <strong>du</strong> temps. Venger eipmir :<br />

meur§ m tue : voilà les mots qui se précipitent dans<br />

<strong>la</strong> bouche d'un homme furieux : il tendrait n'en pas<br />

dire d'autres.<br />

ïm moments sont trop chefs pour Ici perdra ce paroles,<br />

dit don Diègue en ce mime moment; et c'est pour<br />

ce<strong>la</strong> qu'il les ménage. *<br />

CMte ar<strong>de</strong>ur ipi daw les yeux Je port»,<br />

Sa§s-teiiQA€Mi@n§«ig?liMli4ii? •<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSŒ. 471<br />

« Une mêem m peut être appelée mmg par métapëior*<br />

ni iitrcnesL »<br />

J'en doute t Ton dirait fort bien : Cette ar<strong>de</strong>ur<br />

que j'ai dans les yeux, mon père me l'a transmise<br />

arec son sang; et, par une figure très-connue, en<br />

mettant <strong>la</strong> cause pour l'effet, je dirais : Cette ar<strong>de</strong>ur<br />

que mm me voyez, c'est le sang <strong>de</strong> mon père; et<br />

tout le mon<strong>de</strong> m'entendrait. Cette critique est trop<br />

vétilleuse.<br />

Au reste, rien ne fait plus d'honneur à l'Académie<br />

, et ne rachète mieux ses erreurs, alors très-parlonnables,<br />

que <strong>la</strong> manière dont elle s'exprime en<br />

<strong>la</strong>issant un Ira?ail dont elle ne s'était chargée qu'atec<br />

<strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> répugnance.<br />

« La fâiéneiim <strong>de</strong>s passions, <strong>la</strong> force et M délicatesse<br />

<strong>de</strong>s panées 9 et cet agrément inexplicable qui se mêle dans<br />

tous les défauts <strong>de</strong> €id, lui ont acquis ea rang ccasiêé*<br />

ntoSeentre les priâtes français <strong>de</strong> ce genre. Si si» auteur<br />

ne doit pas toute ta répétât»! à mm mérite, M ne h ici<br />

pas fente à sas bonheur; et <strong>la</strong> cetera M s été assez IIbérali<br />

peur excuser <strong>la</strong> fortune, si elle lui a été prodigue. *<br />

C'est beaucoup qu'un pareil témoignage, si l'on<br />

songe au cardinal <strong>de</strong> Richelieu; c'est trop peu, si<br />

l'on considère <strong>la</strong> disproportion immense entre Corneille<br />

et tout ce qu'on lui opposait. Mais quel est<br />

l'artiste à qui l'on donne d'abord le rang qui lui est<br />

dû! Non-seulement le caractère <strong>de</strong> l'esprit humain<br />

s'y oppose, on pourrait mime dire que cette justice<br />

tardif e est en quelque'sorte fondée en raison. Nos<br />

jugements sont si incertains, si sujets à l'erreur,<br />

qu'Os ont besoin <strong>de</strong> <strong>la</strong> sanction <strong>du</strong> temps ; et ce seul<br />

motif, sans parler <strong>de</strong> tous les autres, suffit pour rappeler<br />

sans cesse à l'homme d'un talent supérieur<br />

cette sentence <strong>de</strong> Yoltaire :<br />

« L'or et <strong>la</strong> boue suit confon<strong>du</strong>s pendant <strong>la</strong> fie <strong>de</strong>s artistes,<br />

et <strong>la</strong> mort les sépare. *<br />

Le sujet <strong>de</strong>s Homees, qu'entreprit Corneille après<br />

celui <strong>du</strong> Cid, était bien moins heureux et bien plus<br />

difficile à manier. 11 ne s'agit que d'un combat, d'un<br />

é?énemest très-simple, qu'à <strong>la</strong> f érité le nom <strong>de</strong><br />

Rome a ren<strong>du</strong> fameux, mais dont II semble impossible<br />

<strong>de</strong> tirer une fable dramatique. Cest aussi, <strong>de</strong><br />

tous les oufrages <strong>de</strong> Corneille, celui où il a dû le<br />

plus à son génie. Ni les anciens ni les mo<strong>de</strong>rnes ne<br />

lui ont rien fourni : tout est <strong>de</strong> création. Les trois<br />

premiers actes, pris séparément, sont peut-être,<br />

malgré les défauts qui s'y mêlent, ce qu'il a fait <strong>de</strong><br />

plus sublime, et en même temps c'est là qu'il a mis<br />

le plus d'art. Fontenelle, dans ses Réflexions MUT<br />

tJrê poétique, dont le principal objet est l'éloge<br />

<strong>de</strong> Corneille et <strong>la</strong> critique <strong>de</strong> Racine, a très-hiee<br />

dé?eloppé cet art employé par l'auteur <strong>de</strong>s Homem<br />

pour pro<strong>du</strong>ire <strong>de</strong> <strong>la</strong> variété et <strong>de</strong>§ pspsswns dans


478<br />

une situation qui est m oUo-méme tl simple, et qui<br />

tient à un seul étalement, à l'issue d f un combat. 11<br />

faut l'entendre; car, malgré sa partialité ordinaire,<br />

tout ce qu'il dit eu cet endroit est très-frai.<br />

« les trois Horaces combattent pour loue, les trois<br />

COUS Dl UTTÉRATUBE.<br />

Curitees pour àMm : <strong>de</strong>ux Horaces sont tués, et te troisième,<br />

qioiifee resté seul 9 trouve moyen <strong>de</strong> vaincre les trois Curiaces;<br />

vo» ce que l'histoire fournit. Que Fou examine<br />

quels ©raeinents, et eombieu d'ornements différants, le<br />

poète j a Restés : plus os rexamiiiera9 plus en eu sera<br />

surpris. D fiât les Horaces et les Cannées «Oies et prêts I<br />

s'aller encore. L'un <strong>de</strong>s Horaces a épousé Sabine» sœur<br />

<strong>de</strong>s Curiaces, et l'un <strong>de</strong>s Coriaces aime Camille, sœur<br />

<strong>de</strong>s Horaces. Lorsque le théâtre s'ouvre, Albe et Rome<br />

•ont eu guerre, et ee jeur-Sà même il se doit donner une<br />

tataUle dédsite. Sabine se p<strong>la</strong>int d'avoir ses frères dans<br />

une armée et son mari dans l'antre, et <strong>de</strong> n f être en état<br />

<strong>de</strong> se réjouir <strong>de</strong>s succès <strong>de</strong> l'un ni <strong>de</strong> l'autre parti. Camille<br />

espérait <strong>la</strong> pak ce Jour-là même» et croyait <strong>de</strong>voir<br />

épouser Curiaee, sur <strong>la</strong> foi d'un oracle qui lui avait été<br />

ren<strong>du</strong> ; mais nn songe a renouvelé ses craintes. Cependant<br />

sur le point <strong>de</strong> donner bataille, ont eu horreur <strong>de</strong> taat le<br />

sang qui s'al<strong>la</strong>it répandre 9 et ont résa<strong>la</strong> <strong>de</strong> finir cette gnerre<br />

par un combat <strong>de</strong> trois contre trois, et qu'en attendant ils<br />

ont fait nue trêve. Camille reçoit avec transport une si heu­<br />

reuse nouvelle, et Sabine ne doit pas être moins contente.<br />

Ensuite les trois Horaeea sont choisis pour être les combattants<br />

<strong>de</strong> Bouts, et Curtace les féicite <strong>de</strong> cet honneur,<br />

et se p<strong>la</strong>int en même temp <strong>de</strong> ee qs'fl font que ses beaufrères<br />

périssent, ou qo'âlbe, sa ptrf«f soit sujette <strong>de</strong> Rome.<br />

Mais quel redoublement <strong>de</strong> douleur pour lui, quand il apprend<br />

que ses <strong>de</strong>ux frères et lui sont choisis pour être les<br />

combattants d f Hbe ! Quel trouble recommence entre tous<br />

les personnages ? La guerre n'était pas si terribie pour eux.<br />

Sabine et Camille sont plus a<strong>la</strong>rmées que jamais. Il fout<br />

que fun per<strong>de</strong> ou son mari ou ses frères , l'autre ses frères<br />

eu son amant, et ce<strong>la</strong> par les mains les nus <strong>de</strong>s autres.<br />

Les combattants eu-mêmes sont émus et attendris : cependant<br />

M fout partir, et Us vont sur.le champ <strong>de</strong> bataille.<br />

Quand les <strong>de</strong>ux armées les Tassât s elles ne peu?ent souirir<br />

que <strong>de</strong>s personnes si proches combattent ensemble ; et l'on<br />

fait un sacrifice pour savoir <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong>s dieux. L'espé-<br />

rance renaît dans le cœur <strong>de</strong> fSaMne ; mais CamUle n'augure<br />

rien <strong>de</strong> bon. On leur vient dire qu'il n'y a plus rien à esaé»<br />

tants sont au mains. Neuf eau désespoir, trouble nfasgrand<br />

que jamais. Ensuite vient <strong>la</strong> nouvelle que <strong>de</strong>ux Horaces<br />

•ont tués, le troisième en Mie,et les trois Curiaces mat»<br />

très <strong>du</strong> champ <strong>de</strong> bataille. CamiMe regrette ses <strong>de</strong>ux frères,<br />

et a une joie secrète <strong>de</strong> ce que son amant est vivant et<br />

vainqueur : Sabine, qui ne perd ni ses frères ni son mari f<br />

est contente, mais le père <strong>de</strong>s Horaces, uniquement touché<br />

<strong>de</strong>s intérêts <strong>de</strong> Borne, qui va être sujette d'Aibe, et<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> honte qui rejaillit sur loi par <strong>la</strong> fuite <strong>de</strong> sou ils, jure<br />

fa'ifepaaiaifesalê^<br />

mains; ce qui redonne une nouvelle inquiétu<strong>de</strong> è Sabine.<br />

Mais ou apporte enfin ai vieil Horace une non?elle toute<br />

U s'est servi pour vaincre les trois Curiaces, qui sont <strong>de</strong>meurés<br />

morts sur le champ <strong>de</strong> bataille. Rien n'est plus admirable<br />

que <strong>la</strong> manière dont cette action est menée : on<br />

n'en trouvera, m' Torigin&l eues les anciens» ni k copie<br />

chea les mo<strong>de</strong>rnes. »<br />

Rien n'est ping juste : tontes ces alternatives <strong>de</strong><br />

douleur et <strong>de</strong> joie, d'espérance et <strong>de</strong> crainte, sont<br />

fisse <strong>de</strong> 1a tragédie, et sont tel <strong>de</strong> Finvention <strong>de</strong> Corneille.<br />

Sur cet exposé, Fon croirait que <strong>la</strong> pièce est<br />

parfaite : il s'en faut pourtant <strong>de</strong> beaucoup ; et Fauteur<br />

lui-même en convient avec cette noble ean<strong>de</strong>nr<br />

qui ajoute à <strong>la</strong> gloire <strong>du</strong> talent en contribuant su<br />

progrès <strong>de</strong> Fart et à Finstruetion <strong>de</strong>s artistes. Fontanelle,<br />

qui l'est pas tout à fait <strong>de</strong> si bonne foi, a<br />

ici nn petit tort assez commun, soit qu'on veuille<br />

louer, soit qu'on veuille blâmer ; e 9 est <strong>de</strong> ne <strong>mont</strong>rer<br />

qu'un celé <strong>de</strong>s objets. En effet, d'où vient que Val»<br />

taire, dont les observations s'accor<strong>de</strong>nt jusqu'ici<br />

avec celles <strong>de</strong> Fontenelle, et qui, <strong>de</strong> plus, prie <strong>de</strong>s<br />

beautés <strong>de</strong> détail aveo cet enthousiasme d'admiration<br />

et ce sentiment profond qui n'appartient qu'à<br />

un grand artiste, Huit cependant par condore en<br />

termes eiprès que le sujet <strong>de</strong>s Horaces m'êtmU pm<br />

foMp@Mt k théâtre t C'est qu'il considère l'ensemble<br />

dont Fontenelle n'avait considéré que quelques<br />

parties. Et d'abord, tout ce que nous venons <strong>de</strong> voir<br />

ne forme que trois actes, et finit an commencement<br />

<strong>du</strong> quatrième. La pièce est donc terminée. Le sujet<br />

est rempli. Il s'agissait <strong>de</strong> savoir qui l'emporterait<br />

<strong>de</strong> Rome ou d'Ali» : les Coriaces sont morts; Horace<br />

est vainqueur ; tout est consommé. Ce qui suit<br />

forme non-seulement <strong>de</strong>ui autres pièces, ce qui est<br />

un vice capital, mais, par un effet malheureusement<br />

rétroactif, nuit beaucoup à <strong>la</strong> première, en ternissant<br />

k caractère qu'on vient d'admirer, et en rendant<br />

odieui gratuitement le personnage d'Horace,<br />

qui avait excité <strong>de</strong> l'intérêt. L'une <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux actions<br />

ajoutées à Faction principale est 1e meurtre do<br />

Camille, qui est atroce et Inexcusable; l'autre est le<br />

péril d'Horace mis en jugement, et accusé <strong>de</strong>vant<br />

k roi par un Valère qu'on n'a pas encore vu dans<br />

<strong>la</strong> pièce : et cette <strong>de</strong>rnière action est Infiniment moins<br />

attachante que <strong>la</strong> première, parce qu'on sent trop<br />

bien qu'Horace, qui vient <strong>de</strong> rendre un si grand Service<br />

à sa patrie, ne peut pas être condamné. Ces<br />

trois actions bien distinctes, qui, ne pouvant m<br />

lier, ne peuvent que se nuire, composent un tout<br />

extrêmement vicieux ; et il est bien sûr que, sans le<br />

juste respect que Fon a pour le nom <strong>du</strong> père <strong>du</strong><br />

théâtre, on n'entepdrait pas ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers actes,<br />

aussi inférieurs aux trois premiers qu'ils en sont<br />

indépendants.


SIÈCLE Bl WMJ1S XIV. — FOÉm<br />

Mais <strong>du</strong> nioini fauteur, en se ré<strong>du</strong>isant à et» trois<br />

actes, pouvait-il faire un tout régulier? Je M le<br />

crois pas, car il n'y avait pas <strong>de</strong> dénoûraent possible<br />

; et c'est ici qu'il faut eiaminer le côté <strong>de</strong>s objets<br />

fus n'a pas présenté Fontendlc. Nous y verrons<br />

que les ressources si ingénieuses qu'a trouvées Corneille<br />

pour relever <strong>la</strong> simplicité <strong>de</strong> son sujet ont un<br />

grand inconvénient : c'est <strong>de</strong> mettre <strong>de</strong>s personnages<br />

principaui dans une situation dont il ne peut<br />

les tirer heureusement. Car je suppose qu'il voulût<br />

inir à <strong>la</strong> victoire d f Horace, comme <strong>la</strong> nature <strong>du</strong> sujet<br />

le lui prescrivait, que <strong>de</strong>viendra cette Camille,<br />

qui vient <strong>de</strong> perdre son amant? Cest un principe<br />

convenu que le dénoûment doit déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> l'état<br />

<strong>de</strong> tous les personnages d'une manière satisfaisante.<br />

Que Étire <strong>de</strong> Camille? La <strong>la</strong>isser résignée à son malheur<br />

était bien froid, etf <strong>de</strong> plus, contraire à l'histoire<br />

qui est si connue. La tuer flétrit le caractère<br />

d'Horace, et, <strong>de</strong> plus, commence nécessairement<br />

une secon<strong>de</strong> action ; car on ne peut pas inir <strong>la</strong> pièce<br />

par un meurtre si révoltant. Et Sabine ? Elle n'est<br />

pas si importante que Camille : mais U faut donc k<br />

<strong>la</strong>isser aussi pleurant ses trois frères? Bien <strong>de</strong> tout<br />

ce<strong>la</strong> ne comporte un dénoûment convenable, et<br />

quoiqu'il y ait <strong>de</strong> Farta mettre les personnages dans<br />

<strong>de</strong>s situations difficiles, cet art ne suffit pas; l'essentiel<br />

est <strong>de</strong> savoir les en foire sortir. Corneille,<br />

n'en trouvant pas le moyen, a pris le parti <strong>de</strong> suivre<br />

jusqu'au bout toute l'histoire d'Horace, sans se<br />

mettre en peine <strong>de</strong> <strong>la</strong> multiplicité d'actions. Ce ne<br />

frit pas ignorance <strong>de</strong>s règles ; elles étaient connues,<br />

et il avait observé l'unité d'objet dans le CM, et<br />

mime à peu près celle <strong>de</strong> temps et <strong>de</strong> lieu : ce fut<br />

impossibilité <strong>de</strong> faire autrement ; et c'est pour ce<strong>la</strong>,<br />

sans doute, que son illustre commentateur pense<br />

que ce sujet ne pouvait pas fournir une tragédie.<br />

Ce n'est pas tout, et voici ce que Fontanelle, en<br />

louant l'invention <strong>de</strong>s personnages <strong>de</strong> Sabine et <strong>de</strong><br />

Camille, n'a pas vu ou n'a pas voulu voir. Ces <strong>de</strong>ux<br />

rôles f que Fauteur a imaginés pour remplir le vi<strong>de</strong><br />

<strong>du</strong> sujet 9 ne <strong>la</strong>issent pas <strong>de</strong> le foire sentir quelquefois<br />

, même dans ces trois premiers actes si admirables<br />

d'ailleurs. Ils occupent <strong>la</strong> scène, mais plus<br />

d'une fois ils <strong>la</strong> font <strong>la</strong>nguir; enfin, ib n'eicitent<br />

guère qu'un intérêt <strong>de</strong> curiosité. Cette <strong>la</strong>ngueur se<br />

fait sentir dès les premières scènes; par «ample,<br />

lorsque Sabine, après avoir ouvert <strong>la</strong> pièce avec sa<br />

eonf<strong>de</strong>nte Julie, <strong>la</strong> quitte, sans aucune raison apparente,<br />

en voyant paraître Camille, ettit à celle-ci :<br />

Ma mu, «tntenes <strong>la</strong>ie ;<br />

lorsque Camille dit à cette coni<strong>de</strong>nte<br />

Qu'eut a tort ie vouloir que Je wmm éntreltauMl<br />

47§<br />

Il est reconnu que <strong>de</strong>s personnages dramatiques<br />

ne doivent pas venir sur <strong>la</strong> théâtre uniquement pour<br />

aVftJreleftff, et que chaque scène doit avoir un motif.<br />

Ce défaut est encore plus sensible au troisième<br />

acte f que Sabine commence par un monologue inutile,<br />

et dans <strong>la</strong> quatrième scène <strong>de</strong> ce mène acte,<br />

où Sabine et Camille disputent à qui <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux est<br />

<strong>la</strong> plus malheureuse.<br />

Quand U tant que Pan meve t et pu les nialos <strong>de</strong> faille,<br />

Ceit on rmmmmmmmi Mm maovali qm te vôtw.<br />

Il est c<strong>la</strong>ir que cas raisonnements sont nécessairement<br />

froids f et qu'une sueur et une amante ,*pendant<br />

que lejfrère et l'amant sont aux mains, doivent<br />

foire autre chose que màswmer* On sent ici te côté<br />

faible <strong>du</strong> sujet. Sabine, quoique plus liée à l'action<br />

que l'Infante <strong>du</strong> dd9 quoique dans <strong>la</strong> première scène<br />

elle dise <strong>de</strong> très-belles choses, est pourtant un râle<br />

purement pssïf, et qui ne sert essentiellement à<br />

rien. Ma ne peut que s'affliger <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre qui sépare<br />

les <strong>de</strong>ux familles, et Ton est trop sûr qu'elle<br />

n'empêchera pas son époux Horace d'aller au combat<br />

, et que Camille n'aura pas plus <strong>de</strong> pouvoir sur<br />

Curiaet son amant. Le caractère <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux guerriers<br />

est trop prononcé pour qu'on puisse en douter.<br />

Les voilà donc ré<strong>du</strong>ites à attendre l'événement sans<br />

pouvoir y isiuer en rien ; et toutes les fois que fon<br />

établit sur <strong>la</strong> scène un combat d'intérêts opposés,<br />

c'est un principe <strong>de</strong> l'art que l'issue en doit être douteuse,<br />

et que les contre-poids réciproques doivent<br />

se ba<strong>la</strong>ncer <strong>de</strong> manière qu'un ne sache qui <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

l'emportera. Quand Sabine vient proposer à son frère<br />

et à son mari <strong>de</strong> lui donner <strong>la</strong> tnort, et qu'elle leur<br />

dit:<br />

Qu'un ie ¥«» <strong>de</strong>ux rua tua, et que Fantra me veap,<br />

on sait trop qu'ils ne feront ni l'un ni l'autre. Ce<br />

n'est donc qu'une vaine déc<strong>la</strong>mation ; car Sabine ne<br />

doit pas plus le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r qu'ils ne doivent le faire :<br />

c'est un remplissage amené par <strong>de</strong>s sentiments peu<br />

naturels.<br />

D'un autre côté, l'a<strong>mont</strong> dé Camille, dans ces<br />

trois premiers actes, ne saurait pro<strong>du</strong>ire un grand<br />

effet. Pourquoi ? D'abord, c'est qu'il est exprimé aa»<br />

sei faiblement; ensuite 9 c'est que les <strong>de</strong>nt Horaces,<br />

et surtout le père, <strong>du</strong> moment qu'ils pnûssent,<br />

ont unegran<strong>de</strong>ur qui efface tout, et s'emparent <strong>de</strong><br />

tout l'intérêt.Tel est le coeur humain : quand il est<br />

fortement rempli d'un objet, il n'y a plus <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce<br />

pour tout le reste ; et c'est sur cette gran<strong>de</strong> vérité,<br />

dé<strong>mont</strong>rée par l'expérience, qu'est fondé ce principe<br />

d'unité qu'os a si ridiculement combattu, comme-<br />

" si c'eêt été une convention arbitraire, et non pas<br />

le vew <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature. Transportons-nous au théâtre;


GOCRS Dl LfTTÉRÂTtJBE.<br />

480<br />

mettons-nous an moment où Horace et Curiaee,<br />

•près daller combattre, sont avec Sabine et Camille,<br />

qui font <strong>de</strong> vains offerts pour les retenir : voyons<br />

arriver le vieil Horace :<br />

Qu'est eeel, HéB enfants? &ûntes-?iMii fut famines?<br />

Et per<strong>de</strong>s-voua eneor te temps mm <strong>de</strong>s femmes?<br />

• Pféti.àf«Eierdiiia!igfregaidia-¥0îisd€spSeîiîi?<br />

ïïwjm , et MaÊMrlm déplorer i«ut maUmn.<br />

Dès cet instant, Sabine et Camille ne sont plus rien.<br />

.On ne voit plus que Rome f on n'entend pins que le<br />

vieil Horace. Les <strong>de</strong>ux femmes sortent sans qu'on<br />

y <strong>la</strong>sse attention; et, lorsque le lieux Romain interrompt<br />

les adieux <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux Jeunes guerriers par<br />

ces vers,<br />

Ai ! s'attendît!» point id met sentiments.<br />

Pour TOI» eneôiif«§sr, ma voix masqua <strong>de</strong> termes :<br />

Mon eœur M forme point <strong>de</strong> pensas assez fermes;<br />

Mol-même, en est adieu, fat les <strong>la</strong>rmes aux yetu.<br />

Fait» votre <strong>de</strong>voir, et <strong>la</strong>isses Mm au dieux.<br />

cette <strong>la</strong>rme paternelle qui tombe <strong>de</strong>s yeux <strong>de</strong> ï'in-<br />

Ëexible irieil<strong>la</strong>rd touche cent fois plus que les p<strong>la</strong>intes<br />

superflues <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux femmes. On reconnaît <strong>la</strong><br />

vérité <strong>de</strong> ce qu'a dit Voltaire 9 que f amour n'est<br />

point fait pour <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce. On est enchanté<br />

qu'un critique tel que lui, aussi grand juge que grand<br />

modèle, ren<strong>de</strong> à Corneille ce témoignage.<br />

« f-m cherché dans ions les an<strong>de</strong>ns et dans tous les<br />

théâtres étrangers eue sjtoalion patw1fe,impsiieUiiié<strong>la</strong>imjB<br />

<strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur d'âm@9 <strong>de</strong> douleur et <strong>de</strong> Wenséanet, et Je m<br />

l'ai point trouvé. »<br />

Cest ce rôle étonnant et original <strong>du</strong> viral Horace,<br />

c'est le beau contraste <strong>de</strong> ceux d'Horace le ils et<br />

<strong>de</strong> Curiaee s qui pro<strong>du</strong>it tout l'effet <strong>de</strong> ces trois premiers<br />

actes; ce sont ces belles créations <strong>du</strong> génie<br />

<strong>de</strong> Corneille qui couvrent <strong>de</strong> leur éc<strong>la</strong>t les défauts<br />

mêlés à tant <strong>de</strong> beautés, et qui, malgré le horsd'œuvre<br />

absolu, <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong>rniers actes, et <strong>la</strong> froi<strong>de</strong>ur<br />

inévitable qui en résulte; malgré le meurtre<br />

<strong>de</strong> Camille, si peu tolérable et si peu fait pour <strong>la</strong><br />

scène, y conserveront toujours cette pièce, moins<br />

comme une belle tragédie que comme un ouvrage<br />

qui, dans plusieurs parties, fait honneur à l'esprit<br />

humain, en <strong>mont</strong>rant jusqu'où il peut s'élever sans<br />

aucun modèle et par l'é<strong>la</strong>n <strong>de</strong> sa propre force. Un<br />

sentiment intérieur et irrésistible, plus fort que<br />

toutes les critiques, nous dit qu'il serait trop injuste<br />

<strong>de</strong> ne pas pardonner, même les plus gran<strong>de</strong>s fautes,<br />

à un honunequi tnontaitsi haut en créant à <strong>la</strong> fois<br />

<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue et le théât». On peut bien l'excuser, lorsque,<br />

emporté par unwl si hardi, il ne songe pas<br />

même comment il pourra s'y soutenir. I tombe, il<br />

est vrai, mais ce n'est pas comme ceux qui n'ont<br />

fait que <strong>de</strong>s efforts inutiles pour s'élever; il tombe<br />

kpràs qu'on fa per<strong>du</strong> <strong>de</strong> vue, après qu'il est resté<br />

lingtemp i une hauteur où personne n'avait at-<br />

teint. Des juges sévères, en trouvant tout simple<br />

que l'admiration qu'il inspirait ait entraîné les esprits,<br />

dans <strong>la</strong> nouveauté <strong>de</strong> ses ouvrages et dans les<br />

premiers beaux jours qu'il it luire sur <strong>la</strong> France,<br />

s'étonnent que longtemps après, lorsque l'art fut<br />

perfectionné et que le théâtre français eut <strong>de</strong>s<br />

ouvrages ininimest plus achevés que les siens, le<br />

nombre et <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> ses fautes n'aient pas nui à<br />

l'impression <strong>de</strong> ses beautés. Us attribuent cette<br />

in<strong>du</strong>lgence à <strong>la</strong> seule vénération qui est <strong>du</strong>e à son<br />

nom : je crois qu'il y en a une autre raison plus puissante.<br />

Bans un siècle où le goût est formé, on voit<br />

toujours avec une curiosité mêlée d'intérêt ces monuments<br />

anciens, sublimes dans quelques parties,<br />

et imparfaits dans l'ensemble, qui appartiennent i<br />

<strong>la</strong> naissance <strong>de</strong>s arts. La représentation <strong>de</strong>s pièces<br />

<strong>de</strong> Corneille nous met à <strong>la</strong> fois sous les yeux et son<br />

génie et son siècle. f C'est pour nous un double p<strong>la</strong>isir<br />

<strong>de</strong> les voir en présence, et <strong>de</strong> juger ensemble<br />

l'un et l'autre. Ses beautés marquent le premier,<br />

ses défauts rappellent le second. Celles-là nous disent,<br />

Voilà ce qu'était Corneille; ceux-ci, Voilà ce<br />

qu'étaient tous les autres.<br />

Qu'on ne craigne donc point, par un intérêt mal<br />

enten<strong>du</strong> pour sa gloire, <strong>de</strong> voir relever <strong>de</strong>s défauts<br />

qui ne <strong>la</strong> ternissent point. Elle est protégée par le<br />

sentiment légitime <strong>de</strong> l'orgueil national, qui revendiquera<br />

dans tous les temp le nom <strong>de</strong> cet homme<br />

extraordinaire, comme un <strong>de</strong> ses plus beaux titres<br />

d'illustration.<br />

Nous n'en sommes encore qu'à son trèisième ouvrage;<br />

et quoique k$ Mormcêê forment un tout infiniment<br />

plus défectueux et plus irrégulier que le CM;<br />

quoique l'auteur n'y remplisse pas à beaucoup près<br />

<strong>la</strong> carrière <strong>de</strong> cinq actes, il y a pourtant f si l'on considère<br />

<strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s beautés, us progrès dans son<br />

talent. Celles <strong>du</strong> Orf ne sont pas d'un ordre si relevé<br />

que celles <strong>de</strong>s fforoces : c'est ici qu'il atteignit au<br />

plus haut <strong>de</strong>gré <strong>du</strong> sublime, et <strong>de</strong>puis il n'a pas été<br />

au <strong>de</strong>là, pas même dans Cimta. J'ai parlé <strong>du</strong> Qu'U<br />

fmmrM en expliquant le Traité <strong>de</strong> Longin : et comment<br />

ne Faurais-je pas cité, puisqu'il s'agissait <strong>de</strong><br />

sublime! Je n'y ajouterai rien aujourd'hui que <strong>la</strong><br />

note qu'on trouve à cet endroit dans le Commets<br />

Mre <strong>de</strong> Voltaire:<br />

« Voilà ce fameux Qu'il mmirÉt, m trait <strong>de</strong> plus<br />

grand sublime, es mot auquel il n'en est mmm et comparable<br />

dans toute ramtiqnité. Tout l'auditoire fut si transporté<br />

» qu'on attendit jamais le «an «Me pi M» : et te<br />

ëmî^AkêB^âmrfw^smÉàmmmUMmàm Qu'il<br />

mmtréL Due <strong>de</strong> beautés! et «Toi aaiajsnMtosrd^M


utopie méprise trèsnistanlle, sans compUcition d'événements,<br />

sans mmm intrigue imberehée, sans aucun effort.<br />

H | « d'astres beautés tragiques ; mais celle-là est eu premier<br />

rang. »<br />

j'oserai f à l'occasion <strong>de</strong> cette note, proposer lis<br />

ifls contraire k celui <strong>de</strong> ¥oltaire9 qui trente faible<br />

ee vers :<br />

Os qu'os beau désespoir êtes te Mourut.<br />

Je sais que c f est l'opinioa commune; mais est-elle<br />

bien fondée? Je s'appelle faible que ce qui est au<strong>de</strong>ssous<br />

<strong>de</strong> ce qu'on doit sentir ou exprimer. Or9 je<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> si, après ce cri fie patriotisme romain, Qu'ii<br />

mmtrût, on pouvait dire autre chose que ce que dit<br />

le vieil Horace* Sans doute/en jugeant par comparaison,<br />

tout paraîtra faible après le mot qui vient<br />

<strong>de</strong> lui échapper. Mais en ce cas , dès qu'on a été sublime,<br />

il faudrait se taire; car on ne peut pas l'être<br />

toujours, et sous avons vu <strong>de</strong>rnièrement dans Cicéron<br />

qu'il est insensé d'y prétendre. La nature, qoe<br />

Ton doit consulter en tout, eiige seulement que<br />

Ton suive Tordre <strong>de</strong>s idées qu'elle prescrit. Horace<br />

<strong>de</strong>vait-il s'arrêter sur le mot Qu'M mourût f II est<br />

beau pour un Romain « mais il est <strong>du</strong>r pour un père ;<br />

et Horace est à <strong>la</strong> fois l'un et l'autre : on vient <strong>de</strong><br />

le voir dans l'adieu paternel qu'il faisait tout à Prieure<br />

à son Ils. Quelle est donc l'idée qui doit suivre naturellement<br />

cet arrêt terrible d*un vieux républicain,<br />

Qu*M mmtrûêf C'est assurément <strong>la</strong> possibilité<br />

conso<strong>la</strong>nte que, même en combattant contre trois,<br />

en se résolvant à <strong>la</strong> mort, il y échappe cependant ;<br />

et après tout, est-il sans exemple qu'un seul homme<br />

en ait vaincu trois? Pourquoi dose Horace n'embrasserait-il<br />

pas cette idée, au moins un Instant?<br />

C'est Rome qui a prononcé Qu'ii mourût: c'est <strong>la</strong><br />

nature qui, ne renonçant jamais à l'espérance,<br />

ajoute tout <strong>de</strong> suite :<br />

On 011*111 beau désespoir aie» le secourut<br />

Je veux bien que Rome soit ici plus sublime que<br />

<strong>la</strong> nature : ce<strong>la</strong> doit être. Mais <strong>la</strong> nature n'est pas<br />

fmîèk quand elle dit ce qu'elle doit dire. Telles sont<br />

les raisons qui m'autorisent à penser que, non-seulement<br />

ee vers n'est pas répréhensible, mais même<br />

qu'il est assez heureux <strong>de</strong> l'avoir trouvé.<br />

Mais, en admirant dans le vieil Horace cette énergie<br />

entraînante, cette gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> sentiments qui<br />

<strong>la</strong>isse pourtant à <strong>la</strong> sensibilité paternelle ce qu'elle<br />

doit lui <strong>la</strong>isser, oublierons-nous ce que nous <strong>de</strong>vons<br />

d'éloges aux rôles <strong>de</strong> Cariaee et <strong>du</strong> jeune Horace si<br />

habilement contrastés? Le <strong>de</strong>rnier <strong>mont</strong>re partout<br />

cette espèce <strong>de</strong> rigidité féroce qui, dans les premiers<br />

temps <strong>de</strong> <strong>la</strong> république, en<strong>du</strong>rcissait tontes les vertus<br />

romaines t et qui convenait d'ailleurs à un guer-<br />

Lâ flâl?B. — TOUS I.<br />

SIÈCLE DE LOUIS X1Y. — POESIE. 4SI<br />

rier farouche, qu'on voit dans <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce<br />

répandre le sang <strong>de</strong> sa sœur, pour avoir fait entendre<br />

dans le bruit <strong>de</strong> sa victoire les emportements<br />

d'une amante malheureuse. Ceriaee, au contraire,<br />

fait voir une fermeté mesurée, et même douce, qui<br />

n'exclut point les sentiments <strong>de</strong> l'amour et <strong>de</strong> l'amitié.<br />

Cest avec cette opposition si belle et si dramatique<br />

que Corneille a fait un chef-d'œuvre <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

scène entre ces <strong>de</strong>ux guerriers ; et si l'oo oublie quelques<br />

fautes <strong>de</strong> diction, quels vers! quel style!<br />

HOEACB.<br />

Le sort qui <strong>de</strong> l'honneur nous ouvre <strong>la</strong> barrière<br />

Offre à notre constance une Illustre matière.<br />

Il épuise sa force à former an malheur,<br />

Pour mieux ee mesurer avec notre valeur;<br />

Et somme 11 ¥oit en nous <strong>de</strong>s âmes peu communes,<br />

Hors <strong>de</strong> Tordre commun 11 nous fait <strong>de</strong>s fortunes.<br />

Combattre on ennemi pour le salut <strong>de</strong> tous.<br />

Et contre un inconnu s'exposer seul aux coup,<br />

D'une simple ¥erlu c'est l'effet ordinaire;<br />

Mille <strong>de</strong>là Font fait, mille pourraient 1e faire•.<br />

Mourir pour son pays est un si digne sort.<br />

Qu'on briguerait en fouie une si belle mort.<br />

- Mais vouloir «si publie immoler ce qu'on aime ,<br />

S'attacher au combat contre un autre soi-même,<br />

Attaquer un parti qui prend pour défenseur<br />

Le frère d'une femme et l'amant d'une sœur,<br />

Et, rompant tous ces nœuds, s ? armer pour ia patrie '<br />

Contre un sang qu'on Tondrait racheter <strong>de</strong> sa ¥le,<br />

Une telle vertu n'appartenait qu'à nous.<br />

L'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> son grand nom lui fait peu <strong>de</strong> Jaloux,<br />

Et peu d'hommes au cœur l'ont assez imprimée<br />

Pour oser aspirer à tant <strong>de</strong> renommée.<br />

CUBIAGI.<br />

Pour moit Je Pose dire, et vous l'avez pu voir,<br />

le n'ai point consulté pour suivre mon <strong>de</strong>voir.<br />

Notre longue amitié, l'amour ni l'alliance<br />

N'ont pu mettre un moment mon esprit en ba<strong>la</strong>nce;<br />

Et puisque par ce choix Albe <strong>mont</strong>re en effet<br />

Qu'elle m'estime autant que Borné mus a fait,<br />

le crois faire pour elle autant que vous pour Rome;<br />

l'ai le cœur aussi bon : mais enfin Je suis homme,<br />

le vols que votre honneur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> tout mon sang;<br />

Que tout le mien consisté à vous percer le f<strong>la</strong>nc;<br />

Près d'épouser Sa sœur qull faut tuer le frère,<br />

Et que pour mon pays j'ai te §ort si emtrmm<br />

Encor qu'à mon <strong>de</strong>voir Je coure sans terreur,<br />

Mon cœur s'en effarouche, et J'en frémis d'norreur.<br />

Tal pitié <strong>de</strong> moi-même, et Jette un œil d'envto<br />

Sur ceux dont notre guerre a consumé <strong>la</strong> vie.<br />

Sans souhait toutefois <strong>de</strong> pouvoir reculer.<br />

Ce triste et 1er honneur m'émeut sans m'ébrasler.<br />

J'aime ce qull me donne, et Je p<strong>la</strong>ins os qull sfote;<br />

Et si Rome <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une vertu plus haute,<br />

le rends grâces aux dieux <strong>de</strong> n'être pas Romain,<br />

Pour conserver encor quelque chose d'humain.<br />

101A0»<br />

Si vous n'êtes Romain, soyez digne <strong>de</strong> l'être;<br />

Et si vous m'éga<strong>la</strong>, faite*»» ssleoi paraître.<br />

La solidt vertu émtje fsiê mmiM * *<br />

N'admet point <strong>de</strong> faiblesse avec sa fermeté;<br />

1 Voltaire blâme ce <strong>de</strong>uxième hémistiche, comme fait uniquement<br />

pour ia rime. l'avoue que cette espèce <strong>de</strong> répétition<br />

ne me choque point : elle me semble naturelle, amenée par<br />

le sens et par le ton <strong>de</strong> <strong>la</strong> phrase.<br />

• Il y a ici une sorte <strong>de</strong> contradiction dans les termes. On<br />

ne peut faire vanité <strong>de</strong> ce qui est soli<strong>de</strong>* il fal<strong>la</strong>it dmi je wm<br />

fais «n <strong>de</strong>voir, ou dont je fait gloire.<br />

m


48*<br />

Et c'est mal do l'honneur entrer dans <strong>la</strong> carrière $<br />

Que dès le premier pas regar<strong>de</strong>? en arrière,<br />

notre malheur est grand : il est au plus baut point;<br />

le Feu?Ssage entier, mais je n'es frémis point<br />

Contre qui que ce toit que mon pays m'emploie 9 *<br />

Faceepte aveuglément cette gloire avec Joie.<br />

Celle <strong>de</strong> recevoir <strong>de</strong> tels comman<strong>de</strong>ments<br />

Boit étouffer en nous tous autres sentiments.<br />

Qui, près <strong>de</strong> le servir, considère autre chose,<br />

â faire ce qu'il doit lâchement se dispose.<br />

Ce droit saint et sacré rompt tout autre lies ;<br />

Rome a choisi mon bras, Je n'examine rien,<br />

avec une allégresse aussi pleine et sincère<br />

Que J'épousai <strong>la</strong> acenr, Je combattrai le frère ;<br />

Et pour trancher enfin ces dis<strong>cours</strong> superflus,<br />

àlï» vous a nommé, je ne vous connais plus.<br />

cornues,<br />

le veos connais encore t et c'est ce qui me tue.<br />

Mais cette âpre vertu ne m'était pas connue :<br />

Comme notre malheur, elle est au plus haut point ;<br />

Souffres que Je Fadmke et ne Hutte point<br />

Écoutons encore Voltaire sur cette Imposante et<br />

Éuperbe scène : c'est au génie qui! appartient <strong>de</strong><br />

sentir et <strong>de</strong> louer le génie.<br />

« A ces mots9 Je m mm wnmte plus...... M mm<br />

mnnaiâ encore, m m récria d'admiration. On n'avait<br />

pua» rien vs <strong>de</strong> si sublime» H n'y a pas dans Lcmgli tin<br />

seul eiemple d'une pareille gran<strong>de</strong>ur. Ce sont ces traits qui<br />

ont mérité à Corneille le nom <strong>de</strong> grand, nos-seuSement<br />

pour le dtettogser <strong>de</strong> ton frère, mais <strong>du</strong> reste <strong>de</strong>s hommes.<br />

Use teUe scène <strong>la</strong>it pardonner mile défauts. »<br />

C'est ainsi que s'exprime k grand ééêmekw <strong>de</strong><br />

Corbeille.<br />

Il relève avec le mime p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong>s beautés d'un<br />

ordre inférieur, mais encore étonnantes par rapport<br />

au temps ou Fauteur écrivait; par eiemple 9 le récit<br />

<strong>du</strong> combat <strong>de</strong>s Horaces et <strong>de</strong>s Curiaees, imité <strong>de</strong><br />

Tite-Live, et comparable à l'original. Ce n'est pas un<br />

petit mérite d'avoir su eiprimer alors avec élégance<br />

et précision <strong>de</strong>s détails que <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> notre <strong>la</strong>ngue<br />

et <strong>de</strong> notre versiication rendait très-difficiles.<br />

C'est une observation que je ne dois pas omettre dans<br />

un article où je me suis proposé <strong>de</strong> marquer tous<br />

les genres d'efforts et <strong>de</strong> succès qui sont autant d'obligations<br />

que nous avons à Corneille.<br />

Resté seul contre trois t mais m cette amntmm *<br />

Tous trois étant blessés et lui seul sans blessure,<br />

Trop faible pour eux tous $ trop fort pour chacun d'eux,<br />

D sait bien se Urer d'un pas st basar<strong>de</strong>sx.<br />

11 fuit pour mieux combattre, et cette prompte ruse<br />

Divise adroitement trois frères qu'elle abuse.<br />

Chacun le soit d'un pas«n plus ou moins pressé,<br />

Selon qu'il se rencontre ou pins os moins blessé.<br />

Leur ar<strong>de</strong>ur est égale à p&wrmwm m Jkàêe ;<br />

Mais leurs amp§ » Inégaux séparent leur poursuite»<br />

Horace, les voyant fun <strong>de</strong> l'antre écartés,<br />

Se retourne, et déjà les croit <strong>de</strong>mi domptés.<br />

n attend le premier, et c'était votre gendre.<br />

L'autre, tout Indigné qu'il ait osé l'attendre,<br />

En valu , en l'attaquant, fait paraître un grand cœur :<br />

Le sang qu'il a per<strong>du</strong> ralentit sa vigueur.<br />

• Hémistiche fait pour <strong>la</strong> rima.<br />

1 Le mot propre était Umf&m inêgak.<br />

COUfeS DE L1TTÉ1ATC1E.<br />

âme à son tour commence à craindre un sort contraire;<br />

Elle crie an second qu'U secoure son frère :<br />

11 se hâte et s'épuise en efforts superflus ;<br />

11 trouve en Ses joignant que son frère n'est plus.<br />

... Tout hors d'haleine , 11 prend pourtant sa p<strong>la</strong>ce,<br />

Et red&ubU x bientôt ia victoire d'Horace.<br />

Son courage sans force est un débile appui ;<br />

Vou<strong>la</strong>nt venger son frère f fl tombe auprès Juf.<br />

L'ak résonne <strong>de</strong>s crb qu'au cld chacun envoie. '<br />

C&mmm • notre héros se volt près d'achever,<br />

Ont peu pour loi <strong>de</strong> vaincre, il veut encor braver.<br />

« J'en viens d'Immoler <strong>de</strong>ux aux mânes <strong>de</strong> mes frères ;<br />

« Rome aura le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong> mes trois adversaires.<br />

« C'est à ses Intérêts que je veux nnunotar, »<br />

Btt-tS, et tout d'un temp on le volt y voler.<br />

La victoire entre eux <strong>de</strong>ux n'était pas Incertaine;<br />

L'UbaJn percé <strong>de</strong> coup ne se traînait qu'à peine*<br />

Et, comme une victime aux marches <strong>de</strong> l'autel t<br />

11 semb<strong>la</strong>it présenter sa gorge au coup mortel.<br />

Aussi le reçoit-! t peu s'en faut, sans défaut,<br />

. Etsontiépas<strong>de</strong>lloineétabMt<strong>la</strong>piissmnce.<br />

Ceux qui connaissent les entraves <strong>de</strong> notre poésie<br />

sentiront tout ee qu'il y avait ici <strong>de</strong> difficultés à<br />

sur<strong>mont</strong>er, surtout dans un temp où <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue<br />

n'était pas à beaucoup près m qu'elle est <strong>de</strong>venue<br />

<strong>de</strong>puis 9 et avoueront qye Corneille ne fut pas étranger<br />

I cet art d'exprimer et d'ennoblir les petits détails<br />

que Racine porta <strong>de</strong>puis au plus haut <strong>de</strong>gré do<br />

perfection. C'est m que fait remarquer le commentateur,<br />

I propos d'un autre morceau qui n'est aussi<br />

qu 9 une tra<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> Tite-Livev je veux dire le<br />

dis<strong>cours</strong> <strong>du</strong> général <strong>de</strong>s Albains, qui a'pour objet '<br />

d'empêcher 1e combat entre les <strong>de</strong>ux nations, en<br />

remettant leur querelle entre les mains <strong>de</strong> trou<br />

guerriers choisis dans chacun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux partis.<br />

• J'ose dire que te dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> l'auteur français est as*<br />

<strong>de</strong>ssus <strong>du</strong> romainy plus nerveux, plus touchant; et quand<br />

on songe qu'il était fâoé par <strong>la</strong> rime, et par un <strong>la</strong>ngage<br />

embarrassé d'articles et qui souffre peu d'inversions, qu'il<br />

a sur<strong>mont</strong>é toutes ces difficultés, qu'il n'a employé le<br />

se<strong>cours</strong> dbocune épithète9 que rien s'arrête FéSoqsieiito<br />

rapidité <strong>de</strong> son dis<strong>cours</strong>, c'est là qu'on reconnaît le grand<br />

Corneille. »<br />

Finissons ce qui regar<strong>de</strong> ks Hmraces par cette<br />

intéressante apostrophe <strong>de</strong> Sabine, d'abord à <strong>la</strong> ville<br />

d'Albe où elle était née, ensuite à celle <strong>de</strong> Rome oà<br />

elle avait pris un époux. Ce morceau, d'un pathétique<br />

doux, se fait remarquer d'autant plus, qu'il<br />

contraste avec le ton <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur qui domine dans<br />

le reste <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce.<br />

Aine, ou J'ai commencé <strong>de</strong> respirer le Jour,<br />

Aine, mon cher pays et mon premier amour,<br />

Lorsque entre nous et toi Je vols <strong>la</strong> guerre on verte,<br />

le crains notre victoire autant f ne notre perte.<br />

Rome, al tu te p<strong>la</strong>ins que c'est là te trahir,<br />

Fais-toi <strong>de</strong>s ennemis que je paisse haïr»<br />

1 Hedouble<strong>la</strong> victoire, §emimts vêeterm, eipression plus<br />

<strong>la</strong>tine que française.<br />

,* €&mm9 etc., construction peu faite pour <strong>la</strong>. vivacité<br />

l'un récit


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

4<br />

Quand Je vols <strong>de</strong> tes murs tour armée et <strong>la</strong> nôtre,<br />

Mes trois - 488<br />

'<br />

frères dans Fuse et mou époux dans loutre,<br />

Pnls-Je former <strong>de</strong>s vœux , et sans Impiété<br />

Importuner le ciel pour ta félicité?<br />

Je sais que ton État, encore en sa naissance,<br />

Ne saurait sans <strong>la</strong> guerre alfermir sa puissance;<br />

le sais qu'il doit •'accroître, et que tes grands <strong>de</strong>stins<br />

Ne se borneront pas chez les peuples <strong>la</strong>tins;<br />

Que les dieux font promis l'empire <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre,<br />

Et que tu n'en peux voir Feffet que par <strong>la</strong> guerre.<br />

Bien loin <strong>de</strong> m'opposer à cette noble ar<strong>de</strong>ur<br />

Qui suit l'arrêt <strong>de</strong>s dieux et court à ta gran<strong>de</strong>ur* *<br />

le voudrais déjà voir tes troupes couronnées,<br />

B*un pas vleterteitt franchir les Pyrénées.<br />

Va Jusqu'en Orient pousser tes natations,<br />

Va sur les bords <strong>du</strong> EMn p<strong>la</strong>nter tes pavillons ;<br />

Vais trembler sous tes pas tes colonnes d'Hercule ;<br />

Mais respecte une ville à qui tu doit Romule.<br />

Ingrate, souviens-toi que <strong>du</strong> sang <strong>de</strong> ses rois<br />

Tu tiens ton nom t tes murs et tes premières lois.<br />

MM est ton origine: arrête et considéra<br />

Que tu portes le fer dans le «<strong>la</strong> <strong>de</strong> ta mère.<br />

Tourne ailleurs les efforts <strong>de</strong> tes bras triomphants,<br />

Sa joie éc<strong>la</strong>tera dans l'heur <strong>de</strong> ses enfants ;<br />

Et, se faussant wmir à Pamonr maternelle f<br />

Ses vœux seront pour toi t si tu n'es plus contre elle<br />

mise une son règne. Il est vrai que, n'étant que simple<br />

citoyen , à l'âge <strong>de</strong> vingt et un ans ; il avait déjà plongé le<br />

poignard dans le sein <strong>de</strong> ses trois s et cherché à faire périr<br />

le consul Mare» Antoine ; il aviit partagé le crime <strong>de</strong>s proscriptions.<br />

Mais t dans là suite, et lorsqu'il avait passé l'âge<br />

<strong>de</strong> quarante ans s pendant un séjour qui! fit dans <strong>la</strong> Gaule f<br />

on vint lui rapporter qee L. Cinna 9 homme d'un esprit<br />

ferme9 conspirait contre lui. I!%uf es quel lies» en quel<br />

moment et <strong>de</strong> quelle façon Fou se proposait <strong>de</strong> l'attaquer :<br />

c'était ue complice qui était le dénonciateur. U résolut <strong>de</strong> se<br />

venger 9 et it venir ses amis pour les consulter.<br />

« Bans cet intervalle9 i passa une nuit fort agitée, en<br />

féËéeMssaat qu'il al<strong>la</strong>it condamner à <strong>la</strong> mort un jeune<br />

homme d'une naissance illustre 9 d'ailleurs irréprochable 9<br />

et petit-fils <strong>du</strong> grand Pompée. Quel changement ! On Far ait<br />

vn9 triumvir, avec Marc-Antoine s donner à table <strong>de</strong>s édits<br />

<strong>de</strong> proscription f et maintenant il lui en coûtait pour faire<br />

périr uu seul homme. H s'entretenait avec lui-même en gémissant<br />

f et prononçait <strong>de</strong> temps à autre <strong>de</strong>s parole» qui se<br />

contredisaient. Quoi donc! <strong>la</strong>isserai-je vivre mon assassin!<br />

Sera-Mien repos tandis que je serai dam les<br />

Cimna, qui suifit te$ Horace*, est en drame a<strong>la</strong>rmes ! Il ne sérail pas puni , lui qui f dans un temps<br />

beaucoup plus régulier* L'unité d'action, <strong>de</strong> temps ouf ai rétabli <strong>la</strong> paix dans le mon<strong>de</strong> entier 9 veut, je<br />

et <strong>de</strong> lien9 y est observée : les scènes suai liées en­ ne dis pas seulement frapper, mais immoler au pied<br />

tre elles, hors en un seul endroit où le théâtre reste<br />

<strong>de</strong>s autels mme tête échappée à tant <strong>de</strong> combats sur terre<br />

et sur mer, et que tant <strong>de</strong> guerres civiles ont vainement<br />

vi<strong>de</strong>, et faction ne init qu'aie® <strong>la</strong> pièce.<br />

attaquéeP Ensuite ; après quelques instants <strong>de</strong> silence 9 et<br />

Le pardon généreux d'Auguste, les vers qu'il Remportant contre lui-même plus que contre Cinna : Pour­<br />

prononce 9 qui sont le sublime <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur d'âme'; quoi vivre, si tant <strong>de</strong> gens ont intérêt que tu meures F<br />

ees vers que l'admiration a gravés dans <strong>la</strong> mémoire Quel sera le terme <strong>de</strong>s supplices? Combien <strong>de</strong> mng<br />

<strong>de</strong> tous ceux qui les ont enten<strong>du</strong>s, et cet avantage faut-il encore verser? Ma tête est doue en butte aux<br />

attaché à <strong>la</strong> beauté <strong>du</strong> dénoûment, <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser au coups <strong>de</strong> tmêe <strong>la</strong> jeune noblesse <strong>de</strong> Morne 1 C'est contre<br />

spectateur une <strong>de</strong>rnière impression qui est <strong>la</strong> plus moi qu'ils aiguisent leurs poignards I Mm vie n'est pas<br />

heureuse et <strong>la</strong> plus vive <strong>de</strong> toutes celles qu'il a re­<br />

a^un si grand pris 9 qu'il faille que tant d'autres périssent<br />

pour _ <strong>la</strong> conserver ! Son épouse livie l'interrompit<br />

çues , ont fait regar<strong>de</strong>r assez généralement cette tra­<br />

enfin : Voulez-vous recevoir f dit-elle, le conseil d'une<br />

gédie comme le chef-d'oeuvre <strong>de</strong> Corneille : et si l'on femme ? imitez les mé<strong>de</strong>cins : quand tes remè<strong>de</strong>s usités<br />

ajoute à ee grand mérite <strong>du</strong> cinquième acte le dis­ nerémssissmtpm, ils essayent les contraires* Jusqu'ici<br />

<strong>cours</strong> éloquent <strong>de</strong> Cinna dans le scène ou il fait le <strong>la</strong> sévérité m vous m servi <strong>de</strong> rien. Lépidê a pris <strong>la</strong><br />

tableau <strong>de</strong>s proscriptions d'Octave; cette antre scène, p<strong>la</strong>te <strong>de</strong> Salvidinus * Mmrena celle <strong>de</strong> Lipi<strong>de</strong> y Cepkm,<br />

si théâtrale où Auguste délibère avec ceux qui ont ré­ c£ik <strong>de</strong> Murem, Egnatius celle <strong>de</strong> Cepion, pour ne<br />

solu <strong>de</strong> l'assassiner; les idées profon<strong>de</strong>s et l'énergie pas parler d'ennemis plus obeurs, que j'aurais honte<br />

<strong>de</strong> style qu'on remarque dans ce dialogue, aussi <strong>de</strong> citer après <strong>de</strong> pareils noms. Essayez aujourd'hui si<br />

frappant à <strong>la</strong> lecture qu'au théâtre; le monologue<br />

<strong>la</strong> clémence mus réussira. Pardonnez à Cinna» Il est<br />

découvert : il ne peut plus vous nuire, Bpeut vous servir<br />

d'Auguste au quatrième acte; <strong>la</strong> fierté <strong>du</strong> caractère<br />

en vous faisant une réputation <strong>de</strong> bonté. Charmé <strong>de</strong> ce<br />

d'Emilie et les traits heureux dont il est semé; cette conseil t Auguste en rendit grâce à Livie, fit eoatreman<strong>de</strong>?<br />

préférence paraîtra suffisamment justifiée. Avant <strong>de</strong> ses amis» et ordonna que Cinna se rendit ches lui. Alors<br />

détailler les raisons peut-être non moins puissantes ayant fait sortir tout le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa chambre f et approcher<br />

qu'on peut y opposer, j'ai cru <strong>de</strong>voir tra<strong>du</strong>ire le un siège pour Cinna : le te prie avant tout, lui«dit-il , <strong>de</strong><br />

récit <strong>de</strong> Sénèque d'où l'auteur <strong>de</strong> Cimm a tiré son me <strong>la</strong>isser parler sans m'intermmpre, <strong>de</strong> ne pas même<br />

sujet. Il l'avait imprimé a?ee <strong>la</strong> pièce f mais en <strong>la</strong>tin ; troubler mes dis<strong>cours</strong> par le moindre cri ; tu auras<br />

et comme tout le mon<strong>de</strong> sait à peu près par cœur <strong>la</strong><br />

après toute liberté '<strong>de</strong> parler» Tu as été mon ennemi<br />

en naissant; je l'ai trouvé dans le camp <strong>de</strong> mes<br />

scène <strong>du</strong> pardon f on sera plus aisément à portée,<br />

ennemis, et je t'ai <strong>la</strong>issé vivre. Je foi <strong>la</strong>issé tous les<br />

en écoutant <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> Sénèque, <strong>de</strong> se rappeler biens. AvjouréThui ta richesse et ton bonheur sont au<br />

ce que le poète a emprunté au philosophe. Ce mor­ point que les vainqueurs sont jaloux <strong>de</strong>s vaincus. Tuas<br />

ceau se trouve dans le Traité <strong>de</strong> <strong>la</strong> Ciémmce. désiré <strong>la</strong> dignité <strong>de</strong> grand pontife : tu l'as obtenue au<br />

« autiste Ait un prince dont et modéré f si l'on n'exa- préjudice <strong>de</strong> ceux dont les parents ont combattu sous<br />

31.


4S4<br />

COU1S DE LITTÉBATUBE.<br />

«M enseignes. V&ilè les obligations que lu m'as, et te<br />

veux m'assassiner ? A ce mot f Cinna se récria qm cette<br />

fureur insensée était loin <strong>de</strong> -son esprit. Fn tiens mal ta<br />

parole* reprit l'empereur. Nom étions convenus que tu<br />

me m* interromprais pas. Tu veux m?assassiner. Et tout<br />

<strong>de</strong> suite il lui détail<strong>la</strong> les circonstances <strong>du</strong> complot, te nom<br />

<strong>de</strong>s conjurés, le lieu, l'heuref tes mesures prises» celui<br />

qui <strong>de</strong>vait tenir te g<strong>la</strong>iv*; et voyant Cinna muet, moins<br />

par obéissance que par confusion : Quel ml ton <strong>de</strong>ssein?<br />

poursuit-il. Est-ce <strong>de</strong> régner ? le p<strong>la</strong>ins <strong>la</strong> république<br />

s'il faut qu'excepté mpi il ft 9 prît qui ne dût rien à l'esprit <strong>de</strong>s autres; enf<strong>la</strong>,<br />

comme si cette importation <strong>de</strong>s richesses anciennes<br />

ou étrangères n'était pas, à proprement parler,<br />

le commerce <strong>du</strong> talent, espèce <strong>de</strong> commerce qui ne<br />

peut comme beaucoup d'autres se faire avec succès<br />

que par <strong>de</strong>s hommes déjà fort riches <strong>de</strong> leur propre<br />

fonds, et capables d'améliorer celui d'aatrui. N'oublions<br />

pas surtout <strong>de</strong>r remarquer combien Fauteur<br />

<strong>de</strong> Cinna a embelli les détails qu'il a puisés dans Sé-<br />

f aie rien qui f empêche<br />

nèque. Tel est l'avantage inappréciable <strong>de</strong>s beaux<br />

d'y tenir lepremir rang. Ce n'est pas ta considération<br />

qui impose; tu n'as pas même assez dé crédit pour tes<br />

vers, telle est <strong>la</strong> supériorité qu'ils ont sur <strong>la</strong> meilleure<br />

affaires domestiques» et en <strong>de</strong>rnier lieu tu m per<strong>du</strong> un prose, que <strong>la</strong> mesure et l'harmonie ont gradée dans<br />

procès contre un affranchi. Crois-tu qu'il te soie plus tous les esprits et mis dans toutes les bouches ce<br />

facile <strong>de</strong> te porter pour concurrent <strong>de</strong> César? Je le qui <strong>de</strong>meurait comme enseveli dans les écrits d'un<br />

veux bien, si je mis le seul obstacle à tes prétentions. philosophe, et n'existait que pour us petit nombre<br />

Maïs f imagines-tu que les Paul-Emile, les Cossus, <strong>de</strong> lecteurs. Cette précision, commandée par le<br />

les Semilim, les Fabius, tant d'autres citoyens illus­ rhythme poétique, a tellement consacré les paroles<br />

tres qui n'ont pas seulement <strong>de</strong> grands noms, mais<br />

que Corneille prête à Auguste, qu'on Croirait qu'il<br />

qui les soutiennent et les honorent; fimagîmes-lu<br />

qu'ils consentiront à f avoir pour maître? 11 serait trop n'a pu s'exprimer' autrement ; et <strong>la</strong> conversation<br />

long <strong>de</strong> répéter tout son dis<strong>cours</strong>; car on dit qu'il pria d'Auguste et <strong>de</strong> Cinna ne sera jamais autre chose<br />

<strong>de</strong>ux heures, comme s'il eût ¥oulu prolonger ce.seul que les vers qu'on a retenus <strong>de</strong> Corneille.<br />

châtiment gu'il lui imposait. Il ici ainsi : Je te donne <strong>la</strong> Après avoir exposé ce qui a fait <strong>la</strong> réputation et<br />

vie, Ci mm, une secon<strong>de</strong> fois. Je te l'avais donnée comme le succès <strong>de</strong> Cinna, il faut voir ce que Voltaire et<br />

à mon ennemi; je te <strong>la</strong> donne comme à mon assassin. avec lui tous les juges ont trouvé d'essentiellement<br />

Commençons dis ce moment à être amis, et voyons<br />

vicieux dans l'intrigue et les caractères.<br />

lequel <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>ux sera <strong>de</strong> meilleurefoi avec Vautre,<br />

ou moi qui te <strong>la</strong>isse <strong>la</strong> vie, ou M qui me <strong>la</strong> <strong>de</strong>vras.<br />

Le premier acte présente une conspiration con­<br />

Bientôt après, il lui déféra le consu<strong>la</strong>t, se p<strong>la</strong>ignant que tre Auguste, formée par Cinna, petit-lits <strong>du</strong> grand<br />

Cinna ne l'eût pas osé <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r. Il le compta <strong>de</strong>puis au Pompée; par Maxime, ami <strong>de</strong> Cinna; par Emilie,<br />

nombre <strong>de</strong> ses plus idèles amis, et fut institué son unique ille <strong>de</strong> Toranius, qui est le tuteur d'Octave, et qui<br />

héritier. Depuis cette époque, il n'y eut plus aucune conspiration<br />

contre M. »<br />

fut proscrit par son pupille. Emilie aime Cinna et en<br />

est aimée; mais elle ne veut consentir à l'épouser<br />

Quoiqu'on ait dû reconnaître dans ce •morceau<br />

toutes les idées principales, et souvent même les<br />

«pressions dont Corneille s'est servi dans le monologue<br />

d'Auguste et dans <strong>la</strong> fameuse scène <strong>du</strong><br />

cinquième acte 9 je ne crois pas qu'on me soupçonne<br />

d'avoir voulu diminuer en rien le mérite <strong>de</strong><br />

l'ouvrage ni celui <strong>de</strong> Fauteur. Je me suis f au contraire<br />

, assez souvent eipliqué sur l'honneur attaché<br />

à ces heureux emprunts, qui ne profitent que<br />

dans <strong>de</strong>s mains habiles. 11 y a loin d'une conversation<br />

à une tragédie.- J'ai voulu faire connaître bien<br />

qu'après qu'il l'aura vengée <strong>du</strong> meurtrier <strong>de</strong> son<br />

père, et sa main est à ce prix. Cinna paraft animé<br />

contre Auguste, et par l'horreur qu'un Romain a<br />

naturellement pour <strong>la</strong> tyrannie, et par l'indignation<br />

que doit inspirer le souvenir <strong>de</strong>s cruautés d'Octave.<br />

C'est <strong>la</strong> peinture énergique <strong>de</strong> ces sang<strong>la</strong>ntes proscriptions<br />

et <strong>de</strong>s crimes <strong>du</strong> triumvirat qui lui a servi,<br />

plus que tout le reste, à exciter <strong>la</strong> fureur <strong>de</strong>s conjurés,<br />

qu'il vient <strong>de</strong> rassembler pour prendre les<br />

<strong>de</strong>rnières mesures, et déterminer le moment <strong>de</strong><br />

l'exécution. Cet effrayant tableau, tracé par Cinna<br />

précisément le fonds que Corneille a fait valoir, ce dans <strong>la</strong> troisième scène <strong>du</strong> premier acte, met dans<br />

qui est à autrui et ce qui s'est qu*à lui. Cette con­ son parti les spectateurs, qui ne tnîent dans son<br />

naissance est nécessaire pour apprécier le <strong>de</strong>gré entreprise qu'une vengeance légitime, et le <strong>de</strong>ssein ><br />

d'invention qu'il a mis dans chacun <strong>de</strong> ses ouvra­ toujours imposant <strong>de</strong> rendre <strong>la</strong> liberté à Rome et<br />

ges, et cet exemple peut servir en mime temps à <strong>de</strong> punir un tyran qui a été barbare. 11 importe <strong>de</strong><br />

repousser lis reproches injustes tant répétés par les se rendre un compte Idèle <strong>de</strong> ces premières impres­<br />

détracteurs <strong>de</strong> Racine et <strong>de</strong> Voltaire , qui, pour sions qui s'établissent dans l'exposition <strong>du</strong> sujet :<br />

leur refuser le génie,rappellent sans cesse ce qu'ils elles sont les fon<strong>de</strong>ments nécessaires <strong>de</strong> l'intérêt<br />

nomment leurs <strong>la</strong>rcins, comme s'il n'y avait qu'eus que <strong>la</strong> pièce doit pro<strong>du</strong>ire ; elles dépen<strong>de</strong>nt absolu­<br />

qui s'en fussent permis <strong>de</strong> semb<strong>la</strong>bles, comme s'il ment <strong>du</strong> poète, et le spectateur les reçoit telles<br />

tût eiisté <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> renaissance <strong>de</strong>s lettres un m- qu'on veut les lui donner, pour peu qu'elles aient


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

un <strong>de</strong>gré suffisant <strong>de</strong>,probabilité morale, et sans<br />

doute elles Font ici. C'est un principe <strong>de</strong> Fart fondé<br />

sur <strong>la</strong> sature <strong>du</strong> cœur humais* que tout le reste<br />

<strong>du</strong> drame ne doit être que le développement successif<br />

<strong>de</strong> ces premières dispositions que Fart <strong>du</strong><br />

poète a fait naître dès le commencement ; et c'est<br />

ce qui constitue l'unité d'intérêt. Voyons comment<br />

cette règle si essentielle est observée dans Cinna.<br />

L'ouverture <strong>du</strong> second acte nous fait voir Auguste<br />

entre les <strong>de</strong>ux chefs <strong>de</strong> <strong>la</strong> conspiration, qui<br />

sont en même temps ses <strong>de</strong>ux confi<strong>de</strong>nts les plus<br />

intimes, délibérant avec eux sur le <strong>de</strong>ssein qui! a<br />

d'abdiquer. 11 s'en rapporte entièrement à leur avis<br />

sur le parti qu'ai prendra <strong>de</strong> déposer ou <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r<br />

<strong>la</strong> souveraine puissance. Cette idée est gran<strong>de</strong> et<br />

dramatique ; elle est d'un homme <strong>de</strong> génie, et il<br />

n'y a personne qui n'en ait été frappé. Voltaire<br />

voudrait que ce projet d'abdication ne fût pas si<br />

subit , parce que rien ne doit Fétre au théâtre ; il<br />

tondrait %qm cette délibération fût amenée par<br />

quelque motif particulier, et qu'Auguste rappelât à<br />

sesconi<strong>de</strong>nts qu'il a déjà en plusieurs fois <strong>la</strong> même<br />

pensée : et en effet, dans l'histoire lorsque Auguste<br />

traite cette question avec Agrippa et Mécène, c'est<br />

à propos d'une nouvelle conspiration qu'il vient <strong>de</strong><br />

découvrir, et <strong>de</strong>s périls dont sa vie est continuellement<br />

menacée. La remarque <strong>du</strong> commentateur est<br />

juste, mais il est le premier à reconnaître que ce défaut<br />

n'affaiblit point le grand intérêt <strong>de</strong> curiosité<br />

que pro<strong>du</strong>it cette belle scène; et l'on peut ajouter<br />

que c'est Racine qui a connu le premier cette observation<br />

exacte <strong>de</strong> toutes les convenances, qui ne<br />

<strong>la</strong>isse lieu à aucune objection : c'est le complément<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> théorie dramatique, et il appartient naturellement<br />

au génie qui perfectionne ce que le génie a<br />

créé.<br />

Voilà donc Cinna et Maxime, <strong>de</strong>ux républicains<br />

décidés, maîtres <strong>du</strong> sort <strong>de</strong> Rome et <strong>de</strong> celui d'Auguste.<br />

Que vont-ils faire? Maxime ne ba<strong>la</strong>nce pas à<br />

conseiller à l'empereur <strong>de</strong> renoncer à en pouvoir<br />

toujours odieux aux Romains et toujours dangereux<br />

pour lui. Cinna prend le parti contraire ; et<br />

le soutient par les meilleures raisons possibles; et,<br />

ce qui est très-remarquable, c'est qu'il ne les appuie<br />

pas sur l'intérêt particulier d'Auguste, mais<br />

sur celui <strong>de</strong> Rome qui a besoin <strong>de</strong> lui. 11 dé<strong>mont</strong>re<br />

que9 dans l'état où sont les choses, Femplre ne<br />

peut se passer d'un maître, et qu'il ne peut en<br />

avoir un meilleur qu'Auguste. Il soutient que f autorité<br />

<strong>de</strong> fempereur est légitimement acquise, qu'il<br />

ne <strong>la</strong> doit qu'à ses vertus; il affirme que le gouvernement<br />

démocratique est le plus mauvais <strong>de</strong><br />

tous; enfin il le conjure à genoux, comme le génie<br />

485<br />

tuté<strong>la</strong>ire <strong>de</strong> Rome, <strong>de</strong> veiller à sa conservation, et<br />

<strong>de</strong> ne pas l'abandonner aux guerres civiles et à l'anarchie.<br />

Il va jusqu'à dire que les dieux mêmes ont<br />

voulu que Rome perdît ta'liberté; et sa politique<br />

est si bien raîsonnée, si persuasive, qu'elle entraîne<br />

Octave, qui finit par lui dire :<br />

Clera, pur vos conseils t Je relleadrmi l'empire ;<br />

Mak je le retiendrai pour TOUS en faire part.<br />

11 lui donne pour épouse Emilie, à <strong>la</strong>quelle il tient<br />

lieu dé père <strong>de</strong>puis qu'il lui a été le sien.<br />

On est déjà un peu étonné <strong>du</strong> parti que prend<br />

Cinna, et <strong>de</strong>s dis<strong>cours</strong> qu'il tient; <strong>de</strong> voir le même<br />

homme que tout à l'heure il a peint comme un<br />

monstre exécrable, comme un tigre enivré <strong>de</strong> sang,<br />

<strong>de</strong>venu tout à coup pour lui un souverain légitime,<br />

le bienfaiteur <strong>de</strong>s Romains et leur appui nécessaire.<br />

Mais ce n'est pas encore le moment d'examiner s'il<br />

a dit ce qu'il <strong>de</strong>vait dire, si ses paroles s'accor<strong>de</strong>nt<br />

avec le caractère <strong>de</strong> son rôle. Je n'en suis pas à<br />

l'examen <strong>de</strong>s caractères : je ne considère que les<br />

ressorts <strong>de</strong> Faction et <strong>la</strong> marche <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce. On<br />

peut être surpris que Cinna ait changé <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage<br />

jusqu'à ce point. Mais lorsque Maxime, dans <strong>la</strong><br />

scène suivante, lui dit :<br />

Quel est votre <strong>de</strong>ssein après ces hmwL dtseows?<br />

et qu'il répond,<br />

Le même que f avais et que j'aurai toujours t<br />

on voit que <strong>du</strong> moins il n'a pas changé <strong>de</strong> sentiment.<br />

Il ne veut pas qu'Auguste m soit quitte<br />

pour l'effet d'un remords; que <strong>la</strong> tyrannie $oU<br />

impunie. Il ne veut épouser Emilie que sur <strong>la</strong> cendre<br />

d'Octave : ce serait un supplice pour lui <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

tenir d'un tyran. 11 n'a donc dissimulé que par un<br />

excès <strong>de</strong> haine et <strong>de</strong> rage; il est altéré <strong>du</strong> sang<br />

d'Auguste : il ne lui suffit plus que Rome soit libre,<br />

il faut que l'oppresseur périsse. Cette fureur<br />

peut paraître atroce, si Fou considère qu'il a <strong>mont</strong>ré<br />

dans le premier acte beaucoup moins <strong>de</strong> ressentiment<br />

personnel contre Auguste, qui d'ailleurs le<br />

comb<strong>la</strong>it <strong>de</strong> bienfaits, que d'ar<strong>de</strong>ur pour <strong>la</strong> liberté,<br />

pour l'honneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> rendre à sa patrie, et enfin<br />

pour l'hymen d'Emilie, qu'il ne peut obtenir qu'à<br />

ce prix. On pourrait donc croire que, puisque l'abdication<br />

d'Octave et l'oflre <strong>de</strong> <strong>la</strong> main d'Emilie lui<br />

donnaient ce qu'il désirait le plus, il ne pouvait<br />

Vacharner à vouloir <strong>la</strong> mort d'un homme qui ne<br />

lui a fait aucun mal, et qui même ne lui a fait que <strong>du</strong><br />

bien. Mais on peut encore le justifier en ne voyant<br />

en lui qu'un inflexible républicain, qui veut, à quelque<br />

prix que ce soit, venger sa patrie et le sang <strong>de</strong><br />

ses concitoyens. Le spectateur, accoutumé à <strong>la</strong> férocité<br />

<strong>de</strong>s maximes romaines, peut encore se pré-


4#86 COURS DE UTTÉftÂTUlE.<br />

ter à cette disposition <strong>de</strong> Cinna. D'ailleurs, il persiste'dans<br />

ses résolutions, et le danger reste le<br />

même, puisque l'empereur n'est instruit <strong>de</strong> rien.<br />

L'intrigue est donc soutenue jusque-là, sans que<br />

<strong>la</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce morale soit absolument blessée.<br />

Mais l'Intérêt a déjà souffert, parce qu'au premier<br />

acte on s'intéressait à <strong>la</strong> conspiration <strong>du</strong> petit-fils<br />

<strong>de</strong> Pompée et <strong>de</strong> l'amant d'Emilie contre un usurpateur<br />

représenté comme le bourreau <strong>de</strong>s Romains,<br />

et qu'après le second acte on commence à s'intéresser<br />

davantage à Auguste, dont on a enten<strong>du</strong><br />

Cinna lui-même légitimer l'usurpation f excuser les<br />

cruautés comme nécessaires, et eialter les vertus<br />

comme <strong>la</strong> sauvegar<strong>de</strong> <strong>de</strong> fempire. Ce nouvel intérêt<br />

s'augmente encore par <strong>la</strong> confiance intime qu'Auguste<br />

vient <strong>de</strong> <strong>mont</strong>rer pour Cinna et pour Maxime,<br />

par les témoignages d'amitié dont il les a comblés,<br />

par les grâces qu'il leur a prodiguées : <strong>de</strong> plus, il<br />

n'est guère possible <strong>de</strong> voir encore dans leur conspiration<br />

l'intérêt <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté publique, puisqu'il<br />

n'a tenu qu'à eui qu'elle fût rétablie sans effusion<br />

<strong>de</strong> sang. L'intrigue, sans s'être arrêtée, est donc an<br />

moins affaiblie, parce que Fintérét a changé d'objet.<br />

Le troisième acte va nous offrir bien d'autres fautes,<br />

d'une nature plus grave, et qu'il est difûcile<br />

<strong>de</strong> justiier. Bans <strong>la</strong> première scène, Maiime nous<br />

apprend qu'il est amoureui d'Emilie : il sait que<br />

Cinna en est aimé 9 et que c'est pour elle qu 9 ii conspire.<br />

H est ba<strong>la</strong>ncé entre <strong>la</strong> répugnance qu'il sent<br />

à servir son rival f et <strong>la</strong> honte <strong>de</strong> trahir ses amis en<br />

•révé<strong>la</strong>nt leur complot à l'empereur. 11 ne peut d'ailleurs<br />

se cacher à lui-même que c'est un très-mauvais<br />

moyen pour obtenir Emilie que <strong>de</strong> perdre son<br />

amant. L'esc<strong>la</strong>ve Euphonie, son confi<strong>de</strong>nt, avoue<br />

qne <strong>la</strong> conjoncture est embarrassante. Cependant<br />

il espère qu'à force d'y rêver..„ La scène Init à<br />

cette suspension, par l'arrivée <strong>de</strong> Cinna. Avouons,<br />

avant d'aller plus loin, que cet inci<strong>de</strong>nt, qui va pro<strong>du</strong>ire<br />

tme révolution, est froid et mal imaginé.<br />

D'abord ces sortes d'amours qu'on vient annoncer<br />

au troisième acte comme une nouvelle indifférente<br />

, et sans qu'on ait dit jusque-là un mot qui pût<br />

nous y préparer, sont opposées à l'esprit <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie,<br />

qui exige que tous les ressorts dont se compose<br />

l'intrigue aient un <strong>de</strong>gré d'intérêt suffisant pour<br />

attacher 1» spectateur. Et qui peut en prendre le<br />

moindre à cet amour subit <strong>de</strong> Maiime, qu'on voit<br />

déjà délibérer avec lui-même sur une action infâme,<br />

en homme tout prêt à <strong>la</strong> faire? 11 n'y a rien <strong>de</strong> moins<br />

tragique. On voit que l'auteur avait besoin <strong>de</strong> ce<br />

moyen pour révéler <strong>la</strong> conspiration; mais on voit<br />

aussi qu'il fal<strong>la</strong>it absolument en trouver un aotre.<br />

La scène suivante amène une surprise bien extraor­<br />

dinaire. Cinna paraît : mats ce n'est plus ce Cinna<br />

que Ton a vu jusqu'ici furfeui <strong>de</strong> patriotisme et<br />

avi<strong>de</strong> <strong>du</strong> sang d'Auguste, c'est un homme tourmenté<br />

<strong>de</strong>s plus vifs remords, se condamnant lui-même,<br />

et ne pouvant, malgré tout son amour pour Emilie f<br />

se résoudre à une action qu'il regar<strong>de</strong> à présent<br />

comme un crime abominable, et qui tout à l'heure<br />

lui paraissait <strong>la</strong> plus belle et ta plus glorieuse qui<br />

pût immortaliser un Romain. Qui donc fa pu changer<br />

à ce point? Que s'est-il passé qui poisse tout à<br />

coup le rendre si différent <strong>de</strong> lui-même ? Les remords<br />

sont dans <strong>la</strong> nature y sans doute f mais c'est lorsqu'on<br />

se résout à une action que l'on regar<strong>de</strong> soi-même<br />

comme un crime; et Cinna nous a prié jusqu'ici<br />

<strong>de</strong> son entreprise comme d'un acte <strong>de</strong> vertu. Écoutons-le<br />

maintenant :<br />

le MSI an fond <strong>du</strong> arar mille mmmêâ enlttstt t<br />

Qui ren<strong>de</strong>nt à mes yem touj set bienfaits prétests.<br />

Cette fureur si pleine, et si mal recousue $<br />

Par IIII mortel reproche à tout moment me tue,<br />

n me semble surtout incessamment le voir<br />

Dépoter en nos mains son absolu pouvoir.<br />

Écouler mes avis t n'app<strong>la</strong>udir, et me dire :<br />

m Quoi, par YOS conseils Je retiendrai remplie;<br />

« Mais Je le retiendrai pour vois en faire part... *<br />

Et je pâli en ton §eio enfoncer le poignard !<br />

Quel est l'homme qui, daos le fond <strong>du</strong> eœor, m<br />

lui répond pas aussitôt : Puisque vous êtes stiseeee»<br />

tible d'un attendrissement si naturel f comment n'a-<br />

•ez-f ous pas ressenti ces émotions dans le moment<br />

où Auguste venait d'avoir a?ec TOUS cette effusion<br />

<strong>de</strong> coeur si touchante? Comment, loin d'être attendri<br />

i avra-vous paru plus en<strong>du</strong>rci que jamais dam<br />

fotre haine pour lui et dans <strong>la</strong> résolution <strong>de</strong> lui'arrache?<br />

<strong>la</strong> wie? Je vous ai cru un lomain forcené;<br />

et ce n ? est que sous ce rapport que votre con<strong>du</strong>ite)<br />

me paraissait concevable; mais puisque tous êtes<br />

capable (Titre ému à ce point, c'était alors que<br />

wous défiez l'être, ou <strong>la</strong> nature n s est pas en fous<br />

ce qu'elle est dans les autres hommes.<br />

Ce n 9 est pas tout ; on pourrait croire que ce mouvement,<br />

quoique inatten<strong>du</strong> et dép<strong>la</strong>cé, s'est ait<br />

moins que passager; mais non < c'est désormais te<br />

sentiment qui domine dans Cinna. Sa manière <strong>de</strong><br />

voir est changée en tout ; ce s'est pas une falWesaa<br />

involontaire qu'il se reproche9 c'est le cri <strong>de</strong> sa<br />

conscience, qu'il n'est plus éH lui <strong>de</strong> repousser. Auguste<br />

n'est plus à ses yeui un monstre abominable;<br />

il ose le justifier, l'exalter en présence même d'Émi-<br />

lie, qui persisté à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r sa mort. La conspira*<br />

tion lui parait désormais un attentat odieux et<br />

inexcusable; il ne ba<strong>la</strong>ncerait pas à renoncer à ses<br />

<strong>de</strong>sseins, s'il n'était encore retenu par son amour<br />

poor Emilie; et quand, à force <strong>de</strong> reproches, elle<br />

est parvenue à recentrer tout son empire sur lui v


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE. 487<br />

ce n'est qu'avec le désespoir dans l'âme qu'il se dé- Quand le ciel par nos nains à le punir s'apprête,<br />

Un lâche repentir garantira sa tête !<br />

'termine à loi obéir; c'est en lui annonçant que sa<br />

Et dans Pacte suivant, il dit :<br />

propre mort, suivra celle d'Auguste.<br />

Le elei a trop fait voir, en <strong>de</strong> tels attentats,<br />

Vous le routai, J'y <strong>cours</strong> ; ma parole eit donnée :<br />

Qu'il hait ks aumsîm et punit fer ingrate.<br />

Mais nia main, aussitôt contre mon sefn tournée,<br />

Aux mânes d'un tel prince Immo<strong>la</strong>nt votre amant, N Que croire? Voilà le dêl qui veut punir Octave;<br />

A mon crime forcé joindra mon châtiment, voilà le ciel qui le défend et qui le vengera ! Et qu'on<br />

Et par cette action dans l'autre confon<strong>du</strong>e t<br />

Recouvrer a mm gloire aussitôt que per<strong>du</strong>e. ne dise pas qw les remords et les combats qu'il- '<br />

Adieu.<br />

éprouve, quoique venant trop tard pour être vrai­<br />

Où sommes-nous ? Un M prince I mon crime ! ma semb<strong>la</strong>bles, l'autorisent cependant à varier à ce<br />

gloire per<strong>du</strong>e! Pour faire sentir-combien ce con­ point dans ses pensées et dans ses sentiments. Non,<br />

traste inconcevable'doit renverser toutes les idées quand même ce repentir serait à sa p<strong>la</strong>ce, quand<br />

que le poète avait imprimées dans l'esprit <strong>de</strong>s spec­ même <strong>la</strong> coniance et les bienfaits d<br />

tateurs» opposons quelques morceaux <strong>de</strong>s premiers<br />

actes à ceux qui les contredisent d'une manière si<br />

formelle dans les suivants.<br />

Plût au dieu que vous-même eussiez vu <strong>de</strong> quel zèle<br />

Cette troupe entreprend mm «ciÉp » Miel<br />

S'il est pour me trahir <strong>de</strong>s esprit! assez bas,<br />

Ma mrtm pour le moins ne me trahira pat :<br />

Vous <strong>la</strong> vertes, bril<strong>la</strong>nte au bord <strong>de</strong>a précipices v ^<br />

Se c&ummmr <strong>de</strong> gloire en bravant les supplices.<br />

Cat ainsi que Cinna par<strong>la</strong>it à Emilie dans le premier<br />

acte. Au <strong>de</strong>uxième, il disait à Maxime, après <strong>la</strong><br />

scène avec Auguste :<br />

Octave aura donc m sel farenrs assouvie!,<br />

PUlé jusqu'aux aatels, sacrifié nos vies,<br />

Rempli les chanipt d'horreur, comblé Eome <strong>de</strong> morts,<br />

Et sera-qnltte après pour l'effet d'un remords î<br />

Maxime lui objectant en vain l'offre que venait <strong>de</strong><br />

faire Auguste <strong>de</strong> rendre <strong>la</strong> liberté à Eome, que<br />

répondait-il?<br />

Os ne sent être on bien qu'elle daigne eaUmer,<br />

Quand il vient d'une mata <strong>la</strong>sse <strong>de</strong> l'opprimer.<br />

Blé a le cœur trop bon poui se voir avec Joto<br />

Le rebut dm ff twt dont «Me M <strong>la</strong> proie.<br />

Assurément il ne s'est rien passé <strong>de</strong> nouveau <strong>de</strong>puis<br />

qu'il s'exprimait ainsi. Que dit-il actuellement?<br />

O coup ! o trahison trop indigne d'un homme !<br />

Dure, <strong>du</strong>re à Jamais l'esc<strong>la</strong>vage <strong>de</strong> Eome I<br />

• périsse mon amour, périsse mon espoir,<br />

Plutôt que <strong>de</strong> ma main parie mn crime ti noir!<br />

Au premier acte il disait :<br />

Ainsi d'us coup mortel <strong>la</strong> victime frappée<br />

Fera voir si Je suis <strong>du</strong> sang <strong>du</strong> grand Pompée.<br />

Au troisième, il dit :<br />

Lts douceurs <strong>de</strong> l'amour, celles <strong>de</strong> <strong>la</strong> •engeance,<br />

La gloire d'affranchir le lieu <strong>de</strong> ma miëmnee,<br />

l'ont point asseï d'appas pour JkHer ma mimm,<br />

S'il les faut acquérir par urne Èmàûm,<br />

8*11 faut percer le ianc tfiwi prince wmgnomtme,<br />

Qui <strong>du</strong> peu qweje $ mû fait une telle estime.<br />

Du peu que je suis! Le sang <strong>du</strong> grand Pompée!<br />

Comment accor<strong>de</strong>r ensemble <strong>de</strong>s idées si disparates?<br />

11 mit dit, es par<strong>la</strong>nt d'Octave :<br />

1 Auguste auraient<br />

fait sur lui leur impression au moment où ils <strong>de</strong>vaient<br />

<strong>la</strong> faire, il ne peut raisonnablement rien dire<br />

<strong>de</strong> ce qu'il dit ici. Les choses en elles-mêmes n'ont<br />

pas pris une autre nature <strong>de</strong>puis qu'Auguste lui a<br />

conié le <strong>de</strong>ssein d'abdiquer, et lui a donné Emilie»<br />

Si c'était auparavant une belle chose <strong>de</strong> tuer un<br />

tyran et d'affranchir Rome, comme il le disait, rien<br />

n'est changé; Octave est encore un tyran, et Eome<br />

est encore esc<strong>la</strong>ve. Que <strong>de</strong>vait-il donc dire?<br />

11 est beau, il est glorieux -<strong>de</strong> délivrer sa patrie<br />

d'un tyran; c'est <strong>la</strong> vertu d'un Romain : mais ce<br />

qu'Auguste a fait pour moi m'éte <strong>la</strong> force d'eiercer<br />

une vertu si cruelle. Voilà ce que pourrait dire un<br />

homme que Ton n'aurait pas annoncé comme un<br />

Brutus. Mais - appeler <strong>la</strong> môme action, tantôt un<br />

effort <strong>de</strong> magnanimité, tantôt une lâche trahison;<br />

refuser jusqu'à <strong>la</strong> liberté quand il feut <strong>la</strong> tenir d'un<br />

tyran, et dire ensuite, en propres termes, que c'est<br />

Un esc<strong>la</strong>m avec kmmeur qwe <strong>de</strong> titre d'Octave, et<br />

rassembler dans un mime personnage un tissu continuel<br />

<strong>de</strong> contradictions si choquantes; c'est violer<br />

trop ouvertement l'unité <strong>de</strong> caractère, ce précepte<br />

qu'Aristote, Horace et Despréaux ont puisé dans<br />

<strong>la</strong> droite raison.<br />

Bcrmîmt se êmum<br />

Qmaim «è meœpêo procmmrUg et mbi comiei.<br />

Qu'en tout avec lui-même II se <strong>mont</strong>re d'aeeord,<br />

Et qu'il soit à <strong>la</strong> fin tel qu'on l'a vu d'abord.<br />

H faut se igurer que le spectateur dit au personnage<br />

qu'il voit sur le théâtre : Qui êtes-vous et que<br />

voules-vous? Je ne puis prendre <strong>de</strong> vos actions que<br />

l'idée que vous m'en dçnnei vous-même; car à cette<br />

idée est attaché l'intérêt que Je puis éprouver.<br />

Voyons donc <strong>de</strong> quoi il s'agit. Auguste esk-il un<br />

tyran qu'il faut punir, et ceux qui le tueront serontils<br />

<strong>de</strong> bons citoyens, vengeurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie? Vous,<br />

Cinna, êtes-vous m citoyen ? êtes-vous ce vengeur?<br />

est-ce là votre opinion? est-ce là votre caractère?<br />

Je le veux bien. Ce parti est très-p<strong>la</strong>usible, je m'y<br />

range, et sous ce point <strong>de</strong> vue je m'intéresse à ce<br />

que vous ailes faire. Mais si au bout <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux actes


488<br />

COURS BE LITTÉRATURE.<br />

vous <strong>de</strong>venez tout à coup un autre homme 9 §11 faut<br />

blâmer ce que j'approuvais, et aimer ce que je<br />

haïssais , je ne peux plus vous suivre : et comment<br />

ra'intéresser à ce que vous pouvez vouloir, quand<br />

vous-même ne le savez pas ?<br />

Il est inutile d'avertir que ce principe n'est pas<br />

applicable quand il s'agit <strong>de</strong>s passions violentes, telles<br />

que l'amour et <strong>la</strong> jalousie, qui sont faites pour<br />

bouleverser l'âme et <strong>la</strong> porter sans cesse d'un mouvement<br />

à un autre. Non-seulement alors l'unité <strong>de</strong><br />

caractère n'est point violée, mais cette variation<br />

même est <strong>de</strong> l'essence <strong>du</strong> caractère établi : et quand<br />

le spectateur vous a dit, Je sais que vous aimez avec<br />

fureur, je sais que vous êtes jaloux avec rage, il<br />

s'attend à tout ce que peuvent faire <strong>la</strong> jalousie et<br />

l'amour. Mais ce n'est pas ici le cas; ce n'est point<br />

l'amour qui change les dispositions <strong>de</strong> Cinna à l'égard<br />

d'Auguste : au contraire, cet amour a si peu <strong>de</strong><br />

pouvoir sur lui, qu'il ne veut point d'Emilie, si elle<br />

lui est donnée par Auguste, et qu'ensuite elle peut<br />

à peine obtenir <strong>de</strong> lui <strong>de</strong> ne pas renoncer à <strong>la</strong> conspiration.<br />

Il a donc toute sa raison ; l'amour ne lui<br />

a point renversé <strong>la</strong> tête, et ses contradictions n'ont<br />

point d'eicuse. Je n'aurais pas même songé à prévenir<br />

cette objection si improbable, s'il al<strong>la</strong>it pas<br />

très-commun d'élever sur les choses les plus c<strong>la</strong>ires<br />

<strong>de</strong>s difficultés entièrement étrangères à <strong>la</strong> question.<br />

Concluons que le rôle <strong>de</strong> Cinna est essentiellement<br />

vicieux, en ce qu'il manque à <strong>la</strong> fois, et d'unité <strong>de</strong><br />

caractère et <strong>de</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce morale. Ajoutons<br />

maintenant qu'il manque aussi <strong>de</strong> cette noblesse<br />

soutenue, convenable à un personnage principal,<br />

qui ne doit rien dire ni rien faire d'avilissant. Or,<br />

actuellement que nous avons appris, en voyant ce<br />

qu'il est au troisième acte, que ce n'est rien moins<br />

qu'un républicain féroce, et que ce n'était pas <strong>la</strong><br />

soif <strong>du</strong> sang d'Auguste qui l'engageait à parler contre<br />

son sentiment, l'excès <strong>de</strong> dissimu<strong>la</strong>tion où il s'est<br />

porté peut-il ne pas l'avilir aui yeui <strong>du</strong> spectateur?<br />

Fa-t-il pas fait le rôle d'un malhonnête homme<br />

quand il s'est jeté aui genoui d'Auguste pour le déterminer<br />

à gar<strong>de</strong>r l'empire? Et qui l'obligeait à tant<br />

d'hypocrisie? On n'en conçoit pas <strong>la</strong> raison, et il<br />

paraissait bien plus simple <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser cette bassesse<br />

hypocrite à Maxime, qui n'est dans <strong>la</strong> pièce qu'un<br />

personnage entièrement sacrifié» .<br />

Nous avons vu déjà combien aoa amour était froid :<br />

sa con<strong>du</strong>ite dans le quatrième acte est quelque chose<br />

<strong>de</strong> bien pis. 11 fait révéler <strong>la</strong> conspiration à l'empereur<br />

par l'esc<strong>la</strong>ve Euphorbe, qui dit en même temps<br />

à Auguste que Maxime s'est tué <strong>de</strong> désespoir; et<br />

cependant ce même Maiime vient chez Emilie lui<br />

dire que tout est découvert, que Cinna est mandé<br />

au pa<strong>la</strong>is, qu'elle va être arrêtée par Tordre d*Auguste;<br />

mais que celui qui est chargé <strong>de</strong> cet ordre<br />

se trouve heureusement être un <strong>de</strong>s conjurés, que<br />

cet homme attend Emilie dans <strong>la</strong> maison <strong>de</strong> Maxime,<br />

et que tous trois ils peuvent prendre <strong>la</strong> fuite. Emilie<br />

répond, avec <strong>la</strong> fermeté qui lui convient, qu'elle<br />

suivra en tout le sort <strong>de</strong> Cinna. Là-<strong>de</strong>ssus il répond<br />

que c'est un autre Cinna qu'elle doit regar<strong>de</strong>r en<br />

M ; que le ciel lui rend l'amant qu'elle a per<strong>du</strong> ; que<br />

<strong>de</strong>s mêmes ar<strong>de</strong>urs dont M fut embrasé*.. Elle l'interrompt<br />

fort à propos.<br />

Mudme, en voilà trop pour un homme amm.<br />

Elle n'a que trop raison. A-t-il pu croire qu'elle donnât<br />

dans un piège si grossier? et jamais déc<strong>la</strong>ration<br />

d'amour fut-elle plus dép<strong>la</strong>cée? Voltaire remarque<br />

qu'elle est comique, et qu'elle aehém <strong>de</strong> rendre le<br />

râle <strong>de</strong> Maxime insupportable. On est forcé d'en<br />

convenir : ce rêîe est indigne <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie.<br />

Malheureusement ces défauts dans les caractères,<br />

les invraisemb<strong>la</strong>nces <strong>de</strong> l'un et les ridicules <strong>de</strong> l'autre<br />

, achèvent aussi <strong>de</strong> détruire l'intérêt <strong>de</strong> l'action f<br />

dont les ressorts ne sont plus tragiques. La trahison<br />

<strong>de</strong> Maxime, qui n'est motivée que par un amour <strong>de</strong><br />

comédie dont personne ne peut se soucier, est un<br />

inci<strong>de</strong>nt par lui-même très-considérable dans <strong>la</strong><br />

pièce, puisqu'il change <strong>la</strong> situation <strong>de</strong> tous les personnages;<br />

mais il est amené par <strong>de</strong> trop petits<br />

moyens. Ses propositions à Emilie révoltent par leur<br />

ma<strong>la</strong>dresse. Cinna t qui a per<strong>du</strong> toute cette gran<strong>de</strong>ur<br />

qu'il avait au premier acte, et qui s'appelle luimême<br />

un lâche et un parrici<strong>de</strong>, ne peut plus nous<br />

attacher à une conspiration qu'il condamne. Que<br />

reste-t-il donc pour soutenir <strong>la</strong> pièce jusqu'au cinquième<br />

acte? Le seul intérêt <strong>de</strong> curiosité : c'est un<br />

grand événement entre <strong>de</strong> grands personnages. La<br />

pièce est intitulée <strong>la</strong> Clémence d'Auguste. Il est informé<br />

<strong>de</strong> tout : il a mandé Cinna : il paraît incertain<br />

<strong>du</strong> parti qu'il doit prendre; il est violemment agité.<br />

On veut voir ce qui arrivera, et tel est l'avantage<br />

qui résulte <strong>de</strong> l'unité d'objet. Le spectateur, que l'on<br />

a toujours occupé <strong>de</strong> <strong>la</strong> même action, veut en voir<br />

<strong>la</strong> fin. Le poète, malgré tant <strong>de</strong> fautes, se soutient<br />

donc ici par son art. Mais il se soutient aussi par<br />

son génie : c'est l'énergique fierté <strong>du</strong> rôle d'Emilie<br />

qui ne se dément jamais ; c'est <strong>la</strong> scène vive et animée<br />

qu'elle a au troisième acte avec Cinna, le contraste<br />

<strong>de</strong> sa fermeté avec <strong>la</strong> faiblesse et les irrésolutions<br />

<strong>de</strong> son amant, et sa sortie bril<strong>la</strong>nte qui termine<br />

l'acte par ces beaux vers :<br />

Qu'il achève, et dégage si fol t<br />

Et qui! choisisse après, <strong>de</strong> k mort on <strong>de</strong> mot.<br />

C'est ensuite le monologue d'Auguste au quatrième


acte , rempli do traits <strong>de</strong> force et <strong>de</strong> vérité , heureusement<br />

imités <strong>de</strong> Sénèque. Ce sont ces beautés<br />

réelles qui , mê<strong>la</strong>nt par intervalles l'admiration à <strong>la</strong><br />

curiosité, soutiennent l'attention <strong>de</strong>s speetateers jusqu'au<br />

cinquième acte, dont le sublime les transporte<br />

assez pour leur faire oublier que jusque-là l'émotion<br />

et l'intérêt ont souvent faibli et varié.<br />

Je ferai ici $ à l'avantage <strong>de</strong> Corneille, une observation<br />

sur ce rôle d'Emilie, qui $ dans le troisième<br />

et le quatrième acte, est certainement le grand ap-<br />

' pui <strong>de</strong> cet édifice dramatique dont plusieurs parties<br />

sont si défectueuses. Yoltaire , en avouant qu't/ étincelle<br />

<strong>de</strong> traits admirables, en fait <strong>la</strong> critique <strong>de</strong> cette<br />

manière :<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

« On <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pourquoi cette ÉmUie ne touche point;<br />

pourquoi ce personnage ne fait pas an théâtre <strong>la</strong> gran<strong>de</strong><br />

impression qu'y fait Hermlone. Elle est Time <strong>de</strong> toute <strong>la</strong><br />

pièce , et cependant elle inspire peu d'intérêt N'est-ce point<br />

parce qu'elle n'est pas malheureuse? n'est-ce point parce<br />

que les sentiments d'un Brutes $ d'un Cassins, conviennent<br />

peu à une fille?... C'est Emilie que <strong>la</strong><strong>du</strong>e avait es vue<br />

lorsqu'il dit dans une <strong>de</strong> ses préfaces qu'il ne veut pas<br />

mettre sur Se théâtre <strong>de</strong> ces femmes qui font <strong>de</strong>s leçons<br />

d'héroïsme aux hommes. »<br />

Ces réflexions sont d $ un goût fin et délicat; mais<br />

. m rapprochement d'Hermione et d'Emilie ne me<br />

paraît pas exact. L'une ne <strong>de</strong>vait pas ressembler à<br />

l'autre. 11 est bien vrai que toutes <strong>de</strong>ui exigent <strong>de</strong><br />

leur amant une vengeance et un meurtre ; mais leur<br />

injure, et par conséquent leur situation, n'est pas <strong>la</strong><br />

même, et se défait pas pro<strong>du</strong>ire le même effet. Emilie<br />

poursuit <strong>la</strong> vengeance <strong>de</strong> son père Toranius, tué $<br />

il y a vingt ans , dans le temps <strong>de</strong>s proscriptions. Ce<br />

sentiment est légitime; mais personne n ? a connu<br />

ce Toranius. La perte qu f a faite Emilie est bien ancienne;<br />

Auguste même Fa réparée-autant qu'il Ta<br />

pu, en traitant Emilie comme sa fille adoptîve; elle<br />

a reçu ses bienfaits : sa situation, comme le remarque<br />

très-bien le commentateur, n'est point à p<strong>la</strong>indre.<br />

Ainsi donc, lorsqu'elle <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>la</strong> tête d'Auguste,<br />

c'est un sentiment tout au moins aussi<br />

républicain queilial , ennobli surtout par le <strong>de</strong>ssein<br />

<strong>de</strong> rendre <strong>la</strong> liberté aui Romains : c'est un <strong>de</strong>s sentiments<br />

auxquels on peut se prêter, mais que le spéciale<br />

n'embrasse pas comme s*Ms étaient les siens,<br />

qu'il ne partage pas a?ee toute <strong>la</strong> vivacité dt ses<br />

affections ; ces sortes <strong>de</strong> râles sont plutôt <strong>de</strong>s moyens<br />

d'action que <strong>de</strong>s mobiles d'intérêt. 11 n'en est pas<br />

<strong>de</strong> même d'Hermione. Son injure est récente, elle<br />

.est sous les yeux <strong>du</strong> spectateur : c'est une femme $<br />

une princesse cruellement outragée et fortement passionnée.<br />

L'offense qu'elle reçoit est <strong>de</strong> celles que tout<br />

son mm partage , et son infortune est <strong>de</strong> celles qui<br />

4S9<br />

excitent <strong>la</strong> pitié <strong>du</strong> nôtre. Sa vengeance n'est pas<br />

un <strong>de</strong>voir ; c'est une passion, et une passion si aveugle<br />

et si forcenée, que l'on sent bien qu'Hermione<br />

se fait illusion à elle-même, et qu'elle sera plus à<br />

p<strong>la</strong>indre encore dès qu'on l'aura vengée. 11 résulte<br />

<strong>de</strong> cette différence essentielle entre les <strong>de</strong>ux rôles,<br />

que celui <strong>de</strong> Racine est infiniment plus théâtral,<br />

mais que Corneille, en faisant l'autre pour un p<strong>la</strong>n<br />

différent, n'était pas obligé <strong>de</strong> pro<strong>du</strong>ire <strong>la</strong> même<br />

impression. 11 nefaut donc pas exiger qu'Emilie nous<br />

towke, mais seulement qu'elle nous attache; et<br />

c'est à quoi l'auteur a réussi en lui donnant le mérite<br />

qui lui est propre, celui d'une noblesse d Y âme<br />

que rien ne peut abaisser, d'une résolution intrépi<strong>de</strong><br />

que rien ne peut ébranler. De ce eété, ce me semble,<br />

Corneille a bien connu son art, en ce qu'il a senti $<br />

ce qu'on peut poser pour principe, que, toutes les<br />

fois qu'un caractère ne peut pas nous émouvoir par<br />

<strong>de</strong>s sentiments que nous partagions, il ne peut nous<br />

subjuguer que par une énergie et une gran<strong>de</strong>ur qui<br />

nous imposent. Un pareil personnage ne peut pas<br />

vouloir trop décidément ce qu'il veut; Car ce n'est<br />

que par cette volonté forte qu'il peut suppléer à l'intérêt<br />

qui lui manque. C'est à quoi Corneille a réussi<br />

dans le rôle d'Emilie; et s'il vou<strong>la</strong>it en offrir le contraste<br />

dans celui <strong>de</strong> Cinna, les principes <strong>de</strong> l'art<br />

exigeaient qu'il le peignît, dès le commencement,<br />

ba<strong>la</strong>ncé entre le pouvoir que sa maîtresse a sur lui,<br />

et l'horreur d'un assassinat, comme, dans <strong>la</strong> tragédie<br />

<strong>de</strong> Bruêus, le jeune Titus est continuellement<br />

partagé entre son amour et son <strong>de</strong>voir.<br />

Je ne parle pas <strong>du</strong> rôle <strong>de</strong> Ovie, que l'on a retranché<br />

â <strong>la</strong> représentation, comme l'Infante dans<br />

h CM. 11 était non-seulement .inutile, mais il affaiblirait<br />

le mérite <strong>de</strong> Inclémence d'Auguste, en<br />

lui faisant suggérer parles conseils d'autrui unebelle<br />

action que <strong>la</strong> générosité seule doit lui dicter. Ici<br />

l'exactitu<strong>de</strong> historique trompa fauteur, qui ne s'aperçut<br />

pas que ce conseil <strong>de</strong> Livie était <strong>du</strong> nombre<br />

<strong>de</strong>s faits que le poète dramatique est le maître <strong>de</strong><br />

supprimer.<br />

A l'égard <strong>du</strong> cinquième acte, un siècle et <strong>de</strong>mi <strong>de</strong><br />

succès l'a consacré. La beauté <strong>de</strong>s vers et <strong>la</strong> simplicité<br />

sublime <strong>du</strong> style font voir que, si Fauteur est<br />

re<strong>de</strong>vable à Sénèque <strong>de</strong> tout le fond <strong>de</strong> cette scène<br />

immortelle, il avait dans son âme le sentiment <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> vraie gran<strong>de</strong>ur, et en connaissait l'expression. II<br />

n'y avait qu'Auguste, mis en scène par Corneille,<br />

qui pût dire :<br />

le suis maître <strong>de</strong> mol comme <strong>de</strong> 1'unlven.<br />

Je le suis, je wmx l'être : o siècles ! ô mémoire !<br />

Conservez à jamais ma déniera victoire,<br />

le triomphe aujourd'hui <strong>du</strong> plus juste courroux<br />

De fiîl le souvenir puisse aller jusqu'à TOUS.


490'<br />

Soymn amis f Qana s tfert tâol qui Feu coule.<br />

Gomme à mon ennemi je fat donné <strong>la</strong> % le ;<br />

Etf maigre <strong>la</strong> tmmr es ton lâche <strong>de</strong>ssein t<br />

le ls k donne «icor comme à mon i<br />

COURS DE LRTÉRA1TJBB.<br />

Ces paroles à jamais mémorables font couler <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes<br />

d'admirattoû et d'attendrissement; et ce mé<strong>la</strong>nge<br />

est une <strong>de</strong>s émotions les plus douces que notre<br />

âme puisse éprouter.<br />

Lorsqu'un moment tupara?ast Auguste dit à<br />

Cinna :<br />

Apprends à te connaître, et <strong>de</strong>scends en toi-même.'<br />

On f honore dans Home, on te courtise f on f aime ;<br />

Chacun tremble sons toi t chacun f offre <strong>de</strong>s veeoi ;<br />

Ta fortune est bien hast, tu peu ce que ta verni»<br />

Mali tu ferais pitié, même à cem qu'elle Irrite»<br />

81 je fêlMMièowmâM à ton peu <strong>de</strong> mérite.<br />

Voltaire rapporte à ce sujet le mot connu <strong>du</strong> maréchal<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Feuil<strong>la</strong><strong>de</strong> : Tu me gâtes k Soyons amis ,<br />

maiimes sur <strong>la</strong> grâce litiae, qui retiennent en plus<br />

d'un endroit <strong>de</strong> cette pièce, fautaient avoir un intérêt<br />

particulier à cette époque, où les querelles <strong>du</strong><br />

jansénisme commençaient à ditiser <strong>la</strong> France, Néar-<br />

§ee, dès <strong>la</strong> première scène, dit, en priant <strong>du</strong> Dieu<br />

<strong>de</strong>s chrétiens :<br />

11 est toojonrs toat Jatte et tout bon ; mais sa grâce<br />

Me <strong>de</strong>Kend pat toujours tvec même efficace,<br />

âpres certains moments que per<strong>de</strong>nt nos longuet» 9<br />

Elle quitte «s traits qui pénètrent les écran.<br />

Le notre s f en<strong>du</strong>rcit, <strong>la</strong> repousse $ régare t<br />

Le bras qui <strong>la</strong> Tenait en détient plus avare,<br />

Et cette sainte ar<strong>de</strong>ur qui doit porter as Mea<br />

Tombe plus rarement on n* opère plus ries.<br />

Personne n'ignore que le christianisme, qui fait te<br />

fond <strong>de</strong> cet outrage, était une <strong>de</strong>s chaises qui rataient<br />

fait condamner par l'hôtel <strong>de</strong> Rambouillet. U<br />

Cinna. Si k roi m'en dkmM aidant, je k remercieraie<br />

<strong>de</strong> sm amWê. Cette remarque fait honneur à <strong>la</strong><br />

délicatesse et au goût <strong>du</strong> courtisan; elle est certainement<br />

fondée. Mais comme U Util toujours que <strong>la</strong><br />

saine critique considère les objets sous toutes les<br />

fiées, pourquoi ne nous aperce?ons-nous pas que cet<br />

endroit nuise en rien au p<strong>la</strong>isir que nous fait toute<br />

<strong>la</strong> scène? C'est qu'au fond , le spectateur n f est également caaaeiaWe qu'on y ai t regardé le morceau<br />

qu'on tient d'entendre, et beaucoup d'autres<strong>du</strong><br />

même genre 9 comme plus faits pour <strong>la</strong> chaire f eu '<br />

pour le théâtre, et que <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong>, qui entendait<br />

parler tous les jours <strong>de</strong> cet mêmes matières, se soit<br />

trouvée par afaace familiarisée- atee ces discussions<br />

théologiqnes, et n'ait pas été blessée <strong>de</strong> les retrouter<br />

dans une tragédie. Mais ce qui est certain, c'est<br />

est pas que <strong>la</strong> disposition <strong>de</strong>s esprits, soit par rapport à <strong>la</strong><br />

ffiehé <strong>de</strong> ?oir Cinna humilié défaut Auguste, qui politique f soit par rapport à <strong>la</strong> religion f ce fît f ul le<br />

détient alors si grand, qu'il attire à lui tout l'inté­ succès <strong>de</strong> Cinna, ni celui <strong>de</strong> P&fymck* Nous atoos<br />

rêt : disons plus, il attire toute l'attention, et, tant tu ce qui ût réussir l'un; toyoasee qui procura <strong>la</strong><br />

qu'il parle, à peine prend-on gar<strong>de</strong> à celui qui l'é­ même gloire à l'autre.<br />

coute. De plus, Cinna M-méme a parlé <strong>de</strong> lui pré­ Corneille a dit dans l'examen <strong>de</strong> Pd§m§<strong>de</strong> :<br />

cé<strong>de</strong>mment dans les mimes termes; il a dit d'Au­ « Je l'ai point fait <strong>de</strong> pièce ni l'ortre dit théâtre soit plus<br />

guste:<br />

beau, et l'cnclmlneiiient <strong>de</strong>s scènes mien* ménagé. »<br />

Ci prince magmiiiMt I dit trai : c'est, <strong>de</strong> toutes ses intrigues, <strong>la</strong> mieux<br />

Qui ëmpmqmjê mk fafî ose telle estime. menée; c'est aussi une <strong>de</strong> celles ou il a mis le plus<br />

Depuis k in <strong>du</strong> second %cte, on s'est accoutumé I d'intention, et cette intention est en partie très-<br />

n'atoir pas une gran<strong>de</strong> idée <strong>de</strong> Qnna. On n'est donc heureuse. Il s'ee faut <strong>de</strong> beaucoup pourtant que cette<br />

pas étonné que l'empereur ne fasse pas <strong>de</strong> lui plus <strong>de</strong> tragédie toit sans <strong>de</strong>tte te; elle en a d'assez grands.<br />

cas qu'il n'en fait lui-même. On ne foitque <strong>la</strong> bonté L'intrigue, nouée atecart, ne l'est pas toujours ateo<br />

qui prêteuse, et Ton oublie tout le reste. Sans doute <strong>la</strong> dignité contenante an genre, et le choix <strong>de</strong>s res-<br />

<strong>la</strong> bienséance dramatique eût été mieut obsortée, sorts n'est pas toujours tragique, parcs qu'il y a un<br />

si ces fera s'y étaient pas; mais ce n'est pas un <strong>de</strong> personnage qui ne l'est pas ; et comme toutes les par­<br />

ces défauts qui blessent les contenances essentielties d'un drame réagissent réciproquement les unes<br />

les : tant il y a <strong>de</strong> nuances dans les fautes comme sur les autres, <strong>la</strong>discontenance d'un caractère forme<br />

dans les beautés !<br />

un'défaut dans l'intrigue. Cest ce qu'il y a <strong>de</strong> plus<br />

Voltaire remarque, en par<strong>la</strong>nt <strong>du</strong> grand succès <strong>de</strong> important à obserter dans cet outrage, et ce que je<br />

Cinna, que les idées qui dominent dans cet outrage, tais développer.<br />

les discussions politiques sur <strong>la</strong> meilleure forme <strong>de</strong> Le martyre <strong>de</strong> saint Polyenete, rapporté par Su­<br />

gouternemeiit, l'espèce <strong>de</strong> gloire attachée à l'habirfais, n'a fourni à Corneille que <strong>la</strong> liaison étroite lie<br />

leté et au courage <strong>de</strong>s conspirateurs, dotaient p<strong>la</strong>ire ce jeune néophyte atec Héarque, qui fa? ait converti<br />

à <strong>de</strong>s esprits occupés <strong>de</strong>s factions et <strong>de</strong>s troubles au christianisme; son mariage atee Pauline, ilie <strong>de</strong><br />

qui ataient éc<strong>la</strong>té pendant le ministère <strong>de</strong> Richelieu, Félii, proconsul romain, qui avait ordre <strong>de</strong> rem*<br />

et pro<strong>du</strong>it <strong>de</strong>s révoltes «t <strong>de</strong>s guerres cl?Iles. On pereur Bèce <strong>de</strong> pourauitre les chrétiens; l'action<br />

peut dire aussi <strong>de</strong> Pofyeueiêj qui suffit Cinm, que les hardie <strong>de</strong> Polyeucte, qui déchire en plie l'édit <strong>de</strong>


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

l'empereur contre le christianisme, et brise les idoles<br />

que portaient les prêtres; et <strong>la</strong> vengeance qu'en<br />

tira Félix , qui f après avoir inutilement employé les<br />

prières <strong>de</strong> Pauline pour ramener son gendre à <strong>la</strong> religion<br />

<strong>de</strong> son pays, lut obligé <strong>de</strong> le condamner à<br />

mort. Tout le reste appartient au poète.<br />

Sa fabley quoique en général bien conçue, est<br />

fondée sur quelques invraisemb<strong>la</strong>nces assez fortes,<br />

mais qui heureusement portent sur l'avant-scène<br />

plus que sur faction mime qui se passe sur le théâtre;<br />

et ce sont celles que le spectateur eicuse toujours<br />

le plus aisément. Sans doute il est peu vraisemb<strong>la</strong>ble<br />

que Sévère arrive jusque dans le pa<strong>la</strong>is<br />

<strong>du</strong> gouverneur d'Arménie, et jusque dans l'appartement<br />

<strong>de</strong> Pauline, sans savoir qu'elle vient d'être<br />

mariée à Polyeucte quinze jours auparavant, sans<br />

qu'un événement si récent, et qui f Intéresse plus<br />

que personne, soit parvenu jusqu'à lui. Il ne l'est<br />

pas non plus que l'empereur, après sa victoire sur<br />

les Perses, dont il lui est re<strong>de</strong>vable, l'envoie en Arménie,<br />

comme on le dit, pour faire unsacrilee au<br />

dieux. Il ne f est pas davantage que Félix, qui craint<br />

tant ses ressentiments et son crédit auprès <strong>de</strong> l'empereur,<br />

n'aille pas au-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong> lui, et que Pauline<br />

le voie avant qu'il ait vu son père. Mais ces circonstances<br />

sont à peu près indifférentes à l'effet théâtral y<br />

parce qu'elles ne portent ni sur les caractères ni sur<br />

les situations. Le poète a déjà mis le spectateur<br />

dans l'attente <strong>de</strong> ce que pro<strong>du</strong>ira là vue <strong>de</strong> Sévère,<br />

qui est aimé <strong>de</strong> Pauline, et qui a voulu l'épouser :<br />

il n'examine ps trop comment ni pourquoi il arrive,<br />

parce qu'il est très-satisfait <strong>de</strong> le voir ; et il faut bien<br />

distinguer entre les foutes qui ne sont que pour les critiques<br />

et les juges <strong>de</strong> fart, et celles qui sont pour<br />

tout le mon<strong>de</strong>. Celles-ci inluent sur le sort <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

pièce ; les autres ne concernent que le plus ou moins<br />

<strong>de</strong> perfection.<br />

On convient unanimement que cet amour <strong>de</strong> Sévère<br />

et <strong>de</strong> Pauline forme un noeud intéressant 9 parce<br />

que le péril <strong>de</strong> Polyeucte les met tous <strong>de</strong>ux dans une<br />

situation respective, propreà déployer cette noblesse<br />

<strong>de</strong> sentiments qui nous attache aux personnages <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> tragédie, et nous fait partager <strong>de</strong>s infortunes<br />

qu'ils n'ont ps méritées. C'est une <strong>de</strong>s créations<br />

qui font le plus d'honneur au talent <strong>de</strong> Corneille et<br />

dont il n'avait trouvé le modèle nulle part. Polyeucte<br />

est sur le point d'être con<strong>du</strong>it à <strong>la</strong> mort s'il ne renonce<br />

point au christianisme. Les <strong>la</strong>rmes <strong>de</strong> Pauline<br />

s'ont pu rien sur lui. Elle s'adresse, pour le sauver,<br />

à celui même qui est le plus intéressé à cequ'il meure,<br />

à son rival, à celui qu'elle aime encore, et à qui elle<br />

Ta même avoué; à celui à qui Polyeucte même, en<br />

chrétien élevé au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tous <strong>la</strong> objets tenres-<br />

491<br />

très, vient <strong>de</strong> <strong>la</strong> résigner en se préparant à mourir.<br />

Elle croit qu'un homme qui lui a pru digne d'elle<br />

doit être capable <strong>de</strong> ce trait <strong>de</strong> générosité,, et elle ne<br />

se trompe pas. C'étaient là <strong>de</strong>s beautés neuves et originales,<br />

dont personne n'avait donné Fidée. Cette<br />

délicatesse <strong>de</strong> sentiments ne se trouvait ni dans les<br />

théâtres anciens ni dans ceux <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>rnes; elle<br />

était dans l'âme .<strong>de</strong> Corneille.<br />

Vous êtes généreux, toyts-le Jusqu'au bout<br />

Mon père est en état <strong>de</strong> vous •eeot<strong>de</strong>r tout :<br />

Il ¥008 craint, et J'avance eneor cette parole,<br />

Que s'il perd mon époux , c'est à vous qu'il nouante.<br />

Sauva m malheureux t emptoye-i«M pour loi ;<br />

FaUtt-YOUi eu effort pour lu! servir d'appel.<br />

le sais que c'est beaucoup que ce que Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ;<br />

Mais plus l'effort est grand t plus <strong>la</strong> gloire en est grenat»<br />

CoBservet os rival dont vous «tes Jaloux 9.<br />

Cest un trait <strong>de</strong> fer<strong>la</strong>tpi n'appartient qu'à vont;<br />

Et si ce s'est asses <strong>de</strong> votre renommée 9<br />

C'est beaucoup qu'use femme astiefoSs tant alliée,<br />

Et dont Farnour peut-être eaeor voua peut toucher,<br />

Dotve à votre grand cœur ce qu'elle a <strong>de</strong> plua cher,<br />

Soutenez-YOUS enfin que vous êtes Sévère.<br />

Adieu. Résolvez seul ce que vous <strong>de</strong>vez faire ;<br />

8i TOUS n'êtes pas tel que Je fore espérer,<br />

Pour vous priser eneor, Je le feu Ignorer.<br />

Le caractère <strong>de</strong> Polyeucte, quoique d'une espèce<br />

très-différente f n'est pas moins bien eonçu ni moins<br />

bien tracé. Il est plein <strong>de</strong> cet enthousiasme religieux<br />

nécessaire pour justifier ses violences, et- qui confient<br />

parfaitement à en chrétien qui court au martyre.<br />

L'hôtel <strong>de</strong> Rambouillet avait craint qu'il ne<br />

fût ridicule : il est théâtral, comme toute grtn<strong>de</strong><br />

passion ; et ce zèle exalté qui va chercher <strong>la</strong> mortf<br />

et que <strong>la</strong> religion ne propose nullement pour modèley<br />

mais regar<strong>de</strong> comme une exception que le martyre<br />

seul a consacrée, est une <strong>de</strong>s passions naturelles à<br />

l'homme. Elle a dans Polyeucte toute <strong>la</strong> chaleur<br />

qu'elle doit a?oir. S'il n'eût été qu'un homme persuadé<br />

et résigné, il eût pru froid; mais il est enthousiaste<br />

à l'excès; il entraîne. C'est là le cas où<br />

l'extrême est nécessaire $ et où <strong>la</strong> vraie mesure est <strong>de</strong><br />

n'en pas gar<strong>de</strong>r.<br />

La con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> Sévère répond à l'estime que Pauline<br />

lui a témoignée. Il s'emploie <strong>de</strong> tout son pouvoir<br />

auprès <strong>de</strong> Félix, pour l'engager à attendre <strong>du</strong><br />

moins <strong>de</strong>s ordres précis <strong>de</strong> l'empereur avant <strong>de</strong> se<br />

résoudre à faire périr son gendre , un homme considérable,<br />

qui <strong>de</strong>scend <strong>de</strong>s rois d'Arménie, et à qui<br />

tout le peuple s'intéresse au point qu'on craint une<br />

révolte en sa faveur. Cette <strong>de</strong>man<strong>de</strong> est si bien motivée<br />

, qu'il semble très-difficile que Félix s'y refait y<br />

et d'autant plus qu'il a <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong>'déférence pour<br />

Sévère, qu'il regar<strong>de</strong> comme l'arbitre <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>stinée.<br />

Cependant il ne se rend point, et ordonne le supplice<br />

<strong>de</strong> Polyeucte, parce qu'il fal<strong>la</strong>it que <strong>la</strong> mort<br />

<strong>du</strong> «al martyr Ht le<strong>de</strong>noûment <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce. C'est


4M<br />

COUES DE LITTÉRATURE.<br />

ici qu'elle pècHe à <strong>la</strong> fois par l'intrigue et par lia<br />

caractère dégradé. Quels sont en effet les motifs<br />

que railleur prête à Félix? Sont-ils naturels? sontils<br />

suffisants? sont ils tragiques? Félii se met dans<br />

<strong>la</strong> tête que toutes les démarches <strong>de</strong> Sévère en fa?eur<br />

<strong>de</strong>Polyeecte ne sont qu'une feinte; que c'est un<br />

piège qu'on lui tend, afin <strong>de</strong> le perdre ensuite auprès<br />

<strong>de</strong> l'empereur, comme ayant contre venu à<br />

ses ordonnances. Mais d'abord, pour quoi Félix s'imagine-t-il<br />

que Sévère, qui n'a <strong>mont</strong>ré jusqu'ici<br />

qu'un caractère fort noble, s'abaisse jusqu'à cet<br />

indigne artifice dont il n'a nul besoin? De plus,<br />

comment peut-il croire qu'on lui fasse un crime<br />

capital d'avoir <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong>s ordres pour faire mourir<br />

son gendre? Rien n'est moins naturel que ce<br />

raffinement <strong>de</strong> politique : il n'y a qu'à l'entendre<br />

pour «i être convaincu. Il ouvre ainsi le cinquième<br />

acte avec son confi<strong>de</strong>nt :<br />

âlMs, as-tu bleu vu <strong>la</strong> fourbe <strong>de</strong> Sévère?<br />

At-tu bien ¥u sa baise, et vois-tu ma misera?<br />

ALBiff.<br />

le ne ¥dls rien en <strong>la</strong>i qu'os rival généreux,<br />

Et ne vois rien en vous qu'us père rigoureux»<br />

FÉLIX.<br />

Que tu discernes mal le cœur d'avec In mime !<br />

Dans fâme il hait Félix, el dédaigne Pauline :<br />

Et §'11 ratifia Jadis f il estime aujourd'hui<br />

Les restes d'un rival trop indignes <strong>de</strong> lui.<br />

Il parle es sa faveur, il me prie t il menace,<br />

Et me perdra f dit-il, si Je ne lui fais grâee :<br />

Tranchant <strong>du</strong> généreui ? il croît m'épouvanter.<br />

L'artifice est trop lourd pour ne pas l'éventer i<br />

le sais <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> cour quelle est <strong>la</strong> politique t<br />

Feu connais mleus que lui <strong>la</strong> plus fime pratique.<br />

Cest en vain qu'il UmpiU, et feint d'être es fureur;<br />

Jeirots ce qui! prétend auprès <strong>de</strong> l'empereur :<br />

De ee qu'il me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> il m'y ferait un crime;<br />

Épargnant son rival, je serais sa victime;<br />

Btt s'il avait affaire à quelque ma<strong>la</strong>droit,<br />

Le piège est Me» ten<strong>du</strong>, sans doute il le perdrolL<br />

Mais un vieux courtisan est un peu moins eré<strong>du</strong>le ;<br />

11 voit quand on le joue et quand on dissimule;<br />

El moi s fen mi tant tm <strong>de</strong> fautes fegfmç&M,<br />

Qu'à lui-même au besoin j'en ferais <strong>de</strong>s leçons.<br />

Ces fers réunissent tous les genres <strong>de</strong> fautes.<br />

Comparons-les à ceux que l'on fient d'entendre <strong>de</strong><br />

Pauline, et affirmons , comme une chose constante,<br />

que le style <strong>de</strong> Corneille, quoi qu'on en ait dit, est<br />

ordinairement analogue à ses idées. Quand il pense<br />

bien, il s'exprime bien. Quand sa pensée est mauvaise<br />

9 sa diction Test encore plus. Toute cette scène<br />

fait f otr dans Félix un homme aussi bas que ma<strong>la</strong>droit<br />

: bas, parce qu'il ne se résout à faire périr<br />

son gendre que dans <strong>la</strong> crainte <strong>de</strong> perdre sa p<strong>la</strong>ce;<br />

ma<strong>la</strong>droit, parce qu'il se persua<strong>de</strong> sans raison tout<br />

- le contraire <strong>de</strong>là vérité. Il est impossible <strong>de</strong> ne pas<br />

coaeevoir <strong>du</strong> mépris pour un homme qui fa commettre<br />

une cruauté par <strong>de</strong>s tues si petites, et qui<br />

se pique d'état fin lorsqu'il se trompe si lour<strong>de</strong>ment.<br />

Ce caractère n'est pas digne <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie, et le <strong>la</strong>ngage<br />

ne Test pas non plus. On a pu ?oir <strong>la</strong> même chose<br />

dans Maxime, et l'on peet faire <strong>la</strong> même épreuve<br />

sur toutes les pièces <strong>de</strong> Corneille. C'est Pâme, a dit<br />

un ancien, qui nous fait éloquents ipectm est quoé<br />

disertumfacit. II l'est toutes les fols que son âme<br />

l'inspire bien. Quand son esprit s'égare, il ne l'est<br />

plus.<br />

Je ne prétends pas relever toutes les fautes <strong>du</strong><br />

morceau que je viens <strong>de</strong> citer : elles sont assez sensibles.<br />

Mais il y a dans les termes mêmes, à huit<br />

vers <strong>de</strong> distance, une contradiction choquante, qui<br />

prouve combien l'auteur mettait <strong>de</strong> négligence dans<br />

cette partie <strong>de</strong> sa composition.<br />

L'artillee est trop lourd pour ne pas revente?.<br />

Et un moment après :<br />

Le piép eil bien ten<strong>du</strong>....<br />

Si fsriifiœ est trop lourd, comment k piège<br />

est-U bien ten<strong>du</strong> f C'est une étrange inadvertance.<br />

Voltaire, que Ton accuse <strong>de</strong> relever trop minutieusement<br />

<strong>de</strong> petites fautes, n'a pourtant rien dit <strong>de</strong><br />

celle-là; et il en a passé bien d'autres.<br />

Mais en supposant que les motifs <strong>de</strong> Félix fussent<br />

naturels, sont-ils suffisants ? Mon. Il manque ici<br />

cette proportion nécessaire entre les moyens et l'action.<br />

Il s'agit <strong>de</strong> savoir si Félix fera mourir un <strong>de</strong>s<br />

personnages les plus importants <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, s'il enverra<br />

son gendre à Féchafaud. Il y répugne, car on<br />

ne le peint ni cruel ni fanatique. Quel est donc le<br />

contre-fioids qui ie fera pencher vers <strong>la</strong> rigueur? Il<br />

n'y en a point d'autre que le calcul erroné d'une<br />

très-mauvaise et très-lâche politique, et <strong>la</strong> possibilité<br />

très-incertaine <strong>de</strong> perdre le gouvernement d'Arménie.<br />

Ce n'est pas là un ressort suffisant pour <strong>la</strong><br />

tragédie v où il faut toujours que chaque personnage<br />

ait un <strong>de</strong>gré d'intérêt proportionnel, re<strong>la</strong>tivement<br />

à l'intérêt général.<br />

Si les motifs <strong>de</strong> Félix ne sont ni* naturels ni suffisants,<br />

ils ne sont pas plus tragiques. Un personnage<br />

qui f dans tout le <strong>cours</strong> d'une pièce, p<strong>la</strong>cé entre<br />

sa fille et son gendre, dont il faut envoyer l'un à<br />

k mort et <strong>la</strong>isser l'autre dans le <strong>de</strong>uil, ne s'occupe<br />

que <strong>de</strong> savoir s'il sera plus ou moins grand seigneur,<br />

ne peut inspirer aucun <strong>de</strong>s sentiments que<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie. Quand il dit,<br />

Polyeucte «I ici l'appui <strong>de</strong> ma famille ;<br />

Mali st, par son trépas, tmmtre épousait ma i!Se9<br />

J'acquerrais bien par là <strong>de</strong> plus puissants appuis,<br />

Qui me mettraient plus haut cent fois que Je ne suit ;<br />

qnand il parle ainsi, il paraît vil : et lorsqu'il dit,<br />

le tais <strong>de</strong>s oeartisAHs <strong>la</strong> pim-jlm pratiqué....<br />

Et moi, J'en es tamt PU <strong>de</strong> §§mêe$ lmfaç@m,<br />

Qu'à lut-meme au feeeofa feu ferais <strong>de</strong>s leçons,


le spectateur, qui n'a rien aperçu qui puisse eicu-<br />

' ser <strong>la</strong> méprise , qui le ?oit juger si mal ce Se?ère que<br />

tout le mon<strong>de</strong> cousait si bien, et se vanter <strong>de</strong> son<br />

habileté quand il masque <strong>de</strong> sens, tmmt ici ce<br />

qu'il y a <strong>de</strong> pis, le ridicule joint à <strong>la</strong> bassesse.<br />

Voltaire pense que Corneille aurait dû peindre<br />

Félix comme un païen entêté <strong>de</strong> sa religion, et vengeant<br />

sur un sacrilège <strong>la</strong> cause <strong>de</strong>s dieux <strong>de</strong> l'empire.<br />

Je crois qu'il a entièrement raison, et que cette<br />

idée aurait fait disparaître <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie <strong>de</strong> Fnfyemcte<br />

un défaut très-considérable f qui gâte une<br />

pièce, d'ailleurs <strong>la</strong> mieux con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> celles <strong>de</strong> l'auteur.<br />

Elle a encore un autre mérite : c'est celui <strong>du</strong><br />

dialogue, en général plus naturel que ne l'est ordinairement<br />

celui <strong>de</strong> Corneille, et souvent d'une rapidité<br />

et d'une vivacité qui lui sont particulières.<br />

Voyez <strong>la</strong> scène entre Polyeucte et Héarque.<br />

wtmqm*<br />

Ce lèJe est trop aidait ; mmËrm quH «modère.<br />

POLYEUCTE.<br />

Os n'en peut avoir trop pour le dira qu'on révéra.<br />

HÉARQUB.<br />

Tniii trouvera <strong>la</strong> mort.<br />

POLYEUCTE.<br />

Je Sa cherche pour lui.<br />

NéABQIJE.<br />

El si ce ©erar s'ébranle ?<br />

FOLYEDCR.<br />

Il sera mon appel.<br />

lÉAiniJE,<br />

n ne comman<strong>de</strong> point que Fon s'y précipite.<br />

POLYEUCTE.<br />

Pliu eue est volontaire, et plus elle mérite,<br />

NéàRQSE.<br />

Il suffit sans chercher d'attendre et <strong>de</strong> souffrir.<br />

POLYEUCTE.<br />

On souffre avee regret quand on n'oie s'offrir.<br />

NéAHQVE.<br />

Mate dans ce temple enfin <strong>la</strong> mort est assurés.<br />

POLYEUCTE.<br />

Mats dans k ciel déjà <strong>la</strong> palme est préparée ? etc.<br />

Et k scène entre Félii et sa Elle, quand elle loi <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> grâce <strong>de</strong> son époux :<br />

WMJLME,<br />

Ne rabandonnei pas aux fureurs <strong>de</strong> sa secte.<br />

FÉLIX.<br />

le l'abandonne aux lois f qu'il faut que Je respecte.<br />

PAULINE.<br />

Est-ce ainsi que d'an gendre en bete-père est l'appui?<br />

FÉLIX.<br />

QtfB fosse autant ponr soi comme je fols pour lui.<br />

PAULDH*<br />

Mais il est aveuglé.... FÉLIX.<br />

MatoilsepfattàFêtre.<br />

Qui chérit son erreur ne <strong>la</strong> vent pas connaître.<br />

PAULINE.<br />

Mon père, an nom <strong>de</strong>s dieux....<br />

PEUX.<br />

Hel« réc<strong>la</strong>mes pas,<br />

Ces dieux, dont l'intérêt <strong>de</strong>man<strong>de</strong> son trépas.<br />

MUOHB.<br />

Ils écoutent nos vœex.<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — fOÉSIE. 4m<br />

FEUX.<br />

Eh bien ! «pli leur en fasse.<br />

'PAULINE.<br />

As nom <strong>de</strong> femmrmt dont vous tenez <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ns...<br />

FÉLIX.<br />

Ta! son pouvoir en main ; mais, s'il me Fa commis 9 -<br />

C'est pour le déployer contre ses ennemis.<br />

PAtJLDfl.<br />

Polyen<strong>de</strong> Fest-ll?<br />

FÉLIX.<br />

Tons chrétiens sont wbeUaa.<br />

PAUL11E.<br />

If écoutes point pour loi ces maximes cruelles.<br />

En épousant Pauline, tf M'est fait mèm mm§.<br />

FÉLIX.<br />

le regar<strong>de</strong> sa faute, et ne vois pas son rang.<br />

Quand Se crime d'État se mêle an sacrilège 9<br />

Le sang ni famille n'ont plus <strong>de</strong> pri¥Ué§t.<br />

. PAUURB.<br />

Quel excès <strong>de</strong> rlgnear ! FEUX.<br />

Moindre que son forfait, etc.<br />

SI le râle <strong>de</strong> Félii était fait <strong>de</strong> manière que Fou<br />

pût croire qu'il est <strong>de</strong> bonne foi, l'effet <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène<br />

répondrait à <strong>la</strong> beauté do dialogue; mais dans les<br />

scènes awee sou confi<strong>de</strong>nt, il s'est <strong>mont</strong>ré à découvert,<br />

et l'on ae peut pas s'y tromper.<br />

Un dialogue encore supérieur à tout ce que j'ai<br />

cité, c'est celui qui termine <strong>la</strong> scène où Polyeucte<br />

ne quitte 1e théâtre que pour être mené au supplice.<br />

FÉLIX.<br />

loin f ma conté cèle à ma juste faneur.<br />

Adore-les, «m meurs.<br />

POLYEUCTE.<br />

le suis chrétien.<br />

PEUX.<br />

Impie!<br />

Moro-les f te dte-Je s on renonce à <strong>la</strong> fie.<br />

FOLYIUCTS.<br />

le suis chrétien.<br />

FÉLIX.<br />

Tu l'es ! ô cœur trop obstiné !<br />

Soldats 9 exécutez fonl.ro que j'ai donné.<br />

MSUNE.<br />

Où 1® con<strong>du</strong>isez-Tons? FÉLIX.<br />

A k mort<br />

POLÏEOCTE.<br />

A <strong>la</strong> gloire.<br />

Chère Pauline 9 adieu, conserve* ma mémoire.<br />

PAULINE.<br />

le te suivrai partant, et mourra!, si tu meurs.<br />

* • POLYEUCTE.<br />

He suivez point mes pas, on quittes vos erreurs , etc.<br />

On trouve dans Garuier et dans les auteurs qui<br />

oat précédé Corneille quelques eiemples d'un dialogue<br />

coupé : mais il se suffit pas <strong>de</strong> répondre en<br />

un fers; il faut que le fers ait assez <strong>de</strong> sens et fie<br />

force pour dispenser d'en dire ditantage.<br />

On reproche au dénouaient <strong>de</strong> Polyeucte <strong>la</strong> double<br />

conversion <strong>de</strong> Pauline et <strong>de</strong> Félii. La première<br />

ne parait pas répréhenslble : c'est un miracle, il est<br />

vrai, mais il esteonforme aux idées religieuses établiesdana<br />

<strong>la</strong> pièce. La secon<strong>de</strong> est m effet vicieuse


404<br />

C0U1S DE LITTÉEATUEE.<br />

par plusieurs raisons : d'abord, parce qu'un moyen<br />

aussi extraordinaire qu'un miracle peut passer une<br />

fois, mais ne doit pas être répété; ensuitef parce<br />

que l'intérêt <strong>du</strong> christianisme étant mêlé à celui <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> tragédie, il est convenable qu'une femme aussi<br />

vertueuse que Pauline se fasse chrétienne, mais non<br />

pas que Dieu fasse un second miracle en faveur<br />

d'un homme aussi méprisable que Félix.<br />

La première question qui se présente sur <strong>la</strong> tragédie<br />

qui a pour titre Pompée, c'est <strong>de</strong> savoir quel<br />

marié, joue un râle indigne d'une princesse.- Cependant<br />

<strong>la</strong> pièce est restée au théâtre malgré tous ses<br />

défauts, et s'y soutient par une <strong>de</strong> ces ressources<br />

qui appartiennent au génie <strong>de</strong> Corneille, par le seul<br />

rôle <strong>de</strong> Cornélie. Il offre un mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong> noblesse et<br />

<strong>de</strong> douleur, <strong>de</strong> sublime et <strong>de</strong> pathétique, qui fait<br />

revivre en elle tout f intérêt attaché à ce seul nom<br />

<strong>de</strong> Pompée. Il ne paraît point dans <strong>la</strong> pièce; mais il<br />

semble que son ombre <strong>la</strong> remplisse et l'anime.<br />

L<br />

en est le sujet. Ce ne peut être <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Pompée,<br />

quoique <strong>de</strong>puis longtemps on se soit accoutumé à<br />

l'afficher sous ce titre très4mpniprement ; car Pompée<br />

est assassiné au commencement <strong>du</strong> second acte.<br />

Ce pourrait être <strong>la</strong> vengeance <strong>de</strong> cette mort , si Ptolémée,<br />

qui périt dans un combat à <strong>la</strong> in <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce,<br />

était tué en punition <strong>de</strong> son crime, liais il ne Test<br />

que'paree que César, à qui ce prince peri<strong>de</strong> veut<br />

Élire éprouver le sort <strong>de</strong> Pompée, se trouve heureusèment<br />

le plus fort et triomphe <strong>de</strong> l'armée égyptienne.<br />

Cette conspiration contre César, et le péril<br />

qu'il court, forment donc use secon<strong>de</strong> action, moins<br />

intéressante que <strong>la</strong> première; car on sait quels<br />

éloges unanimes les connaisseurs ont donnés à <strong>la</strong><br />

scène déposition, qui <strong>mont</strong>re Ptolémée délibérant<br />

avec ses ministres sur l'accueil qu'il doit faire à<br />

Pompée, vaincu à Pharsale, et cherchant un asile<br />

en Egypte. On ne peut pas commencer une tragédie<br />

d'une manière plus imposante à <strong>la</strong> fois et plus attachante;<br />

et, quoique l'exécution en soit souvent<br />

gâtée par Teniure et <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>mation, cette ouverture<br />

<strong>de</strong> pièce, en ne <strong>la</strong> considérant que par son objet,<br />

passe avec raison pour un modèle. Des scènes<br />

d'une ga<strong>la</strong>nterie froi<strong>de</strong>, et quelquefois indécente,<br />

entre César et Cléopâtre, ne sont qu'un remplissage<br />

vicieux qui achève <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> cette pièce un<br />

ouvrage très-irrégulier, composé <strong>de</strong> parties incohérentes.<br />

Les caractères ne sont pas moins répréhensibles.<br />

Le roi Ptolémée, qui supplie sa sœur<br />

Cléopâtre d'employer son crédit auprès <strong>de</strong> César<br />

pour en obtenir <strong>la</strong> grâce <strong>de</strong> Photin, est entièrement<br />

avili; et quand Achorée dit, en par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> sa contenance<br />

<strong>de</strong>vant César,<br />

Toutes sa lettons eut lest! It bassesse ;<br />

'<br />

Tm M roagl moi-même, et aie mi* p<strong>la</strong>int à mol,<br />

De voir là Ptolémée et s'y voir point <strong>de</strong> roi,<br />

il fait en très-beaux vers <strong>la</strong> critique <strong>de</strong> ce caractère.<br />

César, qui n'a mimm à Pkmrsmk qme p&m €M&pêÊre,<br />

et qui n'est venu m Egypte qm p&w elfe,<br />

est encore plus sensiblement dégradé, parce que<br />

c'est us <strong>de</strong> ces personnages dont le Bom «il annonce<br />

<strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur. Cléopâtre f qui parle d'amour<br />

et <strong>de</strong> mariage, en style <strong>de</strong> comédie f à César qui est<br />

9 urne qui contient ses cendres, et qu'apporte à sa<br />

Teuve un louais obscur qui a ren<strong>du</strong> les <strong>de</strong>rniers<br />

<strong>de</strong>voirs aux restes d'un héros malheureux ; l'expresgion<br />

touchante <strong>de</strong>s regrets <strong>de</strong> Cornélie, et les serments<br />

quelle fait <strong>de</strong> venger son époux; les regrets<br />

même <strong>de</strong> César, qui ne peut refuser <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes au<br />

sort <strong>de</strong> son ennemi, répan<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> temps en temps<br />

sur cette pièce une sorte <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil majestueux qui<br />

convient à <strong>la</strong> tragédie. La scène où Cornélie vient<br />

avertir César <strong>de</strong>s complots formés contre sa vie<br />

par Ptolémée et Photin est encore une <strong>de</strong> ces hautes<br />

conceptions qui caractérisent le grand Corneille, et<br />

rappellent Fauteur <strong>de</strong>s HorocêM et <strong>de</strong> Cinaa.<br />

On sait qu'il leur préférait Rmhgune. Il n 9 a pas<br />

dissimulé sa prédilection pour cet ouvrage; M m<br />

les quatre premiers actes répondaient au <strong>de</strong>rnier, il<br />

n'y aurait pas à ba<strong>la</strong>ncer ; tout le mon<strong>de</strong> serait <strong>de</strong><br />

son avis. Il n'y a point <strong>de</strong> situation plus forte ; il n'y<br />

en a point où Ton ait porté plus loin <strong>la</strong> terreur, et<br />

cette incertitu<strong>de</strong> effrayante qui serre l'âme dans<br />

l'attente d'un événement qui ne peut être que tragique.<br />

Ces mots terribles,<br />

Une main fui nous Ait Mes chère...<br />

ces mots font frémir. Et ce qui mérite encore plus<br />

d'éloges, c'est que <strong>la</strong> situation est aussi bien dénouée<br />

qu'elle est fortement conçue.<br />

Cléopâtre, ava<strong>la</strong>nt elle-même le poison préparé<br />

pour son ils et pour Rodogune, et se f<strong>la</strong>ttant encore<br />

<strong>de</strong> vivre assez pour les voir périr avec elle,<br />

forme un dénoûtnent admirable. Il faut bien qu'il<br />

le soit, puisqu'il a fait pardonner les étranges invraisemb<strong>la</strong>nces<br />

sur lesquelles il est fondé, et qui ne<br />

peuvent pas avoir d'autre excuse. Ceux qui ont cru,<br />

bien mal à propos, que <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> Corneille était<br />

intéressée à ce qu'on justifiât ses fautes, ont fait <strong>de</strong><br />

vains efforts pour pallier celles <strong>du</strong> pian <strong>de</strong> Jtodbgwm.<br />

Pour en venir à bout, il faudrait pouvoir<br />

dire : Il est dans l'ordre <strong>de</strong>s choses vraisemb<strong>la</strong>bles<br />

que, d'un côté, une mère propose à ses'<strong>de</strong>ux Ils, à<br />

<strong>de</strong>ux princes reconnus sensibles et vertueux, d'assassiner<br />

leur maltresse; et que, d'un autre côté,<br />

dans le même jour, cette même maîtresse, qui n'est<br />

point représentée comme une femme atroce, pro-


SIÈCLE NE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

pose à <strong>de</strong>ux jeunes princes, dont élit connaît <strong>la</strong><br />

vertu, d'assassiner leur mère. Comme il est impossible<br />

d'accor<strong>de</strong>r cette assertion avec le bon "sens,<br />

il faut beaucoup mieux abandonner une apologie<br />

insoutenable, et <strong>la</strong>isser à Goreeille le soin <strong>de</strong> se défendre<br />

lui-même, il s'y prend mieux que ses défenseurs<br />

: il a fait le cinquième acte. Souvenoos-<br />

1 sous donc une bonne fois, et pour toujours, que sa<br />

gloire n'est pas <strong>de</strong> n f a?oir point commis <strong>de</strong> fautes,<br />

mais d'avoir su les racheter : elle doit suffire à ce<br />

créateur <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène française.<br />

II prit <strong>de</strong>s Espagnols le sujet é'Mérûdim, comme<br />

celui <strong>du</strong> CM, aaalf en y faisant beaucoup plus <strong>de</strong><br />

changements, et empruntant moins dans les détails.<br />

Ces fers si connus,<br />

O maUMuieax Phocas ! ô trop hennux Hurlée!<br />

TU fetftMTM <strong>de</strong>ux Ait pour mourir après toi,<br />

ft je n'es puis trouver pour régner «près moi,<br />

sont en effet <strong>de</strong> Cal<strong>de</strong>rou; mais ce sont les seuls<br />

qu'il ait fournis à son imitateur. .L'intrigue d'ailleurs<br />

est fort différente : <strong>la</strong> fable <strong>de</strong> Fauteur espagnol<br />

est chargée 4'épiso<strong>de</strong>s; celle <strong>de</strong> Corneille est<br />

une. Il est frai que les ressorts sont d'une eomplication<br />

qui fa jusqu'à Fobseurité. C'est à propos<br />

é'tiérœiim que BoMeaû, dans son Art poéMqm,<br />

censure Fauteur,<br />

. . . Qui, débwull<strong>la</strong>nf mal tu pénible intrigue,<br />

D'an divertissement me fait une fatigue.<br />

Cen qui ont pris leur parti d'admirer tout dans<br />

un auteur illustre, ont préten<strong>du</strong>, malgré Boileau,<br />

que cette multiplicité <strong>de</strong> ressorts dont il est difficile<br />

<strong>de</strong> suif re le jeu prouve une très-gran<strong>de</strong> force <strong>de</strong> composition.<br />

Ce<strong>la</strong> peut être, je ne veux pas les démentir;<br />

mais je crois qu'il y en a davantage à pro<strong>du</strong>ire<br />

<strong>de</strong> grands effets s?ec <strong>de</strong>s moyens très-simples,<br />

comme dans les trois premiers actes <strong>de</strong>s Horacei.<br />

Cest là, ce me semble, <strong>la</strong> véritable force et le premier<br />

mérite d'une intrigue dramatique. La raison<br />

en est sensible, c'est que plus Fesprit est occupé,<br />

moins le cceur est ému. Le temps est précieux au<br />

théâtre : quand il en faut tant pour l'attention, il s'y<br />

en a pas assez pour F intérêt. Le spectateur n'est pas<br />

là pour <strong>de</strong>viner, mais pour sentir.<br />

Ce qu'on a blâmé principalement dans Héraclim,<br />

c'est 1° que, Fauteur représentant les <strong>de</strong>ux princes<br />

également vertueuï, également dignes <strong>du</strong> trône, il<br />

<strong>de</strong>vient assez indifférent que ce soit celui-ci ou celui-là<br />

qui soit Héraclius : il n'y a que Famour <strong>de</strong><br />

Pulcbérie pour l'un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux qui puisse y mettre<br />

quelque différence; mais cet amour est si peu <strong>de</strong><br />

chose dans <strong>la</strong> pièce, qu'il ne supplée pas au défaut<br />

d'un contraste entre les <strong>de</strong>ux princes, qui aurait<br />

pu marquer <strong>de</strong>s nuances entre le ils d'un tyran et<br />

49S<br />

celui d'un empereur vertueux, et amener, ce me<br />

semble, <strong>de</strong> nouvelles beautés.<br />

C'est <strong>du</strong> Ils d'un tyran que f ai fait ce héra,<br />

est un beau vers dans <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong> Léontine; mais<br />

<strong>de</strong>ux héros dans une pièce se nuisent un peu Fus à'<br />

l'autre, à moins qu'ils ne le soient d'une manière<br />

différente, comme, par exemple, César et BratuSé<br />

De plus, on aime assez ait théâtre que <strong>la</strong> nature<br />

l'emporte sur l'é<strong>du</strong>cation, quoique iana te fait ce<strong>la</strong><br />

ne soit pas toujours vrai.<br />

T Cette Léontine ; qui p<strong>la</strong>ît par sa fermeté et par<br />

<strong>la</strong> perplexité cruelle où elft jette Phocas lorsqu'elle<br />

dit ce beau fera <strong>de</strong> situation v<br />

IM?loiM<strong>la</strong>p«aîitcliôli.liiîtei , c>iesî f<br />

ne <strong>la</strong>isse pas d'avoir <strong>de</strong> grands défauts. Le plus<br />

considérable n'est pas d'avoir sacrifié son Ils pour<br />

sauver celui <strong>de</strong> l'empereur. Ce sacrilce, à <strong>la</strong> vérité v<br />

<strong>de</strong>vrait être bien puissamment motivé, s'il faisait<br />

partie <strong>de</strong> Faction : il est si loin <strong>du</strong> cceur d $ une<br />

mère, qu'il serait bien difficile <strong>de</strong> le faire supporter.<br />

Mais il n'est que dans l'avant-scène, dans cette partie<br />

<strong>du</strong> drame où nous avons vu que le spectateur permet<br />

assez volontiers à Fauteur tout ce dont il a<br />

besoin pour fon<strong>de</strong>r sa fable. Un reproche plus grave,<br />

c'est que Léontine, annoncée dans les premiers actes<br />

comme le principal mobile <strong>de</strong> Fintrigue, y prend<br />

ta effet très-peu <strong>de</strong> part : tout m fait sans elle. C'est<br />

un personnage subalterne, c'est Exupère, qu'elle<br />

traite avec le <strong>de</strong>rnier mépris; c'est lui qui fait le dénouaient,<br />

c'est lui qui sauve et qui couronne Hért><br />

clius et fait périr Phocas ; autre défaut contraire aux<br />

principes <strong>de</strong> Fart, qui exige que <strong>la</strong> catastrophe soit<br />

toujours amenée par les personnages qui ont attiré<br />

Fattention dm spectateurs. En général cette<br />

tragédie 9 pendant les trois premiers actes, n'excite<br />

guère que <strong>de</strong> <strong>la</strong> curiosité; mais, dans les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers,<br />

<strong>la</strong> situation <strong>de</strong> Phocas entre les <strong>de</strong>ux princes,<br />

dont aucun ne veut être son ils, est belle et théâtrale.<br />

Ce qui n'est pas moins beau, c'est le péril où<br />

ils sont ensuite; c'est le combat <strong>de</strong> générosité qui<br />

s'élève entre eux, à qui portera un nom qui n'est<br />

qu'un arrêt <strong>de</strong> mort; c'est aussi le moment où Héraclius<br />

voit le g<strong>la</strong>ive levé sur le prince, son ami, et<br />

consent, pour le sauver, à passer pour Martian.<br />

Je suis dose , si! faut que je le «lie,<br />

Ci «pif faut que je sols pour lui sauva <strong>la</strong> vte.<br />

Voltaire avait sans doute oublié cette scène quand<br />

il a dit que l'amitié <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux princes ne pro<strong>du</strong>isait<br />

rien. Sans cette amitié, <strong>la</strong> scène ne subsisterait pas.<br />

Il n'y avait que ce motif qui pût forcer Héraclius,<br />

qui se connaît très-bien, à renoncer à être ce qu'il


C0U1S DE LITTÉEATIJ1E.<br />

490<br />

est; et cet effort, qui prolonge l'erreur <strong>de</strong> Phoeas,<br />

est lise <strong>de</strong>s beautés <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce.<br />

Après Héruclim, le talent <strong>de</strong> Corneille commence<br />

à baisser. Il se s'était pourtant écoulé que l'espace<br />

ieili ans entre cette tragédie et celle <strong>du</strong> Cid, et<br />

l'auteur n'en avait encore que quarante. C'est l'âge<br />

où l'esprit est dans sa plus gran<strong>de</strong> force : c'est <strong>de</strong>puis<br />

cet âge que Voltaire a fait le plus grand nombre<br />

<strong>de</strong> ses chefs-d'œuvre. Racine avait cinquante<br />

ans quand il composa son admirable Jtkalie : et, à<br />

cette même époque, nous ne trouvons plus que <strong>de</strong>ui<br />

ouvrages où le grand Corneille, déjà fort inférieur<br />

•à lui-même dans le choix <strong>de</strong>s sujets et dans <strong>la</strong> composition<br />

tragique , se retrouve encore à sa hauteur,<br />

au moins dans quelques scènes, je veux dire JVieomê<strong>de</strong><br />

et Serl&rius,<br />

Lorsqu'on 1756 les comédiens reprirent Nkomê<strong>de</strong>,<br />

qui n'avait pas été joué <strong>de</strong>puis quatre-vingts ans,<br />

iisfannoeeèrent sous le titre <strong>de</strong> tragi-comédie, sms<br />

doute à cause <strong>du</strong> mé<strong>la</strong>nge continuel <strong>de</strong> noblesse et<br />

<strong>de</strong> familiarité qui règne dans ce drame, et dont<br />

aucune <strong>de</strong>s meilleures pièces <strong>de</strong> Corneille n'est tout<br />

à fait eiempte. On sait que le Cid fut d'abord joué<br />

et imprimé sous le même titre. Un grand nombre<br />

<strong>de</strong> pièces <strong>de</strong>s prédécesseurs <strong>de</strong> Corneille est intitulé<br />

<strong>de</strong> même. Les anciens n'avaient jamais connu cet<br />

alliage <strong>du</strong> tragique et <strong>du</strong> familier, <strong>du</strong> sérieux et <strong>du</strong><br />

bouffon, marqué au coin <strong>de</strong> <strong>la</strong> barbarie. Mais comme<br />

il disait le fond <strong>du</strong> théâtre <strong>de</strong>s Espagnols , qui servit<br />

longtemps <strong>de</strong> modèle au nôtre, nos auteurs,<br />

qui empruntaient leurs-pièces et leurs défauts, quoique<br />

sans <strong>de</strong>scendre au même <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> bouffonnerie f<br />

imaginèrent ce nom <strong>de</strong> êrag^comédie, qu'ils donnaient<br />

surtout aux pièces où il n'y avait point <strong>de</strong><br />

sang répan<strong>du</strong>, et qui excusait <strong>la</strong> bigarrure <strong>de</strong> leurs<br />

drames informes. Mais, <strong>de</strong>puis que Racine eut ftîl<br />

voir, le premier, comment on pouvait être, dans le<br />

<strong>cours</strong> d'une pièce., à <strong>la</strong> fois simple et noble, naturel<br />

et élégant, sans tomber jamais dans le familier et<br />

dans le bas', il n f y eut plus <strong>de</strong> tragi-comédie.<br />

Il semble que l'auteur <strong>de</strong> Nimmé<strong>de</strong> ait voulu<br />

faire voir dans cette pièce le contraste singulier <strong>de</strong><br />

toutes celtes où il avait fait triompher <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur<br />

nmaine ; ici die est sans cesse écrasée, et l'on dirait<br />

qu'il a voulu en faire justice- Cette singu<strong>la</strong>rité<br />

prouve les ressources <strong>de</strong> son talent, qui se <strong>mont</strong>re<br />

encore dans le rôle <strong>de</strong> Nicomè<strong>de</strong>. On aime à voir <strong>la</strong><br />

fierté <strong>de</strong> ces tyrans <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> foulée aux pieds par<br />

un jeune héros, élève d'Annibal. Ce rôle soutient <strong>la</strong><br />

pièce, qui d'ailleurs n'a rien <strong>de</strong> tragique. Aucun <strong>de</strong>s<br />

personnages n'est jamais dans un véritable danger.<br />

C'est une intrigue domestique à <strong>la</strong> cour d'un roi<br />

vieux et faible, à qui Ton veut donner un succes­<br />

seur. Une belle-mère ambitieuse veut écarter Eïmmè<strong>de</strong><br />

<strong>du</strong> trône, et y p<strong>la</strong>cer son ils Attale. Les<br />

ressorts <strong>de</strong> l'intrigue sont entre les mains <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

subalternes qui ne paraissent même pas : ce sont<br />

<strong>de</strong>ux faux témoins subornés par <strong>la</strong> reine, et qu'elle<br />

prétend subornés par Hioomè<strong>de</strong>. 11 s'agit d'un projet<br />

d'empoisonnement; mais l'accusation est si peu<br />

vraisemb<strong>la</strong>ble, Nicomè<strong>de</strong> si puissant, si bien soutenu<br />

par ses exploits et par <strong>la</strong> <strong>la</strong>veur <strong>du</strong> peuple, et,<br />

d'un autre côté, <strong>la</strong> reine a tellement subjugué <strong>la</strong><br />

vieillesse <strong>de</strong> Prusias, qu'il est impossible <strong>de</strong> craindre<br />

pour personne. Le dénoûment en est très-défectueux,<br />

parce qu'il se trouve à <strong>la</strong> un qu'Attale, méprisé<br />

par Mcomè<strong>de</strong>, et traité d'homme sans cœw9<br />

fait une action <strong>de</strong> générosité très-éc<strong>la</strong>tante, et que<br />

tout à coup Nicomè<strong>de</strong> lui est re<strong>de</strong>vable <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie,<br />

sans que Ton comprenne bien comment cette vie a<br />

.été en péril. Joignez à ces défauts <strong>la</strong> faiblesse et<br />

l'avilissement extrême <strong>de</strong> Prusias, et Ton conviendra<br />

que Voltaire a raison quand il dit que l'auteur aurait<br />

dû appeler cet ouvrage œmédiè héroïque, et non<br />

pas tragédie.<br />

L'intrigue'<strong>de</strong> Sertmius est encore plus froi<strong>de</strong>,<br />

et <strong>la</strong> fable plus vicieuse. Il n'y a ni terreur ni pitié;<br />

et, en exceptant <strong>la</strong> fameuse conversation do<br />

Sertorius et <strong>de</strong> Pompée, qui sera toujours justement<br />

admirée, en exceptant quelques morceaux <strong>du</strong> rôle<br />

<strong>de</strong> Viriate, tout le reste ne ressemble en rien à une<br />

tragédie.<br />

C'est ici, à proprement parler, que Unit le grand<br />

Corneille : tout le reste n'offre que <strong>de</strong>s lueurs pas­<br />

sagères d'un génie éteint. II n'y a rien dans TMûdore,<br />

dans Atti<strong>la</strong>, dans Ptdckérk, dans Surina.<br />

On ne peut citer Bérénice que pour p<strong>la</strong>indre Fauteur<br />

d'avoir consenti à lutter contre Racine dans<br />

un sujet où il lui était si difficile <strong>de</strong> soutenir <strong>la</strong> concurrence.<br />

PertharUe n'est remarquable que par <strong>la</strong><br />

découverte que Voltaire a faite <strong>de</strong> nos jours, que<br />

, le second acte <strong>de</strong> cette pièce contient en germe <strong>la</strong><br />

belle situation d'Hermione <strong>de</strong>mandant à Oreste,<br />

qui l'aime, <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> Pyrrhus qu'elle aime encore.<br />

Mais cet exemple ne sert qu'à faire voir ce que nous<br />

aurons lieu <strong>de</strong> vériier plus d'une fois, qu'on peut<br />

se servir <strong>de</strong>s mêmes moyens sans pro<strong>du</strong>ire les mêmes<br />

résultats ; et ce n'est que dans le cas où l'un et l'autre<br />

se ressemblent qu'un auteur, dramatique peut<br />

être traité <strong>de</strong> p<strong>la</strong>giaire. On peut voir dans le Commentaire<br />

pourquoi ce qui est d'un si grand effet dans<br />

Andromaque n'en pro<strong>du</strong>it aucun dans Pertharito.<br />

11 suffit <strong>de</strong> dire Ici que ce qui n'est dans l'une <strong>de</strong> ces<br />

pièces que passagèrement indiqué et comme épisodique,<br />

dans l'autre tient au fond <strong>de</strong>s caractères et<br />

au développement <strong>de</strong>s passions : il n'en faut pas


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

davantage pour résoudre le problème, et il s'ensuit<br />

que les idées <strong>de</strong> Corneille n'ont point été celles <strong>de</strong><br />

Racine.<br />

Lorsque j'ai ren<strong>du</strong> compte <strong>de</strong> Y OEdipe grée , f ai<br />

cité les vers sur <strong>la</strong> fatalité, qui se trouvent dans celui<br />

<strong>de</strong> Corneille , et ce sont les seuls qui méritent<br />

d'être retenus. J'ai cité aussi, à propos <strong>du</strong> sublime<br />

d'expression, les quatre beaui vers que Ton distingue<br />

dans l'exposition A'Othon, exposition à <strong>la</strong>quelle<br />

Yoltalre donne beaucoup d'éloges.<br />

Il y en a quatre dans Sopkonhbe, qui sont aussi<br />

d'une expression énergique. Ils sont dans <strong>la</strong> bouche<br />

<strong>du</strong> viens Syphax, et soutes même temps <strong>la</strong> critique<br />

<strong>de</strong> son rôle.<br />

Que c'est tin tobédîe et honteux esc<strong>la</strong>vage,<br />

Que ce<strong>la</strong>i d'an époux sur Se penchant <strong>de</strong> l'âge f<br />

Quand, sons on front ridé t qu'os a droit <strong>de</strong> talc,<br />

1 croit se faire aimer à force d'obéir !<br />

A Fégard é*JgésMusf Fontenelte s'exprime ainsi :<br />

* 1 iiiit croire qu'i est <strong>de</strong> Corneille, puisque see nom y<br />

est ; et il y a eue scène d'Agésites et <strong>de</strong> Lysaa<strong>de</strong>r qui ne<br />

pourrait pas facilement être d'en autre. »<br />

Cette louange est fort eiagérée. Le ton <strong>de</strong> cette<br />

scène est noble, et les pensées ont assez <strong>de</strong> dignité;<br />

mais <strong>la</strong> versification en est faible<br />

Jndrmmêdê et ia Toism d'or sont ee qu'on appelle<br />

<strong>de</strong>s pièces à machines. Elles ne furent -point<br />

représentées par les comédiens <strong>de</strong> l'hôtel <strong>de</strong> Bourgogne<br />

: <strong>la</strong> première le fut sur te théâtre qu' on appe<strong>la</strong>it<br />

<strong>du</strong> petit Bourbon; l'autre en Normandie, che2 le<br />

marquis <strong>de</strong> Sourdéac, à qui nous <strong>de</strong>vons rétablissement<br />

<strong>de</strong> l'Opéra. Ces pièces à machines s où le<br />

chant se mêle <strong>de</strong> temps en temps à <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>mation,<br />

étaient encore une nouveauté qu'essayait le talent<br />

<strong>de</strong> Corneille, trente ans avant les opéras <strong>de</strong> Quïnaulf,<br />

et qui prou?@ qu'il a tenté tous les genres <strong>de</strong><br />

poésie dramatique.<br />

Le spectacle <strong>de</strong> <strong>la</strong> Tohom £®r, donné <strong>de</strong>puis sur<br />

le théâtre <strong>du</strong> Marais, réussit beaucoup par un appareil<br />

<strong>de</strong> représentation que l'on n'avait jamais vu,<br />

et fut oublié quand on eut les chefs-d'œuvre lyriques<br />

<strong>de</strong> Quinault. Mais les amateurs ont conservé dans<br />

leur mémoire ces quatre vers <strong>du</strong> prologue, qui<br />

«primaient une vérité <strong>de</strong>venue bien plus sensible<br />

longtemps après que Corneille les eut faits. C'est ia<br />

France qui parle :<br />

A vaincre tant <strong>de</strong> fois Mes forces sWâiMleseet;<br />

L'État est fterlsmni, mais les peuples gémissent :<br />

Lee» membres êèdmmêBWMrbmt s 497<br />

La comédie <strong>du</strong> Menteur, qui précéda <strong>de</strong> vingt<br />

ans celles <strong>de</strong> Molière, fat empruntée <strong>de</strong>s Espagnols,<br />

comme k CM : ainsi nous <strong>de</strong>vons à d'heureuses<br />

imitations f embellies par <strong>la</strong> muse <strong>de</strong> Corneille, ia*<br />

première tragédie touchante et <strong>la</strong> première comédie<br />

<strong>de</strong> caractère que l'on ait vues sur notre théâtre ;<br />

et fauteur fut dans l'une et dans l'autre également<br />

supérieur à tous ses contemporains. Cest dans le<br />

Menteur qu'on entendit pour <strong>la</strong> .première fois sur<br />

<strong>la</strong> scène <strong>la</strong> conversation <strong>de</strong>s honnêtes gens. On n'avait<br />

eu jusque-là que <strong>de</strong>s farces grossières, telles que<br />

les Jod<strong>de</strong>b <strong>de</strong> Scarron, et <strong>de</strong> mauvais romans<br />

dialogues. L'intrigue <strong>du</strong> Menteur est faible, et ne<br />

roule que sur une méprise <strong>de</strong> nom qui n'amène pas<br />

<strong>de</strong>s situations fort comiques. Maïs <strong>la</strong> facilité et l'agrément<br />

<strong>de</strong>s mensonges <strong>de</strong> Dorante, et <strong>la</strong> scène<br />

entre son père et lui, où le poète a su être éloquent<br />

sans sortir <strong>du</strong> ton <strong>de</strong> <strong>la</strong> comédie, font encore voir<br />

cette pièce avec p<strong>la</strong>isir au bout <strong>de</strong> cent cinquante<br />

ans. La suite <strong>du</strong> Menteur n'a pas été aussi heureuse ;<br />

mais Voltaire pense que, si les <strong>de</strong>rniers actes répondaient<br />

auï premiers, cette suite serait au-<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>du</strong> Menteur, Plusieurs vers <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière pièce<br />

sont restés proverbes, mérite «nique avant Molière.<br />

Il reste à tracer tin résumé <strong>de</strong>s qualités distincte<br />

ves <strong>du</strong> génie <strong>de</strong> Corneille, <strong>de</strong>s parties <strong>de</strong> l'art où<br />

il â réussi, et <strong>de</strong> celles qui lui ont manqué. Ce sera<br />

une occasion <strong>de</strong> rassembler sous un même point <strong>de</strong><br />

vue quelques observations essentielles à <strong>la</strong> théorie •<br />

<strong>du</strong> théâtre, qui eussent été moins frappantes si je<br />

les avais dispersées dans l'analyse succincte que j'ai<br />

faite <strong>de</strong> ses ouvrages. C'est aussi le moment <strong>de</strong> réfuter<br />

les méprises et les injustices <strong>de</strong> Fontenelle.<br />

Mais il est à propos auparavant d'examiner les motifs<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> partialité qui a dicté trop souvent les jugements<br />

qu'on a portés sur Corneille.<br />

Il a eu le sort <strong>de</strong> tous les grands hommes. De son<br />

vivant, et au milieu <strong>de</strong> ses succès, les Scudéry, les<br />

C<strong>la</strong>veret, les d'Aubignae, et vingt antres barbouilleurs<br />

<strong>de</strong> cette force, lui disputaient son mérite, ne<br />

pouvant lui disputer sa gloire, et censuraient indistinctement<br />

ses défaots et ses béantes. Lorsque, dans<br />

<strong>la</strong> vieillesse <strong>de</strong> ses ans et <strong>de</strong> son génie, on eut vu<br />

s'élever à côté <strong>de</strong> lui <strong>la</strong> jeunesse bril<strong>la</strong>nte <strong>de</strong> Racine,<br />

<strong>de</strong>s beaux-esprits jaloux, <strong>de</strong>s courtisans qui faisaient<br />

quelques jolis vers, et à qui Eacine ne <strong>la</strong>issait rien,<br />

parce qu'il en faisait supérieurement, se mirent à<br />

sens mn hauts falti. exalter au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> toute mesure le vieil athlète qu'ils<br />

Et <strong>la</strong> gloire <strong>du</strong> trône accable les it^ets.<br />

regardaient comme hors <strong>de</strong> combat, pour rabaisser<br />

Ce <strong>de</strong>rnier vers est parfaitement beau.<br />

injustement le triomphateur qui occupait <strong>la</strong> lice.<br />

1 De là ces éloges prodigués par Saint-Evremond à<br />

€&mher n'est poîat un werbe neutre : e'est on werbe actif<br />

qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ee régime. Ph§€r était ie mot propre, s*U <strong>de</strong>s pièces aussi mauvaises <strong>de</strong> tout point que Sopho-<br />

eût pu entrer dans le ¥ers.<br />

fdsbê et AUUa ; ces cabales <strong>de</strong>s <strong>du</strong>cs <strong>de</strong> Hevers et<br />

LA HARPE. — TOME I.<br />

m


498<br />

COU1S DE LITTÉRATURE.<br />

<strong>de</strong> Bouillon contre Phèdre; ce sonnet p<strong>la</strong>tement<br />

satirique <strong>de</strong> madame Beshoelières ; cet acharnement<br />

<strong>de</strong> madame <strong>de</strong> Se?igné à répéter que Racine n'Ira<br />

pas foin, qu'il passera comme k café ( le café et<br />

I<strong>la</strong>cine sont restés ), qu'il fmâ bien se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong><br />

rien comparer à Cormilk. J'y reviendrai avec assez<br />

<strong>de</strong> détails quand il sera question <strong>de</strong> Racine.<br />

Pour ce qui est <strong>de</strong> Fontenelle, <strong>de</strong>ux motifs d'intérêt<br />

personnel doivent d'abord infirmer son jugement :<br />

il était petit-neveu <strong>de</strong> Corneille, et <strong>de</strong> plus ennemi<br />

déc<strong>la</strong>ré <strong>de</strong> Racine. Leurs démêlés étaient connus,<br />

et les actes d'hostilité réciproque étaient publics. Ce<br />

n'est pas qu'on ne puisse se mettre au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> l'intérêt<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> parenté , et même <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> fanion impropre;<br />

mais <strong>la</strong> philosophie <strong>de</strong> Fonteselle ne put<br />

aller jusque-là. Il s'est <strong>mont</strong>ré trop évi<strong>de</strong>mment<br />

partial dans sa Fie <strong>de</strong> Comeilk et dans ses Réflexions<br />

sur <strong>la</strong> Poétiqm; et l'on peut ajouter, sans<br />

lui ôter rien <strong>de</strong> ce qui lui est dû à d'autres égards,<br />

qu'il a fait voir dans ces <strong>de</strong>ux morceaux une connaissance<br />

très-médiocre <strong>de</strong>s objets qu'il avait à<br />

traiter.<br />

Quand Yoitasredonna son Commentaire, on avait<br />

agité cent fois <strong>la</strong> question frivole <strong>de</strong> <strong>la</strong> prééminence<br />

entre Corntille et Racine : on crut qu'il avait voulu<br />

<strong>la</strong> résoudre, quoiqu'il n'en ait jamais dit un mot,<br />

et qu'il dise en propres termes que cette dispute lui<br />

a toujours para três-puérUe* Il a raison, et ceux qui<br />

se sont imaginé qu f en relevant les défauts <strong>de</strong> Corneille<br />

on le mettait au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> Racine, sont<br />

tombés dans îine méprise très-commune, et même<br />

presque générale, qui <strong>mont</strong>ra bien que rien n'est si<br />

rare que <strong>de</strong> savoir précisément <strong>de</strong> quoi l'on dispute.<br />

On confond <strong>de</strong>ux choses très-distinctes, les auteurs<br />

et les ouvrages. Quoi Idira-t-on9 n'est-ce pas <strong>la</strong> même<br />

chose? Nullement. H y en a d'abord une raison qui<br />

est ici particulière, et, <strong>de</strong> plus, il y en a une générale :<br />

toutes <strong>de</strong>ux sont péremptoires. La raison prtientière,<br />

c'est que tous <strong>de</strong>ux ont écrit en différents<br />

temps et dans <strong>de</strong>s circonstances différentes. Corneille<br />

est venu quancl il n'y avait encoreTien<strong>de</strong> bon;<br />

il a donc un mérite qui lui est propre, celui <strong>de</strong> s'être<br />

élevé sans modèle aux beautés supérieures. Racine<br />

ne s'est point formé sur lui, il est vrai ; je Ke dé<strong>mont</strong>rerai<br />

bientôt : mais il a nécessairement profilé <strong>de</strong>s<br />

lumières déjà répan<strong>du</strong>es; il a trouvé l'art infiniment<br />

plus avancé ; il a pu s'instruire y et par les succès <strong>de</strong><br />

Corneille, et même par ses fautes. A partir <strong>de</strong> ce<br />

point f il n'y a donc plus <strong>de</strong> parité ; et alors sur quoi<br />

peut-on aabSir bien positivement le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> génie<br />

<strong>de</strong>1'unet<strong>de</strong>rautre?Cettedi8tinetion n'a pas échappé<br />

à Footenelle : quoiqu'il ne Fait faite qu'en général,<br />

il sentait bien où elle al<strong>la</strong>it, et quel besoin il pouvait<br />

avoir <strong>de</strong> l'application. Voici comme il s'exprime trèsingénieusement<br />

:<br />

« Deux auteurs, dont l'un surpasse êxtrêmemeat l'astre<br />

par <strong>la</strong> beauté êm ses ouvrages f sont néanmoins égaes. en<br />

mérite, s'ils se sont également élevés ehaeim au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong><br />

son siècle» 11 est frai que l'un a été plus hast que l'astre,<br />

mais ce n'est pas qu'il ait en plus <strong>de</strong> force 9 c'est seules» t<br />

qu'il p pris son vol d'un Heu plus élevé.... Pour juger <strong>du</strong><br />

mérite d'un ouvrage , il suffit <strong>de</strong> le considérer en lui-même;<br />

mais pour juger <strong>du</strong> mérite <strong>de</strong> Fauteur 9 il faut le comparer<br />

à son siècle. »<br />

Rien n'est plus juste, et dès lors on voit combien<br />

il serait difficile <strong>de</strong> dire précisément auquel <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

ïl.a fallu plus <strong>de</strong> force, d'esprit et <strong>de</strong> talent : à l'un<br />

pour faire le premier <strong>de</strong> belles choses ; à l'autre , pour<br />

en faire ensuite <strong>de</strong> beaucoup plus parfaites. 11 entre<br />

nécessairement <strong>de</strong> l'arbitraire dans cette appréciation,<br />

et les bons esprits ne prononcent jamais quesur<br />

ce qui peut être rigoureusement dé<strong>mont</strong>ré. Ils<br />

marqueront différentes qualités dans les déni hommes<br />

que l'on oppose l'un à l'autre, mais ils ne marqueront<br />

point <strong>de</strong> rang. 11 y a une autre raison" pour<br />

s'en abstenir, et celle-ci est générale. Quand <strong>de</strong>ux<br />

hommes, travail<strong>la</strong>nt dans le mime genre, ont un<br />

mérite supérieurêtpourtantd'une nature différente,<br />

il est eiWmemeiît difficile <strong>de</strong> prouver que Fun doit<br />

être au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> l'autre. Je Pal déjà dit ailleurs, <strong>la</strong><br />

préférence alors est au choix <strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong>. Quand<br />

on est d'accord qu'Homère et Virgile sont tous <strong>de</strong>ux<br />

<strong>de</strong> grands poètes, Cicéron et Démosthènes tous <strong>de</strong>ux<br />

<strong>de</strong> grands orateurs, comment s'y prendra-t-on pour<br />

m'empécher.<strong>de</strong> préférer eeluï-d ou celui-là ? Quoi que<br />

vous puissiez dire, celui <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux qui aura le plus<br />

<strong>de</strong> rapports avec ma manière <strong>de</strong> penser et <strong>de</strong> sentir<br />

sera toujours pour moi le plus grand. Aussi, lorsque<br />

Quintilien préfère Cicéron à Démosthènes f il ne<br />

donne cette préférence que comme son propre sentiment;<br />

et non pas comme une décision. De môme,<br />

quand Fénelon préfère Démosthènes, il dît simplement,<br />

famé mieux; il ne dit pas, Il faut aimer<br />

wdmx. Yoltaire, sans rien prononcer sur Corneille t<br />

semble pencher pour Racine; mais jamais il n'a rien<br />

décidé ; jamais il n'a dit : L'un est plus grand homme<br />

que l'autre.<br />

S'agît-il donc <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r qui <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux avait le plus<br />

<strong>de</strong> génie? Je crois que personne ne peut le savoir,<br />

si ce n'est Dieu, qui leur en avait donné beaucoup<br />

à tous <strong>de</strong>ux. Mais s'agit-il <strong>de</strong>s ouvrages? <strong>de</strong>man<strong>de</strong>-ton<br />

quels sont les meilleurs, les plus beaux, les plus<br />

parfaits? Ceci est différent et peut se ré<strong>du</strong>ire en démonstration<br />

; car il y a <strong>de</strong>s principes reconnus et <strong>de</strong>s<br />

effets constatés. Le bonsens, <strong>la</strong> nature ^expérience,<br />

le cœur humain, voilà les arbitres Infaillibles qui


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

ont ici le droit déjuger ; et <strong>de</strong> ce que je viens <strong>de</strong> dire<br />

il suit que <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur personnelle <strong>de</strong> Corneille n'est<br />

nullement intéressée dans ce jugeaient. J'ajoute<br />

qu'autant <strong>la</strong> première question est oiseuse, autant<br />

l'autre est utile, parée qu'elle est une source d'instruction,<br />

parce que l'en y peut procé<strong>de</strong>r avec métho<strong>de</strong>,<br />

c<strong>la</strong>rté, certitu<strong>de</strong>; parce qu'il importe <strong>de</strong><br />

<strong>mont</strong>rer, et à tous ceux qu'on féal éc<strong>la</strong>irer, et à<br />

tous ceux qu'il faut confondre f que l'exemple d'un<br />

homme tel que Corneille, quand U s'est trompé,<br />

n'est point une autorité; que les fautes sont partout<br />

<strong>de</strong>s fautes; que, s'il a fait beaucoup, il n'a pas<br />

tout fait ; qu'après lui l'on a été, dans <strong>de</strong>s parties<br />

essentielles, Infiniment plus loin que lui, et que<br />

l'art est plus éten<strong>du</strong> que l'esprit d'un homme. Et<br />

voilà, puisque le temps est venu <strong>de</strong> tout dire, ce<br />

qui souleva toute <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>ce littéraire au moment<br />

où le Commentaire parut. Voilà ce qui excita ces<br />

c<strong>la</strong>meurs insensées, qui, répétées par tant d'échos,<br />

•au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong>, qui n'examine point ,<br />

pro<strong>du</strong>isirent une commotion si vive et presque universelle,<br />

qui ne se calma qu'avec le temps, mais<br />

qui n'est plus aujourd'hui'qu'un ébranlement faible<br />

et- sourd, comme le murmure <strong>de</strong>s lots qui fait souvenir<br />

dp <strong>la</strong> tempête. Ces secousses passagères, ces<br />

convulsions épïdémiqnes, lorsque les causes secrètes<br />

en sont bien connues, peuvent fournir un jour<br />

<strong>de</strong>s mémoires curieux; car l'histoire littéraire,<br />

comme toutes les autres, est celle <strong>de</strong>s passions<br />

humaines ; et <strong>la</strong> postérité sait gré à celui qui ne les<br />

a pas ménagées : elles sont aussi trop méprisables.<br />

Qud était donc le motif <strong>de</strong> ce grand soulèvement <strong>de</strong><br />

tant d'auteurs ou d'aspirants? Ce n'est pas que <strong>la</strong><br />

gloire<strong>de</strong> Corneille leur fût bien chère, et d'ailleurs ils<br />

savaient bien qu'elle n'était pas attaquée; mais ils<br />

s'efforçaient <strong>de</strong> le faire croire 9 parce que ses défauts<br />

leur étalent précieux, Il résultait <strong>du</strong> Commentaire<br />

que Corneille, hors dans <strong>de</strong>ux ou trois pièces, avait<br />

fait <strong>de</strong> beaux morceaux plutôt que <strong>de</strong> belles tragédies;<br />

et sans cesse le commentateur lui opposait <strong>la</strong><br />

"perfection <strong>de</strong> Racine, et <strong>la</strong> présentait aux poètes<br />

comme le modèle dont il faillit s'approcher : et c'était<br />

là précisément ce qu'on ne vou<strong>la</strong>it pas. Pourquoi?<br />

Cest que, sans égaler Corneille, il est plus aisé,<br />

surtout aujourd'hui, <strong>de</strong> taire quelques beaux morceaux<br />

qu'une belle tragédie; c'est qu'il n'y a personne<br />

qui ne se f<strong>la</strong>tte întérieurementd'avoir assez <strong>de</strong>beautés<br />

pour faire excuser beaucoup <strong>de</strong> fautes. Ce sont là<br />

le ces choses qu'on n'avoue pas au public, mais<br />

qui n'échappent pas à ceux qui sont dans le cas d'y<br />

' voir <strong>de</strong> près. Il fal<strong>la</strong>it bien en imposer à ce public.<br />

Et que faisait-on? L'on mettait en avant l'honneur<br />

<strong>de</strong> Corneille, qui n'y était pour rien. On n'essayait<br />

4m<br />

pas <strong>la</strong> discussion; <strong>la</strong> partie s'était pas soutenable.<br />

Mais on criait : Il a manqué <strong>de</strong> respect à Corneille.<br />

Mon, assurément. On ne peut le louer davantage<br />

ni mieux ; car il n'a loué que ce qui <strong>de</strong>vait l'être. —<br />

Mais il relève cent défauts pour une beauté. — Il<br />

fal<strong>la</strong>it les relever, puisque tant <strong>de</strong> gens sont tentés<br />

4e les prendre, ou intéressés à les faire prendra pour<br />

<strong>de</strong>s beautés. Ces défauts existent-ils ou n'existentils<br />

pas?—N'importe, quand il dirait <strong>la</strong> vérité : il ne<br />

ûd<strong>la</strong>itpas<strong>la</strong>dire.<br />

Ce <strong>de</strong>rnier raisonnement, qui paraît à peine concevable<br />

? était celui d'hommes qui se piquenten <strong>littérature</strong><br />

d'une profon<strong>de</strong> politique. J'avoue, quant à<br />

moi, que je se puis <strong>la</strong> comprendre ni m'y aecou*<br />

tumer. 11 faudrait une bonne fois s'expliquer, et dira<br />

ce qu'on prétend. Y a-t-il <strong>de</strong>s mystères en <strong>littérature</strong>?<br />

T a-t-il <strong>de</strong>s traditioss à <strong>la</strong> fois erronées et respectables,<br />

qu'il faille conserver sous un voile que prsonne<br />

ne peut déchirer sans être sacrilège? Quoi!<br />

les opinions <strong>de</strong> l'esprit sur les arts <strong>de</strong> l'esprit ne sont<br />

pas libres? Je conçois que les vérités qui peuvent<br />

blesser les vivants soient délicates et dangereuses;<br />

mais celles qui ne regardée! que les morts, faut-il<br />

aussi nous les défendre? Et dans les disputes purement<br />

littéraires, ©è il semble que le seul danger<br />

doive être d'avoir tort, le danger le plus grand <strong>de</strong><br />

tous sera-t-il d'avoir raison?<br />

Ce qu'il y a <strong>de</strong> pis, c'est que le public, qui a autre<br />

chose à faire que <strong>de</strong> s'initier dans les mystères <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> politique <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> lettres, ne s'est que trop<br />

souvent, sans le savoir, ren<strong>du</strong> le complice <strong>de</strong> <strong>la</strong> médiocrité,<br />

qui a besoin <strong>de</strong> préjugés et d'erreurs, et<br />

qui combat sans cesse celui qui ose dire <strong>la</strong> vérité.<br />

Qu'en arrive-t-il? C'est que rien s'est si rare, parmi<br />

ceux qui écrivent, que <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> bonne foi à ceux<br />

qui lisent ; et ce, même publie est trompé sans cesse<br />

par ceux qui <strong>de</strong>vraient l'éc<strong>la</strong>irer. Les uns, par aaîmosité<br />

et par passios, tâchent <strong>de</strong> lui faire croire ce<br />

qu'ils ne croient pas eux-mêmes; les autres, par<br />

dissimu<strong>la</strong>tion ou par faiblesse» souscrivent à ce qu'ils<br />

ne pensent pas. C'est à propos <strong>de</strong> ce commerce <strong>de</strong><br />

mensonges, qui fait pitié à une âme franche et libre ,<br />

que fcitalrej écrivait dans une lettre particulière :<br />

* Je crois que dans te fond votre ami pense comme VOUS<br />

sur ce Dante. Il est p<strong>la</strong>isant que, même sur ces bapteles t<br />

on homme qui pense E'OM dira Sun sentiment qu'à ForëSle<br />

île son ami Ce m@n<strong>de</strong>»ci est une pauvre mascara<strong>de</strong>.<br />

Je conçois à tonte force comment on peut dissimuler son<br />

opinion pour <strong>de</strong>venir cardinal au pape; mais je ne conçois<br />

guère qu'on se déguise sur le reste. »<br />

Il ne s'est guère déguisé m effet f et l'une <strong>de</strong>s choses<br />

qui dans <strong>la</strong> postérité doneeront le plus <strong>de</strong> prli à<br />

S ses ouvrages littéraires, c'est qu'on s'aperçoit eu le<br />

sa.


500 COU1S BE UTTEBATCRK.<br />

lisant qu'il ne leat pas vous tromper. La ?ifaeité<br />

<strong>de</strong> son imagination <strong>la</strong>it qu'il a toujours l'air <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser<br />

échapper son secret; il cause mm ?ons comme<br />

s'il était sans témoins, et toutes ses pensées paraissent<br />

<strong>de</strong>s premiers moufements. Je ne puis pas<br />

âfoîf le même mérite à dire ma pensée , parce qu'elle<br />

est infiniment moins d§conséquence que <strong>la</strong> sienne;<br />

mais c'est f our moi une raison <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> <strong>la</strong> dire;<br />

et quand mes principes m'en font on <strong>de</strong>toir, et mon<br />

caractère un besoin, c'est encore une eicuse que j'aj<br />

auprès'<strong>de</strong> ceux qui n'écoutent<br />

Je fondrais 9 s'il était possible f .me rendre compte<br />

<strong>de</strong> ce contraste extraordinaire f <strong>de</strong> cette étonnante<br />

disproportion qui rend le même homme d'un moment<br />

à l'autre si différent <strong>de</strong> lui-même. Tout le<br />

mon<strong>de</strong> en a été frappé dans Corneille; on a dit et répété<br />

que nul n'avait <strong>mont</strong>é si haut et n'était tombé<br />

si bas : <strong>de</strong> son temps on l'avait senti. Nous nous<br />

soutenons <strong>de</strong> ce que disait Molière, que Corneille<br />

avait un lutin qui lui dictait <strong>de</strong> temps en temps <strong>de</strong><br />

beaux fers, et qui ensuite l'abandonnait. Les visites<br />

<strong>de</strong> ce lutin étaient bien heureuses, mais ses éclipses<br />

étaieptbien fréquentes. On en confient, et personne,<br />

que je sache , n'en a cherché les raisons. Il ne s'agit<br />

pas <strong>de</strong> ces inégalités qui se trop feut plus ou moins<br />

dans tout ce qui sort <strong>de</strong> <strong>la</strong> main <strong>de</strong>s hommes. Ici<br />

Ton passe à fout moment d'une extrémité à l'autre,<br />

et il semble que l'esprit <strong>de</strong> Corneille fût formé <strong>de</strong><br />

qualités contradictoires; ce qui ne se rencontre dans<br />

aucun <strong>de</strong>s grands génies <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce, <strong>de</strong> Rome, et<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> France. Je hasar<strong>de</strong>rai sur ce sujet quelques<br />

aperçus : c'est tout ce que je puis. Il faut d'abord<br />

établir les <strong>la</strong>its*<br />

L'éléfation et <strong>la</strong> force paraissent appartenir naturellement<br />

au génie <strong>de</strong> Corneille. Tout ce qui peut<br />

exalter Time, le sentiment <strong>de</strong> l'honneur dans le ? ieui<br />

don Biègue; celui <strong>du</strong> patriotisme, dans le fîeii Horace;<br />

<strong>la</strong> férocité romaine, dans son ils; l'enthousiasme<br />

<strong>de</strong> religion, dans Polyeucte; l'ambition effrénée,<br />

dans Cléopâtre; <strong>la</strong> générosité, dans Sévère<br />

et dans Auguste; l'honneur # fenger un époux tel<br />

que Pompée par <strong>de</strong>s moyens dignes <strong>de</strong> lui, dans le<br />

rlta <strong>de</strong> Gornélie; tous ces différents caractères <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong>ur, il les a connus, il les a tracés.<br />

Il est ordinaire à Thomme d'ifoir plus ou moins<br />

les défauts qui a?aiaiaeat ses qualités. Ainsi 9 que<br />

Corneille ait porté quelquefois <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur jusqu'à<br />

l'enflure, et l'énergie jusqu'à l'atrocité; qu'il passe<br />

<strong>du</strong> nnblime à <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>mation, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> rigueur <strong>du</strong> raisonnement<br />

à <strong>la</strong> subtilité sophistique; rien l'est plus<br />

coneef aUe. Mais ce qui l'est beaucoup moins, c'est<br />

que ce même Corneille, qu'on peut appeler par excellence<br />

le peintre <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur romaine , ait fondé<br />

l'intrigue <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses pièces (et je ne parie que<br />

<strong>de</strong> celles qui sont restées au théâtre) sur l'avilissement<br />

<strong>de</strong> tous les plus grands personnages <strong>de</strong> fancienne<br />

Rome y <strong>de</strong> César, <strong>de</strong> Pompée et <strong>de</strong> Sertorius.<br />

Que sera-ce si l'on se rappelle que c'est le même<br />

homme qui se tante en f isgt endroits <strong>de</strong> n'af oir<br />

jamais peint l'amour que méM ê"kémïsmef qui se<br />

le croit digne <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie qu'avec ce mé<strong>la</strong>nge,<br />

et qui prétend que tout autre amour ne put qu'affadir<br />

et efféminer Melpomène? Je n'examine point<br />

encore à quel point ces principes sont faux; mais je<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> comment il a pu les contredire à ce point<br />

dans l'application, ou les entendre si mal. Que! héroïsme<br />

a-t-il pu foïr dans l'amour <strong>de</strong> César pour<br />

Cléopâtre, ou <strong>de</strong> Cléopâtre pour César? Qu'y a-t-il<br />

d'héroïque dans l'une, lorsqu'elle dit (car il faut absolument<br />

citer ) :<br />

Partout en Italie, aux Gaules f en Espagne ,<br />

La fortune Se suit et Famour l'accompagne.<br />

Son braa ne <strong>de</strong>mpte peint <strong>de</strong> peuples ni <strong>de</strong> Immx<br />

Dont il ne ren<strong>de</strong> iiomma§§ tu pouvoir ils mes yeux ;<br />

Et <strong>de</strong> <strong>la</strong> même main dont 11 quitte répée,<br />

Fumante eue®? <strong>du</strong> sang <strong>de</strong>s amis <strong>de</strong> Pompée,<br />

IS trace <strong>de</strong>s soupirs, et, d'un style p<strong>la</strong>intif,<br />

Dans son champ <strong>de</strong> vl ctoira il se dit mon captif.<br />

Oui, tout victoriens, il m'écrit <strong>de</strong> Pnarsale;<br />

Et si sa diligence à ses feux est égale,<br />

Ou plutôt, si <strong>la</strong> mer ne s'oppose à set feux,<br />

L'Egypte le va voir me présenter ses YOUX.<br />

Il Tient, ma Cnarmtoe f Jusque dans nos murailles,<br />

Chercher auprès <strong>de</strong> moi te prti <strong>de</strong> ses bataMies t<br />

if OUFîF toute sa gloire, et soumettre à mes lois-<br />

#Ce cour et cette mais qui comman<strong>de</strong>nt aux rois ;<br />

*Et ma rigueur mêlée aux faveurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre f<br />

Ferait un malheureux <strong>du</strong> maître <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre.<br />

Qu'y a-t-Il à'kér&ïqm dans l'autre ? lorsqu'il dit à <strong>la</strong><br />

reine :<br />

C'était pour conquérir un bien si précieux<br />

Que comBattalt partout mon bras ambitieux,<br />

Et dans Phanale même 11 a tiré Fépée<br />

Plus pour le conserver que pour vaincra Pompée<br />

le fat valoco f princesse, et le dieu <strong>de</strong>s combats<br />

M'y favorisait moins que vot divisa appas.<br />

Ils con<strong>du</strong>isaient ma main , Ils eniatent mon courage :<br />

Celte pleine victoire est leur <strong>de</strong>rnier ouvrage.<br />

Ont reflet ém ar<strong>de</strong>urs qu'ils daignaient m'issplrer ;<br />

Et vos beaux yeux enfin n'ayant fait soupirer,<br />

'Pour faire que votre âme avec gloire y répon<strong>de</strong> t<br />

ITont ren<strong>du</strong> le premier et <strong>de</strong> Rome et <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> :<br />

Cest ce glorieux titre, à présent effectif,<br />

Que Je vient ennoblir par celui <strong>de</strong> captif.<br />

Voilà dose le <strong>la</strong>ngage que prête à César un homme<br />

fui se pique <strong>de</strong> ne point mffmÊr <strong>la</strong> tragédie 1 Et<br />

quelle fa<strong>de</strong>ur plus ridicule que celle <strong>de</strong> César qui m\<br />

vaincu à Phanale que pour Cléopâtre? Quelle coquetterie<br />

plus froi<strong>de</strong> que celle <strong>de</strong> cette reine qui parle<br />

<strong>de</strong> M» Hgwmn comme d'us imnerre? Et quel roman<br />

est écrit d'un plus mauvais ityle ? Expltquei<br />

après ce<strong>la</strong> ce qu'il écrit à Sâist-Évremond.<br />

« Tout émirs» ce que f al avancé «r te put que


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

Vamonr iMt avoir daiis 11» Mies tragédies, et JW fa<br />

fldélitémwc <strong>la</strong>quelle mm <strong>de</strong>mm conserver à cw vieux<br />

illustres k$ caractères <strong>de</strong> leur temps ci <strong>de</strong> leur Anfutur.»<br />

Eli bien ! il croyait dose que le caractère <strong>du</strong> temps<br />

eê <strong>de</strong> thumeur <strong>de</strong> César était <strong>de</strong> se battre à Phar-<br />

«ale pour Cléopâtre, et <strong>de</strong> se dire ion captif? On<br />

a dit quelque part qu'il'fal<strong>la</strong>it que CormeiMe eût eu<br />

<strong>de</strong>s mémoires particuliers sur les Romains : ee qu'il<br />

y a <strong>de</strong> sûr, c'est que ceux qui nous restent <strong>de</strong> César<br />

le représentent sous <strong>de</strong>s traits un peu différents.<br />

Deux autres vieux illustres, Sertorius et Pompée,<br />

sont encore bien plus étrangement dégradés. Pourquoi<br />

Pompée <strong>de</strong>man<strong>de</strong>-t-H une entreYue à Sertorius?<br />

(Test pour voir sa femme Aristie, qu 9 il a eu <strong>la</strong> là?<br />

cheté <strong>de</strong> répudier pour obéir à Sjlîa; c'est pour lui<br />

dire qu'il est désespéré cf âfûlr pris une autre femme,<br />

mais qu'il n'ose ni <strong>la</strong> quitter ni reprendre Aristle;<br />

c'est pour <strong>la</strong> supplier <strong>de</strong> lui être toujours idèle , et<br />

d'attendre que <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Syl<strong>la</strong> lui permette <strong>de</strong> retenir<br />

à ses premiers liens. Tel est l'objet d'une trèslongue<br />

scène entre lui et sa femme , où celle-ci ne<br />

manque pas <strong>de</strong> lui faire sentir toute son abjection.<br />

Je n'ai pas le courage d'en rien citer : il suffit <strong>de</strong><br />

<strong>mont</strong>rer le grand Pompée dans une situation pareille,<br />

pour faire comprendre qu'il est impossible <strong>de</strong> mettre<br />

en scène un héros d'une manière plus indigne<br />

<strong>de</strong> lui et <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie. On ne peut lui comparer que<br />

le viens Sertorius qui dit :<br />

l'aime alUen». A mon âge, 11 iled tS mal d'aimer;<br />

Que je te cache même à qui m'a su charma.<br />

Celle qui l'a m charmer, c'est Yiriate; mais on<br />

peut juger <strong>de</strong> cet amour par le parti que prend Sertorius'<br />

au premier mot que lui dit Perpétua <strong>de</strong> l'amour<br />

qu'il ressent <strong>de</strong> son eAté pour cette même<br />

Yiriate. U <strong>la</strong> lui cè<strong>de</strong> sur-le-champ, et le recomman<strong>de</strong><br />

à <strong>la</strong> reine <strong>de</strong> Lusitanie, malgré les a?aoces que celleei<br />

lui <strong>la</strong>it à lui-même. H est wil qu'il luit par lui<br />

dire en soupirant :<br />

le patte pour on antp» et toutefois, hé<strong>la</strong>s!<br />

SI TOUS s&¥tei..4<br />

TRIAIS.<br />

Seigneur, que faut-il que Je sache?<br />

Et OJMI est totaoet que ee soupir me cache?<br />

HMCIIIUS»<br />

Ce soupir ndsoMi...<br />

TIBIA».<br />

M'achèves point : allez ;<br />

le rem càmmà afef que rem m foules.<br />

Et € est le grand Corneille qui donne au lieux Sertorius<br />

fut joqpff» reéméiél Voltaire dit en propres terme!<br />

:<br />

« Ou n 9 SOI<br />

. Cherchons maintenant ee qui a pu égarer à ce<br />

point un homme qui a?ait mis tant <strong>de</strong> force dans <strong>la</strong><br />

peinture <strong>de</strong>s grands caractères, et qui <strong>la</strong>it jouer ensuite<br />

aux plus grands hommes on rôle si ridicule. Je<br />

n'en ?oïs point d'autre cause que l'esprit dominant<br />

<strong>de</strong> son siècle qui Fa entraîné. 1 était <strong>de</strong> règle <strong>de</strong> parler<br />

d'amour dans toutes nos pièces, mo<strong>de</strong>lées pour <strong>la</strong><br />

plupart sur les pièces espagnoles et sur les romans<br />

<strong>de</strong> ceteielerie qui étaient en ?ogue. Or9 dans me dangereux<br />

modèles, l'amour n'était jamais traité comme<br />

une passion qui comman<strong>de</strong>, mais comme une mo<strong>de</strong><br />

qu'il fal<strong>la</strong>it sui?re. U était <strong>de</strong> bienséance que tout<br />

chefalier eût une dmm et sespemséesj pour <strong>la</strong>quelle<br />

il soupirait par confenaace, et se battait par habitu<strong>de</strong>.<br />

Lisez dans nos grands romans les eUntersations<br />

amoureuses ; c'est un échafaudage <strong>de</strong> sentiments<br />

hors <strong>de</strong> nature ; ce sont <strong>de</strong>s délicatesses<br />

quintessenciées, <strong>de</strong>s scrupules et <strong>de</strong>s respects sans<br />

Un et sans bornes, qui <strong>de</strong>?aient ennuyer un pu celles<br />

qui en étaient les objets. Et malheureusement,<br />

lorsque Corneille écrivit f personne n'avait traité<br />

l'amour autrement Les Grecs, chez qui l'on avait<br />

étudiéquelqueft-unes <strong>de</strong>s principales règles <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie,<br />

les Grecs, n'y faisant point entrer l'amour,<br />

n'avaient pu nous servir <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>s dans cette partie<br />

<strong>de</strong> Fart; et Corneille, naturellement porté à tout ee<br />

qui avait un air <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur, vrai ou faux, se persuada<br />

que Famour, peint sous ces traits ? avait quelque<br />

chose <strong>de</strong> noble et û'hêmqw» En ce genre, on<br />

retrouve à tout moment chei lui l'exagération <strong>la</strong><br />

plus romanesque. Quand Rodogune vient <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

aux <strong>de</strong>ux princes amoureux d'elle <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> leur<br />

mère, Séleucus s'en p<strong>la</strong>int avec quelque raison.<br />

Une âme sf cruelle<br />

Mérttatt notw mère, et <strong>de</strong>vait nattn d'elle.<br />

Mais Aiitiôcàiis, m a<strong>mont</strong>parfiàt, lui reproche une<br />

révolte qui blesse le respect que l'on doit à sa divinité.<br />

MsàrmeÊËrcmm sans b<strong>la</strong>sphème....<br />

n faut plus <strong>de</strong> respect pour celle qu'os ado*»....<br />

C'est et i'ele et <strong>de</strong> lui tenir bien peu <strong>de</strong> «ample ,<br />

Que faire sue révolte et si pleine et si prompte.<br />

Cette soumission religieuse qui craint <strong>de</strong> Mmsphémer,<br />

n'est-ce pas celle que %t princesse AJàdiaoe<br />

eiige <strong>de</strong> Polexandre, lorsqu'elle lui ordonne d'aller<br />

dans l'Afrique, â <strong>la</strong> Chine, et dans <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> Tar»<br />

tarie, <strong>de</strong> là au Thibet et dans les In<strong>de</strong>s, 'pour tuer<br />

cinq ou six rois ou empereurs assez insolents pour<br />

se déc<strong>la</strong>rer amoureux d'elle? Cek nous paraît aujourd'hui<br />

fort p<strong>la</strong>isant; mais an temps <strong>du</strong> sieur <strong>de</strong><br />

i Jamais rien mis <strong>de</strong> pies m«?aJs sur eaei.ii Gamberrille, auteur <strong>de</strong> Pokxamàre, et membre <strong>de</strong><br />

théâtre.»<br />

l'Académie 'française, ce<strong>la</strong> paraissait fort beau : et<br />

Et il ne dit que trop frai.<br />

combien il est rare <strong>de</strong> s'être pas plus ou moins as-


COUBS DE LITTÉRÂTUEE,<br />

602<br />

.serti par les idées <strong>de</strong> ses contemporains ! Ce fut<br />

Boileau qui le premier livra as ridicule ces extravagantes<br />

pro<strong>du</strong>ctions; ce fut lui qui enseigna dans<br />

son Art poéMque quel ton et quel caractère <strong>de</strong>vait<br />

avoir l'amour sur <strong>la</strong> scène tragique.<br />

{Ttllei pas d*aa Cyras nom faire en Ârtâmène.<br />

Qa*àclilile aima autrement qm Tymk et PhUèse.<br />

Mais il faut être juste : avant qu'il donnât le précepte,<br />

Racine avait donné le modèle, et quand il<br />

it Jndrom^que, il it voir un art nouveau que personne<br />

ne lui avait appris. C'est là, comme nous le<br />

verrons bientôt, un <strong>de</strong> ses grands titres <strong>de</strong> gloire.<br />

Corneille n'eut pas celle-là, si Ton excepte les scènes<br />

<strong>du</strong> CM imitées <strong>de</strong> Goillem <strong>de</strong> Castro, et celle<br />

<strong>de</strong> Pauline et <strong>de</strong> Sévère. D'ailleurs, il n'a jamais<br />

su traiter l'amour. Il est vrai que, dans ces <strong>de</strong>ux<br />

pièces, l'amour est touchant, noble » délicat; mais<br />

ce n'est pas a beaucoup près cette passion forcenée,<br />

traînant après elle le crime et le remords, enin si<br />

éminemment tragique, quan<strong>de</strong>lle est telle que Racine<br />

et Voltaire l'ont représentée. Le râle <strong>de</strong> Ladis<strong>la</strong>s<br />

aurait pu en donner quelque idée à Corneille; mais<br />

il crut apparemment qu'on ne pouvait donner un<br />

amour <strong>de</strong> cette nature qu'à un personnage peu<br />

connu et presque d'invention, et il le crut au-<strong>de</strong>ssous<br />

d'un caractère historique. Il énonce ses principes<br />

dans cette même lettre à Saint-Évremond, que j'ai<br />

déjà citée.<br />

« J'ai cm jusqu'ici que l'amour était une passion trop<br />

ces froi<strong>de</strong>s intrigues^ il n'y a d'amour que le nom ;<br />

<strong>de</strong> cette ga<strong>la</strong>nterie <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>, mêlée à <strong>de</strong>s dissertations<br />

politiques : c'est ce qui occasionna <strong>la</strong> peu<br />

<strong>de</strong> succès <strong>de</strong> toutes ses <strong>de</strong>rnières pièces; mais c'est<br />

aussi ce dont il ne parait pas s'être aperçu dans les<br />

eiamens qu'il en fait. Soit qu'il cherchât à se tromper<br />

lui-même 9 soit qu'en effet ses connaissances ne<br />

fussent pas plus éten<strong>du</strong>es, il ne touche jamais dans<br />

ses eiamens le véritable point <strong>de</strong> <strong>la</strong> question. Il attribue<br />

ses disgrâces, tantôt au refus d'un suffrage<br />

illustre, tantôt au changement <strong>de</strong> goût dans le public ;<br />

une autre fois à certaines opinions; il disserte longuement<br />

sur l'unité <strong>de</strong> temps et <strong>de</strong> lieu, <strong>de</strong>ux choses<br />

qui ne feront jamais le sort d'un ouvrage; et il ne<br />

chargée- <strong>de</strong> faiblesses pour être là dominante dans une pièce<br />

héroïque. 1 "faine qu'elle y serve d'ornement , et son pus <strong>de</strong><br />

esrpg. lue ieacereia et nés enjoués sont <strong>de</strong> contfwe avis,<br />

mmhwmêmmêéésrmèiïmm» »<br />

Citons à Fappuj <strong>de</strong> ce passage celui <strong>de</strong> Fontenelle,<br />

qui s'y rapporte entièrement.<br />

« Corneille fit le pût <strong>de</strong> son siècle se tourner entièrement<br />

<strong>du</strong> edté <strong>de</strong> l'amour te p<strong>la</strong>t passionné et le moins<br />

mai â w parle pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> froi<strong>de</strong>ur et <strong>de</strong> l'ennui, les <strong>de</strong>ux vices<br />

mortels et irrémédiables dans <strong>la</strong> poésie dramatique.<br />

Il ne veut jamais voir que cette froi<strong>de</strong>ur et cet ennui<br />

tiennent principalement à ce-que l'amour, quoi qu'il<br />

en dise, faille nœud <strong>de</strong> toutes ses pièces, sans en<br />

excepter une seule, et que cet amour n'est presque<br />

jamais ce qu'il doit être dans <strong>la</strong> tragédie. II veut<br />

qu'il y serve d'ornement, et non pas <strong>de</strong> 'corps; et<br />

l'expérience nous a appris que l'amour ne peut pas<br />

être tin ornement <strong>de</strong> <strong>la</strong> machine théâtrale, mais qu'il<br />

en doit être un <strong>de</strong>s plus puissants ressorts ; que s'il<br />

n'est pas une passion intéressante par ses effets, et<br />

convenable au caractère <strong>du</strong> personnage, c'est un<br />

travers et un ridicule, et qu'il faut, par conséquent, "<br />

le renvoyer à <strong>la</strong> comédie ; que s'il n'est qu'un objet <strong>de</strong><br />

conversation etd'arrangeaient, il ne peut pas tourmenter<br />

beaucoup celui qui se donne pour amoureux,<br />

ni, par conséquent, les spectateurs, qui restent tout<br />

aussi tranquilles que lui. Corneille trouve cette passkm^opckargée<strong>de</strong>fi^kssepouréêrelm<br />

dominante<br />

dans une pièce héroïque; et l'expérience nous a<br />

appris que s'il y a quelque chose d'intéressant au<br />

théâtre, c'est d'y retrouver nos faiblesses, pourvu<br />

hérimwm ; mus il dédaigna fièrement d'avoir <strong>de</strong> <strong>la</strong> qu'elles fessent p<strong>la</strong>indre ceux qui les ressentent, et<br />

nc»plâsanee pour ce nouveau goût »<br />

qu'elle ne les fassent pas mépriser. Les passions alors<br />

Ces <strong>de</strong>ui passages peu?ent donner lieu à plus d'une<br />

ne trouvent leur excuse que dans leur excès, et c'est<br />

féfleiion. D'abord t on fuît bien c<strong>la</strong>irement en quoi<br />

dire assez que ces mêmes faiblesses doivent être<br />

consistait l'erreur <strong>de</strong> Corneille, et en qnoPcette<br />

dominantes dans une pièces même héroïque, oo ne<br />

erreur était excusable; car je suis persuadé qu'il<br />

pas s'y <strong>mont</strong>rer : j _ .<br />

était <strong>de</strong> bonne foL S'il persista dans son opinion,<br />

même après les succès <strong>de</strong> Racine, qui auraient pu<br />

le détromper, c'est qu'il avait été trente ans, nonseulement<br />

sans maître, mais sans rival. Les morceaux<br />

sublimes <strong>de</strong> ses premières tragédies en avaient<br />

couvert les fautes. Personne n'était en état <strong>de</strong> lui<br />

indiquer les plus essentielles, et nous avons vu l'Académie<br />

elle-même se méprendre entièrement sur le<br />

sujet <strong>du</strong> £W.. Quand son génie ne lui fournit plus<br />

les mêmes beautés, on sentit davantage le ?i<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

Et cp© l'amour, souvent ée remeeéa @Qmt«tta 9<br />

Paraisse nae faiblesse, «t nnn nia lertn..<br />

Cest en rapprochant ainsi les erreurs d'un grand<br />

génie et les leçons d'un excellent esprit que l'on s'éc<strong>la</strong>ire<br />

sur <strong>la</strong> théorie <strong>de</strong>s beaux-arts.<br />

Qu'une longue habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> gloire et <strong>de</strong> succès ait<br />

fait illusion à Corneille, qu'il ait regardé fart <strong>de</strong><br />

Racine comme une innovation passagère, parce qu'il<br />

ne Fataît pas connu, rien n'est plus pardonnable.<br />

Mais que dire <strong>de</strong> Fontenelle, qui f en 1743, après les


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.'<br />

exemples donnés par Eacine et Voltaire, fient insulter<br />

à cent ans d'expérience et <strong>de</strong> succès pour mmnacrer<br />

les fautes <strong>de</strong> son oncle, et rabaisser <strong>de</strong>ui <strong>de</strong><br />

ses ennemis, fient nous dire, avec un ton <strong>de</strong> mépris,<br />

•que te siéek $*esî tourné vers fammur k pins pmssîmmé,<br />

comme s'il eût mieux ? alii se tourner fers<br />

l'amour le plus froid ; et ajouteraf ec une emphase si<br />

noble, que ComeiMe dMmigmaRarement Savoir <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> compkdmnee pour ce nmmmu §®M* Passons,<br />

si l'on feut, ta fierté <strong>de</strong> Corneille, qui aurait pu<br />

être mieux p<strong>la</strong>cée; passons k dédain pour un goût<br />

qu f il eût mieux valu possé<strong>de</strong>r. Mais si ce goût était<br />

nouveau pour Corneille, il ne Fêtait pas pour Fastenelle.<br />

Depuis 1667, époque d'Andromaque, jus-<br />

. qu'en 1742, il s'était écoulé près <strong>de</strong> quatre-vingts<br />

ans, qui afaient pu consacrer le mérite <strong>de</strong> Racine<br />

tout aussi bien que celui <strong>de</strong> Corneille. Pourquoi donc<br />

parler <strong>de</strong> ce goût comme d'une mo<strong>de</strong>? Pourquoi<br />

ajouter :<br />

« Peefcétre croira-t-on qm son âge ne lui permettait pas<br />

dfevoir cette comp<strong>la</strong>isance : ce mmpqm serail très-légitime,<br />

si Fou ne voyait ce qu'il a fuit dans <strong>la</strong> Psyché <strong>de</strong> Molière 8<br />

- eà f étaat à romhra da ee» d'astral, il s'est absndûmié à<br />

m eieèsée tendresse dont il s'aurait pas ?eaia ëéêàm&tw<br />

mm mm. Il m poevait mieux braver mm sièek qu'en M<br />

donnant Atti<strong>la</strong>, digne roi <strong>de</strong>s Haas, 11 règne dans cette pièce<br />

une férocité noble que lui seul pouvait attraper. »<br />

Des démentis si formels donnés à <strong>la</strong> ?érité reeonnoe<br />

autorisent à 1a dire sans ménagement. Tout est<br />

faux et absur<strong>de</strong> dans cet exposé* Il u f que ce qui paraft à Fonteaelle mm férocité noMe,<br />

éigmê dm mi <strong>de</strong>s Hums, est une démence risible,<br />

indigne, non-seulement <strong>de</strong> Fauteur <strong>de</strong>s Homœs,<br />

mais, comme le dit Voltaire 9 <strong>du</strong> <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>s versl*<br />

Jkateurs. Ceux qui savent ce qu'on doit à Corneille<br />

ne se permettent jamais <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> ces sortes <strong>de</strong><br />

pièces. Mais quand l'esprit <strong>de</strong> parti va jusqu'à les<br />

exalter, il faut le confondre. De nos jours même, on<br />

a imprimé dans une compi<strong>la</strong>tion alphabétique f dont<br />

les auteurs, qui préten<strong>de</strong>nt juger irais sUcks9 assurément<br />

ne seront jamais connus <strong>du</strong> leur, on a imprimé<br />

qa'AttUa, A§é$Hm et PtdcMrk, êoppûmimi<br />

•aaiae <strong>de</strong> mérite qm Mémpe, Ahire et Mokowmt.<br />

Croit-on que ceux qui ont débité cette sottise aient<br />

voulu honorer Corneille? Non : ils vou<strong>la</strong>ient outrager<br />

Voltaire; ils vou<strong>la</strong>ient surtout p<strong>la</strong>ire à ses ennemis,<br />

qui n'ont pas manqué <strong>de</strong> répéter cette ineptie.<br />

Il n'y a que l'envie humiliée, ou <strong>la</strong> bassesse fou<strong>la</strong>nt<br />

f<strong>la</strong>tter <strong>la</strong> haine, qui puisse s'exprimer ainsi; et<br />

comme je les déteste sans les craindre, je ne les rencontre<br />

jamais sans les iétrir.<br />

Il <strong>de</strong>meure prouvé que Corneilles faute d'avoir<br />

su traiter Famour lorsqu'il en mettait partout, a<br />

fait <strong>de</strong>s héros <strong>de</strong> roman <strong>de</strong> plusieurs <strong>de</strong> ses prineipaa<br />

personnages, gâté presque tous ses sujets, et<br />

refroidi même ses meilleures pièces. Si ce défaut est<br />

sensible dans les fê<strong>la</strong>s d'hommes 9 il Fest encore bien<br />

plus dans les femmes, qui doivent connaître et exprimer<br />

encore mieux que nous toutes les nuances<br />

est pas frai <strong>de</strong> cette passion, et lui conserver toutes les bienséan­<br />

que quelques couplets d'une pièce allégorique, où ces <strong>du</strong> sexe. Corneille les a blessées trop soufentf<br />

il y a <strong>de</strong> <strong>la</strong> douceur et <strong>du</strong> sentiment prouf est que même dans ses ouvrages les plus estimés : c'est un<br />

Fauteur aurait pu atteindre au sublime <strong>de</strong> <strong>la</strong> passion, sentiment qu'il n'avait pas. Chef lui, Pauline dit $<br />

tel qu'il se troufe dans Mermi&ne, dans Phèdre, en par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> Polyeucte :<br />

et dans Homne. 11 y a l'infini entre Psyché et ces II att iaajaa» aimable, fij* sêk êm^mmpwmm.<br />

rares pro<strong>du</strong>ctions <strong>du</strong> talent dramatique. Et puis f Emilie dit qu'elle a promis a Cinna iouies les dou­<br />

où f a-t-on prendre qu'un poète déshomre sm.mm ceurs <strong>de</strong> M possession; qmses faweurs l'atten<strong>de</strong>nt.<br />

en peignant <strong>la</strong> tendresse ? 11 me semble que cet excès On pourrait citer beaucoup <strong>de</strong> traits semb<strong>la</strong>bles $<br />

n'avait pas déshmmré l'auteur <strong>de</strong>s Amours <strong>de</strong> Didon. mais il suffit d'indiquer le défaut général.<br />

Quel renversement <strong>de</strong> toutes les Idées reçues 1 quel C'en est un bien grand encore, et qui revient bien<br />

oubli <strong>de</strong> toute bienséance! Et pourquoi? Pour insi­ plus fréquemment, <strong>de</strong> ne mettre dans <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong>s<br />

nuer que le talent <strong>de</strong> Eacine, qui excelle à peindre personnages amoureux que <strong>de</strong>s raisonnements ; <strong>de</strong>s<br />

Famour, est peu <strong>de</strong> chose; qu'il est indigne d'un maximes, <strong>de</strong>s sentiments qui ressemblent, oorame<br />

grand poète : et ain qu'on n'en doute pas, il cite le remarque Voltaire , au co<strong>de</strong> <strong>de</strong> ta Cour d'Jtmwr ;<br />

sur-le-champ JitHa, joué <strong>la</strong> même année qu'Jm- <strong>de</strong> parler toujours <strong>de</strong> ce que veut un bel œU, <strong>de</strong> ce<br />

dhnfntftte. Corneille, nous dit-il,'ne pou?ait mieux que faitun vlritaMe amani. Eacine n'est pas tombé<br />

èrmer smsMck. Non, fl ne pouvait mieux ùraner une seule fois dans ce défaut : il est prié dans Cor­<br />

le bon sens et le bon goût ; et quand Boileau disait, neille au <strong>de</strong>rnier excès; on le trouve à toutes les<br />

Jprêêl'JiHta, hoM il par<strong>la</strong>itcomme toute <strong>la</strong>France.<br />

Il ne s'agit pas <strong>de</strong> le prouf er ; ee serait f malgré l'au­ Dans d'autres genres même, il procè<strong>de</strong> presque<br />

torité <strong>de</strong> Ponteselle, le seul tort que l'on pût avoir toujours par le raisonnement mis à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>du</strong> sen­<br />

avec lui. S'il est possible à quelqu'un <strong>de</strong> supporter timent; et souvent, au lieu défaire ressortir le<br />

1 <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong> cet incompréhensible ouvrage, il verra caractère dans le dis<strong>cours</strong>, il fait dire crûment : J'ai


COURS DE LITTÉMTU1E<br />

â04<br />

tel caractère ; fit! <strong>de</strong> îa gran<strong>de</strong>ur, j¥i <strong>de</strong> l'ambition s<br />

f ai <strong>de</strong> <strong>la</strong> politique! j'ai <strong>de</strong> <strong>la</strong> fierté. L'art consiste au<br />

contraire à le faire voir au spectateur.sans le lui<br />

dire. Cette remarque est <strong>de</strong> Yauvenargues : elle est<br />

très-judicieuse.<br />

Corneille! qui dans Ctona parle a?ec uu grand<br />

sens <strong>de</strong>s principes <strong>du</strong> droit publie et <strong>de</strong>s vices attachés<br />

aux différentes formes <strong>de</strong> gouvernement ? qui,<br />

dans <strong>la</strong> scène entre Sertorius et Pompée 9 et dans<br />

<strong>la</strong> première scène à'Otkm, développe supérieurement<br />

<strong>la</strong> politique d'un chef <strong>de</strong> parti , <strong>mont</strong>re ailleurs<br />

une affectation <strong>de</strong> <strong>la</strong> politique <strong>de</strong> cour9 qui est chez<br />

lui un caractère trop marqué pour qu'on puisse n'en<br />

pas parler; et cette politique, qui est très-fausse9<br />

tient beaucoup plus <strong>de</strong> <strong>la</strong> rhétorique que <strong>de</strong> <strong>la</strong> connaissance<br />

<strong>de</strong>s hommes. Ici le siècle où vivait Corneille<br />

a visiblement influé sur ses écrits, quoiqu'on<br />

ait eu très-grand tort <strong>de</strong> dire que ce siècle avait dé*<br />

terminé <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> son talent. Non, ce talent était<br />

trop décidé, trop caractérisé pour suivre une impulsion<br />

étrangère. Ce ne sont pas les troubles <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

passionné pourrait dire, Vous m'entraînez au crime,<br />

parce qu'alors 6a pssion mime lui sert d'eicuse.<br />

Mais personne ne dira <strong>de</strong> sang-froid : Allons commettre<br />

un crime. Personne ne dira an prince même<br />

le plus méchant : Fuyez ta vertu comme mm déskommemrf<br />

et vok% cm crime. Quand <strong>la</strong> Saint-Barthélemi<br />

fut proposée dans le conseil intime <strong>de</strong> Charles<br />

IX, elle ne fut sûrement pas présentée comme<br />

un crime, mais comme le seul moyen d'étouffer les<br />

guerres civiles, <strong>de</strong> sauter <strong>la</strong> religion et l'autorité<br />

royale. C'est sous do noms sacrés que Ton couYrit<br />

le plus grand <strong>de</strong> tous les crimes.<br />

Lorsque Attale, dans Nieomê<strong>de</strong>, refuse d'appuyer<br />

auprès <strong>du</strong> roi les calomnies d'Arsinoé f et <strong>de</strong><br />

proiter <strong>de</strong> <strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong> Prusias pour perdre son<br />

frère f elle lui dit :<br />

Tous êtes peu <strong>du</strong> monda et savez mal <strong>la</strong> ooor.<br />

On dirait que c'est un principe reçu, que, pour<br />

être en mon<strong>de</strong> et savoir <strong>la</strong> cour, il faut trouver<br />

tous les moyens bons pour perdre son frère. Ceux<br />

Fron<strong>de</strong> qui lui ont fait faire Cîmmm et ks Horoces ; qui le pensent ne le disent pas. Cette vio<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s<br />

mais, accoutumé à entendre parler <strong>de</strong> factions, <strong>de</strong> bienséances morales retient à tout moment dans<br />

"complots et d'intrigues, à voir donner une gran<strong>de</strong> <strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> nos jours , où l'on n'imite que les fau­<br />

importance à ce qu'on appe<strong>la</strong>it l'esprit <strong>de</strong> cour, les tes <strong>de</strong> Corneille. C'est pour ce<strong>la</strong> qu'on tondrait les<br />

maximes <strong>de</strong> cour9 il crut <strong>de</strong>voir en parler comme s'il consacrer, et c'est pour ce<strong>la</strong> que je dé<strong>mont</strong>re com­<br />

eût toute sa vie vécu ailleurs que dans son cabinet, bien elles sont condamnables.<br />

et chez lui hommes et femmes se vantent sans cesse Le style est dans Comrflle aussi inégal que tout<br />

<strong>de</strong> leur politique. Mous avons vu celle <strong>de</strong> Félix. Celle le reste. 11 a donné le premier <strong>de</strong> <strong>la</strong> noblesse à notre<br />

<strong>de</strong> Cléop&tre dans Modogme, et d'Arsinoé dans M*> versification; le premier, il a ékté notre <strong>la</strong>ngue à<br />

eowiiêê, ne les empêche pas <strong>de</strong> faire, sans <strong>la</strong> moin­ <strong>la</strong> dignité <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie; et, dans ses beaux mordre<br />

nécessité, les coai<strong>de</strong>oces -les plus dangereuses ceaax 9 il semble imprimer au <strong>la</strong>ngage <strong>la</strong> force <strong>de</strong> ses<br />

et les plus horribles. 11 semble qu'elles ne les fassent idées : il a <strong>de</strong>s tersd'une beauté au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle<br />

que pour avoir occasion <strong>de</strong> dire : Yoyez comme je il n'y a rien. Ce n'est pas qu'on ne puisse, sans se<br />

suis méchante. L'auteipr a l'air <strong>de</strong> croire que lors­ contredire, faire le même éloge <strong>de</strong> Racine et <strong>de</strong><br />

qu'à <strong>la</strong> cour on commet un crime y On se Mt gloire Yoltairo 9 parce que, dès qu'il s'agit<strong>de</strong> beautés <strong>de</strong>dif-<br />

<strong>de</strong> le commettre. 11 fait dire à Photin :<br />

férents genres, elles peuvent toutes être également<br />

Le droit im rois consiste à ne rfeu épargner. au plus haut <strong>de</strong>gré, sans admettre <strong>de</strong> comparaison.<br />

Li timi<strong>de</strong> équité détruit fart <strong>de</strong> régner.<br />

A l'égard <strong>de</strong> <strong>la</strong> pureté, <strong>de</strong> l'élégance, <strong>de</strong> l'harmonie ,<br />

Quand on craint d'étn iqjuste, on a toujours à craindre; <strong>du</strong> tour poétique, <strong>de</strong> toutes les convenances do<br />

Et qui veut tout pouvoir doit oser ton! enfreindre ,<br />

Fuir comme cm déshonneur <strong>la</strong> icrtn qui le perd, style, il faut voir dans Feicellent Commentaire <strong>de</strong><br />

Et voter saut scrtipaJfi au crime qui te sert Voltaire tout ce qui a manqué à Corneille f et tout<br />

EtPtolémée, ta sortant <strong>du</strong> conseil f no manque ce qu'il <strong>la</strong>issait à Eure à Racine.<br />

fis <strong>de</strong> parler aussi <strong>de</strong> crime* Allons t dit-il, Fontenelle a <strong>la</strong> discrétion <strong>de</strong> ne point prier <strong>de</strong><br />

cet article dans <strong>la</strong> Fie <strong>de</strong> CormMk. U se contente<br />

Heu immortaliser pat an Illustra crime.<br />

d'affirmer, sans restriction quelconque, que Cor­<br />

Comme ces fautes ont été imitées <strong>de</strong> nos jours, et neille a porté k tkéâùre fronçait èsmpàm Mm<br />

que les jeunes gens les prennent ?olontiers pour <strong>de</strong> poiM <strong>de</strong> perfgeMm. Je doute que ses panégyristes<br />

<strong>la</strong> force, il faut leur redire que c'est là précisément les plus passionnés osassent aujourd'hui en dire au­<br />

une déc<strong>la</strong>mation <strong>de</strong> rhéteur, et non pas le <strong>la</strong>ngage tant. U ajoute : Il a Ms$é son seereê à qui t'm<br />

<strong>de</strong>s hommes d'État. Jamais eeui qui commettent pourra servir* Nous verrons que Racine ne s'en est<br />

ou qui conseillent le crime ne le présentent sous ses point servi, et qu'il en a trouvé un autre.<br />

véritables traits : ils sont trop hi<strong>de</strong>ui. Un homme On peut bien s'attendre qu'il ne '<strong>la</strong>isse pas <strong>de</strong>


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

MIS<br />

cité ^question <strong>de</strong> <strong>la</strong> prééminence, que j'ai orav à qa® cetsl qui aurait esses tout l'art <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie telle<br />

l'exemple <strong>de</strong> Voltaire Y <strong>de</strong>voir écarter. Ce se puait qu'elle parut dans les beaux jsara d'Athènes, et qui ai<br />

pas même en être une pour un juge qui nous assure aurait tracé à k fois le premier p<strong>la</strong>n et le premier modèle.<br />

que Pukàérie et Swém $êmt éi§mes <strong>de</strong> im vMMêMse<br />

Mais <strong>de</strong> sa beau, efforts se sont pas <strong>de</strong>mies à Humanité ;eue<br />

n'a pas <strong>de</strong> csaseptlsas si vastes.<br />

afsat grand homme, et que ses damiers mwrsges<br />

* 11 tfexiats aucun art qui n'ait été développé par <strong>de</strong>­<br />

sont io-mjmrs bons pour <strong>la</strong> lecture paisible <strong>du</strong> csMgrés,<br />

et tous ne se sont perfectionnés qtfavee le temps.<br />

mH. M faut s'en rapporter là-<strong>de</strong>ssus à «il qui es­ Un homme a ajouté au tassait d'un homme , sa siècle a<br />

sayeront <strong>de</strong> les lire. On m doit pas être étonné s'il ajouté ses <strong>la</strong>asèras d'an siècle » et c'est ainsi qu'en rénds-<br />

Iniipar prononcer, comme tme dàdsim gésémksaat et perpétuant leurs efforts y les générations, qui se<br />

ssaetl éêaMk, que C&mdMe u <strong>la</strong> première p<strong>la</strong>ce 9 et repro<strong>du</strong>isent sans cesse» ont ba<strong>la</strong>ncé <strong>la</strong> fafbtesse <strong>de</strong> notre<br />

Badme ta secon<strong>de</strong>* Peut-être eût-il été plus noMe et nature 9 et que l'homme 9 qui n'a qa* en moment d'extstenoe,<br />

plus convenable <strong>de</strong> dire : Je ne déci<strong>de</strong> point, parce a fraisage dans reten<strong>du</strong>e <strong>de</strong>s siècles <strong>la</strong> chaîne <strong>de</strong> ses sas-<br />

qpe Corneille est mon oncle, et que Eacine fiât mon naissances et <strong>de</strong> ses travaux qui doit atteindre aux homes<br />

ennemi. Mais ce qui peut étonner, c'est ce qui <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>du</strong>rée.<br />

suit:<br />

« L'invention dn dialogue a sans doute été le premier asa<br />

<strong>de</strong> fart dramatiqn®. Celui qui imagina dTj joindre une<br />

« On Jera à son gré FinteCTaHe .entre ces <strong>de</strong>ux p<strong>la</strong>ces action fit un second pas bien important. Cette action se<br />

im peu plus ce us peu moins grand. »<br />

modifia <strong>de</strong> différentes manières, <strong>de</strong>vint plus on moins at­<br />

Je crois qifit l'aurait fait d'une belle éten<strong>du</strong>e. On va tachante , plus on moins vraisemb<strong>la</strong>ble. La musique et <strong>la</strong><br />

en juger:<br />

dsnse Tinrent embellir cette imitation. On connut fli<strong>la</strong>sion<br />

« Cest là ce qui se tram en ne comparait que lès on*<br />

<strong>de</strong> l'optique et <strong>la</strong> pompe théâtrale. Le premier qui, <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

wages <strong>de</strong> part et d'antre »<br />

combinaison <strong>de</strong> tons ces arts réiinis 8 fit sortir <strong>de</strong> grands<br />

effets et <strong>de</strong>s beautés pathétiques, mérita d'être appelé le<br />

Les ouvrages!<br />

père <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie. Ce nom était dû à Eschyle : mais<br />

« Mais si Fou compara les <strong>de</strong>ux hommet, f<strong>la</strong>éplilé Eschyle apprit à Euripi<strong>de</strong> et à Sophocle à 1@ surpasser y et<br />

est plus gran<strong>de</strong>.»<br />

l'art fut porté à sa perfection dans <strong>la</strong> Grèce. Cette perfection<br />

J'ai déjà fait voir qu'on ne <strong>de</strong>vait, qu'on ne pouvait<br />

pas même asseoir bien soli<strong>de</strong>ment un parallèle personnel.<br />

Mais quant à <strong>la</strong> comparaison <strong>de</strong>s ouvrages f<br />

moi qui ne suisf ni parent <strong>de</strong> fou, ni ennemi <strong>de</strong><br />

l'antre , et qui ne considère tout simplement v comme<br />

tout homme <strong>de</strong> bonne foi, que Fart et mon p<strong>la</strong>isir,<br />

il m'est impossible <strong>de</strong> me rendre à l'autorité <strong>de</strong> Fon-<br />

était pourtant re<strong>la</strong>tive 9 et en quelque sorte nationale. En<br />

effet, s'il y a dans les tragiques anciens <strong>de</strong>s beautés <strong>de</strong><br />

tons les temps et <strong>de</strong> tona les lieux, il n'en est pas moins<br />

•rai qu'une bonne tragédie grecque , fidèlement transportée<br />

sur notre théâtre, as suffirait pas à faire une. bonne tragédie<br />

française : et si l'on pat citer qneSqne exception à ce<br />

principe général , cette exception même prouverait <strong>du</strong> moins<br />

que cinq actes <strong>de</strong>s Grecs ne peuvent nous en donner que<br />

tendit f et je crois quer s'il fal<strong>la</strong>it aller aux voix s les trois. Nous avons ordinairement à fournir ass tâche plus<br />

suffrages ne me manqueraient ps f et encore moins longieet pins péiiWe.Mdpomène obéîtes saeieas, parais­<br />

les raisons.<br />

sait sur te scèoeentoaréi <strong>de</strong>s attrilw^<br />

Pnlympe. Cbes nons9allee8tseiileetsan8ratr@aei)iilirtqiig<br />

- Je n'ai pas relevé à beaucoup près toutes les er­<br />

son art, sans antres appe<strong>la</strong> que <strong>la</strong> terreur et <strong>la</strong> pitié. Les<br />

reurs et toutes les injustices <strong>de</strong> Fontanelle. J'en chants et <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> poésie <strong>de</strong>s CJMNIB relevaient Feitessas<br />

, achèverai <strong>la</strong> réfutation dans l'examen <strong>du</strong> théâtre <strong>de</strong> s<strong>la</strong>ip Mcité <strong>de</strong>s sujets grecs, et ne <strong>la</strong>issaient aperce?oir aucun<br />

Racine, où die trouvera naturellement sa p<strong>la</strong>ce. ai<strong>de</strong> dans <strong>la</strong> représentation. Ici9 pour remplir <strong>la</strong> carrière <strong>de</strong><br />

J'aurai aussi l'occasion d'y joindra <strong>de</strong> nouvelles ob­ cinq actes , il nous font mettre en œevre les ressorts d'âne<br />

servations sur Corneille, qui naîtront <strong>du</strong> contraste Istrlgee toujours attachante 9 et ies mouvements d'une ilo-<br />

ie leurs différents caractères. Ils sont opposés <strong>de</strong> queute toujours pies on moins passionnée. L'harmonie <strong>de</strong>s<br />

sets grecs enchantait les srsitîes avi<strong>de</strong>s et sensibles i*aa<br />

tant <strong>de</strong> manières, qu'il est impossible <strong>de</strong> parler <strong>de</strong><br />

penp§@ poète; ici te mérite <strong>de</strong> <strong>la</strong> dMi»! si important à <strong>la</strong><br />

l'un sans se souvenir <strong>de</strong> l'autre : il semble qu'ils se feetw.sfàisW<br />

rapprochent sans cesse dans notre pensée, comme<br />

eieiessraiesasatrajBlrefapiklrafis^.aJ suppléer à l'in­<br />

ils s'éloignent dans leurs ouvrages.<br />

térêt <strong>de</strong>vant sas assemblée d'hommes qui tons ont en épi<br />

CHAPITEE ID. — Jtocfiitf.<br />

Sese<strong>la</strong> d*émotion f mais qni ne sont pas tous, à beaucoup<br />

près, également juges <strong>du</strong> style. Enfin, chef les athéniens f<br />

les spectacles donnés en certains temps <strong>de</strong> farinée étsJeet<br />

<strong>de</strong>s fêtes religieuses et magiiiqaes, où si signa<strong>la</strong>it <strong>la</strong> brflmmmmmmm^^i£$FrèrmmM^mâêfiÂiêmMmimt<br />

âmdrmmqMe.<br />

Jwte rivalité <strong>de</strong> tous les arts, étui tes sent, sé<strong>du</strong>its <strong>de</strong><br />

tontes les manières, rendaient l'esprit <strong>de</strong>s Juges moins<br />

séfèra et mollis exigeant. Ici <strong>la</strong> satiété, qni naît d'un©<br />

« Ce serait sans <strong>de</strong>nte un homme très-extraordiiiaire joussance <strong>de</strong> tons tes jours, doit ajouter beaucoup à <strong>la</strong>


S06 COURS DE LITTÉRATURE.<br />

sévérité <strong>du</strong> spectateur t lui donner un besoin plus Impérieui<br />

eTémotknis fortes et nouvelles. Et <strong>de</strong> lotîtes ces eonsidératfaas<br />

os peut conclure que Fart <strong>de</strong>s Corneille et <strong>de</strong>s Racine<br />

, défait être plus éten<strong>du</strong> f plus varié, plus difficile qm celui<br />

<strong>de</strong>s Euripi<strong>de</strong> et <strong>de</strong>s Sophocle.<br />

« Ces <strong>de</strong>rniers avalent encore aa avantage que n'ont pas<br />

eu parmi nous leurs imitateurs et leurs rivaux : ils oftaieat<br />

à leurs concitoyens les grands événements <strong>de</strong> leur histoire 9<br />

les triomphes <strong>de</strong> leurs héros, les malheurs <strong>de</strong> leurs ennemis,<br />

les infortunes <strong>de</strong> leurs ancêtres, les crimes et les<br />

•engeances <strong>de</strong> leurs dieux ; ils réveil<strong>la</strong>ient <strong>de</strong>s idées imposantes<br />

9 <strong>de</strong>s souvenirs touchants ou <strong>la</strong>ttears, et par<strong>la</strong>ient<br />

I <strong>la</strong> fais I lliomme et an citoyen.<br />

« La tragédie ; soumise comme tout te reste an caractère<br />

patriotique, fut donc chez tes Grecs leur religion et lear<br />

histoire en action et en spectacle. Corneille, dominé par son<br />

génie, et n'empruntant aex anciens que les premières<br />

règles <strong>de</strong> fart, sans prendre lear manière pour modèle, §t<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie aae école d'héroïsme et <strong>de</strong> vertu. Mais combien<br />

il y avait encore à faire! combien Fart dramatique;<br />

qui doit être le résultat <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> mérites différents, était<br />

loin <strong>de</strong> les réunir ! combien y avait-il encore, je ne dis pas<br />

seulement à perfectionner} mais à créer! car rassemb<strong>la</strong>is<br />

<strong>de</strong> tant <strong>de</strong> beautés neuves et tragiques qui étincelèrent dans<br />

le premier chef-d'œuvre <strong>de</strong> Racine, dans Ândromaque,<br />

n'est-il pas une véritable création? C'est à partir <strong>de</strong> ce<br />

point que Racine, plus profond dans <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong><br />

Fart que personne ne f a? ail encore été , s'ouvrit use route<br />

itae? elle; et <strong>la</strong> tragédie fut alors f histoire <strong>de</strong>s passions et<br />

le tableau <strong>du</strong> cœur humais. » (Él&ge <strong>de</strong> Racine*)<br />

* Mais il ne faut pas dédaigner <strong>de</strong> jeter tin coup<br />

d'oeil sur les essais <strong>de</strong> sa première jeunesse. . Noos<br />

y reconnaîtrons, au milieu <strong>de</strong> tous les défauts qui<br />

dominaient encore sur <strong>la</strong> scène f le germe d'un<br />

grand talent poétique; et Raeine s 9 y annonce déjà<br />

par un <strong>de</strong>s mérites qui lui sont propres 9 ce<strong>la</strong>i <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

tmileatiaiL II n'avait pas vingt-cinq ans lorsqu'il<br />

«tonna kê Frèrm ememâsf commencés longtemps<br />

auparavant, sujet traité sur tous les théâtres an*<br />

<strong>de</strong>ns, et qui ne pouvait guère réussir sur le nôtre.<br />

Mi Tue ni fautre <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ui frères ne peut inspirer<br />

d'intérêt; tous <strong>de</strong>ui sont à peu près également<br />

coupables, également odieux : Tua est un usurpateur<br />

<strong>du</strong> ttdne, et Fautre est l'ennemi <strong>de</strong> sa patrie.<br />

Leur «ère ne peut <strong>mont</strong>rer qu'une douleur impuissante;<br />

et <strong>de</strong>s intrigues d'amour ne peuvent se mêler<br />

mwmmdkhmmt au milieu <strong>de</strong>s horreurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> race<br />

ie Laïus. Tel est le vice <strong>du</strong> sujet 9 et <strong>la</strong> fable <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

pièce ne va<strong>la</strong>it pas mieux. La manière <strong>du</strong> jeune pacte<br />

est fidèlement calquée sur les défauts <strong>de</strong> Corneille.<br />

Manie profita mieux que le talent commence presque<br />

toujours par l'imitation. C'est en même temps<br />

un hommage qu'il rend à ses maîtres, et un éeueil<br />

où il peut échouer, si le modèle n'est pas parfait ;<br />

car il est <strong>de</strong> Fineipérietiee et <strong>de</strong> <strong>la</strong> faiblesse-<strong>de</strong> cet<br />

âge <strong>de</strong> s'approprier d'abord ©e qu'il y à <strong>de</strong> plus aisé à<br />

imiter, c'est-à-dire les fautes: Ainsi fou voit dans ies<br />

Ftèrm€mmmÂ9 unCréon, qui, dans le temps même<br />

où il n'est oecupé qu'à brailler ses <strong>de</strong>ux neveux, et à<br />

les perdre f 11 par l'autre pour leur succé<strong>de</strong>r, est<br />

bien tranquillement et bien froi<strong>de</strong>ment amoureux<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> princesse âitigoie comme Maxime Fest d'Emilie,<br />

et rirai <strong>de</strong> son ils flémon, qu'il sait bien<br />

être fanait préféré. Il init par faire à cette Anligne,<br />

qui le hait et le méprise ouvertement, une<br />

proposition tout au moins aussi dép<strong>la</strong>cée et aussi<br />

déraisonnable que celle <strong>de</strong> Maxime à Emilie. Lorsque<br />

Étéocle et Myafce sont tués; que leur mère,<br />

Jocaste, s'est donné <strong>la</strong> mort; qu'Hennin et if aieeée,<br />

les <strong>de</strong>ux ils <strong>de</strong> Gréon, viennent <strong>de</strong> périr à <strong>la</strong><br />

vue <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux armées, Gréon, qui est resté tout<br />

seul, n'imagine rien <strong>de</strong> mieux que <strong>de</strong> proposer à<br />

Antigone <strong>de</strong> l'épouser. On sent qu'une pareille<br />

scène, dans un cinquième acte rempli <strong>de</strong> meurtres<br />

et <strong>de</strong> crimes, suffirait pour faire tomber une pièce.<br />

Antigone ne lui répond qu'en le quittant pour aller<br />

se tuer comme les autres personnages <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie.<br />

Gréon n'a pas le courage d'en faire autant,<br />

apparemment pour qu'il soit dit que tout le mon<strong>de</strong><br />

ne meurt pas ; mais il jette <strong>de</strong> grands cris, et finit par<br />

dire qu'il va chercher éurcpcs mm enferê.<br />

. On retrouve aussi dans ks Frèrei mmcmiê ces<br />

longs monologues sans nécessité, qu'il était d'usage<br />

<strong>de</strong> donner aux acteurs et aux actrices comme<br />

les moroeaux les plus propres à les faire briller,<br />

et jusqu'à <strong>de</strong>s stances dans le godt <strong>de</strong> celles <strong>de</strong> Pc-<br />

§§eœ$e et à'fférœlim, espèce <strong>de</strong> hon-d'ceuvre qui<br />

est <strong>de</strong>puis longtemps banni <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène, où il formait<br />

une disparate choquante 9 en mettant trop évi<strong>de</strong>mment<br />

le poète à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>du</strong> personnage. On y retrouve<br />

les déc<strong>la</strong>mations, les maximes gratuitement<br />

odieuses, et même les raisonnements a<strong>la</strong>mbiqués,<br />

à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>du</strong> sentiment; défauts où Eacïne n'est<br />

jamais tombé <strong>de</strong>puis. Jocaste parle à ses <strong>de</strong>ux fils<br />

à peu près comme Sabine dans les M&rmem prie à<br />

son époux et à son beau-frère ; elle veut leur prouver<br />

en forme qu'ils doivent <strong>la</strong> tuer. Et remarquons, en<br />

passant, combien il y a quelquefois peu d'intervalle<br />

entre ie faux et le vrai. Que Jocaste* an désespoir<br />

<strong>de</strong> ne pouvoir léràir ses <strong>de</strong>ux fils, leur dise qu*il<br />

faudra qu'ils lui percent le se<strong>la</strong> avant <strong>de</strong> combattre<br />

9 qu'elle se jettera entre leurs épées v ce <strong>la</strong>ipge<br />

est convenable; mais qu'elle dise,<br />

Je sols ie tous Ici <strong>de</strong>ux <strong>la</strong> oonmtine ennemie,<br />

Polique votre ennemi reçut <strong>de</strong> mol <strong>la</strong> vie :<br />

Cet ennemi mm moi M verrait pat ie Jour ;<br />

S'il meurt, ne faut-il pas que Je taeare à mon tour?<br />

Wm doutez poist, sa mort me doit être eoaamaae s<br />

11 faut m donner <strong>de</strong>nt, ou n'en donner paa une ?


ees subtilités sont beaucoup trop ingénieuses. Ce<br />

n'est pas le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur; elle s'a pas asset<br />

d'esprit pour Mre <strong>de</strong> pareils sophismes :' eet esprit<br />

paraissait alors ipilqî» chose <strong>de</strong> bril<strong>la</strong>nt; mais il<br />

se font qu'un moment <strong>de</strong> réËeiioe pour sentir<br />

combien il est fiai»<br />

Lu Frêrm ammd» eurent pourtant quelque<br />

succès 9 et ce coup d'essai n'est pas sans beautés.<br />

Ces ters f d'une tournure ferme a d'un grand sens t<br />

ressemblent aux bons vers <strong>de</strong> Corneille, et font<br />

Yoir que son jeune rîeal sa?ait déjà imiter quelque!unes<br />

<strong>de</strong> ses beautés.<br />

D'un antre côté, Étéecle trace mm force cette<br />

leersiôa réciproque qoi a toujours régné entre son<br />

frère et lui. Il n'était pas aisé if exprimer noblement<br />

cette tradition <strong>de</strong> <strong>la</strong> fable qu'Étéocle et Polynice<br />

se battaient ensemble dans le sein <strong>de</strong> leur mère. Le<br />

poète y réussît, et tout ce morceaji, à quelques<br />

fautes près, est d'un style tragique.<br />

J« m êêèë si «ai «or s'apaise» Jamais :<br />

Ce n'est pas son orgueil t c'est lui seul fa© Je haJi.<br />

Hons a¥ons fou et Feutre une haine obstinée i<br />

Elle s'est pas t Crées , l'ourmge d'une année ;<br />

Elle est née avec omis, et sa noire fureur,<br />

Aussitôt que <strong>la</strong> vk entra dans notre cœur,<br />

Hons étions ennemis dès 1» pins tendre enfases ;<br />

Que dto-Je? nous l'étions mmî notre naimmm<br />

Triste et fatal effet d'un sang ineestneu !<br />

Pendant qu'an même sein nous renfermait Ions éeni t<br />

Bans tas Hases <strong>de</strong> ma mère nue guerre intestine<br />

De nos divisions loi marqua l'origine.<br />

Elles ont, tu le sais, para dans le benêts,<br />

fit nous sslvrost peut-être essor dans le tombées.<br />

On dirait qo* te <strong>de</strong>s, par en arrêt ftiaaeta,<br />

Voilât <strong>de</strong> nos. parents poslr ainsi Fiscesk,<br />

Et que dans notre sang U voulut mettre an Jour<br />

ïûtii ce qsTost <strong>de</strong> ph» noir et §a saine et l'amour.<br />

Et maiotesast, Créée, que J'attends sa Tenue,<br />

Ne croîs pas qse pour lui mi haine diminue :<br />

"SIèCLE DB WOIS XIV. — POÉSIE. SOT<br />

Moi 11 approche f et plss 11 raa semMe oataeiï ;<br />

Et sans doute il faudra qu'elle idate à ses jeux.<br />

- ranrais même regret qu'il me quitêât l'empire :<br />

I! faut f il fast qs'il Sste, et nos qa'Jl se retire,<br />

le ne Téta point, Crée®, le haïr à moitié,<br />

Et Je crains sos œsrrosx moins que son amitié.<br />

Je veux, pour êmner mmr$ à mon ar<strong>de</strong>nte haine 9<br />

Que sa tireur as moins autorise <strong>la</strong> mmmm ;<br />

Et pslsqse cols mos coeor se sevrait te trahir,<br />

le Yeent qu'il me déteste, afin <strong>de</strong>'le haïr.<br />

La haine <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux frères est pente mm énergie 9 et<br />

<strong>la</strong> scène <strong>de</strong> l'entrevue est très-bien traitée. Le poète<br />

a eu fart <strong>de</strong> nuancer <strong>de</strong>ui caractères dominés par<br />

un même sentiment ; et ce mérite seul suffisait pour<br />

annoncer le talent dramatique que le judieieui Molière<br />

aperçut et encouragea dans le premier ouwag®<br />

<strong>de</strong> Racine, Polysiee a plus <strong>de</strong> noblesse et <strong>de</strong> fierté t<br />

ttéocle plus <strong>de</strong> férocité et <strong>de</strong> fureur. Quand le»<br />

caste représente à Polynice tpfÉtéœle s f Et un moment après, lorsqu'on lui annonce que<br />

' son frère approche, il s'écrit ;<br />

Qu'os sait os ennemi qsasd H est près <strong>de</strong> novsl<br />

La <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> leur combat s malgré quelques ?€rs<br />

<strong>de</strong> jeune homme ; est en général bien écrite et digne<br />

<strong>du</strong> sujet<br />

Mais le talent <strong>de</strong> Fauteur ponr <strong>la</strong> versification<br />

se développe bien davantage dans Alexandre. C'est<br />

est <strong>la</strong>it <strong>la</strong> première <strong>de</strong> nos pièces qui ait été écrite avec cette<br />

aimer <strong>du</strong> peuple <strong>de</strong>puis fil! règne dans Thaïes,<br />

élégance qui consiste dans <strong>la</strong> propriété <strong>de</strong>s termes,<br />

le prince répond :<br />

dans <strong>la</strong> noblesse <strong>de</strong> l'expression, dans le nombre<br />

CTest in tyran «pfos aime; et <strong>la</strong> ca<strong>de</strong>nce <strong>du</strong> Ters. Ce mérite y que fauteur porta<br />

Qui par cent lâchetés tâche à te oiaiataofa<br />

An rang où par te forcell a m parvenir ;<br />

défais infiniment plus loin, et le caractère <strong>de</strong> Forns f<br />

Et ses orgadl le rend f par ss effet ©astral» s marquaient déjà un progrès dans sa composition;<br />

Enc<strong>la</strong>ve <strong>de</strong> ton peuple et tyran <strong>de</strong> M» Mm.<br />

et <strong>la</strong> pièce etil beaucoup <strong>de</strong> succès. Mais elle manque<br />

* Wmm mMmmmê& îmmîmmh là vmt Mm mMt%<br />

Et se fait mépriser pour me faire haïr.<br />

<strong>de</strong> cet intérêt qui soutient seul les pièces <strong>de</strong> théâtre<br />

€e n'est pas sans ssjet qu'on me préAre us trait»; quand on s'y supplée pas par <strong>de</strong>s beautés d'un autre<br />

Le pesple aime va esetofe, et eraiat d*a?oii mm aaJtm<br />

Nais Je croirais trahir <strong>la</strong> majesté <strong>de</strong>s rois,<br />

genre | aussi supérieures pour en tenir lieu f comme<br />

§1 Je faisais le peuple arbitre <strong>de</strong> mes droits.<br />

on en voit <strong>de</strong>s exemples dans quelques-unes <strong>de</strong>s<br />

pièces <strong>de</strong> Corneille. L'esprit d'imitation est ici encore<br />

plus marqué que dans ks Frêrm mwemis.<br />

Alexandre est aussi froi<strong>de</strong>ment amoureux d'une<br />

reine <strong>de</strong>s In<strong>de</strong>s que César <strong>de</strong> celle d'Egypte. L'amitié<br />

sans doute meugtait Bespréaux 9 quand il met<br />

dans <strong>la</strong> bouche d'un campagnard ces vers en forme<br />

<strong>de</strong> reproche! et dont il veut faire) une louange :<br />

le ae gais pas pourquoi f os faste Fâteusdn :<br />

Ce s'ert qu'es glorieux qui se dit rien m tendre.<br />

11 n'estpas hit tendre m effet; mais il est tsses<br />

ga<strong>la</strong>nt pour dire à sa maltresse :<br />

Je •oui avais promis epe l'effort <strong>de</strong> mon tirai<br />

M'approcherait Mestoi <strong>de</strong> VM divins appas;<br />

Mais, dans ce même tempst souYeoei-YOïis, madame,<br />

Que wmm m» prosielfiez cfoslfoe p<strong>la</strong>ça es YOtce âme.<br />

Je rois eeiio : famosr a eeaibattti posr mol ;<br />

La victoire elle-même a dégagé ma foi<br />

Toot cè<strong>de</strong> aotoor <strong>de</strong> foos ; c'est à aoos <strong>de</strong> fous reraJre :<br />

Votre eœ« Fa promis ; voudn-t-U l'en défendre-?...<br />

Et un moment après :<br />

Que ¥001 émisai nés mat les •talents êésire<br />

D*oa amosr qui aari imm porte tous mes soupirs !<br />

FafDseral «pfasirefofs, an mllSeu d'eue armée,<br />

Mos «Mf s® sosplrall fia pour tm-tmommét.<br />

Mais filial ! que YOS yesz , ces aimables tyrans,<br />

CM pro<strong>du</strong>it sur nos «sur <strong>de</strong>s effets <strong>du</strong>réresls !<br />

Ce graoé nom <strong>de</strong> *aiiMpeor s'est plus aoejall souhaite ;<br />

11 tient avee p<strong>la</strong>isir arooor sa défaite.


COURS DE UTTÉMTIJ1E.<br />

Boileau avait Men pu p<strong>la</strong>cer parmi ses kérm r<br />

Je rmmm un Alexandre qui empire pour ê'aiwm-<br />

Ma tyrom, et qui fient awmer sa défaite. 11 y a<br />

<strong>de</strong>s hommes qu'il ne faut jamais faire soupirer sur<br />

<strong>la</strong> scène f et Aleiandre est <strong>de</strong> ces hommes-là. Mais<br />

pardonnons à Raeine : l'exemple l'entraînait. 11<br />

était bien jeune, et <strong>de</strong>puis il sut faire parler à IV<br />

mour un <strong>la</strong>ngage bien différent.<br />

Un autre défaut essentiel <strong>de</strong> cette pièee, e v est le<br />

manque d'action. Porus est ?alncu dès le commencement<br />

<strong>du</strong> troisième acte, et pourtant il reste sur<br />

leehamp<strong>de</strong>bataille Jusqu'au cinquième 9 à disputer<br />

une victoire qu'Alexandre Mi-même a déjà déc<strong>la</strong>rée<br />

certaine; et, dans ce long intervalle, Alexandre<br />

ne s'occupe qu $ mmêm a un air <strong>de</strong> Jactance qui sent trop le Jeune<br />

?cnifieatenr• U ne doit rien y avoir dans le style<br />

tragique qui ressemble le moins <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> à <strong>la</strong><br />

recherche. Ce sont là <strong>de</strong> ces fers qu'on fait i vingt<br />

ans | mais qu'on effacera à trente ; et, <strong>de</strong>puis Andm*<br />

wmmm, jamais Raeine n'en a fait dans ee goût. Aujourd'hui<br />

qu'on est en général si éloigné <strong>de</strong>s frais<br />

principes <strong>du</strong> style, bien <strong>de</strong>s gens seront peut-être<br />

surpris <strong>de</strong> ee jugement sur <strong>de</strong>s vers dont beaucoup<br />

d'auteurs se g!oriieraient ; mais c'est en lisant les<br />

modèles qu'a donnés Raeine qu'on apprend à être si<br />

sévère.<br />

Le premier <strong>de</strong> ees modèles fut Jnéwmmam.<br />

Racine 9 peu content <strong>de</strong> ce qu'il avait pro<strong>du</strong>it jus­<br />

à mettre d'accord Axiane et Taxile, qu'alors (car le talent suit juger ce qu'il a <strong>la</strong>it en le<br />

dont personne ne se soucie'; tout se passe en conver­ comparant à ce qu'il peut Cure), ne trouvant pas<br />

sations inutiles. Mais celle <strong>du</strong> <strong>de</strong>uxième acte, entre dans ses premiers essais l'aiment que cherchait son<br />

Port» et Éphestion, offre <strong>du</strong> moins <strong>de</strong>s beautés flme, s'interrogea dans le silence <strong>de</strong> <strong>la</strong> télleiion. U<br />

<strong>de</strong> détail. Êphestion veut lui parler <strong>de</strong>s exploits <strong>de</strong> fit que <strong>de</strong>s conversations politiques n'étaient pas <strong>la</strong><br />

son maître :<br />

tragédie; averti par son propre cœur, il vit qu'il<br />

Eh ! que pwntta-Je apprendre<br />

fal<strong>la</strong>it <strong>la</strong> puiser dans le cœur humain, et dès ce mo­<br />

Qui m'abaisse §1 fort an-<strong>de</strong>ssous ê'Metmûml ment il put dire : La tragédie m'appartient. 11 con­<br />

BmM-m mm effort les Persens mangues,<br />

Et vos bras tant <strong>de</strong> faii <strong>de</strong> meurtres falgaés? çut que le plus grand besoin qu'apportenfles spec­<br />

Quelle gloire, ea effet f d'aocabler <strong>la</strong> fidbtesst tateurs au théâtre i le plus grand p<strong>la</strong>isir qu'ils y<br />

' p^iiiîoiiéîàTaiiiceipf sapeopte inoiiesie; cherchent , c'est <strong>de</strong> se retrouver dans ce qu'ils voient ;<br />

D'en peuple sans vlgaeof et presque taaaiaaé f<br />

. Qui géai<strong>la</strong>salî sons For dont 11 était armé f<br />

que si l'homme aime à être élevé, il aime encore<br />

.Et qui, tombant en foule, te tien <strong>de</strong> se défendra, mieui être attendri ? peut-être parce qu'il est plus<br />

N'opposait foe <strong>de</strong>s morts an grand camià'àlmêBâMl<br />

îm entre* , éblouis <strong>de</strong> see moindres exploits , sûr <strong>de</strong> sa faiblesse que <strong>de</strong> sa vertu ; que le sentiment<br />

Sont venus à genou loi <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s lois; <strong>de</strong> l'admiration s'émousse et g'affeiblittrop aisément<br />

Et, mm €ramte éeontant Je se sais ipe<strong>la</strong> oracles t<br />

Ht n'ont pat cm qu'un dtee fit trouver <strong>de</strong>s eiataelea. pour soutenir' seul une pièce entière; que les <strong>la</strong>rmes<br />

Mais noua, qui d%nautre œtl jugeons lea conquérants, douces qu'elle fait répandre quelquefois sont bien-<br />

Hons savons que les dieux ne sont pas <strong>de</strong>s tyrans; têt séchées9 au lieu que <strong>la</strong> pitié^énètre plus avant<br />

Et, <strong>de</strong> quelque ftcoe qu'on esclâ?e le nomme 9<br />

Le fi<strong>la</strong> <strong>de</strong> Jupiter pane Ici pour un homme. dans le cœur, y porte une émotion qui croît sans<br />

' ffoas n'allons point <strong>de</strong> fleurs parfumer soa càeea<strong>la</strong> ;• cesse, et que l<br />

11 ace» trouve partout ta aimes à <strong>la</strong> main :<br />

Il volt à cliaque pat arrêter see «MMpêtee ;<br />

Us seal mener M lui ooûte plus <strong>de</strong> têtee s<br />

Plus <strong>de</strong> soins s pies d'amants, et presque plu <strong>de</strong> temp,<br />

Que n'en coûte à ton bras Peuplée <strong>de</strong>s Persans.<br />

Ennemis <strong>du</strong> repos qui perdit eee infâmes,<br />

L'or qui naît sous nos pas se corrompt point nos âmea :<br />

La gloire est le seul bien qui nous pubs® tenter,<br />

Et le seul que mon sueur cbercne à lui disputer.<br />

Ces f« ont <strong>la</strong> vigueur et <strong>la</strong> dignité <strong>du</strong> genre. Je<br />

me aouviens d'en a?oir ?u citer <strong>de</strong> préférenee quatre<br />

autres, qui sont peut-être plus bril<strong>la</strong>nts, mais qui<br />

ne me semblent pas d'un style aussi sain.<br />

©ni f Je consens qu'au cM on élève Alexandre :<br />

Mais, ai je puis, seigneur! Je l'en ferai <strong>de</strong>seendra;<br />

M fmû rattaquer jusque sur les autels<br />

Que lui dresse en tremWint le reste d« mortels.<br />

le ne doute pas que ces mm ne fussent app<strong>la</strong>udis<br />

par le parterre ; mais je crois qu'ils le seront moins<br />

par les connaisseurs. 11 y a <strong>de</strong> l'emphase et <strong>de</strong> l'affectation<br />

dans ees te»; et <strong>la</strong> ?éritabie gran<strong>de</strong>ur s'en a<br />

point : ëfct*r «* c§d AhmmmÉrepmwimJMrtém*<br />

$ on aime à nourrir, fait couler <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes<br />

délicieuses qu'on ne se <strong>la</strong>sse point <strong>de</strong> répandre ,<br />

et dont l'auteur tragique peut sans cesse rouvrir <strong>la</strong><br />

source, quand une fois il Ta trouvée. Ces idées<br />

furent <strong>de</strong>s traits <strong>de</strong> lumière pour cette âme si sensible<br />

et si fécon<strong>de</strong>, qui en g'esamwant elle-même, y<br />

trouvait les mouvements <strong>de</strong> toutes nos passions, les<br />

secrets <strong>de</strong> tous nos 'penchants. Combien un seul<br />

principe lumineux, embrassé par le génie, avance<br />

en peu <strong>de</strong> temps,sa marche vers <strong>la</strong> perfection!<br />

JLe CM avait été <strong>la</strong> première époque <strong>de</strong> <strong>la</strong> gloire<br />

<strong>du</strong> théâtre français, et cette époque était bril<strong>la</strong>nte.<br />

Jndmmaqm fut <strong>la</strong> secon<strong>de</strong>, et n'eut pas moins<br />

d'éc<strong>la</strong>t : ce fut une espèce <strong>de</strong> révolution. On s'aperçut<br />

que c'étaient là <strong>de</strong>s beautés absolument neuves.<br />

Celles <strong>du</strong> CM étaient <strong>du</strong>es en gran<strong>de</strong> partie à Fauteur<br />

espagnol : Racine, dans Jndrùwmqm, ne <strong>de</strong>vait<br />

rien qu'à lui-même. La pièce d'Euripi<strong>de</strong> n'a <strong>de</strong><br />

commun avec <strong>la</strong> sienne que le titre : le sujet est<br />

, tout différent; et ee n'est pas encore ici que eom-


SIÈCLE DB IDUIS XIV. — POÉSIE.<br />

mènent les obligations que Racine eut an Grées.<br />

Quelques fers <strong>du</strong> troisième livre <strong>de</strong> V Enéi<strong>de</strong> lui<br />

irait naître l'idée <strong>de</strong> son Jndrmmque* Ils contiennent<br />

une partie <strong>du</strong> sujet 9 l'amour <strong>de</strong> Pyrrhus pour<br />

Andromaque, et le meurtre <strong>de</strong> ce prince tué <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

main d'Oreste au pied <strong>de</strong>s autels : il y a cette différence<br />

t que, dans Virgile, Pyrrhus a abandonné<br />

Andromaque pour épouser Hennira©, dont Oreste<br />

est amoureux. VoMà tout ce que <strong>la</strong> Fable a fourni<br />

au poète; et si Ton excepte les sujets absolument<br />

d'intention, M y en a peu où Fauteur ait plus mis<br />

<strong>du</strong> sien.<br />

Quel cpn; fut le succès tfAndromaque, Corneille<br />

et Racine n'es liaient pas encore appris assez à k<br />

nation pour qu'elle pût saisir tout ce qu'us pareil<br />

ouvrage avait d'étonnant. Racine était dès lors trop<br />

au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> son siècle et <strong>de</strong> ses juges. U faut plus<br />

d'une génération pour que les connaissances * détendant<br />

<strong>de</strong> proche en proche, répan<strong>de</strong>nt un grand jour<br />

sur les monuments <strong>du</strong> génie ; il est bien plus prompt<br />

à créer que nous ne k sommes à le connaître. Instruits<br />

par cent ans d'expérience et <strong>de</strong> réfleiios 9 nous<br />

sentons mieux aujourd'hui quel homme ce serait<br />

que Racine, quand il n'aurait fait qa 9 Andromaque.<br />

Quelle marche c<strong>la</strong>ire et distincte dans une intrigue<br />

qui semb<strong>la</strong>it double 1 Quel art d'entrekeer et <strong>de</strong> con<strong>du</strong>ire<br />

ensemble les <strong>de</strong>ui branches principales <strong>de</strong> Faction<br />

y <strong>de</strong> manière qu'elles semblent n'en faire qu'une I<br />

Tout se rapporte à un seul événement décisif, au<br />

mariage d'Andromaqne et <strong>de</strong> Pyrrhus ; et les événement*<br />

que pro<strong>du</strong>it l'amour d'Oreste pour Hermione<br />

sont toujours dépendants <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Pyrrhus pour<br />

Andromaque. Ce mérite <strong>de</strong> <strong>la</strong> difficulté vainc»<br />

suppose une science profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'intrigue : il faut<br />

k développer.<br />

Il .y a trois amours dans cette pièce : celui <strong>de</strong><br />

Pyrrhus pour Andromaque, celui d'Hermione pour<br />

Pyrrhus , et celui d'Oreste pour Hermione. U fal<strong>la</strong>it<br />

que tous trois fussent tragiques, que tous trois eussent<br />

un caractère différent , et 91e tous trois concourussent<br />

à lier et à délier k nœud principal <strong>du</strong><br />

sujet, qui est le mariage <strong>de</strong> Pyrrhus avec Andromaque<br />

v d'où dépend <strong>la</strong> fie <strong>du</strong> ils d'Hector. Le poète<br />

est venn à bout <strong>de</strong> tout. D'abord l'amour est tragique<br />

dans tous les trois, c'est-à-dire au point ne il<br />

peut pro<strong>du</strong>ire <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s catastrophes et <strong>de</strong> grands<br />

crimes. Si Pyrrhus n'obtient pas <strong>la</strong> main d'Andro-<br />

509<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie..Quoique ce sacrllee d*un enfant<br />

puisse nous paraître tenir <strong>de</strong> <strong>la</strong> cruauté, les moeurs<br />

connues <strong>de</strong> ces temps, les maiimes <strong>de</strong> <strong>la</strong> ptiitique<br />

et les droits <strong>de</strong> <strong>la</strong> victoire l'autorisent suffisamment»<br />

Tout est mntlvé, tout est vraisemb<strong>la</strong>ble ; et <strong>de</strong> peur<br />

que l'amour <strong>de</strong> Pyrrhus ne nous rassurât sur k sort<br />

iFAstyanax, k poète lui a conservé le caractère 1er<br />

et impétueux qui convient au ils d'Achille, et cette<br />

violente passion qui peut détenir cruelle, si elle<br />

n f est pas satisfaite. Voici comme il est annoncé dès<br />

k première scène :<br />

Et campe Jour encore on lui ?oit tout tenter<br />

Pour fléchir M Captive on pour l'épouvanter.<br />

De ion lits qu'il lui cache, U menace <strong>la</strong>tâfe,<br />

El set couler <strong>de</strong>s pleurs €p*iîisfilôl 11 arrête.<br />

Hermione elle-même a vu plus <strong>de</strong> cent folf "<br />

Cet amant Irrité revenir sou ses lots s<br />

Et, <strong>de</strong> ses VOMI troublés lui rapportant fbomiiiags t<br />

Soupirer à ses pieds moins d'amoor que <strong>de</strong> rage.<br />

Ainsi n'atten<strong>de</strong>! pas que je poisse aujourd'hui<br />

Vous répondre d\m azur si peu maître <strong>de</strong> loi.<br />

1 peut, eelgnenr, 11 peut, dans es désordre extrême,<br />

Epouser oecpli naît, et perdre ce oplt aime.<br />

£t ces tommes que k passion ialssc sï jasn ntul-<br />

'tres d'eux-mêmm sont précisément ce qu'il nous<br />

font dans k tragédie. On ne sait pas ce qui arrivera ;<br />

mais on pet s'attendre à tout : Fou espéra et Ton<br />

craint ? et c'est tout m qu'os vent an théâtre. Le<br />

<strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> Pyrrhus confirme en que Py<strong>la</strong><strong>de</strong> <strong>de</strong>nt<br />

d'en dire. Se f<strong>la</strong>tte-t-il <strong>de</strong> toucher le cœur <strong>de</strong> celle<br />

qu'il aime, il promet tout, ries se lui coûte.<br />

Madame t dt*ss»mol aentecaent f ne fcasère ,<br />

le TOUS rends fotre Ils, et Je lui sers <strong>de</strong> père,<br />

le llentrnical moi-même à eeagar les Troyees ;<br />

J'Irai punk les Grecs île ?o§ maux et <strong>de</strong>s miens.<br />

Animé d'un regard, Je pois tout entreprendre *<br />

Votre lilon eneor peut sortir <strong>de</strong> sa cendre ;<br />

le puis, en moins <strong>de</strong> temps que tes Grecs ne Font pris,<br />

Bans ses mus màmm ecaMonner vote fi<strong>la</strong>.<br />

Pourquoi ces promesses! si slngnîières dans <strong>la</strong><br />

bouche <strong>du</strong> ils d<br />

roaque Y il livrera le ils <strong>de</strong> cette princesse aux Grecs<br />

qui le lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt. Ils ont <strong>de</strong>s droits sur leur vio<br />

tinae, et il ne peut refuser à ses alliés k sang <strong>de</strong> leur<br />

ennemi commun, à moins qu'il ne puisse leur dire :<br />

Sa mère est ma femme, et son ils est détenu k mien.<br />

Vtilà <strong>de</strong>s canifs mfUstnts, bien concis f et dignes<br />

f Aenille, loin <strong>de</strong> nous blesser, sous<br />

prskscnt-cllea si naturelles? C'est que nos-seulement<br />

elles tiennent à un caractère déjà annoncé f à<br />

k fougue <strong>de</strong> k jeunesse 9 à l'enthousiasme <strong>de</strong> k pas-<br />

8iosf maisescore c'est qtfdksn'ost ries <strong>de</strong> contraire<br />

à l'héroïsme <strong>du</strong> guerrier. Ce n'est point un froid<br />

compliment <strong>de</strong> ga<strong>la</strong>nterie Y comme celui d 9 Aleiandre<br />

à <strong>la</strong> raine Cléoite 9 quand il lui dit que c'est pour clin<br />

qu'il est veau en fainquesr jusque dans les In<strong>de</strong>s :<br />

on sent trop que ecls est faux, et qu 9 Aleiandre<br />

n'avait pas besoin <strong>de</strong> décile pour a?nie k fureur<br />

<strong>de</strong> conquérir le mon<strong>de</strong>. Mais qu'un jeune guerrier<br />

qui a renversé Troie se fasse un p<strong>la</strong>isir et une gloire<br />

<strong>de</strong> k relever pour y couronner le ils <strong>de</strong> sa maîtresse,<br />

le ils d'Hector, cette idée peut fktter à k fois son<br />

amour et sa lerté; on sent qu'il ne promet que ce<br />

qu'il pourrait faire, et que k passion parle ehei lui


510 OÛUES DE IXITtaATURB.<br />

le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> <strong>la</strong> téritéV Ce que Je dis, tout le mon<strong>de</strong> '<br />

Fa senti comme mol ; mais je l'ai détaillé pour répondre<br />

à ecui qui font si peu <strong>de</strong> cas <strong>du</strong> bon sens<br />

qu'ils le croient même Contraire à l'imagination et<br />

aux grands effets; pour leur dé<strong>mont</strong>rer que <strong>la</strong> tragédie<br />

n'en pro<strong>du</strong>it pas un seul qui ne soit fondé sur<br />

<strong>la</strong> raison, que ce qui nous a para froid et ennuyeux<br />

'était déraisonnable, que ce qui nous intéresse et<br />

nous émeut est wal et sensé.<br />

. Ce même Pyrrhus, un moment après, est-il offensé<br />

<strong>de</strong>s refus d'Andromaqne, ce n'est plus cet<br />

homme qui ne <strong>de</strong>mandait seulement qu'à espérer;<br />

il ne connaît plus que les extrêmes.<br />

le bien ! madame, eb bien ! 11 faut iront obéir.<br />

U faut TOUS oublier, ou plutôt ¥ous haïr.<br />

Oui, mes TCBOX ont trop loto poussé leur woîemcê<br />

Pour ne plus s'arrêter que dam Pindtfféreooa.<br />

Songez-y bien ; |l faut désormais que mon eoav,<br />

S'il n'aime mm transport, baisse avec flundr*<br />

le l'épargnerai rien dans ma juste colère;<br />

Le fi<strong>la</strong> me répondra <strong>de</strong>s mépris <strong>de</strong> <strong>la</strong> mère.<br />

La Grèce te <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ; et je ne prétends pas<br />

Mettre toujours ma' gloire à sauver <strong>de</strong>s Ingrats.<br />

Ce sont là les alternatives et les contrastes naturels<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> passion. Heureusement qu'en amour il ne<br />

s'agit pas souvent d'évfaements<strong>de</strong> cette importance ;<br />

mais le fond est le même : les différences sont re<strong>la</strong>thres.<br />

Les femmes qui ont rencontré <strong>de</strong>s hommes<br />

vraiment amoureui sa?ent qu'il ne faut qu'un mot<br />

pour les faire passer <strong>de</strong>s transports <strong>de</strong> <strong>la</strong> joie à ceux<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> fureur. Cette vivacité d'imagination, nécessaire<br />

pour bien peindre les passions humaines, me rappelle<br />

un mot <strong>de</strong> Voltaire, aussi frai que p<strong>la</strong>isant. Il<br />

exerçait une actrice, et tâchait <strong>de</strong> lui donner plus<br />

<strong>de</strong> feu qu'elle n'en avait : Mais, monsieur, loi ditelle,<br />

si je jouais ainsi, on me croirait k dkék au<br />

Tout loi rirait, Py<strong>la</strong><strong>de</strong>; et mol, pour mon partage,<br />

le n'emporterais êmm qu'une Inutile rage?<br />

Tirais lois d'elle eneor, tâcher <strong>de</strong> roobhar?<br />

îfon, nos : à mea tonnants Je ¥eu l'associer.<br />

Cest trop fifflfr tout seul, le sols <strong>la</strong>s qu'on me p<strong>la</strong>igne ;<br />

Je prétends qu'à mon toec nnhtmialiM me cta£§Mf<br />

Et que tes yeux cruels 9 à pleurer condamnés.<br />

Me ren<strong>de</strong>nt tous les noms que Je leur sa donnés.<br />

Quand M» ï^ vengés joiiiront <strong>de</strong> ni<br />

Llngfate <strong>de</strong> mes pies» Jonlra-t-elle moins?<br />

Que veux-ta? Mais, ail tant ne te rien dégntar.<br />

Mon innocence enfin oonunence à me peser.<br />

Je ne sais, <strong>de</strong> tout temps, quelle Injuste puissant»<br />

Laisse le crime en pals et poursuit nnaoceaca.<br />

De quelque part sur moi que Je tourne les yeux,<br />

le ne vols que malheurs qui condamnent les dieux.<br />

Méritons leur courooi f Justifions leur haine t<br />

Et que le fruit do crime en ptéeè<strong>de</strong> <strong>la</strong> peina.<br />

Os p<strong>la</strong>int en effet ce malheureux Oreste plus<br />

qu'on ne le condamne ; et ce qu'on n'a peut-être pas<br />

observé, c'est que f amitié qui l'unit à Py<strong>la</strong><strong>de</strong> répand<br />

sur lui une sorte d'intérêt qui nous porte encore à<br />

eicnser son crime. On sent confusément qu v ue<br />

homme à qui il reste un ami peut bien être coupable<br />

, mais n'est pas déterminémeut méchant. On est<br />

ému, lorsque, au milieu <strong>de</strong> ses projets sinistres,<br />

résolu d'enlever Hermione au péril <strong>de</strong> sa fie, le<br />

seul sentiment doux qui lui reste est en faveur <strong>de</strong><br />

Py<strong>la</strong><strong>de</strong>.<br />

Mais toi, par quelle erreur veux-tu toujours sur toi<br />

Détourner an courroux qui ne cherche que mol?<br />

àmm et tiop tongtemp mon amitié t'aocaMe s<br />

Évite un malheureux, abandonne un coupable.<br />

Cher Py<strong>la</strong><strong>de</strong>, crois-moi, ta pitié te sé<strong>du</strong>it :<br />

LalstiHiioi <strong>de</strong>s périls dont J'attends font le Irait;<br />

Porte aux Grecs cet enfant que Pyrrhus af abandonna.<br />

Va-t'en.<br />

Et quelle est <strong>la</strong> réponse <strong>de</strong> Py<strong>la</strong><strong>de</strong>? Ce ne sont pas<br />

<strong>de</strong> ces tournures sentencieuses, telles que noms les<br />

voyons si souvent dan Corneille. H ne dit pas : Un<br />

véritable ami doit tout sacrifier, jusqu'à son <strong>de</strong>voir.<br />

U ne dit pas : Je sais comme doit agir en pareil cas<br />

un ami véritable : ramiti£ ne connaît point <strong>de</strong> dan­<br />

corps. — Eh! oui, ma<strong>de</strong>moiselle, voUà œ que je gers; etc. U <strong>mont</strong>re tout ce qu'il est pr un seul<br />

mm <strong>de</strong>mam<strong>de</strong> : pour jouer <strong>la</strong> tragédie et pour <strong>la</strong> mot:<br />

faire, U/asU avoir k dkék au corps.<br />

allons, légneur, enlevons Honalnm<br />

Si l'amour <strong>de</strong> Pyrrhus est tragique, celui d'Oreste Un mot tel que celui <strong>de</strong> Py<strong>la</strong><strong>de</strong> vaut eniem qu'on<br />

F est-il moins? Oreste remplit parfaitement l'idée traité sur l'amitié; comme tous 1ns mots <strong>de</strong> passion<br />

que nous en donnent toutes les traditions mytholo­ <strong>de</strong> nos bonnes tragédies talent mieui que ce qu'en<br />

giques. 11 semble poursuivi par une fatalité invin­ disent tous les moralistes. Cast un <strong>de</strong>s grands avaecible<br />

: il parait pressentir les crimes auxquels il est tages <strong>du</strong> genre dramatique ; c'est <strong>la</strong> supériorité <strong>de</strong><br />

réserfé, et qui sont comme attachés à son nom. Sa Faction sur le dis<strong>cours</strong>; c'est enfin le mot connu àm<br />

passion est sombra et forcenée; elle est noircie <strong>de</strong> ce Lacédémonien : Ce qu'U m M, je kfais.<br />

cette mé<strong>la</strong>ncolie sinistre qui est toujours près <strong>du</strong> Que <strong>la</strong> réponse d'Oreste est touchante!<br />

désespoir. U ne voit, n'imagine rien que <strong>de</strong> funeste.<br />

Fabuie, cher ami, <strong>de</strong> ton trop d'amitié :<br />

11 dit à Py<strong>la</strong><strong>de</strong>, an moment où Hermione se croit Mais pardonne à <strong>de</strong>s maux don! toi seul as pitié ;<br />

sûre d'épouser Pyrrhus :<br />

Excuse an malheureux, qui perd tout m quïl afme9<br />

Que tout le mon<strong>de</strong> hait, et qui se hall lui-même.<br />

Combien <strong>de</strong> nuances différentes!*et toutes sont intéressantes<br />

: tout parle au cœur, tout est tragique.<br />

Mais ce qui Fest plus que tout le reste , c'est Hermione.<br />

C'est une <strong>de</strong>s plus étonnantes créations <strong>de</strong>


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE<br />

Bacitie, c'est le triomphe d'un art «ihllme et noa-<br />

?eatj* J'oserai dire à ceux qui refusent à Racine le<br />

titre <strong>de</strong> créateur : Où est le modèle d'Hermione? Où<br />

afâît-oiim, afiiîtRacine, ce dé?eloppement vaste<br />

et profond <strong>de</strong>s replis <strong>du</strong> cœur humain 9*ce flux et<br />

reflux si continuel et si orageux <strong>de</strong> toutes les passions<br />

qui peuvent bouleverser une âme altière et<br />

blessée; ces mouvements opposés'et rapi<strong>de</strong>s qui se<br />

croises! comme <strong>de</strong>s éc<strong>la</strong>irs; ce passage si prompt<br />

<strong>de</strong> toutes les imprécations <strong>de</strong> <strong>la</strong> haine à toutes les<br />

tendresses <strong>de</strong> l'amour, <strong>de</strong>s effusions <strong>de</strong> <strong>la</strong> joie aux<br />

transports <strong>de</strong> <strong>la</strong> fureurf <strong>de</strong> l'indifférence et <strong>du</strong> mépris<br />

affecté au désespoir qui se répand en p<strong>la</strong>intes f<br />

en reproches, en menaces ; cette rage, tantôt sour<strong>de</strong><br />

et concentrée, et méditant tout bas toutes les horreurs<br />

<strong>de</strong>s vengeances; tantôt forcenée et jetant <strong>de</strong>s<br />

éc<strong>la</strong>ts terribles? Pyrrhus, poussé à bout par les rigueurs<br />

d'Ândromaque, paratt-il déterminé à épouser<br />

Hermione ; <strong>de</strong> quel ton elle en parle à sa confi<strong>de</strong>nte!<br />

Pyrrhus revient à nous ! Eb bien ! ehère Ctéose,<br />

CûQçols-ta les transporta <strong>de</strong> l'heureuse Hennfose?<br />

Sals-ta quel est Pyrrhus ? Tes-ta fait raconte* -<br />

Le nombre <strong>de</strong>s explotts.... Mais cfai ks peut complet?<br />

Intrépi<strong>de</strong>, et partout suivi <strong>de</strong> <strong>la</strong> victoire,<br />

Charmant, fidèle; enfin, c<strong>la</strong>c ne masque à si gloire.<br />

Pyrrhus retourne-t-il à Ândroraaque, elle se tait,<br />

et s'attend qu'Oreste pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>la</strong> tête d'un<br />

amant parjure. 11 commence, eu arrivant, par se<br />

répandre es protestations.<br />

Elle l'interrompt :<br />

¥engai-Fa0f s ja crois tout<br />

Oreste se résout, quoique avec peine, à <strong>la</strong>'feervir,<br />

et l'on ^aperçoit <strong>de</strong> tout ce qui lui en coûte pur<br />

m porter à l'assassinat, même d'un rival. Malgré<br />

ses promesses, elle ne se croit pas aesez sûre <strong>de</strong> lui.<br />

Pyrrhus n'est pas coupable à ses yeex comme asx ra<strong>la</strong>os ;<br />

Et je tiendrait met coup Mao plus sûrs que les stess.<br />

Quel p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> reogar moi-même mon Injyret<br />

Be retirer mon bras teint <strong>du</strong> sang <strong>du</strong> parjure,<br />

J£t, pour rend» sa peine et mes p<strong>la</strong>isirs plus grands,<br />

Be cacher ma rivale à ses regards nouants I<br />

Ali ! s! do moins Oraste, en punissant son crime,<br />

Lui <strong>la</strong>issait le regret <strong>de</strong> mourir ma victime !<br />

Ya te trouver : dls-âul qu'il appreona à lloartt f<br />

Qu'on l'immole à ma haine, et sos pas à l'État<br />

Chère Cléose, eosrs : ma vengeance est per<strong>du</strong>e,<br />

611 Ignore en mourant que e'est mol qnl le fia*<br />

Elle aperçoit Pyrrhus. Son premier mou?ement<br />

est celui <strong>de</strong> l'espérance ; son premier cri est Tordre<br />

<strong>de</strong> courir après Oreste, et <strong>de</strong> l'empêcher <strong>de</strong> rien<br />

entreprendre jusqu'à ce qu'il Fait revue. Pyrrhus<br />

a?oue tous ses torts, et lui coniraie <strong>la</strong> résolution<br />

©ù II est d'épouser Audromaque. Hermione dissimule<br />

d'abord ses ressentiments. Elle se croirait humiliée<br />

<strong>de</strong> paraître trop sensible à cette offense : c'est<br />

611<br />

le <strong>de</strong>nier effort <strong>de</strong> l'orgueil qui combat contre l'amour.<br />

Elle affecte même <strong>de</strong> rabaisser ce même héros<br />

que tout à l'heure elle élevait jusqu'aux nues. Ses exploits<br />

ne sont plus que <strong>de</strong>s cruautés : elle lui reproche<br />

<strong>la</strong> mort <strong>du</strong> vieux Prïam. Pyrrhus lui répond en<br />

homme absolument détadié. Il s'app<strong>la</strong>udit <strong>de</strong> <strong>la</strong> voir<br />

si tranquille, et<strong>de</strong> se trouver beaucoup moins coupable<br />

qu'il ne le croyait. Il se p<strong>la</strong>ît à croire que leur<br />

mariage n'était en effet qu'un arrangement <strong>de</strong> polip<br />

tique. Mais Hermione ne veut pas lui <strong>la</strong>isser cette<br />

eicase : l'amour irrité ne se contient pas longtemps 9<br />

et quand Pyrrhus lui dit,<br />

Rien se tous esgspaf t à m'atmet es effet »<br />

elle éc<strong>la</strong>te et m <strong>mont</strong>re tout entière.<br />

le se f al point aimé, croal ! Qu'al-Je donc fait?<br />

J'ai dédaigné pour toi lea vœux <strong>de</strong> tocs soi princes;<br />

Je f al eliarcJié moi-même au fond <strong>de</strong> les piwiitoai ;<br />

l'y sols eoeor malgré tes infidélités, .<br />

Et malgré tous mesurées, honteux <strong>de</strong> met boatata<br />

je leur ai «wnmaidé <strong>de</strong> cacher mon tsjitre;<br />

Fattendats es secret le retour d'un parjure :<br />

f al cm que tôt ©s tard, à tos <strong>de</strong>voir rends ,<br />

Tu me rapporterais us ccaor qui m'était dû.<br />

Je t'aimais <strong>la</strong>ccosîasl ; qu'aorais-je fait fidèle?<br />

Et même es ce moment où ta bouche eroal<strong>la</strong><br />

fiant ai tfânqsttlemest m'annoncer le trépas ,<br />

ingrat t je doote enoar ai je se t'aime pat.<br />

Les reproches amènent bientôt l'attendrissement<br />

et <strong>la</strong> prière : c'est <strong>la</strong> marche <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature. Et comme<br />

le changement <strong>de</strong> ton est marqué!<br />

Mais, seigneur, s'il le !ant9 si le ciel, en calera,<br />

Réserve à d'astres yens <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> vous p<strong>la</strong>ira,<br />

Achevé* ¥00» hvjseo, j'y consens, roato ds oaôlfat<br />

Re forçai pas mes yeux d'en être <strong>la</strong>s léeaoros :<br />

Posr <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière fois Je TOUS parle pest-être;<br />

Ufféra-le d'an Jour, <strong>de</strong>maiii vous seres roaltra.<br />

H y a dans cette <strong>de</strong>man<strong>de</strong> plusieurs sentiments à <strong>la</strong><br />

fois, dont une Âme agitée ne se rend pas compte,<br />

et qui l'occupent tons sans qu'elle y péage* Elle s'est<br />

attendrie 9 et ne ceci pas que Pyrrhus, en épousant<br />

Audromaque, s'eipose à <strong>la</strong> f engeance <strong>de</strong>s Grecs*<br />

Elle ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qu'un jour. Ce jour éloigne au<br />

moins le plus grand <strong>de</strong>s malheurs; et l'éloigner,<br />

c'est peut-être le prévenir : l'espérance n'abandonne<br />

jamais l'amour. Mais Pyrrhus paraît insensible à<br />

cette prière. Elle ne f etil qu'un jour, et il le refuse.<br />

Il ne reste que le désespoir.<br />

Vous ne répon<strong>de</strong>! point?... Partie Je le vol.<br />

Tu comptes )es moments qca lo perds arec moi<br />

Ton casor irâpallcat <strong>de</strong> revoir ta Troyenoe,<br />

Me soolffa qo*à regret qu'âne autre t'estnttaiiit,<br />

TQ lui parles ds cœur, tu <strong>la</strong> etereses^<strong>de</strong>s yesk...<br />

Je se te rettaoa plus, sasve-M <strong>de</strong> ces lieux :<br />

Va lui Jt<strong>la</strong>er <strong>la</strong> fol apa te m'ava<strong>la</strong> Jurée;<br />

Ya profaner <strong>de</strong>a dieux <strong>la</strong> majesté sacrée. *-<br />

Os dieux, ces Justes i<strong>la</strong>oi a^aoroal pat oublié<br />

Que les mêmes seosents avec moi font lia<br />

Porte as pied <strong>de</strong>s aale<strong>la</strong> oa caser f al m'abandonna;<br />

Va , <strong>cours</strong> : malt ara<strong>la</strong>n eacee d'j trouvé? <strong>la</strong>ram<strong>la</strong>fiaw


#<br />

sis .<br />

L'amour et <strong>la</strong> fureur! réunis ensemble, n f onl jamais<br />

eu on accent plus vrai ni plus effrayant. 11<br />

serait inini <strong>de</strong> détailler tout ce qu'il y a dans ce<br />

morceau. L'analyse <strong>de</strong> cinq ou sii rôles <strong>de</strong>s pièces<br />

<strong>de</strong> Racine 9 faite dans cet esprit 9 serait une histoire<br />

complète <strong>de</strong> Famour : jamais on se Fa ni mieux<br />

connu ni mieux peint. Quelle vérité dans ce vers :<br />

Te comptes Ses moments que tu penk mm moi !<br />

Comme cette observation est juste! Rien n'échappe<br />

à <strong>la</strong> vue perçante d'une femme qui aime 9 même dans<br />

le trouble <strong>de</strong> <strong>la</strong> colère. Elle ne peut se cacher que<br />

ses reproches; dès qu'ils sont inutilesY ne font que<br />

<strong>la</strong> rendre importune, et que celui qui en est Fobjet<br />

compare in?oïontairement ces moments si tristes et<br />

si insupportables avec ceux qui l'atten<strong>de</strong>nt auprès<br />

d'une autre. Et cette expression , ta lYoymmê! qu'il<br />

y a <strong>de</strong> haine et <strong>de</strong> dénigrement dans ce mot! Ce ne<br />

sont, si l'on veut, que <strong>de</strong>s nuances; mais c'est <strong>la</strong><br />

réunion <strong>de</strong>s circonstances! même légères ; qui fon<strong>de</strong><br />

l'illusion <strong>de</strong> l'ensemble. Rien n'est petit dans <strong>la</strong> peinture<br />

<strong>de</strong>s passions. Cette autre expression 9 tu kàpar»<br />

les eu cœur, qu'elle est heureuse et neuve ! Cest encore<br />

<strong>la</strong> passion qui en trouve <strong>de</strong> pareilles. Smme-M<br />

<strong>de</strong> cet Bmx pourrait ailleurs être familier : U est<br />

relevé par ce qu'il y a <strong>de</strong> cruel dans l'empressement<br />

<strong>de</strong> quitter Hermione. On ne Unirait pas; je m'arrête.<br />

Et parmi tant <strong>de</strong> beautés cherchez un mot <strong>de</strong><br />

trop ? un-mot à reprendre : il n'y en a point.<br />

Ainsi donc Famour est vraiment tragique dans<br />

Pyrrhus, dans Oreste, dans Hermione : il Fest différemment<br />

dans tous les trois, et prend <strong>la</strong> teinte<br />

<strong>de</strong> leurs différents caractères ; ar<strong>de</strong>nt et impétueux<br />

dans Pyrrhus, sombre et désespéré dans Orestey al*<br />

lier et furieux dans Hermione. Jamais dans Corneille<br />

il n'avait 'eu aucun <strong>de</strong> ces caractères. Aussi<br />

les effets qu'il pro<strong>du</strong>it ici sont en proportion <strong>de</strong> son<br />

énergie; et, ce qui est <strong>de</strong> l'essence <strong>du</strong> drame, les<br />

changements <strong>de</strong> situation qui se succè<strong>de</strong>nt dans <strong>la</strong><br />

piècenaissent<strong>de</strong> cette fluctuation naturelle aux âmes<br />

passionnées, et pro<strong>du</strong>isent <strong>de</strong> ces coups <strong>de</strong> théâtre<br />

qui ne tiennent pas à <strong>de</strong>s événements étrangers ou<br />

acci<strong>de</strong>ntels, mais dont les ressorts sont dans le cœur<br />

<strong>de</strong>s personnages. Pyrrhus, croyant que le péril d'un<br />

ils doit résoudre Andromaque à loi donner sa main,<br />

refuse Astyanax aux Grecs. Hermione, offensée, a<br />

promis <strong>de</strong> partir avec Oreste. Celui-ci s'abandonne<br />

à <strong>la</strong> joie; mais, dans Fintertalle <strong>du</strong> premier au second<br />

acte, Andromaque a rejeté les offres <strong>de</strong> Pyrrhus<br />

; et dans le moment oà Oreste se croit sûr <strong>de</strong><br />

, sa conquête, arrive Pyrrhus.<br />

Je fong ehordtaâi %Mêff*m. Un peu <strong>de</strong> wMmm<br />

if« fait <strong>de</strong> wm rafion i»mfMtl» ta puissaiM»,<br />

JeFtfsoe^iiqiiitofiMjiiiiiMiiipitti,<br />

CODES DB LITTÉRATURE.<br />

Tes al senti <strong>la</strong> fcff» et mmmm Pétpittà<br />

Fui longé, cornue wwm% qu'à U Gftee, à MOU ptee,<br />

A moi-mémo, en ua mot, Je <strong>de</strong>venait contniK;<br />

Que je referais Troie, et rendais Imparfait<br />

Tout « qu'a fait AdiUls, et tout m que JM Ait<br />

le ce condamne plu no courroux légitima;<br />

Et Fou ¥®tu va* idgneiir, Uvfer ¥®tra YfcUme.<br />

Oreste <strong>de</strong>meure frappé <strong>de</strong> consternation, et le<br />

spectateur avec lui. YoUà un coup <strong>de</strong> théâtre; il est<br />

d 9 nn maître. L'intérêt croit mm le péril <strong>de</strong>s principaux<br />

personnages; et le nœud capital est <strong>la</strong> résolution<br />

que prendra Andromaque : <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong><br />

Pyrrhus en dépend; celle tTHefmione dépend <strong>de</strong><br />

Pyrrhus f et celle d'Oreste, d'Hermione. Cette dépendance<br />

mutuelle est si distincte, qu'elle ne forme<br />

point <strong>de</strong> complication; et le différent <strong>de</strong>gré d'intérêt<br />

qu'inspire chaque personnage ne nuit point à<br />

l'unité d'objet f parce que tout est subordonné à m<br />

premier intérêt attaché au péril d*Andromaque et <strong>de</strong><br />

son ils; car il faut (je l'ai déjà dit, et je crois <strong>de</strong>voir<br />

le répéter) soigneusement distinguer an théâtre<br />

<strong>de</strong>ux sortes cfIntérêt, que Ton confond trop<br />

souvent par une méprise qui a donné lieu à tant <strong>de</strong><br />

critiques injustes : le premier consiste à désirer le<br />

bonheur ou le sa<strong>la</strong>i d'un persoinage principal ; le<br />

second, à partager ses malheurs ou excuser ses<br />

passions en raison <strong>de</strong> leur violence. C'est le premier<br />

qui fait ici le fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce ; il tient à <strong>la</strong> personne<br />

d'Andromaque, au péril <strong>de</strong> son ils, qui est sa <strong>de</strong>rnière<br />

conso<strong>la</strong>tion i à ce grand sentiment <strong>de</strong> l'amour<br />

mafemel, peint <strong>de</strong>s couleurs les plus touchantes :<br />

ce qu'on désire le plus s c'est que son ils soit sauvé.<br />

Mais comment poum-t-elle sauver ce ils, s'il faut<br />

que <strong>la</strong> veuve d'Hector épouse le ils d'Achille ? Voilà<br />

d'où naît <strong>la</strong> suspension et l'incertitu<strong>de</strong>, voil l'intérêt<br />

principal. Celui qu'on peut prendre aux passions<br />

<strong>de</strong> Pyrrhus , d f Hermione et d'Oreste , est d'une<br />

autre espèce : il ne va qu'à les p<strong>la</strong>indre ou les exenser<br />

plus ou moins, et à se prêter à un certain point à<br />

tous leurs mouvements, parce qu'ils sont naturels<br />

et vrais» mais on ne désire point que leur amour<br />

soit heureux. C'est une règle générale au théâtre,<br />

que ce désir n'existe dans 1® spectateur que lorsque<br />

l'amour qu'on lui présente est réciproque, os qu'il<br />

Ta été, parce qu'alors il peut faire le bonheur <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux amants, comme on Ta vu dans h CM. Ici donc<br />

tous les vœux sont pour Andromaque et pour son<br />

Ils : et il est temps <strong>de</strong> parler en détail <strong>de</strong> ce rêle,<br />

qui forme un contraste si admirable avec toutes les<br />

passions orageuses dont il est environné.<br />

Remarquons d'abord l'avantage <strong>de</strong>s sujets connus.<br />

Les noms <strong>de</strong> Troie, d'Hector, <strong>de</strong> sa veuve, <strong>de</strong><br />

son ils, commencent par disposer Fâme à l'attendrissement<br />

: ce sont <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s et mémorables infortunes<br />

dont nous avons été occupés dès notre


tufiuiee, et que les oumgei d'Homère et <strong>de</strong> Ftrgile<br />

nous ont ren<strong>du</strong>es familières. Mais il faut que le<br />

poète «lie commet à «eitijets si connus <strong>la</strong> couleur<br />

quileurest propre. Etqui jamais yamîeuxréassl<br />

que Racine? Quel modèle quece rdied'Andromaque !<br />

Gomme il est grec! comme il est antique! Quelle<br />

aimable simplicité f quelle mo<strong>de</strong>stie noble et douée,<br />

fttsMle tendresse d'épouse et <strong>de</strong> mère! quelle douieur<br />

à <strong>la</strong> 'fois majestueuse et ingénue 1 Comme ses<br />

regrets sont touchants et ne sont jamais fastueux !<br />

domine dans ses reproches et dans ses refus elle<br />

gar<strong>de</strong> cette modération et cette retenue qui sied si<br />

bien à son sexe et au malheur I comme tout ce rêfe<br />

est plein ûê nuances délicates que personne n'avait<br />

connues jusqu'alors f plein d'un pathétique pénétrant<br />

dont il s v y a?aitaucun exemplel Qui est-ce qui<br />

n'est pas délicieusement ému i% ces Yen simples<br />

qui <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt si avant dans le cœur, et font couler<br />

les <strong>la</strong>rmes <strong>de</strong>'ia pitié?<br />

Je pmli Junpfaox liera oô Tm gar<strong>de</strong> non ils.<br />

Puisqu'une fois te Jour vos! souffres que Je ?oto<br />

Le toul Mes foi me reste et d'Hector ef <strong>de</strong> Troie t<br />

Fanais, seigneur, pleurer un moment mm lut :<br />

le ne Pal point «cor embrassé d'aqjouidlml.<br />

PfBRBUB.<br />

âh! madame, les Grecs, st fen crois leurs iltrnes,<br />

•uns donneront bientôt d'autres sujets <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes.<br />

; âîfBidSfâôm<br />

Et fwile est cette peur dont leur coaiir est frappé?<br />

Seigneur, quelque Troyen fou* cst-U échappé?<br />

PYHlHDS.'f<br />

Leur haine pour Hector s'est pas encore éteinte<br />

Os redoutent §oe fUs.<br />

ÂHB1IOMAQOB.<br />

INgae objet <strong>de</strong> leur milite !<br />

Un enfant malheureux qui ne sait pas eneor<br />

Que Pyrrhus est son maître, et qu'il est ils d'Hector !<br />

On peut comprendre tout ce que peu| sur elle Fin*<br />

térêt <strong>de</strong> cet enfant. Lorsque Pyrrhus, <strong>la</strong>s d'être<br />

rebuté, relient à l'hymen d'Herraione, et a promis*<br />

<strong>de</strong> livrer Astyanax, Àndromaque ne craint point <strong>de</strong><br />

•'abaisser uni pieds d'eue rival© qui doit <strong>la</strong> détester<br />

; elle ne craint pas <strong>de</strong> s'exposer à son orgueil et<br />

à ses mépris. L'amour maternel peut tout supporter<br />

et tout ennoblir*<br />

Oè tmfm-tmm, madame?<br />

IfesWa ps à fos yeux un spectacle aises <strong>de</strong>mi,<br />

Que <strong>la</strong> ¥«îee d'Hector pleurant à TOS genoux?<br />

Je ne viens point M, par <strong>de</strong> Jalouses <strong>la</strong>rmes,<br />

Vous «prier on cesse qui se rend I wm charmes.<br />

Par une msta cruelle, héâas! J'ai m percer<br />

Le seul où mes regards prétendaient s'adresser (<br />

Ma Caserne par Hector fat Jadis allmnée ;<br />

Aseo lui dans <strong>la</strong> tombe elle s'est enfermée*<br />

Hais M me reste un ils.... ¥0» stores quelque Jour,<br />

Madame, pour on Us Jusqu'où ?a notre amour ;<br />

Mais TOUS ne saura pas, <strong>du</strong> moins Je le souhaite ,<br />

En quel trouble mortel son Intérêt nous Jette,<br />

Lorsque <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> Mens qui pondaient nous <strong>la</strong>tte?,<br />

Gest le seul qui nous reste, et qu'on veut nous roter.<br />

HéSas! lorsque, <strong>la</strong>ssés <strong>de</strong> dix ans <strong>de</strong> misère,<br />

Les Troyens en courrons menaçaient tobre mère,<br />

Uk IHIFE. — TOME I.<br />

SIÈQL! DE LOUIS XIV. — POÉSIE. 513<br />

Fai sa <strong>de</strong> mon Hector <strong>la</strong>i procurer Tapptd :<br />

¥OOJ pooees sur Pyrrhus ce que J'ai pu sur lui.<br />

Que craint-on d'un enfant qui survit à sa perte?<br />

Laisses-mol lé cacher en quelque Ile déserte;<br />

Sur 1er sotns <strong>de</strong> sa mère os peut s'en assurer,<br />

Et mon Ils aeec mol n'apprendra qu'à pleurer.<br />

Hermione <strong>la</strong> quitté avec dédain. Pjrrtias^eiefte<br />

sur <strong>la</strong> scène. Céphise eihorte sa maîtresse à tâelier<br />

<strong>de</strong> le fléchir. Andromaque en désespère; elle n'ose<br />

mène jeter les yeux sur loi. Pyrrhus, qui^s'attend<br />

qu'un regard et ne l'obtient pas f dit avec emportement:<br />

Allons au Grecs Herer le ils d'Hector.<br />

A ce mot elle tombe à ses pieds. 11 lui reproche son<br />

inflexibilité.<br />

Sa grâce à vot désirs pou?ait être accordée ;<br />

Mais ecos ne fmm pas seulement <strong>de</strong>mandée.<br />

(Tenestfait<br />

âranoHAQUt.<br />

Ah I seigneur, TOUS entendief asseï<br />

Des scoflfs qui craignaient <strong>de</strong> se voir repoussés.<br />

Pardonnes à l'éc<strong>la</strong>t d'une flostre fortune , %<br />

Ce reste <strong>de</strong> lesté qui craint d'être Importune.<br />

Tous ne l'ignorez pas : Andromaque, sans vous,<br />

M'aurait Jamais c?oa maître embrassé les genous*<br />

Ce qu'il y a <strong>de</strong> plus beau* dans cette réponse, c'est<br />

qu'on sait bien que ce n'est point par fierté qu'elle<br />

ne s'est pas abaissée <strong>de</strong>vant Pyrrhus. Celle qui a pu<br />

supplier Hermione n'aurait pas été plus ière aeee<br />

lui ; mais elle tremble d'implorer un homme qui met<br />

à ses bienfaits un prii dont elle est épouvantée.<br />

Aussi f malgré ses dangers et sa douleur, elle ne lui<br />

parle pas même <strong>de</strong> cet amour dont elle ne peut supporter<br />

Tidée; elle ne cherche à l'émouvoir que par<br />

<strong>la</strong> pitié et <strong>la</strong> générosité. Cette observation <strong>de</strong>s bienséances<br />

est le comble <strong>de</strong> fart*<br />

Seigneur, loyes f état ou vont me ré<strong>du</strong>ises.<br />

Tai vu mon père mort et nos murs embrasés ;<br />

Fat YU trancher les Jours'<strong>de</strong> ma famille entière,<br />

Et mon époux sang<strong>la</strong>nt traîné sur <strong>la</strong> poussière,<br />

Son fils f seul â¥ee moi, réservé pour les fers.<br />

Mais que ne peut an fils ! Je respire, Je sers.<br />

Tai fait plus : Je me suis quelquefois consolée<br />

Qu'ici plutôt qu'ailleurs le sort m'eût ciliée;<br />

Qu'heureux dans son malheur, le ils <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> rolsf<br />

Puisqu'il éeYsJt servir, fût tombé sous vos lois.<br />

Tai cru que sa prison <strong>de</strong>viendrait son asile.<br />

Jadis Pressa soumis fut respecté à"Achille :<br />

l'attendais <strong>de</strong> son lis cocos plus <strong>de</strong> bonté.<br />

Pardonne, cher Hector, à ma cré<strong>du</strong>lité :<br />

le n'ai pu soupçonner ton ennemi d'un crime;<br />

Malgré lui-même enûn, Je l'ai cru magnanime.<br />

Ah ! si! l'était esses pour nous <strong>la</strong>isser <strong>du</strong> moins<br />

Au tombeau qu'à ta eendre ont élevé mes soins,<br />

Et que finissant là sa haine et nos misères,<br />

1S ne séparât point <strong>de</strong>s dépouilles si chères !<br />

Quelle magie <strong>de</strong> style! quel charme inexprimable I<br />

Jamais le malheur n'a fait entendre <strong>de</strong> p<strong>la</strong>inte pins<br />

touchante. Pyrrhus es est attendri 9 et cousent encore<br />

à sauver Astyanai; mais il renouvelle avec<br />

m


§14<br />

plus <strong>de</strong> forée que Jamais <strong>la</strong> résolution <strong>de</strong> l'abandonner<br />

aux Grées 9 si Andromaqee ne consent pas<br />

à fépouser. 11 est déterminé à le couronner ou à le<br />

perdre : il lui <strong>la</strong>isse le choii. Et c'est alors que <strong>la</strong><br />

veuve d'Hector ne trouve qu'un moyen <strong>de</strong> sauter<br />

Ma fois son ils et sa gloire : elle épousera Pyrrhus,<br />

et en quittant les autels elle s'immolera sur je tombeau<br />

<strong>de</strong> son premier époux. Elle recomman<strong>de</strong> son<br />

ilsà<strong>la</strong>idèleCéphise»<br />

Fais «msaltre à mon iif les tiérot <strong>de</strong> sa race;<br />

Ail<strong>la</strong>nt que tu pourras, con<strong>du</strong>is-le sur leur trace.<br />

Dis-lui par quels exploit* leurs noms ont éc<strong>la</strong>té f<br />

* Plutôt ce qu'ils ont fait que m qu'ils est été.<br />

Parle-lui tous !« Jours <strong>de</strong>s vertus <strong>de</strong> son père,<br />

Et quelquefois aussi parle-lui <strong>de</strong> sa mère.<br />

Nais qu'il m songe plus, Céphlse, à nous venfer :<br />

Mous lui <strong>la</strong>issons un maître, H le doit ménager.<br />

Qu'il att <strong>de</strong> ses aïeux un souvenir mo<strong>de</strong>ste :<br />

Il est <strong>du</strong> sang d'Hector, mais 11 eu est le reste;<br />

Et pour ce reste enfin J'ai moi-même, en us jour*<br />

Sacrifié mon sang, ma liaioe et mon amour.<br />

CÛUES DE UTTÉMTUHE.<br />

L'action désespérée d'Oreste, et le meurtre <strong>de</strong><br />

Pyrrhus égorgé dans le temple au moment où il reçoit<br />

<strong>la</strong> main d'Andromaque, empêchent cette princesse<br />

d'exécuter son funeste <strong>de</strong>ssein. Son sort et<br />

celui d'Astyanax paraissent .assurés. Mais quelle<br />

catastrophe terrible que celle qui termine <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée<br />

d'Oreste et d'Hermione î Quel moment que<br />

celui où cette femme égarée et furieuse lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

compte <strong>du</strong> sang qu'elle-même a fait répandre! On<br />

a cité cent fois ces vers fameux ;<br />

Nais, parle; <strong>de</strong> ton sort qui fa ren<strong>du</strong> rtraitée?<br />

Pourquoi l'assassiner? quVi-il fait? à quel titre?<br />

Qui te Fa dit?<br />

Ce <strong>de</strong>rnier mot est le plus beau peut-être que jamais<br />

<strong>la</strong> passion ait prononcé. Si on osait le comparer<br />

au qu'il mourût f ce ne serait pas pour rapprocher<br />

<strong>de</strong>s choses très-différentes, ce serait pour faire<br />

remarquer, dans l'un, le sublime d'an grand sentiment!<br />

et dans l'antre, le sublime d'une gran<strong>de</strong><br />

passion. L'un est sans doute d'un plus grand effet<br />

au théâtre; il transporte, quand on l'entend : l'autre<br />

étonne et confond quand on y réfléchit. 11 fal<strong>la</strong>it<br />

aioir <strong>de</strong>viné bien juste à quel excès d'égarement et<br />

d'aliénation Ton peut arriver dans une situation<br />

comme celle d'Hermione$ pour mettre dans sa bouche<br />

une pareille question après qu'elle a employé<br />

une scène entière à déterminer Oreste à cet attentat,<br />

et qu'elle-même <strong>de</strong>puis ce moment n'a pas été occupée<br />

d'une antre idée; et cependant ce mot est si<br />

traî 9 qu'on en est frappé sans en être surpris. 11<br />

a d'ailleurs tous les genres <strong>de</strong> mérite; il fait partie<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> catastrophe , il commence <strong>la</strong> punition d'Oreste 9<br />

il achève le caractère d'Hermione : c'est le résultat<br />

d'une connaissance approfondie <strong>de</strong>s ré?olutions <strong>du</strong><br />

ettur humain.<br />

Des situations si fortes doivent nécessairement<br />

inir par faire couler le sang; et ce n'est pas là, suivant<br />

l'expression<strong>de</strong> k Bruyère, <strong>du</strong> sang répaném<br />

pour <strong>la</strong> /orme. Une femme qui a pu faire assassiner<br />

son amant doit se tuer elle-même : telle est <strong>la</strong> in<br />

d'Hermione; et Oreste<strong>de</strong>meure en proie aux Furies.<br />

Ce dénoûment est digne d'un <strong>de</strong>s sujets les plus<br />

éminemment tragiques que Ton ait mis sur <strong>la</strong> se^ne.<br />

Mais n'y a-t-il point quelques fautes dans ce chefd'œuvre<br />

dramatique? Il y en a <strong>de</strong> bien graves, si<br />

nous es croyons les auteurs d 9 un Diciiotimâre Afttorique<br />

qui a paru <strong>de</strong> nos jours. A Particle Mâtine<br />

on lit: Cette tragédie serait admir&èk, si les fitcertitu<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong> Pyrrhus, le désespoir d'Oreste, ies<br />

emportements d'ffermkme, n'en ternissaient <strong>la</strong><br />

beauté, L'arrêt est <strong>du</strong>rf car c'est précisément ce que<br />

noury avons adairé. H y a plus : c'est que sans ces<br />

mêmes choses qui, selon le critique, ternissent <strong>la</strong><br />

pièce, <strong>la</strong> pièce ne subsisterait pas. Voilà comme les<br />

talents sont jugés, même après un siècle! Je ne<br />

ferai pas à Racine, et à vous, messieurs, l'injure <strong>de</strong><br />

réfuter <strong>de</strong> telles censures. La vérité est qu'on a blâmé<br />

dans k rôle <strong>de</strong> Pyrrhus <strong>de</strong>ux vers dont le sentiment<br />

est vrai, mais au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> <strong>la</strong> dignité tragique :<br />

Cfols-tu, si Je réponse ,<br />

Qo'ADdfûaMquft en son cœur n'en sera point JaSove?<br />

Un autre vers qui est un abus <strong>de</strong> mots :<br />

Brûlé <strong>de</strong> piai <strong>de</strong> feux que je n'en aUsmai.<br />

Et,-dans le rêle d'Oreste, cet endroit où il dit à<br />

Hermioae' ;<br />

Prenei une victime<br />

Que Ici Scythes auraient dérobée à V«M coup,<br />

Si j'en aiaw trouvé d'aussi cruels que vous.<br />

•Cette comparaison <strong>de</strong> <strong>la</strong> eruaaté <strong>de</strong>s Scythes et<br />

<strong>de</strong> celle d'Hermione est dans le goût <strong>de</strong>s exagérations<br />

romanesques. Otes ce peu <strong>de</strong> fautes, et quelques<br />

autres moins marquantes d'ailleurs, on peut affirmer<br />

que Ton vit pour <strong>la</strong> première fois dans Anêm~<br />

moque une tragédie où chacun <strong>de</strong>s acteurs était continuellement<br />

ce qu'il <strong>de</strong>vait être, et disait toujours<br />

ce qu'il <strong>de</strong>vait dire. Racine, en éta<strong>la</strong>nt sur <strong>la</strong> scène<br />

<strong>de</strong>s peintures si savantes et si expressives <strong>de</strong> cette<br />

inépuisable passion ie l'amour, ouvrit une source<br />

nouvelle et abondante pour <strong>la</strong> tragédie française. Gel<br />

art que Corneille avait principalement établi sur Té*<br />

tonnement et l'admiration et sur une nature quelquefois<br />

trop idéale, Racine le fonda sur une nature<br />

toujours vraie et sur <strong>la</strong> connaissance <strong>du</strong> cœur hu­<br />

main. Il fut donc créateur à son tour, comme l'avait<br />

été Corneille, avec cette différence que récille©<br />

qu'avait élevé l'un frappait les yeux pr <strong>de</strong>s beautés<br />

irrégullères.et une pomjie informe, au lieu que


Tautreattachait les regards parées belles proportions<br />

«t ces formes gracieuses que le goût sait joindre à <strong>la</strong><br />

majesté <strong>du</strong> génie.-<br />

. SIÈCLE DB LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

SICTK» n. — Brltanniau.<br />

« Que te geste est fariUant dans sa naissances quel éc<strong>la</strong>t<br />

Jettent ses premiers rajons ! C'est restée <strong>de</strong> jour qui 9 partant<br />

<strong>de</strong>s bornes <strong>de</strong> fhorkon, inon<strong>de</strong> d'en jet <strong>de</strong> lumière<br />

'toute l'éten<strong>du</strong>e <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux. Quel œil n'en est pas ébloui 9 et<br />

'ne s'abaisse pas comme accablé <strong>de</strong> le c<strong>la</strong>rté qiri l'assaille?<br />

'Tel est le premier effet dn génie. Mais cette impression si<br />

.vive et si prompte s'affaiblit par <strong>de</strong>grés. L'homme t revenu<br />

<strong>de</strong> ton premier étonnement, relève <strong>la</strong> vue, et ose fiier<br />

d'un regard attentif ce fie d'abord il n'a?ait admiré qu'en<br />

a@ prosternant. Heafêt I s'accoutume et se feeeUariss<br />

avec l'objet <strong>de</strong> son respect : I es fient jusqu'à y chercher<br />

<strong>de</strong>s défauts, jusqu'à en supposer même : il semble qu'il<br />

ait à se venger d'une surprise faite à son amour-propre ,<br />

et le génie a tout le temps d'expier par <strong>de</strong> longs outrages ce<br />

moment <strong>de</strong> gloire et <strong>de</strong> triomphe que ne peut M refuser<br />

l'humanité qu'il subjugue en se <strong>mont</strong>rant.<br />

« Ainsi fat traité fauteur tfAndromaquê. On l'opposa<br />

d'abord à Corneille : et c'était beaucoup, si l'en songe à<br />

cette admiration si juste et si profon<strong>de</strong> qu'aYaït dû Inspirer<br />

Fauteur da €iê9 <strong>de</strong> CHina, <strong>de</strong>s M&rscm, <strong>de</strong>meuré jusqu'alors<br />

sans ri?al 9 maître <strong>de</strong> <strong>la</strong> carrière » et entouré <strong>de</strong> ses<br />

trophées. Sans doute même tes ennemis particuliers <strong>de</strong> ce<br />

grand homme firent avec p<strong>la</strong>isir s'éle?er un jeune poète<br />

qui al<strong>la</strong>it partager <strong>la</strong> France et <strong>la</strong> renommée : mais ces<br />

ennemis étaient alors en petit nombre ; sa vieillesse , trop<br />

malheureusement fécon<strong>de</strong> en pro<strong>du</strong>ctions indignes <strong>de</strong> lui ,<br />

tes conso<strong>la</strong>it <strong>de</strong> ses anciens succès. Au contraire, <strong>la</strong> supériorité<br />

<strong>de</strong> Racine, dès ce moment si décisif e et si éc<strong>la</strong>tante,<br />

défait jeter l'effroi parmi tous les aspirants à <strong>la</strong><br />

palme tragique. L'on conçoit aisément combien un succès<br />

tel que celui é'ÂnérmMtqm <strong>du</strong>t exciter <strong>de</strong> jalousie et<br />

et humilier tout ce qui prétendait à <strong>la</strong> gloire. A ce parti<br />

nombreux <strong>de</strong>s écrivâins médiocres, qui 9 sans s'aimer d'ailleurs<br />

et sans être d'accord sur tout le reste 9 se réunissent<br />

toujours comme par Instinct contre le talent qui les menace;<br />

se joignait cette espèce d'hommes qui, emportés<br />

par un enthousiasme exclusif s avaient déc<strong>la</strong>ré qu'on n'égalerait<br />

pas Osmelte, et qui étaient bien résolus à ne pas<br />

saaafs? que ftacine osât tes démentir. Ajoutez à tous ces<br />

intérêts qui lui étalent contraires cette «Mspsltiea secrète<br />

qni9 même au fond» n'est pas tout à fait injuste, et qui<br />

mous porte à proportionner k sévérité <strong>de</strong> notre jageaseat<br />

an mente <strong>de</strong> l'homme qu'il faut juger. Yalta quels étaient<br />

les obstacles qui attendaient Radie après Andromaque :<br />

et quand Bri<strong>la</strong>nnlcus parat v S'envie était sous les armes.<br />

« L'envie i cette passion si odieuse et si file qu'on ne<br />

<strong>la</strong> p<strong>la</strong>int pas 9 toute malbeufeuse qu'elle est, ne se déchaîne<br />

Mlle part aeee plus <strong>de</strong> fureur que dans <strong>la</strong> liée <strong>du</strong> théâtre.<br />

C'est là qu'elle rencontre le talent dans tout l'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> sa<br />

puissance y et c'est là surtout qu'elle aime à le combattre ;<br />

c'est là qu'elle l'attaque avec d'autant plus d'avantage,<br />

qu'elle peut cacher <strong>la</strong> main qui porte les coups. Confon<strong>du</strong>e<br />

dans une foule tumultueuse, elle est dispensée <strong>de</strong> rougir ;<br />

elle a #aHaeas si peu <strong>de</strong> chose à faire; et l'illusion théâ-<br />

615<br />

traie est si frète et ai facile à troubler, les jugements <strong>de</strong>s<br />

hommes rassemblés sont alors dégiendants <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> «irconstances<br />

dont l'auteur n'est pas te maitro, et tiennent<br />

quelquefois à <strong>de</strong>s ressorts si faibles, que, toutes Ses fois<br />

qn'Uyaeauniiartiocintrauttbonoufriige<strong>de</strong> théâtre, le<br />

succès en a été troublé ou retardé. Les esaaaples ne me<br />

manqueraient pas; mais quand je n'aurais à citer que celui<br />

<strong>de</strong> Brètannlem abandonné dans sa non?eaaté, n'en seraitce<br />

pas assez? » (Éloge <strong>de</strong> Racine.)<br />

On volt, par <strong>la</strong> préface que Fauteur mît à <strong>la</strong> tête<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> première édition <strong>de</strong> sa pièce, qu'il ressentit<br />

vivement cette injustice. Il n'est que trop ordinaire<br />

<strong>de</strong> faire aux hommes <strong>de</strong> talent un crime <strong>de</strong> cette sorte<br />

<strong>de</strong> sensibilité, quoique peut-être il n'y en ait point<br />

<strong>de</strong> plus excusable, ni qui soit plus dans <strong>la</strong> nature.<br />

Sans doute il y aurait beaucoup <strong>de</strong> philosophie à se<br />

détacher entièrement <strong>de</strong> ses ouvrages, <strong>du</strong> moment<br />

où on les a composés; mais je <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rai à ceui<br />

qui connaissent un peu le cœur humain comment<br />

cette froi<strong>de</strong> indifférence peut être compatible avec<br />

<strong>la</strong> vivacité d'imagination nécessaire pour pro<strong>du</strong>ire<br />

une belle tragédie. Exiger <strong>de</strong>s choses si contradictoires,<br />

c'est être h'peu près aussi raisonnable que<br />

uette femme dont parle <strong>la</strong> Fontaine f qui vou<strong>la</strong>it un<br />

mari poini froid eê point jaloux ; et le fabuliste<br />

ajoute judicieusement : Notez ces <strong>de</strong>ux pointe-ci. Je .<br />

connais l'objection vulgaire, qu'un auteur ne peut<br />

pas se juger soi-même. Non sans doute, quand un<br />

ouvrage vient <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> ses mains, et même en<br />

aucun temps, s'il n'est qu'un homme médiocre :<br />

dans ce cas, il n'est pas plus capable <strong>de</strong> se juger que<br />

<strong>de</strong> bien faire ; il ne voit pas au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce qu'il a fait.<br />

Mais une expérience constatée prouve que, passé le<br />

moment <strong>de</strong> <strong>la</strong> composition 9 un homme supérieur<br />

par le talent et par les lumières se juge aussi bien<br />

et même mieux que qui que ce soit. J'en citerai <strong>de</strong>s<br />

preuves bien frappantes quand je parlerai <strong>de</strong> Voltaire.<br />

Aujourd'hui, tout ce que je <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, c'est<br />

qu'on pardonne à Eacine d'avoir eu raison <strong>de</strong> se fâcher,<br />

quand ses juges avaient tort <strong>de</strong> le condamner.<br />

Le publie revint bientôt <strong>de</strong> sa méprise : Briêannteus<br />

resta es possession <strong>du</strong> théâtre; et Racine, dans<br />

l'édition <strong>de</strong> ses oeuvres réunies, supprima cette première<br />

préface : on pardonne aisément l'injustice<br />

quand elle est réparée. Il ne l'avait pourtant pas outillée<br />

: on s'en aperçoit à <strong>la</strong> manière dont il s'exprime<br />

sur le sort <strong>de</strong> cette tragédie :<br />

« Voici eele <strong>de</strong> mes pièces que je pis dire que j'ai te<br />

plus travaillée. Cependant j'avoue que te succès ne répondit<br />

pas d'abord à mes espérances. A peine elle parut sur te<br />

théâtre, qu'il s'éleva quantité <strong>de</strong> critiques qui semb<strong>la</strong>ient<br />

<strong>la</strong> <strong>de</strong>voir détruire. Je cris même que sa <strong>de</strong>stinée serait à<br />

l'avenir moins heureuse que celte <strong>de</strong> mes autres tragédies ;<br />

mais sais M est arrivé à cette pièce ee qui arrive» toujours


SIC<br />

COÏJ1S DE LITTÉRATURE.<br />

à îles ouvrages qui auront quelque bonté : tes critiques se et ' que les plus grands maux <strong>de</strong> l'amour n'étaient pas<br />

sestt éwmmmm$ <strong>la</strong> pièce est <strong>de</strong>meurée. C'est maintenant ordinairement ceux qui lui viennent d'ailleurs, mais<br />

celle <strong>de</strong>s miennes que <strong>la</strong> cour et Sa ville revoient le plus ceux qu'il se fait à lui-même. Eien n'est à craindre<br />

t©Soutiers , et si j'ai <strong>la</strong>it quelque chose <strong>de</strong> soli<strong>de</strong> et qui pour les amants autant que leur propie coeur. Les<br />

mérite quelque louange , <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s connaisseurs <strong>de</strong>­ difficultés, les dangers, f absence, <strong>la</strong> séparation,<br />

meurent tfaeeord que c'est ce même Sritannicm. » rien n'approche <strong>du</strong> supplice <strong>de</strong>là jalousie, <strong>du</strong>soupçon<br />

Voltaire ne semble pas s'éloigner <strong>de</strong> cet avis. 11 a <strong>de</strong> l'infidélité, <strong>de</strong> f horreur dPune trahison. J'aurai<br />

dit quelque part : Britannicus estiapëce <strong>de</strong>s corn* occasion d'appliquer et <strong>de</strong> développer ce principe<br />

masseurs. Cependant il lui préférait Jikaiîe pour quand il s'agira d'examiner pourquoi Zmîre et Tan-<br />

le mérite <strong>de</strong> <strong>la</strong> création et <strong>la</strong> sublimité <strong>du</strong> style, crèdê sont les <strong>de</strong>ux pièces où f amour est le plus<br />

et Jndromaqm et Ipkigênié pour l'effet théâtral déchirant, et fait couler les <strong>la</strong>rmes les plus abon­<br />

Mais, dira-ton i si cet effet est le premier objet <strong>de</strong> dantes et les plus amères.<br />

farts comment se peut-Il qu'il y ait quelque chose Jante et Brïtannteus sont <strong>de</strong>ux très-jepaes per­<br />

que les connaisseurs préfèrent? Je réponds : Rien, sonnes qui s'aiment avec toute <strong>la</strong> bonne foi, toute<br />

sans contredit, lorsqu'à cet effet se joignent les au­ le can<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> leur âge! La peinture <strong>de</strong> leur amour<br />

tres sortes <strong>de</strong> beautés que ce même art comporte r ne peut offrir que <strong>de</strong>s teintes douces >: leur passion<br />

comme dans IpMgé-nk et jndromaque. Mais ces est ingénue comme leur caractère ; ils sont sûrs l'un<br />

connaisseurs distinguent dans un ouvrage ce que <strong>la</strong> <strong>de</strong> l'autre; et si l'artifice <strong>de</strong> Héron cause à Britan­<br />

nature <strong>du</strong> sujet donnait à fauteur, et ce qu'il n'a pu nicus.un moment d'inquiétu<strong>de</strong>, elle ne peut le por­<br />

<strong>de</strong>voir qu'à lui-même. Mous avons <strong>de</strong>s pièces qui, ter à rien <strong>de</strong> funeste, et, un moment après, il est<br />

sur Sa scène, font verser beaucoup <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes, et qui rassuré. Cet amour n'a donc pas <strong>de</strong> quoi prendre<br />

pourtant n'ont pu valoir à leurs auteurs une gran<strong>de</strong> un très-grand empire sur finie <strong>de</strong>s spectateurs,<br />

réputation ; par exemple, Ariane et Inès. Pourquoi? dont on ne peut s'emparer entièrement que par <strong>de</strong>s<br />

Cest qu'avec 4e l'intérêt, elles manquent <strong>de</strong> beau* secousses fortes et multipliées. Aussi <strong>la</strong> mort <strong>de</strong><br />

coup d'autres qualités qui constituent <strong>la</strong> perfection Britannicus, racontée au cinquième acte, en pré­<br />

dramatique, et <strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong>s autres pro<strong>du</strong>ctions sence <strong>de</strong> Junie, pro<strong>du</strong>it plus d'horreur pour Néroa<br />

<strong>de</strong> ces mêmes auteurs a fait voir qu'un homme d'un que <strong>de</strong> compassion pour elle : son amour n'a pas<br />

talent médiocre, en traitant certaines situations occupé assez <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce dans <strong>la</strong> pièce pour que <strong>la</strong><br />

plus aisées à manier que d'autres, et plus facilement catastrophe fasse une impression bien ws* Le ca­<br />

intéressantes , pouvait obtenir <strong>du</strong> succès ; au lieu ractère doux et faible <strong>de</strong> Junie ne fait rien craindra<br />

qu'il est d'autres sujets où fauteur ne peut se sou­ <strong>de</strong> sinistre, et le parti qu'elle prend <strong>de</strong> se mettre<br />

tenir que par une extrême habileté dans toutes les au nombre <strong>de</strong>s vestales, quoique assez conforme<br />

parties <strong>de</strong> fart, et par <strong>de</strong>s beautés qui n'appartien­ aux mœurs et aux convenances, n'est pas un dénent<br />

qu'au grand talent; et <strong>de</strong> ce genre est Briêan-* nouaient très-tragique. Ce cinquième acte est donc<br />

fucus.<br />

<strong>la</strong> partie faible <strong>de</strong> l'ouvrage, et c'est ce qui donna<br />

Ce qui peut émouvoir <strong>la</strong> pitié dans cette pièce, le plus <strong>de</strong> prise aux ennemis <strong>de</strong> Racine : mais ils<br />

c'est l'amour mutuel <strong>de</strong> Britannicus et <strong>de</strong> Junie, fermaient les yeux sur les beautés <strong>de</strong>s quatre pre­<br />

et <strong>la</strong> mort <strong>du</strong> jeune prince; mais Vamour est ici miers; et ces beautés sont telles, que <strong>de</strong>puis un siècle<br />

bien moins tragique et d'un effet bien moins grand elles semblent chaque jour plus senties, et excitent<br />

que dans Amdromaqne, Cependant l'union <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux plus d'admiration. Les ennemis <strong>de</strong> fauteur, pour se<br />

amants est traversée par <strong>la</strong> jalousie <strong>de</strong> Néron, <strong>la</strong> vie consoler <strong>du</strong> succès û*Andromaque, avaient dit qu'il<br />

<strong>du</strong> prince est menacée dès que le caractère <strong>du</strong> tyran savait en effet traiter l'amour, mais que c'était là<br />

se développa, et sa mort est <strong>la</strong> catastrophe qui ter­ tout son talent; que d'ailleurs il ne saurait jamais<br />

mine <strong>la</strong> pièce. D'où fient donc que l'amour y pro­ <strong>de</strong>ssiner <strong>de</strong>s caractères avec <strong>la</strong> vigueur <strong>de</strong> Corneille*<br />

<strong>du</strong>it <strong>de</strong>s impressions bien moins vives que dans ni traiter comme lui <strong>la</strong> politique <strong>de</strong>s <strong>cours</strong>. Telle est<br />

Andromaque f 11 faut en chercher <strong>la</strong> raison, et nous <strong>la</strong> marche constante <strong>de</strong>s préjugés : on se venge <strong>du</strong><br />

verrons que l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie est en même temps talent qu'on ne peut refuser à un écrivain es lui<br />

celle <strong>du</strong> cœur. Je crois avoir remarqué qu'au théâtre refusant par avance celui qu'il s*a pas encore es­<br />

l'amour combattu par <strong>de</strong>s obstacles étrangers, quelsayé. Burrhus, Agrippine, Narcisse, et surtout<br />

que intéressant qu'il soit alors, ne l'est jamais au­ Néron, étaient une terrible réponse à ces préventant<br />

que par les tourments qui naissent <strong>de</strong> f amour tions injustes ; mais cette réponse ne fut pas d'abord<br />

même ; et, comparant ensuite le théâtre à <strong>la</strong> nature, enten<strong>du</strong>e. Le mérite d'une pièce qui réunissait fart<br />

dont il est l'image, j'ai vu que ce rapport était exact, <strong>de</strong> Tacite et celui <strong>de</strong> ¥irgile échappa au plus grand


SIÈCLE DE LOUIS XI?. — POÉSIE.<br />

sombre dos spectateurs. La mot poêWqm n'y est<br />

jamais prononcé ; mais celle qui règne plus ou moias<br />

dans les <strong>cours</strong> f leloe qu'elles sont plus ou moins<br />

corrompues , n'a jamais été peinte a?ec <strong>de</strong>s traits si<br />

¥rais9 si profonds! si énergiques, et les couleurs<br />

sont dignes <strong>du</strong> <strong>de</strong>ssin. Boileau et ce petit nombre<br />

d'hommes <strong>de</strong> goût qui juge et se tait quand <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong><br />

crie et se trompe, aperçurent dans ce nouvel<br />

outrage un progrès quant à <strong>la</strong> diction. Bans celle<br />

ŒJndrwmqw, quelque admirable qu 9 elle soit, il<br />

y a encore quelques traces <strong>de</strong> jeunesse, quelques<br />

vers faibles, ou incorrects, ou négligés. Ici tout<br />

porte l'empreinte <strong>de</strong> <strong>la</strong> maturité : tout est mâle9<br />

tout est Uni ; <strong>la</strong> cotfceptîon est vigoureuse, et feiécution<br />

sans aucune taébe. Agrippine est, comme<br />

dans Tacite, avi<strong>de</strong> <strong>du</strong> pouvoir, intrigante, impérieuse,<br />

ne se souciant <strong>de</strong> vivre que pour régner,<br />

employant également à ses Uns les vices, les vertus,<br />

les faiblesses <strong>de</strong> tout ce qui l'environne, f<strong>la</strong>ttant<br />

Pal<strong>la</strong>s pour s'emparer <strong>de</strong> C<strong>la</strong>u<strong>de</strong>, protégeant<br />

Britannicus pour contenir Héron, se servant <strong>de</strong><br />

Burrhus et <strong>de</strong> Sénèque pour adoucir le naturel<br />

féroce qu'elle redoute dans son ils, et faire aimer<br />

son empire, qu'elle partage. Si elle lisières» pour<br />

l'épouse <strong>de</strong> Héron, c'est <strong>de</strong> peur qu'une maîtresse<br />

n'ait trop <strong>de</strong> crédit. Elle met en usage jusqu'à <strong>la</strong><br />

tendresse maternelle qu'elle ne sent .point, pur<br />

regagner Héron, qui lui échappe.<br />

le n'ai qn*m ils. O ciel, qui m'attends attfourirhiil,<br />

Tat-Je fait quelque* terni qm m fassent pour loi?<br />

Remords, craintes, périls, rien no m'a retenue.<br />

TM f s<strong>la</strong>cii les mépris ; j'ai détourné ma vue<br />

Des malheurs


518<br />

C0U1S DE UTTERATUHB.-<br />

Poursuis : ta s'as pas fil ce pas pour reculer.<br />

D'autant ptm malheureux qu*ll aura sa lui aMraf<br />

Ta main a commencé par le sang <strong>de</strong> ton frère ;<br />

Hardsne, il doit plutôt souhaite? sa colère :<br />

le prévols que tes coups Tiendront jusqu'à ta mère. Néron impunément ne sera pas Jaloux,<br />

Bans le fond <strong>de</strong> ton ecwur Je sais que tu me hais :<br />

Tu voudras f affranchir <strong>du</strong> joug <strong>de</strong> mes bienfaits : A peine a-t-il vu Junie un moment, et déjà <strong>la</strong> mort<br />

Mais je ? eux que ma mort te sott même Inutile. <strong>de</strong> son rival et <strong>de</strong> son frère est prononcée dans son<br />

He crois pas qu'en mourant je te <strong>la</strong>isse tranquille :<br />

Home, ce ciel s ce Jour que tu reçus <strong>de</strong> mol cœur. Mais il lui prépare un autre supplice : il veut<br />

t<br />

Partout, à tout moment} m'offriront <strong>de</strong>vant tôt. que Junie elle-même lui dise ou lui fasse entendre<br />

Tes remords te suivront comme autant <strong>de</strong> fartes;<br />

Tu croiras Ses calmer par d'autres barbaries. qu'il faut renoncer à elle, et, pour l'y forcer, il lui<br />

Ta fureur, s'irritant soi-même dans son <strong>cours</strong>, déc<strong>la</strong>re que Britannicus est mort, si elle n'obéit<br />

D'un sang toujours nouveau marquera tous tes Jours. pas. On a dit que c'était un petit moyen, et peu<br />

Mais J'espère qu'enfin le ciel <strong>la</strong>s <strong>de</strong> tes crimes,<br />

Ajoutera ta perte à tant d'autres victimes;<br />

digne <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie, <strong>de</strong> faire cacher Héron pendant<br />

Qu'après t'être coarert <strong>de</strong> leur sang et <strong>du</strong> mien , l'entrevue <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux amants : ce<strong>la</strong> est vrai ; mais je<br />

Tu te verras forcé <strong>de</strong> répandre le tien ;<br />

Et ton nom parallra f dans Sa race future ,<br />

crois qu'ici l'effe^relève et justiie le moyen. Le pé­<br />

Aux pires mmels tyrans une cruelle injure.<br />

ril est si prochain^ à réel, que <strong>la</strong> scène est tragique;<br />

et je n'ai bttttiir, pour le prouver, que d'ea<br />

Voilà un exemple <strong>de</strong> cet art si fréquent dans Racine,<br />

<strong>de</strong> donner aux idées les plus fortes l'expres­<br />

appeler à l'effet in, théâtre. Ce moment est celui où<br />

sion <strong>la</strong> plus simple. Dira à un homme que son nom<br />

l'amour <strong>de</strong> Britannicus et <strong>de</strong> Junie <strong>de</strong>vient intéres­<br />

sera une injure pour les tyrans est déjà terrible;<br />

sant, parce qu'il y a <strong>de</strong> <strong>la</strong> terreur et <strong>de</strong> <strong>la</strong> pitié.<br />

Leur situatioE est cruelle, et Ton ne peut s'empêcher<br />

<strong>de</strong> trembler pour eux quand on se souvient do<br />

ces vers terribles <strong>de</strong> Héron ;<br />

mais, pour les plus cruels tyrans une cruelle injure!<br />

je 11e crois pas que l'invective puisse imaginer<br />

rien au <strong>de</strong>là; et pourtant il n'y a rien <strong>de</strong> trop pour<br />

Héron : son nom est <strong>de</strong>venu celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> cruauté.<br />

Quelle vérité effrayante dans <strong>la</strong> peinture <strong>de</strong> oe<br />

monstre naissant 1 C'est mm <strong>de</strong>s pro<strong>du</strong>ctions les plus<br />

frappantes <strong>du</strong> génie <strong>de</strong> Racine, et une <strong>de</strong> celles<br />

fui prouvent que ce grand homme pouvait tout<br />

faire. Héron, comme l'observe fort bien Racine,<br />

n'a pas encore assassiné son frère, sa mère, son<br />

précepteur; il n'a pas encore mis le feu à Rome; et<br />

pourtant tout ce qu'il dit, tout ce qu'il <strong>la</strong>it dans Je<br />

<strong>cours</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, annonce une Âme naturellement<br />

atroce et perverse. Mais combien il a fallu <strong>de</strong> temps<br />

pour que l'on reconnût le prodigieux mérite <strong>de</strong> ce<br />

rôle! C'est une obligation que Ton eut à l'inimitable<br />

Lekaïn ; et l'ouvrage d'un grand acteur est <strong>de</strong> fîiejtrè<br />

à <strong>la</strong> portée <strong>de</strong> <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> ce qui n'était senti<br />

. que p%r les connaisseurs. Comme U nom <strong>de</strong> Héron<br />

semble promettra tout ce qu'il y a <strong>de</strong> plus odieux,<br />

et que , dans <strong>la</strong> nouveauté <strong>de</strong> BrManniew, les têtes<br />

étaient encore <strong>mont</strong>ées au ton que CornrilltHvait<br />

intro<strong>du</strong>it pendant trente ans, on fut étonné qu'il<br />

n'eût pas stns cesse à <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong>s maximes infernales,<br />

qu'il ne se gloriiât pas d'être méchant,<br />

qu'il eût quelque honte <strong>de</strong> passer pour empois on*<br />

rjear ; enta on k êrowm irop bon : c'est le mot .dont<br />

Racine se serj dans sa préface. Il est vrai qu'il n% pas<br />

<strong>la</strong> rhétorique <strong>du</strong> crime, mais il en a bien l'atrocité<br />

tranquille et raffinée, <strong>la</strong> profon<strong>de</strong>ur réfléchie. Examinons<br />

sa con<strong>du</strong>ite ; il entend parler <strong>de</strong>.<strong>la</strong> beauté<br />

<strong>de</strong> Junie : son premiermonrenient est <strong>de</strong> l'enlever,<br />

avant même <strong>de</strong> l'avoir vue; et, sur le-seul soupçon<br />

que BM<strong>la</strong>nnianpurrait bien en'être aimé* son<br />

premhr mot est <strong>de</strong> dire ; *<br />

Caché très <strong>de</strong> cas Heu, Je rcns verni, madame.<br />

Renferme! aotre amour c<strong>la</strong>ns le fond <strong>de</strong> eaire âme :<br />

Tous n'aurez point pour moi <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngages secrets,<br />

J'entendrai <strong>de</strong>s regards que TOUS emlrea muets, .<br />

Et sa perte sera l'tnfaUliMe sa<strong>la</strong>ire<br />

D'un geste ou d'ujp soupir échappé pour lui p<strong>la</strong>ire. -<br />

Avec ce style et cette situation on peut tout ennoblir.<br />

Observons, en passant, que l'effet • théâtral<br />

peut faire pardonner <strong>de</strong>s moyens faux, mats ne les<br />

justifie pas; au lieu qu'un moyen commun et petit<br />

par lui-même peut être relevé par Fart que Ton met<br />

à s'en servir, et n'est plus un défaut.<br />

Héron, sûr <strong>de</strong> l'amour <strong>de</strong> Junie pour Britannicus<br />

, ne médite plus que <strong>de</strong>s vengeances et <strong>de</strong>s crimes.<br />

11 fait arrêter son frère; il donne <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s<br />

à sa propre mère; et 9 s'apercevant, par l'entretien<br />

qu'il a eu avec elle, que les droits <strong>de</strong> Britannicus à<br />

l'empire peuvent être une arme contre lui, il ne<br />

ba<strong>la</strong>nce pas un moment, et donne ordre <strong>de</strong> l'empoisonner.<br />

Mais comment ! Avec quel sang-faîi odieux<br />

et quelle fourbe réfléchie! C'est en paraissant se réconcilier<br />

avec Agrippine et Britannicus 9 en prodiguant<br />

les caresses, les soumissions, les embrassementg;<br />

in'Iônnajsl dans son p<strong>la</strong>is une scène <strong>de</strong><br />

tendresse filiale :<br />

Gar<strong>de</strong>s, qu'on obéisse au ordres <strong>de</strong> ma mère!<br />

Voilà <strong>de</strong> quelle, manière il se prépare au fratrici<strong>de</strong>.<br />

Et <strong>la</strong> voilà bien, cette politique <strong>de</strong>s eours*eorrompues<br />

dont Corneille aimait tant à parler. Mais<br />

ici elle est en action, et non pas en paroles ; e'est-à*<br />

dire qu'elle est dans l'imitation théâtrale <strong>la</strong> même<br />

chose qu'en «éalitè: c'est <strong>la</strong> perfection <strong>de</strong> l'art. Héron<br />

ne se con<strong>du</strong>ites autrement que Charles IX. A


peine Agrippioe fa-t-elle qaitté, que sa' rage renfermée<br />

ne peut plus se soutenir. II se croit sûr <strong>de</strong><br />

Burrhus, parce qu'Agrippine en est mécontente;<br />

et c'est défaut unJiomme vertueux qu'il atone le<br />

projet d'un crime! d'un empoisonnement.<br />

Elfe m hâte trop, Serrans, <strong>de</strong> triempher :<br />

rentrasse mon ri?al, mais c'est pour l'étouffer :<br />

. . . Cm est trop ; Ilfant que sa raine<br />

Me délivre à Jaunie êm fareurs d'ÀgrippIs®.<br />

Tant qu'il respirera ¥ je ne vis qu'à <strong>de</strong>mi :<br />

Elle m f a fatigué <strong>de</strong> ce nom ennemi ,<br />

Et Je ne prétends pas que sa coupable saiace<br />

Use secon<strong>de</strong> fols lui promette ma p<strong>la</strong>ce.<br />

SIÈCLE DE LOUIS XI?. — POÉSIE.<br />

Avant Sa <strong>la</strong> dit Jour, je se le craindrai plus.<br />

Parler ainsi à Burrhusf c'est <strong>mont</strong>rer tout Héron.<br />

Il n'y a qu'un scélérat consommé qui puisse, sans<br />

rougir, se <strong>mont</strong>rer tel qu'il est <strong>de</strong>vant un honnête<br />

homme. : c'est.une preuve qu'il a tout sur<strong>mont</strong>é,<br />

même <strong>la</strong> conscience. Les autres scélérats se démasquent<br />

défaut <strong>de</strong>s conidênts dignes d'eux; 11 n'y a<br />

que Mérou qui puisse se démasquer <strong>de</strong>?ant Burrhus.<br />

Cetjpemple est unique au théâtre, et c'est un trait<br />

<strong>de</strong> génie. Mahomet ne cache pas à Zopire sa politique<br />

et son ambition; mais il y a <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur<br />

f<strong>la</strong>ns ses projets, tout criminels qu'ils sont ; il espère<br />

<strong>de</strong> gagner Zopire, et il en a les moyens. Ici rien <strong>de</strong><br />

tout ce<strong>la</strong> : Héron avoue le plus Mche <strong>de</strong>s forfaits,<br />

t et n'a nul besoin <strong>de</strong> Burrhus pour l'exécuter. Cette<br />

' confi<strong>de</strong>nce sans nécessité y et faite pour ainsi dire<br />

d'abondance <strong>de</strong> cœur, serait d'ailleurs un grand dé»<br />

faut : ici c'est le coup <strong>de</strong> piïfceau d'un grand maître.<br />

Il est évi<strong>de</strong>nt que Héron ne croit pas même<br />

faire un crime : c'est à sas yeux <strong>la</strong> chose <strong>du</strong> mon<strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> plus simple que d'empoisonner son frère; et ce<br />

4lii le prouve, c'est qu'il est tout étonné que Burrhus<br />

ne l'approuve pas; c'est que, dans li^cèae<br />

suivante, il dit à Harasse, comme <strong>la</strong> seule chose<br />

qui l'arrête :<br />

Es mettront ma <strong>la</strong>ngeant» an rang <strong>de</strong>s parrid<strong>de</strong>a.<br />

Ce <strong>de</strong>rnier mot n'est pas d'où tyran, mais d'un<br />

monstre.<br />

Ici commence ce grand spectacle si moral et si<br />

dramatique, ce combat <strong>du</strong> vice et <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu, sons<br />

tes noms <strong>de</strong> ltfeis.se et. <strong>de</strong> Burrhus se disputant<br />

l'âme <strong>de</strong>.%éron; ef c'est ici que vont se développer<br />

ces <strong>de</strong>ux caractères, aussi parfaitement tracés<br />

que ceux <strong>de</strong> Héron et d'Agrippine. Burrhus est le<br />

modèle <strong>de</strong> <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite que peut tenir un homme<br />

vertueux p<strong>la</strong>cé par les circonstances auprès d 9 un<br />

mauvais prince et dans une cour dépravée. Il est<br />

entouré <strong>de</strong> passions, d'intérêts, <strong>de</strong> vices, et les<br />

combat <strong>de</strong> tous cêtés» Il ne prononce pas une seule<br />

sentence su? <strong>la</strong> vertu, non.plus que Héron sur le<br />

619<br />

crime; mais il représente l'une dans toute sa pureté,<br />

comme Héron 'représente l'autre dans toute<br />

son horreur. Il résiste à l'ambition inquiète d'Agrippine<br />

et à <strong>la</strong> perversité <strong>de</strong> son maître, et dit <strong>la</strong><br />

vérité à tous les <strong>de</strong>ux, mais sans ostentation, sans<br />

brava<strong>de</strong>, avec une fermeté noble et mo<strong>de</strong>ste, ne<br />

cherchant point à offenser et ne craignant point <strong>de</strong><br />

dép<strong>la</strong>ire. Il parle à l'un comme à son empereur, à<br />

l'autre comme à <strong>la</strong> mère <strong>de</strong> César. Il remplit toits<br />

ses <strong>de</strong>voirs et observe toutes les bienséances. Mais<br />

lorsque son coupable élève ose- lui découvrir un<br />

projet horrible y alors cet homme si calme <strong>de</strong>vient<br />

tout <strong>de</strong> feu : sa tranquillité le rendait grand, son '<br />

indignation le rend sublime. L'éloquence est dans<br />

sa bouche ce qu'est <strong>la</strong> vertu dans son âme, sans<br />

faste, sans effort, mais toute pleine <strong>de</strong> cette chaleur<br />

qui pénètre, <strong>de</strong> cette vérité qui terrasse, <strong>de</strong><br />

cette véhémence qui entraîne. II émeut jusqu'à Héron<br />

même s et sort plein d'espérance et <strong>de</strong> joie f pour<br />

aller consommer près <strong>de</strong> Britannicus une réconciliation<br />

qu'il croit sûre. A l'instant même entre Harasse<br />

2 au pathétique, à l'enthousiasme d'une belle<br />

âme va succé<strong>de</strong>r tout fart <strong>de</strong> <strong>la</strong> bassesse et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

méchanceté ; et dans ces <strong>de</strong>ux peintures contrastées<br />

l'auteur est également admirable. Mais pour les<br />

p<strong>la</strong>cer ainsi l'une auprès <strong>de</strong> fautre, il fal<strong>la</strong>it être<br />

bien sûr <strong>de</strong> sa force. Plus l'effet <strong>de</strong> <strong>la</strong> première<br />

était grand et infaillible, plus fautre était dangereuse.<br />

L'expérience <strong>du</strong> théâtre apprend combien il<br />

y a <strong>de</strong> danger à remp<strong>la</strong>cer tout <strong>de</strong> suite <strong>de</strong>s sentiments<br />

doux et chers, auxquels le spectateur aime<br />

à se livrer, par ceux qu'il hait et qu'il repousse. Ceci<br />

ne s'applique pas aux scélérats hardis qui ont <strong>de</strong><br />

l'énergie et <strong>de</strong> l'élévation, mais aux personnages<br />

?llset méprisables ; et<strong>la</strong>rcîsse est <strong>de</strong> ce nombre. Ces<br />

sertes <strong>de</strong> caractères, quelquefois nécessaires dans<br />

<strong>la</strong> tragédie ,*sont très-difficiles à manier. Le spectateur<br />

veut bien haïr, mais 11 ne veut pas que le mépris<br />

se joigne à <strong>la</strong> haine, parce que le mépris n'a rien <strong>de</strong><br />

tragique. Voltaire, en blâmant sous ce point <strong>de</strong> vue<br />

les rôles <strong>de</strong> Félix, <strong>de</strong> Prusias et <strong>de</strong> Maxime dans<br />

Corneille, cite celui <strong>de</strong> Harcisse comme le modèle<br />

qu'il faut suivre quand on a besoin <strong>de</strong> personnages<br />

<strong>de</strong> cette espèce. Il admire <strong>la</strong> scène <strong>de</strong> Harcisse avec<br />

Héron; mais, remarquant le peu d'effet qu'elle pro*<br />

Éitit toujours, il croit qu'elle en ferait davantage si<br />

Harcisse avait, un plus grand intérêt à conseiller le<br />

crime. Je ne sais si cette réflexion est bien juste.<br />

Sans doute si Harcisse, pour tenir <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite qu'il<br />

tient, avait à sur<strong>mont</strong>er quelqu'un <strong>de</strong>s sentiments<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, comme Félix, qui se détermine à faire<br />

périr son gendre <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> perdre son gouvernement,<br />

<strong>la</strong> proportion <strong>de</strong>s moyens manquerait. Mais


«20<br />

Narcisse, qui cherche à gouverner Néron comme 11<br />

a gouverné C<strong>la</strong>u<strong>de</strong>, en f<strong>la</strong>ttant ses passions, s'a<br />

aucun intérêt à sauver Britannicus. Dans son caractère<br />

établi, tous les moyens lui doivent être<br />

bons; il ne fait que suivre son naturel bas et pervers<br />

; et si <strong>la</strong> scène entre lui et Néron, malgré <strong>la</strong><br />

perfection dont elle est, n'est pas, à beaucoup près,<br />

app<strong>la</strong>udie comme celle <strong>de</strong> Burrhus, c'est que, dans<br />

aucun cas, dans aucune supposition, elle ne peut<br />

faire le même p<strong>la</strong>isir ; et j'en trouve <strong>la</strong> raison dans<br />

le cœur humain. L'âme vient <strong>de</strong> s'épanouir en écoutant<br />

Burrhus ; elle se resserre et se flétrit en voyant<br />

Narcisse. Le rôle qu'il joue est un <strong>de</strong> ceux qui ne<br />

peuvent être que supportés et qui ne peuvent jamais<br />

p<strong>la</strong>ire. Ne reprochons pas aux hommes assemblés<br />

un sentiment qui leur fait honneur, <strong>la</strong> répugnance<br />

invincible pour ce qui est vil, Ces caractères-là<br />

dans le drame, peuvent être p<strong>la</strong>cés pour les moyens,<br />

et jamais pour les effets. Le plus grand effort <strong>de</strong><br />

l'artiste, c'est <strong>de</strong> les faire tolérer au théâtre f et admirer<br />

<strong>du</strong> connaisseur qui ne juge que l'exécution;<br />

et il ne peut en Tenir à bout qu'en leur donnant au<br />

plus haut <strong>de</strong>gré ce que peut avoir un homme bas et<br />

méchant, l'artifice et l'adresse. C'est ce que Racine<br />

a fait dans le rôle <strong>de</strong> Narcisse, Quelle entreprise<br />

que celle <strong>de</strong> ramener Néron après l'impression qu'il *<br />

vient d'éprouver, et que le spectateur a si vivement<br />

partagée! Quel chemin 11 y a <strong>du</strong> moment où il en­<br />

vole Burrhus près <strong>de</strong> son frère pour consommer <strong>la</strong><br />

réconciliation, à celui où il sort avec Narcisse pour<br />

aller empoisonner son rival ! Et cependant tel est<br />

Fart détestable <strong>de</strong> Narcisse, ou plutôt tel est fart<br />

admirable <strong>du</strong> poète, que cette révolution, l'ouvrage<br />

<strong>de</strong> quelques instants, paraît vraisemb<strong>la</strong>ble, naturelle,<br />

et même nécessaire. Le venin <strong>de</strong> <strong>la</strong> malignité<br />

est si habilement préparé, qu'il doit pénétrer l'âme<br />

<strong>du</strong> tyran, et l'infecter sans remè<strong>de</strong>. Cette scène<br />

étonnante mérite d'être détaillée.<br />

HAIOSSE. K-<br />

Setgueor, fal tout prévu pour une mort si juste;<br />

Le potins est tout prêt ; <strong>la</strong> fameuse Locuste<br />

A redoublé pou? mol ses soins officieux : •<br />

Elle a fait expirer un esc<strong>la</strong>ve à mes yeux f<br />

Et le 1er est moins prompt pour trancher mm vie,<br />

Que le nouveau polsoa que sa matn me oôofie.<br />

HERClt.<br />

Htr<strong>de</strong>se s c*est assea : Je reconnais ce soin,<br />

Et se souhaits DM que TOUS aUJes plus loto.<br />

NàHCISSE.<br />

Quoi ! pour Britaanicjiis votre haine âJWblte<br />

Me défend...<br />

NÉ10N.<br />

Oui, Narcisse : on nous réconcilie.<br />

BâmCÎSSE*<br />

Je me gar<strong>de</strong>rie bien <strong>de</strong> TOUS m détourner,<br />

Seigneur*. Mais il s'est TU tantôt emprisonner ;<br />

Cette offense en son coeur sera longtemps nouvelle,<br />

n s'est point <strong>de</strong> secrets que le temps ne rétèle :<br />

11 saura que ma main lui <strong>de</strong>vait présenter<br />

COU1S DE UTIÉIUTUHE.<br />

Un poison que votre ordre avait fait apprêter.<br />

Les dieux, <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>ssein puissent-lis le distraire!<br />

Mais peut-^toe il fera ce que vous n'osez faire.<br />

„ HéBOM.<br />

On répond <strong>de</strong> «ou coeur, et Je val§aal le mien.,<br />

11 a déjà attaqué Héron par <strong>la</strong> eainte : <strong>la</strong> crante<br />

n'a pas réussi. Il se retourne sur-le-champ, et l'attaque<br />

par <strong>la</strong> jalousie^<br />

Et rhymen <strong>de</strong> lunle en eat-11 le Mes ?<br />

Seigneur, luj faites-vous eneor ce seertieef<br />

Cmi prendre trop <strong>de</strong> soin. Quoi qull en sclt, Harc<strong>la</strong>§€ t<br />

Je ne le compte plut parmi mes ennemis.<br />

Ce moment est critique pour 'Narcisse 5 voilà<br />

déjà <strong>de</strong>ui attaques repoussées." 11 ne perd pas 4§<br />

temps; il cherche à irriter Héron par <strong>la</strong> jalousie <strong>du</strong><br />

pouvoir,<br />

» AgripptQe, Sdg®eurs m Fêtait bien promis ;<br />

Elle a repris sur YOUS SOU souverain empire,<br />

NéRON.<br />

Quoi doue? Qu'a-t-elle dit? et que Tonles-vons dire?<br />

HAKCISSS.<br />

Elle s'en cet vantée asseï publiquement.<br />

ffÉlCH. «x<br />

De quoi?<br />

HÂACISSB.<br />

Qu'elle n'avait qu'à ¥©us voir en moment;<br />

Qu'à tout ce grand éc<strong>la</strong>t, à ce courroux funeste.<br />

On verrait succé<strong>de</strong>r un silence mo<strong>de</strong>ste;<br />

Que vous-même à <strong>la</strong> paix souscririez le premier *<br />

Heureux que M bonté daignât tout ouMer.<br />

: nimm*<br />

Mais, narcissei dis-moi : que veux-tu que je tasse?<br />

Remarquons ici <strong>la</strong> ?érité <strong>du</strong> dialogue et <strong>la</strong> simplicité<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> diction ; elle n'est pas au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

conversation soutenue! et ne défait pas en effet<br />

aller au <strong>de</strong>là. D'un côté! c'est un scélérat froid et<br />

réûéchi, qui m songe pas à parer son <strong>la</strong>ngage ; les<br />

fripons ne se passionnent guère : <strong>de</strong> l'autre, un<br />

homme intérieurement agité, qui ne répond quel<br />

par quelques mots pénibles. Toute ûgure poétique<br />

défait disparaître. Nos critiques <strong>du</strong> jour9 qui affec*<br />

tent <strong>de</strong> ne pas reconnaître d'autre poésie, ne manqueraient<br />

pas, si Racine était vivant, <strong>de</strong> le trouver<br />

bien froid et bien faible.<br />

Quels vers, diraient-ils, que eeiix-d :<br />

âgrfpptae , seigneur, m Fêtait bien promis.<br />

T*<br />

- Ole l'en est 'tentée eseea puMlquemeiii<br />

'- MaSi, Hasctisê, dis-moi t que veux-tii que Je fasse?<br />

S'eiprimeraitron autrement en prose? .<br />

Et c'est précisément pour ce<strong>la</strong> qu'ils sont eieellents,<br />

car ils sont ce qu'ils doivent être. Le <strong>de</strong>rnier,<br />

tout simple qu'il est, fait trembler; le tiges<br />

va. se réveiller: . •<br />

le n'ai que trop <strong>de</strong> peufe à punir se» codées;<br />

Et, si je m'en croyais t ce triomphe iaeHseeci g<br />

Serait bientôt suM d'un étemel regret.


Mais <strong>de</strong> tout faillie» quel sera te <strong>la</strong>ngage?<br />

Sur les pas <strong>de</strong>s tyrans veux-tu que Je m'engage,<br />

Et que Rome, effaçant tant <strong>de</strong> litres d'honneur,<br />

Me <strong>la</strong>isse pour tout nom celui d s @mpû4sonnetir?<br />

Ils mettront ma vengeance an rang <strong>de</strong>s parrici<strong>de</strong>s.<br />

Ici Narcisse commence à être plus à son aise. 11<br />

a voulu son<strong>de</strong>r l'âme <strong>de</strong> Héron. Elle s'ouvre» et il<br />

voit que <strong>la</strong> sature n'y a pas jeté un cri/ qu'il s'y a<br />

pasea remords, pas un sentiment <strong>de</strong> vertu; que<br />

Mérou ne fait rfeuY ni pour sou frère f ni pour sa<br />

mère, ni pour Burrhus, mais seulement qu'il craint<br />

eùcoreropinionpublique,lè<strong>de</strong>rAier frein <strong>de</strong> l'homme<br />

pervers et puissant, quand il a <strong>de</strong> l'amour-propre.<br />

Néron en a encore, et c'est par son amour-propre<br />

même que Hareisse va se ressaisir <strong>de</strong> #Iui.<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

Et prenez-vous, seigneur, leurs caprices pour gui<strong>de</strong>s?<br />

Avez-vans préten<strong>du</strong> qu'ils se tairaient toujours?<br />

Est-ce à TOUS <strong>de</strong> prêter f oreille à leurs dis<strong>cours</strong>?<br />

De vos propres désirs perdrez-vous <strong>la</strong> mémoire?<br />

Et serez-vous te seul que vous n'oserez croire?<br />

Mais, seigneur, les Romains ne vous sont pas cornu»;<br />

• ffoo ; non : dans leurs dis<strong>cours</strong> Us sont plus retenus.<br />

Tant <strong>de</strong> précaution affaiblit votre règne ;<br />

lis croiront, en effet, mériter qu'on les craigne.<br />

Voilà, <strong>de</strong> toutes les suggestions, <strong>la</strong> plus perfi<strong>de</strong><br />

et <strong>la</strong> plus sûre auprès <strong>de</strong>s mauvais princes, c'est ^irriter<br />

en eux l'orgueil <strong>du</strong> pouvoir. Qui peut savoir<br />

combien <strong>de</strong> fois l'a<strong>du</strong><strong>la</strong>tion a wpété dans d'autres<br />

termes ce que dit ici Narcisse? 11 ne lui reste plus<br />

qu'à rassurer bien pleinement Héron sur opinion<br />

et les dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong>s Romains.<br />

An Joug, <strong>de</strong>puis tenglempf f lia se sont façonnés;<br />

Ils adorent <strong>la</strong> main qui tes tient enchaînés ;<br />

Vous les verrez toujours ar<strong>de</strong>nts | vous comp<strong>la</strong>ire.<br />

Leur prompte servitu<strong>de</strong> a fatigué Tibère.<br />

Mot-même, revêtu d'an pouvoir emprunté,<br />

Que Je reçus <strong>de</strong> C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> avec <strong>la</strong> liberté,<br />

J*ai cent fols, dans le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> ma gloire passée,<br />

Tenté leur patïenèl, et ne l'ai point <strong>la</strong>ssée.<br />

D*un empoisonnement vous craignez <strong>la</strong> noirceur?<br />

Faites' périr le ïrère; abandonnez <strong>la</strong> sœur ;<br />

Rome, sur les autels prodlguanties victimes, •<br />

Fussent-ils innocents s leur trouvera <strong>de</strong>s crimes.<br />

Toqj verrez mettre an rang <strong>de</strong>s Jours infortunés<br />

* Ceux où Jadis <strong>la</strong> soeur et le frère sont nés.<br />

C'est en effet ce qui arriva après le meurtre jTAgrippine,<br />

et rabjêctiog <strong>de</strong>s Romains est peinte ici<br />

mee Fénergique fidélité <strong>de</strong>s crayons <strong>de</strong> Tacite. Héron<br />

, délivré, non pas <strong>de</strong> ses scrupules, mais <strong>de</strong> ses.<br />

craintes, ne se défend plus que bien faiblement.<br />

*<br />

narcisse, encore on coup, Je.ne puis l'entreprendra.<br />

J'M promis à Barriras; il a fallu me rendre.<br />

Je ne veux point encore, en lui manquante© fol,<br />

Donner à sa*vertu <strong>de</strong>s armes contre mol.<br />

l'oppose à ses raisons un courage inutile ;<br />

.Je ne l'éooate^polnt avec un cœur tranquille.<br />

11 ne reste donc plus à détruire qu'un reste d'égard<br />

pour Burrhus, exprimé <strong>de</strong> manière à faire voir que<br />

les. conseils d'un vertueux gouverneur pèsent étrangeroent<br />

à Héron, impatient <strong>de</strong> secouer toute espèce<br />

<strong>de</strong> joug. C'est l'instant <strong>de</strong> porter le <strong>de</strong>rnier coup; et<br />

Harasse emploie l'arme si familière aux méchants9<br />

<strong>la</strong> calomnie. Il attribue à Burrhus, à Sénèque, à<br />

tous ceux qui s'efforçaient encore <strong>de</strong> contenir les<br />

vices <strong>de</strong> Héron, les propos les plus injurieux et les<br />

plus amers. Cet artifice <strong>de</strong>s f<strong>la</strong>tteurs ne manque<br />

presque jamais son effet. Us mettent dans <strong>la</strong> bouche<br />

<strong>de</strong>celui qu'ils veulent perdre tout le mépris qu'ils<br />

ont au fond <strong>du</strong> eccur pour le maître qu'ils feulent<br />

tromper.<br />

Burrbus ne pense pas, seigneur, tout ce qu'il dit :<br />

Son adroite vertu ménage son crédit,<br />

Ou plutôt ils n'ont tous qu'une même pensée ;<br />

Ils verraient par ce coup leur puissance abaissée.<br />

Vous seriez libre alors, seigneur ; et <strong>de</strong>vant vous<br />

Ces maîtres orgueilieuz fléchiraient comme nous.<br />

Quoi donc! ignorez-vous tout ce qulis osent dire?<br />

« Néron, s'ils en sont crus t n'est point né pour l'empire ;<br />

« Il ne dit, il ne fait que ce qu'on lui prescrit :<br />

- « Burrhus con<strong>du</strong>it êùn cœur. Sénèque son esprit.<br />

« Pour toute ambition f pour vertu singulière,<br />

f 11 «celle à con<strong>du</strong>ire un char dans <strong>la</strong> carrière t<br />

« A disputer <strong>de</strong>s pris indignes <strong>de</strong> ses mains,<br />

« A se donner lui-même en spectacle auk Romains,<br />

« A venir prodiguer sa voix sur un théâtre,<br />

« A réciter <strong>de</strong>s chants qui! veut qu'on idolâtre;<br />

« Tandis que <strong>de</strong>s soldats, <strong>de</strong> moments en moments,<br />

« Tout arracher pour lui <strong>de</strong>s app<strong>la</strong>udissements. »<br />

Ah S ne voulez-vous pasles forcer à se taire?<br />

Pour le coup, il est impossible que Héron résiste<br />

à cette adresse infernale. Chaque mot est un trait<br />

qui le perce. On le prend à <strong>la</strong> fois par toutes ses faiblesses<br />

: il faut qu'il succombe.<br />

Tiens, Harcisse ; allons vol* ee que nous <strong>de</strong>vons faire.<br />

Il ne dit pas positivement quel parti il prendra,<br />

mais on voit que son parti est déjà pris»<br />

Cette scène est peut-être <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> leçon q§ê<br />

jamais Fart dramatique ait donnée aux souveraiûs.<br />

On assure que l'endroit qui regar<strong>de</strong> les spectacles<br />

it assez d'impression sur Louis XIY pour le corriger<br />

<strong>de</strong> l'habitu<strong>de</strong> où il était y dans sa jeune^|e9 <strong>de</strong><br />

représenter sur k scène dans les fêtes <strong>de</strong> sa cour.,<br />

C'était une chose <strong>de</strong> peu d'importance; mais cette<br />

scène bien méditée peut donner <strong>de</strong> tout autres leçons :<br />

et pour ce qui regar<strong>de</strong> <strong>la</strong> politique <strong>de</strong>s <strong>cours</strong>, dont<br />

Corneille parle si souvent, et que Fontanelle et tant<br />

d'autres préten<strong>de</strong>nt si supérieurement peinte dans<br />

Oikon, je crois que c'est ici qu'il faut <strong>la</strong> chercher;<br />

qu'il n'y en a que quelques traita généraux dans ce<br />

petit nombre <strong>de</strong> vers qu'on a retenus d'Otkon, pièce<br />

que d'ailleurs on lit syten; mais que le tableau entier<br />

se trouve dans les rôles d'Agrippine, <strong>de</strong> Burrhus<br />

et dé Harcisse.<br />

J# ne parlerai <strong>du</strong> beau récit <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Britan-<br />

nicus que pour observer le seul endroit où Racine v<br />

égal à Tacite dans tqpit le rate (et <strong>de</strong>st ce qu'ta peut<br />

dire <strong>de</strong> plus fort), paraît être resté au-dwsoui <strong>de</strong>


619<br />

lui. 11 B 9 agisstlt <strong>de</strong> peindre les différentes iropresgioos<br />

que pro<strong>du</strong>isit sur les courtisans le moment où<br />

Iritannicus expire empoisonné.<br />

COCUS DE LlISlMTUlfi.<br />

Lt moitié s'épouvante et tort mm <strong>de</strong>s cri* :<br />

Mais eenx qui <strong>de</strong> <strong>la</strong> sonr ont im plus long usa§e9<br />

Sur les yeux


dant <strong>du</strong> rang suprême et contre J'orgueil féroced'nn<br />

tyran jaloux. Le caractère <strong>de</strong> Britamtleus et Ta?an*<br />

tage <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire à Jtinie le maintiennent dans un état<br />

d'égalité <strong>de</strong>vant l'empereur, et le spectateur est toujours<br />

content <strong>de</strong> voir <strong>la</strong> puissance injuste humiliée.<br />

C'est ainsi que, dans cette pièce9 les intérêts <strong>de</strong> ta<br />

politique et cttix <strong>de</strong> l'amour se ba<strong>la</strong>ncent sans se<br />

nuire» et que <strong>de</strong>s teintes si différentes se tempèrent<br />

les unes par les autres, loin <strong>de</strong> paraître se repousser.<br />

SEcncp 111. — Bérénice*<br />

SIÈCLE 1)1 LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

On sait que, dans Bérénice, Racine lutta contre<br />

les difficultés d'un sujet qui n'était pas <strong>de</strong> son chois ;<br />

et, s'il s'a pu faire une véritable tragédie"<strong>de</strong> ce qoi<br />

n'était en soi-même qu'une élégie héroïque , il a fait<br />

<strong>du</strong> moins <strong>de</strong> cette élégie un ouvrage charmant 9 et<br />

tel que lui seul pouvait le faire. On proposa un jour<br />

à Yoltâire défaire un commentaire <strong>de</strong> Racine comme<br />

il faisait celui <strong>de</strong> Corneille. 11 répondit ces propres<br />

mots :<br />

« Il n'y a qu'à mettre as bas <strong>de</strong> toutes les pages f èmm,<br />

p&iMtiqm, harmonieux, admirable, etc. •<br />

Il se présenta une occasion <strong>de</strong> faire voir combien ce<br />

sentiment était sincère. Il a commenté <strong>la</strong> Bérénice<br />

<strong>de</strong> Racine, imprimée dans un même volume avec<br />

celle <strong>de</strong> Corneille; et quoique Bérénice soit <strong>la</strong> plus<br />

faible <strong>de</strong>s pièces dont l'auteur a enrichi le théâtre,<br />

(e commentateur, en relevânt quelques endroits où<br />

le style se ressent <strong>de</strong> <strong>la</strong> faiblesse <strong>du</strong> sujet, ne cesse<br />

d'ailleurs <strong>de</strong> faire remarquer dans ses notes l'art infini<br />

que le poète a employé et les ressources inconcevables<br />

qu'il a trouvées dans son talent pour remplir<br />

cinq actes avec si peu <strong>de</strong> chose, et varier, par<br />

les nuances délicates <strong>de</strong> tous les sentiments <strong>du</strong> cœur,<br />

une situation dont le fond est toujours le même. La<br />

seule analyse possible d'un sujet si simple porte<br />

tout entière sur les détails Y et se trouve complète<br />

dans les excellentes notes <strong>de</strong> Yoltâire, auiquelleg<br />

on ne peut rien ajouter. Yoici comme il s'eiprïme<br />

dans <strong>la</strong> troisième scène <strong>du</strong> second acte-:<br />

« La résolution <strong>de</strong> l'empereur ne fait attendre qu'âne<br />

. seule scène. U petit renvoier Bérénice ave© Antiochut, et<br />

<strong>la</strong> pièce sera bientôt ioie, On conçoit trèa-difiîcitenieat<br />

comment le sujet pourra fournir encore quatre actes. Il n'y<br />

t point <strong>de</strong> nœud, point cf efetacfe , point d'intrigue. L'empereur<br />

est le maître; Il a pris son parti; il veut, et il doit<br />

vouloir que Bérénice prie. Ce s'est que dans ces sentiments<br />

Inépuisables <strong>du</strong> cceor, dans 10 passage d'un moûtement à<br />

F astre, dans4e développement <strong>de</strong>s plus secrets ressorts <strong>de</strong><br />

famé ; que Fauteur a pu trouver <strong>de</strong> quoi fournir <strong>la</strong> carrière.<br />

C'est un lîiériff prodigieux, et dont je crois que kl seul<br />

était capable. »<br />

On aime d v autant plus à entendre l'auteif <strong>de</strong><br />

ZMre prier ainsi, qu'on est sûr qu'il ne l'eût pas<br />

623<br />

dit s'il ne Ta?ait pas pensé. Je puis ajouter qu'il ne<br />

s'eseiuaît pas lui-même <strong>du</strong> nombre <strong>de</strong> ceux qui n'auraient<br />

pu faire ce qu ? ici Racine a?ait fait. Quand un<br />

grand artiste parie <strong>de</strong> son art, il mesure, même<br />

involontairement, ses jugements sur sa force. Ce<br />

n'est pas que Yoltâire ignorât <strong>la</strong> sienne; il savait<br />

même qu'au théâtre II avait porté encore plus loin<br />

que Racine les effets <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie. Mais il s'agit ici<br />

d'une espèce particulière <strong>de</strong> talent ou Racine n'a<br />

point d'égal, et qui était nécessaire pour faire Bérénice<br />

; c'est <strong>la</strong> connaissance parfaite <strong>de</strong>s replis les<br />

plus cachés et les plus intimes d'un cœur tendre,<br />

Fart <strong>de</strong> les peindre avec <strong>la</strong> vérité <strong>la</strong> plus pure, et celui<br />

<strong>de</strong> relever les plus petites choses par le charme inexprimable<br />

<strong>de</strong> ses vers. Le commentateur en remarque<br />

un exemple bien frappant; c'est l'endroit où<br />

Phénice dit à <strong>la</strong> reine :<br />

Laissez-moi relever ces voiles détachés,<br />

Et ses cheveux épars dont fût yeux sont cachés.<br />

Souffres que <strong>de</strong> vos pleurs Je répare l'outrage.<br />

« fit» s'est plus petit que <strong>de</strong> faire paraître une suivante<br />

qui propose à sa maîtresse <strong>de</strong> rajuster son voile et ses<br />

cheveux. OSez à ces idées ks grâces <strong>de</strong> <strong>la</strong> diction, il M<br />

reste rien. »<br />

En rapportant cette observation au vers qui suit,<br />

j'achèverai <strong>de</strong> faire sentir combien cet art que lé<br />

commentateur admire était nécessaire pour amener<br />

<strong>de</strong>s beautéi propres tu sujet. Bérénice répond :<br />

Laisse, <strong>la</strong>isse « Phéalee, U verra sou ouvrage.<br />

Ce vers si attendrissant ne manque jamais d'être<br />

app<strong>la</strong>udi : c'est une beauté <strong>de</strong> sentiment : elle était<br />

-per<strong>du</strong>esi l'auteur n'avait 1?a8 eu le taêrei d'ennoblir<br />

par <strong>la</strong> poésie ce que Phénice avait à dire.<br />

À <strong>la</strong> fin <strong>du</strong> quatrième acte , le commentatfur dit<br />

encore :<br />

« Cette scène et b suivante, qui semblent être peu <strong>de</strong><br />

chose, me paraissent parfaites, Antioelius joue le rote d'un<br />

homme qui est supérieur à sa passion. Titus est attendri<br />

al ébranlé comme il doit l'être, et dans le moment le sé­<br />

nat •leait iaféicitat d'usé victoire qull craint <strong>de</strong> remporter<br />

sur lui-ménie. Ce sont <strong>de</strong>s ressorts presque imperceptibles ,<br />

qui agissent puissamment sur f <strong>la</strong>ie, U y a mite fois plus<br />

d'art dans cette belle simplicité que dans cette foule al<strong>la</strong>- #<br />

déeais dont ou t chargé tant <strong>de</strong> tragédies. »<br />

Citons encore te résultat <strong>de</strong> ce commentaire. Je<br />

ne connais rien <strong>de</strong> plus intéressant que d'entendre<br />

Voltaire parler <strong>de</strong> l<strong>la</strong>eine, - -<br />

«-Je n'ai rien à dire <strong>de</strong> ce cinquième acte, sinon que<br />

c'est es son genre un chefd'oenvre; et qu'en le relisant<br />

avec <strong>de</strong>s f eai sévères f je sus eue®» étonné qu'on ait ps<br />

tifwas3a€iia§«étoBefij»^<br />

, <strong>la</strong> mêeie; qtfon ait trouvé encore <strong>de</strong> quoi attendrir, quand<br />

| en parait avoir tout dit ; que même tout paraisse neuf dans<br />

1 ce'<strong>de</strong>nter acte, qui n'est qqp le résumé <strong>de</strong>s quatre pré-


CODES DB L1TTÉEATOEE.<br />

614<br />

eétaits. Le mérite est égal à k difficulté 9 et cette dffflcnlté<br />

était extrême. La pièce tait par ni hékul II failli être<br />

bien tûr <strong>de</strong> s'être ren<strong>du</strong> maître do cœur <strong>de</strong>s spectateurs<br />

p@ur oser imr ainsi »<br />

Britannicm s'a?ait eu que huit représentations<br />

dans sa nouveauté; Bérénice m eut quarante. C'est<br />

que l'un était <strong>de</strong> nature à ne pouvoir être apprécié<br />

qtfa?ee le temps, et que l'autre se recommandait<br />

d'elle-même par celui <strong>de</strong> tous les mérites dramatiques<br />

qui est à <strong>la</strong>"portée <strong>du</strong> plus grand nombre, et<br />

dont le triomphe est le plus prompt, le plus sur,<br />

le plus difficilement contesté, le don <strong>de</strong> faire verger<br />

<strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes. Cependant, aujourd'hui, qui est-ce<br />

qui comparerait Bérénice à BrUannicmt La p<strong>la</strong>ce<br />

'<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux ouvrages, iiée par le temps et M* connaisseurs<br />

; est bien différente, et Briiunnicm est<br />

représenté bien plus souvent que Bérénice. Cet<br />

exemple, parmi tant d ? autres; prouve non-seulement<br />

qu'il y a dans les ouvrages d'imagination un mérite<br />

bien important attaché au choix <strong>du</strong> sujet, mais encore<br />

que le nombre <strong>de</strong>s représentations d ? ane*piè€e<br />

nouvelle n'a jamais dû déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> son prix. Ce nombre<br />

dépend d'une foule <strong>de</strong> circonstances, souvent<br />

étrangères à <strong>la</strong> pièce. Une actrice d'une igure aimable,<br />

et dont l'organe sera fait pour l'amour, tel<br />

qu'était celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> célèbre Gaussïn, attira <strong>la</strong> foule<br />

à Bérénice ; mais tout l'effet tenant à ceneul rêle,<br />

si l'exécution n'y répond pas, <strong>la</strong> pièce n'aura qu'un<br />

succès médiocre : au lieu qu'une tragédie telle que<br />

BrUmmims, une fois établie, se soutient par <strong>de</strong>s<br />

beautés toujours plus senties, et gagne toujours à<br />

être revue.<br />

Maïs où sont ceux qui ont tant répété, sans consaissaice<br />

et sans réflexion, que Racine est toujours<br />

le même, que tous ses sujets ont les mêmes couleurs<br />

et les mêmes traits? Je voudpis bien qu'ils me dis*<br />

sent ce qu'il y a <strong>de</strong> ressemb<strong>la</strong>nce entre Brîtomniem et<br />

Bérénice. Quelle distance <strong>de</strong> l'entretien <strong>de</strong> Héron<br />

avec Narcisse aux adieux <strong>de</strong> Titus et <strong>de</strong> son amante!<br />

Et .qui pourra dire dans <strong>la</strong>quelle <strong>de</strong> ces Éetna compositions<br />

<strong>de</strong> Racine a le mieux réussi ? Peut-4tn<br />

rapprœhera-t-on Bérénice é 9 Jndromsqm, et dira-<br />

% t-onquel'amourrègnedanstoutesles<strong>de</strong>ux.-OuL Mais<br />

c'est ici qu'il faut reconnaîtra fart où excel<strong>la</strong>it faut§ur<br />

<strong>de</strong> rendre cette passion <strong>de</strong> l'amour si différente<br />

d'elle-même dans les tableaux qu'il en trace. Hermione<br />

et Bérénice aiment toutet <strong>de</strong>ux ; toutes <strong>de</strong>ux<br />

sont abandonnées : mais l'amour <strong>de</strong> Bérénice m*<br />

aemble-fcil à l'amour «THannione? Eacine avait dé*<br />

ployé dans celle-ci tout m que <strong>la</strong> passion a <strong>de</strong> plus<br />

' funeste, <strong>de</strong> plus violent, <strong>de</strong> plus terrible ; il développe<br />

dans l'autre tout ce que cette passion 1A plus tendre,<br />

<strong>de</strong> plus délicat, <strong>de</strong> pM p^nétrani Daip Her-<br />

mione il fait frémir) dans Bérénice il fait pleurer.<br />

Est-ce là se ressembler? Oui, sans doute, Eacine<br />

a dans toutes ses tragédies un trait <strong>de</strong> ressemb<strong>la</strong>nce,<br />

une manière qui le caractérise; et cette manière,<br />

c'est <strong>la</strong> perfection.<br />

Il ne s'agit pas <strong>de</strong> prouver ce qui est suffisamment<br />

reconnu; mais rien n'est plus propre à le bien Cura<br />

sentir que <strong>la</strong> variété <strong>de</strong>s morceaux que j'ai eu occasion<br />

<strong>de</strong> citer, et <strong>de</strong> ceux que je pourrai citer encore i<br />

ils offrent tous <strong>de</strong>s beautés absolument différentes.<br />

Vous avez enten<strong>du</strong>, par exemple, Hermïone et Junte.<br />

Prenons quelques vers dans Bérénice. Yoyons<br />

l'enthousiasme <strong>de</strong> l'amour occupé d'un bonheur<br />

prochain, rempli d'un seul objet, et y rapportant<br />

tous les autres.<br />

De cette nuit, Ptiénleo, as-tn vu <strong>la</strong> §pIssieur ?<br />

Tes yeux m wat-Us pas tout pleins <strong>de</strong> sa gran<strong>de</strong>ur?<br />

Os Sambeaiix, m bûcher, celle sait eaSâmmée,<br />

Ces aigles , ces fataeeaei, ee peuple t cette armée,<br />

Cette foule <strong>de</strong> roist ces consuls, ce sénat,<br />

Qui tous <strong>de</strong> mon amant empruntaient leur M&%<br />

Cette pourpre f cet or que rehaussait sa gloire,<br />

Et cet <strong>la</strong>uriers encor témoins <strong>de</strong> sa victoire ;<br />

Tous ces yeux qu'on voyait venir <strong>de</strong> toutes parts<br />

Confondre sur lui seul leurs mlêm regards;<br />

Ce port majestueux, cette douce pséseeee...<br />

Ciel, avec quel respect et quelle comp<strong>la</strong>isance<br />

Tous les coeurs m secret rassuraient <strong>de</strong> leur fol 1<br />

Parie ; peut-on le voir sans penser, comme mol,<br />

Qu'en quelque obscurité que le sort l'eût fait naître t<br />

Le mon<strong>de</strong> en le wyaat eût reconnu ion maitre? „<br />

fCest-ce pas là l'ivresse <strong>de</strong> l'amour, qui se persua<strong>de</strong><br />

si aisément que tout le mon<strong>de</strong> a les mêmes yeux<br />

que lui ? Bérénice est-elle assez convaincue que tous<br />

les eoeurs sont à Titus autant que le sien? Ou sait<br />

que les <strong>de</strong>rniers fers furent appliqués à Louis XIY 9<br />

alors dans tout f éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> sa jeunesse, <strong>de</strong> sa beauté<br />

et <strong>de</strong> sa gloire. Si c'était une f<strong>la</strong>tterie! il faut a?ouer<br />

qu'elle était bien .habilement p<strong>la</strong>cée; car qu'y a-t-il<br />

<strong>de</strong> plus naturellement f<strong>la</strong>tteur que l'amour, qui l'est<br />

toujours sans le savoir? Nous Tenons <strong>de</strong> voir tout®<br />

m ¥éritéf tout son abandon dans <strong>la</strong> joie; il n f en a<br />

pas moins dans <strong>la</strong> douleur. Mais ce n'est plus cette<br />

fifaeité <strong>de</strong> mouvement, qui entraînait, pour ainsi<br />

dire; les vers; ils tombent ianguïssamment les uni<br />

après les autres, comme les accents <strong>de</strong> fâffllctlca%<br />

quand elle n'a que ce qu f il lui faut <strong>de</strong> force pour se<br />

p<strong>la</strong>indre. Pas une inversion; et le retour marqué<br />

<strong>de</strong>s mêmes idées et <strong>de</strong>s mêmes mots, parce que<br />

dans cette situation, il y en a qui reviennent toujours.<br />

. /<br />

le ne dispute fiai, Faîteaiali, pour vous enlie, •<br />

Que cette pane boucha, «près mille sarments<br />

D'un amour qui <strong>de</strong>vait unir tous nos nataeale t<br />

Cette boucha, à mes yeux s'avouaat ioidète,<br />

M'ordonnât eUe-méme use êMmm éternelle.<br />

IfpFmême J'ai voulu vous entendre en oe liai : •<br />

jaaféaaaie pins rien f et, pour Jamat§, adieu ! #<br />

PaaaJtaiiÉiïàAifti^^


Combien « mot cruel est affreux quand on aime?<br />

Dans un mois, dans îIîI an, comment souflrirei-votis,<br />

Seigneur, que tut <strong>de</strong> mers me séparent «le vous?<br />

Que le Jour roeommenee, et que le Jour <strong>la</strong><strong>la</strong>tê -<br />

Sans que Jamais Titus poisse voir Bérénice ?<br />

Sans que <strong>de</strong> tout le Jour Je puisse voir Titus ?<br />

On reconnaît Mes <strong>la</strong> même femme qui disait tout<br />

à l'heure à Titus , lorsqu'elle était loin <strong>de</strong> prévoir<br />

son infortune, et qu'elle le revoyait après huit jours<br />

d'absence :<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE,<br />

Votre <strong>de</strong>uil at Eut, riei n'arrête vos pas ; *<br />

V©us êtes seul enfin, et se me cherches pas.<br />

J'entends que vous m'offret un nouveau diadème,<br />

Et se puis cependant TOUS entendre vous-même.<br />

Hé<strong>la</strong>s ! plus <strong>de</strong> repos} seigneur, et moins d'éc<strong>la</strong>t f<br />

Votre amour ne peut-Il paraître qu'au sénat?<br />

âh! Titus (car enfin l'amour fait <strong>la</strong> contrainte<br />

De tous ces noms que suit le respect et <strong>la</strong> crainte),<br />

m quel soin votre amour va-Ml s'Importuner?<br />

H'a-t-il que <strong>de</strong>s États qnll me puisse donner?<br />

Depuis quand croyez-vous que ma gran<strong>de</strong>ur me tança*?<br />

tin soupir, un regard f un mot <strong>de</strong> foire bouche,<br />

YoUà raaiMtfaa d'un «rat comme le mies,<br />

Voyei-moi plus souvent, et ne me donnet rien.<br />

Tous vos moments sont-ils dévoilés à Templra?<br />

Ce «sur, après huit Jours, nVt-il rien à me dite?<br />

Qu'un mot va rassurer mes timi<strong>de</strong>s esprits !<br />

Mais narifei-vous <strong>de</strong> moi quand Je vous al surpris ?<br />

Bans TM secrets dis<strong>cours</strong> étais-Je intéressée,<br />

Seigneur? Ë<strong>la</strong>fs-Je au moins présente à <strong>la</strong> pensée I<br />

lA mérite <strong>de</strong> ce style ( et il est bien rare ) 9 c'est <strong>de</strong><br />

dire en vers parfaits ce qu'ont senti tous les cœurs<br />

qui ont aimé, ce que sentiront tous les cœurs qui<br />

aimeront ; <strong>de</strong> le dire sans que les difficultés <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

•ersiication amènent un seul mot inutile, un seul<br />

hémistiche faible; et ie privilège <strong>de</strong> l'harmonie<br />

poétique est <strong>de</strong> graver dans <strong>la</strong> mémoire tout ce<br />

qu'elle exprime, ce que ne peut Étire <strong>la</strong> meilleure<br />

prose.<br />

« Quel dieu avait donc donné à Racine cette diction<br />

flexible et mélodieuse qui exerce tant d'empire sur Famé<br />

et ter les sens i Faut-il s'étonner que <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> Louis XI Y,<br />

cette cour si polie et si bril<strong>la</strong>nte, ait admiré ce <strong>la</strong>ngage<br />

enchanteur qu'on n'avait point encore enten<strong>du</strong> ? Beautés à<br />

jamais célèbres, dont les noms sont p<strong>la</strong>cés dans nos annales<br />

avec ceux <strong>de</strong>s héros <strong>de</strong> ce siècle fameux, combien vous<br />

<strong>de</strong>viez aimer ftaciae ! Combien ? nus <strong>de</strong>viez chérir l'écrivain<br />

tfai paraissait avoir étudié son art dans votre cœur, qui<br />

semb<strong>la</strong>it être dans tous vos secrets, qui vous entretenait<br />

<strong>de</strong> vos penchants, <strong>de</strong> vos p<strong>la</strong>isirs, <strong>de</strong> vos douleurs, en<br />

•en aussi doux que <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> <strong>la</strong> beauté quand elle prononce<br />

raves <strong>de</strong> <strong>la</strong> tendresse! Ames sensibles, et presque<br />

toujours malheureuses, qui avez un besoin continuel d'émotion<br />

et d'attendrissement„ c'est fsctaa qui est votre<br />

pacte et qui le sera toujours! c'est lui qui repro<strong>du</strong>it en<br />

vous toutes les impressions dont vous aimez à vous nourrir<br />

; c'est lui dont l'imagination amoureuse répond toujours<br />

à <strong>la</strong> votre , qui pent en suivre l'activité et les mouvements r<br />

es remplir l'avidité Insatiable; c'est avec lui que vous aimens<br />

à pleurer 9 c'eat à irons qnll a conié le dépôt <strong>de</strong> sa<br />

595<br />

glira, et vous Sa défendres sans doute, pour prli <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes<br />

qu'il vous fait répandre. » ( Élêg§ éê Mmeime* )<br />

••en©* iv. — MsimmL<br />

Racine avait lutté , dans Bérénice, contre un sujet<br />

qu'on lui avait prescrit, et il était sorti triomphant<br />

<strong>de</strong> cette épreuve si dangereuse pour te talent,<br />

qui veut toujours être libre dans sa marche, et se<br />

tracer à lui-même <strong>la</strong> route qu'il doit tenir. Bqfmzei<br />

fut un ouvrage <strong>de</strong> son choix. Les mœurs 9 nouvelles<br />

pour nous $ d'une nation avec qui sous avions eu<br />

longtemps aussi peu <strong>de</strong> communication que si <strong>la</strong> nature<br />

l'eût p<strong>la</strong>cée à reitrémité <strong>du</strong> globe; <strong>la</strong> politique<br />

sang<strong>la</strong>nte <strong>du</strong> sérail ; (a sertie existence d'un peuple<br />

innombrable enfermé dans cette prison <strong>du</strong> <strong>de</strong>spotisme;<br />

les passions <strong>de</strong>s sultans qui s'expliquent<br />

le poignard à <strong>la</strong> main, et qui sont toujours près<br />

<strong>du</strong> crime et <strong>du</strong> meurtre, parce quelles sont toujours<br />

près <strong>du</strong> danger; le caractère et les intérêts <strong>de</strong>s vizirs<br />

qui se hâtent d'être les instruments d'une révolution,<br />

<strong>de</strong> par d'en être les victimes; l'inconstance<br />

ordinaire <strong>de</strong>s Orientaux, et cette servitu<strong>de</strong><br />

menaçante qui rampe aux pieds d'un <strong>de</strong>spote, et<br />

s s élève tout à coup <strong>de</strong>s marches <strong>du</strong> trône pour le<br />

frapper et le renverser : voilà le sujet absolument<br />

neuf qui s'offrait au pinceau <strong>de</strong> Racine, à ce même<br />

pinceau qui avait si supérieurement colorié le tableau<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> Héron, et <strong>de</strong> Rome dégénérée<br />

et avilie sous les césars. Cette science <strong>de</strong>s couleurs<br />

locales, cet art <strong>de</strong> marquer un sujet d'une teinte<br />

particulière qui avertît le spectateur <strong>du</strong> lieu où le<br />

transporte l'illusion dramatique, le rêie fortement<br />

passionné <strong>de</strong> Roxane , le grand caractère d'Âcomat,<br />

une exposition regardée par tous les connaisseurs<br />

comme le chef-d'œuvre <strong>du</strong> théâtre dans cette par­<br />

tie; tels sont les principaux mérites qui se présentent<br />

dans l'analyse <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie <strong>de</strong> BqfaMt J'expliquerai<br />

ensuite ce qui me paraît défectueux dans<br />

les autres parties <strong>de</strong> ce drame; et si ma critique parait<br />

sévère, elle prouvera <strong>du</strong> moins mon entière<br />

impartialité, et que mon admiration pour Racine, en<br />

me passionnant pour ses beautés, ne me ferme point<br />

les yeux sur ses défauts.<br />

Le détail où j'entrerai sur <strong>la</strong> première scène a<br />

pour objet principal <strong>de</strong> faire voir que Racine a trèsbien<br />

connu ce <strong>de</strong>voir essentiel <strong>du</strong> péëte dramatique<br />

, d'être un peintre idèle <strong>de</strong>s mœurs. Meus avons<br />

vu comme il a peint les Romains dans BrMannicm;<br />

nous verrons bientôt comme il peint les Juifs dans<br />

JikmUê : voyons comme il peint les Turcs dans<br />

Bc^meL Je cite <strong>de</strong> préférence ces trois tableaux si<br />

différents, parce qu'ils lui appartiennent en propre,<br />

et qu'ils n'ont point été surpassés. Je n'insiste pas<br />

sur <strong>la</strong> peinture <strong>de</strong>s tncron grecques ; d'autres que


620<br />

lui les ont teès-bien peintes, et particulièrement<br />

Fauteur à'Oreste, qui peut-être même en ce genre<br />

a été plus loin que lui.<br />

AOMttff.<br />

Viens, tufs-moi La sultane en ce Heu se doit rendre :<br />

Je pourrai cependant te parte et t'entendre.<br />

osant.<br />

M <strong>de</strong>puis quand , seigneur, eotre-tron dans ces lieu t<br />

Dont faeeès était même interdit à nos yeux?<br />

Jaetia une mort prompte eût suivi celle audace.<br />

Le secret impénétrable <strong>du</strong> sérail est déjà caractérisé.,<br />

et <strong>la</strong> curiosité excitée. La réponse d'Aeomat<br />

?a l'augmenter»<br />

Quand tu seras Instruit <strong>de</strong> tout ee qtri es passe,<br />

Mon entrée en cea lieux ne te surprendra plus.<br />

• Mais f <strong>la</strong>issons f cher Osmin} les dis<strong>cours</strong> superflus»<br />

Que tes retour tardait à mon impatience !<br />

Et que d'un œil content je te vêts dans Bjzancel<br />

Instruis-moi <strong>de</strong>s secrets que peut f avoir appris<br />

Un voyage si long, pour moi seul entrepris.<br />

De ce qu'ont ¥ s tes yeux , parle en témoin sineé»;<br />

Songe que <strong>du</strong> récit, Osmin f que tu vas faire<br />

Dépen<strong>de</strong>nt les <strong>de</strong>stins <strong>de</strong> l'empire ottoman.<br />

Qu'as-tu an dans l'armée, et que fait le sultan?<br />

On conçoit déjà toute l'importance <strong>du</strong> sujet, et<br />

le spectateur n'en sera instruit que parce qu'il faut<br />

bien que le vizir le soit. C'est donc use explication<br />

nécessaire, et non pas une conversation indifïéreste,<br />

où les' acteurs ne parlent que pour le spectateur.<br />

Toutes les scènes d'une tragédie doivent contenir<br />

une action et avoir un objet marqué. On s'est<br />

cru trop souvent dispensé <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>voir dans Fexpogitîon;<br />

et quand on parvient à le remplir, le mérite<br />

en est plus grand. Ici f Osmio se fait qm d'arriver :<br />

il faut qu'il ren<strong>de</strong> compte au vizir d'un voyage entrepris<br />

par son ordre. Le vizir ne f émule qu'en<br />

attendant <strong>la</strong> sultane dans l'intérieur <strong>du</strong> sérail,<br />

jusqu'alors inaccessible. Ce que va dire Osmin doit<br />

déci<strong>de</strong>r <strong>du</strong> sort <strong>de</strong> l'empire, Faction commence<br />

avec <strong>la</strong> pièce9 et l'on ne peut en moins <strong>de</strong> vers annoncer<br />

<strong>de</strong> plus grands intérêts.<br />

Babylone, seigneur, à son prince idèle,<br />

Voyait, sans s'étonner, notre armée autour d'elle!<br />

Les Persans rassemblés marchaient à ion se<strong>cours</strong>,<br />

Et <strong>du</strong> camp d'Amsrat s'approchaient tous les Joins.<br />

Lui-même, fatigué d'un long siège inutile,<br />

Semb<strong>la</strong>it ¥Ou!oir <strong>la</strong>isser Babylone tranquille;<br />

Et, sans renouveler ses assauts impuissants,<br />

Eésolu <strong>de</strong> combattre, attendait les Persans.<br />

Mais, comme TOUS savez, malgré ma diligences<br />

Un long chemin sépare et le camp et Byianee*<br />

atlie obstacles divers m'ont mène tarasse,<br />

Et je puis ignorer tout ce qui s'est passé.<br />

COURS DB LITTÉRATURE.<br />

Ce détail si simple n'est pas mis saut <strong>de</strong>ssein.<br />

D'après ce que dit Osmin <strong>de</strong>s rotaiyteinents qu'il a<br />

éprouvés, on ne sera pas surpris que, dans <strong>la</strong> même<br />

journée, Orcan vienne apporter <strong>la</strong> nouvelle 4e <strong>la</strong><br />

victoire


SIÈCLE DE LOUIS XIY. — fOÉSIE.<br />

<strong>de</strong>s janissaires. Cette nation féroce et fanatique 9 à<br />

<strong>la</strong> fois esc<strong>la</strong>ve et conquérante, animée d'une haine<br />

religieuse 'contre tout ce qui n'est pas Musulman 9<br />

semb<strong>la</strong>it ne vouloir pour maîtres que cern qui9 en<br />

.faisant trembler les antres peuples, <strong>la</strong> faisaient<br />

tferabler elle-même. La crainte et le fanatisme sont<br />

les seuls ressorts d'un gouvernement tjnî n'est pas<br />

fondé sur les lois. Les sultans n'étaient obéis qu'en<br />

se faisant redouter et <strong>de</strong> leurs sujets et <strong>de</strong> leurs ennemis.<br />

Une défaite les' faisait mépriser, ébran<strong>la</strong>it<br />

leur trôna, et eiposait leur fie. Le dogme <strong>de</strong> <strong>la</strong> fatalité,<br />

établi par <strong>la</strong> croyance générale y autorisait à<br />

penser qu'on prince malheureux à <strong>la</strong> guerre était<br />

condamné par le ciel. Toutes ces notions politiques<br />

et fefagieiises auraient pu fournir à Eaeine <strong>de</strong> trèsbeau<br />

vers qu'il ne s'est pas permis, parce qu'ils<br />

.n'auraient été faits que pour les spectateurs, et<br />

qu'ils auraient «primé <strong>de</strong>s idées trop familières<br />

aoxjiersonnagespour qu'ils <strong>du</strong>ssent prendre <strong>la</strong> peine<br />

<strong>de</strong> les développer. Il se contente <strong>de</strong> les faire parler<br />

.conformément à ces idées reçues, quand il dit :<br />

île dontei point...<br />

Qu'ils n'explkpieat, seigneur, <strong>la</strong> perte <strong>du</strong> eembat<br />

Comme un arrêt <strong>du</strong> <strong>de</strong>l qui réprouve âmurat<br />

Si Osmin eût voulu dire pourquoi, c'eût été le<br />

poète français qui aurait parlé, car il y en avait assez<br />

entre <strong>de</strong>s Turcs qui s'enten<strong>de</strong>nt. Ce n'est pas<br />

que <strong>de</strong>s détails <strong>de</strong> cette nature ne puissent ailleurs<br />

être bien amenés; mais ils seraient dép<strong>la</strong>cés dans<br />

une scène telle que celle-ci, dont l'importance ne<br />

permet pas un mot qui ne soit absolument nécessaire.<br />

Racine s'en est tenu au trait qui peint les<br />

mœurs, et a joint encore à ce mérite celui qui n'appartient<br />

qu'aux grands écrivains, <strong>de</strong> s'interdire les<br />

beautés hors <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce. Osmin continue :<br />

Cependant, §11 m faut croire <strong>la</strong> renommée,<br />

U a <strong>de</strong>puis trois moto fait partir <strong>de</strong> l'armée<br />

Un esc<strong>la</strong>ve chargé <strong>de</strong> quelque ordre secret.<br />

Tout Se camp Interdit tremb<strong>la</strong>it pour Bajaset :<br />

On craignait qn'Amunit, par un ordre sévère-,<br />

M'envoyât <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> son frère.<br />

âCOMAT»<br />

Tel était ton <strong>de</strong>ssein. Cet esc<strong>la</strong>ve est venu ;<br />

Il a <strong>mont</strong>ré son ordre, et n f a rkn obtenu.<br />

. «MM.<br />

Quoi ! seigneur, le sultan reverra son visage<br />

. Sens épi <strong>de</strong> vos respects il <strong>la</strong>i porte ce gage?<br />

ICOMIT.<br />

Cet esc<strong>la</strong>ve n'est plus : us ordre, cher Osmin ,<br />

L'a fait précipiter dans le fond <strong>de</strong> FEuxln.<br />

OSMIN.<br />

Mais le sultan t surpris d'une trop longue abseim»,<br />

En cherchera bientôt <strong>la</strong> cause et <strong>la</strong> vengeance?<br />

Que loi répondref-Toui ?<br />

La tête <strong>de</strong>^Bajâzet <strong>de</strong>mandée s <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> cet esc<strong>la</strong>ve,<br />

<strong>la</strong> désobéissance formelle d'Acomat* tout fait<br />

pressentir <strong>la</strong> révolution qu'on médite dans le sérail,<br />

it prépare en même temps les vengeances d f Amurat,<br />

$17<br />

dont Oreaa, dans <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce f sera l'exécuteur.<br />

Chaque mot contient le germe <strong>de</strong>s événements<br />

qui doifcnt éelore, et <strong>la</strong> politique d'Aeomat va se<br />

<strong>mont</strong>rer tout entière.<br />

Feal-élre avant m temps<br />

Je saurai l'occupe? <strong>de</strong> soins plus Importants,<br />

le sais Mes qu'Amant a juré ma raine ;<br />

Je sais à son retour l'accueil qu'il me <strong>de</strong>stine.<br />

Tu vols f. pour m'arracher <strong>du</strong> cœur <strong>de</strong> ses soldais,<br />

Qu'il va chereher sans mol tes sièges t les combats ;<br />

Il comman<strong>de</strong> l'armée; et mol, dans une villet<br />

Il me <strong>la</strong>isse exercer un pouvoir inutile.<br />

Quel emploi t epel séjour, Osmfs ; pour su ?Mr !<br />

Mais j'ai plus dlgnestefit employé ce loisir :<br />

Tai su lui préparer <strong>de</strong>s craintes et <strong>de</strong>s veilles f<br />

Et le bruit en ira bientôt à ses oreilles.<br />

mwm.<br />

Quoi dcric ? qu'avalons frit?<br />

ADOHÂT.<br />

rtaapènqaamouAiii<br />

Bajaset se déc<strong>la</strong>re s et toxine avec lui.<br />

OfWM.<br />

.Quoi! Eoxane, seigneur, qu'Animât a éboule<br />

Entre tant <strong>de</strong> heantés dont f Europe et l'Asie<br />

Dépeuplent leurs Slef § «t remplissent m cour I<br />

Car on dit qu'elle seule a fixé son amour; •<br />

it même il a voulu que l'heureuse Eciase<br />

Avant qu'etie eût un ils, prit le nom <strong>de</strong> sultane.<br />

^ La réponse d'Acomat va faire connaître successivement<br />

tons les personnages, leur caractère et leurs<br />

intérêts : et cette explication est oatarei!ement amenée;<br />

car Osmin, absent <strong>de</strong>puis longtemps, ignore<br />

tout <strong>de</strong> qui se passe, et Acomat parle à son conl<strong>de</strong>nt<br />

intime, à un homme qui lui est dévoué et nécessaire.<br />

Il a <strong>la</strong>it plus pour elle f Osmin. H a voulu<br />

Qu'elle eût dans son absence un pouvoir absolu.<br />

Tu sais <strong>de</strong> nos sultans les rigueurs ordinaires :<br />

Le frère rarement <strong>la</strong>isse Jouir ses frères<br />

De rhonnenr dangereux d'être sortis (Ton sang<br />

Qui les a <strong>de</strong> trop près approchés <strong>de</strong> son rang.<br />

Mmbéette Ibrahim, sans craindre sa naissance,<br />

Trame, exempt <strong>de</strong> péril f nue éternelle enfance ;<br />

Indigne également <strong>de</strong> vivre et <strong>de</strong> mourir,<br />

On f abandonne aux mains qui daignent le iflkùrrtr.<br />

Il n'est pas question d'Ibrahim dans <strong>la</strong> pièce. L'auteur<br />

n'a tracé M son portrait que pour former un<br />

contraste qui fasse ressortir da?antag® le personnage<br />

<strong>de</strong> Bajaset; et ce portrait est fini en quatre vers,<br />

qui sont au nombre <strong>de</strong>s pies beaoi <strong>de</strong> notre <strong>la</strong>ngue.<br />

C'est un modèle <strong>de</strong>, <strong>la</strong> féritable force <strong>de</strong> style, qui<br />

consiste à réunir <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> éten<strong>du</strong>e dldées mm<br />

ia plus gran<strong>de</strong> précision <strong>de</strong> mots. U n 9 y en a pas un<br />

qui se porte coup. Boîleau citait sou?ent ces qmtm<br />

•en comme une preuve que Racine possédait encore<br />

plus que lui te-ityle satirique.<br />

L'autre, trop redoutable et trop digne d'envie,<br />

' Toit sans eesse Amurat acmé contre sa vie.<br />

Car euin Bajaset HAiaign* <strong>de</strong> tout Icrap<br />

La moMe oisiveté <strong>de</strong>s enfants <strong>de</strong>s sultans.<br />

Il vint chercher <strong>la</strong> guerre au sortir <strong>de</strong> l'enfince,


S28<br />

Emporter apraa loi tout tel cœurs <strong>de</strong>s soldats,<br />

Et goûter, tout sang<strong>la</strong>nt, te p<strong>la</strong>isir et <strong>la</strong> gloire<br />

Que donne aux jeunes écran <strong>la</strong> première victoire.<br />

COtîES DE LITTÉEATDRE.<br />

Il fal<strong>la</strong>it disposer le spectateur en faveur <strong>de</strong> Bajaiety<br />

<strong>de</strong>stiné, dans le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong>là pièce, à ne jouer qu'un<br />

rêie purement passif. Ce qu'on en dit ici commence<br />

à intéresser pour lui ; et dans <strong>la</strong> suite on le verra sans<br />

cesse ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r que <strong>de</strong>s armes et les moyens <strong>de</strong><br />

s'en servir. Sous ce rapport, le rôle <strong>de</strong> <strong>la</strong>jazet est<br />

tout ce qu'il <strong>de</strong>vait être.<br />

Hais, malgré ses soupçons 1 , le cruel Amnrmt$<br />

Avant qu'un Ha naissant eût rassuré FÉtat,<br />

n'osait sacrlier ce frère à M vengeance,<br />

M dm sang ottoman proscrire l'espérance.<br />

Alliai doue, pour un tempe, Amurat désarmé<br />

Laissa dâia te séraU Bajazet enfermé.<br />

Il partit, et voulut que9 idète à sa hainef<br />

Et <strong>de</strong>s Jours <strong>de</strong> son frère arbitre souveraine ,<br />

Roxane, as moindre bruitt et sans antrei raisona,<br />

Le fil sacrifier à ses mefei.rea seupcons.<br />

Acomat met ici le spectateur dans le secret <strong>de</strong> <strong>la</strong> '<br />

politique sanguinaire <strong>de</strong>s sultans, et <strong>de</strong>s raisons qui<br />

ont arrêté quelque temps <strong>la</strong> cruauté jalouse #d 9 Amurat.<br />

On <strong>de</strong>vine aussi, ce que <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce<br />

coeirmera, qu'il a été averti <strong>de</strong>s complots qui se<br />

tramaient dans le sérail. L ? ordra qu'il avait envoyé<br />

<strong>de</strong> faire périr Bajazet en est une preuve, et quand<br />

on verra fioxane elle-même tuée par Orcan, Ton<br />

concevra sans "étonnement que le sultan a été instruit<br />

<strong>de</strong> son infidélité. Tous les ressorts <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce<br />

sont dans cette première scène.<br />

Pour moi , <strong>de</strong>meuré seul f use Juste colère<br />

Tourna bientôt mes vœux <strong>du</strong> coté <strong>de</strong> sou frère.<br />

Feoiretloa <strong>la</strong> sultane , et, cachas t mon <strong>de</strong>ssds,<br />

Lui <strong>mont</strong>rai d'Amurat le retour Incertain 9<br />

Les murmura <strong>du</strong> camp, <strong>la</strong> fortune <strong>de</strong>s armât,<br />

le p<strong>la</strong>ignis Bajazet ; Je lui vantai ses charmes,<br />

Qui t par un sois jaloux, dans l'ombre retenus,<br />

81 voisins <strong>de</strong> ses yeux, leur étaient ineonnuf.<br />

Que te dlral-je enfin t <strong>la</strong> sultane éper<strong>du</strong>e<br />

fTaat plus d'autre désir que celui <strong>de</strong> sa vue.<br />

Sa ekarmm : cette expression est remarquable.<br />

Partout ailleurs que dans cette pièce, Racine ne<br />

s'en serait pas servi ; et je n f en connais même aucun<br />

autre exemple, si ce s'est dans <strong>la</strong> Fable. On dit bien<br />

d'un homme qu'il est charmant, mais on ne parle<br />

guère <strong>de</strong> ses charme* : c'est une espression que<br />

notre <strong>la</strong>ngue a réservée pour lés femmes, tant les<br />

nuances <strong>du</strong> <strong>la</strong>ngage tiennent aux moeurs. Celles <strong>du</strong><br />

sérail autorisent l'expression <strong>de</strong> Racine : on sentira<br />

aisément, sans que j'en dise les raisons, qu'on peut<br />

parler <strong>de</strong>s charmée d'un homme dans un pays oà<br />

les femmes sont esc<strong>la</strong>ves et renfermées.<br />

Mais pouvatait-Ut tromper tant <strong>de</strong> Jaloux regards.<br />

Qui reamtftemt mettre entre eux dlsfisdbles remparts?<br />

ACOMAT.<br />

Feat4tie i ta mv<strong>la</strong>it qu'un récit peu idèli<br />

De k mort if Amurat It cottrif <strong>la</strong> nouvelle.<br />

La sultane, à ce bruM ! , feignant <strong>de</strong> s'effrayer,<br />

Par <strong>de</strong>s cria douloureux eut soin <strong>de</strong> l'appuyer.<br />

Sur <strong>la</strong> foi <strong>de</strong> ses pleurs, ses esc<strong>la</strong>ves tremblèrent ;<br />

De l'heureux Bajazet les gar<strong>de</strong>s se troublèrent ;<br />

Et les dons achevant d'ébranler leur <strong>de</strong>voir.<br />

Leurs captifs, dans ce trouble, osèrent s'entrevoir.<br />

A?ec quelle mesure et quel choii d'expressions<br />

fauteur a ren<strong>du</strong> ces détails si difficiles et si nécessaires<br />

pour'fon<strong>de</strong>r les liaisons <strong>de</strong> Bajazet et cte<br />

Roxane dans une <strong>de</strong>meure où il ne défait pas leur<br />

être possible <strong>de</strong> communiquer ensemble 1 Tout est<br />

motivé, tout est vraisemb<strong>la</strong>ble. Mais combien il fol<strong>la</strong>it<br />

d'art et d'Invention pour arranger si hjen toutes<br />

ces circonstances qu'il ne reste pas une objection i<br />

faire! La multitu<strong>de</strong> ne'se rend pas ordinairement<br />

si difficile sur tous ces moyens <strong>de</strong> l'avant-scène ; elle<br />

reçoit sans peine tout ce qu'on lui présente 9 et le<br />

vulgaire <strong>de</strong>s auteurs ne manque pas d'en profiter.<br />

Mais celui qui volt plus loin que le moment présent,<br />

et qui travaille pour les connaisseurs et <strong>la</strong> postérité,<br />

ne néglige pas l'espèce <strong>de</strong> mérite qui est <strong>la</strong><br />

moins sentie; et quand le temps <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice est<br />

arrivé} ce soin9 qui n'appartient qu'au vrai talent,<br />

fait un poids dans <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce.<br />

Roxane vit le prisée ; elle se put lui taire<br />

L'ordre dont elle seule était dépositaire * -<br />

Bajazet est aimable : il vit que sou salut<br />

Dépendait <strong>de</strong> lui p<strong>la</strong>ire, et bientôt il lui plut<br />

Tout conspirait pour lui : ses soins, sa œmp<strong>la</strong>aaarjce 9<br />

€e secret découvert t et cette <strong>la</strong>teiilgeoce t<br />

Soupirs doutant plus doux qu'il les fal<strong>la</strong>it celer.<br />

L'embarras irritant <strong>de</strong> ne s'oser parler,<br />

Même témérité f périls, cralslea communes t<br />

Lièrent pour Jamais leurs <strong>cours</strong> et leurs fortune».<br />

Ceux mêmes dont les yeux les <strong>de</strong>vaient éc<strong>la</strong>irer»<br />

Sortis <strong>de</strong> leur <strong>de</strong>voir, n'osèrent y rentrer.<br />

Un commentateur <strong>de</strong> Racine a trouvé ces vers<br />

dép<strong>la</strong>cés dans k bouche d'Acomat. 11 ne s'est pas<br />

aperçu qu'ils étaient non-seulement convenables y<br />

mais absolument nécessaires. Ce vers,<br />

L'embarras Irritant <strong>de</strong> ne s'oser parier,<br />

nous apprend, ce qu'il est très-important <strong>de</strong> savoir,<br />

que Bajazet et Eoiane ne se sont vus qu'avec <strong>la</strong> plus<br />

gran<strong>de</strong> contrainte. Quoique on ait enfreint us moment<br />

les lois terribles <strong>du</strong> sérail au brait <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort<br />

d'Amurat, il serait trop peu vraisemb<strong>la</strong>ble que <strong>de</strong>puis<br />

elles eussent été si longtemps et si ouvertement<br />

violées : ce<strong>la</strong> serait trop contraire aui moeurs ;<br />

et, <strong>de</strong> plus, donnerait d'étranges soupçons sur le<br />

commerce amoureux <strong>du</strong> prince avec <strong>la</strong> sultane;<br />

esJKn une troisième raison, plus forte que toutes<br />

les autres, c'est qu'à moins <strong>de</strong> cette difficulté <strong>de</strong> M<br />

voir et <strong>de</strong> se parler, on ne concevrait pas ce que<br />

va dire Acomat, que Eoiane s'est servie d'Atali<strong>de</strong><br />

pour communiquer, pardon entremise, avec Bajazet.<br />

Une sultane favorite ne pouvais sans M


SIÈCLE DE LOUIS XI?. — POÉSIE.<br />

perdre, le ?oIr et l'entretenir habituellement; et si<br />

dans <strong>la</strong> pièce elle prend et parti t c'est que l'instant<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> réVolution est irrité, et qu'elle se tint <strong>la</strong> eongoraraer<br />

qu'après s'être assurée par elle-même <strong>du</strong><br />

cœur <strong>de</strong> Fumant qu'elle Ta couronner. Toutes ces<br />

con?cassées étaient indispensables ; elles tiennent<br />

au nœud <strong>de</strong> l'intrigue v qui est <strong>la</strong> passion secrète et<br />

mutuelle <strong>de</strong> Bsjsset et d'Atali<strong>de</strong> 9 et <strong>la</strong> ri?alité <strong>de</strong><br />

cette princesse et<strong>de</strong> <strong>la</strong> stitlsne%Les wm qu'on fient<br />

d'entendre sont nécessaires pour fon<strong>de</strong>r ces contenances,<br />

et € f est un commentateur <strong>de</strong> Racine qui<br />

n'y aperçoit que <strong>de</strong>s MMk mwmmtmx m$ mm<br />

irqp êefimue, eiqwàme emPimimmi pm mu eormetèrt<br />

d'émwmtl On ne put pas <strong>du</strong> moins faire<br />

le même reproche au commentateur ; on ne recensera<br />

pas <strong>de</strong> voir mec trop <strong>de</strong> ftm$$e, Achefons<br />

Teianten <strong>de</strong> cette ecèoe, qui?a prou?er ce que je<br />

fiens<strong>de</strong>dire.<br />

Quoi ! Rosâne, d'abord leur déeonwuit ton àme,<br />

©•a-t-elta à leurs yeux faim éc<strong>la</strong>ter ta <strong>la</strong>ma»?<br />

A&MAT.<br />

Ils lignèrent encore; et Jusques à ce Jour,<br />

Atali<strong>de</strong> a prêté ton nom à cet amour.<br />

Du père d'Amsrât AfiJIÉe est <strong>la</strong> nièce;<br />

Et même, avec MS fils partageant M tendresse,<br />

Elle a vu son enfaoce élevée avec eut*<br />

De prince, en apparence , elle reçoit les ¥«u ;<br />

Mali elk les reçoit pour les rendre à loiitae t<br />

Et feiil bien sous ton nom qu'il aime <strong>la</strong> sultane.<br />

Cependant, cher Osmlo t poer s'appuyer <strong>de</strong> mol,<br />

L*uii et Faut» eut promis àtaMa à ma fol.<br />

On pourrait <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r comment Atali<strong>de</strong> a plus<br />

<strong>de</strong> facilité pour un commerce secret arec Bajazet<br />

que n'en aurait Roxaae. Atali<strong>de</strong> nous l'apprend dans<br />

l'acte suivant. Elle a été éierée aree Bajazet, et <strong>la</strong><br />

mère <strong>de</strong> ce prince le lui <strong>de</strong>stinait pour époux. Dépôts<br />

<strong>la</strong> mort <strong>de</strong> cette princesse, cef hymen a été<br />

rompu et on les a séparés l'un <strong>de</strong> l'autre, mais leur<br />

intelligence a continué secrètement, et l'on conçoit<br />

que cette jeune parente <strong>de</strong> Bajazet y protégée par<br />

Roxane, pou?ait être surveillée a?ec moins <strong>de</strong> rigueur<br />

que <strong>la</strong> faforite d'Amurat. Osmin, sur ce que<br />

dit Acotnat <strong>du</strong> mariage projeté entre Atali<strong>de</strong> et<br />

lui, s'écrie stee surprise :<br />

.LA SABFE. — TOME 1.<br />

S19<br />

dans cette seule ?ti# ; ils serrent à fon<strong>de</strong>r les déf ances<br />

que témoigne Acomat <strong>de</strong> ce même Bajazet qu'il<br />

sert a?ec tant <strong>de</strong> sèle , défiances qui peu?@nt étonner<br />

a?ee quelque raison.<br />

Un rîilr au sultans fait toujours quelque ombrage ;<br />

A pelée ils font eàolii, qu'ils crstfgMntleur eaiwa§e;<br />

Sa dépouille est un bien qu'ils feulent reeadîltr,<br />

Et jamais leurs chagrins ne nous <strong>la</strong>issent vieillir.<br />

Bajaxet aujourd'hui m'honore et me caresse ;<br />

Ses périls tous les jours réeellleat sa tendresse :<br />

Ce même Bajazet, sur le trône affermi,<br />

Méconnaîtra peut-être un inutile ami.<br />

Et mol, si mon <strong>de</strong>voir, si ma fol ne Fanète ,<br />

SU ose quelque Jour me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ma tète...<br />

Je ne m'explique point, Osmin ; mais Je prétends<br />

Que <strong>du</strong> moins 11 faudra <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r longtemps,<br />

le sais rendre aux sultans <strong>de</strong> iêèfes serrices ;<br />

Mais Je <strong>la</strong>isse au vulgaire adorer leurs caprices,<br />

Et ne me pique point <strong>du</strong> scrupule insensé<br />

De bénir mon trépas quand ils l'ont prononcé.<br />

Comblée <strong>de</strong> vérités historiques dans eetffers ! <strong>la</strong> fis<br />

tragique <strong>de</strong> presque Ions les vizirs; leur dépouille<br />

portée au trésor <strong>de</strong>s sultans, qui ont le droit d'hé-.<br />

rîter <strong>de</strong> quiconque a été chargé d'une administration;<br />

<strong>la</strong> coutume d'envoyer le <strong>la</strong>cet à ces victimes<br />

<strong>du</strong> <strong>de</strong>spotisme, <strong>de</strong> imr <strong>de</strong>mmn<strong>de</strong>r km Oie, suivant<br />

l'expression <strong>du</strong> poète; et le dévouement religieux<br />

<strong>de</strong>s Turcs f qui leur fait regar<strong>de</strong>r <strong>la</strong> volonté <strong>du</strong> sultan<br />

comme UA ordre <strong>du</strong> ciel. Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si un<br />

homme qui ne connaîtrait cette partie <strong>de</strong>s mœurs<br />

turques que par les vers <strong>de</strong> Racine s'en aurait pas<br />

une idée très-idèie i et <strong>la</strong> pièce est pleine <strong>de</strong> monceaux<br />

semb<strong>la</strong>bles.<br />

YoUà dose <strong>de</strong> ces lleui ee qui m'ouirre Feutrée f<br />

Et comme enln Roiaue à mes yeux s'est <strong>mont</strong>rée.<br />

Invisible d'abord t elle entendait ma voix,<br />

Et craignait <strong>du</strong> sérail les rigoureuses lois ;<br />

Mais enfin, bannissant cette importune ersinte,<br />

Qui dans nos eut reliées jetait trop <strong>de</strong> caalraiata t<br />

Elle-même a choisi cet eodroli écarté 9<br />

Où nos ceears à nos yeux parlent eu liberté.<br />

Par un etiemls ©hseur une esc<strong>la</strong>ve me gui<strong>de</strong>.<br />

Et.. Mais on vient Cest elk, et M eHère A<strong>la</strong>Me.<br />

Quoi ! vous Faimos t seigneur?<br />

C'est ici que le f<strong>la</strong>ir achàfe dq, déployer toute Faustérité<br />

<strong>de</strong> son caractère.<br />

Yeadiâto-tn qu'à nos l§e<br />

Je Base <strong>de</strong> l'amour le ri apprentissage 7<br />

Qu'un ccMir qu'on! en<strong>du</strong>rci <strong>la</strong> fatigue et les am<br />

Suivit d'un vais p<strong>la</strong>isir les conseil impru<strong>de</strong>nte?<br />

Cest par d'autres attraits qu'elle p<strong>la</strong>ît à ma vue;<br />

raiese en elle le sang dont elle est <strong>de</strong>scen<strong>du</strong>s ;<br />

Par êtes Bajazet t en m f Cette scène est d'une éten<strong>du</strong>e peu ordinaire au<br />

théâtre; elle a plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux cents vers, elle n'est<br />

point passionnée; ce n'est qu'une simple exposition<br />

f c'est-à-dire ce qu'on entend avec le moins<br />

d'intérêt, et ce que <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s spectateurs, aujourd'hui<br />

surtout, fondraient qu'on abrégeât le<br />

plus qu'il mî possible; et cependant elle ne partît<br />

, pas trop longue, parce qu'il n'y a rien d'inutile. On a *<br />

? a tout ce qu'elle contient <strong>de</strong> choses : il serait bien<br />

plus long <strong>de</strong> détailler les beautés <strong>de</strong> style. Un corn- *<br />

Hieataîre fait dans cet esprit tiendrait plus <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce<br />

que fou?rage.<br />

appro€iiant <strong>de</strong> Soi ,<br />

Nous retrouverons, en poursuivant l'examen <strong>de</strong><br />

MM vat contre <strong>la</strong>l-méne t assurer un appui.<br />

<strong>la</strong> pièce, ce rêle d<br />

Les ?ers qui suif eut, et qui sont encore un détail<br />

àm wmmim ottomanes t ne sont pourtant pas ici<br />

? Acomat toujours semb<strong>la</strong>ble à luimême.<br />

Celui <strong>de</strong> Roxase, quoique moins original y<br />

.n'est pas moins beau ni moins soutira, dans un<br />

34


6S0<br />

genre tout différent Y ni moins conforme ani moçurs<br />

turques. C'est tin mé<strong>la</strong>nge d'amour et d'ambition,<br />

qui tient naturellement à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce qu'elle occupe et<br />

aux circonstances où elle est. Une intrigue d'amour<br />

dans le sérail entraîne <strong>de</strong> si grands dangers, qu'il<br />

doit s'y mêler nécessairement une intrigue <strong>de</strong> politique.<br />

Roiane est chargée <strong>de</strong>s ordres d'Araurat<br />

centre Bajazet : elle est maîtresse <strong>du</strong> sort <strong>de</strong> ce prince;<br />

elle faime, et voit d'ailleurs dans l'absence <strong>du</strong><br />

sultan et dans les ressentiments d'un vizir tel qu'Âoomat<br />

l'occasion et les moyens d'une <strong>de</strong> ces ré?olutions<br />

si communes à Constantïnople. Cette révolution<br />

peut <strong>la</strong> p<strong>la</strong>cer sur le trône et <strong>la</strong> faire <strong>mont</strong>er<br />

au rang d'impératrice, qui est l'objet <strong>de</strong> tous ses<br />

désirs, et qui <strong>la</strong>tte d'autant plus son orgueil, que<br />

jusque-là Enxe<strong>la</strong>ne seule l'avait obtenu. Elle veut<br />

donc couronner Bajaact pour se couronner ellemême<br />

; elle ? eut fe sauver, sous <strong>la</strong> condition qu'il<br />

repensera , sinon elle l'abandonne à <strong>la</strong> mort. C'est<br />

faire l'amour le poignard à <strong>la</strong> main, il est vrai, et<br />

un amour <strong>de</strong> cette espèce ne peut pas être très-touchant.<br />

Mais le danger qu'elle court elle-même lui<br />

sert nfeicase ; et toute passion fortement tracée pro<strong>du</strong>it<br />

<strong>de</strong> l'effet. La sienne f eat avec toute l'énergie<br />

dont Racine était capable, et il parvient à <strong>la</strong> faire<br />

p<strong>la</strong>indre au quatrième acte, lorsqu'elle tient <strong>la</strong> fatale<br />

lettre qui lui découvre sa rivale et l'amour <strong>de</strong> Bajazet<br />

pour Atali<strong>de</strong>.<br />

â?« quelle lssoienee et quelle créante<br />

Ils m jouaient tôt» <strong>de</strong>m <strong>de</strong> ma cré<strong>du</strong>lité !<br />

QtteJ.pwefaant, quel p<strong>la</strong>isir Je tentais à tes croire!<br />

Tu ne remportai* pas mie gran<strong>de</strong> victoire,<br />

Perfi<strong>de</strong>, en abusant ee «sur préoccupé»<br />

Qui lui-même craignait <strong>de</strong> se ¥©tr détrompé :<br />

Tu n'as pas en besoin <strong>de</strong> tout ton artifice;<br />

Et, Je veux bien te faire escor cette Justice,<br />

Toi-même, je m'assure, as rougi pics d'un Jour<br />

. ! De peu qui! t'en coûtait pour tromper tant d'amour.<br />

Mol qui, <strong>de</strong> ce haut rang qui me rendait si 1ère,<br />

Dans le sein <strong>de</strong> malheur f ai cherché <strong>la</strong> première,<br />

Pour attacher <strong>de</strong>s Joers tranquilles, fortunés,<br />

Âei périls dont tes Jours étalent environnés :<br />

Après tant <strong>de</strong> bonté, <strong>de</strong> soins, d'ar<strong>de</strong>urs extrêmes ,<br />

Tu ne saurais jamais prononcer que te m'aimes !<br />

Mais dans quel «ravenir me klssé-Je égarer !<br />

Tu pleures 9 malheureuse ! Ah ! tu <strong>de</strong>vais pleurer<br />

Lorsque$ d'un vain iésk à ta perte poussée,<br />

Tu conçus <strong>de</strong> le voir <strong>la</strong> première pensée.<br />

Tu pleures ! et l'ingrat, tout prêt à te trahir,<br />

Prépare les ittsamfs dont U veut fébtouir.<br />

t Pour p<strong>la</strong>ire à ta rivale t il prend soM <strong>de</strong> sa fie.<br />

Ah ! traître ! te mourras.<br />

• Voilà le cri <strong>de</strong> <strong>la</strong> passion : les fureurs <strong>de</strong> Bonne<br />

et le danger <strong>de</strong> <strong>la</strong>jazel rasaient <strong>la</strong> situation tragique.<br />

Uae scène qui ne l'est pas. moins, c'est celle<br />

où, lui reprochant son infidélité, dont elle a 1a<br />

preov© en main , elle consent encore à lui pardonner.<br />

Mais à quel prix!<br />

Laissons ces vains êkomm; ett suis n'importuner,<br />

COU1S bB LITTÉEÂTtJim<br />

Poor <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière fols, veax-ta vivre et régner?<br />

FM Tordre d*Amurat, et Je pals t'y soustraire.<br />

Mais tu n'as


m convenir, que c'est y à mon gré, <strong>la</strong> seule fois que<br />

Racine est tombé dans eette faute.<br />

Examinons quel est le nœud <strong>de</strong> l'intrigue, et<br />

rappelons-sous ce grand principe auquel tout doit<br />

se rapporter dans un p<strong>la</strong>n dramatique, <strong>la</strong> nécessité<br />

<strong>de</strong> proportionner les moyens aux effets ; principe<br />

sur lequel j'insiste d'autant plus souvent, que<br />

jamais je ne Fai m eipliqué dans tout ce qu'on a<br />

écrit sur <strong>la</strong> tragédie en général, encore moins<br />

dans les critiques journalières, où l'ignorance prononce<br />

arbitrairement sur tous les outrages. Le<br />

sujet est le péril <strong>de</strong> Bajazet, dont <strong>la</strong> ?îe proscrite<br />

par Âtnurat dépend <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong> Roxane, qui<br />

peut le perdre ou le couronner. M ne s'agit donc pour<br />

lui <strong>de</strong> rien moins que <strong>de</strong> l'empire et <strong>de</strong> <strong>la</strong> ? M. Ce<br />

qui fait le nceud <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation, c'est l'amour <strong>de</strong><br />

Bajaact pour Atali<strong>de</strong>, amour qty l'empêche <strong>de</strong> répondre<br />

à celui <strong>de</strong> Roiane. D'abord cet sjnour est-il<br />

asseï intéressant par lui-même pour ba<strong>la</strong>ncer les<br />

grands intérêts qu'os lui oppose, et qui, supérieurement<br />

exposés dans <strong>la</strong> première scène, s'emprent<br />

<strong>de</strong> toute l'attention <strong>du</strong> spectateur! Je ne le crois<br />

pas : c'est une petite intrigue obscure, con<strong>du</strong>ite par<br />

<strong>la</strong> fourberie et <strong>la</strong> dissimu<strong>la</strong>tion; c'est Bajaact qui<br />

feint d'aimer Roxane; c'est Atali<strong>de</strong> qui prête son<br />

nom à cet amour préten<strong>du</strong> et qui trompe <strong>la</strong> sultane,<br />

<strong>de</strong> concert avec fiajazet. Un amour <strong>de</strong> cette espèce<br />

n'a ancusttes caractères qui peuvent faireune gran<strong>de</strong><br />

impression sur les spectateurs, surtout près <strong>de</strong>s<br />

grands objets p<strong>la</strong>cés en opposition : et les inci<strong>de</strong>nts<br />

qui en sont <strong>la</strong> suite démentent trop ouvertement<br />

les mœurs connues et les ï#es établies. Roiane vent<br />

que Bajazet l'épouse, et l'on ne peut nier qu'elle<br />

n'ait toutes les raisons et tous les droits possibles<br />

<strong>de</strong> l'exiger- M <strong>la</strong> refuse en se fondant sur cette raison,<br />

que ce n'est pas l'usage <strong>de</strong>s princes ottomans<br />

<strong>de</strong> prendre une épouse. Elle lui répond pr l'exemple<br />

<strong>de</strong> Soliman, qui prouve assez que les sultans peuvent<br />

9 quand ils le veulent, se mettre au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> cet<br />

usage, qui n'est point une loi; et si jamais on fut<br />

autorisé à s'en dispenser, c'est assurément dans une<br />

situation aussi pressante que celle <strong>de</strong> Bajazet. Aussi<br />

quand le vizir, justement étoipé <strong>de</strong> sa querelle avec<br />

Roiane, lui en <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>la</strong> raison, et qu'il répopd<br />

par ce vers, qui fait trop sentir tout le faible <strong>de</strong><br />

cette intrigue,<br />

EU* vent. Aconit, qotje fépwtî.<br />

Acomat ne manque pas <strong>de</strong> lui dire, avec beaucoup<br />

<strong>de</strong> raison, ce me semble : t<br />

Ebbfoi!<br />

L'otage ici MMUM à MI YCBU ftt ccottitt»;<br />

Mali cet usage enlnestpes une lut séfèra<br />

Qu'aux dépens <strong>de</strong> vos Jours TOUS dévies ôtamr?<br />

La plus sainte if» fei§, tfe S emî <strong>de</strong> mm sauver.<br />

SIèCLB m WMUS nv. — POéSIE. sti<br />

Et ffanaetar, §«f fsêcr, d'une mort manlmits<br />

Le sang <strong>de</strong>s Ottomans dont vous <strong>la</strong>ites le teste. .<br />

Quelle est ta réplique <strong>de</strong> Bajaxet?<br />

Ce reste maUienrau serait trop acheté,<br />

SU faut le conserver par une lâekeêé.<br />

Pourquoi donc serait-ce une lâcheté d'épouser<br />

Eoxane 9 à qui Bajazet <strong>de</strong>vra l'empire et <strong>la</strong> vie, et <strong>de</strong><br />

iiire par reconnaissance ce que fit Soliman par en»<br />

priée ou par unscupuie <strong>de</strong> religion ? Acomat le lui<br />

fait obser?er fort judicieusement.<br />

Et pourquoi vôea en faire mm image s! notre?<br />

L'hymen <strong>de</strong> Soliman ferait-il sa mémoire?<br />

Cependant Soliman n f étalt point menacé<br />

Des périls évi<strong>de</strong>nts dont iront êtes puni.<br />

BMAZET.<br />

Et 68 sont ces péefts et ce sols <strong>de</strong> liante<br />

Qui d'un servtle hjmm feraient nmmmmU,<br />

Ce sont là <strong>de</strong> vaines subtilités plutôt que <strong>de</strong>s raisons<br />

9 surtout <strong>de</strong>vant un homme tel que le vizir<br />

Acomat; qui doit les trouver bien étranges, dans<br />

l'opinion où il est que Bajazet aime <strong>la</strong> sultane.<br />

Mali vous aimes ftoxane?<br />

MJAEer.<br />

Aoomat, c*est mm !<br />

le me p<strong>la</strong>ins <strong>de</strong> mon sert moins que vous ne<br />

On voit qu'il ne vent pas avouer <strong>la</strong> véritable raison<br />

<strong>de</strong> ses refus, son amour pour eette même Atali<strong>de</strong>,<br />

promise au vizir, en récompense <strong>de</strong> ses services.<br />

Ainsi le même homme qui eroiràt faire une lêcketé<br />

d f épouser Eoxane quand il lui doit tout , cet homme<br />

qui a <strong>de</strong>s scrupules si dép<strong>la</strong>cés t ne s'en fait aucun<br />

<strong>de</strong> tromper <strong>de</strong>puis si ïougterap, et eette même<br />

Roiane, et un serviteur aussi fidèle que le v«irl<br />

11 faut l'avouer : tout ce<strong>la</strong> est faux et petit.<br />

On le sent encore davantage par le contraste que<br />

présente ici le grand sens d'Acomat t et sa politique<br />

aussi juste que conforme aux mœurs et aux circonstances.<br />

Ce flettï ministre, qui va toujours au fut v<br />

insiste auprès <strong>du</strong> prince. ^<br />

Promette! : affranchi <strong>du</strong> péril qafvous presse f<br />

¥«» ?«cvti <strong>de</strong> iaei poids sera votre promené. —<br />

Mol!<br />

dit Bajazet avec une sorte d'indignation qui pourrait<br />

être noble, si jesqu'ici et dans tout le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

ptfce, comme on le verra, il ne trompait continuellement<br />

<strong>la</strong> sultane et le vizir. H ne s'agit donc que <strong>de</strong><br />

tromper plus ou moins : ce n'est pas <strong>la</strong> peine <strong>de</strong> faire<br />

tant <strong>de</strong> bruit. Puisqu'il veut bien <strong>la</strong>isser croire à<br />

Roiane qu'il l'aime! qu'importe <strong>de</strong> lui <strong>la</strong>isser croire<br />

qull l'épousera? 11 n'y a pas plus <strong>de</strong> mal à l'un qu'à<br />

l'autre. Mais écoutons Acomat :<br />

Me ronêjtaes point. fca sang <strong>de</strong>s Ottomam<br />

Ne doit point en esc<strong>la</strong>ve oMf r ans sermenti.<br />

Consulta m§ héros qm te droit <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre<br />

Meut fktoftai Juip'aalMMtile <strong>la</strong> terre s<br />

M.


633 COURS DE IJTTÉ1ÀTIJ1E.<br />

Ubras dam leur Ytetota, et maître* <strong>de</strong> leur fol t<br />

L'Intérêt <strong>de</strong> rtttat fut leur unique loi ;<br />

fet #112 trône si sa<strong>la</strong>i <strong>la</strong> moitié n'est fondé*<br />

Que sur k fol promise et raremest gardée,<br />

le m'emporte, teignenr.<br />

Voilà parler en vrai Tare , et'ce correctif si bien<br />

p<strong>la</strong>cé, je m'emporte, seigneur, avertit que c'est à<br />

regret qu'il est forcé <strong>de</strong> dire <strong>de</strong>vant un prince ottoman<br />

<strong>de</strong> semb<strong>la</strong>bles férités. Es effet t <strong>la</strong> bonne<br />

foi <strong>du</strong>t toujours être comptée pur peu <strong>de</strong> chose<br />

dans un goti?emement où tout est fondé sur <strong>la</strong><br />

force: c'est une suite inévitable <strong>de</strong> <strong>de</strong>spotisme, attestée<br />

par toute l'histoire <strong>de</strong>s Turcs. Ce<strong>la</strong> n'empêcherait<br />

pas, il est vrai, qu'il ne fût possible d'établir<br />

un personnage d'un caractère opposé à ces<br />

minimes : il se peut qu'une gran<strong>de</strong> âme s'élève<br />

au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s préjugés <strong>de</strong> son pays. Mais d'abord<br />

il faudrait que ce personnage fût décidément héroïque;<br />

et Bajaset ne l'est pas : il fondrait qu'il fût<br />

incapable <strong>de</strong> tromper en quoi que ce soit ; et Bajazet<br />

trompe Roxane et Acomat : il faudrait enfin qu'il<br />

fût question d'une <strong>de</strong> ces choses qui sont partout<br />

déshonorantes, comme <strong>la</strong> vio<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> <strong>la</strong> foi<br />

publique, on assassinat, -une trahison. Mais, dira-ton<br />

v n'en est-ce pas une très-coupable que <strong>de</strong> faire une<br />

promesse <strong>de</strong> mariage qu'on ne veut'pas tenir? 'Oui,<br />

dans les pays où les femmes sont libres9 respectées,<br />

et jouissent <strong>de</strong> tous leurs droits naturels; mais<br />

chez une nation où elles sont esc<strong>la</strong>ves! dans le sérail<br />

f où elles le sont plus que partout ailleurs! mais<br />

aux yeux d'un prince ottoman! C'est ici qu'il fal<strong>la</strong>it<br />

appliquer cette gran<strong>de</strong> règle <strong>de</strong> <strong>la</strong> convenance <strong>de</strong>s<br />

mœurs et <strong>de</strong> <strong>la</strong> proportion <strong>de</strong>s objets. Yoir d'un<br />

côté Bajazet p<strong>la</strong>cé entre l'empire qu'on lui .offre<br />

et <strong>la</strong> mort qui le menace s et <strong>de</strong> l'autre 9 le scrupule<br />

<strong>de</strong> faire à Roxane, dont il dépend et qu'il trompe,<br />

une tromperie <strong>de</strong> plus ; je le <strong>de</strong>man<strong>de</strong> : où est <strong>la</strong> proportion<br />

F Comment se persua<strong>de</strong>r qu'un prince ottoman<br />

9 élevé dans le sérail f -plutôt que <strong>de</strong> faire une<br />

fausse promesse <strong>de</strong> mariage,, consente à perdre l'empire<br />

, <strong>la</strong> vie, Acomat et tous ses amis ? Cctte'supposition<br />

n'est pas admissible. Et qu'est-ce encore que<br />

cette femme qu'il craint d'abuser ? Qu'est-elïe à ses<br />

yeux ? Il n'y a qu'à l'entendre lui-même :<br />

0ne ewkira attachée à tes umb Intérêts*<br />

Qui présente à mas yeux <strong>la</strong>s rappltat -toit f r#Sf t<br />

Qui m'élira M» hymen ou <strong>la</strong> mort tafalUwto.<br />

Tout ce qu'il dit est <strong>la</strong> condamnation ie sa con<strong>du</strong>ite.<br />

Cependant le poète fait dire au


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

sujet d'une tout autre importance f et dans une<br />

pièce où tous les personnage» périssent, eicepté<br />

Aeomat. Ce n'est pas par <strong>de</strong>s idylles qu'il fiant amener<br />

<strong>de</strong>s meurtres; et Ton ne peut nier qu'en général<br />

les dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> Bajaiet et d'Atali<strong>de</strong> ne soient<br />

plus faits pour l'idylle que pour <strong>la</strong> tragédie. Mais,<br />

je le répète, celle-ci est <strong>la</strong> seule <strong>de</strong> Racine où l'amour<br />

ait un <strong>la</strong>ngage au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> <strong>la</strong> dignité <strong>du</strong><br />

genre, et <strong>la</strong> seule dont le p<strong>la</strong>n soit vi<strong>de</strong>ra.<br />

Le cinquième acte doit s'en ressentir : c'est une<br />

complication <strong>de</strong> meurtres qui ne pu?cal guère nous<br />

toucher. Roiane f égorgée par ordre d'Àmurat, reçoit<br />

le prix que mérite son infidélité et son ingratitu<strong>de</strong><br />

; et pour <strong>la</strong>jaial et Atali<strong>de</strong>, on sent trop qu'ils<br />

périssent parce qu'ils l'ont ?oulo.<br />

Tontes ees fautes prou?ent que, dans un art aussi<br />

difficile que celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie, l'esprit le plus judicieux<br />

et le gbût le plus éc<strong>la</strong>iré peuvent quelquefois<br />

se tromper. Mais puisque Bqjw&d est resté au<br />

théâtre, c'est une preuve aussi que, même eu se<br />

trompant, l'homme supérieur peut trouver dans<br />

sou talent les moyens <strong>de</strong> se faire pardouuer ses fautes,<br />

et cent ans <strong>de</strong> succès déci<strong>de</strong>nt, en fâfear <strong>de</strong><br />

Mqjmei, que ks beautés l'emportent sur les défauts.<br />

Aoomat et Roxane font excuser tout le reste. L'intrigue,<br />

quoique menée par <strong>de</strong> trop faibles ressorts,<br />

est cependant con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> manière à soutenir <strong>la</strong> curiosité<br />

et à faire naître quelquefois <strong>de</strong> <strong>la</strong> terreur. Il<br />

y a <strong>de</strong>ux scènes qui pro<strong>du</strong>isent cet effet : celle <strong>du</strong><br />

cinquième acte dont j'ai déjà parlé, où Roxane finit<br />

par enfoyer Bajazet à <strong>la</strong> mort; et celle <strong>du</strong> quatrième,<br />

où elle essaye d'intimi<strong>de</strong>r Atali<strong>de</strong> pour arracher<br />

son secret.<br />

Madame, f ai reçu <strong>de</strong>s lettres <strong>de</strong> ramée.<br />

' Be tout eeqiils^ passe ête^vousMonaée?<br />

Le premier ?ers fat re<strong>la</strong>té par les critiques, comme<br />

étant <strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation familière : <strong>la</strong> situation le<br />

rend admirable. Des lettres <strong>de</strong> l'armée, dans les<br />

circonstances où l'on est, ne peuvent apporter qu'un<br />

arrêt <strong>de</strong> mort contre Bajazet. Ce seul mot doit épouvanter<br />

Atali<strong>de</strong>; et quand l'expression n'a rien d'ignoble<br />

en elle-même, c'est un mérite vraiment<br />

dramatique <strong>de</strong> faire trembler avec les mots les plus<br />

ordinaires, et qui, partout ailleurs, seraient <strong>la</strong><br />

chose <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> <strong>la</strong> plus simple. Le même mérite se<br />

retrouve dans ces mots <strong>de</strong> Monime à Mithridate,<br />

admirés par Yoltake :<br />

ieSgiMsr, von change* <strong>de</strong> visaaje,!<br />

Ms sont aussi familiers, et le moment où on les dit<br />

les rend terribles. C'est ainsi que <strong>la</strong> haine aveugle<br />

ou <strong>de</strong> mauvaise foi s'attaque souvent à ce qu'il y a<br />

<strong>de</strong> plus louable, et par <strong>de</strong>s critiques spécieuses en<br />

impose i <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong>, jusqu'à ce .que les eoonais-<br />

&S3<br />

seurs aient parié. Continuons cette scène, dont le<br />

dialogue a autant d'art que <strong>de</strong> simplicité.<br />

ÂTMJBB.<br />

Os n'a dit que <strong>du</strong> camp un esc<strong>la</strong>ve est veau :<br />

Le reste est tm secret fui ne m'est pas céans.<br />

BOXAMv<br />

ancrât est heureux.; <strong>la</strong> fortune eat changée g<br />

Madame, et mw ses lois Babyloue est rangée.<br />

ATAUM.<br />

Hé quoi ! madame t Qsmln...<br />

EOXAHE,<br />

Était mal nwrft;<br />

Et. <strong>de</strong>puis M» départ cet esc<strong>la</strong>ve est parti.<br />

Ces est fait<br />

âTâUDEjé psrl.<br />

Quel revers!<br />

ttOIAME.<br />

Pour comble <strong>de</strong> disgrâces s<br />

Le sultan qui ftatMf est pari sur ses traces.<br />

ATALIDB.<br />

Quoi ! les Persans aimés ne Furètent doue pas?<br />

•0XARB.<br />

Hou, madame, vers nous tt retient agrandi pas.<br />

ATAIJDE.<br />

Que Je vous p<strong>la</strong>ins', madame 1 et qull est nécessaire<br />

- D'actefer promptement ee que TOUS ¥©ultei faire 1<br />

BOIAHR. '•<br />

11 est taid <strong>de</strong> vouloir s'opposer an vainqueur.<br />

ATAUBM, à pari,<br />

OcM!<br />

Le temp s'a point adouci sa rigueur :<br />

Voua vofjai ^ &m mm ms ^ m sa volonté suprême.<br />

ATAUM.<br />

Et que TOUS msMe-t-ii?<br />

HOIAHB.<br />

Toyef t Useï vous-même,<br />

•mis eomnisseï, madame t et là lettié.ef le seing?<br />

ATAUM.<br />

Bu cruel Amurat Je reconnais <strong>la</strong> main.<br />

(Bit* Ht.)<br />

m Avant que Babytose éprouvât ma putaanœ,<br />

« le ¥®ns al fait porter mes ordres absolus :<br />

« le ne veux point douter <strong>de</strong> votre osélssanee,<br />

« Et crois que maintenant Bajaiet ne vit plus. '<br />

*« le <strong>la</strong>isse sons mes lois Babytone aasertle,<br />

« Et confirme en partant mon ordre souverain.<br />

« Tons t si vous ave* sols <strong>de</strong> ¥otre propre vie.<br />

« Ne TOUS mostrex à mot que sa tête à <strong>la</strong> mais. »<br />

BOXAMB.<br />

Hébient<br />

ATAUOT, il part.<br />

Cache tes pleurs, mawenreiise Atali<strong>de</strong>!<br />

BOXAIIB.<br />

Que ¥oos semble?<br />

ATAUM.<br />

•> ' Il poursuit soh <strong>de</strong>isels parrici<strong>de</strong>.<br />

Mais fl pense proserlre un prince sans appui :<br />

11 ne sait pas l'amour qui vous parle pour lut ;<br />

Que TOUS et Bajaset ¥Ous ne faites qu'use âme ;<br />

Que plutôt s sH le faut, ¥ous mourret,..<br />

lOXAMB.<br />

Mol, madame!<br />

le mmêmw le sauver; Je ne le puis haïr.<br />

ÂTMJSB.<br />

Quoi dose? qa*avea>voiia résolu?<br />

D'obéir f<br />

B0XAMB.<br />

Et quafttra dans m pérU extrême?<br />

nkfaul „ *<br />

IFobélr.


§S4 C0B1S DB LITTÉIATUIB.<br />

Quoi ! ce prince aimable... qui mm aime,<br />

Ver» iiilf sa Jours qu'il vous a <strong>de</strong>stinés !<br />

D le faut ; et déjà mes ordres sont donnés.<br />

ATAUDE.<br />

Je me meurs.<br />

Elle s'éfaneuït, et ce s'est point ici, comme dans<br />

quelques tragédies, us évanouissement <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>.'L'idée<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Bajazet doit frapper <strong>la</strong><br />

tendre Atali<strong>de</strong>d'uu coup mortel, et Remue ne doute<br />

plus <strong>de</strong> <strong>la</strong> trahison. Quelle différence <strong>de</strong> cette scène<br />

à tout ce qui a précédé ! L'action, qui avait <strong>la</strong>ngui<br />

jusque-là dans <strong>de</strong>s explications amoureuses, commence<br />

enfin à <strong>de</strong>venir tragique. Le désespoir d'Atali<strong>de</strong>,<br />

le danger <strong>de</strong> Bajaset* les transports furieux<br />

<strong>de</strong> Roiane raniment l'intérêt, et au milieu <strong>de</strong> ces<br />

mouvements orageui Y Acomat conserve encore sa<br />

p<strong>la</strong>ce et gar<strong>de</strong> son caractère. Roxane l'instruit <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> fourbe <strong>de</strong> Bajazef, qui les trompait tous <strong>de</strong>ui;<br />

elle parait déterminée à abandonner un ingrat; elle<br />

ne doute pas que le vizir ne partagé ses ressentiments.<br />

Aeomat, sans ba<strong>la</strong>ncer, feint d'entrer dans<br />

ses vues ; il n ? a que cette voie pour tirer, s'il se peut 9<br />

Bajazet <strong>de</strong> ses mains.<br />

AGOHAT.<br />

Mot-mêrns , §11 le faut, Je m'offre à vous venger.<br />

Madame; <strong>la</strong>lssei-moi sons <strong>la</strong>ver Fus et l'autre<br />

Bu crime que sa fie a jeté sur <strong>la</strong> notre.<br />

Monkes-mûl le chemin ; f y eo»,<br />

BOIANH.<br />

Won, Aeomat*<br />

Laisses-mol le p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> confondre l'Ingrat ;<br />

Je veux; ¥ok son désordre 9 et Jouir <strong>de</strong> sa honte :<br />

Je perdrais ma vengeance en <strong>la</strong> rendant si prompte.<br />

Je vaie tout préparer. Vous , cependant, a<strong>de</strong>i<br />

Disperser promptement vos amis assemblés.<br />

Les <strong>de</strong>ux personnages soutiennent également leur<br />

caractère; tous <strong>de</strong>ux vont à leur but. Acomat ne<br />

perd pas l'espérance <strong>de</strong> sauver le prince, ni Roiane<br />

celle <strong>de</strong> le regagner. Acomat reste seufatee Osmln.<br />

M014T.<br />

4Bemei»s. 1 s'est pas temps, cher Gamin, que Je sorte.<br />

ÔSVIIf. r<br />

Quoi ! Jusque-là, seigneur, votre amour TOUS transporte ?<br />

M'aves-Toiis pas poussé <strong>la</strong> vengeance aaseï loin?<br />

Voules-vous <strong>de</strong> sa mort être encor ic témoin ?<br />

AGOHAT.<br />

Que veux-tn dire? Es-tu tol-méme si cré<strong>du</strong>le<br />

Que <strong>de</strong> me soupçonner d'un courroux ridicule?<br />

MoljalcMi.il<br />

Remarquons, en passant, comme ce mot <strong>de</strong> rfdteuk,<br />

qui ne semble pas fait pour <strong>la</strong> tragédie,<br />

est ennobli dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce où il est, par l'idée qu'il<br />

donne d'Aeomat : on voit <strong>de</strong> quelle hauteur il regar<strong>de</strong><br />

les faiblesses <strong>de</strong> Famour. Personne n'a possédé<br />

comme Racine le secret <strong>de</strong> relever les expres­<br />

sions les plus communes par <strong>la</strong> manière dont i les<br />

p<strong>la</strong>ce.<br />

Mot Jaloux ! plut tu <strong>de</strong>! qu'en me manquant <strong>de</strong> fol 9<br />

Llmfmieot Bsjaset s'eut offensé que mot!<br />

omateo<br />

Et pourquoi donc, seigneur, 'm lieu <strong>de</strong> le défendre...<br />

ÂCOUâY.<br />

Et <strong>la</strong> sultane est-elle es état <strong>de</strong> m'entenireî<br />

Me voyais-tu pas Mes, quand Je Fal<strong>la</strong>it trouver,<br />

Que J'al<strong>la</strong>is avec loi me perrtreios me sauver ?<br />

As,! île toi es emmeUê émmmmmi sinistre i<br />

Prince aveugle ! ou plolèi trop aveugle ministre f<br />

11 te sied Mes <strong>de</strong>voir en <strong>de</strong> si Jeunes mains,<br />

Chargé d'ans et d%osneurst confié tes <strong>de</strong>sseins,<br />

Et <strong>la</strong>issé d'un vLrir <strong>la</strong> fortune flottants<br />

Suivre <strong>de</strong> ces amants <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite Impru<strong>de</strong>nte.<br />

C'est bien ici le <strong>la</strong>ngage que doit tenir Acomat :<br />

mais il n'a rien a se reprocher, et <strong>la</strong> ambdie <strong>de</strong><br />

ces ammmis est telle, qu'il m pouvait pas <strong>la</strong> prévoir.<br />

Voyons quelle est <strong>la</strong> sienne dans un instant<br />

si critique.<br />

fié ! <strong>la</strong>tssea-les entre eux exercer leur coumax.<br />

Bajazet veut périr; seigneur, sosgei à vous.<br />

Qui peut <strong>de</strong> vos ieaaefos révékr le mystère 9<br />

Sinon quelques amis engagés à se tatoe?<br />

Tous venei par sa mort le sultan adouci.<br />

AGOHAT.<br />

Roxane es sa fureur peut ratsnsne? aiaat<br />

Mais moi, qui vois plus lois; qui, par un long oaaaa»s<br />

Des maximes <strong>du</strong> trône ai fait l'apprentissage;<br />

Qui, d'emplois es emplois vieil! sons trais sottaos,<br />

Ai vu <strong>de</strong> mes pareils tes malheurs éeSa<strong>la</strong>sts;<br />

le sais, sacs me f<strong>la</strong>tter, que <strong>de</strong> sa seule audace<br />

Us homme tel que moi doit attendre sa grâce,<br />

Et qu'use mort sang<strong>la</strong>nte est l'unique» tnlti<br />

Qui resjc entre l'esc<strong>la</strong>ve et le maître fcrîifl<br />

oaaaif,<br />

ïïuym donc.<br />

AOOMA*.<br />

J'approuvais tantôt cette pensée;<br />

Mon entreprise alors était moins avascée :<br />

Mais il m*est désormais trop <strong>du</strong>r <strong>de</strong> eecoler*<br />

Par use belle chute il faut me signaler,<br />

Et <strong>la</strong>isser un débris, <strong>du</strong> moins après ma fuite,<br />

Qui <strong>de</strong> mes ennemis retar<strong>de</strong> <strong>la</strong>- poursuite.<br />

Bajazet vit encor : pourquoi nous étonner ?<br />

Acomat <strong>de</strong> plus loin a su le ramener.<br />

Sauvons-le malgré <strong>la</strong>i <strong>de</strong> ce périt exifême,<br />

Pour noua, pour nos amis, pour Roxane eierei<br />

Tu vols combien soo corar, prêt à le |irotégery<br />

A retenu mon bras trop prompt à ia venger,<br />

le cossals peu l'amour, mate J'ose te répoaelre<br />

Qu'il s'est pas condamné, puisqu'on veut le «onfoMln :<br />

Que sous avons <strong>du</strong> temps. Malgré son désespoir,<br />

Roiane falote eneore, Osmfn, et le m voir.<br />

OWRI.<br />

Esfln que vous inspire une si noble audace?<br />

SI Roxane l'ordonne, Il faut quitter <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce.<br />

Ci pa<strong>la</strong>is est tout plein...<br />

ACOMAT.<br />

< Oui, d'esc<strong>la</strong>ves otecun,<br />

Bourris loin-<strong>de</strong> Sa guerre, à rèmbre <strong>de</strong> eee murs.<br />

Mais toi, don! <strong>la</strong> valeur d'Amurat oubUég,<br />

Par <strong>de</strong> communs chagrins à mon sort s'est liée,<br />

Voedras-te Jusqu'au tent*secon<strong>de</strong>r mes Eut»?<br />

osant»<br />

Seigneur, vous m'offensez. $1 vous mouns, Je mes».<br />

ACCMAT.<br />

D'amis et <strong>de</strong> snSdats use iroop hantle


àms fort» <strong>du</strong> eekle attend note© sortie.<br />

La sultane bailleurs se Ile à mis dis<strong>cours</strong>.<br />

Honni dans te sérail, j'ea eosnais les détours;<br />

le ait <strong>de</strong> Bajaiet Fordinaln <strong>de</strong>meure.<br />

Ne tarions plus f ntarchons. Et f s'il faut que Je mm<br />

Mm¥Mm;mÊà,m\Mmmàn,mmmêmBwi2lï;tiMf '<br />

Cssmt le iteett d'un bette» tel ipt moi<br />

Quel caractère et quel style ! Ainsi rien se le dé*<br />

concerte; il sait font prévoir et tout braver. Que<br />

ie beautés <strong>de</strong> tonte espèce dans ns seul acte et dans<br />

une pièce tf affleura défectueuse! Quel murage<br />

qu'une tragédie! et quel talent que celui <strong>de</strong> Racine!<br />

¥oltairs9 plus capable que personne ffapercetoir<br />

cequi manquait à Jupwit, et <strong>de</strong> lufar contre Fauteur,<br />

essaya, en 1740, <strong>de</strong> traiter un sujet à peu<br />

inèssettiiiiÉle, aous le nos <strong>de</strong>Z«fae. Sa pièce eut<br />

peu <strong>de</strong> aueoès. Il y Et <strong>de</strong>a changements considérables,,<br />

et <strong>la</strong> Ht reprendre en Î7ê% Le talent prodigieux<br />

qu'y déploya nadtmoiaetie C<strong>la</strong>iron n'a pu<br />

fisW revivre <strong>la</strong> pièce, et <strong>de</strong>puis, on ne Ta point<br />

revue. Voltaire l'imprima; et voici comme il s'exprime<br />

sur le rêlf d'Àeomat, dans une épttre dédicatoke<br />

à Factriee immortelle qui avait joué Zulime :<br />

« Cette pièee, «t-1, est asses bible, et mlsMNoae»<br />

^tmMmwmmmbm^^mim^s^mimmmÊ^msêt;<br />

S1ÈCL1 M LOUIS XIV. — POESIE. SU<br />

On est accablé d'un désespoir, aèatêu par k dé­<br />

mt,mmi&mÉMê£mMMmfmtêApAâà"AmmiM:mmm<br />

sespoir, et Fon n<br />

eneef cet Amwmi me parait Fefiort <strong>de</strong> Fesprit humais. Je<br />

M vois rien dans Fantiquité ni chez le* mo<strong>de</strong>rnes qui<br />

•oit dans ce caractère y et Sa beauté <strong>de</strong> <strong>la</strong> diction le relè¥e<br />

mmm,Wmmmm^wmmmwmMhhfmmwmmmtmûm<br />

soit te mut propre; jamais <strong>de</strong> sefaUne hors d'œuvro, qui<br />

cesse alors d'être raMne; jereeieie dissertation étrangère<br />

an sujet, toutes tes convenances parfaitement observées.<br />

Enin ee fêle me parait d'autant plus admirable! qu'il se<br />

trouve dans <strong>la</strong> seule tragédie oè Ton pouvait F intro<strong>du</strong>ire f<br />

et qu'A aurait été dép<strong>la</strong>cé partout affleura. »<br />

- Ce que dit Yoltaire <strong>du</strong> style <strong>de</strong> Racine est rigoureusement<br />

irai <strong>du</strong> rêïe d'Aeomat f mais ne Fest pas<br />

tout à fait autant <strong>du</strong> reste <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce. On sait que<br />

Boileau en trouvait <strong>la</strong> Yersîication négligée. Expliquons-nous<br />

pourtant : ce<strong>la</strong> veutdire qu'on refaarque<br />

cniiron cinquante vers répréhensibles sur un<br />

millier d'excellents, et trois ou quatre cents d'admirables.<br />

Cest dans cette proportion qu'il est arrivé<br />

à Racine, une fois en sa vie <strong>de</strong>puis JwArmm*<br />

que, d'être ee que Boileau appe<strong>la</strong>it négligé. On<br />

put juger par là <strong>de</strong> <strong>la</strong> sévérité <strong>du</strong> critique et <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> supériorité <strong>de</strong> Fauteur. Il faut voir quelques-unes<br />

<strong>de</strong> ces fautes : c'est une espèce <strong>de</strong> nouveauté que<br />

d'en trouver dans les vers <strong>de</strong> Racine.<br />

f en est pas consterné. On ne peut<br />

être consterné que <strong>du</strong> désespoir d*mutrsâ :je l'ai vm<br />

dam un désespoir qui m'a consterné.<br />

m\mm^m^k%^mm^mm%êmmmmmm^mmmmt<br />

Peut-être dam le temps que je ¥®udraii lui p<strong>la</strong>ire,<br />

Feraient par leur dêmtdm m effet tout contraire.<br />

On ne peut pas dire désordre <strong>de</strong> ma bouche et <strong>de</strong><br />

mm yeux. L'intervalle d'un vers rend <strong>la</strong> faute moins<br />

sensible, mais non pas moins réelle.<br />

Jlnt, Moi plut eeeteat et <strong>de</strong> TOUS et <strong>de</strong> mot.<br />

Détromper ton amour d'une feinte forcée,<br />

Qm je s'al<strong>la</strong>ls tantôt déguiser ma pensée.<br />

Le corapratif pkm est séparé <strong>du</strong> re<strong>la</strong>tif que <strong>de</strong> manière<br />

que <strong>la</strong> phrase n'est plus francise. La construction<br />

«acte et naturelle <strong>de</strong>mandait que <strong>la</strong> phrase<br />

fût disposée ainsi : firme détromper som a<strong>mont</strong><br />

d'um feinte forcée, bien pins content <strong>de</strong> vom «I êe<br />

moi, qmje m'aUalM iméél dégager ma pensée.<br />

pmmmmx, s*i le fkut$ un mmmmx légitime.<br />

On dit «efew k courroux et poursuivre <strong>la</strong> mmqeawce.<br />

La raison en est simple : mitre k courroux,<br />

c'est se <strong>la</strong>isser mener par. lui : poursuivre<br />

<strong>la</strong> vengeance, c'est courir après pour <strong>la</strong> trouver.<br />

Telle est <strong>la</strong> différence <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ui termes » au iguré<br />

comme au propre.<br />

Men ne m'a pu jMrar ©entre «es ieteleet ecee#e.<br />

Cest un mot impropre. On dit jwrer <strong>de</strong>s coups et<br />

m garantir <strong>de</strong>s coups. Parer ne peut s'appliquer<br />

aui personnes que comme verbe réfléchi, suivi <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> particule <strong>de</strong> : séparer dm embécMs <strong>de</strong> l $ emmni9<br />

se parer eu *ofeH. Mais on ne pourrait pas dire,<br />

m parer contre Tenmwd,<br />

Fat ftemM wm ptmm autant qm Je fat pu.<br />

Encore un terme impropre. Si c'est une ellipse pour<br />

dire : j'ai readé k moment <strong>de</strong> faire coûter vos<br />

pkurs, elle est trop forte. Si c'est une métaphore,<br />

elle est fausse; on ne peut ni avancer ni reculer<br />

<strong>de</strong>s pleurs.<br />

Mats Jt m'stmm mwm mm bmU$ <strong>de</strong> ton frère.<br />

On dit, je m f ssswe dam vos bontés, et non pas je<br />

m*àssme à vos bontés.<br />

Me rem Menuet point mqmp d@¥teiidrai.<br />

Cest un solécisme. Il faut absolument m vous f$*°<br />

fimnmpas <strong>de</strong> ee qmje <strong>de</strong>pimémL II était si fadle<br />

<strong>de</strong> mettre m me <strong>de</strong>mamdm pointée que je <strong>de</strong>vêm*<br />

drmi, que je soupçonne que <strong>du</strong> teertp <strong>de</strong> Racine <strong>la</strong><br />

constractios dont il se sort était d'usée. Elle n'en<br />

est pas mointi incorrecte.<br />

He ¥ûOI Sguftt pe<strong>la</strong>i que, dans eette Journée,<br />

trou ledit désespoir ma ecrle cmmàmtéê»<br />

te yeux ne<br />

toxane est-elle morte?<br />

Sé<strong>du</strong>ite ne peut être ici le synonyme <strong>de</strong> iromper.


SS0<br />

COUBS DE UTIÉ1ATDBE.<br />

il ne Test jamais que dans le sent moral, fai .cm<br />

le voir; mes yeux m'ont trompé, et mm pai mes<br />

yeux m'ont sé<strong>du</strong>it Les yeux <strong>de</strong> cette-femme m s mi<br />

fiM croire qu'elk m'aimaU; ik m'ont êrompé,<br />

Ht m'ont sé<strong>du</strong>it. Tous les <strong>de</strong>ux sont bons.<br />

ûa pourrait relever d'autres faites, mais ee sont<br />

là les plus gra?es que j'ai remarquées. On a beaucoup<br />

eritîqué ee Yers :<br />

Croiront-Us mes périls et f os termes siaeèresî<br />

Jf ne le blâmerais pas. Je sais bien qu'on ne dit pas<br />

<strong>de</strong>s pérUs sincères; mais sincères confient au <strong>de</strong>rnier<br />

mot, qui est <strong>la</strong>rmes, et cette interposition<br />

fait passer le premier. Il y a mille exemples en poésie<br />

<strong>de</strong> cette espèce <strong>de</strong> licence. Le sens est parfaitement<br />

c<strong>la</strong>ir : Croir&nt~Us mes périls vérMcèks et<br />

wm <strong>la</strong>rmes sincères f Voilà ce qu'on dirait en prose,<br />

et en vers l'affinité <strong>de</strong>s idées <strong>de</strong> véritables et <strong>de</strong> sincères<br />

fait passer <strong>la</strong> hardiesse qui favorise <strong>la</strong> précision<br />

sans nuire à <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté.<br />

'Concluons <strong>de</strong> cet examen que Bqfszet, comparé<br />

aux chefs-d'œuvre <strong>de</strong> Fauteur» est dans <strong>la</strong> totalité'<br />

un ouvrage <strong>de</strong> second ordre 9 qui n'a pu être fait que<br />

par un homme <strong>du</strong> premier.<br />

WOMM. ¥. — MMkrtdate.<br />

Il parait quef dans MUàridaie, Racine'se proposa<br />

<strong>de</strong> lutter <strong>de</strong> plus près contre Corneille 9 en<br />

mettant comme lui sur <strong>la</strong> scène un <strong>de</strong> ces grands<br />

caractères <strong>de</strong> l'antiquité, d f autant plus difficiles à<br />

bien peindre, que Fhistoire en a donné une plus<br />

haute idée. 11 avait fait voir dans Acomat tout ce<br />

.qu'il pouvait mettre <strong>de</strong> force dans un personnage<br />

d'imagination ; il fit voir dans MMhridate avec quelle<br />

énergie et quelle fidélité il savait saisir tous les<br />

traits <strong>de</strong> ressemb<strong>la</strong>nce d'un modèle historique. On<br />

retrouve chez lui Mîthridate tout entier, son imp<strong>la</strong>cable<br />

haine pour les Romains, sa fermeté et ses<br />

ressources dans le malheur, son audace infatigable,<br />

sa dissimu<strong>la</strong>tion profon<strong>de</strong> et cruelle, ses soupçons,<br />

ses jalousies, ses défiances, qui Tannèrent si<br />

souvent contre ses proches, ses enfants, ses maîtresses.<br />

11 n $ caractéristiqiies sons lesquels les anciens nous «tt<br />

représenté Mithridate. On sait que plus d'une fois v<br />

an moment d'un danger .on d'une défaite, il fit périr<br />

celles <strong>de</strong> ses femmes qu'if aimait le plus, <strong>de</strong><br />

peur qu'elles ne tombassent an pouvoir <strong>du</strong> faiaqueur.<br />

C'est à ces ordres sanguinaires! à cette Jalousie<br />

féroce, qu'on a reconnu dans tons les temps<br />

ce qu'est l'amour dans le cœur <strong>de</strong>s <strong>de</strong>spotes asiatiques.<br />

Celui <strong>de</strong> Mithridate, non-seulement a le mérite<br />

d'être conforme aux mœurs et à l'histoire, il<br />

est encore tel que l'auteur <strong>de</strong> l'Jrt poétique désire<br />

qu'il soit dans une tragédie :<br />

Et que fîamour, souvent <strong>de</strong> remords eombtitii, s<br />

Partâsw ime faiblesse 9 et non eue vertu.<br />

' Avec quelle force Mithridate se reproche le penchant<br />

malheureux qui l'entraîne vers Monime, à<br />

l'instant où sa défaite le force <strong>de</strong> chercher un asite<br />

dans une <strong>de</strong> ses forteresses <strong>du</strong> Bosphore!. Et combien<br />

<strong>de</strong> circonstances se réunlsseiit pour rendre excusable<br />

cette passion qui par elle-même n'est pat<br />

faîte pour son âge ! C'est dans le tedtps <strong>de</strong> ses prospérités<br />

qu'il a envoyé le ban<strong>de</strong>au royal à Monime;<br />

et, <strong>de</strong>puis ce temps, <strong>la</strong> guerre l'a toujours éloigné<br />

d'elle. Il était alors glorieux et triomphant; il est<br />

malheureux et vaincu.<br />

Set MM se sent aecras, ses iMWseiiiB sont détroits.<br />

Cest dans un semb<strong>la</strong>ble moment qu'il est cruel<br />

<strong>de</strong> perdre ce qu'on aimait, parce qu'alors cette perte<br />

semble une insulte faite au malheur, et <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière<br />

injure <strong>de</strong> <strong>la</strong> fortune, qui <strong>de</strong>vient plus sensible après<br />

toutes les autres. On est porté à excuser, à p<strong>la</strong>indre<br />

un roi fugitif, occupé <strong>de</strong> vengeance et <strong>de</strong> haine y<br />

et al<strong>la</strong>nt, malgré lui, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s conso<strong>la</strong>tions à<br />

i'aiiour, qui met le comble à tous ses maux.. Cest<br />

sous ce point <strong>de</strong> vue que le poète a eu fart <strong>de</strong> nous<br />

<strong>mont</strong>rer Mithridate. Quand ce prince s'aperçoit avec<br />

quelle triste résignation Monime se prépare à le suivre<br />

à l'autel, cette âme aîtîère et aigrie se révolte à<br />

<strong>la</strong> seule idée <strong>de</strong> ce qui peut ressembler au mépris.<br />

y a pas jusqu'à son amour pour Monime<br />

qui ne soit conforme, dans tous les détails,<br />

à ce que les historiens nous ont appris. Les mêmes<br />

juges qui louaient Corneille si mal à propos<br />

d'avoir ren<strong>du</strong> f amour héroïque dans toutes ses pièces<br />

n'ont pas voulu faire grâce à celui <strong>de</strong> Mithridate ;<br />

ils font regardé comme avilissant pour un héros :<br />

tant l'injustice et l'inconséquence semblent attachées<br />

à <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s jugements que l'on a portés sur ces<br />

<strong>de</strong>ux poètes! Il n'en est pas moins vrai que Racine,<br />

en peignant <strong>la</strong> passion tyrannique et jalouse <strong>du</strong> roi<br />

<strong>de</strong> Pont pour Monime, a conservé on <strong>de</strong>s traits<br />

ASosI, prête à subir nu Jong qui TOUS opprime,<br />

Tous n'al<strong>la</strong> à l'autel que comme mie flctlme;<br />

Et moi, tyran d'an «sur qui se refuse a® mies,<br />

Mène en ?eus possédant f je M irons <strong>de</strong>vrai rien,<br />

4b ! madame t esVee là île quoi me satisfaire?<br />

Faut-U que désormais, renonçant à vous p<strong>la</strong>irev<br />

Je ne prétend© plus


Ao-<strong>de</strong>aras i«'&w flot» ss naufrage éTeté,<br />

Que Home et quarante ans ont I ©ëtae acfeevé*<br />

Cest a?ee -ces ïnoutements , qui peignent si bien<br />

Famé et le caractère, que Ton donne encore aui<br />

faiblesses le ton <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur; et le spectateur les<br />

pardonne encore plus volontiers à celui qui sait en<br />

rougir, qui, sait dire, comme Mithridate :<br />

SIÈCLE DE L0OB XIV. — POÉSIE.<br />

O Moulinei ê mon ils! Inutile coaHOUx!<br />

M ¥©sss àcweoxïloiiJifiiif quel triomphe pour ions,<br />

S! TOUS safles ma honte, et qu'on avis fidèle<br />

De mes lâches combats mm portât <strong>la</strong> ooiit«lie !<br />

Quoi! <strong>de</strong>* plu chères mains craignant les trahisons,<br />

J'ai pris soin <strong>de</strong> m'anser contre tous les poisons;<br />

J'ai su, par une longue et pénible In<strong>du</strong>strie,<br />

Des plu mortels lealoi prévenir <strong>la</strong> furie :<br />

Ah ! qu'il eût mieux valu , plus sage et plus heureux,<br />

Et repoussant les traits d'us amour dangereux t<br />

Ne pas <strong>la</strong>isser remplir d'ar<strong>de</strong>urs empoisonnées<br />

Un corar déjà g<strong>la</strong>cé par te froid <strong>de</strong>s aimées !<br />

On a fiât à Mithridate le mime reproche *qtfà<br />

Héron, <strong>de</strong> se sertir contre Monime d'un moyen<br />

aussi peu fait pour <strong>la</strong> tragédie que celui dont se sert<br />

Héron contre Junie. Je réponds à <strong>la</strong> même objection<br />

par <strong>la</strong> même apologie : <strong>la</strong> scène est tragique v<br />

puisqu'elle pro<strong>du</strong>it <strong>de</strong> <strong>la</strong> terreur. Il y a même ici<br />

une raison <strong>de</strong> plus, prise dans <strong>la</strong> dissimu<strong>la</strong>tion habituelle<br />

qui était une <strong>de</strong>s qualités particulières I<br />

Mithridate. II soutient cette.même dissimu<strong>la</strong>tion,<br />

lorsqu'il redouble <strong>de</strong> caresses pour Xipharès à l'instant<br />

où il médite <strong>de</strong> s'en teegar; et le poète a soin<br />

île faire dire à Xipharès qu'il reconnaît Mithridate à<br />

ses artiices ordinaires, et qu'il est per<strong>du</strong>, puisque<br />

son père dissimule mm lui.<br />

Reconnaissons avec Yoltaire, ce juge fi séfère<br />

et si éc<strong>la</strong>iré <strong>de</strong>s contenances théâtrales, que si <strong>la</strong><br />

tragédie et <strong>la</strong> comédie ne peutent jamais se ressembler<br />

par le ton et les effets, elles peutent se rapprocher<br />

quelquefois par les moyens <strong>de</strong> l'intrigue. 11<br />

en donne une preuve bien frappante en faisant ?oir<br />

les rapports qui se trament entre l'intrigue <strong>de</strong> ÏAmire<br />

et celle <strong>de</strong> MMkrMmte. •<br />

637<br />

que Famour n'entrait pour rien dans <strong>la</strong> tragédie ancienne<br />

, et que, <strong>du</strong> moment où nous Tâtons intro<strong>du</strong>it<br />

dans <strong>la</strong> nôtre, il a fallu, par une conséquence<br />

nécessaire, qu'une passion qui appartient Ji tous les<br />

états amenât dans <strong>la</strong> tragédie <strong>de</strong>s moyens rnlgaîrea,<br />

et que les héros f en détenant amoureu, ressemb<strong>la</strong>ssent<br />

sous ce point <strong>de</strong> tue au autres hommes.<br />

Ifous avons vu que le caractère altier, sombre et<br />

artif eîetK <strong>de</strong> Mithridate, était conserté jusque dans<br />

son amour ; et que sa fermeté dans le malheur, et<br />

le sentiment <strong>de</strong> sa gran<strong>de</strong>ur pssée, empêchaient<br />

qu'il ne fût atili <strong>de</strong>tant Monime. Cest avec <strong>la</strong> mémo<br />

vérité, et arec plus <strong>de</strong> force encore, que Fauteur a<br />

su peindre cette haine furieuse qui, pendant quarante<br />

ans, atait armé le roi <strong>de</strong> Pont contre les Romains.<br />

Jamais le pinceau <strong>de</strong> Racine ne parut plus<br />

mâle et plus ier; et ce rôle est celui où il se rapprocha<br />

le plus <strong>de</strong> <strong>la</strong> vigueur <strong>de</strong> Corneille, -surtout dam<br />

<strong>la</strong> scène fameuse où il eipese à ses <strong>de</strong>ux ils son<br />

projet <strong>de</strong> porter <strong>la</strong> gaarra dans l'Italie. Ce n'est pas<br />

une intention <strong>du</strong> poète : ce projet audacieux est .<br />

attesté par plusieurs écrivains, et détaillé dans<br />

Appien, qui trace mime <strong>la</strong> route que défait tenir<br />

Mithridate. Si <strong>la</strong> trahison <strong>de</strong> Fharnace et <strong>la</strong> fortune<br />

<strong>de</strong>Pompéen'eussent pas accablé ce formidable ennemi<br />

<strong>de</strong> Rome au moment où il méditait ce grand <strong>de</strong>ssein<br />

, son courage et sa renommée pou?aient lui fournir<br />

assea <strong>de</strong> ressources pour l'exécuter, et personne<br />

n'était plus capable <strong>de</strong> faire toir à l'Italie un antre<br />

Annibal. Cette scène a encore un autre mérite : es<br />

<strong>mont</strong>rant le héros dans toute son élétation, elle <strong>mont</strong>re<br />

aussi sa jalousie artileianse, puisqu'elle a pour<br />

objet <strong>de</strong> pénétrer ce qui se passe dans le cœur <strong>de</strong><br />

Pharnaee, et d'en arracher f a? en <strong>de</strong> ses projets sur<br />

Monime. Cette situation met dans tout son jour le<br />

contraste <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux jeunes princes 9 qui soutiennent<br />

également leur caractère. Le petiote Pharnaee,<br />

comptant sur l'appui <strong>de</strong>s Romains qu'il attend, re­<br />

ine formellement d'aller épouser <strong>la</strong> lie <strong>du</strong> roi <strong>de</strong>s<br />

« Harpagon et le roi <strong>de</strong> Pont sont iem vieil<strong>la</strong>rds amen- Parthes ; et le ?ertaeni Xipharès, tout entier à son<br />

raiï i fan et l'unira oui leur ils pour rirai ; fui et l'antre <strong>de</strong>toir et à son père, ne connaît d'autres intérêts<br />

se serrent <strong>du</strong> même artilsa poer déamtrir Ffatettigpioi<br />

qui est entre leur fils et leur maîtresse; et les data pièces<br />

que ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature et <strong>de</strong> <strong>la</strong> gloire, et saisit sien<br />

fuissent par le mariage <strong>du</strong> jeune homme. Molière et Racine l'enthousiasme d'un jeune guerrier le <strong>de</strong>ssein d'aller<br />

ont également réussi en traitant ces <strong>de</strong>ux intrigues. L'un combattre les Romains dans l'Italie. Cette scène me<br />

a amusé, a réjoui 9 a fait rire les honnêtes gens; l'antre a parait, sous tous les rapports, une <strong>de</strong>s plus belles<br />

attendri 9 a effrayé, s fait verser <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes. Molière a joué que Racine ait conçues, et 1® dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> Mithri­<br />

f amour rîiiea<strong>la</strong> d'un vieil avare; Racine a représenté tes date est dans notre <strong>la</strong>ngue un <strong>de</strong>s modèles les plus<br />

faipfeaaet d'un grand roi, et tes a ren<strong>du</strong>es respectables. » achetés <strong>du</strong> style sublime.<br />

Mais pourquoi, parmi nous, <strong>de</strong>ux choses aussi<br />

<strong>la</strong> fais ; aiasi le test <strong>la</strong> fortane aaneasaa<br />

différentes que <strong>la</strong> tragédie et <strong>la</strong> comédie ont-elles Mais tons sa?et trop bfan fbMoiro <strong>de</strong> ma via<br />

ce point <strong>de</strong> ressemb<strong>la</strong>nce qu'elles n'ont jamais chez Four croi» que, loogîeaip soigneux <strong>de</strong> me cachet,<br />

les anciens? Voltaire' ne pou?ait pas l'ignorer ; mais J'atten<strong>de</strong> en ces déserts qu'on me vienne efeerenar,<br />

La Insère a les <strong>la</strong>veurs ainsi ejoe ses disgrâoes ;<br />

apparemment il n'a pas voulu le dire. Cest parce Sep p<strong>la</strong>n d'une luit retournant sur me* traces,


138 couis DE LrmaukTiJiR<br />

Tandis faa Famasi, par ma fatfe tmnpé,<br />

Tenait aprê» §on char ua ¥âJa peuple occupé,<br />

Et, griTant ai airain ses frêles aTantages,<br />

De mes Étais compris eacfeainaft tes Images,<br />

i Le Bosphore m'a vuf par <strong>de</strong> aouYeaitt apprêts,<br />

Ramener, <strong>la</strong> terreur <strong>du</strong> fond <strong>de</strong> ses marais ,<br />

Et, chassant les-Eo-malns <strong>de</strong> l'Asie étonnée, •<br />

Renverser en un-Jour r©u¥rage d'une année.<br />

D'antres temps, d'antres entas ; l'Orient accabM<br />

le peut plia soutenir leur effort redoub<strong>la</strong><br />

1 wm pins qm Jamais an campagnes couvertes<br />

De Romains que <strong>la</strong> guerre enrichit tfa nos pertes.<br />

Pas Mens <strong>de</strong>s nations «Tisseurs altérés,<br />

Le brait <strong>de</strong> nos trésors les a tous attirée ;<br />

Ils j courent en foule, et, Jaloux l'un <strong>de</strong> faste,<br />

Désertent leur paye pour inon<strong>de</strong>r le notre.<br />

Moi seul Je leur résista : an <strong>la</strong>ssés on soumis,<br />

Ma funeste amitié pèse à tous mes amis;<br />

Chacun I m far<strong>de</strong>au Tact dérober sa tète.<br />

' Le grand ru» <strong>de</strong> Pompée assure sa aaaapêta :<br />

Cest Mitai <strong>de</strong> l'Asie; et, lois <strong>de</strong> r> cherciier,<br />

Cest à Rome, mes ils, que Je prétends marcher.<br />

Ce <strong>de</strong>ssein TOUS surprend f et TOUS eroyes peut-être<br />

Que le N@1 désespoir aujonrdliui le fait nattra.<br />

J'excuse Yotre erreur; et, pour être approuvés,<br />

De semb<strong>la</strong>bles projets sentant être achetés..<br />

Me TOUS Égarai point que <strong>de</strong> cette contrée<br />

Par d'étemels remparts Môme sait séparée,<br />

le sais tous les cbemliis par où je dois passer;<br />

Et si <strong>la</strong> mort Mentét ne me Tient traverser,<br />

:Sans fsxas<strong>la</strong>f plus Mil reflet <strong>de</strong> mi parole,<br />

: Js TOUS rends dans trots mois au pied <strong>du</strong> Capitale»<br />

Douta-Tons que fEasin ne me porte en <strong>de</strong>ux Jours<br />

Aux lieux où le Danube y Tient Unir son <strong>cours</strong>,;<br />

Que <strong>du</strong> Scythe avec moi l'alliance Jurée<br />

De l'Europe en ces lieux ne me livre l'entrée?<br />

RecueUU dans leurs porte, accru <strong>de</strong> leurs soldats *<br />

Mous Tecrons notre camp grossir à chaque pas.<br />

Daces, Pannonlens, <strong>la</strong> 1ère Germanie,<br />

Tous n'atten<strong>de</strong>nt qu'un chef contre <strong>la</strong> tyrannie.<br />

Vous avas TU l'Espagne, et surtout les Gaulois,<br />

Contre ces mêmes murs qu'Us ont pris autrefois<br />

Exciter ma vengeance, et f Jusque dans <strong>la</strong> Grèce,<br />

Par <strong>de</strong>s ambassa<strong>de</strong>urs accuser ma paresse.<br />

* lis savent que, sur aux prit à se débor<strong>de</strong>r,<br />

Ce torrent, s'il m'entraîne, ira tout inon<strong>de</strong>r;<br />

Et TOUS les vartef tous t prévenant son ravage t<br />

Gui<strong>de</strong>r dans l'Italie ou salves mon passage.<br />

Cest là qu'en arrivant* plus qu'en tout le chemin t<br />

Vous troaverer partout l'horreur <strong>du</strong> nom romain 9<br />

Et <strong>la</strong> triste Italie encer toute fumante<br />

Des feux qu'a rallumes sa Mberti mourante.<br />

Hon, princes t ce n'est point au bout <strong>de</strong> f antsera<br />

Que Rome fait sentir tout le poids <strong>de</strong> ses fers ;<br />

Et <strong>de</strong> près Insptraat les Unes Ses ptas fortes,<br />

Tes plus grands ennemist Rome, sont à tes portes.<br />

Ah ! slfs ont pu choisir pour leur libérateur<br />

Spartacus, on eserave, m vil g<strong>la</strong>diateur;<br />

•• Slls saiven't an combat <strong>de</strong>s brigands qui les feupti,<br />

De quelle noble ar<strong>de</strong>ur pensez-vous qu'ils se rangent<br />

flous les drapeaux d'un roi loagfemp victorieux,<br />

Qui voit Jusqu'à Cyrus renMnter ses aïeux 7<br />

Que cfte»je ? En quel état croyes-Tous <strong>la</strong> mrmmâml<br />

Vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> légions qui <strong>la</strong> puissent défendre,<br />

Tandis que tout s'occupe à me persécuter,<br />

ILatifs femmes, leurs enfants, pourront-Ils m'aniter?<br />

Marchons, et dans son sein rejetons cette guerre<br />

Que sa fureur envole aux <strong>de</strong>ux bouts eje M terre.<br />

Attaquons dans leurs murs ces conquérants il lers ;<br />

Quito trenibtait à leertoer pour leurs propres foyers -<br />

AnMbal l'a prédit, croyons-»ce grand homme,<br />

<strong>la</strong>naii on sa vativarales <strong>la</strong>ma<strong>la</strong>s que dans <strong>la</strong>trie ».<br />

M oyons-<strong>la</strong> dans son sang Justement répan<strong>du</strong> :<br />

Brûlons ce Capitale, ou J'étais atten<strong>de</strong> ;<br />

Détruisons ces honneurs, et faisons disparaîtra<br />

.•La honte <strong>de</strong> cent rois, et <strong>la</strong> mienne penWlre!<br />

Et <strong>la</strong> mieime peut-être! Ce <strong>de</strong>rnier trait est profond.<br />

Il sort d'un cœur ulcéré, et pro<strong>du</strong>it d'autant plus<br />

d'effet, qu'il est jeté là comme en passant. Mlthridate<br />

sent trop ?i?émeut sa honte pour s f y arrêter : m<br />

n'est qu'an mot qui lui échappe; mais m mot refaite<br />

une foule <strong>de</strong> sentiments et d'idées : M est sublime.<br />

Bans tout le reste, <strong>la</strong> mapiieence do style,<br />

<strong>la</strong> pompe <strong>de</strong>s images est égale à Télé?ation <strong>de</strong>s pensées.<br />

Eaeine sait se proportionner à tous ses sujets.<br />

Nous n'avons point encore vu sa diction s'élever si<br />

haut ni prendre ce caractère. Ce n 9 est ni le charme<br />

<strong>de</strong> Bêrmkx, ni <strong>la</strong> sévérité <strong>de</strong> MrMmmiem, ni le<br />

stylé impétueux et passionné d'Hermione et <strong>de</strong><br />

Roxane. Racine est grand, parce qu'il lut parier<br />

un grand homme méditant <strong>de</strong> grands <strong>de</strong>sseins : il<br />

s'agit <strong>de</strong> Mithridate et <strong>de</strong> Rome; il est au niveau<br />

<strong>de</strong> tous les <strong>de</strong>ux.<br />

U se présente cependant ici quelques remarques<br />

à feire. Je ne reprocherai point à l'auteur <strong>la</strong> rime<br />

<strong>de</strong>jfetf et <strong>de</strong>/ofcra : rien n'était plus iadle que<br />

<strong>de</strong> mettre cm conquérante amer». Mais l'exempte<br />

<strong>de</strong> Racine et <strong>de</strong> Bolleap, les <strong>de</strong>ux meilleurs versï-<br />

Icateurs français, prouve qu'alors-il était <strong>de</strong> principe<br />

qu'une rime «acte pour les yeux était suffisante.<br />

Voltaire, qui d'ailleurs rime bien moins<br />

richement que ces <strong>de</strong>ux poètes, est pourtant celui<br />

qui a insisté le premier sur <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> rimer<br />

principalement pour l'oreille. U a eu raison;<br />

c'est une obligation que nous lui avons, et qu'auraient<br />

dû reconnaître ceux qui lui ont reproché<br />

avec justice <strong>de</strong> rimer trop négligemment.<br />

Mais j'oserai reprendre une expression qui ne<br />

me semble pas absolument juste :<br />

Me vous iraaear point que <strong>de</strong> cette contrée<br />

Par à'itermk remparts Raina soit séparée.<br />

Le poète veut dire par <strong>de</strong>s remporté qm'm me<br />

piâMêJramMr; et malheureusement notre <strong>la</strong>ngue<br />

ne lui permettait pas d'exprimer cette idée en<br />

un seul mot. Mais celui qu'il a substitué le rend-ïl<br />

bien? On appelle proprement <strong>de</strong>s remparts éternels<br />

ceux qui sont l'ouvrage <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature et faits<br />

pour <strong>du</strong>rer autant ju'elle, comme les <strong>mont</strong>agnes<br />

et les mers. Ainsi les Alpes, par exemple, sont<br />

<strong>de</strong>s rayai* Memek entre <strong>la</strong> France et iltaife.<br />

Mais ces remparts, tout éternels qu'ils sont, on<br />

peut les franchir : on les a franchis mille fois cm<br />

Eternels houtevards qui n'ont point praatt<br />

%ee liAmmalUer géant itslkiê-mrièm mUsi. ( JaatlrM»,<br />

1111,6.) *


Des hamismêÊ M beau tertio!»»<br />

Cet <strong>mont</strong>» qu'ont traversés, par as vol il hardi,<br />

-Les Charles 9 les Oihou , Cattnat et CôHU ;<br />

Soe les ail» <strong>de</strong> <strong>la</strong> victoire* ( ¥ôLî.)<br />

Donc un rempart éternel n'est pas <strong>la</strong> mime chose<br />

qu'un rempart qu'on ne peut fraîchir, Cette remarque<br />

peut paraître sévère; mais le rapport exact<br />

<strong>de</strong> l'expression avec l'idée est une qualité essentielle<br />

au style, et si éminente dans Racine , qu'il a noua<br />

donné le droit <strong>de</strong> ne loi faire grâce <strong>de</strong> rien.<br />

Antre observation. Lorsque Mithridatt dit ees<br />

<strong>de</strong>ux vers,<br />

Doutei-vouf que WEmiÈm m me pute en <strong>de</strong>ux Jouit<br />

àMmËMmmUmmÈiàMjwlmiÈiÊMmmemm?<br />

on rapporte qu'un vieux militaire qui a?ait fait <strong>la</strong><br />

guerre dans ces contrées dit assez haut : Otâ, otmrémmê<br />

j'en ém<strong>de</strong>. Il n'avait pas tort. Aujourd'hui<br />

même que <strong>la</strong> navigation est tout autrement<br />

perfectionnée qu'elle ne fêtait alors, il serait <strong>de</strong><br />

toute impossibilité tf aller eu <strong>de</strong>ux jours <strong>du</strong> dédroit<br />

<strong>de</strong> Gaffa, qui est l'ancien Bosphore Gimmérien,<br />

à l'embouchure <strong>du</strong> Danube, qui est à faotre<br />

extrémité <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer Noire. C'est un trajet <strong>de</strong> près<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux cents lieues d'une navigation difficile. Il<br />

faut croire que si l'auteur n'a pas corrigé cette<br />

faute , c'est que <strong>du</strong> moment où il se dégoûta <strong>du</strong><br />

théâtre, il ne voulut plus entendre parler <strong>de</strong> ses<br />

tragédies, ni se mêler d'aucune <strong>de</strong>s éditions qu'on<br />

en fit*<br />

La mort <strong>de</strong> Mithridate acbè?e dignement <strong>la</strong> peinture<br />

<strong>de</strong> son caractère.<br />

Tal vengé rourters autant que Je Fat pu :<br />

La mort dans ce projet m*a seule interromps,<br />

<strong>la</strong>cerai d« Romains et <strong>de</strong> <strong>la</strong> tyrannie,<br />

Je n'a! point <strong>de</strong> leur joug saM l'Ignominie;<br />

Et foie me f<strong>la</strong>tter qu'entre ie§ noms fameux<br />

* Qu'une pareille baise a sigealés contre eux,<br />

Uni ne tour a plus fait acheter <strong>la</strong> victoire,<br />

Ni <strong>de</strong> Jours malheureux plus rempli leur histoire.<br />

Le ciel n'a pas renia qif acbeYant mon <strong>de</strong>ssein,<br />

Rome en cendres me rit expirer dans ton sein.<br />

Maia au moins quelque Joie en mourant me console :<br />

J'expire environné d'ennemis que j'Immole;<br />

Dans leur sang odieux J'ai pu tremper met mains,<br />

Et mes <strong>de</strong>rniers regards ont ni fuir les Romains.<br />

Le rôle <strong>de</strong> Momme présente un autre genre <strong>de</strong><br />

perfection. Elle respire cette mo<strong>de</strong>stie noble , cette<br />

retenue, cette décence que Fé<strong>du</strong>eation inspirait aux<br />

illes grecques, et qui ajoutent un intérêt particulier<br />

à l'expression <strong>de</strong> son amour pour Xipharès.<br />

Ses sentiments et ses malheurs sont fidèlement<br />

tracés d'après Plutarque : c'est dans cet historien<br />

que Racine a pris cette apostrophe touchante qu'elle<br />

adresse au ban<strong>de</strong>au royal f qui était <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> son.<br />

infortune, et dont elle avait essayé en vain <strong>de</strong> faire<br />

rinstrument <strong>de</strong> sa mort.<br />

SIÈCLE BE MMJ15 XIV. — POÉSIE. 6tt<br />

Et toi, fatal Usas, i<br />

Instrument et témoin <strong>de</strong> toutes mes doutoiin,<br />

Ban<strong>de</strong>au que mile fois fat trempé <strong>de</strong> mes pleure,<br />

An mutas, en termtsantnia vie et mon auppltee,<br />

Ha pouvtit-iia me rendre un funeste isereicer<br />

A mes tristes regarda, va, cesse <strong>de</strong> fofUr;<br />

D'autres armas sans toi saurant me secourir ;<br />

Et périsM le Jour et 1» matai meurtrière<br />

Qui jadis sur mon front t'attacha là peeaièrel<br />

Plutarque <strong>la</strong> représente comme <strong>la</strong> plus idèlë et<br />

<strong>la</strong> plus vertueuse <strong>de</strong> toutes les femmes <strong>de</strong> Mithridate,<br />

et comme celle qui lui lut <strong>la</strong> plus chère. Le<br />

poète a su accor<strong>de</strong>r son penchant pour Xipharès<br />

avec cette réputation <strong>de</strong> sagesse et <strong>de</strong> se?érité que<br />

l'histoire lui a faite. Destinée I Mithridate par ses<br />

parents, et «'immo<strong>la</strong>nt à son <strong>de</strong>voir, elle est <strong>de</strong>puis<br />

longtemps <strong>la</strong> victime <strong>du</strong> penchant secret qui<br />

, <strong>la</strong> consume; et ce n'est qu'au moment @è l'on croit<br />

Mithridate mort, et où les prétentions <strong>de</strong> Pharnace<br />

lui ren<strong>de</strong>nt nécessaire l'appui <strong>de</strong> Xipharès, qu'elle<br />

<strong>la</strong>isse entre?oir à m prince <strong>la</strong> préférence qu'elle<br />

lui donne. Mais dès qu'elle est assurée que le roi<br />

est virant y elle impose à son amant, eommé à elle*<br />

même 9 <strong>la</strong> loi d'une séparation étemelle.<br />

Quel que suit rers vousto penebast q<br />

le vous ledit, sefajwer, pour ne p<strong>la</strong>n TOUS le dire ;<br />

i§T#atr*ia«refjf#iiar<br />

CM Je vaia vm» jurer raa iienae éternel<br />

Que <strong>de</strong> sentiment et d'intérêt-dans cette «pression<br />

ai neuve! P'&mjwrer tut tâkme éiernd! Jwmr tut<br />

amour étemel j*voilà ce que tout le mon<strong>de</strong> peut<br />

dire : maisiirer tf» sërnse; ei m $Umœ êiernei,<br />

mais le jurer à son amant ; il n'y a que Racine qui<br />

l'ait dit. El combien d'idées délicates sous-enten<strong>du</strong>es<br />

dans cette eipiessioiil Bans le fait, ce n'est<br />

pas à lui qu'elle le jurera : il ne sera ps à l'autel ;<br />

* elle ne prononcera point ce serment : c'est à son<br />

cœur, c'est à son <strong>de</strong>voir, c'est à son épou qu'elta<br />

doit l'adresser. Mais telle est l'involontaire illusion<br />

<strong>de</strong> l'amour, que, sans y penser, il adresse tout à<br />

l'objet aimé 9 même les sacrifiées qui lui sont contraires.<br />

11 nfarrive-rarement, vous le savei, messieurs<br />

, <strong>de</strong> m'arréter sur les beautés <strong>de</strong> <strong>la</strong> versification<br />

<strong>de</strong> Racine : M y aurait trop à faire, et chaque scène<br />

tiendrait une séance. Mais jejne puis m*empécher <strong>de</strong><br />

remarquer <strong>de</strong> temps en temps quelques-unes <strong>de</strong> ces<br />

«pressions si singulièrement heureuses, et qui<br />

supposent encore un autre mérite que celui <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

diction poétique.: ce sont celles qui tiennent à ce<br />

sentiment exquis dont Racine était doué, exprèslions<br />

qu'il p<strong>la</strong>ce toujours si naturellement, qu'elles<br />

semblent échapper à sa plume comme elles échapperaient<br />

à l'amour.<br />

Monime continue :<br />

rtAtenda, vous g£nlsMt. Malt tA<br />

le ne suis point à vous ; Je atrJs à vote père.


§40 k couis BI LUTKBâTURE.<br />

Dans et tanin ?otJMBème il faut ne soutenir,<br />

Et <strong>de</strong> nu» flriMe cœur m'at<strong>de</strong>r à TOUS bannir.<br />

J'attends il moins, J'attendf <strong>de</strong> votre comptais»»<br />

Que désormais partout TOUS fuirez ma présence.<br />

J'en viens <strong>de</strong> dire assez pour vous persua<strong>de</strong>r<br />

Que J'ai trop <strong>de</strong> raisons <strong>de</strong> vous le comman<strong>de</strong>r.<br />

Mais f après ce moment , tf ce coeur magnanime<br />

D'un véritable amoiir i brûlé pour Mouline,<br />

le ne reconnais plis <strong>la</strong> fol <strong>de</strong> vos dis<strong>cours</strong><br />

Qu'as sols que vous prendrez <strong>de</strong> nfévlter toujours.<br />

Xipharès lui représente <strong>la</strong> difficulté <strong>de</strong> se conformer<br />

à cet ordre rigoureux * lorsque Mithridate luimême,<br />

craignant les entreprises <strong>de</strong> Phatnaee, a<br />

ordonné à Xipharès <strong>de</strong> ne point quitter Monime.<br />

M'importe, 11 me fait obéir.<br />

Inventa <strong>de</strong>s faisons qui puissent l'éblouir.<br />

D'il héros M que voos c'est là l'effort suprême ;<br />

Cherchez, prince, cherchez, pour vous trahir vous-même,<br />

Tout ce que, pour jouir <strong>de</strong> leurs contentements,<br />

L'amour fait Inventer ans vnigeires amants.<br />

Enlnjeme connais; il y va <strong>de</strong> ma vie:<br />

De mes faibles efforts ma vertu se défie,<br />

le sais qu'en vous vivant, 11 tendre souvenir<br />

Peut m'arraetier <strong>du</strong> cceir quelque indigne soupir;<br />

' Que Je verrat mon âme f es secret déchirée,<br />

lévite? vers 1e Mes dont elle est séparée.<br />

Mais Je sais bien anssl que , s'il dépend <strong>de</strong> votas<br />

De me faire chérir an souvenir si doui ,<br />

Vous n'empêcherez pas que ma gloire offensée<br />

If en nonisse aussitôt <strong>la</strong> coupable pensée;<br />

•Que ma main dans mon cosur ne vousatHe chaffdiify<br />

Pour y <strong>la</strong>ver ma honte et voos en arracher.<br />

Voilà le <strong>de</strong>rnier effort <strong>de</strong> <strong>la</strong> ?ertu qui combat :<br />

mais cet effort est si grand, qu'il est impossible que<br />

l'attendrissement n'y succè<strong>de</strong> pas; et les <strong>de</strong>rnières<br />

paroles d 9 un aditn si douloureux <strong>de</strong>vaient y mêler<br />

quelque conso<strong>la</strong>tion. Les <strong>de</strong>rniers mots • qu'on<br />

adresse à un amant, même pour l'éloigner <strong>de</strong> soi,<br />

doifent encore être tendres; et quoique le <strong>de</strong>voir<br />

l'emporte , l'amour doit encore se faire entendre<br />

pt><strong>de</strong>ssus tout. Eacine a bien connu cette marche<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> nature dans les fers qui terminent cette scène<br />

attendrissante.<br />

Que dis-Je? En ce moment le <strong>de</strong>rnier fui MUS reste,<br />

le me sens arrêter par un p<strong>la</strong>isir funeste :<br />

Plus Je vous parle, et plus, trop faible que Je «if f<br />

le cherche à prolonger le péril que je fois,<br />

n fui pourtant, 11 faut se faire violence;<br />

Et, sans perdre en adieui on reste <strong>de</strong> coMtaneet<br />

le fuis. Souvenez-vous, prince, <strong>de</strong> m'éviter,<br />

' Et méritez les pleurs que vous stfallez coûter.<br />

Corneille a?ait eu le premier l'idée <strong>de</strong> ces combats<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Tertu contre l'amour. Ils sont le fond <strong>du</strong> réle<br />

<strong>de</strong> Pauline : il y a même <strong>de</strong>s endroits où elle dit à<br />

peu près les mêmes choses que fient <strong>de</strong> dire Monime.<br />

Il n'est pas inutile <strong>de</strong> comparer ces <strong>de</strong>ux morceaux.<br />

Hé<strong>la</strong>s ! cette vertu , quoique enjffs Invincible,<br />

- le <strong>la</strong>isse que tmp voir une âme imp sensible.<br />

Ces pleurs en sont témoins, et ces Ueku soupirs<br />

Qu'arrachent <strong>de</strong> nos feui les cruels souvenirs:<br />

Ttaop Hçmmm eftts d'une mmbMvmÊmt<br />

Contre qui nos <strong>de</strong>voir t trop peu <strong>de</strong> ééÉnsef<br />

Mais si vous ertlmez ée généreux <strong>de</strong>wir,<br />

Conservez-m'en <strong>la</strong> gloire, et cessez <strong>de</strong> me wtr:<br />

Epargnez-moi <strong>de</strong>s pleurs qui coulent à ma honte;<br />

ipsrgmez-mm <strong>de</strong>ê feux qu'à regret Je sur<strong>mont</strong>e ; *<br />

Enin, épargnez-moi ces tristes entretiens t<br />

Qui ne font qulrriter vos tourmenta et les miens.<br />

Cest le même fond <strong>de</strong> pensées, que dans Monime ;<br />

mais Y sans vouloir détailler toutes les fautes <strong>de</strong> Tarification,<br />

quelle prodigieuse différence! Et à quoi<br />

tient-elle principalement? A ce que l'esprit <strong>de</strong> Corneille<br />

a fort bien aprçu ce qu'il fal<strong>la</strong>it dire, et que<br />

le cœur <strong>de</strong> Racine l'a senti. Je n'ai point établi ce<br />

parallèle pour rabaisser l'un au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> l'autre :<br />

chacun d'eux a <strong>de</strong>s mérites différents. J'ai voulu<br />

faire voir que Racine n'aYait appris <strong>de</strong> personne à<br />

prier le <strong>la</strong>ngage <strong>du</strong> cœur.<br />

• Personne aussi ne savait mieux que lui combien<br />

une femme occupée d'un sentiment profond est capable<br />

d'allier <strong>la</strong> tendresse <strong>la</strong> plus délicate a?ac <strong>la</strong> plus<br />

inébran<strong>la</strong>ble fermeté. Quand Mithridate 9 après a?oir<br />

réussi, à force d'artiices f à foire afouer à Monime<br />

son amour pour Xipharès f veut, malgré cet aveu *<br />

<strong>la</strong> con<strong>du</strong>ire à l'autel, sa réponse est d'une âme aussi<br />

éle?ée qu'auparavant elle s'était <strong>mont</strong>rée sensible.<br />

le n'ai point oublié quelle reoMinaissanee 9<br />

Seigneur, m'a dû ranger sous votre obéissance.<br />

Quelque rang où Jadis soient <strong>mont</strong>és mes Meus,<br />

Leur gloire <strong>de</strong> si loin n'éblouit point meâ feux.<br />

le songe avec respect <strong>de</strong> combien Je suis née<br />

ân-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>urs d*un si noble nyménée;<br />

Et malgré mon penchant et mes premiers <strong>de</strong>sseins<br />

Pour un lit, après vous le plus grand <strong>de</strong>s humains t<br />

Du Jour quêteur mon front on mit ce diadème f<br />

Je renonçai, seigneur, à ce prince, à moi-même.<br />

Tous <strong>de</strong>ux d'intelligence à nous sacrifier,<br />

Loin <strong>de</strong> moi, par moi ordre 9 il courait m'oublie* :<br />

Dans f ombre <strong>du</strong> secret ce feu s'al<strong>la</strong>it éteindre;<br />

Et même <strong>de</strong> mon sort Je ne pouvais me p<strong>la</strong>indre;<br />

Puisque ailo f aux dépens <strong>de</strong> mes vœux les plus doux v<br />

le faisais le bonheur d'un héros tel que vous.<br />

Tous seul* seigneur, vous seul, vous m'avez arrachée<br />

A cette obéissance où j'étais attachée ;<br />

Et ce fatal amour dont f avals triomphé,<br />

Ce feu que dans l'oubli Je croyais étouffé,<br />

Dont le cause à Jamais s'éloignait <strong>de</strong> ma vue,<br />

•os détours S'ont surpris, et m'en ont oonvatsosie.<br />

le vous rai confessé, je le dois soutenir.<br />

En vain vous en pourriez perdre le son venir;<br />

Et cet aveu honteux où vous m'avez forcée<br />

Demeurera toujours présent à ma'pensée.<br />

Toujours Je vous croirais incertain <strong>de</strong> ma fol ;<br />

Et le tombeau f seigneur, est moins triste pour 'mot<br />

Que le Ht d'un époux qMm%ratt cet outrage, m<br />

Qui s'est acquis sur moi ce cruel avantage,<br />

Et qui, me préparant un éternel etmul,<br />

rsTa fait rougir d'un feu ffil n'était pas pour lui.<br />

On ne sait s'il y a dans cette réponse plus d'art<br />

et <strong>de</strong> modération que ie noblesse et <strong>de</strong> bienséance.<br />

Je faisais k bonkew cf un Mrm M qm vom« Peuton<br />

mieui ménager l'amour-propre d'un roi roalheureui<br />

et' d'un vieil<strong>la</strong>rd jaloui? Et comme le refus<br />

i'épouser un homme qui ta/mit mugir est con-


forme à oettejuste ferlé» si naturelle à en seie dont<br />

elle est <strong>la</strong> défense 1 Personne n'a su miem que Racine<br />

faire parler les femmes comme il leur convient<br />

<strong>de</strong> parler.<br />

C'est dose votre réponse? et, sans plus me œmptalre,<br />

Vous refus©! rhonnetir que Je vou<strong>la</strong>is vous faire !<br />

Pesses-y Un , fatteads t pour me déte/mtaer...<br />

Mon, seigneur, vainement vous creyee m'étoaner.<br />

le vous connais t je sais tout ce que Je m'apprêta ;<br />

Et Je imâs quels malheurs j'assemble sur ma tète :<br />

Mais te <strong>de</strong>ssein est pris; rien se peut m'ébranler.<br />

Jugn-eo, puisque ainsi Je vous OM parler,<br />

Et m'emporte an <strong>de</strong>là <strong>de</strong> cette mo<strong>de</strong>stie<br />

Dont Jusqu'à ce moment je n'étais point sertie,<br />

Vous TOUS êtes servi <strong>de</strong> ma funeste *main<br />

Pour mettre à votre fils un poignard dans te sels.<br />

De ses feux, innocents J'ai trahi Se mystère ;<br />

Et quand il n'en perdrait que l'amour <strong>de</strong> son père,<br />

1 es mourra, seigneur. Ma fol et mon amour<br />

Me seront point te prix d'os si cruel détour.<br />

Après ce<strong>la</strong>, Juges. Per<strong>de</strong>z une rebelle ;<br />

âreses-vcï» <strong>du</strong> pouvoir qu'on TOUS donna sur et» :<br />

J'attendrai mon arrêt; TOUS pouve* comman<strong>de</strong>r.<br />

Tout ce qu'en TOUS quittant j'ose TOUS <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r*<br />

Creyes ( à Sa varia je dois cette Justice )<br />

Que je TOUS trahis seule, et n'ai point <strong>de</strong> complice;<br />

Et que d'un plein succès va* virai seraient suivis v<br />

SI j'en croyais, seigneur, les voeux <strong>de</strong> veire fils.<br />

Ce rôle me parait, dans son genre, un féritaJble<br />

chef-d'œuvre : il y en a sans doute d'un plus ? if<br />

intérêt et d'un effet plus entraînant; il y a <strong>de</strong>s passions<br />

plus flirtes et <strong>de</strong>s situations plus déchirantes ;<br />

mais je ne connais point <strong>de</strong> caractère plus parfaitement<br />

nuancé» Le soin qu'a eu le poète <strong>de</strong> supposer<br />

que Monime et Xipharès semaient avant que le roi<br />

<strong>de</strong> Pont eût pensé à <strong>la</strong> mettre an rang <strong>de</strong> ses épouses<br />

, écarte <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux amants jusqu'à l'ombre <strong>du</strong><br />

reproche. La marche <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce est gra<strong>du</strong>ée a?ce art,<br />

par les alternatives d'espérance et <strong>de</strong> crainte que<br />

Eût naître d'abord <strong>la</strong> fausse nouvelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong><br />

Mithri^te; ensuite l'offre simulée d'unir Monitne<br />

à Xipharès; anin le péril <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux amants, dont<br />

l'un est menacé <strong>de</strong> <strong>la</strong> vengeance <strong>de</strong> son père, et l'antre<br />

est prête à boire le poison que son époux lui<br />

envoie. Le dénouaient est régulier et agréable au<br />

spectateur : Mithridate meurt en héros, et rend justice<br />

en mourant à son ils et à Monime; tous <strong>de</strong>ux<br />

sont unis. Et à l'égard <strong>de</strong> Pharnacev si sa punition<br />

est différée, on sait qu'elle est sûre; et Fauteur<br />

s'est lé avec raison I <strong>la</strong> connaissance que tout le<br />

mon<strong>de</strong> a <strong>de</strong> cette histoire, lorsqu'il a fait dire à<br />

Mithridate :<br />

Tôt on tard ti faudra que Pharaaci périsse :<br />

Fles-vous aoi Romains <strong>du</strong> sa<strong>la</strong> <strong>de</strong> son supplice.<br />

Le commentateur <strong>de</strong> Racine, que j'ai déjà cité,<br />

s f exprime ainsi sur Miêkridate :<br />

« Le défaut essentiel <strong>de</strong> cette pièce est dans Fktrfgoe^ .-<br />

SIÈGJB DE LOUIS ÏI¥. — POÉSIE. 641<br />

®è9 ftsal qu'en m puisse dire, i se trouve <strong>de</strong>ux intérêts<br />

fort distincts : le premier est rameur <strong>de</strong> Xipharès et <strong>de</strong><br />

Messine; l'autre est <strong>la</strong> balisa <strong>de</strong> Mithridate pour les <strong>la</strong>muas,<br />

et les projets <strong>de</strong> sa vengeasce. Itctae f II est vrai»<br />

a eu fendre ces <strong>de</strong>çà Intérêt* avec un art qui a'apprtient<br />

qu'à lui ; mais f m admirant S'adresse <strong>du</strong> poète f on est forcé<br />

<strong>de</strong> convenir que les projets <strong>de</strong> MItliridate <strong>de</strong>vraient faire<br />

Tunique intérêt <strong>de</strong> cette pièce, et que cet intérêt ne «*mmenée<br />

qu'an troisième acte, on FoAeiihliealon tournois<br />

<strong>de</strong> Xipharès et <strong>de</strong> Moiitme. »<br />

QWé qm le commentateur mpuism dire, m mi<br />

fafeé <strong>de</strong> cm&mîr que ses observations critiques<br />

sont autant <strong>de</strong> méprises bien lour<strong>de</strong>s. Jamais im<br />

kiîm <strong>de</strong> Mitkriémte pmtr les Momaïm n'a pu feins<br />

fîmiéréi d'une pièce ; elle est seulement un <strong>de</strong>s caractères<br />

<strong>du</strong> héros : c'est comme si Fou disait que <strong>la</strong><br />

haine <strong>de</strong> Pharasmane pour les Romains doit faire<br />

f intérêt <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie <strong>de</strong> RhaéetmUte. Jamais te<br />

»prqfet <strong>de</strong> porter <strong>la</strong> guerre en Italie n'a pu faire fin-<br />

Urée d'une pièce. L'intérêt tient nécessairement au<br />

sujet, à Faction. Or, <strong>la</strong> naine pour un peuple, un<br />

projet <strong>de</strong> guerre contre ce peuple, ne sont si un sujet<br />

ni une action. Le sujet est l'amour intéressant et<br />

vertueux <strong>de</strong> Monime et <strong>de</strong> Xipharès; et le nœud<br />

<strong>de</strong> ce sujet, le nœud <strong>de</strong> l'intrigue, est <strong>la</strong> jalousie et©<br />

Mithridate. Comment concevoir que sa haine pour<br />

les Romains, que l'idée d'une expédition incertaine,<br />

éloignée » puisse former un intérêt à part? Elle en<br />

répand sur le personnage <strong>de</strong> Mithridate, qu'elle relève<br />

<strong>de</strong> son abaissement et ie sa défaite* Mais <strong>de</strong>puis<br />

quand le simple développement d'us caractère)<br />

peut-il former un iniéréi dêsMnei, à moins qu'il M<br />

tienne à une secon<strong>de</strong> action? Et cette secon<strong>de</strong><br />

action, où est-elle? Il fendrait qu'elle existât pour<br />

faire mêlmr iawmwr <strong>de</strong> Mpkmrês el <strong>de</strong> Mmdme,<br />

comme le dit le commentateur; mais cette scène<br />

le fait si peu oublier, qu'elle commence le péril <strong>de</strong>s<br />

# <strong>de</strong>ux amants, dont elle découvre l'intelligence. Cette<br />

scène, avec tant d'autres mérites, a encore celui <strong>de</strong><br />

nouer plus fortement l'intrigue, comme il doit toujours<br />

arriver dans un troisième acte; cette scène<br />

finit par ces vers <strong>de</strong> Pharnace :<br />

J'aime : fou vous a fait un idèfe récit.<br />

Mais Xipharès, seigneur, pe vous a pas tout dit :<br />

Cest le moindre secret qu'il pouvait vous apprendre;<br />

Et ae.ils si Idéle a dû vous faire entendre<br />

Que,'<strong>de</strong>s mêmes ar<strong>de</strong>urs dès lougtemp eefhnaé,<br />

Il aime aussi <strong>la</strong> wtoe, et même en «t aimé.<br />

Ce mot terrible, qui porte <strong>la</strong> jalousie et <strong>la</strong> rage<br />

dans le cœur <strong>de</strong> Mithridate, et'jette dans un si<br />

grand danger Monime et Xipharès;'ce mot est Je<br />

<strong>de</strong>rnier d'une scène qui, selon ^commentateur,/©!!<br />

oublier kur amour ! En vérité f l'on ne sort pas d'étonnement<br />

<strong>de</strong> tout ce qu'on imprime aujourd'hui sur<br />

les auteurs c<strong>la</strong>ssiques <strong>du</strong> siècle passé et <strong>du</strong> nôtre.


642<br />

COURS SB LITTÉRATURE.<br />

1 est dit, dans le DkMmmàtê kMwiqœ que j'ai scène si naïve tt-sî touchant® entre Againenmoii et<br />

cité à propos ê"Àmdmmmqm, que Mithridâte est lptdgénie; cette nouvel® foudroyante apportée par<br />

mtmgmàfiqme épîtkalmme* On ajoute qu'un homme Areas,<br />

d'esprit i comparé l'intrigue <strong>de</strong> cette pièce à celle 11 f attend à fiutei pour 1A Mériter ; -<br />

<strong>de</strong> i Avare. Cet homme d'esprU, c'est Yoltaire ; et l'hymen d'Achille faussement prétesté; le désespoir<br />

•ous mm ¥ii comme il les a comparées. <strong>de</strong>Clytemnestre$ qui tombe aux pieds <strong>du</strong> seul défen­<br />

SICHON il. — iphigémie*<br />

seur qui reste à sa fille; <strong>la</strong> noble indignation <strong>du</strong><br />

Le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> succès qu'obtiennent les ouvrages jeune héros, dont le nom est si cruellement com­<br />

'<strong>de</strong> théâtre dépend prineipalement.<strong>de</strong> choii <strong>de</strong>s supromis; les reproches que Clytemnestre adresse à<br />

jets; et le premier é<strong>la</strong>n <strong>du</strong> génie est quelquefois si un époux inhumain; <strong>la</strong> résignation <strong>de</strong> <strong>la</strong> victime,<br />

rapi<strong>de</strong> et si él«?é , que f <strong>de</strong> <strong>la</strong> hauteur où il est d'abord et les prières qu'elle mêle à feipression <strong>de</strong> son obéis­<br />

parvenu, lui-même ensuite a beaucoup <strong>de</strong> peine à sance ; tout ca<strong>la</strong>, je l'a?©ue, appartient plus ou moins<br />

prendre un toi encore plus haut et plus hardi. Il à Euripi<strong>de</strong>. Mais tout ce<strong>la</strong> , j'ose le dire t est plus<br />

s'y a que ces <strong>de</strong>ui raisons qui puissent nous eiplk ou moins embelli; et quelquefois même les beautés<br />

qmmmmmmtEMëm.éepmmJn^QmMqmj offrant sont substituées aux défauts. C'est ce qu'il faut profi­<br />

dans chacun <strong>de</strong> ses drames une création nouvelle ter avec quelque détail, en faisant remarquer dans<br />

et <strong>de</strong> nou?elles beautés t n'âYait pourtant rien pro­ quels points <strong>la</strong> différence <strong>de</strong>s temps et <strong>de</strong>s mœurs<br />

<strong>du</strong>it encore qui fût, dans son ensemble, supérieur a dû mettre l'imitateur dans le cas d'enchérir sur<br />

à cet heureux coup d'essai. Il était dans cet âge où l'original.<br />

l'homme joint au feu <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse, dont il n'a L'espositîon est à peu près fa même dans les <strong>de</strong>ux<br />

rien per<strong>du</strong> f.toute <strong>la</strong> force <strong>de</strong> <strong>la</strong> maturité, les mm* pièces; mais le long détail où entre Agamemnon<br />

tiges <strong>de</strong> <strong>la</strong> réfleiion, et les richesses <strong>de</strong> l'eipé- sur l'origine <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> Troie, et qu'il comrience.<br />

Un ami sévère à contenter, <strong>de</strong>s ennemis à mence à <strong>la</strong> naissance d'Hélène; ce détail qu'il fait<br />

confondre, <strong>de</strong>s envieux à punir , étaient autant d'ai­ i un Grec, qui en est aussi bien instruit que lui,<br />

guillons qui animaient son courage et ses travaux. me parait refroidir une scène d'ailleurs si intéres­<br />

Le moment <strong>de</strong>s grands efforts était fenu, et l'on fît sante. 1 n'y a nulle raison pour prendre son récit<br />

édora successivement <strong>de</strong>ux chefs-d'œuvre qui, en <strong>de</strong> si haut quand les moments sont précisai ; et l'on<br />

élevant Racine au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> M-même, dotaient reconnaît ici cette verbosité qu'on a justement re­<br />

acheter sa gloire, <strong>la</strong> défaite <strong>de</strong> l'envie, et le trioro» prochée aux écrivains grecs, dont Sophocle lui-<br />

' phe <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène française. L'un était IpkigMe, le même, le plus par<strong>la</strong>it <strong>de</strong> tous, n'est pas tout à fait<br />

modèle <strong>de</strong> Faction théâtrale <strong>la</strong> plus belle dans sa exempt. J'en retrouve encore <strong>de</strong>s traces dans les ré-<br />

oontexture et dans toutes ses parties; l'autre était lexions trop prolongées que fait Agamemnon sur<br />

Phèdre, le plus éloquent morceau <strong>de</strong> passion que<br />

les dangers <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur et les avantages d'une<br />

les mo<strong>de</strong>rnes puissent opposer à <strong>la</strong> Diém <strong>de</strong> ce Yir-<br />

condition obscure. Ce n'est pas que ce soient là <strong>de</strong><br />

gile f ail faudrait appeler «imitaili, si Rarins n'a­<br />

ets sentences froi<strong>de</strong>ment philosophiques si fréquenvait<br />

pis écrit.<br />

tes dans Euripi<strong>de</strong> : editt-ci est en situation et en<br />

Ces <strong>de</strong>ux pièces, il est vrai , sont, pour le fond, sentiment; elle est parfaitement p<strong>la</strong>cée, et Racine<br />

empruntées aux Grecs. Mais je me suis assez dé­ n'a pas manqué <strong>de</strong> s'en saisir. Mais il a resserré en<br />

c<strong>la</strong>ré leur admirateur pour qu'il m#soit permis d'as- trois vers ce qu'Euripi<strong>de</strong> allonge dans dix ou douze.<br />

stwer, sans être suspect <strong>de</strong> favoriser les mo<strong>de</strong>rnes, 11 a senti' qu'il ne datait pas y avoir un mot <strong>de</strong> trop<br />

que le poète français a surpassé son modèle dans dans une exposition où Ton a tant <strong>de</strong> choses impor­<br />

Iphigémie, et que dans Phèdre il l'a effacé <strong>de</strong> matantes à dé?eiôpper. Le Grec a le mérite <strong>de</strong> l'invennière<br />

à se mettre hors <strong>de</strong> toute comparaison. L7pAftion ; le Français celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> mesure, et j'ajouterai<br />

génie d'Euripi<strong>de</strong> est sans contredit sa plus belle celui <strong>de</strong> l'expression.<br />

pièce, et Racine n'a pas dissimulé quelles obliga­<br />

Heureux qui, satisfait <strong>de</strong> mm humble fortune,<br />

tions il lui avait. L'eiposition , l'une <strong>de</strong>s plus heu­ Libre eu jêog impart» eu Je suis âttaehé,<br />

reuses qne l'on connaisse an théâtre ; les combats Ytt dans Petit obKQf où te éteni font mskM<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> nature contre l'ambition, <strong>de</strong> <strong>la</strong> religion et <strong>de</strong> i n'y a rien dans le grec qui répon<strong>de</strong> à <strong>la</strong> beauté<br />

<strong>la</strong> crainte contre <strong>la</strong> pitié et <strong>la</strong> tendresse paternelles ; <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ui hémistiches : Libre <strong>du</strong>jmg sqperfc...<br />

ces moufements opposés qui entraînent tour à tour m ks dieux Vont cœkê. 11 n'y a rien non plus qui<br />

Agamemnon; cette joie qui éc<strong>la</strong>te à l'arrivée <strong>de</strong> <strong>la</strong> ait pu fournir à Racine ces vers qui expriment d'une<br />

mère et <strong>de</strong> <strong>la</strong> fuie, et qui, dans un pareil moment, manière si heureusement poétique le calme qui re­<br />

est si déchirante pour le cœur d'un père; cette tient <strong>la</strong> lotte grecque dans le port d'Auli<strong>de</strong> :


SIÈCLE DE MMHS XIV. — MÉSDL<br />

IM vent fol noot f<strong>la</strong>ttait nous Mmm énm te port :<br />

Il filliif i'anéter; et <strong>la</strong> rame inutile<br />

* fatigua Titsement une mer Immobile K<br />

Yoilà pour l'exposition. Voyons fIntrigue et les<br />

caractères. Il y es a quatre plus ou moins tracés<br />

dans Euripi<strong>de</strong> : Agaraeronon, Clytemnestre f Iphigénie,<br />

Achille. Tous sont embellis et perfectionnés,<br />

Agameranon est beaucoup plus noble, Clytemuestre<br />

beaucoup plus pathétique, Achille beaucoup plus<br />

impétueux; Ipfaigénie mémeY le rêle le mieux fait<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce grecque, est encore plus touchante dans<br />

<strong>la</strong> pièce française. -Mais il est à propos d'observer<br />

que <strong>la</strong> supériorité <strong>de</strong>s rôles d 1 Achille et d'Iphigénie<br />

tient à nu ressort dramatique étranger aux anciennes<br />

tragédies 9 et qui n'a jamais été mieux p<strong>la</strong>cé que<br />

dans celle-ci i pour ajouter à l'intérêt <strong>de</strong>s situations<br />

et <strong>de</strong>s caractères, L'amour, que les mo<strong>de</strong>rnes ont<br />

soutes! intro<strong>du</strong>it mal à propos dans ces grands<br />

sujets <strong>de</strong> l'antiquité 9 tels qu'OEdipe, Electre, Mérope?<br />

Philoctète, se mêle admirablement à celui<br />

dlphigésie; et <strong>la</strong> raison en est sensible. Il ne s 9 agit<br />

ici 9 ni tf intrigues amoureuses, ni <strong>de</strong> déc<strong>la</strong>rations ga<strong>la</strong>ntes,<br />

qui rabaissent <strong>de</strong> grands personnages et gâtent<br />

une gran<strong>de</strong> aclion. Quel est le sujet â f ipM§ê<strong>de</strong>?<br />

C'est un père forcé par <strong>de</strong>s raisons d'État d'immoler<br />

si propre Elle. 11 est obligé, pour <strong>la</strong> faire tenir cTArgos<br />

à l'armée 9 <strong>de</strong> prendre un prétexte qui <strong>la</strong> trempe 9<br />

ainsi que sa mère. Il suppose un projet <strong>de</strong> mariage<br />

entre Achille et Iphigénie. Telle est l'intrigue d'Euripi<strong>de</strong>.<br />

On s'attend bien , au moment où cette fourbe<br />

est découverte f qu'Achille sera indigné qu'on se soit<br />

serti <strong>de</strong> son nom pour cet odieux stratagème. Mais<br />

combien <strong>la</strong> situation sera-î-elie plus forte, s'il est<br />

?rai qu'Achille ait été promis à Iphigénie, s'il aime<br />

cette jeune princesse , s'il a en même temps et son<br />

injure à venger et son épouse à sauf cri Pour aller<br />

Jusque-là 9 il n'y avait qu'un pas à faire : Euripi<strong>de</strong><br />

ne fa pas fait ; et, s'il faut tout dire, je m'en étonne,<br />

et je crois qu'on peut le lui reprocher. Car, si les<br />

Grecs n'ont point mis d'intrigues d'amour dans<br />

leurs tragédies, s'ils ne représentent point <strong>de</strong>s héros<br />

amants, l'amour conjugal, l'amour fondé sur <strong>de</strong>s<br />

droits légitimes, n'est point exclu <strong>de</strong> leur théâtre<br />

: témoin l'Antigone <strong>de</strong> Sophocle, qui est promise<br />

au ils <strong>de</strong> Créon f comme l'Iphigénie <strong>de</strong> Racine<br />

l'est au Ils <strong>de</strong> Pelée; et l'attachement mutuel d'Mémon<br />

et d'Antigone est asseï fort pour pro<strong>du</strong>ire <strong>la</strong><br />

catastrophe, c'est-à-dire <strong>la</strong> mort <strong>du</strong> prince qui se<br />

tue auprès d'Antigone. Qui empêchait Euripi<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

s €et vus rappellent «ex êa Ytrgtte :<br />

Optât wttlf jMtnAnf, mmmiêqm re^mi» rmsàit<br />

rtmtm, et te Imto iMiêslMtw wmrwmm Ont*»,<br />

< immm,wm,m,l<br />

OUê rtM§iê mmemm êêmmm fmU§mm$,<br />

(IM&VIU.M.)<br />

S4S<br />

mettre Achille dans une situation semb<strong>la</strong>ble ? Achille<br />

neut, sans rien perdre <strong>de</strong> l'héroïsme qui fait son<br />

caractère, aimer <strong>la</strong> jeune épouse qui lui est promise<br />

; et combien alors il sera plus intéressé à <strong>la</strong> défendre<br />

! Cette faute d'Euripi<strong>de</strong> ( car c'en est une qui<br />

même en amène d'autres) est une noevdie preuve<br />

qui confirme x ce que j'ai toujours pensé f que Sepho<strong>de</strong><br />

if ait vu Men plus loin que lui dans l'art dramatique.<br />

Qu 9 arrive-t41 ? le préten<strong>du</strong> mariage d'Achille n v est<br />

qu'une Action qui s'édaircit dans <strong>la</strong> première scène<br />

<strong>du</strong> quatrième acte; et cette scène, <strong>de</strong> toutes manières<br />

, convient beaucoup plusl <strong>la</strong> comédie qu'à <strong>la</strong> tragédie.<br />

On en va juger. Achille arrive au quatrième<br />

acte, pour parler, dit-il, au général <strong>de</strong>s Grecs, et savoir<br />

les raisons <strong>de</strong> ses dé<strong>la</strong>is. CTest d'abord une fente<br />

d'amener si tard us personnage <strong>de</strong> cette importance,<br />

et sans autre raison qui le fine tenir au sujet qu'un<br />

simple mouvement <strong>de</strong> curiosité et d'impatiaice. Ge<br />

n'est pas tout : il n'a jamais vu Gtytemnestre ; et <strong>la</strong><br />

première personne qui se présente à lui <strong>de</strong>vant <strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>meure d'Agamenmon, c'est cette reine qui croit<br />

venir au-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong> son gendre, et qui l'accueille en<br />

conséquence. Achille, qui ne se doute <strong>de</strong> rien, va <strong>de</strong><br />

surprise en surprise. Étonné <strong>de</strong> voir une femme l'abor<strong>de</strong>r<br />

ainsi f i l'est bien pins lorsqu'elle lui présente<br />

<strong>la</strong> main, cérémoiie d'usage <strong>la</strong> première fois qu'une<br />

mère voyait féponx <strong>de</strong> sa fille. Il réc<strong>la</strong>me les mMe$<br />

M$ <strong>de</strong> impmémiT avec toute <strong>la</strong> simplicité <strong>de</strong>s meenrs<br />

antiques. Glytemnestre cet obligée <strong>de</strong> se nommer,<br />

et lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pourquoi il M rafttse à ce que <strong>la</strong><br />

coutume permet entre un gendre et une beUe»mèr«»<br />

Nouvel étonnement d'Achille, fui ne sait ce qu'on<br />

veut lui din, et qu ink par protester à <strong>la</strong> reine que<br />

jamais il n'a enten<strong>du</strong> parler <strong>de</strong> ce mariage » et cp f Apmemnon<br />

ne lui en a jamais dit un mot. Clytemnestre<br />

est si confuse, qu'elle lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>la</strong> permission<br />

<strong>de</strong> SB retirer. le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, moi, si ce n'est pat.<br />

là uns scène absolument comique. Tonte méprise<br />

l'est par dte-même ; et qu'est-ee ejofeai méprise<br />

semb<strong>la</strong>ble entra Achille m Clytemncstre? ejnel rein<br />

pour un héros, pour une reine! Cette scène se seul<br />

encore <strong>de</strong> l'enfance d'un art qui pourtant était déjà<br />

fort avancé; et toutes ces liâtes viennent <strong>de</strong> ce que<br />

l'hymen d'Achille et dlpUgénie n'ert qu'une supposition<br />

dans le poète grec, au le» d'être une réalité,<br />

comme dans le poète français. Aussi quelle<br />

différence <strong>de</strong> l'arrivée d 9 A<strong>du</strong>lte dans <strong>la</strong> pièce do<br />

Racine! Il ne vient pas à l'armée pour savoir <strong>de</strong>s<br />

nouvdles. La renommée <strong>de</strong> ses exploits l'y a <strong>de</strong>vancé<br />

: il arrive vainqueur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Thessalie et <strong>de</strong> Lesbot;<br />

il arrive pour épouser <strong>la</strong> Ho <strong>du</strong> roi <strong>de</strong>sroit.et<br />

<strong>la</strong>fiMe<strong>de</strong>Priam,


644 CHjRS DE'UmËHATURE.<br />

. MTlMgmàMmMmmwêàamemmlMée,<br />

Leabos même conquise es attendant l'armée,<br />

:.• MB toute autre valeur éternels monuments t<br />

Ne sont d'Achille oisif que les amusements.<br />

Les malheurs <strong>de</strong> Leabos par ses mains ravagés<br />

Épouvantent eeeor tente <strong>la</strong> mer Egée :<br />

Troie en a vu <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme, ©t jusque dans ses poifi<br />

Les Ilots en ont porté les débris et les morts.<br />

Voilà comme le héros s'annonce et comme le<br />

poëte fait <strong>de</strong>s mm. Que Fou compare ici Euripi<strong>de</strong><br />

et Racine , et qu'on juge.<br />

Retenons à <strong>la</strong> pièce grecque. An moment où<br />

Clytemnestro ?eut quitter Achille, Areas surïient,<br />

qui- leur réfèle <strong>la</strong> résolntion cruelle


Et Jamais dans La** un Me le ravisseur<br />

Me Tint-il enlever ou ma femme ou ma sœur?<br />

Qu'al-Je à me p<strong>la</strong>indra? eiï aoat <strong>la</strong> pertes que J'ai <strong>la</strong>ttes ?<br />

Je n'y vais que pour vous , barbare que vous êtes !<br />

Ci qui distingue ce râle admirable, c'est que l'amour,<br />

qui affaiblit ordinairement l'héroïsme, lui<br />

donne ici un nouveau ressort. II semble qu'il n'y<br />

ait rien à répondre lorsque Achille dit à Iphigénle :<br />

Quoi ! madame t un barbare osera mlnsnlfer !<br />

Il ¥olt que <strong>de</strong> sa acmr je «M» venger l'outrage ;<br />

Il sali que, le premier, lui douaneI mon suffrage,<br />

le 1e is nommer chef <strong>de</strong> vingt rois ses rivaux;<br />

Et, pour fruit <strong>de</strong> mes soins f pour fruit <strong>de</strong> mes travaux,<br />

Pour tout le prix «aie d'une Illustre victoire<br />

Qui le doit enrichir, venger, combler <strong>de</strong> gloire,<br />

Content et glorieux <strong>du</strong> liom <strong>de</strong> votre époux,<br />

le M lui <strong>de</strong>mandait que l'honneur d'être à voua.<br />

Cependant aujourd'hui t sanguinaire, parjurey<br />

C'est peu <strong>de</strong> violer l'amitié, <strong>la</strong> nature;<br />

C'est peu que <strong>de</strong> vouloir, sous un couteau mortel,<br />

Me <strong>mont</strong>rer votre eeeiie fumant sur un autel ;<br />

D'un appareil d'hymen couvrant ce sacrifice,<br />

Il veut que ce soit mol qui vous mène au supplice ;<br />

Que ma cré<strong>du</strong>le main con<strong>du</strong>ise le couteau ;<br />

Qu'au Heu <strong>de</strong> votre époux, Je sols votre bourreau !<br />

Et quel était pour vous ce sang<strong>la</strong>nt byménée,<br />

SI je lusse arrivé plus tard cf une Journée ?<br />

Quoi donc ! à leur fureur livrée en ce moment,<br />

Vous irlei à faute! me chercher vainement;<br />

Et d'un fer imprévu vous toeebeciei frappée,<br />

En accusant mon nom qui vous aurait trompée !<br />

U faut <strong>de</strong> ce péril, <strong>de</strong> celle trahison, '<br />

aux yeux <strong>de</strong> tous les Grecs lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r raison.<br />

A l'honneur d'un époux vous-même iûléressée,<br />

Madame, vous <strong>de</strong>vez approuver ma pensée ;<br />

Il faut que le cruel qui m'a pu mépriser,<br />

Apprenne <strong>de</strong> quel nom 11 osait abuser.<br />

Il ne s'indigne pas moins <strong>de</strong> .<strong>la</strong> soumission d'ipfaigénie<br />

que <strong>de</strong> <strong>la</strong> cruauté <strong>de</strong> son père ;<br />

Eh bien ! n'en parions plot. Obéissez cruelle,<br />

Et cherche! une mort qui vous semble si belle ;<br />

Portez à votre père un cœur où J'entrevol<br />

Moins <strong>de</strong> respect pour lui que <strong>de</strong> haine pour mol.<br />

Une Juste fureur s'empare <strong>de</strong> mon âme :<br />

Yous allez à l'autel, et mol J'y <strong>cours</strong>, madame.<br />

SI <strong>de</strong> sang et <strong>de</strong> morts le ciel est affamé,<br />

Jamais <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> sang ses autels n'ont fumé :<br />

â mon aveugle amour tout sera légitime;<br />

Le prêtre <strong>de</strong>viendra ma première victime;<br />

Le bûcher, par mes mains détruit et renversé,<br />

Dans le sang <strong>de</strong>s bourreaux nagera dispersé ;<br />

Et si, dans les horreurs <strong>de</strong> ce désordre extrême,<br />

Voire père frappé tombe et périt lui-même,<br />

Alors <strong>de</strong> vos respects voyant les tristes fruits,<br />

Eeecriailssci les coup que vous aura con<strong>du</strong>its.<br />

Je le répète : que Ton compare à ces emportements<br />

si naturels, si intéressants, si bien fondés,<br />

le sang-froid <strong>de</strong> l'Achille d'Euripi<strong>de</strong> 9 et qu'on déci<strong>de</strong><br />

lequel <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux rêks est le plus tragique et le<br />

plus théâtral<br />

Mais le <strong>de</strong>rnier coup <strong>de</strong> pinceau est dans le cinquième<br />

acte, quand le poëte représente tous les<br />

Grecs armés contre Iphigésle.<br />

Be ce spectacle affreux votre fille a<strong>la</strong>rmée<br />

s Voyait pour elle Achille, et ©outre elle famée.<br />

Là BAin — ton i.<br />

SIECLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE. 645<br />

Mais t quoi tpe seul pour elle, Achille furies»<br />

Épouvantait l'armée, et partageait les dieux.<br />

Homère et Corneille, les <strong>de</strong>ui premiers modèles<br />

<strong>du</strong> sublime, n'ont rien, ce me semble, déplus grand<br />

pour Fidée et pour Feipression que ces <strong>de</strong>ui fera s .<br />

L'imagination croît voir l'Achille <strong>de</strong> l'Ilia<strong>de</strong> quand<br />

il paraît près <strong>de</strong> ses pavillons, sans armes, qu'il<br />

crie trois fois, et que trois fois les Troyens reculent,<br />

Girardon disait que, <strong>de</strong>puis qu'il avait lu Homère,<br />

les hommes loi paraissaient avoir dis pieds : Racine<br />

les voyait à cette hauteur quand il a peint son<br />

Achille.<br />

J'ai dit que le rôle d'Agamemnos était plus noble<br />

et niieui soutenu dans notre Ipkigénie que<br />

dans celle <strong>de</strong>s Grecs. En effet, Euripi<strong>de</strong> l'avilit gratuitement<br />

<strong>de</strong>vant Méoéîas. Quand celui-ci a surpris<br />

<strong>la</strong> lettre que son frère envoie pour prévenir l'arrivée<br />

<strong>de</strong> Clytemnestre, il lui reproche longuement et<br />

<strong>du</strong>rement <strong>de</strong> n'être plus le même <strong>de</strong>puis qu'il a obtenu<br />

le comman<strong>de</strong>ment général; d'avoir été souple<br />

et f<strong>la</strong>tteur lorsqu'il le briguait, et d'être <strong>de</strong>venu<br />

intraitable et inaccessible <strong>de</strong>puis qu'il en est revêtu.<br />

Ces reproches injuriera sont dép<strong>la</strong>cés : il suffisait<br />

que Méné<strong>la</strong>s lui rappelât ses résolutions conformes<br />

à l'intérêt <strong>de</strong>s Grecs, et se p<strong>la</strong>ignît <strong>de</strong> son changement.<br />

D'un autre côté, Agamemaon reproche à Méné<strong>la</strong>s<br />

<strong>de</strong> ne respirer qm le mmg et le carnage, <strong>de</strong><br />

vouloir se ressaisir d'wm épouse ingrate, aux dépens<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> mism et <strong>de</strong> fhonnevr. Est-ce Mes Apmernnon<br />

qui doit tenir ce <strong>la</strong>ngage? est-ce à lui <strong>de</strong><br />

parler ainsi <strong>de</strong> l'injure faite à son frère, d'une querelle<br />

qui .arme toute <strong>la</strong> Grèce, et qui le met lui-<br />

'même à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> tous les rois? Il y a là trop d'inconséquence<br />

; c'est s'expliquer comme Clytemnestre,<br />

et non pas comme le général <strong>de</strong>s Grecs et le frère<br />

<strong>de</strong> Méné<strong>la</strong>s, ni même comme on homme qui, un<br />

moment auparavant, a senti <strong>la</strong> nécessité do sacrifice<br />

qu'on lui <strong>de</strong>mandait. Qu'il en gémisse, qu'il soit<br />

combattu, qu'il cherche même à élu<strong>de</strong>r sa parole,<br />

à sauver sa fille, rien n'est plus naturel; mais qu'il<br />

ne condamne pas formellement sa propre cause ;<br />

c'est se rendre soi-même inexcusable, lorsqu'un<br />

moment après il consentira au sacrifice. Qu'il ne<br />

dise donc pas :<br />

« Poursuive! ;tant qu'il vous p<strong>la</strong>ira <strong>la</strong> vengeance inique<br />

d'une perfi<strong>de</strong> épouse i c'eut votre passion : mais il m'en<br />

coûterait trop <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes, si j'étais assez injuste pour livrer<br />

mon sang aux Grecs. »<br />

Racine a bien senti ce défaut <strong>de</strong> convenance; il a<br />

mis dans <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong> Clytemnestre ce qu'Euripi<strong>de</strong><br />

fait dire à Agamemnon :<br />

1 L'exprentos est <strong>de</strong> Corneille, Settonm, aclei, ses» I :<br />

Ba<strong>la</strong>nce Ici <strong>de</strong>sUas, et f»rt*§e let itéra,<br />

m


£46<br />

GOURS DE LITTÉRATURE.<br />

11 Méné<strong>la</strong>s racheter #1111 tel prix<br />

ces <strong>de</strong> Famour maternel. Inobservation <strong>de</strong> tontes<br />

Sa coupable moitié, dont il est trop épris.<br />

Mais vous, quelles fureurs TOUS ren<strong>de</strong>nt sa victime? ces bienséances est un <strong>de</strong>s avantages <strong>du</strong> théâtre fran­<br />

Pourquoi vous Imposer <strong>la</strong> peine <strong>de</strong> son crime?' çais sur celui <strong>de</strong> toutes les autres nations.<br />

Pourquoi moi-même enfin, me déchirant le f<strong>la</strong>nc ,<br />

Payer ta folle nantir <strong>du</strong> pins pur <strong>de</strong> mon sang? Brnmoy prétend qtf Agamemnon est plus roi dans<br />

Racine , et plus père dans Euripi<strong>de</strong>. Il me semble,<br />

11 me semble aussi que Racine a mieux gardé les au contraire, que, dans <strong>la</strong> pièce grecque, Agametn-<br />

vraisemb<strong>la</strong>nces, et conservé <strong>la</strong> 'dignité cTAgamemaoa donne beaucoup plus à l'intérêt <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie, etf<br />

iioo <strong>de</strong>vant Clytemnestre, lorsqu'il lui interdit l'ap­ dans <strong>la</strong> pièce française, beaucoup plus à <strong>la</strong> nature ;<br />

proche <strong>de</strong> l'autel. Dans Euripi<strong>de</strong>, il veut <strong>la</strong> ren­ et je crois encore qu'en ce<strong>la</strong> tous <strong>de</strong>ux se'sont convoyer<br />

à Argos, sous préteite <strong>de</strong> veiller <strong>de</strong> plus près formés aui mœurs <strong>du</strong> pays où ils écrivaient. La<br />

à l'é<strong>du</strong>cation <strong>de</strong> ses filles; préteite d'autant moins prise <strong>de</strong> Troie, l'autorité <strong>de</strong>s oracles, l'honneur <strong>de</strong><br />

probable, que lui-même fa fait venir à l'armée pour <strong>la</strong> Grèce, <strong>de</strong>vaient être d'une plus gran<strong>de</strong> importance<br />

le mariage dlpliigénie : ce qui présente une contra­ sur le théâtre d'Athènes que sur le «être» Aussi y<br />

diction choquante et ineiplicable. Aussi, lorsqu'il dans Euripi<strong>de</strong>, passé le second acte, Agamemnon<br />

lui dit d'un ton absolu,<br />

n'a plus aucune irrésolution, et paraît constamment<br />

« Je le veux : partez , obéissez, »<br />

résigné au sacriice. Racine a senti que, pour <strong>de</strong>s<br />

elle répond,<br />

spectateurs français, il fal<strong>la</strong>it que <strong>la</strong> nature rendit<br />

« Non, certes, je ne partirai pas ; j'en jure par Juron. plus <strong>de</strong> combats; et après cette gran<strong>de</strong> scène <strong>du</strong><br />

Les soins d'un père mm regar<strong>de</strong>nt : <strong>la</strong>utes-mei ce ex d'une quatrième acte, où <strong>la</strong> fierté et <strong>la</strong> dignité d'Agamem-<br />

mère.»<br />

non se soutiennent si bien <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> hauteur mena­<br />

Et là-<strong>de</strong>ssus elle le quitte. Cest compromettre un çante d'Achille, le poète trouve encore 1e moyen <strong>de</strong><br />

peu l'autorité d'Agamemnon, comme roi et comme donner au roi d'Argos un retour très-intéressant :<br />

époux. Racine, en imitait cette scène, Ta corrigée. dans finstant même où II est le plus irrité <strong>de</strong> For-<br />

Des différentes raisons que lui fournil Euripi<strong>de</strong>, gueil d'Achille, où il dit avec toute <strong>la</strong> fierté qui ap­<br />

il n'a pris que celle qui, <strong>du</strong> moins, a quelque chose partient aux Atri<strong>de</strong>s,<br />

<strong>de</strong> p<strong>la</strong>usible; et il Fa exprimée avec un art et une<br />

élégance <strong>de</strong> détails qui en couvrent <strong>la</strong> faibles»au­<br />

Achille menaçant détermine mon ecenr ;<br />

Ma pitié semblerait un effet <strong>de</strong> ma peur.<br />

tant qu'il est possible.<br />

Il se rappelle <strong>la</strong> soumission d'iphigénie.<br />

Tous voyei en epeli lieux ions l'avez amenée (Ipblgénle) :<br />

Tout y restent <strong>la</strong> guerre, et nos point Fbyménée.<br />

Le tumulte d'un camp ; soldat» et matelots,<br />

Un autel hérissé <strong>de</strong> dards s <strong>de</strong> javelots ;<br />

Tout ce spectacle enfin, pompe digne d'Achille t<br />

Pour attirer vos yeux n'est point assez tranquMie ;<br />

Et les Grecs y Terraient réponse <strong>de</strong> leur roi<br />

Dans un état Indigne et <strong>de</strong> YOQS et <strong>de</strong> mol.<br />

Clytemnestre ne manque pas <strong>de</strong> bonnes raisons à<br />

lui opposer. Alors il en vient à un ordre formel ;<br />

Achille nous menace, Achille sous méprise ;<br />

Mais ma fille en est-elle à mes lots moins soumise?<br />

La tendresse pternelle prend encore le <strong>de</strong>ssus. 11<br />

veut que sa fille vive. Elle vivra, dit-il, pour un autre<br />

que lui. 11 fait venir <strong>la</strong> reine et Iphigénie» et charge<br />

Eurybate <strong>de</strong> les con<strong>du</strong>ire secrètement hors <strong>du</strong> camp 9<br />

et <strong>de</strong> les ramener dans Argos. Ce projet échoue par<br />

<strong>la</strong> trahison d'Érsphile, qui va tout découvrir à Cal-<br />

Tous avei enten<strong>du</strong> ce que je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> f chas, et par le soulèvement <strong>de</strong> Farmée, qui réc<strong>la</strong>me<br />

Madame s Je le veux, et je vous le comman<strong>de</strong>. <strong>la</strong> victime. Ainsi, jusqu'au <strong>de</strong>rnier moment, <strong>la</strong> na­<br />

Obéissez.<br />

ture Femporte encore 3 et Agamemnon ne cè<strong>de</strong> qu'à<br />

Et il sort sans attendre sa réponse. C'est sauver à l'invincible nécessité. Cette gradation est le chef-<br />

<strong>la</strong> fois toutes les bienséances; car il ne doit pas d'œuvre <strong>de</strong> Fart; elle était nécessaire pour répndre<br />

douter qu'on ne lui obéisse; et, après un ordre si sur le rêie d*Agamemnon Fintérét dont il était sus­<br />

précis et si <strong>du</strong>r, il n'a plus rien à dire ni à entendre. ceptible, et pour multiplier les alternatives <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

A regard <strong>de</strong> Clytemnestre, elle <strong>de</strong>meure étonnée crainte et <strong>de</strong> l'espérante. Cette marche'savante est<br />

comme elle doit l'être, et cherche à <strong>de</strong>viner les mo­ un mérite <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>rnes : les aecienf trouvaient <strong>de</strong><br />

tifs <strong>de</strong> cette con<strong>du</strong>ite. Elle paraît croire que son belles situations; mais nous avons su mieui qu'eux<br />

époui n'ose pas <strong>mont</strong>rer aui Grecs assemblés <strong>la</strong> sœur les soutenir, les gra<strong>du</strong>er et les varier..<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> coupable Hélène.<br />

Je trouve encore Racine supérieur à son modèle<br />

Mais nlmpnrte; 11 le veut, et mon casai s> résout dans <strong>la</strong> manière dont Clytemnestre défend sa fille.<br />

Ma fille f ton Donneur me console <strong>de</strong> tout<br />

Ce n'est pas que cette scène ne soit belle dans Eu­<br />

Il y a <strong>de</strong> l'adresse à couvrir cette petite mortifiripi<strong>de</strong>, qu'il n'y ait <strong>du</strong> pathétique dans les dis<strong>cours</strong><br />

cation, qui se perd pour ainsi dire dans les jouissan­ <strong>de</strong> Clytemnestre ; mais elle commence par reprocher


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

à son époux <strong>de</strong>s crimes qui le ren<strong>de</strong>nt odiem v le<br />

meurtre <strong>de</strong> Tantale f son premier mari, et ce<strong>la</strong>i d ? un<br />

ûls qu'elle m a?ait en. II ne faut pas foire haïr ce<strong>la</strong>i<br />

que <strong>la</strong> situation doit faire p<strong>la</strong>indre. Racine n 9 a point<br />

commis cette faute, et il a donné en même temps<br />

plus <strong>de</strong> féhémenee â Clytemnestre : il a donné à <strong>la</strong><br />

nature un accent plus fort et plus pénétrant; il a<br />

joint à ses p<strong>la</strong>intes plus <strong>de</strong> menaces et <strong>de</strong> fureurs,<br />

et il le fal<strong>la</strong>it ; car <strong>de</strong> quoi n'est pas capable une mère<br />

dans une situation si horrible! Bans Euripi<strong>de</strong>, Agamemnon9<br />

après avoir répon<strong>du</strong> à <strong>la</strong> mère et à <strong>la</strong> fille,<br />

se retiré et les <strong>la</strong>isse ensemble : cette sortie est un<br />

peu froi<strong>de</strong>. La scène est mieui con<strong>du</strong>ite dans Racine,<br />

et ira toujours en croissant. Clytemnestre,<br />

•oyant qu'elle ne peut rien sur Agamemnon f s'empare<br />

<strong>de</strong> sa fille.<br />

Nos, je ne fanal point menée au suppliée,<br />

- Ou vous fera aux €mm us douille sacrifice.<br />

Kl crainte ni respect ne m'en peut détecter;<br />

De nés bras tout sang<strong>la</strong>nts il faudra f arracher;<br />

•util Barbareépoux qu'impitoyable père,<br />

Yenct, si irons Poset, <strong>la</strong> ravir à sa mère.<br />

Et ¥ûiut resirei, ma fille, et <strong>du</strong> moins à mes lois<br />

Obéissez eaeer pour <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière fois.<br />

Voilà le cri <strong>de</strong> <strong>la</strong> satyre; toilà comme défait finir<br />

cette scène. On sait quel en est l'effet an théâtre Y<br />

et quels app<strong>la</strong>udissements suivent Clytemoestre,<br />

dont le spectateur a partagé les transporte.<br />

Autant sa douleur est furieuse et menaçante, autant<br />

celle dlphigénie est touchante et timi<strong>de</strong>. Elle<br />

Fest aussi dans Euripi<strong>de</strong> ; mais pourtant elle n'est<br />

pas eiempte <strong>de</strong> ce ton <strong>de</strong> harangue et <strong>de</strong> déc<strong>la</strong>mation<br />

qu'on reproche aux poètes grecs, et particulièrement<br />

à Euripi<strong>de</strong> , mais qui est ininiment rare dans<br />

Sophocle. Iphigénie commence par regretter <strong>de</strong> n'avoir<br />

pmréê&qMmœ d'Orphée, et l'are d'enimtMer<br />

ht rockerg et d'attendrir §e$ cœwspardmparokM.<br />

Ce début est trop oratoire : mais le reste est #une<br />

gran<strong>de</strong> beauté, surtout fendrait où elle présenta à<br />

54?<br />

effet. Les Grecs n'en ont fait usage que très-rarement,<br />

quoiqu'ils se servissent beaucoup plus que<br />

nous <strong>de</strong> tout ce qui pestait parler aux yeux. Nous en<br />

avons vu un exemple très-heureux dans VJjmz <strong>de</strong><br />

Sophocle; mais en général ce moyen est un <strong>de</strong> ceux<br />

qu'il faut mettre en mitre avec le plus <strong>de</strong> réserve,<br />

et que le succès peut seul justiier.<br />

On a fait un reproche spécieux à Mphigénie française<br />

: on a voulu voir <strong>de</strong> l'excès dans sa résignation<br />

% lorsqu'elle dit à son père :<br />

D'en œil lias! «Mitent, d'un cœur saisi soumis,<br />

Que f acceptais l'époux, qm TOUS m'avltx promis,<br />

le saurai t s'il te faut f victime obéissante *<br />

Tfteâee an fer <strong>de</strong> Calchas eue tête Innocente.<br />

On aurait raison, si c'était là le fond <strong>de</strong> ce qu'elle<br />

dit et <strong>de</strong> ce qu'elle pense : mais qu'on écoute sa<br />

réponse tout entière, et Ton ferra §11 y a là <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

bonne foi à interpréter séparément et à prendre dans<br />

une rigueur si littérale ce qui n'est qu'une tournure<br />

<strong>du</strong> dis<strong>cours</strong>, une espèce <strong>de</strong> concession oratoire, dont<br />

le but est <strong>de</strong> toucher d'abord le cœur d f Agamemnon<br />

pr <strong>la</strong> soumission, araaf <strong>de</strong> le ramener par <strong>la</strong> prière<br />

et-les <strong>la</strong>rmes. A-t*on pu croire qu'elle vou<strong>la</strong>it dira<br />

en effet qu'il sera aussi satisfaisant pour elle d'être<br />

sacrilée que d'épouser son amant? Ce sentiment<br />

serait entièrement faux, et je n'en connais point <strong>de</strong> '<br />

cette espèce dans Racine. Mais, pour juger rétention<br />

d'un dis<strong>cours</strong>, il faut l'entendre tout entier, et<br />

ne pas s'arrêter à ce qui n'est qu'un moyen préparatoire.<br />

Or, qui ne ?oitf en lisant <strong>la</strong> suite, que ces<br />

assurances d'une docilité parfaite ne vont qu'à disposer<br />

Agamemnon à écouter favorablement sa ille ?<br />

SI pourtant ce respect f si cette obéfssanse<br />

Parait digne à vos yens d'eue setertempefise;<br />

81 «fane mère es pleurs vous p<strong>la</strong>igne! les ennuis,<br />

Foie vous dire kl qu'en l'état en Je sols<br />

Peut-être assez d'honneurs satâfcoe&ieBt'sie eie<br />

Pour ne pas souhaiter qu'elle me fût ravie,<br />

If 1 qu'en me ramenant, un sétèes <strong>de</strong>stin,<br />

81 près <strong>de</strong> ma esissenee en eàt marqué M lis.<br />

son père le petit Oreste encore au berceau f et cher- Est-ce là <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngage d'une personne qui regar<strong>de</strong><br />

fche à se faire un appui <strong>de</strong> cette pitié si naturelle qu'on <strong>du</strong> même œil <strong>la</strong> mort et ftiyménée ? Sa prière, pour<br />

ne peut refuser à l'enfance. Ce morceau est pjein être mo<strong>de</strong>ste et timi<strong>de</strong>, en est-elle moins intéres­<br />

<strong>de</strong> cette simplicité attendrissante! <strong>de</strong> cette exprèssante? A peine voit-elle son père attendri, comme<br />

non <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature où excel<strong>la</strong>it Euripi<strong>de</strong>. Racine n'a­ il doit l'être par ces premières proies, qu'elle emvait<br />

point ce moyen : il est dans nos principes <strong>de</strong> ploie successivement tout ce qu'il y a <strong>de</strong> plus capa­<br />

n'amener un enfant sur <strong>la</strong> scène que lorsqu'il tient ble <strong>de</strong> l'émouvoir, en commençant par ces <strong>de</strong>ai ters<br />

à l'action, comme dans JiàaMe et dans Inès. On a si naturels et si simples, tra<strong>du</strong>its d'Euripi<strong>de</strong> :<br />

<strong>de</strong>puis employé ce ressort dans quelques pièces, et<br />

Mlle #âejesaeeaiofi $ c'est mol qui li première s<br />

beaucoup moins à propos : les connaisseurs Font Seigneur, teem appe<strong>la</strong>i <strong>de</strong> se dons nom <strong>de</strong> père ;<br />

Ibtânié | et je crois que ce n'est pas sans fon<strong>de</strong>ment. Cest moi qui si longtemps t le p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> tes yeux,<br />

Yona al Mt ie ce non wmerekr les dieux,<br />

Il ferait trop aisé <strong>de</strong> foin Tenir un enfant sur le<br />

théâtre toutes les fois qu'il y aurait un personnage à 1<br />

On peut consulter sur cette résignation îe Génie éM°€kft*><br />

émouvoir, et tout moyen par lui-même si facile, et Usmùwêê, secon<strong>de</strong> partie, UTK nf chapitra •. L'auteur explique<br />

avec beaucoup d'imagination ce que Eteint a ajouté dt<br />

tu quelque strie banal v perd nécessairement <strong>de</strong> son I diiétlenamréledlplilgéiile.


648<br />

C0U1S DE LITTERATURE.<br />

Et pour qui, tant <strong>de</strong> rots prodiguant vos caresses f<br />

Vous n'i¥e2 point <strong>du</strong> sang dédaigné tes faiblesses.<br />

Hé<strong>la</strong>s ! mm p<strong>la</strong>isir Je me faisais couler .<br />

Tous les noms <strong>de</strong>s pays que vous allez dompter |<br />

Et déjà, dllton présageant <strong>la</strong> conquête,<br />

B'sn triomphe si beau Je préparais ta fête,<br />

le ne m'attendais pas que, pour le commencer,<br />

Mon sang fût te premier que vous <strong>du</strong>ssiez verser.<br />

Iphigénie, dans le grec, finit par dire qu'il n'y<br />

a rien <strong>de</strong> si désirable que <strong>la</strong> ¥ie, et <strong>de</strong> si affreux que<br />

<strong>la</strong> mort. Ce sentiment est vrai ; mais est-il assez touchant<br />

pour terminer en morceau <strong>de</strong> persuasion? Il<br />

peut contenir à tout le mon<strong>de</strong>, et il va<strong>la</strong>it mieux,<br />

ce me semble, insister, es finissant, sur ce qui est<br />

particulier à Iphigénie; et c'est aussi ce qu'a fait<br />

Racine. Il n'a pas cru non plus <strong>de</strong>voir lui donner<br />

cette eïtréme frayeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort; il a voulu qu'on<br />

se souvînt que c'était <strong>la</strong> fille d'Agamemnon : et d'ailleurs<br />

il savait qu'un peu <strong>de</strong> courage sans faste, et<br />

mêlé à tous les sentiments qu'elle doit exprimer, ne<br />

pouvait rien diminuer <strong>de</strong> l'intérêt qu'elle inspire, et<br />

<strong>de</strong>vait même l'augmenter.<br />

Non'que <strong>la</strong> peur <strong>du</strong> coup dont je sols menacée<br />

Me fasse rappeler votre testé passée.<br />

Ne craignez rien ; mon «EUT, <strong>de</strong> vôtre honneur Jaloui,<br />

Ne fera point rougir as père tel que vous ;<br />

Et si je n'avais eu que ma vie à défendre,<br />

J'aurais su renfermer un souvenir si tendre.<br />

Mais à mon triste sort, vous Se savez, seigneur,<br />

Une mère, un amant, attachaient leur honneur.<br />

Un rat digne <strong>de</strong> TOUS a cru voir <strong>la</strong> journée<br />

Qui <strong>de</strong>vait éc<strong>la</strong>irer notre Illustre byménée.<br />

Déjà sûr <strong>de</strong> mon cœur, à sa f<strong>la</strong>mme promis,<br />

11 s'estimait heureux : vous me ravin permis.<br />

11 sait votre <strong>de</strong>ssein, jugez <strong>de</strong> ses a<strong>la</strong>rmes.<br />

Ma mère est <strong>de</strong>vant vous, et vous voyez ses <strong>la</strong>rmes.<br />

Pardonne! aux efforts que Je viens <strong>de</strong> tenter<br />

Pour prévenir les pleurs que Je leur vais coûter.<br />

De combien d'intérêts elle s'environne en paraisgant<br />

oublier le sien! Blé ne fait pas parler les<br />

pleurs <strong>du</strong> petit Oreste 9 comme dans Euripi<strong>de</strong> ; mais<br />

les pleurs d'un enfant sont un moyen acci<strong>de</strong>ntel et<br />

passager, au lieu que le contraste affreux <strong>de</strong> l'hymen<br />

qui lui était promis 9 et <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort où l'on Ya <strong>la</strong><br />

con<strong>du</strong>ire, tient à tout le reste <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce et fait<br />

partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation. Plus je réfléchis sur ces <strong>de</strong>ui<br />

ou?rages, plus il me paraît incontestable que ta terreur<br />

et <strong>la</strong> pitié sont portées beaucoup plus loin dans<br />

Racine que dans Euripi<strong>de</strong>.<br />

J'ai enten<strong>du</strong> quelquefois opposer à ce dévouement<br />

généreux d'Iphigénie, qui s'élève au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

crainte <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort en même temps qu'elle fait ce<br />

qu'elle doit pour sauver sa vie, cet aveu que fait<br />

Améaaï<strong>de</strong>d'un sentiment tout contraire, dans ces<br />

•ers si connus :<br />

le se me vanle point <strong>du</strong> fastueux effort<br />

île voir sans n'a<strong>la</strong>rmer Ses apprêts <strong>de</strong> mt mort ;<br />

le regrette <strong>la</strong> vis... elle <strong>du</strong>t m'étn enère.<br />

L'un <strong>de</strong> ces passages ne me paraît point <strong>la</strong> critique<br />

<strong>de</strong> l'autre. Aménal<strong>de</strong> et Iphigénie disent toutes <strong>de</strong>ux<br />

ce qu'elles doivent dira : ce sont seulement <strong>de</strong>ux<br />

genres <strong>de</strong> beauté différents. La situation d'Aménaï<strong>de</strong><br />

est bien plus affreuse encore que celle d'Iphigénie<br />

: elle est condamnée à une mort infâme; elle<br />

va périr en coupable, et sur un échafaud. Aussi le<br />

poète <strong>la</strong> représente dans rentier abattement <strong>de</strong><br />

l'extrême infortune : psun sentiment doux, pas<br />

une ombre <strong>de</strong> conso<strong>la</strong>tion ne se mêle à l'horreur <strong>de</strong><br />

sa <strong>de</strong>stinée. Accusée par ses concitoyens, méconnue<br />

par son père, éloignée <strong>de</strong> son ornait, elle ne peut<br />

faire entendre que l'accent <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>inte. Quelle différence<br />

d'Iphigénie! elle va être offerte en victime<br />

pour le salut et <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> Grèce ; et Ton<br />

n'ignore pas quel honneur était attaché à ces sortes<br />

<strong>de</strong> sacrifices, réputés si honorables, que souvent<br />

même ils étaient volontaires : ces idées prises dans<br />

les mœurs, et le nom <strong>de</strong> fille <strong>du</strong> rot <strong>de</strong>s rois, <strong>de</strong>vaient<br />

donc mêler au caractère d'Iphigénie quelques<br />

teintes d'un héroïsme que ne <strong>de</strong>vait point avoir<br />

Aménaï<strong>de</strong>, qui n'est jamais qu'amante et malheu- ~<br />

reuse. C'est <strong>du</strong> discernement <strong>de</strong> toutes ces convenances<br />

; re<strong>la</strong>tives au personnage, au pays, aux préjugés,<br />

aux cootomes, que dépend <strong>la</strong> perfection d'us<br />

caractère dramatique; et je crois qu'elle se trouve<br />

dans celui d'Iphigénie.<br />

J'ai connu <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> beaucoup d'esprit qui<br />

faisaient une autre critique <strong>de</strong> cette même scène :<br />

ils en blâmaient le dialogue. Ils auraient voulu qu'il<br />

fut coupé par <strong>de</strong>s répliques alternées et contradictoires<br />

, <strong>de</strong> manière à établir une espèce <strong>de</strong> choc y<br />

un combat <strong>de</strong> paroles entre Agamemnon et Clytemnestre<br />

; et ils pensaient que <strong>la</strong> scène en serait <strong>de</strong>ve­<br />

nue plus forte et plus rive. Je ne sais si je me trompe,<br />

mais je crois trouver dans <strong>la</strong> nature les raisons qui<br />

me persua<strong>de</strong>nt que Racine ne s'est pas trompé. Sa<br />

scène, ainsi que celle d'Euripi<strong>de</strong>, est partagée en<br />

trois couplets, si ce n'est que l'ordre est différent.<br />

Dans le grec, Clytemnestre parle <strong>la</strong> première ;<br />

elle éc<strong>la</strong>te en reproches contre Agamemnon, qui ne<br />

répond rien. Cest déjà un défaut à mon avis; car<br />

il ne convient pas qu'il ait l'air <strong>de</strong> n'avoir rien à répondre.<br />

Sa fille prend <strong>la</strong> proie : il réplique alors<br />

et se retire. J'ai déjà remarqué que cette sortie se<br />

<strong>de</strong>vait pas faire un bon effet, et que. <strong>la</strong> marche <strong>de</strong><br />

Racine me semb<strong>la</strong>it plus heureuse. Chez lui v c'est<br />

Iphigénie qui parle <strong>la</strong> première, après que sa mère<br />

a dit avec une Indignation ironique et concentrée :<br />

Yenes f veseï, ma fille, on n'attend pies foe TOUS;<br />

Tenez remercier un père qui vous aime,<br />

Et


41 ! nalhwfetix âreai ! te m'as trahi !<br />

elle se hâte <strong>de</strong> lui dire9<br />

«<br />

Mon père.<br />

Cessai <strong>de</strong> vcras troubler, vous s'éles point trahi : •<br />

* Qiund vota eonnaaiidêRs, TOQI ferez obéi.<br />

Et le reste, comme ou fient <strong>de</strong> l'entendre. Il me<br />

paraît très-naturel qu'Iphigéoie , qui connaît toute<br />

<strong>la</strong> violence <strong>de</strong> Ctytemnestre, et quî-eo a déjà été<br />

témoin <strong>de</strong>vant Achille, qui même a eu soin <strong>de</strong> dire<br />

à son amant ,<br />

Os ne connaît que trop <strong>la</strong> fierté <strong>de</strong>s Atri<strong>de</strong>s :<br />

Laisseï parler, seigneur, <strong>de</strong>s bouches plus timi<strong>de</strong>s,<br />

se hâte <strong>de</strong> prévenir les emportements <strong>de</strong> sa mère,<br />

et d'essayer ce que peuvent sur Agmemnon <strong>la</strong> pitié<br />

et <strong>la</strong> nature. D'un autre celé, il n'est pas moins<br />

vraisemb<strong>la</strong>ble que Clyteoinestre, qui a eu le temps<br />

<strong>de</strong> revenir <strong>de</strong> ses premiers transports; se contienne<br />

encore jusqu'au moment où elle aura enten<strong>du</strong>, <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> bouche même <strong>de</strong> son époux, ce qu'en effet elle<br />

ne doit croire entièrement que lorsqu'il l'aura<br />

lui-même avoué. Après qu'îphigénie a parlé, Clyteoinestre<br />

doit d'autant plus attendre <strong>la</strong> réponse<br />

d'Agamemnon, qu'elle a tout lieu d'espérer qu'il<br />

n'aura pu résister aux pleurs <strong>de</strong> sa fille. 11 s'explique<br />

cependant <strong>de</strong> manière à ne <strong>la</strong>isser aucune espérance.<br />

C'est alors que Forage commence, et avec d'autant<br />

plus d'effet que le spectateur fa vu s'amasser dans<br />

le cœur <strong>de</strong> Clytemnestre pendant qu'Agaraemnoo<br />

par<strong>la</strong>it, et qu'elle ne se livre à toute sa fureur qu'après<br />

qu'elle a per<strong>du</strong> tout espoir. Aussi perd-elle<br />

en même temps tout ménagement, et luit par se<br />

jeter sur sa fille comme une forcenée, et l'entraîne<br />

avec elle hors <strong>du</strong> théâtre. Cette marche me paraît<br />

en tout celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature : on y observe ce progrès<br />

si essentiel à l'effet théâtral, et qui manque à <strong>la</strong><br />

scène d'Euripi<strong>de</strong>; et non-seulement je n'y trouve<br />

rien à reprendre, mais je n'y vois rien qu'on ne<br />

doive admirer.<br />

Ensuite je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aux critiques où ils auraient<br />

foulu p<strong>la</strong>cer ce dialogue coupé, qui leur semble<br />

préférable, et comment il pouvait trouver p<strong>la</strong>ce<br />

dans une pareille situation. Prétendre que tout l'art<br />

<strong>du</strong> dialogue consiste dans un conflit <strong>de</strong> reparties<br />

rapi<strong>de</strong>ment multipliées, c v est une gran<strong>de</strong> erreur. Il<br />

doit toujours être conforme à <strong>la</strong> situation; et dès que<br />

ce rapport existe $ toutes les formes qu'il prend sont<br />

également bonnes.<br />

« Hait trois grands couplets qui forment une scène f<br />

c'est bien long, et ce<strong>la</strong> ressemble à trois iwBgiies qui<br />

se stieèéeisf, »<br />

disent les critiques qui se patent <strong>de</strong> mots, et qui<br />

s'imaginent qu'il ne pept y avoir <strong>de</strong> chaleur que<br />

dans les traits et dans les saillies? Je réponds : Il y<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

549<br />

a tel moment où un couplet <strong>de</strong> quatre vers est long,<br />

parce qu'il est inutile, et tel moment où soixante,<br />

quatre-vingts, cent vers, ne sont point une longueur,<br />

parce qu'il n'y a rien <strong>de</strong> trop. Dans les scènes<br />

<strong>de</strong> brava<strong>de</strong> ou <strong>de</strong> passion, dans une crise pressante<br />

et instantanée, le dialogue doit être vif et coupé.<br />

Voyez <strong>la</strong> scène <strong>de</strong> ÏCéron et <strong>de</strong> BHtaonicus, quand<br />

ils se bravent tous tes <strong>de</strong>ux ; celle d'Agamemnon et<br />

d'Achille, dont je parlerai tout à l'heure; elles sont<br />

<strong>de</strong> ce genre : alors Pexplosion est continuelle. Mais<br />

quand il y a <strong>de</strong>s combats intérieurs, quand il en<br />

coûte <strong>de</strong> parler ou <strong>de</strong> répondre, quand ce qui s'offre<br />

à dire ne peut s'appuyer que sur une suite d'idées<br />

liées entre elles, quand celui qui parle est tellement<br />

animé qu'il est comme impossible <strong>de</strong> l'interrompre,<br />

alors chacun ne doit parler que pour tout dire ; et<br />

tous ces cas différents se trouvent dans fa scène<br />

'dont il s'agit. D'abord, Agamemnon est dans Pétat<br />

le plus violent et le plus pénible : on vient lui reprocher<br />

<strong>de</strong> faire ce qu'il ne fait que malgré lui : il<br />

est comme surpris par sa fille et par sa femme, qui<br />

viennent lui livrer un assaut imprévu. Dira-t-on<br />

qu'il soit fort pressé d'interrompre les prières et les<br />

I armes d'Iphigénie ? Ce<strong>la</strong> ne peut même se supposer.<br />

II souffre; et il lui faut <strong>du</strong> temps pour recueillir<br />

toutes ses forces et rassembler toutes ses raisons.<br />

Il Pécoute donc et doit l'écouter. Quand il parle à<br />

son tour, est-ce If ingénie qui lui coupera <strong>la</strong> parole?<br />

Elle a dit ce qu'elle <strong>de</strong>vait dire : s'il est inflexible,<br />

elle est résignée. Ira-t-elle lutter <strong>de</strong> reparties contre<br />

lui? Rien ne serait plus opposé à <strong>la</strong> décence et au<br />

caractère noble que le poète lui donne. Mais Clytemnestre<br />

, dira-t-oo f comment n'éc<strong>la</strong>te»t-elle pas<br />

d'abord ? Elle feit bien plus : elle se contient quelque<br />

temps; elle a Pair <strong>de</strong>'se dire à elle-même :<br />

Voyons comment un père trouvera <strong>de</strong>s raisons<br />

pour immoler sa fille. A mesure qu'elle Pécoute,<br />

<strong>la</strong> rage <strong>la</strong> suffoque; elle a besoin <strong>de</strong> rappeler tout<br />

ce qu'elle a <strong>de</strong> force; et le poète Pa si bien senti,<br />

qu'elle commence par quatre ¥ers pleins d'une fureur<br />

sour<strong>de</strong> et interne, pleins d'une ironie amère<br />

et sang<strong>la</strong>nte.<br />

Tous ne démentez notai mm race funeste;<br />

Oui, wes êtes Se sang d'Atrée et <strong>de</strong> Th jette :<br />

Bourreau <strong>de</strong> votw tille , tl ne wons reste enf<strong>la</strong><br />

Que d'en faire à sa mère nn horrible fest<strong>la</strong>.<br />

Barbare, etc.<br />

Sou<strong>la</strong>gée par cette première éruption, c'est alors<br />

que cette âme, tourmentée et embrasée comme un<br />

volcan, répand <strong>de</strong>s torrents <strong>de</strong> reproches, d'in-<br />

¥ectives, <strong>de</strong> douleurs, <strong>de</strong> fureurs; et c'est ici, plus<br />

que jamais, que je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à tous ceux qui l'ont<br />

enten<strong>du</strong>e, s'ils imaginent quelque moyen humais<br />

<strong>de</strong> l'interrompre ou <strong>de</strong> l'arrêter, à. moins <strong>de</strong> <strong>la</strong> tuer


5S0<br />

sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce. Agamemnon, nécessairement étoprdi<br />

<strong>de</strong> cette tempête , est-il même es état <strong>de</strong> répondre?<br />

Y pense-t-il? Elle a cessé <strong>de</strong> parler, elle est<br />

sortie , elle a entraîné sa fille , qu'il ne sait encore où<br />

il en est. H <strong>de</strong>meure consterné, épouvanté, abîmé<br />

dans son malheur.... Oh! qu'il faut y regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong><br />

bien près avant d'attaquer sur l'exacte imitation <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> nature l'homme qui en a été le peintre le plus<br />

fidèle!<br />

Iphîgénie soutient jusqu'au bout le caractère également<br />

sensible et généreux qu'elle a <strong>mont</strong>ré. Sûre<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> tendresse <strong>de</strong> son père, qui vient <strong>de</strong> feire os <strong>de</strong>rnier<br />

et inutile effort pour <strong>la</strong> faire partir setrètement<br />

avec Clytemnestre Y voyant toute l'armée conjurée<br />

contre elle, elle se résout à mourir : elle console sa<br />

mère désespérée; elle <strong>la</strong> fait souveuir <strong>de</strong> l'enfance<br />

d'Or este; elle exprime les sentiments les plus ai*<br />

mables.<br />

Surtout, il ? «a m'aima par cet amour <strong>de</strong> mère,<br />

Ne reproches Jamais mon trépas à mou père.<br />

Elle résiste à son amant même 9 qui veut <strong>la</strong> défendre.<br />

Elle lui met <strong>de</strong>vant les yeux <strong>la</strong> gloire dont il<br />

doit se couvrir <strong>de</strong>vant Troie.<br />

Songes, seigneur, longez à ces mofucms <strong>de</strong> gloire<br />

Qu'à TOI tail<strong>la</strong>nt» malus présente <strong>la</strong> victoire.<br />

Ce champ il glorieux où vous «pires tout,<br />

Si faon sang m l'arrose t est stérile pour TOUS.<br />

Telle est <strong>la</strong> loi <strong>de</strong>s dieux à roots père dictée :<br />

En taie, soorf à Culottas ; il l'avait rejetéo ; «<br />

Par <strong>la</strong> touche <strong>de</strong>s Grecs contre mol conjurai,<br />

Leurs ordres étemels se sont trop déc<strong>la</strong>rés.<br />

Peste*, â eos honneurs, j'apporte trop d'obstacles.<br />

Vous-même, dégages <strong>la</strong> fol <strong>de</strong> vos arec te* s*<br />

Signalez ce héros à <strong>la</strong> Grèce promis ; ^<br />

Tourna votre douleur conta ses ennemis.<br />

Béjà Priais pâtit; déjà Troie en a<strong>la</strong>rmes,<br />

Redoute mon bûcher, et frémit <strong>de</strong> vos tarasses.<br />

Allez; et dans ses muii, vi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> citoyens,<br />

Faites pleurer ma mon ans veuves <strong>de</strong>s Troyeoa.<br />

le meurs dans cet espoir, satisfaite et tranquUie.<br />

SI je n'ai pas vécu <strong>la</strong> compagne d'Achille,<br />

* J'espère ajoe <strong>du</strong> moins un heureux avenir<br />

A vos faits immortels Jotartra mon souvenir,<br />

Et qu'un jour mon trépas, source <strong>de</strong> votre gloire,<br />

Ouvrira te récit d'une si belle Matoise*<br />

Ce mé<strong>la</strong>nge d'héroïsme et <strong>de</strong> sensibilité, qui est<br />

propre à <strong>la</strong> tragédie, quoiqu'il n'entre pas dans lotis<br />

les sujets 9 est fort henreui, sertoot dans cet» dont<br />

le fond aurait par lui-même quelque chose <strong>de</strong> trop<br />

affligeant Y tel s par eiemple 9 que celui à'Ipkigênêe,<br />

où les dieux ont ordonné <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> l'innocence.<br />

C'est dans ce cas que l'admiration tempère par <strong>de</strong>s<br />

idées conso<strong>la</strong>ntes un sentiment fait pour consterner<br />

le cœur et le flétrir. Elle ne diminue pas <strong>la</strong> pitié ,<br />

elle <strong>la</strong> rend plus douce. C'est un <strong>de</strong>s plus précieux<br />

avantages <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie, d'élever l'âme en l'attendrissant,<br />

ou même en l'effrayant ; et c'est en ce sens<br />

que l'admiration peut être un ressort tragique , non<br />

C0U1S BE LITTÉIATUM.<br />

pas capital, mais accessoire. J'en, dirai là-<strong>de</strong>ssus davantage<br />

dans le résumé général sur Corneille et Racine,<br />

où j'expliquerai quelle part peut avoir dans <strong>la</strong><br />

tragédie ce ressort <strong>de</strong> l'admiration, sur lequel, <strong>de</strong>puis<br />

vingt ans oo a, comme sur tout le restai, débité<br />

tant d'inepties.<br />

Mous avons vu ce qu'étaient, dans Racine, Agamemnon,<br />

Clytemnestre, IpMgénie, et surtout cet<br />

Achille, si supérieur à ce qu'il est dans Euripi<strong>de</strong> :<br />

et il a fallu reconnaître que, dans tous ces rôles,<br />

si le poète français est obligé <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser au poète<br />

grec <strong>la</strong> gloire d'être original, il <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce au moins<br />

par celle d'une exécution bien plus parfaite. Jusqu'ici<br />

nous les avons considérés Ton auprès <strong>de</strong> l'autre;<br />

mais dans <strong>la</strong> scène entre Achille et Agamemnon,<br />

Racine ne doit rien à Euripi<strong>de</strong> : et quel chef-d'œuvre<br />

que cette seule scène! quel ton d'élévation ! quel feu<br />

dans le dialogue! quelle progression! Ce n'est pas<br />

seulement un combat <strong>de</strong> fierté entre <strong>de</strong>ux héros 9<br />

c'est Achity défendant son amante, <strong>de</strong>mandant raison<br />

<strong>de</strong> sa propre injure, et réc<strong>la</strong>mant son épouse;<br />

Achille prît à lever le bras sur Agamemnon, s'il<br />

ne s'arrêtait à <strong>la</strong> seule pensée que c'est le père tf 1phfgénie<br />

: on ne saurait joindre ensemble plus d'intérêt<br />

et <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur.<br />

« Mais comment tester tant <strong>de</strong> beautés, suis redire faiblement<br />

ce que tout le mon<strong>de</strong> a si bien senti? QueTtribul<br />

stérile ! quel froid retour, que <strong>de</strong>s leiiaiigca%Mir ton tes ces<br />

impressions si vives et si variées, ces frémissements, ces<br />

transports qu'excitent en nous ces pro<strong>du</strong>ctions sublimes <strong>de</strong><br />

premier <strong>de</strong>s arts! Pour en juger tous les effetsf c'est au<br />

théâtre qu'il faut se transporter ; c'est là qu'il fait voir Jet<br />

tendres pleurs d'Iphigénle t Ses <strong>la</strong>rmes jalouses d'Ériphile t<br />

et les combats d'Apinemnon; qu'il faui entendre Ses cris<br />

si douloureui et si déchirants <strong>de</strong>s ealrailles maternelles <strong>de</strong><br />

aytemnestre; qu'il faut contempler, d'un cêté f le roi <strong>de</strong>s<br />

rois; <strong>de</strong> l'autre, Achille; ces <strong>de</strong>ux gtsu<strong>de</strong>urs en présence,<br />

prêtes à se heurter; le fer prêt à él<strong>la</strong>céler dans <strong>la</strong> main<br />

do guerrier, et <strong>la</strong> majesté royale sur te front <strong>du</strong> souverain.<br />

Et quand vous aurez vu <strong>la</strong> féale immobile et en sUenee y attentive<br />

à ce spectacle f suspen<strong>du</strong>e à tons les ressorts que<br />

l'art fait mouvoir sur <strong>la</strong>. scène ; lorsque, dans d'autres moments<br />

, vous aures enten<strong>du</strong> <strong>de</strong> ce ssleaiee universel s'échapper<br />

tout à coup les sanglots <strong>de</strong> l'attendrissement, les cris<br />

<strong>de</strong> ridmlratiou 01 <strong>de</strong> <strong>la</strong> terreur, alors 9 si vous vous méfiei<br />

<strong>de</strong>s surprises faites à vos sens par le prestige <strong>de</strong> l'optique<br />

théâtrale, revenez à vous-même dans <strong>la</strong> solitu<strong>de</strong> <strong>du</strong> cabinet ;<br />

interroges votre raison et votre goût, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z-leur s'ils<br />

peuvent appeler <strong>de</strong>s impressions que vous avez éprouvées»<br />

si <strong>la</strong> réieilca condamne ce qui a ému votre imaginatioii ,<br />

si, revenant an même spectacle, vous y porteries <strong>de</strong>s objections<br />

et <strong>de</strong>s scrupules , et vous verres que tout ce que<br />

vous avez senti n'était pas <strong>de</strong> ces illusions passagères qu'un<br />

talent médiocre iieuf, pro<strong>du</strong>ire avec une situation heureuse<br />

et <strong>la</strong> pantomime cfes, acteurs, mais un effet nécessaire 9<br />

constant et kfaulibïe, fondé sur une étu<strong>de</strong> réfléchie <strong>de</strong> <strong>la</strong>


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

6§1<br />

nature @t <strong>du</strong> eœnr humain f effet qui doit être à jamais Se <strong>de</strong> n'écouter que ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> vengeance, et <strong>de</strong> p<strong>la</strong>i­<br />

même, et qui , Iota <strong>de</strong> s'affaiblir, augmentera dans TOUS à <strong>de</strong>r sa propre cause. Ulysse, au contraire f ne pou­<br />

mesure que vous sturei miem fous en rendre compte.<br />

vant avoir d'autre intérêt que celui <strong>de</strong> tous les Grecs,<br />

Tous Tiras écrier» tiers dans votre Juste aiaaratieii : Quel<br />

art que celui qui domine si impérieusement f que je ne puis<br />

est bien plus autorisé à combattre <strong>la</strong> résistance d'A-<br />

j résister sans démentir mec propre eœur ; f ai forée ma gamemnon. Cette correction, si bien fondée, est<br />

raison même <strong>de</strong> s'intéresser à <strong>de</strong>s fictions; qui 9 a?ec <strong>de</strong>s encore une preuve <strong>de</strong> l'eicellest esprit <strong>de</strong> Racine,<br />

douleurs feintes, eiprimées dais un <strong>la</strong>ngage haraiouteia et un avantage <strong>de</strong> plus sur Euripi<strong>de</strong>.<br />

et ca<strong>de</strong>ncé 9 m'émeut autant que Ses gémissements d'un J'ai fait voir que les personnages <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier<br />

malheur réel ; qui fut couler pour <strong>de</strong>s infortunes Imaginai­ <strong>la</strong>issaient tous plus ou moins à désirer : ehes Rares<br />

ces <strong>la</strong>rmes que <strong>la</strong> nature m'avait données pour <strong>de</strong>s incine, celui d'Ériphile est le seul qui puisse prêter<br />

fortunes véritables , el me procure une si douce épreuve <strong>de</strong><br />

un peu à <strong>la</strong> critique. On ne peut-nier qu'il ne soit<br />

cette sensibilité dont Fciercice est souvent si amer et si<br />

crac! 1 » ( Êîo§e <strong>de</strong> Racine ).<br />

en lui-même épisodique : à <strong>la</strong> rigueur, c'est un défaut;<br />

mais jamais défaut n'eut tant <strong>de</strong> bonnes excuses<br />

Cette scène immortelle a pointant <strong>de</strong> nos jours<br />

pour le justifier, ni tant <strong>de</strong> beautés pur le couvrir.<br />

trouvé <strong>de</strong>s censeurs ; car <strong>de</strong> quoi ne s'avise-t-oh pas ?<br />

Ce rôle d'Ériphile est continuellement lié à <strong>la</strong> pièce<br />

On a dit que ce n'était qu'un malenten<strong>du</strong> ; qu'au<br />

autant qu'il peut l'être. 11 était nécessaire pour ame­<br />

lien <strong>de</strong> se quereller, Agamemnon et Achille n'auner<br />

un dénoûment sans le merveilleux <strong>de</strong> <strong>la</strong> fable;<br />

raient rien <strong>de</strong> mieux à faire que <strong>de</strong> s'accor<strong>de</strong>r; que<br />

car on sent bien que l'auteur français ne pouvait pas,<br />

l'en <strong>de</strong>vrait dire à l'autre ; De quoi s'agit-il? De<br />

comme le poète grec, substituer une biche à Iphi-<br />

sauver ïphigéoïe? J'en ai autant d'envie que vous :<br />

gésie par l'entremise <strong>de</strong> Diane. Notre tragédie peut<br />

réunissons-nous pour en venir à bout. A cet arran­<br />

quelquefois adopter le merveilleux.; mais ce n'est<br />

gement <strong>de</strong> scène, il n'y a qu'une petite difficulté :<br />

pas celui-là. Ériphife a donc fourni à Racine un dé­<br />

c'est qu'il faudrait que les personnages d'une tragénoûment<br />

tel qu'il <strong>de</strong>vait être, et son rôle est conçu<br />

die fussent <strong>de</strong>s hommes parfaits f sans passion, sans<br />

avec une telle adresse qu'il a le <strong>de</strong>gré d'intérêt que<br />

défauts, et doués d'une souveraine raison. CTesîuae<br />

doit avoir chaque personnage y et qu'en même temps<br />

fort belle spécu<strong>la</strong>tion; mais par malheur elle n'est<br />

sa con<strong>du</strong>ite, motivée par <strong>la</strong> passion, est assex<br />

pas plus possible dans <strong>la</strong> tragédie que dans le mon<strong>de</strong>.<br />

odieuse pour qu'on <strong>la</strong> voie volontiers périr, au lieu<br />

H faut donc, en attendant cette réforme, permet­<br />

d'iphigénie qu'elle a voulu perdre. Le poète satisfait<br />

tre qu'Achille n'en<strong>du</strong>re pas tranquillement qu'on<br />

le spectateur <strong>de</strong> toutes les manières, et c'est <strong>la</strong> per­<br />

se serve <strong>de</strong> son nom pour immoler <strong>la</strong> femme qu'on<br />

fection d'un cinquième acte quand le dénoûment doit<br />

lui a promise, et qu'il s'en explique en homme ou­<br />

être heureux.<br />

tragé; ce qu'en vérité tout autre que lui ferait dans<br />

Des cémenté, dit le commentateur <strong>de</strong> Racine,<br />

le même cas, sans être un Achille. Il faut aussi<br />

ont regardé avec raison iepermmmgs d'Êrlpkik<br />

permettre que le général <strong>de</strong>s Grecs, et le chef <strong>de</strong><br />

comme inutile à <strong>la</strong> pièce. Hou, il n'est pas inutile,<br />

tant <strong>de</strong> rois, ne trouve pas bon qu'on veuille <strong>la</strong>i<br />

puisque Fauteur a su le rendre nécessaire. Un per­<br />

faire <strong>la</strong> loi. C'est ainsi que les hommes sont faits;<br />

sonnage n'est inutile que lorsqu'il ne sert à rien, et<br />

et c'est pan» qu'il y a <strong>de</strong>s passions et <strong>de</strong>s querelles<br />

qu'on pourrait le retrancher sans que <strong>la</strong> pièce en<br />

parmi les hommes, qu'il y a <strong>de</strong>s tragédies sur <strong>la</strong><br />

souffrit. 11 est dé<strong>mont</strong>ré que le rôle d'Ériphile n'est<br />

scène comme dans l'histoire. 11 n'y en aura plus<br />

point <strong>de</strong> ce genre; el'ie commentateur lui-même,<br />

dès que nous serons tous <strong>de</strong>venus <strong>de</strong>s êtres parfaits;<br />

dans son examen, admire Vart muée lequel Racine<br />

ce qui peut faire espérer que nous en aurons encore<br />

a su foire dépendre ce personnage <strong>de</strong> son sttfet. 1<br />

longtemps.<br />

ne <strong>de</strong>vait donc pas approuver un avis qu'il dément,<br />

11 nous reste à examiner <strong>de</strong>ux personnages qui<br />

ni donner raison à <strong>de</strong>s censeurs qui confon<strong>de</strong>nt un<br />

ne sont pas dans <strong>la</strong> pièce grecque, Ulysse et Éri-<br />

personnage épisodique, c'est-à-dire ajouté à Faction<br />

pMie» Ulysse est substitué à Méué<strong>la</strong>s 9 et ce change­<br />

principale, avec un personnage inutile, c'est-à-dire<br />

ment est très-judicieui. D'abord il est peu convena­<br />

qui ne sert en rien à cette action. C'est confondre<br />

ble <strong>de</strong> faire paraître Méné<strong>la</strong>s, <strong>la</strong> première cause <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ux choses très-différentes; c'est une méprisée!<br />

tous les malheurs qui sont le sojet <strong>de</strong> ta pièce : il ne<br />

une injustice.<br />

peut y jouer qu'un rôle désagréable au spectateur.<br />

C'en est une encore, ce me semble (mais celle-ci<br />

On serait blessé <strong>de</strong> le voir combattre <strong>la</strong> juste répu­<br />

est <strong>du</strong> commentateur) s <strong>de</strong> dire à propos <strong>de</strong> F amour<br />

gnance que <strong>mont</strong>re Agamemnon à sacrifier sa fille,<br />

qu'Ériphile a pour Achille :<br />

gui est en même temps <strong>la</strong> nièce <strong>de</strong> Méué<strong>la</strong>s. Celui-ci,<br />

« Jamais amour n'est né si subitement ni dans <strong>de</strong>s ek-<br />

m défendant les intérêts <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce, aurait trop l'air<br />

constances si singulières. Il n'est pat naturel que ca<strong>la</strong>i qui


663 -<br />

fit ÉrtpMk prisoBolère kl ait Inspiré mie passion si ? ire<br />

es détruisant Lesbos. »<br />

Ce n'est pas sans doute parce qu'il a détruit Lesbos<br />

qu'il lui a inspiré <strong>de</strong> fa passion. Maïs <strong>de</strong>puis<br />

quand n'est-il pas nature! qu'use jeoae princesse<br />

aime un jeune héros, le ils d'une déesse, Achille<br />

enfin, dont tous les anciens ont vanté <strong>la</strong> beauté? Il<br />

y a beaucoup d'exemples <strong>de</strong> captives qui ont aimé<br />

leurs vainqueurs, et ce vainqueur n'était pas toujours<br />

un Achille. Enfin, voyons si <strong>la</strong> manière dont<br />

Euriphile raconte que cet amour a pris naissance,<br />

nous paraîtra si peu vraisemb<strong>la</strong>ble.<br />

RappeileraS-Je eocor le souvenir affreux<br />

Du jour qui dans les fers nous jeta toutes <strong>de</strong>ux?<br />

Bans l« cruelles mains par qui Je fus ravie<br />

le <strong>de</strong>meurai longtemps sans lumière et sans vie.<br />

Enfin t mes tristes yeux cherchèrent <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté;<br />

Et f me voyant presser d'un bras ensang<strong>la</strong>nté,<br />

le frémissais, Boris, et d'un mmqmm sauvage<br />

Craignais dé rencontrer l'effroyable visage.<br />

rentrai dans son vaisseau, détestant sa fureur,<br />

Et toujours détournant ma vue avec horreur. %<br />

le le vis : son aspect n'avait rien <strong>de</strong> farouche;<br />

le sentis le reproche expirer dans ma bouche;<br />

le sentis contre moi mon cœur se déc<strong>la</strong>rer;<br />

l'oubliai ma colère, et ne sus que pleurer,<br />

le me <strong>la</strong>issai con<strong>du</strong>ire à cet aimable gui<strong>de</strong> :<br />

le l'aimaji à Lesbos, et Je Falme en âuli<strong>de</strong>.<br />

• On volt qu'elle a trouvé son vainqueur fort aimable,<br />

et d'autant plos qu'elle s'y attendait moins.<br />

Qu'y a-t-il <strong>de</strong> si étrange ? .<br />

On retrouve dans ce rôle d'Êriphile cette science<br />

particulière à Racine , <strong>de</strong> tirer parti <strong>de</strong> tous les mouvements<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> passion , etd'en faire les principes naturels<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong>s personnages et <strong>de</strong>s moyens<br />

<strong>de</strong> son iûtrigtfe. La jalousie d'Êriphile, aigrie par<br />

le spectacle <strong>du</strong> bonheur qui semble d'abord attendre<br />

Iphigénie, et <strong>de</strong> l'amour qu'Achille a pour elle,<br />

<strong>la</strong> porte à <strong>de</strong>s actions <strong>de</strong> méchanceté, d'ingratitu<strong>de</strong><br />

et <strong>de</strong> perfidie, très-admissibles dans un personnage<br />

sur lequel l'intérêt <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce ne s'arrête point, et<br />

qui doit être puni à <strong>la</strong> fin. Mais, <strong>de</strong> plus, Fauteur<br />

sait leur donner quelque excuse 9 en offrant sous les<br />

couleurs les plus frappantes le contraste <strong>du</strong> sort<br />

d'Ériphile et <strong>de</strong> celui d'Iphigénie. Quand ces <strong>de</strong>ux<br />

princesses arrivent ensemble, Boris, confi<strong>de</strong>nte <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> première, s'étonne <strong>de</strong> <strong>la</strong> tristesse où elle est plongée,<br />

tandis que l'amitié qu'elle lui suppose pour<br />

Iphigénie <strong>de</strong>vrait lui faire partager sa félicité. -<br />

Ériphile répond :<br />

Eh quoi ! te semble-t-Il que <strong>la</strong> triste Ëripfaik,<br />

Boive être <strong>de</strong> leur joie un témoin il tranquille?<br />

Crols-tn que mes chagrins alertent s'évanouir<br />

IL l'aspect d'un bonheur dont je ne puis Jouir?<br />

le vols Iphigénie entre les bras d f un père ; •<br />

Elle fait tout l'orgueil d'une superbe mère;<br />

Et mol, toujours en butte à <strong>de</strong> nouveaux dangers f<br />

.Remise dès l'enfance en <strong>de</strong>s bras étrangers,<br />

le- reçus et Je vois le jour que je respire,<br />

COU1S DE LITTÉRATURE.<br />

Sans que père si mère ait daigné aie sourira.<br />

Vient ensuite- l'aveu <strong>de</strong> sa passion pour Achille,<br />

quelle voit prêt à épouser sa rivale. Elle ne dissimule<br />

pas que cet hymen v s'il s'achève, sera l'arrêt<br />

<strong>de</strong> sa mort; elle ne cache rien <strong>de</strong> sa haine pour<br />

Iphigénie ; mais ses malheurs et son amour suffisent<br />

pour l'excuser.<br />

Observons à cette occasion, comme un principe<br />

général ? que l'espèce d'intérêt que nous prenons<br />

souvent au théâtre à <strong>de</strong>s personnages coupables et<br />

passionnés, intérêt qui ne va jamais plus loin qu'à<br />

les excuser et à les p<strong>la</strong>indre, ne blesse point l'équité<br />

naturellef qui veut toujours que le crime soit puni.<br />

Et pourquoi? C'est que celui à qui une passion violente<br />

fait commettre un crime en est déjà puni par<br />

cette passion même qui le tourmente, et souvent<br />

même puni plus cruellement qu'il ne le serait d©<br />

toute autre manière. C'est ainsi qffen y regardant<br />

<strong>de</strong> près, nous trouverons toujours dans l'effet théâtral<br />

cet accord entre les principes <strong>de</strong> l'art et ceux<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> morale, que l'artiste ne doit jamais perdre <strong>de</strong><br />

vue.<br />

Ériphile a na moment d'espéranœ sur le faux brait<br />

qu 9 a fait courir Agamemnonf qu'Achille ne presse<br />

plus son mariage; prétexte dont il se servait dans <strong>la</strong><br />

lettre qui <strong>de</strong>vait empêcher le départ <strong>de</strong> son épouse<br />

et <strong>de</strong> sa fille. Mais elle est bientôt cruellement détrompée<br />

par Achille, qui lui <strong>mont</strong>re toute son ia«<br />

dignation <strong>de</strong> ce bruit calomnieux, et toute <strong>la</strong> tendresse<br />

qu'il a pour Iphigénie. La rage d'Ériphile<br />

redouble : instruite bientôt <strong>du</strong> péril <strong>de</strong> sa rivale,<br />

elle ne voit que l'intérêt qu'y prend Achille, et tout<br />

ce qu'il est capable <strong>de</strong> faire pour elle; et dans quel<br />

style elle exhale ses fureurs et sa jalousie 1<br />

M'as-ta pas vu sa gloire et le trouble d'âealllt?<br />

Tm ai va, feu ai fui les signes trop cotâtes.<br />

Ce héros si terrible au reste <strong>de</strong>s humains t<br />

Qui se connaît <strong>de</strong> pleurs que cens qu'il fait répandre,<br />

Qui l'en<strong>du</strong>rcit contre eux dès l'âge le plus tendra,<br />

Et qui 9 si Fon nous fait un fidèle dis<strong>cours</strong>,<br />

Suça même le sang <strong>de</strong>s lions et <strong>de</strong>s ours f<br />

. Pour elle., <strong>de</strong> <strong>la</strong> crainte a fait l'apprentissage :<br />

Elle Fa TU pleurer et changer <strong>de</strong> ¥isag@.<br />

Et tu <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ins, Doris ! Par combien <strong>de</strong> malheurs<br />

Me lui ?oudrais-je point disputer <strong>de</strong> tels peurs !<br />

Quand je <strong>de</strong>vrais comme elle expirer dans use heure...<br />

Mais que di*je, expirer ! ne crois pas qu'elle meure,<br />

Dans un lâche sommeil, croîs-<strong>la</strong> qu'enseveli s<br />

àcMiie aura pour elle Impunément pâli?<br />

Achille i son malheur saura bien mettre obstacle.<br />

Tu verras que les dieux n'ont dicté cet oracle<br />

Que pour croître à <strong>la</strong> fols sa gloire et mon tourment t<br />

Et <strong>la</strong> rendre plus beUe aux yeux <strong>de</strong> son amant<br />

Hon, te dis-Je, les dieux Font en vain condamnée,<br />

le suis 9 et Je serai <strong>la</strong> seule infortunée.<br />

Elle est tentée dès m moment <strong>de</strong> divulguer l'oracle<br />

<strong>de</strong> Calehas eontr* Iphigénie, qui n'est pas


connu <strong>du</strong> reste <strong>de</strong> l'armée. Us autre motif semble<br />

encore autoriser sa perfi<strong>de</strong> vengeance.<br />

Ah ! Boris f quelle Joie ! -<br />

Que d'encens brûlerait dans les temples <strong>de</strong> Troie y<br />

Si, troub<strong>la</strong>nt tous les Grecs, et vengeant ma prison,<br />

le poti¥nSs contre Achille armer Agamesraon;<br />

Si leur haine, <strong>de</strong> Troie oubliant <strong>la</strong> querelle,<br />

Tournait contre eux le fer qu'ils aiguisent contre elle,<br />

Et si, <strong>de</strong> tont le camp, mes avis dangereux a **<br />

Faisaient à ma patrie un sacrifice beureiu!<br />

Une princesse élevée à Lesbos, qu'Achille vient<br />

<strong>de</strong> ravager, semble fondée à tenir ce <strong>la</strong>ngage. Elle<br />

se contient pourtant, et attend l'événement; mais<br />

au quatrième acte, lorsqu'elle est témoin <strong>de</strong> Tordre<br />

que donne en secret Apmemnon pour faire éva<strong>de</strong>r<br />

Ipbigénie avec Clytemuestre, rien ne l'arrête plus.<br />

Elle s'écrie :<br />

SIÈCLE BE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

Ah ! Je succombe «îln; . . .,»<br />

le reconnais l'effet <strong>de</strong>s tendresses d'Achille,<br />

le n'emporterai point une rage inutile.<br />

Plus <strong>de</strong> raisons : il faut ou <strong>la</strong> perdre ou périr.<br />

Yteoi, te dis-Je : à Calchas Je vais tout découvrir»<br />

Et en effet, Fermée instruite, par <strong>la</strong> trahison<br />

d'Ériphite, <strong>de</strong> tout ce qu'on médite pour élu<strong>de</strong>r les<br />

oracles, se soulève contre <strong>de</strong>s projets qui lui paraissent<br />

sacrilèges, et s'oppose à force ouverte à <strong>la</strong><br />

faite <strong>de</strong> <strong>la</strong> mère et <strong>de</strong> <strong>la</strong> fille. On conçoit que cette<br />

horrible méchanceté d'Ériphile, et son ingratitu<strong>de</strong><br />

envers une princesse qui Fa comblée déboutés, doivent<br />

recevoir leur punition. H se trouve à <strong>la</strong> in qu'elle<br />

est fille d'Hélène et <strong>de</strong> Thésée y qu'elle a été élevée<br />

. dans sou enfance sous le nom d'ipbigénie 9 et qu'enfin<br />

c'est elle que les dieux <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt pour, victime.<br />

Cette révolution est en même temps imprévue, et<br />

pourtant préparée ; ce qui remplit les <strong>de</strong>ui conditions<br />

<strong>de</strong> ces sortes <strong>de</strong> catastrophes. Ériphile passe<br />

pour être venue en Aull<strong>de</strong> dans le <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> consulter<br />

Calchas sur sa naissance, qu'elle ne connaît pas.<br />

Elle dit dès le commencement <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce :<br />

: Fignore qui Je suis ; et, pour comble d'horreur,<br />

- Un oracle effrayant m'attache à mon erreur ;<br />

Et, quand Je veux chercher le sang qui m'a fait naître 9<br />

Me.dlt que sans périr Je ne me puis connaître.<br />

Voilà l'événement annoncé. L'aifteur ne s'en tient<br />

pas là : Agamemnon dit à Achille dès le premier acte,<br />

en par<strong>la</strong>nt d'Ériphile :<br />

Que ifi-Je? let Trayon pleurent une autre Méflf»<br />

Que vous ivet, captive, envoyée à Myeène;<br />

Car, Je n'en doute point, celte Jeune beauté<br />

€ar<strong>de</strong> en va<strong>la</strong>>a secret que trahit sa fierté ;<br />

Et son silence même, accusant sa noblesse,<br />

Nous dit qu'elle nous cache une Illustre princesse.<br />

Cétaient là sans doute <strong>de</strong>s préparations suffisantes.<br />

Mais Racine attachait tant d'importance à ces<br />

précautions <strong>de</strong> Fart, aujourd'hui s! négligées, qu'il<br />

a même été trop loin, et qu'il revient encore au<br />

§6S<br />

même sujet dans un endroit où ce détail a para dép<strong>la</strong>cé.<br />

Cest au milieu <strong>de</strong> ce dis<strong>cours</strong> si pathétique<br />

<strong>de</strong> Clytemuestre à son époux, dans <strong>la</strong> seèat iv <strong>du</strong><br />

IV e acte, qu'il lui fait dire :<br />

Que dls-Je? Cet objet <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> Jalousie,<br />

Cette Hélène qui trouble et l'Europe et l'Asie,<br />

tyous aanhle-t-elle un prix digne <strong>de</strong> vos exploits?<br />

Combien nos fronts pour elle ont-ils rougi <strong>de</strong> fols 1<br />

Avapt qu'un nœud fatal l'unit à votre frère,<br />

Thésée avait osé l'enlever à son père.<br />

Tous savez, et Cakbms mille fois vous Fa dit, «<br />

Qu'un hymen c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin mit ce prince en son lit,<br />

El quil en eut pour gage une Jeune princesse-<br />

Que sa mère a cachée au reste <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce.<br />

Ce petit récit épisodique ? quoique fort court, ne<br />

peut que refroidir, au moins un moment, une scène<br />

d'ailleurs si vive : c'est à mon gré le seul défaut sensible<br />

<strong>de</strong> cette tragédie. Le commentateur prétend<br />

que F épiso<strong>de</strong> d'Ériphile rendait ce défaut nécessaire.<br />

Je ne le crois pas. Le dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> Calchas aux Grecs f<br />

quand il leur révèle le sort d'Ériphile au cinquième<br />

acte, était suffisamment préparé par les <strong>de</strong>ui endroits<br />

que j'ai cités. Tout était c<strong>la</strong>ir et motivé, et<br />

Racine n'était point obligé <strong>de</strong> commettre cette petite<br />

feule. Mais apparemment il faut bien qu'il n'y ait<br />

pas un seul ouvrage qui soit tout à fait eiempt <strong>de</strong> ce<br />

tribut que Fhomme doit à sa faiblesse.<br />

Racine a su partout lier à sa pièce ce rôle dont<br />

il avait besoin. Lorsque Iphlgéme paraît pour <strong>la</strong> première<br />

fois <strong>de</strong>vant son père, et qu'elle voit avec sur*<br />

prise l'accueil froid et triste qu'elle en reçoit, elle<br />

lui dit :<br />

Tous n'avez <strong>de</strong>vant vous qu'une Jeune prinons®,<br />

A qui J'avais pour moi vanté votre tendresse :<br />

Cent fois lui promettant mes soins t votre honte,<br />

FM fait gloire à ses yeux <strong>de</strong> ma félicité.<br />

Que va-t-elle penser <strong>de</strong> votre indifférence?<br />

JÙ-Je f<strong>la</strong>tté ses vœux d'une fausse espérance?<br />

Il se sert aussi <strong>de</strong> ce qu'il y a d'odieui dans le caractère<br />

d'Ériphile pour-faire paraître celui d'Iphigénie<br />

plus aimable et plus intéressant. Quand celle-ci<br />

reconnaît le tort qu'elle a eu <strong>de</strong> soupçonner <strong>de</strong> l'intelligence<br />

entre Ériphife et Achille, à l'instant mémo<br />

où elle marche à l'autel pour épouser son amant,<br />

elle Farréte pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> cette<br />

captive dont il lui avait fait hommage, et qu'il avait<br />

envoyée près d'elle à Mycènes.<br />

La reine permettra que f ose <strong>de</strong>masdar<br />

Us gage à votre amour qu'il me doit accor<strong>de</strong>r.<br />

I» viens vous présenter une Jeune princesse;<br />

Le ciel a sur son front imprimé sa noblose.<br />

Be <strong>la</strong>rmes tous let Jours ses yens sont arrosés :<br />

Tous savei ses malheurs 9 vous les mm causés.<br />

Moi-même (où m'emportait une aveugle colère 1)<br />

Fat tantôt sans respect affligé sa misère.<br />

Que ne piis-je aussi bien, par d'utiles se<strong>cours</strong>,<br />

léparer promptement mes injustes dis<strong>cours</strong> 1<br />

le lui prête ma voix ; Je ne puis davantage.<br />

Tous seul pouvei, selpieiir, détruira votre ouvmge. *


S§4 €0U1S DE UTTÉBATDBE..<br />

Elle «t votn captive ; et ses feu que Je p<strong>la</strong>ins,<br />

Quand vous Redonnerez t tomberont <strong>de</strong> ses mains.<br />

Commence! donc par là cette hmrmm jonraée.<br />

Qu'elle poisse à nom voir n'étie plus condamnée.<br />

Montrez que Je ?aSs suivre au pM <strong>de</strong> nos autels<br />

Un rot qui, non content d'effrayer les mortels,<br />

A <strong>de</strong>s embrasements ne bome*polnt sa gloire,<br />

Laisse aux pleurs d'une épouse attendrir sa victoire ,<br />

Et, par les malheureux quelquefois désarmé,<br />

Sait tailler en tout les dieux qui font formé.<br />

Ces sentiments sont aussi nobles que ce style est<br />

ratissant. Dans le récit <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière scène, lorsque<br />

Ulysse raconte <strong>la</strong> mort d'Ériphile, le poëte lui<br />

fait dire :<br />

La sesSe Ipàitéalê,<br />

Dans ce commun bonheur, pleure son ennemie.<br />

Ce n'est pas perdre l'occasion <strong>de</strong> faire valoir un<br />

caractère, et <strong>de</strong> p<strong>la</strong>cer un trait intéressant.,<br />

Achevons <strong>de</strong> faire voir les antres avantages <strong>de</strong><br />

Racine sur Euripi<strong>de</strong>, dans les moyens et les situations.<br />

On a regardé, dans <strong>la</strong> pièce française, l'égarement<br />

<strong>de</strong> Clytemnestre tomme nu petit moyen pour<br />

empêcher que <strong>la</strong> lettre d* Agaraemnon ne lui parvînt.<br />

Cette critique me parât t beaucoup trop sévère : elle<br />

portrsur on fait <strong>de</strong> Favant-scène, qui par lui-même<br />

est naturel, vraisemb<strong>la</strong>ble, et n'a rien qui soit in*<br />

digne <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie. Il est tout simple que Clytemnestre<br />

ait pris un antre chemin que le courrier<br />

d'Agamemnon; et je ne vois pas qu'il y ait là <strong>de</strong><br />

quoi faire un reproche à Fauteur. Aime-t-on mieux<br />

l'invention d'Euripi<strong>de</strong>, qui fait arracher le billet<br />

par Méaéias à fofficier d'Agamemnon? Cette con<strong>du</strong>ite<br />

est peu noble dans un prince, et pro<strong>du</strong>it ensuite<br />

une altercation qui ne Fest pas davantage,<br />

entre son frère et lui.<br />

On connaît cette scène déchirante où Iphigénie<br />

accable <strong>de</strong> caresses un père malheureux, dont ces<br />

mêmes caresses percent le cœur. Assurément je n'ai<br />

rien à dire d'Euripi<strong>de</strong> sur une scène si bien conçue<br />

et si bien remplie, si ce n'est qu'il faut le p<strong>la</strong>indre<br />

d'avoir été si cruellement défiguré par Bramoy.<br />

Mais doit-on blâmer Racine <strong>de</strong> ne l'avoir pas imité<br />

jusque dans tes petits détails <strong>de</strong> naïveté que peutêtre<br />

permettaient les mœurs <strong>du</strong> théâtre grec, sans<br />

que ce sjiit une raison pour qu'on les aimât §nr le<br />

nôtre? Quand Agamemnon dit à sa fille :<br />

« Plus vous <strong>mont</strong>rez <strong>de</strong> raison dans toutes vos réponses ,<br />

plus vous m'affliges, »<br />

elle répond :<br />

« Je vous dirai <strong>de</strong>s folies, si ce<strong>la</strong> peut' vous amuser» •<br />

Une jeuneille telle qu'Iphigénie a pu <strong>la</strong>isser échapper<br />

cette saillie qui est <strong>de</strong> son Âge ; mais tout Fart<br />

<strong>de</strong> Racine pouvait-il <strong>la</strong> faire passer ? Je n'ose le déci<strong>de</strong>r<br />

; mais je crois qu'on peut en douter. En suivant<br />

<strong>de</strong> trop près <strong>la</strong> nature, on s'eipose quelquefois i en<br />

manquer l'effet sur <strong>la</strong> scène; et il se faut qu'un mot<br />

pour mêler le rire au <strong>la</strong>rmes. A tout prendre, <strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>ux scènes me paraissent également belles dans les<br />

<strong>de</strong>ux pièces ; mais celle <strong>de</strong> Racine, à mon avis , finit<br />

mieux.<br />

IPBÏGÉHIE.<br />

yena-t-on à fautel votre heureuse ftmflle?<br />

Hé<strong>la</strong>s!<br />

IPœGéMIK.<br />

Tous vous taisez!<br />

ÂGÂMEMNOM.<br />

Tous y sèves, ma fiUe<br />

Et il sort 9 <strong>la</strong>issant une atteinte cruelle et profon<strong>de</strong><br />

dans l'âme <strong>du</strong> spectateur. Ce trait est indiqué dans<br />

'Euripi<strong>de</strong> *, mais il n'y est pas détaché <strong>de</strong> manière à<br />

frapper un coup si juste, et qui soit le <strong>de</strong>rnier.<br />

àGAmmnm,<br />

« Il font que je fasse im sacrifiée.<br />

IPMGÉHU.<br />

« Cànatoas-Boas^ea hymnes autour <strong>de</strong> l'autel?<br />

AGAJOOUION.<br />

« Tous le sanrei. Yous y serez près <strong>du</strong> .<strong>la</strong>voir.<br />

leaicÊsiE.<br />

« C'est avec les prêtres qu'il faut vous en occuper.<br />

« Mas heureuse que moi, vous ignores ce que je sais. »<br />

Il s'attendrit encore sur elle, puis il <strong>la</strong> renvoie retrouver<br />

ses compagnes, et reste avec Clytemnestre 9<br />

qui s'étonne <strong>de</strong> sa douleur. Il s'en excuse sur le chagrin<br />

<strong>de</strong> se séparer <strong>de</strong> sa fille en <strong>la</strong> mariant. Je ne<br />

sais si j'ai raison , mais il me semble qu'après une<br />

scène si douloureuse, il va<strong>la</strong>it mieux faire sortir<br />

Agamemnon, qui dans cet instant ne doit guère avoir<br />

<strong>la</strong> force <strong>de</strong> tromper. Aacine termine <strong>la</strong> scène, et<br />

éloigne le père, quand il a dit le mot terrible, Fom<br />

y serez; et je crois qu 9 en ce<strong>la</strong> il a connu <strong>la</strong> mesure<br />

exacte <strong>de</strong>s forces <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature et <strong>de</strong> Feffet théâtral.<br />

11 y a une autre scène où il est évi<strong>de</strong>mment supérieur,<br />

en conséquence <strong>du</strong> pian qu'il a suivi; celle où<br />

Arcas vient révéler le fatal secret d'Agamemnon.<br />

Dans Euripi<strong>de</strong>, cette nouvelle foudroyante n'est<br />

apportée que <strong>de</strong>vant Clytemnestre et Achille : dans<br />

Racine, c'est <strong>de</strong>vant Clytemnestre, Achille, IpMgénie,<br />

Ériphile ; c'est au moment d'aller à l'autel que<br />

se prononcent-ces mots :<br />

II l'attend à faute) pour <strong>la</strong> sacrifier.<br />

QueFcoap <strong>de</strong> théâtre!etqueJlefoule d'impressions<br />

• Nous croyons surtout qu'il y a Ici quelque fémlniseeuea<br />

d'un ouvrage que Racine avait beaocoiip lu, quand 11 était à<br />

Port-<strong>Royal</strong>. Dans Héilodore, Hydaspe, roi d'Ethiopie, <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

à Chariclée, sa fille, qu'il m cornu!! pas encore, et qui<br />

m être Immolée, où sont pes parents. Charidée lui répond :<br />

lis mmt ici, et ik emêstermêau smrijlte. (ÀMOUSS DE TBéAcèae<br />

ET ne CHARICLêI, UV. M.) On sait que Racine, dans m<br />

Jeunesse, avait fait une tragédie êê Tkémgèm •# Ckmriciée,<br />

i*tirât le roman dHéStoéore.


il pro<strong>du</strong>it à <strong>la</strong> fois sur une mère, sur si llley sur un<br />

amant , sur une rivale l Combles <strong>de</strong> cris dite» s'élèvent<br />

en mime temps! lui! taJUie! mtm père!Et<br />

U joie cruelle d'Ériphiies qui dit à part ; O <strong>de</strong>//<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

Tout ce<strong>la</strong> n 9 est qu'un tissu d'assertions faosses et<br />

<strong>de</strong> raisonnements contradictoires. D'abord il n'est<br />

pas wni que Racine ait été obligé <strong>de</strong> mMimr <strong>la</strong> colère<br />

<strong>de</strong>s dieux. Rien n'est plus fréquent dans fanciennemythologieque<br />

<strong>de</strong>s oracles dont le motif n'est<br />

point expliqué. Les oracles n'étaient le plus souvent<br />

que les arrêts d'une fatalité invincible, <strong>de</strong> ce Destin<br />

qui9 selon les idées dans l'antiquité païenne, eommasdait<br />

aux dieux comme aux mortels. Etcomment,<br />

par exemple, justiler l'oracle qui condamnait 0Edipe<br />

à être le mari <strong>de</strong> sa mère et le meurtrier <strong>de</strong> son<br />

père? Œdipe est le plus honnête homme <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>,<br />

et pourtant telle est sa <strong>de</strong>stinée. De plus, le sacrifice<br />

d'une victime exigée pour le salut <strong>de</strong> tous n'est pas<br />

une chose rare, ni dans <strong>la</strong> fable, ni même dans l'histoire.<br />

Le dévouement <strong>de</strong> Codrus, roi d'Athènes,<br />

fut <strong>la</strong> suiie d'un oracle qui déc<strong>la</strong>rait, que l'armée<br />

dont le chef périrait serait victorieuse. Dans l'histoire<br />

romaine, le dévouement <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux frères Déclos<br />

n'eut pas d'autre cause que <strong>la</strong> persuasion où l'on<br />

était que ses sortes <strong>de</strong> sacrifices étaient agréables<br />

aux dieux. U n'est donc point <strong>du</strong> tout extraordinaire<br />

que les dieux datait aax Grecs, par <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong><br />

Chalcas:<br />

Pour obtenir les vente que <strong>la</strong> dal V«M déale,<br />

Sacrifier IpUgéale.<br />

Et comme, en écoutant <strong>la</strong> pièce, nous <strong>de</strong>vons nous<br />

ifil<br />

mettre* à h p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s Grecs, nous ne <strong>de</strong>vons paa<br />

plus qu'eux <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r compte aux dieux <strong>de</strong> leurs<br />

volontés.<br />

Mais quand ces principes ne seraient pas arasai<br />

qmelk nmmeMe! forme le contraste <strong>de</strong> m tableau <strong>de</strong> reconnus qu'ils te sont par tous ceux qui ont étudié<br />

déso<strong>la</strong>tion. Voltaire cite ce coup <strong>de</strong> théâtre comme l'antiquité, Racine n'en serait pas plus répréhensi*<br />

le plus beau qu'il connaisse, et Ipki§Me comme <strong>la</strong> ble ; et il est bien étonnant que lecritique lui-même,<br />

tragédie <strong>la</strong> plus parfaite qui exista» 1k s'écrie t après qui en fournit <strong>la</strong> raison, n'en ait pas vu <strong>la</strong> cotisé*<br />

avoir relité l'excellence <strong>de</strong> cet outrage : quence. En effet, dans le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> Racine, ce n'est<br />

« O véritable fngédiel beauté <strong>de</strong> tous les faeap et <strong>de</strong> pas Iphigénie qui périt, c'est Ériphile; et l'on doit<br />

tous les Me»! Malheur aaa barbues qui ne sentiraient avouer qu'elle mérite son sort. Donc, puisque ce<br />

pas jusqu'au fond <strong>du</strong> cœur ce prodigieux mérite ! » n'est pas Iphigénie fille d'Agamemnon qui est sa­<br />

Ce se sont pas toujours lesjuges les plus éc<strong>la</strong>irés crifiée, il n'était nullement nécessaire, il eût même<br />

qui sont les plus difficiles; ils se contentent <strong>de</strong> voir été très-déraisonnable qu'lphigénie ou Agamemnon<br />

les fautes où il en y a. D'autres en cherchent où il n'y eussent été coupables <strong>de</strong> quelque crime. Où est doue<br />

en a point. Le commentateur <strong>de</strong> -Racine a fait sur timperfêtÈèmesmée par le rêlêd'Êripkikî Ou il<br />

IpktgéMe plusieurs critiques qui's'ontauetui fon<strong>de</strong>­ n'y a plus <strong>de</strong> logique au mon<strong>de</strong>, ou ce même rôle<br />

ment. U commence ainsi Feiamen <strong>de</strong> cette pièce. d'Ériphite Itérait i'imperfectim, si elle pouvait<br />

« Le principal reproche qu'on ait fait à Racine est <strong>de</strong> exister.<br />

tfavaïr point motivé <strong>la</strong> eelêre <strong>de</strong>s dieei. On a préten<strong>du</strong> Le critique nous apprend qu'un père m jartaf<br />

stac justice qu'en père ne peut paaf sans les raisons les pas, tam ks plusptâssamêet mk&m, se déierm^<br />

plus puissantes, se déterminer à immoler sa fille. Le p<strong>la</strong>n mer à immoler rnfiik* Personne ne le lui contes­<br />

«pu <strong>la</strong>ça» s'était tracé rendit ta fan te nécessaire. Son déttera. Mais si jamais on eut <strong>de</strong> puissantes raismm<br />

ient étant <strong>de</strong> faire tomber sur Ériphile rexplication <strong>de</strong><br />

pour ce sacrifice, c'est quand un orale <strong>de</strong>s dieux,<br />

Ton<strong>de</strong>, il aurait été injuste <strong>de</strong> faire supporter à cette princesse<br />

<strong>la</strong> peine d*un crime commis par Agamemnon. *<br />

ren<strong>du</strong> au générai <strong>de</strong>s Grecs, a mis à ce prix une vengeance<br />

pour <strong>la</strong>quelle toute <strong>la</strong> Grèce est en armes.<br />

Je crois que, si l'on <strong>de</strong>mandait au censeur <strong>de</strong> meilleures<br />

raisons, il serait embarrassé <strong>de</strong> les trouter.<br />

Les critiques que je viens <strong>de</strong> réfuter n'ont d'autre<br />

défaut que d'être mal raisonnées : en voici <strong>de</strong> bien<br />

plus extraordinaires; elles portent sur <strong>de</strong>s suppositions<br />

absolument fkusses, et font dire à Racine,<br />

ou ce qu'il n 9 a pas dit, ou le contraire <strong>de</strong> ce qu'il<br />

a dit. Rien n'est plus commun, il est vrai, que cette .<br />

espèce <strong>de</strong> mensonge dans les écrivains I <strong>la</strong> journée<br />

on à <strong>la</strong> semaine, à qui <strong>la</strong> haine <strong>du</strong> talent et le sentiment<br />

<strong>de</strong> leur bassesse ont fait perdre toute pu*<br />

<strong>de</strong>ur; mais cette aaimosité ne peut pas exister<br />

contre les morts : il <strong>la</strong>it donc croira que le commentateur<br />

n'a pas enten<strong>du</strong> Racine. On va voir s'il<br />

était possible <strong>de</strong> ne pas l'entendre.<br />

Agamemnon, après avoir rapporté, dans Pexposition<br />

9 l'oracle funeste prononcé par Calehas, continue<br />

ainsi :<br />

Surpris, «mima tu peux puiser,<br />

le sentis dans mon corps tout mon sang te g<strong>la</strong>cer ;<br />

le <strong>de</strong>meurai sans vois t et n'en repris l'usage<br />

Que par mille sanglots qui te firent passage,<br />

le condamnai les dieux t et sans plus rite ouïr,<br />

fis voeu sur leurs ankls <strong>de</strong> leur désobéir.<br />

Sur quoi voici <strong>la</strong> note <strong>du</strong> commentateur :<br />

« Racine n'a pas réûécM qu'il rendait kpmenmm pins<br />

oàlcaa en lui étant le ban<strong>de</strong>au <strong>de</strong> le superstition» et qu'A


5ÔS<br />

«MHS DE LITTÉRATURE.<br />

y a tue espèce 4e ilotes» et <strong>de</strong> foreur I immoler sa Ile<br />

è en oracle auquel il m croit pas. »<br />

Les termes manquent peur «primer l'étonnemeiit<br />

où fou doit être d'osé pareille observation.<br />

Si Racine avait été capable d'une faute si grossièrement<br />

absur<strong>de</strong>, et que le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>s auteurs ne<br />

commettrait pas, son ouvrage ne serait pas supportable.<br />

Mais où donc îe commentateur a-t-ïl pu voir<br />

Cai<strong>de</strong>* vous <strong>de</strong> réc<strong>la</strong>lre un peuple furieux,<br />

Seigneur! à f eonoacer entre tons et Set dieu.<br />

dans les vers cités qu'A gamemnon ne croit pas à l'oracle?<br />

Est-ce parce qu'il condamne les dieux, et qu'il<br />

fuit vœu <strong>de</strong> leur désobéir? Mais, s'il les condamne,<br />

ce ne peut être que <strong>de</strong> lui ordonner une cruauté :<br />

il croit dose qu'ils font ordonnée. S'il fait vom <strong>de</strong><br />

leur désobéir, il croit donc qu'Us ont parlé. Ce premier<br />

transport <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature qui se révolte f loin <strong>de</strong><br />

tenir en rien à <strong>la</strong> moindre apparence d'incré<strong>du</strong>lité ,<br />

prouve au contraire <strong>la</strong> conviction <strong>la</strong> plus complète.<br />

S'il ne croyait pas à l'oracle , il s'en moquerait et serait<br />

tranquille. On ne saurait concevoir ce qui a pu<br />

in<strong>du</strong>ire le critique dans une bévoe si étrange. Quand<br />

ces vers né seraient pas c<strong>la</strong>irs comme le jour, tous<br />

ceux qui suivent auraient dû le détromper :<br />

Pour comble <strong>de</strong> malheur, les dieux, toutes les nuits$<br />

Dès qu'us léger sommeil suspendait mes ennuis,<br />

Vengeant <strong>de</strong> leurs raids Se sengleet pri¥f lége ,<br />

Me pesaient reprocher ma pillé sacrilège;<br />

Et, présentent le foudre à mon esprit confus s<br />

Le bras déjà levé, menaçaient mes refus.<br />

Est-ce là le <strong>la</strong>ngage d'un homme qui ne croit pas<br />

aui oracles?<br />

Le commentateur dit ailleurs :<br />

« Le gloire ne <strong>de</strong>vait pas ba<strong>la</strong>ncer dans ton ceeer les<br />

ecateaseats <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature. Il ne <strong>de</strong>vait pas «m?cuir ©uvertement<br />

que l'ambition était l'unique mobile <strong>de</strong> sa con<strong>du</strong>ite. »<br />

Cet exposé est inidèle. C'est après beaucoup d'autres<br />

motift très-puissants qu f Ce<strong>la</strong> est-il assez positif? Il est vrai que Ciytêeinestre,<br />

dans ses fureurs, reproche à son époux <strong>de</strong><br />

ne sacrifier sa fille qu'à son ambition. Ce <strong>la</strong>ngage<br />

peut convenir à une mère désespérée; mais un critique<br />

ne doit pas'raisonner comme Clyteronestre.<br />

Il ioit 6on examen par regretter que fauteur<br />

û'iphigénie n'ait pas fait <strong>la</strong> pièce dans un temps ai <strong>la</strong><br />

forme <strong>de</strong> notre théâtre kii aurait permis <strong>de</strong> mettre<br />

son dénomment en action. Si le commentateur ait<br />

réfléchi que celui $Âthalie9 qui ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas<br />

moins d'appareil, est tout entier en spectacle, îj<br />

n'aurait peut-être pas énoncé son vœu d'une manière<br />

si positive ; il aurait pu croire que Racine avait eu<br />

ses raisons pour préférer un récit. Il est probable<br />

que ces raisons étaient bonnes ; car, <strong>de</strong>puis cette<br />

édition <strong>de</strong> Racine, on s'est permis <strong>de</strong> faire une fois<br />

le changement «que le commentateur désirait, et<br />

l'on a représenté en action le dénoûment é'Ipàigénie,<br />

qui n'a pro<strong>du</strong>it aucun effet. On peut en donner<br />

<strong>de</strong>s raisons p<strong>la</strong>usibles. Il y a <strong>de</strong>s choses qui font<br />

plus d'effet présentées à l'imagination que mises<br />

sous les yeux; et <strong>de</strong> ce genre est le sacriiee dlphigénïe.<br />

Agamemnon, <strong>la</strong> tête voilée, est beau dans un<br />

tableau ou dans un récit; il est froid sur <strong>la</strong> scène.<br />

Quand le poëte met, dans <strong>de</strong>s vers sublimes9 efaa<br />

côté l'armée, et <strong>de</strong> l'autre Achille, l'imagination<br />

exaltée soutient ce contraste; mais sur <strong>la</strong> scène le<br />

spectateur ne voit qu'un homme, et l'expérience<br />

a prouvé que Racine savait bien ce qu'il faisait.<br />

Le commentateur dit, en inissant, qu'il serait<br />

peut°@re irès-difftcîk <strong>de</strong> repousser toutes les critiques<br />

qu'on a/âffetoflptfiGBNiE. Si l'on en juge par<br />

celles qu'il a faites, on voit que rien n'est plus aisé.<br />

Agamemaon a?oue que<br />

SECHOH vu. — Phèdre.<br />

l'intérêt <strong>de</strong> son rang y entre aussi pour quelque Tm peu <strong>de</strong> chose à dire ici <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux pièces ancien­<br />

chose. Mais put-on dire que cet intérêt soit ion nes, fune grecque, et l'autre <strong>la</strong>tine, dont Racine<br />

tMtque wmbik? Quoi 1 <strong>la</strong> ? engeance <strong>de</strong>s dieux qui le s<br />

menace, le soulèvement <strong>de</strong> farinée qu'il doit eraindre9<br />

<strong>la</strong> honte <strong>de</strong> trahir l'intérêt <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> Grèce,<br />

à <strong>la</strong>quelle il comman<strong>de</strong>, ne sont-ce pas là <strong>de</strong>s aïolis<br />

<strong>du</strong> plus grand poids? Ne sont-ce pas ceui qui<br />

sont énoncés dans vingt endroits <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce? Il ne<br />

se présentait qu'un moyen apparent d'échapper à<br />

l'oracle : c'était d'abdiquer sa dignité et <strong>de</strong> se retirer<br />

chez lui. Mais ce parti même était honteux, dans<br />

les idées patriotiques <strong>de</strong>s Grecs, et, <strong>de</strong> plus, n'était<br />

ps sûr. Il était à craindre que les Grecs, avertis<br />

par Calchas, ne réc<strong>la</strong>massent, et ne poursuivissent<br />

leur victime; et Ulysse le lui dit assez c<strong>la</strong>irement :<br />

Et qui sali « qu'aux Grèce t frustrée <strong>de</strong> leur eMIme 9<br />

Ptnt penneUM un courroux qu'Us croirait légitime?<br />

9 est aidé dans sa Phèdre; et les pièces mo<strong>de</strong>rnes,<br />

faîtes avant <strong>la</strong> sienne sur le même sujet et d'après<br />

les mêmes originaux, ne méritent pas qu'on es<br />

parle.<br />

Il doit à fauteur grec fidée <strong>du</strong> sujet, <strong>la</strong> première<br />

moitié <strong>de</strong> cette belle scène <strong>de</strong> l'égarement <strong>de</strong> Phèdre,<br />

celle dé Thésée avec son ils, et le récit <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

mort dllippolyte. Bans tout le reste, si l'on veut<br />

se rappeler ce que j'ai dit <strong>de</strong> YHïppoifte, à f article<br />

à 9 Euripi<strong>de</strong>, on verra que Racine a remp<strong>la</strong>cé les plus<br />

gran<strong>de</strong>s fautes par les plus gran<strong>de</strong>s beautés.<br />

La tragédi» <strong>de</strong> Sénèque, ainsi que celle d'Euripi<strong>de</strong>,<br />

est intitulée Hippolyte, et non ps *PMdre;<br />

d'où l'on peut inférer que tous <strong>de</strong>ux ont eu le <strong>de</strong>ssein<br />

<strong>de</strong> porter le principal intérêt sur ta mort <strong>de</strong>


l'Innocent Hippolyte, plutôt que sur <strong>la</strong> malheureuse<br />

passion <strong>de</strong> Phèdre;.et l'exécution parait conforme<br />

â ce <strong>de</strong>ssein. Chez tous les <strong>de</strong>ux, Phèdre est à peu<br />

prêt également odieuse f et si l'un al l'autre n'a<br />

songé à rendre sa con<strong>du</strong>ite excusable, ni à faire<br />

p<strong>la</strong>indre sa faiblesse. C'est doue à loi seul que Racine<br />

doit cette idée si heureuse et si dramatique, <strong>de</strong><br />

faire naître d'une passion coupable un grand intérêt;<br />

et cette idée seule, quand il n'aurait pas tant<br />

d'autres afaatâgaa» suffirait pour l'élever bien au<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux anciens. La marche <strong>de</strong> sa pièce se<br />

rapproche plus <strong>de</strong> Sénèque que <strong>de</strong> celle d'Euripi<strong>de</strong>.<br />

Cest d'après 1® poète <strong>la</strong>tin qu'il a conçu <strong>la</strong> scène où<br />

Phèdre déc<strong>la</strong>re son amour à Hippolyte, au lieu que<br />

dans Euripi<strong>de</strong> c'est 1a nourrice qui se charge <strong>de</strong> parler<br />

pour <strong>la</strong> reine. Sénèque eut donc le mérite d'éviter<br />

un défaut <strong>de</strong> bienséance, et <strong>de</strong> risquer une scène<br />

très-délicate à manier; et Racine l'a salfl dans ces<br />

<strong>de</strong>ui points. îl lui doit aussi <strong>la</strong> supposition que Thésée<br />

est <strong>de</strong>scen<strong>du</strong> aux enfers pour servir Pirithoûs,<br />

et qu'-il n'eu doit pas retenir; et l'idée <strong>de</strong> faire servir<br />

féaéa d f Hippolyte, restée entre les aiaias <strong>de</strong><br />

Phèdre,<strong>de</strong> témoignage contre lui; idée admirable,<br />

et bien heureusement substituée à <strong>la</strong> lettre calomnieuse<br />

imaginée par Euripi<strong>de</strong>. C'est aussi à l'exemple<br />

<strong>de</strong> Sénèque que Racine amène Phèdre à <strong>la</strong> lu<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce pour confesser son crime v et attester l'innocence<br />

d'Hippolyte en se donnant <strong>la</strong> mort. Enfin<br />

(et ce n'est pas <strong>la</strong> moindre gloire <strong>de</strong> Sénèque) il a<br />

fourni à Racine cette fomeuse déc<strong>la</strong>ration, un <strong>de</strong>s<br />

plus beaui morceaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Phèdre française. Voici<br />

<strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction littérale <strong>du</strong> <strong>la</strong>tin, qui fera voir ce que<br />

Racine a emprunté <strong>de</strong> Sénèque, et ce qu'il a su y<br />

ajouter. Phèdre se p<strong>la</strong>int d'un feu secret qui <strong>la</strong> dévore.<br />

Hippolyte lui dit :<br />

SIÈCLE DE LOUIS XI?. — POÉSIE.<br />

« Je le vois bien : votre amour pour Thésée tous tour-mente<br />

et vous égare, »<br />

' raàsBi.<br />

m Oui, Hippolyte, 11 est vrai v j'aime Thésée, tel qu'il<br />

était dans les Jours <strong>de</strong> soi printemps, lorsqu'un léger <strong>du</strong>vet<br />

œuvrait à peine ses joues, lorsqu'il vint attaquer Se<br />

monstre <strong>de</strong> Crète dans les détours dû <strong>la</strong>byrinthe , et qn f uu<br />

il lui servait <strong>de</strong> guidé. Quel était alors son éc<strong>la</strong>t 1 Je vois<br />

encore ses cheveux renoues, son teint bril<strong>la</strong>nt ds céleris<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse et <strong>de</strong> Sa pu<strong>de</strong>ur, ce mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong> force et <strong>de</strong><br />

beauté. 11 avait le visage <strong>de</strong> cette Diane que vous adores ,<br />

• on <strong>du</strong> Soleil, mon aïeul ; ou plutôt il avait votre air. C'est<br />

h vous, oui, à vous qu'il 'ressemb<strong>la</strong>it quand il charma <strong>la</strong><br />

fille <strong>de</strong> sou ennemi. C'est ainsi qu'il portait sa tête; mais<br />

sa grâce uégîigée brille encore plus dans son fils. Votre<br />

père respire tout entier en vous, et vous tenei <strong>de</strong> votre<br />

mère fkmmmm je ne sais quoi d'un peu farouche qui mêle<br />

<strong>de</strong>s grâces sra?ages à <strong>la</strong> beauté d'en visap pse. Ah! si<br />

fous frrsfes venu dans k Crète, c'est à vont que ma<br />

•teur aurait écume Se il secourante, etc. »<br />

Ici <strong>la</strong>it ee que Racine a imité. QoatM vers après,<br />

Phàire parle sans ambiguïté, et se jette atii genou<br />

d'Hippolyte. On va voir combien Racine a perfectionné<br />

ce morceau en limitant, et les changements<br />

qu'il a cru y <strong>de</strong>voir faire d'après les convenances<br />

différentes <strong>du</strong> théâtre d'Athènes et <strong>du</strong> nôtre.<br />

•moun.<br />

le vois <strong>de</strong> votre amour reflet prodigieux ;<br />

Tout mort ipll est, Thésée est présent à vos jfVf<br />

Toujours <strong>de</strong> sou amour voire âme est embrasée.<br />

MêME.<br />

Oui, p1a«t Je iaepui, Je lirale pour Thésée. . à<br />

le Faillie, nos point tel que fout vu les enfers «<br />

¥ otage adorateur <strong>de</strong> mille objets divers,,<br />

Qui va <strong>du</strong> dieu <strong>de</strong>s morts déshonorer <strong>la</strong> eouche....<br />

Elle commence par <strong>mont</strong>rer sous on jour odiem<br />

les infidélités <strong>de</strong> Thésée : c'est une excusa indirecte<br />

<strong>de</strong> sa faute. Ce tour adroit n'est point <strong>de</strong> Sénèque.<br />

Mais Mète, osais fier, et même on peu farouche,<br />

Charmant, Jeune, traînant tous les cœurs après soi;<br />

Tel qu'on dépeint oosdieux, on tel que Je Tom vol.<br />

1! avait votre port, vos y roi, votre <strong>la</strong>ngage;<br />

Celte noble pu<strong>de</strong>ur colorait son visage 9<br />

lorsque <strong>de</strong> notre Crète 11 traversa les flota.<br />

* Digne sujet <strong>de</strong>s Yonu <strong>de</strong>s Elles <strong>de</strong> MMot.<br />

H y a ici beaucoup moins <strong>de</strong> détails que dans Sénèque<br />

sur <strong>la</strong> beauté d'Hippolyte : Os auraient été<br />

beaucoup moins bien p<strong>la</strong>cés pour nous, qui ne rendons<br />

pas à <strong>la</strong> beauté, dans les <strong>de</strong>ux sexes, un culte<br />

aussi déc<strong>la</strong>ré et aussi général que les Grecs et les<br />

Latins. Phèdre 9 dans Sénèque, dosée plus <strong>de</strong> louanges<br />

h <strong>la</strong> beauté d'Hippolyte, et, dans Racine, elle a<br />

pi il s <strong>de</strong> mouvements passionnés. Les rers qui sui-<br />

?€rït ne sont point dans le <strong>la</strong>tin :<br />

Que fatsta-vous alors? Pourquoi, sans Hippolyte,<br />

Des héros <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce assemb<strong>la</strong>-t-ll l'élite?<br />

Pourquoi, trop jeûna encor, ne pûtes-vous alors<br />

Entrer dans Se vaisseau qui le mit sur oos tais?<br />

Par vous aurait péri le monstre <strong>de</strong> <strong>la</strong> Crète,<br />

Malgré tous les détours <strong>de</strong> sa vaste retraite ;<br />

Pour en développer rembarras Incertain t<br />

Ma sœur <strong>du</strong> 111 fatal eût armé votre main.<br />

Tout ce qui suit est entièrement <strong>de</strong> Radar f et<br />

c'est ïel qu'il enchérit le plus sur son modèle :<br />

Mais BOB , dans ce <strong>de</strong>ssein Je l'aurais <strong>de</strong>vancée ;<br />

L'amour m'en eût efabord inspiré <strong>la</strong> pensée.<br />

Gm% moi t prises, c'est moi dont futile se<strong>cours</strong><br />

Vous eût <strong>du</strong> <strong>la</strong>byrinthe enseigné les détours.<br />

Que <strong>de</strong> soins m'eût coûtés cette tète étonnante I<br />

Un il n'eût point asse* rassuré votre amante :<br />

Compagne <strong>du</strong> péril qu'il vous fal<strong>la</strong>it cherchée,<br />

Moi-même <strong>de</strong>vant vous j'aurais voulu marcher;<br />

Et Phèdre, au <strong>la</strong>byrinthe avec vous <strong>de</strong>scen<strong>du</strong>e,<br />

Se serait avec vous retrouvée ou per<strong>du</strong>e.<br />

Elle ne initias ici, comme dans Sénèque, par<br />

un aveu formel <strong>de</strong> son amour, et par un mouy»»<br />

mest qui en est <strong>la</strong> plustunulliaste «pression. L'égarement<br />

est porté à son comble f et son secret t qw<br />

lui échappe, n'est que le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>gré<strong>du</strong> délire <strong>de</strong>


56§<br />

<strong>la</strong> passion. On dirait que, toutes les fois que Racine<br />

6e sert <strong>de</strong> ce qu'on autre a fait, c'est pour <strong>mont</strong>rer<br />

comment il fal<strong>la</strong>it faire.<br />

11 a fait usage <strong>de</strong> quelques autres traits <strong>de</strong> Sénèque<br />

: le plus remarquable est celui-ci :<br />

OENOKB.<br />

11 â pour tout le ieie une haine fi<strong>la</strong>it.<br />

le M me verrai point préféra? <strong>de</strong> rivale.<br />

CODES DE UTTÉMTU1E.<br />

Ce qui peut donner, en passant, une idée <strong>de</strong> <strong>la</strong> précision<br />

<strong>la</strong>tine : ces <strong>de</strong>ux fers sooltiae tra<strong>du</strong>ction d'un<br />

seul ?ers <strong>de</strong> Sénèque :<br />

€mm mmnê pmfm§iL — PeUidi earm meim.<br />

Une observation plus importante, c'est que ces<br />

<strong>de</strong>ux fers, qui ne sont dans Sénèque qu'un trait <strong>de</strong><br />

passion, sont dans Racine le germe d'une situation.<br />

Cette femme, qui attache un si grand prix à<br />

n'avoir point <strong>de</strong> rivale, dans quel état sera-t-elle<br />

lorsqu'un moment après die apprendra qu'elle en<br />

a une!<br />

J'ai indiqué à peu près tout ce que Racine levait<br />

ann anciens : il est temps <strong>de</strong> le suifre lui-même;<br />

et puisque f ai commencé à parler <strong>du</strong> rftle <strong>de</strong> Phèdre,<br />

continuons l'examen <strong>de</strong> ce rôle, qui d'ailleurs est<br />

prédominant dans <strong>la</strong> pièce, et à qui tout est subordonné.<br />

11 est regardé généralement par les connaisseursy<br />

et par Voltaire ? le premier <strong>de</strong> tous, comme le<br />

plus parfait <strong>du</strong> théâtre. En effet, il. réunit à lui<br />

seul, au plus haut <strong>de</strong>gré, tous les genres <strong>de</strong> beautés<br />

dramatiques, le feu <strong>de</strong> <strong>la</strong> passion, <strong>la</strong> profon<strong>de</strong>ur<br />

<strong>de</strong>s sentiments, le combat le plus terrible <strong>du</strong><br />

crime et <strong>du</strong> remords, -<strong>la</strong> morale <strong>la</strong> plus frappante,<br />

et, ce qu'il est rare <strong>de</strong>pouvqjr allier à tant <strong>de</strong> qualités,<br />

le plus grand éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> couleurs poétiques. U<br />

doit ce <strong>de</strong>rnier avantage aux accessoires si riches<br />

et si variés <strong>de</strong> <strong>la</strong> mythologie, dont ce sujet était susceptible.<br />

Mais si <strong>la</strong> palette était bril<strong>la</strong>nte, jamais<br />

Êgée<br />

Sous <strong>la</strong>s loti <strong>de</strong> l'hymen Je n'étais engagée,<br />

Mon repos, moi bonbettr semb<strong>la</strong>it être affermi,<br />

àasèsses me <strong>mont</strong>a mon superbe ennemi :<br />

le le vis, je rougit, Je palis à sa vue ;<br />

Un troHbte s¥teva dans mus âme éper<strong>du</strong>e<br />

Mes yens ae voyaient pitti, Je M pouvais parler;<br />

le sentis tout mm ©carpe et tressait et taaiem<br />

Voilà <strong>la</strong> peinture <strong>la</strong> plus fraie <strong>de</strong> toutes les trieurs<br />

<strong>de</strong> l'amour : raid ce que li Fable permettait<br />

d'y ajouter: * *<br />

le raeosims Tenus et «es feux redoutables.<br />

D'un sang qu'elle pourrait tourments Inévitables.<br />

Par <strong>de</strong>s voeux assi<strong>du</strong>s Je crus les détourner :<br />

le loi bâtis ae temple, et pris sa<strong>la</strong> <strong>de</strong> l'orner.<br />

De victimes , msl-même , à toute heure entourée v<br />

le cherchais dans leurs <strong>la</strong>aee ma ra<strong>la</strong>aa égarée.<br />

D'un Incurable amour remè<strong>de</strong>s impuissants!<br />

En vain sur les autels ma mais brû<strong>la</strong>it Peaceas :<br />

Quand ma bouche implorait le nom <strong>de</strong> <strong>la</strong> déaste,<br />

Fadorais Hippolyte ; et, le voyant sans cesse ,<br />

Même au pied <strong>de</strong>s autels que Je faisais fomer,<br />

r@lf tais teat à ce dieu qm Je n'osais aasajaee.<br />

La poésie a-t-elle jamais parlé as plus bsau <strong>la</strong>agage<br />

à rime jet à l'imagination ? Mans a?oas vu m<br />

même accord dans <strong>la</strong> iéeiarslloo <strong>de</strong> Phèdre; nom<br />

avons vu tout ce que le <strong>la</strong>byrinthe et Ariaae arafent<br />

fourni au poète. La Fable n'a pas moins embelli ca<br />

délire si intéressant <strong>de</strong> <strong>la</strong> première scène 9 al Phèdre<br />

mourante se rappelle tout ce que dans sa famille<br />

l'amour a fait <strong>de</strong> victimes. Mais c'est surtout dans<br />

le quatrième atte, quand <strong>la</strong> honte et <strong>la</strong> rage d'avoir<br />

une rivale <strong>la</strong> jettedaas le<strong>de</strong>rnierexeès<strong>du</strong> désespoir,<br />

c'est alors que notre poésie s'élève, sous <strong>la</strong> plume<br />

<strong>de</strong> Racine, à <strong>de</strong>s beautés vraiment sublimes » dont<br />

il n'existait aucun modèle chez les anciens ni chez<br />

les mo<strong>de</strong>rnes, et au <strong>de</strong>là <strong>de</strong>squelles on no atuf MI<br />

rien.<br />

. Misérable! etje va, 4Je soutiens <strong>la</strong> va*,<br />

De ce sacré soleil dont Je suis <strong>de</strong>scen<strong>du</strong>e 1<br />

J'ai pour aïeul le père et le maître <strong>de</strong>s dieux ;<br />

Le ciel, tout l'univers est plein <strong>de</strong> mes aïeux.<br />

Où me cacher? Fuyons dans Sa suit infernale ;<br />

Mais que dls-Jel mou père y lleat Panse fatale.<br />

Le sort f diî-on t fa mtse eu ses sévères mains;<br />

Mises Juge eai aafees tons les pales aaeseiea*<br />

âa ! combien frémira SOQ ombre épouvantée,<br />

Lorsqu'il verra sa tille, à ses yeux présentée,<br />

Contrainte d'avouer tant <strong>de</strong> forfaits divers,<br />

Et <strong>de</strong>s crimes peut-être <strong>la</strong>eaeaaii aux enfers I<br />

Que diras-ta, mon père, à ce spectacle horrible?<br />

le crois voir <strong>de</strong> ta mais tomber l'une terrible;<br />

le crois te voir, cherchant no supplice nouveau t<br />

Toi-même <strong>de</strong> ton sang <strong>de</strong>venir le bourreau.<br />

Pardonne : un dieu cruel a perds ta famille;<br />

Reconnais sa vengeance aux fureurs <strong>de</strong> ta «le»<br />

Hé<strong>la</strong>s ! <strong>du</strong> crime affreux <strong>de</strong>nt <strong>la</strong> honte me suit,<br />

Jamais mon triste ceear n'a recaeili le fruit :<br />

Jusqu'au <strong>de</strong>rnier soupir <strong>de</strong> malheurs poursuivie.<br />

Je rends dans les tourments une pénible vie.<br />

Je ne connais rien dass aucune <strong>la</strong>ngue au-<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> ce morceau : il étincelle <strong>de</strong> traits <strong>de</strong> <strong>la</strong> première<br />

force. Quelle foule <strong>de</strong> sentiments et d'images! quelle<br />

profon<strong>de</strong> douleur dans les uns! quelle pompe à <strong>la</strong><br />

fois magnifique et effrayante dans les autres ! et quel<br />

coup <strong>de</strong> fart, quel bonheur <strong>du</strong> génie, d'avoir pu les<br />

réunir ! L'imagination <strong>de</strong> Phèdre, con<strong>du</strong>ite par celte<br />

<strong>du</strong> poète t embrasse le ciel, <strong>la</strong> terre et les enfers. La<br />

terreiui présente tous ses crimes et ceux <strong>de</strong> sa famille;<br />

le ciel, <strong>de</strong>s aïeux qui <strong>la</strong> font rougir ; les enfers, <strong>de</strong>s<br />

jug0s qui <strong>la</strong> menacent : les enfers, qui atten<strong>de</strong>nt<br />

<strong>la</strong>s autres criminels, repoussent <strong>la</strong> malheursuse<br />

Phèdre. Et quelle inimitable harmonie dans les tari 1


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

quelle énergie <strong>de</strong> diction! Je me suis souvent rap* Fat <strong>la</strong>ngui » fa! séché dans les fan t dans <strong>la</strong> <strong>la</strong>rmes :<br />

pelé qu'us jour, dans une conversation sur Racine Il suffit <strong>de</strong> tes yeux pour t'en persua<strong>de</strong>r,<br />

9 §1 tes yeux un moment posaient me regar<strong>de</strong>r.<br />

Voltaire 9 après avoir déc<strong>la</strong>mé ce morcêan avec Feuthoiisiasme<br />

que lui inspiraient les beaux fers, s'é­ Le <strong>de</strong>rnier vers est ne d@ ces traits profondément<br />

cria : Non, je ne mes Hem auprès <strong>de</strong> cet homme-là. sentis, qui sont si fréquents dans Racine ; et ce trait<br />

Ce n'est pas qu'il faille voir dans cette exc<strong>la</strong>mation est si naturellement p<strong>la</strong>cé, qu'il semble comme im­<br />

presque iavoloataire un aveu d'infériorité : c'était possible qu'il ne fût pas là; et ce trait, lorsqu'on y'<br />

l'hommage d'un grand génie, dont <strong>la</strong> sensibilité ' réfléchit, paraît si heereui, qu'on se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> com­<br />

était en proportion <strong>de</strong> «a force, et à qui l'admirament l'auteur Ta trou?é.<br />

tion faisait tout oublier, jusqu'au eentiinent <strong>de</strong> l'a- On raconte que Racine soutint un jour, chez<br />

mour-propre. Mous verrons dans <strong>la</strong> suite que Tau* madame <strong>de</strong> ia Fayette 9 qtfavee <strong>du</strong> talent os pou-<br />

teur <strong>de</strong> Zaïre, sans avoir rien qui soit <strong>de</strong> ce genre v fait , sur <strong>la</strong> scène Y faire eiciiser <strong>de</strong> grands crimes y<br />

ba<strong>la</strong>nce tant <strong>de</strong> perfection par d'autres avantages. ' et inspirer même, pour ceui qui les commettent,<br />

Mais quel homme que celui qui a pu seul arracher à plus'<strong>de</strong> compassion que d'horreur. On ajoute qu'il<br />

Voltaire le cri que ?ous Tenez d'entendre! cita Phèdre pour exemple; qu'il assura qu'on pou-<br />

11 prophétisaitt Despréaus, lorsqu'il disait à son fait faire p<strong>la</strong>indre Phèdre coupable plus qu'Hîp-<br />

ami, dans une épftrt digne <strong>de</strong> tous les <strong>de</strong>ux ; polyte innocent; et que cette tragédie fat <strong>la</strong> suite<br />

d'une espèce <strong>de</strong> déi qu'où lui porta. Soit que le<br />

Ei î qui, voyant fin jour <strong>la</strong> douleur vertueuse<br />

De Phèdre, malgré soi, perfi<strong>de</strong>, iMestueuse, fait se soit passé <strong>de</strong> cette manière, soit qu'il tra­<br />

Wmn û nofcle travaU Justemeat étonné,<br />

vaillât déjà à <strong>la</strong> pièce lorsqu'il établit cette opinion Y<br />

ne bénira d'abord Se siècle fortuné<br />

Qui, rends plus fameux par tea iUwtrai ?eflt« il est sûr que ce ne pouvait être que celle d'un<br />

t<br />

¥11 satire sous ta mais ses pompeuses merveUks? homme qui, après avoir réOécM sur le cœur bu*<br />

Voltaire a observ é quelque part que ces merveil­ main et sur <strong>la</strong> tragédie qui en est <strong>la</strong> peinture, avait<br />

les étaient plus touchantes que pompeuses. Il me conçu que le malheur d'usé passion coupable était<br />

semble qu'elles sont l'un et l'autre, et ce que je viens en raison <strong>de</strong> son énergie, et que par conséquent elle<br />

d'en citer le prouve assez. Mais en effet, ce qu'il y portait avec elle et sou eicuse et sa punition. Ce-<br />

a <strong>de</strong> touchant, ce qu'il y a d'unique dans le râle <strong>de</strong> tait on problème <strong>de</strong> morale à résoudre, et que sa<br />

Phèdre, c'est Phorreor qu'elle a pour elle-même. Phèdre déci<strong>de</strong>. Mais il fal<strong>la</strong>it, pour y réussir, tout<br />

Jamais <strong>la</strong> conscience n'a parlé si haut contre le crime, fart dont lui seul était capable; carf je le répéta,<br />

et jamais aussi une passion criminelle n'inspira une Euripi<strong>de</strong> et Sénèque n'avaient point considéré ce<br />

plus juste pitié. Ce contraste est marqué dans <strong>la</strong> sujet sous le même point <strong>de</strong> vue f et tous <strong>de</strong>ux ont<br />

Phèdre d'Euripi<strong>de</strong>; il l'est même aussi dans celle <strong>de</strong> ren<strong>du</strong> Phèdre aussi odieuse dans sa con<strong>du</strong>ite que<br />

Séoèque, malgré <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>mation qui étouffe si soo- Racine Fa ren<strong>du</strong>e eicusable. A <strong>la</strong> Vérité; dans les<br />

? eut toute vérité : mais qu'il Test bien plus forte­ <strong>de</strong>ux poètes anciens! elle combat sa passion; mais<br />

ment dans Racine ! Il a su lui donner en même temps pourtant c'est élit qui accuse décidément Hippolyte,<br />

et plus <strong>de</strong> passion et plus <strong>de</strong> remords. Qu'on en dans Euripi<strong>de</strong>, par une lettre qu'elle écrit avant<br />

juge par ce morceau qui appartient tout entier à <strong>de</strong> mourir, ce qui est à peine concevable ; dans Sé­<br />

Fauteur français, parce qu'il est le seul qui ait supnèque, par <strong>la</strong> bouche d'OEnone dont elle ne contreposé<br />

que Phèdre avait fait d'abord exiler Hippolyte dit pas un instan^ le <strong>de</strong>ssein pervers, et enfin <strong>de</strong><br />

pour féloigner <strong>de</strong> sa YUC.<br />

sa propre bouche, en par<strong>la</strong>nt à Thésée, à qui même<br />

elle dit en propres termes qu'elle a été violée : Fim<br />

tamen corpus tulit. Voyons quelle-marche différente<br />

Racine a suivie; et l'examen <strong>de</strong>s ressorts qu'il<br />

emploie nous donnera lieu <strong>de</strong> considérer en même<br />

temps comment les autres personnages <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce<br />

ont été faits pour concourir à mm but.<br />

Rappelons-nous d'abord les vers qui terminent <strong>la</strong><br />

première scène <strong>de</strong> Phèdre avec OEnooa :<br />

Eh Mes ! «muais difue Phèdre et toute sa foreur.<br />

raine. Me pana pas qu'au moment que Je filme,<br />

Innocente à ma yeux, je m'appros ve moi-même ,<br />

Hl qoe un M amour qui trouble ma raison<br />

Ma lâche comp<strong>la</strong>isance ait nourri le peÉsoa<br />

Objet Infortuné <strong>de</strong>s vengeances célestes,<br />

le m'abhorre eoeor plus que tu ne me détestes.<br />

Les dieu m'en sont témoins, ce» dieux qui dans mon fane<br />

Ont allumé le feu fatal à tout mon saug ;<br />

Os dieux qui se tout fait une gloire cruelle<br />

De sé<strong>du</strong>ire le cœur d'une faible mortelle.<br />

Toi-même en too esprit rappelle te passé :<br />

Ceat peu <strong>de</strong> t'avoir fui, cruel, je l'ai chassé :<br />

Fat voulu te paraître odieuse, inhumaine;<br />

Pour mira* te résister, fit recherché ta haine.<br />

De quoi m'ont proSié mes lualllts soins?<br />

Tu me haïssais plus f je ne falmals pas moins :<br />

Tts malheurs te prêtaient eneor <strong>de</strong> nouveaux cliâf mes.<br />

* Fat œiiffi pm§r mon otoe use Juste teneur ;<br />

Tat pris St vf* en haine, et ma iamme m homor.<br />

le vou<strong>la</strong>is m mourant prendre soin <strong>de</strong> ma gloire,<br />

Et dérober an Jour une f<strong>la</strong>mme si nolra.<br />

le n'ai pu soutenir t» <strong>la</strong>rmes, tea combats;<br />

le fat tout avoué ; Je M mfm repens pu,<br />

Pourvu que, <strong>de</strong> ma mort respectant les approefaei,<br />

659


$m<br />

C0U1S DE UTTÉRATDUL<br />

Tu ïnfiifïiffiif» pins par d'injustei reprochai,<br />

Et que tes f alss se<strong>cours</strong> cessent <strong>de</strong> rappeler<br />

Us reste île chaleur tout prêt à l'exhaler.<br />

Bans €€ même instant on lui apporte <strong>la</strong> nouvelle<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Thésée ; cette nouvelle doit bientôt<br />

après se trouver fausse; mais alors elle est d'autant<br />

plus vraisemb<strong>la</strong>ble, qu'il est dit, dès les premiers<br />

vers <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, qu'on ne sait <strong>de</strong>puis six mois ce<br />

que Thésée est <strong>de</strong>venu. Ce moyen est indiqué pr<br />

Sénèque; mais il est bien plus adroitement employé<br />

par Racine. Dans <strong>la</strong> pièce <strong>la</strong>tine, Thésée, dès le<br />

commencement, est supposé mort; ce qui fait<br />

•* qu'entre les remords <strong>de</strong> Phèdre et sa déc<strong>la</strong>ration<br />

d'amour il ne se passe rien qui doive <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ire <strong>de</strong><br />

l'un à l'antre. Bans <strong>la</strong> pièce française , an contraire,<br />

elle entre sur <strong>la</strong> scène, résolue à mourir.<br />

Soleil t je te tiens voir pour <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière fols.<br />

Etquand elle a tout dit à CEnone, elle renouvelle<br />

encore, comme on vient <strong>de</strong> le voir, <strong>la</strong> même résolution*<br />

11 fal<strong>la</strong>it donc un inci<strong>de</strong>nt qui changeât l'état<br />

<strong>de</strong>s choses, et rendit à <strong>la</strong> reine quelques motifs <strong>de</strong><br />

•ivre et d'espérer. Racine en a rassemblé <strong>de</strong> bien<br />

puissants dans le dis<strong>cours</strong> qu'il prête à CEnone,<br />

lorsqu'on apprend que Thésée est mort.<br />

Madame t Je cessais <strong>de</strong> YôSS presser <strong>de</strong> vivre;<br />

Déjà même an tombeau Je songeais à vous suivre.<br />

Poar vous en détourner Je n'avais plus <strong>de</strong> voix.<br />

Mais ce son?eau malheur vous prescrit d'astres Ma :<br />

Yotre fortune change, et prend une autre faes.<br />

Le roi n'est plue t madame ; il fout prendre sa p<strong>la</strong>ce.<br />

Sa mort voui <strong>la</strong>isse un fils à qui venu vous <strong>de</strong>vez ,<br />

Esc<strong>la</strong>ve, s'il vous perd, et roi, si YOUS vif ci.<br />

Sur qui, dans son malheur, voulez-vous qu'il suppute?<br />

Ses <strong>la</strong>rmes n'auront plus <strong>de</strong> main qui les essuie ; -<br />

El ses cris Innocents, portés Jusques aux dieux,<br />

Iront contre sa mère irriter ses aïeux.<br />

Hippolyt» pour vous <strong>de</strong>vient moins redoutable;<br />

Et vous pouvez le voir sans vous rendre coupable<br />

Peut-être, convaincu <strong>de</strong> votre aversion,<br />

li va donner uu chef à <strong>la</strong> sédition :<br />

Détrompez sou erreur, fléchisses son courage,<br />

loi <strong>de</strong> ces bords heureux, Trézëne est son partage ;<br />

Hais 11 sait que les Sols donnent à votre fils<br />

Les superbes remparts que Minerve a bàl<strong>la</strong>,<br />

' Tous avei Fou et l'autre une juste ennemie :<br />

Unissez-vous tous <strong>de</strong>ux pour combattre Ari<strong>de</strong>.<br />

PBÈnug. '<br />

Eh bien ! à tes conseils Je me <strong>la</strong>isse entraîner.<br />

Vivons, si vers <strong>la</strong> vie on peut me ramener,<br />

Et si ramour d'us ftls, es se moment funeste,<br />

De mes faibles esprits peut ranimer le reste.<br />

Cet inci<strong>de</strong>nt /ménagé avec art, termine parfaitement<br />

le premier acte. 11 engage Phèdre à vivre par<br />

le plus louable <strong>de</strong> tous les motifs, <strong>la</strong> tendresse ma*<br />

ternelle. 11 lui donne une raison p<strong>la</strong>usible pour voir<br />

Hippolyte; ce qu'elle ne pouvait pas faire convenablement<br />

après <strong>la</strong> manière dont elle venait <strong>de</strong> s'exprimer.<br />

Il donne au spectateur, comme à Phèdre,<br />

un intervalle <strong>de</strong> sou<strong>la</strong>gement et une lueur d'espé-<br />

rance. 11 amène <strong>la</strong> cléc<strong>la</strong>rtllôi, et en fournit es<br />

même temps l'excuse, lorsque Phèdre peut dire à<br />

Hippolyte :<br />

Que dis-je? cet aveu que Je te viens <strong>de</strong> faire,<br />

Cet aven si honteux, le crois-tu volontaire? i<br />

Tremb<strong>la</strong>nte pour uu 01s que je n'osais trahir,<br />

le te venais prier <strong>de</strong> ne le point haïr.<br />

Faibles projets d'un ceectr trop plein <strong>de</strong> ce cplî aJmel<br />

Mê<strong>la</strong>s I Je ne fa! pu parler que <strong>de</strong> toi-même.<br />

Enfin, cet inci<strong>de</strong>nt prépare use révolution terrible<br />

lorsque Phèdre apprendra le retour le Thésée.<br />

Combien 4e choses dans un moyen qui paraît si<br />

simple! Que <strong>de</strong> bienséances théâtrales réunies dans<br />

on seul fait! Telle est <strong>la</strong> science <strong>de</strong> l'intrigue : et,<br />

F on ne saurait trop le redire, elle n*a été approfondie<br />

que par les mo<strong>de</strong>rnes.<br />

Comparez à cette marche celle d'Euripi<strong>de</strong>. A peine<br />

<strong>la</strong> confi<strong>de</strong>nte a-t-dle appris le secret <strong>de</strong> Phèdre,<br />

qu'elle l'exhorte, sans aucune retenue, à se livrer à<br />

son penchant 9 à étouffer ses remords. La rase a<br />

beau repousser ses conseils avec horreur :<br />

» Cesse <strong>de</strong> m'empo<strong>la</strong>oïiser par tes horribles diteoars. »<br />

Elle répond :<br />

« Tout horribles qu'Us sont, ils valent mieux que votre<br />

farouche verts. »<br />

Elle lui propose un philtre qui apaise les foreurs <strong>de</strong><br />

Pamour, mais pour lequel il faut, ditrdle, un morceau<br />

<strong>de</strong>s habits d'ffippofytt; et Phèdre veut savoir<br />

si ce philtre est un signe extérieur ou un breuvage.<br />

La confi<strong>de</strong>nte <strong>de</strong>man<strong>de</strong> seulement qu'on <strong>la</strong> <strong>la</strong>isse<br />

faire, et va trouver Hippolyte. Avouons-le : il y a<br />

loin d'une pareille con<strong>du</strong>ite à Part <strong>de</strong> Racine.<br />

On lui a reproché (tantnous sommes plus sévères<br />

sur les bienséances que les anciens !) d'avoir fait<br />

dire à OËnone , dans <strong>la</strong> scène que je viens <strong>de</strong> citer :<br />

Yivei. Vous n'avei plus <strong>de</strong> reproche à vous faire;<br />

Voire f<strong>la</strong>mme <strong>de</strong>vient une iamme ordinaire :<br />

Thésée, en eipirani, vient <strong>de</strong> rompre les seetiii<br />

Qui faisaient tout Se crime et l'horreur <strong>de</strong> vos feux.<br />

Je conviens que c'est aller un peu loin, et que<br />

Pamour <strong>de</strong> Phèdre pour le ils <strong>de</strong> son mari est encore<br />

assez condamnable, même quand ce n'est plus un<br />

a<strong>du</strong>ltère. Mais il faut se souvenir qu'une esc<strong>la</strong>ve ,<br />

suivant les mœurs anciennes, n'est pas obligée d'être,<br />

dans ses sentiments, aussi scrupuleuse qu'une<br />

reine ; que celle-ci s'entre point dans <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong><br />

sa confi<strong>de</strong>nte, et qu'elle ne paraît se rendre qu'à<br />

l'Intérêt d'un fils. Il est vrai qu'après avoir parlé à<br />

Hippolyte, elle s'abandonne plus ouvertement à sa<br />

passion, et cherche avec OEnone les moyens <strong>de</strong> le<br />

-fléchir; elle espère <strong>de</strong> le sé<strong>du</strong>ire par l'offre do<br />

sceptre d'Athènes. Il me semble que <strong>la</strong> nature et le<br />

théâtre <strong>de</strong>mandaient cette progression. D'abord I<br />

est sûr que, croyant son époux mort, elle doit voir


mm amour pour HIppolyte avec beaucoup moins<br />

d'effroi. De plus, elle s'est déc<strong>la</strong>rée, elle a fait le<br />

premier pas, et ee premier pas doit nécessairement<br />

en entraîner un autre : c'est <strong>la</strong> marche <strong>de</strong>s passions.<br />

Racine le fait bien sentir : OEnone conseille à sa<br />

maltresse <strong>de</strong> régner et <strong>de</strong> fuir HippoJyte, qui <strong>la</strong><br />

dédaigne. Elle répond :<br />

11 s'est plus temps. II sali mes ar<strong>de</strong>urs insensées :<br />

De l'austère pu<strong>de</strong>ur les borées sont passées;<br />

Ta! déc<strong>la</strong>ré ma honte aux yeux <strong>de</strong> mon vainqueur,<br />

Et l'espoir, malgré moi, s'est glissé dans mon cœur.<br />

Toi-même, rappe<strong>la</strong>nt ma force défail<strong>la</strong>nte,<br />

Et mon âme déjà sur-mes lèvres errante,<br />

Par tes conseils f<strong>la</strong>tteurs tu m'as su ranimer;<br />

Tu m'as fait entrevoir que Je pouvais l'aimer.<br />

• OEnone, il pmt quitter cet orgueil qui te Messe :<br />

Hourri dans les forêts, il en a <strong>la</strong> ru<strong>de</strong>sse.<br />

HIppolyte, en<strong>du</strong>rci par <strong>de</strong> sauvages lob v<br />

Entend parler d'amour pour <strong>la</strong> première lob.<br />

11 oppose à Famour un oser inaccessible :<br />

Cherchons pour l'attaquer quelque endroit plus sensiMe.<br />

Va'trouver <strong>de</strong> ma part ce jeune ambitieux,<br />

OEnone; fais briller <strong>la</strong> couronne à ses yeux.<br />

Qu'il mette sur son front le sacré diadème :<br />

Je ne veux que l'honneur <strong>de</strong> l'attacher moi-même.<br />

Cédons-lui ce pouvoir que Je ne pub gar<strong>de</strong>r.<br />

11 instruira mon ils dans Fart <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r ;<br />

Peut-être 11 voudra bien loi tenir lieu <strong>de</strong> père,<br />

le mets sous son pouvoir et le ils et <strong>la</strong> mère.<br />

Pour le fléchir enin tente tous les moyens :<br />

Tes dis<strong>cours</strong> trouveront plus d'accès que les miens.<br />

Presse, pleure, gémis;.peins-lui PhMre mourante;<br />

île roegls point <strong>de</strong> prendre une voix suppliante :<br />

Je t'avouerai <strong>de</strong> tout ; Je n'espère qu'en toi.<br />

Va, J'attends ton retour pour disposer <strong>de</strong> moi<br />

1 faut toujours, au théâtre, que <strong>la</strong> situation <strong>la</strong><br />

plus violente soit mêlée <strong>de</strong> quelque espérance qui<br />

<strong>la</strong> tempère et <strong>la</strong> varie; sans quoi une douleur toujours<br />

<strong>la</strong> même et toujours désespérée <strong>de</strong>viendrait<br />

monotone, et serait plus affligeante qu'intéressante,<br />

<strong>de</strong>us choses qu'il faut soigneusement distinguer.<br />

En conséquence <strong>de</strong> ce principe, Racine abandonne<br />

Phèdre à tous les emportements <strong>de</strong> famour, après<br />

ravoir livrée à tous les combats <strong>du</strong> remords. Il<br />

prend le moment où elle est le plus excusable; et,<br />

ce qui est plus important que tout le reste, il ne<br />

lui donne quelque espoir que pour <strong>la</strong> frapper d'un<br />

refera plus affreux; OEnone revient, et lui annonce<br />

le retour <strong>de</strong> Thésée. Quel coup <strong>de</strong> théâtre!<br />

Ces suspensions, ces alternatives, ces révolutions,<br />

sont les merveilles <strong>de</strong> <strong>la</strong> magie théâtrale, et Racine<br />

ne les a point trouvées dans ses modèles.<br />

1 La plus gran<strong>de</strong> difficulté <strong>du</strong> p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> sa tragédie,<br />

tel qu'il l'avait conçu, était <strong>de</strong> moti?er une accusation<br />

atroce sans rendre Phèdre trop odieuse, et <strong>la</strong><br />

situation qu'il vient <strong>de</strong> ménager lui en fournit ïm<br />

moyens. Euripi<strong>de</strong> et Sénèque ne s'étaient pas embarrassés<br />

que leur Phèdre fût sans excuse; mais<br />

Là HAMPE. — TOME I.<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE. Mt<br />

celle <strong>de</strong> Racine tombait, si elle eût ressemblé à <strong>la</strong><br />

leur : on s'eût jamais supporté qu'une femme pour<br />

qui l'on s'était intéressé jusque-là <strong>de</strong>vînt un objet<br />

d'eiécration. Il fal<strong>la</strong>it pourtant accuser HIppolyte :<br />

c'était le sujet <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce. Que fait-il? 11 con<strong>du</strong>it sa<br />

Phèdre par un Eux et reinx d'événements opposés<br />

jusqu'à un moment <strong>de</strong> crise si terrible, qu'il doit<br />

lui bouleverser l'âme, et lui renverser <strong>la</strong> tête au point<br />

<strong>de</strong> se <strong>la</strong>isser aller à tout ce qu'on proposera pour<br />

sauver son honneur. Elle ne commettra pas le crime ;<br />

elle en est incapable; elle en témoigne même une<br />

juste horreur : mais le poète <strong>la</strong> mène au point <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong>isser agir OEnone. Elle ne dit pas, comme dans<br />

Euripi<strong>de</strong> :<br />

« Je mourrai, mais cette mort même me vengera, et<br />

mon ennemi ne jouira pas dti triomphe qu'il se promet :<br />

l'ingrat sera traité en coupable à son tour. »<br />

Elle est bien loin <strong>de</strong> penser à <strong>la</strong> vengeance : elle est<br />

accablée <strong>de</strong> sa honte et <strong>de</strong> son désespoir.<br />

Juste ciel ! qu'âl*j@ fait aujourd'hui?<br />

Mon époux va paraître, et son fils mm lui.<br />

le Terrai le témoin <strong>de</strong> ma tannée eeiltère<br />

Observer <strong>de</strong> quel front j'ose abor<strong>de</strong>r son père f<br />

Le cœur gros <strong>de</strong> soupirs qu'il n'a point écoutés,<br />

L'œil humi<strong>de</strong> <strong>de</strong> pleurs par l'ingrat rebuté*.<br />

Penses-tu que, sensible à l'honneur <strong>de</strong> Thésée s<br />

11 lui cache Far<strong>de</strong>ur dont Je suis embrasée ?<br />

Laissen-Ml trahir et sou père et son roi?<br />

Pourra-t-U contenir l'horreur qu'il a pour moi?<br />

Je connais mes fureurs, je les rappelle toutes.<br />

H me semble d$h que ©es murs, que ces ¥©ûtes<br />

¥ont prendre <strong>la</strong> parole , et} prêts à m'aecosêr,<br />

Atten<strong>de</strong>nt mon époux pour le désabuser.<br />

Mourons : <strong>de</strong> tant d'horreurs qu'un trépas me délivre.<br />

C'est alors qu'OEnone ose risquer <strong>la</strong> proposition<br />

<strong>de</strong> rejeter le erime sur Hippolyte. Phèdre s'écrie :<br />

Mol ! que J'ose opprimer et noircir nnnooenoe !<br />

Là réponse d'OEnone est <strong>de</strong> <strong>la</strong> pins-gran<strong>de</strong><br />

Mon xèle rfa besoin que <strong>de</strong> votre silence.<br />

Tremb<strong>la</strong>nte, comme ¥ous, J'en sens quelque remords.<br />

Vous me verriez plus prompte affronter mUle morts? •<br />

Mais puisque Je tous perds sans ce triste remè<strong>de</strong>,<br />

Votre vie est pour moi d'un prix à qui tout cè<strong>de</strong>. '<br />

Je parlerai. Thésée, aigri par mes a?is t<br />

Bornera sa vengeance à l'exil <strong>de</strong> son fils. .<br />

Un père, en punissant, madame, est toujours père:<br />

On voit que <strong>du</strong> moins elle rassure Phèdre sur<br />

les jours <strong>du</strong> prince. 11 parait dans cet instant avee<br />

Thésée.<br />

P9ËD1IB.<br />

Ah! Je vois HIppolyte:<br />

Dans ses yeux Insolents Je voix ma parte écrite.<br />

Fais ee que te voudras, Je m'abandonne à toi :<br />

Dans le trouble où Je auto, Je se pais rien pour «si<br />

Son épow ?ent se jeter dans ses bras.<br />

Arrêta, Thésée,<br />

Et ne profaaei point <strong>de</strong>s transports si diamants :


501<br />

G0U1S DE LITTÉ1ATD1E.<br />

le M mérite plu ces doux eupraianaiti ;<br />

Tous êtes offensé. La fortune jalouse<br />

W&fmm votre absence épargné votre épouie.<br />

<strong>la</strong>tiSgse <strong>de</strong> TOUS p<strong>la</strong>ire et <strong>de</strong> vous approcher,<br />

le se doit désormais soager qu'à me cacher.<br />

Elle ne dit pas sa mot qui soit contraire à <strong>la</strong> vérité;<br />

ps un qui parte d s uu eœur qui s'excuse. Je ne crois<br />

pas qu'il soit possible d'observer mieux toutes les<br />

mmfmmms <strong>de</strong> fart.<br />

Un moment après, au bruit <strong>de</strong> <strong>la</strong> colère <strong>du</strong> roi ,<br />

elle accourt éper<strong>du</strong>e; elle est prête à s'accuser ellemême<br />

; mais ce qu'elle entend <strong>de</strong> <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong> Thésée<br />

étouffe dans <strong>la</strong> sienne <strong>la</strong> vérité, qui al<strong>la</strong>it en<br />

sortir : elle apprend qu'Hippolyte se faute d'aimer<br />

Aricie. Thésée ne le croit pas9 mais l'infortunée ne<br />

le croit que trop; elle sent jusqu'au fond <strong>du</strong> cœur<br />

d'où venaient les mépris et les rebuts d'Hippoiyte.<br />

Qu'on se représente sa douleur, sa confusion» sa<br />

rage.<br />

Hippoïyte est sensible, et m sent rien pour mof 1<br />

Ari<strong>de</strong> a son cœur, Ari<strong>de</strong> a sa foi !<br />

Ali ! dieu ! kmqu'à mes vceox Ftngrat toexor&Mo<br />

S'armait d'as œl! si 1er, d*un Iront si redoutable,<br />

Je pensais qu'à rameur M» «sur toujours ferai<br />

Fût contre tout mon sexe également armé.<br />

Une autre cependant a fléGhi son audace;<br />

Devant ses yeux ereeli une autre a trou?é grâce.<br />

Peut-#re t-t-0 on ©oeur facile à l'attendrir :<br />

Je sots le seul objet qull ne saurait souffrira<br />

Et Je me ehargerals <strong>du</strong> sols <strong>de</strong> le défendra !<br />

Ce sentiment est-il assez profond et assez amer?<br />

La jalousie a-t-elle <strong>de</strong>s traits plus poignants et plus<br />

cruels? Quels transports dans celle <strong>de</strong> Phèdre!<br />

(Sonne, qui l'eût cm? fatals use ri?aie !<br />

. . . Hlppoiyte aime, et Je n'en puls.doater.<br />

Ce istosiche ennemi qu'os ne postait dmspter,<br />

Qu'offensait le respect, qu'Importunait <strong>la</strong> p<strong>la</strong>inte;<br />

Ce tigre que Jamais je n'abordât suis crainte,<br />

Soumis, apprivoisé, reconnaît un vainqueur :<br />

Ari<strong>de</strong> a trouvé le chemin <strong>de</strong> son cœur...<br />

. . . âaldcwleiif non eurore éprouvée!<br />

'A quel nouveau tourment Je me.snls réservée!<br />

Tout ee que f al souffert, ea%s craintes , mes transports ,<br />

La fureur <strong>de</strong> mes feux, Fhorreur <strong>de</strong> mes remords t<br />

Et d'un ceins eroel riuaupportable injure t<br />

l'étaient qu'us faillie essai <strong>du</strong> tourment que J'en<strong>du</strong>re,<br />

v li s'aiment ! Par quel charme ont-Us trompé mes yepx?<br />

Commentassont-Ils vus ? <strong>de</strong>puis quand ? dans quels Heu?<br />

Toi le gavais. Pourquoi me <strong>la</strong>issais-tu sé<strong>du</strong>ire?<br />

De leur furtive ar<strong>de</strong>ur ne pouvais-tu mlnslrulra?<br />

Les â-t-os vus souvent se parler, se chercher?<br />

Dans le fond <strong>de</strong>s forêts aitaientoli se cacher?<br />

Hé<strong>la</strong>s ! ils se voyaient avee pleine lkenetf;<br />

Le ctet» <strong>de</strong> leurs soupirs approuvait l'innocence.<br />

Ils suivaient sans remords leur penchant amoureus ;<br />

Tous les Jours se levaient c<strong>la</strong>irs et sereins pour eux.<br />

Et moi, triste relint <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature entière t<br />

Je me cachati au Jour, Je fuyais <strong>la</strong> lumière.<br />

La mort est le seul dieu que J'osai* taipteter ;<br />

raltendak le moment où J'al<strong>la</strong>is expirer.<br />

Me tratiRfstttit <strong>de</strong> iel, <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes atewvée,<br />

Eneor dans mon mattieur <strong>de</strong> trop près observée y •<br />

le n'osais dans mes pleurs me noyer à loisir;<br />

le feaiiaJs en tremb<strong>la</strong>nt ee funeste p<strong>la</strong>isir;<br />

Et tous un fennt serein déguisant mes a<strong>la</strong>rmes,<br />

U fal<strong>la</strong>it Mee souvent me priver <strong>de</strong> mes termes<br />

Qui croirait que le eemmentatenr <strong>de</strong>Radnetron¥e<br />

cetteseèneataes intdikî Quoi Lune scène fui achève<br />

<strong>la</strong> punition <strong>de</strong> Phèdre 9 qui joint les horreurs <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

jalousie à tons les mam qu'elle a .soufferts, qui<br />

l'empêche <strong>de</strong> déc<strong>la</strong>rer Finnocenee d'Hippoiyte, cette<br />

scène est imdlkl Elle suffirait seule pour jestito<br />

l'épiso<strong>de</strong> d*Aricie, qui a essuyé tant <strong>de</strong> reproche*,<br />

et qu'il est temps d'examiner. En voilà assez sur le<br />

rôle <strong>de</strong> Phèdre : nous avons vn qu'il réunit tout;<br />

c'est une <strong>de</strong> ces pro<strong>du</strong>ctions achevées 9 uniquea dans<br />

leur genre, qui sont <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong>s arts et Feffort <strong>de</strong><br />

l'esprit humain.<br />

H n'en est pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie <strong>de</strong> Phèdre comme<br />

<strong>de</strong> celle à'ïphîgêmîe, ou presque tous les rôles sont<br />

d ? uoe force à peu près égale, et se ba<strong>la</strong>ncent les<br />

uns les autres; celui <strong>de</strong> Phèdre éclipse tout, et ee<strong>la</strong>r<br />

<strong>de</strong>vait être : mais il n'en est pas moins vrai que les<br />

autres personnages sontf à peu <strong>de</strong> choses près, ce<br />

qu'ils doivent être aussi. Je n 9 ignore pas combien<br />

l'amour d'Hippoiyte a été censuré <strong>de</strong>puis le janséniste<br />

Arnauld 9 qui, exceptant <strong>la</strong> tragédie <strong>de</strong> Phèdre<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> proscription générale où <strong>la</strong> sévérité <strong>de</strong> ses<br />

principes enveloppait toutes les pièces <strong>de</strong> théâtre 9 reconnaissait<br />

hautement que cet ouvrage respirait<br />

<strong>la</strong> morale <strong>la</strong> plus pure, et donnait l'exemple le plus<br />

effrayant <strong>de</strong>s malheurs attachés aux penchants illégitimes,<br />

mais qui en même temps reprochait à Fauteur<br />

d'avoir fait Hlppoiyte amoureux. On sait <strong>la</strong><br />

réponse <strong>de</strong> Racine : Et sam ce<strong>la</strong> qu'ammimi dit<br />

nm peêUs-m&Uresf Elle prouve l'opinion générale<br />

où l'on était alors , que <strong>la</strong> tragédie ne pouvait jamaii<br />

se passer d'une intrigue d'amour. Ce préjugé est<br />

fortifié'par l'exemple <strong>de</strong> Corneille, qui, plus capable<br />

qu'an autre <strong>de</strong> traiter <strong>de</strong>s sujets où l'amour ne <strong>de</strong>vait<br />

pas entrer, lui avait donné dans tous les siens<br />

une p<strong>la</strong>ce presque toujours bien mal jremplie. Mais<br />

faut-il conclure <strong>de</strong>s paroles <strong>de</strong> Racine que lui-même<br />

condamnait l'amour d'Hippoiyte. Cet amour est-Il<br />

en effet un défaut ? Je croirais volontiers que Racine,<br />

ne vou<strong>la</strong>nt pas disputer contre AraaoW, trouvait<br />

plus court <strong>de</strong> rejeter sur les spectateurs ce qu'il<br />

aurait pu justifier. Personne n'est plus convaincu<br />

que mol qu'il faut bannir l'amour <strong>de</strong> tous les sujets<br />

où il n'est pas naturellement appelé, et avec lesquels<br />

il forme une sorte <strong>de</strong> disparate. Le sujet <strong>de</strong> Phèdre<br />

est-il <strong>de</strong> ce genre? L'amour d'Hippoiyte a-t-îl refroidi<br />

<strong>la</strong> pièce, comme il ne manque jamais d'arriver<br />

quand l'amour est mal p<strong>la</strong>cé? Je n'ai point remarqué<br />

cet effet au théâtre. 11 me semble même<br />

que <strong>la</strong> tendresse innocent® <strong>du</strong> sévère Hippolyte pouf<br />

<strong>la</strong> jeune Aricie, <strong>de</strong>rnier rejeton d'une race proscrite,<br />

offre un contraste agréable avee <strong>la</strong> passion funeste<br />

et ïoreenée <strong>de</strong> Phèdre. Je crois respirer un air plus


pir lorsque je me trou?a entre toi et son amante.<br />

J'aime à l'entendre dire à Thésée :<br />

Mm, IM>Q père, ee«Bsft cfcst trop font te carer,<br />

' 1'» point d*sn tihaate amour dédajpié <strong>de</strong> brûSer.<br />

Et après tout, pourquoi serait-ce une fertu dans<br />

Hippolyte <strong>de</strong> s'a?oir point les penchants <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature<br />

et <strong>de</strong> son âge? Ce ne serait qu'une singu<strong>la</strong>rité*<br />

Rien ne l'oblige à être insensible : ce n'est ni un<br />

sage apthique, ni un conquérant féroce, ni un po-<br />

Mtitpe ambitieoi; en un mot, il n'a rien <strong>de</strong> ce qui<br />

doit adore l'amour. L'aimera-t-on mieux tel qu'il<br />

est dans Euripi<strong>de</strong> et dans Sénèqne y qui lui ontdonné<br />

une doreté orgueilleuse et ré?oltante? On a ru ses<br />

ridicules déc<strong>la</strong>mations dans le poète grec. Bans<br />

Fauteur <strong>la</strong>tin, il ieut tuer Phèdre; il ksaisitpar les<br />

chef eux et le? e le fer sur elle. 11 s'exhale en <strong>de</strong> longues<br />

imprécations, et appelle <strong>la</strong> foudre et les enfers.<br />

Estce là le moyen <strong>de</strong> rendre <strong>la</strong> mitm aimable es<br />

mime temps que l'on rend le.viee odieux? Dans<br />

Racine , à peine peut-il proférer une parole; il a presque<br />

autant <strong>de</strong> honte <strong>de</strong> ce qu'il fient d'entendre,<br />

que Phèdre en a <strong>de</strong> ce qu'elle fient <strong>de</strong> dire. On mit<br />

sur son front <strong>la</strong> rougeur <strong>de</strong> l'innocence, comme celle<br />

dn crime est sur le front <strong>de</strong> sa belle-mère. Revenu<br />

à lui, il s'écrie :<br />

Piètre S... Mali M», grands dieux ! qu'es en piotadonbU<br />

Cet ta©rftM§ sacral <strong>de</strong>meure emmtiL<br />

Ge silenee n'est-il ps cent fois plus intéressant que<br />

tous les éc<strong>la</strong>ts <strong>de</strong> (Indignation ou les lieux communs<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> morale ? Il y a <strong>de</strong>s idées sur lesquelles use âme<br />

honnête ne saurait s'arrêter. Il cachece secret affreux<br />

même à Théramèse; il ne le découvre qu'à <strong>la</strong> seule<br />

Ari<strong>de</strong>; et dans quel moment? après <strong>la</strong> cruelle scène<br />

4m il est si injustement banni par son père. Bans<br />

cet état d'oppression si douloureux et si peu mérité,<br />

nt-t-on pas quelque p<strong>la</strong>isir à lui voir trou?er <strong>de</strong>s<br />

cossotations dans le cœur d'âricie ? Et quels sentiments<br />

il épanche es son sein ! Tremb<strong>la</strong>nte pour sa<br />

vie, elle veut l'engager à révéler <strong>la</strong> vérité; elle lui<br />

reproche <strong>de</strong> ne l'avoir pas fait. Quelle est sa réponse?<br />

Bewfs-Je, en loi faisant as récit trop sincère,<br />

D'une Indigne rougeur ©ouvrir le front d'un père?<br />

Von» seule avec percé ce njttèfe odieux :<br />

Mon ecrar pour s'épancher s'a que TOUS et les dieux.<br />

le n'ai pu ¥©e§ cadrer, Juges si Je vous Mme,<br />

Tout ce qm Je Ton<strong>la</strong>to me cacàar à mm^mème.<br />

Mais songe! sous quel sceau Je TOUS l'ai révélé ;<br />

Oublies, 8*11 se peut, que je •cas al parlé,<br />

Madame; et que JanmSs sue txareàe si père<br />

H e s^ouvre pour conter cette horrible aventura.<br />

Sur Téquité <strong>de</strong>s dieux osons sous conter :<br />

Ils ont trop eTlnMrftt à are jeatreka ;<br />

Et PaM«s tét ou tard <strong>de</strong> son crime punie,<br />

lTen saurait éviter <strong>la</strong> Juste ignominie.<br />

tTast iaiBâpa respect que J*exlge <strong>de</strong> vous ; *<br />

Je permets tout le reste à reaa libre courroux :<br />

Sortex <strong>de</strong> l'esc<strong>la</strong>vage où TOUS êtes ré<strong>du</strong>ite »<br />

SriDCLB DE UN» XI?. - POÉSIE. 6«S<br />

Osex me «dm, mm tmmnmmjm ma ftilft;<br />

Arcactrei-aoïis d'un Mes funeste et profané f<br />

CM Sa vertu rasf Ira su au? empoisonné.<br />

Bans Euripi<strong>de</strong> il a <strong>la</strong> même réserve, il est vrai,<br />

et les mêmes égards pour son père; mais il est lié<br />

par us serment qn'OEsone, avant <strong>de</strong> s'eipliquer,<br />

a?ait exigé <strong>de</strong> lui : il <strong>mont</strong>re même <strong>du</strong> regret <strong>de</strong> ce<br />

serment qui le force au silence. Combien l'Hippolyte<br />

<strong>de</strong> Rac<strong>la</strong>i est plus noble et plus aimable! Il n'est lié<br />

que par son eœur : et d@?ant qui ee cœur se serait-il<br />

ouvert avec tant d'intérêt, s'il n'a?ait pas aimé<br />

Arieie? c'est <strong>de</strong>vant celle à qui Ton ne cache rien<br />

qn'il est tas» <strong>de</strong> n'a?oir pas un seul sentiment qui<br />

ne soit digne d'admiration ; <strong>de</strong> n'a?oir pas même un<br />

mou?emest <strong>de</strong> colère contre sn père aveuglé et fu­<br />

rieux; <strong>de</strong> l'épargner aux dépens <strong>de</strong> sa propre réputation<br />

et au péril <strong>de</strong> sa fie, à l'instant qu'il sous<br />

accable ; et <strong>de</strong> ne penser qu'au déshonneur <strong>de</strong> Thésée9<br />

et non pas à son injustice.<br />

Ari<strong>de</strong>, toute sensible qu'elle est à sos amour,<br />

n'ose suivre us jeune prisée qui n'est point son époux.<br />

H <strong>la</strong> rassure :<br />

L'hymen n'est pis toujours entouré <strong>de</strong> Hamoeaux.<br />

Aux portes <strong>de</strong> Tcéaèae^ et parmi ces tombeau *<br />

Des prfnees <strong>de</strong> ma nos antiques sépultures f<br />

Est en temple saeré t formidable aux parjures.<br />

€*ret là faa les mortels n'osent Jurer en valu i<br />

Le perfi<strong>de</strong> y reçoit un châtiment soudain ;<br />

Ett mâgmmtéy trouver Sa mort inévitable»<br />

Le mensonge n'a point <strong>de</strong> frein plus redoutable.<br />

Là, si TOUS m'en ccofea t d'un amour éternel<br />

Houa irons confirmer le serment -solennel.<br />

Hoes prendrons à témoin le dieu


su<br />

COURS DE LITTÈMTU1E,<br />

<strong>de</strong>ur daes le développement <strong>du</strong> caractère d'Hippo- î également irréprochable. Je ne prétends point qu«<br />

lyte, tel que nous venons <strong>de</strong> le voir:<br />

Il porte le même jugement <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène suivante<br />

entre Aricie et Thésée, et avec aussi peu <strong>de</strong> justice.<br />

Il prétend qu'e/fe ne préparé point Thésée à <strong>la</strong> justification<br />

<strong>de</strong> son fils. C'est nier l'évi<strong>de</strong>nce : il suffit<br />

ici <strong>de</strong> citer. Voici comme Aricie parle à Thésée :<br />

Et comment souffrez-vous que d'horribles dis<strong>cours</strong><br />

D'une si belle vie osent noircir te <strong>cours</strong>?<br />

ÂYM-voes dis sos cœur si peu <strong>de</strong> connaissance?<br />

Diseernes-voss si mal le crime et rinnocefiee?<br />

Faut-Il qu'à vos yeux seuls im nuage odieux<br />

Dérobe sa vertu qui brille à tous les yeux?<br />

Ah l c'est trop le livrer à <strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngues perfi<strong>de</strong>s.<br />

Gesses : repentez-vous <strong>de</strong> vos vœux homici<strong>de</strong>s.<br />

Craigne!, seigneur, craignez que le ciel rigoureux<br />

Ne vous haïsse assez pour exaucer vos vœux.<br />

Souvent dans sa colère il reçoit nos victimes ;<br />

Ses présents sont souvent <strong>la</strong> peine <strong>de</strong> nos crimes.<br />

THÉSÉE.<br />

Ifoii, vous voulez en vain couvrir son attentat<br />

Votre amour vous aveugle en faveur <strong>de</strong> l'ingrat;<br />

Mais J'en crois <strong>de</strong>s témoins certains, irréprochables :<br />

Tai vu, J'ai vu couler <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes véritables.<br />

ARICIE.<br />

' Frênes g&fd®, seigneur : vos Invincibles mains<br />

Ont <strong>de</strong> monstres sans nombre affranchi les humains;<br />

Mais tout n'est pas détruit, et vous en <strong>la</strong>issez vivre<br />

Un... Votre ils, seigneur, me défend <strong>de</strong> poursuivre.<br />

Instruite <strong>du</strong> respect qu'il veut vous conserver, *<br />

le l'affligerais trop si j'osais achever :<br />

Faillite sa pu<strong>de</strong>ur, et fuis votre présence t<br />

Pour n'être pas forcée à rompre le silence.<br />

Je <strong>de</strong>mandé si l'on peut m dire davantage, à<br />

moins <strong>de</strong> dire tout, et si ce n'est pas là préparer<br />

ta justification d'Hippoiyte. Ce<strong>la</strong> est si ? rai que<br />

Thésée, <strong>de</strong>meuré seiiî, commence dès ce moment<br />

à sentir <strong>de</strong>s doutes et <strong>de</strong>s craintes. 11 vent interroger<br />

OEnone ; il ordonne qu'on <strong>la</strong> fasse venir. Qu'on<br />

Juge à présent <strong>de</strong> l'équité <strong>du</strong> critique ! Il a tant envie<br />

<strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s imdiUêés, qu'il reproche à Tbéramène<br />

d'être inutile. C'est pousser les chicanes un<br />

peu loin. Jamais on n'exigea d'un confi<strong>de</strong>nt qu'il fût<br />

nécessaire ans ressorts qui font mouvoir <strong>la</strong> pièce :<br />

c'est même une faute <strong>de</strong> les p<strong>la</strong>cer dans <strong>la</strong> main <strong>de</strong><br />

ces personnages subalternes ; ils ne doivent servir<br />

en général qu'aux scènes <strong>de</strong> développement et <strong>de</strong><br />

conidênce, et à raconter les événements. C'est ce<br />

que fait Tbéramène ; il annonce à Hippolyte qu'Athènes<br />

a choisi Phèdre pour reine et il apprend à<br />

Thésée <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> son ils : c'est tout ce qu'il <strong>de</strong>vait<br />

faire,<br />

Le mime censeur traite un peu <strong>du</strong>rement Hippolyte<br />

et Aricie f et répète les critiques qu'on en a<br />

<strong>la</strong>ites. J'en ai hasardé l'apologie. Je ne donne point<br />

mon avis pour une décision : il y a dans tous les<br />

ouvrages <strong>de</strong>s parties qui peuvent être considérées<br />

sous plusieurs faces, et que l'on petit, jusqu'à un<br />

certain point 9 condamner ou justifier, selon le point<br />

ê» tue sous lequel on les considère ; tout n'est pas<br />

cet épiso<strong>de</strong> le soit absolument; mais enfin il a pro<strong>du</strong>it<br />

Sa jalousie <strong>de</strong> Phèdre 9 c'est-à-dire une <strong>de</strong>s plus<br />

belles choses qu'il y ait au théâtre. Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rai 9<br />

pour <strong>de</strong>rnier résultat, à ceux qui blâment le plus<br />

cet épiso<strong>de</strong>, s'ils fondraient qu'on le retranchât,<br />

et avec lui le quatrième acte qui en est <strong>la</strong> suite.<br />

Quoi ! Ton pardonne à Corneille les fautes les plus<br />

révoltantes, les plus monstrueuses, parce qu'elles<br />

amènent <strong>de</strong>s beautés, et Ton ne pardonnera pas à<br />

Racine un épiso<strong>de</strong> qui n'a rien <strong>de</strong> vieietix en luimême,<br />

et auquel on ne peut reprocher que d'être<br />

d'un moindre effet que le rôle <strong>de</strong> Phèdre, c'est-àdire<br />

d'être au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> ce qu'il est impossible d'égaler<br />

I C'est un excès <strong>de</strong> rigueur que je n'ai pas le<br />

courage d'imiter; et ce que j'y vois <strong>de</strong> plus prouvé,<br />

c'est qu'on a trop communément <strong>de</strong>ux poids • et <strong>de</strong>ux<br />

mesures; qu'il y a <strong>de</strong>s écrivains que l'on voudrait<br />

toujours justifier, parce qu'ils en ont très-souvent<br />

besoin; et d'autres que l'on voudrait toujours reprendre<br />

, parce qu'ils sont très-rarement dans le cas<br />

d'être repris.<br />

On a écrit <strong>de</strong>s volumes pour et contre le récit <strong>du</strong><br />

cinquième acte : je crois qu'on a été trop loin <strong>de</strong><br />

part et d'autre. On prétend que Tbéramène s dans 1®<br />

saisissement où il doit être, se peut pas avoir <strong>la</strong><br />

force d'entrer dans aucun détail : c'est beaucoup;<br />

on oublie qu'il est naturel et même nécessaire que<br />

Thésée s'informe <strong>du</strong> moins <strong>de</strong>s principales circons­<br />

tances <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> son ils, et que Tbéramène »<br />

encore tout plein <strong>de</strong> ce qu'il a vu, doit satisfaire,<br />

autant qu'il est en lui , cette curiosité. Mais je conviens<br />

aussi que le récit est trop éten<strong>du</strong> et trop soigneusement<br />

orné: il brille d'un luxe <strong>de</strong> poésie quelquefois<br />

dép<strong>la</strong>cé : plus simple et plus court, il eût<br />

été conforme aux règles <strong>du</strong> théâtre. Tel qu'il est.,<br />

c'est us <strong>de</strong>s plus beaux morceaux <strong>de</strong> poésie <strong>de</strong>scriptive<br />

qui soient dans notre <strong>la</strong>ngue. C'est <strong>la</strong> seule fois<br />

<strong>de</strong> sa vie que Racine s'est permis d'être plus poète<br />

qu'il ne fal<strong>la</strong>it, et d'une faute il a fait un chef-d'œuvre<br />

: on ne doit pas craindre trop que cet exemple<br />

soit contagieux.<br />

Enfin, le rôle <strong>de</strong> Thésée n'a pas été non plus à<br />

l'abri <strong>de</strong> <strong>la</strong> critique ; on Fa taxé <strong>de</strong> trop <strong>de</strong> cré<strong>du</strong>lité<br />

et <strong>de</strong> précipitation. Je crois


SIÈCLE DE LOU» XIV. — POÉSIE.<br />

165<br />

m«nt ses fatales imprécations. Mats, d'ue autre que Racine, à Fâge <strong>de</strong> trente-huit ans, s'arrêta au<br />

côté, le poète peut se justifier eu disait que Thésée milieu <strong>de</strong> sa carrière, et condamna son génie au si*<br />

est dans le premier transport <strong>de</strong> sa colère; que le lence au moment ou il était dans <strong>la</strong> plus'gran<strong>de</strong><br />

trouble <strong>de</strong> <strong>la</strong> reine en l'abordant,' ses paroles équi­ force : c'est une obligation que nous avons à l'envie<br />

voques, le rapport d'Œaose, l'épée d'Hippolyte et à Pradon. Il y a longtemps que cet auteur n'est<br />

<strong>de</strong>meurée entre les mains <strong>de</strong> Phèdre, doivent faire connu que par les traits p<strong>la</strong>isants que son nom a<br />

sur lui d'autant plus d'impression, que, pour ne pas fournis au satirique français, et l'on rappelle sou­<br />

croire tant d'indices, il faut qu'il suppose un crime vent parmi les scandales littéraires te triomphe pas­<br />

beaucoup plus atroce encore que celui qu'on lui désager <strong>de</strong> sa Pkêdre : c'est <strong>la</strong> seule raison qui fasse<br />

nonce; et cette <strong>de</strong>rnière raison est si forte , que je citer ce p<strong>la</strong>t ouvrage plus souvent que tant d'autres<br />

n'y connais point <strong>de</strong> réplique. Ajoutes que cette cré­ qui reposent dans un entier oubli. Yoltaire s'est<br />

<strong>du</strong>lité <strong>de</strong> Thésée est consacrée par les traditions amusé à faire un rapprochement <strong>de</strong> <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>ration<br />

mythologiques, qui nous sont si familières, et il se d'amour d'Hippolyte dans les <strong>de</strong>ux pièces ; et comme<br />

trouvera que, si Thésée nous parait trop cré<strong>du</strong>le,, tout le mon<strong>de</strong> a lu Voltaire 9 les vers <strong>de</strong> Pradon sont<br />

c'est qu'au fond nous sommes très-fâchés qu'il le aussi célèbres par leur ridicule que ceux <strong>de</strong> Racine<br />

soit; et c'est précisément ce que veut <strong>de</strong> nous le par leur beauté. Je n'en aurais donc point parlé si<br />

poète tragique.<br />

je n'avais lu dans le BMimmmire kké&rimm, dont<br />

Il résulte <strong>de</strong> toute cette analyse une <strong>de</strong>rnière ob­ j'ai déjà cité plus d'un passage ttaat aussi curieux,<br />

servation 9 qui fait également honneur à l'esprit <strong>de</strong><br />

Racine et au cœur humain. Ce grand homme avait<br />

que pour avoir urne Pkêdre pme/mUe, M fmmi kpèm<br />

<strong>de</strong> Pmdm et k$ vert <strong>de</strong> Madm, et si je ne m'étais<br />

pris sur lui d'inspirer plus <strong>de</strong> pitié pour Phèdre cou­ souvenu d'avoir enten<strong>du</strong> répéter plusieurs fois le<br />

pable que pour Hippolyte innocent, et il en est tenu même'jugement, car il faut bien se persua<strong>de</strong>r que<br />

à bout Pourquoi? En voici, je crois, les raisons. tout ce qu'on écrit <strong>de</strong> plus absur<strong>de</strong> trouve <strong>de</strong>s ap­<br />

C'est que Phèdre est à p<strong>la</strong>indre pendant toute <strong>la</strong> probateurs et <strong>de</strong>s échos. D'ailleurs il parait piquant<br />

pièce, par sa passion, ses remords et ses combats, <strong>de</strong> donner à un auteur méprisé un avantage sur un<br />

et qu'HIppoIyte n'est à p<strong>la</strong>indre que par sa mort. grand homme; et bien <strong>de</strong>s geas,aa sont pas flcàés<br />

Jusque-là l'on voit et Ton sent que, tout calomnié, <strong>de</strong> dire, parce qu'ils l'ont lu : Ce rimailleur avait<br />

tout proscrit qu'il est par soa père, il a pour lui le pourtant fait un meilleur p<strong>la</strong>n que Racine. Ce n'est<br />

témoignage <strong>de</strong> sa conscience et l'amour d'Ari<strong>de</strong>. pas que ceux qui parient ainsi aient lu <strong>la</strong> Pkêdre <strong>de</strong><br />

Phèdre au contraire est malheureuse par son cœur,<br />

malheureuse par son crime, et par conséquent mal­<br />

Pradon : ils redisent ce qu'ils ont enten<strong>du</strong> dire. Moif<br />

je l'ai lue, et même avec p<strong>la</strong>isir, car elle m'a fort<br />

heureuse sans conso<strong>la</strong>tion et sans remè<strong>de</strong> ; en sorte diverti; et je puis affirmer en sûreté <strong>de</strong> conscience<br />

qu'il n'y a personne qui, dans le fond <strong>de</strong> son âme, que le p<strong>la</strong>n est <strong>de</strong> <strong>la</strong> même force que les vers. J'ai<br />

ne préférât le sort d'Hippolyte au sien, et d'autant cru qu'il n'y auniit pas d'inconvénient à en dire un<br />

plus que l'un paraît toujours calme, et l'autre tou­ mot : c'est une espèce d'intermè<strong>de</strong> assez gai à p<strong>la</strong>cer<br />

jours tourmentée. C'est un tableau <strong>de</strong>s malheurs au milieu <strong>de</strong>s tragédies <strong>de</strong> Racine. Ions avons assez<br />

<strong>du</strong> crime et <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu 9 et le peintre a mis<br />

au bas : Choisissez.<br />

admiré ; il nous est bien permis <strong>de</strong> rire un moment;<br />

et, comme dit Horace , Tout en rjant, rim m'em­<br />

àwwmmm A Là sacriaa TU. — Phèdre <strong>de</strong>'Pradon. pêche <strong>de</strong> dire <strong>la</strong> vérité*.<br />

Depuis dii ans les immortelles tragédies <strong>de</strong> Ra­ Mais auparavant , je crois <strong>de</strong>voir répondre sérieucine<br />

se succédaient presque d'année en année. Il en sement à <strong>de</strong>s personnes très-éc<strong>la</strong>irées 9 qui ont para<br />

passa douze dans une entière inaction <strong>de</strong>pufe l'épo­ ne pas approuver que quelquefois je réfutasse, en<br />

que <strong>de</strong> Pkêdre : on sait que ce fat celle <strong>de</strong> l'injustice. passant, <strong>de</strong>s opinions qui ne leur semb<strong>la</strong>ient pas<br />

On répète sans cesse aux tournes qu'il faut avoir le mériter d'être combattues : sut quoi je prendrai <strong>la</strong><br />

courage <strong>de</strong> <strong>la</strong> mépriser : cet avis est fort bon, mais liberté <strong>de</strong> leur faire quelques observations. D'abord,<br />

ce courage est fort difficile. Racine était sensible; il dans les matières <strong>de</strong> goût, il y a tant <strong>de</strong> diverses<br />

avait cette Juste lerté <strong>de</strong> l'homme supérieur, qui ne choses à considérer, qu'il n'est point <strong>du</strong> tout éton­<br />

peut supporter une concurrence indigne : le déchaînant que sur plusieurs points il y ait diversité d'ànement<br />

<strong>de</strong> ses ennemis et le triomphe <strong>de</strong> Pradon vls , même parmi les gens d'esprit. Ce principe est<br />

blessèrent son âme. La mienne répugne à retracer général, et prouvé par <strong>de</strong>s exemples sans nombre.<br />

les basses manœuvres que <strong>la</strong> haine employa contre De plus, cette diversité d'opinions doit augmenter<br />

lui : ce tableau est odieui et dégoûtant, et d'ailleurs<br />

les faits sont trop connus. 11 suffit <strong>de</strong> nous rappeler Qwêdmmê<br />

MMmtem êfctm wtrum


6M<br />

dans on temp où le paradoxe est <strong>la</strong> ressource vulgaire<br />

<strong>de</strong>s esprits médiocres f et même quelquefois<br />

l'ambition mal enten<strong>du</strong>e <strong>de</strong> ceux qui ne le sont pas.<br />

Ajoutes à ces nasses d'erreur celle qui n'est pas<br />

moins eommune, <strong>la</strong> nantaise foi et <strong>la</strong> passion qui<br />

s'efforcent d'accréditer <strong>de</strong> fausses idées, soit pour<br />

rafaaisserœuï qui ont<strong>de</strong>s talents, soit pourfa?oriser<br />

cem qui n'en ont pas. En ?oilà asaei ponr établir le<br />

combat éternel <strong>du</strong> mensonge contre <strong>la</strong> vérité ? et <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> déraison contre le bon sens. Sans doute les honnêtes<br />

gens et les bons esprits sont inaccessibles à<br />

<strong>la</strong> contagion, et sans ce<strong>la</strong> tout serait per<strong>du</strong>. Mais<br />

' ils auraient tort <strong>de</strong> se persua<strong>de</strong>r que m qui leur est<br />

dé<strong>mont</strong>ré Test également pour tout le mon<strong>de</strong>. 11<br />

n'est donc pas inutile <strong>de</strong> combattre ceux qui ?enlent<br />

tromper, et d'éc<strong>la</strong>irer mm qui se trompent. Mais <strong>la</strong><br />

nature <strong>de</strong> ce combat doit être différente selon les<br />

censés et les personnes, <strong>de</strong> qui est lisiblement absur<strong>de</strong><br />

n $ a besoin que d $ êtro exposé au ridicule : c'est<br />

us amusement. Ce qui est spécieux doit être discuté :<br />

c'est une instruction. Quand j'ai défen<strong>du</strong> le dialogue<br />

<strong>de</strong> Racine, dans <strong>la</strong> scène entre Agameranoa,<br />

Clytemnistreetlpliigénie, j'ai cru <strong>de</strong>voir raisonner.<br />

Veut-on savoir à qui j'avais affaire? A <strong>la</strong> Motte,<br />

dont l'opinion sur cet article est asses connue; à<br />

Thomas, qui, pour motifer lui-même sa critique,<br />

avaîl été jusqu'à refaire en prose <strong>la</strong> scène <strong>de</strong> Racine,<br />

tel qu'il <strong>la</strong> concevait. Dfra-t-on que je répondais à<br />

<strong>de</strong>s sots?<br />

Eaia (et cette considération est <strong>la</strong> plus essentielle)<br />

rien ne met <strong>la</strong> vérité dam un plus grand jour<br />

que <strong>la</strong> contrariété <strong>de</strong>s opinions : elle force à considérer<br />

les objets sous toutes leurs faces, et par<br />

conséquent à les bien connaître. C'est un principe<br />

dangereux <strong>de</strong> trop mépriser Terreur; elle a toujours<br />

assez <strong>de</strong> crédit $ et ce n'est jamais que sur sef<br />

raines que s'établit <strong>la</strong> vérité. Je tiens à <strong>la</strong> Phèdre<br />

<strong>de</strong> Pradon.<br />

Il suppose d'abord que Phèdre n'est point encore<br />

<strong>la</strong> femme <strong>de</strong> Thésée : elle ne lui est engagée que par<br />

<strong>de</strong>s promesses réciproques. Mais Thésée, en partant<br />

avec Pirithoûs pour une entreprise dont il a fait un<br />

secret, a <strong>la</strong>issé Phèdre dans Trézèae avec le pouvoir<br />

et le titre <strong>de</strong> reine. Hïppolyte s'est déjà aperçu qu'il<br />

en était aimé; il aime Ari<strong>de</strong>, et c'est pour lui une<br />

double raison <strong>de</strong> s'éloigner. C'est ce qu'on apprend<br />

dans l'exposition, qui se fait, comme dans Racine,<br />

entre Hippolyte et un confi<strong>de</strong>nt Cette conformité,<br />

qui n'est pas <strong>la</strong> seule t et le choix <strong>de</strong> ce même épiso<strong>de</strong><br />

d'Ari<strong>de</strong>, font présumer que Pradon avait eu quelque<br />

connaissance <strong>de</strong> l'autre Phèdre, qui était achetée<br />

et atait été lue dans plusieurs sociétés ataot<br />

qu'il eût commencé <strong>la</strong> sienne. On sait que m firent<br />

C0U1S DE UTTBBATDBB.<br />

les ennemis <strong>de</strong> Racine qui engagèrent Pradon à luttas<br />

contre lui en traitant le même sujet, et qui lui<br />

,promirent une puissante protection. Sa tragédie <strong>de</strong><br />

' Pfrmwêe , quoique très-mauvaise, a?ait eu beaucoup<br />

<strong>de</strong> succès, et l'envie cherchait partout <strong>de</strong>s eoneurreats<br />

à celui qui 'était si foin d'avoir <strong>de</strong>s égaux. Mous<br />

<strong>la</strong> terrons suivre <strong>la</strong> même marche contre Voltaire :<br />

les passions humaines sont les mêmes dans tous les<br />

temps.<br />

On conçoit aisément que Pradon crut rendre sa<br />

Phèdre plus iutéressanté en <strong>la</strong> rendant moins coupable;<br />

le contraire était une idée trop forte pour<br />

lui : il l'a donc faite infidèle, et non pas a<strong>du</strong>ltère. Il<br />

lui doone Aricie pour conl<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> son amour,<br />

comme Atali<strong>de</strong> l'est <strong>de</strong> Roiane : autre imitation <strong>de</strong><br />

Racine. Rien n'est plus ordinaire aux mauvais écrivains<br />

que <strong>de</strong> piller ceux qu'ils dénigrent ; mais heureusement<br />

ils ne réussissent pas mieux à f tin qu'à<br />

l'autre. Pradon n'a pas masqué <strong>de</strong> mettre dans<br />

<strong>la</strong> bouche <strong>de</strong> sa Phèdre une critique <strong>de</strong> celle <strong>de</strong><br />

Racine. Elle s'app<strong>la</strong>udit <strong>de</strong> n'être point l'épouse<br />

<strong>de</strong> Thésée.<br />

Les dirai s'allument point <strong>de</strong> feux fflégltimes :<br />

m sentant eriaitiiels en inspiras! les crimes;<br />

Et lorsque leur ©earromi a wmwê dans mon sein<br />

Cette iamme fatale et ce irauèk integtm,<br />

Ils ont sauvé nia gloire, et leur eoarroiix nsnfsstn<br />

le sait pelât aux martels In*mirer an Inceste ;<br />

Mi mon âne est mai propre à soutenir l'horreur<br />

Be m crème, i'objei <strong>de</strong> tewjmiefwvw'.<br />

Pradon , qui a ?oulu faire ieï le philosophe Y connaissait<br />

apparemment <strong>la</strong> mythologie aussi peu que<br />

<strong>la</strong> chronologie. Il aurait su que, dans une pièce<br />

<strong>de</strong> théâtre, les personnages doivent se conformer<br />

ans: idées reçues, et que celle qu ? i1 combat ici était<br />

généralement admise dans le polythéisme, qui met*<br />

tait également sur le compte <strong>de</strong>s dieu et les égaretoeais<br />

<strong>de</strong>s hommes et leurs vertes* Mais il faut entendre<br />

Phèdre parler <strong>de</strong> son amour.<br />

ensusB»<br />

Aricie f il «t temp <strong>de</strong> TOUS tirer d'erreur.<br />

Je ?oas aine; apprenti le encreî <strong>de</strong> mm mm :<br />

' Et <strong>la</strong> soupirs <strong>de</strong> Phèdre , et le feu qui l'agite t<br />

le vont point à Thésée, et cherchent Hlppoly te.<br />

Ani entas <strong>du</strong> <strong>de</strong>stin Je <strong>de</strong>là m f at»n«nan<br />

Hippolyte dans peu M verra mmm&mt ;<br />

FM f réparé ftsprltjda peuple <strong>de</strong> TréxèM<br />

A le décimer roi enanae il me somma mise.<br />

Be Sa mort <strong>de</strong> Thésée en va semer le brait.<br />

Et pour ce grand <strong>de</strong>ssein f ai si bien tout con<strong>du</strong>it t<br />

Qn*U finis» qirlUpfolvto, à mes vaux moto ecmtMifm,<br />

Meçolf® cette main <strong>de</strong>stinée à sanpè»; *<br />

Et que , si 1 vent régnerf le trôna étant à moi ,<br />

Il se patate y <strong>mont</strong>er qu'es feeeaant ma foi.<br />

Qnai ! <strong>de</strong> ce grani projet Aricie est surprit*!<br />

âlIOB.<br />

Madame, Je frémis rfaae telle entreprlM 9<br />

Et Je tremble pour TOUS... enta pour soir* aanasm<br />

Justes dieu, si Thésée avançait aon wtow 1<br />

Que fsrta-veai t madame?


fÉlntB.<br />

Ah! mâchera Ari<strong>de</strong>»'<br />

H «t miIi * ^»»fo« pour sortir <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie.<br />

Mais înos frère dans peu viendra me secourir»<br />

Et f attends sue armée avant que <strong>de</strong> mourir.<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

Unissons-nous easemMe t et p<strong>la</strong>ignons ma faJMesst.<br />

J'aime, Je brûle....<br />

Comme elle aime, eejtta Phèdre! comme elle<br />

brûle! comme elle est à p<strong>la</strong>indre! comme tous ses<br />

petits arrangements sont intéressants! Au reste,<br />

c'est une très-bonne femme, «pi veut que tout le<br />

mon<strong>de</strong> soit content Elle dit à sa chère Ari<strong>de</strong> :<br />

palme Hippolyte » atonBeneallûii mon frère :<br />

Son mm brûle pour TOUS d'une f<strong>la</strong>mme stoeère.<br />

Mais Arieie <strong>de</strong> son 4M bfûk pour Hippolyte* qui<br />

brûk mm pour elle; et tous ees amours ressemblent<br />

au style <strong>de</strong> tant d'écrivains, qui, selon l'expression<br />

aujourd'hui si fort à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>, brûlent te<br />

peupler et g<strong>la</strong>cent te lecteur. Hippolyte déc<strong>la</strong>re à <strong>la</strong><br />

princesse qu'il ?eut quitter Trésène :<br />

Eh quoi 1 iw s f av« ries qui WM retienne tel?<br />

Thésée est Ma ie nous; *om mm quittes «Mit<br />

Sain trouble, sans chagrin, woi sortes d'une TlUe<br />

Où.... Que ron est heureux d'être se si tranquille I<br />

H faut contenir que cet o* fait une réticence<br />

bien heureuse. Hippolyte lui apprend qu'il n'est<br />

pas si tranquille qu'on se l'imagine, et frit cette<br />

belle déc<strong>la</strong>ration que Voltaire a citée. La réponse<br />

d'Ari<strong>de</strong> est encore au-<strong>de</strong>ssus: •<br />

Cet aveu surprenant se sert qu'à me confondre.<br />

Comme 1 est Imprévu, je tremble que mon ©oeur<br />

Ne tombe un peu trop tôt dans use douce erreur.<br />

Mats puisque vous partes, je se dois plus me taire i<br />

Je souhaite, seigneur, que vous soyez slseew.<br />

. Peut-être f« dis trop; et déjà Je rougis,<br />

Et <strong>de</strong> ce que J'écoute, et <strong>de</strong> «que Je dis.<br />

Ce départ cependant m'arrache un aveu tendre<br />

; Que cfe longtemps eneor vous ne <strong>de</strong>viei entendre.<br />

- Si <strong>la</strong> princesse est un peu faible, on ne l'accusera<br />

pas <strong>du</strong> moins d'ignorer ce qu'une 111e biep née<br />

Jolt savoir, qu'il est <strong>de</strong> <strong>la</strong> bienséance <strong>de</strong> faire attendre<br />

tut avm tendre pendant un certain temps. Mais<br />

le départ et Faveu d'Hippolyte Font troublée.<br />

Je ne sais dans'quel trouble un tel aveu me jette ;<br />

Mais enfin, tels <strong>de</strong> vous, Je vais être Inquiète,<br />

EtslvousesnsaltieiielsiiMientiisests,<br />

Yens pourri» bien, seigneur, se partir <strong>de</strong>longtamp.<br />

Voilà ce qui s'appelle use petite déc<strong>la</strong>ration bien<br />

délicatement tournée; et l'on pourrait dire, comme<br />

dans k Misanthrope :<br />

U chute m eftjoite, ssM«sjsjN,aMisji<strong>la</strong>.<br />

Arrive Phèdre, qui fait au prince les mêmes reproches<br />

<strong>de</strong> ce qu'il veut s'en aller. 11 répond qu'étant<br />

ils <strong>de</strong> Thésée il veut être un héros comme lui, et<br />

titre pour <strong>la</strong> gloire. Mais PhMw prétend qu'il doit<br />

§07<br />

•ivre pour l'amour : elle lui en iMt on portrait fort<br />

touchant :<br />

Tout aime cependant, et Tsmmm est si doux!<br />

La nature, es naissant, Se fait aattasavee Bons.<br />

ils Scythe, es èsfèsn mime; et le seul Blppolyto<br />

Est plus fier mine fois qu'us barbare et qu'us Scythe.<br />

Elle conjure Ari<strong>de</strong> <strong>de</strong> s'unir à die pour retenir le<br />

prince.<br />

Ah! princesse ! parles, Jolgsez-vous à mes <strong>la</strong>rmes.<br />

Et Aricîe répond ièreraent ;<br />

Ce qui n'empêche pas qu'Hippolyte, qui n'a pas si<br />

gran<strong>de</strong> envie <strong>de</strong> partir! ne Unisse par consentir a <strong>de</strong>meurer;<br />

et l'on se doute bien pourquoi : 11 en est<br />

lin-même étonné.<br />

Que ma gloire Jalouse es <strong>de</strong>meure Interdite !<br />

Mais, hé<strong>la</strong>s I Je ne suis al barbare ni Scythe.<br />

Adieu, madame.<br />

Ce sont pourtant ces énormes p<strong>la</strong>titu<strong>de</strong>s qui forent<br />

app<strong>la</strong>udies pendant mim représentations 9 tandis<br />

que l'outrage it Incise était sifflé et abandonné !<br />

On annonce à Phèdre le retour <strong>de</strong> Thésée. EHe<br />

commence à se faire quelques reproches; mais die<br />

trouve bientôt <strong>de</strong>s raisons pour se justifier à ses propres<br />

yeux : elle n'aime que les tertus d'Hippolyte;<br />

témoin cette apostrophe pathétique à Thésée :<br />

MA t hé<strong>la</strong>s ! se t'en prends qu'aux, vertus <strong>de</strong> ton Us.<br />

Pourquoi Fas-tu fait satire avec tant <strong>de</strong> mérite?<br />

Pourquoi te treuvts-ta le père dTÛppotyte?<br />

On sent qu'il n f y a rien à répondre, et que ce n'est<br />

pas <strong>la</strong> faute <strong>de</strong> Phèdre si Thésée $e trouve le père<br />

d'Hippolyte.<br />

M se trouve aussi que dans le même moment elle<br />

s*aperçoitf aux dis<strong>cours</strong> d'Arieie, que cette princesse<br />

est sa rivale. Elle <strong>la</strong> menace <strong>de</strong> toute sa vengeance<br />

; elle est au désespoir.<br />

Le retour <strong>de</strong> Thésée et m'étonne et m'aeeaWc :<br />

Je suis dass us état ft#r*u*v ipwmmtAbU;<br />

Jevrasalme,ArM3,etswt0ndreaiiiltlé9 *• *<br />

Ma rage, mon amour, doit vous faire pitié.<br />

Des hommes et <strong>de</strong>s dieux J'éprouve <strong>la</strong> colère :<br />

Vous, Thésée, Hippolyte, et tout me détespèfe.<br />

Thésée parait, et veut presser son mariage avec elle.<br />

Elle le conjure <strong>de</strong> différer. Sur ce<strong>la</strong> il lui confie qu'il<br />

a toutes sortes <strong>de</strong> raisons <strong>de</strong> ne pas perdre <strong>de</strong> temps t<br />

parce qu'un oracle le menace d'un rival. Yoieî ©et<br />

©ra<strong>de</strong>, qui est dans le style <strong>de</strong>s contes <strong>de</strong> fées :<br />

Tu seras, à ton retour,<br />

Malheureux amant et père 9<br />

fnfiip*iii!* main qui t'est enta<br />

relèvera Nsjsl <strong>de</strong> ton SJBJOW.<br />

1 craint d'autant plus cette main qui lui est chère,<br />

que, dans k confiwatw» q« s a •*»* d'avoir avee


COURS DE LITTÉRATURE.<br />

gon ils, il k*a trou?é fort différent lie ce qu'il l'avait<br />

<strong>la</strong>issé : il Fa vu soupirer. Phèdre repoosse ce soupçon<br />

$ mais <strong>de</strong> manière à le eonlrmer. Thésée ne<br />

doute plus qu'Hippolyte ne soit amoureux <strong>de</strong> Phèdre;<br />

et pour s'en assurer mieux, il charge <strong>la</strong> reine<br />

.<strong>de</strong> proposer au prince <strong>la</strong> main cFAri<strong>de</strong> , ce qui pourrait<br />

former une situation théâtrale, s'il eût été possible<br />

<strong>de</strong> s'intéresser un moment à Famour <strong>de</strong> cette<br />

Phèdre. Mais ici ce n'est qu'un artifice usé, qu'on<br />

retrouve dans plusieurs pièces <strong>du</strong> temps tout aussi<br />

mauvaises. Ce s'est pas assez d'amener une situation;<br />

il faut <strong>la</strong> fon<strong>de</strong>r et <strong>la</strong> préparer <strong>de</strong> manière à<br />

pro<strong>du</strong>ire <strong>de</strong> l'effet.<br />

Phèdre rend compte au prince <strong>du</strong> <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> son<br />

père, et par là lui arrache l'aveu <strong>de</strong> sa passion pour<br />

Arïcie : imitation <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène <strong>de</strong> Mithridate a?ec Monime.<br />

Celle <strong>de</strong> Phèdre est con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> même ; c'est<br />

une ma<strong>la</strong>droite copie d'un excellent original. La<br />

reine éc<strong>la</strong>te en reproches, et prend ce moment pour<br />

lui déc<strong>la</strong>rer Famour qu'elle a pour <strong>la</strong>i. Ctpkm,<br />

puisqu'il est question <strong>de</strong> p<strong>la</strong>n, est-il tolérante?<br />

Quand <strong>la</strong> Phèdre <strong>de</strong> Racine se <strong>la</strong>isse emporter à une<br />

déc<strong>la</strong>ration, <strong>du</strong> moins elle se croit libre, elle croit<br />

Thésée mort : ici, c'est sous les yeux <strong>de</strong> Thésée, et<br />

à l'instant d'un retour qui <strong>de</strong>vait <strong>la</strong> faire rentrer en<br />

©Ile-même! H faut bien se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> prendre à <strong>la</strong><br />

lettre ce qu'on prétend que Racine disait : Toute ta<br />

Je prévob donc, Arcas , qu'il faudra m@ défaire<br />

D'un rivai Insolent et d'un ils téméraire.<br />

Je se réponds <strong>de</strong> ries, sil parait à mes yeei,<br />

fit je veux pour Jamais le banni; <strong>de</strong> ces tteni.<br />

Pradon fait parler <strong>la</strong> sature aussi bîeuqse Famour.<br />

Phèdre se peut supporter réloignement d'Hippolyte9<br />

et encore moins qu'il épouse Arieie. Toujours<br />

obstinée dans ses projets, elle veut perdre cette<br />

princesse.<br />

le me sais assurée m secret d'Ari<strong>de</strong> :<br />

Un ordre <strong>de</strong> ma part lut peut ôier <strong>la</strong> vie.<br />

JsJ remis ma rivale en <strong>de</strong> lâèles mate.<br />

Et tout ce<strong>la</strong> se pasae à tête <strong>de</strong> Thésée! Quel fêle<br />

il joue pendant toute cette pièce ! et quel oubli <strong>de</strong><br />

toutes lta bienséances ! Hippolyte inquiet <strong>de</strong> ne point<br />

voir Ari<strong>de</strong> f qui est disparue tout à coup t fient <strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à Phèdre, mais d'un ton digne <strong>du</strong> reste<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce.<br />

Af fsreaer-eiol <strong>de</strong> grâce où peut être àrlele :<br />

le I* cherche partoul, et m le trcrere |MS.<br />

Madame, tires-moi d'un cruel embarras.<br />

Tous aavei l'intérêt <strong>de</strong> famour qui me preste :<br />

IS feat * sans ba<strong>la</strong>ncer, me rendre ma princesse.<br />

Voici encore une nouvelle imitation <strong>de</strong> Racine.<br />

On se rappelle ce que dit Roxane à Bajaset, en par<strong>la</strong>nt<br />

d'Atali<strong>de</strong> :<br />

Ma rivale est Ici : soif-moi sans différer.<br />

Dans les mains <strong>de</strong>s muets eleas <strong>la</strong> f olr expirer.<br />

différence qu'U y a entre Pradon et moi, c'est que Phèdre dit précisément <strong>la</strong> même chose :<br />

je sais écrire. C'était une manière <strong>de</strong> faire sentir <strong>de</strong> le vais faire expirer ma rivale a tes ysex.<br />

quelle importance est le style dans les ouvrages d'i-<br />

Mais ce qui convient à Roxane êst.bien dégoûtant<br />

* maginatkm.-II est bien vrai qu'il y a <strong>de</strong>s pensées<br />

dans Phèdre. Le prince se jette à ses pieds, et Thé­<br />

communes à l'homme médiocre et à l'écrivain susée<br />

ne manque pas <strong>de</strong> l'y surprendre : situation que<br />

périeur; mais quand on examine les écrits <strong>de</strong> l'un<br />

les circonstances ren<strong>de</strong>nt Yraiment comique. Hip­<br />

et <strong>de</strong> l'autre, on voit que leurs conceptions sont aussi<br />

polyte sort sans accuser Phèdre. Alors Thésée s'a­<br />

différentes que leurs facultés : et en général ceux<br />

dresse à Neptune, et prononce les mêmes impré­<br />

qui écrivent mal ne pensent pas mieux qu'ils ne<br />

cations que dans Racine. La reine, touchée <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

s'expriment.<br />

réserve et <strong>du</strong> silence d<br />

Phèdre annonce à Hippolyte que, s'il consent à<br />

l'hymen d'Ari<strong>de</strong>, elle <strong>la</strong> fera périr. Le prince effrayé<br />

se refuse aux ordres <strong>de</strong> son père, qui <strong>de</strong>meure<br />

persuadé plus que jamais que l'amour <strong>de</strong> son Ils<br />

pour Phèdre est <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> ce refus. Bans un autre<br />

sujet, il y aurait une sorte d'adresse dans cette<br />

combinaison; mais ce qui <strong>la</strong> rend ici très-mauvaise,<br />

c'est que toute cette intrigue porte sur un fon<strong>de</strong>ment<br />

vicieux, sur <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite effrontée <strong>de</strong> Phèdre,<br />

qui, telle que Fauteur <strong>la</strong> représente, n'a ni excuse<br />

iM intérêt. On voit que ce caractère et ce sujet étaient<br />

trop au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> <strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong> Pradon. 11 y a <strong>de</strong>s<br />

sujets dont l'homme le plus médiocre peut se tirer;<br />

il y es a qu'un maître seul peut manier, et Phèdre<br />

est <strong>de</strong> ce nombre. Thésée irrité se résout à bannir<br />

Hippolyte. Il dit à son confi<strong>de</strong>nt :<br />

f Hippolyte, déîifre Ari<strong>de</strong> au<br />

commencement do cinquième acte; mais, pour finir<br />

son rôle aussi décemment qu'elle l'a commencé!<br />

dès qu'elle apprend qu'Hippolyte est sorti, elle<br />

court après lui, et il faut avouer qu'elle ne pouvait<br />

pas faire moins. On Tient annoncer à Thésée que <strong>la</strong><br />

reine est <strong>mont</strong>ée sur le char, et qu'elle a suivi<br />

Hippolyte.<br />

Agnès et le ooipa mort t'en sent allée enaaaaele*<br />

On peut juger <strong>du</strong> ridicule d'une pareille situation et<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> contenance que peut faire le pauvre Thésée.<br />

(Test là le p<strong>la</strong>n qu'on voudrait que Racine ait sa<strong>la</strong>i<br />

Le récit est le même pour k fond que celui <strong>de</strong> Racine,<br />

si ce n'est qu'on n'a pas reproché à Prados<br />

d'y avoir mis trop <strong>de</strong> poésie. Phèdre s'est tuée auprès<br />

d'Hippolyte : Arieie veut en faire autant, mais


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

Thésée ordonne qu'on Feu empêche. Cette belle pro<strong>du</strong>ction<br />

fit courir tout Paris pendant six semaines :<br />

an bout d'un an , les comédiens voulurent <strong>la</strong> reprendre<br />

, mais <strong>la</strong> mo<strong>de</strong> en était passée. La pièce fut<br />

abandonnée, et <strong>de</strong>puis on ne Fa pas revue; mais en<br />

revanche f on en a vu et revu beaucoup d'autres qui<br />

me fa<strong>la</strong>kat pas mieux.<br />

8BCT10M vm. — Ssêker.<br />

Le temps, qui fait justice, mit bientôt <strong>la</strong> Phèdre<br />

<strong>de</strong> Racine à sa p<strong>la</strong>ce : mais son parti était pris <strong>de</strong><br />

renoncer au théâtre; et même, douze ans après, il<br />

ne crut pas y revenir, quand il fit, pour madame <strong>de</strong><br />

Maintenon et pour Saint-Cyr, Esîher et Athaiie;<br />

car £$iiwt} malgré le grand succès qu'elle eut à<br />

Saint-Cyr f ne parut jamais sur <strong>la</strong> scène, do vivant<br />

<strong>de</strong> fauteur ; et lorsqu'il imprima Mkaik, il fit insérer<br />

dans le privilège une défense expresse aiii comédiens<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> jouer. Toutes <strong>de</strong>ux ne furent représentées<br />

qu'après sa mort, et eurent alors un sort bien<br />

différent <strong>de</strong> celui qu'elles avaient eu au moment <strong>de</strong><br />

leur naissance. Tout semble nous avertir <strong>de</strong> ne pas<br />

précipiter nos jugements, et rien ne peut nous eu<br />

corriger.<br />

Depuis que les représentations <strong>de</strong> 1721 eurent fait<br />

connaître tous les défauts <strong>du</strong> p<strong>la</strong>n û f Es$ker, on s'étonna<br />

<strong>de</strong>là vogue qu'elle avait eue dans sa nouveauté,<br />

et c'est pourtant <strong>la</strong> chose <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> <strong>la</strong> plus facile à<br />

concevoir. Il faut voir chaque chose à sa p<strong>la</strong>ce ; et si<br />

le théâtre n'était pas celle à'Estker, il faut avouer<br />

qu'elle parut à Saint-Cyr dans le cadre le pins favorable.<br />

Qu'on se représente déjeunes personnes, <strong>de</strong>s<br />

pensionnaires que leur âge, leur voix, leurfigure, leur<br />

inexpérience même rendaient intéressantes, exécutant<br />

dans un couvent une pièce tirée <strong>de</strong> l'Écriture<br />

sainte, récitant <strong>de</strong>s vers pleins d'une onction religieuse<br />

9 pleins <strong>de</strong> douceur et d'harmonie 9 qui semb<strong>la</strong>ient<br />

rappeler leur propre histoire et celle <strong>de</strong> leur<br />

fondatrice ; qui <strong>la</strong> peignaient <strong>de</strong>s couleurs les plus<br />

touchantes, sous les yeux d'un monarque qui l'adorait,<br />

et d'une cour qui était à ses pieds ; qui offraient,<br />

. à tous moments, les allusions les plus piquantes à<br />

<strong>la</strong> f<strong>la</strong>tterie ou à <strong>la</strong> malignité; et Ton concevra que<br />

cette réunion <strong>de</strong> circonstances, dans un spectacle<br />

qui, par lui-même s n'appe<strong>la</strong>it ps <strong>la</strong> sévérité, <strong>de</strong>vait<br />

être <strong>la</strong> chose <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> <strong>la</strong> plus sé<strong>du</strong>isante, et qu'il<br />

n'était pas étonnant que <strong>la</strong> phrase à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>, celle<br />

qu'on répétait sans cesse, et que nous retrouverons<br />

dans les lettres et les mémoires <strong>du</strong> temps, fût celleci<br />

<strong>de</strong> madame <strong>de</strong> Sévigné : Racine a Mm <strong>de</strong> tesprit<br />

Madame <strong>de</strong> Sévigné en avait aussi beaucoup<br />

( car il y en a <strong>de</strong> bien <strong>de</strong>s sortes ), mais elle n'avait<br />

pas celui <strong>de</strong> cacher son faible pour <strong>la</strong> cour et pour<br />

§69<br />

tout ce qui tenait à <strong>la</strong> cour. Il parce à toutes les pages<br />

; et le ravissement où elle est d'avoir vu Esiker<br />

à Saint-Cyr, faveur alors excessivement briguée et<br />

<strong>de</strong>venue une distinction, parait avoir <strong>la</strong>ine un peu<br />

sur le jugement qu'elle en porte. Si Ton veut prendra,<br />

en-passant, une idée <strong>de</strong>s changements qui<br />

arrivent d'un siècle à l'autre, il n'y a qu'à faire<br />

atention à une <strong>de</strong> ces expressions employées sans<br />

<strong>de</strong>ssein, et qui suffisent à peindre l'époque où Ton<br />

écrit : « Huit jésuites, dont était le père Gail<strong>la</strong>rd,<br />

ont honoré ce spectacle êe feur présence. » Ce<strong>la</strong><br />

est un pu fort : voici le revers <strong>de</strong> <strong>la</strong> médaille. Mous<br />

avons vu il y a <strong>de</strong>ux ans, et moi, j'ai vu <strong>de</strong> mes<br />

yeux, à <strong>la</strong> représentation d'une pièce qui avait<br />

paru cmére-réwéaimMaire, parce qu'on y disait<br />

que <strong>de</strong>s meematewrs mpmmmîmi pas êite juges<br />

( c'était dans le temps <strong>du</strong> procès <strong>de</strong>s rlngt-<strong>de</strong>m);<br />

j'ai vu quatre jaeoMm, appelés officiellement, et<br />

siégeant gratis au premier banc <strong>du</strong> balcon avec toute<br />

<strong>la</strong> dignité que <strong>de</strong>s jacobins pouvaient avoir, pour<br />

juger si les corrections que Fauteur et les acteurs<br />

avaient promises aux jaeoMm étaient suffisantes<br />

pour permettre que Ton continuât <strong>de</strong> représenter<br />

<strong>la</strong> pièce; et le len<strong>de</strong>main, les journaux annoncèrent<br />

que les commissaires jacobins avaient été contents<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> docilité <strong>de</strong> l'auteur, et <strong>de</strong>s changements qu'il<br />

avait faits.<br />

L'établissement <strong>de</strong>SaintrCyr, le choix <strong>de</strong>s jeunes<br />

élèves qui remplissaient cette maison, le vif intérêt<br />

qu'y prenait madame <strong>de</strong> Maintenon, les soins qu'elle<br />

y donnait, les retraites fréquentes qu'elle y faisait,<br />

tous ces rapports pouvaient-ils manquer <strong>de</strong> se présenter<br />

à l'esprit lorsqu'on entendait ces vers <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

première scène?<br />

Cependant mon amour pour aotre <strong>la</strong>tioa<br />

4 rempli m pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> filles <strong>de</strong> Sloa,<br />

feases et tendras tans, par le tort agitée*,<br />

Sous lia ciel étranger comme moi transp<strong>la</strong>ntée*»<br />

Bans un lieu séparé <strong>de</strong> profanes témoins*<br />

le mets à les former mou étu<strong>de</strong> et mes solfia ;<br />

Et c'est là que, rayant l'orgueil do diadème t<br />

Lasse <strong>de</strong> sa<strong>la</strong>s bosseurs, et me cherchant moi-même,<br />

Aux pieds <strong>de</strong> r Étemel je viens m'humilier,<br />

Et goûter le p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> me faire oublier.<br />

à <strong>la</strong> favorite , que trois ans après f Despréaux renouve<strong>la</strong><br />

ee même parallèle :<br />

Tm Mis use chérie et <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> Dieu 9<br />

Humble dans les gran<strong>de</strong>urs, sage dans <strong>la</strong> fortune,#<br />

Qui gémit comme Estfaer <strong>de</strong> sa gloire importune, *<br />

Que le aies lui-même est contraint d'estimer,<br />

Et que, sur ee tableau, d*abord ta vas nommer.<br />

Le caractère <strong>de</strong> madame <strong>de</strong> Montespan s le long<br />

attachement <strong>de</strong> Louis XIV pour elle, les efforts<br />

qu'il avait faits sur lui pour s'en séparer, pouvaient»


§70<br />

ils échapper ' au son?eilr <strong>de</strong> toute là eourf <strong>de</strong>vant<br />

qui Estber disait :<br />

m Fatlière Yatthl dont J'occupe <strong>la</strong> p<strong>la</strong>n f<br />

Lorsque le rot t eoetre elle enf<strong>la</strong>mmé <strong>de</strong> dépit,<br />

<strong>la</strong> canna <strong>de</strong> Km trône, ainsi que <strong>de</strong> M» Ht<br />

Mali 11 ne pat sitôt «i tenait <strong>la</strong> pensée :<br />

Vaithi réfiift lougtemp dans son ftme offensée<br />

On sait assez avec quel p<strong>la</strong>isir malia Ton retroufait<br />

Louvois dans Aman. La proscription <strong>de</strong>s Julfe<br />

rappe<strong>la</strong>it, dit-on9 <strong>la</strong> révocation <strong>de</strong> redit <strong>de</strong> Nantes.<br />

.Mais cette allusion ne Ait certainement pas celle<br />

qui marqua le plus : il s'en fal<strong>la</strong>it <strong>de</strong> beaucoup que<br />

Fou ftt alors cette proscription <strong>du</strong> même œil dont<br />

on Fa fat <strong>de</strong>puis; et l'a<strong>du</strong><strong>la</strong>tion et le fanatisme (c'était<br />

bien alors le fanatisme, et je prie <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>du</strong><br />

bon sens, et non pas <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue révolutionnaire)<br />

célébraient comme un triomphe cette fatale erreur<br />

<strong>de</strong> Louis XIV, qu'il luit bien appeler ainsi puisqu'il<br />

fut trompé f mais quiy en elle-même, est an yeui<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> politique et <strong>de</strong> l'humanité une gran<strong>de</strong> faute<br />

qui a eu <strong>de</strong> longues et funestes suites.<br />

Les défauts <strong>du</strong> p<strong>la</strong>n à\E$iàer sont connus et<br />

avoués : le plus grand <strong>de</strong> tous est le manque d'intérêt.<br />

Il ne peut y en avoir d'aucune espèce. Esther<br />

et Mardochée ne sont nullement en danger, malgré<br />

<strong>la</strong> proscription <strong>de</strong>s Juifs ; car assurément Assuérus,<br />

qui aime sa femme, ne <strong>la</strong> fera pas mourir<br />

pane qu'elle est Juive, ni Mardochée, qui loi a<br />

sauté <strong>la</strong> fie, et qui est comblé; par son ordre, <strong>de</strong>s<br />

plus grands honneurs. Il ne s'agit donc que <strong>du</strong><br />

peuple juif; mais on Sait que le danger d'un peuple<br />

ne peut pas seul faire <strong>la</strong> base d'un intérêt dramatique,<br />

parce qu'on ne s'attache pas à une nation<br />

comme à un indivi<strong>du</strong> : il faut t dans ce cas f lier au<br />

sort <strong>de</strong> cette nation celui <strong>de</strong> quelques personnages<br />

intéressants par leur situation; et Ton voit que celle<br />

d'Esther et <strong>de</strong> Mardoehée n'a rien qui fasse craindre<br />

pour eux. Les caractères ne sont pas moins répréhensibles,<br />

si l'on excepte celui d'Esther, qui est<br />

d'un bout I feutre ce qu'elle doit être9 et dont le<br />

.rtle est fort beau. Zarès, femme d'Aman y est entièrement<br />

inutile, et ne tient en rien à <strong>la</strong> pièce :<br />

c'est un remplissage. M ardoehée n'est guère plus<br />

nécessaire. Assuérus n'est pas excusable : c'est un<br />

fantôme <strong>de</strong> roi9 un <strong>de</strong>spote insensé Y qui proscrit<br />

tout un penple sans le plus léger examen 9 et en<br />

abandonne <strong>la</strong> dépouille au ministre qui en a proposé<br />

<strong>la</strong> <strong>de</strong>struction. La haine d'Aman a <strong>de</strong>s motifs trop<br />

petits 9 et Ton ne peut concevoir que le mattre d'un<br />

grand empire soit malheureux parce qu'un homme<br />

<strong>du</strong> peuple ne s'est pas prosterné <strong>de</strong>vant <strong>la</strong>i comme<br />

les autres, et qu'il aille jusqu'à dire :<br />

lIMocMe, tfsli «tx porta <strong>du</strong> pliii s<br />

COU15 DE UntiRATUBR.<br />

J)mêmmmiMMlhmwmm§ûmêmMêiaÊêt<br />

Et toute ma gran<strong>de</strong>ur me <strong>de</strong>vient Insipi<strong>de</strong>,<br />

Tandis que ce soleil éc<strong>la</strong>ire ce perfi<strong>de</strong>,<br />

Mardochée n'est point perfi<strong>de</strong>; et si ce Juif fait<br />

une pareille impression sur Aman f il faut qu'Aman<br />

soit fou. On prétend que ces petitesses <strong>de</strong> l'orgueil<br />

sont dans <strong>la</strong> nature : il se peut qu'elles aillent jusque-là<br />

; mais alors elles ne doi?ent pas faire le fon<strong>de</strong>ment<br />

d'une action et d'un caractère : il est trop<br />

difficile <strong>de</strong> s'y prêter. Je sais que Eacine a trouvé<br />

le moyen <strong>de</strong> If s revêtir <strong>de</strong>s couleurs les plus imposantes.<br />

Aman, quand il avoue que c'est Mardochée<br />

qui attire sûr les Juifs l'arrêt qui les condamne,<br />

ajoute :<br />

Il faut <strong>de</strong>s diâttuieiits dont Fcialee» icéeiisie ;<br />

Qu'on tremble en comparant rafleoie et le suppliée;<br />

Que les peuples entiers dans le sang soient noyés,<br />

le ¥eux qu'on dise os jour au siècles efeàjét :<br />

1 fut <strong>de</strong>s Mfi$ Il fui eue insolente race;<br />

Répan<strong>du</strong>s sur <strong>la</strong> terre t Ils en confiaient <strong>la</strong> feee :<br />

Un seul cet d'Aman attirer le courroux ;<br />

Aussitôt <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre Us disparurent tous.<br />

J'admire <strong>de</strong> si beaux vers. Mais si Aman était un<br />

grand personnage9 un homme extraordinaire, qu'il<br />

eût reçu une offense gra?e9 je pourrais entrer jusqu'à<br />

un certain point dans ses ressentiments, et<br />

alors son rôle serait théâtral : tel qu'il est, je se<br />

fois en loi , malgré tout l'art <strong>du</strong> poète 9 que f orgueil<br />

extravagant et féroce d'un favori enivré <strong>de</strong> sa fortune<br />

9 qui veut exterminer une nation parce qu'un<br />

homme ne Fa pas salué.<br />

La vraisemb<strong>la</strong>nce est aussi trop blessée. Après<br />

<strong>la</strong> scène où Esther l'a dénoncé au roi comme un<br />

calomniateur et un assassin, lorsqu'il a TU toute<br />

l'impression que faisaient les dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> reine<br />

sur Assuérus; et tout le poutoir qu'elle était sur<br />

lui9 lorsque <strong>la</strong> connaissance qu'il a <strong>du</strong> caractère <strong>de</strong><br />

ce prince doit lui faire voir qu'il est per<strong>du</strong> f il offre<br />

«on cràiit à Esther en <strong>la</strong>veur <strong>de</strong>s Juifs.<br />

Princesse, es leur firoanr employée mon crédit<br />

Le foi, TOUS le voyez t iotte encore Interdit :<br />

Je sais par quels ressorts ©a le pousse, on Fartéte;<br />

Et fais comme 11 m® plelt te calme et <strong>la</strong> tessfête»<br />

Parte....<br />

11 est trop ma<strong>la</strong>droit <strong>de</strong> supposer qa'Esther soit<br />

aseei aveugle pour croire que ee soit onoore lui qui<br />

puisse/aire le emkm et <strong>la</strong> tempéie, ni qu'elle puisse<br />

le ménager après avoir éc<strong>la</strong>té à ce point oontre lui.<br />

Elle rejette ses offres avec dédain; alors il te jette<br />

à ses pieds et lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. Cette bassesse le<br />

rend vil9 après que sa confiance fa ren<strong>du</strong> ridicule.<br />

Il ne fait pas s'étonner qu'un drame qui n'a rien<br />

<strong>de</strong> théâtral n'ait eu aucun succès au théâtre s lortqu'il<br />

y parut dépouillé <strong>de</strong> tous les accessoires qui<br />

en avaient fait <strong>la</strong> fortune. Mais si l'on ne savait dt


f«#i Aaeine était capable 9 011 serait surpris <strong>de</strong> lire<br />

nree tant <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir, somme outrage <strong>de</strong> poésie f ce<br />

qui est si défactueui comme outrage dramatique.<br />

Le style d'Esther est enchanteur : c'est là que Eteint<br />

commence à tirer <strong>de</strong> l'Écriture sainte le même<br />

parti qu'il a?ait tiré <strong>de</strong>s poètes grées. Il s'était pénétré<br />

<strong>de</strong> l'esprit <strong>de</strong>s litres saints, et en fondit <strong>la</strong><br />

substance dans Esther et dans AÈkaMê. L'usage<br />

qu'il .en It frappe d'autant plus les eoneaisseu»,<br />

que transporter dans notre poésie les beautés <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> Bîbk et <strong>de</strong>s prophètes était tout autrement difficile<br />

que <strong>de</strong> s'approprier celles d'Homère et d'Euripi<strong>de</strong>.<br />

U fal<strong>la</strong>it un goât aussi sûr que le sien, et<br />

une âocution aussi flexible, pour que ces beautés<br />

qu'il apportait dans notre <strong>la</strong>ngue n'y parussent pas<br />

trop étrangères. Combien, au contraire9 elles y paraissent<br />

naturellêap Élise 9 parente d'Esther et compagne<br />

<strong>de</strong> son enfance, lui raconte f dans <strong>la</strong> première<br />

scène y comment elle est feaue <strong>la</strong> trouter à <strong>la</strong> cour<br />

do roi <strong>de</strong> Perse.<br />

As brait <strong>de</strong> Yotro mort f Justement éplorée,<br />

Da reste <strong>de</strong>s kwmsÈm Je vi¥tls séf arée,<br />

Et <strong>de</strong> mes tristes Jours n'attendais que <strong>la</strong> in,<br />

Quand tout à coup, madame, un prophète civ<strong>la</strong> :<br />

Cest pldiref trop longtemps mie mort qui f abuse ;<br />

« Lève-toi, m'a-t-tl dit, prends ton chemin vers Suie.<br />

« Là ta Terras d'Esther <strong>la</strong> pompe et les honneurs,<br />

« Et sac le Irène assis le sujet <strong>de</strong> tes pleurs.<br />

« <strong>la</strong>ssure, aJoat»4-ll, tes tribus a<strong>la</strong>rmées :<br />

« Sloe, le Jour approche où le Dieu <strong>de</strong>s années<br />

« Va <strong>de</strong> son bras puissant faire éc<strong>la</strong>ter rappel 9<br />

« Et te cri die son peuple est <strong>mont</strong>é Jusqu'à loi.<br />

Il dit : et mol <strong>de</strong> Joie et d'horreur pénétrée,<br />

le <strong>cours</strong>. De ce pa<strong>la</strong>is fat su trouver Feutrée.<br />

O spectacle 16 triomphe admirable à mes yeux 1<br />

Digne es effet <strong>du</strong> bras qui sauva nos aïeux I<br />

Le ier Assuérus couronne sa captive,<br />

Et te Persan superbe est au .pieds d'usé Juive.<br />

On croit entendre le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong>s prophètes y et<br />

c'est une confi<strong>de</strong>nte qui parle; et le ton, tout élevé<br />

qu'il est, parait naturel. C'est qu'une illusion soutenue<br />

TOUS transporte ait lieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène, qu'il n'y a<br />

pas as mot qui sorte <strong>de</strong> l'usité <strong>de</strong> ton et qui eu rappelle<br />

tts autre. Le frai poète est <strong>de</strong> tous les pays :<br />

Racine est Grec avec Andromaque et Iphigéoie,<br />

Romain avec Burrhus et Agrippise, Turc a?ee<br />

Roiaoe et Âcomat 9 Juif a?ec Esther et Athalie.<br />

Quel coloris et quel intérêt dans le tableau que<br />

trace Esther, d'après l'Écriture 9 <strong>de</strong> ce con<strong>cours</strong> <strong>de</strong>s<br />

plus belles femmes <strong>de</strong> l'Asie, parmi lesquelles As*<br />

sueras défait choisir une épouse!<br />

De rinèe à Flelfeapont eee eselnras eofurorait ;<br />

Les filles <strong>de</strong> l'Egypte à Sue comparurent ;<br />

Cales même <strong>de</strong> Parthe et <strong>du</strong> Scythe Indompté<br />

T briguèrent le sceptre offert à Sa beauté.<br />

On n'élevait alors, solitaire e| cachée,<br />

Sous les yeux ripants ém sage Mardwfaée.<br />

Te sais combien Je dote à ses heureux se<strong>cours</strong><br />

La mort m'avait eesi les aatenrs <strong>de</strong> met Jours;<br />

Mali M, voyant m moi <strong>la</strong> taie <strong>de</strong> son Mre f<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE, mi<br />

Me tint Heu, cher lise, et it pire et <strong>de</strong> mère.<br />

Bu triste état <strong>de</strong>* Inits Jour et nuit agité,<br />

n me Un <strong>du</strong> sein <strong>de</strong> non cneecelté;<br />

Et far me» faillie» nains fondant leur délivrance s<br />

H me It iase empire accepter Peapérance,<br />

A ses <strong>de</strong>eeetoa secrets, tremb<strong>la</strong>nte, j'obéis;<br />

le vins; mais Je cachai ma née et mon pays,<br />

Qui pourrait cependant f exprimer tes cabales<br />

Que formait es ees lieux ce peuple <strong>de</strong> rivales, '<br />

Qui toutes f ilspatant na si grand intérêt ,<br />

Des yeux i^àssuérns attendaient leur arrêt?<br />

Chacune avait sa brigue et <strong>de</strong> plissants saffemges : •<br />

L'une t #»a sang fameux ventait les avantages,;<br />

L'autre, powr se parer <strong>de</strong> superbes atours t<br />

Des plut adrattes maint empruntait te secourt;<br />

Et melf pour toute brigue et pour artifice.<br />

De mm <strong>la</strong>rmes au ciel J'offrais le sacrifiée.<br />

Suie, os m'annonça l'ordre d'Assuéras :<br />

Devant oa 1er monarque, Ëllse.» Je parus.<br />

Dieu tieni le cœur <strong>de</strong>s rois entre ses mains puissantes;<br />

11 fait que tout prospère aux âmes Insomnies,<br />

Tandis qu'en ses projets rerspaitleti» est trompé :<br />

De mes faibles attraits le roi parut frappé.<br />

- Celle pièce qui rapporte tout I <strong>la</strong> protection divine<br />

est conforme aux, moeurs Y et cette mo<strong>de</strong>stie<br />

d'Esther contraste bien a?ee l'ambition <strong>de</strong> ses rivales*<br />

Bêler misée, par le péril <strong>de</strong>s Juifs et les exhortai*<br />

tiens <strong>de</strong> Mardoehée y à se présenter <strong>de</strong>vant Assnérasf<br />

malgré k loi, qui défend, sous peine <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, <strong>de</strong><br />

paraître <strong>de</strong>vant le sntifera<strong>la</strong> sans son ordre, Esther<br />

adresse an Tont-Pnissant une prière qui 9 partout<br />

ailleurs, pourrait paraître longue, mais qui tient essentiellement<br />

à Faction, dans un sujet où il est cessé<br />

que les éféeemeots sont con<strong>du</strong>its par <strong>la</strong> main <strong>de</strong><br />

Bien même. Cette prière est d'une éloquence touchante!<br />

animée <strong>de</strong> l'enthousiasme <strong>de</strong>s écrivains sacrés;<br />

et Fauteer a su y p<strong>la</strong>cer en images et en mouvements<br />

les faits principaux qui peuvent intéresser<br />

au sort <strong>de</strong>s Juifs, ce qui est un merle dans son<br />

pian.<br />

O mou snntaraln roi 9<br />

Me votai donc tremb<strong>la</strong>nte et seule <strong>de</strong>vant toi.<br />

Mon père mille lois m'a dit dans mon enfance<br />

Qu'avec nous tu Juras use sainte aU<strong>la</strong>nce,<br />

Quand $ pour te faire un peuple agréable à tes jeu-,<br />

11 plut à ton amour <strong>de</strong> chofalf nés «Jeux.<br />

Même tu leur promis <strong>de</strong> ta bonite encré»,<br />

Une postérité d'éternelle <strong>du</strong>rée,<br />

fiéf as 1 ee peuple ingrat a tnénrlsé ta' loi ;<br />

La nation chérie a violé sa foi ;<br />

Elle a répudié son époux et son père,<br />

Pour rendre à d'autres dieux un honneur a<strong>du</strong>ltère :<br />

Maintenant elle sert sous un maître étranger,<br />

Mais c'est peu d'être esc<strong>la</strong>ve , on <strong>la</strong> vent égorger :<br />

Nos superbes vainqueurs, Insultant à nos <strong>la</strong>rmes 9<br />

Imputent à lenra dieux le bonbeur <strong>de</strong> leurs armes,<br />

Et renient aujourd'hui qu'un même coup mortel<br />

AboUsse ton nom , ton peuple, et ton autel,<br />

ainsi donc un perfi<strong>de</strong> t après tant <strong>de</strong> miracles t<br />

Pourrait anéantir <strong>la</strong> fol <strong>de</strong> tes oracles t<br />

Ravirait aux mortels le plus cher <strong>de</strong> tes dons,<br />

Le saint que lu promets et mie nous attendons !<br />

Mon, non} ne souffre pas que ees géantes farcoeâeef<br />

Ivres <strong>de</strong> notre sang, ferment les seulestmuoties<br />

Qui dans tout l'univers célèbrent tes Menfatîa,<br />

Et confonds tous ces dieux fol ne furent jamais,<br />

four mol i que tu «Mena parmi oesinidèJei


en<br />

COUES BE LITTÉRATURE.'<br />

Tu §tfi comb<strong>la</strong>i je hais leurs fêtas criminelles f<br />

Et que Je meta au raag <strong>de</strong>s profaaniioes<br />

Leurs tables, leurs festins et leurs MMUMM;<br />

' • Que même cette pompe ou je sali condamnée f<br />

€c ban<strong>de</strong>au lioot 11 font que je paraisse ornée,<br />

Bans ces jours solennels à f orgueil dédiés,<br />

Saule, et dans le secret, je te foule à mes pieds;<br />

Qu'à ces vains ornementa Je préfère <strong>la</strong> Gendre,<br />

Et n'ai <strong>de</strong> goût qu'au pleurs que tu me vols i '<br />

J'attendais le moment marqué dans ton arrêt<br />

Pour oser <strong>de</strong> ton peuple embrasser flntéréi :<br />

Ce moment est venu ; ma prompte obéissance<br />

Ys d'un roi redoutable affronter Sa présence.<br />

Cest'pour toi que Je marche ; accompagne mes pas<br />

Devant ee fier Mon qui se te connaît pas. '<br />

Comman<strong>de</strong> , en me voyant, que son courroux s'apaise,<br />

Et prête à mes dis<strong>cours</strong> un charme qui lui p<strong>la</strong>ise.<br />

Les orages, les vents, loi <strong>de</strong>ux te sont soumis;<br />

Tourne eafia sa fureur contre nos ennemis.<br />

Parmi cette foule d'expressions élégantes et poétiques<br />

dont abon<strong>de</strong> ce morceau , il n'y en a qu'urne<br />

qui puisse peut-être <strong>la</strong>isser quelque scrupule, et<br />

n'ai <strong>de</strong> §&M qu'aux pkwr$. Je <strong>la</strong> crois naturelle et<br />

iraie; mais est-elle assez noble pour <strong>la</strong> tragédie?<br />

Avec quel p<strong>la</strong>isir secret madame <strong>de</strong> Maintenon<br />

<strong>de</strong>vait retrouver les sentiments que lui témoignait<br />

souvent Louis XIY, danacem qu'exprime Assuérus<br />

en présence d'Esther; sentiments dont <strong>la</strong> vérité<br />

reçoit encore un nouveau charme <strong>de</strong> l'harmonie si<br />

douce et sî f<strong>la</strong>tteuse <strong>de</strong>s vers d@ Racine.<br />

Croyes-mof, chère Esther, ce sceptre, cet empire t<br />

Et ces profonds respects que <strong>la</strong> terreur Inspire,<br />

À leur pompeux éc<strong>la</strong>t mêlent peu <strong>de</strong> douceur,<br />

Et fatiguent souvent leur triste possesseur.<br />

le se trouve qu'es vous je ne sais quelle grâce<br />

Qui me charme toujours et Jamais ne me <strong>la</strong>sse.<br />

De l'aimable vertu doux et puissants attraits ! ,<br />

Tout respire en Eslher Finnocence et <strong>la</strong> paix ;<br />

Bu chagrin le plus noir elle écarte les ombres,<br />

Et fait <strong>de</strong>s Jours sereins <strong>de</strong> mes jours les plus sombres.<br />

On lisait un jour <strong>de</strong>vant Louis XIV cette strophe<br />

d'un cantique <strong>de</strong> Racine :<br />

Mon Bleu, quelle guerre cruelle !<br />

le trouve <strong>de</strong>ux hommes en mol :<br />

L'un veut que, plein d'amour pour toi,<br />

Mon coeur te soit toujours fidèle;<br />

L'autref à tes volontés rebelle,<br />

Ht révolte contre ta loi.<br />

VoUà, dit le roi, <strong>de</strong>ux hommes quejemmfmiê Mm.<br />

Il est probable qu'en écoutant les vers d*Assuérus,<br />

il disait aussi, mais tout bas : Je sentais comme lui<br />

le besoin d'une Esther, et je Fal trouvée.<br />

Rapprocher <strong>de</strong>ux grands écrivains, quand ils ont<br />

à rendre à peu près les mêmes idées, est toujours<br />

un objet <strong>de</strong> curiosité et d'instruction. Gengiskan,<br />

dans l'Orphdm <strong>de</strong> <strong>la</strong> Chine, éprouve auprès<br />

tf Marné m vi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>urs et ce besoin d'un<br />

sentiment qu'on vient <strong>de</strong> voir dans Assuérus.<br />

Tant rfÊ<strong>la</strong>rs subjugués ont-Ils rempli mon coeur?<br />

Ce coeur <strong>la</strong>ssé <strong>de</strong> tout <strong>de</strong>mandait une erreur<br />

Qui pût <strong>de</strong> mes ennuis chasser <strong>la</strong> nuit profon<strong>de</strong>,<br />

El rfat aie consolât sur le trône <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>.<br />

L'expression <strong>de</strong>s vers tf Assuérus est plus douée,<br />

celle <strong>de</strong> Gengis-kan est plus forte : cette dïfférenœest<br />

fondée sur celle <strong>de</strong> leur situation. L'un parle d'un<br />

bonheur qu'il a, l'autre <strong>de</strong> celui qu'il voudrait avoir,<br />

et le désir va toujours plus loin que <strong>la</strong> jouissance.<br />

En étudiant les grands écrivains, on remarquera par*<br />

toutcerappott<strong>du</strong>stjleaveclesentimentet <strong>la</strong> pensée,<br />

rapport qui existe sans qu'on y prenne gar<strong>de</strong> f mais<br />

qui donne l'âme et <strong>la</strong> vie à tout un ouvrage, comme<br />

le sang qui circule dans nos veines nous <strong>la</strong>it vivre<br />

sans qu'on aperçoive son <strong>cours</strong>.<br />

Allons plus loin, et, quoique ce<strong>la</strong> nous écarte<br />

un peu d'JSWfer, voyons encore <strong>la</strong> mime idée dans<br />

un sujet d'un ton tout différent y dans un conte, ce­<br />

lui <strong>de</strong> <strong>la</strong> belle Arsène.<br />

Seule <strong>de</strong> <strong>de</strong>meura<br />

avec ForgneU, coninagnoii <strong>du</strong>r et tzfate : »<br />

Bouffi, mais sec, ennemi <strong>de</strong>s ébats,<br />

H renfle Famé, @t ne <strong>la</strong> nourrit pas.<br />

Ici <strong>la</strong> gaieté se mêle au sentiment; et e'ett un autre<br />

rapport à saisir, celui <strong>du</strong> ton avec le sujet. 11 y<br />

aurait là-<strong>de</strong>ssus beaucoup <strong>de</strong> choses à dire; mais je<br />

reviens vite à Esther,<br />

C'est revenir à Louis X1Y ; car on retrouve encore<br />

ce prince dans ces <strong>de</strong>ux vers, qui n'étaient pas faits<br />

sans intention :<br />

Seigneur, Je n'ai jamais contemplé qu'avec crainte<br />

L'auguste majesté sur votre front empreinte.<br />

On sait que ce prince, qui avait <strong>la</strong> figure imposante,<br />

n'était pas fâché <strong>de</strong> voir quelquefois l'effet<br />

qu'elle pro<strong>du</strong>isait, et combien il traita favorablement<br />

cet officier qui avait para si fort intimidé <strong>de</strong>vant<br />

lui.<br />

L'élévation et <strong>la</strong> majesté <strong>de</strong>s prophètes brillent<br />

dans <strong>la</strong> scène où Eslher expose <strong>de</strong>vant Assuérus <strong>la</strong><br />

croyance, les fautes, <strong>la</strong> punition, et les espérances<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> nation, dont elle p<strong>la</strong>idé Sa cause y et surtout <strong>la</strong><br />

puissance <strong>du</strong> Bien qu'elle adore.<br />

Ce Dieu, maître absolu <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre et <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux t<br />

N'est point tel que l'erreur Se figure à vos jeux.<br />

L'Etemel est son nom : le mon<strong>de</strong> est son ouvrage :<br />

Il entend les soupirs <strong>de</strong> l'humble t®à*m outrage,<br />

loge tous les mortels avec d'égales lois,<br />

Et <strong>du</strong> haut <strong>de</strong> son trône Interroge les rois.<br />

Des plus fermes États <strong>la</strong> chute épouvantable,<br />

Quand 11 veut, n'est qu'un Jeu <strong>de</strong> sa main îedootable.<br />

N'en doutez point, seigneur, 11 fal voira soatiea :<br />

Lui seul mit à vos pieds le Parthe et FlndM ,<br />

Dissipa <strong>de</strong>vant vous les Innombrables Scythes,<br />

Et renferma les mers dans vos vastes limitas.<br />

Mardochée, dans une autre scène 9 ne le peint pas<br />

avec moins <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur.<br />

Que peuvent contre lui tous les rois <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre?<br />

En vain Us s'uniraient pour lui faire Sa guerre ;<br />

Pour dissiper leur ligne 11 n'a qu'à se <strong>mont</strong>rer :<br />

lifîârfejetdaasiaisaa^


'SIèCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

£î3<br />

An seul son <strong>de</strong> sa voix <strong>la</strong> mer Ml, te ciel twmbte : Voltaire. Mais heureusement le respect que j'ai tou­<br />

II volt comme no séant tout l'univers ensemble;<br />

Et te tolbSes mortels t valus jouets


S74<br />

COUBS Bl UT1VHATDBE.<br />

maudite. Sanarieétaitpoiirlénisalenieeqiie Genève<br />

est pour Rome. L'auteur ê f JtkaMe rappelle cette<br />

malédiction dans plusieurs endroits <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, particulièrement<br />

dans celui-ci :<br />

Meu, qui hait les tyrans, et «pf dans ïmmM<br />

lura d'exterminer àebab et Jéxabei;<br />

Dieu qui, frappant Joram', le mari <strong>de</strong> leur fine,<br />

A Jusque toc son flii poursuivi ksr famlUe; f<br />

W®u, dont te bras vengeur, pour us temps suspen<strong>du</strong>,<br />

Sur cette race impie est toujours éten<strong>du</strong>.<br />

Ailleurs, en par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> Jéhu, roi d'Israëlf il fall<br />

dire à Joad:<br />

lAu , qu'avait choisi sa sagesse profon<strong>de</strong> ;<br />

Jébn i sur mit Je vols qae votre espoir se fouie,<br />

D'an oubli trop Ingrat a payé ses bienfaits ; • '<br />

lébu <strong>la</strong>isse d'àetaab l'affreuse fille eu paix,<br />

Suit <strong>de</strong>s rois disrail les profanes exemples f<br />

Bu fil dieu <strong>de</strong> l'Egypte a conservé les temples,<br />

lébu, sur les hauts lieux enfin osant offrir<br />

Un téméraire encens que EMeu ne peut souffrir,<br />

M'a pour servir sa cause et venger ses injures,<br />

RI le cour assex droit, ni les mains assex purée.<br />

Ces notions générales n'ont pas un rapport direct<br />

à <strong>la</strong> question que je traite en ce moment; mais elles<br />

sont nécessaires pour donner une idée juste <strong>du</strong> sujet ,<br />

et réfuter le même auteur sur d'autres observations<br />

antiques que je me propose d'examiner. Maintenant<br />

lia précis très-cqurt <strong>de</strong>s faits'historiques sur lesquels<br />

<strong>la</strong> pièce est fondée fera voir si Joad est en effet un<br />

rebelle, et s'il défait regar<strong>de</strong>r Âthalie comme sa<br />

reine.<br />

Athalie était fille d'Aehab et <strong>de</strong> Jéiabel, qui régnaient<br />

dans Israël ; elle avait épousé Joram 9 roi <strong>de</strong><br />

Juda9 fils <strong>de</strong> Josaphat , et le septième roi <strong>de</strong> <strong>la</strong> race<br />

<strong>de</strong> David. Son fils Ochosias, entraîné dans l'idolâtrie,<br />

ainsi que Joram, par l'exemple d f Athalie, ne régna<br />

qu'un anf et fut tué, avec tous les princes <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

maison d'Aehab, par Jéhu, que Bien avait <strong>la</strong>it sacrer<br />

par ses prophètes, pour régner sur Israël et pour<br />

être le ministre <strong>de</strong> ses vengeances. Athalie, irritée<br />

<strong>du</strong> massacre <strong>de</strong> sa famille 9 voulut 9 <strong>de</strong> son cité , exterminer<br />

celle <strong>de</strong> David 9 et fit périr tous les enfants<br />

d'Ochosias ses petits-fils. Joas au berceau échappa<br />

seul à cette barbarie, sauvé par Josabeth, soeur <strong>du</strong><br />

roi Ochosias, mais d'une autre mère qu'AthaJie, et<br />

femme <strong>du</strong> grand prêtre Joad.<br />

D'après ces faite, tous énoncés et répétés dans <strong>la</strong><br />

pièce 9 je <strong>de</strong>man<strong>de</strong>! mon tour si Joas n'était pas l'héritier<br />

légitime <strong>du</strong> royaume <strong>de</strong> Juda, et si Ton pouvait<br />

lui disputer le droit <strong>de</strong> succé<strong>de</strong>r à son père ? je<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> si Athalie n'était pas éii<strong>de</strong>mment une usur­<br />

patrice t et si elle avait d'autres droits que ses crimes ?<br />

je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> s'il est permis d'avancer si gratuitemen<br />

que Joad a pu lui faire miment <strong>de</strong>fiêêUtêt C'est<br />

supposer un Ait non-seulement faux, mais impos­<br />

sible. H suffit d'cntendiet dès <strong>la</strong> première seine, <strong>de</strong><br />

quelle manière Joad parle d'Athalie :<br />

Huit ans déjà passés, une impie étrangère<br />

Bu sceptre <strong>de</strong> BmvM usurpe tous les droits,<br />

Des épiante <strong>de</strong> son fils détestable bomldile,<br />

Et même contre Dieu lève son bras perfi<strong>de</strong>.<br />

Supposons qu'après <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Henri 1, Catherine<br />

<strong>de</strong> Médias eût fiait assassiner tous les princes<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> branche <strong>de</strong> Yalois et ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> branche <strong>de</strong><br />

Bourbon, et que François II, encore enfant, cru<br />

mort comme les autres, eût été, par un enup ia<br />

hasard, dérobé au g<strong>la</strong>ive <strong>de</strong>s assassins, ci caché<br />

dans une cour étrangère ou dans quelque vile <strong>du</strong><br />

royaume; qu'il fût parvenu ensuite à se faire reconnaître<br />

pour ce qu'il était, lui-aurait-on contesté<br />

son droit à <strong>la</strong> couronne? C'est précisément <strong>la</strong> situa»<br />

tion où se trouve Joas. Il est donc bien évMemmeiÈf<br />

roi <strong>de</strong> Juda; Joad est son «ttfef et non pas celui<br />

d'Athalie. Joad n'a donc fait ni pu faire fermas!<br />

êefiêêiîÉà à une usurpatrice meurtrière, souillée <strong>de</strong><br />

sang et <strong>de</strong> forfaits. 11 n'est dit nulle part qu'il lui ait<br />

fait ce serment, et son caractère et sa religion ne<br />

permettent pas plus <strong>de</strong> le présumer dans une tragédie<br />

que dans l'histoire. Athalie, qui ne régnait<br />

que par <strong>la</strong> force, n'ignorait pas <strong>la</strong>s sentuneats es<br />

Joad et <strong>de</strong> ses lévites ; mais elle ne les craignait pas.<br />

Elle dit elle-même :<br />

Vos patres, Je veux aléaf Abuer vous Favouer,<br />

Des bontés d'Athalie ont iSea <strong>de</strong> M louer,<br />

le sais, sur ma con<strong>du</strong>ite et contre ma puissance,<br />

lusqu'oà <strong>de</strong> leurs dis<strong>cours</strong> Us portent <strong>la</strong> licence :<br />

Us vivent cependant, et leur aaraplt est <strong>de</strong>bout<br />

Elle les regar<strong>de</strong> donc comme ses ennemis 9 mais<br />

comme <strong>de</strong>s ennemis faibles et impuissants; et Ton<br />

peut penser que, si elle les épargne, c'est pour ne<br />

pas commettre <strong>de</strong>s cruautés inutiles. Il en résulte<br />

que Joad, bien loin <strong>de</strong> conspirer cmâre <strong>la</strong> reme^<br />

défend son légitime souverain contre une marâtre<br />

barbare qui lui a ravi le trône, et qui a voulu lui<br />

arracher <strong>la</strong> vie. On voit par là combien est faux dans<br />

tous ses rapports le parallèle hypothétique qu'on<br />

établit entre Elisabeth et Athalie, entre Joad et l'archevêque<br />

<strong>de</strong> Cantorbéry. Celui-ci était sujet d'Elisabeth,<br />

et Joad ne l'était pas d'Athllie. Le pré<strong>la</strong>t<br />

ang<strong>la</strong>is ne détail rien à Marie Staart que <strong>de</strong> <strong>la</strong> pitié ;<br />

le pontife <strong>de</strong> Jérusalem <strong>de</strong>vait servir <strong>de</strong> tout son<br />

pouvoir le <strong>de</strong>rnier rejeton <strong>de</strong> ses rois, sauvé par son<br />

épouse, et nourri dans le temple : <strong>la</strong> disparité est<br />

complète.<br />

Mais ce n'est pas assez que <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> Joad soit<br />

juste; il faut justifier les moyens qu'il emploie. <strong>la</strong><br />

manière dont on les attaque offre un côté spécieux :<br />

f un prêtre qui trompe! un prêtre qui assassine! Ce


MQI énoncé présenté une sorte <strong>de</strong> contraste dans<br />

SIÈCLE DB LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

les termes, qui a quelque chose <strong>de</strong> trop ©dieux ; mais<br />

en dépouil<strong>la</strong>nt un fait <strong>de</strong> toutes les circonstances<br />

qui l'accompagnent, il est aussi trop facile <strong>de</strong> le<br />

dénaturer. Cest ici qu'il faut es revenir d'abord à<br />

ce principe incontestable, qu'un poète dramatique<br />

doit faire agir et parler ses personnages conformément<br />

aux mœurs <strong>du</strong> pays où ils vivent, à moins<br />

qu'il n'y ait un tel excès d'atrocité, <strong>de</strong> bizarrerie ou<br />

<strong>de</strong> bassesse, qu'il ne soit pas possible <strong>de</strong> s'y prêter;<br />

' et dans ce cas il faut ou adoucir ces mœurs sans les<br />

contredire trop formellement, ou rejeter un sujet<br />

qui répugnerait trop soi nôtres» La question est donc<br />

<strong>de</strong> savoir si Fauteur à'Âiksiie, dans tout le <strong>cours</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, nous a <strong>mont</strong>ré les objets sous un ieî<br />

point <strong>de</strong> fie, que <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> Joad nous paraisse<br />

irréprochable v et que l'intérêt <strong>de</strong> cet saies!, son<br />

pupille et son roi s <strong>de</strong>vienne celui <strong>du</strong> spectateur. Cet<br />

examen sera le plus grand éloge <strong>de</strong> l'outrage. Il n'y<br />

en a pas un seul où Ton ait porté aussi loin cet art<br />

dont <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> n'aperçoit que le résultat, et dont<br />

les connaisseurs sentent tout le mérite, eet art si<br />

essentiellement théâtral, <strong>de</strong> mettre sans cesse dans<br />

<strong>la</strong> bouche <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong>s acteurs tout ce qui peut<br />

fon<strong>de</strong>r, nourrir, accroître l'intérêt unique qu'il faut<br />

inspirer, et ranger les spectateurs <strong>du</strong> parti que le<br />

poète .veut qu'ils embrassent; art d'autant plus difficile,<br />

qu'il ne faut pas en <strong>la</strong>isser voir l'intention :<br />

l'effet est manqué, si le besoin est trop aperçu. L'auteur<br />

doit toujours nous mener, mais <strong>de</strong> manière<br />

que nous nous imaginions aller tout seuls. Plus on<br />

réfléchit sur le sujet, le p<strong>la</strong>n, l'exécution à'Mkàlie,<br />

plus on est effrayé <strong>de</strong>s difficultés qui <strong>du</strong>rent frapper<br />

un auteur qui avait tant <strong>de</strong> connaissances <strong>du</strong> théâtre,<br />

et <strong>du</strong> talent Inlnî qu'il lui fal<strong>la</strong>it pour les sur<strong>mont</strong>er.<br />

Pkêére était sans doute un sujet très-délicat à manier<br />

; assis aussi que <strong>de</strong> ressources ! là passion, que<br />

Racine saeait si bien traiter; <strong>la</strong> Fable, qui apportait<br />

sous son pinceau ce que <strong>la</strong> poésie a <strong>de</strong> plus bril<strong>la</strong>nt!<br />

Il était là comme sur son terrain : ici, rien <strong>de</strong> tout<br />

ce<strong>la</strong>. Peint <strong>de</strong> passion d'aucune espèce : un sujet austère,<br />

et pour ainsi dire nu; le péril d'un enfant,<br />

qui par lui-même n'a rien <strong>de</strong> bien irif, à moins qu'on<br />

ne puisse y joindre le ressort puissant <strong>de</strong> k nature<br />

dans le cœur d'un père ou d'une mère, comme<br />

dais Andromaque, dans Iffhigénie, dans Mérope,<br />

dans Idamé. Joas est orphelin; il est le neveu <strong>de</strong><br />

Josabeth : c'est un lien <strong>de</strong> parenté; mais qu'il est<br />

loin.<strong>de</strong> ce grand sentiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> maternité, auquel<br />

ries se peut se comparer! Aussi Josabeth n'est-elle<br />

qu'un personsage secondaire, qui se <strong>la</strong>isse con<strong>du</strong>ire<br />

on tout par Joad. Il fal<strong>la</strong>it pourtant nous attacher<br />

au sort <strong>de</strong> cet enfast pendant cinq actes. Ce n'est<br />

176<br />

pas tout : quel est le défenseur <strong>de</strong> cet enfant? quel<br />

est celui qui entreprend <strong>de</strong> le remettre sur le trône?<br />

Ce n'est point un <strong>de</strong> ces personnages toujours avantageux<br />

à <strong>mont</strong>rer sur <strong>la</strong> scène y un guerrier, un héros<br />

vengeur <strong>de</strong> sa patrie et <strong>de</strong> ses rois, un politique<br />

habile méditant une gran<strong>de</strong> révolution : c'est un<br />

pontife enfermé dans us temple avec une tribu eonsacrée<br />

au sert les <strong>de</strong>s autels. Il fal<strong>la</strong>it le faire triompher<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> force et <strong>du</strong> pouvoir sans blesser <strong>la</strong> vralsemb<strong>la</strong>nce,<br />

et le rendre ministre d'une •engeance<br />

rigoureuse et sang<strong>la</strong>nte sans dégra<strong>de</strong>r ni frire haïr<br />

le caractère <strong>du</strong> sacerdoce. Tout autre personnage<br />

pouvait être, sans aucun inconvénient t l'instrument<br />

<strong>du</strong> salut <strong>de</strong> Joas et <strong>de</strong> <strong>la</strong> perte d'Atfaalie. Rétablir<br />

l'héritier <strong>du</strong> trêne, venger <strong>la</strong> faiblesse opprimée,<br />

et punir l'ennemi et le bourreau <strong>de</strong> ses rois, était<br />

pour tout autre une entreprise non-seulement légitime,<br />

mais glorieuse. Cependant, telles sont les<br />

idées <strong>de</strong> convenance attachées à chaque état, que<br />

foire répodre par les ordres d'un prêtre le sang d'une<br />

reine, quoique coupable et usurpatrice, était en soimême<br />

difficile et dangereux. Tant d'obstacka nés<br />

<strong>du</strong> sujet n'étaient ba<strong>la</strong>ncés que par une seule rassource,<br />

l'intervention divine. A <strong>la</strong> vérité, eUe se<br />

présentait d'elle-même, et l'homme le plus ^médiocre<br />

pouvait <strong>la</strong> saisir ; mais c'est un <strong>de</strong> ces moyens<br />

qui n'ont qu'une valeur proportionnée à <strong>la</strong> force <strong>de</strong><br />

celui qui s'en sert : mis en œuvre par une main<br />

moins habile, il ne pouvait tout au plus que faire<br />

excuser Joad, etalors <strong>la</strong> pièce était masquée; elle<br />

ne pouvait pro<strong>du</strong>ire que très-pu d'effet. II était<br />

absolument nécessaire <strong>de</strong> tirer <strong>de</strong> ce moyen tout<br />

le parti possible ; il fal<strong>la</strong>it falrs entendre <strong>la</strong> voix <strong>de</strong><br />

Dieu dass chaque vers, resdre cet enfant que le ciel<br />

protège aussi cher aux spectateurs qu'aux Israélites<br />

(puisque sa<strong>la</strong> c'est là toute <strong>la</strong> pièce), le leur <strong>mont</strong>rer<br />

sur <strong>la</strong> scène, et faire agir sur tous les cœurs k charme<br />

<strong>de</strong> l'enfance; ce qui était sans exemple, et p<strong>la</strong>cé9<br />

s'il faut le dire, entre le sublime et le ridicule. Et<br />

quel autre qu'un grand maître ; alésas plus loin, quel<br />

autre que Racine pouvait en venir à bout? Sans <strong>la</strong><br />

magie d'us style divin, qui s'élève jusqu'à l'enthousiasme<br />

d'un pontife avec autant <strong>de</strong> succès qu'il <strong>de</strong>scendà<strong>la</strong><br />

naïvetéd'un enfant t <strong>la</strong> scène française n'avait<br />

point â'MkmMe, C'est un <strong>de</strong> ces tableaux qui ne peuvent<br />

exister que pr un prestige unique <strong>de</strong> coloris 9<br />

et que, sans ce<strong>la</strong>, 1a plus belle ordonnance, le plus<br />

beau <strong>de</strong>ssin, ne pourraient sauver. Il y a <strong>de</strong>s sujets<br />

où l'on est forcé d'être sublime, sous peine <strong>de</strong> n'être<br />

rien : Racine s'est bien acquitté <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>voir; il l'est<br />

<strong>de</strong>peîi le premier vers jusqu'au <strong>de</strong>rnier*.<br />

1 Quand te céiètite Leit<strong>la</strong> vint, à Fàge <strong>de</strong> dis-huit ans,<br />

€bez Yoltalra, aiee déviât lui retint <strong>de</strong> « teleat, trop tôt


COU1S DE LITTÉEATU1E.<br />

576<br />

- La théocratie, particulièrement établie chez les<br />

Mis, était dose le principal objet que <strong>de</strong>vait développer<br />

Fauteur i'Àiàmik* Aussi 9 dès <strong>la</strong> première<br />

scène 9 il fon<strong>de</strong> puissamment toutes les idées qui<br />

doivent goiiferner l'esprit <strong>de</strong>s spectateurs ; il rappelle<br />

tous les faits qui doivent influer sur le reste<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce; il prépare tout ce qui doit arriver. 11<br />

choisit, pour le jour qu'il a <strong>de</strong>stiné à <strong>la</strong> proc<strong>la</strong>mation<br />

<strong>de</strong> Joas, une <strong>de</strong>s principales fêtes <strong>de</strong>s Juifs 9 celle où<br />

Ton célébrait l'anniversaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> publication <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

loi, et qu'on appe<strong>la</strong>it aussi <strong>la</strong> fête <strong>de</strong>s Prémices,<br />

parce qu'on y offrait à Bien les premiers pains <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

nouvelle jnoisson. 11 intro<strong>du</strong>it avec le grand prêtre<br />

un guerrier qui a servi avec distinction sons les rois<br />

<strong>de</strong> Juda9 également attaché à leur mémoire et au<br />

culte <strong>de</strong> ses pères. Bans tout autre sujet, il semblerait<br />

que ce fût à un homme tel qu'Abner cf être<br />

le vengeur et l'appui d'un roi orphelin, et <strong>de</strong> travailler<br />

à son rétablissement. Mais ici c'est Bien<br />

qui doit tout faire :<br />

Bleu f qui <strong>de</strong> l'orphelin protège l'Innocence f<br />

Et Ml dans Sa faiblesse éc<strong>la</strong>ter sa puissance.<br />

Cest <strong>de</strong> cette faiblesse même que Fauteur a tiré<br />

f Intérêt qu'il sajt répandre sur <strong>la</strong> cause <strong>du</strong> grand<br />

prêtre et <strong>de</strong> Joas. On lui a reproché <strong>de</strong> n'avoir pas<br />

fait le râle d'Abner plus agissant : s'il l'eût fait, sa<br />

pièce ressemb<strong>la</strong>it à tout; elle n'avait plus ce caractère<br />

religieux qui <strong>la</strong> distingue et qui <strong>la</strong> rend à <strong>la</strong> fois<br />

si originale et si conforme au mœurs théocratiques.<br />

A quoi donc lui a servi Abner? A présenter dans un<br />

homme <strong>de</strong> cette importance, dans un guerrier vertueux<br />

, dans un serviteur Idèle <strong>de</strong>s rots <strong>de</strong> Juda, les<br />

sentiments que <strong>la</strong> plus saine partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> nation a<br />

conservés pour ia famille <strong>de</strong> David, sentiments qui<br />

seraient suspects <strong>de</strong> quelque intérêt particulier, si<br />

l'auteur ne les eût <strong>mont</strong>rés que dans le grand prêtre<br />

et ses lévites; à ba<strong>la</strong>ncer auprès d'Athalie, qui ne<br />

peut lui refuser son estime, le crédit et les suggestions<br />

<strong>de</strong> Mathan; à former entre l'humanité d'un<br />

soldat et <strong>la</strong> cruauté d'un prêtre ce beau contraste<br />

qui met <strong>du</strong> côté <strong>de</strong> Joad tout ce qu'il y a <strong>de</strong> plus intéressant,<br />

et <strong>du</strong> côté d'Athalie tout ce qu'il y a <strong>de</strong><br />

plus odieux; enfin, à relever <strong>la</strong> fermeté d'âme et <strong>la</strong><br />

pieuse 'eon<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> Joad, qui, pouvant se servir<br />

per<strong>du</strong> peur le théâtre dont U a été <strong>la</strong> gloire, U voulut d'abord<br />

<strong>la</strong>i réciter le rôle <strong>de</strong> Gustave. Non, non, dit le poète ; je n*mme<br />

pm kt wmupûii vert. Le jeune homme Mi offrit alors <strong>de</strong> répéter<br />

<strong>la</strong> première scène tfAtkaiitj entre load et Aimer. Yaf»<br />

taira ré€ontef et l'ouvrage lui faisant oublie? facteur, U s'écria<br />

arec transport : Quel êiylel quelle poésie! Et toute <strong>la</strong> pièce<br />

«Iécrite es même! Ah! wmmiemrf quel homme que Hécate/<br />

C'est Ixkato qui rapporte, dans <strong>de</strong>s Mémoires manuscrits, m<br />

fait dont II fut d'autant plus frappé que, dans ce moment, il<br />

•watt Mes voulu que Voltaire s'occupât an peu plus <strong>de</strong> lui<br />

et un peu moins <strong>de</strong> ï<strong>la</strong>ctoe*<br />

d'an homme si brave et si accrédité, ne s'en sert<br />

pas, parce qu'il attend tout <strong>de</strong> Bien seul. Et quoi<br />

<strong>de</strong> pies propre à relire ira® cause respectable, à en<br />

persua<strong>de</strong>r <strong>la</strong> justice, que île <strong>la</strong> présenter toujours<br />

comme <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> Bien lui-même? Je ie répète :<br />

sans cet art, que peut-être on s'a pas assez senti,<br />

<strong>la</strong> pièce échouait. Quand Josabeth dit an grand<br />

prêtre,<br />

àtaiar, le brave Aimer, vlendra-t-fl sons défendre?<br />

Joad répond,<br />

Abner, quoiqu'on se pût assurer rar sa foi,<br />

Ne sait pas même eneor si nous avons un roi.<br />

JOSASETlf.<br />

Mais à qui <strong>de</strong> loas caalcr-vaas <strong>la</strong> gar<strong>de</strong>?<br />

Est-ce Obed? est-ce àaaaea que cet honneur regar<strong>de</strong>?<br />

Dejnon père sur eu les bienfaits répan<strong>du</strong>s...<br />

JOâB.<br />

A i<strong>la</strong>jdta Màal<strong>la</strong> ils se sont tous ven<strong>du</strong>s.<br />

Qui doue oppasei-voas contre ses satellites î<br />

JOÂB.<br />

He TOUS fai-Je pas dit ? nos prêtres, nos lévites.<br />

IOSÂBETB.<br />

Peut être daas leurs bras Joas percé <strong>de</strong> coup...<br />

J04B.<br />

Et eomptêi-Tous pour qui rien Dieu ceaiîaii pour créais?<br />

Toujours Bien : et quand Âthaliê périra, c'est le<br />

bras <strong>de</strong> Bien qui l'aura frappée , et qui cachera celui<br />

<strong>de</strong> Joad, qu'il était si essentiel <strong>de</strong> ne pas <strong>mont</strong>rer.<br />

Ce sujet a quelque chose <strong>de</strong> si particulier, que le<br />

rôle d'Abner me parait louable par une raison tout<br />

opposée à celle qui fait louer d'autres rôles : eeex-cï<br />

ne raient ordinairement qu'en raison <strong>de</strong> ce qu'ils<br />

font dans une pièce ; celui d'Abner vaut en raison <strong>de</strong><br />

ce qu'il n'y fait pas.<br />

Avec quelle dignité s'ou?re cette première scène f<br />

où fauteur a disposé tous les ressorts <strong>de</strong> son drame I<br />

Oui, Je Tiens daas son temple adorer rfitaroel ;<br />

Jelviens, selon ratage antique et solennel,<br />

Célébrer avec vous <strong>la</strong> fameuse journée<br />

Où sur le <strong>mont</strong> S<strong>la</strong>a <strong>la</strong> lot nous fut donnée.<br />

Que les temps sont ctpngés ! Sitôt que <strong>de</strong> ce Jour<br />

La trompette sacrée annonçait le retour,<br />

Du temple, orné partout <strong>de</strong> festons <strong>la</strong>agaliqaes s<br />

Le peuple saint es foule inondait les portiques ;<br />

Et tons f <strong>de</strong>?aat faute!, avec ordre intro<strong>du</strong>its , [fruits,<br />

De leurs champs dans leurs mains portant les nouveaux.<br />

As Bleu <strong>de</strong> Funifers consacraient ces prémices :<br />

Les prêtres ne pouvaient suffire aux sacrifices.<br />

L*audace d'une femme, arrêtant ce con<strong>cours</strong> f<br />

En <strong>de</strong>s Jours ténébreux a changé ces beaux Jours.<br />

D'adorateurs lélés à peine un petit nombre<br />

Ose <strong>de</strong>s premiers temps nous retracer quelque ombre.<br />

Le reste pour son Dieu <strong>mont</strong>re un oubli fatal,<br />

Os même, s'empres&ant aux autels <strong>de</strong> Baal 9<br />

Se fait initier à ses honteux mystèresf<br />

Et b<strong>la</strong>sphème Se nom qu'ont invoqué leurs pères.<br />

le tremble qu'AthaUe, à ne TOUS rien eaetierf<br />

Vous-même <strong>de</strong> l'autel Vous faisant arracher,<br />

N'achèfê enfin sur vous ses vengeances funestes;<br />

Et d'un respect forcé se dépouille Ses restes.


On a déjà fti dans ce peu <strong>de</strong> vers les sentiments<br />

religieux d'Abeér, <strong>la</strong> solennité do jour faite pour<br />

sanctiier l'entreprise <strong>de</strong> Joad 9 le culte <strong>de</strong>Baal opposé<br />

à celui <strong>du</strong> Bien <strong>de</strong> Jérusalem, l'impiété d'Athalie,<br />

et le péril <strong>du</strong> grand prêtre. Il répond :<br />

D'où vous vient aujourd'hui ce noir pressentiment?<br />

ABME1.<br />

Penset-veiis être salut et Juste trapuuéuieat ?<br />

Dès longtemps elle hait cette fermeté rare,<br />

Qui rehausse en load l'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> ta tiare ;<br />

• De» longtemps votre amour pour <strong>la</strong> religion<br />

Est trMté <strong>de</strong> léfolte et <strong>de</strong> sédition. • %•<br />

Bu mérite éc<strong>la</strong>tant cette relue Jalouse<br />

Hait surtout losabeth , votre idèle épouse :<br />

SI do grand prêtre Aaron Joad est successeur,<br />

De notre <strong>de</strong>rnier roi îoseuetti est <strong>la</strong> seeur.<br />

Mathan d'ailteun, Mathan , ce prêtre saerttége,<br />

Plus méchant qu'Athalie, à toute heure l'assiège;<br />

Mathan <strong>de</strong> nos autels Infâme déserteur,<br />

Et <strong>de</strong> toute verts rélé persécuteur.<br />

Cest peu que} le front ceint d'une mitre étrangère,<br />

Ce lévite à Isa! prête son ministère ;<br />

Ce temple l'importune, et sue impiété<br />

Tondrait anéantir le dieu qu'il a quitté.<br />

Pour vous perdre, il n'est point <strong>de</strong> ressort qu'il nln vente :<br />

Quelquefois 11 vous p<strong>la</strong>int, souvent même 11 vous vante ;<br />

H affecte pour TOUI une fausse douceur,<br />

Et par là t <strong>de</strong> son fiel colorant là noirceur,<br />

Tantôt à cette reine il vous peint redoutable,<br />

Tantôt, voyant pour for sa soif insatiable,<br />

Il lui feint qu'en un lieu que vous seul connaissez<br />

Tous cachez <strong>de</strong>s trésors par David amassés.<br />

Voilà le contraste <strong>de</strong> Joad et <strong>de</strong> Mathan établi <strong>de</strong><br />

manière à inspirer autant <strong>de</strong> Yénération pour l'un<br />

que d'horreur pour l'autre. Cette supposition d'un<br />

trésor renfermé dans le temple est une préparation<br />

adroite et inaperçue d'un <strong>de</strong>s principaux moyens <strong>du</strong><br />

<strong>de</strong>ooûmeet : c'est timmiîmbk smf <strong>de</strong> i'or qui fera<br />

tomber Athalie dans le piège.<br />

Euia f <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux Jours, <strong>la</strong> superbe Athalie<br />

Dans un sombre chagrin parait ensevelie,<br />

le l'observais hiert et je voyais ses jeux<br />

Lancer sur le lieu saint <strong>de</strong>s regards furieux t<br />

Comme si, dans le fond <strong>de</strong> ce vaste édile*,<br />

Dieu cachait un vengeur armé pour son supplice,<br />

Autre préparation <strong>du</strong> dénouaient : on fait déjà<br />

le vengeur caché dans le temple, et armé pour k<br />

supplice d'Athalie. Elle-même .croit le voir : Dieu<br />

et sa conscience <strong>la</strong> menacent en même temps.<br />

Croyez-mot ; plus J'y .pense, et moins Je puis douter<br />

Que sur vous sou courroux ne soit près d'éc<strong>la</strong>ter,<br />

Et que <strong>de</strong> lézabel <strong>la</strong> fille sanguinaire<br />

Hé vienne attaquer Bleu Jusqu'en son saactaitae.<br />

Attaquer Bimï C'est entre Dim et Athalie que<br />

<strong>la</strong> guerre est déc<strong>la</strong>rée. Abner ne parle <strong>de</strong> Joad que<br />

pour <strong>mont</strong>rer les dangers qui l'en?ironaent. On connaît<br />

<strong>la</strong> réponse <strong>du</strong> grand prêtre : il n'y a point d'enfant<br />

au collège qui ne <strong>la</strong> sache par cœur y et il n'y a<br />

point <strong>de</strong> conàaisseur qui ne fadmire. Jamais on ne<br />

lut sublime avec plus <strong>de</strong> simplicité.<br />

Celui qui met sa frein à <strong>la</strong> fcireur ém flots<br />

LA B4BFE. — f®» L<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POESIE. 577<br />

Sait aussi <strong>de</strong>s méchants arrêter les complots.<br />

Soumis avec respect à sa volonté sainte,<br />

le crains Dieu, cher AJ»ner, et n'ai point d'autre craints.<br />

Mais ce n'était pas assez <strong>de</strong> peindre cette fermeté<br />

qui l'ennoblit, il fal<strong>la</strong>it annoncer ce saint enthousiasme<br />

qui caractérise l'homme capable <strong>de</strong> tout faire<br />

pour ia cause <strong>de</strong> Dieu et <strong>de</strong> ses rois.<br />

Cependant Je rends grâce au lèle officieux<br />

Qui sur tous mes périls vous fait ouvrir les yeux,<br />

le vois que l'injustice en secret vous Irrite,<br />

Que vous avez eneor le eceur Israélite.<br />

Le ckl en soit béni.<br />

Yoyei ce que c'est que le style <strong>du</strong> sujet ; partout<br />

ailleurs cet hémistiche serait p<strong>la</strong>t et trivial; à fendrait<br />

où il est, il a <strong>de</strong> fonction.<br />

Mais ce secret courroux,<br />

Cette oisive vertu t vous en contentez-vous?<br />

La fol qui n'agit point, est-ce une fol sincère?<br />

Esè-œ mm foi sincère? En prose, on dirait, e$ê><br />

eMe une foi sincère? Le pronom démonstratif donne<br />

à <strong>la</strong> phrase une tournure bien plus a if a. Cest le sentiment<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie qui inspire ces modifications <strong>du</strong><br />

<strong>la</strong>ngagei que <strong>la</strong> grammaire nomme <strong>de</strong>s licences, et<br />

que le goût appelle <strong>de</strong>s découvertes.<br />

' Huit ans déjà passés, une impie étrangère<br />

Du sceptre <strong>de</strong> David usurpe tous les droits,<br />

Se baigne impunément dans le sang <strong>de</strong> nos rois,<br />

Des enfants <strong>de</strong> son ils détestable homici<strong>de</strong>;<br />

Et même contre Dieu lève son bras perfi<strong>de</strong>.<br />

Huit ans <strong>de</strong>^à passés 9 manière poétique <strong>de</strong> dire ,<br />

par l'ab<strong>la</strong>tif absolu $ il y a huit ans. Racine a enrichi<br />

<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong>s poètes d'une foule <strong>de</strong> constructions <strong>de</strong><br />

cette espèce*.<br />

Et vous, l'un <strong>de</strong>s soutiens <strong>de</strong> ce tremb<strong>la</strong>nt État ;<br />

Yous, nourri dans les camps <strong>du</strong> saint roi losaphat ;<br />

Qui sous son fils Joram commandiez nos armées,<br />

Qui rassurâtes seul nos villes a<strong>la</strong>rmées,<br />

Lorsque efOetiasiâe te trépas imprévu<br />

Dispersa tout son camp à l'aspect <strong>de</strong> Jébu ;<br />

le crains Dieu, dites-vous , sa vérité me touche.<br />

Yoici comme ce Dieu vous répond par ma bouche :<br />

Du zèle <strong>de</strong> ma Sol que sert <strong>de</strong> vous parer?<br />

Par <strong>de</strong> stériles vœux pensez-vous m'honorer?<br />

Quel fruit me revient-il <strong>de</strong> tons vos sacrifices?<br />

àf-je besoin <strong>du</strong> sang <strong>de</strong>s boucs et <strong>de</strong>s génisses?<br />

Le sang <strong>de</strong> vos rois crie, et n'est point écouté.<br />

Rompez, rompez tout pacte avec l'impiété;<br />

Du milieu <strong>de</strong> mon peuple exterminez les crimes t<br />

Et vous viendrez alors m'tmmotar vos victimes.<br />

Tous ces aers sont tra<strong>du</strong>its <strong>de</strong> l'Écriture : c'est<br />

ainsi que par<strong>la</strong>ient les prophètes , et que doit parler<br />

celui qui exterminera Athalie.<br />

ssiii.<br />

Hé ! que pnis-J@ au milieu <strong>de</strong> ce peuple abattu ?<br />

Benjamin est sans farce, et <strong>la</strong>da sans vertu.<br />

Le jour qui <strong>de</strong> leurs rois vit éteindre <strong>la</strong> race<br />

* Celle-ci est <strong>de</strong> Malherbe, dans <strong>la</strong> Pwempôpés # Ottonft f<br />

et c'était à lui qull fal<strong>la</strong>it en faire honneur :<br />

Trois es* îéfà passés, tîaàttfe ôe <strong>la</strong> guerre, etc.<br />

87


57S C0U1S M LITTÉHÀTUIE.<br />

Ëtdgnlt tout le feu <strong>de</strong> iew antSipe niftcm,<br />

Bleu même ? disent-ils, s'est retiré <strong>de</strong> nom.<br />

De l'honneur <strong>de</strong>s Hébreux autrefois si Jaloux,<br />

Il Yolt Mes intérêt leur gran<strong>de</strong>ur terrassée ;<br />

Et sa miséricor<strong>de</strong> à <strong>la</strong> fin s'est <strong>la</strong>ssée.<br />

On ne volt plus pour nous ses redoutables malus<br />

De merveilles sans nombre effrayer lès humains :<br />

L'arche sainte est muette, et ne rend plus d'oracles.<br />

Cêttêrépoasêd'AbQêF représente l'état <strong>de</strong> faiblesse<br />

et d'abattement où sont les Jeîfe, et fitit attendre et<br />

désirer leur délivrance et leur salut : on s'intéresse<br />

toujours pour le faible et pour l'opprimé. Mais avec<br />

quel feu le grand prêtre lui retrace toutes les merteilles<br />

qui délient rendre l'espérance à ee peuple<br />

akiiÉu, et faire pressentir aux speetateûrs que le<br />

Bien <strong>de</strong>s Mis peut encore s'armer pur eux!<br />

Et quel temps lut Jamais si fertile en miracles?<br />

Quand Dieu par plus d'effets <strong>mont</strong>ra-t-il son pouvoir?<br />

auras 4a dose toujours <strong>de</strong>s jeux pour ne point voir,<br />

P«plelngrtt?Quoi ! toujours les plus gran<strong>de</strong>s merveilles,<br />

Sans ébranler ton ©sur, frapperont tes oreilles!<br />

Faul-U, Aboer, faut-il vous rappeler le court<br />

Des prodiges fameux accomplis m ses Jours ;<br />

Des tyrans d'Israël les célèbres disgrâces ,<br />

Et Dieu trouvé iiièle en toutes ses menaces ;<br />

L'impie âebab détruit, et <strong>de</strong> son sang trempé<br />

ïM champ que par le meurtre I! avait usurpé ;<br />

Près <strong>de</strong> ce cbamp fatal léxabel Immolée,<br />

Sous les pieds <strong>de</strong>s chevaux cette reine foulée,<br />

Bans ion sang inhumais les chiens désaltérés *<br />

Et <strong>de</strong> son corps tiMeni les membres déchirés ;<br />

Bes prophètes menteurs <strong>la</strong> troupe confon<strong>du</strong>e,<br />

Et <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme <strong>du</strong> ciel sur Pantel <strong>de</strong>scen<strong>du</strong>e;<br />

fille au éléments par<strong>la</strong>nt en souverain,<br />

Les <strong>de</strong>ux par M fermés et <strong>de</strong>venus d'aira<strong>la</strong>,<br />

El <strong>la</strong> terre trois ans sans pluie et sans rosée;<br />

Les morts se ranimant à <strong>la</strong> voix d'Elisée?<br />

Meaoaaafsseï, Abner, à ces traits éc<strong>la</strong>tants,<br />

Un Dieu tel aujourd'hui qu'il fut dans tous les temps.<br />

Il sait, quand 11 lui p<strong>la</strong>ît, faire éc<strong>la</strong>ter sa gloire,<br />

Et son peuple est toujours présent à sa mémolm<br />

Racine outre ici tous les trésors <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie pour<br />

p<strong>la</strong>ire ce que le sujet a <strong>de</strong> mer?eilleux f .et emploie<br />

tout fart <strong>de</strong> l'expression pour sauter ee qu'il poufait<br />

y a? oir <strong>de</strong> ré? oltant dans quelques détails nécessaires<br />

à h vérité <strong>de</strong>s couleurs locales. 11 fal<strong>la</strong>it parler<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> mort affreuse <strong>de</strong>' <strong>la</strong> mère d'Athalie, ais <strong>de</strong><br />

répandre <strong>de</strong> l'horreur sur tout ee qui appartient à<br />

cette relue, et lui conserver un caractère <strong>de</strong> réprobation.<br />

L'Écriture dit que ks cMms Mehêrmi le<br />

mn@ <strong>de</strong> Mzoèd** Cette image était dégoûtante ; le<br />

poète a dit,<br />

Dans ton sang leieranfr tes entent désaltérés;<br />

et l'élégance et l'harmonie ont ennobli les ckkm.<br />

le ne m'implique point ; mais quand l'astre <strong>du</strong> Jour<br />

aura sur rhorison fait le tiers <strong>de</strong> saa tour;<br />

Lorsque <strong>la</strong> trotsMaee heure aux prières rappelle,<br />

Retrouve i-vous an temple avec ee même zèle :<br />

Bleu pourra TOUS <strong>mont</strong>rer, par d'Importants M refaits 9<br />

Que ta parole est stable et M trompe Jamais.<br />

* L'Écrite» dit, emwimimmmcûmmJemimh (TV. Jttf.<br />

nvM.j<br />

Le spectateur connaît à présent tout le zèle d'Abner<br />

pour ses rois, les promesses que Dieu t faites<br />

à <strong>la</strong> race <strong>de</strong> David v et Joad en a dit assez pour faire<br />

espérer que ces promesses seront accomplies. On<br />

attend un grand événement dirigé par une main<br />

toute puissante , et dès cette première scène, comme<br />

dajis toutes les autres v le poète nous <strong>mont</strong>re toujours<br />

le Très-Haut <strong>de</strong>rrière le voile qui centre le<br />

sanctuaire. Cette exposition, celle û'IpMgênie 9 celle<br />

<strong>de</strong> Bajazet, me paraissent les plus belles <strong>du</strong> théâtre<br />

: c'est une <strong>de</strong>s parties où Racine a excellé.<br />

Dans <strong>la</strong> scène suivante, Joad annonce sa résolution<br />

à Josabetb :<br />

Montrons ee Jeune roi que vos mains ont sauvé v<br />

Sons Faite <strong>du</strong> Seigneur dans te temple éleva<br />

De sos princes hébreux il aura te courage,<br />

Et déjà son esprit a <strong>de</strong>vancé son âge.<br />

Ce vers dispose le spectateur à entendre sans étohnement<br />

les réponses <strong>du</strong> petit Joas dans <strong>la</strong> scène ajec<br />

Âthalie. Si Joad est intrépi<strong>de</strong> 9 Josabetb est tremb<strong>la</strong>nte<br />

; et cette différence, feeiéesar <strong>la</strong> nature, entre<br />

<strong>de</strong>ux personnages qui ont <strong>la</strong> mime foi et <strong>la</strong> même<br />

piété , donne à chacun d'eux le <strong>de</strong>gré d'intérêt qu'il<br />

doit avoir. L'en nous attendrit, l'autre nous élève,<br />

et nous les voyons tous <strong>de</strong>ux en danger. Mais quel<br />

morceau que celui qui termine cette scène et le preiiiier<br />

aelel<br />

Tos <strong>la</strong>rmes} Josabeth v s'ont rien <strong>de</strong> criminel ;<br />

Mais Bleu vent qu'on espère en sos soin paternel :<br />

Il ne recherche point, aveugle en sa colère,<br />

Sas le ils cfai le craint l'impiété <strong>du</strong> père.<br />

Tout ee qui reste escor <strong>de</strong> Ëdèles Hébreux<br />

Lui viendront aujourd'hui renouveler leurs vnéz.<br />

autant que <strong>de</strong> David <strong>la</strong> race est respectée,<br />

Autant <strong>de</strong> Jézabel <strong>la</strong> ille est détestée.<br />

loas Ses touchera par sa noble pu<strong>de</strong>ur, •<br />

Où semble <strong>de</strong> son sang reluire Sa splen<strong>de</strong>ur;<br />

Et Dira par sa vols même appuyant notre exempte,<br />

De pins près à leur cœur parlera dans son temple<br />

Deux Infidèles rois tour à tour Font bravé ;<br />

11 faut que sur le trône us roi soit élevé,<br />

Qui se souvienne un jour qu'as rang <strong>de</strong> ses ancêtres<br />

Dise Fa fait re<strong>mont</strong>er par <strong>la</strong> main <strong>de</strong> ses prêtres,<br />

L'a tiré par leur main <strong>de</strong> Posait <strong>du</strong> tombeau,<br />

Et <strong>de</strong> David éie<strong>la</strong>l mitasse te f<strong>la</strong>mbeau.<br />

Grand Dieu ! st tu prêtais qu'indigne <strong>de</strong> si rare<br />

Il doive <strong>de</strong> David abandonner <strong>la</strong> trace,<br />

Qu'il sait comme le fruit en salssant arraché,<br />

Os qu'us aouf le ennemi dans sa fleur a séché !<br />

Mais st ce même enfant, à tes ordres docile.<br />

Doit être à tes <strong>de</strong>sseins un Instrument utile.<br />

Fais qu'au Juste héritier le sceptre soit remis,<br />

livre en mes faibles mains ses puissants ennemis;<br />

Confonds dans ses ceasails une reine cruelle :<br />

Daigne, daigne, Ô mon Dieu, sur Matas» et sur elle<br />

Répandre cet esprit d'Impru<strong>de</strong>nce et d'erreur,<br />

De <strong>la</strong> chute <strong>de</strong>s rois funeste avant-coureur.<br />

Il n'y a point d'expressions pour louer un pareil<br />

style, que le transport et le erl <strong>de</strong> l'admiration. Ce<br />

<strong>la</strong>ngage Y cette harmonie 9 ont qaelque chose au-<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> l'humain : tout est céleste, tout est tftnspiration.<br />

Rien dans notre <strong>la</strong>ngue n'avait en ee cane-


tère, et ries se Fa eu <strong>de</strong>puis. Tous les amateurs<br />

ont remarqué <strong>la</strong> teinté particulière <strong>de</strong> ce fers f<br />

Et <strong>de</strong> DavM éteint, etc.<br />

A quoi tient-elle? A <strong>la</strong> transposition d'une épi-<br />

SlÊÛLfe DE LOUIS XIV. -- POÉSIE,<br />

thète. Le f<strong>la</strong>mbeau étdmt. <strong>de</strong> David n'était qu'une<br />

igure ordinaire : David éMttf est une expression <strong>de</strong><br />

génie. Un autre vers qu'on n'a point remarqué,<br />

c'est celui-ci :<br />

Livre m mm faibles nsâtos ses puissants ennemis.<br />

On peut observer que Racine emploie assez rarement<br />

l'antithèse. Elle n ? est le plus sou?ent qu'une<br />

figure <strong>de</strong> mots; ici c'est l'histoire <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> pièce<br />

en un seul vers, qui <strong>mont</strong>re d'un celé <strong>la</strong> puissance 9<br />

et <strong>de</strong> l'autre <strong>la</strong> faiblesse : c'est le germe <strong>de</strong> l'intérêt.<br />

Les approches <strong>du</strong> péril commencent avec ie second<br />

acte. Le jeune Zacharie, le ûls <strong>du</strong> grand prêtre<br />

et <strong>de</strong> Josabeth¥ vient apprendre à sa mère que<br />

rentrée d'Athalie dans le temple a interrompu le<br />

sacrifice. Ce commencement d'acte , plein <strong>de</strong> vivaciié<br />

et <strong>de</strong> trouble, est d'un effet théâtral , après le<br />

calme majestueux <strong>du</strong> premier acte; et les détails<br />

sont remplis <strong>de</strong> cet esprit religieux qui entretient<br />

partout l'illusion f et nous p<strong>la</strong>ce dans le temple <strong>de</strong><br />

Jérusalem.<br />

Béjà, selon <strong>la</strong> loi, le grand piètre, mon père,<br />

Après avoir, m Dieu qui nourrit les homalnfl,<br />

De <strong>la</strong> moisson nouvelle offert les premiers pains,<br />

Lui présentait encore, entre ses mains sang<strong>la</strong>ntes,<br />

Des victimes <strong>de</strong> paix les entrailles fumantes :<br />

Debout à ses côtés, le Jeune Ël<strong>la</strong>cin ,<br />

Comme moi f le servait en long habit <strong>de</strong> lin;<br />

Et cependant <strong>du</strong> sang <strong>de</strong> <strong>la</strong> chair Immolée<br />

Les prêtres arrosaient l'autel et rassemblée.<br />

Un brait confus s'élève, et <strong>du</strong> peuple surpris<br />

Détourne tout à coup les yeux et les esprits.<br />

Une femme... peut-on <strong>la</strong> nommer sans B<strong>la</strong>sphème?<br />

Une femme... c'était Âthalie elle-même...<br />

IOS1BETH»<br />

Oèll<br />

EAGHAMB.<br />

Dans on <strong>de</strong>s parvis aux hommes réservé t<br />

Cette femme superbe entre t le front levé,<br />

Et se préparait même à passer les limites<br />

De l'enceinte sacrée, ouverte au seuls lévites.<br />

Le peuple s'épouvante, et fuit <strong>de</strong> tontes parts.<br />

. Mon père... Ah ! quel courroux animait ses regards !<br />

Molst à Pharaon parut moins formidable.<br />

« Reine, sors, a-t-H dit, <strong>de</strong> ce Heu FedofitaMe-t<br />

« D'eu te bannit ton sexe et ton impiété.<br />

« Viens-fa <strong>du</strong> Dieu vivant braver <strong>la</strong> majesté? »<br />

La reine alors sur lui Jetant un œil farouche,<br />

Pour bLasphémer sans doute ouvrait déjà <strong>la</strong> bouche.<br />

rignore si <strong>de</strong> Dieu fange, se dévoi<strong>la</strong>nt t<br />

Est venu lui <strong>mont</strong>rer un g<strong>la</strong>ive étince<strong>la</strong>nt ;<br />

Mais sa <strong>la</strong>ngue es sa bouche à l'instant s'est g<strong>la</strong>cée,<br />

El toute son audace a para terrassée ;<br />

Ses yeux, comme effrayés, n'osaient se détourner :<br />

Surtout ËUaefn paraissait l'étonner.<br />

JOSAiETH se récrie avec frayeur.<br />

„ Quoi donc? ÉMao<strong>la</strong> a para <strong>de</strong>vant elle?<br />

ZâCSâUïE.<br />

Huas regardions tous <strong>de</strong>ux cette relie cruelle t<br />

Et d'une égalé horreur nos écran étaient frappés ;<br />

Mais les prêtres bientôt nous ont enveloppés;<br />

On nous a fait sortir, rignore tout le reste,<br />

Et venais vous conter ce désordre ftmeste.<br />

JÔSABEfB.<br />

Ah ! <strong>de</strong> nos bras sans doute elle Tient Farradier,<br />

Et c'est lui qu'à Fautel sa fureur vient chercher.<br />

Iff<br />

Il n'y A pourtant jusqu'ici aucune raison <strong>de</strong> craindre<br />

pour lui ; mais ce" pressentiment est très-naturel ,<br />

et il va être justifié par l'événement : c'est <strong>la</strong> marché<br />

dramatique.<br />

Bitatll Âthalie fient occuper <strong>la</strong> scène avec Abner<br />

et Mathan. Le songe dont elle fait le récit est<br />

un morceau aehevé : jamais .on n $ a su narrer et<br />

peindre une foule d'objets différents a?ee <strong>de</strong>s traits<br />

plus vrais, plus variés , plus énergiques ; et ces traits<br />

expriment non-seulement les choses 9 mais le caractère<br />

<strong>du</strong> personnage. Cest peu <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> perfection :<br />

ce songe a un mérite unique t que Voltaire îe premier<br />

a relevé H il y a longtemps. Tous les autres songes<br />

qui se rencontrent dans nos tragédies ne sont que<br />

<strong>de</strong>s hors-d'œuvre plus eu moins bril<strong>la</strong>nts : celui<br />

d'Athalie seul est le principal mobile <strong>de</strong> faction.<br />

Il motif e <strong>la</strong> venue d'Athalie dans le temple, le désir<br />

qu'elle a <strong>de</strong> f oïr Joas f et les frayeurs qui l'engagent<br />

ensuite à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r cet enfant. Iî amènecettediseussion,<br />

où <strong>la</strong> bassesse féroce <strong>de</strong> Mathan est mise en<br />

opposition avec <strong>la</strong> bonté courageuse et compatissante<br />

d'Abner. Enin il donne lieu à cette scène aussi t<br />

neuve que touchante, où Athalie interroge Joas. Elle*<br />

a été si souvent louée f elle est toujours si universellement<br />

sentie, que tout détail sertit superflu. J'observerai<br />

que rien n'est ni plus adroit ni mieux: p<strong>la</strong>cé<br />

que le mouvement <strong>de</strong> pitié que donne l'auteur à<br />

Athalie, lorsqu'elle dit :<br />

Quel prodige nouveau me trouble et m'embarrasse?<br />

La doncenr <strong>de</strong> sft voix, son enfance, sa grâce,<br />

Font tnsenstblement à mon inimitié<br />

Snccé<strong>de</strong>r.... le sertis sensible à <strong>la</strong> pitié !<br />

Ce mouvement est si naturel, si involontaire et si<br />

rapi<strong>de</strong>, qu'Athalie,peut l'éprouver sans sortir <strong>de</strong><br />

son caractère; et d'ailleurs, le reproche qu'elle s'en<br />

fait <strong>la</strong> rend sur-le-champ à elle-même. Mais ce qu'il<br />

y a <strong>de</strong> plus heureux, c'est que l'impression qu'elle<br />

manifeste< conûrme celle <strong>du</strong> spectateur en <strong>la</strong> justifiant.<br />

Bien <strong>de</strong>s gens seraient peut-être tentés <strong>de</strong> se<br />

reprocher l'effet que pro<strong>du</strong>it sur eux <strong>la</strong> naïveté <strong>du</strong><br />

<strong>la</strong>ngage d'un enfant ; maïs lorsque Athalie elle-même<br />

n'y résiste pas, qui pourrait avoir honte d'y cé<strong>de</strong>r?<br />

Ici ¥oltaire fait une nouvelle critique.<br />

« Je ne vois pas, dit-il, pour quelle raison Joad s'obstine<br />

à ne vouloir pas epAtti&ïie adopte le petit Joas. Elle<br />

dit es propres termes. Je n'ai point d'héritier.... Je prétends<br />

mms traiter mmmê «on propre /81s. Athalie sV<br />

vait certaiiiaiieMali^ intérêt à faire tuer Joas : elle<br />

37.


COU1S DE OTTÉEATU1E.<br />

pouvait loi servir <strong>de</strong> mère , et lui hlsaer si» petit royaume.<br />

13 est Irèt-naturel qu'une vieille femme s'intéresse au seul<br />

«Jeton <strong>de</strong> sa famille. »<br />

Es conséquence, il fouirait que Josabeth <strong>la</strong> prit<br />

au mot, et loi dft :<br />

« Cet entant est .votre petit-JUs. Soyez doue sa mère. »<br />

11 me semble que <strong>de</strong>s raisons péreraptolres, prises<br />

dans les mœurs , dans ia religion, dans le caractère<br />

<strong>de</strong>s personnages et dans <strong>la</strong> situation, ne permettaient<br />

pas que Racine fit prendre ee parti à Josabeth'<br />

et à Joad. C'est ici qu'il faut se rappeler cette aversion<br />

réciproque, cette horreur mutuelle entre <strong>la</strong><br />

maison d ? que le plus grand esprit peut errer, et même gravement,<br />

quand il est vieui et qu'il a <strong>de</strong> l'humeur.<br />

Le grand prêtre, lorsque Âbner <strong>la</strong>i remet Joas<br />

après son entretien avec Athalie, soutient un caractère<br />

bien différent <strong>de</strong> celui qu'on vou<strong>la</strong>it lui donner<br />

ici. 11 finit l'acte par ces vers :<br />

Que Dtau veille sur vous, enfant dont le emutp<br />

Tient <strong>de</strong> rendre à son nom ©a noble témolgiiaii 1<br />

le reconnais t âbner» ce service important :<br />

Souvenez-vous <strong>de</strong> Ftieare où load vous attend.<br />

Et nous , dont celle femme Impie et meurtriéra<br />

â souillé les regards et troublé <strong>la</strong> prière,<br />

Rentrons t et qu'un sang pur par mes mains épanché<br />

Lave jnaquea an marine où ses pas ont touché.<br />

Achab et celle <strong>de</strong> David, dont Fune était Si <strong>la</strong> reine, après avoir interrogé Joas, eût exigé<br />

l'objet <strong>de</strong> <strong>la</strong> protection <strong>du</strong> ciel 9 et l'autre <strong>de</strong> ses ven­ sur-le-champ qu'on le lui remît, il s'eût pas été<br />

geances ; et se souvenir en même temps <strong>de</strong> ces vers possible <strong>de</strong> prolonger Faction jusqu'au cinquième<br />

que dit Mathan en par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> Joad :<br />

acte. Il était essentiel <strong>de</strong> con<strong>du</strong>ire le second <strong>de</strong> manière<br />

qu'Athalie pût sans invraisemb<strong>la</strong>nce ne pas<br />

faire alors cette <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que son caractère et les<br />

a<strong>la</strong>rmes qu'elle a <strong>mont</strong>rées pouvaient naturellement<br />

faire attendre : c'est à quoi le rôle d'Âbner a servi.<br />

Il fait à <strong>la</strong> reine une sorte <strong>de</strong> honte <strong>de</strong> <strong>la</strong> frayeur que<br />

lui inspiraient un songe et un enfant : quand il <strong>la</strong> voit<br />

émue un instant, et comme malgré elle, <strong>de</strong> l'innocente<br />

can<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Joas 9 il se hâte <strong>de</strong> lui dire :<br />

Plutôt que dans met mains par load soit livré<br />

Un enfant qu'à son Bleu Joad a eoosacré 9<br />

Ta lui verras subir <strong>la</strong> mort <strong>la</strong> plus terrible.<br />

• Ce n'est pas un homme <strong>de</strong> ee caractère qui doit<br />

livrer Joas entre k$ mmim d'Atbalie. Voilà une<br />

raison <strong>de</strong> convenance : en voici une <strong>de</strong> nécessité.<br />

Joad et Josabeth pouvaient-ils être sûrs, pouvaientils<br />

même supposer raisonnablement qu'Athalie aurait<br />

pour Joas9 pour l'héritier légitime-<strong>du</strong> trône<br />

qu'elle occupe, les mêmes sentiments qu'elle <strong>mont</strong>re<br />

pour un orphelin dont <strong>la</strong> naissance est inconnue? Ce<br />

qu'elle avait fait était-il fort rassurant sur ce qu'elle<br />

pouvait faire? Était-il três-mturei qu'elle n'eût aucune<br />

inquiétu<strong>de</strong> f aucune frayeur d'un enfant dont le<br />

ciel l'avait menacée , d'un enfant qui lui présageait<br />

un si funeste avenir? Pouvait-elle se croire sans danger<br />

dès que Joas serait reconnu? Et alors n'avaitelle<br />

pas lieu <strong>de</strong> craindre que le seul rejeton <strong>de</strong> David<br />

qui tilt échappé à <strong>la</strong> proscription m servit <strong>de</strong> motif<br />

et <strong>de</strong> moyen pour venger tous les autres? Enfin,<br />

quels sont les sentiments qu'elle manifeste dans cette<br />

même scène, après qu'elle a enten<strong>du</strong> les réponses<br />

<strong>de</strong> Joas?<br />

Esta <strong>de</strong> voira Dieu l'Imp<strong>la</strong>cable vengeance<br />

Entra sot <strong>de</strong>ux maisons rompit toute alliance.<br />

David m'est eu horreur, et les ils <strong>de</strong> ©a roi,<br />

Quoique nés <strong>de</strong> mon sangf tout étrangers pour mol.<br />

Et Joad et Josabeth auraient dû remettre Joas à<br />

cette femme! En vérité, plus je réfléchis sur cet assemb<strong>la</strong>ge<br />

<strong>de</strong>s motifs les plus puissants qui font d'Athalie<br />

rennemie naturelle <strong>de</strong> Joas, sa religiony sa<br />

politique, son ambition, sa sûreté, moins je conçois<br />

que Voltaire ait eu une opinion si peu conforme à<br />

cette supériorité <strong>de</strong> lumières et <strong>de</strong> jugement qui lui<br />

était naturelle. Quand nous verrons quelques autres<br />

paradoxes aussi peu soutenantes, avancés dans ses<br />

<strong>de</strong>rnières années, il faudra nous dire à nous-mêmes<br />

Madame, voilà donc est ennemi terrible!<br />

De vos songes menteurs l'imposture est visible.<br />

L'effet <strong>de</strong> cette observation d'Abner est d'autant<br />

plus sûr, que cette femme altière <strong>mont</strong>re elle-même<br />

quelque confusion <strong>du</strong> trouble et <strong>de</strong> l'inquiétu<strong>de</strong><br />

qu'elle éprouve : aussi ne prend-elle aucun parti<br />

dans ce moment; mais son orgueil se console en<br />

s'app<strong>la</strong>udïssant <strong>de</strong> tout le sang qu'elle a versé, en<br />

insultant avec dédain à Fabjeetion et à l'impuissance<br />

<strong>de</strong> Ses ennemis, aux frivoles espérances dont ils se<br />

repaissent.<br />

Ce Dieu, <strong>de</strong>puis longtemp votre unique refuge.<br />

Que <strong>de</strong>viendra l'effet <strong>de</strong> ses prédictions 1<br />

QuHI vous donne ce roi promis aux nattons,<br />

Cet enfant <strong>de</strong> David, votre espoir, voire attente....<br />

Mais nous nous reverrons. Adieu. le sors contente.<br />

J'ai voulu voir : J'ai vu.<br />

Elle soutient <strong>la</strong> hauteur <strong>de</strong> son caractère. Mais<br />

remarquez que ces brava<strong>de</strong>s, ces insultes an dieu<br />

<strong>de</strong>s Juifs font pressentir avec quelque p<strong>la</strong>isir que ee<br />

dieu sera vengé. Le spectateur sait qu'il existe, cet<br />

enfant <strong>de</strong> David qu'elle croit avoir fait périr : il est<br />

dans le secret <strong>de</strong>s vengeances célestes, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>sseins<br />

<strong>du</strong> pontife et <strong>du</strong> sort <strong>de</strong> Joas, et n'en est que plus<br />

porté à se ranger <strong>de</strong> leur parti contre une femme<br />

coupable et odieuse, qui se vante <strong>de</strong> ses forfaits et<br />

<strong>de</strong> leur impunité. Remarquez encore que cette expression<br />

familière, nous nom reverrons, qui pourrait<br />

faire rire ailleurs, ici ne fait point un mauvais


effet, parce qu'elle succè<strong>de</strong> à une Égore familière &<br />

l'ironie ; et que <strong>de</strong> plus, dans <strong>la</strong> bouche d'une femme<br />

telle qu'Athalie, elle m peut annoncer rie® que <strong>de</strong><br />

sinistre. A peine est-elle sortie, que Fauteur a soin<br />

<strong>de</strong> faire sentir au spectateur tout le danger que Joas.<br />

a couru, et tout ce qu'on peut redouter d'Athalie.<br />

Josabfeth encore effrayée dit à Joad :<br />

ATCC-TOUI enten<strong>du</strong> cette superbe relue t<br />

Seigtenfî<br />

JOAD.<br />

reatendaîs tout, et p<strong>la</strong>ignais votre peine.<br />

'Cet lévites et mol 9 prêts à TOUS secourir,<br />

Mous étions avec vous têmlm <strong>de</strong> périr.<br />

Une <strong>de</strong>s difficultés <strong>du</strong> sujet que traitait Racine,<br />

cfast que dans son p<strong>la</strong>n nécessairement donné, le<br />

secret <strong>de</strong> <strong>la</strong> naissance <strong>de</strong> Joas, caché jusqu'au dénouaient,<br />

rend son danger moins prochain, moins<br />

direct que celui d'Astyanax dans Jndrmnaque. Le<br />

g<strong>la</strong>ive est levé sur celui-ci dès le commencement <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> pièce, et sa mère seule peut le détourner : Joas n'est<br />

menacé que dans le cas où il sera reconnu par Atha-<br />

Jie, et M?ré entre ses mains. C'était donc ce qu 9 il fal<strong>la</strong>it<br />

faire craindre sans cesse, et il fal<strong>la</strong>it en même<br />

temps accroître le danger d'acte en acte, et pourtant<br />

le ba<strong>la</strong>ncer et le suspendre jusqu'à <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière scène,<br />

quoique l'action, renfermée dans l'intérieur d'un<br />

temple, ne permit aucune <strong>de</strong> ces ré?olutions fiolentes<br />

qui serrent à ?arier une intrigue. L'auteur, obligé<br />

<strong>de</strong> tirer tous ses moyens <strong>du</strong> caractère <strong>de</strong>s personnages,<br />

s'est habilement servi <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Mathan, qui<br />

a essuyé beaucoup dé critiques, et qui me paraît<br />

mériter beaucoup d'éloges. Sa haine personnelle<br />

pour Joad, sa malignité cruelle et avi<strong>de</strong> <strong>de</strong> ?engeance,<br />

excitent sans cesse <strong>la</strong> cruauté d'Athalie,<br />

éveillent ses soupçons, et par conséquent augmentent<br />

le péril.<br />

On apprend, à l'ouverture <strong>du</strong> troisième acte,<br />

tout ce qu'il fient <strong>de</strong> mettre en usage pour irriter<br />

Athalie, et <strong>la</strong> porter aux résolutions les plus violentes;<br />

et en même temps il achève d'expliquer <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite<br />

indécise qu'elle vient <strong>de</strong> tenir.<br />

Ami, <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux Jours Je se là connais plus.<br />

Ce n'est plus cette reine éc<strong>la</strong>irée, tût replète,<br />

Élevée au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> son sexe timi<strong>de</strong>,<br />

Qui d'abord accab<strong>la</strong>it set ennemis surpris,<br />

El d'un Instant per<strong>du</strong> connaissait tout le prix :<br />

La peur efao vain remords trouble cette gran<strong>de</strong> âme ;<br />

Elle lotte, eUe hésite ; en tu mot, elle est femme.<br />

Voilà encore une expression familière et méprisante<br />

,'qoi pourrait dép<strong>la</strong>ire dans un autre personnage<br />

et dans d'autres circonstances. Je n'ai jamais<br />

observé que ce trait <strong>de</strong> satire , qui paraît fait pour <strong>la</strong><br />

comédie, fit rire au théâtre. C'est qu'il ne signifie<br />

rien autre chose, si ee n'est qu'Athalie n'est pas<br />

aussi méchante que Mathan le fondrait : c'est tou­<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE. 581<br />

jours <strong>la</strong> situation qui détermine le caractère et f effet<br />

<strong>de</strong>s eipressions.<br />

Mais ce n'est pas seulement pour mettre dans tout<br />

son jour <strong>la</strong> per?ersité <strong>de</strong> Mathan que le poète le <strong>la</strong>it<br />

parler ainsi : cette peinture <strong>du</strong> changement qui s'est<br />

fait dans Athalie rappelle <strong>la</strong> prière <strong>de</strong> Joad qui-<strong>de</strong>mandait<br />

à Dieu <strong>de</strong> répandre sur cette reine i'etprit<br />

d'impru<strong>de</strong>nce et d'erreur. Cette prière n'était ps<br />

une ?aine déc<strong>la</strong>mation : tout est moyen, tout est<br />

ressort dans fa machine <strong>du</strong> drame, quand elle est<br />

construite par un véritable artiste. Le spectateur<br />

comprend pourquoi cette reine outragée par Joad,<br />

cette femme si terrible, à qui te sang et le crime<br />

ne coûtent ries f ne se sert ps <strong>de</strong> tout son pouvoir,<br />

et ne précipite pas <strong>de</strong>s violences qui lui sont si faciles.<br />

Il voit, au gré <strong>du</strong> poète, l'arbitre invisible<br />

qui dirige tout : il le reconnaîtra lorsqu'il entendra,<br />

au cinquième acte, Athalie s'écrier dans son dé­<br />

sespoir :<br />

Impitoyabte Dieu ! lot seul as tout con<strong>du</strong>it !<br />

Cest toi qui, me f<strong>la</strong>ttant d'une vengeance aisée,<br />

M'as vingt fols en un jour à moi-même opposée ;<br />

Tantôt pour un enfant excitant mes remords ,<br />

Tantôtsfébloulssant <strong>de</strong> tes riches trésors,<br />

Que J'ai craint <strong>de</strong> livrer au <strong>la</strong>mines f au pil<strong>la</strong>ge.<br />

Telle est <strong>la</strong> chaîne <strong>de</strong>s rapports secrets qui doit<br />

embrasser et lier toute une pièce : c'est ainsi que<br />

tout se tient, que tout s'explique, que toutes les<br />

parties d f un drame se correspon<strong>de</strong>nt et s'affermissent<br />

les unes par les autres v et pro<strong>du</strong>isent cette illusion<br />

complète! qui est <strong>la</strong> vérité dramatique. Mais<br />

ce mérite <strong>de</strong>s grands artistes n'est jamais connu<br />

que quand ils ne sont plus : comme il preuve <strong>la</strong> supériorité<br />

<strong>de</strong> f esprit et <strong>du</strong> talent, ceux qui sont le<br />

plus à portée <strong>de</strong> le sentir ont le plus d'intérêt à le<br />

dissimuler ou même à le nier , €t les autres l'ignorent.<br />

„ Mathan continue :<br />

FavaSs tantôt rempli d t amertmiie et <strong>de</strong> tel<br />

Son cœur, déjà saisi <strong>de</strong>s menaces <strong>du</strong> ciel :<br />

Elle-même , à mes soins confiant sa vengeance,<br />

Ifavaiî dit d'assembler sa gar<strong>de</strong> en diligence.<br />

Mais, soit que cet enfant <strong>de</strong>vant elle amené t<br />

. De ses parents, dit-on., rebut infortuné,<br />

Eut d'un songe effrayant diminué l'a<strong>la</strong>rme ;<br />

Soit qu'elle eût même en lui vu Je ne sais quel charme,<br />

rai trouvé son courroux chance<strong>la</strong>nt, Incertain,<br />

Et dè^à remettant sa vengeance à <strong>de</strong>main :<br />

Tous ses projets semb<strong>la</strong>ient l'un l'autre se détrulcf<br />

Bu sort <strong>de</strong> cet enfant Je me suis fait Instruire,<br />

àl-je dit i on commence à vanter §ea aïeux ;<br />

load <strong>de</strong> temps an temps le <strong>mont</strong>re aux réelles ï , *<br />

Le fait attendre aux Juifs comme tw'autrt Moïse,<br />

EttPofacles menteurs s'appuie et s'autorise.<br />

Ces mots ont fait <strong>mont</strong>er <strong>la</strong> rougeur fur son front :<br />

<strong>la</strong>mais mensonge heureux e*e«taa effet si prompt.<br />

Ce mensonge est une vérité, et Mathan a <strong>de</strong>viné<br />

sans le savoir. L'impression qu'il fait sur Athalie va


êê%<br />

remp<strong>la</strong>cer <strong>la</strong> déeou?erte <strong>du</strong> secret que le poète défait<br />

cacher.<br />

Est-ce à mol <strong>de</strong> <strong>la</strong>nguir dans cette Ineertttn<strong>de</strong>?<br />

Sortons! a-t-eUe dit, sortons d'inquiétu<strong>de</strong>.<br />

Vous-même à Josabetb prononcez cet arrêt :<br />

Les feux vont s'allumer, et le fer est tout prêt ;<br />

lie» M peut <strong>de</strong> leur temple empêcher le ravage,<br />

SI je n'ai <strong>de</strong> teac M eet enf<strong>la</strong>nt pou otap.<br />

Le danger est donc ici dans sa progression naturelle,<br />

grâce au rôle <strong>de</strong> Mathan, que <strong>de</strong>s critiques<br />

s'ont pas trouvé assez essentiel. On voit qu'il Test<br />

assex : et quel antre personnage aurait pu a?oir un<br />

intéfét plus particulier et plus probable à imaginer<br />

tout ce qui peut bflter <strong>la</strong> perte <strong>de</strong> Joad, <strong>la</strong> ruine<br />

<strong>du</strong> temple et <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières espérances <strong>du</strong> peuple<br />

juif?<br />

On lui a reproché, a?ec plus d'apparence <strong>de</strong> raison,<br />

<strong>de</strong> dire trop <strong>de</strong> mal <strong>de</strong> lui-même; mais ce reproche,<br />

bien examinéf ne me.paraît pas a¥oir plus <strong>de</strong> fon-<br />

1 dément. Il n 9 est pas naturel qu'un homme, quel<br />

qu'il soit, parle do lui <strong>de</strong> manière à s'avilir à ses<br />

propres yeu ni aux yeux ffattirai; et si Racine<br />

a?ail commis cette faute contre les bienséances morales<br />

et dramatiques, elle serait d'autant plus remarquable<br />

, qu'aucun auteur ne les a plus parfaitement<br />

observées. Mais on n'a pas fait attention qu'il<br />

y a <strong>de</strong>s choses odieuses et basses par elles-mêmes f<br />

et qu'un personnage peut dire <strong>de</strong> lui sans s'afoeer<br />

ni fil ni odieux, poomi qu'il les <strong>mont</strong>re sous un<br />

point <strong>de</strong> f ue différent, et analogue à son caractère,<br />

à ses prétentions, à ses <strong>de</strong>sseins. Ainsi l'ambition,<br />

<strong>la</strong> politique, <strong>la</strong> haine, peuvent Étira <strong>de</strong>s aveux que<br />

<strong>la</strong> morale condamne , mais dontces mêmes passions<br />

tirent une sorte d'orgueil, malheureusement trèsconcevable<br />

et très-commun. Voyons sous ce rapport<br />

quelle petit |tre l'intention <strong>de</strong> Mathan dans ce<br />

qu'il dit à Nabal : il me semble qu'elle n'est pas<br />

équivoque. Nabal lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si c'est le zèle <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

religion qui l'anime contre Joad et contre les Juifs :<br />

Mathan commence par repousser cette idée avec<br />

mépris :<br />

Amlf peux-ta penser que cffifj lèle frivole<br />

le me <strong>la</strong>isse aveugler pour ose value Idole t<br />

Pour us fragile bols que, malgré mon se<strong>cours</strong> t<br />

Les vert sur son autel consument tous les Jours f<br />

Hé ministre <strong>du</strong> dieu qu'en ce temple on adore,<br />

Peut-être que M athan le servirait encore,<br />

SI rameur ie* gran<strong>de</strong>urs, <strong>la</strong> soif <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r,<br />

avec ton joug étroit pouvaient s'accommo<strong>de</strong>r.<br />

Certainement t en bonne morale, ries s'est plus<br />

méprisable que l'hypocrisie d'un prêtre qui professe<br />

un culte auquel il ne croit pas. Mais Forgueil et<br />

l'ambition qui dominent Mathan lui font voir les<br />

choses bien différemment. Il se croirait offensé au<br />

contraire si son ami le jugeait capable d'une cré<strong>du</strong>lité<br />

imbécile : il met son amour-propre à lui paraître<br />

COUBS DE LITTÉMTUM.<br />

ce qu'il est, c'est-à-dire un homme uniquement occupé<br />

<strong>de</strong> son élévation 9 et fort au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s préjugés<br />

<strong>de</strong> son sacerdoce. C'est son intérêt qui fa fait apostat;<br />

c'est son intérêt qui Fa fait pontife <strong>de</strong>Baal. Ce<br />

caractère, l'opposé <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Joad, est très-bien<br />

adapté au p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> fauteur. 11 convenait que Joad<br />

fût rempli <strong>de</strong> <strong>la</strong> crainte <strong>de</strong> son dieu, et que Mathatt<br />

méprisât le sien. C'est mettre d'un tété <strong>la</strong> vérité,<br />

et <strong>de</strong> l'autre le mensonge; et c'est par conséquent<br />

un moyen <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r les affections <strong>du</strong> spectateur<br />

: c'est dter toute excuse à Mathan, qui n'en<br />

doit point avoir dans ses crimes, et en préparer une<br />

à Joad, qui peut dans <strong>la</strong> suite en avoir besoin,<br />

malgré <strong>la</strong> justice <strong>de</strong> sa cause. Jusqu'ici tout rentre<br />

dans les vues <strong>de</strong> Fauteur : le reste <strong>du</strong> dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong><br />

Mathatt n'y est pas matas conforme, et ne s'éloigne<br />

pas davantage <strong>de</strong>s convenances.<br />

Qu'est-U besoin t littal, qu'à tes yeux Je rappelle<br />

De Joad et <strong>de</strong> moi <strong>la</strong> fameuse querelle,<br />

Quand j'osai contre lui disputer l'encensoir;<br />

Mes, brigues, mes combats, mes pleurs f mou désespoir?<br />

Yaincu par lui} feutrai dans use autre carrière,<br />

Et mon âme à <strong>la</strong> cour s f ât<strong>la</strong>ctia tout entière.<br />

rapprochai par <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> f oreille <strong>de</strong>s ro<strong>la</strong>t<br />

Et bientôt es oracle on érigea ma voix.<br />

J'étudiai leur cœur, Je f<strong>la</strong>ttai leurs caprices,<br />

Je leur semai <strong>de</strong> fleura Se bord <strong>de</strong>s précipices.<br />

Près <strong>de</strong> leurs passions, ries se me fut sacré :<br />

De mesure et <strong>de</strong> poids je changeais à leur gré.<br />

Autant que <strong>de</strong> Joad rinflexible ru<strong>de</strong>sse<br />

De leur superbe oreille offensait <strong>la</strong> moUesae,<br />

autant Je les charmais par ma <strong>de</strong>xtérité,<br />

Dérobant à leurs yeux <strong>la</strong> triste vérité,<br />

Prêtant à leurs fureurs <strong>de</strong>s couleurs favorables,<br />

Et prodigue surtout <strong>du</strong> sang <strong>de</strong>a misérables.<br />

Enfin f au dieu nouveau qu'elle avait Intro<strong>du</strong>it ,|<br />

Par les mains d'Athalle un temple fut construit<br />

Jérusalem pleura <strong>de</strong> se voir profanée :<br />

Des enfants <strong>de</strong> Lévl <strong>la</strong> troupe consternée<br />

Es poussa vers le elel <strong>de</strong>s hurlements affreux.<br />

Moi seul, donnant l'exemple aux timi<strong>de</strong>s Hébreux,<br />

Déserteur <strong>de</strong> leur loi , J'approuvai l'entreprise-1<br />

Et par là <strong>de</strong> Baal méritai <strong>la</strong> prêtrise :<br />

Par là Je me rendis terrible à mon rival ;<br />

Je ceignis <strong>la</strong> tiare t et marchât son égal *.<br />

Qui peut méconnaître à ce <strong>la</strong>ngage <strong>la</strong> satisfaction<br />

intérieure d'un homme qui se félicite <strong>de</strong> ses succès,<br />

qui se faute d'être l'artisan <strong>de</strong> sa fortune, d'être un<br />

politique habile 9 uo homme profond dans <strong>la</strong> science ><br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong>*coer; qui oppose a?ee orgueil sou adresse et<br />

ses talents à <strong>la</strong> rttrJeteetfmB rltttï défaut qui d'abord<br />

il avait été humilié, et dont il est <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>venu<br />

Tégal? Tout ee<strong>la</strong>o'est-il pas dans le cœur humain ?<br />

Sans doute il y a un côté très-odieux f et si c'était<br />

celui-là qu'il eût présenté v c'est alors qu'on pouvait<br />

l'accuser <strong>de</strong> dire trop <strong>de</strong> mal <strong>de</strong> lui ; mais il n'envisage<br />

et ne fait envisager que ce qui l'élève à ses<br />

propres yeui, et ce qui n'empêche pasquelespecta-<br />

* Marchai mm égal rappeUe l'expression <strong>de</strong> Virgile,<br />

Ait ego fe« divan imeiéê retts»,


teur ne condamne tout ce dont Mathan s'app<strong>la</strong>udit :<br />

c'est faire précisément tout ce que fart eiige. Ce<br />

qui suit achète <strong>de</strong> développer le caractère <strong>de</strong> Mathanet<br />

le prineip <strong>de</strong> ses fureurs :<br />

Toutefois f Je Pavoue, en es eomble es gloire,<br />

Du don que J'ai quitté rimportane mémoire<br />

lotte encore en mon ftme se reste lie terreur;<br />

Et c'est ce qui redouble et nourrit ma foreur :<br />

Heureux si, sur son temple adhérant ma ¥enpan€e f<br />

<strong>la</strong> poli eoo¥«ifficre enfin sa naine d'âmpntaaiice,<br />

Et parmi les débris, le ravage et les morts,<br />

à force d'attentats paire tous ma remords !<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

Voltaire semble regar<strong>de</strong>r ces vers comme une espèce<br />

<strong>de</strong> déc<strong>la</strong>mation. Ils me paraissent <strong>la</strong> peinture<br />

Instructive et idèle <strong>du</strong> eœur d'un méchant, toujours<br />

mal avec lui-même au milieu <strong>de</strong> ses succès , et cherchant<br />

à étourdir ses remords par <strong>de</strong> nouveaux crimes.<br />

C'est une vérité que le théâtre ne saurait trop souvent<br />

remettre sous nosyeui, et qui <strong>de</strong> plus a ici<br />

un but particulier à <strong>la</strong> pièce, celui <strong>de</strong> donner une<br />

idée terrible <strong>du</strong> pouvoir <strong>de</strong> ce dieu qu'a trahi Mathan<br />

9 et qui le punit déjà par sa conscience avant<br />

l'instant <strong>de</strong> son supplice. Plus Mathan est accusé<br />

par son propre cœur, plus le spectateur est contre<br />

lui, parce que ses remords sont d'une âme absolument<br />

perverse$ et ne serteat qu'à le rendre plus<br />

furieux. Voltaire reproche à Joad mfimaHsmeirop<br />

firme, lorsque , apercevant Mathan avec Josabeth »<br />

il s'écrie :<br />

583<br />

le crime, il edt été m fanatique féroce. Mais à qui<br />

trt-ïl affaire? A un scélérat reconnu pour tel. Sa<br />

cause est légitime, ses motifs sont purs, ses projets<br />

sont nobles et généreux. Cet enthousiasme qu'on<br />

lui reproche, et qui est si bien soutenu dans tout<br />

son rôle, est ce qui en <strong>la</strong>it <strong>la</strong> principale beauté :<br />

il est l'âme <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce ? l'espèce <strong>de</strong> passion qui seule<br />

y tient lieu <strong>de</strong> toutes les autres, et sans <strong>la</strong>quelle<br />

tout serait froid.<br />

Combien ce feu divin, cette élévation <strong>de</strong> sentiments,<br />

se communiquent aux spectateurs, lorsqu'à<br />

l'approche <strong>du</strong> danger, au milieu <strong>de</strong>s a<strong>la</strong>rmes<br />

<strong>de</strong> Josabeth, qui dit à son époux,<br />

L^ngese ilée<strong>la</strong>fi;<br />

àttiaJIe en teorir <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ttliadn...<br />

à <strong>la</strong> vue d'une troupe <strong>de</strong> femme et <strong>de</strong> lévites qui<br />

se résignent à <strong>la</strong> mort v le grand prêtre adresse au<br />

Tout-Puissant cette sublime apostrophe :<br />

Des prdtfea} <strong>de</strong>s «afaotr ! ô sagesse étemelle!<br />

Mais tl ta Ses gouttais, foi peut les éoraaîorî<br />

Du tombeau, quand tu Yeux, tu sa<strong>la</strong> sons rappeler;<br />

Tu frappes et goérii, ta perds et ressuscites.<br />

Us ne l'assurant point en leurs propres mérites, .<br />

Mais en ton nom sur tu toroepé tant <strong>de</strong> fols,<br />

En tes serments Jurés m pit» saint <strong>de</strong> leurs rois,<br />

En ce temple où ta fais ta <strong>de</strong>meure sacrée,<br />

Et


584<br />

Bans les <strong>de</strong>ui <strong>de</strong>mie» actes, Fauteur enchérit<br />

encore sur tout ce qui a précédé, et déploie plus<br />

que jamais toutes les ressources et toute <strong>la</strong> richesse<br />

<strong>de</strong> son talent. L'on?erture <strong>du</strong> quatrième est <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

dignité <strong>la</strong> plus auguste. Saiomith, <strong>la</strong> sœur <strong>de</strong> Zacharie<br />

, s'adresse aux jeunes Ilies qui eomposeet le<br />

chœur:<br />

D'an pas majestueux, à côté <strong>de</strong> ma mère,<br />

Le jeune Éi<strong>la</strong>cta s'avance avec mon frère.<br />

Baoi ces voiles, mes sœurs, que portent-ils tous <strong>de</strong>ux ?<br />

Quel est ce g<strong>la</strong>ive enfin qui marche <strong>de</strong>vanteux?<br />

Josabeth dit à sou ils Zacharie :<br />

Mon fils, avec respect posai sur cette table<br />

De notre sainte loi le livre redoutable.<br />

Et vous aussi, pesez, aimable Êliadn,<br />

Cet auguste ban<strong>de</strong>au près <strong>du</strong> titre divin.<br />

Lévite, tl faut p<strong>la</strong>cer, Joad ainsi l'ordonne,<br />

Le g<strong>la</strong>ive <strong>de</strong> DtvM auprès <strong>de</strong> sa couronne.<br />

JOAS.<br />

Princesse , quel est donc ce spectacle nouveau ?<br />

Pourquoi ce tiare salât 9 ce g<strong>la</strong>ive t ce ban<strong>de</strong>au ?<br />

Depuis que le Seigneur m'a reçu dans sas temple f<br />

D'os semb<strong>la</strong>ble appareil Je a<strong>la</strong>t point vu d'exemple.<br />

11 n'y es a?ait point non plus sur te théâtre français.<br />

Et ce n'est pas, comme il arrive trop souvent ,<br />

use vaine décoration qui ne parle qu'aui jeux ; celleci<br />

parle au cœur; elle tient à faction ; et <strong>la</strong> pompe<br />

religieuse <strong>du</strong> style répond à celle <strong>de</strong>s objets. C'est le<br />

couronnement <strong>de</strong> Joas, qui se prépare au moment<br />

où ses ennemis conspirent sa perte : ce banleaef<br />

e f est celui <strong>de</strong> David, que Josabeth essaye , en pleurant<br />

9 sur le front <strong>de</strong> son jeune héritier. C f est à cet<br />

enfant, dérobé à <strong>la</strong> mort, que <strong>la</strong> couronne et Fépée<br />

<strong>de</strong> David sont <strong>de</strong>stinées. Ce livre est celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi<br />

<strong>de</strong> Dieu sur lequel on va jurer <strong>de</strong> défendre le <strong>de</strong>rnier<br />

rejeton <strong>de</strong> Juda, sur lequel il va jurer lui-même<br />

d'être idèle à cette loi. Ce n'est qu'après ce serment<br />

que le pontife tombe à ses pieds, le reconnaît pour'<br />

son roi et lui apprend ce qu'il est9 <strong>de</strong> quel péril<br />

il a été sauvé dans son enfance, et quel péril nouveau<br />

le menace encore. Il fait rentrer alors les lévites<br />

qui étaient sortis.<br />

Bol, voilà vas vengeurs contée vos ennemis.<br />

Prêtres, voilà le roi que je vous al promis.<br />

On s'écrie :<br />

Quoi ! c'est Ëtiaefa S... Quoi ! cet enfant aimable !<br />

JOAB.<br />

Est <strong>de</strong>s rois <strong>de</strong> <strong>la</strong>it Fbéritfer véritable t<br />

Dernier né <strong>de</strong>s enfants <strong>du</strong> araole Ochos<strong>la</strong>s 9<br />

Nourri v vous le savez , sons le nom <strong>de</strong> Joas.<br />

Il répète en m moment à <strong>la</strong> tribu sacrée tout ce qui<br />

était jusqu'alors un secret entre Josabeth et lui, et<br />

ce que le spectateur sait <strong>de</strong>puis le premier acte. La<br />

légitimité <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> Joas, et <strong>la</strong> justice <strong>de</strong> ce qu'entreprend<br />

le grand prêtre au péril <strong>de</strong> sa vie, «t-elle<br />

asseï constatée dans cette proc<strong>la</strong>mation solennelle ?<br />

C0U1S DE UTTÉRATURE.<br />

Et a-t-on pu dire que Joad était in reMfe pri afeasv<br />

waU un dangereux exempkt Un archevêque <strong>de</strong><br />

Cantorbéry qui aurait couronné <strong>de</strong> cette manière<br />

Charles II dans <strong>la</strong> cathédrale <strong>de</strong> Saint-Paul, <strong>du</strong> temps<br />

<strong>de</strong> l'usurpation <strong>de</strong> Cromwell, et qui, après avoir<br />

fait jurer au jeune roi <strong>de</strong> conserver les droits <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

nation, aurait armé le clergé ang<strong>la</strong>is contre l'assassin<br />

<strong>de</strong> Charles I*\ eût-il donc été un rêbeik, ou<br />

un citoyen respectable, vengeur <strong>du</strong> trône et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

patrie?<br />

La harangue <strong>du</strong> pontife <strong>mont</strong>re à <strong>la</strong> fois tous ses<br />

dangers et tout son courage, le g<strong>la</strong>ive d'Athalie levé<br />

pour frapper cet enfant royal, et le bras <strong>de</strong> Dieu<br />

levé pour le protéger.<br />

Voilà donc votre roi, votre aeiepe espérance.<br />

Tai pris soin Jusqu'Ici <strong>de</strong> vans te conserver. ;<br />

Ministres <strong>de</strong> Seigneur, c'est à vous d'achever.<br />

Bientôt <strong>de</strong> Jéiatoel <strong>la</strong> fille meurtrière,<br />

Instruite que loas volt eeoar <strong>la</strong> Icaalèae t<br />

Dans rborreur <strong>du</strong> tombeau viendra le replonger;<br />

Déjà, sans le connaître elle veut regorger.<br />

Prêtres saints, c'ait à vous <strong>de</strong> prévenir sa rap :<br />

n faut finir <strong>de</strong>s Jatfs le honteux esc<strong>la</strong>vage,<br />

Venger vos princes morts, relever votre loi s<br />

Et faire aux <strong>de</strong>ux tribus reconnaître leur roi.<br />

L'entreprise, sans doute, est gran<strong>de</strong> et pértUeuse :<br />

l'attaque sur son troue une reine orgueilleuse,<br />

Qui voit sous ses drapeaux marcher uo camp nombreux<br />

De hardis étrangers, d'Infidèles Mébreax;<br />

Mais ma force est au Dieu dont l'intérêt me gui<strong>de</strong> :<br />

Songez qu'en cet enfant tout Israël rési<strong>de</strong>.<br />

Déjà ce Dieu vengeur commence à <strong>la</strong> troubler;<br />

Déjà', trompant ses soins, J'ai su vous rassembler.<br />

Elle nous croit tel sans armes, sans défense :<br />

Couronnons, proc<strong>la</strong>mons Joas en diligence.<br />

De là, do nouveau prince intrépi<strong>de</strong>s soldats*<br />

Marchons en invoquant l'arbitre <strong>de</strong>s combats;<br />

Et, réveil<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> foi dans les cœurs endormie,<br />

Jusque dans son pa<strong>la</strong>is cherchons notre ennemie.<br />

Et quels cœurs si plongés dans un lâche sommeil,<br />

Hous voyant avancer dans ce saint appareil,<br />

Me s'empresseront pas à suivre notre exemple?<br />

Un roi que Dieu lui-même a nourri dans son temple,<br />

Le successeur d'âaron f <strong>de</strong> ses prêtres suivi,<br />

Con<strong>du</strong>isant au combat les enfants <strong>de</strong> Lévi f<br />

Et dans ces mêmes mains <strong>de</strong>s peuples révérées,<br />

Les armes au Seigneur par David consacrées !<br />

Dieu sur ses ennemis répandra sa terreur.<br />

Dans l'Infidèle sang baignez-vous sans horreur :<br />

Frappez et Tyrfens et même Israélites.<br />

Hé <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>z-vous pas <strong>de</strong> ces fameux lévites<br />

Qui, lorsqu'au Dieu <strong>du</strong> Mil le vo<strong>la</strong>ge Israël<br />

Rendit dans le désert un culte criminel,<br />

De leurs plus chers parents saintement tvamicletes,<br />

Consacrèrent leurs mains dans le sang <strong>de</strong>s perfi<strong>de</strong>s,<br />

Et par ce noble exploit vous acquirent l'honneur<br />

D'être seuls employés aux autels <strong>du</strong> Seigneur?<br />

Mais Je vois que déjà vous brûlez <strong>de</strong> me suivre.<br />

Jasas donc avant tout sur cet auguste livre,<br />

A ce roi que le ciel vous redonne aujourd'hui,<br />

De vivre, <strong>de</strong> combattre, et <strong>de</strong> mourir pour lui.<br />

Il semble qu'il n'y ait rien au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> ce spectacle<br />

et <strong>de</strong> cette éloquence. Mais enfin cette action intéressante<br />

et majestueuse, c'est le sujet même fourni<br />

par l'Écriture, et que le taleiit <strong>de</strong> Racine n f a fait


SIÈCLE DE LOUIS XIV. - POÉSIE,<br />

qu'embellir : ce qui suit estta-<strong>de</strong>ssw <strong>de</strong> tout, et il<br />

ne le doit qn'a lui-même.<br />

Le grand prêtre <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Joas s'il promet d'observer<br />

les préceptes contenus dais le livre divin.<br />

L'enfant répond :<br />

Povralfr-J® à cette loi ne m® pas conformer?<br />

Alors Joad reprend <strong>la</strong> parole :<br />

O mon ils ! ie ce nom J'ose eneor vont sommer,<br />

Souffre* cette tendresse t et pardonnes aux <strong>la</strong>rmes<br />

Que m'arrachent pour vous <strong>de</strong> trop Justes a<strong>la</strong>rmes.<br />

Loin <strong>du</strong> trône nourri, <strong>de</strong> ce fatal honneur,<br />

Hé<strong>la</strong>s! vous Ignorei le charme empoisonneur.<br />

De l'absolu pouvoir vous ignores l'ivresse,<br />

Et <strong>de</strong>s lâches f<strong>la</strong>tteurs <strong>la</strong> voix enchanteresse :<br />

Bientôt tls vous diront que les plus saisies loto ,<br />

Maîtresses <strong>du</strong> vil peuple, obéissent aux rois;<br />

Qu'un fol n'a d'autre frein que sa volonté même;<br />

Qu'il doit immoler tout à sa gran<strong>de</strong>ur suprême ;<br />

Qu'aux <strong>la</strong>rmes, au travail, le peuple est condamné,<br />

Et d'un sceptre <strong>de</strong> fer veut être gouverné;<br />

Que, s'il n'est opprimé, tôt ou tard 11 opprime.<br />

Ainsi <strong>de</strong> piège en piège, et d'âbtrae eu abîme,<br />

Corrompant <strong>de</strong> vos récuses l'aimable pureté,<br />

Ils vous feront enfin balr <strong>la</strong> vérité;<br />

fous peindront <strong>la</strong> vertu sous une affreuse Image :<br />

Hé<strong>la</strong>s ! ils ont <strong>de</strong>s rois égaré le plus sage.<br />

Promettez sur ce livre, et <strong>de</strong>vant ces témoins,<br />

Que Dieu sera toujours le premier <strong>de</strong> vos soins;<br />

Que, sévère aux méchants, et <strong>de</strong>s bons le refuge,<br />

Entre le pauvre et vous vous prendre! Dieu pour juge ;<br />

Tous souvenant, mon ils, que, caché sous celle,<br />

Comme eus vous fûtes pauvre, et comme eux orphelin.<br />

Et c'est un ministre <strong>de</strong>s autels 9 nui pieds d'un<br />

enfant <strong>de</strong> huit ans , son élève et son roi 9 qui , dans<br />

<strong>la</strong> situation <strong>la</strong> plus périlleuse, quand les moments<br />

sont comptés 9 quand le fer est sur sa tête, s'occupe ,<br />

avant lotit, à retracer ces leçons si gran<strong>de</strong>s et si<br />

simples i que répéterait l'humanité entière v si elle<br />

pouvait ne former qu'un même cri pour se faire entendre<br />

aux arbitres <strong>de</strong>s nations! A-t-on présenté<br />

aux hommes rassemblés un spectacle plus auguste ,<br />

plus instructif et plus touchant ? Joad est sublime 9<br />

et il n'est pas au-<strong>de</strong>ssus d'un enfant! C'est à un enfant<br />

qu'il parle, et il instruit tous les rois! Ce prodige<br />

n'a été réservé qu'à Racine, et je ne pense pas<br />

que jamais rien <strong>de</strong> plus beau soit sorti <strong>de</strong> <strong>la</strong> main<br />

<strong>de</strong>s hommes.<br />

Quand on se souvient que le principe, <strong>de</strong> <strong>la</strong> disgrâce<br />

<strong>de</strong> Racine v et <strong>de</strong>s chagrins qui le con<strong>du</strong>isirent<br />

au tombeau 9 fut un mémoire sur l'état malheureux<br />

<strong>de</strong>s peuples, qu'il eut <strong>la</strong> courageuse impru<strong>de</strong>nce<br />

'<strong>de</strong> confier à une favorite, et dont <strong>la</strong> vérité offensa le<br />

souverain qu'elle n'aurait dû qu'affliger! on reconnaît<br />

que <strong>la</strong> même âme conçut et dicta ce mémoire<br />

patriotique et le morceau que nous venons d'admirer.<br />

L'on comprend qu'un talent supérieur dans les arts<br />

<strong>de</strong> l'imagination est inséparable d'une sensibilité vive<br />

qui le forte iur tous les objets; et l'on a une raison<br />

£85<br />

<strong>de</strong> plus pur honorer <strong>la</strong> mémoire d'un grand écrivain,<br />

victime <strong>de</strong> cette sensibilité qui pro<strong>du</strong>isit sa<br />

gloire et ses chagrins , ses ehefwfcravre et sa mort:<br />

Le couronnement <strong>de</strong> Joas, les serments qu'on<br />

exige <strong>de</strong> lui f le pouvoir <strong>du</strong> grand prêtre 9 <strong>la</strong> confor*<br />

mité <strong>de</strong> toutes ces circonstances avec ce que nous<br />

savons <strong>de</strong>s anciennes mœurs <strong>de</strong>s Juifs 9 tout contribue<br />

à prouver que Racine a fait <strong>de</strong> Joad ce qu'il <strong>de</strong>*<br />

vait en faire. Joad était le protecteur naturel d'un<br />

roi orphelin eC opprimé , chez une nation qui avait<br />

eu plusieurs fois ses pontifes pour chefs et pour con<strong>du</strong>cteurs<br />

v qui les regardait comme les organes <strong>de</strong>s<br />

volontés <strong>du</strong> ciel, comme <strong>de</strong>s hommes divins9 dont<br />

les rois mêmes <strong>de</strong>vaient écouter <strong>la</strong> voii, parce que<br />

c'était pour eux <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> Dieu. Ce n'est donc point,<br />

comme on l'a préten<strong>du</strong> , un espritfaeêkux et entreprenant',<br />

c'est un homme qui remplit les <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong><br />

sa p<strong>la</strong>ce ; et 9 si quelque chose est capable <strong>de</strong> les faire<br />

respecter et chérir, c'est <strong>de</strong> mettre au nombre <strong>de</strong> ces<br />

<strong>de</strong>voirs celui <strong>de</strong> p<strong>la</strong>i<strong>de</strong>r <strong>la</strong> cause <strong>de</strong>s peuples au moment<br />

où il leur donne un roi.<br />

-A l'instant même oà Joas est proc<strong>la</strong>mé, le péril<br />

redouble, et le temple est assiégé $ comme on doit<br />

s'y attendre, après que Joad a refusé <strong>de</strong> livrer<br />

l'enfant qu'Athalie <strong>de</strong>mandait.<br />

; . . L'atarin menaçant frémit <strong>de</strong> toutes parts :<br />

On voit luire <strong>de</strong>s feux parmi <strong>de</strong>s étendards ; •<br />

Et sans doute Athalie assemble son armée.,<br />

Déjà même au se<strong>cours</strong> toute voie est fermée;<br />

Déjà le sacré <strong>mont</strong> où te temple est Mti<br />

P<strong>la</strong>soiffirs Tyrtens est partout Investi i<br />

L'un d'eux en b<strong>la</strong>sphémant vient <strong>de</strong> nous faire entendra<br />

Qu'Abner est dans les fers, et ne peut nous défendre.<br />

Joad , au commencement <strong>du</strong> cinquième acte $ voit<br />

avec surprise ce même Abner mis en liberté et envoyé<br />

vers lui par Athalie. On peut s'étonner9 en effet,<br />

qu'elle ait délivré sitôt ce guerrier, dont elle connaît<br />

les sentiments, et dont elle doit se défier; et <strong>de</strong>s<br />

critiques l'ont reproché à Fauteur. On peut le justifier<br />

en disant que <strong>la</strong> reine, suivant toutes les vraisemb<strong>la</strong>nces<br />

i ne doit rien craindre <strong>de</strong> lui ni <strong>de</strong> personne<br />

: elle doit croire ses ennemis dans l'épouvante<br />

et dans l'abandon. On a dit, dès le troisième acte,<br />

que tout avait déserté le temple, excepté les lévites.<br />

Tout a fui, tous se sont séparés sans retour i<br />

Misérable troupeau qu'a dispersé <strong>la</strong> crainte;<br />

Et Dieu n'est plus servi que dans <strong>la</strong> tribu saMie.<br />

Bans cette consternation générale, elle veut tir<br />

rer <strong>de</strong>s mains <strong>de</strong> Joad ces trésors qu'elle croit cachés<br />

dans le temple, et dont on lui a dit que le<br />

grand prêtre seul avait connaissance. Ces trésors<br />

peuvent périr dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>straction et le pil<strong>la</strong>ge <strong>du</strong><br />

temple, ou n'être pas découverts ; elle veut se les<br />

assurer ; et, connaissant l'inflexible fermeté <strong>de</strong> Joad f<br />

elle lui envoie l'homme qu'elle croit .le plut eapa-


êêê<br />

Me <strong>de</strong> l'ébranler. Elle l'envoie désarmé 9 et ne doit<br />

pas supposer même qu'il puisse trou?er <strong>de</strong>s armes<br />

chez les lévites ; car ils n'en auraient pas, si Joad<br />

ne leur avaitdistribué celles que David avait consacrées<br />

au Seigneur après les avoir enlevées aux<br />

Philistins, et qui étaient cachées dans le temple.<br />

C'est un moyen que l'Écrite» * a fourni à Racine,<br />

et dont il nous instruit dans ces vers qui terminent<br />

le troisième acte :<br />

Et votu, pour vous smer, suivi»-mot dans cet Hem<br />

Où M garnie caché, loin <strong>de</strong>s profanes yeux,<br />

Ce formidable amas <strong>de</strong> <strong>la</strong>nces et d'épées ,<br />

Qui <strong>du</strong> sang philistin Jadis furent trempées f<br />

Et que Pavtd vainqueur, d'ans et ifoonneufs eàtfgé,<br />

Fit mmmtmi au Dieu qui l'avait protégé.<br />

Peut-on les employer pour no plus noble usage?<br />

Tenet , je veux mol-mâme es faire te partage.<br />

Athalie ignore cette ressource, et quand elle <strong>la</strong><br />

connaîtrait, pourrait-elle <strong>la</strong> redouter, ayant à ses<br />

ordres une armée nombreuse et aguerrie? Pourraitelle<br />

craindre ces ministres <strong>de</strong>s autels dont Josabeth<br />

a dit au premier acte :<br />

C0IJ1S DE LITTÉEATD1E.<br />

Suffira-tri! lit TOI mMstm saints t<br />

Qui t tirant au Seigneur leurs Innocentes matas ,<br />

Ne savent que gémir et prier pour nos crimes,<br />

Et n'est Jamais vené que le sang <strong>de</strong>s ¥fdîmes!<br />

Tout concourt à prou?er qu 1 Athalie doit être dans<br />

une pleine sécurité; qu® fauteur a prévu toutes les<br />

objections * et surtout qu'il s'est constamment occupé<br />

<strong>de</strong> mettre d'un côté tous les moyens <strong>de</strong> <strong>la</strong> puissance<br />

humaine armée pour le crime, et <strong>de</strong> l'autre<br />

<strong>la</strong> faiblesse et l'innocence n'ayant d'appui que Dieu<br />

seul. Aussi, dans <strong>la</strong> première scène <strong>du</strong> cinquième<br />

acte; Fauteur a représenté <strong>la</strong> confiance d'Athalie<br />

et l'effroi <strong>de</strong> Josabeth. Il fait dire à Zacharie :<br />

Dépendant Athalie, un poignard à ta mais f<br />

Rit <strong>de</strong>s faibles remparts <strong>de</strong> nos portes d'airain :<br />

Pour les rompre, elle attend les fatales maetîiaes,<br />

Et ne respire enfin que sang et que mines.<br />

Ma mère, auprès <strong>du</strong> rot f dans un trouble mortel,<br />

L'Œil tantôt sur ce prince 9 et tantôt vers l'autel t<br />

Muette, et succombant sous le poids <strong>de</strong>s a<strong>la</strong>rmes,<br />

aux yeux les plus cruels arracherait <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes.<br />

Tel est l'état <strong>de</strong>s choses, lorsque Abner vient porter<br />

au grand prêtre les <strong>de</strong>rnières propositions <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

reine:<br />

Elle m'a fstf finir, et d'us air égaré :<br />

* Tu vtrtt <strong>de</strong> mes soldats tout ce temple entouré,<br />

« Dlt-eUe; un feu vengeur va le ré<strong>du</strong>ln'en cendre,<br />

« Et ton Dieu contra moi ne le saurait défendre.<br />

* Sea prêtres toutefois, mais il faut se hâter,<br />

« A <strong>de</strong>ux conditions peuvent se racheter :<br />

« Qu'avec ti<strong>la</strong>cf a on mette en ma puissance<br />

• Un trésor dont Je sais qulto ont <strong>la</strong> connaissance,<br />

« Par votre roi David autrefois amassé,<br />

« Sous le sceau <strong>du</strong> secret au grand prêtre <strong>la</strong>issé.<br />

« Ta, dis-teur qu'à ce prfi Je leur permets d® vivre. *<br />

1 H. Parai, &uu, 9.<br />

Abner voit <strong>la</strong> fierté ils Jailli tellement inévitable,<br />

qu'il ne ba<strong>la</strong>nce pas à conseiller à Joad <strong>de</strong> consentir<br />

à tant pour les sauver. Celui-ci répond ;<br />

Mais sléraîMl, Abner, à <strong>de</strong>s <strong>cours</strong> généreux,<br />

De livrer au supplice un enfant malheuROS,<br />

Un enfant que Dieu même à ma gar<strong>de</strong> confie,<br />

Et <strong>de</strong> nous racheter au dépens <strong>de</strong> sa vie?<br />

Cette réponse <strong>de</strong> Joad est très-noble, et le commentateur<br />

fait à-ce sujet une remarque très-juste.<br />

« C'est ici, dit-il, que le caractère <strong>de</strong> Joad est dans toute<br />

sa beauté. Il est sur le point d'être brûlé dans son temple,<br />

s'il ne livre Jeu : rien m peut l'engager h cette peridie :<br />

voilà sans doute te priait héroïsme. •<br />

Cependant Abner insisté; il emploie les supplications<br />

et les <strong>la</strong>rmes 9 et c'est ici Fendrait le plus délicat<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, f ©ici <strong>la</strong> réponse <strong>de</strong> Joad , qui a<br />

donné lieu à tant <strong>de</strong> critiques, à <strong>la</strong> vérité spécieuses!<br />

mais auxquelles <strong>la</strong> pièce entière sert <strong>de</strong> ré»<br />

ponse :<br />

fl ert vrai, <strong>de</strong> David un tiénr «t resté;<br />

La gar<strong>de</strong> es fut commise à ma fidélité :<br />

C'était <strong>de</strong>s tristes luifi l'espérance déniera f<br />

Que met soins vigi<strong>la</strong>nts cachaient à <strong>la</strong> <strong>la</strong>aalèra»<br />

Vais pulsqu'à votre reine il faut le découvrir,<br />

le vais <strong>la</strong> contenter, nos portes vont s'ouvrir.<br />

De ses plus braves chefs qu'elle entre accompagnée ;<br />

Hais <strong>de</strong> nos <strong>la</strong>iata autels qu'elle tienne éloignée<br />

IVou ramas d'étrangers iluatfscrète fureur :<br />

Bu pil<strong>la</strong>ge <strong>du</strong> temple épargua-niot l'horreur.<br />

Des prêtres, <strong>de</strong>s enfants lui feraient-Ils quelque ombRÎ<br />

De sa suite avec vous qu'elle règle le nombre.<br />

Et quant à cet enfant si craint, si redouté.<br />

De votre cœur, Abner, je connais l'équité;<br />

le vous veux <strong>de</strong>vant elle expliquer sa naissance.<br />

Tous verrez s'il le faut remettre en sa puissance,<br />

Et Je vous ferai juge entre àHialfe et lui.<br />

On peut remarquer d'abord que Joad ne dit rien<br />

<strong>de</strong> contraire à <strong>la</strong> vérité : il ne promet point <strong>de</strong> livrer<br />

le trésor; il s'engage seulement à le faire voir : il<br />

ne promet point <strong>de</strong> livrer Fenfant; mais il prendra<br />

Abner pour arbitre entre lui et Athalie. Cependant<br />

on ne peut disconvenir qu'il n'y ait <strong>de</strong> Fartifiee dans<br />

ces paroles; et tout artifice» a-tron dit, est condamnable;<br />

c'est un moyen fait pour avilir celui qui<br />

s'en sert. Je réponds : Oui, si Joad était un aéras»<br />

obligé <strong>de</strong> se con<strong>du</strong>ire par <strong>de</strong>s principes ordinaires;<br />

mais quatre actes nous ont accoutumés à le regar<strong>de</strong>r<br />

comme le ministre d'un Bien vengeur, comme<br />

l'instrument <strong>de</strong> <strong>la</strong> juste punition d'une reine coupable<br />

que <strong>la</strong> soif <strong>de</strong> Foret <strong>du</strong> sang précipite dans le<br />

piège. Il semble qu'elle s'y jette d'elle-même, comme<br />

aveuglée par le dieu qui <strong>la</strong> poursuit; et Joad a plutêt<br />

Fair <strong>de</strong> Fy <strong>la</strong>isser tomber que <strong>de</strong> Fy con<strong>du</strong>ire.<br />

Enfin, Feitréme disproportion <strong>de</strong>s forces, le salut<br />

<strong>du</strong> jeune roi et <strong>de</strong> tout son peuple, Fintérét que le<br />

poète nous y a fait prendre, toutes les idées9 tous<br />

les sentiments dont il nous a remplis, tant <strong>de</strong> motifs<br />

réunis et mis dans toute leur valeur, par un ait


SIÈCLi; DE LOUIS XIV.' — POÉSIE.<br />

d'autant plus puissant qu'il m se <strong>mont</strong>re jamais s ne<br />

nous permettent pas <strong>de</strong> voir autre chose dans ce<br />

dénoûment que l'accomplissement <strong>de</strong>s désirs <strong>du</strong><br />

spectateur et <strong>la</strong> in <strong>de</strong> toutes ses craintes. Quel speetaele<br />

m àétmûmenî présente 1 Gomme il paraît en<br />

tout l'ouvrage <strong>du</strong> ciel ! A peine Abner est sorti t que<br />

Joad s'écrie ?<br />

€raul Dira! voici ton heurt : on t'amène ta prête.<br />

Et Josabeth :<br />

Poissant maître <strong>de</strong>s déni t<br />

Remets-lui le ban<strong>de</strong>au dont ta mmrh ses yeut t<br />

Lorsque, lui dérobant tout le fruit <strong>de</strong> ion crime,<br />

Ta eacaas dans mou sein cette tendre ¥ictime.<br />

JOAD,<br />

•cas, enfants, préparez un frêne pour lots ;<br />

Qui! s'avance suivi <strong>de</strong> nos sacrés soldats.<br />

Faites Tenir ainsi sa fidèle nourrice.<br />

Princesse, et <strong>de</strong> vos pleurs que <strong>la</strong> tonne tarisse.<br />

Roi f je eroii qu'à vos VœUX cet espoir est permis ;<br />

Yeoei voir à vos pieds ternit» vos ennemis.<br />

Celle dont <strong>la</strong> foreur poursuivit votre enfance .<br />

Vers ees lleui à grands pas pour vous perdre s'avasse;<br />

Mais ne <strong>la</strong> craignez point; soagei qu'autour d@ vous<br />

L'ange eitenaiaalear est <strong>de</strong>lwui mm nous :<br />

Montez su votre troue...*<br />

Quoi <strong>de</strong> plus intéressant que <strong>de</strong> p<strong>la</strong>cer sur le trône<br />

m jeune roi, au moment même où sa plus mortelle<br />

ennemie s'approche 1 Que cette situation est théâtrale<br />

1 que Joad parait imposant lorsqu'il dit :<br />

Voilà ton roi, ton ils, le Ils ffOchos<strong>la</strong>s.<br />

f ea# les ? et TOUS , Abner, reconaaiiiei lots.<br />

Des trésors <strong>de</strong> DtvM, jroilà ee qui mm resta<br />

Soldats <strong>du</strong> Mm vivant, défend» votre roi<br />

Depuis le cinquième acte <strong>de</strong> Modogum, on n'avait<br />

point mis sur <strong>la</strong> scène une plus gran<strong>de</strong> action,<br />

un tableau plus frappant.<br />

Bleu <strong>de</strong>s Juifs, tu remportes S<br />

s'écrie Athalie; et ee mot énergique contient toute<br />

<strong>la</strong> substance <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce. Les quatre <strong>de</strong>rniers fers<br />

en contiennent toute <strong>la</strong> morale.<br />

Par cette!» terrible, et <strong>du</strong>e à ses forfaits,<br />

Apprenés, roi <strong>de</strong>s faits, et n'oublfci jamais<br />

Que les rois dans le ciel aat aa juge sévère,<br />

LlBWMxaca an vengeur, et fcrphelln un père.<br />

C'est en effet le résultat <strong>de</strong> tout ce qu'on a vu et<br />

enten<strong>du</strong> pendant cinq actes 9 et l'on ne pouvait terminer<br />

plus dignement un ouvrage où <strong>la</strong> tragédie a<br />

pru dans toute sa majesté.<br />

J'oserai avancer pour <strong>de</strong>rnier résultat qu'Mkmiie,<br />

bien loin <strong>de</strong> blesser <strong>la</strong> morale, <strong>mont</strong>re <strong>la</strong> religion<br />

dans son plus beau jour, protectrice <strong>de</strong> l'innocence<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> faiblesse, et vengeresse <strong>du</strong> crime; comme<br />

Mokùmet <strong>mont</strong>re le fanatisme tel qu'il est , <strong>de</strong>structif<br />

<strong>de</strong> toute humanité, et principe <strong>de</strong> tous les forfaits.<br />

Je remets à parler <strong>de</strong>s chœurs ê'Estker et i f tk®Mê9 <strong>de</strong>s PMémrsf et <strong>de</strong> quelques autres pro<strong>du</strong>ctions<br />

, dans un résumé général sur Corneille et Racine<br />

, où j'examinerai, entre autres choses , combien<br />

ce <strong>de</strong>rnier joignit <strong>de</strong> talents différents à celui <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

tragédie.<br />

On convient aujounhii assez généralement que<br />

jamais le talent <strong>de</strong> Racine ne s'était élevé si haut t<br />

et malheureusement on sait que jamais il ne fut plus<br />

méconnu. Ce ne fut pas 9 comme à Phèdre, uneinjustice<br />

passagère et bientôt réparée v ce fut un aveuglement<br />

universel et <strong>du</strong>rable, et les yeux <strong>du</strong> public<br />

ne s'ouvrirent que longtemps après que ceux <strong>de</strong> Racine<br />

furent fermés. On <strong>de</strong>man<strong>de</strong> quelquefois avec<br />

surprise comment on put se méprendre à ce point,<br />

pendant plus <strong>de</strong> vingt ans, sur un ouvrage d'une<br />

beauté unique. Ce<strong>la</strong> paraît d'abord inconcevable; cependant,<br />

lorsqu'on y réfléchît , <strong>de</strong>ux causas réunies<br />

peuvent en rendre raison : <strong>la</strong> nature même <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

pièce , et le malheur qu'elle eut <strong>de</strong> ne pas être représentée.<br />

AlhoMe était une pro<strong>du</strong>ction absolument<br />

originale f et qui ne ressemb<strong>la</strong>it à rien <strong>de</strong> ce que Ton<br />

connaissait. Quand les créations <strong>du</strong> génie déconcertent<br />

toutes les idées reçues, il commence par êtar<br />

aux hommes <strong>la</strong> mesure <strong>la</strong> plus ordinaire <strong>de</strong> leurs jugements,<br />

<strong>la</strong> comparaison. En effet, à quoi comparer<br />

ee qui ne se rapproche <strong>de</strong> rien ? 11 ne reste d'autre<br />

règle que le sentiment : mais dans là poésie dramatique<br />

, le sentiment ne peut guère prononcer qu'au ,<br />

théâtre 9 et JtkoMe ne fut pas jouée. Si c'eût été un<br />

<strong>de</strong> ces sujets qui ont un grand intérêt <strong>de</strong> passion, et<br />

qui ouvrent une source abondante <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes, ce<br />

mérite, I <strong>la</strong> portée <strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong>, eût pu- être<br />

senti, même à <strong>la</strong> lecture; mais ce n'est pas celui<br />

à'AtkoMe. Il fal<strong>la</strong>it qu'elle fût p<strong>la</strong>cée dans son cadre<br />

pour que <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> sentit que ce tableau religieux<br />

pouvait être touchant; et les oonnaineun<br />

mêmes ne pouvaient voir que sur <strong>la</strong> scène tout ce qu'il<br />

a d'auguste et d'admirable. Arnauld, qui aimait Racine,<br />

et qoi estimait MkaMe, <strong>la</strong> p<strong>la</strong>çait pourtant au<strong>de</strong>ssous<br />

à'Esiker, à qui elle est si supérieure. Le<br />

grand succès qu'Esiker avait eu à Saint-Cyr nuisait<br />

encore à MkoUe : soit que ce succès eût irrité les ennemis<br />

<strong>de</strong> Racine, soit qu'un scrupule réel fit parler<br />

ceux qui trouvaient peu convenable que <strong>de</strong> jeunes<br />

personnes se <strong>mont</strong>rassent sur <strong>la</strong> scène aux yeux <strong>de</strong><br />

toute <strong>la</strong> cour, on a<strong>la</strong>rma <strong>la</strong> piété <strong>de</strong> madame <strong>de</strong><br />

Maintenon y et <strong>la</strong> pièce qu'elle avait <strong>de</strong>mandée à l'auteur<br />

ne fut pas représentée. On proita <strong>de</strong>cetta circonstance<br />

pour le blâmer d'avoir fait une secon<strong>de</strong><br />

tentative <strong>de</strong> ce genre : on prétendit que ees sortes<br />

<strong>de</strong> ehoses ne réussissaient pas <strong>de</strong>ux fois «. PeffonM<br />

J- * Vojei les XfUrsi rft madame d$ 8'oêanê*<br />

IS7


COU1S DE LITTÉRATURE.<br />

588<br />

se eonee?ai t alors qu'une pièce sans amour pût être<br />

théâtrale. Ou répandit dans le public que Racine<br />

ataitfoulu foire une tragédie afec uo prêtre et un<br />

enfant, et Fou décida qu'un semb<strong>la</strong>ble outrage ne<br />

poufait être* fait que pour <strong>de</strong>s enfants. Quand <strong>la</strong><br />

pièce fut imprimée, <strong>la</strong> préf entïon était déjà établie 9<br />

et il était convenu qu'Jtkalie défait ennuyer. On<br />

n'ignore pas combien ces sortes <strong>de</strong> préjugés sont<br />

rapi<strong>de</strong>s et contagieux quand il y a <strong>de</strong>s gens intéressés<br />

à leur donner le mouvement, et il n'y en avait<br />

que trop. On connaît l'éplgramme attribuée à Fontenelle<br />

:<br />

rite, commença <strong>la</strong> réfolution. Ce fut en 1710 que<br />

<strong>la</strong>foix <strong>de</strong>s connaisseurs parvint jusqu'au régeat,<br />

qui était fait pour l'entendre, et qui donna ordre <strong>de</strong><br />

jouer Athalie. Elle eut quinze représentations suivies<br />

afec afflues**, et app<strong>la</strong>udies afee transport; et<br />

<strong>de</strong>puis elle s'est soutenue sur <strong>la</strong> scène afec le même<br />

éc<strong>la</strong>t.<br />

Gentilhomme eitraordloalre,<br />

El svppôt <strong>du</strong> Lucifer,<br />

Poïir âYoir fait pis qa'Bëtker,<br />

Gomment diable as-tu pu faire?<br />

Il n ? est pas fort étonnant que Fontenelle fût injuste<br />

entera ï<strong>la</strong>eine : il n'est que trop reconnu que<br />

ramour-propre offensé peut égarer même un [philosophe;<br />

et d'ailleurs Fontenelle n'était pas un excellent<br />

juge en poésie. Mais qu'un homme distingué<br />

d'ailleurs par <strong>la</strong> modération <strong>de</strong> son caractère, qui<br />

le rendit, pendant une longue fie, moins sensible<br />

aux critiques qu'aucun autre écrîvain ; qu'un esprit<br />

sage et modéré appelle Tmîmïâ*JiÂ4iHeiiM$Mppé,$<br />

<strong>de</strong> Lucifer, et souille sa plume <strong>de</strong> ces expressions<br />

grossières faites pour <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s fanatiques,<br />

c'est ce dont on peut douter ; ou, si l'épigramme est<br />

en effet <strong>de</strong> lui, c'est une preuf e <strong>de</strong> plus, parmi tant<br />

d'autres, qu'il faut peu compter sur <strong>la</strong> sagesse humaine.<br />

Racine, il est frai, avait fait aussi une épigramme<br />

sur Jspar; mais elle est d'un genre un peu<br />

différent, et il y a aussi loin <strong>de</strong> l'épigramme <strong>de</strong> Fontenelle<br />

à celle <strong>de</strong> Racine que û'Jspar kAthatie.<br />

» Boileau seul lutta contre le torrent, qui a?ait entraîné<br />

tout, jusqu'à Racine lui-même; car les mémoires<br />

<strong>du</strong> temps nous apprennent qu'il parut croire<br />

un moment qu'il s'était trompé. Au moins est-il certain<br />

qu'il se reprocha a?ec amertume sa comp<strong>la</strong>isance<br />

pour madame <strong>de</strong> Maintenon f et qu'il se repentit<br />

d'afoir fait Aikalie, Despréaux le rassura, et<br />

prédit que le jour <strong>de</strong> <strong>la</strong>-justice arriverait. U arrifa ;<br />

mais ni l'un ni l'autre ne l'a TU.<br />

- Une anecdote très-connue, c 9 CHAPITRE IV. — Mémmêswr Cmnélk<br />

et Racine.<br />

Plusieurs écrifains ont dit et l'on a répété après<br />

eux, que l'esprit factïeui qui régna en France sons<br />

le ministère <strong>de</strong> Richelieu, et pendant les troubles<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Fron<strong>de</strong>, avait déterminé le choix et <strong>la</strong> nature<br />

<strong>de</strong>s sujets que Corneille a traités, et que <strong>la</strong> politesse<br />

et <strong>la</strong> ga<strong>la</strong>nterie qui-dominèrent ensuite sous un règne<br />

heureux et bril<strong>la</strong>nt avaient con<strong>du</strong>it <strong>la</strong> plume <strong>de</strong><br />

Racine. On a été jusqu'à dire <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier qu'il<br />

avait fait <strong>la</strong> tragédie <strong>de</strong> <strong>la</strong> cmr <strong>de</strong> Louis XIV:<br />

c'est restreindre étrangement un génie tel que le<br />

sien. Je sais qu'il fit Bérénice pour madame Henriette;<br />

mais j'ose croire que ce fut pour les béas<br />

esprits <strong>de</strong> toutes les nations éc<strong>la</strong>irées qu'il fit Br*<br />

tamnicw, Andromaque, Iphigênie, Phèdre, et<br />

AthaMê. Il n'a point feit <strong>la</strong> tragédie <strong>de</strong> h courte a<br />

fait celle <strong>du</strong> coeur humain. Tout homme supérieur<br />

reçoit <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature un caractère d'esprit plus on<br />

moins marqué, et c'est ce<strong>la</strong> même qui fait sa supériorité<br />

: c'est dans ce caractère qu'il faut d'abord<br />

chercher celui <strong>de</strong> ses ouvrages. Sans doute l'esprit<br />

général et les mœurs publiques y ont aussi quelque<br />

influence, et le modifient plus ou moins; mais le<br />

type originel s'y trouve toujours : les grands écrifains<br />

agissent beaucoup plus sur leur siècle que<br />

leur siècle n'agit sur eux, et lui donnent beaucoup<br />

plus qu'ils n'en reçoivent.<br />

Corneille a?ait une trempe i<br />

est que, dans plutîenrs<br />

sociétés, on avait établi, par forme <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isanterie,<br />

<strong>de</strong> donner pour pénitence <strong>la</strong> lecture d'un<br />

certain nombre <strong>de</strong> fers û'Atkalk. Ainsi donc Racine<br />

fut traité une fois en sa fie comme Chape<strong>la</strong>in! Un<br />

jeune officier, condamné à lire <strong>la</strong> première scène,<br />

lut toute <strong>la</strong> pièce, et <strong>la</strong> relut sur-le-champ une sewnia<br />

fois; ensuite il remercia <strong>la</strong> compagnie <strong>de</strong> lui<br />

afoir donné un p<strong>la</strong>isir auquel il ne s'attendait guère.<br />

Ce petit événement, qui fit <strong>du</strong> bruit par sasingu<strong>la</strong>-<br />

f esprit naturellement<br />

rigoureuse, et une imagination élevée. Le raisonnement,<br />

les pensées, les grands traits d'éloquence,<br />

dominent dans sa composition; et il aurait porté<br />

ces mêmes qualités dans quelque genre d'écrire f ail<br />

eût choisi. Il eût été un grand orateur dans le sénat<br />

romain ou dans le parlement d'Angleterre, mais il<br />

aurait plus ressemblé à Démosthènes qu'à Cicéroo.<br />

Comme l'art dramatique est le résultat d'une foule<br />

<strong>de</strong> talents réunis, il a donné le premier modèle <strong>de</strong><br />

ceux qui tiennent à Féléfation<strong>de</strong> l'âme et <strong>de</strong>s Idées,<br />

à <strong>la</strong> force <strong>de</strong>s combinaisons, et il a eu les défauts<br />

qui en sont voisins. Ses lectures <strong>de</strong> préférence, ses<br />

étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> prédilection étaient, si l'on tant y prendre<br />

gar<strong>de</strong>, analogues à <strong>la</strong> tournure <strong>de</strong> ion esprit.<br />

On sait que ses auteurs favoris forent Lueaia, Se-


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

<strong>la</strong>pe f et les poètes espagnols. Comme Laçais, IV<br />

mour <strong>du</strong> grand le con<strong>du</strong>isît jusqu'à l'enflure; eomme<br />

Sénèque, il lot raisonneur jusqu'à <strong>la</strong> subtilité<br />

et <strong>la</strong> sécheresse; comme les tragiques espagnols, il<br />

força les vraisemb<strong>la</strong>nces pour obtenir <strong>de</strong>s effets.<br />

Hais les beautés qu'il ne <strong>de</strong>vait qu'à son talent naturel<br />

le p<strong>la</strong>cèrent pendant trente ans si fort au-<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> ses contemporains 9 qu'il loi fut impossible<br />

<strong>de</strong> revenir sur lui-même , et d'apercé?©ir ce qui lui<br />

manquait. Rien n'est si dangereux que <strong>de</strong> n'avoir<br />

pour objet <strong>de</strong> comparaison que ses propres ouvrages,<br />

et <strong>de</strong>s ouvrages app<strong>la</strong>udis : e f est à <strong>la</strong> fois le malheur<br />

et l'excuse d'un artiste qui se trouve tout à<br />

coup au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tout ce qui Fa précédé. Bans ces<br />

circonstances, il est assez naturel au génie d'aller<br />

d'abord en fort peu <strong>de</strong> temps aussi loin qu'il peut<br />

aller. Mais arrivé à cette hauteur, où veut-on qu'il<br />

porte <strong>la</strong> vue lorsque rien n'est plus haut que lui,<br />

lors même que personne n'est en état <strong>de</strong> lui faire<br />

soupçonner qu'il y a quelque chose au <strong>de</strong>là? C'est<br />

surtout en comparant l'époque d'un siècle naissant<br />

à celle d'un siècle formé que Ton peut comprendre<br />

les rapports et les dépendances entre l'homme supérieur<br />

qui crée, et <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> qui juge. Dans <strong>la</strong><br />

première époque, le génie est seul, et ses juges<br />

mimes tiennent <strong>de</strong> lui tout ce qu'ils savent; dans<br />

<strong>la</strong> secon<strong>de</strong>, un certain nombre <strong>de</strong> différents modèles<br />

a déjà composé une masse <strong>de</strong> lumières et <strong>de</strong> connaissances<br />

nécessairement supérieure à ce que peut<br />

pro<strong>du</strong>ire l'esprit le plus vaste. Ce qui a été fait apprend<br />

tout ee qu'an peut faire; et, pour apprécier<br />

les pro<strong>du</strong>ctions <strong>de</strong> l'art, toutes les forces <strong>de</strong> l'esprit<br />

humain sont dans <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce en contre-poids avec<br />

celui d $ un seul homme. La première <strong>de</strong> ces époques<br />

est <strong>la</strong> plus avantageuse pour <strong>la</strong> gloire; <strong>la</strong> secon<strong>de</strong>,<br />

pour le talent. Jamais il ne va plus loin dans <strong>la</strong> carrière<br />

<strong>de</strong>s arts que lorsqu'il voit toujours le but au<br />

<strong>de</strong>là <strong>de</strong> sa <strong>cours</strong>e. Jamais il ne s ? accoutume à marcher<br />

plus ferme que lorsqu'il ne peut faire impunément<br />

un faux pas. C'est peu d'effacer ses conteraporains<br />

; il faut qu'il songe à lutter contre le pssé,<br />

et à répondre à l'avenir. S'il fait mieui que ses concurrents,<br />

ses juges en savent plus que lui : ils peuvent<br />

toujours lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r plus qu'il n'a <strong>la</strong>it , parce<br />

que d'autres ont fait davantage. S'il excelle dans<br />

quelques parties, on lui marque celles qui lui manquent,<br />

on lui révèle toutes ses fautes, on discute<br />

toutes ses beautés, on inquiète sans cesse <strong>la</strong> confiance<br />

<strong>de</strong> jes forces; et cet aiguillon continuel l'oblige<br />

aies déployer toutes.<br />

Ce fut l'avantage <strong>de</strong> Racine : né avec cette imagination<br />

vive, cette sensibilité tendre , cette flexibilité<br />

d'esprit et d'âme 9 qualités les plus essentielles<br />

589<br />

pour <strong>la</strong> tragédie, et que n'avait pas Corneille; né<br />

avec le sentiment le plus vif et le plus délicat <strong>de</strong><br />

Fharmonie et <strong>de</strong> l'élégance, avec <strong>la</strong> plus heureuse<br />

facilité d'élocution, qualités les plus essentielles à<br />

toute poésie, et que Corneille n'avait pas non plus,<br />

il eut affaire à <strong>de</strong>s juges que Corneille avait instruits<br />

pendant trente ans par ses succès et par ses<br />

fautes ; il écrivit dans un temps où tous les genres<br />

<strong>de</strong> <strong>littérature</strong> se perfectionnaient, où le goût s'épurait<br />

en tout genre; enfin, il eut pour ami et pour<br />

censeur l'esprit le plus judicieux et le plus sévère<br />

<strong>de</strong> son siècle, Despréaux. Ainsi <strong>la</strong> nature et-les circonstances<br />

avaient tout réuni pour faire <strong>de</strong> Racine<br />

un écrivain parfait; et il le fut.<br />

La marche progressive <strong>de</strong> son talent prouve ses<br />

réflexions et ses efforts, et ce travail continuel sur<br />

lui-même, si nécessaire à quiconque veut avancer<br />

vers <strong>la</strong> perfection. Les <strong>de</strong>ux premiers essais <strong>de</strong> sa<br />

jeunesse, imitations faibles <strong>de</strong> Corneille, ne sont<br />

que les tributs excusables que <strong>de</strong>vait un auteur <strong>de</strong><br />

vingt-quatre ans à une renommée qui avait tetaî effacé»<br />

Hors le talent <strong>de</strong> <strong>la</strong> versification, rien encore<br />

n'annonçait Racine. J'ai reconnu


COU1S DE LUTÉRATUBB.<br />

600<br />

Grecs se it entendre dans les rôles admirables d'Andromaque,<br />

<strong>de</strong> CSjtemnestre, etdlphigénie. L'étu<strong>de</strong><br />

réiéclili <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue et <strong>de</strong>s auteurs d'Athènes fut<br />

sans doute une source <strong>de</strong> lumières pour lis homme<br />

qui avait tait <strong>de</strong> goût, et qui sentait si mwmmmî<br />

cette vérité d'imitation, qui est le principe <strong>de</strong>s beauxarts;<br />

mais ce n'est pas d'eux qu'il apprit à être un<br />

si savant peintre <strong>de</strong> l'amour. 11 ne <strong>du</strong>t qu'à lui-même<br />

Ci grand ressort dramatique, <strong>de</strong>venu si puissant<br />

dans ses mains, et dont Yoitaire s'est emparé <strong>de</strong>puis<br />

avec tant <strong>de</strong> succès. Cette découverte, en même<br />

temps qu'elle enrichissait notre théâtre, a influé<br />

jusqu'à Fabus sur <strong>la</strong> tragédie française, et nous a<br />

exposés à <strong>de</strong>s reproches qui ne sont pas sans fon<strong>de</strong>ment<br />

: et puisque je m'occupe <strong>de</strong> développer dans<br />

m moment les obligationsque nous avons à Racine,<br />

je crois <strong>de</strong>voir prouver d'abord que c'est un rigorisme<br />

outré <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r l'amour comme une passion<br />

indigne <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie; et dans <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> ce résumé<br />

je ferai voir que c'est un autre excès non moins condamnable<br />

et beaucoup plus commun <strong>de</strong> vouloir qu'il<br />

y domine exclusivement.<br />

Les anciens Savaient point imaginé que <strong>la</strong> passion<br />

<strong>de</strong> Pamour pût faire le sujet d'une tragédie : le<br />

rôle <strong>de</strong> Phèdre même n'est pas une exception à ce<br />

principe. La pièce d'Euripi<strong>de</strong> f comme je l'ai remarqué<br />

en son lieu, est intitulée Hippoêyie : le sujet<br />

est <strong>la</strong> mort Injastc d'un jeune prince innocent<br />

sacriié à <strong>la</strong> vengeance <strong>de</strong> Yénus. L'amour <strong>de</strong><br />

Phèdre, à le bien considérer, n'est point une passion<br />

ordinaire et spontanée. Un prologue apprend<br />

au spectateur que Yénui s'a inspiré à Phèdre un<br />

amour furieux et incurable que pour perdre Hipplyte,<br />

qui a dédaigné et insulté hautement <strong>la</strong> puis*<br />

tance <strong>de</strong> cette déesse, et voué à Diane un culte exclusif.<br />

La morale même <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce expressément<br />

énoncée, est qu'il ne faut jamais offenser un dieu.<br />

L'amour <strong>de</strong> Phèdre n'est donc, à proprement parler,<br />

qu'une espèce <strong>de</strong> ma<strong>la</strong>die, une sorte <strong>de</strong> fléau céleste<br />

qui sert à venger une divinité.<br />

Mes intrigues amoureuses n'entraient même pas<br />

dans <strong>la</strong> comédie ancienne. Aristophane n'en a point,<br />

et si P<strong>la</strong>nte et Térence, après Ménandre, ont peint<br />

<strong>de</strong>s jeunes gens amoureux, c'est toujours <strong>de</strong> courtisanes<br />

ou <strong>de</strong> Allés esc<strong>la</strong>ves, reconnues ensuite<br />

pour être <strong>de</strong> condition libre. Les intrigues avec<br />

les filles bien nées, et ce commerce <strong>de</strong> ga<strong>la</strong>nterie<br />

qui remplit nos pièces, n'étaient point au<br />

nombre <strong>de</strong>s ressorts dramatiques employés pr les<br />

anciens. La raison en est sensible : c'est que les<br />

femmes, plus retirées, ne vivaient pas dans <strong>la</strong> société<br />

comme aujourd'hui. 11 paraît que c'est <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

- chevalerie <strong>de</strong>s Arabes, et <strong>de</strong>s romans qu'elle flt nat-<br />

tre dans le midi <strong>de</strong> PEurop, que Pamdiir |iJsa<br />

d'abord sur les théâtres, où il a rempli une si grands<br />

p<strong>la</strong>ce. L'influence que les femmes ont eue iepall<br />

sur <strong>la</strong> société, sur les mœurs, sur les sentiments,<br />

sur les opinions, intro<strong>du</strong>isit par <strong>de</strong>grés sur notre<br />

scène ce <strong>la</strong>ngage délicat, noble et passionné, dont<br />

Corneille donna <strong>la</strong> première idée dans Chiméne et<br />

dans Pauline, et que Eacine, et après lui Yoitaire,<br />

ont embelli <strong>de</strong> tous les charmes <strong>de</strong> leur style. Le<br />

génie théâtral s'est emparé <strong>de</strong> ce moyçn, paroe<br />

qu'il a senti tout ce qu'on en pouvait faire quand<br />

il est supérieurement manié ; et tous les auteurs Font<br />

employé plus ou moins, parce que c%st en même<br />

temps celui <strong>de</strong> tous qu'il est le plus facile <strong>de</strong> traiter<br />

médiocrement. Gomme l'amour est le penchant le<br />

plus universel, il est toujours aisé d'intéresser à un<br />

certain point, en par<strong>la</strong>nt aux spectateurs <strong>de</strong> ce qui<br />

les occupe le plus. Voltaire disait, à propos <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

différence d'effet qui se trouve entre Zaïre et Heure<br />

smwée : « Tout le roca<strong>de</strong> aime, et personne ne<br />

conspire. » Si le but <strong>de</strong> tout auteur est <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire,<br />

comment réprouver le moyen le plus facile et le<br />

plus sûr d'y parvenir? Le sévère Bespréara a dit<br />

lui lui-même :<br />

De ruraear <strong>la</strong> rer^isle feinta»<br />

M pur a<strong>la</strong>r as acetir <strong>la</strong> renie <strong>la</strong> plot sAra.<br />

Les femmes, qui donnent le ton au théâtre comme<br />

partout ailleurs, ont contribué plus que tout le resté<br />

à faire <strong>de</strong> l'amour le prîeclpl sujet <strong>de</strong> nos pièces.<br />

Pour peu qu'une actrice ait <strong>la</strong> voii touchante, c'est<br />

l'amour qu'elle eiprirae le mieux : les femmes pleurent,<br />

et tout te mon<strong>de</strong> pleure avec elles. Et comment<br />

ne se livrerait-on pas <strong>de</strong> préférence à un genre qui<br />

réunit toutes les facilités, teeterles sé<strong>du</strong>ctions! Il<br />

a d'ailleurs pro<strong>du</strong>it tant <strong>de</strong> belles choses, qu'en le<br />

condamnant on condamnerait le génie et nos p<strong>la</strong>isirs*<br />

De cette différence entre notre théâtre et celui<br />

<strong>de</strong>s anciens, les amateurs outrés <strong>de</strong> l'antiquité ont<br />

conclu que leur tragédie va<strong>la</strong>it mieux que <strong>la</strong> nôtre,<br />

puisqu'elle était plus sérèreraeet héroïque. Ce <strong>de</strong>rnier<br />

point est frai; mais est-il vrai que nous ayons<br />

tort si <strong>la</strong> nôtre est généralement plus touchante?<br />

Y a-t-îl trop <strong>de</strong>s moyens d'intéresser au théâtre? et<br />

faut-il s'en refuser un dont l'effet est si universel?<br />

Mous a?ons d'autres mœurs que les Grecs ; pourquoi<br />

notre théâtre, qui doit se ressentir <strong>de</strong> cette<br />

différence, n'en aurait-il pas profité? Si Sophocle<br />

et Euripi<strong>de</strong> eussent vécu parmi nous, croit-on qu'ils<br />

n'eussent pas traité l'amour? croit-on qu'ils eussent<br />

rougi d'avoir fait Jndr&mague ou Zaïre f De quoi<br />

t'agit-il donc en <strong>de</strong>rnier résultat ? Ce n'est pas d'exclure<br />

l'amour <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie, c'est <strong>de</strong> l'en rendra


SIÈCLE DE LOUIS HV. — POÉSIE.<br />

digne;, c'est <strong>de</strong> lui <strong>de</strong>rnier sur le théâtre les effets<br />

tragiques qu'il n f a eus que trop sou?eut es réalité;<br />

c f €ft <strong>de</strong> substituer aux froi<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> <strong>la</strong> ga<strong>la</strong>nterie<br />

fulgaire toute l'énergie <strong>de</strong> <strong>la</strong> pssion. Get<br />

art, créé par Racine , et porté encore plus loin par<br />

Voltaire, est-il indigne <strong>de</strong> Melpomène, quand il,<br />

agrandit sou empire et augmente sa puissance?<br />

nous met-il au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong>s anciens quand il nous<br />

fournit <strong>de</strong>s beautés qu'ils n f 691<br />

premier <strong>de</strong> très-belles choses, on a raison. Mate<br />

s'ensuit-il qu'il y ait plus <strong>de</strong> création dans ses ouvrages<br />

que <strong>du</strong>s ceux <strong>de</strong> Racine? Ce l'est pas, ce<br />

me semble, une conséquence nécessaire. On ne pot<br />

pas dire <strong>de</strong> lui qu'il a fait Racine, comme on a dit<br />

qu'Homère avait fait ¥irgile : Virgile a idèlement<br />

suivi les traces d'Homère; Racine a suivi une route<br />

toutedifférente <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> Corneille.—Mais celui-ci<br />

oet pas connues ? Si ce<strong>la</strong> a ouvert le chemin. — Oui, il a eu l'avantage <strong>de</strong><br />

pou?ail faire une question, on <strong>la</strong> trancherait Meitêt venir le premier. Mais, pour être sûr que Racine n'es<br />

par uo principe incontestable : Toute imitation <strong>de</strong> eût pas fait autant, il faudrait prouver qu'il n'y a<br />

<strong>la</strong> nature, qui est vraie en elle-même, intéressante pas <strong>la</strong> même force d'invention dans ses ouvrages ;<br />

par ses effets, et susceptible <strong>de</strong> couleurs nobles, et, en revenant à cette comparaison, l'examen ne<br />

est <strong>de</strong> l'essence <strong>de</strong>s beaux-arts; <strong>la</strong> peinture d* l'a­ sera pas à son désavantage. Ceui qui lui refusent<br />

mour réunit tous ces caractères : donc elle n'est le génie ( et il y a encore <strong>de</strong> ces gens-là ) répètent fort<br />

point étrangère à <strong>la</strong> tragédie.<br />

légèrement qu'il n'a fait qu'imiter les Gras. A les<br />

Cette peinture a été un <strong>de</strong>s mérites propres à entendre f on dirait que Corneille a tiré tout <strong>de</strong> son<br />

Racine s elle a?ait fourni à Corneille <strong>de</strong>s tableaux propre fonds. Voyons les faits. Le CM et EérmeMm<br />

intéressants dans le CM et dans P@iymteie : partout sont aux Espagnols. La belle scène <strong>du</strong> cinquième<br />

ailleurs elle est ches lui froi<strong>de</strong> et fausse. Ceux <strong>de</strong> acte <strong>de</strong> Cimm est tout entière dans Sénèque. Il lui<br />

Racine sont toujours irais , toujours prfeits dans reste donc en propre les trois premiers actes <strong>de</strong>s<br />

les convenances, touchants ou terribles dans les Moracm, P^mcêet Powipée, Mod&gme, et Nk®~<br />

effets. Le rôle <strong>de</strong> Phèdre est bien plus fortement mêée* Jnér@wmqme9 MrMmnmàem, Smjmmi, Jfl-<br />

tracé qu'il ne l'est dans Euripi<strong>de</strong> : ceux <strong>de</strong> Roxane ftrfcfafe, et AtkaMêf sont absolument à Racine.<br />

et dUermione ont tous les caractères <strong>de</strong> l'amour Je ne parle pas <strong>de</strong> Bérèdœ; ce n'est qu'un ouvrage<br />

quand il est éminemment tragique, ses emporte­ enchanteur, qui n'est pas une tragédie : mais aussi<br />

ments, ses crimes, ses remords. Si les personnages Nieewié<strong>de</strong> est-il une tragédie, ou bien une comédie<br />

secondaires <strong>de</strong> ses pièces, Iphigénie, ÉriphïSe, Ari­ héroïque? Dans Phèdre même, et dans Ipkigémiê,<br />

<strong>de</strong>, Monime, Bérénice, n'ont pas <strong>la</strong> même force, il s'en faut bien que les plus gran<strong>de</strong>s beautés soient<br />

ils n'ont ps moins <strong>de</strong> vérité ; ils sont ce qu'ils doi­ prises aux Grecs : ce qu'il y a <strong>de</strong> plus beau dans k<br />

vent être : s'ils ne constituent ps <strong>la</strong> tragédie, ils CM, dans Hêmeiim et dans Cimma, est d'emprunt.<br />

ne <strong>la</strong> déparent .point. Je ne connais qu'Atali<strong>de</strong> et Maintenant, fal<strong>la</strong>it-il un talent plus original, plus<br />

Bajaset dont le <strong>la</strong>ngage paraisse formpr une sorte inventeur, pour faire les Mwmm que pur itlrt<br />

<strong>de</strong> disparate dans <strong>la</strong> pièce où ils sont p<strong>la</strong>cés; encore Jndr@maqme9 ou pour Polyencleque ^ùmJtàaMef<br />

le charme <strong>du</strong> style et <strong>la</strong> délicatesse <strong>de</strong>s sentiments Ceux qui trancheraient sur cette question auraient<br />

leur ont-ils obtenu grâce, s'ils se les ont ps justi­ beaucoup <strong>de</strong> confiance : quant à moi, j'en suis trèsfiés.<br />

Voltaire a relevé le premier l'absur<strong>de</strong> injustice éloigné; et je me contenterai d'observer <strong>la</strong> diffé­<br />

<strong>du</strong> préjugé qui imputait à Racine d'avoir éner?é <strong>la</strong> rence <strong>de</strong> caractère et d'effet qui se trouve entre les<br />

tragédie en <strong>la</strong> livrant à l'amour. Il a dé<strong>mont</strong>ré que pro<strong>du</strong>ctions <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux grandi hommes.<br />

c'était Corneille qui l'avait affadie par <strong>la</strong> ga<strong>la</strong>nterie, Je crois voir dans tous les <strong>de</strong>ux <strong>la</strong> même force<br />

en même temps qu'il f élevait dans d'autres prîtes <strong>de</strong> conception : mais l'un, dans ses compositions,<br />

à <strong>la</strong> pins gran<strong>de</strong> hauteur» La foule le suivit dans a plus consulté <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> son talent; f autre,<br />

ses erreurs, sans l'imiter dans ses beautés. Le seul celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie. Le premier, naturellement porté<br />

Racine, au moment où il fut lui-même, s'éloigna au grand, a subordonné Fart à son génie; il Ta<br />

également <strong>de</strong>s unes et <strong>de</strong>s autres. 11 ne commit établi sur un ressort qu'il maniait supérieurementt<br />

point les mêmes fautes, et trouva <strong>de</strong>s beautés dif­ l<br />

férentes. U fut dans le genre qu'il choisit autant<br />

au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> Corneille que <strong>de</strong> tous les autres poètes<br />

dramatiques.<br />

On a dit que Corneille avait un esprit plus créateur<br />

: l'a-t-on bien prouvé ? en s'expliquant sur le<br />

mot , on pourra douter <strong>du</strong> fait Si l'on veut dire qu'il<br />

a tiré <strong>la</strong> scène française <strong>du</strong> chaos, et qu'il a fait le<br />

f admîratiûn. L'autre, plus souple et plus Oexible,<br />

a vu dans <strong>la</strong> terreur et <strong>la</strong> pitié les ressorts natalsreis<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie, et a in y appliquer toutes les<br />

ressources <strong>de</strong> son esprit. Aussi le premier n f a-t-il<br />

guère employé <strong>la</strong> terreur que dans le cinquième<br />

acte <strong>de</strong> Rmh§mwf et <strong>la</strong> pitié que dans kCîéêt dans<br />

les scènes <strong>de</strong> Sévère et <strong>de</strong> Pauline. L'autre, dans<br />

toutes ses pièces, a tiré <strong>de</strong>s 9Êm plus m moins


S§2<br />

CODES DE OTTÉEATtJRE.<br />

grands <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux moyens qu'il n'a jamais négligés<br />

: c'est un avantage sans doute. Mais est-il irai,<br />

versons tous les jours au cinquième acte <strong>de</strong> Obvia?<br />

Telle est pourtant <strong>la</strong> conséquence <strong>de</strong> ces npinions<br />

comme on Fa dit <strong>de</strong> nos jours 9 et comme on Ta ré­ erronées : il ne s'agit <strong>de</strong> rien moins que <strong>de</strong> conpété<br />

à tout moment dans le commentaire <strong>de</strong> Racine, damner les p<strong>la</strong>isirs les plus purs <strong>de</strong>s âmes bien<br />

que Fadmiration soit Untfours froi<strong>de</strong> et ne soit nées. Mais heureusement <strong>la</strong> nature et l'expérience<br />

jmmmis um ressort théâtral? Cette proscription gé­ réfutent tous ces systèmes eictoslfs, toutes ces<br />

nérale et absolue est un abus <strong>de</strong> mots , une héré­ poétiques d'un jour, que l'on fait pour ses amis<br />

sie mo<strong>de</strong>rne , fondée f comme toutes les autres, sur ou contre ses ennemis. Le public, sans écouter<br />

<strong>de</strong>s intérêts <strong>du</strong> moment. Ce n'est pas à Corneille ces préten<strong>du</strong>s aristarques, se <strong>la</strong>isse toujours péné­<br />

qu'on en fou<strong>la</strong>it; mais on oubliait que cet arrêt » trer au sentiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur et <strong>de</strong> <strong>la</strong> générosité,<br />

s'il était fondé , serait <strong>la</strong> condamnation <strong>de</strong> ses" pièces quand il se mêle à l'attendrissement qu'excitent (es<br />

les plus admirées. J'ai promis <strong>de</strong> combattre cette passions et les sacrifices. 11 <strong>la</strong>isse couler ses <strong>la</strong>rmo,<br />

erreur» et le moment est tenu <strong>de</strong> venger <strong>la</strong> vérité sans songer si ces douces <strong>la</strong>rmes qu'il ? erse en coû­<br />

et Corneille.<br />

teront d<br />

Il faut <strong>de</strong> nouveau mots pour <strong>de</strong> nouvelles doctrines<br />

: aussi a-t-on créé nouvellement cette appel<strong>la</strong>tion<br />

très-impropre <strong>de</strong> genre odmiratff; car il<br />

n'en coûte pas plus à certains critiques <strong>de</strong> faire<br />

<strong>de</strong>s genres que <strong>de</strong>s mots. D'abord il n'y a îpoint<br />

<strong>de</strong> gmre admîratif : ce<strong>la</strong> signifierait en français le<br />

genre qwi admire, comme on dit un accent «finirai!/,<br />

un ton admiraUf, m style admiraHf, ce<br />

qui ne veut dire autre chose que lu ton, Faccent,<br />

le style <strong>de</strong> Fadmiration. Le genre qui l'inspire, et<br />

qu'on a voulu désigser par ce terme Œadmirat\f><br />

est donc très-mal dénommé : première erreur dans<br />

les mots. C'en est une autre dans <strong>la</strong> chose même,<br />

<strong>de</strong> prétendre [faire un genre particulier <strong>de</strong>s pièces<br />

qui excitent Fadmiration : Fadmiration est un sentiment<br />

que doit inspirer plus ou moins toute tragédie<br />

, puisque toute tragédie tend plus ou moins au<br />

sublime, ou <strong>de</strong> passion, ou <strong>de</strong> sentiment. Dans quel<br />

sens est-il donc vrai que Fadmiration m'est point un<br />

ressort tkéâêralt (Test quand le personnage qui<br />

Fïnspire est sans passion, ou sans malheur, ou sans<br />

dangers , comme Hicomè<strong>de</strong> dans <strong>la</strong> pièce <strong>de</strong> ce nom ,<br />

comme Pompée et Ylriaîe dans SertoHm, comme<br />

Othon et <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s personnages principaux <strong>de</strong>s<br />

mauvaises pièces <strong>de</strong> Corneille. Mais quand Fadmiration<br />

tient à un grand effort que Fhomme fait sur<br />

soi-même, comme le pardon accordé à Cînna , malgré<br />

les plus justes motifs <strong>de</strong> vengeance; comme le<br />

patriotisme <strong>du</strong> vieil Horace, qui Femporte sur IV<br />

inour paternel ; comme <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> Chimène, qui<br />

-poursuit par <strong>de</strong>voir Fépoux qu'elle a choisi par<br />

Inclination; comme Pauline, qui emploie pour sauver<br />

son mari Famant qu'elle lui préfère au fond <strong>du</strong><br />

cceiir ; quel est alors Fhomme insensible 9 ou plutôt<br />

Fhomrne insensé qui oserait dire que Fadmiration<br />

que nous éprouvons est froi<strong>de</strong>, qu'elle n'est pas<br />

théâtrale? Comment oserait-on proférer ce b<strong>la</strong>sphème<br />

<strong>de</strong>vant <strong>la</strong> statue <strong>du</strong> grand Corneille, démentir<br />

les <strong>la</strong>rmes <strong>du</strong> grand Gondé, et celles que nous<br />

9 amères à l'envie.<br />

Je sais que les Grecs n'ont point connu cette espèce<br />

<strong>de</strong> tragique. J'avoue que <strong>la</strong> pitié qui sait <strong>de</strong><br />

l'extrême infortune, <strong>la</strong> terreur qui naît d'un danger<br />

pressant, affectent plus fortement notre âme.<br />

Mais que s'ensuit-il ? Que Corneille a trouvé un ressort<br />

dramatique <strong>de</strong> plus, et en fondant notre théâtre,<br />

a créé un genre qui est à lui : c'est à coup sûr un<br />

titre <strong>de</strong> gloire. Ce genre est inférieur pour l'effet f<br />

j'en conviens : on peut douter qu'il le soit pour le<br />

mérite. Me voulons-nous reconnaître qu'une sorte<br />

<strong>de</strong> talent, et n'éprouver au théâtre qu'une sorte <strong>de</strong><br />

p<strong>la</strong>isir? 11 n'y a jamais trop <strong>de</strong> l'un et <strong>de</strong> l'autre. Il<br />

faut admettre <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés dans tout, et ne rejeter<br />

rien <strong>de</strong> ce qui est bon. L'effet <strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> Corneille<br />

est moins touchant, moins profond, moins sontenu],<br />

moins déchirant, que celui <strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> Racine<br />

et <strong>de</strong> Yoltaire; mais il est quelquefois plus<br />

vif : il arrache moins <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes, mais il excite plus<br />

<strong>de</strong> transports ; car les transports sont proprement<br />

l'effet <strong>de</strong> l'admiration, quand elle vient <strong>de</strong> Fâmê f<br />

et non pas seulement <strong>de</strong> l'esprit ; et c'est ce que<br />

j'ai toujours observé dans les premiers actes <strong>de</strong>s<br />

Borates et dans le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong> Cbuia : ces pièces ne<br />

serrent pas le cœur; elles élèvent l'âme. Et quel<br />

reproche peut-on faire à ceux qui préfèrent même<br />

cette impression à toute autre? Assurément aucun.<br />

Une impression qui transporte n'est donc pas/roiife ;<br />

une admiration qui fait pleurer est donc théâtrale.—<br />

Mais ces transports sont nécessairement passagers,<br />

mais ces <strong>la</strong>rmes ne coulent pas longtemps ; et Féraotion<br />

est continuelle à <strong>la</strong> représentâmes û'Jndromaque<br />

et û'Ipkigénie, et l'on étouffe <strong>de</strong> sanglots à<br />

Zaïre ou à Tancrê<strong>de</strong>. — Eh bien ! préférez f si vous<br />

voulez, cette sorte <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir et ne cond§mnex pas<br />

celui <strong>de</strong>s autres. Mais enfin, lequel <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux genres<br />

vaut le mieux? — On pourrait répondre'comme<br />

Yoltaire : Celui qui est le mieux traité. Peut-être,<br />

au fond^, <strong>la</strong> question serait douteuse, si Fexéeution<br />

avait été aussi parfaite dans Corneille que dans Ha-


SIÈCLE DE LOUIS XI?. — POÉSIE.<br />

ciné ; mats les nombreux défauts <strong>de</strong> l'un, et <strong>la</strong> per­ article j'ai déc<strong>la</strong>ré que je n'en avais pas. Ce qui imfection<br />

continue <strong>de</strong> l'autre, font un grand poids porte à l'instruction, ce n'est pas <strong>de</strong> savoir lequel<br />

dans <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce. Si Corneille , au lieu <strong>de</strong> mettre si est le plus grand <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux poètes, mais lequel<br />

souvent te raisonnement à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>du</strong> sentiment 9 <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux a fait <strong>de</strong> meilleures tragédies, a su le mieux<br />

avait soutenu dans les détails <strong>de</strong> ses pièces le <strong>de</strong>gré écrire, a mieux connu les principes <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature et<br />

d'émotion dont elles étaient susceptibles ; s'il eût <strong>de</strong> Fart, a su le mieux parler au coeur et à l'oreille.<br />

travaillé davantage ses vers, peut-être serait-il assez Voilà ce qui m'a principalement occupé dans l'exa­<br />

difficile <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r entre le genre <strong>de</strong> ses sujets et cemen <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux théâtres : et sous ce point <strong>de</strong> vue, le<br />

lui <strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> Racine. Mais l'un refroidit souvent résultat n<br />

le spectateur après l'avoir transporté; l'autre renient<br />

et l'intéresse toujours; l'un s'adresse souvent à<br />

l'esprit, l'autre va toujours au cœur; l'un blesse<br />

souvent l'oreille et le goût, l'autre <strong>la</strong>tte sans cesse<br />

tous les <strong>de</strong>ui : et comme on ne peut douter que le besoin<br />

le plus général <strong>de</strong>s hommes rassemblés au théâtre<br />

ne soit celui <strong>de</strong> Fémotion continuelle, il faut<br />

bien en conclure que le genre <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie qui satisfait<br />

le plus ce besoin est avssi le plus théâtral. Il<br />

faut pourtant faire ici une observation essentielle :<br />

les hommes, en jugeant les pro<strong>du</strong>ctions <strong>de</strong> l'art,<br />

ne règlent pas toujours exactement leur estime sur<br />

leur p<strong>la</strong>isir, et ce n'est <strong>de</strong> leur part ni injustice ni<br />

ingratitu<strong>de</strong>. Cette disproportion tient au plus ou<br />

moins <strong>de</strong> mérite qu'ils supposent dans ces pro<strong>du</strong>ctions;<br />

et ce<strong>la</strong> est si vrai, que bien <strong>de</strong>s gens, en<br />

avouant que Racine leur fait plus <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir que<br />

Corneille, et à <strong>la</strong> représentation, et à <strong>la</strong> lecture, ont<br />

«^pendant plus d'estime pour Corneille. Quelle en<br />

est <strong>la</strong> raison? C'est que le genre <strong>de</strong> ses beautés les<br />

frappe davantage, et <strong>la</strong>isse en eux l'idée d'un homme<br />

plus extraordinaire. Telle est <strong>la</strong> prérogative <strong>du</strong> sublime,<br />

même lorsqu'il est mêlé <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> défauts;<br />

comme il nous enlève à nous-mêmes, il ne<br />

nous <strong>la</strong>isse pr une entière liberté <strong>de</strong> jugement; et<br />

toute autre impression est effarée par celle qu'il<br />

pro<strong>du</strong>it. 11 fait alors à notre amour-propie une<br />

sorte d'illusion très-f<strong>la</strong>ttme, il agrandit <strong>la</strong> nature à<br />

nos yeux, il nous agrandît nous-mêmes dans notre<br />

pensée, et nous porte à croire que celui qui a su nous<br />

élever à cette haitteur doit être au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tous<br />

les autres hommes : on se croit grand en admirant<br />

<strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur. Que l'on cherche dans le cceur humain<br />

le principe <strong>de</strong> nos jugements, et il se trouvera que,<br />

si le plus grand nombre, en préférant dans le fait les<br />

pièces <strong>de</strong> Racine, préfère cependant Corneille dans<br />

l'opinion, cette espèce <strong>de</strong> contrariété n'est autre<br />

chose qu'un combat entre le p<strong>la</strong>isir et l'araour-propre<br />

: failli jugé les ouvrages 9 l'autre a jugé les auteurs;<br />

et comme l'amour-propre en nous l'emporte<br />

encore sur le p<strong>la</strong>isir, en <strong>de</strong>rnier résultat <strong>la</strong> victoire<br />

paraît être restée h Corneille.<br />

Je rends compte ici, comme on voit, <strong>de</strong> l'avis<br />

<strong>de</strong>s autres, et non pas <strong>du</strong> mien, puisque sur cet<br />

IA lÂira. — TOIB i.<br />

9 est pas douteux ; il est entièrement en<br />

faveur <strong>de</strong> Racine. J'ai tâché d'expliquer les motifs<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> préférence personnelle accordée assez généralement<br />

à Corneille, <strong>de</strong> <strong>mont</strong>rer d'où venait <strong>la</strong> disposition<br />

assez commune à lui supposer, d'après l'époque,<br />

le goût et l'effet <strong>de</strong> ses ouvrages, un mérite supérieur<br />

à celui <strong>de</strong> son rival. Quant à moi, je le répète, lorsque<br />

je considère que l'un a excellé dans quelques<br />

parties, et que l'autre les a réunies toutes, il m'est<br />

impossible <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r lequel <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux avait été te<br />

mieux partagé par <strong>la</strong> nature ; et continuant d'apprécier,<br />

autant que je te puis, leurs différents avantages,<br />

je réfuterai en passant quelques aveugles enthou-"<br />

s<strong>la</strong>stes, qui m'ont pru g ? y prendre fort ma<strong>la</strong>droitement<br />

quand ils ont voulu motiver <strong>la</strong> prééminence<br />

qu'ils donnaient à Corneille.<br />

J'ai déjà marqué <strong>la</strong> différence <strong>du</strong> point <strong>de</strong> vue<br />

général sous lequel tous <strong>de</strong>ux ont aperçu <strong>la</strong> tragédie,<br />

et <strong>de</strong> l'effet que pro<strong>du</strong>it l'ensemble <strong>de</strong> leurs'<br />

ouvrages. Si je les compare dans les caractères, je<br />

trouve à peu près <strong>la</strong> même disparité et <strong>la</strong> même<br />

ba<strong>la</strong>nce. Bon Diègue et les <strong>de</strong>ux Baraeas ont un<br />

<strong>de</strong>gré d'énergie que Racine n*a pas* égalé. Cornélie<br />

et ¥lriate sont, malgré leurs défauts, (Tune hauteur<br />

<strong>de</strong> conception où Eaelse ne s'est pas élevé. Athalîe<br />

est inférieure à <strong>la</strong>Cléopâtre <strong>de</strong> Modogvm. Monipe,<br />

qui a quelque ressemb<strong>la</strong>nce avec Pauline, n'a rien<br />

d'aussi noble et d'aussi original que <strong>la</strong> scène où <strong>la</strong><br />

femme <strong>de</strong> Polyeuete engage Sévère à prendre <strong>la</strong> défense<br />

<strong>de</strong> son mari. Mais, d'un autre côté, Acomat<br />

et Agrippait sont les <strong>de</strong>ux rôles les mieux conçus<br />

en politique que Ton ait jamais tracés. Agrippine<br />

est fort au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> Légalise et d'Arsinoë, qui ne<br />

sont que <strong>de</strong>s intrigantes vulgaires ; et rien ne ressemble<br />

à Acomat. Mithridate est fort supérieur à<br />

Sertorius. Ce sont <strong>de</strong>ux vieux guerriers, amoureux<br />

malgré leur âge; mais l'amour <strong>de</strong> Sertorius est ridicule<br />

: Racine a eu l'art <strong>de</strong> faire respecter et p<strong>la</strong>indre<br />

<strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong> Mithridate. Burrhus et Joad sont<br />

encore <strong>de</strong>ux rôles originaux, également parfaits dans<br />

leur genre ; l'un est te modèle <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu <strong>la</strong> plus pure<br />

et ia plus courageuse au milieu» <strong>de</strong> <strong>la</strong> corruption <strong>de</strong>s<br />

<strong>cours</strong> ; l'autre, celui d'un, ministre <strong>de</strong>s autels plein<br />

<strong>de</strong> l'inspiration divine. Corneille n'a rien que l'on<br />

puisse en rapprocher, comme il n'a rien à opposer<br />

38<br />

593


694<br />

I Bermlone, à Eoxane, à Phèdre, les trois rôles<br />

<strong>de</strong> passioe les plus forts et les plus profonds qu'ait<br />

pro<strong>du</strong>its <strong>la</strong> tragédie.<br />

On a fait souvent, pour vanter <strong>la</strong> fécondité <strong>de</strong><br />

Corneille, un raisonnement qui est très-peu concluant<br />

: « Quelle tête que celle qui a conçu vintgtrois<br />

p<strong>la</strong>ns dramatiques, tous différents les uns <strong>de</strong>s<br />

autres! *<br />

Cette remarque serait juste, si tous ces p<strong>la</strong>ns<br />

avaient plus ou moins <strong>de</strong> mérite; mais si, <strong>de</strong> vingttrois<br />

tragédies, il y en a douze absolument mau-<br />

? aises, et aussi mal conçues que mal exécutées,<br />

je fois bien ce qu'une pareille fécondité peut avoir<br />

<strong>de</strong> déplorable , mais non pas ce qu'elle a d'admira-<br />

Me, Gomment peut-on <strong>de</strong> bonne foi savoir gré à<br />

Corneille d'avoir pro<strong>du</strong>it le p<strong>la</strong>n à f COU1S DB LITTÉ1ATU1B,<br />

sont si étrangement mépris. Cette admiration fait<br />

couler <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes dans les <strong>de</strong>ux pièces; et l'on ne<br />

peut nier que ce sentiment, qui touche le cœur en<br />

élevant Fâme, -ne soit un <strong>de</strong>s plus délicieux que l'on<br />

puisse éprouver au théâtre, parce qu'alors le spectateur<br />

est aussi content <strong>de</strong> lui que <strong>du</strong> poète.<br />

Il est glorieux pour les mo<strong>de</strong>rnes que ce genre <strong>de</strong><br />

pathétique, qui ne se f route point cbei les tragiques<br />

grecs, ait été porté si loin par <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> nos plus<br />

grands maîtres. C'est dans tous les <strong>de</strong>ux une véritable<br />

création, et une pente que nous ne datons pas<br />

tout aux anciens. L'amour <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté et les sentiments<br />

religieux sont également naturels à l'homme;<br />

et Corneille et Racine en ont tiré les effets les plus<br />

puissants. Mais <strong>la</strong>quelle <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux impressions a<br />

Œdipe, <strong>de</strong> Pcr- le plus <strong>de</strong> pouYoir sur nous ? Il me semble que celle<br />

iharUe, <strong>de</strong> Théodore, à'Andromè<strong>de</strong>, <strong>de</strong> TU* eiBê* <strong>de</strong>s Horaces est plus vive', et celle <strong>de</strong> Joad plus<br />

reniée, <strong>de</strong> Soph&nisbe, û'Othm, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Tmsmd'or, douce. On est fort heureux tfavoir à choisir; il se­<br />

<strong>de</strong> Suréna, <strong>de</strong> PukMrte, à'Jgésiim, et û'Affita? rait fort difficile <strong>de</strong> préférer : jouissons, et ne fai­<br />

Y a-t-il quelque gloire à Intenter si mal? Me tenons sons pas <strong>de</strong> nos p<strong>la</strong>isirs un sujet <strong>de</strong> guerre.<br />

compte que <strong>de</strong> ce qui est resté? Corneille, en qua- Un fait qu'on n'a point remarqué, et qui est pour­<br />

, rante ans <strong>de</strong> travaux, a <strong>la</strong>issé au théâtre à pu près tant fort singulier, c'est que Corneille, qui avait<br />

le même nombre <strong>de</strong> pièces que Racine en dix. Il faut tant <strong>de</strong> raisons <strong>de</strong> se 1er à son génie pour faire <strong>de</strong>s<br />

p<strong>la</strong>indre l'un d'en avoir-fait trop, et regretter que tragédies sans amour, n'ait jamais songé à feutre-<br />

l'autre aient fait trop-peu.<br />

prendre ; et que Racine, qui excel<strong>la</strong>it à traiter cette<br />

On a donné à Corneille le titre <strong>de</strong> sublime ? et il pssion, ait donné le premier outrage dramatique<br />

n'y en a pas <strong>de</strong> plus mérité. Mais nous avons vu, où elle n'entre pas. Ges sortes <strong>de</strong> pièces, selon Vol­<br />

dans l'analysa <strong>du</strong> Traité <strong>de</strong> Longin, qull y avait taire, sont kipkm dîjjkiks à faire» Peut-être en jtf<br />

plusieurs espèces <strong>de</strong> sublime. L'auteur <strong>de</strong>s H&rn- geait-il par l'étonnante facilité qui lui it achever<br />

€€$ et <strong>de</strong> Cïmm est au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tout dans le su* Zaïm en moins <strong>de</strong> trois semaines, et par le long<br />

blime <strong>de</strong>s idées et <strong>de</strong>s caractères; fauteur û'Jm* travail que lui coûta Mérope* Quant à moi, je n'en<br />

dmmûûw et <strong>de</strong> Phèdre est fort au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> lui sais pas asses pur avoir un avis sur cette assertion,<br />

dans le sublime <strong>de</strong> <strong>la</strong> passion et <strong>de</strong>s images. Le que je ne veux ni adopter ni démentir. Je conviens,<br />

contraste d'Àbner et <strong>de</strong> Mathan est noble et tou­ et je l'ai dit précé<strong>de</strong>mment, que <strong>la</strong> médiocrité peut<br />

chant; mais celui d'Horace et <strong>de</strong> Curiace est d'un se tirer plus aisément d'un sujet d<br />

ordre bien supérieur. 11 n'existe rien <strong>de</strong> comparable<br />

ni chez les tragiques anciens ni étiez les mo<strong>de</strong>rnes ;<br />

§1 ils n'ont point <strong>de</strong> tableau théâtral plus vigoureusement<br />

combiné que celui <strong>du</strong> cinquième acte <strong>de</strong><br />

Mmhgwm* Mais aussi ni lès uns ni les autres n'ont<br />

rien à p<strong>la</strong>cer à dite ê'JêkoMe; c'est un <strong>de</strong>s pids<br />

les plus forts que Racine puisse mettre dans <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> postérité. S'il est quelque chose que l'on<br />

puisse opposer au sublime <strong>du</strong> ptriotisme républicain<br />

<strong>du</strong> fieil Horace, c'est le sublime moral et<br />

religieux dans Joad : l'un YOUS transporte davantage<br />

l'antre vous pénètre plus. On ne peut entendre<br />

qu'avec une sorte <strong>de</strong> rtirissement le grand<br />

prêtre aux pieds <strong>de</strong> Joas, comme on ne peut écouter<br />

le vieil Horace sans enthousiasme; et c'est ici<br />

que les <strong>de</strong>ux poètes ont, par différents moyens,<br />

ren<strong>du</strong> si dramatique ce ressort <strong>de</strong> l'admiration su?<br />

lequel j'ai prouvé que dit eritiqies inconsidérés se<br />

9 amour que <strong>de</strong> tout<br />

autre; assez d'exemples Font prouvé : mais ce n'est<br />

pas sur elle qull faut se régler, c'est sur <strong>la</strong> perfection<br />

; et je n'oserais assurer qu'il soit plus facile d'y<br />

prvesir en traitant l'amour qu'en traitant toute<br />

autre passion. Je ne sais s'il y avait quelque chose <strong>de</strong><br />

plus difficile à faire que Phèdre et Hermfone. Il me<br />

semble que le plus ou moins <strong>de</strong> difficulté ne tient<br />

pas au genre, mais au sujet, qui, <strong>de</strong> quelque nature<br />

qull soit, offre plus ou moins <strong>de</strong> ressources<br />

pour remplir cinq actes. Je sais qtfjfthalle, Mérope,<br />

et Oreste, à les prendre sous ce rapport, étaient<br />

excessivement difficiles, surtout <strong>la</strong> première; mais<br />

nous avons vu Iphigénk en TaurMe, 1 sujet fort<br />

simple, et dont fauteur est venu à bout sans y mettre<br />

<strong>de</strong> l'amour; et quoique Guimond <strong>de</strong> <strong>la</strong> Tourbe<br />

eût un talent réel pour <strong>la</strong> tragédie, ce n'était pourtant<br />

pas, à beaucoup près, un homme <strong>du</strong> premier<br />

ordre»


SIÈCLE BB LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

Je ne hasar<strong>de</strong>rai donc point <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r sur le <strong>de</strong>gré<br />

<strong>de</strong> difficulté d'aucun genre : je crois que dans<br />

tous il n'est donné qn f ae talent supérieur d'approcher<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> perfection. Racine, dans le sien, paraît<br />

aVoir été aussi loin que l'esprit humain puisse aller :<br />

Corneille n ? a eicellé que dans quelques parties <strong>du</strong><br />

Bien. En général, il a peint <strong>de</strong> grands sentiments 9 et<br />

Racine <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s passions ; et quoique <strong>la</strong> clémence<br />

d f Auguste et l'âme romaine <strong>du</strong> vieil Horace, <strong>la</strong><br />

vertu <strong>de</strong> Pauline et <strong>de</strong> Sévère, et <strong>la</strong> noble chaleur <strong>de</strong><br />

D. Biègue, fassent naître ce mé<strong>la</strong>nge d'émotion et<br />

d'étonnement qui a tant <strong>de</strong> charme, quoiqu'il donne<br />

même <strong>la</strong> plus haute opinion <strong>de</strong> l'homme qui le pro<strong>du</strong>it<br />

, il parait cependant, à ne consulter que l'expérience,<br />

que ce n'est pas encore ce qu'il y a <strong>de</strong><br />

plus tragique; que les impressions les plus douloureuses<br />

sont celles que nous cherchons le plus au<br />

théâtre, où ce qui nous <strong>la</strong>it le plus <strong>de</strong> mal semble<br />

être ce qui nous p<strong>la</strong>tt davantage; que nous voulons<br />

surtout être tourmentés par <strong>la</strong> terreur ou <strong>la</strong> pitié,<br />

et que par conséquent <strong>de</strong>s infortunes extrêmes, <strong>de</strong><br />

grands dangers, <strong>de</strong>s personnages passionnés qui font<br />

passer en nous les combats qu'ils éprouvent, sont les<br />

moyens les plus essentiels <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie. C'est dire<br />

que le sublime <strong>de</strong> <strong>la</strong> passion et <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur çst plus<br />

théâtral que celui <strong>de</strong>s sentiments et <strong>de</strong>s caractères.<br />

Ce résultat, qu'on ne peut contester, est à l'avantage<br />

<strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> Racine; et ce qui achève d'en<br />

prouver <strong>la</strong> vérité, c'est que dans ce siècle un écrivain<br />

inoins priait que lui, Voltaire, pour avoir su<br />

pousser encore plus loin les effets <strong>de</strong> <strong>la</strong> terreur et<br />

<strong>de</strong>là pitié, a été enf<strong>la</strong> reconnu, mime <strong>de</strong> son vivant<br />

, pour le plus tragique <strong>de</strong> toua les poètes.<br />

Saint-Foix, émssmE$mii kUtwIqMêssm Parût,<br />

695<br />

posé à croire que <strong>la</strong> jeunesse, qui est Tige <strong>de</strong> l'amour<br />

et <strong>de</strong>s passions, doit en aimer <strong>la</strong> peinture<br />

par-<strong>de</strong>ssus tout. Oui, elle l'aime : mais plus cette<br />

peinture est vraie, moins elle lui parait étonnante v<br />

parce qu'elle ne lui rappelle que ce qui lui est trèsfamilier<br />

; et à cet âge, nous admirons moins ce qui<br />

est si proche <strong>de</strong> nous. Ce n'est qu'avec le temps<br />

qu'on peut s'apercevoir que, l'homme étant'naturellement<br />

porté à <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur, U ne doit pas être<br />

plus difficile <strong>de</strong> se livrer tout entier à l'enthousiasme<br />

d'imagination qui nous-élève, que <strong>de</strong> pénétrer au<br />

fond <strong>de</strong>s cœurs et d'y surprendre les secrets <strong>de</strong> nos<br />

penchants. Ce n'est pas, d'ailleurs, quand nous<br />

éprouvons le plus <strong>la</strong> violence <strong>de</strong>s passions que nous<br />

en jugeons le mieux <strong>la</strong> peinture, comme le moment<br />

où l'on aime le plus les femmes n'est sûrement pas<br />

celui où on les juge le mieux. Mous connaissons peu<br />

notre cœur quand il nous tourmente : c'est avec le<br />

calme <strong>de</strong>s réflexions et l'Intérêt <strong>de</strong>s souvenirs que<br />

nous purées y lire notre propre histoire; et alors<br />

nous apprécions mieux que jamais le poète qui pa­<br />

raît <strong>la</strong> savoir aussi bien que nous : alors aussi îei<br />

écrivains dramatiques savent <strong>la</strong> traiter. Il est trèsrare<br />

qu'un jeune auteur commence par une pièce<br />

où l'amour domine. Corneille avait trente ans quand<br />

il flt k Cid. Racine avait fait fer Frères en-memis m<br />

Alexandre avant Andmmaqw; et ce qui esj; prodigieux<br />

, c'est <strong>de</strong> l'avoir faite à vingt-sept ans. Voltaire<br />

en avait près <strong>de</strong> quarante quand il donna Zaïre;<br />

Thomas Corneille près <strong>de</strong> cinquante quand il<br />

composa son Arlme.<br />

Je me souviens que ceux <strong>de</strong> mes compagnons d'étu<strong>de</strong>s<br />

qui <strong>mont</strong>raient le plus d'esprit lisaient Racine<br />

avec p<strong>la</strong>isir, mais admiraient dans Corneille jus­<br />

a inséré un article sur Corneille et Racine» où il qu'aux déc<strong>la</strong>mations qui sont chez lui si fréquentes :<br />

s'exprime avec un ton d'humeur qui lui était assez j'en ai revu plusieurs <strong>de</strong>puis qui avaient bien chan­<br />

naturel :<br />

gé d'avis. Mais cette méprise n'est pas seulement<br />

OWiis, difcfl, mie bta nantaise idée damnation, celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse ; c'est dans tous les temps celle<br />

si les hommes <strong>de</strong> quarante ans ne mettaient pis use frau<strong>de</strong> <strong>du</strong> plus grand nombre ; et je dois faire observer ici<br />

différence entre Corneille et Racine. »<br />

à ceux qui sont trop exclusivement épris <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran­<br />

Le reste <strong>de</strong> l'article ne <strong>la</strong>isse aucun doute sur l'en<strong>de</strong>ur , que c'est, <strong>de</strong> tous les genres, celui sur lequel<br />

tière préférence qu'il donne au premier; et ce n'est il est le plus aisé et le plus commun d'en imposer<br />

pas ce que je prétends combattre. Mais quand il à <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong>. Il suffit d'aller au théâtre pour s'en<br />

suppose que Racine est plus fait pour être goûté convaincre tous les jours.' On y app<strong>la</strong>udit l'enflure<br />

par les jeunes gens, et Corneille par les hommes et <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>mation à côté <strong>du</strong> vrai sublime, non-seu­<br />

mûrs, je crois qu'il baisse entièrement. Je pense, lement dans les pièces <strong>de</strong> Corneille, que l'on peut<br />

il contraire, que le mérite <strong>de</strong> l'un, fondé sur une croire consacrées par un vieux respect, mais mémo<br />

gran<strong>de</strong> connaissance <strong>de</strong> <strong>la</strong> naturef <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, pour dans <strong>de</strong>s pièces d'auteurs mo<strong>de</strong>rnes, dont le nom<br />

être bien senti, plus <strong>de</strong> réflexion et <strong>de</strong> maturité; n'en impose pas. Tout ce qui a un air d'élévation<br />

et que celui <strong>de</strong> l'autre, qui consiste surtout dans et <strong>de</strong> force, fût-il faux, outré, dép<strong>la</strong>cé, entraîna<br />

l'eipression <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur, doit être plus <strong>du</strong> goût communément <strong>la</strong> foule ; et souvent même l'illusion<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse, qui a plus d'élévation et d'énergie<br />

<strong>du</strong>re longtemps. Souvent, après que les bons juges<br />

que <strong>de</strong> justesse et d'expérience. On est d'abord dis-»<br />

se sont fait entendre, on continue d'app<strong>la</strong>udir au


590<br />

COURS DE LITTfiMTURE.<br />

théâtre ce qui d'ailleurs n'obtient point d'estime.<br />

Pourquoi ? C'est qu'au théâtre on se juge point par<br />

réflexion; et si les foutes ont <strong>de</strong> quoi éblouir un<br />

moment, c'est assez. Aussi Voltaire disait-il, en<br />

par<strong>la</strong>nt <strong>du</strong> parterre :<br />

Saint-Foix, Je dirai qu'une nation qui, sans accor<strong>de</strong>r<br />

<strong>de</strong> prééminence personnelle à aucun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux, aurait<br />

une tgale vénération pour celui qui a fondé le théâtre<br />

et pour celui qui fa perfectionné; qu'une nation<br />

qui, en admirant les beautés <strong>de</strong> Corneille, préfére­<br />

rait les tragédies <strong>de</strong> Racine, serait une nation équi­<br />

« 1 ii f


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

le raisonnement et <strong>de</strong> l'élévation dans les idées ; souvent<br />

ratas <strong>de</strong> fan et <strong>de</strong> l'autre.<br />

Dans Racine, les personnages principaux, Phèdre,<br />

Roxane, Hermione, Aridromaque, Ipbigénle, Moaime,<br />

Clytemnestre, Agrippinef ont toutes un caractère<br />

et un ton différent, et toujours celui qui leur<br />

convient, 11 est vraiment étrange qu'on ait pu méconnaître<br />

chez lui le don singulier <strong>de</strong> se plier à tout.<br />

Je ne vois qu'une cause <strong>de</strong> cette erreur : c'est qu'ayant<br />

dans tous les genres un <strong>la</strong>ngage toujours naturel qui<br />

n'appartient qu ? à lui, on s'est accoutumé à croire<br />

qu'il n'y avait point <strong>de</strong> différence dans ses sujets,<br />

parce qu'il n'y en avait point dans l'exécution. On<br />

le trouvait toujours le même y parce qu'il était toujours<br />

parfait.<br />

La peinture <strong>de</strong>s mœurs.est ehes lui plus exacte et<br />

plus soutenue que dans Corneille. La Bruyère, qui,<br />

dans le parallèle qu'il a fait <strong>de</strong> tous les <strong>de</strong>ux 9 paraît<br />

avoir tenu <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce assez égale f dit en par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong><br />

celui-ci :<br />

« Il y a dans quelques-unes <strong>de</strong> ses méïtmms pièces <strong>de</strong>s<br />

fentes inexcusables contre les mœurs. »<br />

Et il indique le même résultat dans cette phrase qu'on<br />

a tant <strong>de</strong> fois répétée <strong>de</strong>puis :<br />

« L'un peint tes hommes comme ils <strong>de</strong>vraient être; Pautre<br />

les pei nt tels qu'ils sont. *<br />

C'est* dire c<strong>la</strong>irement que Fun est un peintre plus<br />

idèle que l'autre. Mais d'ailleurs , Je pense, comme<br />

Yoltaire, que ce jugement, qu'on a souvent cité<br />

comme une espèce d'axiome, énonce une généralité<br />

beaucoup trop vague et trop susceptible d'équivoque.<br />

Si <strong>la</strong> Bruyère entend, par un homme qui est<br />

œ qu'il d&U être, celui qui est sans passions et ne<br />

commet point <strong>de</strong> faites, ces sortes <strong>de</strong> personnages<br />

sont admis, il est vrai , dans <strong>la</strong> tragédie t mais il est<br />

rare qu'ils puissent en fon<strong>de</strong>r l'intérêt. Burrhus,<br />

Abner, Acomat, Joad, Auguste, et Cornélle, sont<br />

<strong>de</strong> ce genre. Si Ton entend ceux qui sacriûent leur<br />

passion à leur <strong>de</strong>voir ? Corneille et Racine ont tous<br />

<strong>de</strong>ux <strong>de</strong>s personnages <strong>de</strong> ce caractère : si dans Pauline<br />

et Chimène, dans Séteucus et Antiochus , le <strong>de</strong>voir<br />

l'emporte sur l'amour, il remporte aussi dans<br />

Monime et dans Iphigénie, dans Xipharès et Titus.<br />

Yoilà pour <strong>la</strong> morale. Mais, dans <strong>la</strong> vérité dramatique,<br />

un personnage es! ce qu'il doit être quand il<br />

ne fait rien que <strong>de</strong> conforme à ce qu'exigent le caractère<br />

qu 9 on lui a donné et <strong>la</strong> situation où II se<br />

trouve ; et, sous ce point <strong>de</strong> vue, Racine a représenté<br />

les hommes bien plu» fidèlement que Corneille. Si<br />

l'on excepte Bajazet, Ton <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux poètes est dans<br />

cette partie à l'abri <strong>de</strong>s raproches que l'on peut souvent<br />

faire à l'autre. Cinna ne doit point être, dans<br />

les dorait» actes, tout différent <strong>de</strong> ce qu'il a été<br />

597<br />

dans les premiers. Rodogune, annoncée comme un<br />

personnage intéressant, ne doit point <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à<br />

<strong>de</strong>ux princes vertueux d'assassiner leor mère. Un<br />

héros tel que Pompée ne doil point être assez lâche<br />

pour se priver d'une épouse qu'il aime, par obéissance<br />

aux ordres <strong>de</strong> Syl<strong>la</strong>. Un vieux chef <strong>de</strong> parti,<br />

tel que Sertorlus, ne doit point être un froid soupirant<br />

près <strong>de</strong> Yiriate. Il n'est donc pas vrai qu 9 en générai<br />

Corneille ait peint les hommes tek qu'ils <strong>de</strong>vraient<br />

être.<br />

Il faut <strong>la</strong>isser dire à Fontenelle que, dans <strong>la</strong> pièce<br />

intitulée Pukkêrk, le caractère <strong>de</strong> cette princesse est<br />

un <strong>de</strong> ceux qw CortwMIe seul sapait faire, et que<br />

dans Swrêm il a <strong>la</strong>it une Mk peinture à?cm homme •<br />

que <strong>de</strong> trop grands services ren<strong>de</strong>nt criminel auprès<br />

<strong>de</strong> son wmiêre» Une preuve qu'il n'y a rien <strong>de</strong><br />

beau dans ces pièces v c'est qu'il est impossible <strong>de</strong> les<br />

lire.<br />

Je n $ en croirai pas davantage Fontanelle, lorsqu'il<br />

déci<strong>de</strong> que Néron et Mithridate sont <strong>de</strong>ux caractères<br />

bas et petits, et ^ Prusias et Félix réussissent<br />

beaucoup mieux au théâtre. Le titre même <strong>de</strong> neveu<br />

<strong>de</strong> Corneille ne peut excuser <strong>de</strong>s assertions si constamment<br />

démenties pr <strong>la</strong> voix <strong>de</strong>s connaisseurs,<br />

et par une expérience <strong>de</strong> tous les jours. 11 est <strong>de</strong> fait<br />

qu'on a peine à supporter Félix, et que Prusias <strong>la</strong>it<br />

rire, au lieu que Héron et Mithridate pro<strong>du</strong>isent un<br />

grand effet. Le premier surtout est regardé comme<br />

un modèle unique <strong>du</strong> développement <strong>de</strong>s caractères,<br />

et il y a peu <strong>de</strong> rôles aussi imposants que Mithridate.<br />

Fontenelle étaye son opinion d'un petit sophisme<br />

très-frivole. Il dit que Héron et Mithridate sont bas<br />

dam leurs, actions, et que Prusias et Félix ne le<br />

sont que dans leurs dis<strong>cours</strong>. p'abord, ce<strong>la</strong> n'est<br />

pas vrai dans le fait; car rien n'est plus-bas que <strong>la</strong><br />

con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> Prusias, d ? un roi'qui n'ose, pas être le<br />

maître cites lui, et dont tout le rêle est contenu en<br />

substance dans ce vers trop connu :<br />

Ah I m me imawîi<strong>la</strong>i point mm <strong>la</strong> ifeobHqm.<br />

De plus, Fontenelle se trompe beaucoup dans sa distinction<br />

entre les actions et les dis<strong>cours</strong>. Quand<br />

ceux-ci sont continuellement bas, il est impossible<br />

d'en pallier le mauvais effet. Au contraire, une petitesse<br />

momentanée, telle que celle <strong>de</strong> Mithridate<br />

et <strong>de</strong> Héron, peut être relevée par l'artifice <strong>du</strong> dis<strong>cours</strong><br />

et <strong>de</strong>s circonstances, et couverte par l'effet<br />

total <strong>du</strong> rôle. C'est précisément ce qui est arrivé à<br />

Héron et à Mithridate. Tous <strong>de</strong>ux sont petits un<br />

moment, l'un quand il trompe Monime, l'autre<br />

quand il se cache pour écouter Junie ; mais <strong>la</strong> noblesse<br />

<strong>du</strong> style et l'effet <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation font passer<br />

ce qu'il y a <strong>de</strong> défectueux dans le moyen, et cette


COUES DE UTTÉ1ATU1E.<br />

598<br />

faute d'un instant se perd dans <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s beautés<br />

qu'offre tout le reste <strong>du</strong> rôle. Ce m sont pas là<br />

<strong>de</strong> simples spécu<strong>la</strong>tions; ce sont <strong>de</strong>s faits. Fontenelle<br />

conclut par un principe très-vrai :<br />

« H n'appartient qu'à us génie <strong>du</strong> premier, ordre <strong>de</strong> nous<br />

donner un personnage bas. »<br />

Oui, et Racine Ta prouvé dans Narcisse.<br />

Si nous en Tenons aux mœurs nationales, Corneille<br />

n'a su les peindre en maître que dans les tableaux<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur romaine, qu'il a pourtaatquelquefois<br />

exagérée, comme dans ce vers,<br />

Pour être pis» qu*un roS, In te crois qmtqm ehose,<br />

qui marque un mépris beaucoup trop grand. Il n'est<br />

pas vrai que les Romains méprisassent tant <strong>la</strong><br />

royauté; ils <strong>la</strong> haïssaient, et se p<strong>la</strong>isaient à rabaisser;<br />

mais on ne cherche pas à humilier ce qu'on<br />

méprise. César s'eût pas ambitionné le titre <strong>de</strong> roi,<br />

g 9 il eût été un objet <strong>de</strong> dédain. Enfin f Corneille luimime<br />

contredit cette exagération, lorsque Auguste<br />

dit à Cinna, en par<strong>la</strong>nt d'Emilie qu'il lui offrait en<br />

mariage :<br />

Le digne objet <strong>de</strong>s wmm <strong>de</strong> tonte Fïtatte,<br />

Et cfu'ont mise si haut met bienfaits et mes soins,<br />

Qu'en te coorooBiiiii rot je f aiftii donné moins.<br />

11 croit dire ce qu'il y a <strong>de</strong> plus fort ; il ne pense donc<br />

pas qu'il eût fait $î peu <strong>de</strong> chose <strong>de</strong> Cinna en le<br />

faisant mi, ni que ce fût H peu <strong>de</strong> cime d'être<br />

roL<br />

Racine a représenté avec idélïté les mœurs grecques<br />

dans Jnéromaque et Ipkigénk, et avec énergie<br />

les mœurs turques dans les rôles <strong>de</strong> Roxane et<br />

d'Acomat. Mais il s'est surpassé dans <strong>la</strong> peinture<br />

<strong>de</strong>s Juifs, au point <strong>de</strong> se mettre pour ainsi dire au<br />

rang <strong>de</strong> leurs prophètes; et dans Briiannicut il a<br />

tracé <strong>la</strong> bassesse <strong>de</strong>s Romains dégénérés avec les<br />

crayons <strong>de</strong> Tacite. Observons cependant que, Corneille<br />

choisissant <strong>de</strong> préférence ses sujets chez le<br />

peuple qui a eu le plus d'éc<strong>la</strong>t dans le mon<strong>de</strong>, ses<br />

tableaux ont paru plus iers et plus imposants à tous<br />

les ordres <strong>de</strong> spectateurs; au lieu que ceux <strong>de</strong> Racine,<br />

dont le principal mérite est <strong>la</strong> vérité <strong>du</strong> trait<br />

et <strong>la</strong> régu<strong>la</strong>rité <strong>du</strong> <strong>de</strong>ssin, sont faits plus particulièrement<br />

pour les connaisseurs.<br />

£n reprochant à Corneille quelques traits d'exagération,<br />

je n f ai pas préten<strong>du</strong> restreindre le juste<br />

éloge qu'on a fait <strong>de</strong> lui, lorsqu'on a dit qu'il faisait<br />

quelquefois parler les Romains mieux qu'ils ne<br />

par<strong>la</strong>ient eux-mêmes. Quand <strong>la</strong> ressemb<strong>la</strong>nce est<br />

conservée, embellir en imitant n $ est qu'un mérite<br />

<strong>de</strong> plus. H n'est pas sûr que César, en voyant <strong>la</strong> tête<br />

<strong>de</strong> Pompée, ait dit rien d'aussi beau que ces <strong>de</strong>ux<br />

vers ;<br />

teste d'an <strong>de</strong>mi-dieu, dont à peine Je pub<br />

tgater Is grand nom f tout vainqueur que f en suit.<br />

Mais s'il ne Fa pas dit, il a pu le dire, et il est bien<br />

glorieux pour le poëte qu'on puisse douter si son<br />

génie n'a pas été au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> l'âme <strong>de</strong> César.<br />

Je me f<strong>la</strong>tte que, dans les différentes observations<br />

que je hasar<strong>de</strong>, on reconnaîtra <strong>du</strong> moins une entière<br />

impartialité. Si telle eût été <strong>la</strong>, disposition <strong>de</strong><br />

FonteneHe, je ne serais pas obligé <strong>de</strong> le combattre<br />

si souvent. Il fait, dans son HUtoire <strong>du</strong> Théâtre,<br />

une remarque critique, dont l'intention est dirigée<br />

contre Racine, mais qui, dans l'application exacte,<br />

retombe sur Corneille.<br />

« Quand mm voyons que Ton donne notre manier e <strong>de</strong><br />

traiter l'amour à <strong>de</strong>s Romains ; à <strong>de</strong>s Grecs f et qui pis est,<br />

à <strong>de</strong>s Tares 9 pourquoi ce<strong>la</strong> m nous paratMl pas bariesqee f<br />

C'est que nous n'eu savons pas esses ; et comme noas se<br />

eosiasiisofis guère les véritables mœurs <strong>de</strong> ces peuples,<br />

nous ne trouvons point étrange qu'on les fasse p<strong>la</strong>nts à<br />

notre manière : il fondrait, pour en rire, <strong>de</strong>s gens plus édai*<br />

rés. La chose est assez risibie; mais il manque <strong>de</strong>s riens. »<br />

Rien n'est si prompt et si rapi<strong>de</strong> que <strong>la</strong> censure<br />

et <strong>la</strong> satire; rien n'est si lent que <strong>la</strong> réfutation et<br />

Fapologie. Cest le trait qui ?ole et qui s'enfonce<br />

dans <strong>la</strong> blessure qu'il a faite; mais, pour Feu retirer,<br />

il faut <strong>du</strong> temps, <strong>de</strong>s efforts, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> précaution<br />

. D'abord, pour ce qui est <strong>de</strong>s Grecs et <strong>de</strong>s Ro-<br />

_ mains, ils ne nous sont pas assez étrangers pour<br />

que leur manière <strong>de</strong> traiter l'amour nous soit inconnue.<br />

Virgile, Tibulle, Ofï<strong>de</strong>, peuvent bien nous<br />

en donner quelque idée. Quand Ovi<strong>de</strong>, dans ses Bérùi<strong>de</strong>s,<br />

fait parler <strong>de</strong>s femmes grecques, il leur<br />

donne à peu près le <strong>la</strong>ngage que nous leur donnerions<br />

aujourd'hui; et Ovi<strong>de</strong> <strong>de</strong>vait connaître les<br />

mœurs grecques. Quand on lit le quatrième livre <strong>de</strong><br />

l'Enéi<strong>de</strong>, Bidon nous rappelle Hermioue : ce sont<br />

les mêmes mouvements, les mêmes douleurs, les<br />

mêmes transports. Au contraire, quand on lit ÏJrt<br />

d'Jimer d'Ovi<strong>de</strong>, où il peint les mœurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse<br />

romaine, on voit qu'elles s'éloignent <strong>de</strong>s<br />

nôtres dans beaucoup <strong>de</strong> circonstances. Pourquoi?<br />

Cest que chez les nations polies et lettrées, où les<br />

femmes ont conservé leur liberté, <strong>la</strong> ga<strong>la</strong>nterie,<br />

toujours ingénieuse, a pourtant un différent esprit,<br />

suivant <strong>la</strong> différence <strong>de</strong>s usages et <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s : c'est<br />

une superficie qui varie suivant les lieux; mais le<br />

foliet est dans le coeur humain y qui est le même partout<br />

où l'é<strong>du</strong>cation et le gouvernement n'ont pas<br />

fiiit les femmes esc<strong>la</strong>ves. 11 n'y a donc nulle raison<br />

<strong>de</strong> nous persua<strong>de</strong>r qu'Hermtone 9 Oreste, Pyrrhus,<br />

Mouline, Ipbigénie, n'ont pas pensé et senti à peu<br />

près comme nous pourrions penser et sentir dan»<br />

les mêmes situations. Les Turcs, quoique nos contemporains,<br />

nous sont moins connus : mais si


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

Roxane a, jusque dans ta passion, tous les caractères<br />

d'une esc<strong>la</strong>ve barbare, Fauteur nous Ta dono<br />

<strong>mont</strong>rée telle que nous pouvons nous <strong>la</strong> figurer sur<br />

ce que nous savons <strong>de</strong> rhisto!re <strong>de</strong>s Turcs; et si<br />

Fontenelle n'en sait pas là-<strong>de</strong>ssus plus que nous ,<br />

pourquoi veut-il que nous <strong>la</strong> trouvions burlesque?<br />

pourquoi veut-il quelle nous fasse rire, au lieu <strong>de</strong><br />

nous faire pleurer? J'ai bien peur que Footeseîle<br />

ne rie tout seul* Mais que nous dirait-il si<br />

nous lui <strong>de</strong>mandions pourquoi il ne rit pas comme<br />

nous <strong>de</strong> <strong>la</strong>-ga<strong>la</strong>nterie <strong>de</strong> César, <strong>de</strong> Sertorius, et <strong>de</strong><br />

tant d'autres héros <strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> Corneille? Certes,<br />

il ne pourrait pas nous faire <strong>la</strong> même réponse. Nous<br />

savons positivement, lui dirait-on f que cette froi<strong>de</strong><br />

ga<strong>la</strong>nterie s'a jamais eilsté que dans tes romans<br />

tracés avec une ridicule exagération, d'après l'esprit<br />

<strong>de</strong> l'ancienne chevalerie, qui sûrement n'était<br />

pas celui <strong>de</strong>s Romains. Que lui resterait-il à répondre?<br />

Bien; et <strong>la</strong> conséquence serait que c'est mal<br />

entendre f escrime <strong>de</strong> <strong>mont</strong>rer le côté faible à découvert,<br />

en croyant trouYer celui <strong>de</strong> l'ennemi.<br />

Une <strong>de</strong>s choses qui font le plus d'honneur J Racine<br />

f c'est que non-seulement il a été le premier qui<br />

ait traité supérieurement l'amour dans <strong>la</strong> tragédie,<br />

mais il a été en même temp le premier qui ait su<br />

s'en passer : c'est une double gloire qui lui a été particulière.<br />

Il est vrai que ce <strong>de</strong>rnier eiemple qu'il<br />

donna, et qui aurait dû faire une révolution, fut<br />

longtemps inutile, et s'a été, même <strong>de</strong>puis Mfêropef<br />

que rarement suivi. Mais enfin, avec le temps,<br />

plusieurs pièces établies au théâtre ont réc<strong>la</strong>mé<br />

contre le préjugé français s qui n'admettait point<br />

<strong>de</strong> pièces sans amour, et que je me suis proposé<br />

<strong>de</strong> combattre. Ce n'est pas qu'on refuse à ces sortes<br />

d'ouvrages une estime que le succès qu'ils ont<br />

ne permet pas <strong>de</strong> leur refuser ; mais on prétend ou<br />

l'on veut faire entendre • qu'ils sont froids. Un<br />

bel esprit * <strong>de</strong> nos jours appe<strong>la</strong>it Jiàaiîe tm plus<br />

belk <strong>de</strong>s pièces ennuyeuses* Rien n'a plus contribué<br />

à accréditer cette prévention que le sens<br />

faussement exclusif qu'os a donné à ce mot <strong>de</strong> $emsibUUé,<br />

<strong>de</strong>venu le refrain <strong>de</strong> ceux qui n'en ont pas.<br />

11 semble, à entendre <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s critiques, qu'il<br />

n'y ait <strong>de</strong> semibUMé que dans l'amour. Ils ont taxé<br />

à» froi<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s pièces qui, s'étant soutenues sans<br />

<strong>la</strong> ressource facile <strong>de</strong>s événements et <strong>du</strong> spectacle,<br />

sans un grand intérêt d'amour, ou même sans aucune<br />

intripe amoureuse, n'avaient nécessairement<br />

pu réussir que par un développement très-puissant<br />

<strong>de</strong>s autres passions <strong>de</strong> F Ame; et ce développement<br />

peut-il exister sans une sensibilité vraie? Cette fa-<br />

culte morale qui s'étend à tout, et qui est 1e pria-<br />

* Dont.<br />

cîpe <strong>de</strong> l'imagination poétique, est-elle nulle dés<br />

qu'elle ne s'applique pas à <strong>la</strong> tendresse? La sensibilité<br />

forte tfesî-elle pas tout aussi réelle que <strong>la</strong> sensibilité<br />

douce? Un caractère fortement passionné,<br />

soit dans l'amour <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie, soit dans les affections<br />

qui tiennent aux Mens <strong>du</strong> sang, soit dans l'amitié,<br />

soit dans l'épreuve amère fie l'injustice, <strong>de</strong><br />

l'ingratitu<strong>de</strong>, <strong>de</strong> l'oppression, n'est-il pas essentiellement<br />

dramatique, et susceptible <strong>de</strong> foif<strong>de</strong>r l'intérêt<br />

(l'une tragédie? L'expérience Fa heureusement<br />

dé<strong>mont</strong>ré, non-seulement chez les anciens, dont<br />

toutes les pièces n'ont point d'autres ressorts, mais<br />

même parmi nous. JÉhotte, Mérope, Oreste, IpM~<br />

génie m TaurMe, Im Mort <strong>de</strong> César, et ( s'il m'est<br />

permis tle rendre hommage à Sophocle, quoique je<br />

Paie tra<strong>du</strong>it) Phil&etèie, ont prouvé que l'on pou- •<br />

fait intéresser au théâtre sans F amour, et ont<br />

commencé à nous justifier <strong>du</strong> reproche que nous<br />

font <strong>de</strong>puis cent ans toutes les nations éc<strong>la</strong>irées,<br />

d'être trop exclusivement attachés à un moyen dramatique<br />

qui donne à mis pièces, sous ce seul rapport<br />

, une teinte d'uniformité. Il est temps plus que<br />

jamais <strong>de</strong> faire tomber entièrement ce reproche<br />

trop fondé, <strong>de</strong> relever notre caractère national<br />

ehei les peuples voisins qui nous ont tant dit que<br />

les Français ne vou<strong>la</strong>ient voir que <strong>de</strong>s amants sur <strong>la</strong><br />

scène. 11 faut étendre le domaine <strong>de</strong> notre tragédie,<br />

et rendre à Melpomène tous ses avantages. Il ne faut<br />

plus regar<strong>de</strong>r eomme froid tout ce qui ne sera pas<br />

aussi déchirant que Zaïre et Tanerê<strong>de</strong>, Ne peut-on<br />

ps être ému sans être déchiré! Et n'admettonsnous<br />

que les extrêmes? L'amour fait verser plus <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong>rmei qu'aucune autre passion : soit; mais plus on<br />

s'en est souri, et plus il convient au talent <strong>de</strong> chercher<br />

d'autres moyens. La mine est riche et abondante,<br />

il est vrai; mais elle a été longtemps fouillée<br />

: c'est une raison pour en ouvrir <strong>de</strong> nouvelles, et<br />

d'autant plus qu'on a certainement tiré <strong>de</strong> l'ancienne<br />

ce qu'il y avait <strong>de</strong> plus précieux. Comment<br />

se f<strong>la</strong>tter désormais <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> l'amour ce qu'en<br />

ont fait Racine et Yoltaire? Ne vaut-il pas mieux<br />

essayer s'ils ne nous auraient pas <strong>la</strong>issé d'autres<br />

effets dont il soit possible <strong>de</strong> faire un usage nouveau,<br />

et qui nous expose moins à une dangereuse<br />

comparaison? Et qu'on ne dise pas que tout est à<br />

peu près épuisé : c'est le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> <strong>la</strong> faiblesse ou <strong>de</strong><br />

l'envie. Mon : le champ <strong>de</strong>s beaux-arts est immense;<br />

il n'a d'autres bornes que celles <strong>de</strong>. <strong>la</strong> nature et <strong>de</strong><br />

l'imagination; et qui osera les marquer? Une seule<br />

idée henreaseel active sitll pour pro<strong>du</strong>ire un bel ouvrage.<br />

Je sais qu'il y a un certain nombre <strong>de</strong> moyens<br />

généraux qui seront toujours les mêmes; mais ils ne<br />

i nécessitent pas plus <strong>la</strong> ressemb<strong>la</strong>nce <strong>de</strong>s ouvrages


que l'emploi <strong>de</strong>s mêmes couleurs ne nécessite <strong>la</strong><br />

ressemb<strong>la</strong>nce <strong>de</strong>s tablerai. Le mon<strong>de</strong> entier est ouvert<br />

à <strong>la</strong> tragédie, et l'on n'a pas encore été partout.<br />

Je crois cette observation d'autant mieux p<strong>la</strong>cée,<br />

que sans doute vous pensez comme moi, messieurs,<br />

qu'après nous être occupés <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux hommes tels<br />

que Corneille et Racine, il faut que l'ému<strong>la</strong>tion<br />

relève te talent prosterné, et que l'admiration ne<br />

pro<strong>du</strong>ise pas le désespoir.<br />

Il me reste à comparer le style <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ui ftmeux<br />

concurrents , aussi différents dans cette partie que<br />

dans toutes les autres. D'abord, pour ce qui est <strong>du</strong><br />

caractère général <strong>de</strong> <strong>la</strong> diction, il est asseï reçu<br />

d'attribuer à fun <strong>la</strong> force, à rentra l'élégance; et<br />

ce partage en total est fondé. J'ai toujours cru que,<br />

le style n'étant que l'expression <strong>de</strong>s idées et <strong>de</strong>s sentiments,<br />

<strong>la</strong> manière d'écrire était nécessairement<br />

conforme à celle <strong>de</strong> penser et <strong>de</strong> sentir. La pensée<br />

est ce qu'il*y avait <strong>de</strong> plus fort dans Corneille : elle<br />

domine chez lui, et même trop. Presque tout ce<br />

qu'il conçoit s'arrange en raisonnements, en préceptes,<br />

en maximes; et il arrive que cette qualité <strong>de</strong><br />

son esprit, qui, considérée en elle-même, lui mérite<br />

<strong>de</strong>s éloges, est souvent en contradiction avec<br />

l'esprit <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie, qui eiige que presque tout<br />

soit exprimé en sentiment. Cependant il faut se<br />

souvenir qu'ayant plus <strong>de</strong> grands caractères que <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong>s passions, souvent le genre <strong>de</strong> son style se<br />

.rapproche assez naturellement <strong>du</strong> genre <strong>de</strong> ses pièces.<br />

Alors quand il pense juste, quand ses sentiments<br />

sont vrais, son expression a toute l'énergie possible.<br />

Mais d'un autre c té, n'étant pas né avec ce godt sûr<br />

;ejiiî donne à tout une mesure exacts, il pousse le<br />

raisonnement jusqu'à l'argumentation sophistique,<br />

<strong>la</strong> pensée jusqu'à <strong>la</strong> recherche et l'affectation, <strong>la</strong><br />

'gran<strong>de</strong>ur jusqu'à l'emphase ; et ces défauts ne sont<br />

jamais plus sensibles que dans les scènes où le cœur<br />

<strong>de</strong>vrait parler. Je n'en citerai qu'un seul exemple,<br />

que je prends dans <strong>la</strong> scène entre Rodrigue e| Chimène,<br />

où l'amant veut prouver à sa maîtresse qu'elle<br />

-doit venger son père <strong>de</strong> sa propre main, et ne pas<br />

confier cette vengeance à un autre. Le fond <strong>du</strong> sentiment<br />

est vrai, et dans <strong>la</strong> situation <strong>de</strong> Rodrigue,<br />

fia douleur et l'amour persua<strong>de</strong>nt à l'imagination<br />

passionnée qu'il est doui <strong>de</strong> mourir <strong>de</strong> <strong>la</strong> main qu'on<br />

aime. Mais vouloir ré<strong>du</strong>ire en démonstration ce désir<br />

exalté qui peut échapper au désespoir, c'est passer<br />

les bornes <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature. On ne <strong>la</strong> reconnaît plus<br />

lorsque Rodrigue dit :<br />

De quoi qu'en ma faveur nota amour ftetftieai*,<br />

Ta générosité doit répondre à lu mienne ;<br />

El, pour ¥eoger ton père, empraater d'autres braa,<br />

Ma Chtmèae, crois-moi, c'est n'y répondre pas.<br />

Ha main tente <strong>de</strong> mien a m ireeger l'offense- :<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

Ta main M@Ie <strong>du</strong> lien doit prendra <strong>la</strong> fesgMnee.<br />

On sent qu'il n'y a plus <strong>de</strong> vérité, et que Rodrigue<br />

ne peut pas persua<strong>de</strong>r sérieusement à Chiraèae<br />

qu'il y aurait <strong>de</strong> <strong>la</strong> génà-osiêé à le tuer <strong>de</strong> sa propre<br />

main. La réponse n'est pas plus naturelle.<br />

Cruel, à quel propos MIT «'point f obstiner?<br />

Tu f es vengé sans ai<strong>de</strong>, et ta m'es feu dotraet f<br />

le snrtrat ton exemple, el fat trop <strong>de</strong> oonrap<br />

Pour miiffrJf qu'avec toi ma glotte se pvtap.<br />

La douleur et l'amour ne font pas <strong>de</strong> distinctions<br />

si a<strong>la</strong>rabiquées : c'est que Corneille n'imitait guère<br />

le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> l'amour qu'à force d'esprit. Mais lorsque<br />

f dans cette même pièce, il fait parler D. Biègtief<br />

c'est alors que son expression est puisée dans<br />

son âme, et qu'il a le style <strong>de</strong> son génie. Le vieil<strong>la</strong>rd<br />

a couru toute <strong>la</strong> fille pour trouver son Ils , son vengeur.<br />

Il l'aperçoit, il se jette dans ses bras :<br />

todrip», ente le <strong>de</strong>J permet que Je le volt?<br />

B0DB1GVB.<br />

EéSatl<br />

B. eiÉcea*<br />

Ne mêle point <strong>de</strong> soupirs à ma Joie.<br />

Laisse-moi prendre haleine, afls <strong>de</strong> te louer.<br />

Ma valeur s'a point lien <strong>de</strong> te désavouer :<br />

Tu Tas Mes Imitée ? et ira illustre audace<br />

Fait bien revl? re es toi îes héros <strong>de</strong> ma race.<br />

Cest d'eux


Corneille n'est pas moins grand dans les scènes<br />

<strong>de</strong> discussion qui sont le champ <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée. Voyez<br />

Sertorim dans son entretien avec Pompée :<br />

Je s'appelle plus Rome on enclos <strong>de</strong> murailles<br />

Que ses proserf pttoas comMent <strong>de</strong> funérailles.<br />

Ces murs <strong>de</strong>nt te <strong>de</strong>stin lut autrefois si beiu ?<br />

M'en sont que <strong>la</strong> prison, ou plutôt le tombeau.<br />

Mais pour rg¥i?re aillenra dans sa première force ?<br />

Avec les faux Romains elle a fait plein éi¥erce ;<br />

. ' Et comme autour <strong>de</strong> moi f ai tous ses Trais appuis,<br />

: lonie n'est plus dans Rome $ elle est toute où Je suis.<br />

Quand ce même Sertorius ? eut différer son mariage<br />

avec Viriate Jusqu'à ce qu'il ait ren<strong>du</strong> à Rome<br />

sa liberté, cette 1ère Espagnole lui répond :<br />

Eh ! que mlmporte'à mot si Rome souffre ou non? -<br />

Quand j'aurai <strong>de</strong> ses maux effacé rinfomto,<br />

Tm obtiendrai pou? Irait le nom <strong>de</strong> son amie.<br />

Je TOUS Terrai consul m'es apporter les lois,<br />

Et m'abalsser vous-même au rang <strong>de</strong>s autres rois.<br />

Si TOUS m'aimez , seigneur, nos mers et nos <strong>mont</strong>agnes<br />

Délirent borner YOO TOUS , ainsi que nos Espagne»,<br />

Nous pouvons nous y faire un assez beau <strong>de</strong>stin f<br />

Sans chercher efâaife gloire au pied <strong>de</strong> rAventin :<br />

àffranerilssrios le f âge f et <strong>la</strong>issons faire au Tibre,<br />

La liberté n'est rien quand tout le mon<strong>de</strong> est libre;<br />

Mais 11 ut beau <strong>de</strong> l'être, et voir tout TnniTers<br />

Soupirer sous le Joug et gémir dans les fers ;<br />

11 est beau d'étaler cette prérogati?e<br />

Aux yeux <strong>du</strong> Rhône esc<strong>la</strong>ve et <strong>de</strong> Rome eapttve,<br />

Et <strong>de</strong> ¥oir entier aux peuples abattus<br />

Ce respect que le sort gar<strong>de</strong> pour les vertus.<br />

« Si tout te rôle <strong>de</strong> Viriate était <strong>de</strong> cette force 9 dit YoJtaire<br />

f <strong>la</strong> pièce serait au rang <strong>de</strong>s chefs-d'œuvre. »<br />

J'avoue que Racine n'a rien <strong>de</strong> ce genre. Ce n'est<br />

pas cependant qu'il manque <strong>de</strong> force, à beaucoup<br />

près mous en avons remarqué <strong>de</strong>s traits nombreux<br />

dans le rôle d'Aeoraat, dans Mitkrldaie, dans BH~<br />

tanniem. Mais il y a cette iiféreice que <strong>la</strong> force <strong>de</strong><br />

Corneille a quelque chose <strong>de</strong> plus mie t parce qu'elle<br />

est plus simple : inculte et franche, elle paraît tenir<br />

tout entière à <strong>la</strong> vigueur <strong>de</strong>s conceptions 9 et ne <strong>de</strong>voir<br />

rien aux paroles. Celle <strong>de</strong> Racine, toujours<br />

plus ou moins ornée, se dérobe et se cache sous l'élégance<br />

<strong>de</strong>s vers. Ce sont <strong>de</strong>ux athlètes : mais l'un,<br />

tout nu, <strong>la</strong>isse voir set os et ses muscles; l'autre,<br />

recouvert d'une draperie, a Pair moins robuste, et<br />

fait admirer <strong>de</strong> plus belles proportions.<br />

Après avoir considéré le seul rapport sous lequel<br />

Corneille a <strong>de</strong> l'avantage quand il est Corneille, il<br />

faut bien convenir que, sous tous les autres aspects,<br />

le style <strong>de</strong> Racine est hors <strong>de</strong> comparaison. Celui-ci<br />

possè<strong>de</strong> éminemment dans <strong>la</strong> diction toutes les qualités<br />

qui manquent à f autre ; et cette différence tient<br />

encore à celle <strong>de</strong> leur esprit. Corneille, toujours occupé<br />

<strong>de</strong> concevoir et <strong>de</strong> combiner, paraît n'avoir<br />

connu ni fart ni le travail d'écrire en vers. On voit<br />

que ses plus beaux ne lui ont point coûté <strong>de</strong> peine;<br />

ils semblent faits d'instinct : mais on voit aussi qtf il<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE. 601<br />

n'en a pris aucune pour embellir par <strong>la</strong> tournure ce<br />

qui ne peut pas briller par <strong>la</strong> pensée. Les grands<br />

traits lui échappent sans efforts; mais il ignore les<br />

nuances, et c'est par les nuances qu'on excelle dans<br />

tous les arts d'imitation.<br />

Racine, qui avait reçu <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature f ©raille <strong>la</strong> plus<br />

sensible et le tact le plus délicat <strong>de</strong>s convenances 9 a<br />

su le premier <strong>de</strong> quelle importance était <strong>la</strong> science<br />

<strong>du</strong> mot propre et <strong>de</strong>s effets <strong>de</strong> l'harmonie, science<br />

sans <strong>la</strong>quelle l'homme même qui a le plus <strong>de</strong> génie<br />

ne peut pas être un grand écrivain, parce rpeje<br />

naturel le plus heureux ne prodtjjt rien <strong>de</strong> parfait,<br />

et que Fart seul lui donne ce qui lui manque. Racine<br />

étudia ©et art avec Despréaux f et Ton sait que par*<br />

sonne avant lu! ne Fa porté aussi loin,<br />

« Son expression est toujours si heureuse et si naturelle,<br />

qu'il ne paraît pas qu'on ait pu en trouver sue autre; et<br />

chaque mot est p<strong>la</strong>cé <strong>de</strong> manière qu'on n'imagine pas qu'il<br />

ait été possible <strong>de</strong> le p<strong>la</strong>cer autrement. Le tissu <strong>de</strong> sa dio<br />

lion est tel , qu'on n'y peut rien dép<strong>la</strong>cer, rien ajouter, rien<br />

retrancher : c'est un tout qui semble éternel. Ses ineiac»<br />

titudês mêmes sont souvent <strong>de</strong>s sacrifices faits par le bon<br />

goût f et rien ne serait si difficile que <strong>de</strong> refaire ne vers <strong>de</strong><br />

Eacine. Nul n'a enrichi notre <strong>la</strong>ngue d'un plus grand nombre<br />

<strong>de</strong> tournures; nul n'est hardi avec plus <strong>de</strong> bonheur et<br />

<strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce , ni métaphorique avec plus <strong>de</strong> grâce et d® justesse<br />

| nul n'a manié avec plus d'empire un idiome souvent<br />

rebelle, ni avec plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>xtérité un instrument toujours<br />

difficile; nul n'a Éileox connu cette mollesse <strong>de</strong> style qu'il<br />

ne faut pas confondre avec <strong>la</strong> faiMesse K et qui n'est que cet<br />

air <strong>de</strong> facilité qui dérobe au lecteur <strong>la</strong> fatigue <strong>du</strong> travail et<br />

es ressorts <strong>de</strong> <strong>la</strong> composition; nul n'a mieux enten<strong>du</strong> <strong>la</strong> pé­<br />

rio<strong>de</strong> poétique 9 <strong>la</strong> variété <strong>de</strong>s césures f les ressources <strong>du</strong><br />

rhythme, Feuchalnement et Sa filiation <strong>de</strong>s idées. Enfin , si<br />

Fou considère que sa perfection peut être opposée à celle<br />

<strong>de</strong> Virgile , et epli par<strong>la</strong>it une <strong>la</strong>ngue moins ieiible, moins<br />

poétique et moins harmonieuse, es «croira volontiers que<br />

Eacine est celui <strong>de</strong> tous les hommes à qui <strong>la</strong> sature avait<br />

donné le plus grand talent pour les vers. » (Éloge <strong>de</strong><br />

Mmime,) •<br />

Ce talent fut toujours le même, non-seulement<br />

dans <strong>la</strong> tragédie, mais dans* les autres genres que<br />

Fauteur n'a paru qu'essayer, dans <strong>la</strong> comédie et<br />

dans <strong>la</strong> poésie lyrique; car, après <strong>de</strong>s pro<strong>du</strong>ctions<br />

importantes, je compte pour peu <strong>de</strong> chose le mérite<br />

<strong>de</strong> bien tourner quelques épigrammes, mérite<br />

commun à tant <strong>de</strong> personnes qui n'ont eu que <strong>de</strong><br />

l'esprit,<br />

Si nous suivons Corneille hors <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie,<br />

nous trouvons les scènes qu'il fournit à Molière,<br />

pour le ballet <strong>de</strong> Psyché, et qui respirent en plusieurs<br />

endroits une délicatesse et une grâce qu'on<br />

n'attendait pas <strong>de</strong> lui, mais dont <strong>la</strong> versification est<br />

souvent lâche et prosaïque. On a eu très-grand tort<br />

<strong>de</strong> citer ces fragments imparfaits nomme une preuve


602<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

<strong>de</strong> ce qu'il aurait pu faire, s'il eût voulu traiter<br />

fameur comme Racine : il n'y a rien <strong>de</strong> commun<br />

entre le style d'une comédie-ballet et le style tragique<br />

; et le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> Psyché conversant avec l'Amour<br />

n'est pas celui <strong>de</strong> Melpomène. Le Menteur est<br />

une pièce <strong>de</strong> caractère empruntée aux Espagnols.<br />

Elle est faible <strong>de</strong> comique; l'intrigue en est fîcïeiisf<br />

et un peu froi<strong>de</strong>. Les récits <strong>de</strong> Dorante, qui ont <strong>de</strong><br />

l'agrément, et quelques méprises amenées par ses<br />

mensonges | soutiennent l'ouvrage; et Ton reconnaît<br />

Corneille dans <strong>la</strong> scène entre le Menteur et son<br />

père , précisément parce que cette scène 9 toute sérieuse<br />

et morale, s'élève au-<strong>de</strong>ssus <strong>du</strong> ton ordinaire à<br />

ce genre <strong>de</strong> drame.<br />

ÊJ89 P<strong>la</strong>i<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> Racine sont remarquables en<br />

ce que <strong>la</strong> pièce n'est qu'une'farce, et qu'elle est écrite<br />

d'un bout à l'autre <strong>du</strong> style <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonne comédie.<br />

D'ailleurs, elle manque absolument d'intrigue et<br />

d'intérêt, et ne se soutient que par <strong>la</strong> gaieté <strong>de</strong>s<br />

détails et le comique <strong>de</strong>s personnages. Mais aussi<br />

jamais on n'a prodigué a?ec plus d'aisance et <strong>de</strong><br />

goût le sel <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>isanterie : presque tous les vers<br />

sont <strong>de</strong>s traits; et tous sont si naturels et si gais9<br />

que <strong>la</strong> plupart sont <strong>de</strong>venus proverbes.<br />

On ne peut cependant voir dans tes Pimiémrg<br />

qu'un badinage que l'auteur it en se jouant, et<br />

qui <strong>mont</strong>re ce qu'il aurait pu faire dans <strong>la</strong> comédie<br />

, s'il s'y était appliqué : comme ses lettres polémiques,<br />

son Histoire <strong>de</strong> Port-<strong>Royal</strong>, et ses Dis<strong>cours</strong><br />

à l'Académie, prouvent seulement <strong>la</strong> facilité<br />

qu'il aurait eue à exceller dans <strong>la</strong> prose ainsi que<br />

dans les vers. Mais dans les chœurs û'Esêker et<br />

ê'JÈkaUe il s'est mis, sans paraître y penser, au<br />

premier rang <strong>de</strong> nos poètes lyriques : personne<br />

aujourd'hui ne lui conteste ce titre. Son commentateur,<br />

que je crois <strong>de</strong>voir citer quand il a raison,<br />

puisque je le combats quand je crois qu'il a tort,<br />

compare souvent Racine et Rousseau dans ses notes<br />

sur AtkaBe, généralement-plus judicieuses que<br />

telles <strong>de</strong>s autres pièces. U dit, au sujet <strong>de</strong>s chœurs :<br />

« Rousseau avait Mes cette pompe et celte forée dans<br />

•es vers ; mais il ii f âvait point ces passages heureux d'une<br />

pinte® douée à un tableau terrible, d'us morceau touchant<br />

I <strong>de</strong>s daseripthMis élevées; «tin, il manquait <strong>de</strong> cette vailéléfdMtleeliiiiiieàjesven<strong>de</strong>Eaciiie.<br />

lest sir que,<br />

•1 cet illustre tragique eût buvaUM dans le même pure que<br />

iêtissatiaf il eût mis dans ses o<strong>de</strong>s pins <strong>de</strong> wiété9 <strong>de</strong> dos-<br />

€êur et <strong>de</strong> grâce. 11 avait une flexibilité <strong>de</strong> génie qui savait<br />

se plier à tous les tons, un goût épuré qui mettait tout à<br />

ai piaee. Ba<strong>de</strong>® ; m un mot ; eût réussi dans tous les génies<br />

, §11 eût voulu les embrasser tous. »<br />

C'était l'opinion <strong>de</strong> foliaire; c'est eelle <strong>de</strong> tous<br />

les hommes instruits. Ce grand homme a dit dans<br />

une épîtw adressée à Horace, et qui en est digne :<br />

Est-ee asMt, m effet, d'us® faenmiseeSariéf<br />

Et ne péclMifi**ëtis pas par rultanlté?<br />

Ce reproche n'est que trop souvent fondé : je n'y<br />

connais pas <strong>de</strong> meilleure réponse que les chœurs<br />

<strong>de</strong> Racine. Il est vrai que le genre s'y prétait plus<br />

aisément que celui <strong>du</strong> drame 9 qui n'est pas ftusceptible<br />

<strong>de</strong> différentes mesures; mais aussi Ton ne<br />

trouvera point dans notre <strong>la</strong>ngue une poésie plus<br />

véritablement lyrique, une harmonie plus diversifiée<br />

et plus musicale, et qui réunisse avec plus<br />

d'intérêt tous les tons, tous les sentiments, et toutes<br />

les formes <strong>du</strong> rfaythme. Écoutons un <strong>de</strong>s choeurs<br />

ê'Estker :<br />

Pleurons et gémissons , mes Idéfes compagnes;*<br />

À nos «agiote donnons un libre ©ours :<br />

ta?oai les yeux vers les saintes <strong>mont</strong>agnes ,<br />

D'où l'înnoeenêe attend tout son se<strong>cours</strong>.<br />

O mortelles a<strong>la</strong>rmas 1<br />

Tout lirait périt Fleuret, mes tristes yeux;<br />

11 ne M Jamais ions <strong>la</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

Us il Juste sajet <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes.<br />

Quel'carnage <strong>de</strong> tontes parts 1<br />

Os éfarga à <strong>la</strong> fols les enfants, les vteU<strong>la</strong>rds t<br />

Et <strong>la</strong> tourelle frère,<br />

Et <strong>la</strong> Ilîe et <strong>la</strong> mère,<br />

Le fils dans les bras <strong>de</strong> son père.<br />

Que dt corps entassés ! que <strong>de</strong> membres épars.<br />

Privés <strong>de</strong> sépulture!<br />

grand Dieu ! tes saints sont <strong>la</strong> pâture<br />

Des tigres et <strong>de</strong>s léopards.<br />

uni DES mis mmm isuâÉutBS.<br />

Hé<strong>la</strong>s ! il jeune encore t<br />

Par quel crime al-je pu mériter mon malheur f<br />

Ma vfe à peine a commencé d'édore :<br />

le tomberai comme une fleur<br />

Qui n'a ta qu'use aurore.<br />

Hé<strong>la</strong>s ! si jeune encore,<br />

Par quel crime al-je pu mériter mon malheur ?<br />

Après m tableau d'horreur, suivi d'un chant <strong>de</strong><br />

p<strong>la</strong>inte, le chœur reprend par un cantique plein<br />

d'une confinée religieuse , et finit par une in?ceation<br />

sublime.<br />

Le Dieu que sons serrons est le Dieu <strong>de</strong>s combats i<br />

Mon $ non, U se souffrira pas<br />

Qu'on égorge ainsi rinnocenw.<br />

Eh quoi! dirait l'impiété,<br />

Où donc est-il t m Mes si redouté,<br />

Dont Israël noua vantait <strong>la</strong> puJssam»?<br />

Ce dieu jalons, ce Dieu victorieux,<br />

FrémfsseE t peuples <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre,<br />

ۥ dieu Jalons, ee Dtea victorieux,<br />

Est le seul qui comman<strong>de</strong> aux <strong>de</strong>u t<br />

M les éc<strong>la</strong>irs, ni le tonnerre,<br />

N'obéissent point à vos dieu.<br />

11 renverse l'audacieux ;<br />

Il prend l'humble sous sa défense.<br />

Le Dlen que nous servons est le Dten <strong>de</strong>s eomsata.<br />

Mon, non, il ne souffrira paa<br />

Qu'on égorge ainsi l'innocence,<br />

H10X ISRAÉLITES.<br />

O dieu que <strong>la</strong> gloire couronne t<br />

Mes que <strong>la</strong> lumière environne t<br />

Qui ?a<strong>la</strong>s sur l'aile <strong>de</strong>s f aali,<br />

Et dont le trône est porté par les anges ;<br />

Me», qui veux Mes que <strong>de</strong> stmp<strong>la</strong>s enfanta<br />

àaae eux chantent tes !oaaa§§a;


Ta veto KM puisants étage» s<br />

Donne à ton mm m victoire ;<br />

le souffre point que ta gloire<br />

Fana à <strong>de</strong>s dieux étrange?!.<br />

Arme-toi, Tiens nota défendre :<br />

Descends tel qu'âutrefWs <strong>la</strong> mer te vit teeeadn.<br />

Que les méchants apprennent âpfôiiro?oui<br />

A craindre ta celèie ;<br />

Qu'Us soient comme <strong>la</strong> pondre et <strong>la</strong> pallie légère<br />

Que te vent chasse <strong>de</strong>vant <strong>la</strong>i<br />

Le chœur qui finît <strong>la</strong> tragédie à'Eêêker est<br />

rhymne d'allégresse le plus parfait qu'on puisse<br />

offrir à Fart <strong>du</strong> musicien. Toutes les eireonstances<br />

tes plus touchantes s'y trou?eot rémiies, et les images<br />

sont partout à côté <strong>du</strong> sentiment<br />

Ton Dieu n'est plus irrité ;<br />

' léjaais-toi, S<strong>la</strong>a , et sors <strong>de</strong> ft posssSèn;<br />

Quitte les vêtements <strong>de</strong> ta captif lié ,<br />

Et reprends ta splen<strong>de</strong>ur première :<br />

Les chan<strong>la</strong>i <strong>de</strong> S<strong>la</strong>a à <strong>la</strong> fin saaî ouverts.<br />

Rompez vos feu,<br />

Tribus captives;<br />

Troupes fugitives,<br />

Repassai les <strong>mont</strong>s et les ment<br />

Rassemblez-vous <strong>de</strong>s bouts <strong>de</strong> fiinivers.<br />

VIE ISEÂÉLm SEULE.<br />

le reverral ces campagnes si chères.<br />

TOIfi AUTSI.<br />

J'irai pleurer au tombeau 4e mes pères.<br />

WBt LE CHOEUH.<br />

Repassez les <strong>mont</strong>s et les mers ;<br />

Rassemblez-vous <strong>de</strong>s bouts <strong>de</strong> l'univers,<br />

UNE ISRAéLITE SEULE.<br />

Relevez, relevez les superbes portiques<br />

Du temple où notre'Dieu se p<strong>la</strong>it d'être adoré»<br />

Que <strong>de</strong> for le plus pur son autel soit paré,<br />

Et que <strong>du</strong> sein <strong>de</strong>s <strong>mont</strong>s le marbre soit tiré.<br />

Liban, dépouille-toi <strong>de</strong> tes cèdres antiques.<br />

Prêtres sacrés, préparez vos cantiques,<br />

uni ACTES.<br />

Heu, <strong>de</strong>scends t et reviens habiter parmi nous :<br />

Terre, frémis d'allégresse et <strong>de</strong> crainte;<br />

Et vous t sous sa majesté saf aie,<br />

<strong>de</strong>ux, abaissez-vous.<br />

Cest ici surtout que notre poésie peut être opposée<br />

à celle <strong>de</strong>s Grecs et <strong>de</strong>s Latins : elle eu a <strong>la</strong><br />

rapidité, les mouvements, l'effet, <strong>la</strong> magie. Le poète<br />

est ici véritablement inspiré ; il ?oit les objets, me<br />

les fait vojr, me transporte avec lui partout où il<br />

¥êut ; et <strong>de</strong> <strong>la</strong> hauteur <strong>de</strong> son génie il domine le ciel<br />

et <strong>la</strong> terre.<br />

En finissant cette longue discussion sur les <strong>de</strong>ux<br />

célèbres rivaux qui ont répan<strong>du</strong> tant d'éc<strong>la</strong>t sur le<br />

siècle pâsté, et élevé tant <strong>de</strong> débats dans le nôtre,<br />

je me suis rappelé, non pas sans quelque inquiétu<strong>de</strong>,<br />

une épigramme que fit Voltaire en sortant<br />

d'une dispute sur le même sujet avec un <strong>de</strong> ses<br />

amis nommé <strong>de</strong> Beausse.<br />

De Beausse et mol f cr<strong>la</strong>ffîears effrontés,<br />

Dans un souper c<strong>la</strong>aaadioas à merveille ;<br />

Et tour à tour épluchions les beautés<br />

Et les défauts <strong>de</strong> Racine et Corneille.<br />

A piailler serions encor, Je croi,<br />

Sa s'entêtons vu 9 sur <strong>la</strong> double eatltae,<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV."— POÉSIE. 603<br />

Le grand Corneille et le tendre Endos<br />

Qui se moquaient et <strong>de</strong> Beausse et <strong>de</strong> moi<br />

11 y a sans doute <strong>de</strong> quoi avoir peur. Mais je me<br />

suis un peu rassuré en songeant que cette matière<br />

est f objet <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> controversés que <strong>la</strong> mienne<br />

pourrait se sauver dans <strong>la</strong> foule; et qu'après tout,<br />

ce qui était dans le mon<strong>de</strong> un sujet si fréquent <strong>de</strong><br />

conversation pouvait bien, sans scandale et même<br />

sans ridicule, nous occuper au Lycée.<br />

CHAPITRE ¥. — Des irm§ique$ d'mm ordre<br />

inférieur dam le sièck <strong>de</strong> Louk XIF.<br />

msmm mmakm* — <strong>la</strong>traa et <strong>du</strong> Ryer.<br />

après Corneille el Racine, on s'attend bien qu'il<br />

faut <strong>de</strong>scendre. Leurs imitateurs, dans le <strong>de</strong>rnier<br />

siècle, se sont p<strong>la</strong>cés après eux à différents <strong>de</strong>grés,<br />

mais toujours à une gran<strong>de</strong> dis<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> tous les <strong>de</strong>ux.<br />

Les plus heureux n'ont <strong>la</strong>issé au théâtre qu'un ou<br />

<strong>de</strong>ux ouvrages, ou médiocres en tout, ou qui ne sont<br />

au-<strong>de</strong>ssus <strong>du</strong> médiocre que dans quelques parties.<br />

Mais Fart est si difficile, et le nombre <strong>de</strong>s pièces<br />

totalement oubliées est si grand, que le mérite d'en<br />

avoir Ml une seule qui ail échappé à l'oubli suffit<br />

pour donner une p<strong>la</strong>ce dans <strong>la</strong> postérité. Le besoin<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> nouveauté est général, et les chefs-d'oeuvre<br />

sont rares : les hommes sont donc obligés f pour leur<br />

propre intérêt, <strong>de</strong> supporter <strong>la</strong> médiocrité, qui varie<br />

leurs p<strong>la</strong>isirs, et qui leur fait sentir davantage <strong>la</strong><br />

perfection. En voyant parmi tant d'auteurs dramatiques<br />

combien peu ont su l'atteindre ou en approcher,<br />

on apprend à mieux apprécier ceux qui ont<br />

fait ce qu'il est donné à si peu d'hommes <strong>de</strong> pouvoir<br />

faire.<br />

Le sublime es tout genre est le don le plus rare ;<br />

Cest li le vrai pWnis; et, sagement avare,<br />

La nature a prévu qu'en nos faibles esprits<br />

Le beau, s*U est commun, doit perdre <strong>de</strong> son prix.<br />

(YûLT.)<br />

Le premier qui se présente est Rotrou. De tous<br />

ceux qui ont écrit avant Corneille, c'est celui qui<br />

avait le plus <strong>de</strong> talent; mais comme son Femeslm,<br />

<strong>la</strong> seule pièce <strong>de</strong> lui qui soit resiée, est postérieure<br />

aux plus belles <strong>du</strong> père <strong>du</strong> théâtre, on peut le compter<br />

parmi les écrivains qui ont pu se former à Fécole<br />

<strong>de</strong> ce grand homme. Il fit plus <strong>de</strong> trente pièces,<br />

tint tragédies que comédies et tragi-comédies : plusieurs<br />

sont empruntées <strong>du</strong> théâtre espagnol on <strong>de</strong><br />

celui <strong>de</strong>s Grecs; mais il a plus imité les défauts "<strong>du</strong><br />

premier qae les beautés <strong>du</strong> second : il s'a pas même<br />

évité <strong>la</strong> licence grossière et les pointes ridicules qui<br />

déshonoraient <strong>la</strong> scène, et dont Corneille Fa purgée


M4<br />

COURS M L1TTÉEATU1E.<br />

1s premier. Son Vmce$km, mérite qu'on en parle par sa prévention et par l'obscurité <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit , il<br />

avec quelque détail.<br />

tue son frère en croyant frapper le <strong>du</strong>c. Ce meurtre,<br />

Le sujet est tiré <strong>de</strong> l'ouvrage espagnol <strong>de</strong> Fran- quelque atroce qu'il soit, n'est pas ce qu'on peut<br />

eeseo <strong>de</strong> Roxas,- intitulé, On nepêut-étre père et reprendre; il est suffisamment motivé parle carac­<br />

rd; car les Espagnols font quelquefois d'un texte tère violent et <strong>la</strong> passion forcenée <strong>de</strong> Ladis<strong>la</strong>s : le<br />

<strong>de</strong> morale le titre d'une pièce. Le fond en est vrai­ défaut réel est <strong>la</strong> mort d'un jeune prince innocent<br />

ment tragique, quoique les ressorts en soient très- et vertueux, qui ne s'est <strong>mont</strong>ré jusque-<strong>la</strong>que sous<br />

défectueux. Les situations sont amenées, à <strong>la</strong> ma-. un aspect favorable. Il n'y aurait rien à dire si l'in­<br />

Bière espagnolef par <strong>de</strong>s méprises, et ces méprises térêt portait sur cette mort, comme dans BrUtm-<br />

sont son?eut sans vraisemb<strong>la</strong>nce. Tout l'édifice <strong>de</strong> micWf et qu'elle fit un dénoâraent; mais elle n'est<br />

l'intrigue porte sur un fon<strong>de</strong>ment qu'il est difficile qu'un épiso<strong>de</strong>, et c'est un inci<strong>de</strong>nt vicieux en lui-<br />

d'admettre. L'infant, frère puîné <strong>de</strong> Ladis<strong>la</strong>s, est même <strong>de</strong> faire périr au milieu d'une pièce us per­<br />

amoureux <strong>de</strong> Cassandre, jeune princesse élevée à <strong>la</strong> sonnage qui ne l'a pas mérité, lotis voyons tou­<br />

cour <strong>de</strong> Vences<strong>la</strong>s, et fille d'un souverain allié <strong>de</strong> jours dans cet ouvragelesbeautésnaltre<strong>de</strong>s défauts ;<br />

<strong>la</strong> Pologne. 11 est aimé <strong>de</strong> sa maîtresse ? qui consent., et sans doute cette coAibinaison était <strong>du</strong> temps <strong>de</strong><br />

dans le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, à l'épouser en secret. Ce­ Eotrou plus excusable qu'aujourd'hui. Cette mort<br />

pendant <strong>la</strong> crainte qu'il a que cet amour n'offense <strong>de</strong> l'infant pro<strong>du</strong>it au quatrième acte une situation<br />

son père le détermine à employer un stratagème neuve, singulière, et pathétique. Ladis<strong>la</strong>s, blessé<br />

msm extraordinaire; c'est d'engager le <strong>du</strong>c <strong>de</strong> Cour- lui-même par celui qu'il vient d'assassiner, et qui<br />

<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, ministre et favori <strong>du</strong> roi, à se porter publi­ en tombant l'a frappé au bras d'un coup <strong>de</strong> poignard,<br />

quement pour l'amant <strong>de</strong> Cassandre, et à paraître s'est évanoui par <strong>la</strong> quantité <strong>de</strong> sang qu'il a per<strong>du</strong>.<br />

aspirer à sa main. Plusieurs raisons ren<strong>de</strong>nt cette Secouru par un <strong>de</strong> ses écuyers, il a'repris ses sens,<br />

supposition absolument improbable. D'abord 9 pour* et paraît sur le théâtre, au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit, pâle,<br />

quoi l'infant craint-il tant d'offenser son père en ai­ sang<strong>la</strong>nt, égaré, respirant à peine. Il est avec sa<br />

mant une princesse à peu près son épie, à qui Yen* sœur et son écuyer Octave, qui apprennent <strong>de</strong> sa<br />

ces<strong>la</strong>s lui-même a tenu lieu <strong>de</strong> père? 11 faudrait au bouche tout ce qui vient <strong>de</strong> se passer, et s'efforcent<br />

moins donner quelque raison d'une crainte asses <strong>de</strong> le ramener jusque dans son appartement, lors­<br />

forte pour l'obliger à un pystère si étrange; et il que son père se présente à lui, et surpris, effrayé<br />

n'en donne lucun.De plus, comment le <strong>du</strong>c <strong>de</strong> Cour* <strong>de</strong> son état, lui en <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>la</strong> cause. L'on conçoit<br />

<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, qui <strong>de</strong> son côté aime l'infante Théodore, sœur aisément combien <strong>la</strong> scène est théâtrale; et si Ton<br />

<strong>du</strong> jeune prince, a-t-il consenti à feindre un amour excuse <strong>la</strong> diction quelquefois familière, telle qu'elle<br />

si contraire à ses vues f qui peut le perdre dans l'es­ était encore alors, l'exécution n'est pas moins belle.<br />

prit <strong>de</strong> celle qu'il aime, et donne en effet à l'infante Ladis<strong>la</strong>s, hors <strong>de</strong> lui, ne sait que répondre à son<br />

une jalousie qu'il doit s'empresser <strong>de</strong> détruire ? Il <strong>de</strong>vait<br />

donc au moins <strong>la</strong> mettre dans le secret : mais Que inidirai-K hélât!<br />

elle est trompée comme tous les autres personna­<br />

VESCESLM.<br />

ges , parce que le poêle a besoin <strong>de</strong> cette erreur, qai<br />

Rétton<strong>de</strong>s-inot, mon ils.<br />

Quel f«lsi acd<strong>de</strong>at..<br />

pro<strong>du</strong>it tous les événements <strong>du</strong> drame. Heureusement<br />

ils sont intéressants, et l'effet, comme il est Ladis<strong>la</strong>s répond par-ces vers <strong>de</strong>venus fort célèbres,<br />

arrivé souvent, a fait pardonner le moyen. Ladis- surtout <strong>de</strong>puis l'application qu'orf en fit dans une<br />

<strong>la</strong>s, éper<strong>du</strong>ment amoureux <strong>de</strong> Cassandre, déteste occasion importante :<br />

un rival dans le <strong>du</strong>c, qui déjà lui était assez odieux<br />

SeSgBêtir, Je vous le dit...<br />

par sa faveur et son crédit auprès <strong>du</strong> roi. Deux fois fftUaii... fêtait.... L'amour a sur mol tant d'empire I...<br />

Je rw coôfrad», seigneur, et se puis fto vous dira.<br />

il impose silence à ce favori, à qui le vieux Yences<strong>la</strong>s<br />

a promis <strong>de</strong> lui accor<strong>de</strong>r telle grâce qu'il Je mus k dis, lorsqu'on n'a rien dit encore, est<br />

voudrait en récompense d'une victoire remportée Feipression vraie <strong>du</strong> plus grand désordre d'esprit;<br />

sur les Moscovites, et cette <strong>de</strong>man<strong>de</strong> toujours sus­ et ce qui suit est celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> passion.<br />

pen<strong>du</strong>e amène, au cinquième acte, un trait génè­ Yenees<strong>la</strong>g, qui craint les suites d'un démêlé trèsrent<br />

qui achève le beau caractère qu'il soutient dans vif que le prince avait eu le matin avec son,frère,<br />

toute <strong>la</strong> pièce. Ladis<strong>la</strong>s, instruit, par un <strong>de</strong> ses et qui avait fini par «ne* réconciliation forcée f lui<br />

agents 9 <strong>du</strong> mariage secret <strong>de</strong> <strong>la</strong> princesse, qui doit témoigne tes a<strong>la</strong>rmes à ce sujet :<br />

se faire dans <strong>la</strong> nuit, et ne doutant pas que ce ne<br />

soit avec le <strong>du</strong>c, l'attend au passage; et, trompé<br />

D'an trouble si coites si «prit assailli ^<br />

Se eoitfesse coupable ; et qui craint a fall II.<br />

If tw-vons peint en prm mmeqm mâm Mmt


Votre mmumme kmmeur lui M toujours contraire;<br />

Et si, pour r« gar<strong>de</strong>r, mes soins n'avalent pourvu...<br />

LÂB1SL4S.<br />

MVt-U pas satisfait? Hou t je m fat point vu.<br />

VENCESLâS.<br />

Qui vous réveille dose avant que <strong>la</strong> lumière<br />

Alt <strong>du</strong> soleil naissant commencé <strong>la</strong> carrière?<br />

Ladis<strong>la</strong>s, qui élite toujours <strong>de</strong> répondre , dit à son<br />

père ;<br />

fCâ¥Cf-¥0tis pas aussi précédé ion réveil !<br />

La réplique est aussi naturelle qu'inatten<strong>du</strong>e :<br />

Oui, mais J'ai mes raisons


606<br />

Ce êêmoûimmî est défectueux dans <strong>la</strong> partie morale<br />

v puisque le prince est récompensé. Cependant<br />

il ne révolte poist, et il faut en savoir gré à l'auteur<br />

: c'est une preuve qu'il a su intéresser en faveur<br />

<strong>de</strong> Ladisîas 9 et qu'il a connu ce secret <strong>de</strong> Fart<br />

qui consiste à faire excuser et p<strong>la</strong>indre les attentats<br />

qu'un moment <strong>de</strong> fureur a fait commettre, et qui ne<br />

sont pas réfléchis* 11 a eu soin <strong>de</strong> donner cette couleur<br />

à ceci <strong>de</strong> Ladisîas, dans le récit que lui-même<br />

en fait au quatrième acte : on y voit que <strong>la</strong> nouvelle<br />

<strong>de</strong> l'hymen secret <strong>de</strong> Cassandre l'avait mis absolument<br />

hors <strong>de</strong> lui-même. Il faut l'entendre pour se<br />

convaincre que, si le style <strong>du</strong> poète manque d'élégance<br />

et <strong>de</strong> correction , il ne manque ni <strong>de</strong> chaleur<br />

ni <strong>de</strong> vérité.<br />

Succombant tout entier à ce coup qui m'accable,<br />

De tout raisonnement Je <strong>de</strong>viens incapable,<br />

Fils retirer mes gens, m'enferme tout le soir,<br />

Et ne prends plus avis que <strong>de</strong> mon désespoir.<br />

Par une fausse porte enf<strong>la</strong>, <strong>la</strong> nuit venue,<br />

le me dérobe aux miens , et Je gagne k me ;<br />

D'où, tout sois? tout respect, tout Jugement perds,<br />

An pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> Cassandre en même temps ren<strong>du</strong> t<br />

J'esca<strong>la</strong><strong>de</strong> les murs, gagne une galerie,<br />

Et, cherchant as endroit commo<strong>de</strong> à ma furie,<br />

Descends sons l'escalier, et dans l'obscurité<br />

Prépare à tout succès mon courage irrité.<br />

Au nom <strong>du</strong> <strong>du</strong>c eatn J'entends ouvrir <strong>la</strong> porte;<br />

Et suivant, à ce nom, <strong>la</strong> fureur qui m'emporte,<br />

Cours, éteins <strong>la</strong> lumière, et, d'un aveugle effort,<br />

De trois coup <strong>de</strong> poignard blesse le <strong>du</strong>c à mort.<br />

COURS Dl LLTTËRATDHB.<br />

Pour un homme que Fou a peint aussi impétaemt<br />

aussi passionné que Ladisîas, aussi peu maître <strong>de</strong><br />

Mi, toutes ces circonstances sont autant d'eienseg;<br />

l'idée affreuse <strong>du</strong> bonheur d'un ri?al , le nom <strong>de</strong> ce<br />

rival qu'il entend prononcer, l'horreur <strong>de</strong> cette situation,<br />

<strong>la</strong> nuit, l'égarement d'une âme bouleversée.<br />

11 a tué son frère , il est ?rai, mais sans le vouloir,<br />

sans le connaître, et croyant frapper un rival. L'état<br />

d'accablement et <strong>de</strong> désespoir où il parait ensuite,<br />

«a résignation et sa fermeté lorsqu'il est condamné,<br />

portent les spectateurs à croire qu'il méritait un<br />

meilleur sort. Enfin, le parti que prend le roi <strong>de</strong><br />

cesser <strong>de</strong> régner plutôt que <strong>de</strong> cesser d'être juste,<br />

et ce développement d'une âme à <strong>la</strong> fois royale et<br />

paternelle, eicitent l'admiration et l'intérêt « et<br />

achèvent <strong>de</strong> justifier ce dénoûment, qui fait voir<br />

-qu'il est encore plus important <strong>de</strong> suivre les dispositions<br />

naturelles <strong>du</strong> spectateur que les principes<br />

rigoureux <strong>de</strong> <strong>la</strong> morale.<br />

Les personnages principaux <strong>de</strong> cette tragédie<br />

sont <strong>de</strong>ssinés <strong>de</strong> manière à foire* beaucoup d'honneur<br />

au talent <strong>de</strong> Rotrou. Ce qui caractérise Yen-<br />

«es<strong>la</strong>s, c'est l'amour <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice f le premier <strong>de</strong>voir<br />

<strong>de</strong>s souverains : il sacrile à ce <strong>de</strong>voir et les<br />

sentiments paternels 9 et sa couronne ; et ce qu'il<br />

<strong>mont</strong>re <strong>de</strong> faiblesse dans le premier acte est plu-<br />

tôt <strong>de</strong> son Âge que <strong>de</strong> son caractère. La côi<strong>de</strong>scendance<br />

qu'il se croit forcé d'avoir, tient d'un côté<br />

au désir <strong>de</strong> 1a paix domestique, bonheur le pi»<br />

nécessaire à un vieil<strong>la</strong>rd; et <strong>de</strong> l'autre, à l'ascendant<br />

que prend nécessairement un jeune prince dont<br />

<strong>la</strong> valeur et l'impétuosité doivent p<strong>la</strong>ire à une nation<br />

guerrière. Le <strong>du</strong>e <strong>de</strong> Courtau<strong>de</strong> est le modèle<br />

d'un ministre que <strong>la</strong> faveur n'a point corrompu, et<br />

d'un général que les succès n'ont point enorgueilli.<br />

En servait le monarque, il rend tout ce qu'il doit<br />

à l'héritier <strong>de</strong> <strong>la</strong> couronne : sa modération résiste<br />

aux plus <strong>du</strong>res épreuves, et sa gran<strong>de</strong>ur d'âme va<br />

jusqu'au sacrifice le plus -générera, puisque étant k<br />

maître <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pour récompense <strong>la</strong> maie d'une<br />

princesse qu'il aime, il préfère à son propre bonheur<br />

<strong>la</strong> vie <strong>de</strong> son pies grand ennemi. Mais ce qu'il y<br />

a <strong>de</strong> plus beau et <strong>de</strong> plus dramatique dans cette<br />

pièce, c'est 1e rôle <strong>de</strong> Ladisîas. On ne peut nier<br />

qu'il ne soit l'original <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Vendôme ; ,et<br />

quoique celui-ci soit bien supérieur, c'est beaucoup<br />

pour <strong>la</strong> gtoiraie Rotrou que Yoltaire ait trouvé<br />

chez lui ce qu'il a surpassé. Les efforts que Ladisîas<br />

fait sur lui-même pour vaincre un penchant<br />

qui humilie sa fierté, ces combats perpétuels, ces<br />

alternatives d'une froi<strong>de</strong>ur affectée, et d'un amour<br />

qui menace ou qui supplie, sont d'un effet tragique,<br />

que Fauteur n'avait pu trouver dans Corneille. Le<br />

style, à travers ses inégalités et ses fautes, a souvent<br />

tout le feu <strong>de</strong> <strong>la</strong> passion ; quand Ladisîas veut<br />

lécMr Cassandre$ il atout l'abandon <strong>de</strong> <strong>la</strong> tendresse<br />

:<br />

<strong>la</strong>tent» âm sectvft <strong>de</strong> tourmenter les Émit;<br />

Susciter terre et ciel soufre ma passion ;<br />

lilcrcisri l'Etat <strong>du</strong>s votre aversion ;<br />

Bu frêne ©a Je prétends éêêmtrœz mm mgfm§e s<br />

Et pour me perdre ealii mettei tout en usage :<br />

avec tous YOS efforts et tout votre easirraax,<br />

- YCfW ne m'oteres point Famoar que fat pour vont»<br />

Quand il estrévolté <strong>de</strong> ses mépris, il u f y a pas moins<br />

d'amour dans ses fureurs qu'il n'y en avait dans<br />

ses prières :<br />

Hé nous obstinons point à <strong>de</strong>s toux superflus;<br />

Laissons mourir l'amour où l'espoir se vit plu.<br />

•Iles, iûdigne objet <strong>de</strong> mon Inquiétu<strong>de</strong>;<br />

J'ai trop longtemps souffert <strong>de</strong> foire Ingratitu<strong>de</strong> ;<br />

le vous <strong>de</strong>vais Connaître, «t ne m $ engager pas<br />

Acs trompeuses douceurs <strong>de</strong> vos craefs appât*<br />

Oui, Je rougis, ingrate, et mon pmpn eonrroi»<br />

Me me peut pardonner ce que J'ai fait pour vous,<br />

le reai que <strong>la</strong> mémoire efîace <strong>de</strong> ma vie<br />

Le souvenir <strong>du</strong> temp que je vous ai servie.<br />

ï*éfals mort pour ma gloire, et Je n'ai pas vécu<br />

Tant epe ee lâche cour s'est dit «ptrv vaincu.<br />

Ce n'est que d'aujourd'hui qu'il vit et qu'il respire,<br />

D'aujourd'hui qu'U reaooce sa joug;<strong>de</strong> votre empli»,<br />

Et qu'avec ma raison mes yeux et lut d'accord<br />

Détestent votre vue à l'égal <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort<br />

A peine est-elle-sortie, qu'il s'écrit ÉésistftM :


Ka suer, an nom d'amour, et par plié <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes<br />

Que ce cœur enchanté donne encore à ses charmes,<br />

Si vous Tou<strong>la</strong> d*ua frère empêcher le trépas t<br />

Salve* cette insensible, et tetenei ses pas.<br />

L'INFANTE.<br />

La retenir, moii frère, après l'avoir bannie !<br />

LÂBlSLââ.<br />

Ah! contre ma rataoïi servez sa tyrannie,<br />

le veux désavouer ce cœur séditieux f<br />

La servir, l'adorer, et mourir à ses yeux.<br />

Privé <strong>de</strong> son amour, Je chérirai sa balsa |<br />

refînerai se* mépris, Je bénirai ma peine.<br />

Que Je <strong>la</strong> voie as moins, ai ja se <strong>la</strong> possè<strong>de</strong>.<br />

Je mourais, Je brû<strong>la</strong>is, Je fadorais dans Fâme ;<br />

Et le ciel a pour mol fait un mri tout <strong>de</strong> f<strong>la</strong>mme.<br />

Sa sœur veut sortir pour ramener Cassandre. Il<br />

s'écrie :<br />

SIÈCLE M LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

Me lêàmm-mm^ ma mur, dans ce désoidre extrême?<br />

L'WFâHTE.<br />

J'al<strong>la</strong>i* Sa retenir.<br />

LàBlftUS.<br />

Eh ! ne voyez-vous pas<br />

Quel arrogant mépris précipite ses pas?<br />

Avec combien d'orgueil elle s'est retirée?<br />

Quelle imp<strong>la</strong>cable haine elle m'a déc<strong>la</strong>rée?<br />

Me sont-ce pas là tous les mouvements opposés qui<br />

annoncent le délire <strong>de</strong> l'amour malheureux?<br />

Il est ?rai que les autres rôles se sont pas aussi<br />

bien conçus, à beaucoup près. L'infante Théodore,<br />

qui f jusqu'à <strong>la</strong> In <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce , ne sait pas même<br />

si elle est aimée <strong>du</strong> <strong>du</strong>c <strong>de</strong>Cour<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, qu'elle aime,<br />

est as personnage insipi<strong>de</strong> et à peu près inutile.<br />

.L'infant, qui ne parait que dans les premiers actes,<br />

est entièrement sacrifié à Ladis<strong>la</strong>s. Caçsandre, qui<br />

ne <strong>de</strong>vrait fon<strong>de</strong>r <strong>la</strong> préférence qu'elle donne à<br />

l'infant que sur <strong>la</strong> différence <strong>du</strong> caractère <strong>de</strong> ce<br />

prince à celui <strong>de</strong> son frère, reproche sans cesse à<br />

Ladis<strong>la</strong>s d'avoir voulu attenter à son honneur; et<br />

cette idée, qui revient beaucoup trpp souvent, est<br />

présentée avec fort peu <strong>de</strong> ménagement dans les<br />

termes. J'ai déjà observé qu'après avoir imploré <strong>la</strong><br />

justice <strong>du</strong> roi contre le meurtrier <strong>de</strong> son époux,<br />

elle-même se joint à fin fauta et au <strong>du</strong>c pour obtenir<br />

<strong>la</strong> grâce <strong>de</strong> Ladis<strong>la</strong>s ; et ce changement n'a point<br />

<strong>de</strong> motif suffisant. C'est bien pis au cinquième acte :<br />

le roi lui propose d'épouser Ladis<strong>la</strong>s; elle s'en défend<br />

si faiblement, qu'elle <strong>la</strong>isse croire au spectateur,<br />

comme au roi, qu'elle inira par se rendre;<br />

imitation ma<strong>la</strong>droite <strong>du</strong> CM, et qui ne sert qu'à<br />

faire voir combien le rôle <strong>de</strong> Chimène est mieux<br />

enten<strong>du</strong> que celui <strong>de</strong> Cassandre. Comme le Cid n'a<br />

rien fait qu'il ne dût faire, comme il est aimé <strong>de</strong><br />

Chimène, tout le moo<strong>de</strong> désire leur bonheur et leur<br />

union; mais personne ne souhaite que Cassandre<br />

épouse Ladis<strong>la</strong>s, qu'elle n'aime point, et qui a tué<br />

celui qu'elle aimait.<br />

le ne m'arrête point aux scènes dép<strong>la</strong>cées ou inu-<br />

607<br />

tiles qui font quelquefois <strong>la</strong>opir faction. A l'égard<br />

<strong>du</strong> style, il offre, comme on l'a TU, <strong>de</strong>s beautés<br />

réelles 9 particulièrement dans le rôle <strong>de</strong> Ladis<strong>la</strong>s,<br />

le seul, avant Racine, où Fou ait peint les foreurs<br />

et les crimes dont l'amour est capable. Mais sans<br />

parler <strong>de</strong> l'incorrection, pardonnable dans un temps<br />

oùs<strong>la</strong> versification française ne commençait à se<br />

former que sous <strong>la</strong> plume <strong>de</strong> Corneille, <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>mation,<br />

les idées fausses et a<strong>la</strong>mbiquées, <strong>la</strong> recherche,<br />

les jeu <strong>de</strong> mots, vices inexcusables en tout<br />

temps, parce qu'ils se tiennent pas # au <strong>la</strong>ngage,<br />

mais à l'esprit <strong>de</strong> l'auteur, gâtent trop fréquemment<br />

le style <strong>de</strong> Fmcesim,<br />

Ladis<strong>la</strong>s dit à sa maîtresse :<br />

De l'indigna èrsMter qui consumait mon cœur.<br />

Il ne me reste plus que <strong>la</strong> seule rougeur.<br />

Et dans un autre endroit :<br />

Mon respect s'oublia <strong>de</strong>dans celle poursuite;<br />

Mais un amour enfant peut manquer <strong>de</strong> con<strong>du</strong>ite :<br />

11 portait ton excuse en son aveuglement :<br />

Et c'est trop le punir que <strong>du</strong> bannissement<br />

Et ailleurs :<br />

Qui ies <strong>de</strong>ux Tou<strong>la</strong>-vons, iemmemurm mm cendre ?<br />

Qmlk <strong>de</strong>* <strong>de</strong>ux mmmï-je, ou <strong>la</strong> mort ou Cassandre?<br />

L'amour À vos beaux Jours Jolndra-t-U mon <strong>de</strong>stin ,<br />

On si votre refus sera «son mmmin ?<br />

Ces pointes, et beaucoup d'autres, sont dans le<br />

goût <strong>de</strong> celles <strong>du</strong> Mascarille <strong>de</strong> Molière, à l'exception<br />

<strong>de</strong> ce vers <strong>de</strong> Rodogune,<br />

EUe fuit, mais en Partàe, en noua perçant le cœur,<br />

jeu <strong>de</strong> mots beaucoup moins répréhensible que tous<br />

eem que je viens fie citer, on ne rencontre rien <strong>de</strong><br />

semb<strong>la</strong>ble dans les pièces <strong>de</strong> Corneille qui avaient<br />

paru avant Femcmim 9* et Fauteur aurait dû mieux<br />

profiter <strong>de</strong> cet exemple»<br />

L'oubli <strong>de</strong>s convenances est porté aussi, dans<br />

cette pièce, beaucoup plus loin que dans celles <strong>de</strong><br />

Corneille qui sont restées au théâtre, fesees<strong>la</strong>s dit<br />

à son Ils ;.<br />

611 faut qu'à cent rapports ma créaaoe réponds ,<br />

Rarement le soleil rend <strong>la</strong> lumière au mon<strong>de</strong>,<br />

Que Se premier rayon qu'il répand ici-bas<br />

N'y découvre quelqu'un <strong>de</strong> vos amamiwiti.<br />

Peut-on rendre plus gratuitement odieux et vil un<br />

personnage principal qui doit exciter l'intérêt ? Peuton<br />

supporter que, dans <strong>la</strong> scène où Ladis<strong>la</strong>s veot<br />

braver Cassandre, il aille jusqu'à lui dire :<br />

le ne vois point en vous d'appas si surprenants<br />

Qu'ils vous doivent donner <strong>de</strong>s titres éminenti :<br />

Rien ne relève tant f éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> ce visage,<br />

Ou vous n'en mettes pas tous les traits en usage;<br />

Yos yens, ces beaux charmeurs, avec tous leurs appât*<br />

He*ont point accusés <strong>de</strong> ai al d'aftossmaff.<br />

Le Joug que vous croyez tomber sur tant <strong>de</strong> têtes<br />

He parle ao<strong>la</strong><strong>la</strong>l <strong>la</strong>to le brait da vos conquêtes i


608<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

Ion cm sent, dont le «f se donne à trop bon prix, tous beaucoup d'héroïsme, et souvent mime trop ;<br />

Vota «spire s'étend sur peu d'autres esprits.<br />

Pour mol, qui suis facile» et qui bientôt me Messe, et comme il est toujours question <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir et Ja­<br />

Votre beauté m'a plu, j'avouerai ma faiblesse, mais <strong>de</strong> passif», le spectateur reste aussi tranquille<br />

Et m'a muté <strong>de</strong>s soins, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs et <strong>de</strong>s pas ; queles personnages. L'intrigue était pourtant 'com­<br />

Mais <strong>du</strong> <strong>de</strong>ssein} Je crois que vous s'en doutée pas.<br />

binée <strong>de</strong> manière à pro<strong>du</strong>ire plus d'effet, si le poète<br />

avait su <strong>la</strong> rendre tragique. Ârons doit <strong>la</strong> vie à Scévoie,<br />

qui est en même temps son rival, et qui a<br />

voulu assassiner le roi son père. Avec un fond semb<strong>la</strong>ble,<br />

animes les personnages et gra<strong>du</strong>el les situations<br />

, il doit en résulter <strong>de</strong> l'intérêt. Alvarès, dans<br />

jiMref est dans une position à peu près pareille :<br />

Avec tous mes effortsf fat manqué <strong>de</strong> fortune;<br />

Yoos nAvei résisté, <strong>la</strong> gloire en est commune.<br />

Si contre vos refus J'eusse cru mon pouvoir,<br />

UD facile sticeèa eût suivi aiee espoir :<br />

Dénèsmi ma conquête, elle m'était certain* ;<br />

Mais Je n'ai pas trouvé qu'elle en valût <strong>la</strong> peine.<br />

L'auteur a pris ici pour <strong>du</strong> dépit <strong>la</strong> grossièreté<br />

brutale, et n'a pas songé qu'il y avait une double<br />

faute dans ce manque <strong>de</strong> bienséance : d'abord , qu'un<br />

prince ne pouvait pas injurier si indécemment une<br />

femme d'un rang à peu près égal au sien; ensuite<br />

que lui-même se rendait inexcusable, lorsqu'un moment<br />

après il adore plus que jamais l'objet d'un mépris<br />

si insultant.<br />

Heureusement ees détails si vicieux, et les longueurs<br />

et les fers ridicules, sont faciles à supprimer;<br />

et 9 à Fai<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces retranchements et <strong>de</strong> quelques<br />

corrections, l'outrage s'est soutenu au théâtre<br />

avec un succès mérité. Son ancienneté le rend prédéni<br />

, et, au défaut d'élégance, le style un peu suranné<br />

a un air <strong>de</strong> vétusté et <strong>de</strong> naturel qui ne lui<br />

messied pas, et qui donne mime un nouveau prix<br />

aux beautés en rappe<strong>la</strong>nt leur époque.<br />

Du Ryer peut être comparé à Rotrou pour le nombre<br />

<strong>de</strong>s pro<strong>du</strong>ctions dramatiques, mais non pour le<br />

talent. Alcymée et Scév&k réussirent dans leur<br />

temps; Scévok surtout eut un très-grand succès,<br />

et conserva même <strong>de</strong> 4a réputation jusque dans ce<br />

siècle. C'est en effet le plus passable <strong>de</strong>s ouvrages<br />

<strong>de</strong> fauteur. Jkij&mée, que Saint-Évremond cite ridiculement<br />

à t&tê A'Andromaque, n'est qu'un'roman<br />

si froi<strong>de</strong>ment insensé, que l'analyse en serait<br />

aussi difficile que <strong>la</strong> lecture. On n'en peut guère citer<br />

que ces <strong>de</strong>ux vers que le hérof dit I sa mattresse:<br />

Voua m'aies «Minaudé <strong>de</strong> vivre-, et J'ai vécu*<br />

Tous m'avet commandé <strong>de</strong> vaincre t et J'at vaincs*<br />

11 y en a <strong>de</strong>ux autres qui ne furent pas moins fameux<br />

dans le <strong>de</strong>rnier siècle, par l'application qu'en<br />

it le <strong>du</strong>c <strong>de</strong> <strong>la</strong>'Rochefoucauld en les parodiant :<br />

Pour obtenir on bien ai grand, si précieux,<br />

Tai fait <strong>la</strong> guerre au rois, je l'eusse faite au dleux«<br />

Scévoie est dans le genre purement héroïque, que<br />

Corneille avait mis à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>, mais que lui seul<br />

pouvait soutenir par <strong>de</strong>s ressources <strong>de</strong> génie dont<br />

<strong>du</strong> Ryer était bien loin. Les caractères, les situations<br />

et le style ont <strong>de</strong> <strong>la</strong> noblesse; mais le tout est<br />

également froid. Scévoie, Junie son amante et fille<br />

<strong>de</strong> finîtes. Irons son rival, le roi Porsenne, ont<br />

L'assassin <strong>de</strong> mon fils est mon libérateur,<br />

dit-il au cinquième acte, lorsqu'il voit Zamore prêt<br />

à périr après avoir poignardé Gnsman. Mais le poète<br />

a eu soin <strong>de</strong> nous occuper, dès le premier acte, <strong>de</strong><br />

cette reconnaissance qu'Alvarès doit à Zamore, <strong>de</strong><br />

nous les <strong>mont</strong>rer dans les bras l'un <strong>de</strong> f antre, et<br />

dans l'effusion <strong>de</strong>s sentiments les plus tendres; et<br />

<strong>du</strong>rant tout le <strong>cours</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, le sèle d'Alvarès<br />

croît avec le danger <strong>de</strong> Zamore. C'est ainsi qu'on<br />

mène le coeur humain dans une tragédie : <strong>du</strong> Ryer<br />

ne s'en doute pas ; et rien ne fait mieux voir que les<br />

situations appartiennent réellement à celui qui en<br />

a vu Féten<strong>du</strong>e et les résultats. Dans Scévoie, on ne<br />

dit qu'un mot, au premier acfe, <strong>de</strong> cette obligation<br />

qu'a eue le Us <strong>de</strong> Porsenne au guerrier romain; et<br />

même on ne peut ni <strong>de</strong>viner ni comprendre comment<br />

Scévoie a f u sauver un prince étrusque. Ce<br />

n'est qu'au quatrième actequ'Arons le raconte à son<br />

père, avec <strong>la</strong> même froi<strong>de</strong>ur qui règne dans toute <strong>la</strong><br />

pièce. Il apprend <strong>de</strong> même, au quatrième acte, que<br />

Scévoie est aimé <strong>de</strong> Junie^ et <strong>la</strong> rivalité et <strong>la</strong> recon­<br />

naissance, et <strong>la</strong> nature et l'amour, ne pro<strong>du</strong>isent<br />

que <strong>de</strong>s raisonnements à perte <strong>de</strong> vue, <strong>de</strong>s exc<strong>la</strong>mations<br />

, <strong>de</strong>s apostrophes, <strong>de</strong>s sentences. Le vieux Porsenne<br />

aussi est amoureux <strong>de</strong> cette Junie; maïs on<br />

peut juger <strong>de</strong> cet amour par l'arrangement qu'il lui<br />

propose quand il <strong>la</strong> voit étonnée <strong>de</strong> <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>ration<br />

qu'il lui Mt i<br />

le sais Men que su» âge t'offense;<br />

Mais regar<strong>de</strong> ce prince orné <strong>de</strong> ma pnissanos :<br />

C*eat mon lis, c'est enfin l'esc<strong>la</strong>ve couronné<br />

Que tes yeux gagneront, sUs ne l'ont pasapgné*<br />

Un * pareil amour n 9 est embarrassant pour personne.aMai8<br />

Junie ne veut pas plus <strong>du</strong> ils que <strong>du</strong><br />

père : elle veut Scévoie, et Arons <strong>la</strong> cè<strong>de</strong> à ce Romain<br />

aussi aisément que son père <strong>la</strong> lui cédait. 11 a<br />

été un temps où tout ce<strong>la</strong> paraissait <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur :<br />

à coup sûr ce n'est pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie.<br />

D'ailleurs, <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong>là pièce manque <strong>de</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce.<br />

La fille <strong>de</strong> Brutuf est amenée dans le<br />

camp <strong>de</strong> Porsenne par <strong>de</strong>s movens forcés et impro-


ailles* Os conçoit encore moins que le ml d*Étftirie<br />

offre son ils à <strong>la</strong> fille d'un Romain, qui certainement,<br />

à l'époque où se passe l'action, ne doit lui<br />

paraître qu'un dief <strong>de</strong> révoltés. 11 n'est pas plus<br />

raisonnable que Soévo<strong>la</strong>, qui vient déguisé dans le<br />

camp <strong>de</strong>s Étrusques, où il court le plus grand dangwr,<br />

consente à perdre <strong>de</strong>s instants précieui » et<br />

diffère son entrepris» contre Porsenne» jusqu'à ce<br />

que Junîe ait parlé à ce prince en îmmt <strong>de</strong>s Romains<br />

f et n'ait rien obtenu. Une pareille eomp<strong>la</strong>isauce<br />

pour Juste, dans <strong>de</strong>s circonstances si critiques,<br />

peut bien être conforme au lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> chevalerie,<br />

qui ne permettaient pas <strong>de</strong> tuer personne sans k<br />

SIÈQLI DI LOUIS 30V. — POÉSIE. §09<br />

n m Tondrait cacher, loi qm l'honneur éc<strong>la</strong>ira<br />

A l'ombre <strong>du</strong> bouclier <strong>de</strong> son propre adversaire :<br />

Tu n'as ira qu'un éémem <strong>de</strong> sa forme Téta ,<br />

Qui face*, après sa mort, d'étouffer sa verte.<br />

O vertu <strong>de</strong> Seévole t m% Romains si eonmie ,<br />

Viens , e&mme mm beau mleM, dissiper cette nue !<br />

Avec ce démon et ce beau soleM, et le émwpkm et<br />

le char <strong>de</strong> crisêai, on détruirait l'effet <strong>de</strong>s plus belles<br />

choses. Ce style était pourtant celui <strong>de</strong> tous les<br />

auteurs tragiques dans le temp même où fou a?ait<br />

Cirma et les Eoraces*<br />

mmm n. — ThomU Corneille.<br />

Tbomas Corneille <strong>du</strong> moins éfita cet excès <strong>de</strong><br />

mauvais goût; ce qui n'est pas étonnant, puisqu'il<br />

mmgé <strong>de</strong> m dame ; mais elle n'est ni romaine ni sen­ ? enait longtemps après les ehefs-d'eeuv re <strong>de</strong> son f rasée.<br />

Quant à <strong>la</strong> diction, die a quelquefois une sorte re f et qu'il écrivait do temps <strong>de</strong> Racine. On a dit<br />

<strong>de</strong> force et un ton <strong>de</strong> ierté; mais en général elle <strong>de</strong> lui qu'il mumM eu me gran<strong>de</strong> répuêation, s'il<br />

est à <strong>la</strong> fois lâche et <strong>du</strong>re, -sèche et ampoulée, pro­ m'eâi pas eu <strong>de</strong> frère ; je crois qu'on peut en dousaïque<br />

et déc<strong>la</strong>matoire. L'expression est presque ter. C'était un écrivain essentiellement médiocre,<br />

toujours impropre» et <strong>la</strong> pensée souvent finisse. et fjsl ne s'est jamais élevé. Il a quelquefois rencon­<br />

J'ai enten<strong>du</strong> citer ces <strong>de</strong>ux ?ers que dit Junte, en tré le naturel; il s'a jamais été au grand. La répu­<br />

par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s Romains assiégés par <strong>la</strong> famine et par tation <strong>de</strong> Mae n'empêcha point que plusieurs pièces<br />

l'ennemi :<br />

<strong>du</strong> ca<strong>de</strong>t n'eussent dans leur nouveauté un très-grand<br />

Ce peuple, pour si gloire, mnmmi ie ta «dAv, succès; et si elles n'ont pu se soutenir, c'est leur pro­<br />

Se nourrira d'en hms f et eentattia <strong>de</strong> l'autm pre faiblesse qui les a fait tomber* 11 était très-fé­<br />

Quel en est le sens? Veut-elle dire que les Rocond f et travail<strong>la</strong>it a? ec une extrême facilité : c'est<br />

mains mangeront et combattront en même temps, plutôt un danger qu'un mérite f lorsqu'on n'a pas<br />

ou bien qu'ils mangeront un <strong>de</strong> leurs bras ¥ et com­ un grand talent. Dans <strong>la</strong> foule <strong>de</strong> ses- outrages,<br />

battront avec l'autre? Les vers ont également ces LmmMeé, ThèôdM, Darius, kMwê d'Annibal, <strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>ux sens , et sont très-mauvais dans tous les <strong>de</strong>ui. Mort <strong>de</strong> €œmwm<strong>de</strong>È <strong>la</strong> M&rt m^AcMUe, Brada-<br />

Le récit <strong>de</strong> <strong>la</strong> défense d'un pont <strong>du</strong> Tibre par mante f Bérénice ( ce n'est pas le même sujet que<br />

Horatius Codés a passé pour un <strong>de</strong>s meilleurs mor­ celui <strong>de</strong> Racine ), Jmttùchwf Maximian, Pyrceaux<br />

: c'était do moins un <strong>de</strong> ceux qui attiraient le rhus f Persée, ne méritent pas même d'être nom­<br />

plus d'app<strong>la</strong>udissements lorsqu'on jouait encore <strong>la</strong> més , et tous ces noms oubliés ne se retrou?ent<br />

pièce. 11 y a quelques endroits assez imposants 9 quoi­ plus que dans les catalogues dramatiquest Hns®*<br />

que toujours gâtés par le prosaïsme ; mais il est trop craie n'est connu que comme un exemple <strong>de</strong> ces<br />

long <strong>de</strong> <strong>la</strong> moitié, et <strong>la</strong> in est un galimatias méta­ gran<strong>de</strong>s fortunes passagères qui accusent le goût<br />

phorique digne <strong>du</strong> père le Moine.<br />

d'un siècle i et qui étonnent l'âge suivant. 11 eut quatre-vingts<br />

représentations : les comédiens se <strong>la</strong>ssè­<br />

Os cet dit, à te mk ètlâiicer iemm l'ean, rent <strong>de</strong> Je jouer avant que le public se <strong>la</strong>ssât <strong>de</strong> le<br />

Que même soi bouclier <strong>la</strong>i «rwll <strong>de</strong> vaisseau ;<br />

Et cp*» pouutmt nos traits, tout notre effort n'excite voir; et et qui n<br />

Çm'mm fmwwuèie verni fvt kpmme plw ¥ite.<br />

On eût dit fp'ea tombant le ilea même <strong>de</strong>s Ilots f<br />

Comme un antre dauphin, te reçu! mr mm ém9<br />

Et qœ rets, Meotuluit use il belle audace f<br />

Fit tut ekmr <strong>de</strong> amtmi où trlomplialt Horaet.<br />

Le seul trait qui m'ait para fraiment beau est ce<br />

mot <strong>de</strong> Junie lorsque sa confi<strong>de</strong>nte lui dit qu'elle a<br />

vu dans le camp Seévole déguisé 9 et qui sans doute<br />

n'a?ait pris ce parti que pour se sauf er :<br />

• Pour se sauver, dis-tu I tu n*as point vu Seévoie.<br />

Mais il fal<strong>la</strong>it en rester là v et Fauteur s'en gar<strong>de</strong> bien.<br />

Il dé<strong>la</strong>ye cette pensée en douze vers plus emphatiques<br />

les uns que les autres.<br />

LA •âlK. — VCMB t.<br />

f est pas moins eitraordinaire, c'est<br />

que <strong>de</strong>puis ils n'aient jamais essayé <strong>de</strong> le reprendre.<br />

Quand on essaye <strong>de</strong> le lire, on se peut imaginer ce<br />

qui lui procura cette ?ogue prodigieuse. Le sujet est'<br />

tiré <strong>du</strong> roman <strong>de</strong> Cléopâtre, et c'est en effet une <strong>de</strong><br />

ces aventures mer?eilleuses qu'on ne peut trouver<br />

que dans les romans. Le héros <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce joue un *<br />

double personnage : sous k nom <strong>de</strong> Timœrate, il<br />

est l'ennemi <strong>de</strong> <strong>la</strong> reine d'Argot f et l'assiège dans<br />

sa capitale; sous celui <strong>de</strong> Cléomène, il est son défenseur<br />

et l'amant <strong>de</strong> sa il<strong>la</strong> M est assiégeant et assiégé;<br />

il est vainqueur et vaincu. Cette singu<strong>la</strong>ritéy<br />

qui est vraiment très-extraordinaire,- a pu «citer<br />

une sorte <strong>de</strong> curiosité qui peut-être it le succès <strong>de</strong><br />

m


CIO<br />

C0U1S DE LITFÉRATH1E.<br />

<strong>la</strong> pièce, surtout si le rôle était joué par un aeteur<br />

aimé <strong>du</strong> public. Au reste f cette curiosité est <strong>la</strong> seule<br />

espèce d'intérêt qui eilste dans cette pièce, où le<br />

héros n'est jamais en danger. On imagine bien que<br />

cette intrigue fait naître beaucoup d'inci<strong>de</strong>nts qui<br />

ne sont guère vraisemb<strong>la</strong>bles , mais qui pourtant ne<br />

sont pas amenés sans art. Le style est celui <strong>de</strong> toutes<br />

les pièces <strong>de</strong> l'auteur : comme elles sont toutes,<br />

excepté Jrmne et te Comie d'Enêx, <strong>de</strong>s romans<br />

dialogues f le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong>s personnages n f a pas un autre<br />

caractère. Des fa<strong>de</strong>urs amoureuses , <strong>de</strong>s raisonnements<br />

entortillés, un héroïsme a<strong>la</strong>mbiqué9 une<br />

monotonie <strong>de</strong> tournures froi<strong>de</strong>ment sentencieuses f<br />

une diffusion insupportable, une versification f<strong>la</strong>sque<br />

et incorrecte, telle est <strong>la</strong> manière <strong>de</strong> Thomas<br />

Gorneille : il y a peu d'auteurs dont <strong>la</strong> lecture soit<br />

plus rebutante.<br />

Camma et SêMkm, qui eurent <strong>du</strong> succès pendant<br />

longtemps, n'oit d'autre mérite qu'une intrigue<br />

assez bien enten<strong>du</strong>e, quoique compliquée. Ce<br />

mérite est bien faible quand l'intrigue n'attache<br />

que l'esprit, et qu'il n'y a rien pur le cœur ; et c'est<br />

le ?ice capital <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux outrages, Ils manquent<br />

<strong>de</strong> cet intérêt qui doit toujours animer <strong>la</strong> tragédie;<br />

il n'y a ni passions, ni mouvements, ni caractères;<br />

les héros et les scélérats sont également sans physionomie<br />

; itedissertent et ils combinent voilà tout.<br />

Les situations étonnent quelquefois 9 mais s'attachent<br />

pas. (Test dans Camma que Fauteur <strong>de</strong> Zd*<br />

mire.a pris ce coup <strong>de</strong> théâtre qui <strong>la</strong> It réussir, ce<br />

poignard disputé entre <strong>de</strong>ux personnages, qui fait<br />

douter à un troisième lequel <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux vou<strong>la</strong>it porter<br />

le coup y lequel vou<strong>la</strong>it l'arrêter. 11 se peut, à toute<br />

force, qu'un assassin soit capable <strong>de</strong> calculer en un<br />

clin d'oeil toutes les vraisemb<strong>la</strong>nces qui peuvent détourner<br />

les soupçons sur un autre, et les éloigner<br />

<strong>de</strong> lui; mais cet effort <strong>de</strong> présence d'esprit, lorsqu'on<br />

est surpris dans le crime, est au moins bien<br />

difficile à supposer, et ne peut d'ailleurs s'appuyer<br />

que sur un amas <strong>de</strong> circonstances qui tiennent à un<br />

fond trop romanesque, et par conséquent au vice<br />

<strong>du</strong> sujet : c'est le défaut <strong>de</strong> Camma et <strong>de</strong> Zelmîre,<br />

quoique celle-ci, dans les premiers actes, offre plus<br />

d'intérêt.<br />

Remarquons que jamais les écrivains supérieurs<br />

n'ont fait usage <strong>de</strong> ces petites ressources, <strong>de</strong> ces<br />

tours <strong>de</strong> force qui ont toujours le défaut <strong>de</strong> représenter<br />

ce qui n'est jamais arrivé nulle part et n'est<br />

point dans Tordre <strong>de</strong>s événements naturels. Et<br />

qu'est-ce qu'un art qui n'est qu'un jeu d'esprit 9 et<br />

non pas l'imitation <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature?<br />

La <strong>de</strong>ux seules tragédies <strong>de</strong> Thomas Corneille<br />

Jriane* Elles sont en effet très-supérieures aux- antres,<br />

surtout <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière. ¥oltair@ a joint le €om-.<br />

mentaire <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux pièces à celui <strong>du</strong> théâtre <strong>de</strong><br />

Pierre Corneille. 11 dit <strong>du</strong> Comte d'Maex :<br />

« Cette pièce, qui sé<strong>du</strong>isit le peuple', n'a jamais été in<br />

gaif <strong>de</strong>s eoiMialssears» »<br />

Et il dit vrai. 11 en fait sentir parfaitement tous les<br />

défauts; mais ce qu'il létaÉe dans ses notes ne<br />

doit faire iéi <strong>la</strong> matière que d'un esposé fort succinct.<br />

Toute analyse, dans le p<strong>la</strong>n que je suis, se<br />

doit avoir qu'une éten<strong>du</strong>e proportionnée au mérite<br />

<strong>de</strong> l'ouvrage et à l'importance <strong>de</strong>s objets.<br />

D'abord l'histoire est étrangement défigurée; et,<br />

nomme il s'agissait d'un peuple voisin et d'un fait asses<br />

récent, cette licence n'est pas excusable. 11 n'est<br />

pas permis 9 lorsqu'on représente sur le théâtre <strong>de</strong><br />

Paris un événement qui s'est passé en Angleterre, <strong>de</strong><br />

contredire <strong>la</strong> vérité <strong>de</strong>s faits et les mœurs <strong>du</strong> pays 9<br />

au point qu'un Ang<strong>la</strong>is qui assisterait à ce spectacle<br />

ne pourrait s'empêcher d'en rire, i faudrait, au son<br />

traire, qu'en voyant les personnages sur <strong>la</strong> scène il se<br />

crût dans Londres : tel est le <strong>de</strong>voir <strong>du</strong> poète dramatique.<br />

Passe encore <strong>de</strong> donner <strong>de</strong> l'amour à une reine<br />

<strong>de</strong> soixante-huit ans (c'était l'âge d'Elisabeth quand<br />

elle condamna le comte d'Essex) : on peut permettre<br />

à l'auteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> supposer plus jeune. Mais que peut<br />

dire un Ang<strong>la</strong>is, que peut dire même tout homme un<br />

peu instruit, lorsqu'il voit le lord Essex, qui joue<br />

dans l'histoire un râle si médiocre, transformé en<br />

héros <strong>du</strong> premier rang, en homme <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong><br />

importance qui tient dans ses mains le sort <strong>de</strong> l'Angleterre,<br />

et qui parle sans cesse comme s'il ne tenait<br />

qu'à lui <strong>de</strong> détrôner Elisabeth? Quoi! je sais,<br />

et tout le mon<strong>de</strong> peut savoir comme moi, que le<br />

seul exploit d'Essex fut d'avoir part à <strong>la</strong> défaite <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> flotte espagnole lorsque l'amiral Raleigh <strong>la</strong> battit<br />

<strong>de</strong>vant Cadix ; que <strong>la</strong> seule fols qu'il eut une armée<br />

à ses ordres, ce fut pour <strong>la</strong> <strong>la</strong>isser détruire par les<br />

rebelles d'Ir<strong>la</strong>n<strong>de</strong>; que sa mauvaise con<strong>du</strong>ite le it<br />

tra<strong>du</strong>ire en jugement, et qu'on se borna par grâce<br />

à le priver <strong>de</strong> toutes ses charges; et j'entendrai ce<br />

même homme parler <strong>de</strong> lui comme <strong>du</strong> plus grand<br />

appui <strong>de</strong> l'État, comme d'un général sur qui l'Europe<br />

a les yeux, que toutes les puissances redoutent,<br />

et dont <strong>la</strong> perte entraînera celle <strong>du</strong> royaume!<br />

Je sais qu'une vanité folle le rendit ingrat et coupable<br />

envers une reine sa bienfaitrice, au point <strong>de</strong><br />

vouloir se venger d'une punition très-juste, en formant<br />

une conspiration pour mettre sur le trêae<br />

Jacques, roi d'Ecosse; qu'on le vit courir dans les<br />

rues <strong>de</strong> Londres comme un insensé, sans pouvoir<br />

exciter parmi le peuple le plus léger mouvement,<br />

qui lui aient survécu, sont le Covmie t^Ene® et et que <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> ses projets coupables fut on arrêt


<strong>de</strong> mort très-légalement renie, qui l'envoya sur uo<br />

échaiaud, sans que personne s'intéressât an malheur<br />

d'un homme que son extravagance avait fait<br />

mépriser ; et c'est lui que j'entendrai dire à sa souveraine<br />

Elisabeth :<br />

SI <strong>de</strong> me démentir j'avais été capable,<br />

Sans rien craindre <strong>de</strong> vous, ¥©ns m'auriez TU coupable.<br />

Cest sa trône, où peut-être on m'eût <strong>la</strong>issé <strong>mont</strong>er,<br />

Que j@ me fesse mis en pouvoir d'éekter.<br />

Quand on veut traiter ainsi l'histoire, il vaut<br />

mieux continuer à faire <strong>de</strong>s romans. Que penserait-on<br />

d'un poète qui intro<strong>du</strong>irait sur <strong>la</strong> scène le<br />

<strong>du</strong>e <strong>de</strong> Beaufort disant à <strong>la</strong> reine Anne d'Autriche :<br />

11 n'a tenu qu'à moi <strong>de</strong> me faire roi <strong>de</strong> France? L'un<br />

n'est pas plus risibleque l'autre. 11 faut croire, comme<br />

Voltaire le remarque, que pen<strong>de</strong> spectateurs savaient<br />

l'histoire d'Angleterre : <strong>la</strong> plupart ne connaissaient<br />

le comte d'Essex que par les romans fabriqués en<br />

France sur ses amours avec Elisabeth, qui passa en<br />

effet pour avoir eu quelque goût pour lui, quoiqu'elle<br />

eût cinquante-huit ans quand elle l'appe<strong>la</strong> à sa cour,<br />

et le it entrer au conseil. La faveur <strong>du</strong> comte <strong>du</strong>ra<br />

peu, parce que Elisabeth, qm savait régner, s'aperçut<br />

qu'il était au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> <strong>la</strong> fortune qu'elle loi<br />

avait faite. Il acheva <strong>de</strong> <strong>la</strong> dégoûter en vou<strong>la</strong>nt <strong>la</strong><br />

gouverner :. elle vit ses' défauts et ses vices, et <strong>la</strong>issa<br />

punir ses crimes. Mais <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong>, trompée par les<br />

romanciers au moment où Thomas Corneille donna<br />

sa pièce, était apparemment disposée à voir dans le<br />

©ointe d'Essex un grand homme opprimé, victime<br />

d'une cabale <strong>de</strong> cour et <strong>de</strong>là jalousie <strong>de</strong>sareine. Cest<br />

aux hommes équitables et éc<strong>la</strong>irés, à ceux qui respectent<br />

<strong>la</strong> vérité et <strong>la</strong> justice, à déci<strong>de</strong>r si un poète<br />

a ledroît<strong>de</strong> flétrir <strong>la</strong> mémoired'uoe gran<strong>de</strong> princesse,<br />

<strong>de</strong> lui attribuer une faute grave qu'elle n'a pas commise,<br />

<strong>de</strong> faire d'un rebelle ingrat et d'us conspirateur<br />

insensé us héros innocent et un citoyen vertueux<br />

, et <strong>de</strong> représenter comme une œuvre d'iniquité<br />

ce qui fut <strong>la</strong> punition d'un crime public et a voué ;<br />

s'il a le droit <strong>de</strong> nous donner pour <strong>de</strong> vils scélérats<br />

<strong>de</strong>s juges qui Irent leur <strong>de</strong>voir, et nommément Robert<br />

Gécil, ministre intègre et estimé, et le vice-amiral<br />

Raleigh, un <strong>de</strong>s grands hommes <strong>de</strong> l'Angleterre,<br />

qui rendit tant <strong>de</strong> services à sa patrie 9 et dont le nom<br />

y est encore respecté; enfin si violer ainsi l'histoire,<br />

ce s'est pas en effet déshonorer <strong>la</strong> tragédie, qui ne<br />

doit s'en sertir que pour en rendre les exemples plus<br />

frappants et les leçons plus utiles.<br />

Thomas Corneille n'est pas plus fidèle dans <strong>la</strong> peinture<br />

<strong>de</strong>s mœurs que dans celle <strong>de</strong>s caractères. Quand<br />

il suppose que le comte d'Essex est exécuté sans que<br />

<strong>la</strong> reine ait signé son arrêt, il n'y a point d'Ang<strong>la</strong>is<br />

qui ne lui dit : Ce<strong>la</strong> est faux et impossible. Il n'existe<br />

SIÈCLE DE LOOIS X1Y. — POÉSIE. 611<br />

personne dans mon pays qui osât prendre sur lui <strong>de</strong> -<br />

felre exécuter une sentence <strong>de</strong> mort contre qui que<br />

ce soit, sans que le souverain Fait signée. Quand<br />

le sanguinaire parlement, qu! finit pas ôter <strong>la</strong> vie à<br />

Charles 1 er , eut condamné le vertueux Strafford, il<br />

fallut absolument, pour exécuter cette sentence Inique,<br />

arracher à <strong>la</strong> faiblesse <strong>du</strong> monarque une signature<br />

qu'il refusa longtemps ; et une faction qui osa<br />

tout n'osa pas alors enfreindre une loi sacrée et un<br />

usage invariable.<br />

Je ne puis me dispenser <strong>de</strong> rapporter <strong>la</strong> note trèsjudicieuse<br />

<strong>de</strong> Voltaire sur ces vers que dit le comte<br />

d'Essex en par<strong>la</strong>nt <strong>du</strong> comte <strong>de</strong> Tiron :<br />

Comme il liait les méchants, il me serait utile<br />

â chasser OR Cobham, uo Ralelgh, uo Cécile,<br />

Un tm d'kommeê mm n&m, qui, bassement f<strong>la</strong>tteurs t<br />

Des désordres publics font gloire d'être auteurs.<br />

« Il n'est pas permis <strong>de</strong> falsifier à ce point eue histoire<br />

si récente, et <strong>de</strong> traiter avec tant d'indignité <strong>de</strong>s nommes<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> naissance et <strong>du</strong> plus grand mérite. Les<br />

personnes instruites en sont révoltées, sans que tes Ignorants<br />

y trouvent beaucoup <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir. »<br />

J'avoue que ces considérations sont plus importantes<br />

pour l'opinion <strong>de</strong>s gens sensés que pour l'effet<br />

<strong>du</strong> théâtre, où le plus grand nombre <strong>de</strong>s juges n'est<br />

pas celui qui a le plus <strong>de</strong> connaissances. Mais <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, à l'examiner en elle-même, est encore<br />

très-répréhensible à beaucoup d'égards. Tout y<br />

est vague, indécis, inconséquent. Dans le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong><br />

fauteur, le comte d'Essex est évi<strong>de</strong>mment coupable,<br />

sinon <strong>de</strong> conspiration contre l'État, au moins d'une<br />

révolte ouverte, puisqu'il a soulevé le peuple, et attaqué<br />

le pa<strong>la</strong>is les armes à <strong>la</strong> main. 11 n'y a point <strong>de</strong><br />

monarchie ou ce ne soit un crime capital : comment<br />

donc peut-il parler sans cesse <strong>de</strong> son innocence? Il<br />

prétend, il est vrai, n'avoir eu d'autre projet que .<br />

d'empêcher le mariage d'Henriette, sa maîtresse, a?ee<br />

le <strong>du</strong>c d'Irton ; mais, outre qu'on ne voit pas bien<br />

epe ce soulèvement pût empêcher le mariage, luimême<br />

se croit obligé, pour l'honneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>du</strong>chesse<br />

d'Irton, <strong>de</strong> cacher les motifs <strong>de</strong> son entreprise ; <strong>la</strong><br />

reine les ignore ; personne n'es est instruit, excepté<br />

son confi<strong>de</strong>nt Salsbury. Pourquoi donc, criminel,<br />

dans le fait, et tout au plus excusable dans l'intention<br />

qu'on ne sait pas, tient-il le <strong>la</strong>ngage altier d'un<br />

homme qui serait irréprochable ? Pourquoi s'obstiner<br />

à ne pas <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à <strong>la</strong> reine le pardon d'une faute<br />

réelle? Pourquoi dire que cette démarche, <strong>la</strong> seule<br />

qu'Elisabeth exige <strong>de</strong> lui, le perdrait d'honneur? Il<br />

n'y a que l'innocence qui puisse se déshonorer en <strong>de</strong>mandant<br />

grâce ; mais pour lui, tout l'oblige à <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r,<br />

quand on veut bien <strong>la</strong> lui promettre. C'est<br />

pourtant cette faute essentielle qui fait le nœud <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

pièce ".l'auteur Fa palliée jusqu'à un certain point,<br />

m.


COTOS DE LnTÉHATDBE.<br />

612<br />

non pas aux yeux <strong>de</strong>s connaisseurs, mais <strong>du</strong> moins à<br />

ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong>, en supposant use eabale acharnée<br />

Contre Esses, et qui lui prête <strong>de</strong>s complots qu'il<br />

s'a point formés, <strong>de</strong>s intelligences criminelles qu'il<br />

s'a pas, <strong>de</strong>s lettres qu'il n'a point écrites ; tandis que<br />

d'un autre côté, on nous entretient continuellement<br />

<strong>de</strong>s grands services qu'il a ren<strong>du</strong>s, <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s obligations<br />

que lui a l'Angleterre, qu'Elisabeth ellemême<br />

atoue. Ce tableau en impose f et pro<strong>du</strong>it une<br />

sorte d'illusion qui fait oublier qu'il était bien plus<br />

simple que ses ennemis se bornassent au seul attentat<br />

qu'il ne peut pas désavouer, et qui suffit pour sa<br />

condamnation. Mais s'il a tort <strong>de</strong> se refuser mm tant<br />

<strong>de</strong> hauteur à recourir à <strong>la</strong> clémence <strong>de</strong> <strong>la</strong> reine, on<br />

ne voit pas mieux pourquoi dans les dispositions où<br />

elle est à son égard, elle s'obstine aussi à exiger qu'il<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> grâce, et à faire dépendre <strong>de</strong> cette soumission<br />

<strong>la</strong> fie d'un sujet qu'elle aime, et l'honneur <strong>de</strong> sa<br />

couronne. En quoi cet honneur serait-il compromis,<br />

dans le cas où le souvenir <strong>de</strong>s services <strong>du</strong> comte <strong>la</strong><br />

déterminerait à oublier sa faute? Ce motif n'est-il<br />

pas suffisant? et a-t-il quelque chose qui dégra<strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

souveraineté ? L'intrigue n'est donc appuyée que sur<br />

<strong>de</strong>s ressorts faux qui amènent <strong>de</strong>s déc<strong>la</strong>mations.<br />

Yoilà ce que <strong>la</strong> critique ne peut excuser dans cet<br />

ouvrage; mais en même temps elle avoue que le<br />

rélc <strong>du</strong> comte d'Essex, tel que le poète Fa présenté<br />

, ne <strong>la</strong>isse pas d'avoir <strong>de</strong> l'intérêt. Meus avons vu<br />

ce qu'il est aux yeux <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison; il est juste <strong>de</strong><br />

<strong>mont</strong>rer sous quels rapports 11 parvient quelquefois<br />

à toucher le cœur. C'est l'amour seul, et un amour<br />

malheureux, qui lui a fait commettre une faute;<br />

Hît haine en prolte pur le perdre f en y joignant<br />

<strong>de</strong>s attentats supposés. Sous ce point <strong>de</strong> vue, sa<br />

disgrâce est d'autant plus digne <strong>de</strong> pitié , que <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite<br />

<strong>de</strong> ses ennemis excite plus d'indignation. La<br />

délicatesse qui l'empêche d'avouer que son amour<br />

pour <strong>la</strong> <strong>du</strong>chesse d'Irton est <strong>la</strong> seule cause <strong>de</strong> son<br />

impru<strong>de</strong>nte révolte sert encore à le rendre intéressant;<br />

et c'est une scène touchante que celle où <strong>la</strong><br />

<strong>du</strong>chesse prend le parti <strong>de</strong> révéler sa faiblesse à<br />

Elisabeth, et <strong>la</strong> passion que le comte a pour elle.<br />

Cette même Elisabeth, qui d'abord ne parait qu'un<br />

personnage <strong>de</strong> roman lorsqu'elle veut absolument<br />

qu'Essex l'aime sans aucune espérance, lorsqu'elle<br />

dit à sa copfi<strong>de</strong>nte ces vers qui ne seraient supportables<br />

que dans <strong>la</strong> bouche d'une jeune personne bien<br />

ingénue et bien Innocente, mais qui sont un peu ridicules<br />

dans <strong>la</strong> sienne,<br />

€t fol! ftal faH egpèro? Et qu'en poli-Je espérar,<br />

Qiia Sa âmmm û% ?olr, d*aimtr, <strong>de</strong> soupirer?<br />

cette Elisabeth nous émeut et nous attendrit quand<br />

elle dit à <strong>la</strong> <strong>du</strong>chesse sa rivale :<br />

DeehaM, cfao et! Mi : ipll vto t fj cotue»;<br />

Par as mémt Intérêt vous craigMt et Je transie :<br />

P oar tel, «ait» lui-même , mmlMsmê-mem ensenMe ;<br />

Tirons-te eu péril qui m peut f a<strong>la</strong>rmer,<br />

Tontes <strong>de</strong>ai pour le voir, toutes <strong>de</strong>u pour rainer.<br />

Un prix bien inégal nous en paira lu prime ;<br />

Tous anrei ton amour, Je n'aurai


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

« UMfHMMipiatMtMtfîllWl^^<br />

plus grand férils qui s'est sacrifiée puer My qui se croit<br />

aimée» qui mérite <strong>de</strong> l'être, qui se fott trompée par <strong>la</strong><br />

mmr, et iMadamée par «m amant, est en <strong>de</strong>s plus, beoraox<br />

sujets <strong>de</strong> Fantiqulté. M est Men plus intéressait que<br />

M Bidon <strong>de</strong> Virgile; car Dl<strong>de</strong>nabies moins bit pour Énée,<br />

et s'est peint trahie par sa sœur.... H s'y t dans Sa pièce<br />

qn'Aftam : c'est me tragédie àMM9 dans <strong>la</strong>quelle il;a<br />

J» loraiŒ ti^^ et quelquesans<br />

mêmes trts-Msn écrits. »<br />

Peot-on n'être fat <strong>de</strong> ml mis lorsqu'on entend<br />

<strong>de</strong>s fers tels que ceux-ci ?<br />

Pour pénétrer rborreiir do tourment da mon ftme f<br />

fl Skodnlt qu'on sentit même ar<strong>de</strong>ur, même <strong>la</strong>mme ;<br />

Qu'a¥©e même tendresse os sût donné M loi :<br />

Et personne Jamais n f t tant alώ que moi.<br />

Lorsqu'elle dit à sa sœur :<br />

Enfin, ma unir, enfin, Je n'espère qu*en vous.<br />

tsctetmlnsplraMen, quand, par l'amour sédtatlet<br />

le Yoa ii maigfé irons accompagner ma foite i<br />

n semble qne dés tors il me faisait préf ©ir<br />

Le funeste besoin que fin <strong>de</strong>vais tiroir.<br />

Sans ? eus à mes malheurs où tmmm ém remè<strong>de</strong>?<br />

Mê<strong>la</strong>s I et plut es ciel que YOIIS saisies-situer I<br />

Le spectateur, qui sait que cette sœur est sa rivale,<br />

ne trouve-t-il pas dans ces fers autant d'art que d'inlérll?<br />

et n'est-il pas <strong>de</strong> Paris <strong>de</strong> Voltaire, qui les<br />

troufe dignes <strong>de</strong> Radnet<br />

Quel tendre abandon dans sa scène afec Thésée,<br />

quand il lui conseille d f épouser le roi <strong>de</strong> Naxe : <<br />

Périsse font, i f U but cesser <strong>de</strong> fétra ehêrel<br />

Qtfai-Je affaire <strong>du</strong> trône et.<strong>de</strong> Is maie #aa roi?<br />

De rtonsven entier Je ne •ce<strong>la</strong>is que toi.<br />

• Pour toi, pour m f attaeber à ta seule personne,<br />

fsi tout abandonné, repos, gloire, coaraaas;<br />

Et quand cet mêmes biens Ici me saal offerts,<br />

f|aa je puis en Jouir, c'est to£ seul que Je perd»!<br />

Puer Yslr tour impuissance à réparer ta perte,<br />

lé te suis; mène-moi dans quelque Ile déserte,<br />

Ûè, renonçant à tout, Je me <strong>la</strong>isse charmer,<br />

De Punique douceur <strong>de</strong> te ¥oir, <strong>de</strong> t'aimer.<br />

Là, possédant ton césar, ma g<strong>la</strong>ire est sans secon<strong>de</strong>- :<br />

<strong>de</strong> «BUT me sera plus que l'empire <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>...<br />

fa<strong>la</strong>t <strong>de</strong> ressentiment <strong>de</strong> ton crime passé :<br />

TU n'as qn ? à dire un mot, ee crime est effacé.<br />

C?aa est mit, ta te vols, Je s*at plus <strong>de</strong> colère.<br />

Ceux qui parlent a?ee mépris d'un oufrage où<br />

Ton troufe <strong>de</strong>s beautés <strong>de</strong> cette nature, ne safent<br />

pas apparemment qu'un seul morceau rempli <strong>de</strong><br />

cette vérité <strong>de</strong> sentiment et d'expression y qui est<br />

l'éloquence tragique, faut cent fois mieux qu'une<br />

pièce entière composée <strong>de</strong> situations d'emprunt ma<strong>la</strong>droitement<br />

assemblées, et d'hémistiches froi<strong>de</strong>ment<br />

recousus.<br />

•wnûif m. — Qaiaaaît et Campistron.<br />

Le grand Corneille vieillissait, et <strong>la</strong> jeunesse <strong>de</strong><br />

Racine était encore ignorée, lorsqu'un homme qui<br />

se It <strong>de</strong>puis un grand nom en <strong>de</strong>?enant le créateur<br />

61S<br />

et le modèle d'un notifiai genre <strong>de</strong> poëmt drainatiqoe<br />

9 se rendait déjà célèbre au théâtre par <strong>de</strong>s outrages<br />

qui eurent à <strong>la</strong> féritéplus <strong>de</strong> succès que <strong>de</strong><br />

mérite, mais qui annonçaient <strong>de</strong> l'esprit et <strong>de</strong> <strong>la</strong>ddite*<br />

Ce<strong>la</strong>it Quinault, qui, avant <strong>de</strong> foire ses opéras,<br />

qui lut ont donné un beau rang dans le siècle<br />

<strong>de</strong> Louis XIY, s'essaya d'abord dans <strong>la</strong> comédie,<br />

<strong>la</strong> tragédie, et <strong>la</strong> tragi-comédie. Quoique dans ces<br />

<strong>de</strong>ui <strong>de</strong>rniers genres il n'ait rien pro<strong>du</strong>it qui ait pu<br />

se soutenir jusqu'à nous ,• cependant <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> réputation<br />

qu'il s'est faite sur <strong>la</strong> scène lyrique m'autorise<br />

à dire un mot <strong>de</strong>s efforts qu'il it sur un<br />

autre théâtre, ne fât-ee que pour <strong>mont</strong>rer par un<br />

exemple <strong>de</strong> plus qu'avec beaucoup <strong>de</strong> talent on peut<br />

ne pas s'élever jusqp'à <strong>la</strong> tragédie. D'ailleurs, <strong>de</strong>ux<br />

<strong>de</strong> ses pièces ont eu l'honneur, assez rare, d'être<br />

jouées pédant quatre-vingts ans, le Fmuc Tièêrinm<br />

et Jêtmte* Le peu <strong>de</strong> réussite qu'elles eurent<br />

aux <strong>de</strong>rnières reprises les a fait diparaftre <strong>de</strong> <strong>la</strong> scè- *<br />

ne, il y a easlrac trente au. Le sujet <strong>du</strong> Ftwx<br />

TMdrimMê est entièrement dansée goût romanesque<br />

que Thomas Corneille soutint longtemps, malgré<br />

l'exemple <strong>de</strong> son frère, et que Racine proscrifit absolument.<br />

U est frai que <strong>la</strong> pièce est intitulée tragicomédie;<br />

mais il n'en est pas moins extraordinaire<br />

que l'intrigue d'un drame sérieux ait le même ressert<br />

que celle <strong>de</strong>s Ménechmm. Rien ne fait mieux<br />

f oir combien on fait <strong>de</strong> chemin dans tous les arts<br />

afant <strong>de</strong> trouver le naturel et le frai beau, et combien<br />

<strong>la</strong> contagion <strong>du</strong> goût espagnol et cet amour <strong>du</strong><br />

œerfeUleox, cette mo<strong>de</strong> <strong>de</strong>s romans mis ea action,<br />

luttèrent longtemps contre les frais principes <strong>de</strong><br />

Fart et les leçons <strong>de</strong>s grands maîtres,<br />

agrippa ; prince <strong>du</strong> sang <strong>de</strong>s rois d'AJbe, avait<br />

afec le roi Tibérinus une ressemb<strong>la</strong>nce dont on<br />

peut juger parées fers*, que Fauteur met dans <strong>la</strong><br />

bouche <strong>de</strong> Mésenee, nef eu <strong>de</strong> Tibérinus :<br />

Pour l6 bien discerner, quelque sera qu'on vétpmnêm,<br />

Leur rapport était tel qu'on s'y pouvait aWprvneYv,<br />

Et qu'après les avoir cent fois eonsldérét, •<br />

Je m'y traraesas moi-même, à les Yotr séae.aas.<br />

Cette ressemb<strong>la</strong>nce si parfaite fait naître i l'ambitieux<br />

Tyrrhène, père d'Agrippa, le <strong>de</strong>ssein d'en<br />

profiter pour mettre son ils sur le trdne. H saisit<br />

le moment où le roi se noie au passage d'une petite<br />

rivière, n'ayant avec lui que Tyrrhène, Agrippa,<br />

et trois autres personnes. Tyrrhène engage ces trois<br />

témoins à se prêter à <strong>la</strong> fourbe qu'il médite , à reconnaître<br />

Agrippa pour roi sous le nom <strong>de</strong> Tibérinus,<br />

en faisant croire au peuple que ce même<br />

Agrippa a été assassiné par Tibérinus, i qui cette<br />

ressemb<strong>la</strong>nce exacte <strong>du</strong> sujet afec le monarque af ait<br />

enin porté ombrage. Pour appuyer encore mieux


614<br />

cette Imposture i tehafeard fait que ces trois témoins<br />

périssent peu <strong>de</strong> temps après dans ne combat, en<br />

sorte qu'il ne reste plus dans le secret que Tyrrhène<br />

et son fils Agrippa. Celui-ci même est blessé à <strong>la</strong><br />

main9 <strong>de</strong> manière à ne pouvoir plus s'en sertir : autre<br />

inci<strong>de</strong>nt que Tyrrhène regar<strong>de</strong> comme une fafear<br />

<strong>du</strong> ciel. H dit à son fils :<br />

Yottt mata, sans ce coup, eût même pu TOUS outre;<br />

On veut sût pu eoonittie à <strong>la</strong> façon d'écrire»<br />

Sans s'arrêter à tout ce qu'il y a <strong>de</strong> forcé et d'invraisemb<strong>la</strong>ble<br />

dans cet exposé 9 qui forme Pavantscène,<br />

on volt déjà combien doit être vicieux un<br />

édifice dramatique bâti sur un pareil échafaudage.<br />

Mais il faut voir ce qui en résulte. Le Tibérinus<br />

mort était amoureux d'une Albioe, sœur d* A grippa ;<br />

et Agrippa, qui est à présent le faux Tibérinus,<br />

aimait Lavïnie, princesse <strong>du</strong> sang rojal. 11 s'ensuit<br />

que Lavinïe voit dans le roi \ qui est en effet soo^<br />

amant, l'assassin <strong>de</strong> son amant, et qu'Albine voit<br />

dans son frère le meurtrier <strong>de</strong> son frère; car Tyrrhène<br />

croit qu'il est indispensable, pour <strong>la</strong> sûreté<br />

<strong>du</strong> faux Tibérinus, que le secret ne soit ré?élé à<br />

• personne ; et quoique son fils ait <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> envie<br />

<strong>de</strong> détromper sa sœur, et surtout sa maîtresse,<br />

l'autorité paternelle l'en empêche jusqu'au quatrième<br />

acte. On excuserait peut-être cet imbroglio, si<br />

<strong>du</strong> moins ii pro<strong>du</strong>isait ou s'il poil?ait pro<strong>du</strong>ire <strong>de</strong>s<br />

situations fortes et pathétiques. Mais tel est l'inconvénient<br />

<strong>de</strong> ces sortes <strong>de</strong> fables, que l'incroyable est<br />

trop près <strong>du</strong> ridicule pour <strong>de</strong>venir jamais tragique.<br />

Que, par <strong>de</strong>s révolutions dont il y a plus d'un exemple,<br />

un jeune prince, tel qu'Égisthe enlevé à sa mère<br />

dès le berceau, passe dans <strong>la</strong> suite aux yeux <strong>de</strong> cette<br />

mère abusée pour le meurtrier <strong>du</strong> fils qu'elle pleure,<br />

il n'y a rien là qui ne soit dans l'ordre naturel, et<br />

<strong>la</strong> raison ne s'oppose en rien à l'intérêt : mais<br />

comment se figurer que pendant cinq actes une<br />

femme ne reconnaisse pas son amant? Celui qu'on<br />

aime pfeut-il jamais ressembler à un autre? 11 faut<br />

donc aussi supposer <strong>la</strong> ressemb<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> ia voix<br />

comme celle <strong>du</strong> visage ; il faut supposer qu'on puisse<br />

se méprendre à <strong>la</strong> voix qui a répété mille fois,<br />

Je vous aime! Que <strong>de</strong> suppositions moralement<br />

impossibles! Et ce qu'il y a <strong>de</strong> pis, c'est qu'en les admettant<br />

, on <strong>la</strong>isse encore le poète dans un embarras<br />

dont il ne peut pas raisonnablement se tirer.<br />

Quand le faux Tibérinus finit par avouer à Lavïnie<br />

qu'il est Agrippa, qu'arrive-t-il ? Ce qui doit arriver :<br />

qu'elle ne sait ce qu'elle en doit croire, parce qu'il<br />

est également possible que <strong>la</strong> chose soit ou ne soit<br />

pas, puisqu'on a établi qu'il n'y avait aucune différence<br />

entre le mort et le vivant, et que l'œil même<br />

cîe l'amour a pu les méconnaître. Il atteste son père<br />

COU1S DE LITTÉBATU1E.<br />

i Tyrrhène; mais celui-ci, obstiné à ne rien découvrir,<br />

dément son fils, et persiste <strong>de</strong>vant Lavïnie<br />

à soutenir qu'il est le vrai Tibérinus, meurtrier<br />

d f Agrippa. Cette situation, qui contribua beaucoup<br />

au succès <strong>de</strong>là pièce, dans un temps oà l'on trouvait<br />

un grand mérite dans cet embarras d'inci<strong>de</strong>nts<br />

qui se croisent, a fini par se paraître que ce qu'elle<br />

est, froi<strong>de</strong> et puérile; car#st Lavisie eMevuiêrj» m<br />

connaît ni ne peut connaître son amant, comment»<br />

piïs-ji m'intéresser à un preil amour? et qu'importe<br />

au fond pour elle, et par mmsêpmt pour<br />

moi, que ce soit ou que ce ne soit pas Agrippa, puisque<br />

le sentiment qu'elle a pour lui tient uniquement,<br />

non pas à ce qu'il est ni à ce qu'il peut être, mais<br />

seulement à ce qu'elle en voudra croire ? Ce n'est point<br />

en embarrassant l'esprit que l'os touche le cœur. Ces<br />

sortes <strong>de</strong> quiproquo sont trop près <strong>de</strong> <strong>la</strong> comédie,<br />

et plus faits pour exciter le rire que <strong>la</strong> terreur ou <strong>la</strong><br />

pitié : ce qu'ils ont <strong>de</strong> singulier et <strong>de</strong> piquant peut<br />

p<strong>la</strong>ire un moment à <strong>la</strong> curiosité f mais ne peut jamais<br />

faire naître un intérêt soutenu.<br />

le s'ai pas cru qu'il .fût Inutile <strong>de</strong> faire sent» le<br />

vice <strong>de</strong> ces p<strong>la</strong>ns bizarrement fabuleux. Comme<br />

l'Incroyable est mille fois plus aisé à trouver que<br />

le vraisemb<strong>la</strong>ble, et qu'il en coûte infiniment moins<br />

pour combiner une foule d'inci<strong>de</strong>nts que pour écrire<br />

une scène passionnée et remplir un sujet simple,<br />

l'impuissance dans les écrivains, et <strong>la</strong> satiété dans<br />

les specteurs, vont tout à l'heure nous ramener à ce<br />

point d'où nous étions partis. UimbrogUo va <strong>de</strong> nouveau<br />

s'emparer <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie comme <strong>de</strong> <strong>la</strong> comédie,<br />

et cette mo<strong>de</strong> <strong>du</strong>rera jusqu'à ce que l'os se dégoûte<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> folie, comme on s'est dégoûté <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison.<br />

Mais pour finir ce qui regar<strong>de</strong> le Faux Tièêrimm,<br />

<strong>la</strong>^con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> Tyrrhène est tout aussi mal conçue<br />

que les situations sont mal amenées, et ses déguisements<br />

continuels le mettent sur le point <strong>de</strong> causer<br />

tous les malheurs qu'il prétend détourner. 11 expose<br />

son fils par une dissimu<strong>la</strong>tion mal enten<strong>du</strong>e,<br />

lorsqu'il n'y avait nul péril à dire <strong>la</strong> vérité/En effet,<br />

on a dit dans les premiers actes que ce Tibérinus<br />

que représente Agrippa était odieux à <strong>la</strong> cour et au<br />

peuple par ses cruautés. Le meurtre préten<strong>du</strong> d'Agrippa<br />

lui fait encore <strong>de</strong> nouveaux ennemis, <strong>de</strong> sorte<br />

qu'Agrippa est près d'être <strong>la</strong> victime [ée <strong>la</strong> haine<br />

qu'il inspire sous un nom qui n'est pas le sien. Lavïnie,<br />

qui croit venger son amant, engage Mézence,<br />

prince vicieux et pervers, qui a <strong>de</strong> l'amour pour elle,<br />

à conspirer contre le .toi. Albine, <strong>de</strong> son coté, qui<br />

le croit coupable <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> son frère, et qui <strong>de</strong><br />

plus voit dans le préten<strong>du</strong> Tibérinus us Inconstant<br />

qui l'abandonne pour Lavïnie, ne respire que<br />

<strong>la</strong> vengeance. II arrive, par une suite d'événements


SIÈCLE m LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

qui «raies! trop longs à dé<strong>du</strong>ira, que <strong>la</strong> fie tfÀgrippa<br />

se trou?© à <strong>la</strong> merci <strong>de</strong> sa sœur et <strong>de</strong> sa mattresse,<br />

qui ne l'épargnent que par un mouvement<br />

Involontaire, qui est l'effet <strong>de</strong> l'amour et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

force <strong>du</strong> sang. Enin le roi échappe aux conjurés qui<br />

estaient le tuer dans un sacrifice; il rassemble <strong>de</strong>s<br />

soldats, et finit par être le plus fort, Méienee se<br />

tue, et Tyrrhène réfèle tout aux <strong>de</strong>ux princesses,<br />

que sa seule impru<strong>de</strong>nce a exposées à frapper ce<br />

qu'elles ont <strong>de</strong> plus cher. U n ? défaut, c'est que tout se passe en conversations<br />

élégiaques, quand il est question <strong>de</strong> crimes et <strong>de</strong><br />

vengeant». Les acteurs se <strong>la</strong>mentent au lieu d'agir,<br />

et ne sout que p<strong>la</strong>intifs au lieu d'être passionnés.<br />

La conspiration <strong>de</strong> Sychée découverte <strong>de</strong>vrait<br />

le mettre dans le plus émjiient danger, et il n<br />

est pas besoin <strong>de</strong> dire<br />

combien toute cette intrigue est mal ourdie ; c'est<br />

une faute ineieusable dans le personnage qui <strong>la</strong><br />

con<strong>du</strong>it, que tout dépen<strong>de</strong> <strong>du</strong> hasard et non pas <strong>de</strong><br />

ses mesures. Il est trop évi<strong>de</strong>nt que 9 pour ménager<br />

<strong>de</strong>s surprises, on a sacrilé le bon sens ; et il est bien<br />

rare que dans ces compositions monstrueuses, les<br />

effets qu'os obtient rachètent les fautes que l'on<br />

se permet,<br />

Asùmte, sans être une.bonne pièce à beaucoup<br />

' près, faut pourtant mieux que k Fatm HèêïBm;<br />

les situations ont plus <strong>de</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce et cf intérêt<br />

: mais il manquait à l'auteur <strong>de</strong> savoir en tirer<br />

parti. Voltaire a dit qu'il y avait <strong>de</strong> très-belles scènes ;<br />

ce<strong>la</strong> veut dire <strong>de</strong>s scènes dont le fond est théâtral 9<br />

si l'exécution y répondait. Le sujet pouvait four*<br />

air une tragédie. Élise, reine <strong>de</strong> Tyr, possè<strong>de</strong> un<br />

trône que son père a usurpé sur le roi légitime.<br />

El<strong>la</strong> a <strong>la</strong>it périr ce roi et <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses ils : le <strong>de</strong>rnier<br />

est échappé» et un oracle <strong>la</strong> menace <strong>de</strong> <strong>la</strong> vengeance<br />

<strong>de</strong> ee jeune prince. Ce prince est Astrale, cru<br />

ils <strong>de</strong> Sychée, et qui , élevé sous ee nom 9 a ren<strong>du</strong><br />

les plus grands services à l'État et à <strong>la</strong> reine. Elle<br />

l'aime et veut l'épouser ; Astrale, ne l'aime pas<br />

. moins ; il est prêt à recevoir sa main et sa couronne,<br />

lorsque Sychée lui apprend ce qu'il est. Sychée a<br />

formé une conspiration en faveur <strong>de</strong> l'héritier <strong>du</strong><br />

frêne, sans le'faire connaître aux conjurés. Astrale,<br />

toujours occupé <strong>du</strong> salut <strong>de</strong> <strong>la</strong> reine 9 en a découvert<br />

les principaux complices 9 et veut en instruire Élise,<br />

quand Sychée se déc<strong>la</strong>re le chef <strong>du</strong> complot y et<br />

ajoute qu'il ne l'a formé que pour les intérêts d'As-<br />

Irate et <strong>la</strong> vengeance <strong>de</strong> sa famille. Tous ces res*<br />

sorts, m premier coup d'œil, paraissent tragiques,<br />

et pourtant les effets ne le sont pas, parce que Fauteur<br />

n'a pas su déterminer les impressions qui doivent<br />

émouvoir le spectateur. Cette Élise, qui n'est<br />

coupable que dans l'avant-scène, paraît dans toute<br />

<strong>la</strong> pièce un personnage sans caractère , dont <strong>la</strong> bonté<br />

va jusqu'à <strong>la</strong> faiblesse, dont <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite est indécise;<br />

et dont <strong>la</strong> tendresse <strong>la</strong>ngoureuse forme une disparate<br />

trop forte avec les crimes qu'elles a commis.<br />

Boileaus'est moqué <strong>de</strong> l'anneau royal, qui n'est en<br />

effet qu'un inci<strong>de</strong>nt très-inutile ; mais le plus grand<br />

f y est<br />

pas un moment. Astrate y est encore moins ; et <strong>la</strong><br />

reine, qui s'empoisonne, a l'air <strong>de</strong> mourir uniquement<br />

pour tirer Astrale d'embarras. Le résultat <strong>de</strong><br />

ces observations, c'est qu'avec <strong>de</strong> l'esprit on peut arranger<br />

<strong>de</strong>s ressorts dramatiques, mais qu'il faut <strong>du</strong><br />

talent pur les mettre en œuvre ; et Quinault en avait<br />

très-pu pour <strong>la</strong> tragédie.<br />

En résumant ce que j'ai dit <strong>de</strong>s auteurs qui viennent<br />

<strong>de</strong> passer sous nos yeux, on voit que Quinault<br />

eut <strong>de</strong>s conceptions théâtrales, mais que <strong>la</strong> force<br />

tragique lui manqua entièrement. Il ne parait pas<br />

qu'il ait cherché jamais à imiter Corneille, et quand<br />

il donna ses pièces, Eacine n'avait pas écrit. Rotrou,<br />

<strong>du</strong> Ryer$ et Thomas Corneille, considérés dans leur<br />

manière habituelle <strong>de</strong> composer, sont évi<strong>de</strong>mment<br />

<strong>de</strong> l'école <strong>du</strong> père <strong>du</strong> théâtre ; et ce qui est remarquable<br />

, c'est que fenceë<strong>la</strong>s et Ariam n'en sont<br />

pas. Bans cette <strong>de</strong>rnière même, limitation <strong>de</strong> Racine<br />

est souvent marquée. Ce grand homme a eu<br />

aussi son école : on y a distingué Campistron, Duché<br />

et <strong>la</strong> Fosse. Le moindre <strong>de</strong>s trois, c'est Campistron,<br />

et c'est celui qui eut sans comparaison les<br />

plus grands succès *. C'est surtout en fait d'ouvrages<br />

<strong>de</strong> théâtre que le jugement <strong>de</strong>s contemporains<br />

est le plus souvent démenti par <strong>la</strong> postérité,<br />

<strong>la</strong> raison en est sensible ; c'est qu'il n'y en a point<br />

qui dépen<strong>de</strong>nt autant <strong>de</strong> circonstances étrangères<br />

à leur mérite intrinsèque : <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>, les préjugés <strong>du</strong><br />

moment, et surtout les acteurs, y ont une puissante<br />

influence. AlcMa<strong>de</strong>, Tiridste, Andronk, eurent<br />

<strong>de</strong> nombreuses et bril<strong>la</strong>ntes représentations dans<br />

le siècle passé, et dans celui-ci ont iispra successivement<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> scène. Le célèbre Baron se p<strong>la</strong>isait<br />

à relever, par <strong>la</strong> noblesse <strong>de</strong> son débit et <strong>la</strong> sé<strong>du</strong>ction<br />

<strong>de</strong> son jeu, <strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong> ces rôles. U aimait à<br />

jouer <strong>de</strong>s héros qui n'étaient qu'amoureux, parce<br />

que sa figure intéressante et sa taille avantageuse<br />

les faisaient valoir, et que les femmes aimaient à<br />

l'entendre parler d'amour. On n'examinait pas si<br />

cet amour était tragique : c'étaient <strong>de</strong>s conversations<br />

ga<strong>la</strong>ntes qui n'étaient guère au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> <strong>la</strong> eomé-<br />

* Cette fâteer accordée ras ouvrages <strong>de</strong> Camptotroa n'était<br />

«pendant pas générais, à en jyger par setle éflgreatiae sur<br />

sos opéra kdlcbàe, Joué en isss :<br />

A forée <strong>de</strong> forger es <strong>de</strong>?lest forgeron.<br />

11 S'CB est pas ainsi ûu f autre Ganiplstroa i<br />

As leti d'à* aacer, a eeeile :<br />

Vojet Hercule f<br />

615


616 CODES DE LITTÉRATURE.<br />

die, mail dont II se tirait avec grâce; et <strong>la</strong> ga<strong>la</strong>nterie<br />

noble était encore <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> dans <strong>la</strong> société.<br />

On <strong>la</strong> retrouvait volontiers au théâtre , sans songer<br />

que, par elle-même, elle est au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie,<br />

et que pour <strong>la</strong> relever il faut un style tel que<br />

celui <strong>de</strong> Racine. L'énergie <strong>de</strong> Voltaire, soutenue<br />

<strong>de</strong> celle <strong>de</strong> Lekais t facteur le plus tragique qui<br />

ait jamais existé, a contribué plus que tout le reste<br />

à nous dégoâter <strong>de</strong> <strong>la</strong> fa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> ces conversations<br />

amoureuses qui remplissent les pièces <strong>de</strong> Campistron.<br />

On a loué <strong>la</strong> sagesse <strong>de</strong> ses p<strong>la</strong>ns : ils sont raisonnables<br />

9 il est vrai Y mais on n'a pas songé qu'ils<br />

sont aussi faiblement conçus qu'exécutés. Campistron<br />

n'avait <strong>de</strong> force d'aucune espèce : pas un caractère<br />

marqué, pas une situation frappante, pas<br />

une scène approfondie, pas un vers nerveux. 11<br />

cherche sans cesse à imiter Racine; mais ce n'est<br />

qu 9 un apprenti qui a <strong>de</strong>vant lui le tableau d'un malire<br />

, et qui » d'une main timi<strong>de</strong> et indécise f crayonne<br />

<strong>de</strong>s figures inanimées. La versification <strong>de</strong> cet auteur<br />

n'est que d'un <strong>de</strong>gré au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> Pradon : elle<br />

n'est pas ridicule; mais en général c'est une prose<br />

commune, assez facilement rimée. On a trouvé quelque<br />

intérêt dans son TMdate. Le sujet en était<br />

susceptible : c'est uo prince amoureux <strong>de</strong> sa sœur,<br />

consumé par une passion incestueuse que lui-même<br />

condamne. Mais ce sujet, qui a <strong>de</strong>s rapports avec<br />

celui <strong>de</strong> Phèdre, <strong>de</strong>mandait uoe main plus habile.et<br />

plus ferme que celle <strong>de</strong> Campistron.<br />

Quand une passion ne peut pas intéresser par l'alternative<br />

<strong>de</strong> l'espérance et <strong>de</strong> <strong>la</strong> crainte 9 et que celui<br />

qui <strong>la</strong> ressent ne peut être que p<strong>la</strong>int, il faut <strong>la</strong> plus<br />

gran<strong>de</strong> énergie d'expression pour soutenir pendant<br />

cinq actes le sentiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> pitié ; il faut <strong>de</strong>s révolutions,<br />

<strong>de</strong>s Inci<strong>de</strong>nts qui'varient <strong>la</strong> situation <strong>du</strong><br />

personnage, et préviennent <strong>la</strong> monotonie en établissant<br />

<strong>la</strong> progression ; il faut enfin que les malheurs<br />

qui en résultent fassent cette impression douloureuse<br />

qui est l'espèce d'aliment que notre âme <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

à <strong>la</strong> tragédie. Tout ce<strong>la</strong> se rencontre dans<br />

Phèdre, et rien <strong>de</strong> tout ce<strong>la</strong> n'est dans Ttridate.<br />

Tout ce qui arrive <strong>de</strong> sa passion, dont 11 retient longtemps<br />

le secret, c'est qu'il empêche le mariage <strong>de</strong><br />

sa sœur avec un prince qu'elle aime, et que luimême<br />

estime; et que ne pouvant rendre raison <strong>de</strong><br />

cette opposition obstinée, sa con<strong>du</strong>ite ressemble à<br />

<strong>la</strong> démence. D'un autre coté, il refuse, sans s'expliquer<br />

davantage sur les motifs, <strong>la</strong> main d'une prin­<br />

cesse avec qui son père Fa engage <strong>de</strong> son propre aveu<br />

et par un traité solennel. Cette femme, dans <strong>de</strong> pareilles<br />

circonstances, ne peut que jouer un râle désagréable<br />

et insipi<strong>de</strong>. Le mariage <strong>de</strong> sa sœur retardé<br />

s'est-pas un événement assez considérable pour oc­<br />

cuper beaucoup le spectateur, qui sent bien qu'un<br />

tel obstacle tombera <strong>de</strong> lui-même dès que le prince<br />

aura parlé. En effet, dès qu'il a déc<strong>la</strong>ré sa faiblesse<br />

à sa sœur, il <strong>de</strong>vient un objet d'horreur pour elle.<br />

pour son père f et pour tout le mon<strong>de</strong>; et dès qu'il<br />

a pris le parti le s'empoisonner, tout rentre dans<br />

Tordre : ce n'est pas là us p<strong>la</strong>n tragique. Gomme il<br />

faut toujours que le spectateur craigne ou désire us<br />

désoimeat, il s'ensuit qu'une passion qui ne peut<br />

par elle-même remplir cet objet doit y revenir par<br />

une autre route, en jetant dans le péril d'autres personnages<br />

susceptibles d'intérêt. Ainsi, dans Phèdre,<br />

l'amour incestueux <strong>de</strong> cette reine expose flippolyt©<br />

au plus affreux danger, et le con<strong>du</strong>it à une mort<br />

cruelle. Ainsi, dans JdékMe9 l'amour forcené <strong>de</strong><br />

Yendéme prononce l'arrêt <strong>de</strong> mort <strong>de</strong> son frère, et<br />

tient Nemours et son amante sous le g<strong>la</strong>ive pendant<br />

trois, actes. Tiridate ne pouvait être tragique qu'autant<br />

que <strong>la</strong> violence <strong>de</strong> son caractère et <strong>de</strong> sa passion<br />

aurait répan<strong>du</strong> <strong>la</strong> terreur autour <strong>de</strong> lui 9 aurait<br />

pro<strong>du</strong>it ou fait craindre <strong>de</strong>s crimes etjeas désastres.<br />

Mats un pareil rôle ne pouvait'être conçu par'Campistron,<br />

et son héros se fait que gémir et soupirer<br />

pendant toute <strong>la</strong> pièce. Cet auteur, dont quelques<br />

critiques ont voulu relever le talent pour <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite<br />

<strong>du</strong> drame, a même ignoré cette règle essentielle et<br />

indispensable <strong>de</strong> <strong>la</strong> progression dans l'unité, qui,<br />

sans changer l'intérêt, doit le gra<strong>du</strong>er d'acte en acte<br />

par <strong>de</strong> nouvelles craintes et <strong>de</strong> nouvelles infortunes.<br />

'Nous avons vu combien ce principe était parfaitement<br />

observé dans Phèdre, qui d'abord passe-<strong>de</strong> l'abattement<br />

à l'espérance par <strong>la</strong> <strong>la</strong>isse nouvelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort<br />

<strong>de</strong> Thésée, <strong>de</strong> l'espérance au désespoir par le retour<br />

<strong>de</strong> ce prince, et enfin au <strong>de</strong>rnier excès <strong>de</strong> <strong>la</strong> rage<br />

et <strong>du</strong> malheur par <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong>s amours dPHippolyte<br />

et d'Ari<strong>de</strong>. Tiridate, au contraire, est <strong>de</strong>puis<br />

le commencement jusqu'à <strong>la</strong> fin dans le mime<br />

état, et pourraits'empoisonner au premier acte aussi<br />

bien qu'au <strong>de</strong>rnier. Qu'on joigne à ce défaut capital<br />

<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngueur <strong>du</strong> style, qui affadirait le meilleur p<strong>la</strong>n,<br />

et Ton concevra aisément que cette pièce n'ait pu<br />

se maintenir sur <strong>la</strong> scène.<br />

Le plus passable que Fauteur ait fait, quoique<br />

très-faible encore, est Jndrordc. Le sujet, intéressant<br />

par lui-même, avait on avantage particulier :<br />

11 retraçait, sous d'autres noms, une aventure funeste<br />

, malheureusement trop réelle et trop connue v<br />

un <strong>de</strong> ces événements atroces qui souillent l'histoire,<br />

et que <strong>la</strong> tragédie réc<strong>la</strong>me. Un tyran sombre et<br />

soupçonneux, un père barbare y un mari jaloux 9<br />

faisant périr sa femme fit son fils; une femme vertueuse<br />

promise à un prince aimable, arrachée à ce<br />

qu'elle aime f et livrée à ce qu'elle hait ; bril<strong>la</strong>nt pour


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

te Ils dans tes liras <strong>du</strong> père; et se combattant son<br />

amour qu'à forée <strong>de</strong> ferle; tin prisée jeune, sensible,<br />

ar<strong>de</strong>nt, et pourtantfidèle à son <strong>de</strong>?oir, et n'ayant<br />

à se reprocher filtra penchant que tant <strong>de</strong> eireonstasces<br />

ren<strong>de</strong>nt excusable : quel Hfeteaa pour un<br />

grand peintre! Le <strong>de</strong>ssin existait : on te retrouve<br />

dans Campistron ; mais tes couleurs en sont presque<br />

effacées. L'ordonnance est asses sage, mais elle est<br />

petite et commune; et en outrage où Ton a tiré si<br />

peu <strong>de</strong> chose d'un fond si riche, ne <strong>la</strong>isse guère à<br />

<strong>la</strong> postérité que <strong>de</strong>s regrets, et n'est pas un titre auprès<br />

d'elle.<br />

secnes n. — Duché et <strong>la</strong> Fosse.<br />

Mous n'avons que trois tragédies <strong>de</strong> Duché , autre<br />

imitateur <strong>de</strong> Racine. Débora et Jonatkm ne raient<br />

rien <strong>du</strong> tout : il était même difficile que ces sojets,<br />

empruntés <strong>de</strong> l'Écriture, fussent propres au théâtre.<br />

Ilrsont fondés sur <strong>de</strong>s mystères <strong>de</strong> religion trop<br />

au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s idées naturelles. L'histoire <strong>de</strong> Jonathas,<br />

condamné à mourir pour a?o!r mangé un peu<br />

<strong>de</strong> miel, a dans <strong>la</strong> Bible un sens très-respectable,<br />

mais elle est dép<strong>la</strong>cée sur <strong>la</strong> scène. L'auteur a été<br />

heureux dans Absalon. C'est unou?rage<strong>de</strong> mérite,<br />

et supérieur, par l'ensemble <strong>du</strong> style, à tout ce qu'a<br />

fait Campistron. Ce s'est pas qu'il n'y ait beaucoup<br />

à reprendre : <strong>de</strong>s allées et reatiea trop multipliées;<br />

<strong>de</strong>ux rôles <strong>de</strong> remplissage, celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> reine, femme<br />

<strong>de</strong> Ba?id, et <strong>de</strong> Thamar, fille d'Absalon ; au cinquième<br />

acte, où David n'agit point, et <strong>la</strong>isse Joab ra<strong>la</strong>ere<br />

pour lui, un récit <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort iFAbsalon, qui fait<br />

<strong>la</strong>nguir le dénoâment : voilà les reproches qu'on<br />

peut faire à l'auteur.-Us sont compensés par <strong>de</strong>s beautés<br />

réelles. La marche <strong>de</strong>s quatre premiers actes est<br />

bien enten<strong>du</strong>e, et le trouble et le péril croissent <strong>de</strong><br />

scène en scène.'Les principaux caractères sont bien<br />

tracés. David est plus père que roi ; mais <strong>la</strong> tendresse<br />

paternelle porte arec elle son excuse, et <strong>de</strong> plus les<br />

remords d'Absalon justiient celle <strong>de</strong> David. Ce<br />

jeune prince n'est point représenté dans <strong>la</strong> pièce<br />

comme-un méchant et un pervers ; il n'en veut ni<br />

à <strong>la</strong> vie ni à <strong>la</strong> couronne <strong>de</strong> son père ; il l'aime et le<br />

respecte ; mais sa iertê*iîe peut supporter que Joab,<br />

ministre et général d'armée, abuse <strong>de</strong> son crédit<br />

pour te rendre suspect à son père, et faire désigner<br />

Adonias pour successeur <strong>de</strong> David. Les artifices et<br />

les sé<strong>du</strong>ctions d'Achîtophel ont aigri et irrité cette<br />

âme impétueuse : c'est Aehitophel qui est le vrif<br />

coupable, et dont l'ambition se sert habilement <strong>de</strong>s<br />

passions <strong>du</strong> Sis pour le porter à <strong>la</strong> révolte contre<br />

son père, et les perdre l'un par l'autre. Mais le rôle<br />

le mieux fait et te plus théâtral y c'est eeitii <strong>de</strong> Tharès,<br />

femme d'Absalon : unie à son époux par l'amour<br />

le plus tendre, elle est venue, avec sa ilie Thamar,<br />

«17<br />

te trouver dans le camp <strong>de</strong> David; elle se sert <strong>de</strong><br />

l'empire qu'elle a sur lui, pur lui arracher l'aveu<br />

<strong>de</strong>s complots qu'il a formés. Amasa, l'instrument<br />

et le complice <strong>de</strong>s projets d'Achîtophel, a fait révolter<br />

les Hébreux et forcé David <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> Jérusalem.<br />

Ce roi, suivi <strong>de</strong> ce qui lui reste <strong>de</strong> fidèles sujets,<br />

est campé sous les murs <strong>de</strong> Manhaïm. Âmaaa<br />

s'avance contre lui avec une armée <strong>de</strong> rebelles. Cependant<br />

Absalon et Aehitophel, dont les projets sont<br />

encore ignorés <strong>du</strong> roi, sont <strong>de</strong>meurés près <strong>de</strong> lui ;<br />

mais ils n'atten<strong>de</strong>nt que <strong>la</strong> nuit pour foire éc<strong>la</strong>ter leur<br />

intelligence avec ses ennemis. Au signal convenu,<br />

tous <strong>de</strong>ux doivent se joindre aux troupes cf Amas;<br />

et Séba, commandant <strong>de</strong> <strong>la</strong> tribu d'Éphraïm 9 doit<br />

<strong>la</strong> faire soulever. Absalon est violemment combattu<br />

par <strong>de</strong> trop justes remords, qu'il ne dissimule pas<br />

même à Aehitophel; mais cet adroit scélérat fa su<br />

engager si avant, qu'il ne peut reculer sans se perdre;<br />

et l'idée <strong>de</strong> voir son frère Adonias assuré <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> succession au trône remporte sur ses remords,<br />

et sur les reproches et les prières <strong>de</strong> son épouse.<br />

Tharès, qui ne peut ni accuser son mari, ni <strong>la</strong>isser<br />

David exposé au danger qui le menace, est dans une<br />

situation d'autant plus cruelle, qu'étant fille <strong>de</strong>Saû!,<br />

ancien ennemi <strong>du</strong> roi, elle est suspecte à <strong>la</strong> reine,<br />

et soupçonnée <strong>de</strong> favoriser secrètement <strong>la</strong> révolte.<br />

Elle prend un parti héroïque, le seul qu'elle croit<br />

capable d'enchafner les résolutions et les démarches<br />

d'Absalon. Mais pour bien juger cette scène, il faut<br />

l'entendre, malgré ce qui reste à désirer <strong>du</strong> côté <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> versification :<br />

navra.<br />

Je vous cherche f Absalon : notre péril augmente.<br />

Em insolent! vainqueurs préviennent notre attenta.<br />

Zamri m'avaitliatté que, lents à s*avan€ert<br />

Au <strong>de</strong>là <strong>du</strong> Jourdain Ils craignaient <strong>de</strong> passer.<br />

Il s'est trompé : leur nombre a redoublé leur rage;<br />

Ils viennent achev er leur sacrilège ouvrage.<br />

Mais, loin d'être saisis d'une indigne terreur,<br />

Apprêtons-nous, mon lis» à punir leur fureur.<br />

Nous combattrons an nom <strong>du</strong> maître <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre,<br />

Du Dieu qui <strong>de</strong>vant loi fait marcher le tonnerre,<br />

Pour qui tons les mortels qu'embrasse l'univers<br />

* Sont comme <strong>la</strong> pousalère éparse dans les airs.<br />

Je ne vous dirai point, et mon eceur ne peut arabe.<br />

Ce que l'on a semé pour ternir votre gloire.<br />

Amasa veut ravir le sceptre <strong>de</strong> son roi :<br />

Mais que mon propre fils soit armé eostra mol I<br />

TSÂEÈS.<br />

Et mol, Je crois, seigneur, ne <strong>de</strong>voir point vous tain<br />

Que ces bruits sont peut-être un avis salutaire.<br />

Je sais T Je vols quel est <strong>la</strong>'coeur <strong>de</strong> mon époux ;<br />

Mais sait-on s'il û f est point <strong>de</strong> traître parai nous?<br />

Sait-on si dans ce camp quelque secret coupable<br />

N'a point, pour se cacher, divulgué cette fable"?<br />

M'en croirei-vous, seigneur? Qu'un serment solennel<br />

Fasse trembler ici quiconque est criminel !<br />

Le ciel, votre péril , ma gloire Intéressée 9<br />

De ce Juste projet m'Inspirent <strong>la</strong> pensée.<br />

Attestez P&ternel qu'avant <strong>la</strong> in <strong>du</strong> Jour,<br />

SI <strong>de</strong>s trattnt cachés, par un Juste retour»


618<br />

1 Wleonerât te pardon accordé pour itère crimes 9<br />

Leurs femmes, leurs enfants es seront les victimes;<br />

Qu@ ; dans le même testant qu'ils seront découverts ,<br />

Leurs parents , dévoués à cent tourments divers ,<br />

Déchirés par te fer, au feu livrés es proie,<br />

Pûyermi* tous tes maux que te <strong>de</strong>! TOUS envoie.<br />

ABBALOM, à pari.<br />

Juste Dieu ! que fiit-elle?<br />

CttAl, A David.<br />

Oui, l'on s'en peut douter<br />

Self unir, ejuelfoe perfi<strong>de</strong> est tout près d'éc<strong>la</strong>ter.<br />

- On vous trahit s je sais, f»r <strong>de</strong>s avis fidèles,<br />

Que vos <strong>de</strong>sseins secrets sont connus <strong>de</strong>s rebelles.<br />

David prononce le serment, et Thaïes reprend<br />

aussitôt ;<br />

Achevés donc, seigneur, loab vous est fidèle.<br />

Enserrai d'Absalon, et pour vous plein <strong>de</strong> lète,<br />

Lui seul me parait propre à remplir mes <strong>de</strong>sseins :<br />

Souffres que Je me mette en otasje.en ses mains.<br />

ABSÂLON$é|Min.<br />

Ciel!<br />

DATID, à Tk*rè$.<br />

' Youil<br />

THAÏES.<br />

11 faut, seigneur, que mon exemple étonne ,<br />

Et <strong>mont</strong>ra qu'il s'est point <strong>de</strong> pardon pour persouM.<br />

DâVIB.<br />

Votre vertu suffit pour répondre <strong>de</strong> vous.<br />

Accompagnes <strong>la</strong> reine, et suivez votre épom.<br />

fSÂEÈS»<br />

Non, seigneur, souscrivez à ce que je désire;<br />

Ma gloire le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, et le ciel me «aspire :<br />

Accor<strong>de</strong>! cette grâce à mes désirs pressants.<br />

• BAYIB.<br />

Puisque vous le voulez, madame, J'y consens.<br />

Toi, qui <strong>du</strong> haut <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux à nos conseils prési<strong>de</strong>s;<br />

Qui confonds d'un regard les complots <strong>de</strong>s perfi<strong>de</strong>s ;<br />

Dieu juste ! venge-moi, punis mes ennemis ;<br />

Souviens-toi <strong>du</strong> bonheur à ma race promis.<br />

Si quelque traître id se cache pour me nuire,<br />

Lève-toi, que ton bras s'frme pour le détruire;<br />

Que, se livrant lui-même à son funeste sort,<br />

Ce Jour prisse éc<strong>la</strong>irer ma vengeance et sa mort<br />

Tenez f mon fil* : te <strong>de</strong>!, que notre malheur touche,<br />

Accomplira les vœux qu'il a mis dans ma bouche :<br />

Joah marche t guidé par le Dieu <strong>de</strong>s combats.<br />

COURS DE LITTÉMTU1E.<br />

Os emmène Tharès. Toute cette scène se passe<br />

aux yeux d'Absalon : elle me paraît théâtrale et heureusement<br />

imaginée.<br />

Cependant Fhahîleté d 9 Ach!toph@l fait échouer<br />

toutes les mesures <strong>de</strong> Tharès. Sachant combien<br />

Absalon est aimé <strong>de</strong>s Hébreu, il fait publier parmi<br />

les rebelles que le prince test joindre sa cause à <strong>la</strong><br />

leur, et défendre ses droits au trône qu f Adonias féal<br />

lui ravir» Au nom d'Absalon, toute farinée le proc<strong>la</strong>me<br />

roi. Sébat secondé <strong>de</strong> <strong>la</strong> tribu d r Éphraïm$<br />

s'engage à enlever Tharès <strong>de</strong>s mains <strong>de</strong> Joab; et<br />

Absalon, instruit que David veut le faire arrêter,<br />

passe eirliî dans le camp ennemi. Sa révolte est déc<strong>la</strong>rée,<br />

et <strong>la</strong> conspiration d'Achitophel, reste encore<br />

inconnue. David continue à se ûer à lui et à Séba;<br />

il veut même changer sa gar<strong>de</strong> et se mettre entre les<br />

1 L'auteur a fait payeront <strong>de</strong> trois syl<strong>la</strong>bes. Aujourd'hui<br />

on écrit pmtemmt, et ce mot n'est que <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux syl<strong>la</strong>bes.<br />

mains <strong>de</strong> Séba et <strong>de</strong> <strong>la</strong> tribu d*Éphraïm, qu'il regar<strong>de</strong><br />

comme ses plus Mêles soutiens, tant l'adroit<br />

Achitophel a su l'aveugler. Mais Tharès lui ouvre<br />

leayeux en lui remettant un billet <strong>de</strong> Séba qui promet<br />

<strong>de</strong> renierer, ainsi que Thamar sa ile v et <strong>de</strong> les<br />

con<strong>du</strong>ire au camp d'Absalon. £11® soutient son caractère<br />

, et s'offre elle-même à <strong>la</strong> vengeance <strong>de</strong> David.<br />

Mais déterminé à tout tenter pour ramener au<br />

<strong>de</strong>voir un fils coupable, et n'imputant ses égarements<br />

qu'au seul Achitophel, dont les perfidies sast<br />

découvertes, et qui vient <strong>de</strong> se retirer auprès d 9 Absalon,<br />

il envoie un <strong>de</strong> ses plus fidèles serviteurs,<br />

Cisaï, proposer à son fils une entrevue. Absalon y<br />

consent, malgré les efforts d'Achitophel pour l'en<br />

détourner ; il ne peut se résoudre à refuser d'entendre<br />

son père. 11 apprend <strong>de</strong> Cisaï que Farmée <strong>de</strong> David<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Tharès et <strong>de</strong> sa fille*, et que<br />

le roi seul s'y oppose; qu'il <strong>la</strong>it gar<strong>de</strong>r Tharès, et<br />

lui renvoie <strong>la</strong> jeese Thamar. Mais Cîsaï lui déc<strong>la</strong>re,<br />

en présence d'Achitophel, que, s'il suit les conseils<br />

<strong>de</strong> ce trattre, Tharès est morte, et que rien ne peut<br />

<strong>la</strong> sauver.<br />

On voit que <strong>la</strong> pièce marche, et que f intrigue se<br />

noue <strong>de</strong> plus en plus. L'entrevue <strong>de</strong> David et <strong>de</strong><br />

son fils me semble faite pour achever le succès <strong>de</strong><br />

Feuvrage. Cette scène est belle et pathétique, et ce<br />

quatrième acte peut faire pardonner <strong>la</strong> faiblesse <strong>du</strong><br />

cinquième. L'audacieux Achitophel est auprès d* Absalon<br />

lorsque le roi paraît, et <strong>la</strong> scène commence<br />

par un très-beau mouvement. Absalon, confus et<br />

troublé, s'écrie à Faspect <strong>de</strong> son père :<br />

luste ciel, c'est David que Je vois !<br />

lfÂVIB.<br />

Oui, c'est moi, c'est celui que ta fureur menace.<br />

Tu frémis ! soutiens raiera ton orgoeilieese audace :<br />

Le trouble où Je te vois fait honte à ton grand cour,<br />

Et <strong>la</strong> crainte sied mai sur le front d'art vainqueur.<br />

âamm.<br />

Sdgneur...<br />

MVtD.<br />

Quitte un respect qui n'est que dans ta bonebet<br />

Et t'apprête à répondra à tout ce qui me touche. (<br />

Mais quand ton bras impie est levé centra moi t<br />

lfêst-1! permis d'attendre un service <strong>de</strong> toi?<br />

ABftALOlf.<br />

Voira p irJssaaee kl t seifmeur, est absolue.<br />

BâVTO.<br />

Chasse donc ce perfi<strong>de</strong> t odieux à ma vue,<br />

Ce monstre, dont Faspect empoisonne ces lieux.<br />

•QHTOMEL.<br />

le puis..'.<br />

ÂBSâLÛir.<br />

• Obéisse! ; otes-vous <strong>de</strong> ses veux.<br />

Ce moment est d'un effet sûr au théâtre. On y verra<br />

toujours avec p<strong>la</strong>isir cette humiliation exemp<strong>la</strong>ire<br />

qui suit 1e crime jusqu'au milieu <strong>de</strong> ses succès. La<br />

manière dont Absalon traite Achitophel commence<br />

déjà à le réconcilier avec le spectateur, et prépare son<br />

repentir, qui terminera <strong>la</strong> scène. Je crois d'autant


pli» à propos <strong>de</strong> <strong>la</strong> faire connaître, que les pièces<br />

qu'on ne joue pas sont peu lues ; et peut-être serat-on<br />

étonné que cet ouvrage ne soit pas plus connu.<br />

HàtlS.<br />

lois nous voilà seuls : Je pâli Jouir uns petse<br />

Do funeste p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> confondre ta faine,<br />

Tlnspirer <strong>de</strong> toi-même une équitable horreur,<br />

.Et voir as moins ta honte égaler ta foreur.<br />

Car enfin Je connais tes complots homici<strong>de</strong>s :<br />

Te voilà dans îe rang <strong>de</strong> ces fameux perfi<strong>de</strong>s<br />

Bout les crimes, font seuls <strong>la</strong> honteuse splen<strong>de</strong>ur,<br />

Et qui sur leurs forfaits bâtissent leur gran<strong>de</strong>s?.<br />

Hais Je veux bien suspendre une juste colère.<br />

Quelle lâche fureur t'arme contre ton père?<br />

Ose, si tu le peux, me reprocher Ici -<br />

Que j'ai forcé ta haine à me poursuivre ainsi;<br />

Ou, si dans ton esprit tant <strong>de</strong> bontés passées<br />

A force d'attentats ne sont point effacées,<br />

Baigne plutôt, perfi<strong>de</strong> t eu rappeler le <strong>cours</strong>.<br />

Tu m'as toujours haï, je t'ai chéri toujours :<br />

le cherchais à tirer un favorable augure<br />

m ces* dons sé<strong>du</strong>cteurs dont l'orna <strong>la</strong> natale.<br />

En vain tos naturel allier, audacieux,<br />

Combattait dans mon cœur le p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> mes yeux ;<br />

'Mou amour remportait, Je sentais ma faiblesse.<br />

Que n'a point fait pour toi cette Indigne tendresse !<br />

Je fa! vu, sans respect ni <strong>de</strong>s fois ol <strong>du</strong> sang,<br />

D*Asanon mon successeur oser percer le iaec,<br />

Moins pour venger l'honneur d'une soeur éper<strong>du</strong>e,<br />

Que pour perdre un rival qui te blessait <strong>la</strong> vue.<br />

Israël <strong>de</strong> ce coup fut longtemps consterné :<br />

le <strong>de</strong>vais feu punir, Je te Fa! pardonné.<br />

J'ai fait plus : satisfait qu'un exil nécessaire<br />

Eût expié trois ans le meurtre <strong>de</strong> ton frère,<br />

Mes ordres à ma cour ont fait hâter tes pas ;<br />

Ton père désarmé t'a reçu dans ses bras.<br />

Que dis-Je? chargé d'ans et couvert <strong>de</strong> <strong>la</strong> gloire<br />

D'avoir à mes projets asservi <strong>la</strong> victoire,<br />

Tranquille, et Jouissant <strong>du</strong> sort le plus heureux f<br />

j'al<strong>la</strong>is pour successeur te nommer aux Hébreux ;<br />

Et, dans le même temps, secondé d'un rebelle»<br />

Tu répands eu tous lieux ta fureur criminelle,<br />

Ce que n'ont pu Jamais tes item Amorrhéens,<br />

Le superbe Amalee f les vail<strong>la</strong>nts Hévéens,<br />

Ta le fais en un Jour : ta fureur me mrmmte :<br />

|e fois, Je traîna ici ma douleur et ma honte ;<br />

Et sans voir que sur toi rejaillit mon affront 9<br />

D'une indigne rougeur tu me couvres le front<br />

m crois pas cependant qu'oubliant ton offense,<br />

Je ne f nii« et ne veuille eu prendre <strong>la</strong> vengeance.<br />

Mais parle : qui te porte à cette extrémité?<br />

Que t'àl-Je fait, Ingrat, pour être ainsi traité?<br />

MMkUM.<br />

eigneiir, si <strong>du</strong> <strong>de</strong>voir J'ai franchi les limites t<br />

Ji Je suis criminel autant que vous le dites,<br />

Imputes mes forfaits à mes seuls ennemis;<br />

Accuseiren Joab, lui seul a tout commis :<br />

Cest lui dont <strong>la</strong> fureur, dont <strong>la</strong> haine couverte<br />

Trame <strong>de</strong>puis longtemps le <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> ma perte.<br />

Je tais tout ce qui! peut sur vous, dans votre cour.<br />

raienint9JeravounL..<br />

Pàvro.<br />

Faible et honteux détour !<br />

Gesse <strong>de</strong> m'accuser <strong>de</strong> <strong>la</strong> lâche injustice •<br />

De suivre d'un sujet <strong>la</strong> haine ou le caprice.<br />

Donne d'autres couleurs à te rébellion;<br />

Excuse-toi plutôt sur ton ambition :<br />

Dis que ton cœur Jaloux a tremblé que ton père<br />

m mit le sceptre aux mains d'Adontas, ton frère,<br />

â quoi ton lâche orgueil n'a-t-t! pas eu re<strong>cours</strong>?<br />

Tu veux me détrôner, tu veux trancher mes Jours.<br />

ÂlSALOn.<br />

Trancher vos Jours «mol! ciel!<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE. 619<br />

Oui, ta te veux, pariée !<br />

Oses-tu me nier ton <strong>de</strong>ssein parrici<strong>de</strong>?<br />

Ces gar<strong>de</strong>s, ces soldats, qui, comb<strong>la</strong>nt tes souhaits,<br />

Devaient dès eettoMrft couronner tes forfaits ;<br />

Qui déposaient mon sceptre en ta main sangnlnalre;<br />

Traître ! le pouvaient-ils sans <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> toi père?<br />

Tiens, prends, Ma<br />

âMkum f anrrt ®mw {«.<br />

Je <strong>de</strong>meure Interdit et sans voix.<br />

BAVIB.<br />

Je sais tes attentats $ fils ingrat, tu le vois.<br />

Si le ejei n'eût pris soin <strong>de</strong> veiller sur ma vie,<br />

Ta rage <strong>de</strong> mon sang al<strong>la</strong>it être assouvie.<br />

Mais parle-: à ce <strong>de</strong>ssein qui pouvait f animer?<br />

Ton coeur, sans en frémir, a-t-ii pu le former?<br />

En peux-tu rappeler l'Idée épouvantable<br />

Sans qu'un remords vengeur te déchire et f accable?<br />

Moi-même, eu te par<strong>la</strong>nt , saisi d'un Juste effroi,<br />

Mon trouble et ma douleur m'emportent loin <strong>de</strong> mol.<br />

Grand Dieu ! voilà ce Ils qu'aveugle en mes <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s,<br />

Ont obtenu <strong>de</strong> toi mes vœux et mes offran<strong>de</strong>s !<br />

Je le vois : tu punis mes désirs Indiscrets.<br />

Eh bien ! Dieu d*Isra«l, accomplis tes décrets :<br />

Consens-tu qu'à sou gré sa rage se déploie?<br />

Veux-ta que dans mon sang ce perfi<strong>de</strong> se noie ?<br />

J'y souscris. Oui, barbare, accomplis ton <strong>de</strong>ssein ;<br />

Aux <strong>de</strong>rnières horreurs ose enhardir ta main.<br />

SI ta mère} en ces murs, énlorée, expirante,<br />

Si le trépas certain d'une épouse Innocente,<br />

Me peuvent f Inspirer-ni pitié ni terreur,<br />

Ou plutôt, si îe ciel se sert <strong>de</strong> ta fureur,<br />

Ministre criminel <strong>de</strong> ses Justes vengeances t<br />

memnlis-fe* ; par ma mort couronne tes offenses ;<br />

Viens, frappe.<br />

Juste etell<br />

BAV1B.<br />

Tu trembles rque eratos-ta?<br />

Tu foutes à tes pieds les lois et <strong>la</strong> vertu;<br />

Tu forces dans ton cœur <strong>la</strong> nature à se taire :<br />

Qui peut te retenir? Frappe, dls-Je.<br />

èMMâM*<br />

Ah! mon père!<br />

MVD.<br />

Ton père 1 oublie un nom qui ne l'est plus permis.<br />

Je ne teconnato plus : va, tu n'es plus mes fi<strong>la</strong>.<br />

âBSâLôH.<br />

Us moment, sans courroux, seigneur, daigne* m'entend».<br />

Je ne puis ni ne veux chercher à me défendre :<br />

11 est vrai, mon orgueil a fait mes attentats;<br />

J'ai craint <strong>de</strong> voir régner mon frère Adon<strong>la</strong>s;<br />

Contre le fier Joab J'ai suivi ma colère.<br />

Mais si je pals encore être cru <strong>de</strong> mou père,<br />

S'il peut m'étre permis d'attester l'Éternel,<br />

Voilà ce qui peut seul me rendre criminel :<br />

Jouet d'us sé<strong>du</strong>cteur qu'à présent Je déteste,<br />

Le traître AchMophel a commis tout te reste.<br />

Je sais qu'après les maux que Je viens <strong>de</strong> causer,<br />

Une fatale erreur ne saurait m'exeuser.<br />

J'ai tout fait ? vengei-vous, punisse* en coupable ;<br />

Ou plutôt sauves-mol <strong>du</strong> remords qui m'accable.<br />

Qweiqmê « affreux que soient vos Justes châtiments,<br />

Hff ^à^ummt imint l'horreur <strong>de</strong> mes tourments.<br />

BAI IB. #<br />

Ainsi le <strong>de</strong>l commence à te rendre Justice :<br />

Ton crime fit ta Joie, Il fera ton supplice.<br />

Heureux si ton remords, sincère, fructueux,<br />

Pro<strong>du</strong>isait en ton âme un retour vertueux !<br />

Mais ne cherches-ta point à tromper ma clémence?<br />

Et ta bouche et ton cœur sont-Us dloteUIgeae* ?<br />

ï * Quelques n'a le signe <strong>du</strong> pluriel que pour <strong>la</strong> mesure i U<br />

faudrait f**f fn#, adverbe.


êw<br />

Dana te ftuiesto étal, seigneur, m Je me ¥of v<br />

Ma serments pes¥ênt-iis TOUS répondre <strong>de</strong> mol ? *<br />

En MMâ M vérité doit TOUS sembler douteuse.<br />

Quel affront f Jatte Dieu, pour une âme orguettlmne !<br />

De quel opprobre affreux vteos-Je <strong>de</strong> me couvrir !<br />

le Fat trop mérité pour se le pas souffrir.<br />

Oui, seigneur, s'en eroyei ni mi ierté ren<strong>du</strong>e ,<br />

Mi mi tente à vos yeux sur mon front répan<strong>du</strong>e,<br />

Ml les pieu» cjaeje verse à res sacrés gnou :<br />

Pimiiaei an Ingrat, suites votre counoux.<br />

fiàfil*<br />

Ufe-toL<br />

AMAIAN.<br />

Qm*iMm-wmÊ ordonner <strong>de</strong> ma fiel<br />

DAfID.<br />

£§-tn prêt à mourir? àwmum*<br />

Coateatei votre envie.<br />

SâVIB.<br />

Mon envie ! Ah ! cruel, dis plutôt mon <strong>de</strong>voir.<br />

Je <strong>de</strong>vrais te punir, Je ne puis le vouloir.<br />

Que dfe-Je? A quelque excès qu'ait <strong>mont</strong>é ton audace,<br />

Mon sang s'émeut pour toi; ton repentir l'efface»<br />

Mes pleurs, que vainement Je voudrais retenir,<br />

Tanaoneent le pardon que ta vas obtenir.<br />

C*ea est fait, ma tendresse étouffe ma colère ;<br />

Sois mon fils, Abtalon, et je serai ton père.<br />

le te pardonne tout Je iota qu'un sé<strong>du</strong>cteur k<br />

D'un horrible complot a seul été fauteur :<br />

Le perfi<strong>de</strong> a sé<strong>du</strong>it ta cré<strong>du</strong>le Jeunesse.<br />

ledonse mol ton cœur, Je te rends ma tendresse :<br />

Ton neurew repentir me fait tout oublier;<br />

C'est à toi désormais à me Justifier.<br />

COURS DE LITTERATURE.<br />

J'atone qu'il y a bien <strong>de</strong>s négligences, et même<br />

quelques fautes dans <strong>la</strong> tersiication; mais le ton<br />

général <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène est frai, naturel f touchant : au<br />

théâtre elle ferait ferser <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes. C'est pourtant<br />

cet ou?rage qu'on n'y a pas fu <strong>de</strong>pois quarante<br />

ans; et on y redonne, on y tolère, on y app<strong>la</strong>udit<br />

tous les jours <strong>de</strong> misérables rapsodies qui sont le<br />

scandale <strong>de</strong>s lettres , <strong>du</strong> bon sens y et <strong>du</strong> bon goût.<br />

De nouireaui artiiees d'Achitophel ren<strong>de</strong>nt cette<br />

réconciliation inutile. Il fait courir le bruit, dans<br />

famée <strong>de</strong>s rebelles, que David f@ut enlever Absalon.<br />

Le combat s'engage : Joab est ?ainqueur, et le<br />

prince meurt, comme dans tÉcrit&re, frappé d'us<br />

trait parti <strong>de</strong> <strong>la</strong> main <strong>de</strong> Joab, et qui atteint le malheureui<br />

Absalon arrêté aux brandies d'un; arbre par sa<br />

chef elure. Je crois qu'a?ec quelques retranchements<br />

<strong>la</strong> pièce pourrait être remise et avohr <strong>du</strong> succès : elle<br />

est <strong>du</strong> petit nombre <strong>de</strong> celles où il n'y a point d'intrigue<br />

amoureuse, et c'est encore un mérite <strong>de</strong><br />

plus.<br />

Le style <strong>de</strong> Bûché est plus incorrect que celui <strong>de</strong><br />

Campistron ^ mais il est plus animé et plus soutenu.<br />

Au reste, on y remarque plus mmmmî encore le désir<br />

d'imiter les tournures, les mou?ements, <strong>la</strong> marche<br />

<strong>de</strong>s scènes <strong>de</strong> Racine. Celle où Tharès ? eut détourner<br />

Absalon <strong>de</strong> ses projets criminels est calquée<br />

sur <strong>la</strong> cou?ersation <strong>de</strong> Burrhus a?ec fféron : on y<br />

retroufe <strong>de</strong>s ?trs d'emprunt presque tout entiers, I<br />

<strong>de</strong>s hémistiches frappants, tels que eehti-ei9 Mm, il<br />

ne mm koiipm, qui fait toujours tant d'effet dans<br />

<strong>la</strong> bouche <strong>de</strong> Burrhus. Mais ces passages si simples<br />

ne sont beau que par <strong>la</strong> manière <strong>de</strong> les p<strong>la</strong>cer; et<br />

les auteurs qui se les approprient ne peu?est pas<br />

s'emprer <strong>du</strong> talent d'un autre, comme <strong>de</strong> sa<br />

ters.<br />

Un seul outrage a mis <strong>la</strong> Fosse fort au-<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> tous les poètes dramatiques qui dans le siècle<br />

<strong>de</strong>rnier sont tenus après Racine, €&ré$m est un<br />

mauvais roman : Thésée, qui fait un peu mieux,,<br />

est aussi dans le goût romanesque, que <strong>la</strong> Fosse<br />

a porté jusque dans l'ancien sujet <strong>de</strong> Pofyxêne, qui<br />

dans sa simplicité aurait pu a?oir beaucoup plus<br />

d'intérêt. Mais Mentit» est une véritable tragédie,<br />

et sera toujours un titre honorable pour son auteur.<br />

Tous les caractères sont parfaitement traités ; Maalius,<br />

Senrilius, Rutile, Yalérie, agissent et parient<br />

comme Us doivent agir et parler. L'intrigue est menée<br />

avec beaucoup d'art, et l'intérêt gra<strong>du</strong>é jusqu'à<br />

<strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière scène. Que manque-t-il à cet ouvrage<br />

pour être au premier rang? Rien que cette poésie<br />

<strong>de</strong> style, ce charme <strong>de</strong> l'expression et <strong>de</strong> l'harmonie<br />

auxquels Racine et Yoltaire ont accoutumé nos<br />

oreilles : et ce qui peut faire sentir leur supériorité<br />

dans cette partie, c'est que <strong>la</strong> versllcatlta <strong>de</strong> Momiim,<br />

qui est restée si loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> leur, est pourtant<br />

fort au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> toutes les pièces <strong>du</strong> même siècie,<br />

et a <strong>de</strong> Véritables beautés. Mais en général l'auteur<br />

pense mieux qu'il n'écrit. Tous ses personnages disent<br />

ce qu'ils doifent dire : il y a même <strong>de</strong> très-beaux<br />

fers et <strong>de</strong>s morceaux entiers d'un ton mâle, énergique<br />

et 1er; mais sou?eet on désirerait plus d'élégance,<br />

plus <strong>de</strong> nombre, plus <strong>de</strong> force, plus <strong>de</strong> chaleur.<br />

La pièce n'est autre choie que <strong>la</strong> CmjwmMem<br />

<strong>de</strong> remise sous <strong>de</strong>s noms romains. Elle est tirée<br />

d'une pièce ang<strong>la</strong>ise d'Otway, mais très-supérieure<br />

à l'original. La Fosse a profité en quelques endroits<br />

<strong>de</strong> l'ouvrage <strong>de</strong> l'abbé <strong>de</strong> Saint-Réai, dont ce morceau<br />

d'histoire est le ehef-d'œuwe. Le caractère <strong>de</strong><br />

Manlius est ce qui fait le plus d'honneur au talent<br />

<strong>du</strong> poète : il est conçu d'une manière digne <strong>de</strong> Corneille,<br />

et offre même, dans les détails, <strong>de</strong>s traits<br />

qui font soutenir <strong>de</strong> lui ; par exemple, cet endroit<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> première scène, où Manlius rassure Albin son<br />

conl<strong>de</strong>nt, qui craint que ses hauteurs et ses dis<strong>cours</strong><br />

hardis contre le sénat n'é?elles! les soupçons:<br />

Won, à<strong>la</strong>fa : leur orgueil, apra» brtve tosjoura.<br />

Croit


Smm mon audace, AfMn, Je me cache à Iran yeux,<br />

fit préparant contre eux tout ce qu'Us doivent craindra t<br />

Faimêmc te p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> Heine pas mmUiâoâm<br />

Jë M veux point kl, par «n seraient frivole,<br />

lesel» enfers vous les dieux garants <strong>de</strong> ma parole :<br />

Cest pour an cœur parjure au trop faible Uee ;<br />

le puis vous rassurer par un astre moyen.<br />

le vais mettra es iieamains» , ali qu'il en répon<strong>de</strong>,<br />

Pieu que si J'y mettais tous les sceptres <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> 9<br />

Le seul Dieu que me <strong>la</strong>isse un <strong>de</strong>stin envieux.<br />

Valérie est, seigneur, retifée en ces liens: :<br />

De ma fidélité voilà quel est le gage.<br />

A «t ami commun Je Sa livre en otage;<br />

Et moi , pour miens eaeor vous assurer ma fol.<br />

Je répoinfa es vos mains» et pour elle et pour moi<br />

Témoin <strong>de</strong> tous mes pas observes ma con<strong>du</strong>ite ;<br />

Et si ma fermeté se dément dans <strong>la</strong> suite,<br />

• mes yeux aussitôt famée ce 1er en main ^<br />

Dites à Valérie, en lui perçant le sein :<br />

« Pour prix <strong>de</strong> ta vertu, <strong>de</strong> ton amour extrême,<br />

« ServiMtis par moi f assassine lui-même. »<br />

Et dans le même instant, tournant sur moi vos coups,<br />

Arraehei-mol ce cœur t qtfll soft aux yeux <strong>de</strong> tous<br />

Montré comme le ccear d'un mené , d'un parjure ;<br />

Et qu'au vautours après il serve <strong>de</strong> pâture.<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

dans toute l'assemblée, au moment ou il paraissait<br />

au fond <strong>du</strong> théâtre, Axant les yeux sur Servilius.<br />

Ce qui distingue cette scène t c'est que le dialogue<br />

Je me cache goût mon audace est une expression<br />

et le style sont à peu <strong>de</strong> chose près au niveau <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

admirable.<br />

situation.<br />

La Fossef es écartant tout le fatras, toutes les<br />

indécences, toutes les folies dont fauteur ang<strong>la</strong>is<br />

a rempli sa pièce, eu a emprunté une situation forte<br />

et terrible : c'est celle où S€f?iliust que sans consulter<br />

ses amis, Manlius a engagé dans <strong>la</strong> conspiration<br />

contre Rome, s'aperçoit qu'il est suspect à<br />

Rutile, un <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> f entreprise t et, pour calmer<br />

ses soupçons, remet entre les mains <strong>de</strong> Manias<br />

une femme qu'il adore, Yalérîe, qu'il a épousée malgré<br />

sou père, et dont l'hymen est <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> tous<br />

les malheurs qui le portent au désespoir et à <strong>la</strong> ? engeance.<br />

On juge bienqn'aprèson semb<strong>la</strong>ble engagement Seraiîna<br />

ne peut pas trahir ses amis ; mais il trahit leur<br />

secret, qu'il n'a ps <strong>la</strong> force <strong>de</strong> refuser au <strong>la</strong>rmes<br />

et anï terreurs <strong>de</strong> Yalérie ; et «Ile-ci , vou<strong>la</strong>nt remplir<br />

à <strong>la</strong> fois le <strong>de</strong>toir d'one Romaine et d'une<br />

épouse, désespérant <strong>de</strong> ramener Servilins, prend<br />

sar elle <strong>de</strong> révéler tout an sénat, après en a? oir tiré<br />

<strong>la</strong> promesse <strong>de</strong> pardonner atii conjurés. Elle oublie<br />

le soin <strong>de</strong> sa propre fie, pourvu qu'elle sauve à <strong>la</strong><br />

fois Rome et son époux. Cette démarche pro<strong>du</strong>it différentes<br />

scènes fort belles, mais surtout celle où<br />

ManJius, qui avait répon<strong>du</strong> <strong>de</strong> son ami comme <strong>de</strong><br />

lui-même, instruit que <strong>la</strong> conspiration est découverte<br />

par sa foute 9 et refusant <strong>de</strong> le croire jusqu'à ce<br />

qu'il en ait eu l'aveu <strong>de</strong> sa propre bouche, vient le<br />

trouver, tenant à <strong>la</strong> mais <strong>la</strong> lettre <strong>de</strong> Rutile. Ceui<br />

qui ont vu jouer ce rôle à F inimitable Lekain m rappellent<br />

encore quelle terreur son visage répandait<br />

: « Au mains <strong>de</strong> Rntttofqni soupçonne sa fidélité.<br />

691<br />

Gonnais4n bien Sa mais <strong>de</strong> luîlie?<br />

seanues*<br />

©et<br />

nsmim<br />

Tiens, Us.<br />

leiaîiitîg*<br />

« Vous avei méprisé ma juste défiance.<br />

« Tout est su par i'mémit que J'avais scaifesMrai<br />

« Cest par un sénateur <strong>de</strong> notre intelligence<br />

« Qu'es ce même moment ravis m'en est donné.<br />

« Fuyei ches les Vêtent, où notre sort nous gui<strong>de</strong>.<br />

« Mais, pour f<strong>la</strong>tter les maux où ce coup nous ré<strong>du</strong>it,<br />

« Trop heureux, en partant ? si k mort <strong>du</strong> perfi<strong>de</strong>.<br />

« De son crime, par YOUS , lui dérobait te fruit! »•<br />

MAftLIUS.<br />

Qu'en dis-tu?<br />

«araros<br />

Frappe!<br />

•ÂWUUg.<br />

Quoi!...<br />

eaejtffljm<br />

_ . Tu dois asaex m'entendra:<br />

ftappi, dfcje; ton bras ne saurait se méprendra.<br />

•AJfUna.<br />

Que ifs-<strong>la</strong>, malheureux? CM vas-ta f égarer?<br />

Sais-tu bien ce qulci tu m'oses déc<strong>la</strong>rer?<br />

SEBTIUUS.<br />

Oui, Je sais que tu peux, par un coup légitime,<br />

Percer ce traître coeur que Je t'offre es vicia»;<br />

Que ma foi démentie a trahi ton <strong>de</strong>ssein.<br />

SUNUCS.<br />

Et Je n'enfonce pas un poignard dans ton sein !<br />

Pourquoi faut-Il eaoor que ma mais trop timi<strong>de</strong><br />

Méconnaisse un ami dans les traits d'un perfi<strong>de</strong>?<br />

Qui? toi, tu me trahis? yai-Je bien enten<strong>du</strong>?<br />

«avilit».<br />

Il est eral $ Manlius : peut-être Je l'ai dû.<br />

Peut-être, plus Iraaf aille$ aurais-tu lieu <strong>de</strong> croire<br />

Que sans mol tes <strong>de</strong>sseins auraient flétri ta ggletra;<br />

Mais enfin les raisons qui frappent mon esprit<br />

He sont pas <strong>de</strong>s raisons à calmer ton iêpit ;<br />

Et Je compte pour rien que Rome favorable<br />

Me déc<strong>la</strong>re innocent quand tu me crois coupable.<br />

Je viens donc par ta inaln expier mon forfait :<br />

Frappe ; <strong>de</strong> mon <strong>de</strong>stin je meurs trop satisfait,<br />

Puisque ma trahison, qui sauve ma patrie,<br />

Te sauve en même terap et Fhonneur et <strong>la</strong> vie?<br />

•AHUOft.<br />

Toi ! me sauver <strong>la</strong> vie ?<br />

eamaieras*<br />

* Et même à tes amis.<br />

'A signer leur fnaaîari le sénat s'est soumis ;<br />

LnrsJours sont assurés.<br />

MASMSS.<br />

Et quel aveu, quel titre<br />

De leur sort et <strong>du</strong> mies te rend le! rarbitre?<br />

Qui fa dit que pour moi <strong>la</strong> vie eét tant d'attraits?<br />

Que veux-tu que Je-pelsse en faire désormais?<br />

Pour m'y voir <strong>de</strong>s Romains le mépris «t <strong>la</strong> fatale?<br />

Pour <strong>la</strong> perdre peut-être en us sort mfsêraîaa^<br />

Ou dans une querelle, en signa<strong>la</strong>nt ma fol<br />

Pour quelque ami nouveau, perfi<strong>de</strong> comme toi?<br />

Maasi quand <strong>de</strong> toutes parts ma vive déf<strong>la</strong>sqs-<br />

Jusqu'aux moindres périls portait ma prévoyance,<br />

Par toi notre <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong>vait être détruit f<br />

Et par nsdlgne objet dont Famoar fa sé<strong>du</strong>it !<br />

Car Je n'es doute point, ton crime est son osvmp.


622<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

Ltelt@, Indigne Romain. qui » né pour reac<strong>la</strong>vage.<br />

Saura <strong>de</strong> Ile» tyrans, soigneux <strong>de</strong> f outrager,<br />

Et trahis <strong>de</strong>s amis qui vou<strong>la</strong>ient te veegsr !<br />

Quel sera contre mot l'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> leur tolère?<br />

Je leur al garanM ta fol ferme et sincère ;<br />

Fat ri <strong>de</strong> leurs soupçons, fat retenu leurs bras ,<br />

Qui t'al<strong>la</strong>ient prévenir par ton juste trépas.<br />

A leur sage conseil que n'ai-Je pu ma rendre?<br />

Ton sang ¥a<strong>la</strong>il alors qu'on daignât Se répandre ;<br />

Il aurait assuré falfet <strong>de</strong> mon <strong>de</strong>ssein ;<br />

Mais sans fruit maintenant il souillerait ma mais ;<br />

Et, trop vil à mes yeux pour kver ton offense,<br />

le <strong>la</strong>isse à tes remords le soin <strong>de</strong> ma vengeance.<br />

les beautés <strong>de</strong> Rome smmêe qui appartenaient plus<br />

à l'histoire qu'à <strong>la</strong> tragédie. Mmûm, à <strong>la</strong> représentation,<br />

est bien autrement intéressant que CaH-<br />

Uim; et CaUlina nous frappe davantage à <strong>la</strong> lecture :<br />

c'est que le fond <strong>de</strong> Manlius est riche en situations,<br />

et d'un bout à l'autre très-tragique; et que Momt<br />

sauvée est riche en développements <strong>de</strong> caractères et<br />

en traits d'éloquence. Si <strong>la</strong> fosse avait su écrire<br />

comme Voltaire, Manlius serait un ouvrage <strong>du</strong> premier<br />

ordre ; et Home sauvée serait au nombre <strong>de</strong>s<br />

Quel profond dédain dans ce vers :<br />

chefs-d'œuvre <strong>de</strong> l'auteur, si l'intérêt répondait au<br />

Ton sang va<strong>la</strong>it alors qu'on daignât le répandre. style.<br />

« A tout prendre f cette pièce ne me parait que <strong>la</strong> €m$-<br />

La pièce d'ailleurs est trop coalise pour avoir bepimimm <strong>de</strong> Venise, <strong>de</strong> Fabbé <strong>de</strong> SalnMtéal, eltée. •<br />

soin d'une analyse plus détaillée. ManUm et Vm-<br />

Certainement <strong>la</strong> Fosse a tracé son p<strong>la</strong>n sur <strong>la</strong><br />

ces<strong>la</strong>s me paraissent les <strong>de</strong>ux premières pièces <strong>du</strong><br />

Fmm sauvée d'Otway, comme celui-ci sur l'ou­<br />

second rang, dans le siècle passé. L'une <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

vrage <strong>de</strong> Fabbé <strong>de</strong> Saint-Réal. La différence <strong>de</strong>s<br />

remporte <strong>de</strong> beaucoup par <strong>la</strong> sagesse <strong>du</strong> p<strong>la</strong>n et <strong>la</strong><br />

temps et <strong>de</strong>s mœurs a dû es mettreune gran<strong>de</strong> dans<br />

versification ; riiais fautre ba<strong>la</strong>nce ces avantages par<br />

l'exécution, et une conspiration <strong>du</strong> premier siècle<br />

le pathétique <strong>de</strong> quelques situations.<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> république romaine ne pouvait guère ressem­<br />

Cependant Pe<strong>la</strong>ge que j'ai fait <strong>de</strong> Manëm, éloge bler à <strong>la</strong> conspiration <strong>du</strong> marquis <strong>de</strong> Bedmar : les<br />

qui s'accor<strong>de</strong> en tout avec <strong>la</strong> réputation dont il raisons en sont palpables pour tout homme un; peu<br />

jouit <strong>de</strong>puis près d'un siècle, et avec l'opinion <strong>de</strong> instruit. La Fosse a-t-îl gâté le sujet en Fappropriaat<br />

tous les gens <strong>de</strong> lettres que j'ai connus, m'oblige <strong>de</strong> aux mœurs <strong>de</strong> Rome, à Fépoque <strong>de</strong> Camille? C'est<br />

rappeler ici <strong>la</strong> critique qu'en a faite Yoltaire dans ce queje suis fort loin <strong>de</strong> penser. Voyons comment<br />

use lettre écrite en 1761 * f et qui pourrait diminuer Voltaire essaye <strong>de</strong> soutenir cette assertion.<br />

beaucoup <strong>de</strong> ridée qu'on a <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce , si cette criti­<br />

« I<br />

que était aussi motif ée qu'elle est <strong>du</strong>re et tranchante.<br />

11 ne m'est pas permis <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser <strong>de</strong> celé un avis aussi<br />

digne <strong>de</strong> considération que celui <strong>de</strong> Yoltaire : le lecteur<br />

jugera les objections et les réponses « et son<br />

goût et ses réflexions déci<strong>de</strong>ront.<br />

Il faut savoir d'abord quelle fut f occasion <strong>de</strong> cette<br />

censure : ce fut l'idée d'une concurrence qui <strong>du</strong>t naturellement<br />

donner un peu d'humeur et d'ombrage<br />

à un écrita<strong>la</strong> qui en était fort susceptible , et qui ne<br />

souffrait <strong>de</strong> eoaiparalsoa qa*a?ec les maîtres en tout<br />

genre. 11 avait envoyé <strong>de</strong> Berlin à Paris sa tragédie<br />

<strong>de</strong> Borne sauvée, à l'instant même où Ton avait remis<br />

Matdius pour le début <strong>du</strong> fameux Lckaia , et<br />

avec beaucoup <strong>de</strong> succès. M. d'Argeotal hasarda <strong>de</strong><br />

témoigner à son illustre ami quelque inquiétu<strong>de</strong> sur<br />

cette coïnci<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux pièces républicaines ; rou<strong>la</strong>nt<br />

toutes <strong>de</strong>ux sur une conspiration. Voici <strong>la</strong> réponse<br />

<strong>de</strong> Voltaire.<br />

« Je Tiens <strong>de</strong> lire Manlius : il fa <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s beautés,<br />

mais elles saat plus historiques que tragiques. »<br />

Je crois le contraire : l'analyse qu'on tient <strong>de</strong> lire<br />

a dû le prou? er, et f effet constant <strong>du</strong> théâtre Fa confirmé.<br />

Ce qui est remarquable, c'est que ce même<br />

effet <strong>du</strong> théâtre a fait ?oir que c'étaient au contraire<br />

* Voyei <strong>la</strong> Côrrap&Mmmcê §émêmle9 tome in, édlUon <strong>de</strong><br />

Kehl, page 334.<br />

e La conspiration n'est ni asses gran<strong>de</strong> f ni asso terrible;<br />

ni asseï détaillée. »<br />

La vérité .est que Rome étant plus gran<strong>de</strong> <strong>du</strong><br />

temps <strong>de</strong> Cîcéroa et <strong>de</strong> César que <strong>du</strong> temps <strong>de</strong> Camille<br />

et <strong>de</strong> Manlius, tous les détails quelconques<br />

doivent avoir aussi plus <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur : mais ils soot<br />

dans Manlius tout ce qu'ils peuvent être, à moins<br />

d'être exagérés ; et quant à <strong>la</strong> terreur, qu'on relise <strong>la</strong><br />

scène où Valérie , en représentant Rome livrée aux<br />

conjurés, épouvante Serviiius lui-même <strong>de</strong>s complots<br />

qu'il prtage, et l'on verra si cette conjuration<br />

s'est pas assez terribk.<br />

Il y a ici une erreur où Voltaire n'est tombé que<br />

parce qu'il avait alors sous les yeux son propre ouvrage<br />

bien plus que les principes <strong>de</strong> Fart que d'ailleurs<br />

il connaissait mieux que personne. Les êétaUs<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> conjuration tiennent en effet bien plus <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce<br />

chez lui que dans <strong>la</strong> Fosse. Pourquoi ? C'est que chef<br />

lui le danger <strong>de</strong> Rome est Fobjet principal, et qu'il<br />

n'y a qu'une seule situation, celle <strong>du</strong> quatrième aetef<br />

où les principaux personnages soient eux-mêmes en<br />

danger. Mais c'est précisément l'inconvénient <strong>de</strong> sa<br />

pièce et <strong>de</strong> son p<strong>la</strong>u : jamais un danger public f le<br />

danger d'un peuple ne peut occuper et attacher longtemps<br />

, si vous n'y joignez un danger très^procbaui<br />

et très-menaçant, dans <strong>la</strong> situation <strong>de</strong>s personnages<br />

principaux ; car les affections indivi<strong>du</strong>elles sont tou-


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

Jours plus fîtes, et sortent an théâtre f que les affections<br />

générales; et c'est pour ce<strong>la</strong> particulièrement<br />

que, <strong>de</strong> toutes les conspirations qu'on a mises<br />

sur <strong>la</strong> scène, <strong>la</strong> plus intéressante et <strong>la</strong> plus théâtrale,<br />

<strong>de</strong> l'aveu <strong>de</strong> tous les connaisseurs, est celle <strong>de</strong> Manlius.<br />

« 1° Manies est d'abord le f renier personnage; ensuite<br />

Servi Mas le défient. »<br />

Non. Manlius est le/premier jusqu*auboat. Voyez,<br />

au quatrième acte, combien il est grand arec Servilité,<br />

et combien celui-ci est au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> lui,<br />

quoique Mao! îes soit découvert, et que Servîlius<br />

n'ait rien à craindre : c'est <strong>la</strong> scène <strong>la</strong> plus imposante<br />

<strong>de</strong>là pièce. Manlîus cesse-t-iljd'étre le premier, lorsqu'au<br />

cinquième acte, déjà condamné à <strong>la</strong> mort, il<br />

voit à ses pieds Servil ius lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un pardon<br />

qu'il n'obtient qu'au pris que Manlius veut y mettre?<br />

Et quel prix! Sans doute on p<strong>la</strong>int da?antage<br />

Serfilius, comme on p<strong>la</strong>int <strong>la</strong> faiblesse et le repentir;<br />

maïs l'admiration est toujours pour Manlius,<br />

parce qu'elle est toujours pour le courage et <strong>la</strong> hauteur<br />

<strong>de</strong> Caractère. Ce reproche <strong>de</strong> Voltaire est sans<br />

aucun fon<strong>de</strong>ment et entièrement injuste.<br />

« 3 e Manliiis, qui défait être un homme d'une ambition<br />

respectable, propose à si nommé Mutile (qo'on ne commit<br />

pa§, et qui iiît l'entends sans aucun intérêt marqné à tout<br />

ce<strong>la</strong>) <strong>de</strong> recevoir Serrillus dans <strong>la</strong> troupe, comme os reçoit<br />

tm Tcleer clier <strong>de</strong>s Cerleectilcas. »<br />

Cest là une parodie, et non pas une critique.<br />

La lecture seule <strong>de</strong> l'ouvrage suffirait pour répondre<br />

à un exposé si faux et si gratuitement injurieux.<br />

Rutile est donné dans <strong>la</strong> pièce pour un <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> faction popu<strong>la</strong>ire, <strong>de</strong> tout temps opposée à l'aristocratie<br />

patricienne; et Ton sait que Manlius s'est<br />

mis à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> cette faction, comme Camille est<br />

à <strong>la</strong> tête <strong>du</strong> sénat. Son ambition est suffisamment<br />

respecêaMe dans les mœurs dramatiques, puisqu'elle<br />

n'est que <strong>la</strong> jalousie <strong>du</strong> pouvoir et <strong>de</strong> l'autorité,<br />

qu'il dispute à Camille, et que ses services et<br />

ses exploits le mettent en droit <strong>de</strong> disputer. L'ambition<br />

est-elle plus respeetabk dans Catilina, scélérat<br />

qui n'a que <strong>de</strong> l'audace et ne respire que le pil<strong>la</strong>ge<br />

et le massacre? A quoi pensait Voltaire quand<br />

il a oublié cette différence?<br />

L'exécution <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène où Servïlius est reçu<br />

parmi les conjurés est énergique; et terrible quand<br />

Rutile, pour justiier ses soupçons, dit à Manlius :<br />

. . . Sur mot, <strong>de</strong> ion sort ma grand peuple m fi®,<br />

on conçoit assez que ce n'est pas un personnage<br />

sans importance, et que c'est par son entremise<br />

que le parti poou<strong>la</strong>ire a consenti à servir les projets<br />

<strong>de</strong> Manlius, qui, en sa qualité <strong>de</strong> patricien,<br />

623<br />

doit être suspect au peuple. Tout est conforme aux<br />

mœurs, tout est vraisemb<strong>la</strong>ble, et rien ne manque<br />

à <strong>la</strong> dignité tragique.<br />

« BfaaJas^ ajouté Voltaire f doit être un chef impérieux<br />

et absolu. »<br />

Encore une fois, à quoi pense-t-il, lui qui* sait si<br />

bien qu'un chef <strong>de</strong> parti doit ménager tout le mon<strong>de</strong>,<br />

qu'un <strong>de</strong>s meilleurs traits <strong>du</strong> rêle <strong>de</strong> son Catilina<br />

est <strong>la</strong> souplesse et <strong>la</strong> déférence qu'il <strong>mont</strong>re à l'égard<br />

<strong>de</strong> Lentulus ?<br />

« 4® La femme <strong>de</strong> Servilias <strong>de</strong>vine 9 sans aucune ralsaa 9<br />

§11*01 veut assassiner son père, et Servilias f avoue par<br />

une f<strong>la</strong>iMesse qui n'est nuDement tragique. »<br />

Toutes ces censures sont pleinement démenties<br />

par <strong>la</strong> pièce même. Voyez, dans <strong>la</strong> scène où Valérie<br />

arrache le secret <strong>de</strong> son mari 9 si elle n'a pas vingt<br />

raisons pour une <strong>de</strong> soupçonner ce qui se trame.<br />

Songez à <strong>la</strong> situation où elle est, aux préparatifs secrets<br />

dont elle est témoin, à l'ascendant qu'elle a sur<br />

un homme qui l'adore; et juges si cette scène, que<br />

l'on prétend n'être nullement êrsgiqœ, n'est pas<br />

en effet con<strong>du</strong>ite avec art, et <strong>de</strong> manière à pro<strong>du</strong>ire<br />

l'effet qu'elle a toujours pro<strong>du</strong>it. Depuis quand dose<br />

un secret arraché par l'amour n'est-il plus digne <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> tragédie? Eh! ce sont là ks faiblesses qui sont<br />

théâtrales. Qui <strong>de</strong>vait le savoir mieux que Voltaire?<br />

La partialité l'aveugle au point qu'il se contredit<br />

d'une ligne à l'autre. 11 dit ici :<br />

« CmtfsiblmeédSerfmmMïUnîêh^mAéclipm<br />

absolument Maaiias, »<br />

Et un moment après :<br />

« Cet êmèécUe <strong>de</strong> mari ne <strong>la</strong>it plus qu'un personnage<br />

aussi insipèdk que MaaMaa» » -<br />

Ce ne sont pas là <strong>de</strong>s raisons ; ce sont <strong>de</strong>s injures<br />

et <strong>de</strong>s contradictions également grossières. Coin*<br />

ment un TÙtoimbécikeilnsIpi<strong>de</strong>JaèWtouie<strong>la</strong>plèce,<br />

quand <strong>la</strong> pièce réussit <strong>de</strong>puis si longtemps, quand<br />

il y a, <strong>de</strong> l'aveu <strong>du</strong> censeur, <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s bemtêsî<br />

Comment ce qui est injgtàfe écUpse^M un personnage<br />

tel que Manlius? Une <strong>de</strong> ces gmmém bmmMë<br />

est précisément <strong>la</strong> différence très-heureuse <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

rêles principaux f dont l'un intéresse par lesJWMetses<br />

d'un «sur tendre et sensible, et dont rentre<br />

nous attache par <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>sseins et Fisflexibilité<br />

<strong>de</strong> son caractère. Et c'est Voltaire qui méconnaît<br />

à ce point un genre <strong>de</strong> mérite si dramatique!...<br />

Finissons cette discussion, qui est affligeante;<br />

et concluons qu'il faut être bien sûr <strong>de</strong> soi-même<br />

pour se faire juge dans sa propre causa Tout s'explique<br />

par le résultat que Voltsjro prononce en sa<br />

faveur :<br />

« Xose croire qm <strong>la</strong> pièce <strong>de</strong> Borne sauvée a beaucoup


SJ4_<br />

pies d'usité, est plus tragique, pies frappante , et plu attachante.<br />

»»<br />

C'est ce que fort peu <strong>de</strong> gens croient et ce que<br />

l'expérience <strong>du</strong> théâtre a démenti. Nous ferrons,<br />

dans <strong>la</strong> suite Y fie Morne mmée est sublime par <strong>la</strong><br />

conception <strong>de</strong>s caractères et par <strong>la</strong> versIÉeatton ;<br />

mais qu'elle est fort peu tragique, fort peu utîM~<br />

chante par le fond 9 et frappante seulement par les<br />

détails. Quant à l'unité, elle est observée dans les<br />

<strong>de</strong>ux pièces; mais dans celle <strong>de</strong> Yoltaire, les trois<br />

premiers actes sont sans action; et dans celle <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Fosse, faction ne <strong>la</strong>nguit pas un instant.<br />

Mous a?ons vu ce qu'a été <strong>la</strong> tragédie dans cet<br />

âge bril<strong>la</strong>nt dont nous parcourons f histoire littéraire<br />

: tournons maintenant nos regards vers un<br />

autre genre <strong>de</strong> poésie dramatique qui a pris naissance<br />

à <strong>la</strong> même époque, mais dans lequel <strong>la</strong> palme<br />

a été moins disputée. La comédie et Molière<br />

( ces <strong>de</strong>ux noms disent <strong>la</strong> même chose ) vont nous<br />

occuper à leur tour.<br />

CHAPITRE VL—lfefacamdAeJMf fc«Mefe<br />

éeLmâs MF.<br />

mmmmcmm.—De <strong>la</strong> comédie avant Molière.<br />

COURS BE fJTTÉMTIJlE.<br />

L'Italie et l'Espagne, qui donnèrent longtemps<br />

<strong>de</strong>s lois à notre théâtre, <strong>du</strong>rent avoir sur <strong>la</strong> comédie<br />

<strong>la</strong> même influence que sur <strong>la</strong> tragédie. Nous empruntâmes<br />

aux Italiens leurs pastorales ga<strong>la</strong>ntes et leurs<br />

bergers beaux-esprits. La Sylvie <strong>de</strong> Mairet, écrite<br />

dans ce genre , et qui n'est qu'un froid tissu <strong>de</strong><br />

madrigaux subtils 9 <strong>de</strong> conf ersations en pointes, et<br />

<strong>de</strong> dissertations enjeux <strong>de</strong> mots, excita dans Paris<br />

ne sorte d'ivresse qui proufait le mauvais goût<br />

dominant, et serrait à l'entretenir. Il ne fallut rien<br />

moins que k CM pour faire tomber ce ridicule ouvrage<br />

; et quoique Chimène, en quelques endroits,<br />

eût elle-même payé le tributà cette mo<strong>de</strong> contagieuse<br />

<strong>de</strong> faire <strong>de</strong> l'amour un effort d'esprit, cependant <strong>la</strong><br />

térité <strong>de</strong>s sentiments répan<strong>du</strong>s dans ce rAle et dans<br />

celui <strong>de</strong> Rodrigue a?ertit le cœur <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>isirs qu'il<br />

loi fal<strong>la</strong>it, et <strong>de</strong> cette espèce <strong>de</strong> mensonge qu'un art<br />

mal enten<strong>du</strong> vou<strong>la</strong>it substituer à <strong>la</strong> nature. Les<br />

pointes commencèrent à tomber, mais lentement :<br />

comme elles se soutenaient dam les sociétés gui<br />

donnaient le ton, le théâtre n'en était pas encore<br />

purgé, à beaucoup près , et ce furent ks Préeiemêi<br />

à Paris, où jouait Molière dans le temps même<br />

qu'il commençait à élever le sien, nous avaient accoutumés<br />

à leurs râles <strong>de</strong> charge y à leurs caricatures<br />

grotesques ; et si les Arlequins et les Scaramouchcs<br />

leur restaient en propre, nous les avions remp<strong>la</strong>cés<br />

par <strong>de</strong>s personnages également factices, par <strong>de</strong>s<br />

bouffons grossiers qui par<strong>la</strong>ient à peu près le <strong>la</strong>ngage<br />

<strong>de</strong> don Japhet. Le burlesque plus ou moins<br />

marqué était <strong>la</strong> seule manière <strong>de</strong> faire rire. Les copitons,<br />

sorte <strong>de</strong> poltrons qui contrefaisaient les<br />

héros, comme nos Gilles <strong>de</strong> <strong>la</strong> foire contrefont les<br />

sauteurs 9 recevaient <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> bâton sur <strong>la</strong> scène<br />

en par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s empereurs qu'ils areleat détrônés,<br />

et <strong>de</strong>s couronnes qu'ils distribuaient. Des personnages<br />

<strong>de</strong> ce genre firent réussir longtemps tes Fisionnaires<br />

<strong>de</strong> Besmarets 9 détestable pièce que <strong>la</strong><br />

sottise et l'envie osèrent encore opposer aux premiers<br />

ouvrages <strong>de</strong> Molière. Corneille, entraîné par<br />

l'exemple 9 ne manqua pas <strong>de</strong> mettre dans son Muaient<br />

comique on capitan Matamore, qui débute<br />

pas ces vers qu'il adresse à son valet :<br />

Èmî vnt cfue Je rive, et m «sali fémidn<br />

Lequel <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux Je dois le premier mettre es pendre,<br />

De grand sopM <strong>de</strong> Pêne, os Estes <strong>du</strong> grand msffà.<br />

Le seul brait <strong>de</strong> mon nom renverse les mnraiiktv<br />

Défait le» escadrons f et gagne les batail<strong>la</strong> * ;<br />

Mon courage Invaincu, contre les empereurs,<br />

M'arme que là moitié <strong>de</strong> ses moindres fureurs;<br />

D'un seul comman<strong>de</strong>ment que Je fais au* trois Parquet,<br />

le dépeuple l'État <strong>de</strong>s plus heureux monarques.<br />

La fondre est mon canon, les <strong>de</strong>stins mes soMab;<br />

le ooaelie d'un reters mille ennemis aises;<br />

D'en souffle Je ré<strong>du</strong>is leurs projets en fumée.<br />

Et tu m'oses parler cependant d'une armée 1<br />

Tu n'auras plus l'honneur <strong>de</strong> soir un second Mata s<br />

le vais f assassiner d ? un seul <strong>de</strong> mes regards,<br />

YeU<strong>la</strong>qne ! Toutefois Je songe à ma naftrese.<br />

Ce penser m'adoucit : Ta, ma colère cesse;<br />

Et ce petit archer, qui dompte tous les dieux t<br />

fient <strong>de</strong> chasser <strong>la</strong> mort qui logeait dans mes yeux.<br />

Ces puériles extravagances et les turispsa<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong> toute espèce étalent alors ce qu'on appe<strong>la</strong>it <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> comédie. Les Jo<strong>de</strong>lets Y les paysans truffons , les<br />

valets faisant grotesquement le rélc <strong>de</strong> leurs maîtres<br />

Y les bergers à qui l'amour avait tourné <strong>la</strong> tête,<br />

comme à don Quichotte, priaient un jargon bigarre,<br />

mêlé <strong>de</strong>s quolibets <strong>de</strong> <strong>la</strong> halle, et d'un néologisme<br />

emphatique. On retrouve jusque dans Je<br />

Princesse ttÊliâe, divertissement que Molière it<br />

pour <strong>la</strong> courf un <strong>de</strong> ces paysans facétieui , nommé<br />

Moron, que Fauteur met dans <strong>la</strong> liste <strong>de</strong>s personnages<br />

, sous le nom <strong>du</strong>pMsmnt <strong>de</strong> <strong>la</strong> princesse : il y<br />

en a un autre <strong>du</strong> même genre dans un opéra <strong>de</strong><br />

rêdkmks et ki Femmes smwantes qui portèrent le<br />

<strong>de</strong>rnier coup. Les théâtresétrangers avaient communiqué<br />

au altre bien d'autres vices non moins révoltants.<br />

Les farceurs italiens, qui aillent pi théâtre<br />

, • BoOcm a dit députe, dans sa belle épllrr sue le fanage<br />

<strong>du</strong> Rais, en par<strong>la</strong>nt <strong>du</strong> grand Coodé :<br />

Ceaié f Seat le tes! son fait longer les «assises,<br />

* Veret les escadron et figue les faïsfles.


Quînault C'était an reste <strong>du</strong> goût dépravé qui avait<br />

régné <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> renaissance <strong>de</strong>s lettres, et <strong>de</strong> cette<br />

mo<strong>de</strong> ancienne d'avoir dans les <strong>cours</strong> ce qu'on<br />

nommait iej&u <strong>du</strong> prbêœ. En un mot, on repro<strong>du</strong>isait,<br />

sous toutes les formes, les personnages<br />

hors <strong>de</strong> nature, comme les seuls qui pussent faire<br />

rire; parce qu'on n'a?ait pas encore imaginé que <strong>la</strong><br />

comédie dût faire rire les spectateurs <strong>de</strong> leur propre<br />

ressemb<strong>la</strong>nce. Ces rôles postiches étaient distribués^daris<br />

les canevas espagnols ou italiens, et<br />

dans <strong>de</strong>s intrigues qui rodaient toutes sur le même<br />

fond, composées d'une foule d'inci<strong>de</strong>nts merveilleux<br />

, <strong>de</strong> travestissements 9 <strong>de</strong> suppositions <strong>de</strong> nom,<br />

<strong>de</strong> sexe et <strong>de</strong> naissance, <strong>de</strong> méprises <strong>de</strong> toute es*<br />

pèce. La coutume qu'aFaïent alors les femmes <strong>de</strong><br />

porter <strong>de</strong>s masques ou <strong>de</strong>s coiffes abattues fa?orisall<br />

toutes ces machines, qui pro<strong>du</strong>isent quelquefois<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> surprise ou font rire un moment 9 mais<br />

qui ne peuvent jamais attacher, parce que tout s'y<br />

passe aux dépens <strong>du</strong> bon sens 9 et que, dans toutes<br />

ees infections si péniblement combinées, il n'y a<br />

rien, si pour l'esprit, ni pour <strong>la</strong> raison. Une grossièreté<br />

p<strong>la</strong>te et licencieuse, ou <strong>de</strong>s fa<strong>de</strong>urs soporiiques,<br />

formaient un dialogue qui répondait à tout<br />

le reste. Un Bertrand <strong>de</strong> Cigarral disait i sa préten<strong>du</strong>e<br />

:<br />

Oh çà! mjmm un peu quelle est tota Égare,<br />

El il ¥onf n'êtes point <strong>de</strong> <strong>la</strong>i<strong>de</strong> regardât*,<br />

El<strong>la</strong> â l'oeU s à mon gré , mlgnudêmeiit àapnL<br />

Et en lui présentant sa aia<strong>la</strong> , qu'elle repoussait if te<br />

dégoût, il disait :<br />

. . . Ca B*e»t risa ? ae a*ast fa*aa pan d@ gale,<br />

le tâche à loi Jouer pouffant d'un mauvais tour ; '<br />

le me frotte «Tonguent elsq à six fois te Jour :<br />

H ne m f m coûte riee, moi-même J'en sali fuira ;<br />

Mais elle est à l'épreuve, et comme héréditaire.<br />

Si nous avoua lignés, elle en. pourra tenir;<br />

Mon père en mon jeune âge eut «ils <strong>de</strong> m'en fournir :<br />

Ma mère, mon aient f mes oncles et mes tantest<br />

Ont été <strong>de</strong> tout temps et g&l&ntM et ga<strong>la</strong>ntes.<br />

Ces! un droit <strong>de</strong> famille où chacun a sa part ;<br />

Quand un <strong>de</strong> nous en manque f il passe pour bâtard.<br />

Tel est le ton <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isanterie qu'on app<strong>la</strong>udissait<br />

alors, et il m faut pas nous en scandalise/ : il n'y<br />

a père pies <strong>de</strong> vingt ans qu'on a remis un Baron<br />

d'Jlbicrae, <strong>du</strong> mémo auteur, et qui, d'us bout à<br />

l'autre y est dans le même goût.<br />

• ' Ah! petite do<strong>du</strong>e!<br />

Peur un peu d'embonpoint TOUS faites l'enten<strong>du</strong>e.<br />

àhl parbleu! ail ne tient qu'à vous <strong>mont</strong>rer <strong>du</strong> aaaa,<br />

le m'es vais verni <strong>mont</strong>rer... ^^<br />

Et ces p<strong>la</strong>titu<strong>de</strong>s dégoûtantes faisaient beaucoup<br />

rire, et attiraient <strong>la</strong> foule, comme fait encore aujourd'hui<br />

Dm JapheL Kotrou, Thomas Corneille,<br />

Boisrobert, d'Ouville, et tant d'autres, avaient mis<br />

hk HARPE. — TOME I.<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

625<br />

à contribution toutes les journées espagnoles et<br />

tontes les para<strong>de</strong>s italiennes; et Ton n'avait encore<br />

qu'une seule pièce d'un ton raisonnable, et qui,<br />

malgré ses défauts, sut p<strong>la</strong>ire aux honnêtes gens,<br />

k MmÊeur, <strong>de</strong> P. Corneille.<br />

SECTION Faamtae, — De Molière.<br />

* L'éloge d'un écrivain est dans ses ouvrages ; on<br />

pourrait dire que l'éloge <strong>de</strong> Molière est dans ceux<br />

<strong>de</strong>s écrivains qui font précédé et qui l'ont suivi,<br />

tant les uns et les autres sont loin <strong>de</strong> lui. Des hommes<br />

<strong>de</strong> beaucoup d'esprit et <strong>de</strong> talent ont travaillé après<br />

lui, sans pouvoir ni lui ressembler ni l'atteindre.<br />

Quelques-uns ont eu <strong>de</strong> <strong>la</strong> gaieté, d'autres ont su<br />

faire <strong>de</strong>s vers ; plusieurs môme ont peint <strong>de</strong>s mœurs.<br />

Mais <strong>la</strong> peinture <strong>de</strong> l'esprit humain a été l'art <strong>de</strong><br />

Molière; c'est <strong>la</strong> carrière qu'il a ouverte et qu'il a<br />

fermée : il n'y a rien en ce genre, ni avant lui ni<br />

après.<br />

Molière est certainement le premier <strong>de</strong>s philosophes<br />

moralistes. Je ne sais pas pourquoi Horace,<br />

qui avait tant <strong>de</strong> jugement, veut aussi donner ce<br />

titre à Homère, Avec tout le respect que j'ai pour<br />

Horace, en quoi donc Homère est-il si philosophe?<br />

Je le crois grand poëte, parce que j'apprends qu'on<br />

récitait ses vers après sa mort f et qu'on l'avait <strong>la</strong>issé<br />

mourir <strong>de</strong> faim pendant sa vie ; mais je crois qu'es<br />

fait <strong>de</strong> vérités, il j a peu à gagner avec lui. Horace<br />

conclut <strong>de</strong> son poëme <strong>de</strong> f Ilia<strong>de</strong> que les peuples<br />

payent toujours les sottises <strong>de</strong>s rois : c'est <strong>la</strong> conclusion<br />

<strong>de</strong> toutes les histoires.<br />

Mais Molière est, <strong>de</strong> tous ceux qui ont jamais écrit,<br />

celui qui a le mieux observé l'homme, sans annoncer<br />

qu'il l'observait ; et même il a plus l'air <strong>de</strong> le savoir<br />

par coeur que <strong>de</strong> l'avoir étudié. Quand on lit ses<br />

pièces avec réflexion, ce n'est pas <strong>de</strong> l'auteur qu'on<br />

est étonné, c'est <strong>de</strong> soi-même.<br />

Molière n'est jamais fln : il est profond ; c'est-àdire<br />

que, lorsqu'il a donné son coup <strong>de</strong> pinceau, il<br />

est impossible d'aller au <strong>de</strong>là. Ses comédies, bien<br />

lues, pourraient suppléer à l'expérience, non pg<br />

parce qu'il a peint <strong>de</strong>s ridicules qui passent, mais<br />

parce qu'il a peint l'homme, qui ne change point.<br />

C'est unesuite<strong>de</strong>traîtsdontaueuQ n'est per<strong>du</strong>: celuici<br />

est pour moi f celui-là est pour mon voisin. Et ce<br />

qui prouve le p<strong>la</strong>isir que procure une imitation parfaite,<br />

c'est que mon voisin et moi nous rions <strong>de</strong> très*<br />

bon cœur <strong>de</strong> nous ?oif ou sots , ou faibles y ou impertinents,<br />

et que nous serions furieux si l'on sous<br />

disait d'une autre fa^on <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong> ce que nous dit<br />

Molière*<br />

Eh ! qui t'avait appris cet art, homme divin ? Testa<br />

servi <strong>de</strong> Térence et d'Aristophane, comme <strong>la</strong>-


6*6<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

ciné se serrait d'Euripi<strong>de</strong>; Corneille, <strong>de</strong> Gsîilem <strong>de</strong> On n'en savait pas encore assez pour trouver le son­<br />

Castro f <strong>de</strong> Cal<strong>de</strong>ron et <strong>de</strong> Lucain; Boîleau, <strong>de</strong> Jii- net if Profita mauvais : ce sonnet d'ailleurs est fait<br />

•énal , <strong>de</strong> Perse et d'Horace ? Les anciens et les mo­ avec tant d'art, il ressemble si fort à ce qu'on ap<strong>de</strong>rnes<br />

font-ils fourni beaucoup? Il est vrai que les pelle <strong>de</strong> l'esprit, il réussirait tant aujourd'hui dans<br />

canevas italiens et les romans espagnols font guidé <strong>de</strong>s soupers qu'on appelle charmants, que je troovi<br />

dans l'intrigue <strong>de</strong> tes premières pièces ; que, dans le parterre excusable <strong>de</strong> s'y être trompé. Mas§ s'il<br />

ton excellente farce <strong>de</strong> Scaplo, lu as pris à Cyrano avait été assez raisonnable pour en savoir gré à Tu­<br />

le seul trait comique qui se trouve chez lui; que, dans teur, je l'admirerais presque aidant que Molière.<br />

k Tartufe, ta as mis à profit un passage <strong>de</strong> Scar- Cette injustice nous valut k Mé<strong>de</strong>cin malgré M.<br />

ron ; que ridée principale <strong>du</strong> sujet <strong>de</strong> t École <strong>de</strong>s Molière, tu riais bien, je crois, au fond <strong>de</strong> ton âme,<br />

femmes est tirée aussi d'une NouveMe <strong>du</strong> même au­ d'être obligé <strong>de</strong> faire une bonne farce pur faire pasteur<br />

; que, dans k Misanthrope, tu as tra<strong>du</strong>it une ser un chef-d'œuvre. Te serais-tu atten<strong>du</strong> à trouver<br />

douzaine <strong>de</strong> fers <strong>de</strong> Lucrèce : mais toutes tes gran­ <strong>de</strong> nos jours un censeur rigoureux qui reproche amè<strong>de</strong>s<br />

pro<strong>du</strong>ctions t'appartiennent; et, surtout;, l'esrement à ton Misanthrope <strong>de</strong> faire rire? Il se voit<br />

prit général qui les distingue n'est qu'à toi. N'est- pas que le prodige <strong>de</strong> ton art est d'avoir <strong>mont</strong>ré le<br />

ce pas toi qui as inventé ce sublime Misanthrope, Misanthrope, <strong>de</strong> manière qu'il n'y a personne, ex­<br />

le Tartufe, les Femmes savantes, et môme V Avare, cepté le méchant , qui ne voulût être àleas<strong>la</strong> avec<br />

malgré quelques traits <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nte, que tu as tant sur­ ses ridicules. Tu honorais <strong>la</strong> vertu en lui donnait<br />

passé? Quel chef-d'œuvre que cette <strong>de</strong>rnière pièce! une leçon, et Montansier a répon<strong>du</strong> il y a loigtempi<br />

Chaque scène est une situation Y et Ton a enten<strong>du</strong> à l'orateur genevois.<br />

dire à un avare <strong>de</strong> bonne foi qu'il y avait beaucoup Est-il vrai qu'il a fallu que tu lises l'apologie <strong>du</strong><br />

à profiter dans cet ouvrage, et qu'on en pouvait tirer lUrtufe f Quoi ! dans le moment où tu t'élevais ai-<br />

d'excellents principes d'économie.<br />

<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> ton art et <strong>de</strong> toi-même, au lieu <strong>de</strong> trouver<br />

Et les Femmes savantes! Quelle prodigieuse <strong>de</strong>s récompenses, tu as rencontré <strong>la</strong> perséeatioa!<br />

création! Quelle richesse d'idées sur un fonds qui A-t-on bien compris même <strong>de</strong> nos jours ce qu'il t'a<br />

paraissait si stérile! Quelle variété <strong>de</strong> caractères! fallu <strong>de</strong> courage et <strong>de</strong> génie pour concevoir te p<strong>la</strong>a<br />

Qu'est-ce qu'on mettra au-<strong>de</strong>ssus <strong>du</strong> bonhomme <strong>de</strong> cet ouvrage, et l'exécuter dans un temps ou le<br />

Chrysale qui ne permet à Plotarque d'être chez lui faut zèle était si puissant, et savait si bien prendre<br />

que pour gar<strong>de</strong>r ses rabais?. Et cette charmante les couleurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> religion qui le désavoue? CTesl<br />

Martine qui ne dit pas un mot dans son patois qui dans ce temps que tu as entrepris <strong>de</strong> porter un eeup<br />

ne soit plein <strong>de</strong> sens? Quant à <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong> Trisso- mortel à l'hypocrisie, qui en effet se s'en est pal<br />

tin, elle est bien éloignée <strong>de</strong> pouvoir perdre aujour­ relevée : c'est un vice dont l'extérieur au moins a<br />

d'hui <strong>de</strong> son mérite : les lecteurs <strong>de</strong> société retracent <strong>de</strong>puis passé <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>; mais il a été remp<strong>la</strong>cé par<br />

souvent <strong>la</strong> scène <strong>de</strong> Molière, avec cette différence l'hypocrisie <strong>de</strong> wmrak, <strong>de</strong> semiètliM, <strong>de</strong> pktkm-<br />

que les auteurs ne s'y disent pas d'injures, et ne se phie, qui elle-même a fait p<strong>la</strong>ce à l'impu<strong>de</strong>nce ré­<br />

donnent pas <strong>de</strong>s ren<strong>de</strong>z-vous chez Barbin : ils sont volutionnaire.<br />

aujourd'hui plus fins et plus polis, et en savent beau­ Qui est-ce qui égale Racine dans Fart <strong>de</strong> peindre<br />

coup davantage.<br />

l'amour? C'est Molière (dans <strong>la</strong> proportion que com­<br />

Oublierons-nousdans ks Femmes savantes un <strong>de</strong> porte <strong>la</strong> différence absolue <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux genres), f oyez<br />

ces traits qui confon<strong>de</strong>nt ? c'est le mot <strong>de</strong> Yadins, les scènes <strong>de</strong>s amants dans k Dépit amoureux, pre­<br />

qui, après avoir parlé comme un sage sur <strong>la</strong> manie mier é<strong>la</strong>n <strong>de</strong> son génie; dans k Misanthrope f en­<br />

<strong>de</strong> lire ses vers, met gravement <strong>la</strong> main à <strong>la</strong> poche, ten<strong>de</strong>z Âleeste s'écrier, Jhî traîtresse, quand il ne<br />

en tire le cahier qui probablement ne le quitte jamais : croit pas un mot <strong>de</strong> toutes les protestations d'amour<br />

VoM <strong>de</strong> petits vers. C'est un <strong>de</strong> ces endroits où l'ac­ que lui fait Célimène, et que pourtant il est enchasté<br />

c<strong>la</strong>mation est universelle : j'ai vu <strong>de</strong>s spectateurs qu'elle les lui fasse; dans k Tartufe, relisez toute<br />

saisis d'une surprise réelle; ils avaient pris Yadius cette admirable scène où <strong>de</strong>ux amants viennent <strong>de</strong> se<br />

pour le sage <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce.<br />

raccommo<strong>de</strong>r, et ou l'un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux, après <strong>la</strong> paix faite<br />

Ces sortes <strong>de</strong> méprises sont ordinairement ^ <strong>de</strong>s et scellée /dit pour première parole :<br />

triomphes pour l'auteur comique : ce fut pourtant Ah çà ! a'âl-je pas lies cîe me p<strong>la</strong>indra <strong>de</strong> vous!<br />

une méprise semb<strong>la</strong>ble qui contribua beaucoup à Revoyez cent traits <strong>de</strong> cette force, et si vous avei<br />

faire tomberfeMisanthrope. Uest dangereui en tout aimé, vous tomberez aux genoux <strong>de</strong> Molière, et fans<br />

genre d'être trop au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> ses juges ; et nous répéterez ce mot <strong>de</strong> Sadi : VoUà celui qtâ suit<br />

avons vu que Raëne s'en aperçut dans BrUmmiem. comme on aime.


SIÈCLE DK LOUIS XIV. — POÉSIE. 6îl<br />

Qui est-ce qui égale Racine dans le dialogue? qui<br />

est-ce qui a un aussi grand nombre <strong>de</strong> ces fers pleins,<br />

<strong>de</strong> ces fers nés, qui u ? otit pas pu être autrement<br />

qu'ils ne sont, qu'on retient dès qu'on les entend,<br />

et que le lecteur croit t¥oir faits ? C'est encore Molière.<br />

Quelle foule <strong>de</strong> fers charmants! quelle facilité<br />

! quelle énergie ! surtout quel naturel ! Ne cessons<br />

<strong>de</strong> le dire : le naturel est le charme le plus sûr et le<br />

plus <strong>du</strong>rable; c'est lui qui fait vivre les ouvrages,<br />

parce que c'est lui qui les fait aimer; c'est le naturel<br />

qui rend les écrits <strong>de</strong>s anciens si préeieui f parce<br />

que, maniant un idiome plus heureux que le nôtre 9<br />

ils sentaient moins le besoin <strong>de</strong> l'esprit; c'est le naturel<br />

qoi distingue le plus les grands écrivains, pree<br />

qu'un <strong>de</strong>s caractères <strong>du</strong> génie est <strong>de</strong> pro<strong>du</strong>ire sans<br />

effort; c'est te naturel qui a mis <strong>la</strong> Fontaine, qui<br />

n'inienta rien, à cêtê <strong>de</strong>s génies inventeurs; enfin<br />

c'est le naturel qui fait que les Lettres d'urne mère<br />

à mfiik sont quelque chose, et que celles <strong>de</strong> Balzac,<br />

<strong>de</strong> Voiture, et <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>mation et l'affectation en tout<br />

genre f sont, comme dit Sosie , rum ou peu <strong>de</strong> came,<br />

LesCrispins <strong>de</strong>Mégnard, les paysans <strong>de</strong> Dancourt,<br />

font rire au théâtre; Dufresny étincelle d'esprit dans<br />

sa tournure originale : le Joueur et k Légataire sont<br />

d'excellentes comédies; le Glorieux, <strong>la</strong> Miiromar<br />

mie, et k Méchant, ont <strong>de</strong>s beautés d'un autre ordre.<br />

Mais rien <strong>de</strong> tout ce<strong>la</strong> n'est Molière : il a un<br />

trait <strong>de</strong> physionomie qu'os s'attrape point ; os le retrouve<br />

jusque dans ses moindres farces, qui ont toujours<br />

un fonds <strong>de</strong> vérité et <strong>de</strong> morale. Il p<strong>la</strong>ît autant<br />

à <strong>la</strong> lecture qu'à <strong>la</strong> représentation, ce qui n'est<br />

arrivé qu'à Racine et à lui ; et même, <strong>de</strong> toutes les<br />

comédies, celles <strong>de</strong> Molière sont à peu prés les seules<br />

que l'on aime à relire. Plus on connaît Molière,<br />

plus on l'aime; plus os étudie Molière, plus m Pad-<br />

' mire. Après l'avoir blâmé sur quelques articles, os<br />

finit par être <strong>de</strong> son avis : c'est qu'alors os en sait davantage.<br />

Les jeunes gess pensent communément<br />

qu'il charge trop : j'ai enten<strong>du</strong> blâmer k pauvre<br />

homme! répété si souvent J'ai vu <strong>de</strong>puis précisément<br />

<strong>la</strong> même scène, et plus forte encore; et j'ai<br />

compris que lorsqu'on peignait <strong>de</strong>s originaux pris<br />

dans <strong>la</strong> nature, et non pas, comme autrefois, <strong>de</strong>s<br />

êtres imaginaires, l'on ne pouvait guère charger ni<br />

les ridicules ni les passions.<br />

•KTMM BU'— Précis su afflérmtes pièces <strong>de</strong> MôUère.<br />

Aprèsl f <strong>la</strong> cour, où l'os ne retrou?e rien <strong>de</strong> Molière. Un écrivain<br />

supérieur est quelquefois obligé <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre<br />

à ces sortes d'ouvrages, qui ont poor objet <strong>de</strong> faire<br />

valoir d'autres talents que les siens, en amenant <strong>de</strong>s<br />

danses» <strong>de</strong>s chants, et êtes spectacles. On ferait peutêtre<br />

mieux <strong>de</strong> ne pas lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce que tout le<br />

mos<strong>de</strong> peut faire, et ©e qui ne peut compromettre<br />

que lui ; mais en ce genre, comme dans tout autre, il<br />

n'est pas rare d<br />

avoirorâ€tériséeagéséral,jetossuncoup<br />

f œil rapi<strong>de</strong> sur chacune <strong>de</strong> ses pièces, ou <strong>du</strong> moins<br />

sur le plus grand nombre; car toutes ne sont pas<br />

dignes <strong>de</strong> lui, Mélîcerie, <strong>la</strong> Primxsie iïÉB<strong>de</strong>, ks<br />

jtmrJs magnifiques, ne sont ps <strong>de</strong>s comédies;<br />

ce soiit <strong>de</strong>s ouvrages <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s fêtes pour<br />

9 employer les grands hommes aux petites<br />

choses, et les petits hommes aux gran<strong>de</strong>s : Ton<br />

envoyait Vil<strong>la</strong>rs faire <strong>la</strong> paix avec Cavalier, et Tal- ;<br />

<strong>la</strong>rd combattre Eugène et Marlborough. Ainsi, le<br />

génie est forcé <strong>de</strong> sacrifier sa gloire pour obtenir <strong>la</strong><br />

protection ; et si Molière n'eût pas arrangé <strong>de</strong>s ballets<br />

pour <strong>la</strong> cour, peut-être que k Tartufe n'aurait<br />

pas trouvé un protecteur dans L<strong>du</strong>is XIV.<br />

Au reste, quoique le talent s'aime pas à être commandé,<br />

il se tire quelquefois heureusement <strong>de</strong> cette<br />

espèce <strong>de</strong> contrainte; et si Fauteur <strong>de</strong> Zaïre se se<br />

retrouve pas dans k Tempk <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gloire et dans <strong>la</strong><br />

Ptimeesm <strong>de</strong> Navarre, qui ont passé avec les fêtes<br />

où ils ont été représentés, Racine It Bérénice pour *<br />

madame Henriette, ÂîkmUe pour Saint-Cyr; et Meulière,<br />

à qui l'on ne donna que qoinsejours pour composer<br />

et faire apprendre ks Fâcheux f qui furent<br />

joués à Taux <strong>de</strong>vant le roi, n'en it pas à <strong>la</strong> vérité<br />

un ouvrage régulier, puisqu'il n'y a ni p<strong>la</strong>n ni intrigue,<br />

mais <strong>du</strong> moins <strong>la</strong> meilleure <strong>de</strong> ces pièces qu'os<br />

appelle comédies è tiroir. Chaque scène est un chefd'œuvre:<br />

c'est une suite d'originaux supérieurement<br />

peints. La partie <strong>de</strong> chasse et <strong>la</strong> partie <strong>de</strong> piquet<br />

sont <strong>de</strong>s prodiges <strong>de</strong> fart <strong>de</strong> raconter en vers.<br />

L'homme qui veut mettre toute <strong>la</strong> France es ports<br />

<strong>de</strong> mer est <strong>la</strong> meilleure critique <strong>de</strong> <strong>la</strong> folie <strong>de</strong>s faiseurs<br />

<strong>de</strong> projets. La dispute <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux femmes sur<br />

cette questsos si souvent agitée, s'il faut qu'un véritable<br />

amant soit jaloux ou ne soit pas jaloux, est<br />

le sujet d'une scèse charmante, pleine d'esprit et <strong>de</strong><br />

raison, et qui <strong>mont</strong>re ce que pouvaient <strong>de</strong>venir,<br />

sous 1a plume d'un grand écrivain, ces questions <strong>de</strong><br />

l'ancienne cour d'amour, qui étaient si ridicules<br />

quand Richelieu les faisait traiter <strong>de</strong>vant lui dans<br />

<strong>la</strong> forme <strong>de</strong>s thèses <strong>de</strong> théologie.<br />

Molière ne fut pas si heureux dans k Prince jaloux<br />

ou D. Gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> Navarre, espèce <strong>de</strong> tragicomédie,<br />

mauvais genre qui était fort à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong> ,<br />

et qu'il eut <strong>la</strong> faiblesse d'essayer, parce que ses<br />

ennemis lui avaient reproché <strong>de</strong> ne pas savoir travailler<br />

dans k genre sérieux. On appe<strong>la</strong>it ainsi un<br />

mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong> conversations et d'aventures <strong>de</strong> roman<br />

que <strong>la</strong> ga<strong>la</strong>nterie espagnole avait mis en vogue,<br />

comme on donnait le nom <strong>de</strong> comédies à <strong>de</strong>s farces<br />

extravagantes.<br />

40.


CÛUES DE LITTÉEATUEE.<br />

Molière, qui avait un talent trop vrai poor réussir<br />

dans un genre faux, apprit <strong>de</strong>puis à ses détracteurs,<br />

quand il fit k Misanthrope, h Tartufe, et ks<br />

Femmes savantes, que les comédies <strong>de</strong> caractère<br />

et <strong>de</strong> mœurs étaient le vrai genre sérieux ; mais il<br />

se leur apprit pas à réussir comme lui.<br />

Il faut bien loi pardonner si dans ses <strong>de</strong>ux première!<br />

pièces, f'Étourdi et k Dépit amoureux, il suivit<br />

<strong>la</strong> route vulgaire a?ant d'en frayer une nouvelle. Les<br />

ressorts forcés et <strong>la</strong> multiplicité d'inci<strong>de</strong>nts dénués<br />

<strong>de</strong> toute vraisemb<strong>la</strong>nce eicluent ces <strong>de</strong>ui pièces <strong>du</strong><br />

rang <strong>de</strong>s bonnes comédies. 11 y a même une inconséquence<br />

marquée dans le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> l'Étourdi; c 9 est<br />

que 9 son valet ne lui faisant point part <strong>de</strong>s fourberies<br />

qu'il médite, il est tout simple que le maître les traverse<br />

sans être taie d'étour<strong>de</strong>rie. On voit trop que<br />

fauteur vou<strong>la</strong>it à toute force amener <strong>de</strong>s contre­<br />

temps : aussi a-t-il joint ce titre à celui <strong>de</strong> l'Étourdi;<br />

ce qui ne répare point le vice <strong>du</strong> sujet. Mais si les<br />

p<strong>la</strong>ns <strong>de</strong> Molière étaient encore aussi défectueui<br />

que ceui <strong>de</strong> ses contemporains 9 il avait déjà sur eux<br />

un grand avantage ? c'était un dialogue plus naturel<br />

et plus raisonnable, et un style <strong>de</strong> meilleur goût. Ce<br />

mérite et <strong>la</strong> gaieté <strong>du</strong> rôle <strong>de</strong> Mascarille ont soutenu<br />

cette pièce au théâtre, malgré tous ses défauts. Il<br />

n'y en a pas moins dans k pépit amoureux. Le sujet<br />

est absolument incroyable : toute f iiilrlgua roule<br />

sur une supposition inadmissible, qu'un homme s'imagine<br />

être marié avec <strong>la</strong> femme qu'il aime, le lui<br />

soutienne à elle-même, et soit marié en effet avec<br />

une aotre. Dans l'état <strong>de</strong>s choses tel que fauteur<br />

Fétablit, et tel que <strong>la</strong> décence ne permet pas même<br />

<strong>de</strong> le rapporter ici, cette méprise est impossible. Il<br />

fal<strong>la</strong>it que f on fût bien accoutumé à compter pour<br />

rien le bon sens et les bienséances, puisque <strong>la</strong> plu*<br />

part <strong>de</strong>s pièces <strong>du</strong> temps n'étaient ni plus vraisemb<strong>la</strong>bles<br />

ni plus décentes. C'est pourtant dans cet ouvrage,<br />

dont le fond est si vicieux, que Molière fit<br />

voir les premiers traits <strong>du</strong> talent qui lui était propre.<br />

Deux scènes dont il n'y avait point <strong>de</strong> modèle f et que<br />

lui seul pouvait faire 9 celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> brouillerie <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

amants, et <strong>du</strong> valet avec <strong>la</strong> suivante, annonçaient<br />

l'homme qui al<strong>la</strong>it ramener <strong>la</strong> comédie à son but, à<br />

l'imitation .<strong>de</strong> <strong>la</strong> nature. Elles sont si parfaites, à<br />

<strong>de</strong>ux ou trois vers près, qu'elles ont suffi pour faire<br />

vivre l'ouvrage, et ces <strong>de</strong>ux scènes valent mieux que<br />

beaucoup <strong>de</strong> comédies.<br />

Dès son troisième ouvrage, il sortit entièrement<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> route tracée, et en ouvrit une où personne<br />

n'osa le suivre. Les Précieuses ridicuks , quoique ce<br />

m fût qu'un acte sans intrigue, firent une véritable<br />

révolution : fou vit pour <strong>la</strong> première fois su? <strong>la</strong> scène<br />

le tableau d'un ridicule réel 9 et <strong>la</strong> critique <strong>de</strong> <strong>la</strong> so­<br />

ciété. Elles forent jouées quatre mois <strong>de</strong> suite mm le<br />

plus grand succès. Le jargon <strong>de</strong>s mauvais romans,<br />

qui était <strong>de</strong>venu celui <strong>du</strong> beau mon<strong>de</strong>, le galimatias<br />

sentimental, le phébus <strong>de</strong>s conversations, les compliments<br />

en métaphores et en énigmes, <strong>la</strong> ga<strong>la</strong>nterie<br />

ampoulée 9 <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong>s jeux <strong>de</strong> mots, toute cette<br />

malheureuse dépense d'esprit pour n'avoir pas le<br />

sens commun, fut foudroyée d'un seul coup. Un<br />

comédien corrigea <strong>la</strong> cour et <strong>la</strong> ville, et fit voir que<br />

c'est le bon esprit qui enseigne le bon ton 9 que ceux<br />

qu'on appelle les gens <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> croient possé<strong>de</strong>r<br />

exclusivement. II fallut convenir que Molière avait<br />

raison; et quand il <strong>mont</strong>ra le miroir, il fit rougir<br />

ceux qui s'y regardaient. Tout ce qu'il avait censuré<br />

disparut bientôt, excepté les jeux <strong>de</strong> mots, sorte d'esprit<br />

trop commo<strong>de</strong> pour que ceux qui n'en ont pas<br />

d'autre puissent se résoudre à y renoncer.<br />

Quand on lit ce passage <strong>de</strong> Molière,<br />

« La belle chose <strong>de</strong> faire entrer en casYcrsatiefia êm<br />

Louvre <strong>de</strong> vieilles équivoques ramassées parmi tes boues<br />

<strong>de</strong>s halles et <strong>de</strong> le p<strong>la</strong>ce Haubert ! <strong>la</strong> jolie façon <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isanter<br />

pour tes courtisans I et qu'os homme <strong>mont</strong>re d'esprit<br />

lorsqu'il vient vous dire : Mmdmm, mus êtes dans Im<br />

pince lef aie, et tout k wwn<strong>de</strong> mm mit <strong>de</strong> trois f ietcee<br />

ae Paris » car chacun mus mit <strong>de</strong> bon mit, k casse mm<br />

Baaneali est tin vil<strong>la</strong>ge à trois Hases <strong>de</strong> Paris : ce<strong>la</strong> s'estil<br />

pas bien ga<strong>la</strong>nt et bien spirituel f »<br />

ne dirait-on pas que ce morceau a été écrit hier?<br />

Il faut sans doute estimer le grand sens <strong>de</strong> ce vieil<strong>la</strong>rd<br />

qui, à <strong>la</strong> représentation <strong>de</strong>s Précieuses, cria<br />

<strong>du</strong> milieu <strong>du</strong> parterre ; Courage, Molière! voilà Im<br />

bonme comédie. Mais en vérité j'admire Ménage, qui<br />

en sortant dit à Chape<strong>la</strong>in-: Monsieurf nom admirions,<br />

vous et mai, toutes ks sottises qui viennent<br />

d'être ûfinement et si justement critiquées. Le mot<br />

<strong>de</strong> l'homme <strong>du</strong> parterre n'était que le suffrage <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

raison ; l'autre était le sacrifice <strong>de</strong> V amour-propre ,<br />

et 1e plus grand triomph&<strong>de</strong> <strong>la</strong> écrite*<br />

Si Molière, après avoir connu <strong>la</strong> vraie comédie,<br />

revint encore au bas comique dans son SgmnareMe,<br />

qui ne se joue plus ; si Ton en revoit quelques traces<br />

dans <strong>de</strong> meilleures pièces, surtout dans les scènes<br />

<strong>de</strong> valets, il faut l'attribuer au métier qu'il faisait,<br />

aux circonstances où il se trouvait, à l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

jouer avec <strong>de</strong>s acteurs accoutumés <strong>de</strong>puis longtemps<br />

à divertir <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>ce en <strong>la</strong> servant selon son<br />

goût. L'homme <strong>de</strong> génie était aussi chef <strong>de</strong> troupe,<br />

et les principes <strong>de</strong> l'un étaient quelquefois subordon­<br />

nés aux intérêts <strong>de</strong> l'autre. C'est dans ce temps qu'il<br />

it quelques-unes <strong>de</strong> ces petites pièces que lui-même<br />

condamna <strong>de</strong>puis à l'oubli, et dont il ne reste que les<br />

titres , k Doctmr amoureux, k Maître d'écok, ks<br />

Docteurs rivaux. VÉcok <strong>de</strong>s Mark fut le premier


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

H29<br />

pas qu'il it dans <strong>la</strong> science <strong>de</strong> Pintrigue. Ce n'est pas, soins, et qu'il fou<strong>la</strong>it épouser. De tell outrages sont<br />

comme dans SganareUe, un amas d'inci<strong>de</strong>nts arran­ l'école <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, et leur utilité se perpétue asec<br />

gés sans vraisemb<strong>la</strong>nce pour pro<strong>du</strong>ire <strong>de</strong>s méprises eus. Mais, si <strong>la</strong> bonne comédie peut se gjorifier <strong>de</strong><br />

sans effet; c'est une pièce parfaitement intriguée, ce beau titre, c'est à Molière qu'elle le doit.<br />

où le jaloux est <strong>du</strong>pé sans être as sol f ce <strong>la</strong> inesse L'Ècok <strong>de</strong>s Femmes n'est pas moins instructive :<br />

réussit parce quelle ressemble à <strong>la</strong> bonne foi 9 et où <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite n'en est pas si régulière, mais le comique<br />

celui qu'on trompe c'est jamais plus heureux que en est plus fort. L'auteur a indiqué lui-même le dé­<br />

lorsqu'il est trompé. Boceace et d'Ouville en ont faut le plus sensible <strong>de</strong> sa pièce, par ce fers que dit<br />

fourni les situations principales; mais ce qu'on em­ Horace au vieil Arnolphe, lorsqu'il le rencontre<br />

prunte d'un conte diminue seulement le mérite <strong>de</strong> dans <strong>la</strong> rue pour <strong>la</strong> troisième fois :<br />

Pinvention sans êîer rien au mérite <strong>de</strong> l'ensemble<br />

La p<strong>la</strong>ce m'est heureuse à fou y rmemim;<br />

dramatique, dont <strong>la</strong> difficulté est sans comparaison<br />

plus gran<strong>de</strong>. De pics, il y a ici 9 ce qui alors n'était Faire remeomirer ainsi Horace et Arnolphe À point<br />

pas pius connu, <strong>de</strong> <strong>la</strong> morale et <strong>de</strong>s caractères. Le nommé, trois fois <strong>de</strong> suite, c'est trop <strong>mont</strong>rer lo<br />

contraste <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux tuteurs, dont l'un traite sa pupille besoin qu'on en a pour les confi<strong>de</strong>nces qui font aller<br />

et sa Mure e?ec une in<strong>du</strong>lgence raisonnable, et l'au­ <strong>la</strong> pièce; comme aussi le besoin d'un clécodciecl m<br />

tre mm une rigueur outrée et bizarre ; ce contraste, fait trop sentir par Parrifée <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux-f ieit<strong>la</strong>rds, Pun<br />

dont les effets sont très-comiques 9 donne une leçon père d'Horace, et l'autre père d'Agnès, qui ne Tien­<br />

très-sérieuse et sagement adaptée au système <strong>de</strong> nos nent au cinquième acte que pour faire un mariage.<br />

mœurs, qui accordant aci femmes une liberté dé­ On a beau abréger au théâtre le long roman qu'ils<br />

cente , rend inconséquents et absur<strong>de</strong>s ceux qui fon­ racontent en dialogue pour expliquer leurs aventudraient<br />

faire <strong>de</strong> l'esc<strong>la</strong>vage le garant <strong>de</strong> <strong>la</strong> série, res, j'ai toujours vu qu'on n'écoutait même pas le<br />

Quand Lisette dit si gaiement,<br />

peu qu'on en dit, parce que Pon est d'accord asec<br />

.l'auteur pour Ater Agnès <strong>de</strong>s mains d'Arnolpto,<br />

En effet f tous ces wlss sont <strong>de</strong>s choses Infâmes,<br />

gommes-sons cbn <strong>la</strong> Tares pour renfermer les femmes? n'importe comment, et <strong>la</strong> donner au jeune homme<br />

Car on dit qu'on les Ikal esc<strong>la</strong>ves en ce Sien t qu'elle aime. On a reproché à Molière quelques dé-<br />

Et que c'est pour ce<strong>la</strong> qu'ils sont maudits <strong>de</strong> Dieu.<br />

noûments semb<strong>la</strong>bles : c'est un défaut sans doute,<br />

Lisette fait rire; mais, tout en riant, elle dit une et il faut tâcher <strong>de</strong> l'éviter; mais je crois cette partie<br />

chose très-sensée, et ne fait que confirmer en style bien moins importante dans <strong>la</strong> comédie que dans <strong>la</strong><br />

<strong>de</strong> soubrette ce qu'Ariste a dit en homme sage. En tragédie. Comme celle-ci offre <strong>de</strong> grands intérêts à<br />

effet, <strong>du</strong> moment où les femmes sont libres parmi démêler, on fait <strong>la</strong> plus sérieuse attention à <strong>la</strong> ma­<br />

sous


eso<br />

(DUES DE UTTÉMTUME.<br />

charmant cpe celui qui <strong>la</strong> rend si agréable ! Le rire<br />

est, sans doute, Itosaisonnement <strong>de</strong> l'instruction<br />

tt l'antidote <strong>de</strong> l'ennui; mais il y a au théâtre plusieurs<br />

sortes <strong>de</strong> rire. Il jr a d'abord le rire qui naît<br />

Tout eofiiiBe tu fondras tu pourras te soudain :<br />

le ne m'explique point t et ce<strong>la</strong> ; c'est tout dire ;<br />

quand, tout honteux lui-même <strong>de</strong> s'oublier à te<br />

point, il sedit à part,<br />

<strong>de</strong>s méprises » <strong>de</strong>s saillies, <strong>de</strong>s facéties, et qui ne lusqn'oik <strong>la</strong> paeafoii peat-cUe faire aller!<br />

tient qu'à <strong>la</strong> gaieté; c'est le plus souvent celui <strong>de</strong><br />

Régnard. Quand le Rféneelime provincial est pris<br />

pour son frère l'officier par un créancier importun<br />

qui se dit syndic et marguillier, et qu'impatienté <strong>de</strong><br />

ses poursuites, il dit à Valentin,<br />

Lits»-mol loi couper le ses t<br />

et que Valentin répond froi<strong>de</strong>ment,<br />

et que, malgré cette réflexion si juste, il continu®,<br />

Enfin à mon amour rien ne peut s'égaler,<br />

Quelle preu?e ?e«x4o que Je t'en donne, Ingrate?<br />

Me f eos4o voir pleurer? Veui-tu que Je me bitte?<br />

Yeiu-tu que Je m'arrache un côté <strong>de</strong> cheveux?<br />

tout le mon<strong>de</strong> éc<strong>la</strong>te <strong>de</strong> rire à <strong>la</strong> vue d'une pareille<br />

folie. Mais ce n'est pas tout; <strong>la</strong> réflexion vous dit<br />

lia moment après ; Voilà pourtant à quel excès <strong>de</strong><br />

Laissez-le aller :<br />

Que feriez-Toei t monsieur, <strong>du</strong> aea d'au margulltier?<br />

<strong>la</strong> méprise et le mot font rire, et Ton dit 9 Que ce<strong>la</strong><br />

est gai! 11 y a ensuite le gros rire qu'excite <strong>la</strong> farce;<br />

Patelin, par eiemple, lorsqu'il contrefait le ma<strong>la</strong><strong>de</strong>,<br />

et que, feignant <strong>de</strong> prendre M. Guil<strong>la</strong>ume pour son<br />

apothicaire, il lui dit,<br />

délire et d'avilissement on peut su porter, quand 01<br />

est assez faible pour aimer dans un âge où il <strong>la</strong>it<br />

<strong>la</strong>isser l'amour aux jeunes gens. La leçon est importante;<br />

elle pourrait fournir un beau chapitre'<br />

<strong>de</strong> morale; mais aurait-il l'effet <strong>de</strong> 11 seèni <strong>de</strong><br />

Molière?<br />

Le sujet <strong>de</strong> l'École <strong>de</strong>s Femmm contient tme as­<br />

«Heine donna plus <strong>de</strong> ces vi<strong>la</strong>ines pilules; elles ont tre instruction non moins utile. L'auteur avait fait<br />

failli me faire rendre l'âme. »<br />

et que M. Guil<strong>la</strong>ume, toujours occupé <strong>de</strong> son af­<br />

?oir, dans F École dm MmrU9 l'impru<strong>de</strong>nce et le<br />

danger d'élever les jeunes personnes dans une confaire<br />

, répond brusquement,<br />

trainte trop rigoureuse : il fait voir ici ce qa'oa ris­<br />

« El! je fondrais qu'elles tinssent fait rendre mon que à les éle?er dans l'ignorance, et à se persua<strong>de</strong>r<br />

drtp9 »<br />

qu'en leur étant toute connaissance et toute lu­<br />

on rit, et Ton dit 9 Que ce<strong>la</strong> est bouffon ! Il y a même<br />

encore le rire qu'eieitele burlesque, tel que D. Japhet,<br />

quand il appelle son valet,<br />

Don Pascal Zapata,<br />

On Zâp&ta Pascal, car il emporta guère<br />

Que focal Mit <strong>de</strong>vant, on Pascal soit <strong>de</strong>rrière ;<br />

mière on leur donnera d'autant plus <strong>de</strong> sagesse qu'elles<br />

auront moins d'esprit. L'idée <strong>de</strong> ce système absur<strong>de</strong>,<br />

qoi est celui d'Arnolphe, se truite dans ose<br />

nouvelle <strong>de</strong> Searron, tirée <strong>de</strong> f espagnol , qui § pesr<br />

titre <strong>la</strong> Prémutkm fatffffc. Un gentilhomme grenadin,<br />

nommé B. Pèdre, est précisément dass les<br />

on rit, et Ton dit, Que ce<strong>la</strong> est fou! Je ne sais si mêmes préjugés qu<br />

je dois parler <strong>du</strong> sourire que fait venir au bord <strong>de</strong>s<br />

lèwes <strong>la</strong> finesse <strong>de</strong>s petits aperçus, tels que ceux <strong>de</strong><br />

Marivaus; car celui-là est si froid, qu'il se concilie<br />

fort bien avec le bâillement. Enfin, il y a le rire '<br />

né <strong>de</strong> cet eicellent comique qui <strong>mont</strong>re le ridicule<br />

<strong>de</strong> nos faiblesses et <strong>de</strong> nos travers, et qui fait qu'après<br />

avoir ri <strong>de</strong> bon cœur, on dit à part soi 9 Que<br />

ce<strong>la</strong> est vrai ! Ainsi, lorsqu'on voit Arnolphe, bien<br />

convaincu qu'Agnès aime Horace, faire aux pieds<br />

d'une enfant cent extravagances ; quand on l'entend<br />

<strong>la</strong> conjurer d'avoir <strong>de</strong> l'amour pour lui, lus dire,<br />

9 Arnolphe. Il fait élever salutaire<br />

dans l'imbécillité <strong>la</strong> plus complète ; il tient à propre<br />

lts mêmes propos qu f Arnolphe, et une femme <strong>de</strong>.<br />

fort bon sens les combat à peu près par les mêmei<br />

motifs que. fait faloir l'ami d'Arnolphe, l'homme<br />

raisonnable <strong>de</strong> k pièce , si ce n'est que dans Molière<br />

le pour et le contre est développé a?ee use supériorité<br />

<strong>de</strong> style et <strong>de</strong> comique dont Searron ne pesait<br />

ps approcher. Il y a pourtant dans ce <strong>de</strong>rnier us<br />

trait d'humeur et <strong>de</strong> caractère que Molière a jugé assez<br />

bon pour se l'approprier.<br />

« J'aimerais mieux $ dit te gealfliieoiiae espagnol, ®«<br />

femme <strong>la</strong>i<strong>de</strong> et qui serait fort sotte ? qu'use forte bdQe fit<br />

aurait <strong>de</strong> i*©spiit. »<br />

Mon pauvre petit «sur, ta te peu ai tu yeux.<br />

Écoute seulement ce soupir amoureux ;<br />

Vols m regard mourant, contemple ma personne, .<br />

Et quitte ce morveux, et Vamour qu'il te donne.<br />

C'est quelque sort qu'il faut qu'il ait jeté sur toi;<br />

Et tu seras ceal fols plus heureuse avec moi ;<br />

quand ce barbon jaloux va jusqu'à dire à cette même<br />

enfant, qu'il faisait trembler un moment aupara*<br />

vaut,<br />

Et, dans l'École <strong>de</strong>s Femmes, Chrysale dit:<br />

Une femme stupids est ême votre marotte 1<br />

Arnolphe répond :<br />

Tant, que J'aimerais mieux une <strong>la</strong>i<strong>de</strong> fort sotte<br />

Qu'aise femme fort eelfe mm bmmmp d'aspft.<br />

Rien n'est plus prapae à <strong>la</strong> comédie que ces sortes<br />

<strong>de</strong> personnages f en qui y s principe faux est <strong>de</strong>-


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

tenu on Irafers d'esprit habituel, et qui sont au<br />

point d'être dans Tordre moral ee que les corps contrefaits<br />

sont dans l'ordre physique. Il arri?e à notre<br />

Grenadin, <strong>de</strong> Scarron ee qui doit arriver; car il est<br />

c<strong>la</strong>ir que, pour snï?re son dêfoîr, il faut au moins<br />

le connaître; mais que, pour s'en écarter, il e'ert<br />

pas nécessaire <strong>de</strong> rien savoir. Aussi, quand il se<br />

trouve <strong>la</strong> <strong>du</strong>pe <strong>de</strong> <strong>la</strong> bêtise <strong>de</strong> sa femme, il est a?ee<br />

elle dans le même cas que le jaloux Areolphe avec<br />

Agnès; il ne lui reste pas même le droit <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s<br />

reproches t puisqu'on n'est pas à portée <strong>de</strong> les comprendre.<br />

Cest une <strong>de</strong>s sources <strong>du</strong> comique <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

pièce, que cette ignorance ingénue d'Agnès, qui<br />

fait très-naïvement <strong>de</strong>s aveux qui mettent Arnolphe<br />

au désespoir, sans qu'il puisse même se p<strong>la</strong>indre<br />

d'elle. Et quand elle a tout conté, et qu'il lui dit, en<br />

par<strong>la</strong>nt <strong>du</strong> jeune Horace 9<br />

Mais pour guérir êm mal qu'il dit qui te pesées»<br />

l'a-t-il pas «tige do va» d'wttre remè<strong>de</strong>?<br />

elle répond :<br />

Hou : •oos pos?w Juger, si en sût <strong>de</strong>mandé 9<br />

Que , pour te secourir, J'aurais tout accordé.<br />

Ce <strong>de</strong>rnier trait est le plus fort <strong>de</strong> vérité et <strong>de</strong><br />

morale; car, quoiqu'elle dise <strong>la</strong> chose <strong>la</strong> plus étrange<br />

dans <strong>la</strong> bouche d'une jeune fille, on sent qu'il est<br />

impossible qu'elle répon<strong>de</strong> autrement. Tout ce râle<br />

d'Agnès est soutenu d'un bout à l'autre avec <strong>la</strong> même<br />

perfection. M n'y a pas un mot qui ne soit <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus<br />

gran<strong>de</strong> ingénuité, et en même temps <strong>de</strong> l'effet le<br />

plus sail<strong>la</strong>nt : tout est à <strong>la</strong> fois et <strong>de</strong> caractère et <strong>de</strong><br />

situation, et cette réunion est le comble <strong>de</strong> l'art. La<br />

lettre qu'elle écrit à Horace est admirable : ce n'est<br />

autre chose quele premier instinct, le premier aperçu<br />

d'une âme neuve et sensible ; et <strong>la</strong> manière dont elle<br />

parle <strong>de</strong> son ignorance <strong>la</strong>it voir que cette ignorance<br />

n'est chez elle qu'un défaut d'é<strong>du</strong>cation, et nullement<br />

un défaut d'esprit, et que, si on ne lui a rien<br />

appris, on n'a pas pu <strong>du</strong> moins en faire une sotte.<br />

Quelle leçon elle donne au tuteur qui fa si mal éle><br />

vée, lorsqu'il lui reproche les soins qu'il a pris <strong>de</strong> son<br />

enfance!<br />

Vom if es là <strong>de</strong>dans Mes opéré vtalment,<br />

Et m'avez fait m tout instruire joliment 1<br />

Crottin que Je «e f<strong>la</strong>tte 9 et qu'enfin dans ni tête<br />

le se juge pis Mec que Je suis sue bêta !<br />

On toit qu'en dépit d'ArnoJphe, elle ne Test pas<br />

tant qu'il l'aurait voulu; et chaque réplique <strong>de</strong> cette<br />

enfant qui ne sait rien le confond et lui ferme <strong>la</strong><br />

bouche par <strong>la</strong> seule force<strong>du</strong> simple bon sens. Quand<br />

elle veut s'en aller avec Horace, qui lui a promis<br />

<strong>de</strong> l'épouser, son jaloux lui fait une querelle épou-<br />

631<br />

vantable. Elle ne répond à toutes ses injurts que par<br />

<strong>de</strong>s raisons très-oon<strong>du</strong>antes.<br />

ACRES.<br />

PcwKp»Iiaacflti-f€ïnsf<br />

AUfÔLTOB.<br />

J*ai grand tort en effet.<br />

ACNÉS.<br />

le s*entendi point <strong>de</strong> mal dans tout ce que f al fait<br />

ABNOLPHE.<br />

Seine ni p<strong>la</strong>nt s'est pas une action Infâme?<br />

AGHéS.<br />

Cest un homme qui dit qu'il meveat pour sa femme.<br />

Fjii suivi vos leçons s et vous m'avez prêché<br />

Qu'il fanl m marier pour ©ter Se péché.<br />

ABH0LPHB.<br />

Ont : mais pour femme, moi, Je prétendais TOUS prendre,<br />

Et Je TOUS TaYais fait 9 me semble s nsses entendre.<br />

ACNéS.<br />

Oui; mais, à TOUS parler franchement entre nous,<br />

11 est pins pour ce<strong>la</strong> selon mon goût que fous.<br />

Chei Yons le mariage est fâcheux et pénible,<br />

Et vos dis<strong>cours</strong> en font une Image'terrible.<br />

Mais <strong>la</strong>s ! 11 le fait, loi, si rempli <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isirs,<br />

Que <strong>de</strong> se marier 11 donne <strong>de</strong>s désirs.<br />

AMÛLPHS.<br />

Ah ! ff est que vous l'aima, traîtresse.<br />

ACMÉS.<br />

Oui Je l'aime.<br />

ABXDLPHB.<br />

Et •ont aves te front <strong>de</strong> te dira à moi-même?<br />

A€Htfl.<br />

Et pourquoi t si! est vrai, ne le ilftisrje pas? •<br />

AMfôLras.<br />

Le dsjvtei-vout aimer, impertinente?<br />

AGNÈS.<br />

Hé<strong>la</strong>s S<br />

pteeqse J'en puis maisTLul seul en est <strong>la</strong> cause.<br />

Et Je n'y songeais pas lorsque se It <strong>la</strong> chose.<br />

ABNOLPHB.<br />

Mais 1S fal<strong>la</strong>it chasser cet amoureux désir.<br />

ACNéS.<br />

Le moyen <strong>de</strong> chasser ee cpii fait <strong>du</strong> p<strong>la</strong>isir 1<br />

AJtNOLPHS.<br />

Et ne si¥les-f oos pas que c'était ma dép<strong>la</strong>ira ?<br />

•GUÉS.<br />

Mol? point <strong>du</strong> tout Quel mal ce<strong>la</strong> TOUS peut-tl faire?<br />

ABMOLPHB.<br />

IS est yral, J'ai sujet d'en être résout.<br />

Tous os m'aimas donc pas à ce compte ?<br />

ACMéS.<br />

•osa?<br />

AUf0U»BB.<br />

Ont<br />

AGNéS-<br />

Hé<strong>la</strong>s! son.<br />

ABJfOUVB.<br />

st.noal<br />

AGNÈS.<br />

Ymlmmm que Je mente ?<br />

ABMOLPHE.<br />

I ne m'atmet pas 9 madame Ftopu<strong>de</strong>ate?<br />

ACNéS.<br />

Mon Bien I ce tfest pas moi que TOUS <strong>de</strong>ux blâmer<br />

Que ne fous êtea-vous comme lui fait aimer?<br />

le ne vous en al pal empêché, que Je pente.<br />

ABMLPHB.<br />

le m*j mM efforcé <strong>de</strong> toute ma puissance.<br />

Mais les soins que f al pris, Je les si per<strong>du</strong>s tous.<br />

ACNéS.<br />

Vraiment, 11 es sait donc là-<strong>de</strong>ssus plus que vous ;<br />

Car à se faire aimer II n'a point eu <strong>de</strong> pétas*<br />

Quel dialogue! et quelle naïf été. <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage unie


68) CÛUES DE UTTÉRATUR&<br />

à <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> forée <strong>de</strong> raison! U n'y avait, avant<br />

Molière, aucun exemple <strong>de</strong> ce eotoiqu@-là. Celui qui<br />

dit, Pourquoi ne m'aimerpm? c'est celui-là qui<br />

est un .sot, malgré son âge et son expérience; et<br />

celle qui répond, Que ne vous êtes-mus fait aimer?<br />

dit ce qu'il y a <strong>de</strong> mieux à dire. Toute <strong>la</strong> philosophie<br />

<strong>du</strong> inon<strong>de</strong> ne trouverait rien <strong>de</strong> meilleur,<br />

et ne pourrait que commenter ce que l'instinct d'un<br />

enfant <strong>de</strong> seize ans a <strong>de</strong>viné.<br />

Il n'y a pas jusqu'à ces <strong>de</strong>ux pauvres gens, A<strong>la</strong>in<br />

et Georgette, choisis par Arnolphe comme les plus<br />

imbéciles <strong>de</strong> leur vil<strong>la</strong>ge, qui n'aient à leur manière<br />

<strong>la</strong> sorte <strong>de</strong> bon sens qui leur convient. 11 faut les<br />

entendre $ après <strong>la</strong> peur effroyable qu'il leur a faite 9<br />

quand il a su les visites d'Horace.<br />

€EOE€BTTE.<br />

* îtfoft Dieu ! qu'il est terribfc !<br />

Set regards m'ont fait peur, mais tue peur horrible,<br />

Et jamais Je a© vit un plus hi<strong>de</strong>ux chrétien.<br />

ALAIN.<br />

Ce monsieur Fâ fâché, Je le le disais bien.<br />

Mais que diantre est-©e là t qu'avec tant <strong>de</strong> ru<strong>de</strong>sse,<br />

11 nous fait au logis gar<strong>de</strong>r notre maîtresse?<br />

D'où vient qu'à tout ie mon<strong>de</strong> il vent tant <strong>la</strong> cacher,<br />

• Et qu'il ne saurait voir personne en approcher f<br />

Ces! que cette action te met en jalousie.<br />

CEOIGETFE.<br />

Mais d'où vient qu'il est pris <strong>de</strong> cette ftsltinle?<br />

Ce<strong>la</strong> vient., ce<strong>la</strong> vient <strong>de</strong> ce quH est Jaloux.<br />

€E01€ETTS.<br />

Oui : mais pourquoi l'est-il? et pourquoi ce eourroux?<br />

ALAIH.<br />

Cest que Sa Jalousie... Entends-fa bien, Geergette?<br />

Est use chose... là... qui fait qu f on s'inquiète,<br />

Et qui chasse les gens d'autour d'une maison.<br />

Le pauvre A<strong>la</strong>in ne doit pas être bien fort sur les<br />

définitions morales : cependant <strong>la</strong> jalousie ne lui est<br />

pas inconnue; et n'en sachant pas assez pour en<br />

eipliquer le principe, il se jette au moins sur les<br />

effets qu'il en a fus ; et , comme le plus sensible <strong>de</strong><br />

tous, c'est qu'un {aloui écarte tout le mon<strong>de</strong> autant<br />

qu'il peut 9 ce qui lui vient d'abord à l'esprit après<br />

qu'il a bien cherché, c'est cette Idée, dont on ne<br />

peut s'empêcher <strong>de</strong> rire par réflexion, que <strong>la</strong> jalousie<br />

es t une chose qui chasse ks gens d'autour d'une<br />

maison : ce qui est très-vrai en soi-même, pas mal<br />

trouvé pour A<strong>la</strong>in $ et fort bien exprimé à sa manière.<br />

Je suis fort loin <strong>de</strong> vouloir insister sur tous les<br />

mots remarquables <strong>de</strong> cette pièce : il y en a presque<br />

autant que <strong>de</strong> vers. Mais je ne puis m'ompécher <strong>de</strong><br />

citer encore une <strong>de</strong> ces saillies si frappantes <strong>de</strong> vérité,<br />

qu'elles paraissent très-faciles à trouver, et en même<br />

temps si originales et si gales, qu'on félicite l'auteur<br />

<strong>de</strong> les aroir rencontrées. Quand Arnolphe, qui a vu ,<br />

Horace encore enfant, est instruit que cet Itoractf<br />

est son rival, il s'écrie douloureusement :<br />

Aurals-Je fleYlné, quand Je l'ai im petit,<br />

Qu'il croîtrait pour ce<strong>la</strong>?<br />

Assurément tout autre que lui trouverait fort simple<br />

œ qui lui parait si extraordinaire ; et c'est ce qui<br />

rend ce mot si comique : Arnolphe est vivement affecté<br />

, et ce qu'il y a <strong>de</strong> plus commun lui parait monstrueux.<br />

C'est <strong>la</strong> nature, prise sur le fait ; et cette expression<br />

si naïve, qu'il croîtraitpmr ce<strong>la</strong>?... est<br />

d'un bonheur I Qu'on juge ce qu'est un écrivain dont<br />

presque tous les vers (dans ses bonnes pièces analysées<br />

ainsi) occasionneraient les mêmes exc<strong>la</strong>mations<br />

I<br />

Quant au comique <strong>de</strong> situation,<br />

«<strong>la</strong> beauté dn sujet <strong>de</strong> l'École ée$ Femmes comUle surtout<br />

dans ks confi<strong>de</strong>nces perpétuelles que/mit Mormm<br />

au seigneur Ârmlpke ; et ce qui doit paraître le plus p<strong>la</strong>isant<br />

9 c'est qu'us nomme qui a <strong>de</strong> l'esprit ; et qui est averti<br />

<strong>de</strong> tout par une innocente qui est sa maîtresse, et par OBétourdi<br />

qui est sou rival, ne poisse avec eêta éviter en<br />

qui lui arrive. »<br />

Cette remarque n'est point <strong>de</strong> moi ; elFe est d'un<br />

homme qui <strong>de</strong>vait s'y connaître mieux que personne,<br />

<strong>de</strong> Molière lui-même, qui s'exprime ainsi mot à mot<br />

par <strong>la</strong> bouche d'un <strong>de</strong>s personnages <strong>de</strong> <strong>la</strong> CriUqm<br />

<strong>de</strong> l'École <strong>de</strong>s Femmes, petite pièce fort jolie , qu'il<br />

composa pour répondre à ses censeurs, et qui fut<br />

jouée a?ec beaucoup <strong>de</strong> succès. On peut s'imaginer<br />

combien ils se récrièrent sur l'amour-propre d'un<br />

auteur qui faisait sur le théâtre son apologie, et<br />

même son éloge : mais n'est-il pas p<strong>la</strong>isant que d'ignorants<br />

barbouilleurs, qui ont assez d'amour-propre<br />

pour régenter <strong>de</strong>vant le public un homme qui<br />

en sait cent fois plus qu'eux 9 ne veuillent pas qu'il<br />

en ait essee pour prétendre qu'il sait son métier un<br />

peu mieui que ceui qui se chargent <strong>de</strong> le lui enseigner?<br />

Amour-propre pour amour-propre, lequel<br />

est le plus excusable? Ce qui est certain, c'est que<br />

l'un ne pro<strong>du</strong>it guère que <strong>de</strong>s sottises et <strong>de</strong>s impertinences,<br />

et que l'autre pro<strong>du</strong>it l'instruction. Un<br />

grand artiste qui parle <strong>de</strong> son art répand toujours<br />

plus ou moins <strong>de</strong> lumière. Aussi les critiques qu'on<br />

a faites <strong>de</strong>s bons écrivains sont oubliées, et leurs<br />

réponses sont encore lues avec fruit.<br />

On reprocha sans doute à Molière <strong>de</strong> défendre<br />

son talent; mais en le défendant il en donna <strong>de</strong> nouvelles<br />

preuves, et on l'avait attaqué a?ec indécence.<br />

Je cooçois bien que les contemporains pardonnent<br />

plus volontiers à l'amour-propre <strong>de</strong>s sots qui attaquent<br />

qu'à celui <strong>de</strong> l'homme supérieur qui se défend<br />

: les uns ne font qu'oublier leur faiblesse ; l'autre<br />

fait souvenir <strong>de</strong> sa force. Mais <strong>la</strong> postérité, qui


SIÈCLE DE LOUIS XIV. - POÉSIE.<br />

n'eit jalouse <strong>de</strong> personne, en juge tout autrement;<br />

elle profite <strong>de</strong> tout m qu'on lui a <strong>la</strong>issé <strong>de</strong> bon, sans<br />

croire que l'auteur ait été obligé, plus que les autres<br />

hommes, <strong>de</strong> se dépouiller <strong>de</strong> tout amour <strong>de</strong> soimême.<br />

De quoi s'agit-il surtout ? D'avoir raison. Et<br />

Molière a-l-Il eu tort <strong>de</strong> faire une pièce très-gaie, où<br />

il se moque très-spirituellement <strong>de</strong> ceux qui avaient<br />

cm se moquer <strong>de</strong> lui ? Il intro<strong>du</strong>it sur <strong>la</strong> scène une<br />

Précieuse qui en armant se jette sur un fauteuil,<br />

prête à s'évanouir d'un mal <strong>de</strong> ccsur affreui, pour<br />

«33<br />

<strong>la</strong> pièce, il déc<strong>la</strong>ra dans sa préfate qn'B respectait<br />

les véritablesprécieuses* Mais comme es effet presque<br />

toutes alors étaient fort ridicules t le nom changea<br />

<strong>de</strong> signification et n'exprima plus qu'us ridicule.<br />

Il s'étendit même à d'autres objets, et l'on dit <strong>de</strong>puis<br />

t non-seulement une femme jpré^ns^ mais un<br />

style pré<strong>de</strong>ux, us txmpré<strong>de</strong>ux, touteslesfois que<br />

fou voulut désigner l'affectation d'être -agréable.<br />

Ainsi l'ouvrage <strong>de</strong> Molière fit un changement dans<br />

<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue comme dans les mœurs ; et ce qui était une<br />

avoir vu cette méckanêe rapsodie <strong>de</strong> l'École <strong>de</strong>s louange <strong>de</strong>?int une censure.<br />

Femmes. Elle est soutenue d'un <strong>de</strong> ces matquis tur- Mais le grand succès <strong>de</strong> l'École <strong>de</strong>s Femmes, celupins<br />

que Molière a?ait joués déjà dans les Précieului <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ui pièces qui <strong>la</strong> suivirent, et 1a satisfectlon<br />

ses, en y disant ?oir <strong>de</strong>s valets qui étaient les sin­ qu'en témoigna Louis XIV, dont le bon esprit goûges<br />

<strong>de</strong> leurs maîtres. Plusieurs s'étaient décfaataés tait celui <strong>de</strong> Molière, et qui s'était pas fiché qu'on<br />

contre l'École <strong>de</strong>s Femmes, prétendant que toutes l'amusât <strong>de</strong>s travers <strong>de</strong> ses courtisans, excitèrent<br />

les règles y étaient violées ; car alors il était <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> bien un autre déchaînement contre le poëte comi­<br />

<strong>de</strong> les réc<strong>la</strong>mer avec pédastisnie, comme aujourd'hui que. On vit paraître successivement Im Vengeance<br />

<strong>de</strong> les rejeter a?ec extravagance. Un homme <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>s Marquis, par <strong>de</strong> Viïliers; ZéMn<strong>de</strong>, m <strong>la</strong> CrUi^<br />

cour a?ait affecté <strong>de</strong> sortir <strong>du</strong> théâtre au second ^ <strong>de</strong>là mÉtqm,pMYhé; et le Portrait <strong>du</strong> Petm-<br />

acte, en criant au scandale. Molière se vengea en tréb par Boursault Les mauvais écrivains ne man­<br />

peintre ; il s'amusa à <strong>de</strong>ssiner ses ennemis, et fit rire quent jamais <strong>de</strong> se réunir contre le talent, sans<br />

<strong>de</strong> leur portrait. U peignit leur étour<strong>de</strong>rie étudiée, songer que cette réunion même prouve sa supério­<br />

leurs grands airs, leur foîd persif<strong>la</strong>ge, leur suffisance, rité. De Viïliers, comédien <strong>de</strong> l'hôtel <strong>de</strong> Bourgogne,<br />

leurs grands éc<strong>la</strong>ts <strong>de</strong> rire, leurs p<strong>la</strong>tes railleries. vengeait l'injure <strong>de</strong> tous ses camara<strong>de</strong>s, que Molière<br />

11 leur associa un M. Lisidor, auteur jaloux, qui, avait joués dans l'Bnpromptu <strong>de</strong> Versailles, où il<br />

a?ec un ton fort discret et fort ménagé, finît par contrefaisait leur déc<strong>la</strong>mation emphatique. Ainsi il<br />

dire plus <strong>de</strong> mal que personne <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce <strong>de</strong> Molière. y avait non-seulement querelle d'auteur à auteur,<br />

Enfin, il leur opposa on homme raisonnable, qui mais <strong>de</strong> théâtre à théâtre. Visé, comme auteur <strong>de</strong><br />

parle très-pertinemment, et fait toucher au doigt mauvaises comédies, et, <strong>de</strong> plus, écrivain <strong>de</strong> Noth<br />

le ridicule et <strong>la</strong> déraison <strong>de</strong>s détracteurs. miles, espèce <strong>de</strong> journal qui précéda le Mercure,<br />

Molière revint encore aux marquis dans FIm- avait un double titreTiour déchirer Molière. U es<br />

promptu <strong>de</strong> Versailles, petite pièce <strong>du</strong> moment, qui était jaloux comme s'il eût pu être son rival, et Se<br />

divertit beaucoup Louis XIV et toute <strong>la</strong> cour. C'est critiquait comme s'il avait eu ledroit d'être son juge.<br />

là qu'il se fait dire,<br />

A l'égaed <strong>de</strong> Boursault, on est fâché <strong>de</strong> trouver son<br />

« Quoi! toujours <strong>de</strong>s marquis! »<br />

nom parmi les détracteurs d'un grand homme. Il<br />

et il répond,<br />

avait <strong>de</strong> l'esprit et <strong>du</strong> talent, et ce qui le prouve,<br />

c'est qu'os joue encore <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses pièces avec suc<br />

« Oui, toujours <strong>de</strong>s marquis. Que é<strong>la</strong>lile wmàm*mm<br />

qu'on presne P®Eî « caractère agréable <strong>de</strong> théâtre? Le<br />

ces, ïsope à <strong>la</strong> cmr et le Mercure gakmt* Mais on<br />

marquis aujourd'hui est le p<strong>la</strong>isant <strong>de</strong> <strong>la</strong> comédie ; et comme lui persuada que c'était lui que Molière avait eu en<br />

dans toutes les pièces anciennes os fait toujours un valet vue dans le rôle <strong>de</strong> Lisidor, et il fit contre lui le<br />

bouffon qui fait rire les auditeurs , <strong>de</strong> même maintenant PortmM<strong>du</strong> Peintre. Toutes ces satires ne firent pas<br />

il fout toujours un marquis ridicule qui divertisse <strong>la</strong> eom- gran<strong>de</strong> fortune. Dans l'Impromptu <strong>de</strong> FersmiUes,<br />

pageie. »<br />

Molière, emporté par ses ressentiments, eut le tort<br />

Les Précieuses avaient déjà valu à leur auteur plus inexcusable <strong>de</strong> nommer Boursault; et quoiqu'il ne<br />

d'une satire. Un sieur <strong>de</strong> Saumafse fit les Véritables l'attaque que <strong>du</strong> côté <strong>de</strong> l'esprit, m n'en est pas<br />

Précieuses ; car il est boo d'observer qu'originaire­ moins une vio<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s bienséances <strong>du</strong> théâtre, et<br />

ment ce mot, bien Soin d'avoir une acception désa­ <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> société. La comédie est faite pour insvantageuse,<br />

signifiait une femme d'un mérite distruire tout le mon<strong>de</strong> et n'attaquer personne ; chatingué<br />

et <strong>de</strong> très-bonne compagnie. Quand Molière cun peut en prendre sa part; mais il ne faut <strong>la</strong> faire<br />

se moqua <strong>de</strong> <strong>la</strong> prétention et <strong>de</strong> l'abus 9 il se crut à qui que ce soit. Il est vrai que les ennemis <strong>de</strong> Mo­<br />

obligé <strong>de</strong> les distinguer <strong>de</strong> <strong>la</strong> chose même ; et non lière lu! es avaient donné l'exemple; mais il n'était<br />

content d'énoncer cette distinction dans le titre <strong>de</strong> I pas fait pour le suivre.


iS4<br />

Visé fut celui <strong>de</strong> tous qui se déchaîna contre loi<br />

avec le plus <strong>de</strong> fureur. 11 ne put faire jouer sa Zé~<br />

&mk ; mais il est eurieui <strong>de</strong> voir <strong>de</strong> quelles armes<br />

se sert ce gakmt homme (qui Ait <strong>de</strong>puis le fondateur<br />

<strong>du</strong> Mercure gokmt) dans une Lettre sur tes<br />

affaires <strong>du</strong> ikêêêre, 11 se prétendait à ries moins<br />

qu'à soulever toute <strong>la</strong> noblesse <strong>de</strong> France contre<br />

Molière « et à le rendre coupable <strong>de</strong> lèse-majesté.<br />

¥oid comme il soutient cette belle accusation :<br />

COUBS DE LITTEiATIJlE.<br />

« Pour m qui est <strong>de</strong>s marquis,ils se ?eag«t asset par<br />

leur pru<strong>de</strong>nt gieace , et fini voir qu'ils ont beaucoup d'esprit<br />

9 m m l'estimant pas asseï pour se soucier <strong>de</strong> ce qu'il<br />

a dit contre eux. Ce s'est pas que <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> l'État se Ses<br />

est obligés à se p<strong>la</strong>indre 9 puisque c'est tourner le royaume<br />

en ridicule9 rallier toute <strong>la</strong> noblesse, et rendre méprisables<br />

, non-seulement à tous les Français 9 mais encore à tous<br />

les étnngersf <strong>de</strong>s noms éc<strong>la</strong>tants 9 pour qui Fou <strong>de</strong>vrait<br />

avoir <strong>du</strong> respect.<br />

« Quoique cette tante se soit pas parfonaaMe, elle en<br />

renferme use autre qui Test bien moins, et sur <strong>la</strong>quelle<br />

je veai croire que Sa pru<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> Molière n'a pas fait réflexion.<br />

Lorsqu'il joue tonte <strong>la</strong> cour, et qa s U s'épargne que<br />

l'auguste personne <strong>du</strong> roi , que son mérite rend plus considérable<br />

que celui <strong>de</strong> son trône 9 il ne s'aperçoit pas que<br />

cet incomparable monarque est toujours accompagné <strong>de</strong>s<br />

gens qu'il f eut rendre ridicules ; que ce sont enx qui for»<br />

ment sa conr ;rfoe c'est avec eux qu'il se divertit ; que c'est<br />

avec eux qui! s'entretient, et que c'est mm eux qu'il<br />

<strong>de</strong>nse <strong>de</strong> <strong>la</strong> terreur à ses ennemis. C'est pourquoi Molière<br />

<strong>de</strong>vrait plutôt travailler à nous Mm voir qu'Us sont tous<br />

<strong>de</strong>sliéros, puisque le prince est toujours an salon d'eux 9<br />

et qu'il en est comme le chef, que <strong>de</strong> nous en faire voir <strong>de</strong>s<br />

portraits ridicules.<br />

« 11 ne suffit pas <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r le respect que nous <strong>de</strong>?ons<br />

au <strong>de</strong>mi-dieu qui sous gouYê¥fie9 II tint épargner ceux<br />

qui ont le glorieux avantage <strong>de</strong> l'approcher, et ne pas jouer<br />

ceux qu'il honore <strong>de</strong> son estime. »<br />

Les raisonnements <strong>de</strong> ce Ylsé sont aussi forts<br />

que ses intentions sont loyales. Il veut que <strong>de</strong>s personnages<br />

<strong>de</strong> comédie soient tous <strong>de</strong>s héros, parce<br />

que ce sont <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> cour ; il f eut qu'Us ne puissent<br />

pas être rMieuks, parce f ne ce sont <strong>de</strong>s gentilshommes;<br />

il ?êut que chaeus d'eux prenne Molière<br />

à §MiFtIes et il ne songe pas que <strong>de</strong>s peintures<br />

générales ne peuvent jamais offenser personne. Il<br />

serait superflu d'opposer <strong>de</strong>s vérités trop connues<br />

à une déc<strong>la</strong>mation trop absur<strong>de</strong> : je ne l'ai citée<br />

que pour faire voir qu'es tout temps les maufais<br />

critiques ont été aussi <strong>de</strong>s hommes très-méchants,<br />

et que, nos contents <strong>de</strong> dénigrer l'outrage, ils se<br />

croient tout permis pour perdre Fauteur. Apparemment<br />

Faniraosité <strong>de</strong> Yisé avait augmenté avec les<br />

suocèf <strong>de</strong> Molière; car dans un autre passage <strong>de</strong> ses<br />

Nmmetks, imprimé us an aupara¥antY il irait mêlé<br />

beaucoup d'éloges i §m critiques. Il est ?rai que<br />

ses louanges s'étaient pas toujours iatteuses; par<br />

exemple i lorsqu ? es dtaaat beaucoup <strong>de</strong> bien <strong>de</strong> i'Ê~<br />

cokdrn Maris, il <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce après ks FMmssmîmsàu<br />

Desmarets, et lorsqu'il regar<strong>de</strong> Sgmmmik comme<br />

<strong>la</strong> meilleure <strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> Molière. En revanche, il<br />

dit beaucoup <strong>de</strong> mal <strong>de</strong>s Précieuses smMcuks, étmi<br />

<strong>la</strong> réussite fit emmmîtte à l'auteur qu'on aimait <strong>la</strong><br />

smâre et <strong>la</strong> fMgatdk9 que k siêck était wmhée,<br />

ei que ks buums choses ne M p<strong>la</strong>maient pas»<br />

Je ne sais <strong>de</strong> quelles hommes choses il vent parler<br />

: ce qui est sûr, c'est que <strong>de</strong> très-mauvaises étaient<br />

<strong>de</strong>puis <strong>la</strong>ngtaanp en possession <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire, et que si<br />

ks Pré<strong>de</strong>mes firent relr f ne k siêck éteM mussmée,<br />

m s'est que parce que le tableau fut app<strong>la</strong>udi v c'est<br />

parée qu'il était idèle ; et <strong>la</strong> réussite II voir m mémo<br />

temps que le- siècle n'était pas incurable. Mais ce<br />

qu'il y a <strong>de</strong> plus singulier c'est que le même auteur,<br />

q^m fou<strong>la</strong>it armer tout à l'heure castra Molière tous<br />

les grands seigneurs <strong>du</strong> royaume, leur reprocha <strong>de</strong><br />

l'encourager; <strong>de</strong> lui fournir même <strong>de</strong>s mémoires;<br />

ce qui était arrivé en effet pour <strong>la</strong> comédie <strong>de</strong>s Fâcheux.<br />

« Molière apprit , dit-fl, que les put <strong>de</strong> qualité se ?ntr<br />

<strong>la</strong>leat rira qu*à leurs dépôts ; qu'ils étaîeat les plus docile<br />

do mon<strong>de</strong> 9 et f oatakat qu'on fît voir leurs défauts ai public<br />

9<br />

Eh! oui, monsieur Yisé, voilà précisément ce que<br />

Molière avait <strong>de</strong>visé, et ce dont TOUS ne TOUS seriez<br />

pas douté. 11 a tféeouvert que <strong>la</strong> comédie était un miroir<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> fie humaine! où personne s'était fiché <strong>de</strong><br />

se voir, pourvu qu'il y pût voir ses raisins f parce<br />

que l'amour-propre se sauve dans <strong>la</strong> foule, et que<br />

ehaeus s'amuse aui dépens <strong>de</strong> tous les autres. Ce<strong>la</strong><br />

ratas parait <strong>de</strong> <strong>la</strong> bagatêlk, et sans doute <strong>la</strong> rareté<br />

et ks curiosité <strong>de</strong>s tréteaux d'Espagne et d'Italie<br />

vous parait use èmme chose; mais si raaa es sarier<br />

aataat que Molière, mus rerrleique cette èa§aieik,<br />

c'est <strong>la</strong> rrale comédie.<br />

i£ Mariage forcé, eoraédïe-baltet es un acte, était<br />

encore un <strong>de</strong> ces intermè<strong>de</strong>s bouffons qui faisaient<br />

partie <strong>de</strong>s spectacles <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour. Os rappe<strong>la</strong> k Muikt<br />

<strong>du</strong> Moi, parce que Louis X1Y y dansa. Le principal<br />

rôle est un Sgasarelle, nom qui désignait,<br />

dans les anciennes farces, un personnage imbécile<br />

ou grotesque. Il n 9 y a aucune intrigue dans <strong>la</strong> pièce;<br />

mais, accoutumé à p<strong>la</strong>cer partout <strong>la</strong> critique <strong>de</strong>s<br />

mœurs, Molière se moque Ici <strong>du</strong> verbiage scîentlique<br />

que les pédants <strong>de</strong> fécale avaient conservé,<br />

quoiqu'il fût passé <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> partout ailleurs; et il<br />

joue dans les <strong>de</strong>ui docteurs, Pancrace et ifarpharius,<br />

<strong>la</strong> manie <strong>de</strong> philosopher hors <strong>de</strong> propos, <strong>la</strong><br />

morgue <strong>de</strong> <strong>la</strong> science, et <strong>la</strong> sottise <strong>du</strong> pynrhosisme,<br />

La fureur <strong>de</strong> Pancrace à propos <strong>de</strong> h forme eu ckar


SIÈCLE DE LOUIS XIV. - POESIE.<br />

68i<br />

peau n'était point en tableau chargé, dans nn temp et l'on sait combien Molière en a tiré parti. Ce ridi­<br />

où Ton rendait encore <strong>de</strong>s arrêts en fureur d'Ariscule a disparu, parce qu'il ne tenait qu'au formes<br />

tote ; et qoand Sganarelle donne <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> bâton extérieures; mais l'esprit <strong>de</strong> corps, qui pe change<br />

au pyrrhonien Marphurius, en lui représentant que, point, et tous les préjugés, tous les trafers qui en<br />

selon sa doctrine, il ne doit pas être sûr que ce soient résultent, ont fourni au poète obserfateur une foule<br />

<strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> bâtonf il se sert d'un argument pro­ <strong>de</strong> mots heureui, <strong>de</strong>venus proverbes, et qu'on cite<br />

portionné à <strong>la</strong> folie <strong>de</strong> cette doctrine.<br />

d'autant plus folontiers, qu'ils sont encore aujour­<br />

C'est malgré lui que Molière it k FesMn <strong>de</strong> Pierre. d'hui tout aussi frais que <strong>de</strong> son temps. C'«st aussi<br />

Ce irietn eanefas était originaire d'Espagne, où il dans cette pièce qu'il a caractérisé Im donneurs d'à-<br />

avait fait une gran<strong>de</strong> fortune; et il était bien juste vis par une scène charmante, dont tout l'esprit est<br />

qu'un peuple qui voyait a?ec édiication <strong>la</strong> f <strong>la</strong>rge et dans ce mot si connu : Monsieur Josse, vous êtes<br />

tes diables danser ensemble, et les sept sacrements orfèvre. On assure que VAmour mé<strong>de</strong>cin, qui a trois<br />

en "ballets, fît mœmm sainte terreur marcher une actes, fut fait et appris en cinq jours. Ce n'était pas<br />

statue sur <strong>la</strong> scène, et l'enfer s'ouvrir pour englou­ assez pour ce<strong>la</strong> d'être"Molière; il fal<strong>la</strong>it aussi être<br />

tir un athée. Mais comme le peuple est partout le chef <strong>de</strong> troupe.<br />

même, ce sujet n'eut pas moins <strong>de</strong> succès à Paris,<br />

•MTHM m. — Le MimnÈkrùpe.<br />

sur le théâtre d'Arlequin. Toutes les troupes comi­ Autant Molière a?ait été jusque-là au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong><br />

ques (il y en a?ail alors quatre à Paris) foulèrent tous ses rif aux, autant il fut au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> lui-même<br />

a?oir et eurent es effet leur Festin <strong>de</strong> Pierre, comme iws k Misanthrope. Emprunter à <strong>la</strong> morale une<br />

celle <strong>de</strong>s Italiens;,car il faut remarquer que ce sont <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s leçons qu'elle puisse donner aaï<br />

toujours les ouvrages faits pour <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> qui hommes ; leur dé<strong>mont</strong>rer cette f érité qu'af aient mé­<br />

ont <strong>de</strong> ces prodigieux succès <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>, attachés connue les plus fameux philosophes anciens, que <strong>la</strong><br />

à un nom qui siiflt pour attirer <strong>la</strong> foule à tous les' sagesse même et <strong>la</strong> f ertu * ont besoin d'une mesuref<br />

théâtres. Il n'y eut qu'un Misanthrope et qu'un Tar- sans <strong>la</strong>quelle elles <strong>de</strong>fiennent inutiles, ou même<br />

t-ufe; mais il y eut dans l'espace <strong>de</strong> peu d'années cinq nuisibles; rendre cette leçon comique sans compro­<br />

Festin <strong>de</strong> Pierre. Molière, pour contenter sa troupe, mettre le respect dû à l'homme honnête et f ertueus,<br />

fut obligé d'en faire un ; mais ce fut le seul qui ne c'était là sans doute le triomphe d'un poète philo­<br />

réussit pas. Ce n'est ps qu'il ne valût beaucoup sophe, et <strong>la</strong> comédie ancienne et mo<strong>de</strong>rne n'offrait<br />

mieux que tous les autres ; mais il était en prose ; et aucun eieraple d'une si haute conception. Aftssi<br />

c'était alors une noufeauté.sans exemple. On n'i­ arrif a-t-il d'abord à Molière ce que nous af ons f a<br />

maginait pas qu'une comédie pût n'être pas en ?ers, arrifer à Racine. Les spectateurs ne purent pas<br />

et <strong>la</strong> pièce tomba. Ce ne fat qu'après <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Mo­ l'atteindre : il arait franchi <strong>de</strong> trop loin <strong>la</strong> sphère<br />

lière que Thomas Corneille versiËa k Festin <strong>de</strong> <strong>de</strong>s idées fulgaïres. Le Misanthrope fut abandonné y<br />

Pierre, en suifant, à peu <strong>de</strong> chose près, le p<strong>la</strong>n et parce qu'on ne l'entendit pas. On était encore trop<br />

le dialogue <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce en prose. Il réussit, et c'est accoutumé au gros rire : il fallut retirer <strong>la</strong> pièce à <strong>la</strong><br />

le seul que l'on joueencore. La scène <strong>de</strong> M. Dimanche quatrième représentation. Ces méprises si fréquentes<br />

est comique, et le morceau sur l'hypocrisie annon­ nous font rougir, et ne nous corrigent pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> préçait,<br />

dans l'auteur original, l'homme qui défait cipitation <strong>de</strong> nos jugements. Ce n'est pas que l'exem­<br />

bientôt faire k Tartufe.<br />

ple <strong>du</strong> Misanthrope et i'Athaiie puisse se renouv e-<br />

L'Amour mé<strong>de</strong>cin est <strong>la</strong> première scène où Moler aisément; ce sont <strong>de</strong>s chefs-d'œuvre d'un ordre<br />

lière ait déc<strong>la</strong>ré <strong>la</strong> guerre â <strong>la</strong> Faculté, et cette guerre trop supérieur : mais on peut assurer que, dans<br />

<strong>du</strong>ra jusqu'à <strong>la</strong> in <strong>de</strong> sa fie; car son <strong>de</strong>rnier ouvra­ tous les temps, <strong>de</strong>s ouvrages d'un très-grand mérite,<br />

ge, k Ma<strong>la</strong><strong>de</strong> imaginaire, fut encore <strong>la</strong>it contre confon<strong>du</strong>s d'abord dans l'opinion et dans l'égalité<br />

les mé<strong>de</strong>cins. Comme, malgré l'utilité réeHe'<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>du</strong> succès arec les pro<strong>du</strong>ctions les plus médiocres,<br />

mé<strong>de</strong>cine, et le mérite supérieur <strong>de</strong> plusieurs <strong>de</strong> ceui n'arrifent à leur p<strong>la</strong>ce qu'après bien <strong>de</strong>s années, et<br />

qui font eultivée, il n'y a point <strong>de</strong> science qui soit que <strong>la</strong> jalousie, qui est dans le secret, a le p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong><br />

plus susceptible <strong>de</strong> tous les genres <strong>de</strong> char<strong>la</strong>tanisme, les f oir longtemps dans <strong>la</strong> foule afant que <strong>la</strong> f oii<br />

puisqu'elle domine sur les hommes par le premier publique les ait f engés d'une concurrence indigne f<br />

<strong>de</strong> tous les intérêts, l'amour <strong>de</strong> <strong>la</strong> fie et <strong>la</strong> crainte et proc<strong>la</strong>més dans le rang qui leur est dû.<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, c'est un objet qui ne défait point échap­ Molière se con<strong>du</strong>isit en homme/ habile : il sentit<br />

per à un poète comique. D'ailleurs le pédantisme, que k Misanthrope n'avait besoin que d'être enqui,<br />

étiez les mé<strong>de</strong>cins <strong>du</strong> <strong>de</strong>rnier siècle y était l'enseigne<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> sciencef prêtait beaucoup au ridicule;<br />

1 Mettmiàtqm, quoi mi âjJfëcMMwm, tm m§mmMm9 wmcf»».<br />

(TàdT. Agrie. if.)


636<br />

ten<strong>du</strong> ; et puisque cette pièce me pouvait par ellemême<br />

attirer le publie, Il trouva le moyen <strong>de</strong> l'y<br />

faire revenir en je servant selon son goût. Il donna<br />

<strong>la</strong> faree <strong>du</strong> FagoUer; et, à <strong>la</strong> faveur <strong>de</strong> Sgmnarelk,<br />

on eut <strong>la</strong> comp<strong>la</strong>isance d'écouter le Misanthrope,<br />

dont le succès al<strong>la</strong> toujours en croissant, à mesure<br />

que les spectateurs, en s'instrolsant, <strong>de</strong>venaient plus<br />

dignes <strong>de</strong> l'ouvrage. 11 était, <strong>de</strong>puis un siècle, en<br />

possession <strong>du</strong> premier rang, que le Tartufe seul<br />

lui disputait, quand un écrivain, d'autant plus fameux<br />

par son éloquence qu'il <strong>la</strong> fît servir plus souvent<br />

au paradoxe qu'à <strong>la</strong> raison, a intenté à Molière<br />

une accusation très-grave, et lui a reproché d'avoir<br />

joué <strong>la</strong> vertu et <strong>de</strong> l'avoir ren<strong>du</strong>e ridicule.<br />

Rousseau débute ainsi :<br />

C0U1S DE UTTÉBATURB.<br />

« Tous ne sauriez me nier déni choses : Fime qu'Akeste<br />

est dans cette pièce un homme droit ; sincère , estimable,<br />

im véritable homme <strong>de</strong> bien; l'autre, que fauteur lui<br />

donne tin personnage ridicule. €'en est assez, ce me semble<br />

y peur rendre Molière inexcusable. »<br />

Il faut absolument, avec un dialecticien aussi<br />

subtil que Rousseau, se servir <strong>de</strong>s mêmes armes<br />

que lui, et argumenter en forme. Ainsi, d'abord je<br />

distingue <strong>la</strong> majeure, et je nie <strong>la</strong> conséquence. L'@u*<br />

teur donne au Misanthrope un personnage ridicule.<br />

Oui. Mais ce ridicule porte-t-il sur ce qu'il<br />

est droit, sincère, homme <strong>de</strong> bien? Non : il porte<br />

sur. <strong>de</strong>s travers réels, qui tiennent à l'excès <strong>de</strong> ces<br />

bonnes qualités. Et qui peut douter que l'excès ne<br />

gâte les meilleures choses? Ce principe est si reconnu,<br />

qu'il serait superflu <strong>de</strong> le prouver. Or, si<br />

tout excès est blâmable et dangereux, <strong>la</strong> comédie<br />

n'a-t-elle pas droit d'en <strong>mont</strong>rer le vice et le danger ?<br />

Et si elle y joint le ridicule, ne se sert-elle pas <strong>de</strong><br />

l'arme qui lui est propre? Je dis plus : si ce ridicule<br />

tombait sur <strong>la</strong> vertu même, il ne serait pas supporté;<br />

fauteur le plus ma<strong>la</strong>droit ne Vessayerait pas.<br />

Serait-ce donc Molière qui aurait commis une faute<br />

si grossière? Aurait-il ignoré le respect que tous les<br />

hommes ont pour <strong>la</strong> vertu ? Quand le Misanthrope<br />

est indigné <strong>de</strong> tous les traits <strong>de</strong> médisance que Gélîmèiie<br />

et sa société viennent <strong>de</strong> <strong>la</strong>ncer sur les absents<br />

, sur <strong>de</strong>s gens qu'ils voient tous les jours en<br />

qualité d'amis; quand il leur dit avec une noble<br />

sévérité f<br />

Allons f ferme, ponts», nés bons assis <strong>de</strong> cour ;<br />

Yoas s'en épargnez point, et chacun a son tour.<br />

Cependant aucun d'eux à vos yeux ne se <strong>mont</strong>re,<br />

Qu'on se vous voie en hâte aller à sa rencontre,<br />

Lui présenter <strong>la</strong> mate, et, d'un baiser f<strong>la</strong>tteur,<br />

Appuyer Se serment d'être son sersltesir» -<br />

quelqu'un alors s'avise-t-il <strong>de</strong> rire? Ceux mêmes à<br />

qui l'apostrophe s'adresse, et qui sont <strong>de</strong> grands<br />

rieurs, ne le sont pourtant pas dans ce moment.<br />

Us sentent si bien <strong>la</strong> vérité <strong>du</strong> reproche, que Pun<br />

d'eux, pour toute excuse, cherche à rejeter <strong>la</strong> faute<br />

sur Célimèrie, afin d'embarrasser Àiceste qui Faime.<br />

Pourquoi s'en prendre à nous? Si ce qu'on dit TOUS Meise,<br />

11 faut que Se reproche à madame s'adresse.<br />

Mais <strong>la</strong> réplique d'Aiceste est accab<strong>la</strong>nte.<br />

lion t morbleu , c'est à vous ; et vos ris comp<strong>la</strong>isants t<br />

Tirent <strong>de</strong> sou esprit tous ces traits médisants ;<br />

Son humeur satirique est sans cesse nourri®<br />

Par le coupable encens <strong>de</strong> votre f<strong>la</strong>tterie ;<br />

Et son cœur à railler trouverait moins d'appas «<br />

8*U assit observé qu'on ne Pappfaudit pas. '<br />

Cest ainsi qu'aui f<strong>la</strong>tteurs on doit partout se prendre<br />

Des vices où Ton voit les humains wt tépanère.<br />

La semonce est forte ; mais elle est si bien fondée,<br />

si morale, si instructive, que eeox qui sont<br />

tancés si fortement gar<strong>de</strong>nt le silence; et il n'y a<br />

que Céliraène, que <strong>la</strong> légèreté <strong>de</strong> son âge et <strong>de</strong> mm<br />

caractère, et les avantages que lui donnent sur<br />

âîceste son sese et l'amour qu'il a pour elle, enhardissent<br />

à le railler sur son humeur contrariante.<br />

Mais quoique en effet it ait parlé avec un ton d'humeur,<br />

qui est un peu au <strong>de</strong>là <strong>de</strong>s convenances <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> société, où l'on ne s'eiprîme pas si <strong>du</strong>rement<br />

cependant <strong>la</strong> férité a tant d'empire, on en sent si<br />

bien tonte Futilité, que tons les spectateurs en cet<br />

endroit app<strong>la</strong>udissent très-sérieusement an courage<br />

dti Misanthrope. Si son humeur ne portait jamais<br />

que sur <strong>de</strong> pareilles choses, cène serait qu'un censeur<br />

juste et rigoureux, et non plus un personnage <strong>de</strong><br />

comédie. Mais Molière, qui vient <strong>de</strong> <strong>mont</strong>rer ce<br />

qu'il a <strong>de</strong> bon, fait voir sur-le-champ, et presque<br />

dans <strong>la</strong> même scène, ce qu'il a d'outré et <strong>de</strong> répréhensible.<br />

On fient lui apprendre que <strong>la</strong> querelle<br />

qu'il a eee avec Oronte, à propos <strong>du</strong> sonnet, peut<br />

avoir <strong>de</strong>s suites fâcheuses, et que, pour les prévenir,<br />

les maréchaux <strong>de</strong> France le man<strong>de</strong>nt à leur<br />

tribunal. C'est ici que le caractère se <strong>mont</strong>re, et<br />

que le sage commence à eitravaguer.<br />

Quel amommo<strong>de</strong><strong>mont</strong> veut-on faire entre nous?<br />

La voix <strong>de</strong> ces messieurs me condamnero-t-el<strong>la</strong><br />

A trouver bons les vers qui font notre querel<strong>la</strong>?<br />

le ne me dédis point <strong>de</strong> ce que J'en al dit :<br />

le les trouve méchants.<br />

PHIUNTE.<br />

* Mais d'as plus dou esprit..<br />

ALCBSTE.<br />

le s'en démordrai point ; les sers sont extaaMes.<br />

PH1L1MTE. 0<br />

Vans <strong>de</strong>vei faire soir <strong>de</strong>s seaUsicats Imitables.<br />

Allons, venes.<br />

àiXBsm<br />

lirai : mais rien n'aura pouvoir<br />

Bê sse Csira dédire. PHIUUTB.<br />

Allons vous faire vole<br />

ÂLCEffFS.<br />

lors fu'es €ommaQ<strong>de</strong>meot exprès <strong>du</strong> ml*se vlenm.<br />

De trouver bons les vers dont os se met en peine,


le ntsttaMlral toq|oait, morilles, qu'Us soit mauvais s<br />

Et


6SS<br />

COURS DE UTTEEATU1E.<br />

Il pièce; car elfe renferme tout ce que le poète a<br />

fait 9 et tout ce qu'il pouvait faire <strong>de</strong> mieux. Ce que<br />

fat dit n'en est que le développement ; mais <strong>la</strong> conséquence<br />

que j'en tire est fort différente <strong>de</strong> celle <strong>de</strong><br />

Rousseau 9 qui ajoute tout <strong>de</strong> suite :<br />

«'Es cette occasion, <strong>la</strong> force <strong>de</strong> <strong>la</strong> verte l'emporte sur<br />

Fart <strong>du</strong> poète. »<br />

Un homme qui aurait été d'accord avec lui-même,<br />

et qui n'aurait pas eu ne paradoxe à soutenir, aurait<br />

dit : Rien ne fait mieux voir à <strong>la</strong> fois et <strong>la</strong> force<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu , et celle <strong>du</strong> talent <strong>de</strong> Molière , puisqu'on<br />

faisant rire dm i^f&mis réek, il fait toujours respecter<br />

<strong>la</strong> vertu, et ne permet pas que le ridicule<br />

aille jusqu'à elle. Ou il n'y a plus <strong>de</strong> logique au<br />

mon<strong>de</strong> i ou il faut admettre cette conséquence dont<br />

tous les termes sont contenus dans <strong>de</strong>s prémisses<br />

avouées.<br />

Quel était le but <strong>de</strong> Rousseau? 11 vou<strong>la</strong>it prouver<br />

que <strong>la</strong> comédie était un établissement contraire aux<br />

bonnes moeurs. S'il n'eût attaqué que quelques ouvrages<br />

où en effet elles sent blessées, et qui ne sent<br />

que faims <strong>de</strong> Fart, cette marche ne l'aurait pas mené<br />

loin. Il attaque une comédie regardée comme une<br />

<strong>de</strong>s plus morales dont <strong>la</strong> scène puisse se vanter,<br />

bien sûr que, s'il abat te Misanthrope, ce chefd'œuvre<br />

entraînera tout le reste dans sa chute. S'il<br />

lui échappe <strong>de</strong>s aveux qui le condamnent , c'est qu'il<br />

croit pouvoir s'en tirer; et quoique cette confiance<br />

le trompe, il a <strong>du</strong> moins rempli un objet qui n'est<br />

pas indifférent pour <strong>la</strong> célébrité 9 celui d'étonner par<br />

<strong>la</strong> singu<strong>la</strong>rité <strong>de</strong>s opinions nouvelles, et par le talent<br />

<strong>de</strong> les soutenir.<br />

Cm est une bien nouvelle assurément que celle-ci :<br />

« Melièra a mal saisi te caractère <strong>du</strong> Misanthrope. Peo§@t-oii<br />

que ce soit par erreur ? Nos sans doute : mali le désir<br />

<strong>de</strong> faire rire aux dépens <strong>de</strong> personnage Fa forcé <strong>de</strong> le dégra<strong>de</strong>r<br />

contre <strong>la</strong> vérité <strong>du</strong> caractère. »<br />

Et quel est celui que Rousseau voudrait qu'on eût<br />

donné au Misanthrope? Le voici :<br />

« H fal<strong>la</strong>it que te Misanthrope rot toujours furieux contre<br />

tes vices publics ; et toujours tranquille sur les méchancetés<br />

personnelles dont U esMa victime. »<br />

En conséquence, Alceste, selon lui, doit trouver<br />

tout simple qn'Oronte, dont il a blâmé les vers, s'en<br />

venge par <strong>de</strong>s calomnies ; que ses juges lu! fassent<br />

perdre son procès, quoiqu'il dût le gagner, et que<br />

sa maîtresse le trompe malgré les assurasses qu'elle<br />

lui a données <strong>de</strong> son amour. Ce caractère est fort<br />

beau ; mais c'est <strong>la</strong> sagesse parfaite, et il serait p<strong>la</strong>isant<br />

que Molière eût imaginé <strong>de</strong> <strong>la</strong> jouer. Cette espèce<br />

d'imperturbabilité stoïcienne n'est pas 9 je crois,<br />

très-conforme à <strong>la</strong> nature ; mais à coup sûr elle l'est<br />

encore moins I l'esprit <strong>du</strong> théâtre. Molière pensait<br />

cpeja comédie doit peindre l'homme; il a cru que,<br />

si jamais elle pouvait nous présenter lia tableau instructif<br />

s c'était en nous <strong>mont</strong>rant combien le sage<br />

même peut avoir <strong>de</strong> faiblesse dans l'âme f <strong>de</strong> défauts<br />

dans rhumerie, et <strong>de</strong> travers dans l'esprit; enfin,<br />

pour me servir <strong>de</strong>s eipressions mêmes <strong>du</strong> Misanthrope,<br />

Que c f esl à tort que sages on 0001 nomme 9<br />

Et que dan§ tous les ©œera II est inftjoufs <strong>de</strong> l'homme<br />

Quelle leçon pour ramonr-propre, qui nous est si<br />

naturel à tous! Quel avertissement d'être attentifs<br />

sur nous, et in<strong>du</strong>lgents pour les autres! Ce<strong>la</strong> oe<br />

vaut-il pas mieux ( même dans les rapports moraui f<br />

et en mettant <strong>de</strong> côté l'effet dramatique ) que dé<br />

nous offrir un modèle presque entièrement idéal ?<br />

Ne vaut-il pas mieui nous <strong>mont</strong>rer les défauts que<br />

nous avons, et dont nous pouvons corriger au moins<br />

une partie, qu'une perfection qui est trop loin <strong>de</strong><br />

nous? Ce n'est donc pas seulement pmafiâre rw<br />

que Mellère a peint son Misanthrope tel qu'il est ;<br />

c'est pour nous instruire. Ainsi, lorsque Alceste<br />

veut fuir dans un désert , où, dit-il 9 on m'a point m<br />

huer les vers <strong>de</strong> messieurs tels, le parterre rit, il est<br />

vrai ; mais <strong>la</strong> raison répond à cette bouta<strong>de</strong> p<strong>la</strong>isante<br />

9 Que , si <strong>la</strong>'sagesse est bonne à quelque chose f<br />

c'est à savoir vivre avec les hommes, et son pas<br />

dans un désert f où elle ne peut servir à rien ; et qu'il<br />

vaut encore mieux avoir un peu <strong>de</strong> comp<strong>la</strong>isance<br />

pour les mauvais vers que <strong>de</strong> rompre avec le genre<br />

humain. Quand 11 s'écrie ? dans son éloquente indignation,<br />

au sujet <strong>de</strong>s calomnies d'Oronte,<br />

Loi cfui cf 11s homme honnête à <strong>la</strong> cour lient le rang,<br />

A'qui je n'ai rten fait qu'être sincère et franc,<br />

Qui me irlenl malgré moi f d'une ar<strong>de</strong>ur emprenée,<br />

Sur <strong>de</strong>s vers qu'il a Mis <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r nu pensée,<br />

El parce que J'en use avec honnêteté,<br />

Et se le veua trahir, lui} si k vérité f<br />

11 ai<strong>de</strong> à nfaeeabterd'aii crime imaginaire.:<br />

Le voilà <strong>de</strong>venu mon plus grand adversaire,<br />

Et Jamais <strong>de</strong> son «sur je n'aurai <strong>de</strong> pardon,<br />

Pour n'avoir pas trouvé que son sonnet fut lion.<br />

Et tes hommes, morbleu t'sont faits <strong>de</strong> cette sorte!<br />

le parterre rit; mais <strong>la</strong> raison répond : Oui, c'est<br />

ainsi-qu'ils sont faits, et ils ont grand tort; mais<br />

comme irons ne leur ôterez pas leur amour-propre,<br />

ne tes choquez pas <strong>du</strong> moins sans nécessité. ¥ou$<br />

n'étiez pas tenu <strong>de</strong> dé<strong>mont</strong>rer en conscience àOroate<br />

que son sonnet ne va<strong>la</strong>it rien. Quelques compliments<br />

en Pair ne vous auraient pas plus compromis<br />

que les formules qui inissent une lettre; c'est<br />

une monnaie dont tout le mon<strong>de</strong> sait <strong>la</strong> valeur,<br />

et Ton n'est pas un fripon pour s'en sertir. On ne<br />

ment pas plus en disant à un auteur que ses Yen<br />

sont bons 9 qu'en disant à une femme qu'elle est jolie;<br />

et les choses restent ce qu'elles sont.


Quand on entend cet excellent dialogue entre 11ceste<br />

et Philint* :<br />

mUHIS.<br />

Ooatra votre partie éc<strong>la</strong>tez un peu moins,<br />

Et donnez au procès une paît <strong>de</strong> vos soins.<br />

ÂUXSTE.<br />

1® s'en donnera! point ; c'est une chose dite.<br />

PHILMTE.<br />

Mail cpii voales-voiis doue qui pour mm sollicite!<br />

AMMTE.<br />

Qui je veux ? <strong>la</strong> raison, mon bon droit, l'équité.<br />

PH1LÏMTE.<br />

Aucun Juge ptr vous m sort visité?<br />

.ALCESTE.<br />

Mon. Mst-ee que ma cause est Injuste on douteuse?<br />

PHILUm.<br />

Tes <strong>de</strong>meure d'accord; mais 1a brigue est fâcheuse,<br />

Et..<br />

iûissm.<br />

H on, J'ai résolu <strong>de</strong> se pas faire su pas.<br />

Fil tort ou j'ai raison.<br />

PBlLtlITE.<br />

Ne vous y fiez pai.<br />

ALCESTE.<br />

I® ne f emifâl point PHILOtTE.<br />

Votre partie est forte,<br />

Et peut par sa cabale entraîner...<br />

PAILIHR.<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

Il simporte.<br />

Vous vous tromperez. ALCESTE.<br />

Soit reo veui voir le<br />

PBILIIfTE.<br />

Mais...<br />

ALCESTE.<br />

J'aurai 1® p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> perdre mon procès.<br />

le parterre rit <strong>de</strong> ces saillies d'humeur, quoique an<br />

fond Alceste ait raison SUIT le principe. Rousseau<br />

proufe très-bien ce que tout le mon<strong>de</strong> savait déjà,<br />

qu'il serait à souhaiter que l'usage <strong>de</strong> visiter ses juges<br />

fût aboli; mais il en conclut trè&-mal que l'auteur<br />

a tort fa faire rire ici aux dépens d'Akeste,<br />

car il y a encore ici un excès. On pourrait dire à Alceste<br />

: Sans doute il vaudrait mieux que <strong>la</strong> justice<br />

seule pût tout faire; mais d'abord ce qui est permis<br />

à votre partie ne vous est pas défen<strong>du</strong>; et si vous<br />

opposez à l'usage <strong>la</strong> morale rigi<strong>de</strong>, je vais TOUS COD-<br />

?aiscre qu'elle est d'accord avec <strong>la</strong> démarche que<br />

je ? ous conseille. Ne conviendrez-vous pas qu'il vaut<br />

encore mieux empêcher une injustice, si on le peut,<br />

que d'amir k pkàëir <strong>de</strong> perdre mm procès f Eh<br />

bien! d'après ce principe que fous ne pouvez pas<br />

nier, TOUS avez tort <strong>de</strong> vous refuser à ce qu'on vous<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>; car, sans révoque? en doute l'équité <strong>de</strong> vos<br />

juges, n'est-il pas très-possible qu'on leur ait <strong>mont</strong>ré<br />

l'affaire sous un faux jour, que votre rapporteur<br />

n'ait pat fait assez attention à <strong>de</strong>s pièces probantes?<br />

Faites parler <strong>la</strong> vérité, et vous pourrez prévenir un<br />

arrêt injuste, c'est-à-dire une mauvaise action, un<br />

scandale, un mal réel. Que pourrait upposer à ce<br />

«39<br />

raisonnement un homme sans passion, et sans humeur?<br />

Mai* le Misanthrope dira :<br />

Ce sont vingt mille frases qu'il m f en pourra coûter. .<br />

Mali pour vingt mille frases j'aurai droit <strong>de</strong> pester<br />

Contre l'iniquité <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature humaine,<br />

Et <strong>de</strong> nourrir pour eUe une immortelle haine.<br />

Son caractère est conservé : il est parti d'un principe<br />

vrai ; mais l'humeur qui le domine l'emporte beaucoup<br />

trop loin, et il déraisonne. De tous les exemples<br />

que j'ai cités, Rousseau conclut : //'fal<strong>la</strong>itfaire<br />

rire k parterre. Je réponds : Oui; c'est ce que doit<br />

faire le poète comique ; mais c'est ici le cas <strong>de</strong> rappeler<br />

le mot d'Horace (Soi. I, i) : Qui empêche <strong>de</strong><br />

dire <strong>la</strong> vérité m rjani * ? Et Molière fa dite à ceux<br />

qui savent l'entendre.<br />

Enfin, lorsque le Misanthrope propose à Célïmène<br />

<strong>de</strong> l'épouser, à condition qu'elle le suivra dans <strong>la</strong><br />

solitu<strong>de</strong> où il veut se retirer, et que, sur son refus,<br />

il <strong>la</strong> quitte avec indignation, et renonce à tout commerce<br />

avec les hommes, on peut encore lui dire :<br />

C'est vous qui avez tort. D'abord, pourquoi vous<br />

êtes-vous attaché à une coquette dont vous connaissiez<br />

le caractère ? Ensuite, pourquoi poussez-vous<br />

<strong>la</strong> faiblesse jusqu'à lui pardonner toutes ses Intrigues<br />

que vous venez <strong>de</strong> découvrir, et vouloir prendre<br />

pour votre femme celle qu'il vous est impossible<br />

d'estimer? C'est à cause <strong>de</strong> ses vices qu'il faut<br />

<strong>la</strong> quitter, et non pas parce qu'elle refuse <strong>de</strong> vous<br />

suivre dans un désert; car c'est un sacrifice qu'elle<br />

ne vous doit pas, et que personne ne s'engage à faire<br />

en se mariant. Il n'y a pas là <strong>de</strong> quoi fuir les hommes<br />

, ni même les femmes ; car apparemment elles<br />

ne sont pas toutes aussi fausses que votre Célimène,<br />

et vous-même estimez beaucoup Éiiante. Croyezmoi,<br />

épousez une femme qui soit telle qu'Éliante<br />

vous paraît être ; elle vous donnera ce qui vous manque,<br />

c'est-à-dire plus <strong>de</strong> modération, d'in<strong>du</strong>lgence<br />

et <strong>de</strong> douceur.<br />

Voilà ce que <strong>la</strong> réflexion pouvait suggérer au<br />

Misanthrope : mais il fal<strong>la</strong>it qu'il soutint son caractère;<br />

et le parti extrême qu'il prend à <strong>la</strong> in <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> pièce est le <strong>de</strong>rnier trait <strong>du</strong> tableau. Il est toujours<br />

dans l'excès, et c'est l'excès que Molière a<br />

voulu livrer au ridicule.<br />

Quoique son <strong>de</strong>ssein soit si c<strong>la</strong>irement marqué,<br />

Rousseau est tellement déterminé à ne voir en lui<br />

que le projet absur<strong>de</strong> d'immoler <strong>la</strong> vertu à <strong>la</strong> risée<br />

publique, qu'il croit saisir cette intention jusque<br />

dans une mauvaise pointe que se permet Alceste,<br />

quand Philintë dit, à propos if <strong>la</strong> fin <strong>du</strong> soqnet :<br />

IJI chute en est jolie, amoureuse t admirable.<br />

Qmmmtmf<br />

Midmtmm 4êcw§ vermm


840<br />

Le Misanthrope dit, m grondant entre ses <strong>de</strong>nts :<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

Lt petto <strong>de</strong> ta chute , cmpoitoiiiMiir an dkbto S<br />

Ea eusses-tu fut une à te eassor le DIS !<br />

Là-<strong>de</strong>ssus Rousseau se récrie qu'il est impossible<br />

qu'Aleeste, qui, un moment après, va critiquer les<br />

jeui <strong>de</strong> mots, eu fasse un <strong>de</strong> cette nature. Mais ne<br />

dit-on pas tous les jours en eooversatïoa ce qu'on<br />

ne voudrait pas écrire? Et qui ne voit que ce quolibet<br />

échappe à <strong>la</strong> mauvaise humeur qoi se prend au<br />

<strong>de</strong>rnier mot qu'elle entend, et qui veut dire une injure<br />

à quelque prix que ce soit? La colère n ? y regar<strong>de</strong><br />

pas <strong>de</strong> si près , et l'homme <strong>de</strong> f esprit le plus sévère<br />

peut manquer <strong>de</strong> goût quand il se fâche. Cette eicuse<br />

est si naturelle, que Rousseau Ta prévue; mais it<strong>la</strong><br />

trouve insuffisante, et revient à son refrain : FoUè<br />

comme on avilit <strong>la</strong> vertu. En vérité, s'il ne faut<br />

qu'un calembour pour <strong>la</strong> compromettre, elle est<br />

aujourd'hui bien exposée. <<br />

Rousseau fait une autre chicane au Misanthrope ;<br />

il lui reproche <strong>de</strong> tergiverser d f abord avec Oroute,<br />

et <strong>de</strong> ne pas lui dire crûment, <strong>du</strong> premier mot, que<br />

son sonnet ne vaut rien ; et il ne s'aperçoit pas que<br />

le détour que .prend lices te pour le dire, sans'trop<br />

blesser ce qu'on homme <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour doit<br />

nécessairement avoir <strong>de</strong> politesse, est plus piquant<br />

cent fois que <strong>la</strong> vérité toute nue. Chaque fois qu'il<br />

répète Je ne dis pas ce<strong>la</strong>, il dit en effet tout ce qu'où<br />

peut dire <strong>de</strong> plus <strong>du</strong>r; en sorte que, malgré ce qu'il<br />

croit <strong>de</strong>voir aux formes, il s'abandonne à son caractère<br />

dans le temps même où il croit en foire le sacrifice.<br />

Rien n'est plus naturel et plus comique que<br />

cette espèce d'illusion qu'il se fait ; et Rousseau l'accuse<br />

<strong>de</strong> fausseté dans l'instant où il est le plus vrai,<br />

car qu'y a-t-il <strong>de</strong> plus vrai que d'être soi-même en<br />

s'efforcent <strong>de</strong> ne pas l'être?<br />

Le censeur genevois n'épargne pas davantage le<br />

rôle <strong>de</strong> Philinte : il prétend que ses maximes res­<br />

bert et Mar<strong>mont</strong>el, si elle ne m'eût servi à répandre<br />

un plus grand jour sur une prtle <strong>de</strong>s beautés<br />

<strong>de</strong> cette admirable comédie. Comme elle m'a<br />

entraîné un peu loin, je passe rapi<strong>de</strong>ment sur les<br />

autres parties <strong>de</strong> l'ouvrage ; sur le contraste <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

pru<strong>de</strong> Arsinoé et <strong>de</strong> <strong>la</strong> coquette Célimène, aussi<br />

frappant que celui d'Alceste et <strong>de</strong> Philinte; sur les<br />

<strong>de</strong>ux rôles <strong>du</strong> marquis, dont <strong>la</strong> fatuité risible égayé<br />

le sérieux que le caractère <strong>du</strong> Misanthrope et sa<br />

passion pour Célimène répan<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> temps en temps<br />

dans «<strong>la</strong> pièce-, sur les traits profonds dont cette<br />

passion est peinte ; sur <strong>la</strong> beauté <strong>du</strong> style, qui rénaît<br />

tous les tons : et je dois d'autant moins fatiguer l'admiration,<br />

que d'autres chefs-d'œuvre nous atten<strong>de</strong>nt<br />

et vont <strong>la</strong> partager.<br />

wsavm iv. — Des Farces <strong>de</strong> Mêlera; é $ AmpMir^m$ et<br />

l'Avare, <strong>de</strong>s Femmes savantes, etc.<br />

La comtesse d'Escatbagnm, le MMecin malgré<br />

kd, ks Fowberies <strong>de</strong> Scapim, k Ma<strong>la</strong><strong>de</strong>îma§§9miref<br />

M. <strong>de</strong> P&urcmwpmc, sont dans ea genre <strong>de</strong> bas eoeiifjna<br />

qui a donné lieu au reproche que le sévère<br />

Despréaux fait à Molière, d'avoir alUé TMmrm è<br />

Têremce. Le reproche est fondé : nous avons tvu<br />

quelle excuse pouvait avoir l'auteur, obligé <strong>de</strong> travailler<br />

pour le peuple. Mais ne pourrait-on pas excu­<br />

ser aussi jusqu'à un certain point ce genre <strong>de</strong> pièces,<br />

<strong>du</strong> moins tel que Molière Ta traité? Cnavasans<br />

d'abord qu'il n'y attachait aucune prétention ; et m<br />

qui le prouve, c'est que presque toutes ne furent imprimées<br />

qu'après sa mort. Convenons encore que <strong>la</strong><br />

variété d'objets est si nécessaire au théâtre, ccjmaaa<br />

partout ailleurs, et le rire une si bonne chose en ellemême,<br />

que, pourvu qu'on ne tombe pas dans <strong>la</strong><br />

grossière indécence ou <strong>la</strong> folie burlesque, les honnêtes<br />

gens peuvent s'amuser d'une farce sans l'estimer<br />

eommeune comédie. Mais à cette tolérance en faveur<br />

<strong>de</strong> l'ouvrage ne se mélera-t-il pas encore <strong>de</strong> l'estime<br />

semblent beaucoup à eeiïes <strong>de</strong>s fripons. Il est vrai pour l'auteur, si lors même qu'il <strong>de</strong>scend à <strong>la</strong> por­<br />

queRoosseau n'en donne pas <strong>la</strong> moindre preuve, et tée <strong>du</strong> peuple, il se fait reconnaître aux honnêtes<br />

qu'il ne cite rien à l'appui <strong>de</strong> son accusation : c'est gens par <strong>de</strong>s scènes où le comique <strong>de</strong> mœurs et <strong>de</strong><br />

que le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> Philinte est effectivement celui caractères perce au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> gaieté bouffonne?<br />

d'un honnête homme qui hait le vice, maisqui se croit C'est ce que Molière a toujours fait. Quand <strong>de</strong>ux mé­<br />

obligé <strong>de</strong> supporter les vicieux, parce que, ne pou<strong>de</strong>cins assis près <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Poureeaugnac, l'un à<br />

vant les corriger, il serait insensé <strong>de</strong> s'en rendre droite, l'autre à gauche, délibèrent gravement en sa<br />

très-inutilement <strong>la</strong> victime. Ses principes <strong>de</strong> dou­ présence, et dans tous les termes <strong>de</strong> l'art, sur les<br />

ceur et <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce ne ressemblent nullement à moyens <strong>de</strong> le guérir <strong>de</strong> sa préten<strong>du</strong>e folie, et que,<br />

ceux <strong>de</strong>s fripons : Rousseau a oublié que ceux-ci sans lui adresser seulement <strong>la</strong> parole, ils le regar­<br />

ne manquent jamais <strong>de</strong> mettre en avant une morale ' <strong>de</strong>nt comme un sujet livré à leurs expériences, cette<br />

tf autant plus sévère, qu'elle ne les engage à rien dans scène n'est-elle pas d'autant plus p<strong>la</strong>isante, qu'elle<br />

<strong>la</strong> pratique ; il a oublié que personne ne parle plus a un fond <strong>de</strong> vérité, qu'un pareil tour n'est pas sans<br />

liant <strong>de</strong> probité que ceux qui n'en ont guère. exemple, et qu'il y a encore <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins capables<br />

Je n'aurais pas entrepris cette réfutation après <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>venir presque fou d'humeur et d'impa­<br />

celle <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux écrivains supérieurs, MM.


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

641<br />

leurs mains comme insensé? Quand Seapln démon* <strong>de</strong>mment amené pur remplir <strong>la</strong> <strong>du</strong>rée <strong>de</strong> <strong>la</strong> repré-<br />

tre aa seigneur Argante qu'il faut encore mieux tentation ordinaire <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux pièces, et divertir <strong>la</strong><br />

donner <strong>de</strong>ux cents pistoles que d'avoir le meilleur multitu<strong>de</strong>, que ces sortes <strong>de</strong> mascara<strong>de</strong>s amusent<br />

procès 9 et qu'il loi détaille tout ce qu'on peut a?oir tsajssrs. Mais les trois premiers actes sont d'un très-<br />

à souffrir et à pyer dès que Ton est entre les griffes bon comique : sans doute celui <strong>du</strong> Misanthrope et<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> chicane; cette leçon si vivement tracée, qu'elle <strong>du</strong> Turtujèmt beaucoup plus profond; mais il n'y<br />

frappe même uu vieil avare, et le détermine à un en a pas un plus vrai ni plus gai que le personnage<br />

sacrifice d'argent; cette leçon n'est-elle pas d'un bon <strong>de</strong> M. Jourdain. Tout ce qui est autour <strong>de</strong> lui le fait<br />

comique ? et n'est-il pas à souhaiter qu'on nese borne ressortir : sa femme, sa servante Nicole ; ses maîtres<br />

pas toujours à en riref et qu'on s'avise quelque<br />

jour d'en profiter? Si <strong>la</strong> thèse <strong>de</strong> réception soutenue<br />

<strong>de</strong> danse, <strong>de</strong> musique, d'armes et <strong>de</strong> philosophie; te<br />

grand seigneur, son ami, son confi<strong>de</strong>nt et son dé*<br />

par le Ma<strong>la</strong><strong>de</strong> imaginaire, si le mauvais <strong>la</strong>tin, et biteur; <strong>la</strong> dame <strong>de</strong> qualité dont il est amoureux, te<br />

<strong>la</strong> cérémonie, et l'argumentation ne sont qu'une ca­ jeune homme qui aime sa fille, et qui ne peut l'obtenir<br />

ricature, le personnage <strong>du</strong> Ma<strong>la</strong><strong>de</strong> imaginaire, tel <strong>de</strong> lui, parce qu'il n'est pas gentilhomme ; tout sert à<br />

qu'il est dans le reste <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, n'est-il pas trop mettre en jeu <strong>la</strong> sottise <strong>de</strong> ce pauvre bourgeois, qui<br />

souvent réalisé? La fausse tendresse d'une belle- est presque parvenu à se persua<strong>de</strong>r qu'il est noble,<br />

mère qui caresse un mari qu'elle déteste pour s'ap­ ou <strong>du</strong> moins à croire qu'il a fait oublier sa naissance;<br />

proprier <strong>la</strong> dépouille <strong>de</strong>s sa<strong>la</strong>nts, est-elle une pein­ si bien-que, quand sa femme lui dit, Descendonsture<br />

chimérique dont l'original n'eiiste plus? La nous tous <strong>de</strong>ux que <strong>de</strong> bonne bourgeoisie f M. Jour­<br />

Comtesse d'Escarbagnas ne représente-t-elte pas dain dit naïvement, Ne mUà pm k coup <strong>de</strong> km»<br />

au naturel cette manie provinciale <strong>de</strong> contrefaire guet l\ faut être M. Jourdain pour se p<strong>la</strong>indre d'un<br />

gauchement le ton et les manières <strong>de</strong> <strong>la</strong> capitale coup <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngue quand on lui rappelle qu'il est le fi<strong>la</strong><br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour ? A l'égard <strong>de</strong>s f al* intrigants et four- <strong>de</strong> son père. Mais, d'ailleurs, sous combien <strong>de</strong> faces<br />

lies, tels que le Mascariile <strong>de</strong> l'Étourdi, Seapin, diverses Molière a multiplié ce ridicule si commun,<br />

Hali, Sylvestre ,Sbrigaait et tous les Crispins que<br />

Régnant mit à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>, à compter <strong>du</strong> premier Cris-<br />

et fait voir tout ce qu'il coûte ! On lui emprunte son<br />

argent pour parler <strong>de</strong> lui dam <strong>la</strong> chambre <strong>du</strong> roi ;<br />

pin qui se trouve dans k Marquis rkémk <strong>de</strong> Sear- on prend sa maison pour régaler à ses dépens <strong>la</strong> œsfron,<br />

ce n'était dans Molière qu'un reste d'imitation tresse d'un autre; et tout te mon<strong>de</strong>, femme, ser­<br />

<strong>de</strong> l'ancienne comédie grecque et <strong>la</strong>tine. C'est dans vante, valets, étrangers, se moquent <strong>de</strong> lui» Mais<br />

P<strong>la</strong>nte et Térence, qui copiaient les Grecs, qu'existe Molière a su tirer encore <strong>de</strong>s autres personnages un<br />

le modèle <strong>de</strong> ces sortes <strong>de</strong> personnages, bien plus comique inépuisable : l'humeur brusque et chagrine<br />

vraisemb<strong>la</strong>bles chez les anciens que parmi nous : c'é­ <strong>de</strong> madame Jourdain ; <strong>la</strong> gaieté franche <strong>de</strong> Nicole ; <strong>la</strong><br />

taient <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves, et, en cette qualité, ils étaient querelle <strong>de</strong>s maîtres sur <strong>la</strong> prééminence <strong>de</strong> leur art ;<br />

obligés <strong>de</strong> tout risquer pour servir leurs maîtres. les préceptes <strong>de</strong> modération débités par le philoso­<br />

Mais, dans nos mœurs, ce dévouement dangereux phe, qui un moment après se met en fureur, et se bat<br />

est incompatible avec <strong>la</strong> liberté qu'on <strong>la</strong>isse aux do­ en l'honneur et gloire <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie ; <strong>la</strong> leçon<br />

mestiques : nassl les intrigues <strong>de</strong> valets sont-elles <strong>de</strong> M. Jourdâïs^ à jamais fameuse par cette décou­<br />

passées <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> sur <strong>la</strong> scène, parce que les valets, verte qui ne sera point oubliée, que <strong>de</strong>puis quarante<br />

<strong>du</strong> moins ceux qui sont en livrée f ne mènent plus<br />

aucune intrigue dans le mon<strong>de</strong>. Eégnard 9 qui avait<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> gaieté, et qui en mit beaucoup dans ses rôles<br />

ans M faisait <strong>de</strong> <strong>la</strong> prose sans k savoir; <strong>la</strong> futilité<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> scaîaslifue si finement raillée; le repas donné<br />

à Dorimèse par M. Jourdain, sous le nom <strong>du</strong> cour*<br />

<strong>de</strong> Crispins, ne put pas se résoudre à se passer d'un llsaa Dorante; <strong>la</strong> ga<strong>la</strong>nterie niaise <strong>du</strong> bourgeois, et<br />

ressort qu'il savait mettre en œuvre ; mais Molière ne le sang-froid cruel <strong>de</strong> l'homme <strong>de</strong> cour qui l'immole<br />

s'en servit jamais dans aucune <strong>de</strong> ses bonnes pièces. à <strong>la</strong> risée <strong>de</strong> Dorimène^ tout en lui empruntant sa<br />

J'avoue que je ne saurais me résoudre à ranger maison, sa table et sa bourse; <strong>la</strong> broiiiJlerie<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

Se Bourgeois gentilhomme dans le rang <strong>de</strong> ces farces jeunes amants et <strong>de</strong> leurs valets, sujet traité si sou- -<br />

dont je viens <strong>de</strong> parler. J'abandonne volontiers les vent par Molière, et avec une perfection toujours<br />

<strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers actes : je conviens que, pour ridiculi­ <strong>la</strong> même et toujours différente : tous ces morceaux<br />

ser dans M. Jourdain cette prétention, si commune sont <strong>du</strong> grand peintre <strong>de</strong> l'homme, et nullement <strong>du</strong><br />

à <strong>la</strong> richesse roturière, <strong>de</strong> figurer avec <strong>la</strong> noblesse, ferceur popu<strong>la</strong>ire. C'est là sans doute le mérite qui<br />

it n'était pas nécessaire <strong>de</strong> le faire assez imbécile avait frappé Louis XIV lorsqu'on représenta <strong>de</strong>vant<br />

pour donner sa fille au fils <strong>du</strong> Grand Turc, el <strong>de</strong>­ lui k Bourgeois gemtUkomme, que <strong>la</strong> cour ne goûta<br />

venir mamamouchi ; ce spectacle grotesque est évi-<br />

LA ass»L — mm t.<br />

pas f apparemment à cause <strong>de</strong> <strong>la</strong> mascara<strong>de</strong> ito<strong>de</strong>r•


64Î<br />

COURS DE LITTÉMTD1B.<br />

nlers actes. Le roi, dont l'esprit juste avait senti peu longue^ il est vrai, et même un peu subtile, <strong>de</strong><br />

tout ce que va<strong>la</strong>ient les premiers, dit à Molière, qui l'amant et <strong>de</strong> l'époux, dans les scènes è?Alcmène et<br />

était un peu consterné : FûUS ne m'avez jamais <strong>de</strong> Jupiter : c'est un défait qui n'est pas dans P<strong>la</strong>nte;<br />

tant fait rire. Et aussitôt <strong>la</strong> cour et <strong>la</strong> ville forent mais ce défaut tient à beaucoup <strong>de</strong> différents mérites<br />

<strong>de</strong> favis <strong>du</strong> monarque.<br />

que P<strong>la</strong>nte n'a pas non plus. En effet, il fal<strong>la</strong>it une<br />

Si j'ai cru <strong>de</strong>voir réfuter Rousseau au sujet <strong>du</strong> scène d'amour à <strong>la</strong> première entrevue <strong>de</strong>-Jupiter et<br />

Misanthrope, jeerois <strong>de</strong>voir eonveninfu'il a raison d'Alcmène, qui <strong>de</strong>vait nécessairement être un peu<br />

sur Georges Gandin, dont il trouve le sujet im­ froi<strong>de</strong>, comme toute scène entre <strong>de</strong>ux amants égamoral.<br />

Ce if est pas que, sous le point <strong>de</strong> vue le lement satisfaits; mais celle-ci amène <strong>la</strong> querelle<br />

plus général et le plus frappant, <strong>la</strong> pièce ne soit uti­ entre Alcmène et Amphitryon, querelle qui pro<strong>du</strong>it<br />

lement Instructive, puisqu'elle enseigne à ne point <strong>la</strong> réconciliation entre Jupiter sons <strong>la</strong> forme <strong>du</strong> mari,<br />

s'allier à plus grand que soi, si Ton ne veut être do­ et <strong>la</strong> femme qui le croit tel réellement; et cette réminé<br />

et humilié; mais aussi Ton ne peut nier qu'une conciliation, qui par elle-même n'est pas sans inté­<br />

femme qui trompe son mari le jour et <strong>la</strong> nuit, et rêt, en répand beaucoup sur teréled'*Alcmène, qui,<br />

qui trouve le moyen d'avoir raison en donnant <strong>de</strong>s par <strong>la</strong> vivacité <strong>de</strong> sa douleur et <strong>de</strong> ses sentiments,<br />

ren<strong>de</strong>z-vous à son amant, ne soit d'un mauvais nous <strong>mont</strong>re combien elle est sincèrement attachée<br />

exemple au théâtre; et il peut être plus dangereux à son époux. Cet aperçu n'était rien moins qu'in­<br />

<strong>de</strong> ne voir dans <strong>la</strong> mauvaise con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme différent dans le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce ; il était même très-<br />

que <strong>de</strong>s tours p<strong>la</strong>isanta, qu'il n'est utile <strong>de</strong> voir important que <strong>la</strong> pureté <strong>de</strong>s sentiments d'Alcmène*<br />

dans Georges Dandin <strong>la</strong> victime d'une vanité impru­ et sa sensibilité vraie rachetassent et couvrissent<br />

<strong>de</strong>nte. Au reste M. et madame <strong>de</strong> Sotenvilte sont <strong>du</strong> ce qu'il y a d'involontairement déréglé dans ses ac­<br />

nombre <strong>de</strong> ces originaux qui venaient souvent se tions : rien n'était plus propre à sauver l'immora­<br />

p<strong>la</strong>cer sous les pineeaui <strong>de</strong> Molière, et qui dans ses lité <strong>du</strong> sujet. MmÛ est peut-être excusable <strong>de</strong> n'y<br />

moindres compositions font retrouver <strong>la</strong> main <strong>du</strong> avoir pas même songé, sur un théâtre beaucoup<br />

maître.<br />

plus libre que le nôtre; mais il faut savoir gré à<br />

Amphitryon, dont le sujet est pris dans un mer­ Molière d'en être venu à bout, par une combinaison<br />

veilleux mythologique et <strong>de</strong>s transformations hors dont personne ne lui avait fourni ridée, et que per­<br />

<strong>de</strong> nature, ne peut par conséquent blesser <strong>la</strong> mosonne, ce me semble, n'avait encore observée.<br />

rale , puisqu'il est hors <strong>de</strong> l'ordre naturel ; mais il Molière a bien d'autres avantages sur P<strong>la</strong>nte. En<br />

blesse un peu <strong>la</strong> décence, puisqu'il met l'a<strong>du</strong>ltère établissant <strong>la</strong> mésintelligence d<br />

sur <strong>la</strong> scène, non pas, à <strong>la</strong> vérité, en intention,<br />

mais en action. On a toléré ce qu'il y a d'un peu licencieux<br />

dans ce sujet, parce qu'il était donné par<br />

<strong>la</strong> Fable et reçu sur les théâtres anciens; et on a<br />

pardonné ce que les métamorphoses <strong>de</strong> Jupiter et<br />

<strong>de</strong> Mercure ont d'invraisemb<strong>la</strong>ble, parce qu'il n'y<br />

a point <strong>de</strong> pièce où l'auteur ait eu pus <strong>de</strong> droit <strong>de</strong><br />

dire au spectateur : Passez-moi un faltifiie vousne<br />

pouves pas croire, et je vous promets <strong>de</strong> vous divertir.<br />

Peu d'ouvrages solît aussi réjouïssants qu'Âmphttrym.<br />

On a remarqué, il y a longtemps, que les<br />

méprises sont une <strong>de</strong>s sources <strong>de</strong> comique les plus<br />

fécon<strong>de</strong>s; et comme il n'y a point <strong>de</strong> méprise plus<br />

» forte que celle que peut faite naître un personnage<br />

qui paraît double, aucune comédie ne doit<br />

faire rire plus que celle-ci : mais comme le moyen<br />

est forcé, te mérite ne serait pas grand si l'exécution<br />

n'était pas parfaite. Nous avons vu, à l'article <strong>de</strong><br />

P<strong>la</strong>nte, ce que fauteur mo<strong>de</strong>rne lui avait emprunté,<br />

et combien il avait enchéri sur son modèle. Je ne<br />

sais pourquoi Bespréaux, si Ton en croit le Bolmna,<br />

j ugeait si sévèrement Amphitryon, et semb<strong>la</strong>it même<br />

. préférer celui <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nte 11 blâme <strong>la</strong> distinction, un<br />

9 un mauvais ménage<br />

entre Sosie et Cléanthis, il donne un résultat tout<br />

différent à l'aventure <strong>du</strong> maître et <strong>du</strong> valet, et don»<br />

ble ainsi <strong>la</strong> situation principale en <strong>la</strong> variant. 11<br />

donne à Cléanthis un caractère particulier, celui <strong>de</strong><br />

ces épouses qui s'imaginent avoir le droit d'être insupportables<br />

, parce qu'elles sont honnêtes femmes. '<br />

11 porte bien plus loin que P<strong>la</strong>nte le comique <strong>de</strong> détails<br />

qui naît <strong>de</strong> l'i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s personnages. Bals,<br />

ne pouvant, paria nature extraordinaire <strong>du</strong> sujet, y<br />

mettre autant <strong>de</strong> vérité caractéristique et d'idées<br />

morales que dans d'autres pièces, il a semé plus<br />

que partout ailleurs les traits ingénieui, l'agrément<br />

et les jolis vers. Il a surtout tiré un grand parti <strong>du</strong><br />

mètre et <strong>du</strong> mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong>s rimes ; et, par <strong>la</strong> manière<br />

dont il -s'en est servi, il a justifié cette innovation,<br />

et prouvé qu'il enteodait très-bien ce genre <strong>de</strong> versification,<br />

que l'on croit aisé, et dont les connaisseurs<br />

savent <strong>la</strong> difficulté, le mérite et les effets.<br />

La prose, qui avait fait tomber k Fesim <strong>de</strong><br />

Pierre dans sa nouveauté, nuisit d'abord au succès<br />

<strong>de</strong> l'Avare et le retarda ; mais cependant, comme<br />

cetfe comédie est infiniment supérieure au Festm<br />

<strong>de</strong> Pierre, son mérite remporta bientôt sur te pré-


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

jugé, et VAvare fut mis au nombre <strong>de</strong>s meilleures<br />

pro<strong>du</strong>ctions dt? fauteur. Os a soutint <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong><br />

'nos jouis s'il va<strong>la</strong>it mieux écrire les comédies ea<br />

prose qu'eu ter s. Celui qui le premier a mis dans le<br />

dialogue m vers «autant <strong>de</strong> naturel qu'il pourrait y<br />

eu avoir eu prosef a résolu <strong>la</strong> question, puisque,<br />

sans rien ôter à <strong>la</strong> vérité, il a donné un p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong><br />

plus; et cet homme-là, c'est Molière. SU ne ?ersiia<br />

point l'Avare, c'est qu'il'n'eneut pas le temps;<br />

car il était obligé <strong>de</strong> s'occuper, non-seulement <strong>de</strong><br />

sa gloire particulière, mais aussi <strong>de</strong>s intérêts <strong>de</strong> sa<br />

troupe, dont il était le père plutôt que le chef; et il<br />

fal<strong>la</strong>it concilier sans cesse <strong>de</strong>ui choses qui ne vont<br />

pas toujours ensemble f l'honneur et le profit<br />

VAvare est une <strong>de</strong> ses pièces où il y a le plus<br />

d'intentions et d'effets comiques. Le principal caractère<br />

est bien plus fort que dans P<strong>la</strong>nte, et il n'y<br />

a nulle comparaison pour f intrigue» Le seul défaut<br />

<strong>de</strong> celle <strong>de</strong> Molière est <strong>de</strong> unir par un roman postiche<br />

, 'tout semb<strong>la</strong>ble à celui qui termine si mal<br />

i'École <strong>de</strong>s Femmes; et il est reconnu que ces dénoûments<br />

sont <strong>la</strong> partie faible <strong>de</strong> fauteur. Mais, à<br />

cette faute près, quoi <strong>de</strong> mieux conçu que f Avare f<br />

L'amour même ne le rend pas libéral, et <strong>la</strong> f<strong>la</strong>tterie<br />

<strong>la</strong> miêui adaptée à un vieil<strong>la</strong>rd amoureux n'en peut<br />

rien arracher. Quelle leçon plus humiliante pour<br />

Juî, et plus instructive pour tout le mon<strong>de</strong>, que<br />

al où il se rencontre, faisant le métier<br />

vis-à-vis. <strong>de</strong> son fils, qui fait<br />

celui d'un jeune hotlime à qui f a? ariee <strong>de</strong> ses parents<br />

refuse llionnéte nécessaire! Tel est le faux<br />

calcul <strong>de</strong>s passions : on croit épargner sur <strong>de</strong>s dépenses<br />

indispensables, etl'onNest contraint têt ou<br />

tard <strong>de</strong> payer <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ttes usurairei. Molière d'ailleurs<br />

n'a rien oublié pour faire déteeSerWta malheureuse<br />

passion, <strong>la</strong> plus vile <strong>de</strong> toutes ekia moins excusable.<br />

Son Avare est haï et méprisAie tout ce qui<br />

l'entoure : il est odieux à ses eafaafmà ses domestiques,<br />

à ses voisins; et Ton est forcWa vouer que<br />

ries n'est plus juste. Rousseau fait Ht reproche<br />

très-sértêux à Molière <strong>de</strong> ce que te ils d'Harpagon se<br />

moque <strong>de</strong> lui quand son père lui dit : Je te émnt<br />

ma wmiêdkMm. La réponse <strong>du</strong> ils, Je n'ai que<br />

faire <strong>de</strong> vmdtms, lui parait scandaleuse. Il prétend<br />

que c'est nous'apprendre à mépriser <strong>la</strong> maMfetion<br />

paternelle. Mais voyons les choses teîies^flrelîss<br />

sont. La malédiction paternelle est sans doute d'un<br />

grand poids, lorsque, arrachée à une juste indignation,<br />

elle tombe sur un ils coupable qui a offensé<br />

<strong>la</strong> nature et que <strong>la</strong> nature condamne. Mais/en vérité,<br />

te ils d'Harpagon n'a offensé personne en<br />

avouant qu'il est amoureux <strong>de</strong> Marianne, quand<br />

son père offre <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi donner; et s'il'persiste à<br />

643<br />

dire qu'il l'aimera toujours, quand Harpagon cou*<br />

vient que ses offres n'étaient qu'un artifice pour<br />

avoir le secret <strong>de</strong> son fils, et veut exiger qu'il y renonce,<br />

sa résistance n'est-elto pas <strong>la</strong> chose <strong>du</strong><br />

mon<strong>de</strong> <strong>la</strong> plus naturelle et <strong>la</strong> plus excusable? La<br />

malédiction d'Harpagon est-el te même bien séffeese ?<br />

Est-ce autre chose, dans cette occasion, qu'un trait<br />

d'humeur d'un vieil<strong>la</strong>rd jaloux et contrarié ? Le fils<br />

a-t-il tort <strong>de</strong> n'y mettre pas plus d'importance que<br />

son père n'en met lui-même ? La malédiction dans<br />

<strong>la</strong> bouche d'Harpagon n'est qu'une façon <strong>de</strong> parler,<br />

et Eousseau nous <strong>la</strong> présente comme un acte solennel<br />

: c'est ainsi qu'on parvient à confondre tous<br />

les faits et toutes les idées.<br />

La scène où maître Jacques le cuisinier donne te<br />

menu d'un reps à son maître, qui veut l'étrangler<br />

dès qu'il en est au rôti, et où maître Jacques te<br />

cocher s'attendrit sur les jeûnes <strong>de</strong> ses chevaux;<br />

celle où Valère et Harpagon se partent sans jamais<br />

s'entendre, l'un ne songeant qu'aux beaux yeux <strong>de</strong><br />

son Élise, et l'autre ne concevant rien aux beaux<br />

yeux <strong>de</strong> sa cassette; celte qui contient l'inventaire<br />

<strong>de</strong>s effets vraiment curieux qu'Harpagon veut faire<br />

prendre pour <strong>de</strong> l'argent comptant, et bien d'autres<br />

encore, sont d'un comique divertissant, dont il faut<br />

assaisonner te comique moral.<br />

Le sujets <strong>de</strong>s Femmes savantes paraissait bien<br />

susceptible <strong>de</strong> l'un et <strong>de</strong> l'autre. Il était difficile <strong>de</strong><br />

remplir cinq actes avec un ridicule aussi mince et<br />

aussi facile à épuiser que celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> prétention au<br />

bel esprit. Molière, qui l'avait déjarattaqué dans les<br />

Précieuses, l'acheva dans tes Femmes savantes.<br />

Mais on fut d'abord si prévenu contre <strong>la</strong> sécheresse<br />

<strong>du</strong> sujet, et si persuadé que Fauteur avait tort <strong>de</strong><br />

s'obstiner à en tirer une pièce en cinq actes, que<br />

cette prévention, qui aurait dû ajouter à <strong>la</strong> surprise<br />

et à l'admiration, s'y refusa d'abord, et ba<strong>la</strong>nça le<br />

p<strong>la</strong>isir que faisait l'ouvrage, et te succès qu'il <strong>de</strong>vait<br />

avoir. L'histoire <strong>du</strong> Misanthrope m renouve<strong>la</strong> par<br />

un autre ehef-d'œuvre, et ce fut encore te temps<br />

qui fit justice. On s'aperçut <strong>de</strong> toutes tes ressources<br />

que Molière avait tirées <strong>de</strong> son génie pour enrichir<br />

l'indigence <strong>de</strong> son sujet. Si, d'un côté,. Phi<strong>la</strong>minte,<br />

Àrman<strong>de</strong> et Béllse sont entichées <strong>du</strong> pédantisme<br />

que l'hôtel <strong>de</strong> Rambouillet avait intro<strong>du</strong>it dans <strong>la</strong><br />

<strong>littérature</strong>, et <strong>du</strong> p<strong>la</strong>tonisme <strong>de</strong> l'amour qu'on avait<br />

essayé aussi <strong>de</strong> mettre à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>, <strong>de</strong> l'autre se présentent<br />

<strong>de</strong>s contraste! multipliés sous différentes<br />

formes : <strong>la</strong> jeune Henriette, qui n'a que <strong>de</strong> l'esprit<br />

naturel et <strong>de</strong>là sensibilité, et qui répond si à propos<br />

à Trisaotin qui veut l'embrasser,<br />

Mimslnir, tirassE-ia®!, Je ne sais pa te grec ;<br />

<strong>la</strong> bonne Martine, cette grosse servante, <strong>la</strong> seule<br />

41.


644 C0U1S DE LITTÉ1ATU1E.<br />

<strong>de</strong> tous les domestiques que <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die <strong>de</strong> l'esprit<br />

n*ait pas gagnée; Clitandre, homme <strong>de</strong> bonne compagnie,<br />

homme <strong>de</strong> sens et d'esprit, qui doit haïr les<br />

pédants, etqui sait s'en moquer; esin,et par-<strong>de</strong>ssus<br />

tout, cet excellent Chrysale, ce personnage toutcomiqiHet<br />

<strong>de</strong> caractère et <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage, qui a toujours<br />

raison, mais qui n'a jamais une ?oSonté; qui parle<br />

d'or quand il retrace tous les ridicules <strong>de</strong> sa femme,<br />

mais qui n'ose en parier qu'en les appliquant à sa<br />

sœur; qui, après avoir mis <strong>la</strong> main <strong>de</strong> sa fille Henriette<br />

dans celle <strong>de</strong> Clitandre, et juré <strong>de</strong> soutenir<br />

son choix 9 un moment après trôti?e tout €imple <strong>de</strong><br />

donner rat te même Henriette à Trlssotin, et sa sœur<br />

Arman<strong>de</strong> à ramant d'Henriette,"et qui appelle ce<strong>la</strong><br />

un accommo<strong>de</strong>ment» Le <strong>de</strong>rnier trait <strong>de</strong> ce rôle est<br />

celui qui peint le mieux cette faiblesse <strong>de</strong> caractère,<br />

<strong>de</strong> tous les défauts le plus commun, et peutêtre<br />

le plus dangereux. Quand Trlssotin, trompé par<br />

<strong>la</strong> ruine supposée <strong>de</strong> Phi<strong>la</strong>minte et <strong>de</strong> Chrysale, se<br />

retire brusquement, et qu'Henriette, <strong>de</strong> l'aveu<br />

même <strong>de</strong> Phi<strong>la</strong>minte, détrompée sur Trissotin, <strong>de</strong>vient<br />

<strong>la</strong> récompense <strong>du</strong> généreux Clitandre ; Chryr<br />

sale, qui dans toute cette affaire n'est que spectateur,<br />

et n'a rien mis <strong>du</strong> sien, prend <strong>la</strong> main <strong>de</strong> son<br />

gendre, et, lui <strong>mont</strong>rant sa 111e, s'écrie d'un air<br />

triomphant,<br />

le le rava<strong>la</strong> bien, mol, que TOUS l'épouseriez ;<br />

et dit au notaire <strong>du</strong> ton le plus absolu ,<br />

Allons, monsieur, suivis Tordra que J'ai prescrit,<br />

El faites le outrât ainsi que Je f al dit.<br />

Que ?oilà bien l'homme faible, qui se croit fort<br />

quand il n'y a personne à combattre, et qui croit<br />

avoir une volonté quand il fait celle d'autrui ! Qu'il<br />

est adroit d'à?oir donné ce défaut à un mari d'ailleurs<br />

beaucoup plus sensé que sa femme, mais qui<br />

perd, faute <strong>de</strong> caractère, tout l'avantage que lui<br />

donnerait sa raison? Sa femme est une folle ridicule<br />

: elle commandé. Il est fort raisonnable : il<br />

obéit. Voltaire a bien raison <strong>de</strong> dire à ce grand précepteur<br />

<strong>du</strong> mon<strong>de</strong> :<br />

Et tu mm aurais corrigés t<br />

SI Fisprlt humai a poeYait l'être.<br />

En effet, les hommes reconnaissent leurs défauts<br />

plus souvent et plus aisément qu'ils ne s'en corrigent<br />

: mais pourtant c'est un acheminement à se<br />

corriger ; et il n'en est pas <strong>de</strong> tous les défauts comme<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> faiblesse, qui ne se corrige jamais, parcequ'elle<br />

n'est que le manque <strong>de</strong> force, et qu'elle n'en est<br />

pas un abus.<br />

Mais si Chrysale est comique quand il a tort, il<br />

ne l'est pas moins quand il a raison : son' instinct<br />

tout grossier s'eiprime avec une bonhomie qui fait<br />

voir que l'ignorance sans prétention tant cent fois<br />

mieux que <strong>la</strong> science sans le bon sens. Le pauvre<br />

homme ne met-il pas tout le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> son parti<br />

quand il se p<strong>la</strong>int si pathétiquement qu'on lui été<br />

sa servante, parce qu'elle ne parle pas bien français<br />

f<br />

Qu'Importe qu'elle masque aux Iota <strong>de</strong> Yasge<strong>la</strong>s*<br />

Pourvu qu'à <strong>la</strong> cuisine elle ne manque pas ?<br />

ralrae Mea mieux, pour moif qu'en épluchant sas botes v<br />

Elle accommo<strong>de</strong> mal les assis avec les ferbes ;<br />

Qu'elle dise cent fols un bas et méchant mot,<br />

Que <strong>de</strong> brûler ma vian<strong>de</strong> et trop saler moa muî :<br />

Je YU <strong>de</strong> baaae soupe et non <strong>de</strong> basa <strong>la</strong>ngage.<br />

Yaageias n'apprend polni à Mes faire aa potage;<br />

Et Malherbe et Balzac, al savants en beaux mata,<br />

En cuisine peut-étra auraient été <strong>de</strong>s sots.<br />

Mes gens à <strong>la</strong> science aspirent pour vous p<strong>la</strong>ire ?<br />

Et tous se fout rien motos que ce qu'Us ont à faire.<br />

Raisonner est l'emploi <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> maison,<br />

Et le rarsoQoement m bannit <strong>la</strong> raison.<br />

L'us me brûle mon rot en Usant quelque histoire;<br />

L'autre rêve à <strong>de</strong>s vers quand Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à botre.<br />

Ea<strong>la</strong> je vais par eux votre exemple suivi, -<br />

Et J'ai <strong>de</strong>s serviteurs et ne suis point servi.<br />

Uae pauvre servante au moins m'était restée,<br />

Qui <strong>de</strong> ce mauvais air n'était point infectée;<br />

Et voilà qu'on <strong>la</strong> chasse avec un grand'fracas,<br />

A cause qu'elle manque à parler Yauge<strong>la</strong>s!<br />

Je vous le dis, ma sœur, tout ce train-là me Messe ;<br />

Car c'est ? comme j'ai dit, à vous que je m'adresse.<br />

le n'aime point céans tous vos gens à <strong>la</strong>tin,<br />

Et principalement ee monsieur Trlssotin.<br />

C'est lui qui dans <strong>de</strong>s vers vous a tympanlsées :<br />

Tous les propos qu'il tient sont <strong>de</strong>s billevesées;<br />

Oa cherche ce qu'il dit après f ail a parlé.<br />

Et je lui crois , pour moi, te timbre un peu fêlé.<br />

Ce style-là, il faut l'avouer, est d'une fabrique<br />

qu'on n'a point retrouvée <strong>de</strong>puis Molière r eatte<br />

foule <strong>de</strong> tournures naï?es confond lorsqu'on y réfléchit.<br />

Estril possible, par exemple, <strong>de</strong> peindre<br />

mieux l'effet que pro<strong>du</strong>it le pfaébus et le galimatias,<br />

dans <strong>la</strong> confcrsatïon comme dans les litres, que<br />

par ee vers si heureux ?<br />

On eberefaM qu'il dit après qull t parlé.<br />

Ce poumwre encore <strong>la</strong> <strong>de</strong>?ise <strong>de</strong> plus d'un b<strong>de</strong>sprit<br />

<strong>de</strong> ofs jours.<br />

Molière n'a pas même négligé <strong>de</strong> distinguer les<br />

trois rôles <strong>de</strong> s&mmtes par différentes nuances;<br />

Phi<strong>la</strong>minte, par l'humeur altière qui établit le pouvoir<br />

absolu qu'elle a sur son mari ; Arman<strong>de</strong>, par<br />

<strong>de</strong>s M^syr l'amour follement exaltées, et par use<br />

iertfWa fois dédaigneuse et jalouse, qu'on est bien<br />

aise <strong>de</strong> ?oïr humiliée par les railleries ines d'Henriette,<br />

et par <strong>la</strong> franchise <strong>de</strong> Clitandre; Bélise, par<br />

<strong>la</strong> persuasion habituelle où elle est que tous les hommes<br />

sont amoureux d'elle, persuasion poussée, il<br />

est ?rai s jusqu'à un «ces qui passe les bornes <strong>du</strong><br />

ridicule comique, et qui ressemble à <strong>la</strong> démené©<br />

complète. Ce rôle m s i toujours paru le seul f dans


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

tes bonnes pièces <strong>de</strong> Molière, qui soit réellement ce<br />

qu'on appelle chargé. Il est sir qu'une femme à qui<br />

l'on dit le plus sérieusement <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> f Je veux<br />

être pméts si je w&m aime, et qui prend ce<strong>la</strong> pour<br />

une déc<strong>la</strong>ration détournée, a , comme le disait tout<br />

à l'heure le bonhomme Ctarysale, k timbre un peu<br />

On sait que <strong>la</strong> querelle <strong>de</strong> Trissotin et <strong>de</strong> Vadius<br />

est tracée d'après une aventure toute semb<strong>la</strong>ble,<br />

qui se passa chez Ma<strong>de</strong>moiselle au pa<strong>la</strong>is <strong>du</strong> Luxembourg.<br />

On a blâmé Molière, avec raison, <strong>de</strong> s'être<br />

ser?i <strong>de</strong>s propres vers <strong>de</strong> l'abbé Cotln. C'est sûrement<br />

<strong>la</strong> moindre <strong>de</strong> toutes les personnalités : mais<br />

il ne faut s'en permettre aucune sur le théâtre; les<br />

conséquences en sont trop dangereuses. Il eût été<br />

si facile <strong>de</strong> construire un madrigal ou un sonnet,<br />

comme il avait fait celui d'Oronte! Peut-être craignait-il<br />

que le parterre n'allât s'y tromper encore une<br />

fois, et voulut-Il, pour être sûr <strong>de</strong> son fait, donner<br />

<strong>du</strong> Cotin tout pur. Quoi qu'il en soit, ce Cotin était<br />

un homme très-savant, qui d'abord n'eut d'autre<br />

tort que <strong>de</strong> vouloir être orateur et poète à force <strong>de</strong><br />

lectures, et <strong>de</strong> croire qu'il suffisait d'entendre les<br />

anciens pour les imiter : c'est ce qui nous valut <strong>de</strong><br />

lui <strong>de</strong> fort mauvais ouvrages. Il eut ensuite un tort<br />

encore plus grand, qui lui valut <strong>de</strong> fort bons ridicules;<br />

ce fut d'imprimer une satire contre Despréaui,<br />

et d'intriguer à <strong>la</strong>i cour contre Molière;<br />

tous <strong>de</strong>ux en firent une justice cruelle. Il ne faut<br />

pourtant pas croire, comme on l'a rapporté dans<br />

vingt endroits, qu'il en mourut <strong>de</strong> chagrin : si le<br />

chagrin le Jua, ce fut un peu tard ; il mourut à quatrevingt-cinq<br />

ans.<br />

SfcnoN v. — Es Tarife.<br />

J'ai réservé le Tartufe pour <strong>la</strong> in <strong>de</strong> ce chapitre.<br />

C'est le pas le plus hardi et le plus étonnant qu'ait<br />

jamais fait fart <strong>de</strong> <strong>la</strong> comédie : cette pièce en est<br />

le née plus ultra; en aucun temps, dans aucun<br />

pays, il n'a été aussi loin. Il ne fal<strong>la</strong>it rien moins<br />

que k Tartufe pour l'emporter sur le Misanthrope;<br />

et pour les faire tous les <strong>de</strong>ux, il fal<strong>la</strong>it être Molière.<br />

Je <strong>la</strong>isse <strong>de</strong> côté les obstacles qu'il eut à sur<strong>mont</strong>er<br />

pour <strong>la</strong> représentation, et dont peut-être<br />

il n'eût jamais triomphé, s'il n'avait eu affaire à un<br />

prince tel que Louis XIV, et <strong>de</strong> plus, sUgtavaît<br />

eu le bonheur d'en être particulièrement aimé; je<br />

se m'arrête qu'aux difficultés <strong>du</strong> sujet. Que l'on<br />

propose à un poète comique, à un auteur <strong>de</strong> beaucoup<br />

<strong>de</strong> talent, un p<strong>la</strong>n tel que celui-ci : Un homme<br />

dans <strong>la</strong> plus profon<strong>de</strong> misère vient à bout, -par in<br />

extérieur <strong>de</strong> piété, <strong>de</strong> sé<strong>du</strong>ire un homme honnête,<br />

bon et cré<strong>du</strong>le, au point que celui-ci loge et nou/rit<br />

chez lui le préten<strong>du</strong> dévot, lui offre sa fiHe en ma-<br />

645<br />

riage, et lui fait, par un acte légal, donation entière<br />

<strong>de</strong> sa fortune. Quelle en est <strong>la</strong> récompense F<br />

Le dévot commence par vouloir corrompre <strong>la</strong> femme<br />

<strong>de</strong> son bienfaiteur, et n'en pouvant venir à bout, il<br />

se sert <strong>de</strong> l'acte <strong>de</strong> donation pour le chasser juridiquement<br />

<strong>de</strong> chez lui, et abuse d'un dépôt qui lui<br />

a été conté, pour faire arrêter et con<strong>du</strong>ire es prison<br />

celui qui fa comblé <strong>de</strong> bienfaits. — J'entends<br />

le poète se récrier : Quelle horreur! on ne supportera<br />

jamais sur le théâtre le spectacle <strong>de</strong> tant d'atrocités,<br />

et un pareil monstre n'est pas justiciable<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> comédie. Voilà sans doute ce qu'on eût dit <strong>du</strong><br />

temps <strong>de</strong> Molière, et ce que diraient encore ceux<br />

qui ne font que <strong>de</strong>s comédies;' car d'ailleurs ce sujet,<br />

tel que je viens <strong>de</strong> l'exposer, pourrait frapper<br />

les faiseurs <strong>de</strong> drames, et en le chargeant <strong>de</strong> couleurs<br />

bien noires, ils ne désespéreraient pas d'en<br />

venir à bout Molière seul, qui m'aUa pas jusqu'au<br />

érame^ comme Fa dit très-sérieusement le très-sérieux<br />

M. Mercier, s'avance et dit : C'est moi qui ai<br />

imaginé ce sujet qui vous fait trembler; et quand<br />

vous en verrez l'exécution, il vous fera rire, et ce<br />

sera une comédie. On ne le croirait pas, s'il ne<br />

l'eût pas fait ; car, à coup sûr, sans lui il serait encore<br />

à faire.<br />

Molière, qui croyait que <strong>la</strong> comédie pouvait attaquer<br />

les vices les plus odieux, pourvu qu'ils eussent<br />

un côté comique, n'eut besoin que d'une seule<br />

idée pour venir h bout <strong>du</strong> Tartufe. Il est vrai qu'elle<br />

est éten<strong>du</strong>e et profon<strong>de</strong>, et son ouvrage seul pouvait<br />

nous <strong>la</strong> révéler. L'hypocrisie, telle que je <strong>la</strong> veux<br />

peindre, est vile et abominable; mais elle porte un<br />

masque, et tout masque est susceptible <strong>de</strong> faire rire.<br />

Le ridicule <strong>du</strong> masque couvrira sans cesse l'odieux<br />

<strong>du</strong> personnage : je p<strong>la</strong>cerai l'un dans l'ombre, et l'autre<br />

en saillie; et l'un passera à <strong>la</strong> faveur <strong>de</strong> l'autre.<br />

Ce n'est pas tout : je renforcerai mes pinceaux pour<br />

couvrir <strong>de</strong> comique les scènes où je <strong>mont</strong>rerai mon<br />

Tartufe; je rendrai <strong>la</strong> cré<strong>du</strong>lité <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>du</strong>pe encore<br />

plus risible que l'hypocrisie <strong>de</strong> l'imposteur; Orgon,<br />

trompé seul quand tout s'unit pour le détromper,<br />

en sera si impatientant, qu'on désirera <strong>de</strong> le voir<br />

amené à <strong>la</strong> conviction par tous les moyens possibles.;<br />

et ensuite je mettrai l'innocence et <strong>la</strong> bonne<br />

foi dans un si grand danger, qu'on me pardonnera<br />

<strong>de</strong> les en tirer par un ressort aussi extraordinaire<br />

que tout le reste <strong>de</strong> mon ouvrage.<br />

Cest l'histoire <strong>du</strong> Tartufe, et j s aurai plus d'une<br />

fois occasion <strong>de</strong> dé<strong>mont</strong>rer que <strong>la</strong> conception <strong>de</strong><br />

plusieurs chefs-d'œuvre tient essentiellement à une<br />

seule idée, mais qui suppose, comme <strong>de</strong> raison, <strong>la</strong><br />

foret nécessaire pour l'exécuter. Jamais Molière<br />

n'en a déployé autant que dans k Tartufe; jamais


646<br />

COUES DE LITTÉ1ATÏÎ1E.<br />

sos comique ne fut plus profond dans les vues, plus ment à sa déc<strong>la</strong>ration, tempère par le ridicule ce<br />

?if 'dans les effets; jamais il ne conçut avec plus que son hypocrisie et son ingratitu<strong>de</strong> ont <strong>de</strong> vil «t<br />

<strong>de</strong> verve, et n'écrivit avec plus <strong>de</strong> soin. Il eut même <strong>de</strong> repoussant. 11 était <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> impo'rtaiiee<br />

ici un mérite particulier, celui d'une intrigue plus que cette scène fit con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> manière à préparer<br />

intéressante qu'aucune autre qu'il eût faite. C'est un et à motiver celle <strong>du</strong> quatrième acte, où le grand<br />

spectacle touchant que toute cette famille désolée nœud <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce est tranché, et Tartufe démasqué.<br />

autour d'un honnête homme, près d'être si cruelle­ Mais combien <strong>de</strong> ressorts <strong>de</strong>vaient y concourir!<br />

ment puni <strong>de</strong> son excessif e bonté pour un scélérat D'abord9 il fal<strong>la</strong>it que cette déc<strong>la</strong>ration! qui, dans<br />

qui le trompait ; et cet intérêt n'est point romanes- <strong>la</strong> bouche d'un homme tel que Tartufe 1 et dans les<br />

quement échafaudé, ni porté au <strong>de</strong>là <strong>de</strong>s bornes-rai­ circonstances <strong>du</strong> moment, doit paraître si révolsonnables<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> comédie.<br />

tante, fût pourtant reçue <strong>de</strong> façon qu'Elmire, dans<br />

L'exposition vaut seule une pièce entière : c'est l'acte suivant, ne parût ps revenir <strong>de</strong> trop loin,<br />

une espèce d'action. L'ouverture <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène fous quand elle est obligée, pour faire tomber le fourbe<br />

transporte sur-le-champ dans l'intérieur d'un mé­ dans te piège, <strong>de</strong> risquer une démarche qui resnage,<br />

où <strong>la</strong> mauvaise humeur et le babil gron<strong>de</strong>ur semble à <strong>de</strong>s avances. II fal<strong>la</strong>it <strong>de</strong> plus qu'Elmire ne<br />

d'une vieille femme, <strong>la</strong> contrariété <strong>de</strong>s avis, et <strong>la</strong> s'empressât pas d'accuser Tartufe, et <strong>la</strong>issât ce<br />

marche <strong>du</strong> dialogue, font ressortir naturellement premier mouvement à <strong>la</strong> jeunesse bouil<strong>la</strong>nte <strong>de</strong> son<br />

tous les personnages 91e le spectateur doit connaî­ ils. Comme l'imposteur vient à bout, à force d'atre<br />

sans que le poète ait l'air <strong>de</strong> les lui <strong>mont</strong>rer. Le dresse, d'infirmer le témoignage <strong>de</strong> Demis, et <strong>de</strong> le<br />

sot entêtement d'Orgon pour Tartufe, les simagrées tourner à son avantage au point d'augmenter en­<br />

<strong>de</strong> dévotion et <strong>de</strong> zèle <strong>du</strong> faux dévot, le caractère core <strong>la</strong> prévention et l'aveuglement d'Orgon 9 si El­<br />

tranquille et réservé cTElmire , <strong>la</strong> fougue impétueuse mire eût figuré dans cette première tentative, mm<br />

<strong>de</strong> son fils Datais t <strong>la</strong> saine philosophie <strong>de</strong> son frère mari n'eût pas même voulu l'entendre dans une se­<br />

Cléante, <strong>la</strong> gaieté caustique <strong>de</strong> Donne, et <strong>la</strong> liberté con<strong>de</strong>. Mais le poète a eu soin d'accommo<strong>de</strong>r à ses<br />

familière que lui donne une longue habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> dire fins le caractère et <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite d'Elmire ; non-seu­<br />

son avis sur tout, <strong>la</strong> douceur timi<strong>de</strong> <strong>de</strong> Marianne; lement il lui attribue une sagesse in<strong>du</strong>lgente et mo­<br />

tout ce que <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce doit développer, tout, dérée , fort éloignée <strong>de</strong> <strong>la</strong> pru<strong>de</strong>rie qui s'effarouche<br />

jusqu'à l'amour <strong>de</strong> Tartufe pour Elmire, est an­ d'une déc<strong>la</strong>ration, et qui fait un éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> ses refus ;<br />

noncé dans une scène qui est à <strong>la</strong> fois une exposî- mais il parle plus d'une fois, dans les premiers actes,<br />

tion, un tableau, une situation. A peine Orgon a- <strong>de</strong>s visites et <strong>de</strong>s ga<strong>la</strong>nteries que lui attirent ses<br />

t-il parlé, qu'il se peint tout entier par un <strong>de</strong> ces charmes, en .sorte qu'on peut lui supposer un peu<br />

traits qui ne sont qu'à Molière. On peut s'attendre <strong>de</strong> cette coquetterie assez innocente qui ne hait pas<br />

à tout d'un homme qui, arrivant dans sa maison, les hommages, et qui s'en amuse plus qu'elle se<br />

répond à tout ce qu'on lui dit, par cette seule ques­ s'en offense. Il ne fal<strong>la</strong>it rien <strong>de</strong> moins pour ne pas<br />

tion! Et Tartufe? et s'apitoie sur lui <strong>de</strong> plus en rompre en visière à un personnage aussi abject et<br />

plus, quand on lui dit que Tartufe a fort bien mangé aussi dégoûtant que Tartufe par<strong>la</strong>nt d'amour en<br />

et fort bien dormi. Ce<strong>la</strong> n'est point exagéré : c'est style béatiûque à <strong>la</strong> femme <strong>de</strong> son bienfaiteur.<br />

ainsi qu'est foi! ce que les Ang<strong>la</strong>is appellent Vinfa- Mais si <strong>la</strong> scène où Orgon est caché sous <strong>la</strong> table<br />

tuaiim, mot assez peu usité parmi nous, mais né­ était difficile à amener, était-il plus aisé <strong>de</strong> l'exécucessaire<br />

pour exprimer un travers très-commun. La ter ? Ce n'était pas trop <strong>de</strong> tout l'art <strong>de</strong> Molière pour<br />

distinction entre <strong>la</strong> vraie piété et <strong>la</strong> fausse'dévotion, faire passer une situation si délicate et si péril­<br />

si soli<strong>de</strong>ment établie par Géante, est en même temps leuse au théâtre. Si ce n'eût pas été <strong>la</strong> leçon <strong>la</strong> plus<br />

<strong>la</strong> morale <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce et l'apologie <strong>de</strong> l'auteur. Elle forte et <strong>la</strong> plus nécessaire par les circonstances,<br />

est si convaincante, que le tes Orgon n'y trouve c'eût été le plus grand scandale; si le spectateur<br />

d'autre réponse que celle qui a été et qui sera à ja­ n'étaif^as bien convaincu <strong>de</strong> l'honnêteté d'Elmais<br />

sur cette matière le refrain <strong>de</strong>s. imbéciles ou mire, bien indigné <strong>de</strong> <strong>la</strong> fausseté atroce <strong>de</strong> Tartufe,<br />

<strong>de</strong>s fripons :<br />

bien impatienté <strong>de</strong> l'imbécile cré<strong>du</strong>lité d'Orgon, <strong>la</strong><br />

Mon frère f ee dteotm seul te libertinage.<br />

On sait <strong>la</strong> réplique <strong>de</strong> Cléante :<br />

situation <strong>la</strong> plus énergique où le génie <strong>de</strong> <strong>la</strong> comédie<br />

ait p<strong>la</strong>cé trois personnages à <strong>la</strong> fois, était<br />

trop près <strong>de</strong> l'extrême indécence pour être sup­<br />

Voilà «le vos pareils le dlâcoun ordinaire.<br />

portée sur <strong>la</strong> scène. Heureusement elle est si connue<br />

Et tous <strong>de</strong>ux disent ce qu'ils doivent dire. • qu'if suffit <strong>de</strong> <strong>la</strong> rappeler ;-ear elle est si hardie,<br />

Le Jtrgon mystique que Tartufe mêle si p<strong>la</strong>isant- • ipi'il ne serait pas possible d'analyser |ot<br />

m * *•


lesser les bienséances, ce qui ; sur le théâtre, ne<br />

s'en éloigne pas un moment, pas même lorsque<br />

Tartufe rentre dans <strong>la</strong> chambre d'EImire après<br />

avoir été visiter <strong>la</strong> galerie qui en est voisine. Qu'os<br />

se représente ce seul instant et tout ce qu'il fait en*<br />

visager, et qu'on juge ce que Fauteur hasardait. On<br />

objecterait en ?ain que <strong>la</strong> présence d'Orgon, quoique<br />

caché, jostiie tout : non, ce n'était pas assez; les<br />

murmures éc<strong>la</strong>teraient, et Ton trouverait le tableau<br />

beaucoup trop licencieux, si le spectateur ne vou<strong>la</strong>it<br />

pas avant tout <strong>la</strong> punition d'un monstre qui!<br />

est impossible <strong>de</strong> confondre autrement, et si Ton<br />

n'avait pas affaire à un homme tel qu'Orgon, qui<br />

a besoin <strong>de</strong> pouvoir dire au cinquième acte :<br />

Je fat vu, âfe-Je, vu, <strong>de</strong> i<br />

Ce qui s'appelle va.<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

ipropres jeux vut<br />

En un mot 9 s! <strong>la</strong> scène n'avait pas été fort sérieuse<br />

sous ce rapport, elle pouvait <strong>de</strong>venir, sous tous les<br />

autres, beaucoup trop gaie.<br />

Mais quel surcroit <strong>de</strong> comique, et comme 1'aujeur<br />

enchérit sur ce qu'il semble avoir épuisé, quand madame<br />

Pernelle joue avec Orgon le même rôle que cet<br />

Orgon a joué avec tous les autres personnages <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

pièce; lorsqu'elle refuse obstinément <strong>de</strong> se rendre à<br />

toutes les preuves qu'il allègue contre Tartufe :<br />

liste retour, monsieur, <strong>de</strong>s choses d'id-bas !<br />

'Vous ne vGUlki pas croire, et Fou ne vous croit pas.<br />

Cette progression d'effets comiques, si imprévue<br />

et pourtant si naturelle, est le plus grand effort <strong>de</strong><br />

Fart.<br />

Il y en a beaucoup aussi sans doute dans <strong>la</strong> manière<br />

dont Tartufe s*y prend pour en imposer à sa<br />

<strong>du</strong>pe, quand Damis l'accuse en présenced'Elmire,<br />

qui n'en disconvient pas, d'avoir voulu déshonorer<br />

Orgon. Mais ici Molière, qui savait se servir <strong>de</strong><br />

tout, a employé très-heureusement un moyen que^<br />

Scarron lui avait indiqué. Jamais il ne fut mieux '<br />

dans le cas <strong>de</strong> dire, Je prends mon bien où je le<br />

trouve; car une idée per<strong>du</strong>e dans une assez mauvaise<br />

Nouvelle que personne ne Ht, lui a fourni une<br />

scène admirable. Voici ce qu'il a trouvé dans Scarron<br />

: Un gentilhomme rencontre dans les rues <strong>de</strong><br />

Séville un insigne fripon nommé Montafer, qu'il<br />

avait connu à Madrid, où il avait été témoin <strong>de</strong><br />

tous ses crimes. Il voit tout le peuple attroupé autour<br />

<strong>de</strong> ce scélérat, qui avait su, à force <strong>de</strong> grimaces,<br />

se donner dans Séville <strong>la</strong> réputation d'un<br />

saint. 1 ne peut contenir son indignation, et le<br />

charge <strong>de</strong> coups en lui reprochant son impu<strong>de</strong>nte<br />

hypocrisie. Le peuple irrité se jette sur l'impru<strong>de</strong>nt<br />

gentilhomme, et le maltraite au point <strong>de</strong> le mettre<br />

en danger <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, si Montafer, saisissant en ha-<br />

647<br />

bile coquin l'occasion <strong>de</strong> jouer une nouvelle scène ;<br />

plus capable que tout le reste <strong>de</strong> le faire canoniser<br />

par <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong>, ne se jetait au-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s plus<br />

emportés, et ne prenait <strong>la</strong> défense <strong>de</strong> son accusateur.<br />

Il faut entendre ici Scarron : on jugera mieux<br />

l'usage que Molière a fait <strong>de</strong> ce morceau :<br />

« Il le releva <strong>de</strong> terre où on l'avait jeté» l'embrassa et<br />

te baisa 9 tout plein qu'il était <strong>de</strong> sang et <strong>de</strong> boue, et it une<br />

répriman<strong>de</strong> au peup<strong>la</strong>. Je suis te méchant 9 disait-il ; je<br />

suis Se pécheur ; je suis celui qui n'a jamais rien fait d'agréable<br />

aux yeux <strong>de</strong> Dieu. Pensez-? ©us f parce que fous me<br />

Toyc% fê<strong>la</strong> en iioaiaîe <strong>de</strong> bien9 que je n'aie pas été toute<br />

ma vie un <strong>la</strong>rron $ le scandale <strong>de</strong>s antres, et <strong>la</strong> perdition <strong>de</strong><br />

moi-même ? ¥pis TOUS trompez 9 mes frères : faites-moi le<br />

but <strong>de</strong> ?os iajarea et <strong>de</strong> vos pierres f et tires sur moi tas<br />

épées. Après a?air dit ces paroles aiee une fausse douceur,<br />

il s'al<strong>la</strong> jeter, a?ee un aèie encore plus fat» 9 au pieds <strong>de</strong><br />

se» ennemi 9 et les lui baisant y il lui <strong>de</strong>manda-pardoiL »<br />

Voilà précisément les actions et le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong><br />

Tartufe lorsqu'il défend Banals contre <strong>la</strong> colère <strong>de</strong><br />

soo père, et qu'il se met à genoux en s'aceusant lui- .<br />

même et se défouaot à tous les châtiments possibles.<br />

Ou ne peut nier que Molière ne doive à Scarron<br />

cette idée si ingénieuse, <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> l'aveu cf une<br />

conscience coupable nn acte d'humilité chrétienne.<br />

Mais d'abord <strong>la</strong> situation est bien plus forte dans<br />

Tartufe, parce que l'accusation est bien plus importante<br />

et plus directe ; et quelle comparaison <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> prose qu'on vient <strong>de</strong> lire à <strong>de</strong>s vers tels que ceux-ci 1<br />

Oui, mon frère, Je suis en méchant', un coupable $<br />

Un malheureux pécheur tout plein d'iniquité s<br />

Le plus grand scélérat qui jamais ait été.<br />

Chaque Instant <strong>de</strong> ma vie est chargé <strong>de</strong> souillures ;<br />

Elle n'est qu'un amas <strong>de</strong> crimes et d'or<strong>du</strong>res ;<br />

Et je vais que le ciel t pour ma punition $<br />

Ile veut mortifier en cette occasion.<br />

De quelque grand forfait qU*on me paisse reprendre,<br />

le n'ai gar<strong>de</strong> d'avoir l'orgueil <strong>de</strong> m'en défendre.<br />

Croyez ce qu'on vous dit ; armez votre courroux,<br />

Et comme un criminel eliassez-mol <strong>de</strong> chez vous :<br />

le ne saurais avoir tant <strong>de</strong> honte en partage t<br />

Que je n'en aie aaaar mérité davantage.<br />

An l <strong>la</strong>âJMês-le parler s vous fsceaseï à tort,<br />

Et vous ferez bien mieux <strong>de</strong> croire à son rapport<br />

Pourquoi sur un tel fait m'étre si favorable?<br />

Savez-vous, après tout, <strong>de</strong> quoi Je suis capable?<br />

Vous iez-vous, mon frères à mon extérieur?<br />

Et pour tout ce qu'on voit % me croyez-vous meilleur?<br />

Non, non, vous voua <strong>la</strong>isses tromper à f apparence,<br />

Et je ne suis rien mous, hé<strong>la</strong>s I que ce qu'on pensa.<br />

Tout le mon<strong>de</strong> me prend pour un homme <strong>de</strong> Maa ;<br />

Mats <strong>la</strong> vérité pure est que Je ae vaux rien.<br />

Ce caractère <strong>de</strong> Tartufe est d'une profon<strong>de</strong>ur effrayante.<br />

11 ne se dément pas un moment; il n'est<br />

jamais déecacerté; Il prend ici Orgon par son faible,<br />

et se tire do plus grand embarras par le seul<br />

moyen qui puisse lui réussir. Un honnête homme<br />

faussement accusé ne tiendrait jamais ee <strong>la</strong>ngage.


COUES DE LITTÉ1ATU1E.<br />

648<br />

Mais aussi Ofgon n'est pas un homme qui connaisse<br />

le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu et <strong>de</strong> <strong>la</strong> probité : celui <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

raison, dans <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong> Géante, loi a para <strong>du</strong><br />

libertinage; et celui <strong>de</strong> l'imposture 9 dans <strong>la</strong> bouche<br />

<strong>de</strong> Tartufe , lui paraît le sublime <strong>de</strong> <strong>la</strong> dévotion.<br />

Remarquons encore que Tartufe, tout amoureux<br />

qu'il est d'Elmire, est en gar<strong>de</strong> contre elle autant<br />

qu'il peut l'être. 11 commence par <strong>la</strong> soupçonner d'un<br />

intérêt très-vraïsembiable, celui qu'elle peut.a?oir<br />

à le détourner <strong>du</strong> mariage qu'on lui propose a?se <strong>la</strong><br />

fille d'Orgon. Les premiers mots qu'il lui dit SQOI<br />

d'un homme toujours <strong>de</strong> sang-froid f et qu'il n'est pas<br />

aisé <strong>de</strong> tromper.<br />

Ce kopp à eompnndre est assct difficile,<br />

Madame 9 et mm parHei tantôt d'an autre style<br />

Enfin, malgré toutes les douceurs que lui prodigue<br />

Eiraire, il ne prend aucune confiance en ses dis<strong>cours</strong>,<br />

et il feut d'abord, pour être en pleine sû-<br />

' reté, <strong>la</strong> mettre dans sa dépendance. Il <strong>de</strong>?ine tout,<br />

excepté ce qu'il ne peut absolument <strong>de</strong>viner; et<br />

quand il se troute surpris par- Orgon, il pourrait<br />

dire ce ? ers d'une ancienne comédie t<br />

Tsnb reposât à tout, hermii à Qui va là?<br />

La <strong>de</strong>rnière observation que je ferai sur ce rôle y<br />

t'est que fauteur ne lui adonné ni confi<strong>de</strong>nt ni monologue<br />

; il ne <strong>mont</strong>re ses vices qu'en action. C'est<br />

qu'en effet l'hypocrite ne s'ouvre jamais à personne;<br />

il ment toujours à tout le mon<strong>de</strong> , excepté à sa conscience<br />

et à Dieu, supposa qu'un hypocrite achevé<br />

ait une conscience et qu'il croie#un Dieu; ce qui<br />

n'est nullement vraisemb<strong>la</strong>ble. S'il peut y avoir <strong>de</strong><br />

véritables athées, ce sont surtout les hypocrites.<br />

Le seul reproche qu'on ait fait à cette inimitable<br />

pro<strong>du</strong>ction


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

alors brouillé avec Râdne : m moment <strong>du</strong>t lire bien<br />

doux à Molière.<br />

On s'occupait, quelque temps avant sa mort, à<br />

lui faire quitter fêtai <strong>de</strong> comédien, pour le foire<br />

entrer à ' l'Académie finnoise. Cette compagnie,<br />

qui n'a jamais éloigné volontairement aucun talent<br />

supérieur, a <strong>du</strong> moins adopté Molière, dès qu'elle<br />

fa pu, pr l'hommage le plus éc<strong>la</strong>tant. Elle lui -a<br />

décerné un éloge public, et a p<strong>la</strong>cé son buste chef<br />

die, avec culte inscription également bonoraUe<br />

pour nous et pour lui :<br />

eàsa gtolra; 11 mampitt à <strong>la</strong> nôtre.<br />

CHAPITRE VIL — Des comiques d'un ordre<br />

inférieur, dam k siècle <strong>de</strong> Louis XIF.<br />

«criai <strong>mont</strong>as. — Qaiaaalt, Urueys et Paltpnl, Haras,<br />

Campistn» » Bonnult.<br />

Le premier qui, proitant <strong>de</strong>s leçons <strong>de</strong> Molière,<br />

quitta le romanesque et le bouffon pour une intrigue<br />

raisonnable et <strong>la</strong> conversation <strong>de</strong>s honnêtes gens,<br />

iit le jeune Quinault, qui donna sa Mère coquette,<br />

en 1665, sous le titre <strong>de</strong>s Jmants brmdiMs, Elle<br />

s'est toujours soutenue au théâtre', et fait ?oir que<br />

Quinault a?ail plus d'un talent : elle est bien con<strong>du</strong>ite;<br />

les caractères et <strong>la</strong> versification sont d'une<br />

touche naturelle, mais un peu faible. On y voit on<br />

marquis ridicule, avantageux et poltron, sur lequel<br />

Régnard paraît avoir mo<strong>de</strong>lé celui <strong>du</strong> Jemewr, particulièrement<br />

dans <strong>la</strong> scène où le marquis refuse <strong>de</strong><br />

se battre. 11 y a <strong>de</strong>s détails agréables et ingénieux,<br />

.et <strong>de</strong> bonnes p<strong>la</strong>isanteries : telle est celle d'un valet<br />

fripon à qui Ton donne un diamant pour déposer<br />

que le mari <strong>de</strong> <strong>la</strong> mère coquette est mort am In<strong>de</strong>s,<br />

quoiqu'il n 9 en soit rien. 11 doute un peo <strong>du</strong> diamant :<br />

il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> s'il est bon; on le lui garantit.<br />

Eftiu (dtt-U} §'U s'est pas boa, le défunt n'est pu mort<br />

Les <strong>de</strong>ui jeunes amants, Isabelle et Acante, sont<br />

un peu brouillés par <strong>de</strong> faut rapports <strong>de</strong> valets<br />

que <strong>la</strong> mère coquette a gagnés. Cependant Isabelle<br />

voudrait s'ée<strong>la</strong>ireir davantage : elle écrit pour<br />

Acante ce billet qui est très-joli :<br />

le louerais jom parler, et sou voir seuls tous <strong>de</strong>ux.<br />

Js ne conçois pas bien pourquoi Je te désire :<br />

Je ne sais ce que je vous vaux ;<br />

Mali n'auriez- vous rien à me Ère ?<br />

Brueys et Pa<strong>la</strong>prat Y nés tous <strong>de</strong>ux dans le midi<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> France, et qui avaient <strong>la</strong> vivacité d'esprit et<br />

<strong>la</strong> gaieté qui caractérisent les habitants <strong>de</strong> ces belles<br />

provinces, réunis tous <strong>de</strong>ux par <strong>la</strong> conformité d'humeur<br />

et <strong>de</strong> goût, et qui mirent en commun leur<br />

640<br />

travail et leur talent, sans que cette association<br />

délicate ait jamais pro<strong>du</strong>it entre eux <strong>de</strong> jalousie,<br />

nous ont <strong>la</strong>issé <strong>de</strong>ux pièces d'un comique naturel<br />

et pi. Je ne prie pas <strong>du</strong> Mvet, dont le fond est<br />

imité'<strong>de</strong> l'Ewmqw <strong>de</strong> Térence : il y a <strong>de</strong>s situations<br />

que le jeu <strong>du</strong> théâtre fait ?aloirY mais <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite<br />

est défectueuse. La pièce, qui a cinq actes, pourrait<br />

Unir au troisième. 11 j a un rêîe <strong>de</strong> père d'une<br />

cré<strong>du</strong>lité outrée, et <strong>la</strong> scène <strong>du</strong> valet déguisé en<br />

mé<strong>de</strong>cin est une charge trop forte. Je veux parler<br />

d'abord <strong>de</strong> tJmmd Patelin, remarquable par son<br />

ancienneté originaire 9 puisqu'il est <strong>du</strong> temps <strong>de</strong><br />

Charles VU, et qui n f a rien per<strong>du</strong> <strong>de</strong> sa naïveté<br />

quand on Ta rajeuni dans <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>du</strong> siècle <strong>de</strong><br />

Louis XIV. C'est un monument curieux <strong>de</strong> <strong>la</strong> gaieté<br />

<strong>de</strong> notre ancien théâtre, et en même temps <strong>de</strong> sa<br />

liberté; car il paraît certain que ce fut un personnage<br />

réel que ce Patelin joué sur les tréteaux <strong>du</strong><br />

quinzième siècle. Brueys et Pa<strong>la</strong>prat l'ont fort embelli;<br />

mais les scènes principales et plusieurs <strong>de</strong>s<br />

meilleures p<strong>la</strong>isanteries se trouvent dans le vieux<br />

français <strong>de</strong> <strong>la</strong> farce <strong>de</strong> Pierre Patelin, imprimée<br />

en 1666, sur un manuscrit <strong>de</strong> Tan 1460 sous ce<br />

titre : Des tromperies ftmesêes et subtilités <strong>de</strong><br />

mature Pierre PateMn, mvœat. Pasquier en parle<br />

dans ses Meckerckes avec <strong>de</strong>s éloges exagérés, qui<br />

font voir que Ton ne connaissait encore rien <strong>de</strong><br />

mieux. Mais le témoignage <strong>de</strong>s auteurs qui ont travaillé<br />

sur les antiquités françaises; et les tra<strong>du</strong>c»<br />

tions que Ton it <strong>de</strong> cette pièce en plusieurs <strong>la</strong>ngues f<br />

prouvent qu'elle eut <strong>de</strong> tout temp us très-grand<br />

succès, parce qu'en effet le naturel a le même droit<br />

sur les hommes dans tous les temp, et qu'il y en<br />

a beaucoup dans cet ouvrage. Sans doute le procès<br />

<strong>de</strong> M. Guil<strong>la</strong>ume contre un berger qui lui a volé <strong>de</strong>s<br />

moutons, et les ruses <strong>de</strong> Patelin pour lui escroquer<br />

six aunes <strong>de</strong> drap, sont un fond bien mince et qui<br />

est proprement d'un comique popu<strong>la</strong>ire : le juge<br />

Bartholin, qui prend une tlte <strong>de</strong> veau pur une tête<br />

d'homme, est <strong>de</strong> <strong>la</strong> même force qu'Arlequin qui<br />

mange <strong>de</strong>s chan<strong>de</strong>lles et <strong>de</strong>s bottes. Mais Patelin<br />

et sa femme, M. Guil<strong>la</strong>ume et Agnelet, sont <strong>de</strong>s<br />

personnages pris dans <strong>la</strong> nature, et le dialogue est<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> vérité. 11 est plein <strong>de</strong> traits naïfs<br />

et p<strong>la</strong>isants, qu'on a retenus et qui sont passés en<br />

proverbes. On rira toujours <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène où le marchand<br />

drapier confond sans cesse son drap et ses<br />

moutons; et celle où Patelin, à force <strong>de</strong> patel<strong>la</strong>age<br />

(car son nom est <strong>de</strong>venu celui d'un caractère), vient<br />

I bout d'attraper une pièce <strong>de</strong> drap, sans <strong>la</strong> pyêr,<br />

à un vieux marchand avare et retors, est menée<br />

avec toute l'adresse possible. Il y a bien loin <strong>du</strong> moment<br />

où le rusé fripon abor<strong>de</strong> M. Guil<strong>la</strong>ume, dont


CÔUES DE LITTÉRÀTtJEE."<br />

il n'est pas même connu , à celui où il emporte le<br />

drap; et pourtant il fait si bien,.que <strong>la</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce<br />

est eonserv ée, et qu'on ? oit que le marchand<br />

doit être <strong>du</strong>pe.<br />

Le Gron<strong>de</strong>ur doit être mis fort au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong><br />

l'Jwcat Paêeiin : il est vrai que le troisième acte,<br />

qui est tout entier <strong>du</strong> genre <strong>de</strong> <strong>la</strong> farce, ne faut<br />

pas, à beaucoup près, celle <strong>de</strong> Patelin; mais les<br />

<strong>de</strong>ux premiers sont bien faits, et il y a ici un caractère<br />

parfaitement <strong>de</strong>ssiné, soutenu d'un bout<br />

à l'autre et toujours en situation, celui <strong>de</strong> II. Grîchard.<br />

La pièce fut mal reçue dans sa nouveauté;<br />

mais le temps en a décidé le succès , et on <strong>la</strong> regar<strong>de</strong><br />

aujourd'hui comme une <strong>de</strong> nos petites pièces qui a<br />

le plus <strong>de</strong> mérite et d'agrément.<br />

11 y a si longtemps que le Jahux dh&bmé <strong>de</strong><br />

Campistron n'a été joué, qu'on ignore communément<br />

que cette comédie, fort supérieure à toutes<br />

les tragédies <strong>du</strong> même auteur, est m effet son<br />

meilleur ouvrage. L'intrigue en est bien conçue.<br />

Le principal caractère, celui d'un mari jaleut qui<br />

ne veut pas le paraître, est comique, et a fourni à<br />

<strong>la</strong> Chaussée le Dur?al <strong>du</strong> Préjugé à <strong>la</strong> wmkf et <strong>de</strong>s<br />

scènes entières évi<strong>de</strong>mment calquées sur celles <strong>de</strong><br />

Campistron. Le rôle <strong>de</strong> Celle, femme <strong>du</strong> jaloux,<br />

est original et intéressant. Elle n'a consenti qu'à<br />

regret à feindre une coquetterie qui n'est ni dans<br />

ses principes ni dans son caractère 9 et uniquement<br />

pour déterminer son époux à marier sa soeur Julie<br />

à un honnête homme qui l'aime et qui en est aimé.<br />

Dorante (c'est le nom <strong>du</strong> mari) s'oppose à cette<br />

union par <strong>de</strong>s vues d'intérêt, et Célie, mmi le préteste<br />

<strong>de</strong> recevoir chez elle les jeunes gens qui courtisent<br />

cette jeune personne, est l'objet <strong>de</strong> mille cajoleries<br />

concertées qui désespèrent Dorante, dont<br />

elle connaît le faible, et lui arrachent enfin son<br />

consentement au mariage. Le dénoûment est amené<br />

d'une manière très-satisfaisante, et par un aveu <strong>de</strong><br />

Célie, qui met dans tout son jour <strong>la</strong> sensibilité <strong>de</strong><br />

son cœur, sa tendresse pour son mari dont elle n'a<br />

pu soutenir l'affliction, et <strong>la</strong> pureté <strong>de</strong>s motifs qui<br />

<strong>la</strong> faisaient agir. La pièce est écrite <strong>de</strong> manière à<br />

faire voir que Campistron, qui n'a jamais pu s'élever<br />

jusqu'au style tragique, pouvait plus aisémtnt<br />

s'approche? <strong>de</strong> <strong>la</strong> facilité élégante qui convient à <strong>la</strong><br />

comédie noble. J'ai vu représenter cette pièce avec<br />

succès, il y a vingt-cinq ans, et je ne sais pour*<br />

quoi elle a disparu <strong>du</strong> théâtre, comme d'autres que<br />

Ton néglige <strong>de</strong> reprendre pour en jouer qui ne les<br />

valent pas.<br />

Baron, ou plutôt, à ce que l'on croit, le père <strong>la</strong><br />

Rue sous son nom, transporta sur <strong>la</strong> scène française<br />

<strong>la</strong> meilleure pièce <strong>de</strong> Térence, tJndrimne. II a<br />

fidèlement suivi l'original <strong>la</strong>tin dans fintrigjc, qui<br />

a <strong>de</strong> l'intérêt, mais nullement dans* <strong>la</strong> diction, dont<br />

il est bien éloigné d'avoir <strong>la</strong> pureté, <strong>la</strong> grâce et <strong>la</strong><br />

inesse. Le dénomment est comme celui <strong>de</strong> presque<br />

foutes les comédies <strong>de</strong> Térence y une reconnaissance<br />

<strong>de</strong> roman, mais cependant mieux amenée que celte<br />

<strong>de</strong> l'Eunuque <strong>du</strong> même auteur, que Brueys a conservée<br />

dans k MwL On dispute aussi à 'Baron<br />

l'Homme à kmmes fertmm9 mais avec moins <strong>de</strong><br />

vraisemb<strong>la</strong>nce. Cette pièce, fort médiocre, m <strong>de</strong>*<br />

mandait aucune connaissance <strong>de</strong>s anciens, et Ban»<br />

pouvait être l'original <strong>de</strong> ifonca<strong>de</strong>, fat assez commun,<br />

que quelques femmes ont gâté, et qu'un valet<br />

copie à sa manière. La prose en est très-négligée.<br />

C'est une <strong>de</strong> ces pièces dont le jeu <strong>de</strong>s acteurs <strong>la</strong>it<br />

le principal mérite, que l'on va voir quelquefois,<br />

et qu'on ne lit point. On a voulu remettre, il y a<br />

quelque temps, ia Coqweêie, <strong>du</strong> même auteur, trèsmauvais<br />

ouvrage qui e'a eu aucun succès.<br />

On doit savoir d'autant plus <strong>de</strong> gré à Boursault<br />

<strong>de</strong> ce qu'il a eii <strong>de</strong> talent, qu'il le <strong>de</strong>vait tout entier à<br />

<strong>la</strong> nature. Il n'avait fait dans sa jeunesse aucune<br />

espèce d'étu<strong>de</strong>s 9 et né en Bourgogne il ne par<strong>la</strong>it<br />

encore à treize ans que le patois <strong>de</strong> sa profieee.<br />

Arrivé dans <strong>la</strong> capitale, il sentit ce qui lui manquait,<br />

et s'appliqua sérieusement à s'instruire au moins<br />

dans <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue française. 11 y réussit assez pour <strong>de</strong>venir<br />

un homme <strong>de</strong> bonne compagnie, et ses agréments<br />

le firent rechercher à <strong>la</strong> cour. On lui offrit<br />

- une p<strong>la</strong>ce qui pouvait sé<strong>du</strong>ire l'ambition, celle <strong>de</strong><br />

sous-précepteur <strong>du</strong> Dauphin. Il fut assez sage et<br />

asseï mo<strong>de</strong>ste pour <strong>la</strong> refuser, parce qu'il ne savait<br />

pas le <strong>la</strong>tin, et par là il se sauva d'un écaeîl où tant<br />

d'autres échouent, celui <strong>de</strong> paraître au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong><br />

sa p<strong>la</strong>ce. Thomas Corneille, gui était <strong>de</strong> ses amis,<br />

voulut l'engager â briguer une p<strong>la</strong>ce à l'Académie<br />

française, l'assurant, non sans vraisemb<strong>la</strong>nce, que<br />

ses succès au théâtre, et l'estime générale dont il<br />

jouissait, lui ouvriraient toutes les portes. Boursault<br />

eut encore <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>stie'<strong>de</strong> s'y refuser. Son ami<br />

eut beau lui dire qu'il s'était pas nécessaire <strong>de</strong> savoir<br />

le <strong>la</strong>tin,'et qu'il suffisait d'avoir fait preuve<br />

qu'il savait écrire en français; Boursault .répondit<br />

qu'il était trop ignorant pour entrer dans une compagnie<br />

où il y avait tant d'hommes <strong>de</strong>s plus instruits<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> nation. Un écrivain qui se faisait une justice<br />

si eiacte sur le mérite qui lui manquait, et qu'on<br />

peut acquérir, est bien digue qu'on <strong>la</strong> lui ren<strong>de</strong><br />

pour le mérite qu'il eut, et qu'on n'acquiert pas. 11<br />

avait beaucoup d'esprit f <strong>du</strong> talent naturel ; et ce qui<br />

doit encore recomman<strong>de</strong>r davantage sa mémoire<br />

aux gens <strong>de</strong> lettres, peu d'hommes, leur ont fait<br />

plus d'honneur par 1a noblesse <strong>de</strong>s sentiments et'


<strong>de</strong>s procédés. On sait que Boiieau ratait attaqué<br />

dans ses premières satires, dont il a <strong>de</strong>puis retranché<br />

son nom. 11 lui savait mauvais gré <strong>de</strong> s'être brouillé<br />

avec Molière f et c'est en effet le seul tort que BOUTsault<br />

ait eu. Bqileau était excusable <strong>de</strong> prendre <strong>la</strong><br />

querelle <strong>de</strong> sou ami; mais Boursault vengea <strong>la</strong><br />

menue propre bien noblement. Boiieau, qui rfavait<br />

pas encore fait <strong>la</strong> fortune que ses talents lui valurent<br />

<strong>de</strong>puis, s'étant trouvé aux eaux <strong>de</strong> Bourbon s ma<strong>la</strong><strong>de</strong><br />

et sans argent, Boursault, qui se rencontra par hagard<br />

dans le même endroit, le sut f et courut lui offrir<br />

sa bturse <strong>de</strong> si bonne grâce, qu'il le força<br />

<strong>de</strong> l'accepter. Ce fut l'époque d'une réconciliation<br />

sincère, et d'une amitié qui <strong>du</strong>ra autant que leur<br />

vie.<br />

Il ne faut pas parler <strong>de</strong> ses tragédies, qui sont<br />

entièrement oubliées, et qui doivent l'être, quoique<br />

son Germameus ait eu d'abord un si grand succès,<br />

que Corneille l'éga<strong>la</strong>it aux tragédies <strong>de</strong> Racine. Ce<br />

jugement, encore plus étrange que le succès, puisqu'un<br />

homme <strong>de</strong> Fart doit s'y connaît» mieuxque<br />

les autres, -ne servit qu'à offenser Racine, et ne<br />

sauva pas Germanieus <strong>de</strong> l'oubli. Mais Boursault<br />

fut plus heureux dans <strong>la</strong> comédie. Ce n'est pas que<br />

ses pièces soient régulières, il s'en faut <strong>de</strong> beaucoup;<br />

ce ne sont pas même <strong>de</strong> véritablœ drames, puisqu'il<br />

n'y a ni p<strong>la</strong>n ni action : ce sont <strong>de</strong>s scènes<br />

' détachées qui en font tout le mérite, et ce mérite a<br />

suffi pour les faire vivre. Dans ce genre <strong>de</strong> pièces<br />

qu'on appelle improprement êpUodîqœs, et qui<br />

seraient mieux nommées pièce* à êp%$wk$, LB MBHctmi<br />

GALANT était un <strong>de</strong>s sujets les mieux choisis :<br />

aucun autre ne pouvait lui fournir un plus grand<br />

nombre d'originaux faits pour un cadre comique,<br />

fous cependant m sont pas également heureux : on<br />

en a successivement retranché plusieurs, entre au­<br />

tres, <strong>la</strong> scène <strong>du</strong> voleur <strong>de</strong> <strong>la</strong> gabelle, qui avait<br />

quelque choie <strong>de</strong> trop patibu<strong>la</strong>ire. Elle n'est pas<br />

mal faite; mais il ne faut pas mettre sur le théâtre<br />

un homme qui put en sortant être mené au gibet.<br />

On a supprimé aussi quelques scènes un peu froi<strong>de</strong>s;<br />

par exemple, celle qui roule sur une housse <strong>de</strong> lit<br />

dont une femme a fait une robe, et plusieurs autres<br />

scènes qui ne valent pas mieux : mais il ne fal<strong>la</strong>it<br />

pas en retrancher une fort jolie 9 celle où M. Miehaut<br />

vient, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r qu'on l'anoblisse dans Je Meram.<br />

Ces suppressions ont ré<strong>du</strong>it <strong>la</strong> pièce à quatre actes,<br />

<strong>de</strong> cinq qu'elle avait. Elle Ût en naissant une fortune<br />

prodigieuse. On assure dans lès Mecktrckes sur<br />

ks méâires <strong>de</strong> France, <strong>de</strong> Beauehamps, qu'elle fut<br />

jouée quatre-vingts fois. Si le fait est vrai, ce nombre<br />

extraordinaire <strong>de</strong> représentations ne lui a pas<br />

porté malheur, comme à limocrate, qui n'a jamais<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIY. — POÉSIE. «51<br />

reparu ; au contraire, il est peu <strong>de</strong> plèets qu'on joue<br />

aussi souvent que k Mercure gahmt. M est vrai que<br />

le talent rare <strong>de</strong> l'acteur qui <strong>la</strong> jouait à lui seul<br />

presque tout entière, a pu contribuer à cette gran<strong>de</strong><br />

vogue; mais on ne peut disconvenir qu'il n'y ait<br />

beaucoup <strong>de</strong> scènes d'une exécution parfaite, p<strong>la</strong>isamment<br />

Inventées, et remplies <strong>de</strong> vers heureux.<br />

Ce qui le prouve, c'est qu'ils sont dans <strong>la</strong> mémoire<br />

<strong>de</strong> tous ceux qui fréquentent le spectacle.<br />

Bonifaee Chrétien, Larissole, les <strong>de</strong>ux Procureurs<br />

et l'abbé Beaugénïe, sont excellente dans leur<br />

genre. L'invention <strong>de</strong>s billets d'enterrement, tjuî<br />

sont <strong>la</strong> ressource if tut wmlkmreux Mèraire qm'm<br />

Bwre in-foM® a mis à tkêpiM; l'idée singulière <strong>de</strong><br />

mettre dans <strong>la</strong> bouche d'en soldat ivre <strong>la</strong> critique<br />

<strong>de</strong>s irrégu<strong>la</strong>rités <strong>de</strong> notre <strong>la</strong>ngue, et <strong>de</strong> faire <strong>de</strong><br />

cette critique <strong>de</strong> grammaire un dialogue-très comique;<br />

l'importance que l'abbé Beaugénie met' à son<br />

énigme, <strong>la</strong> satisfaction qu'il en a et l'analyse savante<br />

qtill en fait; <strong>la</strong> querelle <strong>de</strong> maître Sangsue et <strong>de</strong><br />

mattre Brigan<strong>de</strong>au, <strong>la</strong> supériorité que l'un affecte<br />

sur l'autre; tout ce<strong>la</strong> est très-divertissant : et surtout<br />

<strong>la</strong> scène <strong>de</strong>s procureurs est si exactement conforme<br />

au style <strong>du</strong> pa<strong>la</strong>is, et d'une tournure <strong>de</strong> vers<br />

si aisée, si naturelle et si adaptée au vrai ton <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

comédie, que j'oserai dire (sous ce rapport seul)<br />

qu'elle rappelle <strong>la</strong> versification <strong>de</strong> Molière. Elle est<br />

si connue, que je n'en citerai qu'un seul exemple,<br />

uniquement poor soumettre mon opinion au jugement<br />

<strong>de</strong>s connaisseurs.<br />

au mois <strong>de</strong> Juin <strong>de</strong>ntier, ua mémoire <strong>de</strong> frais<br />

Peuadain tia caeèot le faire mettra se frais.<br />

Tu l'avais fait <strong>mont</strong>er à sept cent trente livres t<br />

Et ton papier vo<strong>la</strong>nt , tel que tu le délivres,<br />

Étant TU <strong>de</strong> Menteurs t trois <strong>de</strong>s pins spparents,<br />

firent <strong>mont</strong>er te tout à trente-quatre frases ;<br />

Encore direut-lSs que, dans cette occurrence9<br />

Ils te passaient ceat sous contre leur cooseleoee.<br />

Ge<strong>la</strong> est très-gai ; mais ce qui l'est un peu moins ;<br />

c'est que <strong>de</strong>s faits très-attestés aient prouvé que m<br />

n'est pas une p<strong>la</strong>isanterie.<br />

Le sort é'Ésope à <strong>la</strong> vîiie fut aussi très-bril<strong>la</strong>nt;<br />

il etitqtiarante-trois représentations : mais il ne s'est<br />

pas soutenu <strong>de</strong>puis, tant ce premier éc<strong>la</strong>t d'une nouveauté<br />

est mmmit un présage trompeur. Le style<br />

est bien inférieur à celui do Mercure gâtant, et <strong>la</strong><br />

médiocrité <strong>de</strong>s fables que débite Ésope est d f atitant<br />

plus sensible, que <strong>la</strong> plupart avaient déjà été traitées<br />

par <strong>la</strong> Fontaine. On 'serait tenté d'en faire un<br />

reproche grave à l'auteur, si loi-même ne s 9 en était<br />

accusé avec cette franchise mo<strong>de</strong>ste etcouragêust<br />

dont j'ai déjà cité plus d'un témoignage. Voici comme<br />

il s'exprime dans sa préfaça,<br />

« Ce qui m'a para te plus dangereus dans cette entreprise,<br />

c'a été d'oser mettre <strong>de</strong>s fables en vers après l'M-


mt<br />

C0U1S DE LUTÉBATDBE.<br />

lustre M. <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine, irai m'a <strong>de</strong>vancé dans celle .<br />

route, et que je m prétends suivre que <strong>de</strong> très-Ida. Il M<br />

faut que comparer les siennes avec celles que j'ai faites f •»<br />

pour voir que c'est lui qui est le maître» Les soins inutiles<br />

que j'ai pris <strong>de</strong> limiter m'ont appris qu'il est inimitable;<br />

et c'est beaucoup pour moi que h gloire d'avoir été souffert<br />

où M a été admiré. »<br />

Bonrsanlt, qui s'était bien trouvé <strong>de</strong>s pièces à<br />

tiroir, et qui apparemment se sentait plus fait pour<br />

les détails que pour l'invention et l'ensemble, fou<strong>la</strong>i<br />

mettre encore une fois Ésope sur <strong>la</strong> scène, et<br />

ne mit pas dans cette nouvelle pièce plus d'intrigue<br />

et <strong>de</strong> p<strong>la</strong>n que dans l'autre. Cest un défaut d'autant<br />

plus blâmable, que rien ne l'empêchait <strong>de</strong> p<strong>la</strong>cer<br />

son Ésope dans un cadre dramatique, et <strong>de</strong> lui<br />

conserver son* costume <strong>de</strong> philosophe et <strong>de</strong> fabuliste.<br />

Ésope à <strong>la</strong> cour ne fut représenté qu'après <strong>la</strong><br />

mort <strong>de</strong> Fauteur : il fut d'abord médiocrement<br />

goûté; mais à toutes les reprises il eut beaucoup <strong>de</strong><br />

succès, et il est resté au théâtre. Cependant <strong>la</strong> critique<br />

, même en mettant <strong>de</strong> cêîé le vice <strong>du</strong> genre,<br />

peut y trou?er <strong>de</strong>s défauts très-marqués : le plus<br />

, grand est d'avoir fait Ésope amoureux et aimé f <strong>de</strong>ux<br />

choses incompatibles, Time avec sa sagesse, l'autre<br />

avec sa figure. Mais à cet amour près, son caractère<br />

est aussi noble que son esprit est sensé; et <strong>la</strong> pièce<br />

offre tour à tour <strong>de</strong>s scènes touchantes et <strong>de</strong>s scènes<br />

comiques, toutes également morales et instructif es.<br />

On sait que le repentir <strong>de</strong> Rodope s qui a méconnu<br />

sa mère un moment, a toujours fait verser <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes<br />

: Fauteur a touché un <strong>de</strong>s endroits <strong>du</strong> coeur<br />

humain les plus sensibles. Il a retrouvé son comique<br />

<strong>du</strong> Mercure gakmê dans le personnage <strong>du</strong> financier,<br />

M. Griffet, et dans <strong>la</strong> manière dont il explique ce<br />

que c'est que k tour <strong>du</strong> bâtom. Enfin, le dénoûment<br />

est heureux : il Fa tiré d'une fable <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine,<br />

intitulée k Berger etk Roi, et Fusagequ 9 une feuille périodique on ait attribué tout à l'heure<br />

à un avocat <strong>de</strong> nos jours, comme une chose toute<br />

nouvelle, un trait si frappant d'une pièce aussi connue<br />

que YÉêope à fa cour, <strong>de</strong> Boursault.<br />

Je ne dois pas omettre ici une anecdote digne d'attention.<br />

Quand cet ouvrage fut représenté en 1701,<br />

on fit supprimer au théâtre quelques endroits <strong>du</strong> rêle<br />

<strong>de</strong> Crésus et <strong>de</strong> celui d'Ésope, comme trop hardis.<br />

11 faut croire qu'ils le parurent moins à l'impression<br />

: les voici. Gréstis dit, à propos <strong>de</strong>s hommages<br />

et <strong>de</strong>s louanges qu'on lui prodigue :<br />

Jé m'aperçois on fin moins Je soupçonne<br />

Qu'on encense <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce entant epe là personne ;<br />

Que c'est au diadème ne trient que Fan rend $<br />

Et que k roi qui règne est toujours k plus grand.<br />

A <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers vers, dont le second<br />

est fort bon, et dit ce qu'il doit dire, on es mit <strong>de</strong>ux<br />

dont le second est fort mauvais :<br />

Qu'on* me rend <strong>de</strong>s honneurs qui ne sont pas pour mol f<br />

Et que k Mm esnt» Remporte mr te roi.<br />

Le trêne qui Femporte sur le roi est un p<strong>la</strong>t galimatias.<br />

Mais comme on avait beaucoup loué Louis<br />

XI¥, on ne vou<strong>la</strong>it pas cra'il entendit que k roi qui<br />

régne est toujours k pim grand. On ne voulut pas<br />

non plus qu'Ésope récitât <strong>de</strong>vant lui les vers suivants,<br />

adressés à Créées :<br />

Par <strong>de</strong>s soins prévenants, votre âme bienfaisante<br />

En fépand snr no eent <strong>de</strong> quoi suffira à trente :<br />

Et ee qu'un seul obtient, répan<strong>du</strong> sur chacun,<br />

Tous feries trente heureux ? et vous n'en faites qu'an.<br />

Si Louis XIV avait été instruit <strong>de</strong> cette suppression,<br />

par qui se serait-il cru offensé, ou par le poète, qui<br />

répétait après'tant d'autres ces vieilles et utiles vérités<br />

, ou par ccai qui en faisaient évi<strong>de</strong>mment à leur<br />

souverain une application si maligne?<br />

il en a<br />

sBcnoii u. — légnari»<br />

fait est intéressant et théâtral. Je citerai encore une Ce ne fut qu'en 1696, vingt-trois ans après <strong>la</strong> mort<br />

scène d'un ton très-noble et d'une intention très- <strong>de</strong> Molière, que 1a bonne comédie parut enfin remorale,<br />

celle où un officier ?eut engager Ésope à naître avec tout son éc<strong>la</strong>t, dans une pièce <strong>de</strong> carac­<br />

le servir <strong>de</strong> son crédit pour supp<strong>la</strong>nter un concurtère et en cinq acnés, Le Joueur annonça, non pas<br />

rent. Cest là que se trouve ce mot si ingénieux tout à fait un rival, mais <strong>du</strong> moins un digne suc­<br />

qu'il adresse à cet officier, qui, très-piqué <strong>de</strong> ce cesseur <strong>de</strong> Molière : Régnard ait cette gloire, et <strong>la</strong><br />

qu'Ésope, en par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> lui, s'est serti <strong>du</strong> nom <strong>de</strong> soutint. U avait alors près <strong>de</strong> quarante ans, et <strong>la</strong> vie<br />

soldat, lui dit avec hauteur,<br />

qu<br />

le ne rais point soldat , et nul ne m'a vu Tetra ;<br />

Je suis bon colonel, et qoJlers nka l'Etat.<br />

Moniteur le colonel, qui n'êtes point soldat,<br />

répond Ésope. Il y a peu <strong>de</strong> reparties aussi heureuses.<br />

Si l'on n'était convaincu par <strong>de</strong>s exemples trèsrécents<br />

que <strong>de</strong>s gens qui impriment journellement'<br />

ne savent pas même <strong>de</strong> quels auteurs a parlé Boileau<br />

dans fjrê poétique, on ne concevrait pas que dans<br />

f il avait menée jusque-là, son goût pour le p<strong>la</strong>isir,<br />

le jeu et les voyages, semb<strong>la</strong>ient promettre si<br />

peu ce qu'il est <strong>de</strong>venu, que quelques détails sur sa<br />

personne et ses aventures, d'ailleurs curieux par<br />

eut-mêmes, ee feront que répandre plus d'intérêt<br />

sur <strong>la</strong> notice <strong>de</strong> ses ouvrages dramatiques.<br />

Régnard, célèbre par ses comédies, aurait pu l'être<br />

pr ses seuls voyages : c'était ches lui un goût<br />

dominant, qui ne fut pas toujours heureui, mais<br />

qui était si vif, qu'étant parti pour voir <strong>la</strong> F<strong>la</strong>ndre


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

et <strong>la</strong> Hol<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, il allât en se <strong>la</strong>issant toujours entraîner<br />

à sa passion, d'abord jusqu'à Hambourg, <strong>de</strong><br />

Hambourg en Danemarck, en Suè<strong>de</strong>, et <strong>de</strong> Suè<strong>de</strong><br />

jusqu'en Laponie. Un simple motif <strong>de</strong> comp<strong>la</strong>isance<br />

pour le roi <strong>de</strong> Suè<strong>de</strong>, qui le pressa <strong>de</strong> visiter <strong>la</strong> Laponie,<br />

ou plutôt sa curiosité naturelle, le con<strong>du</strong>isit<br />

jusque près <strong>du</strong> pâle, précisément au même endroit<br />

où <strong>de</strong>s savants ont été <strong>de</strong> nos jours fériler les calculs<br />

mathématiques, et déterminer <strong>la</strong> figure <strong>de</strong> k<br />

terre. 11 fut accompagné dans ce voyage par <strong>de</strong>ux<br />

gentilshommes français qui avaient voyagé en Asie,<br />

nommés, l'un Fercourt, et l'autre Corberon. Aratés<br />

à Tornéo, qui est <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière fille <strong>du</strong> globe <strong>du</strong><br />

côté <strong>du</strong> nord , ils s'embarquèrent sur le <strong>la</strong>c <strong>du</strong> même<br />

nom* qu'ils re<strong>mont</strong>èrent l'espace <strong>de</strong> huit lieues, ar-<br />

, rivèrent jusqu'au pied d'une <strong>mont</strong>agne qu'ils nommèrent<br />

Métavara, et gravirent avec peine jusqu'au<br />

sommet, d'où ils découvrirent <strong>la</strong> mer G<strong>la</strong>ciale. Là<br />

il gravèrent sur un rocher une inscription en vers<br />

<strong>la</strong>tins, qui ne seraient pas indignes <strong>du</strong> siècle d'Auguste<br />

:<br />

Gû,Umnm§mmtt wêêii mmÂfinm9 ëangmm<br />

Mamimm, Mump&imqm ocuÊû imimmmm mmmmm*<br />

Cmièm §t warim aeîî Èermqm tmriqœ,<br />

Swiiwmê kk tan<strong>de</strong>m, mbû «M i^fuii orMf.<br />

On peut les tra<strong>du</strong>ire ainsi :<br />

les Français , éprouvés par «si périls dlven ;<br />

Le Gange mm a vm moater Jiwpi'à ses Mure»,<br />

L'Afrique affronter ses déserts,<br />

L'Europe paresarir ses eUmats et ses ne»;<br />

Volet le terme île mmmmmm^<br />

Et sons sons arrêtons où fiait Fnniven.<br />

C'étaient les compagnons <strong>de</strong> Régnard qui avaient<br />

été sur les bonis <strong>du</strong> Gange ; pour lui, il ne connaissait<br />

l'Afrique et <strong>la</strong> Grèce que par le malheur d'y avoir<br />

été esc<strong>la</strong>Te. L'amour lut <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> cette disgrâce.<br />

A son second voyage d'Italie, Régnard rencontra à<br />

Bologne une dame provençale, qu'il appelle Eltire,<br />

et dont il nomme le mari Bepra<strong>de</strong>. H conçut pour<br />

elle une passion-très vive ; et comme elle était sur le<br />

point <strong>de</strong> revenir en France, il s'embarqua avec elle et<br />

son maei, à Civita-Yecehiâ 9 sur une frégate ang<strong>la</strong>ise<br />

qui faisait route pour Toulon. La frégate fut prise<br />

par <strong>de</strong>ux corsaires algériens, et tout l'équipage mis<br />

aui fers et con<strong>du</strong>it à Alger pour y être ven<strong>du</strong>. Régnard<br />

fut évalué f on ne conçoit pas trop pourquoi,<br />

beaucoup plus cher que sa maîtresse;ce qui pourrait<br />

f<strong>la</strong>ire naître <strong>de</strong>s idées peu avantageuses sur <strong>la</strong><br />

beauté qu'il avait choisie , quoiqu'il <strong>la</strong> représente<br />

partout comme une créature charmante. Leur patres<br />

s'appe<strong>la</strong>it Actimet Talem. 11 s'aperçut que son<br />

captif s'entendait en bonne chère : il le fit cuisinier.<br />

Ainsi, bien en prit à Régnard d'avoir été en France<br />

un gourmand <strong>de</strong> profession. A l'égard d'£lvire9 on<br />

6M<br />

ne nous dit pas ce que Talem en it ; et c'est apparemment<br />

par discrétion. Au bout <strong>de</strong> quelque temps,<br />

Achmet eut affaire à Constantînople : il y mena ses<br />

<strong>de</strong>ux esc<strong>la</strong>ves, dont il rendit <strong>la</strong> captivité très-rigoureuse,<br />

jusqu'à ce que <strong>la</strong> famille <strong>de</strong> Régnard lui It<br />

toucher une somme <strong>de</strong> douze mille livres, qui servit<br />

à payer sa rançon, celle <strong>de</strong> son valet <strong>de</strong> chambre<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Provençale. Us revinrent à Marseille, et <strong>de</strong><br />

Marseille à Paris. Pour comble <strong>de</strong> bonheur, ils apprirent<br />

<strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Bepra<strong>de</strong>, qui était <strong>de</strong>meuré à<br />

Alger t citez un patres» Rien ne s'opposait plus à leur<br />

union, .et ils croyaient, après tant <strong>de</strong> traverses,<br />

toucher au moment le plus heureux <strong>de</strong> leur vie, lorsque<br />

Depra<strong>de</strong>, que l'on croyait mort, reparut tout à<br />

coup avec <strong>de</strong>ux religieux mathurins qui l'avaient racheté.<br />

Cette <strong>de</strong>rnière révolution renversa toutes les<br />

espérances <strong>de</strong> Régnard, qui, pour se distraire <strong>de</strong><br />

ses chagrins, se remit à voyager. Ce fut alors qu'il<br />

tourna vers h nord, après a?oie vu le midi, et que <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> Hol<strong>la</strong>n<strong>de</strong> il passa jusqu'à Tornéo.<br />

. Il s'amusa <strong>de</strong>puis à embellir toute cette aventure<br />

d'un vernis romanesque, et il en composa une nouvelle<br />

intitulée & Provençale, Toutes les règles <strong>du</strong><br />

roman y sont scrupuleusement observées. Comme<br />

il est le héros <strong>de</strong> son ouvrage, il commence par<br />

faire son portrait sous le nom <strong>de</strong> Zeimis; et, soit<br />

à titre <strong>de</strong> romancier, soit à titre <strong>de</strong> poëte> soit par<br />

<strong>la</strong> réunion <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ui qualités, il se dispense absolument<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>stie, Yoiei comme il se peint :<br />

« Zeimis est us etvtlier qui p<strong>la</strong>tt d'abord ; c'est asseï<br />

<strong>de</strong> le voir une fois pour le remarquer : et sa aerne mine<br />

est si ammtageme t qu'il M faut pas chercher avec soin<br />

<strong>de</strong>s endroits dans aa personne pour le trouva 1 eàpiile;<br />

U faut êêetemait se défendre ds le trop aimer « » x<br />

Passe pour Téloge, puisqu'il faut qu'un héros <strong>de</strong><br />

roman soit accompli ; mais sa bonne mîmf qui est<br />

si avantageuse, et les endroits <strong>de</strong> m personne, ne<br />

sont pas use prose digne <strong>de</strong>s vers <strong>du</strong> Ugaêaire et<br />

<strong>du</strong> Joueur. Tout le reste est écrit <strong>de</strong> ce style. D'ailleurs<br />

, tout y est <strong>mont</strong>é au ton <strong>de</strong> l'héroïsme, lit ire<br />

a lies p<strong>la</strong>têt <strong>la</strong> dignité romaine que <strong>la</strong> vivacité provençale<br />

z elle en impose d'un coup d'œil à Mustapha,<br />

le chef <strong>de</strong>s pirates, qui a pour elle tout le respect<br />

que <strong>de</strong>s corsaires africains ont toujours pour <strong>de</strong><br />

jeunes captives. Le roi d'Alger (quoiqu'il n'y ait<br />

point <strong>de</strong> roi à Alger) se trouve au port à <strong>la</strong> <strong>de</strong>scente<br />

<strong>de</strong>s captà%, et ne manque pas <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir tout d'un<br />

coup éper<strong>du</strong>ment amoureux af EMre* Il <strong>la</strong> mène<br />

dans son harem, où ses rivales <strong>la</strong> voient entrer et<br />

frémissent <strong>de</strong> jalousie. Toujours Idèle à son amant,<br />

elle se refuse à toutes les instances <strong>du</strong> roi, qui f <strong>de</strong><br />

son côté, ne brûle pour elle que <strong>de</strong> l'amour 1e plus<br />

pur et le plus respeetuem, tel qu'il est ordinairement


654<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

dais le climat d'Afrique. Elle par?lent mène à voir <strong>de</strong> l'Europe, et faire revenir en un moment. On le<br />

mu amant, qui eieree dans Alger <strong>la</strong> profession <strong>de</strong> conjure <strong>de</strong> dépêcher bien vite son démon en France,<br />

feietre , mm <strong>la</strong> permissioe <strong>de</strong> son patron. Ils con­ pour en rapporter <strong>de</strong>s nouvelles. Le sorcier a recertent<br />

tous déni les moyens <strong>de</strong> s'enfuir, et ils en <strong>cours</strong> à son tambour et à son marteau, qui sont <strong>de</strong>s<br />

viennent à bout; mais par malheur ils sont rencon­ instruments magiques. 11 fait <strong>de</strong>s conjurations et<br />

trés sur mer par en brigantin d'Alger tfui les ramène. <strong>de</strong>s grimaces, se frappe le visage, se met tout en<br />

Baba Hassan {c'est le nom <strong>du</strong> roi d'Alger, ne se fiche sang; mais le diable n'en est pas plus docile, et fou<br />

point <strong>du</strong> tout <strong>de</strong> <strong>la</strong> fuite <strong>de</strong> <strong>la</strong> belle captive; il Init n'en a pas <strong>de</strong> nouvelles. Bain le sorcier, poussé à<br />

mime par lui rendre <strong>la</strong> liberté, comme il coarient à bout, avoue que son pouvoir commence à tomber<br />

un amant généreux. Elle retrouve le beau Zelmis, <strong>de</strong>puis qu'il est' viens et qu'il perd ses <strong>de</strong>nts; qu'au­<br />

dont <strong>la</strong> tîe et <strong>la</strong> Idélité ont aussi couru les plus trefois it lui aurait été facife <strong>de</strong> faire ce qu'on lui<br />

grands dangers. Deux ou trois favorites <strong>de</strong> son <strong>de</strong>mandait, quoiqu'il n'eût jamais envoyé son démon<br />

maître sont <strong>de</strong>venues folles <strong>de</strong> Fese<strong>la</strong>ve : il fait <strong>la</strong> plus loin que Stockholm. 11 ajoute que, si Ton veut<br />

plu» belle défense ; mais pourtant, surpris a?ec une lui donner <strong>de</strong> feau-<strong>de</strong>-vie, il ne <strong>la</strong>issera pas <strong>de</strong> dire<br />

d'elles dans un fen<strong>de</strong>s-fous très-innocent, il se ? oit <strong>de</strong>s choses surprenantes. On l'enivre d'eau-<strong>de</strong>-vk<br />

mr le point d'être empalé, suivant <strong>la</strong> loi mahomé- pendant <strong>de</strong>ux ou trois jours, et nos voyageurs, pentane,<br />

lorsque le consul <strong>de</strong> France interpose son dant ce temps, lui enlèvent son tambour et son mar­<br />

crédit, et le délivre <strong>du</strong> pal et <strong>de</strong> Fesc<strong>la</strong>?age. teau rqu'il pleure amèrement à son réveil, comme<br />

Tel est le roman qu*a brodé Régnard sur sa cap­ ie bon Michas pleure ses petits dieux•. Le tambour<br />

tivité d'Alger, et qui n'est pas plus mauvais que et le marteau n'étaient pourtant pas <strong>de</strong>s pièces as­<br />

beaucoup ©feutres. S'il avait écrit ainsi tous se» sez curieuses pour être apportées en France, et ce<br />

trjyages, ils ne seraient pas fort eurietw. Ceux <strong>de</strong> n'était pas <strong>la</strong> peine d'affliger ce bon Lapon, et <strong>de</strong> le<br />

F<strong>la</strong>ndre, <strong>de</strong> Hol<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, d'Allemagne, <strong>de</strong> Pologne, <strong>de</strong> priver <strong>de</strong> son démon familier*<br />

Suè<strong>de</strong>, sont d'un autre ton, mais pourtant ne con­ Les poésies diverses <strong>de</strong> Régnard ne sont pas intiennent<br />

guère que <strong>de</strong>s notions générales qui se rendignes d'attention. Ce sont <strong>de</strong>s épttres et <strong>de</strong>s satires<br />

contrent partout ailleurs. Celui <strong>de</strong> Laponie mérite remplies d'imitations <strong>de</strong>s'anclens, et surtout d'Ho­<br />

une attention particulière :-c'est le seul où il paraisse race et <strong>de</strong> Juvénal. La versification en est souvent<br />

avoir porté plutôt l'œil observateur d'un philosophe négligée, prosaïque, incorrecte ; il y a même <strong>de</strong>s<br />

que* <strong>la</strong> csrlosité distraite d'un voyageur. Peut-être fautes <strong>de</strong> mesure et <strong>de</strong> faosses rimes, qui font voir<br />

<strong>la</strong> nature mime <strong>du</strong> pays, qui était fort peu connu, et qee Fauteur, <strong>de</strong>venu foete par instinct, n'avait<br />

les mœurs extraordinaires ,<strong>de</strong> ses habitants, suffi­ guère étodié <strong>la</strong> théorie <strong>de</strong> fart <strong>de</strong>s vers : mais parmi<br />

saient pour attirer son attention. Peut-être aussi le tous ces défauts, il y a <strong>de</strong>s vers heureux, et <strong>de</strong>s<br />

désir <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire au roi ie Suè<strong>de</strong>, qui ne l'avait engagé morceaux faciles et agréables. En voici un tiré d'une<br />

à faire ce voyage que pour recueillir les observations épftre dont le commencement est emprunté <strong>de</strong> celle<br />

qu'il y pourrait faire, le rendît plus attentif qu'il où Horace invite Torquatus à souper. Régnard y<br />

-ne l'aurait été naturellement ; et cet esprit courti­ fait <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison qu'il occupait dans<br />

san que l'on prend toujours auprès <strong>de</strong>s rois, asser­ <strong>la</strong> rue <strong>de</strong> Richelieu, qui était alors une extrémité <strong>de</strong><br />

vit pour un moment l'hfmeur indépendante et libre Paris.<br />

d'un homme absolument livré à ses goûts, et qui<br />

semb<strong>la</strong>it ne changer <strong>de</strong> lieu que pour se défaire <strong>du</strong><br />

temps. Quoi qu'il en soit, il a décrit avec eiactitu<strong>de</strong><br />

tout ce que le pays et les habitants peuvent avoir<br />

4e remarquable, soit qu'il ait tout vu par lui-même,<br />

soit qu'il ait consulté, dans <strong>la</strong> rédaction <strong>de</strong> son<br />

voyage, l'histoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> Laponie, écrite en <strong>la</strong>tin par<br />

Joaaaee Tornaas, l'ouvrage le meilleur qu'on ait<br />

composé sur cette matière, et dont Régnard cite<br />

souvent <strong>de</strong>s passages et atteste l'autorité. Un <strong>de</strong>s<br />

articles les plus curieux est celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> sorcellerie,<br />

dont les Lapons font grand usage, Notre auteur va<br />

voir un Lapon qui passait pour le plus grand sorcier<br />

<strong>de</strong> son pays, et qui prétendait avoir un démon<br />

le te gar<strong>de</strong> avec soin, mieux qm mon patrimoine,<br />

D'un via exquis, sorti -<strong>de</strong>s pressoirs <strong>de</strong> m moine,<br />

Fameux dans Au vile, plus que m fut Jamais<br />

Le défenseur <strong>du</strong> Clos vanté par Eabe<strong>la</strong>ls.<br />

Trois convives connus, sans amour, sans affaires y<br />

Discrets, qui s'iront point révéler nos mystères,<br />

Seront par mol choisis pour orner ce festin.<br />

Là, par cent mois piquants, enrants nés dans le vis,<br />

Nous donnerons Fessor k nette noble audace<br />

Qui fait sortir <strong>la</strong> Joie et qu'avoûrait Horace.<br />

Peut-être ignores-lu dans quel co<strong>la</strong> reculé<br />

l'habite dans Paris, citoyen exilé 9<br />

Et me cache aux regards <strong>du</strong> profane vuigitoê.<br />

SI tu le veux savoir, je vais le satisfaire.<br />

au bout <strong>de</strong> cette rue où ce grand cardinal,<br />

Ce prêtre conquérant, ce pré<strong>la</strong>t amiral,<br />

Laissa pour monument une triste fontaine,<br />

Qui fait dire au passant que cet hommes, en m kmànt,<br />

Qui <strong>du</strong> trône ébranlé soutint tout le farésan,<br />

I ses ordres, qu'il pouvait envoyer à l'autre bout 1<br />

Tuîemmt âem mew, ei êkiiis : Qutdplmm?


•SIÈCLE Dl LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

Sot répandra te sang plus <strong>la</strong>rgement qm ta», '<br />

S'élève nue maison mo<strong>de</strong>ste et retirée,<br />

Dont te chagrin surtout ne connaît point rentrée»<br />

L'cril vol! d'abord ce <strong>mont</strong> dont les antres profosdi<br />

Fournissent à Paris Fhosneur <strong>de</strong> ses p<strong>la</strong>fonds,<br />

Où <strong>de</strong> trente moulins tes ailes éten<strong>du</strong>es<br />

M'apprennent chaque Jour quel vent chasse les nues.<br />

Le jardin est étroit; mais les yeux satisfaits<br />

S'y promènent au loin sur do vastes marais.<br />

Ceat là qo'en mille endroits <strong>la</strong>issant errer ma vue ?<br />

Je vols croître à p<strong>la</strong>isir l'oseille et <strong>la</strong> <strong>la</strong>itue;<br />

Cest là que, dans se» temp, <strong>de</strong>s moissons i'artMiaols<br />

BïI jardinier actif sê€&méenê les travaux,<br />

Et que <strong>de</strong> champignons une couche voisine<br />

Ke <strong>la</strong>it, quand il ne p<strong>la</strong>ft, qalui tant dans ma eoWiie.<br />

11 y a <strong>de</strong>s négligences dans ces fers ; mais c'est<br />

bien le ton et <strong>la</strong> manière qui convient à l'épttre et<br />

à <strong>la</strong> satire. Régnard a tra<strong>du</strong>it asses bien , à quelques<br />

fautes près, cet endroit d'Horace : Pmuper Opimku,<br />

etc.<br />

Oronte, pâte, étlipe et presque diaphane,<br />

Par les Jeûnes cruels mmxqmelg U-ae condamne ,<br />

Tombe ma<strong>la</strong><strong>de</strong> enfin : déjà <strong>de</strong> toutes parts<br />

Le Joyeux héritier promène ses regards,<br />

D'us ample coffre-fort contemple <strong>la</strong> figure,<br />

En perce <strong>de</strong> ses yeux les ais et <strong>la</strong> serrure.<br />

Un nouvel Escu<strong>la</strong>pe, en celle extrémité, '<br />

au ma<strong>la</strong><strong>de</strong> aux abois assure <strong>la</strong> santé,<br />

SU veut prendre un sirop que dans sa main tl porte.<br />

Que eoùie-t-ii? lui dit l'agonisant — Qu'Importe?<br />

— Qulmporte, dites-vous? Je veai savoir combien. —<br />

Peu d'argent, lui dit-il. — Mais enewr? — Presque rtes :<br />

Quinte sous. — Juste ciel ! quel brigandage extrême !<br />

On me tue, on me vole. Et n'est-ce pas le même,<br />

De mourir par <strong>la</strong> lèwe ou par <strong>la</strong> pauvreté? etc. -<br />

Le scepticisme dont Régnard faisait profession<br />

est porté jusqu'à l'excès dans une épître où il s'efforce<br />

<strong>de</strong> prouver qu'il n'y a réellement ai vice ni<br />

vertu, puisque telle action est criminelle dans un<br />

pays, et louable dans un autre. 11 y a longtemps<br />

qu'os a pulvérisé ce sophisme frivole; mais il n'est<br />

pas inutile d'observer que ces systèmes d'erreur,<br />

lur lesquels on a fait <strong>de</strong> nos jours <strong>de</strong>s Yolumes dont<br />

les auteurs se croyaient une profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> génie<br />

bien supérieure au plus grand talent dramatique,<br />

se retrouvent dans les amusements <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse<br />

d f un poëtf comique, et ne valent pas une scène <strong>de</strong><br />

«es moindres pièces. Observons encore combien<br />

tout change avec le temps, les circonstances et les<br />

personnes, puisque-cette mauvaise philosophie <strong>de</strong><br />

Régnant n'a pas pro<strong>du</strong>it le plus petit scandale $ et<br />

qu'on a imprimé t avec approbation et privilège <strong>du</strong><br />

roi, cette mime pièce où l'on avance que tout est<br />

incertain, et que, sur toutes les matières <strong>de</strong> métaphysique<br />

et <strong>de</strong> morale, •<br />

Usa femme en sait plus que toute <strong>la</strong> Sorbonne.<br />

Ce vers scandaleux est une injure à <strong>la</strong> Sorbonne<br />

et au bon sens, sans être un compliment pour les<br />

femmes.<br />

Une <strong>de</strong>s premières pièces <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse <strong>de</strong> lé-<br />

655<br />

gnard est une épîtro à QuinauJt f où Boileau est cité<br />

avec éloge. C'est bien là <strong>la</strong> franchise étourdie d'an<br />

jeune homme : reste à savoir si Quinault en fut content;<br />

tuais Boileau ne <strong>du</strong>t pas en être très-Iatté,<br />

non plus que Racine f dont l'éloge succè<strong>de</strong> immédiatement<br />

à celui <strong>de</strong> Campistron; et c'est ainsi que les<br />

talents sont encore loués tous les jours. Une autre<br />

épttre est adressée à ce même Bespréaux, à <strong>la</strong> tête<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> comédie <strong>de</strong>s Mêmœkmm* Régnard, avant celte<br />

dédieace, s'était brouillé avec le satirique, et avait<br />

répon<strong>du</strong> assez mal à sa satire contre les femmes<br />

par une satire contre les maris. Il avait même fait<br />

une autre pièce, qui a pour titre k Jbmèem <strong>de</strong><br />

BoMemu, et dans <strong>la</strong>quelle il y a <strong>de</strong>s traits dignes <strong>de</strong><br />

Boileau lui-même. 11 suppose que ce grand satirique<br />

vient <strong>de</strong> mourir <strong>du</strong> chagrin que lui a causé le mauvais<br />

Succès <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>rniers ouvrages. 11 décrit son<br />

convoi :<br />

Mes yeux ont vu passer dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce prochain®<br />

Des menlns <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort une ban<strong>de</strong> inhumalM.<br />

De pédants mal peignés un bataillon crotté<br />

Descendait à pas lents <strong>de</strong> l'Université.<br />

Leurs loop manteaux <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil traînaient jusque» à terra ?<br />

A leurs crêpes flottants les vents faisaient <strong>la</strong> guerre,<br />

Et chacun à <strong>la</strong> main avait pris pour f<strong>la</strong>mbeau<br />

Us <strong>la</strong>urier Jadis vert, pour oracr us tombeau.<br />

J'ai vu parmi im mn§*, malgré <strong>la</strong> foule extrême,<br />

De maint auteur dotent <strong>la</strong> face sèche et blême,<br />

Deux Grecs et <strong>de</strong>ux Latins escortaient te cercueil,<br />

Et, le mouchoir en main, BarMs menait le <strong>de</strong>uil.<br />

Ce <strong>de</strong>rnier vers est p<strong>la</strong>isant. Régnard rapporte<br />

les <strong>de</strong>rnières paroles <strong>de</strong> Boileau, adressées à ses<br />

vers :<br />

« O vous, mes tristes ¥ers, noble objet <strong>de</strong> l'envie,<br />

« Tous dont j'attends l'honneur d'une secon<strong>de</strong> vie t<br />

« Pstelei-vous échapper au naufrage <strong>de</strong>s ans?<br />

« Et bravor à Jamais l'ignorance et te temps !<br />

« Je ne vous verrai plus ; déjà <strong>la</strong> mort hi<strong>de</strong>use<br />

« autour <strong>de</strong> mon chevet étend une aile affreuse !<br />

* Mais je meurs sass regret dans un temp dépravé, «<br />

« Où le mauvais goût règne et va te front levé;<br />

« Où le public Ingrat, infidèle, perfi<strong>de</strong>,<br />

« Trouve ma veine usée, et mon style Insipi<strong>de</strong>.<br />

« Mol, qui me erus Jadis à Régnier préféré ;<br />

« Que diront nos neveux? Régnard m'est comparé !<br />

« Lui qui, pendant dix ans, <strong>du</strong> couchant à l'aurore,<br />

« Erra chez le Lapon, on rama sous le Maure!<br />

« Lui qui ne sut jamais si le gros ni l'hébreu,<br />

« Qui Joua Jour et nuit ? fit grasd'chèro et bon feu 1 etc. »'<br />

Du c&mhmi à fourere n'est pas très-bien p<strong>la</strong>cé'<br />

avec le Lap@m eê k Marne, qui sont au nord et au 1<br />

midi. Régnard reproche à Boileau d'être jaloux <strong>de</strong><br />

lui : 'Û m travail<strong>la</strong>it pourtant pas dans le même<br />

genre. Au surplus, on a oublié ces querelles <strong>de</strong> IV<br />

mour-propre, et l'on ne se souvient .plus que <strong>de</strong>s<br />

pro<strong>du</strong>ctions <strong>de</strong> leur'génie.<br />

Celles <strong>de</strong> Régnard lui ont donné une p<strong>la</strong>ce érainente<br />

après Molière, et il a su être un grand comique<br />

sans lui ressembler. Ce n'est aï <strong>la</strong> raison su-


«56<br />

périetire, ni 1'exeellente morale, ni l'esprit d'observation,<br />

ni l'éloquence <strong>de</strong> style qu'on admire dans<br />

k Misaiikmpe, dans le Tùrtotfè, dans ks Femmes<br />

savantes. Ses situations sont moins fortes, maïs<br />

elles sont comiques; et ce-qui le caractérise sur­<br />

tout, c'est nm gaieté soutenue qui lui est particulière,<br />

un fonds inépuisable <strong>de</strong> saillies, <strong>de</strong> traits<br />

p<strong>la</strong>isants : il ne fait pas souvent penser, mais il fait<br />

toujours rire. La seule pièce où Ton remarque ce<br />

comique <strong>de</strong> caractère', ces résultats d'observation<br />

qui lui manquent ordinairement, c'est k J€wewr3<br />

et c'est aussi son plus bel ouvrage, et l'un <strong>de</strong>s<br />

meilleurs que l'on ait mis au théâtre <strong>de</strong>puis Molière.<br />

11 est bien intrigué et bien dénoué. Se servir<br />

d'une prêteuse sur gages pour amener le dénouaient<br />

d'une pièce qui s'appelle k Joueur, et faire<br />

mettre en gage par Valère le portrait <strong>de</strong> sa maîtresse<br />

à l'instant où il vient <strong>de</strong> le recevoir, est d'un auteur<br />

qui a parfaitement saisi son sujet : aussi Régnard<br />

était-il joueur. 11 a peint d'après nature; et toutes<br />

les scènes où le joueur parait sont eicellentes. Les<br />

variations <strong>de</strong> son amour, selon qu'il est plus ou<br />

moins heureux au jeu; l'éloge passionné qu'il fait<br />

<strong>du</strong> jeu quand il a gagné ; ses fureurs mêlées <strong>de</strong> souvenirs<br />

amoureux quand il a per<strong>du</strong>; ses alternatives<br />

<strong>de</strong> joie et <strong>de</strong> désespoir ; le respect qu'il a pour l'argent<br />

gagné au jeu, au point <strong>de</strong> ne pas vouloir s'en<br />

servir même pour retirer le portrait d'Angélique;<br />

cet axiome <strong>de</strong> joueur qu'on a tant répété, et qui<br />

souvent même est celui do gens qui pe jouent pas,<br />

Rien ne porte malbeur œnu&fl payer MI <strong>de</strong>ttes ;<br />

tout ce<strong>la</strong> est <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> vérité. Le mémoire<br />

que présente Hector à M. Géronte, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ttes ac<br />

tives et passives <strong>de</strong> son ils, est <strong>de</strong> <strong>la</strong> tournure <strong>la</strong><br />

plus gaie. Les autres personnages, il est vrai, ne<br />

sont pas tous si bien traités. La comtesse est même<br />

à peu. prçs inutile, et le faux marquis est un rôle<br />

outré, et quelquefois un peu froid : mais 11 est<br />

adroit <strong>de</strong> l'avoir fait démarquiser par cette même<br />

madame <strong>la</strong> Ressource qui rompt le mariage <strong>du</strong><br />

Joueur avec Angélique. 11 n'est pas non plus trèsvraisemb<strong>la</strong>ble<br />

que le maître <strong>de</strong> trictrac, qui vient<br />

pour Valère, prenne Géronte pour lui, et débute<br />

par lui proposer <strong>de</strong>s leçons d'eserqquerfc : ces sortes<br />

<strong>de</strong> gens connaissent mieux leur mon<strong>de</strong>. Mais <strong>la</strong><br />

scène est amusante; et tous ces défauts sont peu<br />

<strong>de</strong> chose en eompraison <strong>de</strong>s beautés dont <strong>la</strong> pièce<br />

est remplie. 11 y a même <strong>de</strong> ees mots heureux pris<br />

bien avant dans l'esprit humain.<br />

Ce Sénètpe", monsieur, est nn excellent homme.<br />

Hatt-I<strong>de</strong>Pirlê?<br />

Rue, if était <strong>de</strong> tome,<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

répond le Joueur désespéré, qui ne songe à rien<br />

moins qu'à ce qu'il dit; et tout <strong>de</strong> suite il s'écrie<br />

avec rage :<br />

Mi fols à carte triple être pris le ptoster!<br />

Ce dialogue est <strong>la</strong> nature même : le poète, qui était<br />

joueur, n'a eu <strong>de</strong> ces mots-là que daes <strong>la</strong> peinture<br />

d'un caractère qui est le sien; et Molière, qui en<br />

est rempli, les a répan<strong>du</strong>s dans tous ses sujets; en<br />

sorte qu!il a toujours trouvé par <strong>la</strong> force <strong>de</strong> son<br />

génie ce que Régnard n'a trouvé qu'une fois et dans<br />

lui-même.<br />

après k Imsmr, 11 faut p<strong>la</strong>cer k Légataire. 11 y<br />

a même <strong>de</strong>s gens d'esprit et <strong>de</strong> goût qui préfièrent<br />

cette <strong>de</strong>rnière pièce à toutes celles <strong>de</strong> Régnard :<br />

c'est peut-être le chef-d'œuvre <strong>de</strong> <strong>la</strong> gaieté comi­<br />

que, j'entends <strong>de</strong> celle qui se borne à faire rire.<br />

Elle est remplie <strong>de</strong> situations qui par <strong>la</strong> forme approchent<br />

<strong>du</strong> grotesque, telles que 1e déguisement<br />

<strong>de</strong> Grispln en veuve et en campagnard, mais qui<br />

dans le fond ne sont si basses ni triviales, et ne sortent<br />

point <strong>de</strong> 1a vraisemb<strong>la</strong>nce. Le testament <strong>de</strong><br />

Crispin s'en éloigne d'autant moins, que cette soène<br />

rappe<strong>la</strong>it une aventure semb<strong>la</strong>ble qui venait <strong>de</strong> sa<br />

passer en réalité. Mais il y a loin d'un testament<br />

supposé, qui n'est pas, après tout, une chose trèsrare<br />

, à <strong>la</strong> manière dont le Crispin <strong>de</strong> Régnard fat<br />

le'sien, en songeant d'abord à ses affaires, et ensuite<br />

à celles <strong>de</strong> son maftre. Jamais rien n'a fait plus<br />

rire au théâtre que ce testament. On a dit avec raison<br />

que cette pièce n'était pas d'un bon exemple ;<br />

et ce n'est pas <strong>la</strong> seule où <strong>la</strong> friponnerie soit impunie.<br />

Mais <strong>du</strong> moins le personnage nommé légataire<br />

universel est celui qui naturellement doit l'être, et<br />

k pièce est une leçon bien frappante <strong>de</strong>s dangers<br />

qui peuvent assiéger k fielleuse luûrme d'un eêHbatmre.<br />

Il est bien étrange qu'os ait imaginé <strong>de</strong>puis<br />

<strong>de</strong> refaire cette pièce sous le nom <strong>du</strong> Fîmx Gmcm,<br />

et qu'un autre auteur, tout aussi cou<strong>la</strong>nt, ait<br />

cru faire un CéiîbaMre, en mettant fpr k scène<br />

un homme <strong>de</strong> trente ans qui ne veut pas se marier.<br />

Les Mémechwm sont, apuls k Légataire, le<br />

fonds le plus comique que fauteur ait manié. Le<br />

sujet est <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nte : nous avons vu, à l'artleJe ie<br />

ce poète <strong>la</strong>tin», combien il est resté au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong><br />

son imitateur; celui-ci multiplie bien davantage les<br />

méprises, et met à <strong>de</strong> bien plus gran<strong>de</strong>s épreuves<br />

k patience <strong>du</strong> Ménechme campagnard. La ressemb<strong>la</strong>nce<br />

ne pro<strong>du</strong>it guère dans P<strong>la</strong>nte que <strong>de</strong>s friponneries<br />

assez froi<strong>de</strong>s; dans Régnard elle pro<strong>du</strong>it une<br />

foule <strong>de</strong> situations plus réjouissantes les unes que<br />

les autres. J'avope que cette ressemb<strong>la</strong>nce n'est<br />

guère vraisemb<strong>la</strong>ble, et qu'en <strong>la</strong> supposant aussi


gran<strong>de</strong> qu v elle peut Titre, le contraste <strong>du</strong> militaire<br />

et <strong>du</strong> provincial dans le <strong>la</strong>ngage et les manières eil<br />

si marqué f qu'on se peut pas croire que l'œil d'une<br />

amante puisse s'y tromper. Mais ce contraste di?ertit,<br />

et Fou se prête à l'illusion pour l'intérêt <strong>de</strong> son<br />

p<strong>la</strong>isir. Un trait d'habileté dans Fauteur, c'est d'a-<br />

?oir donné au Ménechme officier, non-seulement<br />

une jeune maîtresse qu'il aime, mais une liaison<br />

d'intérêt ave© une Yîeille folié dont il est aimé. La<br />

douleur <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeune personne ne pouvait pas être<br />

risibie, et on l'aurait vue avec peine humiliée^t<br />

chagrinée par les <strong>du</strong>retés et les brusqueries <strong>du</strong> campagnard<br />

: aussi Régnard ne <strong>la</strong> ïaisse-t-il dans Fer»<br />

reur que pendant une seule scène, et se hâte-yi<br />

<strong>de</strong> Fen tirer. Mais pour <strong>la</strong> ridicule Àraminte, il <strong>la</strong><br />

met en œuvre pendant toute <strong>la</strong> pièce , avec d'autant<br />

plus <strong>de</strong> succès, que personne ne <strong>la</strong> p<strong>la</strong>int , et qu'étant<br />

fort loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> douceur et <strong>de</strong> <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>stie d'Igabelle,<br />

elle pousse jusqu'au <strong>de</strong>rnier eicès les eitravagances<br />

<strong>de</strong> son désespoir amoureux, et met,<br />

i force <strong>de</strong> persécutions, le pauvre provincial absolument<br />

hors <strong>de</strong> toute mesure. Les scènes épisodifaes<br />

<strong>du</strong> gascon et <strong>du</strong> tailleur sont dignes <strong>du</strong> reste<br />

pour l'effet comique, et ces sortes <strong>de</strong> méprises, nées<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> ressemb<strong>la</strong>nce, sont un fttods si inépuisable,<br />

-que nous ayons au théâtre italien trois pièces sur<br />

le même sujet, qui toutes trois sont vues avec p<strong>la</strong>isir.<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

Il s'en faut <strong>de</strong> beaucoup que BémocrUe et k DUtrmU<br />

soient <strong>de</strong> <strong>la</strong> même force que les ouvrages dont<br />

je viens <strong>de</strong> parler, qui sont les chefs-d'œuvre <strong>de</strong><br />

Régnard. Je croîs qu'il se trompa quand il crut que<br />

Bémocrite amoureui pouvait être un personnage<br />

comique : il y en a peu au théâtre d'aussi froids d'un<br />

bout à l'autre. Peut-être <strong>la</strong> crainte <strong>de</strong> dégra<strong>de</strong>r un<br />

philosophe célèbre a-t-dle empêché Fauteur <strong>de</strong> le<br />

rendre propre à <strong>la</strong> comédie ; peut-être k toute force<br />

était-il possible d'en venir à bout : mais ce qui est<br />

certain, c'est que Régnard y a entièrement échoué.<br />

Démœriteest épris <strong>de</strong> sa pupille, comme Arnolphe<br />

Test <strong>de</strong> <strong>la</strong> sienne ; mais qu'il s'en faut que sa passion<br />

ait <strong>de</strong>s symptômes aussi violents et aussi expressfs<br />

que celle d 9 Arnolphe! 11 ne sort jamais <strong>de</strong> sa<br />

gravité; il ne parle <strong>de</strong> sa faiblesse que pour se <strong>la</strong><br />

reprocher ; c'est pour ainsi dire un secret entre le<br />

publie et lui, et un secret dit à l'oreille. Ces sortes<br />

<strong>de</strong> coni<strong>de</strong>nces peuvent être philosophiques, mais<br />

elles sont g<strong>la</strong>ciales. Le public veut au théâtre qu'on<br />

lui parle tout haut, et qu'on ne soit rien à <strong>de</strong>mi. C'est<br />

là où Molière eicelle à savoir jusqu'où un travers<br />

dérange Fesprit, jusqu'où une passion renverse «as<br />

tête; il va toujours aussi loin que <strong>la</strong> nature. D'ailleurs<br />

l'amour # Arnolphe pro<strong>du</strong>it <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nts très-<br />

M aAin. — von i.<br />

ê&7<br />

théâtral»; celui <strong>de</strong> Démocrite n'en pro<strong>du</strong>it aucun.<br />

Le froid amour d'Agélâs pour <strong>la</strong> pupille <strong>de</strong> Bémocrite,<br />

et l'amour encore plus froid <strong>de</strong> <strong>la</strong> princesse<br />

Ismène pour Agénor, et une reconnaissance triviale,<br />

achèvent <strong>de</strong> gâter <strong>la</strong> pièce. Cependant eMe est restée<br />

au théâtre. Comment? comme plusieurs autres<br />

pièces, pour une seule scène, celle <strong>de</strong> Gléanthis et<br />

<strong>de</strong> Strabon. La situation et le dialogue sont, dans<br />

leur genre, d'un.comique parfait. Mais s'il y a <strong>de</strong>s<br />

ouvrages qu'une seule scène a fait vi?re au théâtre,<br />

ils y traînent d'ordinaire une existence bien <strong>la</strong>uguissante;<br />

et il y en a peu d'aussi abandonnés que Démocrite.<br />

Le BhtraU vaut mieux, puisque <strong>du</strong> moins il<br />

amuse : mais <strong>la</strong> distraction n'est point un caractère,<br />

une habitu<strong>de</strong> morale, c'est un défaut <strong>de</strong> Fesprit , un<br />

vice d'organisation, qui n'est susceptible d'aucun<br />

développement, et qui ne peut avoir aucun but d'instruction.<br />

Une distractioif ressemble à une autre;<br />

et dès que le Distrait est annoncé pour tel, on s'attend,<br />

lorsqu'il parait, à quelque sottise nouvelle.<br />

Régnard a emprunté une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> celles un<br />

MéuMiqm <strong>de</strong> <strong>la</strong> Bruyère, et sa pièce n'est qu'une<br />

suite d'inci<strong>de</strong>nts qui ne peuvent jamais pro<strong>du</strong>ire un<br />

embarras réel, parce que le Distrait rétablit tout<br />

dès qu'il revient <strong>de</strong> son erreur, et qu'on ne peut,<br />

quoi qu'il fasse, se ficher sérieusement contre lut.<br />

Tel est au théâtre l'inconvénient d'un travers d'esprit,<br />

qui est nécessairement momentané. D'ailleurs,<br />

il y a <strong>de</strong>s bornes à tout, et peut-être Régnard les a<br />

t-il passées <strong>de</strong> bien plus loin que <strong>la</strong> Bruyère. Ménalque<br />

oublie, le soir <strong>de</strong> ses noces, qu'il est marié ;<br />

mais on ne nous dit pas <strong>du</strong> moins qu'il ait épousé<br />

une femme qu 9 il aimait éper<strong>du</strong>ment ; et le Distrait,<br />

qui est très-amoureux <strong>de</strong> <strong>la</strong> sienne, oublie qu'elle<br />

est sa femme, I Finstant même où il vient <strong>de</strong> Fobte -<br />

air, La distraction est un peu forte, et <strong>la</strong> folie complèten'iraitpas<br />

plus loin. L'intrigue est peu <strong>de</strong> choie:<br />

le dénoùmentnie consiste que dans une fausse iettre,<br />

moyen osé <strong>de</strong>puis les Pemlms mpmfOês : m<br />

ce n'est pas <strong>la</strong> seule imitation <strong>de</strong> Molière, ni dans<br />

cette pièce, ni dans les autres <strong>de</strong> Régnard ; il f en<br />

a <strong>de</strong>s traces asseï frappantes. Maisenin kBkêrmii<br />

m soutient par l'agrément <strong>de</strong>s détails, par le contraste<br />

<strong>de</strong> l'humeur folle <strong>du</strong> chevalier et <strong>de</strong> l'humeur<br />

revéche <strong>de</strong> madame Grognât, i qui l'on fait dan- *<br />

mx <strong>la</strong> courante. An reste, k Msirmii tomba dans<br />

sa nouveauté, et c'est <strong>la</strong> seule pièce <strong>de</strong> Régnard qui<br />

ait éprouvé ce 'sort. I fut «pris au bout <strong>de</strong> trente<br />

ans, après <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Fauteur, et il réussit.<br />

Les FoMes mw%mmmm sont dans le genre <strong>de</strong><br />

ces canevas italiens où il y a toujours un docteur<br />

<strong>du</strong>pé par <strong>de</strong>s moyens grotesques; un mariage et


iSi COUES DE L1TTEEATUEE.<br />

dit dames. Hégaard avait jessayé son talent pendant<br />

dii ans sur le théâtre italien ; il it environ<br />

use domaine <strong>de</strong> pièces, moitié italiennes, moitié<br />

françaises, tantôt seul, tantôt en société avec<br />

Dufresny. Le voyage qu'il a?ail fait en Italie 9 dans<br />

sa première jeunesse, et <strong>la</strong> facilité qu'il a?ait à<br />

parler <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>du</strong> pays, lui avaient fait goûter <strong>la</strong><br />

panlumime <strong>de</strong>s bouffons ultra<strong>mont</strong>ains , et les saillies<br />

<strong>de</strong> leur dialogue. 11 est probable que ses premiers<br />

essais en ce genre influèrent dans <strong>la</strong> suite<br />

sur sa manière d'écrire. On peut remarquer que<br />

les Français , nation en général plus pensante que<br />

les Italiens et les Grecs, sont les seuls qui aient<br />

établi <strong>la</strong> bonne comédie sur une base <strong>de</strong> philosophie<br />

morale. La gesticu<strong>la</strong>tion et les <strong>la</strong>zzis font<br />

ches les Italiens plus <strong>de</strong> <strong>la</strong> moitié <strong>du</strong> comique,<br />

comme ils font <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> leur conversation<br />

et quelquefois <strong>de</strong> leur esprit.<br />

Il ne faut pas parler <strong>du</strong> Bal et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Séréna<strong>de</strong> ,<br />

premières pro<strong>du</strong>ctions <strong>de</strong> Régnard, qui ne sont<br />

que <strong>de</strong>s espèces <strong>de</strong> croquis dramatiques formés <strong>de</strong><br />

•cènes prises partout, et rou<strong>la</strong>nt toutes sur <strong>de</strong>s friponneries<br />

<strong>de</strong> valets , qui dès ce temps étaient usées.<br />

Mais k Retour imprévu (dont le sujet est tiré <strong>de</strong><br />

Haute), quoique fondé aussi sur les mensonges<br />

cf un valet, est ce que nous avons <strong>de</strong> mieux en ce<br />

genre. Les inci<strong>de</strong>nts que pro<strong>du</strong>it le retour <strong>du</strong> père,<br />

et le personnage <strong>du</strong> marquis ivre, et <strong>la</strong> scène entre<br />

M. Géronte et madame Argaote, où chacun d'eux<br />

croit que Fautre a per<strong>du</strong> l'esprit, sont d'un comique<br />

naturel, sans être bas f et achèvent <strong>de</strong> confirmer ce<br />

que Despréanx répondit à un critique très-injuste t<br />

qui lui disait que Régnard était un auteur médiocre :<br />

« IIn'e$tpm9 dMkjwMckmx$aUr§qm, MÀfioeremmi<br />

gai. »<br />

Êmmmm,—miîsmmyf^mmmîîfmmlM^^.<br />

Dnfanqr, qui tut lié longtemps avec Régnard,<br />

•§ brouil<strong>la</strong> avec lui à Foccasion <strong>du</strong> Joueur, dont il<br />

prétendit, avec aises <strong>de</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce, ope le sujet<br />

lui avait été dérobé; mais quand il donna son<br />

CkmaMer jmewr, il prouva que les sujets sont en<br />

effet à ceux qui savent le mieux les traiter. La comédie<br />

<strong>de</strong> Régnant eut <strong>la</strong> plus.complète réussite, et<br />

Fouwtge <strong>de</strong> DuJwsny échoua entièrement. En général,<br />

il fut aussi malheureux au théâtre que Régnard<br />

y fin bien traité. La plupart <strong>de</strong> ses pièces moururent<br />

en naissant, et celles mêmes qui lui ont fait une juste<br />

réputation n'eurent qu'un sueeès médiocre, ht €ke*<br />

tout ce qui le distingue : il pétille d'esprit, et cet<br />

esprit est absolument. original. Mils comme cet<br />

esprit est toujours le sien, il arrive que tans ses<br />

personnages, mime ses paysans, n'en ont point<br />

d'autre; et le vrai talent dramatique oonsiste au<br />

contraire à se cacher pour se <strong>la</strong>isser voir que tes<br />

personnages. Ce<strong>la</strong> n'empêche pas que- Dufresny ne<br />

mérite une p<strong>la</strong>ce distinguée. VEsprU ée cmirmM^<br />

Mm, k Douèkwmmage, te MmùgefaUH rompu,<br />

les trois plus jolies pièces qu'il nous ait <strong>la</strong>issées,<br />

soutd'une composition agréable^ piquante, et


SIÈCLE BI LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

659<br />

im <strong>de</strong>ux, vieil<strong>la</strong>rds dans k Dépit amoureux <strong>de</strong> Mo­ nous fait re<strong>de</strong>vables <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie à <strong>la</strong> protection<br />

lière; et le foui <strong>de</strong> l'intrigue est «a déguisement <strong>de</strong> que Richelieu accorda au grand Corneille; mais<br />

valet, comme il y en a dans ¥isgt autres pièces. n'est-ce pas faire à ce ministre un peu trop d'honneur ?<br />

Dancourt marche bien loin après Dufresny, et et lui <strong>de</strong>vons-nous <strong>la</strong> tragédie parce qu'il donnait<br />

pourtant doit avoir son rang parmi les comiques une petite pension à Corneille, qu'il le faisait tra­<br />

<strong>du</strong> troisième ordre; ce qui est encore quelque chovailler aux pièces <strong>de</strong>s cinq auteurs, et qu'il fit cense.<br />

Son théâtre est composé <strong>de</strong> douie volumes, surer le Cid par l'Académie? On faisait <strong>de</strong>s tragédies<br />

dont les trois quarts sont comme s'ils n'étaient pas ; en France <strong>de</strong>puis plus d'un siècle, mauvaises à <strong>la</strong><br />

car s'il est facile d'accumuler les bagatelles f il n'est vérité ; mais enfin <strong>la</strong> théorie <strong>de</strong> fart était connue et<br />

pas aisé <strong>de</strong>.lenr donner un prix. Cet auteur courait si l'auteur <strong>de</strong>s Horaees et <strong>de</strong> dnna sut porter cet<br />

après l'historiette ou l'objet <strong>du</strong> moment, pour en art à un très-haut <strong>de</strong>gré, s'il nous apprit le premier<br />

faire un vau<strong>de</strong>ville qu'on oubliait aussi vite que le ce que c'était que <strong>la</strong> tragédie, c'est à lui que nous le<br />

fait qui l'avait fait naître. De ce genre sont, <strong>la</strong> Foire <strong>de</strong>vons, ce me semble, et non pas à Richelieu,<br />

<strong>de</strong> Bemms, <strong>la</strong> Foire <strong>de</strong> Saint*€ermaln, <strong>la</strong> Déroute comme ce n'est pas à Richelieu qu'il <strong>du</strong>t son génie,<br />

<strong>du</strong> Pharaon 9 <strong>la</strong> Déso<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s Joueuses, V'Opémais<br />

uniquement à <strong>la</strong> nature.<br />

rateur Barrw, le VerPGakmi, k Retour <strong>de</strong>s offi­ A l'égard <strong>de</strong> l'opéra, il est' sûr que Mazaris nous<br />

ciers, ksEamx <strong>de</strong>Bomrbm, ks Fêtes <strong>du</strong> Cours, ks ^ donna <strong>la</strong> première idée <strong>de</strong> ce spectacle, jusqu'alors<br />

Agioteurs, etc. Ses pièces même les plus agréables, ' absolument inconnu en France ; et quoique ses ef­<br />

celles où il a peint <strong>de</strong>s bourgeois et <strong>de</strong>s paysans, ont forts pour Py faire adopter n'eussent aucunement<br />

toutes un air <strong>de</strong> ressemb<strong>la</strong>nce. Mais il n'en est pas réussi, quoique les trois opéras qu'il fit représenter<br />

moins wai que k Ga<strong>la</strong>nt Jardinier, k Mari re­ au Louvre, à différentes époques, par <strong>de</strong>s musiciens<br />

trouvé, ks Trois Cousines, et ks Bourgeoises <strong>de</strong> et <strong>de</strong>s décorateurs <strong>de</strong> son pays, n'eussent pro<strong>du</strong>it<br />

qualité, seront toujours au nombre <strong>de</strong> nos petites d'autre effet que d'ennuyer à grands Irais <strong>la</strong> cour et<br />

pièces qu'on revoit avec p<strong>la</strong>isir. Il y a dans son dia­ <strong>la</strong> ville, et <strong>de</strong> valoir au cardinal quelques épigrammes<br />

logue <strong>de</strong> l'esprit qui n'exclut pas le naturel : il rend <strong>de</strong> plus, c'était pourtant nous faire connaître une<br />

ses paysans agréables sans leur ôter <strong>la</strong> physionomie nouveauté, et ses tentatives, toutes malheureuses<br />

qui leur convient, et II saisit assez bien quelques-uns qu'elles furent, renouvelées après lui sans avoir '<br />

<strong>de</strong>s ridicules <strong>de</strong> <strong>la</strong> bourgeoisie.<br />

beaucoup <strong>de</strong> succès, étaient en effet les premiers<br />

De Dancourt à Hauteroche, il faut encore <strong>de</strong>s­ fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> l'édifice élevé <strong>de</strong>puis par Lulli et<br />

cendre beaucoup : qu'on juge quel chemin nous Quinault.<br />

avons fait <strong>de</strong>puis Molière f sans sortir d'un même siè­ Ndtts avons vu à l'article <strong>de</strong> <strong>la</strong> Toison d'Or, <strong>de</strong><br />

cle! C'est ici <strong>du</strong> moins qu'il faut s'arrêter. On joue Corneille, que le marquis <strong>de</strong> Sour<strong>de</strong>ac fit représenter<br />

quelques pièces <strong>de</strong> Hauteroche : son EsprU fotkê est cette pièce, d'un genre extraordinaire, dans son<br />

un mauf ais drame italien, écrit en style <strong>de</strong> Scarron, château <strong>de</strong> Neubourg m Normandie. Ce n'était ps<br />

et fait pour <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong>, qui aime les histoires d'es­ encore un opéra; maïs, <strong>du</strong> moins, il y avait déjà<br />

prits et d'apparitions, le Deuil est encore un conte dans ce drame un peu <strong>de</strong> musique et <strong>de</strong>s machines.<br />

<strong>de</strong> revenant; et Crispin mé<strong>de</strong>cin, et k Cocker sup­ C'est ce marquis <strong>de</strong> Sour<strong>de</strong>ac qui se mit es tête <strong>de</strong><br />

posé, ne doivent leur existence qu'à l'in<strong>du</strong>lgence naturaliser l'opéra en Franee. Il s'était associé avec<br />

excessive que l'on a ordinairement pour ces petites un abbé Perrin, qui faisait <strong>de</strong> mauvais vers, et un<br />

pièces qui complètent'<strong>la</strong> <strong>du</strong>rée <strong>du</strong> spectacle. violon nommé Cambert, qui taisait <strong>de</strong> mauvaise<br />

musique : pour lui, il s'était chargé <strong>de</strong> <strong>la</strong> partie <strong>de</strong>s<br />

décorations. Le privilège d'une académk rofak<br />

<strong>de</strong> musique fut expédié à l'abbé Perrin, et Pon re­<br />

CHAPITRE VIH. — De topera dans k siècle <strong>de</strong><br />

présenta sur Se théâtre <strong>de</strong> <strong>la</strong> rua Guénégaud Pmmme,<br />

Loua XIV, et particulièrement <strong>de</strong> QminauB*<br />

et ks Peines et les P<strong>la</strong>isirs <strong>de</strong> tJmmr, avec asses<br />

L'opéra est venu d'Italie es France s comme tous <strong>de</strong> succès pour donner l'idée d'un spectacle qui<br />

les beaux-arts <strong>de</strong> Pancienne Grèce, qui, longtemps pouvait être agréable. Mais comme toute entreprise<br />

dégradés, dans le Bas-Empire, ressuscitèrent suc­ <strong>de</strong> cette espèce est, dans ses commencements, plus<br />

cessivement à Florence, à Ferrare f à Rome s*et enfin coêteuse que lucrative, les entrepreneurs s'y ruinè­<br />

parmi nous. Ce fut Masarin qui it représenter à rent, et finirent par cé<strong>de</strong>r leur privilège à Luill,<br />

Paris les premiers opéras, et c'étaient <strong>de</strong>s opéras surintendant <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique <strong>du</strong> roi, qui joua d'abord<br />

italiens. Voltaire dit à ce sujet que c'est à <strong>de</strong>ux car­ dans un jeu tfe paume, et peu après sur le théâtre<br />

dinaux que nous <strong>de</strong>vons <strong>la</strong> tragédie et l'opéra. H <strong>du</strong> Pa<strong>la</strong>is-<strong>Royal</strong>. <strong>de</strong>venu vacant après <strong>la</strong> mort if<br />

«S.


êm<br />

Molière. LuMi eut le bonheur <strong>de</strong> s'associer avfs<br />

Quinault; et cette association It bientôt <strong>la</strong> fortune<br />

<strong>du</strong> musicien Y et <strong>la</strong> gloire <strong>du</strong> poète après sa mort.<br />

Remarquons, en passant, qu'un <strong>de</strong>s grands obstacles<br />

qui's'opposèrent d'abord à ce nouvel établissement<br />

ne fut pas seulement l'ennui qu'on avait<br />

éprouvé à Topera italien, mais <strong>la</strong> persuasion générale<br />

que jptre <strong>la</strong>ngue n'était pas faite pour <strong>la</strong> musique.<br />

On -voit que ce n'était pas une chose nouvelle, que<br />

le paradoie qui il tant <strong>de</strong> bruit il y a trente ans,<br />

quand Rousseau nous dit : Les Français n'mtrwd<br />

jamais <strong>de</strong> mmîqm; et s'ils m md une, ce sera<br />

tmmi pk pow eux. Son grand argument était que<br />

<strong>la</strong> prosodie <strong>de</strong> notre <strong>la</strong>ngue est moins musicale que<br />

celle <strong>de</strong>s Italiens : c'est comme si l'on disait que<br />

les Français n'auront jamais <strong>de</strong> poésie, parce que<br />

leur <strong>la</strong>ngue est moins harmonieuse et moins maniable<br />

que celle <strong>de</strong>s Grecs et'<strong>de</strong>s Latins. Mais ce qu'on<br />

ne peut dissimuler, c'est que ce fut un étranger qui<br />

nous II croire pendant longtemps que nous avions<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> musique à l'opéra français; et qu'à ce même<br />

opéra, ce sont encore <strong>de</strong>s étrangers qui nous ont<br />

enfin apporté <strong>la</strong> bonne musique.<br />

• Avant <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> Quinault et <strong>de</strong> ceux qui font<br />

suivi 9 je crois <strong>de</strong>voir commencer par quelques no­<br />

tions générales sur ce genre <strong>de</strong> drame, dont il a<br />

été prmi nous le véritable créateur.<br />

Quoique l'on ait comparé notre opéra à <strong>la</strong> tragédie<br />

grecque, et qu'il y ait effectivement entre eui<br />

ce rapport générique, que l'un et l'autre est un drame<br />

chanté, cependant il y a d'ailleurs bien <strong>de</strong>s différences<br />

essentielles. La première et <strong>la</strong> plus considérable,<br />

c'est que <strong>la</strong> musique, sur le théâtre <strong>de</strong>s Grecs, n'était<br />

évi<strong>de</strong>mment qu'accessoire, et que, sur celui <strong>de</strong><br />

l'opéra français, elle est nécessairement le principe<br />

surtout en y joignant <strong>la</strong> danse, qu'elle mène<br />

à sa suite, comme étant <strong>de</strong> son domaine. L'ancienne<br />

mélopée, qui ne gênait en rien le dialogue tragique,<br />

•t qui se prétait aux développements les plus éten<strong>du</strong>s<br />

, au raisonnement, à <strong>la</strong> discussion, à <strong>la</strong> longueur<br />

<strong>de</strong>s récita f aux détails <strong>de</strong> <strong>la</strong> narration, régnait d'un<br />

bout à l'autre <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, et n'était interrompue<br />

que dans les entr'actes, lorsque le chant <strong>du</strong> chœur,<br />

différent daeelui <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène, était accompagné d'une<br />

marche ca<strong>de</strong>ncée et religieuse, faite pour imiter<br />

celle qu'on avait coutume d'exécuter autour <strong>de</strong>s au*<br />

tels, et qu'on appe<strong>la</strong>it suivant les diverses positions<br />

<strong>de</strong>tlgurants, <strong>la</strong> stropne, Fantistrophe, l'épo<strong>de</strong>, etc.<br />

Ces mouvements réguliers étaient constamment les<br />

mimes ; et, lorsque le chœur se mê<strong>la</strong>it au dialogue,<br />

il n'employait que <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>mation notée pour <strong>la</strong><br />

scène. Il y a loin <strong>de</strong> cette uniformité <strong>de</strong> procédés<br />

à <strong>la</strong> variété qui caractérise notre opéra, aux choeurs<br />

CODES BB JUTEIBATUBB.<br />

.<strong>de</strong> toute espèce, mis en action <strong>de</strong> toutes les manié*<br />

res, et changés souvent d'acte en acte, tandis que<br />

celui <strong>de</strong>s anciens n'était qu'un personnage toujours<br />

le même, toujours passif et moral; à <strong>la</strong> musique<br />

plus ou moins bril<strong>la</strong>nte <strong>de</strong> nos <strong>du</strong>os, inconnus dans<br />

les pièces grecques ; à nos fêtes, aux ballets formant<br />

une espèce <strong>de</strong> scènes à part, liées seulement au sujet<br />

par un raport quelconque ; enfin à ce merveilleux <strong>de</strong><br />

nos métamorphoses, dont il n 9 y a nulle trace dans<br />

les tragiques grecs. Je ne parle pas <strong>de</strong>s airs d'expression,<br />

qui sont aujourd'hui l'un! <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s<br />

beautés <strong>de</strong> notre opéra : c'est une richesse nouvelle<br />

que LuIIî ne connaissait pas, puisqu'il ne <strong>de</strong>mandait<br />

point <strong>de</strong> ces airs à Quinault ; mais tous ces accessoires<br />

que je viens <strong>de</strong> détailler étaient absolument étrangers<br />

à <strong>la</strong> tragédie greoqtA, et sont <strong>la</strong> substance île<br />

notre opéra. La raison <strong>de</strong> cette diversité se retrouve<br />

'dans le fait que j'ai d'abord établi, que <strong>la</strong> musique<br />

n'était qu'un ornement <strong>du</strong> seul spectacle dramatique<br />

qu'ait eu <strong>la</strong> Grèce et qu'elle est <strong>de</strong>venue le fond <strong>du</strong><br />

nouveau spectacle, ajouté, sous le nom d'opéra, à<br />

celui que nous offrait le théâtre français.<br />

De cette différence <strong>de</strong> principe a dû naître celle <strong>de</strong>s<br />

effets. Les Grecs s se bornant à noter <strong>la</strong> parole » ont<br />

eu <strong>la</strong> véritable tragédie chantée, et, en <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>mant<br />

en mesure, lui ont <strong>la</strong>issé d'ailleurs tout ce qui lui<br />

appartient, n'ont restreint ni l'éten<strong>du</strong>e <strong>de</strong> ses attributs,<br />

ni <strong>la</strong> liberté <strong>du</strong> poète. Au contraire, l'opéra,<br />

quoique nous Tappellions tragédie lyrique, est tellement<br />

un genre particulier, très-distinct <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie<br />

chantée, que, lorsqu'on a imaginé <strong>de</strong> transporter<br />

sur le théâtre <strong>de</strong> l'opéra les ouvrages <strong>de</strong> nos tragiques<br />

français, il a fallu commencer par les dénaturer<br />

au point <strong>de</strong> les rendre méconnaissables; en conservant<br />

le siyet, il a fallu une autre marche, un autre<br />

dialogue, une autre forme <strong>de</strong> versification. Mous<br />

n'avons certainement point <strong>de</strong> compositeur qui<br />

volftt se charger <strong>de</strong> mettre en musique IpMgémm<br />

et Phèdre, telles que Racine les a faites ; et les musiciens<br />

d'Athènes prirent <strong>la</strong> Pkêdre et Vlphêgémie<br />

<strong>de</strong>s mains d'Euripi<strong>de</strong>, telles qu'il lui avait plu <strong>de</strong><br />

les faire.'<br />

Lorsque, arrivé à l'époque <strong>de</strong> dix-huitième siècle v<br />

je rencontrerai sur mon passage <strong>la</strong> révolution pro<strong>du</strong>ite<br />

sur le théâtre <strong>de</strong> Fopéra par celle que <strong>la</strong> musique<br />

a tout récemment éprouvée, il sera tempe<br />

alors d'examiner s'il y a quelque fon<strong>de</strong>ment à cette<br />

prétention nouvelle <strong>de</strong> foire <strong>de</strong> Fopéra une vraie<br />

tragédie: Je m'efforce, autant que je le puis, cfe<br />

n'anticiper sur aucun <strong>de</strong>s objets que j'ai à traiter.<br />

Je ne me détourne point <strong>de</strong> ma route pour courir<br />

après Terreur : c'est bien assea <strong>de</strong> <strong>la</strong> combattre<br />

quand on <strong>la</strong> trouve sur son chemin*


L'opéra tel qu'il a été <strong>de</strong>puis Qtûnault jusqu'à nos<br />

jours, est donc une espèce prticulière <strong>de</strong> drame,<br />

formé <strong>de</strong> <strong>la</strong> réunion <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie et <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique ;<br />

mais <strong>de</strong> façon que <strong>la</strong> première étant très-subordonnée<br />

à <strong>la</strong> secon<strong>de</strong>, elle renonce à plusieurs <strong>de</strong> ses<br />

avantagés pour lui <strong>la</strong>isser tous les siens. C'est un<br />

résultat <strong>de</strong> tous les arts qui savent imiter, par <strong>de</strong>s<br />

sons, par <strong>de</strong>s couleurs f par <strong>de</strong>s pas ca<strong>de</strong>ncés, par<br />

<strong>de</strong>s machines; c'est l'assemb<strong>la</strong>ge <strong>de</strong>s impressions<br />

les plus agréables qui puissent f<strong>la</strong>tter les sens. Je<br />

suis loin <strong>de</strong> vouloir médire d'un aussi bel art que<br />

<strong>la</strong> musique : médire <strong>de</strong> son p<strong>la</strong>isir est plus qu'une<br />

injustice 9 c'est une ingratitu<strong>de</strong>. Mais enfin il confient<br />

<strong>de</strong> mettre chaque chose à sa p<strong>la</strong>ce; et si quelqu'un<br />

s'avisait <strong>de</strong> contester <strong>la</strong> prééminence incontestable<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie, il suffirait <strong>de</strong> lui rappeîer que<br />

<strong>la</strong> musique, quand elje a voulu <strong>de</strong>venir <strong>la</strong> souveraine<br />

d'un grand spectacle, non-seulement a été<br />

forcée <strong>de</strong> traîner à sa suite cet attirail <strong>de</strong> prestiges<br />

dont <strong>la</strong> poésie n'a nul besoin, mais encore a été<br />

contrainte d'avoir re<strong>cours</strong> à eeïlfrcï, sans <strong>la</strong>quelle<br />

elle ne pouvait rien ; et que pour prendre <strong>la</strong> première<br />

p<strong>la</strong>ce, elle a <strong>de</strong>mandé qu'on <strong>la</strong> lui cédât. Elle a dit<br />

à <strong>la</strong> poésie : Puisque nous allons nous <strong>mont</strong>rer<br />

ensemble, faites-vous petite pour que je paraisse<br />

gran<strong>de</strong>; soyez faible pour que je sois puissante;<br />

dépouillez Une partie <strong>de</strong> vos ornements pour faire<br />

briller tous les miens; en un mot, je ne puis être<br />

reine qu'autant que vous voudrez bien être ma trèshumble<br />

sujette. C'est en vertu <strong>de</strong> cet accord que <strong>la</strong><br />

poésie, qui commandait sur le théâtre <strong>de</strong> Melpomène,<br />

vînt obéir sur celui <strong>de</strong> Polymnie. Heureusement<br />

pour elle, ce fut Quinault qui le premier traita<br />

en son nom, et se chargea <strong>de</strong> <strong>la</strong> représenter. II était<br />

précisément ce qu'il fal<strong>la</strong>it pour ce personnage secondaire;<br />

il n'avait ni <strong>la</strong> force, ni <strong>la</strong> majesté, ni l'éc<strong>la</strong>t<br />

qui auraient pu faire ombrage à <strong>la</strong> musique.<br />

Celle-ci, en sa qualité d'étrangère, obtint d'abord<br />

tous les hommages, bien moins par sa beauté, qui<br />

était alors fort médiocre, que par une pompe d'autant<br />

plus éblouissante qu'elle était nouvelle ; mais<br />

mm le temps U en est résulté te qui arrive quelquefois<br />

à une pan<strong>de</strong> dame magniiqnement parée, suivie<br />

d'un cortège imposant 9 et qui se trouve éclipsée<br />

par une jolie suivante qui a <strong>de</strong> <strong>la</strong> fraîcheur, <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

grâcef un air <strong>de</strong> douceur et <strong>de</strong> négligence, et <strong>de</strong>s<br />

ajustements d'une élégante simplicité. Ce sont les<br />

atours <strong>de</strong> <strong>la</strong> muse <strong>de</strong> Quinault, et il a fait oublier<br />

Lulli. L'un n'est plus chanté, et l'autre est toujours<br />

lu. Il est <strong>de</strong>meuré le premier dans son genre, quoiqu'il<br />

ait eu pour successeurs <strong>de</strong>s écrivains <strong>de</strong> mérite<br />

: c'est là surtout ce qui a fait reconnaître le sien.<br />

L'autorité d'un suffrage illustre, celui <strong>de</strong> Yoltaire,<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. - POÉSIE 06t<br />

a contribué encore à entraîner <strong>la</strong>voii publique, et<br />

à infirmer celle <strong>de</strong> Boileau. Mais si l'on a reproché<br />

au satirique d'avoir méconnu les beautés <strong>de</strong> Qui*<br />

nault, on accuse le panégyriste d'avoir été un peu<br />

trop loin, et <strong>de</strong> ne s'être pas assez souvenu <strong>de</strong>s défauts.<br />

Au moins ce <strong>de</strong>rnier excès est-il plus cxeusable<br />

que l'autre; car il semble que ce soit un titre<br />

pour obtenir l'in<strong>du</strong>lgence, que d'avoir essuyé Tin*<br />

justice. Aujourd'hui que 1a ba<strong>la</strong>nce a été longtemp<br />

en mouvement, il doit être plus facile <strong>de</strong> <strong>la</strong> tfftf<br />

dans son équilibre.<br />

Avant tout, ne faisons point les torts <strong>de</strong> Boileau<br />

plus grands qu'ils ne sont, et rétablissons <strong>de</strong>s faits<br />

trop souvent oubliés. Quand il par<strong>la</strong> <strong>de</strong> Quinault<br />

dans ses premières satires, le jeune poète n'avait<br />

fait que <strong>de</strong> mauvaises tragédies qui avalent beaucoup<br />

<strong>de</strong> succès, et le censeur <strong>du</strong> Parnasse faisait<br />

son office en les ré<strong>du</strong>isant à leur valeur. Il est vrai<br />

que longtemp après dans <strong>la</strong> satire contré les femmes,<br />

il s'élève contre<br />

Ces fient commuas <strong>de</strong> murale InMifiM,<br />

Qne Lulli réchauffa <strong>de</strong>s mm <strong>de</strong> sa musique;<br />

et quoique Lulli eût déjà travaillé sur d'autres paroles<br />

que sur celles <strong>de</strong> Quinault, les <strong>de</strong>ux vers <strong>du</strong><br />

critique, appliqués à Fauteur û'JrmMe, ont été<br />

trouvés injustes, et avec raison, s'ils portent généralement<br />

sur le style û'Jrmi<strong>de</strong> et é'Jtys, et <strong>de</strong>s<br />

autres bons opéras <strong>de</strong> Quinault , qui sûrement sont<br />

autre chose que <strong>de</strong>s lieux communs; sans parler <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> morale lubrique, expression dép<strong>la</strong>cée et indécente.<br />

11 n'est pas vrai non plus que Lulli ait réchauffé<br />

ces ouvrages, puisqu'ils ont survécu à <strong>la</strong><br />

musique; et Ton a dit <strong>la</strong> vérité dans ces vers, où<br />

l'on a pris <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> retourner <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong> Boileau<br />

contre lui :<br />

Au dépens <strong>du</strong> po#t«f on n'entend pi» vaut» -<br />

Ces aeeords <strong>la</strong>nguissants t cette MM* harmonie<br />

Que réchauffe Quinault <strong>du</strong> feu <strong>de</strong> son génie.<br />

Mais, pourtant ces mcords et cette harmonie<br />

avaient alors un si grand succès, qu'on pouvait par*<br />

donner à Bespréaux <strong>de</strong> croire avec toute <strong>la</strong> France<br />

qu'ils donnaient un prix aux vers <strong>de</strong> Quinault : et<br />

si Ton suppose que ceux <strong>du</strong> critique ne tombent que<br />

sur les paroles <strong>de</strong>s divertissements f on ne peut dire<br />

qu'il ait tort. II n'y a qu'à les prendre à l'osverturt<br />

<strong>du</strong> livre, et voirai le chant, quel qu'il fût, n'était<br />

pas nécessaire pour faire passer <strong>de</strong>s vers tels que<br />

ceux-ci:<br />

Qui sot prairie*<br />

Seront Heurtes!<br />

Les eœurs g<strong>la</strong>eea ' -<br />

Wwm Jamais m test dianéa»<br />

Cet lieux tranqnUlea<br />

Son! les asllea


861 COUfiS DE UTTÉ1ATU1E.<br />

Des dont p<strong>la</strong>isirs<br />

Et <strong>de</strong>s heureux lols<strong>la</strong><br />

JLâ terre est belle;<br />

La fleur nonfêUe<br />

Mt aux zéphyrs,"<br />

C'est dans nos bols<br />

. Qu'amour a fait ses lois.<br />

Leur vert feuil<strong>la</strong>ge<br />

Boit toujours <strong>du</strong>rer.<br />

Un cœur sauvage<br />

• H'y doit point entrer.<br />

La teste affalée<br />

D'âne bergère .,<br />

Est <strong>de</strong> songer<br />

Asonbarsjet.<br />

11 y en a un millier <strong>de</strong> eette espèce : on ne pouvait pas<br />

eiiger que Fauteur <strong>de</strong> l'Art poétique ' les trouvât<br />

bons.<br />

Il dit dans une <strong>de</strong> ses lettres :<br />

« J'étais fort jeune quand j'écrivis coatro M. Quinault,<br />

et I n'avait fait aucun <strong>de</strong>s ouvrages qui lui ont <strong>la</strong>it une<br />

Juste réputation. »<br />

Quelques lignes d'éloges jetées dans une lettre ne<br />

compensaient pas suffisamment <strong>de</strong>s traits <strong>de</strong> satire ,<br />

qui se retiennent d'autant plus aisément , qu'ils sont<br />

attachés à <strong>de</strong>s vers d'une tournure piquante. Mais<br />

je suis persuadé que Boileau était <strong>de</strong> bonne foi9 et<br />

que <strong>la</strong> nature lui avait refusé ce qui était nécessaire<br />

poiir sentir les charmes à'Jtys, é f Jrmi<strong>de</strong> et <strong>de</strong> Ro<strong>la</strong>nd,<br />

et pour en excuser les défauts. Des ou?rages<br />

où l'on par<strong>la</strong>it sans cesse d'amour, et msu souvent<br />

en style lâche et faible , ne pouvaient pas p<strong>la</strong>ire à un<br />

homme qui ne connaissait point ce sentiment, et<br />

qui ne pardonnait à Racine <strong>de</strong> l'avoir peint qu'en<br />

faveur <strong>de</strong> <strong>la</strong> beauté parfaite <strong>de</strong> sa versification.<br />

Nos jugements dépen<strong>de</strong>nt plus ou moins <strong>de</strong> nos<br />

goûts et <strong>de</strong> notre caractère, et nous verrons dans<br />

<strong>la</strong> suite Voltaire trompé plus d'une fois dans ses<br />

décisions par sa préférence trop eiclusive pour <strong>la</strong><br />

poésie dramatiques comme Boileau pat l'austérité<br />

<strong>de</strong> son esprit et <strong>de</strong> ses principes. Que Ton examine<br />

le jugement qu'il porte <strong>de</strong> Quinault dans ses referions<br />

critiques : le poète lyrique était mort réconcilié<br />

avec lui, et Ton ne peut guère Je soupçonner<br />

Ici d'aucune passion. Voici comme il en parle :<br />

« Quinault avait beaucoup d'esprit et un talent tout particulier<br />

pour faire <strong>de</strong>s vers bons à être mis en chant; mais<br />

ces vers n'étaient pas d'une gran<strong>de</strong> force ni d'une gran<strong>de</strong><br />

élévation. »<br />

Jusqu'ici il n'y a rien à dire : c'est <strong>la</strong> vérité. Il continue<br />

:<br />

« C'était lesr/afMêMf même qui les rendait d'autant<br />

p<strong>la</strong>s propres pour le musicien, auquel ils doivent leur<br />

principale gloire. »<br />

La première moitié <strong>de</strong> cette phrase est encore gêné- I<br />

ralement vraie ": le temps a dé<strong>mont</strong>ré combien <strong>la</strong> '<br />

secon<strong>de</strong> est fausse. Mais, en avouant mUêfmibkme,<br />

qui <strong>de</strong>vient sensible surtout pr <strong>la</strong> comparaison in<br />

style <strong>de</strong> Quinault avec celui <strong>de</strong> nos grands poètes,<br />

et dont pourtant il faut excepter quelques morceau<br />

d'élite où il s'est rapproché d'eux, voyons combien<br />

<strong>de</strong> différents mérites rachètent ce qui lui manque,<br />

et lui composent un caractère <strong>de</strong> versiicmtion dont<br />

<strong>la</strong> beauté réelle, quoique secondaire, a échappé aux<br />

yeux trop sévères <strong>de</strong> Boileau ,§ui ne goûtait que<br />

<strong>la</strong> perfection <strong>de</strong> Racine.<br />

Quinault n'a sans doute ni eette audace heureuse<br />

<strong>de</strong> figures, ni cette éloquence <strong>de</strong> passion, ni cette<br />

harmonie savante et variée, ni cette connaissance<br />

profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> tous les effets <strong>du</strong> rhythme et <strong>de</strong> tous les<br />

secrets <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue poétique : ce sont là les beautés<br />

<strong>du</strong> premier ordre; et non-seulement elles ne lui<br />

étaient pas nécessaires, mais s'il les avait eues, il<br />

n'eût point fait d'opéras, car il n'aurait rien <strong>la</strong>issé<br />

à faire au musicien. Mais il a souvent une élégance<br />

facile et un tour nombreux ; son expression est aussi<br />

pure et aussi juste que sa pensée est c<strong>la</strong>ire et ingénieuse<br />

; ses constructions forment un cadre parfait,<br />

où ses idées se p<strong>la</strong>cent comme d'elles-mêmes dans<br />

un ordre lumineux et dans un juste espace : ses vers<br />

cou<strong>la</strong>nts, ses phrases arrondies n'ont pas l'espèce <strong>de</strong><br />

force que donnent les inversions et les images; ils<br />

ont tout l'agrément qui naît d'une tournure aisée<br />

et d'un mé<strong>la</strong>nge continuel d'esprit et <strong>de</strong> sentiment,<br />

sans qu'il y ait jamais dans l'un ou datis l'autre ni<br />

recherche ni travail. 11 n'est pas <strong>du</strong> nombre <strong>de</strong>s<br />

écrivains qui ont ajouté à <strong>la</strong> richesse et à l'énergie<br />

<strong>de</strong> notre <strong>la</strong>ngue : il est un <strong>de</strong> ceux qui ont le mieux<br />

fait voir combien 'on pouvait <strong>la</strong> rendre souple et<br />

flexible. Enfin, s'il paraît rarement animé par l'inspiration<br />

<strong>du</strong>, génie <strong>de</strong>s vers, il paraît très-familiarisé<br />

avec les Grâces; et comme Virgile nous fait<br />

reconnaître Vénus à l'o<strong>de</strong>ur d'ambroisie qui s'exhale<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> chevelure et <strong>de</strong>s vêtements <strong>de</strong> <strong>la</strong> déesse, <strong>de</strong><br />

même, quand nous venons <strong>de</strong> lire Quinault, il nous<br />

semble que l'Amour et les Grâces viennent passer<br />

près <strong>de</strong> nous.<br />

N'est-ce pas là ce qu'on éprouve lorsqu'on entend<br />

ces vers d'Hiérax dans IsUt<br />

Depuis qu'une nympbe inconstante<br />

A trahi mon amour, et m'a manqué 4e fin,<br />

Ces lieux Jadis s! beaux n'ont plus rien qui m'enchante<br />

€• que faune a changé : tant est changé pour moi.<br />

L'Inconstante n*a plus l'empressement extrême<br />

fie cet amour naissant qui répondait au mien :<br />

Son changement parai! en dépit d'eUe-méme;<br />

le ne le connais que trop bien.<br />

8a bouche quelquefois dit e'nœr qu'elle m'aime;<br />

Vais son cœur ni ses yeux ne m'en disait plus rie*.<br />

Ce lut dans ces vallons où*, par mille détours,<br />

Llnachiis prend p<strong>la</strong>isir I prolonger sou oours ;


Ce ftit ter ton diamant rlva§e<br />

Que sa flUe vo<strong>la</strong>ge<br />

Me promit <strong>de</strong> m'aimer toujours.<br />

Le léphyr fat témoin, l'on<strong>de</strong> fut attentifes<br />

Quand <strong>la</strong> nymphe Jura <strong>de</strong> ne changer Jamais ;<br />

Mali le léphyr léger el Fon<strong>de</strong> fugitive<br />

Ont enfin emporté les serments qu'elle a faits.<br />

Eu vérité, si Despréaux était insensible à <strong>la</strong> douceur<br />

charmante <strong>de</strong> semb<strong>la</strong>bles morceaux, il faut<br />

lui pardonner d'a?oir été injuste; il était assez puni.<br />

. Écoutons les p<strong>la</strong>intes que ce même Hiérax <strong>la</strong>it à<br />

sa maîtresse.<br />

Tons Juriez autrefois que cette on<strong>de</strong> rebelle<br />

Se ferait vers sa source sue route nouvelle<br />

Plutôt qu'os ne verrait votre cœur dégagé.<br />

Voyes couler ces flots dans cette vaste p<strong>la</strong>ine.<br />

C'est le même penchant qui toujours les entraîne ;<br />

Leur <strong>cours</strong> ne change point, et vous avez changé.<br />

Elle lui représente que ses ri?aux ne sont pis<br />

mieux traités. Que lui répond-il ?<br />

Le mal <strong>de</strong> mes rivaux n'égale point ma peine.<br />

La douce ffluslon d'une espérance valse<br />

He le» fait point tomber <strong>du</strong> faite <strong>de</strong> bonheur :<br />

aucun d'eux comme mol n'a perds votre cour.<br />

Comme eu à votr* humeur sévère<br />

Je ne suis point accoutumé.<br />

Quei tourment <strong>de</strong> cesser <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire<br />

Lnravi'on a fait Fessai <strong>du</strong> p<strong>la</strong>isir ffétn aimé!<br />

Ces quatre <strong>de</strong>rniers vers ne sont, si Ton veut,<br />

que <strong>la</strong> paraphrase <strong>de</strong> ce ¥ers heureux et touchant,<br />

Aucun d'eux comme mol n'a per<strong>du</strong> votre cœur;<br />

mais ils le dé?el®ppent9 ce me semble % sans l'affaibli?<br />

: ce n'est pas le poète qui revient sur son<br />

idée, c'est le cœur qui retient sur le même sentiment;<br />

et quand l'amour se p<strong>la</strong>int, ce n 9 est pas <strong>la</strong><br />

précision qu s il cherche.<br />

Personne n 9 a su mieux que Qninanlt donner I<br />

<strong>la</strong> ga<strong>la</strong>nterie cette grâce qui <strong>la</strong> rend intéressante.<br />

Jupiter, dans ce même opéra d7«i*, <strong>de</strong>scend sur<br />

<strong>la</strong> terre pour mk lo. Il se fût annoncer par Mercure<br />

t qui parle ainsi :<br />

Le dieu puissant qui tance te tonnerre f<br />

Et qui <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux tient le sceptra an tesi<br />

• résolu <strong>de</strong> venir sur <strong>la</strong> terra<br />

Chasser les maux qui troublent les humains.<br />

Que <strong>la</strong> terra avec soin à cet honneur répon<strong>de</strong>.<br />

Échos t retentisse! dans ces Meux pleins d'appas ;<br />

Annoncez qu'aujourd'hui t pour le bonheur <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>,<br />

Jupiter <strong>de</strong>scend M-bas.<br />

Le dieu s 9 adresse ensuite à <strong>la</strong> jeune lo : '<br />

Ceat ainsi que Mercure,<br />

Pour abuser <strong>de</strong>s dieux Jaloux t<br />

Doit parler hautement à toute <strong>la</strong> nature;<br />

Mais U doit s'exprimer autrement avec vont.<br />

Ces! pour vous voir, c'est pour vous p<strong>la</strong>ire,<br />

Que Jupiter <strong>de</strong>scend <strong>du</strong> céleste séjour;<br />

Et les Mens qu'ici-bas sa présence va faire<br />

Me seront dm qu'à son amour.<br />

¥ a-t-il un contraste plus agréable et un mm-<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

iiS<br />

pliment plus iatteur? Qulnault excelle aussi dans<br />

ce dialogoê vif et contrasté, qui est si favorable à<br />

<strong>la</strong> musique f et qu'elle oblige le poète <strong>de</strong> substituer<br />

aux grands mouvements <strong>du</strong> dialogue tragique. Prenons<br />

pour exemple cette scène <strong>de</strong> Jupiter et d ? Io.<br />

Que sert-il qulet-bas votre amour me dmls<strong>la</strong>se f<br />

L'honneur m'en vient trop tard : J'ai formé d'autres sonds.<br />

Il fal<strong>la</strong>it que ce bien, pour combler tous mes VœUX f<br />

Ne me coûtât point d'injustice<br />

Et ne fit point <strong>de</strong> malheureux.<br />

JUPITER.<br />

' Cest une aaset gran<strong>de</strong> glotte<br />

Pour votre premier vainqueur<br />

D'être encor dans votre mémoire,<br />

Et <strong>de</strong> me disputer si longtemps votre coeur.<br />

10.<br />

La gloire doit forcer mon cœur à se défendre.<br />

Si vous sortez <strong>du</strong> ciel pour chercher les douceurs<br />

D'un amour tendre,<br />

Tous pourrez aisément attaquer d'autres coeurs<br />

Qui feront gloire <strong>de</strong> se rendre.<br />

JUPITER.<br />

H n'est rien dans les <strong>de</strong>ux, il n'est rien lct-bas<br />

De plus charmant que vos appas.<br />

Rkn ne peut me toucher d'tfne f<strong>la</strong>mme si forte.<br />

Belle nymphe, vous l'emportes<br />

Sur toutes les autres beautés s<br />

Autant que Jupiter remporte<br />

Sur les autres divinités.<br />

Toyei-vous tant d'amour avec Indifférence?<br />

Quel trouble vous saisit? où tournez-vous vos pat?<br />

10.<br />

Mon cœur, en votre présence,<br />

Fait trop peu <strong>de</strong> résistance.<br />

Contentez-vous, hé<strong>la</strong>s I<br />

D'étonner ma constance,<br />

Et n'en triomphez pas.<br />

JUPITEB.<br />

Et pourquoi craignes-vous Jupiter qui f ce» atael<br />

10.<br />

J® crains tout ; Je me crains moi-même.<br />

JUPITCR*<br />

Quoi ! voûtez-vous me fuir ?<br />

in.<br />

Ctatm<br />

Écnntei mon amour.<br />

io.<br />

Écoutez mon <strong>de</strong>voir,<br />

joprram.<br />

Tous avez un coeur libre, et qui peut M défendre*<br />

10.<br />

Mon, voua ne <strong>la</strong>issez pas mon comr en mon pouvoir,<br />

jupinm.<br />

Quoi! vous ne voulet pas m'entendra !<br />

10.<br />

Je n'ai que trop <strong>de</strong> peine à ne le pas vouloir.<br />

lUFTIUt.<br />

Quoi! sitôt? 10. •<br />

Je <strong>de</strong>vais motos attendre<br />

Que ne lujals-Je s hé<strong>la</strong>s ! avant que <strong>de</strong> vous voir !<br />

JUPITER.<br />

L'amour pour mol vous sollicite,<br />

Et Je vols que vous me quittez.<br />

10.<br />

Le <strong>de</strong>voir veut que Je vous quitte<br />

Et je sens que vous m'arrêtez.


•« C0U1S BE LITTÉMTUIŒ.<br />

Boïieau, qui a tante dans Horace le baiser <strong>de</strong> Ly«<br />

eymnie,<br />

Qui mollement résistef et, par sa dont caprice,<br />

Qeel«pef©ls te refuse afin qnVxi te n?lsse}<br />

ne pouvait- il pas recoanattre ici précisément le<br />

même tableau mis en action : et parée queQuinault<br />

était mo<strong>de</strong>rne, m tableau était-il moins sé<strong>du</strong>isant<br />

chez lui que dans un ancien?<br />

Mais un dialogue vraiment admirable, un modèle<br />

en ce genre, c'est <strong>la</strong> scène d'Atys et <strong>de</strong> Saagari<strong>de</strong>,<br />

quoiqu'on en ait répété si souvent le premier<br />

vers en p<strong>la</strong>isanterie.<br />

ÂTfS,<br />

Saagaricte , ce Jour est en grand Jour pour vous.<br />

SATOMUIlg.<br />

Hong ordonnons tous <strong>de</strong>ux <strong>la</strong> fête <strong>de</strong> Cjbëte :<br />

L'honneur est égal entre sous.<br />

AT¥S.<br />

Ce jour même un grand roi doit être ¥©tre époux.<br />

le ne tous vis Jamais §1 contente et si telle :<br />

Que le sort <strong>du</strong> roi sera doux !<br />

âÂff€ÂRHlE.<br />

LlndUIttrait Atys n'en sera point Jaloux !<br />

ATTS.<br />

¥l¥ex tous <strong>de</strong>ux contents, c'est fat plus cher* enfle.<br />

Fat pressé ¥©tre hymen, J'ai servi YOS amours.<br />

Mais enln ea grand Jour, le pins beau d@ YOS Jours,<br />

Sert le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong> ma ¥ie.<br />

UMQàmm» s<br />

Odieux!<br />

ATÎg.<br />

Ce s*est qu'à TOUS que Je •esx révéler<br />

Le aaerat désespoir où mon malheur me livre.<br />

Je n'ai que trop se feindre ; U est temps <strong>de</strong> parler :<br />

Qui n'a plus qu'un moment à vivre<br />

N'a plus rien à dissimuler.<br />

SAPCÂMBE.<br />

Je frémis f ma crainte est extrême.<br />

Atys, par quel malheur fout-il vous voir Bê>k?<br />

ATfS.<br />

Tous me condamnerez •ous-méme,<br />

Et TOUS me <strong>la</strong>isserai mourir.<br />

SAHGAmms.<br />

t J'armerai, iH le font, tout le pouvoir suprême.<br />

AT¥S.<br />

Non, rien ne peut me secourir.<br />

Je meurs d'amour pour vous : Je n'en saurais guérit.<br />

SAMGAllBB.<br />

Qui! vous?<br />

ATïg.<br />

11 est trop vrai.<br />

SAffGAlUBE.<br />

Yous m'aimez!<br />

Airs.<br />

_, ' le ¥ous aime.<br />

Tout ne eondamnerei Vous-mêmef<br />

Et vous me <strong>la</strong>isserez mourir.<br />

Ta! mérité qu'on me punisse ;<br />

J'offense un rival généreux,<br />

•Qui par mille Meaàiîs a piévenu mes VœUX.<br />

MâJs Je l'offense enfin ; vous lui ren<strong>de</strong>z Justice.<br />

M1 que c'est un cruel supplice<br />

IFavouer qu'un rival est digne d'être heureux I<br />

Pronom» mon «net; parfex sans vous contraindre.<br />

SAJfGAM».<br />

lHasî<br />

ATTS.<br />

Tous soepim ! Je vois couler vos pleurs !<br />

Wm millieiiniix amour p<strong>la</strong>ignez-vous les douleurs?<br />

SÂffUAlflIB.<br />

Atys} que vous seriez à p<strong>la</strong>indre<br />

Si vous saviez tous vos nattas»!<br />

ATW.<br />

Si Je vous perds et si Je •meurs,<br />

Que puîfrje encore avoir 1 «rindre?<br />

Il semble, en effet, qu'il n'y ait point <strong>de</strong> réponse<br />

à ce que dit Atys : il y ea a an© pourtant, et Meo<br />

frappante :<br />

C'est peu <strong>de</strong> perdre en tfot ee qui vous a charmé :<br />

Vous me per<strong>de</strong>s, Atys, et vous êtes aimé.<br />

Je us connais point <strong>de</strong> déc<strong>la</strong>ration (celle<strong>de</strong> Phèdre<br />

exceptée) qui soit amenée avec plus d'art et<br />

d'intérêt. D'un aveu qui est le bonheur le plus grand<br />

<strong>de</strong> l'amour faire le comble <strong>de</strong> ses maux, est use<br />

idée très-dramatique; et pour es Tenir là il Jaillit<br />

toute <strong>la</strong> gradation qui précè<strong>de</strong>. Mais que dironsnous<br />

<strong>du</strong> poète, qui, dans <strong>la</strong> réponse d'Atys, enchérit<br />

encore sur ce qu'on vient <strong>de</strong> voir?<br />

ATfg.<br />

Aimé! qa'eateecb-Je, ôelet! ipat aven favorabk!<br />

tAH€AmmL<br />

Yoas eu seras plus misérable.<br />

ATTS.<br />

Hon malheiif es est pins affreux;<br />

Le bonheur que Je perds doit redoubler ma rapt<br />

Mais n'Importe, aimei-raoi, s'il se peut, davaafaie,<br />

Quand f en <strong>de</strong>vrai» moerir cent fols plus <strong>la</strong>atiiaafaax<br />

Certainement il y a là <strong>du</strong> sentiment, et même <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> passion. Ce ne sont point <strong>de</strong>s fa<strong>de</strong>urs d'opéra ; et<br />

si l'on songe que Fauteur, travail<strong>la</strong>nt dans un genre<br />

<strong>de</strong> drame où il ne pouvait rien approfondir, â tromé<br />

le moyen <strong>de</strong> pro<strong>du</strong>ire ces effets dans <strong>de</strong>s scènes<br />

qui -ne sont pour ainsi dire qu'indiquées, Foi eoaviendra<br />

que ces scènes prouvent beaucoup <strong>de</strong> ressources<br />

dans l'esprit, et que Quïaault avait m takmê<br />

pwtkjtMer, non pas seulement, comme Se dit<br />

Boïieau, pour fcàre <strong>de</strong>s vers bom à être mis m<br />

ekemt, mais pour feire <strong>de</strong>s drames charmants Td'ai<br />

genre qu'il a créé et que lui seul a bien connu.<br />

On peut juger <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s qu'il y faisait, par le<br />

progrès qui marque ses différents ouvrages <strong>de</strong>pais<br />

Cadmm jusqu'à cette immortelle JrmMê9 le chefd'œuvre<br />

<strong>du</strong> théâtre lyrique.<br />

Je compte à peu près pour rien les Félët <strong>de</strong> VA<strong>mont</strong>ée<br />

<strong>de</strong> Bacckus, pastorale qui fut son coup<br />

d'essai. C'est us mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong> fa<strong>de</strong>ur el <strong>de</strong> bouffoa-<br />

•nerie, qui n'annonçait pas ee que fauteur défait<br />

un jour <strong>de</strong>venir. Voltaire veut qu'on y distingue<br />

une imitation <strong>de</strong> l'o<strong>de</strong> d'Horace (m, Ô), qu'on a<br />

cent fois tra<strong>du</strong>ite :<br />

Ê&mec §mim emm9 ait.<br />

Mais cette imitation est une <strong>de</strong>s plus faibles qu'on<br />

ait faites d'un <strong>de</strong>s plus charmants raoreeatii île<br />

l'antiquité, @t <strong>la</strong> pièce n'est remarquable que par»


qu'elle fat l'époque <strong>de</strong> Fiiion <strong>de</strong> Qolnault et <strong>de</strong><br />

Lnlli f qui <strong>du</strong>ra pendant toute <strong>la</strong> fie <strong>du</strong> poète,<br />

Cmémm est <strong>la</strong> première pièce qu'on ait appelée<br />

imgéëiê lyrique, et je ne sais pourquoi. C'est une<br />

maufaise comédie mythologique, dont le sujet est<br />

<strong>la</strong> mort d'un serpent, et qui est remplie 9 en gran<strong>de</strong><br />

partie, <strong>de</strong>s frayeurs ridicules que ce serpent cause<br />

ara compagnons <strong>de</strong> Cadrans. C'était <strong>la</strong> suite <strong>de</strong><br />

cette-coutume bizarre, dont j'ai parlé ailleurs f <strong>de</strong><br />

mettre partout <strong>de</strong>s personnages bouffons. Il y a<br />

encore dans Akesie et dans Thésée f qui suivirent<br />

Cmémm, <strong>de</strong>s scènes d 9 un froid comique; <strong>de</strong>s ga<strong>la</strong>nteries<br />

<strong>de</strong> soubrettes; mais c'est <strong>du</strong> moins pour<br />

<strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière fois, et elles ne paraissent plus dans les<br />

opéras <strong>de</strong> Quinault, qui tait par purger son théâtre<br />

<strong>de</strong> toute bigarrure, comme Molière en ataîî<br />

purgé le sien.<br />

Jkeste est fort supérieure à Cmémm : il y a un<br />

nceud attachant, <strong>du</strong> spectacle, une marche théâtrale,<br />

un dénoûment fort noble et digne <strong>du</strong> rôle<br />

d'Hercule, qui, étant amoureux d'Alceste, <strong>la</strong> délira<br />

<strong>de</strong>s enfers, et <strong>la</strong> rend à son époux. Mais, indépendamment<br />

<strong>de</strong> ce comique dép<strong>la</strong>cé qui gâte tout,<br />

<strong>la</strong>s scènes ne sont guère que <strong>de</strong> froi<strong>de</strong>s esquisses :<br />

il y a <strong>de</strong>s fêtes mal amenées, et le dialogue est peu<br />

<strong>de</strong> chose. Voltaire cite ces fers que dit Hercule à<br />

Pluton, qui sont en effet ce qu'il y a <strong>de</strong> mieux :<br />

Si c'est te fifre outrage<br />

Wmtrw pat f&rce dans ta cour,<br />

Pardonne à mon courage,<br />

Et Mi grâce à l'amour.<br />

Ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers sont nobles; les <strong>de</strong>ux premiers<br />

sont trop prosaïques, et manquent d'harmonie. Le<br />

choix qu'en fait Yoltaire, qui pourtant ne pou?ait<br />

SIÈCLE ME LOUIS XIV. — POÉSIE. «66<br />

i'#»*< flft'MtJMlf JHfV<br />

JFefI f***»» min c#orf»<br />

Est-oa§a«s<br />

Deftircepassap?<br />

C'est on orage<br />

Qui meut an port.<br />

Le style <strong>de</strong> Quinault s'affermit dans Thésée; il<br />

•st plus soigné et plus soutenu; l'intrigue est bien<br />

menée i et le caractère <strong>de</strong> Médée est bien tracé.<br />

On voit dans cette pièce une situation empruntée<br />

<strong>de</strong> Racine ; c'est celle où Médée fait craindre sa ? engeance<br />

à sa-rivale, à <strong>la</strong> maîtresse <strong>de</strong> Thésée, au<br />

point <strong>de</strong> <strong>la</strong> forcer à feindre qu'elle ne l'aime plus,<br />

comme Junie dans <strong>la</strong> scène avec Britannïcus quand<br />

Héron les écoute. On s'attend bien que l'imitateur<br />

doit être inférieur au modèle ; mais le fond <strong>de</strong> cette<br />

scène est toujours théâtral 9 à l'opéra comme dans<br />

<strong>la</strong> tragédie.<br />

Madame <strong>de</strong> Maintenon préférait Atys à tons les<br />

autres poëmes <strong>de</strong> l'auteur : c'est ca<strong>la</strong>i où l'amour<br />

est le plus intéressant, et le dénoûment le plus<br />

tragique. Cest un moment terrible que celui où<br />

Cybèle, après avoir égaré <strong>la</strong> raison d'Atys, qui<br />

dans sa fureur a tué Sangarï<strong>de</strong>, lui dit avec une joie<br />

cruelle ces <strong>de</strong>ui beaux vers ;<br />

Achève ma ¥eapanee, Atys : connais ton crime t<br />

Et reprenais ta raison pont sentir too malheur.<br />

Je ne sais cependant si cette barbarie*<strong>de</strong> Cybèle<br />

ne ? a pas à un <strong>de</strong>gré d'atrocité trop fort pour un<br />

opéra, et peut-être aussi pour une divinité qu'on<br />

appe<strong>la</strong>it & Bonne Déesse. Il serait mietu p<strong>la</strong>cé dans<br />

une divinité <strong>de</strong>s enfers ou dans un personnage réputé<br />

méchant, tel que Junon. Cybèle s'en repent,<br />

et change Atys en pin. Mais ces métamorphoses,<br />

fort à <strong>la</strong> mo#e <strong>du</strong> temp <strong>de</strong> Quinault, qui a mis sur<br />

pas mieux choisir, prou?e que <strong>la</strong> Terslfication dUAU <strong>la</strong> théâtre une prtie <strong>de</strong> celles d'Ovi<strong>de</strong>, ne nous<br />

eesie est bien faible, et que <strong>la</strong> muse <strong>de</strong> Quinault p<strong>la</strong>isent plus aujourd'hui. Ce mer?eilleux <strong>de</strong> ma*<br />

n'était pas encore très-a?ancée. Un morceau beau­ chints est tombé, parcs qu'il n'estque pour les yeux,<br />

coup meilleur, mais dans un autre genre, c'est ce* et qu'il leur fait toujours trop peu d'illusion. Le<br />

lui que chantent les sui?ants <strong>de</strong> Pluton. Cependant merveilleux qu'il faut préférer est celui qui prie à<br />

Yoltaire ne va-t-il pas un peu trop loin quand il l'imagination : elfe est en nous ce qu'il y a <strong>de</strong> plus<br />

dit qu'il me connaît rien <strong>de</strong> plus stsèUmef Ils sont facile à tromper. Aux <strong>de</strong>rnières reprises, le dénot­<br />

en général d'une précision remarquable, quoiqu'il aient A'Atys a fait <strong>de</strong> <strong>la</strong> peine tu spectateur, et<br />

y ait <strong>de</strong>s répétitions et <strong>de</strong>s négligences.<br />

Ton a pris le parti <strong>de</strong> le faire ressusciter par l'A­<br />

Tout mortes doit §d paraître s<br />

mour, l'agent le plus uni?ersel <strong>du</strong> théâtre <strong>de</strong> l'opéra.<br />

On ne peut naître<br />

Que pour mourir,<br />

Do cent maux le trépas iéiiwa :<br />

1. Qui cfearciif à irlvm<br />

Cherche à souffrir.<br />

Vas» tous SOT sot sombres Ixudt :<br />

Le repos qu'on désira<br />

le Ueat soo empire<br />

Que dans le séjour ta morte.<br />

Chacun vieot tet-aas prendre oloea :<br />

San* cesse os y passe;<br />

Jamais on s'en sort.<br />

€*ast pour tôt» une loi nfeessaln -<br />

C'est dans Atys et Ms que le talent <strong>de</strong> Quinault<br />

parut avoir acquis toute sa maturité. Les morceaux<br />

que j'en ai cités suffiraient pour le prouver; et je<br />

pourrais en citer plusieurs autres. Mais le snjtt<br />

d'Ail est moins intéressant : les <strong>de</strong>q* <strong>de</strong>rniers actes<br />

<strong>la</strong>nguissent par l'uniformité d'une situation trop<br />

prolongée; celle «f<strong>la</strong>f que <strong>la</strong> jalousie <strong>de</strong> Junon<br />

litre au pouioir d'une Euméni<strong>de</strong>, et qui est transportée<br />

tour à tour dans les sables brû<strong>la</strong>nts <strong>de</strong> <strong>la</strong> mm


606<br />

torri<strong>de</strong> et dans les déserts g<strong>la</strong>cés i« <strong>la</strong> Seythie. Cette<br />

manière <strong>de</strong> tourmenter par le froid et le chaud est<br />

un peu bizarre, et semble n'avoir été imaginée que<br />

pour <strong>de</strong>s effets <strong>de</strong> décoration. Elle est conforme à<br />

<strong>la</strong> fable; mais joete <strong>la</strong> mythologie n'est pas également<br />

théâtrale, et îl faut faire on choix. Les détails<br />

<strong>de</strong>scriptifs ne sont pas <strong>de</strong> nature à relever <strong>la</strong> faiblesse<br />

<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>oi actes; ils sont an contraire trèsnégligés.<br />

Le quatrième acte s'ouvre par ces vers, que<br />

chantent les habitants <strong>de</strong>s climats g<strong>la</strong>cés :<br />

L'hiver qui nous tourmente<br />

S'obstine -à nous geler.<br />

! NIMH a* «tarions parler •.<br />

Qu'avec née voix tremb<strong>la</strong>nte.<br />

La neige et les g<strong>la</strong>çons<br />

Uses donnent <strong>de</strong> mortels Muons v eto.<br />

Proserpîne est un <strong>de</strong>s opéras <strong>de</strong> Qoinaolt les<br />

mieiii coupés , et où Ton trouve le plus <strong>de</strong> cette variété<br />

sans disparate , qui est <strong>de</strong> l'essence <strong>de</strong> ce spectacle.<br />

Cest aussi celui où fauteur s'est le plus élevé<br />

dans 6a versification; témoin ce beau morceau qui<br />

sert d'ouverture, et que Yoltaïre a si justement admiré<br />

:<br />

Os superbes géants armés oontre les dieux<br />

Ne nous donnent plus d'épouvante :<br />

Ils sont ensevelis sous <strong>la</strong> masse pesante<br />

Des <strong>mont</strong>s qu'ils entassaient pour attaquer tes <strong>de</strong>ux.<br />

J'ai ¥u tomber leur chef audacieux<br />

Sous une <strong>mont</strong>agne bril<strong>la</strong>nte ;<br />

Jupiter Fa contraint <strong>de</strong> vomir à nos yeux<br />

Les restes enf<strong>la</strong>mmés <strong>de</strong> sa rage mourante :<br />

* Jupiter est •tetortetui f<br />

Et tout oè<strong>de</strong> à l'effort <strong>de</strong> sa maM foudroyante.<br />

COU1S DB UnTÉMTUMR<br />

On peut remarquer que le redoublement <strong>de</strong>s rimes<br />

en épithèteiy qui est le plus souvent une <strong>de</strong>s<br />

causes <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngueur <strong>du</strong> style, est icf une beauté,<br />

parce qu'elles sont toutes harmonieuses, et pittoresques<br />

, et qu'elles donnent à tout ce tableau une<br />

seule et même couleur qui en détermine le caractère.<br />

La douleur <strong>de</strong> Cérès après l'enlèvement <strong>de</strong> sa<br />

Elle est touchante; et l'épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong>s amours d ? Alphée<br />

ut d'Aréthuse est agréable f et bien adapté au sujet.<br />

Ccst un progrès que Fauteur avait fait, car dans<br />

ses pvenùers opéras tes amours épisodiques sont<br />

froids et <strong>de</strong> mauvais goût.<br />

le Trtompàê<strong>de</strong>FJmûwtiÊkTempie <strong>de</strong> h Paix<br />

sont <strong>de</strong>s ballets pour <strong>la</strong> cour, <strong>de</strong>s fêtes <strong>du</strong> moment,<br />

qu'il ne faut pas compter parmi les ouvrages faits<br />

pour rester. Le premier fut représenté à Saiet-Germain<br />

en Laye; et <strong>la</strong> famille royale y dansa t ainsi<br />

que toute <strong>la</strong> eourf avec les acteurs <strong>de</strong> l'Opéra v sous<br />

le costume <strong>de</strong> différents personnages <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fable.<br />

Le p<strong>la</strong>n <strong>du</strong> ballet était disposé <strong>de</strong> manière qu'on<br />

adfûsait aux princes, au dames, aux grands seigneurs,<br />

<strong>de</strong>s compliments eu sers» C'était bien <strong>du</strong><br />

mon<strong>de</strong> à louery et <strong>la</strong> louange t quand i y a ooneur-<br />

reste©, est délicate à ibtnbuer. On ne peut pas assurer<br />

que tout le inon<strong>de</strong> fut content; mais ce qui<br />

est sir, c'est que le poète se tira fort bien it nette<br />

dépense d'esprit, qui ordinairement ne vaut pas ce<br />

qu'elle coûte. Dans Perses et dans Pkoétm, ne il a<br />

répan<strong>du</strong> plus que partout ailleurs les bril<strong>la</strong>ntes dépouilles<br />

d'Ovi<strong>de</strong> et les nserwïlîes <strong>de</strong> ses Métamorphoses,<br />

il a mis moins d'intérêt que dans <strong>la</strong> plupart<br />

<strong>de</strong> ses autres poèmes ; mais on trouve dans Persée<br />

un morceau fameux, qui, avec celui que j'ai rapporté<br />

<strong>de</strong> Proserpîne, est ce qu'il y a dans Qmnault<br />

<strong>de</strong> plus fortement écrit. C'est ce monologue <strong>de</strong><br />

Mé<strong>du</strong>se:<br />

FA per<strong>du</strong> <strong>la</strong> beauté qui me KDdtt il vaine;<br />

Je n'sl plus ces chevet» si beaux<br />

Dont autrefois le dieu <strong>de</strong>s eau<br />

Smtii lier mm cœur d'une si douœ chaîne.<br />

Fallu, <strong>la</strong> barbare Palias,<br />

Fut jalouse <strong>de</strong> mes appas f<br />

Et me rendit affreuse autant que j'étais belle;<br />

Mais fessés étonnant <strong>de</strong> Sa difformité<br />

JMmi me punit sa cruauté<br />

Fera connaître f eo dépit d'elle,<br />

Quel fot l'exoèi <strong>de</strong> ma beauté.<br />

Je se pals trop <strong>mont</strong>rer sa venge»» cruel* :<br />

Ma tête est 1ère aoeor d'avoir pour ornement<br />

Des serpents dont le sifflement<br />

Eidfe une frayeur mortelle,<br />

le porte t'épouvante et <strong>la</strong> mort es tout lieux ;<br />

Tout se change en rocher à mon aspect horrible :<br />

Les traits que Jupiter <strong>la</strong>nce <strong>du</strong> haut <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

N'ont rien <strong>de</strong> si terrible<br />

Qu'un regard <strong>de</strong> mes yeux.<br />

Les plus grands dieux <strong>du</strong> ciel, <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre et <strong>de</strong> Fon<strong>de</strong>,<br />

Du soin <strong>de</strong> se venger se reposent sur moi :<br />

81 je perds <strong>la</strong> douceur d'être l'amour <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>,<br />

Tal le p<strong>la</strong>isir- nouveau d'en <strong>de</strong>venir reffroL<br />

II y a pourtant <strong>de</strong>s fautes dans ces vers, et II faut<br />

les marquer arec d'autant plus <strong>de</strong> soin, qu'elles sont<br />

entourées <strong>de</strong> boutés. Je n'aime point, je l'avoue,<br />

que les cheveux <strong>de</strong> Mé<strong>du</strong>se soient une douce chaîne<br />

dont k eœwr <strong>de</strong> Neptune a été M. C'est un abus <strong>de</strong><br />

mots; on ne lie point un cœur avec dès cheveux;<br />

et ce jeu d'esprit, qui pourrait passer dans un madrigal<br />

, n'est point <strong>du</strong> ton sévère <strong>de</strong> ce magnifique<br />

morceau, <strong>la</strong> Mffbrmîlê dont on punit <strong>la</strong> cruauté *<br />

est une faute <strong>de</strong> français. Heureusement le sens est<br />

c<strong>la</strong>ir; mais être puni d'une difformité signifie être<br />

puni ^être difforme 9 et non pas en <strong>de</strong>venant difforme.<br />

On dit bien ptmi <strong>de</strong> mort; mais on se dirait<br />

pas <strong>la</strong> mort dont vou$ m'avez puni, pour signifier<br />

<strong>la</strong> mort qtdaétéma punition.. Tout le reste <strong>de</strong> ce<br />

monologue est comparable pour l'énergie, <strong>la</strong> noblesse<br />

, le nombre f <strong>la</strong> marche poétique y aui endroits<br />

les mieux écrits <strong>de</strong>s Cantates <strong>de</strong> Rousseau ; et <strong>la</strong> critique<br />

grammaticale que j'en ai faite me donne<br />

* Qulstult ne dit pas qu'on ptritt te craaaté; il fuit ilre à<br />

Mé<strong>du</strong>se qm lt erwmU û§ Paitm <strong>la</strong> purit tfaa exeès <strong>de</strong> difformité.


SIÈCLE BE LOUIS XIV. — POÉSIE. 667<br />

occasion d'ajouter que rien n v est si rare dans les<br />

opéras <strong>de</strong> Qoïnault qu'une faute <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage : il est<br />

c<strong>la</strong>ssique pour <strong>la</strong> pureté»<br />

Voltaire cite le prologue û'Jmsdïs, comme celui<br />

dont l'invention est <strong>la</strong> plus ingénieuse. On ne peut<br />

se dissimuler que <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong> ses prologues, où les<br />

mêmes éloges sont répétés jusqu'à satiété, où il est<br />

toujours question <strong>du</strong> plus grand roi <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, ne<br />

soient aujourd'hui très-fastidieux, quoiqu'ils se fussent<br />

dans leur temps que l'expression idëie <strong>de</strong> ce<br />

que pensait toute <strong>la</strong> nation 9 enivrée <strong>de</strong> <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong><br />

son roi. Il faut pardonner à Forgueil national, sentiment<br />

utile et louable en lui-même ? <strong>de</strong> s'exalter par<br />

<strong>la</strong> continuité <strong>de</strong>s succès et par l'éc<strong>la</strong>t d'un règne<br />

qui éclipsait alors toutes les puissances. Le seul tort<br />

que Ton eût dans cette profusion <strong>de</strong> panégyriques,<br />

c'était d'y mêler l'insulte et le mépris pour ces puissances<br />

humiliées, sans songer qu'elles pouvaient<br />

ne l'être pas toujours. Mais l'expérience prouve que<br />

c'est trop <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r aux hommes que d'attendre<br />

d'eux qu'ils se souviennent, dans <strong>la</strong> prospérité, <strong>de</strong>s<br />

retours <strong>de</strong> <strong>la</strong> fortune. Un ancien disait * que le<br />

poids <strong>de</strong> <strong>la</strong> prospérité fatiguait <strong>la</strong> sagesse même; et<br />

nous avons vu, dans ce siècle, celle <strong>de</strong> toutes les<br />

nations rivales <strong>de</strong> <strong>la</strong> nôtre, qui a le plus reproché<br />

à Louis XIV l'ivresse <strong>de</strong> <strong>la</strong> fortune, abuser tout<br />

comme lui <strong>de</strong> <strong>la</strong> puissance, et en être punie tout<br />

comme lui. Ces leçons, si fréquentes dans l'histoire,<br />

ne cesseront pas <strong>de</strong> se répéter et ne corrigeront<br />

personne.<br />

Un antre défaut <strong>de</strong> ces prologues, c $ lUMp'au temps foitmié tpt le data <strong>de</strong> mmmms<br />

~ Dépendrait ' "td&" (fun héros ' eneor plu • glorieux. - - .<br />

C'était <strong>du</strong> moins mêler adroitement l'éloge <strong>du</strong><br />

roi à Faction <strong>du</strong> poème : celui û'AmadU est ingénieux.<br />

Le magicien Arcaîaûs et sa sœur <strong>la</strong> magicienne<br />

Arcabonne ont <strong>de</strong> l'amour, l'an pour Oriane v<br />

l'autre pour Amadis, qui s'aiment tous <strong>de</strong>ux; car,<br />

dans les opéras, comme dans les romans <strong>de</strong> féerie,<br />

les enchanteurs sont toujours écon<strong>du</strong>its, et les génies<br />

toujours <strong>du</strong>pes. Mais il arrive ici que cet Arcaîaûs<br />

et cette Arcabonne ba<strong>la</strong>ncent le pouvoir et combattent<br />

<strong>la</strong> méchanceté l'un <strong>de</strong> l'autre, parce que le<br />

magicien ne veut pas que sa soeur se venge sur<br />

Oriane, et <strong>la</strong> magicienne ne veut pas que son frère<br />

se vengeiur Amadis. Cette concurrence fait le nœud<br />

<strong>de</strong> l'intrigue, amène <strong>de</strong>s situations, et prolonge à<br />

<strong>la</strong> fois le péril et l'espérance <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux amants, jusqu'à<br />

ce que <strong>la</strong> fameuse Urgan<strong>de</strong> vienne les délivrer.<br />

L'apparition <strong>de</strong> l'ombre d'Ardancanil,<br />

Ah! ta me trablf, mm\hmwmmt eto.<br />

est d'un effet théâtral, et il y a <strong>de</strong> beaux détails dan<br />

le dialogue <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce. Ou a cité cet vers d'Areabonne<br />

à son frère :<br />

Wmm m%wm «mlgai <strong>la</strong> tdmm taniMe<br />

©es aolrs enehaatemeiits


608<br />

COUM DE L1TTEMTU1E.<br />

sos. La gaieté naïve <strong>de</strong>s bergers qui Célèbrent les ' sentiments ; car on peut qualiier ainsi e e trait <strong>de</strong>'<br />

amours d'Angélique et <strong>de</strong> Médor9 et déchirent in­ Ro<strong>la</strong>nd, lorsqu'il lit sur féeoree <strong>de</strong>s arbres le nom<br />

nocemment le cœur do héros malheureux 9 forme un <strong>de</strong> Médor :<br />

nouveau contraste avec <strong>la</strong> fureur sombre qui le Hédor es est Tainqueur ! M os : Je n'ai point eoeof<br />

possè<strong>de</strong> :<br />

Enten<strong>du</strong> parler <strong>de</strong> Médor.<br />

Ce mouvement est d'un héros.<br />

Enfin, le poëte a tellement soigné ce quatrième<br />

acte, que le style en est soutenu jusque dans les proles<br />

<strong>de</strong>s divertissements, si souvent négligées<br />

dans Quinault t et qui sont ici pleines d f élégance et<br />

<strong>de</strong> douceur. Qu'on en juge par ceMes-ei :<br />

Quand on Tient dans ce bocage,<br />

Peut-os s'empêcher d'aimer?<br />

Que rameur sous cet ombrage<br />

Sait bientôt nous désarmer 1<br />

Sans effort il nous engage<br />

Dans les nœuds qu'il Teut former.<br />

Que d'oiseaux sous ce feuil<strong>la</strong>ge !<br />

Que leur chaut nous doit charmer !<br />

Huit et jeur par leur ramage<br />

Leur amour veut s'exprimer.<br />

Quand on ¥lent dans ce bocage<br />

Peut-on s'empêcher d'aimer?<br />

-Horace et Anacréon n'auraient pas désaFotté <strong>la</strong><br />

naïveté amoureuse <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux chansons :<br />

Quand le festin Iat prêt, Il fallut les cberehttr.<br />

Ils étalent enchantés dans ces belles retraites :<br />

On eut peine à les arracher<br />

De « Mes diamant où TOUS êtes.<br />

«GLAND.<br />

Où saisie? jmts ekl ! ou suia-Je? malheureux S<br />

Quand le célèbre Fice<strong>la</strong>i ?int embellir eet ouvrage<br />

<strong>de</strong> sa musique enchanteresse, notre parterre, apparemment<br />

plus délicat que <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> Louis Xi Y, et<br />

plus connaisseur que Voltaire, trouva cet endroit<br />

<strong>de</strong> Ro<strong>la</strong>nd fort ridicule. Ce jugement étrange Tint<br />

probablement <strong>de</strong> ce qu'on prétendait, <strong>de</strong>puis quelque<br />

temps, que Fopéra fût <strong>la</strong> tragédie; et il est sûr<br />

que cette scène n'est pas d'une couleur tragique.<br />

Mais il eût fallu se souvenir que Mo<strong>la</strong>nd, quoique<br />

intitulé, suivant l'usage, tragéMe iyfîqm, parce<br />

que 1rs <strong>de</strong>ux principaux personnages sont une reine<br />

et un héros, n'est pourtant pas une tragédie : c ? est<br />

une pastorale héroïque, dont le sujet n'est autre<br />

chose que <strong>la</strong> préférence qu'une reine donne à un<br />

berger aimable sur un guerrier renommé. Rien dans<br />

m sujet s'est traité d'une manière tragique, et le<br />

quatrième acte est <strong>du</strong> ton <strong>de</strong> tout le reste <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

pièce. 11 n'y a donc aucun reproche à faire au poëte,<br />

si ce n'est que, cet acte excepté 9 le fond <strong>de</strong> ce drame<br />

€St un peu faible 9 et que l'intrigue est peu <strong>de</strong> chose.<br />

L'amour d'Angélique et <strong>de</strong> Médor n'éprouve aucun<br />

obstacle étranger, et on les voit dès le commencement<br />

à peu près d'accord. M s'ensuit que c'est un<br />

mérite dans Fauteur d'avoir relevé son action par<br />

l'intéressant tableau <strong>du</strong> désespoir <strong>de</strong> Ro<strong>la</strong>nd , et les<br />

rieurs <strong>du</strong> parterre attaquaient précisément ce qu'il<br />

y avait <strong>de</strong> plus louable; mais aussi ce n'était pas à<br />

Quinault qu'on en vou<strong>la</strong>it.<br />

Qui n'a pas enten<strong>du</strong> répéter cent fois, par ceux<br />

qui ont l'oreille sensible à <strong>la</strong> mélodie <strong>de</strong>s vers lyriques<br />

, ce monologue <strong>de</strong> Ro<strong>la</strong>nd :<br />

Ah ! j'attendrai longtemps : <strong>la</strong> suif e§t lofai encore.<br />

Quoi ! te toleU veut-il loin totems?<br />

<strong>la</strong>to <strong>de</strong> mon bonheur, il prolonge son œon<br />

Pour retar<strong>de</strong>r <strong>la</strong> beauté que J'adore.<br />

O nuit ! faTOffsex mes date amoureux ;<br />

PKSMI l'astre <strong>du</strong> Jour <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre dans Fon<strong>de</strong>;<br />

Déployai dans les alri YOS voiles ténébreux ;<br />

le ne troublerai plus par ma crie douloureux<br />

Vol» trêufôllllté profon<strong>de</strong>.<br />

Le charmant objet <strong>du</strong> tocs TœUX<br />

M'attend que TOUS pour rendre heurstix<br />

Le plus idète amant <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>.<br />

O nnli ! favorises mes désirs amoureux.<br />

Ce n'est même que dans Mokmd et dans JrmÊée<br />

que Quittait «'élève Jusqu'au sublime <strong>de</strong>s grands<br />

Angélique est reine, elle est belle ;<br />

Mais ses gran<strong>de</strong>urs ni ses appas<br />

Me me rendraient pas tefidèJe :<br />

le ne quitterais pas<br />

Ma bergère pour eUe.<br />

Quand <strong>de</strong>s riches pays arroses par <strong>la</strong> Seine<br />

Le charmant Médor serait roi;<br />

Quand H pourrait quitter Angélique pour mol,<br />

Et me faire use gran<strong>de</strong> reise,<br />

îf oo , Je ne Tondrais pas eneor<br />

Quitter mon berger pour Médor.<br />

Quinault eut, comme Racine, ce bonheur assa<br />

rare 9 que le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong> ses ouvrages fut aussi le plus<br />

beau. Sa muse, qui mit sur <strong>la</strong> scène les fabuleux<br />

enchantements d f Armi<strong>de</strong> , était <strong>la</strong> véritable enchanteresse<br />

: c'est là que f élégance <strong>du</strong> style'est le plus<br />

continué, que les situations ont le plus d'Intérêt,<br />

qu'il y a le plus d'invention allégorique, le plus <strong>de</strong><br />

charme dans les détails. L'eipositioa est trè^beUe :<br />

c'est Armi<strong>de</strong> plongée • dans une sombre tristesse,<br />

entre <strong>de</strong>us confi<strong>de</strong>ntes qui s'empressent à Fenvi<br />

l'une <strong>de</strong> l'autre à lui vanter sa gloire, sa fortune,<br />

ses succès dans le camp <strong>de</strong> Go<strong>de</strong>frof :<br />

Ses plus venants guerriers, contre vous sans éiêmms<br />

Sont tombés en TOtre puissance.<br />

Elle répond par ce vers » qui suffit pour annoncer<br />

son caractèrei ses ressentiments, et le sujet <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

pièce :<br />

Je M triomphe pas <strong>du</strong> plus Taff<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> tout.<br />

La scène fait par un songe qui n'est pas, comme<br />

tant d'autres, un lieu commun ; c'est un récit simple<br />

et touchant.


Us songe iffceoz m'Inspire nue fureur souveUt<br />

Contes ce fttneste ennemi<br />

Fat cm 1® ? air, j'en M frémi ;<br />

J'ai era qu'il me frappait d'une atteints mortelle.<br />

' Je suis tombée aux pieds <strong>de</strong> ce cruel fataquaer *<br />

miesi as féehtmlt sa rigueur ;<br />

Et par sa diarme toeoneefabSe,<br />

le me sentais coslsMa<strong>la</strong> à le trou?er aimable<br />

Dam le fatal moment qtfU me perçait le «sur.<br />

La scène suivante mm Hydraot est terminée par<br />

un trait sublime :<br />

LA vainqueur <strong>de</strong> Renaud, il qssîqsfen le put et» t<br />

Sera digne <strong>de</strong> moL<br />

U suffît <strong>de</strong> rappeler cet admirable monologue :<br />

Bats M est es ma puissance, etc.<br />

Peu <strong>de</strong> morceaux <strong>de</strong> notre poésie sont plus généralement<br />

connus, et il y a peu <strong>de</strong> tableau* au théâtre<br />

aussi frappants. C'est dans le rôle d f Armi<strong>de</strong><br />

cpe se trouvent les seuls endroits où le poète ait<br />

osé couler à <strong>la</strong> musique <strong>de</strong>s développements <strong>de</strong><br />

passion qui se rapprochent <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie : tel est<br />

ce monologue; et telle est encore <strong>la</strong> scène où Renaud<br />

se sépare d'Armî<strong>de</strong>, et où Fauteur a imité<br />

quelques endroits <strong>de</strong> <strong>la</strong>. Didon <strong>de</strong> Virgile. A <strong>la</strong> vérité<br />

il ne l'égale pas ; et qui pourrait égaler ce que Virgile<br />

a <strong>de</strong> plus parfait? Mais il n'est pas indigne <strong>de</strong><br />

marcher près <strong>de</strong> lui, et c'est beaucoup. La passion<br />

n'est-elle pas éloquente dans ces vers 9 quoique bien<br />

moins poétiques que ceux <strong>de</strong> Didon?<br />

le mourrai si tu pars, et tu n en peux douter s<br />

Ingrat, sans toi Je se puis vivre.<br />

Hais, après mon trépas, se crois pas éftter<br />

Mon ambre obstinée à te salera.<br />

Ta <strong>la</strong> ferras s'armer contre ton eceaa sans fol :<br />

Tu k trouveras islexible<br />

Gomme ta Pas été pour moi;<br />

Et sa ftseor, si! est possible,<br />

ÉsaJera ramour dont fat brûlé pour toi<br />

Àrmîie soutient son caractère altier, lorsque<br />

maîtresse <strong>du</strong> sort <strong>de</strong> Renaud 9 indignée <strong>de</strong> ne <strong>de</strong>voir<br />

qu'à ses enchantements tout Famour qu'il lui <strong>mont</strong>re,<br />

elle s'efforce <strong>de</strong> le haïr, et appelle <strong>la</strong> Haine à<br />

son se<strong>cours</strong>. C'est <strong>la</strong> plus belle allégorie qu'il y ait<br />

à l'Opéra, et jamais ce genre <strong>de</strong> fiction , qui est si<br />

souvent froid, n'a été plus intéressant. Ge ballet <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> Haine n'est pas une fite <strong>de</strong> remplissages comme<br />

il y en a tant; c'est une peinture morale et vivante.<br />

L'on reconnaît le cœur humain, et Ton p<strong>la</strong>int Armi<strong>de</strong><br />

lorsqu'elle s'écrie :<br />

Arrêtes arrête, affreuse Haineî<br />

Laisse-moi sons les lois d'en si charmant vtJnqqeiir :<br />

raieras-ami ; Je renonce à ton sénés» borrlble.<br />

IfOQ , son 9 n'aefaèY@ pas ; non, U n'est pas possible<br />

De m'ôter mon amour sans m'arraener le ceear*<br />

Et <strong>la</strong> réponse <strong>de</strong> <strong>la</strong> Haine!<br />

Tu me rappelleras peat-etee dès es Jour;<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE. 669<br />

Et ton attente sera va<strong>la</strong>e s<br />

le fais te quitter sans retoar.<br />

le aa <strong>la</strong> pois punir aTaee plus ru<strong>de</strong> peine,<br />

Que <strong>de</strong> ^abandonner pour jamais à famour.<br />

Le seul défaut <strong>de</strong> cette pièce, c'est que le quatrième<br />

acte forme une espèce d'épiso<strong>de</strong> qui tient trop<br />

<strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce, et arrête trop longtemps Faction : c'est un<br />

trop grand sacrifice fait à <strong>la</strong> danse et au spectacle.<br />

L'auteur a suivi pas à pas <strong>la</strong> marche <strong>du</strong> Tasse, qui<br />

fait revenif Renaud à lui-même à <strong>la</strong> seule vue <strong>du</strong><br />

bouclier <strong>de</strong> diamant qui lui <strong>mont</strong>re Findigne état<br />

où il est. Cette idée ingénieuse peut suffire dans un<br />

poëme épique, rempli d'ailleurs d'une foule d'autres<br />

événements;' mais dans une pièce où celui-ci est<br />

capital, je crois que les combats <strong>du</strong> cœur d'un<br />

jeune héros entre Famour et <strong>la</strong> gloire seraient d'un<br />

plus grand effet que cette ré?oliition subite et merveilleuse<br />

qui se passe en ce moment.<br />

Si vous lisez, après Quinault, les opéras faits <strong>de</strong><br />

son temps, TOUS ne rencontrez que <strong>de</strong> froi<strong>de</strong>s et insipi<strong>de</strong>s<br />

copies qui ne servent qu'à mieux attester <strong>la</strong><br />

supériorité <strong>de</strong> l'original. Des hommes qui ont eu <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> réputation dans d'autres genres ont entièrement<br />

échoué dans le sien. Les opéras <strong>de</strong> Campistron et<br />

<strong>de</strong> Thomas Corneille sont au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> leurs plus<br />

mauvaises tragédies; ceui <strong>de</strong> Rousseau et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Fontaine ne semblent <strong>la</strong>its que pour nous apprendre<br />

le danger que Fon court à vouloir sortir <strong>de</strong> son talent.<br />

TMU$ et Pelée, <strong>de</strong> Fontenelle, eut longtemps <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> reptation : elle était bien peu méritée. Voltaire<br />

l'a louée dans le Ttmph dm goM9 ou par comp<strong>la</strong>isance<br />

pour <strong>la</strong> vieillesse <strong>de</strong> Fontenelle, ou pour ne<br />

pas démentir une opinion encore établie sur un objet<br />

qui lui paraissait <strong>de</strong> peu d'importance. U fait<br />

croire que <strong>la</strong> musique et tous les. accessoires <strong>du</strong><br />

théâtre en firent le succès : en le lisant, on a peine<br />

à le comprendre. Le drame n'est pas mal coupé;<br />

mais il est froid, et le style est à <strong>la</strong> g<strong>la</strong>ce. Les vers<br />

sont extrêmement faibles, et souvent p<strong>la</strong>ts. Il n'y a<br />

pas dans tout ce poëme, préten<strong>du</strong> lyrique, une idée<br />

<strong>de</strong> l'harmonie ni une étincelle <strong>de</strong> feu poétique. On<br />

vantait beaucoup autrefois ces <strong>de</strong>ux vers :<br />

Ta, iils : te <strong>mont</strong>rer que Je eratnsy<br />

C'est te dire asseï que je f aime*<br />

U y aurait <strong>de</strong> Fesprit à les avoir faits, si Fou ne<br />

trouvait pas dans Quinault ;<br />

Tous m'apprenet à aaaaaJtre famoar ;<br />

L'amour m'apprend à connaître <strong>la</strong> crainte. / *<br />

J*ai enten<strong>du</strong> louer aussi, par <strong>de</strong>s vieil<strong>la</strong>rds, li<br />

seine où Pelée consulte le Destin. Voici mmtm elle<br />

commence :<br />

O Bestial ipeiie paissaeai<br />

Ipaa sâsmet pa§ à toit


670<br />

couis DE UTTêRATORI.<br />

Tant fléchit sous ta lui ;<br />

précieux <strong>de</strong> travailler f<strong>la</strong>gl ans sous les yeux <strong>de</strong> ce<br />

Ta ordres n'ont JamalB trouvé <strong>de</strong> résistance. grand maître ,donî U apprit ( nous dit-il lui-même}<br />

Malgré nous tu mm entraînes<br />

tout ce qu'il savait en poésie ; Rousseau avait fait,<br />

Où tu vêtu ;<br />

avant <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Louis XIV, <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s ouvra­<br />

Cest toi qui nous «menas<br />

Tes» ta éféaements heureux m maliieiiNiix. ges qui le mettent au nombre <strong>de</strong> nos écrivains c<strong>la</strong>s­<br />

Ta les as liés entre eux<br />

siques. Ses Psaumes, ses belles O<strong>de</strong>s, ses Cmm-<br />

Avec ifInvisibles chaînes.<br />

Ptr <strong>de</strong>s moyens secrets<br />

taies, avaient paru avant <strong>la</strong> fatale époque <strong>de</strong> 1710,<br />

Ton pouvoir les prépare,<br />

qui l'éloigna <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, et qui, en commençant<br />

Et chaque instant déc<strong>la</strong>re<br />

ses malheurs s parut marquer en même teaips le<br />

Quelqu'un <strong>de</strong> tes arrêts.<br />

déclin <strong>de</strong>^on génie. Il est donc juste <strong>de</strong> ranger <strong>la</strong><br />

Ce sont là d'étranges p<strong>la</strong>titu<strong>de</strong>s dans une scène poésie lyrique, dans <strong>la</strong>quelle il n<br />

qui défait être imposante. Les anciens oracles qui<br />

par<strong>la</strong>ient en vers, et qui ne passaient pas pour en<br />

faire <strong>de</strong> bonsy a*» ont guère fait <strong>de</strong> plus mauvais.<br />

Fonteneile fit <strong>de</strong>ux autres opéras, Endymion,<br />

fort inférieur encore à ThéUs et Pelée, et Énée et<br />

LmMef qui n'en eut ni le succès ni îa renommée ,<br />

et qui pourtant le faut bien pour le moins, car il<br />

y a une scène qui a <strong>du</strong> mérite ; c'est celle où l'ombre<br />

<strong>de</strong> Bidon apparaît à Lavinie* prête à prononcer entre<br />

Ênée et f urnos, et à se déc<strong>la</strong>rer pour le premier.<br />

L'OBUS.<br />

arrête, Lav<strong>la</strong>le, arrête : éeoste-mol.<br />

Je fus Mdon. le régnais dans Carti<strong>la</strong>ge.<br />

Un étranger, rebut <strong>de</strong>s flots et <strong>de</strong> l'orage,<br />

De ma prodigue main reçut mille bienfaits.<br />

L'amen? en sa faveur avait sé<strong>du</strong>it mon âme :<br />

Par une feinte ar<strong>de</strong>ur il segmenta me f<strong>la</strong>mme,'<br />

Et m'abandonna pour Jamais.<br />

LÀV1NIE,<br />

Ah! quelle trahison!<br />

L'OHMI.<br />

Mon désespoir extrême<br />

Arma mon bras contre moi-même :<br />

M»iI»rffl*litlîtlMld»»^<br />

LAVUIIH.<br />

Le perfi<strong>de</strong>! l'Ingrat!<br />

L'onttg.<br />

Cet ingrat, ce partie »<br />

C'est ce* même Troyen pour qui l'amour déci<strong>de</strong><br />

Bans le fend <strong>de</strong> ton eoeur.<br />

(Test <strong>la</strong> seule idée dramatique que Fonteneile<br />

ait jamais eue. Nous avons <strong>de</strong>s poètes qui ont marché<br />

avec plus <strong>de</strong> succès dans <strong>la</strong> carrière <strong>de</strong> Quioault,<br />

quoique toujours fort loin <strong>de</strong> lui ; mais ils appartiennent<br />

au siècle présent.<br />

CHAPITRE IX. — De Foie, et ée Bmmmm.<br />

La carrière <strong>de</strong> J. B. Rousseau, prolongée assez<br />

avant dans ce siècle ; son nom si souvent mêlé avec<br />

celui <strong>de</strong> foliaire, et le malheu reox éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> leurs<br />

querelles, nous ont accoutumés à le compter parmi<br />

les poètes qui appartiennent à Fige présent. Il n'en<br />

est pas moins vrai que le siècle <strong>de</strong> Louis XIV pût<br />

le réc<strong>la</strong>mer avec plus <strong>de</strong> justice. Rousseau 9 né en<br />

1C719 disciple <strong>de</strong> Despréaux» et qui eut l'avantage<br />

? a point <strong>de</strong> rival,<br />

parmi les titres <strong>de</strong> gloire qui sont propres au siècle<br />

dont je, retrace le tableau.<br />

Rousseau en eut tous les caractères dans le genre<br />

où il a excellé : l'heureuse imitation <strong>de</strong>s anciens,<br />

<strong>la</strong> fidélité aux bons principes, <strong>la</strong> pureté <strong>du</strong> <strong>la</strong>ngage<br />

et <strong>du</strong> goût. Dieu vous bénirm, disait le marquis <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> Fare, car voue faites bien ks vers. Malgré cette<br />

prédiction, il éprouva bientôt que, si le talent d'écrire<br />

en vers est un beau présent <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature y ce<br />

n'est pas toujours une bénédiction <strong>du</strong> eieL<br />

Bien <strong>de</strong>s gens regar<strong>de</strong>nt ses psaumes comme ce<br />

qu'il a pro<strong>du</strong>it <strong>de</strong> plus parfait : c'est au moins ce<br />

qu'il parait atair le plus travaillé; mais saa talent<br />

est plus élevé dans ses o<strong>de</strong>s f et plus varié dans ses<br />

cantates,<br />

La diction <strong>de</strong> ses psaumes est en généra! élégante<br />

et pure, et souvent très-poétique. Il s'y occupe<br />

d'autant plus <strong>du</strong> choix <strong>de</strong>s-mots, qu'il a moins à<br />

faire pour celui <strong>de</strong>s idées. Ses strophes 9 <strong>de</strong> quelque<br />

mesure qu'elles soient 9 sont toujours sombranes,<br />

et il connaît parfaitement l'espèce <strong>de</strong> ca<strong>de</strong>nce qui<br />

leur convient. C'est peut-être 9 <strong>de</strong> tous nos poètes 9<br />

celui qui a le plus travaillé pour l'oreille, et c'est <strong>la</strong><br />

preuve qu'il avait une aptitu<strong>de</strong> naturelle pour le<br />

genre <strong>de</strong> poésie que l'oreille juge avec d'autant plus<br />

<strong>de</strong> sévérité qu'elle en attend plus <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir, et que<br />

<strong>la</strong> diversité <strong>du</strong> mètre fournit plus <strong>de</strong> ressources et<br />

plus d'effets. Quoique les pensées soient partout un<br />

mérite essentiel 9 elles le sont dans une o<strong>de</strong> moins<br />

que partout ailleurs, parce que l'harmonie peut plus<br />

aisément en tenir lieu. Des penseurs trop sévères ,<br />

et entre autres Montesquieu 9 ont cru que c'était<br />

une raison <strong>de</strong> mépriser <strong>la</strong> poésie lyrique. Mais il<br />

ne faut mépriser rien <strong>de</strong> ce qui fait p<strong>la</strong>isir en al<strong>la</strong>nt<br />

à son but; et le poète lyrique qui chante a f est<br />

pas obligé <strong>de</strong> penser autant que le philosophe qui<br />

raisonne. Rousseau possè<strong>de</strong> au plus haut <strong>de</strong>gré<br />

cet heureux don <strong>de</strong> l'harmonie, l'un 1 <strong>de</strong> ceux qui<br />

caractérisent particulièrement le poète. On en peut<br />

juger par les ttjtferaes différents qu'il a employés<br />

dans ses psaumes, et toujours avec le même bon-<br />

Leur.


SIÈCLE DE LOUIS XIY. — POÉSIE.<br />

Seigneur, dans te gloire adorable<br />

Quel mortel est digne d'entrer?<br />

Qui pourra, grand Dieu, pénétre<br />

Ce sanctuaire impénétrable ,<br />

Où tes saints tueuses} d'an œil respectueux ,<br />

Contemplent <strong>de</strong> ton front l'éc<strong>la</strong>t majestueux?<br />

Ces <strong>de</strong>ux alexandrins , où f oreille se repose après<br />

quatre petits vers, ont une sorte <strong>de</strong> dignité conforme<br />

au sujet.<br />

La strophe <strong>de</strong> dix fers à trois pieds et <strong>de</strong>mi , Tune<br />

<strong>de</strong>s plus heureuses mesures qui soient <strong>du</strong> domaine<br />

<strong>de</strong> l'o<strong>de</strong> 4 a <strong>de</strong>ux repos où elle s'arrête successivement<br />

Y et peut, dans son circuit, embrasser toutes<br />

sortes <strong>de</strong> tableaux, comme elle peut s'allier à tous<br />

les tons.<br />

Dans une éc<strong>la</strong>tante voûte<br />

I! a p<strong>la</strong>cé <strong>de</strong> ses mains<br />

Ce sole!! qui dans sa rouis<br />

Éc<strong>la</strong>ire tous 1rs humains.<br />

Environné <strong>de</strong> lumière,<br />

Cet sslrs outre sa carrière<br />

Comme IIû époux glorieux f<br />

Qui, dès l'aube matinale ,<br />

De sa couche sopUale<br />

Sort bril<strong>la</strong>nt et radieux.<br />

A cette comparaison le psalmiste en ajoute une<br />

autre qui n 9 est pas moins bien ren<strong>du</strong>e par le poëte<br />

français t et n'offre pas une peinture moins complète*:<br />

L'univers, à sa pressées,<br />

Semble sorti? <strong>du</strong> néant<br />

n pread sa <strong>cours</strong>e, il s'avise*<br />

Comme un superbe géant.<br />

Bientôt sa marche fécon<strong>de</strong><br />

Embrasse Se tour <strong>du</strong> mon<strong>de</strong><br />

Bans le cercle qu'il décrit,<br />

Et, par sa chaleur puissante,<br />

La nature <strong>la</strong>nguissante '<br />

Se ranime et se nourrit.<br />

La strophe <strong>de</strong> cinq vers, composée <strong>de</strong> quatre<br />

alexandrins à rimes croisées, tombant doucement<br />

sur un petit vers <strong>de</strong> huit syl<strong>la</strong>bes, confient davantage<br />

aux sentiments réfléchis. C'est celle que Rousseau<br />

a choisie dans l'o<strong>de</strong> qui commence par ces<br />

•ers, .<br />

« Que <strong>la</strong> simplicité d'une vertu paisible<br />

Eâ sûre d'être heureuse en suivant te Seigneur 9 et®, ;<br />

o<strong>de</strong> dont le sujet rappelle un morceau fameui <strong>de</strong><br />

Oaudien sur fa Prwiïdmee.<br />

Pardonne, Bien puissant, pardonne à ma faiblesse :<br />

â Faspeet <strong>de</strong>» méchants, eooles, épouvanté,<br />

Le trouble m'a saisi « mes pas ont hésité.<br />

Mon rèle m ? a trahi , Seigneur, Je le confesse s<br />

En voyant leur prospérité.<br />

Cette mer d'abondance, on leur âme se note,<br />

Us ervwsf si les éeuells ni les vents risjouriiix.<br />

Ils ne partagent point nos lésai douloureux ;<br />

* Ib marchent sur les leurs, ils nagent dans Sa Jefe.<br />

Le sort s'ose ehanpr ptnt en. '<br />

Et un peu après :<br />

671<br />

J'ai vu que leurs bouseon, leur gloire, leur rJetsseeraf<br />

Ne sont que <strong>de</strong>s ilets ten<strong>du</strong>s à leur orgueil;<br />

Que le port s'est pour eux qu'un véritable écuell t<br />

Et que ces lits pompeux où s'endort leur amllnse<br />

Me couvrent qu'un affreux cercueil.<br />

Comment tant <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>» a'est-elSe évsacssteî<br />

Qu'est <strong>de</strong>venu l'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> ce vaste appareil?<br />

Quoi ! leur c<strong>la</strong>rté s'éteint aux c<strong>la</strong>rtés <strong>du</strong> soleil f<br />

Bans un sommeil profond ils ont passé leur Yte,<br />

Et <strong>la</strong> mort a fait leur réveil.<br />

Cette autre espèce <strong>de</strong>.stroplie, formée <strong>de</strong> quatre<br />

hexamètres suivis <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux petits ? ers <strong>de</strong> trois pieds •<br />

est très-favorable aux peintures fortes, rapi<strong>de</strong>s,<br />

effrayantes; à tous les effets qui détiennent plus<br />

sensibles 9 quand le rhythme, prolongé dans les<br />

grands vers v doit se briser avec éc<strong>la</strong>t sur <strong>de</strong>ux vert<br />

d'une mesure courte et vive. Tel est celui <strong>de</strong> X f o<strong>de</strong><br />

sur <strong>la</strong> Vengeance Mmm, appliquée à <strong>la</strong> défaite<br />

<strong>de</strong>s Turcs :<br />

Il a brisé <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce et l'épée homidda<br />

Sur qui rtmpiété fondait son ferme appuf.<br />

Le sang <strong>de</strong>s étrangère a fait fumer <strong>la</strong> terre,<br />

Et le feu <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre<br />

S'est éteint <strong>de</strong>vant lui.<br />

Une affreuse c<strong>la</strong>rté dans les airs répan<strong>du</strong>e<br />

A Jeté 1a frayeur dans leur troupe éper<strong>du</strong>e :<br />

Par l'effroi <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort ils se sont dissipés ;<br />

Et l'éc<strong>la</strong>t foudroyant <strong>de</strong>s lumières célestes<br />

• dispersé leurs restes<br />

Aux g<strong>la</strong>ives échappés.<br />

L'ambition guidait vos escadrons rapi<strong>de</strong>s ;<br />

Tous dévoriez déjà, dans vos <strong>cours</strong>es avi<strong>de</strong>s»<br />

Toutes les réglons qu'éc<strong>la</strong>ire le soleil.<br />

Mais le Seigneur se lève 111 parle, et sa menace<br />

Convertit votre audace<br />

En un morne sommeil.<br />

L'expression <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers fers est sublime.<br />

Six hexamètres partagés en <strong>de</strong>ux tercets 9 où<br />

<strong>de</strong>ux rimes féminines sont solfies d'une masculine,<br />

ont une sorte <strong>de</strong> gravité uniforme, analogue aux<br />

idées morales; aussi ce rhythme forme plutôt <strong>de</strong>s<br />

stances qu'une o<strong>de</strong> véritable. Eaean s'en est servi<br />

dans une <strong>de</strong> ses meilleures pièces 9 celle sur <strong>la</strong> Metraité,<br />

et Rousseau 9 dans <strong>la</strong> paraphrase d'un psaume<br />

sur i s Jpmgkmmi <strong>de</strong>s hommes <strong>du</strong> sîèck, qui vivent<br />

comme s'ils oubliaient qu'il faut mourir.<br />

L'homme en sa propre force a mis sa confiance i<br />

Ivre <strong>de</strong> ses gran<strong>de</strong>urs et <strong>de</strong> son opukneey<br />

L'éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> sa fortune enfle sa f aslté.<br />

Mais « à moment terrible s ê Jour épouvantable,<br />

Où' <strong>la</strong> mort saisira ce fortuné coupable<br />

Tout chargé <strong>de</strong>s Hess <strong>de</strong> son iniquité !<br />

Que <strong>de</strong>viendront alors, répon<strong>de</strong>s, grands <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>,<br />

Que <strong>de</strong>viendront ces biens ou votre espoir se fon<strong>de</strong>,<br />

Et dont vous étalez l'orgueilleuse moisson?<br />

Sujets t amis, parents, tout <strong>de</strong>viendra*stérile;<br />

Et dans ce Jour fatal, l'homme, à f homme inutile,<br />

Me patra point à Dieu le prix <strong>de</strong> sa rançon.<br />

Ces idées, il est vrai , ont été souvent répétées danf<br />

toutes les tangues; mais elles sont relevées ici par


«71<br />

COU1S DE UTTtBATDBB.'<br />

Peipi€88ion. C'est un art nécessaire que n'a pas<br />

toujours Rousseau, qui sait mieux colorier <strong>de</strong><br />

grands tableaux qu'il ne sait embellir <strong>la</strong> pensée. Il<br />

serait trop long «je parcourir toutes les diverses espèces<br />

<strong>de</strong> rhythme lyrique qu'il a formées <strong>du</strong> mé<strong>la</strong>nge<br />

<strong>de</strong>s rimes et <strong>de</strong> celui <strong>de</strong>s fers <strong>de</strong> différente mesure.<br />

.Toutes n'ont pas un <strong>de</strong>ssein également marqué;<br />

mais toutes sont susceptibles <strong>de</strong> beautés particulières.<br />

Une <strong>de</strong>s plus harmonieuses 9 et qu'il a le plus<br />

Hul bruit n'Interrompt leur sommeil :<br />

On ne voit point leurs toits fragiles<br />

Ouverts aux rayons <strong>du</strong> soleil.<br />

'" Ceat ainsi qu'Us passent leur âge. '<br />

Heureux, disent-Us, le rivage<br />

Où l'on jouit d'un tel bonheur !<br />

Qu'ils restent dans leur ré?crie :<br />

Heureuse <strong>la</strong> seule patrie<br />

Où Ton adore Se Seigneur!<br />

fréquemment employée, c'est <strong>la</strong> strophe <strong>de</strong> dîi ?ers<br />

<strong>de</strong> huit syl<strong>la</strong>bes. Si <strong>la</strong> mesure <strong>du</strong> fers ne peut avoir<br />

<strong>la</strong> pompe et <strong>la</strong> majesté <strong>de</strong> l'alexandrin, <strong>la</strong> strophe<br />

entière y supplée par une marche nombreuse et<br />

périodique qui suspend <strong>de</strong>ux fois <strong>la</strong> phrase avant <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

terminer, et par le rapprochement <strong>de</strong>s rimes dont<br />

le son frappe plus souvent l'oreille : ces avantages<br />

il ren<strong>de</strong>nt |repre aux grands effets <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie.<br />

Je n'en prendrai pour exemple en ce moment que le<br />

psaume Image <strong>du</strong> èonkeur tempwei <strong>de</strong>s méchants,<br />

composé dans ce rhythme, qui est aussi celui <strong>de</strong><br />

l f O<strong>de</strong> à <strong>la</strong> Fortuné. Quelques strophes nous offriront<br />

tour à tour <strong>de</strong>s peintures fortes ou riantes,<br />

<strong>de</strong>s mouvements pleins <strong>de</strong> vivacité ou <strong>de</strong> douceur.<br />

Muta quoi? les péris qui m'obsè<strong>de</strong>nt<br />

H€ sont point encore passés !<br />

Ht nouveau ennemis succè<strong>de</strong>nt<br />

• mee ennemis terrassés !<br />

Grand Dieu ! c'est toi cpe Je réc<strong>la</strong>me,<br />

Lève ton htm, <strong>la</strong>nce ta <strong>la</strong>mine 1 La richesse <strong>de</strong>s rimes, essentielle à tous les vers<br />

lyriques, Test surtout à ceux où, comme ici, <strong>la</strong><br />

voisinage <strong>de</strong>s rimes en fait ressortir l'intention et <strong>la</strong><br />

beauté. L'oreille est f<strong>la</strong>ttée <strong>de</strong> ce retour exact <strong>de</strong>s<br />

mêmes sons qui retombent si juste et si près Pan<br />

<strong>de</strong> l'autre; et ce p<strong>la</strong>isir tient en partie à je ne sais<br />

quel sentiment d'une difficulté heureusement vaincue,<br />

qui sera toujours pour les connaisseurs un <strong>de</strong>s<br />

charmes <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie, quand il ne sera pas seul;<br />

et9 <strong>de</strong> plus, chaque strophe, formant un petit cadre<br />

séparé, ne <strong>la</strong>isse aperce?oir que l'agrément <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> rime et en dérobe <strong>la</strong> monotonie. C'est un <strong>de</strong>s<br />

grands avantages que le vers <strong>de</strong> l'o<strong>de</strong> a sur l'hexamètre;<br />

mais aussi foie ne peut traiter que <strong>de</strong>s sujets<br />

d'une éten<strong>du</strong>e très-bornée. Nous ne pourrions<br />

pas supporter un long poème coupé continuellement<br />

par strophes : ces interruptions régulières nous fatigueraient<br />

au point <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir à <strong>la</strong> longue plus<br />

monotones cent fois que l'alexandrin. D'ailleurs,<br />

cette coup uniforme si périodique <strong>mont</strong>re Part<br />

,<br />

trop à découvert, et ne pourrait se concilier, ni<br />

Abaissa <strong>la</strong> hantent <strong>de</strong>s cirais:. %<br />

Et viens snr leur •ont® enf<strong>la</strong>mmée,<br />

avec <strong>la</strong> vivacité et- <strong>la</strong> variété <strong>du</strong> récit, ni avec <strong>la</strong><br />

Dfane mais <strong>de</strong> fenêtres armée,<br />

vérité et l'abandon dû style passionné; et c'est par<br />

Frapper cea <strong>mont</strong>a anda<strong>de</strong>uz.<br />

cette raison que l'épopée et le drame se sont réservé<br />

Ces hommes qui n'ont point encore<br />

le grand vers, chez les anciens comme chez les mo­<br />

%roa¥é <strong>la</strong> main da Seigneur<br />

<strong>de</strong>rnes. Ce vers, toujours le même pour f espèce<br />

Se f<strong>la</strong>ttent que Bien les Ignore,<br />

Et s'enivrent <strong>de</strong> leur bonheur.<br />

quoiqu'on puisse et qu'on doive en varier les formes<br />

Leur postérité florissante t<br />

pour l'effet, n'est pour ainsi dire qu'une sorte <strong>de</strong><br />

ainsi qu'une tige naissante f<br />

Croit al s'élève sons leurs jeux ;<br />

donnée, un <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> 'convention, qui, une fois<br />

Leurs filles couronnent leurs têtes<br />

établi, n'étonne guère plus que le <strong>la</strong>ngage ordinaire ;<br />

De tout ce f n'en nos jours <strong>de</strong> fêtes<br />

nous portons <strong>de</strong> plus précieux.<br />

au lieu que <strong>la</strong> strèphe ne peut jamais faire oublier<br />

ie poète, parce que îe mécanisme en est trop pro­<br />

De leurs grains les granges sont pleines;<br />

Leurs ceJllera regorgent <strong>de</strong> fçiita;<br />

noncé , et c'est encore une autre raison pour, <strong>la</strong> ban­<br />

Leurs troupeaux t tout chargés <strong>de</strong> <strong>la</strong>ines, nir <strong>du</strong> genre dramatique, où l'auteur ne peut pas<br />

Sont Incessamment repro<strong>du</strong>its :<br />

se <strong>mont</strong>rer, et <strong>de</strong> l'épique, où il fait si souvent<br />

Pour ma <strong>la</strong> fertile rosée,<br />

Tombant sur <strong>la</strong> terre embrasée,<br />

p<strong>la</strong>ce aux personnages. Peut-être objectera-t-on<br />

<strong>la</strong>fralcnlt son sets altéré ;<br />

que les octaves italiennes, dans l'épopée, semblent<br />

Et pour eux le <strong>la</strong>mbeau <strong>du</strong> mon<strong>de</strong><br />

Hourrlt i*nne ebaleur fécon<strong>de</strong><br />

déroger à ce principe; mais on peut répon<strong>du</strong> que<br />

Le germe en ses f<strong>la</strong>ncs resserra<br />

le vers <strong>de</strong>s octaves est le grand vers italien, que les<br />

Le calme règne dans leurs villes;<br />

rimes n'y sont jamais qu'alternées, et -que ces éc<strong>la</strong>tes<br />

n'étant point obligées <strong>de</strong> finir, comme nos<br />

* Mmm U Mutmr im <strong>de</strong>ux est d'une beauté frappante.<br />

Vnl<strong>la</strong>ife fa transportée dans sa Mmrmdê :<br />

strophes françaises, par une chute plus ou moins<br />

¥iau # iea <strong>de</strong>ux eafiamcaés etsâfeta <strong>la</strong> liantes?. frappante, et pouvant enjamber les unes sur les<br />

Mais m^umméi n'ajoute rien à ridée, et le petit vers <strong>de</strong> autres, ne forment guère que <strong>de</strong>s intervalles <strong>de</strong><br />

Rousseau est d'un plus grand effet que Fbexamètre <strong>de</strong> Toltsira,<br />

parce qull n'y a rien d'Inutile, et qu'il a .eu sein ie phrases un peu plus réguliers que e§w <strong>de</strong> <strong>la</strong> ?ersl-<br />

Cûmmerar le van par le mot essentiel, sèsttm ' Ëcation continue.


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

â l'élégance, à <strong>la</strong> noblesse, à l'harmonie, à <strong>la</strong><br />

richesse qu'on admire dans les psaumes <strong>de</strong> Rousseau<br />

9 il font joindre cette onction qnll ifaît puisée<br />

dans l'original. Ci s'est pas qu'on ne puisse en désirer<br />

davantage , surtout quand on a lu les diseurs<br />

<strong>de</strong> Racine : il y a dans ceux-ci plus <strong>de</strong> sentiment,<br />

comme il y a plus <strong>de</strong> flexibilité dans les tons, et<br />

plus d'habileté à passer continuellement <strong>de</strong> l'élévation<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> force à <strong>la</strong> douceur et à <strong>la</strong> grâce, et h<br />

faire contraster <strong>la</strong> crainte et l'espérance , <strong>la</strong> p<strong>la</strong>inte<br />

et les conso<strong>la</strong>tions. Mais il est juste aussi <strong>de</strong> remarquer<br />

que les choeurs <strong>de</strong> Racine f mé<strong>la</strong>ngés <strong>de</strong> toutes<br />

les sortes <strong>de</strong> rhythroe, se prêtaient plus facilement<br />

à cette intéressante variété : c'était <strong>de</strong>s o<strong>de</strong>s que<br />

Rousseau vou<strong>la</strong>it faire. Il est vrai encore que dans<br />

<strong>la</strong> seule où il ait employé le mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong> rhyfhmes<br />

qu'il aurait peut-être pu mettre en usage plus souvent<br />

9 1 n'en a pas tiré, à beaucoup près 9 te même<br />

parti que Racine dans ses chœurs. Mais enfin Ton<br />

peut avoir moins <strong>de</strong> sensibilité que Racine, et n'en<br />

être pas dépourvu; et c'est encore dans ses psaumes<br />

que Rousseau en a le plus. Je n'en veux pour preuve<br />

que le cantique d'Éféehïas , le morceau le plus touchant<br />

qu'il ait <strong>la</strong>it :<br />

Tai va mes tristes Journées<br />

DéeUner vers leur penchant :<br />

As midi 4e mes années<br />

I@ touchais à mon couchant<br />

Là mort, déployant ses ailes,<br />

Couvrait d'ombles étettMUet<br />

La datte dont je Jouis 9<br />

Et t dans cette suit funeste,<br />

le cfctfcfîits es veto te rente<br />

De mes Jours éftoonls. . i<br />

Grand Dieu! votre sa<strong>la</strong> rédame<br />

Les dons que j'en al reçus ;<br />

Elle Tient couper <strong>la</strong> trame<br />

Bes Joins qu'elle m 9 a tâsnt.<br />

Mon <strong>de</strong>rnier soleil se 1ère, . t<br />

» ' Et votre souffle m'enlève<br />

Bê<strong>la</strong> ferre <strong>de</strong>s vivants, \<br />

€omme <strong>la</strong> feaUSe séenée, ' *<br />

Qui, <strong>de</strong> sa tige arrachée,<br />

Devient le Jouet <strong>de</strong>s vents.<br />

Ainsi <strong>de</strong> «ta et tf a<strong>la</strong>rmes<br />

Mon mal semb<strong>la</strong>it se nourrir,<br />

Et mes jeu, noyés <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes,<br />

Etaient <strong>la</strong>sses <strong>de</strong> s'ouvrir.<br />

Je disais à <strong>la</strong> suit sombre :<br />

O ouït! tu Tas dans ton ombre<br />

Bfensevellf pour toujours,<br />

le redisais à l'aurore :<br />

Le jonr que ta fais éc<strong>la</strong>te<br />

Est le <strong>de</strong>nier <strong>de</strong> mes Jours, etc.<br />

Je ne reprocherai pas aui poésies sacrées <strong>de</strong><br />

Rousseau le retour fréquent <strong>de</strong>s mêmes idées et<br />

<strong>de</strong>s mêmes images : je crois que ce<strong>la</strong> était inévita-<br />

Me dans une imitation <strong>de</strong>s psaumes, dont les sujets<br />

se ressemblent beaucoup. Mais on pourrait désirer<br />

673<br />

qui! ne se fit pas dispensé quelquefois <strong>de</strong> rajeunir,<br />

par une expression plus -neuve, <strong>de</strong>s idées détenues<br />

trop communes. Dans ces stances morales, par<br />

exemple, dont j'ai cité les <strong>de</strong>ux plus belles, il f en<br />

a plusieurs <strong>de</strong> trop faibles.<br />

Tons mm vu tomber les plus illustres tètes 9<br />

Et vous pourries encore t Intenses que vous êtes,<br />

Ignorer te tribut que Ton doit à <strong>la</strong> mort!<br />

Non , non ; tout doit franchir ce terrible passage;<br />

Le riene et l'indigent, l'Impru<strong>de</strong>nt et le sage,<br />

Sujets à même M, subâssent même sort<br />

Ces <strong>de</strong>rniers ? ers surtout sont trop prosaïques<br />

et trop secs. Comparet-les à cet endroit d'un 'dis<strong>cours</strong><br />

en vers <strong>de</strong> Yoitaire, qui dit précisément <strong>la</strong><br />

même chose:<br />

CTest <strong>du</strong> même limon que tons ont pris naJuanee ;<br />

Dans <strong>la</strong> mène faiblesse Us traînent feureofanee;<br />

Et le rtebe et le pauvre, et le faible et le fort.<br />

Vont tous égsiement <strong>de</strong>s douleurs à <strong>la</strong> mort<br />

Quelle différence! et puisque les idées sont les<br />

mêmes , elle tient uniquement à ce qu'on appelle<br />

fintérét <strong>de</strong> style, qualité rare, et qui rachète sou-<br />

¥ent chez Voltaire ce qu'il a <strong>de</strong> moles parfait dans<br />

d'antres parties.<br />

Le dix-septième <strong>de</strong>s psaumes <strong>de</strong> Rousseau presque<br />

tout entier,<br />

Mon âme, loues le Seigneur, etc.,<br />

pèche par ce même vice <strong>de</strong> sécheresse prosaïque.<br />

Eenoneons au stérile appui<br />

Des grands qu'on implore aujourd*hnl ;<br />

He fondons point sur eus une espérance folie ;<br />

'Leur pompe, Indigne <strong>de</strong> nos vsui,<br />

If est qu'un simu<strong>la</strong>cre frivole t<br />

Et Ses soli<strong>de</strong>s Mens ne dépen<strong>de</strong>nt pas d'eui.<br />

Heureux qui <strong>du</strong> etel eceajé»<br />

Et d'un nwx éc<strong>la</strong>t détrompé t<br />

Met <strong>de</strong> bonne heure en ia! tonte son espérance !<br />

II * protige <strong>la</strong> vérité.<br />

Et saura prendre Sa défense*<br />

Du Juste que l'Impie aura persécuté.<br />

C'est le seigneur gai sous nourrit ,<br />

C*est le Seigneur qui nous guérit :<br />

D prévient nos besoins e il adoucit nos gènes;<br />

11. assure nos pas eralnttls ;<br />

1! délie, 11 brise nos datées;<br />

Et nos tyrans par lui <strong>de</strong>viennent nos captifs.<br />

11 n'y a pas 9 a proprement parler, <strong>de</strong> failles dans<br />

ces fers ; mais c'en est une gran<strong>de</strong> 9 dans eue pièce<br />

<strong>de</strong> huit strophes, d'en faire trois où il n'y a pas <strong>la</strong><br />

moindre beauté poétique. C'est une <strong>de</strong> ses pins mé*<br />

diocres 9 il est vrai ; mais plusieurs autres ne sont<br />

pas eiemptes <strong>du</strong> même défaut; et je ne mm pas<br />

épuiser <strong>de</strong>s citations que tout lecteur judiciem peut<br />

suppléer.<br />

Quelquefois aussi il paraphrase longuement et<br />

1 â quoi se rapporte il?<br />

LA HÂ1PB. — TOME I. #3


S74<br />

faiblement ce qui est beaucoup plus beau dans <strong>la</strong><br />

simplicité <strong>de</strong> Poriginal.<br />

Les <strong>de</strong>ux instruisent li terre<br />

À révérer leur autour ;<br />

Tout ce que leur glèbe emmrre<br />

Célébra lia Bleu créateur.<br />

Quel plus sublime cantique<br />

Que ce concert magnifique<br />

De tous les célestes corps!<br />

Quelle gran<strong>de</strong>ur infinie,<br />

Quelle divine harmonie<br />

MmdU <strong>de</strong> leurs accords !<br />

C0U1S DE LITTÉRATURE.<br />

Comme le reste <strong>du</strong> psaume est'fort supérieur,<br />

ou le cite souvent ara jeunes gens, et j'ai m ce<br />

même eommeneemeut rapporté avec les plus grands<br />

élogêsdans vingt ouvrages faits pote l'é<strong>du</strong>cation <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> jeunesse. Il serait utile au contraire <strong>de</strong> leur faire<br />

aperce?» <strong>la</strong> différence <strong>de</strong> cette première strophe<br />

aui autres. Les <strong>de</strong>ux premiers fers sont beaux f<br />

quoiqu'ils ne vaillent pas, à mon gré s <strong>la</strong> simplicité<br />

une; expression inintelligible. Ces sortes <strong>de</strong> fastes<br />

sont rares, il est vrai, dans les poésies sacrées <strong>de</strong><br />

Rousseau , mais elles ne <strong>de</strong>vraient pas s'y trouver.<br />

Ailleurs il dit en par<strong>la</strong>nt à Bien, Ta eraènte9 pour<br />

dire, <strong>la</strong> crainte que im dois inspirer'; m qui n f «t<br />

nuMemest français. Toutes ces tachesplus on moins<br />

fortes n'empêchent pas que l'ouvrage en général<br />

ne soit bien travaillé, et que l'auttv n'ait lutté<br />

avec succès contra <strong>la</strong> difficulté. Mais il fal<strong>la</strong>it les<br />

faire observer, parce que les fautes <strong>de</strong>s bons écrivains<br />

sont dangereuses, si on ne les rend pas instructives.<br />

•<br />

Livré à son génie, et ne dépendant plus que <strong>de</strong><br />

lui-même dans ses o<strong>de</strong>s, il me semble y avoir mis<br />

plus d'inspiration, une verve plus soutenue. On a<br />

beaucoup parlé <strong>de</strong> l'enthousiasme lyrique ;• et ces<br />

<strong>de</strong>ux vers <strong>de</strong> Despiéanx sur l'o<strong>de</strong>,<br />

si noble <strong>de</strong> l'original « : les cieux racontent <strong>la</strong> gloire<br />

<strong>de</strong> l f Son style topétoeu souvent marri» m hasard;<br />

€hex elle un beau désordre est un effet <strong>de</strong> Fart,<br />

Éternel, et Je firmament annonce l'ouvrage ont donné lieu à bien <strong>de</strong>s commentaires. Les mm<br />

<strong>de</strong> ses mains* Mais tous les vers suivants sont rem­ ont confon<strong>du</strong> ce qu'on appelle foreur poétique avee<br />

plis <strong>de</strong> fautes. Enserre est un mot <strong>du</strong>r et désa­ <strong>la</strong> déraison; les autres se sont per<strong>du</strong>s dansvne mégréable<br />

, déjà vieilli <strong>du</strong> temps, <strong>de</strong> Rousseau. Le globe taphysique subtile pour expliquer méthodiquement<br />

<strong>de</strong>s cieux est une expression très-fausse. Résulte <strong>de</strong> ce berna désordre <strong>de</strong> l'o<strong>de</strong>. Avec un peu <strong>de</strong> réHexion<br />

leurs accords termine <strong>la</strong> strophe par un vers aussi il est facile <strong>de</strong> s'enterre ; et quand ou ne veut rien<br />

lourd que prosaïque. Jamais le mot résulte n'a dû outrer, tout s'éc<strong>la</strong>irait. Le psoëte.lyriquè est censé<br />

entrer que dans le raisonnement. Mais ce qu'il y a cé<strong>de</strong>r au besoin <strong>de</strong> répandre au <strong>de</strong>hors les idées dont<br />

<strong>de</strong> plus vicieux, c'est <strong>la</strong> redondance <strong>de</strong> tous ces il est assailli, <strong>de</strong> se livrer aux mouvements qui l'a­<br />

mots, presque synonymes, sublime cantique, congitent, <strong>de</strong> nous présenter les tableaux qui frappent<br />

cert magnifique, atwine harmonie » gran<strong>de</strong>ur inson<br />

imagination : il est donc dispensé <strong>de</strong> préparafinie<br />

: c'est un amas <strong>de</strong> chevilles indignes d'un bon tion, <strong>de</strong>) métho<strong>de</strong>, <strong>de</strong> liaisons marquées. Gomme<br />

' poète.<br />

rien n'est «si rapi<strong>de</strong> que l'inspiration, il peut par­<br />

On pardonne <strong>de</strong> légères négligences, <strong>de</strong> petites courir le mon<strong>de</strong> dans l'espace <strong>de</strong> cent vers, en­<br />

Imperfections, mime dans un morceau <strong>de</strong> peu d'étrer dans son sujet par où il veut, y rapporter<br />

ten<strong>du</strong>e, où d'ailleurs les beautés prédominent; mais <strong>de</strong>s épiso<strong>de</strong>s qui semblent s'en éloigner; mais à<br />

un terme absolument impropre, un vers absolu­ travers ce désordre, qui est tus effet <strong>de</strong> tari,<br />

ment mauvais, ne sauraient s'excuser dans une o<strong>de</strong> Fart doit toujours le ramener à son objet principal.<br />

qui n'en a que trente ou quarante.<br />

Quoique sa <strong>cours</strong>e ne soit pas mesurée, je ne dois<br />

pas le perdre entièrement <strong>de</strong> vue; car alors je ne me<br />

Les remparts <strong>de</strong> <strong>la</strong> cité saisie<br />

Mo» sont un reloge assuré.<br />

soucierai plus <strong>de</strong> le suivre. S'il n'est pas obligé<br />

Dieu lui-même dans son enceinte<br />

d'exprimer les rapports qui lient ses idées, 1 doit<br />

• marqué son séjour sacré.<br />

Use on<strong>de</strong> pore et délectable<br />

faire en sorte que je les aperçoive ; puisque mÊm<br />

Arrose awe'tésèreté<br />

c'est un principe général que ceux à qui Ton parie,<br />

Le tabernacle redoutable<br />

<strong>de</strong> quelque manière que ce soit, doivent savoir ce<br />

Où repose sa majesté.<br />

qu'on veut leur dire. Tout consiste donc à procé<strong>de</strong>r<br />

Jrrmeame Mgéretê serait mauvais même en prose, par <strong>de</strong>s mouvements, et à étaler <strong>de</strong>s tableaux : c'est<br />

où il faudrait dire arrose légèrement.<br />

là le véritable enthousiasme <strong>de</strong> l'o<strong>de</strong>. Les écarts<br />

Sans une âme légitimée<br />

•continuels <strong>de</strong> Pindare ne sont pas un modèle qu'il<br />

Par <strong>la</strong> pratique coninnée<br />

nous faille suivre rigoureusement. On n<br />

De mes préceptes Immortels, «te.<br />

On ne sait ce que c'est qu'une âme légitimée : c'est<br />

1<br />

Cœli enmr&mi gtariam Dei9 #1 opéra m&mumm t$m ammmtiei<br />

^mswsemlmm. (Ps. xvm.)<br />

9 a pas fait<br />

attention que les sujets qull traite lui en faisaient<br />

une loi. Ils étaient toujours les mêmes, c'étaient<br />

toujours <strong>de</strong>s victoires dans les jeux olympiques. 11<br />

n'y avait donc que <strong>de</strong>s digressions qui pussent le San-


?er ik <strong>la</strong> monotonie; et l'un sait l'histoire <strong>du</strong> poète<br />

S!iïi#oMif et <strong>de</strong> son épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> CaM&r et Pottux :<br />

cette histoire est celle <strong>de</strong> Pindare. 11 se tira es homme<br />

<strong>de</strong> génie d'une situation embarrassante ; et, <strong>de</strong><br />

plus f ses digressions rou<strong>la</strong>ient sur <strong>de</strong>s objets toujours<br />

agréables et intéressants pour les Grecs. Horace,<br />

qui avait <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> choisir ses sujets, s $ est<br />

permis beaucoup moins d'écarts, et sa marchet<br />

quoique très-rapi<strong>de</strong>, est beaucoup moins vague.<br />

11 a soin <strong>de</strong> <strong>la</strong> cacher; mais on l'aperçoit, et c'est<br />

le meilleur gui<strong>de</strong> que Ton puisse se proposer. Malherbe,<br />

occupé principalement <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue et <strong>du</strong><br />

rhythme qu'il avait à former, n'a pas assez <strong>de</strong> verve<br />

et <strong>de</strong> mouvements : son mérite consiste surtout<br />

dans l'harmonie et les images. Les irais modèles<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> marche <strong>de</strong> ro<strong>de</strong> en notre <strong>la</strong>ngue sont dans les<br />

belles o<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Rousseau, dans celles au comiê <strong>du</strong><br />

Luc, au prmœ Eugêm, au <strong>du</strong>c <strong>de</strong> Vendôme, à<br />

Malherbe. Comparons ks idées principales <strong>de</strong> ces<br />

quatre o<strong>de</strong>s avec tout ce que le talent <strong>du</strong> poète y<br />

a mis, et nous comprendrons comment il faut faire<br />

une o<strong>de</strong>. La meilleure théorie <strong>de</strong> Fart sera toujours<br />

l'analyse <strong>de</strong>s bons modèles.<br />

Le comte <strong>du</strong> Luc y Fan <strong>de</strong>s protecteurs <strong>de</strong> Ionsseau<br />

, plénipotentiaire i <strong>la</strong> paix <strong>de</strong> Ba<strong>de</strong>, et ambassa<strong>de</strong>ur<br />

en Suisse, a?ait bien sera <strong>la</strong> France dans ses<br />

négociations. Il était d'une mauvaise santé : le poète<br />

veut lui témoigner sa reconnaissance, le louer <strong>de</strong>s<br />

services qu'il a ren<strong>du</strong>s à l'État, et lui souhaiter une<br />

santé meilleure et une longue vie. Ce fond est bien<br />

peu <strong>de</strong> chose : voici ce qu'il en fait. Il commence par<br />

nous peindre l'état violent où il est quand le démon<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie veut s'emparer <strong>de</strong> lui. 11 se compare à<br />

Prêtée quand ifoeut échapper aux mortels qui le consultent<br />

, au prêtre <strong>de</strong> Delphes quand il est rempli <strong>du</strong><br />

dieu qui va lui dicter ses oracles : il nous apprend<br />

tout ce que doit coûter <strong>de</strong> travaux et <strong>de</strong> veilles cette<br />

<strong>la</strong>borieuse inspiration. Ce début serait fort étrange,<br />

et ce ton serait cf use hauteur dép<strong>la</strong>cée, si le poète<br />

al<strong>la</strong>it tout <strong>de</strong> suite à son but, qui est <strong>la</strong> santé <strong>du</strong><br />

comte <strong>du</strong> Luc : il n'y aurait plus aucune proportion<br />

entre ce qu'il aurait annoncé et ce qu'il ferait;<br />

il ressemblerait à ces imitateurs ma<strong>la</strong>droits qui <strong>de</strong>puis<br />

ont tant abusé <strong>de</strong> ces formules rebattues d'un<br />

enthousiasme factice qu'il est si aisé d'emprunter,<br />

et qui <strong>de</strong>viennent si ridicules quand on ne les soutient<br />

pas. Mais ici Rousseau est encore bien loin <strong>du</strong><br />

comte <strong>du</strong> Luc, et le chemin qu'il va faire justifiera<br />

<strong>la</strong> pompe et <strong>la</strong> véhémence <strong>de</strong> son exor<strong>de</strong>.<br />

Des telles, <strong>de</strong>s travaux, un faible cœur s'étonne.<br />

Apprenons toutefois que te ils do Latone,<br />

Dont nous mimm It eoer,<br />

le BW fend ip'à ce prit tm traite <strong>de</strong> vive f<strong>la</strong>mme,<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE. 675<br />

Et ces ailes <strong>de</strong> feu f si ratissent une âme<br />

An céleste séjour.<br />

Cest par là qu'autrefois d'un prophète fidèle<br />

L'esprit s'affrancMssaiif <strong>de</strong> sa ehâSne mortelle,<br />

Par un puissant effort,<br />

S'é<strong>la</strong>nçait dans les airs comme un aigle intrépi<strong>de</strong> f<br />

Et jusque efees les dieu al<strong>la</strong>it d*ua vol rapi<strong>de</strong><br />

<strong>la</strong>terroftt le sort<br />

Cest par là qu'on mortel, forçant les rives sombrai,<br />

An superbe tyran qui règne sur les ombres $<br />

Fit respecter sa ¥©lx :<br />

Heureux, si , trop épris d'une beauté ren<strong>du</strong>e,<br />

Par uu excès d'amour il se l'eut pat per<strong>du</strong>s<br />

Une secon<strong>de</strong> fols !<br />

Telle était <strong>de</strong> Phébus <strong>la</strong> Vertu souveraine,<br />

Tandis qu'il fréquentait les bords <strong>de</strong> riippoerèn©<br />

Et les sacrés vallons.<br />

Mats ce n'est plus 1e temps * <strong>de</strong>puis que favarlee,<br />

Le mensonge f<strong>la</strong>tteur, l'orgueil et le caprice<br />

Sont nos seuls Apollons.<br />

Ah ! si ce dieu sublime, échauffant mon génie,<br />

Ressuscitait pour moi <strong>de</strong> l'antique harmonie<br />

Les magiques accords;<br />

Si Je pou rais <strong>du</strong> ciel franchir les fastes routes,<br />

On percer par mes chants les mfemaScf voûtes<br />

De l'empire <strong>de</strong>s morts !<br />

le n'irais point t <strong>de</strong>s dieux profanant <strong>la</strong> retraite,<br />

Dérober aux <strong>de</strong>stins, téméraire interprète,<br />

Leurs augustes secrets; »<br />

le n'Irais point chercher une amante ravie, ,<br />

Et, <strong>la</strong> lyre à <strong>la</strong> main , re<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r sa vie<br />

Au gendre <strong>de</strong> Cérês.<br />

Etsissrirjié d'une ar<strong>de</strong>ur plus noble et moins stérile,<br />

Jlraia f fini* pour vont, ô mon Illustre aaUe I<br />

O mon fidèle espoir!<br />

Implorer aux enfers ces trois flères déesses<br />

Que jamais jusqu'Ici nos voeux et nos prutaestess<br />

If ont eu l'art d'émouvoir.<br />

' Nous savons donc enûii où il en fou<strong>la</strong>it venir.<br />

Wons concevons qu'il ne lui fal<strong>la</strong>it rien moins qm<br />

cette espèce d'obsession doit il a para tourmenté<br />

par le dieu <strong>de</strong>s fers f puisqu'il s'agit <strong>de</strong> tenter ee qui<br />

n'avait réussi qu'au seul Orphée, <strong>de</strong> ûéeJrir les Parques<br />

et d'attendrir les Enfers. 11 va faire pour l'amitié<br />

ce qu'Orphée avait fait pour l'amour, et sa<br />

prière est si touchante, le ehant <strong>de</strong> ses vers est si<br />

mélodieux, qu'il paraît être véritablement ee mémo<br />

Orphée qui! veut imiter.<br />

Poissantes déliés qui peuplez eette rive,<br />

Prépares f leur dlrata-je f use oreille attentée<br />

An isruftie mes concerts :<br />

Puissent-ils amollir vos superbes courages<br />

En faveur d'un héros digne <strong>de</strong>s premiers âges<br />

Du Baissant univers I<br />

Non, jamais sous les yeui <strong>de</strong> l'auguste Cybèle,<br />

La terre ne vil naître un plus parfait modèle<br />

Entre les dieux mortels;<br />

Et Jamais <strong>la</strong> vertu, n'a dans un siècle avare,<br />

D'un plus riche parfum ni d'un encens plus raie t<br />

Yu fumer ses autels.<br />

Cesl lut, c'est le pouvoir <strong>de</strong> cet heureux génie,<br />

Qui soutient l'équité contre Sa tyrannie<br />

D'un astre Injurieux.<br />

L'aimable Vérité 4 fugitife, importune,<br />

N'a trouvé qu'en lui seul sa gloire, sa fortune ?<br />

Sa patrie et ses dieux.<br />

4SI.


'§16<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

Corrigez doue pour <strong>la</strong>i vos rigoureux anges;<br />

Fraies tous tes fuseaux qui pour les plus longs âges<br />

Tournent entra ? os malus :<br />

' CM à vous que <strong>du</strong> Styx les dieux Inexorables<br />

Ont confié les Jours, hé<strong>la</strong>s ! trop peu '<strong>du</strong>rables<br />

Des fragiles humains.<br />

St ces dieux f dont on jour tout doit êtra lt proie,<br />

Se <strong>mont</strong>rent trop jaloux île là fatale suie<br />

Que irons leur re<strong>de</strong>veï,<br />

Ne délibérez plus * tranches mes <strong>de</strong>stinées ,<br />

Et renouet leur fil à cotai <strong>de</strong>s années<br />

Que vous lui réserves.<br />

Ainsi daigne le ciel t toujours pur et tranquille f<br />

Verser sur tous les jours que votre main nous file<br />

Un regard amoureux !<br />

Et puissent les mortels amis <strong>de</strong> l'Innocence<br />

Mériter tous les soins que votre vigi<strong>la</strong>nce<br />

Daigne prendre pour eux!<br />

C'est ainsi qu'au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> <strong>la</strong> fatale barque<br />

Mes casais adouciraient <strong>de</strong> l'orgueilleuse Parque<br />

» L*Impitoyable loi : -<br />

Lacnésis apprendrait à <strong>de</strong>venir sensible t<br />

Et le double ciseau <strong>de</strong> sa sieur inflexible<br />

Tomberait <strong>de</strong>vant moi<br />

' ' Il tomberait sans doute, si Forai le <strong>de</strong>s divinités<br />

infernales était sensible au charme <strong>de</strong>s beaux vers.<br />

Cest là qu'est bien p<strong>la</strong>cé l'orgueil poétique, <strong>de</strong>venu<br />

aujourd'hui un lieu 'commun postiche parmi nos<br />

rimeurs $ qui ne sentent pas combien il est ridicule<br />

quand on ne sait pas le rendre intéressant. 11 l'est<br />

ici, parce que le poète, encore tout bouil<strong>la</strong>nt <strong>de</strong><br />

l'inspiration; tout plein <strong>du</strong> sentiment qui lui a<br />

dicté son éloquente prière s ne croit pas qu'on puisse<br />

lui résister, et nous fait partager cette confiance si<br />

noble et si naturelle. Quelle foule <strong>de</strong> beautés dans<br />

m morceau! Pas une expression qui ne soit riche,<br />

pas un détail qui ne rappelle ce <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong>s dieux<br />

que <strong>de</strong>vait parler le rival d'Orphée. Un homme vertueux<br />

est ici le pins parfait modèle que <strong>la</strong> terre ait<br />

vu naître entre ks dieux mortels. Le protecteur <strong>de</strong><br />

Pour lui, <strong>la</strong>s <strong>de</strong> sa <strong>cours</strong>e, il revient à lui-même,<br />

et termine son o<strong>de</strong> aussi heureusement qu'il Fa<br />

commencée.<br />

Que ne puls-Je franchir cette noble barrière!<br />

Mais, peu propre aux-efforts d'une longue carrlèn v<br />

le vais jusqu'où je puis ;<br />

Et semb<strong>la</strong>ble à l'abeille en nos Jardins écloso»<br />

De différente leurs j'assemble et Je compose,<br />

Le miel que Je pro<strong>du</strong>its.<br />

Sans cesse en divers Meux errant à l'aventure.<br />

Bas spectacles nouveaux que m 9 offre <strong>la</strong> nature,<br />

Mes yeux sont égayés ;<br />

Et tantôt dans les bols, tentât dam <strong>la</strong>s prairies,<br />

le promène toujours mes douces rêveries<br />

Loin <strong>de</strong>s chemins frayés.<br />

Celui qui se livrant à <strong>de</strong>s gui<strong>de</strong>s vulgaires f<br />

Ne détourne Jamais <strong>de</strong>s routes popu<strong>la</strong>ires<br />

Ses pas infructueux,<br />

Marche plus sûrement dans une humble campagne?<br />

Que ceux qui, plus hardis, percent <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>mont</strong>agne<br />

Les sentiers tortueux.<br />

Toutefois , c'est ainsi que nos maîtres célèbres<br />

Ont dérobé leurs noms aux épaisses ténèbrts<br />

De leur antiquité;<br />

Et ce n'est qu'en suivant leur pértUeux exemple<br />

Que nous pouvons t comme eux f arriver jusqu'au temple '<br />

De llmmortaUté.<br />

Moire poésie lyrique a pu traiter <strong>de</strong> plus grands<br />

sujets, et offrir <strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong>s Idées. Les idées ee<br />

sont pas ce qui brille le plus dans Rousseau ; mais<br />

pour Fensemble et le style, je ne connais rien dans<br />

notre <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong> supérieur à cette o<strong>de</strong>. On peut y<br />

apercevoir quelques taches, mais légères et ee bien<br />

petit nombre. Le seul vers qu'il eût fallu, je crois,<br />

retrancher <strong>de</strong> ce chef-d'œuvre, est celui-ci :<br />

Et Je verrais enfin, <strong>de</strong> mes froi<strong>de</strong>s ilâneet<br />

Fondre tom Ut g<strong>la</strong>çons.<br />

Cette métaphore est <strong>de</strong> mauvais goût.<br />

VO<strong>de</strong> au prince Eugène n'est pas, à beaucoup<br />

l'équité est ici celui qui <strong>la</strong> soutient eonêre <strong>la</strong> tyran** près, aussi Unie dans les détails. Plusieurs strophes<br />

me if t» astre injurieux* La <strong>du</strong>rée <strong>de</strong> notre vie est sont faibles et communes; mais elle offre aussi <strong>de</strong>s<br />

<strong>la</strong>faiak soie que ks Parques redainent aux dimx beautés <strong>du</strong> premier ordre; et le p<strong>la</strong>n, quoiqu'il y<br />

eu Sttyx. Partout <strong>la</strong> poésie <strong>de</strong> l'o<strong>de</strong>.<br />

ait bien'moins d'invention, est lyrique. Elle roule<br />

11 continue, et fait souvenir le comte <strong>du</strong> Luc que principalement sur cette idée, que le prince Eugène<br />

les dieux, en lui prodiguant leurs dons, ne l'ont pas n'a rien fait pour <strong>la</strong> renommée, et tout pour le <strong>de</strong>­<br />

exempté <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi commune, qui mê<strong>la</strong> pour nous voir et <strong>la</strong> vertu. Un auteur qui n'aurait eu que <strong>de</strong>s<br />

les maux avec les biens ; et cette idée est ren<strong>du</strong>e avec pensées et point d'imagination, Laraothe, par<br />

<strong>la</strong> même élégance.<br />

exemple, eût nivelé sur ce sujet <strong>de</strong>s stances philo­<br />

Ces était trop, hé<strong>la</strong>s ! et tenr tendmse avare, sophiques. Mais le poète, qui veut parler <strong>de</strong> <strong>la</strong> Re­<br />

Tous refusant un bien dont <strong>la</strong> douceur répara nommée, commence par <strong>la</strong> voir <strong>de</strong>vant lui, et il<br />

Tous les maux amassés,<br />

Prit sur votre santé, par un décret funeste, nous <strong>la</strong> <strong>mont</strong>re sous les traits que lui a prêtés<br />

Le sa<strong>la</strong>ire <strong>de</strong>s dons qu'à votre âme céleste<br />

Virgile.<br />

.•Elle avait dispensés.<br />

Estree nue f<strong>la</strong>sta® sondatu<br />

11 rappelle tout ce que son héros a fait <strong>de</strong> mémo­ Qui trompe mes regards surpris?<br />

Est-ce un songe dont Fombre vainc<br />

rable; et quand il a tout dît, il se sert <strong>de</strong> l'artifice Trouble mes timi<strong>de</strong>s esprits?<br />

permis en poésie; il suppose qui n'est pas en état Quelle est cette déesse énorme $<br />

<strong>de</strong> remplir un si grand sujet* II <strong>de</strong>man<strong>de</strong> quel est Ou plutôt ce monstre difforme f<br />

Tout couvert d'oreilles et d'yeux 9<br />

f artiste qui l'osera, quel sera l'Âpelle <strong>de</strong> ce portrait. Dont <strong>la</strong> voix rejasmlile au tonnerre,


Et qui, <strong>de</strong>s pieds touchant <strong>la</strong> terre,<br />

Cache sa tête dans In <strong>de</strong>ux?<br />

Cest rtaeonstante Renommée t<br />

' Qui, sans cesse les yeux ouverts,<br />

Fait M revue accoutumée<br />

Dans tous les coins <strong>de</strong> l'univers.<br />

Toujours vaine, toujours errante,<br />

Et «exagère indifférente<br />

Des vérités et <strong>de</strong> l'erreur*<br />

Sa voix t en merveilles fécon<strong>de</strong>,<br />

Va chex tous les peuple» <strong>du</strong> mon<strong>de</strong><br />

Semer le brait et <strong>la</strong> teneur.<br />

Quelle «t cette troupe sans nombre<br />

D'amants autour d'elle assi<strong>du</strong>s,<br />

Qui viennent en foule à son ombre<br />

Rendre leva hommages per<strong>du</strong>s?<br />

La vanité qui les enivre<br />

Sans relâche s'obstine à suivre<br />

L'éc<strong>la</strong>t dont elle* lea sé<strong>du</strong>it; .<br />

Mais bientôt leur âme orgueilleuse<br />

Volt sa lumière frau<strong>du</strong>leuse<br />

Changée en éternelle nuit.<br />

O tôt qui, tans lot rendre nommage t<br />

Et sans redouter M» pouvoir,<br />

Sus toujours <strong>de</strong> cette vo<strong>la</strong>ge<br />

Fixer les soins et Se <strong>de</strong>voir;<br />

Héros, <strong>de</strong>s héros le modèle,<br />

Étatisée pour cette Intdèle<br />

Qu'en fa vu, cherchant <strong>la</strong> hasards,<br />

Braver mille morts toujours prêtes f<br />

Et, dans tes feux et tes tempêtes-,<br />

Défier les fureurs <strong>de</strong> Mars?<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — FOESIE.<br />

Le poète arrif e à ion héros ; mais il nous y a con<strong>du</strong>its<br />

sans l'annoncer* et à fraiera une galerie <strong>de</strong><br />

tableaux. Cette suspension qui nous attache est ai<br />

<strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> <strong>la</strong> poélie lyrique dans les grands sujets;<br />

mais il faut prendre gar<strong>de</strong>, en vou<strong>la</strong>nt irriter<br />

<strong>la</strong> curiosité, <strong>de</strong> ne pas l'Impatienter» Ici t comme partout<br />

ailleurs; <strong>la</strong> mesure est nécessaire, et surtout;<br />

lorsqu'on fient au fait, il faut que nous saisissions<br />

le rapport avec ce qui a précédé. C 9 est ce qu'on a vu<br />

dans l'O<strong>de</strong> au comte <strong>du</strong> Luc, et ce qu'on retrouve<br />

dans ceîle-cL<br />

Rousseau veut dire au prince Eugène que le temps<br />

et foubli dévorent tout ce que <strong>la</strong> sagesse et ia vertu<br />

n'ont point consacré : mais il ne s'arrête pas à ridée<br />

morale; ele lui fournit'une peinture, et une peinture<br />

sublime :<br />

Ce vlelllini qui, d'us vol agile f<br />

Fait sans jamais être arrêté,<br />

Le Temp t cette Image mobUê<br />

De l'immobile éternité,<br />

- à peine <strong>du</strong> sein <strong>de</strong>s ténèbres<br />

Fait éclore les faits célèbres,<br />

Qnlf les replonge dans <strong>la</strong> nuit ;<br />

Auteur <strong>de</strong> tout ce qui doit être f<br />

n détruit test ce quMl fait naître<br />

A mesura qu'il le pro<strong>du</strong>it<br />

Ces <strong>de</strong>ux vers,<br />

Le temps f cette image mobile<br />

De l'immobile éternité f<br />

1 MO» est amphibologique. Est-ce <strong>la</strong> mniU? Est-ce <strong>la</strong> tencmmée?<br />

677<br />

sont au nombre <strong>de</strong>s plus beaux qu'on ait <strong>la</strong>its dans<br />

aucune <strong>la</strong>ngue. L'immobile éêêrmté est une <strong>de</strong>s<br />

igures les plus heureusement hardies qu'on ait ja*<br />

mais employées % et Je contraste <strong>du</strong> temps mobile<br />

<strong>la</strong> rend encore plus frappante.<br />

Mais <strong>la</strong> déesse <strong>de</strong> mémoire.<br />

Favorable aux noms éc<strong>la</strong>tants,<br />

Soulèv e réquitable histoire<br />

Contre l'iniquité <strong>du</strong> temps ;<br />

Et dans te registre <strong>de</strong>s âges<br />

Consacrant les nobles images<br />

Que <strong>la</strong> gloire loi vient offrir,<br />

Sans cesse en ost auguste livre<br />

Notre souvenir voit revivn<br />

Ce que nos yeux ont vu périr.<br />

SmMm i'éqMMubk MsMre est un emprunt que<br />

rélève <strong>de</strong> Despréaux fait à son maître. Celui-ci avait<br />

dit:<br />

Et soulever pour toi l'équitable avenir.<br />

Le mot registre ne semble pas fait pour les vers ;<br />

mais k registre <strong>de</strong>s âges est ennobli par <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur<br />

<strong>de</strong> Fidée, comme celui <strong>de</strong> & revue accoutumée dans<br />

<strong>la</strong> strophe <strong>de</strong> <strong>la</strong> Renommée.<br />

Bans le reste <strong>de</strong> l'o<strong>de</strong> , Fauteur faiblit et ne se relève<br />

que par intervalles. La comparaison<strong>de</strong>s exploits<br />

d'Eugène avec ceux <strong>de</strong>s héros <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fable est une<br />

froi<strong>de</strong> hyperbole.<br />

L'avenir faisant son étujfo<br />

De cette vaste multitu<strong>de</strong><br />

D'incroyables événements.<br />

Dans leurs vérités authentiques f<br />

Des falilet les plus fantastiques %<br />

Retrouvera tes fon<strong>de</strong>ments.<br />

Cette idée est fausse. Comment-les triomphes réels<br />

d'Eugène seront-ils ks fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong>s fables fan*<br />

tmMqmest Et remarquez que presque toujours,<br />

quand on pense mal , on ne s'exprime pas mieux. La<br />

diction a déjà per<strong>du</strong> <strong>de</strong> son coloris, quoiqu'elle ait<br />

encore <strong>du</strong> nombre : dans c# qui suit, il n'y a plus<br />

rien.<br />

Tous ces traits lncompréhenslbies,<br />

Par les lettons eenoblk,<br />

Dans l'ordre <strong>de</strong>s choses possibles,<br />

Par là se verront rétablis.<br />

Chez nos neveux moins Incré<strong>du</strong>les,<br />

Les vrais Césars, tes faux Hercules,<br />

Seront mis au même <strong>de</strong>gré;<br />

Et tout os qu'on dit à leur gloire,<br />

Et qu'on admire sans le croire»<br />

Sera eru sans être admiré. .<br />

Les idées sont aussi fausses que les vers sont prosaïques<br />

et traînants. Comment Eugène sera-t-Ii cause<br />

que les vrais Césars et im faux Hercules seront<br />

* On m sera peutrétn pas ftohé <strong>de</strong> voir ici comme cette<br />

Idée est ren<strong>du</strong>e dans le Tirais <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton. Voici te texte original<br />

: Elxévei S* éitivosT (o Osoç) xtvnr^v tiva eâwmç nm^em,,<br />

tiévovroç alertée Iv bn, tenrov Ôv &t\ vjàvev èvefmanev,


678<br />

COURS DE UnÉRATURB.<br />

au même <strong>de</strong>gré f Comment le poète peut-il confondre,<br />

ou croire que l'on confondra jamais les faits trèsattestés<br />

<strong>de</strong> César et les faits chimériques d'Hercule;<br />

et dire, <strong>de</strong>s nus comme <strong>de</strong>s autres, qu'os les admire<br />

sansks croire, et que, grâces à Eugène, ils seront<br />

erui mm être admirés? Quoi ! Ton a ? adrairera plus<br />

César parce que Eugène a été un grand guerrier?<br />

Quellefoete d'exagérations dénuées <strong>de</strong> sens ! Ce n'est<br />

pas ainsi que Boileau louait Louis XIV. Mais Boileau<br />

âfâlt un très-bon esprit, et c'est ce qui manquait à<br />

Rousseau. On ne le voit que trop dans ses autres<br />

ouvrages ; et Fou s 9 en aperçoit même dans ses o<strong>de</strong>s $<br />

où ce défaut pouvait être moins sensible, parce<br />

qu'en ce genre il est plus aisé <strong>de</strong> le couvrir par <strong>la</strong><br />

diction poétique f <strong>la</strong> seule qualité que Rousseau possédât<br />

éminemment.<br />

Les lieux communs sont un moindre défaut que<br />

les hyperboles puériles; mais trois ou quatre strophes<br />

<strong>de</strong> suite répétant <strong>la</strong> mime pensée et une pensée<br />

très-commune, sans <strong>la</strong> soutenir par l'expression,<br />

jetteraient <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngueur dans le plus bel ouvrage.<br />

après qm celte Ile guerrière,<br />

Si fatale ans lien Oltoinani,<br />

Eut mit s» putuantê barrière<br />

A couvert <strong>de</strong> leurs armements,<br />

Vendôme t qui, -par sa pru<strong>de</strong>nce,<br />

Sut y rétablir l'abondance,<br />

Et pourvoir à tous ses besoins,<br />

Voulut cé<strong>de</strong>r aux <strong>de</strong>stinées ,<br />

Qui réservaient à tes années<br />

D'autre» eUnatt et d'autres sotas.<br />

Vais, dès que <strong>la</strong> céleste voûte #<br />

Fut ouvert* au jour radieux<br />

' '<br />

-Qui <strong>de</strong>?Mt éc<strong>la</strong>ire» <strong>la</strong> mute<br />

De ce tierce ami îles dieux v<br />

Du fond <strong>de</strong> tes grottes prof ointes Y<br />

. Neptune éleva MUT les «<strong>de</strong>s<br />

Son char <strong>de</strong> Tritons entouré;<br />

Et ce dieu, prenant <strong>la</strong> parole f<br />

Aux superbes estants d*É©te<br />

Adreaee. cet ordre raaré :<br />

aller, tyrans fmj»if#y«ftistf<br />

Qui désolez tout rouiras,<br />

De f os tempêtes e#e#f r*èlee<br />

Troubler ailleurs le sein Se nées.<br />

Sur les eaux fui baignent rAMqnev<br />

CM au Yuiturue naeUips<br />

Que f ai <strong>de</strong>stiné votre emploi.<br />

Partez, et que entre furie t<br />

Jusqu'à <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière leepérie,<br />

Respecte et subisse sa loi<br />

Mais TOUS , atasaMes Néréi<strong>de</strong>s,<br />

Songez au sang <strong>du</strong> grand Henri i<br />

Lorsque vos campagnes ieiatMea<br />

Porteront ce prince cbéri,<br />

Ap<strong>la</strong>nissez Ton<strong>de</strong> orageuse,<br />

Secon<strong>de</strong>s l'ar<strong>de</strong>ur oourafMise<br />

De ses Mêlée matelots ;<br />

AMez, et d'une main agite<br />

Soutenez son ¥alsseau fragile,<br />

Quand 11 roulera sur nés flots.<br />

Rousseau 9 qui sait faire l'usage le plus henreei<br />

Ce n'est potnt d'un<br />

De massacres et <strong>de</strong> débris <strong>de</strong>s épithètes, en abuse aussi ipeicpifciis, et les<br />

f<br />

Qu'use vertu pore et céleste<br />

prodigue sans effet s comme dans une <strong>de</strong>s strophes<br />

Tira Mm véritable prix.<br />

précé<strong>de</strong>ntes f où les t§mm impitoyables et les tem-<br />

Ce<strong>la</strong> est trop vrai : il est trop évi<strong>de</strong>nt qu'une vertu pèles effm^&èks forment <strong>de</strong>s rimes trop faciles;<br />

céteste ne peut pas tirer son prix <strong>de</strong> wmssaeres : mais dans cette <strong>de</strong>rnière strophe, le ehoix en est<br />

il y aurait contradiction dans les termes. L'auteur admirable. Ces six ?ers,<br />

•eut dire que les massacres et les débris ne sont Ap<strong>la</strong>nissez fon<strong>de</strong> t etc.,<br />

pas les titres d'une vertu céleste; mais il ne le dit semblent composés <strong>de</strong> syl<strong>la</strong>bes rassemblées à <strong>de</strong>s­<br />

pas ; et quand il le dirait, cette vérité est si vulgaire 9 sein pour peindre à rimaginatfon le léger sil<strong>la</strong>ge d'un<br />

qu'il faudrait Forner davantage.<br />

vaisseau qui vogue par un vent favorable.<br />

Les <strong>de</strong>rnières strophes sont plus soutenues ; mais 11 s'offre encore dans cette o<strong>de</strong> quelques endroits<br />

il y a encore <strong>de</strong>s fautes Y et es général toute cette trop peu poétiques.<br />

Mcon<strong>de</strong> moitié ie l'o<strong>de</strong> n'est pas digne <strong>de</strong> <strong>la</strong> première.<br />

O détestable Calomnie v<br />

Celle qui est adressée au <strong>du</strong>e <strong>de</strong> Vendôme, à son FSlïe <strong>de</strong> Vobtcure Fureurs<br />

retour <strong>de</strong> Malte Y a <strong>de</strong> moins gran<strong>de</strong>s beautés Y mais Compagne <strong>de</strong> 11 Emanée t<br />

elle est beaucoup plus égale. L'auteur met Féloge Et «rare ie l'mmm§lê Brmw!<br />

<strong>de</strong> ce prince dans <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong> Neptune y qui or­ Zizanie ne peut jamais entrer dans le style noble.<br />

donne aux Tritons et aui Néréi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> porter son L'obscure fureur est vague, et c'est dire trop peu<br />

•aisseau et d'écarter les tempêtes. Cette fiction lui <strong>de</strong> <strong>la</strong> calomnie, que <strong>de</strong> <strong>la</strong> nommer mère <strong>de</strong> i'errem*<br />

fournit un début imposant : le dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> Neptune y Elle a été <strong>la</strong> mère d'eue foule <strong>de</strong> crimes , et le poète<br />

répond; et quand le poète reprend <strong>la</strong> parole, c'est en cite <strong>de</strong>s eiemples.<br />

avec un ton ferme et assuré.<br />

• Dès lors, quels périls , quelle gloire t<br />

If ont point signalé son grand cœur!<br />

Ils font k plm beau <strong>de</strong> tkûîmm<br />

D'en héros en tous Ueux vainqueur.<br />

Le plus beau <strong>de</strong> l'histoire est beaucoup trop familier.<br />

Mais dans <strong>la</strong> strophe qui suit f les premiers<br />

exploits <strong>de</strong> ta jeunesse <strong>de</strong> Vendôme fournissent aie<br />

très-belle comparaisoo.<br />

Non moine grand, non moins intrépi<strong>de</strong> t<br />

Ou le rit, ani yeui <strong>de</strong> sou roi,<br />

Traverser un fleuve rapi<strong>de</strong>,


Et g<strong>la</strong>cer ses rives d'effroi :<br />

Tel cpe d'une ar<strong>de</strong>ur sanguinaire<br />

Us Jeune aiglon, loin <strong>de</strong> son aire,<br />

Emporté plus prompt qu'un éc<strong>la</strong>ir,<br />

Rmd'mr tout m qui se présente,<br />

Et d'un cri jette l'épouvante<br />

Chez tous les habitants <strong>de</strong> l'air.<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

Rousseau dans une <strong>de</strong> ses lettres, dit en par<strong>la</strong>nt<br />

<strong>de</strong> l'O<strong>de</strong> à Malherbe, qu'il <strong>la</strong> croit assez pindarique.<br />

II y a en effet <strong>de</strong>s mouvements d'enthousiasme,<br />

et un bel épiso<strong>de</strong> <strong>du</strong> serpent Python tué par le dieu<br />

<strong>de</strong>s arts, et dont le poète fait l'emblème <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie.<br />

Cependant l'ensemble <strong>de</strong> cette o<strong>de</strong> est inférieur à<br />

celle qu'il fil pour le comte <strong>du</strong> Luc; et, quoique<br />

une <strong>de</strong>s mieux écrites, elle ne se soutient pas partout.<br />

Nos insoknts propos, expression au-<strong>de</strong>ssous<br />

<strong>du</strong> mm;dêstempsd'^tmté, pour dire <strong>de</strong>s temps<br />

d'ignorance.<br />

Et <strong>de</strong> là naissait k$ seeêm<br />

De tous €@i sales tsweefet.<br />

La rime est riche, mais ne saurait faire passer <strong>de</strong>s<br />

sectes d'insectes. C'est à peu près tout ce qu'il y a<br />

<strong>de</strong> répréhensible, et les beautés sont nombreuses.<br />

Rousseau s'élève contre les détracteurs <strong>de</strong>s talents :<br />

Impitoyables ZoOes,<br />

Plus sourds que le noir P<strong>la</strong>ton,<br />

Souvenei-vous, âmes viles<br />

Du sort <strong>de</strong> l'affreux Python ;<br />

Ches les illes <strong>de</strong> Mémoire<br />

Aile* apprendre l'histoire<br />

De ce serpent abhorré t<br />

Dont l'haleine détestée,<br />

De sa vapeur empestée;<br />

Souil<strong>la</strong> leur séjour sacré.<br />

Lorsque <strong>la</strong> terrestre masse<br />

Du déloge eut bu les eaux,<br />

n effraya le Pâmasse<br />

par <strong>de</strong>s prodifes nouveaux.<br />

Le <strong>de</strong>l vit ce monstre impie,<br />

lé <strong>de</strong> <strong>la</strong> range croupie<br />

An pied <strong>du</strong> <strong>mont</strong> f éUon ,<br />

Souffler sou infecte rage<br />

Contre le naissant ouvrage<br />

Des malus <strong>de</strong> DeueaUon.<br />

Mais le bras sûr et terrible<br />

Du ilen qui donne le Jour,<br />

<strong>la</strong>? a dans son sang horrible<br />

L'honneur <strong>du</strong> docte séjour.<br />

Bientôt <strong>de</strong> <strong>la</strong> Tbessalle,<br />

Par sa dépouille ennobUe 9<br />

Les champs en furent baignés.<br />

Et <strong>du</strong> CépMse rapi<strong>de</strong><br />

Son corps affreux et livi<strong>de</strong><br />

Grossit les flots indignés.<br />

67*<br />

regretter davantage queY dans ses o<strong>de</strong>s les mieux<br />

faites, il ait <strong>la</strong>issé <strong>de</strong>s traces <strong>de</strong> prosaïsme ou d'incorrection.<br />

Cette inégalité est remarquable dans<br />

les <strong>de</strong>ux strophes suivantes <strong>de</strong> <strong>la</strong> même pi èce.<br />

Une louange équitable,<br />

Dont l'honneur seul est Se $mi9<br />

Du mérite véritable<br />

ErtnnCsIllIblefriftNf.<br />

En quatre vers, <strong>de</strong>ux'expressions visiblement impropres.<br />

On ne sait ce que c'est que f honneur qui<br />

est k but <strong>de</strong> <strong>la</strong> louange. Le but <strong>de</strong> <strong>la</strong> louange est <strong>de</strong><br />

rendre justice, d'exciter f ému<strong>la</strong>tion. Et, <strong>de</strong> plus,<br />

<strong>la</strong> louange n'est point k tribut <strong>du</strong> mèrUe : elle ep<br />

est <strong>la</strong> récompense, quand elle est k tribut <strong>de</strong> l'équité.<br />

Les six autres vers <strong>de</strong> <strong>la</strong> même strophe sont<br />

excellents :<br />

Un esprit noble et subUme,<br />

Nourri <strong>de</strong> gloire et d'estime *<br />

Sent redoubler ses chaleurs »<br />

Comme une tige élevée,<br />

D'une on<strong>de</strong> pure abreuvée,<br />

Toit multiplier tes fleurs.<br />

Mime disproportion .dans <strong>la</strong> strophe d'après :<br />

Mais cette f<strong>la</strong>tteuse ammve<br />

D'en hommage qu'on croit dû,<br />

Souvent prête même Jetée<br />

Au vise qu'à <strong>la</strong> vertu.<br />

Qu'on eroU dû afflige étrangement l'oreille, et jamais<br />

une amorce J^Z prêté <strong>de</strong> <strong>la</strong> force. Le poète se<br />

relève aussitôt par six vers superbes ;<br />

De <strong>la</strong> céleste rosée<br />

La terre fertUisée,<br />

Quand les frimas ont cessé,<br />

Fait également éclore<br />

Et les doux parfums <strong>de</strong> Fia»,<br />

Et tes poisons <strong>de</strong> Gtreé.<br />

Et il ajoute tout <strong>de</strong> suite, en finissant cette o<strong>de</strong> par<br />

un é<strong>la</strong>n singulièrement lyrique :<br />

Clesi, gar<strong>de</strong>2 vos eaux fécon<strong>de</strong>s<br />

pour le myrte aimé <strong>de</strong>s iléus ;<br />

Me prodiguei plus vos on<strong>de</strong>s<br />

A cet if contagieux.<br />

Et vous, enfants <strong>de</strong>s nuages f<br />

Vents , ministres <strong>de</strong>s orages ?<br />

Tenez t fiers tyrans <strong>du</strong> nord,<br />

De vos brû<strong>la</strong>ntes froi<strong>du</strong>res<br />

Sécher ces feuilles Impures<br />

Dont l'ombre donne <strong>la</strong> mort.<br />

On a pu voir dans l'analyse <strong>de</strong> ces quatre o<strong>de</strong>s,<br />

malgré quelques imperfections que j'ai observées,<br />

Tous ces détails sont bril<strong>la</strong>nts <strong>de</strong> poésie. Le nais­ les qualités essentielles <strong>du</strong> genre, et particulièrement<br />

sant ouvrage <strong>de</strong>s mains <strong>de</strong> DeucaUom, pour dire l'espèce <strong>de</strong> fictions et d'épiso<strong>de</strong>s qui lui conviennent.<br />

rhomme nouvellement formé, est bien d'un poète 11 n'y en a poiut dans Voie sur <strong>la</strong> èataMte <strong>de</strong> Péêer*<br />

lyrique, qui doit répandre sur tout ce qu'il exprime waradin: c'est une <strong>de</strong>scription d'un bout à l'autre;<br />

le coloris <strong>de</strong>s figures. C'est un <strong>de</strong>s mérites les plus mais elle est pleine <strong>de</strong> feu, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus entraînante<br />

fréquents dans Rousseau, celui qui prouve le plus sa rapidité : <strong>la</strong> critique <strong>la</strong> plus sévère n'ypoumit pres­<br />

vocation pour le genre où il s'est exercé, et qui fait que rien reprendre. Ici le poëte entre dans son sujet


êM C0U1S DE LITTÉRATURE.<br />

dès les premiers fers, et débute par use comparaison<br />

qui sert à l'annoncer.<br />

Ainsi le g<strong>la</strong>l?e fidèle<br />

B@ l'ange exterminateur<br />

Plongea dans l'ombre étemelle<br />

Us peuple profanateur, *<br />

Quand l'Assyrien terrible<br />

Vil, dans mie nuit horrible,<br />

Tous ses soldats égorgés,<br />

De<strong>la</strong>Ëdèfeludée,<br />

Par ses armes obsédée,<br />

Couvrir les champ saccagea<br />

Où sont cas ils <strong>de</strong> <strong>la</strong> Terre ,<br />

Dont tes fières légions<br />

Devaient allojaer <strong>la</strong> guerre<br />

* An sien <strong>de</strong> nos régions?<br />

•La nuit <strong>la</strong>s fit rassemblées,<br />

Le jour les voit écoulées<br />

Comme <strong>de</strong> faibles ruisseau.<br />

Qui, gonflés par quelque orage,<br />

Tiennent Inon<strong>de</strong>r <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge<br />

Qui doit engloutir leurs eau.<br />

Cette comparaison est admirable, il y es a?ait déjà<br />

1111e dans <strong>la</strong> première strophe ; mais celle-ci est d'eue<br />

tournure toute différente-, et d'ailleurs l'o<strong>de</strong>, comme<br />

l'épopée,- permet <strong>de</strong> multiplier cette espèce d'ornements,<br />

pourvu qu'ils soient Mea p<strong>la</strong>cés. Rousseau<br />

ei celle dans cette partie. On ? oit d'ailleurs qu'il procè<strong>de</strong><br />

ici bien différemment <strong>de</strong> ce qu'il a fait dans les<br />

o<strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>ntes : ni préparation ni détours; il est<br />

tout <strong>de</strong> suite sur le champ <strong>de</strong> bataille, et cette vivacité<br />

brusque est parfaitement analogue' au sujet.<br />

Autant sa muse est impétueuse quand il chaste<br />

une victoire 9 autant il sait <strong>la</strong> ralentir quand il pleure<br />

<strong>la</strong> mort <strong>du</strong> prince <strong>de</strong> Gostî. C'est <strong>la</strong> différence d'un<br />

chant <strong>de</strong> triomphe à un hymne funèbre, également<br />

marquée dans le rhythme et dans le style. Au lieu<br />

<strong>de</strong> ces petits ? en <strong>de</strong> trois pieds et <strong>de</strong>mi qui semblent<br />

se précipiter les uns sur les autres, trois hexamètres<br />

se traînent lentement, et se <strong>la</strong>issent tomber,<br />

pour ainsi dire, sur un fers qui n'est que <strong>la</strong> moitié<br />

d'un alexandrin.<br />

Peuples dont <strong>la</strong> douleur ai» <strong>la</strong>rmes obstinée<br />

De m prince chéri dépion le trépas ,<br />

Approcha , et voyei quelle est <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée<br />

Des gran<strong>de</strong>urs dlct-bas.<br />

Il n'est plus, et les dietfx , en <strong>de</strong>s temps si fouettes,<br />

M 9 ont fait que le <strong>mont</strong>rer aux regards <strong>de</strong>s mortels.<br />

Soumettons-nous : allons porter ces tristes restes-<br />

Au pied <strong>de</strong> leurs autels.<br />

Je ne passerai pas plus loin les citations.<br />

Les o<strong>de</strong>s dont j'ai parié, qui toutes ont une marche<br />

différente, sont les plus bril<strong>la</strong>ntes pro<strong>du</strong>ctions<br />

<strong>du</strong> génie <strong>de</strong> Rousseau dans le genre le plus relevé,<br />

et dans ce qu'on appelle les grands sujets. On peut<br />

y joindre Y O<strong>de</strong> aux primes ckréêiem ;<br />

CM n'est donc point asseï que ce peuple perl<strong>de</strong> , etc.<br />

H y a <strong>de</strong> belles choses dans VO<strong>de</strong> $w Im pmbe <strong>de</strong><br />

Passamviiz,<br />

Les eradfbppKsseiiri 4a l'Aile fndfgsée, etc. ;<br />

dans VO<strong>de</strong> mmi<strong>de</strong> Pologne, dans VO<strong>de</strong> swtapmijc ;<br />

mais elles sont en total fort inférieures, et le dédis<br />

<strong>de</strong> fauteur s'y fait apercevoir. Ce dédis est bien<br />

plus sensible dans presque toutes les o<strong>de</strong>s <strong>du</strong> <strong>de</strong>rnier<br />

livre. Quoique l'auteur ne fût pas fort avancé en âge,<br />

sa muse avait vieilli avant le temps. Je n'ai point<br />

parlé <strong>de</strong> V O<strong>de</strong> sur <strong>la</strong> naissance <strong>du</strong> <strong>du</strong>c <strong>de</strong> Bretmgne,<br />

qui est <strong>la</strong> première <strong>de</strong> son recueil : il y a <strong>du</strong> nombre<br />

et <strong>de</strong>là tournure ; mais le talent <strong>de</strong> l'auteur n'était<br />

pas mûr encore, et ce n'est guère qu'une application<br />

<strong>de</strong> rhétorique, un amas <strong>de</strong> froi<strong>de</strong>s exc<strong>la</strong>mations,<br />

une imitation ma<strong>la</strong>droite d'imeéf logue<strong>de</strong> Vîrgjje. Il<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>la</strong> lyre <strong>de</strong> Pisdare; et pourquoi? Pour<br />

nous annoncer que<br />

Les tasaps prédits par Sa sibylle<br />

A leur terme soat pammis :<br />

Mous touchons au règne tranquille<br />

Du vieux Saturne et <strong>de</strong> Jasas.<br />

Un nouveau mon<strong>de</strong> vient d'édoie :<br />

L'univers se reforme encore<br />

Dans les abîmes <strong>du</strong> chaos.<br />

Les éléments cessent leur guerre,<br />

Les <strong>de</strong>ux ont repris leur as «a ;<br />

Un feu sacré purge <strong>la</strong> terre<br />

De tout ce qu'elle avait d'impur.<br />

On ne craint plus l'herbe mortelle,<br />

Et le crocodile infidèle<br />

Du im ne trouble plus les eaux ;<br />

Les lions dépouillent leur rage,<br />

Et dans le même pâturage<br />

Bondissent avec les troupeaux.<br />

Toute cette mythologie <strong>de</strong> l'âge d'or est très-dép<strong>la</strong>cée<br />

et très-voisine <strong>du</strong> ridicule. La poésie "peut dans<br />

tous les temps fouiller <strong>la</strong> mine, quoique ne peu<br />

épuisée, <strong>de</strong>s fables <strong>de</strong> l'antiquité; mais, pour donner<br />

<strong>cours</strong> à cette vieille monnaie, il faut <strong>la</strong> refrapper<br />

à notre coin. 11 faut surtout se servir <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fable<br />

<strong>de</strong> manière à ne pas choquer <strong>la</strong> raison; et Ton sent<br />

kies que <strong>la</strong> naissance d'un <strong>du</strong>c <strong>de</strong> Bretagne ne pouvait,<br />

es aucun sens, refomwr l'univers dam Im<br />

aùimes <strong>du</strong> chaos, se faisait rien aux crocodiles <strong>du</strong><br />

Nil, et ne pouvait pas familiariser les lions avec les<br />

troupeau : c'est <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie d'écolier, et Rousseau<br />

est <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>vesu un maître.<br />

L'o<strong>de</strong> est susceptible <strong>de</strong> tous les sujets. Il y en a<br />

d'héroïques, et ce sont celles dont je viens <strong>de</strong> faire<br />

mention : il y en a <strong>de</strong> morales f <strong>de</strong> badines, <strong>de</strong> ga<strong>la</strong>ntes<br />

, <strong>de</strong> bachiques, etc. Horace surtout a fait prendre<br />

à l'o<strong>de</strong> tous les tons, et Rousseau en a essayé plusieurs.<br />

La plus célèbre <strong>de</strong> ses pièces morales est<br />

VO<strong>de</strong> à ta Pmîmm : il y a <strong>de</strong> belles strophes, mais<br />

<strong>la</strong> marche en est trop didactique. Le fond <strong>de</strong> l'ou-


SIÈCLE DE LOUIS X1Y. — POÉSIE.<br />

wage n'est qu'un lieo oomniup, ehargé <strong>de</strong> déc<strong>la</strong>mations<br />

et même d'idées fausses* On <strong>la</strong> fait apprendre<br />

aui jeunes gens dans presque toutes les maisons<br />

d'é<strong>du</strong>cation. Elle est très-propre à leur former l'oreille<br />

à l'harmonie; il y en a beaucoup dans cette<br />

o<strong>de</strong> : mais on ne ferait pas mal <strong>de</strong> prémunir leur<br />

jugement contre ce qu'il y a <strong>de</strong> mal pensé 9 et même<br />

#â?ertir leur goût sur m que <strong>la</strong> fersilcation a <strong>de</strong><br />

défectueux.<br />

Fortune f dont <strong>la</strong> mais mnmimê<br />

Les forfaits Ses plus inouïs,<br />

Bu faux éc<strong>la</strong>t qui t'environne<br />

Serons-nous toujours éblouis? -<br />

Jwpes à quand , trompeuse Idole ,<br />

D*un culte honteux et fri¥ole<br />

Menorerons-noos tes saisis?<br />

Verra- t-on toujours tes caprtees<br />

Consacrés par les sacrifices<br />

Et pat rhommage <strong>de</strong>s mortels?<br />

Le peuple , dans ton moindre ouvrage,<br />

Adorant <strong>la</strong> prospérité,<br />

Te nomme gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> eonrapf<br />

Valeur, pru<strong>de</strong>nce, fermeté.<br />

Du titre <strong>de</strong> vertu suprême<br />

1! dépouille <strong>la</strong> verte même<br />

Pour le vice que tu chéris,<br />

Et toujours ses fausses maximes<br />

Érigent en héros sublimes<br />

Tes plus coupables Urnes,<br />

Mais <strong>de</strong> quelque superbe titre<br />

Dont ces héros soient revêtus,<br />

Prenons <strong>la</strong> raison pour arbitre,<br />

Et ebercbons en eus leurs vertus.<br />

Je tfy trouve qu'extravagance,<br />

ValMeme, Injustice, arrogance,<br />

Trahisons, fureurs, cruautés ;<br />

Etrange vertu, qui se forme<br />

Souvent <strong>de</strong> fassemb<strong>la</strong>ge énorme<br />

Des vices les plus détestés !<br />

D'abord ces trois strophes ne sont-elles pas trop<br />

méthodiquement raïsonoées ; et Rousseae, qui reprochait<br />

à <strong>la</strong> fflothe ses o<strong>de</strong>s par arikies, ne l'a*t-il<br />

pas un peu imité en cet endroit ? De quelque superbe<br />

tUre qu'îk soient rmêêm, prenons <strong>la</strong> raison pour<br />

arbitre; et cherchons, etc. nesont^ce pas là toutes<br />

les formules déjà discussion en prose? Une o<strong>de</strong>9<br />

quelle qu'aile soit, doit-elle procé<strong>de</strong>r comme un<br />

traité <strong>de</strong> morale? Otes les rimes, qu'y a-l-Il d'ailleurs •<br />

qui ressemble à <strong>la</strong> po^ie? Un défaut plus grand,<br />

€ 9 estiquê ces trois strophes redisent trop proliiement<br />

<strong>la</strong> même chose : ce sont <strong>de</strong>s pensées communes dé<strong>la</strong>yées<br />

en mm faibles. Enfin, si Fon examine <strong>de</strong> près<br />

le style, on y trou?era <strong>de</strong>s fautes d'autant moins<br />

pardonnables, que les fers doivent être plus sé?èr@ment<br />

soignés dans une pièce <strong>de</strong> peu d'éten<strong>du</strong>e, et<br />

dans un genre où Ton ne saurait être trop poète.<br />

Qu'est-ce qu'un cuMeJrimkf Ce<strong>la</strong> ne peut vouloir<br />

dire qu'un culte sans conséquence ; car ce qui est<br />

frivole est l'opposé <strong>de</strong> ce qui est sérieux9 important ?<br />

réfléchi. El le culte qu'on rend à <strong>la</strong> fortune n'est-il<br />

681<br />

pas malheureusement trop réel, s f est-il pas trèssiiifl<br />

, très-raéditéE n'a-t»il pas les suites les plus sérieuses<br />

? Il n'est donc rien moins qa»frivole. Jmques<br />

à quand honorerom*mwts est une suite <strong>de</strong> 90ns dé*<br />

sagréables. Du Mûre <strong>de</strong> vertu suprême : suprême est<br />

là pour <strong>la</strong> rime et contre le sens. Comptent dépcmUk*<br />

$~m <strong>la</strong> vertu <strong>du</strong> Étire <strong>de</strong> vertu suprêmet H fondrait<br />

pour ce<strong>la</strong> que <strong>la</strong> vertu fût nécessairement <strong>la</strong> vertu<br />

suprême, et ce<strong>la</strong> n'est pas : il y a <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés dans <strong>la</strong><br />

vertu comme dans le vice. Extravagance, fiâMesse9<br />

injustice9 arrogante, trmMs&msffureurs9 cruautés :<br />

trois vers qui ne sont qu'un assemb<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> substantifs<br />

ne sont pas d'une élégance lyrique. Étrange<br />

vertu qui se firme souvent : somment est rejeté d'un<br />

vers à l'autre contre les règles <strong>de</strong> <strong>la</strong> construction<br />

poétique. De plus, il forme une espèce <strong>de</strong> contradiction.<br />

Peut-on dire qu'une vertu où Ton ne trouve que<br />

trahisons, fmrem9, efe., est souvent un assemb<strong>la</strong>ge<br />

<strong>de</strong> vkest Elle Test toujours$ et nécessairemenL<br />

Apprends que <strong>la</strong> sente sagesse<br />

Peut MRS <strong>de</strong>s kéms jwr/sifs.<br />

La sagesse ne fait point<strong>de</strong>s héros; et qu'est-ce qu'un<br />

héros parfait? Toutes ces idées-là manquent <strong>de</strong> justesse.<br />

Les trois strophes suivantes sont fort belles,<br />

si l'on excepte le rapprochement d'Alexandre et d'Atti<strong>la</strong><br />

1 qu'il ne fal<strong>la</strong>it pas mettre sur <strong>la</strong> même ligne.<br />

Quoi ! les» et FltaUe en cendre<br />

Me feront honorer Syl<strong>la</strong>!<br />

Futofretst dans Alexandre<br />

Ce que J'abhorre es Atti<strong>la</strong> !<br />

rappellerai vertu guerrière<br />

Use vail<strong>la</strong>nce meurtrière<br />

Qui dans mon sang trempe set mmém 1<br />

Et je pourrai forcer ma bouche-<br />

A louer im héros farouche<br />

Ré pour le meilleur <strong>de</strong>s humains !<br />

' Quels trMts meprewtent vos fastes,<br />

Impitoyables conquérants?<br />

Des ? ceux outrés , <strong>de</strong>s projets fastes,<br />

Des ffili valncui par <strong>de</strong>s tyrans ;<br />

Des mut que <strong>la</strong> <strong>la</strong>mine ravage;<br />

Des f atocpea» fumants <strong>de</strong> carnage,<br />

Us peuple as fer abandonné;<br />

Des mène pâles et sang<strong>la</strong>ntes,<br />

Arrachant leurs lltes tremb<strong>la</strong>ntes<br />

Des bras «Tun soldat effréné.<br />

Juges Insensés que nous sommes,<br />

Noos admtroiis <strong>de</strong> tels exploits 1<br />

Est-ce dose le malheur dés hommes<br />

Qui tilt <strong>la</strong> Yertu <strong>de</strong>s grands rois?<br />

Leur gloire, fécon<strong>de</strong> es raines$<br />

Sans le meurtre et sans les rapines<br />

He saurait-elle subsister?<br />

Images <strong>de</strong>s dieux sur <strong>la</strong> terre<br />

Est-ce par <strong>de</strong>s coupa <strong>de</strong> tonnerre<br />

Que leur gran<strong>de</strong>ur doit éc<strong>la</strong>ter?<br />

Voilà <strong>de</strong> f€u$ <strong>de</strong> mmneineirt, <strong>de</strong>s images : nous<br />

afoas rétros?é l'o<strong>de</strong>. Je ne prétends pas que tout<br />

doite être <strong>de</strong> là mène force ; mais ries ne doit s'écarter<br />

<strong>de</strong> genre, si tomber trop au-<strong>de</strong>ssous. Ici dm.


883<br />

moins <strong>la</strong> poésie est sans reproche : mais <strong>la</strong> raison<br />

{mit-elle approuver-que Fou ne mette aucune difiérenée<br />

entre Alexandre et Atti<strong>la</strong>! Est-il possible,<br />

quand on a lu l'histoire avec quelque attention, <strong>de</strong><br />

les regar<strong>de</strong>r au même œil ? Le poète 9 quand il veut<br />

être moraliste f n'est-il pas obligé d'être juste et raisonnable?<br />

Certes, l'ambition d'Alexandre n'est pas<br />

un modèle <strong>de</strong> sagesse; mais on a déjà observé que<br />

jamais conquérant n'eut <strong>de</strong>s motifs plus légitimes,<br />

et n'osa <strong>de</strong> sa fortune arec pins <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur. ToJth<br />

kmre dam AUMa un dé?astatenr qui ne conquérait<br />

que pour détruire, qui <strong>de</strong>puis les Palus-Méoti<strong>de</strong>s<br />

jusqu'aux Alpes marcha sur <strong>de</strong>s ruines, dans <strong>de</strong>s<br />

torrents <strong>de</strong> sang, et à <strong>la</strong> lueur <strong>de</strong>s tilles incendiées ;<br />

in aventurier insolent, qui tramait <strong>de</strong>s rois à sa<br />

suite pour en faire les jouets <strong>de</strong> sa férocité brutale :<br />

un homme qui se fait gloire <strong>du</strong> titre <strong>de</strong>/Mon <strong>de</strong> Dieu<br />

doit être l'horreur <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>. Mais f admire dans<br />

le jeune Alexandre un guerrier qui, chargé à vingt<br />

ans <strong>de</strong> <strong>la</strong> juste vengeance <strong>de</strong>s Grées, si souvent en<br />

proie aux invasions <strong>de</strong>s Perses /traverse en triomphateur<br />

l'empire <strong>du</strong> grand roi, d^uts IMlespont<br />

jusqu'à iln<strong>du</strong>s ; renverse tout ee qui veut l'arrêter,<br />

et pardonne à tout ee qui se soumet ; ne doit ses vic-<br />

. foires qu'à une fermeté d'âme qui résiste à l'ivresse<br />

<strong>du</strong> succès s comme elle <strong>la</strong>it tête aux dangers ; entretient<br />

<strong>la</strong> discipline dans une armée riche <strong>de</strong>s dépouilles<br />

<strong>du</strong> mon<strong>de</strong>; respecte, dans l'âge <strong>de</strong>s passions, les<br />

plus Mies femmes <strong>de</strong> l'Asie, ses captives, et se fait<br />

chérir <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille <strong>du</strong> monarque vaincu, au point<br />

docteur coâter <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes à sa mort, 'fadmire un<br />

vainqueur qui joint les vues <strong>de</strong> <strong>la</strong> politique à <strong>la</strong> rapidité<br />

<strong>de</strong>s conquêtes, fon<strong>de</strong> <strong>de</strong> tous côtés <strong>de</strong>s villes<br />

florissantes, établit partout <strong>de</strong>s communications et<br />

<strong>de</strong>s barrières, aperçoit vers les bond» <strong>du</strong> Nil <strong>la</strong><br />

p<strong>la</strong>ee.'que <strong>la</strong> nature avait marquée pour être le centre<br />

<strong>du</strong> commerce <strong>de</strong>s trois parties <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, ouvre dans<br />

Alexandrie une source <strong>de</strong> richesses dont tant <strong>de</strong> siècles<br />

n'ont pu tarir le <strong>cours</strong>, et qu'aujourd'hui même<br />

<strong>la</strong> barbarie ottomane n'a pu fermer entièrement.<br />

Aussi le nom d'Alexandre, que tant <strong>de</strong> monuments<br />

ont consacré, est-il en vénération dans toute l'Asie.<br />

Et qu'est-il resté d'Atti<strong>la</strong>, qui n'est connu que dans<br />

notre Europe? Rien que le nom d'un brigand fameux.<br />

Je suis fiché qu'Alexandre f qui fut tel que je<br />

tiens <strong>de</strong> le peindre, <strong>du</strong> moins jusqu'au moment où<br />

1 orgueil <strong>de</strong> <strong>la</strong> prospérité régira, ait été si mal avec<br />

nos poètes, que Boileau l'ait voulu mettre aux Petites-Maisons,<br />

et que Rousseau le confon<strong>de</strong> avec<br />

Atti<strong>la</strong>.<br />

Rousseau, pour rabaisser Alexandre, a re<strong>cours</strong><br />

| une supposition qui ne signiie rien :<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

•CM» , €fi« qui M gmrtttre anâase<br />

Tient Meuble toutes les ¥ertus ,<br />

Coneevei Soorate à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce<br />

Bu 1er nMnrMcr <strong>de</strong> CIMas :<br />

Vous fertei us roi respectable,<br />

Humain, généreux, équitable t<br />

Us roi êlgméêwmautels;<br />

Mais, à k p<strong>la</strong>ce 4e Socrate,<br />

Le fameux vainqueur <strong>de</strong> FEephrate<br />

Sera le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>s mortels, •<br />

Mais d'abord faut-il mettre un homme hors <strong>de</strong><br />

sa p<strong>la</strong>ce pour le bien juger? Fal<strong>la</strong>it-il que Turenne<br />

et X3ond4, pour être grands, se trouvassent à <strong>la</strong><br />

piaee <strong>du</strong> chancelier <strong>de</strong> FHospital ou <strong>du</strong> philosophe<br />

Charron? Est-il bien frai d'aillée» qu'Alexandre,<br />

à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> Soorate, eût été le <strong>de</strong>mkr dm mortels f<br />

Rien n'a tant illustré Socrate que sa mort : est-il<br />

bien sûr qu'Alenndro n'eût pas su mourir comme<br />

lui? Socrate prêchait <strong>la</strong> morale : Aleiandre n'en at-fl<br />

pas quelquefois donné les plus beaux exemples?<br />

11 est même très-difficile <strong>de</strong> <strong>de</strong>viner te sens <strong>de</strong> l'hypothèse<br />

<strong>de</strong> Rousseau. Cmucewez Jkxandre à lopkm<br />

<strong>de</strong> Socrak : mais comment? Est-oe Alexandre avec<br />

son caractère, transporté dans telle ou telle dreosstanee<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> Socrate? Est-ce Alexandre chargé<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée entière <strong>de</strong> Socrate, et obligé <strong>de</strong> n'être<br />

que philosophe? Eh bien! Alexandre, conservant<br />

son caractère, aurait voulu être le premier <strong>de</strong>s philosophes<br />

, comme il a voulu être le premier <strong>de</strong>s rois.<br />

Pourquoi aurait-Il été k <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>s wwrtd$*ï<br />

Mais je veut que dans les a<strong>la</strong>niet<br />

Rési<strong>de</strong> le soli<strong>de</strong> honneur :<br />

Quel vainqueur ne doit qu'à ses armes<br />

Ses triomphes il soi bonheur f<br />

Tel qu'on nous vante dans PMiMte<br />

Doit peufr-ttra toute sa gloire<br />

A <strong>la</strong> honte <strong>de</strong> son rival :<br />

Ukmpêtkmm IndoeUe<br />

Du compagnon <strong>de</strong> Pant-£mHe<br />

Fit tout le snoces d'Aonlbal.<br />

Que veut dire k sdi<strong>de</strong> tmmmsr qui réiMe ému<br />

ks ahmmf Ce n'est pas là exprimer sa pensée.<br />

Celle <strong>de</strong> Rousseau était sûrement, « Je veux que<br />

Phonoeur consiste à braver les dangers, à triompher<br />

dans un champ <strong>de</strong> bataille; » mais il ne Fa pas<br />

ren<strong>du</strong>e. Il n'est pas ici plus juste pour Annibal que<br />

pour Alexandre : il n'est pas vrai qu'Annibaï dôme<br />

touêe m ghke à <strong>la</strong> kmte <strong>de</strong> Vairon. Il profita <strong>de</strong><br />

ses fautes s et c'est une partie <strong>du</strong> talent militaire ;<br />

mais Fabius, qui n'en commit point> n'eut auom<br />

avantage sur lui, et il battit Mareellus, qui en savait<br />

plus que Yarron. Seke ans <strong>de</strong> séjour dans un<br />

pays ennemi, oè ÎJ tirait presque toutes ses ressources<br />

<strong>de</strong> lui-même, et le seul projet <strong>de</strong> sa marche ver»<br />

1 Italie, <strong>de</strong>puis Sagonte jusqu'à Romef à travers<br />

• Montalgae avait dit (*iw»f, III9H) : « iê mmmy tFsee_<br />

m m sccrates, le ne puis. » loussean étagère cette pensée.


les <strong>la</strong>uriers <strong>de</strong> César ; mais <strong>la</strong> raison elle-même ne les<br />

trouve pas imaginaires. Ce qui suit vaut beaucoup<br />

mieux :<br />

Ea fâiû te <strong>de</strong>structeur rapi<strong>de</strong><br />

- De Ms.ro-Antoine et <strong>de</strong>. Lépi<strong>de</strong><br />

Renipliitait l^tattc» d 9 horreurt;<br />

Il s'eût point en le mm d'Auguste $<br />

Sans est empire heureux et Juste<br />

Qui fit oaèlter tes f meurt.<br />

Montre*- aees, spereteft m&m^ésm s<br />

Votre vertu dans tout SUS Jour ;<br />

Voyons comment ¥os eœars sublimes<br />

De sert soutteedroet le fetosr.<br />

Tint que SA faveur weus seeûs<strong>de</strong> f<br />

Vous êtes les mai Ires Ûe mon<strong>de</strong>,<br />

Votre gloire tfens éblouit :<br />

Nais ta notiidro revers fotsste,<br />

- Le masque tombe, l'homme teste t<br />

Et le héros s'évanouit.<br />

Pourquoi «F use p<strong>la</strong>inte Importune<br />

Fatiguer vainement tes airs?<br />

•m jmui cruels <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fortune<br />

Tout est fournis dans l'univers.<br />

Jupiter fit rbomme semb<strong>la</strong>ble<br />

à ces <strong>de</strong>ux Jumeaei que <strong>la</strong> Fable<br />

P<strong>la</strong>ça jadis as rang Iles dieux ;<br />

Couple <strong>de</strong> déliés bizarre t<br />

Tantôt habitants <strong>du</strong> Ténsre,<br />

fit tantôt citoyens êtes etous.<br />

SIÈCLE BE LOUIS XIV. — POÉSIE. €SS<br />

les Pyrénées, les Alpes et r Apennin; celte seule idée, * Ainsi <strong>de</strong> douceurs es inppUccs,<br />

Elle sons promène à son gré.<br />

exécutée a?ee tant <strong>de</strong> succès, est d'une gran<strong>de</strong> tête 9 Le seul remi<strong>de</strong>à set emprises,<br />

et prouve un autre talent que celui <strong>de</strong> battre <strong>de</strong> Cest <strong>de</strong> s'y tenir préparé ;<br />

nantais généraux. Àneibal est apprécié <strong>de</strong>puis De <strong>la</strong> voir <strong>du</strong> même visage<br />

Qu'une courtisane To<strong>la</strong>ge f<br />

longtemps par les juges <strong>de</strong> Fart autrement que par Indigne <strong>de</strong> nos moindres soins t<br />

Rousseau.<br />

Qui nous trahit par impru<strong>de</strong>nce f<br />

Et qnl revient put tnsonstfnee s<br />

•<br />

Lorsque mm y pensons le motus.<br />

Héros cniels et stagutotlr» ,<br />

€@MCZ d@ ¥o@s €SôrgueMMr<br />

On désirerait <strong>de</strong> retranver plus mmeut ians les<br />

De ces <strong>la</strong>uriers imaginaim<br />

o<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Rousseau cet agrément et cette facilité.<br />

Que Bellcrne ¥ eus fit cueillir.<br />

Il me semble qu'ici l'expression ne rend pas l'idée C'est le mérite <strong>de</strong> spu (Me à une Femet <strong>de</strong>s stances<br />

<strong>du</strong> poète : les <strong>la</strong>uriers <strong>de</strong> <strong>la</strong> victoire ne sont point à l'abbé <strong>de</strong> Chaulie® y et <strong>de</strong> quelques-unes <strong>de</strong> mHes<br />

imaginaires. Il peut y avoir, et il y a en effet une autre qu'il It pour l'abbé Court». Dus ces <strong>de</strong>rnières, il<br />

gloire bien préférable : <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> Cicéron sauvant maltraite un peu trop Épidète. 11 le volt dans son<br />

sa patrie va<strong>la</strong>it mieux aux yeux <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison que tous Manuel <strong>de</strong> philosophie q m Ymctam trÈpmpàmêite.<br />

Il me semble que rien ne sent motn reastave que<br />

cet ouvrage, qui n'a d'autre défaut que <strong>de</strong> portertrop<br />

haut les forces morales <strong>de</strong> l'homme.<br />

Fy trouve es conso<strong>la</strong>teur<br />

Fit» s^lif#- que- tnsê-mêfiie.<br />

Non f Êpictêta s'est ps qfliigé, et l'on sait que sa<br />

con<strong>du</strong>ite fut aussi ferfae que sa doctrine. Mais il<br />

ééfnd à l'homme <strong>de</strong> s'affliger jamais, et c'est i peu<br />

près comme sll lui défendait d'être ma<strong>la</strong><strong>de</strong>.<br />

Rousseau traite encore plus mal Brutus.<br />

Toujours oes sages àagards,<br />

WMffm, U<strong>de</strong>ux et b<strong>la</strong>fards,<br />

Sont fooliïeif <strong>de</strong> epelcpi effroêrw ,<br />

fit do premier <strong>de</strong>s Césars<br />

L'assassin fut homme mbre.<br />

(Test abuser d'un mot <strong>de</strong> César, qui était fort<br />

. 11 n'y a ici qu'à louer ; et je n'insisterai piaf sur le<br />

juste. Il ne craignait, disait41, que les gens d'un<br />

mot funeste, qui est mis évi<strong>de</strong>mment pour remplir<br />

aspect sombre et d'un visage austère : il a?ail rai­<br />

le vers ; or eu proge ou dirait : Au moindre revers<br />

son. Cet extérieur est <strong>la</strong> marque d'un caractère ca­<br />

k masque tombe. Wm ce sont là <strong>de</strong> ces légères impable<br />

<strong>de</strong> résolutions fortes et inébran<strong>la</strong>bles* tel qu'éperfections<br />

rachetées par les beautés qui les entoutait<br />

celui <strong>de</strong> Brutus. Mais il ne faut pas dire, même<br />

rait, et inévitables dans notre versification, si dif­<br />

- en prêchant le p<strong>la</strong>isir, que l'austérité est toujours<br />

ficile et si peu maniable. Je ne réprouve que ce qui<br />

blesse ouvertement le bon sens, l'oreille ou le goût,<br />

smdUée <strong>de</strong> quelque opprobre. Ce n'est pas d'ailleurs<br />

et ce qui, par conséquent, ne doit pas rester, sur­<br />

une chose convenue, que l'action <strong>de</strong> Brutus ait<br />

tout quand on n'a que <strong>de</strong>s fers à faire.<br />

souillé sa mémoire. C'est encore aujourd'hui un problème<br />

que l'on ne déci<strong>de</strong> guère que suivant les rap­<br />

Je crois que Y O<strong>de</strong> à <strong>la</strong> Fortune aurait mieux lui<br />

ports <strong>de</strong> l'opinion a?ee le gouvernement. Es bonne<br />

par <strong>la</strong> strophe que je Tiens <strong>de</strong> citer ; celles qui <strong>la</strong><br />

morale 9 et dans les principes <strong>de</strong> notre religion y l'as­<br />

suivent ne <strong>la</strong> Talent pas.<br />

sassinat n'est jamais permis. Dans les anciennes ré­<br />

L'o<strong>de</strong> que Rousseau adresse à M. dUssé, en forme<br />

publiques , l'opinion avait consacré le meurtre <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong> conso<strong>la</strong>tion, et qui roule sur les vicissitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

tyrans; et c'est au moins une excuse pour Brutus,<br />

<strong>la</strong> vie humaine, init par <strong>de</strong>ux strophes charmantes.<br />

dont l'action, dirigée par les maximes romaines!<br />

fut illégitime, mais ne fut pas toi opprobre*<br />

La strophe qui soit choque étrangement le rapport<br />

qui doit toujours se trouver entre <strong>de</strong>s idées qui<br />

ten<strong>de</strong>nt à <strong>la</strong> même proposition. L'auteur, qui vient<br />

<strong>de</strong> parler <strong>de</strong> Brutes f continue ainsi :<br />

Dieu bénisse nos dévots :<br />

Leur âme est vraiment loyale.


§84<br />

Mats Jadis tas grwlspl?


SIÈCLE DE LOUIS XIV. - POESIE.<br />

forcées? Telles sont en général les Épltres <strong>de</strong> Rousseau<br />

: si Ton était obligé <strong>de</strong> le preuferpar une lecture<br />

suivie et détaillée 9 <strong>la</strong> preufe irait jusqu'à l'éfi<strong>de</strong>nee ;<br />

mais l'évi<strong>de</strong>nce irait jusqu'à l'ennui. Je nie borne à<br />

use courte analyse et à un certain nombre <strong>de</strong> citations<br />

f où tous les défiais que j'aj indiqués dominent<br />

' au point qu'on pourra juger qu'ils tiennent au<br />

caractère <strong>de</strong> l'outrage et à <strong>la</strong> manière <strong>de</strong> Fauteur.<br />

L'abtifc <strong>du</strong> marotisme est un <strong>de</strong>s fiées qui les défigurent,<br />

le dis l'abus v car9 employé a?ec choix et<br />

sobriété dans les genres qui le comportent, tels que<br />

le conte, répigramme, ï'épître badine ; et tout ce<br />

qui tient au genre familier, il contribue à donner au<br />

style <strong>de</strong> <strong>la</strong> naïf été et <strong>de</strong> <strong>la</strong> précision. La Fontaine<br />

aa a fait usage mm succès dans ses contes, et Fa<br />

judicieusement exclu <strong>de</strong> ses failles, où <strong>la</strong> morale et<br />

<strong>la</strong> raison n'admettent point cette bigarrure, et où<br />

les animaui qu'il intro<strong>du</strong>it <strong>de</strong>vaient parler <strong>la</strong> même<br />

<strong>la</strong>ngue. Voltaire s'en est serf i <strong>de</strong> même, avec ce goût<br />

eiquis qui savait distinguer les nuances propres à<br />

chaque sujet. Le style marotique permet <strong>de</strong> retrancher<br />

les articles et les pronoms, comme on les retranchait<br />

an temps <strong>de</strong> Marot ; ce qui donne à <strong>la</strong> phrase<br />

un tour plus f if-11 permet une espèce d'infersion<br />

qui ne fa pas an style sérieuxy et quelques constructions<br />

anciennes que notre <strong>la</strong>ngue empruntait <strong>du</strong> <strong>la</strong>tin<br />

avant qu'elle eût une syntaxe régulière. Ces formes<br />

viettfies ont Fa?antage <strong>de</strong> nous rappeler le premier<br />

caractère <strong>de</strong> notre <strong>la</strong>ngue, qui était <strong>la</strong> naïveté, et<br />

d'ailleurs » tout ce qui est ancien prend à nos yeui un<br />

air <strong>de</strong> simplicité, prce que l'élégance est mo<strong>de</strong>rne.<br />

Il n'est personne qui n'ait remarqué, quand un<br />

étranger, homme d'esprit, parle notre <strong>la</strong>ngue, et<br />

y mâs iof olontairement <strong>de</strong>s tournures <strong>de</strong> <strong>la</strong> sienne 9<br />

que son expression en reçoit quelquefois une sorte<br />

d'agrément et <strong>de</strong> vérité qui nous p<strong>la</strong>tt : dans let<br />

femmes surtout, un accent étranger est bien sautent<br />

une grâce, et leurs phrases, moitié françaises,<br />

moitié étrangères, ont quelque chose qui leur sied<br />

fort bien, comme les enfants nous charment et nous<br />

persua<strong>de</strong>nt en balbutiant leurs pensées. C'est le<br />

principe <strong>du</strong> p<strong>la</strong>isir que peut nous faire le f ieui <strong>la</strong>ngage,<br />

quand on s'en sert à propos et avec ménagement,<br />

comme dans cette épigramme <strong>de</strong> Rousseau :<br />

Le bon fitU<strong>la</strong>rd qui brû<strong>la</strong> pour Bataylta t<br />

Par amour seul était ragail<strong>la</strong>rdi :<br />

•nul n'est-Il <strong>de</strong> cSaftur plus ssbtlte<br />

PûQF réchauffer un Yielliard eogoardl<br />

Pour moi, qui soie dans f ar<strong>de</strong>ur <strong>du</strong> midi t<br />

MenretSte n'est epe son f<strong>la</strong>mbeau me brâte.<br />

Mais quand <strong>du</strong> soir iriondra le crépuscule,<br />

Tempe où le eewr <strong>la</strong>nguit inanimé t<br />

Du moins, amour, fais-mot bailler ©a<strong>du</strong>le<br />

D'aimer eneor, même sans être aimé. f<br />

11 n'y a là <strong>de</strong> marotisme que ce fait en faut. Aussi<br />

6S5<br />

n'est-M <strong>de</strong> chaleur est une construction très-commo<strong>de</strong><br />

pourlresserrer dans <strong>la</strong> mesure <strong>du</strong> fers cette<br />

phrase qui en bon français serait plus longue, s'il<br />

fal<strong>la</strong>it dire9 comme dans le style soutenu, aussi<br />

m'eiMlpoMêeckalewrpImmêMk* Merveille n'est,<br />

au lieu <strong>de</strong> dire M m'est pas étmnanî, ou ce n'est pas<br />

meneMk9 est vif et rapi<strong>de</strong>. Fuis-moi baMter etafafe<br />

est une fieille locution', mais que tout le mon<strong>de</strong><br />

entend , et qui signifiant autrefois une obliption,<br />

un engagement, est ici cfaa choix très-heureux. Il<br />

n'en est pas <strong>de</strong> mime <strong>de</strong>s épîgrammes suivantes :<br />

Soucis misants, au psrUr <strong>de</strong> €aliâtev<br />

là oommenealent à me êmppiieier,<br />

Quand Os]iMont qui me Ylt pâle et triste,<br />

Me dit : Ami, ponrqsoi te mmeier?<br />

Lors m'envoya pour me mîmemrp<br />

Tout ion eortége cl estai <strong>de</strong> sa mère, «te.<br />

Ampartir ne faut paa mieux qu'an déport t et c'est<br />

parler mal sans y rien gagner. Supplicier est une<br />

expression désagréable, parce qu'elle ne slgalie<br />

plus aujourd'hui que mener au supplice Y et qu f elle<br />

rappelle l'idée d'une exécution. Te sm<strong>de</strong>r ne se dit<br />

plus dans le sens absolu pour prendre <strong>du</strong> souci ; et<br />

comme il se met encore mm un régime, te #©»ckr<br />

<strong>de</strong> quelque chose, *û fait un raauf ais effet pouf<br />

nous, qui sommes accoutumés à lui donner un<br />

sens très-facile, et qui safons qu'un amant fût<br />

beaucoup plus que m sm<strong>de</strong>r <strong>de</strong> fthaenee <strong>de</strong> sa<br />

maîtresse. Cest donc <strong>du</strong> marotisme très-dép<strong>la</strong>cé*f<br />

puisqu'il affaiblit le sens , au lieu d'y ajouter. Ja&«<br />

ekr est bien pis : c'est un mot <strong>du</strong>r et rebutant,<br />

autrefois emprunté <strong>du</strong> <strong>la</strong>tin, pour dire wnmkr,<br />

et qu'aujourd'hui on n'entend plus. 11 ne faut ressusciter<br />

les lieux mots que quand l'oreille les<br />

adopte. Les mêmes iéfaats sont encore plus chaguants<br />

dans cette autre épigramme, adressée à une<br />

femme qui chassait :<br />

Quand sur Bayard, par bols ou sur <strong>mont</strong>agne9<br />

• glboyer- TOUS prene* TO* ébats ,<br />

Dieux a» forêti d'abord sont en campagne,<br />

Et font en troupe admirer YOS appas.<br />

' Amis Syîvatas, ne TOUS y fies pas ;<br />

Car ses regards font son?est pmrm niche*<br />

Que feu ni fer; et émus an tell jattiivAat<br />

Risquent <strong>du</strong> moins alitant que cerfs et biches.<br />

Pires miches est affreux à l'oreille; et put-on<br />

comparer <strong>de</strong>s niches ma feu et au fert Pmtrehm<br />

est encore plus <strong>du</strong>r qu'il n'est vieux, et c'est ou<br />

dos défauts <strong>du</strong> marotisme <strong>de</strong> Rousseau dé choisir<br />

très-mal les fieux mots qu'il veut rajeunir : ceux<br />

que leur <strong>du</strong>reté a fait tomber en désuéto<strong>de</strong> ne peafent<br />

jamais renaître.<br />

J'ai pris ces exemples dans les épigrammes,<br />

parce qu'elles admettent le style marotique. L'épftre<br />

sérieuse et morale en est bien moins susceptible<br />

t et il gâte souvent celles <strong>de</strong> Rousseau.


686<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

Conte, pour qui t terminant tous dé<strong>la</strong>is ,<br />

Ame vertu fortune a bit <strong>la</strong> paii,<br />

JaçaU qu'en ¥©es gloire et haute nui—»<br />

Soit alliée à litres et puissance ;<br />

t}ue <strong>de</strong> splen<strong>de</strong>urs et d'honneurs mérités<br />

Votre maison Issise fie tous eêtês ;<br />

Si fonJ^f©» ne sent-ce &m Muettes<br />

Qui mm ont mis en l'estime où ¥©us êtes, etc.<br />

Mon nom par WQW est encore emmm $<br />

Dont Mm et mal m'est ensemble adteim :<br />

Bien, par trouver Fart <strong>de</strong> nfêtre isit lin ;<br />

Mal, par avoir <strong>de</strong>s sots esxUé Ftrt, etc. ><br />

ces constructions marotiques ne font que les ?«<br />

horriblement <strong>du</strong>ra, et ce n'est pas là une trouvante.<br />

Quand il dit dans <strong>la</strong> même pièce,<br />

11 est c<strong>la</strong>ir que le marotisme9 bien loin <strong>de</strong> donner<br />

aucun relief à ces ?ersf les rend maussa<strong>de</strong>s et ridicules<br />

: d'abord, parée qu'il est étranger au fond<br />

<strong>de</strong>s idées, qui est très-sérieux ; ensuite , parce qu'il<br />

est employé sans choix et sans goût. Je ne m'arrête<br />

pas au premier mmt temdnani tous dé<strong>la</strong>is, qui<br />

est é? i<strong>de</strong>mment une ebetiï!e; mais dans le second<br />

<strong>la</strong> suppression <strong>de</strong>s articles,<br />

Âme mrim fortnae a fait <strong>la</strong> paix<br />

est antiharmonique. <strong>la</strong>çoit, pour quoique, ne<br />

s'entend plus , et sûrement ne vaut pas mieux ; et il<br />

confient <strong>de</strong> ne parler <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>du</strong> quinzième siècle<br />

que <strong>de</strong> manière à être enten<strong>du</strong> <strong>du</strong> nôtre. Une maison<br />

'qui itM <strong>de</strong> $plm<strong>de</strong>ws ne vaut rien dans aucun<br />

temps. Si toutefois ne soni-ee est très-<strong>du</strong>r. A quoi<br />

donc sert Ici le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> Marot ?<br />

Ce s'est le tout; car tu ekant hannoniipe<br />

Non moins primez qu'en rime poétique;<br />

Mi n'avez Us <strong>de</strong> hm poétiemmr,<br />

Aussi !**?« es bm hemmmommr.<br />

S'mez pour H vms mm est barbare. La particule<br />

si ne peut s'éll<strong>de</strong>r dans notre <strong>la</strong>ngue sans dénaturer<br />

le mot auquel elle se joindrait, et sans dérouter<br />

entièrement l'oreille. Car en ckanê fait mal à entendre.<br />

PoêUqwmr* karmmîquewr, quel jargon 1<br />

On trouve, un peu après, <strong>de</strong>s mortels <strong>de</strong> fertus<br />

réfuigents, pour <strong>de</strong>s mortels bril<strong>la</strong>nts <strong>de</strong> vertus :<br />

c'est parler <strong>la</strong>tin en français. SeraiHe poiwê Apolr<br />

km Delphimt Ce n'est pas là imiter Marot; c'est<br />

ressusciter Ronsard.<br />

Il est vrai que le vers <strong>de</strong> cinq pieds, qui a pour<br />

ainsi dire une allure familière, semble se prêter<br />

plus que tout autre au style marotique 9 et d'autant<br />

plus que c'était le vers que Marot employait le plus<br />

volontiers; mais, encore une fois f tout dépend <strong>de</strong><br />

l'usage qu'on en fait. Voltaire, dans te Temple <strong>de</strong><br />

l'Jmiiié, dont le ton est moitié gai, moitié sérieux,<br />

a tiré un grand parti d'une inversion marotique.<br />

Un riche abbé, pré<strong>la</strong>t à l*osU lubrique,<br />

As menton triple , as ©M apopiecttque t<br />

Pore engraissé <strong>de</strong>s dîmes <strong>de</strong> Sios,<br />

Oppressé/!** d'une indigestion.<br />

S'il eût mis fui oppressé, l'effet <strong>du</strong> vers était<br />

per<strong>du</strong>. Oppressé fui marque rétouffement avec<br />

l'hémistiche 9 et frappe le coup <strong>de</strong> l'apoplexie. C'est<br />

là se servir habilement <strong>de</strong>s licences <strong>du</strong> genre. Mais<br />

quand Rousseau, dans wuÉpMre à Marot, lui dit,<br />

Tout beau, Faml t eed i<br />

Me éïtm-mm; et ta plume baptise<br />

De poms trop doux gsa» <strong>de</strong> tel ambU :<br />

Ce sont trop bien marmites que Dieu fit<br />

Maroufies mit ; Je ne veux vons dédire v été.<br />

Car <strong>de</strong> quels noms plot doux et pins wmmm$<br />

Puts-Je appeler tant d'esprits disloqués?,,*<br />

Et si parfois on ¥oos dit qu'un vaurien<br />

A <strong>de</strong> l'esprit, examlnes-le Un ;<br />

Vous troswerex qu'il n'en a que le amms , et.<br />

le m'en rapporte à tout lecteur Mmin ; .<br />

Et pus Miiséi craindrait plus le vente<br />

D'an fa<strong>de</strong>muteur qui, dans ses vert en prose»<br />

A tous Tenants distille son eau rose;<br />

Toujours âe rnsen et é^ami» êsuspauité,<br />

Fte-vona-y : m rimeur m meré<br />

Devient amer quasi! 1e cerveau M tinte,<br />

Ff» ep'afeêf ni jus àe e&êoq SJIRJS-, ete.<br />

cet amas d'expressions basses, grossières, bizarres<br />

, n'a rien <strong>de</strong> marotique, et n'est autre choie<br />

que rabsenoe totale <strong>de</strong> l'esprit et <strong>du</strong> goût. Otto<br />

Épitre à Marot est pourtant une <strong>de</strong> celles où il y<br />

a quelques bons endroits, quoiqu'elle ioit fondée<br />

tout entière sur ce principe très-faux, qu'os M*<br />

ne peut pas être honnête homme, et qu'un malin»nête<br />

homme ne peut pas avoir <strong>de</strong> Pesprit Le contraire<br />

est tellement prouvé par rexpérience, qw<br />

ce paradoxe ne mérite pas <strong>de</strong> réfutation- UÈfMrt<br />

an comte <strong>de</strong> Bonneuai est très-mauvaise <strong>de</strong> W<br />

point. VÊpItre à MôUim ne Tant guère mieox. Dans<br />

ce qu'il y a <strong>de</strong> raisonnable sur l'utilité <strong>de</strong>s enaemiss<br />

l'auteur ne fait que noyer, dans un style traînant<br />

k diffus, ce qu'a dit Boileau sut le même sujet<br />

dans un très-petit nombre <strong>de</strong> très-bons fers <strong>de</strong> !'£•<br />

pitre à Racine. Tout le reste est un froid et ennuyeux<br />

sermon. Le principe si connu <strong>de</strong> <strong>la</strong> réunion<br />

<strong>de</strong> futile à l'agréable dans les éerjts, ftflfe èM<br />

d'Horace, peut-il être plus misérablement dé<strong>la</strong>yé<br />

que dans ce morceau?<br />

Tout écrivais inigalre on mon commum,<br />

TTà propremeût que ée <strong>de</strong>ux objets Vun,<br />

Ou d'éc<strong>la</strong>irer par un teitall utUe,<br />

On d'attacher par ragrémeiit <strong>du</strong> style ;<br />

Car, sans ce<strong>la</strong>, quel auteur, quel écrit<br />

Peut, par tes yen*, perter jusqu'à l'esprUf<br />

Mais cet esprit, lui-même en tantd'étagea<br />

' Se subdivise à l'égard <strong>de</strong>s ouvmgm,<br />

Que <strong>du</strong> pibUe te! charme <strong>la</strong> moitié,<br />

Qui très-souvent à l'autre fait pitié.<br />

Du sénateur k gravité s'offense<br />

B'un agrément dépourvu <strong>de</strong> substance*<br />

Le courtisan se trouve effarouché<br />

D'un sérieux d'agrément mtmàé.


Tous tes lecteurs mit l«i» goûts<br />

Quel auteur doue peutjaœr Uwm §imim?<br />

Celui-là MUI qui, formant le projet<br />

De réunir et l'an et l'autre objet,<br />

Sait fendre à tous futile êékcimëiê,<br />

Mi r&ttm§&mi'mtae ei pm0abM.<br />

VoUà U centre et Fimmumète peini<br />

Où ternie U§m akmât ei mjemt<br />

Or, ce grand bat* ce jwtfti wmtkémsiiqm,<br />

C'est le rai wal, le vni qal noua l'Indique.<br />

Tout bon <strong>de</strong> lui l'est que fmMiiU,<br />

Et toat en tel défient mèMmëé, ete.<br />

Il s'est pas nécessaire d'appuyer sur toutes les fautes<br />

<strong>de</strong> ces vers , les termes impropres , les contre-sens ,<br />

les p<strong>la</strong>titu<strong>de</strong>s : elles sautent aux jeu. S'agit-il <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Renommée, ce n'est plus cette belle peinture que<br />

nous a¥ons admirée dans Y O<strong>de</strong> au primée Eugène :<br />

nous en sommes bien loin.<br />

faute!» enant qui, sourii par te brait,<br />

Fuit qui le cherche tt cherche qui le fait,<br />

Mali qui» <strong>du</strong> sort enf&nî illégitime,<br />

Et quelQaefoii mmémèk meUme f<br />

N'est rien en lui qu'un être mensonger,<br />

Une ombre ¥alne, œeMmt passager,<br />

Qmi MSf h €&rjM, Mm mmvmi te pmWék,<br />

Ei pim mmmtd fmxemrU m l'excè<strong>de</strong>.<br />

Cherches <strong>du</strong> sens dans m p<strong>la</strong>t amphigouri, Veutil<br />

parler <strong>de</strong>s calomniateurs :<br />

Le danger <strong>de</strong> m voir Insulté<br />

N'est pas restreint à <strong>la</strong> difficulté<br />

De réfuter tas fabâes mmsmiirm,<br />

m cm fripiers d'Impostures grossières f<br />

Dont le vemms mm m&imf&<strong>de</strong> qu'orner,<br />

Se jaU vomir comme fera <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer :<br />

11 est a<strong>la</strong>é d'arrêter Uwn memwm,<br />

Stieiee vaincre mec leurs propres arma.<br />

SIÈCLE DE LOUIS HY. — POÉSIE. 687<br />

Ce que chacun, mmmmi te qu'il peui ê§res<br />

Boit pratiquer, voir, entendre f connaître.<br />

Les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers vers sont bien tristement prosaïques.<br />

On n'entend pas trop féplthète à'Uimtre,<br />

qui caractérise trop faguement <strong>la</strong> scèm <strong>de</strong> FMstoire.<br />

Berne leur vrai Imtre est encore moins juste, car<br />

beaucoup <strong>de</strong>s acteurs <strong>de</strong> FMstoire n'ont aucune<br />

espèce <strong>de</strong> ImÊre* Mais enfin ces ? ers, en total y sont<br />

raisonnables s et ce<strong>la</strong> est rare dans les Épttres <strong>de</strong><br />

Rousseau. Celle qui s'adresse à Racine le fils est<br />

une espèce d'homélie extrêmement faible <strong>de</strong> diction<br />

et <strong>de</strong> pensées ; on y a distingué cependant le mor­<br />

ceau suivant v où il y a <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie et <strong>de</strong> <strong>la</strong> ?érité :<br />

Mais dans ce siècle, è <strong>la</strong> ftwîfcf mmrt*f<br />

L'impiété marche à front découvert :<br />

Rien ne Fétonne t et le crime rebelle<br />

M'a point à?appel plus Intrépi<strong>de</strong> qu'elle.<br />

Sous ses drapeaux, anus tes Se» étendards,<br />

L'œil assuré, 'courent <strong>de</strong> toutes parts<br />

Ces légions, ces bruyants» années<br />

Dfepcflti subtils, d'isgénlsux pypsées,<br />

Qui sur <strong>de</strong>s <strong>mont</strong>a d'arponats entassésy<br />

Contre le ciel borlsiipeiiitnt haussés;<br />

De jour en Jour» eapeftieB Eactu<strong>de</strong>s,<br />

•ont radnubtent leurs folles


688<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

Ne croit Jamais s'élever asâez haut.<br />

Ceet en disant es qu'il ne doit fias dire,<br />

Qu'il s'éblouit t se délecta et s'admire ;<br />

Dans ses écarts son moins présomptueux<br />

Qu'os Indigent sapes*be et fastueux t<br />

QedïSe<strong>la</strong>fsmfitmaafaariaiiéccssaiee» •- x<br />

A ses talents aucun ne porte envie.<br />

0 a sa p<strong>la</strong>ce entre les beaux-esprits,<br />

Fait <strong>de</strong>s sonnets, <strong>de</strong>s bouquets pour Iris,<br />

Quelquefois même aux boas mots s*edseiïÉaersej§ »<br />

Mais doucement, et sans blesser personne,<br />

Toujours discret, et toujours bien étant,<br />

Du superflu fistt fou unique affaira.<br />

Et, sur le tout, aux belles comp<strong>la</strong>isant<br />

Que si jamais, pour ffiec une ceuvrées força» s<br />

UÉpUre à madame d'Ussé, sur l'amour p<strong>la</strong>to­ Sur l'Hélice* Phébus permet ap*i dorme,<br />

nique, n'est qu'un verbiage a<strong>la</strong>mbiqué, souvent ¥aiià d'abord tous ses cben confi<strong>de</strong>nts t<br />

De son mérite admirateurs ar<strong>de</strong>nts,<br />

mêmeïninteEigibk, et dont ries se rachète l'ennui. Qui, par mnimu répan<strong>du</strong>s dans <strong>la</strong> ville9<br />

Enfin t sur quatorze épîtres, il s'y m a que quatre Pour l'élever dégra<strong>de</strong>ront Virgile ;<br />

Car M s'est point d'auteur si désolé,<br />

où les défauts soient <strong>du</strong> moins ba<strong>la</strong>ncés par un cer­ Qui dans Paris s'ait un parti séfé.<br />

tain nombre <strong>de</strong> morceaux bien écrits : ce sont celles Tout se débite : Ummt, dit <strong>la</strong> satire f<br />

Tnmm te^mmmmplm mi fus Pmémm»<br />

que Fauteur adresse aux Muses, m mw<strong>de</strong> <strong>du</strong><br />

lue, au èarm <strong>de</strong> MreÊeuM, et au père Brumof* La plupart <strong>de</strong> ces idées sont dans ce même Des­<br />

La première est use imitation <strong>de</strong> <strong>la</strong> satire neuvième préaux qu'il vient <strong>de</strong> citer; mais le style est celui<br />

<strong>de</strong> Boileauf et l'intervalle 'est immense entre les <strong>du</strong> genre; il a <strong>de</strong> <strong>la</strong> facilité et <strong>de</strong> <strong>la</strong> verve satirique.<br />

<strong>de</strong>ux pièces. Celle <strong>de</strong> Rousseau offre pourtant <strong>de</strong>s C'est <strong>la</strong> seule espèce <strong>de</strong> verve qui Famine quelque­<br />

endroits qui lui font honneur. Tel est celui-ci : fois dans ses épttres : il ne faut guère y chercher<br />

Tant vrai pafta est semb<strong>la</strong>ble à PaMUe ; autre chose. 11 y en a une qui roule sur un sujet que<br />

C'est pacte noua seul* que Faurore l'éveille t ¥oltaire a traité, sur <strong>la</strong> Cakmmie : celle <strong>de</strong> Vol­<br />

Et qtfelle amasse t au milieu <strong>de</strong>s chaleurs, taire adressée à'madame <strong>du</strong> Ghâtelet ; celle <strong>de</strong> Rous­<br />

Ce miel si doux tîeé <strong>du</strong> suc <strong>de</strong>s teurs.<br />

Mais <strong>la</strong> nature, an moment qu'os Pomme, seau au comte <strong>du</strong> Luc. Cette <strong>de</strong>rnière ne peut pas<br />

Lui it présentd'un dard pour sa défense, soutenir <strong>la</strong> comparaison, quoiqu'il y ait <strong>de</strong>s parties<br />

Dion aiguillon qui t prompt à <strong>la</strong> venger, *<br />

Cul plus d'un Jour à qui FOM outrager.<br />

bien traitées. Le faux esprit s'y <strong>mont</strong>re <strong>de</strong> temps<br />

en temps comme dans les autres.<br />

Tel encore cet adieu aux Muses :<br />

Le zèle que Rousseau fait souvent paraître ea<br />

faveur <strong>de</strong> <strong>la</strong> religion, et qui n ? est pas assez éc<strong>la</strong>iré<br />

pour être fort édîiant, revient encore dans TÊpMre<br />

au barm <strong>de</strong> Sretmîi; et c'est malheureusement ce<br />

qu'elle a <strong>de</strong> plus mauvais. 11 êê tire mieux <strong>de</strong>s morceaux<br />

dont l'intention est satirique; et celui-ci f dirigé<br />

contre <strong>la</strong> Mothe 9 est un <strong>de</strong> ceux qu*il a le mieux<br />

.écrits.<br />

Usées, gar<strong>de</strong>s vos faveurs pour quelque autre ;<br />

Me perdons plus ni mon temps 9 ni Se eôtea,<br />

Bans ces débats où nous nous égayons<br />

Tenez , voilà vos pinceaux, eas «ayons;<br />

Reprenei tout : j'abandonne sans.peine<br />

Yotra Hél<strong>la</strong>aa , eas bois f votre llppaceèas t<br />

•os vains <strong>la</strong>uriers d'épine enveloppés f<br />

Et que <strong>la</strong> fondre a si souvent frappés.<br />

Car aussi bien, quel est le grand sa<strong>la</strong>ire *<br />

D'an écrivain au-<strong>de</strong>MUs <strong>du</strong> vulgaire?<br />

Quel fruit revient aux plus eau» esprits<br />

De tant <strong>de</strong> soins à polir leurs éecf fa,<br />

A rejeter les beautés bon <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce,<br />

Mettre ! d'accord <strong>la</strong> forée avee <strong>la</strong> grâce ,<br />

Trouver aux mots leae véritable tour,<br />

D'un double sens démêler le. faux Jour,<br />

Fuir les longueurs, éviter les redites,<br />

Bannir ca<strong>la</strong> tous ces mots parasites<br />

Qui, malgré vous dans le style glissés t<br />

Rentrent toujours, quoique toujours chasés?<br />

Quel est le prix d'une étu<strong>de</strong> si <strong>du</strong>re ?<br />

Le plus souvent une injuste censure,<br />

Ou tout au plus quelque léger regard<br />

D'un courtisan qui vous loue au hasard ,<br />

Et qutt peut-être avec plus d'énergie,<br />

S'en va prôner une fa<strong>de</strong> élégie.<br />

Et quel Donneur peut espérer <strong>de</strong> moins<br />

Us écrivain libre <strong>de</strong> tous ces soins,<br />

Que rien n'arrête, et qui, sûr <strong>de</strong> se p<strong>la</strong>ire v<br />

Fait sans travail tous les vers qu'il veut faire?<br />

D est bien vrai qu'à l'oubli condamnés t<br />

Ses vers souvent sont <strong>de</strong>s enfants mort-nés ;<br />

Mais chacun l'aime, et nul ne s'en défie ;<br />

1 l'exactitu<strong>de</strong> grammaticale veut que Ton répète <strong>la</strong> préposition<br />

, à mettre; et nous avons déjà vu <strong>la</strong> même tieeaae.<br />

le <strong>la</strong> crois autorisée en poésie, quand elle ne rend <strong>la</strong> construction<br />

ni <strong>du</strong>re ni obscure.<br />

rai vu le temps, mais, Dieu merci, tout passe,<br />

Que Caillope, au sommet <strong>du</strong> Parnasse f<br />

Chaperonnée en burlesque docteur,<br />

Me savait plus qu'étourdir l'auditeur<br />

D'un vais ramas <strong>de</strong> sentences Usées ;<br />

Qui, <strong>de</strong> FOlympe excitant les nausées,<br />

Faisaient souvent, eu dépit <strong>de</strong> tes eeaaess<br />

Transir <strong>de</strong> froid Jusqu'aux appiaudisseurs.<br />

Mous avons vu, presque <strong>du</strong>rant <strong>de</strong>ux lestées»<br />

Le Ma<strong>de</strong> en proie à <strong>de</strong> petits Ifasteas<br />

Qui, tra<strong>du</strong>isant Séeèepe en m'iflrlpux,<br />

Et Mbaitaot <strong>de</strong>s sa<strong>la</strong>s toujours égaux, -<br />

Fous <strong>de</strong> sang-froid t s'écriaient, le m'égare f<br />

Pardon, messieurs, J'imite trop Ptodare ;<br />

Et suppliaient le lecteur morfon<strong>du</strong><br />

Be foire grâce à leur feu préten<strong>du</strong>.<br />

Comme eux alors apprenti pMlosoptie,<br />

Sur le papier nive<strong>la</strong>nt chaque strophe,<br />

J'aurais bleu pu <strong>du</strong> bonnet doctoral<br />

Embégulner mon Apollon moral, *<br />

Et rassembler sous quelques JoUs titres<br />

Mes froids dizains rédigés en chapitres f<br />

Puis, grain à grain tous mes vers enfilés,<br />

Bien arrondis et Mes Intitulés,<br />

Faire servir votre som d'épiso<strong>de</strong>, '<br />

Et vous offrir sous le pompeux nom d'o<strong>de</strong>,<br />

A <strong>la</strong> faveur d'un é<strong>la</strong>ga apprêté.<br />

De mes sermons l'ennuyeuse beauté.


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

Mali mon génie a toujours , Je l'avoue,<br />

Foi ce tau air dont le bourgeois s'engoue,<br />

Et ne sait point , pécheur fastidieux,<br />

D'un sot lecteur éblouissant tes yeux 9<br />

analyser use vérité fa<strong>de</strong><br />

Qui fait vomir ©eux quelle persua<strong>de</strong>,<br />

El qui , If ail<strong>la</strong>nt toujours le môme accord t<br />

Nous lustrait moins qu'elle ne nous endort.<br />

Si Rousseau écrivait toujours ainsi, ses Épi très,<br />

sans valoir celles <strong>de</strong> Dêspréaux , pourraieût être mises<br />

au rang <strong>de</strong>s bons ou?rages» Mais en les eendamnant<br />

en général, j'en extrais ce qu'il y a <strong>de</strong> louable :<br />

-c'est le seul dédommagement <strong>de</strong> <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> condamner.<br />

UÉpUre au père Brmmy est tout entière contre<br />

Voltaire, contre ses amis et ses admirateurs,<br />

parmi lesquels il ne craint pas <strong>de</strong> désigner le maréchal<br />

<strong>de</strong> Vil<strong>la</strong>rs. Tel est le malheur <strong>de</strong> <strong>la</strong> haine :<br />

foilà jusqu'où elle nous con<strong>du</strong>it! à insulter un héros<br />

pour attaquer un grand écrirais* Cette pièce<br />

roule en gran<strong>de</strong> partie sur <strong>la</strong> rime, que Voltaire a<br />

on effet trop négligée; mais était-ce une raison pour<br />

lui dire :<br />

apprends <strong>de</strong> mot, touicUleu éeoîkt,<br />

Que m qu 'm s&d^ffrs, encore qu'avec peine'.<br />

Bans on Toiture on dans un <strong>la</strong> Fontaine ,<br />

Me peut passer, malgré ta beaux dis<strong>cours</strong>,<br />

Dans les essais d'us rimeur <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux jours.<br />

C'est ?enir un peu tard pour mettre Voiture à<br />

côté <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine et an-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> Voltaire. Cet<br />

écolier, quand l'épttre <strong>de</strong> Rousseau parut, aralt fait<br />

<strong>la</strong> Henria<strong>de</strong>, ŒMpe9 Brvtu$ et ZmMre. C'est porter<br />

un peu loin le zèle pour <strong>la</strong> rime, que <strong>de</strong> traiter<br />

û'éeoUtr Fauteur <strong>de</strong> si beaux ouvrages. Oh! qu'il<br />

faut semgar<strong>de</strong>r d f que <strong>de</strong> Lavemef Celle qui a pour titre PMon est<br />

tout entière contre le parlement qui l'avait condamné<br />

: <strong>la</strong> fable en est absur<strong>de</strong>. 11 suppose que Pluton,<br />

trompé par ses f<strong>la</strong>tteurs, <strong>la</strong>isse <strong>la</strong> justice <strong>de</strong>s<br />

enfers à <strong>la</strong> merci <strong>de</strong> juges corrompus qui se <strong>la</strong>issent<br />

gagner par argent, et envoient les honnêtes<br />

gens dans le Tartare, et les méchants dans f Élysée.<br />

Comment se prêter à un emblème qui dément<br />

toutes les idées <strong>de</strong> <strong>la</strong> mythologie sur <strong>la</strong>quelle<br />

être l'ennemi <strong>du</strong> talent, surtout<br />

lorsqu'on en a soi-mêmel Ce qu'écrivent les sots<br />

meurt <strong>du</strong> moins avec eux; mais les injustices d'un<br />

grand écrivain vivent autant qu® ses écrits ; elles<br />

sont immortelles comme sa gloire, et y impriment<br />

une tache qui ne s'efface pas.<br />

Les JMégories <strong>de</strong> Rousseau sont d'un style moins<br />

inégal et moins incorrect que ses Épttres ; mais elles<br />

ont le plus grand <strong>de</strong> tous les défauts; elles sont<br />

mortellement ennuyeuses. La fiction en est toujours<br />

très-commune, quelquefois forcée et invraisemb<strong>la</strong>ble;<br />

<strong>la</strong> versiication en est monotone. Plusieurs se<br />

ressemblent trop pour le fond, et toutes roulent sur<br />

<strong>de</strong>ux ou trois idées allongées dans <strong>de</strong>ux ou trois cents<br />

vers. Quelques tableaux poétiquement coloriés 9 tels<br />

que celui <strong>de</strong> l'Envie, qu'on a cité dans tous les recueils<br />

dialectiques, ne peuvent pas racheter cette<br />

insipi<strong>de</strong> prolixité, et <strong>la</strong> satire même m peut pas<br />

les rendre plus piquants. Qui <strong>de</strong> nous se soucie <strong>de</strong><br />

toutes les injures entassées contre le directeur <strong>de</strong><br />

l'Opéra, Francine, dans l'allégorie intitulée le Mm-<br />

LA BâlPt. — TOME 1.<br />

%<br />

il est appuyé? N'est-il pas reçu dans le système <strong>de</strong>s<br />

anciens, que ce n'est qu'au tribunal <strong>de</strong>s enfers qu'il<br />

n'y a plus ni passion, ni erreur,.ni injustice, et que<br />

chacun y est traité selon ses mérites? Comment les<br />

juges <strong>de</strong>s enfers auraient-ils besoin d'argent? Éaqnef-<br />

Minos et Rhadamante ont toujours eu, il faut l'avouer,<br />

une gran<strong>de</strong> réputation d'intégrité,et <strong>la</strong> mauvaise<br />

allégorie <strong>de</strong> Rousseau ne <strong>la</strong> leur êlera pas.<br />

Il a fait <strong>de</strong>ux comédies': elles sont oubliées. On<br />

en joua <strong>de</strong>ux : le Capricieux, qui n'eu! point <strong>de</strong> succès;<br />

le F<strong>la</strong>tteur, qui en eut dans sa nouveauté, et<br />

qui n'en eut point à <strong>la</strong> reprise. L'intrigue en est<br />

froi<strong>de</strong> et le style faible, quoique assM pur. 11 n'y<br />

a <strong>de</strong> comique que dans une ou <strong>de</strong>ux scènes, et ce<br />

n'est pas assez pour soutenir cinq actes, Aussi <strong>la</strong><br />

pièce n'a-telle point reparu; et le talent <strong>de</strong> Rousseau<br />

était peu propre au théâtre. Ses opéras sont<br />

encore bien au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> ses comédies : c'est tout<br />

ce qu'il convient d'en dire.<br />

On a inséré dans quelques éditions <strong>de</strong> ses oeuvres<br />

les couplets qui lui furent si funestes, et que son<br />

procès a ren<strong>du</strong>s si fameux. Je ne me permettrai pas<br />

d'avoir une opinion sur un fait qui a été tant discuté<br />

sans être jamais éc<strong>la</strong>ire! ; mais je crois pouvoir remarquer<br />

que <strong>la</strong> réputation qu'ils ont longtemps conservée<br />

prouve combien l'on est peu difficile en méchanceté.<br />

Le style n'y fait ries;<br />

Pourvu qui! soit méchant, il sera toujours bien.<br />

Les éditeurs s'extasient sur le mérite poétique <strong>de</strong><br />

ces couplets. Quelques-uns, à <strong>la</strong> vérité, sont bien<br />

tournés; mais <strong>la</strong> plupart sont très-mauvais. L'auteur,<br />

quel qu'il soit, a l'air d'être toujours enragé :<br />

mais il n'est pas souvent inspiré.<br />

le le vois, m perfi<strong>de</strong> caor<br />

Qu'aueuse mli§im se touche,<br />

Rire au <strong>de</strong>dans, d'un ris moqueur,<br />

Bu Bien qu'U confesse <strong>de</strong> bouche.<br />

Cest par lui que • W épré<br />

L'impie au visage effaré,<br />

Condamné par nous à <strong>la</strong> roue 9<br />

MJÏmém.ûikéeêèclm^<br />

Que l'hypocrite désavoue*<br />

Ainsi <strong>la</strong>it l'auteuf secret.<br />

Ennemis irréeemeUmèlM,<br />

Puisâtes-vous €rever <strong>de</strong> regret 1<br />

44


690 COU1S DB LITTÉRATURE.<br />

PnissIa-¥oaa être à tous les êïsMm !<br />

Puisse te démon Couptegor,<br />

S'il se peut, embrase* mmt<br />

• Le noir sang qui bout dans mes veines t<br />

Bleu pour mol plus précieux que for,<br />

SI je poil augmenter vos peloei !<br />

Ce sont là <strong>de</strong> détestables fers , s'il m fut jamais, et<br />

il y en a bien d'autres qui ne valent pas mieux. Mais<br />

ce qui peut fournir matière aux réflexions ; ce qu'il<br />

est biea étonnant qu'on n'ait pas remarqué, c'est<br />

qu'en <strong>de</strong>ux couplets voilà quatre vers qui manquent<br />

<strong>de</strong> mesure; et <strong>la</strong> copie que nous avons est authentique.<br />

Or9 parmi ces couplets, il y en a d'assez bien<br />

faits pour qu'on se puisse pas douter que l'auteur<br />

* ne sût beaucoup plus que <strong>la</strong> mesure <strong>de</strong>s vers , et<br />

même qu'il ne fût eiercé â en faire. Ainsi <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

choses l'une, ou les couplets sont <strong>de</strong> plusieurs mains ,<br />

ou celui qui les a faits seul a voulu dérouter les<br />

conjectures en commettant <strong>de</strong>s fautes grossières<br />

qu'un écolier m commettrait pas; et c'est peut-être<br />

aussi <strong>la</strong> raison <strong>de</strong> l'extrême inégalité <strong>du</strong> style. Cette<br />

observation peut mener à plusieurs conséquences ;<br />

mais aucune n'irait plus loin que <strong>la</strong> probabilité, et<br />

en matière criminelle II n'y a rien que <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong>.<br />

Résumons. Il ne reste jamais dans <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> postérité que fes bons ouvrages : ce sont eoi et<br />

eux seuls qui déci<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce d'un auteur. Les O<strong>de</strong>s<br />

et les Cantates <strong>de</strong> Rousseau ont ixé <strong>la</strong> sienne parmi<br />

nos grands poètes ; maïs il n'y a que l'esprit <strong>de</strong> parti<br />

'qui ait pu, pendant quelque temps, affecter <strong>de</strong> lui<br />

donner un rang à part, et <strong>de</strong> l'appeler le grand<br />

E&msmu, le prince <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie française, comme<br />

je l'ai va dans plus d'une brochure. Les gens désin­<br />

qui vient <strong>de</strong> l'âme et qui se communique à celle <strong>de</strong>s<br />

lecteurs. Et <strong>de</strong> quel titre se servira-t-on pour les '<br />

Racine, les Yoltaïre, pour ces hommes qui ont été<br />

si loin dans les arts les plus difficiles où l'esprit humain<br />

puisse s'exercer; qui ont fait plus <strong>de</strong> chefsd'œuvre<br />

dramatiques que Rousseau n'a fait <strong>de</strong> belles<br />

o<strong>de</strong>s; pour ces enchanteurs si aimables, à qui<br />

nous ne pouvons jamais donner autant <strong>de</strong> louanges<br />

qu'ils nous ont donné <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir? Si Rousseau est<br />

grand pour avoir fait <strong>de</strong> beaux vers, qui souvent<br />

ne sont que <strong>de</strong>s vers, que seront ceux qui ont dit tant<br />

<strong>de</strong> belles choses en vers aussi beaux; ceux qui non-<br />

* seulement savent f<strong>la</strong>tter notre oreille, mais qui remuent<br />

si puissamment notre âme t éc<strong>la</strong>irent et élè­<br />

vent notre esprit; ceux que nous relisons avee délices<br />

, que nous ne pouvons louer qu'avec transport?<br />

*Que <strong>de</strong> jeunes têtes exaltées, pour qui le mérite seul<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> versification est le premier <strong>de</strong> tous, soient<br />

plus frappées d'une strophe <strong>de</strong> Rousseau que d'une<br />

scène <strong>de</strong> Zaïre ou <strong>de</strong> Mahomet, on le pardonne à<br />

l'effervescence <strong>de</strong> leur âge; mais l'expérience nous<br />

apprend que celui dont le plus grand mérite est <strong>de</strong><br />

bien faire <strong>de</strong>s vers est relu par ceux qui aiment les<br />

vers par-<strong>de</strong>ssus tout, mais que les poètes qui parlent<br />

au cœur et à <strong>la</strong> raison sont relus par tout le<br />

mon<strong>de</strong>»<br />

CHAPITRE X. — De <strong>la</strong> saMre d <strong>de</strong>f^Étre.<br />

m nàiLSMh<br />

téressés savent fort bien comment s'était établie, 11 me semble que tout soit dit sur Boileau. Les<br />

dans une certaine c<strong>la</strong>sse <strong>de</strong> gens <strong>de</strong> lettres, cette commentateurs l'ont traité comme un ancien; Ils<br />

dénomination que je n'ai vue dans aucun écrivain ont épuisé dans leurs notes les recherches <strong>de</strong> toute<br />

accrédité, et qu'aujourd'hui Ton ne répète plus. Il espèce, l'érudition et les inutilités. Son rang est fixé<br />

semble que ce titre soit un honneur ren<strong>du</strong> au génie; par <strong>la</strong> postérité; il le fut même <strong>de</strong> son vivant : et<br />

c'était un présent fait par <strong>la</strong> haine : les ennemis <strong>de</strong> c'est un bonheur remarquable, que eet homme qui<br />

Voltaire crurent l'affliger en déifiant son ennemi. en avait attaqué tant d'autres, ait été apprécié par<br />

Je ne suis point détracteur <strong>de</strong> Rousseau ; et pour­ un siècle qu'il censurait ; que ce critique sévère, qui<br />

quoi le serais-je? maïs je ne puis le regar<strong>de</strong>r comme mettait les auteurs à leur p<strong>la</strong>ce, ait été mis à <strong>la</strong> sienne<br />

le prinœ <strong>de</strong> <strong>la</strong> poéskfrançaise. Ce aom <strong>de</strong> grand, par ses contemporains; et que tout son mérite ait<br />

fait pour si peu d'hommes, si justement accordé à été dès lors généralement reconnu, tandk que celui<br />

Corneille, au créateur Corneille, qui a tiré le théâ­ <strong>de</strong> Molière, <strong>de</strong> Racine, <strong>de</strong> Quiaault, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine,<br />

tre <strong>de</strong> <strong>la</strong> barbarie, et répan<strong>du</strong> tant <strong>de</strong> lumière dans n'a été bien parfaitement senti qu'avec le temps.<br />

une nuit si profon<strong>de</strong>, me paraît fort au-<strong>de</strong>ssus <strong>du</strong> Corneille et Despréaux, parmi les grands poètes <strong>du</strong><br />

mérite <strong>de</strong> Rousseau, qui, venu longtemps après <strong>de</strong>rnier siècle, sont les 'seuls qui aient joui i*aas<br />

Malherbe, a trouvé <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue toute créée ; qui, veau réputation à <strong>la</strong>quelle les générations suivantes n'ont<br />

<strong>du</strong> temps <strong>de</strong> Despréaux, a trouvé le goût tout formé ; pu rien ajouter : fan, parce qu'il <strong>de</strong>vait subjuguer<br />

et qui, avec tous ces se<strong>cours</strong>, est resté fort au-<strong>de</strong>s­ j les esprits par Fascendaat et Fée<strong>la</strong>t d'un génie qui<br />

sous d'Horace, dont il n'a ni l'esprit ni les grâces, | créait tout ; l'autre, parce que, faisant parler legoût<br />

ni <strong>la</strong> variété ni le goût, ni <strong>la</strong> sensibilité ni <strong>la</strong> philo­ > en beaux vers f à une époque où le goût et les beaux<br />

sophie , et qui manque surtout <strong>de</strong> eet intérêt <strong>de</strong> style I vers avalent tout le prix <strong>de</strong> <strong>la</strong> nouveauté, il appor-


SIÈCLE DE LOUIS XIY. — POÉSIE.<br />

tait mm lumière fie chacun semb<strong>la</strong>it attendre, et<br />

se distinguait d'ailleurs dans ne genre où il n'avait<br />

point <strong>de</strong> rivaux. Mais, dans Racine! dans Molière,<br />

<strong>la</strong> perfection dramatique 9 qui se compose <strong>de</strong> tant<br />

<strong>de</strong> qualités différentes 9 avait besoin <strong>de</strong> cette gran<strong>de</strong><br />

épreuve <strong>de</strong> temps et <strong>de</strong> l'examen raisonné <strong>de</strong>s connaisseurs<br />

pour être embrassée dans son entier. Le<br />

talent <strong>de</strong> Quinanlt, secondaire sous plusieurs rapports<br />

t partagé par le musicien, combattu par <strong>de</strong>s<br />

autorités, n'a pu obtenir qu f une justice tardive, et<br />

<strong>du</strong>e en partie à l'infériorité <strong>de</strong> ses successeurs. Enta<br />

, dans <strong>la</strong> fable et le conte, <strong>la</strong> petitesse <strong>de</strong>s sujets<br />

et le défaut d'invention ne <strong>la</strong>issaient pas apercevoir<br />

d'abord tout ce qu'était <strong>la</strong> Fontaine, et il a fallu<br />

f u'une longue jouissance, nous donnant toujours<br />

<strong>de</strong> nouveaux p<strong>la</strong>isirs, attirât plus d'attention sur le<br />

prodige <strong>de</strong> son style. Telles sont les différentes <strong>de</strong>stinées<br />

<strong>de</strong>s grands écrivains, toujours plus ou moins<br />

dépendantes et <strong>de</strong>s circonstances et <strong>du</strong> caractère<br />

<strong>de</strong> leur composition. Ceux que je viens <strong>de</strong> citer ont<br />

gagné dans l'opinion, et sont aujourd'hui plus admirés<br />

qu'ils ne le furent jamais. Corneille et Despréaex<br />

n'ont ries per<strong>du</strong> <strong>de</strong> leuç gloire ; mais leurs ouvrages<br />

sont plus sévèrement jugés. L'admiration et<br />

<strong>la</strong> reconnaissance que l'on doit au premier n'ont pas<br />

empêché qu'on ne vit tout ce qui lui manque ; et malgré<br />

les obligations que nous avons au second, quelques-uns<br />

<strong>de</strong> ses écrits n'ont plus à nos yeux le même<br />

éc<strong>la</strong>t qu'ils eurent dans leur naissance. Qu'on ne<br />

s'imagine pas que, par cet aveu, je me prépare à<br />

donner gain <strong>de</strong> cause à ses détracteurs : j'en suis si<br />

éloigné, que cet article sera employé tout entier à<br />

les combattre. La restriction que j'ai annoncée ne<br />

regar<strong>de</strong> que ses premières et ses <strong>de</strong>rnières satires.<br />

Je vais faire voir que, sur ce point seul, <strong>la</strong> différence<br />

<strong>de</strong>s temps a dû lui faire perdre quelque chose ;<br />

que c'est <strong>la</strong> seule portion <strong>de</strong> ses.titres littéraires<br />

qui ait baissé dans l'esprit <strong>de</strong>s bons juges, et que<br />

sur tout le reste notre siècle est d'accord avec le<br />

sien Je dis notre siècle, parce qu'en effet il n'est représenté<br />

que par ceux qui lui foot le plus d'honneur,<br />

par ceux qui ayant <strong>de</strong>s droits à <strong>la</strong> gloire, en sont les<br />

justes appréciateurs dans autrui. Si <strong>de</strong> nos jours <strong>de</strong>s<br />

hommes éc<strong>la</strong>irés et d'un mérite réel ont fait à Boileau<br />

quelques reproches qui ne me paraissent pas<br />

fondés, je les distinguerai, comme je le dois, <strong>de</strong><br />

ceux qui lui refusent toute justice ; et quant à ceuxci,<br />

s'il est permis <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre jusqu'à les réfuter,<br />

c'est moins pour venger <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong> Boileau, qui<br />

n'en a pas souffert, que pour mettre dans tout son<br />

jour cet esprit <strong>de</strong> vertige et <strong>de</strong> révolte qui multiplie<br />

sans cesse parmi nous les ennemis <strong>du</strong> bon goût et<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> raison v «t pour marquer <strong>la</strong> distance qui sépare<br />

691<br />

les vrais gens <strong>de</strong> lettres <strong>de</strong> ceux qui ne veulent usurper<br />

ce titre que pour le déshonorer.<br />

Une <strong>de</strong>s académies <strong>de</strong> province, qui, à l'exemple<br />

<strong>de</strong> celles <strong>de</strong> <strong>la</strong> capitale, distribuent <strong>de</strong>s pi ix annuels,<br />

proposa pour sujet, il y a quelques années, ïInfluencé<br />

<strong>de</strong> BoUeau sur <strong>la</strong> Uttér&ture française. Ce<br />

programme réveil<strong>la</strong> <strong>la</strong> haine secrète que les successeurs<br />

<strong>de</strong>s Cotin nourrissent <strong>de</strong>puis longtemps contre<br />

le redoutable ennemi <strong>du</strong> mauvais goût, et le fondateur<br />

immortel <strong>de</strong>s bons principes. L'académie <strong>de</strong><br />

Nîmes reçut un dis<strong>cours</strong> où l'on se moquait d'elle<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> préten<strong>du</strong>e influence <strong>de</strong> Boileau : on s'efforçait<br />

d f y prouver qu'il n'en avait jamais eu d'aucune<br />

espèce. Ainsi donc, celui qui fut parmi nous le premier<br />

légis<strong>la</strong>teur <strong>de</strong> tous les genres <strong>de</strong> poésie, et le<br />

premier modèle <strong>de</strong> notre versification, n'aurait ren<strong>du</strong><br />

aucun service aux lettres, et n'aurait répan<strong>du</strong> aucune<br />

lumière ! C'est une étrange assertion. L'écrit<br />

où elle était développée n'a pas vu le jour; mais il<br />

n'y a rien <strong>de</strong> per<strong>du</strong> : on vient d'imprimer une brochure<br />

anonyme qui contient <strong>de</strong>s révé<strong>la</strong>tions bien<br />

plus merveilleuses. Comme ce nouveau docteur va<br />

infiniment plus loin que tous les déc<strong>la</strong>mateurs qui<br />

l'avaient précédé, je ne compte weuir à lui qu'à <strong>la</strong><br />

un <strong>de</strong> cet article, parce qu'il faut toujours finir par<br />

ce qu'il y a <strong>de</strong> plus curieux.<br />

11 est â propos d'abord d'écarter un <strong>de</strong>s sophismes<br />

les plus spécieux et les plus trompeurs dont se<br />

servent les ennemis <strong>de</strong> Despréaux. Ils rangent hardiment<br />

à leur parti <strong>de</strong>s écrivains renommés, qui, en<br />

admirant notre poète, lui ont pourtant refusé quelques<br />

avantages que d'autres croient <strong>de</strong>voir reconnaître.<br />

Cest pour leur enlever ces appuis illusoires,<br />

et confondre leur mauvaise foi, que je me permet­<br />

trai <strong>de</strong> discuter l'opinion d'un <strong>de</strong> nos plus célèbres<br />

académiciens,, dont je fais profession d'aimer et<br />

d'honorer <strong>la</strong> personne et les talents. L'auteur <strong>de</strong>s<br />

Élément <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>littérature</strong>, ouvrage qui doit être<br />

mis au rang <strong>de</strong> nos bons livres c<strong>la</strong>ssiques, et qui contient<br />

<strong>la</strong> théorie <strong>la</strong> plus lumioeuse et <strong>la</strong> plus savamment<br />

approfondie <strong>de</strong> tous les arts <strong>de</strong> l'imagination,<br />

M. Mar<strong>mont</strong>el, a trop d'esprit et <strong>de</strong> lumières pour<br />

ne pas reconnaître le mérite <strong>de</strong> Despréaux : aussi<br />

lui rend-il un hommage aussi authentique que légitime.<br />

11 voit en lui<br />

Un critiqse judicieux et soli<strong>de</strong> , le vengeur et le conservateur<br />

<strong>du</strong> goût, qui it <strong>la</strong> guerre aux mauvais écrivains,<br />

et déshonora leurs exemples ; It sentir tux jeunes pas<br />

les bienséances <strong>de</strong> tous les styles; donna <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong>s<br />

genres une idée nette et précise; connut ces vérités premières<br />

qui sont <strong>de</strong>s règles éternelles, et les grava dans<br />

les esprits ttee <strong>de</strong>s traits ineffaçables.<br />

Ce sont ses termes; c'est le témoignage qu'il rend à<br />

14.


C93<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

fauteur <strong>de</strong> V\4rl poétique ; et je n'aurai qu'à étendre et <strong>de</strong> style, et sous co point <strong>de</strong> vue notre<strong>la</strong>ngw<br />

et développer ce texte pour rendre compte <strong>de</strong> cette n'avait encore rien pro<strong>du</strong>it d'aussi parfait» Que<br />

influence qu'on veot contester. H y a loin <strong>de</strong> ce <strong>la</strong>n­ m'Importe, a dit Yoltaire en comparant les «jeta<br />

gage an mépris qu'ont affecté ceux qui ont dit ce <strong>de</strong>s satires <strong>de</strong> Boileau à cet» qu'a traités Pope, qm<br />

p<strong>la</strong>t Boikau, k nommé Boikau f k froid versifica­ m'importe<br />

teur Boileau; ceux qui lui ont reproché, ainsi qu'à<br />

Racine, d'avoir per<strong>du</strong> <strong>la</strong> poésk française. J'ai pris<br />

<strong>la</strong> liberté, il y a déjà longtemps, d'en rire avec le<br />

Qn<br />

publie, et ce<strong>la</strong> ne mérite pas d'autre réponse. Mais<br />

il peut être intéressant d'examiner les reproches et<br />

les restrictions qu'un écrivain tel que Mar<strong>mont</strong>el<br />

mêle à ses éloges. Je ne prétends point le juger : ce<br />

sont <strong>de</strong>s objectiofis que je lui propose. Dans cette<br />

discussion, d'ailleurs t se trouveront naturellement<br />

p<strong>la</strong>cées les preuves que je croîs faites pour constater<br />

tout le bien que Boileau a fait aux lettres, tout<br />

l'honneur qu'il a fait à <strong>la</strong> France; et c'est en ce moment<br />

le principal objet doiit je dois m'occuper.<br />

« Boilêas n'apprît pas aux poètes <strong>de</strong> mm temps à bien<br />

faire <strong>de</strong>s fers; car les belles scènes <strong>de</strong> Cinna et <strong>de</strong>s Moraces,<br />

ces grands modèles <strong>de</strong> le versification française f<br />

étaient écrites lorsque Boileau ne faisait encore que d'ts-<br />

§m mauvaises satires. » ( Ékm. <strong>de</strong> MiiéraL )<br />

Quoiqu'il y ait <strong>de</strong> très-beaux vers, <strong>de</strong>s vers sublimes<br />

dans Cinna, dans k CM, dans les Borates;<br />

quoique ces belles scènes aient été les premiers<br />

modèles <strong>du</strong> style tragique, ceux où Corneille enseigna<br />

le premier, comme je l'ai dit ailleurs, quel ton<br />

noble, élevé, soutenu, <strong>de</strong>vait distinguer le <strong>la</strong>ngage<br />

<strong>de</strong> Melporoène, Je ne crois pas que ce fussent encore<br />

ks grands modèles <strong>de</strong> <strong>la</strong> versification française.<br />

Il aurait failli pour ce<strong>la</strong> que ces belks scènes fussent<br />

écrites avec une élégance continue; que <strong>la</strong> propriété<br />

<strong>de</strong>s termes, l'exactitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s constructions, <strong>la</strong> précision,<br />

l'harmonie, toutes les convenances <strong>du</strong> style,<br />

y fussent habituellement observées ; et II s'en faut<br />

<strong>de</strong> beaucoup qu'elles le soient. Le premier ouvrage<br />

<strong>de</strong> poésie où le mécanisme <strong>de</strong> notre versification ait<br />

été parfaitement connu, où <strong>la</strong> diction ait toujours<br />

été élégante et pure, où l'oreille et <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue aient<br />

été constamment respectées , ce sont les sept premières<br />

satires <strong>de</strong> Boileau, qui parurent avec te dis<strong>cours</strong><br />

adressé au roi, en 1666, un an avant Jndromaque.<br />

M. Mar<strong>mont</strong>el trouve ces satires assez<br />

mauvaises : on peut trouver ce jugement bien rigoureux.<br />

Ces satires doMHt être considérées sous différents<br />

rapports. S'il s'agit <strong>de</strong> l'intérêt <strong>du</strong> sujet, <strong>la</strong><br />

difficulté <strong>de</strong> <strong>la</strong> rime, les embarras <strong>de</strong> Paris, m<br />

mauvais repas, les Sermons <strong>de</strong> Cassaigne et <strong>de</strong> C©«<br />

tin, et <strong>la</strong> PuceUe <strong>de</strong> Chape<strong>la</strong>in, peuvent n'être pas<br />

<strong>de</strong>s objets fort attachants pour <strong>la</strong> postérité ; et c'est<br />

en ce sens que Yoltaire a dit qu'elle n*y arrêterait<br />

point ses regards. Mais il s'agit ici <strong>de</strong> versiieation<br />

f il peigne <strong>de</strong> Paris les tristes'asbârras,<br />

Go décrive m beaux ?ers es fort mantilg vepat?<br />

II faut d'antni sèjets à mtm teMMgmm* •<br />

Ce jugement, comme l'on voit, ne porte que sur<br />

<strong>la</strong> comparaison <strong>de</strong>s matières plus ou moins importantes.<br />

Mais II est Ici question <strong>de</strong> vers, <strong>de</strong> goût, <strong>de</strong><br />

style, et Voltaire avoue que ses vers sont beaux,<br />

et c'était on très-grand mérite dans un temps où il<br />

fal<strong>la</strong>it épurer et former <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue poétique. Aussi<br />

ces satires, qui aujourd'hui nous intéressent moins<br />

que les autres écrits <strong>du</strong> mémo auteur, eurent un<br />

succès prodigieux ; et ce n'était pas seulement<br />

parce que c'étaient <strong>de</strong>s satires; c'est que personne<br />

n'avait encore écrit si bien en vers. Les pièces <strong>de</strong><br />

Molière, si remplies <strong>de</strong> vers heureui, ne pouvaient<br />

pas être <strong>de</strong>s modèles <strong>du</strong> style soutenu : d'abord,<br />

parce que le genre comique admet le familier, et <strong>de</strong><br />

plus parce qu'elles fourmillent <strong>de</strong> fautes <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage<br />

et <strong>de</strong> versification. On convient que celles <strong>de</strong> Corneille,<br />

dans un autre genre, méritent le même w-..<br />

proche. C'était donc <strong>la</strong> première fois que nous avion<br />

un ouvrage en vers écrit avec toute <strong>la</strong> perfection<br />

donlMl était susceptible. Boileau nous apprît dono<br />

le premier à chercher toujours le mot propre, à<br />

lui donner sa p<strong>la</strong>ce dans les vers; à foire valoir les<br />

mots par leur arrangement; à relever et ennoblir<br />

les plus petits détails; à se défendre toute construction<br />

irréguiière, toute locution basse, toute<br />

consoiinanee vicieuse; à éviter les tournures louches,<br />

ou prosaïques, ou recherchées, les expressions<br />

parasites et les chevilles ; à ca<strong>de</strong>ncer <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> poétique,<br />

à <strong>la</strong> suspendre, à <strong>la</strong> varier; à tirer parti <strong>de</strong>s<br />

césures ;-à Imiter avec les sons ; à n'oser <strong>de</strong>s figures<br />

qu'avec choix et sobriété : et qu'est-ce que tout ce<strong>la</strong>,<br />

si ce n'est apprendre, aux poètes à bien faire <strong>de</strong>s<br />

vers? On peut apprendre cet art même à ceai qui<br />

font <strong>de</strong>s ouvrages <strong>de</strong> génie. Corneille et Molière<br />

en avaient fait, car le génie <strong>de</strong>vance toujours le<br />

goût. Mais Boileau, qui n'aurait fait ni k CM nî k<br />

Misanthrope, fut précisément rhomme qu'il al<strong>la</strong>it<br />

pour donner à notre <strong>la</strong>ngue ce qui lui manquait encore,<br />

un système parfait <strong>de</strong> versification. Il s'occupait<br />

particulièrement à étudier <strong>la</strong> nôtre; il avait<br />

un taet juste 9 une oreille délicate, un discernement<br />

sûr. Il travail<strong>la</strong> toute sa vie sur le Ters français ; il<br />

en perfectionna le mécanisme, en sur<strong>mont</strong>a les<br />

dlfficultésf en indiqua les effets et les ressources,<br />

en évita les défauts. Aussi est-ce après lui que parut


un homme qui joignit au génie dramatique qu'allient<br />

possédé Corneille et Molière une purelé $ une<br />

élégance, une harmonie, une sûreté <strong>de</strong> goût que<br />

ni rua ni l'autre n'avaient connues; et il est permis<br />

<strong>de</strong> croire que, lié avec Despréaux à l'époque <strong>de</strong><br />

son Alexandre, dont <strong>la</strong> Yersiication <strong>la</strong>isse encore<br />

tant à désirer, il apprit à être bien plus précis,<br />

plus élégant, plus châtié, plus sévère dans Jndromaque,<br />

et bientôt après à s'élever jusqu'à <strong>la</strong> perfection<br />

<strong>de</strong> Britànnieus tlé f Jtho!w, au <strong>de</strong>là <strong>de</strong>squels<br />

il n'y a rien.<br />

Je crois avoir positivement spécilé <strong>la</strong> première<br />

obligation que nous a?ons à Boileau et à ses satires,<br />

et les raisons <strong>du</strong> grand éc<strong>la</strong>t qu'elles eurent<br />

en paraissant. Si j'avais besoin d'ajouter <strong>de</strong>s autorités<br />

à Févi<strong>de</strong>ace, j'en citerais une qui ne peut pas<br />

être suspecte s et qui prouve combien les meilleurs<br />

esprits <strong>du</strong> temps avaient senti le mérite particulier<br />

que je fais observer dans ces satires, aujourd'hui<br />

trop rabaissées. Molière <strong>de</strong>vait lire une tra<strong>du</strong>ction<br />

en vers <strong>de</strong> quelques chants <strong>de</strong> Lucrèce dans une<br />

société où se trouva Despréaux, On pria celui-ci <strong>de</strong><br />

lire d'abord <strong>la</strong> satire adressée à Molière sur <strong>la</strong> Rime,<br />

pièce qui s'était pas encore imprimée, non plus<br />

qu'aucune <strong>de</strong>s autres <strong>du</strong> même auteur. Mais quand<br />

Molière féal enten<strong>du</strong>e, il ne voulut plus lire sa tra<strong>du</strong>ction<br />

, disant qu'on ne <strong>de</strong>vaitpas s'attendre à <strong>de</strong>s<br />

vers aussi parfaits et aussi achevés que ceux <strong>de</strong><br />

SIECLE DE LOUIS XIV. — POESIE. 69S<br />

tant <strong>de</strong> peur à Molière, nous paratt-elie assez peu'<br />

<strong>de</strong> chose? C $ est que <strong>la</strong> difficulté <strong>de</strong> rimer est us<br />

mince sujet, dont le style ne peut plus racheter à<br />

nos yeux <strong>la</strong> petitesse; c'est que, notre versification<br />

s'étant perfectionnée dans le <strong>de</strong>rnier siècle, nous<br />

voulons dans celui-ci que ce mérite se soit jamais<br />

seul, que l'on dise d'excellentes choses en bons vers.<br />

Biais avant d'en venir là, il a fallu apprendre à en<br />

faire, et celui qui nous l'apprit le premier, c'est Boileau.<br />

Grâces à lui et à ceux qui l'ont suivi, ce n'est<br />

pas assez que k bœuf fasse bien son sillon, il faut<br />

encore qu'il <strong>la</strong>boure une terre fertile.<br />

Maintenant, si j'osais énoncer un jugement sur<br />

<strong>la</strong> valeur réelle <strong>de</strong> ses satires J'avouerais d'abord,<br />

qtitj! qu'il pût m'en arriver, que je tes lis toutes<br />

avec p<strong>la</strong>isir, excepté les trois <strong>de</strong>rnières. Celle sur ê<br />

tÉqutvoque, qui est <strong>la</strong> douzième, est généralement<br />

condamnée ; c'est un fruit dégénéré, une faible pro<strong>du</strong>ction<br />

d'un sol épuisé. On ne reconnaît point 1e bon<br />

esprit <strong>de</strong> Fauteur dans cette longue et vague déc<strong>la</strong>mation<br />

qui roule tout entière sur un abus <strong>de</strong> mots,<br />

et où fon attribue à l'équivoque tous les malheurs<br />

et les crimes <strong>de</strong> l'univers, à dater <strong>du</strong> péché originel<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> chute d'Adam, jusqu'à <strong>la</strong> morale d*Eseobar<br />

et <strong>de</strong> Sanchez. Le satirique, vieilli, redit en assez<br />

J#. Despréaux , et qu'il M faudrait un temps infini<br />

g g mauvais vers ce qu'avait dit Pascal en très-bonne<br />

prose, et ce n'est plus, à quelques endroits près, le<br />

style <strong>de</strong> Boileau. On le retrouve un peu plus dans<br />

<strong>la</strong> satire-mr k faux Honneur', dont les soixante<br />

U mutaU travaiÙer ses ouvrages comme M Ce premiers vers' sont encore dignes <strong>de</strong> lui ; mais le reste<br />

propos est à <strong>la</strong> fois l'excuse <strong>de</strong> Molière, à qui le est un sermon froid et <strong>la</strong>nguissant, chargé <strong>de</strong> redi­<br />

temps manquait, et l'éloge <strong>de</strong> Boileau, qui employait tes. L'auteur est presque toujours hors <strong>du</strong> sujet,<br />

le sien. L'un était obligé <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> théâ­ et les tournures monotones et le prosaïsme avertre<br />

qui <strong>de</strong>vaient être prêtes au jour marqué ; l'autre, tissent <strong>de</strong> <strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong> l'âge. La satire contre tes<br />

qui n'avait que <strong>de</strong>s vers à faire, pouvait les tra­ Femmes, quoique plus travaillée, quoiqu'elle offre<br />

vailler à loisir, et le caractère <strong>de</strong> son esprit le por­ <strong>de</strong>s portraits bien frappés, entre autres celui <strong>du</strong><br />

tait à les travailler jusqu'à ce qu'ils fussent aussi directeur; quoique les transitions y soient mena- .<br />

bons qu'il était possible. Ainsi <strong>la</strong> nature et les cir­ gées avec un art dont le poète avait raison <strong>de</strong> s'apconstances<br />

se réunissaient pour faire <strong>de</strong> lui &e meilp<strong>la</strong>udir, n'est pourtant qu'un lieu commun, qui releur<br />

versificateur qui eût encore eiisté parmi nous. bute par <strong>la</strong> longueur, et révolte par l'injustice.<br />

L'un <strong>de</strong> ses amis, Chapelle, qui, dans <strong>la</strong> familiarité Tout y est appuyé sur l'hyperbole ; et Boileau f qui<br />

d'un commerce intime, se moquait <strong>de</strong> sa patience en a reproché l'excès à Juvénal, n'aurait pas dû l'i­<br />

<strong>la</strong>borieuse, p<strong>la</strong>isantait sar sa cruche à fhuUe, et miter dans ce défaut. Je ne dissimule point ses<br />

lui disait si gaiement, Tu es m bœuf qui fait Mm fautes, ce me semble ; elles sont en partie celles <strong>de</strong><br />

son sitton; Chapelle, si éloigné en tout <strong>de</strong> <strong>la</strong> moin­ <strong>la</strong> vieillesse 9 et l'on peut aussi tes attribuer à cette<br />

dre conformité avec lui, reconnaissait <strong>la</strong> supériorité mo<strong>de</strong>, assez générale <strong>de</strong> son temps, <strong>de</strong> faire entrer<br />

<strong>de</strong> ses vers.<br />

<strong>la</strong> religion dans <strong>de</strong>s sujets où elle était étrangère.<br />

Tout bon pâfttieiii en Mtraii t<br />

C'est là ce qui lui fait conclure, dans <strong>la</strong> satire sur<br />

Fait <strong>de</strong>s mm qui nceoûteat guère.<br />

POUF mol, c'est alssl qm j'en fais ;<br />

l'Honneur,<br />

Et il je les foutais miens faire,<br />

le les ferais Mm plus mauvais.<br />

Qu'en Dieu seul est l'honneur véritable,<br />

Mais quant à monsieur Despiéaux,<br />

11 en compose <strong>de</strong> fort beaux.<br />

quoique ces <strong>de</strong>ux idées n'eussent pas dû se rencon­<br />

Pourquoi cette même satire sur ta Mme, qui fit trer enstoble. C'est là ce qui lui dicta celle <strong>de</strong> ses


§94<br />

épftres que les connaisseurs goûtent moins que les<br />

autres, ï'épttre sur l'amour <strong>de</strong> Dieu, sorte <strong>de</strong> cou-,<br />

traverse trop peu faite pour <strong>la</strong> poésie, quoiqae <strong>la</strong><br />

prosopopée qui termine <strong>la</strong> pièce soit heureuse et<br />

vî?e. Ces sujets occupaient alors tout Paris, échauffé<br />

sur <strong>la</strong> controverse, comme il Fa été <strong>de</strong> nos jours<br />

sur <strong>la</strong> musique. L'on oubliait qu'il fal<strong>la</strong>it <strong>la</strong>isser ces<br />

questions à <strong>la</strong> Sorbonne, et que les Muses ne feulent<br />

point que Ton dogmatise en vers.<br />

Quant aus neuf autres satires, quoique ce soit le<br />

moindre <strong>de</strong>s bons outrages <strong>de</strong> Boileau Je hasar<strong>de</strong>rai<br />

encore d'avouer que j'aime à les lire, parce que<br />

j'aime <strong>la</strong> bonne poésie, <strong>la</strong> bonne p<strong>la</strong>isanterie, et le<br />

bon sens. Elles sont moins philosophiques, moins<br />

variées'que celles d'Horace : il y a moins d'esprit,<br />

<strong>la</strong> marche en est moins rapi<strong>de</strong>; il emploie moins<br />

souvent <strong>la</strong> forme dramatique <strong>du</strong> dialogue f et quasi<br />

il s'en sert, c'est avec moins <strong>de</strong> vivacité; mais on<br />

peut être au-<strong>de</strong>ssous d*Horace, et n'être pas à mépriser.<br />

Il a même, autant que je puis m'y connaître,<br />

<strong>de</strong>ux avantages sur le satirique <strong>la</strong>tin : il a plus <strong>de</strong><br />

poésie, et raille plus finement. Horace a fait,<br />

comme lui, <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription d'un repas ridicule : c'est,<br />

si l'on veut, un bien petit sujet; mais si le mérite<br />

<strong>du</strong> poète peut consister quelquefois à relever les<br />

petites choses, comme à soutenir l'es gran<strong>de</strong>s, je<br />

saurai gré à Boileau d'avoir été en cette partie bien<br />

plus poète qu'Horace dans le récit <strong>du</strong> festin. Personne<br />

ne lui avait donné le modèle <strong>de</strong> vers tels que<br />

ceux-ci :<br />

» • Sur im lièvre fiantpié <strong>de</strong> tfi pouleta étftpes<br />

S'élevaient trois <strong>la</strong>pins, animaux domestiques f<br />

Qui, dès leur tendre enfance élefés dans Par<strong>la</strong>,<br />

Sentaient eneor le chou dont ils furent nourris.<br />

Autoor <strong>de</strong> cet amas <strong>de</strong> vian<strong>de</strong>s entassées,<br />

Régnait un long cordon d'alouettes pressées,<br />

Et sur les bords <strong>du</strong> p<strong>la</strong>t six pigeons étalé»<br />

Présentaient pour renfort leurs squelettes brûlés.<br />

C'est là, j'en conviens, un très-mauvais rôt ; mais<br />

ce sont <strong>de</strong> bien bons vers. La pièce entière est<br />

écrite <strong>de</strong> ce style, et Fauteur Ta égayée par <strong>la</strong> conversation<br />

<strong>de</strong>s campagnards, qui forme une espèce<br />

<strong>de</strong> scène fort p<strong>la</strong>isante. Quant à <strong>la</strong> raillerie, il y<br />

êïcellê, et personne en ce genre ne Ta surpassé.<br />

La satire neuvième, adressée à $m Esprit, a toujours<br />

passé pour en chef-d'œuvre <strong>de</strong> gaieté satirique,<br />

pour le modèle <strong>du</strong> badinage le pies ingénieux.<br />

Car<strong>de</strong>i-vous, dira l'on, <strong>de</strong> cet esprit critique :<br />

On ne sait bien souvent quelle mouche le pique.<br />

Mais c'est on jeune fou qui se croit tout permis<br />

Et qui pour un bon moi va perdre vingt amis.<br />

n ne pardonne pas aux vers <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pucelle,<br />

Et croit régler le mon<strong>de</strong> au gré <strong>de</strong> sa cervelle,<br />

<strong>la</strong>mals dans le barreau troova-t-il rien <strong>de</strong> bon ?<br />

Peut-on si bien prêcher qu'il ne dorme au sermon?<br />

Mais lui, qui fait <strong>la</strong>i le régent <strong>du</strong> Parnasse,<br />

M'est Qu'un gueux revêtu <strong>de</strong>s dépouilles d'Horace,<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

Avant lui, lovésal avait dit en <strong>la</strong>tin<br />

Qu'os est assis à Taise au sermons <strong>de</strong> Cotin t etc.<br />

. On ne peut pas railler plus agréablement. La satire<br />

sur <strong>la</strong> Noblesse est fort belle, mais pourrait<br />

être plus approfondie. On regar<strong>de</strong> comme une <strong>de</strong><br />

ses meilleures , <strong>la</strong> satire sur l'Homme : c'est use <strong>de</strong><br />

celles où il y a le plus <strong>de</strong> mouvement et <strong>de</strong> variété,<br />

.et qui dans le temps eut le plus <strong>de</strong> ?ogue. Desmarets<br />

et d'autres écrivains <strong>de</strong> même trempe en ireat<br />

une critique très-absur<strong>de</strong> f en prenant le sens d«<br />

Fauteur dans une rigueur littérale. Ils crièrent an<br />

sacrilège sur le parallèle d ? nn âne et d'un docteur;<br />

ils prouvèrent démonstratlvement que Tun en sa?ait<br />

plus que l'autre : et je crois que Boileau en était<br />

persuadé. Mais qui ne voit que le fond <strong>de</strong> cette satire<br />

est réellement très-vrai et très-philosophique?<br />

Qui peut nier que Fhomme qui fait un mauvais usage*<br />

<strong>de</strong> sa raison ne soit en effet au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> Fanimal<br />

qui suit Finstinct <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature? Cette vérité appartient<br />

à <strong>la</strong> satire morale, et Boileau Fa fort bien développée.<br />

On lui a reproché <strong>de</strong> masquer <strong>de</strong> verve : on a dit<br />

que ses vers étaient froids. Ces reproches se me<br />

semblent pas fondés : il a <strong>la</strong> sorte <strong>de</strong> verve dont ta<br />

satire est susceptible; et Jufénal, qui Fa outrée,<br />

est presque toujours dée<strong>la</strong>mateur. Si les vers <strong>de</strong><br />

Boileau étaient froids, ils auraient le plus grand<br />

<strong>de</strong> tous les défauts : on ne les lirait pas.<br />

Qui dit froid écrivais, ctft détestable auteur,<br />

a-t-Il dit lui-même, et avec gran<strong>de</strong> raison. Entendon<br />

par vers froids ceux qui n'expriment pas <strong>de</strong>s<br />

sentiments et <strong>de</strong>s passions? On se trompe. Les<br />

vers ne BOM froids que lorsqu'ils n'ont pas le <strong>de</strong>gré<br />

d'expression qu-'ils doivent avoir re<strong>la</strong>tivement an<br />

sujet; et si dans le sujet il n'y a rien pour le cœur,.<br />

le poète n'est pas obligé <strong>de</strong> prier au coeur* Boileau,<br />

dans ses satires, prie seulement à <strong>la</strong> raison et m<br />

goût. 11 faut voir s'il parle fr&Mememi <strong>de</strong>s objets<br />

qu'il traite, s'il n f y met pas <strong>la</strong> sorte d'intérêt qu'on<br />

peut y mettre : danse® cas, il aurait tort. Mais s*ïl<br />

s'échauffe contre les travers <strong>de</strong> Fesprit humain et<br />

1e mauvais goût <strong>de</strong>s auteurs, autant qu'il convient<br />

<strong>de</strong> s'échauffer sur <strong>de</strong> tels objets, il a <strong>de</strong> <strong>la</strong> verve.<br />

La verm en ce genre, c'est <strong>la</strong> mauvaise humeur :<br />

et qui put dire qu'il en manque, qu'elle ne donne<br />

pas à son style tous les mouvements qui doivent<br />

l'animer? Ouvrez ses écrits au hasard; voyez <strong>la</strong> satire<br />

sur l'Homme, que je viens <strong>de</strong> citer; enten<strong>de</strong>zle<br />

crier contre le monstre <strong>de</strong> <strong>la</strong> chicane :<br />

Us aigle, sur un champ prétendant droit d'aubaine,<br />

Ne fait point appeler an algie à <strong>la</strong> huitaine,<br />

<strong>la</strong>ssais, maire un renard chicanant un poulet,<br />

Un renard <strong>de</strong> son sac n'al<strong>la</strong> charger Rolet.<br />

Jamaif te Mute en rat n%9 pour fait fflmpnl«snnrt ,


Traîné <strong>du</strong> fond <strong>de</strong>s bols un cerf à l'audience ;<br />

Et jamais Juge 9 entre eux ordonnant le congrès ,<br />

De ce burlesque mut n'a saH MS arrêts.<br />

On se connaît ciiez eux ni piacefa ni requêtes t<br />

Ni haut ni bas conseil, ni chambre <strong>de</strong>s enquêtes,<br />

Chacun , fus a?ee l'autre, en tonte sûreté,<br />

Vil sous les pares loti <strong>de</strong> In simple équité.<br />

L'homme seul, l'homme seul, en sa foreur extrême,<br />

Met un brutal honneur à l'égorger soi-même.<br />

Citait peu que sa main v con<strong>du</strong>ite par Feuler,<br />

Eût pétri le salpêtre t eût aiguisé le fer ; * ,<br />

fi fal<strong>la</strong>it que sa rage , à l'unlve» funeste t<br />

Allât encor <strong>de</strong> lois embrouiller on Digeste ,<br />

Cherchât f pour l'obscurcir, <strong>de</strong>s gloses, <strong>de</strong>s docteur»;<br />

Accablât l'équité sous <strong>de</strong>s monceau d'auteurs;<br />

Et, pour comble <strong>de</strong> maux, apportât dans <strong>la</strong> France<br />

Des harangueurs <strong>du</strong> temps l'ennuyeuse éloquence.<br />

Est-ce là émm froi<strong>de</strong>ment? Remarquez ce <strong>de</strong>rnier<br />

trait contre le fastidieux babil <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>idoirie, qu'il<br />

met avec un sérieux si -comique au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tous<br />

les maui que pro<strong>du</strong>it <strong>la</strong> chicane. N'est-ce pas là le<br />

cachet <strong>de</strong> <strong>la</strong> satire? N'est-ce pas mêler, comme il le<br />

prescrit, le p<strong>la</strong>isant an séoèret En vérité, quoi<br />

qu'on en dise , ce Boileau sa?ait son métier. YeutKin<br />

lui contester le droit <strong>de</strong> se moquer <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ts écrivains?<br />

Écoutez-le :<br />

Et Je serai ta seul qvl ne pourrai liai dira!<br />

On sera ridicule, et Je n'oserai rire !<br />

Et qu'ont pro<strong>du</strong>it mes vers <strong>de</strong> si pernlcteni t<br />

Pour armer contre mol tant d'auteurs furieux?<br />

Loin <strong>de</strong> tes décrier, J® les al fait paraître ;<br />

Et souvent, sans ces vers qui les ont connaître,<br />

Leur talent dans l'oubli <strong>de</strong>meurerait caché.<br />

Et qui saurait t sans mol 9 que Cotin a prêché?<br />

La satire ne sert qu'à rendre un fat illustre;<br />

Cest nue ombre au tableau f qui lui donne <strong>du</strong> lustre,<br />

En les blâmant enfin, J'ai dit ce que j'en crol ;<br />

Et tel qui'm'en reprend en pense autant que mot.<br />

M s tort, dira l'un ; pmrqmm f&uPil qu'il nmnim?<br />

Jttaquer Chape<strong>la</strong>in! ah! cVfl un m ta» homme!<br />

Balzac enfuit Fëlo§e en cent endnritt dwen,<br />

M e§t vrai, »*êl m'eût cru, §t**t I m'eût peint fait <strong>de</strong> ver* :<br />

Mm tue à rimer : que n'éerii-ii en pnm?<br />

Voilà ce que l'on dit : et que dls-Je autre chose?<br />

En blâmant ses écrits, al-je d'un style affreux<br />

Hataié sac sa vie aa Testa dangereux?<br />

Ma muse, en l'attaquant, charitable et discrète t<br />

Sait <strong>de</strong> l'homme d'honneur distinguer le poète.<br />

Qu'on faute en lui <strong>la</strong> fol, l'honneur, Si probité t<br />

Qu\*n prise sa can<strong>de</strong>ur et sa civilité;<br />

Qu'il soit doux, comp<strong>la</strong>isant, officieux:, sincère :<br />

On le veut, j'y souscris, et suis prêt à me taire.<br />

Mais que pour un modèle on <strong>mont</strong>ra ses écrits;<br />

Qu'il soit le mieux rente <strong>de</strong> tous les beaux esprits;<br />

Comme roi <strong>de</strong>s auteurs, qu'on Féîève à l'empire;<br />

Ma bile alors s'échauffe, et je brûle d'écrire ;<br />

Et s'il ne m'est permis <strong>de</strong> le dira au papier,<br />

rirai creuser <strong>la</strong> terre, et, comme ce barbier,<br />

Faire dire aax roseaux par un nouvel organe :<br />

Midm, le mi MMm$ s <strong>de</strong>s oreUtoe d'âne.<br />

Et c'est là cet homme sons verve, ce versificateur<br />

froid! Le Misanthropef dans ses accès, a-t-il im<br />

autre ton? Prenons même cette satire contre ta<br />

Mime, si sou?eut censurée. Je sais que <strong>la</strong> rime importe<br />

fort peu à beaucoup <strong>de</strong> gens; mais elle désole<br />

parfois ceux qui <strong>la</strong> cherchent. Voyons §11 n'en parle<br />

pas en poète, et en poète satirique.<br />

SIÈCLE DE -LOUIS XIV- — POÉSIE. 69S<br />

Encor si pour rimer, dans^a verve lndlscrèto,<br />

Ma muse au moins souffrait une froi<strong>de</strong> éeliaète,<br />

le ferais comme us autre f cl, sans chercher si loin v<br />

J'aurais toujours <strong>de</strong>s mots pour les coudre au besoin.<br />

Si je louais Phills, en mimeleg fécon<strong>de</strong>,<br />

le trouverais bientôt ¥ à nulle antre mwn<strong>de</strong>. «<br />

Si je vou<strong>la</strong>is vanter un objet nmnpareil,<br />

Je mettrais à l'instant, plus beau que le mUil,<br />

Enfin, par<strong>la</strong>nt tqujoars cf usines et <strong>de</strong> merveille» 9<br />

De chej»-d?amurt dm <strong>de</strong>ux, <strong>de</strong> beautés mm pareiltm,<br />

Avec tous ces beaux mots, souvent mis au hasard,<br />

le pourrais aisément, sans génie et sans art,<br />

Et transportant cent fols et le nom et le verbe,<br />

Dans mes van recousus mettre en pièces Malherbe ;<br />

Mais mon esprit, tremb<strong>la</strong>nt sur le choix <strong>de</strong> ces mots,<br />

PTee dira jamais un, s'il ne tombe à propos,<br />

Et ne saurait souffrir qu'une phrase insipi<strong>de</strong><br />

Vienne à <strong>la</strong> fin d'un vers remplir <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce vi<strong>de</strong>,<br />

Ainsi, recommençant un ouvrage vingt fois,<br />

61 J'écris quatre mots, J'en effacerai trois.<br />

Maudit soit le premier dont <strong>la</strong> v erve Insensée<br />

Dans les bornes d'An vers renferma sa pensée,<br />

Et v donnant à ses mots use étroit® prison,<br />

Voulut avec <strong>la</strong> rime enchanter <strong>la</strong> raison;<br />

Sans ce métier fatal au repos <strong>de</strong> ma vie,<br />

Mes jours pleins <strong>de</strong> loisir couleraient sans envie :<br />

|@ n'aurais qu'à chanter, rire, boire d'autant,<br />

Et, comme un gras chanoine, à mon aise et content,<br />

Passer tranquillement t sans souci t sans affaire 9 '<br />

La nuit à bien dormir, et le Jour à rien faire.<br />

Mon coeur, exempt <strong>de</strong> soins, libre <strong>de</strong> passion,<br />

Sait donner une borne à son aubitloo.<br />

Et fuyant <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>urs <strong>la</strong> présence importune,<br />

le ne vais point au Louvre adorer Sa fortune ;<br />

Et Je serais heureux si, pour me consumer,<br />

Un <strong>de</strong>stin envieux ne m'avait fait rimer.<br />

Bienheureux Scudéry, dont <strong>la</strong> fertile plume<br />

Peut tous les mois sans peine enfanter un volume !<br />

Tes écrits, il est vrai, sans art et <strong>la</strong>nguissants,<br />

Semblent étra formés en dépit <strong>du</strong> bon sens :<br />

Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puisse dire,<br />

Un marchand pour les vendre, et <strong>de</strong>s sots pour les lire ;.<br />

Et quand <strong>la</strong> rime enin ae trouve au bout <strong>de</strong>s vers,<br />

Qu'importe que le reste y soit mis <strong>de</strong> travers?<br />

Malheureux mille fois celui dont <strong>la</strong> manie<br />

Veut aux régies <strong>de</strong> fart asservir son génie !<br />

Un sot, « écrivant, fait tout avec p<strong>la</strong>isir :<br />

H a*x point en ses vers l'embarras <strong>de</strong> choisir i<br />

Et toujours amoureux <strong>de</strong> ce qu'il vient d'écrire,<br />

Ravi d'étonnement, en soi-même tt s'admire.<br />

Mais un esprit sublime en vain veut s'élever<br />

A ce <strong>de</strong>gré parfait qull tâche <strong>de</strong> trouver;<br />

Et toujours mécontent <strong>de</strong> ce qull;vient <strong>de</strong> faire,<br />

Il p<strong>la</strong>ît à tout le mon<strong>de</strong>, et ne saurait aa p<strong>la</strong>ire.<br />

Eh Menl s'est-il donc si mal tiré <strong>de</strong> cette pièce mt<br />

<strong>la</strong> rime? NVt-il pas su joindre l'agrément à l'instruction?<br />

Était-ce une chose inutile <strong>de</strong> proscrire ces<br />

hémistiches rebattus, ces épithètes <strong>de</strong> remplissage<br />

que l'on prenait pour <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie, et qu $ il frappa<br />

d'un ridicule salutaire? N'y a-t-il pas un grand sens<br />

dans ce contraste qu'il établit entre l'homme médiocre<br />

, toujours enchanté <strong>de</strong> ce qu'il fait, parce qu'il<br />

n'imagine rien au <strong>de</strong>là, et l'homme supérieur, qm<br />

tourmente toujours l'idée <strong>du</strong> mieux, quand il a<br />

trouvé le bien?<br />

n f lit à tout le monda, tt ne nmalt §a p<strong>la</strong>tm<br />

Molière fut frappé <strong>de</strong> ce fers comme cFun trait <strong>de</strong>


096<br />

COURS DE LITTÉRATURE.<br />

<strong>la</strong>inière» FoMà, dit-il au jeune po€te en lui serrant <strong>la</strong> ouvrages qui auraient eiigé une qualité qui! nV<br />

main 9 une <strong>de</strong>s plus belles vérités que vous ayez diYait<br />

pas. Quant au naturel, s'il ne va pas chez lui<br />

tes. Je me suis pas <strong>de</strong> ces esprits sublimes dont vous jusqu'à <strong>la</strong> grâce, on ne peut pas dire assurément<br />

parlez : mais, tel que je suk,je n'ai rien fait en qu'il en manque : il a toujours celui qui tient an bon<br />

ma vie dont je sois véritablement content» Les désens<br />

et au goût 9 et qui eiclut toute affectation.<br />

tracteurs <strong>de</strong>s grands écrivains auraient tort <strong>de</strong> se Yoltaire a dit que Boileau avait répan<strong>du</strong> dans ses<br />

prévaloir contre eux <strong>de</strong> cet aveu qui leur est com­ écrits plus <strong>de</strong> sel que ée grâces : cette- appréciation<br />

mun a¥ec Molière, et <strong>de</strong> dire : Nous avons donc rai­ me parait plus mesurée.<br />

son <strong>de</strong> vous censurer. Le génie aurait droit <strong>de</strong> ré­ H faut en venir à ces jugements d'autant plus repondre<br />

; Oui, si en me censurant TOUS m'éc<strong>la</strong>iries; prochés à Boileau 9 qu'on pardonne moins à celui<br />

mais fous n'en avez le plus souvent ni <strong>la</strong> volonté ni qui a si souvent raison, d'avoir tort quelquefois.<br />

if pouvoir. Vos critiques et ma conscience sont ra­ C'en est un réel <strong>de</strong> n'avoir pas su 9 comme le dit<br />

rement d'accord f et ce que je cherche, ce n'est pas M. Mar<strong>mont</strong>elt aimer QidnauM mi admirer k Tasse*<br />

TOUS qui me le <strong>mont</strong>rerez.<br />

Mais n'oublions pas ce que f ai rappelé ailleurs, que<br />

/ Pour revenir à cette satire, je ne me pique pas ses satires sont antérieures aux opéras <strong>de</strong> Qaiiiasfi,<br />

d'être plus difficile que Molière, et je <strong>la</strong> trouve très- qui ne fut connu d'abord que par <strong>de</strong> mauvaises<br />

agréable. Au reste, en rendant aui satires <strong>de</strong> Boi­ tragédies. N'oublions pas que le satirique a déc<strong>la</strong>ré<br />

leau <strong>la</strong> justice que je leur crois <strong>du</strong>e, je ne prétends que les opéras <strong>de</strong> Quinault M avaient fait tme juste<br />

pas qu'elles soient irrépréhensibles; que dans <strong>la</strong> réputation. Je ne prétends pas détraire le reproche,<br />

foute <strong>de</strong>s bons fers il n'y en ait quelques-uns <strong>de</strong> mais seulement le restreindre* Ce n'était pas un éloge<br />

faibles, ou même <strong>de</strong> mauvais; que quelques idées suffisant d'avouer que fauteur €Atg$ et ê'Jrmi<strong>de</strong><br />

ne manquent <strong>de</strong> justesse. On l'a relevé sur Aleian- excel<strong>la</strong>it è faire <strong>de</strong>s mrs bms à être mis m ckamt,<br />

dre, qu'il veut mettre aux Petiks-Maisom ; ce<strong>la</strong> puisque ces vers se sont trouvés bons à lire et à<br />

est un peu fort, même dans une satire; et <strong>de</strong> plus retenir; mais si le critique a été trop sévère, il n'a<br />

on a observé qu'il y avait une contradiction ma<strong>la</strong>­ pas été absolument injuste, et ii y a bien quelque<br />

droite à traiter si mal Alexandre, qu'ailleurs il met différence. 11 ne l'a pas été non plus envers le Tasse.<br />

I côté <strong>de</strong> Louis XIV. Mais je pense que malgré ces Peut-être eût-il mieux valu ne pas faire ce vers fa­<br />

taches, qui sont rares, ses satires furent très-uti* meux, où il n'est cité que sous un rapport défavo­<br />

ks dans leur temps, et qu'elles sont encore trèsrable;estimables dans le nôtre. 11 me pareil les avoir fort Et le eUaquant <strong>du</strong> Tassa à tout For <strong>de</strong> VlrgUe,<br />

bien appréciées lui-même dans cet endroit <strong>de</strong> son Mais ce vers est-Il sans fon<strong>de</strong>ment? Les plus<br />

ÊpUre à M. <strong>de</strong> Seignetay :<br />

grands admirateurs <strong>de</strong> ce poète (et je suis <strong>du</strong> nombre)<br />

Sals-tu pourquoi nés ¥®ts sont lus dam les pwtaeai, peuvent-ils disconvenir qu'il ne soit aussi inférieur<br />

Sont recherchés eu peuple, et reçut cbes les.princes? à Yirgile pour le style, qu'il l'emporte sur lui pour<br />

Ce n'etf pas que leurs sons, agréables f nombreux,<br />

Soient to^ours à l'oreille également heureux; l'invention? Sa poésie n'est-elle pas assez souvent<br />

Qu'en plus d'un Ueu le sens n'y gêne <strong>la</strong> mesure, faible dans l'expression, et recherchée dans les idées?<br />

Et qu'un mot quelquefois n'y brave <strong>la</strong> césure; • Ce clinquant que blâme Despréaux n'est-il pal asses<br />

Mais c'est qu'en eux le vrai, <strong>du</strong> mensonge vainqueur,<br />

Partout se <strong>mont</strong>a au» yeux et va saisir le eosor^ fréquent dans <strong>la</strong> Jérusalem, et même dans les mor­<br />

Que le bien et le mal y sont prisés au Juste; ceaux les plus importants ou les plus pathétiques,<br />

Que jamais un faquin n'y tint us rang auguste;<br />

Et que mou cœur, toujours con<strong>du</strong>isant mon esprit dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription <strong>de</strong>s jardins d'Armi<strong>de</strong>, dans le<br />

f<br />

Me dit ries aux lecteurs qu'à>ol-méme M n'ait dit récit <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Clorin<strong>de</strong> ? L'Aristarque <strong>du</strong> siècle<br />

Ma pensée au grand Jour partout s'offre et s'expose, n'était-il pas d'autant plus fondé à réprouver ce<br />

Et mon vers f bien ou mal $ dit toujours quelque chose.<br />

clinquant qu'il opposait à l<br />

Tel est en effet le caractère <strong>de</strong> Boileau dans ses<br />

satires, et dans ses épîtres et dans l'Art poétique,<br />

qui sont fort au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> ses satires : c'est partout<br />

le poète <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison. M. M ar<strong>mont</strong>ei reconnaît<br />

en M toutes ks qualités <strong>du</strong> poète, hormis <strong>la</strong> sensibilité<br />

et les grâces <strong>du</strong> naturel A l'égard <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

sensibilité, ions avons déjà ?u quelle valeur on<br />

peut donner à ce reproche; et puisque <strong>la</strong> nature<br />

ne l'avait pas fait sensible, mm m peut que le louer<br />

d'avoir eu <strong>la</strong> sagesse <strong>de</strong> ne pas entreprendre <strong>de</strong>s<br />

f or <strong>de</strong> Firgtie, qu'alors<br />

<strong>la</strong> France al<strong>la</strong>it chercher ses modèles dans l'Italie<br />

et dans l'Espagne? Et n'était-ce pas sa mission <strong>de</strong><br />

faire voir en quoi ces modèles pouvaient être danger<br />

eus? Faut-il en conclure que le mérite <strong>du</strong> Tasse<br />

lui eût échappé? 11 y revient dans F Art peéêiqm,<br />

à propos <strong>de</strong> l'intervention <strong>du</strong> diable et <strong>de</strong> l'enfer<br />

<strong>de</strong>s chrétiens, qu'il veut exclura <strong>de</strong> l'épopée mo<strong>de</strong>rne.<br />

Je crois cette prohibition beaucoup trop<br />

rigoureuse, et je ne condamnerai dans le Tasse que<br />

l'usage trop répété <strong>de</strong> ce moyen, et quelquefois.


SIÈCLE DE LOUIS<br />

avec peu d'effet. Mali enta, voici comme Despréaux<br />

i v XIV. v- POESIE. mi<br />

Un siècle entier <strong>de</strong> proscription a prouvé que Voi­<br />

eiprïme sur lui : .<br />

ture n v est point un auteur si charmant,<br />

Mîpmr »ifl« èmux imité mniéM iijmUwtmt,<br />

U Taise, dlra-t-on, Pi Mt avee meeès ;<br />

Je ne veux point Ici <strong>la</strong>i faire aon procès ;<br />

Mail, quoi que notre tiè<strong>de</strong> à sa gloire publie,<br />

E n'eût point <strong>de</strong> son livre ff<strong>la</strong>strt VltaUe,<br />

Si son sage héros, toujours en oraison f<br />

N'eût fait que mettre enfin Satan à <strong>la</strong> raison f<br />

Et il Renaud, Ajrgaatf Tsnerè<strong>de</strong> et sa maîtresse<br />

retissent <strong>de</strong> son sujet égayé <strong>la</strong> tristesse.<br />

Is ont fait plus; ils Font enrichi d'en grand Intérêt.<br />

Maïs ces vers esin se sont-ils pas us éloge <strong>du</strong><br />

Tasse? Boileau conviait que sou livre a Utasiré<br />

iltalie; il rend témoignage à m gMre; il *• <strong>la</strong><br />

dément pas; il explique sur quoi elle est fondée,<br />

et son eiplication est très-judicieuse. ¥eut-on savoir<br />

quel est sur ce môme poète l'avis d'us <strong>de</strong> ses<br />

plus zélés partisans, <strong>de</strong> Voltaire? Précisément eelui<br />

<strong>de</strong> Boileau : il p<strong>la</strong>ce le Tasse après Virgile.<br />

De faux bril<strong>la</strong>nts, trop ée magie t<br />

Mettent le Tasse on cran plus bas.<br />

Mais que ne tolère-tron pas<br />

Wmm Armi<strong>de</strong> et pour Menainle?<br />

Toutes ces considérations peuvent Justiier suffisamment<br />

l'avis <strong>de</strong> Boileau, mais pas tout à fait 1e<br />

vers dont on se p<strong>la</strong>int. Le Tasse, malgré ses dé&uts,<br />

est un si grand poète , qu'il ne fal<strong>la</strong>it pas le nommer<br />

à côté <strong>de</strong> Virgile uniquement pour saeriter l'un à<br />

l'autre; et je conviens avec M. Mar<strong>mont</strong>el que ce<br />

n'est pas là savoir admêrer le TUsse.<br />

Mais est-il vrai, comme l'avance le même auteur,<br />

• Le leeteur ne sait pi» admirer dans Voltare s<br />

De ton froid Jeu <strong>de</strong> mots l'insipi<strong>de</strong> figure.<br />

Cest à regret qu'on volt cet auteur si charmant,<br />

Et pour mille beau traita vanté si Justement,<br />

ÛMt toi toujours chanhant quelque 1MSM algue, ttc.<br />

S'il Tétait, on le lirait; mais on ne le lit pas, on ne<br />

peut pas le lire, parce qu'à peu <strong>de</strong> chose près il est<br />

fort esnuyeui, quoiqu'il ait eu <strong>de</strong> l'esprit, et môme<br />

qu'il n'ait pas été inutile; mais il n'avait proprement<br />

que <strong>de</strong> l'esprit <strong>de</strong> société, et celui-là ne vaut rien<br />

dans un livre.<br />

Enin 9 pour achever <strong>la</strong> liste <strong>de</strong> tous les péchés <strong>de</strong><br />

Boileau, il n'a point nommé <strong>la</strong> Fontaine dans son<br />

Jrt poétique; et Ton aura peut-être plus <strong>de</strong> peine<br />

à lui pardonner ce silence que tous Ses arrêts contre<br />

lesquels on a réc<strong>la</strong>mé. Ce n'est certainement pas<br />

faute d'avoir senti le talent <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine : heureusement<br />

sous avons une dissertation sur loc&n<strong>de</strong><br />

qui en fait foi. On a imprimé tout récemment qu'p<br />

n'avait pu parler <strong>de</strong> ses fables, parce qu'elles n'avaient<br />

para qu'en 1678, cinq ans après FJri poétique*<br />

Mais une apologie si mauvaise <strong>de</strong> tout point<br />

<strong>mont</strong>re seulement avec quelle légèreté Ton prononce<br />

aujourd'hui sur tout, et combien ceux qui parlent<br />

<strong>de</strong> <strong>littérature</strong> dans les journaux sont sujets à ignorer<br />

les faits les plus aisés à constater. D'abord, sur <strong>la</strong><br />

date on s'est trompé <strong>de</strong> dix ans : les six premiers<br />

livres <strong>de</strong>s Fables ont para en 1668, dédiés au Dauphin,<br />

ils <strong>de</strong> Louis XIV : et <strong>de</strong> plus, quand elles<br />

n'auraient été publiées qu'après <strong>la</strong> première édition<br />

<strong>de</strong> l'Art poétique, qui aurait empêché Boileau- d'en<br />

qu'il confondit Lucain avec Brébeuf, dam $m méfaire<br />

mention dans les autres éditions qui se sont -<br />

pris pastr ta Pkarsakt Je n'en vois nulle part <strong>la</strong> suivies <strong>de</strong> son vivant? La fable et <strong>la</strong> Fontaine ne<br />

preuve. 11 n'a nommé Lucain qu'une seule fols ; <strong>de</strong>vaient-Ils pas fournir à un poërae didactique un<br />

Tel s'est fait par ses vers distinguer dans <strong>la</strong> ville, article intéressant et même nécessaire? Il est très-<br />

Qui Jamais <strong>de</strong> Lucain n'a distingué vlrgHe,<br />

probable que 1* vraie cause <strong>de</strong> cette étrange omis-<br />

Cest énoncer simplement <strong>la</strong> disproportion qu'il y<br />

soin fut <strong>la</strong> crainte <strong>de</strong> dép<strong>la</strong>ire à Louis XIV, dont <strong>la</strong><br />

« entre eux <strong>de</strong>ux; et quoique Lucain, mort trèspiété<br />

très-scrupuleuse avait été fort scandalisée <strong>de</strong>s<br />

Jeune, eût <strong>mont</strong>ré un grand talent, son poème est<br />

Contes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine, et dont l'opinion sur ce<br />

si défectueux, qu'on ne peut faire un crime à Boileau<br />

point était fortiiée par un rigorisme qu'on affichait<br />

<strong>de</strong> l'avoir mis à une gran<strong>de</strong> distance <strong>de</strong> Y Enéi<strong>de</strong> :<br />

surtout à <strong>la</strong> cour. C'est là probablement le motif<br />

mais d'ailleurs il n'en parle nulle part avec mépris.<br />

qui it taire Boileau; mais'ce motif n'est pas une<br />

M mit Horace à côté <strong>de</strong> Foitmre, et c'est un <strong>de</strong><br />

eicuse.<br />

ses plus grands torts. Je sais qu'il était fort jeune, Je n'ai déguisé aucune <strong>de</strong>s accusations portées<br />

et que <strong>la</strong> voix publique l'entraîna; mais-celui que contre lui, et j'ai tâché <strong>de</strong> les exposer sous leur vrai<br />

. <strong>la</strong> grandi réputation <strong>de</strong> Chape<strong>la</strong>in ne put sé<strong>du</strong>ire point <strong>de</strong> vue, leur <strong>la</strong>issant ce qu'elles avaient <strong>de</strong><br />

ni intimi<strong>de</strong>r <strong>de</strong>vait-Il être <strong>la</strong> <strong>du</strong>pe <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> Voi­ réel, et modérant ce qu'elles avaient d'outré. Il en<br />

ture? Voltaire prétend qu'il rétracta ses éloges : résulte qu'il a quelquefois poussé <strong>la</strong> sévérité trop<br />

non; il les restreignit, et ce n'était pas assez. Il dit loin, et qu'il n'a été trop comp<strong>la</strong>isant qu'une seule<br />

dans te satire sur l'Équivoque :<br />

fois : cette disproportion peut assez naturellement<br />

se trouver dans un satirique <strong>de</strong> profession. C'est par<br />

cette raison, sans doute, que M. Mai-mortel te taie<br />

d'avoir été un critique peu sensible. Il le fut trop<br />

pu, il est vrai, pour te Tasse et Quinault, mais non


698<br />

pas pour <strong>la</strong>eine et Molière, Avec quel intérêt il<br />

parle <strong>de</strong> notre graod comique dam soe Épîire à<br />

Racine!<br />

Avant qu'ira peu d€ ferre, obtenu par prière,<br />

Four Jamais sous <strong>la</strong> tombe eût enfermé Molière,<br />

Mille <strong>de</strong> ses beaux traits, aujourd'hui si vantés,<br />

Furent <strong>de</strong>s sots esprits à nos yeux rebutés,<br />

L'ignorance et l'erreur, à ses naissantes pièces,<br />

Eu babils <strong>de</strong> marquis f en robes <strong>de</strong> comtesses,<br />

YeuMeuf pour diffamer son chef-d'œuvre nouveau,<br />

Et secouaient ia tête à rendrait le plus beau.<br />

Le comman<strong>de</strong>ur vou<strong>la</strong>it <strong>la</strong> scène pins exacts;<br />

Le vicomte indigné sortait au second acte.<br />

L'as, défenseur zélé <strong>de</strong>s bigots mis en Jeu,<br />

Pour prix <strong>de</strong> ses bous mots le condamnait au feu;<br />

L'autre, fougueux marquis, Soi déc<strong>la</strong>rant <strong>la</strong> guerre,<br />

Vou<strong>la</strong>it venger <strong>la</strong> cour immolée au parterre.<br />

Mais sitôt que d'un trait <strong>de</strong> ses fatales mains<br />

La Parque font rayé <strong>du</strong> reste <strong>de</strong>s humains,<br />

On reconnut le prix <strong>de</strong> sa muse éclipsée.<br />

L'aipable comédie, avec M terrassée,<br />

En vain d'un coup si ru<strong>de</strong> espéra revenir,<br />

Et sur ses bro<strong>de</strong>quins ne put ptm se tenir.<br />

L'époque <strong>de</strong> cette épftre fait autant d'honneur à<br />

Boileau que l'épttre même : elle fut adressée à Ra*<br />

ciné au moment où <strong>la</strong> cabale a?ait fait abandonner<br />

Phêdrê» et accumu<strong>la</strong>it contre <strong>la</strong> pièce et l'auteur<br />

les critiques et les libelles. Boileau seul tint ferme<br />

contre l'orage, et voulut rendre publique sa protestation<br />

contre l'injustice. Il était l'ami <strong>de</strong> Racine,<br />

dira-t-on. Son courage n'en est pas moins digne d'éloges.<br />

U est si rare qu'en pareille occasion l'amitié<br />

fasse tout ce qu'elle doit faire, surtout l'amitié <strong>de</strong>s<br />

gens <strong>de</strong> lettres! et je parle <strong>de</strong> ceux qui méritent ce<br />

nom, <strong>de</strong> ceux qui ont le plus <strong>de</strong> droits à l'estime<br />

générale. C'est une vérité triste, mais trop prouvée :<br />

on peut appliquer aux lettres ce mot <strong>de</strong> l'Évangile :<br />

Les enfants <strong>de</strong> ténèbres sont plus éc<strong>la</strong>irés sur leurs<br />

intérêts qm les enfants <strong>de</strong> lumière. Voyez comme<br />

les mauvais auteurs font cause commune, comme<br />

ils se soutiennent les uni les autres, comme ils se<br />

prodiguent réciproquement les plus gran<strong>de</strong>s louanges<br />

sur les plus misérables pro<strong>du</strong>ctions, quels<br />

efforts on fait pour relever <strong>de</strong>s pièces proscrites également<br />

à <strong>la</strong> cour et à <strong>la</strong> ville! Mais à quoi doit s'attendre<br />

ordinairement celui qui donne un bon outrage,<br />

celui dont on peut craindre <strong>la</strong> supériorité?<br />

Que ses ennemis en diront bien haut tout le mal<br />

qu'ils n'en pensent pas, et que ses amis- es diront<br />

tout bas beaucoup moins <strong>de</strong> bien qu'ils n ? en pensent.<br />

Us ne diront pas une sottise ridicule 1 , mais ils<br />

ne diront pas non plus <strong>la</strong> vérité décisive. Ils suivront<br />

tout doucement le public, mais ils ne le <strong>de</strong>vanceront<br />

pas; sans contrarier son mouvement, ils ne feront<br />

rien pour l'accélérer. Tel est le cœur humain : on<br />

n'aime point à voir ses confrères <strong>mont</strong>er d'un <strong>de</strong>gré.<br />

Et quand l'homme <strong>de</strong> talent y parvient, à qui le doitil?<br />

Au publie indifférent; quisà <strong>la</strong> longue, est tou-<br />

COU1S DE LITTÉSATCIE.<br />

jours juste. Souvent il le serait plus tôt, s'il «fat»<br />

dait une voix faite pour le déci<strong>de</strong>r ; souvent il m faut<br />

qu'on homme accrédité peur <strong>mont</strong>rer fa vérité<br />

à ceux qui sont prêts i <strong>la</strong> suivre : mais qui veut<br />

prendre sur lui d'être cet homme? Quand on abandonna<br />

Brutus, que firent les beaux-esprits <strong>du</strong> temps,<br />

ceux mêmes que Voltaire appe<strong>la</strong>it ses amist Ils lui<br />

conseillèrent <strong>de</strong> renoncer au théâtre. Quand oa siff<strong>la</strong>it<br />

Adé<strong>la</strong>ï<strong>de</strong>, qui prit sa défense? qui voulut être<br />

le vengeur <strong>du</strong> talent, et le gui<strong>de</strong> <strong>du</strong> publie impartial<br />

? Boileau fut cet homme pour Racine : aussi<br />

contribua-t-il beaucoup à <strong>la</strong> résurrection <strong>de</strong> Phèdre,<br />

Au milieu <strong>du</strong> déchaînement universel, il osa dire à<br />

l'illustre auteur :<br />

Que peut contra tes ven une Ignorance vaine?<br />

Le Parnasse français ennobli par ta veine t<br />

Contre tous ces complots saura te maintenir,»<br />

Et soulever pour toi l'équitable avenir.<br />

Èh ! qui, voyant un jour <strong>la</strong> douleur vertueuse<br />

De Phèdre malgré sol perfi<strong>de</strong>, incestueuse,<br />

D'un si noble travail justement étonné,<br />

Ne bénira d'abord le siècle fortuné<br />

Qui, ren<strong>du</strong> plus fameux par tes Illustres refi<strong>la</strong>s,<br />

Vit naître sous ta main ces pompeuses mervcilta?<br />

App<strong>la</strong>udissons à ce <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> lVunitié prononçant<br />

les arrêts <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice.<br />

Après avoir examiné ce que sont ses satires m<br />

<strong>littérature</strong>, faudra-t-il les justifier'en morale? On<br />

sait combien, sous ce rapport, êtes furent attaquées<br />

dans le <strong>de</strong>rnier siècle : elles ne font pas été moins<br />

dans celui-ci. On n'a plus cherché à intéresser dans<br />

cette cause l'État et <strong>la</strong> religion, parce qu'il ne Vagissait<br />

plus <strong>de</strong> perdre l'auteur; mais on a mis en<br />

avant cet esprit <strong>de</strong> société dont on abuse aujounTbiû<br />

en tous sens. On a dit qu'il n'était pas permis ? fil<br />

n'était pas honnête, d'affliger l'amour-propre d'autrui.<br />

Ce principe est vrai en lui-même; il est <strong>la</strong><br />

base <strong>de</strong> toutes les convenances sociales. Mais comment<br />

n'a-t-oa pas vu que l'exception (et il y en a<br />

dans,tout) se présentait d'elle-même dans on cas<br />

où l'on commence par se p<strong>la</strong>cer hors <strong>de</strong> l'ordre commun<br />

9 et par mettre volontairement son amour-propre<br />

en compromis ? Que fait tout homme qui rend<br />

le public juge <strong>de</strong> ses talents?-Ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong>-t-ii pas<br />

<strong>de</strong>s louanges? et peut-il les <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r sans se soumettre,<br />

par une conséquence nécessaire, à <strong>la</strong> condition<br />

d'encourir le blâme? Je vous aurais loué, si<br />

vous m'eussiez satisfait : j'ai donc le droit <strong>de</strong> vous<br />

condamner, si je suis mécontent. 11 n'y a personne<br />

qui ne soit autorisé à raisonner ainsi avec ne auteur.<br />

Tout homme est obligé <strong>de</strong> ¥ivre en société :<br />

il doit donc s'attendre à y trouver tous <strong>la</strong> ménagements<br />

qu'il doit aux autres. Mais personne n'est<br />

obligé d'écrire; donc tout le mon<strong>de</strong> est es droit <strong>de</strong><br />

lui dire ; Vous n'écrive! pas bien. CTest une gsgwrt


SIÈCLE DI LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

que TOUS soutenez : tous ne pouvez pas <strong>la</strong> gagner<br />

•ans vous exposer à <strong>la</strong> perdre.<br />

Qu'on s'objecte pas que le publie seul a le droit<br />

<strong>de</strong> juger. C'est ici ne abus <strong>de</strong> mots : <strong>la</strong> voii <strong>du</strong> publie<br />

m peut se composer que <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> chaque indivi<strong>du</strong><br />

i et chacun peut donner <strong>la</strong> sienne. Le public<br />

prononce en corps lorsqu'il est rassemblé ; mais il<br />

ne Test pas toujours , à beaucoup près ; et pour lors<br />

chacun peut donner sa voix en particulier, comme il<br />

<strong>la</strong> donnerait avec tous les autres.<br />

On insiste : Est-il permis d'imprimer contre<br />

quelqu'un ce que <strong>la</strong> politesse ne permettrait pas <strong>de</strong><br />

dire en face? Le poète satirique répondra ; C'est<br />

précisément parce que je parle au public que je ne<br />

suis plus en société. L'auteur a donné son ouvrage,<br />

et je donne mon avis, chacun <strong>de</strong> nous à ses risques<br />

et fortunes : tout est égal. Le public est juge; et<br />

dans tout ce<strong>la</strong> il n 9 y a rien contre <strong>la</strong> morale.<br />

lu reste, j'aurais pu renvoyer sur cet objet à<br />

Boileau lui-même, dans <strong>la</strong> préface <strong>de</strong> ses Satires :<br />

<strong>la</strong> question y est soli<strong>de</strong>ment discutée, et sa justification<br />

établie sur les meilleures raisons. S'il était besoin<br />

d'y joindre Une autorité imposante, en est-il<br />

une que Ton pût préférer à celle <strong>du</strong> célèbre Arnauld ?<br />

Le patriarche <strong>du</strong> jansénisme ne manquait sûrement<br />

ni <strong>de</strong> sévérité ni <strong>de</strong> lumières. Yoici comme il s'énonce<br />

dans sa lettre à Perrault, où il prend contre lui <strong>la</strong><br />

défense <strong>de</strong>s satires <strong>de</strong> Despréaux.<br />

« Les guerres entre les auteurs passent pour Innocentes<br />

quand elles ne s'attachent qu'à ce qui regar<strong>de</strong> <strong>la</strong> critique<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>littérature</strong>9 U grammaire, Sa poésie, l'éloquence<br />

f et que Foi n'y môle point <strong>de</strong> calomnies et d'injures<br />

personnelle». Or; que fait antre chose M. Despréaus à<br />

regard <strong>de</strong> tous les poêles qu'il a nommés dans ses satires,<br />

Chape<strong>la</strong>in 9 Goun f Pradon f Corts et antres , sinon d'en dire<br />

MO jugement t et d'avertir le publie que ce ne sont pas <strong>de</strong>s<br />

modèles à imiter ? m qm peut être <strong>de</strong> quelque attifé pour<br />

faire éviter leurs défauts, et peut contribuer même à Sa<br />

gloire <strong>de</strong> U nation, à qui les ouvrages d'esprit fout honneur<br />

quand ils sont bien faits; comme, au contraire, c'a été un<br />

déshonneur à <strong>la</strong> France d'avoir fait tant d'estime <strong>de</strong>s pitoyables<br />

poésies <strong>de</strong> Ronsard. » •<br />

Et ¥oilày en effet, le bien que it aux lettres eel<br />

homme dons on veut nier Yinfluence. Il parut au<br />

moment où il était le plus nécessaire, et pouvait <strong>de</strong>-<br />

Yenir le plus utile. Les modèles ne faisaient que <strong>de</strong><br />

naître : nous les voyons aujourd'hui dans l'élévation<br />

où le temps les a p<strong>la</strong>cés ; mais il faut les voir à cette<br />

première époque y exposés à <strong>la</strong> concurrence, <strong>de</strong>vant<br />

un public qui flottait encore entre le bon et le mauvais<br />

goût. Il faut songer que les pièces <strong>de</strong> Montfleurj<br />

ba<strong>la</strong>nçaient celles <strong>de</strong> Molière y que les tragédies die<br />

Thomas Corneille avaient <strong>de</strong>s succès aussi grands<br />

et plus grands que celles <strong>de</strong> Racine. Il faut se rap-<br />

699<br />

peler m qu'était Chape<strong>la</strong>in! regardé comme l'oracle<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> $ nommé par le roi pour être distributeur<br />

<strong>de</strong> ses grâces 9 honneur dangereux, qui <strong>de</strong>puis<br />

n'a été accordée personne, et que même aujourd'hui<br />

personne f à ce que j'imagine 9 n'oserait<br />

accepter. Cotin régnait à l'hôtel <strong>de</strong> Rambouillet, et<br />

avait <strong>du</strong> crédit à <strong>la</strong> cour, où il s'en servait contre<br />

Molière. Quelle sorte <strong>de</strong> bien pouvait faire alors un<br />

jeune poêle, qui avait assez <strong>de</strong> talent pour écrire<br />

très-bien en vers ; assez <strong>de</strong> goût pour juger ceui <strong>de</strong>s<br />

autres $ assez <strong>de</strong> hardiesse et <strong>de</strong> véracité pour énoncer<br />

son opinion? A quoi pouvait servir <strong>la</strong> réputation<br />

qu'il obtint <strong>de</strong> bonne heure par ses premières<br />

satires ? A diriger le jugement <strong>de</strong> <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> s qui<br />

croit volontiers l'auteur qu'elle lit aveejp<strong>la</strong>isir, à lui<br />

<strong>mont</strong>rer <strong>la</strong> distance <strong>de</strong> Molière à Montleury , es<br />

célébrant l'un et renvoyant l'autre<br />

âQI <strong>la</strong>quais isseniMés jouer s#s masntadii ;<br />

à marquer l'intervalle entre Racine et Thomas Corneille,<br />

en exaltant l'un et se taisant sur l'autre; ramener<br />

les esprits à <strong>la</strong> justice, en se moquant <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Phèdre qu'on app<strong>la</strong>udissait, et consacrant celle que<br />

l'on censurait; à opposer le ridicule au crédit et à <strong>la</strong><br />

renommée <strong>de</strong> Chape<strong>la</strong>in. Nous croyons aujourd'hui<br />

qu'un poëme tel que <strong>la</strong> PmeMe n'avait besoin <strong>de</strong><br />

personne pour tomber. Point <strong>du</strong> tout : on en it sli<br />

éditions en dix-huit mois. Il ennuyait tout le mon<strong>de</strong>,<br />

maison n'osait pas le dire. La crainte retenait les<br />

gens <strong>de</strong> lettres, qui voyaient dans sa main toutes<br />

les récompenses; le préjugé arrêtait les gens <strong>du</strong><br />

mon<strong>de</strong>, qui n'osaient attaquer une si gran<strong>de</strong> réputation.<br />

Furetière seul eut cette confiance; mais il<br />

} n'avait pas celle <strong>du</strong> public. Quand Fauteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pu-<br />

cette m it <strong>la</strong> lecture chez le grand Coodé, <strong>de</strong>vant<br />

tout ce qu'il y avait <strong>de</strong> plus distingué dats les <strong>de</strong>nt<br />

sexes à <strong>la</strong> cour et à <strong>la</strong> ville, tout le mon<strong>de</strong> m récriait,<br />

Que ce<strong>la</strong> e$t beau! Madame <strong>de</strong> Lougueville dit tout<br />

bas à l'oreille <strong>du</strong> prince, Oui, ce<strong>la</strong> esi beau, mais<br />

ce<strong>la</strong> esi bien ennuyeux :etce mot, qui courut,<br />

passa pour une singu<strong>la</strong>rité <strong>de</strong> madame <strong>de</strong> Longueville.<br />

Notez qu'elle n'osa pus dire que ce<strong>la</strong> ne fût pas<br />

beau; elle n'eut que le bon esprit <strong>de</strong> s'ennuyer, et <strong>la</strong><br />

bonne foi d'en convenir. Tout le mon<strong>de</strong> n'est pas<br />

<strong>de</strong> même : nos jugements dépen<strong>de</strong>nt si fort <strong>de</strong> ceux<br />

d'autrui ! on se <strong>la</strong>isse si aisément entraîner au mouvement<br />

général ! Mais quand un poète tel que Despréaux<br />

it voir ks <strong>du</strong>rs vers <strong>de</strong> Chape<strong>la</strong>in, sans<br />

force et sans grâœ, enflés a"épMMte$, wtontés sur <strong>de</strong><br />

grands mots comme swr <strong>de</strong>s éckasses; quand il se<br />

moqua <strong>de</strong> sa muse aMemam<strong>de</strong> m français, tout le<br />

mon<strong>de</strong> fat <strong>de</strong> son avis. Ce<strong>la</strong> n'était pas f comme le<br />

remarqueront peut-être <strong>de</strong>s hommes profonds, fort


700<br />

COU1S DE LFpÉMTUEE.<br />

important pour l'État. Oui : mais ce<strong>la</strong> n'était pas<br />

indifférent au bon goût.<br />

11 contenait à celui qui a?ait m faire Justice <strong>de</strong>s<br />

mauvais auteurs , et <strong>la</strong> rendre aux boos9 <strong>de</strong> iier<br />

les principes dont ses divers jugements n'étaient que<br />

les conséquences : c'est ce qui lui restait à faire<br />

dans l'Art poétique. Cet excellent outrage, un <strong>de</strong>s<br />

beaui monuments <strong>de</strong> notre <strong>la</strong>ngue, est <strong>la</strong> preuve<br />

<strong>de</strong> ce que j'ai eu occasion d'établir plus d'une fois,<br />

qu'en général <strong>la</strong> saine critique appartient au irai<br />

talent $ et que ceux qui peuvent donner <strong>de</strong>s modèles<br />

sont aussi ceux qui donnent les meilleures leçons.<br />

C'était à Cicéron et à Quïntilien à parler <strong>de</strong> "l'éloquence;<br />

ils étaient <strong>de</strong> grands orateurs : à Horace et<br />

à Despréaux <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie; ils étaient <strong>de</strong><br />

grands'poètes. Que ceux qui tentent écrire en vers<br />

méditent l'Art poétique <strong>de</strong> l'Horace français, ils y<br />

trouveront marqué, d'une maki également sûre, le<br />

principe <strong>de</strong> toutes les beautés qu'il faut chercher,<br />

celui <strong>de</strong> tous les défauts dont il faut se garantir.<br />

C'est une légis<strong>la</strong>tion parfaite dont l'application se<br />

troute juste dans tous les cas, un co<strong>de</strong> Imprescriptible<br />

dont les décisions sertiront à jamais à satoir<br />

m qui doit être condamné, ce qui doit être app<strong>la</strong>udi.<br />

Nulle part Fauteur n'a mieux fait voir le jugement<br />

exquis dont <strong>la</strong> nature l'avait doué. Ceux qui ont<br />

étudié fart d 9 écrire, qui en connaissent, par une<br />

expérience journalière, les secrets et les difficultés,<br />

peuvent attester combien ils sont frappés <strong>du</strong> grand<br />

sens renfermé dans cette foule <strong>de</strong> fers aussi bien<br />

pensés qu'heureusement exprimés, et détenus <strong>de</strong>puis<br />

longtemps les axiomes <strong>du</strong> bon goût. Il serait<br />

bien injuste qu'ils perdissent <strong>de</strong> leur mérite parce<br />

que le temps nous les a ren<strong>du</strong>s familiers, ou parce<br />

que <strong>de</strong> grands modèles les avaient précédés. L'exemple<br />

ne rend pas le précepte inutile : ils se fortifient<br />

l'un par l'autre. L'exemple <strong>du</strong> bon est toujours<br />

combattu par celui <strong>du</strong> mauvais, surtout quand le<br />

bon ne fait que <strong>de</strong> naître. Tous les'esprits ne sont pas<br />

également propres à en foire <strong>la</strong> distinction ; <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong><br />

est facile à égarer ; <strong>la</strong> perfection est sévère s<br />

le faux esprit est sé<strong>du</strong>isant, le mauvais goût est contagieux.<br />

Bans cette lutte continuelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité et<br />

<strong>de</strong> Terreur, l'homme dont <strong>la</strong> main est assez sûre pour<br />

poser <strong>la</strong> limite immuable qui les sépare, l'homme qui<br />

nous <strong>mont</strong>re le but, nous indique <strong>la</strong> véritable route,<br />

nous détourne <strong>de</strong>s chemins trompeurs, nous marque<br />

lesécueils, ne rend-il pas un service important?<br />

n'est-il pas le bienfaiteur <strong>de</strong>s arts? Accordons que<br />

tArt poétique n'ait pu rien apprendre à un Bacine,<br />

quoique le plus grand talent puisse toujours apprendre<br />

quelque chose d'un bon esprit, il aura toujours<br />

foit in bien très-essentiel, celui d'enseigner I tout<br />

le mon<strong>de</strong> pourquoi Incise est admirable. En disant<br />

ce qu'il fal<strong>la</strong>it faire, il apprenait à juger celui qui<br />

avait bien fait, à le discerner <strong>de</strong> celui qui faisait<br />

mal. En resserrant dans <strong>de</strong>s résultats lumineux toutes<br />

les règles principales <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie, <strong>de</strong> <strong>la</strong> comédie,<br />

<strong>de</strong> l'épopée, et <strong>de</strong>s autres genres <strong>de</strong> poésie; en<br />

renfermant tous les principes <strong>de</strong> l'art d'écrire dans<br />

<strong>de</strong>s vers parfaits et faciles à retenir, il <strong>la</strong>issait dans<br />

tous les esprits <strong>la</strong> mesure qui <strong>de</strong>vait sertir à régler<br />

leurs jugements; il rendait familières au plus grand<br />

nombre ces lois avouées par <strong>la</strong> raison <strong>de</strong> tous les<br />

siècles, et par le suffrage <strong>de</strong> tous les hommes<br />

éc<strong>la</strong>irés; il dirigeait l'estime et le blâme. Et s'il est<br />

vrai que l'empire <strong>de</strong>s arts ne peut 9 comme tous les<br />

autres, subsister sans une police à peu près généralement<br />

reçue, sans <strong>de</strong>s lois qui aient une sanction<br />

et un effet, quoique souvent violées, comme ailleurs<br />

; sans une espèce d'hiérarchie qui établisse <strong>de</strong>s<br />

rangs, <strong>de</strong>s honneurs et <strong>de</strong>s distinctions; l'écrivain<br />

qui a contribué plus que personne à fon<strong>de</strong>r cet ordre<br />

nécessaire, qui fut, il y a .cent ans, le premier<br />

légis<strong>la</strong>teur <strong>de</strong> <strong>la</strong> république <strong>de</strong>s lettres, et qu'aujourd'hui<br />

elle reconnaît encore sous ce titre, ne<br />

mérite-t-il pas une éternelle reconnaissance?<br />

L'Art poétique eut à peine para, qu'il It <strong>la</strong> loi,<br />

non-seulement en France, mais chez tes étrangers,<br />

qui le tra<strong>du</strong>isirent. Son influencé n'y fut pas ? à beaucoup<br />

près, si sensible que parmi nous; mais dans<br />

toute l'Europe lettrée 9 les esprits les plus judicieux<br />

en approuvèrent <strong>la</strong> doctrine. On peut bien croire<br />

qu'il excita <strong>la</strong> révolte sur le bas Parnasse : par tout<br />

pays les mauvais sujets n'aiment pas qu'on fasse <strong>la</strong><br />

police. Mais ce fut en tain qu'on l'attaqua ; <strong>la</strong> raison<br />

en beaux vers a un grand empire. La bonne compagnie<br />

sut bientôt pair cœur ceux <strong>de</strong> Boileau f et îi fallut<br />

s'y soumettre. Les rapsodies qu'on appe<strong>la</strong>it poèmes<br />

épiques, et qui avaient encore'<strong>de</strong> nombreux<br />

défenseurs, n'en eurent plus dès ce moment, et l'on<br />

n'appe<strong>la</strong> point <strong>de</strong> l'arrêt qui les condamnait au néant.<br />

Le règne <strong>de</strong>s pointesY>déjà fort ébranlé, tomba entièrement<br />

au théâtre,' au barreau et dans <strong>la</strong> chaire 9<br />

et Ton contint, avec Despréaux, <strong>de</strong> rentoyer à<br />

l'Italie<br />

De foui est bux sel<strong>la</strong>nts Fédataste Mie*<br />

Le btlrlesqne, qui avait entant <strong>de</strong> vogue y fut frappé<br />

d'un coup dont il ne se releva pas, malgré Desmarets<br />

et d'Assouey, qui jetaient les hauts cris, et prétestdaient<br />

que Boileau n'atait décrié le burlesque que<br />

parce qu'il n'était pas en état d'en faire. La province<br />

n'admira plus le l^pkon, ni VOwuM en beik humeur;<br />

et le bon d'Assoucy, témoin <strong>de</strong> cette déroute, d'Assoucy<br />

, qui s'intitu<strong>la</strong>it emperem en burkêqm, prit


te*** djmpnmer «arment : Si le burlesquene<br />

î f ^ *»«*»•. c '•* 9 Scamm a cessé <strong>de</strong><br />

*%*>«? e f ai "*'


703<br />

possible. Ce morceau 9 récité <strong>de</strong>vant Louis XIV, it<br />

sur lui une impression sensible, et défait <strong>la</strong> faire :<br />

plus un grand cœur aime <strong>la</strong> louange, plus il goûte<br />

fixement celle qui est apprêtée a?ee un art qui dispense<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> repousser. Au reste, Boileau, en se<br />

vantant <strong>de</strong> parler comme'l'histoire, ne disait rien<br />

qui ne fût vrai. Ce poète, qu'on accuse <strong>de</strong> manquer<br />

<strong>de</strong> philosophie, en eut assez pour louer un roi conquérant,<br />

bien moins sur ses victoires que sur les<br />

réformes salutaires et les établissements utiles que<br />

- Ton <strong>de</strong>vait à <strong>la</strong> sagesse <strong>de</strong> sou gouvernement. Peutêtre<br />

y avait-il quelque courage à dire au vainqueur<br />

<strong>de</strong> l'Espagne, au conquérant <strong>de</strong> <strong>la</strong> Franche-Comté<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> F<strong>la</strong>ndre :<br />

Il at plus d'une golfe. En ¥ifa aux conquérants<br />

L'erreur, parmi les rois, donne les pentes rasp;<br />

Entre les grands héros ce sont les plus vulgaires.<br />

Chaque tiè<strong>de</strong> «I fécond en heureux téméraires ,<br />

Chaque dlnial pro<strong>du</strong>it <strong>de</strong>s favoris <strong>de</strong> Mars;<br />

La Seine a <strong>de</strong>s Bourbons, te Tibre a <strong>de</strong>s Césars»<br />

On a vu mille fols <strong>de</strong>s fanges méotl<strong>de</strong>s<br />

Sortir4es conquérants, Goths, Vandales, Gépl<strong>de</strong>s :<br />

Mais un roi vraiment roif qui s sage en ses projeta,<br />

Sache en un calme heureux maintenir ses sujets,<br />

Qui <strong>du</strong> bonheur publie ait cimenté sa gloire,<br />

M faut pour te trouver courir toute l'histoire ;<br />

La terre compte peu <strong>de</strong> cet rois bienfaisants ;<br />

Le ciel à les former se prépare longtemps.<br />

COU1S MB LITTÉEATU1E.<br />

Assez d'antres sans mol, d'un style motus timi<strong>de</strong>,<br />

Suivront aux champs <strong>de</strong> Mars ton courage rapi<strong>de</strong>,<br />

Iront <strong>de</strong> ta valeur effrayer l'univers, , ,<br />

Et camper <strong>de</strong>vant Me au milieu <strong>de</strong>s hivers.<br />

Pour moi, loin <strong>de</strong>s combats, sur un ton moins terjtbte,<br />

Je dirai les exploits <strong>de</strong> ton règne paisible,<br />

le peindrai les p<strong>la</strong>isirs en foute renaissants,<br />

Les oppresseurs <strong>du</strong> peuple à leur tour gémissants.<br />

On verra par quels soins ta sage prévoyance t<br />

Au fort <strong>de</strong> <strong>la</strong> famine, entretint l'abondance.<br />

' On verra les abus par ta main réformés ;<br />

La licence et l'orgueil en tous lieux réprimés;<br />

Du débris <strong>de</strong>s traitants ton épargne grossie;<br />

Des subsi<strong>de</strong>s affreux <strong>la</strong> rigueur adoucie;<br />

Le soldat dans <strong>la</strong> paix sage et <strong>la</strong>borieux ;<br />

Hos artisans grossiers ren<strong>du</strong>s iû<strong>du</strong>strteuxf<br />

Et nos voisins frustrés <strong>de</strong> ces tributs servîtes<br />

Que payait à leur art le luxe <strong>de</strong> nos villes.<br />

Tantôt Je tracerai tes pompeux bâtiments,<br />

Du lolsk d'un héros nobles amusements.<br />

Fentends déjà frémir les <strong>de</strong>ux mers étonnées<br />

De voir leurs lots unis au pied <strong>de</strong>s Pyrénées, etc.<br />

Il n'y â pas un <strong>de</strong> ces ?ers qui ne rappelle un fait<br />

constaté dans l'histoire. Tout ce que <strong>la</strong> prose élo-<br />

^ifecte <strong>de</strong> Voltaire a consacré dans le Siéek <strong>de</strong> Lmds<br />

XIF, les lois, les manufactures, les canaux, <strong>la</strong> police,<br />

les trawitix publics, <strong>la</strong> diminution <strong>de</strong>s tailles,<br />

f es édilces élefés pour les arts ; tout est ici exprimé<br />

vu beaui fera. On voit dans ces morceaux et dans<br />

feeaccoif d'autres 9 non-seulement l'homme d'esprit<br />

ipl sait p<strong>la</strong>ire, le poète qui sait écrire, mais l'homme<br />

Judicieux fui choisit les objets <strong>de</strong> ses louanges, et<br />

me ? eut pas être démenti par <strong>la</strong> postérité.<br />

Si <strong>la</strong> verslleatiiia <strong>de</strong> m épltres est plu forte que<br />

celles <strong>de</strong> ses satires, elle est aussi plus douce et plus<br />

flexible. Le censeur s'y <strong>mont</strong>re moins, et l'homme<br />

s'y <strong>mont</strong>re davantage : c'est toujours le même fonds<br />

<strong>de</strong> raison; mais elle éc<strong>la</strong>ire souvent sans blesser,<br />

le reconnaît-os pas l'homme frai, l'ennemi <strong>de</strong> toute<br />

espèce d'affectation, dans ces fers à M. <strong>de</strong> Seigne<strong>la</strong>y?<br />

San cesse os prend le ma«pef et, quittant <strong>la</strong> «it«»<br />

. On craint <strong>de</strong> se <strong>mont</strong>rer ions m propre <strong>la</strong>pée,<br />

Par là le plus sinsère assez suivent dép<strong>la</strong>ît<br />

Rarement un esprit aae être m tpfi est<br />

Vols-lu cet Importun que tout le mon<strong>de</strong> évite,<br />

Cet homme à toujours fuir, qui jamais m vous quitte?<br />

il n'est pas sans esprit; mais né triste et pétant t<br />

Il vest être folâtre t évaporé t p<strong>la</strong>isacit :<br />

Il s'est fait <strong>de</strong> sa joie use loi nécessaire,<br />

Et ne dép<strong>la</strong>ît enfin que pour vouloir trop p<strong>la</strong>ire.<br />

La simplicité p<strong>la</strong>it sans étu<strong>de</strong> et sans art.<br />

Tout charme en un enflât dont <strong>la</strong> <strong>la</strong>n§ue sans fatal s<br />

• peine <strong>du</strong> fiiet eneor débarrassée,<br />

Sait d'un air innocent bégayer sa pensée.<br />

Le faux est toujours fa<strong>de</strong>, ennuyeux, <strong>la</strong>nguiwmt;<br />

Mais <strong>la</strong> nature est vraie, et d'abord on <strong>la</strong> sent :<br />

C'est elle seule en tout qu'on admire et qu'on aime.<br />

Un esprit né chagrin p<strong>la</strong>it par son chagrin même ;<br />

Chacun pris dans son air est agréable m sol;<br />

, Ce n'est que l'air d'autrui qui peut dép<strong>la</strong>ire en moi<br />

On aurait tort <strong>de</strong> prendre trop à <strong>la</strong> lettre ces ?é»<br />

rites morales, exprimées avec <strong>la</strong> précision poétique<br />

qui les rend plus piquantes. On sait bien qu'il y a<br />

<strong>de</strong>s gens qui, pour être désagréables, n'ont besoin<br />

que d'être ce qu'ils sont; mais ce<strong>la</strong> n'empêche pas<br />

que le principe général ne soit très-juste f et que<br />

tout Je morceau ne soit plein <strong>de</strong> ce bons sens que<br />

nous aimons dans les fers d'Horace. C'est lui qu'on<br />

croit lire aussi dans f épîlre sur les douceurs <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

campagne.<br />

C'est là, cher Lamoignoa, que mon esprit tataraillô<br />

Met à profit les jours que <strong>la</strong> Parque me file.<br />

Ici, dans us vallon bornant tons mes désirs,<br />

rachète à peu <strong>de</strong> tais <strong>de</strong> sol<strong>de</strong>s p<strong>la</strong>isirs.<br />

Tantôt, un livre en main, errant dans les prairie»t<br />

rœeupe ma raison d f utiles rêveries;<br />

Tantôt, etarettant <strong>la</strong> fin d'us fars qm Je eonstrat 9<br />

' le trouve au coin d'un bots le mot qui m'avait fai<br />

Quelquefois à f appât d'un hameçon perfi<strong>de</strong>,<br />

Famoree, m badinant, le poisson trop avi<strong>de</strong>;<br />

On 9 d*un plomb qui suit l'œU et part avec fée<strong>la</strong>lr,<br />

1® vais faire <strong>la</strong> guerre aux habitants <strong>de</strong> Pair.<br />

Une table au retour, propre, et non magniHqnê,<br />

Nous présente un repas agréable et MsiiqïJs.<br />

Là, sans s'assujettir au dogmes <strong>du</strong> Broussin t<br />

Tout ce qu'on boit est bon, tout ce qu'on mange extasia.<br />

£a maison le fournit, <strong>la</strong> fermière l'ordonne,<br />

Et mieux que Berpnt l'appétit fi<br />

Quand Boileau intro<strong>du</strong>it dans ses épftres ma interlocuteur,<br />

il dialogue bien mieux que dans ses<br />

satires. Il supprime tonte formule <strong>de</strong> liaisons, ces<br />

dis-tu, pmrmâs-tuf éîrms4mf qtri Tiennent si fré-<br />

^tpemment dans sa satire comète ks femmes A ailleurs<br />

, et jettent <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngueur dâ&s le style* Ymym<br />

; <strong>la</strong> conversation vm les autant s dans <strong>la</strong> satin <strong>du</strong><br />

i >Mqm*


Mais vous f pair es parier, vous y eonnâissef-voiis?<br />

Mieux que TOUS mite fols, Ht te noble en furie.<br />

Tous? Mon Bleu , raêleirvons île boira} Je vous prie,<br />

A VmmUmt mr-k-ckamp aigrement reparti»<br />

SIÈCLE DE LOUIS X!¥. — POÉSIE.<br />

Os voyait assez que c'était fauteur qui a?ait répon<strong>du</strong><br />

i et un vers entier pour le dire allonge inutilement<br />

un morceau qui doit être vif et rapi<strong>de</strong>. Ses<br />

épftres ne tombent point dans ce défaut. Quand le<br />

poète y dialogue, c'est avec <strong>la</strong> précision d'Horace :<br />

témoin l'entretien <strong>de</strong> Cynéas et <strong>de</strong> Pyrrhus, qui est<br />

un modèle en ce genre; témoin YÉpUre è M. <strong>de</strong><br />

Mwwignm dans plus cf tua endroit*<br />

•<br />

mer, dit*», <strong>de</strong> vous 01 paria dm le rai,<br />

Et


704<br />

lui donier raison, a fait une longue diatribe contre<br />

l'intervention <strong>de</strong>là Nuit et contre le hibou. Mais<br />

Saint-Marc, et eeundont il s'est fait l'apologiste,<br />

ont apparemment voulu oublier <strong>la</strong> nature <strong>du</strong> sujet;<br />

Ils n'ont pas voulu ?oir que le ^ibou igure très-convenablement<br />

avec le perruquier l'Amour et le sacristain<br />

Boiru<strong>de</strong>, qui vont, armés d'une bouteille,<br />

à <strong>la</strong> conquête d'un lutrin. Les événements sont dignes<br />

<strong>de</strong>s personnages, comme le combat <strong>de</strong>s eliantres<br />

et <strong>de</strong>s chanoines, qui se jettent à <strong>la</strong> tête tes livres<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong>rbin sur l'escalier <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sainte-Chapelle,<br />

est l'espèce <strong>de</strong> bataille qui convient à cette espèce<br />

d'épopée.<br />

Mais comment l'auteur a-t-il pu enrichir une matière<br />

si stérile, et se soutenir si longtemps avec si<br />

peu <strong>de</strong> moyens? Comment a-t-il pu faire tant <strong>de</strong><br />

beaux vers sur une querelle <strong>du</strong> chapitre? Cest là le<br />

miracle <strong>de</strong> son art. C'est à force <strong>de</strong> talent poétique;<br />

c'est en prodiguant à pleines mains le sel <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> bonne p<strong>la</strong>isanterie, en donnant à tous ses personnages<br />

une physionomie vraie et distincte, qu'il<br />

ml parvenu à transporter le lecteur au milieu d'eux,<br />

et à rattacher par <strong>de</strong>s ressorts qui, dans une main<br />

moins habile, auraient manqué d'effet. Tous ses héros<br />

ont une igure dramatique, une tête et une attitu<strong>de</strong><br />

pittoresques, et rien n'est plus riche que le<br />

coloris dont il les a revêtus. Veut-il peindre le pré<strong>la</strong>t<br />

qui repose :<br />

La Jeunesse en si fleur brille sur son visage ;<br />

Son menton sur son sein <strong>de</strong>scend à double étage,<br />

Et son corps ramassé dam sa courte grosseur<br />

Fait géf*»ti- les coussins sons sa moUe épaisseur,<br />

Ici, c'est le vieux Sidrac, conseiller <strong>du</strong> pré<strong>la</strong>t, qui<br />

s'avance dans l'assemblée :<br />

Quand Sïdrac, à qui Page allonge le chemin,<br />

Arrive dans Sa chambra un bâton à <strong>la</strong> mais.<br />

C« vieil<strong>la</strong>rd dans le chœur a déjà vu quatre âgei;<br />

Il sait <strong>de</strong> tous les temps les différents usages f •<br />

Et son rare savoir, <strong>de</strong> simple margoUlter,<br />

L'éteTt par <strong>de</strong>grés au rang <strong>de</strong> ebeveeter.<br />

Là, c'est le docteur A<strong>la</strong>in :<br />

A<strong>la</strong>in tousse et se lève, A<strong>la</strong>in, m savant homme<br />

Qui <strong>de</strong> Bauny vingt fols a lu toute <strong>la</strong> Somme,<br />

Qui possè<strong>de</strong> AbélI t qui sait tout Racosii,<br />

Et même entend, dit-on, te tatln d'àX-empls.<br />

Ce <strong>la</strong>tin, qui est celui <strong>de</strong> VImitation, est le plus facile<br />

<strong>de</strong> tous à entendre. Le poëte p<strong>la</strong>ce toujours à<br />

propos le trait comique, qui ré<strong>du</strong>it à <strong>la</strong> vérité le ton<br />

héroïque dont il s'amuse à agrandir les jbjets.<br />

Au mérite <strong>de</strong>s portraits joignes celui <strong>de</strong>s tableaux<br />

;<br />

Parmi les doux p<strong>la</strong>isirs d'une pats frafmellf f<br />

Paris voyait fleurir son antique Chapelle.<br />

$m chanoines vermeils et bril<strong>la</strong>nts <strong>de</strong> santé<br />

S'engratosaieiit d'osé kmgm et sain» oMvfté.<br />

COURS DE IintiHATURB.<br />

Sans sortir <strong>de</strong> leurs lits, plus dons que feu» :<br />

Ces pieux fainéants faisaient chanter matines.<br />

Veil<strong>la</strong>ient à bien dîner, et <strong>la</strong>issaient es leur Uen<br />

A <strong>de</strong>s chantres gages le soin <strong>de</strong> louer Dieu.<br />

Et ailleurs :<br />

Dans le ré<strong>du</strong>it obscur d'une aleore enfoncée,<br />

S'élève un lit <strong>de</strong> plume à grands frais amassée;<br />

Quatre ri<strong>de</strong>aux pompeux, par un double contour.<br />

En défen<strong>de</strong>nt rentrée à <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté <strong>du</strong> Jour ;<br />

Là, parmi les douceurs d'un traaquUie silence,<br />

Règne sur le <strong>du</strong>vet use heerease indolence.<br />

C'est là que k pré<strong>la</strong>t, muni d'un déjeuner,<br />

Dormant d'un léger somme, attendait k dluer.<br />

Celui qui avait dit dans l'Art poétique,<br />

n est un heureux choix <strong>de</strong> mots harmonieux,<br />

les a choisis tous ici, <strong>de</strong> maoière qu'il n'y a pas use<br />

seule syl<strong>la</strong>be qui fasse assez <strong>de</strong> bruit pour réveiller<br />

le pré<strong>la</strong>t qui dort. Et quelle verve dans <strong>la</strong> peinture<br />

<strong>du</strong> vieux Boira<strong>de</strong>l<br />

Mais que ue dls-tn point , 6 puissant porte-croix !<br />

Boiru<strong>de</strong>, sacristain, cher appui <strong>de</strong> ton maître,<br />

Lorsqu'aux yeux <strong>du</strong> pré<strong>la</strong>t tu vis ton eom paraître?<br />

On dit que ton front Jaune, et ton teint sans couleur.<br />

Perdit en ce moment son astique pâleur,<br />

Et que ton cerf» goutteux, plein d'une ar<strong>de</strong>ur guerrière,<br />

Pour sauter au p<strong>la</strong>ncher fit <strong>de</strong>ux pas en arrière*<br />

Entrons dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>meure <strong>de</strong> là Mollesse :<br />

C'est là qu'es un dortoir elle fait son séjour.<br />

Les p<strong>la</strong>isirs noncha<strong>la</strong>nts folâtrent à Pentour i<br />

L'uo pétrit dans un coin l'embonpoint <strong>de</strong>s efasmiliies ;<br />

L'autre broie en riant le ¥ermUSon <strong>de</strong>s moines.<br />

La Volupté <strong>la</strong> sert a¥«s <strong>de</strong>s yeux dévots,<br />

Et toujours le Sommeil lui verse do pavots.<br />

Mais c'est surtout dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription <strong>de</strong>s objets les<br />

plus communs qu'il déploie toutes les richesses <strong>de</strong><br />

reipression, et qu'il fait servir h <strong>la</strong>ngue poétique<br />

à <strong>de</strong>s peintures qui semb<strong>la</strong>ient faites pour s'y refuser.<br />

à ces mois il saisit un vieil Iuforttat ,<br />

Grossi <strong>de</strong>s visions d'Àeeurse et «f Aidât,<br />

Inutile ramas <strong>de</strong> gothique écriture,<br />

Dont quatn als mai unis formatent <strong>la</strong> eouverfare ,<br />

Entourée à <strong>de</strong>mi d'un vieux parchemin noir,<br />

Où pendait à trois clous un reste <strong>de</strong> .fermoir.<br />

Qui avait su, avant Boileau, faire <strong>de</strong>scendre si heureusement<br />

<strong>la</strong> poésie à <strong>de</strong> semb<strong>la</strong>bles détails? Est-il<br />

bien facile <strong>de</strong> dire en fers élégants qu'os allume une<br />

bougie avec un briquet et une pierre à fusil? Le talent<br />

<strong>du</strong> poète saura encore ennoblir cette peinture<br />

si familière.<br />

Des veines d'oïl caillou qu'il frappe an même instant<br />

U fait jaillir un feu qui pétille en sortant *,<br />

Et bientôt au brasier d'une mèche enf<strong>la</strong>mmée<br />

Montre, à l'ai<strong>de</strong> <strong>du</strong> soufre, une ci» allumée.<br />

Rien tf est oublié , et tout est fidèlement renia f non<br />

• Cts<strong>de</strong>uxvefsrappêlfeiite<strong>du</strong>i<strong>de</strong> Virgile (^»!ieitf.is n»):<br />

A§ primûm tiliei KtaiÙUm esmêM jtcMim


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE-<br />

pas en cherchant <strong>de</strong>s termes nou*eaux et inusités,<br />

<strong>de</strong>s figures bizarres, <strong>de</strong>s combinaisons forcées : le<br />

poète n'a point re<strong>cours</strong> au néologisme, il se sert <strong>de</strong>s<br />

mots les plus ordinaires, <strong>la</strong> mèche, le soufre, le caillou,<br />

<strong>la</strong> cire, le brasier; mais il les combine sans<br />

effort, <strong>de</strong> manièie à leur donner <strong>de</strong> l'élégance et <strong>du</strong><br />

nombre. Et<strong>de</strong>s jeunêsgens qui n'ont guère fait qu'entasser<br />

<strong>de</strong>s lieux communs ampoulés sur le soleil et <strong>la</strong><br />

lune, préten<strong>de</strong>nt créer <strong>la</strong> poésie <strong>de</strong>scriptive, créer<br />

une <strong>la</strong>ngue inconnue à Boileau et à Racine! Au<br />

lieu <strong>de</strong> songer à en faire une, qu'ils étudient encore<br />

celle d© leurs maîtres; et, sans vouloir <strong>la</strong> changer,<br />

qu'ils apprennent à s'en servir comme eux. "<br />

Nous n'avons pas d'ouvrage où Ton trouve plus<br />

souvent que dans le IMrin l'exemple <strong>de</strong> ces détails<br />

vulgaires relevés par ceux qui les avoisineet. Je n'en<br />

citerai plus qu'un seul entre mille autres : c'est l'habillement<br />

<strong>du</strong> chantre.<br />

Os apporte à rtaHant ses «waptuiMi habite s<br />

Où sur rouat® moUc ée<strong>la</strong>te le tabis.<br />

D'une longue sosîane 11 endosse <strong>la</strong> molle,<br />

Prend «sa ganta wtetefs;ies marques <strong>de</strong> sa gtotra*<br />

Et suffit en pleurant ce roefaet qu'autrefois<br />

Le pré<strong>la</strong>t trop Jalons lui rogna <strong>de</strong> trais doigts.<br />

Quel choix d'expressions et <strong>de</strong> circonstances! L'ouate,<br />

que nous prononçons communément mette, neeem-<br />

ble pas faite pour Igurer dans un vers ; mais 1® poète,<br />

en faisant tomber doucement le sien sur ïmmte<br />

molk, et le relevant pour y faire éc<strong>la</strong>ter h tabit,<br />

vient à bout d'en tirer <strong>de</strong> l'élégance et <strong>de</strong> l'harmonie.<br />

Il emploie le même art pour ennoblir <strong>la</strong> soutane<br />

<strong>du</strong> chantre par une épithète bien p<strong>la</strong>cée, par une figure<br />

fort simple, qui consiste à- prendre <strong>la</strong> partie<br />

pour le tout, et il en résulte un vers élégant et pittoresque<br />

:<br />

mme long!» soutane §1 endosse <strong>la</strong> moire.<br />

• Prendre ses ganta est bien une action triviale :<br />

mais Sa ganls violets, les marques d® sa gloire,<br />

sont relevés par une heureuse opposition. Enin, il<br />

met <strong>de</strong> l'intérêt jusque dans ce rocket, p<strong>la</strong>cé à une<br />

césure artificielle, ee rocket<br />

Qû*m pré<strong>la</strong>t trop Jaloux loi rogna <strong>de</strong> trato doigts.<br />

Ce style <strong>mont</strong>re <strong>la</strong> science <strong>de</strong> tout embellir, et le<br />

néologisme ne <strong>mont</strong>re que l'impuissance.<br />

On a pu remarquer, dans tout ce que j'ai rapporté<br />

, combien l'auteur possè<strong>de</strong> tous les secrets <strong>de</strong><br />

l'harmonie Imitative. On a cité mille fois le sommeil<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Mollesse, et ces vers sur les rois Ainéants<br />

:<br />

Aucun §©ta n'approchait <strong>de</strong> leur paisible cour;<br />

On reposait <strong>la</strong> nuit, on donnait tout le Jour.<br />

Seulement an printemps s quand Ftaw dans les<br />

Là HAMPE. — TOM1 !•<br />

TOS<br />

Faisait taira <strong>de</strong>s vents les broyantes Mlefner,<br />

Quatre tMMtfs attelés, d'un pas trampiilie et lent,<br />

Promenaient dans Paris le monarque Indolent<br />

L« vers marchent aussi lentement que les beeuft<br />

qui traînent le char. C'est ainsi que le poème est<br />

écrit d'un bout à l'autre : partout le mira® rapport<br />

<strong>de</strong>s sons avec les objets.<br />

Ils passent <strong>de</strong> <strong>la</strong> nef <strong>la</strong> vaste solitu<strong>de</strong>,<br />

Et dans <strong>la</strong> sacristie entrant, non sans terreur,<br />

Es percent jusqu'au fond <strong>la</strong> ténébreuse horreur.<br />

Ces! là qm <strong>du</strong> lutrin p <strong>la</strong> machine énorme.<br />

Cette épithète s si bien p<strong>la</strong>cée à <strong>la</strong> in <strong>du</strong> fers, présente<br />

le lutrin dans toute sa masse.<br />

Et d'en bras qui peut tout ébranler,<br />

Lui-même se courbant, s'apprête à le ro<strong>de</strong>r.<br />

Vous voyes, tous enten<strong>de</strong>s IWort <strong>de</strong>s bras qui te<br />

soulèvent : f oyons-le dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce qu'un lui <strong>de</strong>stine.<br />

Aussitôt dans le chœur <strong>la</strong> machine emportée<br />

Est sur le banc <strong>du</strong> chantre à grand brait re<strong>mont</strong>ée.<br />

Ses ali <strong>de</strong>mi-pourris, <br />

il a jugé à propos <strong>de</strong> ressusciter le vieux mot bruhsemenê,<br />

dont il ne reste plus que <strong>la</strong> raeine bruire,<br />

et qui, lorsqu'on lui donne <strong>la</strong> valeur <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux pieds,<br />

a Finconvénieet <strong>de</strong> substituer <strong>de</strong>ux syl<strong>la</strong>bes à une<br />

diphthoogue,ee qui forme un mot sourd et un<br />

rhytbme indéterminé. Il a mis :<br />

miêïmèlmpûmmmlmglmâêMMmi,<br />

Ainsi t en rendant à Boileau l'expression, reflet et<br />

l'artffioe <strong>du</strong> vers, il ne reste à celui qui fa pris que<br />

le bndstememê, qui n'est pas une invention merveilleuse.<br />

Ne va<strong>la</strong>it-il pas mieux prendre le gémissement<br />

avee tout le reste, que <strong>de</strong> rajeunir d* cette<br />

manière <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue usée <strong>de</strong> Despréaux?<br />

Je me suis un peu éten<strong>du</strong> sur le Lutrin, parce<br />

que cet ouvrage est, avee ÏJrt poétique, ee qui<br />

.fait le plus d'honneur à Boileau; e'est un <strong>de</strong> ceux<br />

où <strong>la</strong> perfection <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie française a été portée<br />

le plus loin f eeln celui où l'auteur a été plus poète<br />

* loucher, r auteur ?ln poisie <strong>de</strong>s Mokf qui d'ailleurs<br />

avait <strong>du</strong> talent : U en sen parié dans Sa MMB <strong>de</strong> cet ouvrage.<br />

m


706<br />

qie dans tous les autres. Il n'en existait point <strong>de</strong><br />

modèle. Qu'est-ce, m comparaison, que le wmèat<br />

<strong>de</strong>s Mats et <strong>de</strong>s Gremuilki, si peu digne d'Homère ,<br />

et le Seau enlevé <strong>de</strong> Tassoni, pro<strong>du</strong>ction si médiocre<br />

et si froi<strong>de</strong>ment proliie? Le seul défaut <strong>de</strong><br />

ce chef-d'œuvre , c'est que le <strong>de</strong>rnier chant ne répond<br />

pas aui autres : il est tout entier sur le ton sérîetiï *<br />

et <strong>la</strong> action y change <strong>de</strong> nature. Le personnage<br />

allégorique <strong>de</strong> <strong>la</strong> Piété est trop grave pour figurer<br />

agréablement avec <strong>la</strong> Nuit 9 <strong>la</strong> Mollesse et <strong>la</strong> Chicane.<br />

La fin <strong>du</strong> poëme ne semble <strong>la</strong>ite que pour amener<br />

réloge <strong>du</strong> prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> Lamoigaon. Cette faute a été<br />

relevée il y a longtemps; mais un sixième chant<br />

défectueux n'été rien <strong>du</strong> grand mérite <strong>de</strong>s cinq autres<br />

i ni <strong>du</strong> p<strong>la</strong>isir continu qu'on éprouve en les lisant.<br />

Un homme d'esprit ', qui s'amuse quelquefois à<br />

insérer dans le Journal <strong>de</strong> Paris <strong>de</strong>s lettres fort<br />

agréables, a proposé sur Boileau <strong>de</strong>s questions assez<br />

singulières. Ce ne sont pas celles d'un détracteur <strong>de</strong><br />

ce grand homme, car, après en avoir parlé comme<br />

tous les gens sensés, ce qu'il ajoute semble n'exprimer<br />

que <strong>la</strong> surprise et le regret que Boileau n'ait<br />

pas tenté tous les genres <strong>de</strong> poésie. Yoiel comme il<br />

parle à ce sujet :<br />

« Pourquoi m génie souple et fécond , qui t donné <strong>de</strong> si<br />

excellents préceptes f n'a-t-il pas m même temps Ibuni<br />

<strong>de</strong>s exemples <strong>de</strong>s dtflérenls genres qu'il a traités? Pourquoi<br />

n'avez-vous pis <strong>de</strong> <strong>la</strong>i une teaJe égtogne, use éMgi@9 une<br />

scène comique, tragique» os lyrique? Pourquoi promettre<br />

toute si vit mi poème épique à <strong>la</strong> France, et n'es pu<br />

essayer un seul chant? »<br />

Tas pmrqum, ilt te dieu ? m liftai®! Jamab.<br />

Heureusement toutes ces questions se ré<strong>du</strong>isent à<br />

une seule : Pourquoi Boileau nVt-il pas tout fait ?<br />

Cest peut-être <strong>la</strong> première fois qu'on s'est avisé d'une<br />

question semb<strong>la</strong>ble. On n'ajamais<strong>de</strong>mandépourquoi<br />

Horace n'avait point fait <strong>de</strong> poëme épique, si Virgile<br />

<strong>de</strong>s o<strong>de</strong>s, si Homère <strong>de</strong>s tragédies. Tout le<br />

mon<strong>de</strong> répondra : Cest que chacun a son talent.<br />

L'Art poétique commence par établir cette vérité<br />

éternelle ;<br />

La nature, fertile m esprits aaaeiletits ,<br />

Sait «lira les autan partager !e§ talents.<br />

Et il recomman<strong>de</strong> à chacun <strong>de</strong> bien connaître le sien :<br />

Mais souvent sa esprit qui se f<strong>la</strong>tte et fut t'aime,<br />

îjéeoiMiait M» génie et s'ignora sot-même.<br />

Boileau n'est point tombé dans ce Ira?ira ; il n'a<br />

fait que ce qu'il savait faire : il faut lui en sa?oir<br />

gré, et lui pardonner <strong>de</strong> ne s'être compromis qu'une<br />

fois en compsant une mauvaise o<strong>de</strong>» SU n*a essayé<br />

* M. île fillette,<br />

COTOS DE LITTÉ1ATD1K.<br />

ni l'églqgue ni l'élégie, c'est qu'il n'atait pas les inclinations<br />

pastorales ni l'imagination amoureuse.<br />

SI nous n'avons pas <strong>de</strong> lui une scène comique f tragique<br />

ou lyrique, c'est qu'on ne fait point une scène<br />

<strong>de</strong> ce genre : on fait une tragédie, une comédie, un<br />

opéra. Il en a <strong>la</strong>issé le soin à Racine, à Molière et<br />

à Quinault, qui s'en'sont fort bien tirés* Pour lui,<br />

il a fait <strong>de</strong>s Satires, <strong>de</strong>s Épîtres, un Art poétique,<br />

et le Lutrin; et il ne s'en est pas mal acquitté.<br />

Est locrn mimique sans.<br />

Je ne sais s'il a toute sa aïe pmnds mpoime éjpique;<br />

je n'en vols aucune trace dans ses œuvres ni<br />

dans sa fie. Mais je vois, par le magniique morceau<br />

<strong>du</strong> passage <strong>du</strong> Rhin, qu'il était capable <strong>de</strong> soutenir<br />

le ton <strong>de</strong> l'épopée. La variété <strong>de</strong> l'Art poétique et<br />

<strong>la</strong> richesse <strong>du</strong> Lutrin peuvent justifier l'auteur <strong>de</strong>s<br />

questions, qui l'appelle un génie souple ei fécond;<br />

mais Racine, bien plus souple et plus féù&md encore,<br />

n'a point tenté non plus <strong>de</strong> poëme épique. Si je lui<br />

en <strong>de</strong>mandais <strong>la</strong> raison, il me dirait qu'il a tait Phèdre<br />

et Jphigfaie, et je trouverais <strong>la</strong> réponse fort<br />

bonne. Les pourquoi continuent.<br />

« Paarfaaiaciia parler fcaamerieaswaaot <strong>du</strong> arMat» <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> bal<strong>la</strong><strong>de</strong>, <strong>du</strong> ron<strong>de</strong>au, déjà passés <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>, et «ara<br />

donner une <strong>de</strong>scription technique <strong>de</strong>s rigoureuses- fou<br />

<strong>de</strong> sonnet, cet hmmm pMmks dont <strong>la</strong> perfection mena<br />

serait ai/sali«fêatiae# »<br />

U n'a fait que nommer 1e triolet : il a parlé es<br />

quatre vers <strong>de</strong> <strong>la</strong> bal<strong>la</strong><strong>de</strong> et <strong>du</strong> ron<strong>de</strong>au. 11 le <strong>de</strong>vait<br />

dans un Art poétique, ©à il n'était pas permis Remettre<br />

les divers genres qui avaient été les premiers<br />

essais <strong>de</strong> notre poésie naissante, parée que <strong>la</strong> naïveté,<br />

qui fait leur mérite, se rapprochait <strong>du</strong> seul<br />

caractère qu'ait eu notre <strong>la</strong>ngue pendant plusieurs<br />

siècles. La vogue en était diminuée <strong>de</strong>puis que Ronsard<br />

eut mis l'héroïque en honneur ; mais , loin qu'ils<br />

fussent passés <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> <strong>du</strong> temps <strong>de</strong> Boileau, Sarrasin,<br />

Yoiture et <strong>la</strong> Fontaine les avaient fait «vivre<br />

avec succès. Comment n'aurait-il point parlé <strong>du</strong><br />

sonnet, quand cet» <strong>de</strong> Toiture et <strong>de</strong> Bensera<strong>de</strong><br />

avaient causé un schisme dans <strong>la</strong> France? Et s'il<br />

m'est permis <strong>de</strong> me servir ansal <strong>du</strong> pourquoi, pourquoi<br />

donc <strong>la</strong> perfection d'un sonnet serait-elle »/«-<br />

Mimtset 11 n'y a point <strong>de</strong> raison pour qu'une pièce<br />

<strong>de</strong> quatorze vers ennuie parce qu'elle est parfaite :<br />

nous en avons quelques-uns <strong>de</strong> bons qui se sont<br />

point ennuyem. Enin, si Boileau en a parlé èmrmoniememeni,<br />

comme <strong>de</strong> <strong>la</strong> bal<strong>la</strong><strong>de</strong> et <strong>du</strong> ron<strong>de</strong>au,<br />

vraiment il n'a fait que son <strong>de</strong>voir : quand on <strong>la</strong>it<br />

<strong>de</strong>s vers sur quelque sujet que ce soit, il faut toujours<br />

les faire harmonieux.<br />

Mous ne sommet pi encore à <strong>la</strong> in <strong>de</strong>s powqmâ.<br />

« Pourquoi ne tronve-t-on pa câaa lui en fatal vers


SIÈCLE DE LOUIS X1Y. — POÉSIE.<br />

<strong>de</strong> dit syl<strong>la</strong>bes?.. Pourquoi n'a-1-il pas employé les<br />

rimas redoublées, les vers mêl@>9 les vers <strong>de</strong> huit syl<strong>la</strong>bes?»<br />

'<br />

C'est qt» chacun a son goût , et qu'il aimait mieux<br />

les grands fars; c'est qu'ils sont sans comparaison<br />

les plus difficiles <strong>de</strong> ton§9 comme les plus beat» ;<br />

c'est qu'il les faisait supérieurement.<br />

« Pourquoi est-il éternellement occupé <strong>de</strong> <strong>la</strong> facture <strong>du</strong><br />

monotone alexandrin ? *<br />

C'est que l'alexandrin est le fers <strong>de</strong> l'épopée, <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> tragédie et <strong>de</strong> <strong>la</strong> comédie , <strong>de</strong> <strong>la</strong> satire et <strong>de</strong> Fépttre,<br />

et par conséquent le plus important <strong>de</strong> tous f<br />

celui qoi offre le plus <strong>de</strong> difficultés à vaincre et <strong>de</strong><br />

mérite à les sur<strong>mont</strong>er. S'il est mwwtww par luimême,<br />

l'art consiste à faire disparaître cette monotonie;<br />

et cet art, Boileau l'enseigna pendant toute<br />

sa fie.<br />

Autres reproches :<br />

« 0a regrette que ce grand peintre, au milieu <strong>de</strong>s chefsd<br />

f œuf re et <strong>de</strong>s merveilles <strong>de</strong> ee siècle 9 ne nous parle jamais<br />

<strong>de</strong>s arts.... »<br />

C'est qu'il ne se connaissait ni en peinture, ni es<br />

sculpture, ni ee architecture ; et qu'il n'aimait à par-<br />

1er que <strong>de</strong> ce qu'il savait. Ce<strong>la</strong> est un peu passé <strong>de</strong><br />

wmàe aujourd'hui * mais ne l'était pas encore <strong>de</strong> son<br />

temps.<br />

« Comment n'a-t-il pas m moins pressenti quelle force »<br />

quelle énergie, on pouvait donner à Fart <strong>de</strong>s vers en<br />

les nourrissant <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s idées d'une morale universelle<br />

et <strong>de</strong> Sa saine philosophie?.... Comment Boileaits disciple<br />

d'Horace et contemporain <strong>de</strong> Pope9 n'est-il jamais<br />

occupé <strong>du</strong> progrès <strong>de</strong>s lumières et <strong>de</strong> <strong>la</strong> marche <strong>de</strong> Fesprit<br />

humain?» ,<br />

Ce reproche, s'il était fondé, pourrait s'adresser<br />

à tous les grands poètes <strong>de</strong> son siècle. Voltaire, dans<br />

1e nôtre 9 est le premier Français qui ait appliqué Fart<br />

<strong>de</strong>s fers à <strong>la</strong> philosophie, et il a souvent abusé <strong>de</strong><br />

l'an et <strong>de</strong> l'autre. Bans <strong>la</strong> marche <strong>de</strong> l'esprit humain,<br />

Fimaginatiou précè<strong>de</strong> <strong>la</strong> réflexion f et les<br />

beâux-arts <strong>de</strong>vancent toujours <strong>la</strong> philosophie. D'ailleurs,<br />

on ne fait pas tout à <strong>la</strong> fois; et comme il a<br />

fallu créer l'algèbre avant <strong>de</strong> l'appliquer à <strong>la</strong> géométrie,<br />

<strong>de</strong> mêmetâvant <strong>de</strong> rendre les Muses françaises<br />

philosophes, il fal<strong>la</strong>it d'abord leur créer une<br />

<strong>la</strong>ngue. (Test à quoi Despréaux et Racine se sont<br />

exercés; et s'ils avaient tout fait dans leur siècle,<br />

que serait-il donc resté au nôtre?<br />

A l'égard <strong>de</strong> Pope, il n'avait que vingt et un ans<br />

quand Boileau est mort, et n'avait pas encore songé<br />

à son Essai sur l'homme. De plus, <strong>la</strong> <strong>littérature</strong><br />

ang<strong>la</strong>ise était presque inconnue en France, el fajpe<br />

lui-même et Addison sont les premiers poètes ang<strong>la</strong>is<br />

qui aient mis <strong>la</strong> philosophie en vers, lorsque<br />

TOT<br />

tous les genres <strong>de</strong> poésie étaient <strong>de</strong>puis longtemps<br />

cultivés chez eux avec succès, tant ta marche et<br />

l'esprit humain est partout <strong>la</strong> même !<br />

« On souffre <strong>de</strong> voir cet ami <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité si avare déloges<br />

pour Ses écrivains <strong>du</strong> premier ordre , et si prodigue <strong>de</strong> louanges<br />

pour <strong>la</strong> cour et les courtisans. »<br />

A4-II été si avare d'éloges pour Corneille, Racine,<br />

Molière « Pascal, Aroauld ? Ceux <strong>de</strong>s courtisans<br />

qu'il a loués en étaient-ils indignes? C'étaient Montausier,<br />

<strong>la</strong> Rochefoucauld, le grand Condé, Pomponne<br />

, Dangeau, Yrvonne, Colbert, Seigne<strong>la</strong>y,<br />

Lamoignon. Qu'on nous dise quel est celui d'entre<br />

eus qu'il fût honteux <strong>de</strong> louer, et qu'on nous cite un<br />

homme <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour dont l'éloge ait pu compromettre<br />

<strong>la</strong> muse <strong>de</strong> Boileau.<br />

« Après toutes ces questions f il m resterait peut-être<br />

une plus importante encore. Il serait facile <strong>de</strong> <strong>mont</strong>rer,<br />

le livre à <strong>la</strong> main 9 nombre dépressions 9 nombre <strong>de</strong> façons<br />

<strong>de</strong> parler, qui sans doute étaient reçues an temps <strong>de</strong> ce<br />

célèbre satiriquef et qui certainement sont aujourd'hui<br />

<strong>de</strong>s fautes <strong>de</strong> français; ce qui, dam le <strong>la</strong>it, accuse moins<br />

le goût très-épnré <strong>du</strong> poète que l'instabilité <strong>de</strong> nos idiomes<br />

mo<strong>de</strong>rnes.»<br />

Ce n'est plus ici une question, c'est une assertion;<br />

et, pour y répondre, il faut distinguer. Elle<br />

n'est pas sans fon<strong>de</strong>ment s'il s'agit <strong>de</strong> <strong>la</strong> prose <strong>de</strong><br />

Boileau; s'il s'agit <strong>de</strong> ses fers, elle est très-légèrement<br />

hasardée. Boileau et Racine sont les <strong>de</strong>ux écrivains<br />

qui ont fait en vers pour notre <strong>la</strong>ngue ce que<br />

Pascal avait fait en prose : ils Font liée. Rien ne serait<br />

si difficile et si rare que <strong>de</strong> trouver chez eux <strong>de</strong>s<br />

expressions qui aient vieil ii. Il y a pourtant <strong>de</strong>s fautes<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage; mais c'étaient <strong>de</strong>s fautes, <strong>de</strong> leur temps<br />

comme <strong>du</strong> nôtre. Au contraire, on trouve dans <strong>la</strong><br />

prose <strong>de</strong> Boileau beaucoup <strong>de</strong> locutions, <strong>de</strong> tournures,<br />

qui sont aujourd'hui vicieuses et inusitées, et<br />

qui ne Fêtaient pas <strong>de</strong> son temps; et ce<strong>la</strong> prouve<br />

seulement que le style soutenu a bien moins d'InstaMiifé<br />

que le <strong>la</strong>ngage usoel, toujours sou mis, à un<br />

certain point, aux variations <strong>de</strong> <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>, à Fesprit<br />

<strong>de</strong> société, et à ce qu'on appelle le ton <strong>du</strong> jour.<br />

L'homme <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, qui, sous le nom <strong>de</strong> M. JVîgoodf<br />

a imprimé les questions précé<strong>de</strong>ntes, n'a<br />

point, comme on le voit, disputé à Boileau son<br />

mérite ; seulement il lui en désirerait un autre : et<br />

j'ai fait voir qu'on pouvait se contenter <strong>de</strong> celui<br />

.qu'il a eu. Les reproches sur ses jugements rentrent<br />

dans ceux que j'avais déjà discutés. Cependant Fauteur<br />

anonyme <strong>de</strong> <strong>la</strong> Lettre sur l'influeme <strong>de</strong> Boileau<br />

a bien envie <strong>de</strong> compter M. Nigood parmi ses complices,<br />

et en même temps il a grand'peur, je ne sais<br />

pourquoi, <strong>de</strong> passer pour son p<strong>la</strong>giaire. Dans un<br />

Avertissement <strong>de</strong>s éditeurs (car on sent bien qu'il


70â<br />

faut <strong>de</strong>s éditeurs pou? use brochure <strong>de</strong> cette importance)<br />

| Il apprend à l'univers que sa brochure a été<br />

achevée le I er mai <strong>de</strong> cette année 1787.<br />

« U s'est rencontré en <strong>de</strong>ux ou trois endroits, disent<br />

ies éditeurs, avec M. Nigrtd, et c'est tant miens pour<br />

fie et pour l'autre. II est bon que <strong>de</strong> temps es temps on<br />

secoue les fers <strong>de</strong>s préjugés littéraires, et Us Brutus<br />

sont rares dans tous les pays. »<br />

On a vu qu'il n'avait point secoué <strong>de</strong> fers, ni combattu<br />

mmmpréjugê ; mais on se voit pas trop ce que<br />

font ici ks Brutus. Les Brutus, p<strong>la</strong>cés si à propos,<br />

me rappellent cet avis au public, où, en loi annonçant<br />

<strong>de</strong>s teékttes <strong>de</strong> bouillon, os faisait l'éloge <strong>du</strong><br />

grand SuMu : et remarquez pourtant qu'on ne disait<br />

point queces tablettes <strong>du</strong>ssent se vendre à l'enseigne<br />

<strong>du</strong> grand SuBg; ce qui était le seul cas oà le grand<br />

SuMg pût se trouver là convenablement.<br />

Les édUewrs commencent par donner uoe leçon à<br />

M. Daunou, <strong>de</strong>-l'Oratoire 9 auteur <strong>du</strong> dis<strong>cours</strong> sur<br />

l'influencé <strong>de</strong>JoUmu^ couronné par l'Académie <strong>de</strong><br />

Nîmes.<br />

« On ne doit point appeler écrivains obscurs et litté­<br />

rateurs subalternes tons ceux qui ont criUq«tf Desppéaux,<br />

on qui ne Font point admiré exclusivement. »<br />

J'en <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pardon aux éditeurs; mais quand<br />

on parle <strong>de</strong> Boilean 9 il faut , comme lui , appeler les<br />

choses par leur nom; et c<strong>la</strong>ns cette phrase il y a un<br />

mensonge et une absurdité. M. Daunou, dont l'ouvrage<br />

est très-judicieux , n'a pu manquer <strong>de</strong> sens au<br />

point <strong>de</strong> traiter à f écrivains subalternes ceux qui<br />

ont critiqué Boileau : car il n'y a point d'auteur, si<br />

grand qu'il puisse étre? qu'on ne puisse critiquer :<br />

@ts <strong>de</strong> plus, il n'a jamais existé personne d'assez<br />

inepte pour admirer exclusivement Boileau, ce qui<br />

veut dire en français n'admirer rien que Boileau. Je<br />

soupçonne qu'ils ont voulu dire admirer sans restriction<br />

, ce qui est très-différent 9 et ce qui pourtant<br />

n'est ni plus vrai ni plus raisonnable ; car il n'y a point<br />

non plus d'auteur qu'os ait jamais admiré sans restriction<br />

, atten<strong>du</strong> ce vieil axiome, qu'il n'y a rien <strong>de</strong><br />

parfait dans l'humanité. Yoici les propres termes<br />

<strong>de</strong> M. Daunou :<br />

« Des littérateurs subalternes ont dit <strong>de</strong> Mena ; Ses<br />

p<strong>la</strong>isanteries sont triviales, ses eritiqaes Injustes, ses vues<br />

étroites, son âme basse et jalouse, son tempérament est<br />

<strong>de</strong> g<strong>la</strong>ce. 'VArt poétique prouve qne son auteur n'était pas<br />

poète , etc. »<br />

Il appelle ce<strong>la</strong> <strong>de</strong>s invectives, et il a raison. Les<br />

éMteurs appellent ce<strong>la</strong> critiquer ou ne pas admirer<br />

exclusivement; ils ont tort : c'est proprement déraisonner<br />

et calomnier; et certes il n'y a que <strong>de</strong>s<br />

Mttémteurs subalternes qui aient tenu un pareil<br />

<strong>la</strong>ngage. En changeant si étrangement le texte <strong>de</strong><br />

GOUBS DE LÏTTÉ1ATIJ1E.<br />

M. Daunou , Im éditeurs ont donc fait un mensonge.<br />

Muas en verrons bien d'autres dans <strong>la</strong> lettre; usais<br />

il ne faut pas encore quitter V avertissement, fui<br />

est très-digne <strong>de</strong> <strong>la</strong> Lettre. La dénomination


seule férité qu'il y ait dans celte brochure. Ils relèvent<br />

<strong>la</strong> méprise <strong>de</strong> M. Daanoo, qui a confon<strong>du</strong><br />

C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Perrault, l'architecte, avec Charles Perraultf<br />

fauteur <strong>du</strong> parallèle <strong>de</strong>s anciens et <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>rnes;<br />

et aiu qu'il ne Foublie pas, ils ajoutée! :<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV, — POÉSIE.<br />

* U y a es quatre Perrault; qui, tous quatre, étaient<br />

frères comme les quatre fih Àymom, »<br />

Quelle p<strong>la</strong>titu<strong>de</strong>? elle sera sifflée à Parte comme<br />

dans les collèges <strong>de</strong> l'Oratoire.<br />

M» lui pardonnent pourtant cette erreur, mais<br />

non pas d'avoir dit que l'intérêt <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>littérature</strong><br />

exigeait ks raiMerUs <strong>du</strong> satirique contre ks Perrault;<br />

et c'est là-<strong>de</strong>ssus qu'ils prononcent les axiomes<br />

suifants :<br />

« Jamais U se fait raUlêr an homme <strong>de</strong> génie, et l'architecte<br />

Perrault en avait Jamais il ne faut rallier im philosophe<br />

lorsqu'il cherché <strong>la</strong> vérité, et Perrault le philosophe<br />

Fa cherchée dans son Parallèle. » #<br />

Malgré le respect que doit inspirer ce ton sentencieux<br />

et magistral, fuserai proposer aux éditeurs<br />

quelques petites distinctions. Jamais il ne faut raU :<br />

fer tr#t homme <strong>de</strong> génie : non, jamais, j'en conviens,<br />

s'il ne sort point <strong>de</strong>s objets re<strong>la</strong>tifs à son génie,<br />

Ainsi Boileau aurait tu grand tort <strong>de</strong> railler Perrault,<br />

s'il fil été question d'architecture; mais si FarcMtecte<br />

veut se rendre juge en poésie, et juge ridiculement<br />

, je ne sais s'il ne serait pas permis à toute<br />

force <strong>de</strong> s'en moquer un peu, et je crois même que<br />

nombre d'honnêtes gens prendraient cette liberté.<br />

Or, C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Perrault prenait bien celle <strong>de</strong> dire beaucoup<br />

<strong>de</strong> mal <strong>de</strong>s écrits <strong>de</strong> Despréaux, et <strong>de</strong> trouver fort<br />

bons les jugements <strong>de</strong> son frère Charles 9 qui mettait<br />

Homère au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> Scudéry. Pourquoi dose le<br />

poète, se trouvant sur son terrain, n'auraitril pas<br />

eu le droit <strong>de</strong> prendre sa revanche? Newton va<strong>la</strong>it<br />

-bien C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Perrault : ne s'est-on pas moqué <strong>de</strong> son<br />

Apocalypse? Ce<strong>la</strong> n'a pas empêché que sa théorie<br />

<strong>du</strong> mon<strong>de</strong> ne soit admirable, comme <strong>la</strong> faça<strong>de</strong> <strong>du</strong><br />

Louvre est un monument superbe.<br />

« Jamais il ne faut ralMer un philosophe lorsque cherche<br />

<strong>la</strong> vérité, et le philosophe Perrault Fa cherchée dans son<br />

Parallèle. »<br />

Ah! messieurs les éditeurs! personne ne vous<br />

accor<strong>de</strong>ra jamais un® proposition si malsonnante.<br />

Vous sentez bien que, <strong>de</strong>puis îe mé<strong>la</strong>nge fortuit <strong>de</strong>s<br />

atomes d'Épicure jusqu'aux mona<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Leibnits<br />

et aux tourbillons <strong>de</strong> Descartes, toos les philosophes<br />

vous diront qu'ils ont cherché <strong>la</strong> vérité; et le<br />

mon<strong>de</strong> entier vous dira que l'on a osé mille fois se<br />

moquer <strong>de</strong>s rêveries <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie tant ancienne<br />

que mo<strong>de</strong>rne , sans croire commettre un sacrilège.<br />

Lt mon<strong>de</strong> entier ? ouf dira qu'en cherchant <strong>la</strong> vé-<br />

709<br />

rite il est très-possible et très-commun <strong>de</strong> débiter<br />

mille folies, et qu'en conscience il serait trop <strong>du</strong>r<br />

qu'il fit défen<strong>du</strong> <strong>de</strong> s'en amuser. Perrault, qu'il vous<br />

p<strong>la</strong>ft d'appeler le philosophe, a pu chercher <strong>la</strong> vérité<br />

dans son Parallèle; mais à coup sûr il ne l'a pas<br />

trouvée; et, si jamais ouvrage a pu prêter à rire,<br />

c'est celui où il a rassemblé tant <strong>de</strong> paradoxes insensés.<br />

J'avoue qu'on Fa bien surpassé <strong>de</strong>puis dans ce<br />

genre; mais Boileau ne pouvait pas <strong>de</strong>viner l'avenir,<br />

et surtout <strong>la</strong> Lettre dont vous êtes les éditeurs,<br />

et dont il est temps <strong>de</strong> parler.<br />

Elle est adressée à un homme <strong>de</strong> qualité qui a<br />

fait <strong>de</strong>s vers élégants, qui aime ceux <strong>de</strong> Boileau, et<br />

qui, dans un dis<strong>cours</strong> aussi bien pensé que bien écrit,<br />

a détaillé les principales obligations que nous avions<br />

à Faut@ur.<strong>de</strong> F Art poétique. L'hommage qu'il lui<br />

rend a beaucoup scandalisé l'anonyme, qui lui dit<br />

d'abord :<br />

« Tous me permettrez <strong>de</strong> voir dans Fauteur <strong>du</strong> Ijutrin<br />

un parodiite adroit <strong>de</strong>s auteurs <strong>de</strong> I. 'Misée et <strong>de</strong> FÉnêiée;<br />

dans celui <strong>de</strong> l'Art poétique , un imitateur ingénieux d'Horace,<br />

<strong>de</strong> Lafresaje-VauqueSin et <strong>de</strong> Saint-Geste*; dans<br />

celui <strong>du</strong>s Épitres, et surtout <strong>de</strong>s SaUrm, un g<strong>la</strong>ne»<br />

furtif d'idées et <strong>de</strong> mots épars ça tt là; et dans tous<br />

ses écrits enfin, <strong>de</strong>s geinea composées d'épis étrangersf<br />

et ramassés dans <strong>de</strong>s domaines qui ne lui appartenaient à<br />

aucun titre. »<br />

L'anonyme à son tour nous permettra (car je ne<br />

suis pas seulàlui<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r cettepermi8sion)<strong>de</strong>voir<br />

dans k Lutrin toute autre chose qu'une parodie,<br />

et dans l'épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Mollesse quelque chose <strong>de</strong> plus<br />

que <strong>de</strong> f adresse; <strong>de</strong> voir dans F Art poétique, oè il<br />

n'y a que soixante vers imités d'Horace, autre<br />

chose qu'une imitation ingénieuse ; <strong>de</strong> compter pour<br />

rien Lafrenage- Fauquettn, dont <strong>la</strong> Poétique, souverainement<br />

p<strong>la</strong>te, n'est le plus souvent qu'une <strong>la</strong>nguissante<br />

paraphrase d'Horace, et n'a rien fourni à<br />

Boileau qui vaille <strong>la</strong> peine d'être cité; <strong>de</strong> mettre à<br />

l'écart les satires <strong>la</strong>tines <strong>de</strong> Saint-Genfez, qui n'ont<br />

rien <strong>de</strong> commun avec ï ArtpoéUqwe, quoique Boileau<br />

en ait à peu près imité une douzaine <strong>de</strong> vers dans ses<br />

Satires et ses Épitres. 11 nous penmUra <strong>de</strong> lui rappeler<br />

ce que tout le mon<strong>de</strong> sait, qu'il n'y a aucun do<br />

nos grands poètes qui n'ait emprunté plus ou moins,<br />

et qu'ils ne sont pas pour ce<strong>la</strong> regardés comme <strong>de</strong>s<br />

g<strong>la</strong>neurs furtifs, d'abord parce qu'ils ne s'en sont<br />

point cachés, ensuite pareequ'on n'appelle point g <strong>la</strong>tienne<br />

ceux qui, possédant un champ fertile et <strong>de</strong>s<br />

moissons abondantes, cueillent quelques leurs dans<br />

le champ d'autruL Enfin nous <strong>la</strong>isserons à Boileau te<br />

domaine <strong>de</strong> son Art poétique, <strong>de</strong> son Lutrin, <strong>de</strong><br />

ses belles Êpitres et <strong>de</strong> ses bonnes Satires, jusqu'à<br />

ce qu'on nous aitappris à fui ce domaine appartient<br />

plutôt qu'à lui.


710<br />

Ce ne sont encore que <strong>de</strong> petto chicanes : ¥oici<br />

bien mieux :<br />

« Tous eroyea que FinISuencê <strong>de</strong> Boîlesu a été très»<br />

heureuse, et je ne fois que le mal qu'il a fait Yous<br />

croyes que les gens <strong>de</strong> lettres lui doivent <strong>de</strong> lu reconnaissance,<br />

et j'admire <strong>la</strong> modération <strong>de</strong> ceux qui, partageant<br />

mou opinion, ne sont qu'ingrats enfers lui, et portent<br />

son joug sans se p<strong>la</strong>indre. »<br />

SI Boiîeau n'a fait que <strong>du</strong> mai, sans doute l'anonyme<br />

va nous le prouver. Mais en attendant il<br />

aurait pu profiter <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses vers, qu'il a trop<br />

oubliés i<br />

Atmes doue <strong>la</strong> raiaou : que toujours vos écrits<br />

Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix.<br />

L'anonyme répondra peut-être qu'il n'aime point<br />

in tout <strong>la</strong> raison; qu'il s f en pique même, et qu'il<br />

va nous le faire voir <strong>de</strong> manière qu'il ne sera pas possible<br />

d'en douter. Mais eet éloignément ne peut pas<br />

aller jusqu'à prétendre qu'il faille se eéntredire en<br />

déni lignes. Or, c'est ee qu'il fait ici; car ceux qui<br />

partagent son opinion pensent sûrement qu'on<br />

ne doit aucune reconnaissance à Boiîeau, qui n'a<br />

fait que <strong>du</strong> mai. Comment donc peuvent-ils être ingrats<br />

envers lui? On n'est ingrat qu'envers celui à<br />

qui l'on croit <strong>de</strong>voir quelque chose : <strong>la</strong> phrase renferme<br />

donc un contre-sens évi<strong>de</strong>nt. Je ne fais cette<br />

remarque qu'en passant, et c'est une bagatelle pour<br />

l'anonyme. Mais ee que j'ai déjà observé dans rAvertissement,<br />

et ce que je citerai <strong>de</strong> <strong>la</strong> Lettre, nous prépare<br />

une réflexion conso<strong>la</strong>nte : on dirait qu'il y a une<br />

sorte <strong>de</strong> provi<strong>de</strong>nce qui condamne les contempteurs<br />

<strong>de</strong>s grands hommes (je ne dis pas les critiques),<br />

non-seulement à heurter le bon sens dans leurs opinions,<br />

mais à les décréditer eux-mêmes, s'il en était<br />

besoin 9 par une ignorance honteuse <strong>de</strong>s premiers<br />

éléments <strong>de</strong> Fart d'écrire. Poursuivons.<br />

COUH9 DE LITTÉEATUBE.<br />

« L $ Art poétique, ditez-voast est le plus beau<br />

ment qui ait été élevé à <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong>s Muses : je le crois<br />

comme vous. »<br />

C'est sans doute* une concession oratoire, et fauteur<br />

ne parie pas sérieusement. Comment ce qui<br />

n'est qu'une wmikâîm ingénieuse <strong>de</strong> Lafrenaye-<br />

Famqmeimeidê Smwi-Gmkz pourrait-il être un si<br />

beau mmmientî Comment ce qui a fait tant <strong>de</strong> mai<br />

aux lettres serait-Il à ia ghire <strong>de</strong>s Musest C'est encore<br />

une contradiction ; et Fauteur y est sujet<br />

«'Dequoi servirait un pa<strong>la</strong>is qui offrirait aux artistes les<br />

formes d'une architecture si parfaite, qu'elle inspirerait le<br />

désespoir tu lira d'exciter rtao<strong>la</strong>tion? •<br />

Voilà certainement le plus grand éloge possible<br />

<strong>de</strong> i'Jrtpoêtique. Ce n'est pas ma faute si l'on ne<br />

peut pas Faeeor<strong>de</strong>r avec le peu d'estime que Fauteur<br />

a témoigné plus haut pour le même ouvrage, et ce<br />

serait urne gran<strong>de</strong> tâche <strong>de</strong> le concilier avec lui-même.<br />

Ce n'est pas ma faute s'il <strong>la</strong>it un motif <strong>de</strong> réprobation<br />

<strong>de</strong> ce qui a toujours passé pour être le comble <strong>de</strong> ta<br />

gloire. On croit avoir énoncé le suffrage le plus f<strong>la</strong>tteur<br />

lorsqu'on dit d'un ouvrage : C'est le désespoir<br />

<strong>de</strong>s artistes. Point <strong>du</strong> tout : écoutez l'anonyme :<br />

« L'Art poétique retarda les progrès fi'aajmîesî pu<br />

faire les élèves ; il les arrêta à rentrée <strong>de</strong> k carrière, et<br />

les empêcha d'atteindre au but que leur noble orgueil aurait<br />

dû se proposer. Les infortunés virent <strong>la</strong> palme <strong>de</strong> ko,<br />

et n'osèrent y prétendre , <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> manquer sFeaieifie as<br />

milieu <strong>de</strong> leur <strong>cours</strong>e, et <strong>de</strong> trébucher sur use arène que<br />

le doigt <strong>du</strong> légis<strong>la</strong>teur leur <strong>mont</strong>rait partout «oéeéTéemefli<br />

et £ abîmes 9 et plus célèbre mille fois par les ééfmiks<br />

que par les victoires. Boiîeau en effet explique les règles<br />

<strong>de</strong> Fépopée , <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie, <strong>de</strong> <strong>la</strong> comédie 9 <strong>de</strong> l'o<strong>de</strong> y et ds<br />

quelques autres genres <strong>de</strong> poésie, leee tant <strong>de</strong> préeisîcn t<br />

<strong>de</strong> justesse et d'exactitu<strong>de</strong> ; que tout lecteur attentif se croit<br />

incapable tle Ses observer, et que <strong>la</strong> sévérité <strong>de</strong>s préceptes<br />

fait perdre Feu fie <strong>de</strong> donner jamais <strong>de</strong>s exemples. M ftat <strong>de</strong><br />

l'audace pour entreprendre, <strong>du</strong> courage pour exécuter; et<br />

fioMeau enchaîne l'audace, et g<strong>la</strong>ce le courage. AVaft-OB<br />

saisi* avant <strong>de</strong> le lire, <strong>la</strong> trompette héroïque ou <strong>la</strong> file<br />

champêtre 9 les crayons <strong>de</strong> Thaïe ou les pinceaux <strong>de</strong> Mefpomène<br />

; à peine Fa-t-on lu , que les pinceaux tombent <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

main, chargés encore <strong>de</strong> <strong>la</strong> couleur sang<strong>la</strong>nte, que les<br />

crayons s'échappent honteux d'avoir ébauché quelques<br />

traits 9 et que <strong>la</strong> flûte et <strong>la</strong> trompette se taisent y ou us<br />

poussent plus dans les airs que <strong>de</strong>s sons expirâmes m<br />

douloureux. »<br />

Il faut respirer un moment après cette coup<strong>la</strong>nte<br />

<strong>la</strong>mentable. Malgré <strong>la</strong> couleur sang<strong>la</strong>nte, et ks<br />

crayons honteux, et tessons dotdmsreux, malgré<br />

tout ce fatras amphigourique, certainement 9 messieurs,<br />

vous aurez été frappés <strong>de</strong> ce que dit l'auteur<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> manière dont les préceptes sont tracés dams<br />

rjrtpoétiqm, et vous vous serez dit à vous-mêmes :<br />

Est-ce donc un ennemi, un détracteur <strong>de</strong> Boiîeau,<br />

qui reconnaît si positivement le mérite qu'il a et<br />

qu'il <strong>de</strong>vait avoir? Rien n'est plus vrai : mais suspen<strong>de</strong>z<br />

votre jugement, et <strong>la</strong> suite vous convaincra<br />

que c'est bien contre son intention que Fauteur rend<br />

cet hommage à Boiîeau. Vous entendrez ses conclusions.<br />

Pour le moment, ce qui est très-c<strong>la</strong>ir, c'est<br />

qu'il tire <strong>de</strong> cette perfection même l'influence <strong>la</strong><br />

plus funeste pour les lettres. Cette manière <strong>de</strong> raisonner<br />

est si insoutenable, qu'il en coûterait trop<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> combattre directement : prenons une métho<strong>de</strong><br />

tout aussi sûre et plus agréable. Quand on veut<br />

prouver <strong>la</strong> fausseté d'un raisonnement sophistique,<br />

il suffit d'en dé<strong>du</strong>ire les conséquences exactes. Le<br />

raisonneur se trouve, comme disent les logiciens,<br />

ré<strong>du</strong>it à Fabsur<strong>de</strong>; et l'on finit par rire au lien<br />

d'argumenter. Ainsi donc, suivant <strong>la</strong> logique <strong>de</strong>


SIÈCLE DE. LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

l'anonyme, il faudrait dire à Geéron et à Quintïlien,<br />

les plus grands maîtres <strong>de</strong> l'éloquence, qui en ont<br />

enseigné Fart avec tant <strong>de</strong> soin et d'éten<strong>du</strong>e; à ceux<br />

qoi ont tracé les règles <strong>de</strong> <strong>la</strong> peinture d'après les<br />

chefs-d'œuvre <strong>de</strong> Raphaël9 <strong>de</strong> Michel-Ange et <strong>du</strong> Titien<br />

: A quoi pensez-vous a?ee ?os préceptes si difficiles<br />

à suivre, et vos modèles si désespérants? Vous<br />

arrêtez kt élèves à l'entrée <strong>de</strong> h carrièref vous enchaînez<br />

leur audace, vous g<strong>la</strong>cez leur cowage. SI<br />

vous voulez qu'on ait le noble orgueil d'être orateurs<br />

ou peintre$ ou sculpteur, sans en avoir le talent,<br />

<strong>la</strong>issez chacun écrire et peindre et sculpter à sa<br />

mo<strong>de</strong>. Pourquoi faites-vous <strong>de</strong> si beaux tableaux, <strong>de</strong><br />

si beaux dis<strong>cours</strong>, <strong>de</strong> si belles statues, en suivant<br />

tous les principes <strong>de</strong> l'art, <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature et <strong>du</strong> bon<br />

sens? Vous voyez bien que ce<strong>la</strong> est trop pénible, et<br />

que jamais personne n'en pourra faire autant, à<br />

moins qu'il n'ait <strong>du</strong> génie. Au reste, puisque vous<br />

en avez, faites comme vous voudrez ; mais <strong>du</strong> moins<br />

n'allez pas nous dire qu'il faut <strong>du</strong> bon sens dans le<br />

dis<strong>cours</strong>, <strong>du</strong> <strong>de</strong>ssin, <strong>de</strong> l'ordonnance et <strong>de</strong> l'expression<br />

dans les tableaux, <strong>de</strong>s proportions et <strong>de</strong> <strong>la</strong> gf âe#<br />

dans les statues ; car aussitôt vous allez voir tomber<br />

<strong>la</strong> plume, les crayons f les pinceaux, le ciseau ; et,<br />

pendant toute <strong>la</strong> <strong>du</strong>rée <strong>de</strong>s siècles, les élèves vous<br />

feront entendre leurs ton» expirant» et douloureux.<br />

Telle est <strong>la</strong> conséquence nécessaire <strong>de</strong>s arguments<br />

<strong>de</strong> l'anonyme : elle est effrayante ; mais l'expérience<br />

<strong>de</strong> tous les siècles nous rassure un peu. Nous savons<br />

que, <strong>de</strong>puis Cicéron et Quintilîen, il y a eu <strong>de</strong> grands<br />

orateurs que leurs préceptes n'ont pas effrayés, que<br />

leurs exemples n'ont pas désespérés; que, <strong>de</strong>puis<br />

Raphaël et Michel-Ange, nous avons eu une foule<br />

. d'excellents artistes, qui tous avaient appris leur art<br />

à <strong>la</strong> même école, et avaient eu sans cesse tes yeux attachés<br />

sur ces premifefs modèles. Enfin, c'est en<br />

voyant un tableau <strong>de</strong> Raphaël, en le considérant avec<br />

réflexion, que leCorrége s'écrie-: Et moi aussi Jesuis<br />

peintre! Donc tout ce qu'on peut conclure <strong>de</strong>s raisonnements<br />

<strong>de</strong> l'anonyme, c'est qu'en [lisant l'Art<br />

poétique, il n'a pas pu dire : El moi aussi, je suis<br />

poëtel<br />

Mais ce qui peut être une conso<strong>la</strong>tion pour luimême,<br />

c'est un autre fait non moins incontestable<br />

qui détruit ses in<strong>du</strong>ctions ; et j'avoue qoe je ne puis<br />

concevoir qu'il n'ait pas vu ce qui saute aux yeux.<br />

Quoi î l'Artpoétique a fermé <strong>la</strong> carrière ! Eh î <strong>de</strong>puis<br />

Boileau le nombre <strong>de</strong>s poètes (je veux dire <strong>de</strong> ceux<br />

qui font <strong>de</strong>s vers, et c'est tout ce que <strong>de</strong>man<strong>de</strong> l'anonyme)<br />

s'est accru au centuple. Il y en a une nation<br />

tout entière : d'innombrables journaux ne suffisent<br />

pas aux titres seuls <strong>de</strong> leurs ouvrages. Se p<strong>la</strong>indrait-<br />

711<br />

il par hasard qu'il n'y m eût pas assez ? Je le crois :<br />

il s'écrie douloureusement :<br />

mQMB <strong>de</strong> gennêg il a étouffés dans 1® champ <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie ! *<br />

Que «f «g<strong>la</strong>s Jeunes encore i a empêehét <strong>de</strong> grandir et <strong>de</strong><br />

s'élever vers les <strong>de</strong>ux ! Que <strong>de</strong> talents I a tués an rnomnit<br />

peut-être où Us al<strong>la</strong>ient se pro<strong>du</strong>ire! »<br />

* Ehl mon Dieu! voilà une fatalité bien étrange. 11<br />

est bien malheureux qu'il ait tué terni <strong>de</strong> Mentt,<br />

qu'il ait <strong>la</strong>issé vivre tant <strong>de</strong> gens qui n'en ont pas,<br />

qu'il ait empêché tant d 9 aigle$ <strong>de</strong> grandir sur les<br />

sommets <strong>du</strong> Pin<strong>de</strong>, et qu'il n'ait pu empêcher tant<br />

d'oisons <strong>de</strong> croasser dans les marais.<br />

L'anonyme excepte pourtant <strong>de</strong> cette fouit <strong>de</strong><br />

meurtres commis par l'homici<strong>de</strong> Despréatu<br />

« quelques hommes hardi, quelques heureux téméraires;<br />

qui ne se sûnt point <strong>la</strong>issé effrayer par <strong>de</strong> pareil obstacles,<br />

et qui, pliant les règles à leur génie 9 an»lie@ d'asservir Se<br />

gm%m%fè§mtmîmlmfmêêmimêU^pmUmmmê^<br />

Il aurait bien dû nous faire <strong>la</strong> grâce <strong>de</strong> les nommer<br />

: quant à moi 9 je ne les connais pas. Ce que je<br />

sais, c'est que les <strong>de</strong>ux hommes qui ont le mieux<br />

écrit en vers dans le siècle qui a succédé à celui <strong>de</strong><br />

Despréaux, sont sans contredit Voltaire et Rousseau.<br />

Celui-ci se faisait gloire <strong>de</strong> reconnaître Dm»<br />

préaux pour son maître; l'autre, pendant soixante<br />

ans, n'a cessé <strong>de</strong> le citer comme Vorack <strong>du</strong> goût;<br />

et aucun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux n'a songé à pêer k$ règle» à son<br />

génie, parce que ces règles, pour parler enin sérieusement,<br />

et ramener les termes à leur acception<br />

véritable, ne sont autre chose que le bon sens, et<br />

ce serait une étrange en treprise que <strong>de</strong> plier le bon<br />

sens. La marche <strong>de</strong> nos nouveaux docteurs est toujours<br />

<strong>la</strong> même ; ils cherchent à s'envelopper dans<br />

<strong>de</strong>s généralités vagues, à égarer le lecteur avec eux<br />

dans les détours <strong>de</strong> leurs longues déc<strong>la</strong>mations; ils<br />

accumulent <strong>de</strong> grands mots vi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> sens; ils parlent<br />

<strong>de</strong> tyrannie, i''esc<strong>la</strong>vage. On dirait qu'il s'agit<br />

<strong>de</strong> conventions arbitraires, <strong>de</strong> fantaisies bizarres;<br />

et Ton est forcé <strong>de</strong> leur répéter ce qu'eux seuls ignorent<br />

ou veulent ignorer, c'est que tous les principes<br />

<strong>de</strong>s arts, qui sont les mêmes dans Aristote, dans<br />

Horace et dans Boileau, ne sont que <strong>de</strong>s aperçus <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> raison confirmés par l'expérience. Qu'ils les attaquent<br />

, au lieu <strong>de</strong> s'en p<strong>la</strong>indre ; qu'ils en fessent voit<br />

<strong>la</strong> fausseté ou l'inutUité; qu'ils nous citent un seul<br />

écrivain distingué qui ne les ait pas habituellement<br />

suivis ; qu'ils osent nier que les ouvrages oùces principes<br />

ont été le mieux observés soient généralement<br />

reconnus pour les plus beaux : voilà ce qui s'appellerait<br />

aller au fait. Mais c'est précisément où ils s'en<br />

veulent pas venir. Ils en voient trop tedanger, et c'est


7131 C0U1S DE LITTEMTU1E.<br />

<strong>la</strong> preuve <strong>la</strong> plus somplète qu'en cherchant à faire<br />

illusion aux autres, ils ne peuvent pas se <strong>la</strong> faire à<br />

eux-mêmes. Un seul, il y a quelques muées, soit<br />

persuasion, soit affectation <strong>de</strong> singu<strong>la</strong>rité, a essayé<br />

<strong>de</strong> combattre <strong>la</strong> théorie <strong>de</strong> fart dramatique ; mais il<br />

s'est donné un si grand ridicule, que personne n'a<br />

été testé <strong>de</strong> le suivre; et, bien avertis par cet eiempie,<br />

tous les'autres se sont promis <strong>de</strong> s f en tenir<br />

toujours à faire <strong>de</strong>s phrases, sans s'eiposer jamais*<br />

à raisonner.<br />

Il s'ensuit que le vrai moyen d'empêcher qu'ils<br />

ne fassent <strong>de</strong>s <strong>du</strong>pes, c'est <strong>de</strong> ré<strong>du</strong>ire leurs figures<br />

et leurs métaphores aui termes propres ; et dans le<br />

moment on Toit tomber l'échafaudage <strong>de</strong> leur puérile<br />

rhétorique. S'ils préten<strong>de</strong>nt que <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong><br />

génie ont poêles règles, et que le succès ajustai<br />

km audace, on leur dira : Ce<strong>la</strong> ne peut être frai<br />

que dams un sens que Boileau lui-même a prévu ;<br />

c'est qu'ils auront négligé une <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> l'art pour<br />

en observer pue autre plus importante. Us se seront<br />

permis une faute pour en tirer une gran<strong>de</strong> beauté<br />

qui <strong>la</strong> couvre et <strong>la</strong> fait oublier. Ce calcul est celui<br />

<strong>du</strong> talent ; et Fauteur <strong>de</strong> l'Art poétique le connaissait<br />

bien y quand il a dit :<br />

Quelquefois dans sa êûone un esprit vigoureux,<br />

Trop resserré par Fart, sort <strong>de</strong>s règles prescrit» f<br />

Et <strong>de</strong> Fart même apprend à franchir leurs limites.<br />

Eemarquez cette expression f <strong>de</strong> l'art même. En<br />

effet, <strong>la</strong> raison, qui a dicté tous les préceptes <strong>de</strong><br />

l'art, sait bise qu'elle ne saurait prévoir tous les cas<br />

sans aucune exception ; et comme le premier <strong>de</strong> tous<br />

les principes est d'atteindre le but où ils ten<strong>de</strong>nt<br />

tousf qui est <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire, c'est <strong>la</strong> raison, c'est Y art<br />

qui prescrit au talent <strong>de</strong> proportionner l'application<br />

<strong>de</strong>s règles à ce premier <strong>de</strong>ssein ; d'en mesurer l'importance,<br />

et <strong>de</strong> sacrifier ce f ni en a le moins à ce qui<br />

en a te plus. C'est ainsi que d'heureux téméraires<br />

savent pëer quelquefois les règles, non pas parce<br />

qu'ils les méprisent, mais parce qu'ils les connaissent.<br />

Aussi ne sont-ce pas ceux-là dont l'anonyme veut<br />

parler ; car alors il aurait ditce que nous savons tous,<br />

et eequi d'ailleurs était contraire à sa thèse, bien loin<br />

<strong>de</strong> l'appuyer. Probablement les téméraires dont il<br />

parle n'ont pas été si heureux, puisqu'il n'ose pas<br />

les nommer : il les excepte seulement <strong>de</strong> ceux à qui<br />

ce terrible Boileau a arraché <strong>la</strong> plume <strong>de</strong>s mains.<br />

« Combles d'esprits timi<strong>de</strong>s, qmiqm profonds f n'ont<br />

point osé sMmmortatiaer en écrirait f parce qu'il leur a trop<br />

bit sentir les difficultés <strong>de</strong> fart d'écrire! *<br />

Observons que ce n'est point ici une simple possibilité;<br />

c'est un fait répété vingt fois, et affirmé<br />

comme <strong>la</strong> chose <strong>la</strong> plus positive. En viêrité, il aurait<br />

bien dû nous faire part <strong>de</strong>s révé<strong>la</strong>tions qu s il a eues à<br />

ce sujet. Pour s'exprimer ainsi sur ces esprits Htm<strong>de</strong>s,<br />

quoique profonds, ou profonds, quoique timi<strong>de</strong>s,<br />

il faut bien qu'il les ait connus. Cependant<br />

ils n'ont pas osé s'immortaliser en écrivant. Comment<br />

donc, s'ils ont été si timi<strong>de</strong>s, peut-il savoir<br />

qu'ils ont été si profonds? Ce<strong>la</strong> n'est pas aisé à <strong>de</strong>viner.<br />

Mais ce qyi n'est pas plus facile, c'est <strong>de</strong> s'accoutumer<br />

à cette inconcevable manière,d'écrire, à<br />

ce ton si décidément affirmatsf dans les propositions<br />

les plus inintelligibles, à ces faits avancés avec tant<br />

<strong>de</strong> confiance, sans <strong>la</strong> plus légère preuve, sans <strong>la</strong><br />

moindre apparence <strong>de</strong> sens. Que 1 on essaye, par<br />

exemple, d'en trouver un au passage suivant :<br />

« Les règles sont en général détestées <strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong>»<br />

et presque tout le mon<strong>de</strong> s'y soumet Pourquoi cent ? 11 me<br />

sera facile d'en donner <strong>la</strong> raison. Le sentiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté<br />

est gravé dans toutes les âmes , et rjee s'a jamais ps<br />

Fy détruire. L'homme guidé ai tout par sa volonté, fait<br />

toujours avec grâce ce qu'il n'est point forcé à faire. Loi<br />

impose-t-oo ose tâchef ou ini donne-t-on <strong>de</strong>s chaînes, le<br />

travail qui lui p<strong>la</strong>isait kl <strong>de</strong>vient insupportable; et pins le<br />

Joug est pesant, plus II s'efforce <strong>de</strong> le secouer. Il s'ensuit<br />

<strong>de</strong> là, me direz-voiis, que ks règlea<strong>de</strong> FMt poétique se<br />

doivent point arrêter fesser <strong>du</strong> poète, quelque onéreuses<br />

qu'elles lui paraissent. Boa : lorsque les règles sont accréditées<br />

à tel point qu'on ne peut les braver sans être ridicule?<br />

que <strong>la</strong> philosophie même craindrait d'en <strong>mont</strong>rer<br />

les divers abus ; lorsque le temps leur a donné une sancUon<br />

et <strong>de</strong>s droits imprescriptibles, le poète alors n'ose ni les<br />

contredire ni les élu<strong>de</strong>r. »<br />

Je reprends cette curieuse tira<strong>de</strong>» et, suivant toujours<br />

<strong>la</strong> mime métho<strong>de</strong>, je réponds : Comme il s'agit<br />

<strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie 9 et qu'il est dé<strong>mont</strong>ré<br />

qu'elles ne sont autre ehose que le bon sens, jusqu'à<br />

ce qu'on sous ait prouvé le contraire, dire que tout<br />

k mon<strong>de</strong> déteste les rêgks et que tout le mon<strong>de</strong> s'y<br />

soumet, c'est dire que tout le mon<strong>de</strong> déteste le bon<br />

sens et que tout le mon<strong>de</strong> s'y soumet : l'un et l'autre<br />

sont également faui. On ne déleste pas le bon sens,<br />

<strong>du</strong> moins l'anonyme nous permettra <strong>de</strong> croire que<br />

cette aversion n'est pas générale; mais il n'est pas<br />

toujours si aisé <strong>de</strong> se conformer au bon sens, Tout<br />

le mon<strong>de</strong>, ou <strong>du</strong> moins le plus grand nombref reconnalt<br />

que les règles sont bonnes, mais pu <strong>de</strong> gens<br />

sont capables <strong>de</strong> les suivra : voilà <strong>la</strong> vérité.<br />

Le sentiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté est gravé dans t&uÉes<br />

les âmes, Où en sommes-nous ? le sentiment <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

liberté, quand il s'agit d'un poème ou d'une tragédie!<br />

L'Jrt poétique, un attentat contre <strong>la</strong> liberté<br />

<strong>de</strong> l'homme! Eh bien! messieurs, l'auriez-vous imaginé<br />

qu'on en vint jusque-là? Allons, puisqu'il est


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

question <strong>de</strong> Mêertê, rassurons l'auteur et protestons<br />

lui que, malgré les Horace, les Despréaux, et tous<br />

les légis<strong>la</strong>teurs <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> , il sera toujours permis f<br />

très-permis <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> marnais vers, <strong>de</strong>s drames<br />

extravagants et <strong>de</strong> <strong>la</strong> prose insensée, sans qu'il y<br />

ait aucun inconvénient à craindre, si ce n'est celui<br />

qu'il nous indique lui-même, c'est-à-dire uu peu <strong>de</strong><br />

ridicule; et il sait que pour bien <strong>de</strong>s gens ce n'est<br />

pas une affaire.<br />

L'hommê^ fait imjmtê avec grâce ce qu'il n f est<br />

point forcé à faire. Ce petit axiome est un peu trop<br />

général et souffre exception. Tous ceux qui écrivent<br />

ue sont point forcés d'écrire, et pourtant tous ne le<br />

font pas avec grâce.<br />

La philosophie même craini <strong>de</strong> <strong>mont</strong>rer l'abuè<br />

dm régies* C'est que <strong>la</strong> philosophie, qui n'est que<br />

Tétu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison, ne toit point d'abus à être raisonnable.<br />

L'auteur prétend que, si <strong>la</strong> Fontaine avait lu<br />

l'Art poétique,<br />

« i n'aurait pas eaé nous donner <strong>de</strong>s contes délicieux qui<br />

m blessent les lois et les maximes 9 ni ces apologues dont<br />

les ségttgences adorables forment su contraste si scanda­<br />

713<br />

On avait cru jusqu'iei que <strong>la</strong> déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s lettres<br />

à Rome avait eu pour causes principales <strong>la</strong> dégradation<br />

<strong>de</strong>s esprits sous les empereurs, l'avilissement<br />

qui suit f esc<strong>la</strong>vage, l'effroi qu'inspirait nu<br />

gouvernement sous lequel les talents <strong>de</strong> Lucaîn lui<br />

ont coûté <strong>la</strong> Vie. Point <strong>du</strong> tout : c'est l'Art poétique<br />

d'Horace qui a pro<strong>du</strong>it cette fatale révolution. Si<br />

cette assertion est un peu extraordinaire, il ne faut<br />

pas nous en étonner : on trouve, un moment après,<br />

ces paroles remarquables : Je suis en train <strong>de</strong> dire<br />

<strong>de</strong>s choses extraordinaires. Quand il a dit celles-là,<br />

il était en bon train»<br />

Au reste, on peut lui rappeler que l'Art poétique<br />

d'Horace, tout <strong>de</strong>structeur qu'il ait pu être, avait<br />

para avant que Virgile composât son Enéi<strong>de</strong>. Ce<strong>la</strong><br />

est si vrai, qu'Horace, on par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> Virgile, ne fait<br />

l'éloge que <strong>de</strong> ses Êglogues et <strong>de</strong> ses Géorgiques,<br />

et le représente comme le favori <strong>de</strong>s Muses charn*<br />

pêtres. Pour l'épopée, il ne cite que Variasf dont<br />

nous avons per<strong>du</strong> les ouvrages. Ainsi l'Enéi<strong>de</strong> a au<br />

moins échappé à <strong>la</strong> funeste influence <strong>de</strong> <strong>la</strong> Poétique<br />

d'Horace, et c'est bien quelque chose.<br />

leux avec <strong>de</strong>s beautés arrangées et <strong>de</strong>s grâces tuées au<br />

« îî i fallu une <strong>la</strong>ngue nouvelle, eue régénération totale<br />

cor<strong>de</strong>au. »<br />

dans les expressions t et même dans les liées, pour effacer<br />

le souvenir <strong>de</strong> <strong>la</strong> désespérante sévérité <strong>de</strong> légis<strong>la</strong>teur ; et<br />

Pas un mot qui ne porte à faux. U n'y a point <strong>de</strong> lorsque le Dante a donné ce beau wmnstre où S'enfer et<br />

grâces Orées au cor<strong>de</strong>au; et Boileau, qui nous <strong>la</strong> paradis doivent être un peu étonnés <strong>de</strong> se trouver en­<br />

parle <strong>de</strong>s grâces d'Horace, ne nous en donne pas semble , il n'y a pas apparence que F Épitre aux Pisom ait<br />

cette idée. Les beautés arrangées sont propres influé en rien sur ses travaux. »<br />

aux ou Y rages sérieux : il en faut d'une autre espèce<br />

Oh ! non, et l'on s'en aperçoit ; car <strong>la</strong> divine comé­<br />

dans les contes, et qui n'étaient pas inconnues à<br />

die <strong>du</strong> Dante est précisément le nmnslrr dnat Horace<br />

celui qui a si bien développé celles <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine<br />

se moque dans les premiers vers <strong>de</strong> son ÉpMre aux<br />

dans son excellente dissertation sur Jocon<strong>de</strong>. Ces<br />

Pisom; et là-<strong>de</strong>ssus tout le mon<strong>de</strong> est d'accord avec<br />

contes ne bkssent point les maximes <strong>de</strong> l'Art poé­<br />

lui. 11 est fort douteux que ce monstre soit beau<br />

tique, où Ton ne parle pas <strong>du</strong> conte. Les Fables<br />

parce qu'on y trouve <strong>de</strong>ux ou trois morceaux qui<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine ne sont point adorables par <strong>la</strong> né­<br />

ont <strong>de</strong> l'énergie ; mais ce qui n'est pas douteux, c'est<br />

gligence .-elles sont sévèrement travaillées, quoique<br />

l'ennui mortel qui rend impossible <strong>la</strong> lecture suivie<br />

le travail n'y paraisse pas; les fautes, même légè­<br />

<strong>de</strong> cette rapsodie informe et absur<strong>de</strong>. On sait qu'elle<br />

res, y sont très-rares. L'auteur a confon<strong>du</strong> l'air né­<br />

n'a <strong>de</strong> prix, mime en Italie, que parce que l'auteur<br />

gligé qui sied au conte avec <strong>la</strong> facilité qui sied à <strong>la</strong><br />

fable ; et ce ne sont point les négligences qui ren<strong>de</strong>nt<br />

a contribué un <strong>de</strong>s premiers à former <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue et<br />

les apologues <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine adorables : ils ont cent<br />

<strong>la</strong> 'versification italienne. Cet avantage prouve le<br />

autres mérites qu'apparemment l'anonyme n'a pas<br />

talent naturel ; mais, s'il y eût joint quelque con­<br />

sentis.<br />

naissance <strong>de</strong> Fart, il eût pu faire us poème qu'on<br />

lirait avec p<strong>la</strong>isir. 11 se serait gardé, nan pas <strong>de</strong> met­<br />

Il se fait une objection :<br />

tre ensemble le paradis et l'enfer, comme le dit<br />

« Horace a donc eu tort <strong>de</strong> empoter on Art poéft* Fanonyme, qui ne sait pas mieux juger les défauts<br />

que? »<br />

que les beautés (ce rapprochement n'a rien <strong>de</strong> répré-<br />

Mais l'objection ne rembarrasse pas.<br />

hensible en lui-même, et se trouve' dans l'Enéi<strong>de</strong><br />

* Horace a eu tort, sans doute; et <strong>la</strong> preuve qu'il a eu et dans <strong>la</strong> Henria<strong>de</strong>)% irufc<strong>de</strong> composer un long<br />

tort s c'est que 9 <strong>de</strong>puis Horace 9 excepté Jevénal peut-être , amas <strong>de</strong> vers sans <strong>de</strong>ssein, sans action, sans îatérf 19<br />

il n'y a eu à Rome que <strong>de</strong>s poètes extrêmement médio­ sans gais, sans raison. En un mot, Il eût pu faire<br />

cres. »<br />

comme le Tasse; le Tasse, dont Fanonyme se donne<br />

Belle eon<strong>du</strong>stoo, et digne <strong>de</strong> Teior<strong>de</strong> !<br />

bien <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> parler; le Tasse, qui assit lu im


COU1S BE LITTÉEâTUM.<br />

114<br />

PêéM§m dHoraee, et qui, dans le heau siècle <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> renaissance <strong>de</strong>s lettres, a été un peu plus loin<br />

fie le Dante, dans <strong>la</strong> barbarie <strong>du</strong> treizième; le<br />

Tasse, qui, en imitant Homère et Virgile, en se<br />

soumettant à tontes ces règles déksiém <strong>de</strong> êmt k<br />

mmâe9 et qui ont tué tant <strong>de</strong> taknU9 a fait un<br />

poème <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus magniique ordonnance et <strong>du</strong> plus<br />

grand intérêt, un poème rempli <strong>de</strong> ebarmeg, que<br />

toute l'Europe lit avec délices, et que toajpns <strong>de</strong><br />

lettressavent par cœur, comme iMm<strong>de</strong> et f Enéi<strong>de</strong>*<br />

Qu'en dites YOUS, monsieur l'anonyme? La Jérmmkm<br />

ne vaufrtlle pas bien votre beau mmsire <strong>du</strong><br />

Dante? Pourquoi ne nous en pas dire un mot? Il<br />

peut bien y a?oir une petite adresse dans ce silence ,<br />

mais il n Y y a pas <strong>de</strong> courage.<br />

Tous nos légis<strong>la</strong>teurs <strong>du</strong> four ont un malheur :<br />

c'est qu'ils sont toujours écrasés par les faits autant<br />

que par les raisonnements. Mais ils ont une ressource<br />

bien conso<strong>la</strong>nte : nous ne disons que <strong>de</strong>s<br />

vérités communes, et ils ont <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> dire <strong>de</strong>$<br />

à outrance contre ce qui n'existe pas. Mais quand<br />

les géants am cent bras se trouvent transformés<br />

en moulins à vent, on rit aux dépens <strong>de</strong> don Quichotte.<br />

Contre qui s'escrime ici fauteur? Qui jamais<br />

a préten<strong>du</strong> renfermer l'épopée dans les fsMes anciennes<br />

? Qui jamais a imaginé <strong>de</strong> faire un poème <strong>de</strong><br />

vingt-quatre chants sur Io changée en Tache » ou sur<br />

les Illes <strong>de</strong> Minée changées en ehau?es-souris ? Quel<br />

imbécile a cru que <strong>la</strong> vache ef fer chastoeÊ+aurit<br />

fussent <strong>de</strong>$ hémnm lmiêres$am$esî Despréaux, il<br />

est irrai, trouve que les noms <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fable sont heureux<br />

pour les Ters; mais pour eeqài regar<strong>de</strong> le choix<br />

<strong>du</strong> sujet, rolel comme il s'exprime :<br />

fuites choix d'us béret propre à n'intéresser,<br />

Es valeur Matant, es fer<strong>la</strong>i magnUque ;<br />

Qffoi lui , Jusqu'au défauts , tout te rnootra héioffiie<br />

Que i« faits lerprestali soient dignes #être «Us ;<br />

Qu'il soit tel epa Césart àiexaM» , on Ltmli;<br />

Hon tel que Polyales el M» perfi<strong>de</strong> frira :<br />

On s'ennuie aux exploits €» «Mipérsait vnlfatee.<br />

Polynice est pourtant un sujet <strong>de</strong> k Fable; c'est<br />

ekmet exàraordêMMêrei. Si fauteur se tait sur le celui qu'avait choisi Staee : Boileau le proscrit, et<br />

Tasse, en récompense il fait grand bruit <strong>de</strong> Milton. n'iedique que <strong>de</strong>s héros <strong>de</strong> l'histoire. 11 y a plus : il<br />

11 reproche à Boileau, comme une preuve <strong>de</strong> «es est si vrai que fauteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Lettre s'élève m coutre<br />

idées bornées, <strong>de</strong> n'avoir pas soupçonné quel parti un Irarers chimérique 9 que , parmi les {mêmes épi­<br />

Ton pou?ait tirer <strong>de</strong> l'enfer et <strong>de</strong> Satan. 11 loue avec ques mo<strong>de</strong>rnes, étrangers ou nationaux, il n'y en<br />

raison , dans le poëte ang<strong>la</strong>is, le caractère <strong>du</strong> prince a pas un seul tiré <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fable; ni 1e Tasse, ni Ca-<br />

<strong>de</strong>s démons et <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> l'É<strong>de</strong>n : ce sont en moëas, ni le Trïssïn, ni d'Ereil<strong>la</strong>*, tfont travaillé<br />

effet les beautés qui ont immortalisé Milton. Mais sur <strong>la</strong> mythologie. Le SaintrLmdt, <strong>la</strong> Puœlie, te<br />

si <strong>de</strong> beau morceaus ne font pas un poème ; si celui Choit, ÏA<strong>la</strong>rk, le Imm$f le Motte, le Ckark*<br />

<strong>du</strong> Pmradit per<strong>du</strong>, sans tous ses autres défauts, magne, le ChU<strong>de</strong>bramé, ne sont pas <strong>de</strong>s sujets fafau-<br />

pèche encore par un vice dans le sujet; si, passé les leui. A qui doue en veut-il ? que veut-il dire lorsque<br />

premiers chants, il est si difficile <strong>de</strong> le lire; enfin, nous <strong>la</strong>it cette <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d'un air triomphant :<br />

si tous les reproches que lui ont faits <strong>de</strong> bons criti­ « Milton n'a-t-il pas été heureusement inspiré 9 tsrtqvM<br />

ques peuvent se dé<strong>mont</strong>rer, comme je me propose s*est é<strong>la</strong>ncé k&rs <strong>du</strong> cercle <strong>de</strong>pmMUiês H vantées,<br />

<strong>de</strong> le faire en son lieu, Paris <strong>de</strong> Boileau <strong>de</strong>meurera qm9 semb<strong>la</strong>ble à lu Fmtaine, U mfrmmcM en bar­<br />

jestiié» et le poème ang<strong>la</strong>is prouvera seulement rières qu'il ne cùnmmismUpasP »<br />

qu'un homme <strong>de</strong> génie peut tirer <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s beautés Je ne ?ois pas hors <strong>de</strong> quelles pmèrUMs Mltos a<br />

d'un sujet mal choisi, mais non p$ en faire un bon pu t'ékinmr, si ee n'est hors <strong>de</strong> celles <strong>de</strong> Fiëa<strong>de</strong> et<br />

ouvrage.<br />

<strong>de</strong> ? Enéi<strong>de</strong>, qui ne <strong>la</strong>issent pas <strong>de</strong> nous intéresser<br />

L'anonyme s'écrie I propos <strong>de</strong> Milton : encore; mais surtout je se vois pas quel rapport<br />

« PôSîqiMit vouloir enfermer le génie dans le champ on peut découvrir entre Milton et <strong>la</strong> Fontaine, ni<br />

<strong>de</strong>* fUites anciennes, et lui défendre <strong>de</strong> s'en écarter ? Croit- comment fus a été semb<strong>la</strong>ble à l'autre -t ni quelles<br />

m que, tmpkihmpkie m§mm$f&ii mmin basse <strong>de</strong>puis barrières à franchies <strong>la</strong> Fontaine, qui a fait do<br />

im§temps mr tout mi mripemu m§tMû§iqm, œa peèie fables après Ésope et Phèdre, et <strong>de</strong>s contes après<br />

serait' Men venu à sons mettre es ffe#


SIÈCLE DE LOUIS XIY. — POÉSIE.<br />

715<br />

Je ne sais pas non plus quand fapMtmopMe afaii mmm§mîlmléiMMmimmipmimMfmiiêA$kmi^<br />

mmim basse mr VoHpeau mythologique. Je sais que rimes, Yous n'êtes guère plus avancés s et vous dites ;<br />

nombre (Técriv afflears compromettent tous les jours Qu'est-ce que BuM vaincu? Mais Fauteur vous<br />

e@ mot <strong>de</strong> philosophie qu'ils n'enten<strong>de</strong>nt guère, dira que ce n'est pas sa faute' si DuÊoi vous est<br />

et loi font faire <strong>de</strong>s exécutions qu'elle n'âfoue pas; inconnu : vous verrez que ce sera encore 1a faute <strong>de</strong><br />

qu'elle n'a pu fsire mmim basse sur <strong>de</strong>s poëmes fâbuBoileau.<br />

Quoi qu'il en soit, l'anonyme en donne un<br />

lewcf puisque nous n'en a?oes point; qu'elle s'a extrait très-détailié. Mais, comme je ne suis pas<br />

point fait main basse sur nos tragédies tirées <strong>de</strong> <strong>la</strong> aussi sûr <strong>de</strong> votre patience qu'il Test <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> ses<br />

Fable, qui sont encore l'ornement et <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> lecteurs, je ne risquerai pas d'aller avec lui à <strong>la</strong> suite<br />

notre théâtre ; que ks Métamorphoses d'Ovi<strong>de</strong> sont <strong>de</strong> Dulot. Je me contenterai <strong>de</strong> vous assurer, <strong>de</strong> sa<br />

no outrage charmant, lu a?ec grand p<strong>la</strong>isir, même part, qu'on ne peut rien comparer à Dufot, dans<br />

par les philosophes; que Voltaire, qui ne manquait noire tangue f pour k genre MroKomêqm, si œ<br />

pas é& philosophie 9 regardait ce poème comme un n<br />

<strong>de</strong>s plus beaux monuments <strong>de</strong> l'antiquité, et qu'il<br />

estimait ces puérilités au point qu'il en a fait l'éloge<br />

dans une très-jolie pièce <strong>de</strong> mm consacrée particulièrement<br />

à ce sujet. 11 est vrai que le fréquent<br />

usage qu'on a fait <strong>de</strong>s idées et-<strong>de</strong>s images <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fable<br />

prescrit au talent <strong>de</strong> ne plus s'en servir que trèssobrement<br />

, et <strong>de</strong> chercher d'autres ressources, parce<br />

qu'il est dangereux <strong>de</strong> revenir sur ce qui est épuisé.<br />

Serait-ce là par hasard ce que Fauteur a voulu dire?<br />

Mais cette observation est aussi trop usée, et les<br />

. philosophes n'y sont pour rien. Elle traîne <strong>de</strong>puis<br />

trente ans dans tous les livres, dans tons les journaux<br />

; et il est triste <strong>de</strong> n'avoir raison qu'en répétant<br />

ce qui est si rebattu, et le répétant hors <strong>de</strong> propos.<br />

11 retombe dans le même défaut, lorsqu'à propos<br />

<strong>du</strong> lutrin il emploie <strong>de</strong>s pages à nous dire comme<br />

une nouveauté ce que tous les critiques ont repris<br />

dans le sixième chant, en admirant le reste <strong>du</strong><br />

poème. Cependant il semble qu'il ne puisse pas renouveler<br />

une observation juste, sans que le p<strong>la</strong>isir<br />

d'avoir une fois raison après tout le mon<strong>de</strong> le porte<br />

à passer toute mesure, au point qu'il init par avoir<br />

tort. Il veut qu'on applique au Lutrin ce vers fait<br />

sur YAttrate,<br />

Et câaipt acte en sa pièce est use pièce entière.<br />

Mais comme ce vers serait très-injuste si Y Astrale<br />

avait quatre actes supérieurement faits, fauteur<br />

sera tout seul à rappliquer à un poème dont cinq<br />

chants sont irréprochables, sur un seul défectueux.<br />

Il revient bientôt à son ton naturel, et voici une<br />

découverte vraiment rare :<br />

« H existait dans notre <strong>la</strong>ngue 9 avant le Lutrin, «a<br />

poëœc êm mêdie genre , et sans comparaison supérieur. »<br />

Vous ne vous en doutiez pas, messieurs; ni moi<br />

non plus 9 et je ne l'aurais sûrement pas <strong>de</strong>viné. Mais<br />

<strong>la</strong> brochure que j'ai sons les jeux me met à <strong>la</strong> source<br />

<strong>de</strong>s lumières, et il faut vous en faire part f d'autant<br />

plus têt, que votre curiosité doit être proportionnée<br />

à l'impatience <strong>de</strong> connaître ce phénomène. (Test le<br />

9 est k VettrYett peut-être; qu'il n'y a rien dans<br />

notre <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong> plus original et <strong>de</strong> pim comique<br />

que k premier chants qu'U n'y a pat dans k troisMme<br />

un détail qui ne soit charmant; que c'est le<br />

plus poétique etkpkm ingénieux <strong>de</strong> tous, et qu'U<br />

faudrait k citer en entier pour en faire connaître<br />

toutes ks grâces naïves et pittoresques, Yous en<br />

croirez, messieurs, ce que vous voudrez, et ceux<br />

qui ne le croiront pas pourront y aller voir. Tout<br />

ce que je puis faire pour en donner une idée, c'est<br />

<strong>de</strong> vous citer une domaine <strong>de</strong> vers, parmi ceux que<br />

l'anonyme rapporte lui-même comme les meilleurs :<br />

Vm fiera anasom apparaît <strong>la</strong> premièrt<br />

Les <strong>de</strong>ux <strong>la</strong> ires! naître aussi <strong>la</strong>i<strong>de</strong> que 1ère,<br />

Os rappelle Chiemm ; autour «Telle .pressât,<br />

Sous son mmmïméemmî marchent mile jmeèi.<br />

Foi vîeot le pot sa tête....<br />

Soutane mmœ après i eUe est noire, «Ile est twle ;<br />

C'est <strong>de</strong> fusent Bolet <strong>la</strong>oompagne fidèle....<br />

Six asrp* ratent eneo? : Tua ? le peup<strong>la</strong> <strong>de</strong>s andies,<br />

Portant sur leurs cimiers <strong>de</strong>s panaches d'autruche*.<br />

Cette geste est fantasque, et leur chef Coqœmari,<br />

Abandonné <strong>de</strong>s siens, fait souvent ten<strong>de</strong> à part<br />

Deux barbes iront après, fil!, gran<strong>de</strong>s et hMeusss,<br />

Mènent <strong>de</strong>ux bataillons <strong>de</strong> barbes beâMcpieiises.<br />

C'en est assez, je crois, pour satolr i quoi s'en<br />

tenir sur ce poème qu'on nous dit être dans le genre<br />

<strong>du</strong> Lutrin. L'épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Mollesse est dans un goût<br />

un peu différent! mais ce<strong>la</strong> n'empêche pas que le<br />

p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> Dtàot ne soit mieux conçu, et que Yordon»<br />

mante ne soit plus toge que celle <strong>du</strong> Lutrin. On<br />

moue pourtant que Dulot est très-inférieur pour k<br />

styk; mais c'est ; dit-un, que rkn n'égale dans notre<br />

<strong>la</strong>ngue celui <strong>du</strong> Lutrin. On ne s'attendait pas<br />

à trou?er ici un pareil éloge : mais 9 encore une fois,<br />

il n ? est pas plus aisé <strong>de</strong> se rendre raison <strong>de</strong>s louanges<br />

<strong>de</strong> l'anonyme que <strong>de</strong> ses critiques. Peut-être<br />

peusara-t-on que <strong>la</strong> Menriàm a <strong>de</strong>s beautés d'un<br />

ordre supérieur à Mlles <strong>du</strong> Lutrin même ; mais<br />

quand fauteur <strong>de</strong> cette diatribe s'airise <strong>de</strong> louer Despréâiii,<br />

il faudrait être <strong>de</strong> mau?aise humeur pour<br />

le chicaner sur le plus ou le moins.<br />

Quant à lui f il chicane sur tout : il <strong>la</strong>it un crime


T16<br />

à fauteur <strong>de</strong> VArt poétique <strong>de</strong> n'avoir pas parlé <strong>de</strong><br />

Fépître et <strong>du</strong> poème didactique; comme s'il pouvait<br />

y i?oir <strong>de</strong>s préceptes sur l'épître qui ne rentrassent<br />

pas dans les leçons générales qu'il donne sur le style,<br />

et comme si l'Art poétique lui-même n'était pas<br />

un modèle suffisant <strong>du</strong> genre didactique. Il p<strong>la</strong>isante<br />

un peu cruellement sur un acci<strong>de</strong>nt malheureux<br />

arrivé, dit-on f à Boileau dans son enfance ; et il<br />

assure que par cet acci<strong>de</strong>nt Boileau perdit sa noix<br />

et son génie,<br />

« BolJeau migmsr<strong>de</strong> son distique sur le madrigal, et<br />

pomponne <strong>la</strong> peinture <strong>de</strong>'l'idylle.... Que fal<strong>la</strong>it-il pour le<br />

contenter? D'harmoniêyses billevesées. Il se songe pas<br />

qu'il faut que <strong>de</strong>s vers disent quelque chose. »<br />

Il faut que ce soit sans y songer que Boileau ait<br />

<strong>la</strong>it ce vers dont il répète <strong>la</strong> substance en vingt endroits<br />

:<br />

Et mon ¥en? bien ou mal f dit toujours quelque chose,<br />

U voudrait qu'au lieu <strong>de</strong> l'Art poétique, Boileau eût<br />

composé l'Art <strong>de</strong>s rois ;<br />

« qu'il eût tant soit peu sevré Racine <strong>de</strong> l'encens qu'il<br />

lui prodigue, pour l'offrir am Antoniiisf mx Titus aux<br />

Henri IV. »<br />

On reconnaît bien ici le caractère <strong>de</strong>s esprits<br />

faux, qui gâtent tout ce qu'on leur apprend, et abusent<br />

<strong>de</strong> tout ce qu'ils enten<strong>de</strong>nt. Depuis que Fart<br />

d'écrire est formé, <strong>de</strong>s sages ont exhorté les poètes<br />

à mettre en ¥ers une morale utile aux hommes : on<br />

en conclut ici qu'il n'y a jamais eu rien <strong>de</strong> bon,<br />

rien d'estimable, que <strong>la</strong> morale en vers ; tout le reste<br />

_ n'est que billevesées. Si Ton eût conseillé à Boileau<br />

' <strong>de</strong> faire f Art <strong>de</strong>s rois, sans doute cette entreprise<br />

lui aurait paru fort gran<strong>de</strong>; mais peut-être eût-il<br />

trouvé ce titre un peu fastueux. Peut-être eût-il enserré<br />

que l'Art <strong>de</strong>s rois se trouve dans l'histoire<br />

bien étudiée, plus que dans un poème didactique,<br />

quel qu'il soit; que si les rois peuvent s'instruire<br />

dans les bons ouvrages d'économie politique ou dans<br />

une tragédie telle que Britannicus, ils pourraient<br />

bien trouver un peu d'orgueil dans le poète qui<br />

composerait l'Art <strong>de</strong>s rois. Enfin Boileau aurait pu<br />

dire à l'anonyme : « Je me borne à faire l'Art <strong>de</strong>s<br />

poètes, parce que je l'ai étudié toute ma vie. Vous<br />

monsieur /qui saves sans doute comment ii faut ré^<br />

gnar, faites l'Are <strong>de</strong>s rois. » Et il aurait pu ajouter :<br />

« Il faut que vous ne m'ayez pas bien lu, puisque •<br />

fous réc<strong>la</strong>mez mon encens m faveur <strong>de</strong>s bons princes.<br />

Voici comment je parle <strong>de</strong> ce Titus que vous<br />

citez, et dans uno épître à Louis XIV :<br />

Tel fat cet empereur, sous qui tome adorée<br />

Vit renaître les Joura <strong>de</strong> Saturne et <strong>de</strong> Rhéa ;<br />

Qui rendit <strong>de</strong> soo joug l'univers amoureux<br />

Qu'on n'alta Jamais voir sans revenir heureux ;<br />

COU1S DE LITTËMTU1E.<br />

Qui soupirait te Mir, il « main fortunée<br />

N'avait par m bâeofslti signalé M Journée.<br />

« Vous voyez, monsieur, quef si je ne me pique<br />

pas <strong>de</strong> savoir l'Art <strong>de</strong>s rois, je sais leur proposer<br />

d'assez bons modèles. »<br />

On a toujours mis au nombre <strong>de</strong>s meilleurs morceaux<br />

<strong>du</strong> Lutrin le combat <strong>de</strong>s chantres et <strong>de</strong>s chanoines<br />

avec les livres <strong>de</strong> Barbin. On a cru voir beaucoup<br />

<strong>de</strong> gaieté et <strong>de</strong> finesse dans les allusions satiriques<br />

aui différents livres qui servent d'armes aux<br />

combattants. Le panégyriste <strong>de</strong> Dufol mmem n'est<br />

pas à beaucoup près aussi content <strong>de</strong> cette p<strong>la</strong>isanterie<br />

<strong>du</strong> Lutrin. J'avoue que <strong>la</strong> critique qu'il en fait<br />

est peut-être beaucoup plus p<strong>la</strong>isante, mais c'est<br />

d'une autre manière. Il prouve très-sérieusement et<br />

en rigueur que le caractère moral <strong>de</strong>s ouvrages ne<br />

fait rien à leur volume physique, et que par conséquent<br />

<strong>la</strong> p<strong>la</strong>isanterie <strong>du</strong> Lutrin est forcée et hors<br />

<strong>de</strong> nature,<br />

« Je suppose qu'on reliât pesamment les opéras <strong>de</strong><br />

Quinault, qu'oa mil sur <strong>la</strong> couverture un <strong>la</strong>rge fermoir oè<br />

<strong>de</strong> gros clous seraient attachés, Boileau les prenêrmt-U<br />

pour <strong>de</strong>s pommes cuites, si par hasard on les lui jetait à<br />

<strong>la</strong> tête?»<br />

Voilà <strong>de</strong> <strong>la</strong> fine p<strong>la</strong>isanterie. Eh bien! si eesjummes<br />

cuites ne font pas <strong>la</strong> môme fortune que 17»fortiat<br />

<strong>de</strong> Boileau t ce sera encore ce malheureux<br />

Art poétique qui en sera cause.<br />

« Quel rapport peut avoir use chose puremait spiritaelle<br />

avec ee qui n'est que matériel? »<br />

11 conclut, et veut que l'on eomieme mee tms<br />

les bons esprits que ces vers ne sammimi jamais<br />

trouver grâce aux yeux <strong>de</strong> <strong>la</strong> raieon.<br />

Il faut pourtant que <strong>la</strong> raison <strong>de</strong> l'anonyme souffre<br />

que notre raison fasse grâce à ces vers, et<br />

même les trouve très-gais et très-agréables. Il faut<br />

qu'il apprenne que ces vers s quoi qu'il en dise, ne<br />

sont pas une pointe; que le procédé <strong>de</strong> l'allégorie<br />

consiste à passer <strong>du</strong> physique au moral, et qu'il est<br />

reçu chez tous les bons "écrivains, quand le sens en<br />

est c<strong>la</strong>ir et frappant. Veut-il <strong>de</strong>s exemples, qu'il se<br />

rappelle l'épigramme <strong>de</strong> Rousseau contre BcOegar<strong>de</strong><br />

:<br />

Som m teintera git un pauvre éeayer,<br />

Qui tout m eau sortant d'un jeu <strong>de</strong> pauts®<br />

En attendant qu'on le vînt essuyer, -<br />

De Bellegar<strong>de</strong> ouvrit an premier tome.<br />

Là dans un rien tout sou sang fut g<strong>la</strong>cé.<br />

Dieu fasse paix au pauvre trépassé?<br />

Assurément il n'y a rien <strong>de</strong> commun entre un<br />

livre ennuyeux et une iuiion <strong>de</strong> poitrine. Cependant<br />

l'épigramme est bonne, parce que tout le mon<strong>de</strong><br />

entend <strong>la</strong> p<strong>la</strong>isanterie, et s'y prête volontiers Voltaire<br />

s'est servi <strong>de</strong> <strong>la</strong> même igure f et s'en est aerri


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE<br />

dasis <strong>la</strong> prose, qui est moins hardie que <strong>la</strong> poésie.<br />

Je pourrais y joindre vingt autres exemples ; mais<br />

ceux-là suffisent. C'est cependant <strong>de</strong> cette préten<strong>du</strong>e<br />

faute que fauteur prend droit <strong>de</strong> faire cette exc<strong>la</strong>mation<br />

:<br />

« Roileau, qui s f est tant moqué <strong>de</strong> Ronsard, <strong>de</strong>vait-Il<br />

l'imiter même une seule fois? »<br />

Qu'on imagine, si l'on peut, quel rapport il y a entre<br />

ce passage, fût-il défectueux, et Ronsard. C'est<br />

peut-être <strong>la</strong> première fois qu'on a mis ces <strong>de</strong>ux noms<br />

ensemble. Je crois que Fauteur s'est bien félicité<br />

d'avoir amené ce rapprochement étrange : il <strong>de</strong>vrait<br />

pourtant savoir que rien n'est si aisé que d'amener<br />

<strong>de</strong>s Injures par <strong>de</strong> faux raisonnements.<br />

Le Lutrin essuie un reproche bien plus grave :<br />

c'est ce poème qui est cause que nous n'avons pas<br />

<strong>de</strong> poèmes épiques, et voilà l'influence <strong>de</strong>s mauvais<br />

exempks <strong>de</strong> BoMeau, qui m'a fait que <strong>du</strong> mal. Un<br />

long paragraphe est employé à nous prouver que<br />

l'auteur <strong>du</strong> Lutrin n'a eu d'autre art que <strong>de</strong> tourmer<br />

tes belks choses en ridicule, <strong>de</strong> parodier F Ilia<strong>de</strong><br />

et ? Enéi<strong>de</strong>, et <strong>de</strong> les présenter sous un jour qui<br />

fosse rejaîUîr sur elles une sorte <strong>de</strong> mépris; que<br />

cet art <strong>de</strong>vait p<strong>la</strong>ire surtout à Boileau; que ce timi<strong>de</strong><br />

et froid écrivain a rabaissé Homère et Firgik<br />

jusqu'à lui; que son succès Fa justifié; que ce<br />

succès a été si grand, qu'il a fondé une école, etc.<br />

Une école d'où sortiraient <strong>de</strong>s ouvrages dans le goût<br />

<strong>du</strong> Lutrin pourrait être assez bonne. Malheureusement<br />

je n'en connais pas <strong>de</strong> cette espèce, et le maître<br />

est resté tout seul avec son chef-d'œuvre. Je<br />

conçois qu'il sera toujours difficile d'imiter cet ouvrage<br />

vraiment original, et marqué au coin <strong>de</strong> ce talent<br />

particulier que Boileau possédait éminemment,<br />

celui <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> beaux vers sur <strong>de</strong> petits objets. Mais<br />

qu'il s'y soit attaché pour rabaisser les gran<strong>de</strong>s eho-<br />

' ses Je le croirai quand Fanonyme m'aura convaincu<br />

qu'Homère, qui, dans le Combat <strong>de</strong>s rats et <strong>de</strong>s<br />

grenouilles, a parodié son Ilia<strong>de</strong>, a voulu rabaisser<br />

l'épopée. Qu'il en ait rejailli <strong>du</strong> mépris pour l'héroïque<br />

, je le croirai quand on m'aura fait voir que<br />

cette parodie faite par Homère a empêché Virgile<br />

<strong>de</strong> faire l'Enéi<strong>de</strong>, et que k Lutrin a empêché Voltaire<br />

<strong>de</strong> faire <strong>la</strong> Hmrîa<strong>de</strong>»<br />

Si Boileau pouvait lire cette Lettre, ce passage<br />

n'est ps celui qui Fétonnerait le moins. Cet admirateur<br />

passionné d'Homère et <strong>de</strong> Yirgile ne se serait<br />

pas atten<strong>du</strong> qu'on l'accusât d'avoir fait rejaillir k<br />

mépris sur tlMa<strong>de</strong> et F Enéi<strong>de</strong>; et qu'on parlât <strong>de</strong><br />

cet art <strong>de</strong> rabaisser les gran<strong>de</strong>s choses comme d'un<br />

art qui <strong>de</strong>vait surtout M p<strong>la</strong>ire. Mais combien sa<br />

surprise serait plus gran<strong>de</strong> encore quand il verrait<br />

que l'auteur <strong>de</strong> cette terrible Lettre a dévoilé enfin<br />

717<br />

un secret dont qui que ce soit ne s'était douté, ni <strong>du</strong><br />

vivant <strong>de</strong> Boileau, ni <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> quatre-vïegta<br />

ans qu'il est mort! Oui, messieurs, il est temps <strong>de</strong><br />

vous communiquer enfin cette gran<strong>de</strong> et mémorable<br />

découverte qui couronne toutes les merveilles dont<br />

nous sommes stupéfaits. Mous croyons bonnement<br />

que Boileau a fait ses ouvrages. Pauvres gens que<br />

nous sommes !<br />

« Racine a fait en se jouant t ou <strong>du</strong> moins a extrêmement<br />

perfectionné Ses écrits <strong>de</strong> Boileau. L'épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Mollesse et l'Épltre sar le passage <strong>du</strong> Rhin sent 'absolument<br />

dans <strong>la</strong> manière racinienne.... Racine, Molière,<br />

<strong>la</strong> Fontaine, Chapelle, Furelière, ont mis les ouvrages<br />

<strong>de</strong> Boileau, sans qu'il s'en aperçût lui-même', dans Fé-<br />

•tatou on les a tant admirés. »<br />

Ceci n'est point simplement une conjecture; c'est<br />

Miie conviction : et l'anonyme f pour nous convaincre<br />

que Boileau faisait ses vers en compagnie,<br />

et qu'il ne peut avoir à lui en propre que <strong>la</strong> moWé<br />

<strong>de</strong> ses beautés, nous assure qu'il n'y a qu'à lire sa<br />

prose, fui est plus que médiocre. II avoue pourtant<br />

que cette idée peut paraître bizarre. C'est à vous,<br />

messieurs , <strong>de</strong> juger quelle qualification elle peut<br />

mériter.<br />

le pense qu'à présent vous ne pouvez plus être<br />

étonnés <strong>de</strong> rien 9 et vous trouverez tout simple que<br />

Fauteur, après ce qu'il vient <strong>de</strong> nous découvrir,<br />

ait tenté <strong>de</strong> prouver que Boileau était moins poète<br />

que Chape<strong>la</strong>in, Pour cette fois cependant, il ne<br />

veut pas prendre absolument cette tâche sur lui;<br />

il met en scène un raisonneur <strong>de</strong> même force, qui<br />

argumente ainsi :<br />

« L'o<strong>de</strong> est, <strong>de</strong> tous les genres <strong>de</strong> poésie » celui qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

le plus <strong>de</strong> talent dans un porte t celui qui suppose<br />

le plus d'inspiration, et par conséquent <strong>de</strong> génie. Boilêan<br />

s'a jamais fait que <strong>de</strong> mauvaises o<strong>de</strong>s ; et celle que Chape<strong>la</strong>in<br />

a adressée au cardinal <strong>de</strong> Riehelieu, est très-noble. Doue<br />

Chape<strong>la</strong>in était plus poète que Boileau. »<br />

On dira que cet argument est si ridicule, qu'il<br />

ne mérite pas <strong>de</strong> réponse. J'en conviens : mais il<br />

est appuyé sur une proposition qui a été fort souvent<br />

répétée pendant un certain temps, et que <strong>la</strong><br />

<strong>littérature</strong> subalterne fait encore sonner assez haut<br />

pour en imposer aui esprits vulgaires. Je m'y arrête<br />

pour faire voir que, même en réfutant m qui<br />

parait n'en pas valoir <strong>la</strong> peine, on peut détruire<br />

<strong>de</strong>s préjugés qui ne <strong>la</strong>issent pas d'avoir quelque<br />

crédit, et fournissent quelquefois désarmes à l'en-<br />

Tie. C'est elle, messieurs, qui, dans le temps <strong>de</strong>s<br />

démêlés <strong>de</strong> Rousseau le lyrique avec Voltaire,<br />

dicta dans vingt brochures, dans <strong>de</strong>s feuilles aujourd'hui<br />

oubliées, ce principe si faux, qm Fo<strong>de</strong><br />

est le genre <strong>de</strong>* poésie qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> le plus <strong>de</strong> ta-


COUBS DE OTTÉMTUBE.<br />

718<br />

lent; et <strong>de</strong>puis on a-répété cette' sottise dans <strong>de</strong>s<br />

dictionnaires et <strong>de</strong>s poétiques. 11 fal<strong>la</strong>it qu'on fût<br />

bien pressé <strong>de</strong> mettre les Psaumes et Y O<strong>de</strong> à <strong>la</strong><br />

Fortune au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> Zaïre et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Henr<strong>la</strong><strong>de</strong>,<br />

pour oublier qu'un bon poème épique, une belle<br />

tragédie, exigent un talent infiniment plus fané,<br />

plus éten<strong>du</strong>, plus fécond,1111e verve bien plus soutenue,<br />

une imagination bien plus inventive, une<br />

Ame bien plus sensible, une tête bien plus forte que<br />

toutes les o<strong>de</strong>s anciennes et mo<strong>de</strong>rnes. Aussi jamais<br />

les Grecs et les Romains n'ont-ils ba<strong>la</strong>ncé sur <strong>la</strong><br />

préférence; et Horace lui-même, l'imitateur <strong>de</strong> Pindare,<br />

reconnaît si bien <strong>la</strong> supériorité d'Homère,<br />

qu'il recomman<strong>de</strong> seulement <strong>de</strong> ne pas compter pour<br />

rien les autres poètes.<br />

« Si Homère a le premier rang, dit»fl, Il mise <strong>de</strong> Pindire<br />

et â'âfeée n'est pas dans l'oubli. »<br />

pièce fort médiocre, que cette nie dont on t«ut. se<br />

faire un titre pour guindés Chape<strong>la</strong>in au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong><br />

Despréaux.<br />

Au reste, l'anonyme, qui nous assit annoncé<br />

une démonstration, n'ajoute rien à ce bel argument,<br />

qu'il abandonne tout <strong>de</strong> suite en avouant que<br />

c'est tm sophisme. Comme il nous a accoutumés à<br />

ses contradictions, il n'y a rien à dire. Nous sommes<br />

encore trop heureux qu'il veuille bien ne pas<br />

nous prouver que Chape<strong>la</strong>in, esê plus poâfe qm<br />

Boikau.<br />

En revanche, il nous dé<strong>mont</strong>re, et toujours par<br />

l'organe <strong>du</strong> même interlocuteur, que c'est à Chape<strong>la</strong>in<br />

que noms <strong>de</strong>vons "Racine, parée que Chape<strong>la</strong>in,<br />

qui disposait <strong>de</strong>s grâces, lui procura une pen­<br />

sion <strong>de</strong> six cents livres pour son O<strong>de</strong> swr ie mariage<br />

<strong>du</strong> roi, et engagea le jeune poète à eurriger<br />

une strophe où il avait mis <strong>de</strong>s Tritons dans <strong>la</strong><br />

S'il veut parler <strong>de</strong>s beaux jours <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce, il les<br />

appelle le sMck <strong>du</strong> grand Sophocle*. Il élève Pindare<br />

au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tous les poètes lyriques, mais il<br />

ne le compare jamais au père <strong>de</strong> l'épopée, ni aui fameux<br />

tragiques grecs. Parmi nous, personne, dans<br />

le <strong>de</strong>rnier siècle, ne s'était avisé <strong>de</strong> p<strong>la</strong>cer Malherbe<br />

au-<strong>de</strong>ssus <strong>du</strong> grand Corneille. C'est <strong>de</strong> nos jours que<br />

<strong>la</strong> malignité plus raffinée a créé <strong>de</strong> nouvelles doctrines<br />

pour confondre tous les rangs.<br />

Mais que dites-tous, messieurs, <strong>de</strong> cette phrase?<br />

SùUemm n'a fait que <strong>de</strong> mauvaises o<strong>de</strong>s. Me diraiton<br />

pas qu'il en a fait un bien grand nombre? le <strong>la</strong>ngage<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> haine a toujours quelque chose qui ressemble<br />

au mensonge.-Boileau n'a jamais fait qu'une<br />

o<strong>de</strong>, à moins qu 9 Seine. 11 faut louer Chape<strong>la</strong>in d'avoir fait use trèsbonne<br />

action, d'avoir encouragé un talent naissant,<br />

et d'avoir été <strong>de</strong> h Seine les Tritons qui s'y trouvaient<br />

par une inadvertance que l'anonyme appelle<br />

une incroyable bévue. Maïs Molière encouragea aussi<br />

<strong>la</strong> jeunesse <strong>de</strong> Racine, lui donna cent louis <strong>de</strong> sa première<br />

tragédie, et lui fournit même le pian d'une<br />

autre; et personne n'a jamais préten<strong>du</strong> que l'on dûi '<br />

Racine à Molière On ne doit un homme tel que<br />

Racine qu'a <strong>la</strong> nature, à qui l'on n'a pas «nivent<br />

<strong>de</strong> pareilles obligations; et si l'auteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Lettre<br />

perd beaucoup <strong>de</strong> paroles et <strong>de</strong> papier à nous convaincre<br />

que Boileau n'a point appris à Racine à<br />

faire Iphigénie et Phèdre, c'est qu'apparemment il<br />

on ne donne le nom d'o<strong>de</strong> h trois aime à prendre une peine inutile et à répondre à ce<br />

séances contre les Ang<strong>la</strong>is, qu'il fit en sortant <strong>du</strong> qu'on n'a pas dit. On a dit, et avec raison, qu'un<br />

collège. Mais personne n'ignore que <strong>de</strong>s stances ne critique et un ami tel que Boileau avait contribué<br />

sont pas une o<strong>de</strong>, et ces vers contre les Ang<strong>la</strong>is à former le goût et ie style <strong>de</strong> Racine, et il serait<br />

sont .intitulés Séances. Enfin, cette o<strong>de</strong> <strong>de</strong> Chape­ également superflu <strong>de</strong> le prouver ou <strong>de</strong> le nier.<br />

<strong>la</strong>in est-elle en effet três-èeMê, comme on nous le Notre anonyme, toujours prodigue d'exe<strong>la</strong>raa-<br />

dit? Boileau, plus réservé, dit seulement 'qu'elle tions, et toujours à propos, s'écrie sur m procédé<br />

est assez hetie; et bien loin qu'on puisse lui impu­ <strong>de</strong> Chape<strong>la</strong>in : QueUegran<strong>de</strong>ur d'âme! qweMe noter<br />

<strong>de</strong> n'en pas dire assez, il suffit <strong>de</strong> <strong>la</strong> lire pour blesse! Peut-être cet enthousiasme paraîtra-t-il un<br />

se convaincre que <strong>la</strong> disproportion entre le style peu exagéré quand il s'agit d'une pension <strong>de</strong> sis<br />

<strong>de</strong> cette o<strong>de</strong>, qui, en général, est assez pur et as­ ^ cents livres, procurée par un homme alors le doyen<br />

sez nombreux, et l'horrible barbarie <strong>de</strong>s vers <strong>de</strong> <strong>la</strong> et l'arbitre <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> à un jeune débutant qui<br />

PmeMê, a ren<strong>du</strong> Boileau beaucoup trop in<strong>du</strong>lgent. avait célébré son roi avec succès ; mais l'eiagératioD<br />

Cette o<strong>de</strong> a quelques belles strophes; mais le plus est excusable quand on loue les bonnes actions. Ce<br />

grand nombre pèche encore par le prosaïsme, par qui ne Test pas c'est <strong>de</strong> les tourner en reproches<br />

les chevilles, par une <strong>la</strong>ngueur monotone. La mar­ injustes contre un autre, c'est d'en conclure que<br />

che en est exacte, mais froi<strong>de</strong> ;• les idées se suivent f ton doit à Chape<strong>la</strong>in mUk fois plu* <strong>de</strong> re$§mi<br />

mais ne procè<strong>de</strong>nt point par <strong>de</strong>s mouvements lyri­ qu'à Despréaux. Ce n'est pas tout : il compare à<br />

ques. En un mot| c'est, à peu <strong>de</strong> chose près, une cette'Con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> Chape<strong>la</strong>in avec Racine celle <strong>de</strong><br />

•<br />

Boileau avec Chape<strong>la</strong>in ; il voudrait que Boileau eût<br />

appris aussi à l'auteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> PuceMe à taira miens <strong>de</strong>s


Yen, au lieu d'aller partout décrier cet ouvrage<br />

dès que les orne premiers chants eurent para.<br />

« Et peuft-éto, ditrfl9 Chape<strong>la</strong>in serait-il <strong>de</strong>venu aussi<br />

grand fie Racine et Me»* »<br />

C'est dommage que cette belle spécu<strong>la</strong>tion ne puisse<br />

* guère s'accor<strong>de</strong>r avec les faits et les dates. J'ai déjà<br />

remarqué, messieurs, que Fauteur ne s'en tire pas<br />

niieiii que <strong>de</strong>s raisonnements. Quand <strong>la</strong> PnceUe<br />

parut (en 1656), Chape<strong>la</strong>in avait soiiante-einq ans,<br />

et Boileau en avait vingt. Il était alors dans Pétu<strong>de</strong><br />

d'un procureur. Et voyez, je vous prie, jusqu f où<br />

peut nous égarer l'envie <strong>de</strong> <strong>mont</strong>rer <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur<br />

d'âme. On voudrait qu'us clerc <strong>de</strong> procureur se fût<br />

fait à vingt ans ie gui<strong>de</strong> et Paristarque d'un poëte<br />

plus que seiagénaire; qu'un jeune inconnu eût été<br />

offrir ses leçons à fauteur le plus célèbre <strong>de</strong> son<br />

temps. Je ne parle pas <strong>de</strong> l'impossibilité <strong>de</strong> donner<br />

<strong>du</strong> goût, <strong>de</strong> l'oreille, <strong>du</strong> talent enfin, à un homme <strong>de</strong><br />

cet âge : le dieu <strong>de</strong>s vers lui-même eût échoué près<br />

<strong>de</strong> Chape<strong>la</strong>in. Mais quelle opinion, messieurs, peuton<br />

prendre <strong>de</strong> ceui qui débitent <strong>de</strong> semb<strong>la</strong>bles<br />

rêveries avec tant <strong>de</strong> séraaai et <strong>de</strong> pathétique; qui<br />

dénaturent ainsi tous les faits et toutes les idées,<br />

pour injurier à p<strong>la</strong>isir; qui veulent que Boileau,<br />

dont les satires se parurent que dix ans après <strong>la</strong><br />

Pmcêlk, ait couru partout pour <strong>la</strong> décrier, lorsqu'il<br />

était, comme il le dit lui-même, dam <strong>la</strong> poudre<br />

Ai greffe? Est-ce ignorance <strong>de</strong> ce qu'il y a <strong>de</strong> plus<br />

aisé à savoir? est-ce un <strong>de</strong>ssein formé d'écrire contre<br />

là vérité? est-ce défaut absolu <strong>de</strong> sens, impossibilité<br />

<strong>de</strong> lier ensemble <strong>de</strong>ui idées? est-ce tout ce<strong>la</strong><br />

réuni ? que l'on choisisse : les faits parlent. Ils sont<br />

sans réplique. . .<br />

Enfin comment concevoir 'cette aveugle anlmosité<br />

qui poursuit un homme tel que Despréaui près<br />

d'un siècle après sa mort » et l'attaque à <strong>la</strong> fois dans<br />

ses écrits, dans son caractère, dans m personne;<br />

qui fait d'une dissertation littéraire un factum diffamatoire,<br />

un libelle furieux, contre un écrivain<br />

respecté qui ne peut plus se défendre? Oui, messieurs<br />

; les sarcasmes et les outrages ne tombent pas<br />

ici seulement.sur l'écrivain, mais sur l'homme.<br />

Que fauteur en effet appelle les saphirs <strong>du</strong> Tasse<br />

ce qui paraît à Boileau <strong>du</strong> cMmqmmi; qu'à propos<br />

d'une satire où le poète n'a voulu parler que <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

rime, il lui reproche <strong>de</strong> n'avoir pas connu le talent<br />

<strong>de</strong> Molière, et qu'il oublie le touchant hommage<br />

que Boileau a ren<strong>du</strong> à sa mémoire dans tÈpUre è<br />

âac§mf et les jolies stances qu'il lui adressa con­<br />

SIECLE DE LOUIS XIV. — POESIE, 119<br />

espril timi<strong>de</strong>, étroit, bomé9 tantdt un grand<br />

poète : qu'il nous dise ici que sa tête ne renfermait<br />

que <strong>de</strong>s hémistiches; là, qu'il avait m jugement et<br />

un sens exquis; qu'A prenne tout le mon<strong>de</strong> à té­<br />

moin <strong>de</strong> tejroi<strong>de</strong> tmmtm<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'écrivain qui dans<br />

taré poétique a su si bien se ployer à tous les tons ;<br />

que, selon lui, Chapelle qui <strong>de</strong> sa vie ne fît un vers<br />

heiamètre, Furctière qui n'en a pas fait un bon,<br />

aient fait pour Boileau une foule <strong>de</strong> beaux vers,<br />

lorsqu'ils n'en faisaient pas pour eui; que BMM<br />

vaincu lui paraisse au-<strong>de</strong>ssus <strong>du</strong> Lutrin; qu'il<br />

pousse même l'indécence jusqu'à dire que <strong>la</strong> p<strong>la</strong>isanterie<br />

connue <strong>de</strong> Bespréaui sur VAgésMm était<br />

k coup <strong>de</strong> pied <strong>de</strong> l'âne : on répond suffisamment<br />

à toutes ces folies par le rire <strong>de</strong> <strong>la</strong> pitié et <strong>du</strong> mépris.<br />

Mais a-tro® le droit d'imprimer d'un écrivain<br />

qui fut toujours si jalons <strong>de</strong> <strong>la</strong> réputation d'honnête<br />

homme, et à qui jamais on ne fa contestée, qu'il<br />

ftatia les grands et ks kewreux eu sièck, et se<br />

moqua <strong>de</strong> <strong>la</strong> vertu dam tindigence et dm taknt<br />

sans appidf Boileau secourut <strong>la</strong> vertu et k takmi<br />

dans l'indigence : il fut le bienfaiteur <strong>de</strong> Patin. On<br />

sait qu'il prétait <strong>de</strong> l'argent même à Lisière, qui s'en<br />

servait pour aller au cabaret faire us couplet contre<br />

lui : on sait qu'il déc<strong>la</strong>ra qu'il renoncerait à sa pen­<br />

sion, si fou retranchait celle <strong>de</strong> Corneille, et qu'il<br />

réussit à <strong>la</strong> lui faire conserver. On ose l'accuser<br />

d'avoir bafimé Corneille! Il dit dans son M$cemt$<br />

mm Roi :<br />

Oui, Je tais firent» ceci fui fadnaftnt les» vetUei t<br />

Fanai tes Nletters ea €«aate <strong>de</strong>s Cafealttaa<br />

Il dit dans ses Êpftres :<br />

Es vain contre h CM mm ministre se îtfua;<br />

Tout Paris pour CMmène a ta yeai <strong>du</strong> lûdrigne.<br />

L'Académie en corp a taata te censeur;<br />

Le publie révolté i*as*t!ae à F aalcalfar.<br />

Il dit dans l'Art poétique :<br />

Que Corneille, pour M i<br />

' Soit eocor te Cmetili et ia €M et ««*#**<br />

Il dit à Racine :<br />

De Connaît© vieil ta eaaaa<strong>la</strong>a Paris.<br />

11 dit à ses vers :<br />

Bèja comme <strong>la</strong> vers <strong>de</strong> Chmm , ŒAwÊnmmçm,<br />

Tous eroyei à grandi pas, chai <strong>la</strong> postérité,<br />

Goorlr, marqués as cota <strong>de</strong> rlmmnrtoHIé.<br />

Ces hommages si éc<strong>la</strong>tants et si multipliés nesontils<br />

pas Peipression d<br />

tre les critiques <strong>de</strong> l'Êeok <strong>de</strong>s Femmes; que, troublé<br />

par une espèce <strong>de</strong> délire qui le met sans cesse<br />

ei opposition avec Im-mèiie, il l'appelle tantét un<br />

v un sentiment vrai 9 et peuventils<br />

être bâiinaés par un Mlml sur VAgésUait<br />

Non, non : les grands hommes <strong>du</strong> alèeîa <strong>de</strong><br />

Louis XIV se respectaient mutuellement, malgré <strong>la</strong><br />

concurrence, et même malgré l'inimitié. Ils étaient<br />

justes les uns envers les autres; et ceui <strong>du</strong> ndtra,<br />

I quoi qu'en veuille dire l'anonyme, Font été envers


720<br />

Despréaux. Ce n'est pas aux gens instruits que l'anonyme<br />

s'adressait lorsqu'il a dit en finissant :<br />

COU1S DE UTTÉRATUBK.<br />

« Comment se fait-il que <strong>la</strong> pSoparl île nos écrivains pMtosoplies<br />

ee soient déc<strong>la</strong>rés contre lui ? »<br />

Et il nomme Voltaire, Vauvenargues, HeWéthu et<br />

Fonteneile. 11 est contre toute raison <strong>de</strong> compter ce<br />

<strong>de</strong>rnier, enneoi» dée<strong>la</strong>ré <strong>de</strong> Boileau s et <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r<br />

ses'épigrammes comme un jugement. C'est comme<br />

Ei l'on <strong>de</strong>nnait pour une autorité sa mauvaise épigramme<br />

contre YAthaUe <strong>de</strong> Racine. Il les haïssait<br />

tous les <strong>de</strong>ui ; e'est tout ce qu'on peut en conclure :<br />

m n'est pas ici le lieu d'examiner à quel point cette<br />

haine pouvait être fondée. L'auteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Lettre<br />

ajoute :<br />

* Pourquoi Bofletn nVt-il jamais pu captiver l'aérai*<br />

ration <strong>de</strong> MM. Nar<strong>mont</strong>el, <strong>de</strong> Coadorcet, Basante 9 l'abbé<br />

Delille, Mercier?»<br />

Je ne m'arrête pas à cette association <strong>de</strong> noms peu<br />

faits pour aller les uns avec les autres : c'est un<br />

petit char<strong>la</strong>tanisme aujourd'hui fort usité par les faiseurs<br />

<strong>de</strong> feuilles et <strong>de</strong> pamphlets, qui, affectant <strong>de</strong><br />

mêler les noms les moins faits pour se trouver en*<br />

semble, s'efforcent en vain <strong>de</strong> confondre les rangs<br />

sur <strong>la</strong> liste <strong>de</strong> <strong>la</strong> renommée, à qui l'on n'en impose<br />

pas. Mais ce que je ne dois pas omettre* c'est que<br />

ce passage, messieurs, est ce qui m'a déterminé à<br />

entreprendre <strong>la</strong> réfutation dont je vous ai fait les juges.<br />

Dans ce grand nombre d'auteurs nommés, bien<br />

<strong>de</strong>s gens 'ne se rappellent pas, ou n'iront pas chercher<br />

exprès les endroits re<strong>la</strong>tifs à <strong>la</strong> question, et<br />

surtout n'imagineront pas aisément qu'on se hasar<strong>de</strong><br />

ainsi à citer <strong>de</strong>s autorités qui, <strong>du</strong> moment où elles<br />

seront vérifiées, accableront celui qui a voulu s'en<br />

appuyer. Cette énumération insidieuse et mensongère<br />

est donc très-propre à faire illusion. L'auteur<br />

y a bien compté, puisqu'il a conservé ce trait pour le<br />

<strong>de</strong>rnier, comme celui qui pouvait pro<strong>du</strong>ire le plus<br />

d'impression. Et où en serions-nous, si l'on pouvait<br />

se persua<strong>de</strong>r que tant d'esprits éinïnents aient<br />

pu faire cause commune avec l'inconnu qui vient<br />

d'outrager si indignement un <strong>de</strong>s plus vénérables<br />

fondateurs <strong>de</strong> notre <strong>littérature</strong>? Il importe <strong>de</strong> mettre<br />

<strong>la</strong> vérité en évi<strong>de</strong>nce : les témoignages qu'on invoque<br />

ici contre Despréaux vont achever son éloge<br />

et constater l'opinion. Il est <strong>de</strong> fait que le peu <strong>de</strong> reproches<br />

que lui font ceux qui lui ren<strong>de</strong>nt d'ailleurs<br />

<strong>la</strong> pins éc<strong>la</strong>tante justice porte entièrement sur quelques<br />

points avoués par tous les gens sensés, sur<br />

<strong>de</strong>ux ou trois jugements trop peu mesurés, sur l'infériorité<br />

<strong>de</strong> ses satires par rapport à ses autres ouvrages,<br />

et n'a rien <strong>de</strong> commun avec cet amas <strong>de</strong><br />

folles invectives dont je ne vous ai même rapporté<br />

qu'une partie.<br />

Commençons pr celui qu'il faut toujours p<strong>la</strong>cer<br />

avant tous, par Voltaire.'Ouvrons h Tempk dm<br />

Goût<br />

Là régnait Despréaux, leur maître ea Fart d'écrit» :<br />

Loi qu'arma <strong>la</strong> ralsoo <strong>de</strong>s traits et <strong>la</strong> satire,<br />

Qui , dostiast le précepte et Peiesaple à Sa fois 9<br />

Établit d'Apollon les rigoureuses lois. #<br />

Lisons le Dis<strong>cours</strong> sur l'Envié.<br />

Os peut à Despréaux pardonner <strong>la</strong> satire;<br />

Il joignit fart <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire au malheur <strong>de</strong> médire :<br />

Le miel que celle abeille avait lire <strong>de</strong>s fleurs<br />

Pouvait <strong>de</strong> sa piqûre adoucir les douleurs.<br />

Mais pour un lourd frelon, méchamment Imbécile,<br />

Qui vit <strong>du</strong> mal qu'il fait T et nuit sans être utile,<br />

Où écrase a p<strong>la</strong>isir cet insecte orgueilleux,<br />

Qui fatigue l'oreille et qui choque tes yeux.<br />

Ce contraste entre le bon poète qui écrit <strong>de</strong>s satins<br />

m ?ers élégants, et les mau?ais satiriques en mnn-<br />

?alse prose, se présente si naturellement à l'esprit,<br />

et l'application en est si fréquente, que nous <strong>la</strong> retrouverons<br />

dans plusieurs <strong>de</strong>s éeri?aies que je citerai.<br />

. Dans le poème <strong>de</strong> Jn Guerre ée Gmêm, ïmtmm<br />

s'adresse à Boileau :<br />

Grand îflea<strong>la</strong>s, <strong>de</strong> <strong>la</strong>?énal enraie,<br />

Peintre <strong>de</strong>s mœurs, surtout <strong>du</strong> ridfcete ,<br />

Ton style pur a <strong>de</strong> quoi me tester :<br />

It est trop <strong>la</strong>ma ; je ne puis limiter.<br />

Passons <strong>de</strong>s • ers à <strong>la</strong> prose : on y exprime snn<br />

a?Is arec plus <strong>de</strong> développement; on y considère<br />

les objets sous toutes les faces. Écoulons l'article<br />

Art poétique dans les Questions sur tEnejfckipédie.<br />

L'auteur commence par y réfuter un philosophe<br />

<strong>de</strong> ses amis•, qui avait appelé Boileau un tarasificateur.<br />

« n faut rendre justice à Bcâleaa. SU n'avait été qu'ai<br />

ferofficatea^ il serait à peina connu. Il ne aérait pis <strong>de</strong> ce<br />

petit nombre <strong>de</strong> grands hommes qui feront passer Se siè<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> Louis XIV à <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière postérité. Ses <strong>de</strong>rnières Satires<br />

* f ses belles Épi très, et surtout son Art poétique»<br />

sont <strong>de</strong>s ctanVafœaf ne <strong>de</strong> raison autant que <strong>de</strong> poésie<br />

Sapere est et prtneipium et fans. L'ait ds aeralSeailenr<br />

est à <strong>la</strong> ¥érité d'une difficulté prodigieuse s surtout es notre<br />

<strong>la</strong>ngue, où Ses tare alexandrins marchent êeai à<br />

<strong>de</strong>ux, où 11 est rare d'éviter k monotonie, où il irai<br />

absolument rimer, où les rimes agréables et nobles sont en<br />

trop petit nombre, où aa mot hors <strong>de</strong> sa p<strong>la</strong>ce, nae ajlîane<br />

<strong>du</strong>re gâte une pensée heureuse ; c'est danser sur k cor<strong>de</strong><br />

arec <strong>de</strong>s entrâtes : mais le plus grand succès dans cette<br />

partie <strong>de</strong> l'art n'est rien, s'il est seul. L'Art poétique <strong>de</strong><br />

Boileau est admirable, parce qu'il dit taajaara agréablement<br />

<strong>de</strong>s choses traies et utiles f parce qu'il donne toujours<br />

te précepte et TeiempSe 9 parce «pli est varié, pane<br />

que Fauteur, en ne manquant jamais à k pureté «le k<br />

knguef<br />

* Di<strong>de</strong>rot<br />

* Ilveotpai<strong>la</strong>r ctetaneOTlêMet<strong>de</strong><strong>la</strong>taltMflM.


n Sait 6)*une ¥olx légère,<br />

« Passer <strong>du</strong> gra¥@ an doux, do p<strong>la</strong>isant an sévère.<br />

* Ce fîii prou¥ê son mérite chez tous les gens <strong>de</strong> goût,<br />

c'est qu'un sait ses fers par sœur; et ce qui doit p<strong>la</strong>ire aux<br />

ptûSosophes, c'est qu'il a presque toujours raison.... Os<br />

oserait présumer Ici que F Are poétique <strong>de</strong> Boileau est<br />

supérieur à celui d'Horace. La métho<strong>de</strong> est certainement<br />

une beauté dans un poète didactique : Horace s'en a point<br />

Nous se lui en ferons pas un reproche f puisque son poème<br />

est une épltre familière aux Puons, et non pas un oufrage<br />

LA UÂfti'g. — TOI» t.<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE. 7-21<br />

Boileau, correct smtsÊr d£ qmïpm b&M écrits;<br />

Zûïle <strong>de</strong> Qulnault, et f<strong>la</strong>tteur <strong>de</strong> Louis ;<br />

Mais oracle <strong>du</strong> goût dans cet art difficile<br />

Où s'égayait Horace f où t?a¥aU!att Virgile, etc.<br />

régulier comme les Gé&rgàques. Mais c'est un mérite <strong>de</strong><br />

plus dans Boileau, mérite dontks philosophes doifent lui<br />

tenir compte. L'Art poétique <strong>la</strong>tin ne parait pas, à beaucoup<br />

près , si travaillé que le français. Horace y parle presque<br />

toujours sur le ton libre et femiller <strong>de</strong> ses autres épltres :<br />

c'est une .extrême justesse d'esprit » c'est un goût fin; ce<br />

sont <strong>de</strong>s ¥@rs heureux et pleins <strong>de</strong> sel, mais mm mi sans<br />

Maison, quelquefois <strong>de</strong>stitués d'harmonie; ce n'est pas l'élégance<br />

et <strong>la</strong> correction <strong>de</strong> Virgile, L'ouvrage est très-bon ;<br />

celui <strong>de</strong> BoUean parait encore meilleur ; et si ¥ous en exceptez<br />

les tragédies <strong>de</strong> ftac<strong>la</strong>e , qui ont le mérite supérieur <strong>de</strong><br />

traiter toutes Ses passions et <strong>de</strong> sur<strong>mont</strong>er toutes les difficultés<br />

<strong>du</strong> théâtre» VArt poétique <strong>de</strong> BoUeau est sans<br />

contredit le poème qui Ml le plus d'honneur à <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue<br />

française. » -<br />

Je no joindrai pas à un morceau si décisif et si<br />

frappant uoe fonte <strong>de</strong> passages où foliaire énonce<br />

le même mis en d'autres termes ; je n'insisterai pas<br />

sur le Commentaire <strong>de</strong> Corneilk, où non-seulement<br />

•les préceptes <strong>de</strong> Boileau f mais ses jugements 9 qmi<br />

nous ont été transmis par tradition y sont cités sans<br />

cesse comme on cite les lois dans les tribunaux*<br />

Mais je crois <strong>de</strong>voir remarquer, dans l'article qu'on<br />

fient d'entendre f <strong>la</strong> différence <strong>du</strong> ton <strong>de</strong> Voltaire<br />

et <strong>de</strong> ce<strong>la</strong>i <strong>de</strong> l'anonyme : elle est en raison in?ersa<br />

<strong>de</strong> colle <strong>de</strong>s lumières. Voltaire veut-il donner <strong>la</strong> préférence<br />

à l'Art poéMqm <strong>de</strong> Boileau, comment s'exprime-t-il?<br />

On oserait présumer»... Comparez cette<br />

reserre atec <strong>la</strong> confiance insultante, <strong>la</strong> morgue<br />

magistrale, <strong>la</strong> hauteur dédaigneuse d'un inconnu<br />

qui juge Boileau. Obserwea que dans cette longue<br />

diatribe -, où l'on contredit le jugement <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

siècles, on ne treiifepas une fois <strong>la</strong> formule <strong>du</strong> doute;<br />

qulen renversant tous les 1 Le premier est un éloge mince, le second est injurieux.<br />

Mais, je fous le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, messieurs, estce<br />

dans ces <strong>de</strong>ux vers qu'il faut chercher <strong>la</strong> vérita-'<br />

ble opinion <strong>de</strong> Voltaire, ou dans les morceaux si<br />

détaillés que TOUS âfez enten<strong>du</strong>s, et dans tout le reste<br />

<strong>de</strong> ses ouvrages? Celui qui fient <strong>de</strong> parler avec tant<br />

à<br />

principes reçus, toutes les<br />

notions <strong>du</strong> bon sens, on ose attester tous les bons<br />

esprits. Ce seul trait, entre mille autres, suflirait<br />

pour prouver que Fauteur ne doute <strong>de</strong> rien.<br />

Sur quoi donc peut-il s'appuyer .quand il dit que<br />

Voltaire s'est déc<strong>la</strong>ré contre Boileau f Sans doute<br />

sur <strong>de</strong>ux vers échappés à sa vieillesse, <strong>de</strong>ux vers<br />

qui ne sont qu'une saillie d'humeur, et qui. ne peuvent<br />

jamais, aux yeux <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison et <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonne<br />

foi, démentir tant d'hommages réitérés et soixante<br />

ans d'admiration. On les lui a reprochés justement<br />

ees vers : ils commencent ÏÉpUre à Boileau.<br />

9 admiration <strong>de</strong> l'Art poétique, croyait-il en effet<br />

que son auteur ne fût que correct, et que son mérite<br />

se bornât à quelques bons écrits? Du moias<br />

ces <strong>de</strong>ux fers, qui ne sont que le caprice poétique<br />

d'une imagination mobile, ont-Ils pu <strong>la</strong>isser à l'anonyme<br />

une sorte do prétexte, mais je cherche en<br />

fain celui que peoveof lui fournir faovenargnes et<br />

Helvétîus, qu'il range parmi les détracteurs <strong>de</strong> Boileau.<br />

Voici tout ce qu'on trouve dans l'excellent lifro<br />

<strong>du</strong> penseur ¥aoveearguess un <strong>de</strong>s esprits les<br />

plus jpdicieui <strong>de</strong> ce siècle.<br />

« Boileau prouve, autant par son ouwage que par set<br />

préceptes, que toutes les beautés <strong>de</strong>s bons ouvrages naissent<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vire expression et <strong>de</strong> <strong>la</strong> peinture <strong>du</strong> frai. Mais<br />

cette expression si touchante appartient moins à h réflexion,<br />

sujette à Terreur, qu'à un sentiment très-intime et très-<br />

Édèle <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature. La raison n'était pas distincte 9 dans<br />

Boileau, <strong>du</strong> sentiment : c'était son Instinct. Aussi a4-elle<br />

animé ses écrits <strong>de</strong> cet Intérêt qu'il est si rare <strong>de</strong> rencontrer<br />

dans les ouvrages didactiques.... Boileau ne s'est pas contenté.<strong>de</strong><br />

mettre <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité et <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie dans ses ouirra-<br />

|es; Il a enseigné sou art aux autres; il a éc<strong>la</strong>iré tout<br />

son siècle; il eu a banni le faux goût autant qu'il est permis<br />

<strong>de</strong> le bannir <strong>de</strong> chez tous les hommes. U fal<strong>la</strong>it qu'il<br />

rat né avec un génie bien singulier pour échapper, comme,<br />

il a fait, aux mauvais exemples <strong>de</strong> ses contemporains, et<br />

pour leur imposer ses propres lois. Ceux qui bornent le<br />

mérite <strong>de</strong> sa poésie à fart et à l'exactitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> versification<br />

ne font pas peut-être attention que ses vers sont pleins<br />

<strong>de</strong> pensées, <strong>de</strong> fifacitéf <strong>de</strong> saillies s et même d'invention<br />

<strong>de</strong> style. Admirable dans <strong>la</strong> justesse, dans ta solidité et <strong>la</strong><br />

netteté <strong>de</strong> ses idées, Il a su conserver ces caractères dans<br />

ses expressions, sans perdre <strong>de</strong> son feu et <strong>de</strong> sa force; ce<br />

qui proure incontestablement un grand talent... Si Ton est<br />

donc fondé à reprocher quelque défaut 4 Boileau, ce n'est<br />

pas, à ce qu'il me semble , Se défaut <strong>de</strong> génie ; c'est au contraire<br />

d'afoir eu plus <strong>de</strong> génie que d f éten<strong>du</strong>e ou <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur<br />

d'esprit ; plus <strong>de</strong> feu et <strong>de</strong> férité que d'élévation et<br />

<strong>de</strong> délicatesse, plus <strong>de</strong> solidité et <strong>de</strong> sel dans <strong>la</strong> critique<br />

que <strong>de</strong> finesse ou <strong>de</strong> gaîaié, et plus d'agrément que <strong>de</strong><br />

grâce. On l'attaque encore sur quelques-uns <strong>de</strong> ses jugements<br />

qui semblent injustes; et je ee prétends pas qu'il<br />

fût infaillible. »<br />

Voilà l'article entier qui regar<strong>de</strong> Boileau, metsieurs<br />

: vous semblc-t-il d'un homme qui se déc<strong>la</strong>re<br />

contre lui? Peusez-vuus qoe Boileau en eût été sué*<br />

46


722<br />

COURS DE UTTÉRATURE.<br />

content? Cette distinction si délicate et si Juste <strong>de</strong>s<br />

différentes qualités qui dominent plus ou moins<br />

dans ses outrages est en effet d'un philosophe et<br />

d'un homme <strong>de</strong> goût. Y a-t-II un seul mot qui soit<br />

d'un détracteur? J'ai quelque obligation à l'ano-<br />

.nyme, je ra?oue9 <strong>de</strong> m'avoir fourni l'occasion <strong>de</strong><br />

mettre sons vos yeux cet intéressant morceau, où<br />

J'ai eu le p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> retrouver en substance tout ce<br />

que j'ai tâché <strong>de</strong> développer dans l'analyse <strong>de</strong>s écrits<br />

<strong>de</strong> Despréaux. Si je ne me suis pas eiprimé aussi<br />

bien que Yauvenargues, je suis <strong>du</strong> moins plus assuré<br />

<strong>de</strong> mon opinion, quand elle est si conforme à<br />

<strong>la</strong> sienne.<br />

Yoyons Hclvétius. Il parle f dans une note, <strong>de</strong> ce<br />

même acci<strong>de</strong>ntqui est le sujet <strong>de</strong>s railleries agréables<br />

<strong>de</strong> l'anonyme. Il en parle en physicien observateur,<br />

et croit y voir <strong>la</strong> cause <strong>du</strong> défaut <strong>de</strong> sensibilité <strong>du</strong><br />

poëte, et <strong>de</strong> son peu d'amour pour les femmes. Mais<br />

m qui prouve qu'il n'en tire pas d'autres eussequenees<br />

contre son talent, c'est ce qu'il en dit dans<br />

son chapitre sur le Génie.<br />

« La Fontaine et Balle» ont porté peu d'invention dans<br />

le fond <strong>de</strong>s sujets qu'ils ont traités ; cependant fini et l'an*<br />

tre sont 9 avec raison, mis au rang <strong>de</strong>s génies : le premier,<br />

par <strong>la</strong> naïveté, le sentiment el l'agrément qu'il a jetés dam<br />

sa narration; le second, par <strong>la</strong> correction,, <strong>la</strong> force et<br />

<strong>la</strong> poésie <strong>de</strong> style qu'il a mise dans ses ouvrages. Quelques<br />

reproches qu'on fasse à Boiietu, on est forcé <strong>de</strong><br />

convenir qu'en perfectionnant infiniment l'art <strong>de</strong> <strong>la</strong> versification,<br />

il a réellement mérité le titre d'inventeur. »<br />

Vous atten<strong>de</strong>z peut-être quelque restriction qui<br />

puisse servir d'excuse à l'anonyme. Mon, messieurs.<br />

J'ai cité tout : il n'y a pas un mot <strong>de</strong> plus. Je <strong>la</strong>isse<br />

à vos réflexions le soin d'apprécier les moyens honnêtes<br />

et nobles qui sont d'usage aujourd'hui pour<br />

tromper le public et décrier ce qu'on admire. Pour<br />

moi9 je.ne m'y arrêterai pas : je me réserve dans <strong>la</strong><br />

suite <strong>de</strong> traiter particulièrement <strong>de</strong>s abus honteux<br />

qui déshonorent les lettres dans ce siècle, et que le<br />

siècle précé<strong>de</strong>nt n'a point connus ; et dans ce nombre<br />

je serai obligé <strong>de</strong> compter l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> se permettre<br />

le mensonge sans scrupule et sans pu<strong>de</strong>ur.<br />

On a (dans Y Avertissement) nommé d'Alembert<br />

parmi les détracteurs <strong>de</strong> Boileau. Écoutons d'Alembert.<br />

Je vous préviens, messieurs, que vous<br />

allez retrouver à peu près les mêmes idées que dans<br />

Voltaire, Yauvenargues, Helvétius, c'est-à-dire<br />

celles qui sont diamétralement opposées à tout m<br />

que l'anonyme a voulu établir; mais cette uniformité<br />

d'avis est précisément ce qu'il importe <strong>de</strong> constater.<br />

Après avoir dit, comme nous le disons tous,<br />

que les satires <strong>de</strong> Boileau sont <strong>la</strong> moindre partie<br />

<strong>de</strong> sa gloire, il continue ainsi :<br />

« 11 sentit qu'il faut ôtrey en vers comme en prose,<br />

l'écrivain <strong>de</strong> tous les temps et <strong>de</strong> tous Ses lieu.... 11<br />

pro<strong>de</strong>iairces ouvrages qui assurent à jamais sa renommée.<br />

Il It ses belles Épttres, où il à su entremêler à <strong>de</strong>s loua»»<br />

ges finement «primées <strong>de</strong>s préceptes <strong>de</strong> Uttératare et <strong>de</strong><br />

morale ren<strong>du</strong>s avec là vérité te plus frappante et <strong>la</strong> précision<br />

<strong>la</strong> plus heureuse; son Lutrin, ou avec m peu^<strong>de</strong><br />

matière il a répan<strong>du</strong> tant <strong>de</strong> variété 9 <strong>de</strong> mouvement et <strong>de</strong><br />

grâce ; ea<strong>la</strong> f son Art poétique, qui est dans notre <strong>la</strong>ngue<br />

le co<strong>de</strong> <strong>du</strong> bon goût 9 comme celui d'Horace Test en Satin ;<br />

supérieur même à celui d'Horace, non-seulement par l'ordre<br />

si nécessaire et si parfait que le poëte français • mis<br />

dans son ouvrage, et que le poète <strong>la</strong>tin semble avoir<br />

trop négligé dans le sien, mais surtout parce que Despréaui<br />

a su faire passer dans ses vers les beautés propres<br />

à eliaque genre dont i donne les règles.... Mous n'examinerons<br />

point si Fauteur <strong>de</strong> ces chefs-d'osuvre mérite le<br />

titre d'homme <strong>de</strong> génie qu'il se donnait sans façon à lui*<br />

même, que dans ces <strong>de</strong>rniers temps quelques écrivains M<br />

ont peut-être injustement refusé, car n'est-ce pas avoir<br />

droit à ce titre que d'avoir su exprimer en vers harannieiu,<br />

pleins <strong>de</strong> force et d'élégance, les arrêts <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison et èm<br />

bon goet 9 et surtout «f avoir connu et développé le premier,<br />

en joignant l'exemple au précepte, fart si difficile el jusqu'alors<br />

si peu connu <strong>de</strong> <strong>la</strong> versification française? Despréaux<br />

a eu te mérite rare, et qui ne pouvait appartenir<br />

qu'à un homme supérieur, <strong>de</strong> former le premier en France y<br />

par ses leçons et par ses fera, une école <strong>de</strong> poésie, ajustons<br />

que , <strong>de</strong> tous les poètes qui Font précédé ou suivi » aucun<br />

n'était plus fait que lui pour être le chef d'une pareille<br />

école. En effet f <strong>la</strong> correction sévère et prononcée qui caractérise<br />

ses ouvrages s les rend singulièrement propres à<br />

servir d'étu<strong>de</strong> aux jeunes élèves en poésie. CTest sur les<br />

vers <strong>de</strong> Despréaux qu $ Us doivent mo<strong>de</strong>ler leurs premiers<br />

essais.... Despréaux, fondateur et chef <strong>de</strong> Fécole poétique<br />

française, eut dans Racine un disciple qui lui aurait suffi<br />

jmnr lui assurer Fimmortalité$ quand il ne l'aurait pas<br />

^'ailleurs si bien méritée par ses propres écrits. »<br />

C'est à l'anonyme maintenant à concilier, comme<br />

il le pourra f cette doctrine avec <strong>la</strong> sienne. Le philosophe<br />

9 à propos <strong>de</strong>s mauvais satiriques v en vers<br />

ou en prose, qui se sont faits si ma<strong>la</strong>droitement les<br />

singes <strong>de</strong> Boileau, fait une réflexion qui sternes!<br />

ne paraîtra pas ici hors <strong>de</strong> propos.<br />

« Il y a (dit-Il) entre eui et lui cette difléresce trèt-faV<br />

cliease pour aax, qu'il a commencé par <strong>de</strong>s satires y et fini<br />

par <strong>de</strong>s ouvrages immortels, et qu'au contraire ils ont<br />

commencé par <strong>de</strong> mauvais ouvrages, et fini par <strong>de</strong>s satires<br />

pias déplorables encore. Con<strong>du</strong>its à <strong>la</strong> méchanceté par<br />

l'impuissance $ c'est le désespoir <strong>de</strong> n'avoir pu se donser<br />

d'existence par eux-mêmes qui les a ulcérés et dédiâmes<br />

contre l'existence <strong>de</strong>s autres. »<br />

L'auteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Letire a pris pour épigraphe us<br />

passage tiré d'un fort beau dis<strong>cours</strong> <strong>de</strong> M. Dusauk<br />

sur les poètes satiriques. 11 ne manque pas <strong>de</strong> le<br />

, ranger aussi parmi ceux dont Boileau, dit-il, l'a


SIÈCLE m LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

fmmak JMI eopëmr ^admiration. Cependant les<br />

reflétions <strong>du</strong> tra<strong>du</strong>cteur <strong>de</strong> Juvénal ne portent que<br />

sur les satires <strong>de</strong> Boiieau, daos lesquelles il désirerait<br />

f avec raison, un fond plus moral. D'ailleurs, H<br />

reconnaît en loi l'homme fait pour apprécier tes<br />

ouvrages, et gui<strong>de</strong>r les auteurs; ce qui est directement<br />

le contraire <strong>de</strong>s opinions <strong>de</strong> fauteur <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

i£ttre : et bien loin <strong>de</strong> refuser à Boiieau «on admir<br />

rmiîim, voici comme il <strong>la</strong>it :<br />

* lefpectMM <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong> m feeaeei critique : s'il est<br />

contraint <strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r à set <strong>de</strong>vanciers <strong>la</strong> palme <strong>de</strong> b satire,<br />

ils oe seweleet lui rien epposer <strong>de</strong> plus parfit que l'Art<br />

poétique et te lui tin* *<br />

L'anonyme appelle aussi M. <strong>de</strong> Condoreet à son<br />

se<strong>cours</strong> f et cite son éloge <strong>de</strong> C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Perrault. Ouïrez<br />

cet éloge, et vous y Terrez qu'en blâmant <strong>la</strong><br />

satire, en blâmant le poète <strong>de</strong> n'avoir pas ren<strong>du</strong><br />

justice à l'architecte, il n'attaque en rien le mérite<br />

littéraire <strong>de</strong> Despréaw, ni les serfices qu'il a ren<strong>du</strong>s<br />

tut lettres, et qu'il eiplique comment C<strong>la</strong>u<strong>de</strong><br />

Perrault n'était pas plus juste envers'Boiieau que<br />

Boiieau envers lui ; par <strong>la</strong> différence <strong>de</strong>s objets qui<br />

les occupaient. Son résultat est dans cette phrase :<br />

« Boleoa, qui est en grand poète pour les gens <strong>de</strong> goâ 1<br />

et les amateurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie 9 n'est presque qu'un versificateur<br />

pour eetm fui m mmt qm pMim&pkm* »<br />

N'est-ce pas dire c<strong>la</strong>irement que ceux qui ne sont<br />

qm philosophes ne sont pas juges compétents <strong>du</strong><br />

mérite d'un poète?<br />

J'ai exposé en commençant cette analyse, l'avis<br />

<strong>de</strong> M. Mar<strong>mont</strong>el : quant à M. l'abbé Delille, pour<br />

nous prouter que Boiieau n'ajawmiê pu eaptimr<br />

son admiraMm, Ton nous renToie à une satire sur<br />

le luie9 où il dit que Cotin a été quelquefois Immolé<br />

à <strong>la</strong> rime. On sent combien cette preuve est<br />

concluante. Mais Fauteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Lettre, Idèle à ses<br />

petites ruses <strong>de</strong> guerre, se gar<strong>de</strong> bien <strong>de</strong> citer les<br />

<strong>de</strong>us fers tels qu'ils sont :<br />

Mais <strong>la</strong>tan là Cotte, misérable Ytettme t<br />

Immolée au le» §pét, quelquefois à <strong>la</strong> rime.<br />

On a conservé l'hémistiche quelquefois à h rime,<br />

mais on a soigneusement supprimé immolée au bon<br />

goût, et il <strong>de</strong>vient évi<strong>de</strong>nt, <strong>du</strong> moins pour Fauteur<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Lettre, que celui qui s'est permis cette légère<br />

p<strong>la</strong>isanterie ne peut pas admirer Boiieau. Nous<br />

savons que l'anonyme ne raisonne jamais autrement;<br />

mais csui qui connaissent le tra<strong>du</strong>cteur <strong>de</strong>s<br />

Géorjgiques sa?eut qu'il n*y a point d f 121<br />

cier n'admire point <strong>du</strong> tout Boiieau; et si FOR<br />

nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pourquoi, nous dirons <strong>de</strong> notre eêté :<br />

Pourquoi ce même IL Mercier méprise-t-il soute*<br />

raineraent Racine, qu'il appelle un froid petit èelesprUt<br />

Pourquoi a-t-il si peu d'estime pour Molière<br />

qui n'a déchiffré que quelques pages <strong>du</strong> grand<br />

Mmre <strong>de</strong> l'homme, et qui ne s'est jamais élevé jusqu'au<br />

dramet Pourquoi nous învite-t-H à brûler<br />

notre théâtre? eîc* etc* Nos pourquoi ne finiraient<br />

jamais. Ainsi nous répondrons à Fanonyme que,<br />

si Boiieau, Racine et Molière n'ont jamais pu capttoer<br />

^admiration <strong>de</strong> M. Mercierf c'est un malheur<br />

dont on peut croire qu'ils auraient <strong>la</strong> forée <strong>de</strong> se<br />

consoler.<br />

J'ai Uni <strong>la</strong> tâche que j'avais entreprise, et j'ose<br />

croire qu'elle n'a pu paraître inutile ni dép<strong>la</strong>cée. S'il<br />

n'entre pas dans le p<strong>la</strong>n que je me suis proposé, <strong>de</strong><br />

parler <strong>de</strong>s pro<strong>du</strong>ctions <strong>du</strong> talent <strong>de</strong>s auteurs vivants,<br />

c'en est une partie nécessaire <strong>de</strong> discuter leors opinions.<br />

Je f al déjà <strong>la</strong>it plus d'une fois, et je compte le<br />

faire encore ; car on n'établit les vérités qu'en détruisant<br />

les erreurs, et ces vérités sortent plus c<strong>la</strong>ires<br />

et plus bril<strong>la</strong>ntes <strong>du</strong> choc <strong>de</strong> <strong>la</strong> discussion. U est à<br />

propos d'ailleurs <strong>de</strong> réprimer <strong>de</strong> temps en temps<br />

les scandales littéraires. Un homme qui juge Despréaui<br />

avec le ton d'un maître, et 1© déchire avec<br />

<strong>la</strong> foreur d'un ennemi; qui traite comme <strong>de</strong> petits<br />

esprits, comme <strong>de</strong>s gens à préjugés imbéciles, ceux<br />

qui honorent Fauteur <strong>de</strong> l'Art poétique, un tel<br />

homme insulte tout une nation éc<strong>la</strong>irée : et j'ai<br />

f eogé <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> tous les Français raisonnables, *<br />

en vengeant celle <strong>de</strong> Despréaux. J'ai confon<strong>du</strong> <strong>la</strong><br />

mauvaise foi, en Élisant voir que celui qui osait attribuer<br />

ses propres opinions à nos plus illustres<br />

littérateurs, avait calomnié leur justice, en mémo<br />

temps qu'il calomniait le talent <strong>de</strong> Boiieau. Cetta<br />

brochure forcenée n'est que Feiplosion <strong>de</strong> <strong>la</strong> haine<br />

secrète d'une'troupe <strong>de</strong> révoltés, qui ne détestent<br />

dans Boiieau que l'autorité <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison. Jamais il<br />

n'eut plus d'ennemis qu'aujourd'hui, parce qu'il n'en<br />

peut avoir d'autres que ceux <strong>du</strong> bon goût, et que<br />

leur audace s'est accrue avec leur nombre ; l'expérience<br />

atteste le mal qu'ils peuvent faire. Les Romains<br />

autrefois, dans les temps <strong>de</strong> ca<strong>la</strong>mités publiques<br />

, faisaient <strong>de</strong>scendre <strong>du</strong> Capitole et tiraient<br />

<strong>du</strong> fond <strong>de</strong> leurs temples les statues <strong>de</strong>s dieu* tuté<strong>la</strong>ires,<br />

que l'on portait en pompe par <strong>la</strong> ville, à <strong>la</strong><br />

vue <strong>de</strong>s citoyens qu'elles rassuraient. S'il est per­<br />

auteur dans mis, suivant l'eipression d'un ancien, <strong>de</strong> comparer<br />

notre <strong>la</strong>ngue qu'il ait plus étudié que Boileao, ni <strong>de</strong> moindres choses, à <strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong>s, les lettres<br />

dont U estime davantage <strong>la</strong> versilcatlon. ont aussi leurs jours <strong>de</strong> ca<strong>la</strong>mité; et quand l'image<br />

11 ne reste donc plus que M. Mercier : pour ce révérée <strong>de</strong> Despréaui rient <strong>de</strong> paraître dans m Ly­<br />

coup Fanonyme a raison. 11 est itéré que M. Mer- cée, où nous appelons avec lui tous les dieu <strong>de</strong>s<br />

46.


724<br />

arts pour les opposer I <strong>la</strong> barbarie f n'est-ce pas le<br />

mourut <strong>de</strong> repousser les outrages et les b<strong>la</strong>sphèmes<br />

que <strong>de</strong>s barbares osent opposer au culte que nous<br />

iui rendons?<br />

CHAPITRE XL — De ta fable et <strong>du</strong> conte.<br />

* SECTION PEEMIèSB. — De <strong>la</strong> Fontaine.<br />

COURS DE L1TTÉRATUEE.<br />

Dans tons les genres <strong>de</strong> poésie et d'éloquence, <strong>la</strong><br />

supériorité, plus ou moins disputée, a partagé l'admiration.<br />

S'agit-il <strong>de</strong> l'épopée, Homère, Virgile, le<br />

Tasse, se présentent à <strong>la</strong> pensée, et nul n'ayant réuni<br />

au mime <strong>de</strong>gré toutes les parties <strong>de</strong> Fart, chacun<br />

d'eux ba<strong>la</strong>nee le mérite <strong>de</strong>s autres, au moins sont<br />

plusieurs rapports. Il en est <strong>de</strong> môme <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie,<br />

<strong>de</strong>To<strong>de</strong>, <strong>de</strong> <strong>la</strong> satire. Athènes, Rome, Paris, nous<br />

offrent <strong>de</strong>s talents rivaux. Les anciens et les mo<strong>de</strong>rnes<br />

se disputent <strong>la</strong> palme <strong>de</strong> l'éloquence, et nous<br />

opposons aux Cicéron et aux Démosthènes nos Bossiiel<br />

et nos Massillon. La comédie même, où Molière<br />

a sne prééminence qui n'est pas contestée, permet<br />

encore que le nom <strong>de</strong> Eégnard soit atten<strong>du</strong> après<br />

le sien. 11 n'existe qu'un genre <strong>de</strong> poésie, dans lequel<br />

un seul homme a si particulièrement excellé,<br />

que ce genre lui est resté en- propre, et ne rappelle<br />

plus d'autre nom que le sien, tant il a éclipsé, tous<br />

les autres.<br />

« Nommer <strong>la</strong> fable 9 c'est sommer <strong>la</strong> Fontaine. Le genre<br />

et Fauteur ne font plus qu'on. Ésope ; Phèdre» Pilpay *,<br />

Avienus, avaient fait <strong>de</strong>s fables. 11 vient et les prend toutes<br />

f et ces fobles ne sont plus celles d'Ésope, <strong>de</strong> Phèdre,<br />

<strong>de</strong> PUpay^d'Avienus : ce sont les fables <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine.<br />

m Cet av ratage est unique : il en a un autre presque aussi<br />

rare. Il a tellement piprimé son caractère à ses écrits, et<br />

ee caractère est si aimable, qu'il s'est fait <strong>de</strong>s amis <strong>de</strong> tous<br />

•es lecteurs. On adore en lui cette bonhomie t détenue<br />

dans <strong>la</strong> fïostérflé un <strong>de</strong> ses attributs disiinetifs, mot -vulgaire,<br />

mais ennobli en faveur <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux hommes rares,<br />

Henri IV et <strong>la</strong> Fontaine. Le bonhomme, voilà le nom<br />

qui lui est resté, comme on dit en par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> Henri , le bon<br />

roi. Ces sortes <strong>de</strong> dénominations f consacrées par le temps f<br />

sont les titres les plus sors et les plus authentiques. Ils<br />

expriment l'opinion générale, comme les proférées attestent<br />

l'expérience <strong>de</strong>s siècles,<br />

« On a dit que <strong>la</strong> Fontaine n'avait rien inventé. I! a<br />

inventé sa manière d'écrire, et cette invention n'est pas<br />

<strong>de</strong>?enu@ commune i elle lui est <strong>de</strong>meurée tout entière : U<br />

es a trouvé le secret 9 et Fa gardé. 11 n'a été , dans sou style ,<br />

ni imitateur, ri! imité : c'est là son mérite. Comment s'en<br />

rendre compte ? Il échappe à l'analyse ; qui peut faire valoir<br />

tint d'autres talents, et qui ne peut pas approcher <strong>du</strong> sien.<br />

* Le vrai nom <strong>de</strong> ee nramlne.es! BMpal.<br />

Définit-on Mao ce qui nous p§aM? Peut-on discuter m


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

• 725<br />

traces <strong>de</strong> cette naïveté dont lui-même «<strong>de</strong>vait bieutdt <strong>de</strong>ve­ hors <strong>de</strong> son talent ne le retrouveront plus. Molière, si gai ,<br />

nir le modèle. Les images pastorales et champêtres , prodi­ si p<strong>la</strong>isant dans ses écrits, était triste dans <strong>la</strong> société. La<br />

guées dans d'Urfé, <strong>de</strong>vaient p<strong>la</strong>ire à cette âme douce, dont Fontaine, ce conteur si aimable <strong>la</strong> plume à <strong>la</strong> main, n'était<br />

tous les goûts étaient si près <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature. L'Imagination plus rien dans <strong>la</strong> conversation. De là ce mot plein <strong>de</strong> sens<br />

<strong>de</strong> FArfoste et <strong>du</strong> conteur Boceaee avait <strong>de</strong>s rapports a?ec <strong>de</strong> madame <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sablière : En vérité, mon cher <strong>la</strong> fon­<br />

celle d'un homme singulièrement né pour raconter. Telles taine, vous seriez bien bête, si vous n'aviez, pas tant<br />

étaient alors les richesses <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> mo<strong>de</strong>rne» et d'esprit. Mot qui serait tout aussi vrai en le retournant<br />

tels étaient aussi les auteurs les plus familiers à <strong>la</strong> Fontaine. d'une manière plus sérieuse : « Tous n'auriez pas tant d'es»<br />

Ils furent ses favoris , mais non pas ses maîtres ; et quelle * prit, si vous n'étiez pas si bête. » Ainsi tout est compensé,<br />

différence d'eux tous à lui ! Je dirait aussi quelle distance, et toute perfection tient à <strong>de</strong>s sacrifices. Pour être un pe<strong>la</strong>»<br />

si je n'avais nommé FArfoste ; qu'une autre sorte <strong>de</strong> gloire, tre si vrai et si moral, il fal<strong>la</strong>it que Molière fût porté à ob­<br />

<strong>la</strong> richesse <strong>de</strong> Fmvention , et le sublime <strong>de</strong> Sa poésie, p<strong>la</strong>ce - * server, et l'observation rend sérieux et triste. Pour s'in­<br />

dans son genre au premier rang. Mais pour ce qui concerne téresser si bonnement à Jeannot Lapin et à Bobin Mouton v<br />

Fart <strong>de</strong> narrer, le seul rapport sous lequel on puisse les il fal<strong>la</strong>it avoir ce caractère d'un enfant qui, préoccupé <strong>de</strong><br />

rapprocher, leur manière est très-différente f surtout dans ses jeun 9 ne regar<strong>de</strong> pas autour <strong>de</strong> lui ; et <strong>la</strong> Fontaine était<br />

un point capital : FArfoste a toujours f aie <strong>de</strong> se moquer le distrait. C'était en s'amusant <strong>de</strong> son talent, en conversant<br />

premier <strong>de</strong> ce qu'il dit; M.Fontaine semble toujours être avec ses bons amis, les animaux, qu'il parvenait à char­<br />

dans Sa bonne foi. Aussi, dans tout ce qu'il emprunte, mer ses lecteurs, auxquels peut-être il ne songeait guère.<br />

rien ne parait être d'emprunt; et <strong>la</strong> première qualité qui C'est par cette disposition qu'il <strong>de</strong>vint un conteur si par*<br />

nous frappe dans un homme qui n'inventa rien, c'est l'ori­ ML II prétend quelque part que Dieu mit eu mon<strong>de</strong><br />

ginalité.<br />

Adam le nomene<strong>la</strong>teur, lui ennui : Te voilà t nomme.<br />

« Tous les esprits agissent nécessairement les uns sur On pourrait dire que Mm mit au mon<strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine il<br />

les autres ; se prennent et se ren<strong>de</strong>nt plus ou moins ; se conteur, lui disant : Te voilà, mnte. Cet art <strong>de</strong> narrer,<br />

fortifient ou s'altèrent par le choc mutuel, s'éc<strong>la</strong>irent ou il l'appliqua tour à tour à <strong>de</strong>ux genres différents, à l'apo­<br />

s'obscurcissent par <strong>la</strong> communication <strong>de</strong>s vérités ou <strong>de</strong>s logue moral, qui a l'ustructloii pour but, et au conte fi<strong>la</strong>i»<br />

erreurs, se perfectionnent ou se corrompent par raierait tant, qui n'a pour objet que d'amuser. Il réussit au plus<br />

<strong>du</strong> bon pût ou par' <strong>la</strong> contagion <strong>du</strong> mauvais; et <strong>de</strong> là ces haut <strong>de</strong>gré dans tous les <strong>de</strong>ux. C'est sur le premier qu'il<br />

rapports inévitables entre les pro<strong>du</strong>ctions <strong>du</strong> talent, quand convient <strong>de</strong> s'étendre davantage : c'est le plus important,<br />

le temps les a multipliées. Il serait même possible «pli se le plus pariait, et <strong>la</strong> principale gloire <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine.<br />

formât un esprit qui serait tour à tour <strong>la</strong> perfection ou « A <strong>la</strong> moralité simple et unie <strong>de</strong>s récits d'Ésope ; Phè­<br />

Fabus <strong>de</strong>s autres esprits, qui, empruntant quelque chose dre joignit Fagrément <strong>de</strong> là poésie. On connaît sa pureté,<br />

<strong>de</strong> chacun 9 en total pourrait les ba<strong>la</strong>ncer tous; et cette sa précision, son élégance. Le livre <strong>de</strong> l'Indien Pilpaj n'est<br />

espèce <strong>de</strong> génie, aussi bril<strong>la</strong>nte que dangereuse, ne pour­ qu'un tissu assez embrouillé <strong>de</strong> paraboles mêlées les unes<br />

rait être réservée qu'au siècle qui suivrait celui <strong>de</strong> le renais­ dans les autres, et surchargées d<br />

sance <strong>de</strong>s arts, et dans lequel <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière ambition et le<br />

<strong>de</strong>rnier écueU <strong>du</strong> talent seraient <strong>de</strong> tenter tous les genres ;<br />

parce que tous seraient connus et avancés. U est une autre<br />

espèce <strong>de</strong> gloire, rare dans tous les temps, même dans<br />

celui où, les arts commençant à refleurir, chaque homme<br />

se fait son partage et se saisit <strong>de</strong> sa p<strong>la</strong>ce ; un attribut inestimable<br />

, fait pour p<strong>la</strong>ire à tous les hommes, par l'impression<br />

qu'ils désirent le plus, celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> nouveauté : c'est<br />

ce tour d'esprit particulier qui eicfet tonte- ressemb<strong>la</strong>nce<br />

avec les autres 9 qui imprime sa marque à tout ce qu'il<br />

pro<strong>du</strong>it, qui semble tiier tout <strong>de</strong> lui-même en donnant une<br />

forme- nouvelle à tout ce qu'il prend à autrui; toujours<br />

piquant, même dans ses hrégn<strong>la</strong>rités, parce que rien ne<br />

serait irréguMer comme, lui ; qui peut tout hasar<strong>de</strong>r, parce<br />

que tout lui sied; qu'on ne peut imiter, parce qu'on n'imite<br />

point <strong>la</strong> grâce; qu'on ne peut tra<strong>du</strong>ire en aucune <strong>la</strong>ngue,<br />

parce qu'il s'en est fait une qui lui est propre. Cette qualité,<br />

quand die se rencontre dans les ouvrages, tient nécessairement<br />

au caractère <strong>de</strong> Fauteur. Un homme très-recueilli<br />

es lui-même, se répandant peu au <strong>de</strong>hors ; rempli et préoccupé<br />

<strong>de</strong> ses idées, presque toujours étranger à celles qui<br />

circulent autour <strong>de</strong> lui, doit <strong>de</strong>meurer tel que <strong>la</strong> nature Fa<br />

fait. S'il en a reçu un goût dominant, ce goût ne sera jamais<br />

iii affaibli ni partagé; tout ce qui sortira <strong>de</strong> ses mains aura<br />

us trait distinct et ineffaçable : mais ceux qui le chercheront<br />

f une morale prolixe , qui<br />

manque souvent <strong>de</strong> justesse et <strong>de</strong> c<strong>la</strong>rté. Les peuples qui<br />

ont une <strong>littérature</strong> perfectionnée sont les seuls eues qui<br />

Fon sache fMre un litre. SI jamais os est obligé d'avoir<br />

rigoureusement raison, c'est surtout lorsqu'on se propose<br />

d'instruire. Tous vouiez que je cherche une leçon sous<br />

l'enveloppe allégorique dont vous <strong>la</strong> couvrez : j'y consens.<br />

Mais si FappMcation n'est pas très-juste, si vous n $ al!es pas<br />

directement à votre but, je me ris <strong>de</strong> <strong>la</strong> peine gratuite que<br />

vous avez prise, et je <strong>la</strong>isse là votre énigme qui n'a point<br />

<strong>de</strong> mot. Quand <strong>la</strong> Fontaine puise dans PUpay, dans Avienus 1<br />

et dans d'autres fabulistes moins connus, les récits qu'il<br />

emprnnte, rectifiés pour le fond et Sa morale, et embellis<br />

<strong>de</strong> son style, forment souvent <strong>de</strong>s résultats nouveaux,<br />

qui suppléent chez lui Se mérite <strong>de</strong> l'invention. On y remarque<br />

presque partout une raison supérieure. Cet esprit si<br />

simple et si naif dans <strong>la</strong> narration est très-jasie et souvent<br />

même très-fin dans k pensée, car <strong>la</strong> simplicité <strong>du</strong> toi»<br />

n'exciut point <strong>la</strong> finesse <strong>du</strong> sens; elle n'exclut que FaHêe-,<br />

tatkn <strong>de</strong> <strong>la</strong> finesse. Veut-op un exemple d'un éloge alrjgalièrement<br />

délicat, et <strong>de</strong> f allégorie <strong>la</strong> plus ingénieuse, lises<br />

cette fable adressée à Fauteur <strong>du</strong> Mvre <strong>de</strong>s Maximes, au<br />

célèbre <strong>la</strong> Rochefoucauld. Je k cite <strong>de</strong> préférence, comme<br />

étant <strong>la</strong> seule qui appartienne notoirement à k Fontaine.<br />

Quoi <strong>de</strong> plus spirituellement imagifé pour louer un livret<br />

d'une philosophie piquante,.qui p<strong>la</strong>ît même àxeux qu'il a-


726<br />

censurés, que <strong>de</strong> le comparer an cristal d'une eau transparente,<br />

où l'homme ¥aiti; qui craint tous les miroirs,<br />

qu'il n'a jamais troti¥és mseï f<strong>la</strong>tteurs s aperçoit malgré M<br />

ses traits tels qu'ils sont ; dont il rmî m vain s'éloigner,<br />

et mm <strong>la</strong>quelle il retient toujours? Peut-on louer avec plus<br />

d'esprit. Mais à quoi pensé-je? Me pardonnera-t-on <strong>de</strong> louer<br />

f esprit dans <strong>la</strong> Fontaine? Quel nomme fut jamais pins au-<br />

' <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> ee que l'on appelle esprit ? Oh 1 qu'il possédait an<br />

don plus émirat et phis précieux I cet art d'intéresser pour<br />

tout ce qu'il raconte en paraissant s'y intéresser si ?éritab§ement9<br />

ee charme singulier qui nait <strong>de</strong> rillusion complète<br />

ou 11 parait être , et que fous partages. Il a fondé parmi les<br />

animaux <strong>de</strong>s monarchies et <strong>de</strong>s républiques. Il en a composé<br />

im mon<strong>de</strong> nouveau, beaucoup plus moral que celui <strong>de</strong><br />

P<strong>la</strong>ton. 11 y habite sans cesse; et qui s'aimerait à y habiter<br />

avec lui? Il en a réglé les rangs, pour lesquels il a un respect<br />

profond dont il ne s'écarte jamais. Il a transporté<br />

cbei eux tous les titres et tout l'appareil <strong>de</strong> nos dignités.<br />

H donne an roi lion un loutre, une cour <strong>de</strong>s pairs, un<br />

sceau royal 9 <strong>de</strong>s officiers, <strong>de</strong>s courtisans 9 <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins ; et<br />

jases! il nous représente le loup qui daube au coucher <strong>du</strong><br />

roi ton camara<strong>de</strong> absent, le renard, 1 est c<strong>la</strong>ir qu'il a<br />

assisté au ameker, et qu'il en revient pour nous conter ce<br />

qui s'est passée : c'est ai art inconnu à tons les fitbulistes.<br />

Ce sérieux si p<strong>la</strong>isant ne l'abandonne jamais ; jamais i ne<br />

manque à ee qtt'U doit aux puissances qu'il a établies ; c'est<br />

toujours nosseigneurs les ours, mmeigmemrs les eheunnx,<br />

nUtan léopard, d&m <strong>cours</strong>ier, et les parents <strong>du</strong><br />

loup, gros messieurs qui l'ont /mit apprendre à lire.<br />

Se foit-oo pas «P** 1 ¥it mK €0X » ^'H m fail ^ mT C0Ilcl "<br />

totem, leur ami, leur confi<strong>de</strong>nt? Oui, sans doute, leur<br />

ami : 1 les aime, il entre dans tons leurs intérêts f il met <strong>la</strong><br />

plus gran<strong>de</strong> importance à leurs débats. Écoutez <strong>la</strong> belette<br />

et le <strong>la</strong>pin p<strong>la</strong>idant pour un terrier : est-il possible <strong>de</strong> mieux<br />

discuter une cause? Tout y est mis en usage, coutume,<br />

autorité, droit naturel, généalogie ; on y mr©que les dieux<br />

hospitaliers. C'est ainsi qu'il excite en nous ce rire <strong>de</strong> l'âme<br />

que ferait naître 1a vue d'un enfant heureux <strong>de</strong> peu <strong>de</strong><br />

chose, ou gratement occupé <strong>de</strong> bagatelles. Ce sentiment<br />

doux, l'on <strong>de</strong> ceux qui nous foui Se plus chérir renfonce,<br />

nous lit aussi aimer <strong>la</strong> Fontaine. Écoutez cette bonne<br />

tache se p<strong>la</strong>ignant <strong>de</strong> l'ingratitu<strong>de</strong> <strong>du</strong> maître qu'elle a<br />

novri<strong>de</strong>sonSait:*<br />

Enfin me Yoiià vieille : Il me <strong>la</strong>isse en un coin,<br />

Sans herbe. SU vou<strong>la</strong>it eneor me <strong>la</strong>isser paître !<br />

Hais Je suis attachée ; et si j'eusse en pour maître<br />

Un serpent, eut-i! pu Jamais pousser plus loin<br />

Oagratilu<strong>de</strong>?<br />

Est-ce qu'on ne p<strong>la</strong>int pas cette pauvre bête ? N'est-ce pas<br />

là ce qu'elle dirait si elle pouvait dire quelque chose?<br />

« La plupart <strong>de</strong> ses fables sont <strong>de</strong>s scènes parfaites pour<br />

les caractères et le dialogue. Tartufe parlerait-!! mieux que<br />

le chat pris dans les filets, qui ecaijare le rat <strong>de</strong> le déH vrerf<br />

l'assurant qu'il faims comme ses feux, et qe'ii était<br />

sorti pour aller faire sa prière aux dieux, comme tout<br />

<strong>de</strong>mi chat en me ks malins? Dans cette fable admirable<br />

ém Animaux ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> peste, quoi <strong>de</strong> plus parfait<br />

que ta confession <strong>de</strong> l'Ane ? Comme toutes les circonstances<br />

COU1S DE LITTÉRATURE.<br />

sont faites pour atténuer sa faute» qu'A semble totiteèr ag»<br />

gra? er si bonnement ?<br />

En un pré <strong>de</strong> moines passant,<br />

La faim, FoccaMon, l'herbe tendre t et t J@ pense 9<br />

Quelque diable aussi me poussant,<br />

le tondis <strong>de</strong> ce pré <strong>la</strong> <strong>la</strong>rgeur <strong>de</strong> ma <strong>la</strong>ngue<br />

Et ce cri qui s'élève :<br />

Manpr rberbs tTatitrai !<br />

L'herbe d f autrui! comment tenir à ces traits-là? On es<br />

citerait mille <strong>de</strong> cette force. Mais U État s'en rapporter as<br />

goût et à <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong> cens qui aiment k fontaine : et<br />

qui ne f aJme pas? » (Éloge <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine, )<br />

Je ne pois cependant résister an p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> revoir<br />

es détail quelques-unes <strong>de</strong> ses fables, et sans doute<br />

on me 1e pardonnera. J'ai remarqué souvent qne,<br />

dès qo 9 oo parle <strong>de</strong> lu! , chacun est tenté d'en réciter<br />

quelque chose} quoique bien sûr que tout le momie<br />

le sait par cœur. Et après tout, le p<strong>la</strong>isir Vaut mieux<br />

que <strong>la</strong> nouveauté9 ou plutôt c'en est toujours une;<br />

au lieu que <strong>la</strong> nouveauté n'est pas toujours un p<strong>la</strong>isir.<br />

Je ne puis être embarrassé que <strong>du</strong> choix : sur<br />

près <strong>de</strong> trois cents fables qu'il a faites, il n*y en a pas<br />

dix <strong>de</strong> médiocres, et plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux cent cinquante<br />

sont <strong>de</strong>s chefs-d'œuvre. Voyons k Mai retiré dm<br />

ntom<strong>de</strong>*<br />

Les Levantins, en leur légen<strong>de</strong> ,<br />

Disent qu'un certain rat, <strong>la</strong>s <strong>de</strong>s soins dlcHtes,<br />

Bans un fromage <strong>de</strong> Hol<strong>la</strong>n<strong>de</strong><br />

Se retira, loin <strong>du</strong> tracts.<br />

* La solitu<strong>de</strong> était profon<strong>de</strong> :<br />

S'éteadaat partout à <strong>la</strong> ron<strong>de</strong>,<br />

Hotre ermite nouveau subsistait là-<strong>de</strong>dans.<br />

II fit tant <strong>de</strong>s pieds et <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nts,<br />

Qu'en peu <strong>de</strong> jours il eut au fond <strong>de</strong> Perm!ta§s<br />

Le vivre et le couvert : que faut-il davantage?<br />

Il <strong>de</strong>vint gros et gras : Dieu prodiges ses biens<br />

A ceux qui font vœu d'être siens.<br />

Un Jour, au dévot personnage<br />

Les dépotés <strong>du</strong> peuple rat<br />

S'en vinrent <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r quelque aumône légère.<br />

Ils al<strong>la</strong>ient en terre étrangère<br />

Chercher quelque se<strong>cours</strong> contre le peuple chat.<br />

Ratopotts était bloquée %<br />

On les avait contraints <strong>de</strong> partir sans argent 9<br />

Atten<strong>du</strong> l'état indigent<br />

De <strong>la</strong> république attaqués.<br />

Os <strong>de</strong>mandaient fort peu, certains mie le aeooa»<br />

Serait prêt dans quatre ou cinq Jours.<br />

Mes amis, dit le solitaire,<br />

Les choses d'ici-bas ne me regar<strong>de</strong>nt plus.<br />

En quoi peut un pauvre reclus<br />

Vous assister f Que peut-il faire.<br />

Que <strong>de</strong> prier le ciel qu'il vous aille eu eed?<br />

J'espère qu'il aura <strong>de</strong> vous quelque souci.<br />

Ayant parlé <strong>de</strong> cette sorte,<br />

Le nouveau saint ferma sa porte.<br />

Qui désigné-Je, à votre avis,<br />

Par ce rat si peu" secourante?<br />

On moine? non, mais un fierais;<br />

Je suppose qu'un moine est toujours charitable*<br />

Je ne connais point l'original <strong>de</strong> cette fable. Si <strong>la</strong><br />

Fontaine Fa imaginée! comme on peut k croire,


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

elle fait ?oir que ses idées s'étendaient sur <strong>de</strong>s objets<br />

qui ont beaucoup occupé les philosophes et les<br />

politiques <strong>de</strong> ce siècle, et que le bon sens do fabuliste<br />

Indiquait <strong>de</strong>s vérités utiles y qui <strong>de</strong> nos jours<br />

ont été plus hardiment eiposées. Mais cette hardiesse<br />

avait-elle le mérite <strong>de</strong> sa discrétion? Nous en apprenait-il<br />

moins en ne vou<strong>la</strong>nt pas tout dire? La fin<br />

<strong>de</strong> cet apologue n'est-elle pas d'une tournure fine et<br />

délicate y qui prou?e ce que j'ai avancé tout à l'heure y<br />

qu'il avait dans l'esprit une iaessa d'autant plus<br />

réelle, qu'il <strong>la</strong> cache sous cette bonhomie qui était<br />

en lui habituelle? Et dans les ouvrages 9 comme dans<br />

<strong>la</strong> société, ceux-là ne sont pas les moins fins qui ne<br />

veulent pas le paraître. Observons encore que, pour<br />

substituer avec plus <strong>de</strong> ?raisemb<strong>la</strong>nce un <strong>de</strong>mis à<br />

un moine, il feint d'avoir pris <strong>la</strong> fable dans <strong>la</strong> Mgênée<br />

<strong>de</strong>s Levantins, quoique assurément il n'en<br />

soit rien. Lé bonhomme, comme on voit, ne <strong>la</strong>issait<br />

pas d'avoir quelquefois un peu d'astuce; mais<br />

elle était bien innocente. Et quelle perfection dans<br />

ce court récit! Il y prend tour à tour le ton d'un bis»<br />

torien et celui d'un poëte comique. Molière aurait-il<br />

mieui fait parler un dénis dans sa cellule (puisque<br />

<strong>de</strong>mis y a) que ne parle notre ermite dans son fromage?<br />

Et ce sérieux dont j'ai fait mention, cette<br />

importance qu'il donne à ses acteurs! Le blocus <strong>de</strong><br />

EatopoUs, <strong>la</strong> république attmq née, son état indigène,<br />

le se<strong>cours</strong> qui sera prêt dam quatre ou cinq jours,<br />

n'est-ce pas là le style <strong>de</strong> l'histoire? Aussi se.s'agit-il<br />

<strong>de</strong> rien moins que dm peuple rat, <strong>du</strong> peuple<br />

chai* Ces dénominations, auiquelles il nous a accoutumés,<br />

nous semblent peu <strong>de</strong> chose. : il n'y en a<br />

pourtant aucun eiemple dans les fabulistes qui font<br />

précédé. De plus, elles sont nécessaires pour amener<br />

les détails qui suivent, et cette unité fon<strong>de</strong> l'illusion.<br />

Mais aussi cette illusion ne se trouve que chez lui;<br />

c'est ce qui fait que sa manière <strong>de</strong> narrer ne ressemble<br />

à aucune autre. Comme il parle gravement<br />

<strong>de</strong> ce rat, <strong>la</strong>s <strong>de</strong>s soins d s ici*bm! Ne dirait-on pas<br />

d'un solitaire philosophe? Cette réfleiion, qui semble<br />

venir là d'elle-même et sans <strong>la</strong> moindre malice,<br />

Dâwi prodigue ses Matât<br />

A eemi qui font voeu d'être lions,<br />

avait été Si confirmée par l'eipérienoe, que nous<br />

<strong>la</strong> répétions tous les jours. Voilà bien <strong>de</strong>s remarques;<br />

on en ferait <strong>de</strong> pareilles presque à chaque<br />

vers.<br />

Nous avons un peu trop <strong>la</strong> prétention, dans ce<br />

siècle, d'avoir fait, en économie politique, <strong>de</strong>s découvertes<br />

qui ne sont pas toujours aussi mo<strong>de</strong>rnes<br />

que nous l'imaginons. On a crié beaucoup, par exemple,<br />

contre l'inconvénient <strong>de</strong> <strong>la</strong> trop gran<strong>de</strong> multiplicité<br />

<strong>de</strong> fêtes, et si forty qu'à <strong>la</strong> fin nous en avons<br />

71?<br />

vu supprimer un certain nombre. On pouvait là-<strong>de</strong>ssus<br />

citer <strong>la</strong> Fontaine, qui était bien aussi phitoso*<br />

plie qu'un autre, quoiqu'il ne s'en piquât pas, car<br />

il ne se piquait <strong>de</strong> rien. Écoutons son savetier.<br />

Uti savetier chantait <strong>du</strong> matin jusqu'au soir.<br />

C'était merveille <strong>de</strong> le voir,<br />

Merveille <strong>de</strong> l'ouïr ; il faisait <strong>de</strong>s passages,<br />

Plus eoQteot qu'aucun <strong>de</strong>s sept sages.<br />

Son Yotsiïi, au ««traire, étant tout cousu d'or,<br />

Chantait peu , dormait moio§ enœr ;<br />

C'était un homme <strong>de</strong> finance.<br />

Si sur le point <strong>du</strong> jour parfois i! sommeil<strong>la</strong>it,<br />

Le sa¥eUer alors en chantant f'éveil<strong>la</strong>it;<br />

Et ie financier se p<strong>la</strong>ignait<br />

Que les soins <strong>de</strong> <strong>la</strong> Provi<strong>de</strong>nce<br />

n'eussent pas au marché fait vendre te dormir.<br />

Comme le manger et le boire.<br />

En son hôtel 11 fait venir<br />

Le chanteur, et lui dit. Or ça, lire Grégoire,<br />

Que gagnez-vous par an ! Par an ! ma foi? monsieur,<br />

DU avec un ton <strong>de</strong> rieur<br />

Le gail<strong>la</strong>rd savetier, ce n'est point ma manière<br />

De compter <strong>de</strong> <strong>la</strong> sorte v et je s'entasse guère<br />

Un jour sur l'autre; U suffit qu'à <strong>la</strong> fin<br />

rattrape le bout <strong>de</strong> l'année :<br />

Chaque jour amène son pain.<br />

Eh bien ! que gagnei-vous, diteâ-mol, par journée?<br />

Tantôt plus, tantôt moins i le mal est que toujours<br />

C Et sans ce<strong>la</strong> nos gains seraient assez honnêtes ) t<br />

Le mal est que dans l'an •'entremêlent <strong>de</strong>s joues<br />

Qu'il faut chômer : on nous ruine en fêtes.<br />

L'une fait tort à l'autre ; et monsieur le curé<br />

De quelque nouveau saint charge toujours son prône.<br />

Le financier, riant <strong>de</strong> sa nal?été,<br />

Lui dit ; Je veux vous mettre aujourd'hui sur le trône ;<br />

Prenez ces cent écus; gar<strong>de</strong>s-îes avec soin'<br />

Pour vous es servir au besoin.<br />

Le savetier crut voir tout l'argent que <strong>la</strong> terre<br />

Avait, <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> cent ans,<br />

Pro<strong>du</strong>it pour l'usage <strong>de</strong>s gens,<br />

n retourne ©nés lui ; dans sa cave U enserre<br />

L'argent et sa joie à <strong>la</strong> fois.<br />

Plus <strong>de</strong> chant : il perdit Sa vols<br />

Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines,<br />

Le sommeil quitta son logis :<br />

11 eut pour notes les soucis,<br />

Les soupçons, les a<strong>la</strong>rmes aatoea.<br />

Tout le jour 11 avait i'celi au guet ; et <strong>la</strong> nuit,<br />

Si quelque chat faisait <strong>du</strong> bruit,<br />

La chat prenait l'argent. A <strong>la</strong> in ie pautra homme<br />

S'en courut chei celui qu'il ne réveil<strong>la</strong>it plus ;<br />

Ren<strong>de</strong>z-moi, lui dit-U, mes chansons et mon somme,<br />

Et reprend vos cent écus.<br />

On voit que le savetier <strong>de</strong> notre fabuliste pensait<br />

comme les réformateurs <strong>de</strong> notre siècle. Il It plus :<br />

il se con<strong>du</strong>isit en sage, puisqu'il rapporta les cent<br />

écus, Mais <strong>la</strong> Fontaine le feil toujours prier en<br />

sa?aller, et lui <strong>la</strong>isse avec le bon sens qu'il lui douée,<br />

le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> son état et <strong>la</strong> grosse gaieté <strong>de</strong> son caractère<br />

: c'est en quoi consiste dans <strong>la</strong> fable le grand<br />

mérite <strong>de</strong> <strong>la</strong> partie dramatique. Il ne possè<strong>de</strong> pas<br />

moins éminemment celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> partie <strong>de</strong>scriptive :<br />

avec quel art il suspend au cinquième pied, par une<br />

césure imitatîve, ce vers qui peint les a<strong>la</strong>rmes <strong>du</strong><br />

pauvre homme, que ridés <strong>de</strong> son trésor tient toujours<br />

eoé'air!


728<br />

C0U1S DE LHTÉ1ATC1E,<br />

Tout te Jour II avait PœU ta guet....<br />

Quitta le long espoir et Ses vastes f<br />

Tout ce<strong>la</strong> ne convient qu'à nous.<br />

Quelle précision dans eet autre fera!<br />

n ne convient pas à vous-mêmes,<br />

lepâftft le vieil<strong>la</strong>rd. Tout établissement<br />

L'argent et sa Joie à <strong>la</strong> fois.<br />

Tient tard et <strong>du</strong>re peu. La main <strong>de</strong>s Pnrques Messes<br />

S'il étend cette idée, quel intérêt dans les détails! De vos Jours et <strong>de</strong>s miens se Joue également.<br />

Mus termes sont pareils par leur courte <strong>du</strong>rée»<br />

Plus <strong>de</strong> chant : il perdit <strong>la</strong> vote<br />

Qui <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>rtés <strong>de</strong> <strong>la</strong> voûte aiurée<br />

Dit moment qu'il gagna ce qui cause nos peines.<br />

Doit Jouir le <strong>de</strong>rnier? Est-il un seul moment<br />

Le sommeil quitta son logis :<br />

Qui vous puisse assurer d'un second seulement?<br />

Il eut pour hôtes les soucis, etc.<br />

Mes arriére-neveux me <strong>de</strong>vront cet ombrage :<br />

Eh bien ! défen<strong>de</strong>t-vous au sage *<br />

Tout à rfae«ra es riait <strong>du</strong> savetier : on le p<strong>la</strong>int De se donner <strong>de</strong>s soins pour le p<strong>la</strong>isir d'autrul?<br />

Ge<strong>la</strong> même est un fruit que Je goàle aujourd'hui s<br />

maintenant. Cette réflexion si rapi<strong>de</strong>, ce qui cause JVn puis Jouir <strong>de</strong>main t et quelques Jours encore ;<br />

mes peines, sous fait revenir sur nous-mêmes. Et ce le pais enfin compter l'aurore<br />

trait si heureux f eelui qu'il ne réveil<strong>la</strong>it plus ! C'est Plus d'une fois sur vos tombeaux.<br />

Le viei!Iard eut raison : l'un <strong>de</strong>s trois Jouvenceau<br />

dans un seul 'hémistiche toute <strong>la</strong> substance <strong>de</strong> l'a­ Se noya dès le port, al<strong>la</strong>nt en Amérique;<br />

pologue. Cette facilité étonnante à nous faire pas­ L'autre, aie <strong>de</strong> <strong>mont</strong>er aux gran<strong>de</strong>s dignités9 '<br />

Dans les emplois <strong>de</strong> Mars servant <strong>la</strong> répubUqiK,<br />

ser d'un sentiment à un autre sans disparate et sans Par un coup imprévu vit ses Jours emportés ;<br />

secousse est une espèce <strong>de</strong> magie qui est surtout né» Le troisième tomba d'un arbre<br />

eessaire en racontant. L'Idée <strong>de</strong> pendre le dormir, Que <strong>la</strong>f-faêeae fi voulut enter :<br />

El pleures <strong>du</strong> vieil<strong>la</strong>rd f il grava sur leur tombe<br />

qu'on pourrait prendre pour une saillie, n'en est Ce que Je viens <strong>de</strong> raconter.<br />

peut-être pas une. 11 est assez naturel à quiconque<br />

a beaucoup d'argent d'y ?o!r l'équivalent <strong>de</strong> tout ce<br />

On peut bien appliquer au poète ce qu'il dit quel­<br />

qu'on peut désirer; et Ton sait qu'un riche gourque<br />

part <strong>de</strong> l'apologue :<br />

mand, mécontent <strong>de</strong> son estomac, se p<strong>la</strong>ignait qu'on C'est proprement un charme<br />

ne pût pas payer un digéreurf atten<strong>du</strong> qu'il trouvait Oui : mais ce n'en est un que ebez loi ; chez les au­<br />

que <strong>la</strong> gourmandise, fort bonne en elle-même, n'atres , ce n'est qu'une leçon agréable. A quel autre<br />

vait d'inconvénient que l'indigestion.<br />

a-t-il été donné <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s vers tels que œtu-cî :<br />

Patru feu<strong>la</strong>it détourner <strong>la</strong> Fontaine <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s<br />

fables : il ne croyait pas qu'on pût égaler en fran­<br />

Mes arrière-neveux me <strong>de</strong>vront eet ombrage :<br />

Eh bien! etc.<br />

çais <strong>la</strong> brièveté <strong>de</strong> Phèdre. Je conviendrai que notre<br />

<strong>la</strong>ngue est plus lente dans sa marche que celle <strong>de</strong>s Cet inexprimable enchantement ne permet pas<br />

Latins : aussi <strong>la</strong> Fontaine ne s'est-il pas proposé même à l'imagination <strong>de</strong> voir rien au <strong>de</strong>là : c'est en­<br />

d'être aussi court dans ses récits que le fabuliste <strong>de</strong> core autre chose que <strong>la</strong> perfection, car Phèdre y par-<br />

Eome ; il eût couru le risque <strong>de</strong> tomber dans <strong>la</strong> séche­ Yint dans plusieurs <strong>de</strong> ses fables; il est Isi, il est<br />

resse. Mais, avec bien plus <strong>de</strong> grâce que lui, il n'a irréprochable : on n'eût pas soupçonné le mieux,<br />

pas moins <strong>de</strong> précision, si Ton entend par un style si <strong>la</strong> Fontaine n'eût pas écrit. Mais <strong>la</strong> Fontaine I...<br />

précis celui dont on ne peut rien retrancher d'inu­ oh! que <strong>la</strong> nature Tairait bien traité! aussi n'es a-ttile,<br />

celui dont on ne peut rien éter sans que l'oueiîe pas fait un second.<br />

vrage per<strong>de</strong> une beauté et que le lecteur regrette un Comment se fait-il que cet homme, qui parais­<br />

p<strong>la</strong>isir. Tel est le style <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine dana l'apologue : sait si indifférent dans <strong>la</strong> société, fût si sensible<br />

on n'y sent jamais <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngueur; on n'y trouve jamais dans ses écrits? A quel point il <strong>la</strong> possè<strong>de</strong>f cette?<br />

rien <strong>de</strong> vi<strong>de</strong>. Ce qu'il dit ne peut pas être dit m moins sensibilité, rime <strong>de</strong> tous les talentsI non celle qui<br />

<strong>de</strong> mots, ou vous ne le diriez pas si bien. Qu'on ?e- est vive, impétueuse! énergique, passionnée, et qui<br />

' lise, par exemple, <strong>la</strong> fable dm vieil<strong>la</strong>rd et <strong>de</strong>s trois est faite pour ia tragédie, pour l'épopée, pour tous<br />

jeunes hommes, ce modèle <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus aimable mo­ les grands ouvrages <strong>de</strong> l'imagination ; mais cette<br />

rale, et <strong>du</strong> talent <strong>de</strong> narrer avec un intérêt qui parle sensibilité douce, naïve, attirante 9 qui convenait si<br />

au cœur : qu'on examine s'il y § un seul mot <strong>de</strong> trop. bien au genre d'écrire qu'il avait choisi, qui se, faisait<br />

apercevoir à tout moment dans sa composition, tou­<br />

Un octogénaire p<strong>la</strong>ntait.<br />

jours sans <strong>de</strong>ssein, jamais sans effet, et qui donne<br />

Passe «ocor <strong>de</strong> bâtir; mais p<strong>la</strong>nter à cet âge !<br />

Disaient trois Jouvenceaux, enfants <strong>du</strong> voisinage; à tout ce qu'il a écrit un attrait irrésistible. Quelle<br />

Assurément il radotait.<br />

foule <strong>de</strong> sentiments aimables répan<strong>du</strong>s partout! Par­<br />

Car, au nom <strong>de</strong>s dfcuit Je fous prie,<br />

Quel fruit <strong>de</strong> ee <strong>la</strong>beur pouvet-vous recueiSUr? tout répaschement d'une âme pure, et reftusion d'un<br />

Autant qu'un patriarche il vous faudrait vieillir. bon cœur. A?ec quelle vérité pénétrante il parle <strong>de</strong>s<br />

A quoi bon charger votre vie<br />

douceurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> solitu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> celles <strong>de</strong> l'amitié! Qui<br />

Det soles d'un avenir qui e>st pas fait pour voua?<br />

He songez désormais qu'à vos erreurs passe* s* ne voudrait être fanai d'un hommequi a <strong>la</strong>it <strong>la</strong> fable


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

<strong>de</strong>s Deux Avuk! Se tassera-t-on jamais <strong>de</strong> relire<br />

celle <strong>de</strong>s Deux Pigetms, ce morceau dont l'impression<br />

est fi délicieuse, -à qui peatrêtrê on donnerait<br />

<strong>la</strong> palme sur tous les autres, si parmi tant <strong>de</strong> chefsd'œuvre<br />

©n avait <strong>la</strong> cou<strong>la</strong>nte déjuger, ou <strong>la</strong> force<br />

<strong>de</strong> choisir? Qu'elle est belle, cette fiable! qu'elle<br />

est touchante! que ces <strong>de</strong>ux pigeons sjnt as couple<br />

charmant! quelle tendresse éloquente dans leurs<br />

adieux! comme on s'intéresse aux aventures <strong>du</strong><br />

pigeon voyageur! quel p<strong>la</strong>isir dans leur réunion!<br />

que <strong>de</strong> poésie dans leur histoire! Et lorsque ensuite<br />

le fabuliste init par un retour sur lui-même,<br />

qu'il regrette' et re<strong>de</strong>man<strong>de</strong> les p<strong>la</strong>isirs qu'il ^ a<br />

trouvés dans l'amour, quelle tendre mé<strong>la</strong>ncolie!<br />

quel besoin d'aimer! on croit entendre les soupirs<br />

<strong>de</strong> Tibulle.... Relisons-<strong>la</strong>, cette fable divine:<br />

il ne faut pas louer <strong>la</strong> Fontaine; il faut le lire,<br />

le relire, et le relire encore. 11 en est <strong>de</strong> lui comme<br />

• <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne que Ton aime : es son absence,<br />

il semble qu'on aura mille choses à lui dire, et<br />

quand on <strong>la</strong> voit, tout est absorbé dans un seul<br />

sentiment, dans le p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> <strong>la</strong> voir. On se répand<br />

en -louanges sur <strong>la</strong> Fontaine, et dès qu'on le lit,<br />

ce qu'on voudrait dire est oublié : on le lit, et on<br />

jouit.<br />

Deux pigeons s'aimaient d'amour tendre :<br />

L'un d'eux, s'ennnyant an logis,<br />

Fui assez fou pour entreprendre<br />

rja voyage au lointain pays.<br />

L'autre lui dit .• Qu'aMei-vons fatw?<br />

Voulez-vous quitter votre frère?<br />

L'absence est Se P*us &^d <strong>de</strong>s maux :<br />

Hon pas pour TOUS, cruel ! Au moins que les tamax<br />

Les dangers, les soins <strong>du</strong> voyage,<br />

Changent un peu votre courage.<br />

Eneor si <strong>la</strong> saison s'avançait davantage!<br />

Atten<strong>de</strong>z les léphyrs : qui vous près»? Un aovtaaii<br />

Tout à l'heure annonçait malheur à quelque oiseau.<br />

Je ne sonnerai plus que rencontre funeste,<br />

Mon frère a-t-il tout ce «pli veut.<br />

Bon souper, bon gite, et le reste?<br />

Ce dis<strong>cours</strong> ébran<strong>la</strong> le cœur<br />

De notre impru<strong>de</strong>nt voyageur<br />

Mais le désir <strong>de</strong> voir et l"hnmfur Inquiète<br />

L'emportèrent enfin. Il dit i Ne pleure* point :<br />

Trois Jours m ptua rendront mon âme satisfaite :<br />

Je reviendrai dans peu conter <strong>de</strong> point en point<br />

Mes aventures à mon frère,<br />

le te détennulraf : quiconque ne volt guère s<br />

N'a guère a dire aussi. Mon voyage dépeint<br />

Vous sera d'un p<strong>la</strong>isir extrême.<br />

' Je dirai , Fêtais là, telle chose m'advint<br />

Vous y crolrei être vous-même.<br />

A ces mots, en pleurant, ils se disent adieu.<br />

Le voyageur s'éloigne : et voilà qu'un nuage<br />

L'oblige <strong>de</strong> chercher retraite en quelque lieu.<br />

Un seul arbre s'offrit, tel encore que Forage<br />

Maltraita le pigeon en dépit <strong>du</strong> feuil<strong>la</strong>ge.<br />

L'air <strong>de</strong>venu serein, il part tout morfon<strong>du</strong>.<br />

Sèche <strong>du</strong> mieux qo'U peut son corps chargé <strong>de</strong> pluie;<br />

Dans un champ à l'écart voit <strong>du</strong> blé répan<strong>du</strong> t<br />

Voit un pigeon auprès. Ce<strong>la</strong> lui donne envie;<br />

M y vole : il est pris : ce blé ©ouvrait d'un !a«<br />

Les menteurs et traîtres appâta.<br />

Le <strong>la</strong>cs était usé, si bien que <strong>de</strong> son aUe9<br />

De ses pieds t <strong>de</strong> son bec, l'oiseau te rompt enfin.<br />

Quelque plume y périt ; et le pis <strong>du</strong> <strong>de</strong>stin<br />

Fui qu'un certain vautour, à <strong>la</strong> serre cruelle,<br />

Vit noire malheureux, qui, traînant <strong>la</strong> ficelle,<br />

Et les morceaux <strong>du</strong> <strong>la</strong>cs qui l'avaient attrapé,<br />

Semb<strong>la</strong>it un forçat échappé.<br />

Le vautour s'en al<strong>la</strong>it îe Mer, quand <strong>de</strong>s nues<br />

Fond à son tour un at#e aux ailes éten<strong>du</strong>es.<br />

Le pigeon profita <strong>du</strong> conflit <strong>de</strong>s voleurs,<br />

S'envo<strong>la</strong>, s'abattit auprès d'une masure,<br />

Crut pour ce coup que ses malheurs<br />

Finiraient par cette aventure.<br />

Mais us fripon d'enfant (cet âge est sans pitié)<br />

Prit sa fron<strong>de</strong>, et <strong>du</strong> coup tua plus tfà-moitié<br />

La vo<strong>la</strong>tile malheureuse,<br />

Qui, maudissant sa curiosité f<br />

Traînant l'aile et tirant le pied,<br />

Demi-morte et <strong>de</strong>mi-boiteuse t<br />

Droit au logis s'en retourna :<br />

Que bien, que mal elle arriva ,<br />

Sans autre aventure fâcheuse.<br />

Voilà nos gens rejoints, et Je <strong>la</strong>isse à Juger<br />

De combien <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isirs Ils payèrent leurs peine*<br />

Amants, heureux amants, voulez-vous voyager<br />

Que ce soit aux rives prochaines.<br />

Soyei-vous l'un à l'autre un mon<strong>de</strong> toujours beau,<br />

Toujours divers, toujours nouveau ;<br />

Tenez-vous lieu <strong>de</strong> tout, eemptei pour rien le reste.<br />

J'ai quelquefois aimé : Je n'aurais pas alors,<br />

Contre le Louvre et ses trésors,<br />

Contre le firmament et sa voûte céleste,<br />

Changé les bois, changé les lieux,<br />

Honorés par les pas, éc<strong>la</strong>irés par les yeux<br />

De l'aimable et Jeune bergère<br />

Pour qui, sous le fils <strong>de</strong> Cythère,<br />

le servis, engagé par mes premiers serments.<br />

Hé<strong>la</strong>s! quand reviendront <strong>de</strong> semb<strong>la</strong>bles moments!<br />

Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants<br />

Me <strong>la</strong>issent vivre au gré <strong>de</strong> mon âme inquiète!<br />

Ah ! si mon eceur osait encor se renf<strong>la</strong>mmer I<br />

He senUrai-Je plus <strong>de</strong> charme qui m'arrête?<br />

Atje passé le temps d'aimer?<br />

fît<br />

La Fontaiiff avait appris <strong>de</strong>s anciens, et surtout<br />

<strong>de</strong> Virgile f cet art <strong>de</strong> se mettre quelquefois es scène<br />

dans son propre ouvrage, art très-heureui lorsqu'on<br />

sait également et le p<strong>la</strong>cer à propos et remployer<br />

atee sobriété. Mais l'exemple en est dangereux<br />

pour eeux à qui il se saurait être utile : c'est eetai<br />

dont les ma<strong>la</strong>droits imitateurs ont <strong>de</strong> nos jours le<br />

nias abusé. De quoi qu'ils parlent an publie, c'est<br />

toujours d'eux qu'ils parlent le plus; et souvent rien<br />

n'est plusitrange et plus insipi<strong>de</strong> que les confi<strong>de</strong>nces<br />

qu'ils nous font. An contraire, jamais on n'aime<br />

plus <strong>la</strong> Fontaine que quand il nous entretient <strong>de</strong><br />

lui-même. Pourquoi? C'est que toujours on f oit son<br />

âme se répandre, ou son caractère se <strong>mont</strong>rer.<br />

Voyez ce morceau sur les charmes <strong>de</strong> <strong>la</strong> retraite,<br />

que <strong>de</strong>puis on* si souvent imité, et que <strong>la</strong> Fontaine<br />

lui-même a imité en partie <strong>de</strong> Virgile.<br />

Solitu<strong>de</strong> eu Je trouve une doueeer secrète,<br />

liras que j'aime toujours, ne pourrai-JeJmji,.<br />

mn <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> et <strong>du</strong> bruit, goûter l'ombre et le frais?<br />

Oh! qui m'Arrêtera dans vos sombres asiles.


130<br />

Woompa tout entier, et m'âpprendre êm cl«ix<br />

Les mouvements divers Ineonnus à nos yeux,<br />

Les noms et les vertus <strong>de</strong> eei c<strong>la</strong>rtés errantes<br />

'Par qui sont nos dattes et sot mœurs différantes?<br />

Que tl Je ne sols se pour <strong>de</strong> st grands projets,<br />

Bu moins que les ruisseaux m'offrent <strong>de</strong> doux objets ;<br />

Que je peigne en mes vers quelque rive fleurie.<br />

La Parque à filets d'or s'ourdira point ma rie;<br />

Je se dormirai polo! sous <strong>de</strong> riches <strong>la</strong>mbris;<br />

, Mais voit-oo que le somme en per<strong>de</strong> <strong>de</strong> sou prix?<br />

En est-il moins profond et moins plein <strong>de</strong> délices?<br />

le lui voue au désert <strong>de</strong> nouveaux sacrifices.<br />

Quand le moment viendra d $ aller trouver les morts,<br />

Taural vécu sans soins, et mourrai sans remords.<br />

C'est là le ton d'an homme qui révèle ses goûts ,<br />

et qui épanche son cœur. Dans d'autres occasions<br />

ce n'est qu'ira mot en passant, qui trahit son caractère<br />

:<br />

Toi donc, qui que tu sois t ô père <strong>de</strong> famille t<br />

C Et Je se t'ai Jamais envié cet honneur.)<br />

Quand nous ne saurions pas que <strong>la</strong> Fontaine ne<br />

potwalt pas souffrir les embarras <strong>du</strong> ménage, et qu'il<br />

avait une femme qui ne les lui faisait pas aimer, ce<br />

?er§ nous rapprendrait.<br />

Auteurs, c'est un trait <strong>de</strong> gaieté, une saillie :<br />

Une souris tomba <strong>du</strong> bec d'un enat-huant ;<br />

le ne l'aurais pas ramassée;<br />

Mais un Bramin le Et : chacun a sa pensée<br />

S'il eût dit simplement qu'un Bramfn <strong>la</strong> ramassa, il<br />

n'y a?ait rien <strong>de</strong> piquant. Tout le sel <strong>de</strong> cet endroit<br />

consiste dans Fadresse <strong>de</strong> Fauteur à se mettre en opposition<br />

mm le Bramtn, et ce<strong>la</strong> lorsqu'on y pense le<br />

moins, par une réiexion si simple, qu'elle fait ressortir<br />

davantage <strong>la</strong> singu<strong>la</strong>rité <strong>de</strong> l'Indien. C'est ainsi<br />

qu'il égayé et embellit tout par <strong>de</strong>s moyens que lui<br />

seul connaît : personne n'a su entremêler a?ec plus<br />

<strong>de</strong> rapidité, <strong>de</strong> justesse et <strong>de</strong> bonheur, le récit et <strong>la</strong><br />

réflexion.<br />

Un lièvre en son gîte songeait ,<br />

Car que faire en un gfte, à moins que Ton ne songe?<br />

Dans un profond ennui ce Métro se plongeait :<br />

Cet mimai est triste, et <strong>la</strong> crainte le ronge.<br />

CODES DB mTÉMTUH.<br />

Les exemples <strong>de</strong> cette espèce sont sans nombre. Il<br />

reste à parler <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie <strong>de</strong> ses fables; mais elle<br />

est si riche, quelle <strong>de</strong>man<strong>de</strong> un détail fort éten<strong>du</strong> t<br />

et <strong>la</strong> Fontaine mérite bien <strong>de</strong> nous occuper <strong>de</strong>ux<br />

séances.<br />

Toujours guidé par un discernement sûr, <strong>la</strong> Fontaine<br />

a réglé sa manière d'écrire <strong>la</strong> fable et le conte<br />

fur leplus<strong>du</strong>moins<strong>de</strong> sévérité<strong>de</strong> ehaque genre. Tout<br />

est bon dans un conte, pourvu qu'on amuse : il y<br />

hasar<strong>de</strong> toutes sortes d'écarts. 11 se détourne vingt<br />

fois <strong>de</strong> sa route, et l'on ne s'en p<strong>la</strong>int pas ; on fait ?olontiers<br />

le chemin avcelui. Dans <strong>la</strong> fable, qui tend<br />

à un but que l'esprit cherche toujours, il faut aller<br />

plus tite, et ne s'arrêter sur les détails«qu'autant<br />

qu'ils concourent à Funité <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssein. Dans cette<br />

partie, comme dans tout le reste, les fables <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Fontaine, à un très-petit nombre près, sont îles<br />

modèles <strong>de</strong> perfection.<br />

Le conte, familier et badin, Dut prdoniier les<br />

fautes <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage, d'autant plus facilement qu'il ressemble<br />

à ua% conversation libre et gale; <strong>la</strong> fablef<br />

plus sérieuse, ne les souffre pas. Aussi <strong>la</strong> Foutaisef<br />

négligé dans ses Cùnies, est en général beaucoup<br />

plus correct dans «es Feéks ; il y respecte <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue<br />

bien plus que Molière dans ses comédies : nos content<br />

d'y prodiguer les beautés, il s'y défend les fautes.<br />

Et qui croira pouvoir s'en permettre aucune,<br />

quand <strong>la</strong> Fontaine s'en permet si peu?<br />

Cette correction, quT suppose une composition<br />

soignée, est d'autant plus admirable, qu'elle est accompagnée<br />

<strong>de</strong> ce naturel-quï semble exclure toute<br />

idée <strong>de</strong> travail. Je ne crois pas qu'on trouve dans <strong>la</strong><br />

Fontaine, <strong>du</strong> moins dans les écrits qui ont consacré<br />

son nom, une ligne qui sente <strong>la</strong> recherche on Faffectation.<br />

11 ne compose point ; il converse : $11 raconte,<br />

il est persuadé; s'il peint, il a ¥u : c'est toujours<br />

son âme qui s'épanche, qui nous paria, qui se<br />

trahit. 11 a toujours Fair <strong>de</strong> sous dire son secret, et<br />

d'avoir besoin <strong>de</strong> le dire. Ses idées, ses réflexions,<br />

ses sentiments, tout lui échappe, tout naît <strong>du</strong> mo­<br />

ment. Rien n'est appelé, rien n'est préparé. Tout,<br />

jusqu'au sublime, paraît lui être facile et familier :<br />

il charme toujours et n'étonne jamais.<br />

Ce naturel domine tellement chez lui, qu'il dérobe<br />

au commun <strong>de</strong>s lecteurs les autres beautés <strong>de</strong> son<br />

style. Il n'y a que les connaisseurs qui sachent à quel<br />

point <strong>la</strong> Fontaine est poète par l'expression, m<br />

qu'il a vu <strong>de</strong> ressources dans notre <strong>la</strong>ngue, ce qu*il<br />

en a tiré<strong>de</strong> richesses. On ne fait pas asseïd'attention<br />

à cette foule <strong>de</strong> locutions aussi nouvelles qu'elles<br />

sontheureusemest%uries.Gombienn'yeiia-t-ilpas<br />

dans <strong>la</strong> seule fable <strong>du</strong> Chêne et <strong>du</strong> Jto*eaijf Veut-il<br />

peindre l'espèce <strong>de</strong> frémissement qu'un v eut léger<br />

fait courir sur <strong>la</strong> superficie <strong>de</strong>s eaux :<br />

lie moindre vent qui d'avorton<br />

fUt ri<strong>de</strong>r te face <strong>de</strong> rean....<br />

Ce mot <strong>de</strong> ri<strong>de</strong>r offre <strong>la</strong> plus parfaite ressemb<strong>la</strong>nce.<br />

Veut-il exprimer les endroits bas et marécageux on<br />

croissent ordinairement les roseaux :<br />

Mats vous naissez le plus souvent<br />

Sur les humi<strong>de</strong>s bords <strong>de</strong>s royaumes <strong>du</strong> vent<br />

S'agit-il <strong>de</strong> peindre <strong>la</strong> différence <strong>de</strong> l'arbuste fragile<br />

au chêne robuste, peut-elle être mieux représentée<br />

que dans ce vers d'une précision si expressif e?<br />

Tout vous est aquilon, tout me semb<strong>la</strong> léphyr.<br />

Un ?ent d'orage, un f eut impétueux et <strong>de</strong>structeur


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

peut-il être ptas poétiquement désigné que dans cet '<br />

endroit <strong>de</strong> <strong>la</strong> même fable ?<br />

Du bout <strong>de</strong> rhoriion aeeourt avec furie<br />

Le plus terrible <strong>de</strong>s enfants<br />

Que te Nord eut portés Jusque-là dm» te* Hases.<br />

Quelle tournure élégamment métaphorique dans<br />

ces <strong>de</strong>oi vers sur les illusions <strong>de</strong> l'astrologie! Celui<br />

qui a tout fait, dit le poëte,<br />

AnnltrU imprimé sur le front <strong>de</strong>s étoil»<br />

Ce que <strong>la</strong> suit <strong>de</strong>s temps enferme dans ses vota?<br />

aucun <strong>de</strong> nos poètes tfa marné plus impérieusement<br />

<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue; aueun surtout n f a plié a?ee tant <strong>de</strong><br />

facilité le vers français à toutes les formes iragîûâsables.<br />

Cette monotonie qu'os reproche à notre<br />

versification, chez lui disparaît absolument : ce<br />

n'est qu'au p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> l'oreille, au charme d'une harmonie<br />

toujours d'aeconi avec le sentiment et <strong>la</strong> pensée,<br />

qu'on s'aperçoit qu'il écrit en vers. 11 dispose et<br />

entremêle si habilement ses rimes, que le retour <strong>de</strong>s<br />

sons paraît une grâce, et non pas une nécessité. Nul<br />

n'a mis dans le rhythme une variété si pittoresque ;<br />

nul n'a tiré autant d'effets <strong>de</strong> <strong>la</strong> césare et <strong>du</strong> mouve­<br />

ment <strong>de</strong>s vers : il les coupe, les suspend, les retourne<br />

comme il lui p<strong>la</strong>ît. L'enjambement, qui semble réservé<br />

aux vers grecs et <strong>la</strong>tins, est fort commun dans<br />

les siens, et ne serait pas un mérite s'il ne pro<strong>du</strong>isait<br />

<strong>de</strong>s beautés ; car s'il est vicieux dans le style soutenu,<br />

à moins qu'il n'ait un <strong>de</strong>ssein bien marqué et bien<br />

' rempli, il est permis dans le style familier, et tout<br />

dépend <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière <strong>de</strong> s'en servir. J'avouerai aussi<br />

que les avantages que je viens <strong>de</strong> déailler dans <strong>la</strong> versification<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine tiennent originairement<br />

à <strong>la</strong> liberté d'écrire en vers <strong>de</strong> toute mesure, et aux<br />

privilèges d'un genre qui admet tous les tons : il<br />

ne 6erait pas juste d'exiger ce même usage <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue<br />

et <strong>du</strong> rhythme dans <strong>la</strong> -poésie héroïque et dans<br />

les sujets nobles. Maïs aussi tant d'autres ont écrit<br />

dans le mime genre que <strong>la</strong> Fontaine! pourquoi<br />

ont-ils si rarement approché <strong>de</strong> cette espèce <strong>de</strong><br />

poésie? C'est lui qui possè<strong>de</strong> éminemment cette harmonie<br />

imitativc <strong>de</strong>s anciens qu'il nous est si difficile<br />

d'atteindre : et l'on ne peut s'empêcher <strong>de</strong><br />

croire, en 1e lisant, que toute sa science es cette<br />

partie est plus d'instinct que <strong>de</strong> réflexion. Chez cet<br />

homme, si ami <strong>du</strong> vrai et si ennemi <strong>du</strong> faux, tous<br />

les sentiments, toutes les idées, tous les personnages,<br />

ont l'accent qui leur convient, et Ton sent<br />

qu'il n'était pas en lui <strong>de</strong> pouvoir s'y tromper. De<br />

lourds calcu<strong>la</strong>teurs aimeront mieux peut-être y<br />

voir <strong>de</strong>s sens combinés avec un prodigieux travail ;<br />

mais le grand poëte, l'enfant <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, <strong>la</strong> Fontaine,<br />

aura plus têt fait cent vern harmonieux que<br />

731 •<br />

<strong>de</strong>s critiques pédants n v anront calculé l'harmonie<br />

d'un vers.<br />

Faut-il s'étonner qu'un écrivain pour qui <strong>la</strong> poé*<br />

sie est si docile et si flexible soit un si grand peintre?<br />

C'est <strong>de</strong> lui surtout que l'on peut dire proprement<br />

qu'il peint avec <strong>la</strong> parole. Dans quel <strong>de</strong> nos auteurs<br />

trouvera-t-on us si grasd nombre <strong>de</strong> tableaux<br />

dont l'agrément est égal à <strong>la</strong> perfection? Lorsqu'il<br />

nous rend les spectateurs <strong>du</strong> combat <strong>du</strong> Mwschçrwi<br />

et éê Mm, mie manque-t-ii à cette peinture ?<br />

Le quadrupè<strong>de</strong> écume, et son ceb étincelle ;<br />

II rugit : on se cache, on tremble à l'cnviron.<br />

Et cette a<strong>la</strong>rme universelle<br />

Est l'ouvrage d'un moucheras.<br />

Us avorton <strong>de</strong> mouche es cent lieux, le harcelle;<br />

Tantôt pique l'échiné t et tantôt le museau ,<br />

Tantôt entre m fond <strong>du</strong> naseau.<br />

La rage alors se trouve à son faite <strong>mont</strong>ée.<br />

L'invisible ennemi triomphe f et rit <strong>de</strong> voir<br />

Qu'il n'est griffe ni <strong>de</strong>nt en <strong>la</strong> bête irritée<br />

Qui <strong>de</strong> <strong>la</strong> mettre en sang ne fasse son <strong>de</strong>voir.<br />

Le malheureux lion se déchire lui-même,<br />

PMI remiser sa queue à l'entour <strong>de</strong> ses ftascs,<br />

Bat l'air qui n'en peut mais ; et sa foreur eitrême<br />

Le fatigue, l'abat ; le voilà sur les <strong>de</strong>nts.<br />

De cette peinture énergique passons à une peinty re<br />

riante :<br />

Perrette, sur » tète ayant un pot au <strong>la</strong>it,<br />

Bien posé sur us coussinet,<br />

Prétendait arriver sans encombre à <strong>la</strong> vWe.<br />

Légère et court vêtue, eUe al<strong>la</strong>it à grands pas,<br />

ayant mis ce Jour-là, pour être plus agile ,<br />

OotlUon simple et souliers p<strong>la</strong>ts.<br />

Ici toutes les syl<strong>la</strong>bes sont cou<strong>la</strong>ntes et rapi<strong>de</strong>s-,<br />

tout à l'heure eMes étaient fermes et résonnantes :<br />

elles seront, quand il le faudra, lour<strong>de</strong>s et pénible».<br />

Nous avons vu <strong>la</strong> facilité; voyons l'effort :<br />

Dans un chemin <strong>mont</strong>ant, sablonneux, ma<strong>la</strong>isé,<br />

Et <strong>de</strong> tons les côtés au soleil eiposé,<br />

Six forts chevaux tiraient un coche.<br />

La phrase est disposée <strong>de</strong> manière que l'œil se porte<br />

d'abord sur <strong>la</strong> <strong>mont</strong>agne et sur tous les accessoires<br />

qui <strong>la</strong> ren<strong>de</strong>nt si ruiieà <strong>mont</strong>er» <strong>la</strong> rai<strong>de</strong>ur, le sable,<br />

le soleil à plomb : on voit ensuite arriver avec peine<br />

les dxforU càmmtx, et au bout le c&ekê qu'ils Mtwt,<br />

mais <strong>de</strong> manière que le coche parait se traîner<br />

avec le vers. Ce n'est pas tout ; le poëte achève<br />

le tableau en peignant les gens <strong>de</strong> <strong>la</strong> voiture :<br />

" Femmes, moines, vleU<strong>la</strong>rds, toutétait <strong>de</strong>scen<strong>du</strong>;<br />

L'équipafB tuait f souff<strong>la</strong>it, était ren<strong>du</strong>.<br />

* On ne peut prononcer ces mots smUf souff<strong>la</strong>it,<br />

sans être presque essoufflé : on n'imite pas mieux<br />

avec <strong>de</strong>s sons. Cet art n'est pas moins sensible dans<br />

<strong>la</strong> fable <strong>de</strong> Pkêbm et B&rée. Celui-ci<br />

Se gorge <strong>de</strong> vapeurs, s'enfle wmnm an bsJ§on,<br />

Fait un vacarme <strong>de</strong> démon t<br />

Siffle, souffle, tempête...


732<br />

Siffle, souffle: on entend le vent Ne voit-on pas<br />

aussi le <strong>la</strong>pin quand il va prendre le frais à <strong>la</strong> pointe<br />

<strong>du</strong>jour?<br />

n était allé faire à f aurore sa cour<br />

Parmi le thym et <strong>la</strong> rosée.<br />

Après qu'il eut brouté, trotté, fait tôt» tes tours f etc.<br />

•Cette peinture est fraîche et riante comme Vaurore<br />

Brouté g trotté, cette répétition <strong>de</strong>. sons qui se confon<strong>de</strong>nt<br />

peint merveilleusement <strong>la</strong> multiplicité <strong>de</strong>s<br />

mouvements <strong>du</strong> <strong>la</strong>pin.<br />

COU1S DE LITTÉ1ATUML<br />

Quand Sa perdrix,<br />

Toit ses petits<br />

En danger, et n'ayant qu'une plume nouvelle.<br />

Qui ne peut fuir eocor par les airs le trépas t<br />

Elfe fait <strong>la</strong> blessée, et Ta traînant <strong>de</strong> Faite,<br />

Attifant le chasseur et le chien sur ses pas,<br />

Détourne le danger, sauve ainsi sa famille;<br />

Et puis quand le chasseur croit que son chien <strong>la</strong> pille,<br />

Elle lui dit adieu , prend sa volée , et rit<br />

De l'homme, qui confus, <strong>de</strong>s yeux en wain <strong>la</strong> suit<br />

Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si le pïcis habile peintre pourrait me<br />

<strong>mont</strong>rer sur <strong>la</strong> toile tout ce que me fait voir le poète<br />

dans ce petit nombre <strong>de</strong> vers. Tel est l'avantage <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> poésie sur <strong>la</strong> peinture, qui ne peut jamais représenter<br />

qu'un moment. Comme le chasseur et le chien<br />

suivent pas à pas <strong>la</strong> perdrix qui se trafne dans ces<br />

vers traînants! Comme un hémistiche rapi<strong>de</strong> et<br />

prompt nous <strong>mont</strong>re le chien qui piUe! Ce <strong>de</strong>rnier<br />

mot est un é<strong>la</strong>n, un éc<strong>la</strong>ir. L'autre vers est suspen<strong>du</strong><br />

quand <strong>la</strong> perdrix prend sa votée : elle est en<br />

l'air avec <strong>la</strong> césure, etvous voyez longtemps l'homme<br />

immobile, qui, confia, <strong>de</strong>s ftnx en vain ksuit:<br />

et le vers se prolonge avec Pétonnement.<br />

La fable dont j'ai tiré ce <strong>de</strong>rnier morceau me rappelle<br />

avec quelle surprenante facilité cet écrivain si<br />

simple et si familier s'élève quelquefois au ton <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

plus haute philosophie et <strong>de</strong> <strong>la</strong> morale <strong>la</strong> plus noble.<br />

Quelle distance <strong>du</strong> corbeau qui <strong>la</strong>isse tomber son<br />

fromage, à Féloquence <strong>du</strong> Paysan <strong>du</strong> Danube, et'<br />

à cette fable que je viens <strong>de</strong> citer, si pourtant on ne<br />

doit pas donner un autre titre à un ouvrage beaucoup<br />

plus éten<strong>du</strong> que ne l'est un apologue ordinaire,<br />

à un véritable poëme sur <strong>la</strong> doctrine <strong>de</strong> Beseartes,<br />

re<strong>la</strong>tivement à l'âme <strong>de</strong>s Mies; poëme plein<br />

d'idées et <strong>de</strong> raison, mais dans lequel <strong>la</strong> raison parle<br />

toujours le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> l'imagination et <strong>du</strong> sentiment ;<br />

car c'est partout celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine : il a beau <strong>de</strong>venir<br />

philosophe, vous retrouverez toujours le grand<br />

poète et le bonhomme.<br />

Ce petit poëme , adressé à madame <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sablière ;<br />

où il discute très-ingénieusement <strong>la</strong> question longtemps<br />

fameuse <strong>du</strong> mécanisme et <strong>de</strong> l'organisation<br />

<strong>de</strong>s animaux, prouve que,Malgré sa paresse, il n'avait<br />

pas négligé les connaissances éloignées <strong>de</strong> ses<br />

talents. 11 avait étudié, avec son ami Bernier, les<br />

principes <strong>de</strong> Descartes et i« Gassendi. Ainsi s <strong>la</strong><br />

Fontaine avait tout ce qu'on peut <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à t*a<br />

homme occupé d'ouvrages d'imagination : il n'était<br />

pas resté au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong>s lumières <strong>de</strong> son siècle.<br />

Ses contes#sont, dans un genre inférieur, aussi<br />

parfaits que ses fables, excepté que <strong>la</strong> diction en est<br />

moins pure, et <strong>la</strong>-rime plus négligée. D'ailleurs,<br />

c'est toujours ce talent <strong>de</strong> <strong>la</strong> narration dans un <strong>de</strong>*<br />

gré unique. Quelle gaieté! quelle aisance! quelle variété<br />

<strong>de</strong> tournures dans <strong>de</strong>s sujets dont le fond est<br />

quelquefois à peu près le même! quelle abondance<br />

gracieuse 1 que tous les auteurs et tous les fabulistes<br />

sont loin <strong>de</strong> loi! Il est au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> Bœeaee et <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> reine <strong>de</strong> Mm mm, autant que <strong>la</strong> poésie est au<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> prose. L f Ariosta seul, quand <strong>la</strong> Fontaine<br />

conte d'après lui, peut soutenir <strong>la</strong> concurrencé.<br />

Yoitaire prétend qu'il y a plus <strong>de</strong> poésie dans l'aventure<br />

<strong>de</strong> Joconée, telle qu'elle, est dans le J?#<strong>la</strong>nd,<br />

qu'il n'y en a dans l'imitation <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine.<br />

Boïleau 9 dont nous avons une dissertation sur Jocon<strong>de</strong>9<br />

donne partout l'avantage au poète français.<br />

On voit, par les citations qu'il fait, que l'original<br />

italien ne lui est pas étranger. Yoitaire, plus.versé<br />

dans <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong> l'Arioste, reproche à Boileau <strong>de</strong><br />

ne pas le connaître assez pour rendre une exacte<br />

justice à l'auteur <strong>de</strong> VOr<strong>la</strong>ndo, et sentir tout le mérite<br />

<strong>de</strong> ses vers. Je ne prononcerai point entre ces<br />

<strong>de</strong>ux grands juges : mais il me semble que, dans<br />

tous les endroits où Despréaux rapproche et compare<br />

les <strong>de</strong>ux poètes, il est difficile <strong>de</strong> s'être pas <strong>de</strong><br />

son avis, et <strong>de</strong> ne pas convenir que <strong>la</strong> Fontaine<br />

l'emporte par ces traits <strong>de</strong> naturel et <strong>de</strong> naïveté,<br />

par ces grâces propres au conte, qui étaient en Itiï<br />

un présent particulier <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature.<br />

Du côté <strong>de</strong>s moeurs, <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong> seseoetes sont<br />

plutôt libres que licencieux; ce qui n'empêche pas<br />

qu'on ait eu raison d'y voir un mal et- un danger<br />

qu'il n'y voyait pas lui-même, et qu'il aperçut dans<br />

<strong>la</strong> suite. On a trouvé moyen d'en accommo<strong>de</strong>r plusieurs<br />

au théâtre, en les épurant; au lieu que Verger,<br />

Grécourt et d'autres conteurs, n'ont rien<br />

fourni à <strong>la</strong> scène, parce qu'ils sont infiniment moias<br />

réservés que lui. Ceux <strong>de</strong> ses contes où il a blessé<br />

<strong>la</strong> décence, et par le fond, et par les détails, sont<br />

en assez petit nombre; et plusieurs sont entièrement<br />

irréprochables, par exemple, celui <strong>du</strong> Faucon, qui<br />

est d'un intérêt si touchant. 11 n'y a personne qui<br />

ne soit attendri lorsque le malheureux Frédéric, auquel<br />

il ne reste plus rien que son Faucon, le tue sans<br />

ba<strong>la</strong>ncer pour le dîner <strong>de</strong> sa maîtresse, <strong>de</strong> cette même<br />

femme jusque-là toujours insensible, et à qui son<br />

amour a tout sacrifié.<br />

iéfes! reprit Fanttnt infortuné,


SIECLE DE LOUIS XIY. — POÉSIE. 7JS<br />

L'oiseau n'est plu t votif en mm dise.<br />

L'oiseau s'est plus! dit <strong>la</strong> veuve COQ fuse.<br />

Non, reprit-Il, plût sa ciel vous avoir<br />

Servi non cœur, et qu'il eût pris <strong>la</strong> pièce<br />

De ce faueos ! Mail le sort me fait voir<br />

. Qu'il ne sera jamais en mon pouv oir<br />

Ue mériter <strong>de</strong> vous aucune gràea.<br />

Dans mon pailler rit a se m'était resté ;<br />

Depuis <strong>de</strong>ux Jours <strong>la</strong> bête a tout mangé.<br />

Fat ta l'oiseau , Je Fal tué tant peine,<br />

mien eoûto-Ml quand on reçoit sa reine f<br />

M êsm m genre seul J'avais osé mes jours;<br />

Mais quoi! je suis vo<strong>la</strong>ge en vers comme en amours.<br />

JMerpim kmd ne lui était guère possible, après ses<br />

fables et ses contes. Mais les différents genres qu'il<br />

a essayés sont-ils en effet un sujet <strong>de</strong> reproche?<br />

M'y en a-t-il pas qui, sans ajouter rien à sa renommée,<br />

n'étaient pourtant pas étrangers au caractère<br />

-<strong>de</strong> son génie, et nous ont valu <strong>de</strong>s ouvrages assez<br />

Le conte <strong>de</strong> ta Courtisane amoureuse a aussi <strong>de</strong> agréables pour qu'on lui sache gré <strong>de</strong> s'en être oc­<br />

l'intérêt. En total , cet ouvrage ne me paraît pas <strong>du</strong> cupé? 11 a fait une comédie. Bans cette espèce <strong>de</strong><br />

sombre <strong>de</strong> ceux qui sont les pins dangereux pour drame, l'enjouement n'est sûrement pas un* titra<br />

les mœurs. Les litres où <strong>la</strong> passion est traitée <strong>de</strong> d'exclusion; et te Florentin est un <strong>de</strong>s plus jolis<br />

manière a exalter l'imagination <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse, €eux actes qui égayent encore le théâtre <strong>de</strong>Thalie. On ne<br />

où <strong>la</strong> volupté est représentée sans voile, enfin m<br />

peut pas donner le nom <strong>de</strong> comédie à un petit drame<br />

qui peut nourrir dans les jeunes personnes les er­<br />

mythologique, intitulé Clymêne, dont les neuf<br />

reurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> sensibilité, ou exciter l'ivresse <strong>du</strong> liber­<br />

Muses sont les principaux personnages; mais ridée<br />

tinage, voilà les lectures vraiment pernicieuses; et<br />

en est ingénieuse, et <strong>la</strong> pièce est pleine <strong>de</strong> délica­<br />

l'expérience apprend tous les jours le mal qu'elles<br />

tesse. Son poeme <strong>de</strong> As Mort é'Jéonis, imité en<br />

ont fait.<br />

partie d'Ovi<strong>de</strong>, ainsi que PkHémon et Bonds %%k$<br />

Fïiks <strong>de</strong> Mimée , a, comme ces <strong>de</strong>ux morceaux, <strong>de</strong>s<br />

Il n'y a point d'écrivain qui ait réuni plus <strong>de</strong> li­<br />

endroits faibles et peu soignés; mais, comme eux,<br />

tres pour p<strong>la</strong>ire et pour intéresser. Quel autre est<br />

il en a <strong>de</strong> charmants, surtout celui <strong>de</strong>s amours <strong>de</strong><br />

plus souvent relu, plus souvent cité? Quel autre est<br />

Yénus et d'Adonis.<br />

mieux gravé dans le souvenir <strong>de</strong> tous les hommes<br />

instruits, et même <strong>de</strong> ceux qui ne le sont pas? Le Le poëte habite avec eux <strong>de</strong>s lieux enchantés, et<br />

poète <strong>de</strong>s enfants et <strong>du</strong> peuple est en même temps y transporte le lecteur. C'est là qu'on reconnaît l'au­<br />

le poëte <strong>de</strong>s philosophes. Cet avantage , qui n'apteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> fable <strong>de</strong> Tyr$U et Amarawthe. Jamais les<br />

partient qu'à lui, peut être dû en partie au genre jardins d'Armi<strong>de</strong>, ce brû<strong>la</strong>nt édiiee <strong>de</strong> l'imagina­<br />

<strong>de</strong>'ses ouvrages; mais il Test surtout à son génie. tion qu'elle a construit pour l'amour, n'ont rien of­<br />

Nul auteur n*a dans ses écrits plus <strong>de</strong> bon sens joint fert <strong>de</strong> plus sé<strong>du</strong>isant et <strong>de</strong> plus doux. Vous croyez<br />

à plus débouté; nul n'a fait un plus grand nombre entendre autour <strong>de</strong> vous les chants <strong>du</strong> bonheur et<br />

<strong>de</strong> vers <strong>de</strong>venus proverbes. Dans ces moments, qui les accents <strong>de</strong>là tendresse. Vous êtes environné <strong>de</strong>s<br />

ne reviennent que trop 9 où l'on cherche à se dis­ images <strong>de</strong> ta volupté. Tout ce que les cœurs passiontraire<br />

soi-même et à se défaire <strong>du</strong> temps, quelle lecnés ont <strong>de</strong> jouissances intimes, tout ce que les jours<br />

ture choisit-on plus volontiers? sur quel livre <strong>la</strong> qui s'écoulent entre <strong>de</strong>ux amants ont <strong>de</strong> délices tou­<br />

main se porte-t-elîc plus souvent? Sur <strong>la</strong> Fontaine. jours variées et toujours les mêmes, tout ce que<br />

Tous vous sentes attiré vers lui par le besoin <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux âmes confon<strong>du</strong>es l'une dans l'autre se commu­<br />

sentiments doux : il vous calme et vous réconcilie niquent <strong>de</strong> ravissements et <strong>de</strong> transports; enfin,<br />

avec vous-même. On a beau le savoir par cœur <strong>de</strong>­ ce qu'on voudrait toujours sentir, et qu'on croit ne<br />

puis l'enfance, on le relit toujours; comme on est pouvoir jamais peindre : voilà ce que <strong>la</strong> Fontaine<br />

porté à revoir les gens qu'on aime, sans avoir rien nous représente sous les pinceaux que l'Amour a<br />

à leur dire.<br />

mis dans ses mains. Les vers que je vais citer justi­<br />

Madame <strong>de</strong> Sévigsé lui reprochait <strong>de</strong> passer trop fieront cet éloge ;<br />

légèrement d'un genre à un autre, et lui-même s'en<br />

accuse avec cette grâce infinie qu'il a toujours quand<br />

Il parle <strong>de</strong> lui.<br />

Papillon <strong>du</strong> Parnasse, et semb<strong>la</strong>ble aux abeilles,<br />

A qui le bon P<strong>la</strong>ton compare nos merveilles,<br />

Je suis chose légère, et vole à tout sujet *. %<br />

le fais <strong>de</strong> fleur en leur, et d'objet en objet ;<br />

A beaucoup <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isirs Je mêle un peu <strong>de</strong> gloire.<br />

J'irais plus haut peut-être au temple <strong>de</strong> Mémoire,<br />

• Le texte <strong>de</strong> P<strong>la</strong>ton porte ; xaOfav Y«û xriP* iroHpfc<br />

toti, xal nnqvèv, xotl lepôv ; le poflte est chose légère, vo<strong>la</strong>ge,<br />

sacrée. lou, «M île Filmes,<br />

Tout ce qui nait <strong>de</strong> doux en l'amoureui empire,<br />

Quand d'une égale ar<strong>de</strong>ur l'un pour l'autre on soupire,<br />

Et que, <strong>de</strong> Sa contrainte ayant banni les Sois,<br />

On se peut assurer au silence <strong>de</strong>s bois t<br />

Jours <strong>de</strong>venus moments, moments Ulés <strong>de</strong> soit,<br />

agréables soupirs t pleurs enfants <strong>de</strong> <strong>la</strong> joie,<br />

feeut, serments et regarda, transports, ravissements,<br />

Mé<strong>la</strong>nge dont se fait le bonheur <strong>de</strong>s amants;<br />

Tout par ce couple heureux fut ion mis en usage.<br />

Tantôt Ils choisissaient l'épaisseur d'un ombrage :<br />

Là, sous <strong>de</strong>s chênes vieui, où leurs chiffres gravés<br />

Se sont avec les troncs accrus et conserves,<br />

Mollement éten<strong>du</strong>s, ils consumaient les heures.<br />

Sans avoir pour témoins, en ces sombres <strong>de</strong>meures,<br />

Que les chantres <strong>de</strong>s bois; pour confi<strong>de</strong>nt qu'Amour,


734 GOUBS DI UÏT&UTUBB.<br />

Qui icnl guidait tan pu « cet benfctix i^otir.<br />

Tantôt v sur ém tapis d'herbe tendre et itérée.<br />

Adonis Rendormait auprès <strong>de</strong> Cytnérée,<br />

Dont les yeux, enivrés par <strong>de</strong>s charmes pt§ssastt9<br />

attachaient au bérot <strong>de</strong>s regards <strong>la</strong>nguissants.<br />

Bleu souvent Us chantaient les douceurs <strong>de</strong> leurs chaînes ;<br />

Et quelquefois assis sur les tords <strong>de</strong>s foutaises,<br />

Tandis «pe cent caillou luttant à chaque bond<br />

Suivaient les longs replis <strong>du</strong> cristal vagabond,<br />

Voyez , disait Ténus t ces ruisseaux et leur <strong>cours</strong>e ;<br />

Ainsi te temps Jamais ne re<strong>mont</strong>e à sa sourae.<br />

Vainement pour <strong>la</strong>s dieux il fuit d'un pas léger :<br />

Mais YOUS autres mortels le <strong>de</strong>vez ménager,<br />

Osmaami à ramour <strong>la</strong> saison <strong>la</strong> pins belle.<br />

Souvent, pour divertir leur ar<strong>de</strong>ur mutuelle,<br />

Ils dansaient aux dpnsons, <strong>de</strong> nymphes entourés.<br />

Combien <strong>de</strong> fois <strong>la</strong> lune à leurs pas éc<strong>la</strong>irés,<br />

Et 9 couvrant <strong>de</strong> ses mis reniait d'une prairie t<br />

Les a vos à l'envi fouler Fberbe fleurie !<br />

Combien <strong>de</strong> fols le Jour a vu les antres creux<br />

Complices <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rcins <strong>de</strong> ce couple amoureux !<br />

Hais n'entreprenons pas d'ôter le voile sombra<br />

D@ ces p<strong>la</strong>isirs, amis <strong>du</strong> sMeeee et <strong>de</strong> l'ombre.<br />

11 y a d'autant plus <strong>de</strong> mérite dans cette <strong>de</strong>scription<br />

que ries s'est si difficile en poésie que <strong>de</strong> rendre<br />

le bonheur intéressant. Cest dans ce même poème<br />

que se fronts ce fers si connu, et qui défait être<br />

fait pour Yénus 9 et fait par <strong>la</strong> Fontaine :<br />

Et <strong>la</strong> grâce, plus belle encor que <strong>la</strong> beauté*<br />

Cest <strong>la</strong> même plume qui a écrit le roman <strong>de</strong> Psyché,<br />

un peu trop long à <strong>la</strong> vérité , et trop mêlé d'épiso<strong>de</strong>s,<br />

mais qui abon<strong>de</strong> en détails gracieux, qui<br />

avertissent qu'on lit <strong>la</strong> Fontaine, et font mieux sentir,<br />

par<strong>la</strong> comparaison, ce qui manque au récit d'Apulée.<br />

Il faut sans doute rendre justice à l'inventeur<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> fable <strong>de</strong> Psyché : c'est <strong>la</strong> plus ingénieuse et <strong>la</strong><br />

plus intéressante <strong>de</strong> toutes celles <strong>de</strong> l'antiquité.<br />

Mais elle est racontée dans l'original mœ un sérieux<br />

trop monotone, et n'est pas exempte <strong>de</strong> mauvais"<br />

goût : il y a <strong>de</strong>s pensées ridiculement recherchées,<br />

<strong>la</strong> Fontaine fa ren<strong>du</strong>e beaucoup plus agréable en y<br />

mê<strong>la</strong>nt ce'badînage qui naissait si facilement sous<br />

sa plume. Ce n'est pas non plus Apulée qui aurait<br />

<strong>la</strong>it cette chanson que Psyché entend dans le pa<strong>la</strong>is<br />

<strong>de</strong> l'Amour, et qui semble composée par le dieu luimême:<br />

,<br />

Tout ftinlven obéit à l'Amour :<br />

Belle Psyché, soumettez-lui vôtre âme.<br />

Les autres dieux à ce dieu font k cour,<br />

Et leur pouvoir est moins doux que sa iamme.<br />

Des feanes coeurs c'est le suprême bien :<br />

Aimes, aimez tout le reste s'est rien.<br />

Sans cet amour, tant d $ objets raviasaols,<br />

Lambris dorés, bois, Jardins et fontaines,<br />

If eut point fFattraits-qui ne soient <strong>la</strong>ngotasaiiti,<br />

' Et leurs p<strong>la</strong>Stlrs sont moins doux que ses naines.<br />

Des jeunes <strong>cours</strong> c'est le suprême bien «<br />

aima, aime*; tout Se veste n'est rtae.<br />

Cet ouvrage est mêlé <strong>de</strong> vers et <strong>de</strong> prose ; il est<br />

à remarquer qu'en général <strong>la</strong> prose est supérieure<br />

aux vers, si Ton excepte le tableau délicieux <strong>de</strong> Té­<br />

nus portée sur les eaux dans une conque marine,<br />

et Y Hymne à <strong>la</strong> Folupté* La Fontaine, qui s'est<br />

représenté dans son roman <strong>de</strong> Psyché sous le nom<br />

<strong>de</strong> Polyphile, nom qui signifie mènmmi Immmmp<br />

éê choses, a justiié le nom qu'il s'est donné par ces<br />

vers qui terminent cet hymne dont je viens <strong>de</strong><br />

parler :<br />

Volupté, Volupté, qui fus jadis maîtresse<br />

Du plus bel esprit <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grèce,<br />

Ne me dédaigne pas ; vfeos-t'en loger chez moi :<br />

Tu n'y seras pas sans emploi,<br />

ralme le Jeu, l'amour, les livres, <strong>la</strong> musique9<br />

La ¥ilie et <strong>la</strong> campagne, enfin tout : II n'est ries<br />

Qui ne me soit souverain Mes 1 ,<br />

Jusqu'aux sombres p<strong>la</strong>isirs d'us coeur méisavcrjficjiie.<br />

Tiens donc ; et <strong>de</strong> ce bien t ô douce Yolupté I<br />

Veux-tu savoir au vrai <strong>la</strong> mesure certaine?<br />

11 m'en faut tout au moins un siècle Men compté;<br />

Car trente ans, ce n'est pas te peine.<br />

On voit que ceux qui ont dit <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine que<br />

c'était un véritable enfant le connaissaient bien,<br />

puisque enfin c'est le propre <strong>de</strong>s enfants d'être heureux<br />

à peu délirais, et <strong>de</strong> s'amuser <strong>de</strong> tout<br />

11 St aussi quelques, élégies amoureuses : c'était<br />

alors <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>. Elles sont médiocres; mais il en It<br />

une pour l'Amitié, et c'est <strong>la</strong> meilleur* élégie <strong>de</strong><br />

notre <strong>la</strong>ngue ; c'est celle où il déplore l'infortune <strong>de</strong><br />

Fonqnet, son bienfaiteur, et ose implorer pour lui<br />

<strong>la</strong> clémence d'un maître irrité. C'était un courage<br />

aussi louable que rajre, et ta muse <strong>du</strong> poète servit<br />

bien son cœur. Si cette pièce fut inutile à Fonquetf<br />

elle ne l'est pas à <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine. 11 n'entreprend<br />

pas <strong>de</strong> justifier le surintendant, qui n'était<br />

pas irréprochable : il t'excuse autant qu'il le<br />

peut, sur ce qu'il s'est <strong>la</strong>issé aveugler par tau long<br />

bonheur ; il fuit valoir en M <strong>la</strong>veur fmtâmmêmt contraste<br />

<strong>de</strong> sa fortune passée et <strong>de</strong> son malheur présent;<br />

il y mêle, en poète philosophe, <strong>de</strong>s leçons <strong>de</strong><br />

morale qui naissent <strong>du</strong> sujet.<br />

Voilà le précipice où Font émis Jeté<br />

Les attraits enchanteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> prospérité.<br />

Bans les pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong>s rois cette p<strong>la</strong>inte est commune s<br />

Os n'y connaît que trop les Jeux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fortune,<br />

Ses trompeuses faveurs, ses appas toconstants ;<br />

Mais on ne les connaît que quand 11 n'est plus temps.<br />

Lonqse sur cette mer os vogue à pleines voiles, -<br />

Qu'on croit avoir pour sol les vents et les éteiktt<br />

11 est bien ma<strong>la</strong>isé <strong>de</strong> régler ses désirs :<br />

Le plus sage s'endort snr <strong>la</strong> fol <strong>de</strong>s zéphyrs. ~<br />

- <strong>la</strong>mats un favori ne borne sa carrière ;<br />

Il ne regar<strong>de</strong> pas ce qu'il <strong>la</strong>isse en arrière;<br />

Et tout ce valu amour <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>urs et <strong>du</strong> brait<br />

He te sauraient quitter qu'après l'avoir détruit<br />

Tant d'exemples fameux que l'histoire en raconte<br />

He suffisaient-ils pas sans <strong>la</strong> perte d'Oronte?<br />

•h! si se faux éc<strong>la</strong>t n'eut pas fait ses p<strong>la</strong>isirs,<br />

Si le séjour <strong>de</strong> Taux eût borné ses désirs,<br />

Qu'il pouvait doucement <strong>la</strong>isser couler son âge!<br />

fous n'avez pas cites vous l m bril<strong>la</strong>nt équipage 9<br />

Cette fou<strong>la</strong> <strong>de</strong> pus qui s'en vont chaque jour<br />

1 Cest aux N§mpkm ie FSUM que <strong>la</strong> pteee est adr—fe.


fialiiir à tep ÉMs • te irten <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour.<br />

Mail Sa faveur <strong>du</strong> ciel vous donne, en recoupa» *<br />

Do repos t <strong>du</strong> loisir, <strong>de</strong> l'ombre et <strong>du</strong> §flésée,<br />

Un tranquille sommet!, d'Innocents entretiens;<br />

Et Jamais à <strong>la</strong> COOF OS se trouve ces Mena*<br />

Mais quittons ces ponsers; Oronte nous appelle.<br />

Vous, dont if a ren<strong>du</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>meure si belle,<br />

Nymphéa, foi lut <strong>de</strong>ves vos oins charmants appas $<br />

$1 Se long <strong>de</strong> vos borda Louis porte ses pas v<br />

Tâchez <strong>de</strong> radoucir, fléchissez son courage :<br />

Il Mme ses sujet! 111 est Juste, 11 est sage.<br />

Bu titre <strong>de</strong> clément ren<strong>de</strong>z-le ambitieux ;<br />

C'est par<strong>la</strong> que les rois sont semb<strong>la</strong>bles aux dieux.<br />

Du magnanime Henri qu'il contemple <strong>la</strong> vie :<br />

Dès qu'il put se venger, 1S en perdit t'envie.<br />

Inspirez à Louis cette même douceur :<br />

La plus belle victoire est <strong>de</strong> vaincre son cœur.<br />

Oronte est à présent un objet <strong>de</strong> clémence :<br />

S11 a cru les conseils d'une aveugle puissance,<br />

Il est asseï puni par son sort rigoureux,<br />

Et c'est être Innocent que d'être malheureux.<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

La Fontaine ne s'en tint pas là : Il fit <strong>de</strong> nouveaux<br />

efforts dans une o<strong>de</strong> qu'il adressa au roi pour émouwoir<br />

sa pitié ea faveur do ministre disgracié. L'o<strong>de</strong><br />

ne vaut pas l'élégie; mais peut-on être fâché que <strong>la</strong><br />

compassion et <strong>la</strong> reconnaissance aient ramené <strong>de</strong>ux<br />

fois sa muse sur le même sujet?<br />

Je ne parlerai pas d'un poësue sur Se quinquina,<br />

qu'il fit dans les intervalles <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>rnière ma<strong>la</strong>die,<br />

ni <strong>de</strong> celui «<strong>de</strong> Saint-Maie t qu'il composa dans le<br />

même temps par pénitence, et pour acquitter le voeu<br />

qu'il avait fait <strong>de</strong> ne plus travailler que sur <strong>de</strong>s sujets<br />

<strong>de</strong> piété. On ne connaît ces pro<strong>du</strong>ctions <strong>de</strong> sa<br />

vieillesse que par le recueil posthume <strong>de</strong> $Që Œuvres<br />

mêlées, dont ses éditeurs sont seuls responsables.<br />

Ce n'est pas sa faute non plus si Ton y trouve <strong>de</strong>ui<br />

mauvais opéras. Il suffit <strong>de</strong> savoir comment il s'avisa<br />

d'en faire. Lui-même nous rapprend dans une satire<br />

contre Lulii, intitulée k Florentin. C'est <strong>la</strong> seule<br />

qu'il se soit permise, et ce fut <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> l'humeur<br />

qu'il eut <strong>de</strong> ce qu'on lui avait fait perdre son temps<br />

à faire <strong>de</strong>s paroles d'opéra. Il en est d'autant plus<br />

fâché, qu'il avait fait ces opéras pour Saint-Germain<br />

, et que Lulii ne les lit pas représenter. Il nous<br />

conte comment le musicien, s'y prit pour l'engager<br />

à ce travail, et finit par se moquer <strong>de</strong> M.<br />

le me sens né pour être en butte aux méchants tôtm.<br />

Tienne- encore un trompeur, Je ne tar<strong>de</strong>rai guère.<br />

11 me persuada :<br />

k tort t à droit t me <strong>de</strong>manda<br />

Du ioai t <strong>du</strong> tendre f et semb<strong>la</strong>bles sornettes t<br />

Petits mots, Jargons d'amourettes ,<br />

Conits au miel : bref il nfenquinauda.<br />

Mais te qui est curieux 9 c'est ce qui arriva à <strong>la</strong> Fontaine<br />

au sujet <strong>de</strong> cet opéra. On le joua sur le théâtre<br />

<strong>de</strong> Paris. L'auteur était dans une loge : on n'avait<br />

pas encore orienté <strong>la</strong> première scène, que le<br />

1 imitation <strong>de</strong> Ylrgtle {Gearg. u , 426) :<br />

Mtmmmimtsniûm f@fit «wtlf méièm mné&m.<br />

US<br />

voilà pris d'un long bâillement qui ne finit plus.<br />

Bientôt il n'y peut plus tenir, et sort à <strong>la</strong> fis- <strong>du</strong> premier<br />

acte. U va dans un café qu'il avait coutume <strong>de</strong><br />

fréquenter, se met dans un coin : apparemment l'influence<br />

<strong>de</strong> l'opéra le poursuivait encore; car <strong>la</strong> première<br />

chose qu'il fait, c'est <strong>de</strong> s'endormir. Arrive<br />

un homme <strong>de</strong> sa connaissance, qui 9 fort surpris <strong>de</strong><br />

le voir là, le réveille : Eh ! monsieur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine,<br />

que faites-vous dôme ici f et par quel hasardn'ëtes*<br />

mus pat à mire opéra t — Oh !fy ai été. J'ai m le<br />

premier acte; mais il m'a si fort ennuyé, qu'Une<br />

m'a pas été possible d'en voir davantage. En vL<br />

rite j'admire <strong>la</strong> patience <strong>de</strong>s Parisiens.<br />

La Fontaine n'est peut-être pas le seul auteur<br />

qui ait eu <strong>la</strong> bonne foi <strong>de</strong> s'ennuyer à son propre<br />

ouvrage. Mais après avoir bâillé à sa pièce, s'en aller<br />

dormir là-<strong>de</strong>ssus, est d'une insouciance qui peint<br />

bien le bonhomme. 11 est d'ailleurs si ipdlfféreat<br />

pour nnîm f&Mîer qu'il ait fait un mauvais acte d'opéra,<br />

et ce trait est si p<strong>la</strong>isant, que ce serait dommage<br />

que <strong>la</strong> Fontaine n'eût pas été enquinaudé<br />

par Lulii, quand ce ne serait que pour avoir eu l'occasion<br />

<strong>de</strong> faire un si bon somme, chose dont on sait<br />

qu'il disait le plus grand cas.<br />

Ce n'est donc pas à lui qu'il faut s'en prendre si<br />

l'on rencontre ces pièces lyriques ou non lyriques<br />

dans le recueil <strong>de</strong> ses Œuvres mêlées. On se passe­<br />

rait bien aussi d f y voir <strong>de</strong>s fragments <strong>du</strong> Songe <strong>de</strong><br />

Faux$ une tra<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> t Eunuque <strong>de</strong> Térence,<br />

une comédie qui a pour titre, le mus prends sans<br />

vert; et quelques autres poésies fort médiocres. Mais<br />

on y lit avec p<strong>la</strong>isir ses lettres à mesdames <strong>de</strong> Bouillon,<br />

<strong>de</strong> Mazarin et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sablière. Comment n'aimerait-on<br />

pas a entendre causer <strong>la</strong> Fontaine dans<br />

toute <strong>la</strong> liberté <strong>du</strong> commerce épisto<strong>la</strong>ire? Il n'y a<br />

' aucune <strong>de</strong> ces lettres où ii n'ait inséré quelques vers :<br />

il les aimait tant et les faisait si aisément, qu'il n'a<br />

jamais rien écrit en prose sans y mêler <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie.<br />

Elle est là plus négligée que partout ailleurs, mais<br />

on <strong>la</strong> reconnaît toujours au ton qui lui appartient,<br />

et à quelques vers heureux. En voici <strong>de</strong> très-jolis,<br />

qui sont à <strong>la</strong> fin d'une lettre à madame <strong>de</strong> Bouillon,<br />

sceur <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>du</strong>chesse <strong>de</strong> Mazarin :<br />

Tous vous aimez en sœurs : cependant J 9 ftl raison<br />

D'éviter <strong>la</strong> comparaison.<br />

L'or se peut partager mais non pas <strong>la</strong> touanfa.<br />

Le plus grand orateur, quand ce serait un anp.<br />

Ne contenterait pas, en semb<strong>la</strong>bles <strong>de</strong>sseins,<br />

Deux sellci, <strong>de</strong>ux héros, <strong>de</strong>ux auteursf si <strong>de</strong>ux taists.<br />

Le plus aimable <strong>de</strong>s écrivains fut encore le meilleur<br />

<strong>de</strong>s hommes. Je ne prétends pas dire qu'il n'eut<br />

point les imperfections qui sont le partage <strong>de</strong> Fhu-<br />

-mamfé ; mais il n'eut aucun <strong>de</strong>s vices qui en sont<br />

<strong>la</strong> honte. et il eut plusieurs <strong>de</strong>s vertus qui en sont


73S CODES DE OTTÉMTIJIE.<br />

l'ornement. Ses contemporains nous ont transmis<br />

. l'idée généralement reçue <strong>de</strong> là bonté <strong>de</strong> son caractère<br />

: non qu'ils mm en rapportent aocoa trait<br />

frappant; il parait que c'était en lui une qualité habituelle<br />

et reconnue, qui se manifestait en tout sans<br />

m faire remarquer en rien. Qu'il <strong>de</strong>vait être bon,<br />

celui qui a fait <strong>de</strong> 6i beaux ouvrages, et <strong>de</strong> qui <strong>la</strong><br />

servante disait qu'il était plus bête que et<br />

que Dieu n'awraUjamaU k courage <strong>de</strong> k damner!<br />

Sa can<strong>de</strong>ur était égale à sa bonté. Il fat toujours f<br />

dans sa con<strong>du</strong>ite et dans ses dis<strong>cours</strong>, aussi vrai ,<br />

aussi naïf que dans ses écrits. 11 parait que <strong>la</strong> réflexion<br />

et <strong>la</strong> réserve, si nécessaires à <strong>la</strong> plupart<br />

hommes qui ont quelque chose à cachert n'étaient<br />

guère faites pour cette âme toujours ouverte, dont<br />

les mouvements étaient prompts, libres et honnêtes;<br />

pour cet homme qui seul pouvait tout dire,<br />

parce qu'il n'avait jamais l'intention d'offenser. Ce<br />

mot si connu, Je prendrai kpim ; aurait été '.<br />

dans <strong>la</strong> bouche <strong>de</strong> tout autre une impolitesse eho- '<br />

quant* : il fait rire dans <strong>la</strong> Fontaine, qui ne songeait<br />

qu'à dire bonnement combien il avait eàvie <strong>de</strong> s'en<br />

aller.<br />

Il réc<strong>la</strong>me quelque part contre l'axiome reçu,<br />

que tout homme est menteur. S'il en est un quiVaît<br />

j'amais menti on croira volontiers que c'est <strong>la</strong><br />

Fontaine. Cette ingénuité <strong>de</strong> mœurs et <strong>de</strong> paroles<br />

al<strong>la</strong>it si loin que ceux qui vivaient avec lui l'appe<strong>la</strong>ient<br />

quelquefois bêtise, mot qu'on ne pouvait se<br />

permettre sans conséquence qu'avec un homme <strong>de</strong><br />

géeie, mais qui prouve en même temps que les hom­<br />

mes en général ne jugent guère <strong>de</strong> l'esprit que sur<br />

Im rapports qu'il peut avoir avee eux. L'esprit, sur<br />

chaque objet, dépend toujours <strong>du</strong> <strong>de</strong>gré d'attention<br />

qu'on y apporte. Il n'en fal<strong>la</strong>it pas beaucoup pour<br />

observer toutes les petites convenances <strong>de</strong> <strong>la</strong> société;<br />

mais <strong>la</strong> Fontaine, accoutumé à <strong>la</strong> jouissance<br />

<strong>de</strong> ses idées, ou bien au p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> ne songer à rien ,<br />

oubliait le plus souvent ces convenances, et cet oubli<br />

on l'appe<strong>la</strong>it bêtise : s'il eût paru tenir Se moins<br />

<strong>du</strong> mon<strong>de</strong> a un sentiment <strong>de</strong> supériorité ou <strong>de</strong> mépris,<br />

il eût été sans excuse. Mais chez lui,-c'était<br />

ou <strong>la</strong> préoccupation <strong>de</strong> son talent, ou une insouciance<br />

invincible; et grâce à <strong>la</strong> douceur <strong>de</strong> son caractère<br />

, elle pouvait amuser quelquefois, et se pou­<br />

vait jamais blesser.<br />

Il était naturellement distrait s il n'est pas sans<br />

exemple qu'on ait cherché aie paraître. 11 faut que<br />

certains hommes fassent grand cas <strong>de</strong> <strong>la</strong> singu<strong>la</strong>rité,<br />

puisqu'ils affectent même celle qui est un défaut.<br />

S'il était si souvent seul au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> société,<br />

il <strong>du</strong>t avoir fort peu <strong>de</strong> cet esprit <strong>de</strong> conversation,<br />

l'un <strong>de</strong>s grands moyens <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire, qui, s'il ne con­<br />

<strong>du</strong>it pas à <strong>la</strong> renommée, a souvent mené à <strong>la</strong> fortune.<br />

Cet esprit n'est pgs nécessaire à <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong><br />

talent, et même n'est pas toujours compatible avec<br />

le genre <strong>de</strong> ses travaux; mais il ne faut pas non plus<br />

en prendre occasion <strong>de</strong> déprécier ceux qui l'ont possédé<br />

: c'est à coup sûr un avantage <strong>de</strong> plus. De<br />

grands écrivains ont mis dans leur conversation les<br />

agréments que l'on trouvait dans leurs écrits; <strong>de</strong><br />

grands écrivains ont manqué <strong>de</strong> cette heureuse faculté.<br />

Boïleau, dans <strong>la</strong> société, était austère et brusque;<br />

Corneille, embarrassé et silencieux; Racine et<br />

Fénelon, pleins d'urbanité, <strong>de</strong> grâces et d'éloquence.<br />

Deux qualités sont essentielles pour briller dans un<br />

entretien : <strong>la</strong> disposition à s'intéresser à tout f et ee<br />

désir <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire à tout le mon<strong>de</strong>, où il entre nécessairement<br />

beaucoup <strong>de</strong> goût pour les jouissances<br />

<strong>de</strong> Pamour-propre. La Fontaine n'avait rien <strong>de</strong> tout<br />

ce<strong>la</strong>, le fond <strong>de</strong> son caractère étant au contraire une<br />

profon<strong>de</strong> indifférence pour <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s objets qui<br />

occopent les hommes quand ils sont les uns avec les<br />

autres, et une gran<strong>de</strong> prédilection pour les choses<br />

dont on peut jouir tout seul, comme <strong>la</strong> lecture, <strong>la</strong><br />

campagne, <strong>la</strong> rêverie, ou ces jeui qui dé<strong>la</strong>ssent mm<br />

esprit souvent occupé m ne lui <strong>de</strong>mandant aucune<br />

action, ou le p<strong>la</strong>isir d'entendre <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique. Tels<br />

étaient ses goûts, à ce qu'il nous apprend lui-même;<br />

et cette manière d'être qui nous rend moins dépendants<br />

<strong>de</strong>s autres, a peut-être plus d'avantages que<br />

d'inconvénients, et semble être fort près <strong>du</strong> bonheur.<br />

II fal<strong>la</strong>it bien qu'on lui pardonnât <strong>la</strong> distraction<br />

qu'il portait dans le mon<strong>de</strong>, puisqu'elle s'étendait<br />

jusque sur ses affaires domestiques .-jamais homme<br />

n'en fat moins occupé. Cette négligence, qui détruisit<br />

par <strong>de</strong>grés sa rn'édtocre fortune, tenait à un<br />

grand désintéressement, qualité qui marque toujours<br />

une âme noble ; mais elle était aussi <strong>la</strong> suite nécessaire<br />

d'une indolence qui lui était trop chère pour<br />

qu'il essayât <strong>de</strong> <strong>la</strong> sur<strong>mont</strong>er. Une fois tous les ans il<br />

quittait <strong>la</strong> capitale pour aller voir sa femme retirée<br />

à Château-Thierry, et Sa il vendait une petite partie<br />

<strong>de</strong> son patrimoine, qu'il partageait avec elle. Cest<br />

ainsi qu'il s'en al<strong>la</strong>it, comme il nousPa dit, mangeant<br />

k fonds avee k revenu.<br />

Il eut <strong>de</strong>s amis parmi les gens <strong>de</strong> lettres f et ce<br />

furent tous ceux qui étaient comme lui les premiers<br />

écrivains <strong>de</strong>là nation. Jamais il ne se brouil<strong>la</strong> avec<br />

aucun d'eux; ear comment .se brouiller avec <strong>la</strong> Fontaine?<br />

Les libéralités <strong>de</strong> Loub XJ¥, prodiguées<br />

même aux étrangers, n'allèrent pas jusqu'à lui. Il<br />

fat oublié, ainsi que Corneille : ni l'un ni Pautra<br />

n'était courtisan. Mais il eut <strong>de</strong>s protecteurs à <strong>la</strong><br />

cour, et même <strong>de</strong>s bienfaiteurs, ce qui n'est pas ton-


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

jours <strong>la</strong> même chose, et c'était ce qu'elle avait <strong>de</strong><br />

plus bril<strong>la</strong>nt, les Conti, les Vendôme! le <strong>du</strong>e <strong>de</strong><br />

Bourgogne, cedigne élève<strong>de</strong> Fénelon. M aisavosonsle,<br />

à l'honneur d'un sexe qui peut-être doit avoir<br />

plus <strong>de</strong> bienfaisance que le nôtre, puisqu'il est plus<br />

porté à <strong>la</strong> pitié ? ou qui <strong>du</strong> moins doit faire aimer<br />

datantage ses bienfaits ; puisqu'il a plus <strong>de</strong> délicatesse<br />

: ce furent <strong>de</strong>ui femmes à qui <strong>la</strong> Fontaine fut<br />

le plus re<strong>de</strong>vable, madame <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sablière et madame<br />

d'Hervart. Elles furent ses véritables bienfaitrices,<br />

ou plutôt, s'il est permis <strong>de</strong> se servir d'un terme<br />

que <strong>la</strong> bonté peut ennoblir, parce qu'elle ennoblit<br />

tout, elles se irent ses gouvernantes; et c'est ce<br />

qu'il lui fal<strong>la</strong>it. La Fontaine n'avait pas besoin d'argent<br />

: Il ii<strong>la</strong>ll seulement qu'on le dispensât <strong>de</strong> songer<br />

à rien, si ce n'est à faire <strong>de</strong>s fables et à s'amuser.<br />

C'était là le plus grand bien qu'on pût lui faire,<br />

et c'est celui qu'il trouva chez elles. Peut-être n'y<br />

a-t-il que les femmes capables <strong>de</strong> cette manière d'obliger<br />

; elles savent aussi bien que nous, et quelquefois<br />

mieux, l'espèce <strong>de</strong> bonheur qui nous convient.<br />

Ainsi done t grâces à <strong>de</strong>ux femmes, <strong>la</strong> Fontaine fut<br />

aussi heureux qu'il pouvait l'être. Ce<strong>la</strong> fait p<strong>la</strong>isir<br />

à penser. 11M heureux I tant <strong>de</strong> grands hommes ne<br />

l'ont pas été 1 II le fut par l'amitié.<br />

Qu'un ami véritable ait eue douée ctoe !<br />

IS cheiche ?ot tanins as fond <strong>de</strong> votre «sur, etc.<br />

Je me p<strong>la</strong>is à croire qu'il songeait à madame <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> Sablière et à madame d'Hervart quand il It ces<br />

vers, qui suffiraient seuls pour nous prouver que<br />

cet homme, si indifférent et si apathique sur <strong>la</strong> plupart<br />

<strong>de</strong>s choses qui tourmentent les hommes, était<br />

bien loin <strong>de</strong> l'être pour Famille» Je sais qu'on a préten<strong>du</strong><br />

que les vers ne prouvent jamais rien que <strong>de</strong><br />

l'imagination ; mais je persiste à croire qu'il y en a<br />

que le coeur seul a pu dicter; et je le crois surtout<br />

quand je lis <strong>la</strong> Fontaine. H fut <strong>du</strong> très-petit nombre<br />

<strong>de</strong>s écrivains plus véritablement heureux par leurs<br />

ouvrages que par leurs succès. Sans être insensible<br />

à <strong>la</strong> gloire, il ne parait pas l'avoir trop recherchée;<br />

et d'ailleurs il n'était pas en lui d'avoir aucun désir<br />

assez vif pourque <strong>la</strong> privation pût <strong>de</strong>venir unepdne.<br />

Fiai» d'une mo<strong>de</strong>stie vraie, <strong>de</strong> celle qui n'est pas<br />

et ne peut pas être l'ignorance <strong>de</strong> nos avantages,<br />

mais <strong>la</strong> disposition à n'en affecter aucun sur autrui,<br />

on ne voit pis qu'il ait jamais eu d'ennemis.<br />

Et comment en aurait-il eu? Sa simplicité extrême<br />

<strong>de</strong>vait calmer jusqu'à l'envie. Comme il semb<strong>la</strong>it ne<br />

prétendre à rien 9 on lui pardonnait <strong>de</strong> mériter beaucoup.<br />

On sait que, dans un moment d'effusion,<br />

78?<br />

Louis 1.1V. La postérité, dans <strong>la</strong> distribution <strong>de</strong>s<br />

rangs, a para suivre l'avis <strong>de</strong> l'Académie plutôt que<br />

celui <strong>du</strong> monarque, et regar<strong>de</strong>r <strong>la</strong> Fontaine comme<br />

un homme d'une espèce plus rare que Boileau» Vivant<br />

dans le sein <strong>de</strong> l'amitié, assez bien né pur ne<br />

sentir que <strong>la</strong> douceur <strong>de</strong>s bienfaits sans en porter<br />

jamais le poids, libre <strong>de</strong> toute inquiétu<strong>de</strong>, ne connaissant<br />

ni l'ambition ni l'ennui, incapable d'éprouver<br />

le tourment <strong>de</strong> l'envie, et trop modéré, trop<br />

simple pour être en butte à ses attaques, il jouissait<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> nature et <strong>du</strong> p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> <strong>la</strong> peindre, <strong>du</strong> travail<br />

et <strong>du</strong> loisir; il jouissait <strong>de</strong> ses sentiments, <strong>de</strong> ses<br />

idées, et <strong>du</strong> p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> les répandre; enûn il était<br />

bien atec lui-même, et avait peu besoin <strong>de</strong>s autres.<br />

Tandis que ses années s'écou<strong>la</strong>ient sans qu'il les<br />

comptât, il voyait arriver <strong>la</strong> vieillesse et <strong>la</strong> mort<br />

sans les craitidre, comme on voit le soir d'tm beau<br />

jour, 11 fut porté dans le même sépulcre qui avait<br />

reçu Molière, comme si <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée qui avait rapproché<br />

leur naissance eût voulu réunir leur tombeau.<br />

SECTION u. — Vergfer et Sêseeé.<br />

Parmi <strong>la</strong> foule <strong>de</strong>s écrivains qui, nés dans le même<br />

siècle que <strong>la</strong> Fontaine, se sont exercés après lui<br />

dans le genre <strong>du</strong> conte (car les autres fabulistes<br />

sont <strong>de</strong> ce siècle ), on n'en peut distinguer que <strong>de</strong>ux ;<br />

Fêrgkr et Semcê. La Monnoye, Ducerceau, Saint-<br />

Gilles, Perrault, Desmarots, etc., sont trop médiocres<br />

pour avoir un rang. A peine dans les recueils<br />

que cherche à grossir l'in<strong>du</strong>lgence ou l'intérêt <strong>de</strong>s<br />

éditeurs, a-t-on pu rassembler un petit nombre <strong>de</strong><br />

pièces plus ou moins passables, et toutes sont fort<br />

peu <strong>de</strong> chose pour le fond comme pour le style. Vergier<br />

mérite une mention. Plusieurs <strong>de</strong> ses contes<br />

sont p<strong>la</strong>isamment imaginés, et narrés avec agrément<br />

et facilité. Le Rossignol, h Tonnerre, et trois ou<br />

quatre autres, ont mérité d'avoir une p<strong>la</strong>ce dans <strong>la</strong><br />

mémoire <strong>de</strong>s amateurs; et, quoique bien Soin <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Fontaine, c'est beaucoup d'en avoir une après lui.<br />

Au reste, il rend hommage à sa supériorité, ainsi<br />

que Senecé : mais je ne sais pourquoi il se pique <strong>de</strong><br />

n'être ps son imitateur; car on aperçoit assez fréquemment<br />

chez lui l'envie <strong>de</strong> prendre le même ton<br />

et <strong>de</strong>s traces <strong>de</strong> réminiscence ; et c'est alors en effet<br />

qu'il a le plus <strong>de</strong> pieté. Mais il s'en faut bien qu'il<br />

ait cet enjouement soutenu, ces-tournures à <strong>la</strong> fois<br />

piquantes et naïves qui dans <strong>la</strong> Fontaine réveillent<br />

sans cesse le goût <strong>du</strong> lecteur. La longueur, <strong>la</strong> monotonie,<br />

le prosaïsme, se font sentir même dans ses<br />

meilleurs contes. 11 se tire assez bien <strong>de</strong> quelques<br />

Molière disait : NOM be®mx~e$pHU n'effacerwdpas détails, et en néglige une foule d'autres. En un mot,<br />

kbomà&mmê. Il obtint les suffrages <strong>de</strong> l'Académie il n'est pas assez poète, quoique souvent verstËta-<br />

avant Despréaux, qui obtint avant lui l'aveu <strong>de</strong> teur aisé et agréable. Le conte admet un air <strong>de</strong> né-<br />

LA BA1K. — TOUS 1.<br />

47


7»8<br />

gligenee; mais us trop grand nombre <strong>de</strong> vers inutiles<br />

ou commuas <strong>mont</strong>rent <strong>la</strong> faiblesse. Donnons<br />

ponr exemple un <strong>de</strong> ses prologues, fune <strong>de</strong>s parties<br />

où <strong>la</strong> Fontaine a excellé :<br />

Il est asseï damants contenta ;<br />

Il n'en est guère <strong>de</strong> fidèles.<br />

Ce<strong>la</strong> s'est vu dans tous les temps f<br />

Fort fréquemment ehea nous t essor plus ehex les belles.<br />

Ce<strong>la</strong> m bien jusqu'ici ; il n'y a rien <strong>de</strong> trop, et d'est<br />

le ton <strong>du</strong> genre. La suite se soutient-elle?<br />

C0U1S DE LITTÉMATURE.<br />

Os se résiste guère à <strong>la</strong> tentation<br />

D'une agréable occasion.<br />

L'auteur tombe déjà : voilà <strong>de</strong> <strong>la</strong> prose, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> prose<br />

<strong>la</strong>nguissante.<br />

Tromper est es amour chose délicieuse ;<br />

C'est an charmant ragoût que <strong>la</strong> variété,<br />

Mais Je crois voir <strong>de</strong> rinfidéUté<br />

Um source plus vwiewe.<br />

Les <strong>de</strong>ux premiers fers sont bien : les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers<br />

sont militais ; le sérieux <strong>de</strong> cette expression, une<br />

source plus wMmse, sort <strong>du</strong> genre et gâte tout.<br />

C'est <strong>la</strong> mauvaise opinion,<br />

CTest cette défiance extrême<br />

Que l'os a <strong>de</strong> es que l'os alise.<br />

Encore une phrase traînante et prosaïque.<br />

Pourquoi, dit un amant, par quelle illusion<br />

Refuser les faveurs que m'offre <strong>la</strong> Fortune?<br />

Pour faire mon <strong>de</strong>voir? Mais qui m'assurera<br />

Qu'en pareil cas ma belle aura<br />

Ma délicatesse importune?<br />

Ce<strong>la</strong> n'est pas mal : les <strong>de</strong>ux vers suif ants retombent<br />

encore dans un sérieux qui détonne ;<br />

Qui uit même, qui sait si, dans ce mime instant,<br />

. Elle ne trahit pas on amour si constant?<br />

Ces <strong>de</strong>ux vers pourraient entrer dans une tragédie.<br />

Ce n 9 est pas là le style <strong>du</strong> conte.<br />

Ainsi, souvent, pins qu'antre chose,<br />

Des infidélités <strong>la</strong> défiance est casse.<br />

On doit peu s'assurer sur <strong>la</strong> foi <strong>de</strong>s serments :<br />

Ce ne sont en amour que vains amusements,<br />

Ceux dû sexe surtout : J'en parle avec science;<br />

Et <strong>du</strong>ssé-Je en être haï,<br />

Deux fois mon tendre amour en It l'expérience |<br />

Malgré mille serments mon amour fut trahi.<br />

Enfin il vous vouiez être toujours Idètes,<br />

Amants, ne quittes point vos belles;<br />

Belles t soyez toujours aigres <strong>de</strong> vos amants.<br />

Ces trois <strong>de</strong>rniers fers marchent bien ; mais Fauteur<br />

ne ira pas loin sans broncher.<br />

Mais une suite dangereuse<br />

Est attachés à nette eatféaaif4<br />

l/m méte mUœhêe à une ex^êmité! P<strong>la</strong>titu<strong>de</strong> et<br />

impropriété.<br />

Un pra d'absence anime use JSamme amoureuse; 1<br />

Le dégoût suit <strong>de</strong> près trop d'assi<strong>du</strong>ité ; .<br />

s<br />

Et Je crains qu'en fouinât fuir HnUMIIi,<br />

On ne rencoutre l'inconstance.<br />

Que Mre donc? Plus on y pense,<br />

Plus on se sent embarrassé.<br />

Le défaut principal <strong>de</strong> tout ce morceau, indépendamment<br />

<strong>de</strong>s autres, n'est l'uniformité <strong>de</strong> tournures.<br />

Voyons <strong>de</strong>s idées à peu près semb<strong>la</strong>bles dans <strong>la</strong><br />

Fontaine : nous allons traîner là tout ce qui manquait<br />

ici :<br />

' Le changement <strong>de</strong> mets réjouit rhomjne ;<br />

Quand Je dis l'homme, enten<strong>de</strong>s qu'en ceci<br />

La femme doit être comprise aussi.<br />

Et ne sais pas comme U ne vient <strong>de</strong> Rame<br />

Permission <strong>de</strong> troquer en hymen ;<br />

Mon si souvent qu'on en aurait envie,<br />

Mais tout an moins une fois en sa vie.<br />

Peut-être us jour nous l'obtiendrons! Amen.<br />

Ainsi solt-ll. Semb<strong>la</strong>ble in<strong>du</strong>ite en France<br />

Tiendrait fort bien t J'en réponds; car nos gaas<br />

Sont grands troqueurs. Dieu nous créa changeants.<br />

Avee quelle légèreté ces vers courent en tout sens,<br />

et ?ais mènent d'une idée à une antre! Comme tout<br />

est assaisonné d'un sel qui pourtant est répan<strong>du</strong><br />

avec sobriété! Comme il fait tout ressortir sans<br />

épuiser rien ! Yoilà comme on conte. Au reste, ¥ergier<br />

vaut un peu mieux dans le récit que dans les<br />

prologues; mais il est si libre qu'on ne peut pas le<br />

citer. J'ai dit qu'il prétendait n'être point imitateur<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine; faiel comme il en parle :<br />

Sur les traces <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fontaine,<br />

Je n'ai point préten<strong>du</strong> marcher.<br />

Si par hasard Je puis es approcher,<br />

Fobtf esdral cet honneur sans <strong>de</strong>ssein M sans peine.<br />

le ne sais si c'est vanité ;<br />

Mais Je ne f eau point <strong>de</strong> modèle t<br />

Et mon génie, enfant gâté t<br />

Ne saurait souffrir <strong>de</strong> tutelle.<br />

La Fontaine a fort bien conté,<br />

n s'est acquis une gloire Immortelle.<br />

Qs'os me mette au-<strong>de</strong>ssous, qu'on me mette à aat#f<br />

le ne veux point <strong>de</strong> parallèle.<br />

Aussi n'en fera-t-on point. Ne m^mrpmmiéem^<br />

êèk est un peu ter* Pas hommes qui f niaient in<br />

peu mieux que Yergier ont bien voulu en reconnaître;<br />

et quand on n'en tant point, il lut en lire un<br />

soi-même.<br />

J'aime beaucoup mieux ces vers adressés à h<br />

Fontaine lui-même, en réponse à une lettre où le<br />

èomk®Bwmf alors âgé <strong>de</strong> soixante-dix ans, écrivait à<br />

Yergier comment il s'était égaré <strong>de</strong> trois limas en<br />

songeant à une jeune et jolie personne qu'il avait<br />

vue à <strong>la</strong> campagne :<br />

Que vous vous trosvlex enchanté<br />

D'une beauté Jeuse et €hamantiv<br />

L'awentnre est peu surprenante 2<br />

Quel âge est à cou?ert <strong>de</strong>s traits <strong>de</strong> Sa beauté?<br />

Ulysse au beau parler, non moins vieux, non<br />

Que vous pentes Fètre aujourd'hui,<br />

Ne se vit-il pas, malgré M,<br />

Arrêté par l'amour sur maint et maint rivage?


Qu'en solvant cet objet dont vous êtes épris ,<br />

Sur le choix <strong>de</strong>s chemins TOUS VOUS soyej mépris,<br />

, L'acci<strong>de</strong>nt est eneor motos rare.<br />

Et ffiii pourrait être surpris<br />

Lorsque <strong>la</strong> Fontaine s'égare?<br />

Tout le cou» <strong>de</strong> ses ans n'est qu'un tissu d'erreurs,<br />

Mais d'erreurs pleines <strong>de</strong> sagesse :<br />

Les p<strong>la</strong>isirs l'y gui<strong>de</strong>nt sans cesse<br />

Par <strong>de</strong>s chemins semés <strong>de</strong> fleurs.<br />

-Les seins <strong>de</strong> sa famille os ceux <strong>de</strong> sa fortune<br />

lie causent Jamais son réveil;<br />

1! <strong>la</strong>isse à son gré le soleil<br />

Quitter l'empire <strong>de</strong> Neptune;<br />

11 dort tant qu'il p<strong>la</strong>it au Sommeil.<br />

Il se lève au matin sans savoir pour quoi faire.<br />

Il se promène; 11 va sans <strong>de</strong>ssein, sans objet;<br />

Et se couche le soir sans savoir d'ordinaire<br />

Ce que dans le Jour il a fait<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

739<br />

traîne point sur les traces d'autrui. Je me bornerai<br />

à citer cette <strong>de</strong>scription d'une fontaine que rencontre<br />

Mahmoud excédé <strong>de</strong> fatigue ;<br />

Il semble que d'écrire à <strong>la</strong> Fontaine ait porté bonheur<br />

à Vergîer; car ces fers sont certainement au<br />

nombre <strong>de</strong>s plus jolis qu'il ait faits. Les quatre <strong>de</strong>rniers<br />

peignent notre fabuliste au naturel, et celuici<br />

surtout,<br />

1 dort tant epli piaf t as SommeU,<br />

parait lui avoir été emprunté.<br />

Les <strong>de</strong>ux contes qui nous restent <strong>de</strong> Senecé , et<br />

qui ont suffi pour lui faire un nom parmi les poètes ,<br />

sont dans un genre tout différent <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Fontaine. Le premier, qui a pour titre <strong>la</strong> Confiance<br />

per<strong>du</strong>e, m k Serpent mangeur <strong>de</strong> kaymah, est un<br />

apologue oriental, assez éten<strong>du</strong> pour former une<br />

espèce <strong>de</strong> petit poëme moral. Le sujet <strong>du</strong> second,<br />

qui s'appelle Camille, ou <strong>la</strong> Manière défier k parfaU<br />

amour, est tout opposé à ceux que traite ordinairement<br />

<strong>la</strong> Fontaine. Chez celui-ci, ce sont <strong>de</strong>s<br />

femmes qui trompent leurs maris : ici c'est une<br />

épouse qui est le modèle <strong>de</strong> <strong>la</strong> idélité. Senecé a donc<br />

1e double mérite d'avoir choisi un genre non?eau,<br />

et d'à?oir su p<strong>la</strong>ire dans le conte sans blesser en rien<br />

les mœors. Lui-même expose ainsi son <strong>de</strong>ssein dans<br />

l'exor<strong>de</strong> <strong>de</strong> Camille :<br />

Essayer verni, si mes for» suffisent,<br />

A revêtir <strong>la</strong> sainte honnêteté<br />

De quelque grâce, auteurs qui ne médisent<br />

N'ont les rieurs souvent <strong>de</strong> leur celé :<br />

Voilà le siècle et le train qu'il veut suivre.<br />

Bit-os <strong>du</strong> mal} c'est Jubi<strong>la</strong>tion.<br />

Diî-on <strong>du</strong> bien$ <strong>de</strong>s mains tombe le livre,<br />

Qui vous endort comme bel opium.<br />

Ce n'est pourtant pas l'effet que pro<strong>du</strong>it ici Senecé.<br />

Son conte <strong>de</strong> CamiUê est très-joli. 11 écrit aiec beaucoup<br />

d'esprit et d'élégance, malgré quelques inégalités.<br />

Il connaît les convenances <strong>du</strong> style, et sait<br />

adapter son ton au sujet. Mais c'est surtout dans le<br />

conte <strong>du</strong> km^maà qu'il s $ Des gâiooj émalllés l'ornaient tout alentour;<br />

Un piaoe l'ombrageait par son vaste contour,<br />

Et les Eéphyrs au frais, sans agiter l'arène,<br />

Luttaient s! Joliment contre le chaud <strong>du</strong> Jour,<br />

Qu'au murmure <strong>de</strong> Ton<strong>de</strong> et*<strong>de</strong> leur douce baleine,<br />

Tout semb<strong>la</strong>it dire en m séjour :<br />

Ou dormes, ou faites rameur.<br />

Faire l'amour! Mahmoud n'en avait nulle envie.<br />

Quand même il aurait eu <strong>de</strong> quoi,<br />

Mais oui bien <strong>de</strong> dormir, et plus que <strong>de</strong> sa vie :<br />

Aussi tout éten<strong>du</strong> dormit-Il comme un roi;<br />

Posé le cas qu'un roi dorme mieux qu'un autre homme;<br />

J'en pense au rebours, quant à mot.<br />

De pareils traits, et cette manière <strong>de</strong> conter, rappellent<br />

notre <strong>la</strong> Fontaine un peu plus que ne fait<br />

Vergier. Aussi celui-ci a <strong>la</strong>it trop <strong>de</strong> contes, et Senecé<br />

en a fait trop peu. On ne peut pas donner ce nom<br />

aux Travaux d'Apollon, le morceau le plos considérable<br />

qu'il nous ait <strong>la</strong>issé. C'est un poème dont<br />

le sujet est un récit un peu long <strong>de</strong> tous les maux<br />

que le dieu <strong>de</strong>s vers a soufferts, si Ton en croit <strong>la</strong><br />

Fable. L'intention <strong>de</strong> Fauteur est <strong>de</strong> faire voir que<br />

les poètes ne doivent pas s'attendre à être heureux,<br />

puisque le dieu qui est leur patron ne Fa jamais été.<br />

Eousseau le lyrique faisait cas <strong>de</strong> cet ouvrage, parce<br />

qu'il s'attachait surtout au mérite <strong>de</strong> <strong>la</strong> versiication.<br />

Celle <strong>de</strong>s Travaux d?Apollon offre <strong>de</strong>s morceaux<br />

bien travaillés, et qui prouvent que Senecé avait<br />

étudié dans Bell eau le mécanisme <strong>du</strong> vers. Mais il<br />

est pourtant susceptible <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> reproches,<br />

même dans cette partie. Sa diction est quelquefois<br />

pénible et contrainte t et assez souvent un peu sèche.<br />

Il s'en faut bien qu'elle soit d'un goût égal et sûr,<br />

ni qu'il soutienne le ton noble comme celui <strong>du</strong> conte.<br />

D'ailleurs le p<strong>la</strong>n est mal conçu, et tout l'ouvrage<br />

est assis sur un fon<strong>de</strong>ment vicieux. Senecé suppose<br />

que, dégoûté <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie par le peu d'encouragements<br />

qu'il reçoit, il est prêt à y renoncer, lorsque<br />

l'ombre <strong>de</strong> Maynard lui apparaît, et, pour le disposer<br />

h <strong>la</strong> résignation et à <strong>la</strong> patience, s'offre <strong>de</strong> loi<br />

faire voir que toute l'histoire d'Apollon n'a été qu'un<br />

enchaînement <strong>de</strong> malheurs <strong>de</strong> toute espèce. Mais<br />

en accordant que ce soit là un motif <strong>de</strong> conso<strong>la</strong>tion,<br />

Maynard pouvait-il croire que Seoecé n'eût pas lu,<br />

comme lui, les Métamorphoses d'Ovi<strong>de</strong>, et ne sût<br />

pas tes aventures d'Apollon? II parle donc pour parler,<br />

il raconte pour raconter, il décrit pour décrire':<br />

C'est un défaut mortel. Si vous voulez mener le lecteur,<br />

il faut lui proposer un but : et qui se soucie<br />

ett <strong>mont</strong>ré supérieur. L'ou­ d'entendre ce que tout le mon<strong>de</strong> sait ? Toute machine<br />

vrage est «nié <strong>de</strong> traits fort heureux, <strong>de</strong> vers pleins poétique, toute action, dans le plus petit ouvrage<br />

<strong>de</strong> sens, <strong>de</strong> détails poétiquement embellis. Il joint comme dans le plus grand, doit, pour nous attacher,<br />

<strong>la</strong> raison à <strong>la</strong> gaieté y et sa fersiication ferme ne se être conforme au bon sens et à <strong>la</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce. En-<br />

47.


J40 COUES DE UTTÉRA1UBR<br />

lo ce narré, aussi proliie qu'inutile, <strong>de</strong>s fabuleuses<br />

disgrâces d'Apollon, estd'une ennuyeuse uniformité.<br />

Rien ne fait mieux Yoir combien le talent a besoin <strong>de</strong><br />

se trouver en proportion a?ee les sujets qu'il choisit.<br />

CHAPITRE XII. — Bê<strong>la</strong>poésiepastorale, ei<br />

<strong>de</strong>s différents genres êe poésie légère.<br />

Après avoir traité en détail <strong>de</strong>s objets les plus<br />

importants, <strong>de</strong> Fépopée9 <strong>de</strong> tous les genres <strong>de</strong> poésie<br />

dramatique, <strong>de</strong> <strong>la</strong> fable! <strong>de</strong> <strong>la</strong> satire, <strong>de</strong> fépftre<br />

morale et <strong>de</strong> l'o<strong>de</strong>, il nous reste à parcourir rapi<strong>de</strong>ment<br />

les poésies d'un ordre inférieur, <strong>de</strong>puis <strong>la</strong><br />

pastorale jusqu'à <strong>la</strong> chanson.<br />

Il ne s'agit point ici <strong>de</strong> ia pastorale dramatique<br />

qui nous fiai d'Italie en France au commencement<br />

<strong>du</strong> siècle <strong>de</strong>rnier. Elle appartient à l'histoire <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

naissance <strong>du</strong> théâtre français; et comme il n'en a<br />

rien conservé, je n f aurai rien à ajouter à ce que j'en<br />

ai dit en son lien, si ce n'est lorsque j'aurai à parler<br />

<strong>de</strong> quelques pièces <strong>de</strong> ce genre qu'on a faites <strong>de</strong><br />

nos jours. Le roman pastoral, soit en prose, soit<br />

mêlé <strong>de</strong> prose et <strong>de</strong> fers, rentre dans l'article <strong>de</strong>s<br />

romans. Il n'est donc question que <strong>de</strong> Yêgbgwe et<br />

<strong>de</strong> fidylle dans le siècle où nous nous arrêtons.<br />

Ces noms, génériques dans l'origine, ont été par­<br />

ticulièrement appliqués à <strong>la</strong> poésie bucolique ou<br />

champêtre <strong>de</strong>puis que les pièces pastorales <strong>de</strong> Théocrife<br />

et <strong>de</strong> Virgile ont été publiées sous les titres<br />

d'Idylles et d'Églogues. J'ai traité <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature <strong>de</strong><br />

ces petits poëmes, quand ils sont venus à leur rang<br />

dans <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> <strong>de</strong>s anciens. Les mo<strong>de</strong>rnes y ont<br />

eu moins <strong>de</strong> succès, soit parce que <strong>la</strong> nature n'en<br />

avait pas mis le modèle si près d'eus, soit parce<br />

que les écrivains qui s'y sont exercés avaient moins<br />

<strong>de</strong> talent poétique. Cependant trois <strong>de</strong> nos poètes<br />

s'y sont distingués : Segrais, Deshoulières et Foatenelle.<br />

Le principal mérîte<strong>de</strong> Segrais est d'avoir bien saisi<br />

le caractère et le ton <strong>de</strong> l'églogue. Il a <strong>du</strong> naturel,<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> douceur et <strong>du</strong> sentiment. Imitateur fidèle,<br />

mais faible, <strong>de</strong> Virgile, il fait, comme lui, rentrer<br />

dans ses sujets les images champêtres qui leur donnent<br />

un air <strong>de</strong> vérité ; maïs il ne sait pas à beaucoup<br />

près les colorier comme <strong>la</strong>i. Il donne à ses bergers<br />

le <strong>la</strong>ngage qui leur convient; mais ce <strong>la</strong>ngage manque<br />

souvent <strong>de</strong> cette élégance et <strong>de</strong> cette harmonie<br />

qu'il faut allier à <strong>la</strong> simplicité. Boileau citait le<br />

commencement <strong>de</strong> sa première églogue, comme<br />

ayant bien <strong>la</strong> tournure propre au genre.<br />

Tyrsto mourait d'amour pour <strong>la</strong> belle €Umène,<br />

«ans epe d'aucun espoir il pût f<strong>la</strong>tter SA peine.<br />

Ce berger, aeemblé île son mortel emmâ,<br />

Ne se p<strong>la</strong>isait qu'aux lieux aussi tristes qm lui<br />

Errant à <strong>la</strong> merci <strong>de</strong> ses Inquiétu<strong>de</strong>s,<br />

Sa douleur l'entraînait au noires solitu<strong>de</strong>s;<br />

Et <strong>de</strong>s tendres accents <strong>de</strong> ta mourante voix<br />

H fal<strong>la</strong>it retentir les rochers et les bois.<br />

Cette églogue a d'autres morceaux qui ne sont pas<br />

indignes <strong>de</strong> ce commencement, et qui sont es général<br />

imités <strong>de</strong>s anciens, <strong>de</strong> manière que tout humant<br />

qui a lu puisse reconnaître les originaux.<br />

En «•


* Comme on ¥@§t quelquefois par <strong>la</strong> Loire es fureur<br />

Périr te doux espoir <strong>du</strong> trille <strong>la</strong>boureur,<br />

Lorsqu'elle rompt M digne, et roule avee son on<strong>de</strong><br />

Scan stérile gravier sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine fécon<strong>de</strong> ;<br />

ainsi coulent mes Jours <strong>de</strong>puis ton ctiangenient ;<br />

Mnsl périt l'espoir qui nattait non tourment *<br />

La comparaison n'est pas très-juste dans toutes<br />

ses prîtes, mais les fers sont bien tournés. La<br />

<strong>de</strong>scription <strong>de</strong> l'Aurore a le même mérite.<br />

Qu'en tes plus beaux habits l'Aurore an teint f erneil<br />

Annonce à l'uni?en le retour <strong>du</strong> soleil ,<br />

Et que <strong>de</strong>vant son ebar ses légères suivant»<br />

Ouvrent <strong>de</strong> l'Orient les portes éc<strong>la</strong>tantes;<br />

Dépoli epe ma lier gère a quitté ces beaux lieux ,<br />

Le eiet n'a plus ni Jour ni c<strong>la</strong>rté pour mes yeux.<br />

Ce style <strong>de</strong>scriptif est élégant. Ailleurs, on trottYe<br />

<strong>de</strong>s morceaux <strong>de</strong> sentiment.<br />

Enfant, maître îles dieux, fui d'une aile légère<br />

Tant <strong>de</strong> fols en ne jour voies vers ma bergère,,„<br />

BSs-lnl combien loin d'elle on souffre <strong>de</strong> tour ment ;<br />

Ta, dts*Sul mon retour; puis reviens promptement<br />

( SI pourtant on le peut quand on s'éloigne d'elle}<br />

M'apprendra comme elle a reçu cette nouvelle.<br />

O dieux ! que <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir, si t quand f erri?eral,<br />

Ble me vnil plus tôt que Je ne <strong>la</strong> Terrai 9<br />

Et <strong>du</strong> haut <strong>du</strong> coteau qui découvre ma route<br />

En s'éeriant , Cest lui , c'est lui-même sans doute !<br />

Pour <strong>de</strong>scendre à <strong>la</strong> rive elle ne fait qu'un pas,<br />

Tient Jusqu'à mol'peut-être, et, me tendant les brasv<br />

ITaeoôf<strong>de</strong> un doux baiser <strong>de</strong> M bouche adorable, et®. .<br />

ferrites pense»; ou peut-être mensonges !<br />

Qu'un amant, sans dormir, M forme bien <strong>de</strong>s songes !<br />

Qui ne sait que tout change en l'empire amoureux?<br />

Et qui peut être absent et s'estimer heureux?<br />

SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

O lesdis<strong>cours</strong> dansants! ô les dlflnes choses<br />

Qu'un jour disait Amire en <strong>la</strong> saison <strong>de</strong>s roses !<br />

Doux Êéphyrs qui régniei alors dans ces beaux lieux,<br />

M'en portâtes-fous rien à l'oreille <strong>de</strong>s dieux î<br />

En h smUm <strong>de</strong>s roses est un rapprochement trèsagréable.<br />

Cest un mé<strong>la</strong>nge bien doui que le souvenir<br />

<strong>de</strong>s roses et celui d'une mmeimtmm amoureuse.<br />

741<br />

qu'on coure après eUe. Cet hémistiche n'est pas trèsharmonieux,<br />

et quoiqu'il ait <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité, il me semble<br />

que <strong>la</strong> réticence <strong>de</strong> Virgile n'en a pas moins, et<br />

a plus <strong>de</strong> finesse. EMe veut qu'on, ia voie en dit assez<br />

pour l'amour.<br />

Aniynte, tu me fuis, et ftf me fûts, vo<strong>la</strong>ge;<br />

Gomme le faon peureux <strong>de</strong> ia biche sauwap,<br />

Qui Ta cherchant ta mère aux rochers écartés t<br />

Y craint <strong>de</strong> doux féphyr les trembles agités ;<br />

Le moindre oiseau l'étonné : il a peur <strong>de</strong> son ombre;<br />

n a peur <strong>de</strong> lui-même et <strong>de</strong> <strong>la</strong> forêt sombre.<br />

Ces fers sont parfaits, et surtout le <strong>de</strong>rnier, dont<br />

Teipression simple et fraie tient surtout à l'épithète<br />

sombre, p<strong>la</strong>cée à <strong>la</strong> un <strong>du</strong> fers.<br />

Ces endroits et plusieurs autres prou?ent que<br />

Segrais n'était pas un poète bucolique à mépriser.<br />

Il faut songer qu'il écrivait avant les maîtres <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

poésie française, et n'ayant encore d'autres modèles<br />

que Malherbe et Raean. Cest ce qui rend excusable<br />

les fautes <strong>de</strong> sa versification, souvent lâche et traînante,<br />

et qui n'est pas même exempte <strong>de</strong> ces constructions<br />

forcées, <strong>de</strong> ces <strong>la</strong>tinismes, enfin <strong>de</strong> Ces<br />

restes <strong>de</strong> <strong>la</strong> rouille gothique, qui ne disparut entièrement<br />

que dans les fers <strong>de</strong> Despréaux. On lui a<br />

reproché tout récemment d'avoir loué Segrais dans<br />

l'Art poétique, au préjudice <strong>de</strong> madame DeshouHères,<br />

dont il ne parle pas. Ce reproche est mal fondé<br />

<strong>de</strong> toute manière. D'abord, Boileau n'a point nommé<br />

Segrais comme un modèle, comme un c<strong>la</strong>ssique,<br />

puisqu'à Partiale <strong>de</strong> l'églogue et <strong>de</strong> l'idylle, il n'en<br />

<strong>la</strong>it' aucune mention et ne propose à imiter que<br />

Théoerite et Virgile. C'est à <strong>la</strong> in <strong>de</strong> sou poème,<br />

lorsqu'il exhorte les poètes <strong>de</strong> différents genres à<br />

célébrer le nom <strong>de</strong> Louis XIV, c'est alors qu'il dit<br />

seulement :<br />

Que Segrais dans régiegue tu csanM les forêts.<br />

Puis reviens promptement<br />

(SI pourtant on le peut quand on s'éloigne d'elle)<br />

est une idée assez ine, mais où il n'y a P m $ m<br />

d'esprit que l'amour n'en peut donner»<br />

Eien n'est plus connu que les fers charmants <strong>de</strong><br />

Virgile sur Gaiatée : Sapais les a ren<strong>du</strong>s asses naturellement,<br />

quoique avec moins <strong>de</strong> précision.<br />

Amynte d'an regard m'attaque quelquefois,<br />

Et <strong>la</strong> folâtra après te sauve dans les bois.<br />

Elle passe et s'enfuit, et cependant <strong>la</strong> belle<br />

Teut toujours être fut, et qu'on coure apis eéfe.<br />

La folâtre rend très-bien le mot <strong>la</strong>tin kucioa.<br />

Segrais a mis un regard au lieu d 9 Et que pou?ait-il citer <strong>de</strong> mieux dans ce genre ?<br />

Ce ne poufait être madame Deshoulières, dont les<br />

Idylles ne parurent que longtemps après; et d'ailleurs<br />

Segrais a plus <strong>de</strong> talent poétique que madame<br />

Deshoulières, quoique celle-ci, qui écrirait trente<br />

ans plus tard, ait une diction plus pure. Ses fers<br />

sont aisés, mais extrêmement prosaïques. Ce qui<br />

proufe un peu ce défaut dans ses léylks, c'est<br />

qu'elles aont en fers mêlés ; et si l'on a retenu quelques<br />

endroits <strong>de</strong> ses pièces, quand il n'y a plus<br />

guère que les gens <strong>de</strong> lettres qui connaissent Segrais<br />

une pomme; c'est c'est que <strong>la</strong> poésie purement bucolique est passée<br />

une autre espèce d'agacerie : il n'a pas osé expri- <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>, et que les Idylles <strong>de</strong> Deshoulières ne sont<br />

mer en fers une bergère qui jette une pomme I son que <strong>de</strong>s moralitésadresséts auxûeurs, aux ruisseaux,<br />

amant, ce qui en effet n'était pas aisé. II a dé?eloppé aux moutons, dans lesquelles 11 y en a quelques-<br />

aussi Fidée <strong>de</strong> Virgile, qui dit seulement : EUe unes exprimées d'une manière à <strong>la</strong> fois ingénieuse<br />

s"emfiéif et wmd qu'm ta mk* Segrais ajoute : Ei et naturelle. Elle trait plus d'esprit que <strong>de</strong> talent,


741 COÏUS DE LITTERATURE.<br />

et plus d'agrément que <strong>de</strong> naïf été, quoique Gresset<br />

Tait appelée assez improprement <strong>la</strong> marne Deshoulières.<br />

C'est l'esprit qui domine dans ses pro<strong>du</strong>ctions,<br />

qui sont en général faibles et monotones :<br />

et je ne parle que <strong>de</strong>s meilleures; <strong>de</strong> ses Idylles et<br />

<strong>de</strong> ses Stamœs morales; car il y a longtemps qu'on<br />

ne lit plus <strong>la</strong> longue correspondance <strong>de</strong> ses chats<br />

et <strong>de</strong> ses chiens , qui remplit un tiers <strong>de</strong> ses œuwm 9<br />

ni ses Bal<strong>la</strong><strong>de</strong>s 9 ni ses Êpîires, ni ses Chansons f<br />

ni ses O<strong>de</strong>s, Ses IdyUes même ont un p<strong>la</strong>n trop<br />

uniforme. S'adresso-t-elle aux moutons, aux oiseaux,<br />

aux leurs, aux ruisseaux, c'est toujours pour envier<br />

leur bonheur, et comparer leur sort au notre.<br />

Non-seulement cette espèce <strong>de</strong> rapprochement trop<br />

répété défient un lieu commun, mais même il manque<br />

quelquefois <strong>de</strong> vérité. Est-ce <strong>la</strong> peine <strong>de</strong> dire aux<br />

.fleurs :<br />

Jonquilles t tubéreuses t<br />

Tons vives peu <strong>de</strong> Jours, mais f oui vives heureuses :<br />

L« médisants si les Jaloux<br />

; H@ gênent point rtnooceete tenimse<br />

Que le printemp fait naître entra Zéphlw et TOI».<br />

On ne sait pas trop comment ksjkwrs vivent<br />

heureuses, mais on sait trop que <strong>la</strong> wdMsanœ et<br />

<strong>la</strong> jalousie ne les gênent pQint. La poésie, qui anime<br />

tout, put parler métaphoriquement <strong>de</strong>s amours<br />

<strong>de</strong> Zéphira et <strong>de</strong>s Fleurs; <strong>la</strong> Fable, qui donne un<br />

<strong>la</strong>ngage à tous les êtres, peut faire parler une rose.<br />

Mais je doute qu'une idylle morale, <strong>la</strong> plus mo<strong>de</strong>ste<br />

<strong>de</strong> toutes les poésies, puisse être entièrement fondée<br />

sur le parallèle abusif <strong>du</strong> sort <strong>de</strong>s fleurs et <strong>du</strong><br />

nôtre; je doute qu'os puisse leur dire :<br />

Jamais trop <strong>de</strong> délicatesse<br />

Se mêle d'amertume, à vos plus doux p<strong>la</strong>isirs.<br />

Que pour Centres que vous M pousse <strong>de</strong>s soupirs,<br />

t Que loin <strong>de</strong> TOUS il folâtre sans cesse 9<br />

Tous ne ressentez pas <strong>la</strong> mortelle tristesse<br />

Qui déYore les tendres cœurs,<br />

Lorsque t plein d'une ar<strong>de</strong>ur extrême t<br />

On f oit f Ingrat objet qu'on aime<br />

Manquer d'empressement, ou s'engager affleurs.<br />

Indépendamment <strong>de</strong> <strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong> ce style, il y a<br />

même ici une sorte d'inconséquence. Si Ton suppose<br />

que les fleurs puissent être amoureuses, pourquoi,<br />

dans cette Action donnée, ne seraient-elles<br />

pas jalouses? Une fable allégorique où Fon représenterait<br />

<strong>la</strong> Rose se p<strong>la</strong>ignant <strong>de</strong> l'inconstance <strong>de</strong><br />

Zéphïre, manquerait-elle <strong>de</strong> vraisemb<strong>la</strong>nce? Enfin,<br />

pourquoi employer une trentaine <strong>de</strong> vers à entretenir<br />

les fleurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> mourirf attachée à<br />

<strong>la</strong> condition humaine?<br />

Plus heureuses que nous «TOUS <strong>mont</strong>es pour renaître.<br />

Tristes referions! inutiles souhaits!<br />

Quand une fols nous cessées iFêtre,<br />

Mmeèles irait, c'est pour Jouas.<br />

Ces quatre fers suffisaient <strong>de</strong> reste. F^unpoî<br />

ajouter :<br />

Un redoutable Instant m» détruit tant wêmwm;<br />

On se volt au <strong>de</strong>là qu'en obscur avenir i<br />

À peine <strong>de</strong> nos noms un léger souvenir<br />

, Parmi le» hommes se conserve.<br />

Uses estions pour toujours dans un profond repus,<br />

D'où nous a tirés <strong>la</strong> nature;<br />

Bans cette affreuse nuit qui mn$m%ê UM kérm<br />

Avec U lêeke et k parjure f<br />

Et doot tes fiers Destins, par <strong>de</strong> emeUes lots.<br />

Me <strong>la</strong>issent tort!? qu'une fois.<br />

Qu f Impoîte «a fknxs que le lâche soit confon<strong>du</strong><br />

avec le Mmsf On ne voit pas même l'à-propos <strong>de</strong><br />

ces lieui communs si usés, et qu'on peut adresser<br />

à tout autre objet qu'au jonquilles.<br />

Mais hé<strong>la</strong>s ! pour vouloir revivre,<br />

La vie est-elle un Mes si doux?<br />

Quand nous fermons tant, songeons-iMMis<br />

De combien <strong>de</strong> chagrins sa perte nous délivre?<br />

Elle s'est qu'un amas <strong>de</strong> craintes 9 <strong>de</strong> doutes» t<br />

De travaux f <strong>de</strong> soins et <strong>de</strong> peines.<br />

Four qui connaît les misères humaines.<br />

Mourir n'est pas le plus grand <strong>de</strong>s matheiiis.<br />

Cependant, agréables ieurs,<br />

Par <strong>de</strong>» liens honteux attachés à <strong>la</strong> vie y<br />

Elle fait seule tous nos soins t<br />

Et nous ne vous portons envie<br />

Qm p&r où nous <strong>de</strong>vons vous envier le moins.<br />

On n'aperçoit ni le but ni le mérite <strong>de</strong> ees réflexions<br />

si communes 9 en fers si <strong>la</strong>sefues et si rampants.<br />

Il n 9 y a <strong>de</strong> lion dans cette idylle que le commencement<br />

:<br />

Que votre Met est peu <strong>du</strong>rable f<br />

Charmantes fleurs, honneur <strong>de</strong> nos jardins!<br />

Souvent un Jour commence et fiait vos <strong>de</strong>stins,<br />

Et le sort le plus favorable<br />

Me vous <strong>la</strong>isse briller ope ieni ou trois mettes*<br />

L'idylle <strong>du</strong> ruisseau, quoique un peu plus soutenue<br />

par <strong>la</strong> diction, n'est pas moins défectueuse<br />

dans le choix et le rapport <strong>de</strong>s idées.<br />

Youa vous abandonnes mus remerêi, mm isrmr,<br />

A votre pente naturelle.<br />

Point <strong>de</strong> M me ta rend n'est nullement français.<br />

Mais d'ailleurs je - ne comprends pas qu'on dise à<br />

un ruisseau qu'il n'a ni remords ni ierrewr.<br />

- £a vitilfess* cha vous s'a ries qui fasse horreur.<br />

Qu'est-ce que <strong>la</strong> vktiksm d'un ruisseau?<br />

mile et mile poteons, dans votre sels iminfc.<br />

Me irons attirent point <strong>de</strong> cftofriM f sft mépris, .<br />

Vraiment* je le crois bien. Ces vers, dont i est<br />

assez difficile <strong>de</strong> <strong>de</strong>viner l'application» portent-Us<br />

sur le contraste implicite <strong>de</strong> k maternité» qui, mm<br />

le temps, détruit dans les femmes <strong>la</strong> beauté ftfeik<br />

a d'abord ren<strong>du</strong>eplus intéressante ? Mais eecMUraste<br />

n'est-il pas excessivement forcé?


SIÈCLE DE LOUIS XIV. - POESIE<br />

Jvee tant ® h fwd noua a donnée,<br />

Di »»iandnBéaiu.)oati^<br />

C^eonoerion ÛMém re<strong>la</strong>tif*» détruit se faire<br />

^JZTT, hP ^ N^Ile en est le fon<br />

flêmiat C^tim<strong>de</strong>safantages<strong>de</strong>l^lle<strong>de</strong>sOffea^<br />

Uur. Celles t pins <strong>de</strong> douceur et <strong>de</strong> grlee- iCL<br />

a pénètre en peu plis <strong>de</strong> poésie. 6grltoMi,ltw<br />

m iVeSf<br />

Et dans leurs hnnU<strong>de</strong>a paima<br />

l^wn® «tient ping ΀s Naïa<strong>de</strong>t cantlf w • •<br />

Mille «t muie oiseau* à <strong>la</strong> fois. *<br />

aurait a» nrSniô««„ éTZr_T rao « tarait an printemps font « ^ !r ^mnm<br />

m Famossï ne s'en mê<strong>la</strong>it pal.<br />

« «t l'âme <strong>de</strong> l'onlvers ;<br />

Pm '<br />

743<br />

Sfz tr2 " ^ï d ; p,us p^^ 6 ' « '» **>•<br />

na que le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> force qui convient à l'idylle.<br />

<strong>de</strong> te pièce est <strong>du</strong> même ton. Celle <strong>de</strong>s Moutons est<br />

encore supérieure puisqu'elle a un charme^uÏÏ<br />

gravée dans <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong>s amateurs. C'est là son<br />

Plus grand éloge et il me dispense d'en direX"*<br />

ftjîLïr ndre * f 8 <strong>de</strong>ux J° liw Myifc. celle<br />

nnJZT' ?"' MM Ies valoir ' «» PO^nt au<br />

moralités vagues, ne peuvent leur être comparées<br />

ni pour les pensées ni pour le style. On peut te<br />

Kit 8 " FkW ' * " U **•""• Ainsi! s J<br />

idylles qu, nous restent <strong>de</strong> madame Deshoulières, a<br />

iTJS? *? • 0Bt dW titW8 P 0 " M «*•»'»• M<br />

me semble qu'on peut y ajouter une églogue qu'on<br />

Ce <strong>de</strong>rnier irers est très-joli f et <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce<br />

w rapporte très-bien an commencement. L'mtew<br />

a dit i<br />

fi»t <strong>de</strong>s poésies <strong>de</strong> Deshoulières les éditeui <strong>de</strong>s<br />

Annale* poétUptet.<br />

8<br />

I StVÏ "J" tr0UVCT daM * ** lïont<br />

Ptepuatt à l'hiver on triomphe facile.<br />

Modalt d^Jà 1M nolU plot longues que teâ Joani •<br />

Quandta> beigen Iris, <strong>de</strong> mlltaappM or^^^ ,<br />

aegartanltosbntooMà<strong>de</strong>mldépoaiUé»-<br />

SrantonSf.ÏT'' dlt * lk ' ont •*"»


744 C0U1S DE LITTEMTTJ1E.<br />

IS voulut m*ensetgaer f selle herbe va pissant,<br />

Pour reprendre sa force, un troupeau <strong>la</strong>nguissant;<br />

Ce que fait le soleil <strong>de</strong>s brouM<strong>la</strong>rds qu'il attire.<br />

ITavatt-U ries, hé<strong>la</strong>i! <strong>de</strong> pins lions à me date?<br />

Ces ?ers ont, si je ne me trompe 9 tous les caractères<br />

<strong>de</strong> style bucolique 9 <strong>la</strong> naïveté <strong>de</strong>s sentiments,<br />

<strong>la</strong> douceur <strong>de</strong> <strong>la</strong> diction f et le choix <strong>de</strong>s détails analogues.<br />

La suite y répond 9 malgré quelques fautes ;<br />

et <strong>de</strong> cette églogue, <strong>de</strong>s trois idylles que j'ai préférées<br />

aux autres 9 et <strong>de</strong>s vers adressés à ses enfants f<br />

Dans ces prés fleuris, je composerais <strong>la</strong> couronne<br />

poétique et pastorale <strong>de</strong> madame Deshoulières.<br />

Bans ses autres poésies, on peut distinguer les<br />

vers à M. Case pour sa fête, On dU que je me suis<br />

pas bête; le ron<strong>de</strong>au qui commence par ces mots.<br />

Entre <strong>de</strong>ux draps; et quelques-unes <strong>de</strong> ses stances<br />

morales, celles-ci, par exemple :<br />

Les p<strong>la</strong>isirs sont amers Sabord qu'on es abuse.<br />

11 est bon déjouer un peu;<br />

Mais il faut seulement que le Jeu nous amuse.<br />

Un Joueur, d'un commun aveu,<br />

N'a rien d'humain que l'apparence;<br />

Et d'ailleurs il n'est pas si facile qu'on pente<br />

LVétre fort faohnéte homme et <strong>de</strong> Jouer gros Jeu.<br />

Le désir <strong>de</strong> gagner, qui nuit et Jour occupe t<br />

Est un dangereui aiguillon.<br />

Souvent, quoique l'esprit, quoique le cœur soit bon t<br />

On commence par être <strong>du</strong>pe t<br />

On finit par être fripon.<br />

Quel poison pour Fesprlt sont les fausses louanges !<br />

Heureux qui ne croit point à <strong>de</strong> f<strong>la</strong>tteurs dis<strong>cours</strong>!<br />

Penser trop bien <strong>de</strong> soi fait tomber tous les Jours<br />

En <strong>de</strong>s égarements étranges.<br />

L'tmour-propre est, hé<strong>la</strong>s î le plus sot <strong>de</strong>s amours :<br />

Cependant <strong>de</strong>s erreurs elle est <strong>la</strong> plus commune.<br />

Quelque puissant qu*on soit , en richesse, sa crédit,<br />

Quelque mauvais succès qu'ait tout ce qu'on écrit,<br />

Mai n'est content <strong>de</strong> sa fortune s<br />

NI mécontent <strong>de</strong> son esprit<br />

Les <strong>de</strong>ui <strong>de</strong>rniers fers <strong>de</strong> chacune <strong>de</strong> ces stances<br />

-ont ce mérite d'une vérité frappante, exprimée avec<br />

une précision Ingénieuse 9 qui fait les proverbes <strong>de</strong>s<br />

hommes instruits.<br />

On a reproché avec raison à Fontenelle d'avoir<br />

dans ses églogues trop peu <strong>de</strong> cette simplicité qui<br />

sied aux amours champêtres 9 et <strong>de</strong> cette élégance<br />

que le talent poétique sait unir à <strong>la</strong> simplicité. On<br />

voudrait qu'il mit à mieux faire ses vers tout le soin<br />

qu'il emploie à donner <strong>de</strong> l'esprit à ses bergers;<br />

qu'il songeât plus à f<strong>la</strong>tter l'oreille par <strong>de</strong>s sons<br />

gracieux 9 et moins à nous éblouir <strong>de</strong> <strong>la</strong> ûnesse <strong>de</strong><br />

ses pensées. Ses bergers en savent trop en amour9<br />

et il en sait trop peu en poésie. On est également<br />

blessé, et <strong>du</strong> prosaïsme <strong>de</strong> ses vers, et <strong>du</strong> raffinement<br />

<strong>de</strong> ses idées.<br />

Mol qui fus toujours rigoureuse,<br />

le ne Tétais presque plus que par art,<br />

Qu'afln <strong>de</strong> redoubler son ar<strong>de</strong>ur amoureuse.<br />

Puisqu'il m'a dû quitter, etel ! que Je suis heureuse<br />

Qu'il ne m'ait pas f Mille? as peu plut taré!<br />

Encore quelques soins, 1 n'était plus fassfife<br />

Que mon ceeur ne se rendit pas.<br />

Tm eusse été touchée , et maintenant, béats !<br />

Ce coeur regretterait d'avoir été sensible.<br />

réprouverais salle chagrins Jaloux.<br />

Quel péril J'ai couru ! cependant 9 abusée<br />

Par <strong>de</strong>s commencements trop doux f -<br />

le ne soupçonnais pas que f§fmme esepmée.<br />

le tremble encore en songeant aujourd^ul<br />

Que f ai pensé dire à MrtiJe<br />

La chanson que Je fis pour <strong>la</strong>i,<br />

Quoique à foire <strong>de</strong>s vers Je'ne sois pas habUe.<br />

La crainte que J'avais qu'elle M rat pas bkn f «te.<br />

Sont-ce là <strong>de</strong>s vers ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> prose rimée? Cest<br />

le cas <strong>de</strong> se rappeler <strong>la</strong> p<strong>la</strong>isanterie <strong>de</strong> Vdtaire, à qui<br />

Fontenelle reprochaltd'avoir mis trop <strong>de</strong> poésie dam<br />

son Œdipe : Ce<strong>la</strong> se peut Mm $ e# peur m'em c*rri§er,je<br />

vais relire vm pasiwaks.<br />

De <strong>la</strong> voix ie Baphné que <strong>la</strong> <strong>de</strong>ux mm use temcke I<br />

le ne peux plus souffrir Ue hêtet <strong>de</strong> cm êots.<br />

On sent aller au cœur ce qui wrt <strong>de</strong> m b&ucke,<br />

O dieux ! et J'entendrais s Tabne <strong>de</strong> cette voix!<br />

On ne peutguère parler <strong>de</strong> tendresse en plus mauvais<br />

vers. Un hémistiche aussi <strong>du</strong>r que le doux #©»<br />

WM t&ueke, pour exprimer <strong>la</strong> doeœufr <strong>de</strong> <strong>la</strong> voix!<br />

cette étrange expression 9 ce qui sort <strong>de</strong> m èomche,<br />

pour dire ses paroles! cette chiite si p<strong>la</strong>te 1 <strong>la</strong> in<br />

d'un vers passionné, <strong>de</strong> œUe mixf les Mtes <strong>de</strong> tes<br />

bois, quand II faut spéciier le chant <strong>de</strong>s oiseaux ! Que<br />

<strong>de</strong> fautes en quatre vers!<br />

rsâaialsf st fsl parlé. Mus h@mniagist mes soins<br />

Paraissent p<strong>la</strong>ire asses : mol-même 9 Je pa<strong>la</strong> moins.<br />

Elle n'aime <strong>de</strong> mol que cette ar<strong>de</strong>ur parfaite<br />

Qu'à quelque autre en secret peut-être elle souhaite.<br />

Qu'ai-J© dit? quel soupçon ! puisse-t-iî l'offenser I<br />

MsJa <strong>de</strong> mon âme au moins tâchons à le chasser.<br />

Enfin <strong>de</strong> ses mépris Je ne viens point m® p<strong>la</strong>indre ;<br />

Mais* hé<strong>la</strong>s! pour son coeur eUe n'a rien à craindre.<br />

Sa tranquille bonté regar<strong>de</strong> sans danger<br />

Un trouble qu'elle cause et ne peut partager.<br />

On fléchit les rigueurs t on désarme <strong>la</strong> haine;<br />

Mais comment sur<strong>mont</strong>er k douceur inhumaine ?<br />

Tout ce<strong>la</strong> n'est-il pas beaucoup trop subtil pour<br />

<strong>de</strong>s amants <strong>de</strong> vil<strong>la</strong>ge? Adraste veut convaincre<br />

Hy<strong>la</strong>s que Climène aime Ligdamis.<br />

Nous éUons Pautre Jour, sons Forme <strong>de</strong> Silène,<br />

Une asses §rmm tr&upe où m trouva Cttmène.<br />

Oo loua Ligdamis t chacun en dit <strong>du</strong> bien :<br />

Prends bien gar<strong>de</strong>, berger, seule elle s'est dit rien.<br />

Dès que d'un tel dis<strong>cours</strong> on eut fait FmÊWrtmn,<br />

Elle se détourna, rujmtamt m coiffure,<br />

Où Je ne voyais rkn quifêi à rajuster,<br />

Et fiUgnlt cependant <strong>de</strong> ne pas écouter.<br />

Une soubrette <strong>de</strong> comédie, ne penserait pas plus<br />

<strong>la</strong>emeut, et s'exprimerait en vers plus soignés.<br />

mjhËf^mi$Mmêrmds;^AimmMm§mMMwm<br />

ironie:<br />

le remporte une gran<strong>de</strong> victoire !<br />

Une belle est sensible, et tu veex bien te eraiss.<br />

Ce <strong>la</strong>ngage est plutôt d'un petiHnaftre que d'un


erger : les frais bergers ne parlent pas si légèrement<br />

<strong>de</strong>s belles. Il est vrai que les bergères <strong>de</strong> Fou*<br />

tenelle sont quelquefois un peu coquettes, et il faut<br />

bien qu'elles le soient, puisque leurs amants 6ont si<br />

habiles. Florise donne à Silvie <strong>de</strong>s leçons <strong>de</strong> <strong>la</strong> eoquetterie<br />

<strong>la</strong> plus sa?ante :<br />

J'évite <strong>de</strong> n'avoir qu'une même ©ondalte :<br />

Met iaveers pour Thamire ont un air Inégal i<br />

fe le prends à danser <strong>de</strong>ux ©e trois fois <strong>de</strong> raltf »<br />

Mils après Je prends son rival.<br />

SIÈCLE DE LOB» XI?. — POtSBB.<br />

De ces défauts 9 qui dominent trop dans les églo*<br />

gués <strong>de</strong> Fontenelle $ il ne s'ensuit pas qu'elles ne méritent<br />

aucune estime. Plusieurs se lisent a?ee p<strong>la</strong>isir,<br />

particulièrement <strong>la</strong> première f <strong>la</strong> neutième; et <strong>la</strong><br />

diiïème. Bans les autres, il a une délicatesse spirituelle<br />

qui peut p<strong>la</strong>ire y pourvu qu'on oublie que <strong>la</strong><br />

scène est au Til<strong>la</strong>ge ; et qu'on fasse souvent grâce à<br />

<strong>la</strong> Yersiication. Mais dans les trois que je cite, il<br />

nous ramène <strong>de</strong> temp en temps à un ton plus vrai,<br />

et saisit dans l'amour <strong>de</strong>s nuances qui ne s'éloignent<br />

point <strong>de</strong>s couleurs locales» Alcandre, dont <strong>la</strong> mat*<br />

tresse est absente pendant qu'on célèbre une Cite<br />

au hameau, s'eiprime ainsi, seul et à l'écart ;<br />

Quoi* Jours! quelle tristesse S et Foo poseàiesiitseS<br />

On danse m ee hameau ! Que Je me tiens heureux<br />

D'être M solitaire, éloigné <strong>de</strong> m Jeu l<br />

Et qu'y feraJs-Je? Quoi ! Je peunrals voir Dotidt $<br />

De louanges loojoars et <strong>de</strong> doweurs avi<strong>de</strong>.<br />

Et Madoste t qui croit qu'Iris ne <strong>la</strong> vaut pas v<br />

Et Stèle, qui Jamais n s a Imè ses appas,<br />

T briller en sa p<strong>la</strong>n $ y triompher <strong>de</strong> Joie $<br />

G&àtm Mm le bonheur que le sort vous envoie,<br />

Bergères t Jouisses <strong>de</strong> mille f « offerts $<br />

Dans l'absence d f Irls les moments vous sont ê « ;<br />

Qu'elle eût orné ces Jem ! que i'vsmx tournés mr elle I<br />

Et qu'on m'eût ren<strong>du</strong> 1er en <strong>la</strong> trou?sut si selle I<br />

Elle eût mis cet habit qu'elle-même t Hé,<br />

CheM'eravre <strong>de</strong> ses doigts qu'on n f a point égalé.<br />

Souvent t à cet ouvrage on peu trop attachée,<br />

11 semb<strong>la</strong>it <strong>de</strong> mon chant qu'elle fût moins touchée»<br />

11 est vrai cependant quet pour mieux n'écouter,<br />

La belle quelquefois vou<strong>la</strong>it bien le quitter.<br />

Elle aurait mis en sonda sa longue chevelure;<br />

La JonquUleà ces nœuds eût servi <strong>de</strong> parure.<br />

Elle est jaune f Iris ©ruse : et sans doute l'emploi<br />

De caillllr cette fleur M regardait que mol.<br />

PesMtre dans ces Jeux elle eût bien voulu mxmém<br />

Le moment d'un regard mystérieux et tendre<br />

Qu'avec un air timi<strong>de</strong> elle m'eût adressé ;<br />

Et <strong>de</strong> tous mes tourments J'étais récompensé.<br />

Pentrétre qu'à l'écart, al Je l'eusse trouvée,<br />

D'une troupe Jalouse un peu moins observée,<br />

Elle m'eût en fuyant dit quelques mots tout bat<br />

avec sa douce voix et m dos* «sbarnt, etc.<br />

Ces <strong>de</strong>m <strong>de</strong>rniers vers sont d'une Ingénuité<br />

•moureuse, et tout ce morceau respire <strong>la</strong> tendresse<br />

pastorale. Mais cette églogue f qui ne contient que<br />

les p<strong>la</strong>intes d 9 Alcandre sur une absence, <strong>la</strong>it un<br />

peu froi<strong>de</strong>ment; et peut4tre eût-il fallu quelque<br />

inci<strong>de</strong>nt qui <strong>la</strong> terminât, car il faut toujours une<br />

espèce d'action dais toute poésie » qui M rapproche<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> forme dramatique.<br />

74i<br />

Lisidas, dans k fécon<strong>de</strong> églogue, parle <strong>de</strong> l'indifférente<br />

Si? anire ;<br />

Souvent contre fàrnoor, même contre aa mère,<br />

Contre tmàmmèk Jreojw adorée m Cythtaa-,<br />

Elle tient <strong>de</strong>e diaeoiirt offensants et hardis s<br />

le eerafs bien fâché <strong>de</strong> ks noir redits.<br />

Ce <strong>de</strong>rnier fera est un <strong>de</strong> ces traits propres à<br />

Téglogue : on les compte chez Fontenelle. Dans <strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>rnière f qui est <strong>la</strong> plus Jolie après celle dismène f<br />

Iris dit i son amant, en lui par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux bergères<br />

qu'elle soupçonne d'inidélité :<br />

€royef-¥ous que, pour être et fidèle et sincère t<br />

On en trouve toujours autant dans sa berge»?<br />

Damon y gagnerait : nom tommes tous témoins<br />

Combien à Tlmaretle 1! a ren<strong>du</strong> <strong>de</strong> 'soins.<br />

L'antre Jour cependant elle vint par danfièr*<br />

Au lier et beau Thamlre oter sa panetière.<br />

Pamon était présent ; elle ne lut dit rien.<br />

Pour moi, <strong>de</strong> leurs amours Je n'augurai pat bien.<br />

Ces tours-là ne te font qu'au berger que Fon aime;<br />

Vous vous p<strong>la</strong>lndrles bien , il f «a usais <strong>de</strong> même.<br />

Un croit que Ustdor a lien d'être content :<br />

fat vu pourtant Alptriee, elle qui fi<strong>la</strong>» tant,<br />

A qui Daphnis mettait ses longs eheveui en tressa.<br />

La belle avait un air <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngueur,


746<br />

C0U1S DE UtTÉMTUlE. '<br />

Je veux Mes irons promettre une amitié plus tendre<br />

Que M «mit l'amour que ¥©ui pourriez prétendre,<br />

Pons passerons Ses Jouis dans nos doux entretient;<br />

If os troupeau me leront aussi etaers que les miens.<br />

Si lie vos fratts pour mot irons cueillez les prémices t<br />

Tous aurai <strong>de</strong> ces leurs dont Je fais mes délices.<br />

Notre amitié peut-être aura l'air amoureux ;<br />

Mais n'ayons polntit'amour. il est trop dangereux.<br />

Dieux ! disait le oerger, quelle est ma récompense?<br />

Tous ne me marquerez aueune préférence.<br />

Avec cette amitié dont vous f<strong>la</strong>ttez mes maux t<br />

Tous vous p<strong>la</strong>irez encor au'chaut <strong>de</strong> met rit au.<br />

Je ne cousais que trop ¥otre humeur comp<strong>la</strong>isante.<br />

Tous aurez tve€ eux <strong>la</strong> douceur qui m'enchante ,<br />

El ces vifs agréments, et ces souris <strong>la</strong>tte»»<br />

Que <strong>de</strong>?raiesI ignorer tous les autres pasteurs.<br />

Ah ! plutôt mille fois.... Mon, sou, répondait-elle ?<br />

Ismèoe à vos yeux seuls voudra paraître Mie.<br />

Ces légers agréments que tous m f a¥ez trouvé*,<br />

Ces obligeants souris ¥ous seront réservés,<br />

le n'écouterai point sans contrainte et sans peine<br />

Les chants <strong>de</strong> vos rivaux} fussent-ils pleins cfîssaèm<br />

Tous serez satisfait <strong>de</strong> mes rigueurs pour eux.<br />

Mais n'ayons point d'amour : Il est trop dangereux.<br />

Eh bien! reprenait-Ilf ce sera mon partage<br />

D'avoir sur mes rivaux quelque faible avantage.<br />

Tous savez que leurs cœurs vous sont moins assuréi,<br />

Moins acquis que le mien t et vous me préférez;<br />

- Toute autre l'aurait fait : mais enfin, dans rateeoos,<br />

Tous n'aurez <strong>de</strong> me voir aucune impatience.<br />

Tout ¥Ous pourra fournir un assez doux emploi,<br />

Et ¥oua trou¥erez Mao k fin <strong>de</strong>s jours sans mol.<br />

Tous me connaissez mai, ou vous'feignez peut-être f<br />

Dit elle tendrement, <strong>de</strong> ne me pas connaître.<br />

Croyez-moi f CorUas, Je n'ai pas le bonheur<br />

De regretter si peu ce qui f<strong>la</strong>tte mon cœur.<br />

Tous partîtes d'iei quand <strong>la</strong> moisson fut faite;<br />

Et qui ne s'aperçut que fêtais inquiète?<br />

La Jalouse Dorts, pour me Se reprocher,<br />

Parmi trente pasteurs ¥lnt exprès me eherenet.<br />

Que J'en sentis contre elle une vive colère!<br />

On vous Fa assolé : n'en faites point mystère.<br />

Je sate combien l'absence est un temps rigoureux.<br />

Mais n'ayons point d'amour : 11 est trop dangereux.<br />

Qu'aurait dit davantage une bergère amante?<br />

Le mot d'a<strong>mont</strong> manquait ; Ismène était contente.<br />

A peine le berger en espérait-if tant ;<br />

Mais, sans le mot d'amour, Il n'était pas content<br />

Enhn, pour obtenir ce mot qu'on lui refuse,<br />

11 songe-à se servir d'une innocente ruse.<br />

11 ¥ous faut obéir, Iiméne, et, dès ce Jour,<br />

Dit-Il en soupirant, ne parler plut d'amour.<br />

Puiiqu'à votre repos l'amitié ne peut nuire,<br />

A <strong>la</strong> simple amitié mon créer va se ré<strong>du</strong>ire.<br />

Mata <strong>la</strong> jeune Boris , vous n'en sauriez douter,<br />

Si J'étais son amant, fsnirajt bien m'écouttr.<br />

Ses yeux m'ont dit cent fois : CorUas, quitte Ismène;<br />

Tiens let t Cort<strong>la</strong>s, qu'un doux espoir t'amène.<br />

Mais Ses yeux let plus beaox m'appe<strong>la</strong>ient valsotteiit,<br />

Faimais Ismène alors comme un fidèle amant<br />

Maintenant cet amour que voire ceeor rejette,<br />

Ces sotiis trop empressés, cette ar<strong>de</strong>ur Inquiètev<br />

le les porte à Boris t et Je gar<strong>de</strong> pour ¥ous<br />

Tout m que l'amitié peut avoir <strong>de</strong> plus doux.<br />

Tous ne me dites rien? Ismène, à ce <strong>la</strong>ngage<br />

Demeurait Interdite, et changeait <strong>de</strong> visage.<br />

Pour cacher ta rougeur, elle voulut en Tain<br />

Se servir avec art d ? un voile ou <strong>de</strong> sa main :<br />

Elle n'empêena point son trouble <strong>de</strong> paraître.<br />

Eh ! quels énormes alors le berger vit-il naître !<br />

Cort<strong>la</strong>ss lui dit-elle en détournant les yeux,<br />

Nous <strong>de</strong>vions fuir l'amour, et c'eût été le mieux.<br />

Mali, puisque l'amitié ¥0us parait trop paisible,<br />

Qu'a moins que d'être amant, vont êtes Insensible,<br />

Que <strong>la</strong> fidélité n'est ettoi •mis fofè ce pris »<br />

le m'expose à l'amour, et n'aimez point Doria.<br />

Parmi les poésies mêlées <strong>de</strong> Fontenelle, qui sont<br />

presque toutes mauvaises y on îmum trois pièeet<br />

qui méritent d'être conservées : k Porirml <strong>de</strong> drnrice,<br />

k sonnet <strong>de</strong> Daphnê, et cet apologue <strong>de</strong> ÏAr<br />

momr et <strong>de</strong> l'Honneur, qui est peut-être <strong>la</strong> plus ingénieuse<br />

<strong>de</strong> ses pièces détachées.<br />

Dans l'âge d'or, que Fon nous vante tant,<br />

Où l'on aimait sans lois et sans contrainte t<br />

On croit qu'Amour eut us règne éc<strong>la</strong>tant<br />

€*e§i une erreur ; il fut il peu content,<br />

Qu'à Jupiter II porta cette p<strong>la</strong>inte :<br />

J'ai <strong>de</strong>s sujets, mais Ma sont trop soumis*<br />

Dit-Il ; Je règne, et Je n'ai point <strong>de</strong> gloire.<br />

J'aimerais mieux dompter <strong>de</strong>s ennemis :<br />

Je ne ¥eux plus d'empire tans victoire,<br />

à ce dis<strong>cours</strong>, Jupln rive et pro<strong>du</strong>it<br />

L'austère Honneur, époasaotait <strong>de</strong>s bellei,<br />

lieaf d'Amour, ef chef êe ses reneMes,<br />

Qui peut beaucoup avec un peu <strong>de</strong> brait<br />

L'enfant mutin le considère en face,<br />

De près, <strong>de</strong> loin ; et pois t faisant us saut t<br />

Père ios dieux, dit-Il, Je te rends grâce;<br />

Tu m'as fait là le monstrj qu'il me faut<br />

J'ai rapporté ailîitt» M $mmi <strong>de</strong> mpkmé; wm&<br />

k Portrait <strong>de</strong> Ctorkn :<br />

Fespèra que Ténus m s'en fâchera pas;<br />

Assez peu <strong>de</strong> beautés m'ont para redoutables,<br />

le ne suis pas <strong>de</strong>s pins aimables ?<br />

Mais Je sais <strong>de</strong>s plus délicats.<br />

J'étais dans Fige ou règne <strong>la</strong> tendresse t<br />

Et mon otrar n'était point touché.<br />

Quelle honte ! 11 fal<strong>la</strong>it Justifier sans cesse<br />

Ce ceeor oisif qui m'était reproché;<br />

le disais quelquefois : Qu'on me trouve un visage<br />

Par <strong>la</strong> simple nature uniquement paré,<br />

Dont <strong>la</strong> douceur soit tfve, et dont l'air vtf soit stfje. »<br />

Qui ne promette rien, et qui pourtant engage :<br />

Qu'on me le trouve f et f aléserai<br />

€• qui serait encor bien nécessaire,<br />

Ce serait un esprit qui pensât finement<br />

Et qui crût être un esprit ordinaire t<br />

Timi<strong>de</strong> sans sujet, et par là plus càarmaat ;<br />

Qui ne fût se <strong>mont</strong>rer M se cacher sans p<strong>la</strong>te :<br />

Qu'on me le trouve, et Je <strong>de</strong>viens amant<br />

On n v est pas obligé <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> Mesure<br />

Dans les souhaits qu'on peut former :<br />

Comme en aimant Je prétends estimer, .<br />

Je voudrais Menencore un «sur plein <strong>de</strong> droltaf*,<br />

Tertaeux sans rien réprimer,<br />

Qui n'eut pas besoin <strong>de</strong> s'armer<br />

D'une sagesse austère et <strong>du</strong>re y<br />

Et qui <strong>de</strong> l'ar<strong>de</strong>ur Sa pins pure<br />

Se pût une fois en<strong>la</strong>mmer :<br />

Qu'on me le trouve t et Je promets Calmer.<br />

Par ce* conditions J'effrayais tout le mon<strong>de</strong> t<br />

Chacun me promettait une paix si profon<strong>de</strong>.<br />

Que J'en serais moi-même embarrassé.<br />

le ne voyais point <strong>de</strong> bergère<br />

Qei, d'un air un peu coorrottoi,<br />

Ne m'en¥oyât à ma entmère.<br />

le ne sais cependant comment l'Amour a fait ;<br />

Il faut qu'il ait longtamp médité son projet;<br />

Mais enfln il est sur qui! m'a temvé dattes,<br />

Semb<strong>la</strong>ble à mon idée, ayant les mêmes traits :<br />

le crois pour mol qui 1 me Fa faite exprès.<br />

Oh ! que l'Amour a<strong>de</strong> npltoi!


SIÈCLE DE LOUIS XIV. — POÉSIE.<br />

Ces trois p<strong>la</strong>ces talent mieux que <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong><br />

celles <strong>de</strong> plusieurs poêles qui ont songer?é jusqu'à<br />

nos jours <strong>la</strong> réputation d'écrivains agréables, tels<br />

que <strong>la</strong> Faref Chariots! , Laines, Ferrand, Pavillon,<br />

Régnier-Besmarests, et quelques autres, distingués<br />

comme eux en différents genres <strong>de</strong> poésie légère,<br />

et dont pourtant il ne reste dans <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong>s<br />

connaisseurs qu'un très-petit nombre <strong>de</strong> morceaux<br />

choisis. Les madrigaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sablière sont d'une<br />

ga<strong>la</strong>nterie aimable, et ont mène quelquefois l'expression<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> sensibilité. Mais Gbaulieu a passé <strong>de</strong><br />

bien loin tous ces écrivains ; il est le seul qui ait<br />

cesser?ê un rang dans on genre où tous ceux qui<br />

s'y étaient exercéscomme lui sont <strong>de</strong>puis longtemps<br />

confon<strong>du</strong>s pêle-mêle, et comme entièrement éclipsés<br />

par <strong>la</strong> prodigieuse supériorité <strong>de</strong> Voltaire, qui, <strong>de</strong><br />

Ta?eu même <strong>de</strong> l'envie, ne permet aucune comparaison.<br />

Ghaulleu <strong>du</strong> moins, malgré <strong>la</strong> distance où<br />

il est resté, est encore et sera toujours lu. Ce n'est<br />

pas un écrifsia <strong>du</strong> premier ordre, et ce même Voltaire<br />

fa très-bien apprécié dans le Tempk <strong>du</strong> GoM,<br />

en l'appe<strong>la</strong>nt le premier <strong>de</strong>s poètes négligés. Mais<br />

c'est un génie original, un <strong>de</strong> ces hommes favorisés<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, et qu'elle avait réunis en foule pour<br />

<strong>la</strong> gloire <strong>du</strong> siècle <strong>de</strong> Louis XIV. 1 était né poète,<br />

et. sa poésie a un caractère marqué : c'était un mé<strong>la</strong>nge<br />

heureux d'une philosophie douée et paisible,<br />

et d'une imagination riante. Il écrit <strong>de</strong> verve, et<br />

tous ses écrits sont <strong>de</strong>s épanchements <strong>de</strong> son âme.<br />

On y voit les négligences d'un esprit paresseux,<br />

mais en même temps le bon goût d'un esprit délicat,<br />

qui ne tombe jamais dans cette affectation,<br />

premier attribut <strong>de</strong>s siècles <strong>de</strong> déca<strong>de</strong>nce. H a <strong>de</strong><br />

l'harmonie, et ses vers entrent doucement dans l'oreille<br />

et dans le cœur. Quel charme dans les stances<br />

74?<br />

peuvent dédommager d'Ut long verbiage on d'un<br />

jargon pré<strong>de</strong>ux et maniéré I<br />

Voltaire a dit avec raison qu'il n'y avait point <strong>de</strong><br />

peuple qui eût un aussi grand nombre <strong>de</strong> jolie*<br />

chansons cpt le peuple français; et ce<strong>la</strong> doit être,<br />

s'il est irai qu'il n f y en a pas <strong>de</strong> plus gai. Cette<br />

gaieté a été surtout satirique ou ga<strong>la</strong>nte, Quant à<br />

<strong>la</strong> satire, les couplets qu'elle a dictés sont partout :<br />

on les trouvera particulièrement dans un recueil en<br />

quatre volumes, publié <strong>de</strong> nos jours, où Ton a imaginé<br />

<strong>de</strong> rappler et <strong>de</strong> caractériser les événements<br />

et les personnages <strong>du</strong> <strong>de</strong>rnier siècle par les chansons<br />

dont ils ont été le sujet. Cette idée est prise<br />

dans le caractère français ; on a*sursit pas imaginé<br />

chez les Romains, ni même chez les Athéniens,<br />

aussi légers que les Romains étaient sérieux, <strong>de</strong><br />

trouver leur histoire dans leurs chansons. Celles<br />

d'Horace et d ? Anacréon n 9 ont pour objet que leurs<br />

p<strong>la</strong>isirs et leurs amours; et les guerres civiles et<br />

les proscriptions n f ont point été chez les anciens<br />

<strong>de</strong>s sujets <strong>de</strong> vau<strong>de</strong>ville. Salvien, il est vrai, a dit<br />

<strong>de</strong>s Germains, qu'ils conso<strong>la</strong>ient leurs infortunes<br />

par <strong>de</strong>s chansons f ; mais il ne fait entendre in aucune<br />

manière que ces chansons fussent <strong>de</strong>s épigrammes;<br />

et <strong>la</strong> gravité, <strong>de</strong> tout temps natif relie<br />

aux Germains, ne permet pas <strong>de</strong> le supposer. Chez<br />

nous, <strong>la</strong> Ligue et <strong>la</strong> Fron<strong>de</strong> irent éclore im miliers<br />

<strong>de</strong> satires en chansons % et <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong> celles<br />

qui nous restent <strong>de</strong> cette folle guerre <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fron<strong>de</strong><br />

sont pleines d'un sel qu'on appellerait le sel français,<br />

si nous étions <strong>de</strong>s anciens; car notre vau<strong>de</strong>ville<br />

est vraiment national, et d'une tournure êjtfca<br />

ne retrouverait pas ailleurs. Le refrain le plus commun,<br />

le dicton le plus trivial a souvent fourni les<br />

traits les plus heureux. Ceux <strong>de</strong>s chansons <strong>du</strong> temps<br />

sur <strong>la</strong> Soiiêwk <strong>de</strong> Fomtemay, sur <strong>la</strong> Retmite, sur <strong>de</strong> Louis XIV ont plus <strong>de</strong> inesse et <strong>de</strong> grâce que<br />

se GmMel Son o<strong>de</strong> sur ilm&mstanœ est <strong>la</strong> chanson ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fron<strong>de</strong>, et le sel en est moins acre. Mais<br />

<strong>du</strong> p<strong>la</strong>isir et <strong>de</strong> <strong>la</strong> gaieté. Il a même <strong>de</strong>s morceaux quoi <strong>de</strong> plus gai, par exemple, que ce couplet con­<br />

d'une poésie riche et bril<strong>la</strong>nte. Mais ce qui domine tre Yilleroii sur le refrain si connu, Fmdâme,<br />

surtout dans ses écrits, c'est <strong>la</strong> morale épicurienne Fendômef<br />

et le goût <strong>de</strong> <strong>la</strong> volupté. Les p<strong>la</strong>isirs dont il jouit<br />

•m«rot,<br />

ou qu'il regrette sont presque toujours le sujet <strong>de</strong><br />

VUteroi,<br />

ses ?ers. 11 a très-bonne grâce à nous en parler, 4 fort btes §er?t te roi-.<br />

GmErnsm, GsUtniM<br />

parce qu'il les sent; mais malheur à qui n'en parle<br />

que pour paraître en avoir 1 Ses madrigaux sont T a-t-il une rencontre plus heureuse, et une chute<br />

pleins <strong>de</strong> grâce. 11 tourne fort bien l'épigramme. plus inatten<strong>du</strong>e et plus p<strong>la</strong>isante? Et cet autre sur<br />

Et, si l'on peut retrancher sans regret quelques* le même général 9 fait prisonnier dans Crémone :<br />

unes <strong>de</strong> ses poésies, qui n'aimerait mieux a?oir<br />

NsaaiMeii t <strong>la</strong> wmmWê «t Beeae 9<br />

fait une douzaine <strong>de</strong> ces pièces pleines <strong>de</strong> sentiment Et notre bonheur sâas épi :<br />

et <strong>de</strong> philosophie que <strong>de</strong>s ?olumes entiers <strong>de</strong> ces Mous aie» feœiiTîé Oénant »<br />

poésies, aujourd'hui si communes, dont les auteurs Et perds ootre générai<br />

. semblent trop' persuadés que quelques jolis vers<br />

1 C&nêilmmi^MfmnmtmMi&Mim*


748 C0U1S DE UTTEIATUIE.<br />

Ce tour d'esprit est toujours le même es France Y et<br />

n'a rien per<strong>du</strong> <strong>de</strong> eus jours : témoin ce couplet sur <strong>la</strong><br />

déroute <strong>de</strong> Rôsbaeh 9 si prompte et si impréfue ; et<br />

d'est encore îei <strong>la</strong> parodie d'us refrain popu<strong>la</strong>ire trèsbien<br />

appliqué; c'est le général fui parle :<br />

jttefij mtrcmêi.jmii,<br />

§mi ùvkj@mm <strong>de</strong> <strong>la</strong> semmim :<br />

Je m'assemb<strong>la</strong>i le mardi ;<br />

Mercredi, Je fus m p<strong>la</strong>ts®;<br />

Je fas batte le Jeudi<br />

Mawii9 merertMg sis.<br />

En un mot, on peut assurer qu'il n f j a pas eu en<br />

France un seul éfénement publie, <strong>de</strong> quelque nature<br />

qu'il fdt, qui n ? ait été <strong>la</strong> matière d 9 un couplet; et le<br />

Français est le peuple chansonnier par excellence*<br />

11 n'y a dans toute son histoire qu'une seule époque<br />

où il Q ? ait pas chansonné, c'est celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> terreur :<br />

mais aussi ce n'est pas une époque humaine 9 puisque<br />

ni les bourreaux ni les vietimes n'ont été <strong>de</strong>s<br />

hommes; et dès qu'on a cessé d'égorger, le Français<br />

a recommencé à chanter.<br />

Il est à remarquer que cette facilité à faire <strong>de</strong>s<br />

chansons est une sorte d'esprit tellement générale,<br />

et powainsi dire endémique 9 que9 dans cette multitu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> jolis couplets <strong>de</strong> tout genre qui ont été retenus<br />

f le nom <strong>de</strong>s auteurs a le plus sent est échappé à<br />

<strong>la</strong> mémoire. Tant <strong>de</strong> personnes en ont fait et peu¥ent<br />

en faire ! Boiieau accordait ce talent mime â Lînière.<br />

D'ailleurs les chansonniers <strong>de</strong> profession n 9 ont pas<br />

été renommés. Les Hagaesier, les Teste f les Ter*<br />

gier, et autres <strong>du</strong> même métier, ne sont pas ceux<br />

qui brillent dans DOS recueils; et nos chansons les<br />

mieux faites sont <strong>de</strong> ces bonnes fortunes <strong>de</strong> société<br />

que tout homme d'esprit peut a?oir ; et beaucoup en<br />

ont eu <strong>de</strong> cette sorte.<br />

La chanson ga<strong>la</strong>nte et amoureuse a?ait; dans le<br />

<strong>de</strong>rnier siècle, plus <strong>de</strong> simplicité 9 <strong>de</strong> sentiment, et<br />

<strong>de</strong> grâce; elle a eu dans le nôtre plus d'esprit et <strong>de</strong><br />

tournure. Je ne sais si Ton pourrait citer une chanson<br />

<strong>de</strong> ce siècle aussi tendre et aussi mmw§ que<br />

celle-ci:<br />

NN DO niMlXl YOLUMX.<br />

De TOI berger vo<strong>la</strong>ge,<br />

l'entends le f<strong>la</strong>geolet;<br />

De ce nouvel hommage<br />

le ne mil plus f objet<br />

le l'entends qui fredonne<br />

Pour eue entre que moi.<br />

Hé<strong>la</strong>s ! que fêtais bosse<br />

De lui donner ma fol!<br />

âstwfotal'<strong>la</strong>ftdèto<br />

Faisait dire à l'écho<br />

Que f étals <strong>la</strong> plus Mie<br />

Des liles <strong>du</strong> hameau ;<br />

Que fêtais sa bergère;<br />

Qu'il était moû berger;<br />

Qoe je serais légère<br />

Sans qu'il <strong>de</strong>vint léger.<br />

Un Jour (c'était ma fête)<br />

11 Tint <strong>de</strong> grand matin.<br />

De fleurs ornant ma tête,<br />

11 p<strong>la</strong>ignait son <strong>de</strong>stin.<br />

Il dit ; Yeux-tn, cruelle,<br />

feule <strong>de</strong> mes tourments?<br />

le dis : Sols-mol Adèle,<br />

Et <strong>la</strong>issa fate m temps.<br />

Le printemps qui elt naître<br />

8es vo<strong>la</strong>ges ar<strong>de</strong>urs,<br />

Les a vu disparaître<br />

Aussitôt que les fleurs.<br />

Mais, s'il ramène à Flore<br />

Les inconstants léphyn 9<br />

He pourrait-il essore<br />

Ramener ses' désirs?<br />

11 y a dans cette chanson une Mène f use courersatf<br />

on et un tableau ; et comme tout est précis f quoique<br />

tout soit si loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> sécheresse! Le troisième<br />

couplet surtout est charmant, et <strong>la</strong> ctunson entière<br />

est un modèle en ce genre.<br />

Je citerai encore us couplet très-Moi dît et heau»<br />

coup moins connue L'idée en est très-ingénieuse f<br />

et <strong>la</strong> tournure intéressante* H est <strong>de</strong> madame <strong>de</strong><br />

Murât.<br />

FaeMl être tant ee<strong>la</strong>fef<br />

M-je dit au doux p<strong>la</strong>isir.<br />

Tu nous fuis y <strong>la</strong>s 1 quel éemmafe!<br />

Dès qu'on a cm ta saisir.<br />

Ce p<strong>la</strong>isir tant regrettable<br />

Mt répond : Rends grâce au ileai :<br />

S'ils m'afaient Mî pins <strong>du</strong>rable,<br />

lis m'auraient gardé pour eux.


TABLE<br />

DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE PREMIER VOLUME.<br />

Pages.<br />

Nonca Moftraphiqiie et littéraire sur <strong>la</strong> Harpe. . . 1<br />

PEBYACI <strong>de</strong> Fauteur B<br />

lfmosucnim. — Notions générâtes ser Fart d'écrire<br />

, sur k réalité el <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> cet art, sur<br />

<strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s préceptes, sur FalMaiiee <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie<br />

et <strong>de</strong>s arts <strong>de</strong> llmaglniitlnii, sur Faeeeptien<br />

dêt mots <strong>de</strong> §sût et <strong>de</strong> §énlê 7<br />

PREMIÈRE PARTIE. — AHCinis.<br />

LIVRE PREMIER. — Pois». 17<br />

CsAFiTiii raima. Analysa <strong>de</strong> <strong>la</strong> Poéttqvê d'à*<br />

rUtQtÊ iMd.<br />

CHAP. H. Analyse <strong>de</strong> Traité in SmèUwm <strong>de</strong> Long<strong>la</strong>.<br />

• M<br />

CHAI», m. De <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue française comparée am<br />

<strong>la</strong>ngées endémies 37<br />

CBâP. IV. De <strong>la</strong> poésie épique cfaes les anciens. . 50<br />

SECTIOM mmmÈMM, De Fépopée greofee (Md.<br />

Homère et fliiméê 55<br />

VOd^méê 85<br />

SECT. IL De l'épopée <strong>la</strong>ilua 88<br />

Lneain • • » 71<br />

SECT. m. Appendice sur Hésio<strong>de</strong>, Ofi<strong>de</strong>, Le»<br />

créée et Manilius * 77<br />

CiàK T. De <strong>la</strong> tragédie ancienne • §0<br />

SECTIOM Plumât!. Idée générale sur <strong>la</strong> théâtre<br />

<strong>de</strong>s anciens » iMd.<br />

SECT. II. D'Eschyle. *»...... 81<br />

SECT. EL De Sophocle. • • . . . 90<br />

SECT. HT. D'Euripi<strong>de</strong> 113<br />

AmmiicB snr <strong>la</strong> tragédie <strong>la</strong>tine .«.*.. * * . . lis<br />

CaàP. *¥!. De <strong>la</strong> comédie ancienne 127<br />

Bwcmm wmmiimm* De <strong>la</strong> comédie greeqne. . . iMd.<br />

SECT. H. De <strong>la</strong> comédie <strong>la</strong>tine 139<br />

CBAP. ¥11. De <strong>la</strong> poésie iyriqée étiez les an<strong>de</strong>ns<br />

147<br />

Sienon mmiÈmm, Des lyriqnes grecs iMd.<br />

SUT. II. D'Horace. ....... 152<br />

CMAP. VDL De <strong>la</strong> poésie pastorale et <strong>de</strong> <strong>la</strong> fable<br />

cbet les anciens ISS<br />

Sacnoif PUBiîims. Pastorales. . . . .• iMd.<br />

Sur. H. De <strong>la</strong> fable *• 15g<br />

CiâF. IX. De <strong>la</strong> satire an<strong>de</strong>nne 157<br />

SBCTION piinÊai. Parallèle d'Horace et <strong>de</strong><br />

Juiénal iHd.<br />

Sur. M. De Perse et <strong>de</strong> Pétrone lêê<br />

Sur. m. De répigramme et <strong>de</strong> FiaseriptioiL . lit<br />

Papa.<br />

Cw. X. DeFéMg§ê et<strong>de</strong><strong>la</strong>poésle érotispi ehei<br />

les anciens 170<br />

Catulle ;...»....:.. iMd.<br />

Ofi<strong>de</strong> 171<br />

Properce ... . 174<br />

Ttbelïê. ' 175<br />

DISCOURS scm ii wmrn mm MOUE» m L'ISrarr<br />

BES OTUS SAurts. » # 177<br />

Des Psàiwra et <strong>de</strong>s Wmmmûmm§ ccosMérés<br />

d'abord comme ©swages <strong>de</strong> poésie. » # . # ièiê.<br />

De L'ISWJT ms LITHS sâurfs. . . . . . . . é 110<br />

LITRE SECOND. — Étemel » . . 198<br />

IirraonecTiôff » iMd.<br />

CBâPmtE puma. Analyse <strong>de</strong>s ïmëtmiimu ww<br />

mrm <strong>de</strong>QiiinliMês 100<br />

SECTION FBJBUBBB. Idées générales snr les premières<br />

étu<strong>de</strong>s, snr l'enseignement, sur les<br />

régies <strong>de</strong> l'art iMd.<br />

Sur. II. Des trois genres d'éloquence; le dé*<br />

monstratif, le déUbératif, et le judiciaire. . * 207<br />

SECT. 1H. De rétoentioa et <strong>de</strong>s figeras 110<br />

Caïf. H. Analyse <strong>de</strong>s onwtgcs <strong>de</strong> Cleéron sur<br />

Fart oratoire. » 117<br />

APNMDKB, ou obsenatiens snr les <strong>de</strong>ux chapitres<br />

précé<strong>de</strong>nts 138<br />

€sât. m. ExpUeatk» <strong>de</strong>s différents moyens <strong>de</strong><br />

Fart oratoire, considérés particulièrement<br />

dans Démosthènes ' 239<br />

Sun®* piuiimi. Des orateurs qui ont précédé<br />

Démoslhènes, et <strong>du</strong> caractère <strong>de</strong> son<br />

éloquence IMif.<br />

Seer. IL Des diverses parties <strong>de</strong> l'invention<br />

oratoire» et en partieeBêr <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière <strong>de</strong><br />

raisonner ©ratotrêmeat, telle que l 9 a employée<br />

Démosthènes dans <strong>la</strong> htrangne jwtir<br />

<strong>la</strong> emmmme 240<br />

SECT. m. Application <strong>de</strong>s mêmes prfndpes dans<br />

k Philippique <strong>de</strong> Démosthènes f intitillée <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> Ckermmèm 145<br />

SBCT. T¥. Exemples <strong>de</strong>s plus grands moyens <strong>de</strong><br />

fart oratoire, dans les <strong>de</strong>u harangiies pmr<br />

<strong>la</strong> Commune, l'une d'Escfaine, Fantre <strong>de</strong><br />

Démosthènes 154<br />

NOTE sur le troisième chapitre. 181<br />

CBâP. I¥. Analyse <strong>de</strong>s outrages ontoires <strong>de</strong> Ci- '<br />

eéron ***•<br />

Smmm PHEBEBI. De M différence dt caractère<br />

entre Fékupenci <strong>de</strong> Deawftlièiift et cdlt


750<br />

Pa§es.<br />

<strong>de</strong> Cieéron, et <strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong> Fane et do<br />

l'autre mm le peuple d'Athènes et celui <strong>de</strong><br />

Rome » â«l<br />

SBCT, H. Des orateurs romains qui ont précédé<br />

Cicéros , et <strong>de</strong>s cummeiiœmeiits <strong>de</strong> net<br />

orateur 264<br />

SECT. m. Les Terrine* Mo<br />

SBCT. IV. Les CatUinmirm 271<br />

SECT. V. Des autres harangues <strong>de</strong> Cfcéron. . . 27 •<br />

APPSHDICB, ou nouveaux édâirassenients sur l'éloquence<br />

ancienne, sur Férnditioii <strong>de</strong>s quator-<br />

Berne, quinzième et seizième siècles; sur le<br />

dialogue <strong>de</strong> Tacite , <strong>de</strong> Cousis cormptœ EloqumUm;<br />

sur Démosthènes et Ckéron, etc. 295<br />

CHAP.V. Des <strong>de</strong>ux Pline 310<br />

LIVRE TROISIÈME. — HISTOIRE, miserais ET<br />

UTTÉEÂTUEB MÊLÉE, ê 324<br />

CBAPITM PBBHiBm. Histoire ièid><br />

S&cnoH PREMIEIE. Historiens grecs et romains<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> première c<strong>la</strong>sse

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