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La collision continentale

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<strong>La</strong> <strong>collision</strong> <strong>continentale</strong><br />

Michel FAURE<br />

Une convergence lithosphérique à l’origine d’un épaississement<br />

crustal<br />

Les mouvements de la lithosphère<br />

<strong>La</strong> réalité des plaques lithosphériques et de leurs mouvements à la surface du globe est<br />

bien établie. <strong>La</strong> sismicité, et plus particulièrement, l’étude des mécanismes aux foyers des<br />

séismes permet de définir des limites de plaques divergentes, coulissantes et convergentes.<br />

Certaines limites sont caractérisées par des failles normales, là où les plaques divergent,<br />

d’autres par des failles inverses, là où les plaques convergent et enfin par des failles coulissantes<br />

(ou transformantes) qui accommodent des différences de vitesses ou de sens de déplacement<br />

entre les plaques. Remarquons que si les failles inverses sont pratiquement absentes<br />

le long de limites divergentes, des failles normales peuvent exister dans certaines limites<br />

convergentes. Un type de faille en lui-même ne suffit pas à définir la nature de la limite de<br />

plaque. Il faut aussi tenir compte des abondances relatives des failles inverses, normales ou<br />

décrochantes. <strong>La</strong> géodésie (GPS, triangulation, etc.) permet de connaître les mouvements<br />

relatifs « instantanés » des plaques lithosphériques. Le magnétisme des roches (paléomagnétisme<br />

et inversions magnétiques) fournit des valeurs moyennées sur une plus grande échelle<br />

de temps de 10 5 à 10 8 ans.<br />

<strong>La</strong> diversité des limites de plaques convergentes<br />

Géosciences<br />

Les limites convergentes sont caractérisées par le phénomène de subduction, c’est-à-dire<br />

le passage d’une plaque lithosphérique sous une autre. Le grand nombre des facteurs intervenant<br />

dans la subduction permet de comprendre sa diversité. Ainsi, par exemple, on peut évoquer<br />

: la vitesse de convergence, l’orientation du vecteur de déplacement relatif des deux<br />

plaques par rapport à la limite de plaque, le pendage du plan de Wadati-Benioff, la durée de<br />

la subduction, la taille et l’âge des plaques en présence, etc. Mais le paramètre le plus important<br />

est la nature pétrologique des plaques lithosphériques. De façon un peu caricaturale, on<br />

peut distinguer deux types de lithosphère en fonction de leur épaisseur et de leur composition<br />

pétrologique. Une lithosphère <strong>continentale</strong> a une épaisseur moyenne de 120 km alors que celle<br />

d’une lithosphère océanique n’est que de 80 à 90 km (fig. 1). Si l’on accepte cette division<br />

➤ Mots-clés : <strong>collision</strong> <strong>continentale</strong>, convergence lithosphérique, épaissiment crustal, Himalaya,<br />

Alpes, chaînes de <strong>collision</strong>.<br />

■ Michel Faure, Institut des sciences de la Terre d’Orléans (ISTO), Université d’Orléans,<br />

Michel.Faure@univ-orleans.fr<br />

Biologie Géologie n° 4-2004 735


Lithosphère océanique<br />

Lithosphère <strong>continentale</strong><br />

Croûte océanique :<br />

sédiments océaniques<br />

basaltes (pillow lavas)<br />

filons de dolérites<br />

gabbros<br />

cumulats<br />

0 km<br />

0 km<br />

Croûte<br />

Croûte supérieure :<br />

roches sédimentaires<br />

10 km<br />

MOHO<br />

Croûte moyenne :<br />

gneiss, migmatites, granites<br />

Croûte inférieure :<br />

granulites<br />

30 km<br />

Manteau supérieur lithosphérique<br />

péridotites<br />

90 km<br />

LVZ<br />

120 km<br />

736 Biologie Géologie n° 4-2004<br />

plutôt lherzolite plutôt harzburgite<br />

Manteau asthénosphérique<br />

1. - Schéma montrant la structure des lithosphères <strong>continentale</strong>s et océaniques


schématique en lithosphère océanique et lithosphère <strong>continentale</strong>, il existe 4 cas possibles de<br />

subduction (fig. 2).<br />

– subduction intraocéanique : une lithosphère océanique passe sous une lithosphère océanique<br />

;<br />

– subduction océanique : une lithosphère océanique passe sous une lithosphère <strong>continentale</strong>,<br />

c’est ce phénomène qui est communément appelé « subduction » ;<br />

– subduction d’une lithosphère <strong>continentale</strong> sous une lithosphère océanique, ce mécanisme<br />

est aussi appelé « obduction » ;<br />

– subduction de lithosphère <strong>continentale</strong> sous une autre lithosphère <strong>continentale</strong>, ou<br />

« <strong>collision</strong> ».<br />

Remarquons que les deux derniers cas peuvent aussi être considérés comme des « subductions<br />

<strong>continentale</strong>s ». Contrairement à un des postulats de la théorie des plaques des<br />

années 60, il est maintenant prouvé, notamment par la découverte de roches métamorphiques<br />

d’ultra-haute pression (comme les éclogites à coesite-diamant) que la lithosphère <strong>continentale</strong><br />

peut être enfouie, ou subductée, dans le manteau asthénosphérique à des profondeurs supérieures<br />

à la centaine de km.<br />

Définition d’une chaîne de montagnes<br />

L’étude comparée des épaisseurs lithosphériques et crustales en Europe permet de mieux<br />

comprendre ce qu’est une chaîne de montagnes (fig. 3). A l’exception de la Scandinavie, où<br />

elle peut atteindre 180 km, et de la Méditerranée, où elle est de l’ordre de 30 km, l’épaisseur<br />

de la lithosphère <strong>continentale</strong>, est relativement constante autour de 100 km en moyenne. En<br />

revanche, l’épaisseur de la croûte <strong>continentale</strong> présente des variations significatives. Il existe<br />

des régions où la croûte <strong>continentale</strong> est très mince, voire inexistante : c’est le cas notamment<br />

des mers Tyrrhénienne et Ligure dont les parties centrales sont occupées par de la croûte<br />

océanique de 10 à 20 km d’épaisseur. Inversement, la croûte <strong>continentale</strong> est particulièrement<br />

épaisse sous les chaînes de montagnes récentes : Alpes (60 km), Carpates (50-60 km) et<br />

Pyrénées (50 km). On met ainsi en évidence sous les régions à relief important des « racines<br />

crustales » où l’épaisseur a été doublée (60 km) par rapport à l’épaisseur normale de 30 km<br />

d’une croûte <strong>continentale</strong> stable.<br />

L’examen d’une carte de l’anomalie de Bouguer en Europe montre clairement que les<br />

anomalies négatives du champ de pesanteur se superposent à ces racines crustales. Ceci est<br />

bien compréhensible puisque à l’emplacement des racines, de la croûte <strong>continentale</strong> de densité<br />

moyenne 2,6 remplace le manteau lithosphérique de densité moyenne 3,2.<br />

Cette constatation est à la base de la définition d’une chaîne de montagnes : c’est une<br />

zone où la croûte <strong>continentale</strong> est plus épaisse que la normale, mais pas la lithosphère.<br />

Les modalités de l’épaississement crustal<br />

<strong>La</strong> question qui se pose alors est de déterminer quels sont les processus géologiques à<br />

l’origine de l’épaississement crustal. Théoriquement, trois mécanismes peuvent être invoqués<br />

(fig. 4) : 1) un serrage symétrique (ou coaxial), 2) un cisaillement plat (ou non-coaxial), 3) un<br />

transfert de matériel du manteau dans la croûte. Si les deux premiers mécanismes sont fondamentalement<br />

tectoniques, le troisième est typiquement magmatique. Le serrage symétrique<br />

est responsable d’une anisotropie des roches, (appelée schistosité ou foliation selon l’importance<br />

des recristallisations métamorphiques associées), verticale et d’une anisotropie linéaire<br />

(ou linéation d’étirement et minérale) verticale. Au contraire, le cisaillement plat (ou chevau-<br />

Biologie Géologie n° 4-2004 737


LVZ LVZ<br />

prisme d'accrétion<br />

LVZ<br />

MOHO<br />

LVZ<br />

avant-pays<br />

MOHO<br />

LVZ<br />

nappe ophiolitique<br />

nappe ophiolitique<br />

zone de suture<br />

arc volcanique<br />

Croûte océanique<br />

Manteau lithosphérique<br />

arc magmatique<br />

Asthénosphère<br />

Croûte <strong>continentale</strong><br />

MOHO<br />

LVZ<br />

LVZ<br />

arrière-pays<br />

2. - Les différents cas théoriques de subduction<br />

MOHO<br />

LVZ<br />

Subduction<br />

intra-océanique<br />

Subduction<br />

océanique sous<br />

une lithosphère<br />

<strong>continentale</strong> =<br />

marge active<br />

Subduction<br />

<strong>continentale</strong><br />

= obduction<br />

Collision<br />

<strong>continentale</strong><br />

738 Biologie Géologie n° 4-2004


40<br />

30<br />

Epaisseur de la croûte<br />

20<br />

en km<br />

50<br />

Epaisseur de la lithosphere<br />

en km<br />

130<br />

170<br />

190<br />

40<br />

50 50 90<br />

50<br />

110<br />

20<br />

110<br />

30<br />

20<br />

40<br />

50<br />

40<br />

90<br />

30<br />

Biologie Géologie n° 4-2004 739<br />

50<br />

40<br />

90<br />

130<br />

90<br />

110<br />

30<br />

30<br />

40<br />

40<br />

20<br />

40<br />

110<br />

50<br />

30<br />

30<br />

40<br />

30<br />

70<br />

30<br />

110<br />

90<br />

70<br />

110<br />

40<br />

50<br />

30<br />

3. - Cartes comparatives des épaisseurs de croûte et de lithosphère en Europe occidentale


croûte supérieure fragile<br />

croûte inférieure ductile<br />

MOHO<br />

manteau supérieur lithosphérique<br />

ETAT INITIAL :<br />

Croûte et lithosph ère<br />

d'épaisseur normale<br />

30 km<br />

100 km<br />

LVZ<br />

manteau supérieur asthénosphérique<br />

30 km<br />

Transfert de mati ère du<br />

manteau vers la cro ûte<br />

au cours d'une<br />

subduction<br />

100 km<br />

Arc Magmatique<br />

740 Biologie Géologie n° 4-2004<br />

30 km<br />

100 km<br />

4. - Schéma théorique des mécanismes possibles d’épaississement crustal<br />

LVZ<br />

30 km<br />

100 km<br />

Epaississement<br />

crustal par<br />

serrage coaxial<br />

avec allongement<br />

vertical<br />

Epaississement<br />

crustal par<br />

cisaillement pla<br />

et allongement<br />

subhorizontal<br />

Epaississement<br />

crustal par<br />

magmatisme<br />

chement) est à l’origine d’une foliation à faible pendage et d’une linéation d’étirement subhorizontale.<br />

L’étude des chaînes de montagnes montre que le mécanisme du cisaillement plat<br />

associé aux chevauchements prédomine largement.<br />

Le principe du cisaillement simple (fig. 5A) est un modèle théorique très schématique.<br />

Dans la nature, la déformation est, la plupart du temps, hétérogène, ce qui introduit des complications<br />

(fig. 5B). Dans une déformation non-coaxiale, plus le cisaillement, mesuré par le<br />

paramètre γ, augmente, plus le grand axe, X, de l’ellipse de déformation se rapproche de la<br />

direction de cisaillement et par conséquent l’angle α diminue. Pour des valeurs de γ de l’ordre<br />

de 5 ou 6, l’angle α devient très petit. En pratique, il devient alors impossible de distinguer la<br />

direction de cisaillement et la direction d’allongement maximum (X), c’est-à-dire que<br />

concrètement, il devient légitime de considérer que l’orientation de la linéation d’étirement<br />

indique aussi la direction de cisaillement et donc de transport de la matière. Ce postulat est<br />

implicitement admis par les géologues qui considèrent que dans les zones profondes et ductiles<br />

des chaînes de montagnes, la linéation d’étirement indique la direction de déplacement<br />

des nappes de charriage.


Déformation homogène<br />

Déformation hétérogène<br />

γ = tg tgϕ<br />

Profils rhéologiques et discontinuités crustales.<br />

ϕ<br />

axe X<br />

α direction du<br />

cisaillement<br />

axe Z<br />

γ = 2 cotg 22α<br />

X/Z = 1+γ2 1+<br />

5. - Principe du cisaillement simple (déformation homogène) et d’un cisaillement hétérogène<br />

Les variations de comportement rhéologique d’une lithosphère peuvent être représentées<br />

par un diagramme donnant les variations du déviateur des contraintes (paramètre [σ 1 - σ 3] ]/2)<br />

en fonction de la profondeur (z). <strong>La</strong> grandeur (σ 1 - σ 3 )/2 traduit la « déformabilité » des<br />

roches, (en anglais « strength »). σ 1 est la contrainte principale maximale s’exerçant sur les<br />

matériaux, σ 3 est la contrainte principale minimale, (σ 1 - σ 3 )/2 exprime donc la contrainte<br />

nécessaire à la déformation des roches. L’allure de ces courbes, appelées courbes rhéologiques<br />

(fig. 6), dépend de la roche considérée et plus précisément des propriétés physiques<br />

des minéraux constitutifs et du géotherme, c’est-à-dire des variations de température avec la<br />

profondeur T = f(z). Pour établir ce graphique il faut donc connaître la nature et la proportion<br />

relative des minéraux constitutifs des roches le long du profil. En première approximation, on<br />

considère que la rhéologie de la croûte <strong>continentale</strong> est contrôlée par le quartz et celle du<br />

manteau est contrôlée par l’olivine car ce sont les minéraux prédominants dans ces enveloppes.<br />

De 0 à 15 km de profondeur, la relation entre la profondeur (z) et (σ 1 - σ 3 )/2 est du<br />

type P = ρgz (avec ρ : densité, g accélération de la pesanteur). C’est la loi de Bayerlee qui traduit<br />

le fait que la croûte se déforme de façon cassante et que la température intervient peu. A<br />

Biologie Géologie n° 4-2004 741


15<br />

30<br />

60<br />

90<br />

120<br />

σ1-σ3 (déviateur des contraintes)<br />

loi de Bayerlee (quartz)<br />

Croûte fragile<br />

Croûte ductile<br />

Manteau fragile<br />

(olivine)<br />

Manteau ductile<br />

(olivine)<br />

LVZ<br />

Z (profondeur) km Z (profondeur) km<br />

15<br />

30<br />

0 350<br />

Température (°C)<br />

800 1200<br />

Géotherme<br />

LVZ<br />

Profil rhéologique théorique et géotherme correspondant pour une lithosphère<br />

<strong>continentale</strong> simplifiée constituée essentiellement de quartz et olivine. Le comportement<br />

rhéologique dépend du géotherme, de la lithologieet de la vitesse de déformation<br />

6. - Exemple de courbe rhéologique de la lithosphère <strong>continentale</strong> correspondant au<br />

géotherme représenté à côté<br />

partir de 15 km, la température atteint 350 °C, le quartz devient ductile. Les roches se déforment<br />

sans se casser, elles fluent comme des liquides visqueux. <strong>La</strong> valeur de (σ 1 - σ 3 )/2 décroît<br />

exponentiellement jusqu’à 30 km. <strong>La</strong> forme exponentielle de la loi prend en compte le géotherme<br />

et la vitesse de déformation qui est le paramètre le plus important dans la déformation<br />

ductile des roches, beaucoup plus que les contraintes. Pour fixer les idées, dans le domaine<br />

ductile, la vitesse de déformation est de l’ordre de 10 -15 à 10 -18 % s -1 . C’est très faible, mais<br />

si on calcule le nombre de secondes qu’il y a en 1 million d’années, on voit que finalement,<br />

la déformation n’est pas du tout négligeable puisqu’elle peut atteindre plusieurs centaines,<br />

voire milliers, de %. A 30 km de profondeur, on change de matériau, le minéral dominant est<br />

l’olivine, qui dans ces conditions de température (800 à 900 °C) a un comportement fragile<br />

de type Bayerlee. Vers 50 km, la température atteint 1 200 °C, l’olivine devient ductile et le<br />

manteau se déforme de façon continue jusqu’à la LVZ.<br />

Dans la réalité, les variations lithologiques à travers la croûte font que les profils rhéologiques<br />

peuvent prendre une forme en dents-de-scie (les anglo-saxons parlent de « l’arbre de<br />

Noël rhéologique »). Ces changements de comportements rhéologiques entre des domaines<br />

ductiles et cassants successifs permettent de comprendre pourquoi les zones de cisaillement<br />

se localisent le long de discontinuités crustales. <strong>La</strong> limite croûte-manteau ou MOHO consti-<br />

742 Biologie Géologie n° 4-2004


tue la plus importante de ces discontinuités, mais il en existe d’autres comme l’interface entre<br />

les séries sédimentaires de la croûte supérieure et les roches métamorphiques de la croûte<br />

moyenne ou encore la limite entre la croûte moyenne hydratée et la croûte inférieure plus<br />

« sèche » déjà identifiée par les sismologues comme la discontinuité de Conrad. En Europe<br />

occidentale, l’importance de la discontinuité socle-couverture est encore accentuée par<br />

l’existence d’évaporites qui même à basse température peuvent se déformer ductilement. Les<br />

profils sismiques réalisés à travers les continents montrent l’existence dans la croûte inférieure<br />

de nombreux réflecteurs subhorizontaux. On parle de la croûte inférieure litée probablement<br />

constituée par des granulites comparables à celles que l’on peut observer dans la<br />

zone d’Ivrée des Alpes ou en enclaves dans les basaltes du Massif Central. Le litage de cette<br />

croûte inférieure est dû à des cristallisations orientées des minéraux métamorphiques pendant<br />

la déformation et aussi, en partie, à des concentrations de fluides comme l’ont montré des<br />

forages très profonds.<br />

Un exemple : la <strong>collision</strong> indienne et la formation de l’Himalaya<br />

Les preuves de la dérive de l’Inde<br />

Bien que l’existence de flores gondwaniennes (comme les fougères arborescentes du genre<br />

Glossopteris) en Inde ait depuis longtemps suggéré qu’au Carbonifère ce continent etait<br />

plus proche de l’Afrique et de l’Australie que de l’Asie, il est intéressant de remarquer que<br />

dans les schémas paléo-géographiques de Wegener, l’Inde reste solidaire de l’Asie. C’est en<br />

1924 que le géologue suisse E. Argand proposa que la chaîne de l’Himalaya soit le résultat<br />

d’un rapprochement entre l’Inde et l’Asie. Les conceptions d’Argand ont joué un grand rôle<br />

dans l’évolution des idées sur le mobilisme continental, mais pour cet auteur, les déplacements<br />

restaient de l’ordre de quelques centaines de km.<br />

C’est à partir des années 70, que dans le cadre de la tectonique des plaques, les géologues<br />

et les géophysiciens ont pu démontrer que l’Inde s’était déplacée vers le nord de plusieurs<br />

milliers de km, environ 6 000 km (fig. 7). Les anomalies magnétiques de l’océan indien et les<br />

paléo-latitudes déterminées à partir des roches prélevées sur les continents (Inde, Tibet, Asie<br />

centrale) montrent que l’Inde s’est détachée du Gondwana au Crétacé supérieur, il y a environ<br />

100 Ma lorsque l’océan Indien occidental s’est ouvert. Corrélativement, au nord de<br />

l’Inde, la convergence est absorbée par la subduction (ou fermeture) vers le nord de l’océan<br />

Téthysien sous le Tibet.<br />

<strong>La</strong> structure de l’Himalaya<br />

Le schéma structural et la coupe de la chaîne de l’Himalaya montrent les grands traits<br />

géologiques de cet orogène (fig. 8, 9).<br />

<strong>La</strong> suture de l’Indus-Zhang Bo correspond à ce qui reste de l’océan Téthys. On reconnaît<br />

des nappes ophiolitiques ainsi que des séries sédimentaires (turbidites, flysch à blocs,<br />

mélanges) correspondant à un prisme d’accrétion et aux sédiments syn-tectoniques formés<br />

lors de la fermeture de la Téthys.<br />

• Au nord de la suture, le plateau du Tibet est caractérisé par des séries de grès rouges continentaux<br />

et de laves calco-alcalines du Crétacé et quelques calcaires marins d’âge crétacé-éocène.<br />

Ces roches sont dans l’ensemble faiblement déformées par des plis droits à grand rayon de<br />

courbure, sans schistosité et sans métamorphisme associé. Il existe aussi de vastes plutons de<br />

granitoïdes calco-alcalins (granodiorite, diorite) formant le batholite trans-himalayen.<br />

Biologie Géologie n° 4-2004 743


B<br />

160<br />

140<br />

120<br />

100<br />

80<br />

60<br />

40<br />

20<br />

0<br />

A<br />

80<br />

80<br />

70<br />

70<br />

Vitesse<br />

mm/an ou km/Ma)<br />

60<br />

60<br />

40<br />

50<br />

50<br />

10<br />

20<br />

30<br />

0<br />

80<br />

40<br />

70<br />

Inde est<br />

Inde ouest<br />

Temps Ma 0<br />

10<br />

20<br />

30 10<br />

7. - Carte de la dérive de l’Inde vers le nord et courbes des vitesses de convergence<br />

(d’après Patriat et al., 198)<br />

744 Biologie Géologie n° 4-2004<br />

60<br />

50<br />

30<br />

40<br />

0<br />

10<br />

20


0<br />

100 km<br />

MBT<br />

INDE<br />

Gange<br />

MCT<br />

500 km<br />

Inde<br />

ASIE<br />

Batholite trans-himalayen<br />

INDE<br />

Suture ophiolitique de l'Indus<br />

Haut Himalaya Dalle du Tibet<br />

Bas Himalaya<br />

Siwaliks<br />

Plateau du Tibet<br />

Bramhapoutre<br />

8. - Carte structurale de la chaîne himalayenne (d’après Debelmas et Mascle, 1997 ; Brunel, 1986)<br />

Bloc de Lhassa<br />

Couverture sédimentaire de l'Inde Ophiolites<br />

Granodiorites d'arc<br />

Socle précambrien de l'Inde Roches sédimentaires<br />

téthysiennes<br />

Leucogranites<br />

Suture<br />

MBT MCT FNNH Séries volcano-<br />

KT Obduction duTsang Po sédimentaires<br />

9. - Coupe schématique de l’Himalaya (simplifiée d’après Brunel, 1986)<br />

Biologie Géologie n° 4-2004 745


• Au sud, sous les flyschs à blocs, le continent indien est subdivisé en Haut Himalaya,<br />

Bas-Himalaya et Sous-Himalaya. Le Haut-Himalaya comprend au nord la zone Téthysienne<br />

constituée de roches sédimentaires plissées, déversées au sud et transportées par le chevauchement<br />

de Kangmar sur les séries téthysiennes de la « dalle du Tibet ». Il s’agit de roches<br />

sédimentaires paléozoïques reposant sur des gneiss à disthène et sillimanite. L’ensemble<br />

métamorphique du Haut-Himalaya chevauche le Bas-Himalaya par l’intermédiaire du<br />

Chevauchement Central Principal (MCT = Main Central Thrust). Le Bas-Himalaya formé de<br />

roches sédimentaires et métamorphiques chevauche également vers le sud des formations terrigènes<br />

du Tertiaire inférieur qui constituent la zone sous-himalayenne (ou « collines des<br />

Siwaliks »). Ce chevauchement est appelé le Chevauchement Bordier Principal ou MBT<br />

(= Main Boundary Thrust).<br />

Cette zonation montre clairement que les deux continents qui sont entrés en <strong>collision</strong> sont<br />

très inégalement déformés. Le continent asiatique en position supérieure est peu déformé. Le<br />

continent indien en position inférieure est débité en grandes lames crustales séparées par<br />

plusieurs chevauchements ductiles : suture ophiolitique, Kangmar, MCT et MBT. <strong>La</strong> structure<br />

de l’Himalaya, bien connue dans la partie centrale, au Népal, se suit tout le long de la chaîne<br />

sur près de 2 500 km.<br />

Les roches métamorphiques du Haut-Himalaya sont caractérisées par des linéations<br />

d’étirement transverses à la chaîne indiquant le sens de déplacement des nappes vers le sud,<br />

conformément au modèle du cisaillement simple (fig. 8). <strong>La</strong> chaîne de l’Himalaya présente<br />

aussi un métamorphisme inverse. Pendant que le fonctionnement des cisaillements crustaux,<br />

l’empilement d’une nappe plus chaude que l’unité sous-jacente provoque son réchauffement<br />

et la formation de nouveaux minéraux métamorphiques de haute température et basse<br />

pression comme biotite, grenat, staurotide. Les isogrades du métamorphisme le plus<br />

intense (sillimanite, muscovite) s’observent au niveau du contact des nappes. Puis lorsqu’on<br />

s’éloigne du contact, la chaleur diminue, le métamorphisme décroît, on observe du grenat<br />

associé à de la staurotide puis du grenat et de la biotite. Le métamorphisme s’accompagne de<br />

fusion crustale (ou anatexie) à l’origine de plutons leucogranitiques dont la mise en place<br />

dans la croûte supérieure est associée à des failles normales. Ainsi, le flanc nord de l’Everest,<br />

du côté chinois, est découpé par la faille normale nord himalayenne qui abaisse le compartiment<br />

nord (le Tibet) par rapport à l’Himalaya.<br />

Un scénario d’évolution probable : découplage croûte manteau et Grande Inde<br />

<strong>La</strong> formation de la chaîne de <strong>collision</strong> de l’Himalaya se réalise par un empilement crustal<br />

édifié progressivement dans le temps et dans l’espace. On observe une migration du nord<br />

vers le sud des grands cisaillements crustaux (fig. 10). Dans un premier temps, entre le<br />

Crétacé supérieur et l’Eocène inférieur, la disparition de la Téthys est accommodée par sa<br />

subduction sous l’Asie à la vitesse de 140 mm.an -1 . Au Crétacé supérieur, le sud Tibet est une<br />

chaîne de subduction de type andin. <strong>La</strong> croûte océanique téthysienne est ensuite charriée<br />

(obductée) sur la partie la plus septentrionale de l’Inde qui subducte sous le Tibet. <strong>La</strong> <strong>collision</strong><br />

se produit au début de l’Eocène, vers 50 Ma. Le continent indien est alors découpé en<br />

grandes nappes de charriage par les chevauchements de Kangmar, le MCT puis le MBT. Ce<br />

sont ces cisaillements qui sont à l’origine de l’épaississement crustal. Notons que puisque<br />

l’océan indien continue actuellement à s’ouvrir, le rapprochement Inde-Asie se poursuit par<br />

des déformations intra<strong>continentale</strong>s à la vitesse de 50 mm.an -1 . Les anomalies magnétiques<br />

de l’océan Indien montrent que depuis 50 Ma, l’Inde et l’Asie ont connu un raccourcissement<br />

intracontinental de l’ordre de 2 500 km. <strong>La</strong> convergence se poursuit encore actuellement<br />

comme en témoigne la sismicité actuelle des Siwaliks et même parfois en Inde. Des considérations<br />

structurales, géophysiques et paléogéographiques amènent la plupart des auteurs à<br />

746 Biologie Géologie n° 4-2004


Subduction océanique<br />

Prisme d'accrétion<br />

1<br />

Obduction<br />

2<br />

Ecaillage crustal<br />

3<br />

Propagation de la déformation<br />

4 3 2 1<br />

décollement croûte-manteau<br />

10. - Modèle d’évolution géodynamique de l’Himalaya (d’après Mattauer, 1986)<br />

conclure qu’avant la <strong>collision</strong>, le continent indien s’étendait plus au nord sur environ<br />

1 000 km de large. Ce domaine, situé au nord de l’Inde actuelle et appelé la Grande Inde<br />

(Greater India), a donc disparu par subduction sous la chaîne de l’Himalaya (fig. 11).<br />

Ce schéma évolutif montre aussi que la <strong>collision</strong> indienne est responsable d’un épaississement<br />

limité à la croûte. On doit donc admettre l’existence d’un découplage mécanique très<br />

important entre la croûte et le manteau lithosphérique, au niveau du MOHO. De récentes<br />

études de tomographie sismologique ont montré l’existence, dans l’asthénosphère, à<br />

l’aplomb du continent indien, d’anomalies positives de la vitesse des ondes P (fig. 12). Ces<br />

anomalies sont interprétées comme des panneaux de manteau lithosphérique détachés lors de<br />

la <strong>collision</strong> indienne ou lors de subductions mésozoïques antérieures à la <strong>collision</strong>.<br />

Biologie Géologie n° 4-2004 747<br />

2<br />

1<br />

1


Atlantique FNP<br />

Central<br />

Golfe du<br />

Mexique FAG<br />

FC<br />

Liguro-<br />

Piemontais<br />

Valaisan<br />

FG<br />

Apulie<br />

Tur<br />

Ir Af<br />

Grande<br />

Inde Inde<br />

Lhassa<br />

Sikhote Alin<br />

Japon<br />

W. Philippines<br />

Indochine<br />

Tethys<br />

Antarctique Australie<br />

FAG : faille Açores-Gibraltar FNP : Faille Nord Pyrénéenne FC : Faille des Cévennes FG : Faille des Grisons<br />

Tur : Turquie Ir : Iran AF : Afghanistan<br />

11. - Reconstruction paléogéographique globale au Jurassique supérieur montrant la<br />

Grande Inde et les bassins océaniques alpins : liguro-piémontais et valaisan<br />

500<br />

1000<br />

1500<br />

2000<br />

2500<br />

3<br />

2<br />

Inde<br />

Tibet<br />

1 : lithosphère relique de la <strong>collision</strong> jurassique du bloc de Lhassa avec l'Asie<br />

2 : lithosphère océanique de la subduction andine de la Tethys<br />

3 : lithosphère océanique de la subduction intraocéanique de la Tethys<br />

4 : lithosphère <strong>continentale</strong> de la Grande Inde<br />

12. - Interprétation des données tomographiques sous l’Inde et le Tibet (d’après Van der<br />

Voo et al., 1999).<br />

748 Biologie Géologie n° 4-2004<br />

4<br />

1


Les effets à grande distance de la <strong>collision</strong> indienne<br />

<strong>La</strong> <strong>collision</strong> <strong>continentale</strong> ne se limite pas à la zone de contact entre les deux plaques,<br />

c’est-à-dire à la chaîne de l’Himalaya. <strong>La</strong> déformation affecte des régions éloignées de plusieurs<br />

centaines voire des milliers de km. Les déformations tertiaires d’Asie s’étendent de<br />

l’Himalaya au lac Baïkal et de l’Afghanistan au Vietnam.<br />

Le modèle du « poinçon continental rigide » proposé par Molnar et Tapponnier en 1976<br />

est devenu très populaire. Selon ce modèle, la croûte indienne rigide déforme, « poinçonne »,<br />

la croûte asiatique plus ductile et hétérogène en réactivant certaines structures héritées des<br />

tectoniques paléozoïques et mésozoïques. Au nord du Tibet, la compression himalayenne est<br />

responsable de la réactivation de failles paléozoïques et de la surrection des chaînes du Kun<br />

Lun et du Tian Shan qui peuvent atteindre des altitudes très élevées (entre 3000 et 5000 m).<br />

L’Asie Centrale fournit donc un exemple exceptionnel de subduction <strong>continentale</strong> (fig. 13).<br />

Le poinçonnement indien est aussi accommodé par un échappement de l’Asie vers l’est<br />

rendu possible grâce à l’existence du bord libre constitué par les zones de subduction de la<br />

partie orientale de l’Eurasie sous les plaques Pacifique et Mer des Philippines : arcs des<br />

Kouriles, du Japon, de Nankai et des îles Ryukyu, de Manille. Ainsi, au nord de l’Himalaya,<br />

le plateau du Tibet est découpé par de grands décrochements sénestres dont la faille de<br />

l’Altyn Tag constitue la structure la plus spectaculaire. A l’est, des décrochements lithosphériques<br />

accommodent l’extrusion de grands blocs crustaux : Indochine, Chine du Sud, Chine<br />

du Nord et Mongolie. Ce déplacement vers l’est s’accompagne d’une distension crustale.<br />

C’est ainsi que l’on peut expliquer la formation de plusieurs systèmes de rifts continentaux de<br />

direction globale N-S : Tibet central, lac Baïkal, Shanxi. Dans certaines régions, l’étirement<br />

crustal est tellement important que la croûte <strong>continentale</strong> disparaît et est remplacée par de la<br />

INDE<br />

TIBET<br />

Himalaya suture du<br />

Tsang-Po<br />

Uplift du plateau<br />

Kunlun<br />

TARIM<br />

Détachement du<br />

manteau lithosphérique<br />

Tianshan<br />

13. - Coupe schématique de l’Asie Centrale à l’échelle de la lithosphère<br />

JUNGGAR<br />

Biologie Géologie n° 4-2004 749<br />

Altai<br />

SIBERIE


croûte océanique. Les bassins océaniques de la Mer de Chine du Sud et de la Mer d’Andaman<br />

seraient formés de cette manière.<br />

Remarquons que le modèle du « poinçon » est bidimensionnel (2D en plan). Il tient peu<br />

compte de la dimension verticale. Mécaniquement, l’extrusion latérale vers l’est de l’Asie est<br />

incompatible avec la subduction <strong>continentale</strong> de grande ampleur qu’implique la reconstruction<br />

de la « Grande Inde ». Dans l’état actuel des connaissances, il n’existe pas de modèle<br />

satisfaisant permettant de concilier les deux interprétations (fig. 14).<br />

Deux autres aspects de la <strong>collision</strong> indienne demeurent encore mal expliqués, il s’agit de<br />

la haute altitude (5 000 m en moyenne) du plateau du Tibet et de l’origine de la croûte épaisse<br />

de 50 km sous ce plateau. Pour certains auteurs, l’augmentation d’altitude qui est un phénomène<br />

très récent d’âge Miocène serait due au détachement d’une partie du manteau lithosphérique<br />

(fig. 12). Ainsi, comme un bateau dont la ligne de flottaison remonte si on enlève<br />

son lest, l’altitude d’une plaque augmente si elle s’allège en perdant une partie de son manteau<br />

lithosphérique. Si cette explication est souvent proposée, le mécanisme conduisant à la<br />

perte du manteau reste encore largement inexpliqué. On pourrait invoquer l’action de courants<br />

de convection dans l’asthénosphère qui « éroderaient » le manteau lithosphérique ou<br />

encore le « détachement en masse » de ce manteau.<br />

<strong>La</strong> racine crustale étant située sous l’Himalaya, c’est-à-dire au Sud du plateau, on ne peut<br />

pas invoquer la <strong>collision</strong> pour rendre compte de l’épaississement crustal du Tibet. Une hypothèse<br />

privilégie le rôle de l’héritage tectonique antérieur à la <strong>collision</strong> indienne. En effet, le<br />

Tibet est constitué de plusieurs microcontinents issus du Gondwana et entrés en contact avec<br />

l’Asie au Mésozoïque. Il s’agirait donc d’un épaississement fossile.<br />

poinçon<br />

rigide<br />

INDE<br />

subduction océanique<br />

ASIE<br />

croûte<br />

déformable<br />

subduction de la plaque indoaustralienne<br />

Océan<br />

indien<br />

Makran<br />

Inde<br />

14. - Les deux modèles du poinçon rigide et de la subduction <strong>continentale</strong> de la Grande<br />

Inde pour expliquer la tectonique de l’Asie (d’après Mattauer et al., 1999).<br />

750 Biologie Géologie n° 4-2004


Le cas des Alpes franco-italiennes<br />

<strong>La</strong> structure de la chaîne<br />

Il ne s’agit pas ici de décrire en détail la structure et l’évolution géodynamique de la chaîne<br />

des Alpes qui est également un exemple classique de chaîne de <strong>collision</strong>. Les Alpes sont<br />

étudiées depuis près de deux siècles, il est donc beaucoup plus difficile d’extraire les informations<br />

les plus significatives au sein d’une énorme masse de données. En outre, la paléogéographie<br />

qui contrôle le dépôt des sédiments ultérieurement tectonisés est beaucoup plus<br />

complexe que dans l’Himalaya et par conséquent les structures résultantes sont également<br />

assez complexes. Une autre différence entre les deux chaînes est due au fait que la chaîne<br />

alpine résulte de la <strong>collision</strong> de deux continents, l’Europe et l’Apulie, issus d’une même masse<br />

<strong>continentale</strong> initiale, la Pangée, préalablement structurée au Paléozoïque lors de la formation<br />

de la chaîne hercynienne. De ce fait, les socles des deux continents possèdent de grandes<br />

analogies.<br />

D’une manière très simple, la chaîne alpine peut être perçue comme la superposition de<br />

trois unités, de bas en haut de l’édifice :<br />

a) la croûte <strong>continentale</strong> de l’Europe, écaillée et métamorphisée à des degrés divers,<br />

mais globalement de plus en plus intensément d’Ouest en Est, selon les différents sousdomaines<br />

: dauphinois, ultra-dauphinois, sub-briançonnais, briançonnais, massifs cristallins<br />

internes ;<br />

b) la nappe des schistes lustrés à ophiolites (Viso, Chenaillet, etc.) représentant les<br />

reliques de l’océan liguro-piémontais ;<br />

c) le socle continental de l’Apulie et sa couverture sédimentaire mésozoïque peu déformée<br />

forme le domaine austro-alpin, représenté dans les Alpes Occidentales par les sommets<br />

du Cervin et de la Dent Blanche, qui chevauche la suture ophiolitique.<br />

Cet empilement est responsable de l’épaississement crustal qui atteint 60 km. Le métamorphisme<br />

de haute pression et même d’ultra-haute pression (éclogites à coesite de Dora<br />

Maira) démontre que la croûte <strong>continentale</strong> de la plaque inférieure a connu une subduction<br />

<strong>continentale</strong> puis une exhumation rapide.<br />

L’analyse de la déformation ductile, en particulier des linéations d’allongement, du métamorphisme<br />

associé à la déformation ductile et des données géochronologiques permettent<br />

d’identifier trois grandes phases de déformation et de métamorphisme (fig. 15).<br />

a) des cisaillements contemporains d’un métamorphisme de HP/BT daté entre 50 et<br />

40 Ma ;<br />

b) des cisaillements vers l’ouest nord-ouest, dans le faciès des schistes verts, d’âge éocène<br />

(40-30 Ma) ;<br />

c) des cisaillement tardifs vers le NW, d’âge oligo-miocène (30-15 Ma), associés à un très<br />

faible métamorphisme (faciès des schistes verts ou des zéolites).<br />

Au milieu des années 80, des éclogites à coesite ont été découvertes pour la première fois<br />

dans le massif de Dora Maira. Cette découverte a profondément bouleversé les idées sur<br />

l’évolution géodynamique de la lithosphère. En effets ces minéraux de ultra-haute pression<br />

indiquent que des roches <strong>continentale</strong>s peuvent être subductées à des profondeurs asthénosphériques<br />

puisque la stabilité de la coesite implique des pressions de 3 Gpa, correspondant à<br />

des profondeurs de l’ordre de la centaine de km. Cependant, l’âge du métamorphisme de HP<br />

et UHP reste un problème. Des datations radiométriques (Ar/Ar notamment) indiquent un âge<br />

crétacé pour cet événement qualifié de « eo-alpin » précoce. D’autres datations (U/Pb,<br />

Sm/Nd) donnent des âges éocène. De nombreux géologues alpins considèrent que le métamorphisme<br />

de HP et UHP est éocène, les âges crétacés étant dus à des problèmes d’excès<br />

d’argon dans les minéraux. Cependant, d’autres considérations géologiques, comme les<br />

flyschs crétacés, suggèrent aussi l’existence d’un événement eo-alpin.<br />

Biologie Géologie n° 4-2004 751


Grenoble<br />

Digne<br />

Turin<br />

back-folding axis<br />

green schists<br />

L’évolution géodynamique des Alpes Occidentales<br />

amphibolite<br />

back-folding back-folding axis axis<br />

Insubric F.<br />

40-50 Ma<br />

Schistes bleus<br />

Eclogite<br />

30-40 Ma<br />

Amphibolite<br />

Schistes verts<br />

green schists<br />

amphibolite<br />

Sens de cisaillement ductile,<br />

métamorphisme et âge associés<br />

15-30 Ma<br />

Schistes verts<br />

Prehnite-pumpellyiite<br />

15. - Carte cinématique des Alpes occidentales (d’après Lemoine et al., 2000)<br />

Les auteurs s’accordent sur les grandes étapes de la formation de la chaîne. On distingue<br />

ainsi :<br />

– le rifting du Trias supérieur au Jurassique : après une période de distension intra<strong>continentale</strong><br />

au Trias-Lias, l’océan Liguro-Piemontais s’ouvre du Jurassique moyen au Crétacé<br />

inférieur (fig. 11) ;<br />

– la subduction océanique commence dès le début du Crétacé inférieur (90-80 Ma) comme<br />

en témoignent les flyschs (p. ex. flyschs à Helminthoïdes de l’Embrunais) interprétés<br />

comme des dépôts de prisme d’accrétion ;<br />

– la subduction <strong>continentale</strong> qui succède à la subduction océanique reste mal datée. Pour<br />

certains auteurs, elle commence au Crétacé supérieur (vers 80-70 Ma) pendant la phase eoalpine.<br />

Elle serait responsable de la déformation syn-métamorphe, en contexte de haute à<br />

ultra-haute pression des massifs cristallins interne (Mont Rose, Grand Paradis, Sesia) ;<br />

– la <strong>collision</strong> atteint son climax au Paléocène (vers 50 Ma). <strong>La</strong> propagation de la déformation<br />

d’est en ouest est bien analysée par la migration des bassins turbiditiques dans les-<br />

752 Biologie Géologie n° 4-2004


quels se déposent des flyschs. Ainsi, dans la zone briançonnaise, les flyschs à blocs sont d’âge<br />

éocène alors que dans les zones ultra-helvétique et helvétique, ils sont Eocène supérieur à<br />

Oligocène. Au nord et à l’ouest de la zone helvétique, des dépôts molassiques peu profonds<br />

se forment au front de la chaîne entre l’Oligocène supérieur et le Miocène.<br />

Les traits originaux des Alpes comparés à ceux de l’Himalaya<br />

Des ophiolites atypiques<br />

Dans les Alpes occidentales, les ophiolites sont très bien exposées dans des massifs<br />

célèbres : Viso, Chenaillet, Queyras. Les roches basiques ou ultrabasiques sont recouvertes<br />

par des radiolarites du Jurassique moyen et par des calcaires ou des schistes noirs du Crétacé.<br />

Contrairement à d’autres séries ophiolitiques (Oman, Nouvelle-Calédonie, etc.), le réseau<br />

filonien de diabase est absent, les gabbros sont rares et les massifs ultrabasiques modestes.<br />

On observe souvent des roches sédimentaires directement posées sur des serpentinites ce qui<br />

témoigne d’une altération et d’une dénudation du manteau avant la tectonique alpine. On rencontre<br />

également des ophicalcites qui sont des brèches à fragments de gabbro ou de serpentinite<br />

dans une matrice carbonatée. Ces roches peuvent être considérées comme des brèches<br />

hydrauliques témoignant d’une importante circulation de fluides le long de failles. Plus généralement,<br />

l’abondance de brèches de roches basiques, de grès gabbroïques et de hyaloclastites<br />

montrent l’existence d’un détritisme ophiolitique, connu par ailleurs dans d’autres environnements<br />

sous-marins comme des failles transformantes ou des zones de démantèlement<br />

d’ophiolites (c’est le cas par exemple au Japon sud-ouest). Ces faits sont invoqués pour considérer<br />

que l’océan liguro-piémontais était de petite taille (moins de 1 000 km) et compartimenté<br />

par plusieurs failles transformantes.<br />

En Savoie et en Suisse, on connaît aussi des ophiolites dans le domaine valaisan. Il s’agit<br />

sans doute d’un petit bassin océanique situé à l’ouest de l’océan liguro-piemontais (fig. 11).<br />

Ainsi l’océan alpin se révèle être un bassin de taille modeste qui n’est qu’un appendice de<br />

l’Atlantique central, limité par les failles transformantes des Açores-Gibraltar au sud et des<br />

Grisons au nord. De même, il se pourrait que l’ouverture du petit bassin valaisan soit contrôlée<br />

par des décrochements tardi-hercyniens réactivés comme la faille des Cévennes et la faille<br />

nord pyrénéenne.<br />

Une marge passive assez bien préservée<br />

Malgré la déformation alpine, responsable de « l’inversion tectonique », des structures<br />

contemporaines du stade de rifting peuvent encore être identifiées dans la zone helvétique. <strong>La</strong><br />

région du Taillefer-col du <strong>La</strong>utaret est un site classique où l’on retrouve des blocs basculés<br />

limités par des failles normales et des discordances progressives dues à la sédimentation synrift.<br />

Des structures comparables, non reprises (non-inversées) par l’orogenèse alpine, se rencontrent<br />

dans le bassin du sud-est et jusqu’à la marge ardéchoise. <strong>La</strong> faille des Cévennes<br />

constitue la limite occidentale de ce domaine en distension, formé lors de l’ouverture de<br />

l’océan liguro-piémontais.<br />

Un « couvercle » des nappes de socle austro-alpines<br />

Contrairement à l’Himalaya, dans les Alpes, les nappes ophiolitiques ne représentent pas<br />

les unités les plus élevées de l’édifice. Des nappes crustales formées d’un socle de roches<br />

métamorphiques et magmatiques paléozoïques et d’une couverture de séries sédimentaires<br />

mésozoïques recouvre les ophiolites. Il s’agit des nappes austro-alpines, le fameux « traîneau<br />

écraseur » de P. Termier, très développées dans les Alpes orientales (Autriche, Suisse, Italie).<br />

Biologie Géologie n° 4-2004 753


Dans les Alpes franco-italiennes, elles forment les klippes modestes, mais spectaculaires, de<br />

la Dent Blanche ou du Cervin.<br />

Le problème de la zone Sesia<br />

Le massif de Sesia constitue le massif cristallin interne le plus oriental des Alpes francoitaliennes.<br />

Il est constitué de roches métamorphiques de haute pression (c’est dans cette zone<br />

que se trouve le remarquable Monte Mucrone qui est un granite hercynien entièrement éclogitisé).<br />

Pour de nombreux auteurs, la zone Sesia appartiendrait à la partie la plus inférieure<br />

des nappes austro-alpines. Cependant, l’intensité du métamorphisme et de la déformation<br />

subis par ces roches suggèrent qu’elles appartiennent plutôt à la croûte européenne profondément<br />

subductée. Cette question importante, puisqu’elle conditionne la position de la suture<br />

alpine, reste encore débattue.<br />

Le problème du « corps d’Ivrée »<br />

On sait depuis longtemps qu’il existe une très forte anomalie positive de gravité à<br />

l’aplomb de la zone d’Ivrée, appelée le « corps d’Ivrée ». <strong>La</strong> modélisation de cette anomalie<br />

indique qu’elle diminue vers l’ouest. Le profil ECORS-Alpes confirme également l’existence<br />

du corps d’Ivrée. De nombreux auteurs considèrent que le corps d’Ivrée est constitué par<br />

du manteau lithosphérique apulien venant « poinçonner » l’empilement des nappes. Cette<br />

interprétation implique que la limite lithosphérique que représente la suture ophiolitique soit<br />

cisaillée. Un tel processus est mécaniquement très difficile. Une autre possibilité serait de<br />

considérer que les roches denses qui constituent le corps d’Ivrée ne sont pas du manteau, mais<br />

de la croûte <strong>continentale</strong> éclogitisée (fig. 16). Il est alors intéressant de remarquer que l’anomalie<br />

de gravité se trouve au-dessus du massif éclogitique de Dora Maira.<br />

Les éléments manquants<br />

Il est bien sûr plus difficile de discuter de l’absence d’un fait que de sa présence, mais on<br />

peut néanmoins souligner les traits suivants.<br />

Absence d’arc magmatique. Bien que l’on connaisse des formations terrigènes remaniant<br />

des éléments volcaniques calco-alcalins (p. ex. flyschs oligocènes de Taveyannaz), contrairement<br />

à l’Himalaya, il n’existe pas dans les Alpes d’arc magmatique correspondant à la subduction<br />

anté-<strong>collision</strong>nelle. Ce fait est généralement expliqué par la brièveté de la subduction<br />

et son faible pendage (il s’agit d’une subduction forcée d’une lithosphère jeune).<br />

Absence de fusion crustale. Contrairement aux chaînes himalayenne ou hercynienne,<br />

l’anatexie crustale et le plutonisme sont pratiquement absents dans les Alpes. Les petits massifs<br />

granitiques de Bergell et d’Adamello à la frontière italo-helvétique ainsi que le dôme du<br />

Tessin sont les rares représentants des phénomènes thermiques post-<strong>collision</strong>nels (fusion<br />

crustale ou métamorphisme de HT) dans la chaîne alpine. Certains auteurs considèrent que<br />

des plutons granitiques sont présents en profondeur mais pas encore exposés à la surface. Cet<br />

argument se heurte à la présence de roches de ultra-haute pression formées plus profondément<br />

et pourtant elles déjà exhumées. Une autre hypothèse séduisante est de considérer que<br />

les roches <strong>continentale</strong>s qui constituent la chaîne alpine ne sont plus « fertiles ». En effet, ces<br />

roches ayant déjà exprimé des liquides magmatiques lors de l’orogenèse hercynienne, leurs<br />

potentialités comme sources de magmas pendant l’orogenèse alpine sont quasi nulles.<br />

754 Biologie Géologie n° 4-2004


EUROPE APULIE<br />

Ligne Insubrienne<br />

suture<br />

Zone d'Ivrée<br />

Nappe austro-alpine<br />

Massifs cristallins<br />

externes<br />

Zone dauphino-helvétique<br />

bassin<br />

molassique<br />

MCI<br />

bassin<br />

molassique<br />

0<br />

*<br />

*<br />

Moho Moho<br />

30<br />

Corps d'Ivrée<br />

Le corps d'Ivrée correspond à une anomalie de gravité positive. Il est souvent interprété comme un coin de manteau apulien, mais une autre possibilité<br />

serait de considérer qu'il s'agit dela croûte <strong>continentale</strong> européenne éclogitisée dans des conditions d'ultra-haute pression.<br />

Biologie Géologie n° 4-2004 755<br />

LVZ<br />

120 LVZ<br />

* Roches métamorphiques de<br />

ultra-haute pression dans les<br />

massifs cristallins internes<br />

(MCI)<br />

16. - Coupe schématique des Alpes occidentales à l’échelle de la lithosphère


Les caractères généraux des chaînes de <strong>collision</strong><br />

Les marqueurs de la <strong>collision</strong><br />

A la lumière des exemples précédents, plusieurs critères d’identification d’une chaîne de<br />

<strong>collision</strong> peuvent être mis en avant. Cependant, certains caractères, bien que nécessaires ne<br />

sont pas suffisants pour conclure à une <strong>collision</strong> <strong>continentale</strong>. On retiendra la présence des<br />

éléments suivants :<br />

– une suture ophiolitique entre deux continents, mais il existe des nappes ophiolitiques<br />

sans <strong>collision</strong> ;<br />

– des traces de subduction océanique précédant la <strong>collision</strong> : arc magmatique, prisme<br />

d’accrétion dans la plaque supérieure ;<br />

– des traces de marge passive inversée dans la plaque inférieure ;<br />

– des preuves d’épaississement crustal d’origine tectonique : nappes, chevauchements ;<br />

– des marques d’un métamorphisme de haute pression et/ou un métamorphisme inverse<br />

(selon le modèle classique du « fer à repasser ») dans les nappes crustales de la plaque inférieure<br />

;<br />

– une racine crustale mise en évidence par la sismologie ou la gravimétrie ;<br />

– un relief important dans les chaînes récentes, mais tous les reliefs élevés ne résultent pas<br />

de <strong>collision</strong>.<br />

Les conséquences géologiques de la <strong>collision</strong><br />

Les deux derniers critères s’appliquent aux chaînes récentes, ils manquent la plupart du<br />

temps dans les chaînes anciennes. En effet, afin de retrouver son équilibre isostatique, une<br />

croûte <strong>continentale</strong>, mécaniquement et thermiquement perturbée par l’épaississement, va<br />

recouvrer son épaisseur initiale en faisant disparaître le relief et la racine, on parle de « desépaississement<br />

crustal ». Intuitivement, il est facile de concevoir que le relief que constitue<br />

une chaîne de montagne est un site privilégié pour l’érosion. Il est classique d’observer dans<br />

les chaînes anciennes que le relief a été arasé et que les anciennes structures, comme les plis,<br />

sont recouvertes en discordance par des dépôts terrigènes.<br />

Cependant, la comparaison des volumes érodés, estimés à partir de la profondeur de formation<br />

des roches métamorphiques affleurantes et des volumes de roches sédimentaires<br />

déposées dans les bassins autour des chaînes montre que le compte n’y est pas. Même importante,<br />

l’érosion seule ne peut pas rendre compte de la mise à l’affleurement de roches métamorphiques<br />

et magmatiques formées profondément dans la croûte. Il est nécessaire de faire<br />

aussi appel à des mécanismes tectoniques pour expliquer l’exhumation des racines des<br />

chaînes. L’instabilité gravitaire créée par l’épaississement constitue le moteur de la tectonique<br />

de des-épaississement. Ainsi on peut dire qu’une chaîne de montagnes porte en elle<br />

même les germes de sa disparition car elle s’écroule sous son propre poids. Plusieurs phénomènes<br />

accompagnent le des-épaississement crustal.<br />

Effets mécaniques : compression et extension<br />

Les cisaillements plats sont responsables de l’épaississement crustal. Au cours de la<br />

déformation ductile, les roches acquièrent des anisotropies planaire (foliation) et linéaire<br />

(linéation) irréversibles qui conditionnent leur comportement rhéologique ultérieur.<br />

Contrairement à une idée répandue dans les années 80, la déformation ductile des roches ne<br />

signifie pas nécessairement tectonique compressive. On a pu établir, par l’étude des cordillères<br />

nord-américaines notamment, que de grandes failles normales ductiles à faible pen-<br />

756 Biologie Géologie n° 4-2004


5<br />

10<br />

5<br />

10<br />

5<br />

10<br />

dage pouvaient se former dans la croûte moyenne et inférieure et exhumer les roches métamorphiques<br />

de la croûte profonde dans des dômes métamorphiques (fig. 17).<br />

Dans une chaîne de montagnes, la tectonique extensive peut se produire soit pendant la<br />

compression : c’est l’extension syn-orogénique, soit après la compression : c’est l’extension<br />

tardi- à post-orogénique (fig. 18). Dans l’Himalaya, le fonctionnement simultané de la faille<br />

normale nord himalayenne et du MBT illustre bien l’extension syn-orogénique (fig. 9). Dans<br />

les Alpes, la faille normale du Viso est aussi une structure importante pour accommoder le<br />

des-épaississement. Des modélisations analogiques, (fig. 19) reproduisent l’exhumation d’un<br />

coin crustal limité à sa base par un chevauchement et à son toit par une faille normale.<br />

Comme le moteur de l’exhumation est la poussée d’Archimède qui fait remonter les unités les<br />

plus légères, l’érosion, en allégeant le coin crustal accélère son exhumation.<br />

10<br />

20 30 40 50 60 70 80 90 100<br />

Modèle d'exhumation de roches metamorphiques profondes et de formation d'un dôme<br />

métamorphique (metamorphic core complex) avec un étirement horizontal de la croûte de 55%<br />

17. - Schéma de formation d’un dôme métamorphique (Metamorphic Core Complex)<br />

montrant l’exhumation des roches métamorphiques (d’après Spencer, 1984).<br />

Biologie Géologie n° 4-2004 757


Extension syn-compression<br />

σ 1 horizontal<br />

Suture<br />

Début de l'effondrement gravitaire<br />

σ 1 vertical<br />

bassin<br />

d'avant-chaîne<br />

Extension post-orogénique<br />

granulitisation<br />

en base de croûte<br />

Extrusion d'un coin crustal<br />

bassin<br />

intramontagneux bassin<br />

d'avant-chaîne<br />

demi-grabben<br />

magmatisme crustal<br />

18. - Les divers cas d’extension dans les chaînes de montagnes (d’après Malavieille, 1993)<br />

758 Biologie Géologie n° 4-2004


erosion<br />

erosion<br />

19. - Modélisation analogique de l’exhumation d’un coin crustal pendant une compression<br />

et favorisé par l’érosion (d’après Chemenda et al., 1996)<br />

Biologie Géologie n° 4-2004 759


Effets métamorphiques<br />

Au cours de son histoire, une roche impliquée dans la formation d’une chaîne va<br />

connaître des successions de conditions de pression (P) et de température (T) qui peuvent être<br />

quantifiées par l’étude des minéraux métamorphiques. On représente graphiquement ces<br />

variations thermodynamiques par des diagrammes de trajets P-T. Quand les conditions le permettent,<br />

le trajet P-T peut aussi être paramétré en fonction du temps. Le trajet rétrograde<br />

contemporain de l’exhumation peut s’accompagner ou non de fusion crustale (fig. 20). En<br />

profondeur, l’extension ductile, contemporaine du métamorphisme granulitique de haute<br />

température dû au flux thermique du manteau, est responsable de la formation de la croûte<br />

inférieure litée.<br />

0<br />

10<br />

20<br />

30<br />

200 300 400 500 600 700 800 900 1000<br />

P (kbar)<br />

Quartz<br />

Coesite<br />

GREENSCHIST<br />

BLUESCHIST<br />

AMPHIBOLITE<br />

Métamorphisme syn-subduction<br />

Exhumation isotherme<br />

ECLOGITE<br />

T (°C)<br />

GRANULITE<br />

Exhumation<br />

avec fusion<br />

Exemples d'évolutions pression-température associées à la subduction<br />

<strong>continentale</strong> et à l'exhumation déterminées par l'étude des minéraux<br />

métamorphiques. Les différents domaines de pressions et de températures<br />

(éclogite, amphibolite, etc.. ) correspondent à des assemblages<br />

minéralogiques caractéristiques pour des compositions chimiques données.<br />

20. - Trajets P-T suivis par les roches <strong>continentale</strong>s impliquées dans la subduction <strong>continentale</strong><br />

et l’exhumation<br />

760 Biologie Géologie n° 4-2004


Effets magmatiques<br />

L’épaississement crustal a pour conséquence d’élever le géotherme, notamment à cause<br />

de l’accroissement des éléments radiogéniques. <strong>La</strong> fusion crustale, favorisée par une abondance<br />

de fluides, produit des migmatites et des granites alumineux (à muscovite, cordiérite,<br />

grenat). A propos du magmatisme, il est important de distinguer clairement trois aspects : i)<br />

la profondeur et la composition des sources des magmas, ii) les modalités de transport des<br />

liquides magmatiques dans la croûte et iii) la mise en place finale des plutons. On constate<br />

que les roches granitiques possèdent souvent des structures planaires et linéaires qui permettent<br />

de construire la structure interne d’un pluton. Le passage progressif entre des structures<br />

acquises à l’état magmatique (au cœur des massifs) et à l’état solide après la cristallisation<br />

(sur les bordures des plutons) démontre le caractère syntectonique des plutons. A cet égard, la<br />

chaîne hercynienne fournit de nombreux exemples de plutons mis en place dans des contextes<br />

tectoniques décrochants, comme dans le Massif armoricain, ou extensifs, comme dans le<br />

Massif Central.<br />

Effets sédimentaires<br />

Les produits de l’érosion de la chaîne vont s’accumuler dans des bassins sédimentaires.<br />

On en distingue deux grandes catégories. Les bassins intramontagneux sont des réceptacles<br />

de petite taille, limités au moins d’un côté par une faille normale (fig. 18). Ces demi-grabens<br />

sont l’expression de surface de la tectonique extensive au cœur de la chaîne en voie de desépaississement.<br />

Dans le Massif Central, les bassins houillers de Saint-Etienne, Graissessac ou<br />

Montluçon sont des exemples classiques de ce type de bassin intramontagneux formés pendant<br />

l’effondrement gravitaire de la chaîne hercynienne. Les bassins d’avant-pays ou bassin<br />

flexuraux représentent les sites d’accumulation des produits terrigènes ayant connu un certain<br />

transport. Il s’agit de dépressions synclinales formées par flexuration de la lithosphère en<br />

réponse à l’épaississement de l’arrière-pays (fig. 21). Le « sillon molassique périalpin » ou le<br />

« bassin molassique sous-himalayen » correspondent à de telles structures.<br />

Rôle et devenir du manteau lithosphérique<br />

Une chaîne de montagnes résultant d’un épaississement crustal, le manteau qui supporte<br />

cette croûte doit nécessairement se décoller au niveau du MOHO et s’enfoncer dans l’asthénosphère<br />

(fig. 22). C’est exactement ce que montre la tomographie sismologique (fig. 12).<br />

Cette délamination lithosphérique a d’importantes conséquences géodynamiques.<br />

En profondeur, la substitution de manteau lithosphérique froid par du manteau asthénosphérique<br />

chaud est susceptible de déclencher la fusion crustale à cause de l’apport de chaleur<br />

et de fluides. En outre, la remontée d’asthénosphère peut aussi engendrer directement des<br />

magmas basaltiques par fusion partielle.<br />

En surface, l’allègement de la plaque produit une surrection (uplift) de la topographie (cf.<br />

cas du plateau tibétain, fig. 13). Notons que surrection ou formation du relief n’est pas synonyme<br />

d’exhumation qui est la mise à l’affleurement de roches métamorphiques.<br />

Enfin, nous évoquerons ici, sans le développer, le rôle important joué par la <strong>collision</strong><br />

<strong>continentale</strong> sur l’évolution du climat. Intuitivement, on conçoit facilement que la formation<br />

d’un relief va modifier les circulations atmosphériques, le régime des précipitations et la distribution<br />

des températures sur de vastes surfaces. Ces perturbations auront en retour des<br />

conséquences sur l’installation du réseau hydrographique, le drainage et le stockage des<br />

matériaux terrigènes dans les bassins sédimentaires.<br />

Biologie Géologie n° 4-2004 761


5 Km<br />

R. Cher<br />

ESTIVAREILLES<br />

Montluçon<br />

46N20<br />

5 Km<br />

Région étudiée<br />

granite<br />

2E40 3E<br />

MEAULNES<br />

Aumance<br />

DENEUILLE<br />

COMMENTRY<br />

DOYET MONTVICQ<br />

S T -<br />

ELOY<br />

50 Km<br />

762 Biologie Géologie n° 4-2004<br />

Sillon<br />

DOYET-MONTVICQ VILLEFRANCHE<br />

COMMENTRY<br />

Stephanien<br />

AUMANCE<br />

VILLEFRANCHE<br />

Montmarault<br />

Houiller<br />

Permien<br />

BOURBON<br />

L'ARCHAMBAULT<br />

décollement hypothétique<br />

roches métamorphiques<br />

3E<br />

Bourbon<br />

l'Archambault<br />

46N20<br />

Dépots Meso-<br />

Cénozoïques<br />

Depots Permiens<br />

Bassin houiller<br />

Stéphanien<br />

Granite de Montmarault<br />

Socle métamorphique<br />

NOYANT<br />

SSW NNE<br />

21. - Exemple de bassin intramontagneux en demi-graben dont l’ouverture est contrôlée<br />

par une faille normale listrique. Cas des bassins houillers d’âge carbonifère supérieur<br />

(Stéphanien) du Nord du Massif Central (Faure, 1995).<br />

N


MOHO<br />

Subsidence<br />

Apport sédimentaire<br />

✵ ✵<br />

✵<br />

Surrection<br />

Epaississement<br />

crustal<br />

Flexuration de la lithosphère<br />

22. - Schéma conceptuel d’un bassin flexural ou d’avant-pays formé en réponse à<br />

l’épaississement crustal de l’arrière-pays<br />

Un phénomène fondamental dans le cycle des mégacontinents<br />

<strong>La</strong> <strong>collision</strong> <strong>continentale</strong> est un processus géodynamique majeur de la lithosphère. C’est<br />

en effet un des mécanismes permettant le couplage entre la croûte et le manteau. Les récentes<br />

données tomographiques suggèrent que le volume de croûte <strong>continentale</strong> recyclée dans le<br />

manteau a été jusqu’à présent sous-estimé. Les couplages entre les processus géodynamiques<br />

internes et externes par l’intermédiaire de la <strong>collision</strong> sont des sujets de recherche en plein<br />

développement. Leur présentation et leur discussion dépassent le cadre de cet exposé.<br />

<strong>La</strong> <strong>collision</strong> est aussi responsable du rassemblement régulier et périodique des masses<br />

<strong>continentale</strong>s en mégacontinents. Dans l’histoire du globe, on commence à identifier des<br />

cycles de rassemblement et de dispersion des mégacontinents avec une périodicité de l’ordre<br />

de 350-400 Ma. <strong>La</strong> Pangée, formée vers 300-250 Ma, après l’orogenèse hercynienne, est le<br />

dernier et le mieux connu de ces mégacontinents. Son éclatement au Mésozoïque puis son<br />

regroupement est à l’origine des chaînes de <strong>collision</strong> « alpino-himalayennes ». Le rassemblement<br />

de tous les continents n’est pas encore achevé, puisque la <strong>collision</strong> Eurasie-Australie<br />

commence à peine au sud de l’Indonésie (Timor, Papouasie-Nouvelle-Guinée) et que<br />

l’Atlantique n’a pas encore débuté sa fermeture, ce qui ne saurait tarder, à l’échelle géologique<br />

bien sûr!<br />

Avant la Pangée, on identifie les mégacontinents Rodinia vers 750-600 Ma et Columbia<br />

vers 1200-1000 Ma. Ces reconstructions paléogéographiques, fondées sur le paléomagnétisme,<br />

les corrélations de formations remarquables (comme les dépôts glaciaires) ou l’analyse<br />

structurale des chaînes issues des <strong>collision</strong>s, restent encore débattues et constituent une des<br />

voies de recherche en sciences de la Terre.<br />

Biologie Géologie n° 4-2004 763


SUTURE :<br />

Limite entre 2 continents<br />

Faille<br />

Circulation atmosphérique normale<br />

ductile Chevauchement crustal<br />

0<br />

Bassin<br />

sédimentaire<br />

Erosion<br />

Erosion<br />

0<br />

30<br />

MOHO<br />

découplage croûte-manteau<br />

MOHO<br />

30<br />

*<br />

LITHOSPHERE<br />

90<br />

LVZ : base de la lithosphère<br />

LVZ<br />

90<br />

Métamorphisme de<br />

Ultra Haute Pression<br />

à coesite-diamant<br />

Coin crustal métamorphisé dans des conditions<br />

de très haute pression en cours d'exhumation<br />

Schéma de l'exhumation d'un bloc crustal subducté à grande profondeur dans l'asthénosphère,<br />

puis exhumé grâce au jeu simultané d'un chevauchement et d'une faille normale. Les croix<br />

allongées symbolisent la déformation ductile syn-métamorphe de la croûte <strong>continentale</strong>.<br />

764 Biologie Géologie n° 4-2004<br />

Manteau asthénosphérique<br />

Magmatisme syn à post orogénique<br />

23. - Schéma montrant le couplage entre la <strong>collision</strong> <strong>continentale</strong>, ses effets dans la croûte et les effets géodynamiques<br />

de surface<br />

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