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نبض المجتمع العدد 7

العدد السابع من مجلة نبض المجتمع

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Pandémie : pour une éthique de résistance

« Dans les profondeurs de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y

avait en moi un été invincible »

Albert Camus

Mohammed Bakrim

Les générations actuelles n’ont pas eu à subir

un traumatisme majeur. Pour l’essentiel, elles sont

nées après la deuxième guerre mondiale. Elles n’ont

pas ainsi connu les affres de la disette, des pénuries

multiples…autant de drames collectifs ancrés dans

la mythologie populaire sous des appellations

diverses: « l’année du bon », « l’année de la famine

», « l’année des sauterelles ». Elles n’ont pas connu

non plus des catastrophes d’envergure : il y avait bien

des tremblements de terre (Agadir, 000 20 morts),

des épidémies, des tsunamis…des guerres, mais

c’était souvent des géographies lointaines. Avec le

Covid19-, les générations actuelles sont entrées de

plain pied dans l’histoire des tragédies universelles.

Elles font ainsi un apprentissage au quotidien de

ce qu’est réellement la vie. Une expérience vécue

cette fois dans l’incertitude totale pour garder à

l’esprit combien les choses pouvaient être soudaines,

brutales, terribles. Pour se rappeler à jamais qu’aucun

bonheur n’est acquis pour

l’éternité. Se rappeler combien

la vie était fragile. Précieuse,

mais terriblement fragile.

Certes, des récits de

science-fiction, surtout

cinématographiques, ont nourri

l’imaginaire de ces générations

de représentations sur le

devenir apocalyptique du monde.

Vécus et consommés sur le mode spectaculaire,

ces récits de fiction donnent une représentation

de risques existentiels et collectifs qui auraient

ainsi quitté l’ordre de l’hypothèse, de l’abstrait. Le

grand intérêt de ces fictions tient donc à ce qu’elles

rendent visibles les possibilités de l’apocalypse. Elles

sont un relais symbolique de nos angoisses et peurs

collectives. Comme le dit le philosophe Michaël

Fœssel : « Comme l’homme a tendance à ne plus

remarquer ce qu’il habite, le détour par les images

présente un intérêt maximal : le but des métaphores

est toujours de fournir une expression abrégée, et si

possible frappante, de ce qui ne se laisse pas saisir au

premier regard ».

Cette recherche d’images frappantes explique

C’est une œuvre sur la capacité

des gens, face à l’adversité, à

s’élever au-dessus des égoïsmes, du

repli sur soi et à s’inscrire dans une

entreprise collective

peut-être en cette période de confinement, la

forte demande autour d’œuvres de fiction traitant

d’épidémie. C’est le cas pour le film Contagion

(Steven Soderberg, Etats-unis, 2011) et pour le roman

célébrissime, La peste d’Albert Camus.

Le roman demeure une référence incontournable

en la matière. Il continue à nous parler, à tracer un

horizon de réception porté par une éthique de

résistance illustrée par son personnage central, le

Docteur Rieux. Au départ, le projet de Camus était

de mettre au centre de la lutte contre l’épidémie,

la question de la séparation. Des gens qui s’aiment

se retrouvent séparés momentanément, par l’état

de siège, ou définitivement, par la mort. Au fur et à

mesure de son écriture et comme un écho aux bruits

peu rassurants qui envahissent le monde à la fin des

années 1930, le projet du roman se voit recentré vers

la thématique de la résistance. C’est une œuvre sur

la capacité des gens, face à l’adversité, à s’élever audessus

des égoïsmes, du repli

sur soi et à s’inscrire dans une

entreprise collective. Mais ce

n’est pas un schéma tout tracé.

C’est un cheminement, dans

la méditation et la douleur.

Les personnages évoluent, en

effet, devant nous, changent

au contact des autres hommes

et des sacrifices consentis. C’est

le cas du journaliste Raymond Rambert qui au départ

ne s’estime en rien concerné par l’épidémie qui frappe

la ville. Venu pour un reportage, il est impatient de

rentrer pour rejoindre sa fiancée. Témoin du courage

du docteur Rieux et de ses amis dans leur combat

au jour le jour contre le fléau, il renonce à son plan

initial et s’engage résolument à leurs côtés. « Oui,

dit Rambert, mais il peut y avoir de la honte à être

heureux tout seul ». Il accomplit ainsi ce que Camus

appelle le « métier d’homme » ; celui qui tire sa

dignité de la capacité à faire des sacrifices pour une

œuvre collective.

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