Hommage à Lazare Ponticelli - Le dernier Poilu - Numilog
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PRÉFACE<br />
Ancien de la Légion étrangère,<br />
je suis fier d’avoir servi avec « honneur et fidélité ».<br />
Dans ma cité, je suis fier que mes relations disent de moi<br />
avec considération : « C’est un ancien légionnaire. »<br />
Code d’honneur de l’ancien légionnaire<br />
En 2004, la France s’apprête <strong>à</strong> commémorer le quatre-vingtdixième<br />
anniversaire du début de la Première Guerre mondiale.<br />
Une petite douzaine de vétérans, les <strong>dernier</strong>s survivants de ce<br />
conflit, sont alors mis en pleine lumière. Parmi eux <strong>Lazare</strong><br />
<strong>Ponticelli</strong>, âgé de cent sept ans. De ce vieux monsieur, discret, au<br />
regard vif, domicilié au Kremlin-Bicêtre, on ne sait que peu de<br />
choses. Sauf que, d’origine italienne, il a combattu les Autrichiens<br />
dans le Tyrol avant d’obtenir la nationalité française.<br />
Pour autant, le grand public ne s’y trompe pas. Être centenaire,<br />
avoir traversé sans heurt le vingtième siècle, avoir connu la dure vie<br />
du front et pouvoir en témoigner, cela force en soi le respect.<br />
Surtout que le parcours de cet homme est plus aventureux qu’il n’y<br />
paraît.<br />
En sondant son passé, ne découvre-t-on pas qu’avant de servir<br />
dans les troupes alpines italiennes, il a combattu, en 1914, dans<br />
l’Argonne, au sein de la Légion étrangère ? La France, le pays qui<br />
l’a accueilli, lui, l’étranger, <strong>à</strong> l’âge de dix ans, est alors menacée ; son<br />
devoir « lui qui est né ailleurs et domicilié ici » est de prendre les<br />
armes pour la défendre. Pour lui, c’est dans l’ordre des choses.
HOMMAGE À LAZARE PONTICELLI - LE DERNIER POILU<br />
Aujourd’hui doyen des anciens légionnaires, son nom figure<br />
dans le « gotha » des hommes célèbres qui ont servi la Légion étrangère,<br />
durant la Grande Guerre, aux côtés de Blaise Cendrars, Alan<br />
Seeger, Ricciotto Canudo, Hernando de Bengoecha.<br />
Une tout autre raison aurait, <strong>à</strong> elle seule, justifié l’entrée de<br />
<strong>Lazare</strong> <strong>Ponticelli</strong> au « Panthéon de la Légion étrangère ». Sa fidélité<br />
<strong>à</strong> sa terre d’accueil et son intégration réussie en son sein sont, en<br />
effet, emblématiques de toute une génération de légionnaires, celle<br />
des « volontaires étrangers engagés pour la durée de la guerre ». <strong>Le</strong><br />
parcours de <strong>Lazare</strong> <strong>Ponticelli</strong>, retracé dans cet ouvrage, leur rend,<br />
aujourd’hui collectivement, un juste hommage.<br />
En effet, en 1914 comme en 1939, c’est par milliers que des<br />
immigrés, <strong>à</strong> l’appel de certains d’entre eux, rallient les régiments de<br />
la Légion étrangère pour défendre leur seconde patrie, la France.<br />
Rien ne les y oblige hormis un sens aigu du devoir et une immense<br />
reconnaissance envers cette terre d’accueil. C’est ce qu’exprimera,<br />
quelques années plus tard, le lieutenant-colonel Dimitri<br />
Amilakvari, avant de tomber en mai 1942, <strong>à</strong> El-Himeimat, <strong>à</strong> la tête<br />
de la 13 e demi-brigade de Légion étrangère. « Nous, étrangers, n’avons<br />
qu’une seule façon de prouver <strong>à</strong> la France notre gratitude pour l’accueil<br />
qu’elle nous a fait, c’est de mourir pour elle. »<br />
S’il est vrai que ces volontaires étrangers, une fois rendus <strong>à</strong> la vie<br />
civile, n’ont pas tous connu la brillante réussite professionnelle de<br />
<strong>Lazare</strong> <strong>Ponticelli</strong>, fruit de son courage et de son opiniâtreté <strong>à</strong> la tête<br />
de son entreprise, en revanche, tous se sont, comme lui, parfaitement<br />
intégrés dans la société. Ce droit, faut-il le rappeler, ils l’ont<br />
souvent acquis au prix le plus élevé : celui du sang versé. Aussi méritent-ils<br />
reconnaissance et considération de la part de ceux qui sont<br />
désormais leurs concitoyens.<br />
C’est ainsi que le 30 avril 1966, jour anniversaire du mythique<br />
combat de Camerone, en présence des plus hautes autorités civiles<br />
et militaires, Monsieur Albert de Segura, un des plus glorieux<br />
6
7<br />
PRÉFACE<br />
représentants des Anciens Combattants Engagés Volontaires Étranger<br />
de l’Armée française, remonte la voie sacrée du Quartier Vienot,<br />
<strong>à</strong> Aubagne, en portant la main du capitaine Danjou. La Légion<br />
n’oublie jamais les siens.<br />
Général de corps d’armée (2S) Robert Rideau<br />
Président de la Fédération des Sociétés<br />
des Anciens de la Légion étrangère
AVERTISSEMENT<br />
<strong>Lazare</strong> <strong>Ponticelli</strong> n’est plus. Il s’est éteint paisiblement, entouré<br />
des siens, le 12 mars 2008.<br />
Il était le <strong>dernier</strong> témoin français de la Grande Guerre, l’ultime<br />
<strong>Poilu</strong>.<br />
Il avait accepté, l’année précédente, de nous livrer ses souvenirs,<br />
en toute simplicité, pour que cet ouvrage existe, pour rendre hommage,<br />
<strong>à</strong> travers lui, <strong>à</strong> ses camarades tombés sur le front d’Argonne,<br />
<strong>à</strong> ses côtés, et, au-del<strong>à</strong>, <strong>à</strong> tous les combattants de la première boucherie<br />
du XX e siècle. C’était l<strong>à</strong> le sens de son engagement, chaque<br />
11 novembre, devant le monument aux morts de sa commune.<br />
Pour rien au monde il n’aurait trahi la promesse faite <strong>à</strong> un mourant<br />
dans les tranchées, en 1915.<br />
La première édition de ce livre est parue un mois après la cérémonie<br />
organisée <strong>à</strong> l’Hôtel national des Invalides <strong>à</strong> l’occasion de ses<br />
cent dix ans. Son <strong>dernier</strong> anniversaire.<br />
<strong>Lazare</strong> <strong>Ponticelli</strong> avait refusé les obsèques nationales qui lui<br />
avaient été proposées par le chef de l’Etat, Jacques Chirac, parce<br />
qu’il ne recherchait ni les honneurs, ni la gloire posthume.<br />
Peu avant son décès, il avait pourtant fini par accepter que ses<br />
funérailles soient l’occasion d’un hommage national <strong>à</strong> tous les<br />
<strong>Poilu</strong>s, pour que perdure le sens de leur engagement, leur mémoire.<br />
Fidèles <strong>à</strong> l’esprit qui était le sien, nous avons décidé de reproduire<br />
<strong>à</strong> la fin de ce livre l’adieu du général de corps d’armée Bruno<br />
Dary, gouverneur militaire de Paris, ainsi que l’hommage national<br />
aux combattants de 1914-1918 de Nicolas Sarkozy, président de la<br />
République.
INTRODUCTION<br />
Dimanche 9 décembre 2007.<br />
Cent dix printemps. Mais aussi cent dix hivers.<br />
Des hivers où, en Emilie-Romagne, sa province natale, la faim<br />
tenaille même les plus audacieux. Des hivers <strong>à</strong> attendre que la<br />
France devienne le paradis auquel le garçonnet a tant rêvé. C’est<br />
seul, alors qu’il a dix ans, qu’il prend la route, avec aux pieds les<br />
chaussures qu’il a lui-même confectionnées, pour trouver un refuge<br />
dans ce paradis dont il a tant entendu parler… Des hivers où, abandonnés<br />
par les siens, il ne peut compter que sur lui-même. Des<br />
hivers dans les tranchées <strong>à</strong> côtoyer la mort, que ce soit en Argonne<br />
contre les Allemands, dans les rangs de la Légion étrangère, ou aux<br />
côtés des Alpini, face aux Autrichiens. Des hivers sur les échafaudages,<br />
pour que prenne corps le projet d’une société de frères, les<br />
<strong>Ponticelli</strong>. Des hivers tellement longs !<br />
C’est ce cent dixième anniversaire – un âge qui impose le respect<br />
– que célèbre <strong>Lazare</strong> <strong>Ponticelli</strong>, entouré de sa famille et de ses<br />
amis, dans le Grand Salon de l’Hôtel national des Invalides.<br />
Une salle prestigieuse pour un hôte qui ne l’est pas moins.<br />
Ils sont venus nombreux pour l’honorer.<br />
<strong>Le</strong> général de corps d’armée Bruno Dary, gouverneur militaire<br />
de Paris, le général de brigade Louis Pichot de Champfleury, qui a<br />
succédé au général Dary <strong>à</strong> la tête de la Légion étrangère, le général<br />
de corps d’armée Robert Rideau, président de la FSALE, la<br />
Fédération des sociétés d’anciens de la Légion étrangère, pour ne<br />
citer qu’eux.<br />
Certains des invités ont fait le chemin depuis l’Italie, comme le<br />
maire de Bettola, commune dans laquelle est né <strong>Lazare</strong>, mais aussi
HOMMAGE À LAZARE PONTICELLI - LE DERNIER POILU<br />
des représentants des Alpini, parmi lesquels il s’est battu <strong>à</strong> partir de<br />
1915, contre les Autrichiens.<br />
Tous ont tenu <strong>à</strong> rendre hommage au symbole, <strong>à</strong> ce héros ordinaire.<br />
Car il ne doit qu’<strong>à</strong> son âge canonique d’être ainsi l’objet de<br />
toutes les attentions. En effet, la Grande Guerre et les <strong>Poilu</strong>s qui y<br />
ont laissé leur peau ne font plus recette, hormis dans les écoles – et<br />
encore ! – où cette première guerre mondiale est au programme. Il<br />
n’est qu’<strong>à</strong> voir la place que leur consacrent les journaux télévisés ou<br />
la presse ! Depuis quelques années déj<strong>à</strong>, ils peuvent espérer, au<br />
mieux, faire l’objet d’un sujet <strong>à</strong> l’occasion des commémorations du<br />
11 novembre, au pire, faire la une le jour de leur décès. Comme en<br />
Argonne ou <strong>à</strong> Verdun, l’horizon est bouché.<br />
Il est <strong>à</strong> craindre que demain, si nous n’y prenons garde, en même<br />
temps que s’éteindra son <strong>dernier</strong> témoin, la première guerre mondiale<br />
disparaisse des mémoires. Cet ouvrage est un pied de nez <strong>à</strong> l’oubli qui<br />
nous gagne tous, qui fait du temps son allié.<br />
<strong>Lazare</strong> <strong>Ponticelli</strong> n’est-il pas l’ultime rescapé français de la première<br />
boucherie du XX e siècle ? le premier conflit total, dans lequel<br />
tous sont engagés, volontaires ou non, jusqu’aux femmes sollicitées<br />
pour soutenir « l’effort de guerre ». Une guerre totale dont le nombre<br />
de victimes parle de lui-même. Des hommes enterrés dans des<br />
tranchées de boue, côtoyant chaque jour la « fossoyeuse » qui<br />
emporte leurs copains. Qui attendent la nuit pour souffler, se<br />
demandant si ce n’est pas la dernière…<br />
L’histoire de <strong>Lazare</strong> <strong>Ponticelli</strong> est celle d’un homme qui, dès le<br />
plus jeune âge, a rêvé du paradis. Un paradis qui avait pour nom<br />
France. Il voulait fuir la misère qui avait marqué ses plus jeunes<br />
années, d’abord pour pouvoir enfin espérer manger <strong>à</strong> sa faim. Mais<br />
bientôt aussi pour s’intégrer dans un monde qu’il jugeait plus perméable<br />
<strong>à</strong> la réussite dont il se sentait capable.<br />
<strong>Ponticelli</strong> Frères, la société qu’il a créée en 1921 avec Céleste et<br />
Bonfils, témoigne de son succès. L’entreprise a acquis une renommée<br />
internationale dans le montage et l’entretien des cheminées industrielles,<br />
puis dans la tuyauterie et la mécanique. Elle est devenue un<br />
acteur majeur des services <strong>à</strong> l’industrie (pétrole et pétrochimie).<br />
<strong>Le</strong> rêve du jeune Italien est devenu réalité, <strong>à</strong> n’en pas douter.<br />
12
CHAPITRE 1<br />
L’ENFANCE ITALIENNE<br />
DE LAZARE PONTICELLI :<br />
TEMPS DE MISÈRES ET DE PEINES<br />
À la fin du XIX e siècle, la région de Bettola, dans la province<br />
d’Emilie-Romagne, dans le Nord de l’Italie, est aux prises avec une<br />
misère profonde et endémique. Dans ce secteur montagneux, le sol<br />
est pauvre, une population clairsemée vit dans des hameaux dispersés<br />
entre lesquels les communications sont difficiles, parfois impossibles<br />
l’hiver en raison du climat rigoureux. Une démographie<br />
excessive ajoute encore aux conséquences de la pauvreté de la plupart<br />
des familles. En général ces dernières ne disposent que d’un<br />
maigre lopin de terre sur lequel elles cultivent un peu de maïs,<br />
d’une chèvre ou d’un mouton.<br />
À cette époque, aucune implantation industrielle, même <strong>à</strong><br />
Parme ou <strong>à</strong> Plaisance, ne réclame de main-d’œuvre. Cette situation<br />
contraint ceux qui le peuvent, hommes et femmes, <strong>à</strong> se rendre dans<br />
la vallée du Pô, trois fois par an, pour participer <strong>à</strong> la culture du riz.<br />
Au moment du repiquage, du désherbage et de la récolte, ne restent<br />
aux villages que les vieux et les très jeunes. Ces efforts paient peu<br />
car, hormis une nourriture sommaire, le travail est payé en nature,<br />
un sac de riz par travailleur. Aussi pour ces populations déshéritées,<br />
la soupe d’herbes est souvent au menu pour tenter de tromper la<br />
faim, préoccupation permanente. Autour de Bettola, il n’existe pas<br />
de structures sociales, les soins médicaux sont pratiquement impossibles<br />
faute d’argent et de personnel médical disponible. Il n’y a pas<br />
d’école, d’ailleurs la population serait incapable d’en assumer le
HOMMAGE À LAZARE PONTICELLI - LE DERNIER POILU<br />
fonctionnement: salaire du maître et fournitures nécessaires aux<br />
élèves. Très tôt, ces <strong>dernier</strong>s participent aux travaux nécessaires <strong>à</strong><br />
une survie immédiate.<br />
La migration saisonnière que la faim justifie est bien insuffisante<br />
pour améliorer le niveau de vie des habitants aussi, depuis longtemps,<br />
se sont constituées, <strong>à</strong> partir de réseaux familiaux plus ou moins efficaces,<br />
plus ou moins compliqués, des filières d’émigration vers des<br />
pays étrangers: la Suisse, la France, voire l’Amérique. Ces routes<br />
aventurières ont été ouvertes longtemps auparavant par les<br />
Giramonda. Ceux-l<strong>à</strong> étaient colporteurs, dresseurs et montreurs<br />
d’animaux savants: chiens, singes, ours. Ils partaient pour de très<br />
longues périodes et des chemins parfois imprévus les conduisaient<br />
jusqu’au bout de l’Europe, en Scandinavie, au Caucase.<br />
Mais pour les crève-la-faim de Bettola qui n’avaient que leur<br />
courage et leurs bras, il fallait pour partir réunir l’argent du voyage<br />
qui les mènerait vers des amis, des parents déj<strong>à</strong> en place. Cela prenait<br />
du temps et exigeait, de la part de la famille, de multiples sacrifices.<br />
En cas de réussite dans son nouveau pays, l’émigré participait<br />
aux frais de voyage d’un autre volontaire qui viendrait le rejoindre.<br />
UNE ENFANCE DIFFICILE<br />
La famille <strong>Ponticelli</strong> fait partie des plus pauvres parmi les pauvres<br />
de Cordani, un des hameaux accrochés <strong>à</strong> la montagne <strong>à</strong> plus de<br />
mille mètres d’altitude comme les hameaux voisins : Furlini,<br />
Costello… Dans ces groupes de masures, on compte souvent<br />
moins d’une dizaine de familles. Ainsi, autour de l’église, <strong>à</strong> Grappo<br />
Ducale, une seule famille est installée.<br />
Philomène est née <strong>à</strong> Cordani en 1866. Elle avait dix-huit ans<br />
lorsqu’elle a épousé Jean <strong>Ponticelli</strong>, âgé de dix ans de plus qu’elle.<br />
Lui venait d’ailleurs, peut-être de Rome ou de Naples. L’aînée de<br />
leurs sept enfants est une fille, Catherine, née en 1885. Viennent<br />
ensuite cinq garçons: Pierre, né en 1887, François, en 1892,<br />
Céleste, en 1894, Bonfils en 1896, <strong>Lazare</strong>, en 1897. <strong>Le</strong> <strong>dernier</strong>-né<br />
est une fille, Adèle, qui a vu le jour en 1900.<br />
Outre les multiples charges familiales, Philomène s’occupe des<br />
cultures proches de la maison, de la chèvre et du mouton. Elle<br />
14
CHAPITRE 1 : L’ENFANCE ITALIENNE DE LAZARE PONTICELLI<br />
abandonne ces soucis trois fois par an pour aller s’échiner dans les<br />
rizières de la vallée. Jean, le père, est un artisan habile et ingénieux.<br />
Remarquablement adroit, il sait travailler le bois et le cuir.<br />
Il fabrique des chaussures <strong>à</strong> semelles de bois pour les siens, éventuellement<br />
pour ses voisins, mais les subsides qu’il en tire demeurent<br />
limités compte tenu de la pauvreté de ces <strong>dernier</strong>s.<br />
<strong>Le</strong> chef de famille a également su concevoir et construire un<br />
métier <strong>à</strong> tisser, le seul de la vallée, <strong>à</strong> partir duquel sa femme travaille<br />
la laine des moutons.<br />
Par ailleurs, il travaille souvent dans les foires et les marchés<br />
régionaux, disparaissant pour des périodes plus ou moins longues.<br />
Il sert d’intermédiaire entre les vendeurs et les acheteurs de bétail –<br />
bœufs, vaches et chevaux. Sa réputation de connaisseur et surtout<br />
sa droiture et une honnêteté proverbiale le font rechercher pour les<br />
négociations qui s’avèrent souvent ardues entre les paysans. De ces<br />
activités, il ne retire guère qu’un maigre bénéfice matériel hormis la<br />
considération générale.<br />
<strong>Le</strong> 24 décembre 1897, malgré sa grossesse très avancée,<br />
Philomène part de la maison un peu avant la tombée de la nuit<br />
pour ramasser quelques poignées d’herbes destinées <strong>à</strong> la chèvre et<br />
au mouton. Elle est prise des douleurs de l’accouchement.<br />
L’enfant vient au monde en pleine nature au moment où la tempête<br />
de neige commence, amenant la tombée de l’obscurité. La<br />
mère enveloppe le nouveau-né dans sa jupe et regagne difficilement<br />
son domicile. Pendant plusieurs jours, brûlant d’une fièvre intense,<br />
elle reste entre la vie et la mort puis, sans aucune intervention extérieure,<br />
se rétablit. L’enfant qu’on appellera <strong>Lazare</strong> s’annonce vigoureux;<br />
avec l’autorité de ses douze ans, c’est Catherine, l’aînée, qui<br />
le prend en charge.<br />
Pendant trois jours, la neige et les congères interdisent tout<br />
déplacement hors de Cordani en direction de Bettola et du centre<br />
administratif. C’est seulement le 27 décembre que Jean<br />
<strong>Ponticelli</strong> peut faire inscrire la naissance de son fils sur le registre<br />
paroissial. <strong>Le</strong> secrétaire note l’événement <strong>à</strong> la date du 27, mais<br />
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HOMMAGE À LAZARE PONTICELLI - LE DERNIER POILU<br />
distrait ou maladroit, il écrit mal le chiffre 2 qui disparaîtra des<br />
documents officiels. Ainsi <strong>Lazare</strong> <strong>Ponticelli</strong> est réputé être venu<br />
au monde le 7 décembre 1897, déj<strong>à</strong> vieilli de trois semaines.<br />
1899. <strong>Lazare</strong> a deux ans lorsque Philomène, sa mère, décide de<br />
partir en France comme nombre de ses compatriotes, afin d’échapper<br />
<strong>à</strong> une existence matérielle de plus en plus incertaine. Enceinte<br />
de son septième enfant, elle reviendra dans quelques mois pour<br />
l’accouchement. Elle emmène avec elle deux de ses petits,<br />
Catherine et François.<br />
À Nogent-sur-Marne où résident déj<strong>à</strong> des émigrés originaires de<br />
la région de Cordani, on l’accueille et on lui trouve un travail. À<br />
quatorze ans, Catherine est casée dans une usine; bien qu’il n’ait<br />
que sept ans, François, pour quelques sous, aide les grands dans les<br />
travaux du bâtiment où ils sont employés.<br />
De retour <strong>à</strong> Cordani où la situation matérielle de la famille est toujours<br />
aussi précaire, Philomène met au monde Adèle. Quelques mois<br />
après elle reprend la direction de la France. Cette fois, elle emmène<br />
avec elle Céleste, un autre de ses garçons qui vient d’avoir cinq ans.<br />
La petite Alice est confiée aux soins d’une voisine.<br />
Jean, le père, reste <strong>à</strong> Cordani avec Pierre, l’aîné des garçons, Bonfils<br />
et <strong>Lazare</strong>. En raison des fréquentes absences du père, Pierre, du haut<br />
de ses quinze ans, s’improvise chef de famille. Il s’occupe des deux<br />
cadets qui, comme lui, travaillent aux champs et soignent les bêtes.<br />
<strong>Lazare</strong>, instinctivement très proche de son père, rêve de l’accompagner<br />
dans ses déplacements, pour nourrir cet esprit curieux toujours<br />
en éveil. Il aimerait découvrir ce monde inconnu qui entoure<br />
les quelques maisons du hameau.<br />
Après s’être longuement fait prier, le père accepte d’emmener<br />
son fils tout juste âgé de quatre ans jusqu’<strong>à</strong> la foire de Bettola.<br />
<strong>Lazare</strong> se souviendra toujours de cette expédition. Pour lui, la<br />
marche est longue et difficile. Pour atteindre la vallée, il n’existe en<br />
effet pas d’autre chemin que le sentier raboteux tracé par l’usage. La<br />
main de son père est souvent une aide appréciable et toujours la<br />
certitude d’une protection efficace et affectueuse.<br />
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