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Aspects culturels, spirituels et religieux de la douleur - APF Formation

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ASPECTS CULTURELS, SPIRITUELS ET RELIGIEUX DE LA DOULEUR<br />

Jean-Luc NAHEL<br />

Professeur d’anthropologie - Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Rouen<br />

Je me suis posé le problème du rapport entre <strong>douleur</strong> <strong>et</strong> culture à partir d’une réflexion que je<br />

m’étais faite lorsque je travail<strong>la</strong>is auprès <strong>de</strong> réfugiés tibétains pendant l’année 1979 <strong>et</strong> chez qui j’ai noté<br />

que le rapport à <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> semb<strong>la</strong>it différent <strong>de</strong> celui que je voyais en France. A partir <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

constatation, après mon r<strong>et</strong>our en France, je me suis intéressé à <strong>la</strong> fois à <strong>la</strong> culture tibétaine <strong>et</strong> aux<br />

réflexions sur <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> en anthropologie médicale.<br />

J’ai découvert que <strong>de</strong>ux mé<strong>de</strong>cins avaient travaillé en 1945 dans un hôpital new-yorkais auprès <strong>de</strong><br />

vétérans <strong>de</strong> <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> guerre mondiale ayant <strong>de</strong>s origines culturelles diverses. Ces mé<strong>de</strong>cins avaient<br />

alors constaté que <strong>la</strong> représentation <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> <strong>et</strong> même le discours sur <strong>la</strong> <strong>douleur</strong>, à partir <strong>de</strong>s mots<br />

qui étaient employés pour l’exprimer, n’étaient pas les mêmes. L’intensité <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> exprimée, pour<br />

<strong>de</strong>s symptômes qui paraissaient équivalents, n’était pas égale suivant les patients <strong>et</strong> variait notamment<br />

en fonction <strong>de</strong> leurs origines culturelles.<br />

C’est à partir <strong>de</strong> ces travaux que s’est plus tard développé au Canada, à partir <strong>de</strong> 1972, le « MGPQ »<br />

(Mc Gill Pain Questionary). Ce questionnaire a été construit pour ai<strong>de</strong>r les mé<strong>de</strong>cins à évaluer <strong>la</strong><br />

« réalité » <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> chez le patient, <strong>et</strong> éviter les incompréhensions mutuelles entre mé<strong>de</strong>cin <strong>et</strong><br />

patient autour <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te question centrale <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> son évaluation. Le MGPQ a été introduit en<br />

France autour <strong>de</strong>s années 1978 – 1979 avec le développement associé <strong>de</strong>s centres anti-<strong>douleur</strong>.<br />

Ce que je voudrais développer maintenant, à partir <strong>de</strong> ces constatations purement médicales <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

<strong>douleur</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> son évaluation, c’est <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion plus particulière que peut entr<strong>et</strong>enir <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> <strong>douleur</strong><br />

avec celle <strong>de</strong> culture.<br />

Le rapport à <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> dans les sociétés dites traditionnelles<br />

Je tiens dès maintenant à préciser que l’évocation <strong>de</strong>s sociétés traditionnelles ne se limite pas à<br />

l’Afrique ou à l’Amérique du sud, mais que ce<strong>la</strong> peut aussi concerner ce que l’on observe dans nos<br />

sociétés si l’on approfondit un tant soit peu le discours en se <strong>de</strong>mandant quelle représentation <strong>de</strong> son<br />

corps un individu occi<strong>de</strong>ntal peut avoir : un corps du 14 ème , du 16 ème , du 18 ème ou du 20 ème siècle ? Par<br />

exemple, lorsqu’une personne dit « j’ai attrapé froid », on voit bien que <strong>la</strong> lecture qu’elle a <strong>de</strong> son corps<br />

Douleur <strong>et</strong> souffrance dans les situations <strong>de</strong> handicap - De l’évaluation à l’accompagnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne… p.1<br />

Journées d’étu<strong>de</strong> <strong>APF</strong> <strong>Formation</strong> – Unesco -–21, 22 <strong>et</strong> 23 janvier 2004


este finalement davantage liée à une représentation moyen-âgeuse du corps qu’à une représentation<br />

contemporaine <strong>de</strong> celui-ci.<br />

Le lieu où l’on voit le plus facilement s’exprimer c<strong>et</strong>te re<strong>la</strong>tion à <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> est celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong><br />

appliquée volontairement par le groupe à l’individu, c’est à dire en particulier tout au long <strong>de</strong> son<br />

enfance <strong>et</strong> jusqu’à son passage à l’âge adulte.<br />

Ca peut être, par exemple, <strong>la</strong> circoncision animiste ou is<strong>la</strong>miste. Je me rappelle que chez les Wolofs,<br />

lorsqu’un garçon se faisait circoncire, le groupe observait ce qui se passait sur le visage du garçon. Si<br />

au moment où le couteau coupait le prépuce l’individu marquait sa <strong>douleur</strong> par un rictus, toute sa vie<br />

durant il pourrait lui être dit qu’il n’avait pas été courageux ou convenable le jour <strong>de</strong> sa circoncision. La<br />

circoncision peut conduire à une stigmatisation importante <strong>de</strong> celui qui ne s’est pas comporté « comme<br />

un véritable homme », <strong>et</strong> marque donc une étape cruciale pour faire valoir sa qualité d’homme, asseoir<br />

son autorité. Un très beau film, intitulé « Les masques ne parlent plus », a été réalisé sur ce suj<strong>et</strong> par un<br />

psychiatre français. On voit dans ce film à quel point ce qui est le plus important pour l’homme qui se<br />

fait circoncire c’est <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion à <strong>la</strong> face, à ce qui se voit sur le visage.<br />

On peut prendre un autre exemple, celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> scarification qu’on trouve chez les Noubas du<br />

sud-Soudan. Il existe chez les femmes Noubas plusieurs pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> scarifications : à 12 ans, à 15 ans,<br />

à 17 ans, <strong>et</strong> aussi après <strong>la</strong> première ou <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième grossesse <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière ou gran<strong>de</strong> scarification.<br />

Lorsqu’une femme pratique c<strong>et</strong>te gran<strong>de</strong> scarification (car elles ne le font pas toutes), <strong>la</strong> cérémonie<br />

commence au lever du soleil <strong>et</strong> se termine à son coucher en ne réunissant que <strong>la</strong> femme concernée <strong>et</strong><br />

<strong>la</strong> scarificatrice. C<strong>et</strong>te femme perd jusqu’à trois litres <strong>de</strong> sang, <strong>et</strong> court donc un risque <strong>de</strong> mourir<br />

important : elle est alors scarifiée <strong>de</strong> <strong>la</strong> base <strong>de</strong>s pieds jusqu’à <strong>la</strong> racine <strong>de</strong>s cheveux.<br />

Ces différentes scarifications successives, dont l’importance augmente progressivement, constituent<br />

<strong>de</strong>s marques du fait que ces femmes s’élèvent dans <strong>la</strong> hiérarchie du rapport à <strong>la</strong> <strong>douleur</strong>.<br />

Si on <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à ces femmes pourquoi elles pratiquent <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> scarification elles expliquent que c’est<br />

pour pouvoir passer dans l’au-<strong>de</strong>là le jour où elles mourront. Car dans leur tradition, qui je le rappelle<br />

n’est pas musulmane, les femmes sont sensées porter plus d’impur<strong>et</strong>és que les hommes <strong>et</strong> vont donc<br />

être <strong>la</strong>cérées par <strong>de</strong>s démons au moment <strong>de</strong> rentrer dans le paradis <strong>de</strong>s ancêtres. Ainsi, si elles ont<br />

pratiqué <strong>la</strong> scarification avant, en particulier <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>, le passage par les démons leur sera <strong>la</strong>rgement<br />

simplifié. La scarification représente donc une préparation à <strong>la</strong> mort.<br />

A <strong>la</strong> différence <strong>de</strong> notre société, dans <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> mort est repoussée au plus loin, on voit que dans c<strong>et</strong>te<br />

société traditionnelle <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> physique trouve sa p<strong>la</strong>ce <strong>et</strong> est acceptée comme préparatrice <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

mort.<br />

Douleur <strong>et</strong> souffrance dans les situations <strong>de</strong> handicap - De l’évaluation à l’accompagnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne… p.2<br />

Journées d’étu<strong>de</strong> <strong>APF</strong> <strong>Formation</strong> – Unesco -–21, 22 <strong>et</strong> 23 janvier 2004


Je prendrai encore un autre exemple, celui <strong>de</strong>s rituels d’adultation. Il existe par exemple un rituel <strong>de</strong><br />

gavage <strong>de</strong>s jeunes filles dans les familles <strong>de</strong> moyenne importance sociale en Mauritanie : dans<br />

quelques familles se pratique encore ce rituel qui veut qu’une fille par famille puisse être gavée, ce qui<br />

consiste à lui donner l’équivalent <strong>de</strong> 14000 calories par jour pendant une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> six mois. Pour<br />

rendre ce<strong>la</strong> possible, on lui pince un orteil avec une pince en bois afin que <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> provoque chez elle<br />

une sorte d’état d’hypnose. Ainsi <strong>la</strong> signification du gavage n’est pas l’état d’obésité <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeune fille à<br />

son issue, puisque après celui-ci elle sera naturellement amenée à maigrir, mais le fait que son corps<br />

conserve les traces du gavage qui montrent qu’elle a su être très courageuse <strong>et</strong> qu’elle est donc apte à<br />

honorer sa famille ce qui augmentera le prix <strong>de</strong> son mariage. Ce n’est pas une question marchan<strong>de</strong> ou<br />

esthétique, mais un problème <strong>de</strong> lecture morale. Le rapport à <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> est envisagé sous l’angle d’une<br />

exigence morale : c<strong>et</strong>te fille aura montré qu’elle a pu dominer sa crainte <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> <strong>et</strong> ainsi honorer<br />

ses parents.<br />

Je ne fais ici qu’une <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> ce rituel, sans chercher aucunement à le justifier à vos yeux. Mais<br />

encore une fois, comme nous l’avons vu pour <strong>la</strong> scarification ou <strong>la</strong> circoncision, il s’agit <strong>de</strong> souligner <strong>la</strong><br />

lecture morale du corps qui est liée à <strong>la</strong> <strong>douleur</strong>. La <strong>douleur</strong> constitue en quelque sorte un miroir <strong>de</strong>s<br />

exigences sociales que peuvent avoir <strong>la</strong> famille ou <strong>la</strong> société.<br />

Nous avons donc vu en quoi l’épreuve <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> peut être considérée comme une lecture <strong>de</strong><br />

l’abstraction <strong>de</strong> soi.<br />

Mon <strong>de</strong>rnier exemple sera celui <strong>de</strong>s Bayas à côté du Ghana. Les garçons suivent à onze ans un rituel<br />

d’initiation à l’âge adulte qui commence par un léger p<strong>et</strong>it coup <strong>de</strong> <strong>la</strong>nce donné à <strong>la</strong> proximité du nombril<br />

en en constituant ainsi un second : le premier nombril représente le passage du <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> <strong>la</strong> mère, le<br />

<strong>de</strong>uxième créé par l’incision <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>nce correspond au <strong>la</strong>ngage du groupe. C<strong>et</strong>te première initiation doit<br />

amener l’enfant à se familiariser au <strong>la</strong>ngage du groupe, qui n’est plus exactement <strong>la</strong> même <strong>la</strong>ngue que<br />

celle que par<strong>la</strong>it <strong>la</strong> mère. Les mots sont différents, ou en tout cas une connotation différente leur est<br />

donnée. Ce même rituel amène aussi l’enfant à franchir à pied un p<strong>et</strong>it fleuve qui symbolise <strong>la</strong> rivière<br />

<strong>de</strong>s morts : en le franchissant il est passé par <strong>la</strong> mort, <strong>et</strong> il <strong>de</strong>vient adulte. Le rituel comprend enfin une<br />

p<strong>et</strong>ite cérémonie lors <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle les jeunes garçons sont nus, allongés par terre, <strong>et</strong> chacun <strong>de</strong>s<br />

membres du groupe leur marche <strong>de</strong>ssus pour leur signifier qu’ils sont écrasés.<br />

La <strong>douleur</strong> est alors initiatrice. C’est le facteur qui perm<strong>et</strong> l’adultation. Le fait <strong>de</strong> passer par une épreuve,<br />

qui n’est pas forcément ordalique, correspond à une lecture initiatique <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong>.<br />

Douleur <strong>et</strong> souffrance dans les situations <strong>de</strong> handicap - De l’évaluation à l’accompagnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne… p.3<br />

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Au travers <strong>de</strong> ces exemples on voit que, en général, les sociétés traditionnelles proposent une re<strong>la</strong>tion<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> basée sur une lecture morale du corps <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’individu. La <strong>douleur</strong> est vécue comme un<br />

test d’intégration qui cherche à montrer si <strong>la</strong> personne qui y en est l’obj<strong>et</strong> a bien compris qu’il <strong>de</strong>vait se<br />

soum<strong>et</strong>tre totalement au groupe <strong>et</strong> abolir son « je » pour en faire réellement partie. Toute tentative<br />

d’autonomisation ou d’individualisation pourra être alors vue comme une mise à distance du groupe.<br />

Le rapport à <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> dans l’hindouisme<br />

Je me suis toujours posé <strong>la</strong> question <strong>de</strong> savoir pourquoi il y avait dans le christianisme, surtout dans<br />

l’orthodoxie <strong>et</strong> le catholicisme <strong>et</strong> un peu moins dans le protestantisme, c<strong>et</strong>te re<strong>la</strong>tion particulière à <strong>la</strong><br />

<strong>douleur</strong> liée à l’idée <strong>de</strong> soumission, à <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> ré<strong>de</strong>mptrice, salvatrice <strong>et</strong> purificatrice. Pourquoi <strong>la</strong><br />

présence <strong>de</strong> ce discours doloriste dans l’orthodoxie <strong>et</strong> le dans le catholicisme alors qu’elle n’est pas<br />

présente dans le judaïsme par exemple ?<br />

Mon hypothèse est que le christianisme a été sur ce point influencé par l’hindouisme, autour <strong>de</strong>s IV ème<br />

<strong>et</strong> V ème siècles en Syrie <strong>et</strong> en Egypte.<br />

Si l’on se pose <strong>la</strong> même question en cherchant une influence du côté <strong>de</strong> <strong>la</strong> tradition hellénistique, on<br />

remonte alors aux stoïciens. Chez les stoïciens les auteurs qui parlent le mieux <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> font<br />

référence à trois concepts essentiels : l’ésicasme (état <strong>de</strong> sérénité morale auquel doit aspirer tout<br />

croyant <strong>et</strong> en particulier le moine), l’acédie (<strong>douleur</strong> morale épouvantable <strong>de</strong> désespérance qui gu<strong>et</strong>te le<br />

moine qui en recherche <strong>de</strong> Dieu ne le trouve pas <strong>et</strong> trouve au contraire le Démon, c’est en fait le péché<br />

contre l’esprit c’est à dire le seul qui ne soit pas pardonné dans <strong>la</strong> tradition chrétienne) <strong>et</strong> l’ataraxie<br />

(concept directement rattaché aux stoïciens grecs qui représente l’entraînement que doit recevoir<br />

chaque citoyen vou<strong>la</strong>nt lutter contre <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> en s’endurcissant). Pourquoi c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière notion est-<br />

elle arrivée en Grèce alors qu’on ne <strong>la</strong> trouve pas chez les autres auteurs grecs ? On <strong>la</strong> trouve dans un<br />

mouvement grec particulier qui s’appelle les gymnosophtes, c’est à dire chez ceux qui s’entraînent au<br />

gymnase <strong>et</strong> qui vont ainsi s’endurcir. Et dans ces textes grecs on peut directement lire que les auteurs<br />

font référence à ce qui se passe en In<strong>de</strong>.<br />

Et l’In<strong>de</strong> présente le grand avantage d’exister encore aujourd’hui. Intéressons nous par exemple au<br />

pèlerinage <strong>de</strong> Kumba Mel<strong>la</strong> : il a lieu tous les 11 ans dans 4 villes différentes en In<strong>de</strong>, sur un cycle <strong>de</strong><br />

44 ans, <strong>et</strong> correspond à ce qui s’est passé à l’origine <strong>de</strong>s temps pour les indiens (mais comme vous le<br />

savez, plutôt que d’origine <strong>de</strong>s temps, il vaudrait mieux parler <strong>de</strong> point <strong>de</strong> départ d’un élément circu<strong>la</strong>ire<br />

Douleur <strong>et</strong> souffrance dans les situations <strong>de</strong> handicap - De l’évaluation à l’accompagnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne… p.4<br />

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d’environ 400 millions d’années qui tourne en permanence). Toutes les sectes doloristes indiennes (<strong>et</strong><br />

je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> prendre ici <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> secte dans son acception <strong>la</strong> plus simple, comme <strong>de</strong>s<br />

morceaux <strong>de</strong> société pratiquant une idéologie particulière) assistent au Kumba Mel<strong>la</strong> <strong>et</strong> représentent<br />

plus ou moins 30 000 personnes, parmi les quelque 70 millions qui prennent part au pèlerinage. Ces 30<br />

000 personnes se répartissent en environ 20 groupes organisés qui se définissent comme doloristes.<br />

Mais avant <strong>de</strong> revenir sur les caractéristique <strong>de</strong> ces différents groupes doloristes, je voudrais m’attar<strong>de</strong>r<br />

quelque peu sur le cadre historique <strong>de</strong> <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> <strong>douleur</strong> dans <strong>la</strong> tradition hindouiste.<br />

Dans les années 3000 avant JC, une société dite harappéenne s’installe sur les rives <strong>de</strong> l’Indus dans<br />

l’actuel Pakistan. Dans les années 1000 avant JC, c<strong>et</strong>te société passe pour une partie dans l’Iran actuel<br />

<strong>et</strong> pour une autre partie en In<strong>de</strong>. C’est au sein <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te société que vont naître le brahmanisme <strong>et</strong><br />

l’hindouisme, à partir d’individus appelés <strong>de</strong>s Richi qui consomment <strong>de</strong>s champignons hallucinogènes<br />

<strong>et</strong> qui vont probablement former les concepts <strong>de</strong> base <strong>de</strong> l’hindouisme en quelque sorte en se fondant<br />

sur <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong> leurs hallucinations.<br />

Il ne s’agit pas ici <strong>de</strong> détailler davantage les concepts originels <strong>de</strong> l’hindouisme, mais je tiens à faire ce<br />

détour historique car il me semble important pour <strong>la</strong> sémantique <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong>.<br />

Vous savez qu’il existe dans <strong>la</strong> société hindouiste le système <strong>de</strong>s castes qui provient <strong>de</strong> l’idée d’un<br />

corps unique : <strong>la</strong> caste <strong>la</strong> plus haute est rattachée au cerveau, les castes un peu inférieures viennent<br />

<strong>de</strong>s muscles, les castes dont on ne parle pas sont en re<strong>la</strong>tion avec le bas du ventre, <strong>et</strong> celle <strong>de</strong>s<br />

intouchables relève complètement <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> l’excrétion. Pour un hindouiste <strong>de</strong> haute caste, le but <strong>de</strong><br />

sa vie est <strong>de</strong> faire « moksha » c’est à dire <strong>de</strong> faire fusion avec <strong>la</strong> lumière, <strong>de</strong> disparaître.<br />

Pour les autres castes <strong>la</strong> possibilité d’atteindre <strong>la</strong> « moksha » passe par le système <strong>de</strong>s samsara, c’est<br />

à dire <strong>la</strong> réincarnation qui conduit les individus d’une caste à l’autre. Les hindouistes qui ne sont pas <strong>de</strong><br />

haute caste doivent donc se purifier pour pouvoir atteindre <strong>la</strong> « moksha ».<br />

C<strong>et</strong>te purification passe par différents mécanismes :<br />

- Celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> prière répétée.<br />

- Celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> consécration <strong>de</strong> son corps, par l’ascèse <strong>et</strong> le don <strong>de</strong> son corps aux dieux à travers<br />

<strong>la</strong> danse ou le yoga par exemple.<br />

- Celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> pratique <strong>de</strong>s mathématiques au sens <strong>de</strong> l’astrologie indienne, c’est à dire <strong>la</strong> pratique<br />

du <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong>s dieux dans <strong>la</strong> réalité pour s’i<strong>de</strong>ntifier à <strong>la</strong> « moksha ».<br />

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- Celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> confrontation à <strong>la</strong> <strong>douleur</strong>. A ma connaissance il n’y a que dans c<strong>et</strong>te culture<br />

hindouiste qu’existe une telle structuration <strong>et</strong> organisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> comme un mécanisme<br />

<strong>de</strong> purification absolue.<br />

Tous ces mécanismes doivent perm<strong>et</strong>tre aux hindouistes <strong>de</strong> purifier leur corps <strong>et</strong> les amener à une<br />

samsara meilleure, autrement dit à une réincarnation dans un corps qui soit <strong>de</strong> plus haute lignée. Mais<br />

ce<strong>la</strong> peut prendre du temps, beaucoup <strong>de</strong> temps, parfois jusqu’à 400 millions d’années !<br />

Que faire pour que le processus d’atteinte <strong>de</strong> <strong>la</strong> « moksha » soit plus rapi<strong>de</strong> ?<br />

Mon observation du Kumba Mel<strong>la</strong> m’a permis <strong>de</strong> voir comment étaient mis en pratique ces différents<br />

mécanismes <strong>de</strong> purification, notamment ceux en rapport avec <strong>la</strong> <strong>douleur</strong>. J’en reviens donc aux<br />

caractéristiques <strong>de</strong>s différents groupes doloristes qui participent à ce pèlerinage <strong>et</strong> que j’évoquais<br />

précé<strong>de</strong>mment.<br />

Il existe d’abord les Acémètes, qui pensent que le sommeil est inducteur d’impur<strong>et</strong>és par le rêve. Il faut<br />

donc contrôler ses rêves en dormant le moins possible, par séquence <strong>de</strong> une ou <strong>de</strong>ux heures, afin <strong>de</strong><br />

se purifier. Ce sont en quelque sorte les plus théoriciens puisqu’ils considèrent déjà que le corps est<br />

dépassé <strong>et</strong> qu’il faut concentrer sa recherche <strong>de</strong> purification sur ses productions mentales.<br />

Un autre groupe est formé par les Stylites. Ils considèrent que tout le mon<strong>de</strong> est impur, dans le sens où<br />

le sol est impur : il faut donc s’élever du sol. Ils vivent au-<strong>de</strong>ssus du sol dans <strong>de</strong>s cabanes sur pilotis, se<br />

dép<strong>la</strong>cent à dos d’éléphant…<br />

Les Girovagues constituent un groupe distinct. Ils considèrent que le fait <strong>de</strong> rester sur p<strong>la</strong>ce est une<br />

induction d’impur<strong>et</strong>é <strong>et</strong> doivent donc se dép<strong>la</strong>cer en permanence. Le Girovague va d’un temple à un<br />

autre dans toute l’In<strong>de</strong> : c’est c<strong>et</strong>te déambu<strong>la</strong>tion ritualisée qui a pour fonction <strong>la</strong> purification. Lorsqu’ils<br />

mourront ils entreront directement dans <strong>la</strong> « moksha ».<br />

Les Stationnaires sont quant à eux très peu nombreux, ce qui n’est pas étonnant si l’on considère <strong>la</strong><br />

<strong>douleur</strong> extrême à <strong>la</strong>quelle ils se soum<strong>et</strong>tent. Le Stationnaire est un individu qui déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> rester sur<br />

p<strong>la</strong>ce, en général ce<strong>la</strong> se caractérise par le fait qu’il replie <strong>et</strong> ligature sa jambe gauche. Il présente son<br />

corps comme un corps figé. Le courage <strong>et</strong> le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> purification <strong>de</strong> l’individu est directement lié à <strong>la</strong><br />

<strong>douleur</strong> que l’on estime qu’il a pu vivre en se privant volontairement d’un membre.<br />

Il existe aussi les Hanging People, les Suspendus. Ceux-ci ont un autre pèlerinage qui a lieu tous les<br />

ans lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> pleine lune <strong>de</strong> juill<strong>et</strong>, à Kataragama au sud du Sri Lanka. Il s’agit donc d’un pèlerinage<br />

hindouiste en territoire bouddhiste. Le pèlerinage regroupe toutes les formes <strong>de</strong> dolorisme, parmi<br />

lesquelles je voudrais vous détailler plus particulièrement <strong>la</strong> pratique spécifique <strong>de</strong> l’accrochage du<br />

corps. Un individu s’est préparé en jeûnant pendant 40 jours afin <strong>de</strong> maigrir <strong>et</strong> on lui accroche <strong>la</strong> peau à<br />

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5 ou 6 croch<strong>et</strong>s <strong>de</strong> taille assez importante. Le corps est allongé, suspendu à une poulie <strong>et</strong> se ba<strong>la</strong>nce,<br />

ce qui provoque l’extension <strong>de</strong> <strong>la</strong> peau sur environ 15 centimètres. Le Dieu qu’ils estiment être leur<br />

protecteur est Skanda, le Dieu oiseau : ils <strong>de</strong>viennent donc oiseau le temps d’une journée.<br />

On trouve également un groupe constitué par les Paralysés volontaires. Ce sont <strong>de</strong>s individus qui<br />

per<strong>de</strong>nt volontairement l’usage <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux membres inférieurs : ils se trouvent donc en position allongée<br />

<strong>et</strong> sont ensuite transportés <strong>de</strong> ville en ville pour être proposés à l’observation <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule, comme étant<br />

<strong>la</strong> marque <strong>de</strong> personnes ayant <strong>la</strong> force <strong>de</strong> se priver <strong>de</strong> leurs membres inférieurs dans leur quête <strong>de</strong><br />

« moksha ». Je pense bien entendu que parmi eux il y a <strong>de</strong>s paralysés qui ne sont pas volontaires.<br />

De <strong>la</strong> même façon on peut rencontrer <strong>de</strong>s Aveugles volontaires. Ce sont <strong>de</strong>s personnes qui vont dans<br />

une grotte vivre dans l’obscurité en permanence <strong>et</strong> per<strong>de</strong>nt en conséquence l’usage <strong>de</strong> leurs yeux au<br />

bout d’un certain temps.<br />

Les Dendritiques disent qu’il faut vivre dans les bras <strong>de</strong> Shiva, l’être aux multiples bras <strong>et</strong> Dieu <strong>de</strong>s<br />

arbres, comme les oiseaux dans <strong>la</strong> forêt. Ce<strong>la</strong> peut nous rappeler chez les chrétiens le monastère <strong>de</strong><br />

Sainte-Catherine dans le Sinaï où il y avait <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ndritiques au V ème siècle après JC.<br />

On pourrait encore faire état <strong>de</strong>s Enfouis, <strong>de</strong>s Jeûneurs, <strong>de</strong>s Brûlés…<br />

Voilà comment à travers <strong>la</strong> tradition hindouiste, encore existante aujourd’hui, on peut i<strong>de</strong>ntifier <strong>la</strong><br />

naissance <strong>et</strong> <strong>la</strong> représentation <strong>de</strong> l’ascétisme qu’on va r<strong>et</strong>rouver ensuite dans le christianisme.<br />

Le rapport à <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> dans le bouddhisme<br />

Je voudrais juste évoquer rapi<strong>de</strong>ment <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> dans le bouddhisme.<br />

Nous sommes là dans une conception inverse <strong>de</strong> celle rattachée au brahmanisme, il n’y a plus <strong>de</strong><br />

« moksha » ni d’individu.<br />

Pour résumer en quelques idées principales <strong>la</strong> conception bouddhiste <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> il faut en premier<br />

lieu rappeler que celle-ci est au centre du bouddhisme. S’il y a une culture qui a pensé <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> c’est<br />

le bouddhisme, <strong>et</strong> le philosophe qui en a le mieux parler en Europe c’est Schopenhauer.<br />

Dans le bouddhisme, le « je » n’existe pas <strong>et</strong> ne doit pas être pensé. Le cœur <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée bouddhiste<br />

est Dukha, c’est <strong>la</strong> <strong>douleur</strong>. L’idée que tout est <strong>douleur</strong> est un élément central du Darma, <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi<br />

bouddhiste.<br />

Mais quelle est l’origine <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> ? C’est le désir : Trsni.<br />

Douleur <strong>et</strong> souffrance dans les situations <strong>de</strong> handicap - De l’évaluation à l’accompagnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne… p.7<br />

Journées d’étu<strong>de</strong> <strong>APF</strong> <strong>Formation</strong> – Unesco -–21, 22 <strong>et</strong> 23 janvier 2004


A l’opposé <strong>de</strong> l’hindouiste qui veut faire « moksha » c’est à dire affirmer <strong>et</strong> rassurer son « je » pour<br />

l’éternité, le bouddhiste veut dissoudre son « je » : Nirvana. Si l’on poursuit l’interprétation étymologique<br />

jusqu’au bout on voit que « ana » signifie <strong>la</strong> fécondité, <strong>et</strong> donc que « nirvana » représente <strong>la</strong> négation<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> fécondité <strong>et</strong> donc <strong>la</strong> négation du « je ». C’est à mon avis en suivant c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière interprétation <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> négation du « je » qu’il faut le lire.<br />

Autrement dit <strong>la</strong> pensée bouddhiste voit <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> comme extrêmement liée au désir <strong>et</strong> <strong>la</strong> négation du<br />

désir comme étant <strong>la</strong> solution à <strong>la</strong> <strong>douleur</strong>. Le mot clef qu’on utilise dans <strong>la</strong> tradition bouddhiste pour<br />

distinguer le rapport entre soi <strong>et</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> est le mot « maya », c’est à dire l’illusion. La <strong>douleur</strong> n’est<br />

qu’une illusion dont il faut se défaire par <strong>la</strong> <strong>de</strong>struction du désir, y compris celui <strong>de</strong> l’absence <strong>de</strong> <strong>douleur</strong>.<br />

Il n’y a donc pas <strong>de</strong> dolorisme dans le bouddhisme alors qu’il est <strong>la</strong>rgement présent dans l’hindouisme.<br />

Le rapport à <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> dans les sociétés monothéistes<br />

Dans le judaïsme il n’y a pas <strong>de</strong> dolorisme. Il n’y a pas <strong>de</strong> trace dans les textes <strong>de</strong> valorisation <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

<strong>douleur</strong>.<br />

Bien entendu il y a le paradis terrestre, le sacrifice d’Abraham avec <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> du père qui doit sacrifier<br />

son fils, <strong>et</strong> enfin les lèvres brûlées au charbon ar<strong>de</strong>nt d’Isaï. Mais à ma connaissance il n’y a pas d’autre<br />

évocation <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> comme facteur <strong>de</strong> purification en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> ceux-là.<br />

Par ailleurs il y a également le Livre <strong>de</strong> Job, qui comprend une typologie <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> phénoménale <strong>et</strong><br />

qui est l’ouvrage qui parle le mieux <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> dans <strong>la</strong> Bible. Mais il faut rappeler que ce livre parle<br />

d’un non-juif. De plus, si on lit <strong>la</strong> Bible, <strong>de</strong>s positions absolument a-doloristes sont c<strong>la</strong>irement tenues<br />

dans <strong>la</strong> mesure où <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> ne peut être imposée que par le Satan <strong>et</strong> en aucun cas il ne faut se<br />

l’imposer à soi-même.<br />

En ce qui concerne le christianisme un ouvrage paru au XIV ème siècle, qui s’intitule « L’imitation <strong>de</strong><br />

Jésus-Christ », est au cœur du mysticisme chrétien <strong>et</strong> du dolorisme qu’on va r<strong>et</strong>rouver au XIX ème siècle.<br />

Je pense que le mysticisme <strong>et</strong> le dolorisme chrétiens sont intimement liés au mouvement monachiste<br />

chrétien du V ème siècle. Celui-ci est essentiellement défini par quelques noms qui sont très célèbres<br />

dans <strong>la</strong> théologie orthodoxe, beaucoup moins dans <strong>la</strong> théologie catholique : Marie l’Egyptienne (une<br />

prostituée qui <strong>de</strong>vient mystique <strong>et</strong> qui consacre sa <strong>douleur</strong> à <strong>la</strong> purification <strong>de</strong> son corps), Siméon le<br />

Douleur <strong>et</strong> souffrance dans les situations <strong>de</strong> handicap - De l’évaluation à l’accompagnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne… p.8<br />

Journées d’étu<strong>de</strong> <strong>APF</strong> <strong>Formation</strong> – Unesco -–21, 22 <strong>et</strong> 23 janvier 2004


Stylite… On r<strong>et</strong>rouve ici, si on listait toutes les représentations importantes <strong>de</strong> ce mouvement,<br />

l’essentiel <strong>de</strong> celles que nous avons évoqué chez les hindouistes.<br />

Mais d’où provient l’émergence <strong>de</strong> ce mouvement monachiste ? Au IV ème siècle les Chrétiens orientaux<br />

considèrent que l’Occi<strong>de</strong>nt chrétien a perdu son âme en s’adonnant au pouvoir politique lorsque les<br />

Papes prennent <strong>la</strong> succession <strong>de</strong>s Empereurs. Les Chrétiens d’Orient pensent que les Chrétiens<br />

d’Occi<strong>de</strong>nt se trompent, qu’ils n’atten<strong>de</strong>nt plus le messie, qu’ils se comm<strong>et</strong>tent en quelque sorte en<br />

s’occupant <strong>de</strong>s affaires <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s affaires <strong>de</strong> Satan.<br />

Le mouvement monachiste naît donc au V ème siècle en Syrie <strong>et</strong> on le voit se développer en France au<br />

XII ème siècle. Je crois qu’on ne peut pas comprendre <strong>la</strong> théologie ré<strong>de</strong>mptrice, purificatrice <strong>et</strong> salvatrice<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong>, qui a une telle importance dans le catholicisme <strong>et</strong> l’orthodoxie, si on ne remonte pas à<br />

c<strong>et</strong>te source.<br />

Je voudrais enfin abor<strong>de</strong>r <strong>la</strong> question <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> dans l’is<strong>la</strong>m. L’is<strong>la</strong>m n’est pas monolithique puisqu’il<br />

regroupe 74 groupes différents.<br />

Le groupe le plus important est constitué par les Sunnites. La théologie sunnite est absolument<br />

exempte <strong>de</strong> tradition doloriste. La re<strong>la</strong>tion à <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> est à peu près <strong>la</strong> même que dans le judaïsme.<br />

En revanche chez les Chiites <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion à <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> est plus proche <strong>de</strong> celle que l’on trouve dans <strong>la</strong><br />

tradition chrétienne. Dans <strong>la</strong> tradition chiite tout est basé sur le fait que Mohamed a une fille, qui s’est<br />

mariée à Ali avec qui elle a eu <strong>de</strong>ux enfants qui ont été assassinés lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> bataille <strong>de</strong> Kerba<strong>la</strong>. L’un<br />

<strong>de</strong> ces enfants, Hussein, a été assassiné <strong>de</strong> 32 coups <strong>de</strong> <strong>la</strong>nce. Hussein sert donc <strong>de</strong> modèle aux<br />

Chiites comme le Christ sert <strong>de</strong> modèle aux Chrétiens. De ce fait on trouve d’une part énormément <strong>de</strong><br />

rapports <strong>et</strong> <strong>de</strong> correspondances, dans <strong>la</strong> théologie chiite, avec <strong>la</strong> tradition doloriste chrétienne. D’autre<br />

part il existe <strong>de</strong>s processions religieuses chiites comme chrétiennes où l’on voit <strong>de</strong>s manifestations qui<br />

caractérisent l’adhésion complète <strong>et</strong> l’i<strong>de</strong>ntification à celui qui a été martyrisé : le Christ pour les<br />

Chrétiens ou le fils d’Ali pour les Chiites.<br />

Il y a donc <strong>de</strong>ux traditions radicalement différentes <strong>de</strong> <strong>la</strong> théologie <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> dans le Sunnisme <strong>et</strong><br />

dans le Chiisme.<br />

Mais dans le cas du dolorisme chrétien comme du dolorisme chiite, je pense que pour les comprendre il<br />

faut d’abord se pencher sur <strong>la</strong> théologie <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> dans l’hindouisme.<br />

Ma conclusion portera sur les formes mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> <strong>la</strong> représentation <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong>. Je vais pour ce<strong>la</strong><br />

évoquer un ouvrage très contemporain qui s’intitule « Coping », sorti aux Etats-Unis il y a quatre ans. Il<br />

Douleur <strong>et</strong> souffrance dans les situations <strong>de</strong> handicap - De l’évaluation à l’accompagnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne… p.9<br />

Journées d’étu<strong>de</strong> <strong>APF</strong> <strong>Formation</strong> – Unesco -–21, 22 <strong>et</strong> 23 janvier 2004


s’agit d’une certaine manière d’une réponse sociale mo<strong>de</strong>rne à <strong>la</strong> <strong>douleur</strong>, autour <strong>de</strong> l’idée <strong>de</strong> patients<br />

qui se regroupent pour faire du coping c’est à dire pour faire face.<br />

C<strong>et</strong>te pratique, utilisée en <strong>de</strong>hors du cadre médical, se manifeste par l’opposition complète à <strong>la</strong> <strong>douleur</strong>.<br />

Dans le sens où elle est proposée actuellement, <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> est vécue comme totalement inacceptable,<br />

comme niée. Je crois que pour comprendre c<strong>et</strong>te négation totale <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>douleur</strong> propre à notre société il<br />

faut certainement <strong>la</strong> m<strong>et</strong>tre en rapport avec quelques comportements très « risquophiles » ou<br />

« risquophobes » qui y existent également. Ce<strong>la</strong> nous donnerait peut-être une explication <strong>de</strong> ce coping<br />

typiquement américain, qui constitue presque <strong>la</strong> spécificité <strong>de</strong> <strong>la</strong> société américaine aujourd’hui <strong>et</strong> qu’on<br />

nous propose comme modèle quelques fois.<br />

Douleur <strong>et</strong> souffrance dans les situations <strong>de</strong> handicap - De l’évaluation à l’accompagnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne… p.10<br />

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