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Hardy, MELEAGRE - CRHT - Université Paris-Sorbonne

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XVI<br />

deux auteurs. Alors que la chasse donnait lieu à un récit épique chez<br />

Ovide, Alexandre <strong>Hardy</strong> n’a pas lieu de s’étendre sur la chasse dans une<br />

pièce de théâtre. Notre poète réduit donc l’entreprise collective<br />

ovidienne à la victoire de deux héros : Méléagre et Atalante. La mention<br />

des actions des autres héros est réduite à la simple allusion. La version<br />

simplifiée rend ainsi la récompense d’Atalante davantage méritée.<br />

De même, Alexandre <strong>Hardy</strong> a retiré tout sentiment maternel à Althée, la<br />

mère de Méléagre, et n’a rien gardé ni de la douleur, ni de la lutte de<br />

sentiments qu’Ovide avait mise en elle. Pour se rendre compte de la<br />

différence qui existe entre les sentiments de ces deux femmes comparons<br />

leurs discours :<br />

Quatre fois elle fait un effort pour poser le tison sur le feu, quatre fois elle s’arrête<br />

indécise ; en elle la mère et la sœur se combattent et ces deux noms tirent un seul et<br />

même cœur en sens contraires. Tantôt l’horreur du crime qu’elle va commettre fait<br />

pâlir son visage ; tantôt les feux de la colère font monter à ses yeux leurs rouges<br />

lueurs ; parfois il semble que ses traits menaçants annoncent je ne sais quelle action<br />

cruelle, parfois ils offrent l’expression de la pitié ; à peine l’ardeur sauvage de son<br />

courroux a-t-elle séché ses larmes qu’elle trouve encore des larmes. Comme un<br />

vaisseau, entraîné d’un côté par le vent, de l’autre par le flot, subit ces deux forces<br />

contraires et leur obéit dans sa course incertaine ; ainsi la fille de Thestius flotte<br />

irrésolue entre des sentiments divers ; tour à tour sa colère se calme et aussitôt après<br />

se réveille.<br />

Cependant la sœur commence à l’emporter sur la mère ; pour apaiser par son sang<br />

les ombres de son sang, elle devient impie par pitié. Lorsqu’elle voit le fatal brasier<br />

dans tout son éclat : « Que ce bûcher, dit-elle, brûle le fruit de mes entrailles ! »<br />

Tenant dans sa main barbare le tison dont dépend une destinée, la malheureuse,<br />

debout devant cet autel funéraire, continue ainsi : « Déesses du châtiment,<br />

Euménides, tournez toutes les trois vos regards vers ce sacrifice, bien fait pour vos<br />

furies. Je punis et je commets un crime ; il faut expier la mort par la mort, ajouter un<br />

forfait à un forfait, des funérailles à des funérailles ; (...) Puissiez-vous seulement<br />

mânes de mes frères, ombres récentes, apprécier l’hommage que je vous rends et<br />

agréer une offrande funèbre qui me coûte si cher, le triste fruit de mon sein. Ah !<br />

Malheureuse ! Où m’emporte ma colère ? O mes frères, pardonnez à une mère. Mes<br />

mains se refusent à un tel attentat ; oui, je l’avoue, il a mérité de périr ; ce qui me<br />

répugne, c’est d’être l’auteur de sa mort. Alors il restera donc impuni, il vivra et,<br />

vainqueur, fier du succès de son crime même, il règnera sur Calydon, et vous, vous<br />

ne serez plus qu’un peu de cendre, des ombres glacées sous la terre ? Non, je ne le<br />

souffrirai pas ; qu’il périsse, le scélérat, qu’il emporte avec lui les espérances de son<br />

père, que sa mort entraîne la chute du royaume et de la patrie ! Mais où sont l’amour<br />

maternel, les tendres soins que les parents doivent à leurs enfants, les fatigues que<br />

j’ai supportées pendant deux fois cinq mois ? Ah ! Plût au ciel que le feu t’eût<br />

consumé tout enfant et que je l’eusse souffert ! C’est grâce à moi que tu as vécu ;<br />

aujourd’hui tu mourras par ta faute. Reçois la récompense de ton crime ; deux fois je<br />

t’ai donné la vie, en te mettant au monde, puis en retirant le tison du feu ; rend-la<br />

moi, ou bien réunis-moi à mes frères dans leur tombeau. Je peux punir et je ne puis.<br />

Que faire ? Tantôt j’ai devant les yeux les blessures de mes frères et le tableau de cet<br />

affreux carnage ; tantôt mes devoirs et mon titre de mère brisent mon courage. Ah !<br />

Malheureuse ! Votre triomphe, mes frères, sera ma honte ; triomphez cependant,<br />

pourvu que je vous suive moi-même, vous et celui que je vous aurai livré pour<br />

consoler vos mânes. » Elle dit et, détournant la tête, elle jette d’une main tremblante

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