Hardy, MELEAGRE - CRHT - Université Paris-Sorbonne

Joyeux vous brisera ce servage inhumain,
85 Et possible* premier* que le flambeau celeste 25 ,
Mais ? quel spectacle encor nous arrive moleste*,
D’une troupe champestre effroyable de pleurs ?
Indice plus que vray témoignant ses malheurs.
TROUPE DE PAYSANS.
Plaise à ta Majesté 26 , ne souffrir davantage,
90 Qu’un fier* hôte infernal gâte son heritage,
Plusieurs* sans resistance, épars diversement,
Et de qui le travail est le seul pensement*,
Desesperez d’avoir toujours perte sur perte,
Sont contraints de quitter la province deserte,
95 Province que viendra la famine engloutir,
Où nul n’ose l’enclos de ses Lares sortir 27 ,
Lares impunément violez à toute heure,
Du 28 monstre carnacier qui fait que chacun pleure,
Qui vient les nouriçons aux meres arracher,
100 Mortes de ses regards lancez à l’approcher. 29
Quiconque d’entre nous ose prendre les armes,
Ne faisant rien qu’acroistre, & la perte, & les larmes,
Si qu*’au lieu de l’espoir de la blonde Ceres,
Les steriles chardons herissent nos guerets*,
105 Bacchus sur les cotaux languit la teste basse,
Sans qu’aucun* le service* acoutumé luy face 30 ; [218]
Helas ! qui le pourroit ? l’image du trépas,
25 C’est une rupture de construction qui marque que la phrase est interrompue.
26 La tournure plût à quelqu’un est souvent accompagnée d’un infinitif au 17 e siècle tandis que la
langue moderne la construit de préférence avec une proposition amenée par que indiquant plus
nettement le sujet du verbe
27 Les Lares sont les dieux du foyer ; ils sont les protecteurs des villes et des peuples et protégeaient
les enclos domestiques. L’accord du participe passé « violez » au vers 97 est correct.
28 La langue du XVIIe siècle se servait régulièrement de la préposition de après un verbe passif pour
désigner l’auteur d’une action. Il faut comprendre : par le monstre carnacier qui fait que chacun
pleure.
29 A l’approcher = en l’approchant.
30 Les anciens reconnaissaient Cérès pour la déesse du grain et des fruits et croient que pour apprendre
aux hommes l’art de cultiver la terre, elle voyagea longtemps avec Bacchus. On reconnaît à Bacchus
l’art de planter le vigne, de moissonner. Le sanglier dévastant le pays, aucune récolte ne viendra, les
champs à cultiver sont désormais rempli d’herbe piquante. Hardy évoque également le culte qui était
réservé à Bacchus. Tous les deux ans les prêtresses de ce Dieu allaient lui offrir des sacrifices sur le
Parnasse, montagne de Béotie. Elles s’assemblaient aussi en foule tous les trois ans sur la montagne de
Cytheron, portant des thyrses à la main pour y célébrer avec de grands cris et des hurlements étranges,
la fête que les anciens appelaient Orgies ou Bacchanales. Ovide en parle dans le troisième livre de ses
Métamorphoses.
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