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Héros-Limite<br />
[Théâtre - Contemporain]<br />
Lieu : Maison de la poésie - Paris<br />
Dates : du 23 Avril 2010 au 23 Mai 2010<br />
Présentation<br />
En 1994, un homme se jette dans la Seine, peu de temps après son ami Paul Celan.<br />
C'était Ghérasim Luca, le poète surréaliste né en Roumanie qui avait fait du français une<br />
langue étrange : la sienne, une langue orale. La rage qui le portait conjuguait une<br />
inquiétude métaphysique et un humour jamais très éloigné des larmes. Pour s'affranchir<br />
poétiquement de tous les automatismes sclérosés du sens, Ghérasim Luca a dû jouer avec<br />
les ruptures syntaxiques pour faire bégayer la langue. Qui n'a pas eu envie, un jour, de<br />
disparaître dans un fleuve ? Un courant qui emporterait notre être loin des certitudes. Loin<br />
des appartenances identitaires. N'être conforme à rien. Ou à rien d'autre qu'à ce besoin<br />
d'incertitude.<br />
De Ghérasim Luca<br />
Mise en scène de Laurent Vacher<br />
La critique [evene]<br />
par Guillaume Benoit<br />
Si l’on connaît un tant soit peu l’oeuvre de Ghérasim Luca et son rayonnement sur nombre<br />
de postulants à l’exercice théâtral, il faut s’attendre à tout à l’annonce d’une adaptation de<br />
'Héros-Limite’, oeuvre majeure qui repousse les limites du sens en offrant une musicalité<br />
hors pair de la langue, toute entière matériau de la trame dramatique.<br />
S’attendre au pire, donc. Un texte qui vit par lui-même, dont l’écriture est diction, peut-il<br />
survivre à la formule proposée, un duo voix/<strong>accordéon</strong> qui laisse planer une tonalité<br />
faussement dramatique et surannée sur cette écriture aussi pleine de vie que d’envie ? Le<br />
piège est par trop évident pour être contourné aisément.<br />
Or, rien de tout cela ici. D’emblée, le ton est donné, la diction énergique, limpide et<br />
véritablement puissante de Jean-Charles Dumay convainc immédiatement. La phrase,<br />
ensemble de sonorités martelées avec délice, se déconstruit au fil de la lecture en<br />
orchestrant un maelström de phonèmes mêlés comme autant de lignes de fuite d’un sens<br />
pluriel, complexe, toujours devant nous. Aucun pathos illuminé, aucune lourdeur tragique,<br />
les poèmes de Luca transportent tour à tour, cyclones incontrôlables, le récitant et<br />
l’auditoire, emportés dans cette oeuvre toujours aussi juste dans sa quête d’un sens<br />
nouveau, débarrassé du poids de la tradition rationnelle. Et le parallèle musical que trace<br />
<strong>Johann</strong> <strong>Riche</strong> dans une composition pour <strong>accordéon</strong> et voix ne fait qu’intensifier cette fête.<br />
La complicité des deux hommes est ici véritablement soudée au texte, elle lui injecte une<br />
dose d’humour facétieux qui, peu évident à la lecture, devient nécessaire dès lors que l’on<br />
entre dans le domaine de la représentation.<br />
Sans le départir donc de sa belle gravité, cette mise en scène sobre et juste offre au<br />
poème une dimension nouvelle et essentielle ; elle en retrouve, en redit le souffle et la<br />
tonalité sans figer dans une lecture tragique ce texte qui résonne encore aujourd’hui de<br />
toute sa force.<br />
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