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Johann Riche, accordéon - Beltuner

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Hé-ro-ro-ïne et off !<br />

Une langue vole en éclat pour une expérience singulière, Héros-limite ressuscite Ghérasim Luca à la<br />

Maison de la Poésie dans une interprétation unique et sans cesse réinventée par Alain Fromager,<br />

magicien des mots qu’il fait proliférer dans le souffle enivrant d’un <strong>accordéon</strong> parcouru d’une main<br />

de maître par <strong>Johann</strong> <strong>Riche</strong>.<br />

En 1944, un homme se jette dans la Seine – scène, et les mots – maux emportent avec eux la<br />

singularité d’une langue qui s’affranchit de toutes les règles conventionnelles de la poésie pour la<br />

faire bégayer en s’amusant des structures syntaxiques avec lesquelles elle joue. Les certitudes sont<br />

emportées par un torrent de formes multiples, sinueuses, capillaires ou dilatées évoluant dans un<br />

équilibre du doute que les structures rythmiques façonnent de manière surréaliste (séries linéaires<br />

ou circulaires, arborescence, glissement, hiatus…). Les logorrhées du grand poète roumain semblent<br />

voler en éclat et suivent pourtant un cheminement semblable à une suite mathématique où les<br />

premiers éléments conduisent aux suivants et où la clé, pour comprendre le mot, se trouve dans la<br />

somme de tous les précédents. Les mots comme matière première d’un ouvrage hors norme,<br />

construisent un édifice aux fondations incertaines sans cesse ébranlées par une physique du chaos. «<br />

Celui qui ouvre le mot ouvre la matière et le mot n’est que le support matériel d’une quête qui a la<br />

transmutation du réel pour fin » Ghérasim Luca. Le poète apatride redistribue le langage, en invente<br />

d’autres, extrait matières et territoires nouveaux dans une création pure, faisant feu de tout bois,<br />

repoussant les limites de la logique aux confins de l’incertitude. Une écriture sombre, parfois<br />

morbide et essentiellement axée sur l’eros et le thanatos, multipliant les allers retours entre la vie et<br />

la mort, l’amour et le sexe, le vide le plein, entre la fin du monde et de l’existence, portée par un<br />

héros qui, la tête dans ses tablettes en fait jaillir les joies de « La mort, la mort folle, la morphologie<br />

de la méta, de la métamort, de la métamorphose ou la vie, la vie vit, la vie-vice, la vivisection de la<br />

vie ».<br />

Une intensité décapante !<br />

Surgissant d’un rideau de scène rouge, placé au fond du plateau, Alain Fromager avance d’un pas<br />

décidé jusqu’à nous, puis rebrousse chemin, hésitant, indécis, il revient, le regard trouble et… se<br />

jette à l’eau ! Il s’empare du texte de Luca pour célébrer un langage poussant du milieu, d’un bord<br />

ou d’un désert. Tel un conférencier, il nous livre, de manière confondante, toute la subtilité du<br />

matériau en devenir dont il est l’artisan en respectant la complexité linguistique d’une partition au<br />

rythme syncopé. Une respiration contrôlée, une diction d’une extrême précision, mènent le héros<br />

vers les limites de l’incertitude avec lesquelles il s’amuse, joue, et pourfend les codes convenus<br />

d’une écriture inattendue. Espiègle et rieur, grave et touchant, Alain Fromager nous fait plonger<br />

dans la part irrationnelle de notre être, de la vulve au trou, de la perte du début, du milieu et de la<br />

fin, le héros bientôt travesti en femme, ébranle les doutes, contrarie la géographie des chemins du<br />

possible dans une succession de vagues émotionnelles. Le regard complice de <strong>Johann</strong> <strong>Riche</strong>, dont<br />

l’<strong>accordéon</strong> s’articule dans un déferlement de notes d’une douce mélancolie, parachève un ensemble<br />

d’une puissante création poétique et musicale. Laurent Vacher compose une mise en scène qui<br />

atteint sa cible avec une extrême justesse, par ce dialogue poético-musical servant de réponse au<br />

jeu d’écriture de Luca, profondément ancré dans le sensoriel. Les mots, tout comme les notes,<br />

divergent, convergent vers toujours plus de folie, celle de l’indomptable désir d’être.<br />

Du grand art, du sensationnel, la performance est remarquable et donne autant à voir qu’à entendre<br />

le cri, la douleur mais aussi l’humour qui se dégagent de l’oeuvre de Luca. Percutés par une parole<br />

forte, éprouvée, fragmentée, nous parvenons jusqu’au héros sans limites qui s’offre et s’engage,<br />

sans concessions, dans une aventure époustouflante, complice et musicale que <strong>Johann</strong> <strong>Riche</strong><br />

accompagne, subordonne et rehausse du souffle mélancolique de son <strong>accordéon</strong> toujours en suspens.<br />

Les deux hommes sont confondants, complices et tout particulièrement talentueux et font du poème<br />

de Luca, un moment puissant sans limites…<br />

Bruno Deslot<br />

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