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Recueil des textes primés 2010 - Encres Vives

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Un concours de mots<br />

Oakland, Californie, 1893. Un jeune homme regarde la baie de San Francisco et se dit qu’il<br />

n’est rien de mieux, quand on a l’âme aventureuse, que d’étancher sa soif de sensations sur un<br />

bateau voguant grand large. Il se dit aussi que pour prolonger le voyage, rien de tel que la<br />

lecture de romans, romans de quatre sous ou bien romans d’aventure. En tous cas, dans cette<br />

Amérique en crise, il se dit qu’un métier qui allierait l’aventure et l’écriture et qui rapporterait<br />

assez, serait le paradis pour lui ; lui, qu’une vitalité hors du commun a toujours poussé de<br />

l’avant.<br />

Notre jeune homme a relevé, quelques jours auparavant, le défi lancé par sa mère. Elle lui a<br />

annoncé, un beau matin, dans leur humble cuisine, que le Morning Call, journal de San<br />

Francisco, lançait un concours de nouvelles doté d’un premier prix de 25 dollars. 25 dollars,<br />

soit un mois de salaire dans son usine de toile de jute : 10 cents de l’heure, 12 heures par jour, 6<br />

jours sur 7. Alors même si au début il avait rétorqué à sa mère qu’il ne trouverait ni le temps,<br />

ni l’énergie pour écrire, à cause de son travail, l’idée du concours a fait son chemin dans son<br />

esprit épris d’aventures. Sa mère revint à la charge en insistant sur son goût pour la littérature<br />

et surtout sur les 25 dollars à gagner. Il faut dire que notre gaillard d’à peine 17 ans est le<br />

principal soutien financier de la famille par son travail à l’usine de jute. Flora, sa mère, lui a<br />

aussi rappelé que ses aventures maritimes et son goût de la lecture pourrait donner le cocktail<br />

gagnant pour le concours.<br />

Et c’est un dimanche que notre héros, allongé dans son lit, un matin d’octobre, réfléchit pour<br />

la première fois à ce qu’il pourrait bien raconter dans sa nouvelle. Il se creuse les méninges et<br />

compare ses idées avec les choses qu’il a l’habitude de lire, principalement <strong>des</strong> romans<br />

d’aventure. Alors il cherche dans ce qu’il a vécu, l’aventure qui serait le sujet de sa nouvelle. Il<br />

repense à sa vie de « Prince <strong>des</strong> pilleurs d’huitres » alors qu’il n’avait que quinze ans ; ou bien<br />

sa vie dans la patrouille de pêche alors qu’il n’avait que 16 ans. Intéressant se dit-il ! Mais ce<br />

qu’il l’avait le plus marqué ces derniers temps, c’est son engagement comme matelot ; un<br />

engagement pour une chasse aux phoques de 100 jours en mer du Japon, sur la goélette<br />

Sophia-Sutherland. Quelques mois de mer qui comblèrent l’appel du large qui travaillait cet<br />

adolescent grandi sur les rives du Pacifique.<br />

Pour étonner le lecteur, quoi de mieux que de raconter <strong>des</strong> faits qui sortent de l’ordinaire, se<br />

dit-il ; et se disant cela, il repense au typhon qu’il a essuyé sur le Sophia-Sutherland au large <strong>des</strong><br />

côtes du Japon. Il repense à sa frayeur mêlée d’émerveillement devant ce spectacle de la nature<br />

hostile et se demande s’il arriverait à en faire une histoire écrite. Après tout, il a une certaine<br />

science de l’écrit, lui qui fréquente depuis tout petit la bibliothèque municipale d’Oakland ; il<br />

a beaucoup lu et ce ne doit pas être très compliqué de reproduire ce qu’il a tant de fois lu. Ce<br />

qu’il faut, pense-t-il, c’est coller aux faits et aux images ; et par-<strong>des</strong>sus tout, que le lecteur<br />

éprouve <strong>des</strong> sensations quand il lira mon texte. Le tout c’est de s’y mettre et quand on a<br />

montré depuis tout petit une volonté de fer dans tout ce que l’on entreprenait, rien de plus<br />

facile.<br />

Le titre d’abord ; un titre qui parle, un titre réaliste. Pourquoi pas « Un typhon au large <strong>des</strong><br />

côtes du Japon ». Après tout, c’est ce que je vais raconter, se dit-il. Et là, d’écrire comme dans<br />

un rêve : les bons mots succédant aux bons mots, les bonnes images naissant <strong>des</strong> bonnes<br />

phrases. En un après-midi, notre apprenti écrivain avait aligné quatre mille mots d’une prose<br />

qu’il avait pris grand plaisir à composer. Il n’aurait jamais pensé que l’on puisse être fatigué de<br />

la sorte, rien qu’en ayant écrit une histoire, fatigué nerveusement, comme après une journée<br />

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