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Recueil des textes primés 2010 - Encres Vives

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L’enjeu<br />

Artisan-ébéniste et restaurateur attitré du Vatican à Rome, Marco Cavalli occupe une<br />

échoppe au rez-de-chaussée d’un immeuble moyenâgeux et vétuste dans le pittoresque<br />

quartier du Trastevere. Célibataire, dans la quarantaine énergique et enthousiaste, il ne vit<br />

que pour son art et sa réputation dépasse les limites de la ville.<br />

Ce matin-là, dans l’imposant bureau de Mgr. Paolo Del Ponte, responsable de la bibliothèque<br />

apostolique du Saint-Siège, Marco patiente. Face à lui, le visage sec, sévère et blême, le nez<br />

pointu chaussé de petites lunettes ron<strong>des</strong> cerclées d’or, l’ecclésiastique se plaint du mauvais<br />

état de ses fauteuils damassés Louis XV aux armatures de bois doré. Ils doivent absolument<br />

être restaurés, et vite, car une importante réunion d’historiens internationaux, très intéressés<br />

par le décryptage de certaines archives secrètes du XVIIème siècle, conservées au Vatican, va<br />

se tenir dans son bureau.<br />

Silencieux, Marco inspecte les sièges et constate, stupéfait, que la fine couche d’or qui<br />

recouvre le bois, s’effrite, s’écaille et devient poussière entre ses doigts. De surcroît, l’essence<br />

d’arbre utilisée pour les structures, est de très mauvaise qualité. Cette usure et cette<br />

dégradation le surprennent beaucoup et l’amène à une terrible conclusion : les fauteuils ne<br />

sont pas authentiques, ce ne sont que <strong>des</strong> vulgaires copies.<br />

Derrière lui, Del Ponte, sinistre et menaçant dans sa longue soutane noire ceinte d’une<br />

écharpe rouge, les épaules couvertes d’une cape à lisière et boutons écarlates, l’observe d’un<br />

œil d’aigle, et toute son attitude n’est qu’avertissement.<br />

Il exige que la restauration se fasse dans les locaux du Saint-Siège, afin qu’il puisse la<br />

superviser. Cette décision arbitraire déplaît à Marco, qui aurait préféré travailler dans son<br />

atelier, à l’abri de ce cauchemar en soutane, mais ce surplus de précautions l’intrigue et étaye<br />

ses soupçons. Le prélat sait parfaitement à quoi s’en tenir sur l’authenticité de ces fauteuils. Il<br />

se pourrait même qu’il soit impliqué dans de juteux trafics d’objets d’art. Le luxe qui<br />

l’entoure : tableaux de grands maîtres de la Renaissance, meubles rares et tapis précieux,<br />

nécessite de sérieux moyens financiers.<br />

Chaque matin, Marco se rend au Vatican, où, dans un local froid et aseptisé, Mgr. Del Ponte<br />

l’attend. Lugubre, sombre et muet, il assiste à la restauration, puis, après un moment, quitte<br />

les lieux, au grand soulagement de Marco qui culpabilise de participer à ce jeu machiavélique.<br />

Mais, a-t-il vraiment le choix ? Parler de sa découverte serait rompre avec le Saint-Siège et son<br />

ébénisterie ne s’en remettrait pas. Cependant, cette complicité tacite, à son corps défendant,<br />

le contrarie et le déprime.<br />

En représailles, il ne se rend pas au Vatican le matin suivant et exécute <strong>des</strong> comman<strong>des</strong>, sans<br />

grand enthousiasme, l’esprit ailleurs.<br />

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