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TerraModana n°64

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Chasse<br />

d’antan<br />

II Chroniques et fin des<br />

“bêtes ravissantes”<br />

L<br />

La prolifération des armes de chasse, dès le<br />

milieu du 19e siècle, associée aux encouragements<br />

des préfets à organiser la battue à<br />

l’ours sont venus à bout de l’espèce ursus<br />

arctos dans tous nos massifs, autrement dit<br />

l’ours brun des Alpes.<br />

L'ours n’a jamais été très abondant dans les<br />

Alpes françaises, ce massif étant naturellement<br />

moins forestier et plus humanisé que les<br />

Pyrénées, où l’animal persista plus longtemps.<br />

On estime à 300 le nombre des ours vivant<br />

dans les Alpes en 1800, dont une quarantaine<br />

en Haute Maurienne, et près de soixante-dix<br />

en basse Maurienne et dans le massif des<br />

Hurtières. 1860 est une date charnière à<br />

partir de laquelle le déclin de l’ours est<br />

signé. Ils ne sont plus que soixante-dix<br />

pour toutes les Alpes françaises, dont cinq<br />

à dix entre Haute Maurienne, Briançonnais<br />

et Queyras et une douzaine entre Basse<br />

Maurienne et Belledonne. En Basse<br />

Maurienne, chaîne des Hurtières et<br />

Belledonne, les 2 dernières captures sont<br />

celle du 2 novembre 1919 aux Hurtières où<br />

une femelle de 130 kg est abattue et celle<br />

du 13 août 1921 à Montgelaffrey où une<br />

vieille femelle de 105 kg est tirée. En Haute<br />

Maurienne, la dernière observation rapportée<br />

date de 1927 à Bonneval, plus précisément<br />

au lieu-dit Les Buffettes.<br />

Le loup a pour sa part disparu plus tôt des<br />

Alpes françaises, pour les mêmes raisons,<br />

au début du 20e siècle, avant de faire un<br />

retour remarqué à partir de 1992...<br />

Dans un livre édité en 1969, le chanoine<br />

Gros, membre de l’Académie de Savoie et<br />

de la Société d’Histoire et d’Archéologie de<br />

Maurienne évoque le cas de ces “bêtes<br />

ravissantes”. Il s’empresse de faire cette<br />

précision liminaire : “Attention, ami lecteur, le<br />

mot “ravissantes” n’est pas ici un grâcieux<br />

qualificatif. Ces bêtes ravissantes étaient<br />

les loups et les ours qui causaient souvent<br />

des dommages”. Elles ravissaient leurs<br />

proies dans les prés...<br />

La tête de l’ours sur<br />

le bureau du préfet<br />

Et le chanoine de ramener du tréfonds de<br />

l’histoire les minutes précieuses de la chasse<br />

aux prédateurs. Ainsi, apprend-t-on que le<br />

4 février 1652, les syndics de la mestrallie<br />

d’Amodane (Modane) s’acquittent d’une<br />

partie de ce qu’ils doivent à deux chasseurs,<br />

Claude Porte et Claude Rol, qui ont tué un<br />

ours, pris en mai de l’année précédente. La<br />

même procédure est appliquée pour Pierre-<br />

Antoine Audé et Louis Nuer, qui ont tué un<br />

loup, en novembre 1651. Un loup est tué<br />

au Replaton en 1652, par Pierre-Antoine<br />

Audé. Jacques Fey, du Freney, tue un ours<br />

la même année. Il est dit qu’à Saint-Jean,<br />

les ours faisaient des incursions dans les<br />

vignes du Rocheray et dévoraient les raisins<br />

arrivés à maturité. Une vigne s’appelait<br />

même la “vigne de l’ours”.<br />

Le régime sarde accorda plus tard des<br />

indemnités aux chasseurs qui tuaient un loup<br />

ou un ours, mais en 1797, les chasseurs se<br />

plaignaient du retard ou de l’absence de<br />

paiement. En 1802, on réduisit même le<br />

taux des primes, mais le paiement dut être<br />

immédiat, et il fallut même, un temps,<br />

fournir les preuves de la tuerie. On se<br />

contentait le plus souvent de fournir les<br />

oreilles de la bête tuée, mais une fois, c’est une<br />

tête entière d’ours qui arriva en préfecture de<br />

Chambéry, après avoir voyagé dans toute<br />

la Maurienne... On imagine la tête du préfet<br />

en voyant celle de l’ours un peu défaite...<br />

Les montagnards étaient des gens pauvres,<br />

la chasse aux prédateurs fut donc une<br />

aubaine pour quelques uns, parmi les plus<br />

téméraires. La prime était alors de quarante<br />

francs, quand un mouton valait huit francs<br />

et une vache, quatre-vingt-dix...<br />

On raconte qu’en 1808, un chasseur de<br />

Saint-Rémy prit trois louvetaux vivants, et<br />

qu’il en envoya un, dans une cage, au préfet<br />

de la Savoie...<br />

A Saint André, il y avait également des<br />

ours. Un lieu-dit, “Le Plan de l’Ours”, nous<br />

le rappelle. Un certain François Clappier y<br />

tua une ourse et prit deux des petits qui<br />

suivaient la mère. Il tenta de les apprivoiser...<br />

De 1800 à 1814, une trentaine de loups et<br />

quelques ours furent tués dans la vallée de<br />

Maurienne. Il semble qu’il y en aient eu<br />

toujours plus en Basse et moyenne<br />

Maurienne, en raison du climat plus clément.<br />

Une des dernières battues<br />

aux loups, en janvier 1870<br />

Au crépuscule du 19e siècle, finirent<br />

également les grands prédateurs. L’ours,<br />

bien que le plus grand, le plus fort, était le<br />

plus “fragile”, et le plus facile à tirer. Il<br />

disparut donc le premier. Le loup, plus<br />

mobile, plus habile et rusé comme le soulignait<br />

déjà Gaston Phébus au XV e siècle, hanta<br />

encore quelques temps les forêts mauriennaises.<br />

Une des dernières battues aux<br />

loups fut celle autorisée par le sous-préfet,<br />

le 24 janvier 1870. En voici le texte, cidessous<br />

encadré, découvert par Alain<br />

Peynichou dans les archives communales :<br />

Nous, Sous Préfet de l’arrondissement de<br />

St Jean de Maurienne. Vu la demande qui<br />

nous a été adressée par divers habitants de<br />

Modane dans le but d’obtenir l’autorisation de<br />

faire une battue aux loups dans les bois<br />

communaux au canton du Charmaix ; Vu<br />

l’avis de M. le Maire de Modane ; Vu les<br />

propositions des agents forestiers ; Vu l’arrêté<br />

du 9 pluviose an 5, la circulaire ministérielle du<br />

9 juillet 1818, l’art.9 de la loi du 3 mai 1844 et<br />

du décret du 13 avril 1861 ; Arrêtons :<br />

Art. 1er Une battue aux loups est autorisée<br />

dans les bois de la commune de Modane.<br />

Art. 2 Cette battue sera dirigée par M. le<br />

Lieutenant de Louveterie ou en son absence<br />

par l’agent forestier chef du cantonnement qui<br />

s’entendra avec M. le Maire de Modane et le<br />

Commandant de la gendarmerie pour en fixer<br />

les jours et l’heures.<br />

Art. 3 Les tireurs seuls seront munis d’un fusil<br />

de chasse et sous aucun prétexte, il ne sera<br />

permis aux traqueurs d’être porteurs d’armes<br />

à feu.<br />

Art. 4 Il est expressément défendu de tirer sur<br />

le gibier pendant cette battue (sic).<br />

Art. 5 Les contraventions aux dispositions qui<br />

précèdent seront constatées par des procèsverbaux<br />

et les contrevenants seront poursuivis<br />

conformément aux lois.<br />

Art. 6 Expédition du présent arrêté sera<br />

transmise à M. le Conservateur des Forêts, à<br />

M. le Lieutenant de Louveterie, à M. le<br />

Commandant de la gendarmerie et à M. le<br />

Maire de Modane, chargé chacun en ce qui le<br />

concerne d’en assurer l’exécution.<br />

St-Jean le 24 janvier 1870<br />

Le Sous-Préfet<br />

“Le loup est une bête merveilleusement habile et rusée plus<br />

que nulle autre pour garder tous ses avantages. Il ne fuira<br />

jamais trop vite, sauf dans la mesure où il en aura besoin,<br />

car il veut toujours être en sa force et en son haleine, puisqu'il en<br />

a besoin tous les jours et que chaque homme qui le voit le<br />

hue et le poursuit...” Chasse au loup. Gaston Phébus, “Livre de<br />

la Chasse” XVe siècle. Bibliothèque Nationale de France.<br />

Les ours. “Ils vivent d'herbes, de fruits, de miel, de chair crue<br />

et cuite, quand ils en peuvent avoir, de lait, de gland, de<br />

faîne, de fourmis et de toute vermine et charogne, et ils montent<br />

sur les arbres pour quérir les fruits ; et parfois, quand tout<br />

leur manque, par grand hiver ou par grande famine, ils<br />

oseront bien prendre et tuer une vache ou un boeuf ; toutefois,<br />

il en est peu qui le fassent, mais ils mangent et prennent<br />

volontiers, quand ils les trouvent à point, pourceaux, brebis,<br />

chèvres et semblable menu bétail...” Extrait du Livre de la<br />

Chasse de Gaston Phébus, écrit par lui-même, au XVe siècle,<br />

conservé à la Bibliothèque Nationale de France.<br />

A Saint-Jean-de-Maurienne, les ours n’étaient guères appréciés<br />

pour leurs incursions dans les vignes, notamment celle du<br />

Rocheray. Une vigne s’appelait “Vigne de l’ours”.<br />

Ours mangeant du raisin, bas-relief sur stalle, XV e siècle,<br />

cathédrale de Saint-Jean-de-Maurienne. Ph. B.C.<br />

A lire...<br />

“Les derniers ours de Savoie et du Dauphiné. De Genève<br />

à Barcelonnette, essai sur la triste fin des ours alpins”.<br />

Bernard Prêtre. Editions de Belledonne.<br />

“Le grand retour du loup”. De Bernard Prêtre. Cabedita éditions.<br />

“Ours et loups en Savoie (seconde moitié du XVIIIème<br />

siècle - début du XXème siècle)”, de Frédéric Janin, édité<br />

par la Société Savoisienne d'Histoire et d’archéologie.<br />

“Lectures Mauriennaises”, par le chanoine L. Gros, Editions<br />

du Bugey (1969). Collector.<br />

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 4

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