Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de ...

Gymnase Auguste Piccard 31 octobre 2011
Le rêve dans l'art
Le symbolisme onirique
et l'univers scénique
dans la peinture de Paul Klee
« L'art ne reproduit pas le visible mais rend visible »
Paul Klee
Cléo Huguenin
sous la direction de Nicole Gaillard

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 2
Table des matières
1 Introduction 3
2 Perspective d'ensemble et corpus 4
3 Comparaison d’œuvres : le symbolisme onirique 5
3.1 Dans la marge et Le poisson rouge 5
3.2 La machine à gazouiller et Analyse de perversités diverses 9
3.3 Nymphe dans le jardin et Dame démon 13
3.4 Villa R et La pleine lune 17
3.5 Sans Titre (nature morte), Céramique mystique et Nature morte (pots, fruit 20
œuf de Pâques, rideaux, etc.)
3.6 Ange servant un petit déjeuner léger et Chat et oiseau 22
3.7 Paysage aux oiseaux jaunes et Magie des poissons 24
3.8 Lieu visé et Flèche dans le jardin 28
4 Bilan des analyses précédentes 31
5 Analyse d’œuvres : l'univers scénique 32
5.1 Irma Rossa la dompteuse 32
5.2 Génies (personnages d'un ballet) 34
5.3 Fanfare du marché annuel 36
5.4 Comédie 38
5.5 Théâtre de marionnettes 40
5.6 Carnaval en montagne 42
5.7 Théâtre botanique 44
5.8 Décor de scène : paysage 46
6 Bilan des analyses précédentes 48
7 Conclusion 49
8 Bibliographie 51

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 3
1. Introduction
Pour ce travail de maturité, dont le thème est le rêve dans l'art, j'ai choisi comme sujet la
peinture de Paul Klee. J'ai trouvé sur internet un extrait d'une biographie qui décrit son
style particulier : « Souvent associée à l’expressionnisme, au cubisme ou au surréalisme,
l’œuvre de Klee est en réalité difficile à classifier. On lui reconnaît généralement une
certaine qualité fragile et enfantine, et une allusion à la poésie, à la musique et aux
rêves. La géométrisation des sujets, la recherche de perfection dans la matière et la
couleur sont sublimées par le souci de préserver l’intuition. Les œuvres plus tardives se
caractérisent par de rapides symboles hiéroglyphiques. » 1 . Le thème du rêve dans l'art
m'a tout de suite attirée car les cours d'histoire de l'art m'avaient beaucoup plu et je
trouve que le rêve est un sujet passionnant parce qu'il offre une très grande liberté à
l'artiste. L'idée de m'intéresser à Paul Klee en particulier est venue lorsque j'ai vu dans la
bibliothèque familiale un livre sur son œuvre. En le feuilletant, je me suis rappelée les
tableaux de ce peintre que j'avais vus dans le cadre des cours et à quel point ils
m'avaient fascinée. Le lien avec le thème global était tout trouvé : la peinture de Paul
Klee, comme souligne le propos cité plus haut, représente un univers irréel et onirique,
ce qui correspond totalement à l'étude du rêve dans l'art.
Outre mon intérêt pour ses œuvres, le fait qu'il figure parmi les artistes majeurs de la
première moitié du XX ème siècle m'a convaincue de faire ce choix car cela facilite les
recherches de par l'abondance de documents. De plus, Klee ayant été naturalisé Suisse
au lendemain de sa mort, cela me permet de découvrir une partie de notre patrimoine et
de notre histoire de manière originale et plaisante.
1 http://arts.fluctuat.net/Paul-Klee.html (dernière visite : 13 août 2011)

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 4
2. Perspective d'ensemble et corpus
J'ai choisi de diviser ce travail en deux chapitres car, en cherchant des tableaux à
analyser, j'ai découvert deux thèmes récurrents chez Klee : le théâtre et le monde de la
scène en général, et un univers globalement onirique. J'ai trouvé que chacune de ces
catégories était assez riche et assez intéressante pour lui consacrer une étude
approfondie. Les tableaux ont été sélectionnés parmi plus de 9000 œuvres selon
plusieurs critères. Premièrement, leur lien avec leur chapitre respectif. Deuxièmement,
un intérêt personnel et un nombre suffisant d'éléments à analyser. Troisièmement, leur
singularité, pour éviter trop de répétitions. Enfin, pour les œuvres comparées, une
certaine ressemblance pour leur trouver des points communs, mais suffisamment de
différences pour que l'analyse soit intéressante. En ce qui concerne l'ordre des analyses,
celles de l'étude du symbolisme onirique ont été classées de manière à varier les
longueurs pour préserver un certain confort de lecture. Pour le second chapitre, j'ai
procédé de la manière suivante : d'abord les œuvres centrées sur un ou deux
personnages (Irma Rossa la dompteuse, Génies (personnages d'un ballet), Théâtre de
marionnettes) puis celles sur un groupe (Fanfare du marché annuel, Comédie), celles
qui présentent un décor imposant qui se mêle aux figures (Théâtre botanique, Carnaval
en montagne) et enfin celles qui se focalisent sur le décor (Décor de scène : paysage).

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3. Comparaison d’œuvres : le symbolisme onirique
3.1.
• Dans la marge (Ad Marginem), 1930, aquarelle et encre de Chine sur gaze
plâtrée montée sur carton, 43,5 x 33 cm, Öffentliche Kunstsammlung Basel,
Kunstmuseum
• Le poisson rouge, 1925, huile et aquarelle sur papier monté sur carton, 48,5 x
68,5 cm, Kunsthalle, Hamburg

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Je vais ici procéder à une comparaison de deux tableaux assez différents au premier
abord. En effet, ils n'ont pas du tout le même sujet : le premier représente une forme
sphérique et le second un poisson rouge. Cependant, leur parenté visuelle m'a frappée et
c'est ce que je vais étudier dans cette mise en parallèle, en commençant par Dans la
marge.
Le premier point frappant de ce tableau est évidemment la forme ronde de couleur
rouge. Elle est située presque au centre du tableau, légèrement décalée sur le haut.
Autour d'elle, il y a un grand espace vide, comme si rien ne pouvait approcher tant elle
est imposante. Cela me fait penser au tableau Le poisson rouge : on y trouve également
un élément très fort placé au centre et une nette opposition de couleurs : dans Dans la
marge, on observe un contraste entre le rouge du cercle et le vert du fond et dans Le
poisson rouge entre le jaune et le bleu (ainsi que le clair et le sombre).
Il existe une autre ressemblance entre ces deux œuvres : les éléments situés sur les bords
(ou dans la marge, comme l'indique le titre de la première). Ces éléments comportent
des couleurs qui rappellent celle de la figure centrale. Dans Dans la marge, on trouve

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 7
plusieurs symboles rouges : la lettre V, une croix, un losange, une forme irrégulière à
plusieurs côtés ainsi que plusieurs formes sphériques. Par contre, dans Le poisson
rouge, la couleur principale du grand poisson n'est pas reprise mais le rouge de son œil,
de sa queue et de ses nageoires se retrouve sur ses congénères, à différents degrés
d'intensité, certains étant plus transparents que d'autres.
Outre le V, on trouve de nombreuses autres lettres et symboles dans Dans la marge : un
L, un U et un R ainsi que plusieurs yeux, une spirale, des sphères noires (dont une
paraissant avoir une queue, telle une note de musique à l'envers), ceci formant une
végétation, aussi indiquée par la couleur verte. On notera également la présence d'un
oiseau, placé la tête en bas en haut du tableau, avec des yeux formés d'autres petites
sphères rouges.
Ce sont toutes deux des œuvres très équilibrées avec l'élément fort placé un peu plus
haut que le centre mais plus chargées dans la zone inférieure, ce qui élimine le
déséquilibre. Notre regard parcourt le même chemin : tout d'abord, il est évidemment
attiré par la plus grande figure de par sa position, sa taille et sa couleur contrastant avec
le reste du tableau. Il tourne ensuite autour du tableau, s'arrêtant sur les reprises de
couleur. Finalement, lors du troisième passage, ce sont les éléments symboliques
comme les lettres et les formes qui ressortent dans Dans la marge et les algues et les
vaguelettes dans Le poisson rouge. Une fois ces détails repérés, nous pouvons nous
intéresser de plus près au vide, partie essentielle de ces deux peintures. Lorsque nous
voyons pour la première fois un de ces tableaux, nous voyons ce vide, mais notre esprit
est si obnubilé par la figure nous n'en avons pas forcément conscience. Puis, plus nous
observons, plus il est évident que cet espace entourant le poisson et le rond rouge a un
rôle important. Nous pouvons voir que le vide est complet dans Le poisson rouge, il n'y
a ni algue ni petit poisson autour du grand. Christian Geelhaar en parle dans Paul Klee,
Leben und Werk : « Persistant dans un immobilisme transitoire et chargé d'énergie
contenue, le poisson merveilleux et incandescent éclaire le bleu profond de ce monde
crépusculaire, vers lequel s'enfuient les petits poissons rouges ». En effet, les petits
poissons suivent un mouvement donné par le rayonnement du poisson rouge, ce qui
augmente encore sa puissance, comme le fait qu'il est immobile et entouré de vide. La
sphère rouge de Dans la marge n'étant pas un personnage ou un animal, il est par
conséquent plus difficile de donner un sens à ce vide. Ce que nous pouvons en

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comprendre est que comme pour Le poisson rouge, cette figure centrale semble
rayonner et imposer un certain respect voire une certaine crainte aux autres éléments du
tableau.
Nous pouvons aussi remarquer que cette œuvre peut se lire dans plusieurs sens et
toujours garder son équilibre. Par exemple, la lettre U dont je parlais plus haut peut elle
aussi être lue à l'envers comme un N. Nous ne pourrions pas faire cela avec Le poisson
rouge car une figure ne peut généralement pas se mettre à l'envers. Néanmoins, l'oiseau
de Dans la marge se tient la tête en bas mais cette inversion de gravité est compensée
par la gravité plus forte créée par les éléments du bas du tableau qui équilibrent l'œuvre.
Par contre, une forme telle une sphère n'a ni haut ni bas.
En conclusion de cette comparaison, j'aimerais insister sur la ressemblance inattendue
entre ces deux œuvres, de par ce rapport au vide et à l'équilibre, cette présence d'un
élément très fort au centre du tableau et du contraste de luminosité et de couleur.

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3.2.
• Analyse de perversités diverses, 1922, aquarelle et encre de Chine sur papier
monté sur carton, 31 x 24 cm, Musée national d'art moderne, Centre Georges-
Pompidou, Paris
• La machine à gazouiller, 1922, dessin à l'huile et aquarelle sur papier monté sur
carton, 63,8 x 48,1 cm, The Museum of Modern Art, New York

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Je vais comparer ici deux œuvres similaires en beaucoup de points. Premièrement, on y
retrouve les mêmes couleurs : bleu, violet et rose plus ou moins foncé. Deuxièmement,
le dessin : des traits noirs créant une sorte de mécanisme, comme les rouages dans
Analyse de perversités diverses et troisièmement une forme d'humour. Il y a tout de
même de grandes disparités : dans Analyse de perversités diverses, des quadrilatères de
diverses couleurs forment le fond alors que dans La machine à gazouiller, ce sont des
taches de couleurs assez diluées et étendues. Cela crée un effet différent dans les deux
peintures : le dessin ressort plus fortement dans La machine à gazouiller, ce qui fait de
la machine elle-même le pôle visuel du tableau, alors que dans Analyse de perversités
diverses, le fond très présent perturbe notre regard qui circule bien davantage que dans
le premier. Il est attiré dans les deux œuvres par des formes de couleur blanche : les
rouages, les têtes des oiseaux, et les deux triangles formant un sorte de nœud-papillon.
En ce qui concerne les mécanismes, il sont assez différents : dans La machine à
gazouiller, on trouve une manivelle et un fil sur lequel se tiennent les oiseaux, qui
paraissent, comme le reste, être faits de fil de fer. Le dessin est plutôt épuré et équilibré
entre l'horizontal et le vertical car les lignes sont droites et disposées régulièrement. Par

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contre, le tableau Analyse de perversités diverses est plus chargé et moins symétrique :
de nombreuses installations remplissent l'espace, ce qui constitue une des autres
différences entre ces deux œuvres : le vide. En effet, La machine à gazouiller est plutôt
vide : à part l'installation et les quatre oiseaux, il n'y a rien d'autre, sauf le fond de
couleur. Par contre, dans Analyse de perversités diverses, il n'y a pas de vide à
proprement parler : en effet, les endroits où il n'y a que le fond sont occupés par les
quadrilatères de différentes couleurs et tons. Nous pouvons remarquer que la forme n'est
constituée que de traits noirs très fins, ce qui fait que le rapport forme-fond est assez
original car c'est principalement le fond qui apporte la couleur. De plus, les différents
objets des installations sont rarement remplis, par conséquent, il n'y a presque aucun
volume.
Une autre particularité de ces deux tableaux est, comme je l'ai annoncé plus haut,
l'humour. En effet, les figures sont dans des postures plutôt cocasses et surprenantes : les
oiseaux, avec leur tête disproportionnée et leur corps de fil de fer, l'homme en bas à
droite d' Analyse de perversités diverses avec ses yeux exorbités ainsi que ses cheveux
et sa moustache étrangement frisés, la figure couchée à côté de lui, comme transpercée
par la flèche qui sort de son corps et découpée par une sorte de scie géante, sans oublier
l'oiseau qui urine dans le panier au-dessous de lui. Dans Analyse de perversités diverses,
qui est une œuvre plus dynamique que La machine à gazouiller, le mouvement paraît
donné par la figure aux cheveux frisés. En effet, le mécanisme est relié à son corps par
des rouages et c'est également le seul protagoniste humain capable d'agir, car l'autre est
en délicate posture, et les autres êtres vivants sont des animaux (un oiseau qui a l'air
d'être sous cloche et ce qui paraît être un petit poisson au-dessous de la figure couchée).
La machine à gazouiller semble donc plus rigide à cause des lignes droites qui
composent le mécanisme, mais la manivelle si tentante pour le spectateur que nous
sommes, pourrait donner une impulsion et faire tourner les étranges oiseaux. Je les
imaginerais rester bien raides sur leurs pattes et piailler violemment jusqu'à ce que cela
s'arrête. Cela m'amène au dernier point que j'aimerais aborder : la sonorité de ces deux
peintures. Après les avoir observées quelque temps, on imagine facilement les
mécanismes fonctionner, tourner et les différentes figures, humaines ou animales,
s'agiter et des sons viennent tous seuls : le grincement des structures métalliques, le
piaillement des oiseaux, le frottement des installations entre elles, et cetera ... Tout ceci

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rend ces deux œuvres très vivantes et contribue à cet effet comique.
Les titres de ces deux œuvres sont également amusants. Ils donnent aussi de précieuses
clés pour l'analyse : dans le titre La machine à gazouiller, on retrouve en seulement
quatre mots l'essentiel de ce que j'ai dit plus haut : l'idée de mécanisme (« machine ») et
celle de sonorité (« gazouiller »). Mais c'est encore plus frappant dans le cas d'Analyse
de perversités diverses : le terme « analyse » pourrait montrer que Klee prend un certain
recul face à son œuvre, une distance critique et presque scientifique. On peut se
demander quelles sont ces « perversités diverses » et qui est (ou sont) le (ou les)
pervers. L'homme moustachu qui paraît contrôler les rouages, Klee lui-même, le
créateur de ce tableau, et par conséquent de ce qui y est représenté, ou chacun de nous ?
Les rouages ne pourraient-ils pas symboliser les mécanismes mentaux d'un désaxé ? Ou
ce qui se passe en nous tous ? À la réflexion, cette peinture ne paraît plus aussi
amusante qu'au début, elle est même plutôt dérangeante.

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3.3.
• Dame démon,1935, huile et aquarelle sur toile à sac plâtrée montée sur carton,
150,5 x 100 cm, Fondation Klee, Kunstmuseum, Berne
• Nymphe dans le jardin, 1939, aquarelle, gouache et crayon lithographique noir
sur toile à sac plâtrée montée sur carton, 34 x 52,5 cm, Fondation Klee,
Kunstmuseum, Berne

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Ces deux œuvres, bien qu'elles soient de format très différent (150,5 x 100 cm en format
portrait pour Dame démon et 34 x 52,5 cm en format paysage pour Nymphe dans le
jardin) sont similaires en de nombreux points. Premièrement, le visage des deux figures
est composé de la même façon : un cœur pour la bouche et deux cercles pour les yeux,
qui sont également les pôles visuels des deux tableaux. Le cœur reste rouge dans les
deux œuvres malgré un choix de couleurs très différent. En effet, Dame démon est peint
dans une harmonie de couleurs chaudes avec une prédominance de brun orangé, alors
que dans Nymphe dans le jardin, les teintes prépondérantes sont froides et claires : un
camaïeu de bleu et de vert. Les yeux, par contre, sont assortis à leur tableau respectif
mais sont plus foncés que le reste de l'œuvre, ce qui les fait ressortir fortement. Nous
pouvons noter la disposition particulière des yeux de la Dame démon : ils sont alignés
verticalement, ce qui donne l'impression qu'elle regarde vers le haut.
Un autre point commun de ces deux tableaux sont les lignes dessinant les figures. Ces

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traits ne suivent pas la règle classique de la représentation en dessinant la tête, le corps
et les membres de manière habituelle, mais ils forment des zones ayant chacune sa
couleur propre (bien que parfois nous puissions retrouver la même teinte plusieurs fois),
dont l'assemblage crée les corps des créatures. Ce procédé contribue à l'effet donné par
le titre : le fantastique. En effet, ce sont deux personnages imaginaires (une nymphe et
un démon) représentés de manière non réaliste. De plus, l'expression donnée par leurs
yeux sphériques remplis d'un seule couleur (et donc sans pupilles) et leur bouche de
forme particulière paraît énigmatique, voire moqueuse.
Cela m'amène à parler du rapport entre figuration et abstraction. En effet, dans ces deux
peintures, Klee est à la frontière entre l'abstrait et le figuratif, car il suffit de cacher le
visage d'une des créatures pour passer dans l'abstraction complète. Les yeux et la
bouche des figures sont les seuls éléments qui permettent de les identifier avec certitude
comme telles. Les autres détails que je vais examiner maintenant ne suffisent pas à les
rendre reconnaissables en tant que dame démon et nymphe.
Outre les couleurs et le format, il existe d'autres différences : la dame démon a des
jambes alors que la nymphe n'en a pas. De la même façon, la nymphe a ce que Klee
nous pousse à interpréter comme étant des mamelons même si leur disposition est
particulière. Ce sont deux petites sphères vertes. Elle présente également ce qui peut
être son nombril comme son sexe, symbolisé par une astérisque rouge à six branches.
Le tableau Dame démon est plus dynamique que Nymphe dans le jardin de par l'effet
d'ascension que son format impose : la dame démon est peinte en format portrait alors
que la nymphe est représentée horizontalement, et en plus son regard est tourné vers le
haut ce qui ajoute à l'effet de verticalité. Une autre différence tient au décor : la dame
démon est entourée par un fond brun uni, sans autre élément que la signature de Klee
(qui dans les deux œuvres se situe exceptionnellement en haut à gauche), alors que la
nymphe se trouve parmi d'autres zones colorées de la même manière que son corps.
D'après le titre (Nymphe dans le jardin), elle est dans un jardin, par conséquent, ces
zones peuvent être interprétées comme faisant partie de ce jardin. Il pourrait s'agir de
végétation ou de pierres par exemple.
Dans Nymphe dans le jardin, on trouve un effet de volume qui est totalement absent
dans Dame démon parce que les diverses zones s'entrecroisent, alors que dans Nymphe
dans le jardin, les sections forment des sortes de boudins replets.

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Ce tableau évoque ainsi d'autres nus couchés, qui mettent également en scène des
femmes plutôt pulpeuses et bien en chair, comme cette nymphe replète : par exemple
Nu couché (1932) de Picasso et Nu couché de dos (1927) de Matisse, qui datent tous
deux à peu près de la même époque que Nymphe dans le jardin (1939).
Une dernière différence qui oppose ces deux tableaux est que la dame démon paraît
habillée d'une sorte de jupe ou de robe et d'un chapeau peut-être même orné d'une ou
deux plumes (en haut à droite, en rose et en gris). Par contre, la nymphe est nue, et c'est
pour cela que nous pouvons voir ses seins et son nombril (ou son sexe). Le fait qu'elle
soit nue s'explique par l'une des définitions du mot « nymphe » que l'on trouve dans le
Petit Robert : « représentation plastique d'une nymphe, sous forme d'une jeune femme
nue ou à demi-nue ».
En conclusion, ces deux œuvres produisent le même effet surnaturel de par leur
représentation particulière d'une créature fantastique. Leur singularité réside aussi dans
leur expression et la manière d'indiquer les traits de leur visage et de leur corps.

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3.4.
• Villa R, 1919, huile sur carton, 26,5 x 22 cm, Öffentliche Kunstsammlung, Bâle
• La pleine lune, 1919, huile sur papier monté sur carton, 49 x 37 cm, Galerie Otto
Stangel, Munich

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Ces deux paysages ont été peints la même année (1919) et dans des techniques
similaires (huile sur carton et huile sur papier monté sur carton). Leur format varie par
contre presque du simple au double : 26,5 x 22 cm pour Villa R et 49 x 37 cm pour La
pleine lune.
Le caractère commun à ces deux œuvres qui saute aux yeux est le pôle visuel de
chacune de ces peintures. Il s'agit de la sphère jaune, qui ressort d'autant plus qu'elle est
entourée de noir, que ce soit le fond comme dans Villa R ou un halo comme dans La
pleine lune. Le choix des couleurs est également très similaire : du vert, du rouge, du
brun, du jaune, du blanc et du noir et même quelques touches de bleu. On retrouve une
fenêtre dans La pleine lune, qui me fait penser à la villa de Villa R car elle est également
peinte en noir et blanc. Ces deux peintures sont très équilibrées et assez chargées. Il y a
un jeu sur le clair-obscur, avec la forte présence des formes géométriques claires et
foncées, toujours mises côte à côte, ce qui apporte beaucoup de contrastes, qui rendent
compliquée l'identification de la sphère jaune. S'agit-il du soleil ou de la lune ? Ces
peintures ayant un peu plus de couleurs sombres que de teintes lumineuses, je dirais
qu'il fait nuit, mais ce n'est qu'une supposition car dans Villa R il y a également une
demi-lune verte, qui pourrait laisser croire que la sphère jaune est en fait le soleil. Par

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contre, le titre La pleine lune est très explicite et il serait difficile d'affirmer que ce
tableau représente un paysage en pleine journée. Jean-Louis Ferrier dit à ce propos : «
Dans sa célèbre Villa R, exécutée en 1919, où la lune et le soleil se font face aux deux
angles supérieurs de la composition, les tonalités nocturnes l'emportent. » 2
Je conclurai en parlant du mystère ambiant de ces deux œuvres. En effet, dans l'une
comme dans l'autre, des éléments sont surprenants : la difficulté de savoir s'il fait jour
ou non, la fenêtre sans maison ni même mur au coin de La pleine lune, la villa étrange
et isolée de Villa R et bien sûr, le R géant et énigmatique qui fait tout le charme de ce
tableau, qui, comme toujours chez Klee, porte très bien son titre. Il y a également une
coexistence entre les éléments figuratifs et abstraits dans chacune de ces peintures. En
effet, on y retrouve des objets identifiables tels les arbres, les astres (lune et/ou soleil), la
maison et la fenêtre mais le reste part dans l'abstrait, ce qui rend ces tableaux plus
sibyllins encore.
2 Jean-Louis FERRIER, Paul Klee, Paris, Pierre Terrail, 1998, p. 76

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3.5.
• Sans Titre (nature morte), 1940, huile sur toile, 100 x 80,5 cm, collection
particulière
• Céramique mystique, 1925, huile sur fond noir sur carton, 31,3 x 46 cm,
localisation inconnue
• Nature morte (pots, fruit œuf de Pâques, rideaux, etc.), 1927, huile sur plâtre, 48
x 64 cm, Collection Heinz Berggruen, Paris

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Ces trois natures mortes ont, en plus des couleurs et du fond foncé, un point commun
frappant : la dimension onirique. En effet, elles ne sont pas réalistes : les objets
paraissent flotter dans le fond sombre, sans être posés, comme on pourrait s'y attendre,
sur une table. Le choix des couleurs accentue cet effet irréel car les divers objets sont
peints dans des teintes vives et unies qui contrastent avec le fond. C'est ce clair-obscur
qui donne une apparence bombée (et donc en trois dimensions) aux cruches et autres
pots de ces natures mortes.
En conclusion, ces trois tableaux, en plus d'avoir le même sujet et un assortiment de

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couleurs similaire, ont un effet totalement onirique qui est donné par l'aspect flottant et
énigmatique de leur composition, et c'est ce qui les différencie des natures mortes plus
traditionnelles.
3.6.
• Ange servant un petit déjeuner léger, 1920, lithographie, 19,8 x 14,6 cm,
Sprengel Museum, Hanovre
• Chat et oiseau, 1928, huile et encre sur toile montée sur bois, cadre original,
38,1 x 53,2 cm, The Museum of Modern Art, collection Sidney et Harriet Janis,
New York

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Ces deux œuvres à la technique et au format complètement différents présentent
néanmoins beaucoup d'analogies. Premièrement, les couleurs : le fond est beige avec
des plages de teintes chaudes (jaune, orange et brun) et froides (bleu) ainsi que des
détails couleur cerise. Deuxièmement, le trait très fin s'ajoute sur les aplats de couleurs
pour créer la forme. On remarque que ces différentes taches ne remplissent pas toujours
le dessin mais sont disposées d'une façon qu'on pourrait penser aléatoire. Cet effet est
surtout visible dans Ange servant un petit déjeuner léger, alors que dans Chat et oiseau,
cela ne s'applique pas aux yeux par exemple et, de manière globale, on a moins
l'impression que la forme a été rajoutée sur un fond déjà créé, impression donnée par
Ange servant un petit déjeuner léger. Ces deux œuvres comportent un cœur, pôle visuel
important parmi également les yeux du chat et l'oiseau de Chat et oiseau ainsi que les
deux cercles noirs et les divers détails rouges d' Ange servant un petit déjeuner léger. Il
y a également un fort contraste entre les couleurs chaudes et les couleurs froides, malgré
des tableaux peints principalement de teintes orangées, beiges et jaunes.
On peut partager ces deux tableaux verticalement par le milieu. Une ligne forte forme
cet axe qui est visible dans Ange servant un petit déjeuner léger car il s'agit du trait qui
divise la double arche, alors que dans Chat et oiseau elle est sous-jacente à la
composition. Néanmoins, il serait facile de la dessiner, il suffirait pour cela de relier le
point où les deux yeux se touchent avec le bas du cœur, que l'on peut également partager
en deux verticalement. Ce sont deux œuvres très équilibrées de par cette symétrie et la

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 24
même structure en arche.
Le sujet de ces deux œuvres tout comme leur titre ont aussi un point commun frappant.
Ange servant un petit déjeuner léger présente un sujet principal de prime abord peu
surprenant puisqu'il s'agit d'un ange. Par contre, si on regarde de manière plus attentive,
et avec l'aide du titre on peut voir que celui-ci a une activité passablement singulière
pour un ange puisqu'il est un train de préparer un petit-déjeuner ! Le même effet de
surprise est produit par le titre. Il commence de manière banale (Ange), puis devient
original (servant un petit déjeuner) pour se finir de façon totalement inattendue (léger).
Chat et oiseau, bien qu'il soit un peu moins surprenant, fonctionne de manière similaire,
l'oiseau étant l'élément de surprise, que l'on remarque à nouveau, que ce soit dans le titre
ou dans le tableau, après le chat. De plus, de part sa position, on peut imaginer que le
chat est en train de penser à cet oiseau, une de ses proies préférées. Dans ce cas, la
couleur rougeâtre de son museau et celle de l'oiseau prend une signification plus
macabre : du sang ?
3.7.
• Paysage aux oiseaux jaunes, 1923, aquarelle, 35,5 x 44 cm, collection
particulière
• Magie des poissons, 1925, huile et aquarelle vernie, 76,8 x 98,1 cm, The
Philadelphia Museum of Art, Philadelphia, PA, USA

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 25
La ressemblance entre ces deux tableaux est encore une fois frappante : le fond sombre,
les animaux jaunes et la végétation. Commençons par les fonds : les deux sont bleu
foncé, avec des touches plus claires, même si celui de Paysage aux oiseaux jaunes est
plus uni que celui de Magie des poissons, qui présente plus de taches claires. Ce fond
sombre peut évoquer deux choses différentes : de l'eau, avec de l'écume créée par les
remous ou un ciel nocturne, rempli de nuages. Je reviendrai sur cette ambiguïté plus
bas. Ce qui est certain, c'est qu'il fait fortement ressortir les oiseaux et les poissons
jaunes, qui sont les pôles visuels de leur tableau respectif. Dans Magie des poissons, il y
a de nombreux autres figures et objets qui attirent notre regard, par exemple l'horloge
centrale, qui est le pôle visuel principal, mais aussi les poissons bleus, les deux
personnages du bas, les fleurs, les diverses lunes et astres et même les touches d'orange
qui agrémentent le tableau. En bref, Magie des poissons est une œuvre comportant de
nombreux détails, ce qui fait que notre regard circule beaucoup. Paysage aux oiseaux
jaunes fonctionne de la même manière, mais il est moins chargé que Magie des
poissons. Néanmoins, les deux œuvres donnent une impression d'un jeu où il faut
trouver divers objets dans une image, et on pourrait facilement les imaginer figurer dans
un livre pour enfants : « Compte les poissons ! Compte les oiseaux ! ».
Outre ces animaux, il y a de nombreux autres détails intéressants, comme la végétation
par exemple. Dans Paysage aux oiseaux jaunes, elle me fait penser à de gigantesques

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 26
algues alors que des oiseaux, qui ne vivent évidemment pas sous l'eau, se tiennent
dessus. Dans Magie des poissons, c'est le contraire ! Des poissons nagent parmi un
clocher, des pots de fleurs, plusieurs lunes et deux personnages étranges. Il s'agit de
cette ambiguïté dont je parlais plus haut : se trouve-t-on à la surface ? Si oui, que font
les poissons ici ? Mais si nous sommes sous l'eau, pourquoi y a-t-il un clocher ? Et c'est
pareil pour Paysage aux oiseaux jaunes : s'agit-il d'algues ? Sommes-nous sur la terre
ou en pleine mer ?
Un autre détail étrange est la position des oiseaux. L'un d'entre eux semble flotter,
coincé entre deux nuages, tout en haut du tableau et un autre complètement à l'envers,
qui s'accroche à ce même nuage. Ce n'est pas la première fois qu'un oiseau a la tête en
bas chez Klee : en effet, dans Dans la marge, on trouve également cette inversion de
gravité qui rend l'œuvre plus mystérieuse encore. Deux autres oiseaux se cachent dans
la végétation, l'un dont on ne voit que le haut du corps, et l'autre que le bas. C'est ce qui
m'a fait penser à un jeu, car ils sont plus difficiles à repérer que leurs congénères.
Magie des poissons fourmille aussi de détails surprenants, à commencer par le clocher,
qui paraît être fait de câbles accrochés sur la droite, un peu comme un chapiteau. Il se
situe au centre et est plus clair que le reste, ce qui en fait le pôle visuel le plus fort.
L'horloge est assez détaillée, on peut y voir les chiffres et les aiguilles, et même qu'elle
indique une heure moins le quart, ou peut-être neuf heures, ce qui s'ajoute au mystère
ambiant : Sommes-nous en pleine nuit ou le matin ? En début d'après-midi ou le soir ?.
Il y aussi les pots de fleurs remplis de tournesols et de marguerites et les astres, quatre
pleines lunes, ou soleils, et deux croissants de lune. Il reste les deux petites figures. La
plus centrée paraît tracée d'un seul trait et a deux visages, chacun regardant un côté
différent. Sa tête et son corps sont divisés en deux parties . Les deux visages ne sont pas
pareils mais ils partagent un œil. Leurs mains par contre sont identiques. Ce personnage
contribue au mystère ambiant et donne, comme les autres détails, envie de l'examiner de
plus près, ce qui fait circuler notre regard. Après avoir vu l'ensemble, on observe chaque
objet et chaque figure, ce qui prouve qu'il s'agit d'une œuvre très riche et donc
intéressante. Le deuxième personnage porte un chapeau pointu et arbore un visage
mutin. Il semble s'être glissé discrètement, comme pour être lui aussi sur le tableau. A
mon avis, il s'agit soit d'un enfant, soit d'un petit lutin malicieux.
En ce qui concerne les titres, « paysage aux oiseaux jaunes » décrit bien l'œuvre. On

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 27
remarque l'importance du paysage et donc de la végétation. Cette importance est
confirmée, car ce sont ces algues qui confèrent à la peinture son ambiguïté si
intéressante. Le titre de Magie des poissons est déjà plus vague mais on y retrouve les
poissons, comme pour les oiseaux de Paysage aux oiseaux jaunes. Le terme « magie »
représente bien l'univers très onirique, flottant, de l'œuvre. Entre la quantité de détails
incroyable, le contraste entre les couleurs chaudes des poissons et des astres et le fond
sombre, les différentes valeurs et la manière dont circule notre regard, il est vrai que ce
tableau a quelque chose de magique.
En conclusion, ces deux œuvres ont des points communs évidents : le fond bleu foncé,
les animaux jaunes, la présence de végétation et de détails surprenants. Mais c'est à mon
avis leur univers qui les lie, plus que les éléments précédents. En effet, les deux tableaux
jouent sur l'ambiguïté entre le monde subaquatique et la surface, avec des objets et des
figures caractéristiques de l'un mêles à l'univers de l'autre. Cela apporte un certain
mystère et une ambiance particulière, qui ressortent dans chacune de ce deux œuvres.
Le parcours du regard est également similaire, avec à chaque fois beaucoup de détails à
observer, comme si chaque partie pouvait devenir elle-même un sujet principal mais
toujours formant un tout avec le reste.

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 28
3.8.
• Lieu visé, 1922, aquarelle, dessin à la plume avec encre de Chine sur crayon,
papier monté sur carton, 30,7 x 23,1 cm, Fondation Paul Klee, Kunstmuseum,
Berne
• Flèche dans le jardin, 1929, huile sur toile, 70 x 50 cm, Musée National d'Art
Moderne, Paris

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 29
La flèche noire présente dans ces deux œuvres est leur premier point commun évident .
Elle fait partie de ces symboles que Klee utilise souvent : lune, cœur, étoiles et cetera ...
J'ai choisi ces deux œuvres parmi d'autres comportant également des flèches car je les ai
trouvées très différentes l'une de l'autre mais en même temps assez semblables pour
pouvoir être comparées. La flèche est dans chacune d'entre elles le pôle visuel et
l'élément principal du tableau.
Celle de Flèche dans le jardin est petite par rapport à la taille du tableau. Le fond
occupe la plus grande part de la surface. Il est beige, avec de fins traits légèrement plus
foncés qui composent le jardin. On y trouve des végétaux fantaisistes, une sphère
colorée d'un brun un peu plus foncé que le fond qui pourrait être un soleil, mais
également des lignes. Elles sont horizontales en haut de la peinture mais obliques autour
de la flèche. La partie inférieure en est dépourvue mais est par contre, remplie de
plantes, plus qu'ailleurs dans le tableau. Le fond est donc également chargé, que ce soit
en traits ou en végétaux, ce qui lui donne un effet d'uniformité qui fait ressortir encore
davantage la flèche, qui est l'élément central. Sa petite taille concentre notre regard sur
un point bien précis, presque au milieu de l'œuvre, et renforce l'impression de vide. En

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 30
effet, cette flèche paraît bien seule dans ce jardin, pourtant très rempli comme je l'ai dit
plus haut. Cette impression est due au fait que les détails du fond sont peints presque de
la même couleur que le fond lui-même et que, par conséquent, celui-ci semble uniforme.
La flèche de Lieu visé est bien différente : elle est beaucoup plus grande (toujours par
rapport à la taille du tableau) et composée de deux parties. Le fond ne ressemble pas
non plus à celui de Flèche dans le jardin : il est composé de plusieurs bandes de
couleurs allant du jaune au noir, en passant par l'orange et le brun. Ce dégradé fait
ressortir les éléments auxquels il sert de fond. En effet, les teintes les plus claires se
trouvent à l'endroit de la flèche noire alors que les bandes sombres sont là où se situe
l'installation jaune orangé dont je parlerai plus loin. Le fond paraît par conséquent plus
chargé et moins uniforme que celui de Flèche dans le jardin, mais il est aussi composé
de tons chauds, tels le beige et le brun. Il s'agit à mon avis du deuxième point commun
qui lie ces deux œuvres.
La particularité du symbole de la flèche est qu'elle n'est pas utilisée seulement pour elle-
même mais désigne quelque chose. Dans Flèche dans le jardin, elle pointe vers la
droite, où il n'y a aucun détail remarquable de la végétation. Elle semble montrer
quelque chose en dehors du tableau. Mais, le titre nous le dit, elle se trouve dans un
jardin, se pourrait-il donc qu'elle indique quelque chose qui s'y trouve, comme un
sentier, un étang, un potager ...? Tout est imaginable.
Dans Lieu visé, ce problème ne se pose pas : ce que la flèche désigne est clair. Il s'agit
de l'installation dans les tons clairs, qui est à manifestement le « lieu visé » dont parle le
titre. Néanmoins, il est difficile de dire ce qu'est cette étrange construction. Elle
ressemble un peu à ces escaliers infinis que l'on trouve dans les recueils d'illusions
d'optique. On y trouve différents niveaux de formes et de tailles diverses, dont un en
forme de flèche, ainsi qu'un personnage au milieu de la structure, qui paraît se tenir dans
le vide mais aussi porter sa propre tête à bout de bras. Il est malgré tout presque
impossible d'affirmer quelque chose avec certitude car le tableau est très mystérieux.
Ce mystère est le troisième point commun entre ces deux œuvres. Qu'il s'agisse de
Flèche dans le jardin avec cette flèche qui semble flotter parmi de curieuses plantes et
qui pointe vers un endroit inconnu, ou de Lieu visé avec la gigantesque flèche qui nous
force à observer l'installation qu'elle désigne alors qu'elle est plus ou moins
incompréhensible, on peut dire que leur étrangeté les relie.

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 31
4. Bilan des analyses précédentes
Comme nous l'avons vu à de nombreuses reprises, beaucoup des œuvres de Klee
comportent des symboles, tels des lunes, des cœurs, des flèches, diverses lettres mais on
y trouve aussi de plusieurs animaux : oiseaux, poissons et même un chat. Sans parler
des créatures, humanoïdes ou non, nymphe, ange ou dame démon. La dimension
onirique est apportée par le manque de réalisme de de ses œuvres mais surtout par un
aspect que l'on pourrait qualifier de « flottant ». En effet, les éléments ne sont presque
jamais ancrés sur le sol , ce qui crée cette impression d'apesanteur, comme un rêve. Il y
a également un indéniable mystère qui émane de ses tableaux : certaines parties sont
difficilement identifiables, comme les sphères qui pourraient être à la fois le soleil ou la
lune, ou même l'endroit ou le moment que représente le tableau : sous l'eau ou à la
surface ? Le jour ou la nuit ? La présence des lettres et des symboles contribue à cet
effet énigmatique car ils sont souvent un peu cachés et leur raison d'être est parfois
inexplicable. Globalement, il s'agit de tableaux riches en détails, notre regard circule
donc beaucoup et pendant longtemps avant d'avoir tout remarqué.
On observe un mélange d'éléments figuratifs et abstraits, Klee se trouvant souvent à la
frontière entre ces deux styles, ce qui augmente encore cet onirisme ambiant. On
remarque aussi une grande diversité dans les formats, les techniques et les titres. Ces
derniers sont essentiels à l'analyse, pour comprendre plus exactement ce que le tableau
représente mais aussi parce qu'ils sont drôles, décalés et originaux.
Il y a également un indéniable côté poétique aux œuvres de Klee. En effet, l'univers
onirique qu'il représente n'est pas celui du cauchemar et, même si certains tableaux sont
un peu plus sombres, la part esthétique, prédominante, compense cet aspect inquiétant
qui n'apparaît de toute façon qu'après analyse.

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 32
5. Analyse d’œuvres : l'univers scénique
5.1.
• Irma Rossa la dompteuse, 1918, aquarelle et encre de Chine sur papier monté sur
carton, 29,5 x 23 cm, Sprengel Museum, Hanovre
Je vais analyser ici une œuvre qui touche au milieu scénique, et plus précisément au
cirque car il s'agit de la représentation d'une dompteuse. Ce petit tableau (29,5 x 23 cm)
paraît au premier abord très brouillon. En effet, il est rempli de traits qui forment la
figure principale (la dompteuse) et les divers animaux, mais qui parfois semblent plus
aléatoires. Par exemple, au centre de l’œuvre, les lignes sur fond beige s'entrecroisent
sans créer de forme particulière. Par contre, nous pouvons identifier de nombreuses
figures : Irma Rossa la dompteuse, un oiseau, ce qui paraît être un chien (en bas, à droite
du tableau), un cactus, une étoile, un cœur et les lettres i et r. Ces figures constituent

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 33
certains des nombreux pôles visuels de cette peinture qui est très chargée. Le premier
endroit où notre regard se dirige est néanmoins le visage de la dompteuse, parce qu'il
s'agit d'un visage et que nous sommes habitués à le repérer d'office. Il ressort d'autant
plus qu'il est entouré par ses cheveux qui empêchent notre regard de « déborder ». Notre
attention est donc principalement focalisée sur la dompteuse qui est en outre au centre
du tableau.
C'est une œuvre équilibrée : elle est approximativement aussi chargée en haut qu'en bas,
ces deux zones étant définies par les bras de la dompteuse qui créent une séparation
entre la partie supérieure et la partie inférieure, cette dernière étant un peu plus grande
que la première. Un axe divise ce tableau en deux verticalement par le milieu et
souligne la symétrie entre les deux zones qu'il crée. En ce qui concerne la couleur, il y a
une grande majorité de teintes chaudes mais aussi quelques touches de bleu, qui
tranchent et par conséquent ressortent plus que les taches brunes par exemple. Cette
œuvre peut avoir une dimension narrative si on considère qu'elle raconte l'histoire du
spectacle, mais elle a également une forte dimension esthétique causée par le jeu sur le
contraste de couleur et de ton, sur la symétrie créée par les bras de la dompteuse et par
l'axe vertical, et aussi sur les nombreux pôles visuels de ce tableau.

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 34
5.2.
• Génies (personnages d'un ballet), 1922, plume, aquarelle et crayon sur papier
sur carton, 24 x 16,4 – 15,9 cm, Zentrum Paul Klee, Berne
Le tableau Génies (personnages d'un ballet) s'inscrit dans l'étude de l'univers scénique
de Paul Klee car il traite du ballet, une facette de la scène et du spectacle. J'ai choisi
cette œuvre parmi de nombreuses autres représentations de danseurs pour son
expression forte et particulière du mouvement. En effet, il y a plusieurs halos successifs
autour des figures, les couleurs claires étant au premier plan. Ceci donne l'impression
d'un mouvement laissant une trace dans l'air. Nous pouvons aussi remarquer que ces
couches deviennent de plus en plus grandes et sombres à mesure qu'elles s'éloignent des
danseurs. Ce dégradé est absent vers les pieds et les jambes des figures, ce qui laisse
supposer qu'elles ne se déplacent pas dans l'espace. Cette gestuelle inhabituelle est

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 35
caractéristique d'une chorégraphie. Les bras écartés des génies contribuent à cet effet
dramatique, chorégraphié, ainsi que l'expression de la figure de gauche. En effet, son
regard fixe, sa bouche impassible et son nez démesuré paraissent si artificiels qu'il
pourrait s'agir d'un masque. De plus, certaines parties de son visage sont totalement
déformées. Le deuxième génie semble lui aussi porter un masque. Les costumes des
figures ajoutent un côté théâtral ainsi que l'objet à l'arrière-plan à droite. Il pourrait
s'agir d'une installation de décor de scène qui représenterait une lune pleine suivie de
trois croissants de lune. Mais cela pourrait aussi faire partie des accessoires des
danseurs.
Quoi qu'il en soit, cet objet est peint avec les mêmes couleurs que le reste du tableau :
un camaïeu de jaune, se dégradant jusqu’au brun en passant par le vert. Ce dégradé se
retrouve sur le plancher de la scène. Je pense qu'il sert à montrer l'éclairage. En effet, au
premier plan, le jaune est très clair, presque blanc, puis il devient progressivement kaki
foncé, comme illuminé par des projecteurs. Les figures absorbent elles aussi la majeure
partie de la lumière.
Pour en revenir au mouvement, j’ai remarqué un effet particulier : malgré les couches
successives, les deux génies ont tout de même l'air figé, comme si l'on avait pris une
photographie et que l'on pouvait distinguer les derniers gestes esquissés par les
danseurs. Ceci rend le tableau très vivant : il paraît représenter un instant, une seconde
d'un spectacle, comme le ferait un cliché.
Un autre aspect de cette œuvre est son côté très onirique, fantastique voire magique. Les
figures semblent ailées, comme des anges, mais pas de manière classique : les ailes sont
situées autour de visage du danseur de gauche et à la place des mains de celui de droite.
Leurs visages masqués, leurs costumes et le décor sont étranges. Les plages dégradées,
outre le mouvement, donnent une impression de flou, ce qui évoque le rêve à moitié
oublié. « Travaillant avec des flous et des couleurs fondues par endroit, Klee donne à
voir comment le temps s'attaque aux souvenirs en ne laissant plus qu'une image
fragmentaire. » 3
En bref, je dirais que ce qui rend cette représentation d'une scène d'un ballet intéressante
se retrouve dans le titre. En effet, Klee a nommé son tableau Génies (personnages d'un
ballet), ce qui montre qu'il insiste sur le terme génie plus que personnages d'un ballet
3 Christine Hopfengart, Paul Klee Le théâtre de la vie, Bruxelles, Fonds Mercator et le Palais des
Beaux-Arts, 2008, p. 140

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 36
car ces derniers figurent entre parenthèses. Nous pouvons en conclure l'importance de la
part onirique de cette œuvre, rendue par la présence de ces deux danseurs, plus anges
qu'humains.
5.3.
• Fanfare du marché annuel, 1924, aquarelle, 26,5 x 30,5 cm, collection privée
Pratteln
Ce tableau représente en tout neuf figures qui, comme le titre l'indique, font partie d'une
fanfare. Il s'agit donc d'une peinture figurative et non abstraite car même le fond de
l’œuvre est identifiable (il s'agit d'une sorte de chapiteau), ce qui n'est pas toujours le
cas chez Klee, qui se situe parfois à la frontière entre figuratif et abstrait. Il n'y a pas de
perspective, tous les personnages sont sur le même plan. Cela, s'ajoutant au fait que les
figures ne sont pas vraiment humaines, enlève tout réalisme au tableau. Pourtant, notre
œil s'arrête sur chaque visage, qui constituent les pôles visuels les plus forts, suivis par
les chiffres et ce qui se situe au-dessus de l'entrée : une flèche, une étoile et le mot
« ENTRE », qui pourrait être le mot « ENTRÉE » incomplet. L'espace est également

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 37
occupé, la bordure au bas du tableau étant l'endroit le plus vide. Cette horizontale, et
celle du haut, sont aussi les lignes les plus fortes de cette œuvre, et c'est elle qui lui
apporte l'équilibre. On peut voir qu'il s'agit du sol car certains personnages s'y tiennent
debout. Néanmoins, les autres sont à quelques centimètres du sol. Je pense qu'on peut
l'expliquer car la figure située tout à droite tient dans sa main des fils qui sont reliés aux
autres personnages. Il s'agit donc d'un marionnettiste et de ses pantins. Il est également
un des seuls à avoir les pieds qui touchent le sol. Une fois que l'on a repéré cela, notre
regard revient sans cesse vers le visage de cet homme et ses bras démesurés, avec des
mains aux longs doigts crochus, bien adaptés à sa tâche de maître des marionnettes. On
voit aussi que chaque créature a son numéro, sauf lui, comme les animaux marqués au
fer (ou tatoués). Enfin, on peut noter que la flèche pointe vers son crâne, comme un
indice que Klee nous aurait laissé pour nous indiquer le personnage à regarder. Avant de
conclure, j'aimerais le comparer à l'homme du tableau Analyse de perversités diverses. A
part une ressemblance physique évidente (même coupe de cheveux, moustache et long
nez et surtout même regard inquiétant), ce sont tous deux des personnages qui dirigent.
L'un tient les ficelles et l'autre les rouages. Cela les rend angoissants car leur manière de
diriger totalement des créatures vivantes au doigt et à l’œil est malsaine.
En conclusion, Fanfare du marché annuel est, tout comme Analyse de perversités
diverses, un tableau amusant et anodin au premier abord mais dès que l'on en a
remarqué le côté pernicieux, il est impossible de voir le tableau comme auparavant, il
devient dérangeant.

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 38
5.4.
• Comédie, 1921, décalque à l'huile, aquarelle et crayon sur papier sur carton, 30,5
x 45,4 cm, Tate Gallery, Londres
Comédie est une œuvre qui s'inscrit totalement dans l'étude de l'univers scénique car
comme son titre l'indique, elle représente une comédie, un genre théâtral intéressant car
il met en scène une situation et des personnages cocasses, ce qui, chez Klee, promet une
diversité et une originalité parmi les diverses figures et, en général, un tableau
surprenant.
Ce tableau, qui a la même composition en frise que Fanfare du marché annuel, est
frappant pour son jeu sur le rapport entre horizontal et vertical. En effet, les différentes
figures sont toutes alignées et très droites tandis que le fond est composé de bandes
horizontales de différentes teintes. Ce fond est similaire à celui de Génies (personnages
d'un ballet) car il donne cette même impression qu'il s'agit d'une scène éclairée par des
projecteurs. En effet, les bandes sont de plus en plus foncées à mesure qu'elles
s'éloignent du bord, ce qui apporte un effet de profondeur et donne le sentiment que le
tableau est en trois dimensions. Cela conduit aussi notre regard à l'endroit le plus foncé,
qui coïncide avec l'emplacement des têtes de la plupart des figures. Ces visages
constituent les pôles visuels de cette peinture, même si les personnages ressortent déjà

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 39
beaucoup, avec ou sans visage, car ils contrastent avec l'arrière-plan plus sombre. De
plus, il y a beaucoup d'éléments plus clairs, comme les roues par exemple, qui attirent
également note attention, il est donc difficile de hiérarchiser précisément les nombreux
pôles visuels de ce tableau.
Cette œuvre est néanmoins assez abstraite car, malgré les quelques visages, presque rien
ne permet d'identifier les diverses formes au premier plan comme des créatures
vivantes. On peut voir des jambes et des bras, mais ce sont à mon avis les seuls attributs
humains (avec les visages évidemment) que l'on peut noter. C'est ce qui fait l'originalité
de cette peinture. En effet, tant les figures que les accessoires paraissent être assemblés
de diverses pièces de grandeurs, de formes et de couleurs différentes, ce qui crée un
étonnant effet « patchwork », mais rend également difficile la différenciation entre les
créatures vivantes et les objets.
Ce tableau peut être divisé en deux verticalement car il y a un léger espace entre les
deux personnages centraux et leurs accessoires, les partageant en deux groupes. On
pourrait imaginer qu'il s'agisse de deux clans opposés, comme on le voit parfois dans
certaines pièces de théâtre (Le Tartuffe par exemple, avec ce faux dévot qui divise une
famille). Les deux figures du centre semblent d'ailleurs chacune vouloir éloigner son
groupe respectif de l'autre car elles se tournent le dos. De plus, le grand personnage au
long cou gris pousse calmement ses congénères avec ses bras et paraît lancer un regard
désapprobateur à l'autre clan, alors que la figue au nez démesuré et au chapeau semble
bien plus agitée et a peut-être même renversé une des ces créatures qui gît maintenant
sous elle.
En conclusion, Klee s'attaque à une autre facette du monde scénique en choisissant la
comédie, thème qui offre beaucoup de liberté car elle ne reste pas toujours dans le
registre purement comique mais se tourne souvent vers le tragique, comme ici à travers
la scission entre ces personnages. Cette œuvre est donc, comme souvent, amusante à
première vue (et à la première lecture du titre) mais montre son côté plus sombre au fil
de l'analyse.

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 40
5.5.
• Théâtre de marionnettes, 1923, aquarelle sur fond de craie et de colle, sur papier
d'emballage et carton, 52 x 37.6 cm, Fondation Paul Klee, Kunstmuseum, Berne
Ce tableau représentant une fillette et ses jouets, correspond à l'étude du milieu scénique
car il traite du théâtre et des marionnettes, ce que l'on voit déjà dans le titre. De plus, je
le trouve intéressant car il est dessiné d'une manière enfantine, comme s'il s'agissait d'un
dessin à la craie esquissé sur le bitume ou sur une ardoise, effet donné également par le
fond très sombre. La fillette est le pôle visuel pour plusieurs raisons, d'abord parce
qu'elle est la seule figure humaine, même si l'on verra plus loin qu'elle pourrait aussi
être une marionnette. Deuxièmement, elle se tient au centre et a une taille plutôt
imposante par rapport au reste de l’œuvre. Enfin, son corps et son visage sont composés
de deux cœurs, symboles qui attirent le regard.
La composition est très symétrique : on peut la partager verticalement en deux car la
fillette est parfaitement divisible, tout comme le bas du tableau. Cela crée donc un

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 41
équilibre, car chaque côté est aussi chargé que l'autre. L'axe vertical est une des lignes
de construction, avec l'horizontale en dessous des deux jouets (le personnage et la
licorne).
La disposition des divers éléments du tableau crée un effet « tapisserie » car il n'y a pas
de perspective. En outre, ce tableau paraît disproportionné, ce qui accroît cet effet
enfantin. De plus, le fait qu'il n'y ait aucun volume donne l'impression qu'il s'agit d'un
collage ou, comme je l'ai dit plus haut, d'un dessin à la craie.
Les formes ne sont pas remplies de manière homogène, mais par plusieurs bandes de
couleurs différentes. Elles sont disposées horizontalement ou verticalement, ce qui
accentue les deux lignes fortes. On peut remarquer une certaine harmonie : en haut et en
bas, les bandes sont horizontales mais au milieu, elles sont verticales.
Comme je l'ai annoncé précédemment, je vais maintenant m'intéresser au cas particulier
de la fillette. Pour une fois, le titre de l’œuvre (Théâtre de marionnettes) ne nous est pas
utile pour déterminer si la figure est humaine ou marionnette. Sa taille laisserait penser
qu'il s'agit d'un enfant qui jouerait avec un théâtre miniature, mais la manière de
représenter son corps et son visage est plutôt caractéristique d'une poupée. De plus, il
me semble même qu'elle a trois jambes, mais ceci n'est habituel ni pour les petites filles,
ni pour les marionnettes ! Par contre, cela s'ajoute à l'atmosphère d'irréalisme ambiant et
garde le mystère entier: puisque rien n'est conforme à la réalité, il est difficile de
déterminer avec exactitude la nature de cette figure centrale.
En conclusion, Théâtre de marionnettes est un tableau encore une fois très mystérieux,
que l'on peut interpréter de plusieurs façons différentes, malgré un aspect simpliste au
premier abord de par son style enfantin.

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 42
5.6.
• Carnaval en montagne, 1924, aquarelle sur papier préparé sur carton, 24 x 31,3
cm, Zentrum Paul Klee, Berne
La première chose que l'on remarque est l'utilisation particulière des formes
géométriques. En effet, elles forment tout aussi bien le décor que les figures et
retiennent le regard car leur contour noir les fait ressortir. Ce clair-obscur est très
présent dans toute l’œuvre et fait contraster divers éléments, comme les visages (ou
plutôt les masques), dans ce tableau qui est majoritairement sombre. De toutes les
formes géométriques, ce sont les sphères qui ressortent le plus, notamment le pôle
visuel le plus marqué : le cercle de couleur orangée à l'intérieur de l'oiseau. Ce petit
tableau (24 x 31,3 cm) est très chargé, ce qui donne une impression de fouillis, effet
encore accentué par la présence de nombreux petits traits qui apportent la couleur, les
valeurs et les volumes. C'est d'une œuvre équilibrée car elle est remplie de manière
plutôt égale, même si le ciel est bien moins saturé que le reste. Néanmoins, elle reste
très dynamique car l’œil circule dans ce foisonnement de détails.
La perspective est crée par une superposition car les personnages sont devant les
montagnes, que l'on voit être à l'arrière-plan, tout comme le village. L'effet de volume

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 43
est donné par le clair-obscur qui donne du relief à la multitude de formes enfantines
(carré, triangle, cercle, et cetera ...) qui composent les personnages et le décor.
En ce qui concerne le titre, il est comme toujours parfaitement adéquat car il nous donne
les informations et les clés nécessaires pour comprendre ce qui est représenté. Les
éléments caractéristiques du carnaval se retrouvent, par exemple les masques, que l'on
voit bien sur la petite figure qui porte un pull bleu et une jupe rose. Mais il y a
également le décor fantaisiste, les costumes et les accessoires extravagants, et les
attitudes dansantes des personnages.
Une dernière remarque que j'aimerais faire avant de conclure est que l'arrière-plan se
mêle au premier plan. En effet, on peut voir que les traits qui dessinent les montagnes
partent soit du chapeau de la figure de gauche, soit du visage et de l’œil de celle de
droite. Cela apporte un effet encore plus irréaliste et étrange car toute forme de
perspective est abolie, même celle donnée par la superposition dont j'ai parlé plus haut.
L'échelle n'est pas non plus respectée car ce qui semble être un bâtiment à droite est soit
très petit par rapport aux figures soit énorme comparé aux montagnes.
Klee, comme à son habitude, a peint un autre tableau mystérieux et irréaliste, dont le
titre nous fournit tout de même une clé de compréhension.

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 44
5.7.
• Théâtre botanique, 1934, huile et aquarelle sur carton monté sur bois, 50 x 67
cm, Galerie Lenbachhaus, Munich
Ce jardin, ou plutôt ce théâtre, est composé d'une scène qui est entourée par un cadre
plus foncé. Ce cadre fait partie intégrante du tableau, on peut le voir à sa taille
imposante et également au fait qu'il soit rempli de tant de détails variés, plus encore
même que la scène. Au centre de cette scène se trouve un pôle rouge, qui pourrait être
la partie inférieure d'un champignon, mais je reviendrai sur ces acteurs-végétaux plus
bas. De manière globale, les plantes sont de tailles, de formes et de couleurs différentes,
ce qui crée une forte impression de diversité et d'abondance.
En ce qui concerne les lignes de construction, un rectangle délimite très nettement la
scène et est composé de cylindres qui pourraient être des branches d'arbre par exemple.
Ce rectangle crée deux zones : la scène, et son contour, exactement comme dans un
théâtre.
Au bas du tableau, on peut noter la présence de petites créatures semblables à des
tortues. Ce sont les seuls animaux mais, à mon avis, pas les seuls êtres vivants. En effet,
certaines plantes paraissent animées, comme par exemple les grands légumes tout à

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 45
droite de l'image qui semblent lever les bras au ciel. De plus, les figures centrales qui
occupent la scène sont des végétaux et non pas des animaux alors que ce sont
certainement des acteurs, puisqu'il s'agit d'un théâtre botanique. Comme je l'ai
mentionné plus haut, on peut y voir une plante rouge et verte, qui est certainement un
champignon. De par sa position centrée et sa taille, on en déduit qu'il est le personnage
principal. De plus, il semble se tenir sur une sorte de trône, il pourrait donc s'agir d'un
roi, entouré de sa cour, composée de divers végétaux.
Le cadre constitue le premier plan et la scène le deuxième, ce qui crée un effet de
perspective et donc de trois dimensions. L'impression de volume est apportée par les
ombres qui ont été ajoutées aux figures. On trouve donc différentes valeurs : le cadre est
plus foncé que la scène mais il est lui-même dégradé car il devient plus clair vers les
bords.
La dimension esthétique prime, même si, puisqu'il s'agit de théâtre, on peut imaginer
qu'il y ait une histoire qui se déroule, que ce soit sur la scène mais aussi, comme on le
voit très clairement dans ce tableau, autour.
En conclusion, cette œuvre montre que ce qui est fréquent au théâtre peut se retrouver
dans un endroit aussi inattendu qu'un jardin, avec des légumes comme acteurs et des
plantes comme décor. Et, comme d'habitude, le titre est déterminant pour pouvoir mieux
comprendre le tableau et l'analyser, ce qui, en l'occurrence, permet de parvenir à voir la
scène et les différentes figures.

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 46
5.8.
• Décor de scène : paysage,1918, huile sur carton, 21 x 17 cm, collection
particulière
Décor de scène : paysage est un tableau difficile à interpréter au premier abord : en
effet, on distingue peu d'éléments reconnaissables et surtout, aucune figure. Mais,
comme toujours, le titre se montre précieux, voire indispensable pour l'analyse. On
comprend alors qu'il s'agit d'un décor de scène, une facette importante du milieu de la
représentation. Puis, une autre indication : paysage, ce qui explique la présence de
feuillages et la prédominance de couleurs que l'on pourrait trouver en forêt : brun
rougeâtre, vert ainsi que des teintes plus sombres, comme de l'ombre créée par les
arbres.
Le pôle visuel principal de ce tableau se situe en plein centre ; également plus clair que
l'ensemble de l'œuvre, il ressort d'autant plus. Il s'agit d'une construction, composée de
plusieurs fenêtres. Cette installation fait elle aussi partie du décor de la scène, telle une
cabane dans un arbre par exemple.
La surface est également remplie et équilibrée, avec le pôle visuel au centre et des
taches de couleurs chaudes aux quatre coins. Ces touches de brun orangé contrastent

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 47
avec le reste de l'œuvre, plutôt dans les teintes froides et font « concurrence » au cercle
de même couleur. De manière générale, ce tableau est très harmonieux, avec un
équilibre entre chaud et froid, entre clair et foncé, mais aussi avec ses dimensions (21 x
17 cm), qui forment presque un carré.
La touche, donnée par un effet de grattage, est apparente et particulière : des traits
blancs créent les diverses plantes et entourent les différentes plages de couleurs. Ces
lignes se teignent également de la couleur sur laquelle elles sont posées, ce qui adoucit
quelque peu leur éclat, le blanc étant une couleur très forte, mais illumine tout de même
le tableau qui, sans elles, serait sombre.
Il y a un léger effet de perspective donné par la différence de taille entre les plantes et
l'installation du centre, qui paraît plus éloignée et tient lieu de point de fuite. Par contre,
on ne trouve aucun volume, malgré les valeurs et les clairs-obscurs. Une explication
imaginable serait la volonté de Klee de représenter, comme souvent sur scène, un décor
en carton, ou en tout cas en deux dimensions.
Décor de scène : paysage est un tableau qui montre une facette inattendue du monde
scénique : le décor. En général peu montré, ou alors juste en arrière-plan, le décor
devient ici lui-même sujet, ce qui à mon avis est justifié car, que ce soit au théâtre ou
ailleurs, le décor est d'une importance fondamentale pour situer l'action et habiller la
scène.

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 48
6. Bilan des analyses précédentes
L'étude de l'univers scénique de la peinture de Paul Klee montre tout d'abord l'intérêt
qu'avait le peintre pour le théâtre mais aussi pour toute autre représentation, tels le
ballet, le carnaval, le cirque et même la fanfare. Il traite de chaque facette de la scène,
acteurs ou décor, avec toujours cet onirisme caractéristique de sa peinture. En effet, on
retrouve cet aspect flottant, déjà présent dans la série d'analyses précédente, mais aussi,
de par le plus grand nombre de figures humanoïdes, un doute concernant ces
personnages : Sont-ils humains ? Portent-ils un masque ou est-ce leur visage ? Sont-ils
des marionnettes ?
On observe également une grande variété dans les formats et les techniques mais aussi
dans ce qui est représenté. Le tableau est parfois centré sur un ou deux personnages
(Irma Rossa la dompteuse, Génies (personnages d'un ballet), Théâtre de marionnettes)
ou sur un groupe (Fanfare du marché annuel, Comédie) ou se focalise sur le décor
(Décor de scène : paysage). D'autres sont plus difficiles à classer car ils présentent un
décor imposant qui se mêle aux figures (Théâtre botanique, Carnaval en montagne). La
composition de certaines œuvres est par conséquent similaire : Irma Rossa la
dompteuse et Théâtre de marionnettes ainsi que Fanfare du marché annuel et Comédie.
Enfin, outre les titres, il y a plusieurs attributs caractéristiques de la scène qui justifient
leur analyse dans ce chapitre : les masques, les gestuelles chorégraphiées, les décors
étranges, les pantins et leur marionnettiste ainsi que les scènes et autres estrades.

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 49
7. Conclusion
Ce travail de maturité m'a beaucoup appris, que cela concerne la peinture de Paul Klee,
l'histoire de l'art en général ou encore la manière de gérer un tel exercice de rédaction.
J'ai analysé en tout vingt-cinq tableaux différents et j'ai pu observer quelques
caractéristiques récurrentes chez Klee. Premièrement, l'univers onirique, parfois à la
frontière de l'abstrait, se retrouve dans chacune de ses œuvres, ainsi que son tracé
enfantin, ce qui lui valu d'être associé au mouvement d'art naïf. On retrouve également
beaucoup de formes géométriques simples et de couleurs fortes, ce qui évoque le
cubisme, mais aussi une volonté de déformer, d'exagérer la réalité pour susciter des
émotions, comme le fait l'expressionnisme. Paul Klee, de la même manière que les
surréalistes, utilisait des techniques très variées et peignait un monde irrationnel et
étrange. On remarque donc que sa peinture est difficile à classer dans une seule
catégorie, mais c'est ce qui en fait sa richesse et sa diversité.
Deuxièmement, les titres sont d'une importance fondamentale : ils permettent une
meilleure compréhension et donc une meilleure analyse mais ils reflètent également un
humour, souvent assez noir, et un goût prononcé pour la poésie.
Dans la peinture de Paul Klee, le soin donné à préserver l'équilibre de l’œuvre et à
marier les couleurs en jouant sur les harmonies et les contrastes montre la prédominance
de la dimension esthétique. Toutefois, les dimensions expressive et symbolique sont
aussi très présentes. Seule la dimension narrative est plus discrète, elle s'observe
presque exclusivement dans les peintures représentant l'univers scénique.
J'ai également remarqué que certaines œuvres paraissent légères et amusantes au
premier regard mais qu'après analyse et à l'aide du titre, on découvre leur côté plus
sombre, voire dérangeant.
Outre ce que ce travail de maturité m'a appris sur la peinture de Paul Klee, il m'a aussi
permis de comprendre comment gérer un travail de cette ampleur sur la longueur et
organiser mon temps pour ne pas être surchargée. J'ai dû rechercher des documents,
dont des livres, grâce à quoi j'ai pu découvrir les différentes bibliothèques de Lausanne,
ce qui me sera utile dans la suite de mes études. J'ai également beaucoup travaillé sur un
programme de traitement de texte, ce qui a non seulement amélioré ma maîtrise des
diverses fonctions du logiciel mais aussi mon aisance à taper à l'ordinateur. La
formulation de certaines phrases me posait parfois problème mais cela m'a permis de

Le symbolisme onirique et l'univers scénique dans la peinture de Paul Klee 50
découvrir un outil indispensable : le dictionnaire des synonymes. Grâce à ce travail, j'ai
aussi pu visiter le magnifique Zentrum Paul Klee et voir les œuvres que j'avais
analysées « en vrai ».
Mon regard sur les peintures de Klee a évolué : je les apprécie d'autant plus après
analyse car je les comprends mieux et je vois des éléments que je n'avais pas remarqués
avant. Enfin, j'ai découvert quelque chose qui m'a plutôt surprise : la peinture de Paul
Klee rapproche les gens. En effet, plusieurs personnes que je ne connaissais m'ont parlé
de ce qu'elles pensaient de ses œuvres, du musée, ou de l'art en général juste en voyant
que je lisais un livre sur Klee.

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8. Bibliographie
• Susanna PARTSCH, Klee, Köln, Taschen, 2001
• Denys CHEVALIER, Paul Klee, Paris, Flammarion, 1979
• Jean-Louis FERRIER, Paul Klee, Paris, Pierre Terrail, 1998
• Christian GEELHAAR, Paul Klee et le Bauhaus, Neuchâtel, Ides et Calendes,
1972
• Enric JARDÍ, Paul Klee, Paris, Albin Michel, 1990
• Christine Hopfengarf et al., Paul Klee Le théâtre de la vie, Bruxelles, Fonds
Mercator et le Palais des Beaux-Arts, 2008
• Christine Hopfengarf et al., Paul Klee Marionnettes, Berne, Zentrum Paul Klee,
2006
• http://www.edunet.ch/activite/peintres/galerie/klee.html (dernière visite : 14 août
2011)
• Wikipédia